Chronique de jurisprudence

Le Professeur Jean-Claude RICCI vous propose chaque mois sa chronique de jurisprudence du Conseil d'État. Il sélectionne les principales décisions rendues par la Haute Juridiction, les classe par thème et les analyse.

Vous pouvez consulter toutes ses chroniques depuis janvier 2018 et effectuer des recherches parmi celles-ci.

Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2023

Janvier 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Droit public de l’agriculture – Arrêté portant autorisations de nouvelles plantations de vigne – Acte réglementaire – Compétence – Rejet.

L'arrêté par lequel le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre de l'agriculture fixent, pour certains produits vitivinicoles et dans certaines zones géographiques, des limitations du nombres d'hectares rendus disponibles pour l'octroi d'autorisations de nouvelles plantations de vigne, présente un caractère réglementaire. Le contentieux en résultant relève de la compétence directe du Conseil d’État statuant en premier et en dernier ressort.

(06 janvier 2023, Association des viticulteurs d’Alsace, n° 454866)

Sur cette décision voir aussi le n° 48

 

2 - Lutte contre la pollution atmosphérique - Classification des véhicules pour l’attribution de certificats de qualité de l’air en fonction de leur niveau d’émission de polluants – Incompétence de l’autrice de la décision – Procédure irrégulière – Annulation.

(25 janvier 2023, Société Gaz'up, société Primagaz, société Proviridis et société Endesa Energia, n° 465058)

V. n° 85

 

3 - Guerre du Yémen - Délivrance de licences d’exportation des matériels de guerre et matériels assimilés – Demande de suspension de ces licences – Vérification de leur conformité aux engagements internationaux de la France – Acte de gouvernement – Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

Il avait été demandé au premier ministre de suspendre les licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen, notamment l’Arabie saoudite.

Son silence valant décision implicite de rejet, les requérantes ont saisi, en vain, le juge administratif, avant dire droit, d'enjoindre le premier ministre de déclassifier et de verser à l'instance, après avis de la commission du secret de la défense nationale, d'une part, l'ensemble des licences délivrées aux pays membres de la coalition internationale impliquée dans la guerre au Yémen à compter du 26 mars 2015 et antérieurement, mais dont l'exécution serait postérieure, d'autre part, l'ensemble des délibérations et avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre afférents à ces licences et, enfin, toutes les informations susceptibles d'éclairer la juridiction et les parties sur la conformité aux engagements internationaux de la France, des licences délivrées. Elle a également demandé au tribunal d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé pendant deux mois par le premier ministre sur sa demande du 1er mars 2018 tendant à la suspension des licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen.

Le Conseil d’État estime que c’est sans erreur de droit, ni qualification inexacte des faits et sans contradiction de motifs que le premier juge a estimé que la juridiction administrative n’était pas compétente pour reconnaître du recours dirigé contre ce refus. En effet ce dernier n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France. Constituant un acte de gouvernement, il n’est pas possible d’invoquer à son encontre les stipulations des art. 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, de l'art. 2 de la charte des Nations-Unies et de l'art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les dispositions des art. 1 et 2 de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et de l'art. L. 2335-4 du code de la défense.

Le recours est rejeté

(27 janvier 2023, Association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), n° 436098 ; Associations Action sécurité éthique républicaines (ASER), Action contre la faim, Salam For Yemen, Médecins du monde et Sherpa, n° 436099)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

4 - Respect du pluralisme des courants d’opinion dans les services de radio et de télévision – Absence de précision législative ou réglementaire sur la détermination du respect de cette exigence – Prise en compte par le CSA (devenu ARCOM) des horaires et conditions de diffusion des émissions concernées – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation de la décision du CSA la mettant en demeure de se conformer aux dispositions de sa délibération du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision, ainsi qu'aux stipulations de la convention portant sur le même objet conclue entre le CSA et la société requérante, et d'annuler également la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), venue aux droits du CSA, rejetant le recours gracieux formé par la société requérante contre cette mise en demeure.

Le principal argument de la requérante consistait en ce qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune stipulation applicable aux services de radio et de télévision ne précise expressément que le respect des obligations en matière d'expression pluraliste des courants d'opinion fixées par la délibération du 22 novembre 2017, prise sur le fondement des articles 1 et 13 de la loi du 30 septembre 1986, doit s'apprécier en tenant compte des heures de diffusion des émissions.

Cette défense est rejetée à bon droit par le juge pour qui, comme cela est d’ailleurs évident, « il résulte de l'objet même de ces dispositions, qui tendent à ce que les différents courants d'opinion soient équitablement diffusés afin de concourir à la formation de l'opinion des téléspectateurs et de contribuer ainsi au débat et à l'expression démocratique, que les obligations qu'elles édictent ne sauraient être regardées comme respectées sans tenir compte des horaires et des conditions de diffusion de ces émissions. » 

Cette décision constitue une transposition à la matière du pluralisme d’une précédente décision relative au calcul du respect par une chaîne de télévision de son obligation de respecter les contraintes qui lui sont imposées en ce qui concerne la diffusion d'oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et la diffusion d'oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire (Section, 20 janvier 1989, Commission nationale de la communication et des libertes (CNCL), n° 103063).

(13 janvier 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 462663)

(5) V. aussi, rejetant le recours de la même requérante contre une mise en demeure du CSA pour avoir déclaré un total d’interventions de sept minutes pour un candidat auquel avait été accordée une heure d’antenne… : 27 janvier 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 455263.

 

6 - Injonction administrative à déréférencer l’adresse d’un site – Rejet du référé suspension et de la demande de transmission d’une QPC – Rejet.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enjoint les sociétés Google Ireland, Qwant, Microsoft Corporation et Apple de procéder au déréférencement de l'adresse du site « Wish.co » de leurs moteurs de recherche et applications respectifs. La société requérante se pourvoit en cassation contre l’ordonnance de référé rejetant à la fois sa demande de suspension de cette décision et sa demande de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre du a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation.

Le pourvoi est rejeté.

D’abord la QPC ne pouvait prospérer en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 2022-1016 QPC du 21 octobre 2022, Société ContextLogic Inc.) qui a déclaré conforme à la Constitution le a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Ensuite, concernant les moyens dirigés contre la décision de la DGCCRF, ils ne sont pas davantage retenus.

Le juge des référés n’a pas méconnu le champ d'application de la loi en jugeant implicitement qu'une tromperie sur la nature d'un produit prévue au 1° de l'article L. 441-1 du code de la consommation, peut justifier la mise en œuvre d'une mesure de déréférencement en application de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation.

II n’a pas, non plus, commis une erreur de droit ou dénaturé les pièces du dossier en jugeant, que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision de déréférencement contestée, le moyen soulevé tiré de ce que le délit de tromperie reproché n'était pas manifestement caractérisé alors que la requérante n'établissait pas avoir supprimé toute possibilité pour les vendeurs d'obtenir, pour les produits proposés à la vente, un badge portant la mention « Vérifié par les utilisateurs Wish », lequel était de nature à induire en erreur le consommateur sur la conformité et la sécurité des produits.

Pas davantage l’ordonnance querellée n’a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la mesure de déréférencement ordonnée n’était pas disproportionnée et qu’il n’existait pas de doute sérieux sur sa légalité alors même que l’administration aurait pu choisir l’autre sanction prévue par la loi (message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu'ils accèdent au contenu manifestement illicite).

Enfin, l’ordonnance attaquée n’a pas méconnu le régime de la charge de la preuve.

(27 janvier 2023, Société ContextLogic, n° 459960)

 

7 - Contribution au développement de la production de certaines œuvres audiovisuelles - Obligation pour les éditeurs de radio et de télévision - Mise en demeure – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision par laquelle le CSA l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir à ses obligations de contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles patrimoniales, d'œuvres audiovisuelles patrimoniales indépendantes et d'œuvres audiovisuelles patrimoniales d'expression originale française fixées aux articles 40, 42 et 43 du décret du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre.

Le recours est rejeté.

Contrairement à ce qui est soutenu, le CSA a correctement appliqué les dispositions de l'art. 33 du décret du 2 juillet 2010 et les pouvoirs qu'il tient de l'art. 42 de la loi du 30 septembre 1986 en estimant que la société d'édition de Canal Plus, en procédant à la déduction des ressources totales de ses exercices 2018 et 2019, prises en compte pour le calcul, de sa contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles, la partie du produit des abonnements de ses usagers qu'elle a estimé correspondre au produit de cette offre de presse en ligne, avait méconnu les obligations de contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles que lui imposent les textes et que ce manquement justifiait de faire usage des pouvoirs de mise en demeure qui lui sont reconnus.

Ensuite, les dispositions de l’art. 33 du décret précité ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques au motif, inexact, que l'assiette de la contribution ne serait pas définie de manière objective et rationnelle ni, non plus, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie.

Par ailleurs, contrairement à l’argumentation de la demanderesse, la mise en demeure est un acte de procédure non contentieuse conforme aux exigences constitutionnelles (cf. C.C. déc. n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Conseil supérieur de l’audiovisuel) et indispensable en tant qu’elle permet, ensuite, l’infliction de sanctions, dans le respect du principe de la légalité des délits et des peines.

(27 janvier 2023, Société d’édition de Canal Plus, n° 452765)

 

Collectivités territoriales

 

8 - Délibérations municipales portant avenant à une concession d’aménagement et approbation de la cession d’une parcelle domaniale - Recours de conseillers municipaux pour excès de pouvoir contre ces deux délibérations – Irrecevabilité du recours contre la délibération portant avenant et recevabilité du recours contre celle autorisant une cession – Annulation et renvois partiels.

Par deux délibérations du même jour un conseil municipal a approuvé, en premier lieu, un avenant n° 2 à un traité de concession d'aménagement conclu avec une société et, en second lieu, la cession par un établissement public foncier régional, à cette même société, d’une parcelle domaniale. 

Des conseillers municipaux forment un recours pour excès de pouvoir contre chacune de ces délibérations.

La cour administrative d’appel a rejeté ces conclusions en raison de ce qu’elles étaient irrecevables. Les demandeurs se pourvoient en cassation et le pourvoi est partiellement admis.

Le Conseil d’État, faisant une application classique et sans surprise de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne, opère une distinction entre les objets des deux recours.

Le premier recours pour excès de pouvoir, ainsi que l’a jugé la cour, était irrecevable car seul peut être formé contre un contrat, par un tiers, le préfet ou un membre de l’assemblée délibérante, un recours de plein contentieux, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

En revanche, c’est par suite d’une erreur de droit, entraînant sur ce point son annulation, que l’arrêt d’appel a déclaré irrecevables les conclusions d’excès de pouvoir dirigées contre la délibération autorisant la cession d’une parcelle domaniale à la société. Il est donc renvoyé sur ce point à la cour.

Ceci montre l’intérêt comme la persistance de la distinction des contentieux dans le droit du procès administratif.

(17 janvier 2023, Mme E. et autres, n° 462893)

 

9 - Mise en vente d’une parcelle par une communauté de communes – Intérêt à l’acquisition manifesté par deux entreprises – Cession du terrain à l’une d’elles et octroi d’un permis de construire – Contestation de ce permis par l’autre entreprise – Absence d’intérêt pour agir – Rejet.

Une communauté de communes ayant annoncé sa décision de mettre en vente une parcelle lui appartenant située dans une zone d’activités, deux sociétés d’exploitation de garages et de vente d’automobiles ont manifesté leur intérêt pour l’acquérir.

En septembre 2018 les deux candidates sont informées que la communauté de communes entendait vendre la parcelle à l’une d’entre elles ; en octobre 2018, la requérante, candidate évincée, fait une offre d’acquisition à la communauté de communes au prix que cette dernière a fixé, puis, en avril 2019 elle assigne la communauté devant le TGI aux fins de voir juger parfaite la vente de la parcelle à son profit (en raison de l’accord sur la chose et sur le prix).

En juillet et décembre 2019, respectivement, la communauté et le maire d’une des communes membres de la communauté ce communes, formalise la décision de vendre et octroie un permis de construire à la société attributaire de la parcelle.

La requérante saisit le juge administratif d’une demande d’annulation de ce permis de construire.

Sans surprise le pourvoi est rejeté, ce qui confirme les rejets déjà prononcés en première instance et en appel.

Il tombe sous le sens que celui qui entend agir comme propriétaire d'un bien qu’il prétend affecté directement par une décision administrative mais qui ne fait état ni d'un acte de propriété, ni d'une promesse de vente, ni d'un contrat préliminaire ne justifie pas d'un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l'annulation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le code de l'urbanisme, sauf à ce qu'il puisse sérieusement revendiquer la propriété de ce bien devant le juge compétent.

(25 janvier 2023, Société Touche Automobiles, n° 445937)

 

Contrats

 

10 - Acte d’engagement d’un groupement d’entreprises pour la construction d’un centre culturel et touristique – Marché de prestations intellectuelles confiant à l’une des entreprises une mission de conception et de direction artistique – Juge du référé de l’art. L. 521-3 CJA ordonnant aux diverses entreprises, sur demande du maître d’ouvrage, de justifier de la souscription d'une assurance de responsabilité décennale obligatoire – Entreprise estimant ne pas devoir ni pouvoir produire ce document – Contestation sérieuse – Erreur de droit – Annulation.

Sur demande de son assureur, la commune de Bordeaux a saisi le juge du référé de l’art. L. 523-1 CJA d’une requête en vue qu’il soit ordonné au groupement d’entreprises auquel a été confié, par acte d’engagement, la construction d’un centre culturel et touristique du vin, de justifier de la souscription d'une assurance de responsabilité décennale obligatoire. Le juge a enjoint ces sociétés de produire ce document sous deux mois sous astreinte.

La société requérante qui, dans le cadre d’un marché de prestations intellectuelles, s’est vu confier une mission de conception et de direction artistique des productions audiovisuelles et multimédia du parcours permanent de ce centre, a alors soutenu qu’elle estimait ne pas être soumise à cette obligation et que, par suite, elle n'avait pas souscrit une telle assurance pour le chantier en cause et se trouvait par conséquent dans l'impossibilité de transmettre l'attestation demandée. 

Elle demande l’annulation de l’ordonnance demandant la transmission d’attestation d’assurance.

Le Conseil d’État accède à sa requête au motif que la mise en œuvre de L. 521-3 est subordonnée à l’absence de contestation sérieuse ; or l’argumentation de la requérante constituait précisément une telle contestation : le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit en faisant injonction à la société requérante de produire l’attestation d’assurance litigieuse.

(ord. réf. 11 janvier 2023, Société Casson Mann Limited, n° 466691)

 

11 - Énergie photovoltaïque – Régime privilégié des contrats d’achat de l’électricité produite par cette source d’énergie – Rémunération estimée excessive – Modifications par voie législative intervenue en cours d’exécution de ces contrats d’achat –Rétroactivité – Aide d’État résultant d’une tarification avantageuse – Absence de notification à la Commission – Illégalité de l’arrêté – Annulation.

 (27 janvier 2023, Association Solidarité Renouvelables, association Enerplan, syndicat des professionnels de l'énergie solaire et syndicat des énergies renouvelables, n° 458991 ; Société Bovi-ER et société Pepigreen, n° 459049, jonction)

V. n° 52

 

12 - Recours excès de pouvoir – Action dirigée contre un décret approuvant un avenant à une concession d’autoroutes et contre la modification d’une disposition du cahier des charges – Recours portant sur des clauses réglementaires d’un contrat et sur des clauses non réglementaires d’un avenant à ce contrat – Annulation et rejet partiels.

Le requérant demandait l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 janvier 2022 approuvant, d’une part, le dix-huitième avenant à la convention passée entre l'État et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé, ayant pour objet de permettre le Contournement Ouest de Montpellier et, d'autre part, l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention en tant qu'il majore les tarifs de péages sur l'ensemble du réseau concédé à la société ASF.

En premier lieu était contestée la clause tarifaire autorisant une hausse du prix des péages ce qui soulevait préalablement une importante question de recevabilité à laquelle le juge répond ici positivement car l’article modifié du cahier des charges, qui augmente pour l'ensemble du réseau concédé à la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF), le tarif des péages applicable au véhicules de la classe 1 pour les exercices 2023 à 2026, présente un caractère réglementaire susceptible d'être contesté par la voie d'un recours pour excès de pouvoir.

La qualité d'usager du réseau autoroutier concédé à la société ASF, donne au demandeur un intérêt direct et certain lui permettant de demander l'annulation pour excès de pouvoir de cette disposition sans qu’il y ait lieu de s’arrêter à la fin de non-recevoir opposée à cette demande et tirée du caractère limité de cette augmentation.

Sur le fond, cette clause réglementaire est annulée car la hausse qu’elle autorise est mise à la charge de l'ensemble des usagers de la totalité des 2 714 km du réseau autoroutier concédé à la société ASF alors qu’il ne s’agit que de financer les travaux de réalisation d'un tronçon de 6,2 km destiné au contournement ouest de Montpellier dépourvu de péage. Ainsi est méconnue la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu. 

En deuxième lieu, en revanche, est rejeté le recours dirigé contre des clauses non réglementaires de l’avenant, car il fallait pour que ce recours fût recevable que le demandeur, tiers au contrat litigieux, ait été lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation de l’avenant ou par ses clauses. Par ailleurs, d’une part, l’invocation de sa seule qualité d'usager des autoroutes concédées à la société ASF, ne justifie pas ipso facto que le demandeur serait lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la décision d'aménagement du contournement ouest de Montpellier ou par les autres stipulations de l'avenant relatives à sa mise en œuvre, et, d’autre part, ces dispositions non réglementaires n’étant pas indivisibles de celles réglementaires annulées, elles ne sauraient l’être par voie de conséquence.

Enfin, en dernier lieu, est rejeté le recours dirigé contre la légalité du décret du 28 janvier 2022 en tant qu’il porte approbation du contrat litigieux. En effet, la jurisprudence restreint les cas d’ouverture à recours en cette hypothèse aux seuls moyens tirés de vices propres entachant l'acte d'approbation ou de l'annulation de cet acte par voie de conséquence de ce qui est jugé sur les recours formés contre le contrat. Or, le seul moyen fondé sur un vice propre au décret attaqué soulevé par le requérant manque en fait : la section des travaux publics du Conseil d’État a bien émis un avis sur le décret attaqué.

(27 janvier 2023, M. A., n° 462752 et n° 465060)

 

13 - Marché de travaux – Retards dans l’exécution d’un lot – Expertise – Décompte de liquidation d’un marché résilié – Délai de 45 jours (art. 13.4.4. CCAG Travaux) – Point de départ – Annulation sans renvoi (jugement au fond).

Dans le cadre d’un marché portant sur un projet de reconstruction, restructuration et extension d’un centre hospitalier, la société GETELEC TP s’est vue attribuer par acte d’engagement du 18 octobre 2013 le lot 401 « VRD / Station-Service ».

Le centre hospitalier, mettant un terme à de nombreuses difficultés rencontrées dans l’exécution de ce marché, a résilié le marché le 5 novembre 2019 et notifié à la société GETELEC TP, le 10 août 2020, un décompte de liquidation comportant notamment des pénalités de retard et fixant le solde du marché à une somme négative. Par lettre du 1er octobre 2020, la société GETELEC TP a fait part de son refus de signer le décompte de liquidation et a transmis un mémoire en réclamation qui a été rejeté par une décision du centre hospitalier du 9 novembre 2020.

La société a saisi le 13 janvier 2022 le juge du référé de l’art. R. 532-1 du CJA en vue que soit désigné un expert afin de déterminer avec précision les causes du retard pris par le chantier, le volume de travaux réellement effectués dans le cadre de l'exécution du lot qui lui a été attribué, ainsi que le montant des préjudices en découlant pour cette société.

Le juge du premier degré a ordonné cette expertise, confirmé en cela par le juge des référés de la cour administrative d’appel rejetant le recours dirigé contre cette ordonnance.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation du rejet de sa demande d’annulation de l’ordonnance.

Se fondant sur les dispositions du CCAG Travaux ici applicable, le Conseil d’État juge qu’il résulte de la combinaison de dispositions des art. 47,13 et 50 de ce cahier que, dans le silence de ce document sur ce point, en cas de résiliation du marché, l'établissement et la contestation du décompte de liquidation, qui se substitue alors au décompte général établi dans les autres cas, sont régis par les stipulations des articles 13 et 50 du CCAG.

Normalement, l'absence de notification au titulaire du décompte de résiliation dans le délai, fixé par l'article 47.2.3, de deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1, permet au titulaire de mettre le représentant du pouvoir adjudicateur en demeure de le faire, l'absence de réponse à cette mise en demeure dans un délai de trente jours l'autorisant alors à saisir le tribunal administratif en cas de désaccord.

Il en résulte donc que la notification du décompte de résiliation postérieurement au délai de deux mois – comme c’était le cas en l’espèce -, qu'elle réponde à une mise en demeure adressée par le titulaire au représentant du pouvoir adjudicataire ou pas, fait courir le délai de 45 jours imparti par l'article 13.4.4 au titulaire pour renvoyer au représentant du pouvoir adjudicateur le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou pour faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer, à peine d'être regardé comme ayant accepté le décompte notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur.

C’est pourquoi la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que le décompte de liquidation du marché notifié par le centre hospitalier à la société GETELEC TP, le 10 août 2020, soit neuf mois après la signature du procès-verbal de résiliation du marché, ne pouvait tenir lieu de décompte de liquidation, au motif que sa notification était intervenue au-delà du délai de deux mois prévu par l'article 47.2.3 du CCAG, et que la société GETELEC TP ne pouvait ainsi se voir opposer les délais de contestation de ce décompte prévus par ce cahier.

S’agissant, ensuite, de la demande d’expertise celle-ci est jugée sans utilité dès lors que comme sus-indiqué, en cas de décompte de liquidation après résiliation du marché, la société titulaire du marché disposait d'un délai de 45 jours pour renvoyer le décompte signé ou faire connaître les motifs pour lesquels elle refusait de le signer. Or ce n’est que le 1er octobre 2020 que la société a formé un recours contre un décompte de liquidation qui lui avait été notifié le 10 août 2020, soit 51 jours plus tard. La société n’ayant pas contesté la décision de résilier le marché et le délai de 45 jours étant expiré, le décompte litigieux est devenu définitif rendant sans utilité l’expertise demandée.

(27 janvier 2023, Centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, n° 464149)

 

Droit du contentieux administratif

 

14 - Référé liberté – Révocation d’un magistrat par le Conseil supérieur de la magistrature – Demande de réexamen du pourvoi – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable la demande formée devant le juge du référé liberté tendant à ce qu’il réexamine le pourvoi que le demandeur avait formé le 27 avril 1981 contre la décision prise le 8 février 1981 par le Conseil supérieur de la magistrature ayant prononcé sa révocation du corps des magistrats de l'ordre judiciaire. 

(ord. réf. 02 janvier 2023, M. A., n° 469589)

 

15 - Conseil d’État, juge des référés – Condition tenant à la compétence du Conseil d’État pour connaître du litige principal – Absence – Ordonnance de rejet.

Rappel de ce que la compétence du Conseil d’État pour statuer en référé est subordonnée à la condition impérative que le litige principal auquel se rattache la mesure sollicitée en référé relève lui-même de la compétence du Conseil d’État.

Tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, le tribunal administratif ne statue pas en premier et dernier ressort, son jugement relevant alors de l’appel devant la cour administrative d’appel non du recours direct en Conseil d’État.

On relèvera qu’en ce cas le rejet étant prononcé pour irrecevabilité manifeste, le Conseil d’État ne renvoie pas le litige à cette juridiction car il incombe au requérant de saisir lui-même, le cas échéant, la juridiction d’appel compétente.

(04 janvier 2023, M. A., n° 469953)

(16) V. aussi, très largement comparable : ord. réf. 30 janvier 2023, M. B., n° 470351.

 

17 - Juge du référé liberté – Pouvoirs et limites du juge administratif – Défaut de désignation de l’objet de la requête – Demande d’une injonction à l’encontre d’un tribunal administratif – Incompétence matérielle – Rejet.

Un requérant demande au juge des référés du Conseil d’État, , de façon peu banale, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA, l’annulation d’un décret, d’une décision de caisse d’allocations familiales (CAF)  lui refusant le bénéfice de certaines aides dont l'aide personnalisée au logement et qu’il soit fait injonction à un tribunal administratif d’accélérer le jugement de la requête qu’il y a introduite.

Le juge rejette – en sera-t-on étonné ? – tous ces « moyens ».

Le juge administratif n’est pas compétent pour annuler la décision d’une CAF de la nature de celle déférée ici.

Il n’est pas davantage saisi régulièrement alors que la requête se borne à viser « un décret de 2018 supprimant les aides au logement pour les accédants à la propriété pour les prêts ou contrats location-accession signés à compter du 1er février 2018 ».

Enfin, il n’entre ni dans les compétences ni dans l’office du juge des référés d’enjoindre un tribunal administratif de statuer sur la requête dont le requérant l’a saisi.

(ord. réf. 23 janvier 2023, M. B., n° 470483)

 

18 - Décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) admettant un magistrat à la cessation de ses fonctions – Décret d’exécution de cette décision – Saisine du juge des référés – Pourvoi en cassation contre la décision du CSM – Demande de sursis à l’exécution de cette décision – Rejet.

Le requérant, qui a fait l’objet de la part du CSM de la sanction d’admission à la cessation de ses fonctions, a fait l’objet, en exécution de cette décision, d’un décret présidentiel le radiant des cadres de la magistrature.

Il a saisi le juge des référés d’une demande de suspension du décret de révocation, qui est faite à l’appui de la demande d’annulation de cette même décision, ainsi que le prononcé de diverses injonctions. Parallèlement, il a formé un pourvoi en cassation contre la décision du CSM et une demande de sursis à l’exécution de celle-ci.

Les différentes requêtes sont évidemment rejetées.

Concernant le décret de révocation, il est rappelé que celui-ci n’est qu’une mesure d’exécution de la décision de sanction prise par le CSM et qu’une exception d’illégalité de ce décret ne saurait être tirée de l’illégalité de la décision du CSM car celle-ci est une décision juridictionnelle qui ne saurait relever du juge de l’excès de pouvoir mais du juge de cassation. Ce n’est que si ce dernier cassait la décision du CSM que le requérant pourrait ensuite saisir le juge de l’excès de pouvoir afin qu’il tire les conséquences d’une telle annulation sur le décret litigieux.

Par ailleurs, le pourvoi en cassation étant actuellement pendant et aucune décision de surseoir à l’exécution de la décision du CSM n’ayant été prise, il s’ensuit que le décret attaqué est toujours exécutoire et que son exécution ne saurait être suspendue dans la mesure où il ne fait que tirer les conséquences nécessaires de la décision juridictionnelle du CSA.

(ord. réf. 25 janvier 2023, M. Joary Andrianarivony, n° 470343)

(19) V. aussi, identique au précédent avec même requérant : 31 janvier 2023, M. Joary Andrianarivony, n° 470889.

 

20 - Moyen envisagé comme devant être relevé d’office – Observations présentées sur ce moyen après la clôture de l’instruction – Obligation de communication aux autres parties – Absence – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige en contestation du licenciement de l’agent non contractuel d’une communauté de communes, le Conseil d’État est amené à annuler l’arrêt d’une cour administrative d’appel rendu sans communiquer aux autres parties les observations de l’une d’elles, même faites après la clôture de l’instruction, en réponse à l’information que la cour était susceptible de relever d’office le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'exception d’illégalité dirigée contre la décision nommant une personne aux fonctions précédemment occupées par le requérant licencié.

(06 janvier 2023, M. C., n° 449405)

 

21 - Référé liberté et référé suspension – Absence d’équivalence – Existence de deux régimes spécifiques – Délivrance d’une carte de résident – Refus – Demande en référé liberté – Conséquences – Rejet.

Un ressortissant guinéen a sollicité le renouvellement de sa carte de résident et un premier récépissé, puis d’autres, lui ont été délivrés à sa demande. Il a cependant saisi le juge du référé liberté (L. 521-2 CJA) d’une demande en vue que soit ordonnée à l’autorité préfectorale la délivrance à son bénéfice d’une carte de résident dans les plus brefs délais, cette absence de délivrance, selon lui, compromettait, en faisant obstacle à son retour en France, son projet de se rendre au Niger à la suite du décès de sa sœur, lui interdit d'utiliser son véhicule, de bénéficier des droits sociaux et d'exercer une activité professionnelle.

La demande est rejetée car formulée dans le cadre d’un référé liberté elle supposerait, pour pouvoir être accueillie, la preuve de la nécessité de bénéficier à très bref délai de la délivrance d'une carte de résident, d'autant plus qu'il ne conteste pas n'avoir pas sollicité la délivrance d'un récépissé de sa demande dont rien ne permet de penser qu'il ne lui aurait pas été délivré et qui lui aurait permis d'être en situation régulière. 

Au contraire, son action aurait eu davantage de succès si elle avait été fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-1 CJA régissant le référé suspension.

Comme le rappelle le Conseil d’État, de façon très pédagogique : « En distinguant les deux procédures prévues par les articles L. 521-1 et L. 521-2 (…), le législateur a entendu répondre à des situations différentes. Les conditions auxquelles est subordonnée l'application de ces dispositions ne sont pas les mêmes, non plus que les pouvoirs dont dispose le juge des référés. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. »

(ord. réf. 11 janvier 2023, M. A., n° 470153)

(22) V. aussi, rejetant pour le même motif que dans l’arrêt précédent une requête d’un syndicat de médecins qui, faisant état de difficultés d'approvisionnement en France de certains médicaments, en particulier l'amoxicilline et le paracétamol, demande au juge du référé liberté du Conseil d'État d’enjoindre la première ministre, pour limiter la pénurie, d'ordonner des réquisitions, de procéder à des importations massives ou d'adopter des mesures de soutien à la production de médicaments : ord. réf. 11 janvier 2023, Syndicats des jeunes médecins, n° 470223.

 

23 - Annulation d’un permis de construire délivré par le maire de Paris - Maire d’arrondissement - Intérêt pour agir en intervention dans un pourvoi contre le jugement annulant ce permis – Absence – Rejet.

Dans le cadre d’un pourvoi du maire de Paris dirigé contre le jugement annulant un permis de construire qu’il a délivré, est irrecevable l’action en intervention formée par un maire d’arrondissement et tendant au maintien de ce jugement.

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; Ville de Paris, n° 450474)

V. aussi n° 126

 

24 - Sens des conclusions du rapporteur public – Obligation de communication aux parties dans un délai raisonnable avant l’audience – Modification de la position du rapporteur après cette communication – Nouvelle communication des conclusions modifiées en dehors du délai raisonnable – Circonstance sans effet en l’absence de modification du sens des conclusions – Rejet.

S’il est fait obligation au rapporteur public, à peine d’irrégularité du jugement ou de l’arrêt, de communiquer aux parties, dans un délai raisonnable avant l’audience, le sens de ses conclusions (cf. art. R. 711-3 du CJA), celui-ci peut aussi préciser, notamment lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. Cependant, la communication de cette information aux parties n’est pas, elle, à la différence de l’obligation précédente, prescrite à peine d’irrégularité du jugement.

Par ailleurs, lorsqu’après avoir communiqué dans un délai raisonnable le sens de ses conclusions, le rapporteur public ajoute par la suite des précisions ou informations complémentaires qui ne contredisent ni ne modifient le sens des conclusions tel que communiqué antérieurement, la circonstance que la seconde communication n’ait pas été effectuée dans un délai raisonnable est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; ville de Paris, n° 450474)

V. aussi n° 126

 

25 - Désistement d’office – Conditions d’existence – Octroi d’une prorogation du délai pour produire – Demande de prorogation tardive – Désistement d’office s’imposant – Rejet.

En principe, lorsque le demandeur a annoncé la production ultérieure d’un mémoire complémentaire, à l’expiration du délai imparti par la juridiction, il est réputé d’office s’être désisté de son action dès lors qu’il a reçu la mise en demeure prévue, qu'elle lui a laissé un délai suffisant pour y répondre et qu’il a été informé des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai.

En l’espèce, l’avocat de la requérante avait sollicité et obtenu une prorogation d’un mois du délai de quinze jours primitivement accordé pour la production du mémoire complémentaire. Par la suite, la cour administrative d’appel a constaté que la demanderesse devait être réputée s’être désistée de sa requête.

Cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt en excipant de la prolongation de délai qui avait été accordée par la cour.

Las, le pourvoi est rejeté car à la date à laquelle son avocat a demandé la prorogation du délai primitif de quinze jours ce dernier délai était déjà expiré, de sorte que l’intéressée devait être réputée s’être désistée.

La solution est sévère car l’avocat a pu, de bonne foi, penser que la prorogation était valide et, surtout, que la même cour ne saurait opposer le désistement d’office que, par son comportement, elle semblait, même fût-ce par erreur, avoir renoncé à opposer

(13 janvier 2023, Mme B., n° 452716)

 

26 - Référé liberté – Délai de 48 heures pour statuer – Délai non prescrit à peine de dessaisissement – Expiration de ce délai n’ayant pas pour effet la saisine automatique du Conseil d’État – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Rappel de ce que le délai de 48 heures imparti au juge par l’art. L. 521-2 du CJA pour statuer sur une requête en référé liberté n’est pas fixé à peine de dessaisissement.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, la circonstance que le tribunal administratif auquel le requérant demandait par voie de référé liberté d'interdire immédiatement la poursuite de déversements d'effluents pollués chimiquement dans la Romanche, à l'aval de Vizille, et dans le Drac, à l'aval du barrage de Notre-Dame de Commiers, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, n’ait pas statué à l’expiration du délai de 48 heures n’avait ni pour effet de le dessaisir ni, non plus et encore moins ( !), de saisir automatiquement le juge des référés du Conseil d’État.

(ord. réf. 13 janvier 2023, M. B., n° 470233)

 

27 - Référé « mesures utiles » – Demande de communication de pièces – Saisine du juge déjà effectuée sur le fond – Inutilité de la saisine du juge du référé « mesures utiles » - Rejet.

Est sans utilité, et donc rejetée, la demande, par une association, en référé « mesures utiles », tendant à ce que ce juge ordonne la communication de pièces qu’elle estime indispensables pour étayer un recours alors qu’elle a, par ailleurs, saisi le juge d’un recours sur le fond et qu’il lui est, par conséquent, possible de demander à ce juge qu’il ordonne cette communication de pièces.

(ord. réf. 18 janvier 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, n° 470278)

 

28 - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Recours dirigé contre une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) agréant un local destiné à recevoir des demandeurs d'asile dans le cadre d'un entretien personnel – Absence de caractère d’acte réglementaire d’une autorité à compétence nationale – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours direct en annulation de la décision du directeur général de l’OFPRA d’agréer les locaux de la zone d'attente de l'aéroport de la Réunion-Roland Garros et les locaux relevant de la police aux frontières qui lui sont rattachés pour y recevoir des demandeurs d'asile, demandeurs du statut d'apatride, réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire entendus dans le cadre d'un entretien personnel mené par l’OFPRA par un moyen de communication audiovisuelle.

Le recours est rejeté car il est jugé manifestement irrecevable : cette décision du directeur général de l’OFPRA ne saurait constituer un acte réglementaire pris par une autorité à compétence nationale que le 2° de l’art. R. 311-1 du CJA réserve à la compétence directe du Conseil d’État.

(ord. réf. 19 janvier 2023, CIMADE et autre, n° 470529)

 

29 - Projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou la santé humaine – Incidence du projet pour d’autres motifs que sa dimension – Injonction au premier ministre de prendre une mesure en ce sens – Notion d’exécution d’une décision de justice – Rejet.

(20 janvier 2023, Association France Nature Environnement et association France Nature Environnement Allier, n° 464129)

V. n° 81

 

30 - Rejet d’un pourvoi en cassation d’une ordonnance de référé de rejet – Nouvelle demande en référé – Défaut de confirmation dans le délai requis de la requête en annulation – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

Le requérant a saisi le juge d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire qu’il a assorti d’une requête en référé suspension de ce permis. Cette dernière a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif et ce refus a été confirmé, sur pourvoi, par le Conseil d’État statuant en cassation.

Le requérant a formé une nouvelle demande de suspension que le juge des référés a rejetée par le motif – fondé sur les dispositions de l’art. R. 612-5-2 du CJA - qu’il n’avait pas, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance de non-admission du Conseil d'État, confirmé sa requête à fin d'annulation et qu’ainsi il était réputé s’être désisté de son action.

Le Conseil d’État est à la cassation car il résulte des termes même de cet article (« sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés ») qu’ils excluent le cas dans lequel un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, sans réserver de solution particulière pour le cas où ce pourvoi ne serait, en définitive, pas admis. 

(20 janvier 2023, M. A., n° 464784)

 

31 - Intervention en défense au niveau de l’appel – Arrêt contraire aux conclusions de l’intervenant – Recevabilité du pourvoi en cassation de l’intervenant sous condition – Condition non satisfaite – Irrecevabilité - Rejet.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’une autorisation d’implantation d’éoliennes, rappel d’une règle bien connue du droit du contentieux administratif selon laquelle celui qui, devant la cour administrative d'appel, est régulièrement intervenu en défense, est recevable à se pourvoir en cassation contre l'arrêt rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'il aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre l'arrêt faisant droit au recours. 

Application négative ici la condition n’étant pas remplie, avec rappel de ce que la circonstance qu'une personne justifie d'un intérêt pour agir contre une décision administrative ne lui donne pas, de ce seul fait, qualité pour former tierce opposition à l'arrêt par lequel une cour administrative d'appel a annulé la décision refusant cette autorisation, y compris lorsque la cour a assorti son arrêt d'une injonction tendant à la délivrance de cette autorisation, dès lors que l'autorisation ainsi délivrée peut être contestée par des tiers à cette autorisation sans qu'ils puissent se voir opposer les termes de l'arrêt.

(25 janvier 2023, Association Dans le Vent et autres, n° 449197)

(32) V., solution identique, également en matière d’implantation d’éoliennes : 25 janvier 2023, Commune de Tourville-la-Campagne, n° 450161.

 

33 - Décret de retrait de la nationalité française (art. 23-8 Code civil) – Contestation – Nature de recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(25 janvier 2023, M. A., n° 466223)

V. n° 88

 

34 - Responsabilité hospitalière – Régime de mise en cause des caisses de sécurité sociale – Mise en cause d’ordre public – Présentation pour la première fois en appel de chefs de débours – Irrecevabilité sauf conclusions portant sur des prestations nouvelles – Annulation partielle.

(27 janvier 2023, CPAM de Côte d’Or, n° 453427)

V. n° 122

 

35 - Cotisation foncière des entreprises – Taxe pour frais de chambre de commerce et d’industrie – Taxe spéciale d’équipement – Substitution par le juge d’un terme de comparaison retenu par l’administration fiscale – Dénaturation – Annulation.

Pour prononcer la réduction de la cotisation foncière des entreprises, de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie et de la taxe spéciale d'équipement auxquelles une société propriétaire d’un local sur les Champs-Elysées, a été assujettie au titre des années 2015 à 2017, la cour administrative d’appel avait écarté le local-type n° 246 du procès-verbal des locaux commerciaux ordinaires du secteur Paris Champs Elysées retenu comme terme de comparaison par l'administration fiscale pour déterminer la valeur locative du bien en litige. La cour avait estimé que ce local-type, d'une superficie totale de 553 m2 pondérée à 399 m2 et d'une valeur locative au mètre carré de 421 francs (ou 77 euros), avait été rayé de ce procès-verbal pour faire l'objet d'une autre évaluation, portant cette fois sur une surface totale de 471 m2 pondérée à 348 m2 et une valeur locative au mètre carré de 589 francs (ou 90 euros). 

Sur pourvoi du ministre des finances, l’arrêt est annulé pour dénaturation de pièces du dossier car, relève le juge de cassation, « Il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que le local-type n° 246 n'a pas été rayé du procès-verbal des locaux commerciaux ordinaires du secteur Paris Champs Elysées mais que sur la ligne concernant ce local mise en évidence par un surlignage bleu, seule la référence cadastrale a été rayée, et que, d'autre part, le local d'une surface totale de 471 m2 mentionné par la cour ne correspond pas à une autre évaluation du local-type n° 246 mais se rapporte au local-type n° 245 qui, quoique situé à la même adresse, est distinct du local-type n° 246. »

(27 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 458875)

 

36 - Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Proposition de tarifs réglementés de vente d’électricité – Acte préparatoire – Exception d’illégalité de cette proposition contre l’arrêté fixant les tarifs – Absence de caractère d’acte de droit souple – Rejet.

Les recours pour excès de pouvoir étaient dirigés contre la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 18 janvier 2022 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

Les recours, joints, sont rejetés pour des motifs d’ordre procédural.

En premier lieu, les propositions motivées de la CRE faites aux ministres concernés (économie et énergie) de tarifs réglementés de vente d'électricité, ne constituent en elles-mêmes qu'un acte préparatoire à l’arrêté fixant lesdits tarifs, elles ne peuvent donc pas faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir. 

En deuxième lieu, il ne saurait être soutenu que les tarifs proposés par la Commission dans la délibération contestée seront pris en compte pour déterminer la composante de rattrapage, intégrée aux TRVE dits « bleus » résidentiels lors de leur première évolution pour 2023, la fixation de cette composante résultera du niveau des TRVE fixé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie lors de leur première évolution en 2023.

Par suite, la seule circonstance que les tarifs proposés par la Commission soient susceptibles d'influer sur le niveau de la composante de rattrapage n'est pas de nature à conférer à cette délibération le caractère d'un acte pouvant être déféré au juge de l'excès de pouvoir. En revanche, il pourra être excipé, le cas échéant, de l'illégalité de la délibération contestée à l'appui d'une demande d'annulation de cet arrêté.

En troisième lieu, la réponse est la même que la précédente s’agissant du moyen selon lequel, la délibération adoptant cette même proposition de la CRE serait de nature à influer sur l'ampleur de la compensation pour charges de service public due à certaines entreprises locales de distribution et aux fournisseurs alternatifs d'électricité. Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette délibération est irrecevable mais une exception d’illégalité pourrait être formée.

Enfin, cette délibération, simplement préparatoire, ne constitue pas non plus un acte de droit souple pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir car elle ne produit pas, par elle-même, « des effets notables, notamment de nature économique, sur la situation ou le comportement des fournisseurs d'électricité. »

(27 janvier 2023, Association Consommation logement et cadre de vie (CLCV) et autres, n° 461379 ; Société EkWateur, n° 462470, jonction)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

37 - Entreprise de restauration – Vérification de comptabilité – Reconstitution des recettes – Dénaturation des pièces – Régularité de la procédure d’imposition – Bien-fondé des impositions, pénalités et amende – Annulation et rejet.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation d’un arrêt qui, après cassation et renvoi, a déchargé une société des impositions et pénalités mises à sa charge.

L’arrêt est cassé pour dénaturation des pièces du dossier car il est fondé sur ce que la méthode de reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur était fondée sur un retraitement de données selon des règles qui n'étaient pas justifiées et qu’ainsi l'administration n’apportait pas la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt résultant de cette reconstitution. Or, selon le Conseil d’État, l’administration s'était prévalue d'un guide de lecture et de sa propre connaissance des modalités de fonctionnement du logiciel de caisse permissif « Prores » utilisé par la société, acquise au fur et à mesure des contrôles auxquelles elle procède et synthétisée dans un document intitulé « Rappels sur les systèmes de caisse Pi Électronique », annexé aux propositions de rectification notifiées à la société. 

S’agissant d’une seconde cassation dans le cadre d’un même litige, le Conseil d’État juge donc l’affaire au fond en partant du jugement de première instance et des moyens que la société contrôlée avait développés.

Il est jugé que la procédure d’imposition conduite en l’espèce était – comme l’a jugé le tribunal administratif, régulière, le vérificateur ayant suffisamment informé la société sur la nature des investigations souhaitées afin de lui permettre d'effectuer son choix, en toute connaissance de cause et avec un délai suffisant de réflexion de sept jours, entre les options prévues par l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et cela alors même que l'éventualité d'une reconstitution des recettes n'était pas mentionnée dans ce courrier.

Également, l’administration fiscale n’a pas méconnu son obligation de loyauté ainsi que les droits de la défense.

Par ailleurs, la reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur était uniquement fondée sur les éléments indiqués par le vérificateur dans un document annexé aux propositions de rectification communiqués à la société. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, il n’a été porté atteinte ni à l'art. L. 76 B du livre des procédures fiscales, ni à l'art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et ni aux art. 6 et 13 de la convention EDH.

Enfin, sont jugées bien fondées tant les impositions que les pénalités et l’amende mises à la charge de la société contrôlée.

(05 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 452595)

 

38 - Moyen tiré de l’existence d’éléments d’équipement dispensés de taxe foncière sur les propriétés bâties – Obligation de réponse du juge à ce moyen – Absence – Motivation insuffisante – Annulation.

Ne motive pas suffisamment son jugement et encourt la cassation, le tribunal administratif qui, saisi de moyens fondés sur ce que des installations frigorifiques et des panneaux isothermes devaient être exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties au motif qu'ils présentaient les caractéristiques des biens d'équipement spécialisés mentionnés au 11° de l'article 1382 du code général des impôts, les rejette en se bornant à indiquer que les éléments produits par la demanderesse étaient insuffisants s’agissant des installations frigorifiques et qu’elle n’apportait aucun élément de nature à démontrer que les panneaux isothermes ne feraient pas corps avec le reste du bâtiment.

(05 janvier 2023, Société Alliance Océane, n° 454909)

 

39 - Personne prétendue « maître de l’affaire » - Imposition en conséquence – Jugement contraire du tribunal correctionnel – Motivation insuffisante – Annulation et renvoi dans la mesure de la cassation prononcée.

Encourt la cassation pour insuffisance de sa motivation, l’arrêt d’appel qui, pour rejeter l’argumentation du contribuable selon laquelle, contrairement à ce que prétend l’administration fiscale, il n’est pas le maître de l’affaire, se borne à relever que l’intéressé ne conteste pas sérieusement les éléments de fait réunis par l’administration pour opérer cette qualification alors que celui-ci, pour prétendre n’être pas le maître de l’affaire, invoquait notamment des constatations de fait issues d'un jugement de tribunal correctionnel, produit au dossier, dont il soutenait qu'elles étaient revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée.

(05 janvier 2023, M. C., n° 455612)

 

40 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Aires de stationnement situées sur le territoire de deux communes – Évaluation distincte – Absence d’erreur de droit - Rejet.

La requérante loue aux sociétés d’un groupe dont elle fait partie, en premier lieu, des biens d'exploitation d'une superficie de 15 000 m² situés sur le territoire de la commune du Plessis-Pâté (Essonne) et, en second lieu, un ensemble de parcelles, contigu au premier et d'une superficie de 25 000 m², aménagé en aire de stationnement pour poids-lourds, situé sur le territoire limitrophe de la commune de Brétigny-sur-Orge.

La société requérante n’ayant pas jugé utile de déclarer le second terrain, l’administration procéda à son évaluation d’office ce qui souleva un contentieux sur le point de savoir s’il devait y avoir une évaluation distincte ou non pour déterminer la valeur locative de chaque fraction de propriété susceptible de faire l'objet d'une utilisation distincte par un même occupant. Le Conseil d’État répond ici positivement à cette question, précisant même que la circonstance que la propriété fasse ou non l'objet d'une exploitation commerciale autonome est sans incidence à cet égard.

C’est pourquoi le tribunal administratif est approuvé pour avoir jugé que dès lors qu'aucune partie de l'aire de stationnement en litige ne présentait des caractéristiques ou une valeur d'utilisation différente d'une autre, cette aire devait être évaluée, conformément à sa nature, dans la catégorie des parcs de stationnement à ciel ouvert sans qu'il y ait lieu d'appliquer à une quelconque fraction de cette aire un coefficient de pondération inférieur à un.

(05 janvier 2023, SCI Sociprat, n° 460519)

 

41 - Majoration de la valeur locative des terrains constructibles non bâtis situés dans les zones urbaines de la commune – Demande de réduction à due concurrence de la taxe foncière sur les propriétés non bâties – Terrain jugé se situer en zone urbaine – Non-examen de l’existence de voies et réseaux – Erreur de droit – Annulation.

La commune de Cournon-d’Auvergne ayant majoré la valeur locative des terrains constructibles non bâtis situés dans les zones urbaines de la commune, M. et Mme D. ont demandé que soit réduite à due concurrence de cette majoration le montant de la taxe foncière sur les propriétés non bâties applicable à la parcelle dont ils étaient propriétaires. Ceci leur ayant été refusé et leur recours contentieux contre ce refus ayant été rejeté, leurs héritiers ont, après leurs décès, saisi le juge d’un pourvoi en cassation.

Il est jugé qu’il résulte des dispositions de l’art. 1393 du CGI combinées à celles du B. du II de l’art. 1395, que les communes peuvent majorer la valeur locative de ces terrains lorsqu’ils sont situés dans les zones, d’une part, définies comme urbanisées ou à urbaniser par le document d'urbanisme applicable et, d’autre part, équipées de voies publiques et de réseaux d'eau et d'électricité suffisants pour desservir les constructions devant y être implantées, à l'exception des terrains insusceptibles de recevoir une construction.

Or, pour rejeter la requête de M. et Mme D., puis de leurs héritiers, le tribunal administratif s’est fondé sur la localisation du terrain litigieux en zone urbaine. Ce jugeant, il a commis une erreur de droit car une telle localisation n’est pas suffisante, encore faut-il que la zone au sein de laquelle se situe le terrain soit équipée de voies publiques et de réseaux d'eau et d'électricité suffisants pour desservir les constructions devant y être implantées.

(05 janvier 2023, Mme D. et autres, héritiers de M. et Mme D., n° 462008)

 

42 - Procédure fiscale – Redevance pour pollution d’origine non domestique - Condition de la substitution de base légale – Absence de demande en ce sens de l’administration défenderesse – Méconnaissance de l’office du juge de l’impôt – Annulation sur ce point et recours à la méthode de calcul préconisée par la contribuable.

Une société rejetant des substances polluantes qui n'avait pas mis en œuvre de dispositif agréé de suivi régulier des rejets des substances polluantes inhérents à son activité, a adressé à l'agence de l'eau Seine-Normandie, dans les délais impartis, les déclarations en vue de la détermination de l'assiette de la redevance pour pollution d'origine non domestique au titre des années 2011 et 2012 suivant la méthode indirecte (cf. II, deuxième alinéa, art. L. 213-10-2 du code de l'environnement). L'agence de l'eau a entendu faire application non de cette méthode, mais de la taxation d'office (cf. 1° de l'art. L. 213-11-6 du code précité) applicable aux personnes n'ayant pas fourni la déclaration des éléments nécessaires à son calcul à la date fixée par la loi. 

1 - La requérante demande l’annulation de cette substitution de la base légale de l’imposition, les redevances perçues par les agences de l'eau en application de l'article L. 213-10 du code de l'environnement constituant des impositions de toute nature. 

Le Conseil d’État accueille le moyen car il est de principe que le juge de l'impôt ne peut pas substituer d'office au fondement de l'imposition contestée un autre fondement justifiant son maintien lorsqu'il n'y a pas été invité par l'administration défenderesse au cours de l'instance.

C’est pourquoi est annulé sur ce point l’arrêt d’appel qui s’était borné à juger inopérant le moyen, invoqué par la contribuable, tiré de l’irrégularité du recours à la taxation d’office par les motifs que celle-ci n'avait été privée d'aucune des garanties inhérentes à la procédure contradictoire de contrôle prévue par le code de l'environnement et que l'agence de l'eau avait déterminé l'assiette des redevances dues en se fondant sur les informations déclarées par la société.

Ce jugeant elle a évidemment manqué à son office.

2 - Cependant, comme on le sait, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, de substituer une base légale à celle qui a été primitivement invoquée par elle dès lors que cette substitution peut être faite sans méconnaître les règles de la procédure d'imposition. Or en l’espèce, l’agence de l’eau fait valoir devant le Conseil d'État, dans l'hypothèse d'un règlement au fond après cassation, que les redevances litigieuses peuvent être maintenues sur le fondement de la méthode indirecte à partir des informations qui ont été communiquées par la société.

Le juge fait droit à cette demande de substitution de base légale car elle ne prive la contribuable d'aucune garantie de procédure. De là suit qu’est annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu’il a prononcé la décharge des impositions litigieuses au motif qu'elles ont été établies à l'issue d'une procédure de redressement irrégulière. En effet, la substitution de base légale rend inopérants les moyens relatifs aux impositions litigieuses soulevés par la société Boréalis Chimie devant le tribunal administratif. 

3 – En outre, l’agence de l’eau avait infligé une majoration de 40% du montant de la redevance en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 213-11-7 du code de l’environnement et l’art. 1728 du CGI mais la société Boréalis Chimie n’entrant pas dans le champ de ces dispositions législatives, c’est sans erreur de droit que la cour, dont l’arrêt est, sur ce point, confirmé, a jugé que l’agence de l’eau n'avait pu légalement appliquer cette majoration, ni non plus celle de 10%.

(25 janvier 2023, Société Boréalis Chimie, n° 446730)

 

43 - Permis de construire en vue de la création d’une activité de crèche associative – Imposition des locaux soit comme bureaux soit comme locaux commerciaux – Prestations rémunérées – Absence de caractère automatiquement commercial – Erreur de droit – Annulation.

L’association requérante qui a obtenu le permis de construire un local constituant une crèche, contestait son assujettissement de ce fait à la taxe pour la construction de locaux commerciaux.

Son recours ayant été rejeté elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement rejetant la demande d’annulation du titre de perception litigieux.

Le juge rappelle tout d’abord qu’il résulte des dispositions des art. L. 520-1, L. 520-8 et du III. de l’art. L. 520-7 du code de l’urbanisme ainsi que de celles du III de l’art. 231 ter du CGI, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires, que les locaux utilisés par des associations sont imposables dans la catégorie des locaux à usage de bureaux au sens du 1° du III de l'article 231 ter du CGI, à l'exception de ceux qu'elles utilisent pour exercer, à titre lucratif, des activités de commerce ou de prestations de services et qui sont destinés à accueillir la clientèle, ces locaux-là étant imposables dans la catégorie des locaux commerciaux au sens du 2° de ce même III.

Ensuite le jugement est annulé au double motif :

1°/ qu’il s’est borné à juger que ces locaux constituaient des locaux commerciaux au sens des dispositions du 2° du III de l'art. L. 231 ter du CGI car le public s'y rendait afin d'y recevoir une prestation de services moyennant une rémunération alors qu’à elle seule la perception d'une rémunération en contrepartie d'une prestation de services ne suffit pas à faire regarder cette prestation comme fournie à titre lucratif ;

2°/ qu’il devait distinguer parmi ces locaux ceux relevant du régime fiscal des locaux commerciaux – car destinés à accueillir une clientèle pour la réalisation, à titre lucratif, de prestations de services - et ceux relevant d’un autre régime fiscal.

(27 janvier 2023, Association France Horizon, n° 452256)

 

44 - Taxe sur les surfaces de stationnement – Conditions de soumission à la taxe – Conditions d’exonération – Intégration topographique à un établissement de production – Rejet de la demande de décharge – Erreur de droit – Annulation.

La requérante s’est vu refuser par l’administration fiscale la décharge de la taxe sur les surfaces de stationnement à laquelle elle avait été assujettie. Ayant, en vain, demandé l’annulation de ce refus devant le tribunal administratif, elle se pourvoit.

Le juge de cassation lui donne raison.

Tout d’abord, cette société est propriétaire d'un ensemble immobilier, exploité par le groupe de transport collectif Transdev, composé de bureaux, d'un atelier d'entretien et de réparation de véhicules, de surfaces d'accueil des bus et de surfaces de stationnement des véhicules du personnel et des visiteurs, ainsi que des voies de circulation desservant ces surfaces.

Elle a sollicité la décharge de la taxe, obtenant un dégrèvement partiel par l’administration mais rejet du surplus de sa demande. Le litige porte donc sur la part de taxe maintenue à la charge de la requérante.

Ensuite, il résulte des dispositions de l’art. 1599 quater C du CGI que la taxe sur les surfaces de stationnement est due pour celles de ces surfaces qui sont annexées à des locaux à usage de bureaux, à des locaux commerciaux ou à des locaux de stockage. Toutefois, en sont exceptés ceux des locaux qui sont topographiquement intégrés à un établissement de production (III de cet article du CGI et III, 1°, 2°, 3° et 4°, de l’art. 231 ter du CGI).

Le tribunal a jugé que le moyen de la requérante selon lequel les surfaces en cause n’étaient pas taxables ne pouvait être reçu puisqu’il revenait pour cette dernière à opposer une condition de mise à disposition de ces surfaces aux utilisateurs des locaux taxables non prévue par l'article 1599 quater C précité.

Le Conseil d’État est, très logiquement, à la cassation car le tribunal devait seulement rechercher si l'utilisation de ces surfaces contribuait directement à l'activité déployée dans des locaux relevant de l'une des catégories visées aux 1° à 3° de l'article 231 ter précité.

(27 janvier 2023, Société L’Immobilière des Fontaines, n° 458457)

(45) V. la solution identique retenue pour un autre établissement de la même société : 27 janvier 2023, Société L’Immobilière des Fontaines, n° 458459.

 

46 - Crédit impôt recherche – Acquisition de matériel génétique végétal – Absence de nouveauté de l’élément d’actif source des dotations aux amortissements – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante a acquis auprès d’une autre société du matériel génétique végétal constitué de graines, de plants, de plantes, de cellules germinales et d'autres matériels héréditaires. Ce matériel génétique dit « B. » a été immobilisé à l'actif de la société Ragt 2N.

L’administration fiscale a exclu de la base de calcul du crédit d'impôt recherche sollicité par la requérante au titre des années 2012 et 2013 les dotations aux amortissements afférentes au « B. » ainsi que les frais de fonctionnement forfaitaires correspondants.

La cour administrative d’appel a d’abord relevé que la société Ragt Semences ne produisait aucun élément de nature à établir que les travaux menés par sa filiale Ragt 2N sur le « B. » ne se situeraient pas dans la stricte continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société venderesse du matériel génétique. Puis, la cour a, en conséquence, considéré que les dotations aux amortissements liées à cet élément d'actif ne satisfaisaient pas à la condition de nouveauté applicable aux immobilisations créées ou acquises et par suite ne pouvaient être prises en compte au titre des dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt. 

Annulant cet arrêt le juge de cassation relève que, pour l’application du a du II de l'article 244 quater B du CGI (qui régit le crédit d’impôt recherche), la cour devait seulement s’interroger sur le point de savoir si cet élément d'actif immobilisé pouvait être regardé comme acquis à l'état neuf  sans s’arrêter sur la circonstance que les travaux menés par la filiale de la société sur le « B. » se situeraient dans la stricte continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société venderesse du matériel végétal. En effet, la disposition précitée du CGI est très claire sur ce point : relèvent du régime du crédit d’impôt («…a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation de prototypes ou d'installations pilotes (…).)

(27 janvier 2023, Société Ragt Semences, n° 460229)

 

47 - Avis de mise en recouvrement (ou AMR) – Régime de la signature – Distinction entre AMR antérieurs et ceux postérieurs au 1er janvier 2017 – Absence de mention – Erreur de droit – Annulation.

La décision apporte d’importantes précisions concernant certaines exigences de forme accompagnant les avis de mise en recouvrement et précise très nettement les différences séparant, sur ce point, les AMR adressés aux contribuables avant le 1er janvier 2017 et ceux notifiés postérieurement à cette date.

Les avis de mise en recouvrement émis antérieurement au 1er janvier 2017 doivent mettre le contribuable en état de vérifier que leur signataire est effectivement l'autorité compétente en vertu des dispositions des articles L. 256, L. 257 A et R. 256-8 du livre des procédures fiscales. Si l'ampliation de l'avis de mise en recouvrement adressée au contribuable n'a pas nécessairement à comporter de signature dès lors que l'original déposé au service compétent en est revêtu, il résulte des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration que cet avis doit en revanche comporter les mentions de nature à permettre l'identification de son auteur et sa qualité. 

Les avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017 n'ont pas à comporter la signature de leur auteur, dès lors que, par les autres mentions qu'ils comportent, ils sont conformes aux prescriptions de l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration. A défaut de cette conformité, ils doivent comporter cette signature.

(27 janvier 2023, Société Le Saphir, n° 462599)

 

Droit public de l'économie

 

48 - Droit public de l’agriculture – Autorisations de nouvelles plantations de vigne – Vignoble alsacien – Risque d’offre excédentaire ou de dépréciation importante de l’AOP Alsace – Démonstration non rapportée – Rejet.

Le ministre de l’agriculture et celui des finances ont mis en œuvre le dispositif d'autorisations de plantation en matière de gestion du potentiel de production viticole - Campagne 2019, sans limiter le nombre d'hectares rendus disponibles, au sein de la zone Alsace, pour la délivrance d'autorisations de plantation nouvelle pour des superficies situées hors de l'aire de l'appellation d'origine protégée (AOP) Alsace. L’association requérante, au soutien de sa demande d’annulation pour illégalité, prétend que cet arrêté crée, d’une part, un risque d'offre excédentaire de produits vitivinicoles eu égard aux perspectives offertes par le marché, d’autre part un risque de dépréciation importante de l'AOP Alsace.

Son action est rejetée faute pour elle d’apporter la démonstration de la réalité de l’un et l’autre points de son argumentation.

(06 janvier 2023, Association des viticulteurs d’Alsace, n° 454866)

Sur cette décision voir aussi le n° 1

(49) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre l’arrêté ministériel du 21 février 2022 relatif à la mise en œuvre du dispositif d'autorisations de plantation en matière de gestion du potentiel de production viticole (campagne 2022), dont l'annexe 1 procède à la définition des limitations de la délivrance d'autorisations de plantation nouvelle au niveau régional pour la campagne 2022, tendant à l'annulation des dispositions de cette annexe 1, qui sont divisibles, en tant qu'elles fixent une limitation à deux hectares pour la zone « VSIG - départements 54, 55, 57 et 88 » : 06 janvier 2023, M. B., n° 463194 et n°464371.

 

50 - Droit de l’énergie – Allocation d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) – Illégalités diverses reprochées – Rejet.

La requérante soutenait que la décision de la Commission de la régulation de l’énergie (CRE) lui attribuant certains volumes d’ARENH était entachée de plusieurs illégalités (délibération irrégulière, erreur de droit, erreur manifeste d’appréciation) et elle en demandait la suspension d’exécution au juge du référé suspension en tant qu’elle portait sur des quantités inférieures à celles demandées par la requérante. Certes était invoquée l’urgence à statuer mais il est assez évident que la voie du référé, avec les limites inhérentes à l’office de ce juge des référés, n'est pas la plus propice au succès dans des contentieux de la nature de celui en cause.

L’action est rejetée car le juge relève que les indicateurs établis à partir de la demande d’ARENH formulée par la société requérante excèdent les seuils fixés par l’art. R. 336-14 du code de l’énergie tels que mis en œuvre par délibération de la CRE laquelle fait ressortir, selon les postes de demandes, soit une demande manifestement surévaluée compte tenu de l’évolution déjà en cours qui est en décalage à la fois avec la croissance constatée sur l'ensemble de son portefeuille entre septembre 2021 et septembre 2022, avec l'importance des pertes récentes de clients et avec la surestimation de son niveau de droits d'ARENH pour l'année 2021, soit une justification insuffisante de son projet de développement sur le marché des consommateurs « petits professionnels » alors que la société l'avait déjà annoncé antérieurement sans pouvoir le mettre en œuvre. Dans ces conditions, le juge du référé suspension, en l’état du dossier, n’aperçoit ni erreur de droit, ni erreur de fait, ni, non plus, une erreur manifeste d’appréciation dans la décision querellée et donc, n’éprouve pas de doute sérieux sur la légalité de celle-ci.

(ord. réf. 09 janvier 2023, Société OHM Énergies, n° 469813)

(51) V. aussi, à propos d’un recours voisin et pareillement rejeté : ord. réf. 13 janvier 2023, Société Sagiterre, n° 469993.

 

52 - Énergie photovoltaïque – Régime privilégié des contrats d’achat de l’électricité produite par cette source d’énergie – Rémunération estimée excessive – Modifications par voie législative intervenue en cours d’exécution de ces contrats d’achat – Rétroactivité – Aide d’État résultant d’une tarification avantageuse - Absence de notification à la Commission – Illégalité de l’arrêté – Annulation.

Pour favoriser la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables l’État a mis en place, sur la base de l’art. 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, un mécanisme faisant obligation aux distributeurs d'électricité de conclure avec les producteurs qui en font la demande un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par les installations qui utilisent des énergies renouvelables. Des arrêtés des 10 juillet 2006, 12 janvier 2010 et 31 août 2010 ont successivement fixé les conditions applicables aux contrats conclus à compter de l'intervention de chacun d'eux pour l'achat de l'électricité produite par les installations, d’une certaine puissance, utilisant l'énergie radiative du soleil. 

Cette rémunération est vite apparue par trop avantageuse en ce qu’elle emportait une rémunération excessive au bénéfice des producteurs et dangereuse pour les finances des distributeurs d’électricité.

La loi de finances pour 2021 a prévu dans son art. 225 une réduction du tarif d’achat de l’électricité d’origine photovoltaïque et organisé une procédure de fixation du tarif ainsi que pour le devenir des contrats en cours. Pour l’exécution de cet article 225 ont été pris, d’une part, le décret du 26 octobre 2021 et, d’autre part, l’arrêté du même jour.

De ces textes il est demandé l’annulation par les entités requérantes qui n’obtiennent pas satisfaction sauf sur un point qui n’était peut-être pas attendu par elles, celui de l’illégalité du régime de tarification spéciale d’achat de l’énergie électrique d’origine solaire fixé par l’arrêté litigieux en tant que constituant une aide d’État il n’avait pas été déclaré à la Commission européenne.

Les requérants sont donc déboutés en tous leurs chefs de griefs.

Concernant le décret attaqué, il est jugé ne point porter atteinte au principe de sécurité juridique ni à l’exigence d’une législation transitoire pour éviter les brusques changements normatifs (cf. art. L. 221-5 du code des relations du public avec l’administration), cette sécurité juridique étant suffisamment garantie par l'entrée en vigueur différée de la réglementation nouvelle assortie du caractère suffisant du délai laissé – même s’il n’est que de 35 jours -   au regard de la nature des mesures à prendre et des actions déjà entreprises. 

Également, ce décret n’est pas entaché d’incompétence négative car, d’une part, les critères retenus à son art. 2 pour déterminer le niveau de rémunération raisonnable des capitaux sont définis avec une précision suffisante et, d’autre part, ce décret pouvait laisser à un arrêté le soin d’établir la formule de calcul de ce tarif, y compris en prévoyant une marge de 10 % et une majoration pour tenir compte de la localisation géographique des installations, critère d'ailleurs prévu à l'art. 3 du décret. Enfin, s'il est soutenu que le décret n'a pas défini plusieurs des critères légaux nécessaires à la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, il ressort des dispositions de l'art. 6 de ce décret que les critères permettant d'apprécier la viabilité économique du producteur sont définis de manière suffisamment précise et qu'en tout état de cause, il appartient à la Commission de régulation de l'énergie, en vertu de l'art. 7 de ce même décret, de procéder à un examen de cette viabilité au cas par cas, en fonction des particularités de chacune des installations concernées. 

Le décret n’a pas, non plu, opéré une délégation illégale de compétence à la Commission de régulation de l'énergie en se bornant non à lui permettre d’exercer le pouvoir de fixer le tarif individuel dans le cadre de la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, mais seulement à préciser les dispositions législatives donnant à la Commission un pouvoir de proposition.

Concernant la rétroactivité, le juge tente une esquive peu sérieuse en arguant de ce que le législateur ayant décidé que « la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n'excède pas une rémunération raisonnable », il s’en déduirait selon les juges du Palais-Royal qu’il a nécessairement entendu que c’est sur la durée totale des contrats en cause que doit s’apprécier le caractètre raisonnable du niveau de rémunération.

Faut-il encore répéter que le contrat est, fondamentalement, un combiné de justice et de prévision sur la durée entière du contrat. Si la rémunération était juste au départ, ce que l’on doit nécessairement admettre car l’État est présumé n’être ni injuste ni déraisonnable, il est entré dans les prévisions des parties comme étant l’animus contrahendi, la raison même de la conclusion du contrat, la prise en compte du montant total, pour les fournisseurs, de la rémunération attendue et pour les distributeurs du coût à supporter. En opérant un détournement des clauses contractuelles, il est attenté à la liberté contractuelle quelles que soient les contorsions rhétoriques du juge pour masquer l’évidence : à savoir un maintien de prix assurant une rémunération raisonnable (celle d’origine était donc déraisonnable), la possibilité d’invoquer une clause de sauvegarde.

Voudrait-on démontrer que le « contrat » administratif n’en est pas un que l’on ne s’y prendrait pas autrement : la diatribe européenne contre la conception française des rapports de l’individu et de la puissance publique a encore de beaux jours devant elle.

L’invocation de l’intérêt général (sorte de mantra aussi obscur que les motifs de transes de la Pythie de Delphes), à supposer ce fantasme existant, ne saurait valoir contre la fondamentalité des droits subjectifs de l’individu.

Pour finir, et c’est là la surprise, le juge relève que le tarif d’achat de 2006 et la suite constituait une aide d’État qui n’avait pas été notifiée à la Commission européenne en violation directe des art. 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE), et de leurs règlements d’application. Puis, il note que l’arrêté litigieux du 26 octobre 2021 n’a pas lui non plus était notifié alors qu’il institue une aide nouvelle même s’il constitue une réduction du volume de l’aide par rapport à celle qui résultait d’arrêtés antérieurs non notifiés, d’où son illégalité et son annulation.

Le paradoxe c’est que cette annulation fait revivre les arrêtés précédents qui, pourtant, comportaient un niveau plus élevé d’aides d’État… C’est dire qu’il est important de remédier à ce beau désordre qui n’est plus voltaïque mais volcanique.

(27 janvier 2023, Association Solidarité Renouvelables, association Enerplan, syndicat des professionnels de l'énergie solaire et syndicat des énergies renouvelables, n° 458991 ; Société Bovi-ER et société Pepigreen, n° 459049, jonction)

 

53 - Décision du conseil d’administration de la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM) – Renforcement de la cohésion du groupe – Illégalités très partielles – Rejet pour l’essentiel.

Ce litige se situe au sein d’une ample et ancienne controverse opposant certaines caisses de Crédit mutuel à la Confédération nationale sur fond de rationalisation s’opposant à une ample revendication d’autonomie de chaque caisse locale.

Le législateur, par le II de l’art. L. 511-20, l’art. L. 511-30, l’art. L. 511-32 et l’art. L. 512-56 du code monétaire et financier, tenant compte des exigences de la Banque centrale européenne et de celles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, a dévolu à la CNCM la représentation des caisses de crédit  mutuel affiliées à son réseau auprès de ces deux organismes ainsi que les missions de veiller à la cohésion de ce réseau et à l'application des dispositions législatives et réglementaires propres aux établissements de crédit, d'exercer un contrôle administratif, technique et financier sur l'organisation et la gestion de chaque caisse et de prendre toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement du réseau, afin de garantir la stabilité financière de celui-ci et la protection des déposants et sociétaires.

C’est dans ce cadre qu’est intervenue la décision attaquée par la requérante, décision de caractère général n° 1-2021 relative au renforcement de la cohésion du Groupe Crédit mutuel adoptée le 2 février 2021 par le conseil d'administration de la Confédération nationale du crédit mutuel (CNCM), organe central du Crédit mutuel.

Le Conseil d’État ne retient que deux des moyens soulevés contre cette décision et rejette les autres, soit les plus lourds de conséquences.

Il juge entachées d’illégalité, d’une part, la règle générale et contraignante, édictée aux art. 2 et 3 de la décision attaquée, qui n'est ni prévue ni impliquée par aucune des dispositions législatives précitées, selon laquelle les entités du groupe Crédit mutuel qui y sont mentionnées sont tenues de faire référence à leur appartenance au groupe dans leurs dénominations sociale et commerciale ainsi que dans toutes leurs activités commerciales et non commerciales, et d’autre part, l'art. 4 de cette décision en tant qu'il soumet à autorisation préalable les décisions relatives aux dénominations sociale et commerciale de toute structure créée directement ou indirectement par les caisses ou les fédérations et en tant que la demande d'autorisation doit comporter la représentation graphique de la dénomination envisagée.

Sont en revanche rejetés les moyens :

- que l'art. 5 de la décision attaquée serait illégal en ce qu'il prévoit un contrôle de second niveau de la CNCM pour l'appréciation des risques et également qu’il serait entaché d'une erreur de droit en ce qu'il étendrait illégalement les obligations que la réglementation bancaire impose aux établissements de crédit en matière de contrôle interne aux risques tenant à l'atteinte à l'image du groupe Crédit mutuel ;

- que l’art. 6 serait entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il prévoirait un dispositif sanctionnant des manquements dont la caractérisation serait illégale et des sanctions manifestement inadaptées aux manquements constatés ;

- que les art. 7.1 et 8 de cette décision ne permettraient pas à la CNCM de procéder à un contrôle préalable des demandes d'autorisation des opérations mentionnées aux art. L. 511-2 et L. 511-12-2 du code monétaire et financier (opérations de prise de participation, d'acquisition ou d'établissement de succursales par des établissements de crédit) aux fins de déterminer si les opérations envisagées ne sont pas de nature à compromettre la stabilité financière de l'établissement concerné et du groupe Crédit mutuel dont la surveillance prudentielle est exercée sur une base consolidée, ainsi que la protection des déposants et sociétaires ;

- que l’art. 7.2 serait entaché d'une erreur de droit en ce qu’il soumet les prises de participation des affiliés du réseau Crédit mutuel dans des sociétés commerciales, hors secteur financier, à un régime d'autorisation préalable ;

- que l’art. 11 remettrait en cause des situations juridiquement constituées en méconnaissance du principe de non-rétroactivité des actes administratifs.

(27 janvier 2023, Société Crédit mutuel Arkéa, n° 451308)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

 

Hébergement d’urgence

Rigueur et compassion

 

Une quinzaine de décisions rapportées ici attestent de l’importance du besoin d’hébergement d’urgence de ressortissants étrangers, principalement des femmes seules avec enfant(s), et de la difficulté, pour les administrations et pour le juge administratif, de répondre à une demande sans cesse croissante avec des moyens toujours insuffisants.

D’où, comme le montre la lecture de ce qui suit, une jurisprudence donnant l’impression d’être ballotée et cahotante dans ses motivations, tantôt audacieuse tantôt plus « suiviste ».

Que tout cela puisse déplaire ou donner lieu à critique se comprend mais à condition de reconnaître les efforts faits, l’ampleur de la demande, la diversité des situations, le tout se combinant en un ensemble un peu désespérant où la compassion tient lieu de droit positif et où le droit se cherche une raison d’exister sur fond de misère humaine et de détresse matérielle et morale directement venu de la vision de Dante ou des descriptions d’Eugène Sue.

 

54 - Dispositif d’hébergement d’urgence – Période hivernale – Personne seule avec deux enfants – Rejet.

Dans une décision que l’on peut juger sévère, le juge du référé liberté du Conseil d’État rejette l’appel formé contre une ordonnance de référé refusant d'enjoindre au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, de prendre en charge la requérante ainsi que ses deux fils mineurs âgés de 14 et de 16 ans., dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, sans délai, bien que cette ressortissante tunisienne vive, depuis son arrivée en France le 4 décembre 2022, dans la rue avec ses fils.

Le Conseil d’État fonde son rejet sur ce qu’aucun élément nouveau n’est apporté en appel à l’encontre de l’ordonnance attaquée, laquelle est fondée sur l'état de saturation du dispositif d'accueil en hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Île-de-France, de l'âge de la requérante et de celui de ses deux enfants ainsi que de son état de santé en retenant que la dégradation de celui-ci n'était pas établie et que le cancer apparu il y a plus de dix ans, avait été soigné et paraissait stabilisé. Par suite, il est jugé que « cette famille n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, placée parmi les plus vulnérables ».

(ord. réf. 04 janvier 2023, Mme B. épouse C., n° 470060)

(55) V., dans le même sens, annulant l’ordonnance de référé faisant droit à la demande d’une ressortissante congolaise, enceinte de quelques mois, et à sa fille de quatre ans, entrée en France le 4 octobre 2022, de recevoir un hébergement d’urgence dans l’attente du traitement de sa demande d’asile alors qu’elle est titulaire d’un titre de résidence délivré par les autorités brésiliennes valable jusqu'en 2029 : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 469942.

(56) V. aussi, comme dans l’affaire ci-dessus, l’annulation d’une ordonnance enjoignant de fournir un hébergement d’urgence à un couple de ressortissants guinéens et à leurs deux enfants, dont la demande d’asile a été rejetée et qui ne se trouvent pas subissant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470049.

(57) V. en revanche, annulant l’ordonnance de rejet de la demande d’hébergement de deux adultes et de leurs deux enfants motif pris de ce que si un hébergement a été attribué pour trois nuitées, puis, en un autre lieu, en long séjour, le représentant de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement n'a pas été en mesure, malgré la prolongation de l'instruction, de produire le document attestant que cet hébergement d'urgence serait maintenu conformément aux obligations prévues par les articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles rappelées ou de s'engager sur un tel hébergement d'urgence dit de long séjour. Il est donc ordonné à l'État de continuer à proposer sans solution de continuité à Mme D., M. B. et à leurs deux filles mineures un hébergement d'urgence conforme aux exigences afin de les placer à l'abri et d’assurer leur accompagnement social : ord. réf. 04 janvier 2023, M. D. et Mme B., n° 470063.

(58) V. également, confirmant l’ordonnance enjoignant à un préfet d’assurer l’hébergement d’une ressortissante algérienne et de son fils né le 15 août 2022 sans abri et obligés à dormir dans la rue malgré les appels de l’intéressée au dispositif de veille sociale unique d'Île-de-France : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 469944.

(59) V., identique au précédent, en ce qu’est retenu le très jeune âge de l’enfant (né le 15 novembre 2022) de parents ivoiriens pour rejeter le recours dirigé contre l’ordonnance enjoignant aux services concernés de fournir aux intéressés un hébergement d’urgence : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470044.

(60) V. encore, dans le même sens que l’ordonnance précédente, la confirmation du rôle central joué par l’âge des enfants ainsi que l’a estimé la juge des référés du tribunal administratif : ord. réf. 17 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470434.

(61) V. encore, très voisine, l’ordonnance qui tout en constatant le caractère irrégulier du séjour en France de parents guinéens, de 20 ans et 24 ans, reconnaît leur situation de détresse sociale alors que vivant dans la rue, la mère a accouché le 8 août 2022 d’une petite fille : ord. réf. 16 janvier 2023, Mme C. et M. B., n° 470178

(62) V. en revanche, la solution discutable au regard des décisions précédentes qui confirme le rejet en première instance d’une demande d’hébergement d’urgence formulée par une famille malienne composée d’un couple avec deux enfants de 6 et trois ans et alors que la femme est enceinte, motif pris de ce que la circonstance que le conjoint, à raison de son sexe, ne peut séjourner dans le même lieu que la femme et les enfants ne crée pas une situation d’urgence ou d’atteinte grave à une liberté fondamentale : ord. réf. 19 janvier 2023, Mme C. et M. A., n° 470442.

(63) V. aussi, le rejet d’une demande d’annulation d’un refus d’hébergement d’urgence, celle-ci ayant été satisfaite, rendant ainsi sans objet la requête introduite : ord. réf. 10 janvier 2023, Mme B., n° 470122, ou encore, à propos de réfugiés kazakh : ord. réf. 27 janvier 2023, M. A. et Mme C., n° 470407.

(64) V. aussi, un tantinet agacée, l’ordonnance rejetant l’appel dirigé contre l’ordonnance de référé liberté ayant :

- d’une part, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de l’association requérante tendant à ce qu’il soit fait injonction de mettre fin à la technique d'encerclement des familles réunies sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris pour réclamer un hébergement d’urgence, plus aucune famille ne se trouvant en ce lieu au moment où ce juge a statué ;

- d’autre part, rejeté la demande tendant à ce que soit ordonnée une évaluation individuelle de chaque manifestant et une orientation vers un dispositif d'hébergement adapté et pérenne, faute pour l’association demanderesse de soumettre au juge des référés tout élément de nature à établir le bien-fondé de ses demandes ni d'identifier des situations individuelles, ni d'apporter le moindre commencement de preuve d'une carence caractérisée des autorités compétentes : ord. réf. 10 janvier 2023, Association Utopia 56, n° 470140.

(65) V. tout aussi agacée, la décision rejetant la demande d’une ressortissante ivoirienne tendant à l’annulation de l’ordonnance de rejet du premier juge, se disant mère d’un enfant mineur, s'abstenant de préciser la date de son entrée en France, la durée et les conditions de son séjour sur le territoire français, l'état civil de l'enfant qui ne porte, par ailleurs, pas le même nom que le sien, ainsi que la réalité et la fréquence de ses appels au « 115 », ceci joint à l’absence, en appel, de production d’une pièce ou d’une précision nouvelle concernant en particulier la situation de l'enfant dont elle mentionne seulement le nom et la date de naissance et dont elle prétend être la mère, ni de manière générale de tout élément de nature à remettre en cause les appréciations retenues par le premier juge : ord. réf. 27 janvier 2023, Mme A., n° 470669.

(66) V., plus originale, la décision rejetant l’action introduite sur le fondement de l’art. L. 521-4 du CJA, selon lequel le juge des référés, saisi par toute personne intéressée, peut modifier les mesures qu'il avait précédemment ordonnées ou y mettre fin, au vu d'un élément nouveau, alors qu’était demandée la modification de la solution d’hébergement adoptée par l’État en l’espèce, d’où l’irrecevabilité de l’action introduite dans ces conditions : ord. réf. 19 janvier 2023, Mme A., n° 470459.

(67) V., manifestant l’attention et le souci extrêmes du juge des référés concernant une demande d’hébergement faite par une ressortissante malienne et sa fille de quatre ans scolarisée en moyenne section d’une école maternelle, pour, au final, confirmer l’ordonnance des premiers juges ordonnant le maintien de l’hébergement qui leur a été offert dans un hôtel de la banlieue parisienne, la requérante ne rapportant pas d’éléments qui justifieraient qu’il y soit mis un terme : ord. réf. 30 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470213.

(68) V., en revanche, pour une ressortissante ivoirienne accompagnée de son enfant de quatre ans, la confirmation de l’ordonnance rejetant une demande d’hébergement alors qu’existent en Île-de-France des situations de plus grande vulnérabilité et en dépit des problèmes de santé rencontrés par l'enfant décrits par un courrier d'un médecin de centre de protection maternelle et infantile de la ville de Paris : ord. réf. 30 janvier 2023, Mme A., n° 470640.

(69) V. encore, la confirmation du rejet de la « demande d’hébergement » faite par une ressortissante ivoirienne et de sa fille âgée de douze ans alors que n’est pas établie l’existence de cette demande et en dépit de la maladie des yeux de cette dernière : ord. réf. 31 janvier 2023, Mme C. agissant au nom de sa fille mineure A., n° 470745.

 

 

 

70 - Organisme de logement social – Régime disciplinaire applicable à la personne morale ou à une personne physique, dirigeante ou membre de celle-ci – Différence de traitement – Rejet.

L'agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) a proposé au ministre chargé du logement, après enquête, de prononcer une sanction à l’encontre du requérant pour faute commise dans l’exercice de ses fonctions de président du conseil d'administration du comité interprofessionnel du logement action logement Nord (CIL/ALN).

Si le recours contre la procédure et le quantum de sanction est rejeté, la décision retient l’attention précisément sur un aspect de la procédure disciplinaire.

Celle-ci, en matière d’organismes de logement social, qui est régie par le code de la construction et de l’habitation en ses art. L. 342-9, L. 342-12 et L. 342-14, d’une part, et en son art. R. 342-14, d’autre part, distingue deux régimes disciplinaires selon qu’est poursuivi un organe de la personne morale (conseil d'administration, conseil de surveillance directoire ou organe délibérant de cet organisme) ou une personne physique. Dans le premier cas, l'ANCOLS ne peut régulièrement proposer une sanction au ministre compétent qu'après que le conseil de surveillance, le conseil d'administration, le directoire ou l'organe délibérant de cet organisme a notamment été mis en mesure de présenter, en disposant à cette fin d'un délai de quatre mois, ses observations sur le rapport définitif de contrôle. Au contraire, dans le cas d’une personne physique, ne sont prévues ni la notification à celle-ci du rapport définitif de contrôle, ni que soit menée à son terme la procédure contradictoire relative à l'élaboration du rapport définitif avant que l'agence propose au ministre de prononcer une sanction contre cette personne.

Cette différence, pour très surprenant que cela soit, n’est pas jugée irrégulière sans doute car aucune QPC ou exception d’inconventionnalité n’avait été soulevée par le requérant.

(13 janvier 2023, M. Thibault de Maillard, n° 451078)

(71) V. aussi, largement identique : 13 janvier 2023, M. Duflo, n° 454951.

(72) V. également, sur le même sujet mais avec des faits et des solutions bien différents : 13 janvier 2023, M. J.-Ph. Sudre, n° 457264.

 

73 - Droits à congé payé – Régime spécifique des salariés en activité discontinue chez une pluralité d’employeurs – Refus de transmission d’une QPC.

(20 janvier 2023, Association Collectif contre les caisses de congé du BTP, société DVM Renov et société Philippe et fils, n° 467970)

V. n° 116

 

74 - Fonds départemental de compensation du handicap en vue de l’aide financière à apporter au reste à charge pour les bénéficiaires – Plafonnement du reste à charge des frais de compensation – Limitation des aides à compensation en fonction des financements des fonds départementaux – Atteintes aux principes d’égalité et de fraternité – Transmission d’une QPC.

(20 janvier 2023, Association Handi-Social et Mme B., n° 468567)

V. n° 118

 

75 - Droit public de l’agriculture – Aides directes dans le cadre de la politique agricole commune – Contrôle d’une exploitation agricole – Refus – Réduction de 100% du montant des aides – Rejet.

Une société civile d’exploitation agricole (SCEA) se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a rejeté sa demande d’annulation de la décision préfectorale du 3 mars 2017 lui appliquant un taux de réduction de 100 % sur les aides directes perçues dans le cadre de la politique agricole commune au titre de la campagne 2016.

Son recours est rejeté.

La société s’est opposée à un contrôle sur place de son exploitation : celui-ci, d’abord annoncé le 29 novembre 2016 pour une visite fixée au 6 décembre 2016, a fait l’objet d’une demande de reprise de contact, puis un nouveau contrôle, annoncé par courriel du 20 décembre, a été prévu pour le 21 décembre avec invitation faite au gérant d’indiquer s’il acceptait ce contrôle ou s’y opposait. Suite au refus exprimé, a été prise la décision attaquée appliquant un taux de réduction de 100% au montant des aides communautaires accordées à la SCEA.

Celle-ci invoque en vain le caractère de sanction de la mesure et donc la nature de plein contentieux du litige en résultant, en effet cette décision se borne à exiger le reversement d'une aide indûment perçue ; cette contestation, ainsi que jugé en appel, relève donc bien du contentieux de l’excès de pouvoir.

Ensuite, la cour a donné une qualification juridique exacte aux faits rapportés ci-dessus en jugeant que la société ne pouvait être considérée, à raison de son attitude, comme ayant pris toute mesure pouvant raisonnablement être requise de sa part pour garantir que le contrôle sur place envisagé pour l'année 2016 se réalise intégralement, d’autant qu’elle n'avait justifié ni de circonstances exceptionnelles au sens du du règlement (UE) n° 1306/2013, ni de ce que son gérant aurait été confronté à un cas de force majeure et qu’ainsi son comportement caractérisait un refus de contrôle au sens de l’art. D. 615-59 in fine du code rural comme l’a à bon droit constaté la décision préfectorale litigieuse.

Enfin, la société requérante ne saurait invoquer à l’encontre du taux de réduction retenu, soit 100%, une erreur de droit ou l’absence de prise en compte des conséquences désastreuses pour l’entreprise de l’application de ce taux dès lors que cette mesure ne constitue pas une sanction et que l’autorité administrative ne possède aucun pouvoir de modulation de ce taux.

(24 janvier 2023, Société civile d’exploitation agricole A., n° 450834)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

76 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne d’un binôme et proclamation d’inéligibilité – Document incomplet mais complété – Annulation.

Le juge d’appel annule le jugement de première instance qui a confirmé le rejet du compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ce dernier avait estimé, comme la Commission, que le compte présenté n'était appuyé que de pièces disparates et incomplètes, qui ne permettaient pas d'attester la réalité et la régularité des opérations réalisées, notamment bancaires.

Le Conseil d’État condamne cette analyse en relevant que toutefois, outre la circonstance que ce compte défectueux avait été établi par un expert-comptable, le binôme a produit une réfection de relevé de ce compte, pour la période du 15 juin 2021 au 10 mars 2022, à l'appui de son mémoire en défense devant le tribunal administratif. Or ce document permet de contrôler la réalité des recettes et des dépenses réalisées par le mandataire financier inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec les opérations du mandataire financier qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaît.

Ainsi sont annulés le rejet du compte et la proclamation subséquente de l’inéligibilité du binôme.

(05 janvier 2023, M. D. et Mme B., Élections départementales du canton de Douarnenez, n° 464905)

(77) V. aussi, identique en substance : 05 janvier 2023, Mme D. et M. A., Élections départementales du canton de Quimperlé, n° 464906.

 

78 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne d’un binôme – Jugement contraire du tribunal administratif – Confirmation en appel.

La CNCCFP demandait l’annulation du jugement rejetant sa demande de rejet du compte de campagne d’un binôme de candidats.

L’appel est rejeté.

Les membres du binôme n'avaient pas joint au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai légal le relevé des opérations postérieures au 30 juin 2021 effectuées sur le compte bancaire ouvert par leur mandataire financier et ils n'ont pas davantage fourni ce document dans le cadre de l'instruction menée par la CNCCFP.

Cette dernière a rejeté leur compte de campagne pour ce motif.

Cependant le juge constate, en regard de ces manquements, que le relevé des opérations joint à ce compte de campagne faisait apparaître un virement au titre d'un prêt financier consenti par une formation politique, que le compte de campagne, établi par un expert-comptable, était en outre accompagné de documents comptables, en particulier un rapprochement bancaire pour les mois de juillet et août 2021 et du journal de banque, qui retraçaient la totalité des opérations intervenues sur le compte bancaire ouvert par le mandataire financier en précisant les dates et les comptes d'origine des virements correspondant à un second prêt consenti par la même formation et à l'apport personnel du candidat, pour un montant total de 833 euros de recettes, et les numéros, les bénéficiaires et les dates de débit de cinq chèques pour un montant total de 586 euros de dépenses.

Il décide qu’en l'espèce, eu égard au faible nombre des opérations réalisées et à la modicité des sommes engagées, et dès lors que les documents produits permettaient de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci étaient cohérentes avec les opérations qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaissait, la Commission n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif a rejeté sa saisine.

On ne saurait trop dire que le bon sens et le sens de la mesure sont des qualités inhérentes aux juristes. La démonstration en est faite par cette décision comme elle l’avait été en première instance.

(25 janvier 2023, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton d’Auch 2, n° 465145)

 

Environnement

 

79 - Réglementation de la pêche au maigre – Injonction au premier ministre le 8 juillet 2020 – Exécution par arrêté du 23 août 2022 – Absence de condamnation à astreinte – Requête devenue sans objet.

L’association requérante demandait la condamnation sous astreinte du ministère de l’agriculture pour défaut de mise en œuvre de la décision du 8 juillet 2020 (n°s 428271, 428276) par laquelle le Conseil d’État a jugé qu'en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale de capture du maigre à la lumière des éléments en sa possession, alors qu'aucune autre mesure adaptée n'était prise, le ministre avait méconnu les obligations découlant du principe de précaution et a, en conséquence, d’une part, annulé les décisions implicites du ministre refusant d'abroger les dispositions des arrêtés des 26 octobre 2012 et du 28 janvier 2013 relatives à la taille minimale de capture du maigre commun, et d’autre part, enjoint à ce ministre de procéder, dans un délai d'un an, et conformément aux motifs de cette décision, au réexamen de la demande de l'association de défense des ressources marines (ADRM), demanderesse dans cette instance, tendant à la fixation de tailles minimales de capture plus élevées pour le maigre commun.

La requérante a, le 24 juin 2021, saisi le Conseil d’État sur le fondement de l’art. L. 911-5 du CJA en sa qualité de juge de l’exécution.

La requête est rejetée pour avoir perdu son objet dès lors qu’il est établi que la décision du 8 juillet 2020 a été entièrement exécutée à la date à laquelle il est statué sur le présent arrêt même si cette exécution est intervenue après expiration du délai imparti par le juge à l’administration.

La solution est regrettable en ce qu’elle ne sanctionne pas le retard d’une année mis à donner effet à une décision de justice rendue au nom du peuple français.

(06 janvier 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 447363)

(80) V. aussi, identique : 06 janvier 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 458566.

 

81 - Projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou la santé humaine – Incidence du projet pour d’autres motifs que sa dimension – Injonction au premier ministre de prendre une mesure en ce sens – Notion d’exécution d’une décision de justice – Rejet.

Par une décision n° 425424 du 15 avril 2021, le Conseil d'État a annulé le décret du 4 juin 2018 modifiant les catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale en tant qu'il ne prévoit pas de dispositions permettant qu'un projet, mentionné à l'annexe de l'article R. 122-2 du code de l'environnement, susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement pour d'autres caractéristiques que sa dimension, puisse être soumis à une évaluation environnementale et il a, en conséquence, fait injonction au premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision, les dispositions en ce sens.

Le décret du 25 mars 2022, relatif à l'évaluation environnementale des projets, a été pris pour l’exécution de cette décision de justice.

Les requérantes demandent au Conseil d'État d'assurer sous astreinte l'exécution de sa décision (cf. art. L. 911-5 et R. 931-2 CJA) et d'ordonner la communication de l'ensemble des documents préparatoires du décret du 25 mars 2022 relatif à l'évaluation environnementale des projets. 

La requête est rejetée.

D’abord il ne résulte pas des termes du décret attaqué que seraient exclus de son champ d’application les déboisements d'une surface inférieure à 0,5 ha ou, de façon générale, les demandes d'extension ou de modification relatives à un projet donné. 

Ensuite, les dispositions de ce texte « instituent bien une obligation, et non une simple option, à la charge de l'autorité compétente. »

Dès lors, et en dépit de ce que le décret d’exécution ait été pris plus de deux mois après l’expiration du délai de neuf mois imparti par la décision précitée du 15 avril 2021, cette dernière doit être considérée comme ayant été exécutée.

(20 janvier 2023, Association France Nature Environnement et association France Nature Environnement Allier, n° 464129)

 

82 - Procédure fiscale – Redevance pour pollution d’origine non domestique – Condition de la substitution de base légale – Absence de demande en ce sens de l’administration défenderesse – Méconnaissance de l’office du juge de l’impôt – Annulation sur ce point et recours à la méthode de calcul préconisée par la contribuable.

(25 janvier 2023, Société Boréalis Chimie, n° 446730)

V. n° 42

 

83 - Liste des espèces exotiques envahissantes (règlement (UE) n° 1143/2014 du 22 octobre 2014) - Absence de notification préalable de la liste à la Commission européenne – Absence d’illégalité de l’arrêté attaqué – Contrôle réduit du juge – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de l'arrêté interministériel du 28 juin 2021 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion et interdisant toutes activités portant sur des spécimens vivants.

La requête est rejetée.

Tout d’abord aucun des moyens de légalité externe n’est retenu et en particulier celui tiré de ce que la liste que l'arrêté attaqué établit des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour La Réunion n'a pas été notifiée à la Commission européenne, ainsi que le prévoierait l'art. 6 du règlement n° 1143/2014, alors que ce texte n'impose pas la notification préalable des listes établies par les États-membres ; au demeurant, il ressort des pièces du dossier que cette notification à la Commission européenne a été effectuée en septembre 2021. 

Ensuite, les moyens de légalité interne sont également rejetés.

En premier lieu, contrairement à ce qui est allégué, les dispositions du paragraphe 2 de l'art. 6 du règlement précité, si elles imposent aux États-membres comptant des régions ultrapériphériques d'adopter une liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes dans chacune de ces régions, elles ne font clairement pas obstacle à ce que, lorsque les particularités du territoire le justifient, soit prévue une interdiction d'introduire sur le territoire d'une collectivité d'outre-mer l'ensemble des espèces appartenant à une classe, un ordre ou une famille d'animaux déterminés, celle-ci étant assortie d'une énumération des espèces appartenant à cette classe, cet ordre ou cette famille qui sont expressément exclues de l'interdiction. 
En deuxième lieu, les dispositions du deuxième alinéa de l'art. R. 411-1 du code de l'environnement selon lesquelles « Les espèces sont indiquées par le nom de l'espèce ou de la sous-espèce ou par l'ensemble des espèces appartenant à un taxon supérieur ou à une partie désigné de ce taxon » ne sont pas applicables aux espèces exotiques envahissantes relevant des art. L. 411-5 et L. 411-6 et ne peuvent dès lors être utilement invoquées à l'appui de la requête dirigée contre l'arrêté attaqué fixant la liste des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion.

En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, le règlement n° 1143/2014 ne fait pas obstacle à ce que les auteurs de l'arrêté attaqué précisent que les interdictions qu'il prévoit ne s'appliquent pas aux espèces mentionnées dans l'annexe I de l'arrêté du 9 février 2018 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion, laquelle énumère la liste des espèces exotiques pouvant y être introduites.

Enfin et surtout, le juge indique expressément n’exercer qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation sur la fixation par les ministres concernés de la liste des espèces exotiques envahissantes. Ainsi en va-t-il de ce que, à la différence de l'arrêté du 1er avril 2019 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion qui a dressé une liste exhaustive des espèces végétales dont l'introduction est interdite sur ce territoire, l’arrêté querellé interdit des classes, ordres ou familles entières d'animaux, en excluant de cette interdiction seulement quelques espèces.

(25 janvier 2023, Association Réunion Biodiversité, n° 460440)

 

84 - Police du bruit – Nuisances sonores des aérodromes – Restrictions aux mouvements d’aéronefs – Dérogations possibles – Irrégularités de procédure alléguées – Principe de non-régression – Rejet.

(25 janvier 2023, Association de défense de l'environnement des riverains de l'aéroport de Beauvais-Tillé, association regroupement des organismes de sauvegarde de l'Oise et association contre les nuisances de l'aéroport de Tillé, n° 463812)

V. n° 108

85 - Lutte contre la pollution atmosphérique – Classification des véhicules pour l’attribution de certificats de qualité de l’air en fonction de leur niveau d’émission de polluants – Incompétence de l’autrice de la décision – Procédure irrégulière – Annulation.

Les sociétés requérantes poursuivaient l’annulation de l'arrêté du 11 avril 2022 modifiant l'arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques en application de l'art. R. 318-2 du code de la route.

Cet arrêté définit la catégorie des « véhicules biodiesel », qui ont pour source d'énergie le biogazole de type B100, dont les caractéristiques sont définies par un arrêté du 29 mars 2018, et d'en fixer la classification dans cette nomenclature. De plus, cet arrêté modifie la définition des véhicules à essence.

Les véhicules biodiesel de la catégorie des poids lourds, autobus et autocars bénéficient, lorsqu'ils sont soumis à la norme EURO VI ou immatriculés pour la première fois à partir du 1er janvier 2014, d'un certificat de qualité de l'air de classe 1.

L’arrêté est annulé en tant que, pris par la seule ministre de la transition écologique, alors que le II de l'art. R. 318-2 du code de la route, prévoit que les critères de classement des véhicules comme les conditions d'application de cet article sont fixés par arrêté des ministres chargés de l'environnement, des transports et de l'intérieur. Il est donc entaché d’incompétence.

L’arrêté a été pris au terme d’une procédure irrégulière car, en permettant la circulation d'une catégorie de véhicules, dont il n'est pas contesté qu'ils émettent des polluants atmosphériques, doit être regardé comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, au sens des dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement. Son adoption devait donc être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation préalable du public conformément à ces dispositions. 

(25 janvier 2023, Société Gaz'up, société Primagaz, société Proviridis et société Endesa Energia, n° 465058)

 

86 - Autorisation d’implantation d’éoliennes – Procédure - Autorité environnementale devant disposer d’une autonomie réelle (art. 6, directive du 13 décembre 2011) – Absence – Rejet.

Réitération d’une jurisprudence désormais bien établie sur la base de l’art. 6 de la célèbre directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement telle que l’interprète la CJUE et qui pose l’exigence d’une réelle autonomie de l’autorité environnementale chargée d’évaluer un projet.

Ceci conduit aux deux solutions suivantes :

1°/ « Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est chargé de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les art. R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). » 

2°/ « Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales. »

En l’espèce, l'avis de l'autorité environnementale a été émis par le préfet de la région Champagne-Ardennes sur la décision attaquée prise par le préfet du département de la Haute-Marne à une date antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale, avait été préparé par le pôle environnement durable-évaluation environnementale relevant de la mission connaissance et développement durable spécifiquement chargé de l'instruction des avis de l'autorité environnementale, mais relevant, comme le service ayant procédé à l'instruction de la demande d'autorisation, de l'autorité du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Dans ces conditions, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011.

(25 janvier 2023, Société Haut-Vannier, n° 448911 ; ministre de la transition écologique, n° 449054, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

87 - Décret autorisant un changement de nom – Procédure de relèvement de nom susceptible de tomber en déshérence (art. 61 Code civil) – Nécessité d’un intérêt légitime à cette procédure – Absence de risque d’extinction – Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 21 décembre 2021 portant changement de noms, en ce qu'il a autorisé M. J. Bolelli, Mme L. Bolelli et M. L. Bolelli. à changer leur nom en « Bolelli Fleuriot de Langle ».

Il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l’art. 61 du Code civil que « La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré (...) ».

En l’espèce, les consorts Bolelli ont demandé à adjoindre à leur nom celui de leur mère et grand-mère, en invoquant leur intérêt légitime au relèvement de ce nom, menacé selon eux d'extinction, illustré notamment par leur ascendant aux sixième et septième degrés, Paul Antoine Marie Fleuriot vicomte de Langle, second de la tragique expédition de La Pérouse et commandant de l'Astrolabe, dont ils s'attachent à perpétuer la mémoire.

Le juge relève cependant que ce nom, porté par M. Fleuriot de Langle et par ses deux enfants, descendants aux troisième et quatrième degrés, comme les consorts D., de Jean-Charles Fleuriot de Langle, n'est pas menacé d'extinction.

Dans ces conditions, les intéressés ne justifient pas d'un intérêt légitime à demander le changement de leur nom, en application du premier comme du deuxième alinéa de l'art. 61 du code civil. Le décret attaqué est annulé.

(25 janvier 2023, M. et Mme Fleuriot de Langle, n° 461746)

 

88 - Décret de retrait de la nationalité française (art. 23-8 Code civil) – Contestation – Recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Le demandeur contestait le décret lui retirant la nationalité française sur le fondement des dispositions de l’art. 23-8 du Code civil selon lesquelles : « Perd la nationalité française le Français qui, occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus généralement leur apportant son concours, n'a pas résigné son emploi ou cessé son concours nonobstant l'injonction qui lui en aura été faite par le Gouvernement. L'intéressé sera, par décret en Conseil d'État, déclaré avoir perdu la nationalité française si, dans le délai fixé par l'injonction, délai qui ne peut être inférieur à quinze jours et supérieur à deux mois, il n'a pas mis fin à son activité. »

Si le recours est rejeté c’est surtout l’aspect contentieux qui retient l’attention car, pour la première fois, nous semble-t-il le Conseil d’État admet, implicitement mais nécessairement, que le recours en annulation dirigé contre un décret fondé sur l’art. 23-8 du Code civil est un recours pour excès de pouvoir.

(25 janvier 2023, M. A., n° 466223)

 

Étrangers

 

89 - Ressortissants géorgien et ukrainien – Rejet de la demande d’asile comme de délivrance d’un titre de séjour – Ordre de quitter le territoire français – Référé liberté exceptionnellement admis au regard des circonstances très particulières de l’espèce – Annulation de l’ordonnance de référé.

En principe la formation par un étranger d’un recours en référé liberté (L. 521-2 CJA) contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) non assortie d'un délai de départ volontaire est irrecevable car la procédure spéciale organisée par l'art. L. 614-6 du CESEDA présente des garanties au moins équivalentes à celles des procédures régies par le livre V du code de justice administrative. Il s’ensuit que cette procédure spéciale est, par suite, exclusive de celle de droit commun.

Toutefois, le juge rappelle qu’exception est faite à ce principe d’irrecevabilité en cas ce circonstances particulières notamment lorsque les modalités selon lesquelles il est procédé à l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l'intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement du CESEDA, a statué ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s'attachent normalement à sa mise à exécution.

Il est ici fait application de cette réserve pour admettre la recevabilité du référé liberté introduit et pour, au fond, ordonner la suspension de la mesure d’OQTF.

En effet, le requérant a fait valoir, après l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile confirmant le rejet de sa demande, l'impossibilité matérielle dans laquelle se trouve actuellement la fille aînée de son épouse, mineure de nationalité ukrainienne à leur charge, d'obtenir de l'ambassade d'Ukraine en France le passeport qu'elle a sollicité dans le cadre de la poursuite de son contrat d'apprentissage, document d'identité sans lequel elle ne peut pas voyager à l'étranger et, le cas échéant, accompagner sa mère en Géorgie si elle veut rejoindre son époux. Il résulte également de l'instruction, notamment des dispositions produites de la loi organique relative à la nationalité géorgienne, que, d'une part, Mme F., dont les deux parents sont ukrainiens, ne peut revendiquer la nationalité géorgienne, et, d'autre part, que les enfants C. et E. ne pourraient pas davantage prétendre à cette nationalité. S'il est vrai qu'il n'est pas établi que ces derniers ne disposeraient pas d'un droit au séjour en Géorgie en raison de leur lien filial avec un ressortissant géorgien, tel n'est pas le cas pour la première, qui est dépourvue de tout lien avec la Géorgie et dont l'admissibilité à un séjour légal en Géorgie est par conséquent indéterminée selon les pièces versées à l'instruction.

C’est pourquoi le Conseil d’État annule l’ordonnance de référé rejetant ce recours au vu, d’une part, des « conditions très particulières de difficultés matérielles liées à l'obtention, dans les circonstances actuelles, de documents d'identité ukrainiens et des incertitudes juridiques sur la possibilité de reconstituer de manière légale la cellule familiale en Géorgie » et, d’autre part, de ce que « la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français dont fait l'objet M. E. pourrait avoir pour effet une séparation de l'intéressé d'avec son épouse et au moins une partie de leurs enfants pour un durée indéterminée, voire de manière durable ou définitive ».

Un tel risque révèle que la décision contestée porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale du demandeur (cf. art. 8 de la convention EDH) et à l'intérêt supérieur de ses enfants (cf. art. 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant) En conséquence, sans que soit remise en cause la décision d’OQTF « qui n’est pas caduque », cette mesure, par ses effets, excède ici ceux qui s'attachent normalement à la mise à exécution d'une obligation de quitter le territoire français, d’où la suspension ordonnée par le juge d’appel.

(02 janvier 2023, M. E., n° 469912)

 

90 - Obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire – Notification d’un délai erroné pour la saisine du juge – Demande d’aide juridictionnelle impuissante à prolonger le délai dans le cas d’un recours contre l’OQTF – Rejet.

L’intéressé s’est vu notifier une décision portant obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire avec indication de la possibilité de la contester dans un délai de trente jours devant le tribunal administratif alors que ce délai est en réalité de quinze jours.

Selon l’art. R. 421-5 du CJA, lorsque les mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la décision lorsqu'elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions normalement applicables.

De plus, en l’espèce, l’intéressé avait demandé le bénéfice de l’aide juridictionnelle ce qui constitue normalement un motif de prorogation du délai de recours contentieux.

En l’espèce et alors que le tribunal avait jugé tardive cette demande d’aide juridictionnelle formulée après l’expiration du délai de trente jours, le pourvoi est rejeté motif pris de ce que l’art. L. 512-1 du CESEDA permet à l’étranger qui conteste l’OQTF de demander au président du tribunal, dès la saisine de celui-ci, par une requête susceptible d'être motivée même après l'expiration du délai de recours, le concours d'un interprète et la désignation d'office un avocat. 

(06 janvier 2023, M. D., n° 461471)

 

91 - Ressortissant algérien faisant l’objet de deux OQTF et de trois interdictions temporaires de retour en France – Qualité de demandeur d’asile en Allemagne non établie – Rejet.

Le requérant, qui a fait l’objet de mesures d’OQTF assorties d’interdiction de retour sur le territoire français contestait par voie de référé liberté l’ordonnance du tribunal administratif de Pau refusant de lui accorder la suspension de l'arrêté du 2 juillet 2022 portant à nouveau OQTF.

Il se prévalait de deux moyens tant devant le premier juge qu’en appel.

Il invoquait d’abord un pur moyen de procédure en arguant de ce que l'ordonnance avait été irrégulièrement rendue en première instance car alors qu'il critiquait la mise en rétention ordonnée par le préfet de Corrèze, sa requête a été communiquée au préfet de la Haute-Vienne et qu’ainsi n’avait pas été respecté le caractère contradictoire de la procédure. Le moyen est rejeté car la mesure litigieuse dont il demandait la suspension a bien été prise par le préfet de la Haute-Vienne.

Il invoquait ensuite l’existence d’un fait nouveau à savoir son enregistrement comme demandeur d’asile en Allemagne, ce qui ferait obstacle à l’exécution de la mesure querellée.

Le moyen, comme en première instance, est rejeté car il n’est corroboré « que par la production de la copie du verso d'un document présenté comme une carte d'entrée sur le territoire émise par l'Allemagne, dont la validité a au demeurant expiré, copie qui, si elle mentionne le nom du requérant, ne permet nullement de l'identifier. Cette seule circonstance, comme l'a relevé le premier juge, ne suffit pas à établir la qualité de demandeur d'asile en Allemagne, (fait) naître un doute sérieux sur la vraisemblance de cette qualité tardivement revendiquée et qui n'est assortie d'aucune précision circonstancielle, ne rendant ainsi en rien nécessaire qu'il soit procédé à des mesures d'instruction supplémentaires. La circonstance que le résultat de la consultation de la borne " eurodac " ne soit pas produite par l'administration est sans incidence sur l'appréciation portée par le premier juge, qui n'est entachée d'aucune erreur. »

(ord. réf. 20 janvier 2023, M. A., n° 470486)

 

Fonction publique et agents publics – Agent des services publics

 

92 - Éviction illégale d’un agent public contractuel de son emploi – Reconstitution de ses droits sociaux – Refus de signer des avenants au contrat – Rejet de la demande de prescrire de nouvelles mesures d’exécution d’un arrêt – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, par un arrêt du 3 octobre 2019, enjoint une université de réintégrer la requérante à compter de la date de son licenciement et de reconstituer ses droit sociaux, rejette la demande d’exécution de cet arrêt formée par celle-ci aux motifs qu’elle a refusé de signer les deux avenants à son contrat proposés par l'université accroissant sa rémunération, en raison d'un désaccord sur le montant de cette dernière et que ce refus faisait obstacle à la reconstitution des droits sociaux de l'intéressée.

En effet, cette reconstitution pouvait être effectuée par l'université sur la base de la rémunération fixée par le contrat à la date de son éviction illégale, éventuellement augmentée du montant résultant de l'application des textes retenue par l'administration, dont la contestation - le cas échéant - par la requérante relèverait d'un litige distinct de celui tranché par l'arrêt du 3 octobre 2019.

(06 janvier 2023, Mme D., n° 460794)

 

93 - Mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique (décret du 11 février 2016, art. 3) – Circulaire d’application aux agents de l’administration centrale des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur – Limitation à deux jours par semaine du recours au télétravail – Définition du télétravail et fixation de ses lieux d’exercice – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’une circulaire ministérielle (éducation nationale et enseignement supérieur) du 6 juin 2018 appliquant à l’administration centrale de ces ministères les dispositions du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature.

Est tout d’abord rejeté le grief fondé sur l’incompétence des ministres signataires de la circulaire car le décret se bornant à fixer un plafond de quotité d’activités susceptibles d’exercice en forme de télétravail, il incombait aux ministres concernés, titulaires du pouvoir d’organiser les services placés sous leur autorité (cf. Section, 7 février, Jamart) d’établir le régime du télétravail y étant applicable.

Ensuite, étaient contestés la fixation par la circulaire des lieux d’exercice du télétravail ainsi que son non-respect d’un accord du 13 juillet 2021 relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique. Les moyens sont rejetés car, d’une part, cet accord, ne comportant aucune disposition à caractère réglementaire, est dépourvu de valeur juridique et de force contraignante et ne saurait donc servir de base à la contestation de la légalité de la circulaire attaquée et, d’autre part, les ministres concernés sont restés dans les bornes des dispositions du décret en limitant, en leur qualité de chefs de service, les lieux dans lesquels peut être exercée l'activité en télétravail.

(06 janvier 2023, M. D., n° 461085 ; Association syndicale des attachés d'administration de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la jeunesse et des sports (ASAMEN), n° 462534, jonction)

 

94 - Corps des chargés de recherche – Possibilité, sous conditions, d’un reclassement rétroactif – Modalités applicables aux personnes « en fonctions » à la date d’entrée en vigueur du décret – Principe d’égalité et différence de traitement – Portée de la rétroactivité – Rejet.

Le syndicat requérant demandait, d’une part, l’annulation de l'art. 5 du décret n° 2022-262 du 25 février 2022 modifiant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques et, d’autre part, qu’injonction soit faite au premier ministre de prendre un décret ouvrant le bénéfice du reclassement rétroactif prévu par l'art. 47 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 à tous les chargés de recherche, à compter de la date de leur prise de fonctions dans ce corps, sans autre condition que d'avoir été titularisés dans le corps des chargés de recherche avant l'entrée en vigueur des règles de classement modifiées par décret et de présenter une demande de reclassement dans un délai de neuf mois à compter de la date de publication du décret rectificatif à intervenir.

Le recours est, sans surprise, rejeté.

Tout d’abord, le juge relève que l'art. 5 du décret attaqué, contrairement à ce qui est soutenu, ne méconnaît pas l'art. 47 de la loi du 24 décembre 2020 sur la base duquel il a été pris et qu’il n’est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. En effet, l’intention du législateur, en adoptant cette disposition, était d’éviter que les plus jeunes chercheurs, recrutés peu de temps avant la modification des règles de classement, ne soient placés dans une situation moins favorable que ceux recrutés postérieurement à cette modification. L’auteur du décret querellé a ainsi légalement pu prévoir que les nouvelles modalités de classement sont susceptibles de bénéficier aux chargés de recherche titulaires « en fonctions » à la date d'entrée en vigueur dudit décret, y compris lorsqu'ils sont placés en position de détachement ou de disponibilité. 

Ensuite, ne porte pas atteinte au principe d’égalité la différence de traitement instituée par le décret litigieux entre les personnes qui appartiennent au corps des chargés de recherche à la date de son entrée en vigueur et celles qui n'appartiennent plus à ce corps car cette différence, qui est en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur, n'est pas manifestement disproportionnée.

Enfin, sur la question de la rétroactivité possible de la mesure de reclassement, le juge observe que si le législateur a autorisé le pouvoir réglementaire à appliquer de manière rétroactive les nouvelles modalités de classement aux chargés de recherche déjà titularisés, il n'a pas entendu que les reclassements en résultant produisent effet dès leur entrée dans le corps des chargés de recherche. C’est pourquoi n’est pas illégal le choix de la date du 1er janvier 2021 pour la prise d’effet de ce reclassement.

(06 janvier 2023, Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU) et autres, n° 463556)

 

95 - Ouvriers de l’État – Agents n’ayant pas la qualité de fonctionnaires – Absence d’application de l’art. 34 de la Constitution – Compétence du pouvoir réglementaire – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours en annulation de la décision implicite par laquelle a été rejetée la demande des requérants tendant à l'abrogation du II de l'art. 2 du décret du 30 décembre 2016 relatif à certains éléments de rémunération des personnels à statut ouvrier relevant du ministère de la défense.

Pour rejeter le moyen tiré de l’incompétence du pouvoir réglementaire en cette matière, le juge rappelle que les ouvriers de l’État n’ayant pas la qualité de fonctionnaires les règles qui leur sont applicables ne relèvent pas du domaine de la loi et, s’agissant de celles relatives à la détermination de leur rémunération, elles ne mettent en cause aucun des règles et principes relevant de la compétence du pouvoir législatif.

(06 janvier 2023, M. C. et autres, n° 463631)

 

96 - Syndicat de fonctionnaires – Recours pour excès de pouvoir en lieu et place des agents publics concernés – Litiges portant sur la rémunération - Irrecevabilité manifeste pour défaut de qualité à agir – Rejet.

Rappel d’un principe constant régissant les recours contentieux formés par un syndicat de fonctionnaires et agents publics.

De tels recours sont irrecevables dès lors qu’ils ne tendent qu’à demander l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision refusant le versement à des agents publics de sommes qui leur seraient dues car, en ce cas, le syndicat est manifestement sans qualité pour agir.

(06 janvier 2023, Syndicat FEETS-FO, n° 464153)

 

97 - Minimum de traitement versé dans la fonction publique – Augmentation de l’indice majoré correspondant à ce minimum – Recours en annulation infondé – Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret du 20 avril 2022 portant relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique et portant de 343 à 352 l'indice majoré correspondant à ce minimum de traitement.

Le recours est rejeté au visa du principe général du droit, applicable à tout salarié et dont s'inspire l'art. L. 3231-2 du code du travail, selon lequel les agents publics ont droit à un minimum de rémunération (cf. Section, 23 avril 1982, Ville de Toulouse c/ Aragnou, n° 36851) qui, en l'absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l'intéressé appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance défini à l'art. L. 3231-2 de ce code.

Par ailleurs, ce décret, ce disposant, ne contrevient pas à la règle instituée par le quatrième alinéa de l'art. L. 522-2 du code général de la fonction publique, selon laquelle tout avancement d'échelon se traduit par une augmentation de traitement. 

(06 janvier 2023, Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, n° 464463)

 

98 - Sanction disciplinaire – Interdiction d’une double sanction à raison des mêmes faits et à l’égard de la même personne – Rejet.

Rejetant le recours formé par un lieutenant de gendarmerie contre la sanction de blâme qui lui a été infligée, la présente décision rappelle qu’en vertu d’un principe général du droit l’autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits. Ainsi, cette autorité, lorsqu’elle a pris une première décision définitive à l'égard d'une personne qui faisait l'objet de poursuites à raison de certains faits, ne peut ensuite engager de nouvelles poursuites à raison des mêmes faits en vue d'infliger une sanction.

Le juge précise en outre que cette règle s'applique aussi bien lorsque l'autorité avait initialement infligé une sanction que lorsqu'elle avait décidé de ne pas en infliger une. 

C’est là une application très bienveillante de ce principe général du droit.

(06 janvier 2023, M. C., n° 464486)

 

99 - Agent territorial – Admission à la retraite sans rente invalidité – Contestation de cette décision par divers moyens – Rejet.

La requérante, adjoint technique territoriale dans des écoles maternelles a été placée durant de longues périodes en congés maladie de diverses natures puis mise à la retraite sans l’octroi d’une rente invalidité celle-ci lui ayant été refusée. Son recours contre cette dernière décision ayant été rejeté elle saisit d’un pourvoi le Conseil d’État.

La requête est rejetée.

Le juge rappelle tout d’abord qu’une rente invalidité ne peut être servie qu’en cas de maladie imputable au service or une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

Il résulte du dossier de l’intéressée que si elle a été à plusieurs reprises et sur une durée de dix ans environ placée en congé maladie ou de longue maladie ou de longue durée, il n’apparaît pas que cela fût imputable au service ou aggravé par celui-ci.

Si est invoqué un harcèlement moral décrit par des médecins, s’est sans erreur de droit que les premiers juges ont relevé que l'appréciation de faits caractérisant un harcèlement moral dépassait le cadre strictement médical de la mission confiée aux médecins qui les ont évoqués.

Ensuite aucun des certificats médicaux produits ne s’est prononcé sur l'existence d'un lien entre ses conditions de travail et la maladie développée ; de plus, si la commission de réforme a, dans un premier temps, supposé l’existence d’un tel lien, elle est revenue sur ce point par la suite, écartant tout lien. Pareillement, l’enquête administrative diligentée par le maire sur les faits prétendus de harcèlement moral ne s’est pas prononcée sur l’imputabilité de la maladie au service.

C’est donc sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que le tribunal l’a déboutée de son action.

(17 janvier 2023, Mme A., n° 461068)

 

100 - Agent de l’administration pénitentiaire – Adjoint de sécurité non titulaire – Nomination en qualité d’élève surveillant – Refus de reprise des services exercés en qualité de non titulaire – Illégalité – Rejet pour défaut de motivation de la requête – Annulation sans renvoi (examen au fond).

Le requérant, qui avait été recruté le 2 novembre 2010 en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire au ministère de l'intérieur, a été informé le 19 août 2016, qu'il avait été déclaré apte à la fonction de surveillant de l'administration pénitentiaire et que sa nomination en qualité d'élève surveillant serait prononcée le 17 octobre 2016, date de début de sa scolarité à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP).

L’intéressé a donc présenté sa démission comme agent non titulaire à compter du 16 octobre 2016, en précisant être convoqué à l'ENAP le 17 octobre 2016 et en joignant sa convocation. Il a été nommé le 17 octobre 2016 en qualité d'élève surveillant à l'ENAP à compter du 17 octobre 2016 avant d'être nommé stagiaire dans le corps des personnels d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire puis d'être titularisé dans le grade de surveillant de ce corps à compter du 18 juin 2018.

Par une décision du 8 mars 2019, ministre de la justice, a rejeté la demande du requérant tendant à la reprise de ses services effectués en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire du 2 novembre 2010 au 16 octobre 2016.

M. A. se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif sur le fond rejetant son recours contre le rejet de sa demande par le ministre de la justice. Le Conseil d’État lui donne raison.

D’abord, s’agissant de l’arrêt d’appel  son annulation résulte de ce qu’il repose sur une erreur de droit pour avoir jugé que le requérant n'était pas fondé à demander l'annulation de la décision du ministre de la justice refusant de prendre en compte les services effectués en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire puisqu'il avait cessé d'exercer ses fonctions d'adjoint de sécurité le 16 octobre 2016 et qu'il n'avait donc plus la qualité d'agent non titulaire de l'État à la date de sa nomination le 17 octobre 2016 en qualité d'élève surveillant à l'ENAP. En effet, il ressortait des pièces du dossier que l'intéressé n’avait démissionné de ses fonctions le 16 octobre 2016 que dans le but de commencer sa scolarité à l'ENAP le lendemain.

Ensuite, l’arrêt étant cassé, restait à examiner le jugement : il est lui aussi cassé car, pour rejeter la demande dont le requérant les avait saisi les premiers juges ont considéré qu’elle était irrecevable faute de comporter une motivation alors que son auteur faisait valoir la nécessaire prise en compte de ses fonctions exercées en tant qu'adjoint de sécurité non titulaire jusqu'au 16 octobre 2016 et précisait avoir quitté ces fonctions afin de pouvoir commencer sa scolarité à l'ENAP le 17 octobre 2016. Sa demande satisfaisait ainsi à l'exigence de motivation requise par l'article R. 411-1 du CJA.

Statuant au fond, le juge de cassation prononce l’annulation de la décision querellée du ministre de la justice.

Il aura fallu pour cela, dans un litige ne présentant aucune difficulté particulière, attendre près de quatre années sa résolution : c’est trop, beaucoup trop.

(25 janvier 2023, M. A., n° 456535)

 

101 - Conseiller technique de recteur ou de vice-recteur pour les établissements et la vie scolaire – Liquidation de la pension de retraite – Obligation de prendre en compte la bonification indiciaire – Absence d’erreur de droit – Rejet.

C’est sans erreur de droit, contrairement à ce que prétend le ministre demandeur au pourvoi, qu’un tribunal administratif juge qu’il résulte de la combinaison des dispositions du premier alinéa de l'article 1er du décret du 11 avril 1988 fixant le régime de rémunération applicable à certains emplois de direction d'établissements d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale, de celles de l’art. 2 du décret du 11 décembre 2001 portant statut particulier du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale, de celles de l’art. 1er du décret du 20 octobre 2016 relatif aux emplois fonctionnels des services déconcentrés de l'éducation nationale ainsi que de celles de l’art. L. 421-1 du code de l’éducation, que les fonctions de conseiller technique de recteur ou de vice-recteur pour les établissements et la vie scolaire, nouvelle dénomination des « proviseurs vie scolaire », font partie des fonctions entrant dans le champ du II de l'art. 6 du décret du 11 avril 1988 qui ouvrent droit, pour les agents du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale détachés sur un tel emploi fonctionnel, au bénéfice de la bonification indiciaire prévue par ce décret.

Il s’ensuit que c’est à bon droit qu’il a jugé que l’intéressée avait droit au bénéfice d'une bonification indiciaire de 130 points et donc à une rémunération sur la base de l'indice 1143 pour le calcul de ses droits à pension de retraite.

Est donc rejeté le pourvoi du ministre prétendant que le tribunal se serait fondé sur une rémunération résultant de la conservation à titre personnel d'un indice antérieurement détenu pour déterminer les droits à pension de l’intéressée.

(27 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 460577)

 

102 - Médecin urgentiste - Agent hospitalier contractuel – Contrats successifs à durée déterminée – Encadrement impossible de l’activité de chirurgien – Licenciement - Existence d’un contrat à durée indéterminée – Absence – Rejet.

Le requérant, médecin urgentiste employé contractuel d’un centre hospitalier, a demandé l’annulation du licenciement dont il a fait l’objet ainsi que le versement de son traitement depuis cette date et sa réintégration.

Il se pourvoit en cassation d’un arrêt qui a seulement légèrement augmenté le montant de l’indemnité allouée en première instance mais rejeté toutes ses autres demandes formées dans son appel.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, eu égard aux dispositions des art. L. 6152-1 et R. 6152-610 du code de la santé publique, le contrat de trois ans conclu en dernier lieu par le praticien requérant ne peut pas, faute de décision expresse de son employeur, être requalifié en contrat à durée indéterminée.

Ensuite, il en va de même pour « le contrat d’engagement de servir » conclu en février 2016 entre le requérant et le centre hospitalier, la cour ayant estimé, en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation, que ce contrat ne constituait pas un contrat à durée indéterminée se substituant au contrat à durée déterminée de trois ans dont l'intéressé était titulaire à compter du 1er septembre 2014.

Également, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l’art. R. 6152-610 du code de la santé publique (lequel dispose : « Les praticiens attachés sont recrutés pour un contrat d'une durée maximale d'un an, renouvelable dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre mois. / (...) A l'issue de cette période de vingt-quatre mois, le renouvellement s'effectue par un contrat de trois ans, renouvelable de droit, par décision expresse. A l'issue du contrat triennal, le renouvellement s'effectue par un contrat à durée indéterminée. (...) », non sur celles de l’art. R. 6152-629 retenu par le tribunal administratif.

(27 janvier 2023, M. A., n° 451516)

 

Libertés fondamentales

 

103 - Demande d’asile – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Caractère suspensif d’exécution de l’OQTF du fait de la saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Rejet.

Une ressortissante haïtienne qui s’est vue refuser le bénéfice du droit d’asile ou de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, a contesté ce refus et, tandis que son action en justice est pendante devant la CNDA, demande au juge des référés du Conseil d’État, sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA, l’annulation de l’ordonnance rendue par le juge du référé liberté du tribunal administratif de Guadeloupe, rejetant sa demande de suspension de la décision d’OQTF prise à son encontre.

Le recours est rejeté

Le Conseil d’État juge d’abord qu’il n’y a pas d’urgence à statuer en l’espèce puisque, par l’effet de sa saisine de la CNDA, l’exécution de l’OQTF est suspendue jusqu’à reddition de la décision de cette dernière. Il juge ensuite qu’il n’est pas non plus porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale de l’intéressée en dépit de l’état de santé physique et psychologique dont elle se prévaut et de la situation de violence en Haïti ainsi qu'en attesterait un communiqué du Haut-commissariat des réfugiés du 3 novembre 2022 demandant aux États de mettre fin au renvoi forcé des ressortissants haïtiens dans ce pays ; pas davantage, faute d'éléments circonstanciés et suffisamment étayés, la requête n'établit l’existence d’une telle atteinte, la seule production d'un certificat médical daté du 8 décembre 2022 selon lequel Mme B. nécessiterait un suivi médical à raison de troubles gynécologiques et de douleurs dorsales, et d'un signalement du 13 décembre 2022 de la Cimade attirant l'attention de l'OFPRA sur la situation de vulnérabilité particulière de l'intéressée, se manifestant par du stress, de l'angoisse et une certaine confusion à raison de traumatismes vécus en Haïti avant sa fuite en 2018, d'un accident de voiture subi la même année et de sa grande précarité ne permettent pas, non plus, d’apercevoir une telle atteinte. Enfin, la seule invocation de la situation sécuritaire particulièrement dégradée en Haïti ne saurait justifier le prononcé d'une telle mesure de rapatriement dès lors qu'il résulte de l'instruction que Mme B. réside actuellement, ainsi qu'il ressort de son mémoire en réplique enregistré le 29 décembre 2022, à Port-au-Prince, « à l'abri dans un hôtel loin des [gangs] ».

(ord. réf. 09 janvier 2023, Mme B., n° 469996)

 

104 - Enfant souffrant de graves séquelles neurologiques et d’un polyhandicap irréversible – Décision de limitation des soins – QPC portant sur la conformité de dispositions du code de la santé publique au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis s’agissant d’une mineure – Refus de transmission de la QPC mais suspension provisoire ordonnée en vue d’une nouvelle expertise.

(ord. réf. form. coll. 12 janvier 2023, M. A. et Mme K., n° 469669)

V. n° 115

 

105 - Personnes bénéficiaires de la protection subsidiaire dans l’un des États de l’Union – Impossibilité de solliciter cette protection auprès d’un autre État membre – Admission au séjour en France – Possibilité d’y demander l’asile ou la protection subsidiaire – Annulation.

Dans cette importante décision, très favorable à une extension considérable du droit d’asile, le Conseil d’État statue sur un pourvoi de ressortissants syriens contre une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) confirmant le rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) comme irrecevables de leurs demandes d’asile au motif que les autorités espagnoles leur avaient reconnu le bénéfice de la protection subsidiaire en 2014. 

Ayant par la suite été admis au séjour en France le 1er décembre 2017, les requérants ont présenté des demandes de réexamen de leurs demandes d'asile, qui ont été rejetées par l'OFPRA, confirmé par la CNDA dans ses décisions du 26 mars 2021 contre lesquelles ils se pourvoient en cassation. 

Très pédagogiquement le Conseil d’État expose le mécanisme complexe de combinaison du droit national de l’asile et du régime européen de traitement des étrangers demandeurs à l’asile ou, à défaut, à la protection subsidiaire.

Tout d’abord, le principe est qu’en vertu des dispositions de l'art. L. 723-11 du CESEDA, la personne qui s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire dans un État membre de l'Union européenne, sur le fondement de persécutions subies dans l'État dont elle a la nationalité, ne peut plus normalement, aussi longtemps que le bénéfice de cette protection lui est maintenu et effectivement garanti dans l'État qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d'un autre État membre le bénéfice d'une protection conventionnelle ou subsidiaire à raison de ces persécutions dès son entrée sur le territoire de cet État.

Ensuite, dans le cas où cet étranger a été admis au séjour par cet État, il lui est toujours loisible d'y déposer une demande d'asile.

Ceci est déduit par le juge des dispositions du droit de l’Union.

Enfin, en France, lorsque cette demande a été déposée auprès de l'OFPRA, celui-ci est légalement tenu d'examiner si, au regard des persécutions dont la personne établit qu'elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité, elle est fondée à demander le bénéfice de l'asile conventionnel et, à défaut, de la protection subsidiaire.

De plus, et ceci est plus difficilement compatible avec le droit de l’Union nous semble-t-il, il est jugé qu’il en va de même dans le cas où l'admission au séjour ayant été accordée après le rejet d'une première demande d'asile, la demande présentée après cette admission prend la forme d'une demande de réexamen.

Un renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg ne nous serait pas apparu superflu.

(25 janvier 2023, M. C. et autres, n° 460094)

 

Police

 

106 - Autorisation municipale de déplacement intra-communal d’un débit de tabacs – Maire agissant comme agent de l’État – Combinaison de ses pouvoirs avec ceux du préfet – Définition préfectorale du périmètre de protection des mineurs visant les débits de boissons et absence d’un tel périmètre pour les débits de tabac – Silence suppléé par la réglementation relative aux débits de boissons – Rejet.

Le demandeur a obtenu par arrêt confirmatif l’annulation de l’arrêté municipal autorisant le déplacement d’un débit de tabacs exploité par Mme A.

Le ministre de l’économie et des finances se pourvoit en cassation de cet arrêt. Il est débouté de ses prétentions.

Le juge rappelle qu’en ce domaine le maire agit comme agent de l’État et qu’ainsi il se trouve tenu de respecter les règles de distance relatives à l'implantation des débits de tabac prises pour la fixation du périmètre de protection des mineurs par le préfet par suite des dispositions combinées des art. L. 3335-1 et L. 3511-2-2, devenu l'article L. 3512-10, du code de la santé publique. Pareillement, le préfet prend un arrêté similaire s’agissant des débits de boissons.  Or, en l’espèce, si le préfet avait bien pris un arrêté pour ce qui concerne les débits de boissons, il ne l’avait pas fait pour les débits de tabacs d’où se posait la question de savoir si le maire était tenu néanmoins par sa subordination fonctionnelle au préfet ou si son arrêté, en matière de débits de tabac, n’était pas soumis à une telle subordination. Le Conseil d’État, confirmant la cour, juge que le maire devait appliquer pour ces derniers débits les distances fixées par le préfet dans son arrêté relatif aux débits de boissons.

La solution est plus expédiente que franchement respectueuse du droit positif et elle est, pour cela, bienvenue compte tenu de la matière à réglementer.

(13 janvier 2023, M. D., n° 453434)

 

107 - Police des mines – Installations minières – Déclaration d’arrêt définitif de travaux miniers – Obligation de remise en état s’imposant à l’ancien exploitant ou à son ayant droit – Renonciation au titre minier – Absence d’effet sur cette obligation – QPC non transmise.

Un préfet enjoint le requérant de déclarer l'arrêt définitif des travaux et d'utilisation d'installations minières pour la concession d’une mine de lignite. Il a contesté cette décision, en vain, en première instance et en appel et se pourvoit en cassation y compris contre le rejet de sa demande de transmission d’une QPC.

1 – Sur la procédure d’arrêt des travaux

La police des mines a pour objets, aux termes de l’art. L. 171-1 du code minier, « de contrôler et d'inspecter les activités de recherches et d'exploitation minières ainsi que de prévenir et de faire cesser les dommages et les nuisances qui leur sont imputables, d'assurer la bonne exploitation du gisement et de faire respecter les exigences et les intérêts mentionnés à l'article L. 161-1 (lequel comporte une énumération fort longue de contraintes à respecter) et les obligations mentionnées à l'article L. 161-2 et par les textes pris pour leur application. »

Les textes instituent une procédure d’arrêt des travaux applicable à une installation particulière lorsqu'elle cesse d'être utilisée pour l'exploitation, à l'ensemble des installations et des travaux concernés lors de la fin d'une tranche de travaux, et en tout état de cause à l'ensemble des installations et des travaux n'ayant pas fait l'objet de la procédure d'arrêt lors de la fin de l'exploitation (cf. art. L. 163-1 eod. loc.). Cette procédure consiste en une déclaration faite à l'autorité compétente au plus tard au terme de la validité du titre minier. Faute de déclaration, l'autorité administrative reste habilitée au-delà de ce terme pour prescrire les mesures nécessaires (en ce sens, v. l’art. L. 163-2 du code minier).

En l’espèce, l'exploitation d’une concession de lignite a été attribuée à M. A. D. par un décret du 20 mai 1931, puis transférée, à sa demande, à son fils, M. C. D., par un décret en date du 5 août 1958. M. B. D. est, en tant qu'héritier des biens de son père, n'ayant pas renoncé à cette succession, l'ayant droit de M. C. D., son père et dernier exploitant du site, au sens et pour l’application de la législation minière.

C’est pourquoi, en premier lieu, la cour administrative d’appel a pu juger sans erreur de droit que M. B. D. pouvait être soumis à la procédure d'arrêt des travaux miniers prévue aux articles L. 163-1 et suivants du code minier, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'aucun décret de mutation du titre minier ne serait intervenu à son bénéfice. 

En deuxième lieu, la cour n’a donc pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant qu'il incombe à l'exploitant d'une concession minière ou, si celui-ci a disparu, à son ayant droit, de faire cesser les dommages causés à l'environnement par les activités minières après leur arrêt et de prévenir les dommages que pourrait ultérieurement causer la concession minière mise à l'arrêt, et qu'il n'est mis fin à l'exercice de la police de l'exploitation des mines que lorsque le préfet donne acte à l'exploitant ou à son ayant droit que les mesures qu'il a envisagées dans son dossier de déclaration d'arrêt des travaux ou qui ont été prescrites par l'autorité administrative ont été exécutées, sauf cas de survenance ultérieure de risques importants pour la sécurité des biens et des personnes.

Enfin c'est sans erreur de droit que la cour a écarté l’application des dispositions du 3° de l'article L. 132-13 du code minier à l'encontre de la décision attaquée car ces dispositions ne sont applicables que lorsqu'il n'existe plus d'exploitant en fin de concession. Or, en l’espèce, la concession n'avait pas pris fin et le requérant était soumis à une obligation de remise en état du site en sa qualité d'ayant droit de l'exploitant.

2 – Sur le refus par la cour de la transmission de la QPC

Le requérant avait soulevé une QPC à l’encontre de l’art. L. 163-10 du code minier en ce qu’il dispose que « l'absence de titre minier ne fait pas obstacle à l'application de l'intégralité des dispositions des articles L. 163-1 à L. 163-9 » dont il contestait le refus de transmission opposé par la cour. Ce moyen est rejeté car le juge cassation, comme celui d’appel, estime ce texte inapplicable au présent litige et donc irrecevable puisqu’il concerne uniquement l’hypothèse d’absence de titre minier ce qui n’était pas le cas dans la présente affaire où le requérant disposait toujours du titre minier et où il n’y a jamais eu de procédure d’arrêt des travaux à propos de cette mine.

(25 janvier 2023, M. B. D., n° 454221)

 

108 - Police du bruit – Nuisances sonores des aérodromes – Restrictions aux mouvements d’aéronefs – Dérogations possibles – Irrégularités de procédure alléguées – Principe de non-régression – Rejet.

Un arrêté ministériel du 8 mars 2022 a prévu la possibilité de dérogations aux dispositions de l’arrêté du même ministre, du 25 avril 2022, instaurant des restrictions d'exploitation de l'aérodrome de Beauvais-Tillé en interdisant notamment à tout aéronef d'atterrir ou de décoller entre 0 heure et 5 heures.

Le recours est rejeté en ses trois chefs principaux de grief.

Il ne saurait être soutenu, au regard des dispositions de l’art. L. 571-13 du code de l’environnement, que la consultation de la commission consultative de l'environnement de l'aérodrome de Beauvais-Tillé, qui a eu lieu le 1er octobre 2021, serait irrégulière faute pour son comité permanent d'avoir préalablement instruit les questions sur lesquelles la commission devait se prononcer. 

Il résulte des dispositions du e) de l'art. 2 de la directive 2002/30/CE du 26 mars 2002 relative à l'établissement de règles et procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de la Communauté et de celles des art. R. 227-8 et R. 227-9 du code de l’aviation civile que l'évaluation des caractéristiques et informations portant sur un aérodrome et leur mise à disposition ne sont requises que préalablement à l'édiction d'un arrêté du ministre chargé de l'aviation civile imposant des restrictions d'exploitation à un aérodrome c'est-à-dire visant à limiter ou à réduire l'accès d'aéronefs à cet aérodrome. Or l'arrêté litigieux a au contraire pour objet d'autoriser un plus grand nombre d'atterrissages sur l'aérodrome de Beauvais-Tillé, d’où il suit que le moyen susénoncé ne saurait être retenu.

Enfin, ne saurait être invoquée l’atteinte, par l’arrêté querellé, portée au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. env.) en raison des nombreuses conditions restrictives qu’il pose à l’octroi de dérogations en ne permettant à des aéronefs d'atterrir sur cet aérodrome entre 0 et 1 heure, que dans la limite de 25 dérogations par an et sous certaines conditions. D'une part, ces dérogations se limitent aux cas des aéronefs qui devaient atterrir entre 21 heures et 23 heures et doivent repartir le lendemain, qui subissent un retard pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur, effectuent des vols réguliers de transport de passagers et répondent à des normes acoustiques précises, et, d'autre part, ces dérogations doivent être justifiées au regard des conséquences environnementales ou d'ordre public qu'emporterait une impossibilité d'atterrissage entre 0 et 1 heure.

(25 janvier 2023, Association de défense de l'environnement des riverains de l'aéroport de Beauvais-Tillé, association regroupement des organismes de sauvegarde de l'Oise et association contre les nuisances de l'aéroport de Tillé, n° 463812)

 

Professions réglementées

 

109 - Société vétérinaire – Radiation du tableau de l’ordre – Méconnaissance de la condition de détention du capital – Recours administratif tardif – Invocation de l’absence de régularité de la signature apposée sur le récépissé du pli recommandé – Rejet.

La décision du conseil national de l’ordre des vétérinaires prononçant la radiation de la société requérante de l’ordre des vétérinaires pour méconnaissance de la condition de détention du capital posée par les dispositions du II, 1° de l'art. L. 241-17 du code rural ne permet pas d’émettre un doute sérieux sur sa légalité en l’état d’un recours administratif formé le 7 novembre 2022 contre une décision reçue par l’intéressée le 13 juillet 2022.

(ord. réf. 13 janvier 2023, Société Ultravet, n° 469835)

(110) V. aussi, à propos d’une radiation fondée sur le même motif et contestée par un recours administratif tardif car formé le 18 juillet 2022 contre une notification de radiation reçue le 31 janvier 2022 : ord. réf. 13 janvier 2023, Société Clinique vétérinaire des Bruyères, n° 469843.

(111) V. également, suspendant l'exécution de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins du 18 octobre 2022 qui a suspendu la requérante, médecin pneumologue, du droit d'exercer la médecine pendant une durée d'un an et subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une expertise médicale ; le juge estime établies :       

- d’une part, la condition de doute sérieux quant à la légalité de la décision du conseil de l’ordre car il n’est pas démontré que le suivi médical dont faisait l'objet Mme B. à la date de la décision attaquée serait en lui-même incompatible avec l'exercice de la médecine, ni que le traitement qu'elle prenait à cette date aurait été susceptible d'altérer les conditions dans lesquelles l'intéressée exerçait ses fonctions à cette même date, d’autant que celle-ci n'a, à cet égard, fait l'objet d'aucune plainte d'un patient ni d'aucun reproche de la part de son employeur tout au long de la période, d'environ quatre mois, pendant laquelle elle a exercé ses fonctions de médecin pneumologue tout en étant soumise à un traitement, y compris celui dont elle a fait état devant le Conseil national de l'ordre des médecins. Enfin, l'instruction ne fait pas ressortir de risque d'inobservance du traitement prescrit à la requérante, qui est par ailleurs consciente des troubles dont elle souffre. 

- d’autre part, la condition d’urgence en raison de la forte réduction de ses revenus au regard de ses besoins et de ceux de son fils malade aux besoins duquel elle subvient : ord. réf. 13 janvier 2023, Mme B., n° 469932.

 

112 - Expert-comptable – Revendication d’une créance contre un client – Éléments de preuve de sa qualité de créancier tirés de correspondances électroniques avec ce client – Violation du secret professionnel – Absence – Annulation de la sanction infligée.

La chambre de discipline auprès du conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables a sanctionné le requérant pour faute professionnelle résultant de ce que dans le cadre d’une action formée devant le juge judiciaire en qualité de créancier de l’un de ses clients il a communiqué des copies d’échanges électroniques avec celui-ci afin d’établir la réalité de sa qualité de créancier des honoraires lui étant dus ainsi que les accords conclus en vue de déterminer le montant de sa rémunération.

Le Conseil d’État annule la sanction car la chambre de discipline, avant de la prononcer, n’a pas recherché si le secret professionnel n'avait été levé que dans la mesure strictement nécessaire à la défense des droits de l'intéressé.

(25 janvier 2023, M. D., n° 440070)

 

113 - Infirmier – Régime des poursuites disciplinaires – Infirmier non inscrit au tableau de l’ordre – Incompétence de la juridiction de l’ordre – Erreur de droit - Annulation.

En principe, les poursuites disciplinaires engagées contre le membre d’une profession organisée en ordre sont présentées devant et jugées par les juridictions de cet ordre. En l’espèce, un infirmier était poursuivi devant l’instance disciplinaire de l’ordre des infirmiers alors qu’il n’était pas inscrit au tableau de cet ordre. Le conseil national de l’ordre des infirmiers a estimé devoir se déclarer incompétent.

Sur pourvoi de la caisse d’assurance maladie, le Conseil d’État casse cette décision au terme d’un raisonnement un peu embarrassé alors qu’il est somme toute logique en dépit de son caractère d’expédient.

Le Conseil raisonne par analogie. D’abord, à l’époque où l’ordre des infirmiers n’existait pas et où donc les infirmiers n’étaient inscrits sur aucun tableau, ces poursuites se déroulaient devant les organes juridictionnels de l’ordre des médecins. Ensuite, ils ont continué à relever de ces juridictions après la création de l’ordre et ce jusqu’au 1er janvier 2015 dans tous les cas où en méconnaissance de leur obligation d’inscription sur le tableau de l’ordre ils ont omis de s’y faire inscrire.

Par conséquent le juge en tire cette conséquence que les infirmiers sont depuis le 1er janvier 2015 susceptibles d'être poursuivis devant les sections des assurances sociales de l'ordre des infirmiers pour l'ensemble des actes qu'ils ont réalisés, qu'ils soient ou non inscrits au tableau de cet ordre.

Par suite, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des infirmiers a commis une erreur de droit en se déclarant incompétente pour connaître des faits commis antérieurement à son inscription au tableau de l'ordre des infirmiers par un infirmier pour des actes facturés du 15 janvier au 15 septembre 2013.

(27 janvier 2023, CPAM du Rhône, n° 453882)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

114 - Démarchage téléphonique en matière de travaux de rénovation énergétiques – Interdiction législative – Absence d’atteinte à une liberté ou un droit garanti par la Constitution – Non-transmission de la QPC.

A l’appui de sa demande d’annulation de la décision lui infligeant une amende administrative pour manquement aux dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation, la société requérante a soulevé une QPC.

Cette question était fondée sur l’atteinte portée par cette disposition au principe d’égalité en tant qu’elle ne prohibe le démarchage téléphonique que de la part de sociétés réalisant des travaux de rénovation énergétique.

Pour refuser la transmission de cette QPC le Conseil d’État retient les motifs du législateur pour prendre cette mesure tels qu’ils ressortent des débats et travaux parlementaires (protection de la vie privée, protection des consommateurs contre le démarchage abusif et conciliation du bon usage des deniers publics avec l'objectif d'intérêt général de réduction de la consommation énergétique des bâtiments résidentiels) et en déduit, d’une part, que l’interdiction ne concerne qu'une des formes possibles de sollicitation commerciale et de publicité et qu’elle n'est pas absolue, d’autre part, qu’elle traite de la même manière tous les professionnels dont l'activité a pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables et qu’elle n’avait pas, en revanche, à traiter pareillement les entreprises d’autres secteurs d’activités qui ne sont pas placés dans la même situation.

La solution est assez peu convaincante car ce qui est recherché c’est l’interdiction des agressions que constituent les démarchages, peu importants qu’ils concernent la rénovation énergétique, les fers à repasser ou les maillots de bain.

(05 janvier 2023, Société NRGIE Conseil, n° 468506)

 

115 - Enfant souffrant de graves séquelles neurologiques et d’un polyhandicap irréversible – Décision de limitation des soins – QPC portant sur la conformité de dispositions du code de la santé publique au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis s’agissant d’une mineure – Refus de transmission de la QPC mais suspension provisoire ordonnée en vue d’une nouvelle expertise.

Suite à une noyade dans une piscine ayant duré un certain temps, une enfant se trouve dans un état désespéré et les médecins, au vu de cette situation irréversible ont pris une décision de limitation des soins. Celle-ci a été contestée par ses parents mais le juge des référés, après avoir pris connaissance de l’expertise qu’il avait ordonnée, a rejeté le référé liberté introduit.

Les intéressés ont saisi par voie d’appel le Conseil d’État qui devait trancher deux questions.

En premier lieu, a été soulevée devant lui une QPC fondée sur ce que les dispositions du premier alinéa de l'art. L. 1110-5-1, du quatrième alinéa de l'art. L. 1110-5-2 et du sixième alinéa de l'art. L. 1111-4 du code de la santé publique, telles qu'elles ont été interprétées par le Conseil d'État comme couvrant autant la situation de personnes majeures que mineures, méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté personnelle ainsi que l'article 34 de la Constitution, faute de précision sur l'inclusion des mineurs et de garanties suffisantes dans cette hypothèse particulière, alors que l'accord des parents devrait être obligatoire pour toute décision d'arrêt des traitements prodigués à des enfants. 

Ce moyen est rejeté car, selon le juge, « dès lors qu'aucune règle ou principe constitutionnel ne s'oppose à ce que le législateur ait prévu un régime qui s'applique tant aux personnes majeures que mineures et que la procédure qu'il a mise en place présente des garanties suffisantes, la circonstance que les dispositions contestées donnent au corps médical (…) la responsabilité de décider de l'arrêt des traitements prodigués à un mineur, en s'efforçant tout particulièrement de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, sans cependant être tenu d'obtenir leur accord, ne méconnaît en tout état de cause pas les droits ou libertés garantis par la Constitution que les requérants invoquent. »

La réponse est un peu courte s’agissant de se prononcer sur la hiérarchie devant exister entre les normes applicables en matière de droits fondamentaux, entre les textes relatifs aux pouvoirs du corps médical dans certaines situations critiques pour les patients et les normes relatives au statut des parents à l’égard de leurs enfants. D’ailleurs, cette décision, dont la rédaction trahit un certain embarras, comporte une relative contradiction en ce qu’in fine elle retient une attitude plus compassionnelle que médicale ou scientifique.

En second lieu, il s’agissait pour le juge de se prononcer sur le fond du dossier : arrêts des soins ou pas ? Le juge consacre un long développement pour montrer que la décision médicale n’est guère critiquable compte tenu des éléments certains concernant l’état de l’enfant et semble laisser entendre que c’est la solution raisonnable. Toutefois, par une sorte de Deus ex machina, le juge estime qu’un semblant d’amélioration dont en réalité il dit lui-même qu’il n’y a rien à en espérer, « ainsi que de la position de ses parents qui estiment qu'une décision d'arrêt de soins serait trop précoce, à laquelle comme il a été dit une attention particulière doit être portée,… » le conduisent à décider l’octroi d’un délai d’observation de de deux mois à l’issue duquel une nouvelle expertise sera ordonnée suivie d’une décision normalement définitive.

Il faut comprendre l’extrême complexité d’une décision juridictionnelle rendue dans ces conditions : il faut à la fois appliquer les textes dont on ne saurait dire qu’ils sont déraisonnables et - car les juges sont aussi des êtres humains - donner aux familles une réponse revêtant une certaine forme compassionnelle. Cependant, le risque est celui d’un glissement de la motivation des décisions qui, d’une réponse en droit, tourne à une rédaction choisie pour rendre acceptables ces décisions ; l’exercice peut tourner davantage à l’effort de communication qu’à un acte proprement juridique.

(ord. réf. form. coll. 12 janvier 2023, M. A. et Mme K., n° 469669)

 

116 - Droits à congé payé – Régime spécifique des salariés en activité discontinue chez une pluralité d’employeurs – Refus de transmission d’une QPC.

Les requérantes, employeuses de salariés exerçant une activité discontinue chez plusieurs employeurs, soulèvent une QPC contre l’art. L. 3141-32 du code du travail en ce qu’il prévoit en ce cas des modalités particulières pour la détermination des congés payés de ces salariés, notamment par la création de caisses de congé payé.

Au plan de la procédure, il faut relever l’admission en l’espèce de la recevabilité de l’intervention en défense de caisses de congé payé aux côtés du ministre du travail défendeur à l’instance en QPC. Comme cette instance n’est qu’annexe à l’action principale (voir aussi la solution la notule n° 117 ci-après sur ce point), une telle intervention n’est possible que de la part de ceux qui étaient déjà intervenants dans l’instance principale.

Cette règle est une excellente illustration du principe d’immutabilité du litige principal à travers les instances qui en dérivent afin de ne pas étendre à l’infini le champ du litige à juger et d’éviter au juge le risque de devoir juger via l’intervention nouvelle un litige lui-même largement nouveau.

Sur le fond, le juge refuse la transmission de la QPC, aucun des moyens soulevés ne l’ayant convaincu de le faire.

La prétendue existence d’un « débat de société » sur ce régime de congé payé ne saurait donner ouverture à QPC pas plus que ne peut être invoqué un droit spécifique aux congés payés des salariés ou un principe fondamental reconnu par les lois de la République, distinct du droit constitutionnel au repos.

L’atteinte à la liberté d’entreprendre ou au principe d’égalité devant les charges publiques que réalise cette disposition n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur de tenir compte des conditions très particulières d’exécution de leurs tâches par les salariés concernés.

(20 janvier 2023, Association Collectif contre les caisses de congé du BTP, société DVM Renov et société Philippe et fils, n° 467970)

 

117 - Droit au logement opposable – Intervention à l’instance en QPC – Introduction ou maintien dans le domicile d’autrui par menace ou contrainte – Absence de recours au juge – Atteinte au droit au recours – Transmission d’une QPC.

Cette décision est d’abord intéressante en ce qu’elle confirme la précédente s’agissant de l’admission d’interventions dans l’instance en QPC.

Deux associations, la fédération Droit au logement et la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, ont formé une intervention en demande aux côtés de la requérante dans le cadre de l’action en QPC que cette dernière a formée, leur constitution est refusée en ces termes : « Eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d'une question prioritaire de constitutionnalité, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable à l'appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil d'État de renvoyer une telle question au Conseil constitutionnel qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale », or, en l’espèce, ces associations ne sont pas intervenues au soutien de la demande de Mme C. tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 22 mars 2022 par lequel le préfet de police l'a mise en demeure de quitter le logement qu'elle occupait. 

En l’absence d’intervention à l’instance principale est donc impossible l’intervention à l’instance dérivée ou annexe.

Ensuite, sur le fond, il est jugé que présente un caractère sérieux la question de savoir si l'art. 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable porte atteinte au droit constitutionnel au recours en ce qu’il fait exception à l’art. L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution selon lequel « Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux. ». En effet, il institue une procédure administrative permettant d’expulser à très bref délai les occupants irréguliers d’un domicile lorsque cette irrégularité est constatée. Et cela sans aucune procédure juridictionnelle.

La question est donc transmise.

(20 janvier 2023, Mme C., n° 458389)

 

118 - Fonds départemental de compensation du handicap en vue de l’aide financière à apporter au reste à charge pour les bénéficiaires – Plafonnement du reste à charge des frais de compensation – Limitation des aides à compensation en fonction des financements des fonds départementaux – Atteintes aux principes d’égalité et de fraternité – Transmission d’une QPC.

Les requérantes contestaient la constitutionnalité des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'art. L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, en ce que, tout en fixant le principe selon lequel les frais de compensation restant à la charge des personnes handicapées ne peuvent excéder 10 % de leurs ressources personnelles nettes d'impôts, elles assortissent le versement des aides destinées à permettre cette compensation d'une limite tenant aux financements des fonds départementaux de compensation du handicap et ne prévoient pas d'obligation, pour les contributeurs qu'elles mentionnent, de participer au financement de ces fonds, méconnaissant ainsi le principe d'égalité, le principe de fraternité et un principe à valeur constitutionnelle nouveau dit « d'accessibilité universelle et de solidarité de la société à l'égard des personnes handicapées », qui serait issu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Le juge y voit une question nouvelle et présentant un caractère sérieux, justifiant son renvoi au juge constitutionnel, laissant à ce dernier le soin de se prononcer, outre les principes d’égalité et de fraternité, sur l’existence du nouveau principe à valeur constitutionnelle suggéré par les demanderesses en QPC.

(20 janvier 2023, Association Handi-Social et Mme B., n° 468567)

 

119 - Modification de dispositions du code forestier par voie d’ordonnance de l’art. 38 de la Constitution – Ordonnance non ratifiée – Questions prioritaires de constitutionnalité, l’une transmise, l’autre non.

Le syndicat requérant a déposé deux QPC à l’appui de sa demande d’annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, la première était dirigée contre 1° du I de l'article 79 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, la seconde contre divers articles du code forestier, du code de l’environnement et du code de la santé publique dans la rédaction qui leur a été donnée par l’ordonnance précitée.

La demande de transmission de la première QPC est rejetée car le juge constitutionnel ne peut être saisi par voie de QPC que de griefs tirés de ce que les dispositions d'une loi d'habilitation portent atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit. Or en l’espèce la loi d’habilitation ne porte par elle-même aucune atteinte directe à un droit ou liberté que la Constitution garantit dans la mesure où elle se borne à permettre au gouvernement de modifier les dispositions du code forestier relatives à l'Office national des forêts afin d'élargir les possibilités de recrutement d'agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l'exercice de l'ensemble des missions confiées à l'office, y compris la constatation de certaines infractions et à l'exclusion de leur recherche, par certains d'entre eux commissionnés et assermentés à cet effet.

En revanche, le Conseil d’État décide de transmettre la seconde QPC dont il était saisi car celle-ci soulève une question nouvelle présentant un caractère sérieux en ce que les dix dispositions législatives retenues portent notamment atteinte à l'art. 66 de la Constitution au regard de l'étendue des pouvoirs de police judiciaire conférés aux agents de droit privé de l'Office national des forêts et des modalités de leur contrôle par l'autorité judiciaire.

(27 janvier 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, n° 466225)

 

Responsabilité

 

120 - Infection nosocomiale – Condition de la réparation du préjudice – Détermination de la perte de chance non du préjudice corporel subi – Cas de survenance d’une seconde infection nosocomiale – Rejet.

Le requérant, victime d’une fracture du tibia, a subi, du fait de complications infectieuses, une nouvelle hospitalisation au cours de laquelle il a contracté une infection de caractère nosocomial puis, par suite d’une seconde fracture du tibia, il a été à nouveau hospitalisé et a contracté au cours de cette hospitalisation une seconde infection de caractère nosocomial.

Le juge administratif, saisi par la victime, a d’abord réparé le préjudice corporel mais, sur appels du centre hospitalier et de M. B., la cour administrative d’appel a estimé que la seconde infection, qui était bien de caractère nosocomial, avait seulement été à l'origine d'une perte de chance de ne pas subir une deuxième fracture du tibia et que c’était donc à tort que les premiers juges avaient indemnisé la victime de son préjudice corporel et non la part du rôle joué par l’infection dans la perte de chance de subir cette seconde fracture.

Le requérant se pourvoit contre cet arrêt et son recours en cassation est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle ici sa jurisprudence selon laquelle « dans le cas où une infection nosocomiale a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette infection et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. Il en va de même lorsque, à la suite d'une première infection nosocomiale, un patient fait l'objet d'une nouvelle prise en charge au cours ou au décours de laquelle apparaît une seconde infection nosocomiale, et que ce patient demande la réparation d'un nouveau dommage auquel cette seconde infection nosocomiale a compromis ses chances d'échapper. Toutefois, lorsqu'il est certain que le nouveau dommage ne serait pas survenu en l'absence de la première infection nosocomiale, le préjudice qui doit être réparé est le dommage corporel et non la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage ». En l’espèce, c’est sans erreur de droit que pour juger que la seconde infection nosocomiale contractée par M. B. lui avait seulement fait perdre une chance d'éviter la survenue d'une seconde fracture du tibia, la cour a retenu que le site du second foyer de fracture avait été fragilisé par la première intervention, et que la nouvelle infection contractée à cette occasion était probablement limitée dans son étendue. De ces constatations souveraines non entachées de dénaturation il se déduit donc qu'il n'était pas certain que le dommage corporel constaté après la seconde infection ne serait pas survenu en l'absence de ces deux interventions. C’est pourquoi c’est bien la perte de chance qui doit servir de fondement à l’indemnisation non le préjudice corporel subi.

(13 janvier 2023, M. B., n° 453963)

 

121 - Co-auteurs de fautes ayant causé un dommage – Auteur public et auteur privé – Possibilité pour la victime de demander la condamnation pour le tout de la personne publique – Réponse en ce sens.

Le Conseil d’État était saisi, selon la procédure d’avis de droit de l’art. L. 113-1 du CJA, des deux questions suivantes :

« 1°) En cas de cumul de fautes, commises l'une par une personne publique, l'autre par une personne privée dont l'appréciation de la responsabilité relève du juge judiciaire, et qui portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, le juge administratif saisi par la victime de conclusions se fondant sur un partage de responsabilité entre co-auteurs, peut-il déterminer la part de responsabilité devant incomber à la personne publique attraite devant lui à l'issue d'un tel partage ou doit-il écarter le partage de responsabilité demandé par la victime et condamner la personne publique, dans la limite de la somme demandée, à réparer intégralement le dommage, à charge pour elle, le cas échéant, d'exercer une action récursoire ?

2°) Dans cette seconde hypothèse, doit-il soulever d'office un moyen en ce sens ? »

La réponse du Conseil d’État, très logique et parfaitement opportune, ne correspond cependant pas tout à fait à la totalité de la question posée car elle n’envisage que la seule hypothèse où la victime demande au juge administratif « la condamnation de l'une de ces personnes à réparer l'intégralité de son préjudice ». En ce cas, il est clair que ce juge a l’obligation de condamner la personne publique à réparer pour le tout, à charge pour elle, le cas échéant, de se retourner contre le co-auteur privé par la voie d’une action récursoire. C’est encore à bon droit que le juge rappelle qu’en ce cas il n’y a pas lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques entre ceux-ci, mais non le caractère et l'étendue de leurs obligations à l'égard de la victime du dommage. 

Mais la question posée n’était pas celle-là puisqu’elle portait sur l’hypothèse où la victime ne saisit le juge administratif que d’une action en responsabilité dirigée contre la seule personne publique et pour sa part propre de responsabilité, laissant à l’autre co-auteur la charge de sa propre part de responsabilité. Pourtant il nous semble que, même ainsi formulée, la question doit recevoir la même réponse que celle indiquée plus haut.

A notre sens, il conviendrait que chacun des deux ordres décide que la victime choisit librement celui des deux qu’elle entend saisir et que ce dernier soit toujours compétent pour statuer sur l’entière indemnisation du préjudice subi ainsi que, le cas échéant, sur l’action récursoire de l’un des co-auteurs contre l’autre.

De toutes façons, cette dernière action est toujours soumise à un régime contentieux bancal, l’ordre de juridiction choisi devant toujours in fine statuer soit s’il est administratif, sur la part de responsabilité du co-auteur privé, soit s’il est judiciaire, sur la part de responsabilité du co-auteur public.

(Avis, 20 janvier 2023, Groupe hospitalier du sud de l’Oise, n° 468190)

 

122 - Responsabilité hospitalière – Régime de mise en cause des caisses de sécurité sociale – Mise en cause d’ordre public – Présentation pour la première fois en appel de chefs de débours – Irrecevabilité sauf conclusions portant sur des prestations nouvelles – Annulation partielle.

Dans cette importante décision le juge précise assez complètement les conséquences à tirer des dispositions du huitième alinéa de l'art. L. 376-1 du code de la sécurité sociale, relatif au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable d'un accident ayant entraîné un dommage corporel. Il étend ainsi une jurisprudence récente (6 mai 2021, CPAM de Paris, n° 421744, aux Tables du Recueil Lebon).

Ce texte impose au tribunal administratif, saisi par la victime d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident, d’appeler en cause la caisse à laquelle la victime est affiliée. Cette exigence s’impose également en appel à la cour administrative d'appel, saisie dans le délai légal d'un appel de la victime. A défaut du respect de cette obligation, le jugement ou l’arrêt est irrégulier et il incombe à la cour ou au juge de cassation de relever d’office cette irrégularité résultant de l’omission de mise en cause.

En appel, lorsque le jugement a mis en cause la caisse cette dernière ne peut régulièrement présenter d'autres conclusions que celles de sa demande de première instance, sauf s’agissant de prestations servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement ou portant sur des prestations dont elle était dans l'impossibilité de justifier le montant avant cette date.

En revanche, lorsque les premiers juges ont omis de mettre en cause la caisse, celle-ci peut obtenir, le cas échéant d'office, l'annulation du jugement en tant qu'il statue sur les préjudices au titre desquels elle a exposé des débours et présenter ainsi, pour la première fois devant le juge d'appel, des conclusions tendant au paiement de l'ensemble de ces sommes.

En l’espèce, la caisse requérante avait présenté au tribunal administratif dans une instance avant dire droit des conclusions subrogatoires en vue du remboursement de ses débours mais par la suite, après ce jugement, la caisse n’a pas pris de conclusions tendant au remboursement des prestations servies à l'intéressée à compter de cette date mais a seulement demandé que ses droits relatifs à ces dépenses futures soient « réservés ». 

La caisse a présenté pour la première fois en cause d’appel des conclusions tendant au remboursement des frais exposés par elle entre le 10 octobre 2017 et le jugement du 7 février 2019 réglant le litige de première instance. La cour administrative d’appel a alors considéré que la CPAM de Côte d'Or ne justifiait pas avoir été dans l'impossibilité d'indiquer le montant de ses débours au cours de l'instruction devant le tribunal administratif et qu’ainsi elle ne pouvait régulièrement présenter pour la première fois devant le juge d'appel des conclusions chiffrées.

Sur pourvoi de la caisse, le Conseil d’État approuve la cour qui, ce jugeant, n’a pas commis d’erreur de droit. En revanche, elle a commis une erreur de droit en jugeant également irrecevables celles des conclusions de la caisse tendant au remboursement des prestations nouvelles servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement du tribunal administratif ou des dépenses futures qu'elle serait de façon certaine amenée à engager pour celle-ci. La cassation porte sur ce seul point.

(27 janvier 2023, CPAM de Côte d’Or, n° 453427)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

123 - Organisation hospitalière – Suspension de l’autorisation donnée à un centre hospitalier pour l’exercice de la gynécologie-obstétrique – Mise en demeure de remédier aux manquements constatés – Absence d’atteinte aux libertés invoquées – Rejet.

Le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté a suspendu l'autorisation d'exercer l'activité de gynécologie-obstétrique délivrée au centre hospitalier d'Autun et l’a mis en demeure  de lui faire connaître, dans le mois, les mesures prises pour obvier aux manquements constatés.

Les requérantes, agissant en référé liberté, poursuivent l’annulation de l’ordonnance rejetant leur demande de suspendre cette décision.

L’appel est rejeté.

Le juge des référés relève que la maternité du centre hospitalier d'Autun a été contrainte d'interrompre l'accueil de nouvelles parturientes du 14 au 22 novembre 2022 étant dans l’impossibilité d'assurer les astreintes médicales de nuit de gynécologie obstétrique et le centre hospitalier a informé l’ARS qu'en raison des absences de pédiatres, de gynécologues-obstétriciens ainsi que de sages-femmes sur la période du 17 décembre 2022 au 1er janvier 2023, la maternité ne serait plus en mesure d'assurer la continuité des soins à compter du 17 décembre 2022, faute de modalités de remplacement de ces personnels. En outre, les tableaux de service de la maternité faisaient également apparaître des ruptures dans la permanence des soins au cours du mois de janvier 2023.

Le directeur général de l'ARS, au vu des risques que ces difficultés répétées rencontrées par la maternité d'Autun pour garantir la continuité des soins faisaient courir pour la qualité et la sécurité de la prise en charge des patientes, a pris la double mesure litigieuse de suspension et de mise en demeure.

Il s’en déduit que la suspension de l'autorisation d'exercer l'activité de gynécologie-obstétrique n'a pas, dans les circonstances de l’espèce, porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par les requérantes en dépit des inconvénients sérieux en résultant selon les requérantes (éloignement des autres maternités, risques sur les accouchements, difficultés d’hébergement pré-accouchement, rôle joué par la maternité d’Autun dans la couverture régionale des besoins…).

Par ailleurs, il résulte de l’instruction menée encore au cours de l’audience du 26 janvier 2023 et ensuite qu’à ce jour la maternité n’est pas en état de statisfaire aux exigences de la mise en demeure sans que puisse être reproché à l’ARS une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et illégale aux libertés invoquées.

La requête est ainsi rejetée sans même qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’éventuelle existence d’une urgence à statuer.

(ord. réf. 30 janvier 2023, Association pour la promotion de la santé en Autunois et Morvan (ASPAM) et Mme A., n° 470415)

 

Service public

 

124 - Distribution d’électricité – Mesure de désactivation quotidienne – Délestages prétendus dommageables par un utilisateur – Absence d’urgence – Rejet.

Dans un souci d’économie d’énergie en raison du risque de pénurie, la ministre de la transition énergétique a, par arrêté, ordonné aux gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité de désactiver la fermeture des contacts pilotables intégrés aux dispositifs de comptage mis à la disposition des utilisateurs ayant souscrit, en métropole continentale, une offre de fourniture assurant une gestion quotidienne de ce contact.

Cette désactivation quotidienne, qui ne peut être supérieure à deux heures, intervient entre 11 heures et 15h30 et doit commencer avant 14 heures.

La requérante demande la suspension de l'exécution de cet arrêté en raison de ce que les risques de coupure d’électricité affecteraient sa situation personnelle, son activité de télétravail, et ses libertés fondamentales, si elle n'était plus en mesure de recharger sa voiture électrique ou si les services de communication s'en trouvaient perturbés.

La demande suspension est rejetée car la requérante ne justifie pas de l’urgence qu’il y aurait à ordonner cette suspension.

Il faut rappeler que le demandeur en référé suspension a l’obligation de justifier que la suspension qu’il sollicite est commandée par la réunion des deux conditions distinctes posées à l’art. L. 521-1 CJA.

(ord. réf. 16 janvier 2023, Mme B., n° 470320)

 

Travaux publics et expropriation

 

125 - Expropriation pour cause d’utilité publique – Arrêté de cessibilité – Possibilité de plusieurs arrêtés successifs même portant sur les parcelles d’un même propriétaire – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’appel confirmatif jugeant que les dispositions de l’art. L. 132-1 du code l’expropriation doivent être interprétées comme imposant de faire figurer dans un même arrêté de cessibilité l'ensemble des parcelles appartenant à un même propriétaire, dont l'expropriation est poursuivie et que l'extension du périmètre à exproprier à une parcelle qui n'était pas incluse dans l'enquête parcellaire initiale concernant d'autres parcelles appartenant au même propriétaire aurait justifié qu'il soit procédé à une nouvelle enquête parcellaire portant sur l'ensemble des parcelles de ce propriétaire et non à une enquête parcellaire et un arrêté de cessibilité portant uniquement sur la nouvelle parcelle.

Le Conseil d’État juge au contraire dans une formulation très nette et en termes de principe que « Ni (l’art. L. 132-1) ni aucune autre disposition législative ou règlementaire n'impose que l'ensemble des immeubles à exproprier pour la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique fasse l'objet d'un unique arrêté de cessibilité. Des arrêtés de cessibilité peuvent dès lors être pris successivement si l'expropriation de nouvelles parcelles se révèle nécessaire pour la réalisation de l'opération déclarée d'utilité publique. La circonstance que des parcelles faisant l'objet de ces arrêtés successifs appartiennent à un même propriétaire est à cet égard sans incidence. »

Il est permis de trouver quelque peu latitudinaire cette manière de traiter une liberté fondamentale comme le droit de propriété et la possibilité pour son propriétaire d’en suivre commodément l’exact déroulement.

Ajoutons que, sauf à prétendre pour la circonstance l’existence d’une procédure complexe qui n’en est pas une car ce n’est pas le cas de l’arrêté de cessibilité, cela conduit pour un même propriétaire à des dates différentes de points de départ des délais de recours contentieux qu’il pourrait former.

(25 janvier 2023, Établissement public d'aménagement de Paris-Saclay, n° 458930)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

126 - Permis de construire – Établissement destiné à recevoir du public – Obligation de mentionner la nécessité d’obtenir une autorisation à cet effet – Autorité compétente pour délivrer l’autorisation – Dispositions du plan local d’urbanisme (PLU) – Rejet.

Les requérants poursuivaient l’annulation du jugement ayant prononcé l’annulation d’un permis de démolir et d’un permis de construire délivrés par la ville de Paris.

Les pourvois, de la ville et du bénéficiaire du permis, sont rejetés.

En premier lieu, est approuvée l’annulation en tant qu’elle est fondée sur le non-respect des dispositions de l'art.  UG 11 du règlement du PLU de la Ville de Paris relatives à l'aspect extérieur des constructions, aux aménagements de leurs abords, à la protection des immeubles et des éléments de paysage, applicables à la zone UG qui comprend l'essentiel du territoire construit de la ville et, en particulier, de celles du point 1.3 de cet article qui énoncent que ces constructions doivent s'intégrer au tissu urbain existant, en prenant en compte les particularités des quartiers, celles des façades existantes et des couvertures. Dispositions que le juge estime non divisibles des autres dispositions de cet article qui précisent que peuvent être autorisées des constructions nouvelles permettant d'exprimer une création architecturale et qui n'imposent pas que soit refusée une autorisation de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants. Or sur ce point le jugement querellé estime que le projet litigieux ne satisfaisait pas aux exigences d'insertion dans le tissu urbain existant car si son environnement n'est pas caractérisé par une unité des registres architecturaux ou une régularité des volumes, les constructions imposantes en béton projetées, qui entraîneraient la densification massive d'une parcelle offrant jusqu'alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier, n'expriment aucune création architecturale, n'ont, malgré la végétalisation des toitures, pas de caractère innovant et ne s'intégrent pas de manière harmonieuse aux lieux avoisinants, constitués en majorité d'immeubles en pierre ou recouverts d'un parement de pierre dont la surface construite est inférieure à la moitié de celle du terrain. 

En second lieu, le jugement n’a pas, non plus, commis d’erreur de droit au regard des dispositions de l’art. UG 13.3 du règlement de ce PLU en considérant qu’en dépit de la marge d'appréciation laissée à la Ville de Paris par cette disposition, il n'était tenu ni de regarder tout projet de construction nouvelle comme exprimant, pour ce seul motif, une création architecturale, ni de regarder toute innovation comme caractérisant, par elle-même, un projet innovant.

En revanche, en vertu du principe que le juge de cassation ne saurait prononcer le rejet d’un pourvoi sans avoir, au préalable, censuré celui ou ceux des motifs retenus par les juges du fond qui seraient erronés, il est procédé à deux censures.

Tout d’abord, le tribunal ne pouvait pas, sans erreur de droit, imposer que, à la fois, le permis de construire mentionne expressément l’obligation pour pétitionnaire de demander une autorisation complémentaire au titre de l'art. L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation en ce qui concerne l'aménagement intérieur des établissements recevant du public avant leur ouverture et qu’il fasse obligation d’obtenir cette autorisation avant la délivrance dudit permis. En effet, le permis de construire litigieux ne tenant lieu, en l’espèce, ni d'autorisation d'aménagement ni d'autorisation de création au titre de la réglementation des établissements recevant du public, sa légalité n'était dès lors pas subordonnée à la délivrance d'une telle autorisation de création.

Ensuite, une seconde erreur de droit a été commise par le tribunal en jugeant que l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation prévue par l'art. L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation se trouvait « au sein de la Ville de Paris », alors que l'autorité compétente est, à Paris, le préfet de police (dispositions combinées de l’art. L. 2512-17 du CGCT, art. 72 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements et art. 2 du décret du 8 mars 1995 relatif à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité).

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; ville de Paris, n° 450474, jonction)

V. aussi le n° 24

 

127 - Permis de construire en vue de la création d’une activité de crèche associative – Imposition des locaux soit comme bureaux soit comme locaux commerciaux – Prestations rémunérées – Absence de caractère automatiquement commercial – Erreur de droit – Annulation.

(27 janvier 2023, Association France Horizon, n° 452256)

V. n° 43

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Décembre 2022 

Décembre 2022 

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Compétences transférées par l'État à des collectivités territoriales - Arrêtés interministériels constatant le montant des dépenses devant être compensées par l'État - Décisions non réglementaires - Compétence du tribunal administratif en premier ressort - Transmission à ce tribunal.

L'arrêté interministériel du 2 décembre 2020 fixant le montant des accroissements de charge résultant pour les départements des revalorisations exceptionnelles du revenu de solidarité active (RSA) ne constitue pas un acte réglementaire et la requête tendant à son annulation doit être renvoyée au tribunal administratif compétent pour la juger en premier ressort.

(6 décembre 2022, Département de la Haute-Saône, n° 453142)

 

2 - Dépôt des brevets auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) - Forme du dépôt fixé par une convention internationale d'effet direct - Dépôt sous forme papier - Exigence d'un dépôt sous forme électronique et sous un format ne permettant pas la conversion du fichier adressé - Illégalités - Annulation.

Le requérant demande l'annulation d'une décision du directeur général de l'INPI qui a fixé les modalités de dépôt des demandes de brevets et des procédures et échanges subséquents. Selon celle-ci : « le dépôt d'une demande de brevet français, de certificat d'utilité, (...) ainsi que les procédures et échanges subséquents, s'effectuent sous forme électronique sur le site Internet de l'INPI via l'interface dédiée et conformément au traité sur le droit des brevets » (...). 

Le traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets dispose, d'une part, au d du 1) de son article 8, qu' « Une Partie contractante accepte le dépôt des communications sur papier aux fins du respect d'un délai », d'autre part, au 1) de son article 6, que « Sauf disposition contraire du présent traité, aucune Partie contractante ne peut exiger qu'une demande remplisse, quant à sa forme ou à son contenu, des conditions différentes : i) des conditions relatives à la forme ou au contenu qui sont prévues en ce qui concerne les demandes internationales déposées en vertu du Traité de coopération en matière de brevets ».

Le Conseil d'État commence par juger, ce qui était indispensable à la solution du litige, que les stipulations de ce traité sont d'effets directs à l'égard des particuliers car « Eu égard à l'intention exprimée par les parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à leur contenu et à leurs termes, ces stipulations n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. »

Passant ensuite à l'examen du fond de la requête dont il était saisi le Conseil d'État décide en premier lieu que la décision querellée du directeur général de l'INPI est contraire aux stipulations conventionnelles précitées en tant qu'elle impose un dépôt des demandes de brevets exclusivement sous forme électronique, non sur format papier,  et, en second lieu, que cette décision est également inconventionnelle en ce qu'elle impose que les demandes de brevets d'invention internationaux soient déposées sous forme électronique par le téléservice Epoline alors que ce téléservice permet leur dépôt au format PDF, sans possibilité de conversion ultérieure au format Open XML, car il s'agit d'un format différent pour les demandes de brevet français contrairement à l'exigence conventionnelle que les conditions de forme requises soient identiques pour le dépôt des demandes de brevet international et pour les demandes de brevet français.

(9 décembre 2022, M. A., n° 458276)

 

3 - Conditionnement de fruits et légumes frais non transformés sous emballage comportant de la matière plastique - Délégation du législateur au pouvoir réglementaire aux fins de fixer le régime de ce conditionnement - Décret excédant le champ de la dévolution de compétence - Annulation.

(9 décembre 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 458440 ; Syndicats POLYVIA et ELIPSO, n° 459332 ; Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop) et autres, n° 459387; Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 459398, jonction)

V. n° 100

 

4 - Silence d'une autorité administrative valant acceptation - Cas d'une demande de certificats d'économies d'énergie hors opérations spécifiques - Retrait impossible après expiration d'un délai de deux mois - Invitation à produire des pièces complémentaires - Décision faisant grief - Annulation.

Des dispositions combinées de l'art. L. 211-7 du code de l'énergie et du I de l'art. 21 de la loi du 22 avril 2000 ainsi que de l'art. 2 du décret du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de cette loi, il résulte que le silence gardé par le ministre chargé de l'énergie sur une demande de certificats d'économies d'énergie autre que celles relatives à des opérations spécifiques fait naître une décision implicite d'acceptation à l'issue d'un délai de deux mois suivant la date de réception par le ministre du dossier de demande.

Il suit de là que le courrier par lequel le ministre invite l'auteur de la demande à produire des pièces complémentaires et lui notifie qu'à défaut de leur production dans le délai fixé par ce courrier sa demande sera réputée rejetée constitue une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 

Est donc entaché d'erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge être en ce cas en présence d'une mesure préparatoire ne pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir alors qu'il incombait à la cour de répondre au moyen tiré de ce que cette invitation à produire de nouvelles pièces sous menace d'un rejet de la demande aurait illégalement retiré la décision implicite d'acceptation des demandes en litige dont elle avait admis qu'elles étaient antérieurement nées et, par suite, d'en tirer les conséquences quant à la légalité de la décision rejetant expressément ces mêmes demandes. 

(12 décembre 2022, « Association Réduisons le CO² », n° 447144)

 

5 - Délibération d'un conseil municipal approuvant le principe et les itinéraires d'un service privé de transports - Absence de caractère décisoire - Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - Annulation.

La communauté de communes du Pays de Gex est irrecevable à contester par la voie d'un recours pour excès de pouvoir la délibération par laquelle le conseil municipal de la commune de Saint-Genis-Pouilly a validé le principe et les itinéraires des véhicules navettes proposées par une société privée permettant de desservir un centre commercial, ceci ne constituant qu'un service de transport privé.

Doit ainsi être annulé l'arrêt confirmatif annulant cette délibération par le motif, erroné en droit et reposant sur une inexacte qualification des faits, que les navettes ne répondaient pas aux conditions d'un service de transport privé car elles étaient organisées par une société pour la clientèle des commerces du centre commercial qu'elle exploitait.

(16 décembre 2022, Commune de Saint-Genis-Pouilly, n° 447350)

 

6 - Dotation des policiers municipaux d'armes à feu - Refus implicite du premier ministre de soumettre un projet de loi en ce sens au parlement - Acte de gouvernement – Irrecevabilité - Rejet.

Le syndicat requérant s'est vu opposer une décision implicite de rejet de la part du premier ministre à sa demande de doter tous les policiers municipaux d'armes à feu. Cette demande, contraire aux dispositions de l'art. L. 511-5 du code de la sécurité intérieure, suppose, pour être satisfaite, le dépôt par le premier ministre d'un projet de loi accordant une telle autorisation de port d'arme.

Il est de jurisprudence constante (v. par ex., dans la jurisprudence récente : 20 janvier 2014, X., n° 372883) que le refus de soumettre un projet de loi au parlement concerne les relations entre les pouvoirs publics constitutionnels dont ce refus n'est pas détachable et, par suite, étant un acte de gouvernement, est insusceptible de tout contrôle juridictionnel.

(28 décembre 2022, Union syndicale professionnelle des policiers municipaux, n° 460928)

 

7 - Prétendue décision – Absence de caractère décisoire - Documents de portée générale émanés des autorités publiques – Absence – Irrecevabilité manifeste du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

L’information donnée à un médecin de nationalité tunisienne par le secrétaire général adjoint du Conseil national de l'ordre des médecins sur les conditions de dépôt des demandes d'inscription au tableau de l'ordre des médecins et les explications données par celui-ci des conditions prévues par le code de la santé publique pour une inscription au tableau de l'ordre de médecins ne constituent pas une décision.

Par ailleurs, destinées au seul requérant, ces précisions ne constituent point, non plus, des documents de portée générale émanant d'autorités publiques.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces indications est manifestement irrecevable, d’où son rejet.

(23 décembre 2022, M. B., n° 453205)

 

8 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice (art. R. 811-15 CJA) – Jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative – Jugement susceptible de faire l’objet d’une demande de sursis à l’exécution - Rejet.

(29 décembre 2022, Commune de Loos, n° 463598)

V. n° 45

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

9 - Attribution de fréquences radio-électriques à La Réunion et à Mayotte - Enchères principales en bande 700Mhz - Évaluation des conditions de concurrence - Caractère objectif - Attribution non discriminatoire - Rejet.

Le Conseil d'État rejette la demande de la société requérante tendant à l'annulation, d'une part, des décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) du 14 décembre 2021, révélées par son communiqué de presse du 15 décembre 2021 relatif aux résultats des enchères principales en bande 700 MHz pour l'attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte, par lesquelles elle a attribué à la société Orange et à la société Telco OI un total de 10 Mhz de fréquences en bande 700 MHz, chacune, et a refusé d'attribuer à la requérante plus de 5 Mhz de fréquences, et d'autre part, de ce communiqué de presse.

Au terme de la procédure prévue au et réglementée par le I de l'art. L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, le ministre chargé des communications électroniques, sur proposition de l'ARCEP, a fixé, par arrêté du 30 juillet 2021, les modalités et les conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans les bandes 700 MHz et 3,4 - 3,8 GHz à La Réunion pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public.

Tout d'abord, il est jugé que les décisions d'attribution par l'ARCEP, à l'issue des enchères principales, d'un total de 10 MHz de fréquences en bande 700 MHz à la société Orange et à la société Telco OI et refusant d'attribuer à la requérante plus de 5 MHz de fréquences dans cette même bande, ne constituent que des mesures préparatoires. Ainsi est irrecevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre elles tout comme celui dirigé contre le communiqué de presse qui se borne à rendre publiques ces mesures.

Ensuite sont rejetés les deux moyens principaux de fond soulevés par la société Zeop Mobile.

Il ne saurait être soutenu que l'ARCEP, pour faire sa proposition au ministre, n'aurait pas effectué une évaluation prospective objective des conditions de concurrence sur le marché car il ressort des pièces du dossier qu'elle a organisé à cet effet plusieurs consultations publiques sur les besoins en fréquences des opérateurs, qu'elle a apprécié la dynamique concurrentielle et que la proposition adressée au ministre reposait effectivement sur des analyses objectives.

Semblablement, ne saurait être soulevée par la voie de l'exception, l'illégalité de l'arrêté du 30 juillet 2021. Cet arrêté a prévu, d'abord, qu'un maximum de quatre opérateurs pourraient obtenir des blocs de fréquences de 5 MHz avec un prix de réserve nul en contrepartie d'engagements et, ensuite, que ces opérateurs pourraient obtenir des fréquences additionnelles au terme d'une enchère combinatoire à un tour sous pli fermé au second prix dont les modalités, qui prévoient que le lauréat emporte l'enchère au prix proposé par le deuxième plus offrant, conduisent à une modération structurelle des prix des blocs. Enfin, afin de prévenir le risque de déséquilibres trop importants dans les quantités de fréquences attribuées aux opérateurs mobiles qui pourraient freiner l'exercice d'une concurrence effective et loyale, l'arrêté a fixé des plafonds de détention de fréquences par opérateur. En édictant ces modalités, le ministre s'est fondé sur l'analyse de la situation concurrentielle sur le marché de La Réunion et a pris en considération les différences de situations entre les candidats potentiels, tenant en particulier aux autorisations dont ils disposaient déjà, sans que le principe de non-discrimination ait, en l'espèce, rendu nécessaire la mise en place par l'autorité administrative d'une procédure d'attribution comportant un traitement spécifique favorable à la société requérante.

(8 décembre 2022, Société Zeop Mobile, n° 460749 et n° 465105)

 

10 - Décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) - Refus d'engager à la demande d'une association une procédure de mise en demeure à l'encontre d'une société française Eutelsat SA - Diffusion par cette dernière de chaînes russes - Existence d'une urgence et d'un doute sérieux - Annulation.

L'association requérante, reconnue d'utilité publique, s'est vue opposer un refus de la part de l'ARCOM à sa demande tendant à l'engagement d'une procédure de mise en demeure à l'encontre de la société française Eutelsat SA afin qu'elle cesse la diffusion des chaînes russes « Rossiya 1 », « Perviy Kanal » et « NTV ».

L'association requérante, qui a pour but la défense de la lberté de la presse, a saisi l'ARCOM d'une demande tendant à ce qu'elle mette en demeure la société anonyme Eutelsat, opérateur de réseaux satellitaires établi en France, de cesser la diffusion des services de télévision russes Rossiya 1, Perviy Kanal et NTV, distribués par les plateformes NTV+ et Trikolor, au motif qu'ils comportent des programmes portant atteinte à la dignité humaine, incitant à la haine et à la violence à l'encontre de certaines populations et minorités, légitimant l'intervention illégale de l'armée russe en Ukraine et ne garantissant pas le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion.

Le juge des référés retient d'abord l'existence d'une urgence en raison de la réalité, de l'actualité et de l'ampleur des conséquences dommageables susceptibles de résulter de la diffusion des programmes litigieux auprès des publics qui les reçoivent ; à cet égard, la circonstance que le conflit armé ait débuté en février 2022 est sans incidence sur l'appréciation de cette urgence.

Il admet ensuite qu'existe un doute sérieux sur la juridicité du refus opposé par l'ARCOM à la demande de l'association requérante notamment en raison de ce qu'elle n'a pas recherché si sa compétence pouvait être fondée sur les dispositions de l'article 43-6 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations de l'article 5 de la convention européenne du 5 mai 1989 sur la télévision transfrontière, en tenant compte, d'une part, de ce que l'Ukraine est, à la différence de la Russie où sont établis les radiodiffuseurs responsables de ces services et de la Biélorussie, partie à cette convention, d'autre part, des conditions dans lesquelles les services de télévision litigieux sont distribués et diffusés dans les territoires ukrainiens annexés par la Russie en 2014 et en 2022 et, enfin, de la circonstance que la capacité satellitaire utilisée pour cette diffusion relève de la compétence de la France, qui est également partie à la même convention.

(ord. réf. 9 décembre 2022, Association Reporters sans frontières, n° 468969)

 

11 - Mise en demeure par le CSA (devenu ARCOM) d’une société éditrice de programme radiodiffusé - Demande de sanctions à l’encontre de cette société suite à des faits nouveaux – Refus du directeur général de l'ARCOM de transmettre cette demande au rapporteur de l’ARCOM – Décision non susceptible de recours pour excès de pouvoir – Rejet.

L’article 1er du décret du 9 novembre 1994 interdit à tout éditeur de programme radiodiffusé de diffuser, dans une zone où il ne diffuse pas au moins trois heures de programme d'intérêt local entre 6 heures et 22 heures, des messages de publicité locale au sens de l'article 3 de ce décret. A plusieurs reprises le CSA, spontanément ou sur saisine du syndicat requérant, a mis en demeure la société Vortex, éditrice du programme de radio diffusé par voie hertzienne « Skyrock » de se conformer à cette exigence qu’elle ne respectait pas.

Par trois requêtes successives, jointes ici, le SIRTI a réitéré ses demandes sur le fondement, chaque fois, de faits nouveaux. Les requêtes sont rejetées par le Conseil d’État soit que les manquements fussent limités et non réitérés, soit parce qu’en réalité le refus de sanction allégué n’était pas établi.

Le point le plus intéressant de cette décision concerne un autre aspect, celui du refus du directeur général de l’ARCOM de transmettre au rapporteur les faits signalés dans une plainte du SIRTI et de son traitement contentieux. En effet, il est jugé qu’un tel refus ne saurait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dès lors qu’il résulte de textes combinés entre eux (art. 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 et art. 2 et 3 du décret du 19 décembre 2013 relatif à la procédure de sanction mise en œuvre par le CSA/ARCOM) que le rapporteur peut se saisir de tout fait susceptible de justifier l'engagement d'une procédure de sanction, dès lors qu'il en a connaissance, sans que cette faculté soit limitée aux faits qui lui sont signalés par le directeur général de l'ARCOM. Il en résulte que l’abstention de saisir le rapporteur ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(20 décembre 2022, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 448516, n° 448523 et n° 451547, jonction)

 

Biens et Culture

Droit de l'Union et occupations domaniales, publicité et mises en concurence

 

Par deux décisions du même jour, les 7ème et 2ème chambres du Conseil d'État se prononcent sur le champ d'application et la portée des exigences de publicité et de concurrence en matière de contrats d'occupation domaniale respectivement sur une dépendance du domaine privé et sur une dépendance du domaine public. Les solutions retenues sont assez diamétralement opposées et elles reposent précisément sur la nature publique ou privée de la dépendance en cause.

Par là, le juge attache un intérêt certain à une dichotomie traditionnelle entre les natures juridiques des propriétés publiques, lui faisant produire d'importants effets alors qu'une large partie de la doctrine est, pour le moins, dubitative sur la pertinence du maintien de cette distinction.

 

12 - Baux commerciaux sur le domaine privé des personnes publiques - Conclusion d'un bail emphytéotique en vue de l'exploitation d'un hôtel - Inapplication de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Absence d'obligation de publicité et de mise en concurrence - Rejet.

Les requérants, conseillers municipaux de Biarritz, ont demandé l'annulation de la délibération du conseil municipal de Biarritz autorisant le maire de la commune à signer avec la société Socomix un bail emphytéotique d'une durée de soixante-quinze ans portant sur les murs et dépendances de l'hôtel du Palais. Par quatre autres délibérations, le conseil municipal a également approuvé : 1) le traité d'apport du fonds de commerce de l'hôtel du Palais à la société Socomix, 2) l'entrée au capital de cette société de la société DF collection, 3) le pacte d'actionnaires devant être conclu entre la société Socomix, la société DF collection et sa société mère, la société JC Decaux, et 4) la modification des statuts de la société Socomix.

Les requérants se pourvoient en cassation de l'arrêt confirmatif du rejet de leurs prétentions.

Ils font valoir à titre principal que l'État n'a pas pris les mesures de transposition nécessaires de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006  relative aux services dans le marché intérieur, dont le délai de transposition s'achevait le 28 décembre 2009. En effet, si l'art. L. 2122-1-1 du CGCT a transposé cet article s'agissant des obligations de publicité et de mise en concurrence préalablement à la délivrance d'autorisations d'occupation du domaine public permettant l'exercice d'une activité économique, il ne l'a pas fait pour ce qui regarde les baux portant sur des biens appartenant au domaine privé des personnes publiques.

Tout d'abord le Conseil d'État rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les justiciables peuvent toujours se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

Ensuite, et c'est là l'apport central de la décision, le juge interprète strictement la directive en jugeant que ni les termes de celle-ci ni la jurisprudence célèbre en résultant (CJUE 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14 et Mario Melis, aff. C-67/15), qui prend d'ailleurs le contrepied de la jurisprudence de Section Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin (3 décembre 2010, req. n° 338272, n° 338527, au Recueil Lebon), n'imposent l'application de cette exigence de publicité et de mise en concurrence à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant au domaine privé de personnes publiques, qui ne constituent pas une autorisation pour l'accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l'article 4 de cette même directive.

Il en résulte que doit être rejeté le moyen tiré de ce que c'est à tort que l'État n'a pas pris les mesures de transposition nécessaires de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Est donc inopérante l'invocation du caractère irrégulier du bail litigieux en ce qu'il ne serait pas conforme au droit de l'Union.

Le recours contre l'arrêt d'appel, qui n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits à lui soumis, est ainsi rejeté.

Il conviendra de connaître la position de la Cour de Luxembourg sur une solution jurisprudentielle qui n'est fondée que sur la distinction entre deux catégories de biens publics ignorée du droit de l'Union et de la plupart des droits nationaux des États membres ; il semble même que la solution pourrait apparaître comme frontalement opposée. Il est vrai que l'on peine à comprendre en quoi, pourquoi et comment le caractère de dépendance du domaine privé pourrait avoir une quelconque incidence sur le régime européen des attributions d'occupations domaniales

(2 décembre 2022, Mme A. et M. D., n° 460100)

 

13 - Convention d'occupation du domaine public - Exploitation de courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg, propriété du Sénat - Absence de procédure de mise en concurrence - Contrat comportant occupation du domaine public - Activité de service - Biens faiblement substituables - Résiliation d'office du contrat - Annulation.

Le Sénat, affectataire du jardin du Luxembourg, dépendance de son domaine public, a conclu avec la Ligue de Paris de Tennis un contrat d'occupation de cette dépendance domaniale en vue de l'exploitation de six courts de tennis.

La requérante reprochait l'absence de mise en concurrence du contrat d'occupation et recherchait l'annulation de ce contrat mais, par un arrêt confirmatif, la cour administrative d'appel a estimé que le vice tiré de l'absence de procédure de mise en concurrence avant la signature de la convention en litige invoqué par la société requérante, à le supposer établi, ne constituait pas un vice d'une particulière gravité que le juge devrait relever d'office et, rejetant les prétentions de la requérante, elle en a, en conséquence, déduit qu'il ne faisait pas obstacle à la poursuite de son exécution.

L'arrêt est cassé pour erreur de droit puisque la cour, comme le relève le juge de cassation, était saisie du recours d'un tiers contestant la validité du contrat et non d'un recours tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat : dès lors elle devait rechercher si le vice invoqué devant elle ne justifiait pas le prononcé de  la résiliation du contrat.

Examinant le fond ce l'affaire, le juge de cassation écarte une exception d'incompétence soulevée par le Sénat selon lequel loi du 1er août 2003 n'a explicitement mentionné, comme contrats relevant de la compétence du juge administratif, que les marchés publics. Il découle des travaux parlementaires que l'intention du législateur a été de rendre compatibles les dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires avec les exigences de publicité et de mise en concurrence découlant notamment du droit de l'Union européenne. Le juge administratif peut ainsi connaître de recours en contestation de la validité de tout contrat susceptible d'être soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. 

Concernant la qualification du contrat en cause, le juge réitère sa décision du 10 juillet 2020 (Société Paris Tennis, n° 434582 ; Voir cette Chronique, juillet-août 2020, n° 74) selon laquelle aucune clause de la convention ne permet de caractériser l'existence d'une mission de service public que le Sénat aurait entendu déléguer à cet organisme et le Sénat ne s'est réservé aucun droit de contrôle sur la gestion même de l'activité sportive de la Ligue de Paris de tennis : il ne peut donc pas s'agir d'une concession de service public. La convention attaquée est ainsi un contrat d'occupation du domaine public.

Enfin, il convient encore de relever trois points essentiels :

- l'objet de cette convention, à savoir l'exploitation de courts de tennis, constitue bien une activité de service au sens de la directive précitée de 2006, non un service d'intérêt général non économique ;

- en attribuant le contrat, le Sénat a agi en tant qu'autorité compétente au sens donné à cette expression par la directive et par suite le titre d'occupation qu'il a délivré constitue un acte formel relatif à l'accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d'une démarche auprès d'une autorité compétente au sens et pour l'application de la directive ;

- ces courts de tennis, situés en plein centre de la ville de Paris, constituent une ressource limitée en raison de la faible disponibilité d'équipements comparables en ces lieux et il ne peut être soutenu que la Ligue titulaire de la concession en était la seule attributaire possible.

C'est pourquoi il et jugé que faute d'avoir fait l'objet des procédures garantissant l'impartialité comme la transparence, en raison de l'absence de mise en concurrence, et parce que ne sont affectées par cette irrégularité ni le consentement de la personne publique ni la licéité du contenu de la convention, il n'est pas procédé à son annulation (donc rétroactive) mais à sa résiliation avec effet différé au 1er mars 2023.

(2 décembre 2022, Société Paris Tennis, n° 455033)

 

14 - Exercice du droit de préemption urbaine - Délibération municipale l'instituant - Absence d'accomplissement des formalités de publicité - Rejet de la demande de référé suspension - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante s'est vue refuser la suspension en référé de la décision par laquelle la directrice générale de l'Établissement public foncier de l'ouest Rhône-Alpes (EPORA) a exercé le droit de préemption urbain sur un bien lui appartenant.

Pour rejeter la demande de suspension, le juge des référés du tribunal administratif avait écarté comme n'étant pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision les moyens soulevés par la société requérante selon lesquels la délibération du conseil municipal instituant le droit de préemption n'aurait pas fait l'objet des formalités de publicité prévues par les dispositions précitées pour rendre ce droit opposable tant s'agissant de son affichage que de sa mention dans deux journaux diffusés dans le département.

Le Conseil d'État est à la cassation de cette ordonnance de rejet pour dénaturation des pièces du dossier car il ressort de celles-ci que seule était produite, pour justifier de l'accomplissement de ces formalités, outre la délibération elle-même, dont la mention selon laquelle elle ferait l'objet de ces formalités ne pouvait établir que tel avait été le cas, une facture acquittée pour une publication au sein d'un unique journal. 

Concernant la condition d'urgence, nécessaire à l'octroi d'une suspension d'exécution, le juge réitère sa jurisprudence habituelle selon laquelle eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, sauf circonstances particulières la condition d'urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque cet acquéreur  demande la suspension d'une telle décision. Ce qui est le cas en l'espèce.

La suspension de la décision de préemption est ordonnée.

(ord. réf. 8 décembre 2022, Société Pierre et Patrimoine, n° 466081)

(15) V. en revanche, annulant l'ordonnance suspendant l'utilisation par une commune du droit de préemption urbain en raison de ce que serait propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption en litige le moyen tiré de ce qu'un projet d'installation des services municipaux ne constitue pas une action ou une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. Au contraire, selon le Conseil d'État, le droit de préemption urbain peut s'exercer, comme en l'espèce, en vue de la rénovation ou de l'aménagement d'immeubles existants dans le but d'y installer des services administratifs et techniques municipaux car cet objet peut constituer une action ou une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code précité : 8 décembre 2022, Commune de Thiais, n° 464418.

 

16 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

V. n° 78

 

17 - Domanialité publique d’un bien – Conditions de reconnaissance de cette nature – Hypothèse où le bien est déjà occupé par un tiers en vertu d’un contrat – Existence d’un bail commercial - Annulation et rejet.

Cette décision veut mettre un terme à un feuilleton contentieux.

La commune requérante, par une délibération de son conseil municipal du 8 février 2019, a constaté la désaffectation de biens immobiliers jusqu'alors utilisés pour l'exploitation d'un service public municipal de camping et procédé au déclassement de ces biens du domaine public communal.

Le 1er septembre 2019, elle a conclu un bail commercial d'une durée de neuf ans avec une société en vue de l'exploitation de ce même terrain de camping. Puis, par une délibération du 22 septembre 2020, le conseil municipal a abrogé sa délibération du 8 février 2019 et, enfin, par une délibération du 17 décembre 2020, il a constaté l'extinction du bail commercial en conséquence de sa délibération du 22 septembre 2020 et autorisé l'exploitant à se maintenir dans les lieux jusqu'au 1er janvier 2021 seulement.

Par un courrier du 22 décembre 2020, reçu le 29 décembre, le maire de la commune a transmis cette dernière délibération à la société en lui demandant de se présenter le 2 ou le 4 janvier 2021 pour procéder à un état des lieux contradictoire du camping et à la remise des clés.

La société n'ayant pas déféré à cette invitation, la commune a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, d'ordonner son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique. Celui-ci a rejeté la demande de la commune, puis, après cassation de cette première ordonnance et renvoi du Conseil d’État, il a de nouveau rejeté la demande de la commune par une ordonnance du 11 mars 2022 contre laquelle se pourvoit la commune requérante.

Le juge de cassation rappelle tout d’abord que le juge des référés saisi dans une telle hypothèse a le double devoir de vérifier si la demande d’expulsion des occupants du bien présente un caractère d’urgence et si elle ne se heurte pas à une contestation sérieuse.

Ensuite, il relève qu’en l’espèce est satisfaite l’une des conditions alternatives dont la présence est nécessaire à la qualification du bien en cause comme constituant une dépendance du domaine public. En effet, il en est ainsi lorsque la personne publique propriétaire du bien a décidé d’affecter ce bien à un service public et réalisé l’aménagement nécessaire à l'exécution des missions de ce service public.

Jusque-là il n’y a rien que de très classique.

Toutefois, et c’est ce qui fait l’importance de la décision et, sans doute, explique le choix de la publier au Recueil Lebon, il ajoute les deux précisions suivantes.

En premier lieu, il est jugé que cet aménagement du bien en vue du service public peut être regardé « comme entrepris de façon certaine, eu égard à l'ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés ». L’aménagement ne doit donc pas s’entendre comme comportant exclusivement des éléments matériels car l’existence d’éléments immatériels peut concourir à cet aménagement et l’on peut même penser, ce qui n’était pas tout à fait le cas ici, que la seule existence d’éléments immatériels pourrait suffire à établir l’existence d’un aménagement : si ce n’est pas de la domanialité virtuelle cela y ressemble beaucoup.

En second lieu, le juge enfonce un peu plus le clou en ajoutant cette précision que la solution précédente s’applique aussi dans le cas où, à la date de la décision d'affectation, un tiers bénéficierait sur le bien en cause, par voie contractuelle, d’un droit d'occupation de ce bien. En effet, dès cette décision d’aménager et non dès l’aménagement, le bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public du fait de l’affectation à un service public.

Par suite, l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle a jugé que la société occupante était titulaire, ainsi qu'elle le soutenait, d'un bail commercial dont la nature et la portée n'avaient pas été modifiées par la délibération du 10 mai 2022 décidant d'affecter les terrains en cause à un service public de camping municipal. En effet, si le contrat de bail commercial, pouvait valoir, jusqu'à son éventuelle dénonciation, titre d'occupation du domaine public, il ne pouvait conserver, après l'inclusion dans le domaine public des biens sur lesquels il portait, son caractère de bail commercial en tant que celui-ci comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. 

Cette dernière formulation est critiquable car ce n’est pas tant sur la compatibilité du bail avec la domanialité publique qu’il convient de s’interroger (puisque cette domanialité publique  n‘existait pas au temps de la conclusion du bail) mais l’inverse : est-il légitime (on écrit bien « légitime » et non pas « légal » ou « régulier », ce qui est sans intérêt ici), après qu’a été accordé un bail commercial, c’est-à-dire l’un des actes les plus protégés et les mieux garantis du droit français, de l’occire en décidant, parfois capricieusement, à la faveur d’un changement politique ou d’intérêts personnels voire d’un classique détournement bien maquillé, de créer les conditions de la domanialité publique ?

L’on voit bien qu’ainsi l’on passe d’une compétence ou d’une politique publique à l’exercice d’un pouvoir sans foi ni loi, despotique et brutal.

Il ne reste plus à l’occupant, comme l’y invite au reste cette décision, qu’à rechercher l'indemnisation du préjudice en résultant.

Cette décision est affligeante par le recul qu’elle constitue au regard des évolutions ayant caractérisé, ces dernières années, le régime des occupations domaniales, spécialement celles reposant sur des baux commerciaux, cela à la fois dans un but de sécurité juridique et d’intérêt financier bien compris des personnes publiques propriétaires.

Ce raidissement ne nous semble plus de saison tant que le juge n’exercera pas un contrôle plus étendu, complet même, sur la pertinence des décisions des propriétaires domaniaux en forme de va-et-vient incontrôlés entre domanialité publique et domanialité privée affectant, chaque fois, gravement, les droits des occupants en place.

La présente affaire constitue sur ce point une illustration remarquable de ce qu’il convient de ne pas faire.

(30 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n° 464505)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Démission d'un membre du conseil municipal - Portée et date d'effet de la lettre de démission - Conditions et conséquences - Substitution d'un autre élu à la personne démissionnaire.

Dans le cadre de l'appel dirigé contre un jugement ordonnant le remplacement d'une élue municipale démissionnaire par un autre élu, le Conseil d'État précise trois points importants.

En premier lieu, le litige né du refus d'un maire de convoquer aux séances du conseil municipal l'élu venant immédiatement après celui démissionnaire est un litige en matière électorale (confirmation de 16 janvier 1998, Jean-Luc X. c/ Maire de Saint-Michel-sur-Orge, n° 188892).

En deuxième lieu, au sujet de la lettre de démission et de ses effets, il est jugé que la démission d'une conseillère municipale figurant dans une lettre adressée au maire le 1er octobre 2020 prend effet à cette date (réitération de 16 janvier 1998 précité) dès lors, d'une part, que les termes de cette lettre sont dénués de toute équivoque et d'autre part, qu'il n'est pas établi que des actes de harcèlement moral de la part d'une adjointe au maire ou des menaces d'administrés aient été de nature à révéler l'existence d'une contrainte dans l'écriture de ladite lettre.

En troisième lieu, le délai de recours ouvert contre le refus du maire (comme c'était le cas en l'espèce) de désigner le candidat devant succéder au démissionnaire court à compter soit de la notification de la réponse du maire ou d'une autre forme de publicité donnée à cette réponse, soit de la publication d'un nouveau tableau des membres du conseil municipal postérieurement à la demande de désignation d'un nouveau conseiller municipal, soit d'une réunion de ce conseil avec le maintien du conseiller ayant présenté sa démission. 

(9 décembre 2022, M. A., Commune de Paea et Mme D., n° 461901 et n° 462800)

 

19 - Suppression d'une régie municipale - Licenciement de deux agents de la régie - Absence de prise de position du conseil municipal sur le sort des agents - Licenciements irréguliers - Annulation.

La commune requérante ayant décidé de mettre un terme à une régie municipale gérant un service public administratif, il a été procédé au licenciement des agents affectés à cette régie. Ceux-ci ont demandé au juge administratif - et obtenu - l'annulation de la délibération du conseil municipal ayant voté la dissolution de la régie et de la décision administrative les licenciant. La commune se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du jugement d'annulation.

Son pourvoi est rejeté.

La circonstance que mention ait été faite du licenciement des deux agents dans l'exposé des motifs de la délibération municipale décidant de mettre un terme à la régie municipale ne permet pas d'établir que leur situation a été déterminée par cette délibération au sens de l'article R. 2221-62 du code général des collectivités territoriales car cette seule mention ne prouve pas que le conseil municipal a, en cette circonstance, effectivement pris position sur la question du licenciement des deux agents de la régie. La délibération est ainsi entachée d'illégalité.

Par ailleurs, il résulte du I de l'article 39-5 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique, ainsi que l'a jugé la cour, que le président du conseil d'administration de la régie, lorsqu'il notifie à l'agent sa décision de le licencier du fait de la suppression de son emploi à la suite de la décision de l'autorité territoriale de renoncer à poursuivre l'exploitation de la régie, de l'inviter à présenter une demande écrite de reclassement. Saisie d'une telle demande, l'autorité territoriale est tenue de chercher à reclasser l'agent au sein de ses services en lui proposant un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi. La décision de licenciement, prise sans le bénéfice d'une procédure antérieure de reclassement était illégale.

(14 décembre 2022, Commune de Grenoble, n° 450115)

 

20 - Directeur d'un office public de l'habitat (OPH) - Usage intempestif et démesuré d'instruments numériques de travail - Demande de remboursement - Emission de titres exécutoires et d'avis à tiers détenteurs - Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales - Annulation et rejet partiels.

Le requérant, auxquels est imputé l'établissement de connexions intervenues depuis son téléphone portable et sa tablette professionnels à partir de l'étranger, facturées ensuite à hauteur de 117 378,70 euros par l'opérateur à son employeur, a contesté des titres exécutoires et avis à tiers détenteur émis par le comptable du trésor à son encontre.

Il se pourvoit en cassation de l'arrêt d'appel infirmatif rejetant son recours.

Le juge de cassation rappelle qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales combinées à celles de l'art. L. 281 du livre des procédures fiscales qu'en matière  de contentieux des créances non fiscales des collectivités territoriales, les litiges portant sur le recouvrement de ces créances relèvent de la compétence du juge de l'exécution et que ceux portant sur leur bien-fondé relèvent du juge compétent pour en connaître sur le fond.

Il suit de là que les demandes du requérant au tribunal administratif, tendant à voir annuler  : 1° la décision par laquelle le comptable public a procédé à une compensation entre son indemnité de licenciement et un titre exécutoire valant avis de paiement de la somme de 117 378,70 euros, 2° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 24 mai 2016 par le comptable public pour un montant total de 137 140,69 euros, en vue du recouvrement de trois titres exécutoires, 3° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 11 mai 2017 pour un montant de 6 486,11 euros, en vue du recouvrement d'un nouveau titre exécutoire, 4° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 27 avril 2018 pour un montant de 89 736,69 euros, en vue du recouvrement du reliquat d'un précédent titre exécutoire, relevaient, contrairement à ce qui a été jugé, de la juridiction judiciaire et non du juge administratif.

(27 décembre 2022, M. B., n° 447378)

 

21 - Tri des biodéchets - Généralisation du tri à la source - Installations de tri mécano-biologiques - Atteinte au principe d'égalité entre collectivités territoriales - Principe de non-régression - Mesures d'exécution de la loi - Rejet.

Les requérantes, par des recours joints par le juge, demandaient, notamment, l'annulation du décret n° 2021-855 du 30 juin 2021 relatif à la justification de la généralisation du tri à la source des biodéchets et aux installations de tri mécano-biologiques et celle de l'arrêté interministériel (transition écologique et outre-mer) du 7 juillet 2021 pris en application de l'article R. 543-227-2 du code de l'environnement.

Les recours sont rejetés.

D'abord, les dispositions en cause ont été prises en exécution de dispositions législatives dont le Conseil constitutionnel a jugé (22 avril 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et autres, n° 2022-990 QPC) qu'elles ne méconnaissaient ni le principe d'égalité des collectivités territoriales devant la loi ni celui de non-régression dès lors qu'elles poursuivent l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement ; comme en outre, les requérantes n'invoquent pas de vices qui leur seraient propres, les moyens dirigés contre ces dispositions de ces chefs doivent être rejetés.

Ensuite, ni le décret ni l'arrêté querellés ne comportent l'instauration de sanctions et tous deux se bornent à fixer, sans erreur manifeste d'appréciation, les conditions d'application de l'obligation de tri à la source résultant de la loi et interdisant aux installations de tri mécano-biologiques d'admettre des déchets provenant de collectivités qui n'auraient pas démontré avoir mis en place le tri à la source des biodéchets. Il s’ensuite qu’ils ne peuvent de ce fait être argués d’illégalité.

(27 décembre 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et association pour la méthanisation écologique des déchets, n° 456190 ; Association AMORCE, n° 456272 ; Fédération nationale des collectivités de compostage, Association pour la méthanisation écologique des déchets et association AMORCE, n° 456432, jonction)

 

Contrats

 

22 - Baux commerciaux sur le domaine privé des personnes publiques - Conclusion d'un bail emphytéotique en vue de l'exploitation d'un hôtel - Inapplication de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Absence d'obligation de publicité et de mise en concurrence - Rejet.

(2 décembre 2022, Mme A. et M. D., n° 460100)

V. n° 12

 

23 - Convention d'occupation du domaine public - Exploitation de courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg, propriété du Sénat - Absence de procédure de mise en concurrence - Contrat comportant occupation du domaine public - Activité de service - Biens faiblement substituables - Résiliation d'office du contrat - Annulation.

(2 décembre 2022, Société Paris Tennis, n° 455033)

V. n° 13

 

24 - Bail emphytéotique sur une dépendance domaniale communale - Résiliation anticipée - Résiliation amiable assortie d'une indemnité - Détermination de ce montant - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Une commune convient avec la société preneuse d'un bail emphytéotique sur un terrain communal, de le résilier amiablement avec allocation d'une indemnité d'un certain montant.

Sur recours d'habitants de la commune estimant excessive l'indemnité contractuellement établie et allouée, la cour administrative d'appel, par arrêt infirmatif, a annulé la délibération autorisant le maire à résilier ce bail de manière anticipée en contrepartie du versement litigieux. La cocontractante demande et obtient l'annulation de cet arrêt.

Le juge de cassation rappelle d'abord la ligne générale applicable aux conditions de résiliation amiable d'un contrat administratif. Lorsque cette résiliation comporte le versement d'une indemnité par la personne publique à son cocontractant celle-ci ne doit pas excéder le montant du préjudice subi résultant du gain dont ce dernier a été privé ainsi que des dépenses qu'il a normalement exposées et qui n'ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat.

Ensuite, faisant application au cas de l'espèce de cette ligne générale, le Conseil d'État juge que la cour a commis une erreur de droit en estimant qu'en raison de l'obligation faite aux preneurs d'aménager et d'exploiter un village de vacances sur le site, le manque à gagner résultant de la résiliation anticipée du contrat ne pouvait correspondre qu'à la perte du bénéfice qui pouvait être escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir. Ce jugeant, elle a donc refusé de tenir compte, pour déterminer si le montant de l'indemnité accordée par la commune au titre de la résiliation du contrat était excessif au regard du préjudice en résultant pour le cocontractant au titre du gain dont il a été privé, du prix qu'il pouvait tirer de la cession des droits qu'il tenait du bail, afin de retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail.

(16 décembre 2022, SNC Grasse-Vacances, n° 455186)

 

25 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

La célèbre plage de Pampelonne située sur le territoire de la commune de Ramatuelle est une nouvelle fois le théâtre d'un contentieux récurrent aussi prolifique que les grains de sable qui la composent.

La société Le Chalet des jumeaux a obtenu de la cour administrative d'appel plusieurs arrêts prononçant la résiliation des traités de sous-concession du service public balnéaire relatifs à plusieurs lots conclus entre la commune de Ramatuelle et divers attributaires.

La commune, seule ou avec un attributaire, a saisi le Conseil d'État de sursis à l'exécution de ces arrêts de résiliation.

Estimant satisfaites les deux conditions qui doivent être réunies pour prétendre obtenir un tel sursis, le Conseil d'État prononce dans chacune de ces espèces la suspension de l'arrêt litigieux.

Tout d'abord, il est jugé que l'exécution au 1er avril 2023 (début de la saison balnéaire) de l'arrêt querellé risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables compte tenu des incidences financières potentiellement très lourdes de cette résiliation au regard du budget de la commune.

Ensuite, deux moyens d'erreurs de droit invoqués par les demandeurs au sursis paraissent, en l'état, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de l'arrêt attaqué, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond. Il s'agit d'abord de ce que la cour a estimé que les irrégularités relevées devaient conduire à la résiliation du contrat sans rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le vice entachant la validité du contrat permettait, eu égard à son importance et à ses conséquences, ne permettait pas la poursuite de l'exécution du contrat. Il s'agit ensuite de ce que la cour a jugé que les lots auraient dû être répartis en fonction de leur « niveau de standing », la commune s'étant arrogée un pouvoir discrétionnaire d'attribution des lots, faute d'avoir procédé à cette répartition.

(6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

(26) V. aussi, identiques en tout point : 6 décembre 2022, Société le Byblos, n° 465723 et Commune de Ramatuelle, n° 468212 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

 

27 - École normale supérieure de Lyon (ENS) - Procédure de conclusion des contrats - Recours d'un tiers aux contrats de l'ENS - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de l'arrêt d'appel confirmatif, rejetant son recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de la délibération n° III-2-B adoptée le 14 décembre 2015 par le conseil d'administration de l'ENS de Lyon, approuvant une convention pour la souscription et la mise en œuvre d'un contrat de partenariat public-privé relatif au projet de réhabilitation, restructuration et mise aux normes du site Monod de l'ENS de Lyon.

Son pourvoi est rejeté au terme d'une analyse qui peut surprendre.

La procédure de conclusion des contrats conclus par cet établissement s'effectue en deux temps : signature du contrat par le président de l'ENS et soumission du contrat signé au conseil d'administration.

C'est ce schéma procédural qui entraîne, selon le juge, l'irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir du demandeur.

En effet, le recours dit « Tarn-et-Garonne » (cf. Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, Rec. Leb. p. 70) n'est ouvert au tiers à un contrat que s'il comporte des moyens dirigés contre l'acte d'approbation du contrat non lorsqu'il comporte des moyens dirigés contre le contrat lui-même.

Sans doute trompé par l'intervention subséquente du conseil d'administration de l'ENS, le requérant a cru y voir un acte d'approbation d'un contrat qui était déjà signé d'où son recours. Cependant, le Conseil d'État rejette cette analyse : l'intervention du conseil d'administration  participe « en réalité au processus de sa conclusion ».

Cette déduction opérée par le juge peut se discuter car les choses ne sont pas aussi nettes. L'art. L. 712-3 du code de l'éducation dispose que le conseil d'administration de l'ENS « (...) 3°/ ... approuve les accords et les conventions signés par le président de l'établissement (...) ». Le terme « approuve » semble permettre de qualifier l'intervention du conseil d'administration comme une « approbation » contrairement à ce qui est jugé ici, et, constituant une « approbation » il peut donner, nous semble-t-il, ouverture à un recours « Tarn-et-Garonne ».

Faut-il voir dans cette jurisprudence restrictive l'indice que ce dernier recours n'est vraiment qu'une exception et, comme telle, de droit étroit, voire, comme ici, particulièrement étroit (puisque exceptiones sunt strictissimae interprÉtationis comme l'on ne dit plus guère) ?

(2 décembre 2022, M. D., n° 454318)

(28) V. aussi, du même jour, jugeant sur recours des héritiers du requérant précédent reprenant l'instance qu'il avait introduite, que M. D. n'était pas recevable à contester le contrat de partenariat conclu le 18 avril 2018, dans le cadre du projet « Lyon campus » portant sur la réhabilitation des bâtiments abritant l'École normale supérieure de Lyon (ENS) sur le site Monod, entre l'Université de Lyon et la société Neolys, car en invoquant seulement sa qualité de membre du conseil d'administration de l'ENS de Lyon ou d'enseignant chercheur, il n'établit pas la possibilité d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation du contrat litigieux ou par ses clauses : 2 décembre 2022, M. D. et Mme D., héritiers de M. D., n° 454323.

 

29 - Exécution d’un marché – Survenue d’un différend – Obligation pour le titulaire de présenter un mémoire en réclamation avant toute saisine du juge (cf. art. 50.1.1 du CCAG Travaux) – Copie au maître d’œuvre du mémoire en réclamation adressé au maître d’ouvrage – Indemnité due – Rejet.

La société Can, chargée par le Grand port maritime de Marseille (GPMM), d’un marché de travaux de dragage d'entretien des postes d'attente fluviaux sur les bassins ouest de ce port, a demandé la résiliation de ce marché en raison de la tardiveté de la notification de l'ordre de service de la première tranche de ces travaux. Le GPMM a résilié le marché aux torts de la société. Celle-ci a obtenu du tribunal administratif l’indemnisation des frais engagés pour assurer l’exécution du marché.

Après cassation de l’arrêt d’appel confirmatif et renvoi devant elle, la cour administrative d’appel a confirmé le rejet qu’elle avait prononcé du recours du GPMM contre le jugement et maintenu le montant d’indemnisation fixé par le Conseil d’État.

Le GPMM saisit à nouveau le juge de cassation.

Son pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, s’il est exact que les art. 46.2.1 et 50.1.1. du CCAG Travaux imposent au titulaire du marché, en cas de différend survenu dans le cours de l’exécution du marché, à peine d’irrecevabilité du recours contentieux, de présenter au maître d’œuvre une réclamation par demande écrite dûment justifiée et si, en l’espèce, le titulaire n’a présenté qu’une demande écrite ne satisfaisant qu’aux seules conditions de l’art. 46.2.1 du CCAG, c’est sans dénaturation, dans le cadre de son appréciation souveraine, que la cour a jugé satisfaite l’exigence d’une réclamation conforme aux dispositions de l’art. 50.1.1. du CCAG dès lors qu’avait bien été présentée au maître d’ouvrage une réclamation conforme à ce dernier article et qu’il en avait été adressé copie au maître d’œuvre.

Ensuite, c'est sans erreur de droit que la cour a estimé que certaines des dépenses faites par le titulaire après le terme de la période de préparation lui ouvraient droit à indemnité sur le fondement de l’art. 46.2.1. du CCAG lequel n’interdit pas l’indemnisation des frais et investissements exposés après le terme de la période de préparation dès lors que ces dépenses ont été engagées pour le marché et sont nécessaires à son exécution.

Le pourvoi est rejeté.

(29 décembre 2022, Grand port maritime de Marseille, n° 458678)

 

Droit du contentieux administratif

 

30 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

 (6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

Et aussi : 6 décembre 2022, Société le Byblos, n° 465723 et Commune de Ramatuelle, n° 468212 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

V. n° 25

 

31 - Référé suspension - Radiation des cadres - Doute sérieux sur la date d'entrée en vigueur de la décision - Agent en congé de longue durée pour maladie - Circonstance indifférente - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui aperçoit une circonstance de nature à faire naître un doute sérieux sur la date de son entrée vigueur le fait de prononcer la sanction disciplinaire de la radiation des cadres à l'encontre d'un agent placé en congé pour maladie alors qu'une telle position ne fait obstacle ni à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni à l'entrée en vigueur de la décision de sanction en résultant.

(6 décembre 2022, M. B., n° 465627)

 

32 - Compétence matérielle du juge administratif - Refus par un service préfectoral d'accomplir une formalité obligatoire pour lui - Publicité de l'inclusion de voies privées dans la voirie publique - Rejet de la compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

L'ensemble immobilier « Super Antibes », représenté par son syndic, a demandé l'annulation de la décision par laquelle le chef du bureau des affaires foncières et de l'urbanisme de la préfecture des Alpes-Maritimes a refusé de procéder à la publication au service de la publicité foncière d'un arrêté préfectoral du 8 août 1957 fixant le classement d'office dans la voirie urbaine d'une commune des voies privées du groupe d'habitations « Super Antibes ».

Par une ordonnance confirmative, le président d'une chambre de la cour administrative d'appel a rejeté sa demande au motif que la juridiction administrative était incompétente pour en connaître.
Le demandeur se pourvoit en cassation.

Accueillant le pourvoi, le Conseil dÉtat aperçoit dans ces ordonnances d'incompétence une erreur de droit résultant d'une méprise sur la portée de l'acte attaqué ; en effet, dès lors qu'était en cause une décision émanant des services de la préfecture et se bornant à constater qu'un arrêté préfectoral de 1957 portant classement d'office de voies privées dans la voirie urbaine dont se prévaut l'ensemble immobilier requérant n'a pas fait l'objet de la publicité foncière pourtant obligatoire et à indiquer qu'un transfert d'office de ces voies ne résulte que d'une initiative de la commune, le contentieux en découlant relevait de la compétence de la juridiction administrative.

(9 décembre 2022, Ensemble immobilier « Super Antibes », n° 460574)

 

33 - Recours en révision - Cas d'ouverture - Notion de pièce fausse - Décision rendue sans respect des règles fondamentales de procédure - Absence - Rejet.

Les requérants ont formé un recours en révision d'une décision du Conseil d'État rejetant leur pourvoi. Ils invoquaient l'existence en l'espèce de deux des trois cas qui, selon l'art. R. 834-1 CJA, donnent ouverture à un recours en révision. Cette voie de droit étant extraordinaire chacun des cas est apprécié restrictivement.

Tout d'abord, ils soutenaient que le Conseil d'État aurait statué sur leur pourvoi en cassation au vu de documents, non précisément identifiés par eux, « obsolètes et parfaitement caduques», dont la partie adverse aurait fait une présentation et une utilisation fallacieuse dans le but d'égarer le juge. Pour autant, ces affirmations n'établissent pas que la décision dont la révision est demandée aurait été fondée sur des pièces fausses.

Ensuite, ils ne sauraient non plus alléguer le défaut de contradictoire dès lors qu'ils n'établissent pas que la décision attaquée serait intervenue sans qu'aient été observées les dispositions du CJA relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu'à la forme et au prononcé de la décision.

(9 décembre 2022, M. et Mme B., n° 463786)

 

34 - Réouverture de l'instruction - Circonstance de droit nouvelle - Jurisprudence nouvelle du Conseil d'État - Évolution prévisible du fait de la jurisprudence de la CJUE - Rejet.

N'est pas entaché d'irrégularité l'arrêt d'appel qui se borne à viser, sans l'examiner, un mémoire produit après la clôture de l'instruction et invoquant une circonstance de droit nouvelle tirée d'une jurisprudence nouvelle du Conseil d'État dès lors que cette dernière ne fait que reprendre une jurisprudence antérieure de la CJUE. En effet, il ne s'agissait pas en l'espèce d'une production contenant l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, ce qui aurait contraint le juge à en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

(12 décembre 2022, Société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (APBP), n° 441063)

 

35 - Silence d'une autorité administrative valant acceptation - Cas d'une demande de certificats d'économies d'énergie hors opérations spécifiques - Retrait impossible après expiration d'un délai de deux mois - Invitation à produire des pièces complémentaires - Décision faisant grief - Annulation.

(12 décembre 2022, Association « Réduisons le CO² », n° 447144)

V. n° 4

 

36 - Litiges en matière d'impôts locaux, dont la taxe sur le foncier bâti - Compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif - Conclusions portant à la fois sur cette taxe et sur la cotisation foncière des entreprises (CFE) - Compétence possible de la juridiction d'appel - Divisibilité de la compétence pour connaître du recours faute de connexité - Rejet.

Le tribunal administratif statue normalement en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux (cf. art. R. 811-1 CJA) et donc, notamment, sur les litiges relatifs à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Toutefois, par exception, les recours en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties dirigés contre les décisions statuant également sur des conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises, sont susceptibles d'appel à la double condition, d'une part, que l'examen du contentieux portant sur ces deux impositions ait lieu à la demande du même contribuable et que les deux impositions reposent en tout ou partie sur la valeur des mêmes biens, appréciée la même année.

S'il y a connexité, le recours en ses deux branches relève du Conseil d'État ; à défaut de connexité, la partie du recours portant sur le foncier bâti relève du Conseil d'État et celle relative à la CFE de la voie de l'appel.

(12 décembre 2022, Société EGM Wind, n° 459058)

 

37 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Erreur matérielle ayant eu une influence sur le sens de la décision - Rectification des visas, des motifs et du dispositif.

Le requérant avait demandé la rectification pour erreur matérielle d'une décision du Conseil d'État dont les visas et les motifs analysent le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrée sous le n° 443811 comme tendant à l'annulation du jugement attaqué, à laquelle procède, conformément à ses motifs, le dispositif de cette décision, alors que ce pourvoi ne tendait, ainsi qu'il ressort de ses termes mêmes, à l'annulation de ce jugement qu'en tant qu'il portait sur les années 2017 et 2018.

Le pourvoi est admis et les rectifications nécessaires sont opérées car ce n'est que du fait d'une erreur purement matérielle que le Conseil d'État, qui n'a pas porté sur ce point d'appréciation d'ordre juridique, s'est mépris sur la portée exacte des conclusions de ce pourvoi. Or cette erreur, qui ne peut être regardée comme étant imputable aux parties, a eu une influence sur le sens de la décision rendue le 12 mai 2022. 

(12 décembre 2022, Syndicat mixte d'élimination et de valorisation des déchets du Calaisis, n° 465668)

 

38 - Représentation de l'État en justice - Ministre représentant l'État dans une instance différent de celui le représentant dans une autre instance - Refus de reconnaître l'autorité de chose jugée par le précédent jugement - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (règlement du litige au fond).

Dans un litige en contestation du refus du ministre de l'intérieur d'octroyer à un gardien de la paix le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité est posée une question d'autorité de chose jugée du jugement rendu dans une instance où l'État était représenté par le ministre de l'intérieur.

Le tribunal, saisi d'un recours contre un nouveau refus opposé à l'intéressé à sa demande d'allocation temporaire d'invalidité, a estimé que ne pouvait pas être opposée l'autorité de chose jugée par le premier jugement car le ministre de l'action et des comptes publics n'avait pas été appelé dans l'instance.

Le jugement est cassé car la première procédure a bien revêtu un caractère contradictoire à l'égard de l'État dès lors que celui-ci y était représenté par un ministre, l'absence de mise en cause du ministre de l'action et des comptes publics étant sans incidence à cet égard.

Cette solution, qui peut s'autoriser des motifs de célérité et de caractère pratique, s'éloigne toutefois d'une attitude jurisprudentielle plus stricte car il convient de concilier le principe d'unité de l'État (et aussi de l'unité de sa caisse) et celui de la délimitation stricte des compétences propres à chaque ministre.

(13 décembre 2022, M. A., n° 443465)

 

39 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Classement de parcelles en espaces boisés - Demande d'annulation « en tant que ne pas » - Rejet.

(13 décembre 2022, M. A., n° 451577)

V. n° 204

 

40 - Demande de renvoi pour suspicion légitime - Éléments de fait invoqués impuissants à caractériser un doute légitime sur l'impartialité d'une juridiction - Rejet.

Le requérant demandait le dessaisissement de la cour administrative d'appel de Versailles, normalement compétente pour connaître de sa requête, et le renvoi de celle-ci à une autre cour administrative d'appel, au motif que l'affaire dont est saisie cette cour administrative concerne les fonctions d'adjoint administratif stagiaire qu'il a exercées au sein de la cour judiciaire d'appel de Versailles et de certaines juridictions judiciaires du ressort de celle-ci et que les deux cours, judiciaire et administrative, ont leur siège dans la même commune.

Sans surprise, il est jugé que cette circonstance n'établit pas, par elle-même, une suspicion légitime de partialité à son endroit de la part de cette cour administrative d'appel.

(27 décembre 2022, M. B., n° 463005)

 

41 - Principe du caractère contradictoire de l’instruction des affaires (art. L. 5 CJA) – Renvoi après cassation – Reprise d’instance - Obligation pour le juge du renvoi de mettre les parties en état de produire, le cas échéant, de nouveaux mémoires – Conséquences – Annulation.

Dans un litige portant sur la contestation de la notation d’un fonctionnaire et au visa de l’art. L. 5 du CJA, le Conseil d’État expose assez complètement les conséquences qu’implique, après cassation, la reprise d’instance devant la juridiction de renvoi.

La juridiction du fond à laquelle est opéré le renvoi d’une affaire après cassation doit, en vertu du principe de l’instruction contradictoire des dossiers, mettre les parties à même de produire de nouveaux mémoires pour adapter leurs prétentions et argumentations en fonction des motifs et du dispositif de la décision du Conseil d'État.

De là découle directement pour le juge de renvoi l’obligation de notifier la reprise de l'instance soit au mandataire qui représentait la partie dans l’instance cassée, soit, si la juridiction de renvoi a été préalablement informée du choix d’un autre mandataire par la partie concernée, au nouveau mandataire, ou, en cas d’impossibilité, d'effectuer la notification à la partie elle-même.

Dans tous les cas, outre la notification, toujours obligatoire à peine d’irrégularité, au mandataire, la juridiction de renvoi peut décider d'informer la partie elle-même.

Cette dernière solution nous semble la plus convenable.

(22 décembre 2022, M. A., n° 441300)

 

42 - Révocation d’un avocat ou rétractation de son mandat – Sort des obligations de l’avocat premier choisi – Régime du report d’audience – Rejet.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’un arrêté préfectoral ayant autorisé la création d’une association foncière pastorale autorisée, le Conseil d’État rappelle deux points de procédure.

En premier lieu, lorsque dans les litiges où le ministère d’avocat est obligatoire, soit la partie qui l’a désigné révoque le mandat de son avocat soit ce dernier met lui-même un terme à son mandat, l’avocat – en vertu d'une règle générale de procédure - est tenu d’assurer ses obligations professionnelles jusqu’à la constitution de l’avocat qui le remplace. Cet incident étant sans effet sur le déroulement de la procédure juridictionnelle il s’ensuit que le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie.

Il n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande.

(22 décembre 2022, M. B., n° 450762)

 

43 - Décision – Absence de caractère décisoire - Documents de portée générale émanés des autorités publiques – Absence d’un tel caractère – Irrecevabilité manifeste du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(23 décembre 2022, M. B., n° 453205)

V. n° 7

 

44 - Médiation en procédure administrative – Soumission au principe d’impartialité – Magistrat désigné médiateur exerçant ensuite la fonction de rapporteur public dans le même litige – Atteinte au principe d’impartialité – Rejet.

Le principe d’impartialité, lequel est évidemment applicable au médiateur désigné ou choisi dans le cadre d’un procès administratif, s’oppose à ce qu’une personne soit successivement appelée à assurer la fonction de médiateur puis celle de rapporteur public dans l’instruction du litige où elle a exercé la médiation.

(29 décembre 2022, Société GEMCO, n° 459673)

 

45 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice (art. R. 811-15 CJA) – Jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative – Jugement susceptible de faire l’objet d’une demande de sursis à l’exécution - Rejet.

Il est possible de demander au juge qu’il prononce le sursis à l’exécution d’un jugement frappé d’appel ou d’un jugement ou d’un arrêt faisant l’objet d’un pourvoi en cassation lorsque l’exécution de la décision de justice contestée entraînerait des conséquences difficilement réparables.

Pour la première fois, à notre connaissance, il est jugé possible d’utiliser la procédure du sursis à exécution à l’encontre d’un jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative (ici la délibération d’un conseil municipal et la décision subséquente de résiliation d’un contrat), un tel jugement devant être considéré comme prononçant l’annulation d’une décision administrative au sens des dispositions de l’art. R. 811-15 CJA.

(29 décembre 2022, Commune de Loos, n° 463598)

 

46 – Intervention – Intervention au soutien d’une QPC – Nécessité d’un mémoire distinct – Absence – Irrecevabilité – Rejet.

Le requérant a soulevé une QPC au soutien du recours dirigé contre la mise en œuvre à son encontre des dispositions de l’art. 32 de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France ; un tiers a formé une intervention en demande aux côtés du requérant mais sans respecter la forme exigée par l’art. R. 632-1 du CJA selon lequel l’intervention s’effectue par un mémoire distinct de celui du demandeur principal. Le non-respect de cette exigence est sanctionné par l’inéligibilité, d’où le rejet de l’intervention.

(22 décembre 2022, M. B., n° 466863)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

47 - Tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel - Mise à jour des paramètres départementaux - Contestation par voie d'exception d'illégalité impossible - Recours pour excès de pouvoir - Méthodologie du juge - Annulation partielle.

La société requérante poursuivait l'annulation de l'arrêt rejetant son recours contre la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis portant mise à jour des paramètres départementaux d'évaluation des locaux professionnels en ce qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France.

Il résulte des dispositions du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010, codifiées à l'article 1518 F du CGI, que les décisions fixant les tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel ou la fixation d'un coefficient de localisation ne peuvent pas être contestées par la voie de l'exception à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie. Toutefois, le juge considère que ces décisions peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

En l'espèce, en premier lieu, la requérante soutenait, sans être contredite par l'administration, que la section BI, située sur le territoire de la commune de Tremblay n° 6 auquel cette section appartient, comprenait, à la date à laquelle les loyers servant à la révision des valeurs locatives ont été observés, au sein de ce secteur d'évaluation, la totalité des biens des catégories de locaux professionnels, définies par l'article 310 Q de l'annexe II au code général des impôts, soit les hôtels, les magasins appartenant à un ensemble commercial et ceux de grande surface, la majorité des locaux assimilables à des bureaux ou à usage de bureaux, des parcs de stationnement à ciel ouvert ou couverts.

En second lieu, la requérante soutenait également que, compte tenu des règles de détermination des valeurs locatives, il résultait directement de cette situation que les tarifs moyens au mètre carré retenus pour les locaux situés dans les limites de l'ensemble du secteur d'évaluation n° 6 étaient déterminés, entièrement pour les quatre premières catégories et de manière prépondérante pour les quatre dernières, par les loyers moyens au mètre carré observés, pour ces mêmes catégories, au sein des parcelles de la section cadastrale en litige, ce qui excluait toute possibilité d'appliquer un coefficient de localisation à ces parcelles, sauf à majorer indûment, pour une grande part des locaux situés dans les limites de cette section, les tarifs moyens qui y étaient appliqués, en contrariété avec la logique de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels.

Or dans son arrêt confirmatif la cour a écarté le moyen ci-dessus par le motif que la société requérante ne produisait aucun élément à l'appui de ses affirmations ni aucune précision de nature à les étayer. L'arrêt est cassé pour erreur de droit en considérant, d'une part, que le motif retenu par la cour était démenti par les pièces versées au dossier et d'autre part  qu'en présence d'allégations sérieuses non contestées par l'administration, il revenait à la cour d'apprécier le bien-fondé de la contestation qui lui était soumise au vu des éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction et en sollicitant, le cas échéant, des éléments de l'administration fiscale en charge d'établir les valeurs locatives cadastrales.

(5 décembre 2022, Société anonyme Aéroports de Paris, n° 461428)

 

48 - Mise à disposition de salariés de mobil-homes - Qualification en véritables logements ou en hébergements professionnels à caractère temporaire - Mise à disposition constituant une rémunération occulte - Erreur de droit - Annulation partielle avec renvoi.

Une entreprise d'installation de systèmes thermiques et climatiques a fait l'objet de divers rehaussements de droits et taxes car l'administration fiscale a qualifié de rémunérations occultes versées à ses salariés des montants correspondant aux frais de location de plusieurs mobil-homes, enregistrés dans les comptes de l'entreprise sans avoir fait l'objet d'une inscription explicite en tant qu'avantage en nature. L'administration a donc refusé leur déductibilité au titre des charges des exercices en cause pour l'établissement de l'impôt sur le revenu.

Cependant le contribuable soutenait que ces logements, qui étaient partagés dans des conditions précaires et temporaires par plusieurs ouvriers, ne pouvaient être regardés comme destinés à l'usage personnel de ceux-ci.

Or la cour a refusé la déduction des sommes correspondantes faute de comptabilisation explicite de ces éléments en tant que tels, la location de mobil-homes pour les besoins des salariés constituant nécessairement selon elle des avantages en nature accordés à ceux-ci. L'arrêt est cassé pour l'erreur de droit ayant consisté à ne pas rechercher si ces salariés pouvaient en l'espèce être regardés comme bénéficiant de tels avantages du fait de l'occupation, en tout ou partie, de lieux présentant le caractère de véritables logements ou s'il s'agissait seulement d'hébergements professionnels à caractère temporaire.

(5 décembre 2022, M. A., n° 462577)

 

49 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination de la valeur locative d'immobilisations industrielles assujettissables à la taxe - Établissement de la valeur d'origine - Cas d'un bail à construction arrivé à terme assorti de la remise des biens sans indemnité au bailleur - Erreur de droit - Annulation.

La société contribuable a conclu avec la société MPO International plusieurs baux à construction pour une durée de trente ans sur des terrains lui appartenant. Au terme du dernier de ces contrats la société preneuse a remis à la requérante, sans indemnité, les bâtiments industriels construits et exploités jusque-là par elle sur ces terrains. L'administration a alors transféré de la société MPO international à la requérante la charge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties d'abord imputées à la première de ces sociétés. Pour l'établissement de la valeur locative qu'elle a retenue, l'administration s'est fondée sur le prix de revient pour la société MPO International des constructions qu'elle avait édifiées.

La contribuable requérante se pourvoit en cassation du jugement rejetant sa demande de décharge de ces impositions.

Accueillant le pourvoi, le Conseil d'État précise d'abord que les locaux industriels qui ont fait l'objet, au terme d'un bail à construction, d'une remise sans indemnité au bailleur, doivent être regardés comme ayant été acquis à titre onéreux par ce dernier, dès lors qu'une telle remise constitue la fraction en nature de la rémunération par le preneur de la prestation qui lui a été fournie par le bailleur en exécution du contrat.

Ensuite, s'agissant de déterminer la valeur d'origine de ces locaux, le juge estime qu'il peut être recouru soit à une méthode directe s'appuyant sur leur valeur vénale en fin de bail telle qu'elle aurait pu être estimée à la date de signature de celui-ci, soit à une méthode fondée sur la fraction, également appréciée à cette date, de la valeur de marché des loyers que le bailleur a renoncé à percevoir sous forme monétaire pendant la durée du bail.

Enfin, et quoi qu'il en soit de la méthode choisie, les premiers juges ont commis une erreur de droit en décidant que l'administration fiscale pouvait, après avoir écarté la valeur d'un euro à laquelle la société Domaine de Lorgerie avait comptabilisé à l'actif de son bilan les bâtiments industriels reçus sans indemnité de la société MPO International, déterminer la valeur locative de ces locaux en se fondant sur leur prix de revient pour la société MPO International, tel qu'il ressortait des documents comptables produits par cette société dans le cadre de la réclamation qu'elle avait formée en contestation des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle avait initialement été assujettie.

(5 décembre 2022, Société Domaine de Lorgerie, n° 463427)

(50) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit le jugement qui dit légale la décision de l'administration fiscale d'émettre, en matière de taxe sur le foncier bâti, un rôle particulier à l'encontre de la société requérante sur le fondement de l'article 1508 du CGI au motif que celle-ci n'avait pas rempli l'obligation déclarative qui lui incombait dans le cadre de la réévaluation foncière des locaux professionnels de 2011 en vertu de l'article 1502 du CGI alors que les redevables ne sont tenus de souscrire la déclaration prévue à l'article 1502 précité que dans la seule hypothèse d'une révision générale des évaluations : 12 décembre 2022, SCI Eguna, n° 453503.

(51) V. également, apercevant une erreur de droit, pour mauvaise interprétation du 12° de l'art. 1382 CGI, dans le jugement refusant à la société redevable, en matière de production d'énergie photovoltaïque, le bénéfice de l'exonération de taxe sur le foncier bâti pour des constructions qui sont le support nécessaire des équipements techniques permettant cette production d'électricité, tels les postes de transformation et de livraison et leurs terrassements : 12 décembre 2022, Société Le Betout Energies, n° 453995.

 

52 - Contestation par un redevable du bien-fondé des impositions mises à sa charge - Obligation de constituer des garanties - Offre de la société mère, société de droit allemand, de se porter caution - Juge devant seulement se prononcer sur le caractère suffisant de la garantie - Erreur de droit - Annulation.

Le redevable qui entend contester le montant des impositions mises à sa charge ou les refus de dégrèvements doit, si les sommes litigieuses excèdent un certain seuil, constituer une garantie auprès du comptable du trésor. La caution est au nombre des sûretés personnelles admises par l'art. R. 277-1 du livre des procédures fiscales.

La requérante se pourvoit contre l'arrêt d'appel confirmatif estimant que l'offre de sa société mère de se porter caution dans les formes voulues par l'administration ne constituait pas une garantie propre à assurer le recouvrement de sa créance par le trésor public, celui-ci est cassé pour n'avoir pas recherché seulement, alors que le cautionnement est au nombre des sûretés personnelles admises par la disposition précitée du LPF, si cette garantie présentait au cas de l'espèce un caractère suffisant.

(12 décembre 2022, Société Stauff, n° 453950)

 

53 - Réintégration de recettes dans l'assiette de l'impôt - Commission départementale des impôts ayant estimé réintégrée à tort une partie de cette somme - Administration fiscale s'étant rangée à cet avis - Somme déduite une seconde fois par la juridiction d'appel - Dénaturation des pièces du dossier - Arrêt statuant ultra petita - Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis et statue ultra petita la cour administrative d'appel jugeant que l'administration avait à tort inclus dans les revenus professionnels de M. C. au titre de l'année 2009 la somme de 181 170 euros, alors que cette somme avait, ainsi que le contribuable l'indiquait lui-même dans ses écritures, déjà été déduite des bases d'imposition pour tenir compte de l'avis de la commission départementale. 

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 463750 ; M. C. représentant l'hoirie C., n° 464613)

 

54 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

V. n° 78

 

55 - Impôt sur les sociétés et contributions additionnelles - Société mère absorbée par une société devenue mère d'un nouveau groupe fiscalement intégré - Régime des déficits reportables - Moyen relevé d'office - Annulation.

Il résulte des dispositions des art. 223 A, 223 I, 223 L et 223 S du CGI qu'en principe les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré lorsque celui-ci a cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe en vertu de l'article 223 S du CGI.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l'espèce,  la société mère est absorbée par une société qui se constitue mère d'un nouveau groupe fiscal intégré avec les sociétés membres de l'ancien groupe, les déficits reportables constitués par l'ancien groupe sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante, sous réserve de l'obtention de l'agrément prévu en ce cas. Ces déficits, sous la condition qui vient d'être indiquée peuvent également être imputés sur les bénéfices des sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe.

Ainsi commet une erreur de droit l'arrêt d'appel confirmatif jugeant que la société Poweo, renommée Direct Energie, après avoir absorbé la société Direct Energie, mère du groupe fiscalement intégré constitué avec les sociétés Direct Energie Distribution et Direct Energie Génération, avait pu légalement cumuler le bénéfice des mécanismes d'imputation des déficits antérieurs à la constitution du nouveau groupe prévus respectivement par les dispositions du a du 1 et par celles du 5 de l'art. 223 I du CGI. En effet, ce jugeant la cour a méconnu le champ d'application des dispositions législatives en cause car elle a permis, sur le fondement du 5 de l'art. 223 I précité, l'imputation sur les bénéfices de la société absorbante des déficits constitués par l'ancien groupe qui lui avaient été transférés en vertu du 6 de cet article, alors que ces dispositions ne permettent l'imputation des déficits constitués par l'ancien groupe que sur les résultats des sociétés membres de ce groupe et qui font partie du nouveau groupe.

Ce moyen n'avait pas été soulevé par le ministre en cassation mais, parce qu'il concerne le champ d'application de la loi, il doit être relevé d'office par le juge  « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi ».

Semblablement, méconnaît le champ d'application de la loi le jugement du tribunal administratif dans cette affaire en ce qu'il a estimé que le 5 de l'article 223 I du CGI autorisait la société absorbante Poweo, au titre des déficits, à opérer sur ses bénéfices propres une imputation supplémentaire, le tribunal a méconnu le champ d'application de ces dispositions dès lors que les déficits antérieurs effectivement imputés par la société Direct Energie sur ses bénéfices propres de l'exercice clos en 2013 lui ont permis d'obtenir une déduction égale au plafond mentionné ci-dessus, quand bien même n'auraient pas été pris en compte les déficits constitués par l'ancien groupe et transférés en vertu du 6 de l'article 223 I du code général des impôts. En effet, les déficits subis par la société absorbante Poweo, renommée Direct Energie, antérieurement à la constitution du nouveau groupe fiscalement intégré ainsi que les déficits de la société absorbée qui lui avaient été transférés en vertu des agréments délivrés par l'administration fiscale respectivement sur le fondement du II de l'article 209 du CGI et du 6 de l'article 223 I dudit code, pouvaient être imputés uniquement sur ses bénéfices propres ultérieurs en application du a du 1 de cet article 223 I, dans la limite du plafond prévu par le troisième alinéa du I de l'article 209.

Là encore le moyen est relevé d'office.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 451553)

 

56 - Crédit d'impôt - Production d'électricité photovoltaïque - Biens amortissables dégressivement - Cas de travaux relatif à la mesure de l'électricité distribuée - Refus d'éligibilité au crédit d'impôt - Qualification inexacte des faits - Annulation de l'arrêt et rejet du recours.

Qualifie inexactement les faits de l'espèce la cour administrative d'appel qui juge que ne sont pas éligibles au crédit d'impôt prévu pour la réalisation d'installations productrices d'énergie au sens de l'article 22 de l'annexe II au CGI des travaux de raccordement au réseau public d'EDF relatifs à la mesure de l'électricité distribuée alors que le compteur situé au point de livraison et le dispositif d'échange d'informations d'exploitation installés à l'occasion de ces travaux de raccordement sont des installations indispensables et normalement utilisées pour la production d'électricité photovoltaïque exercée dans l'installation au titre de laquelle le crédit d'impôt était sollicité.

(14 décembre 2022, Société Cocli Energie, n° 447908)

 

57 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Inclusion dans l'assiette du calcul de cette cotisation de plus-values résultant de la cession d'immeubles - Condition d'activité normale et courante de l'entreprise (art. 1586 sexies CGI) - Cessions ne constituant pas l'activité normale de la contribuable - Erreur de qualification juridique et insuffisance de motivation - Annulation.

Il résulte des dispositions des art. 1585 quinquies et 1585 sexies du CGI que la CVAE est calculée sur le chiffre d'affaires réalisé et la valeur ajoutée produite notamment par les « plus-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante ».

La société requérante a pour objet social la location d'immeubles, mais aussi l'achat et la vente d'immeubles. Suite à une vérification menée par l'administration fiscale, elle conteste la réintégration dans sa base d'imposition à la CVAE du montant des plus-values qu'elle a réalisées lors de la cession d'immeubles.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d'appel a rejeté sa contestation car elle a estimé que les gains de cession d'immeubles perçus au cours des exercices vérifiés devaient être regardés comme résultant de l'activité normale et courante de la société. Elle s'est fondée à cet effet sur ce que l'objet social de la contribuable comprend non seulement la location, mais aussi l'achat et la vente d'immeubles et en a déduit que la vente d'immeubles fait partie de son activité normale et courante au sens et pour l'application de l'art. 1585 sexies CGI précité. Relevant ensuite qu'elle avait cédé neuf immeubles en 2011 et onze immeubles en 2012, pour un prix de vente de plus de 4 millions d'euros chaque année, et effectué des cessions pour un montant équivalent en 2009 et 2010, elle a jugé que ces cessions avaient un caractère régulier, que les plus-values en résultant, de l'ordre de deux millions d'euros en 2011 et trois millions d'euros en 2013, représentaient une part significative des profits de la société, dont le résultat d'exploitation s'élevait pour ces années à environ six millions d'euros, et enfin que la société n'apportait aucune précision sur les raisons pour lesquelles elle avait décidé de céder les biens en cause. En conséquence, elle en a conclu que la vente d'immeubles faisait partie intégrante de l'activité économique de la société et de son modèle économique.

Pour annuler cette motivation qui, en apparence, paraissait assez solide, le juge de cassation reproche à la cour d'avoir commis une erreur de qualification juridique en jugeant que les plus-values devaient être incluses dans l'assiette de la CVAE à laquelle la requérante a été assujettie au titre des années 2011 et 2012. En effet, le juge retient que la société faisait valoir, sans être sérieusement contredite par l'administration, que ces cessions, dont elle ne contestait pas le caractère régulier, ne portaient que sur une dizaine d'immeubles par an, quantité qui devait être rapportée à la détention d'un parc total d'environ deux cent quatre-vingts immeubles. Ainsi pouvait-elle soutenir que ces cessions n'étaient aucunement indispensables à la bonne santé financière de l'entreprise car les produits d'exploitation locatifs se montant à près de quatorze millions d'euros par an et le résultat d'exploitation étant largement bénéficiaire indépendamment des plus-values de cession, son modèle économique reposait sur la détention durable des immeubles qu'elle mettait en location, leur cession n'étant pas systématiquement dictée par une dépréciation de ces immeubles dans le temps, et ne procédant pas d'une stratégie pré-établie de cessions systématiques ou à bref délai, mais d'arbitrages ponctuels, en fonction de l'état de l'immeuble et de facteurs locaux de commercialité.

(16 décembre 2022, Sarl Soval, n° 448403)

 

58 - Société gérant des activités de direction de sociétés spécialisée dans l'intérim - Reprise du fonds de commerce de cette société - Sous-location de ses anciens locaux par ladite société - Cessation de l'assujettissement à la TVA - Erreur de droit - Annulation.

La requérante - dont l'objet est la direction de sociétés spécialisées dans l'intérim - a demandé en vain au juge administratif de prononcer la décharge des rappels de TVA dont elle a fait l'objet et des pénalités dont étaient assortis ces rappels ainsi que le remboursement d'un crédit de TVA.

La cour administrative d'appel avait jugé que la circonstance que la société Qualygest France avait procédé à la sous-location des locaux - dans lesquels elle avait exercé son activité - au repreneur de son fonds de commerce ne permettait pas de la regarder comme ayant conservé la qualité d'assujettie à la TVA après la cession du fonds dès lors qu'elle aurait pu résilier le bail et qu'elle s'était bornée à facturer des sous-loyers.

Le Conseil d'État est à la cassation car il résulte des dispositions de l'art. 256 A du CGI que la sous-location constitue une activité économique et qu'elle entre ainsi dans le champ d'application de la TVA contrairement à ce qu'a jugé l'arrêt d'appel.

(16 décembre 2022, Société Qualygest France, n° 452853 et n° 452855)

 

59 - Livraison de terrains à bâtir - Conditions d'exonération de TVA - Gestion d'un patrimoine privé et non commercialisation foncière - Rejet.

Le pourvoi était dirigé contre un arrêt d'appel en ce qu'il a jugé que les démarches entreprises en l'espèce par les propriétaires avant la cession des parcelles en cause n'étaient pas au nombre des démarches actives de commercialisation foncière et que, par suite, ils ne pouvaient être regardés comme ayant exercé une activité économique en procédant à cette cession.

Pour rejeter le pourvoi du ministre, le Conseil d'État rappelle que l'assujettissement à la TVA de la cession, par une personne physique, d'un terrain à bâtir, est possible dans deux grandes catégories de situations : soit cette cession procède, non de la simple gestion d'un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu'elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique, soit est, par là, réalisée une opération d'aménagement d'un terrain à bâtir, d'une ampleur telle qu'elle ne saurait relever de la simple gestion d'un patrimoine privé.

Cette catégorisation a sa logique étant toutefois observé que plus le terrain cédé par une personne physique est de grandes dimensions plus il y a de risque pour son propriétaire de relever de la seconde catégorie (ampleur de l'opération) ce qui introduit subtilement - et peut-être involontairement - une distinction fondée sur la surface au regard du champ d'application de laTVA, conséquence  sans doute inaperçue par le législateur.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

 

60 - Pourvoi incident portant sur une imposition distincte de celle sur laquelle porte le pourvoi principal - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d'une solution constante : est irrecevable le pourvoi incident portant sur une imposition (ici l'impôt sur le revenu) différente de celle sur laquelle porte le pourvoi principal (la TVA). La raison en est que tout recours incident voit sa recevabilité subordonnée à ce que son contenu soit en étroit rapport avec l'objet du litige principal faute quoi il saisit le juge d'un litige nouveau, ce qui est le cas lorsque l'incident porte sur l'impôt sur le revenu tandis le principal concerne la TVA.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

 

61 - Pénalités fiscales - Pénalité de 40% pour défaut de dépôt dans les délais d'une déclaration fiscale ou de production de pièces nécessaires à l'établissement de l'impôt - Principe de personnalité des peines et principe de responsabilité petsonnelle - Conditions d'application et d'exception - Annulation.

Le pourvoi du ministre tendait à l'annulation d'un arrêt d'appel ayant prononcé la décharge de la majoration de 40% mise à la charge d'une société pour retard dans la souscription d'une  déclaration en vue de l'imposition.

Dans une rédaction solennelle et soignée, le juge de cassation rappelle le double principe gouvernant l'infliction de pénalités fiscales.

En premier lieu, est posée la règle que le principe de responsabilité personnelle et le principe de personnalité des peines s'opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles répriment, puissent être prononcées à l'encontre de contribuables lorsque ceux-ci n'ont pas participé aux agissements que ces pénalités sanctionnent.

En second lieu cependant, il est indiqué que doit être regardé comme ayant pris personnellement part à un tel manquement la personne morale associée d'une société de personnes dont le gérant est aussi celui de cette société de personnes, ainsi que, le cas échéant, ce gérant s'il est lui-même associé de cette dernière société. 

En l'espèce, la cour a relevé que pour infliger la pénalité litigieuse l'administration n'établissait pas la participation de la société demanderesse (Sarl Fiorim) au retard déclaratif de son associée la SCI Les Terrasses du Prieuré. Pour annuler cet arrêt le Conseil d'État relève l'erreur de droit ayant consisté pour la cour à ne pas relever que la même personne était à la fois gérante des deux sociétés ce qui permettait que les pénalités en cause fussent mises à la charge de la société Fiorim.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 461887)

 

62 - Détermination du domicile du contribuable - Lieu d'adresse des actes de procédure administrative fiscale non contentieuse - Obligation pour l'administration fiscale d'établir où le redevable habite effectivement - Erreur de droit - Annulation.

Rappel de ce qu'il est toujours possible à l'administration de ne pas adresser les actes de procédure fiscale non contentieuse à l'adresse indiquée par le contribuable dès lors qu'elle établit le caractère fictif du domicile dont l'adresse lui a été indiquée. En ce cas, elle est fondée à retenir une autre adresse si elle prouve que c'est celle où le contribuable réside effectivement.

Par ailleurs, s'il est établi que le contribuable a eu connaissance de ces actes, il importe peu qu'ils aient été adressés à une adresse erronée ou qu'ils aient été retirés par des personnes qui n'y avaient pas été habilitées. 

En l'espèce, la cour avait jugé que, le contribuable ne résidant plus à l'adresse aux États-Unis dont l'administration fiscale avait connaissance ni dans une certaine rue sise à Aix-en-Provence comme il le soutenait, l'administration avait pu notifier ces actes de procédure à l'adresse de sa mère à Aix-en-Provence dans la mesure où, ressortant des relevés bancaires obtenus dans le cadre du droit de communication, cette adresse était la seule dont l'administration disposait.

En jugeant sur cette base que ces actes avaient été régulièrement notifiés au contribuable la cour a commis une erreur de droit car elle n'a pas recherché soit si le contribuable résidait effectivement à l'adresse de sa mère soit s'il avait eu connaissance des actes de procédure notifiés à cette adresse. 

Le pourvoi du redevable, fondé sur ce moyen, est admis au fond et l'arrêt annulé avec renvoi à son auteur.

(16 décembre 2022, M. A., n° 454528)

 

63 - Taxe professionnelle - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas d'exonération - Cotisation foncière des entreprises - Annulation pour l'essentiel.

Le groupement demandeur, opérateur de manutention portuaire du terminal dans le grand port maritime de Dunkerque, assure le déchargement des navires porteurs de grands vracs secs tels que charbon et minerais, le stockage de ces vracs sur des parcs à ciel ouvert et le rechargement, principalement sur navires et rail, en vue de l'alimentation en matières premières des industries lourdes françaises ou européennes.

Ce groupement a fait l'objet de cotisations supplémentaires de taxe professionnelle pour deux années et de cotisation foncière des entreprises pour une autre année. 

La demande de décharge de ces impositions supplémentaires a été partiellement accueillie par l'arrêt d'appel infirmatif contre lequel le ministre des finances se pourvoit.

Au visa des art. 1467 (taxe professionnelle), 1469 (détermination de la valeur locative), 1381 (taxe foncière sur les propriétés bâties) et 1382 (exonérations de la taxe foncière sur les propriétés bâties) du CGI, le juge de cassation estime que la cour administrative d'appel a à bon droit considéré  que, étant  spécifiquement adaptés à l'activité du GIE, le fossé filtrant et le parc à raclure ainsi que les installations relatives à l'éclairage du site et à la distribution électrique utilisées notamment pour le déchargement à quai de nuit, n'étaient pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 du CGI comme exceptés de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties qu'institue l'art. 1381 du CGI.

Puis, il juge, au contraire, que la cour a, à tort, considéré comme spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel, quand bien même elles concourent à celles-ci, les immobilisations relatives aux portails d'accès, tout comme les travaux liés à l'aménagement des terre-pleins de stockage et à leur desserte ainsi que les travaux d'enrochement du sol et de reprofilage, qui se rapportent directement aux installations de stockage des pondéreux, entrent dans le champ d'application du 1° de l'article 1381 du CGI, tandis que les travaux liés à la desserte ferroviaire entrent, en tant qu'accessoires de la voie, dans le champ d'application de son 2°. De même, les travaux relatifs à la lagune d'évacuation, qui s'apparentent à des travaux de terrassement, entrent dans le champ du 1° de l'article 1381 et ne constituent pas, au demeurant, des outillages, installations et moyens matériels d'exploitation au sens du 11° de l'article 1382 du même code. Il en va également ainsi des systèmes de collecte d'eau et d'assainissement qui, pour l'essentiel, s'apparentent au creusement de tranchées et ne peuvent être distingués des installations de stockage sur lesquelles ils sont réalisés.

Enfin, par suite de ce qui précède, la cour ne pouvait juger que la valeur locative des biens du GIE exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties étaient, de ce fait même, exonérés de taxe professionnelle. 

La complexité et l'enchevêtrement de textes - eux-mêmes très illustratifs d'une volonté de maximiser la ressource fiscale qui atteint ici un sommet - conduisent inévitablement à un échafaudage virevoltant et ébouriffant où les meilleurs juges y perdent leur latin.

(16 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 456646)

 

64 – Existence d’une rémunération occulte – Écritures comptables comportant un objet réel identifiable - Dénaturation de pièces et erreur de droit - Annulation sans renvoi.

C'est au prix d'une dénaturation des pièces du dossier et d'une erreur de droit qu'une cour administrative d'appel aperçoit l'existence d'un avantage ou d'une rémunération occulte en l'espèce.

La société requérante, à la suite d'un  protocole d'accord entre la société SHS, qu'elle avait acheté, et l'ensemble des plaignants dans le cadre d'une action collective (ou class action, celle-ci s'étant déroulée aux États-Unis), aux termes duquel les parties s'engageaient à mettre un terme définitif à leur action contre le paiement, par la société SHS, d'un montant de 75 millions de dollars pour les actionnaires jugés recevables par un tribunal de New-York (c'est-à-dire ceux ayant acquis les actions litigieuses à la bourse de New-Yok) et de 40 millions de dollars pour les actionnaires non recevables (c'est-à-dire ceux ayant acquis les actions litigieuses à la bourse de Zurich). La société Scor SE a versé à sa filiale SHS la somme de 30 585 390 euros en application d'un protocole transactionnel conclu le 30 juin 2008 entre les deux sociétés pour couvrir le coût de l'indemnisation versée par la société SHS aux actionnaires non recevables.  Elle a porté le montant de cette subvention au compte 91100112 « Contribution Switzerland AG », sous le libellé « contrib class action Switz ». Le document de référence de la société Scor SE pour l'année 2008, d'une part, présentait en détail les étapes du litige entre la société Converium devenue SHS et ses anciens actionnaires, notamment la conclusion du protocole susmentionné, pour lequel il était précisé qu'il couvrait également les actionnaires qui n'avaient pas été jugés recevables pour l'action de groupe, et d'autre part, précisait que l'issue de l'un ou plusieurs de ces litiges « pourrait avoir un impact défavorable significatif sur la situation financière ou les résultats des opérations du Groupe ». 

La cour a cru devoir juger que le libellé et l'enregistrement comptable ne permettaient pas d'identifier la somme versée à la filiale SHS de sorte que la société Scor SE n'était pas fondée à contester le caractère occulte de l'avantage consenti, d'autant que la charge en cause aurait dû être enregistrée en charge exceptionnelle et non en charge par nature.

Très logiquement, le juge de cassation relève que le versement litigieux ayant été présenté par la société dans sa comptabilité d'une façon permettant d'identifier l'objet réel de la dépense et son bénéficiaire, la cour a, par l'arrêt querellé et qui est pour ce double motif cassé, dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et commis une erreur de droit. 

(16 décembre 2022, Société Scor SE, n° 459047)

 

65 - Qualification comme avantage occulte - Loyer versé pour une partie de l'appartement occupé par un contribuable - Versement par ce dernier d'un loyer pour le même appartement - Libéralité consentie à la société propriétaire - Absence de preuve d'une libéralité consentie au locataire - Annulation.

Méconnaît les dispositions du c de l'art. 111 du CGI qui définit les rémunérations et avantages occultes, l'arrêt d'appel qui aperçoit une libéralité en faveur du requérant dans la circonstance qu'une société verse à la société propriétaire de l'appartement qu'il occupe un loyer couvrant 40% de la sperficie de l'appartement et alors que le requérant verse lui-même un loyer à raison de cet appartement à ladite société propriétaire.

Si ce mécanisme atteste de l'existence d'une libéralité de la société versant une part du montant du loyer à la société propriétaire, cela n'établit pas ipso facto que le demandeur aurait bénéficié d'une prise en charge par la société versant une fraction du loyer, de dépenses qui auraient normalement dû incomber au demandeur. 

(16 septembre 2022, M. B., n° 461118)

(66) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge qu'alors même que les requérants avaient présenté des facturations dissociées pour les parties - d'un immeuble classé à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques - déjà utilisées en logements et pour celles résultant d'un agrandissement de surface ou d'une nouvelle affectation, les travaux en cause, eu égard à leur nature et à leur ampleur, devaient être regardés dans leur ensemble comme des travaux d'agrandissement et de reconstruction alors qu'il incombait à la cour de rechercher si, au sein des travaux en cause, les dépenses de réparation et d'entretien pouvaient être dissociées des dépenses de reconstruction ou d'agrandissement, et en écartant comme inopérante la circonstance que des pièces avaient été produites en ce sens : 16 décembre 2022, M. et Mme B., n° 461335.

 

67 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFB) - Travaux entraînant la destruction d'un immeuble ou affectant son gros-oeuvre - Exonération de taxe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui estime que des travaux n'ayant pas porté atteinte de manière significative aux éléments porteurs des immeubles servant d'assiette à la TFB ne sauraient être considérés comme ayant porté  atteinte à leur gros œuvre alors que des travaux peuvent porter atteinte au gros œuvre d'un bâtiment sans nécessairement en affecter les éléments porteurs. 

C'est à bon droit que la société redevable soutenait que les immeubles en litige dont elle est propriétaire n'étaient pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

(16 décembre 2022, Sarl Pamier, n° 461939)

 

68 - Comptabilité publique - Responsabilité du comptable public - Prohibition de tout contrôle de légalité sur l'acte administratif à l'origine de la créance - Annulation avec renvoi à la Cour des comptes.

La Cour des comptes a mis en débet l'agent comptable d'une université puis, par arrêt définitif, l'a déclarée débitrice envers cette dernière du montant du versement, à dix de ses agents, d'un complément indemnitaire intitulé «compensation logement ». 

Il lui est reproché de n'avoir pas suspendu le paiement d'une indemnité qui ne pouvait pas trouver son fondement dans le texte législatif visé par la délibération du conseil d'administration de l'université l'ayant instituée en faveur des agents des catégories B et C.

Le Conseil d'État casse cet arrêt en rappelant à une Cour des comptes très rétive en cette matière que si les comptables doivent vérifier, y compris au moyen d'une appréciation juridique, le caractère complet, précis et cohérent des pièces justificatives de la dépense engagée au regard de la catégorie de la dépense et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité. 

Par suite, en fondant la décision contestée sur l'inexercice par la comptable d'un contrôle de légalité sur la délibération instituant la catégorie de dépense en cause, la Cour des comptes a commis une erreur de droit.

(27 décembre 2022, Mme A. c/ Cour des comptes, n° 453533)

 

69 - Comptabilité publique - Responsabilité du comptable public d'un établissement médico-social - Versement d'une indemnité de sujétion - Existence d'un préjudice financier pour l'établissement - Erreur de droit - Plan de contrôle incomplet établi par le comptable public - Refus de remise gracieuse - Annulation et renvoi partiels à la Cour des comptes.

Le comptable public d'un établissement médico-social est condamné par un arrêt partiellement infirmatif de la Cour des comptes pour le paiement irrégulier d'une indemnité de sujétion spéciale à divers personnels non médicaux titulaires de l'établissement à raison du préjudice financier ainsi causé à l'établissement ; cette juridiction lui a refusé le bénéfice d'une remise gracieuse totale des sommes mises à sa charge.

Sur pourvoi, le Conseil d'État estime que c'est par erreur de droit que la Cour a retenu l'existence d'un préjudice financier au détriment de l'établissement employeur résultant du paiement de cette indemnité. En effet, le paiement de l'indemnité de sujétion spéciale ne pouvait pas préjudicier à l'établissement car le versement de cette indemnité était de droit pour les agents de l'établissement répondant aux conditions réglementaires (art. 1er du décret du 1er août 1990 relatif à l'attribution d'une indemnité de sujétion spéciale aux personnels de la fonction publique hospitalière) et il n'était pas contesté que tous les bénéficiaires de l'indemnité en litige répondaient à ces conditions.

En revanche, en refusant à ce comptable le bénéfice de la remise gracieuse pour les sommes restant en litige, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit dès lors que celui-ci avait établi pour le second semestre 2015 un plan de contrôle sélectif de la paye, approuvé par la direction départementale des finances publiques de la Gironde le 8 juillet 2015, qui ne prévoyait pas les modalités de contrôle des trois indemnités constitutives des charges retenues à son encontre. Faute, du fait de cette omission, de s'être donné les moyens d'exercer un contrôle exhaustif sur ces indemnités, le comptable ne pouvait pas solliciter le bénéfice d'une remise gracieuse totale. 

(28 décembre 2022, M. A. c/ Cour des comptes, n° 441052)

 

70 - Société - Impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux - Proposition de rectification - Non réponse dans le délai réglementaire - Délai de reprise - Non respect - Rejet.

Le contribuable destinataire d'une proposition de rectification de sa déclaration d'impôt dispose, selon les cas, de trente ou de soixante jours, pour présenter ses observations sur cette proposition. La simple indication par le contribuable, dans ce délai, du refus des rectifications envisagées ne saurait tenir lieu des « observations » prévues à l'art. L. 57 du livre des procédures fiscales (LPF) et, par suite, ne saurait proroger le délai imparti pour les formuler de sorte qu'en l'espèce, reçues par l'administration fiscale le 6 mars, les observations du contribuable en réponse à une notification de la proposition de rectification notifié les 17 et 20 décembre précédent étaient tardives et ne pouvaient donc pas être retenues.

Par ailleurs, le bénéfice du délai spécial de reprise de deux ans prévu par le deuxième alinéa, alors en vigueur, de l'article L. 169 du LPF, était subordonné à la réception, par le service des impôts des entreprises, dans le délai de huit mois prévu aux art. 1649 quater E et 1649 quater H du CGI à compter de la réception par le centre de gestion agréé ou l'association agréée des déclarations de leur adhérent, de la copie du compte rendu de mission établi par ces centres ou associations au titre des exercices en cause, à la suite du contrôle de la concordance, de la cohérence et de la vraisemblance de ces déclarations. Faute qu'en l'espèce l'administration ait été rendue destinataire, dans le délai de huit mois suivant la date de réception des déclarations des résultats de la société des requérants par l'organisme agréé auquel elle avait adhéré, du compte rendu de mission établi par cet organisme au titre de l'exercice en cause, la circonstance que la société aurait remis ce compte rendu en main propre au vérificateur le jour de la première intervention de celui-ci n'était pas de nature à régulariser le défaut de transmission par l'organisme agréé au service des impôts des entreprises.

(21 décembre 2022, M. et Mme B., n° 461493)

(71) V. aussi, précisant que si le délai de trente jours prévu à l'art. L. 57 du LPF est un délai franc, l'octroi au contribuable d'un délai de soixante jours n'a pas pour effet de le faire bénéficier de deux délais francs de trente jours chacun mais d'un unique délai franc de trente jours augmenté de trente jours non francs : 21 décembre 2022, M. A., n° 462224.

 

72 - Dividendes - Date de mise à disposition du contribuable - Clause d'indisponibilité voulue par le contribuable - Acte de disposition de ce dernier - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit et doit être annulé l'arrêt jugeant que des dividendes préciputaires versés par une société aux requérants ne pouvaient être regardés comme ayant été mis à la disposition de ces époux, car ces sommes, ayant été inscrites sur un compte courant d'associés bloqué par l'effet des stipulations d'une convention de subordination conclue en 2007 entre, notamment, la société attributrice des dividendes, les requérants  et plusieurs banques, cette circonstance faisait juridiquement obstacle à leur retrait au cours de l'année de leur attribution. En effet, la cour devait relever que M. B. avait été à l'origine de cette convention de subordination d'où il résultait, en dépit de l'antériorité de celle-ci, que l'indisponibilité des dividendes en litige ne procédait que d'un acte de disposition de la part du contribuable.

(21 décembre 2022, M. et Mme B., n° 462533)

 

73 - Avantage fiscal - Abattement d'un tiers chaque année, après cinq ans de détention des titres, des gains nets réalisés dans les sarl (art. 150-0 D ter du CGI) - Règle d'interprétation stricte - Dérogation ne pouvant concerner que le gérant statutaire lui-même - Absence d'inconstitutionnalité - Rejet de la demande de transmission d'une QPC et rejet au fond.

Les dispositions de l'art. 150-0 D ter du CGI, qui accordent au gérant d'une sarl l'avantage fiscal d'un abattement d'un tiers chaque année - après cinq ans de détention des titres - des gains nets réalisés dans certaines sociétés, sont d'interprétation stricte ; elles ne s'appliquent qu'au seul gérant statutaire non au gérant de fait ni à celui agissant sur délégation de pouvoirs de la part du gérant statutaire.

Cette limitation au seul gérant statutaire ne contrevient pas au principe constitutionnel d'égalité de traitement de situations semblables dès lors, précisément, d'une part, que les gérants de fait de telles sociétés, qui n'ont pas été régulièrement nommés et ne peuvent dès lors être regardés comme porteurs des intérêts sociaux de la personne morale, peuvent seulement être tenus responsables des préjudices causés par leur immixtion autonome dans la conduite des affaires de ces sociétés et, d'autre part, que les personnes disposant de délégations les autorisant à agir au nom du gérant de la société ne bénéficient que d'une capacité limitée, compte tenu du caractère révocable de tels mandats, exercés sous le contrôle du gérant et ne pouvant jamais avoir pour effet de transférer l'intégralité de la responsabilité sociale attachée au dirigeant de droit. D'où résulte le refus de transmission de la QPC.

(21 décembre 2022, M. et Mme A., n° 465669)

 

74 - Société n’ayant pas pour objet social la cession de biens immobiliers – Cession de parcelles pour impossibilité d’y édifier la construction projetée – Soumission à la TVA – Rejet.

La requérante a pour objet social l'acquisition, la gestion et l'administration de biens immobiliers et se trouve assujettie à la TVA en raison de cette activité de location de terrains et d’immeubles.

Elle a acquis sept parcelles susceptibles d’être construites et a revendu cinq d’entre elles sur lesquelles elle ne pouvait édifier la construction qu’elle envisageait.

Se posait la question de savoir si cette revente devait être soumise à la TVA.

Pour la société requérante, il ne s’agissait que d’une activité de gestion de son patrimoine, la cession étant motivée par l’obtention d’informations selon lesquelles ne pouvait y être construite la maison d’habitation projetée qu’elle comptait donner en location.

Au contraire, l’administration, confirmée par les juges du fond et ces derniers par le juge de cassation dans la présente décision, soutenait au contraire que cette cession était soumise à la TVA.

Le Conseil d’État, confirmant cette analyse, juge qu’alors même que l'objet social de la société ne comprenait pas la cession de biens, la société Vin Rox, du fait de la cession en l’espèce des cinq parcelles en cause, lesquelles avaient le caractère de terrains à bâtir, devait être regardée comme s'étant livrée non à la gestion de son patrimoine comme elle le prétendait mais à l'activité économique pour laquelle elle était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, à savoir l'activité d'achat de terrains à bâtir en vue d'y construire des biens destinés à la location, quand bien même ces terrains constitueraient un actif immobilisé et non un stock, car cette activité comporte nécessairement le risque que certains d'entre eux se révèlent impropres à l'usage qu'elle entendait en faire et soient cédés afin d'assurer la pérennité de l'activité.

(21 décembre 2022, Société Vin Rox, n° 459476)

 

Droit public de l'économie

 

75 - Tarif des redevances aéroportuaires à l'aéroport de Toulouse-Blagnac - Homologation par l'Autorité de régulation des transports (ART) - Transposition correcte de la directive sur les redevances aéroportuaires - Complétude de l'information de la commission consultative économique - Institution d'une redevance par bagage enregistré - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision de l'ART homologant  les tarifs des redevances aéroportuaires de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, en tant qu'elle a homologué le tarif de la redevance par bagage et le tarif de la redevance par passager ou, subsidiairement, dans son ensemble.

Le recours est rejeté en ses divers moyens et tout d'abord en ce qu'il était prétendu par la voie de l'exception, l'imparfaite transposition, par les dispositions législatives et règlementaires (code des transports et code de l'aviation civile) en cause, du paragraphe 2 de l'article 6 de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires. Le Conseil d'État estime que si les dispositions de ce § 2 s'imposent aux États membres qui, comme la France, ont, en vertu du paragraphe 5 de l'article 6 de la même directive, retenu « une procédure obligatoire en vertu de laquelle les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal sont déterminés ou approuvés par l'autorité de supervision indépendante », elles doivent être entendues, dans ce cas, comme fixant pour objectif de prendre en compte, lors de la modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires, l'avis des usagers sans, toutefois, que puissent être mises à la charge de l'entité gestionnaire de l'aéroport des obligations relatives à la décision prise par l'autorité de supervision indépendante. 

Pour le reste, il est jugé :

- que la commission consultative économique, contrairement à ce qui est soutenu, a disposé de l'ensemble des informations requises par les dispositions réglementaires applicables pour lui permettre d'émettre valablement un avis sur les propositions de tarifs ;

- que c'est sans erreur de droit que l'ART a homologué les tarifs des redevances proposés par la société Aéroport de Toulouse-Blagnac en ce qu'ils ont prévu la création d'une redevance accessoire destinée à couvrir ces services complémentaires que constituent la mise à disposition des installations de tri des bagages ;

- que dans la mesure où la redevance par bagage porte sur chaque bagage enregistré et utilisant les installations de l'aérodrome destinées à traiter les bagages, elle est la contrepartie directe du service ainsi défini, c'est pourquoi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'assiette retenue pour la redevance, fixée par bagage, ne serait pas adaptée à son objet ou présenterait un caractère discriminatoire;

- qu'en proposant les tarifs litigieux l'ART, en isolant les coûts liés aux installations de tri, de traçabilité et de distribution des bagages et en appliquant un taux d'augmentation uniforme de 3,5 % à l'ensemble des redevances ainsi identifiées, n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les dispositions de l'article L. 6327-2 du code des transports ont pour objet de protéger les usagers d'une hausse excessive de ces tarifs.

Enfin, le système dit « système de réconciliation des bagages » déployé par l'Aéroport de Toulouse-Blagnac consiste en la mise à disposition des installations de traçabilité des bagages enregistrés au départ jusqu'aux points de livraison des bagages. La circonstance que la redevance pour bagages puisse inclure un tel système ne suffit pas à établir que ce système relèverait des services d'assistance en escale définis aux articles L. 6326-1 du code des transports et R. 216-1 du code de l'aviation civile et constituerait ainsi un service concurrent de celui déployé par certains usagers de l'aéroport ou leurs prestataires.

(8 décembre 2022, Syndicat des compagnies aériennes autonomes et chambre syndicale du transport aérien, n° 462429)

 

76 - Hausse importante du prix des carburants - Création d'une aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants - Exclusion de l'essence d'aviation - Différence objective de situation et caractère non disproportionné de la différence de traitement instituée - Rejet.

Les deux requêtes contestaient la juridicité des décrets des 25 mars, 22 août et 25 octobre 2022 relatifs à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants en tant qu'ils excluent du dispositif d'aide l'essence d'aviation. Les recours sont rejetés.

Le décret du 25 mars 2022 n'avait pas à être contresigné des ministres chargés de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, de la mer et de l'agriculture. Ce décret ne rompt pas l'égalité car l'exclusion du bénéfice de l'aide des consommateurs de l'essence d'aviation correspond à une différence de situation qui est en rapport direct avec l'objet du décret attaqué et ne traduit pas une différence de traitement qui serait manifestement disproportionnée. En effet, cette aide est destinée à réduire les prix des carburants qu'elle identifie au profit des ménages ainsi que des entreprises produisant et distribuant des biens et services de consommation courante.

Le décret du 22 août 2022 n'avait pas plus à être contresigné par les ministres susmentionnés que le décret du 25 mars et, pas davantage ne porte-t-il atteinte tant au principe d'égalité qu'à celui de libre concurrence au détriment du secteur aérien.

Enfin, le décret du 25 octobre 2022 ne souffre pas des vices susindiqués et, en outre, il ne méconnaît pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. (8 décembre 2022, Fédération française aéronautique, n° 464222 ; Groupement des industriels et professionnels de l'aviation générale, n° 464227, jonction)

(77) V. aussi, jugeant illégal, en premier lieu, le premier alinéa de l'article 17 du décret du 25 mars 2022 relatif à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants en tant qu'en prévoyant que cette aide n'entre pas dans la définition et le calcul des charges de carburants et en faisant ainsi obstacle à ce qu'elle soit intégrée dans les mécanismes de détermination des charges et du coût du carburant, il viole les dispositions des art. L. 3221-2 et L. 3222-1 du code des transports; et jugeant illégal, en second lieu, le second alinéa de l'art. 17 du décret du 25 mars 2022, qui a pour effet de modifier le mécanisme d'indexation des prix et charges des contrats concernés par ces dispositions en le fondant sur des données qui ne sont plus en rapport direct avec ceux effectivement constatés, méconnaissant ainsi l'objet des dispositions de cet art. L. 3222-2. Le juge prononce un différé au 1er janvier 2023 des effets de l'annulation qu'il prononce : 8 décembre 2022, Fédération des distributeurs alimentaires spécialisés, n° 464397.

 

78 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

La Société Les Sablières de l'Atlantique a été autorisée à procéder à l'extraction de granulats dans une zone située au large des côtes du département de la Loire-Atlantique, entre Saint-Nazaire et La Baule. A raison de cette autorisation, elle a été assujettie à la redevance d'archéologie préventive pour un montant de 1,2 millions d'euros environ.

Après qu'une première décision du Conseil d'État a cassé l'arrêt de la cour administrative d'appel déchargeant cette société du paiement de cette redevance, ce dernier est à nouveau saisi d'un pourvoi en cassation dirigé contre l'arrêt d'appel qui, à la suite de la cassation, a réitéré sa solution précédente fondée sur ce que cet impôt, en tant qu'il sert à alimenter le budget de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), présentait le caractère d'une aide d'État qui n'avait pas été notifiée à la Commission européenne etqui était donc, comme telle, illégale. En effet, selon la cour, il ne résultait pas de l'instruction qu'eu égard aux modalités de calcul de la redevance, la fraction de cette taxe reversée à l'INRAP ne dépassait pas ce qui était strictement nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des missions d'intérêt général assurées par l'établissement. Ainsi, compte tenu du non respect de  l'obligation de notification préalable de l'aide, la redevance ne pouvait pas être perçue ; par voie de conséquence, la cour a rejeté l'appel de la ministre de la culture dirigé contre le jugement du tribunal administratif prononçant la décharge de la redevance. 

Le Conseil d'État casse cet arrêt confirmant le précédent arrêt de cette même cour.

Pour cela, le juge rappelle d'abord que l'INRAP, d'une part, exerce une activité de diagnostics d'archéologie préventive et de recherche relevant d'une mission de service public non ouverte à la concurrence, d'autre part, assure une activité de fouilles archéologiques, devenue concurrentielle depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 modifiant la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive. A ce double titre, cet institut recevait, jusqu'au 31 décembre 2015, une fraction du produit de la redevance d'archéologie préventive, des subventions publiques et la rémunération des opérations de fouilles qu'il réalise. 

Ensuite, le Conseil d'État relève deux éléments en sens contraire du raisonnement de la cour. En premier lieu, il résultait des dispositions de l'art. L. 524-11 du code du patrimoine qu'une partie du produit de la redevance, d'un montant discrétionnairement fixé chaque année par les autorités compétentes, au-delà d'un seuil minimum de 30 %, était affectée au Fonds national pour l'archéologie préventive alors qu'une autre partie de ce produit était affectée aux collectivités territoriales ou à leurs groupements à raison des activités de diagnostic réalisées par leurs services d'archéologie. En second lieu, l'art. L. 524-1 du même code prévoyait que le budget de l'établissement était abondé par des subventions étatiques, systématiquement versées afin de pallier l'insuffisance de rendement de la redevance pour couvrir les seuls coûts des activités non ouvertes à la concurrence de l'INRAP.

Enfin, il conclut de là « qu'à supposer même que, compte tenu du cumul des financements publics dont l'établissement bénéficiait à la date du fait générateur de la taxe (sic)  en litige, des subventions croisées entre les activités non-concurrentielles et les activités concurrentielles de l'INRAP aient pu avoir lieu, lesquelles constitueraient alors une aide d'État au secteur concurrentiel, la redevance d'archéologie préventive ne saurait en tout état de cause être regardée comme nécessairement affectée au financement de cette aide d'État et comme étant de nature à influencer directement son importance

Non seulement la cour aurait commis une erreur de droit mais encore lui impartissait-il de relever même d'office que la redevance litigieuse n'entrait pas dans le champ d'application des stipulations des articles 107 et 108 du TFUE, relatives aux aides d'État, « faute de lien d'affectation contraignant entre cette taxe et les éventuelles aides d'État dont aurait bénéficié l'INRAP au titre de ses activités concurrentielles de fouilles archéologiques."

L'argumentation peine à convaincre car le versement de la redevance, quelle que fût sa part dans le financement global de l'INRAP, était indispensable à la viabilité financière de cet établissement public ; il nous semble qu'il relevait donc du régime des aides d'État dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la CJUE (grande chambre, 22 décembre 2008, Société Régie Networks contre Direction de contrôle fiscal Rhône-Alpes Bourgogne, aff. C-333/07) d'ailleurs citée dans la décision du Conseil d'État que pour apercevoir une absence d'aide d'État, il faut que « le produit de la taxe concernée n’influen(ce) pas directement l’importance de l’aide ». Cette condition négative posée par la CJUE (point 103) ne semble pas satisfaite ici.

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

 

79 - Activité d'émission et de gestion de monnaie électronique - Notion de monnaie électronique - Notion de collecte de fonds - Interdiction temporaire d'exercice de cette activité - Exercice de cette activité, à titre d'activité nouvelle, sous un régime dérogatoire (art. L. 525-1, code monétaire et financier) - Obligations s'imposant à l'émetteur de monnaie électronique - Rejet.

La société requérante, agréée en qualité d'établissement émetteur de monnaie électronique, a fait l'objet, de la part de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), d'une interdiction temporaire de poursuivre son activité d'émission et de gestion de monnaie électronique faute de bénéficier, depuis le 11 juillet 2021, de la garantie financière destinée à protéger les fonds qu'elle collecte, jusqu'à ce qu'elle justifie de nouveau d'un dispositif de protection des fonds conforme aux règles prudentielles applicables. L'ACPR a décidé de rendre publique cette décision à compter de sa date de prise d'effet.

La société demande l'annulation de ses décisions : son recours est rejeté.

Elle développe trois séries d'arguments : à l'encontre de l'interdiction temporaire d'exercice, contre la publication de celle-ci et contre le refus de l'autoriser à poursuivre son activité sous un régime dérogatoire.

A l'appui de sa contestation de la décision temporaire d'exercice, la société fait valoir trois moyens si l'on laisse de côté la simple allégation d'un détournement de pouvoir.

Tout d'abord, il est affirmé que son produit « Ticket Premium » ne constituerait pas une monnaie électronique au sens du code monétaire et financier (art. L. 315-1, I) ce que réfute le juge en relevant, d'abord, que cette société dispose bien, sur sa demande, d'un agrément en qualité d'établissement de monnaie électronique. En outre, elle propose à ses clients d'acquérir, par tout moyen habituel, dans un point de vente de son réseau, essentiellement composé de buralistes, un ticket qui comporte un code électronique PIN qu'elle émet et auquel est associée une ligne de valeur monétaire qui peut être soit consommée en ligne auprès des sites marchands, notamment de jeux et de paris en ligne, acceptant ce mode de paiement, soit remboursée sous conditions à hauteur de la créance détenue sur la société. Le produit « Ticket Premium » constitue donc, contrairement à ce que soutient la  demanderesse, une monnaie électronique.

Ensuite, si la société Wari Pay fait plaider qu'elle ne collecte aucun fonds du public au sens de l'article L. 526-32 du code monétaire et financier, en réalité, les fonds des clients sont collectés pour son compte et lui sont reversés par ses distributeurs dans le cadre d'un réseau de distribution mandaté à cet effet. De plus, il revient à la société requérante de rembourser aux sites marchands le montant des tickets consommés et aux utilisateurs celui des tickets non consommés. Il s'agit bien là d'une collecte des fonds au sens de l'art. L. 526-32 du code monétaire et financier.

Enfin, la société invoque la méconnaissance par l'ACPR de dispositions du code monétaire et financier en estimant que les intérêts de ses clients étaient susceptibles d'être compromis car l'encours à couvrir correspond aux seuls tickets non encore consommés, sans être périmés. Cependant, il est constant que la société Wari Pay ne justifiait plus, à compter du 11 juillet 2021, de la garantie des fonds qu'elle collectait, garantie qui est exigée par les dispositions de l'article L. 526-32 du code précité. Au surplus, il résulte d'un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 juin 2021 qui, tout en mettant fin à la procédure de redressement judiciaire de la société Wari Pay, a constaté que l'apport financier justifiant la clôture de cette procédure permettait à la société de financer seulement son activité pour les trois mois suivants et que la poursuite de celle-ci au-delà de cette période dépendait notamment de la mise en place d'une garantie financière après le 11 juillet 2021. La situation financière de la société était, à la date des décisions attaquées, fortement dégradée. Ainsi la mesure d'interdiction attaquée, de caractère temporaire dans l'attente de la justification de la mise en place d'un dispositif de protection des fonds des clients, était justifiée et ne revêtait pas un caractère disproportionné.

Concernant la décision de publication de l'interdiction temporaire, sont rejetés les moyens d'absence de base légale (cf. les dispositions de l'art. L. 612-1 du code précité) et de caractère disproportionné dès lors que cette publication vise l'information des clients actuels ou potentiels.

S'agissant du refus d'autoriser la continuation de l'activité sous le régime dérogatoire de l'art. L. 525-5 du code monétaire et financier,  celui-ci est fondé sur ce que la société requérante n'avait pas respecté l'obligation faite par l'art. L. 525-5 du même code, d'une notification préalable à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution afin que celle-ci puisse notamment s'assurer que les conditions d'exercice de cette nouvelle activité ne portent pas atteinte au respect par cet émetteur des obligations qui lui sont imposées par ailleurs pour l'exercice de l'activité d'émission et de gestion de monnaie électronique au titre de laquelle il a obtenu son agrément. Il en va notamment ainsi dans le cas où l'émetteur de monnaie électronique fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercer son activité au titre de laquelle il a obtenu son agrément et souhaite la poursuivre sous le régime dérogatoire de l'article L. 525-5 dudit code : il doit en faire la demande à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution afin que celle-ci apprécie si cette activité peut être exercée, durant la période d'interdiction temporaire, dans les conditions prévues par cet article. Il n'en va autrement que si l'émetteur renonce à l'agrément dont il bénéficie.

Par suite, le refus d'autoriser la poursuite de l'activité sous un régime dérogatoire est justifié.

(9 décembre 2022, Société Wari Pay, n° 456582)

 

80 - Épidémie de Covid-19 - Institution d'un fonds de solidarité pour certaines entreprises - Exclusion du bénéfice de l'aide pour les entreprises contrevenantes aux mesures sanitaires - Légalité - Rejet.

La requérante contestait certaines dispositions du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 en ce qu'elles excluent du bénéfice du fonds de solidarité celle des entreprises ayant fait l'objet d'un arrêté préfectoral de fermeture administrative sur le fondement du troisième alinéa de l'article 29 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

La requérante exploite un établissement accueillant la pratique du football en salle et a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de fermeture administrative pour manquement aux obligations prescrites, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour la lutte contre l'épidémie.

Rejetant les recours, le Conseil d'État juge que le décret excluant certaines entreprises du bénéfice de l'aide du fonds de solidarité n'est pas illégal dès lors qu'il s'agit d'entreprises dont la perte de chiffre d'affaires alléguée est en réalité imputable non à l'épidémie elle-même mais aux conséquences d'un tel manquement, ce refus ne saurait davantage être considéré comme présentant le caractère d'une sanction car il se borne à déterminer l'une des conditions d'attribution de cette aide, dont l'objectif, défini par les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020, est de venir en aide aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui ont été particulièrement touchées à la fois par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et par les mesures prises pour en limiter la propagation.

(16 décembre 2022, Société NT, n° 456434 et 456558)

(81) V. aussi, jugeant que ne sont pas illégales les dispositions du décret n° 2021-943 du 16 juillet 2021 instituant une aide visant à compenser les coûts fixes non couverts des entreprises dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19 et qui ont été créées après le 1er janvier 2019, en tant qu'elles ne bénéficient pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant son entrée en vigueur, celles-ci ne portant atteinte ni au principe d'égalité dans la mesure où elles ont seulement pour objet de soutenir les entreprises existantes dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19 et par les conséquences de la crise sanitaire, ni au droit de l'Union, les mesures litigieuses ayant été déclarées compatibles avec le marché intérieur par la Commission européenne : 16 décembre 2022, Société Compagnie Hôtelière de Nice,  société Couronne Arenas, société Hotelhop Nice Grand Arenas et société Balm Restaurant, n° 456746, n° 458350, n°  460048 et 460050.

 

Droit social et action sociale

 

82 - Licenciement d'une salariée protégée - Salariée italienne de l'ambassade du Brésil en France - Salariée de droit local - Acceptation de l'État étranger de voir ses salariés être soumis au droit français - Application du droit français et compétence des juridictions françaises - Annulation sans renvoi (affaire jugée au fond).

La Section du contentieux est amenée à trancher une très intéressante question de champ d'application du droit français et, conséquemment, de compétence des juridictions françaises en matière de droit social.

Une salariée protégée de nationalité italienne, recrutée par l'ambassade du Brésil en France, a fait l'objet d'un licenciement sans l'autorisation de l'inspection du travail, celle-ci ayant argué de son incompétence, position implicitement confirmée sur recours hiérarchique par ministre.

La salariée a saisi le juge administratif et elle se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa requête en première instance fondé sur ce que la représentation officielle d'un État étranger en France lorsqu'elle emploie des personnels de droit local dans les conditions prévues par le code du travail n'est pas susceptible de relever du champ d'application des dispositions de l'art. L. 2311-1 du code du travail, de sorte que l'autorité administrative avait pu légalement se déclarer incompétente pour se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement de Mme B., agente de droit local de l'ambassade du Brésil en France.

Le Conseil d'État annule cet arrêt au terme d'un raisonnement que l'on doit approuver.

Le juge affirme d'abord que le principe de souveraineté fait, en principe, obstacle à ce que les dispositions du code du travail relatives aux relations collectives de travail, telles celles concernant les délégués du personnel, s'appliquent aux personnels de droit local employés dans les conditions prévues par le code du travail par la représentation officielle d'un État étranger en France, alors même que ces dispositions ont vocation à s'appliquer à ces personnels.

Cependant, tout État étranger peut décider de faire volontairement application de ce code à ces personnels. 

Or en l'espèce, suite à l'élection de délégués du personnel, l'ambassadeur du Brésil en France a manifesté de manière claire et non équivoque sa volonté de rendre applicable aux agents de droit local de sa représentation diplomatique en France les dispositions relatives aux relations collectives de travail figurant au code du travail.

Examinant l'affaire au fond, le Conseil d'État juge que l'inspecteur du travail ne pouvait légalement se déclarer incompétent pour se prononcer sur la demande tendant à ce que son licenciement soit autorisé, ni la ministre du travail pour rejeter son recours hiérarchique.

(Section, 9 décembre 2022, Mme B., n° 433766)

 

83 - Prise en charge par un département d'un mineur étranger isolé jusqu'à sa majorité - Obligation de poursuivre l'aide en qualité de jeune majeur - Impossibilité d'une prise en charge partielle - Injonction de rétablir une aide globalisée.

Un département ayant pris en charge un mineur étranger isolé jusqu'à sa majorité, refuse de lui allouer, alors que son droit au séjour ne lui a pas été reconnu par la préfecture et qu'il fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire français (OQTF), l'aide globale en sa qualité de jeune majeur ne bénéficiant d'aucun soutien familial, d'aucune ressource et d'aucune solution d'hébergement. Ce mineur forme un pourvoi contre l'ordonnance de référé rejetant sa demande d'enjoindre le département de lui accorder cette aide.

Le juge d'appel estime, d'une part, que l'aide en qualité de jeune majeur est, dans les circonstances de l'espèce, une obligation pour le département, d'autre part, que cette aide doit être accordée dans sa globalité avec toutes ses composantes et qu'elle ne peut être fractionnée. Il est fait injonction au département, au visa de l'urgence et de l'atteinte grave à une liberté fondamentale, de proposer dans les plus brefs délais à l'intéressé un « contrat jeune majeur » afin d'assurer la prise en charge, outre ses besoins en matière d'hébergement ou de logement et de ressources, également ceux couvrant l'accès à un accompagnement dans les démarches administratives et la poursuite de sa formation en CAP maçonnerie.

Cette solution illustre jusqu'à la caricature et dans la perfection de son absurdité l'incohérence de notre système juridique en la matière : que devient l'OQTF dans ces conditions ? Comment peut-on imposer à une personne publique d'oeuvrer au maintien en France, avec un confort minimum, d'une personne, ressortissant guinéen, que l'autorité préfectorale, avec les garanties d'usage, a décidé de placer hors du territoire national ? Ou, inversement, qu'est-ce qu'un système juridique qui permet d'adresser à un étranger une OQTF qu'il sera fait injonction, de facto, de ne pas exécuter ?

Manifestement il y a là une incapacité crasse et persistante à construire une politique cohérente car nos gouvernants n'en ont pas l'idée claire. On le sait « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement...», visiblement, ici, on est très loin de cette « clarté ».

(ord. réf. 12 décembre 2022, M. A., n° 469133)

 

84 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Instances à consulter - Cas d'établissements relevant de plusieurs directions régionales du travail - Hypothèse où le projet de licenciement porte sur un seul établissement - Rejet.

Le recours des organisations demanderesses tendant à l'annulation de la décision par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Janssen-Cilag France, filiale du groupe Johnson et Johnson,  a été rejeté en première instance comme en appel.

Le point central de leur argumentation reposait sur l'incompétence de la DIRECCTE de Normandie pour prendre la décision contestée, il n'est pas retenu par le juge de cassation.

Celui-ci déduit des dispositions du code du travail opérantes en la matière (art. L. 1233-28, L. 1233-51, L. 1233-57-8, R. 1233-3-4 et R. 1233-3-5) trois conséquences, certaines bien connues, d'autres plus innovantes voire nouvelles.

En premier lieu, ceci ne faisant pas difficulté, lorsqu'un projet de licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours concerne plusieurs établissements distincts d'une même entreprise, l'employeur doit consulter le comité social économique central de l'entreprise ainsi que les comités sociaux et économiques des établissements concernés par le projet.

En deuxième lieu, ceci est plus nouveau mais la solution est logique, lorsque ces établissements relèvent de la compétence de plusieurs DIRECCTE, la DIRECCTE compétente pour prendre la décision d'homologation du document unilatéral portant PSE est celle dans le ressort de laquelle se situe le siège de l'entreprise.

En troisième lieu, enfin, si le projet de licenciement collectif ne concerne qu'un seul établissement, l'employeur n'est tenu de consulter le comité social économique central de l'entreprise, sous réserve d'en informer la DIRECCTE du siège de l'entreprise, que lorsque le projet excède le pouvoir du chef d'établissement. Ceci a pour conséquence que la DIRECCTE compétente pour prendre la décision d'homologation est alors celle dans le ressort de laquelle se situe l'établissement concerné par le projet de licenciement.

Le juge de cassation apporte encore cette précision que la consultation éventuelle du comité social et économique central et l'information de la DIRECTE du siège quant à cette consultation sont à cet égard sans incidence.

(13 décembre 2022, Comité social et économique central de la société Janssen-Cilag France et autres, n° 454491)

(85) V. aussi, jugeant que l’administration du travail saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, doit s'assurer que le plan de reclassement intégré au PSE est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. A cet effet, il incombe à l'employeur, en précisant leur nature et leur localisation, d’identifier dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise ou, lorsque celle-ci appartient à un groupe, de rechercher sérieusement l’existence de postes disponibles sur le territoire national pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Enfin, dans le cas d’une entreprise en liquidation judiciaire, si le liquidateur judiciaire, alors qu'il a utilement saisi les autres entreprises du groupe en vue d'une recherche des postes de reclassement disponibles sur le territoire national, n'a pas obtenu les réponses de tout ou partie de ces entreprises, le plan de reclassement doit cependant être regardé comme satisfaisant les exigences figurant aux dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-62 du code du travail et l'administration peut, le cas échéant, estimer, dans le cadre du contrôle global qui lui incombe, que le PSE est suffisant, eu égard aux moyens de l'entreprise : 27 décembre 2022, M. AL. et autres, n° 452898 (Cf. cette Chronique, avril 2021, n° 95 à propos de 16 avril 2021, Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et comité d’entreprise de la Société Bois Debout, n° 426287).

 

86 - Aide sociale - Frais d’hébergement en établissement social, médico-social ou de santé – Prise en charge au titre de l’aide sociale – Conditions – Erreur de droit – Annulation.

L’association requérante, tutrice d’une majeure protégée, a demandé, en vain, au tribunal administratif l’annulation de la décision d’un président de conseil départemental refusant le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées pour ladite majeure au titre d’une certaine période ; elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État déduit en premier lieu des dispositions des art. L. 113-1, L. 131-1, L. 131-4 et R. 131-2 du code de l’action sociale et des familles et de l’art. L. 114-5 du code des relations du public avec l’administration que les frais d'hébergement des personnes accueillies dans un établissement social ou médico-social habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale ou dans un établissement de santé dispensant des soins de longue durée ne sont pris en charge au titre de l'aide sociale qu'à compter du premier jour de la quinzaine suivant la date de la présentation de la demande tendant au bénéfice d'une telle aide.

Il en déduit, en second lieu, que ce n'est que lorsque la demande a été déposée, quel qu'en soit l'auteur, dans le délai de deux mois suivant le jour d'entrée dans l'établissement, éventuellement prolongé dans la limite de deux mois supplémentaires, que la prise en charge de ces frais peut prendre effet à compter du jour d'entrée dans l'établissement.

Il s’en déduit, selon le juge, que sont sans incidence sur l'application de ces dispositions aussi bien la circonstance qu'un dossier ne peut être regardé comme complet à la date de son dépôt au centre communal ou intercommunal d'action sociale ou, à défaut, à la mairie de résidence de l'intéressé que celle que le centre communal ou intercommunal d'action sociale ou la mairie de résidence de l'intéressé n'aurait pas respecté son obligation de transmission de la demande à l'autorité départementale.

Le jugement querellé, ayant rejeté le recours de l’association requérante, est annulé pour erreur de droit.

(22 décembre 2022, Association tutélaire du Pas-de-Calais, n° 459777)

 

87 - Intéressement des bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique à la reprise d'une activité professionnelle – Modification du régime applicable par le décret du 5 mai 2017 – Applicabilité – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal qui juge que l’intéressé devait remplir, à compter du 1er septembre 2017, les conditions prévues à l'article R. 5425-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant du décret du 5 mai 2017, pour bénéficier du versement de l'allocation de solidarité spécifique, sans rechercher si ce dernier avait, à cette date, des droits ouverts au dispositif d'intéressement et s'il pouvait en conséquence, en application du III de l'article 5 du même décret, continuer à percevoir cet intéressement dans les conditions antérieures à ce décret, jusqu'à l'expiration de ses droits.

(29 décembre 2022, M. B., n° 445137)

 

88 - Conseil d’orientation des conditions de travail – Composition – Adoption des délibérations – Rejet.

La CFE-CGC demandait l’annulation du décret du 23 décembre 2021 relatif à la composition et au fonctionnement du Conseil d'orientation des conditions de travail et des comités régionaux ainsi qu’injonction soit faite au premier ministre et à la ministre du travail d'adopter un nouveau décret fixant les modalités d'adoption des délibérations du comité national de la prévention et de la santé au travail (CNPST) en formation paritaire en retenant une répartition égalitaire du nombre de voix entre organisations syndicales.

Les demandes sont rejetées.

Tout d’abord, ni les dispositions du premier alinéa de l'article L. 4641-2-1 du code du travail sur la base desquelles et pour l’exécution desquelles a été pris le décret attaqué, relatives à la composition du comité, ni aucun autre texte ou principe n'imposent, contrairement à ce que soutient la requérante, que, pour l'adoption des délibérations du collège restreint du comité, les voix des représentants des organisations syndicales de salariés soient décomptées en donnant un poids égal à chacune de ces organisations. En prévoyant que ces délibérations doivent, de la même façon que les accords interprofessionnels en vertu de l'article L. 2232-2 du code du travail, recueillir le vote favorable d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentative ayant obtenu, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience au niveau national et interprofessionnel, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, sans faire l'objet d'une opposition majoritaire, le décret attaqué n'est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, en ne prévoyant pas que les mêmes règles s'appliquent, pour l'adoption de ces délibérations, au vote des organisations professionnelles d'employeurs, le décret attaqué ne peut être regardé comme créant une différence de traitement contraire au principe d'égalité.

(29 décembre 2022, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 461529)

 

Élections et financement de la vie politique

 

89 - Élections départementales - Irrégularités diverses - Irrecevabilité de conclusions à fin d'annulation partielle - Employés municipaux membres de bureaux de vote - Rejet.

Parmi les nombreuses questions de fait et de droit soulevées par la protestation électorale qui a donné lieu à la présente décision de rejet, on signalera seulement deux points.

En premier lieu, il est rappelé cette règle spécifique du contentieux électoral que sont irrecevables en cette matière les conclusions tendant seulement à l'annulation des résultats de certains bureaux de vote et non de l'ensemble des opérations électorales. 

En second lieu, la circonstance que des agents de la commune d'Avignon, qui étaient rémunérés par celle-ci pour assurer le bon fonctionnement matériel des bureaux de vote, aient été invités à compléter la composition de quatre bureaux de vote en y siégeant comme assesseurs, n'est pas contraire aux dispositions des art. R. 42 et R. 44 du code électoral dès lors qu'ils avaient la qualité d'électeur dans la commune et qu'il n'est pas soutenu que leur présence en qualité d'assesseur aurait, dans les circonstances de l'espèce, altéré la sincérité du scrutin.

(2 décembre 2022, Mme J. et M. G., Élections départementales du canton d'Avignon-3, n° 461276)

 

90 - Élections départementales - Envoi du compte de campagne en préfecture et non à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - Comptes non signés d'un expert-comptable - Rejet.

Le juge d'appel rejette le recours dirigé contre le jugement qui, confirmant le rejet par la CNCCFP du compte de campagne du binôme appelant pour irrégularité substantielle (défaut de signature par un expert-comptable), l'a condamné à dix-huit mois d'inéligibilité et a prononcé la démission d'office de ses membres.

En effet, les intéressés, d'une part, prétendaient avoir adressé ce compte à la préfecture au lieu de l'envoyer à la CNCCFP mais la trace de cet envoi n'a pas été retrouvée et, d'autre part, soutenaient, sur le fondement de l'art. L. 114-2 du CRPA, qu'il appartenait à la préfecture de transmettre cet envoi à la commission, alors que cette disposition législative n'est applicable qu'aux demandes des administrés adressées à l'administration.

(6 décembre 2022, M. A. et Mme D., Élections départementales du canton de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, n° 465262)

(91) V. aussi, confirmant le jugement prononçant une inéligibilité de six mois des membres d'un binôme et les déclarant en conséquence démissionnaires d'office, pour avoir déposé leur compte de campagne plus de six semaines après l'expiration du délai fixé par l'article 11 de la loi du 22 février 2021 et n'avoir régularisé ce compte qu'après mise en demeure: 9 décembre 2022, M. D. et Mme C., Élections départementales du canton de Lectoure-Lomagne, n° 464514.

(92) V. également, l'arrêt d'appel confirmant le rejet par le tribunal administratif d'une protestation invoquant diverses irrégularités commises par un binôme (diffusion de tracts ou messages notamment à la veille ou le jour du scrutin, distributions de tracts auxquels il a été répondu en temps utile, absence d'altérations à la sincérité du scrutin, etc.) : 13 décembre 2022, Mme A. et M. F., Élections départementales du canton deSaint-Jean-de-Monts, n° 462592.

 

93 - Élections départementales - Défaut de production du relevé bancaire attestant des opérations réalisées par le mandataire électoral - Défaut régularisable - Rejet de la saisine de la CNCCFP et annulation du jugement prononçant l'inéligibilité.

Avec beaucoup de bon sens, le Conseil d'État annule la saisine de la CNCCFP fondée sur ce qu'un binôme n'avait pas produit le relevé bancaire attestant des opérations réalisées par son mandataire électoral alors que ce relevé a été communiqué à la commission en cours d'instruction de son dossier et que, dès lors que le compte de campagne a été signé par un expert-comptable, le défaut d'un tel relevé est régularisable jusqu'à ce que la commission se prononce. Semblablement, il annule le jugement prononçant, subséquemment à ce rejet par la commission, et la confirmation de ce rejet et l'inéligibilité des membres du binôme.

(7 décembre 2022, M. E. et Mme C., Élections départementales du canton de Granville, n° 463524)

(94) V. aussi, jugeant que le dépôt du compte de campagne avec un mois de retard mais dès réception de la mise en demeure qui leur a été adressée par la CNCCFP et alors que les membres du binôme pouvaient légitimement penser que leur mandataire financière procèderait à ce dépôt dans le délai requis, dès lors qu'ils avaient signé ce compte plus d'un mois avant la date limite du dépôt et que l'un des membres du binôme avait échangé avec la mandataire pour lui rappeler la nécessité de déposer ce compte dans les délais ; ainsi manquement en cause ne revêt aucun caractère délibéré, d'autant que le compte ne présentait  ni dépense ni recette, il y a lieu, en conséquence d'annuler le jugement prononçant l'inéligibilité du binôme pour six mois : 16 décembre 2022, M. B. et Mme C., Élections départementales du canton de Segré-en-Anjou Bleu, n° 461747.

(95) V., en revanche, confirmant le rejet du prétendu compte de campagne déposé avec deux mois de retard et alors que les documents remis, qui ne permettaient pas de retracer l'ensemble des opérations financières réalisées au titre de la campagne électorale, ne constituaient pas le compte de campagne et que les opérations retracées faisaient apparaître un solde déficitaire : 7 décembre 2022, M. B., Élections départementales du canton de Bagnols-sur-Cèze, n° 463761.

 

96 - Élections départementales – Non dépôt du compte de campagne et non réponse à une mise en demeure de le faire - Inéligibilité pour douze mois – Invocation de la bonne foi de l’un des membres du binôme – Solidarité des deux membres du binôme – Rejet.

Pour contester l’inéligibilité infligée par le tribunal administratif en raison du non dépôt de son compte de campagne avant l’expiration du délai prescrit et de sa non réponse à la mise en demeure de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la requérante invoque sa bonne foi et la seule responsabilité de l’autre membre du binôme dans l’absence de dépôt du compte. Le moyen ne saurait prospérer en raison du principe de solidarité entre membres d’un binôme instauré par le législateur.

(30 décembre 2022, Mme C., Élections départementales du canton de Castelnau-le-Lez, n° 464814)

 

97 - Financement des partis ou groupements politiques - Recours à des prestataires de services de paiement (art. L. 521-1, code monétaire et financier) - Refus d'annuler la disposition relative au traitement des fonds reçus par le biais d'un tel prestataire - Disposition non nécessaire pour garantir la traçabilité des opérations financières - Annulation.

Le premier ministre a opposé un refus implicite à la demande de la formation politique requérante tendant à l'abrogation du 5° de l'article 11-3 du décret n° 90-606 du 9 juillet 1990 dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1397 du 17 novembre 2020 qui prévoit que le montant des fonds perçus par le biais d'un prestataire de service de paiement est versé intégralement et sans délai sur le compte de dépôt ouvert par le mandataire financier et que la perception éventuelle de frais par le prestataire ne peut intervenir qu'après ce versement.

Le refus est annulé car, observe le juge, cette dernière exigence, qui a pour effet d'empêcher concrètement le recours aux prestataires de service de paiement qui ne sont pas des établissements bancaires, compte tenu de ce que sont en pratique leurs propres conditions de fonctionnement, ne peut, par elle-même et eu égard aux autres dispositions de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990, en particulier celles figurant aux 2° et 3° de cet article, être regardée comme étant nécessaire pour garantir la traçabilité des opérations financières et assurer le respect des dispositions de l'article 11-4 de la loi du 11 mars 1988. Il est enjoint au premier ministre d'abroger cette disposition sous six mois.

(8 décembre 2022, Association de financement du parti Reconquête !, n° 463624)

 

98 – Assemblée des Français de l’étranger – Candidature subordonnée à l’élection comme conseiller des Français de l’étranger – Perte de ce mandat – Démission d’office de l’Assemblée – QPC - Rejet.

Rappel de ce que sont seuls éligibles à l'Assemblée des Français de l'étranger les conseillers des Français de l'étranger élus, la perte de ce mandat entraînant leur démission d'office de l'Assemblée des Français de l'étranger, sauf recours devant le Conseil d'Etat.

Cette solution législative (art. 16 et 23 de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France) n’est pas contraire au principe d’égalité, d’où le rejet de la QPC.

(22 décembre 2022, M. B., n° 466863)

 

Environnement

 

99 - Cars et autobus à très faibles émissions - Critères - Directive ayant pour objectif le recours à des véhicules utilitaires à émission nulle - Véhicules utilisant le biogaz - Véhicules n'étant pas à émission nulle - Absence d'atteinte à la libre administration des collectivités territoriales - Rejet.

L'association requérante recherchait l'annulation du décret du 17 novembre 2021 relatif aux critères définissant les autobus et autocars à faibles émissions. Sa requête est rejetée.

Pour lutter contre l'émission de gaz à effet de serre, le droit européen (directive du 23 avril 2009 telle que modifiée par celle du 20 juin 2019) a prévu une montée en puissance progressive de la proportion de véhicules de transports routiers répondant à la qualification de véhicules propres et économes en énergie. Ces textes ont défini, en bref, le véhicule propre comme un véhicule utilitaire lourd à émission nulle sans moteur à combustion interne, ou équipé d'un moteur à combustion interne dont les émissions de CO2 sont inférieures à 1 g/kWh. Transposant cette dernière directive, l'art. L. 224-8-2 du code de l'environnement (issu de l'ordonnance du 17 novembre 2021) dispose : : « La proportion minimale d'autobus ou d'autocars à faibles émissions qui sont acquis ou utilisés dans le cadre [de marchés publics et contrats de concession, tels que définis par les articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique, et relatifs au transport routier de voyageurs] s'établit, pour une année calendaire, pour l'État, pour les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que pour leurs établissements publics, lorsqu'ils gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars pour assurer des services de transport public de personnes réguliers ou à la demande, à :

1° 50 % jusqu'au 31 décembre 2024 ;

2° 100 % à compter du 1er janvier 2025.

Pour les autobus, la moitié au moins de ces proportions est constituée d'autobus à très faibles émissions. Cette obligation n'est applicable qu'à compter du 1er juillet 2022 pour les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics. Un décret peut prévoir des modulations pour tenir compte notamment de la situation des personnes assujetties à l'obligation et des zones concernées ».

Or le décret attaqué, du 19 novembre 2021, décide que, parmi les autobus, les véhicules à très faibles émissions ne comprennent que des véhicules dont la motorisation est électrique et des véhicules électriques-hybrides utilisant l'hydrogène comme source d'énergie complémentaire à l'électricité (cf. 5° de l'article D. 224-15-2 du code de l'environnement). 

La requérante soutient que cette disposition ne respecte pas les objectifs de la directive de 2019. Ce moyen ne saurait prospérer puisque la directive ne se fonde pas sur une appréciation des incidences énergétiques et environnementales de ces véhicules tout au long de leur cycle de vie, mais sur un type de motorisation, sans combustion interne, ou à défaut, dont les émissions de dioxyde de carbone, mesurées essentiellement à l'échappement, doivent être inférieures à 1 g/kWh. Dès lors, la requérante ne saurait reprocher au décret litigieux de ne pas retenir un classement des autobus en fonction de leurs incidences énergétiques et environnementales tout au long de leur cycle de vie.

Ensuite, si, comme le soutient la requérante, un autobus équipé d'un moteur à combustion utilisant du biogaz peut être un véhicule propre au sens du 4 de l'article 4 de la directive de 2009, il est constant que, compte tenu des caractéristiques de la combustion de ce gaz, et du niveau des émissions de dioxyde de carbone à l'échappement qui en résultent, il ne peut, contrairement à ce que soutient la requérante, être qualifié de véhicule utilitaire lourd à émission nulle en application du 5 de cet article 4. Ainsi l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'exclusion, par les dispositions attaquées du 5° de l'art. D. 224-15-2 du code de l'environnement, des autobus roulant au biogaz de la catégorie des véhicules à très faibles émissions, ou groupe 1, qui résulte directement des dispositions de la directive de 2009 dont elles assurent la transposition, méconnaîtrait l'objectif de promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de toutes les sources renouvelables de la directive transposée et de la directive du 11 décembre 2018. Une telle exclusion ne saurait davantage être considérée comme entachée d'erreur manifeste d'appréciation ni quant au choix des moyens pour atteindre les objectifs minimaux de recours à des autobus à émissions nulles fixés à la France par la directive de 2009 ni au regard des objectifs de la politique énergétique nationale tels que définis à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et déclinés par le décret du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Enfin, il ne saurait être prétendu que l'obligation pour les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices qui gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars de recourir, pour assurer des services de transport public de personnes réguliers en ville, à hauteur de 25 % du parc renouvelé jusqu'au 31 décembre 2024 puis de 50 % à compter du 1er janvier 2025, à des autobus à très faibles émissions qui résulte de l'art. L. 224-8-2 du code de l'environnement porterait une atteinte illégale à la libre administration des collectivités territoriales car l'obligation de n'utiliser que des autobus dont la motorisation est électrique ou électrique-hybride utilisant l'hydrogène à titre de source d'énergie complémentaire à l'électricité coûterait plus cher que de recourir à des autobus roulant au biogaz.

(8 décembre 2022, Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGN), n° 464035)

 

100 - Conditionnement de fruits et légumes frais non transformés sous emballage comportant de la matière plastique - Délégation du législateur au pouvoir réglementaire aux fins de fixer le régime de ce conditionnement - Décret excédant le champ de la dévolution de compétence - Annulation.

Se situant dans le cadre de la saga du régime juridique du conditionnement des fruits et légumes, les requêtes, jointes, tendaient à l'annulation du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique.

Le 16e alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, issu de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, décide d'abord, qu'à compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique et, ensuite, que cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. C'est de ce texte que fait application le décret attaqué.

Celui-ci est annulé pour un double motif d'illégalité.

En premier lieu, alors que le législateur confiait au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac afin de les exempter, le décret querellé incorpore dans la liste qu'il a dressée des fruits et légumes qui, bien que ne présentant pas nécessairement un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, ne bénéficiaient pas encore d'alternative au conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique à la date du 1er janvier 2022. Sur ce point il viole la lettre et, davantage encore, l'esprit du texte qu'il est censé appliquer.

En second lieu, alors que la loi ne prévoit pas de terme en cas d'exemption d'où il se déduit que ces exemptions ne sont pas temporaires, le décret ajoute à la loi en faisant de cette exemption une situation temporaire.

Il faut dire notre désaccord avec cette solution qui n'a pour elle qu'une apparence de logique.

Le pouvoir exécutif a voulu inclure dans la réglementation qu'il a instituée un cas manifestement non prévu par le législateur, celui des fruits et légumes qui, bien que ne présentant pas nécessairement un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, ne bénéficiaient pas encore d'alternative au conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Il s'agit bien là d'une situation temporaire ne pouvant persister que jusqu'à l'invention d'une autre solution que le plastique comme matière de conditionnement d'où le recours à une exemption temporaire pour ce cas.

Eût-il fallu, pour respecter l'intention du législateur, laisser persister un vide juridique et technique,  au risque, en ce cas, pour le pouvoir réglementaire, de se faire taper sur les doigts par le juge pour n'avoir pas comblé ce vide ? A solution bancale, celle initialement retenue par l'administration était moins mauvaise que celle issue de cette décision.

En outre, sans sourciller, alors que sa décision intervient un an après l'entrée en vigueur du décret critiqué, le juge, à raison de l'indivisibilité des dispositions du 16e alinéa du III de l'art. L. 541-15-10 du code de l'environnement, estime que les effets de cette annulation n'ont pas à être différés dans le temps car l'annulation n'emporte à elle seule « aucune conséquence manifestement excessive au regard de l'intérêt des opérateurs économiques concernés ». Pour les consommateurs, leurs poumons et autres conditions de vie, il faudra attendre une autre époque du feuilleton de cette saga.

(9 décembre 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 458440 ; Syndicats POLYVIA et ELIPSO, n° 459332 ; Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop) et autres, n° 459387; Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 459398, jonction)

 

101 - Autorisation d'implantation d'éoliennes - Existence d'espèces protégées - Risque d'atteintes - Degré de ce risque devant être pris en considération - Prise en compte des mesures d'évitement/réduction/compensation proposées par le pétitionnaire - Avis de droit en ce sens.

Le Conseil d'État était saisi de deux demandes d'avis de droit par la cour administrative d'ppel de Douai.

Par la première, la cour demandait si l'autorité administrative saisie d'une demande environnementale portant sur un projet comportant un risque de mutilation, destruction ou de perturbation intentionnelle pour l'une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, ou de destruction, altération ou dégradation d'habitats de ces espèces, devait exiger du pétitionnaire qu'il sollicite l'octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dès que l'atteinte est portée à un seul spécimen ou habitat ou seulement en cas d'atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats.

Par la seconde question, la cour demandait si, dans chacune de ces hypothèses, l'autorité administrative doit tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d'atteinte à ces espèces ou seulement des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet.

Le Conseil d'État, au visa de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, des art. L. 411-1, L. 411-2 et R. 411-6, 411-7, 411-8 et 411-12 du code de l'environnement, apporte une réponse en quatre points.

Tout d'abord, en principe la destruction ou perturbation des espèces protégées et de leurs habitats est interdite sauf dérogation que l'autorité administrative peut accorder lorsque sont réunies trois conditions : absence de solution alternative satisfaisante ;  absence de nuisance au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés notamment celui que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

Ensuite, l'autorité administrative doit examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. 

Également, le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé compte tenu de la prise en compte des mesures proposées par le pétitionnaire. Lorsque ces dernières sont telles qu'elles offrent la garantie d'une diminution du risque de sorte que ce dernier n'apparaisse plus comme caractérisé il n'est pas nécessaire de solliciter l'octroi de la dérogation.

Enfin, l'octroi d'une dérogation sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement n'est possible qu'au vu d'une appréciation prenant en compte l'ensemble des éléments énumérés au point précédent (risques d'atteintes inhérentes au projet, mesures préconisées par le pétitionnaire, état de conservation des espèces concernées).

(Section, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l'environnement et autres, n° 463563)

 

102 - Demande d'implantation d'éoliennes - Refus de l'autorisation environnementale - Effet d'écrasement sur le paysage et le bâti - Effet de saturation - Perspective - Rejet.

Le recours de la société demanderesse contre l'arrêté du préfet du Morbihan lui refusant l'autorisation environnementale afin d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Brignac, déjà rejeté par la cour administrative d'appel, l'est également en cassation aux termes d'une décision confirmant en tous points la motivation de l'arrêt d'appel.

Le projet litigieux est estimé produire - comme déjà jugé -  un effet d'écrasement sur un site ne présentant aucune particularité remarquable, constitué de vastes plaines cultivées à ragosses, doucement vallonnées et ponctuellement boisées, entouré de quelques fermes et bourgs mais offrant des vues dégagées sur l'horizon, ponctuellement contraintes par la présence de bosquets et de haies. 

Ce projet présente ainsi des inconvénients excessifs pour la protection des paysages et la commodité du voisinage ne pouvant être prévenus par des prescriptions spéciales alors qu'il altèrerait par trop les paysages du périmètre rapproché du fait que la construction projetée dominerait nettement la végétation avoisinante et créerait, outre un important effet d'écrasement depuis certains hameaux, un effet de saturation du fait de la proximité des éoliennes avec ces hameaux, de leur implantation désordonnée et de leur prégnance dans le paysage.

Enfin, le faible relief rendrait les éoliennes fréquemment visibles depuis les points de vue lointains, le parc projeté serait en situation de covisibilité avec certaines des quatre-vingt-sept éoliennes des onze parcs déjà construits dans un rayon de 20 km autour du site d'implantation et viendrait ainsi s'ajouter à un paysage éolien déjà chargé, contribuant ainsi à la saturation visuelle du paysage nonobstant l'atténuation de la fréquence et de l'étendue de la covisibilité avec les parcs existants du fait de la distance les séparant, du léger relief et de la présence d'espaces boisés. 

(27 décembre 2022, Société parc éolien des Landes de Jugevent, n° 444453)

(103) V. aussi, annulant l'arrêt infirmatif prononçant l'annulation d'un rejet préfectoral  d'une demande d'autorisation unique pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien dans une zone grevée d’une servitude de dégagement à l'approche d'un aérodrome, en raison de la confusion entre l'altitude minimale de secteur, ou MSA, qui garantit aux pilotes qu'ils peuvent, dans le cadre des procédures de vol aux instruments, évoluer sans rencontrer d'obstacle dans un périmètre de 25 miles nautiques (soit 46,3 km) autour d'un aérodrome, en disposant d'une marge de franchissement suffisante, et  l'altitude minimale de sécurité radar (AMSR), délimitée à une distance de 14 miles nautiques (soit 25,928 km) d'un aérodrome, qui permet pour sa part aux aéronefs d'être détectés et guidés dans le cadre du guidage radar par les services de contrôle aérien dans des conditions de sécurité suffisantes : 27 décembre 2022, ministre de la transition écologique, n° 453442.

(104) V. encore, rejetant - au visa des art. L. 181-18, L. 411-1 et L. 411-2 c. env. - le pourvoi de la ministre de la transition écologique et de la pétitionnaire d'autorisation d'implantation d'un parc éolien, et confirmant l'arrêt d'appel, motif pris du risque de destruction intentionnelle de la cicogne noire, espèce courant un risque majeur d'extinction en France, et de l'impossibilité de mesures de régularisation compte tenu du lieu d'implantation choisi pour le parc éolien : 27 décembre 2022, ministre de la transition écologique et société Ferme éolienne du Bois Bodin, n° 456293.

(105) V., très importante par son caractère innovant, la riche et très longue décision rendue au sujet d’une autorisation d’exploitation d’éoliennes en mer au large de Dieppe et du Tréport en ce que, d’une part, elle passe en revue un très grand nombre de griefs généralement développés dans cette sorte de contentieux et, d’autre part, précise les conditions de mise en œuvre du 2° du I de l’art. L. 181-18 du code de l’environnement relatif à la régularisation de vices entachant une autorisation environnementale. Il y est notamment jugé que : « Les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 permettent au juge, lorsqu'il constate un vice qui entache la légalité de la décision mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation. Ces dispositions peuvent trouver à s'appliquer, que le vice constaté entache d'illégalité l'ensemble de l'autorisation environnementale, y compris s'agissant d'un vice d'incompétence, ou une partie divisible de celle-ci.

Lorsque les juges du fond, après avoir écarté comme non fondés des moyens de la requête, ont cependant retenu l'existence d'un ou de plusieurs vices entachant la légalité d'une autorisation environnementale dont l'annulation leur était demandée et ont alors décidé de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article L. 181-18 du code de l'environnement pour inviter l'administration à régulariser ce ou ces vices, l'auteur du recours formé contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit peut contester ce jugement ou cet arrêt en tant qu'il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l'autorisation environnementale initiale et également en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 181-18. Toutefois, à compter de la délivrance de l'autorisation modificative en vue de régulariser le ou les vices relevés, les conclusions dirigées contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit, en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sont privées d'objet. »

C’est pourquoi, par suite de la prise d’un arrêté modificatif, du 29 décembre 2020, se substituant aux arrêtés précédents, un non-lieu à statuer est opposé en l’espèce aux conclusions du pourvoi des associations requérantes dirigées contre l'arrêt avant dire droit en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : 28 décembre 2022, Association « Sans offshore à l’horizon » et autres, n° 447229 et n° 453855.

 

106 - Permis de construire un centre commercial et de loisirs - Atteinte à des espèces végétales et animales protégées - Dérogation subordonnée à l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur - Annulation de l'arrêté préfectoral accordant le permis - Rejet.

Le juge rappelle à nouveau qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées par ces dispositions, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites.

S'il est possible de déroger à cette interdiction de principe c'est sous réserve que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives, chacune restrictivement interprétée :

- absence de solution alternative satisfaisante,

- absence d'atteinte au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle,

- justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés dont celui que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du 4° de l'article L. 411-2 précité.

En l'espèce, le Conseil d'État décide que la cour administrative d'appel, dans son arrêt confirmatif, n'a ni commis une erreur de droit ni qualifié erronément les faits en jugeant, d'une part, que le territoire de l'ouest toulousain est déjà desservi suffisamment pourvu en pôles commerciaux, qu'il n'est pas confronté, en la matière, à des difficultés ou des déséquilibres particuliers et qu'il résulte du SCOT de la grande agglomération toulousaine que l'offre en grands centres commerciaux est satisfaisante pour les prochaines années et, d'autre part, qu'il n'était pas démontré que les 1 938 emplois pérennes annoncés, représenteraient des créations nettes d'emploi résultant de l'implantation du projet. Elle a donc a bon droit conclu que le projet litigieux ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur.

(27 décembre 2022, Société PCE et société Foncière Toulouse Ouest, n° 449624)

(107) V. aussi, soulevant, dans le cadre d’une autorisation préfectorale de réouverture d’une carrière, des questions assez largement identiques, et jugeant notamment (dans la lignée de CJUE, 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola Pohjois-Savo – Kainuu ry, aff. C-674/17) que : « Pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci. » : 28 décembre 2022, Société La Provençale, n° 449658.

 

108 - Création d’une installation nucléaire de base – Prolongation du délai de mise en service de cette installation – Respect du droit de l’Union et de l’art. 7 de la Charte de l’environnement – Respect des capacités techniques et financières de réalisation du projet – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours des organisations requérantes dirigé contre les refus implicites du premier ministre d’abroger le décret du 10 avril 2007 autorisant la création de l'installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville et de retirer le décret du 25 mars 2020 modifiant le décret précédent.

S’agissant du décret du 25 mars 2020, le juge considère que contrairement à ce qui est soutenu, ce décret ne méconnaît pas les art. 4 et 8 bis de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, modifiée par la directive du 16 avril 2014, en ce que son édiction aurait dû être précédée d'une actualisation de l'étude d'impact ou, à tout le moins, d'une saisine de l'autorité environnementale aux fins qu'elle détermine si l'installation nucléaire de base Flamanville 3 devait faire l'objet d'une actualisation de son évaluation environnementale, voire d'une nouvelle évaluation. En effet, l’objet de ce décret, l'allongement de quatre ans du délai de mise en service de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 a pour objet de permettre la réparation des soudures des circuits secondaires principaux et la réalisation d'autres travaux de finition du chantier. Ces travaux ne devant pas modifier la réalité physique du site de l'installation, ils ne modifieront pas les éléments essentiels pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement, ainsi que cela ressort de l'avis rendu le 11 février 2020 par l'Autorité de sûreté nucléaire, qui relève que le report demandé ne modifie pas les conclusions de l'analyse ayant conduit à l'octroi de l'autorisation de création de l'installation et qu'EDF, qui a mis en place des dispositions pour assurer la bonne conservation des équipements déjà installés et le maintien des compétences des équipes chargées de l'exploitation de l'installation, est toujours en mesure de mener à bien le chantier. Le maître d'ouvrage n'était dès lors pas tenu, ni au titre du IV de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, ni au titre du III de l'article L. 122-1-1 du même code, de procéder à l'actualisation de l'étude d'impact qu'il avait réalisée préalablement à l'autorisation de création de l'installation, ni de saisir l'autorité environnementale pour qu'elle détermine si la prorogation du délai de mise en service devait être soumise à évaluation environnementale. 

Le juge relève également qu’a été respecté l’art. 7 de la Charte de l’environnement puisque l'autorisation de création de l'installation Flamanville 3 a fait l'objet d'un débat public, organisé par la Commission nationale du débat public du 19 octobre 2005 au 18 février 2006 ainsi que d'une enquête publique, qui s'est déroulée du 15 juin au 31 juillet 2006. Or les éléments fondamentaux n’ayant pas changé et n’étant pas modifiés, la participation du public à ces décisions demeure toujours valable, ne nécessitant pas d’actualisation.

Pas davantage ne sont retenus, notamment, les moyens tirés de la situation financière gravement déficitaire d’EDF qui ne remet pas en cause sa capacité technique à mener à bien le projet, le respect d’un niveau satisfaisant de sécurité, d’ailleurs déjà jugé par le Conseil d’État en 2019 (décision n° 416140 et 425780 du 24 juillet 2019 rendue sur recours des mêmes requérants), etc.

S’agissant du décret du 10 avril 2007, le recours est rejeté au double motif que, contrairement aux moyens qui le soutiennent, la mise à jour de l'évaluation environnementale n’est pas une condition du maintien de l'autorisation de création de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 résultant du décret du 10 avril 2007 et il ne ressort pas de l'instruction que la société EDF ne disposerait pas des capacités techniques et financières pour conduire le projet de création de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement.

(28 décembre 2022, Association Réseau « Sortir du nucléaire » et autres, n° 444845 et n° 444846)

(109) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre la décision du 8 octobre 2020 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant la mise en service partielle de l'installation nucléaire de base (INB) n° 167 (Flamanville 3) pour l'arrivée du combustible nucléaire dans le périmètre du réacteur et la réalisation d'essais particuliers de fonctionnement de l'installation nécessitant l'introduction de substances radioactives dans celle-ci : 28 décembre 2022, Association Réseau « Sortir du nucléaire » et autres, n°447330.

 

110 - Mise en œuvre de mesures réglementaires ordonnées par des décisions du Conseil d’État – Non-respect du délai imparti à cet effet - Demande d’astreinte au juge de l’exécution – Absence de mesures propres à assurer cette exécution – Condamnation de l’État à astreinte.

Les recours tendaient à l’exécution de mesures ordonnées par le Conseil d’État dans plusieurs décisions rendues le 26 juillet 2021donnant , d’une part, deux mois aux ministres concernés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, pour édicter les actes réglementaires afin de prévoir des distances de sécurité supérieures à dix mètres pour l'ensemble des produits classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sans distinction des catégories de danger prévues par le règlement du 16 décembre 2008 et, d’autre part, six mois pour prendre les mesures réglementaires énoncées au point 61 de sa décision.

Après instruction du dossier par la Section du rapport et des études, le juge constate que si des engagements ont été pris, notamment pour que soit accéléré le traitement des demandes de modification des conditions d’emploi de près des trois cents produits concernés, ces mesures « ne sauraient être regardées comme justifiant, à la date de la présente décision, avoir pris les mesures propres à assurer l'exécution de la décision du 26 juillet 2021 en ce qu'elle annule l'article 8 de l'arrêté du 27 décembre 2019 en tant qu'il prévoit des distances de sécurité insuffisantes pour les produits classés CMR 2 dont l'autorisation de mise sur le marché ne prévoit aucune distance de sécurité spécifique. » 

Au visa de l’art. L. 911-5 du CJA et compte tenu qu’il s’agit là d’un manquement grave à une exigence du droit de l’Union, le juge porte, après expiration d’un délai d’exécution de deux mois, à cinq cents euros par jour de retard le montant de l’astreinte.

(22 décembre 2022, Association Générations futures, association France Nature Environnement, Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir), association Collectif vigilance OGM et pesticides 16, Union syndicale Solidaires, association Eau et rivières de Bretagne, association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP) et association Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'ouest, n° 462352 ; Association Collectif des maires anti-pesticides, n° 462362)

 

État-civil et nationalité

 

111 - Décret conférant la nationalité française - Extension de plein droit au seul enfant mineur sous conditions de résidence stable et durable et de déclaration de l'enfant avant la signature du décret de naturalisation - Enfant devenue majeure avant cette date - Impossibilité d'extension des effets du décret de naturalisation - Rejet.

Rappel de ce qu'un enfant ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents que si sont cumulativement réunies les trois conditions suivantes : 1° être mineur, 2° son existence  ayant été portée à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret, 3°  ayant résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

La condition d'âge s'apprécie à la date de signature du décret de naturalisation nonobstant les circonstances que ce décret est intervenu après une longue procédure d'instruction et que la fermeture de la préfecture du fait des circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire.

En l'espèce, l'intéressée est devenue majeure le 15 août 2021 alors que le décret de naturalisation de son père a été signé le 7 octobre 2021.

(9 décembre 2022, M. C., n° 463264)

 

112 - Carte nationale d'identité - Demande de renouvellement - Refus - Carte encore valide - Détention d'un passeport - Annulation.

Ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que c'est illégalement qu'un préfet, saisi d'une demande de renouvellement d'une carte d'identité délivrée en 2007, y oppose un refus fondé d'une part sur ce que cette carte est encore en cours de validité à la date du 1er janvier 2014 d'autant que la durée de validité d'une telle carte a été portée de dix à quinze ans, et d'autre part, sur ce que le demandeur est également détenteur d'un passeport en cours de validité.

Ce double motif ne peut justifier le refus préfectoral.

(2 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 459599)

 

113 - Opposition à changement de nom - Recherche de l'intérêt légitime à changer de nom - Rejet.

Les requérantes entendaient s'opposer au décret du 17 juin 2022 en tant qu'il autorise Mme J. Saint Guily et M. A. G. à changer leur nom respectivement en « Saint Guily Sonier de Lubac » et « G. Sonier de Lubac ».

Pour rejeter le recours, le Conseil d'État relève que Mme Saint Guily et M. G. ont été autorisés à ajouter, par le décret attaqué, à leur nom de famille le nom « Sonier de Lubac » qui

 est celui porté respectivement par leur arrière-grand-mère maternelle et arrière-arrière-grand-mère maternelle, et qu'à la date de ce décret, le nom revendiqué était en voie d'extinction dans la famille Sonier de Lubac faute de porteurs susceptibles de le transmettre.

Si les requérantes font valoir que la fille majeure de Mme D... Sonier de Lubac porte désormais ce nom, par adjonction à son propre nom, à la suite de la demande qu'elle avait présentée sur le fondement des dispositions de l'article 61-3-1 du code civil, entrées en vigueur le 1er juillet 2022, et que l'autre enfant majeur de cette requérante a entrepris des démarches aux mêmes fins, de telles circonstances, postérieures à l'édiction du décret contre lequel il est formé opposition, ne peuvent être utilement invoquées.

Par suite, Mme Saint Guily et M. G. justifiaient d'un intérêt légitime à demander le changement de leur nom.

(27 décembre 2022, Mmes D., H. et E. Sonier de Lubac, n° 466270)

 

Étrangers

 

114 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Soustraction à une précédente OQTF - Refus d'octroi d'un délai de départ volontaire - Motivation suffisante - Rejet.

Parmi les divers moyens, d'ailleurs tous rejetés, soulevés par un ressortissant égyptien pour s'opposer à son obligation de quitter sans délai le territoire français, le juge de cassation relève qu'est suffisamment motivé l'arrêt qui, pour rejeter la demande d'octroi d'un délai de départ volontaire, se fonde sur ce que l'intéressé s'est soustrait à une précédente obligation de quitter le territoire prononcée à son encontre.

(9 décembre 2022, M. B., n° 458803)

 

115 - Procédure d'extradition - Existence d'un régime spécifique du contradictoire - Conditions de placement sous écrou extraditionnel sans effets sur la légalité du décret d'extradition - Assurances données par l'État requérant à l'État requis non communiquées à l'intéressé - Rejet.

Examinant, pour le rejeter, le recours d'un  ressortissant brésilien contre le décret l'extradant pour remise à ses autorités nationales, le Conseil d'État se prononce sur plusieurs aspects procéduraux.

L'obligation d'une procédure contradictoire avant la prise de décisions devant être motivées (art. L. 121-1 CRPA) ne s'applique pas, en l'absence de précisions en ce sens dans la convention d'extradition, dans les cas où existe un procédure particulière prévue par les textes comme, ici, les art. 696-8 et suivants du code de procédure pénale.

Les conditions dans lesquelles l'intéressé a été placé sous écrou extraditionnel à la suite de la demande d'arrestation provisoire émanant de ses autorités nationales n'affectent pas, par elles-mêmes, la légalité du décret accordant son extradition à ces autorités. 

Enfin, le fait que les assurances données par le gouvernement brésilien le 27 octobre 2021, visées par le décret attaqué, n'aient pas été communiquées au requérant n'est pas de nature à établir que ce décret serait intervenu en méconnaissance des droits de la défense. 

(8 décembre 2022, M. A., n° 465421)

 

116 - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile – Confusion dans la communication d’une décision de justice – Fin de non-recevoir pour tardiveté – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

La Cour nationale du droit d'asile a adressé par erreur à la requérante un premier pli contenant une décision dont les motifs concernaient la situation d'un autre demandeur d'asile.

L'OFPRA ne lui a notifié la décision la concernant que le 30 décembre 2020.

La requérante est, dès lors, fondée à soutenir qu'en retenant que la décision attaquée lui avait été notifiée à la date de réception du premier pli pour juger que sa demande, formée le 28 janvier 2021, était tardive, la présidente de la Cour nationale du droit d'asile a dénaturé les pièces du dossier.

Par suite, l'ordonnance attaquée est annulée.

(29 décembre 2022, Mme A., n° 456784)

(1147 V. aussi, annulant une décision de la CNDA ne visant pas une note en délibéré pourtant produite après l’audience et avant la lecture de la décision : 29 décembre 2022, M. A., n° 461055. V. aussi, identique en substance : 29 décembre 2022, Mme et M. B., n° 461425.

 

118 - Convention de Genève sur les réfugiés – Clause d’exclusion – Notion d’« agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies » - Participation ou soutien à des actes terroristes – Qualification inexacte des faits comme ne relevant pas de l’exclusion – Annulation.

Le c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 prévoit que les dispositions protectrices qu’elle institue au bénéfice des réfugiés « ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».

Le Conseil d’État considère que « Les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Il en va de même des actions de soutien d'une gravité suffisante à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission de tels actes ».

En conséquence elle juge que l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) est fondé à demander l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) jugeant que les faits pour lesquels le requérant avait été condamné par le juge pénal ne relevaient pas de la clause d'exclusion prévue au c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Certes, elle a retenu pour cela les circonstances, à les supposer établies, que l'intéressé n'aurait pas appartenu au cercle décisionnel d’une entreprise terroriste et que l'aide logistique apportée au projet d'attentat n'aurait été ni essentielle, ni décisive, ainsi que les regrets qu'il avait exprimés à l'audience. Cependant, et à bon droit, le Conseil d’État relève que le juge pénal a établi que ce dernier avait participé à une association terroriste en toute connaissance de cause, après avoir relevé qu'il avait entretenu des liens avec l'organisation « Émirat du Caucase », affiliée à l'organisation al-Qaïda, classée comme organisation terroriste par l'Organisation des Nations Unies, et apporté un soutien logistique à l'ensemble de ses membres, en créant ou en aidant à la diffusion de trois sites internet, sur l'un desquels il avait publié un appel au djihad global, et un soutien financier, en acceptant de servir d'intermédiaire pour financer un voyage d'un membre de cette organisation, qui était destiné à commettre un attentat à Moscou.

La décision de la CNDA est annulée pour inexactitude dans la qualification juridique des faits. C’est le moins que l’on pouvait attendre du juge de cassation.

(29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 456891)

(119) V. aussi, jugeant que si les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié, il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'examiner la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération. La seule circonstance qu'un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, du moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu. En l’espèce, il est jugé qu’un individu qui a été condamné le 6 octobre 2006 à trois mois d'emprisonnement pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique, sans assurance et refus de se soumettre aux contrôles de la force publique, le 3 mai 2007 à quatre mois de prison pour faits de violence aggravée, commis sous l'empire d'un état alcoolique, ayant entraîné pour la victime une interruption temporaire de travail supérieure à huit jours et, le 26 septembre 2014, à quinze ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son voisin, commis sous l'empire d'un état alcoolique, dans des circonstances dont la Cour relève le caractère particulièrement violent, doit être considéré comme constituant une menace grave pour la société française en dépit des formations suivies et des qualifications obtenues par l'intéressé en vue de sa réinsertion, et du suivi médical dont il fait l'objet concernant son addiction à l'alcool : 29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 456943.

(120) V. également, largement comparable au précédent mais où l’usage de stupéfiants remplace celui de l’alcool assorti de multiples infractions : 29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 458957.

 

121 - Ressortissante arménienne bénéficiaire d'un titre de séjour non permanent délivré en Ukraine - Entrée en France lors de l'invasion de l'Ukraine - Décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 - Refus de la protection temporaire (art. L. 581-3 du CESEDA) - Suspension du refus ordonnée et obligation de réexamen de la demande de titre de séjour - Annulation.

Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation de l'ordonnance prononçant la suspension du refus d'octroyer à une ressortissante arménienne bénéficiaire d'un titre de séjour non permanent délivré par les autorités ukrainiennes et venue en France lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Pour annuler l'ordonnance querellée par le ministre, le Conseil d'État retient que c'est à tort que le premier juge a estimé entaché d'un doute sérieux quant à sa juridicité le refus opposé à la demanderesse par l'autorité préfectorale  au motif qu'elle aurait commis une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée pour rejeter la demande de protection temporaire de la requérante faute pour celle-ci de disposer d'un titre de séjour permanent délivré par les autorités ukrainiennes. En effet, le juge des référés a relevé qu'il résultait des dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 2 de la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 que, sous réserve d'autres conditions à remplir, les autorités des États membres doivent accorder le bénéfice de la protection temporaire aux ressortissants étrangers pouvant établir qu'ils étaient en séjour régulier sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité conformément au droit ukrainien mais qu'elles peuvent également l'accorder à d'autres personnes qui étaient en séjour régulier en Ukraine.

Selon le Conseil d'État, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 à laquelle les articles L. 581-2 et L. 581-3 du CESEDA se réfèrent pour définir le champ d'application de la protection temporaire, ainsi que par voie de conséquence l'instruction interministérielle relative à la mise en œuvre de cette décision, qui en rappelle les termes, ne méconnaît pas le principe d'égalité de traitement garanti par le droit de l'Union européenne, et le principe de non-discrimination, en tant qu'elle ne prévoit pas le bénéfice de cette protection pour les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine non titulaires d'un titre de séjour permanent.

Au reste, la protection temporaire est un dispositif exceptionnel permettant d'assurer, dans toute l'Union, une protection minimale immédiate et de caractère temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées ne pouvant rentrer dans leur pays d'origine. Il en résulte que la différence de traitement entre les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, selon qu'ils sont titulaires d'un titre de séjour permanent ou non délivré par les autorités de ce pays, n'est en tout état de cause pas susceptible de caractériser une méconnaissance des principes invoqués de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus litigieuse.

(ord. réf. 27 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 465363)

 

Fonction publique et agents publics

 

122 - Inspecteurs du travail issus du troisième concours de recrutement - Absence de prise en compte des années de scolarité pour le calcul de l'ancienneté de services - Différence de traitement avec ceux issus des deux autres concours - Différence de traitement entre inspecteurs issus du troisième concours déjà fonctionnaires et les autres - Rejet.

Selon les dispositions du décret du 20 août 2003 (art. 12bis) les inspecteurs du travail recrutés à l'issue du troisième concours, filière à caractère social, sont classés, lors de leur titularisation dans le grade d'inspecteur du travail, au troisième échelon, avec une reprise d'ancienneté d'un an, sauf si l'application des articles 11 et 12 leur est plus favorable tandis que ceux recrutés à l'issue d'un autre concours sont titularisés au 1er échelon du grade d'inspecteur du travail, la durée effective de la scolarité, à l'exception de la période de redoublement éventuel, étant prise en compte pour l'avancement d'échelon.

Le requérant, issu du troisième concours, conteste la décision qui ne l'a titularisé au troisième échelon du grade d'inspecteur du travail qu'avec une reprise d'ancienneté d'un an.

Le juge rappelle qu'il est possible, sans illégalité, de faire une application différenciée du principe d'égalité en fonction de situations différentes sous les deux conditions d'être en rapport avec l'objet de la norme qui l'institue et de ne pas entraîner des effets manifestement disproportionnés par rapport à sa justification.

Les inspecteurs-élèves accédant à la fonction publique pour la première fois voient leur scolarité prise en compte au titre de l'ancienneté. Ceux issus du troisième concours se rangent en deux catégories : ceux qui étaient déjà fonctionnaires avant l'admission en tant qu'inspecteurs bénéficient de la reprise d'une fraction de leur ancienneté et n'ont pas droit à une telle reprise au titre de la scolarité ; ceux qui n'étaient pas antérieurement fonctionnaires  sont classés, lors de leur titularisation dans le grade d'inspecteur du travail, au troisième échelon, avec une reprise d'ancienneté d'un an.

Pour le Conseil d'État, il n'apparaît pas que ces différences de traitement ne sont pas en rapport avec les différences objectives de situations au moment du recrutement comme inspecteurs du travail  ni, non plus que les conséquences en sont manifestement excessives à cet égard.

(2 décembre 2002, M. B., n° 456277)

 

123 - ÉNA - Classement des élèves d'une promotion - Affectation aux carrières - Titularisation d'administrateurs civils - Demandes d'annulation - Rejet.

Le Conseil d'État rejette l'ensemble des griefs dirigés par le requérant contre la décision du 30 août 2021 par laquelle le directeur de l'ÉNA a arrêté le classement des élèves de la promotion 2020-2021, contre l'arrêté ministériel du 7 octobre 2021 portant affectation aux carrières de cette promotion et contre le décret du 11 octobre 2021 portant nomination et titularisation (administrateurs civils).

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, s'il résulte des dispositions de l'article 39 du décret du 9 novembre 2015 relatif aux conditions d'accès et aux formations à l'École nationale d'administration qu'aucune personne ayant dispensé des enseignements auprès de la promotion à laquelle appartiennent les élèves ne peut être membre d'un jury ou examinateur, ces dispositions ne sont applicables qu'aux études régies par cet article et non aux stages, lesquels sont réglementés par les dispositions de l'article 38 du même décret. Le requérant ne saurait donc  soutenir que sa note de stage serait entachée d'irrégularité au motif qu'un des membres du jury était préalablement intervenu devant les élèves de sa promotion.

Ensuite, les pièces du dossier ne confirment pas les allégations du requérant selon lesquelles ses notes de stages auraient été fondées essentiellement sur ses rapports de stage sans prendre en compte, ainsi que le prévoient les dispositions du III de l'article 38 du décret du 9 novembre 2015, les appréciations établies par ses maîtres de stage. 

Également, si la note évaluant les acquis et les compétences professionnelles des élèves doit être distincte des notes attribuées pour chacun des stages, elle doit, contrairement à ce que soutient le requérant, être attribuée par un jury composé des mêmes personnes sauf empêchement de l'une d'entre elles. 

Enfin, il ressort des pièces du dossier que la direction des stages de l'ÉNA s'est bornée en l'espèce à demander aux maîtres de stage d'apprécier la capacité des élèves, après avoir développé des contacts pendant leur stage, à s'en servir pour accomplir leurs missions. Cette appréciation étant fondée sur les seules capacités professionnelles des élèves, le requérant  n'est pas fondé à soutenir qu'en lui attribuant des notes sur le fondement notamment des appréciations portées par ses maîtres de stage sur ses capacités en la matière, serait constitutive d'une discrimination et serait contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

(2 décembre 2022, M. A., n° 458123)

 

124 - Fonctionnaire en détachement - Liquidation des droits à pension - Indice devant être retenu - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant, officier de sapeurs-pompiers professionnels au grade de capitaine, a été détaché à partir de 1994 en qualité d'ATER puis, à partir de 1995, en qualité de maître de conférences au sein de l'UFR de pharmacie de l'université de Picardie. Il a été maintenu dans cette position jusqu'à sa radiation des cadres en 2014 pour motif de retraite.

Il conteste l'indice de rémunération retenu pour le calcul de sa pension, soit l'indice 750 détenu dans son corps d'origine, au lieu de l'indice 920 correspondant à son emploi de détachement, ainsi que le refus qui a été opposé à sa demande de révision.

Le tribunal administratif a rejeté son action en se bornant à juger que le requérant ne pouvait invoquer utilement, à l'appui de ce moyen, les dispositions des articles 64 et 65 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 5 du décret du 26 décembre 2003, qui régissent seulement le régime de cotisation des agents territoriaux détachés et qui ne sont pas relatives aux modalités de liquidation de leur pension. 

Le jugement est très logiquement cassé en ce qu'il repose sur une erreur de droit car les juges  du fond devaient rechercher si les retenues pour pension versées par l'intéressé, calculées, en sa qualité d'agent détaché sur un emploi ouvrant droit à une pension de retraite relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite, sur le traitement afférent à son emploi de détachement, ouvraient droit pour l'intéressé à la liquidation de sa pension sur le fondement de l'indice qu'il détenait dans cet emploi.

(5 décembre 2022, M. C., n° 459329)

(125) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit l'arrêt estimant qu'un congé de longue durée pour maladie devait également être pris en compte en tant que « services militaires effectifs » pour l'application du II de l'art. L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa version alors applicable selon lequel « Lorsque la durée de services militaires effectifs est inférieure à la durée nécessaire pour pouvoir bénéficier d'une liquidation de la pension, définie au II de l'article L. 24, augmentée d'une durée de services effectifs de dix trimestres, un coefficient de minoration de 1,25 % s'applique au montant de la pension militaire liquidée en application des articles L. 13 et L. 15 dans la limite de dix trimestres ». En effet, seule la durée des services militaires effectifs est prise en compte pour la détermination de l'éventuel coefficient de minoration de la pension militaire de retraite et cette durée n'inclut par assimilation que les congés limitativement énumérés par ces dispositions, au nombre desquels ne figurait pas le congé de longue durée pour maladie avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 24 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 : 5 décembre 2022, Mme C., n° 462035.

 

126 - Corps de fonctionnaires en voie d'extinction - Corps paramédicaux de la fonction publique hospitalière - Échelonnement indiciaire - Protocole d'accord sans effet juridique - Principe d'égalité - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du décret n° 2021-1406 du 29 octobre 2021 modifiant divers décrets portant statuts particuliers de corps paramédicaux de la catégorie A de la fonction publique hospitalière placés en voie d'extinction et le décret n° 2021-1408 du 29 octobre 2021 fixant l'échelonnement indiciaire applicable à divers corps de catégorie A de la fonction publique hospitalière placés en voie d'extinction.

Les deux moyens invoqués au soutien de ce recours sont rejetés.

En premier lieu, il ne saurait être reproché au décret de 1998,  applicable aux infirmiers spécialisés et à celui de 2001 relatif aux cadres de santé, de méconnaître les stipulations du protocole d'accord du 13 juillet 2020 prévoyant une revalorisation des grilles indiciaires de ces corps mis en extinction, à due proportion de celle appliquée aux corps de catégorie A comparables. En effet, un tel protocole, qui « s'analyse comme un exposé des intentions et des orientations arrêtées par le Gouvernement en concertation avec les syndicats signataires, est dépourvu de valeur juridique et de force contraignante » ne saurait servir à une telle action contentieuse.

En second lieu, les requérants ne peuvent invoquer le fait que les modifications apportées aux grilles indiciaires par les décrets attaqués seraient moins favorables que celles apportées, pour la mise en œuvre de ce même protocole, aux grilles des corps comparables  car le principe d'égalité de traitement n'est susceptible de s'appliquer, s'agissant de fonctionnaires, qu'entre agents d'un même corps. 

(5 décembre 2022, Mme L. et autres, n° 459756)

(127) V. aussi avec même solution : 5 décembre 2022, M. AJ. et autres, n° 459784.

 

128 - Référé suspension - Radiation des cadres - Doute sérieux quant à la date d'entrée en vigueur de la décision - Agent en congé de longue durée pour maladie - Circonstance indifférente - Erreur de droit - Annulation.

(6 décembre 2022, M. B., n° 465627)

V. n° 31

 

129 - Régime disciplinaire de la fonction publique - Révocation d'un fonctionnaire territorial - Annulation avec injonction de réintégration - Arrêt d'appel infirmatif - Retrait de la décision de réintégration pendant la procédure de pourvoi en cassation - Suspension ordonnée - Rejet.

Suite à sa révocation, le fonctionnaire départemental concerné a saisi le juge du référé suspension qui, d'abord, a suspendu la mesure de révocation et ordonné sa réintégration, ce que le confirmé l'ordre de réintégration. Sur l'appel du département, la cour administrative d'appel a annulé le jugement et, alors qu'un pourvoi en cassation avait été formé par le fonctionnaire contre l'arrêt d'appel, le département a retiré la décision de réintégration provisoire.

Saisi par l'intéressé, le juge du référé-suspension a suspendu l'exécution de cette décision de retrait. Le département s'est pourvu en cassation de cette ordonnance.

Son pourvoi est rejeté car relève le Conseil d'État, de façon inédite en cette matière même s'il existe des précédents plus timides (23 mai 2018, ministre de l'intérieur, n° 416313), l'administration disposait en ce cas d'un délai « raisonnable » de quatre mois pour retirer la mesure de réintégration provisoire à compter de la notification de l'arrêt d'appel  prononçant l'annulation de la décision portant révocation de cet agent public. Semblablement, passé ce délai et dans le cas où un pourvoi en cassation a été introduit contre l'arrêt ayant confirmé la révocation de l'agent, l'autorité compétente dispose à nouveau de la faculté de retirer la décision de réintégration, dans un délai raisonnable de quatre mois à compter de la réception de la décision qui rejette le pourvoi ou de la notification de la décision juridictionnelle qui, après cassation, confirme en appel l'annulation du premier jugement. 

Dans tous les cas, l'exercice du pouvoir de retrait est subordonné à une invitation préalable faite à l'agent de présenter ses observations.

La décision apporte une autre précision d'importance concernant le sort de la rémunération de l'agent en pareille circonstance.

Lorsque la réintégration d'un agent public révoqué a été prise en exécution d'une décision de justice, l'intéressé a droit de percevoir la rémunération correspondant à ses fonctions sauf en cas d'absence de service fait soit par suite du refus de l'agent d'effectuer ses missions soit en conséquence d'une mesure ordonnée par l'autorité judiciaire faisant obstacle à l'exercice par l'intéressé de toute fonction au sein des services de son administration. Dans tout autre cas la rémunération est due.

(Section, 9 décembre 2022, département de la Seine-Saint-Denis, n° 451500)

 

130 - Régime disciplinaire de la fonction publique - Faits reprochés s'étant produits dans l'intimité et donc en dehors du service - Condamnation pénale par une cour d'appel - Rejet.

Un militaire radié des cadres du fait de sa condamnation par une cour d'appel pour faits de violences volontaires et d'agression sexuelle sur ses enfants mineurs, demande l'annulation de la mesure.

Le Conseil d'État rappelle le principe selon lequel le comportement d'un fonctionnaire ou d'un militaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration.

Ensuite, au cas d'espèce, il est jugé que l'autorité administrative disciplinaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, inexactement qualifié les faits en retenant leur caractère fautif.

Enfin, eu égard au motif de la condamnation pénale, la sanction de la radiation des cadres n'est pas disproportionné en dépit de la manière de servir de cet agent, jusqu'alors sans reproche.

(12 décembre 2022, M. A., n° 463974)

 

131 - Régime disciplinaire de la fonction publique – Professeur de l’enseignement supérieur – Sanction jugée insuffisante – Illégalité – Annulation.

L’affaire n’est pas banale car les décisions de ce genre sont rares dans la fonction publique.

Un enseignant, ayant sévi à la tête d’un commando pour « libérer » une enceinte facultaire de ses occupants, a fait l’objet de la part du CNESER de la sanction de l'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pour une durée de quatre ans avec privation de la totalité de son traitement.

Sur pourvoi du ministre de l’enseignement supérieur, cette décision est cassée parce que hors de proportion, entendons par là « insuffisante », avec les faits reprochés.

Classiquement, l’annulation des sanctions comme étant « hors de proportion avec les faits reprochés » ne concerne que les sanctions jugées excessives. La situation inverse est très rare ne serait-ce que parce que, dans l’immense majorité des cas, le requérant est l’agent sanctionné lui-même et qu’il est de principe qu’en matière disciplinaire l’appel ou le pourvoi formé par la personne sanctionnée ne peut aboutir à aggraver la sanction qui lui a été infligée. Ici, c’est le ministre qui a saisi le juge de cassation, la situation est donc différente de ce qu’elle est d’ordinaire.

Pour juger insuffisante la sanction, le Conseil d’État retient la matérialité des faits qu’il décrit et le jugement rendu par le tribunal correctionnel dans cette affaire.

Lui reprochant le choix de la sanction susrappelée, il ordonne au CNESER de prononcer non la sanction prévue au 5° de l'art. L. 952-8 du code de l'éducation mais l’une des sanctions prévues par les alinéas suivants de cet article, c’est-à-dire une sanction plus sévère.

(30 décembre 2022, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, n° 465304)

 

132 - Régime disciplinaire de la fonction publique – Professeur des universités – Mesure de suspension à titre conservatoire – Durée maximale ne pouvant excéder un an même en présence de poursuites disciplinaires – Annulation.

Le requérant, professeur des universités poursuivi disciplinairement, a fait l’objet d’une mesure de suspension avec maintien du traitement, pour six mois, renouvelée deux fois. Il a demandé sa réintégration à l’expiration d’une année de suspension, l’université a refusé.

Le Conseil d’État annule cette décision, rappelant ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 951-4 du code de l’éducation que la durée totale de la suspension susceptible d'être infligée à un enseignant-chercheur ne peut excéder une année quand bien même l'intéressé fait l'objet de poursuites disciplinaires. C’est donc à tort que l’université, pour refuser la demande de levée de la suspension, s’est fondée sur l’existence d’une procédure disciplinaire en cours.

(26 décembre 2022, M. B., n° 468102)

 

133 - Désignation de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'Institut national du service public (INSP) - « Lettre-circulaire » ne demandant de faire des propositions en vue de cette désignation qu'à certaines seulement des fédérations syndicales siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique - Illégalité - Annulation.

Est entachée d'illégalité et doit donc être annulée la « lettre-circulaire » du directeur adjoint à la directrice générale de la fonction publique, relative à la nomination de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'INSP, qui ne demande de faire des propositions en vue de la désignation de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'INSP, qu'à certaines seulement des fédérations syndicales siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique en violation des dispositions de l'art. 7 du décret du 1er décembre 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Par voie de conséquence est également annulé l'arrêté ministériel procédant à la nomination des agents ainsi irrégulièrement présentés.

(13 décembre 2022, Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, n° 463701)

 

134 - Notation d'un officier de police judiciaire - Compétence de plein droit du substitut d'un procureur général près une cour d'appel - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, au regard des art. 19-1 et 34 du code de procédure pénale et de l'art. L. 122-4 du code de l'organisation judiciaire, la juridiction administrative décidant que la décision d'établir la notation d'un officier de police judiciaire ne pouvait, sans texte lui attribuant spécifiquement cette compétence, être prise par le substitut général du parquet de la cour d'appel sans délégation de signature à cet effet.

(14 décembre 2022, ministre de la justice, n° 443208)

 

135 - Agent public en CDD placée en congé de mobilité - Démission avant le terme du contrat de directrice d'un établissement public de coopération culturelle - Agent placée, en l'absence de poste vacant à son niveau de traitement, en position de congé sans rémunération - Demande d'octroi d'une aide de retour à l'emploi refusée - Annulation.

Une agent public du ministère de la culture recrutée en CDD, devenue directrice d'un établissement public de coopération culturelle, a démissionné de cet emploi avant le terme du contrat et a été placée, faute de poste vacant, en position de congé sans rémunération. Elle a demandé l'octroi d'une aide de retour à l'emploi qui lui a été refusée et le recours contentieux contre ce refus  a été rejeté par arrêt d'appel confirmatif au motif que les démarches qu'elle avait effectuées demeuraient peu nombreuses et que sa participation à des ateliers afin de retrouver un emploi n'était pas établie.

 Elle se pourvoit ; l'arrêt est annulé.

L'aide au retour à l'emploi suppose que le travailleur qui la sollicite ait été involontairement privé de son emploi (cf. art. L. 5421-1 c. trav.). Il résulte donc des énonciations de la cour que la requérante, faute de recherches sérieuses, ne pouvait relever de cette qualification et que c'était à bon droit que l'aide sollicitée lui avait été refusée.

Pour répondre à la requête dont il était saisi le juge de cassation franchit le pas en se reconnaissant le pouvoir de contrôler la qualification juridique des faits allégués ou déniés en vue de déterminer si la requérante relève ou non de la catégorie juridique « travailleur involontairement privé d'emploi ». Opérant une analyse circonstanciée des faits tels qu'ils ressortent des pièces du dossier, le Conseil d'État juge que la cour a inexactement qualifié les faits (nous pensons plutôt qu'elle les a dénaturés). L'intéressée remplit bien les conditions pour bénéficier de l'aide qu'elle a sollicitée et le juge ordonne son versement à la requérante.

(14 décembre 2022, Mme B., n° 450694)

 

136 - Fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux - Condition d'inscription  de plein droit au tableau d'avancement - Règle de l'échelon spécial - Avancement au grade d'attaché hors classe - Prise en compte, au titre de l'expérience professionnelle, d'exercice de fonctions à un niveau élevé de responsabilité - Éléments permettant d'apprécier les compétences acquises dans l'exercice des fonctions syndicales - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

L'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires a prévu que les fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux sont inscrits de plein droit au tableau d'avancement à un échelon spécial, au vu de l'ancienneté acquise dans l'échelon immédiatement inférieur et de celle dont justifient en moyenne les fonctionnaires détenant le même échelon, relevant de la même autorité de gestion et ayant accédé, au titre du précédent tableau d'avancement et selon la même voie, à l'échelon spécial, sous réserve de remplir les conditions fixées par le statut particulier de leur corps ou cadre d'emplois pour bénéficier d'un avancement d'échelon spécial.

S'agissant d'apprécier les conditions d'avancement au grade d'attaché hors classe, lesquelles sont régies notamment par l'art. 21 du décret du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux, les fonctionnaires concernés peuvent demander à ce que l'exercice des mandats syndicaux pour lesquels ils bénéficient d'une décharge totale de service soit pris en compte, au titre des acquis de l'expérience professionnelle, pour le calcul de la durée d'exercice de fonctions correspondant à un niveau élevé de responsabilité requise par ces dispositions, lorsqu'ils ont préalablement occupé des fonctions correspondant à celles énumérées par ces dispositions et que les responsabilités ensuite exercées dans le cadre de leurs mandats syndicaux peuvent être regardées comme d'un niveau comparable à celles correspondant aux fonctions ainsi énumérées.

En l'espèce, c'est à bon droit que la cour administrative d'appel a recherché si les fonctions syndicales exercées par le requérant pouvaient être regardées comme des fonctions de direction, d'encadrement, de conduite de projet, ou d'expertise, correspondant à un niveau élevé de responsabilité, susceptibles d'être prises en compte en complément des sept ans et quatre mois d'exercice de ses responsabilités à la tête des services financiers de la commune de Saint-Pierre.

En revanche, elle a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que cet agent n'avait pas apporté d'éléments significatifs permettant d'apprécier les compétences acquises dans l'exercice de ses fonctions syndicales alors qu'il résulte de ces pièces même que l'intéressé préside depuis 2008, après avoir été membre de son bureau puis vice-président, le syndicat autonome de la fonction publique territoriale de La Réunion, principal syndicat de la fonction publique territoriale de La Réunion et qu'il est, depuis 2010, secrétaire général de la Fédération générale autonome des fonctionnaires de La Réunion. Pour le juge de cassation, de telles responsabilités « peuvent être regardées comme d'un niveau comparable à celles correspondant aux fonctions énumérées par l'article 21 du décret du 30 décembre 1987 ».

On peut comprendre les hésitations de la cour à aller jusqu'à une telle conclusion.

(16 décembre 2022, M. A., n° 449708)

 

137 - Magistrate du siège - Avertissement - Propos et comportements visant une greffière - Manquements justifiant la mesure - Rejet.

Ne fait pas une inexacte application des art. 43 et 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à la magistrature, la décision d'une première présidente de cour d'appel d'adresser un blâme (qui n'est pas une sanction mais une mesure prise en considération de la personne) à une conseillère de la cour  qui, lors d'une audience publique, a tenu de manière répétée des propos désobligeants à l'égard d'une greffière,  qui entretient avec cette dernière des relations structurellement dégradées et lui adresse des reproches réguliers mettant en cause son comportement professionnel.

Le recours est rejeté.

(27 décembre 2022, Mme B., n° 454743)

 

138 - Magistrate - Demande d'intégration directe dans la magistrature - Fourniture d'un relevé de notes non traduit en français - Condition de diplôme non remplie - Rejet.

Solution très sévère, dont on peut se demander si elle est en phase avec l'évolution du monde contemporain, de la technologie, des échanges et des affaires.

Il y est jugé que c'est à bon droit que la commission d'avancement du Conseil supérieur de la magistrature a estimé que la requérante, candidate à une entrée directe dans la magistrature, ne remplissait pas la condition de diplôme requise, faute d'avoir produit, comme l'exigent les dispositions de l'article 17-1 du décret du 4 mai 1972, une traduction en français, établie par un traducteur assermenté, de son diplôme italien.

Un relevé de notes qui comporte ainsi pour l'essentiel des chiffres indo-arabes, donc universels, ne semble pas exiger un effort insurmontable pour sa lecture.

(27 décembre 2022, Mme A., n° 460017)

 

139 - Militaire – Refus de la vaccination anti-Covid-19 – Régime de vaccination fixé par le ministre de la défense – Rejet.

Le requérant, lieutenant-colonel de l’armée de terre, a fait l’objet d’une sanction de huit jours d’arrêts pour refus de se soumettre à la vaccination contre le virus Covid-19.

Entre autres griefs, il conteste la compétence du ministre de la défense pour fixer le régime de vaccination des militaires. Le moyen est rejeté en l’état des dispositions, qui ne sont pas illégales, de l’art. D. 4122-13 du code de la défense qui confère expressément compétence à ce ministre en la matière.

(29 décembre 2022, M. B., n° 460213)

 

140 - Jury de recrutement de professeur des universités – Impartialité – Existence en dépit de conflits personnels entre le vice-président du jury et la requérante – Rejet.

Candidate malheureuse au recrutement en qualité de professeur des universités près l’Université de La Rochelle, la requérante invoquait le défaut d’impartialité du jury à son endroit.

Si le Conseil d’État rappelle solennellement le beau principe d’impartialité il en fait ici une application bien désolante.

Le juge rappelle : « Le respect du principe d'impartialité fait obstacle à ce qu'un comité de sélection constitué pour le recrutement d'un enseignant-chercheur puisse régulièrement siéger, en qualité de jury de concours, si l'un de ses membres a, avec l'un des candidats, des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles dont l'intensité est de nature à influer sur son appréciation. »

Il juge que n’est pas établi en l’espèce le défaut d’impartialité au terme de la description suivante : « Il ressort des pièces du dossier que si Mme B. a entretenu entre 2014 et 2018 des relations difficiles avec plusieurs membres de l'équipe de recherche alors placée sous sa responsabilité et notamment avec M. Bustamante, vice-président du comité de sélection dans le cadre du concours contesté par la présente requête, auquel elle reproche d'avoir été le « détracteur récurrent » de ses décisions, l'obligeant à porter ce différend à la connaissance de la direction de l'université et à en informer la conseillère de prévention, il ne peut être retenu, à la lecture des éléments du dossier et notamment des courriels produits qu'ils seraient l'expression ou la conséquence d'un conflit personnel qui l'opposerait plus particulièrement à M. C. et il n'est, en outre, pas établi que cette hostilité, à la supposer avérée, aurait perduré après 2015. Par suite, le moyen tiré de ce que la composition du comité de sélection était irrégulière, en raison de ce que M. C. ne pouvait y siéger sans méconnaître le principe d'impartialité, ne peut qu'être écarté. »

Le lecteur sera-t-il surpris de notre total désaccord avec une solution déraisonnable ?

En réalité, le défaut du mécanisme jurisprudentiel de contrôle tient ici à ce qu’il exige la réunion de deux conditions : d’une part, la preuve de circonstances de nature à faire s’interroger sur l’impartialité, d’autre part, l’influence de faits avérés sur la décision critiquée. Outre que cette seconde condition est de nature métaphysique (« Moi l’Éternel, j’éprouve le cœur, je sonde les reins », cf. Jér. 17, 10), ce qui devrait suffire à en tenir le juge éloigné, elle est superfétatoire. Constatant l’existence d’une situation en apparence conflictuelle, il convient que l’autorité administrative comme le juge, en reste là et pourvoit immédiatement, chacun dans son ordre, à donner plus d’apparence de réalité au principe d’impartialité.

Enfin, pour faire un peu de psycho-sociologie administrative des univers clos comme l’Université, croire qu’un conflit (ou plusieurs) entre A et B ne métastase pas sur C, D et E, relève d’une naïveté qui ne peut, à ce niveau, être admise ou même être sérieusement supposée.

(26 décembre 2022, Mme B., n° 463807)

 

141 - Procédure de recrutement d’un professeur des universités – Qualification aux fonctions de professeur des universités – Date d’appréciation – Existence indifférente d’un recours contentieux contre le refus de qualification – Principe d’égalité – Inopérance de critiques dirigées contre la composition d’un comité de sélection qui n’a pas eu à connaître de la candidature du requérant – Rejet.

Contestant la décision d’une université déclarant sa candidature irrecevable et, subséquemment, la décision du comité de sélection ne la retenant pas, le requérant, candidat à un emploi de professeur des universités, soulève plusieurs moyens d’illégalité, tous rejetés.

Est tout d’abord rappelé ce grand classique du droit du contentieux administratif selon lequel, à l’expiration du délai de recours, le requérant ne peut plus, sauf s’il est d’ordre public, soulever un moyen relevant d’une cause juridique distincte de celle à laquelle appartien(ne)nt le(s) moyen(s) soulevé(s) dans le délai de recours.

Ensuite, est également rappelé ce classique du droit des concours de recrutement dans la fonction publique que le candidat doit détenir les qualifications requises pour s’y présenter au plus tard le jour de la clôture des inscriptions. Il est constant qu’en l’espèce le requérant ne détenait pas, à cette date, la qualification aux fonctions de professeur des universités, établie par le Conseil national des universités (CNU), nécessaire pour se présenter à l’emploi sur lequel il postulait. La circonstance qu’il ait introduit un recours, toujours pendant, contre le refus de qualification par le CNU est sans effet sur l’impossibilité de se porter candidat à cette date, les recours contentieux n’ayant pas d’effet suspensif, sauf texte exprès, en procédure administrative contentieuse.

Également, contrairement à ce qui est soutenu, le régime du recrutement des professeurs de l’enseignement supérieur ne résulte pas des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 mais de celles du décret du 6 juin 1984 portant statut particulier du corps des professeurs d’universités.

Enfin, le requérant ne saurait exciper de ce que le comité de sélection de l’université aurait statué dans une composition irrégulière au regard des principes d’impartialité et d’égalité alors que, en raison de l’irrecevabilité opposée à sa candidature par l’université, ce comité n’a pas eu à en connaître.

(30 décembre 2022, M. B., n° 443369)

(142) V. aussi, un peu voisin, le rejet du recours d’un candidat malheureux sur un emploi de professeur des universités ainsi profilé « Littérature latine et humanisme rhénan », contre la délibération du conseil d’administration d’une université donnant un avis favorable à la liste de candidats établie par le comité de sélection en vue du recrutement sur cet emploi, liste sur laquelle il ne figure, bien évidemment, pas : 30 décembre 2022, M. C., n° 457103.

 

143 - Enseignement supérieur – Prime d’encadrement doctoral et de recherche – Prime individuelle de qualité des activités et d’engagement professionnel – Différence de traitement – Absence d’espérance légitime d’obtenir la prime individuelle – Rejet.

Les professeurs d’université requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de la deuxième phrase du II de l'article 7 du décret du 29 décembre 2021 portant création du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, en ce que, d'une part, elle prévoit que les attributaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, dont la période d'attribution arrive à son terme après le 1er janvier 2022, ne peuvent présenter une demande de prime individuelle avant un délai de carence d'un an après ce terme, quel que soit le motif invoqué à l'appui de cette demande, et en ce que, d'autre part, elle applique ce délai de carence d'un an à la présentation d'une demande au titre de la prime individuelle.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, les requérants soutenaient que la disposition litigieuse, qui prive pendant un an les enseignants-chercheurs bénéficiant de la prime d'encadrement doctoral et de recherche dont la période d'attribution expire après le 1er janvier 2022 de la possibilité d'obtenir une nouvelle prime individuelle, y compris pour un motif différent de celui ayant conduit à l'attribution de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, alors que les bénéficiaires de la prime individuelle pourront demander à bénéficier à nouveau de cette prime sans délai de carence s'ils fondent leur demande sur un motif différent de celui ayant conduit à l'attribution de la première prime, introduit une différence de traitement entre les membres d'un même corps qui ne correspond à aucune différence de situation et n'est pas justifiée par un intérêt général. Le Conseil d’État rejette le moyen compte tenu de l’institution d’un régime transitoire de compensation pouvant durer jusqu’en 2025 et de ce que les bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche au titre d'une activité scientifique jugée d'un niveau élevé peuvent bénéficier à nouveau de cette prime, sans délai de carence, s'ils apportent une contribution exceptionnelle à la recherche ou s'ils sont lauréats d'une distinction scientifique de niveau international ou national.  

En second lieu, est jugé inopérant le moyen tiré d'une espérance légitime des requérants d'obtenir la prime individuelle, celle-ci ne pouvant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH ; en effet cela résulte de ce que, d’une part, l'objet de la prime individuelle et les conditions d'attribution de celle-ci, qui diffèrent au demeurant de celles de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, et, d’autre part, cette disposition elle-même ne leur confèrent aucun droit particulier à se voir attribuer cette prime en tant que bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche.

(27 décembre 2022, Mme D. et autres, n° 461967)

 

144 - Attaché territorial – Radiation des cadres pour abandon de poste – Absence de réponse à mise en demeure – Absence d’indication sur son état de santé – Rejet.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la cour administrative d’appel qui, pour annuler la décision radiant des cadres pour abandon de poste un attaché territorial affecté au service départemental et métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône, retient que si l’intéressé s’est soustrait sans justification à trois contre-visites, il s’est néanmoins rendu sur son lieu de travail le vendredi 11 mars 2016 manifestant ainsi une réelle intention de reprendre son service. Par suite, il devait être regardé comme ayant repris son service à l'échéance fixée par sa hiérarchie et comme s'étant conformé à la mise en demeure qui lui a été adressée. 

Annulant cette décision, le juge de cassation retient que le demandeur, mis en demeure de reprendre son service, s'est certes rendu le vendredi 11 mars 2016 au SDMIS accompagné par trois représentants syndicaux mais il n'a, à cette occasion, exprimé aucune intention de reprendre son service et n'a d'ailleurs repris son activité au SDMIS ni le jour même, ni les jours suivants.

La circonstance qu'il a fait parvenir par la suite un certificat médical daté du 11 mars 2016 mentionnant une contre-indication à la reprise du travail, celui-ci n'a été produit qu'après le délai fixé par la mise en demeure et n'apporte aucune précision sur son état de santé par rapport aux certificats médicaux antérieurement produits. Comme, en outre, le requérant s'était antérieurement soustrait sans justification à toutes les contre-visites médicales organisées par son employeur, compte tenu de son abstention, l'autorité compétente était en droit d'estimer que le lien avec le service avait été rompu du fait de l'intéressé.

Cette solution, qu’il faut approuver, tranche avec une évolution jurisprudentielle jusque-là très réticente pour apercevoir l’existence d’un abandon de poste tant étaient multipliées par le juge les exigences de forme requises pour qu’un comportement puisse être qualifié d’abandon de poste. Dès lors se comprend très bien l’attitude de la cour ici, quelque peu commandée par des précédents jurisprudentiels très restrictifs.

(22 décembre 2022, M. A., n° 448005)

 

Hiérarchie des normes

 

145 - Traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets - Convention internationale d'effet direct - Décision d'application du directeur de l'INPI - Annulation.

Le requérant demandait l'annulation d'une décision du directeur général de l'INPI qui a fixé les modalités de dépôt des demandes de brevets et des procédures et échanges subséquents en ce qu'elle violerait certaines dispositions du traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets.

Pour apprécier le bien-fondé de la demande  le Conseil d'État devait se prononcer sur le point de savoir si les stipulations de ce traité sont d'effets directs à l'égard des particuliers.

La réponse est positive : « Eu égard à l'intention exprimée par les parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à leur contenu et à leurs termes, ces stipulations n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. »

(9 décembre 2022, M. A., n° 458276)

V. aussi sur cette affaire le n° 2

 

146 - Affectation d'enseignants dans les établissements d'enseignement public français en Andorre - Régime résultant d'une convention internationale bilatérale et des textes d'application de droit interne - Convention d'effet direct - Note de service indiquant les critères et barème de classement des demandes de mutation - Non respect des dispositions législatives - Annulation.

Une convention bilatérale franco-andorrane du 11 juillet 2013 a prévu l'affectation d'enseignants dans les établissements d'enseignement public français et fixé un régime que mettent en oeuvre des textes de droit interne français soit pris pour l'application des dispositions de cette convention (ainsi les art. D. 911-53 et D. 911-54 du code de l'éducation) soit gouvernant le régime général des mutations de fonctionnaires (cf. art. 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État).

Une note, attaquée ici pour illégalité, a attribué un certain nombre de points par critère de priorité satisfait par les candidats à une affectation en Andorre. Cependant, si cette note a repris les critères fixés par la convention bilatérale, qui est d'ailleurs d'effet direct dans le chef des particuliers, elle n'a pas repris les cinq critères figurant aux 1° à 5° du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 précitée, ne retenant que celui des demandes de mutation pour rapprochement familial et délaissant les quatre autres critères auxquels elle n'affecte, par conséquent, aucun point.

La note, entachée d'illégalité et dont les dispositions litigieuses sont indivisibles, est annulée en son entier.

(13 décembre 2022, M. B., n° 461501)

 

147 - Article 27 du règlement n° 1223/2009 relatif aux produits cosmétiques – Mesure provisoire d’une autorité nationale prise sur le fondement du 3. de cette disposition - Mesure provisoire générale s'appliquant à une catégorie de produits contenant une même substance – Non-conformité à l’art. au 2. de l’art. 27 précité – Annulation.

La fédération requérante avait demandé l’annulation de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 13 mars 2019 fixant des conditions particulières d'utilisation des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol et imposant l’indication sur leur étiquetage qu'ils ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins. Le Conseil d’État avait renvoyé à la CJUE la question préjudicielle de savoir si cette mesure, qui n’est pas illégitime et qui est conservatoire dans l’attente d’une décision de la Commission européenne saisie à cette fin, est contraire aux prescriptions du règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques (voir cette Chronique, décembre 2020 n° 203).

Muni de cette réponse (cf. CJUE, 15 septembre 2022, Fédération des entreprises de la beauté, aff. C-4/21), le Conseil d’État la fait sienne.

Comme il résulte de cette décision que le 2. de l’art. 27 du règlement précité sur les produits cosmétiques ne saurait être interprété comme permettant à une autorité nationale l’adoption d’une mesure provisoire générale s'appliquant à une catégorie de produits contenant une même substance, il en résulte que la décision querellée de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est dépourvue de base légale : elle est donc annulée.

(29 décembre 2022, Fédération des entreprises de la beauté, n° 429578)

 

Libertés fondamentales

 

148 - Extradition - Délai excessif de détention provisoire - Durée excessive de la procédure d'extradition - Règles inapplicables en droit extraditionnel - Rejet.

Examinant et rejetant un recours formé par un ressortissant croate contre un décret ordonnant son extradition vers la Croatie à la demande de cet État, le Conseil d'État est amené à préciser la portée de la règle du délai raisonnable en cette matière.

L'intéressé invoquait la durée excessive de sa détention provisoire et la durée également excessive de la procédure d'extradition elle-même, lesquelles contreviendraient aux stipulations du § 1 de l'art. 6 de la Convention EDH.

Pour rejeter toute application de la règle dite du délai raisonnable, le juge se fonde, sans s'expliquer, sur ce que le « droit d'être jugé dans un délai raisonnable, ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours en annulation du décret prononçant son extradition » et sur ce qu'il n'existe pas de stipulations ou de dispositions imposant aux autorités de l'État requis un délai pour se prononcer sur une demande d'extradition. Les deux arguments nous semblent faiblement convaincants...

(9 décembre 2022, M. A., n° 464716)

 

149 - Extradition vers le Maroc - Invocation de l'art. 3 (traitements inhumains ou dégradants) de la convention EDH - Rejet.

Est rejeté le recours fondé sur ce que le décret autorisant l'extradition du requérant vers le Maroc serait contraire aux stipulations de l'art. 3 de la convention EDH interdisant la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le juge relève que les autorités marocaines ont apporté, à l'appui de leur demande d'extradition, des assurances détaillées portant, d'une part sur l'application des droits et garanties résultant des conventions internationales auxquelles le Royaume du Maroc est partie, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, d'autre part sur les droits procéduraux qui seront respectés, en particulier le contrôle judiciaire des actes qui seront accomplis, le droit à l'assistance d'un avocat avec lequel le requérant pourra correspondre et s'entretenir librement et confidentiellement, le droit à un contrôle régulier de la légalité de sa détention par un tribunal, le droit d'être détenu dans des conditions décentes, de pratiquer sa religion, de communiquer avec sa famille et toute personne de son choix sous réserve d'exceptions prévues par la loi et justifiées, ainsi que le droit d'être jugé publiquement, contradictoirement, dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial.

Il note ensuite que ces autorités se sont également engagées à ce que les membres du conseil national des droits de l'homme puissent communiquer avec l'intéressé et lui rendre visite ainsi qu'à fournir au Gouvernement français toute information qu'il pourrait solliciter relativement à sa situation.

Enfin, le juge rappelle que le décret attaqué indique que l'extradition n'est accordée que sous réserve du respect des conditions reprenant les garanties apportées par les autorités marocaines.

Il suit de cet ensemble d'éléments que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention EDH doit être écarté.

Toutefois, il convient d'observer que la rédaction retenue et l'ensemble des garde-fous mis par le juge à l'acceptation de considérer cette extradition comme régulière manifestent de sa part une certaine réticence suspicieuse assez peu respectueuse de la présomption de bonne foi de l’État en cause.

(27 décembre 2022, M. A., n° 463101)

 

150 - Scolarisation d'enfants dans le cercle familial - Délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille - Mode dérogatoire d'instruction - Régime - Absence d'irrégularité - Rejet.

Les divers requérants poursuivaient l'annulation de dispositions relatives au régime d'exception applicable à l'enseignement dispensé au sein de la famille. Étaient notamment visés : le décret n° 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille, le décret n° 2022-183 du 15 février 2022 relatif à la commission devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d'autorisation d'instruction dans la famille, le décret n° 2022-849 du 2 juin 2022 modifiant l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation.

Tous les chefs de critiques sont rejetés qu'il s'agisse de la consultation du Conseil d'État, de la période fixée pour la présentation des demandes d'autorisation ou du délai fixé pour la réception des pièces et informations manquantes, de l'exigence de justificatifs du domicile et des identités, des demandes d'autorisation motivées par l'état de santé de l'enfant ou sa situation de handicap ou par la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ou par l'itinérance en France ou du fait de l'éloignement géographique d'un établissement scolaire public ou par la situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ou encore en cas de harcèlement, de l'inscription des élèves auprès d'un organisme délivrant un enseignement à distance, etc.

En réalité, cette interminable guerre de tranchées aurait besoin d'une réelle volonté de pacification. Sans verser dans un angélisme qui pourrait être préjudiciable aux enfants concernés, il nous semble nécessaire de sortir d'une logique d'affrontement issue de la position selon laquelle ce mode de scolarisation serait une exception ou une dérogation à un principe de scolarisation normalement effectuée en dehors du cercle familial. Il serait plus respectueux des personnes d'accepter un principe inverse où la scolarisation familiale aurait sa légitimité de plein droit et serait assortie des contrôles et exigences de vérification induits par le fait qu'elle ne se déroule pas en public, qu'elle peut être l'occasion de dérapages ou d'insuffisances, de dérives sectaires ou communautaristes, etc.

(13 décembre 2022, M. B., n° 462274 ; Association Liberté éducation, n° 463175 et n° 463177 ; Association "Les Enfants d'abord", n° 463210, n° 463212 et n° 466467 ; Mme F. et autres, n° 463320 ; Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 468228, jonction)

(151) V. aussi, confirmant la suspension de l'exécution de la décision de refus opposée par une inspectrice d'académie à une demande d'autorisation d'instruction dans la famille au titre de l'année scolaire 2022-2023, ce refus fondé sur l'état de santé de l'enfant alors qu'il est soutenu que cet état de santé fait obstacle à toute scolarisation, est de nature de créer un doute sérieux sur sa légalité : 13 déc. 2022, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 466623.

(152) V. également, annulant une ordonnance de référé suspendant l'exécution du refus d'une inspectrice d'académie d'autoriser la scolarisation à domicile  en raison de « l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif » (cf. art. L. 131-5 c. éducation)  car la demande de dérogation n'expose pas de manière étayée la situation propre à l'enfant motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille : 13 décembre 2022, M. et Mme D., n° 467550.

(153) V. encore sur ce sujet irritant et inépuisable, confirmant l’ordonnance de référé rejetant le recours des intéressés contre la décision de l'inspecteur d'académie refusant une demande d'autorisation d'instruction dans la famille et contre sa confirmation par la commission académique : 26 décembre 2022, Mme C. et M. E., n° 466760.

 

154 - Étranger prétendument en situation d'apatridie - Absence - Rejet.

Ne peut se prétendre en état d'apatridie que celui dont l'État susceptible de le regarder comme son ressortissant par application de sa législation ne le considère pas comme tel. Cette condition n'est pas satisfaite en l'espèce, où l'intéressé ne conteste pas l'exactitude de la mention de la nationalité marocaine sur l'extrait de son acte de naissance dont il se prévaut ni, non plus, le fait de s'être prévalu de sa nationalité marocaine à l'appui de ses démarches antérieures et infructueuses pour obtenir l'asile.

En outre, le requérant n'invoque aucune norme de droit international de nature à faire échec à l'application de la convention de New York du 28 septembre 1954, qui conduit à donner un plein effet à la reconnaissance par un État de ses ressortissants.

Enfin, le requérant ne saurait se prévaloir ni de ce qu'il aurait renoncé à cette nationalité, cette renonciation unilatérale ne lui ouvrant pas, par elle-même, le droit à se voir reconnaître la qualité d'apatride, ni de ce que le Sahara occidental, où il est né, est un territoire inscrit sur la liste des territoires non autonomes au sens de l'article 73 de la Charte des Nations Unies car cette situation ne suffit pas à faire regarder comme apatrides au sens de l'article 1er de la convention précitée de New York, les personnes d'origine sahraouie qui ont reçu la nationalité marocaine.

(27 décembre 2022, M. El Hasnaoui, n° 457625)

 

155 - Liberté de religion – Liberté d’association – Liberté de conscience – Liberté de pensée - Exercice public du culte - Exigence de déclaration préalable – Étendue du contrôle de l’État – Rejet –

Les organisations requérantes demandaient, ensemble ou séparément, l’annulation du décret n° 2021-1789 du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes et du décret n° 2021-1844 du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905.

L’ensemble des requêtes et des moyens sont rejetés.

S’agissant du recours contre le décret du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, deux moyens principaux étaient soulevés.

D’abord concernant le moyen tiré de l’imprécision de la notion, retenue par ce texte, « d'activités en relation avec l'exercice public d'un culte » qui entacherait celui-ci d’incompétence négative et le rendrait sans base légale, son rejet est fondé sur ce que cette notion d’activités recouvre, par exemple, selon le juge qui les cite expressément, l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte, ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte. Il convient d’observer l’incomplétude de l’énumération et l’imprécision des éléments donnés à titre d’exemples : quid des cérémonies, des meubles meublants, des célébrations hors d’édifices cultuels, etc. ? Quid des hypothèses, propres au culte catholique, d’absence d’associations cultuelles, les associations diocésaines ne pouvant jouer ce rôle ?

Ensuite, est rejeté le moyen d’atteintes portées par ces dispositions à la liberté d'association, à la liberté de pensée, à la liberté de conscience et à la liberté de religion au regard des exigences résultant de la convention EDH. Le Conseil d’État estime que ces atteintes satisfont aux exigences conventionnelles car elles sont justifiées car elles sont prévues par la loi, poursuivent un but légitime, sont nécessaires dans une société démocratique comme l’est la société française et leur degré de contrainte est proportionné au but poursuivi. On demeure cependant consterné par l’affligeante motivation donnée à cet effet et selon laquelle si ces dispositions constituent une ingérence dans la liberté de constitution et d'exercice de ces associations et dans le libre exercice des cultes, elles poursuivent un but légitime dès lors que les nouvelles obligations qu'elles imposent visent à assurer la transparence financière des activités cultuelles de ces associations, dans un objectif de préservation de l'ordre public. On avoue ne pas bien comprendre en quoi la transparence financière préserverait l’ordre public. L’on voit cependant clairement que n’est visé en réalité par ces dispositions qu’un culte bien déterminé et que pour camoufler l’hypocrite silence de n’oser pas nommer on a cru bon de plonger dans le même bain répressif tous les autres cultes. Au point de vue de la dignité morale attendue des gouvernants dans une démocratie la solution retenue est bien navrante.

S’agissant du recours contre le décret du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905, là aussi sont rejetés les deux moyens présentés.

D’abord, il est jugé que la notion « d'avantages propres à la catégorie des associations cultuelles » renvoie à l'ensemble des avantages à caractère patrimonial et fiscal dont bénéficient ces associations et qu’ainsi il ne saurait être soutenu que le décret serait entaché d'incompétence négative et dépourvu de base légale. Là encore, ce point ne saurait concerner les religions dépourvues d’associations cultuelles, soit, par exemple, le catholicisme.

Ensuite, est rejeté le moyen tiré de l’illégale discrimination des associations cultuelles par rapport aux autres associations, notamment celles reconnues d’utilité publique, en ce qu’est institué pour les premières un plafonnement des ressources provenant d’immeubles leur appartenant et que ce plafonnement n’existe pas pour les autres catégories d’associations. Là encore la légalité de cette dichotomie statutaire s’appuie sur un « argument » ainsi libellé « (…) cette différence de traitement est justifiée par la différence de situation tenant à leur objet exclusivement cultuel » l’adverbe est de trop car il faut y faire entrer le logement, l’alimentation, les pensions de retraite, le traitement, les charges sociales des desservants, etc.

Il est assez incroyable que ce pays ne parvienne pas à trouver un mode juridique pacifié des relations entre l’État et la religion, le droit se constituant ici constamment en termes de domination et de souveraineté comme si le premier détenait un quelconque monopole des vertus et intelligences publiques.

(22 décembre 2022, Union des associations diocésaines de France, Conférence des évêques de France, Fédération protestante de France, Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800, et n° 461803, jonction)

 

156 - Séparation des Églises et de l’État – Loi du 9 décembre 1905 – Exercice du droit de préemption urbain renforcé en vue de la réalisation d’un équipement collectif à vocation cultuelle exclusive – Absence de caractère d’aide prohibée à un culte – Annulation.

Réitérant une jurisprudence se voulant conciliatrice entre liberté de religion et principe de laïcité de l’État (Assemblée, 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et Picquier, n° 308817, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161, Commune de Montpellier, n° 313518,  et Mme V., n° 320796, cinq espèces), le Conseil d’État annule ici un arrêt d’appel qui avait jugé illégal, dans les circonstances de  l’espèce, l’exercice  par une commune de son droit de préemption urbain renforcé en vue de l'extension d’un centre socio-cultuel implanté sur le terrain communal mitoyen de la parcelle préemptée, qui a fait l'objet d'un bail emphytéotique administratif passé entre la ville et la fédération cultuelle des associations musulmanes de cette commune afin, d'une part, d'augmenter la capacité d'accueil de la mosquée existante pour répondre aux besoins de la communauté musulmane locale ainsi que celle du parc de stationnement assurant l'accueil des fidèles et, d'autre part, de créer des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l'enseignement religieux. Les juges du fond y avaient vu, d’une part, une aide à l'exercice d'un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 et d’autre part, un projet d'une ampleur insuffisante pour pouvoir être regardé comme un équipement collectif répondant à un intérêt général suffisant au sens des dispositions des art. L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État prend l’exact contrepied de ce raisonnement en jugeant en premier lieu que si le principe de laïcité interdit aux collectivités publiques d’apporter aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels, il ne fait point obstacle, en revanche, à l’exercice du droit de préemption qui, s’il est pris dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, en vue de permettre la réalisation d'un équipement collectif à vocation cultuelle, n’est pas par lui-même constitutif d'une aide à l'exercice d'un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. En second lieu, les juges du Palais-Royal estiment être en l’espèce en présence d’un projet qui, eu égard à son objet et à son ampleur, présente bien le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement au sens des dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme qui régissent l’exercice du droit de préemption urbain. 

Il faut avouer que collectivités publiques et juges administratifs munis de ce faible viatique dont la subtilité le dispute au flou se préparent de beaux jours contentieux et pour une cure d’insécurité juridique engendrés par cette jurisprudence.

(22 décembre 2022, Mmes A., n° 447100)

 

157 - Suicide assisté – Demande d’abrogation de dispositions contraires – Refus implicite – Absence de violation de la Convention EDH – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger les articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique qui prohibent la provocation délibérée de la mort par les médecins. Elle soutient que ce refus méconnaîtrait les stipulations de la Convention EDH.

Cette argumentation est rejetée car les articles 2, 8 et 9 de cette convention, relatifs respectivement au droit à la vie, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de pensée, de conscience et de religion, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment par les arrêts qu'elle a rendus le 29 juillet 2002 (Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02), et le 20 janvier 2011 (Haas c. Suisse, n° 31322/07), n'impliquent pas par eux-mêmes de prévoir l'intervention médicale réclamée par l'association pour l'exercice du droit qu'elle revendique.

(29 décembre 2022, Association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement » n° 465977)

 

158 - Droit au respect de la vie – Limitation ou arrêt de traitement et de soins – Absence de mort cérébrale et évolution favorable sur l’échelle de Glasgow – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de rejet et renvoi à la juridiction.

Une équipe médicale ayant décidé de limiter le traitement d’une patiente pour « défaillance neurologique majeure » avec « une absence d'activité corticale et des noyaux gris centraux », seul le tronc cérébral restant « actif », ainsi qu’en raison de l'absence de « facteur corrigeable qui pourrait permettre d'améliorer l'état neurologique et d'espérer une amélioration », ses proches ont saisi le juge du référé en vue qu’il ordonne la suspension de cette décision.

Ils se pourvoient contre l’ordonnance de rejet de leur requête.

Pour annuler cette ordonnance le Conseil d’État retient que les demandeurs « faisaient toutefois valoir en première instance que l'équipe médicale avait indiqué que Mme I. n'était pas en état de mort cérébrale et ils soutenaient que son état clinique avait évolué de façon favorable sur l'échelle, dite de Glasgow, selon laquelle est évalué l'état de conscience, qu'elle conservait de la motricité, des réflexes, en accompagnant ces mouvements d'une respiration spontanée, ainsi qu'une sensibilité à la douleur. Ils produisaient également les derniers éléments médicaux dont ils disposaient, émanant du service de radiologie de l'hôpital, résultant d'un angioscanner cérébral et d'un scanner thoracique réalisés le 4 mars 2022 et prescrits au titre d'une recherche d'un signe de mort encéphalique et d'un foyer infectieux au niveau thoracique, concluant, d'une part, au niveau cérébral, à une absence d'arrêt circulatoire et, comparativement au scanner qui avait été réalisé le 5 janvier 2022, à la présence d'hypodensités parenchymateuses diffuses sous- et sus-tentorielles plus étendues faisant évoquer des zones d'ischémie constituée, mais aussi à une meilleure visibilité des sillons et du système ventriculaire faisant évoquer une diminution de l'œdème cérébral et, d'autre part, au niveau thoracique, à l'absence d'épanchement pleuropéricardique, d'adénomégalie médiastino-hilaire et de foyer parenchymateux. »

Or le juge relève, d’une part, que le centre hospitalier n’a apporté aucune précision à l'appui de son affirmation selon laquelle les éléments susénoncés ne témoignaient pas d'une amélioration de l'état neurologique de Mme I. et, d’autre part, que le premier juge, en rendant son ordonnance de rejet, a, eu égard à son office si particulier en pareil dossier, commis une erreur de droit en se bornant, dans ces circonstances, alors qu'il était sérieusement soutenu devant lui que la décision prise pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, à juger, sans s'assurer davantage qu'il n'en résultait pas que l'exécution de la décision attaquée devait être suspendue à titre conservatoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête en annulation dont elle faisait l'objet, qu'au regard des informations données à l'audience, aucun des moyens invoqués n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

Cette décision doit être saluée en ce qu’elle exige du juge l’exercice plein et entier de son office sans se croire asservi aux opinions du corps médical et de ce dernier un comportement plus respectueux des propres données médicales à sa disposition, le tout sous la vigilance des proches et des familles

Elle doit être présente à l’esprit au moment où se déroule un gravissime débat sur la légalisation de la mort volontaire des patients.

(21 décembre 2022, M. I. représentant unique des requérants, n° 463391)

 

Police

 

159 - Police du permis de conduire - Permis de conduire probatoire - Commission d'une infraction privative d'un point durant la période probatoire - Empêchement à la constitution d'un capital de douze points à l'issue de cette période - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui estime que le titulaire d'un permis probatoire qui, durant la période de probation, est l'auteur d'une infraction entraînant la perte d'un point, dispose au terme des trois ans de probation d'un total de douze point diminué d'un seul alors qu'il résulte des dispositions de l'art. R. 223-1 du code de la route que la commission d'une infraction durant cette période fait obstacle à l'attribution des douze points à son terme.

(13 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 462711)

(160) V. aussi, jugeant qu'est entaché d'erreur de droit le jugement qui estime que la commission d'une infraction d'excès de vitesse inférieur à 20 km/h n'interrompt pas le délai de deux ans consécutif à une précédente infraction nécessaire à la reconstitution des points de permis alors qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 223-6 et de l'art. R. 413-214 du code de la route qu'en ce cas le délai de reconstitution est porté à trois ans : 13 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 463185.

 

161 - Plan de prévention des risques naturels d'inondation (PPRNi) d’une rivière - Objet – Annulation de la totalité du plan à raison de l’illégalité de certains zonages – Divisibilité des zonages par rapport au plan – Annulation totale de l’arrêt d’appel et partielle du jugement – Rejet.

La requérante avait demandé en première instance, et obtenu, l’annulation d’un arrêté préfectoral approuvant le plan de prévention des risques d'inondation (PPRi) de la basse vallée de la Durance sur le territoire de la commune de Châteaurenard. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel infirmatif.

Ce dernier est cassé par le double motif qu’il a statué ultra petita en annulant l’entier jugement alors qu’il n’était pas saisi de conclusions en ce sens dès lors que la ministre appelante ne contestait pas l'illégalité des zones « RH MIN » et « R1 MIN » que ce jugement a constaté et qu’il a rejeté les conclusions de l’association requérante pour défaut d’intérêt pour agir alors que ses statuts lui donnaient intérêt à l’action.

Le jugement est, lui aussi, annulé motif pris de ce qu’il annule en totalité le PPRNi alors que la partie illégale (soit les zonages RH MIN et R1 MIN) était divisible de ce plan.

Examinant, par évocation, ce qui reste à juger au fond, le Conseil d’État considère que doit être écarté le moyen tiré de ce que le plan litigieux serait illégal pour ne pas prendre  suffisamment en considération le risque de crue de l'Anguillon et le risque de ruissellement alors que ce plan, relatif aux risques naturels d'inondation de la basse vallée de la Durance, a pour seul objet d’apprécier le risque d'inondation par débordement de la Durance, ce qui impose de tenir compte du débit des affluents de la Durance tels que l'Anguillon, comme cela a été fait, mais non, comme cela est reproché, de traiter des risques de débordement de ces affluents, ni des risques d'inondation liés au ruissellement.

Ce distinguo ne nous paraît pas très réaliste car, en définitive, c’est bien un diagnostic global qui est attendu.

(28 décembre 2022, Association « Châteaurenard défiguré - Association de protection du patrimoine rural et environnemental », n° 449412)

 

162 - Police des stupéfiants ou des substances prétendues telles – Cannabinoïdes – Interdiction de commercialisation de fleurs et feuilles brutes de certaines variétés de cannabis n’excédant pas un certain taux de delta-9-tetrahydrocannabinol – Annulation.

Saisi par les organisations requérantes de recours dirigés, pour l’essentiel, contre le refus d’abroger les dispositions du code de la santé publique interdisant l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de cannabidiol obtenu à partir de la plante de chanvre entière, la commercialisation des produits issus des parties de la plante de cannabis autres que ses fibres et graines, la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes de cannabis de la variété cannabis sativa L sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d'autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation.

Le juge relève d’abord que si le cannabidiol et le delta-9-tétrahydrocannabinol sont deux des principaux cannabinoïdes végétaux essentiellement concentrés dans les fleurs et les feuilles de la plante de cannabis sativa L, également appelée cannabis ou chanvre, leur teneur respective varie fortement selon les variétés de cette plante. En outre, en l'état des données de la science, si le cannabidiol a des propriétés décontractantes et relaxantes ainsi que des effets anticonvulsivants, il ne présente pas de propriétés psychotropes et il ne comporte pas les mêmes effets indésirables que le delta-9-tétrahydrocannabinol, identifié comme le principal composant psychoactif du cannabis susceptible notamment de faire naître un effet de dépendance.

Il en résulte que des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes peuvent être distinguées en raison de leur faible teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol.

Le juge constate ensuite que les risques pour la santé dépendent des quantités de delta-9-tétrahydrocannabinol effectivement ingérées en fonction des produits consommés et des modes de consommation. En l'état des données de la science, les autres molécules présentes dans les fleurs et feuilles de cannabis, notamment le cannabidiol, ne peuvent pas être regardées comme revêtant une nocivité particulière. Si le taux de 0,30 % de delta-9-tétrahydrocannabinol n'est pas un seuil d'innocuité, il ne ressort d'aucune pièce versée aux dossiers que les fleurs et feuilles de variétés de cannabis ayant une teneur en delta-9-tetrahydrocannabinol inférieure à 0,30 % présenteraient des risques pour la santé publique justifiant une mesure d'interdiction générale et absolue de leur commercialisation et la restriction de leur récolte, importation et commercialisation à des fins de production industrielle d'extraits de chanvre.

Le juge considère enfin que le motif, invoqué par les ministres défendeurs, tenant à la protection de l'ordre public et aux risques pour la santé publique que présentent d'autres variétés de cannabis d'aspect similaire ne peut, en tout état de cause, justifier la restriction de l'utilisation des fleurs et feuilles des variétés présentant une teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol inférieure à 0,30 % à la seule production industrielle d'extraits de chanvre. 

C’est pourquoi il est jugé, sans qu’il besoin de saisir préalablement la CJUE, que « les requérants sont fondés à soutenir que l'interdiction de la commercialisation des fleurs et feuilles brutes des variétés de cannabis sativa L. présentant un taux de delta-9-tetrahydrocannabinol inférieur à 0,30 % n'est pas proportionnée et à demander, pour ce motif, l'annulation du premier alinéa du II de l’article 1er (de l’arrêté querellé du 22 février 1990) ainsi, en conséquence, que celle du second alinéa de ce II. »

(29 décembre 2022, Confédération des buralistes, n° 444887 ; Association française des producteurs de cannabinoïdes, n° 455024) ; SAS Slow et autres, n° 460291 ; SAS Mister Flower Avenue Niel et autres, n° 460297 ; SAS unipersonnelle Weedstock et autres, n° 460298 ; SAS Green Leaf Company, n° 460324 ; SAS Shyw, n° 460352 ; Union des professionnels du CBD, n° 460374 ; Syndicat professionnel du chanvre, n° 460379 ; Association française des producteurs de cannabinoïdes, n° 461908 ; SAS Green Carpathes Corp, n° 461910 ; SAS Ioda, n° 461911 ; Sarl TDAMD et autres, n° 461912 ;  SAS Dream flower CBD shop, n° 461957 ; SAS Santino et autres, n° 461975)

(163) Voir, en revanche, rejetant la demande d’annulation du décret n° 2022-194 du 17 février 2022 relatif au cannabis à usage médical : 29 décembre 2022, Union des professionnels du CBD et SAS CBD'EAU, n° 463256.

 

Professions réglementées

 

164 - Médecin - Conclusion d'une convention entre une personne physique médecin et une personne morale en vue de la constitution d'une société en participation - Mise à disposition du médecin des moyens d'exercice de sa profession - Pouvoirs de l'ordre des médecins - Recours contre l'avis rendu par ce dernier - Rejet.

De cette riche décision seront retirés plusieurs enseignements.

En premier lieu, s'il résulte de diverses dispositions du code de la santé publique que les personnes physiques exerçant la profession de médecin peuvent constituer ensemble une société en participation régie par l'article 22 de la loi du 31 décembre 1990 pour l'exercice même de cette profession, celles-ci ne font pas obstacle à ce qu'une personne physique exerçant la profession de médecin puisse également conclure avec une personne morale une convention constitutive d'une société en participation soumise aux dispositions des articles 1871 à 1872-1 du Code civil visant notamment à permettre au professionnel de disposer de moyens nécessaires à l'exercice de sa profession.

Il revient ensuite au conseil départemental de l'ordre des médecins auquel la convention est obligatoirement transmise, de donner un avis sur la compatibilité du contrat qui lui est ainsi communiqué avec les règles applicables à la profession, en particulier celles qui prévoient l'indépendance professionnelle des médecins.

En second lieu, concernant le statut contentieux de l'avis ainsi donné par le conseil départemental de l'ordre, le Conseil d'État indique qu'en dépit de son caractère d'avis ne pouvant déboucher ni sur une homologation ni sur un refus d'homologation de la convention qu'il a examinée il constitue néanmoins une décision faisant grief et, partant, susceptible de recours.

Toutefois, il convient de distinguer selon la personne qui forme un recours contre cet avis décisoire : si c'est le médecin lui-même, il a intérêt et qualité pour introduire de ce chef un recours pour excès de pouvoir ; en revanche, ce même recours est irrecevable s'il est formé par la personne morale qui n'exerce pas la profession de médecin et n'est donc pas inscrite au tableau de l'ordre.

En l'espèce, la médecin s'étant désistée, le recours ne subsistait plus que de la part de la personne morale, il était donc irrecevable.

(13 décembre 2022, Mme A. et société ONO Holding France, n° 445683)

 

165 - Masseur-kinésithérapeute ressortissant algérien - Demande du bénéfice d'exercer par dérogation cette profession - Absence de titre ou diplôme permettant d'exercer sur le territoire national - Refus - Rejet.

Fait une exacte application des dispositions en cause le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes qui, relevant que le pétitionnaire ne justifie d'aucun titre de formation ou autorisation lui permettant d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute sur le territoire national, refuse son inscription au tableau de l'ordre. En effet, l'intéressé se prévalait, pour prétendre au bénéfice des dispositions dérogatoires du 3° de l'art. L. 4321-2 du code de la santé publique, du diplôme d'État algérien de technicien supérieur de santé option «kinésithérapie » qui lui aurait été délivré par la République Algérienne démocratique et populaire le 9 septembre 1987, un certificat de formation professionnelle qui lui aurait été délivré le 18 décembre 1987 par le ministère algérien du travail et des affaires sociales, et une «dispense de scolarité relative aux études préparatoires au diplôme d'État de masseur-kinésithérapeute » qui lui aurait été délivrée le 14 octobre 1999 par la préfecture de Paris. Ces éléments ne permettent pas d’attester de son aptitude à exercer cette profession en France.

(28 décembre 2022, M. A., n° 460631)

 

166 - Médecin ressortissant franco-allemand – Diplôme de médecin délivré par un État tiers à l’Union européenne mais reconnu automatiquement par un État de l’Union – Effet de cette reconnaissance dans les autres États de l’Union – Renvoi préjudiciel à la CJUE – Sursis à statuer.

Le Conseil d’État renvoie à la CJUE, car sa réponse est indispensable à la solution de l’affaire dont il est saisi, la question de savoir si un médecin, ressortissant d'un des États membres de l'Union européenne, qui est titulaire d'un titre de formation de médecin spécialiste délivré dans un État membre, visé au point 5.1.2 de l'annexe V de la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, peut, avec ce seul titre, se prévaloir, dans un autre État membre, du régime de reconnaissance automatique des titres de formation défini à l'article 21 de cette directive, alors même qu'il est titulaire d'un titre de formation médicale de base délivré par un État tiers qui a seulement été reconnu par l'État membre dans lequel il a obtenu son diplôme de médecin spécialiste et ne figure pas parmi ceux visés au point 5.1.1 de l'annexe V de cette directive et que le point 4 de l'article 25 de la directive subordonne la délivrance d'un titre de formation de médecin spécialiste à la possession d'un des titres de formation de médecin avec formation de base ainsi visés.

(27 décembre 2022, M. B., n° 459585)

 

167 - Chirurgien-dentiste inscrit simultanément en France et dans un État non membre de l’Union ou de l’Espace économique européen – Irrégularité – Radiation – Possibilité d’une sanction à raison même de cette irrégularité – Annulation.

La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes commet une erreur de droit en jugeant que doit être relaxé des poursuites diligentées à son encontre le chirurgien-dentiste qui, inscrit au tableau de l'ordre en France tout en étant également inscrit ou enregistré en cette qualité dans un État ne faisant pas partie de l'Union européenne ou n'étant pas partie à l'accord sur l'Espace économique européen, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique, ne régularise pas sa situation en mettant fin à cette double inscription malgré une demande en ce sens du conseil départemental de l'ordre.

Au contraire, comme jugé en première instance, s'il appartient au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes, siégeant dans sa formation administrative, de tenir à jour le tableau relevant de son ressort et de radier de celui-ci le praticien qui, par suite de l'intervention de circonstances avérées, postérieures à son inscription, a cessé de remplir les conditions requises pour y figurer, cette prérogative ne fait pas par elle-même obstacle à ce qu'une action disciplinaire soit engagée en raison des mêmes circonstances lorsque celles-ci permettent de caractériser un manquement de ce praticien à ses devoirs professionnels.

(27 décembre 2022, Conseil départemental de la Réunion de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 459874)

(168) V. aussi, identique : 27 décembre 2022, Conseil départemental de la Réunion de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 459876.

 

169 - Praticien en relation intime avec une patiente et en même temps médecin traitant du conjoint de celle-ci – Manquement aux obligations déontologiques – Cessation de la vie commune entre les conjoints – Maintien d’un PACS – Erreur de droit – Annulation.

Il est jugé que commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins infligeant au requérant la sanction de l'avertissement pour être demeuré le médecin traitant d’un patient dont la conjointe était sa maîtresse ainsi que de ses deux filles et en dépit de ce qu’un PACS liait les deux conjoints durant la période 2016-2018 après laquelle ce pacte a été rompu.

Il faut relever la plasticité de la notion de déontologie retenue dans cette décision : mais au fait, existe-t-il encore une déontologie ?

(26 décembre 2022, M. C., n° 453753)

 

170 - Vétérinaire – Poursuites disciplinaires – Principe de l’égalité des armes et droit à un procès équitable – Non-respect du fait des dispositions réglementaires régissant la procédure disciplinaire – Praticien ayant pu disposer d’un temps suffisant pour organiser sa défense – Absence de violation de la Convention EDH - Rejet.

Il résulte des dispositions de l'art. R. 242-99 du code rural que le vétérinaire qui fait l'objet de poursuites disciplinaires n'a la possibilité, tant en première instance qu'en appel, de consulter le rapport du rapporteur qu'à compter de l'envoi de l'avis d'audience qui, si est pris en compte le délai le plus court, peut n'intervenir que quinze jours avant l'audience, soit, dans tous les cas, postérieurement à sa communication au président de l'instance ordinale, alors que ce dernier a la faculté de demander le prononcé d'une sanction à l'encontre du professionnel lors de l'audience et qu'en outre, il peut être à l'origine des poursuites disciplinaires engagées. Ces dispositions ne permettent pas de garantir dans tous les cas le respect du principe de l'égalité des armes, tel que garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la convention EDH.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, l’intéressé a, de fait, disposé du temps nécessaire (un mois) à la préparation de sa défense et n'a fait état d'aucune difficulté dans celle-ci, celui-ci a disposé « d'une possibilité raisonnable de se défendre dans des conditions ne le plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport au président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ». Par suite, il ne saurait exciper de la violation du principe de l'égalité des armes et du droit à un procès équitable tels que fixés par l’art. 6 § 1 de la Convention EDH.

(27 décembre 2022, M. D., n° 452531)

 

171 - Infirmiers – Honoraires qualifiés d’abusifs – Erreur de droit – Annulation.

La section des assurances sociales de l’ordre national des infirmiers a qualifié d’abusifs les honoraires facturés grâce à la carte de professionnel de santé de M. B. alors que les actes auxquels ils correspondaient avaient été réalisés par les infirmiers qui avaient été présentés irrégulièrement comme assurant son remplacement.

Toutefois, le Conseil d’État annule cette sanction pour erreur de droit motifs pris de ce que ces infirmiers étaient en cours d'intégration dans son cabinet de soins, qu'il est constant que les actes dont la section a exigé le reversement des honoraires correspondants, ont été effectivement pratiqués et qu’ils n’ont pas été surcotés ou réalisés dans des conditions équivalentes à une absence de soins.

(28 décembre 2022, M. B., n° 454329 et n° 457279)

 

172 - Chirurgien-dentiste – Refus d’inscription au tableau de l’ordre – Décision suffisamment motivée et exempte d’illégalité – Rejet.

Est suffisamment motivée et exempte d’illégalité la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui, pour refuser l’inscription du requérant au tableau de l’ordre, a retenu  d'une part, qu’il ne respectait pas dans ses cabinets successifs les règles d'hygiène propres à l'exercice de sa profession, d'autre part, qu'il avait confié à certaines de ses employées des tâches de stérilisation ou de radiographie ne relevant pas de leurs prérogatives, enfin qu'il avait eu une attitude irrespectueuse vis-à-vis de ses salariés et non-confraternelle vis-à-vis d'une consœur. Est donc régulière la décision estimant que l’intéressé ne remplissait pas les conditions de moralité et de compétence auxquelles est subordonnée l'inscription d'un chirurgien-dentiste au tableau de l'ordre. 

(30 décembre 2022, M. A, n° 445119)

 

173 - Chirurgien-dentiste de nationalité hongroise – Demande de qualification en orthopédie dentofaciale – Refus de l’Ordre – Composition irrégulière d’une commission – Erreurs de droit – Annulation.

Le conseil requérant demandait la censure de l’arrêt par lequel une cour administrative d’appel a annulé la décision qu’il avait prise rejetant la demande de qualification en orthopédie dentofaciale d’une chirurgienne-dentiste hongroise.

L’arrêt querellé est annulé pour erreurs de droit au double motif qu’il a retenu pour rendre son arrêt, en premier lieu, une irrégularité dans la désignation d'un membre d'une commission consultative alors qu’un tel grief ne peut plus être invoqué, à l'appui d'un recours dirigé contre une décision prise après avis de cette commission, une fois que cette désignation est devenue définitive comme c’était le cas en l’espèce et, en second lieu, qu’il a jugé qu’un membre d'un conseil départemental et non du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, ne pouvait régulièrement siéger au sein de cette même commission nationale d'appel pour la qualification des chirurgiens-dentistes en qualité de représentant du Conseil national, alors que les dispositions du 3° de l'article 2 de l'arrêté du 24 novembre 2011 relatif aux règles de qualification des chirurgiens-dentistes prévoient seulement que l'arrêté du ministre chargé de la santé doit désigner « un représentant du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ».

(30 décembre 2022, Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 460966)

(174) V. aussi, rejetant le recours d’un praticien contre la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui l'a suspendu du droit d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée de trois ans et a subordonné la reprise de son activité à la justification du respect d'obligations de formation : 30 décembre 2022, M. B., n° 462279.

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

175 - Loi du 25 janvier 2011 portant suppression des avoués - Avoués faisant valoir leurs droits à la retraite dans l'année de la promulgation de la loi - Loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 portant exonération d'impôt sur les plus-values de cession d'études d'avoués pour ceux ayant fait valoir leurs droits à la retraite avant le 31 décembre 2012 - Exception d'inconstitutionnalité - Refus de transmission d'une QPC.

L'article 54 de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, dans sa rédaction applicable du 1er janvier 2010 au 30 décembre 2011 dispose dans son IV : « IV. Les avoués qui font valoir leurs droits à la retraite dans l'année qui suit la promulgation de la loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel bénéficient des dispositions de l'article 151 septies A du CGI ». Cet art. 151 septies A exonère, à certaines conditions, Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies du CGI lorsqu'elles sont réalisées dans le cadre d'une activité libérale.

Ensuite, ce même article 54 a reçu la rédaction suivante par le II de l'article 35 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 : « IV. Les avoués qui font valoir leurs droits à la retraite avant le 31 décembre 2012 bénéficient des dispositions de l'article 151 septies A du CGI ».

Les contribuables requérants estiment que les dispositions du IV de l'article 54 de la loi du 30 décembre 2009, dans leur rédaction issue de la loi du 28 décembre 2011, sont illégales en tant qu'elles sont interprétées comme manifestant la volonté du législateur de réserver aux seuls avoués ayant fait valoir leurs droits à la retraite entre la date de promulgation de cette loi et le 31 décembre 2012, le bénéfice de l'exonération prévue d'imposition de l'indemnité perçue en réparation de la perte du droit de présentation de leur successeur du fait de la suppression de leur profession à compter du 1er janvier 2012. Ils considèrent qu'ainsi interprétées ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi fiscale garantie par l'article 6 de la Déclaration de 1789.

Rejetant cette analyse, le Conseil d'État juge que s'il résulte de ce choix législatif une différence de traitement avec les avoués qui, à la date du 25 janvier 2011, poursuivaient leur activité tout en ayant déjà fait valoir leurs droits à la retraite, celle-ci répond à une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi, dès lors que les intéressés ne peuvent être regardés comme ayant fait valoir leurs droits à la retraite en conséquence de la suppression de leur profession par la loi du 25 janvier 2011. Il refuse de transmettre la QPC.

L'argument est aussi traditionnel que spécieux car on n'aperçoit pas et le juge n'offre pas davantage d'éclairer notre lanterne sur ce point, où est la différence objective de situation justifiant directement et à elle seule une telle différence de traitement : l'existence d'une différence de fait liée à la chronologie ne suffit pas à la rendre ipso facto « objective ».

(5 décembre 2022, M. et Mme A., n° 463454)

 

176 - Cotisation foncière des entreprises - Exonération de cette cotisation pour certains artistes - Absence d'exonération pour les tatoueurs - Personnes se trouvant dans une situation objectivement différente - Refus de transmission d'une QPC.

Le SNAT soutenait que les dispositions du 2° de l'article 1460 du CGI, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'État, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en tant qu'elles excluent les artistes tatoueurs du bénéfice de l'exonération de cotisation foncière des entreprises qu'elles prévoient pour les peintres, graveurs, sculpteurs et dessinateurs.

Pour rejeter cette prétention et refuser la transmission de la QPC, le juge relève, d'une part, que le législateur a entendu favoriser ces personnes pour tenir compte des particularités du marché de l'art et, d'autre part, qu'à cet effet il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en réservant le bénéfice de cet avantage à ceux de ces artistes qui sont considérés comme tels et ne vendent que le produit de leur art. Or les tatoueurs se trouvent dans une situation objectivement différente. En effet, ils réalisent non des objets cessibles, eu égard au principe de non-patrimonialité du corps humain, mais une prestation de service, laquelle ne saurait être regardée comme la vente du produit de leur art au sens et pour l'application des dispositions contestées de l'art. 1460 du CGI. 

La QPC soulevée n'est pas transmise.

(5 décembre 2022, Syndicat national des artistes tatoueurs et des professionnels du tatouage (SNAT), n° 467864)

 

177 - Zone de revitalisation rurale - Création ou reprise d'entreprises - Exonération conditionnelle de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés - Différences alléguées ou non différences critiquées - Refus de transmission d'une QPC.

Les dispositions du b) du III de l'article 44 quindecies du CGI, dans leur rédaction issue de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, établissent une différence de traitement entre les entreprises individuelles reprises dans les zones de revitalisation rurale, suivant que le repreneur est ou non le conjoint de l'entrepreneur individuel cédant, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs ascendants et descendants ou leurs frères et sœurs. Le requérant estime que ces dispositions méconnaissent ainsi les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Ces mêmes dispositions traitant de manière identique le rachat de la totalité des parts d'un associé de SCP et la reprise d'une entreprise individuelle, le requérant estime que, de ce fait, elles méconnaissent les mêmes principes que ci-dessus dès lors qu'elles aboutissent à ne pas opérer de différence parmi les reprises de la totalité des parts d'un associé d'une SCP selon que le repreneur acquiert plus ou moins de la moitié des droits de vote et de participation aux bénéfices de la société.

Le Conseil d'État rejette la demande de transmission d'une QPC dans chacun des deux cas susvisés.

D'abord, le souci du législateur en instituant le mécanisme fiscal d'exonération de la création ou de la reprise d'entreprises inviduelles situées dans une zone  de revitalisation rurale a été de favoriser le maintien d'activités économiques dans les zones rurales concernées en facilitant les reprises d'entreprises, aux repreneurs d'entreprises individuelles qui ne sont pas membres de la famille de l'entrepreneur cédant. Une telle distinction est bien en rapport avec l'objet de la loi qui établit cette différence de traitement, ainsi elle ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant la loi. Par ailleurs, le caractère objectif et rationnel des critères retenus n'instaure pas, non plus, de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Ensuite, étant rappelé que le principe d'égalité n'impose pas de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes, la loi ne méconnaît en l'espèce ni le principe d'égalité devant la loi ni celui d'égalité devant les charges publiques en excluant de la même façon les rachats de la totalité des parts d'un associé de SCP et les reprises d'entreprises individuelles du bénéfice de l'exonération des impôts lorsque le repreneur fait partie de la famille du cédant, et en n'opérant pas de distinction, parmi ces opérations de rachat de la totalité des parts d'un associé de SCP exclues du bénéfice de l'exonération, en fonction de la proportion des droits qu'il détient dans la société.

(6 décembre 2022, M. A., n° 465688)

 

178 - Avantage fiscal - Abattement d'un tiers chaque année après cinq ans de détention des titres des gains nets réalisés dans les sarl (art. 150-0 D ter du CGI) - Règle d'interprétation stricte - Dérogation ne pouvant concerner que le gérant statutaire lui-même - Absence d'inconstitutionnalité - Rejet de la demande de transmission d'une QPC et rejet au fond.

(21 décembre 2022, M. et Mme A., n° 465669)

V. n° 73

 

179 - Régime législatif de responsabilité pour faute – Réparation des préjudices subis par les harkis et leurs familles – Exclusion de la mise en cause de la responsabilité de l’État – Droit au recours – Respect du droit de propriété – QPC – Refus de transmission – Rejet.

(22 décembre 2022, M. E. et association Génération Harkis, n° 464247 ; M. I. et Comité Harkis et Vérité, n° 464249 ; Mme I., n° 464250 ; M. I., n° 464252 ; M. F., n° 468852, jonction)

V. n° 184

 

180 - Demande de déclaration de non-conformité d’une décision du Conseil constitutionnel au droit de l’Union – Demandes diverses – Incompétence manifeste du juge administratif – Rejet.

La requérante demandait au juge du référé liberté : 1°) de déclarer non conforme au droit de l'Union européenne la décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018 du conseil constitutionnel qui a supprimé « par ricochet » le statut fiscal des locations meublées non professionnelles (LMNP) ;  2°) de laisser « inappliqué à son encontre » l'article 155, IV, 2° du code général des impôts ; 3°) de déclarer non conforme au droit de l'Union européenne la prescription au 31 décembre 2022 de l'exercice 2020 pour les contribuables LMP et LMNP, et de laisser inappliquée cette prescription à leur encontre pour que, lors de la campagne déclarative en avril 2023, ces contribuables puissent modifier leurs liasses fiscales et leurs déclarations des revenus 2020 ; 4°) de transmettre au Conseil constitutionnel le message cité en page 37 de sa requête.

Si on ne sera pas surpris de voir ces pittoresques demandes ne pas être transmises au Conseil constitutionnel pour cause d’irrecevabilité manifeste en tant qu’elles sont formées devant le juge administratif, de référé de surcroît, on le sera davantage par l’absence d’amende pour abus du recours assortissant ce rejet… Il y a des amendes qui se perdent.

(28 décembre 2022, Mme B., n° 469889)

 

Responsabilité

 

181 - Défectuosités affectant le réseau d'eau chaude sanitaire d'un centre hospitalier - Souscription d'un contrat d'assurances - Notion de déclaration de sinistres - Expertise ordonnée par le juge du référé provision - Existence ou non d'une prescription biennale - Défectuosité rendant l'ouvrage impropre à sa destination - Montant de la provision - Rejet.

Un centre hospitalier a demandé au juge des référés de condamner la requérante à lui verser une somme correspondant au montant des travaux de reprise nécessaires à la réparation des désordres affectant le réseau d'eau chaude sanitaire de ses bâtiments. Tandis que le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande, celui de la cour administrative d'appel a ordonné à la requérante de verser à titre de provision une certaine somme, avec intérêts.

La société requérante se pourvoit contre cette ordonnance.

Le juge de cassation, se prononçant sur le bien-fondé de l'ordonnance de référé provision, examine quatre griefs articulés contre celle-ci par la demanderesse.

En premier lieu, il rejette l'argument fondé sur ce que le centre hospitalier n'aurait pas déclaré régulièrement le sinistre à la société d'assurances. Comme l'a relevé le juge d'appel le centre hospitalier n'était pas tenu de souscrire une assurance dommages-ouvrage pour la réalisation de l'ouvrage en litige, et donc, par suite, il n'était pas soumis aux dispositions règlementaires du code des assurances imposant notamment la forme de la déclaration de sinistre préalable. Il suit de là que, saisissant dans le cadre d'un litige relatif à la responsabilité des constructeurs, le juge des référés sur le fondement de l'article R. 532-1 du CJA, il lui demande - et obtienne - la prescription d'une expertise. Dès lors la requérante,  en l'absence d'une méconnaissance d'aucune stipulation du contrat lui-même relative au caractère préalable à toute demande d'expertise d'une telle déclaration, ne peut soutenir que son obligation d'assurance serait, en l'espèce, sérieusement contestable.

En deuxième lieu, ne saurait être opposée ici la prescription biennale car le courrier du 11 septembre 2020 par lequel le centre hospitalier a demandé à son assureur le remboursement ou l'avance de divers frais, doit être regardé comme la déclaration de sinistre.  Surtout, au reçu de ce qui doit être considéré comme constituant la déclaration de sinistre préalable au sens et pour l'application des dispositions de l'art. L. 242-1 du code des assurances, la société requérante disposait de soixante jours  pour répondre à celle-ci et lui indiquer sa position faute de quoi elle était déchue du droit d'opposer la prescription biennale sauf dans le cas où cette prescription aurait été acquise à la date d'expiration de ce délai de soixante jours.

En troisième lieu, la nature des désordres en cause les fait relever de la prescription biennale en ce que l'existence d'un risque grave et patent de présence de légionnelles, s'agissant d'un hôpital, rend l'ouvrage impropre à sa destination alors même que, en l'espèce, des mesures de désinfection palliatives avaient permis transitoirement à l'établissement de fonctionner sans que cette présence ne soit effectivement détectée.

Enfin, relativement au montant de la provision allouée par le juge, il est rappelé d'une part qu'il n'existe pas à ce montant d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état et d'autre part que si tombe sous le contrôle du juge de cassation la qualification juridique opérée par le juge des référés du caractère non sérieusement contestable de l'obligation invoquée devant lui, en revanche, relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du référé provision l'évaluation du montant de la provision. En l'espèce, ce montant - contrairement à ce que soutient la société d'assurances - n'est pas excessif puisqu'il a été calculé sur le seul coût de prestations justifiées par l'expert pour remédier aux désordres et effectivement engagées par le centre hospitalier.

(6 décembre 2022, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 465221)

 

182 - Action en indemnité - Invocation possible en appel de chefs de préjudices non réclamés en première instance - Conditions d'unicité du fait générateur et de maintien du chiffrage de première instance - Annulation.

Rappel d'une solution jurisprudentielle désormais bien établie : le requérant qui, en première instance, demandait la réparation des conséquences dommageables d'un fait ou d'une abstention d'une personne publique est recevable, d'une part, à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, d'autre part à invoquer des chefs de préjudice non indiqués devant les premiers juges.

Ceci appelle trois ordres de précisions.

Dans tous les cas cette primo-invocation en appel est subordonnée à la réunion de deux conditions: les chefs de préjudice dont est saisi le juge d'appel doivent impérativement se rattacher au même fait générateur que celui en cause en première instance et le montant total des prétentions de l'appelant ne peut excéder le montant total de l'indemnité chiffrée en première instance.

Ensuite, d'une part, reste sauve la possibilité de se prévaloir en appel, le cas échéant, d'éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement-  ou s'étant aggravés ou révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement attaqué -, et ayant une incidence sur le montant de réparation réclamé, et d'autre part, s'appliquent les règles gouvernant la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.

Enfin, si le tribunal administratif a été saisi de conclusions tendant à la réparation des préjudices de la victime et des préjudices subis par des ayants-droit, il y a lieu, en appel, de distinguer le montant demandé par chacun des ayants-droit à titre personnel et le montant demandé au nom de la victime.

(13 décembre 2022, Mme D. et M. G., n° 458396)

 

183 - Société d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation - Préjudice résultant de manquements à ses obligations - Demande de réparation - Rejet.

Le Conseil d'État était saisi d'une action en réparation du préjudice prétendument subi par un justiciable du fait de manquements à ses obligations qui auraient été commis par une société d'avocats aux Conseils.

Il est d'abord rappelé, ce qui est parfois perdu de vue par les requérants surtout en une époque où toute personne croit tout savoir sur tout et être capable de juger tous ses semblables dans leurs faits et propos, qu'un avocat est libre de choisir, dans l'intérêt de son client, les éléments et moyens à présenter au soutien de ses conclusions et qu'il n'est pas tenu de subordonner la production de ses écritures à l'accord de son client.

Ensuite, concernant le cas de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que si avaient été soulevés les moyens que le demandeur reproche à la société d'avocats de n'avoir pas soulevé, ils eussent été jugés présenter un caractère sérieux de nature à justifier l'admission de ses pourvois en cassation.

Faute de préjudice, il ne saurait y avoir de réparation.

(27 décembre 2022, M. A, n° 455147)

 

184 - Régime législatif de responsabilité pour faute – Réparation des préjudices subis par les harkis et leurs familles – Exclusion de la mise en cause de la responsabilité de l’État – Droit au recours – Respect du droit de propriété – QPC – Refus de transmission – Rejet.

Les recours, joints, étaient dirigés contre le décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 relatif aux mesures d'indemnisation des préjudices et aux mesures d'aide sociale en faveur des harkis, des autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et de leurs familles et contre le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles. Au soutien de leurs recours pour excès de pouvoir les exposants soutenaient l’inconstitutionnalité de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français sur la base de laquelle et pour l’exécution de laquelle ont été pris les deux décrets attaqués.

Ils soutenaient que ce texte portait atteinte aux droits et libertés qu’ils tiennent de la Constitution du fait qu’il exclut toute mise en cause de la responsabilité de l'État à raison de l'abandon des harkis à leur propre sort en Algérie, méconnaissant ainsi la faculté d'agir en responsabilité protégée par l'article 4 de la Déclaration de 26 août 1789 et le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par son article 16, et portant atteinte au droit de propriété protégé par ses articles 2 et 17 ainsi qu'au principe d'égalité protégé par son article 6. 

La transmission de la QPC est refusée.

Tout d’abord est rejetée l’argumentation tendant à voir juger que la loi méconnaît les art. 4 et 16 de la Déclaration de 1789 qui institue un régime légal de responsabilité pour faute de l'État afin de permettre l'indemnisation du préjudice lié à la très grande précarité matérielle dans laquelle ont vécu ces personnes et leurs familles, parfois pendant plusieurs années, et aux atteintes qui ont été portées à leurs libertés individuelles ainsi qu'aux privations diverses qu'elles ont subies dans le cadre de leur séjour dans les structures où elles ont été accueillies. De caractère forfaitaire, ce régime de réparation n’est pas subordonné à la preuve de l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute de l'administration et il n’est pas soumis à la prescription quadriennale. En effet, les requérants reprochent à ce mécanisme législatif l'atteinte disproportionnée qu’il porterait au droit à un recours juridictionnel effectif (art. 16 Déclaration 1789) ainsi qu’à la faculté d'agir en responsabilité (art. 4 Déclaration préc.), au motif qu'il ne prévoit pas de mécanisme de réparation pour les préjudices liés aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962, et à leur absence de rapatriement en France. Toutefois, estime le Conseil d’État, « un grief tiré de ce que des dispositions législatives seraient entachées d'incompétence négative ne peut être utilement présenté qu'à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu'elles instaurent et non pour revendiquer la création d'un régime dédié. Or, le grief tiré de ce que les dispositions législatives en cause porteraient une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel, en ce qu'elles ne créent pas un dispositif de réparation de préjudices qui, tant par leur cause que leur nature, ne sauraient être assimilés à ceux qu'elles régissent, doit être analysé comme reprochant à ces dispositions d'être, à cet égard, entachées d'incompétence négative faute d'avoir créé un régime de responsabilité dédié à la réparation de ces préjudices distincts. Ce grief est, par suite, inopérant. »

Ensuite, est également rejeté le moyen tiré de la violation des art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789 car l'institution d'un tel dispositif d'indemnisation pour des créances qui seraient prescrites en application du droit commun ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme portant atteinte au droit de propriété garanti par ces dispositions.

Enfin, il ne saurait être soutenu que ce système de réparation porterait atteinte au principe d’égalité en ce qu’il ne ferait pas application au cas des harkis des dispositions de l'art. 149 du code de procédure pénale, lequel ne concerne que les personnes qui ont fait l'objet d'une détention provisoire avant d'être relaxées ou acquittées, ce qui est une situation dissemblable de celle évoquée par les demandeurs.

(22 décembre 2022, M. E. et association Génération Harkis, n° 464247 ; M. I. et Comité Harkis et Vérité, n° 464249 ; Mme I., n° 464250 ; M. I., n° 464252 ; M. F., n° 468852, jonction)

(185) V. aussi, rejetant le recours tendant à l’annulation du décret du 22 mars 2022 portant nomination du président de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles et du décret du 8 avril 2022 portant nomination à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles : 22 décembre 2022, M. C. et association Génération Harkis, n° 464328.

 

Santé  publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

186 - Fixation du prix de journée d'hospitalisation - Tarifs des autres prestations de soins délivrées à des personnes ne relevant pas de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française - Tarifs surévalués et sans rapport avec le service rendu - Conditions de juridicité d'une tarification différente pour un même service rendu - Non respect du principe d'égalité des usagers devant le service public - Rejet.

 (9 décembre 2022, Polynésie française, n° 462393 et n° 462394 ; Centre hospitalier de la Polynésie française, n° 462466 ; Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, n° 463025, jonction)

V. n° 189

 

187 - Covid-19…Le retour…du contentieux

 

Si, depuis près de trois ans, le contentieux lié aux mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19 n’a, en réalité, jamais cessé, il a connu une certaine recrudescence, au moins quantitative, en ce 29 décembre 2022.

Toutes les décisions sont de rejet et l’imagination des requérants connaît un certain tarissement, d’où le bégaiement des moyens de fait et/ou de droit censés emporter la conviction du juge.

Il n’est pas utile de dire à nouveau, ce qui l’a été à maintes reprises dans cette Chronique depuis près de trente-six mois, et qui ne présente plus guère d’originalité désormais.

On se borne à recenser les vingt-six décisions (jointes ou non) que les lecteurs intéressés pourront directement consulter. Seuls sont indiqués les noms des parties et les numéros des requêtes, toutes ces décisions ayant été rendue le 29 décembre.

M. A., 451388

M. C. et autres, 453692

M. C., 455259

M. P. et autres, 455384

Cercle Droit et Liberté et autres, 455530 et Association Victimes Coronavirus Covid-19 France et autres, 455558, et recours joints 455770, 456063, 456160, 456193, 456195, 456533, 457236, 457266, 457340, 458244

Mme A., 455614

M. B., 455786

Syndicat Action et Démocratie, 457293

Association VIA - La voie du peuple, 457561 et aussi, 457657, 457689, 459074, 459093, 459270

M. A., 461271

 

 

Service public

 

188 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

 (6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

Et aussi : 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

V. n° 25

 

189 - Fixation du prix de journée d'hospitalisation - Tarifs des autres prestations de soins délivrées à des personnes ne relevant pas de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française - Tarifs surévalués et sans rapport avec le service rendu - Conditions de juridicité d'une tarification différente pour un même service rendu - Non respect du principe d'égalité des usagers devant le service public - Rejet.

La victime de la chute d'un portail a demandé réparation du préjudice en résultant à l'auteur du dommage et à son assureur qui ont opposé l'illégalité d'un arrêté du 17 avril 2014, rendant exécutoire une délibération du 20 février 2014 du Centre hospitalier de la Polynésie française fixant les nouveaux tarifs applicables pour l'année 2014, sur la base duquel ils étaient susceptibles de devoir réparer les préjudices subis par la victime. Le tribunal judiciaire a renvoyé l'examen de cette question, qu'il a estimée préjudicielle, au juge administratif.

Les requérants demandent, pour deux d'entre eux, l'annulation du jugement et pour un troisième, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement par lequel le tribunal administratif a jugé illégaux les tarifs car étant manifestement surévalués et sans rapport avec le service rendu, ils méconnaissent le principe d'égalité des usagers devant le service public.

Le Conseil d'État rejette les recours joints.

Préalablement à l'examen du fond il note que les tarifs litigieux « s'appliquent ainsi, pour l'année 2014, aux patients non ressortissants de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, correspondant essentiellement aux personnes affiliées à la sécurité sociale métropolitaine. »

En premier lieu, le juge de cassation décide que c'est sans erreur de droit et dans le cadre de l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le tribunal administratif a jugé que, même en faisant la part de certaines charges supplémentaires auxquelles était confronté le Centre hospitalier, cette augmentation tarifaire continue n'était pas justifiée par une hausse des coûts de revient, ni calculée dans les conditions prévues par l'article 61 de l'arrêté du conseil des ministres de Polynésie française du 12 septembre 1988 relatif à l'organisation, au fonctionnement et aux règles financières, budgétaires et comptables du Centre hospitalier territorial de la Polynésie française et qu'elle aboutissait à des tarifs devant être regardés comme manifestement surévalués et déconnectés du service rendu.

En deuxième lieu, le juge de cassation rejette l'argument tiré de ce que le juge judiciaire aurait reconnu « fiable » l'outil « programme de médicalisation des systèmes d'information » (PMSI) pour le calcul des tarifs d'hospitalisation des seuls résidents polynésiens ressortissant de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française. En effet, d'une part, ce juge n'a pas remis en cause le constat de la surévaluation de la tarification applicable aux non-ressortissants et d'autre part, le tribunal administratif a seulement entendu rappeler que ces tarifs, utilisés notamment pour le calcul du préjudice subi dans le cadre d'actions subrogatoires, étaient très largement inférieurs aux tarifs appliqués aux non-ressortissants.

Enfin, est rappelé le double principe constant et classique : 1° que la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure; 2° qu'en ces cas la différence de tarifs ainsi instituée ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des circonstances ou des objectifs qui la motivent. Ainsi est caractérisée ici l'atteinte illégale au principe d'égalité devant le service public.

 (9 décembre 2022, Polynésie française, n° 462393 et n° 462394 ; Centre hospitalier de la Polynésie française, n° 462466 ; Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, n° 463025, jonction)

(190) V. aussi, rejetant la requête en référé de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO) tendant à la suspension de l'exécution de la délibération du 20 octobre 2022 de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) refusant de l'autoriser à mettre en œuvre des traitements automatisés à des fins de recherche, d'étude ou d'évaluation nécessitant un accès aux données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), cette société invoquant l'urgence à suspendre cette décision en raison des conséquences négatives du refus de la CNIL sur sa situation financière dès lors que ce refus fait obstacle à la publication du numéro spécial de son hebdomadaire relatif au palmarès des hôpitaux de France, qui constitue habituellement une des meilleures ventes de l'année de l'hebdomadaire du Point et, d'autre part, de la nécessité de proposer une information complète et actualisée au public sur l'activité hospitalière, à bref délai : 29 décembre 2022, Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO), n° 469969.

 

191 - Encadrement des prix de certains produits et services en Polynésie française - Atteinte à la liberté d'entreprendre - Existence d'un motif d'intérêt général - Souci de modération des prix en cas de crise ou de calamité - Rejet pour l'essentiel.

La fédération requérante demandait que soit déclarée contraire au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la « loi du pays » du 7 juillet 2022 relative aux conditions d'encadrement des prix de certains produits ou services et portant modification de la partie législative du livre Ier du code de la concurrence publiée.

Des nombreuses dispositions contestées seules deux dispositions partielles d'entre elles sont censurées.

En premier lieu, sont jugées illégales : 1°, pour incompétence négative, les dispositions du deuxième alinéa de l'art. LP. 110-1 du code de la concurrence de la « loi du pays » en ce qu'elles permettent au conseil des ministres de réglementer de manière pérenne, après avis de l'autorité polynésienne de la concurrence, les prix « notamment dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison de situations de monopole ou d'oligopole, de difficultés durables d'approvisionnement ou de sous-équipement commercial ». L'emploi de l'adverbe notamment créant une situation d'indétermination juridique. 2°, pour atteinte à la liberté d'entreprendre et incompétence négative, les dispositions de l'art. LP. 111-5 du code de la concurrence qui permettent au conseil des ministres d'encadrer les prix des fabricants et producteurs locaux en cas d'augmentations non justifiées de ces prix, sans préciser davantage car ainsi leur champ d'application n'est pas suffisamment précis. 

En second lieu, toutes les autres dispositions sont jugées n'être pas irrégulières en raison, selon les cas, de ce qu'elles sont fondées sur l'objectif de protection des consommateurs et de développement économique et social lesquels constituent un motif d'intérêt général, ou motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou encore par une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ou fixent le prix maximal des produits et services de première nécessité et des produits et services de grande consommation. Semblablement, les dispositions relatives aux amendes administratives sanctionnant le non respect des prescriptions de la « loi du pays » ne sont pas entachées d'illégalité en dépit de ce qu'elles sont cumulables.

(9 décembre 2022, Fédération générale du commerce de la Polynésie française, n° 466687)

 

192 - Service public de la justice - Aide juridique et aide juridictionnelle - Détermination du caractère insuffisant des ressources justifiant l'octroi de l'aide - Effet de seuil - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation des articles 5 et 101 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Il invoquait tout d'abord leur illégalité du fait de la création par elles d'un effet de seuil en raison des règles de plafond retenues instaurant une différence de traitement entre justiciables suivant la répartition de leurs ressources entre revenu, patrimoine mobilier ou financier et patrimoine immobilier. Le moyen est rejeté en ce que cette différence n'est ni manifestement disproportionnée en regard de l'objet de la loi du 10 juillet 1991 que ce décret applique,  ni contraire à l'art. 6 de la convention EDH.

Contrairement à ce que soutient le demandeur le pouvoir réglementaire  n'a pas excédé la marge d'appréciation laissée par la loi en décidant de tenir compte de manière séparée du patrimoine mobilier et du patrimoine immobilier pour apprécier l'éligibilité du demandeur à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat.

Enfin, les dispositions litigieuses, en décidant que la résidence principale du demandeur d'aide juridictionnelle ou juridique n'est pas prise en compte dans l'estimation du patrimoine immobilier auquel s'applique le plafond prévu par le décret attaqué, n'ont pas entendu, ce faisant, exclure que l'autorité compétente pour statuer sur la demande puisse tenir compte, au titre de ces mêmes dispositions et dans le cadre d'un examen au cas par cas, de l'existence d'autres biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour leur propriétaire, n'ont pas méconnu la loi. 

(27 décembre 2022, M. B., n° 448990)

(193) V. aussi, identique : 27 décembre 2022, M. B., n° 450220.

 

194 - Enseignement supérieur – Approbation des statuts de la communauté d'universités et établissements (COMUE) « Université de Lyon » - Rejet.

Les accouchements sont souvent douloureux, ainsi en va-t-il à peu près toujours de celui d’une nouvelle université.

La création de la COMUE « Université de Lyon » donne lieu à un feuilleton contentieux qui trouve peut-être son épilogue dans la présente décision.

Le recours était fondé sur un très grand nombre de moyens, de légalité externe comme de légalité interne, de fait comme de droit.

Ils sont tous rejetés au terme d’une très longue décision qui ne saurait être analysée ici en tous ses éléments, pour l’essentiel tirés d’allégations de vices qui auraient affecté les procédures de délibérations et de votes divers tout au long du processus de formation de cette nouvelle université.

On se permet de renvoyer le lecteur au texte même de l’arrêt.

(20 décembre 2022, M. H., association Démocratie et Transparence à l'Université de Lyon, association Idexit et autres, n° 450286)

 

195 - Entreprises publiques – Participation des salariés aux résultats de leur entreprise – Différence de traitement justifiée – Rejet.

Les requérants demandaient qu’il leur soit fait application des dispositions de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés. Ils invoquent en particulier l’identité de leurs situations respectives avec celle d’Aéroports de Paris où cette ordonnance est appliquée via le décret du 26 novembre 1987 déterminant les établissements publics et entreprises publiques soumis à ce régime.

Le recours est rejeté car si les sociétés requérantes sont incluses dans le périmètre de l'Agence des participations de l'État et si l'État est représenté au sein de leur conseil de surveillance, il n’en demeure pas moins des différences appréciables entre leurs situation et celle d’Aéroports de Paris car ces trois sociétés perçoivent des financements publics dans le cadre de leurs programmes d'investissement, contrairement à la société Aéroports de Paris, sont soumises à des règles de détermination des tarifs de leurs redevances moins incitatives au développement des activités commerciales que celles applicables à la société Aéroports de Paris et, enfin,  se trouvent dans un environnement moins concurrentiel que celle-ci.

Ces différences objectives quant à la réalisation de bénéfices susceptibles de donner lieu à la participation des salariés à leurs résultats justifient leur exclusion du champ d’application de l’ordonnance et du décret précités sans qu’il y ait méconnaissance du principe d’égalité.

(22 décembre 2022, Comités sociaux et économiques de la société anonyme Guadeloupe Pôle Caraïbes, de la société anonyme Aéroport Réunion Roland-Garros et de la société Aéroport Martinique Aimé-Césaire, n° 460585)

 

196 - Service public hospitalier – Établissements publics de santé - Praticiens hospitaliers – Régime des émoluments, rémunérations ou indemnités – Grille des émoluments – Rejet.

Cette question ayant déjà fait l’objet récemment de notules, le lecteur est renvoyé aux n°s 61, 186 et 187 de la Chronique de novembre 2022.

(28 décembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 446916 ; Syndicat des médecins réanimateurs, n° 449344 et n° 452101)

(197) V. aussi, dans un domaine voisin, rejetant le recours en annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le décret n° 2018-639 du 19 juillet 2018 relatif au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé, en tant qu'il prévoit que les personnels enseignants et hospitaliers titulaires et non titulaires sont représentés au sein de collèges statutaires distincts, ce qui porterait atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail garantis respectivement par les alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu’au principe d’égalité : 28 décembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 461595.

 

Sport

 

198 - Dopage - Procédure devant la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Publicité des audiences - Publicité sur demande des intéressés - Absence de contrariété à l'art. 6 § 1 de la convention EDH - Rejet.

Un sportif convaincu de dopage fait l'objet d'une sanction. Outre la classique et, ici, vaine contestation de la disproportion de la sanction infligée portant interdiction d'une durée de quatre ans de participer aux compétitions dans la discipline du pancrace, il soulève l'irrégularité résultant de l'absence de caractère public des audiences se tenant devant la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Pour rejeter ce moyen d'irrégularité, le Conseil d'État relève que l'art. R.232-95 du code du sport, en disposant que devant cette commission : " Les débats ne sont pas publics sauf demande contraire formulée, avant l'ouverture de la séance, par l'intéressé, ou son conseil (...) ", ne fait nullement obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, au droit de l'intéressé ou de son défenseur, dès lors qu'il en fait la demande, à ce que sa cause soit entendue publiquement. 

(27 décembre 2022, M. A., n° 462122)

(199). V. aussi, à propos d'une sanction infligée à la suite d'un contrôle antidopage positif pratiqué à l'occasion d'une compétition de football, la décision jugeant que les dispositions du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 21 avril 2021, qui sont indivisibles de celles du II de l'article L. 232-23-3-3 de ce code, prévoient des sanctions moins sévères que celles en vigueur à la date de la commission du manquement et qu'elles sont donc applicables au litige en vertu du principe d'application immédiate de la loi répressive plus douce et réduisant en conséquence de un an à trois mois l'interdiction primitivement prononcée : 27 décembre 2022, M. B., n° 465059.

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

200 - Permis de construire modificatif - Intérêt pour agir contre ce permis - Recours d'un propriétaire voisin - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Saisi d'un recours en suspension d'un permis de construire modificatif, un tribunal administratif rejette cette demande motif pris de ce que son auteur ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre ce permis.

L'ordonnance rejetant la requête en référé est annulée pour qualification inexacte des faits dès lors que la demanderesse : 1° avait établi être propriétaire d'une maison à usage d'habitation située à proximité immédiate de la parcelle d'assiette du projet, 2° avait fait valoir que la décision attaquée apportait à l'implantation de la maison en limite séparative une modification de nature à compromettre l'accès à sa propriété, 3° qu'elle créait du côté de sa propriété une aire de stationnement et agrandissait une piscine, susceptibles d'engendrer des nuisances sonores, 4° qu'elle créait sur le bâtiment principal une ouverture donnant directement sur sa propriété.

La requérante avait ainsi fait état d'éléments relatifs à la nature, à l'importance et à localisation des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction, de nature à établir l'atteinte susceptible d'être portée par le permis de construire modificatif en litige aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

(8 décembre 2022, Mme D., n° 465790)

 

201 - Permis de construire - Demande d'annulation pour contrariété du permis à une disposition du POS - Refus - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante demandait l'annulation du permis de construire délivré à Mme A. comme contraire aux dispositions de l'art. 11UC du règlement du POS de la commune selon lesquelles : « (...) 2. Les clôtures sur limites séparatives sont limitées à deux mètres de haut mesurés à compter du fond voisin » en ce qui concerne la clôture située en limite séparative nord entre le terrain de Mme A. de celui de la requérante.

Le tribunal a rejeté cette requête au motif que ce moyen ne ressortait d'aucune pièce du dossier. Le jugement est annulé pour dénaturation des pièces du dossier car il apparaissait manifestement sur le plan de coupe longitudinale joint au dossier que la hauteur de ce mur excédait la limite de deux mètres prévue à l'article 11 UC précité.

(9 décembre 2022, Mme B., n° 456164)

 

202 - Instruction des déclarations préalables de travaux, demandes de permis, etc. - Expiration du délai d'instruction - Naissance d'une décision de non-opposition à déclaration préalable ou d'un permis tacite - Demande de complément de pièce - Pièce non exigée par la réglementation - Demande sans effet sur la constitution d'une décision de non-opposition ou de permis tacite dès l'expiration du délai d'instruction - Rejet.

Abandonnant une jurisprudence d'apparition récente (9 décembre 2015, Commune d'Asnière-sur-Nouère, n° 390273, point 6), la section du contentieux juge désormais que la demande, au cours de l'instruction d'une déclaration préalable, d'un permis de construire ou d'aménagement, de pièce(s) complémentaire(s) ne pouvant être requises, n'a pas pour effet d'empêcher la constitution, au terme du délai d'instruction, d'une décision de non-opposition ou d'un permis de construire tacite. Cette solution jurisprudentielle est bien meilleure que la précédente.

(Section, 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain, n° 454521)

 

203 - Livraison de terrains à bâtir - Conditions d'exonération de TVA - Gestion d'un patrimoine privé et non commercialisation foncière - Rejet.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

V. n° 59

 

204 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Classement de parcelles en espaces boisés - Demande d'annulation « en tant que ne pas » - Rejet.

Est rejeté le pourvoi fondé sur ce que serait illégale la délibération d'un conseil municipal classant les parcelles du requérant en zone boisée du PLU en tant qu'elle ne classe pas d'autres parcelles ne lui appartenant pas dans cette même catégorie.

Le rejet est fondé sur ce que les parcelles litigieuses, d'abord, ne font pas partie du site classé du Ru du Rebaix, à l'inverse de celles appartenant au requérant, ensuite qu'elles font partie d'un ensemble construit, ce qui n'est pas le cas des parcelles qui lui appartiennent. Enfin, le rapport du commissaire enquêteur relève que la zone dont le requérant considère qu'elle devrait être traitée de manière homogène est en réalité très hétérogène, comprenant en son centre un vaste secteur à caractère naturel dont les parcelles non construites ne constituent qu'une partie, séparant deux secteurs urbains constitués classés en zone UA ou UB.

La délibération ne repose ainsi sur aucune erreur manifeste d'appréciation.

(13 décembre 2022, M. A., n° 451577)

 

205 - Permis de construire - Immeuble collectif de logements - Date d'appréciation de la réglementation applicable - Refus implicite d'autoriser une régularisation - Annulation du permis - Rejet.

La société demanderesse a demandé un permis de construire un immeuble collectif de douze logements, cette demande a été rejetée. Le tribunal administratif, sur le recours de cette dernière, a annulé le refus et enjoint le maire de prendre une nouvelle décision. Le maire a interjeté appel aux fins d'annulation de ce jugement. Durant ce temps, la société a confirmé sa demande de permis qui fut à nouveau rejetée mais un protocole étant intervenu entre cette société et la commune, cette dernière s'est désistée de son appel et a délivré le permis de construire sollicité le 20 avril 2018.

Deux associations ont demandé au tribunal administratif l'annulation de ce permis, ce qui leur a été refusé, et elles ont interjeté appel. La cour administrative d'appel a annulé le jugement ainsi que l'arrêté accordant le permis de construire.

La pétitionnaire se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Trois questions de droit se posaient, d'où l'importance de cette décision.

En premier lieu, en principe, selon l'art. L. 600-2 du code de l'urbanisme, après annulation juridictionnelle d'un refus de permis de construire la confirmation par l'intéressé de la demande de permis (comme d'ailleurs de l'autorisation de travaux) ne peut pas faire l'objet d'un refus ou être accordée avec des prescriptions spéciales sur le fondement de règles d'urbanisme postérieures à la date du refus annulé. Ce texte constitue bien évidemment une disposition dérogatoire, il est donc d'interprétation stricte. Or, en l'espèce la cour a jugé souverainement et sans dénaturation que le projet présenté et ayant obtenu le permis délivré le 20 avril 2018 constituait en réalité une modification du projet initial dépassant de simples ajustements ponctuels. Il revêtait donc la nature d'une demande portant sur un nouveau projet et sa juridicité devait donc être appréciée non au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire (9 mai 2017), mais au regard des règles du plan local d'urbanisme (PLU) adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande.

En deuxième lieu, effectuant cette comparaison entre le permis remanié et le PLU, la cour a jugé que plusieurs balcons excédaient la largeur maximale fixée par l'article UC 1 du PLU, que l'emprise de la construction méconnaissait la règle d'implantation par rapport aux voies publiques prévue par l'article UC 5, que la construction ne respectait pas les règles de prospect prévues par l'article UC 6, que l'emprise au sol était deux fois supérieure au coefficient maximal d'emprise au sol de 40 % fixé par l'article UC 8, que la hauteur était supérieure à la hauteur maximale prévue par l'article UC 9, que le projet ne comportait pas de local ou abri extérieur réservé au stationnement des cycles non motorisés, contrairement à ce que prévoit l'article UC 11, et comportait un nombre insuffisant de places de stationnement eu égard au nombre de logements et à la surface de plancher globale, et enfin que par sa situation, ses dimensions et son volume, le projet était de nature à porter significativement atteinte au caractère et à l'intérêt du site classé des Roches Blanches en méconnaissance des articles UC 2 et UC 10 du PLU. Elle a annulé le permis contesté.

En troisième lieu, ce jugeant, la cour n'a pas fait usage de l'obligation qui pèse sur elle de surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés. Ce qui pouvait susciter deux interrogations. D'abord, la cour, en s'abstenant de se prononcer sur ce point n'a-t-elle pas commis une erreur de droit ? La réponse est négative car la cour a implicitement mais nécessairement estimé que l'un au moins des vices affectant la légalité du permis de construire était insusceptible d'être régularisé.  Ensuite, ce refus de demander à l'intéressée de solliciter la régularisation du permis ne devait-il pas être motivé ? La réponse est encore négative car la cour n'était pas saisie en l'espèce d'une demande de régularisation.

(14 décembre 2022, Société Eolarmor, n° 448103)

 

206 - Permis de construire un centre commercial et de loisirs - Atteinte à des espèces végétales et animales protégées - Dérogation subordonnée à l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur - Annulation de l'arrêté préfectoral accordant le permis - Rejet.

(27 décembre 2022, Société PCE et société Foncière Toulouse Ouest, n° 449624)

V. n° 106

 

207 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Critiques globale du plan et du classement de parcelles d'un secteur - Rejet.

La société requérante poursuivait l'annulation de la décision de la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois approuvant le PLU du Touquet Paris-Plage, à titre principal dans son intégralité et, à titre subsidiaire, en tant qu'elle approuve le classement de l'ensemble du secteur du Polo en zone NH, des parcelles BC17 et BC18 en zone NL et des parcelles de ce secteur correspondant à des dents creuses en zone NL.

Elle se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du jugement de rejet de ses prétentions.

Le juge de cassation rejette le pourvoi, estimant que c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que la cour a jugé que le classement en zone N des parcelles appartenant à la société La Morinie n'était pas entaché d'illégalité par le quadruple motif que ces parcelles présentaient le caractère de dents creuses non bâties, que le secteur du Polo était, de manière générale, peu densifié, que la forêt existante y avait été conservée, cet espace boisé relevant en outre d'une zone d'intérêt écologique, faunistique et floristique, et qu'enfin il présentait un intérêt écologique certain.

(27 décembre 20225, Société La Morinie, n° 450222)

 

208 - Permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale – Contestation par une association – Examen de la condition d’intérêt à agir – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Les dispositions des art. L. 425-4, L. 600-1-2 et L. 600-1-4 du code l’urbanisme ne font pas obstacle à ce qu'une association puisse contester un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale à la fois en tant qu'il vaut autorisation de construire et en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, pour autant qu'elle justifie d'un intérêt pour agir contre chacune de ces autorisations. 

Il appartient donc à la juridiction saisie de telles conclusions, pour déterminer leur recevabilité, de rechercher si cette association justifie, au regard de l'objet défini par ses statuts et son champ d'action géographique, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre chacune de ces autorisations.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que pour déclarer une association irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, une cour administrative d’appel relève qu’elle a pour objet la défense des intérêts collectifs des commerçants, indépendants et artisans dans le département et en a déduit que, les autorisations de construire ne portant pas atteinte, par elles-mêmes, au commerce, ses statuts ne lui donnaient intérêt pour agir contre un permis de construire qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale. En effet, en jugeant ainsi il n’est pas tenu compte des autres finalités poursuivies par l'association retracées à l'article 2 de ses statuts et figurant dans les pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment « la défense et la préservation du cadre de vie contre toute atteinte qui y serait portée par la planification ou l'autorisation de surfaces destinées au commerce ».

(26 décembre 2022, Association En toute franchise département du Var, n° 442811)

() V. aussi, assez comparable, avec même demanderesse : 30 décembre 2022, Association En toute franchise département du Var, n° 456413.

 

209 - Autorisation de division foncière en lotissement – Autorisation d’occupation du sol délivrée sur l’un des lots – Autorisation d’urbanisme ne trouvant pas sa base légale dans le permis de lotir – Inopérance de l’invocation par voie d’exception de l’illégalité de l’autorisation de lotir – Rejet.

Sans être totalement nouvelle ou imprévisible, la solution retenue dans la présente décision est, dans sa logique, assez innovante. Le Conseil d’État y juge qu’une décision d’autorisation de lotir ne saurait être tenue pour la base légale d’une autorisation d'occupation des sols délivrée sur l'un des lots issus de cette division foncière ni cette dernière comme ayant été prise pour l'application de la décision d’autorisation de lotir. Il en résulte qu’est inopérant le moyen, soulevé par voie d’exception à l'appui de conclusions dirigées contre l'autorisation d'occupation des sols, tiré de l'illégalité de la décision d'autorisation de lotir. 

(22 décembre 2022, SCI Generatio et autres, n° 458524)

 

210 - Travaux de construction – Réalisation irrégulière – Application de l’art. L. 480-1 du code de l’urbanisme – Démolition partielle ordonnée – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’ordonnance de référé suspension qui juge créer un doute sérieux la circonstance qu’appliquant l’art. L. 480-1 c. urb., le maire d’une commune ordonne la démolition partielle du mur de clôture d’un poulailler.

Cette décision n’allait pas de soi car la déclaration de travaux portait sur un mur maçonné enduit de 25 centimètres de hauteur, percé en partie basse de passages pour laisser la libre circulation des animaux sauvages et surmonté d'un grillage à larges mailles de 1,55 mètre de haut et qu’il a été constaté qu’en réalité avait été construit sur cette base un mur plein de de deux mètres de haut. Le maire, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 481-1 précité, a ordonné la démolition partielle du mur. Pour juger cela possible, le juge de cassation recourt à la méthode de l’analyse des travaux préparatoires à l'adoption de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique dont sont issues les dispositions litigieuses. Il nous paraît que qui peut le plus pouvant le moins, la décision ordonnant la réduction à une hauteur de 25 centimètres d’un mur de deux mètres est possible dès lors qu’en aurait pu être ordonnée la démolition totale.

(22 décembre 2022, Commune de Villeneuve-lès-Maguelone, n° 463331)

 

211 - Permis de construire tacite – Retrait à la suite du recours administratif gracieux de tiers – Annulation contentieuse de la décision de retrait – Second recours administratif gracieux contre le permis initial – Absence de conservation du délai de recours contentieux – Annulation.

Le juge fait application, en matière de permis de construire, de la règle « recours administratif sur recours administratif ne vaut » selon laquelle la formation d’un second recours administratif gracieux contre la même décision ne conserve pas le délai du recours pour excès de pouvoir (Pour la décision de principe, voir : 27 février 1935, Séguéla et autres, n° 28348 et n° 28557, Recueil Lebon p. 249 ; voir aussi :  3 février 1975, Caron, n° 92308, Recueil Lebon p. 83 ; 11 mars 2009, A., n° 294765, Recueil Lebon aux Tables, p. 635, 881).

Toutefois le cas de l’espèce pouvait faire hésiter quant à la solution à retenir.

Un pétitionnaire se voit accorder un permis de construire tacite le 3 juin 2017 que conteste le recours administratif gracieux de tiers, ceci entraînant le retrait par le maire, le 4 septembre 2017, du permis tacite litigieux. Sur recours du bénéficiaire du permis ce retrait est annulé par le juge le 19 juin 2020. Les tiers forment le 7 septembre 2020 un nouveau recours gracieux contre le permis, puis saisissent le juge des référés le 5 novembre 2020, qui suspend l’exécution du permis de construire.

Le Conseil d’État est très logiquement à la cassation de l’ordonnance.

L’annulation, le 19 juin 2020, du retrait du permis de construire tacite, a eu pour effet de le faire revivre à compter de cette date. Si les intéressés disposaient alors de deux mois pour saisir le juge d’un recours contentieux, en revanche ils ne disposaient plus de la faculté de former un second recours gracieux le 7 septembre de sorte que le juge des référés, en écartant la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête enregistrée le 5 novembre 2020, a commis une erreur de droit.

(28 décembre 2022, M. C., n° 447875)

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Novembre 2022

Novembre 2022

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Formation spécifique à l’ostéopathie ou à la chiropraxie – Formation professionnelle soumise à agrément préalable de l’établissement – Communiqué de presse le rappelant – Acte ne faisant pas grief – Rejet.

Les organismes requérants demandaient l’annulation du communiqué de presse du 23 août 2021 du ministre des solidarités et de la santé en tant qu’il « rappelle que les établissements de formation en ostéopathie dont l'agrément n'est pas renouvelé ne sont plus autorisés, à compter du 1er septembre 2021, à dispenser des cours ou à délivrer un diplôme pour ce cursus pour l'année scolaire à venir ».

Le recours est rejeté d’abord parce que ce communiqué, en se bornant à citer les dispositions de l'article 75 modifié de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ne fait que rappeler le droit applicable et ne constitue ainsi pas, par lui-même, une décision ; il ne relève donc pas des prescriptions de l’art. L. 212-1 du code des relations du public avec l’administration. Ensuite, le recours est également rejeté car ce communiqué n’interdit point lui-même aux établissements non agréés de recevoir des étudiants en formation et ne contrevient ainsi pas à des dispositions législatives contrairement à ce qui est soutenu.

(3 novembre 2022, Institut d'ostéopathie de Bordeaux, institut supérieur d'ostéopathie du Grand Montpellier et collège d'ostéopathie du pays basque, n° 456586)

 

2 - Recrutement du Directeur de l’IEP de Paris et d’un administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) – Procédure suivie – Allégation d’irrégularités – Rejet.

Les postes de Directeur de l’IEP de Paris et d’administrateur de la FNSP étant vacants, les deux requérants se sont portés – en vain - candidats ; ils demandent l’annulation :

- du décret du président de la république du 19 novembre 2021 nommant M. Vicherat dans les fonctions de directeur de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, et de l'arrêté de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation du même jour nommant M. Vicherat aux fonctions d'administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP)

- de la délibération du 23 septembre 2021 par laquelle la commission de proposition mise en place par le conseil d'administration de la FNSP et le conseil de l'IEP de Paris en vue de la nomination, respectivement, de l'administrateur de la FNSP et du directeur de l'IEP de Paris, a décidé de ne pas retenir leur nom, de la délibération du 9 novembre 2021 par laquelle le conseil de l'IEP de Paris a proposé M. Mathias Vicherat à la nomination en qualité de directeur de l'IEP de Paris, ainsi que de la délibération du 10 novembre 2021 par laquelle le conseil de la FNSP a proposé M. Vicherat à la nomination en qualité d'administrateur de la FNSP.

Le Conseil d’État rejette les recours tous dirigés contre le déroulement de la procédure d’examen des candidatures.

Tout d’abord les travaux de la commission chargée de préparer la proposition en vue de la nomination aux fonctions de directeur de l'IEP de Paris et d'administrateur de la FNSP ne sont pas entachés d’irrégularité du fait que cette commission a disposé de l'appui administratif et juridique de trois agents présents lors des réunions de la commission dont ils n'étaient pas membres car il ne ressort pas des pièces dudossier qu'ils aient pris part aux débats sur les mérites des candidats ou aux votes, ni que leur présence ait été de nature à exercer une influence sur le sens des délibérations.

Ensuite, si la commission de proposition a eu recours à un prestataire de services afin de l'assister dans l'examen des candidatures reçues, cela n’a pas eu pour effet de limiter son pouvoir d'appréciation et de modifier l'économie générale de la procédure de recrutement fixée par les textes, ni a fortiori qu’elle se soit crue liée par les appréciations de ce prestataire sur les candidatures. Il s’ensuit l’absence d’atteinte, de ce chef aux principes d'impartialité et d'égalité de traitement des candidats.

La circonstance, à la supposer établie, que les candidats n'auraient pas consenti au traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données n’est pas de nature à affecter la légalité de la procédure suivie.

Le fait, à le supposer établi, que certains candidats n'auraient pas joint à leur dossier de candidature les pièces justifiant de leur situation administrative ou professionnelle n'a pas eu d'incidence sur l'appréciation portée par la commission sur les mérites de chaque candidature ni sur les sélections qu'elle a effectuées. 

Pour regrettable que soit la divulgation dans la presse de l'identité des candidats et de leurs projets cette circonstance, qui a concerné l'ensemble des candidatures, n’a pas eu une influence sur les délibérations de la commission, ni privé les intéressés d'une garantie.
Enfin, le seul fait que certains de ses membres aient auparavant entretenu des relations de nature professionnelle avec certains candidats n'est pas de nature à caractériser, par elle-même et pour ce seul motif, un défaut d'impartialité en faveur ou au détriment de ces candidats.

(7 novembre 2022, M. B., n° 458963 et n° 467599 ; M. E., n° 459235, jonction)

 

3 - Arrêté modificatif de l’arrêté du 13 septembre 2011 portant réglementation spéciale du contrôle médical du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières – Entrée en vigueur immédiate – Absence de mesures transitoires – Atteinte excessive aux intérêts en cause – Annulation partielle.

 L'arrêté attaqué, qui a modifié la réglementation applicable au contrôle médical relevant du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières, a été publié au Journal officiel du mercredi 29 décembre 2021 et il est entré en vigueur le lendemain sans que ne soient prévues de mesures transitoires.

Ainsi, la procédure de recours porté devant la commission médicale de recours amiable instituée par le 6° de l'article 1er de l'arrêté attaqué était applicable immédiatement. Or il est constant que cette commission n'était pas en mesure de traiter ces recours à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté et qu'elle ne le serait pas avant un délai de trois mois, faisant ainsi obstacle à ce que les salariés pour lesquels le médecin-conseil aurait considéré que leur arrêt de travail n'était pas justifié puissent former une contestation d'ordre médical contre la décision de l'employeur prise à la suite de cet avis.

La requérante est donc fondée à soutenir que l'absence de mesures transitoires jusqu'au 1er avril 2022 porte une atteinte excessive aux intérêts des salariés et que l'arrêté est, par suite, illégal dans cette mesure.

(7 novembre 2022, Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail (FNME - CGT), n° 461581)

 

4 - Communication des listes électorales – Instruction ministérielle limitant le droit d’accès à la seule dernière liste arrêtée pour un scrutin – Principe de la permanence des listes électorales – Illégalité – Annulation.

Cette décision est importante, d’où sa publication au Recueil Lebon, car elle se situe au confluent du droit à la communication des documents administratifs et des principes fondamentaux de la démocratie dont la publicité des listes électorales est un élément central.

Par le point 6.1 d’une instruction du 4 février 2021 portant « Addendum à l'instruction INTA1830120J relative à la tenue des listes électorales complémentaires du 21 novembre 2018 », dont le requérant demande l’annulation, le ministre de l’intérieur a décidé que « (…) la liste électorale communicable est la dernière liste arrêtée pour un scrutin ».

Sans surprise, le Conseil d’État, se fondant sur ce principe fondamental qu’est celui de la permanence de la liste électorale, annule la disposition litigieuse, rappelant au passage que « tout électeur inscrit sur une liste électorale peut, indépendamment de la publicité annuelle de la liste organisée par l'article L. 19-1 du code électoral, obtenir d'une commune, sur le fondement de l'article L. 37 du même code, la communication de sa liste électorale à jour à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande dont elle est saisie, comportant les seules informations mentionnées à l'article R. 20, sous réserve qu'il s'engage à ne pas en faire un usage commercial ».

Le juge indique également qu’un électeur peut obtenir des services de l'État dans le département l'ensemble des listes électorales, à jour à cette même date, des communes de ce département et cela dans le respect des mêmes conditions que celles fixées pour les demandes de communication des listes électorales municipales.

La question de la communication de ces listes, comme bien d’autres dispositions, qui peuvent sembler très techniques, du droit électoral (urnes, enveloppes, isoloirs, vérifications d’identité, etc.), est capitale car elle est au fondement même de l’effectivité du caractère démocratique du régime politique.

(9 novembre 2022, M. A., n° 449863)

 

5 - Actes entrant dans la compétence d’un ministre – Premier ministre exerçant les attributions de ce ministre, empêché par une situation de conflit d’intérêts – Délégation accordée par ce ministre en certaines matières valant aussi pour les actes du Premier ministre pris y relatifs – Annulation.

Le premier ministre a pris une décision de prolongation de mise à l’isolement d’un détenu non pas en qualité de premier ministre mais en lieu et place du ministre de la justice, empêché par une situation de conflit d’intérêts.

Saisi par l’intéressé, un tribunal administratif a suspendu l’exécution de cette décision au motif qu’elle avait été signée par un agent n’ayant pas reçu délégation à cet effet du premier ministre.

Le jugement est cassé pour erreur de droit car, par l’effet de la substitution du premier ministre à un ministre pour l’exercice d’une compétence déterminée, les délégations consenties par ce ministre sont conservées par les agents en bénéficiant lorsqu’ils sont momentanément placés sous l’autorité hiérarchique du premier ministre.

(9 novembre 2022, Premier ministre, n° 465784)

 

6 - Arrêté interministériel fixant les taux de remboursement forfaitaire des déplacements d’agents – Déplacements temporaires des personnels et agents du ministère de l’agriculture – Arrêté dérogatoire du ministre de l’agriculture - Compétence de ce dernier – Rejet.

Le Conseil d’État juge, dans un litige portant sur le régime de remboursement des frais de déplacements et d’hébergement d’agents du ministère de l’agriculture, qu’un ministre peut, sans incompétence, prendre, pour les personnes placées sous son autorité et dans l’intérêt du service tenant à des circonstances particulières, un arrêté dérogatoire à un arrêté interministériel, dont il n’est pas signataire, fixant les taux de remboursement forfaitaire des frais supplémentaires de repas et d'hébergement.

(10 novembre 2022, Syndicat national des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement (SNIAE-FO), n° 457619)

V. aussi le n° 123

 

7 - Demande de communication d'un document administratif - Refus pour inexistence matérielle du document - Insuffisance de la motivation  du jugement de rejet - Annulation avec renvoi.

Le syndicat requérant avait demandé au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord la communication d'un rapport « audit RPS » réalisé par une société prestataire. Cette communication a été refusée  car ce document était matériellement inexistant.

Saisi par ce syndicat, le tribunal administratif avait rejeté son recours compte tenu de l'affirmation d'inexistence matérielle. Le jugement est annulé pour insuffisance de motivation car la réalisation de ce document était prévue par le cahier des clauses administratives et techniques du marché conclu avec la société prestataire. Il incombait donc au tribunal d'indiquer comment il s'était convaincu que le SDIS ne détenait pas le rapport demandé.

(16 novembre 2022, Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et spécialisés du Nord (SNSPP-PATS 59), n° 456781)

 

8 - Exercice du droit de préemption urbain  par une régie immobilière municipale liée à la commune par une une convention d'utilité sociale - Délégation de ce droit à sa directrice générale - Subdélégation de ce droit par cette dernière  à la directrice générale adjointe - Absence de publication de cette délégation - Suspension de la préemption ainsi décidée.

L'exercice du droit de préemption urbain par un agent administratif titulaire d'une subdélégation non publiée et donc non opposable aux tiers, est irrégulier.

(17 novembre 2022, SAS Towa Développement, n° 457386)

 

9 - Sanction disciplinaire en milieu pénitentiaire - Compétence pour engager des poursuites disciplinaires - Délégation de signature - Composition de la commission de discipline - Communication d'éléments du dossier - Rejet.

Le requérant voulait voir annulée la décision infirmative d'une cour administrative d'appel  rejetant le recours dirigé contre la décision par laquelle un directeur interrégional des services pénitentiaires avait confirmé la sanction de confinement en cellule ordinaire pour une durée de cinq jours qui lui avait été infligée par la présidente de la commission de discipline d'un centre pénitentiaire.

Au soutien de sa requête, le demandeur invoquait plusieurs irrégularités qui auraient entaché la procédure disciplinaire suivie en l'espèce

Tous les moyens soulevés à cet effet sont rejetés.

D'abord, la publication au recueil des actes administratifs de la préfecture de la délégation de signature  au directeur adjoint du centre pénitentiaire par la directrice du centre pénitentiaire a constitué une mesure adéquate de publicité.

Ensuite, il est rappelé que la présence dans la commission de discipline d'un assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement, qui ne peut être ni l'auteur du compte rendu établi à la suite d'un incident, ni l'auteur du rapport établi à la suite de ce compte rendu, constitue une garantie reconnue au détenu, dont la privation est de nature à vicier la procédure, alors même que la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires, prise sur le recours administratif préalable obligatoire exercé par le détenu, se substitue à celle du président de la commission de discipline. A cet égard, le juge indique que si le requérant affirme n'avoir pas été mis en mesure de s'assurer du respect de cette garantie, au motif que le registre des sanctions ne mentionnait que les premières lettres du prénom et du nom de famille du premier assesseur, c'est sans erreur que la cour administrative d'appel a jugé que les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale autorisaient l'administration pénitentiaire à occulter l'identité du premier assesseur et que les mentions figurant dans le registre des sanctions permettaient de s'assurer que les garanties prévues par les articles R. 57-7-8, R. 57-7-13 et R. 57-7-14 de ce code avaient été respectées.

Également, si les dispositions de l'art. R. 57-6-9 du code de procédure pénale permettent à l'administration pénitentiaire de ne pas communiquer à la personne détenue certains éléments du dossier au cours de la phase préalable à l'intervention d'une décision administrative défavorable, ces dispositions, comme d'ailleurs dans le cas particulier où est envisagée l'infliction d'une sanction celles de l'article R. 57-7-16, ne sont pas applicables à l'information de la personne détenue quant à la composition même de la commission de discipline.  Au reste, sont applicables en ce cas les dispositions de l'art. L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, obligeant à communiquer à tout intéressé le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire une demande ou de traiter l'affaire qui le concerne, c'est sous réserve de la faculté d'opposer l'anonymat de l'agent dans un souci de sécutité publique ou de sécurité des personnes. Cependant, en l'espèce, la cour, pour la mise en oeuvre de cette anonymisation, s'est fondée, à tort, sur les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale, applicables seulement à la procédure contradictoire antérieure à la réunion de la commission de discipline et régissant notamment l'accès de la personne détenue ou de son avocat aux éléments de la procédure disciplinaire, alors qu'étaient seules applicables les dispositions de la seconde phrase de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Ceci demeure sans incidence du fait de la substitution de motif opérée par le juge de cassation.

Enfin, le demandeur ne saurait invoquer la violation de l'art. 6 de la CEDH ni, s'agissant des poursuites disciplinaires, lesquelles ne constituent pas une « accusation en matière pénale » au sens de ce texte ni, s'agissant d'une contestation portant sur des droits à caractère civil, en raison de la nature administrative de l'autorité infligeant les sanctions disciplinaires.

(23 novembre 2022, M. C., n° 457621)

 

10 - Documents administratifs de portée générale - Absence d'effets sur les personnes autres que celles chargées de leur mise en oeuvre - Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Une instruction ministérielle a été adressée aux préfets de région, les invitant à réaliser une cartographie non contraignante des zones favorables au développement de l'éolien, les informant de la prochaine mise en place d'une charte nationale de bonnes pratiques concertée avec la filière, leur demandant d'informer les collectivités de l'existence de cette charte ainsi que de la possibilité de la décliner localement et d'encourager les projets d'installation à gouvernance locale et citoyenne, etc.

Elle constitue un document de portée générale qui, destiné aux seuls préfets de région en vue de leur impartir des tâches dans le domaine de l'énergie éolienne, n'est pas susceptible d'avoir des effets notables en dehors de ces destinaires, elle ne peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(29 novembre 2022, Association Fédération Environnement Durable et autres, n° 453340)

 

11 - Décisions rendues en matière d'aide juridictionnelle - Actes d'administration de la justice - Absence de caractère de décision administrative - Inapplicabilité de l'art. L. 111-2 CRPA - Rejet.

Les  décisions prises en matière d'aide juridictionnelle ont le caractère de décisions d'administration judiciaire or les actes d'administration de la justice (sur cette notion : J.-C. Ricci, Contentieux administratif, Hachette Supérieur, 5ème édit. § 253) ne constituent pas des décisions administratives.

En conséquence, ne peuvent être utilement développées à leur encontre des conclusions reposant sur leur non respect des dispositions de l'art. L. 111-2 du CRPA.

(29 novembre 2022, M. B., n° 443735)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

12 - Suppression d'une chaîne de télévision - Retrait du droit d'usage des fréquences radioélectriques  accordé pour la diffusion de cette chaîne - Modification en ce sens du cahier des charges d'une société nationale de programme - Représentation de la diversité de la société française - Téléspectateurs placés en situation différente - Rejet.

La requête poursuivait l'annulation du 12° de l'article 2 et de l'art. 5 du décret du 14 août 2020 portant modification du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions, de la décision du 19 août 2020 du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) abrogeant la décision du 11 mai 2010 modifiée attribuant à la société nationale de programme France Télévisions une ressource radio-électrique pour la diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique du service de télévision dénommé France Ô ainsi que de plusieurs autres décisions.

Le recours est rejeté.

Tout d'abord, contrairement à ce qui est soutenu, le cahier des charges fixant les obligations des sociétés nationales de programme est établi par décret après avis du CSA, sans que ne s'impose, préalablement à l'intervention d'un tel décret, l'organisation d'une consultation publique. Seule est soumise à une telle consultation la décision du CSA qui accorde des autorisations relatives à l'usage de ressources radioélectriques.

Ensuite, cette suppression ne fait pas obstacle à la mission dévolue à France Télévisions d'assurer une représentation de la diversité de la société française notamment dans sa composante ultra-marine, et d'améliorer la représentation et la visibilité des outre-mer. Au reste, la modification litigieuse du cahier des charges impose à cette société des obligations de diffusion, sur les chaînes de télévision nationale qu'elle propose, de programmes télévisés ultra-marins plus précises en matière de fréquence et de contenu, et met également à sa charge une obligation d'investissement dans la production documentaire locale, enfin, elle confie également à la société France Télévisions le développement du portail numérique « outre-mer la 1ère » qui permet d'accéder à un ensemble de services régionaux généralistes de télévision et de radio diffusés en outre-mer. 

Enfin, il n'y a pas d'illégalité à traiter différemment des téléspectateurs placés dans des situations différentes au regard du service.

(17 novembre 2022, M. A., n° 447154)

 

13 - Décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) - Régime des offres composites - Contribution au développement de la production audiovisuelle et cinématographique - Absence de distorsion de concurrence ou d'atteinte aux principes d'égalité et de sécurité juridique - Rejet.

Rejet du recours en annulation dirigé contre le décret n° 2021-793 du 22 juin 2021  relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, notamment les articles 5, 10, 15, 21 et 22.

Tout d'abord la société requérante ne saurait soutenir l'illégalité de l'art. 5 de ce décret qui prévoit que lorsque l'éditeur concerné n'a pas conclu de convention avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), il lui appartient de faire connaître à cette autorité, à sa demande, les éléments permettant de déterminer les obligations qui lui incombent en matière de contribution au développement de la production audiovisuelle, sous peine de sanction pécuniaire. En effet, ces dispositions sont applicables à l'ensemble des éditeurs des SMAD qui ne sont pas établis en France ou qui ne relèvent pas de sa compétence mais qui entrent dans leur champ d'application. En particulier, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de cet article 5 seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation faute de prévoir les moyens propres à assurer leur application alors qu'elles définissent la procédure applicable lorsqu'il n'a pas été signé de convention entre l'éditeur et l'ARCOM, y compris dans le cas des éditeurs de services, dont l'utilisateur bénéficie, sans pouvoir y renoncer, de services complémentaires d'une autre nature ne requérant pas la souscription d'un abonnement.

Elle ne saurait davantage soutenir l'illégalité de l'art. 10 du décret en ce qu'il exonère les SMAD, autres que les services de télévision de rattrapage, qui n'atteignent pas un certain seuil d'audience et de chiffre d'affaires de toute contribution au développement de la production audiovisuelle et cinématographique, alors qu'il ne serait pas prévu d'exonération analogue pour les autres catégories de services soumis à cette contribution. En effet, cette différence de traitement découle directement du 6 de l'article 13 de la directive du 14 novembre 2018 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels. En outre, il résulte des pièces du dossier que, postérieurement au décret attaqué, un critère de seuil d'audience et de chiffre d'affaires a été introduit, s'agissant des services de télévision n'utilisant pas des fréquences assignées par l'ARCOM, par l'article 2 du décret du 30 décembre 2021 relatif à la contribution cinématographique et audiovisuelle des éditeurs de services de télévision distribués par les réseaux n'utilisant pas des fréquences assignées par l'ARCOM. 

Pas davantage il ne saurait être soutenu que les dispositions de l'art. 15 du décret litigieux portent une atteinte illégale au principe de concurrence ou créent une distorsion illégale de concurrence

Enfin, les art. 21 et 22 dudit décret ne portent atteinte ni au principe d'égalité ni à celui de sécurité juridique.

(23 novembre 2022, Société Métropole Télévision, n° 455791)

 

14 - Système national des données de santé (SNDS) - Groupement d'intérêt public  «Plateforme des données de santé » - Décret du 29 juin 2021 relatif au traitement des données de santé - Rejet.

La requérante demandait l'annulation du décret n° 2021-848 du 29 juin 2021 relatif au traitement de données à caractère personnel dénommé « Système national des données de santé ».

Le Conseil d'État rappelle tout d'abord les trois exigences fondamentales découlant du droit de l'Union en matière de traitement des données à caractère personnel telles que les énonce le § 1 de l'art. 5 du règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (dit RGPD) :

1° les données à caractère personnel doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités.

2° Ces données sont soumises au principe de «  minimisation des données » et doivent donc être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.

3° Ces données doivent être traitées de façon à garantir aux personnes concernées une sécurité appropriée.

C'est à l'aune de cette triple exigence qu'est examinée la juridicité de chacun des chefs de griefs développés par la requérante.

S'agissant du transfert de données en-dehors de l'Union européenne, la critique ne saurait prospérer car le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de confier à un prestataire déterminé, notamment à une société du groupe américain Microsoft, la réalisation de prestations nécessaires au fonctionnement du SNDS. Le décret n'est ainsi pas contraire au RGPD.

Par ailleurs, il se déduit de l'arrêt de la CJUE du 16 juillet 2020 (Data Protection Commissioner contre Facebook Ireland Ltd et Maximillian Schrems, aff. C-311/18), que, en l'absence, d'une part, de décision d'adéquation de la Commission européenne prise sur le fondement de l'article 45 du RGPD et, d'autre part, de garanties appropriées, de droits opposables et de voies de droit effectives satisfaisant aux exigences de l'article 46 du même règlement, un transfert de données à caractère personnel reste possible dans les situations particulières mentionnées à l'article 49, notamment pour des motifs importants d'intérêt public.

Sur le grief portant sur les opérations de pseudonymisation, le juge relève, d'une part, que le SNDS ne contient ni les noms et prénoms des personnes, ni leur numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques, ni leur adresse et, d'autre part, que ses données sont traitées pour prendre la forme de statistiques agrégées ou de données individuelles constituées de telle sorte que l'identification, directe ou indirecte, des personnes concernées y est impossible.

La mise à la disposition de la Plateforme des données de santé d'une copie de la base principale est critiquée en vain par la requérante, la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL) ayant retenu dans son avis sur ce sujet qu'il existait une « nécessité opérationnelle » en ce sens pour une réponse plus efficace et plus rapide de la plateforme aux demandes d'accès aux données en particulier pour la réalisation d'appariements à façon entre la base principale et le « catalogue » (qui est un ensemble de bases de données ne couvrant pas l'ensemble de la population).

Le moyen tiré de ce que la sécurité des données n'est pas non plus retenu tout comme celui relatif aux personnes et aux services autorisés à accéder aux données en l'état des dispositions que comporte à cet égard le code de la santé publique.

Enfin, il ne saurait sérieusement être soutenu que les droits des personnes concernées ne sont pas garantis en l'état des dispositions litigieuses et au regard des objectifs importants d'intérêt public énumérés au III de l'article L. 1461-1 du code de la santé publique ainsi que de la pseudonymisation  qui justifient, sans disproportion, le refus, sauf pour le « catalogue », du droit d'opposition.

(23 novembre 2022, Association InterHop, n° 456162)

 

15 - Mise en demeure du CSA (ARCOM) - Service de communication rendant accessibles aux mineurs des contenus pornographiques - Mise en demeure indissociable de la procédure susceptible d'être engagée devant le juge judiciaire - Incompétence de la juridiction administrtative - Irrecevabilité.

La société requérante, qui diffuse sur son service de communication au public «Pornhub» du contenu pornographique accessible aux mineurs s'est vue mettre en demeure par le président de l'ex-CSA devenu ARCOM de prendre toutes mesures de nature à assurer qu'elle se conforme aux dispositions de l'article 227-24 du code pénal. 

Elle saisit le Conseil d'État d'un recours en annulation de cette mise en demeure.

Le recours est rejeté pour irrecevabilité car la mise en demeure n'est pas détachable  de la procédure susceptible d'être engagée, faute pour son destinataire d'y déférer, par le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique devant le tribunal judiciaire. Constituant indivisément avec la saisine du juge judiciaire une procédure se déroulant devant ce dernier, la mise en demeure ne saurait relever du juge administratif.

(29 novembre 2022, Société MG Freesites Ltd, n° 463163)

(16) V. aussi, identique, à propos du site «Xvideos» : 29 novembre 2022, Société Webgroup Czech Republic, n° 459942.

(17) V. encore, identique, à propos du site «Xnxx» : 29 novembre 2022, Société NKL Associates s.r.o, n° 459941.

 

18 - Propos tenus à l'antenne d'une chaîne de télévision par un professeur de médecine - Propos scientifiquement controversés ou contredits en matière d'épidémie - Mise en demeure du CSA  rappelant l'obligation d'honnêteté et de rigueur dans le traitement de l'information - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de qualification des faits que le CSA (ARCOM) a adressé une mise en demeure à des chaînes de télévision de se conformer à leur obligation d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information ainsi qu'à leur obligation de veiller à l'expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse, obligations résultant de la convention qu'elles ont conclue avec le CSA et des termes mêmes de l'art. 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

En l'espèce s'était déroulée une émission au cours de laquelle, sans être contredit par un quelconque autre participant, un célèbre professeur de médecine avait énoncé un certaine nombre d'affirmations scientifiques très controversées voire inexactes. Les chaînes concernées étaient tenues d'assurer un meilleur équilibre des débats et cela d'autant plus que les collaborateurs de l'émission, s'ils ont occasionnellement mis en doute ses propos, ne leur ont pas apporté une contradiction suffisante et, à plusieurs occasions, se sont au contraire attachés à l'encourager à développer sur ces sujets de santé publique, dans un contexte de pandémie qui appelait pourtant de leur part une vigilance particulière, des thèses non conformes aux données de la science, dont il était connu comme l'un des principaux porte-parole.

(29 novembre 2022, Société Diversité TV, n° 452762 ; Société Radio Monte Carlo (RMC), n° 452763)

 

Biens et Culture

 

19 - Circulaire étendant la compétence des juridictions du littoral spécialisées aux infractions d'atteintes aux biens culturels maritimes – Contestation d’une fiche annexée à cette circulaire – Acte non réglementaire et dépourvu de portée juridique ou d’effets notables – Rappel de textes en vigueur – Absence d’illégalités – Rejet.

La requérante poursuivait l’annulation de la décision implicite du ministre de la justice refusant de faire droit à sa demande d'abrogation de la circulaire du 18 avril 2017 relative à l'extension de la compétence concurrente des juridictions du littoral spécialisées aux infractions d'atteintes aux biens culturels maritimes, notamment de la fiche intitulée « Le traitement judiciaire des atteintes au patrimoine culturel, archéologique et historique » qui lui est annexée.

Le recours est, à vrai dire sans surprise, rejeté.

D’abord, la fiche technique est sans caractère réglementaire et dépourvue, à raison des considérations générales qu’elle contient, de portée juridique ou d'effets notables.

Ensuite, cette fiche, en indiquant que « les trouvailles réalisées au moyen d'un détecteur de métaux et sans autorisation ne peuvent être reconnues comme des découvertes fortuites », n’est pas en contradiction avec la définition de la « découverte fortuite » par l'art. L. 510-1 du code du patrimoine.

Également, la fiche technique, en rappelant la réglementation de l'utilisation des détecteurs de métaux, n'interdit ni ne limite la commercialisation des détecteurs de métaux, mais soumet simplement à autorisation certains de leurs usages sans méconnaître les art. 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Enfin, si la circulaire rappelle qu'en vertu du code du patrimoin, l'État est propriétaire des biens archéologiques mobiliers mis au jour à la suite d'opérations de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites, un tel régime, qui s'applique à des biens sur lesquels aucun droit de propriété ne peut être invoqué par les utilisateurs de détecteurs de métaux et est motivé par la volonté de protéger le patrimoine archéologique, ne méconnaît ni l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH, ni l'article 14 de cette convention. 

(2 novembre 2022, Fédération française de détection de métaux, n° 446688)

 

20 - Contrat conclu entre un aménageur et un opérateur chargé de fouilles – Obligation d’exécution conformément aux prescriptions édictées par l’État – Absence de modification automatique du contrat de ce seul fait – Rejet.

(2 novembre 2022, Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), n°450930)

V. n° 26

 

21 - Association de lutte pour la restitution d'objets d'art volés ou mal acquis par des particuliers ou des personnes publiques - Demande de déclaration d'inexistence d'un inventaire - Absence d'intérêt donnant qualité pour agir contre l'inscription de tels biens - Rejet.

L'association requérante a pour objet « de favoriser et obtenir la restitution ou le retour à leurs légitimes propriétaires ou ayants droits, des biens culturels spoliés, acquis ou appropriés frauduleusement, irrégulièrement ou illégitimement, de manière directe ou indirecte, tant par des personnes privées que par des États ou personnes morales de droit public, notamment durant les différentes périodes de conflits armés ou de colonisation, en quelque lieu qu'ils se trouvent, y compris dans les musées nationaux ».

Elle demande que soit déclarée inexistante l'inscription à l'inventaire du musée chinois du château de Fontainebleau des objets issus du pillage par les troupes françaises, le 18 octobre 1860, du Palais d’Été de l'empereur de Chine.

Le Conseil d'État commence par indiquer que les inventaires des biens propriété de l'État dont les musées nationaux sont les affectataires, qui ont pour objet de les recenser en vue de les soumettre aux dispositions légales et réglementaires applicables aux collections permanentes des musées qui font partie du domaine public mobilier de l'État, ne constituent pas des actes réglementaires. En conséquence leur contestation ne relève pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'État.

Toutefois, il fait ici application des dispositions dérogatoires de l'art. R. 351-4 du CJA qui permettent à toute juridiction administrative de droit commun, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, de rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance.

Il déduit des stipulations statutaires citées plus haut qu'elles ne sont pas de nature à conférer à l'association requérante un intérêt lui donnant qualité pour agir devant le juge de l'excès de pouvoir afin de contester l'inscription de biens acquis dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre à l'inventaire des biens propriétés de l'État dont un musée national est affectataire, seules les personnes qui estimeraient en être les légitimes propriétaires ayant intérêt, le cas échéant, à la restitution de ces biens. 

(23 novembre 2022, Association International Restitutions, n° 463108)

(22) V. aussi, avec même solution, à propos de l'inventaire du département des antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre concernant des objets issus de la mise à sac du musée de Kertch durant la guerre de Crimée (1853-1856) : 23 novembre 2022, Association International Restitutions, n° 465857.

 

Collectivités territoriales

 

23 - Polynésie française – « Loi du pays » - Dispositions n’entrant pas dans le champ des compétences dévolues à ce territoire par la loi organique du 27 février 2004 – Annulation partielle.

Les requérants demandaient tantôt l’annulation de certaines dispositions de la « loi du pays » de Polynésie française, n° 2022-20 du 10 mai 2022, portant mesures fiscales en faveur de certaines mutations tantôt son annulation intégrale.

Certaines des dispositions de ce texte, notamment celles visées par le haut-commissaire du territoire sont annulées, le surplus des demandes étant rejeté.

L'article 19 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, prise sur le fondement direct de l’art. 74 de la Constitution, permet à la Polynésie française de subordonner à déclaration certains transferts entre vifs de propriétés foncières situées sur son territoire ou de droits sociaux et, dans le but de préserver l'appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française et l'identité de celle-ci, et de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels, et d'exercer son droit de préemption sur les propriétés foncières ou les droits sociaux y afférents faisant l'objet de la déclaration de transfert.

Il est jugé en conséquence que, dans le domaine de la propriété foncière, la Polynésie française peut, dans la mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre du principe d'autonomie, déroger au principe constitutionnel d'égalité au bénéfice de personnes justifiant d'une durée suffisante de résidence en adoptant des mesures relevant des deux catégories prévues à l'article 19 de la loi organique.

S’agissant des D, F et I de son art. 1er et de l’art. 3 litigieux, il résulte de l’art. 19 précité qu’aucune mesure de nature fiscale n’y est prévue. Ainsi, faute de disposition de la loi organique l'y autorisant, la Polynésie française ne pouvait légalement prendre, en faveur de personnes justifiant d'une certaine durée de résidence, des mesures de nature fiscale qui auraient été justifiées par les nécessités locales en matière de protection du patrimoine foncier. 

(9 novembre 2022, Haut-commissaire de la République en Polynésie française, n° 464367 ; Mme C. et M. E., n° 464618 ; Société Isis Polynésie, n° 464699 ; Fédération polynésienne des agents immobiliers et autres, n° 464762 ; Société Les Jardins de Tetavake, société Te Aolani et société Harbour Side, n° 464802 ; M. et Mme O., n° 464804 ; Société Aito Immobilier, n° 464809 ; M. et Mme A., n° 464867 ; M. et Mme T., n° 464868 ; M. et Mme K., n° 464870 ; M. Y., n° 464871)

 

24 - Élection du président d'un  syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) - Risque de conflit d'intérêts entre cette qualité et d'autres qualités de l'élu - Rejet.

(17 novembre 2022, M. B, Élection du président du SIVOM de la vallée, n° 459554)

V. n° 107

 

Contrats

 

25 - Procédure d’accord-cadre – Candidature rejetée pour exclusion des marchés publics par jugement correctionnel – Condamnation faisant l’objet d’un appel – Impossibilité d’exclure une candidature en cet état de la procédure pénale – Obligation de reprendre la procédure contractuelle au stade de l'examen des candidatures – Rejet.

La ministre des armées a informé une société candidate à un accord-cadre de défense et de sécurité ayant pour objet l'acquisition d'heures de vol, sans équipage, sur hélicoptère civil H225, au profit des équipages de l'armée de l'air et de l'espace, que sa candidature était rejetée en raison de la peine d'exclusion des marchés publics prononcée à son encontre par un jugement correctionnel.

Saisi par l’intéressée le juge des référés a annulé cette décision et enjoint la ministre, si elle entendait poursuivre la passation du marché en litige, de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures.

La ministre se pourvoit et elle est déboutée.

Confirmant l’ordonnance du premier juge, le Conseil d’État constate que la société demanderesse a interjeté appel du jugement correctionnel et l’appel étant suspensif en matière pénale sauf dans le cas, qui n’est pas celui de l’espèce, où le jugement a prononcé l’exécution provisoire des peines non privatives de liberté, et qu’ainsi la ministre des armées ne pouvait légalement se fonder sur la condamnation prononcée à l'encontre de la société pour prendre la décision querellée.

(2 novembre 2022, ministre des armées, n° 464479)

 

26 - Contrat conclu entre un aménageur et un opérateur chargé de fouilles – Obligation d’exécution conformément aux prescriptions édictées par l’État – Absence de modification automatique du contrat de ce seul fait – Rejet.

Le préfet de la région Haute-Normandie ayant prescrit à la société Quai Sud la réalisation de fouilles archéologiques préventives préalablement à la construction d'un complexe immobilier, celle-ci a conclu avec l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) un contrat de fouilles archéologiques pour un prix fixé pour une tranche ferme. La découverte d’une pollution des sols a conduit les services de l’État à modifier les conditions de réalisation des fouilles en réduisant le périmètre de celles-ci.

En fin de chantier la société requérante a sollicité de l’INRAP une diminution de prix. Ce qui lui a été refusé, générant un contentieux.

En première instance, la société a été déboutée tandis qu’en appel la cour a diminué de moitié le montant des titres exécutoires que l’INRAP avait émis à son encontre.

L’INRAP se pourvoit.

Pour annuler l’arrêt d’appel le Conseil d’État se livre à une démonstration curieuse en deux temps.

En premier lieu, le juge relève, au visa de diverses dispositions du code du patrimoine (L. 522-1 et L. 523-9, et R. 523-42, 523-44, 523-47 et 523-60), que « le contrat conclu entre l'aménageur qui projette de réaliser des travaux et l'opérateur chargé de la réalisation des fouilles, qui a pour objet l'exécution des prescriptions édictées par l’État, doit être élaboré et exécuté conformément à ces dernières et sous le contrôle des services de l' État, y compris lorsque les prescriptions sont modifiées au cours de l'exécution du contrat. »

En second lieu, le juge indique « (…) il ne résulte pas de ces dispositions que la modification de ces prescriptions entraînerait, par elle-même et sans l'intervention des parties, la modification de leur contrat. »

D’où cette conclusion que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que les prescriptions de l’État réduisant le périmètre des fouilles avaient eu pour effet de modifier le contrat et donc les prestations qu’il prévoyait. Or, selon le juge de cassation, ces nouvelles prescriptions « ouvraient seulement la possibilité pour les parties de modifier les termes du contrat ».

Ainsi donc, la réduction unilatérale de prestations contractuelles ne constituerait pas une modification du contrat qui les contient et cela alors que l’INRAP était tenu d’exécuter ces prescriptions complémentaires.

La solution est confondante : qu’est-ce qu’un contrat en dehors des prestations qu’il comporte, c’est-à-dire des droits et obligations qu’il crée ? Certes le juge précise que les parties étaient libres de modifier le contrat mais, précisément, il n’y avait pour elles aucune obligation à le faire et la société demanderesse n’aurait pas pu imposer le maintien – et donc le respect – du contrat à l’INRAP puisqu, d'une part, celui-ci est obligé d’exécuter les exigences de l’État e, d'autre part, la société est obligée de s’y soumettre. Où est la possibilité de modifier, ou non, le contrat ? C’est du Pierre Dac… parce qu’à première lecture on a l’impression d’un jeu de mots façon Almanach Vermot.

Ne reste plus à la société qu’à introduire une action en enrichissement sans cause : voilà une bien grande complication pour réparer une injustice flagrante qui oblige une entreprise à payer une somme qu’elle ne doit pas, principe dont on enseigne qu’il est, selon le Conseil d’État et même pour les personnes privées (Section, 17 mars 1978, Société entreprise Renaudin, AJDA 1979, n° 4 p. 41, note F. Chevalier), un principe général du droit…

(2 novembre 2022, Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), n°450930)

 

27 - Transaction – Intervention au cours d’une procédure de mise en concurrence – Effets – Étendue du contrôle du juge de cassation – Examen de candidatures – Motivation d’une candidature non retenue – Rejet.

La société Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire dans laquelle sont associés les individus requérants a constitué, à parts égales avec le Groupe hospitalier du Havre, un groupement de coopération sanitaire, afin d'utiliser en commun des équipements de médecine nucléaire au sein des locaux du Groupe hospitalier du Havre et, en particulier, des gamma-caméras et un appareil de tomographie à émissions de positons couplé à un appareil de tomodensitométrie. En décembre 2012, le Groupe hospitalier du Havre a notifié au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire son retrait du groupement à effet du 1er janvier 2015, entraînant la dissolution de celui-ci et mettant fin à l'autorisation d'installation du tomographe à émission de positons détenue par le groupement.

Au cours du préavis, le Groupe hospitalier du Havre a formé, le 20 juin 2014, avec le centre régional de lutte contre le cancer Henri Becquerel, un nouveau groupement de coopération sanitaire, le groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre.

L'accord sur le transfert de l'autorisation d'installation accordée pour le tomographe à émission de positons ayant échoué, l'agence régionale de santé (ARS) de Haute-Normandie a ouvert en 2014 un appel à candidatures pour l'octroi d'une autorisation d'installation de cet équipement sur le territoire de santé du Havre. La société Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire et le groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre ont, chacun, déposé une demande d'autorisation. Le directeur général de l'ARS a accordé l'autorisation au groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre et l'a refusée au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire. Ces deux décisions ont été annulées par un jugement du tribunal administratif de Rouen du 19 juin 2017 dont les effets ont été reportés au 15 mars 2018. A la suite de quoi, après y avoir été invités, les deux candidats ont réitéré leurs candidatures.

Durant ce temps, le 30 novembre 2017, la société Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire et ses associés et le Groupe hospitalier du Havre ont signé un « protocole d'accord transactionnel », afin de mettre un terme aux différends les opposant sur trois points :  le retrait des médecins libéraux et du Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire du site du Groupe hospitalier du Havre leur permettant une délocalisation effective vers un autre site sans rupture de l'offre de soins, les autorisations d'exploiter les trois gamma-caméras installées dans les locaux du service de médecine nucléaire du Groupe hospitalier du Havre, et l'autorisation d'exploiter un appareil de tomographie à émission de positons sur le territoire de santé du Havre.

Cet accord comportait la renonciation irrévocable des parties à toutes réclamations, instances ou actions de quelque nature que ce soit, pendant cinq ans, portant sur ces trois points, en particulier contre l'autorisation d'exploiter un appareil de tomographie à émission de positons sur le territoire de santé du Havre qui serait accordée à l'une des parties ou à un groupement dont l'une des parties serait membre.

Par ses décisions du 31 janvier 2018, la directrice générale de l’ARS a, accordé l'autorisation d'installation du tomographe à émission de positons au groupement de coopération sanitaire précité et l'a refusée au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire.

La cour administrative d’appel ayant confirmé le jugement rejetant les demandes du Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire, de MM. C., E. et B., et de la société de fait « Sonnet-Patrois-Halley » tendant à l'annulation de ces décisions, ces derniers se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État rejette les griefs dirigés contre l’arrêt attaqué tant en ce qu'il porte sur l'autorisation accordée au groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre (I) qu’en ce qu’il concerne le refus d'autorisation opposé au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire (II).

 

I - Sur le premier point, le Conseil d’État, de manière très innovante, applique les conséquences tirées par le Code civil (art. 2044 et 2052) de la conclusion d’un contrat de transaction dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence.

Tout d’abord, l’administration dispose du pouvoir de transiger, à certaines conditions strictes, en vue de prévenir ou d’éteindre un litige (outre le Code civil, voir art. L. 423-1 du CRPA). Ensuite, une telle convention peut être conclue entre une ARS et une entité ayant sollicité de la part de cette dernière la délivrance d’une autorisation y compris lorsque cette agence elle-même est candidate à une autorisation en matière d'installation d'équipements matériels lourds et qu'une personne a formulé une demande concurrente. Enfin, cette transaction peut intervenir durant l'instruction par l’ARS des candidatures à cette autorisation en vue de prévenir toute contestation à naître entre les candidats sur la décision octroyant l'autorisation. Or, en l’espèce, c’est bien pendant qu’était en cours l’instruction par l’ARS des deux seules candidatures en vue de l’autorisation d'exploiter un appareil de tomographie à émission de positons sur le territoire de santé du Havre qu’est intervenue la transaction litigieuse : c’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que la clause de renonciation à recours pouvait être opposée aux demandeurs.

Par ailleurs, pour contester non plus la portée mais la validité du contrat de transaction, les requérants faisait valoir que celle-ci était irrégulière en l’absence de leur consentement à cet acte du fait de la contrainte économique qu’aurait exercée le groupe hospitalier du Havre ou l'agence régionale de santé. Le juge de cassation approuve la cour d’avoir rejeté ce moyen en l’absence dans le dossier de tout élément en ce sens et ce d’autant plus que les ultimes négociations avaient précisément porté sur le périmètre de la clause de renonciation à recours. Ce jugeant, il convient de relever que le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits en cas d’allégation d’un vice du consentement lors de la conclusion d’une transaction.

 

II. Sur le second point, le juge reconnaît à l’administration, à défaut de tout autre motif opposable, le pouvoir de jauger – au titre de son pouvoir général d’appréciation - les mérites respectifs des candidatures au regard des besoins de santé de la population identifiés par le schéma régional applicable.

Ici, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel  a relevé que ce schéma n’autorisait dans le périmètre concerné qu’un seul équipement de tomographe à émission de positons, que le groupement de coopération sanitaire satisfaisait aux conditions requises et qu’ainsi l’ARS avait pu fonder le refus d’autorisation opposé au Centre havrais en retenant que l'équipement était déjà implanté sur le site de l'hôpital Jacques Monod du Groupe hospitalier du Havre, que celui-ci en était le propriétaire, qu'il était exploité par les médecins du groupement de coopération sanitaire dans des conditions de fonctionnement répondant aux besoins de santé de la population et que le maintien de l'autorisation au groupement de coopération sanitaire éviterait toute rupture dans la prise en charge des patients et qu’elle en a in fine déduit que cette décision n'était pas discriminatoire et ne portait pas atteinte au principe de mise en concurrence.

(7 novembre 2022, MM. E., B. et C., société Centre havrais d'imagerie nucléaire et la société « Sonnet-Patrois-Halley », n° 454495)

 

28 - Marché public de nettoyage et de dégazage de soutes à hydrocarbures de bâtiments de la Marine nationale - Demande de communication de pièces - Demande intempestive - Pièces jugées non couvertes par le secret des affaires - Annulation.

Le tribunal administratif, sollicité en ce sens par une société évincée de l'attribution d'un marché public de nettoyage et de dégazage des soutes à hydrocarbures des bâtiments de la Marine nationale situés à Toulon, a annulé les décisions du directeur du service de soutien de la flotte de Toulon refusant la communication du diplôme de chimie et des qualifications dans l'expertise de la société attributaire du marché litigieux et a enjoint à la ministre des armées de communiquer à la société demanderesse ces documents, après occultation du nom du titulaire du diplôme.

La ministre s'est pourvue, avec succès, contre ce jugement.

Tout d'abord, le juge de cassation aperçoit une dénaturation des pièces du dossier dans la partie du jugement ordonnant la communication des titres d'études professionnelles de la société attributaire du marché, en partriculier le diplôme de chimie, alors que la ministre avait indiqué sans être contredite ne pas disposer d'un tel document et qu'aucune pièce du dossier n'en attestait l'existence et que, en particulier, l'avis d'appel public à la concurrence exigeait seulement la communication des titres d'études professionnelles permettant d'attester de la capacité technique et professionnelle du candidat dans le domaine du marché public, et non nécessairement d'un diplôme d'études supérieures de chimie.

Ensuite, le juge de cassation relève une erreur de droit dans la partie du jugement  ordonnant la communication des qualifications dans l'expertise de la société attributaire du marché au motif qu'il s'agissait de documents communicables n'entrant pas dans le champ du secret des affaires protégé par les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations du public avec l'administration, au motif qu'elles ne concernaient ni le secret des procédés techniques de fabrication, ni le secret des informations financières de l'entreprise, ni le secret des stratégies commerciales de l'entreprise. En efffet, l'avis d'appel à la concurrence n'exigeait pas des entreprises candidates au marché en cause la production d'une certification en particulier mais demandait seulement de fournir « des certificats établis par des instituts ou services officiels chargés du contrôle de la qualité et habilités à attester la conformité des fournitures par des références à certaines spécifications techniques, ou toutes autres preuves de mesures équivalentes de garantie de la qualité » et « les certificats de qualification professionnelle établis par des organismes indépendants ou tout moyen de preuve équivalent ». Il incombait donc au tribunal  de rechercher si les certificats produits par la société attributaire à l'appui de sa candidature ne comportaient pas des éléments relatifs aux moyens humains de l'entreprise de nature à révéler des choix stratégiques couverts par le secret des affaires.

Ce second motif de cassation nous semble beaucoup moins convaincant que le premier.

(22 novembre 2022, ministre des armées, n° 456554)

 

29 - Délégation de la gestion du service public de traitement des eaux usées d'une commune - Action en réparation du préjudice causé au candidat évincé - Délai de recours contentieux inopposable, délai raisonnable substitué par la règle de la prescription quadriennale - Indemnisation en cas d'offre irrégulière - Notion d'offre irrégulière - Détermination du montant de l'indemnité de réparation en l'absence de contestation de celui-ci par la défenderesse - Rejet.

C'est une très intéressante décision que rend ici la dixième chambre de la section du contentieux du Conseil d'État dans un litige en indemnisation du préjudice subi par une société évincée de l'attribution d'une délégation du service public municipal de traitement des eaux usées.

Deux ordres de questions étaient posés au juge.

En premier lieu, il fallait déterminer si la demande de réparation formée en première instance était entachée, ou non, de forclusion pour tardiveté. Réitérant une solution désormais bien établie, le juge de cassation rappelle que si, dans le cas de connaissance défectueuse d'une décision administrative le principe de sécurité juridique conduit à appliquer la règle dite du «délai raisonnable», dont la durée est généralement d'un an, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique et que doit lui être substituée celle de la prescription quadriennale (cf. loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, art. 1er) ou, en cas de dommages corporels, celle de l'art. L. 1142-28 du code de la santé publique. La requérante était donc, ainsi que jugé par le tribunal, dans les délais lorsqu'elle l'a saisi.

En second lieu, la commune défenderesse objectait le caractère irrégulier de l'offre présentée par la demanderesse pour s'opposer  à sa demande d'indemnisation ainsi que le défaut de caractère probant des extraits du compte prévisionnel d'exploitation figurant dans l'offre de la société.

Le raisonnement conduisant au rejet de ces deux moyens est également très intéressant.

Tout d'abord, le juge interprète les dispositions de l'art. L. 2152-2 du code de la commande publique définissant la notion d'« offre irrégulière » comme emportant cette conséquence que le candidat évincé de la procédure de passation d'un contrat de commande publique dont l'offre était irrégulière ne peut, de ce seul fait, être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'obtenir le contrat, y compris lorsque l'offre retenue était tout aussi irrégulière, et n'est pas fondé, par suite, à demander réparation du préjudice en résultant. Puis, examinant l'affaire en cause, il relève, pour juger l'absence de caractère irrégulier de l'offre du candidat évincé, que l'examen des moyens techniques et humains qu'un opérateur économique entend consacrer à l'exécution d'un contrat de la commande publique relève de l'appréciation de la valeur technique de l'offre et la circonstance invoquée ici  par la commune ne suffisait pas à caractériser une irrégularité de l'offre au sens des dispositions précitées du code de la commande publique.

Ensuite, la commune, pour rejeter le chiffrage de son préjudice par la société demanderesse, faisait valoir le défaut de caractère probant des extraits du compte prévisionnel d'exploitation figurant dans l'offre de cette société, produits par celle-ci pour justifier de son manque à gagner, au motif que ces documents avaient été établis par la société elle-même. Toutefois, contrairement aux principes élémentaires de procédure gouvernant la charge de la preuve, la commune défenderesse ne discutait aucun des montants ainsi produits, alors qu'il lui aurait été loisible de le faire, au regard notamment des taux de marge nette habituellement constatés dans ce secteur d'activité ou encore des résultats de l'ancien titulaire de la délégation. Par suite, la cour n'a pas dénaturé les pièces qui lui étaient soumises en considérant que les chiffres du tableau intitulé « Estimation du manque à gagner relatif à la perte du marché » produit par la société n'étaient pas sérieusement discutés par la commune et en retenant leur caractère probant.

(22 novembre 2022, Commune de Dumbéa, n° 454480)

 

30 - Appel d'offres - Présentation d'une offre améliorée - Régime et effets - Rejet.

Le III de l'article 58 de la loi du 10 août 2018 dite pour un État au service d'une société de confiance, a créé, lorsque les capacités de production ne répondent pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie, notamment ceux concernant les techniques de production et la localisation géographique des installations, une procédure de mise en concurrence particulière dite « d'offre améliorée »  se situant après les procédures de mise en concurrence et avant la signature du contrat. Cette procédure permet au candidat retenu d'améliorer son offre à l'invitation du pouvoir adjudicateur notamment en diminuant le montant du tarif d'achat, en modifiant les modalités de révision ou de versement de ce tarif ou en réduisant la puissance de l'installation, le cas échéant par dérogation à certaines dispositions du cahier des charges. L'acceptation de cette offre par l'autorité compétente impose la modification du cahier des charges en résultant et s'impose au contrat à conclure entre le candidat et EDF.

La requérante demandait l'annulation de la décision par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a accepté l'offre améliorée présentée par la société EMYN pour la réalisation d'un parc éolien au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier. Le recours est rejeté.

Par application du principe du parallélisme des formes et des compétences, il est d'abord jugé que le ministre compétent pour demander l'amélioratiopn de l'offre l'est aussi pour l'accepter.

Ensuite, l'obligation que soit rendu par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) un avis sur le cahier des charges afférent à la procédure d'appel d'offres prévue par le 1° de l'article R. 311-12 du code de l'énergie, et, le cas échéant, un autre avis sur toute modification substantielle de ce cahier des charges ne s'applique pas - contrairement à ce que soutient la demanderesse - à la procédure d'appel d'offre améliorée.

Également, la procédure d'amélioration de l'offre du candidat, qui intervient en aval de l'appel d'offres permettant de départager les candidats selon une procédure objective, transparente et non discriminatoire, et qui a permis au cas d'espèce de tenir compte de l'évolution des conditions économiques d'exploitation des parcs éoliens en mer pour diminuer le tarif d'achat de l'électricité ainsi produite, ne porte par elle-même aucune atteinte aux principes de transparence et d'égalité de traitement des candidats. Elle n'avait pas à être précédée d'une nouvelle mise en concurrence quand bien même elle devait entraîner une modification substantielle du cahier des charges. Elle ne contrevient donc pas aux principes énoncés à l'article 8 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et repris à l'article L. 311-10-1 du code de l'énergie.

Enfin, il ne saurait être soutenu que le ministre acceptant a commis une erreur manifeste d'appréciation en acceptant une offre dont l'amélioration se traduit par la diminution de 40 % du tarif d'achat d'électricité initialement fixé alors même que la requérante fait valoir que ce tarif reste supérieur à la moyenne européenne des tarifs de l'éolien en mer.

(23 novembre 2022, Association « Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu », n° 440628)

 

Droit du contentieux administratif

 

31 - Transaction – Intervention au cours d’une procédure de mise en concurrence – Effets – Étendue du contrôle du juge de cassation – Examen de candidatures – Motivation d’une candidature non retenue – Rejet.

(7 novembre 2022, MM. E., B. et C., société Centre havrais d'imagerie nucléaire et la société « Sonnet-Patrois-Halley », n° 454495)

V. n° 27

 

32 - Demande de permis de construire – Opposition d’un sursis à statuer pour deux motifs -  Premier motif rejeté par les premiers juges, second motif retenu – Juge d’appel annulant le jugement du chef du second motif sans examen du premier – Non-respect du principe d’effet dévolutif de l’appel – Annulation et renvoi.

Un maire ayant opposé un sursis à statuer, fondé sur deux motifs, à une demande de permis de construire un immeuble collectif de neuf logements, les pétitionnaires demandent l’annulation de cette décision. Le tribunal administratif annule le premier motif (le projet n'était pas, à lui seul, eu égard à sa faible ampleur, de nature à compromettre les objectifs du futur plan local d'urbanisme en matière de création de logements sociaux) qu’il juge non fondé mais retient le second (le projet était de nature à compromettre l'objectif de préservation des zones humides poursuivi par la révision du plan local d'urbanisme).

Saisie d’un appel des demandeurs, la cour administrative d’appel annule sur ce point le jugement et donc la décision de sursis. Toutefois, elle ne s’est pas prononcée sur le premier motif non retenu par le jugement.

L’arrêt est cassé en raison de ce qu’il ne respecte pas le principe de l’effet dévolutif de l’appel dans le cas où la décision querellée repose sur plusieurs motifs. De façon sinon totalement nouvelle du moins assez innovante et notablement explicite, le Conseil d’État indique qu’en cette hypothèse lorsqu’un jugement qui a rejeté des conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.

C’est le rappel strict et logique de l’effet dévolutif de l’appel qui impose à la juridiction d’appel, reprenant l’affaire à zéro, d’examiner tous les moyens présentés en première instance, ceux rejetés comme ceux retenus, ceux examinés comme ceux non examinés. En effet, en dépit du principe de procédure civile « Tantum devolutum quantum appellatum et judicatum » (cf., par exemple : Cass. Civ. 3ème, 9 décembre 1960, Société des transports automobiles Baldoni, au Bull. n° 762), en procédure administrative contentieuse, sauf restriction explicite par les parties, l’effet dévolutif est toujours réputé total.

(7 novembre 2022, Commune de Gometz-le-Châtel, n° 455195)

(33) V. aussi, censurant l’arrêt d’une cour d’appel qui, sur le fondement de l’effet dévolutif de l’appel, annule un jugement pour insuffisance de motivation puis, en vertu de son pouvoir d’évocation, annule notamment, dans le cadre de l’examen de la légalité d’un plan local d’urbanisme, une partie de la décision administrative attaquée qui est en réalité divisible du reste de la décision attaquée, en se fondant pour cela sur un moyen soulevé en première instance mais non repris en appel : 7 novembre 2022, Association Sepanso Landes, association Société des Amis de Navarrosse, M. C. et Mme A., n° 461418.

 

34 - Décision de mise à l’isolement d’un détenu – Contrôle réduit du juge administratif – Juge des référés ayant retenu l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de cette mesure – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (prononcé au fond).

Commet une erreur de droit le juge du référé qui ordonne la suspension d’une décision prolongeant la durée de mise à l’isolement d’un individu par l’administration pénitentiaire en retenant l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de cette mesure alors que le juge administratif ne peut exercer sur une telle décision qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation.

Statuant au fond (art. L. 821-1 CJA), le Conseil d’État, au vu des éléments circonstanciés du dossier, n’aperçoit pas en l’espèce d’erreur manifeste d’appréciation et rejette en conséquence le recours.

(ord. réf. 2 novembre 2022, M. A., n° 467601)

 

35 - Intéressée ayant saisi un organisme au nom de sa mère et en qualité de tutrice de celle-ci – Jugement prononcé le 15 juin 2021 – Pourvoi formé le 16 novembre 2021 postérieurement au décès de la mère – Absence de tardiveté en raison de la notification du jugement seulement à la mère – Rejet.

Le département défendeur oppose une fin de non-recevoir au pourvoi en cassation dirigé contre un jugement ayant refusé d’annuler sa décision de refus de prise en charge partielle des frais d'hébergement d’une personne par l'aide sociale départementale. Il estime que le pourvoi a été formé hors délai.

En apparence, il en est bien ainsi, le pourvoi ayant été formé le 16 novembre 2021 contre un jugement prononcé le 15 juin 2021 soit cinq mois après alors que le délai de recours contentieux est de deux mois.

Toutefois, le juge de cassation relève que Mme C., qui avait saisi la commission départementale d'aide sociale (par erreur mais la demande avait été transmise au tribunal administratif) tant en son nom propre qu'en sa qualité de tutrice de sa mère, avait la qualité de partie devant le tribunal administratif. Le jugement de ce tribunal ayant été notifié le 15 juin 2021 à la seule Mme D., pourtant décédée, sans être notifié à Mme C. en sa qualité de tutrice ou en son nom propre non plus qu'à M. C. et M. D., le pourvoi, présenté le 16 novembre 2021 par ces derniers en leur qualité d'héritiers de Mme D. et par Mme C., en sa qualité de partie en première instance, ne saurait être regardé comme tardif. 

(7 novembre 2022, Mme C. et autres, n° 455631)

 

36 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Erreur éventuelle portant sur un aspect du litige emportant annulation par voie de conséquence de l’incompétence de la juridiction saisie – Erreur sans effet sur la solution du litige – Rejet.

A la supposer existante, l’erreur matérielle relevée par la requérante ne portait que sur une annulation par voie de conséquence de l’incompétence de la juridiction saisie au regard du principal du litige. Le recours en rectification d’erreur matérielle ne peut qu’être rejeté.

(9 novembre 2022, Association En toute franchise région PACA, n° 465192)

 

37 - Juridiction recourant à l’avis technique d’un consultant (art. R. 625-2 CJA) – Question ne requérant pas d’investigations complexes – Respect du contradictoire – Erreur de droit – Annulation.

Saisie d’un litige portant sur l’estimation de la consommation supplémentaire d’électricité par la requérante par rapport au contrat la liant à EDF, une cour administrative d’appel, en l’absence de toute complexité dans les investigations à mener, a sollicité l’avis technique d’un consultant qu’elle a désigné conformément aux dispositions de l’art. R. 625-2 du CJA. Puis elle a statué au fond en utilisant l’avis rendu.

La requérante se pourvoit en cassation de cet arrêt motif pris de ce que le consultant n’a pas respecté le contradictoire entre les parties dans la mesure où, s’il a pris connaissances de pièces remises par EDF et entendu ses représentants, il n’a pas pris l’attache de l’association requérante.

Le comportement de la cour se comprend car l’article précité du CJA dispose « (…) Le consultant, à qui le dossier de l'instance n'est pas remis, n'a pas à opérer en respectant une procédure contradictoire à l'égard des parties. (...) ».

Pourtant le juge de cassation aperçoit dans la procédure suivie par la cour une erreur de droit car, écrit-il « Il résulte (des dispositions de l’art. R. 625-2 du CJA) que si le consultant désigné par le juge n'est pas tenu d'élaborer son avis dans le cadre d'une procédure contradictoire, il doit, dès lors qu'il est amené à entendre l'une des parties au procès ou à examiner des pièces produites par elle, associer en principe l'autre partie au procès à ces auditions ou examens, dans toute la mesure où le respect d'un secret, tel que le secret médical ou le secret des affaires, ne s'y oppose pas. (…) ».

Autant dire que, à lire la décision, cet art. R. 625-2 doit être considéré comme un facteur remarquable d’insécurité juridique ; contraire à un principe général de procédure, il est illégal en tant qu’il ne précise pas les limites de l’absence de contradictoire qu’il institue et méritait donc annulation.

A moins que le juge ne soit allé au-delà de l’intention du pouvoir réglementaire qui a tout de même bien précisé l’absence, dans cette procédure, de contradictoire « à l’égard des parties » ?

Si on ajoute à cela que le Conseil d’État est possiblement à l’origine de cette disposition, comme il en est de très nombreuses autres dispositions de ce code, on peut demeurer songeur.

(10 novembre 2022, Association syndicale autorisée (ASA) du canal de Ventavon-Saint-Tropez, n° 456661)

 

38 - Exécution de mesures déjà ordonnées par le juge des référés - Office du juge des référés statuant sur le fondement de l'art. L. 521-4 du CJA - Obligations incombant respectivement au demandeur et à l'administration défenderesse - Limitations strictes des pouvoirs du juge de l'art. L. 521-4 - Rejet.

On regrettera que dans cette décision il soit donné une interprétation aussi stricte de l'office du juge des référés saisi sur le fondement de l'art. L. 521-4 du CJA. Selon ce texte : « Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ».

En l'espèce, la requérant demandait au Conseil d'État d'annuler une ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'elle n'a pas entièrement fait droit à ses demandes tendant à le voir contraindre l'administration pénitentiaire d'exécuter pleinement les injonctions que lui a fait le même juge dans une ordonnance du 4 octobre 2021.

Après avoir indiqué qu'il eût été loisible à la demanderesse de le saisir en se fondant sur les dispositions des art. L. 911-4 et L. 911-5 du CJA tendant à l'exécution des décisions du juge administratif, le Conseil d'État admet qu'il puisse l'être également, comme en l'espèce, sur le fondement de l'art. L. 521-4 de ce code.

Toutefois, et ce sera là le motif du rejet de la requête, il convient, en ce cas, de respecter ce qu'impose l'office du juge saisi sur ce fondement.

Positivement,  il incombe au demandeur « de soumettre au juge des référés tout élément de nature à établir l'absence d'exécution, totale ou partielle, des mesures précédemment ordonnées » et à l'administration, si la demande lui est communiquée, « de produire tout élément en sens contraire, avant que le juge des référés se prononce au vu de cette instruction».

Négativement, et c'est ici que la décision est discutable : 1°/ le juge n'est pas tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction et d'enjoindre l'administration de produire des éléments relatifs à l'exécution des mesures initialement ordonnées en référé au seul motif que l'administration n'aurait pas répondu aux demandes d'information du requérant sur l'exécution de ces mesures ; 2°/ lorsqu'il a prononcé des injonctions à l'égard de l'administration, le juge des référés ne peut imposer à l'administration une obligation d'information du requérant quant à l'exécution de ces injonctions alors que la requérant prétendait voir le juge imposer à l'administration pénitentiaire une obligation d'information périodique de la requérante.

Pour le Conseil d'État, cette conception de l'office du juge ne contrevient pas aux dispositions des art. 3, 6 et 13 de la convention EDH. Cette précision nous semble attester d'un certain embarras du juge.

La solution n'eût pas été la même si le recours s'était fondé sur les dispositions des art. L. 911-4 et L. 911-5 du CJA.

(15 novembre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 466827)

 

39 - Police du camping et du caravaning - Règlement municipal portant interdiction du stationnement des caravanes et de l'implantation d'habitations légères de loisirs sur une partie du territoire communal - Autorisation du camping et du stationnement des caravanes seulement sur des terrains spécialement aménagés - Conclusions irrecevables - Refus d'abrogation - Erreur de droit - Estoppel - Rejet.

Il était demandé l'annulation du refus implicite du préfet des Pyrénées-Orientales d'abroger son arrêté du 2 août 1982 interdisant le stationnement de caravanes et l'implantation d'habitations légères de loisirs à Saint-André, ainsi que le refus implicite du maire de Saint-André d'abroger son arrêté du 28 juillet 2005 interdisant le camping et le stationnement des caravanes.

La commune de Saint-André se pourvoit contre l'arrêt infirmatif annulant le jugement de rejet et les décisions attaquées, et enjoignant le maire de Saint-André de modifier les arrêtés du 2 août 1982 (la compétence en cette matière ayant été, depuis cette date, transférée du préfet au maire) et du 28 juillet 2005 dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Accueillant le pourvoi, le Conseil d'État reproche en premier lieu à la cour administrative d'appel de n'avoir pas soulevé d'office l'irrecevabilité du recours en tant qu'il était dirigé contre l'arrêté préfectoral lequel a été abrogé implicitement mais nécessairement par l'arrêté municipal précité du 28 juillet 2005.

En second lieu, l'arrêté municipal ayant été pris sur le fondement de dispositions du code de l'urbanisme réglementant l'installation des résidences mobiles de loisirs et l'installation des caravanes, dispositions qui ne sont pas applicables aux résidences mobiles qui constituent l'habitat permanent de gens du voyage, la cour a commis une erreur de droit en jugeant illégal l'arrêté querellé interdisant de façon générale, sur l'ensemble du territoire communal, en dehors des zones spécialement aménagées à cet effet, l'installation des caravanes au sens des dispositions précitées du code de l'urbanisme alors que, comme indiqué plus haut, elles ne concernent pas l'installation, sur le territoire communal, des caravanes constituant l'habitat permanent de gens du voyage.

Surtout, nous semble-t-il, il faut relever que le juge, répondant à un moyen de défense des intéressés, indique que ces derniers "ne peuvent utilement se prévaloir en défense du principe de l'estoppel, selon lequel une partie ne saurait se prévaloir de prétentions contradictoires au détriment de ses adversaires".

Ceci semble présager la recevabilité de ce principe lorsqu'il est présenté non comme moyen de défense mais au soutien d'une demande saisissant le juge.

(17 novembre 2022, Commune de Saint-André, n° 453761)

 

40 - Demande urgente et prioritaire d'attribution d'un logement social - Instance pendante devant le tribunal administratif - Requérant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle et donc assisté d'un avocat - Demande de confirmation expresse du maintien des conclusions - Demande adressée non à l'avocat mais au requérant - Irrégularité - Annulation.

Est irrégulière la procédure suivie devant un tribunal  dans les circonstances suivantes.

Le demandeur a obtenu l'octroi de l'aide juridictionnelle aux fins d'introduire une action en annulation du refus d'une commission de médiation de reconnaître le caractère prioritaire et urgent de sa demande de logement social ; il a donc constitué avocat.

Le tribunal a demandé au requérant de confirmer expressément le maintien de ses conclusions dans un délai d'un mois (cf. art. R. 612-5-1 CJA). Constatant l'absence de réponse dans ce délai, il a donné acte au demandeur de son désistement.

L'ordonnance de donné acte est annulée car la demande de confirmation des conclusions prises n'a pas été adressée à l'avocat mais seulement au demandeur.

(17 novembre 2022, M. B. n° 457375)

 

41 - Recours gracieux - Formation postérieure d'un recours contentieux - Requête dirigée contre le recours gracieux - Requalification nécessaire de la requête - Annulation.

Cette décision rappelle une solution procédurale et contentieuse parfois méconnue.

On sait que le destinataire d'une décision administrative peut en principe, à son choix, soit la contester directement par un recours contentieux soit former contre elle un recours gracieux. En cette seconde hypothèse, le recours contentieux, qui devra être formé avant l'expiration du délai de deux mois suivant la réponse, supposée défavorable, au recours gracieux, ne peut pas être dirigé contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, mais doit être considéré comme tendant à l'annulation de la décision administrative initiale.

Il s'ensuit donc que dans le cas où, comme en l'espèce, le recours contentieux introduit contre le rejet du recours gracieux ne contient que des conclusions dirigées contre ce rejet, l'office du juge saisi doit le conduire à considérer que ces conclusions sont également dirigées contre la décision administrative initiale. 

C'est donc à tort qu'une cour administrative d'appel, dans une telle circonstance procédurale, se méprenant sur la portée des écritures du demandeur les a jugées irrecevables.

Cette solution bienveillante doit être approuvée.

(22 novembre 2022, M. B., n° 456178)

 

42 - Demande de délivrance de titre de séjour - Demande du bénéfice de l'aide juridictionnelle - Rejet - Rejet subséquent de la demande au titre de l'art. L. 761-1 CJA - Méprise du juge des référés - Annulation sans renvoi (affaire réglée au fond).

Se méprend sur la demande qui lui est présentée sur ce point l'ordonnance de référé qui, à la suite du rejet de la demande du bénéfice de l'aide juridictionnelle formée par le demandeur, a estimé devoir rejeter celle formée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens alors que le requérant avait expressément demandé qu'à défaut d'octroi de l'aide juridictionnelle, une somme lui soit allouée sur le fondement de l'article L. 761-1 du CJA.

L'ordonnance est annulée pour défaut d'admission des conclusions subsidiaires et le juge de cassation règle l'affaire au fond.

(23 novembre 2022, M. B., n° 462735)

 

43 - Juge de l'exécution (L. 911-5 CJA) - Affaire non encore enrôlée par un tribunal - Question n'entrant pas dans son office - Rejet.

Il n'entre pas dans l'office du juge de l'exécution de l'art. L. 911-5 du CJA, statuant sur l'exécution par l'État d'une condamnation au paiement d'une somme au requérant sur le fondement de l'art. L. 761-1 du CJA, de connaître, dans ce même litige, de ce que l'affaire n'a pas été mise au rôle d'une séance de jugement d'un tribunal administratif.

(23 novembre 2022, M. A., n° 461659)

 

44 - Droit au logement opposable - Délai imparti de six mois pour faire une offre de logement et délai de recours de quatre mois de l'intéressée - Prorogation pour cause de Covid-19 - Absence de forclusion - Annulation.

Lorsqu'une personne a été déclarée prioritaire par la commission de médiation pour obtenir un logement d'urgence, le préfet dispose d'un délai de six mois pour lui trouver un logement et l'intéressé dispose d'un délai de quatre mois à l'expiration de ce dernier pour saisir le juge administratif d'une demande d'injonction. Une ordonnance de président de tribunal administratif a estimé irrecevable l'action introduite à cet effet en l'espèce motif pris de ce que la demande était entachée de forclusion pour tardiveté.

Compte tenu des règles de prorogation des délais des recours contentieux fixées, pour cause d'épidémie de Covid-19, par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, l'ordonnance est annulée pour erreur de droit.

En effet, le délai de six mois initialement imparti au préfet pour faire une offre de logement à Mme A. a été suspendu le 12 mars 2020, alors qu'il courait depuis un mois et vingt jours, avant de reprendre, pour la durée restante, à compter du 24 juin 2020. Ainsi, le délai de recours de quatre mois dont disposait Mme A. (cf. art. R. 778-2 CJA), qui avait commencé à courir à l'expiration du délai de six mois imparti au préfet, n'était pas échu le 26 novembre 2020, date à laquelle elle a saisi le tribunal administratif. En jugeant que ce délai avait expiré le 24 novembre 2020, pour en déduire que sa requête devait être rejetée comme tardive, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a commis une erreur de droit. 

(23 novembre 2022, Mme A., n° 456623)

 

45 - Recours excès de pouvoir - Date d'appréciation de la légalité d'un arrêté refusant un titre de séjour - Circonstances postérieures ne devant pas être prises en compte pour cette appréciation - Rejet.

Pour rejeter le recours excès de pouvoir dirigé contre un arrêté préfectoral refusant à un ressortissant étranger la délivrance d'un titre de séjour, le juge de cassation rappelle que l'appréciation de la légalité d'un tel acte s'effectue à la date où il a été pris et non, comme ce fut trop souvent le cas dans un passé récent, plus tardivement.

Ainsi, il n'est pas tenu compte d'événements postérieurs à la date de l'arrêté attaqué, tels, ici, la conclusion d'un pacte civil de solidarité et la prolongation du contrat de travail à durée indéterminée du requérant.

(23 novembre 2022, M. A., n° 455619)

 

46 - Requête qualifiée d'abusive - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Qualifie inexactement d'abusive une requête par laquelle un ressortissant étranger, pour justifier sa demande de suspension de la décision attaquée et le rétablissement des conditions matérielles d'accueil, soutenait se trouver dans une situation particulière de vulnérabilité, alors que sa précédente requête tendait à ce qu'il soit enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui rétablir le bénéfice de ses conditions matérielles d'accueil et qu'elle n'avait été rejetée que pour défaut d'urgence.

(23 novembre 2022, M. B., n° 451270)

 

47 - Durée excessive d'une procédure - Préjudices allégués - Préjudice moral - Indisponibilité d'une somme - Préjudices subis par les dirigeants - Préjudices relevant, les uns, de la durée anormale de la procédure, les autres non - Admission partielle du droit à réparation.

(25 novembre 2022, Société Beauté, Nutrition et Succès (BNS), n° 443253)

V. n° 163

 

48 - Procédure contradictoire - Régime de la communication des mémoires produits devant le juge - Absence de communication d'un mémoire en reprise d'instance - Mémoire jugé n'être pas un élément nouveau - Erreur de droit - Annulation.

Dans un litige en contestation d'une autorisation administrative de licenciement, suite au décès du requérant, son épouse et sa fille ont spontanément saisi le tribunal administratif d'un mémoire en reprise d'instance.

La société défenderesse a demandé à la cour administrative d'appel l'annulation du jugement motif pris de la non communication de ce mémoire au mépris du contradictoire. Pour rejeter ce moyen, la cour a considéré que la seule information relative à la reprise d'instance ne constituait pas, par elle-même, un élément nouveau apporté au débat contentieux au sens et pour l'application des dispositions de l'art. R. 611-1 du CJA relatif à la communication des mémoires et des pièces qui y sont jointes.

Cassant la décision, après avoir rappelé les termes de cet article, le Conseil d'État relève que le conseil des ayants-droits du de cujus a pronon, en première instance, des observations à l'audience et qu'il résulte du dispositif de ce même jugement qu'une somme à verser à ces derniers a été mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du CJA, ce dont il s'infère que l'absence de communication du mémoire en reprise d'instance a pu, dans les circonstances de l'espèce, préjudicier aux droits des parties et, notamment de la société Trane, qui avait intérêt à contester la recevabilité de cette reprise d'instance.

(25 novembre 2022, Société Trane, n° 459127)

 

49 - Procédure contentieuse - Irrecevabilité opposée reposant sur une dénaturation des pièces - Arrêt visant le CGI sans indiquer la(les) disposition(s) dont il fait application - Cassation.

Encourt la cassation l'arrêt qui confirme l'irrecevabilité opposée par les premiers juges aux conclusions présentées en matière d'impôt sur les sociétés, motif pris de ce que la société requérante n'avait pas contesté un reliquat de rehaussement de 78 887 euros alors que la requérante avait contesté dans sa réclamation préalable l'intégralité des rectifications résultant de la remise en cause de l'inscription en stock de ses véhicules de démonstration.

Encourt pareillement la cassation l'arrêt faisant mention dans ses visas, sans autre précision, du code général des impôts et dont les motifs ayant trait à la contestation des rehaussements d'impôt sur les sociétés ne citent ni même ne mentionnent les dispositions dont la cour a fait application.

(22 novembre 2022, Société Maserati West Europe, n° 456405)

V. aussi, pour un autre aspect, le n° 70

 

50 - Refus d'autorisation unique d'exploitation d'éoliennes - Illégalité partielle divisible - Office du juge - Absence d'obligation de prononcer d'office une annulation partielle - Rejet.

Rappel de ce qu'il n'entre pas dans l'office du juge de plein contentieux, même en cas de divisibilité au sein de la décision contestée, de prononcer l'annulation partielle d'une autorisation unique d'exploiter un parc éolien, en l'absence de conclusions en ce sens.

(23 novembre 2022, Société Parc éolien de la Vallée du Paradis Embres, n° 442732)

(51) V. aussi, identique : 23 novembre 2022, Société Parc éolien de la Vallée du Paradis Villeneuve, n° 442734.

 

52 - Requête en référé liberté - Nécessité de satisfaire deux conditions - Irrecevabilité à défaut d'urgence démontrée - Rejet.

Un syndicat d'agents de l'administration pénitentiaire saisit le Conseil d'État d'un référé liberté en raison de la fraude électorale en train d'être organisée à l'occasion d'élections professionnelles se déroulant dans l'ensemble de la fonction publique du fait du changement de la question de validation du vote par une donnée inconnue des organisations syndicales ou de tout autre tiers.

Pour rejeter la requête le juge rappelle à nouveau que la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence qui justifierait l'intervention du juge des référés dans le très bref délai prévu par les dispositions de l'art. L. 521-2 du CJA. Or ici le délai écoulé depuis l'annonce de l'adoption du vote électronique ainsi que les précisions apportées aux électeurs ne permettent pas d'apercevoir une urgence particulière à statuer sur ce litige.

Faute que cette condition soit remplie, la requête en référé liberté est rejetée sans examen de l'autre condition.

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat national pénitentiaire des surveillants non gradés, n° 469093)

 

53 - Intervention dans l'instance d'une association en défense - Absence de qualité de partie - Impossibilité de mettre à sa charge une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens - Annulation.

Doit être cassé l'arrêt qui met à la charge d'une association intervenante en défense une partie des frais non compris dans les dépens alors que l'intervenant n'a pas la qualité de partie à l'instance, ce qui rend impossible l'application à son encontre des dispositioins de l'art. L. 761-1 du CJA.

(29 novembre 2022, Fédération française de spéléologie et autres, n° 456951)

 

54 - Référé suspension - Condition d'urgence - Note de service réitérant les  dispositions d'un décret - Défaut d'urgence - Rejet.

Ne satisfait pas à la condition d'urgence le recours d'un syndicat en suspension de l'exécution d'une note de service du ministre de l'agriculture relative à des élections professionnelles devant se dérouler du 1er au 5 décembre 2022 alors que la disposition attaquée se borne à réitérer celle contenue dans un des articles du décret du 20 novembre 2020 relatif aux comités sociaux d'administration dans les administrations et les établissements publics de l'État.

(ord. réf. 29 novembre 2022, Syndicat National de l'Enseignement Technique Agricole Public - Fédération Syndicale Unitaire et autre, n° 468975)

 

55 - Mise en demeure du CSA (ARCOM) - Service de communication rendant accessibles aux mineurs des contenus pornographiques - Mise en demeure indissociable de la procédure susceptible d'être engagée devant le juge judiciaire - Incompétence de la juridiction administrative - Irrecevabilité.

(29 novembre 2022, Société MG Freesites Ltd, n° 463163)

V. aussi : 29 novembre 2022, Société Webgroup Czech Republic, n° 459942.

V. encore : 29 novembre 2022, Société NKL Associates s.r.o, n° 459941.

V. n° 15

 

56 - Recours administratif préalable obligatoire (RAPO) - Décision nouvelle se substituant à la précédente - Possibilité pour le requérant de saisir le juge de tout moyen nouveau - Annulation.

La procédure de remembrement foncier prévoit que le recours contentieux dirigé contre les décisions de la commission communale ou intercommunale d'aménagement foncier ou contre la commission départementale doit être obligatoirement précédé d'un recours administratif préalable.

La question se posait de savoir si la juridiction administrative, saisie d'un recours dirigé contre une décision d'aménagement foncier, peut rejeter un moyen développé par le demandeur au motif qu'il n'a pas été soumis préalablement à la commission dans le cadre du recours préalable obligatoire. La réponse est évidemment négative puisque la décision prise à la suite de l'exercice du RAPO se substitue entièrement à la précédente décision et ainsi elle rebat les cartes si l'on peut dire, ouvrant au requérant la possibilité, en cas de saisine du juge, d'utiliser dans leur plénitude tous les moyens qu'il estime utiles à la défense comme au soutien de ses prétentions.

Cette décision précise, raffermit et étend une tendance jurisprudentielle déjà affirmée dans plusieurs décisions portant sur les moyens susceptibles d'être développés au soutien d'un recours contentieux formé contre une décision rendue sur RAPO.

(29 novembre 2022, Mme et MM. B., n° 451257)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

57 - Déduction d'un déficit du revenu imposable - Déficit portant sur l'année antérieure - Société devenue imposable au 1er janvier 2008 du fait d'un avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise - Impossibilité de déduire les déficits des années antérieures - Rejet.

Le Conseil d'État, confirmant la solution retenue par le tribunal administratif, considère qu'une société devenue imposable en France au 1er janvier 2008 par suite d'une modification de la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne peut pas bénéficier des dispositions du I de l'art. 209 du CGI qui permettent à un contribuable de déduire du revenu imposable au titre d'une année le déficit subi et constaté les années précédentes. En l'espèce, la société contribuable ne pouvait donc pas déduire du revenu imposable réalisé en 2008 le déficit constaté lors des exercices antérieurs à l'année 2008.

Cette solution est discutable car elle opère une dichotomie de régimes entre celui applicable à la détermination du revenu et celui applicable à la déduction du déficit alors qu'il s'agit là d'un ensemble indivisible : n'est imposable que le revenu net, c'est-à-dire sur lequel a été imputé l'éventuel déficit.

L'entrée en vigueur le 1er janvier 2008 de la convention fiscale emportait obligation d'acquitter l'impôt sur le revenu net réalisé à compter de cette date et donc, éventuellement amputé du déficit constaté reportable. Le juge a introduit une divisibilité qui n'a pas lieu d'être, oubliant le principe «Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus ».

(15 novembre 2022, Société Kimmolux, n° 444902)

 

58 - Cotisation foncière des entreprises - Valeur locative des biens utilisés - Pose de panneaux photovoltaïques - Absence de lien avec l'exercice de l'activité professionnelle.

La requérante, société spécialisée dans la pose de panneaux photovoltaïques, a conclu avec des exploitants agricoles des baux emphytéotiques ou des baux à construction pour la pose de panneaux photovoltaïques sur les toitures des bâtiments utilisés par ces exploitants.

L'administration fiscale - dont l'imagination est aussi débridée que sans limites - a prétendu imposer la contribuable à la cotisation foncière des entreprises ou à des rehaussements de cette contribution à raison de la valeur locative des bâtiments servant de support aux panneaux.

La requérante se pourvoit en cassation de l'arrêt d'appel décidant en premier lieu que la société devait être regardée comme utilisant matériellement les toitures de ces bâtiments pour la réalisation des opérations qu'elle effectuait et, en second lieu, après expertise, de réduire la valeur locative des toitures des bâtiments en cause.

La cassation est prononcée motif pris de ce que la société n'utilise matériellement que les panneaux photovoltaïques, et non les toitures qui ne sont utilisées matériellement que par l'exploitant agricole. L'art. 1467 CGI ne pouvait donc pas être opposé à une entreprise qui n'utilise pas les toits pour les besoins de son activité professionnelle.

Le bon sens a fini par l'emporter.

(15 novembre 2022, Société Énergie Verte del Sol venue aux droits de la société Solairwatt, n° 449273, n° 449278, n° 451510)

 

59 - Polynésie française - Octroi d'un crédit d'impôt - Retrait postérieur d'agrément - Sanction fiscale - Régime de sanction inapplicable - Paiement ne pouvant incomber à une personne non bénéfiiaire du crédit d'impôt - Rejet.

Une société a présenté une demande d'agrément pour la construction d'une résidence hôtelière de tourisme qui a donné lieu à la délivrance d'un agrément le 12 avril 2007; puis, cet agrément ayant été retiré par un arrêté du 25 août 2017, a été mise à la charge de cette société, sur le fondement des dispositions de l'article LP. 919-31 de la « loi du pays » du 1er avril 2009, dans leur rédaction antérieure à la « loi du pays » du 17 décembre 2014, une « sanction fiscale » correspondant à 150 % du montant de l'avantage fiscal dont elle avait bénéficié par le jeu de la rétrocession imposée aux investisseurs.

La Polynésie française se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel a accordé à la société une décharge totale.

Le pourvoi est rejeté.

En effet, dès lors que l'agrément du projet de résidence hôtelière de tourisme a été délivré sur la base d'une demande présentée, dans son dernier état, le 13 avril 2006 et que la modification de l'agrément intervenue en 2012 n'avait pas donné lieu à la délivrance d'un nouvel agrément mais à la modification de l'agrément existant, l'article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française, issu de la « loi du pays » du 1er avril 2009, sur lequel a été fondée la « sanction fiscale » litigieuse, n'était pas applicable à l'espèce ainsi que l'a jugé la cour.

C'est également sans erreur de droit que cette dernière a jugé que la société qui réalisait le projet n'ayant pas elle-même bénéficié du crédit d'impôt accordé aux seules personnes ayant investi dans le projet de résidence hôtelière, elle ne pouvait pas, en tout état de cause, voir mise à sa charge une somme correspondant au montant du crédit d'impôt lui-même.

(15 novembre 2022, Polynésie française, n° 454677)

 

60 - Appréciation de l'existence d'un établissement stable en France - Déduction tirée d'un précédent arrêt de la juridiction - Motivation par référence - Question non soumise au débat contradictoire - Annulation avec renvoi.

Pour juger que l'administration avait estimé à bon droit que les rémunérations versées par une société au requérant l'avaient été en contrepartie de prestations réalisées en France et n'ouvraient dès lors pas droit au bénéfice de crédits d'impôts attachés à des revenus de source étrangère, un cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que cette société dispose d'un établissement stable en France ainsi qu'elle l'avait jugé dans une autre instance. Est donc annulé l'arrêt motivé par référence à un précédent arrêt et portant sur un point non soumis au débat contradictoire entre les parties.

(16 novembre 2022, M. et Mme A., n° 461661)

 

61 - Arrêt statuant ultra petita -  Annulation intégrale de l'art. 1er du dispositif d'un jugement - Remise à la charge d'une partie de cotisations supplémentaires d'impôt par voie d'évocation - Annulation.

Encourt annulation l'arrêt qui, d'une part, annule l'art. 1er d'un jugement dans son intégralité alors que le ministre appelant n'en demandait qu'une annulation circonscrite aux rehaussements en matière de bénéfices industriels et commerciaux, et, d'autre part, remet à la charge des contribuables, par la voie de l'évocation, l'ensemble des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales réclamées aux requérants pour une certaine période.

(16 novembre 2022, M. et Mme B., n° 439148)

 

62 - Procédure fiscale non contentieuse - Proposition de rectification avant mise en recouvrement - Modification de la base légale de la rectification - Obligation de respecter un nouveau délai - Faculté pour le contribuable de saisir le supérieur hiérarchique ou l'interlocuteur départemental ou régional - Réponse n'ayant pas pour effet de modifier la base légale de la rectification annoncée - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Appliquant le principe d'exonération de TVA pour les livraisons à soi-même,  une société avait déduit le montant de TVA afférent à la construction d'un chalet ainsi que celui grevant les charges d'entretien et de fonctionnement dudit chalet.

L'administration a remis en cause la déductibilité de la TVA appliquée à ces différents postes. De là est né un litige portant sur le régime juridique des propositions de rectification.

Tout d'abord, il résulte des art. L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales que si l'administration, suite à une première proposition de rectification et avant mise en recouvrement,  modifie la base légale des rectifications qu'elle envisage, elle doit, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, en informer le contribuable par la notification d'une nouvelle proposition de rectification ou, si cette modification intervient dans la réponse à ses observations, en accordant au contribuable un nouveau délai de 30 jours pour lui permettre de formuler ses observations.

Ensuite, il se déduit des dispositions combinées, d'une part, des art. L. 10, L. 12 et L. 13 du livre des procédures fiscales, et d'autre part, de la Charte du contribuable vérifié, que le contribuable a la possibilité, en cas de difficultés, de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, à l'interlocuteur départemental ou régional. Cette faculté constitue pour lui une garantie substantielle à deux stades : d'abord à celui de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification ou la notification des bases d'imposition d'office pour ce qui a trait aux difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle ; ensuite, quand les contribuables font l'objet d'une procédure de rectification contradictoire, après la réponse faite par l'administration fiscale à leurs observations sur la proposition de rectification en cas de persistance d'un désaccord sur le bien-fondé des rectifications envisagées.

Or le Conseil d'État, cassant pour ce motif l'arrêt frappé de pourvoi, interprète cette garantie substantielle au second stade comme ouvrant la faculté au contribuable de pouvoir, avant la mise en recouvrement, saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur et, le cas échéant, l'interlocuteur départemental de divergences subsistant au sujet du bien-fondé des rectifications envisagées. En revanche, cette garantie n'est pas destinée à permettre au contribuable de poursuivre avec ces derniers un dialogue contradictoire de même nature que celui qui s'est achevé avec la notification de la réponse aux observations du contribuable.

Il suit de là que l'éventuelle réponse écrite du supérieur hiérarchique ou de l'interlocuteur n'a ni pour effet ni pour objet de modifier la base légale des rectifications envisagées par le vérificateur, telle qu'elle résulte des mentions figurant dans la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable.

Cette interprétation, constante mais par trop restrictive, ne nous semble pas conforme à l'intention du législateur.

C'est donc au prix d'une erreur de droit qu'en l'espèce la cour administrative d'appel a considéré que la procédure d'imposition avait été irrégulière faute pour la société d'avoir bénéficié de la garantie tenant à la notification d'une nouvelle proposition de rectification car elle s'est méprise en considérant les réponses du supérieur hiérarchique et de l'interlocuteur interrégional comme ayant modifié la base légale du redressement imposant l'envoi, absent en l'espèce, d'une nouvelle proposition de rectification assortie d'un délai pour la réponse du contribuable.

(16 novembre 2022, ministre de l'économie et des finances..., n° 462278)

 

63 - Société acquéreuse de la totalité des obligations convertibles en actions (OCA)  d'une filiale de droit anglais dont le capital est entièrement détenu par cette société - Taux d'intérêt inférieur au taux d'un marché concurrentiel et ne constituant pas un transfert indirect de bénéfices à l'étranger - Erreur de droit - Annulation.

La société par actions simplifiée Electricité de France international (EDFI) a souscrit en 2009 l'intégralité des obligations convertibles en actions (OCA) émises par la société EDF Energy Limited (EDFE), sa filiale de droit anglais dont elle détenait l'intégralité du capital. Le taux annuel de rémunération de ces OCA a été fixé à 1,085 %, ainsi qu'un rapport de conversion équivalent à l'obtention d'actions d'une valeur nominale de 1,367 euros. A l'expiration de la maturité des titres, la société EDFI a exercé son droit de conversion et a reçu en contrepartie des actions de sa filiale EDFE dont la valeur réelle unitaire s'établissait alors à 1,76 euros, réalisant ainsi une plus-value de 945 750 000 euros.

L'administration fiscale a regardé la rémunération des obligations ainsi souscrites comme insuffisante et constitutive d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger, dès lors que la différence entre le taux du coupon annuel des OCA et le taux d'un emprunt obligataire de pleine concurrence, établi à 4,41%, n'était selon elle justifiée par aucune contrepartie au bénéfice de la société souscriptrice. Elle a, en conséquence, intégré le total de la différence de taux aux bénéfices imposables de la société EDFI et notifié des suppléments d'impôt sur les sociétés correspondants, ainsi qu'une retenue à la source au taux conventionnel de 15% au titre de la distribution de revenus par la SAS EDF à sa filiale britannique.

La cour administrative d'appel ayant fait droit par deux arrêts à la demande d'annulation du jugement rejetant le recours desdites sociétés tendant à la décharge de ces impositions, le ministre de l'économie et des finances se pourvoit en cassation contre eux. 

La cour avait estimé, d'abord, que le taux d'intérêt convenu entre la société EDFI et sa filiale était inférieur au taux rémunérant, en situation de pleine concurrence, un financement obligataire et ensuite que l'octroi à la société EDFI d'une option de conversion de ses titres en actions de la société financée pouvait être valorisée à l'identique de l'octroi d'une même option octroyée dans le cadre d'une transaction entre sociétés dépourvues de liens capitalistiques. En conséquence, elle avait jugé que le taux d'intérêt en litige, intégrant la valeur de cette option, n'était pas constitutif d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger. 

L'arrêt, très logiquement, est cassé pour erreur de droit car la situation de l'espèce, « née de l'octroi à l'actionnaire unique de la société financée d'une option de conversion des obligations qu'il a souscrites en actions de cette dernière est, par nature, insusceptible d'être comparée à une situation de pleine concurrence, dès lors que la valeur de cette option, consistant exclusivement dans l'ouverture d'une faculté d'acquérir une fraction du capital social en remboursement du prêt obligataire consenti, est nécessairement nulle lorsque l'option est attribuée à la personne possédant, à la date de l'émission, l'intégralité de ce capital. En effet, cet actionnaire unique dispose du pouvoir de décider, à tout moment, de l'émission de nouveaux titres et leur attribution à son profit en remboursement du prêt obligataire qu'il a consenti à la société et, au surplus, l'opération de conversion est nécessairement neutre pour lui d'un point de vue patrimonial, dès lors qu'il possède, avant comme après celle-ci, la totalité du capital d'une société dont la valeur se trouve augmentée du montant de la dette dont elle s'est libérée, à exacte concurrence du montant de la créance dont il disposait sur celle-ci. »

Et le Conseil d'État de conclure que l'opération litigieuse doit être regardée comme une opération de financement intragroupe rémunérée à un taux inférieur à la valeur vénale du service. Elle constituait bien un transfert indirect de bénéfices à l'étranger.

(16 novembre 2022, ministre de l'économie et des finances..., n° 462383 et n° 462388, jonction)

 

64 - Taxe sur les surfaces commerciales - Sas d'entrée dans un magasin permettant la circulation de la clientèle - Inclusion dans la surface commerciale taxable - Rejet.

C'est sans erreur de droit  ni inexactitude dans la qualification juridique des faits qu'un jugement considère que doit être inclus dans l'assiette de la taxe sur les surfaces commerciales le sas d'entrée d'un commerce affecté à la circulation de la clientèle en ce que, en dépit du fait qu'il n'accueillait aucune marchandise, il permet aux clients de l'établissement de bénéficier de ses prestations commerciales.

(16 novembre 2022, Société Poulbric, n° 462720)

 

65 - Dissolution de société par confusion de patrimoines - Transmission universelle de l'actif et du passif - Neutralité fiscale des fusions de sociétés - Déductibilité des charges postérieures à la fusion - Clause de retour in bonis - Rejet.

L'art. 210 A du CGI poursuivant un objectif de neutralité fiscale des opérations de fusion de sociétés qu'encourage le législateur, il s'ensuit qu'une opération de dissolution par confusion de patrimoines entraînant la transmission à la société confondante de l'actif et du passif de la société confondue ainsi que l'annulation des titres de cette société détenus par la société confondante n'est pas imposable.

Pour déterminer l'actif net de la société confondue transmis à la société confondante il convient d'établir la valeur comptable et l'éventuel boni de fusion correspondant à la différence positive entre la valeur comptable de l'actif net de la société confondue et la valeur comptable des titres annulés car cette différence n'est pas imposable.

En l'espèce, l'administration fiscale avait estimé imposable l'opération pour deux motifs : l'absence de déductibilité de charges correspondant en réalité à des passifs latents de la société confondue et la circonstance qu'à la date de l'acquisition des titres de la société confondue, il avait déjà était tenu compte de la valeur réelle de l'actif net de cette dernière, y compris de ses engagements hors bilan.

Approuvant la cour administrative d'appel le juge de cassation rejette ces moyens.

Tout d'abord, en l'absence de rémunération versée par la société confondante en contrepartie de la transmission de l'actif net de la société confondue et eu égard à l'objectif susrappelé de neutralité fiscale, les charges supportées par la société confondante postérieurement à la transmission universelle de patrimoine sont déductibles, quand bien même ces charges correspondraient à des passifs latents de la société confondue.

Ensuite, est jugé sans incidence le fait que les titres de la société confondue ont été acquis par la société confondante en tenant compte, à la date de cette acquisition, de la valeur réelle de l'actif net de la première, y compris, le cas échéant, de ses engagements hors bilan. 

Par ailleurs, la cour est également approuvée d'avoir jugé qu'à supposer qu'il y ait lieu de tenir compte du prix d'acquisition des titres de la société confondue détenus par la société confondante pour apprécier le caractère déductible chez celle-ci des dettes et charges en lien avec l'activité de la société confondue, la société confondante était en droit de déduire la charge résultant de la mise en œuvre de la clause de retour à meilleure fortune dès lors, d'une part, que cette charge n'était née que postérieurement à la transmission universelle du patrimoine et, d'autre part, qu'elle ne constituait pour sa filiale qui avait bénéficié de l'abandon de créance qu'un simple engagement hors bilan n'ayant donné lieu ni à l'inscription d'une dette, ni à la constitution d'une provision. 

Le pourvoi du ministre est rejeté.

(22 novembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 447097)

 

66 - Activité de commissionnaire - Société transférant à des organismes de financement des contrats de location de matériel industriel par elle conclus - Consommation de biens ou de services provenant de tiers - Caractère de charges financières - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (règlement de l'affaire au fond, art. L. 821-2 CJA).

L'activité de la société requérante consistait à conclure avec des clients finals un contrat de location prévoyant la mise à leur disposition de matériel industriel et la maintenance de celui-ci et, ensuite, à revendre à des sociétés de financement le matériel qu'elle avait préalablement acheté et leur transférait le contrat de location. C'est le système dit de la « location-mandatée». Financièrement, la requérante encaissait la totalité des loyers et reversait à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final. 

L'administration a refusé que les loyers reversés à la société de financement fussent déductibles au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

La requérante se pourvoit contre l'arrêt de la cour administrative d'appel confirmant le rejet par le tribunal administratif de son recours en annulation de la décision de l'administration fiscale.

Le Conseil d'État retient qu'il résulte des art. 1586 ter et 1586 sexies du CGI - lequel fixe la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être prises en compte dans le calcul de la valeur ajoutée des entreprises -, qu'il est nécessaire, pour les entreprises pour lesquelles son application est obligatoire, afin de déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une des catégories susindiquées, de s'en tenir aux dispositions du plan comptable général, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée. En revanche, il estime que ces dispositions excluent que soient utilisées les normes comptables applicables à l'établissement des comptes consolidés. 

Or, en l'espèce, la cour a déduit du montage décrit plus haut que les loyers versés par la requérante constituaient, en application des normes comptables en vigueur applicables aux comptes consolidés, une charge financière, et non des consommations de biens ou de services en provenance de tiers et qu'ainsi ils ne pouvaient être déduits au titre de la CVAE.

Ce jugeant était commise une erreur de droit.

En effet, il résulte des dispositions de l'art. 1586 sexies du CGI que ce n'est que dans le cas où les sommes perçues à titre de loyer sont afférentes à des biens pris en location par le redevable lui-même qu'elles ne sont pas déductibles. Dès lors que la requérante exerce une activité de commissionnaire (cf. L. 132-1, al. 1, code de commerce), « agissant en son propre nom pour le compte d'un commettant », les rétrocessions litigieuses ne sont pas afférentes à des biens pris en location et peuvent être déduites de la valeur ajoutée.

(22 novembre 2022, Socié Normandie Manutention, n° 451152)

(67) V. aussi, sur les notions de biens pris en location par le redevable lui-même et de commissionnaire évoquées dans la décision précédente que confirme la présente décision : 22 novembre 2022, Société Ricoh France, n° 458922 ; également, identique : 22 novembre 2022, Société Ricoh France, n° 458924.

 

68 - Bail à construction - Remise des immeubles sans indemnité au bailleur en fin de bail - Option concernant le revenu foncier constitué par cette remise - Faculté d'exercice au moment de la déclaration des revenus ou par voie de réclamation - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Il résulte des dispositions des art. 33 bis et 33 ter du CGI que lorsqu'à l'expiration d'un bail à construction la remise des immeubles a lieu sans indemnité au bailleur, par le preneur, le prix de revient constitue un revenu foncier. Il appartient au bailleur d'opter pour une répartition de ce revenu sur l'année ou l'exercice au cours duquel les immeubles ont été remis et soit sur les quatorze années ou exercices suivants, soit jusqu'à l'année ou l'exercice de cession de ces biens, lorsque celle-ci intervient avant la quatorzième année ou le quatorzième exercice.

En l'espèce, la cour administrative d'appel est, en premier lieu, approuvée pour avoir jugé qu'une société ne pouvait être regardée comme ayant exercé l'option en faveur de l'étalement prévue par les dispositions de l'article 33 ter du CGI faute d'une mention expresse indiquant qu'elle entendait faire application de ce dispositif lors du dépôt de sa déclaration souscrite au titre de l'année 2012.

En revanche, est annulée pour erreur de droit la partie de l'arrêt de cette cour jugeant que le défaut de mention expresse susrappelé faisait obstacle à ce que la société puisse demander le bénéfice de l'option par voie de réclamation dans les délais prévus aux articles R. 196-1 ou R. 196-3 du livre des procédures fiscales sans que puisse être opposée à cette dernière faculté  la circonstance que la société s'était abstenue de toute répartition du prix de revient des constructions conformément aux dispositions de l'article 33 ter du CGI.

(22 novembre 2022, Société Groupe Diffusion Plus, n° 453168)

 

69 - Provision - Déductibilité fiscale - Obligation d'avoir été constatée dans les écritures de l'exercice - Cas de la dépréciation d'un élément d'actif - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour admettre la déductibilité de provisions pour dépréciation de l'actif, retient la seule valeur vénale des parts sociales de la société, sans rechercher si, compte tenu des éléments qu'elle avait relevés par ailleurs qui tendaient à remettre en cause la diminution de la valeur d'usage du fonds de commerce, la constitution de ces provisions respectait, conformément aux dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du CGI et de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code, les prescriptions comptables relatives à la détermination de la valeur vénale actuelle ou si, le cas échéant, la société se prévalait de circonstances exceptionnelles justifiant, en application des dispositions de l'article L. 123-14 du code de commerce, d'y déroger.

(22 novembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 454766)

 

70 - Société de promotion et de développement d'une marque de véhicules automobiles - Achat de véhicules neufs en vue de leur démonstration puis revendus d'occasion - Éléments de l'actif immobilisé - Rejet.

Un véhicule de démonstration acquis par un prestataire de services qui exerce une activité de promotion d'une marque automobile, pour les besoins de cette activité, constitue non pas un élément de stock mais un élément de l'actif immobilisé, quand bien même ce véhicule serait revendu à l'issue de son utilisation et alors même que cette cession interviendrait moins de douze mois après l'acquisition. 

En l'espèce le juge rejette le moyen de la requérante selon lequel elle exerce une activité de négoce parallèlement à son activité de promotion de marque et qu'ainsi les véhicules de démonstration en cause ont vocation à être revendus dès leur acquisition au terme d'une courte période d'utilisation. Il considère qu'il n'est pas sérieusement contesté que les véhicules acquis par la société sont affectés à son activité de promotion de la marque Maserati dès leur acquisition. C'est pourquoi, les véhicules de démonstration en cause ne présentaient pas le caractère d'éléments de stock mais, ainsi que l'a retenu l'administration fiscale, celui d'éléments de l'actif immobilisé. 

L'argumentation nous semble discutable au regard du 4 de l'article 211-1 du règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du Comité de la réglementation comptable relatif au plan comptable général, dans sa version issue du règlement n° 2004-06 du 23 novembre 2004 relatif à la définition, la comptabilisation et l'évaluation des actifs. Selon ce texte " Un stock est un actif détenu pour être vendu dans le cours normal de l'activité (...)". Ici il n'est pas douteux : 1° que l'acquisition de véhicules par la requérante n'a pas pour objet principal la démonstration mais, grâce à cette démonstration, d'en assurer la vente ; 2° que l'objet principal est bien la vente des véhicules surtout qu'elle intervient dans les douze mois de l'acquisition, ce qui ne diffère pas de la situation courante des concessionnaires d'automobiles.

(22 novembre 2022, Société Maserati West Europe, n° 456405)

V. aussi, pour un autre aspect, le n° 49

 

Droit public de l'économie

 

71 - Gel des fonds et ressources d’une société – Suspicion d’aide à une entreprise terroriste – Mesures de dégel partiel – Absence d’urgence – Rejet.

Un ressortissant turc ainsi que deux sociétés dont il est le représentant légal ont fait l’objet de la part des ministres de l’économie et de l’intérieur d’une mesure de gel des fonds et des ressources économiques de cette personne et de ces sociétés pour financement du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré au sein de l'Union Européenne comme étant une organisation terroriste. 

La présente ordonnance rejette l’appel dirigé contre le refus du premier juge de suspendre cette décision de gel motif pris de l’absence d’urgence en dépit de difficultés à poursuivre l’activité de ces sociétés au-delà du 1er janvier 2023.

Le juge du référé liberté relève, pour parvenir à cette conclusion, que plusieurs mesures de dégel partiel ont été prises pour permettre le versement d'honoraires d'avocat, des salaires des salariés des deux sociétés, à l'exception de l'un d'entre eux soupçonné de participer aux infractions pour lesquelles la mesure litigieuse a été prise, ainsi que la disposition d'une somme mensuelle pour les dépenses de la famille de M. B. Dès lors, et à supposer même que l'exécution de cette mesure porte atteinte à l'image des sociétés, rende difficile le paiement comptant des fournisseurs et leur ait fait perdre leurs assurances de responsabilité décennale, ce qui fera obstacle à la poursuite de leurs activités à partir du 1er janvier prochain, n’est pas réalisée en l’espèce une situation que caractériserait l’urgence particulière au référé liberté, nécessitant qu'une ordonnance soit rendue sous quarante-huit heures.

(ord. réf. 3 novembre 2022, M. B., société Ezo-Bat et société B Art, n° 468380)

 

72 - Négoce en vins - Besoin d'extension de surfaces de stockage - Subvention agricole franco-européenne à cette fin - Contrôle - Action en récupération de la subvention pour non obtention du permis de construire nécessaire à la réalisation de l'extension - Régularisation antérieure au contrôle - Non respect du principe de proportionnalité - Annulation sans renvoi (règlement de l'affaire au fond).

Une entreprise de négoce en vin obtient, en vue de financer l'agrandissement de ses surfaces de stockage, une subvention du Fond européen agricole de garantie (FEAGA). Suite à un contrôle réalisé les 18 et 20 juin 2014 par la mission de contrôle des opérations dans le secteur agricole, un ordre de reversement de la totalité de cette subvention lui a été notifié le 19 novembre 2016 par le directeur de FranceAgriMer au motif que l'extension des surfaces de stockage avait été réalisée sans obtention préalable d'un permis de construire et sans modification de l'autorisation qu'elle détenait au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, qu'impliquait ce projet. 

La requérante se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa demande d'annulation du titre de recette et de décharge de la somme en litige.

Pour casser cet arrêt le Conseil d'État retient en premier lieu que l'intéressée a procédé à la régularisation des installations en cause en obtenant une nouvelle autorisation au titre des installations classées pour la protection de l'environnement le 27 juin 2012 ainsi qu'un permis de construire le 30 août 2013 soit antérieurement à la date du contrôle.

Il retient, en second lieu - et surtout -, que la cour a jugé à tort que le principe de proportionnalité, énoncé à l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, ne s'opposait pas, en dépit de la complète régularisation des installations avant le contrôle dont elles ont fait l'objet, à ce que la restitution de la totalité de l'aide versée soit réclamée à la société La Guyennoise à raison des irrégularités initialement commises.

(15 novembre 2022, Société Maison le star vignobles et châteaux venant aux droits de la société La Guyennoise, n° 451758)

 

73 - Subvention en vue de travaux de rénovation dans un appartement - Décision de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) retirant la subvention - Juridiction se méprenant sur les motifs de la décision attaquée - Annulation.

A la suite d'une inspection, l'ANAH décide de retirer la subvention qu'elle avait accordée au requérant en vue de la réalisation de travaux dans son appartement et demande le reversement de l'acompte déjà versé.

Le recours du propriétaire ayant été rejeté par arrêt confirmatif, celui-ci se pourvoit.

Le juge de cassation relève que la cour s'est méprise sur les motifs de la décision attaquée car, pour rejeter l'appel dont elle était saisie, elle a jugé que l'ANAH pouvait légalement prononcer le retrait de la subvention accordée à M. B. du fait que les factures produites par ce dernier dans le cadre de sa demande de paiement du solde de la subvention n'étaient pas suffisantes pour établir la conformité des travaux réalisés. Alors qu'en réalité la décision de retrait de l'ANAH n'était pas fondée sur ce motif mais sur ce que les travaux pour lesquels la subvention avait été accordée n'avaient pas été réalisés.

D'où la cassation prononcée et le renvoi de l'affaire à la cour.

(23 novembre 2022, M. B., n° 449968)

(74) V. aussi, identiques : 23 novembre 2022, M. B., n° 449966 ; M. et Mme B., n° 449964 ; M. et Mme C., n° 449962 ; M. B., n° 449960.

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

75 - Récupération d’aides sociales – Décision fondée non sur une enquête administrative mais sur une comparaison entre une déclaration et des informations fiscales – Inopposabilité de l’art. L. 114-10 du code de la sécurité sociale – Rejet.

Dans un litige en récupération, par une caisse de sécurité sociale, d’indus de revenu de solidarité active, de prime d'activité et d'aide exceptionnelle de fin d'année, perçus par la demanderesse, était invoquée la circonstance que n’avait pas été respectée en l’espèce l’exigence que les contrôles ayant débouché sur l’action en récupération d’indus fussent effectués par des agents assermentés et agréés.

Pour annuler le jugement qui avait accueilli ce moyen, le Conseil d’État relève que les dispositions de l'art. L. 114-10 du code de la sécurité sociale selon lesquelles les vérifications et enquêtes administratives diligentées pour les contrôles relatifs au revenu de solidarité active doivent être effectuées par des agents assermentés et agréés ne s’appliquent qu’en ces hypothèses.

En revanche, ces dispositions ne jouent pas lorsque, comme en l’espèce, la décision de récupération d’indus, n’a été prise qu’au seul vu d'une comparaison des déclarations faites par l'allocataire avec les informations transmises par l'administration des impôts, conformément aux dispositions de l'article L. 114-14 du code de la sécurité sociale.

(7 novembre 2022, Mme B., n° 452398)

 

76 - Règlement départemental d’aide sociale – Obligation de respecter le régime légal d’aides sociales – Cas des aides facultatives créées par le département - Force obligatoire du règlement départemental ad hoc – Revenus pouvant être pris en considération – Annulation.

La ville de Paris, qui est aussi un département, a institué au bénéfice des personnes âgées, sous condition de ressources, une prestation d'aide sociale facultative, dénommée Paris Solidarité. Une personne retraitée s'est vu refuser par le centre d’action sociale de Paris le renouvellement de cette aide au motif qu’elle a procédé au rachat total d'un contrat d'assurance-vie, dont le produit a été réinvesti dans un plan d'épargne en actions. Il est résulté de ce rachat un montant de revenus soumis à prélèvement libératoire de 11 230 euros au titre des dispositions du code général des impôts.

Le tribunal administratif, saisi par l’intéressé, a annulé ce refus en se fondant sur les dispositions de l'art. L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles selon lesquelles « Il est tenu compte, pour l'appréciation des ressources des postulants à l'aide sociale, des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenu, qui est évaluée dans les conditions fixées par voie réglementaire. ».

Sur pourvoi, le juge de cassation annule ce jugement pour deux erreurs de droit.

En premier lieu, le tribunal ne pouvait retenir la disposition citée qui concerne seulement les aides sociales légales et non celles, facultatives, instituées par un département.

En effet, à ce titre, à Paris, s’appliquent seules les dispositions du règlement municipal des prestations d'aide sociale facultative. Or celles-ci prévoient la prise en compte, pour l’octroi de Paris Solidarité, de toutes les ressources du demandeur « à l'exclusion de celles mentionnées dans les dispositions générales ». D’où il suit que ne figurant pas dans ladite liste, les revenus de placement sont pris en considération pour la détermination du plafond des ressources mensuelles. Dans le cas où, comme en l’espèce, il s’agit d’une assurance-vie, il convient de prendre en compte l'ensemble des revenus produits par ce placement au cours de l'année en cause, qu'il s'agisse d'intérêts ou de plus-values, sans qu'y fassent obstacle les dispositions du code des assurances définissant le régime des contrats d'assurance sur la vie ou celles du code général des impôts définissant leur régime fiscal, non plus que la circonstance que ces revenus soient encore latents ou temporairement indisponibles.

D’où il résulte la commission d’une seconde erreur de droit ayant consisté à retenir que la somme issue du rachat total de son assurance vie avait immédiatement été réinvestie par l’intéressé dans un autre placement et qu’ainsi cette somme ne pouvait être considérée comme une ressource, alors qu’il incombait seulement au juge de rechercher le rendement produit par ce placement pour l'année 2018.

(7 novembre 2022, Centre d'action sociale de la Ville de Paris, n° 458595)

 

77 - Allocation personnalisée d'autonomie en établissement – Revenu devant être pris en compte pour le calcul de la participation du bénéficiaire à cette allocation – Revenu net global déclaré à l’administration fiscale – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui, pour déterminer le montant de la participation du bénéficiaire à l’allocation personnalisée d’autonomie en établissement, retient le revenu net déclaré en vue de son imposition, c’est-à-dire après déduction des dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu alors qu’il résulte du code de l’action sociale et des familles (notamment des art. L. 232-8, L. 132-1 et L. 132-2) que le revenu devant être pris en compte est la somme arithmétique des revenus catégoriels tels qu'ils doivent être déclarés à l'administration fiscale pour le calcul de l'impôt sur le revenu, avant toute déduction ou tout abattement.

(7 novembre 2022, Ville de Paris, n° 460787)

(78) V. aussi, dans un litige en répétition d’un indu de RSA, la décision jugeant insuffisamment motivé un jugement et l’annulant pour n’avoir pas répondu au moyen, qui n’était pas inopérant, que seuls les biens non productifs de revenus pouvaient faire l'objet de l'évaluation forfaitaire prévue par les dispositions de l'art. R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles et que les intérêts des capitaux mobiliers des comptes bancaires dont disposait le requérant n'étaient que d'une trentaine d'euros mensuels sur la période en litige : 9 novembre 2022, M. A., n° 460260.

 

79 - Aide sociale à l'enfance - Doute sur l'état de minorité du demandeur - Compétence du juge administratif des référés - Limites de la force probante d'un acte d'état-civil étranger - Annulation.

Réitération d'une solution classique (cf. cette Chronique, octobre 2022, n° 129, avec même demandeur) : la production par l'étranger, candidat au bénéfice d'une prise en charge par un département, d'un extrait d'acte d'état-civil étranger établissant sa minorité ne prive pas ce département de la faculté de combattre par tout moyen, notamment au vu de données extérieures telle qu'une évaluation réfutant cet état de minorité, les indications portées sur cet acte d'état-civil. C'est à tort que le premier juge des référés a estimé le contraire en suspendant la décision départementale de cesser l'aide à l'hébergement et adressant une injonction en ce sens.

(ord. réf. 10 novembre 2022, Département des Bouches-du-Rhône, n° 468382)

(80) V., très comparable : 16 novembre 2022, M. B., n° 468568.

(81) V. aussi, à l'inverse et un peu surprenant, rejetant l'appel de ce département contre une ordonnance de référé lui enjoignant de poursuivre son accueil provisoire du requérant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance, en dépit de ce que le département invoquait certaines caractéristiques matérielles du jugement supplétif, dont l'authenticité n'était pas contestée ainsi que l'incohérence de l'apparence physique de l'intéressé et de son âge allégué et enfin certaines notations psychologiques relatives à son audition par le service spécialisé de la direction enfance famille du conseil départemental de l'aide sociale à l'enfance le 29 juin 2022, ces éléments n'étant pas de nature à réfuter les éléments produits l'intéressé pour établir son âge : ord. réf. 14 novembre 2022, M. B., n° 468359.

(82) V. également, assez voisin en substance, annulant une ordonnance du juge du référé liberté refusant en premier lieu de suspendre la décision d'un département cessant de renouveler la prise en charge d'une ressortissante ivoirienne, enceinte de cinq mois, au titre d'un contrat de jeune majeur et en second lieu de lui faire injonction de réexaminer sa demande de renouvellement de contrat de jeune majeur et de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé : ord. réf. 15 novembre 2022, Mme B., n° 468365.

(83) V. cependant, annulant le refus d'un département de continuer à prendre en charge comme jeune majeur une personne car le titre de séjour lui a été refusé par le préfet. Dès lors que le département a accordé cette prise en charge avant que l'intéressée ait atteint l'âge de vingt-et-un ans et qu'elle ne dispose d'aucun soutien familial, d'aucune ressource et d'aucune solution d'hébergement, il résulte des dispositions du 5° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles qu'il a l'obligation de poursuivre cette prise en charge : ord. réf. 28 novembre 2022, Mme B., n° 468184.

 

84 - Hébergement d'urgence - Ressortissants géorgiens - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Degré de vulnérabilité insuffisant - Rejet.

Confirmant le rejet de la demande en référé liberté présentée en première instance, le juge d'appel décide que - en l'état des capacités d'hébergement d'urgence dans le département des Bouches-du-Rhône - l'absence de proposition immédiate d'hébergement au bénéfice de M. C., de Mme D. et de leur enfant mineure souffrant de plusieurs pathologies, dont un diabète de type 2, ne revêt pas le caractère d'une carence de l'État telle qu'elle serait constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 10 novembre 2022, M. C. et Mme D., n° 468570)

(85) V. aussi, rejetant la demande, par une ressortissante congolaise, de relogement d'urgence en dépit d'une santé très dégradée pour laquelle elle est normalement soignée, qui n'empêche d'ailleurs pas son retour dans son pays et alors que l'État ne dispose pas des moyens de satisfaire sa demande : ord. réf. 29 novembre 2022, Mme B., n° 468854.

 

86 - Licenciement d'un salarié protégé pour motif économique - Refus d'accepter la modification de clauses de son contrat de travail - Prise en compte du motif allégué comme justificatif du licenciement - Office du juge - Annulation.

La juridiction saisie d'un recours dirigé contre l'annulation en première instance de la décision administrative autorisant le licenciement pour motif économique d'un salarié protégé ayant refusé la modification proposée de clauses de son contrat de travail, ne peut rechercher si cette modification est « strictement nécessaire » eu égard au motif économique du licenciement. Elle doit simplement vérifier si la modification était justifiée par le motif économique avancé.

En revanche, le Conseil d'État réitère (cf. 29 juin 2020, Société Papeteries du Léman, n° 417940 ; voir cette Chronique, juin 2020, n° 102 et n° 103) son exigence qu'il entre dans l'office de la juridiction saisie d'un tel moyen de se prononcer elle-même sur le bien-fondé de l'appréciation de l'autorité administrative sur le lien entre la modification du contrat et le motif économique du licenciement projeté, sans s'arrêter à une étape intermédiaire de son analyse sur ce point. 

(15 novembre 2022, Société Milleis Banque, n° 449317)

 

87 - Directive du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique  - Ordonnance de transposition du 12 mai 2021 - Organismes participant à la fixation des modalités de détermination et de versement de la rémunération due aux auteurs par mode d'exploitation - Transposition insuffisante de la directive - Rejet et annulation partiels.

Les organisations requérantes demandaient l'annulation des articles 4, 5, 9, 11 et 12 de l'ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 portant transposition du 6 de l'article 2 et des articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

Le Conseil d'État rejette une partie importante des moyens soulevés mais en admet cependant un.

Sont rejetés les moyens fondés sur l'atteinte à la liberté syndicale et au principe d'égalité. D'abord, les requérants ne sauraient soutenir que l'article 5 de l'ordonnance attaquée porterait atteinte à la liberté syndicale en conférant une compétence en matière de négociation collective aux organismes de gestion collective car les dispositions critiquées n'ont ni pour objet, ni pour effet de limiter la possibilité pour des auteurs de choisir d'adhérer à un syndicat de leur choix ou de constituer un syndicat, ni même de limiter la possibilité pour un tel syndicat de participer aux accords professionnels qu'elles prévoient. De plus, ni l'article 11 de la convention EDH, ni, en tout état de cause, l'article 6 de la charte sociale européenne, ni les conventions n° 87 et 135 de l'organisation internationale du travail ou la décision n° 123/2016 du 12 décembre 2018 du Comité européen des droits sociaux, l'existence d'un droit, pour les auteurs, à la « négociation collective » des conditions dans lesquelles sont gérés les droits d'exploitation qu'ils cèdent à des tiers, un tel droit ne concernant que les relations entre les travailleurs et les employeurs.

Ensuite, les dispositions critiquées ne portent pas une atteinte illégale au principe d'égalité car la différence de traitement, qui résulte de la spécificité du secteur du livre, lequel n'est pas structuré autour d'organismes de gestion collective, est fondée sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi.

En revanche, le juge retient que les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance en tant qu'elle ne prévoit pas que les auteurs cédant leurs droits exclusifs pour l'exploitation de leurs œuvres ont le droit de percevoir une rémunération appropriée. 

(15 novembre 2022, Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et des artistes-autrices (CAAP) et Ligue des auteurs professionnels, n° 454477)

 

88 - Récupération d'indu d'allocation de logement social par une caisse d'allocations familiales (CAF) - Évaluation des ressources de l'intéressée sur le fondement d'un texte déclaré illégal par le Conseil d'État - Prise en compte de cette circonstance - Réexamen de la situation par la caisse - Rejet par le tribunal - Méconnaissance de son office - Annulation avec renvoi.

Une CAF réclame le paiement d'un indu d'allocation de logement social en se fondant sur des dispositions réglementaires du code de la sécurité sociale déclarées illégales par une décision du Conseil d'État. La juridiction saisie par la bénéficiaire annule cette décision de récupération.

Le Conseil d'État est à la cassation car, relève-t-il, avant que le tribunal administratif ne se prononce, la CAF l'a informé, d'une part, qu'afin de tirer les conséquences de la déclaration d'illégalité de ces dispositions par la décision du Conseil d'État, elle avait procédé au réexamen de la situation de Mme B. sur la base des revenus de référence de l'année N-2 réellement perçus et déclarés par celle-ci en 2015, 2016 et 2017, de telle sorte qu'elle avait ramené le montant de l'indu à la somme de 2 313 euros et, d'autre part, que l'intéressée restait néanmoins redevable de la somme totale de 5 203,13 euros en raison d'autres régularisations effectuées par erreur par la CAF. Il incombait donc au juge, en vertu de son office, de tenir compte de l'ensemble de ces éléments, qui étaient, à la date de son jugement, suffisamment précis et non sérieusement contestés par Mme B., pour apprécier le bien-fondé de la décision de récupération d'indu attaquée.

(17 novembre 2022, Mme B., n° 456315)

 

89 - Récupération d'aide personnalisée au logement - Aide versée au bailleur - Délai de prescription de l'action en recouvrement - Délai spécial et non délai de droit commun - Rejet.

C'est sans erreur de droit que la présidente d'un tribunal administratif juge que la prescription applicable à une action en récupération d'un indu d'aide personnalisée au logement est celle biennale prévue par l'art. L. 553-1 du code de la sécurité sociale et non celle quinquennale, de droit commun, que fixe l'art. 2224 du Code civil.

(29 novembre 2022, Caisse d'allocations familiales de la Somme, n° 450275)

 

90 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Étendue des obligations s'imposant à l'administration chargée de son contrôle - Appréciation de l'information suffisante de l'instance représentative du personnel - Etendue de l'exigence d'information incombant à l'employeur - Rejet.

Cette décison comporte un rappel particulièrement net et complet de la procédure à suivre et du contrôle à exercer dans le cadre d'un PSE afin de s'assurer de la pleine et correcte information de l'instance représentative du personnel chargée de donner deux avis.

Dans la présente espèce la réorganisation de la société Auchan e-commerce France a conduit à un projet de licenciement pour motif économique lié à la fermeture de son établissement situé à Marseille. Le document unilatéral portant PSE a été homologué par l'administration.  Le comité social et économique central d'entreprise de la société Auchan e-commerce France ainsi que d'autres requérants ont saisi le Conseil d'État d'un pourvoi contre l'arrêt confirmatif de la cour administrative d'appel de Marseille rejetant leur demande tendant à l'annulation de la décision administrative homologuant le PSE.

Il convient de retenir du présent arrêt, tout d'abord, que le litige en contestation de la régularité de la décision homologuant un PSE relève exclusivement de l'excès de pouvoir, ce qui commande, bien évidemment, l'étendue du contrôle et du pouvoir exercé par le juge.

Ensuite, l'administration saisie d'une demande d'homologation d'un PSE doit s'assurer, positivement, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, a été régulière et, négativement, que cette procédure a été menée à son terme sans qu'aucune mesure de mise en œuvre de la réorganisation projetée n'ait été prise par anticipation.

Également, il incombe à cette autorité de vérifier que le comité a été mis à même d'émettre régulièrement deux avis, l'un sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, l'autre, sur le projet de licenciement collectif et le PSE.

Cette même exigence de complétude de l'information du comité emporte pour conséquence l'obligation pour l'administration d'envoyer copie au comité d'entreprise des observations qu'elle adresse à l'employeur et de s'assurer que l'employeur a envoyé copie de ses réponses aux représentants du personnel.

Enfin, dans le cas où, comme en l'espèce, l'entreprise appartient à un groupe et que l'employeur est, par suite, amené à justifier son projet au regard de la situation économique du secteur d'activité dont relève l'entreprise au sein de ce groupe, les éléments d'information adressés par l'employeur aux instances représentatives du personnel doivent porter non seulement sur la situation économique du secteur d'activité qu'il a lui-même pris en considération, mais aussi sur les raisons qui l'ont conduit à faire reposer son analyse sur ce secteur d'activité sans cependant être tenu d'adresser des éléments d'information relatifs à la situation économique d'un autre secteur d'activité que celui qu'il a retenu. 

Le recours est rejeté, la cour n'ayant pas commis d'erreur de droit dans la motivation de son arrêt et ayant exercé son pouvoir souverain d'appréciation sans dénaturation.

(15 novembre 2022, Comité social et économique central d'entreprise de la société Auchan e-commerce France, venant aux droits du Comité central d'entreprise de la société Auchan e-commerce France et autres, n° 444480)

 

91 - Droit au logement opposable - Conditions à satisfaire - Épouse et enfants ne résidant pas sur le territoire français - Rejet.

 La résidence permanente en France des membres du foyer au titre duquel une personne présente une demande d'attribution de logement étant au nombre des conditions réglementaires d'accès au logement social qu'il appartient à la commission de médiation d'appliquer, commet une erreur de droit la magistrate qui annule la décision de la commission de médiation refusant l'octroi d'un tel logement dès lors que l'épouse et les enfants du requérant, pour lesquels il envisageait un regroupement familial, ne séjournaient pas sur le territoire français.

(29 novembre 2022, M. B., n° 460679)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

92 - Élections départementales – Compte de campagne non visé par un expert-comptable – Inéligibilité prononcée pour douze mois – Sanction excessive – Réduction – Annulation partielle.

Si c’est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que devait être rejeté le compte de campagne d'un binôme pour n’avoir pas été présenté par un expert-comptable et que cette irrégularité devait être sanctionnée par l’inéligibilité, en revanche, eu égard au faible montant des dépenses engagées, à la complétude des pièces fournies et à l’absence de toute autre irrégularité, la durée de douze mois décidée pour cette inéligibilité est excessive et elle est ramenée à six mois par le juge d’appel.

(9 novembre 2022, Élections départementales du canton de Meximieux, n° 463037)

(93) Voir aussi, pour des solutions identiques mutatis mutandis : 16 novembre 2022, M. C. et Mme D., Élections départementales du canton de Vouziers, n° 463258 ; 23 novembre 2022, M. A. et Mme B., Élections départementales du canton de Lourdes-2, n° 462776 : faibles montants en cause et dépôt tardif seulement de quelques jours ; 23 novembre 2022, Mme A. et M. E., Élections départementales du canton de Condé-sur-Vire, n° 464908 : compte de campagne établi par un expert-comptable, production d'un relevé bancaire à l'appui du mémoire en défense devant le tribunal administratif; document permettant de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, absence d'anomalie, etc. ; ou encore, identique au précédent : 23 novembre 2022, Mme E. et M. B., Élections départementales du canton de Cherbourg-en-Cotentin-5, n° 464903)

(94) V., en revanche, confirmant une inéligibilité de douze mois pour le même motif de non présentation du compte de campagne du binôme et sans certification par un expert-comptable : 9 novembre 2022, M. C. et Mme B., Élections départementales du canton d’Athis-Mons, n° 463972.

(95) V., une même solution confirmative de l’inéligibilité et de sa durée en cas de non dépôt du compte de campagne : 9 novembre 2022, Mme B. et M. B., Élections départementales du canton de Flers-1, n° 465076, ou du fait d'avoir méconnu pendant plusieurs mois les dispositions du code électoral relatives au compte de campagne en dépit de la modicité des sommes en jeu et de l'inexpérience alléguée des membres du binôme :  25 novembre 2022, Mme F. et M. E., Élections départementales du canton de Saint-Paul-1 de La Réunion, n° 465367.

(96) V. encore, sur le rejet justifié d'un compte de campagne : 16 novembre 2022, M. C. et Mme D., Élections départementales du canton de Saint-Martin-d'Hères, n° 465589.

(97) V. aussi, particulièrement suggestif, confirmant le rejet du compte et l'inéligibilité du binôme pour dix-huit mois en raison de ce que constitue un « manquement délibéré (d')une particulière gravité » la présentation d'un compte de campagne dont les données ne sont pas confirmées, voire sont contredites, par les éléments justificatifs fournis et cela en dépit de la modestie des montants ressortant des pièces produites, ainsi que le refus persistant et sans justification des candidats de fournir les documents permettant de s'assurer de la sincérité du compte de campagne : 22 novembre 2022, Mme B. et M. D., Élections départementales du canton de Saint-Lyé, n° 465729.

 

98 - Élections départementales – Ouverture tardive des bureaux de vote - Absence d'effet sur la participation au scrutin - Irrégularités de la propagande - Annulation.

Est annulé le jugement du tribunal administratif qui annule les opérations électorales tenues dans un canton au motif que trois bureaux de vote ont ouvert avec un retard d'un quart d'heure à vingt minutes environ (bureaux n°1345, 1367 et 1369), qu'un bureau de vote a ouvert avec un retard de cinquante minutes (bureau n°1370) tandis que l'ouverture des huit autres bureaux de vote est intervenue avec un retard allant de deux heures et quinze minutes à trois heures et quinze minutes. Ainsi, le bureau de vote n°1340 a ouvert à 10h15, cinq bureaux de vote ont ouvert à 10h30 (bureaux n°1332, 1336, 1349, 1373 et 1365), le bureau de vote n°1371 a ouvert à 11 heures et le bureau de vote n°1374 a ouvert à 11h15.

Le juge d'appel considère que « Pour regrettable que soit cette circonstance et nonobstant la durée de fermeture d'un nombre important de bureaux à une heure de potentielle affluence des électeurs »,  il résulte de l'instruction que le retard important dans l'ouverture de ces bureaux est dû à l'absence des présidents et du matériel de vote, quarante présidents désignés par la ville de Marseille ne s'étant pas présentés la veille du scrutin pour récupérer le matériel de vote en mairie. Mais, pour autant, il n'est pas établi qu'un nombre important d'électeurs ont été empêchés de prendre part au vote de ce fait, les électeurs ayant eu la possibilité de venir voter jusqu'à la fermeture des bureaux de vote intervenue à 20 heures.

Ainsi, malgré les faibles écarts de voix entre les listes en concurrence, cette irrégularité - contrairement à ce qu'a jugé le tribunal  -  n'a pas été de nature à altérer les résultats du premier tour de scrutin et à porter atteinte à l'universalité du scrutin. 

Par ailleurs, bien que les affichages réalisés par le binôme formé par Mme D. et M. F. l'aient été en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 51 du code électoral, mais sont restés isolés et que la circulation d'un camion avec un dispositif d'affichage numérique en faveur de ce binôme aient revêtu une certaine ampleur, ces éléments ne sont pas de nature à altérer la sincérité du scrutin : le jugement est annulé.

La solution peut se discuter car cela fait beaucoup d'absolutions au total.

(15 novembre 2022, Mme d'Angio et M. Dudieuzère, Élections départementales du canton de Marseille-6, n° 461959)

 

99 - Élections départementales - Électeurs non passés par l'isoloir - Électeur n'ayant pas émargé - Votes irréguliers - Retranchement des votes irréguliers du total des voix - Annulation de l'ensemble des opérations électorales - Rejet.

Est confirmé le jugement annulant les opérations électorales dans un canton au motif que doivent être annulés deux suffrages d'électeurs n'étant pas passés par l'isoloir et un suffrage d'un électeur n'ayant pas émargé et alors que le nombre total des voix devant être retranchées est supérieur à l'écart séparant le binôme élu du suivant.

(17 novembre 2022, Mme I. et M. C., Élections départementales du canton du Moyen-Adour, n° 461929)

 

100 - Élections municipales partielles complémentaires – Nombre égal des voix obtenues par  deux candidats - Application de la règle de séniorité – Distribution de tracts électoraux la veille du scrutin – Faible écart des voix – Annulation du scrutin confirmée en appel.

Le protestataire, élu au bénéfice de l’âge à l’issue d’un scrutin destiné à compléter un conseil municipal à la suite de la démission de cinq conseillers municipaux, est débouté de sa demande d’annulation du jugement – rendu sur déféré préfectoral - qui a annulé les opérations électorales pour altération de la sincérité du scrutin.

Il résulte de quatre attestations concordantes portées à la connaissance du préfet que la veille du scrutin le protestataire a été vu distribuant des tracts de propagande électorale, dont, d’ailleurs, il ne conteste pas réellement l’authenticité. Eu égard au faible écart des voix, l’annulation du scrutin est confirmée par le juge d’appel.

(9 novembre 2022, M. E., Él. mun. de Saint-Béat-Lez, n° 463842)

(101) V. aussi, confirmant l'annulation de l'élection de trois conseillers municipaux lors d'élections partielles, aucun d'eux n'ayant obtenu un nombre de suffrages au moins égal au quart des électeurs inscrits : 16 novembre 2002, Mme E., Él. mun. de La Houssoye, n° 463842

 

102 - Élections des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna - Attribution d'un siège à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne - Suffrages irréguliers - Retranchement de ces suffrages du nombre de voix obtenues par chaque liste - Conséquence - Annulation de l'entier scrutin.

Quatre votes ayant été irrégulièrement exprimés, ils sont, hypothétiquement, déduits de chacune des listes en présence. Compte tenu des écarts de voix entre ces listes, les irrégularités constatées ne sont pas de nature à avoir affecté l'attribution des deux premiers sièges, mais seulement du troisième et dernier siège.

Eu égard à l'impossibilité de déterminer le sens des votes irrégulièrement exprimés, le juge de l'élection ne saurait attribuer ce dernier siège à la liste du requérant. Il ne peut en l'espèce davantage annuler l'élection de ce seul dernier siège et constater sa vacance, dès lors qu'une telle annulation aurait pour conséquence de modifier les équilibres politiques tels qu'ils résultent du scrutin dans la circonscription de Sigave.

Par suite, sans qu'il soit besoin d'apprécier en outre si une telle annulation d'un seul siège conduirait à modifier les équilibres politiques au sein de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna, il y a lieu, conformément à la demande du requérant et de sa liste,  Kile laga o lou fenua, d'annuler l'ensemble des opérations électorales pour cette circonscription.

(15 novembre 2022, M. D., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Sigave, n° 462885)

(103) V. aussi, rejetant un recours en annulation de ces mêmes élections à l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna dès lors que la déduction hypothétique des votes irréguliers du total des suffrages obtenus par chaque liste ne modifie pas  la moyenne de liste et donc les résultats du scrutin : 15 novembre 2022, Mme I., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Mua, n° 462890.

(104) V. encore, rejetant tous les griefs de la protestation tendant à voir annulées les opérations électorales dans une des circonscriptions de Wallis et Futuna et rappelant auparavant, comme dans la décision précédente, qu'il n'appartient pas au juge de l'élection, en l'absence de manœuvre ou d'irrégularité de la procédure suivie pour dresser les listes électorales susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin, d'apprécier la régularité de l'inscription ou de la radiation d'un électeur sur les listes électorales : 15 novembre 2022, Mme F., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Hahake, n° 463419.

(105) V., identique sur l'incompétence du juge administratif pour statuer sur la régularité des inscriptions ou radiations opérées sur les listes électorales ou pour vérifier si des électeurs inscrits remplissent les conditions fixées par l'article L. 11 ou l'article L. 12 du code électoral, sauf s'agissant d'apprécier tous les faits révélant des manœuvres ou des irrégularités susceptibles d'avoir altéré la sincérité du scrutin : 16 novembre 2022, M. F., Élections départementales du canton de Pau 1, n° 462049.

(106) V. également, constituant un florilège des moyens susceptibles d'être developpés - ici en vain - au soutien de la demande d'annulation d'un scrutin : 15 novembre 2022, M. Atoloto G., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Hihifo, n° 463420.

 

107 - Élection du président d'un  syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) - Risque de conflit d'intérêts entre cette qualité et d'autres qualités de l'élu - Rejet.

En l'absence de texte en disposant autrement ou d'élément de fait le donnant à penser, la circonstance qu'un président de SIVOM détienne également les mandats de premier adjoint d'une des communes membres et de vice-président de la communauté de communes en charge de l'eau et de l'assainissement n'a pas pour effet de le placer en situation de conflit d'intérêts ni non plus d'interdiction de cumuls, d'inéligibilité ou d'incompatibilité.

(17 novembre 2022, M. B, Élection du président du SIVOM de la vallée, n° 459554)

 

Environnement

 

108 - Nuisances sonores – Survol de propriétés par des hélicoptères – Autorisation d’emplacements d’hélisurfaces – Demande d’annulation – Rejet.

Est rejeté le recours dirigé contre le refus implicite d’abroger l'arrêté ministériel du 6 mai 1995 en tant qu'il concerne les hélisurfaces.

Les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté contesté ne prendrait pas en compte la proximité entre les hélisurfaces pour fixer le nombre maximal de mouvements et serait pour ce motif entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'objectif de limitation des nuisances sonores qui justifie l'édiction de prescriptions générales en cette matière.

Cet arrêté n’est pas, non plus, entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en tant qu’il autorise le préfet à réglementer l'utilisation des hélisurfaces, en particulier en limitant le nombre de mouvements qui peuvent y être effectués, en mettant en place un dispositif de suivi de ces mouvements et en restreignant l'utilisation lorsqu'il en résulte des nuisances phoniques ayant porté une atteinte grave à la tranquillité du voisinage.

Enfin, l'ampleur des nuisances sonores mesurées en 2021 sur la propriété de M. B. ne saurait en elle-même être de nature à établir l'insuffisance des dispositions prises au regard de l'objectif de lutte contre les nuisances sonores énoncé par les dispositions de l'article L. 571-1-A du code de l'environnement, dans la mesure notamment où les arrêtés préfectoraux pris en application de l'article R. 132-1-6 du code de l'aviation civile pour réglementer l'utilisation des hélisurfaces concourent à cet objectif.

(7 novembre 2022, Association « Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs » et M. B., n° 461152)

 

109 - Grands cormorans - Interdiction de destruction - Absence de fixation de quotas pour la dérogation à l'interdiction - Rejet.

Le juge rejette le recours formé par la fédération requérante tendant à voir suspendue l'exécution de l'arrêté du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025, en tant qu'il ne prévoit pas de quotas ou plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025.

Le rejet est ainsi motivé : « Si l'article 4 de l'arrêté du 26 novembre 2010 prévoit qu'un arrêté ministériel fixe des quotas départementaux d'oiseaux qui peuvent être détruits pour chaque campagne de prélèvement, déterminés par type de territoire au regard de la protection des piscicultures et des populations menacées, c'est sous réserve que la nécessité de ces prélèvements soit justifiée au regard des critères - fixés à l'article L. 411-2 du code de l'environnement - de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées posée par le 1° de l'article L. 411-1 du même code. Il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi que des éléments recueillis à l'audience, que la prédation des grands cormorans sur les plans et cours d'eau libres porte sur des espèces aquatiques protégées ou menacées une atteinte telle qu'elle imposait, à la date de l'arrêté litigieux, une telle dérogation. Par suite, au regard des éléments soumis au juge des référés à la date de la présente décision, les moyens présentés (...) ne sont pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué. »

 (ord. réf. 10 novembre 2022, Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques, n° 468608)

 

110 - Assimilation, à raison de leur mode d'action, des substances actives flupyradifurone et sulfoxaflor à la famille des néonicotinoïdes - Adoption de mesures urgentes - Communication à la commission européenne d'un projet de décret fondé sur des éléments scientifiques anciens ou peu probants - Annulation.

Lorsqu'un État membre de l'Union entend interdire en urgence l'usage de certaines substances actives relevant de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535, il a l'obligation de communiquer ce projet, sous forme d'une information officielle, à la Commission européenne.

La CJUE  (8 octobre 2020, Union des industries de la protection des plantes, aff. C-514/19) a dit pour droit que la communication d'une telle mesure nationale constitue une information officielle de la nécessité de prendre des mesures d'urgence, au sens de l'article 71, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1107/2009, lorsque cette communication comporte une présentation claire des éléments attestant, d'une part, que ces substances actives sont susceptibles de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement et, d'autre part, que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante sans l'adoption, en urgence, des mesures prises par l'État membre concerné.

Dans ce cadre, la France a notifié le 3 août 2018 à la Commission européenne un projet de décret comportant la liste des substances actives contenues dans les produits phytopharmaceutiques et présentant des modes d'action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes, visant les substances actives flupyradifurone et sulfoxaflor. Pour justifier cette mesure, les autorités françaises indiquaient s'être fondées sur « de nombreuses publications scientifiques et d'organismes reconnus (...) (qui) vont dans le sens d'un impact majeur des néonicotinoïdes sur de nombreuses composantes de l'environnement sur des organismes non cibles telles que les abeilles, les macro-invertébrés ou bien encore les oiseaux » et sur une étude de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui « identifie un risque pour la santé humaine (incidence sur le développement du système nerveux) ».

Les requérantes contestent la légalité du décret n° 2019-1519 du 30 décembre 2019.

Leur donnant raison, le Conseil d'État juge d'abord que ces études se rapportent aux néonicotinoïdes et non aux substances flupyradifurone et sulfoxaflor qui n'appartiennent pas à cette famille de substances même si elles présentent un mode d'action identique à celles-ci en agissant sur le récepteur nicotinique de l'acétylcholine. Il estime ensuite que les trois études produites au soutien du bien-fondé du décret litigieux sont anciennes, qu'aucune d'elles n'atteste des risques liés à l'usage de la flupyradifurone et que celle portant sur la sulfoxaflor est antérieure au règlement d'exécution (UE) 2015/1295 du 27 juillet 2015 portant approbation du sulfoxaflor par la Commission européenne.

Il se déduit de là que le décret attaqué ne comporte pas « une présentation claire des éléments attestant que les substances en cause sont susceptibles de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante sans l'adoption, en urgence, des mesures d'interdiction envisagées » et qu'ainsi il ne saurait tenir valablement lieu de l'information officielle donnée à la Commission européenne tendant à établir la nécessité de prendre des mesures de sauvegarde au titre de l'article 71, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1107/2009.

Le décret litigieux ne pouvait comporter une mesure générale d'interdiction d'utilisation des substances flupyradifurone et sulfoxaflor, d'où son annulation.

(15 novembre 2022, Société Bayer SAS, n° 439133 ; Union des industries de la protection des plantes, n° 439210, jonction)

(111) V. aussi, identique : 15 novembre 2022, Union des industries de la protection des plantes, n° 449776 ; Société Bayer SAS, n° 449786.

 

112 - Installation classée pour l'environnement - Criblage, concassage de béton et d'enrobés routiers et transit de produits minéraux - Mise en demeure de régulariser par une procédure d'enregistrement - Refus pour incompatibilité avec l'affectation du terrain en zone naturelle de loisirs par le PLU - Rejet.

La modification ou l'extension d'installations existantes, lorsqu'elle nécessite de procéder à un nouvel enregistrement, constitue une ouverture d'une installation au sens de l'article L. 152-1 du code de l'urbanisme, qui doit alors être conforme aux documents d'urbanisme en vigueur. Il en est a fortiori de même lorsque la demande d'enregistrement est présentée afin de régulariser une exploitation irrégulière. 

La demande de suspension est rejetée tant en raison de l'intérêt général qui s'attache à la préservation de la ressource en eau dans une zone de protection des champs captants d'eau potable, particulièrement vulnérable aux risques qu'en raison de ce que les pertes financières consécutives à la mise en oeuvre de la décision querellée ne sont que la conséquence du caractère irrégulier de l'exploitation en cause.

(ord. réf. 15 novembre 2022, Société Vitse, n° 463114)

 

113 - Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement - Autorisation de défrichement - Avis de l'autorité environnementale - Autonomie effective - Autonomie mesurée uniquement sur le contenu de l'avis - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Les requérantes demandaient l'annulation d'un arrêté préfectoral ayant délivré une autorisation de défrichement en vue de l'implantation d'un parc de cinq aérogénérateurs après avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Aquitaine. Elles invoquaient l'absence d'autonomie effective de cet organisme garantissant son impartialité et son objectivité à l'égard du préfet de la région Aquitaine, préfet de la Gironde, auteur de l'autorisation de défrichement litigieuse.

Pour rejeter cet argument, la cour administrative d'appel, tout en relevant l'absence d'autonomie effective de cette direction régionale, a cru pouvoir juger que cette seule circonstance ne suffisait pas à entacher cette autorisation d'illégalité car l'autorité environnementale avait mis en lumière, dans son avis, les lacunes et les insuffisances qui entachaient selon elle l'étude d'impact, contribuant ainsi à l'information du public et mettant l'autorité compétente à même de se prononcer sur la demande d'autorisation en connaissance de cause.

Pour annuler pour erreur de droit cet arrêt le juge de cassation relève qu'il ne pouvait pas se fonder sur le seul contenu de l'avis « pour juger que le défaut d'autonomie de l'autorité environnementale n'avait pas été de nature, en l'espèce, à vicier la procédure en nuisant à l'information complète du public ou en exerçant une influence sur la décision de l'autorité administrative et, par suite, à entacher d'illégalité l'autorisation de défrichement litigieuse ».

Il faut s'interroger : qu'eût-il fallu faire ? Décider par principe que l'avis était nécessairement irrégulier et la procédure viciée ? Le Conseil d'État eût-il admis un raisonnement aussi rigide ? On peut en douter. Alors quid ?

(23 novembre 2022, Association Maransin Éole et autres, n° 443497)

 

114 - Articulation du régime de protection des espèces protégées et avec celui des des planifications et autorisations de travaux propres aux activités touristiques en montagne - Art. L. 411-1 c. environnement et L. 425-15  c. urb. - Remontées mécaniques et aménagements de domaine skiable - Unités touristiques nouvelles (UTN) - Rejet.

Les requérantes poursuivaient l'annulation de  la décision implicite de rejet par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur leur demande tendant à ce que soient prises les mesures utiles nécessaires à assurer l'articulation entre le régime de protection des espèces protégées et de leurs habitats et celui des planifications et autorisations de travaux propres aux activités touristiques en montagne aux fins d'application des dispositions des art. L. 425-15 du code de l'urbanisme et L. 411-1 du code de l'environnement ainsi que la correcte transposition, d'une part, de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages et, d'autre part, de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.

Le recours est rejeté en ses deux chefs principaux de demandes.

Concernant les remontées mécaniques et les aménagements de domaine skiable, les requérantes soutiennent que les dispositions du code de l'urbanisme applicables aux projets de remontées mécaniques ou d'aménagements de domaine skiable méconnaissent les objectifs et exigences de la directive du 21 mai 1992 précitée, ainsi que les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, en ce qu'elles ne prévoient ni que ces autorisations de travaux en zone de montagne ne peuvent être délivrées et mises en œuvre avant l'éventuelle délivrance d'une dérogation au titre du 4° du I de cet article L. 411-2, ni que le dossier de demande doit préciser, s'il y a lieu, que les travaux doivent faire l'objet d'une telle dérogation. 

Le moyen n'est pas retenu car :

1° les dispositions des art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement assurent une correcte transposition de la directive du 21 mai 1992 précitée, en particulier de son article 16 qui encadre les modalités selon lesquelles il peut le cas échéant être dérogé au principe général d'interdiction des destructions et perturbations des espèces protégées et de leurs habitats que la directive pose par ailleurs ;

2° aucune des dispositions du code de l'urbanisme applicable aux projets de remontées mécaniques ou d'aménagements de domaine skiable n'a pour objet ou pour effet de dispenser un projet relevant de ces dispositions de l'obligation d'obtenir le cas échéant une dérogation au titre du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement en cas d'incidences sur des espèces protégées ou leurs habitats;

3° aucune méconnaissance des exigences de la directive ne saurait être tirée de l'absence d'articulation explicite entre ces deux législations indépendantes.

Concernant les unités touristiques nouvelles (UTN), le recours n'est pas davantage accueilli.

En premier lieu, les UTN structurantes prévues par un schéma de cohérence territoriale et les UTN locales prévues par un plan local d'urbanisme font systématiquement l'objet d'une évaluation de leurs incidences sur l'environnement, notamment, le cas échéant, sur les espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées et leurs habitats, à travers l'évaluation à laquelle sont soumis ces documents d'urbanisme. En outre, les autres UTN soumises à autorisation font l'objet soit systématiquement d'une telle évaluation environnementale préalable, soit d'un examen au cas par cas destiné à déterminer si elles sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, au regard des critères de l'annexe II de la directive du 27 juin 2001 précitée.

En second lieu, en tant que dispositif d'aménagement conciliant développement de l'économie montagnarde et protection des milieux naturels, les UTN n'ont ni pour objet, ni pour effet d'autoriser directement la réalisation de projets ou d'équipements susceptibles de porter atteinte à la conservation des espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées, projets qui devront être ultérieurement autorisés et mis en œuvre conformément aux dispositions des différentes législations potentiellement concernées, parmi lesquelles, le cas échéant, les dispositions du 4° du I de l'art. L. 411-2 du code de l'environnement. 

(23 novembre 2022, Association France nature environnement et association France nature environnement Auvergne-Rhône-Alpes, n° 452173)

 

115 - Protection des oiseaux - Méthodes de capture - Vanneaux huppés et pluviers dorés - Caractère traditionnel d'une technique chasse - Méconnaissance du droit de l'Union - Annulation.

L'arrêté du 12 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à la capture des vanneaux huppés et des pluviers dorés au moyen de tenderies dans le département des Ardennes pour la campagne 2021-2022 est annulé car sa nature de méthode de chasse traditionnelle ne constitue pas, selon la jurisprudence de la CJUE interprétant la directive "oiseaux" (23 avril 2020, Commission c/ Finlande, aff. C-217/19 ; 17 mars 2021, One Voice, Ligue pour la protection des oiseaux c/ ministre de la transition écologique, aff. C-900/19) un motif suffisant ou pertinent de dérogation à l'interdiction de chasser des espèces vulnérables et donc protégées. L'arrêté attaqué porte ainsi atteinte aux objectifs de l'art. 9 de la directive du 30 novembre 2009 ainsi qu'aux dispositions de l'art. L. 424-4 du code de l'environnement. 

(23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457516 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457579)

(116) V. aussi, la solution identique retenue pour la chasse par tenderie aux grives et aux merles noirs dans le département des Ardennes : 23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457517 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457583.

(117) V. également, la solution identique retenue pour la capture de l'alouette des champs (Alauda arvensis) au moyen de matoles dans les départements des Landes, du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne : 23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457518 et n° 457521 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457539 et n° 457541).

(118) V. encore, la solution identique pour la capture de l'alouette des champs (Alauda arvensis) au moyen de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques : 23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457526, n° 457532, n°457533 et n°457534 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457544, n° 457548, n° 457552 et n° 457555).

 

119 - Évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement - Évaluation environnementale des documents d'urbanisme et des unités touristiques nouvelles - Champ d'application de cette évaluation - Création de deux procédures distinctes d'examen en cas d'évaluation environnementale - Rejet.

La requérante contestait la juridicité des art. 2 à 8, et 13 du décret n° 2021-1345 du 13 octobre 2021 portant modification des dispositions relatives à l'évaluation environnementale des documents d'urbanisme et des unités touristiques nouvelles qui modifie diverses dispositions du code de l'urbanisme et demandait le renvoi à titre préjudiciel à la CJUE pour interprétation de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, si les dispositions des art. 2 à 8 du décret attaqué (devenues art. R. 104-3 à R. 104-17-2 c. urb.) ne mentionnent expressément que les procédures d'élaboration, de révision et de modification des plans et programmes, elles doivent cependant être interprétées, au regard de la jurisprudence de la CJUE (22 mars 2012, Inter-Environnement Bruxelles ASBL, aff. C-567/10), comme étant en principe applicables aux procédures d'abrogation totale ou partielle des documents d'urbanisme qu'elles mentionnent. Dès lors doit être rejeté le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient illégales faute, d'une part, de soumettre à évaluation environnementale les procédures d'abrogation des actes qu'elles visent et, d'autre part, de préciser les modalités de cette évaluation environnementale.

En deuxième lieu, la circonstance que la transposition de la directive est faite en l'espèce par renvoi aux critères de l'annexe II de celle-ci ne l'entache pas d'irrégularité dès lors que, comme c'est le cas ici, elle respecte les conditions rappelées par le juge (V. plus loin le n° 133).

Enfin, il est rappelé que l'art. 13 du décret attaqué - querellé par la demanderesse - a modifié ou procédé à la réécriture des articles R. 104-28 à R. 104-37 du code de l'urbanisme afin de prévoir deux procédures distinctes d'examen au cas par cas de la nécessité de soumettre l'élaboration ou l'évolution d'un plan ou programme régi par le code de l'urbanisme à évaluation environnementale.

D'une part, les art. R. 104-28 à R. 104-32 précisent le champ d'application et les modalités de l'examen au cas par cas, lorsqu'il est réalisé par l'autorité environnementale.

D'autre part, les art. R. 104-33 à R. 104-37 précisent le champ d'application et les modalités de l'examen au cas par cas, lorsqu'il est réalisé par la personne publique responsable de la procédure d'élaboration ou en cas d'évolution du plan ou programme concerné.

Les moyens soulevés à l'encontre de cette disposition sont tous écartés.

Il est inexact, au vu de ce qui précède, de soutenir que la procédure d'examen au cas par cas réalisée par une autorité distincte de l'autorité environnementale serait dépourvue de base légale.

Pas davantage l'instauration de cet examen au cas par cas et ses conditions d'organisation ne méconnaît le principe de clarté et d'intelligibilité de la norme

Pareillement, la circonstance de possibles contentieux pouvant survenir à l'encontre d'une procédure au cas par cas n'affecte pas le principe de sécurité juridique.

Enfin, eu égard aux garanties entourant les conditions dans lesquelles une personne publique responsable est susceptible de retenir qu'il n'y a pas lieu de soumettre l'élaboration ou l'évolution d'un document d'urbanisme à la réalisation d'une évaluation environnementale, les dispositions du décret attaqué ne sauraient être regardées comme méconnaissant les exigences de la directive du 27 juin 2001 précitée, ni le principe d'impartialité.

(23 novembre 2022, Association France nature environnement, n° 458455)

V. aussi pour un autre aspect de cette décision le n° 133

 

Étrangers

 

120 - Demande de visa de long séjour – Obligation d’en démontrer la nécessité – Silence des textes sur les motifs de refus d’un tel visa – Pouvoir discrétionnaire de l’administration – Rejet.

Le requérant demandait la cassation de l’arrêt d’appel confirmatif rejetant le recours qu’il avait formé contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirmant la décision des autorités consulaires à Alger lui refusant un visa de long séjour. 

Revenant totalement sur une décision antérieure pourtant récente (4 février 2021, M. Bouhmaz, n° 434302 ; voir cette Chronique, n° 107), le juge de cassation indique qu’en l’absence dans les textes de l’indication des motifs de refus d’octroi à un ressortissant étranger d’un visa de long séjour (plus de trois mois) en France, l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire (« large pouvoir d’appréciation » écrit le juge) à cet égard. Elle peut se fonder « non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, tel que le détournement de l'objet du visa, mais aussi sur toute considération d'intérêt général. »

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que n’était pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, en l’espèce, un refus de visa motivé par l’absence de preuve de la nécessité pour le demandeur d’obtenir un visa de longue durée.

(7 novembre 2022, M. A., n° 449990)

 

121 - Personnes secourues en mer - Placées en zones d'attente temporaire à Toulon et à Hyères - Circonstances exceptionnelles - Prise en charge à titre humanitaire - Rejet.

L'association requérante critiquait l'institution de zones d'attente temporaire dans la base navale de Toulon et dans un centre de vacances à Hyères demandant la suspension de l'arrêté préfectoral les créant ainsi que la prise de plusieurs injonctions aux préfets et au ministre de l'intérieur.

Les requêtes sont rejetées.

Les conditions de création de la zone d'attente ne sauraient être critiquées en raison des circonstances exceptionnelles et du motif de droit humanitaire qui ont présidé à la réception par la France de personnes recueillies à bord d'un navire errant en Méditerranée. Pas davantage ne saurait prospérer le moyen critiquant les conditions d'exercice des droits de ces personnes au sein de la zone d'attente.

Ainsi, il n'a pas été porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant l'usage par le juge du référé liberté des pouvoirs qu'il détient.

(ord. réf. 19 novembre 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), n° 468917)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

122 - Contrat de travail à durée déterminée – Refus de renouvellement – Décret du 16 juin 2020 – Conditions d’assimilation à une privation involontaire d’emploi – Qualification inexacte des faits – Annulation sans renvoi (règlement de l’affaire au fond).

Une personne employée dans un CHU par contrats successifs à durée déterminée a indiqué ne pas souhaiter voir son contrat renouvelé au-delà du 11 octobre 2015 puis elle a posé sa candidature à un tel contrat pour la période du 7 décembre 2015 au 3 janvier 2016.

L’établissement lui a refusé l’octroi, qu’elle sollicitait, de l'allocation d'aide au retour à l'emploi au motif qu'elle avait refusé la proposition de renouvellement de son contrat à durée déterminée au-delà du 11 octobre 2015 et ce refus a été réitéré en juillet et août 2016 au motif, cette fois, que les conditions de délai ou de durée d'activité requises par la convention d'assurance chômage n'étaient, depuis sa dernière perte volontaire d'emploi, pas remplies.

Saisi par l’intéressée le tribunal administratif a annulé ces refus, octroyé la réparation du préjudice moral en résultant ainsi qu’une somme correspondant au montant de l’aide au retour à l’emploi à compter du 3 janvier 2016. Le CHU de Poitiers se pourvoit en cassation.

Le décret du 16 juin 2020 relatif au régime particulier d'assurance chômage applicable à certains agents publics et salariés du secteur public, dispose que l'agent qui refuse le renouvellement de son contrat de travail ne peut être regardé comme involontairement privé d'emploi, à moins que ce refus ne soit fondé sur un motif légitime.

Selon le juge, ce motif légitime peut être lié notamment à des considérations d'ordre personnel ou au fait que le contrat a été modifié de façon substantielle par l'employeur sans justification.

Le tribunal avait considéré comme légitime le motif avancé par l’intéressée pour refuser le renouvellement de son contrat de travail et en avait déduit le caractère involontaire de la perte d’emploi d’où les condamnations prononcées contre le CHU.

Le Conseil d’État estime que le tribunal administratif, en jugeant ainsi, a inexactement qualifié les faits de l’espèce à savoir l’invocation par la demanderesse de considérations personnelles d’abord tirées, le 7 octobre 2015, de la volonté de s'investir dans un projet associatif, puis tirées, le 14 novembre 2015, de ce qu’elle avait des difficultés psychologiques à poursuivre une activité dans son service d'affectation en raison de sa situation familiale.

En l’absence de perte involontaire d’emploi et de satisfaction des conditions de délai ou de durée d’activité, le CHU ne pouvait que refuser l’octroi de l’allocation sollicitée, d’où résulte le rejet de la demande de l’intéressée.

(9 novembre 2022, Mme A., n° 453076)

 

123 - Déplacements temporaires des personnels et agents du ministère de l’agriculture – Règlement des frais occasionnés par ces déplacements – Principe du forfait – Prise en compte de circonstances justifiant un remboursement des frais réels de dépenses – Illégalité – Annulation.

Dès lors qu’il résulte des dispositions des articles 3, 7 et 7-1 du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'État, que les frais de mission occasionnés par ces déplacements ne peuvent donner lieu qu'à un remboursement forfaitaire, est illégal et encourt annulation l’arrêté ministériel prévoyant la possibilité, dans certaines circonstances, de procéder au remboursement aux frais réels desdits dépenses  et frais.

(10 novembre 2022, Syndicat national des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement (SNIAE-FO), n° 457619)

 

124 - Professeur d’éducation physique déclaré inapte à l’exercice de ses fonctions – Reclassement dans le corps des conseillers principaux d’éducation – Refus d’octroi de l’indemnité forfaitaire d’éducation – Annulation.

Une professeur d’éducation physique est déclarée inapte à l’exercice de ses fonctions après avoir subi trois accidents de travail ; elle est reclassée dans les fonctions de conseiller principal d’éducation à partir de 2011 et jusqu’à son départ à la retraite en 2017.

Sa demande d’octroi de l’indemnité forfaitaire d’éducation, normalement versée aux conseillers d’éducation, ayant été rejetée d’abord par l’administration puis par les juridictions du fond qu’elle avait saisies, elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État juge que la cour a commis une erreur de droit en estimant que la requérante ne remplissait pas les conditions fixées par le décret du 14 mai 1991 pour l’octroi de cette indemnité. En effet, l’art. 1er de ce texte institue cette indemnité forfaitaire en faveur des conseillers principaux et des conseillers d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation, et des personnels non titulaires exerçant les mêmes fonctions sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la titularisation ou non de l’intéressé dans ce corps, seul étant retenu l’exercice effectif desdites fonctions, ce qui était le cas de Mme D.

(10 novembre 2022, Mme D., n° 458629)

 

125 - Université - Maître de conférences - Sanction disciplinaire - Retard à l'avancement d'échelon de trois mois - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Encourt annulation pour qualification inexacte des faits, la décision du CNESER statuant en matière disciplinaire infligeant à un maître de conférences des universités un retard d'avancement d'échelon de trois mois en raison de ce que n'ayant pas contribué à apaiser le climat de tension lors d'une manifestation étudiante le 18 mai 2018 au cours de laquelle, alors qu'étaient organisées des sessions d'examens, des manifestants avaient poursuivi et invectivé plusieurs membres du personnel administratif en charge de l'organisation des examens, il avait manqué à son obligation de neutralité.

En effet, ne s'aperçoit en l'espèce aucunement un manquement d'une telle sorte.

(15 novembre 2022, M. B., n° 451523)

 

126 - Fonctionnaires et agents publics affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 dans le cadre d'un séjour « réglementé » - Réaffectation à Mayotte à l'issue de ce séjour - Droit à l'indemnité dégressive d'éloignement - Mise en oeuvre erronée du 6° de l'art. R. 222-1 CJA - Annulation.

La requérante avait saisi le tribunal administratif de Mayotte d'une demande d'annulation de la décision du recteur de l'académie de Paris lui refusant le bénéfice de la fraction d'indemnité d'éloignement dégressive à laquelle elle estimait avoir droit au titre de l'année 2018 et l'octroi d'une certaine somme en réparation des préjudices subis du fait de la promesse fautive de l'administration.

Le président de la 2ème chambre du tribunal administratif a, par voie d'ordonnance, rejeté sa demande par application du 6° de l'art. R. 222-1 du CJA. 

Le pourvoi dont la requérante a saisi le Conseil d'État permet à ce dernier d'apporter deux intéressantes précisions.

En premier lieu, quant à la procédure suivie, l'ordonnance est cassée car son auteur a estimé que la demande dont il était saisi présentait à juger des questions identiques à celles déjà tranchées par un jugement du tribunal administratif du 12 mars 2020 devenu irrévocable.

Or les dispositions du 6° de l'art. R. 222-1 CJA ne permettent au juge de statuer par ordonnance sur les requêtes relevant d'une série que si les contestations dont il est saisi ne présentent à juger que des questions qui ont déjà été tranchées par un jugement devenu irrévocable et si les données de fait susceptibles de varier d'une affaire à l'autre sont sans incidence sur le sens de la solution à donner aux litiges. Elles ne peuvent, en revanche, être mises en œuvre si le jugement du litige dépend, comme c'était le cas en l'espèce, d'une appréciation ou qualification des faits propres à chaque affaire. 

En second lieu, concernant le fond du litige, il est jugé que les agents affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 dans le cadre du séjour dit " réglementé " de deux ans alors prévu par le décret du 26 novembre 1996 et qui, à l'issue de ce séjour, ont été de nouveau affectés à Mayotte postérieurement à l'abrogation de ce décret, et donc sans condition de durée de séjour, entraient dans le champ des dispositions transitoires du II de l'article 8 du décret du 28 octobre 2013 et avaient ainsi droit à l'indemnité dégressive que ces dispositions prévoient, pour une durée de quatre ans à compter de leur nouvelle affectation.

Le jugement est annulé.

(15 novembre 2022, Mme B., n° 456035)

 

127 - Militaires - Procédure disciplinaire - Invocation de la Convention EDH - Impossibilité - Rejet.

Les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention EDH et l'article préliminaire du code de procédure pénale ne peuvent pas être invoqués pour contester des dispositions définissant la procédure disciplinaire applicable aux militaires (cf. art. R. 4137-41, R. 4137-96 et R. 4137-106 du code de la défense).

(16 novembre 2022, M. B. et M. C, n° 457478)

 

128 - Fonctionnaire hospitalier placé en disponibilité pour trois ans - Demande anticipée de réintégration - Réintégration de droit à première vacance - Emploi occupé par un contractuel constituant un « emploi vacant » - Erreur de droit - Annulation

Un infirmier hospitalier a obtenu une mise en disponibilité pour une durée n'excédant pas trois ans et sollicite sa réintégration avant l'expiration de la période triennale, à compter du 1er novembre 2015. Le centre hospitalier employeur ne l'a réintégré qu'à compter du 11 janvier 2016. L'intéressé demande réparation du préjudice causé par la tardiveté à le réintégrer dès la première vacance.

Son recours est rejeté en première instance motif pris de ce que les deux postes d'infirmiers étaient alors occupés par des agents contractuels et que c'est donc sans illégalité qu'il n'a pu être réintégré dans l'un d'entre-eux.

Le Conseil d'État est à la cassation de ce jugement car les postes de fonctionnaires occupés par des agents contractuels doivent être considérés comme vacants, ce qui, en l'espèce, impliquait une réintégratiuon, comme demandée par le requérant, au 1er novembre 2015 et non au 11 janvier 2016.

(17 novembre 2022, M. B., n° 451700)

 

129 - Inspecteur général de la jeunesse et des sports - Directeur général de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) - Comportement indélicat - Mise à la retraite d'office - Impartialité - Conflit d'intérêts - Rejet.

Le requérant, inspecteur général de la jeunesse et des ports, directeur général de l'INSAP avait été sanctionné par mise à la retraite d'office pour avoir fait profiter des proches de facilités de séjour à Rio de Janeiro à l'occasion de Jeux olympiques. Le décret du président de la république ayant été annulé pour vice de procédure, l'intéressé avait été réintégré dans ses fonctions puis a fait l'objet à nouveau d'une sanction par mise à le retraite d'office.

Saisi à nouveau, le Conseil d'État rejette l'entier recours et, en particulier, deux moyens qui pouvaient faire hésiter.

En premier lieu, le requérant faisait valoir que les circonstances que la chef de l'inspection générale ait signé le rapport de saisine de la commission administrative paritaire, qui concluait que les faits reprochés à M. de Vincenzi justifiaient l'engagement d'une procédure disciplinaire et qu'elle ait décidé de limiter l'indemnisation du préjudice résultant pour le requérant de l'illégalité du décret du 22 septembre 2019 à ce qui résultait du vice de procédure dont il était entaché, faisaient obstacle à ce qu'elle pût régulièrement présider la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline. L'argument est rejeté car « il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait, dans la conduite des débats, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé. »

 Au regard de la théorie des apparences, la motivation est un peu courte.

En second lieu,  le requérant faisait valoir que les faits qui lui étaient reprochés avaient été constatés dans le rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports dont l'un des auteurs se trouvait en situation de conflit d'intérêts et qu'ainsi était discutable ce qui lui était reproché. Le Conseil d'État indique que cette situation de conflit d'intérêts n'avait opas d'incidence en l'espèce dès lors que la matérialité des faits décrits dans ce rapport était établie. Par suite, il ne saurait être soutenu que la sanction repose sur des faits matériellement inexacts.

Comme, par ailleurs, la sanction n'apparaît point disproportionnée compte tenu des faits, le recours est rejeté.

(18 novembre 2022, M. Jean-Pierre de Vincenzi, n° 457565)

 

130 - Fonction publique hospitalière - Infirmière titulaire - Fixation de la limite d'âge en vue de la retraite - Silence des textes - Emploi dit « actif » - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Dans le silence des textes concernant la limite d'âge du départ à le retraite d'une infirmière titulaire, il convient de lui appliquer celle en vigueur pour les agents de la fonction publique hospitalière occupant les emplois classés dans la même catégorie que l'emploi qu'elle occupe, soit, en l'espèce, la catégorie B (dite « active »).

Or, d'une part, les fonctionnaires de la catégorie « active » sont régis par les dispositions de l'art. 31 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, applicable aux fonctionnaires dont la limite d'âge est inférieure à soixante-cinq ans en application des dispositions législatives et réglementaires antérieures à l'entrée en vigueur de cette loi et, d'autre part, il  résulte des travaux préparatoires de la loi du 9 novembre 2010 que, s'agissant des agents de la fonction publique hospitalière, le législateur a entendu élever la limite d'âge maximale applicable aux agents occupant un emploi de catégorie B, dite « active », de soixante à soixante-deux ans, tout en prévoyant des dispositions transitoires pour les fonctionnaires atteignant avant le 1er janvier 2015 l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite qui leur était applicable antérieurement à la loi du 9 novembre 2010.

Il s'ensuit que commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour déterminer la limite d'âge applicable à la requérante, se fonde sur les dispositions de l'article 28 de la loi du 9 novembre 2010, alors qu'il lui appartenait, dès lors qu'elle retenait que l'intéressée occupait un emploi relevant de la catégorie B dite « active », de faire application des seules dispositions de l'article 31 de cette même loi, qui a relevé de 60 à 62 ans la plus haute limite d'âge applicable aux agents de la fonction publique hospitalière occupant un emploi de cette catégorie.

(23 novembre 2022, M. B., n° 451974)

 

131 - Accès à la magistrature - Demande d'admission en qualité d'auditrice de justice - Diplôme estimé ne pas satisfaire aux conditions légales - Commission d'examen des candidatures dotée d'un très large pouvoir d'appréciation - Contrôle restreint - Rejet.

La requérante demandait l'annulation de la décision de la commission d'avancement refusant de l'admettre directement en qualité d'auditrice de justice car elle ne remplissait pas la condition requise de diplôme.

Celle-ci arguait de ce qu'elle détenait une maîtrise de sciences de gestion et un diplôme universitaires « Études et pratiques judiciaires » ; toutefois la loi organique relative à la magistrature exige pour la recevabilité d'une demande d'admission directe comme auditeur de justice l'accomplissement d'une formation d'une durée au moins égale à quatre années d'études après le baccalauréat dans un domaine juridique ou la possession d'une qualification reconnue au moins équivalente. Compte tenu du pouvoir discrétionnaire dont dispose la commission d'avancement en cette matière, le juge se borne à constater qu'elle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation et rejette le recours.

(29 novembre 2022, Mme B., n° 450073)

 

Hiérarchie des normes

 

132 - Polynésie française – « Loi du pays » - Dispositions n’entrant pas dans le champ des compétences dévolues à ce territoire par la loi organique du 27 février 2004 – Annulation partielle.

(9 novembre 2022, Haut-commissaire de la République en Polynésie française, n° 464367 ; Mme C. et M. E., n° 464618 ; Société Isis Polynésie, n° 464699 ; Fédération polynésienne des agents immobiliers et autres, n° 464762 ; Société Les Jardins de Tetavake, société Te Aolani et société Harbour Side, n° 464802 ; M. et Mme O., n° 464804 ; Société Aito Immobilier, n° 464809 ; M. et Mme A., n° 464867 ; M. et Mme T., n° 464868 ; M. et Mme K., n° 464870 ; M. Y., n° 464871)

V. n° 23

 

133 - Droit de l'Union - Transposition d'une directive - Transposition par référence à certaines de ses dispositions - Condition de régularité - Rejet.

Le droit de l'Union fait obligation aux États membres de transposer dans leur ordre interne les directives de l'Union d'une façon suffisamment claire et précise pour en permettre leur pleine application. Toutefois, aucune disposition de la directive en cause ou du droit de l'Union européenne, ne s'oppose par principe à ce qu'un acte de droit interne procède à la transposition des dispositions d'une directive « par référence » à certaines dispositions de celle-ci, sous réserve que, ce faisant, l'acte renvoie, de façon claire et intelligible, à des dispositions ciblées et précises de la directive ne laissant pas de marge d'appréciation aux État membres, et, le cas échéant, ne comporte aucune ambiguïté sur la version de la directive à laquelle il est ainsi renvoyé.

La transposition de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement opérée en l'espèce satisfait à ces conditions en ce qu'elle renvoie, de façon claire et intelligible, à des dispositions ciblées et précises de la directive,  ne laisse pas de marge d'appréciation à la France et ne comporte aucune ambiguïté sur la version de la directive à laquelle il est ainsi renvoyé. Dès lors, il ne saurait être soutenu ni que le procédé retenu par le pouvoir réglementaire conduit à une incorrecte transposition de la directive ni qu'elle méconnaîtrait soit les dispositions des articles L. 104-1 à L. 104-3 du code de l'urbanisme soit les principes de clarté, d'accessibilité ou d'intelligibilité de la norme. 

(23 novembre 2022, Association France nature environnement, n° 458455)

V. aussi pour un autre aspect de cette décision le n° 119

 

Libertés fondamentales

 

134 - Liberté de l’enseignement – Liberté d’entreprendre – Intérêt supérieur de l’enfant – Établissements d’enseignement hors contrat – Degré de liberté de choix des méthodes et des supports pédagogiques – Obligation de respecter un socle commun de connaissances – Absence – Rejet.

Suite à deux contrôles dont l’un consécutif à une mise en demeure, sur proposition rectorale, un préfet ordonne la fermeture administrative d’une école hors contrat au motif que, par son organisation et ses méthodes, elle ne met pas ses élèves en capacité d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, tel que celui-ci est défini à l'article D. 122-1 du code de l'éducation, cette carence caractérisant le premier domaine de formation intitulé les « langages pour penser et communiquer » et le deuxième domaine dénommé « méthodes et outils pour apprendre ». 

Le juge du référé liberté rejette le recours formé à l’encontre de la décision de fermeture en dépit de la production d’attestations des parents et des enseignants « décrivant l'épanouissement des enfants accueillis et la prise en compte des besoins particuliers de ceux-ci » car la requérante n’apporte pas d’éléments de nature à remettre en cause tant l’appréciation des premiers juges que l’absence de caractère manifeste des illégalités qu’elle invoque.

Cette affaire montre une fois de plus qu’existe un réel problème français de l’enseignement hors contrat ainsi que la fragilité de la base sur laquelle se fondent les décisions administratives, très souvent négatives, à son endroit.

Ceci soulève la double question : 1°/ de la preuve du bien-fondé, en termes de capacité et de compétence technique, mais aussi de l’objectivité, de la réglementation nationale actuelle des programmes comme des finalités de l’école, surtout au regard des réformes incessantes – de caractère brownien – dont est affligé notre système éducatif et 2°/ de la marge de liberté, purement contingente, de l’État en matière de contenu et de rythmes scolaires face à celle, de droit naturel, des familles.

(ord. réf. 2 novembre 2022, Association de l'école démocratique Ma Voie, n° 468458)

 

135 - Détenus - Conditions matérielles de détention - Hygiène - Demande d'injonction de diverses mesures - Rejet.

Le juge du référé liberté, saisi par plusieurs organisations, de demandes tendant à ce que soient adoptées diverses mesures d'amélioration des conditions de vie de détenus ou afin que cessent les atteintes portées à leur dignité du fait de ces conditions, les rejette toutes.

Les unes étant des demandes d'injonction de nature structurelles sont, classiquement, rejetées n'étant pas de la nature de celles pouvant être ordonnées par le juge du référé liberté. Les autres le sont soit parce que ne sont pas apportés d'éléments nouveaux de nature à remettre en cause les appréciations portées par le premier juge soit parce que la difficulté invoquée (chauffage) est en voie de résolution très prochaine soit, enfin, parce qu'il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une des libertés fondamentales invoquées par les requérants.

(10 novembre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et autres, n° 468490)

 

136 - Détenu à mobilité réduite - Personne âgée - Traitement inhumain et dégradant - Rejet.

Est rejetée la requête en référé liberté d'un détenu âgé et à mobilité réduite ou « PMR » (fauteuil roulant) demandant à disposer d'une cellule « PMR » et de pouvoir participer aux activités collectives.

Le rejet de la première demande est fondé sur ce qu'en l'état actuel le premier juge des référés a constaté que la perte d'autonomie dont M. A. souffre, du fait de son âge et de son état de santé, si elle implique l'usage d'un fauteuil roulant et recommande l'attribution d'une cellule dite « PMR », ne l'empêche ni de se lever, ni d'effectuer de courts déplacements, notamment au sein de sa cellule qui est une cellule individuelle qui, si elle ne répond pas aux normes d'une cellule dite « PMR », se trouve au rez-de-chaussée de la maison centrale, dans un quartier où l'accès des cellules est de plain-pied et dépourvu de marches, et d'où l'intéressé peut accéder à l'unité de soins située à proximité, dans laquelle il a pu bénéficier de plusieurs rendez-vous par semaine depuis son arrivée et sur ce que le requérant ne fait état, en appel, d'aucun élément nouveau de nature à faire apparaître que le défaut de placement dans une cellule spécialement aménagée l'exposerait à un risque immédiat d'aggravation de son état et serait de nature à justifier l'intervention à bref délai du juge des référés.

Le rejet de la seconde demande est lui aussi fondé sur ce que l'intéressé n'apporte pas d'éléments qui mettraient le juge d'appel à même d'apprécier les erreurs qu'aurait pu commettre le juge des référés du tribunal administratif en rejetant ces conclusions.

(ord. réf. 10 novembre 2022, M. A., n° 468491)

 

137 - Suspension de licence de pêche européenne - Atteintes à la liberté d'entreprendre et au droit au recours - Rejet.

Le préfet de la région Normandie a, par une lettre en date du 6 octobre 2022, ayant fait l'objet d'une signification par huissier le 11 octobre suivant, suspendu pour une durée de deux mois la licence de pêche européenne du navire de pêche IZ MY, dont le requérant est l'armateur. Cette décision était motivée par le cumul de vingt-cinq points de pénalité résultant des sanctions administratives dont il a fait l'objet à la suite des procès-verbaux d'infraction qui ont été dressés à son encontre les 18 et 29 septembre 2021 ainsi que les 3 et 25 novembre 2021.

Le juge des référés du tribunal administratif de Caen ayant rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cette mesure, l'intéressé se pourvoit. Son recours est rejeté.

Le requérant fait valoir que la dernière sanction administrative dont il a fait l'objet, qui a ajouté douze points de pénalité aux treize points déjà infligés par trois précédentes sanctions, ne lui avait pas encore été notifiée à la date à laquelle le préfet l'a informé de la mesure de suspension de la licence de pêche européenne de son bateau. Toutefois, il résulte des dispositions des art. 42 et 92 du règlement (CE) n° 1005/2008 du 29 septembre 2008, 91 du règlement n° 1224/2009 du 20 novembre 2009 et 129 du règlement n° 404/2011 du 8 avril 2011 que les États membres doivent prendre des mesures immédiates afin d'empêcher les capitaines de navire de pêche, qui ont cumulé au moins dix-huit points de pénalité pour des infractions graves, de poursuivre leur activité.

Il suit de là que, la suspension de la licence de pêche européenne étant automatique dès l'accumulation de dix-huit points de pénalité par son titulaire et que la dernière sanction conduisant au dépassement du seuil de dix-huit points de pénalité lui a été signifiée par huissier le 14 octobre 2022,  le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a rejeté sa demande tant en l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre qu'en l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours, l'intéressé ayant la possibilité de contester devant le juge administratif les sanctions dont il a fait l'objet.

(ord. réf. 10 novembre 2022, M. B., n° 468683)

 

138 - Droit d'asile ou bénéfice de la protection subsidaire - Ressortissant afghan - Refus pour motif de culture et de vente d'opium - Crime grave - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Qualifie inexactement les faits, la Cour nationale du droit d'asile qui, pour refuser à un ressortissant afghan le bénéfice de la protection subsidiaire, estime qu'il a commis un crime grave pour s'être livré avec son père en Afghanistan, entre 2006 et 2011 alors qu'il était âgé de 16 à 21 ans, à la culture du cannabis ou du pavot sur une surface d'environ 1 000 m² louée par son père, pavot dont était tiré de l'opium que ce dernier vendait à des tiers, à raison d'environ 500 euros par an, afin de subvenir aux besoins de la famille et alors même qu'elle a aussi relevé que l'Afghanistan était redevenu la principale source de l'héroïne consommée dans le monde, que le trafic de tels produits stupéfiants était particulièrement dommageable pour la santé publique et les intérêts fondamentaux de toute société et qu'il est pénalement incriminé et lourdement sanctionné en France.

Le juge de cassation retient, en effet, que la gravité du crime susceptible d'exclure une personne du bénéfice de la protection subsidiaire ne peut être appréciée qu'à la lumière des principes du droit pénal français, au terme d'un examen concret et approfondi de l'ensemble des circonstances propres au cas individuel concerné, en tenant compte notamment de la nature des faits en cause, des conditions dans lesquelles ils ont été commis et de la gravité des dommages causés aux victimes, sans qu'il y ait lieu d'examiner si la personne concernée représente un danger actuel pour l'ordre public ou la sûreté de l'État.

Faute d'avoir opéré ainsi la Cour a erronément qualifié de crime grave le comportement du demandeur.

(15 novembre 2022, M. A., n° 457799)

 

139 - Demandeur d'asile handicapé - Possibilité de mesures d'aménagement - Pouvoirs et devoirs de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Impossibilité de soulever d'office un moyen tiré de cet état - Annulation.

Un demandeur d'asile de nationalité turque étant atteint de bégaiement, la CNDA estimant que l'examen de sa demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) justifiait un aménagement - absent en l'espèce - des conditions de déroulement de l'entretien, a annulé le refus opposé par l'OFPRA et renvoyé l'intéressé devant ce dernier pour nouvel examen de sa demande.

La décision est cassée car la CNDA a soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public.

Le Conseil d'État, s'il admet un aménagement pour tenir compte d'un handicap, subordonne cet aménagement à une demande en ce sens de l'intéressé.

(18 novembre 2022, OFPRA, n° 459513)

 

140 - Demande d'extradition d'un ressortissant marocain pour deux séries d'infractions - Décret accordant l'extradition - Illégalité partielle de l'extradition contrevenant à l'art. 3 de la convention EDH - Annulation dans cette mesure.

L'extradition d'un ressortissant marocain a été demandée pour deux chefs d'incrimination : complicité de corruption, de détention, transport, trafic, exportation, tentative d'exportation, possession illicite et facilitation d'usage de produits stupéfiants, d'une part, et  faits qualifiés de tentative d'homicide volontaire, d'autre part.

Le requérant demande l'annulation du décret accordant cette extradition.

Le Conseil d'État rejette le recours en tant qu'il concerne le premier chef de la demande d'extradition et donc le décret l'accordant.

En revanche, il estime illégale l'extradition accordée pour le second motif car le requérant courrait le risque d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité incompressible sans possibilité de réexamen, ce qui méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention EDH prohibant les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le décret est annulé en tant qu'il porte sur le second chef d'incrimination.

(18 novembre 2022, M. A., n° 461381)

 

141 - Relations conventionnelles entre caisses de sécurité sociale et organisations représentatives de praticiens et futurs praticiens de santé - Détermination de la représentativité d'une organisation n'imposant pas à ses membres une cotisation - Absence d'irrégularité de ce chef - Recours à un faisceau d'indices - Annulation.

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 468885)

V. n° 164

 

142 - Procédure civile -  Procédure sans audience devant le tribunal judiciaire - Décision procédant de la seule volonté des parties - Absence d'atteinte au droit à un procès équitable ou aux droits de la défense - Rejet.

L'article 1er décret du 27 novembre 2020 institue, dans ses 16°, 17° et 18°, la possibilité pour les parties de demander à tout moment du procès qu'il soit fait usage de la procédure sans audience soit au moyen d'une mention expresse dans l'acte de saisine de la juridiction ou dans l'acte de constitution en défense, soit par une déclaration ayant le même objet. Cette faculté concerne trois cas : pour les ordonnances de référé prévues aux articles 834 à 838 du code de procédure civile (16°), pour la procédure accélérée au fond prévue à l'article 839 du même code (17°) ainsi que pour la procédure à jour fixe prévue à ses articles 840 à 844 (18°).

Les organisations requérantes soutenaient d'abord la contrariété de ces dispositions à celles de l'art. L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire (selon lesquelles : « Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l'initiative des parties lorsqu'elles en sont expressément d'accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. / Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande. »). Ce moyen ne saurait prospérer car les dispositions litigieuses n'ont ni pour objet, ni pour effet de donner l'initiative de la mise en œuvre de la procédure sans audience au juge.

Les requérantes soutenaient ensuite qu'en permettant le recours à la procédure sans audience pour des procédures accélérées, dans le cadre desquelles les débats lors de l'audience ont un rôle important, et le cas échéant, dans des instances pour lesquelles la représentation par avocat n'est pas obligatoire, les dispositions des 16°, 17° et 18° de l'article 1er du décret attaqué méconnaîtraient le droit à un procès équitable ainsi que les droits de la défense découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de 1789. Leur argumentation ne pouvait qu'être rejetée car le Conseil constitutionnel a expressément déclaré les dispositions de l'article L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019.

Au reste, les dispositions litigieuses n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre que la procédure se déroule sans audience en l'absence d'un accord des parties pour que cette procédure soit mise en œuvre. En outre, le tribunal ou le juge saisi peut, dans tous les cas, décider d'organiser une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites dont il dispose. Enfin, le recours à une procédure sans audience implique que le tribunal ou le juge saisi organise les échanges dans le respect du caractère contradictoire de la procédure.

Il suit de là que la requête est rejetée dans son ensemble.

(29 novembre 2022, Syndicat des avocats de France et autres, n° 449154)

 

Police

 

143 - Police sanitaire - Abattage des volailles - Application de rituels religieux - Dérogation à l'obligation d'étourdissement préalable - Instruction technique plus favorable au bien-être animal que la règle communautaire - Rejet.

Est rejeté le recours de la requérante dirigé contre l'instruction technique du directeur général de l'alimentation du ministère de l'agriculture et de l'alimentation détaillant les contrôles officiels relatifs à la protection animale en établissement d'abattage de volailles pour les différentes modalités de leur mise à mort, notamment pour les types d'abattage qui, relevant de méthodes particulières prescrites par des rites religieux, sont autorisés à déroger à l'obligation d'étourdissement préalable.

En effet, alors que le règlement communautaire du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort permet, pour les abattages rituels de volailles, leur immobilisation par suspension à un crochet sans étourdissement préalablement ou postérieurement à cette immobilisation, le code rural et de la pêche maritime (cf. paragraphe II de l'article R. 214-69), sur la base duquel a été prise l'instruction technique attaquée, institue une obligation d'étourdissement après immobilisation qui, quand bien même il ne serait pas conforme aux exigences de l'annexe I du règlement précité, fixe cependant des modalités d'abattage des volailles plus protectrices du bien-être animal que celles fixées par le règlement. 

La solution nous semble assez limite.

(15 novembre 2022, Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), n° 449077)

 

144 - Police du camping et du caravaning - Règlement municipal portant interdiction du stationnement des caravanes et de l'implantation d'habitations légères de loisirs sur une partie du territoire communal - Interdiction du camping et du stationnement des caravanes sur l'ensemble du territoire communal, en dehors des terrains spécialement aménagés à cet effet - Conclusions irrecevables - Refus d'abrogation - Erreur de droit - Estoppel - Rejet.

(17 novembre 2022, Commune de Saint-André, n° 453761)

V. n° 40

 

145 - Police spéciale du maire - Respect des règles d'utilisation des sols - Refus de raccordement définitif d'une installation de gens du voyage à un réseau d'électricité - Notion de raccordement définitif - Utilisation intermittente sans conséquence sur cette notion - Annulation.

Des gens du voyage, propriétaires d'un terrain sur lequel ils séjournent par intermittence plusieurs mois par an, demandent au maire de la commune l'autorisation d'un raccordement de la caravane située sur ce terrain au réseau d'électricité.

Le maire tenant de ses pouvoirs de police spéciale la compétence pour assurer le respect des règles d'utilisation des sols, il peut s'opposer à une demande d'autorisation de raccordement au réseau public d'électricité d'une caravane de gens du voyage irrégulièrement implantée sur un terrain leur appartenant. Il est indifférent à cet égard que la caravane ne soit pas occupée en permanence, le caractère de raccordement définitif résultant directement de ce que le raccordement sollicité n'a pas vocation à prendre fin à un terme défini ou prévisible.

Est en conséquence annulé l'arrêt confirmatif de l'annulation du refus du maire d'autoriser le raccordement sollicité au motif qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un raccordement définitif.

(23 novembre 2022, Commune d'Esbly, n° 459043)

 

146 - Police de l'ordre public - Exécution des expulsions ordonnées par le juge judiciaire - Obligation de recourir à une notification d'huissier par voie électronique - Absence - Formalité papier ne pouvant se substituer à l'exigence légale - Rejet.

Les requérants recherchaient la responsabilité de l'État pour refus du préfet de leur accorder le concours de la force publique en vue de l'exécution d'une ordonnance d'expulsion d'occupants sans titre d'un immeuble leur appartenant.

En réalité l'huissier à ce commis avait, le 29 janvier 2018, remis à la préfecture, sur document papier, la demande de concours de la force publique alors qu'il résultait des dispositions de l'art. L. 431-2 du code des procédures civiles d'exécution qu'une telle demande devait, après le 31 décembre 2017, revêtir une forme électronique. Le préfet ne peut être considéré comme ayant refusé de prêter le concours de la force publique dès lors qu'il n'avait pas été saisi en la forme régulière.

C'est sans erreur de droit ni dénaturation des faits ou inversion de la charge de la preuve que le tribunal administratif a rejeté la requête après avoir relevé que le système d'information électronique nécessaire à l'accomplissement de cette formalité était opérationnel à la date à laquelle l'huissier a notifié par papier sa demande.

En réalité, les intéressés devaient saisir le juge judiciaire d'une action en responsabilité contre le professionnel libéral.

(29 novembre 2022, MM. Jacques et Gabriel A., n° 443396)

 

147 - Police de la protection des majeurs - Guide à destination des mandataires judiciaires à la protection des majeurs - Recommandations impératives relatives à l'exercice de leur mission en période d'épidémie - Rejet.

La direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé a publié le 20 novembre 2020 un « Guide ministériel », destiné à l'ensemble des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et comportant un certain nombre de recommandations relatives à l'exercice de leur activité dans le cadre de la crise sanitaire.

Les requérantes demandent l'annulation de ce texte, le Conseil d'État interprétant cette requête comme seulement dirigée contre certains points divisibles de ce guide.

Tout d'abord, bien qu'il s'agisse d'un document de portée générale comportant de nombreuses recommandations le recours est recevable à l'encontre de ceux de ces éléments comportant un caractère impératif ou constituant purement et simplement des lignes directrices.

Ensuite, appliquant sa jurisprudence traditionnelle, le juge considère que bien que ce guide ait été abrogé postérieurement à l'introduction de la requête, il n'apparaît pas qu'il n'ait pas fait l'objet d'une application avant son abrogation ; le recours dirigé contre ses dispositions est donc recevable.

Sur le fond, les requérantes contestent nombre de dispositions de ce guide, toutes leurs demandes sont rejetées qu'il s'agisse de l'obligation de maintenir durant la crise des contacts indispensables entre mandataires et personnes protégées notamment afin de permettre à celles-ci le maintien de certaines activités, la proposition de mise en place de prestations de nettoyage, de vérifier l'état du logement ou bien de l'obligation pour les mandataires, en pareille circonstance, d'assurer leurs missions sous le contrôle de l'autorité administrative ou de l'obligation les engageant à effectuer des déplacements pour accomplir leurs fonctions en dépit des restrictions de déplacements, ou celles de paiement des charges et de versement des prestations sociales des personnes placées en curatelle simple, de la protection de la santé et de la sécurité de la personne protégée, son suivi médical et l'obligation d'alerter son médecin traitant, enfin, de l'obligation pour les mandataires judiciaires d'informer le juge des contentieux de la protection.

Toutes ces préconisations sont strictement proportionnées à la situation économique et aux exigences des missions confiées aux organisations requérantes.

(29 novembre 2022, Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme A., n° 448176)

 

148 - Police de l'ordre public - Nuisances sonores causées par un établissement de ball-trap permanent - Compétence du préfet ou du maire - Prise en considération de la localisation de l'activité non de ses effets - Rejet.

Pour confirmer l'annulation d'un arrêté préfectoral suspendant à titre conservatoire l'activité d'un établissement de « ball-trap », une cour administrative d'appel retient qu'il convient, pour l'application du 3° de l'art. L. 2215-1 du CGCT, de prendre en compte l'objet de la mesure, en fonction de la localisation de l'établissement dont l'activité est à l'origine du litige, et non les effets de la mesure, en fonction de la portée des troubles à l'ordre public auquel elle entend remédier.

Or en l'espèce une seule commune était concernée et le préfet ne pouvait donc user de pouvoirs qui ne trouvent à s'appliquer que si sont en cause les territoires d'au moins deux communes limitrophes.

(29 novembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 449749)

 

Professions réglementées

 

149 - Médecin - Addiction à l'alcool - Suspension temporaire de l'exercice de la médecine - Rejet.

Est rejetée la demande de suspension de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins de suspendre la requérante pendant une année du droit d'exercer la médecine.

Le juge relève que compte tenu des difficultés importantes que la requérante semble éprouver pour maîtriser son addiction, à laquelle la suspension de six mois dont elle a fait l'objet en septembre 2020 n'a pas permis de remédier, et de la nécessité, relevée par le rapport d'expertise, d'une psychothérapie de fond permettant de prévenir les situations dans lesquelles elle éprouverait le besoin de consommer de l'alcool, doit être rejeté le moyen tiré de ce que la fixation de la durée de la suspension à un an, serait entachée d'une erreur d'appréciation.

(ord. réf. 14 novembre 2022, ,Mme B. n° 468448)

 

150 - Médecin - Procédure disciplinaire conduite en violation du secret médical - Annulation.

Le requérant contestait la régularité de la procédure disciplinaire suivie à son encontre du fait qu'une médecin avait, en cette qualité, dans le cadre d'une instance judiciaire en réparation d'un préjudice corporel, utilisé le rapport du médecin-conseil de la compagnie d'assurances du demandeur que cette dernière lui avait communiqué.

Le demandeur se pourvoit en cassation contre la décision infirmative de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins relaxant la praticienne et rejetant sa plainte.

Le Conseil d'État est à la cassation en application de l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique. En effet, il résulte tant de ce texte que de l'ordonnance judiciaire de référé en désignation d'expert que « la communication de toute pièce médicale à un tiers était subordonnée à l'accord de la personne concernée ».

Or la chambre disciplinaire nationale, pour rejeter la plainte contre la médecin, après avoir constaté que la communication à l'expert judiciaire du rapport d'expertise réalisé au cours  de la procédure amiable par le médecin-conseil de la compagnie d'assutrances avait eu lieu sans que le requérant n'ait donné son accord préalablement à cette communication, a jugé que ce comportement n'était pas constitutif d'une méconnaissance des dispositions précitées, dès lors que l'obligation de respecter le secret médical s'appliquait aux deux médecins et que l'échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice. En statuant ainsi, la chambre disciplinaire a commis une erreur de droit car il résulte des dispositions de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique précité que le partage d'informations couvertes par le secret médical et nécessaires à la prise en charge d'une personne, entre professionnels de santé ne faisant pas partie de la même équipe de soins, requiert le consentement préalable de cette personne, d'autant que  l'article 275 du code de procédure civile (selon lequel : « Les parties doivent remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission. En cas de carence des parties, l'expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s'il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l'autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l'état. La juridiction de jugement peut tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l'expert ») ne permet pas, en tout état de cause, de déroger à cette exigence.

(15 novembre 2022, M. B., n° 441387)

 

151 - Vétérinaire - Absence de déclaration de domicile d'exercice professionnel - Radiation du tableau de l'ordre - Motif impuissant à justifier cette radiation - Annulation.

Si le défaut de déclaration préalable au conseil régional de l'ordre des vétérinaires territorialement compétent d'un domicile professionnel d'exercice, prévue par l'art. R. 242-53 du code rural et de la pêche maritime, est susceptible de fonder des poursuites disciplinaires contre le vétérinaire en cause, il ne peut en revanche servir de fondement à une décision de radiation du tableau de l'ordre prise en application des dispositions du III de l'article L. 242-4 du même code car il n'est pas au nombre des conditions requises pour l'inscription au tableau de l'ordre par le titre IV du livre II du même code et précisées à son article R. 242-85, lesquelles n'exigent, en matière de domiciliation, qu'un justificatif de domicile professionnel administratif.

(15 novembre 2022, M. A., n° 455932)

 

152 - Ostéopathes - Détermination des organisations représentatives - Critères - Limitation à deux des organisations retenues - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation de la décision du 21 décembre 2021 du ministre des solidarités et de la santé relative à la liste des organisations syndicales représentatives de la formation en ostéopathie.

Elles faisaient valoir des moyens de légalité externe et des moyens de légalité interne, tous rejetés.

Tout d'abord, s'agissant de la légalité externe, l'appréciation de cette représentativité ayant uniquement pour objet, sur la base des critères qu'elle retient, de fixer la liste des organisations professionnelles appelées à proposer au ministre chargé de la santé les membres, désignés ou nommés par celui-ci, représentant spécifiquement la profession d'ostéopathe au sein de la section de la commission nationale d'agrément des établissements de formation en chiropraxie et en ostéopathie devant donner au même ministre, auprès duquel elle est placée, un avis sur les demandes d'agrément des établissements de formation en ostéopathie, il s'en déduit que, contrairement à ce qui est soutenu, une telle décision ne met pas en oeuvre des critères qui relèveraient des principes fondamentaux du droit syndical.

En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les critères retenus par le ministre seraient devenus obsolètes.

Contrairement à ce qui est soutenu, ni les dispositions du premier alinéa de l'art. L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu desquelles toute décision prise par une administration doit comporter la signature de son auteur, ni aucun autre texte ou principe n'imposent que, lorsqu'une telle décision fait l'objet d'une publication, cette signature figure sur le document publié.

Ensuite, s'agissant de la légalité interne, en premier lieu, il ressort des pièces des dossiers que la représentativité des organisations professionnelles d'ostéopathes a été appréciée par le ministre en fonction de leurs effectifs d'adhérents à jour de leur cotisation, de leur ancienneté, au minimum de deux ans dans le champ de la profession à compter de la date de dépôt légal des statuts, de l'activité et de l'expérience de ces organisations. L'Association française des ostéopathes ne saurait prétendre que ces critères seraient inadéquats ou trop imprécis et que les modalités selon lesquelles ils seraient appliqués auraient dû en conséquence, notamment s'agissant des effectifs d'adhérents à jour de leur cotisation, être détaillés dans l'avis d'enquête. Le moyen manque en droit comme en fait alors que, au surplus, il s'agit là de critères qui sont usuellement utilisés et analogues à ceux fixés par le code du travail pour les organisations professionnelles d'employeurs et par le code de la sécurité sociale pour les organisations syndicales appelées à participer aux négociations conventionnelles nationales.

Par ailleurs, en retenant, parmi les organisations professionnelles représentatives des ostéopathes, deux organisations représentatives des masseurs-kinésithérapeutes, la décision attaquée s'est bornée à faire application des dispositions règlementaires qui prévoient la nomination de deux membres sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives des ostéopathes masseurs-kinésithérapeutes. Or il ressort des pièces des dossiers que les deux organisations professionnelles retenues comptent parmi leurs membres 68 % de l'ensemble des masseurs-kinésithérapeutes exerçant par ailleurs la profession d'ostéopathe et qu'elles comportent en leur sein des instances spécialisées dans le domaine de l'ostéopathie, dont leurs statuts les habilitent à défendre les intérêts. Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les deux organisations désignées ne seraient pas représentatives au sens de ces dispositions réglementaires.

Également, si les dispositions applicables prévoient la désignation de quatre ostéopathes exerçant à titre exclusif sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives au niveau national, elles n'imposent pas par elles-mêmes, non plus qu'aucun autre texte ou principe, que ces organisations professionnelles soient elles-mêmes au nombre de quatre. En l'espèce, si la décision attaquée retient seulement deux organisations professionnelles comme représentatives des ostéopathes exerçant à titre exclusif, il ressort des pièces des dossiers que ces organisations comptent respectivement 1 209 et 1 164 adhérents, quand les deux requérantes n'en comptent que 637 et 208.

(23 novembre 2022, Chambre nationale des ostéopathes, n° 460493 ; Association française d'ostéopathie, n° 461736, jonction)

 

153 - Profession d'infirmier - Demande de reconnaissance d'un diplôme d'infirmier délivré par un État tiers à l'Union européenne - Diplôme admis par un État membre en équivalence du diplôme délivré par cet État - Absence de validité de plein droit - Possibilité d'exiger une mesure de compensation - Rejet.

Une ressortissante tunisienne se prévalant du diplôme tunisien d'infirmière reconnu par l'État belge comme équivalent au titre belge de "Bachelier en soins infirmiers" a demandé qu'il soit pris en compte en France pour la délivrance d'une autorisation d'exercice sur le fondement de l'article L. 4311-3 du code de la santé publique, dès lors qu'il avait été reconnu en Belgique. Le préfet a rejeté sa demande en se fondant sur les dispositions de l'art. L. 4311-4 de ce code.

Après que son recours a été rejeté par le tribunal administratif la cour a annulé ce jugement et ordonné au préfet de réexaminer la demande de la requérante.

Celle-ci se pourvoit contre cet arrêt dont elle demande la cassation partielle.

Le juge décide en premier lieu que, titulaire d'une carte de résident d'une durée de dix ans et d'un diplôme reconnu équivalent au diplôme délivré par un État de l'Union, la requérante relevait du régime institué à l'art. L. 4311-4 du code de la santé publique. Le diplôme dont elle se prévalait ne pouvait donc pas d'être pris en compte pour la délivrance d'une autorisation d'exercice sur le fondement de l'article L. 4311-3 du code de la santé publique car il n'avait pas été délivré par un État membre ou partie, il suit de là que la demande de la requérante devait être examinée au regard des seules dispositions de l'article L. 4311-4, comme l'avait d'ailleurs fait, à bon droit, l'administration. 

Le juge décide en second lieu que, dès lors, la cour pouvait, comme elle l'a jugé, estimer régulière la décision du préfet de subordonner l'autorisation d'exercice à une mesure de compensation consistant, au choix de la demanderesse, en une épreuve d'aptitude ou en un stage d'adaptation.

(29 novembre 2022, Mme B., n° 444734)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

154 - Réintégration d’un militaire détaché – Régime différent de celui de la réintégration d’un fonctionnaire civil détaché – Inconstitutionnalité alléguée – Refus de transmission de la QPC.

Le requérant soulevait une QPC à l’encontre des dispositions des art. L. 4138-8 et L. 4138-9 du code de la défense et de celles de l'article 5 de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, pour méconnaissance du principe d’égalité garanti par l’art. 5 de la Déclaration de 1789 en ce que, à la différence de ce qui est prévu pour un fonctionnaire civil, lors de la réintégration du militaire détaché, il n’est pas tenu compte du grade et de l'échelon atteints dans le corps ou cadre d'emplois de détachement, sous réserve qu'ils lui soient plus favorables.

Le juge refuse de transmettre cette question qui, selon lui, n’est pas de caractère sérieux en ce qu’elle n’établit ni que le législateur a méconnu sa compétence ni que la différence de traitement ne correspond pas à des différences objectives de situation des civils et des militaires.

(2 novembre 2022, M. B., n° 463950)

 

155 - Travailleur handicapé - Bénéfice d’un départ anticipé à la retraite - Preuve de la qualité de travailleur handicapé pour la période antérieure au 31 décembre 2015 – Interprétation jurisprudentielle du principe constitutionnel d’égalité – Refus de transmission d’une QPC.

Dans le cadre d’un pourvoi en cassation contre un jugement de tribunal administratif rejetant sa demande d’annulation du refus que lui a opposé le ministre de l’action et des comptes publics de le faire bénéficier d'un départ anticipé à la retraite en qualité de fonctionnaire handicapé, le requérant soulève une QPC. Celle-ci est fondée sur ce qu’il résulterait des dispositions du III de l'article 36 de la loi du 20 janvier 2014 et de celles de l'article L. 5213-2 du code du travail, prises ensemble, la méconnaissance -  en raison de l'interprétation qu'en a donnée le Conseil d'État dans sa jurisprudence récente - du principe d’égalité reconnu par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'elles ne permettent pas à un travailleur handicapé d'apporter, pour la période antérieure au 31 décembre 2015, la preuve de cette qualité par tout moyen en vue de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite.

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question pour deux motifs. D’abord, la procédure retenue par le législateur pour la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, à savoir une décision de reconnaissance par la commission ad hoc, assure une égalité de traitement de tous les candidats à cette reconnaissance et ainsi a pu être écartée la preuve par tout moyen sans qu’il ait été porté atteinte aux dispositions de l’art. 6 de la Déclaration de 1789. Ensuite, loin d’avoir ignoré le onzième alinéa du Préambule précité, les dispositions litigieuses ne sont pas de nature à priver de garanties légales les exigences constitutionnelles en résultant.

Comme les moyens propres du pourvoi ne sont pas, non plus, accueillis, le pourvoi est rejeté dans son ensemble.

(9 novembre 2022, M. B., n° 464460)

 

156 - Agents publics - Absence d'exonération d'impôt sur le revenu  des indemnités de licenciement (6° du 1 de l'art. 80 duodecies du CGI) - Question de caractère sérieux renvoyée au Conseil constitutionnel.

Est nouvelle et de caractère sérieux, justifiant ainsi son renvoi au Conseil constitutionnel, la QPC relative à l'atteinte portée par le dernier alinéa du 6° du 1 de l'article 80 duodecies du CGI aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en tant qu'il limite, pour ce qui concerne les agents publics, le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu qu'il prévoit aux seules indemnités de rupture conventionnelle à l'exclusion des indemnités de licenciement.

(16 novembre 2022, M. B., n° 467518)

 

157 - Services de renseignement - Communication de données médicales de patients hospitalisés - Atteinte au respect de la vie privée - Absence de dérogation au secret médical - Refus de transmission d'une QPC.

Le Conseil national de l'ordre des médecins, à l'appui de sa demande d'annulation d'une circulaire primo-ministérielle relative aux dispositions de l'article L. 863-2 modifié du code de la sécurité intérieure, soulève une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que ces dispositions, en ce qu'elles permettent aux services de renseignement de solliciter et d'obtenir la communication de données médicales concernant des patients hospitalisés dans un établissement public de santé, sont contraires au droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et qu'en les adoptant, le législateur a méconnu l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, faute d'avoir expressément prévu une dérogation au secret médical pour les professionnels de santé.

Le Conseil d'État refuse la transmission sollicitée pour deux motifs principaux.

En premier lieu, le juge rappelle que si le droit au respect de la vie privée requiert que soit observée une particulière vigilance dans la communication des données à caractère personnel de nature médicale, en l'espèce la disposition litigieuse met en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et a limité la transmission de données couvertes par les secrets protégés par la loi, y compris le secret médical qui est au nombre de ces derniers et auquel les dispositions contestées dérogent expressément, à l'existence d'une demande préalable des seuls services de renseignement, pour des besoins strictement nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.

Ainsi, le législateur a exclu la transmission spontanée, à l'initiative d'une autorité administrative, des données qu'elle détient à ces services et il n'a pas instauré d'obligation de transmission à la charge de ces autorités, mais s'est borné à définir les conditions dans lesquelles celles-ci sont autorisées à procéder à une telle communication.

De plus, les demandes formulées par les services de renseignement doivent pour leur part respecter les prescriptions fixées à l'article L. 801-1 du code de la sécurité intérieure, selon lesquelles ceux-ci ne peuvent porter atteinte au respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment la protection des données à caractère personnel, que « dans le respect du principe de proportionnalité ».

Enfin, le législateur a aussi exclu la possibilité pour les autorités administratives de transmettre dans ce cadre les données génétiques couvertes par un secret protégé par la loi qu'elles détiennent.

En second lieu, le législateur a organisé un système complet de traçabilité concernant la transmission des données à caractère personnel demandées, laquelle doit respecter la loi Informatique et libertés. Cette traçabilité s'étend encore à la réception, à la conservation et à l'exploitation des données par les services de renseignement. Chaque service de renseignement est tenu de se doter d'un agent chargé d'assurer complètement et continûment cette traçabilité.

Il résulte donc de l'ensemble des garanties accompagnant l'exercice par les services de renseignement des pouvoirs que leur confère la disposition législative litigieuse que celle-ci ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, d'où il suit que la question posée ne saurait être transmise.

(23 novembre 2022, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 464480)

 

158 - Relations conventionnelles entre caisses de sécurité sociale et organisations représentatives de praticiens et futurs praticiens de santé - Détermination de la représentativité d'une organisation n'imposant pas à ses membres une cotisation - Absence d'irrégularité de ce chef - Recours à un faisceau d'indices - Annulation.

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 468885)

V. n° 164

 

159 - Audiences juridictionnelles - Interdiction de leur enregistrement, de fixation de leur image, etc. - Conditions de dérogation à cette interdiction - Refus de transmission d'une QPC au Conseil constitutionnel.

A l'occasion de la demande d'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l'application de l'article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, les requérantes soulèvent à l'encontre de cette dernière une question prioritaire de constitutionnalité.

Sa transmission au Conseil constitutionnel est refusée.

L'art. 38 ter de la loi de 1881 sur sur la liberté de la presse ajouté par l'art. 1er de la loi du 22 décembre 2021 fixe le régime de dérogation à l'interdiction de l'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience, pour un motif d'intérêt public d'ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, en vue de sa diffusion.

La demande d'autorisation d'enregistrement et de diffusion est adressée au ministre de la justice. L'autorisation est délivrée, après avis du ministre de la justice, par le président du Tribunal des conflits, le vice-président du Conseil d'État, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes, concernant leurs juridictions respectives. 

Elle est délivrée, après avis du ministre de la justice, par le président de la juridiction concernant les juridictions administratives et les juridictions comprenant un magistrat du siège membre de la Cour de cassation, et par le premier président de la cour d'appel concernant les cours d'appel et les juridictions de l'ordre judiciaire de leur ressort.

Les requérants soutenaient : 1° que le motif permettant d'autoriser l'enregistrement d'une audience juridictionnelle en vue de sa diffusion est défini de manière trop imprécise par la loi, compte tenu des risques d'atteinte à la présomption d'innocence, aux droits de la défense et à l'indépendance des magistrats que comporterait un tel enregistrement et qu'il en va de même s'agissant de la condition tenant à ce que l'affaire soit définitivement jugée, à laquelle la loi subordonne toute diffusion de l'enregistrement d'une audience ; 2° que cette faculté faisait courir des risques sur la sérénité et la sincérité des débats, qui participent tant de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice que du droit à un procès équitable ; 3°  que le législateur n'aurait pas prévu les garanties nécessaires à la préservation du secret des propos échangés à l'audience entre les avocats et leurs clients, qui participe du droit à un procès équitable; 4° que la protection des témoins participant à une audience n'était pas suffisamment assurée et pourrait affecter la sincérité de leurs déclarations comme des débats se déroulant à l'audience ; 5° que le délai de rétraction de l'accord pour l'enregistrement dont dispose les parties et les témoins est insuffisant.

Le Conseil d'État estime non sérieuses ces diverses questions car le législateur a défini avec suffisamment de précision le motif permettant d'autoriser l'enregistrement, sans, ce faisant, porter atteinte à la présomption d'innocence, aux droits de la défense, à l'indépendance des magistrats et au droit au respect de la vie privée des parties ; il a, semblalement, entouré le régime d'autorisation d'enregistrement des audiences qu'il a instauré des garanties propres à assurer la sauvegarde de la sérénité et de la sincérité des débats ; il a également fixé des garanties suffisantes pour sauvegarder le droit au respect de la vie privée des magistrats et des avocats qui y participent comme pour préserver le secret des propos échangés à l'audience entre les avocats et leurs clients et, par voie de conséquence, le droit à un procès équitable ; de la même manière, il a suffisamment garanti la protection des témoins déposant à l'audience et, par voie de conséquence, de la sincérité des débats tenus à l'audience, tout comme il a assuré la protection des personnes mineures et des personnes majeures protégées sans méconnaître les exigences découlant du droit au respect de leur vie privée.

Le délai de rétraction d'une autorisation d'enregistrement est suffisant.

Enfin, il ne saurait être sérieusement soutenu que la possibilité ouverte par les dispositions en cause d'enregistrer des audiences et certains actes d'instruction intervenant dans le cours d'une enquête pénale ou d'une information judiciaire porterait atteinte à la présomption d'innocence.

(29 novembre 2022, Conseil national des barreaux, n° 464593 ; Syndicat des avocats de France, n° 464164)

 

160 - Placement en détention provisoire de personnes mineures hors les cas prévus par le code de la justice pénale des mineurs (art. 397-2-1 du code de procédure pénale) - Réalisation sous la contrainte de relevés d'empreintes digitales et palmaires et de photographies de personnes non encore déclarées coupables (art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs) - Questions de caractère sérieux - Transmission au juge constitutionnel.

Le Conseil d'État transmet au Conseil constitutionnel deux QPC soulevées par les requérants à l'occasion d'un recours dirigé contre la circulaire du 28 mars 2022 de présentation des dispositions résultant de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure et dirigées contre deux dispositions de cette loi.

En premier lieu, il est jugé que l'art. 397-2-1 du code de procédure pénale, inséré par l'article 25 de la loi du 24 janvier 2022, soulève une question de caractère sérieux d'une part, en tant qu'il autorise, le cas échéant, le placement en détention provisoire de personnes mineures hors les cas prévus par le code de la justice pénale des mineurs, y compris lorsque sont en cause des infractions qui ne seraient pas d'une gravité suffisante, méconnaissant ainsi l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule à la Constitution de 1946 et les dispositions de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, en tant qu'il ne prévoie pas l'intervention d'une juridiction spécialisée entourée de garanties suffisantes, méconnaissant ainsi le principe fondamental reconnu par les lois de la République de la spécificité de la justice pénale des mineurs.

En second lieu, il est jugé que les dispositions des art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, insérés dans ce code par l'article 30 de la loi du 24 janvier 2022, soulèvent une question de caractère sérieux d'une part, en permettant de réaliser sous la contrainte des relevés d'empreintes digitales et palmaires et des photographies de personnes qui n'ont pas encore été déclarées coupables alors que ces opérations ne sont pas nécessaires à la manifestation de la vérité et indépendamment de la gravité et de la complexité des infractions en cause, méconnaissant ainsi le droit au respect de la présomption d'innocence, le principe de dignité de la personne humaine et la liberté individuelle ainsi que le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, en ne prévoyant pas l'assistance d'un avocat s'agissant des personnes majeures et en ne prévoyant que la seule information préalable de l'avocat avant la mise en œuvre de relevés sous la contrainte s'agissant des personnes mineures, ces dispositions méconnaissent le droit à un procès équitable et le droit au respect des droits de la défense tout comme elles méconnaissent l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant en ce qu'elles permettent de recourir à des relevés sous la contrainte à l'encontre de mineurs qui apparaissent manifestement âgés d'au moins treize ans et sans assortir ces opérations de garanties suffisantes.

(29 novembre 2022, Syndicat de la magistrature et autres, n° 464528)

 

Responsabilité

 

161 - Fautes commises lors de la prise en charge d'un patient - Préjudices en résultant - Évaluation des frais liés à un handicap - Déduction des sommes perçues au titre de la prestation de compensation du handicap -  Régime applicable - Erreur de droit - Annulation.

Rappel en premier lieu qu'en principe, pour éviter une double indemnisation de la victime, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais liés au handicap le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. En revanche, la déduction n'est pas possible lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

Rappel, toutefois, en second lieu, que dans l'hypothèse où la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

En l'espèce, où cette condition n'était pas remplie, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant que devait être déduite du montant de l'indemnité allouée au titre des frais divers liés au handicap la somme perçue par la victime au titre de la prestation de compensation du handicap.

Il faut reconnaître que la complexité résultant de l'enchevêtrement de ces solutions permet de comprendre les hésitations des juges du fond.

(17 novembre 2022, M. F. et autres, n° 454095)

 

162 - Concours de la force publique - Expulsion tardive d'occupants sans droit ni titre - Calcul du montant de l'indemnisation - Fixation de la date de libération des lieux - Erreur de droit - Annulation.

Un tribunal administratif est saisi d'une demande d'indemnisation du préjudice causé à un propriétaire pour le retard apporté par le préfet à mettre à sa disposition le concours de la force publique pour l'expulsion d'occupants sans droit ni titre. Pour fixer la date à laquelle les lieux ont été libérés le juge retient la date à laquelle les occupants irréguliers disposaient d'une nouvelle adresse.

Le jugement est cassé pour erreur de droit car cette date et cet événement n'établissaient pas la reprise réelle de son bien par le propriétaire et cela d'autant plus qu'il constatait lui-même que les occupants avaient posé un verrou dont ils n'avaient pas remis les clés à ce dernier.

(17 novembre 2022, M. A., n° 455109)

 

163 - Durée excessive d'une procédure - Préjudices allégués - Préjudice moral - Indisponibilité d'une somme - Préjudices subis par les dirigeants - Préjudices relevant, les uns, de la durée anormale de la procédure, les autres non - Admission partielle du droit à réparation.

La requérante demandait réparation du préjudice subi du fait de la durée excessive des procédures engagées devant la juridiction administrative, tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de taxes sur le chiffre d'affaires mis à sa charge au titre des exercices 1992 et 1993.

Sur le principe, le juge relève que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure « doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement

Examinant le fond du litige, le juge admet tout d'abord qu'est excessive la durée totale de onze ans et cinq mois pour un litige ne présentant pas de difficulté particulière, alors même qu'elle concerne une procédure qui recouvre quatre instances et que s'agissant de la première, la requérante, en tardant à répondre au mémoire en défense, a contribué à l'allongement du délai de jugement de sa demande.

Puis, il est passé à l'étude de chacun des chefs de préjudices allégués par la demanderesse :

- celle-ci ne saurait soutenir que l'administration fiscale n'a expressément rejeté sa réclamation du 30 septembre 1998 que par une décision du 24 mai 2002, qu'elle a contestée devant le tribunal administratif de Paris le 24 juillet 2002, et qu'il doit par suite être tenu compte de la durée excessive de ce recours administratif préalable obligatoire dans l'appréciation du caractère raisonnable de la durée globale de la procédure. En effet, la requérante pouvait, à l'expiration du délai de six mois suivant la réception de sa réclamation du 30 septembre 1998, saisir le tribunal administratif. Le caractère excessif de la durée de la procédure précontentieuse lui est ainsi entièrement imputable.

- celle-ci ne saurait alléguer les préjudices qui trouvent leur origine directe dans le comportement de l'administration s'agissant de l'exécution de la décision juridictionnelle, comportement qui ne relève pas du régime juridique  propre à la réparation liée aux durées excessives des procédures juridictionnelles.

- elle ne saurait non plus demander à l'État d'indemniser les éventuels préjudices de ses dirigeants et associés résultant de la durée excessive de la procédure juridictionnelle, qui ne sont pas parties à l'instance.

- pareillement, n'est pas indemnisable le préjudice qui serait résulté de l'indisponibilité d'une somme ayant fait l'objet d'un dégrèvement car par une décision du 14 juin 2016, l'administration fiscale a liquidé des intérêts moratoires pour un montant de 1 148 863 euros, assis sur un dégrèvement de 1 065 099 euros et calculés sur une période allant du 20 avril 1993 au 14 juin 2016, et que ce faisant, elle a compensé les effets de l'indisponibilité de la somme ayant fait l'objet d'un dégrèvement en tenant compte de la durée pendant laquelle la société BNS en a été privée.

- semblablement, la société ne saurait se prévaloir de ce qu'elle a supporté des frais pour assurer sa défense devant le juge, qu'elle a vu limiter son accès à des sources de financement bancaire et entraver son développement, ce qui s'est en outre traduit par une baisse importante de son chiffre d'affaires, ainsi que par une dépréciation de ses actifs d'un montant de 1,96 million d'euros et d'une perte de valeur de la société d'un montant de 15 millions d'euros dès lors, d'une part, que ni l'expertise produite par la requérante ni l'instruction de ce dossier n'ont établi l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le préjudice allégué et la durée excessive de la procédure.

- enfin, ne sont pas réparables à ce même titre tous ceux des comportements éventuellement fautifs de l'administration non liés à cette durée.

- en revanche, le préjudice moral est réparable à ce titre en raison des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès.

Au total, la société BNS obtient une réparation de 6000 euros sur les 30 millions qu'elle avait réclamé.

(25 novembre 2022, Société Beauté, Nutrition et Succès (BNS), n° 443253)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

164 - Relations conventionnelles entre caisses de sécurité sociale et organisations représentatives de praticiens et futurs praticiens de santé - Détermination de la représentativité d'une organisation n'imposant pas à ses membres une cotisation - Absence d'irrégularité de ce chef - Recours à un faisceau d'indices - Annulation.

Le syndicat requérant n'a pas été admis en qualité d'observateur aux négociations conventionnelles relatives aux rapports entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives pour l'ensemble du territoire. Pour être dite représentative l'organisation doit satisfaire à quatre critères (indépendance notamment financière, niveau des effectifs, ancienneté minimale d'existence de deux ans et niveau d'activités).

En l'espèce la requérante s'est vu refuser le statut d'observateur car elle n'exige pas de ses membres le versement d'une cotisation ce qui empêcherait d'apprécier sa représentativité; elle a saisi en vain le tribunal administratif d'un référé liberté. Le juge d'appel se montre - et on le comprend - quelque peu embarrassé par une situation assez inédite.

Toutefois, la liberté d'association comme la liberté syndicale ne permettent pas de considérer comme irrégulière l'absence de cotisation imposée. Cependant, la mesure de l'indépendance financière de l'entité candidate à la représentativité est sérieusement gênée par cette circonstance tout comme la mesure des effectifs et le caractère effectif de l'adhésion.

En l'espèce, le juge relève, contredisant le premier juge des référés, qu'il « résulte de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience que le syndicat requérant, dont les effectifs ont été estimés à 4 210 adhérents au 31 décembre 2021 par la mission nationale de contrôle, a produit des documents, dont la valeur probante n'a pas été contestée, qui révèlent l'existence d'un contrôle réel de l'adhésion initiale, laquelle est acceptée conformément aux statuts, l'existence au fil du temps d'une vérification de la condition d'ancienneté dite des " dix ans ", - même si, sur ce point, la mission nationale de contrôle a pu signaler, dans un document de synthèse, des dépassements en nombre limité de cette condition d'adhésion -, la prise en compte des demandes de résiliation, lesquelles peuvent statutairement intervenir à tout moment, enfin l'envoi d'un message d'information sur la messagerie de l'adhérent, à chaque date anniversaire de son adhésion, qui, le mettant à même de modifier les éléments de son " statut ", peut être regardé comme lui permettant également de confirmer tacitement son adhésion ou d'y renoncer explicitement. Au regard de l'ensemble de ces éléments et en l'état de l'instruction, le caractère volontaire de l'adhésion et la fiabilité des listes d'effectifs peuvent être regardés comme suffisamment établis. Au demeurant, le contrôle du critère des effectifs n'a pas, dans le passé, fait obstacle à ce que ce syndicat soit reconnu comme représentatif et puisse en particulier présenter des candidats aux élections professionnelles comme l'élection nationale des unions régionales des professionnels de santé (URPS) .

Au reste, l'indépendance financière du syndicat requérant est jugée assurée.

L'ordonnance déférée est cassée avec injonction aux ministres concernés de reconnaître au syndicat requérant, à titre conservatoire, la qualité d'observateur pour lui permettre d'être provisoirement associé aux négociations conventionnelles en cours entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) et les représentants des médecins libéraux en vue de parvenir à une nouvelle convention médicale pour la période 2023-2027. 

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 468885)

 

165 - Patient en état irréversible - Existence de directives anticipées - Non respect en l'absence de toute perspective thérapeutique - Rejet.

Dans un référé jugé en formation collégiale est approuvée la décision médicale de cesser les soins jusque-là dispensés en raison de l'absence de toute perspective thérapeutique étant donné l'état actuel du patient et cela en dépit de directives anticipées qu'il a données d'être maintenu en vie même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.

Le juge décrit ainsi la méthodologie de son appréciation des circonstances d'un arrêt de soin : « Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. »

Au cas de l'espèce, confirmant le rejet prononcé en première instance, est rejeté le recours dirigé contre la décision médicale constatant l'inutilité totale de toute poursuite des soins.

C'est là encore une de ces situations douloureuses dont un paradoxe veut qu'elles résultent des « progrès » de la médecine à laquelle celle-ci, ensuite, doit mettre un terme au vu de l'imbroglio moral et sanitaire créé uniquement par les possibilités médicales.

(ord. réf., form. coll., 29 novembre 2022, Mme D. et autres, n° 466082)

 

Service public

 

166 - Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – Note prescrivant les conditions d’organisation et de fonctionnement du service en période d’urgence sanitaire – Rejet.

Par une note du 7 avril 2020 relative à la continuité des missions de la protection judiciaire de la jeunesse face à l'épidémie de Covid-19 et aux modalités d'organisation de l'injonction, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a rappelé, d’une part, l'obligation d'assurer un fonctionnement minimum du service public qu'elle administre dans l'intérêt des publics qui lui sont confiés et d’autre part, que, à ce titre, les activités relatives à la mission éducative auprès du tribunal, les activités en hébergement ainsi que celles qui s'exercent auprès des détenus sont obligatoirement maintenues.

La note prévoit également que la continuité d'activité peut nécessiter le concours d'agents pour assurer les missions essentielles dans d'autres services ou établissements que ceux auxquels ils sont affectés. Les tâches à réaliser peuvent ne pas correspondre à leurs fonctions habituelles sans que, pour autant, elles excèdent la qualification des agents concernés. Il est, à cet effet, recouru aux agents, fonctionnaires et contractuels, qui se portent volontaires puis, si la situation l'exige, à des agents auxquels il est adressé une injonction valant ordre de mission.

L’union requérante demande l’annulation de cette note et soulève plusieurs moyens à l’appui de sa requête, tous rejetés.

Il entrait bien dans la compétence de cet agent d’édicter de telles mesures sans que la circonstance que certaines des injonctions prévues soient similaires à celles prévues en cas de grève ne constitue un détournement de procédure.

Semblablement, en édictant des mesures de protection sanitaire et réservé le cas des personnels vulnérables, la note attaquée ne méconnaît pas l'objectif à valeur constitutionnelle du droit à la protection de la santé et les règles du droit du travail en matière d'hygiène et de sécurité.

En énonçant les différents principes devant guider le choix des agents appelés à assurer les missions essentielles de certains services de la PJJ durant la période de l'état d'urgence sanitaire et en les combinant avec celles des autres mesures et recommandations énoncées par le Gouvernement pour faire face à l'épidémie de Covid-19, au regard de l'ensemble des éléments d'appréciation à sa disposition, l’auteur de la note litigieuse ne saurait se voir reprocher, contrairement à ce qui est soutenu, de n’avoir pas précisément déterminé l'ensemble des critères à prendre en compte et défini, pour chaque cas, un ordre de priorité.

La note incriminée n’est pas irrégulière du fait qu’elle dispose que l'injonction doit être notifiée directement à l'agent par tous moyens permettant de justifier de la preuve de la remise mais sans préciser ces moyens alors qu’elle n'était pas tenue de les préciser.

Enfin, en disposant que le non-respect d'une injonction par un agent de la protection judiciaire de la jeunesse est susceptible de donner lieu à une retenue sur traitement et à l'engagement d'une procédure disciplinaire sur le fondement de dispositions législatives (loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et loi du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961), la note attaquée se borne à rappeler ces dispositions sans que les mesures en cause puissent être considérées comme disproportionnées dans le contexte de l'épidémie de Covid-19.

(2 novembre 2022, Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse, n° 441058)

 

167 - Demande d'octroi d'un droit de visite en prison - Demande formulée par une personne victime de violences conjugales de la part du détenu visité - Refus du garde des sceaux - Rejet.

Une personne victime de violences conjugales d'une extrême gravité, restée plusieurs années sans demander à rencontrer l'auteur, incarcéré, de ces violences, a demandé la suspension de la décision du chef du centre pénitentaire lui retirant son permis de visite.

Elle se pourvoit contre l'ordonnance de rejet de sa demande. Celle-ci est rejetée pour défaut d'urgence sans examen de la condition de doute sérieux.

Le juge fait sienne l'argumentation du garde des sceaux selon laquelle la décision de retrait du permis de visite est justifiée par les craintes pour les risques auxquels Mme D. pourrait être exposée en cas de visite à M. A., dès lors que ce dernier a commis, de façon répétée, sur une période de plusieurs années, des actes de violences conjugales d'une extrême gravité et que le centre pénitentiaire ne serait pas en mesure de mettre en place des mesures de sécurité telles que les visites pourraient se dérouler sans risques pour la requérante.

En outre, la requérante n'a pas souhaité rendre visite à son mari pendant ses premières années d'incarcération, entre 2016 et 2021, et ne fournit pas les raisons particulières qui la conduisent à souhaiter désormais lui rendre visite.

Enfin, si elle met en avant l'intérêt pour ses enfants de pouvoir rendre visite à leur père, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que ces enfants ont pu continuer à rendre visite à leur père en dépit de l'absence de permis de visite de leur mère, en étant accompagnés par un autre membre de la famille, et que la requérante pourrait par ailleurs solliciter le concours d'une association à cette fin. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'établit pas que l'exécution de décision dont elle demande la suspension serait constitutive d'une urgence justifiant la suspension de la décision de retrait du permis de visite. 

(ord. réf. 15 novembre 2022, Mme D., n° 461131)

 

Sport

 

168 - Agrément ministériel de fédérations sportives -  Agrément ne pouvant être accordé qu'à une fédération organisant des compétitions - Activité de tourisme équestre n'entrant pas dans ce champ - Annulation.

Doit être annulé pour erreur de droit l'arrêté ministériel accordant à la Fédération française d'équitation la délégation prévue à l'article L. 131-14 du code du sport pour la pratique du « tourisme équestre »  car une telle délégation ne peut être consentie que pour l'organisation de compétitions or l'activité de « tourisme équestre » ne donne pas lieu à des compétitions.

(18 novembre 2022, Fédération Équiliberté, n° 464269)

 

Travaux publics et expropriation

 

169 - Dommages causés par des travaux ou ouvrages publics – Responsabilité du maître d’ouvrage envers les tiers – Conditions d’engagement – Exonération – Caractère accidentel – Effets – Rejet.

Les requérants, agriculteurs, recherchaient la responsabilité de la commune en raison des inondations récurrentes qui affectent leur parcelle où se trouve un élevage de brebis.

Leur action ayant été rejetée en première instance et en appel, ils se pourvoient en cassation, en vain.

En réalité, le juge observe que ne sont point réunies les conditions permettant d’actionner la commune en responsabilité. C’est l’occasion pour le juge de rappeler le régime de responsabilité à raison des dommages causés aux tiers par les travaux ou ouvrages publics.

La responsabilité du maître de l'ouvrage à raison des dommages causés par les ouvrages publics dont il a la garde est engagée sans faute envers les tiers lorsque ces dommages résultent de leur existence et/ou de leur fonctionnement.

En ce cas, ne peuvent être invoqués que deux causes d’exonération : la faute de la victime ou l’existence d'un cas de force majeure.

Dans l’hypothèse où le dommage causé aux tiers n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et revêt, par suite, un caractère accidentel, ces derniers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice subi.

Sur le fond, est confirmé le rejet de la requête pour défaut de preuve du caractère spécial et anormal du préjudice subi

(10 novembre 2022, M. et Mme B., n° 455802)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

170 - Permis de construire délivré par le préfet – Plan local d’urbanisme prescrivant de construire en retrait d'un cours d’eau et s’annexant la cartographie du réseau hydrographique communal – Règle de retrait s’appliquant aussi par rapport à des fossés – Erreur de droit – Annulation.

Le plan local d’urbanisme d’une commune oblige à implanter les constructions en retrait de cinq mètres « à partir du haut de la berge de part et d'autre du cours d'eau (en annexe du PLU - annexe réseau hydrographique). (...) ».

En outre, l'additif au rapport de présentation de ce plan indique : « Le réseau hydrographique constitue une annexe au dossier de modification du PLU (...).

Le règlement écrit est ajusté afin de préciser la distance et le point de départ du retrait par rapport au réseau hydrographique ».

Le préfet délivre un permis de construire et un permis modificatif valant permis de démolir pour la réalisation d'une opération d'ensemble comportant la construction de quatorze logements collectifs, douze maisons individuelles et annexes et la démolition d'une maison individuelle.

La commune conteste la légalité de ces autorisations en raison du non-respect du retrait de cinq mètres précité qu’elle estime s’appliquer non seulement au cours d’eau mais aussi aux ruisseaux et aux fossés.

Déboutée en première instance, elle se pourvoit en cassation.

Le jugement est annulé pour erreur de droit en ce qu’il s’est fondé pour rejeter la requête dont l’avait saisi la commune, sur ce que le retrait n’était imposé par le PLU que par rapport au seul cours d’eau. Le juge de cassation considère qu’il résulte de l’annexion explicite de la carte du réseau hydrographique au PLU comme de l’additif au rapport de présentation du PLU que la règle de retrait de cinq mètres s’applique à l’ensemble du réseau, y compris les ruisseaux et les fossés.

(7 novembre 2022, Commune de La SalvÉtat-Saint-Gilles, n° 457388)

 

171 - Permis de construire en surélévation d’un bâtiment existant et permis modificatif - Moyen nouveau contestant le rejet d’un moyen comme inopérant – Moyen relevant de la même cause juridique que le moyen soulevé dans le délai du pourvoi – Rejet de la fin de non-recevoir.

Dans le cadre de l’examen d’un pourvoi dirigé contre la délivrance du permis de construire deux logements en surélévation d'un immeuble après démolition partielle et contre le permis modificatif prévoyant notamment la création d'un local de stockage des conteneurs d'ordures ménagères au rez-de-chaussée du bâtiment existant, le juge de cassation est amené à rappeler une solution classique du contentieux en matière de cause juridique.

Le demandeur, débouté de sa demande d’annulation de ces permis, a saisi la cour administrative d’appel d’un appel dirigé contre ce jugement de rejet. Il a, à cette occasion,  outre le moyen d’annulation développé en première instance et fondé sur ce que le permis de construire litigieux méconnaîtrait des dispositions du plan local d'urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l'habitat (PLUiH) en ce qui concerne la distance entre la partie arrière de la construction surélevée et la limite séparative de fond de parcelle, ajouté un second moyen tiré de ce que  la construction projetée ne prévoyait pas d'aire de présentation des conteneurs d'ordures ménagères. La cour ayant transmis ce recours au Conseil d’État, les défendeurs plaidaient que le requérant n'ayant pas soulevé dans son pourvoi, enregistré dans le délai de recours contentieux au greffe de la cour administrative d'appel et transmis au Conseil d'État, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le tribunal pour avoir écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que la construction projetée ne prévoyait pas d'aire de présentation des conteneurs d'ordures ménagères, le requérant était irrecevable à le présenter postérieurement dans le cadre d’un mémoire complémentaire, après expiration du délai de pourvoi.

Le moyen est rejeté par application des jurisprudences bien connues, Société Intercopie (Section, 1953) et Société des forges et aciéries de Saint-François (Assemblée, 1954) : dès lors qu’un moyen relève de la même cause juridique qu’un précédent moyen soulevé dans le délai du recours contentieux il est recevable alors même qu’il a été présenté après expiration dudit délai.

(9 novembre 2022, M. A., n° 459938)

 

172 - Permis de construire - Voie ouverte à la circulation publique - Existence d'une servitude de passage - Largeur de la voie ressortant des pièces du dossier et d'un site internet accessible à tous - Rejet.

Dans un litige en annulation d'un permis de construire sur une parcelle enclavée sur laquelle existe une servitude de passage, le juge apporte deux précisions utiles.

Tout d'abord, alors même que le permis de construire est délivré sous réserve des droits des tiers il n'appartient ni à l'autorité administrative qui le délivre ni, le cas échéant, au juge administratif saisi, de vérifier la validité de cette servitude ni l'existence d'un titre permettant l'utilisation de la voie qu'elle dessert, si elle est privée, dès lors que celle-ci est ouverte à la circulation publique.

Ensuite, si en principe  le juge administratif ne peut se fonder, de sa propre initiative, sur des informations n'ayant pas été soumises au contradictoire, il n'en va pas de même lorsqu'il ressort des pièces du dossier qui lui est soumis ainsi que d'un site internet accessible à tous, que ceuxs-ci permettaient, par eux-mêmes, au tribunal administratif d'en déduire que la largeur de la voie de desserte du terrain litigieux était supérieure à 3,50 mètres. 

(16 novembre 2022, M. L. et autres, n° 452025)

 

173 - Péremption d'un permis de construire - Compétence dérogatoire du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Rejet.

Il résulte des dispositions de l'art. R. 811-1-1 du CJA, applicables à la ville de Paris, que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours, introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022, dirigés contre « les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du CGI et son décret d'application ».

Jugeant que ce texte a pour objectif, dans les zones où la tension entre l'offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d'opérations de construction de logements ayant bénéficié d'un droit à construire, le Conseil d'État décide que ces dispositions dérogatoires sont applicables non seulement aux recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées, aux recours dirigés contre les décisions refusant de constater leur péremption. D'où il suit qu'en l'espèce le Conseil d'État était bien compétent pour statuer sur le jugement rendu par le tribunal administratif dans cette espèce.

Le pourvoi n'est cependant pas admis.

(22 novembre 2022, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 153 rue de Saussure, n° 461869)

 

174 - Permis de construire comportant des aménagements privés situés sur le domaine public - Absence de déclassement et de transfert de la propriété publique - Défaut de qualité des pétitionnaires pour déposer une demande de permis de construire - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Un tribunal administratif - après qu'il a ordonné et obtenu sa régularisation - annule un permis de construire au motif que les pétitionnaires étaient sans qualité pour demander un tel permis dès lors qu'une partie des aménagements inclus dans la demande de permis (places de stationnement et conteneurs) sont situés sur le domaine public communal et qu'il n'existe sur cette parcelle ni un déclassement ni un transfert de propriété vers les pétitionnaires.

Le Conseil d'État est à la cassation car il incombait seulement au tribunal « de rechercher si, à défaut de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle, le dossier joint à la demande comportait une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public ». La solution, quelque souplesse qu'elle manifeste, est critiquable - en dépit de ce que peut en dire l'art. R. 431-13 du code de l'urbanisme - quand on sait combien est stricte l'exigence de formalisme entourant le déclassement et aussi en raison du fait que même avec une promesse il n'existe aucune certitude sur la réalité future du déclassement. Enfin, faire reposer un permis de construire sur une simple autorisation d'occupation temporaire ignore superbement l'indivisibilité du permis dont l'un des éléments de légalité est l'existence de places de stationnement : que se passe-t-il si ces dernières sont précaires et révocables ?

(23 novembre 2022, Sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, n° 449443 et n° 455632 ; Commune de Juvigny, n° 455895)

(175) V. aussi, identique sur le point jugé dans la décision ci-dessus : 23 novembre 2022, M. A., n° 450008.

 

176 - Permis de construire modificatif valant autorisation de démolir - Projet de construction comportant un tiers de logements sociaux - Bénéfice d'une majoration du volume constructible - Application - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

L'art. L. 151-28 du code de l'urbanisme autorise le règlement des plans locaux d'urbanisme (PLU) à « délimiter des secteurs à l'intérieur desquels la réalisation de programmes de logements comportant des logements locatifs sociaux au sens de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation bénéficie d'une majoration du volume constructible tel qu'il résulte des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l'emprise au sol. Cette majoration, fixée pour chaque secteur, ne peut excéder 50 % (...) ».

Le PLU de Neuilly-sur-Seine a fixé à 30% la majoration de volume constructible pour la construction de logements sociaux dans certains secteurs de la commune. Cette majoration est applicable à chacune des règles concernées de hauteur, d'emprise et de gabarit. Ainsi, lorsqu'est en cause la règle de gabarit (soit la distance des constructions par rapport, notamment, aux limites séparatives), cette disposition a pour effet soit d'augmenter d'un coefficient de 1,3 la hauteur du bâtiment autorisée par la règle de distance aux limites séparatives pour une distance à la limite séparative donnée, soit, pour une hauteur donnée, de réduire la distance aux limites séparatives exigée par l'article UD 7 du PLU d'un coefficient de 1,3.

Cependant, le Conseil d'État estime que cette hauteur ou cette distance ainsi majorée du coefficient 1,3 ne peut excéder la limite fixée en valeur absolue par le règlement du PLU, ce qui réduit l'intérêt de la dérogation est n'est peut-être pas strictement conforme à l'intention du législateur lorsqu'il a posé cette règle de majoration pour l'édification de logements sociaux.

En conséquence, est annulé pour erreur de droit le jugement qui retient, pour définir la distance d'implantation minimale de la construction projetée par rapport aux limites séparatives, non pas sa hauteur effective mais la hauteur maximale théorique autorisée par le règlement  du PLU. Il n'est pas certain que le jugement méritait annulation pour ce motif.

(23 novembre 2022, Mme D. et M. et Mme A., n° 441184)

 

177 - Demande de permis de construire – Opposition d’un sursis à statuer pour deux motifs -  Premier motif rejeté par les premiers juges, second motif retenu – Juge d’appel annulant le jugement du chef du second motif sans examen du premier – Non-respect du principe d’effet dévolutif de l’appel – Annulation et renvoi.

(7 novembre 2022, Commune de Gometz-le-Châtel, n° 455195)

V. n° 32

 

178 - Installation classée pour l'environnement - Criblage, concassage de béton et d'enrobés routiers et transit de produits minéraux - Mise en demeure de régulariser par une procédure d'enregistrement - Refus pour incompatibilité avec l'affectation du terrain en zone naturelle de loisirs par le PLU - Rejet.

(ord. réf. 15 novembre 2022, Société Vitse, n° 463114) É

V. n° 112

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Octobre 2022

Octobre 2022 

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute – Droits annuels d’inscription à la préparation de ce diplôme – Décret renvoyant à un arrêté la fixation de ses conditions d’application – Absence de fixation – Erreur de droit – Annulation.

La fédération requérante demandait l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande tendant à ce qu'elle fixe par arrêté le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé.

Constatant qu’à la date à laquelle il statue (bien que le contentieux en cause relève de l’excès de pouvoir et non du plein contentieux) le renvoi opéré par l'arrêté du 22 août 1988 à l'arrêté fixant les frais d'inscription à l'université, ne permet pas de déterminer le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'État de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé et ce montant ne résultant pas davantage d'autres dispositions réglementaires, il s’ensuit que l'application des dispositions de l'article D. 4321-22 du code de la santé publique, qui prévoient le principe de tels frais d'inscription, est, dès lors, manifestement impossible.

En refusant de prendre un arrêté fixant le montant de ces droits d'inscription, la ministre a commis une erreur de droit.

Comme demandé par la requérante, injonction est faite à celle-ci de prendre sous deux mois l’arrêté nécessaire.

(7 octobre 2022, Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie, n° 438233)

 

2 - Diplôme d’université d’orthodontie – Refus de reconnaissance de ce diplôme par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes – Application d’une décision réglementaire de l’ordre – Diplôme ne constituant pas une qualification complémentaire utile à l’information des patients – Rejet.

La requérante, titulaire du diplôme d'université d'orthodontie, demande l’annulation de la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes refusant de reconnaître ce diplôme ; sa requête est rejetée.

Ce refus est fondé sur une décision à caractère réglementaire de ce Conseil fixant notamment les critères et la procédure selon lesquels ce conseil examine les demandes de reconnaissance des diplômes, titres et fonctions présentées par des chirurgiens-dentistes.

Cette décision ayant été publiée sur le site internet de l'ordre national des chirurgiens-dentistes, au sein d'un espace documentaire, avec la mention des dates de son édiction et de ses modifications, a ainsi fait l'objet de mesures de publication adéquates permettant son entrée en vigueur. La requérante n’est, en conséquence, pas fondée à soutenir que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ne pouvait pas légalement se fonder sur cette décision réglementaire pour prendre la décision attaquée.

Ensuite, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes s'est seulement fondé sur l'absence d'intérêt pour l'information du patient de la mention de la formation en cause par rapport à celle de la formation initiale des chirurgiens-dentistes en orthopédie dento-faciale. Par suite, le moyen tiré de ce qu’il aurait mentionné dans sa décision un volume annuel de vacations au cours des trois années de formation conduisant à l'obtention du diplôme litigieux qui serait inexact, revêt un caractère inopérant.

Enfin, ce Conseil n’a ni commis une erreur d’appréciation ni commis une erreur de fait en estimant que ce diplôme ne correspondait pas à une qualification complémentaire utile à l'information du patient, et par suite ne satisfaisait pas aux conditions posées par les dispositions des articles R. 4127-216 et R. 4127-218 du code de la santé publique ainsi que par la décision réglementaire de ce Conseil en date du 13 avril 2007.

(7 octobre 2022, Mme B., n° 456454)

 

3 - Recommandations par « Questions-réponses » du ministère de la fonction publique sur le déconfinement et ses conséquences – Réitération dans un courriel du secrétaire général du Conseil d’État – Exception d’illégalité à l’encontre des « Questions-réponses » - Absence de caractère discriminatoire – Rejet.

Un document, intitulé « Questions-réponses Covid-19 - Sortie du confinement dans la fonction publique », a été mis en ligne le 11 mai 2020 sur le site internet du ministère chargé de la fonction publique, sous la forme de douze questions et réponses. Puis, par un courrier électronique adressé aux présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et à la présidente de la Cour nationale du droit d'asile le 26 mai 2020, le secrétaire général du Conseil d'État – agissant sur délégation du vice-président de ce Conseil - a appelé l'attention des chefs de juridiction sur la situation des magistrats et des agents ayant atteint l'âge de 65 ans, en renvoyant expressément les chefs de juridiction au document mentionné au point précédent, tout en mettant en exergue certaines de ses recommandations. 

Le requérant demande l’annulation de ce courriel. Tous ses moyens sont rejetés.

Est tout d’abord écarté le moyen d’incompétence du signataire du courriel qui manque en droit comme en fait.

Pareillement n’est pas retenue l'exception d'illégalité des « questions-réponses » du 11 mai 2020 puisque le courriel litigieux n'a pas été pris sur leur fondement ou pour leur application, se bornant simplement à y faire référence.

Il n’est pas exact que les mesures auxquelles ce courriel renvoie seraient sans rapport avec l'aptitude au service, inspirées par des considérations étrangères à l'intérêt du service et présenteraient un caractère discriminatoire en se fondant sur un critère lié à l'âge, dès lors qu’il ne vise, dans un but de santé publique, que les personnes les plus vulnérables à la Covid-19, notamment les plus âgées, un âge supérieur à 65 ans étant, selon la Haute autorité de santé, un facteur de risque de gravité, compte tenu notamment des taux de mortalité particulièrement élevés alors constatés pour cette tranche d'âge à la suite d'une infection au virus.

(7 octobre 2022, M. B., n° 442043)

 

4 - Communication de documents administratifs – Documents détenus par une personne privée non chargée d’une mission de service public – Documents reçus par une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public – Comptes d’une fondation d’entreprise - Nature de documents administratifs communicables sous réserve de secrets protégés – Entité n’ayant reçu aucune subvention publique – Rejet.

La requérante avait demandé, en vain, au tribunal administratif la communication de comptes annuels de la fondation d'entreprise Louis Vuitton, ainsi que de leurs annexes. Elle se pourvoit contre le rejet de sa réclamation.

L’action est rejetée au terme du raisonnement suivant.

Le Conseil d’État décide, c’est sans doute là le plus important, « que les documents produits par une personne privée qui n'est pas investie d'une mission de service public acquièrent le caractère de documents administratifs, pour l'application du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'ils ont été reçus par une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public. De tels documents, sauf à ce qu'il soit possible d'occulter ou de disjoindre les mentions en cause, ne peuvent toutefois être communiqués qu'à la personne intéressée lorsque cette communication porterait atteinte à la protection de sa vie privée au sens et pour l'application de l'article L. 311-6 du même code ».

Il se déduit de ceci :

- d’abord, que ne sont pas communicables à des tiers, par l’autorité administrative détentrice, les documents relatifs notamment au fonctionnement interne et à la situation financière de cette personne morale privée car cette communication porterait atteinte à la vie privée de cette personne morale (que l’art. L. 311-6 du CRPA exclut du champ d’application du droit à communication),

- ensuite que, s’agissant des comptes des fondations d’entreprise ceux-ci ne sont pas communicables car, précisément, ils sont des documents relatifs notamment à leur fonctionnement interne et à leur situation financière et concerne leur vie privée à l’exception du cas où une fondation aurait reçu une subvention publique excédant un certain montant (cf. art. L. 612-4 du code de commerce).

C’est sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que, par le jugement querellé, le tribunal administratif a refusé à la requérante la communication des comptes de la fondation Louis Vuitton en tant que cette communication porterait atteinte à la protection de la vie privée.

(Section, 7 octobre 2022, Association Anticor, n° 443826)

 

5 - Candidature aux fonctions de président d’un tribunal administratif – Nomination d’un autre candidat – Procédure d’examen des candidatures – Circonstances postérieures à un avis émis au cours de cette procédure – Nécessité d’un vote formel – Absence – Rejet.

Des différents griefs, dont plusieurs de fait et importants, développés par le requérant au soutien de sa demande d’annulation du décret nommant une autre personne que lui-même à un poste de président de tribunal administratif, ne seront retenues que deux critiques tenant à la procédure suivie en l’espèce.

Tout d’abord, le demandeur mettait en cause la régularité de l'avis rendu sur sa candidature par Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTACAA) le 14 janvier 2020 en se fondant sur des circonstances postérieures à cette date. Ce moyen est classiquement rejeté.

Ensuite, alors même que le CSTACAA prend ses décisions et émet ses avis et ses propositions à la majorité des suffrages exprimés (cf. art. R. 232-24 CJA), cela n’implique pas et n’impose pas qu’il doit nécessairement se prononcer au moyen d’un vote formel dès lors que le procès-verbal de séance indique que ses membres se sont prononcés à l’unanimité sur l’inscription de l’un des candidats sur la liste d'aptitude pour l'accès aux 6ème et 7ème échelons du grade de président du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Le recours est rejeté également par rejet de tous les autres moyens soulevés.

(7 octobre 2022, M. B., n° 447249)

 

6 - Foire aux questions du ministère de l’éducation nationale – Questions relatives à la tenue de réunions syndicales et aux absences pour motif syndical – Existence éventuelle d’une situation imprévisible – Retrait d’autorisation – Légalité.

La fédération requérante demandait l’annulation de la précision apportée dans une foire aux questions publiée sur le site internet du ministère de l’éducation nationale selon laquelle, en cas de d’impossibilité tenant à la Covid-19 et créant une situation imprévisible empêchant le fonctionnement du service et donc la tenue de réunions syndicales ou celle d’une formation syndicale, les autorisations de telles réunions ou formations peuvent être retirées.

Elle invoquait au soutien de son action, les dispositions de l’art. L. 242-1 du CRPA prohibant l’abrogation de décisions créatrices de droit.

La requête est rejetée.

D’abord, les énonciations attaquées de la foire aux questions relative à la Covid-19 se bornent à rappeler que ces autorisations, qui ne produisent d'effet qu'au jour de l'absence effective de leurs bénéficiaires, peuvent être abrogées ou retirées si les nécessités du fonctionnement du service s'y opposent à cette date en cas de situation imprévisible. Par conséquent, elles ne formulent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, une règle qui méconnaît les dispositions de l'article L. 242-1 du CRPA.

Ensuite, si une décision d'autorisation d'absence pour motif syndical ne peut être abrogée qu’en raison des nécessités du fonctionnement du service, avec lesquelles doit être concilié l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, celle-ci peut être abrogée en cas de situation imprévisible qui empêche le bon fonctionnement du service. Ainsi il n’a pas été porté en l’espèce une atteinte illégale à la liberté syndicale.

(10 octobre 2022, Fédération Sud Éducation, n° 460776)

 

7 - Mandataires à la protection des mineurs – Arrêté relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de ces mandataires – Compétence de son auteur – Conformité à la loi – Enregistrement dans le répertoire national des certifications – Rejet.

Un arrêté du ministre chargé des affaires sociales, du 7 décembre 2021, a été pris en vue de modifier l'arrêté du 2 janvier 2009 relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs et de délégué aux prestations familiales.

Les requérantes en demandent l’annulation mais en vain, aucun des moyens soulevés n’ayant prospéré.

Tout d’abord, en prenant cet arrêté le ministre des solidarités et de la santé est resté dans le cadre et la limite de ses compétences tels qu’ils résultent  du code de l’action sociale et des familles (art. D. 471-4) en ce qui concerne la définition de l'agencement de la formation complémentaire mentionnée à l'article D. 471-3 de ce code, le contenu des enseignements théoriques et des stages éventuels ainsi que les dispenses et allègements de formation en fonction des qualifications et de l'expérience professionnelle des intéressés, les conditions et les modalités d'entrée en formation, de mise en œuvre et de validation de la formation ainsi que de délivrance du certificat national de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Par suite, le référentiel d’activités et le référentiel de compétences n’étant destinés qu’à préciser le contenu de la formation complémentaire de ces mandataires judiciaires, le ministre, en prenant l’arrêté querellé, a compétemment agi.

Ensuite, l’arrêté litigieux n’a pas méconnu de dispositions réglementaires ou législatives applicables aux mandataires judiciaires à la protection des mineurs dès lors qu’il n'a ni pour objet ni pour effet de définir les missions de ces mandataires, les conditions d'exercice de leur activité ou les conditions dans lesquelles cette activité pourrait être soumise à contrôle.

Enfin, compte tenu de l’objet limité de cet arrêté, il ne saurait être soutenu que le certificat en cause aurait été irrégulièrement enregistré dans le répertoire national des certifications prévu à l'art. L. 6113-1 du code du travail.

(14 octobre 2022, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs, Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et Mme A., n° 459810)

 

8 - Décret relatif au forfait post-stationnement - Recours contentieux contre une décision refusant d’abroger ce décret réglementaire – Moyens pouvant être soulevés devant le juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Saisi, notamment, d’une demande d’annulation du refus d’abroger le décret du 20 mai 2015 relatif à la redevance de stationnement, le juge précise que le forfait post-stationnement ne constitue pas une sanction et ne saurait donc relever des paragraphes 1 et 3 de l’art. 6 de la Convention EDH.

Surtout, il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, si le requérant en excès de pouvoir peut soulever dans le cadre d’une action dirigée contre le refus d’abroger une décision réglementaire la légalité des règles fixées par celle-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir, en revanche, il ne saurait critiquer les conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure que dans le cadre d’un recours dirigé non contre le refus d’abrogation mais directement contre l’acte réglementaire initial lui-même et cela dans le délai ordinaire du recours contentieux.

(10 octobre 2022, M. B., n° 443526)

 

9 - Question préjudicielle – Régime contentieux de la saisie-conservatoire d’aéronefs étrangers – Combinaison des dispositions de l’art. R. 123-9 du code l’aviation civile, d’une part, et des art. L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, L. 511-1 et L. 511-3 du code des procédures civiles d’exécution et L. 727-1 du code de commerce – Illégalité partielle de l’art. R. 123-9 du code de l’aviation civile.

Le Conseil d’État était saisi, sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation, de la question de la légalité des dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile (CAC) au regard des dispositions des articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire (COJ), L. 721-7, 3° du code de commerce, L. 511-2 et L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE).

L’art. R. 123-9 du CAC, issu de la loi du 31 mai 1924, permet à tout créancier de pratiquer la saisie conservatoire d’un aéronef avec l'autorisation du juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri lorsque le propriétaire de l'aéronef n'est pas domicilié en France ou que l'aéronef est de nationalité étrangère.

L’art. L. 213-6 du COJ dispose que : « Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre. »

Les art. L. 511-1 et L. 511-3 du CPCE prévoient que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut pratiquer une mesure conservatoire (par une sûreté judiciaire ou une saisie conservatoire) sur les biens de son débiteur, l’autorisation à cet effet est donnée par le juge de l’exécution ou, lorsqu’elle est demandée avant tout procès et tend à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale, par le président du tribunal de commerce.

Enfin, l’art. L. 727-1, 3°, du code de commerce prévoit que le président du tribunal de commerce, concurremment avec le juge de l’exécution, peut connaître des mesures conservatoires portant sur les aéronefs dans les cas et conditions prévus par le code de l'aviation civile, lorsque ces mesures tendent à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale et qu'elles sont demandées avant tout procès.

De la combinaison de ces textes complétée par l’examen des travaux préparatoires des lois du 9 juillet 1991 et du 22 décembre 2010, le Conseil d’État déduit :

- d’une part, que les dispositions de l’art. R. 123-9 du CAC - en tant qu'elles prévoient toujours une autorisation préalable du juge pour pratiquer une saisie conservatoire sur un aéronef étranger - ne sont pas incompatibles avec celles de l’art. L. 511-1 du CPCE selon lesquelles une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire, dans certaines circonstances, pour pratiquer une saisie conservatoire ;

- d’autre part, ces dispositions sont illégales en tant qu'elles désignent le juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri comme juge compétent pour autoriser la saisie conservatoire des aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France, alors que le législateur a conféré au juge de l'exécution une compétence exclusive en matière d'autorisation des saisies conservatoires, y compris s’agissant de la saisie des aéronefs étrangers, sous réserve de la compétence concurrente du président du tribunal de commerce dans les conditions qu'elles énoncent.

(14 octobre 2022, Société Green Go Aircraft et société Air Tourisme Instruction Service, n° 462518)

 

11 - Refus de délivrer des titres de séjours – Invocabilité d’une circulaire contenant des orientations générales – Conditions – Avis de droit.

Le préfet de la Côte d’Or, par plusieurs arrêtés du 21 décembre 2020, a refusé de délivrer à M. et Mme C. un titre de séjour, leur faisant également obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant trois ans à l'encontre de M. C. et pendant deux ans à l'encontre de Mme C.

Le tribunal administratif de Dijon, saisi par les époux C., ayant rejeté leurs demandes d’annulation des arrêtés litigieux, ceux-ci ont saisi la cour administrative d’appel de Lyon d’un appel tendant, d’une part, à l’annulation des jugements du tribunal de Dijon et, d’autre part, à ce que la cour enjoigne au préfet de réexaminer leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen.

Avant de se prononcer sur le litige, la cour a décidé, en application des dispositions de l'art. L. 113-1 du CJA, de transmettre les dossiers de ces demandes au Conseil d'État, en lui soumettant sept questions dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont loin d’avoir des réponses aisées. La raison en est l’incapacité des auteurs de notre droit contemporain à maîtriser les règles de production du droit, enfermés qu’ils sont, chacun, dans le domaine sur lequel ils sont présentement en train de travailler. Un tel saucissonnage finit par être mortel d’abord pour la cohérence des règles, ensuite pour leur intelligibilité (le mot « clarté » devenant ici une insulte).

D’une part, il y a trop, beaucoup trop, de règles et de règles en perpétuel changement, d’autre part, il n’existe plus de vision d’ensemble en raison de l’absolutisation de chaque chapitre du droit le rendant aussi étranger que possible à tous les autres chapitres dudit droit. Le résultat ne se fait pas attendre et se traduit par un carambolage des règles lorsque que, par malheur et donc très souvent, se rencontrent les règles de différents chapitres puisque c’est là une situation inévitable et logique.

Toute l’affaire tournait autour de l’invocabilité, ou non, d’une circulaire comportant des orientations générales.

Il faut noter ici, en préalable, que depuis l’abandon de la distinction entre circulaires interprétatives et circulaires réglementaires et leur nouvelle dichotomie en fonction de leur impérativité, laquelle est quasiment passée aux oubliettes depuis, et enfin l’irruption du droit souple (il serait plus exact de le dire « gluant » au sens qu’Heidegger donne au « réel gluant ») avec ses facétieuses combinatoires (lignes directrices, orientations générales, codes de bonnes pratiques, etc.), l’identification, comme la distinction, de l’acte administratif et de la décision administrative sont devenues un parcours du combattant agrémenté d’Indiana Jones à tous les coins de route.

Ajoutons à cela la subjectivisation croissante du droit administratif usque ad nauseam, centré sur le seul individu et, par accident ou hasard, quelquefois, sur l’intérêt collectif et on aura une idée du maëlstrom dans lequel est aujourd’hui emportée la notion même d’acte administratif.

Le Conseil d’État, dans sa réponse à la cour de Lyon, commence par rappeler qu’il se déduit de diverses dispositions du code des relations du public avec l’administration (art. L. 312-2, L. 312-3, L. 312-11, art. R. 312-3-1 à R. 312-9, R. 312-10 et art. D. 312-11) l’existence de deux systèmes de publication des instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles comportant une interprétation du droit positif ou des procédures administratives.

Le premier système, organisé autour de l’art. L. 312-2 du CRPA, crée une obligation de publication de ces actes dans les quatre mois à compter de leur signature, à peine de caducité. Le second système, organisé autour de l’art. L. 312-3 de ce code, permet à tout personne de de se prévaloir « de l’interprétation d'une règle, même erronée » contenue dans l'un des documents susmentionnés sous une double série de conditions, l’une positive, l’autre négative. Positivement, ces documents contenant l’interprétation doivent émaner des administrations centrales et déconcentrées de l'État et avoir fait l’objet d’une publication particulière sur des sites internet énumérés à l'article D. 312-11. Négativement, cette interprétation ne doit ni affecter la situation de tiers (on dit bien « situation » et non, par exemple « droits ») ni faire obstacle à la mise en oeuvre de celles des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. Ce qui signifie qu’en dehors de ces cas limitativement énumérés, l’interprétation peut avoir un effet paralysant sur l’application des dispositions législatives ou réglementaires, ce qui, déjà, ne manque pas d’interroger la démocratie.

Ensuite, répondant à l’une des questions dont il était saisi par la cour, le Conseil d’État indique que par l’expression « même erronée » il convient de comprendre aussi « même illégale ». Ainsi est, par-là, reconnue une garantie au profit de l’administré qui peut invoquer toute interprétation satisfaisant à ces conditions tant que celle-ci n’est pas modifiée, ce qui fait jouer un rôle central dans ce dispositif à la publication telle que prévue par les dispositions susrappelées.

Également, le juge rappelle que la jurisprudence a admis formellement que tout administré est fondé à se prévaloir d’un avantage – qui n’est qu’une faveur – dont l’attribution est organisée et encadrée, dans un souci de cohérence, par des lignes directrices, lorsque cet avantage a été prévu par un texte dont l’auteur n’a pas défini l’ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l’attribuer parmi ceux qui sont en droit d’y prétendre, et cela alors même que, par définition même, l’auteur de ces lignes directrices ne détient pas de pouvoir réglementaire (4 février 2015, ministre de l’intérieur, n° 383267, n° 383268). En ce cas, l’administré détient un véritable droit à obtenir cet avantage dès lors qu’il remplit les conditions requises à cet effet.

En revanche, et c’est encore là une réponse directe à l’une des questions posées par la cour de Lyon, Le Conseil d’État réitère ici que la solution ainsi décrite n’est pas applicable lorsque l'administration a défini des orientations générales (et non plus des lignes directrices) pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit. Il indique ainsi que cette même décision précitée de 2015 excluait en conséquence toute possibilité pour un étranger en situation irrégulière de se prévaloir d’orientations générales adressées par le ministre de l’intérieur aux préfets, destinées à les éclairer dans l’exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d’appréciation puisque seul le préfet peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, apprécier dans chaque cas particulier, compte tenu de l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle de l’étranger, l'opportunité de prendre une mesure de régularisation favorable à l’intéressé.

Le juge réitère donc sa doctrine antérieure en rappelant que, par le mécanisme de garantie de l'art. L. 312-3 du CRPA, le législateur n'a pas permis de se prévaloir d'orientations générales dès lors que celles-ci sont définies pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, alors même qu'elles ont été publiées sur l'un des sites mentionnés à l'article D. 312-11 précité.

En revanche, il rappelle que s'agissant des lignes directrices, le législateur n'a pas subordonné à leur publication sur l'un de ces sites la possibilité pour toute personne de s'en prévaloir, à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif.

La description de l’architecture juridique en la matière permet de comprendre que la cour a pu légitimement se poser des questions et les réponses apportées permettent de savourer une fois de plus les talents d’acrobates des locataires du 1, Place du Palais-Royal, illustrant à nouveau, s’il était besoin que : « Le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité. » (J. Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935).

(Avis, 14 octobre 2022, M. et Mme C., n° 462784)

 

12 - Commission de régulation de l’électricité – Délibération arrêtant des mesures de renforcement de la sécurisation financière du dispositif d’équilibre – Défaut de consultation des opérateurs intéressés préalablement à cette délibération – Non-respect d’une garantie offerte pour ces opérateurs et susceptible d’exercer une influence sur le sens de ladite délibération – Circonstances exceptionnelles ou urgence justifiant l’absence de consultation – Rejet.

Application d’une solution classique : en présence de circonstances exceptionnelles ou d’urgence le justifiant, si la délibération d’un organisme de régulation est irrégulière lorsqu’elle a été prise sans respect de la consultation préalable des intéressés alors qu’elle constitue pour eux une garantie et qu’elle était susceptible d’influer sur le sens de cette délibération, cette irrégularité n’est pas, en cette hypothèse, sanctionnable.

(17 octobre 2022, Société E-Pango, n° 461073)

 

13 - Covid-19 – Avis formulés par le comité des scientifiques – Avis sans effets notables sur les droits des individus et ne s’imposant pas à leurs destinataires – Irrecevabilité des recours dirigés contre eux – Rejet.

Réitération d’une solution classique et déjà appliquée s’agissant de la lutte contre la pandémie de Covid-19.

Sont irrecevables les recours dirigés contre les avis formulés par le comité de scientifiques car ils n'ont pour objet que d'éclairer les autorités qui en sont destinataires, sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, sans s'imposer à elles, et ils ne sont pas, non plus, susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes.

(19 octobre 2022, Association Patinage Artistique Briviste et autres, n° 450757)

 

14 - Ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Expiration du délai d’habilitation – Impossibilité pour le pouvoir réglementaire de différer l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance – Rejet.

Rappel d’une solution jurisprudentielle classique selon laquelle les dispositions d'une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution qui relèvent du domaine de la loi, ne peuvent plus, après l'expiration du délai de l'habilitation conférée au Gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement.

Il s’ensuit, au cas de l’espèce, que l'expiration du délai d'habilitation fait obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande tendant à ce que soit différée l'entrée en vigueur de celles des dispositions d'une ordonnance relevant du domaine de la loi, quand bien même ces conditions d'entrée en vigueur seraient illégales. 

On aura relevé que cette solution n’est applicable qu’à celles des dispositions d’une ordonnance qui sont de nature législative, tel est le cas de l’art. 4 de l’ordonnance n° 2019-361 du 24 avril 2019 relative à l'indépendance des activités de conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques en tant qu’il fixe la date d’entrée en vigueur de cette ordonnance.

(27 octobre 2022, Fédération du négoce agricole, n° 445132)

 

15 - Absence d’accusé de réception des courriers adressés à une entité publique – Irrégularité rendant inopposables les délais de recours – Circonstance n’affectant pas la légalité du contenu de ces courriers – Rejet.

Rappel de ce que la circonstance qu’une entité publique (ici l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ACPR) n'accuse pas réception des courriers qui lui sont adressés, si elle fait obstacle à ce que les délais de recours contentieux soient opposés à leur auteur, n'entache d'aucune irrégularité la ou les décisions révélées, le cas échéant, par ces courriers.

(27 octobre 2022, M. A., n° 455735)

 

16 - Réitération d’une demande antérieure adressée à l’administration – Absence de caractère de demande nouvelle – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation sans renvoi (règlement de l’affaire au fond).

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis, la cour administrative d’appel qui juge que le courrier du 26 décembre 2014 par lequel le requérant, ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts, a réitéré auprès de son administration d’origine une demande déjà formulée en juin 2011 contestant le montant de l’indemnité de départ volontaire qui lui a été attribué, constitue une demande nouvelle et qu’ainsi le ministre de l’agriculture était fondé à rejeter la demande d'indemnité de départ volontaire sollicitée par l’intéressé au motif qu'elle a été formée postérieurement à la création de son entreprise en 2013.

(27 octobre 2022, M. A., n° 456351)

 

17 - Commission administrative paritaire – Absence de parité au moment de sa réunion – Convocation régulière de tous les membres – Absence d’irrégularité – Rejet.

Des divers points de droit et de fait que comporte la présente affaire, relative à une sanction disciplinaire infligée à un commissaire de police reconnu coupable par une cour d’appel de trafic d'influence passif et condamné à une peine d'emprisonnement de trois mois avec sursis et à la privation de son droit d'éligibilité pour une durée de cinq ans, on retiendra celui-ci.

Lorsqu’un organisme est de composition paritaire (ici une commission administrative paritaire) et que ses membres ont été régulièrement convoqués à une réunion au cours de laquelle des décisions sont prises, la circonstance que la parité n’est pas réalisée du fait de la répartition catégorielle des membres présents n’entache pas d’irrégularité ses décisions.

(28 octobre 2022, M. B., n° 460700)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

18 - Mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique – Arrêté établissant le texte de ce message de mise en garde devant figurer sur certaines communications commerciales – Demande en référé d’adaptation du message – Défaut d’urgence – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation d’un arrêté ministériel définissant le contenu du message obligatoire de prévention contre le jeu excessif ou pathologique, notamment lorsque les communications commerciales sont diffusées par voie radiophonique et que son auteur soit enjoint d’adapter le texte de ce message selon la rédaction suivante : « Jouer avec excès comporte des risques. Appelez le 09 74 75 13 13, appel non surtaxé ».

Le syndicat faisait valoir à l’appui de sa requête son caractère urgent car le message de mise en garde litigieux, dont le contenu est prévu par l'article 1er de l’arrêté attaqué, cause aux membres dont il défend les intérêts, un préjudice économique grave et immédiat. Il fait valoir à ce titre qu'un tel message, faute d'avoir été pensé pour un énoncé « parlé », occupe, par sa longueur au regard du reste du message publicitaire ou promotionnel qu'il accompagne obligatoirement, une durée excessive de nature à décourager les opérateurs de jeux en ligne d'acheter, sur les radios, des espaces publicitaires ou promotionnels en faveur des jeux d'argent et de hasard et à les inciter à privilégier d'autres supports comme la communication en ligne qui capte déjà une part importante de ces ressources.

Le juge des référés rejette l’argument : le demandeur ne démontre pas, au regard du montant global d'investissements publicitaires à la radio, que la part des achats d'espaces à la radio en faveur des jeux d'argent et de hasard constituerait la part substantielle des recettes brutes des radios ni que la totalité des recettes actuelles liées à ces campagnes publicitaires sera, du seul fait de la mise en œuvre de l'arrêté contesté, réorientée vers d'autres médias. 

Faute d’urgence, le référé suspension est rejeté.

(ord. réf. 12 octobre 2022, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 467985)

 

19 - Institution d’un passe sanitaire comportant des données personnelles accessibles par lecture directe du code figurant sur le certificat de vaccination – Plainte à la CNIL clôturée par la suite – Motivation exclusive de ce procédé par la lutte contre une épidémie – Accès à la lecture du code lors du franchissement des frontières nationales réservé aux seules personnes habilitées – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision de la CNIL clôturant sa plainte contre l’instauration de certaines conditions de lecture du code présent sur son certificat de vaccination remis après injection du vaccin contre la COVID-19.

Le recours est rejeté par le double motif que les renseignements – au demeurant très limités – figurant sur ce passe n’ont pour seule finalité que de lutter contre la propagation d’un virus ayant dégénéré en pandémie et que seules des personnes à ce habilitées ont accès à la lecture de ce code lors du franchissement des frontières nationales.

(21 octobre 2022, M. C., n° 457788)

(20) V. aussi, précisant - dans le cadre d’un recours dirigé contre la clôture par la CNIL d’une procédure de plainte dirigée par une ancienne salariée qui exerçait la fonction de déléguée à la protection des données contre la société qui l’employait, du chef des conditions dans lesquelles elle a exercé ses fonctions de déléguée au sein de cette société et à l'exercice de son droit d'accès à ses données personnelles -, que doit être motivé le refus par la CNIL de donner suite à une plainte fondée sur la méconnaissance du droit d'accès qu'une personne concernée tient des dispositions de l'article 15 du RGPD au regard des décisions administratives individuelles défavorables qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, au sens et pour l'application du 6° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : 21 octobre 2022, Mme C., n° 459254.

 

21 - Mise en demeure de l’ARCEP envers une association syndicale libre – Mise en demeure de se conformer à ses obligations relatives à l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique – Référé suspension – Conditions remplies – Suspension décidée.

L’association requérante (ALDA) a demandé la suspension de l'exécution de la décision du 19 juillet 2022 par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) l'a mise en demeure de se conformer à ses obligations relatives à l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et de rendre compte de l'exécution de cette décision.

Le juge des référés constate la réunion des deux conditions exigées pour l’octroi d’une suspension de décision administrative en référé.

Tout d’abord, il existe un risque réel que l'exécution de la mise en demeure litigieuse implique soit la réalisation d'un nouveau réseau, soit une adaptation lourde de ce dernier, dont le coût pourrait selon le cas excéder ou avoisiner le budget annuel de l'association, alors que celle-ci, qui a pour objet de créer et de gérer l'ensemble des voies non communales, ouvrages et équipements communs du lotissement, vient de réaliser d'importants investissements pour le déploiement du réseau à très haut débit existant. Il n'est, en outre, pas sérieusement contesté par l'ARCEP que l'échéance impartie à l'ALDA par la mise en demeure attaquée implique que celle-ci engage au plus vite les études, consultations et travaux nécessaires. Dans ces conditions, l'exécution de la mise en demeure est susceptible d'affecter gravement et à brève échéance la situation financière de l'association. L'absence d'exécution de la mise en demeure dans le délai imparti expose quant à elle l'ALDA aux sanctions prévues au I de l’art. L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques.

Ensuite, outre qu’il n’est pas soutenu que la suspension d’exécution sollicitée de la mise en demeure attaquée porterait gravement atteinte à un intérêt public, le juge relève l’existence d’un moyen de nature à créer un doute sérieux ; il s’agit du  moyen tiré de ce qu'en imposant à l'ALDA de se conformer aux obligations résultant de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques et des décisions prises pour son application, en particulier à l'obligation de réaliser des points de mutualisation en-dehors de l'emprise des propriétés privées desservies, l'ARCEP a pris une décision qui n'est pas raisonnable et proportionnée au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, en particulier l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre opérateurs « au bénéfice des utilisateurs ».

(ord. réf. 24 octobre 2022, Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA), n° 467931)

 

Biens et Culture

 

22 - Langue française – Obligation d’emploi pour les personnes publiques et celles des personnes privées exerçant une mission de service public – Charte d’un parc naturel régional – Traduction de certains titres ou brefs passages en une autre langue – Absence de méconnaissance de l’art. 2 de la Constitution – Rejet.

Si certains éléments de la charte du parc naturel régional du Mont-Ventoux sont rédigés en langue provençale, outre qu’il ne s’agit que de quelques éléments (préambule, des titres et sous-titres, ainsi que les hauts et bas de pages), l'ensemble des orientations et des mesures qu'elle définit sont rédigées entièrement et exclusivement en français, d’où il résulte que ce document n’est pas contraire à l’art. 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, lequel,  en faisant du français la langue de la république, en impose l’usage aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et rend obligatoire la rédaction en langue française des documents administratifs. 

 

(31 octobre 2022, Association Collectif pour la défense des loisirs verts et M. A., n° 444948 ; M. C., n° 444988)

 

Collectivités territoriales

 

23 - Réalisation insuffisante de logements sociaux par une commune – Constat de carence – Infliction d’une sanction – Majoration du prélèvement annuel – Juridiction ayant omis de statuer sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction – Annulation.

(28 octobre 2022, Commune d’Auvers-sur-Oise, n° 453414)

V. n° 55

 

Contrats

 

24 - Responsabilité contractuelle – Responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol – Point de départ et durée de la prescription de l’action en responsabilité – Intervention de la loi du 17 juin 2008 (art. 2224 et 2262 c. civ.) – Faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi – Prescription trentenaire – Annulation.

Si la loi du 17 juin 2008, modifiant notamment les art. 2224 et 2262 du code civil, a ramené de trente ans à cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer une action fondée sur la responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou à un dol, le délai applicable lorsque les faits sont survenus antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi demeurent soumis au régime de la prescription trentenaire.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui applique à des faits antérieurs à cette loi la prescription abrégée que celle-ci institue.

(10 octobre 2022, Société Eiffage Construction, n° 454446)

 

25 - Responsabilité du mandataire solidaire d’un groupement de maîtrise d’œuvre – Responsabilité recherchée après achèvement de la mission – Fin des relations contractuelles non des obligations découlant du marché – Annulation.

Il ne résulte ni des dispositions de l’art. 3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles ni de celles de l’art. 20 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d'œuvre que la responsabilité du mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre ne pourrait plus être recherchée à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d'œuvre s'est achevée.

En effet, si l’achèvement de la mission, tout comme la réception elle-même, marque la fin des relations contractuelles, il est en revanche sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l'engagement solidaire qu'il a contracté. Ainsi, la responsabilité de ce dernier peut encore être recherchée, en cette qualité, après la date à laquelle s’est achevée la mission du groupement dont il est mandataire.

Cette solution est assez nouvelle sur ce point précis même si elle se situe dans le droit fil de celle classiquement applicable à l’absence d’effets de la réception sur les obligations découlant du marché (Cf. par ex. : Section, 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer c/ sociétés Atelier PAC, Nord Constructions Nouvelles, SEET Cecoba et AIF Services, n° 264490).

(10 octobre 2022, Communauté d’agglomération du Grand Angoulême, n° 455188)

 

26 - Délégation de la gestion d’un service public – Offre contraire aux dispositions d’une convention collective – Irrégularité – Compétence du juge administratif pour se prononcer sur le champ d’application d’une convention collective en présence d’une jurisprudence établie du juge judiciaire - Candidat à une délégation de service public évincé en raison de l’irrégularité de son offre – Impossibilité de contester l’appréciation des offres des autres candidats – Rejet.

Suite à l’engagement par une commune d’une procédure de délégation de la gestion d’un service public en vue de l’exploitation de son centre aquatique, l’une des quatre sociétés admises à présenter une offre mais évincée a demandé, en vain, l’annulation du contrat de délégation conclu avec une autre candidate. Elle se pourvoit contre l’arrêt confirmatif rejetant sa demande.

Se posait la question de savoir quelle conséquence tirer de ce qu’une offre se réfère à une convention collective inapplicable ou méconnaît celle applicable.

Le Conseil d’État fournit une réponse en trois temps compte tenu des termes du litige.

En premier lieu, lorsque l’objet d’une délégation de service public ou d’une concession entre dans le champ d’application d’une convention collective rendue obligatoire par un arrêté ministériel, cette convention s’impose aux candidats à l’octroi de la délégation.

En deuxième lieu, lorsqu’est discuté devant lui le champ d’application de la convention collective en cause, le juge administratif est compétent pour trancher cette question en présence d’une jurisprudence établie du juge judiciaire.

Enfin, dès lors que sa candidature est irrégulière, ici pour non-respect d’une convention collective, le candidat ne saurait utilement soulever un moyen critiquant les appréciations portées par l’autorité attributaire sur les offres des autres candidats.

(10 octobre 2022, Société Action développement loisir, n° 455691)

 

27 - Marché public - Accord-cadre mono-attributaire – Utilisation d’une procédure négociée – Candidat évincé – Référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) - Moyen nouveau oralement indiqué à l’audience sans le support d’un mémoire – Ordonnance de référé irrégulière – Critères de sélection – Degré de précision des informations données à leur sujet – Rejet.

Le référé introduit par un candidat non retenu à un marché public en forme d’accord-cadre mono-attributaire avec recours à une procédure négociée donne l’occasion au juge de deux rappels.

Le premier n’est pas propre à la matière du référé précontractuel. L’ordonnance déférée est annulée car elle est fondée sur le moyen tiré de ce que l'accord-cadre en litige ne pouvait être passé dans le cadre d'une procédure négociée alors que ce moyen avait été soulevé à l’audience sans avoir été consigné dans un mémoire écrit ne permettant ainsi pas au défendeur d’en prendre connaissance et alors que ce juge disposait du pouvoir de différer la clôture de l’instruction à une autre date que celle de l’issue de l’audience.

Le second apport est relatif aux exigences s’imposant au pouvoir adjudicateur en matière d’information des candidats sur les critères de sélection qu’il entend mettre en œuvre.  Cette information doit être suffisamment complète, fournie dès l’engagement, dans l’avis d’appel public ou le cahier des charges à la disposition des candidats. Toutefois, hormis le cas où cette information aurait déterminé des personnes à se porter candidates ou à s’en abstenir, le pouvoir adjudicateur n’a pas à indiquer les conditions de mise en œuvre des critères de sélection des candidatures. Au reste, ici, il n’est ni établi que le motif retenu pour ne pas admettre la candidature, fondé d’abord sur le fait que le partenaire local du groupe des deux candidates qui a été évincé « ne présente aucun client atteignant 1000 utilisateurs », serait inexact ni, non plus, que celui reposant sur ce que le nombre de profils proposés par les membres du groupement pour exécuter les prestations du marché était insuffisant, serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

(ord. réf. 12 octobre 2022, Nantes Métropole, n° 464074)

 

Droit du contentieux administratif

 

28 - Appel contestant un grief déterminé – Argumentation développant la contestation d’autres griefs – Argumentation inopérante – Rejet.

La ministre du travail a annulé l’autorisation de licenciement d’une salariée protégée qu’avait accordée une inspectrice du travail au motif que ne pouvait être retenu le grief fondant cette autorisation à savoir que l’intéressée aurait méconnu son obligation de loyauté, en favorisant, dans l'exercice de ses fonctions, son projet de reprendre l'entreprise à bas coût avec l'aide de l'ancien directeur général, ni les autres griefs invoqués devant elle par la société requérante.

La cour administrative d’appel, constatant n’être saisie, à raison des moyens présentés, que de la légalité de la décision par laquelle la ministre du travail avait annulé la décision de l'inspectrice du travail retenant le grief sus-rappelé, a jugé inopérante l’argumentation de l’appelante contestant le bien-fondé des motifs de la décision de la ministre relatifs à d'autres griefs fondant la décision de refus d'autorisation du licenciement.

(7 octobre 2022, Société Wipelec, n° 454256)

V. aussi le n° 90

 

29 - Juridiction ordinale – Traitement des pièces produites après la clôture de l’instruction – Notes en délibéré – Obligation de les viser – Annulation.

Parce qu’elle est une juridiction administrative, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins est tenue de faire application des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction. Ainsi il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance des notes en délibéré et de les viser. 

Le défaut de visa d’une note en délibéré entraîne l’annulation de la décision de justice.

(7 octobre 2022, M. B., n° 456897)

 

30 - Juge du référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) - Demande d’injonction à adresser à un ministre – Demande tendant à la prise de mesures réglementaires et d’organisation du service public – Demande n’entrant pas dans le champ de compétence de ce juge de référé – Rejet.

Doit être rejetée la demande adressée au juge du référé « mesures utiles » tendant à ce qu’il enjoigne le ministre de la santé de prendre d’urgence les dispositions nécessaires afin qu’il soit décidé avant la fin de l’année 2022 sur les autorisations d’exercice pouvant être délivrées aux praticiens titulaires de diplômes de médecin obtenus en dehors de l’Union européenne.

La voie du référé de l’art. L. 521-3 CJA n’est pas appropriée pour une telle demande qui devait être formée soit par voie de référé suspension (art. L. 521-1 CJA) soit par voie de référé liberté (art. L. 521-2 CJA).

(ord. réf. 5 octobre 2022, Association SOS praticiens à diplôme hors Union européenne et autres, n° 467711)

 

31 - Permis de construire partiellement annulé par un jugement après cassation et invitation à solliciter un permis de régularisation - Octroi d’un permis de régularisation – Recours en annulation de ce second permis – Renvoi au Conseil d’État (art. L. 600-5-2) – Office du juge saisi d’un second pourvoi en la matière – Intérêt d’une bonne administration de la justice – Juge de cassation devant statuer dans les circonstances de l’espèce comme juge du premier degré – Rejet.

(10 octobre 2022, M. et Mme C., n° 452955)

V. n° 201, II

 

32 - Invitation faite à une partie, au cours d’une audience, à produire des éléments – Impossibilité de différer la clôture de l’instruction - Obligation de radier l’affaire du rôle et de rouvrir l’instruction – Annulation.

Doit être approuvée la solution selon laquelle, l’invitation faite à une partie, par le président de la formation de jugement, à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction, constitue une réouverture de l'instruction. En effet, en cette hypothèse, aucune disposition du CJA ne lui permettant de différer la clôture de l'instruction au-delà de l'appel de l'affaire à l'audience ou, le cas échéant, de la formulation par les parties ou leurs mandataires de leurs observations orales, et dès lors que la formation de jugement ne saurait sans irrégularité statuer tant que l'instruction est en cours, il lui revient de rayer l'affaire du rôle et d'informer les parties de la réouverture de l'instruction.

(10 octobre 2022, Société anonyme Firalis, n° 454460)

 

33 - Clôture de l’instruction – Parties avisées postérieurement du possible relèvement d’office d’un moyen susceptible de fonder la décision de justice – Absence de réouverture de l’instruction y compris après réception des observations éventuelles sur ledit moyen sauf fait ou moyen susceptible d’influence sur le jugement de l’affaire – Transposition de cette solution en droit de l’urbanisme (cf. art. L. 600-5-1 c. urb.) – Rejet.

Dans le cadre d’une action en annulation de permis de construire, il est rappelé que l’information donnée aux parties par le juge,  postérieurement à la clôture de l'instruction, en application de l'art. R. 611-7 CJA, que sa décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, n'a pas par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction et qu’il en va de même en cas de communication par le juge, à l'ensemble des parties, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office, y compris dans le cas où, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen.

Il n’y a d’exception à cette règle que si ces observations contiennent l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction. 

Par ailleurs, et ceci concerne directement le présent litige, le juge estime la solution précédente applicable quand, envisageant de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, il invite les parties à produire des observations car ni cette invitation ni la communication par le juge des observations reçues en réponse à cette invitation n'ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l'instruction si elle était close. 

Enfin, si, normalement, lors de la mise en œuvre de l’art. L. 600-5-1 précité le juge doit laisser un délai suffisant aux parties pour produire éventuellement leurs observations, le délai dans lequel il effectue la communication aux parties des observations produites est « sans incidence sur la régularité de la procédure ».

La solution est très sévère quelles qu’en soient les justifications et l’on peut s’interroger sur sa conformité à la jurisprudence de la Cour EDH. L’espèce fournit une illustration-choc des effets de cette jurisprudence.

La clôture de l’instruction a été communiquée aux parties trois jours francs avant la date de l’audience, fixée au lundi 17 mai 2021 à 9 heures 40. Par un courrier du 6 mai 2021, les parties ont été informées que le tribunal était susceptible de surseoir à statuer sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour permettre la régularisation du vice tiré de la méconnaissance par le projet de l'article UB 3 du règlement du plan local d'urbanisme et invitées à présenter leurs éventuelles observations dans un délai de six jours à compter de la notification de ce courrier.

Par un second courrier, du lundi 10 mai 2021, les parties ont été informées que le tribunal était susceptible de recourir aux mêmes dispositions pour la régularisation d'un autre vice, tiré de la méconnaissance par le projet de l'article UB 13 de ce règlement et les parties invitées à faire connaître leurs observations dans un délai de quatre jours à compter de la réception de ce courrier.

Par un mémoire enregistré le mercredi 12 mai 2021, la commune défenderesse a fait valoir ses observations en réponse à ces deux courriers et son mémoire a été communiqué à la société pétitionnaire et aux requérants par mise à disposition sur l'application Télérecours le lundi 17 mai 2021 à 8h37, l’audience se tenant une heure plus tard, en les invitant à y répondre, si elles l'estimaient utile, « aussi rapidement que possible ». Elles en ont pris connaissance, respectivement, le 17 mai 2021 à 16h11 et le 18 mai 2021.Il est pourtant jugé que « ni les invitations faites aux parties de faire connaître leurs observations sur le sursis à statuer envisagé en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, ni la communication aux autres parties des observations présentées par la commune en réponse à ces invitations n'ont eu pour effet de proroger au-delà du 14 mai 2021 la date de la clôture de l'instruction résultant de l'envoi de l'avis d'audience. »

(10 octobre 2022, Société Horizon et Mme A., n° 455573)

 

34 - Référé suspension – Refus de renouvellement de titre de séjour – Condition d’urgence remplie – Annulation.

Commet une erreur de droit le juge des référés qui ne décide pas, en présence d’un référé dirigé contre le refus de renouvellement d’un titre de séjour, que l’urgence est ipso facto établie, un tel refus emportant toujours urgence à statuer.

(ord. réf. 12 octobre 2022, Mme D., n° 463385)

 

35 - Demande de confirmation du maintien de conclusions (art. R. 612-5-1 CJA) – Donné acte d’un désistement pour non réponses – Réponses parvenues avant la date limite impartie par la demande de confirmation – Erreur de droit – Annulation.

Par une ordonnance d’un président de chambre d’une cour administrative d’appel il a été donné acte à un préfet de ce qu’il s’était désisté de deux actions qu’il avait introduites pour n’avoir pas répondu dans le délai qui lui avait été fixé par le juge (usant de la procédure de l’art. R. 612-5-1 CJA), pour indiquer s’il entendait confirmer le maintien de ses conclusions. En réalité, alors que les délais de confirmation de ses demandes expiraient le 19 et le 23 avril, celui-ci avait déposé un mémoire portant maintien des conclusions dans chacune des affaires en cause, qui ont été enregistrés devant la cour le 16 avril 2021, comme en attestent les accusés d'enregistrement dans Télérecours produits par le ministre demandeur à la cassation.

L’ordonnance de donné acte est annulée pour erreur de droit alors que nous aurions plutôt aperçu dans ce comportant une erreur sur l’exactitude des faits même s’agissant d’une procédure se déroulant devant le juge de cassation.

(14 octobre 2022, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 457080)

 

36 - Dispositions du code de procédure pénale (art. 707 CPP) – Demande d’abrogation de l’article mis en œuvre par elles – Article ayant cessé d’être en vigueur à la date à laquelle le juge statue – Rejet.

Doivent être écartées les conclusions tendant à voir annulé le refus implicite d’abroger les art. D. 49-27 et D. 119 du code de procédure pénale qui ont été pris pour l’application de l’art. 707 de ce code, lequel est contraire à la Constitution et à la Convention EDH. Entre la saisine du juge, le 2 novembre 2020 et le jour où il statue, le 14 octobre 2022, l’art. 707 a cessé d’être en vigueur par l’effet de la loi du 8 avril 2021 ; les moyens soulevés sont écartés. Il eût été peut-être mieux de les dire devenus sans objet.

(14 octobre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 445873)

(37) V. aussi, avec même requérante, la décision identique écartant les moyens qu’elle soulève à l’encontre du refus implicite du ministre de la justice de donner instruction aux représentants du ministère public de ne plus faire application des articles 728-10 à 728-22 du code de procédure pénale tant qu'une voie de recours n'aura pas été prévue par la loi contre les procédures de transfèrement international décidées sans l'accord de la personne détenue et contre les décisions de rejet des demandes de transfèrement présentées par une personne détenue ; en effet, ces articles ont été modifiés postérieurement à l’introduction de la requête (le 17 novembre 2020) et antérieurement à la présente décision, par la loi du 22 décembre 2021. Là encore, comme dans l’affaire précédente, on eût préféré un non-lieu à statuer pour disparition de l’objet du litige en cours d’instance plutôt que la mise à l’écart des moyens de la demanderesse : 14 octobre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n°446531.

 

38 - Compétence directe du Conseil d’État (art. R. 311-1 CJA) – Demande de modification des limites entre deux communes – Absence de caractère réglementaire – Attribution du litige au tribunal administratif.

La décision administrative refusant de faire droit à une demande de modification des limites territoriales de deux communes ne présente pas de caractère réglementaire et n'est pas au nombre des recours qui doivent être présentés directement devant le Conseil d'État en application de l'article R. 311-1 du CJA. Cette solution n’est pas affectée par la circonstance que cette modification aurait pour effet de porter atteinte aux limites cantonales, lesquelles sont définies par décret.

L’affaire est transmise au tribunal administratif de Paris.

(14 octobre 2022, Association Réunissons Polangis, n° 457980)

 

39 - Contentieux disciplinaire de l’enseignement supérieur – CNESER statuant en matière disciplinaire – Demande d’aide judiciaire – Conséquence – Motivation insuffisante au fond – Annulation avec renvoi.

Une décision du CNESER statuant par voie d’appel en matière disciplinaire est d’abord entachée d’irrégularité pour avoir été prononcée sans attendre que le bureau d’aide juridictionnelle du tribunal judiciaire ait statué sur la demande en ce sens dont l’avait saisi l’appelant.

Elle est également insuffisamment motivée en ce qu’elle se borne, pour confirmer le jugement de première instance ayant infligé à l’intéressé la sanction de l'exclusion d’un établissement universitaire pour une durée d'un an assortie de quatre mois de sursis, à juger que « M. A. a nié les faits qui lui [étaient] reprochés, qu'au vu des pièces du dossier et des explications fournies par [l'intéressé], les juges d'appel n'ont pas été convaincus [et que], en conséquence, il conv[enait] de sanctionner M. A. pour ses agissements ». Une telle « motivation » n’en est pas une en l’absence d’indication des faits reprochés, de toute analyse de leur matérialité ainsi que des manquements susceptibles d’être retenus à l’encontre de l’appelant.

La cassation est parfaitement justifiée.

(10 octobre 2022, M. A., n° 459138)

 

40 - Déroulement du procès – Obligation pour les juridictions de juger dans un délai raisonnable – Contentieux sociaux – Rejet et admission partiels de la demande d’indemnisation du préjudice résultant du retard à juger.

La requérante a formé le 30 juillet 2009 un recours administratif préalable obligatoire devant le président du conseil général (devenu départemental) contre une décision d’une caisse d’allocations familiales lui demandant de rembourser un trop-perçu d'allocation de revenu minimum d'insertion (RMI) et de revenu de solidarité active (RSA) pour une certaine période. Ce recours préalable a fait l’objet d’un rejet implicite le 30 septembre 2009, confirmé par deux décisions du 18 juin et du 31 juillet 2012. Mme A. a contesté le 10 septembre 2012 la décision de rejet du 31 juillet 2012, du président du conseil général, devant la commission départementale d'aide sociale (CDAS).

Cette dernière a, par jugement du 24 mars 2017, annulé les décisions querellées et enjoint le président de la collectivité de procéder à un nouveau calcul de l'indu, réduit à la période de mars 2004 à février 2009, afin de tenir compte de la part prescrite de la dette de Mme A.

Le conseil général s’est exécuté par une décision du 16 février 2018.

Par un arrêt du 25 septembre 2018, la commission centrale d'aide sociale (CCAS) a rejeté pour tardiveté l'appel formé le 26 février 2018 par Mme A. contre le jugement de la CDAS du 24 mars 2017 et, par une ordonnance du 27 décembre 2019, a été prononcée la non-admission du pourvoi en cassation dirigée contre cet arrêt.

La requérante a demandé la réparation du préjudice causé pour dépassement du délai raisonnable de jugement.

Le Conseil d’État estime tout d’abord que le retard résultant du délai de trois ans mis par l’intéressée à saisir la juridiction sociale d’un recours contre la décision du conseil général lui est exclusivement imputable tout comme lui est imputable la circonstance que n’ayant pas informé – comme elle en avait et en savait l’obligation – la CDAS de son changement d’adresse, s’est écoulé le délai entre le 21 août 2017 (soit deux mois après la date à laquelle est revenu à la CDAS le pli contenant sa décision du 24 mars 2017) et le 26 février 2018 (date où elle a interjeté appel devant la CCAS). Il juge ensuite qu’en revanche, a excédé le délai raisonnable et justifie l’octroi d’une indemnisation de trois mille euros, le délai de quatre ans, six mois et quatorze jours qu’a duré l’instance devant la commission départementale d'aide sociale.

(10 octobre 2022, Mme A., n° 461299)

 

41 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Injonction à une université d’inscrire provisoirement une étudiante dans une formation – Incompétence manifeste – Rejet.

Incompétence manifeste du Conseil d’État pour connaître en premier ressort d’une demande d’injonction à une université d’y inscrire une étudiante à titre provisoire en deuxième année de licence de psychologie. La requête en référé est rejetée selon la procédure de l’art. L. 522-3 du CJA.

(ord. réf. 10 octobre 2022, Mme A., n° 468103)

 

42 - Mesure d’organisation du service - Autorité ne disposant pas du pouvoir réglementaire – Recours contre cette mesure ne relevant pas de la compétence de premier ressort du Conseil d’État – Attribution de l’affaire à un tribunal administratif.

Le requérant demandait l'abrogation (en fait l’annulation) de l'instruction n° 2021-DG-01 du 12 avril 2021 relative à l'armement des agents de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Le recours est transmis au tribunal administratif car la décision critiquée constitue une mesure d’organisation du service prise par un directeur d’établissement public national ne disposant pas du pouvoir réglementaire, ce qui aurait justifié la compétence du Conseil d’État en premier ressort pour connaître de ce contentieux. Le dossier est transmis au tribunal administratif.

(14 octobre 2022, Syndicat national de l’environnement, n° 458240)

(43) V. aussi, identique, s’agissant du rejet d’un recours dirigé contre une instruction du 14 décembre 2021 relative aux modalités de déplacement des agents de l’OFB : 14 octobre 2022, Syndicat national de l’environnement, n° 461369.

 

44 - Question préjudicielle – Régime contentieux de la saisie-conservatoire d’aéronefs étrangers – Combinaison des dispositions de l’art. R. 123-9 du code l’aviation civile, d’une part, et des art. L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, L. 511-1 et L. 511-3 du code des procédures civiles d’exécution et L. 727-1 du code de commerce – Illégalité partielle de l’art. R. 123-9 du code de l’aviation civile.

(14 octobre 2022, Société Green Go Aircraft et société Air Tourisme Instruction Service, n° 462518)

V. n° 10

 

45 - Référé liberté – Arrêté municipal interdisant l’accès pour certains véhicules à une voie desservant une propriété agricole – Impossibilité de l’approvisionner par une autre voie ou par des véhicules plus petits – Absence d’imminence du danger – Voie dont l’entretien incombe à une commune – Atteinte à une liberté fondamentale – Suspension de l’arrêté.

Un arrêté municipal a interdit l’utilisation par les véhicules de plus de 3,5 tonnes d’une voie communale en raison de fissurations dans les murs de soutènement ainsi que dans le sol bétonné.

Une entreprise agricole disposant de deux voies d’accès dont l’une est impraticable par ces véhicules et l’autre est celle visée par l’arrêté municipal, son exploitante a obtenu du juge des référés du tribunal administratif la suspension dudit arrêté en raison de l’impossibilité d’être approvisionnée en fourrage pour les animaux de son élevage.

L’appel de la commune est rejeté, le juge d’appel confirmant en tous points l’ordonnance querellée.

Le juge des référés du Conseil d’État estime remplies les conditions nécessaires à la mise en œuvre du référé liberté.

Tout d’abord il est constaté que la décision suspendue est manifestement illégale car les motifs invoqués au soutien de l’arrêté municipal ne sont pas pertinents. Les fissures dans les murs de soutènement et sur la voie, dont il faut rappeler que leur charge d’entretien incombe à la commune elle-même, ne sont pas telles qu’elles présentent un danger imminent ainsi qu’il résulte d’ailleurs des expertises produites et discutées à l’audience d’autant que le besoin de l’exploitation est d’environ une livraison de fourrage par mois.

Ensuite, est établie l’atteinte à une liberté fondamentale dans la mesure où, pour d’évidentes raisons de coût, il n’est pas possible à l’exploitante de recourir à plusieurs livraisons effectuées chacune par des véhicules plus petits que ceux dont le tonnage est visé par l’arrêté. Est ainsi réalisée, avec l’impossibilité d’alimenter son bétail, une atteinte grave à la liberté d’entreprendre.

Enfin, le besoin d’alimenter à très brève échéance les animaux établit l’urgence.

(14 octobre 2022, Commune de Carlencas-et-Levas, n° 467956)

 

46 - Lutte contre la pollution atmosphérique – Condamnation de l’État à astreinte – Pouvoir du juge – Conditions d’application – Balance entre des aspects positifs et des aspects négatifs au regard de l’injonction d’exécution – Détermination du montant de l’astreinte et de sa répartition – Condamnation.

Le Conseil d’État a, par une première décision, du 12 juillet 2017 enjoint au premier ministre et au ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones qui sont énumérées dans ses motifs, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées, en exécution de l'art. 23 de la directive du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, par l'art. R. 221-1 du code de l'environnement, dans le délai le plus court possible et de transmettre les mesures prises  à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

Constatant que les mesures suffisantes à cet effet n’avaient pas été prises, par une deuxième décision, rendue le 10 juillet 2020, le Conseil d’État a prononcé une astreinte de dix millions d'euros par semestre de retard, à compter de l'expiration d'un délai de six mois suivant la notification de sa décision, si l'État ne justifiait pas avoir pris les mesures nécessaires permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible, d'une part, s'agissant des taux de concentration en dioxyde d'azote, dans les zones à risque - agglomération (ZAG) de Paris, Marseille-Aix, Grenoble, Lyon, Strasbourg et Toulouse et dans la zone à risques - hors agglomération (ZAR) de Reims, d'autre part, s'agissant des taux de concentration en particules fines PM 10, dans la ZAG Paris et la ZAR Fort-de-France, compte tenu des nouvelles terminologies et du nouveau zonage issu de l'arrêté de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de le mer, en charge des relations internationales sur le climat du 26 décembre 2016 relatif au découpage des régions en zones administratives de surveillance de la qualité de l'air ambiant. 

Puis, dans sa décision du 4 août 2021, le Conseil d’État, constatant l’absence d’exécution complète de celles antérieures, a condamné l’État à verser dix millions d’euros par liquidation de l’astreinte provisoire en répartissant ce montant entre divers organismes publics indépendants de l’État ainsi qu’à des associations de défense de l’environnement.

A nouveau saisie au terme des deux semestres suivants (12 juillet 2021 – 12 juillet 2022), la haute assemblée relève que si différentes mesures prises devraient permettre de poursuivre l'amélioration de la situation constatée à ce jour par rapport à 2019, les éléments produits ne permettent pas d'établir que les effets des différentes mesures adoptées permettront de ramener, dans le délai le plus court possible, les niveaux de concentration en dioxyde d'azote en deçà des valeurs limites fixées à l'article R. 221-1 du code de l'environnement pour les ZAG Aix-Marseille, Lyon, Paris et Toulouse. Par suite, l'État ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l'exécution complète des décisions précitées du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020.

D’où la décision de prononcer une nouvelle condamnation, de vingt millions d’euros, répartis entre divers organismes comme la fois précédente.

Par où l’on voit que la combinaison de la fixation à un niveau non négligeable du montant de l’astreinte et de la pugnacité des requérants appuyée sur celle du juge peuvent faire évoluer singulièrement les choses dans une matière où cela n’est pas évident.

(17 octobre 2022, Association Les amis de la Terre France et autres, n° 428409)

 

47 - Aide juridictionnelle et aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles – Respect du principe d’égalité – Cas où la procédure s’achève par un non-lieu à statuer – Rétribution de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours de la requérante tendant à l’annulation du rejet implicite par le ministre de la justice de sa demande d’abroger le dernier alinéa de l'article 111 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Ce décret régit notamment l'aide juridictionnelle et l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Le décret litigieux n’empiète pas sur les matières que l’art. 34 de la Constitution réserve à la compétence du législateur.

Il ne porte pas non plus atteinte au principe d’égalité en ce qu'il décide que la rétribution accordée en cas de non-lieu à statuer devant les juridictions administratives ne peut excéder la moitié de celle fixée par le barème applicable, sans qu'un tel plafonnement trouve à s'appliquer en cas d'extinction de l'instance résultant d'un jugement, d'une transaction ou d'un accord intervenu dans le cadre d'une procédure participative. En effet, ces causes d'extinction placent les avocats qui sont intervenus dans ces instances dans une situation différente de celle des avocats dont l'action a été éteinte par un non-lieu à statuer. La différence de traitement résultant des dispositions litigieuses, qui est en rapport direct avec l'objet du décret qui l'établit, n'est pas manifestement disproportionnée. Il en va d’autant plus ainsi que le juge peut, en fonction des circonstances invoquées, accorder à l’avocat, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

De plus, les dispositions contestées sont, par elles-mêmes, sans incidence sur le droit de tout justiciable éligible à bénéficier de manière effective de l'aide juridictionnelle et ne contreviennent ainsi ni aux stipulations du paragraphe 1 de l'art. 6 de la convention EDH ni à celles de l'art. 14 du pacte international relatif aux droits civiques et politiques. 

 In fine le juge rappelle une nouvelle fois que le moyen tiré de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), ici de son art. 10, ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors que ce texte ne figure pas au nombre des traités et accords qui ont été régulièrement ratifiés ou approuvés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution.

(17 octobre 2022, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers, n° 443289)

 

48 - Procédure contentieuse - Jeux olympiques et paralympiques de 2024 – Contentieux des opérations en relation avec ces jeux - Compétence de premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel de Paris (art. R. 311-2 CJA) - Aménagement du nord de l’Île-de-France – Projet de réseau de transports en commun du Grand Paris Express - Création de la ligne 17 Nord – Opération sans relation avec les Jeux de 2024 – Incompétence de la cour de Paris ne pouvant plus être mise en cause – Rejet.

(17 octobre 2022, Association France Nature Environnement Île-de-France et autres, n° 459219)

V. n° 110

 

49 - Pénurie de carburant – Difficultés de déplacements de certains membres du corps médical – Risque pour la santé des patients - Abstention d’agir de l’autorité administrative – Absence de carence – Rejet.

Il était demandé au juge du référé liberté d’enjoindre le premier ministre de prendre, face à la pénurie actuelle de carburant, des mesures appropriées pour assurer la fourniture de carburant en quantité suffisante au personnel soignant.

Rejetant cette requête, le juge retient d’une part qu’elle n’établit pas l'impact réel sur la santé publique des difficultés en cours qui aurait démontré ainsi une carence caractérisée de l’administration dans l’utilisation de son pouvoir de réquisition, d’autre part, que le moyen invoqué selon lequel l'autorité administrative aurait accordé un accès préférentiel au carburant aux soignants seulement dans certains départements ne peut être utilement invoqué dans la présente affaire car cette attitude ne révèle pas, par elle-même, une méconnaissance du principe d’égalité.

(ord. réf. 17 octobre 2022, Syndicat jeunes médecins, n° 468137)

 

50 - Circulaire rectorale interdisant aux parents de pénétrer dans les écoles maternelles de l'académie de Nice pour déposer ou chercher leurs enfants – Mesure existant depuis plusieurs années – Absence d’urgence – Caractère abusif de requêtes répétées – Amende justifiée – Rejet.

Les requérants contestaient l'interdiction faite, aux parents, par une circulaire rectorale, de pénétrer dans les écoles maternelles de l'académie de Nice pour déposer ou chercher leurs enfants aux heures d’accueil et de sortie des élèves.

Le tribunal administratif a jugé que n’était pas établie l’urgence spécifique au référé liberté dès lors qu’aucun document ne permet d’établir ni les allégations selon lesquelles cette mesure causerait des dommages psychologiques chez les jeunes enfants, ni celle de l’existence de risques en matière de sécurité résultant des attroupements des parents et des élèves aux heures d'entrée et de sortie des classes.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit ni d’appréciation erronée des faits que le tribunal administratif a rejeté la requête en référé liberté dont il était saisi et infligé aux requérants, qui l’avaient déjà saisi de requêtes identiques en substance, une amende pour requête abusive.

(ord. réf. 17 octobre 2022, Mme B. et M. C., n° 468155)

 

51 - Pension de retraite d’une enseignante – Recours en révision de la pension – Recours jugé manifestement irrecevable – Ordonnance s’étant méprise sur le sens et la portée de la demande – Annulation.

Doit être annulée l’ordonnance du premier juge qui, pour dire manifestement irrecevable la demande dont il est saisi, estime que celle-ci ne comportait pas de conclusions tendant à l'annulation d'une décision administrative ou de conclusions indemnitaires, ni aucun moyen présenté à l'appui de telles conclusions, mais seulement une demande d'avis dont il n'appartenait pas au juge administratif de connaître.

Au contraire, il ressort du dossier soumis à ce juge que l’intéressée, sans recourir au ministère d’un avocat, a adressé au tribunal une lettre accompagnée de plusieurs documents, notamment la copie de sa réclamation auprès du service des retraites de l'État, la réponse de ce dernier, sa demande de validation de services auxiliaires présentée le 14 octobre 1978 et un état de situation individuelle en date du 7 décembre 1981, annoté de sa main, auxquels elle se référait expressément, ce qui devait la faire considérer comme ayant saisi ce tribunal d'un recours en révision de sa pension de retraite, contestant la décision administrative de rejet qui y était jointe et fondée, ainsi qu'il résulte de l'argumentation et des pièces présentées, sur l'erreur entachant, selon elle, la date de titularisation et la durée de service prises en compte.

(20 octobre 2022, Mme A., n° 451983)

 

52 - Ultra petita – Octroi d’une décharge de contribution au remboursement de la dette sociale déjà accordée par l’administration – Décharge d’impositions octroyée sans avoir été demandée – Annulation.

Est annulé un arrêt d’appel statuant ultra petita en tant qu’il accorde aux deux époux requérants la décharge de la contribution au remboursement de la dette sociale au titre des années 2012, 2013 et 2014, et du prélèvement social au titre de l'année 2012, alors que la contribution au remboursement de la dette sociale et le prélèvement social auxquels ont été assujettis les revenus de l’époux au titre de ces années avaient été dégrevés par l'administration avant même la saisine du tribunal et n'étaient donc pas en litige devant le juge de l'impôt, et qu'aucune décharge des impositions nées des revenus de l’épouse n'était demandée…

(27 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances…, n° 448266)

 

53 - Requête en annulation de cotisations supplémentaires d’impôt – Requête présentée en appel par une société membre d’un groupe fiscalement intégré – Suppléments d’impôt mis à la charge de la société mère seule redevable de l’imposition – Défaut d’intérêt pour agir de la société intégrée en l’absence de mandat à l’effet de représenter la société mère – Rejet.

(20 octobre 2022, Société Airporc, n° 441459)

 V. n° 77

 

54 - Évaluation établie par un rapport d’expertise – Expert et sapiteur désignés par la cour – Reprise partielle des conclusions expertales – Dénaturation du rapport – Annulation.

Une cour administrative d’appel ordonne qu’il soit procédé à une expertise afin de déterminer si le prix de vente des marques vendues par la société Sacla correspondait à leur valeur, en prenant notamment en considération la dispense de versement de redevances pour une durée de cinq ans consentie par la société acheteuse, Involvex, à la société Sacla.

Après avoir envisagé quatre méthodes d’évaluation, le rapport n’en retient que deux dont il tire une moyenne pondérée.

La cour, rejetant l’une de celles retenues, se fonde uniquement sur la méthode d’actualisation des flux futurs sans opérer de pondération, les données de cette dernière lui paraissant plus précises. Toutefois, voulant appliquer à ce résultat la décote préconisée par l’expertise afin de tenir compte de la dispense de versement de redevances pour une durée de cinq ans consentie en l’espèce à la société Sacla, la cour a fixé ce montant à 2,4 millions d’euros hors taxes compte tenu d’un montant de 8.733.348 euros hors taxes retenu pour la valeur des marques cédées par Sacla ; or, si ce montant de décote est bien, en valeur absolue, celui préconisé par l’expertise, cette dernière l’établissait en appliquant un taux de 37% de décote sur une valeur des marques cédées de 6,5 millions d’euros.

La dénaturation est patente, entraînant une minoration de plus de 830 000,00 euros par rapport au calcul effectué par l’expertise, et conduit à l’annulation de l’arrêt.

(27 octobre 2022, Société Coverguards Sales venue aux droits de la société Sacla, n° 457695)

 

55 - Réalisation insuffisante de logements sociaux par une commune – Constat de carence – Infliction d’une sanction – Majoration du prélèvement annuel – Juridiction ayant omis de statuer sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction – Annulation.

Une commune, qui n’avait pas atteint son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, s’est vu infliger une augmentation de 300% du prélèvement annuel prévu à cet effet par l’art. L. 302-7 du code de la construction et de l’habitation.

Alors qu’elle soutenait devant la cour administrative d’appel, notamment, le caractère disproportionné de cette sanction, la cour n’a pas répondu à ce moyen, manquant ainsi à son office, d’où la cassation de son arrêt.

(28 octobre 2022, Commune d’Auvers-sur-Oise, n° 453414)

 

56 - Référé suspension – Condition d’urgence – Condition devant être établie en propre – Absence – Rejet.

Les requérants tentaient d’obtenir la suspension de l'exécution du décret n° 2022-1327 du 17 octobre 2022 portant injonction, au regard de la menace grave et actuelle contre la sécurité nationale, de conservation pour une durée d'un an de certaines catégories de données de connexion. Ils invoquaient l’urgence résultant de l'atteinte portée à des libertés fondamentales et de l'application générale des dispositions contestées à l'ensemble de la population.

Toutefois, l’urgence, qui est l’une des deux conditions nécessaires à l’obtention de la suspension d’exécution d’une décision de l’administration, constitue une condition autonome qui doit exister en tant que telle. Tel n’est pas le cas ici, d’où le rejet de la demande.

(ord. réf. 26 octobre 2022, M. C. et M. D., n° 468364)

(57) V. aussi, identique : ord. réf. 28 octobre 2022, Association VIA La Voie du Peuple, n° 468489.

(58) V. également, refusant d’apercevoir une urgence à statuer sur une demande de meilleure surveillance par le système de santé des cas de syndrome hémolytique et urémique typique ce qui permettrait de mieux appréhender l'incidence de cette maladie, alors que 167 cas ont été déclarés en France en 2020, que les caractéristiques de la maladie en cause sont très particulières et que sa létalité est de 1 à 5% : ord. réf. 26 octobre 2022, Association « Shu-Typique-Sortons du Silence », n° 468263

 

59 - Référé liberté – Litige portant sur la remise du formulaire de demande d’asile – Demande de transfert interrompue par un jugement – Attente des résultats de l’appel de ce jugement – Accord entre le ministre défendeur et le demandeur à l’audience – Non-lieu à statuer.

Cette ordonnance en référé liberté, rendue dans un litige en demande d’asile faite par un ressortissant ougandais, vaut surtout par le fait qu’elle constate l’accord entre le ministre de l’intérieur et le requérant du fait de l’acceptation du premier de fournir au second le formulaire de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides prévu par l'article R. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l’appel au Conseil d’État est devenu sans objet et il n’y a plus lieu d’y statuer.

(ord. réf. 28 octobre 2022, M. A., n° 468383)

 

60 - Référé liberté – Contestation de l’ensemble des lois de la cinquième république dont l’une plus spécialement – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est rejetée comme manifestement irrecevable l’originale et audacieuse requête en référé liberté tendant à voir le juge des référés du Conseil d’État examiner la contestation de l'ensemble des lois promulguées sous la cinquième république, en particulier la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020, à raison de ce que, par leurs contenus, elles méconnaissent les valeurs de la République française et les dispositions de la Constitution du 4 octobre 1958.

(ord. réf. 27 octobre 2022, M. A., n° 468429)

 

61 - Recours pour excès de pouvoir – Mémoire tendant au rejet de ce recours – Signataire du mémoire ne disposant pas, éventuellement, d’une délégation régulière de signature – Circonstance sans effet- Moyen inopérant – Rejet.

Rappel de ce que dans le cadre d’une action en recours pour excès de pouvoir, la circonstance que le mémoire en défense tendant au rejet de ce recours soit signé par une personne n’ayant pas reçu délégation régulière de signature à cet effet est dépourvue d’effet sur l’issue du litige et qu’en conséquence le moyen soulevant cette irrégularité est inopérant.

(28 octobre 2022, Syndicat jeunes médecins, n° 445031 ; Intersyndicale action praticiens hôpital, ° 446862 ; Mme F., n° 446939 ; M. V., n°447078 ; M. M. et autres, n° 450650, jonction)

V. aussi le n° 187

 

62 - Demande d’aide juridictionnelle – Effet interruptif – Irrecevabilité pour tardiveté – Dénaturation des pièces – Annulation.

Dans un litige en restitution d’indu de RSA, le juge rappelle qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux et qu'un nouveau délai de même durée recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle.

Il indique ensuite qu’il en va ainsi quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle, qu'elle en ait refusé le bénéfice, qu'elle ait prononcé une admission partielle ou qu'elle ait admis le demandeur au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, quand bien même dans ce dernier cas le ministère public ou le bâtonnier ont, en vertu de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, seuls vocation à contester une telle décision. 

En l’espèce, une présidente de chambre du tribunal administratif, considérant que la notification de la décision du bureau d’aide juridictionnelle avait été notifiée à la requérante le 31 décembre 2018, a estimé que le délai de deux mois du recours contentieux a commencé à courir 15 jours après soit à partir du 15 janvier 2019 et qu’il était donc expiré lorsque la demanderesse a introduit sa requête au greffe du tribunal le 7 juin 2019.

Cependant le Conseil d’État relève que la mention sur laquelle la magistrate s'est fondée pour déterminer la date de la décision d’admission à l’aide, apposée par le secrétariat du bureau d'aide juridictionnelle sur la copie de la décision d'admission totale destinée au bénéficiaire de l'aide, selon laquelle « l'original » de la décision aurait été « délivré le 31 décembre 2018 », n'est pas de nature à établir que la lettre simple portant notification a effectivement été reçue par sa destinataire à cette date, en l'absence d'autres éléments.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier qu’a été opposée la tardiveté du recours en l’espèce.

(14 octobre 2022, Mme B., n° 455420)

(63) V. aussi, assez semblable sur ce point et concernant la même aide sociale : 14 octobre 2022, Mme A., n° 460611.

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

64 - Transaction sans facture – Pénalité fixée à l’art. 1737 du CGI - Loi répressive plus douce (rétroactivité in mitius) – Loi nouvelle intervenue postérieurement à la décision frappée de pourvoi – Application immédiate aux faits non encore définitivement jugés –Annulation partielle.

On laissera de côté le rejet par le juge administratif du recours dirigé - sans sourciller - contre une décision du Conseil constitutionnel en tant qu’elle contrevient à l’art. 6§1 de la Convention EDH pour présenter le fond de cette affaire.

Le 3 du I de l'article 1737 du CGI alors applicable avait prévu l'infliction d'une amende non plafonnée égale à 50 % du montant de la transaction lorsque n'était pas délivrée une facture, et la réduction du taux de l'amende à 5 % de ce même montant lorsque le fournisseur apportait, dans les trente jours de la mise en demeure adressée par l'administration fiscale, la preuve que l'opération avait été régulièrement comptabilisée.

Le Conseil constitutionnel (décis. n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021) ayant déclaré cette disposition contraire à la Constitution, le 3 du I de cet article 1737, dans la version qui lui a été donnée par l'article 142 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 précise, d’une part, que le client professionnel est solidairement tenu au paiement de cette amende, qui ne peut excéder 375 000 euros par exercice et, d’autre part, que lorsque la transaction a été comptabilisée, l'amende est réduite à 5 % et ne peut excéder 37 500 euros par exercice. 

Cette nouvelle version constitue une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures. Or, en l’espèce, la cour administrative d’appel, dans son arrêt du 2 juillet 2020, a fait application de la version antérieure.

Le Conseil d’État, comme le laissait envisager une tendance jurisprudentielle longue, juge que les dispositions nouvelles « qui ont assoupli les conditions dans lesquelles le taux de 5 % peut être retenu au lieu du taux de 50 % et plafonné les montants de l'amende, constituent une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures dont la cour a fait application et font obstacle au maintien du dispositif de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le montant des amendes litigieuses. »

Ainsi, donc cette règle est applicable aussi bien aux sanctions administratives (Avis, Section, 5 avril 1996, Houdmond, n° 176611) qu’aux sanctions pénales (présente espèce). Tout juge doit, même d’office car le principe est d’ordre public (3 décembre 1999, Makarian, n° 162925), faire application de la loi nouvelle plus douce entrée en vigueur postérieurement aux faits mais antérieurement au jour où il statue (Assemblée, 16 février 2009, Société ATOM, n° 274000) et le juge de cassation, comme en l’espèce, a l’obligation d’effectuer cette application lorsque la loi plus douce intervient après la décision dont la cassation est demandée et avant qu’il ne statue (présente affaire ; Voir aussi : Cass. com. 21 mars 2000, M. de Noailles de Mouchy de Poix, 97-21.894 : non acquittement de la vignette automobile).

(Section, 7 octobre 2022, SAS KF3 Plus, n° 443476)

 

65 - Redevance pour création de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage en Île-de-France – Centre de traitement de données ou « data center » - Décharge partielle du paiement de la taxe – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits qu’un tribunal administratif statuant sur renvoi après cassation juge que n’a pas à être soumis à la redevance pour création de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage en Ile-de-France un centre de traitement des données, dit « data center ». En effet, les données numériques traitées dans les locaux en litige ne constituent ni des produits, ni des marchandises, ni des biens, au sens du 3° du III de l'article 231ter du CGI. De plus, contrairement à ce que soutient la ministre demanderesse, la circonstance, non contestée, que ces locaux abritent des matériels et infrastructures informatiques en fonctionnement ne saurait conduire à regarder ces locaux comme destinés à un entreposage au sens des mêmes dispositions : ils ne constituent donc pas

des locaux de stockage au sens et pour l'application de celles-ci.

(11 octobre 2022, ministre de la transition écologique, n° 463134)

 

66 - Cession de terrains à bâtir – Régime de TVA dérogatoire (art. 392, directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA et art. 268 CGI) – Terrain comportant déjà du bâti – Exclusion – Erreur de droit – Annulation.

Réitération d’une jurisprudence bien établie.

L’assiette de la TVA applicable aux cessions de terrains à bâtir connaît un régime dérogatoire dans le cas de livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition. En ce cas, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat.

En l’espèce, est annulé un arrêt d’appel qui avait déclarée éligible à ce mécanisme de faveur une société de marchand de biens lors de la cession par celle-ci de terrains déjà bâtis au moment de leur acquisition quand bien même la construction qu’ils supportaient a été démolie en vue de sa revente.

C’est le rappel d’une jurisprudence d’interprétation très stricte de la notion de terrain à bâtir (cf. 27 mars 2020, Sarl Promialp, n° 428234 ; voir cette Chronique, mars 2020 n° 55) car il n’est pas contestable qu’un terrain nu est à bâtir que cet état de fait soit d’origine ou constitué par suite de la démolition d’un bâti antérieur par l’acheteur-revendeur.

(11 octobre 2022, Société BH Concept, n° 464561)

 

67 - Déficits fonciers – Émission d’une imposition définitive – Présomption irréfragable absolue de résorption des déficits actuel et antérieurs - Impossibilité de report sur les années ultérieures – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que les déficits fonciers, en cas d’imposition définitive, ne peuvent pas être reportés sur l’année de cette imposition et sur les années antérieures, ils doivent l’être au cours des dix années ultérieures par application des dispositions de l’art. 156 du CGI et des art. R. 190-1, R. 196-1 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales.

(14 octobre 2022, M. et Mme B., n° 444458)

 

68 - Crédit d’impôt recherche – Société d’avocats – Emploi d’une doctorante pour effectuer des travaux en rapport avec son sujet de thèse – Absence d’ouverture au crédit impôt recherche – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni qualification erronée des faits qu’une cour d’appel juge que ne sont pas éligibles au crédit d’impôt recherche les dépenses de personnel d’un cabinet d’avocats pour une salariée doctorante en droit effectuant au sein de la société requérante des recherches de thèse sur les particularités de la procédure de divorce et cela alors même que les recherches menées dans le domaine du droit ne sauraient par principe être exclues de ce dispositif fiscal.

(14 octobre 2022, SELARL P. A. – M. A., n° 443869)

 

69 - TVA – Exonération au profit des œuvres sans but lucratif à caractère social ou philanthropique – Prix inférieurs à ceux du secteur commercial pour des activités comparables – Association liée à des organismes à but lucratif – Absence de gestion désintéressée – Rejet.

Le  b du 1° du 7 de l'art. 261 du CGI exonère de la taxe sur la valeur ajoutée « les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. (...) ».

L'association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy exerce une activité de halte-garderie pour les enfants de 18 mois à 3 ans et d'initiation au ski pour les enfants à partir de 3 ans. Pour l'exercice de cette dernière activité, qui représente environ 70 % de ses recettes et constitue donc la principale activité de l'association, celle-ci fait appel à des moniteurs de ski dont il n'est pas contesté qu'ils exercent une activité commerciale pour laquelle ils sont soumis, notamment, à la TVA, et qui sont membres de l'association.

Dès lors qu'ils retirent un avantage concurrentiel des activités de l'association, celle-ci doit être regardée comme entretenant des relations privilégiées avec ses membres, moniteurs de ski exerçant à titre commercial, alors même que les cours de ski dispensés aux enfants dans le cadre de cette association seraient moins rémunérateurs en moyenne pour les moniteurs que leurs cours particuliers.

L’activité de l’association ne revêt ainsi pas le caractère de « gestion désintéressée » exigé par le CGI pour être exonérée de TVA. C’est donc au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que son activité ne devait pas être soumise à la TVA.

(17 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 453019)

 

70 - TVA – Redevables soumis au régime réel d’imposition – Obligation d’une déclaration mensuelle de l’activité taxable - Seuil de 4000 euros de taxe exigible annuellement permettant une déclaration trimestrielle – Détermination – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt jugeant que le seuil de taxe exigible de 4 000 euros en dessous duquel un redevable est admis à déposer ses déclarations par trimestre civil et non par mois, doit s'apprécier par rapport au montant total de la taxe exigible au cours de l'année civile immédiatement antérieure à l'année civile au titre de laquelle les déclarations doivent être effectuées alors que ce seuil s'apprécie au début de chaque trimestre par rapport au montant total de la taxe exigible les quatre trimestres civils précédents.

(17 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 458767)

 

71 - Charges de propriété – Notion – Montant des travaux à réaliser par le vendeur sur un immeuble à rénover – Montant constituant un élément du prix d’acquisition de l’immeuble – Absence de caractère de charges de propriété – Impossibilité de déduire ce coût des revenus fonciers locatifs en vue de la détermination du revenu net – Rejet.

En principe, il résulte de l’art. 31 du CGI que le coût des travaux qui constituent des charges de propriété peut être déduit des revenus fonciers provenant de la location d’un bien immobilier afin de déterminer le montant du revenu net tel que défini à l'article 28 du CGI.

Toutefois, il n’en va pas ainsi lorsque, comme en l’espèce, des travaux sont effectués dans un immeuble récemment acquis alors qu’ils ont été menés dans le cadre d'un contrat de vente d'un immeuble à rénover dont le prix d'acquisition comprenait celui des travaux. En effet, constituant une dépense en capital, celle-ci ne peut être considérée comme une charge déductible des revenus fonciers des acquéreurs. 

(17 octobre 2022, M. et Mme A., n° 460113)

 

72 - Provision – Condition de déductibilité des résultats de l’exercice comptable – Obligation de constatation dans les écritures comptables à la clôture de l’exercice – Effet couperet de cette règle.

Rappel d’une règle appliquée aussi absolument et aveuglément que possible depuis au moins un demi-siècle : une provision ne peut être déduite des résultats d’un exercice comptable que si elle a fait l’objet d’une constatation dans les écritures comptables au plus tard à la clôture de l’exercice sans qu’il soit possible au redevable d’être relevé de cette déchéance au moyen d’une demande de correction par voie de réclamation ou, après l'expiration du délai de réclamation, par voie de compensation à l'occasion d'un rehaussement.

(18 octobre 2022, Sarl Dovre France, n° 461039)

 

73 - Clause de retour in bonis assortissant un abandon de créance – Société confondante succédant aux droits et obligations de la société bénéficiaire de l’abandon de créance – Effets sur le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en dépit de la loi de finances rectificative du 16 août 2012 – Rejet.

Il est jugé, de façon innovante (cette solution ne nous paraissant pas avoir de précédent), en premier lieu, qu’une société confondante vient aux droits et obligations de la société avec laquelle elle est confondue et qu’ainsi elle succède à cette dernière, à la fois, en tant que bénéficiaire d’un abandon de créance assorti d’une clause de retour à meilleure fortune (ou clause in bonis) et en tant que débitrice éventuelle du montant de cet abandon. Par suite, le versement par cette société à une autre société d’une certaine somme trouve sa cause dans la mise en œuvre de la clause de retour in bonis.

En second lieu, l’art. 17 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 a supprimé, pour les exercices clos à compter du 4 juillet 2012, la possibilité pour les entreprises de déduire de leur bénéfice imposable les abandons de créance à caractère financier et supprimé corrélativement leur prise en compte, pour celui qui les consent comme pour celui qui en bénéficie, pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Toutefois, le juge estime que, lorsque comme au cas de l’espèce, un abandon de créance à caractère financier consenti au cours d'un exercice clos avant le 4 juillet 2012 a eu pour effet de majorer le montant de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de la société ayant bénéficié de cet abandon, son remboursement en exécution d'une clause de retour à meilleure fortune par cette même société ou par une société qui se serait, le cas échéant, substituée à elle, a pour effet de minorer symétriquement l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due par cette société au titre de l'année au cours de laquelle le remboursement est intervenu. Il en va ainsi, en dépit des modifications résultant de l'article 17 de la loi de finances rectificative pour 2012, même lorsque le remboursement intervient au cours d'un exercice clos à compter du 4 juillet 2012, soit, ici, le 21 décembre 2012. 

(18 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 461355)

 

74 - Intérêts d’un emprunt participatif – Intérêts considérés comme fictifs - Requalification en remboursements en capital – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Les contribuables demandeurs avaient conclu avec une société de droit espagnol plusieurs contrats de prêt participatif. Au titre de la rémunération prévue par certains de ces contrats de prêts, ils ont perçu des intérêts qu'ils ont déclarés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. A la suite de l'ouverture d'une enquête pénale à l'encontre du gérant de cette société, portant sur une fraude consistant à utiliser les fonds prêtés par une partie des investisseurs afin de rémunérer et de rembourser les prêts consentis par d'autres, les contribuables ont saisi l'administration fiscale de réclamations tendant à la réduction des revenus de capitaux mobiliers qu'ils avaient déclarés ainsi que des contributions sociales y afférentes. 

Cette demande ayant été rejetée par l’administration et ce refus confirmé par les juges de première instance et d’appel, les intéressés se pourvoient.

Le Conseil d’État relève que ceux-ci avaient conclu, entre 2013 et 2017, plusieurs contrats de prêt participatif, authentifiés par un notaire établi à Barcelone, avec une société de droit espagnol, destinés à financer des campagnes publicitaires télévisuelles, et que chacun de ces contrats avait fait l'objet d'une police d'assurance souscrite avec une compagnie d'assurance et avait donné lieu à l'édition de plusieurs billets à ordre qui leur avaient été remis le jour de la signature du contrat, portant l'un sur le remboursement du capital emprunté et les autres sur le paiement des intérêts dus en rémunération du prêt, et comportant chacun la date de leur encaissement.

La cour administrative d’appel, constatant que les intérêts perçus par les contribuables demandeurs provenaient non des bénéfices de l'activité de la société mais de la souscription par celle-ci de nouveaux emprunts, les a regardés comme fictifs et requalifiés en remboursements en capital, à concurrence, pour chacune des années en litige, du montant n'excédant pas celui investi par les intéressés au cours de cette même année.

L’arrêt est cassé, à juste titre, pour inexacte qualification des faits de l’espèce dès lors que, d’une part,  la cour avait elle-même relevé que les prêts participatifs consentis entre 2013 et 2017 étaient indépendants les uns des autres et que, d’autre part, il était constant que les intérêts en litige avaient effectivement été payés aux contribuables en rémunération de prêts, échus avant la découverte de la dimension frauduleuse de l'activité de la société emprunteuse et dont le capital leur avait été également intégralement remboursé en 2015 et en 2016.

(18 octobre 2022, M. et Mme B., n° 461703)

 

75 – Société civile immobilière – Attribution des pertes à certains seulement des associés par l’assemblée générale extraordinaire – Imposition supplémentaire sur le revenu avec intérêts de retard et pénalités – Opposition de l’art. 1844-1 du Code civil – Absence de caractère non écrit des décisions de l’AG extraordinaire – Rejet.

Des assemblées extraordinaires d’une SCI constituée entre des parents et leurs cinq enfants ont attribué la charge des pertes de la société aux seuls parents.

L’administration a estimé que la fraction des déficits fonciers de la SCI attribuée à ces derniers pour les années d'imposition en litige devait être limitée à celle correspondant à leur part dans le capital social de la société, soit 1 %. Elle a en conséquence, se fondant sur les dispositions de l’art. 1844-1 du Code civil, rehaussé leurs revenus fonciers et les a imposés à cette hauteur avec intérêts de retard et pénalités. Cet article dispose :

« La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l'associé qui n'a apporté que son industrie est égale à celle de l'associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire.

Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites. »

La cour administrative d’appel, saisie d’un appel contre le jugement les ayant débouté de leur demande de décharge des impositions supplémentaires, a annulé ce jugement et jugé que les délibérations des AG extraordinaires qui ont attribué aux seuls parents, M. et Mme B., la totalité des pertes enregistrées par la SCI pour les exercices clos respectivement en 2014, 2015 et 2016 ne pouvaient être regardées comme des stipulations réputées non écrites par l'effet des dispositions précitées du second alinéa de l'article 1844-1 du code civil. Elle a considéré, suivant en cela la jurisprudence de la Cour de cassation, que ces délibérations, qui concernaient tant les bénéfices que les pertes, ne dérogeaient que de manière ponctuelle au pacte social. C’est sans erreur de droit qu’elle a refusé de réputer non écrites de telles décisions qui se bornaient à déroger aux règles statutaires pour ce qui concerne la répartition des seules pertes constatées à la clôture des exercices concernés, et alors même que ces décisions ont eu pour effet d'exonérer certains associés de toute participation à ces pertes.

(18 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n°462497)

 

76 - Société non résidente – Détermination de son résultat fiscal – Résultat nul ou négatif – Demande de restitution de la retenue ou du prélèvement à la source – Rejet.

Sont rejetées les demandes, par une société de droit luxembourgeois, d’annulation et celle de renvoi préjudiciel à la CJUE des commentaires administratifs publiés le 29 juin 2022 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-RPPM-RCM-30-30-10-90, en ce qu’ils subordonnent l'application du mécanisme de restitution de la retenue à la source supportée sur des dividendes de source française à la réalisation par une société non-résidente d'un résultat fiscal strictement inférieur à zéro. En effet, il résulte des dispositions du 2° du I de l'article 235 quater du CGI que, contrairement à ce qui est soutenu, la société non résidente dont le résultat est négatif ou nul est fondée à demander la restitution de la retenue ou du prélèvement à la source à concurrence des sommes retenues ou prélevées sur les revenus ou profits devant être réintégrés. 

(18 octobre, Société Brufinol S.A., n° 466329)

 

77 - Requête en annulation de cotisations supplémentaires d’impôt – Requête présentée en appel par une société membre d’un groupe fiscalement intégré – Suppléments d’impôt mis à la charge de la société mère seule redevable de l’imposition – Défaut d’intérêt pour agir de la société intégrée en l’absence de mandat à l’effet de représenter la société mère– Rejet.

C’est sans méconnaître le sens et la portée des écritures de première instance, ni entacher son ordonnance d'aucune erreur de droit ou de qualification juridique des faits qui lui étaient soumis, ni porter atteinte, en tout état de cause, au droit à un recours effectif garanti par l'art. 16 de la Déclaration de 1789 et par les stipulations des art. 6 § 1 et 13 de la convention EDH, qu’un magistrat d’une cour administrative d’appel rejette comme manifestement irrecevable l’appel d’une société contre un jugement alors qu’elle n’avait jamais prétendu, avant de saisir la cour administrative d'appel, agir au nom et pour le compte de la société tête de groupe.

En outre, et par application des dispositions combinées des art. R. 197-3 du livre des proc. fisc. et R. 612-1 du CJA, c’est de façon tout aussi régulière qu’il a jugé que l'irrecevabilité née de son absence d'intérêt à agir devait être soulevée d'office par les premiers juges sans que ces derniers aient à l'inviter préalablement à produire un mandat de la société mère. 

(20 octobre 2022, Société Airporc, n° 441459)

 

78 - Location de boxes à fin de stockage et vente de fournitures ad hoc – Assujettissement à la taxe sur les bureaux, les locaux commerciaux et de stockage et les surfaces de stationnement en Île-de-France – Notion de « parties communes » exclues de l’assiette de la taxe – Annulation et rejet.

La requérante exerce une activité de location de boxes de stockage en libre-service à des particuliers et à des professionnels et une activité de vente de fournitures diverses pour le stockage et le déménagement, dite activité de « self stockage ». L’administration fiscale l’a assujettie, pour les années 2012 et 2013, à des cotisations supplémentaires de taxe sur les bureaux, les locaux commerciaux et de stockage et les surfaces de stationnement en Île-de-France, à raison de ceux de ses établissements qui y sont situés.

Un litige s’est élevé à propos des parties communes desservant les boxes s’agissant d’interpréter les dispositions du IV de l’art. 231 ter du CGI, selon lesquelles : « Pour le calcul des surfaces (susceptibles d’être assujetties à la taxe), il est tenu compte de tous les locaux de même nature, hors parties communes, qu'une personne privée ou publique possède à une même adresse ou, en cas de pluralité d'adresses, dans un même groupement topographique. (...) ». 

Pour refuser aux surfaces litigieuses la qualité de parties communes, la cour administrative d’appel a retenu que ces espaces de circulation intérieure servaient exclusivement à la desserte des boxes de stockage, au bénéfice des clients comme des employés de la société Une Pièce en Plus et qu'ils constituaient donc une dépendance immédiate et indispensable de ces boxes. Ils ne pouvaient donc pas être qualifiés de parties communes au sens et pour l’application du IV de l'article 231 ter du CGI.

Cette analyse est désavouée par le Conseil d’État pour erreur de droit car la circonstance que les espaces en litige constitueraient une dépendance immédiate et indispensable de locaux imposables est sans incidence pour en déterminer le caractère de partie commune.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation, après avoir décidé que « (…) les parties communes des locaux imposables au nom de la personne propriétaire de ces locaux, ou de la personne titulaire de droits réels portant sur eux, doivent s'entendre comme les surfaces affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les occupants de ces locaux ou de plusieurs d'entre eux, alors même qu'elles seraient la propriété d'une seule et même personne », constate que les boxes de stockage en cause ne constituent que l'aménagement intérieur de l'unique local de stockage dont la société Une Pièce en Plus est propriétaire sur chaque site. Par suite, les espaces de circulation intérieure entre les boxes, qui sont situés au sein de chaque local unique de stockage, ne sauraient être qualifiés de parties communes.

Vainement la contribuable requérante s’appuie sur une interprétation différente de la notion de parties communes qui résulterait d’une prise de position formelle de l’administration concernant la loi fiscale (mécanisme de l’art. L. 80 A LPF). D’abord, elle ne saurait invoquer un courrier contenant une prise de position formelle de l'administration concernant un local distinct de ceux dont la taxation est en litige, ainsi qu'un autre contribuable. Ensuite, elle ne saurait, non plus, soutenir qu’il ressort des termes du paragraphe 540 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-IF-AUT-50-10-20131212 que l'administration aurait entendu accorder la qualification de partie commune aux espaces de circulation intérieure tels que ceux en litige.

Le pourvoi est rejeté.

(27 octobre 2022, Société Une Pièce en Plus, n°s 452766, 452771, 452772, 455703)

 

79 - Exercice d’une profession libérale – Sous-location d’immeubles nus – Absence d’un tel caractère – Impossibilité de déduire les déficits de cette activité, même exercée à titre professionnel, du revenu global – Rejet.

Confirmant l’arrêt d’appel qui lui était déféré, le juge de cassation, rejetant le pourvoi, rappelle que pour l’application du I, 2°de l’art. 156 du CGI, (conditions d’imputation du déficit sur le revenu global), « l'activité de sous-location d'immeubles nus ne constitue pas, par sa nature et les conditions de son exercice, une profession libérale. Cette activité ne requiert pas la mise en œuvre d'un art ou de savoir-faire particuliers de nature à la faire regarder comme l'exercice d'une profession libérale. Dès lors, les déficits tirés de cette activité non commerciale, quand bien même elle est exercée à titre professionnel, n'entrent pas au nombre des déficits catégoriels pouvant être imputés sur le revenu global en application des dispositions (…) de l'article 156 du CGI. »

(27 octobre 2022, M. B., n° 453264)

 

Droit public de l'économie

 

80 - Prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce à dominante alimentaire – Opération interdite par l’Autorité de la concurrence à raison de ses effets concurrentiels – Détermination des marchés pertinents – Prise en compte des seuls hyper marchés – Exclusion de l’un d’eux à raison de la part des produits non alimentaires – Appréciation des risques pour la concurrence – Rejet.

L'Autorité de la concurrence a, par une décision du 28 août 2020, interdit la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soditroy aux côtés de l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec) au nord de Troyes.

Cette décision est contestée devant le Conseil d’État par les requérantes.

Leurs recours sont rejetés.

Le Conseil juge d’abord que c’est sans erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence, au vu des pièces du dossier, a considéré que l’ACDLec exerçait une influence déterminante sur la société Soditroy, détenue majoritairement par M. B. adhérent à l’ACDLec, qui avait notifié à cette autorité le rachat du fonds de commerce d'un hypermarché exploité sous enseigne Géant Casino par la société Distribution Casino France, ainsi que du fonds de commerce de carburant de la société Floréal, situé sur le parking de l'hypermarché. C’est donc à bon droit qu’elle a pris en considération les situations des centres Casino et des centres Leclerc dans le périmètre en cause pour effectuer son contrôle conjoint ayant débouché sur une décision négative.

Le juge contrôle ensuite la légalité de la décision attaquée sous ses deux aspects majeurs, celui de la délimitation des marchés pertinents au regard de la demande formulée et celui de l’analyse concurrentielle.

 

I – Sur la délimitation des marchés pertinents

Le juge se livre ici à deux appréciations, l’une positive, l’autre négative.

Positivement, il constate qu’appliquant sa méthodologie habituelle, l’Autorité de la concurrence distingue classiquement, d’une part, l'existence d'un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire composé uniquement d'hypermarchés, d’autre part, l’existence d’un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard discount et magasins populaires). Sur cette base, il considère que c’est sans erreur de droit ni d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a conclu de cette analyse que le service de distribution offert par les hypermarchés ne présentait pas un degré de substituabilité suffisant par rapport au service offert par les supermarchés et les discompteurs et en a déduit qu'il existait, dans l'agglomération troyenne, un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés. 

Négativement, il s’agissait pour l’Autorité de la concurrence de répondre à l’argument des requérantes contestant l’exclusion par celle-ci dans son étude, de deux magasins Intermarché situés l’un au nord-est et l’autre au sud de l’agglomération troyenne, qui entrent dans la catégorie de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés. Une telle prise en compte aurait sans doute modifié les paramètres d’étude. Pour dire fondée cette exclusion, le juge retient un argument assez ténu semble-t-il tiré de ce que l'offre de produits non alimentaires de ces deux magasins est plus limitée que celle des hypermarchés et que ces produits représentent, à la différence des hypermarchés, une part négligeable de leurs chiffres d'affaires. La question est évidemment d’une grande importance car sa résolution sert d’élément central à l’appréciation du devenir concurrentiel de la zone en cette matière.

 

II – Sur l’analyse concurrentielle

L’Autorité de la concurrence a examiné, comme cela est accoutumé, le risque d’effets coordonnés et le risque d’effets unilatéraux.

Les premiers effets résultent des comportements d'opérateurs en situation oligopolistique sur un marché pertinent qui, en l'absence même de toute entente formelle, peuvent être implicitement coordonnés, lorsque ces opérateurs, notamment en raison de l'existence de facteurs de corrélation entre eux, ont le pouvoir d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché en vue de profiter d'une situation de puissance économique collective, en particulier pour vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans que les concurrents actuels ou potentiels ou encore les clients et les consommateurs ne puissent réagir de manière effective. C’est sans erreur de droit ni d’appréciation que l’Autorité a estimé que l'opération était de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la distribution au détail de produits alimentaires composé uniquement d'hypermarchés en raison du risque d’effets coordonnés. 

Les seconds effets sont liés à la circonstance que l’opération litigieuse pourrait vraisemblablement entraîner une hausse des prix dans l'hypermarché E. Leclerc situé à Saint-Parres-aux-Tertres. Pour parvenir à cette conclusion l’Autorité de la concurrence s'est notamment fondée sur l'indice dit « gross upward pricing pressure index », en faisant l'hypothèse que les personnes qui sont clientes de l'hypermarché E. Leclerc en dépit de leur proximité avec le Géant Casino se reporteraient, après l'opération, vers l'hypermarché-cible passé sous enseigne E. Leclerc. Elle a calculé cet indice à partir du ratio de diversion entre cet hypermarché E. Leclerc et l'hypermarché-cible situé à Barberey-Saint-Sulpice, c'est-à-dire en fonction de la part des ventes qui, en cas de hausse de prix dans le premier magasin sera effectuée dans l'autre magasin, rapportée à l'ensemble des ventes perdues par le magasin ayant augmenté ses prix, et l’a évalué à 6,1%, soit un taux supérieur au seuil de 5% au-delà duquel il est admis que la nouvelle entité sera incitée à augmenter ses prix du fait de l'internalisation au sein du nouvel ensemble de reports de la clientèle vers la cible en cas de hausse des prix par l'acquéreur. Là encore, c’est sans erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a pu estimer qu'il existait un risque d'effet unilatéral sur le marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés. 

On dira notre réticence à l’utilisation systématique et uniforme de méthodologies appliquées à des situations très variables dans leurs compositions comme dans leurs évolutions dans un monde de changements notamment technologiques, incessants et brutaux.

On dira aussi notre réserve envers un mode d’analyse reposant sur une supposition corrélée à une vraisemblance elle-même liée à des constats purement statistiques seulement valables pour le grand nombre.

Mais peut-être sont-ce là les faiblesses inhérentes à tout processus de contrôle de la concurrence, concurrence dont les vertus sont, au reste, le plus souvent présumées ?

(14 octobre 2022, Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec) et société Soditroy, n° 445680 ; Sociétés Distribution Casino et Floreal, n° 446974, jonction)

 

81 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Pouvoir de sanction – Étendue – Fourniture par un professionnel de services n’entrant pas dans ses missions contractuelle – Obligation de satisfaire des exigences professionnelles – Soumission au pouvoir de l’AMF – Rejet.

Dans le cadre du contentieux soulevé par la contestation par l’intéressée d’une sanction qui lui a été infligée par l’Autorité des marchés financiers, le juge est amené à trancher une question originale dans le sens d’un renforcement de la protection des consommateurs de produits financiers.

En bref, il s’agissait de savoir si un professionnel qui propose à ses clients un service n’entrant pas obligatoirement dans ses missions relève du pouvoir de sanction de l’AMF lorsque ce service entre dans le champ du contrôle de l’AMF. La réponse est positive et c’est heureux.

Il s’agissait, en l’espèce, de teneurs de compte-conservateurs lesquels sont tenus d'agir de telle manière qu'outre la bonne conservation des titres financiers qui leur sont confiés, ils facilitent l'exercice des droits qui sont attachés à ces titres. A ce dernier titre, ils peuvent proposer un service de transmission des instructions de vote, service qui ne relève pas obligatoirement de leurs missions. Cependant, le juge considère que, dès lors que ce service participe de l'exercice d'un droit attaché aux titres financiers qu'ils conservent, ils doivent respecter les obligations professionnelles qui s'imposent à eux et relèvent, pour cette mission, du contrôle de l'Autorité des marchés financiers. 

(17 octobre 2022, Société X., n° 449114)

(82) V. aussi, rejetant un recours relatif à la publicité nominative des sanctions infligées à une société par l’AMF : 20 octobre 2022, Société BD Multimedia, n° 449164.

 

83 - Commission de régulation de l’électricité – Délibération arrêtant des mesures de renforcement de la sécurisation financière du dispositif d’équilibre – Défaut de consultation des opérateurs intéressés préalablement à cette délibération – Non-respect d’une garantie offerte pour ces opérateurs et susceptible d’exercer une influence sur le sens de ladite délibération – Circonstances exceptionnelles ou urgence justifiant l’absence de consultation – Rejet.

(17 octobre 2022, Société E-Pango, n° 461073)

V. n° 12

 

84 - Agriculture – Arrêté portant extension d’un accord interprofessionnel en matière de betterave et de sucre – Difficultés à déterminer la proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés - Conséquences en matière d’appréciation de la représentativité d’une organisation professionnelle – Rejet.

Il était demandé au juge de prononcer l’annulation de l'arrêté du 8 avril 2020 portant extension d'un accord interprofessionnel conclu dans le cadre de la campagne 2019-2020 de la betterave et du sucre à en raison du défaut de représentativité de l’une des organisations signataires de l’accord, l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS).

Pour rejeter le recours, le juge retient que si l'art. 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles fixe des règles précises de détermination de la représentativité des organisations interprofessionnelles, il prévoit que lorsqu’elles ne sont pas en mesure de déterminer la proportion du volume de production de leurs adhérents avec une précision suffisante pour établir avec certitude qu'elle satisfait au critère de proportion du volume de la production prévu par cet article 164 et qu'il existe ainsi des difficultés pratiques justifiant, comme le prévoit ce même article, qu'il soit recouru aux règles nationales qu'il incombe aux États membres de fixer en ce cas, de fixer ce critère. En France, a été retenu le critère subsidiaire de représentativité prévu au troisième alinéa de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime et, le cas échéant, la présomption de représentativité prévue aux quatrième et cinquième alinéas de cet article. 

Contrairement à ce que soutenait le requérant, le ministre a pu, sur le fondement de ces deux alinéas, faire application de ce que l’un d’eux dispose que, dans le cadre de l’appréciation des conditions de représentativité, que celles-ci sont présumées remplies lorsque l'organisation interprofessionnelle démontre que l'accord dont l'extension est demandée n'a pas fait l'objet, dans le mois suivant sa publication par cette organisation, de l'opposition d'organisations professionnelles réunissant des opérateurs économiques de ce secteur d'activité représentant au total plus du tiers des volumes du secteur d'activité concerné.

Enfin, si ces difficultés empêchent de déterminer avec certitude que l'AIBS satisfait au critère de proportion du volume de la production, elles ne sauraient en l'espèce, en tout état de cause, empêcher d'établir avec certitude l'absence d'opposition d'organisations professionnelles représentant plus du tiers des volumes du secteur, dès lors que, comme l'indique le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sans être contredit, aucune organisation professionnelle n'a émis d'avis négatif à l'encontre de l'accord concerné avant le 24 février 2020, terme du délai d'un mois suivant sa publication.

C’est ainsi sans erreur de droit et de fait que le ministre a regardé l’AIBS comme représentative.

(27 octobre 2022, Syndicat Coordination rurale Union nationale, n° 441195)

 

85 - Délimitation de l’aire parcellaire d’un « climat » premier cru au sein de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) « Pouilly-Fuissé » – Critères d’inclusion dans l’aire arrêtés par le comité des appellations d’origine de l’Institut national des appellations d’origine (INAO) – Exclusion partielle de parcelles - Rejet.

Le requérant conteste la décision de l’INAO n’incluant qu’une partie seulement de ses parcelles dans le climat premier cru « Vers Cras » de l’AOC « Pouilly-Fuissé ».

Son recours est rejeté.

Le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des boissons spiritueuses de l'INAO a, pour la délimitation des climats en premier cru de l’AOC « Pouilly-Fuissé », retenu notamment des critères d'inclusion destinés à assurer le respect de la constitution d'une entité regroupant des parcelles présentant une unité géo-pédo-morphologique. Pour être incluse dans l'aire, une parcelle doit former avec les autres parcelles une unité tenant à un cumul de conditions portant sur la qualité de son sol, son altitude, son exposition et sa pente. 

C’est sans erreur qu’au vu de ces critères, l’INAO a refusé l’inclusion dans ce climat, d’une part, de la partie ouest de la parcelle du requérant au motif que si elle remplit la condition tenant à la qualité du sol, elle ne remplit pas les autres conditions nécessaires pour former une unité géo-pédo-morphologique avec les parcelles retenues et, d’autre part, à l’intérieur d’une autre parcelle comprenant deux parties appartenant à des unités topographiques et culturales distinctes, celle des deux qui, se situe dans la partie sommitale de cette parcelle et débute le versant de celle-ci regardant vers l'ouest, ce qui correspond à un changement de pente et d'orientation par rapport au reste de la parcelle, qui s'accompagne d'un changement dans la direction des rangs de vigne.

La circonstance que la délimitation de l'aire qui en résulte ne corresponde pas aux délimitations administratives et cadastrales est sans incidence au regard de la validité de cette délimitation. 

Le requérant pourra se consoler en se disant qu’il produit tout de même un Pouilly-Fuissé, l’un des plus grands vins blancs français.

(27 octobre 2022, M. C., n° 448393)

(86) V. aussi, assez voisin, rejetant le recours en annulation de l'arrêté du 5 novembre 2020 homologuant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée « Pouilly-Fuissé », en tant qu'il définit une aire géographique de production excluant les parcelles du Château des Rontets du climat « Les Rontés » en premier cru : 27 octobre 2022, Société civile d'exploitation viticole (SCEV) Gazeau-Montrasi, n° 448816.

(87) V. également, avec même solution s’agissant du climat « Aux Bouthières » : 27 octobre 2022, Exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Pascal Rollet, n°448955.

 

88 - Conducteurs de taxis et conducteurs de voitures de transports de personnes – Évaluation de l’aptitude professionnelle à l’exercice de ces fonctions – Contrôle effectué par les chambres de métiers et de l’artisanat – Risque d’atteinte à la liberté d’établissement – Rejet.

(31 octobre 2022, Fédération française du transport de personnes sur réservation, n° 451995)

V. n° 165

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

89 - Licenciement d’un salarié protégé pour propos déplacés envers des subordonnées hiérarchiques – Annulation par une cour administrative d’appel – Qualification inexacte des faits – Cassation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la juridiction qui, pour annuler l’autorisation administrative du licenciement d’un salarié protégé auteur envers ses subordonnées de propos qu’elle qualifie elle-même de « brutaux ou maladroits », « déplacés et sexistes », juge qu’ils ne revêtent pas le caractère une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier son licenciement, en prenant en compte l'existence de tensions entre l’intéressé et son employeur et l'absence d'antécédents disciplinaires de ce salarié protégé.

Le Conseil d’État juge que cette erreur de qualification ressort des pièces du dossier d’où il résulte que « les propos tenus par M. B. visaient systématiquement et de manière répétée des salariées ayant pour point commun d'être des femmes, supposément d'origine maghrébine et de confession musulmane, qui, au surplus, se trouvaient sous sa responsabilité, et ne pouvaient, dès lors qu'ils revêtent un caractère raciste pour certains, et sexiste pour d'autres, être réduits à des propos triviaux ».

La rédaction retenue est aussi sévère pour le salarié que pour les juges du fond.

(7 octobre 2022, Société Club Med, n° 450492)

 

90 - Décision de l’inspection du travail autorisant le licenciement d’un salarié protégé - Recours hiérarchique au ministre – Pouvoir et obligations du ministre - Rejet.

Rappel d’une solution constante selon laquelle le ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, peut soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. 

(7 octobre 2022, Société Wipelec, n° 454256)

V. aussi le n° 28

 

91 - Licenciement d'un salarié protégé - Modification du contrat de travail - Annulation du refus d'autoriser le licenciement - Dénaturation des pièces et erreur de droit - Annulation avec renvoi.

En principe, commet une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement le refus d'un salarié protégé d'accepter un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction. En cette hypothèse l'employeur doit solliciter de l'inspection du travail l'autorisation de licencier cet agent et, en cas de refus, peut saisir le juge administratif de l'illégalité éventuelle du refus ainsi opposé.

Toutefois, lorsque la mesure de licenciement trouve son origine dans le refus de l'agent d'accepter une modification de son contrat de travail, ce licenciement est irrégulier et il appartient à l'inspection du travail d'en refuser l'autorisation.

En l'espèce, une cour administrative d'appel avait annulé le refus d'autoriser le licenciement d'une salariée protégée motif pris de ce que son refus avait été opposé à un changement de ses conditions de travail et non à une modification de son contrat de travail.

Sur pourvoi de l'intéressée le Conseil d’État casse l'arrêt au double motif qu'il repose sur une dénaturation des pièces du dossier et sur une erreur de droit. La cour avait jugé que le poste de chargée d'études sur la transition numérique qui lui avait été proposé impliquait d'effectuer des recherches et de proposer une synthèse sur les enjeux du développement de l'informatique et des nouvelles technologies et que ce poste faisait appel à des compétences d'ordre général, de recherche, de rédaction et de conduite d'entretiens qui étaient celles devant être mobilisées dans le précédent poste occupé par la requérante. Au contraire, le Conseil d’État relève que la requérante exerçait, dans ses précédentes fonctions, au sein du service des ressources humaines, des missions de conseil et d'accompagnement en vue de l'optimisation de l'organisation des services de l'entreprise, et que la mission qui lui a été proposée, rattachée au service des systèmes d'information, portait sur la rédaction d'une étude sur l'identité et la confiance numériques et impliquait, nonobstant la possibilité de recourir à un cabinet externe pour les volets techniques de cette mission, des compétences techniques, en particulier informatiques, que la salariée ne détenait pas. Par suite, cette nouvelle mission ne correspondant ni à la nature des fonctions précédemment exercées par elle ni à sa qualification, constituait une modification de son contrat de travail et non un simple changement de ses conditions de travail comme l'avait erronément jugé la cour.

(10 octobre 2022, Mme B., n° 450849)

 

92 - Financement de l’assurance-chômage – Contribution des employeurs – Instauration d’un bonus-malus – Champ d’application – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de l'arrêté du 28 juin 2021 relatif aux secteurs d'activité et aux employeurs entrant dans le champ d'application du bonus-malus institué par l’art. L. 5422-9 du code du travail selon lequel l'assurance chômage est notamment financée par des contributions des employeurs dont le taux peut, en vertu de l'article L. 5422-12 du même code, être minoré ou majoré en fonction de divers paramètres.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, ne saurait être critiquée l'annexe 1 de l'arrêté attaqué en tant qu’il fixe la liste des secteurs d'activité auxquels s'applique la modulation, sous la forme d'un tableau mentionnant en face de chacun des secteurs d'activité retenu son taux de séparation moyen pour la période de référence, assorti de la mention de la source des données et de la méthodologie.

En effet, aucun texte ni aucun principe n'imposait que l'arrêté, qui revêt un caractère règlementaire et n'avait donc pas à être motivé, précise ces éléments, lesquels, au reste, sont précisés à l'art. 50-3 du règlement d'assurance chômage. De plus, la contestation par les requérantes des chiffres qui y sont retenus n’est assortie d’aucune démonstration pertinente de son bien-fondé.

Ensuite, l'art. 50-3 du règlement d'assurance chômage n’est pas entaché d’illégalité en ce qu’il décide que l'affectation d'un employeur dans l'un des secteurs d'activité soumis à bonus-malus « est effectuée en fonction de l'activité économique principale qu'il exerce ou, le cas échéant, de son objet social, et de la convention collective à laquelle il est rattaché, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l'emploi. », ce critère ne contrevenant ni à cet article du règlement d’assurance chômage, ni  aux dispositions de l'art. L. 5422-12 du code du travail.

En outre, si l'arrêté retient aussi le code APE à titre de critère supplémentaire lorsque l’entreprise ne relève d’aucune convention collective applicable c’est pour permettre le rattachement de l’employeur à l'activité principale qu’il exerce, il ne concerne que 1% des entreprises en cause. C’est donc sans erreur manifeste d'appréciation qu’a été prise cette disposition.

Enfin, la circonstance que l’arrêté litigieux s’impose de la même façon à l'ensemble des entreprises de onze salariés et plus, quelle que soit leur taille ou leur appartenance à un groupe de sociétés, pour les affecter dans un secteur d'activité, conformément à l'art. L. 5422-12 du code du travail qui prévoit que le taux de contribution est calculé pour chaque employeur, n’a pas pour effet de l’entacher d’illégalité en tant qu’il  méconnaîtrait le principe d'égalité selon la taille de l'entreprise ou son appartenance à un groupe de sociétés. 

(10 octobre 2022, Union des entreprises de transport et de logistique, Fédération nationale des transports routiers, Fédération nationale du bois, Syndicat français de l'industrie cimentière, Union nationale des industries de l'impression et de la communication, Union inter-secteurs papiers cartons pour le dialogue et l'ingénierie sociale, Union des transformateurs de polymères POLYVIA, Association nationale des industries alimentaires et Fédération organisation des transports routiers européens, n° 456102)

(93) V. aussi, rejetant divers recours dirigés contre le décret n° 2021-1251 du 29 septembre 2021 fixant au 1er octobre 2021 la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions du régime d'assurance chômage, motifs pris :

-  d’abord, de ce que cette date, après diverses péripéties contentieuses, n’a pas été prise en violation du caractère exécutoire de l’ordonnance de référé du 22 juin 2021 suspendant la date du 1er juillet 2021 initialement retenue par le Gouvernement ;

- ensuite de ce qu’en retenant cette date pour l’entrée en vigueur des modalités de calcul du salaire journalier de référence, il n’a pas adopté des dispositions incompatibles avec la trajectoire financière et les objectifs d'évolution des règles du régime d'assurance chômage qui avaient été fixés par le document de cadrage communiqué le 25 septembre 2021 ;

- enfin, de ce que le choix de cette date n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation  compte tenu de l’amélioration du marché du travail, de la réduction du nombre de défaillances d’entreprises et de la hausse des déclarations préalables d’embauche : 10 octobre 2022, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 457303 ; Confédération générale du travail (CGT), l'Union syndicale Solidaires et la Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 457309 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 457336 ; Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC), Syndicat professionnel des guides interprètes conférenciers (SPGIC), Association nationale des guides-conférenciers des villes et pays d'art et d'histoire (ANCOVART) et Syndicat national des guides conférenciers (SNGC), n° 457341 ; Confédération française démocratique du travail et Confédération française des travailleurs chrétiens, n° 457344.

 

94 - Déroulement du procès – Obligation pour les juridictions de juger dans un délai raisonnable – Contentieux sociaux – Rejet et admission partiels de la demande d’indemnisation du préjudice résultant du retard à juger.

(10 octobre 2022, Mme A., n° 461299)

V. n° 40

 

95 - Revenu de solidarité active – Radiation de la liste des bénéficiaires – Preuve de l’absence de séparation des conjoints intéressés - Portée probatoire des procès-verbaux de contrôle des agents des caisses d’allocations familiales – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui estime prouvée par le procès-verbal de contrôle dressé par des agents d’une caisse d’allocations familiales l’absence de séparation des deux membres d’un couple de concubins alors qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 114-10 du code de la sécurité sociale que la valeur probante de ces procès-verbaux s’attache aux seules constatations de fait qu'ils opèrent et non aux conclusions qu'ils en tirent. Le tribunal devait donc s’assurer par lui-même de la réalité ou non de l’existence d’un état concubinaire.

(14 octobre 2022, Mme E., n° 455042)

 

96 - Aide personnalisée au logement – Refus de l’accorder – Prise en compte dans l'appréciation des ressources de l'intéressé, de l'indemnité de résidence à l'étranger d’un fonctionnaire – Inclusion dans le revenu global – Dépassement du plafond d’éligibilité à cette aide – Erreur de droit – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif annule la décision de la directrice d’une caisse d’allocations familiales refusant à un fonctionnaire l’aide personnalisée au logement au motif que pour dire que ses revenus dépassent le plafond d’éligibilité à cette aide elle y a inclus l’indemnité de résidence que cet agent a perçu du ministère de la défense alors qu’il était en poste à Djibouti.

En effet, cette inclusion repose sur une erreur de droit car cette indemnité, lorsqu’elle est versée à un agent public servant à l’étranger, n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu, elle ne peut donc être incluse dans le total des revenus nets catégoriels retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, au sens du II de l'article R. 351-5 du code de la construction et de l'habitation, et donc ne peut entrer dans l’assiette du calcul du plafond de revenu au-delà duquel l’aide personnalisée au logement n’est plus versée. Pas davantage, cette indemnité ne peut être, pour l’application de la disposition précitée, considérée comme un revenu perçu hors de France dès lors que le requérant est imposé en France.

Si ce raisonnement est assez logique il est cependant nouveau en cette matière.

Le pourvoi est rejeté.

(28 octobre 2022, Directrice de la caisse d'allocations familiales d'Ille-et-Vilaine, n° 440125)

 

97 - Salarié protégé – Poste de travail situé dans un secteur d’activité transféré à une autre société – Contrat de travail de ce salarié suspendu par accord avec son employeur par suite de la conclusion d’un CDI avec un autre employeur – Cessation de ses fonctions dans l’entité transférée – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Une cour administrative d’appel relève qu’un salarié protégé appartient à une équipe de travail dont les membres ont été inclus dans le secteur d'activité transféré d’une entreprise à une autre et que son contrat de travail avait été suspendu, à la date du transfert, par accord entre ce salarié et son employeur, du fait de la conclusion d’un CDI avec un autre employeur. La cour estime donc qu’il ne pouvait plus être regardé comme exerçant effectivement ses fonctions dans l'entité transférée, de sorte que l'autorité administrative ne pouvait légalement autoriser son transfert.

Cette solution, qui semble tout à fait logique, est cassée sous la motivation suivante qui n’est guère claire, judicieuse ni convaincante : « Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation du transfert du contrat de travail d'un salarié protégé présentée en application (des dispositions des art. L. 1224-1, L. 2414-1 et L. 2414-9), il appartient à l'autorité administrative, en premier lieu, de vérifier que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables au transfert partiel d'entreprise ou d'établissement en cause, ce qui suppose qu'il concerne une entité économique autonome. Tel est le cas lorsqu'est transféré un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie par le nouvel employeur. Lorsque les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables, l'autorité administrative doit, en second lieu, contrôler que le salarié protégé susceptible d'être transféré ne fait pas l'objet à cette occasion d'une mesure discriminatoire. A ce titre, elle doit s'assurer, d'une part, que le contrat de travail du salarié protégé est en cours au jour de la modification intervenue dans la situation juridique de l'employeur, d'autre part, que ce salarié exerce ses fonctions dans l'entité transférée à la date du transfert de l'activité en cause, sans que la circonstance que son contrat du travail soit alors suspendu y fasse obstacle. »

(28 octobre 2022, Société Intel Corporation, venant aux droits de la société Intel Mobile Communications France, n° 454338)

(98) V. aussi, approuvant, à propos de cette même entreprise et de cette même cour administrative d’appel, la notion qu’elle a retenue de l’entité économique autonome comme étant constituée d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels poursuivant un objectif propre, susceptible de faire l'objet d'un transfert au sens des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail : 28 octobre 2022, M. A., n° 454355 ; M. C., n° 454356 ; Mme B., n° 454360.

 

99 - Conventions collectives – Fusion entre deux conventions collectives par rattachement de l’une à l’autre – Activités relevant d’un même secteur – Métiers largement comparables – Valeur identique du point d’indice de rémunération et régime complémentaire de santé mutualisé – Fusion répondant à un intérêt général – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (IDCC 783) à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413).

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État, appliquant une jurisprudence récente (cf. 22 mars 2021, Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-UNSA) et autres, n° 430839 et n° 431750, Rec. p. 47 ; 1er juillet 2021, Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT, n° 430964 et n° 435510, Rec. p. 198 ; V. cette Chronique, juillet 2021, n° 88 et n° 89), retient un faisceau d’indices convergents pour en déduire la légalité de l’arrêté attaqué et débouter les requérantes.

Il relève l’identité des missions respectives assurées par les ressortissants de la convention collective des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) et par ceux relevant de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (dite " convention 66 "). Il note ensuite que nombre de salariés de ces deux branches exercent des métiers relevant de l'intervention sociale, même si ces métiers peuvent comporter certaines spécificités. Il constate également que la valeur du point servant à la détermination des salaires dans la branche des CHRS est fixée par référence à celle déterminée par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées et que les deux branches disposent d'un régime complémentaire de santé mutualisé commun pour leurs salariés.

En outre, eu égard à la faiblesse du nombre des thèmes de négociations couverts et du nombre d'accords collectifs signés au sein de la CHRS, soit six dans les cinq années ayant précédé l'arrêté attaqué, ainsi qu’à l’intérêt général qui s’attache  à la restructuration des branches en cause, laquelle, si elle est rejetée par les organisations syndicales requérantes notamment, est soutenue par une partie des organisations représentatives de ces deux branches, notamment par l'organisation patronale représentative dans ces deux champs. D’où il suit que l’arrêté querellé n’est pas entaché d’illégalité.

(28 octobre 2022, Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 457317 ; Fédération nationale de l'action sociale FO, n° 457324)

 

100 - Allocation de solidarité spécifique – Décision d’indu de perception de cette allocation - Opposition à contrainte – Rejet – Annulation sans renvoi (affaire réglée au fond).

La requérant, qui était bénéficiaire de l'allocation de solidarité spécifique depuis juillet 2017, a cessé le 16 juillet 2018 l'activité professionnelle qu'elle avait reprise le 23 janvier 2018. Elle a fait l’objet d’une contrainte en vue du remboursement d’un indu de cette allocation au motif qu’elle avait continué de percevoir cette allocation au cours de l'ensemble de cette période d'activité professionnelle, au-delà de la durée de trois mois civils pendant laquelle son cumul avec les revenus de son activité était possible, n'avait pu se voir rouvrir ses droits qu'à compter du 1er août 2018 et avait, en conséquence, indûment perçu l'allocation de solidarité spécifique du 1er avril au 31 juillet 2018, sans pouvoir en bénéficier pour la période allant du 16 juillet 2018 au 31 juillet 2018. Une contrainte ayant été délivrée à cette fin, la requérante y a fait opposition devant le tribunal administratif. Celui-ci, reprenant le raisonnement ci-dessus, a rejeté l’opposition.

Le jugement est cassé pour erreur de droit car il n'est pas contesté que l'intéressée remplissait, dès le 16 juillet 2018, l'ensemble des autres conditions légales et réglementaires pour la percevoir telles que posées par les dispositions combinées des art. L. 5423-1 et L. 5425-1, R. 5423-1, R. 5423-2, R. 5423-6, R. 5423-8, R. 5423-9, R. 5423-13 et R. 5425-2 du code du travail.

(14 octobre 2022, Mme A., n° 458405)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

101 - Champ d’application de la notion de dépenses d’affichage – Dépenses excédant le montant maximum de remboursement fixé à l’art. 39 du code électoral – Dépenses incluses dans le compte de campagne des candidats ou non en raison de leur nature de dépenses de la campagne officielle – Avis de droit.

Répondant à une demande d’avis adressée par le tribunal administratif de Paris, le Conseil d’État précise :

1°/ Il se déduit de la combinaison des art. L. 52-4, L. 52-11, L. 52-11-1 et L. 52-12 du code électoral, en premier lieu, que les dépenses de la campagne officielle constituent des dépenses engagées en vue de l'élection au sens de l'article L. 52-4 du code électoral et doivent, à ce titre, être réglées par le mandataire financier et, en second lieu, que celles de ces dépenses qui, par dérogation, ne doivent pas figurer dans le compte de campagne et ne peuvent faire l'objet du remboursement forfaitaire des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral, s'entendent des seules dépenses de cette nature ouvrant droit au remboursement prévu, de manière distincte, par les dispositions des art. L. 355 et R. 182 du code électoral, relatives à la campagne officielle. 

2°/ Celles des dépenses d'impression ou de reproduction et d'affichage qui ne peuvent donner lieu à remboursement au titre des articles L. 355 et R. 39 du code électoral parce qu'elles excèdent le plafond fixé en application de ces dispositions doivent être retracées dans le compte de campagne des candidats et peuvent faire l'objet du remboursement prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral. 

(Avis, 11 octobre 2022, Mme P., n° 465399)

 

102 - Élections départementales - Dépôt d’un compte de campagne non signé – Invitation à régulariser non respectée – Manquement caractérisé et délibéré – Inéligibilité pour six mois – Rejet.

Est rejeté l’appel contre le jugement ayant, d’une part, relevé que constituait un manquement caractérisé et délibéré à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales l’absence de signature de ce compte par le binôme de candidats alors qu’il avait été expressément invité à régulariser, d’autre part, prononcé l’inéligibilité pour six mois des intéressés à toute élection.

(11 octobre 2022, Mme B. et M. C., Élections départementales du canton de Sedan-3, n° 465708)

(103) V. aussi, pour un dépôt de compte de campagne non présenté par un expert-comptable, la confirmation de la sanction d’inéligibilité de six mois prononcée en première instance : 21 octobre 2022, Mme D. et M. A., Élections départementales du canton de Saintonge Estuaire, n° 464968 ou encore celle de douze mois infligée pour le même motif : 27 octobre 2022, Mme B., Élections départementales du canton de Vincelles, n° 463976.

 

104 - Élections départementales – Inéligibilité d’un candidat – Conséquences – Rejet.

Est inéligible le candidat qui occupe les fonctions de responsable du service « économie agricole » au sein de la direction départementale des territoires du département alors que ce service est notamment chargé de la mise en œuvre de la politique agricole commune et du développement durable dans le département. Eu égard au niveau des responsabilités qu'il exerce, l'intéressé ne peut, en tout état de cause, être regardé comme ne disposant, dans l'exercice de ses fonctions, d'aucun pouvoir de décision.

L’inéligibilité du remplaçant de l’un des deux éléments titulaires du binôme fait obstacle à l’enregistrement de la candidature du titulaire correspondant.

C’est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a annulé l’ensemble des opérations électorales s’étant déroulées dans ce canton.

(13 octobre 2022, Mme B. et autres, Élections départementales du canton de Verdun-1, n° 462139)

 

105 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne – Obligation pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de respecter la procédure contradictoire – Différences entre deux versions des comptes de campagne explicables – Annulation de la démission d’office des candidats élus prononcée par le tribunal administratif.

Le Conseil d’État annule le jugement frappé d’appel devant lui qui a rejeté le recours des demandeurs contre la décision de la CNCCFP et les a déclarés démissionnaires d’office.

La Commission n’a pas respecté le principe du contradictoire en rejetant le compte avant de procéder à son examen en raison des différences entre les deux versions de ces comptes, avant et après intervention d’un expert-comptable. En outre, ces différences consistaient en de simples erreurs d’écritures. C’est donc à tort que la Commission a rejeté le compte de campagne et que le tribunal n’a pas annulé ce rejet ainsi que, par voie de conséquence, déclaré démissionnaires d’office les candidats élus.

(14 octobre 2022, Mme B. et M. A., Élections départementales du canton de Modane, n° 462762)

(106) V. aussi, annulant le jugement déclarant un binôme inéligible pour douze mois et le jugeant démissionnaire d’office, alors qu’il a été fait toute diligence pour se mettre en règle, qu’aucune différence n’a été relevée entre le compte de campagne certifié par le mandataire et celui certifié par un membre de l’ordre des experts comptable et, enfin, que le montant en cause est faible tandis que le manquement n’est pas délibéré : 18 octobre 2022, Mme B. et M. A., Élections départementales du canton de Tarn-et-Causses, n° 463156.

(107) V., à l’inverse, estimant justifiés la sanction de l’inéligibilité pour douze mois et le prononcé de la démission d’office à l’encontre d’un binôme invoquant – pour justifier le dépôt hors délai du compte de campagne – un oubli lié à une surcharge de travail du fait de la charge de plusieurs mandats alors que, déjà élus pour exercer d’autres mandats, ses membres  ne peuvent se prévaloir d’une inexpérience : 21 octobre 2022, Mme D. et M. C., Élections départementales du canton de Sarralbe, n° 463156.

 

108 - Démission d’une adjointe au maire – Règle de parité – Absence d’exception prévue par la loi – Conciliation de la règle constitutionnelle de parité avec d’autres principes constitutionnels – Remplacement par un homme seul candidat – Illégalité –Atteinte à la continuité des services publics, à la libre administration des collectivités territoriales et au pluralisme des idées et opinions – Rejet.

A la suite de la démission de la deuxième adjointe à un maire, a été élu pour la remplacer un homme, par ailleurs seul candidat. Le préfet a saisi le tribunal administratif d’un déféré et ce dernier a annulé l’élection de cet adjoint.

L’intéressé, élu à l’unanimité, interjette appel de ce jugement, il est débouté.

Le Conseil d’État estime d’abord que l’application de la règle de parité pour pourvoir à une vacance d’un poste d’élu(e) est une exigence que la loi (ici l’art. L. 2122-7-2, al. 1 du CGCT) tire de l’art. 1er de la Constitution et qu’elle ne méconnaît pas le principe d’égalité.

Pas davantage cette règle n’oblige les conseils municipaux à élire un membre de l’opposition portant ainsi atteinte au pluralisme des idées et opinions ni non, plus, en cas d’absence de candidat du sexe en cause, à laisser vacant un poste d’élu, cette dernière hypothèse ne pouvant qu’être très rarement réalisée.

Le législateur n’a pas porté atteinte à des dispositions constitutionnelles en ne prévoyant pas d’exceptions à la règle qu’il a imaginée.

Il n’a pas non plus méconnu le droit d’éligibilité du requérant.

Enfin, il est rappelé que la France n’ayant pas ratifié le protocole n° 12 à la Convention EDH, le requérant ne peut l’invoquer ni seul ni en combinaison avec d’autres stipulations de cette convention.

Reste que cette question de parité semble devoir devenir obsolescente tant ont évolué les distinctions de sexe qui ne se réduisent plus à une alternative mais font partie de combinatoires diverses, l’opinion commune sur les allers-retours dans l’état sexuel, l’émergence d’une gradation très progressive d’un sexe A « pur » vers un sexe B « pur », au reste toujours révocable depuis que la Cour EDH a considéré que le sexe a cessé d’être une réalité biologique pour n’être qu’une affaire d’état d’esprit et de sentiment de l’intéressé(e), « e cosa mentale » comme diraient les Italiens. Par ex. : Quid du changement de sexe post-électoral d’un élu en binôme ? Quid des effets sur la règle de parité d’une intervention chirurgicale ou par laser ayant le même objet ?

Enfin, last but not least, comment appliquer aux ressortissants de l’Union candidats et/ou élus à des élections locales françaises, la règle de parité lorsqu’elle est inconnue dans leur pays ou en l’état d’une transition sexuelle permise par leur législation nationale et non en France ou inversement ?

(11 octobre 2022, M. B., n° 465799)

 

Environnement

 

109 - Installations classées pour la protection de l'environnement – Obligation de remise en état du site – Charge de l’obligation – Cession du site à un tiers - Existence d’un certain degré de pollution – Appréciation souveraine des juges du fond – Rejet.

En cas de cessation d’activité d’une installation classée pour la protection de l’environnement – ici de collecte et de tri de métaux et de déchets métalliques – une obligation de remise en état s’impose à l'ancien exploitant ou, si celui-ci a disparu, à son ayant droit. Lorsque l'exploitant ou son ayant droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l'exonère de ses obligations que si le cessionnaire s'est substitué à lui en qualité d'exploitant. En revanche si le cessionnaire n’exerce pas sur ce site une activité entrant dans la catégorie de la précédente activité, cette obligation ne lui est pas transmise.

En l’espèce, le recours de la ministre est rejeté car si la cour a relevé que la société repreneuse avait, sur le même site, exploité une activité similaire à celle de la société cédante, et cela postérieurement à la cessation d'activité de cette dernière, en revanche, elle a souverainement regardé comme faible la teneur en trichloréthylène constatée en 2013, dont elle a relevé qu'elle n'était anormalement élevée que par rapport à une norme d'air ambiant ne concernant pas les locaux industriels, et en jugeant qu'il ne résultait pas de l'instruction que la présence de polluants sur le site de l'usine avait pour origine l'exploitation de solvants chlorés par la société cédante.

(17 octobre 2022, ministre de la transition écologique, n° 444388)

 

110 - Jeux olympiques et paralympiques de 2024 – Contentieux des opérations en relation avec ces jeux - Compétence de premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel de Paris (art. R. 311-2 CJA) - Aménagement du nord de l’Île-de-France – Projet de réseau de transports en commun du Grand Paris Express - Création de la ligne 17 Nord – Opération sans relation avec les Jeux de 2024 – Incompétence de la cour de Paris ne pouvant plus être mise en cause – Rejet.

Divers organismes ont saisi le tribunal administratif de Montreuil en vue d’en obtenir l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté des préfets de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val-d'Oise du 24 octobre 2018 autorisant la création et l'exploitation de la ligne 17 Nord du réseau de transports du Grand Paris Express entre le Bourget et le Mesnil-Amelot. Le tribunal a sursis à statuer  pour une durée de douze mois dans l’attente de la régularisation de l’arrêté interpréfectoral attaqué et suspendu partiellement l'exécution de cet arrêté, en tant qu'il autorise les travaux menés à proximité du périmètre de la ZAC du Triangle de Gonesse et ceux relatifs aux ouvrages 3503P et 3505P à Gonesse, à l'emprise extérieure autour de la gare du parc des expositions de Villepinte, à l'ouvrage 3701P à Tremblay-en-France, à l'emprise extérieure à Tremblay-en-France et à la gare du Mesnil-Amelot.

Sur appel de la Société du Grand Paris, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé le jugement contesté et transmis le dossier de l’affaire à la cour de Paris. Celle-ci a rejeté le recours des demanderesses.

Ces dernières se pourvoient en cassation contre l’arrêt d’appel en ce qu’il a refusé d’annuler l’arrêté querellé ainsi que celui du 4 mars 2021 qui a pour objet de le compléter.

Si le pourvoi est rejeté au fond, c’est cependant non ce fond mais une question de compétence et de procédure juridictionnelle tranchée par le Conseil d’État avant de statuer sur le fond qui fait l’importance de cette décision.

L’art. R. 311-2, 5°, du CJA donne compétence à la cour de Paris pour connaître en premier et dernier ressort « des litiges, y compris pécuniaires, relatifs à l'ensemble des actes, autres que ceux prévus aux 1°, 2° et 6° de l'article R. 311-1, afférents :

- aux opérations d'urbanisme et d'aménagement, aux opérations foncières et immobilières, aux infrastructures et équipements ainsi qu'aux voiries dès lors qu'ils sont, même pour partie seulement, nécessaires à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;

- aux documents de toute nature, notamment les documents d'urbanisme et d'aménagement, en tant qu'ils conditionnent la réalisation des opérations, infrastructures, équipements et voiries mentionnés à l'alinéa précédent ;

- aux constructions et opérations d'aménagement figurant sur la liste fixée par le décret prévu au dernier alinéa de l'article 12 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ». 

C’est ce texte qui a motivé l’arrêt de la cour de Versailles annulant le jugement de première instance et transmettant cette affaire à la cour de Paris.

En réalité, tant l’arrêt de transmission que l’arrêt statuant au fond reposent sur une erreur de droit car le litige en cause n’entre pas dans les prévisions de l’art. R. 311-2 précité. En effet, l’objet du litige porte sur la création de la ligne 17 Nord qui ne fait pas partie des opérations en liaison directe avec les Jeux de 2024. Celle-ci a été envisagée en 2009 puis déclarée d’utilité publique par un décret du 14 février 2017 soit entre la présentation, le 23 juin 2015, de la candidature officielle de Paris aux Jeux de 2024 et la décision du Comité international olympique du 13 septembre 2017 retenant cette candidature. Alors même que le projet de cette ligne figurait dans le dossier de candidature de Paris à titre d’élément de contexte, il n’en reste pas moins qu’il n’a été conçu qu’afin de contribuer à l'aménagement du Nord de l'Île-France, d'améliorer la couverture de territoires insuffisamment desservis, de permettre aux populations concernées d'accéder plus aisément aux bassins d'emploi et de réduire la circulation automobile dans la région, non en relation avec le projet de Jeux de 2024, d’autant que les travaux de réalisation de la ligne 17 Nord ne seront pas achevés au moment où se dérouleront ces Jeux.

Ainsi donc, le litige n’entrait pas dans le champ de compétence dérogatoire prévu au bénéfice de la cour administrative d’appel de Paris par les dispositions précitées du 5° de l’art. R. 311-2 du CJA. Cette cour n’était donc pas compétente pour connaître de ce litige en premier et dernier ressort.

Toutefois, il résulte des dispositions de l’art. R. 351-9 du CJA que la compétence de la juridiction à laquelle une affaire a été transmise en application de l'article R. 351-3, dès lors que cette juridiction n'a pas mis en œuvre les dispositions de l'article R. 351-6 en renvoyant l'affaire, au motif de son incompétence, au président de la section du contentieux du Conseil d'État dans un délai de trois mois, ne peut plus être remise en cause, sauf à opposer l'incompétence de l’ensemble de la juridiction administrative. 

Or, il résulte de la chronologie de la procédure suivie en l’espèce que la cour de Versailles a transmis l’affaire à la cour de Paris le 19 novembre 2020, conformément aux dispositions de l’art. R. 351-3 du CJA, et que la cour de Paris a statué au fond comme juge de premier ressort sur la demande dont avait été saisi le tribunal administratif de Montreuil sans user des dispositions de l’art. R. 351-6, 2ème alinéa, d’où il suit que son incompétence, ainsi que le soutient le ministre défendeur, ne peut plus être discutée.

(17 octobre 2022, Association France Nature Environnement Île-de-France et autres, n° 459219)

 

111 - Contrôle technique obligatoire des véhicules à deux ou trois roues et quadricycles – Mise en place initialement prévue en 2022 puis retardée et échelonnée – Transposition d’une directive de l’Union – Non-respect – Annulation sans modulation de la date d’effet de la décision.

Le Conseil d’État persiste et signe… et c’est tant mieux.

Par ses décisions du 27 juillet 2022 n° 457398 (Voir cette Chronique, juillet-août 2022 n° 167) et n° 456131, il avait, sur recours des mêmes associations, d’une part, annulé les art. 6, 8 et 9 du décret du 9 août 2021 en tant qu’il fixait au 1er janvier 2023 l’entrée en vigueur du contrôle technique des véhicules de catégorie L et en tant qu’il prévoyait un dispositif d’application par paliers courant jusqu’en 2026.

Par ailleurs, il avait, le 1er août 2022, rejeté la demande de suspension par référé du décret n° 2022-1044 du 25 juillet 2022 abrogeant le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 au motif qu’il allait être statué au fond sur cette question dans les prochaines semaines ce qui ne créait pas une situation d’urgence (1er août 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 466190 ; voir cette Chronique, juillet-août 2022 n° 168).

La présente décision est donc celle annoncée en août.

Sans surprise, le juge réitère en propres termes le raisonnement et la solution adoptés dans les précédentes requêtes au fond : le décret du 25 juillet 2022 est annulé. Et, semblablement, s’agissant de l’application directe du droit européen et en l’absence de toute situation exceptionnelle ou de toute nécessité impérieuse, il n’y a pas lieu à modulation dans le temps de cette annulation.

Peut-être le gouvernement va-t-il, enfin, faire ami-ami avec l’État de droit et respecter l’autorité de la chose jugée ?

(31 octobre 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 466125)

 

112 - Police de l’eau – Restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques – Déclaration des travaux nécessaires à cet effet – Régime des étangs piscicoles – Dangers présentés par certains de ces travaux – Annulation partielle avec modulation.

Les requêtes jointes tendaient, en premier lieu, à l’annulation – partielle ou totale – du n° 2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau et, en second lieu, à l’annulation de l'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 30 juin 2020 définissant les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques relevant, selon les requêtes, de la rubrique 3.2.3.0. ou 3.3.5.0. de la rubrique de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement.

Les recours sont rejetés en ce qui concerne les griefs de légalité externe, ils sont partiellement admis concernant la critique de la légalité interne.

En premier lieu, est rejetée la demande d’annulation de la rubrique 3.2.3.0 de la nomenclature.

La circonstance qu’y ont été inclus les étangs piscicoles ne constitue pas une irrégularité car si, comme le relève une des requérantes, ces étangs sont susceptibles d'avoir certains des effets bénéfiques invoqués, ils présentent également des risques d'altération de la quantité et de la qualité des eaux qui justifient qu'ils soient intégrés à la nomenclature relative aux plans d'eau. Pas davantage ne peut être dite contraire aux art. 641 et 642 du Code civil (selon lesquels tout propriétaire a le droit d'user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds et peut disposer librement des sources existant dans ce fonds) la disposition du f) de l’art. 3 du décret litigieux qui n’a pour seul objet que de modifier la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités relevant de la police de l'eau en raison des risques pouvant résulter pour l'environnement de la vidange des plans d'eau et non de porter atteinte aux droits reconnus par les articles précités de ce code.

En second lieu, en revanche, il est jugé, s’agissant de la rubrique 3.3.5.0 de la nomenclature, qu’en soumettant à déclaration tous les travaux ayant pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, indépendamment des risques et dangers qu’ils sont susceptibles de présenter, en particulier notamment quand ils portent sur l'arasement des digues et des barrages, les dispositions du h) de l'article 3 du décret attaqué méconnaissent l'article L. 214-3 du code de l'environnement. 

Est prononcée l’annulation de cette disposition mais avec effet reporté au 1er mars 2023 en raison des conséquences manifestement excessives qu’aurait son annulation rétroactive ainsi que de l'arrêté du 30 juin 2020, en raison notamment de l'intérêt général qui s'attache au maintien des travaux qui ont fait l'objet d'une déclaration en application de ces dispositions ou dont la demande de déclaration est en cours d'instruction.

(31 octobre 2022, Syndicat France Hydro-Electricité, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, Fédération des moulins de France et association des riverains de France, n° 443683 ; Association Hydrauxois, n°443684 ; Association Union des étangs de France, n°448250, jonction)

 

113 - Ours brun des Pyrénées – Mesures d’effarouchement renforcé – Protection des troupeaux – Mesures expérimentales – Encadrement insuffisant – Annulation dans cette mesure.

Nouvel épisode de la saga de l’ours brun des Pyrénées en passe de rivaliser avec celle du célèbre « Petit ours brun » des éditions Bayard…

Les divers requérants poursuivaient l’annulation de l'arrêté du 31 mai 2021 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.

De nombreux arguments étaient développés au soutien de ces prétentions, un seul est retenu, qui conduit, dans cette mesure, à l’annulation du texte attaqué.

Après avoir rejeté les moyens de légalité externe, le juge examine ceux de légalité interne et considère comme devant être rejetés ceux tirés de la méconnaissance de la condition relative à l'existence de dommages importants à l'élevage, de la méconnaissance de la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante que l’effarouchement et, enfin, de la méconnaissance du principe de précaution dès lors que n’existe pas ici d’incertitude scientifique.

En revanche, est annulé l’art. 4 de l’arrêté querellé « en tant qu'il ne prévoit pas de mécanisme encadrant la mise en œuvre du dispositif d'effarouchement renforcé auprès des femelles en gestation et suitées » (cf. art. 1er du dispositif) car cela ne permet pas de s'assurer, eu égard aux effets d'un tel effarouchement sur l'espèce, et en l'absence de données scientifiques nouvelles témoignant d'une amélioration de son état de conservation, que les dérogations susceptibles d'être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l'amélioration de l'état de l'espèce. En effet, alors que sont répertoriés, dans le massif des Pyrénées, seul lieu où ils subsistent en France, environ 68 ours, il faudrait atteindre le seuil de 100 qui est la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l'espèce.

(31 octobre 2022, Association One Voice, n° 454633 ; Association Ferus - Ours, Loup, Lynx, association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel, association Pays de l'Ours - Adet, comité écologique ariégeois, association Nature en Occitanie, fonds d'intervention écopastoral, société nationale de protection de la nature et d'acclimatation de France, association Animal Cross, association Nature Comminges et association France Nature Environnement 65, n° 455273, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

114 - Autorités consulaires – Délivrance d’un certificat de nationalité – Vérification de documents relatifs à la nationalité des parents et grands-parents du demandeur – Incompétence manifeste de l’ordre administratif de juridiction – Rejet.

En raison du bloc de compétence réservé au juge judiciaire en cette matière, doit être rejeté comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître, le recours tendant à voir annulé le refus des autorités consulaires de France à Alger de délivrer au demandeur un certificat de nationalité française et à voir accordée par le juge des référés la vérification des documents relatifs à la nationalité de ses parents et grands-parents. 

(ord. réf. 10 octobre 2022, M. A., n° 468031)

(115) V. aussi, dans le même sens : 17 octobre 2022, Association Collectif pour le Triangle de Gonesse, Val d'Oise environnement et autres, n° 464620.

 

 

 

116 à 124 - Retrait de la nationalité française acquise par naturalisation

ou par réintégration dans cette nationalité

 

Le mois d’octobre 2022 est fécond en décisions portant sur le contentieux du retrait de la nationalité française pour fraude consistant le plus souvent à avoir caché pendant la procédure de demande de naturalisation des éléments de la vie privée du demandeur tels l’existence d’une union conjugale et/ou l’existence d’enfants. Ces décisions sont toutes de rejet.

 

Justifient ainsi le retrait de décrets accordant la naturalisation française ou y réintégrant une personne :

 

116 - Le fait pour un ressortissant marocain de s’être déclaré divorcé sans enfant en mars 2017 et de n’avoir pas signalé le mariage contracté en octobre 2018 au Maroc contrairement à l’engagement pris sans que la circonstance alléguée qu'il était très occupé par ses activités professionnelles et bénévoles puisse justifier une impossibilité d'exposer sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant sa naturalisation (19 octobre 2022, M. A., n° 460469) ;

117 - Le fait pour un ressortissant nigérien de n’avoir pas signalé avoir contracté mariage avec une ressortissante nigérienne résidant habituellement à l'étranger, le 28 juillet 2018, alors que le décret de naturalisation a été pris le 26 décembre 2018 (19 octobre 2022, M. D., n° 459356) ;

118 - Le fait pour un ressortissant comorien d’avoir déclaré être célibataire et sans enfant en avril 2015 puis de tenter de faire enregistrer à l’état-civil français les actes de naissance de ses trois enfants nés aux Comores en 2014 et 2016 antérieurement à la date du décret de naturalisation (19 octobre 2022, M. B., n° 459509) ;

119 - Le fait pour un ressortissant camerounais de n’avoir pas signalé le mariage contracté avec une ressortissante camerounaise résidant régulièrement en Belgique, à l'ambassade du Cameroun à Bruxelles, le 22 décembre 2012, alors que sa naturalisation a été accordée le 28 septembre 2015. Il ne saurait, de bonne foi, soutenir qu’il s’est déclaré célibataire au cours de la procédure de naturalisation au motif qu'on lui aurait indiqué que son mariage n'ayant pas été transcrit sur les registres de l'état civil français, il n'était pas reconnu en France et qu'il n'était donc pas nécessaire de le mentionner dans le cadre de sa procédure de naturalisation car il n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation et ne fait état, par ailleurs, d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française (19 octobre 2022, M. A., n° 458359) ;

120 - Le fait pour un ressortissant comorien d’avoir, lors de sa demande de réintégration dans la nationalité française, déclaré être divorcé et sans enfant alors qu’il avait épousé aux Comores une ressortissant comorienne le 7 décembre 2007, près de cinq ans avant la publication du décret de réintégration. La circonstance qu'il était séparé de fait de cette personne lors de l'instruction de sa demande et qu'il s'est uni avec cette dernière devant les autorités françaises, postérieurement à sa réintégration, n'est pas de nature à remettre en cause l'appréciation du caractère frauduleux de ses déclarations au vu desquelles il a été réintégré dans la nationalité française (19 octobre 2022, M.C., n° 455499) ;

121 - Le fait pour une ressortissante congolaise d’avoir, au moment de sa demande de naturalisation en 2018, déclaré être mère de trois enfants de nationalité française, dont F., né français du fait de la reconnaissance de paternité effectuée par M. C., lui-même français, à la naissance de l'enfant, le 19 juin 2009 à Villepinte (Seine-Saint-Denis) alors qu’un jugement du 10 octobre 2014 du tribunal de grande instance de Meaux a annulé comme frauduleuse la reconnaissance de paternité de M. C. envers l'enfant F. (18 octobre 2022, Mme A., n° 462017) ;

122 - Le fait pour un ressortissant mauritanien, se déclarant célibataire et sans enfant, d’avoir contracté mariage avec une ressortissante mauritanienne vivant habituellement à l’étranger le 23 janvier 2016 alors que le décret de naturalisation a été pris le 6 octobre 2016, sa bonne foi ne pouvant être retenue eu égard à l’engagement souscrit envers les services compétents et à sa pleine maîtrise de la langue française (18 octobre 2022, M. A., n° 461277) ;

12 - Le fait pour un ressortissant tunisien d’avoir déclaré en avril 2016 être divorcé et père d’un enfant né en France en 2017 alors que, naturalisé par décret du 28 mai 2017, il avait épousé en 2016 en Tunisie une ressortissante tunisienne dont sont nés deux enfants en 2016 et 2018 résidant habituellement en Tunisie avec leur mère (18 octobre 2022, M. B., n° 460879) ;

124 - Le fait pour une ressortissante sénégalaise d’avoir déclaré en juin 2012, lors de la constitution de son dossier, être célibataire alors qu’elle avait épousé au Sénégal le 2 août 2012 un ressortissant sénégalais résidant irrégulièrement en France. Le retrait du décret de naturalisation est légal sans que puisse y faire obstacle la circonstance que l’intéressée soutient que cette union ne constitue pas un mariage qui devait être porté à la connaissance des autorités françaises car elle ne pourrait pas être qualifiée de mariage en vertu de la loi qui lui est applicable. En effet, l'autorité compétente pouvait prendre en compte son existence pour apprécier la condition de résidence posée par l'article 21-16 du code civil. (18 octobre 2022, Mme B., n° 454685).

 

 

Étrangers

 

125 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Contestation d’une OQTF soumise à un régime contentieux dérogatoire au code de justice administrative - Écoulement du temps depuis la décision portant OQTF – Circonstance sans effet par elle-même sur la légalité de la décision – Rejet.

Saisi d’un recours en référé liberté dirigé contre l’ordonnance rejetant sa demande d’annulation d’une décision préfectorale portant OQTF à l’encontre d’un ressortissant algérien, le Conseil d’État rappelle à nouveau que si la procédure de contestation d’une OQTF, fixée par le CESEDA est entièrement dérogatoire à celles prévues au livre V du CJA, elle présente cependant pour le justiciable des garanties au moins équivalentes.

Toutefois, il en va différemment lorsque les conditions d’exécution d’une telle mesure d’éloignement lui confèrent des effets excédant ceux résultant normalement d’une OQTF.

Le premier juge a, dans son ordonnance de rejet, constaté que la continuité et la stabilité de la relation de concubinage avec une ressortissante française alléguées par le requérant et existant antérieurement à l’arrêté portant OQTF n'étaient pas établies ni non plus l’existence d’un projet de mariage en particulier compte tenu des déclarations faites par sa concubine à l’occasion d’une garde à vue du requérant en février 2022. Ainsi, en l’absence de changement significatif de circonstance, l’arrêté querellé gardait toute sa valeur et sa mise à exécution ne constituait pas de ce fait une nouvelle mesure d’éloignement.

Le Conseil d’État entérine ce raisonnement.

Il ajoute encore cette précision importante que le seul écoulement du temps depuis l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français ne suffit pas à caractériser un changement de circonstance qui établirait, par lui-même, que les modalités selon lesquelles il est procédé à l'exécution de cette mesure emportent des effets qui excèdent ceux qui s'attachent normalement à sa mise à exécution.

Le référé est rejeté.

(ord. réf. 11 octobre 2022, M. A., n° 467888)

 

126 - Étranger en situation irrégulière en France – Étranger non citoyen de l’Union – Conjoint d’un ressortissant de l’Union ou assimilé – Droit au séjour – Annulation.

Il faut déduire des dispositions combinées des art. L. 200-3, L. 200-4, L. 233-1, L. 233-2 et R. 221-1 du CESEDA qu'un étranger, conjoint d'un ressortissant de l'Union européenne ou d'un ressortissant qui lui est assimilé (ici une norvégienne par naturalisation), n'ayant pas lui-même la qualité de citoyen de l'Union européenne, ne peut se voir refuser un titre de séjour au seul motif de son entrée irrégulière ou de son séjour irrégulier sur le territoire français. 

(21 octobre 2022, M. B., n° 462587)

 

127 - Refus ou retrait d’un titre de séjour à un étranger – Décision assortie d’une « invitation à quitter le territoire français » – Décision non susceptible de recours.

Répondant à une demande d’avis formée par un tribunal administratif sur le statut contentieux d’une « invitation à quitter le territoire français », le Conseil d’État apporte ces importantes précisions que cette invitation accompagne normalement une décision de refus ou de retrait d’un titre de séjour à un étranger dont elle est la conséquence nécessaire et liée. Il s’ensuit que, par elle-même, elle ne fait pas grief et ne constitue ainsi pas une décision susceptible de recours.

Cette conséquence n’est pas modifiée par le fait que cette invitation est assortie d'un délai et de l'indication qu'au-delà de ce délai, à défaut d'avoir volontairement quitté le territoire français, l'étranger concerné s'expose à l'édiction, à son encontre, d'une obligation de quitter le territoire français, prise sur le fondement de l'article L. 611-1 du CESEDA.

(Avis, 27 octobre 2022, Mme K., n° 462766)

 

128 - Étranger père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France – Obligation de contribuer effectivement à son entretien et à son éducation pour l’obtention d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » - Existence d’une décision de justice en ce sens – Condition devant être considérée comme remplie en toute hypothèse.

Il est fait réponse ici à une demande d’avis portant sur une question assez particulière.

En principe, l’étranger parent d’un enfant français mineur résidant en France ne peut se voir délivrer un titre de séjour temporaire qu’à la double condition d’établir, d’une part, qu’il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation de cet enfant, d’autre part, que l’autre parent, de nationalité française, s’acquitte lui aussi de cette obligation, du moins lorsque la filiation à l'égard de celui-ci a été établie par reconnaissance en application de l'article 316 du Code civil.

Qu’en est-il lorsque l’étranger se prévaut d’une décision de justice relative à la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant par le parent français lorsque cette décision, par ses prescriptions, tire les conséquences du constat de la défaillance éducative ou de l'impécuniosité de ce parent français ?

Selon le Conseil d’État cette condition de contribution de l'autre parent doit être regardée comme remplie dès lors qu'est rapportée la preuve de sa contribution effective ou qu'est produite une décision de justice relative à celle-ci. Dans ce dernier cas, il appartient seulement au demandeur de produire la décision de justice intervenue, quelles que soient les mentions de celle-ci, peu important notamment qu'elles constatent l'impécuniosité ou la défaillance du parent français auteur de la reconnaissance. La circonstance que cette décision de justice ne serait pas exécutée est également sans incidence. 

Cette interprétation des dispositions idoines du CESEDA peut surprendre.

(Avis, 27 octobre 2022, Mme R., n° 464655)

 

129 - Étranger se prétendant mineur – Doutes sur sa minorité – Refus d’hébergement opposé par le département – Injonction au département de reprendre l’accueil provisoire de l’étranger – Annulation de l’ordonnance.

Un ressortissant ivoirien, se prévalant de sa minorité, a demandé au département des Bouches-du-Rhône de procéder à son accueil provisoire en l’hébergeant au titre de l’aide sociale à l’enfance. Le département a refusé et saisi le juge judiciaire sur le fondement de l’art. 375 du code civil.

L’intéressé a formé devant le juge administratif un référé liberté et fourni en cours d’instance un acte d’état-civil ivoirien attestant qu’il était né en décembre 2006 : le juge des référés a suspendu le refus du département et enjoint celui-ci, faute qu’il ait contesté la validité de ce document, de reprendre l’accueil provisoire du requérant sous 24 heures et ce jusqu’à ce que l’autorité judiciaire ait statué.

Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la compétence exclusive du juge judiciaire en cette matière d’état-civil n’exclut pas la compétence du juge administratif pour juger si l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et, si ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, pour enjoindre le département de poursuivre son accueil provisoire.

En l’espèce, si donc le tribunal s’est fondé sur un acte d’état-civil non contesté pour prendre l’ordonnance attaquée, il résulte de l'instruction que lors de son entrée sur le territoire européen par l'Espagne, M. B. a déclaré aux autorités de ce pays être né en 1996, non en 20006. Par ailleurs, à l'instar de l'évaluation faite par le département des Bouches-du-Rhône, les investigations menées par le département des Pyrénées-Atlantiques où l'intéressé s'est d'abord présenté, puis au moins par le département de l'Aude, ne permettent pas de corroborer la minorité alléguée. En particulier, le rapport d'évaluation réalisée en mai 2022 pour le département des Pyrénées-Atlantiques indique que le demandeur semble beaucoup plus âgé qu'un adolescent de quinze ans dans son comportement et sa manière de s'exprimer, que son développement physique pourrait davantage correspondre à une personne née en 1996 comme déclaré en Espagne et qu'au vu de ces éléments et déclarations, il ne semblait pas être mineur. La synthèse de l'évaluation menée à l'été 2022 dans le département de l'Aude concluait que les différentes observations faites ne plaidaient pas en faveur de sa minorité et le substitut du procureur du tribunal judiciaire de l'Aude a procédé à un classement sans suite de sa demande de placement provisoire. Si M. B. fait valoir que l'extrait d'acte de naissance qu'il a produit directement devant le juge des enfants du tribunal judiciaire de Marseille, postérieurement à ces évaluations, atteste de sa minorité en application des dispositions de l'article 47 du code civil, il résulte de ces mêmes dispositions que la force probante d'actes d'état-civil étrangers peut être combattue par tout moyen, notamment au vu de données extérieures, le juge formant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Si l'intéressé conteste par ailleurs la réalité de l'évaluation menée par le département de l'Aude, il n'apporte pas d'élément pour étayer son argumentation. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction et eu égard à l'office du juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA, le département des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a estimé que sa décision de mettre fin à la prise en charge de M. B. reposait sur une appréciation manifestement erronée de l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé.

(ord. réf. 28 octobre 2022, M. B., n° 468258)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

130 - Professeur des universités – Procédure de mutation – Priorité reconnue aux personnes porteuses d’un handicap – Dispense d’examen de la candidature par le comité de sélection – Obligation pour le conseil d’administration de se prononcer – Erreur de droit – Annulation.

En cas de demande de mutation d’un professeur des universités vers une autre université, la procédure comporte trois étapes : un examen par le comité de sélection qui se prononce sur les candidatures en vue de pourvoir les emplois déclarés vacants, intervention pour avis du conseil académique et décision prise par le conseil d’administration en formation restreinte aux enseignants-chercheurs d’un rang au moins égal. Toutefois, l’art. 9-3 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences dispose que les demandes de mutation d’agents en situation de handicap relevant de certaines situations prévues au code du travail sont, en principe, prioritaires et que leur candidature n’est pas soumise à l’examen par le comité de sélection. 

En l’espèce, où le requérant, candidat à la mutation sur un poste de professeur, est porteur d’un handicap, le comité de sélection ne s’est pas prononcé, comme cela est normal, et le conseil académique a émis un avis défavorable.

Le conseil d’administration, réuni en formation restreinte, s'est estimé incompétent pour étudier cette candidature faute d'examen de celle-ci par le comité de sélection. L’erreur de droit évidente ainsi commise conduit à l’annulation - qui était demandée par le requérant – de la décision du conseil d’administration.

C’est là une application classique de cette règle de la procédure administrative non contentieuse selon laquelle l’administrateur est obligé d’exercer sa compétence et d’en épuiser tous les effets car, selon la formule de Laferrière, « il n’y a pas d’exception d’incompétence devant l’administration active ».

(7 octobre 2022, M. A., n° 463625)

 

131 - Professeurs des universités – Recrutement – Intérêt pour agir en contestation de recrutements de professeurs – Procédure irrégulière affectant des garanties pour les agents – Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation de décrets du président de la république nommant des personnes en qualité de professeurs des universités et les affectant à l’Université des Antilles.

La décision est intéressante sous deux aspects distincts.

En premier lieu, était objectée par l’Université l’absence d’intérêt pour agir de ces requérants en qualité de membres du conseil académique de l’université des Antilles. Une réponse positive ne faisait guère de doute en l’état d’une jurisprudence sexagénaire (cf. la célèbre affaire de la contestation par l’architecte Charles Lemaresquier de la nomination du peintre Balthus à la tête de la Villa Médicis à Rome : Section, 25 janvier 1963, Lemaresquier, Rec. Leb. p. 48).

En second lieu, était visée les irrégularités procédurales ayant entaché le processus de recrutement et, partant, la nomination, de ces deux professeurs. Deux d’entre elles sont retenues par le juge car elles portent atteintes à des règles qui constituent des garanties. Tout d’abord, c’est irrégulièrement que le conseil académique a été privé de prendre connaissance des avis rendus par le comité de sélection sur les candidatures en présence. Ceux-ci devaient être remis sous forme écrite aux membres du conseil et non lus, encore que ce point de fait soit, ici, lui-même discuté. Ensuite, le conseil académique s’est prononcé en un seul vote et une seule délibération, donnant ainsi un avis global sur les candidats ou les listes de candidats proposés en vue de pourvoir les quatre postes de professeurs des universités pour lesquels il avait à se prononcer, ce qui est contraire tant aux règles écrites qu’aux principes gouvernant la matière.

Les décrets litigieux, rendus au terme d’une procédure irrégulière, sont annulés.

(28 octobre 2022, Mme D., n° 450362 ; M. F., n° 450369 ; M. I, n° 450370, jonction)

 

132 - Prime exceptionnelle versée à certains fonctionnaires d’État et territoriaux pour sujétions exceptionnelles en période d’urgence sanitaire – Non cumul de deux primes – Illégalité prétendue du décret instituant ce non cumul – Question préjudicielle renvoyée par le juge judiciaire – Légalité de l’art. 6 du décret du 14 mai 2020 – Réponse en ce sens.

S’étant vu refuser par l’URSSAF la possibilité de cumuler des primes établies respectivement par l'article 7 de la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 et par l'article 11 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, au titre des sujétions exceptionnelles imposées aux fonctionnaires d’État et territoriaux, l’organisme requérant a saisi du litige le juge judiciaire. Celui-ci a estimé que devait être résolue la question préjudicielle de savoir si l’art. 6 du décret du 14 mai 2020, qui instaure cette interdiction de cumul de primes, était illégal, comme soutenu par le requérant, d'une part, en ce qu'il est contraire à la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 ainsi qu'à l'objectif défini par le législateur et, d'autre part, en ce qu'il est contraire au principe de libre fixation des salaires.

Le Conseil d’État rejette la prétention d’illégalité.

Tout d’abord, il est relevé que le législateur, après avoir prévu que la prime exceptionnelle destinée à tenir compte d'un surcroît de travail significatif durant la période de l'épidémie de Covid-19 serait exonérée d'impôt sur le revenu ainsi que des cotisations et contributions sociales et des participations, taxes et contributions prévues par le code général des impôts et le code du travail, n'a pas encadré les modalités et les conditions d'octroi de cette prime mais a renvoyé entièrement au pouvoir réglementaire leur détermination. Il s'est borné à cet égard à exclure que, dans l'hypothèse où ces modalités conduiraient à ce que des agents bénéficient de cette prime ainsi que de celle instituée par l'article 7 de la loi du 24 décembre 2019, les exonérations d'impôts et de cotisations sociales prévues pour ces primes puissent se cumuler lorsque la prime versée en application de cet article 7 tient compte des conditions de travail particulières liées à l'épidémie de Covid-19. En posant un principe de non cumul l’art. 6 du décret litigieux n’a pas méconnu les dispositions législatives en cause non plus que l’intention manifeste du législateur.

Ensuite, ne saurait être invoqué à l’encontre de ce décret le principe de libre fixation des salaires s’agissant d’un texte pris en application de dispositions législatives relatives à un complément de rémunération versé par les administrations publiques.

(13 octobre 2020, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, n° 462642)

 

133 - Maîtres contractuels de l’enseignement agricole privé – Exclusion du dispositif de rupture conventionnelle (art. 72, loi du 6 août 2019) – Absence de différence de traitement entre deux catégories d’enseignants de l’enseignement privé – Rejet.

Les requérantes demandaient, la première, d’une part, l’annulation du refus implicite du ministre de l'agriculture et de l'alimentation de reconnaître aux enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé le bénéfice du dispositif de rupture conventionnelle prévu par l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et ses décrets d'application et, d'autre part, subsidiairement, le refus implicite d'adopter un décret étendant le bénéfice de ce dispositif à cette catégorie d'enseignants ; la seconde, l’annulation de la note de service du 4 novembre 2020 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, relative à la mise en œuvre de la procédure de rupture conventionnelle, prévue par l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, à l'initiative des agents du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en tant qu'elle énonce que les enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé ne bénéficient pas de ce dispositif, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux dirigé, dans la même mesure, contre cette note.

Les recours sont rejetés en tous leurs chefs de griefs.

Il résulte de la loi du 6 août 2019 elle-même que les dispositions relatives à la rupture conventionnelle ne sont applicables, en ce qui concerne les agents contractuels de l'État, qu'aux seuls agents visés par les dispositions de l'article 1er du décret du 17 janvier 1986, au nombre desquels ne figurent pas les enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé recrutés par l'État sur la base de contrats à durée indéterminée de droit public.

Ensuite, il résulte de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation que les dispositions de son article 28, codifiées à l'article L. 810-1 du code rural ne rendent applicables aux enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé, dans le respect des dispositions propres à l'enseignement et à la formation professionnelle agricole, que les dispositions issues de la loi du 10 juillet 1989 et non l'ensemble des dispositions du code de l'éducation. Il s'ensuit qu'aucune disposition ne rend applicables aux enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé les dispositions de l'article L. 914-1 du code de l'éducation qui consacrent un principe de parité, notamment en ce qui concerne les conditions de cessation d'activité, entre les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privés sous contrat d'association et les maîtres titulaires de l'enseignement public. Avouons que cette partie du raisonnement du juge n’a pas pour elle les vertus de l’évidence.

Enfin, il n’est pas exact, selon le juge, de soutenir qu’en cette matière existerait une différence de traitement entre les maîtres contractuels de l’enseignement privé selon qu’ils exercent ou non dans l’enseignement agricole puisque l'art. 1er du décret 17 janvier 1986 exclut les enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé comme les autres maîtres contractuels de l'enseignement privé du champ d'application du dispositif de rupture conventionnelle, prévu au III de l'article 72 de la loi du 6 août 2019.

Sans doute eût-il été plus tactique pour les requérantes de se fonder soit sur l’inconventionnalité de cette exclusion au regard des conventions de l’OIT, soit sur son inconstitutionnalité au moyen d’une QPC ?

(14 octobre 2022, Fédération nationale des syndicats professionnels de l'enseignement libre catholique, n° 451535 ; Fédération de la formation et de l'enseignement privés CFDT, n° 451592, jonction)

(134) V. aussi, sur le même sujet, ajoutons – heureusement –, ces précisions que les maîtres contractuels de l’enseignement privé exerçant dans des établissements fonctionnant sous contrat simple bénéficient du dispositif de rupture conventionnelle prévu par les dispositions de l'art. L. 1237-11 du code du travail en leur qualité de salariés ayant conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec des organismes de gestion des établissements d'enseignement privés. Ce dispositif de rupture conventionnelle étant comparable à celui institué pour la fonction publique, la fédération requérante n'est pas fondée à invoquer les dispositions de l'article L. 914-1 du code de l'éducation, qui n'imposent pas une stricte égalité de traitement entre les maîtres agréés de l'enseignement privé et les maîtres titulaires de l'enseignement public, pour soutenir que les maîtres agréés devraient bénéficier, comme les enseignants titulaires de l'enseignement public, du dispositif de rupture conventionnelle issu de l'article 72 de la loi du 6 août 2019.

Quant aux enseignants exerçant dans des établissements fonctionnant sous contrat d’association, en leur qualité de maîtres délégués, il convient de distinguer entre ceux recrutés par contrat à durée indéterminée qui bénéficient du dispositif prévu au III de l’art. 72 de la loi précitée de 2019  et ceux disposant de contrats à durée déterminée qui n’en bénéficient pas tout comme ceux de l’enseignement public d’ailleurs : 14 octobre 2022, Fédération de la formation et de l'enseignement privés CFDT, n° 451581.

 

135 - Pensions civiles et militaires de retraite – Pensionné ayant élevé pendant neuf ans au moins trois enfants de son conjoint issus d’une précédente union – Cas des enfants recueillis – Preuve d’en avoir assumé la charge effective et permanente – Rejet.

Le II de l’art. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit une majoration de la pension de retraite pour les titulaires ayant élevé au moins trois enfants pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire dans deux cas distincts.

En premier lieu, s’agissant des enfants du conjoint issus d'un mariage précédent, la satisfaction de cette double condition de durée et de terme suffit pour bénéficier de la majoration quelle que soit la date à laquelle le pensionné a épousé ce conjoint.

En second lieu, s’agissant des enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, le pensionné doit, pour prétendre au bénéfice de la majoration de pension, justifier qu’il en a assumé la charge effective et permanente « par la production de tout document administratif établissant qu'ils ont été retenus pour l'octroi des prestations familiales ou du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l'impôt sur le revenu ».

Pour la preuve de la prise en charge effective et permanente, la circonstance que le pensionné a contribué au paiement de la pension alimentaire au parent ayant la garde de l'enfant ne suffit pas à établir une telle prise en charge. Par ailleurs, et alors que les enfants de son conjoint issus d'un précédent mariage avaient pour résidence principale le domicile de leur mère, la production par la requérante des bulletins de paye de son mari attestant du versement à ce dernier du supplément familial de traitement pour quatre enfants entre février 1994 et mars 2002 n’établit  pas qu'elle a eu la charge effective et permanente de ces deux enfants pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l'âge où ils ont cessé d'être à charge au sens des articles L. 512-3 et R. 512-2 et R. 512-3 du code de la sécurité sociale.

La requérante n’est pas fondée à contester le refus de majoration de pension qui lui a été opposé.

(10 octobre 2022, Mme D., n° 442058)

 

136 - Agent public hospitalier – Victime d’un accident de trajet – Mise en arrêt de travail – Cessation, à partir d’une certaine date, de l’imputabilité de symptômes à l’accident – Placement en congé de longue maladie – Erreurs de droit – Annulation.

L’arrêt d’une cour administrative d’appel rendu en matière d’accident de trajet et de ses séquelles est annulé pour deux erreurs de droit.

En premier lieu, la cour ne pouvait pas, comme elle l’a fait par son arrêt du 23 juin 2020 relatif à des demandes dirigées contre des décisions de rejet du 3 mai 2017 et du 11 janvier 2018, appliquer au cas de l’espèce les dispositions de l'article 21bis de la loi du 13 juillet 1983 issues de l'ordonnance du 19 janvier 2017, alors que ces dispositions ne sont entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique hospitalière, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 16 mai 2020, du décret du 13 mai 2020 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique hospitalière, décret par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique.

En second lieu, la cour ne pouvait pas juger qu’était inopérant le moyen tiré par la requérante de l'imputabilité de l'affection dont elle souffrait à l'accident de service qu'elle avait subi et dirigé contre les décisions attaquées la plaçant en congé de longue maladie, alors que ces décisions avaient eu pour effet non seulement de placer la requérante en congé maladie mais aussi de rejeter sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'affection dont elle souffrait.

(10 octobre 2022, Mme B., n° 442274)

 

137 - Régime disciplinaire des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale – Saisine de la juridiction disciplinaire par les ministres compétents – Formulation de griefs - Infliction d’un blâme – Obligation pour l’instance disciplinaire de se prononcer sur l’ensemble des griefs formulés devant elle - Étendue de l’office de cet organisme – Annulation.

Manque à son office et motive insuffisamment sa décision de sanction, la juridiction disciplinaire spécialisée compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale qui, saisie de plusieurs griefs dirigés à l’encontre d’un praticien hospitalo-universitaire, ne répond pas à l’ensemble des griefs soulevés par les ministres requérants au soutien de leur demande de sanction et tirés d’un rapport de la mission d'inspection de la direction de l'inspection et de l'audit de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Est relevée la circonstance que cette juridiction n’a pas répondu aux griefs tirés notamment de la méconnaissance par le praticien poursuivi :

- en premier lieu, des dispositions de l'article L. 1131-3 du code de la santé publique, imposant aux praticiens souhaitant procéder à des examens des caractéristiques d'une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales d'en obtenir l'agrément préalable auprès de l'agence de biomédecine,

- en deuxième lieu, de l'article L. 5223-1 dudit code interdisant le recours à la publicité pour les dispositifs médicaux in vitro,

- et, en troisième lieu, de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique qui prévoit que la durée de l'activité libérale d'un praticien hospitalier ne doit pas excéder 20% de la durée de son service hospitalier hebdomadaire et que cette activité est organisée de manière à garantir l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique.  

L’annulation de la décision de blâme avec renvoi à la juridiction disciplinaire rend sans objet la requête de M. B., fondée sur l’annulation du blâme qui lui avait été infligé.

(10 octobre 2022, ministre des solidarités et de la santé, n° 447976 ; ministre de l’enseignement supérieur, n° 448016 ; M. B., n°449042, jonction)

 

138 - Agent contractuel du ministère de la culture – Licenciement avant l’expiration de la période d’essai – Contrôle plein et entier du juge et non de la seule erreur manifeste d’appréciation – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, saisie d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une mesure de licenciement prise à l’encontre d’un agent contractuel du ministère de la culture avant l’expiration de sa période d’essai, le rejette au motif que la ministre de la culture, ce faisant, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

En effet, dès lors que le licenciement intervenait avant l’expiration de la période d’essai il incombait au juge d’exercer non un contrôle réduit (à l’erreur manifeste d’appréciation) mais un contrôle plein et entier (ou contrôle normal).

L’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour.

(14 octobre 2022, M. D., n° 455958)

 

139 - Décret mettant fin aux fonctions de sous-préfet – Mesure prise au terme d’une enquête administrative – Obligation de communication du dossier – Liste des témoignages mais témoignages non produits – Abstention de l’intéressé à en demander communication – Absence d’irrégularité de la procédure – Rejet.

Un sous-préfet aux fonctions duquel un décret du président de la république a mis fin conteste la régularité de la procédure suivie en l’espèce.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État de réitérer sa jurisprudence récente (5 février 2020, M. Richard Decottignies, n° 433130 ; v. cette Chronique, février 2020, n° 101) en la précisant.

Tout d’abord il est rappelé que l’ensemble des pièces que comporte une enquête administrative diligentée sur le comportement d’un agent public portant sur des faits susceptibles de donner lieu à une sanction disciplinaire ou à la prise d’une mesure en considération de la personne doit être communiqué à l’agent concerné sur sa demande. Il n’est fait exception à ce principe de communication intégrale que pour ceux des documents « de nature à porter gravement préjudice aux personnes » dont les propos ou témoignages y sont contenus.

Ensuite, il est ici précisé que si le dossier consulté ne comprenait pas les cinquante-huit procès-verbaux des auditions d'agents et personnalités réalisées dans le cadre de la mission d'évaluation menée par le conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation, le requérant, qui avait connaissance de cette liste figurant en annexe du rapport qui lui avait été communiqué et qui était au dossier consulté, n'a pas demandé la communication de ces pièces. Il ne peut donc soutenir que la décision querellée a été prise au terme d’une procédure irrégulière au motif qu'il n'aurait pas été mis à même d'obtenir communication de l'intégralité de son dossier. 

(21 octobre 2022, M. Pierre Clavreuil, n° 456254)

 

140 - Militaire - Sanction professionnelle – Faits constatés par le juge pénal – Décision de classement sans suite – Portée sur le pouvoir de sanction disciplinaire – Absence – Rejet.

Sanctionné pour n’avoir pas pris toutes les dispositions réglementaires afin d’éviter un abordage en vol entre deux avions, accident qui a causé cinq morts, le requérant invoque le fait que le Parquet, la juridiction pénale ayant été saisie de ce dossier, l’a classé sans suite.

Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence en matière d’autorité attachée aux jugements répressifs. Si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux décisions de classement sans suite prises par le ministère public. Par suite, la circonstance que l'enquête judiciaire a abouti à un classement sans suite n'est pas de nature à démontrer que l'autorité militaire se serait fondée sur des faits matériellement inexacts pour infliger la sanction, ni à la priver de son pouvoir de sanction.

(27 octobre 2022, M. B., n° 459574)

(141) V. aussi, identique mais concernant un autre agent : 27 octobre 2022, M. B., n° 459576.

(142) Idem pour un autre agent : 27 octobre 2022, M. B., n° 462919.

 

143 - Agent hospitalier – Fautes professionnelles – Révocation – Sanction disproportionnée – Suspension de la décision de révocation.

Le directeur du CHU de Nice a prononcé la révocation d’un agent hospitalier pour avoir, d'une part, insulté et brutalisé dans la nuit du 20 au 21 septembre 2021 un patient de l'unité de psychiatrie, d'autre part, exprimé son animosité à l'encontre de deux collègues ayant refusé d'attester en sa faveur à la suite de cet incident. 

Confirmant en substance, après l’avoir annulée pour un motif de procédure, l’ordonnance du premier juge, le juge des référés du Conseil d’État retient tout d’abord que l’urgence à statuer et à suspendre est établie par le fait que l’intéressé est privé de son emploi et de son traitement ce qui porte ainsi atteinte de manière grave et immédiate à sa situation financière ; il estime, ensuite, qu’existe un doute sérieux sur la légalité de la sanction à raison de son caractère disproportionné dans la mesure où l'incident, qui a été violent mais bref s'est conclu par un échange d'excuses réciproques et compte tenu du comportement professionnel de l'agent, tel qu'il est attesté par ses notations professionnelles et par les témoignages d'anciens collègues, et à la circonstance que la dernière sanction invoquée par le CHU de Nice pour justifier sa révocation présentait à cette date une ancienneté de vingt-trois ans.

(ord. réf. 28 octobre 2022, CHU de Nice, n° 462601 et n° 463013)

 

144 - Enseignement et formation professionnelle agricoles – Institution de commissions d’hygiène et de sécurité – Absence d’illégalité – Rejet.

Par cette décision, le Conseil d’État rejette les demandes des syndicats requérants tendant à l’annulation du décret n° 2021-1316 du 8 octobre 2021 relatif aux commissions d'hygiène et de sécurité des établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricoles et à leur formation restreinte.

Le juge considère tout d’abord que le pouvoir réglementaire tirait des dispositions de l’art. L. 421-25 du code de l’éducation et de l’art. L. 811-9-2 du code rural et de la pêche maritime la compétence pour conférer aux commissions d’hygiène et de sécurité les attributions qu’elles doivent exercer.

Ensuite, la circonstance que les représentants des personnels soient en minorité dans les formations plénière et restreinte de ces commissions ne porte pas atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail consacré par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Enfin, la fixation à un an de la durée du mandat des membres élus de ces commissions ne méconnaît pas l'exigence constitutionnelle de protection de la santé des travailleurs.

(28 octobre 2022, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire, Syndicat CGT Agri et Syndicat national de l'enseignement et de la recherche du ministère chargé de l'agriculture - Force ouvrière, n° 459354)

 

145 - Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) – Statut particulier du corps des professeurs du CNAM (décret du 31 octobre 2019) – Recrutement des professeurs d’université – Formation restreinte de l’assemblée des chaires – Étendue des compétences de cette assemblée – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation, d’une part, de la délibération de l'assemblée des chaires du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) en date du 8 décembre 2021, proposant de ne retenir aucun candidat en vue de pourvoir la chaire « éducation artistique et culturelle », d’autre part, de la décision du conseil d'administration du CNAM de ne pas rendre d'avis à la suite de la délibération de l'assemblée des chaires et, enfin, de  la « décision » de l'administrateur général du CNAM, en date du 17 décembre 2021, interrompant le processus de recrutement relatif à la chaire « éducation artistique et culturelle ».

Le recours est rejeté principalement au double motif que : 1°/ contrairement à ce qui est soutenu, l'assemblée des chaires, sans aucunement méconnaître les dispositions de l’art. 9 du décret précité du 31 octobre 2019, s'est prononcée sur la candidature de M. A. et non sur la pertinence de l'existence de la chaire « éducation artistique et culturelle » qui n'est pas remise en cause et 2°/ l’assemblée des chaires n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la candidature du requérant n'était pas en adéquation avec la stratégie du CNAM dans la mesure où, d'une part, ses compétences dans le domaine culturel étaient déjà présentes au sein de l'équipe pédagogique nationale concernée, deux professeurs venant d'être recrutés sur de nouvelles chaires dans le domaine culturel, et sa nomination serait par suite de nature à créer des difficultés de coordination au sein de l'établissement sur les thématiques culturelles et où, d'autre part, M. A., bien que chargé de fonctions rectorales, était déjà professeur au CNAM, de sorte qu'en l'espèce, sa candidature n'était pas susceptible d'apporter à l'établissement les compétences supplémentaires qu'il recherche. Ce décidant, l’assemblée des chaires, dont la décision est, par ailleurs, suffisamment motivée, n’a pas remis en cause l'appréciation des mérites scientifiques de M. A. par le comité de sélection.

Enfin, l’assemblée des chaires ayant ainsi interrompu le processus de recrutement, le conseil d’administration n’a pas eu, contrairement à ce que prétend le requérant, à prendre une quelconque décision et la lettre du directeur général des services du CNAM du 17 décembre 2021, se bornant à informer l’intéressé de l’interruption de la procédure de recrutement, ne contient aucune décision.

(28 octobre 2022, M. A., n° 461633)

 

146 - Foire aux questions du ministère de l’éducation nationale – Questions relatives à la tenue de réunions syndicales et aux absences pour motif syndical – Existence éventuelle d’une situation imprévisible – Retrait d’autorisation – Légalité.

(10 octobre 2022, Fédération Sud Éducation, n° 460776)

V. n° 6

 

Hiérarchie des normes

 

147 - Édiction en droit interne d’une règle technique – Obligation de communication à la Commission européenne (1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE) – Règle technique résultant à la fois de dispositions législatives et de dispositions réglementaires – Étendue de l’obligation de communication – Régime – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de l’art. 5 du décret n° 2020-1724 du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage, en tant qu'il crée l'article D. 541-342 du code de l'environnement.

Parmi les nombreux moyens soulevés, tous rejetés, l’un retient particulièrement l’attention car il concerne l’articulation des normes européennes et nationales.

Le 1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE du 9 septembre 2015 qui prévoit une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, dispose que les États membres doivent « communiquer immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet (…) ».

Les demanderesses faisaient grief à la France de n’avoir communiqué à la Commission que la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, créant l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, mais non son décret d’application du 28 décembre 2020.

Répondant à cette argumentation assez nouvelle, le juge estime que dans le cas où, comme en l’espèce, une règle technique résulte, en droit interne, de la combinaison de dispositions de nature législative et de dispositions d'application de nature réglementaire, il n'y a pas lieu de communiquer à la Commission européenne les dispositions réglementaires d'application relatives à cette règle technique lorsque sont cumulativement réunies les trois conditions suivantes : 1) le texte législatif en cause doit déterminer la règle technique d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne, 2) la disposition législative doit avoir été communiquée conformément à la directive, 3)  les dispositions réglementaires d'application ne doivent pas ajouter d'autre règle technique relevant de cette obligation de communication.

Ici, la loi précitée a imposé aux établissements de restauration, à compter du 1er janvier 2023, l'obligation de servir les repas et boissons consommés dans l'enceinte de leur établissement dans des gobelets, des assiettes et des récipients réemployables ainsi qu'avec des couverts réemployables, ne laissant à un décret que le soin de préciser les modalités de mise en œuvre de cette obligation.

Dès lors que les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne le 11 février 2020 la loi du 10 février 2020 qui définit en termes suffisamment précis l'obligation pesant sur les établissements de restauration et que les dispositions contestées du décret attaqué se bornent à préciser que cette nouvelle obligation pèse sur les personnes ayant une activité professionnelle de restauration sur place, qu'elle soit leur activité principale ou non, qu'elle soit en intérieur ou en extérieur, lorsqu’elle permet de nourrir simultanément au moins 20 personnes, la communication de la seule loi du 10 février 2020 précitée satisfait à l’exigence de communication imposée par le 1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE.

(17 octobre 2022, Société par actions simplifiée Compagnie Européenne des Emballages Robert Schisler, société Huhtamaki, société SEDA International Packaging Group SPA, et association EPPA (European Paper Packaging Alliance), n° 450228)

 

148 - Protection des animaux utilisés à des fins scientifiques – Adoption par les États membres de dispositions plus favorables au bien-être animal que celles prévues par une directive européenne – Application de l’art. 7 de la Charte de l’environnement – Rejet.

La requérante recherchait l’annulation du décret n° 2020-274 du 17 mars 2020 modifiant certaines dispositions relatives à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques et, au subsidiaire, elle demandait le renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE.

Des différentes questions abordées, l’une intéresse directement la hiérarchie des normes. La requérante s’interrogeait sur le point de savoir si les dispositions du paragraphe 1 de l'article 2 de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques font obstacle à ce que les États membres adoptent des mesures plus favorables au bien-être animal.

Plus précisément, la requérante soutenait qu'en permettant de déroger au principe selon lequel les animaux utilisés à des fins scientifiques sont élevés à cette fin et proviennent d'éleveurs ou fournisseurs agréés, sans que ces dérogations ne soient nécessaires ni encadrées par aucune condition, ainsi qu'au principe selon lequel toute procédure d'expérimentation doit être menée dans un établissement agréé, les dispositions du décret attaqué - modifiant les articles R. 214-90 et R. 214-99 du code rural et de la pêche maritime - ont une incidence directe sur la protection des animaux et, partant, sur l'environnement et auraient donc dû faire l'objet d'une consultation du public en application de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement. 

Selon le Conseil d’État et c’est là l’apport le plus significatif de cette décision, si le ministre chargé de l'agriculture fait valoir que le premier ministre n’avait pas à soumettre le projet de décret à une procédure de participation du public dès lors qu'il était tenu de procéder à la transposition des dispositions précises et inconditionnelles de la directive précitée, cette seule circonstance ne pouvait conduire à rendre inopérante l'obligation prévue par l'article 7 de la Charte de l'environnement de soumettre les décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l'environnement à la participation du public. Cette précision est d’une grande importance pratique même si, en l’espèce, elle n’empêche pas le rejet de la requête dès lors que les dispositions contestées du décret attaqué, parce qu’elles n’ont pas d'effets directs et significatifs sur l'environnement, ne méconnaissent pas le principe de non-régression de la protection de l'environnement. 

(31 octobre 2022, Association One Voice, n° 443191)

 

Libertés fondamentales

 

149 - Procédure civile – Cas dans lesquels la demande en justice doit être obligatoirement précédée d’un recours à l’un des modes alternatifs de règlement – Droit d’accès au juge et droit à recours juridictionnel – Absence d’atteinte – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’annulation du 2° de l'article 2 du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d'injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d'avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile.

L’on sait que l’art. 750-1 du code de procédure civile prévoit désormais que la demande en justice présentée devant le tribunal judiciaire doit en principe, à peine d'irrecevabilité, être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux art. R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire.

La disposition contestée a introduit à l’art. 820 du code précité un premier alinéa ainsi conçu : « La demande en justice peut être formée aux fins de tentative préalable de conciliation hors les cas dans lesquels le premier alinéa de l'article 750-1 s'applique ». Par ailleurs, les alinéas un et deux de ce même article existant antérieurement à cet ajout et devenus de ce fait les alinéas 2 et 3 de l’art. 820, disposent : « La demande aux fins de tentative préalable de conciliation est formée par requête faite, remise ou adressée au greffe.

La prescription et les délais pour agir sont interrompus par l'enregistrement de la demande ».

De la combinaison de ces textes, le Conseil d’État déduit assez logiquement que dans les hypothèses où l'introduction de la demande en justice devant le tribunal judiciaire est soumise à une obligation de recours préalable à l'un des modes alternatifs de règlement des différends qu'ils mentionnent (cf. art. 750-1 CPP précité), cette demande ne peut être présentée aux fins de tentative préalable de conciliation mais doit l'être aux fins de jugement. 

De cette déduction il tire que le requérant n’est pas fondé à soutenir que les dispositions attaquées méconnaîtraient le droit d'accès à un juge et le droit à un recours juridictionnel effectif au sens et pour l’application des art. 6 et 13 de la convention EDH puisqu’elles n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet de restreindre les hypothèses dans lesquelles les demandeurs peuvent saisir directement le tribunal judiciaire aux fins de jugement mais seulement d’empêcher la saisine du juge aux fins de tentative préalable de conciliation.

(14 octobre 2022, M. A., n° 458142)

 

150 - Réfugié – Décision mettant fin au bénéfice de la protection subsidiaire – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Erreur de qualification juridique des faits – Annulation.

Commet une erreur de qualification juridique des faits qui lui étaient soumis l’arrêt de la CNDA qui annule une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides mettant fin au bénéfice de la protection subsidiaire qui avait été accordée à un ressortissant afghan celui-ci ayant été condamné par un tribunal correctionnel à une peine de trois ans d'emprisonnement pour des faits d'aide à l'entrée et à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger en France, commis en bande organisée, l'intéressé y ayant été jugé avoir un rôle prépondérant dans l'organisation d'une filière de passages de migrants à destination de l'Angleterre, contre rémunération, selon un mode opératoire bien établi et impliquant de nombreuses personnes. Si la CNDA n’est pas liée dans son appréciation par la qualification donnée aux faits par le droit français, celle-ci ne pouvait, alors qu'elle relevait, dans les motifs de sa décision, la gravité des faits commis, juger qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que l’intéressé se serait rendu coupable d'un crime grave de droit commun au sens du 2° de l'article L. 512-2 du CESEDA.

Au reste, le juge pénal, pour éviter tout renouvellement des faits, a estimé devoir assortir sa condamnation d'une peine complémentaire d'interdiction définitive du territoire français. 

(18 octobre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 461273)

 

151 - Étranger – Demande d’asile « en procédure normale » sollicitée par un étranger faisant l’objet d’un transfert dans l’État de l’Union responsable de sa demande - Refus – Décision susceptible de recours sauf si elle est purement confirmative.

Le Conseil d’État répond ici à une demande d’avis relative au sort qu’il convient de réserver au demandeur d’asile ayant fait l’objet d’une décision de transfert à l’État membre de l’Union compétent pour connaître de sa demande lorsque, considéré comme en fuite, le délai de transfert a été prolongé et qui, postérieurement à la décision de transfert, demande que sa demande d'asile soit instruite « en procédure normale ». En ce cas, il doit être regardé comme demandant à cette autorité de reconnaître la compétence de la France pour examiner sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de dépôt de cette demande lui permettant de suivre la procédure devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Si le refus opposé à une telle demande constitue une décision susceptible de recours, celui-ci est irrecevable s'il apparaît, en l'absence de circonstances de fait ou de considérations de droit nouvelles, pertinentes et postérieures à la décision de transfert, que ce refus se borne à confirmer purement et simplement celui de faire application des dispositions mentionnées du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en particulier de la clause dite « discrétionnaire » de l'article 17 de ce règlement, implicitement mais nécessairement inclus dans la décision de transfert.

Cette irrecevabilité doit, en particulier, être opposée lorsque le demandeur soutient, sans l'établir, qu'ayant été considéré, à tort, comme étant en fuite pour l'application du paragraphe 2 de l'article 29 de ce règlement, le délai de transfert de six mois prévu au paragraphe 1 de cet article n'a pas été prolongé et que la décision de transfert ne peut plus, dès lors, être exécutée. 

(Avis, 27 octobre 2022, M. C., n° 465885)

 

152 - Droit de propriété – Demande d’expulsion d’occupants d’un logement – Recours en indemnité du chef du retard à apporter le concours de la force publique – Amende pour recours abusif – Qualification inexacte des faits – Annulation.

La requérante a recherché la responsabilité de la puissance publique en raison du retard apporté à lui accorder le concours de la force publique. Le magistrat à ce délégué a rejeté sa demande et lui a infligé une amende de 500 euros pour recours abusif car le logement en cause avait été réalisé en méconnaissance des règles d'urbanisme et en violation des décisions de refus de la commune de La Courneuve, la requérante s'étant ainsi placée dans une situation irrégulière, elle ne pouvait se prévaloir d'aucun préjudice indemnisable.

Ce jugeant, les faits ont été inexactement qualifiés par le juge en l’état de la demande dont il était saisi et des moyens développés à son soutien.

(28 octobre 2022, Société Behanzin, n° 447335)

(153) V. aussi, identique : 28 octobre 2022, Société Behanzin, n° 447337.

(154) V. encore, pour une solution identique mutatis mutandis alors que l’irrégularité de la division d’un local en appartements - cause de la demande d’expulsion de son occupant - avait été sanctionnée par le juge judiciaire : 28 octobre 2022, SCI A., n° 447389.

 

Police

 

155 - Police de la navigation fluviale - Police du préfet - Interdiction de la pratique du canoë-kayak sur un cours d'eau - Étendue des pouvoirs du préfet - Rejet.

Les requérants ont demandé au juge administratif l'annulation d'un arrêté préfectoral portant règlement particulier de police de la navigation de plaisance et des activités sportives et touristiques sur la rivière Chalaux entre le barrage de Chaumeçon et la limite amont du barrage réservoir de Crescent, interdisant la navigation entre le 1er décembre et le 15 mars.

Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt confirmatif du rejet de leur recours.

Le  Conseil d’État confirme en tout point l'arrêt d'appel et rejette en conséquence le pourvoi.

Le préfet n'a pas commis d'illégalité en adaptant, par son arrêté litigieux, le règlement général de la police de la navigation intérieure aux circonstances locales propres à la rivière en cause sans avoir besoin de motiver plus outre sa décision réglementaire.

Ensuite, c'est par une appréciation souveraine des faits et exempte de dénaturation que la cour a jugé que des lâchers d'eau énergétiques garantissant une hauteur d'eau proche de 50 cm étant opérés toute l'année sur la rivière Chalaux depuis la retenue de Chaumeçon de 5 heures à 9 heures et de 17 heures à 19 heures, il en résulte que le niveau d'eau de la rivière ne permettait pas, en dehors de ces lâchers, la pratique de la navigation sans risque de raclage ou de contact avec la partie sommitale du dôme des frayères de la truite Fario, espèce protégée.

Enfin, c'est sans erreur de droit que la cour a retenu que l'objectif de conciliation des usages résultant des dispositions du II de l'article L. 211-1 du code de l'environnement pouvait, eu égard à l'affluence des pêcheurs pendant les périodes en cause, justifier l'interdiction de navigation pendant les week-ends d'ouverture et de fermeture de la pêche.

(10 octobre 2022,  Entreprise Angie « Le feu de l'eau », le Syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et la Fédération française de canoë-kayak, n° 451555)

 

156 - Police de la sécurité publique – Accès à un centre nucléaire de production d’électricité – Refus d’autorisation opposé à une personne pour son profil incompatible à cet accès – Annulation et rejet.

Doit être annulé pour erreur d’appréciation de la décision administrative attaquée le jugement qui annule le refus administratif d’autoriser l’accès à un centre nucléaire de production d’électricité à une personne revendiquant son appartenance à la mouvance salafiste, dont l’épouse a fait l'objet d'un signalement pour radicalisation et qui est lui-même en relation avec plusieurs personnes signalées pour radicalisation.

(17 octobre 2022, M. A., n° 444826)

 

157 - Police des débits de boissons – Déclaration d’ouverture d’un débit de boissons – Pouvoirs limités du maire – Constatation du caractère incomplet du dossier de déclaration d’ouverture du débit de boissons – Rejet.

En principe, les pouvoirs du maire, agissant en ce cas comme agent de l’État, saisi d'une déclaration d'ouverture d'un débit de boissons, se bornent à constater l'accomplissement de la formalité de déclaration et à en délivrer récépissé, sans examiner la régularité de l'opération envisagée. Toutefois, en l'espèce, la société requérante n'ayant pas été en mesure de produire un titre l'autorisant à occuper la dépendance du domaine public communal sur laquelle elle entend exploiter son restaurant, son dossier de déclaration ne pouvait être regardé comme complet.

Il suit de là qu’alors même que les requérantes considèrent de bonne foi disposer d'un droit d'occupation du domaine public cela ne saurait suffire – au regard des dispositions de l’art. L. 521-2 CJA - à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie du fait des refus du maire et du préfet de leur délivrer récépissé de leur déclaration d’ouverture.

(ord. réf. 21 octobre 2022, Société Brasserie Esprit XV et Mme A., n° 468143)

 

158 - Police de la chasse – Moyens de capture de l’alouette des champs – Urgence à statuer – Illégalité – Suspension ordonnée d’arrêtés préfectoraux autorisant certaines formes de chasse.

Le juge ordonne la suspension d’arrêtés préfectoraux autorisant dans certains départements la chasse à l’alouette des champs tantôt à l’aide de matoles tantôt à l’aide de pantes tantôt avec les deux procédés.

Il estime que – hormis pour les requêtes 498151 et 468153 de l’Association One Voice - est remplie la condition d’urgence d’autant que la ministre défenderesse n'invoque aucun motif de nature à faire obstacle au prononcé de la suspension de l'exécution des arrêtés attaqués.

Il considère également qu’existe au moins un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité des arrêtés déférés en ce qu’ils méconnaissent les objectifs de l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive oiseaux, ainsi que les dispositions de l'article L. 424-4 du code de l'environnement.

(ord. réf. 21 octobre 2022, Association One Voice, n°s 468151, 498152, 468153, 468154 ; Association Ligue pour la protection des oiseaux n°s 468170, 468172)

 

159 - Régime spécial de réparation des dommages résultant d’attroupements ou rassemblements – Notion d’attroupement ou rassemblement – Actions concertées et préméditées – Inapplicabilité du régime spécial et retour au droit commun – Rejet.

La société Sanef, concessionnaire de l'autoroute A1, a obtenu d’une cour administrative d’appel la condamnation de l’État, sur le fondement du régime spécial de réparation des dommages causés par des attroupements ou rassemblements, à lui réparer les dommages qu’elle a subis du fait d'une interruption de la circulation sur cette autoroute dans la nuit du 28 au 29 août 2015, provoquée par une barricade de pneus enflammés et autres objets volés mise en place par des personnes qui cherchaient à obtenir l'extraction temporaire de détention pénitentiaire d'un de leurs proches afin qu'il puisse assister à une cérémonie d'obsèques. 

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État annule cet arrêt pour qualification inexacte des faits, ceux-ci résultant d’actions concertées et préméditées par un groupe structuré à seule fin de les commettre et non d’actions spontanées comme le sont, par définition légale (cf. art. L. 211-10 du code de la sécurité intérieure) et jurisprudentielle, les attroupements et rassemblements.

Il appartient désormais à la société Sanef, si elle s’y croit fondée, d’user du droit commun de la responsabilité des services publics, donc en prouvant une faute, ce qui est assurément moins confortable que le régime de réparation sans faute à prouver qui est celui applicable aux dommages résultant d’attroupements ou rassemblements.

(28 octobre 2022, ministre de l’intérieur, n° 451659)

 

160 - Police de l’eau – Restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques – Déclaration des travaux nécessaires à cet effet – Régime des étangs piscicoles – Dangers présentés par certains de ces travaux – Annulation partielle avec modulation.

(31 octobre 2022, Syndicat France Hydro-Electricité, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, Fédération des moulins de France et association des riverains de France, n° 443683 ; Association Hydrauxois, n°443684 ; Association Union des étangs de France, n°448250, jonction)

V. n° 112

 

161 - Conducteurs de taxis et conducteurs de voitures de transports de personnes – Évaluation de l’aptitude professionnelle à l’exercice de ces fonctions – Contrôle effectué par les chambres de métiers et de l’artisanat – Risque d’atteinte à la liberté d’établissement – Rejet.

(31 octobre 2022, Fédération française du transport de personnes sur réservation, n° 451995)

V. n° 165

 

Professions réglementées

 

162 - Diplôme d’université d’orthodontie – Refus de reconnaissance de ce diplôme par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes – Application d’une décision réglementaire de l’ordre – Diplôme ne constituant pas une qualification complémentaire utile à l’information des patients – Rejet.

(7 octobre 2022, Mme B., n° 456454)

V. n° 2

 

163 - Avenant à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie - Téléconsultation – Télé-expertise – « Intéressement » à la prescription de médicaments biosimilaires – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours de l’ordre des médecins contre l’arrêté ministériel approuvant l’avenant n° 9  à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie en tant que celui-ci supprime l'exigence que le médecin effectuant un acte de téléconsultation connaisse préalablement le patient, qu'il permet à un professionnel de santé non médecin de solliciter une téléexpertise et qu'il instaure un dispositif d' « intéressement » à la prescription de médicaments biosimilaires.

En premier lieu, n’est pas retenu le moyen que la téléconsultation qui permet la consultation d’un patient à distance même jusque-là inconnu du médecin serait illégale et cela au regard des précautions prises par l’auteur de l’arrêté. Les stipulations de la convention telles que modifiées par l’art. 2-1 de l’avenant litigieux prévoient que le recours à la téléconsultation est subordonné au respect du parcours de soins, à l’obligation que le médecin traitant et le médecin correspondant aient apprécié l'opportunité du recours à cette modalité de consultation, à l’exigence que le patient, informé des conditions de réalisation de l'acte, ait donné son consentement préalable à celui-ci et que son suivi régulier s'effectue à la fois par des consultations « en présentiel » et par des téléconsultations. En outre, cette technique ne déroge en rien aux obligations déontologiques s’imposant aux médecins.

En deuxième lieu, il est reproché à tort, selon le juge, à la télé-expertise de pouvoir être sollicitée désormais non plus par un « médecin requérant » mais, plus largement, par un « professionnel de santé requérant » alors qu’en réalité l’at. L. 6316-1 du code de la santé publique ne prévoit pas que la télémédecine ne pourrait être réalisée qu'à la demande du seul professionnel médical. En outre, les dispositions critiquées ne permettent pas à un professionnel de santé non médecin de se substituer au médecin généraliste de premier recours dans sa mission de coordination des soins et d'orientation des patients dans un système de soins. 

En troisième lieu, n’est pas contraire à la déontologie médicale, ainsi qu’il est soutenu par l’ordre requérant, la création, par l’avenant attaqué, d’un art. 27 bis dans la convention nationale, organisant un mécanisme d’intéressement afin de valoriser l'augmentation par un médecin libéral du nombre de ses patients auxquels des médicaments biosimilaires sont prescrits, s'agissant de molécules répondant à des critères qu'il définit et conformément aux recommandations de bonnes pratiques. Outre qu’il est sans effet sur le respect des règles déontologiques, ce mécanisme - qui ne concerne que les seuls rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie -   n'a pas de caractère obligatoire, car les médecins qui ne souhaitent pas en bénéficier se bornent à faire connaître leur choix à l'assurance maladie et il doit respecter, dans tous les cas, le libre choix du patient. 

(14 octobre 2022, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 461412)

 

164 - Société d’exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) de chirurgiens-dentistes inscrite au tableau de l’ordre – Modifications statutaires ultérieures – Contrôle du conseil départemental de l’ordre – Non-respect de la condition de détention de la majorité du capital ou des parts d’une SELAS par une société de participations financières de professions libérales (SPFPL) de chirurgiens-dentistes - Radiation du tableau – Existence d’une urgence et de moyens propres à créer un doute sérieux – Suspension ordonnée de la décision du conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes.

La société requérante demandait au juge des référés du Conseil d’État qu’il ordonne la suspension, d’une part, de l'exécution de la décision du 21 juillet 2022 du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes refusant d'enregistrer la nouvelle répartition de son capital social intervenue à la suite de cessions d'actions et la radiant de l'ordre du tableau et, d’autre part, de l'exécution de la décision du 5 octobre 2022 du conseil départemental des Hauts-de-Seine, en conséquence de la décision du 21 juillet 2022, informant la société requérante qu'elle serait radiée du tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine à la date du 26 octobre 2022.

On relèvera une nouvelle fois l’efficacité de la procédure de référé qui permet au justiciable, sous la menace très grave d’une interdiction d’exercer dès le 26 octobre 2022, qui a saisi le juge d’une demande en référé suspension les 13 et 20 octobre, d’obtenir une décision dès le 24 octobre dans un litige d’une certaine complexité.

En bref, par suite de modifications statutaires, la société de participations financières de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France, inscrite au tableau de l’ordre des chirurgiens-dentistes, est devenue actionnaire majoritaire de la société d'exercice libéral à actions simplifiée (SELAS) « Cabinet de la Grand Place », elle-même inscrite au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine depuis 2017.

Le conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine a, le 30 mars 2022, refusé d'entériner cette nouvelle répartition du capital social. Puis, sur recours préalable obligatoire, le conseil régional d'Île-de-France de l’ordre des chirurgiens-dentistes a, le 10 mai 2022, confirmé ce refus, estimant comme le conseil départemental que cette modification méconnaissait l'article R. 4113-11 du code de la santé publique limitant à deux les participations des sociétés de participations financières dans des sociétés d'exercice libéral.

Le conseil national de l’ordre, saisi d’un recours contre cette dernière décision, a confirmé, par une décision du 21 juillet 2022 qui s'est substituée aux précédentes décisions, le refus d'entériner les modifications des statuts en se fondant sur un autre motif, tiré de ce que la SPFPL Eurodonti France ne répond pas à la condition d'être détenue majoritairement par une personne physique ou morale exerçant la profession de chirurgien-dentiste, les éléments recueillis ne lui permettant pas de déterminer si son associé unique, la société Orthodontiko Odontiatreio toy Hamagelou Monoprosopi Ike, exerce la profession de chirurgien-dentiste.

En conséquence, par une décision du 5 octobre 2022, le conseil départemental de l’ordre des Hauts-de-Seine a notifié à la SELAS « Cabinet de la Grand Place » l'exécution du retrait de son inscription au tableau de l'ordre à compter du 26 octobre 2022.

Cette société demande en référé (art. L. 521-1 CJA) la suspension de l'exécution de ces décisions des 21 juillet et 5 octobre 2022.

Le juge relève sans difficulté l’existence d’une situation d’urgence dès lors que la radiation litigieuse entraînera, à la date du 26 octobre 2022, la cessation de l’exercice de son activité ; ainsi, les huit personnes en contrat en durée indéterminée et les neuf praticiens qui exercent en son sein perdront à cette date leurs revenus professionnels et la société, qui selon les pièces du dossier suit régulièrement 7 068 patients et dont l'unique objet social est l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste, devra cesser son activité. Il relève en outre l’absence de toute invocation par l’Ordre d’un motif d’intérêt général au soutien de la décision de radiation.

La seconde condition à satisfaire, soit l’existence d’un moyen de nature à créer un doute sérieux, était plus complexe à apprécier.

Comme indiqué plus haut, le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes s’est fondé sur ce que la SPFPL Eurodonti France ne satisfaisait pas à la condition d'être détenue majoritairement par une personne physique ou morale exerçant la profession de chirurgien-dentiste car les éléments du dossier ne lui permettaient pas de déterminer si son associé unique exerce, comme cela est obligatoire, la profession de chirurgien-dentiste.

Toutefois, le juge relève qu’est sérieux l’argument en réplique de la requérante fondé sur le fait que cette SPFPL a été inscrite au tableau de l’ordre des chirurgiens-dentistes en 2020 et que la composition de son capital social, qui n'a pas évolué depuis lors, a été contrôlée à cette occasion.

En outre est également de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des deux décisions attaquées le moyen qu’est entachée d'erreur de fait l'appréciation du conseil national selon laquelle il ne serait pas établi que la société actionnaire unique de la SPFPL exerce la profession de chirurgien-dentiste.

La suspension des décisions est ordonnée.

(ord. réf. 24 octobre 2022, Société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) « Cabinet de la Grand Place », n° 468243)

 

165 - Conducteurs de taxis et conducteurs de voitures de transports de personnes – Évaluation de l’aptitude professionnelle à l’exercice de ces fonctions – Contrôle effectué par les chambres de métiers et de l’artisanat – Risque d’atteinte à la liberté d’établissement – Rejet.

Le Conseil d'État, par une décision n° 413040 du 5 juillet 2019 (Fédération française du transport de personnes sur réservation ; Voir cette Chronique, juillet-août 2019, n° 37), a annulé le décret du 6 avril 2017 relatif aux activités de transport public particulier de personnes, en tant qu'il n'édictait pas les dispositions nécessaires pour garantir que l'évaluation des conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de taxi et de voiture de transport avec chauffeur par les chambres des métiers et de l'artisanat de région respectait la liberté d'établissement.

Suite à cette annulation, est intervenu le décret du 23 février 2021 qui modifie les conditions d'organisation des examens d'accès aux professions de conducteur de taxi et de conducteur de voitures de transport avec chauffeur (VTC).

La fédération requérante en demande l’annulation car en confiant aux chambres des métiers et de l'artisanat de région, qui comprennent des représentants des conducteurs de taxi, concurrents des conducteurs de VTC, la mission d'évaluer les conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de VTC, l'article 23 du code de l'artisanat et le décret attaqué portent atteinte à la liberté d'établissement. En effet, l’intervention de ces chambres dans la délivrance de la carte professionnelle nécessaire à l'exercice des professions de conducteur de taxi et de conducteur de « voiture de transport avec chauffeur » (VTC) peut conduire à porter une atteinte illégale à cette liberté dans la mesure où peuvent siéger des membres exerçant les professions en cause, susceptibles d'avoir intérêt, ainsi que l'a souligné l'Autorité de la concurrence (avis n° 17-A-04 du 20 mars 2017), à restreindre l'accès à ces professions, en particulier celle de conducteur de VTC, et d'agir dans ce but en pesant sur la fréquence et l'organisation des examens, la teneur des sujets ou l'évaluation des capacités des candidats.

L’argument n’est pas sans valeur juridique. Pourtant le recours est rejeté.

Pour rejeter l’exception d’inconventionnalité soulevé à l’encontre du décret attaqué, le juge développe un raisonnement assez discutable. Il estime que la substitution au système antérieur dans lequel les examens d'accès à la profession de conducteur de taxi étaient organisés par les préfectures et les examens d'accès à la profession de conducteur de VTC étaient confiés aux centres de formation agréés de ces conducteurs, d’un système conférant aux seules chambres des métiers et de l'artisanat existant dans chaque région l'évaluation des conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de taxi et de VTC répond « à la raison impérieuse d'intérêt général d'unifier sur tout le territoire les modalités de leur évaluation afin de garantir la sécurité des clients de ces taxis et VTC, ainsi que celle de l'ensemble des usagers de la route. » (sic) On ne sache pas que le système précédent ait contribué à causer des hécatombes sur les routes françaises. Par ailleurs, pour uniformiser il suffit de disposer de règles nationales uniformes. De plus soutenir que la participation de concurrents professionnels à un jury ne suffit pas, à elle seule, à établir un risque d’atteinte à la liberté d’établissement est d’un angélisme plus touchant que réaliste.

Quant à dire que tout va bien en ce domaine car le « décret attaqué prévoit l'organisation d'au moins une session trimestrielle d'épreuves écrites d'admissibilité et fixe de façon précise les conditions de désignation des membres des jurys des épreuves écrites et de l'épreuve pratique de l'examen d'accès aux professions de conducteur de taxi et de conducteur de VTC en veillant à garantir leur impartialité ; son article 10 fixe par ailleurs les critères devant guider le choix des sujets des épreuves écrites. », c’est oublier qu’un jury ce sont des êtres humains appliquant avec souveraineté les règles qui sont applicables. Or, la théorie strasbourgeoise des apparences aurait beau jeu de s’appliquer ici.

En revanche, on peut admettre comme le juge le Conseil d’État, que l’art. 23 du code l’artisanat, en confiant la mission d’intérêt général d’organiser les examens d’aptitude professionnelle pour ces conducteurs ne contrevient pas aux dispositions de l’art. 106N du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et donc aux règles gouvernant la commande publique.

(31 octobre 2022, Fédération française du transport de personnes sur réservation, n° 451995)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

166 - Juridiction statuant en dernier ressort – Refus de transmission d’une QPC au Conseil d’État – Saisine du Conseil d’État – Exigences de procédure – Examen partiel de la QPC et refus de transmission.

Dans un litige en matière de pension civile de retraite, le Conseil d’État rappelle les exigences procédurales s’imposant au demandeur de première instance et alors que la juridiction saisie statue en dernier ressort, lorsqu’il se pourvoit en cassation contre ce jugement.

Le requérant qui a déjà présenté une QPC devant une juridiction statuant en dernier ressort doit se conformer aux conditions posées par la loi organique et le code de justice administrative lorsqu’il conteste devant le juge de cassation le refus de transmission d’une telle question.

Il suit de là que, dans l’hypothèse sus-rappelée, le demandeur en QPC auquel le premier juge a refusé la transmission de sa question au Conseil d’État, doit, pour contester ce refus, par un mémoire distinct et motivé, saisir le juge de cassation dans les conditions habituelles du procès en QPC et cela aussi bien lorsque le refus de transmission précédemment l’a été par une décision distincte, dont il joint alors une copie, que lorsqu’il l’a été directement par cette décision même.

En revanche, il lui est possible de former directement devant le Conseil d’État une QPC portant sur les mêmes dispositions, mais comportant des moyens nouveaux.

(4 octobre 2022, M. D., n° 466254)

 

167 - Revendication d’un droit au suicide – Incompétence négative de la loi – Absence de changement de circonstances postérieurement à une décision QPC du Conseil constitutionnel – Finalité d’une QPC – Refus de transmission de cette question.

La requérante soulève l’inconstitutionnalité des art. L. 1110-5 à L. 1110-5-3 du code de la santé publique. Ils reprochent à ces dispositions de s’abstenir d'instituer des garanties légales de nature à permettre à chacun, au moment de son choix et en dehors de toute situation d'obstination déraisonnable ou de fin de vie, de pouvoir mettre fin à ses jours « consciemment, librement et dans la dignité ». Ainsi, elles porteraient atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au droit au respect de la vie privée, au « droit à l'autonomie personnelle » et au « droit de mourir dans la dignité » ainsi qu'au principe de fraternité et à la « liberté d'aider autrui dans un but humanitaire » qui découlerait de ce principe et le législateur, en adoptant les dispositions de ces articles sans organiser l'exercice d'une telle faculté, aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elle-même les droits et libertés invoqués.

La demande de transmission de la QPC est rejetée.

D’abord, le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur la conformité constitutionnelle de dispositions des art. L. 1110-5-1 et L. 1110-5-2 du code de la santé publique (n° 2017-632 QPC, 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés) sans que des circonstances postérieures à cette décision justifient une nouvelle saisine de celui-ci de ce chef.

Ensuite, l’incompétence négative ne peut être soulevée qu’à l’encontre de dispositifs établis par la loi non pour contraindre le législateur à légiférer sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée.

(10 octobre 2022, Association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement », n° 465977)

 

168 - Articles 56-1 et 56-1-2 du code de procédure pénale – Régime des perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile – Inopposabilité du secret professionnel de l’avocat aux mesures d’enquête ou d’instruction dans le cadre de certaines infractions – Transmission d’une QPC.

Est jugée sérieuse et transmise en conséquence au Conseil constitutionnel la QPC portant sur le point de savoir si les dispositions des art. 56-1 (régime des perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile) et 56-1-2 (inopposabilité du secret professionnel de l’avocat aux mesures d’enquête ou d’instruction dans le cadre de certaines infractions) du code de procédure pénale portent atteinte aux droits de la défense protégés par l'art. 16 de la Déclaration de 1789.

(18 octobre 2022, Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 463588 ; Ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, n° 463683)

 

169 - Expulsion de locataires – Trêve hivernale – Prolongation par l’ordonnance du 25 mars 2020 puis par la loi du 11 mai 2020 – État d’urgence sanitaire – Atteinte à l’égalité devant la loi, à l’égalité devant les charges publiques et au droit de propriété – Refus de transmission d’une QPC.

La requérante soulève une QPC fondée sur ce que l'ordonnance du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale et l'article 10 de la loi du 11 mai 2020 prolongeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, le principe d'égalité devant la loi et l'article 16 de la Déclaration de 1789.

La transmission est refusée.

Tout d’abord la prolongation de la trêve hivernale est fondée sur un motif d’ordre public et d’humanité né de la crise sanitaire apparue dans l’hiver 2019-2020, elle n’a pas pour effet d’étendre le nombre de ses bénéficiaires et ne prive pas les propriétaires du droit de se prévaloir de leurs créances sur les locataires concernés.

Ensuite, la circonstance que l’ordonnance du 10 février 2021 qui a à nouveau prolongé la trêve hivernale, a prévu un dispositif d’indemnisation du refus du concours de la force publique pour procéder à des expulsions n’établit l’atteinte qui aurait été portée au principe d’égalité par le mécanisme jusque-là existant et frappé de QPC.

Enfin, la survenance de faits postérieurs à une décision judiciaire d’expulsion est toujours prise en considération au moment de son exécution et cette prise en compte ne méconnaît pas l’art. 16 de la Déclaration de 1789 en ce qu'elle remettrait en cause de manière rétroactive le droit des bailleurs ayant obtenu, avant l’entrée en vigueur des textes litigieux, une décision accordant le concours de la force publique pour exécuter un jugement d'expulsion. 

Cette conception d’un droit qui, entré dans le patrimoine d’une personne (droit à percevoir des loyers d’un nouveau locataire), peut en sortir en fonction d’éléments de fait sujets à appréciation nous semble discutable et assez peu conforme à la jurisprudence de la Cour EDH même s’il ne convient pas d’absolutiser cette dernière.

(28 octobre 2022, Société Multihabitation 6, n° 466443)

 

170 - Revendication de la qualité de parent d’enfant français – Demande de renouvellement d’un titre de séjour – Refus – Invocation d’une QPC à l’encontre des dispositions du 6° de l’art. L. 313-1 du CESEDA – Rejet.

La requérante a soulevé une QPC à l’encontre du second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du CESEDA sur le fondement duquel a été pris l’arrêté du 18 janvier 2021 par lequel la préfète de l'Ariège a refusé à Mme A., ressortissante nigériane, le renouvellement du titre de séjour qui lui avait été délivré en qualité de parent d'enfant français.

L’intéressée se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif refusant la transmission de cette QPC.

Selon le texte litigieux, « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit :

(...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France (...).

Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ; (...) ».

Par ailleurs, aux termes de l'article 316 du code civil : « Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. (...) ».

Tout d’abord, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions litigieuses n'opèrent par elles-mêmes aucune distinction entre la situation des pères ou mères d'enfants français qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent étranger d'enfant français lorsque la filiation a été établie, conformément aux dispositions de l'article 316 du code civil, par une reconnaissance de paternité ou de maternité de l'autre parent. 

Ensuite, si le législateur a prévu que la preuve de la contribution effective du parent auteur de la reconnaissance à l'entretien et à l'éducation de l'enfant peut être apportée dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, il a également permis qu'elle le soit par la production d'une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Ce faisant, au regard de l'objectif recherché de prévention des reconnaissances frauduleuses, le législateur, qui n'a pas fait peser une charge déraisonnable sur le parent étranger demandeur de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », n'a pas porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale et à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. 

Enfin, les dispositions litigieuses, qui ne régissent pas l'éloignement du parent étranger, ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, la liberté d'aller et venir.

D’où est prononcé, et donc confirmé, le refus de transmettre cette QPC.

(27 octobre 2022, Mme A., n° 464832)

 

171 - Contribution économique territoriale – QPC à l’encontre de l’art. 1586 sexies du CGI – Atteinte au principe d’égalité devant la loi – Disposition déjà examinée par le Conseil constitutionnel – Refus de transmission.

La requérante estimait que porte atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques que garantissent respectivement les art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789, la disposition du b) du 4. du I de l’art. 1586 sexies du CGI qui organise un traitement fiscal différencié parmi les sociétés ayant la qualité de locataire intermédiaire selon qu'elles parviennent ou non à donner en sous-location pour une durée supérieure à six mois les biens dont elles sont locataires.

Pour rejeter la demande de transmission de cette QPC, le Conseil d’État retient que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur cet article et qu’il n’y a relevé aucune inconstitutionnalité hormis deux membres de phrase qui ne concernent pas la présente requête (cf.  n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010). Comme depuis cette date aucun changement des circonstances n’est intervenu, il n’y a pas lieu à transmission de la question.

(31 octobre 2022, SAS Appart’City, n° 464417)

 

Responsabilité

 

172 - Praticien exerçant à titre libéral et intervenant dans un centre hospitalier – Prise en charge d’un patient – Indication thérapeutique erronée et manquement à l’obligation d’informer le patient – Mise en jeu de la responsabilité du centre hospitalier - Possibilité d’une action récursoire contre le médecin – Rejet.

Un patient a subi des préjudices résultant de son hospitalisation et engagé une action en réparation de ce chef. Suite à son décès, son action est reprise par les requérantes dont son épouse. Le tribunal administratif, dont la solution est sur ces points confirmée en appel, a condamné le centre hospitalier à verser aux requérantes une certaine somme, ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie au titre du remboursement des dépenses de santé et de l'indemnité forfaitaire de gestion et il a rejeté le surplus des demandes.

Saisie par le centre hospitalier défendeur, la cour administrative d’appel a confirmé le jugement à l’exception du quantum de l’indemnisation dont elle a augmenté le montant.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation, en vain.

Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle le cadre juridique de cette affaire qui permet de comprendre l’importance de la présente décision.

Une personne est soignée par son médecin traitant qui, à la fois, une activité libérale (dite « de ville ») et comme praticien statutaire à plein temps au sein du centre hospitalier. Cette personne, suite à la détection d’une possible tumeur osseuse est opérée par ce médecin. Estimant avoir été victime de fautes liées au retard de diagnostic de sa maladie osseuse, au choix de l'indication thérapeutique dont la mise en œuvre était de nature à favoriser l'essaimage de cellules cancéreuses dans les tissus mous et à un manquement quant à l'obligation d'information préalable à cette intervention, il saisit le juge administratif d’une action à fins indemnitaire ; après son décès, son action sera reprise par des membres de sa famille dont son épouse.

Le centre hospitalier fait grief à la cour administrative d’appel d’avoir, dans son arrêt confirmatif, retenu sa responsabilité au titre d’une faute procédant d'une indication thérapeutique erronée et un manquement à l'obligation d'information du patient. 

L’élément central du litige reposait sur le point de savoir comment devait se régler la question de la réparation des préjudices dans la mesure, d’une part, où les rapports qui s'établissent entre les praticiens hospitaliers exerçant une activité libérale (cf. art. L. 6154-1 et L. 6154-2, R. 6154-6 et R. 6154-7 du code de la santé) et leurs patients traités à ce titre relèvent du droit privé et d’autre part, où l’intervention a eu lieu dans le cadre du service public hospitalier.

Pour résoudre la difficulté, le juge rappelle d’abord, et très logiquement, qu’en toute hypothèse la responsabilité du centre hospitalier est engagée soit lorsque les dommages invoqués sont imputables à un mauvais fonctionnement du service public résultant d'une mauvaise installation des locaux ou d'un matériel défectueux, soit d'une faute commise par un agent de l'établissement mis à disposition du praticien exerçant à titre libéral. 

Tel n’était cependant pas le cas de l’espèce, d’où cette autre solution du juge lorsque le préjudice allégué résulte d’une intervention chirurgicale à laquelle a procédé, à l’hôpital public, un médecin y exerçant à titre libéral. En ce cas, à titre de principe, la faute commise dans le choix de l’indication thérapeutique par le médecin est de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, alors même que l'exécution de l'opération n'a pas été par elle-même fautive et il en va de même dans le cas où, comme en l’espèce, le praticien a omis de donner une information ou n’a donné qu’une information insuffisante au patient sur les risques attachés à cette intervention. A cet égard, il importe peu que l’indication thérapeutique erronée tout comme la mauvaise information aient été données au cours de la consultation donnée au patient dans le cadre de la seule activité libérale du médecin.

Toutefois, l’hôpital dispose d’une action récursoire contre le médecin.

Le système peut sembler juste et simple : la victime n’a affaire qu’à l’hôpital et ce dernier peut rentrer dans ses fonds en se retournant contre le praticien défaillant. En réalité, ce n’est là, dans bien des cas, qu’une apparence car rien n’oblige l’hôpital à se retourner contre l’auteur des fautes ; tout sera fonction des relations entre l’un et l’autre, des réseaux et des influences d’où des inégalités détestables entre praticiens en situations identiques ou comparables.

(6 octobre 2022, Mme A. épouse C. et autres, n° 446764)

 

173 - Responsabilité contractuelle – Responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol – Point de départ et durée de la prescription de l’action en responsabilité – Intervention de la loi du 17 juin 2008 (art. 2224 et 2262 c. civ.) – Faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi – Prescription trentenaire – Annulation.

(10 octobre 2022, Société Eiffage Construction, n° 454446)

V. n° 24

 

174 - Responsabilité hospitalière – Décès à raison d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale – Personnes pouvant prétendre à indemnisation - Personnes subissant un préjudice du fait de liens étroits entretenus avec la victime.

Rappel de ce que les dispositions de l’art. L. 1142-1du code de la santé publique dans la version que leur a données la loi du 9 août 2004, en instituant, au titre de la solidarité nationale des ayants droit d'une personne décédée en raison d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale, ont ouvert un droit à réparation aux proches de la victime, qu'ils aient ou non la qualité d'héritiers, qui entretenaient avec elle des liens étroits, dès lors qu'ils subissent du fait de son décès un préjudice direct et certain.

En outre, il est également rappelé conformément aux principes constants du droit de la responsabilité combinés à ceux du droit successoral civil, que les droits à réparation que détenait la victime d’un tel dommage avant son décès et dont elle n’a pu bénéficier, se transmettent ipso facto à ses héritiers (par application de Section, 29 mars 2000, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Rec. p. 147, concl. D. Chauvaux).

(Réitération d’une solution récente, Section, 3 juin 2019, Mme Fougère-Derouet et M. Miez, n° 414098 ; v. cette Chronique, juin 2019, n° 94)

(28 octobre 2022, Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 434968)

(175) V. aussi, réitérant et jugeant que le droit à réparation d'un dommage se transmettant aux héritiers, chaque héritier a dès lors qualité, le cas échéant sans le concours des autres indivisaires, pour exercer l'action indemnitaire tendant à obtenir, au bénéfice de la succession, la réparation du préjudice subi : 28 octobre 2022, Mme E. et autres, n° 453605.

 

176 - Étranger - Refus de séjour et retard dans la délivrance d’un titre de séjour – Illégalités – Droit à réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance sérieuse d’occuper un travail – Annulation sans renvoi (litige réglé au fond).

Un ressortissant malien demande réparation du préjudice résultant pour lui du fait, d’abord, du refus de séjour qui lui a été opposé, ensuite du délai excessif mis à lui délivrer un titre de séjour, ces illégalités l’ayant privé d’une chance sérieuse d’occuper un emploi.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du jugement de première instance qui a limité à un an son droit à indemnisation.

Le Conseil d’État annule l’arrêt sur ce point et lui octroie une indemnité à compter du premier refus de délivrer un titre de séjour, soit le 30 avril 2015. Cependant, en raison du caractère provisoire des contrats de mission temporaire auxquels le demandeur aurait pu prétendre dans un premier temps et de la qualification dont il justifiait durant la période considérée, il lui est alloué une somme de 8 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017, les intérêts échus à la date du 21 avril 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date devant être capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. 

(27 octobre 2022, M. A., n° 456761)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

177 - Dépôt de gamètes dans un centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) – Demande d’autorisation d’exportation de ces gamètes – Refus de l’Agence de biomédecine en raison de l’âge de l’intéressée – Rejet.

La requérante interjette appel d’une ordonnance de référé rejetant sa demande d’annulation de la décision de l'Agence de la biomédecine a rejeté la demande, présentée par un CECOS, d'autorisation de l'exportation de ces gamètes vers un établissement situé en Espagne au motif qu’elle avait dépassé la limite d'âge de quarante-cinq ans fixée par les dispositions de l'article R. 2141-38 du code de la santé publique.

L’appel, s’agissant d’un référé liberté, est rejeté en formation collégiale.

Il est d’abord rappelé que le juge du référé liberté, en sa qualité de juge de la sauvegarde des libertés fondamentales, peut non seulement, en cette qualité, prendre toute mesure en cas d’atteinte grave portée à une telle liberté par une autorité administrative mais encore lorsque l’atteinte résulte de l’application de dispositions législatives dont le contenu ou la mise en œuvre serait manifestement contraire à un engagement européen ou international de la France ou incompatible avec celui-ci ou encore entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagement.

Ensuite, est rejeté le moyen invoqué par la requérante, qui souhaitait un transfert des gamètes vers l’Espagne, tiré de l’incompatibilité des dispositions de l’art. L. 2141-11-1 du code de la santé publique avec la directive 2011/24 UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, dont l'objet est d'améliorer en cette matière la libre circulation des marchandises et des personnes et la libre prestation de services. Il tombe sous le sens que les mesures relatives à la possibilité de déplacer des gamètes prélevés et conservés sur le territoire d'un État membre vers un établissement situé sur le territoire d'un autre État membre n’entrent pas dans le champ d'application des règles définies par cette directive ou du principe de libre prestation de services.

Semblablement n’est pas retenu l’argument d’incompatibilité de ce texte avec les stipulations de la convention EDH, spécialement celles de son art. 8. D’abord car l'article L. 2141-2 du code de la santé publique subordonne le bénéfice d'une assistance médicale à la procréation à des conditions d'âge fixées par décret en Conseil d'État, pris après avis de l'Agence de la biomédecine, en prenant en compte les risques médicaux de la procréation liés à l'âge ainsi que l'intérêt de l'enfant à naître. Or il est acquis que le risque médical pour l'enfant et pour la mère s'accroît avec l'âge de celle-ci au moment de la grossesse, en particulier à partir de quarante ans. La condition d'âge retenue pour recourir à l'assistance médicale à la procréation, qui relève de la marge d'appréciation dont chaque État dispose, dans sa juridiction, pour l'application de la CEDH, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de cette convention. Ensuite, les dispositions de l'article L. 2141-11-1 précité, qui interdisent que les gamètes déposés en France puissent faire l'objet d'un transfert, s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national et visent ainsi à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l'article L. 2141-2, ne méconnaissent pas davantage les exigences nées de l'article 8 de cette convention. Enfin, en fixant la limite d'âge au quarante-cinquième anniversaire pour la femme qui a vocation à porter l'enfant, le premier ministre n'a pas fixé, par les dispositions de l'article R. 2141-38 du code de la santé publique, une règle manifestement illégale. 

Enfin, examinant si, toutefois, en dépit de sa conformité à l’ensemble de ces normes, la disposition critiquée ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par la convention EDH, le juge constate que l’intéressée demande le transfert des gamètes vers l’Espagne, pays avec lequel elle n’a pas de lien et qu’elle n’a choisi qu’afin d'y bénéficier d'une assistance médicale à la procréation au-delà de la limite d'âge fixée par le droit français.

Le rejet de sa demande transfert est ainsi justifié et cela alors même que les médecins qui la traitent aient émis un avis favorable à son projet d'assistance médicale à la procréation, cette circonstance ne suffisant pas à établir que la décision contestée porterait une atteinte manifestement excessive au droit au respect de la vie privée et familiale. 

(ord. réf., form. coll., 27 octobre 2022, Mme A., n° 467726)

(178) V. aussi, identique : ord. réf., form. coll., 27 octobre 2022, Mme B., n° 467727.

 

Service public

 

179 - Éducation nationale – Covid-19 - Organisation des épreuves terminales de spécialité du baccalauréat pour la session 2021 – Cas des établissements d’enseignement privés hors contrat – Maintien de ces épreuves pour ces seuls établissements – Rejet.

Une nouvelle fois le Conseil d’État est saisi d’un recours relatif au régime propre aux établissements d’enseignement privés hors contrat qui a été fixé pour les épreuves du baccalauréat subies par les élèves issus de ces établissements.

Le sujet est délicat car, d’un côté, il touche à la liberté d’enseigner et au libre choix par les parents de la façon dont seront éduqués leurs enfants et d’un autre côté il faut bien s’assurer que le baccalauréat – qui demeure encore un diplôme national – est bien délivré à des candidats satisfaisant à un certain niveau de connaissances. Il n’en reste pas moins qu’en décidant par les textes attaqués (décret du 25 février 2021 et l'arrêté du même jour du ministre de l'éducation nationale relatifs à l'organisation de l'examen du baccalauréat général et technologique de la session 2021 pour l'année scolaire 2020-2021 et, d'autre part, note de service du 23 février 2021 relative au calendrier 2021 du baccalauréat dans le contexte de l'épidémie de Covid-19) que, pour ces seuls établissements, seraient maintenues les épreuves terminales de spécialité, leurs auteurs ont institué à tout le moins une présomption simple négative à leur endroit, ce qui, à soi seul, pourrait faire difficulté devant la Cour EDH.

En bref, comme il fallait s’y attendre, le recours est rejeté en ses différents moyens déclinant le principe d’égalité. On regrettera, sans ignorer la difficulté de trouver une solution équitable, certaines analyses du juge passablement discutables.

Comment comprendre, par exemple, ces deux passages de la décision ?

D’abord, au point 7, on lit : « (…) si les conditions sanitaires du printemps 2020 avaient conduit le Gouvernement à supprimer les épreuves terminales de la session 2020 du baccalauréat pour l'ensemble des élèves, le Premier ministre et le ministre chargé de l'éducation nationale ont pu, compte tenu du niveau de circulation de l'épidémie de covid-19 au printemps 2021 et de l'impossibilité de déployer à grande échelle un protocole sanitaire garantissant des conditions sanitaires d'examen satisfaisantes, décider de supprimer les épreuves terminales de spécialité pour les candidats de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat et de maintenir ces épreuves pour les seuls élèves des établissements hors contrat, sans porter atteinte au principe d'égalité entre les candidats au baccalauréat. » Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ensuite, au point 8, on lit : « (…) dès lors que les dispositions que les requérants contestent n'ont pas adapté les modalités des épreuves terminales de spécialité subies par les candidats des établissements privés hors contrat, les requérants ne peuvent utilement soutenir que les décisions contestées, en ce qu'elles n'étaient pas nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19, ont été prises en méconnaissance des dispositions de l'ordonnance du 24 décembre 2020. » En quoi cela justifie-t-il l’atteinte au principe d’égalité ?

(10 octobre 2022, Association Créer son école et autres, n° 450721)

 

180 - Compagnie aérienne – Obligation de réacheminer les passagers ayant fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire national – Infliction d’une amende – Invocation par la compagnie de la non disposition des pouvoirs de contrainte nécessaires – Circonstance exonératoire – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante a demandé à être déchargée de l’amende de quinze mille euros qui lui a été infligée pour ne pas avoir réacheminé un passager ayant fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire national. Elle se pourvoit contre le jugement et l’arrêt rejetant sa requête au motif qu’elle ne pouvait utilement faire valoir qu'elle ne dispose pas des pouvoirs de contrainte nécessaires pour satisfaire à son obligation de réacheminement.

L’arrêt est cassé pour erreur de droit car il tombe sous le sens qu'en l'absence de détention de tels pouvoirs le comportement de l'intéressé est susceptible de constituer une circonstance exonératoire pour la société requérante.

(19 octobre 2022, Société Air France, n° 456247)

(181) V. aussi, identiques : 19 octobre 2022, Société Air France, n° 456247 ; Société Air France, n° 458736 ; Société Air France, n° 458748 ; n° 459226 ; n° 459227 ; n° 459228 ; n° 459230 ; n° 459232 ; n° 459234.

(182) V. également, déclarant sans objet des recours identiques à la suite du retrait par le ministre de l’intérieur de sa décision infligeant l’amende : 19 octobre 2022, Société Air France, n° 458731 ; également : Société Air France, n° 458739 ; Société Air France, n° 458745 ; n° 459233.

 

183 - Service public autoroutier - Organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé – Décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et arrêté d’application du 15 février 2021 – Demande d’annulation – Rejet.

Les sociétés requérantes demandaient l’annulation :

- d’une part, soit (req. n° 455516) du 2° de l'article 2 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 relatif aux obligations s'appliquant aux conventions de délégation autoroutières en matière de transition écologique ainsi que les b) et d) du 1 du III de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 portant modification de l'arrêté du 8 août 2016 fixant les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé ; soit (req. n° 455517) des art. 2 et 3 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021, ainsi que le a) du I, les 1 et 3 du III, les a) à d) du IV et le V de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021.

 - d’autre part, soit (req. n° 455516) de la décision implicite du 14 juin 2021 par laquelle le premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire chargé des transports ont rejeté leur demande en date du 14 avril 2021 tendant au retrait du 2° de l'article 2 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et des b) et d) du 1 du III de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 ; soit (req. n° 455517) de la décision implicite du 13 juin 2021 par laquelle le premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire chargé des transports ont rejeté leur demande en date du 7 avril 2021 tendant au retrait des articles 2 et 3 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et du a) du I, des paragraphes 1 et 3 du III, des a) à d) du IV et du V de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021.

Tous les moyens invoqués sont rejetés.

Est sans effet la circonstance qu’un décret ait été pris pour l’application de dispositions législatives au lieu de l’arrêté prévu dès lors que ce décret a été contresigné par la ministre de la transition écologique, chargée de la voirie routière nationale.

Ne saurait être invoquée la non consultation du Conseil supérieur de l’énergie car le décret du 12 février 2021 et l'arrêté du 15 février 2021, qui ont pour objet de fixer les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, ne sauraient être regardés comme des actes réglementaires intéressant le secteur de l'électricité ou du gaz qui auraient seules rendues obligatoire cette consultation.

Il ne saurait être reproché à ces textes de ne pas respecter les dispositions de l'art. L. 122-4 du code de la voirie routière issues de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qu’ils n'ont pas pour objet de mettre en œuvre.

La circonstance que les obligations fixées par ces textes soient déterminées en fonction du nombre minimal de véhicules utilisant chaque source d'énergie et non des effets de celles-ci sur les émissions de gaz à effet de serre ne caractérise pas une méconnaissance des objectifs de la politique énergétique.

Les dispositions de l'art. L. 122-29 du code de la voirie routière doivent être interprétées, eu égard aux motifs d'intérêt général liés à l'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, comme ayant implicitement autorisé l'application des dispositions prises pour son application aux relations contractuelles en cours ; le grief tiré de cette solution ne saurait prospérer selon le juge mais l’argumentation nous semble assez faible au regard d’une liberté contractuelle reconnue au niveau international.

Les requérantes ne sont pas fondées non plus à soutenir que l'incertitude affectant la date d'entrée en vigueur et le périmètre des obligations établies par les dispositions attaquées porterait atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme, ni que ces obligations seraient entachées d'une rétroactivité illégale car les données relatives aux immatriculations de poids lourds par catégorie de source d'énergie ne sont disponibles qu'à compter de 2020, année au cours de laquelle le seuil a été dépassé pour les véhicules utilisant du gaz naturel, l'obligation de distribution de gaz naturel pour les poids lourds n'est pas susceptible de s'appliquer avant le 1er janvier 2024.

Les requérantes n’établissent pas, en particulier concernant l'état du déploiement et l'avancement des projets d'installation de recharge de véhicules électriques dans les aires de service concernées par cette nouvelle obligation, en quoi son application à compter du 1er janvier 2024 entraînerait une atteinte excessive à leurs intérêts, et porterait par suite atteinte au principe de sécurité juridique. 

Les sociétés requérantes ne sauraient utilement se prévaloir du principe d'égalité pour contester la différence de traitement entre, d'une part, les concessionnaires et sous-concessionnaires du réseau autoroutier concédé et, d'autre part, les gestionnaires du réseau autoroutier non concédé et les exploitants des aires de service situées sur ce réseau, qui résulte directement des dispositions de l'art. L. 122-29 du code de la voirie routière non de celles contenues dans le décret et l’arrêté attaqués. 

Enfin, le juge n’aperçoit aucune erreur manifeste d’appréciation dans les dispositions querellées, au regard des besoins des usagers du service public autoroutier, d'une part dans la mise en œuvre du principe d'une définition des obligations de distribution de chaque source d'énergie en fonction de la proportion de véhicules qui l'utilisent, sans différenciation entre les sources d'énergie, d'autre part dans la fixation des seuils au-delà desquels ces obligations s'appliquent, enfin dans la détermination du niveau des obligations qui en résultent en ce qui concerne le déploiement d'installations de recharge de véhicules électriques et de fourniture de gaz naturel pour les véhicules. 

(21 octobre 2022, Sociétés SANEF et SAPN, n° 455516 ; Sociétés ASF, Cofiroute et Escota, n° 455517, jonction)

 

184 - Aide exceptionnelle aux personnes d’au moins seize ans particulièrement vulnérables à la hausse du coût de la vie – Cas des étudiants sans revenus ni aide résidant chez leurs parents – Application différenciée du principe d’égalité par le pouvoir réglementaire – Rejet.

Le décret du 11 décembre 2021 relatif aux modalités de versement de l'aide exceptionnelle prévue à l'article 13 de la loi n° 2021-1549 du 1er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021 détermine les conditions et modalités de versement de cette aide exceptionnelle. 

Le requérant en demande l’annulation en tant qu'il ne prévoit pas le versement de cette aide aux étudiants sans revenus résidant chez leurs parents et ne percevant aucune aide d'aucun organisme, y compris les bourses d’études. Il y voit une atteinte au principe d’égalité.

Le juge fait ici application de sa jurisprudence traditionnelle permettant une application différenciée de ce principe lorsque des personnes se trouvent, au regard du service public, dans des situations objectivement différentes, que cette différenciation répond à des raisons d’intérêt général et n’est pas manifestement disproportionnée compte tenu des situations en cause.

Ici cette aide, de caractère exceptionnel, pouvait être réservée aux étudiants les plus vulnérables : en l’accordant à ces étudiants y compris ceux qui, vivant ou non chez leurs parents, bénéficient d'aides ou de prestations particulières déjà soumises à conditions de ressources comme les bourses sur critères sociaux  et en la refusant à ceux qui, comme le requérant, vivent chez leurs parents en ne bénéficiant d’aucune aide ni d’aucune rémunération, le pouvoir réglementaire n’a pas manifestement porté atteinte au principe d’égalité.

Nouvelle illustration du jeu d’équilibre subtil et sans cesse contestable du bien-fondé comme des limites d’une application d’un principe d’égalité à géométrie variable comportant une part incompressible de subjectivité.

(27 octobre 2022, M. A., n° 461383)

 

185 - Associations foncières de remembrement (devenues associations foncières d'aménagement foncier agricole et forestier, art. L. 131-1 code rural et de la pêche maritime) – Règles de calcul de la majorité régissant la prise de décisions au sein des assemblées de propriétaires – Régimes différents pour l’adoption de statuts lors d’une création d’association et pour l’approbation d’une fusion entre de telles associations – Rejet.

Si l'art. 13 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires (rendu applicable aux associations foncières de remembrement désormais dénommées associations foncières d'aménagement foncier agricole et forestier), impose de compter comme étant favorables au projet de création d'une association les propriétaires qui, dûment avertis des conséquences de leur abstention, ne s'opposent pas expressément au projet, cette règle n’est prévue que pour la consultation des propriétaires dans le cadre de l'enquête publique qui porte sur le projet de statuts d'une association syndicale en voie de création et elle n’est pas applicable, comme c’est le cas en l’espèce, à la fusion d'associations, seule s’appliquant en ce cas (par l’effet de l’art. 48 de l’ordonnance) l’exigence de majorité qualifiée fixée à l’art. 14 de la même ordonnance.

C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé, pour rejeter l’appel du ministre contre le jugement du tribunal administratif, que la règle établie à l’art. 13 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 n’était pas applicable au cas de fusion d’associations syndicales ou d’associations foncières de remembrement.

(28 octobre 2022, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 448620)

 

186 - Service public hospitalier – Praticiens hospitaliers - Indemnité d'engagement de service public exclusif – Exclusion des praticiens contractuels du bénéfice de cette indemnité – Solution justifiée – Rejet.

Le syndicat requérant demandait d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre des solidarités et de la santé sur sa demande tendant à l'abrogation du décret n° 2006-1222 du 5 octobre 2006 relatif aux personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques hospitaliers en tant qu'il exclut les praticiens contractuels du bénéfice de l'indemnité d'engagement de service public exclusif et, d’autre part, qu’injonction soit faite au premier ministre d’abroger ce décret et d’en prendre un autre rendant tout praticien éligible à cette indemnité.

A l’appui de sa requête le syndicat invoquait les dispositions de la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 mais ces dispositions, qui ne concernent que la lutte contre les inégalités d’emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sont ici irrelevantes puisque les deux catégories de praticiens ne sont pas dans des conditions de droit et de fait identiques.

La disposition litigieuse n’est pas discriminatoire envers les praticiens contractuels car elle vise seulement, d’abord, à rendre attractif l'exercice des fonctions de praticien hospitalier dans le cadre d'emplois publics permanents de praticiens titulaires, et ensuite à assurer la qualité du recrutement nécessaire aux soins.

Le recours est rejeté.

(28 octobre 2022, Syndicat des jeunes médecins, n° 453369)

(187) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le décret du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel en ce qu’il a fusionné les quatre premiers échelons de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel, en précisant les conditions du reclassement des membres présents dans le corps  28 octobre 2022, Syndicat jeunes médecins, n° 445031 ; Intersyndicale action praticiens hôpital, ° 446862 ; Mme F., n° 446939 ; M. V., n°447078 ; M. M. et autres, n° 450650, jonction.

V. aussi le n° 61

 

188 - Affectation d’un élève dans un lycée – Satisfaction à l’un de ses vœux et dans sa zone de desserte – Invocation postérieure d’éléments non établis – Rejet.

Un élève ayant été affecté dans une classe de seconde générale et technologique, conformément à son quatrième vœu et dans un lycée situé dans sa zone de desserte, c’est vainement que sa mère poursuit l’annulation de l’ordonnance ayant rejeté son recours contre l’administration de l’éducation nationale pour avoir refusé sa demande d’affectation dans un autre établissement, laquelle se fondait sur le double motif de l’éloignement du domicile par suite d’un déménagement de la famille et de problèmes de santé, lesquels ne sont pas circonstanciés. Ces éléments ne sont pas de ceux justifiant l’intervention du juge du référé liberté.

L’utilisation d’un référé suspension aurait pu, à l’extrême rigueur, avoir plus d’efficacité.

(ord. réf. 31 octobre 2022, Mme B., n° 468356)

(189) V. aussi, jugeant devenu sans objet le recours tendant à voir enjoindre l’administration d’affecter la fille de la requérante dans un certain lycée, qui obtient finalement gain de cause et vient retirer le formulaire concrétisant son accord : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468328.

(190) V. également, rejetant le recours formé contre l’affectation d’un élève dans un autre établissement que ceux demandés dans ses vœux mais correspondant à son choix d’orientation (« technique de réalisation en produits mécaniques ») et situé dans sa zone de desserte même si son environnement ne lui convient pas : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468335.

(191) V. encore, rejetant une demande d’injonction aux services de l’éducation nationale d’affecter un élève dans un autre lycée que celui d’affectation alors que ce dernier correspond au vœu n° 3 de l’élève, qu’il y est scolarisé depuis la rentrée des classes, qu’il se trouve dans sa zone de desserte et qu’il correspond à l’orientation demandée en filière professionnelle générale et technologique sans que puisse faire obstacle à cette décision l’éloignement de cet établissement du domicile et la crainte de l’intéressé d’utiliser des transports en commun à la suite d’une agression : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468341.

(192) V., comparable au précédent et rejetant le recours fondé sur ce l’état de santé de l’élève serait incompatible avec les transports nécessaires pour se rendre dans l'établissement d'affectation qui correspond à son vœu d’orientation, se situe dans sa zone de desserte académique et où il est scolarisé depuis la rentrée : ord. réf. 31 octobre, M. B., n° 468351.

(193) V., jugeant que n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'égal accès à l'instruction justifiant l'intervention du juge du référé liberté, la décision affectant une élève, conformément à son orientation et à son cinquième vœu, dans un établissement et cela alors même que l’élève a abandonné cette formation qu'elle jugeait inadaptée de sorte qu'elle n'est plus scolarisée : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468344.

(194) V., comparable à la précédente, la décision jugeant que ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'égal accès à l'instruction justifiant l'intervention du juge du référé liberté, la décision de l’administration qui, en cours d’audience et postérieurement à celle-ci, affecte un élève en classe de seconde professionnelle, lui évitant ainsi un redoublement, dans un établissement situé dans sa zone de desserte et dans une orientation conforme à ses vœux alors même que l'administration n'a pas accompli toutes les diligences nécessaires pour trouver dans un délai compatible avec un déroulé de scolarité normal une affectation à cet élève : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme B., n° 468362.

 

Sport

 

195 - Football - Compétitions nationales – Exclusion des clubs ultra-marins – Conformité aux règlements de certains championnats – Libre accès aux activités sportives pour tous – Situation particulière de l’outre-mer – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours pour excès de pouvoir dirigé par la requérante contre la décision implicite par laquelle la Fédération française de football a refusé de modifier les règlements des compétitions nationales qu'elle organise aux fins d'en ouvrir l'accès à l'ensemble des clubs qui lui sont affiliés, y compris ceux établis sur le territoire des départements d'outre-mer, tel que la Guadeloupe.

Tout d’abord, est rejeté le grief que l’exclusion des clubs d’outre-mer des championnats de National 3 et de jeunes et de la Coupe Gambardella résulterait de dérogations aux règlements de ces compétitions alors qu’elle procède directement de ces règlements.

Ensuite, c’est sans porter une atteinte excessive au principe de libre accès aux activités sportives, ni non plus au principe d'égalité que la Fédération française de football a pu se fonder, pour exclure la participation des équipes ultramarines aux compétitions nationales, sur la situation particulière de ces équipes, en particulier leur éloignement géographique, le décalage horaire pouvant en résulter, et les contraintes matérielles et économiques liées aux déplacements d'équipes amateures de ou vers la métropole ainsi qu'à leur séjour sur place.

(21 octobre 2022, Association Unité Sainte-Rose Football Club, n° 452020)

 

196 - Contrôle antidopage – Régime applicable – Conditions de régularité procédurale et de régularité des contrôles – Appréciation de l’existence d’une infraction – Sanction non disproportionnée – Rejet.

A l’occasion d’un contrôle anti-dopage réalisé à l’issue de l’épreuve de relais 4x400 aux Mondiaux de Londres, un athlète français est convaincu de dopage au salbutamol. Il a été relaxé des poursuites engagées à son encontre par l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de la fédération française d'athlétisme. Puis, la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a annulé la décision de relaxe et prononcé diverses sanctions.

L’intéressé se pourvoit contre cette dernière décision.

C’est l’objet du présent arrêt qui apporte d’utiles précisions tant de nature procédurale que de fond et auquel le lecteur voudra bien se reporter pour de plus amples précisions.

(21 octobre 2022, M. Teddy Atine-Venel, n° 457973)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

197 - Urbanisme ou aménagement commercial – Rejet par la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), pour un motif de fond, d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Nouvelle demande d’autorisation – Régime applicable devant la commission d’aménagement commercial – Erreur de droit – Annulation.

L'art. L. 752-21 du code de commerce imposait au pétitionnaire dont le projet précédent avait été rejeté pour un motif de fond par la CNAC, de ne déposer une nouvelle demande d'autorisation sur un même terrain qu’à condition d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la commission nationale.

Le Conseil d’État déduit de ce texte que la commission d’aménagement commercial saisie par ce pétitionnaire d’une nouvelle demande d'autorisation de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à raison d'un nouveau projet sur le même terrain doit, préalablement à son avis, s’assurer que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l'avis antérieur de la CNAC. Ce n’est qu’après vérification de la satisfaction de cette condition que cette commission peut procéder au contrôle du respect des autres exigences découlant du code de commerce, y compris, s'agissant des exigences de fond, de celles dont il avait été antérieurement estimé qu'elles avaient été méconnues ou dont il n'avait pas été fait mention dans l'avis de la CNAC.

En l’espèce est annulé pour erreur de droit l’arrêt d’appel jugeant que les modifications et mesures complémentaires présentées par la société pétitionnaire à l'appui de sa nouvelle demande ne présentaient pas un caractère suffisant pour être regardées comme ayant pris en compte ces motivations, eu égard aux objections initiales de la CNAC alors qu’il lui incombait seulement, pour l’application de l’art. L. 752-21 précité, de rechercher si les ajustements et précisions qui avaient été apportés par la société requérante à sa demande étaient en lien avec les motifs ayant fondé l'avis défavorable de la CNAC, ce qui suffisait à la rendre recevable.

(7 octobre 2022, Société Entrepôt Nîmes, n° 450615 ; Commune d’Arles, n°450636, jonction)

(198) V. aussi l’annulation pour erreur de droit de l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que le critère de la contribution d'un projet d'aménagement commercial à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de sa commune d'implantation (cf. art. L. 752-6 du code de commerce), est applicable à la demande d'autorisation d'exploitation commerciale litigieuse, qui a été déposée le 7 juin 2019, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que les dispositions réglementaires fixant le contenu de l'analyse d'impact prévues au III du même article n'ont été rendues applicables qu'aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2020. Ainsi, la cour a jugé à tort au point 16 de son arrêt que la CNAC ne pouvait, dans l'appréciation de la compatibilité du projet litigieux avec l'objectif d'aménagement du territoire, tenir compte du respect de ce critère : 7 octobre 2022, ministre de l’économie, des finances… et Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 451688.

(199) V. également, rappelant judicieusement :

- d’une part, que l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), a le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ;

- d’autre part, que le recours formé auprès de la CNAC à l'encontre de l'avis émis par la CDAC constitue un préalable obligatoire à l'introduction d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision de l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation commerciale. Toutefois, un tel recours préalable obligatoire ne peut être regardé, dès lors qu'il est dirigé contre l'avis préalable de la CDAC, et non contre la décision de l'autorité administrative, seule décision susceptible de recours contentieux, comme ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle à ce qu'un recours gracieux formé contre cette décision devant l'autorité administrative qui l'a prise interrompe le cours du délai délai contentieux dès lors qu'il est intenté dans le délai imparti pour l'introduction du recours contentieux : 7 octobre 2022, Association En toute franchise département de l'Hérault, n° 452959.

 

200 - Convention publique d’aménagement – Création d’un parc d’activités - Permis d’aménager puis permis modificatif – Annulation – Erreur de droit et dénaturation des faits – Annulation de l’arrêt d’appel.

Des requérants obtiennent l’annulation d’un permis d’aménager et de son modificatif délivrés par un préfet dans le cadre d’une convention publique d'aménagement en vue de la création d’un parc d’activités.

Les requérantes se pourvoient en cassation contre l’arrêt d’appel annulant les arrêtés préfectoraux.

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit et dénaturation des pièces.

En premier lieu, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la méconnaissance par le projet des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ne devait s'apprécier qu'au regard des circonstances prévalant à la date du permis d'aménager initial accordé le 29 août 2011, sans qu'ait d'incidence la délivrance d'un permis modificatif par l'arrêté du 2 juillet 2018. Alors que saisie de la contestation de la légalité d'une autorisation d'urbanisme initiale ayant fait l'objet d'une autorisation modificative, la cour devait rechercher si, à la date de la délivrance de l'autorisation modificative, les constructions projetées se trouvent en continuité avec des zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions.

En second lieu, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis car le projet litigieux, qui consiste à aménager des parcelles localisées sur une friche industrielle, se trouve aux abords immédiats d'une usine, en continuité de la zone d'aménagement concerté du Domaine du Chemins des Près, elle-même en continuité d'une zone déjà urbanisée située à l'est du territoire de la commune d'Étaples-sur-Mer. En jugeant que, même à la date du permis modificatif, la densité des constructions de la zone d'aménagement concerté n'était pas significative et que le projet ne se trouvait pas en continuité d'une agglomération existante, la cour a dénaturé les faits de l'espèce.

(10 octobre 2022, Société Territoires Soixante-Deux, n° 451530 ; Commune d'Étaples-sur-Mer, n° 451531)

 

201 - Permis de construire partiellement annulé par un jugement après cassation et invitation à solliciter un permis de régularisation - Octroi d’un permis de régularisation – Recours en annulation de ce second permis – Renvoi au Conseil d’État (art. L. 600-5-2) – Office du juge saisi d’un second pourvoi en la matière – Intérêt d’une bonne administration de la justice – Juge de cassation devant statuer dans les circonstances de l’espèce comme juge du premier degré – Rejet.

La présente affaire, qui porte sur une intéressante question de droit de l’urbanisme, se signale également et surtout à l’attention du lecteur par l’audacieuse solution de droit du contentieux qu’elle comporte s’agissant, en l’espèce, de l’office du juge de cassation statuant pour la seconde fois sur un litige.

Les requérants, voisins de la construction projetée, demandent et obtiennent du tribunal administratif, par jugement du 29 novembre 2018, l’annulation du permis, délivré le 25 juillet 2017, de construire un immeuble collectif de trente-neuf logements, des locaux commerciaux et autorisant la création de trente-quatre aires de stationnement. Le Conseil d’État, par décision du 13 mars 2020, annule ce jugement et, sur renvoi, le tribunal, par jugement du 23 mars 2021, annule partiellement le permis litigieux invitant les défendeurs à le régulariser par la demande d’un permis modificatif, celui-ci est accordé par la commune le 9 novembre 2021.

Les demandeurs se pourvoient en cassation contre le jugement du 23 mars 2021 et, devant le tribunal, demandent l’annulation du permis modificatif du 9 novembre 2021.

Se fondant  sur les dispositions de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme (selon lesquelles « Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d'une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »), la présidente du tribunal a, par ordonnance, transmis au Conseil d’État la requête en annulation du permis modificatif.

Le juge était en réalité saisi de deux questions distinctes. La première portait sur l’examen du pourvoi dirigé contre le jugement du 23 mars 2021, donc sur l’appréciation de la légalité du permis de construire délivré le 25 juillet 2017 et de celle du permis modificatif de régularisation du 9 novembre 2021. La seconde portait sur la compétence directe du Conseil d'État pour statuer sur la demande d'annulation de ce permis modificatif.

 

I – Sur les permis de construire initial et modificatif

Tout d’abord, examinant le pourvoi dirigé contre le jugement du 23 mars 2021, le Conseil d’État estime que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que pour calculer la surface admissible du couronnement du dernier niveau de l’immeuble, il convenait de tenir compte de l’ensemble du couronnement alors que cet immeuble, quoique se présentant en un seul ensemble, comportait deux parties donnant sur deux rues différentes et qu’il y avait donc lieu de décompter séparément chacun des deux couronnements distincts.

Ensuite, par l’effet de l’annulation prononcée le Conseil d’État se trouvait saisi de la régularité du permis primitivement accordé le 25 juillet 2017 qu’avait annulé le tribunal administratif. Le juge rejette tous les moyens développés et donc ceux retenus en première instance, sauf un tiré de ce que le permis méconnaît une disposition du règlement du PLU en ce qu’il autorise les deux couronnements dont la superficie cumulée excède le tiers de la surface moyenne des autres étages. On remarquera parmi les moyens soulevés l’un bien dans l’air du temps, si l’on peut dire, qui n’est pas retenu. Les demandeurs soutenaient que le projet litigieux compromettrait l'exécution des dispositions du futur plan local d'urbanisme métropolitain, en cours d'élaboration à la date de délivrance du permis attaqué, relatives à la protection des éléments de bâti patrimonial remarquables, dès lors qu'il a été envisagé de faire figurer leur habitation au nombre de ces éléments remarquables. Le juge répond assez sèchement que « ni la circonstance que le projet litigieux serait susceptible d'affecter le fonctionnement bioclimatique de leur habitation, ni celle que, de par sa hauteur et son style architectural, (l’immeuble litigieux) contrasterait de façon nette avec cette habitation ne permettent de regarder la réalisation de ce projet comme étant de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme, lequel, au demeurant, n'a en définitive, lors de son adoption, pas retenu l'habitation des requérants parmi les éléments de bâti patrimonial remarquables. »

Enfin, après avoir estimé devoir être compétent pour en connaître, le juge de cassation se prononce sur la légalité du permis de construire modificatif délivré le 9 novembre 2021 ; il constate sa conformité aux textes et sa correcte fonction de régularisation de l’illégalité que contenait le permis antérieur.

 

II – Sur la compétence directe du Conseil d'État pour statuer sur la demande d'annulation du permis modificatif

La présidente du tribunal administratif, constatant que le Conseil d’État était déjà saisi d’un pourvoi en cassation contre un jugement du tribunal annulant partiellement un permis de construire lui-même rendu après une première cassation et que ce tribunal était saisi d’un recours en annulation du permis de régularisation, a transmis le dossier au Palais-Royal par application des dispositions de l’art. L. 600-5-2 précitées.

Le Conseil d’État lui donne raison et justifie ainsi sa compétence « Dans les circonstances de l'espèce, alors qu'il règle l'affaire au fond après cassation, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, et statue ainsi définitivement sur le litige portant sur la légalité du permis de construire initial du 25 juillet 2017, il y a lieu pour le Conseil d'État, sur le fondement de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de statuer, en qualité de juge de premier et dernier ressort, sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif qui a été délivré le 9 novembre 2021 à la société pétitionnaire en vue de régulariser le permis de construire initial, en statuant sur les moyens propres présentés contre ce permis modificatif par M. et Mme C. et en appréciant si ce permis modificatif permet la régularisation du vice, entachant le permis initial, retenu (par) la présente décision. »

Si la solution doit être approuvée en son principe, il nous semble qu’elle eût pu, plus simplement, être fondée sur les principes qui régissent la résolution des cas de connexité à l’intérieur de l’ordre juridictionnel administratif.

(10 octobre 2022, M. et Mme C., n° 452955)

 

202 - Demande de permis de construire assortie d’une convention de transfert de droit à construire – Fixation du coefficient d’occupation du sol non par le POS mais par son règlement – Opposition erronée du caractère inopérant du moyen soulevé – Annulation.

Doit être annulé pour erreur de droit l’arrêt qui juge inopérant le moyen tiré de ce qu'en ce qu'il fixe un coefficient d'occupation minimal du sol, l'article NDr 15 du plan d'occupation des sols de la commune de La Clusaz est contraire aux art. L. 123-4 et R. 123-10 du code de l'urbanisme alors en vigueur motif pris de ce que le refus litigieux de permis de construire est fondé sur les dispositions de l'art. NDr 15 du règlement du POS imposant un transfert des possibilités de construction résultant du coefficient d'occupation des sols dans le secteur NDr et qu’ainsi le refus en litige est fondé sur des dispositions du règlement du POS fixant illégalement un coefficient d'occupation des sols minimal, alors que l'obligation de transfert énoncée à l'art. NDr 15 du règlement du POS résulte directement des dispositions du même article imposant de porter le coefficient d'occupation du sol du terrain récepteur à une valeur supérieure à 0,22.

(19 octobre 2022, M. B. c/ Commune de La Clusaz, n° 455581)

 

203 - Clôture de l’instruction – Parties avisées postérieurement du possible relèvement d’office d’un moyen susceptible de fonder la décision de justice – Absence de réouverture de l’instruction y compris après réception des observations éventuelles sur ledit moyen sauf fait ou moyen susceptible d’influence sur le jugement de l’affaire – Transposition de cette solution en droit de l’urbanisme (cf. art. L. 600-5-1 c. urb.) – Rejet.

(10 octobre 2022, Société Horizon et Mme A., n° 455573)

V. n° 33

 

204 - Permis de construire – Permis délivré à la vue et en l’état des éléments fournis par le pétitionnaire – Limitation des pouvoirs de l’autorité de délivrance du permis sauf fraude ou contradiction – Annulation.

Rappel du cadre strict dans lequel se situe l’étendue du pouvoir détenu par l’autorité administrative compétente pour délivrer un permis de construire.

« Le permis de construire n'ayant d'autre objet que d'autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire, l'autorité administrative saisie d'une demande de permis de construire n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations du demandeur relatives à la consistance du projet à moins qu'elles ne soient contredites par les autres éléments du dossier joint à la demande tels que limitativement définis par les dispositions des articles R. 431-4 et suivants du code de l'urbanisme. La circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être respectés ou que les immeubles risqueraient d'être ultérieurement transformés ou affectés à un usage non conforme aux documents et aux règles générales d'urbanisme n'est pas, par elle-même, sauf en présence d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande, de nature à affecter la légalité de celui-ci.

En l’espèce, c’est donc au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel, « après avoir relevé que les demandes de permis de construire contestés faisaient mention de deux bâtiments dont l'un était qualifié d'annexe, à usage de garage et comportant des combles, a jugé que cette « annexe » devait être regardée comme un autre bâtiment à usage d'habitation. A cet effet, elle s'est fondée sur la superficie de ce bâtiment, proche de celle de la construction principale, et sur ses caractéristiques, consistant en une vaste pièce en L, surmontée de combles aménageables, ainsi que sur la circonstance qu'après sa construction, il avait subi des transformations et connu de fait un changement d'affectation, différentes de celles figurant dans les plans annexés aux demandes de permis de construire, ainsi que sur la division juridique en cours du terrain d'assiette pour séparer la construction principale de son « annexe » ». En effet, « il n'appartenait pas à l'autorité administrative, en dehors de l'hypothèse de la fraude, de vérifier l'intention du demandeur de respecter les plans et indications qu'il a fournis ».

(27 octobre 2022, Mme B., n° 450700)

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Septembre 2022

Septembre 2022 

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Actes susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif – Protection de l’environnement - Preuve du dépôt de déclaration d’installation classée – Décision faisant grief – Recours contentieux possible contre elle.

Interrogé par un tribunal administratif, le Conseil d’État répond ici à la question de savoir si la preuve de dépôt d'une déclaration d'une installation classée pour la protection de l'environnement, prévue, par le décret du 9 décembre 2015, à l'article R. 512-48 du code de l'environnement constitue, ou non, une décision susceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge administratif, au sens des articles L. 512-8 et L. 514-6 du même code.

La réponse du juge est positive.

Celui-ci considère qu’il résulte de ce nouveau régime, institué dans un souci de dématérialisation, que la délivrance par voie électronique de la preuve de dépôt de la déclaration relative à une installation, se substitue à la délivrance du récépissé de déclaration prévue par la réglementation antérieure. Ensuite, cette déclaration conditionne toujours la mise en service par le déclarant de l'installation classée projetée et, enfin, le préfet est tenu de délivrer la preuve de dépôt dès lors que le dossier de déclaration est régulier et complet et que l'installation pour laquelle est déposée la déclaration relève bien de ce régime. Il en déduit donc que la nouvelle procédure n’a pas pour effet de modifier la nature et la portée de la déclaration d'une installation classée soumise à ce régime, d’où il suit nécessairement que la preuve du dépôt d'une déclaration d'une installation classée pour la protection de l'environnement telle que prévue à l'article R. 512-48 précité est une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant les juridictions administratives par application des articles L. 512-8 et L. 514-6 du code de l'environnement.

(Avis, 15 septembre 2022, M. F. et autres, SARL L.B.E. et la SARL Johanito Laurent transports, n° 463612)

 

2 - Décret du 11 décembre 2019 portant réforme de la procédure civile – Non-lieu à statuer sur des dispositions définitivement abrogées – Atteinte au principe de sécurité juridique – Erreur manifeste d’appréciation (absence d’-) – Annulation partielle.

De cette très longue décision relative au décret du 11 décembre 2019 qui a profondément réformé certains aspects importants de la procédure civile, et dont il ne saurait être rendu compte ici dans son intégralité, seront retenus trois points de la réponse du juge.

En premier lieu, est rappelé le principe constant régissant les recours pour excès de pouvoir dirigés contre des décisions administratives abrogées. De tels recours ayant pour objet d’obtenir l’annulation rétroactive de ces actes, il s’ensuit que ne sont pas recevables les recours formés contre des décisions administratives qui satisfont à la double condition d’avoir fait l’objet d’une abrogation définitive et inconditionnelle et de n’avoir pas fait l’objet d’applications durant le laps de temps où elles étaient en vigueur. Cette seconde condition est essentielle car l’abrogation n’a pas d’effet rétroactif par elle-même et une application de la décision abrogée avant qu’elle ne le soit ouvrirait pour d’éventuelles personnes concernées un intérêt pour agir en annulation de l’acte appliqué.

Ainsi, plusieurs dispositions du décret attaqué (art. 54, 754 et 761 du code de procédure civile) satisfaisant à la double condition précitée le recours dirigé contre elles est rejeté car il n’y a plus lieu d’y statuer.

En deuxième lieu, et c’est l’aspect le plus important de cette décision – qui eût d’ailleurs mérité à ce titre une publication au Recueil Lebon – le juge est amené à apprécier si le court délai séparant l’entrée en vigueur de ce décret de sa mise en application était légal ou non. Considérant ce délai trop bref, du moins pour certaines de ses dispositions (art. 750-1, 901 et 933 du code précité, art. I et II (en tant qu’il ne mentionne pas les art. 760 à 768 du CPC) de l’art. 55 du décret attaqué), le juge y aperçoit une atteinte à la sécurité juridique en rappelant ainsi sa jurisprudence en la matière : « (…) l'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit, sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante. En principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Ces mesures transitoires peuvent résider dans le report de l'entrée en vigueur de cette réglementation nouvelle. »

Enfin, sont rejetées les diverses critiques dirigées contre des dispositions que les requérants estimaient entachées d’erreur manifeste d’appréciation (ainsi des art. 54 et 57, 82-1, 514, 750-1 du code précité) ou de défaut de clarté et d’intelligibilité voire de contradiction (cf. art. 514-1 et 514-3, 765 et 766, 678) ou d’atteintes à des règles ou principes fondamentaux de procédure contentieuse (cf. art. 446-1, 514-3, 514-4 et 514-6, 524, 750, 760 et 761, 754 et 763).

(22 septembre 2022, Conseil national des barreaux, Conférence des bâtonniers, Ordre des avocats au barreau de Paris, Association des avocats conseils d'entreprises, Confédération nationale des avocats et Fédération nationale des unions de jeunes avocats, n° 436939 ; Syndicat des avocats de France et Syndicat de la magistrature, n° 437002)

 

3 - Procédure administrative non contentieuse – Administration consultative – Composition des comités de bassin – Obligation d’un représentant de l’agriculture biologique – Rejet.

L’organisation requérante demandait l’annulation du décret n° 2020-1062 du 17 août 2020 relatif aux comités de bassin en tant qu'il crée l'article D. 213-19-3 du code de l'environnement et en ce que ce dernier prévoit que chaque comité de bassin comprend au moins un représentant de l'agriculture biologique nommé sur proposition de la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France. 

Le recours est rejeté en ses moyens de légalité externe comme de légalité interne.

Tout d’abord est rejeté le moyen de légalité externe tiré du défaut de consultation du Conseil d’État avant la prise du décret litigieux car contrairement à ce qui est soutenu l’art. L. 213-8-1 du code l’environnement dont les dispositions fixent la composition du conseil d’administration des comités de bassin, n’impose pas une telle consultation s’agissant de la mise en œuvre de l'alinéa 2 bis de l'article L. 213-8 sur le fondement duquel a été pris l’art. D. 213-19-3 attaqué.

Ensuite, les dispositions de ce dernier article ne sont ni illégales, ni entachées d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation en ce que, en vue d'assurer une meilleure représentation des représentants des usages économiques de l'eau au sein du comité de bassin, elles attribuent, dans le respect de l’art. L. 513-1 du code rural, à la Fédération nationale de l'agriculture biologique la possibilité de proposer un représentant, et en décidant que le représentant de l'agriculture biologique serait nommé sur proposition de la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France et non plus sur proposition de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, comme prévu par les dispositions antérieurement applicables.

Enfin, est rejeté le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui résulterait de la « surreprésentation » de l'agriculture biologique par rapport à l'agriculture conventionnelle au sein du comité de bassin car, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions de l’art. D. 213-19-3 n'imposent pas que le comité de bassin comprenne le même nombre de représentants de l'agriculture conventionnelle et de représentants de l'agriculture biologique. 

(22 septembre 2022, Assemblée permanente des chambres d’agriculture, n° 445459)

 

4 - Communication des documents administratifs – Demande de publication en ligne de l’annuaire des avocats inscrits au barreau de Paris avec diverses indications les concernant – Conditions et limites de cette communication – Annulation pour l’essentiel.

L’association requérante a demandé à l'ordre des avocats de Paris de publier en ligne, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, l'annuaire des avocats inscrits au barreau de Paris, des avocats étrangers exerçant ou non sous leur titre d'origine et de ceux exerçant à titre partiel au barreau de Paris et une liste des personnes morales, notamment des cabinets, bureaux, groupements d'avocats et autres structures d'exercice au sein desquelles la profession d'avocat est exercée à Paris, comprenant le type de structure, l'adresse, la ville, le code postal, le barreau, le SIRET, le numéro de toque, la date éventuelle d'inscription au barreau, les bureaux secondaires, les associés, les collaborateurs et les « of counsels ».

Sa demande ayant été implicitement rejetée, elle a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation de ce refus et se pourvoit contre le jugement de rejet de sa demande.

Le Conseil d’État lui donne pour l’essentiel raison au visa, d’abord, de diverses dispositions du code des relations du public avec l’administration (art. L. 300-2, L. 300-4, L. 311-9, L. 312-1-1 et D. 312-1-3, 3°), ensuite des art. 17, notamment son 1°, et 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques fixant les attributions du conseil de l’ordre des avocats et celles du Conseil national des barreaux, établissement d’utilité publique et, enfin, de l’art. 3 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIème siècle.

Il juge tout d’abord que le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l'article 3 de la loi du 18 novembre 2016 n'ouvrait pas à l'association requérante le droit d'obtenir la publication en ligne de l'annuaire de l'ordre des avocats de Paris dans un standard ouvert et aisément réutilisable car il n’est relatif qu’à l’interopérabilité des échanges entre les avocats et leurs clients et ne régit donc pas les conditions d'accès aux annuaires qu'il est loisible aux ordres d'établir afin de recenser l'ensemble des avocats inscrits au tableau d'un barreau. 

En revanche, il estime que ce tribunal a commis deux erreurs de droit : D’abord en ce qu’il a estimé que les dispositions de la loi du 31 décembre 1971 modifiée excluaient l'application de celles précitées du code des relations entre le public et l'administration ; ensuite en jugeant que la mission de service public d'organisation de la profession d'avocat dont les ordres d’avocat ont la charge n'inclut pas l'obligation d'élaborer et de publier en ligne les documents demandés, notamment l'annuaire des avocats inscrits qui a été mis en ligne volontairement par l'ordre, de sorte que ces derniers ne constituent pas des documents administratifs. En effet, le tribunal ne pouvait pas subordonner la qualification de document administratif à la condition que l'administration soit juridiquement tenue de produire et de publier le document, alors qu'il lui appartenait seulement de rechercher si les documents demandés présentaient un lien suffisamment direct avec une mission de service public dévolue à l'ordre des avocats de Paris.

Réglant le litige au fond, le Conseil d’État juge tout d’abord que l'annuaire des avocats inscrits au barreau de Paris comportant les informations demandées, ainsi que la liste des cabinets et autres structures au sein desquelles la profession d'avocat est exercée, dont il n'est pas sérieusement contesté en défense qu'ils existent ou peuvent être établis par extraction des bases de données dont le conseil de l'ordre dispose, sans faire peser sur lui une charge de travail déraisonnable, présente un lien suffisamment direct avec la mission de service public d'organisation de la profession d'avocat incluant l'inscription au tableau des avocats de son ressort et sa publication. Ils constituent, par suite, des documents administratifs. 

Le Conseil juge ensuite que, pour l’essentiel, la satisfaction de la demande de la requérante par le barreau de Paris ne représente pas pour celui-ci une charge disproportionnée et qu’elle ne revêt donc pas, par suite, un caractère abusif. En effet, la plupart d’entre elles ne mettent pas en cause la protection de sa vie privée (cf. art. L. 311-6 du CRPA). En outre, ces données relatives aux conditions d'organisation et d'exercice de la profession d'avocat étant nécessaires à l'information du public, le document qui les contient peut, dans cette mesure, être rendu public sans avoir fait l'objet d'un traitement permettant de rendre impossible la réidentification des personnes.

Toutefois, le juge estime que tel n'est pas le cas de l’indication du diplôme obtenu et de l'université de délivrance, de l'année d'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat et du centre régional de formation professionnelle des avocats auquel il a été inscrit, de la voie d'accès à la profession et des résultats obtenus à l'examen d'entrée au centre régional de formation professionnelle des avocats et à l'examen pour l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat. Ces éléments devront être occultés ou disjoints avant communication des listes demandées.

Enfin, il est rappelé que l'art. L. 213-1 du code du patrimoine n'ouvre pas à l'association requérante le droit d'exiger la publication d'un document administratif comportant d'autres informations que celles susmentionnées, le surplus des conclusions à fins d'annulation qu'elle présente doit par suite être rejeté.

Cette décision doit être saluée pour son caractère libéral et raisonnable quant à l’étendue de la charge qu’elle fait peser sur les barreaux et sur d’autres organisations corporatives se trouvant dans des situations voisines ou identiques.

(27 septembre 2022, Association Ouvre-boîte, n° 450737)

(5) V. aussi, assez largement comparable, la décision jugeant qu’en refusant de mettre en ligne, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, le document administratif communicable à toute personne que constitue le fichier correspondant à l'annuaire national des avocats qu'il établit conformément à l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971, comportant certaines informations (cf. le point 18 de la décision), le Conseil national des barreaux a méconnu les dispositions du code des relations entre le public et l'administration citées dans la décision ci-dessus. Comme dans cette dernière décision, les conclusions de l'association tendant à la mise en ligne d'un annuaire comportant d'autres informations sont rejetées : 27 septembre 2022, Association Ouvre-boîte, n° 450739.

 

6 - Communication de documents administratifs – Documents détenus par l’Office national des forêts (ONF) – Volumes de bois récoltés et surfaces exploitées dans une forêt – Éléments non publiés du document d’aménagement d’une forêt – Annulation très partielle.

L’association demanderesse sollicitait l’annulation des rejets implicites par l’ONF, d’une part, de sa demande tendant à la communication des pages et des annexes non publiées du document d'aménagement de la forêt de Mormal (Nord) ainsi que des volumes de bois récoltés et des surfaces exploitées annuellement depuis 2014 dans cette forêt et, d’autre part, de sa demande tendant à la communication d'informations relatives à l'abattage des arbres de la parcelle 901 de la forêt de Mormal.

Sur le premier point (demande de communication des volumes de bois récoltés et des surfaces exploitées de la forêt de Mormal depuis 2014), le Conseil d’État rejette le pourvoi de l’association car, en jugeant que les pièces du dossier ne faisaient pas ressortir que l'ONF serait en possession des données relatives aux volumes de bois récoltés annuellement et aux surfaces exploitées annuellement, le tribunal a exercé son pouvoir souverain d’appréciation sur ces pièces sans dénaturation ni inexactitude matérielle.

Sur le second point (demande de communication des pages et des annexes non publiées du document d'aménagement de la forêt de Mormal), le juge procède en deux temps.

En premier lieu, se fondant tant sur des dispositions du code forestier (L. 112-3, L. 122-6, L. 212-2), de celles du CRPA (L. 311-9) que de celles du code de l’environnement (L. 124-2 et L. 124-3), le juge décide en une rédaction de principe « que si le code forestier prévoit que les documents d'aménagement des forêts sont, pour leur partie technique, communicables à toute personne qui en fait la demande, les obligations de communication pesant sur les personnes publiques pour les bois et forêts relevant du régime forestier ne s'arrêtent pas là. Les dispositions (précitées) prévoient en effet que toute autorité publique relevant des dispositions du code forestier, en particulier tout établissement public, est tenue de communiquer les informations environnementales qu'elle détient, reçoit ou établit à toute personne qui lui en adresse la demande. Toutefois, après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, elle peut rejeter une demande d'information environnementale lorsque la consultation ou la communication de cette information porte atteinte au secret des affaires. »

Or, est-il relevé, l’ONF étant un établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l'État, il est soumis au 1° de l'article L. 124-3 du code de l'environnement et donc aux obligations résultant de l'article L. 124-1 de ce code en matière de communication des informations relatives à l'environnement, telles que définies par l'article L. 124-2 du même code, qu'il détient, reçoit ou établit.

De ce chef le jugement querellé est annulé pour n’avoir pas mis le juge de cassation en état d’exercer son contrôle en raison de l’insuffisance de sa motivation sommairement tirée de ce que « au regard des dispositions combinées de l'article L. 124-4 du code de l'environnement et de l'article D. 212-6 du code forestier », la divulgation de ces éléments à des tiers devait être regardée comme de nature à porter atteinte au secret des affaires.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État que doivent être communiquées les pages 129 à 133 du document d'aménagement de la forêt de Mormal, qui constituent sa partie économique et ne sont pas publiées et qui comportent une prévision détaillée des volumes annuels de bois à récolter, notamment par essence et par diamètre (page 129), une estimation détaillée de la recette annuelle susceptible d'être tirée de la vente de ces volumes de bois, sur la base de prix unitaires estimatifs (page 130), un tableau récapitulatif des recettes et des dépenses attendues annuellement au titre de la gestion de la forêt de Mormal, assorti de commentaires explicatifs, constituant le bilan financier prévisionnel des programmes d'action envisagés au sens de l'article D. 212-1 du code forestier (pages 131 et 132), ainsi qu'un tableau de bord des indicateurs nationaux de suivi pour la mise en œuvre de l'aménagement forestier (page 133). 

Également, doivent être communiquées les informations concernant la prévision détaillée des volumes de bois à récolter (page 129) et celles concernant les indicateurs nationaux de suivi (page 133) car elles ne se rapportent pas à la stratégie commerciale de l'ONF et leur communication n'est pas de nature à porter atteinte au secret des affaires (Cf. art. L. 311-6 CRPA).

Enfin, doit être communiquée l'annexe n° 6 du document d'aménagement de la forêt de Mormal, qui n'est pas publiée et qui est la liste d'émargement des participants à une réunion d'information et de concertation destinée aux élus locaux le 1er juillet 2013, comportant leur nom, leur prénom, leur qualité et leur signature. En effet, les participants à cette réunion étant des représentants des collectivités territoriales, des services de l'État et de l'ONF, ces informations ne peuvent être regardées comme de nature à porter atteinte au secret des affaires et ne relèvent d'aucune des exceptions mentionnées à l'article L. 124-4 du code de l'environnement.

En revanche, le juge estime que ne peuvent pas être communiquées les informations concernant la recette pouvant être tirée de la vente des volumes de bois susceptibles d'être mis sur le marché et les prix attendus (page 130) et celles concernant les recettes et les dépenses attendues au titre de la gestion de la forêt de Mormal (pages 131 et 132) car elles sont de nature à influer tant sur les conditions de la concurrence entre les opérateurs de vente de bois dont fait partie l'ONF que sur les conditions dans lesquelles l'office négocie la vente de bois avec des acheteurs. Elles se rapportent ainsi à la stratégie commerciale de l'ONF. Par suite, leur communication doit être regardée comme de nature à porter atteinte au secret des affaires au sens de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Au surplus, il est relevé que ces indications ne présentent pas, au regard de la protection de l’environnement, un intérêt justifiant qu'elles soient communiquées en dépit du secret des affaires, sur le fondement du premier alinéa du I de l'article L. 124-4 du code de l'environnement. 

Cette décision est très intéressante et d’une réelle importance en ce qu’elle illustre l’étendue, la précision (on devrait même écrire le caractère méticuleux) de l’analyse que doit effectuer le juge dans les litiges en refus de communication de documents administratifs pour tenir la balance entre le droit à la transparence de l’action administrative légitimement exercé par les requérants sérieux et les abus qui en peuvent résulter notamment s’agissant du secret des affaires ou d’un usage intempestif des demandes de communication.

(27 septembre 2022, Association Mormal Forêt Agir, n° 451627)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Communication des « grands livres budgétaires » d’un département – Documents relatifs aux travaux réalisés par un agent du département – Annulation du jugement et admission partielle de la demande.

Une personne a demandé au département de l’Essonne la communication des « grands livres budgétaires » de ce département au titre des années 2015 à 2017 ainsi que la communication de documents administratifs concernant les missions exercées par Mme C. D. dans le cadre de son emploi de chargée de mission auprès du vice-président du département. Le tribunal administratif, saisi des rejets implicites de ces demandes, les a annulés et a enjoint le département défendeur de les communiquer.

Le département s’est pourvu.

Le Conseil d’État annule le jugement au double motif, d’une part, qu’il est entaché d’insuffisance de motivation car il n’indique pas en quoi la charge que représentait la vérification, opération par opération, de près de 380 000 mandats de paiement et 75 000 titres de perception recensés dans les documents sollicités aux fins d'occulter les mentions pouvant notamment porter atteinte au droit à la vie privée des tiers ou au secret des affaires ne constituerait pas une charge disproportionnée au regard des moyens du département et, d’autre part, car il a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le courriel adressé par le demandeur aux services du département listait précisément les pièces demandées alors que tel n’était pas le cas la demande étant imprécise et indéterminée.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation rappelle d’abord la solution constante selon laquelle si les conclusions aux fins d'annulation directement dirigées contre une décision initiale de refus opposée par l'administration à une demande de communication d'un document administratif sont irrecevables, le contentieux peut être lié par l'intervention d'une décision explicite de refus postérieure à la saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs, alors même qu'elle serait prise avant l'expiration du délai d'un mois dont dispose celle-ci pour rendre son avis.

Sur le fond, il est jugé en premier lieu qu’en l’espèce, dès lors qu’à chacune de ces 375 000 opérations comptables peuvent être associés des tiers, tels que, par exemple, les bénéficiaires de dépenses relatives à l'action sociale, d'insertion ou en matière de santé menée par le département, il ne saurait incomber à l'administration d'opérer, sur des documents d'un tel volume, une vérification ligne à ligne des informations potentiellement protégées au titre de l'article L. 311-6 du CRPA, cette recherche représentant effectivement, comme le soutient le département de l'Essonne, une charge disproportionnée au regard des moyens à disposition. Toutefois, le juge relève que, dans les circonstances de l'espèce, les documents sollicités pouvaient néanmoins être communiqués après suppression, au sein de chaque fichier, de l'ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables, telles que par exemple celles intitulées " nom bénéficiaire " ou " objet liquidation ", tout en conservant un intérêt pour le requérant. 

Il est jugé en second lieu que, réclamant l'ensemble des productions réalisées par Mme D. dans le cadre de son emploi de chargée de mission auprès du vice-président du département, quel qu'en soit le support ou l'objet, la requête revêtait, sur ce point, un caractère abusif, d’où il suit que le requérant n’est pas fondé à demander l’annulation du refus implicite opposé à cette demande.

(27 septembre 2022, Département de l’Essonne, n° 452614 et n°454377)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

8 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Obligation faite aux éditeurs de services de communication audiovisuelle de décompter le temps d’intervention de plusieurs personnalités – Délibération pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Légalité – Notion de « personnalité politique » - Rejet.

Les éditrices de services de communication audiovisuelle requérantes contestaient les décisions des 3 et 10 mars 2021 par lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) leur a demandé de décompter intégralement les temps d'intervention dans les médias audiovisuels de Mme A. B. et de MM. Nicolas Hulot, Laurent Joffrin, Arnaud Montebourg et Manuel Valls.

Au CSA, qui avait opposé une fin de non-recevoir à cette requête, il est répondu – sans surprise – que la délibération du 3 mars 2021constitue une décision administrative faisant grief et donc susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Ensuite sont rejetés les quatre moyens développés par les demanderesses.

La délibération du 3 mars 2021 ne porte pas atteinte à la liberté d'expression des personnes en cause et à la liberté éditoriale des services de télévision et de radio en ce qu'elle prévoit, s'agissant de certaines personnalités politiques, une obligation de décompter et de transmettre au CSA, pour l'appréciation du respect du pluralisme politique, les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes des services de radio et de télévision, obligation qui résulte des dispositions du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986. 

Ensuite, cette délibération ne méconnaît pas la loi, contrairement à ce qui était soutenu, car elle ne s’appuie pas sur la délibération du CSA du 22 novembre 2017 qui énonce les critères au regard desquels, sans préjudice des règles qu'il fixe pour les campagnes électorales et pour le traitement de l'actualité qui leur est liée en vertu de l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986, mais sur les dispositions du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986. 

Également, la délibération litigieuse fixant la liste nominative des personnalités politiques dont le CSA demande aux éditeurs de services de communication audiovisuelle de décompter et de transmettre les données relatives aux temps d'intervention, ne comporte aucune incertitude ou imprécision quant à son champ d'application. Le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait le principe de sécurité juridique doit être écarté. 

Enfin, en décidant que les cinq personnes qu’il a désignées sont des personnalités politiques car elles appartenaient ou avaient récemment appartenu à des partis, groupements ou mouvements politiques et avaient récemment exercé des fonctions politiques ou aspiraient à exercer de telles fonctions et, d'autre part, qu'elles participaient activement, à la date de la décision attaquée, au débat politique national, le CSA n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation.

(28 septembre 2022, Société Groupe Canal Plus, société d'édition Canal Plus, société C8 et société d'exploitation d'un service d'information, n° 452212)

 

Biens et Culture

 

9 - Abattages de tilleuls situés aux abords d’un monument historique ainsi que de tilleuls centenaires – Absence de déclaration préalable – Préjudice - Demande d’indemnisation – Refus par la commune et rejet par le juge – Annulation avec renvoi.

Les requérants ont demandé réparation à la commune de Torigny-les-Villes du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de l’abattage sans déclaration préalable, d’une part de cent-un tilleuls situés dans un secteur sauvegardé et d’autre part, de tilleuls centenaires implantés en un autre endroit de la commune.

Ils ont saisi, en vain, les juridictions administratives de premier ressort et d’appel et se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État leur donne raison en estimant qu’il se déduit de la combinaison des dispositions des art. L. 621-30 et suivants du code du patrimoine, de l’art. 112 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine et de l’art. R. 421-24 du code de l'urbanisme dans sa version alors applicable, qu'entre la date de la publication de la loi du 7 juillet 2016 précitée, intervenue le 8 juillet 2016, et le 1er avril 2017, date d'entrée en vigueur du décret du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables, pris notamment pour l'application du IV de l'article L. 632-2 du code du patrimoine dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2016, les travaux mentionnés dans ce code, relevaient des dispositions réglementaires du code de l'urbanisme relatives aux travaux dans un secteur sauvegardé, notamment celles de l'article R. 421-24 de ce code, d'après lesquelles les travaux ayant pour objet de modifier l'aménagement des abords d'un bâtiment existant doivent être précédés d'une déclaration préalable, à l'exception des travaux d'entretien ou de réparations ordinaires.

Or en l’espèce, il est constant que les arbres situés le long du mur Grimaldi et de la rue de l'Orangerie, dans le périmètre du château des Matignon, sur le territoire de la commune de Torigny-les-Villes, font l'objet d'une protection au titre des abords d'un monument historique, sur le fondement de l'article L. 621-30 du code du patrimoine et que les travaux d'abattage de ces arbres effectués en décembre 2016 relevaient notamment des dispositions de l'article R. 421-24 du code de l’urbanisme selon lesquelles les travaux ayant pour objet de modifier l'aménagement des abords d'un bâtiment existant doivent être précédés d'une déclaration préalable, à l'exception des travaux d'entretien ou de réparations ordinaires. C’est donc par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que ces travaux d'abattage n'avaient pas à faire l'objet d'une déclaration préalable de travaux.

En outre, c’est en vain que la commune défenderesse invoque en défense les dispositions de l'article R. 421-23-2 du code de l'urbanisme qui instituent des dérogations à l'obligation de déclaration préalable pour les coupes et abattages d'arbres car ces dispositions ne sont pas applicables aux travaux réalisés dans un secteur sauvegardé. Elles n’ont donc pas été rendues applicables, en vertu des dispositions de l'article 112 de la loi du 7 juillet 2016 précitée, aux travaux mentionnés aux articles L. 621-32, L. 632-1 et L. 632-2 du code du patrimoine.

(22 septembre 2022, Association de défense du patrimoine arboré (ADPA) de Torigny-les-Villes et des communes de la Manche et M. B., n° 443215)

 

10 - Éoliennes – Atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants – Co-visibilité du projet avec des bâtiments remarquables – Absence de prise en considération – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour annuler un refus préfectoral de délivrer une autorisation d’exploiter un parc d’éoliennes, juge que le critère de co-visibilité avec des monuments historiques ne pouvait être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme en raison de l'implantation du projet en dehors du périmètre de protection résultant des articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine, alors que, au contraire, pour apprécier aussi bien la qualité du site que l'impact de la construction projetée sur ce site, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la co-visibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d'autres législations. 

(22 septembre 2022, ministre de la transition écologique, n° 455658)

 

Droit du contentieux administratif

 

11 - Actes susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif – Protection de l’environnement - Preuve du dépôt de déclaration d’installation classée – Décision faisant grief – Recours contentieux possible contre elle.

(Avis, 15 septembre 2022, M. F. et autres, SARL L.B.E. et la SARL Johanito Laurent transports, n° 463612)

V. n° 1

 

12 - Exécution des décisions de justice – Accès à la prestation de compensation du handicap – Décision du Conseil d’État notifiée le 2 mars 2016 – Décision exécutée le 26 avril 2022 – Astreintes provisoires – Liquidation de l’astreinte définitive – Partage entre les requérants.

Les requérants, une personne physique et une personne morale, avaient contesté la décision implicite par laquelle le premier ministre avait refusé de prendre le décret d'application prévu au deuxième alinéa de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles. Après avoir annulé ce refus par décision du 24 février 2016, le Conseil d’État a, le même jour, enjoint au premier ministre de prendre ce décret sous astreinte de cent euros par jour à l'encontre de l'État s'il ne justifiait pas, dans les neuf mois suivant la notification de sa décision, avoir exécuté cette décision.

Saisi à trois reprises, le Conseil d’État a, chaque fois, prononcé une astreinte en portant la somme à 250 euros par jour. Constatant que c’est finalement par un décret n° 2022-639 du 25 avril 2022, entré en vigueur le 26 avril 2022, relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap, qu’a été exécutée sa décision primitive et, à l’invitation des requérants, le juge condamne dans la présente décision l’État à verser la somme de 86650,00 euros pour partie aux deux requérants et pour le solde à une fondation abritée par la Fondation de France alors que cette fondation n’était pas partie au litige.

Le juge rappelle à cette occasion qu’il peut, même d’office, attribuer une fraction du produit de la liquidation de l’astreinte, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou des personnes morales concernées, à une personne morale de droit public disposant d'une autonomie suffisante à l'égard de l'État et dont les missions sont en rapport avec l'objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d'intérêt général également en lien avec cet objet.

(21 septembre 2022, M. A. et Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, n° 383070)

 

13 - Décision reposant sur une pluralité de motifs – Caractère erroné de l’un d’eux – Pouvoirs du juge de cassation – Rejet.

A l’occasion d’un litige relatif à un permis de construire dont le refus est annulé par la juridiction d’appel, le juge de cassation rappelle à nouveau comment doit être traité l’arrêt reposant sur une pluralité de motifs dont l’un est erroné.

En principe, en ce cas, le juge de cassation doit, hormis le cas où ce motif erroné présenterait un caractère surabondant, accueillir le pourvoi, étant rappelé qu’à cette occasion il ne lui appartient pas de rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs.

Cependant, par exception, le pourvoi est rejeté lorsque l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire à justifier son dispositif d'annulation de la décision administrative. En ce cas, il est procédé au rejet du pourvoi après que, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés ai(en)t été annulé(s). Ce qui était précisément le cas de l’espèce.

(21 septembre 2022, Commune du Monêtier-les-Bains, n° 455174)

 

14 - Organe d’une personne morale de droit privé qualifié pour ester en justice au nom de cette dernière – Qualité contestée - Obligation pour le juge administratif de vérifier cette qualité – Possibilité de régulariser jusqu’à la clôture de l’instruction – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante avait contesté, en vain, l’exercice par une commune du droit de préemption urbain sur des parcelles dont elle était propriétaire.

Son recours a été rejeté au motif que le président de cette société qui avait signé la requête d’appel n’avait pas qualité pour la représenter en justice, le tribunal de commerce ayant annulé la délibération du 25 juillet 2018 par laquelle l'ancien président, M. A., avait été démis de ses fonctions de président de la société Immo Invest au bénéfice de M. B., et alors que M. A. a certifié n’avoir jamais donné instruction à l’avocat d’interjeter appel.

Cependant le nouveau président a produit devant la cour, avant la clôture de l’instruction, un procès-verbal d’assemblée générale du 21 juillet 2020 d’où il résultait qu’il avait été à nouveau désigné comme président de la société demanderesse et qu’à ce titre il entendait réitérer ses conclusions d’appel au nom de la société.

C’est donc au prix d’une erreur de droit que la cour a accueilli la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de M. B. pour représenter la société en justice.

(21 septembre 2022, Société Immo Invest, n° 455418)

 

15 - Amende pour requête abusive – Objet de la requête distinct de celui d’une précédente requête – Qualification inexacte des faits – Annulation sans renvoi.

Qualifie inexactement les faits à elle soumis, la cour administrative d’appel qui inflige une amende pour requête abusive à une requérante alors que cette requête a un objet distinct de celui de la requête précédente ainsi que des moyens propres.

(23 septembre 2022, Société Sopropêche, n° 458663)

 

16 - « Loi du pays » - Polynésie française – Qualité de membre du conseil économique, social, environnemental et culturel de ce territoire – « Loi » applicable exclusivement aux fonctionnaires et agents publics – Absence de qualité pour agir – Rejet.

Un membre du conseil économique, social, environnemental et culturel de Polynésie française n’a pas qualité lui donnant intérêt pour agir contre une « loi du pays » relative aux fonctionnaires et agents publics. La requête est ainsi irrecevable.

(23 septembre 2022, M. C., n° 464694)

 

17 - Demande de rectification des données à caractère personnel contenues dans une synthèse relative à une personne bénéficiaire de la prestation de compensation du handicap – Refus – Rejet de la demande par le tribunal administratif – Recours contre ce jugement ayant le caractère d’un appel devant être porté devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette juridiction.

Un tribunal administratif a rejeté le recours formé contre la décision implicite par laquelle le directeur de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) des Pyrénées-Atlantiques a rejeté sa demande de communication de documents administratifs et contre la décision de refus de modification des informations contenues dans la synthèse pluridisciplinaire de visite à domicile de 2017 et dans les autres documents concernant la requérante, dont le GEVA 2017 et les synthèses des années précédentes.

L’intéressée a saisi le Conseil d’État d’un recours contre ce jugement mais celui-ci est mal dirigé car en matière de demande de rectification de données à caractère personnel prétendues inexactes ou incomplètes un tel recours constitue un appel qui doit être porté devant la cour administrative d’appel, puisque le tribunal administratif ne statue pas ici en premier et dernier ressort.

(27 septembre 2022, Mme B., n° 456593)

 

18 - Plan local d’urbanisme – Dispositions du plan annulées par le juge - Jugement rendant inconstructibles certaines parcelles – Propriétaire de ces parcelles sans qualité en tant que tel pour former tierce opposition à ce jugement – Rejet.

Voilà une solution logique en dépit des apparences et de sa sévérité.

Le Conseil d’État juge que le propriétaire de parcelles que l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions d'un plan local de l'urbanisme aurait pour effet de rendre inconstructibles ne justifie pas, en cette seule qualité, d'un droit auquel cette décision juridictionnelle aurait préjudicié, qui le rendrait recevable à former tierce opposition à cette décision.

Il précise que la solution est la même dans le cas où il serait titulaire d'un certificat d'urbanisme délivré en vertu des dispositions de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, lequel, s'il lui confère le droit de voir sa demande de permis de construire, déposée durant les dix-huit mois qui suivent, examinée au regard des dispositions d'urbanisme applicables à la date de ce certificat, à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique, ne lui donne pas un droit à construire suffisamment caractérisé pour le rendre recevable à former tierce opposition à une telle décision d'annulation. 

(27 septembre 2022, Mme J., n° 451013)

 

19 - Opposabilité des délais et voies de recours – Obligation d’en informer les justiciables – Mention incomplète – Absence de déclenchement des délais de recours – Annulation.

L’art. 421-5 du CJA dispose que : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision », il en résulte que n’a pu faire courir, en l’espèce, le délai de recours contentieux le courrier informant les requérants que le directeur départemental des territoires et de la mer disposait d'un délai de six mois pour statuer sur l'existence, l'exigibilité ou le montant de la créance et portant l'indication « En l'absence de décision ou si la décision ne vous donne pas satisfaction, vous disposez d'un nouveau délai de deux mois, pour assigner éventuellement, les services de l'ordonnateur devant la juridiction compétente. »

En effet, l’art. R. 421-5 précité impose d’indiquer dans la notification qu’il prévoit, le cas échéant, l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l'autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, d’indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, de préciser laquelle. En particulier, s'agissant de la contestation d'une décision devant le juge de l'impôt, la notification doit préciser, au regard de l'impôt concerné, s'il s'agit du juge judiciaire ou du juge administratif.

La mention en cause ne permettant pas de déterminer la juridiction compétente que les intéressés devaient saisir, la survenue d’une décision implicite de rejet du directeur départemental des territoires et de la mer ne pouvait donc pas, contrairement à ce qu’a jugé le magistrat de la cour administrative d’appel, déclencher le délai de recours contentieux et la requête de M. et Mme C. ne pouvait pas être jugée comme étant manifestement tardive.

(28 septembre 2022, M. et Mme C., n° 448656)

 

20 - Demande de confirmation expresse du maintien de conclusions – Non réponse – Ordonnance prenant acte du désistement automatique (art. R. 612-5-1 CJA) – Conditions d’application d’un tel désistement – Usage abusif de cette disposition – Annulation.

L’art. R. 612-5-1 du CJA décide que « Lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l'expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s'être désisté de l'ensemble de ses conclusions ».

Le Conseil d’État, nonobstant la lettre de ce texte, lui donne une extension considérable.

En effet, il en déduit l’obligation pour le juge d’appel saisi d’un recours contre une ordonnance donnant acte d’un tel désistement de vérifier que l'intéressé a reçu la demande mentionnée par les dispositions de cet article, que cette demande lui fixait un délai d'au moins un mois pour répondre, qu’elle l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, que le requérant s'est réellement abstenu de répondre en temps utile et, enfin,  d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application de ces dispositions.

Ce dernier élément, purement prétorien, interroge. Il ne s’agit pas pour le juge saisi de se limiter à un contrôle mécanique des conditions à remplir, il doit encore en faire une application « juste ». Ce point est important car, normalement, le juge de cassation ne saurait remettre en cause cette appréciation sauf dans le cas où il estime, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par ces dispositions. C’est aller loin dans l’interprétation de l’office du juge tel qu’il résulte de ce modeste art. R. 612-5-1.

En l’espèce, il est reproché au juge d’appel d’avoir, précisément, fait un usage abusif de cette faculté car le requérant demandait à la cour la décharge d'un montant d'imposition de près d'un million d'euros, il avait en outre produit deux mémoires, dont le deuxième n'avait pas suscité d'observations complémentaires de la part de l'administration, selon son deuxième mémoire en défense, lequel n'appelait donc pas lui-même de réponse particulière de la part du requérant. Dès lors, estime le juge de cassation, rien ne permettait de s'interroger sur l'intérêt que sa demande conservait pour ce dernier. Ainsi, en prenant acte du désistement de M. B., il n'a pas été fait une juste application des dispositions précitées, d’où l’annulation de l’ordonnance attaquée.

(28 septembre 2022, M. B., n° 451202)

 

21 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Valeur locative fixée par la méthode prévue à l’art. 1499 du CGI – Rapporteur ne pouvant être dispensé de prononcer ses conclusions – Annulation.

Est irrégulier et encourt la cassation le jugement rendu en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties après recours à l’évaluation de la valeur locative des locaux concernés selon la méthode prévue à l’art. 1499 du CGI alors que le rapporteur public avait été dispensé de prononcer ses conclusions à l’audience.

Ubu n’est pas mort : l’obligation ou la dispense de conclusions du rapporteur public dépendent de la modalité d’évaluation de la valeur locative de biens assujettis à un impôt. Où est l’intérêt du contribuable dans cette solution farcesque qui le fait se retrouver, plus de quatre ans après l’avoir saisi de sa requête initiale, devant le même tribunal pour recommencer la procédure ?

(28 septembre 2022, Société Convivio, n° 457714)

 

22 - Référé suspension – Arrêté préfectoral refusant à une société d’exploitation agricole l’autorisation de prélever de l’eau pour ses cultures – Obligation de modifier les espèces cultivées – Inexistence de la condition d’urgence - Annulation et rejet.

Un juge des référés, après avoir ordonné une expertise à cet effet, a suspendu un arrêté préfectoral faisant opposition à la déclaration d’une entreprise agricole concernant des prélèvements d'eau.

Pour annuler cette ordonnance, le juge de cassation statuant en référé relève que si l’entreprise se voit contrainte de recourir à des cultures moins consommatrices en eau ceci ne constitue pas une atteinte grave et immédiate à ses intérêts au regard de l’intérêt public tenant à la gestion durable de l'eau et aux besoins de la population en eau potable.  Cet intérêt justifie l’arrêté suspendu et ainsi la condition d’urgence n’est pas remplie. Gageons que le cultivateur trouvera amère la nouvelle herbe.

(30 septembre 2022, ministre de la transition écologique, n° 455719)

 

23 - Juge des référés – Incompétence pour connaître d’un recours direct au Conseil d’État – Application de l’art. R. 522-8-1 du CJA – Rejet sans désignation de la juridiction administrative compétente.

Pour rejeter la demande en référé liberté dont il a été directement saisi par une ressortissante congolaise et tendant à la suspension de la décision du consulat de France à Brazzaville d'effectuer une vérification d'état civil concernant ses deux enfants, le juge des référés fait ici application des disposition dérogatoires de l’art. R. 522-8-1 du CJA lui impartissant, lorsqu’il entend décliner sa compétence, de rejeter par voie d'ordonnance les conclusions dont il est saisi.

Le juge des référés n’a donc pas, en cette hypothèse, à appliquer les règles régissant le règlement des questions de compétence au sein de la juridiction administrative.

(ord. réf. 26 septembre 2022, Mme A., n° 467706)

 

24 - Demande d’octroi de l’aide juridictionnelle – Instance se déroulant devant les juridictions de l’ordre judiciaire – Incompétence manifeste du juge administratif – Rejet.

Qui pouvait en douter ? La demande d’aide juridictionnelle en vue d’instances se déroulant devant le juge judiciaire n'est manifestement pas au nombre de celles dont il appartient au Conseil d'État de connaître.

(26 septembre 2022, M. B., n° 467760)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

25 - Impôt sur les sociétés – Détermination du bénéfice net imposable - Charges déductibles – Intérêts d’emprunt obligataire – Condition de déductibilité - Taux d’intérêt correspondant au taux moyen des emprunts émis dans des conditions comparables – Termes de comparaison – Dénaturation des pièces du dossier – Preuve non rapportée du caractère normal du taux fixé en l’espèce – Rejet.

Les intérêts des emprunts contractés par une entreprise sont déductibles du bénéfice imposable pour autant que leurs conditions, notamment de taux, sont voisines de celles d’emprunts émis par des entreprises en situation comparable.

En l’espèce, la requérante avait souscrit auprès d’une entreprise en détenant la majorité du capital social un emprunt obligataire, avec obligations convertibles en actions, au taux de 12%, taux rejeté par l’administration fiscale comme ne correspondant pas à la moyenne généralement observée chez les autres sociétés.

La société se pourvoit en cassation contre l’arrêt confirmatif qui rejette sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie ainsi que des majorations y afférentes.

La question du caractère plausible d’un taux d’emprunt en vue de la déductibilité des intérêts est classique et très fréquente. En bref, le juge exige que soit effectuée une comparaison entre les emprunts émis par des sociétés ou entreprises comparables à la fois dans leur profil propre et quant aux modalités techniques des emprunts. Un rôle essentiel est dévolu, naturellement, au facteur du risque couru par le souscripteur de l’emprunt.

La cour a rejeté les termes de comparaison proposés par la requérante au motif qu’au regard de la cotation de l’agence Standard et Poors elle avait une note de BB+ alors que les entreprises comparées n’avaient qu’une note BB-. Ainsi, selon la cour, l’étude (de la société PwC) invoquée par la requérante n’était pas pertinente dès lors que cette dernière présentait un risque de défaut moindre que ses concurrentes et que, par ailleurs, l’étude du cabinet Prad, fondée sur l’échelle de mesure de l’agence de notation Moody’s, lui avait attribué la note B2, ce qui correspond à la note BB+ chez l’agence Standard et Poors. Or le Conseil d’État relève, conformément à l’argumentation de la requérante, que la comparaison des grilles respectives des deux agences de notation devait conduire la cour à constater que la note B2 sur l'échelle de l'agence Moody's correspondait en réalité à une note inférieure de plusieurs degrés à la note BB+ sur l'échelle de l'agence Standard et Poor's, la cour a ainsi dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

Cependant, statuant au fond, le juge de cassation rejette le pourvoi au quadruple motif :

- que l'étude effectuée par la société PwC ne saurait être prise en compte pour apprécier le profil de risque de la société HCL Maître Pierre car elle n’est pas fondée, comme elle le devait pourtant, sur des données propres à cette société, mais sur des données consolidées relatives au groupe qu'elle constituait avec sa mère, la société HGFI Saint-Martin.

- que cette étude ne tient pas compte d’une des particularités de l’emprunt à savoir la valeur de l'option de conversion associée aux obligations émises.

- que l'étude du cabinet Prad évalue la note de risque sur la base des seules données comptables de la société requérante, elle ne procède pas elle-même à une comparaison avec les conditions de financement obtenues par d'autres sociétés mais se contente de renvoyer au panel retenu par la première étude, dont elle ne remédie cependant pas aux insuffisances liées à la non-prise en compte de la valeur de l'option de conversion.

- qu’enfin une autre étude produite ne repose pas sur une analyse des caractéristiques propres de la société requérante mais sur des considérations générales relatives aux problématiques de financement dans le cadre de la restructuration de groupes de sociétés analogues.

(20 septembre 2022, Société HCL Maître Pierre, n° 455651)

(26) V. aussi, à propos de ce même litige, le rejet du recours formé par les deux entités ayant participé à la restructuration du groupe société HCL Maître Pierre, rejet fondé sur ce que ni le pacte conclu entre ces deux entités dont aucune n’est majoritaire au sein du groupe société HCL Maître Pierre, ni aucune autre pièce du dossier - et notamment aucun accord qui conduirait à organiser une action de concert entre les investisseurs financiers, aux fins d'influencer la politique de la société ou d'y exercer un pouvoir de décision - ne permet d'établir que les investisseurs financiers, qui détiennent ensemble la majorité du capital social de la société émettrice, y exerceraient ensemble le pouvoir de décision au sens du 12 de l'article 39 du CGI. Il suit de là que l'article 212 du CGI n’est pas applicable à l'espèce en tant qu'il prévoit des dispositions plus favorables que celles du 3° du 1 de l'article 39 : 20 septembre 2022, Société HGFI Saint-Martin, n° 455655.

 

27 - Frais de déplacements d’un gérant majoritaire de Sarl – Régime fiscal des remboursements de ces frais – Conditions de soumission à l’impôt – Rejet.

Une cour administrative d’appel juge qu’en l’espèce les remboursements des frais de déplacements d’un gérant majoritaire de Sarl avaient bien été comptabilisés comme tels dans la comptabilité d’une société et qu'ils n'avaient pas pour effet de porter la rémunération du contribuable à un niveau excessif. Elle a, en conséquence, rejetant l’appel du ministre, jugé que les sommes en cause étaient imposables entre ses mains sur le fondement des dispositions de l'article 62 du CGI qui décide que les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires, lorsqu'ils sont alloués aux gérants majoritaires des Sarl n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes.

Le ministre, qui avait soutenu devant la cour, que l'imposition des remboursements de frais non justifiés en litige soit maintenue dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et sollicité une substitution, comme fondement légal de ces impositions, des dispositions du c de l'article 111 du CGI à celles, initialement mises en œuvre, du 2° du 1 de l'article 109 du même code, se pourvoit en cassation.

Il est débouté.

En effet, dès lors que les remboursements de frais de déplacements ne constituent pas des avantages en nature au sens des dispositions de l'article 54 bis du CGI, le ministre demandeur n'était pas fondé à soutenir que la cour administrative d'appel aurait méconnu à cet égard ces dispositions en écartant la demande de substitution de base légale qu'il formait à titre principal alors que les obligations de comptabilisation qu'elles prévoient en cas d'octroi d'avantages en nature n'avaient pas été respectées. Était également sans incidence à cet égard la circonstance, invoquée par le ministre au soutien de son pourvoi, que la société employeur aurait, dans le relevé de frais généraux mentionné à l'article 54 quater du CGI, indiqué les sommes en litige sous une dénomination ne correspondant pas à leur nature réelle, cette circonstance étant seulement de nature à faire obstacle, en vertu du 5 de l'article 39 du même code, à ce que les sommes en question fussent regardées comme des charges déductibles pour l'imposition de la société à l'impôt sur les sociétés et demeurant sans influence sur l'imposition personnelle du contribuable à l'impôt sur le revenu.

(20 septembre 2022, ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 460201)

 

28 - Cotisation foncière des entreprises – Exonération des exploitants agricoles – Société commercialisant des salades – Activité jugée être dans le prolongement de l’acte de production – Absence – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit et une erreur dans la qualification juridique des faits, l’arrêt d’appel qui juge que l’activité de vente de salades conditionnées par une société se situe dans le prolongement de l’acte de production alors qu’il résulte, d’une part, des constatations de la cour, que la société commercialisait uniquement des mélanges de salades conditionnées dans la composition desquels entraient des produits non issus de l'exploitation et, d’autre part, des propres écritures de cette société que le prix d'acquisition des salades auprès de tiers représentait environ 30 % de son chiffre d'affaires.

C’est donc à tort qu’elle a cru pouvoir juger que l’activité de cette société était exonérée de la cotisation foncière des entreprises sur le fondement des dispositions de l’art. 1450 du CGI.

Le pourvoi du ministre est donc accueilli.

(20 septembre 2022, ministre de l’économie, des finances et de la relance, n°461477)

 

29 - Impôt sur le revenu des entreprises (art. 57 du CGI) – Prix facturés entre deux entreprises liées, l’une située en France et l’autre à l’étranger, s’écartant en plus ou en moins de ceux pratiqués dans des conditions normales par des entreprises similaires – Existence d’un avantage devant être réintégré dans les résultats de l’entreprise française sauf justification de l’existence de contreparties équivalentes – Recherche en ce sens non effectuée – Annulation.

Une société française est détenue à 98% par la société requérante dont le capital est entièrement contrôlé par une société de droit allemand. La société française a conclu avec la société allemande une convention de gestion de trésorerie centralisée, en vertu de laquelle elle déposait ses excédents de trésorerie auprès de cette dernière, ces excédents étant rémunérés sur la base d'un taux d'intérêt égal au taux de référence interbancaire Euro OverNight Index Average (EONIA) minoré de 0,15 points. 

L’administration fiscale a estimé anormale cette rémunération nulle et a procédé à la réintégration des bénéfices qu'elle a regardés comme indirectement transférés à la société allemande.

Son recours ayant été rejeté en première instance et en appel, cette dernière se pourvoit en cassation.

L’arrêt d’appel est cassé pour erreur de droit.

En effet, la cour a jugé que la société française avait consenti à la société allemande une libéralité du fait de sa renonciation à percevoir une rémunération en contrepartie du dépôt de ses excédents de trésorerie auprès de cette dernière, car cette rémunération nulle était sans rapport avec celle à laquelle la société aurait pu prétendre si elle avait placé à cette date ses excédents de trésorerie auprès d'un établissement financier. De plus, la cour a relevé que cette absence de rémunération ne trouve pas sa contrepartie dans la possibilité de financer des besoins de trésorerie, lesquels étaient inexistants au titre des années en cause.

Le juge de cassation relève que, pour parvenir à cette solution, la cour a considéré qu’était dépourvue d'incidence à cet égard la circonstance que le taux de rémunération des sommes ainsi déposées auprès de la société allemande résultait de l'application de la formule de taux prévue par la convention de gestion de trésorerie et que les parties ont au demeurant fait le choix de limiter à un résultat non négatif en cours d'exécution de cette convention.  

Or la cour ne pouvait pas raisonner ainsi sans rechercher si la société française avait agi conformément à son intérêt en concluant cette convention en ces termes le 17 décembre 2009, ni quelles étaient les obligations qui en découlaient pour elle au cours des années en litige.

(20 septembre 2022, Société SAP France Holding, n° 461639)

(30) V. aussi, dans cette affaire, la solution identique retenue sur le pourvoi de la société française : 20 septembre 2022, Société SAP France, n° 461642.

 

31 - Procédure fiscale – Demande de décharge de rehaussements d’impôt sur les sociétés, de TVA et autre taxe - Délai de réclamation – Opposition de la tardiveté – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit, par déduction des dispositions combinées des art. L. 169, L. 176, L. 286 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales, la cour administrative d’appel qui juge qu’est tardive une réclamation adressée à l’administration fiscale le 31 décembre 2016 et reçue par elle le 4 janvier 2017, soit postérieurement à l’expiration, le 31 décembre à minuit, du délai de réclamation, alors qu’il résulte de ce code qu’il peut être satisfait aux obligations enfermées dans un certain délai au plus tard à la date prescrite au moyen d’un envoi de correspondance sur lequel est apposée la date postale d’envoi ou, dans le cas d’un courrier électronique,  de l’accusé de réception adressé à l’usager par la même voie.

(23 septembre 2022, Société ECO BAT, n° 458597)

 

32 - Imposition sur le chiffre d’affaires – Contrôle fiscal – Reconstitution du chiffre d’affaires par l’administration – Précision insuffisante des éléments l’ayant conduit à une imposition supplémentaire – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge irrégulière pour non-respect de l’obligation d’information, une procédure d'imposition aboutissant à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu par suite d’une rectification des bénéfices industriels et commerciaux résultant d’une reconstitution, car l'administration fiscale, d'une part, n'avait pas informé les contribuables, devant le tribunal administratif puis lors de l'instance d'appel, avec une précision suffisante, de l'origine et de la teneur des contrats qu'elle avait obtenus auprès de tiers et qui lui avaient permis, lors de la première instance, de procéder à cette reconstitution, et, d'autre part, n'avait pas non plus satisfait à cette obligation au cours de la procédure d'imposition.

(28 septembre 2022, ministre de l’économie et des finances…, n° 437267)

(33) V. aussi, sur cette même affaire, la même solution avec même motivation : 28 septembre 2022, ministre de l’action et des comptes publics, n° 437555.

 

34 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Entreprise de lavage d’automobiles – Inclusion d’une surface bitumée dans la valeur locative – Légalité – Rejet.

C’est sans illégalité que l’administration fiscale a estimé que le plan bitumé de 715 mètres carrés qui permet aux clients de la société Dives Auto Lavage d'accéder avec leur véhicule aux postes de lavage de l'établissement constitue un élément directement nécessaire à l'exploitation de la station de lavage et qu’il doit par suite en être regardé comme une dépendance indispensable et immédiate et pris en compte dans l'évaluation de la valeur locative de cet immeuble et le calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

(28 septembre 2022, Société Dives Auto Lavage, n° 440760)

 

35 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Valeur locative fixée par la méthode prévue à l’art. 1499 du CGI – Rapporteur ne pouvant être dispensé de prononcer ses conclusions – Annulation.

(28 septembre 2022, Société Convivio, n° 457714)

V. n° 21

 

36 - Impôt sur le revenu des capitaux mobiliers – Indisponibilité d’une somme détenue en compte courant – Résultat déficitaire de la société – Appréciation de l’actif net sans examen de la liquidité des éléments le constituant – Erreur de droit – Annulation.

Encourt annulation pour erreur de droit l’arrêt qui, pour juger qu’une société n’établit pas que la somme inscrite sur le compte courant d'associé était indisponible se borne à relever qu'en dépit d'un résultat déficitaire, il ne ressortait pas du bilan de la société, compte tenu de son actif net, qu'il était impossible de procéder à tout prélèvement au-delà du solde des comptes bancaires alors que la disponibilité de cette somme ne pouvait résulter du seul examen de l'actif net de la société, sans qu’ait été apprécié le caractère suffisamment liquide des éléments qui le constituaient.

(28 septembre 2022, M. A. et société Financière Stanvin, n° 446858)

 

37 - Crédit impôt recherche – Régime résultant du décret du 5 février 2013 – Application dans le temps – Erreur de droit et privation d’une garantie pour le contribuable – Annulations.

Les entreprises peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt en proportion de la part financière qu’elles consacrent à la recherche dans le cadre de leur activité. Le décret du 5 février 2013 a modifié le système de contrôle de la réalité et du contenu de l’activité prétendue de recherche en vue de son éligibilité à la faveur fiscale. L’art. L. 45 B du livre des procédures fiscales décide désormais que la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du CGI peut être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie. L’art. L. 45 B-1 de ce livre organise à cet effet une procédure particulière et contradictoire. Ce décret est entré en vigueur, en vertu de son article 2, le 15 février 2013.

Le litige objet de la présente décision portait sur le reproche fait par la requérante à l’agent contrôleur de l’absence de débat oral et contradictoire avec lui. Pour rejeter ce moyen la cour administrative d’appel s’est fondée sur les dispositions de l’art. 45 B-1 du LPF dans leur version antérieure à celle que lui a donnée le décret du 5 février 2013 qui ne prévoyaient pas un tel débat. Ce jugeant, elle a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État relève que l'agent du ministère chargé de la recherche, tout en soulignant l'ambiguïté et l'insuffisance des explications fournies par la société pour démontrer le caractère novateur des réponses techniques qu'elle soutenait avoir développées, ne lui a adressé ni demande d'éléments justificatifs, ni demandes d'informations complémentaires qui lui auraient permis de mener son expertise à bien. Cette méconnaissance des dispositions de l'article R. 45 B-1 du LPF, alors que l'expert indiquait lui-même que de plus amples informations auraient pu modifier le sens de ses conclusions, a privé en l'espèce la société IRAI d'une garantie.

La société requérante est jugée fondée à obtenir décharge de la cotisation d'impôt supplémentaire à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012 à raison de la remise en cause du crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elle avait déclarées.

(28 septembre 2022, Société IRAI, n° 451820)

(38) V. aussi, rejetant un recours dirigé contre le refus de restitution de crédits d’impôt au titre des dépenses pour la recherche car les éléments fournis par la requérante ne permettent pas d'identifier les travaux lui incombant ou leur lien avec les dépenses que celle-ci a intégrées dans l'assiette du crédit d'impôt recherche : 28 septembre 2022, Société Akka Technologies, n° 452461.

 

39 - Opposabilité des délais et voies de recours – Obligation d’en informer les justiciables – Mention incomplète – Absence de déclenchement des délais de recours – Annulation.

(28 septembre 2022, M. et Mme C., n° 448656)

V. n° 19

 

40 - Contrat de concession d’un droit à l’image – Existence ou non d’une sous-concession de droits de reproduction d'œuvres d'art dont l’un des contractants est concessionnaire – Régime fiscal – Absence d’activité de caractère commercial – Dénaturation de stipulations contractuelles – Annulation.

Dénature les stipulations d’un contrat de concession de l’image d’un lieu et des œuvres qui le composent, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que ce contrat n’emportait pas sous-concession du droit de reproduction des œuvres, qu’en conséquence l’administration fiscale n’était pas fondée à dire qu’il impliquait la réalisation d'actes de gestion du patrimoine d'autrui et par suite relevait de l'agence d'affaires et, à ce titre, d'une activité commerciale justifiant  d’assujettir la SCI Vae Homini Injusto à l'impôt sur les sociétés.

En effet, relève le juge de cassation, la concession par la SCI du droit à « l'image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent » s'analyse nécessairement comme la sous-concession de ce droit à reproduction, ainsi que le confirme le rapport établi par le cabinet BMetA dont l'objet consistait à évaluer « la valeur du droit exclusif de reproduction de la Demeure du Chaos concédé par la SCI au Groupe Serveur ». 

(28 septembre 2022, ministre de l’économie, des finances …, n° 459886)

 

41 - Superficie d’une habitation excédant celle déclarée au titre du permis de construire – Mise à la charge des contrevenants de suppléments d’imposition – Infraction commise plus de cinq ans avant – Prescription – Annulation.

Un agent  communal a établi le 30 septembre 2011, à l’encontre des requérants, un procès-verbal d'infraction relevant que la surface hors œuvre nette qu’ils avaient créée excédait de 105 mètres carrés la surface autorisée par le permis de construire leur maison, puis, le 20 décembre suivant, il a fait un rapport d’information constatant une surélévation de la maison ayant fait l'objet du permis de construire du 28 novembre 2002, et la présence de locaux habitables d'une surface de 105 mètres carrés, qui devaient initialement se situer en-dessous du sol naturel et se trouvaient désormais au-dessus de celui-ci, constituant ainsi le rez-de-chaussée de la demeure. Cette surface correspond à trois caves et à un local à vélo. En conséquence, l’administration fiscale a notifié aux intéressés des suppléments d'impositions correspondants, au titre de la taxe locale d'équipement, de la taxe départementale pour le financement des dépenses des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement et de la taxe départementale des espaces naturels sensibles, assortis de majorations, qui ont fait l'objet d'un titre de recettes du 7 septembre 2012 et d'un avis d'imposition notifié le 9 octobre 2012.

Le Conseil d’État, saisi pour la seconde fois d’un pourvoi dans cette affaire et, après cassation du jugement querellé pour dénaturation des pièces du dossier, statuait donc au fond et définitivement par application des dispositions de l’art. L. 821-2 du CJA.

Il relève que le fait générateur de la taxe locale d'équipement et des taxes annexes auxquelles M. et Mme B. ont été assujettis ne peut être que l'achèvement des travaux exécutés sans autorisation en vue de la construction, de la reconstruction ou de l'agrandissement d'un bâtiment sur lesquels, en vertu des dispositions de l'article 1585 A du CGI, la taxe est établie. En l’espèce, la date d’achèvement des locaux litigieux est l’année 2006 comme l’atteste l’émission de l’avis d’imposition à la taxe d’habitation pour l’année 2006.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'art. L. 274 A du livre des procédures fiscales que l'ordonnateur disposait, pour l’émission d’un titre de recouvrement, en cas d'absence d'autorisation de construire, d'un délai expirant au terme de la quatrième année suivant celle de l'achèvement des travaux. Ce délai peut cependant être interrompu dans les conditions prévues par les dispositions de l'art. L. 189 du livre des procédures fiscales, notamment par la notification d'un procès-verbal.

Or en l’espèce, ce délai de quatre ans avait expiré le 31 décembre 2010. Il s’ensuit qu’en l’absence de tout acte interruptif de la prescription - la notification du procès-verbal dressé le 30 septembre 2011 n'ayant pu elle-même en interrompre le cours -, la créance de l’État était prescrite lors de l’émission du titre de recouvrement litigieux. Les requérants sont donc fondés à demander la décharge des suppléments de cotisations à divers impôts mis à leur charge.

(28 septembre 2022, M. et Mme B., n° 439596)

 

42 - Cotisation foncière des entreprises (CFE) – Changement d’exploitant (art. 1478, II et IV, CGI) – Imposition des deux premières années d’exploitation – Repreneur d’une entreprise sur décision du tribunal de commerce – Autorisation d’occupation résultant d’une convention avec le propriétaire des murs – Obligation de retenir la date d’entrée en jouissance du fonds pour le calcul de la CFE – Annulation.

Il résulte des points II et IV de l’art. 1478 CGI qu’en matière de cotisation foncière des entreprises à l’occasion d’un changement d’exploitant celle-ci est calculée, pour les deux premières années de fonctionnement, sur la base des biens passibles de taxe foncière dont le redevable a disposé au 31 décembre de la première année d’activité.

En l’espèce, suite à une mise en liquidation judiciaire suivie de l’attribution de l’exploitation à la société requérante par le tribunal de commerce, la société repreneuse a signé avec un tiers propriétaire des murs et du fonds de commerce, le 20 octobre 2014, une convention d'occupation temporaire, mais non précaire, et gratuite avec entrée en jouissance immédiate. Puis, le 22 mai 2015, a eu lieu la cession du fonds de commerce.

La cour administrative d’appel a estimé que c’était cette dernière date qui devait être retenue pour l’application des dispositions précitées du CGI.

L’administration fiscale estimait, que c’était la date du 20 octobre 2014 qui devait être prise en compte.

Le Conseil d’État donne raison à cette dernière dans la mesure où, quelque temporaire qu’était la convention d’occupation dans l’attente de la cession du fonds de commerce, elle n’était pas précaire. Ainsi, c’est à la date du 31 décembre 2014 et non du 31 décembre 2015 qu’il convenait de se placer pour évaluer les biens du redevable passibles de taxe foncière.

(30 septembre 2022, ministre de l’économie, des finances…, n° 451948)

 

43 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) – Possibilité d’intervention de la collectivité ayant fixé le taux de la taxe devant le juge de l’impôt saisi d’une demande de décharge – Régime des ressources excédentaires des communes en la matière en cas de transfert à une intercommunalité – Annulation et rejet.

Dans cette affaire, portant une nouvelle fois sur la TEOM, le Conseil d’État juge tout d’abord qu’il résulte de la nature et de l'objet du contentieux de la TEOM, qu’une métropole venant aux droits d’une communauté d'agglomération, justifie d'un intérêt de nature à la rendre recevable à intervenir devant le juge de l'impôt (qu’il soit de fond ou de cassation) compte tenu de la particularité des litiges en la matière. 

Ensuite, les attributions de compensation versées par un établissement de coopération intercommunale à ses communes membres en vertu des dispositions de l’art. L. 1609 nonies C du CGI, lorsque les ressources de ces communes qui étaient liées aux charges qui ont été transférées à l'établissement étaient excédentaires l'année précédant le transfert, ne sont pas, eu égard à leur objet, au nombre des dépenses susceptibles d'être couvertes par la taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères.

(30 septembre 2022, ministre de l’économie, des finances…, n° 455364)

 

Droit public de l'économie

 

44 - Soutien tarifaire à la production d’énergie électrique renouvelable – Art. L. 314-4 du code l’énergie – Obligation et tarif d’achat à la charge des producteurs d’électricité – Règle du non cumul pour une même installation des primes et tarifs avec un autre soutien public financier à la production d'électricité – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de l'article 13 de l'arrêté interministériel du 6 octobre 2021 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l'énergie solaire photovoltaïque d'une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts, en tant que le second alinéa de cet article interdit au producteur de cumuler pour une même installation les primes et tarifs prévus à l'article 8 de cet arrêté avec un autre soutien public financier à la production d'électricité provenant d'un régime d'aides local, régional, national ou de l'Union européenne. 

Le recours est rejeté aux motifs que cet acte réglementaire n’est pas soumis à l’obligation de motivation, qu’il relève bien de la compétence des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, qu’il ne crée ni d'obligation ni d'interdiction à l'égard des collectivités territoriales, ne portant ainsi pas atteinte au principe de libre administration de ces collectivités, garanti par l'article 72 de la Constitution, que l’obligation ainsi mise à la charge des producteurs d'électricité n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux objectifs du régime de soutien tarifaire institué par le législateur. 

(30 septembre 2022, M. B., n° 459176)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

45 - Défaut de déclaration préalable à l’embauche – Emploi d’étrangers dépourvus de titre de séjour – Sanction d’une fermeture de soixante jours pour l’entreprise – Absence d’irrégularité et de disproportion de la sanction – Rejet.

Le juge des référés rejette l’action en référé liberté de la société requérante dirigée contre la décision préfectorale prononçant – en application de l’art. L. 8272-2 du code du travail - la fermeture pour soixante jours du supermarché qu’elle exploite. En effet, il ressort des pièces du dossier que la société demanderesse employait le 13 avril 2022 un vendeur n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration préalable à son embauche, un préparateur de nationalité algérienne démuni d'autorisation de travail pour lequel elle se borne à indiquer avoir été induite en erreur par une carte d'identité française, laquelle est cependant un faux grossier comportant le nom d'usage « Non d'usage », un employé de nationalité afghane prenant les commandes et démuni d'autorisation de travail pour lequel elle se borne à produire une convention de stage signée postérieurement avec une association, un vendeur de nationalité marocaine démuni d'autorisation de travail pour lequel elle indique avoir été induite en erreur par une carte nationale d'identité roumaine, mais alors que l'intéressé avait indiqué aux services de police avoir présenté un faux titre de séjour italien.

Ni l’allégation d’un vice de procédure (elle ne serait pas l’entreprise visée par les réquisitions du procureur de la république) ni celle du caractère disproportionné de la sanction n’établissent l’existence d’une illégalité manifeste portant atteinte une grave à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 16 septembre 2022, Société TMV, n° 467234)

 

46 - Infractions au code du travail – Sanction administrative de la fermeture temporaire de l’entreprise – Suspension par le juge des référés – Nouvelle sanction – Nouvelle suspension ordonnée – Retrait de la sanction – Suspension de l’arrêté précédent levée – Annulation d’une ordonnance devenue sans objet comme sans effet utile.

Suite au constat d’infractions à la législation du travail, un arrêté préfectoral a, le 25 janvier 2022, prononcé pour trois mois la fermeture administrative de l’établissement exploité par la société requérante à compter de la notification de ce constat.  Le juge des référés, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA (référé liberté), a, le 15 février 2022, suspendu l'exécution de cet arrêté. Par un arrêté du 19 avril 2022, le préfet a prononcé à nouveau la fermeture administrative de cette même société pour une durée de deux mois à compter de sa notification, ce second arrêté  a été à son tour suspendu par le juge des référés le 16 mai 2022, au motif que ce second arrêté, visant à sanctionner les mêmes faits que ceux ayant donné lieu à la mesure de fermeture administrative ordonnée par le précédent arrêté du 25 janvier 2022, portait atteinte au principe selon lequel nul ne peut être sanctionné plusieurs fois à raison des mêmes faits.

Par un arrêté du 5 juillet 2022, le préfet a prononcé le retrait de l'arrêté du 25 janvier 2022 et a obtenu du juge des référés, le 24 août 2022, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-4 du CJA, la levée de la suspension de l'arrêté préfectoral du 19 avril 2022.

La société Centre Loire Automobile interjette appel de cette ordonnance. 

L’appel est accueilli car la notification du deuxième arrêté de fermeture temporaire, pris pour une durée de deux mois, ayant eu lieu le 6 mai 2022 c’est à tort que le juge des référés a fait droit, le 24 août 2022, aux conclusions tendant à la levée de la suspension d'un arrêté préfectoral dont les effets avaient pris fin à la date à laquelle il a statué, faisant ainsi droit à une demande qui était devenue sans objet et qui ne pouvait avoir aucun effet utile.

Au reste, on peut ajouter qu’annuler la suspension d’une décision que son auteur a lui-même retirée n’a guère de sens…

(ord. réf. 19 septembre 2022, Société Centre Loire Automobile, n° 467103)

 

47 - Élections professionnelles - Élections des membres des conseils de l'ordre des avocats dans chaque barreau – Refus d’abroger certaines dispositions réglementaires – Rejet.

Les requérants demandent l’annulation, d’une part, du refus implicite du premier ministre d’abroger certaines dispositions de l'art. 6 et de l’art. 12 du décret du 27 novembre 1991 fixant les modalités d'élection des membres des conseils de l'ordre des avocats dans chaque barreau, d’autre part, du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures nécessaires à l'application de l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 afin de permettre de contester utilement la composition du conseil régional de discipline de avocats.

Les trois recours sont rejetés.

Tout d’abord, le juge rejette l’argumentation des requérants selon laquelle l'article 12 du décret litigieux ne pouvait réserver la possibilité de contester le résultat des élections à un conseil de l'ordre aux seuls avocats inscrits au tableau du barreau de cet ordre dès lors que le conseil de discipline, qui connaît de la situation des avocats relevant des barreaux qui sont établis dans le ressort d'une cour appel, est composé de représentants des conseils de l'ordre de chaque barreau de ce ressort. Le juge relève qu’aucune disposition législative ni aucun principe n'implique qu'un avocat puisse contester les élections à un barreau auquel il n'est pas inscrit et n'est pas électeur alors même que le conseil de discipline appelé à statuer sur les manquements aux règles disciplinaires de la profession est composé de membres désignés par d'autres barreaux. Par suite, sont écartés les moyens d'incompétence ou de méconnaissance du droit au recours. En outre, les avocats de chaque barreau d'un même ressort d'une cour d'appel n'étant pas, au regard du résultat des élections au conseil de l'ordre du barreau auquel ils sont rattachés, dans la même situation, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le principe d'égalité a été méconnu.  

Reste qu’en cas d’irrégularité affectant l’élection à un conseil de l’ordre d’un barreau peut affecter la juridicité de la composition du conseil de discipline et il ne reste en ce cas que la possibilité d’invoquer devant le juge judiciaire une exception d’illégalité contre la sanction infligée, bien problématique à tous égards.

Ensuite, il est jugé que n’est pas irrégulier en l’espèce le refus du premier ministre de prendre les mesures réglementaires nécessaires à l'application de l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 car :

- d’une part, l’art. 13 du décret litigieux prévoit des modalités de publicité particulières pour les « décisions réglementaires », ce qui vise les décisions concernant l'ensemble des avocats relevant du ressort du barreau concerné, telles que la décision de désignation des représentants de chaque ordre au conseil de discipline institué dans le ressort d'une cour d'appel. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, le pouvoir réglementaire n’a pas omis de déterminer le mode de publicité d'une telle décision à l'égard des tiers ;

- d’autre part, la circonstance, invoquée par les requérants, qu'aucune disposition du décret litigieux ne définit les modalités de publicité de la désignation par le conseil de discipline de son président, prévue à l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 et rappelée à l'article 182 du décret du 27 novembre 1991, est sans incidence sur la légalité du décret.

Au reste et enfin, le délai de recours d'un mois prévu par l'article 16 du décret en ce qui concerne le recours contre les délibérations du conseil de l'ordre de chaque barreau est applicable à la contestation de la désignation par le conseil de discipline de son président devant la cour d'appel du ressort. D’où il résulte que la décision implicite de refus du premier ministre ne fait pas obstacle à ce que la désignation du président du conseil de discipline institué par l'article 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 puisse être utilement contestée devant la cour d'appel du ressort. 

(22 septembre 2022, M. J. et autres, n° 437557, n° 437694 et n° 438677)

 

48 - Élargissement d’une convention collective à La Réunion – Obligation et pouvoir du ministre chargé du travail – Refus d’extension régulier en l’espèce – Rejet.

Les organisations syndicales requérantes demandaient l’annulation de la décision du 3 juin 2020 de la ministre du travail rejetant leur demande d'élargissement à La Réunion de la convention collective nationale des services de l'automobile, du cycle, du motocycle et des activités connexes ainsi que du contrôle technique automobile (IDCC n° 1090).

Le Conseil d’État rejette le recours.

Tout d’abord, le juge apporte cette importante précision que si le ministre chargé du travail ne peut prononcer l'élargissement d'une convention ou d'un accord sur le fondement des dispositions de l’art. L. 2261-17 du code du travail, que si sont remplies les conditions qu'elles prévoient, il n'est pas pour autant tenu, lorsque ces exigences sont satisfaites, de procéder à un tel élargissement mais dispose, à cet égard, d'un pouvoir d'appréciation lui permettant de ne pas y procéder pour des motifs d'intérêt général, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, alors même que l'harmonisation de la couverture conventionnelle des salariés répond, en principe et par elle-même, à des considérations d'intérêt général.

Ensuite, le juge relève :

- d’une part que des différences significatives existent en matière d'emploi entre les champs professionnels relevant de la convention nationale dont les requérants demandent l'élargissement et ceux relevant de la convention collective auto-moto de La Réunion,

- d’autre part, que le projet de cet élargissement a fait l’objet d’un avis défavorable tant de la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle, que de l'ensemble des organisations professionnelles d'employeurs représentatives de la convention nationale des services de l'automobile ainsi que de trois organisations syndicales représentatives de cette même convention, et qu’il n'a par ailleurs pas recueilli l'accord des organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le périmètre de l'ancienne convention collective auto-moto de La Réunion.

La ministre du travail n’a ainsi pas fait une inexacte application des dispositions précitées du code du travail alors même que, en principe et par elles-mêmes, ainsi que le relèvent les requérantes, la restructuration des branches professionnelles et l'harmonisation de la couverture conventionnelle des salariés répondent à des considérations d'intérêt général.

(28 septembre 2022, Fédération CGTR métallurgie et services de l'automobiles, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (FTM-CGT), Syndicat commerce et services CFDT de la Réunion et Union régionale de syndicats CFTC de la Réunion, n° 442574)

(49) V. aussi la solution similaire retenue pour rejeter le recours en annulation s’agissant du refus implicite de la ministre du travail d’autoriser la fusion, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail, du champ d'application de la convention collective régionale auto-moto de La Réunion (IDCC n° 1247) avec celui de la convention collective nationale des services de l'automobile (IDCC n° 1090) : 28 septembre 2022, Fédération CGTR métallurgie et services de l'automobiles, Syndicat commerce et services CFDT de la Réunion et Union régionale de syndicats CFTC de la Réunion, n° 449950.

 

50 - Sanction administrative pour manquement à une disposition du code du travail – Loi nouvelle plus douce – Office du juge – Annulation et rejet pour l’essentiel.

Une société est sanctionnée par une amende 10 800,00 euros pour avoir méconnu, s'agissant de neuf salariés, les dispositions de l'article L. 3171-1 du code du travail relatives au décompte de la durée de travail des salariés ne travaillant pas selon un même horaire collectif.

Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant sa demande d’annulation ou de minoration de l’amende.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi après avoir annulé l’arrêt déféré à sa censure.

Tout d’abord il reproche à la cour de n’avoir pas appliqué en la matière la loi nouvelle plus douce, du 10 août 2018, entrée en vigueur postérieurement à la date de commission de l’infraction et antérieurement à celle à laquelle elle a statué. C’est là l’application d’une jurisprudence constante en la matière.

Ensuite, saisi comme juge d’appel du fait de l’annulation prononcée de ce chef, le Conseil d’État réexamine les faits en raison de l’effet dévolutif de l’appel et en déduit que l’infraction est avérée et répétée et rejette les arguments avancés par la société requérante en vue d’en atténuer la gravité. Au total elle est condamnée à une amende de 10 500,00 euros sur la base de 1200,00 euros par salarié concerné alors que le montant maximal était de 2000,00 euros.

Tout cela donc pour 300 euros… L’utilité marginale de ce recours est assez faible…

(28 septembre 2022, Société Glass Express, n° 453857)

 

51 - Aide sociale – Prestation de compensation du handicap – Vérification de son éventuelle perception incombant au juge – Manquement du juge à son office – Annulation avec renvoi.

Une juridiction ne peut juger qu’un requérant n’ayant pas démontré ne pas percevoir la prestation de compensation du handicap (PCH), l’administration hospitalière doit lui verser une indemnité pour assistance d'une tierce personne déduction faite sur cette indemnité des sommes éventuellement perçues au titre de la PCH.

En effet ces sommes n'avaient à être défalquées que dans l'hypothèse où, ajoutées à l'indemnité due au titre de l'aide d'une tierce personne déterminée après application du taux de perte de chance, elles auraient excédé le montant total des frais d'assistance par une tierce personne. Or cette vérification incombait à la juridiction elle-même dans le cadre de son office. En s’en abstenant elle a commis une erreur de droit. D’où l’annulation prononcée avec renvoi de la décision attaquée.

(29 septembre 2022, M. A., n° 450266)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

52 - Élections départementales – Inéligibilité de l’un des deux membres d’un binôme de candidats – Scrutin majoritaire binominal à deux tours – Binôme devant être hypothétiquement placé dans la situation arithmétique la plus défavorable – Nombre de suffrages concernés supérieur à l’écart de voix entre deux binômes - Confirmation de l’annulation des deux tours de scrutin.

Confirmant la solution retenue en première instance, le Conseil d’État juge que dans l’hypothèse où l’un des deux membres d’un binôme de candidats aux élections départementales est en situation d’inéligibilité aux dates auxquelles le scrutin a été organisé et compte tenu du mode de scrutin majoritaire binominal à deux tours instauré par la loi, ce binôme ne peut pas légalement participer à ce scrutin. Le juge de l'élection, pour apprécier l'influence de cette irrégularité sur le scrutin, doit placer hypothétiquement ce binôme de candidats dans la situation la plus défavorable au plan arithmétique.

Lorsque, comme en l'espèce, le nombre de suffrages en cause est supérieur à l'écart de voix entre deux binômes, la présence du binôme litigieux a nécessairement été de nature à affecter les résultats du premier tour et, par voie de conséquence, ceux du second tour du scrutin, d’où la confirmation du jugement ayant prononcé l’annulation de l’ensemble des opérations électorales qui se sont déroulées dans ce canton.

(20 septembre 2022, M. B. et Mme F., Élections au canton de Perpignan-5, n° 461964)

 

53 - Élections municipales et communautaires – Annulation d’opérations électorales – Recours en rectification d’erreur matérielle – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours en rectification d’erreur matérielle contre sa décision du 1er octobre 2021qui a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Savigny-sur-Orge, rejeté le surplus des conclusions de M. B. et constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par M. H. et par M. G.

Le recours est rejeté en tous ses chefs.

Tout d’abord il ne saurait être fait grief au Conseil d’État d’avoir omis de statuer sur des conclusions dont il n’était pas saisi puisque, formulées en première instance, elles n’avaient pas été reprises devant lui en appel.

Ensuite, dès lors qu’était retenu l’un des griefs soulevés devant lui pour prononcer l’annulation qui était demandée, le Conseil d’État n’était pas tenu de se prononcer sur les autres griefs.

Enfin, d’une part, la décision de non-lieu à statuer sur les conclusions d’un autre requérant que celui à la demande duquel le Conseil d’État a procédé à l’annulation de l’élection contestée, constitue une appréciation juridique que ne peut remettre en cause un recours en rectification d’erreur matérielle et, d’autre part, par voie de conséquence, le Conseil n'avait pas à se prononcer sur les griefs que ce dernier soulevait à l'appui de ces conclusions.

(28 septembre 2022, M. G. et M. B., Élections mun. et cnautaires de Savigny-sur-Orge, n° 459388)

 

54 - Élections départementales - Absence de dépôt d’un compte de campagne non certifié par un expert-comptable – Irrégularité – Faible montant des dépenses et absence d’autres irrégularités – Inéligibilité non retenue – Annulation.

Si l’absence de dépôt d’un compte de campagne certifié par un expert-comptable constitue une irrégularité devant entraîner son rejet par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et que l’art. L. 118-3 du code électoral permet de sanctionner par l’inéligibilité du binôme de candidats défaillant, il n’y a pas lieu en l’espèce, eu égard au faible montant en cause et à l’absence d’autre irrégularité relevée, de confirmer le jugement qui a prononcé l’inéligibilité, lequel est donc annulé.

(29 septembre 2022, M. D., Élections départementales du canton de Bethoncourt, n° 461741)

(55) Voir, en revanche, confirmant l’inéligibilité de six mois prononcée en première instance car, en dépit du faible montant des dépenses en cause, plusieurs autres irrégularités ont été relevées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans son courrier adressé aux candidats du binôme : 29 septembre 2022, Mme C. et M. B., Élections dédqartementales du canton de Blois-1, n° 464246.

(56) Voir aussi, annulant le jugement entérinant le rejet d’un compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques alors d’une part que le versement d’une somme de 2315 euros, réglée directement par le binôme en raison des difficultés à ouvrir un compte bancaire, a été régularisé par le mandataire financier, d’autre part que le montant résiduel en litige (386 euros) est très faible. Naturellement, l’inéligibilité subséquemment prononcée par le tribunal est, par voie de conséquence, annulée. Le remboursement par l’État des sommes déboursées est ordonné à hauteur de 19 311 euros : 29 septembre 2022, M. C. et Mme D., Élections départementales du canton d’Évry-Courcouronnes, n° 464644.

(57) V. également, s’agissant des élections régionales, le non prononcé d’une inéligibilité à l’encontre d’un candidat n’ayant pas déposé son compte de campagne car ce manquement, de la part d'un candidat inexpérimenté participant à son premier scrutin, ne présente pas dans les circonstances de l'espèce un caractère délibéré, d’autant que l'intéressé a immédiatement répondu à la mise en demeure de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et qu’enfin il produit, dans le cadre de la présente instance, une attestation de son mandataire relative à l'absence de toute recette ou dépense : 30 septembre 2022, M. B., Élections au conseil régional d’Île-de-France, n° 459493.

 

58 - Élections départementales – Suffrages déclarés irréguliers en nombre égal à l’écart de voix entre deux binômes – Annulation des opérations électorales – Réduction du nombre de signatures déclarées irrégulières – Annulation.

Doit être annulé le jugement qui, constatant des différences entre les émargements de quatre électeurs, annule l’ensemble du scrutin en raison de ce que l’écart des voix entre deux binômes était précisément de quatre car un seul de ces émargements est réellement douteux, les trois autres ayant été, au second tour, identiques aux signatures figurant sur la carte d’identité de chacun des électeurs concernés.

Comme, par ailleurs, aucun des autres griefs développés en première instance (différences significatives de signatures entre les deux tours, violation de l’obligation de neutralité par les membres de plusieurs bureaux de vote, présence d’une poubelle près de l’isoloir permettant de voir les bulletins non retenus, fermeture anticipée de deux bureaux de vote, distribution de tracts et diffusion de fausses informations sur internet) n’est retenu par le juge d’appel, les résultats des élections sont confirmés.

(29 septembre 2022, M. B. et Mme C., Élections départementales du canton de Corbeil-Essonnes, n° 462179)

 

Environnement

 

59 - Véhicules – Lutte contre la pollution et les déchets – Création d’une vignette « certificat qualité de l’air » ou « Crit’Air » - Classement en fonction du degré de pollution – Déplacement de la consommation de gaz naturel vers celle du Biocarburant B100 – Défaut d’urgence – Rejet.

Les sociétés requérantes demandaient au juge des référés le prononcé de la suspension d’exécution de l’arrêté interministériel du 11 avril 2022 modifiant l'arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques en application de l'article R. 318-2 du code de la route. Elles invoquaient en particulier l’urgence à statuer, en raison du report des achats et des immatriculations des véhicules lourds du gaz naturel vers le biocarburant B100, ce qui porterait atteinte à l'impératif de limitation des émissions de polluants atmosphériques et à la viabilité de la filière des stations-service offrant aux poids lourds les carburants issus du gaz naturel dans la mesure où les véhicules fonctionnant au biocarburant B100 s'approvisionnent auprès d'autres circuits.

Pour rejeter le référé, le juge relève :

- d’une part, que le risque invoqué d’une baisse importante des achats et des immatriculations de poids lourds fonctionnant au gaz naturel et une hausse parallèle des achats et des immatriculations de poids lourds fonctionnant au biocarburant B100 alors que la tendance était jusqu'alors à une hausse régulière des achats et des immatriculations de poids lourds fonctionnant au gaz naturel, à supposer qu’il soit en lien direct avec l’arrêté querellé, ne porterait pas, s’il était établi, une atteinte à leur rentabilité d'une ampleur telle qu'elle serait de nature à caractériser une urgence au sens des dispositions de l'article L. 521-1 du CJA, alors en outre qu'il ressort de l'instruction que la gestion d'une flotte de poids lourds obéit à des considérations de moyen et long termes et présente ainsi un certain degré de stabilité ;

- d’autre part, qu’il ne résulte pas des éléments du dossier comme des échanges ayant eu lieu à l’audience, que l'effet de cet éventuel report induirait par lui-même une évolution des émissions de polluants de nature à caractériser une situation d'urgence. 

Faute d’urgence, il n’était pas utile de statuer sur l’existence de l’autre condition nécessaire à l’octroi d’une suspension en référé car le rejet du recours s’impose.

(ord. réf. 1er septembre 2022, Sociétés Gaz'up, Primagaz, Proviridis et Endesa Energia, n° 466453)

 

60 - Permis de construire des éoliennes – Protection d’espèces animales – Atteinte à ces espèces – Dérogation – Absence – Annulation.

Le Conseil d’État était saisi d’un pourvoi dirigé contre le rejet par une cour administrative d’appel de la demande d’annulation de l’autorisation préfectorale d’implanter trois éoliennes en dépit de l’insuffisance reconnue de l’étude d’impact. Le pourvoi est accueilli.

En premier lieu, alors que les permis de construire en cours de validité à la date du 1er  mars 2017 autorisant les projets d'installation d'éoliennes terrestres sont considérés, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales, est illégale la délivrance par un préfet d’une autorisation de construire trois éoliennes en tant qu'elle n'incorporait pas, à la date à laquelle il a statué, la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats (cf. le I de l’art. L. 411-2 du code de l’environnement).

En effet, cette autorisation environnementale tenant lieu des divers autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés au I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, elle devait comporter la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l'article L. 411-2 précité.

La cour administrative a ainsi commis une omission de statuer en ne répondant pas au moyen opérant tiré de ce que l'autorisation environnementale issue du permis de construire délivré par le préfet le 20 novembre 2014 était illégale en tant qu'elle n'incorporait pas, à la date à laquelle elle a statué, la dérogation précitée dont il était soutenu qu'elle était requise pour le projet éolien en cause. 

En second lieu, l’arrêt d’appel est entaché de dénaturation des pièces du dossier dans la mesure où la cour, tout en relevant  que les requérants sont fondés à soutenir que le contenu de l'étude d'impact du projet n'était pas suffisant au regard des exigences de l'art. R. 122-3 du code de l'environnement, a estimé que ces insuffisances n'ont eu pour effet ni de nuire à l'information du public, dès lors que l'avis défavorable du 2 août 2007 de la direction régionale de l'environnement Languedoc-Roussillon était versé au dossier d'enquête publique et que l'association requérante avait elle-même reconnu en 2008 la qualité de cette étude de 2007, ni d'exercer une influence sur la décision du préfet, qui, après avoir refusé à deux reprises de délivrer le permis de construire sollicité, l'a délivré pour trois éoliennes seulement sur les cinq prévues initialement, et l'a assorti de nombreuses prescriptions de nature à réduire l'impact du projet sur l'avifaune et les chiroptères. En effet, selon le juge de cassation, « Eu égard au nombre et à la gravité des insuffisances de l'étude d'impact relevées par la cour, s'agissant notamment du recensement des espèces présentes sur le site ou susceptible d'être affectées par le projet, elle ne pouvait, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, estimer que ces carences n'avaient pas privé le public d'une garantie ni exercer une influence sur le sens de la décision. »

(22 septembre 2022, Association la Ligue pour la Protection des Oiseaux de l'Aude et autres, n° 443458)

 

61 - Actes susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif – Protection de l’environnement - Preuve du dépôt de déclaration d’installation classée – Décision faisant grief – Recours contentieux possible contre elle.

(Avis, 15 septembre 2022, M. F. et autres, SARL L.B.E. et la SARL Johanito Laurent transports, n° 463612)

V. n° 1

 

62 - Droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er, charte des droits fondamentaux) – Liberté fondamentale – Rejet.

(ord. réf. 20 septembre 20222, M. et Mme C., n° 451129)

V. n° 93

 

État-civil et nationalité

 

63 - Circulaire fixant l’usage du prénom d’élèves transgenres au sein des établissements d’enseignement – Souci d’inclusion de tous les élèves – Dispositions contraires de la loi du 6 fructidor an II – Absence de méconnaissance – Rejet.

La loi du 6 fructidor an II dispose en son art. 1er qu’« Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni prénom, autres que ceux exprimés dans son acte de naissance (...) » et, en son art. 4, qu’il « est expressément défendu à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l'acte de naissance, (...), ni d'en exprimer d'autres dans les expéditions et extraits qu'ils délivreront à l'avenir ».

Le requérant, se fondant sur ces dispositions législatives, demande l’annulation de la circulaire du 29 septembre 2021 par laquelle le ministre de l’éducation nationale invite les personnels de l'éducation nationale et les établissements scolaires à veiller à l'emploi du prénom d'usage des élèves transgenres et non de celui figurant à l’état-civil en ce qu’elle viole les dispositions législatives précitées.

Bien que l’argument puisse apparaître assez fort, le Conseil d’État rejette le pourvoi au prix d’une argumentation qui range ses membres au niveau des plus grands acrobates du monde.

Tirant argument de ce que l’art. L. 111-1 du code de l’éducation impose au service public de l’éducation de veiller « à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction », il estime que, se situant dans ce cadre, la circulaire contestée n’entre pas en contradiction avec la loi de fructidor an II et rejette le recours.

Outre que la solution est, en droit, justifiée de cette manière, peu convaincante, il n’en reste pas moins qu’il existe une contradiction frontale entre la circulaire et la loi. Au lieu de défier aussi maladroitement la hiérarchie des normes, il eût été plus expédient et habile de dire que les art. 1 et 4 de la loi de l’an II ont été abrogés par l’art. L. 111-1 du code de l’éducation en tant que ce dernier concerne les personnes transgenres en milieu scolaire.

Ainsi eussent été conciliés le souci de satisfaire une certaine modernité psycho-sociologique et la hiérarchie des normes.

(28 septembre 2022, M. A., n° 458403)

 

Étrangers

 

64 - Ressortissante algérienne - Résidence en France depuis l'âge de trois ans - Mariée à un ressortissant algérien et mère de deux enfants nés en France - Fourniture d'une assistance aux membres dune organisation terroriste - Condamnation à emprisonnement - Expulsion ne portant atteinte ni au droit de mener une vie familiale (inexistante en l'espèce) normale ni aux dispositions pertinentes du CESEDA - Rejet.

Dans une décision d'une exceptionnelle longueur, remarquable par sa complétude, sa qualité rédactionnelle et son souci de pédagogie argumentative, le juge des référés rejette l'appel dirigé contre l'ordonnance du premier juge en tant qu'elle a rejeté le référé liberté introduit contre l'arrêté du ministre de l'intérieur portant expulsion de la requérante - laquelle était libérable le 15 août 2022 -, retrait de titre de séjour et fixant l'Algérie comme pays de destination.

Aucun des arguments invoqués n'a été retenu par le juge.

Celui-ci considère les mesures attaquées comme justifiées.

En premier lieu, l'intéressée a été convaincue de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme et de financement d'une entreprise terroriste, commis, avec sa sœur Anissa, courant 2013, 2014, 2015 et jusqu'au 10 mai 2016 consistant principalement en un financement de nombreux membres de sa famille partis rejoindre les rangs de l'organisation terroriste État Islamique (Daech), actes pour lesquels elle a été condamnée à quatre ans d'emprisonnement sans aménagement de peine et assortie d'un mandat d'arrêt.

En deuxième lieu, a été retenu l'environnement familial acquis aux thèses pro-djihadistes dans lequel l'intéressée a évolué et qui a conduit en 2014 son père et sa mère, son frère et la plupart de ses sœurs à rejoindre la zone syro-irakienne afin d'intégrer l'organisation terroriste Daech, l'intéressée et sa sœur Anissa, restées en France, ayant procédé jusqu'à leur interpellation, à des transferts de fonds aux membres de la famille partis en Syrie et participé à leur soutien logistique.

En troisième lieu, le juge a constaté que tout au long de sa période d'incarcération dans divers centres pénitentiaires elle avait favorisé l'établissement de liens avec diverses personnes connues pour leur radicalisation et leur participation à des faits à caractère terroriste.

En quatrième lieu, est relevée la circonstance qu'elle n'avait pas, en détention, pris ses distances par rapport à ces faits et avait continué à entretenir volontairement des liens avec des personnes radicalisées connues pour leur implication dans des actes de terrorisme.

Enfin, la prégnance de la menace terroriste sur le territoire national manifestée par divers messages de menaces ou actes récents justifiait l'expulsion de la requérante hors du territoire français.

Répondant à un argument en ce sens de la requérante, le juge indique que les mesures querellées sont proportionnées et justifiées en dépit, d'une part, du régime de protection institué à son profit par les dispositions de l'article L. 631-3 du CESEDA, en tant que personne étrangère résidant régulièrement en France depuis qu'elle a l'âge de trois ans et, d'autre part, du droit à mener une vie familiale normale en France, alors que deux jugements en assistance éducative ont été rendus en 2021 et 2022 par la juge des enfants, que les relations entre les deux enfants mineurs de l'intéressée et leur mère sont « complexes et tendues », que ces derniers, actuellement placés à l'aide sociale à l'enfance depuis 2021, pour une durée renouvelable d'une année, avec interdiction de sortie du territoire, indiquent appréhender d'entrer en relation avec leur mère et que les jugements précités mentionnent, celui de 2021, que les enfants vivent actuellement à l'abri d'une pratique religieuse rigoureuse à laquelle ils auraient été soumis avant l'incarcération de leur mère et que celui de 2022 signale qu'ils auraient été exposés - alors qu'ils sont âgés de huit et neuf ans - au visionnage de vidéos d'égorgement en zone de guerre.

Au surplus, les affirmations d'absence de radicalisation et de simples gestes de soutien à sa famille avancées par la requérante pour expliquer et justifier son attitude sont formellement contredites par les pièces du dossier.

(ord. réf. 15 septembre 2022, Mme C., n° 467145)

 

65 - Ressortissante algérienne – Demande de restitution de son certificat de résidence algérien – Défaut d’urgence – Rejet.

C’est sans erreur de fait ou de droit que le juge des référés d’un tribunal administratif rejette pour défaut d’urgence une demande en référé liberté :

- d’une part, car ni la décision de retrait de son certificat de résidence algérien qui, en l'absence de notification régulière, n'est pas entrée en vigueur et ne lui est donc pas opposable, ni l'expiration du délai de huit jours prévu par les dispositions de l'article L. 342-19 du CESEDA, ne peuvent avoir pour effet, en l'état de l'instruction, de faire obstacle au droit au séjour qu'elle tient du certificat de résidence algérien dont elle est titulaire, tant qu'il est en cours de validité,

- et, d’autre part, car si l’intéressée s’y croit fondée, elle peut demander l'exécution complète de l'ordonnance du 7 septembre 2022 ou saisir le juge des référés en application des dispositions de l'article L. 521-3 du CJA.

En outre, faute pour elle d'avoir pu conserver son certificat de résidence qui ne lui a pas été restitué par la police de l'air et des frontières, elle pourrait, en cas de besoin, justifier de son droit au séjour, au-delà du délai de huit jours fixé par les dispositions précitées, en se prévalant de l'ordonnance du 19 septembre 2022 ne rejetant sa requête que pour défaut d’urgence ainsi que de celle du 7 septembre 2022 enjoignant au ministre de l'intérieur de lui délivrer sans délai un document l'autorisant à pénétrer sur le territoire national, à y séjourner et à y travailler à titre provisoire. 

(ord. réf. 26 septembre 2022, Mme A., n° 467654)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

 

66-85 Agents publics et obligation vaccinale anti-Covid19

 

Une série de vingt décisions rendues en référé (art. L. 521-1CJA) au cours du mois de septembre 2022 permet de faire à nouveau le point sur l’étendue de l’obligation vaccinale contre le virus Covid-19 pour les personnels de santé et de soins en hôpital ou en établissements pour personnes âgées (n° 458666).

 

Tout d’abord, s’il est loisible à l’autorité administrative d’informer l’agent concerné, lorsqu’il est en congé ou congé pour maladie, de son obligation de se faire vacciner faute de quoi il sera suspendu, elle ne saurait faire produire effet à cette décision pendant le déroulement de son congé à peine d’illégalité (n°s 458693, 458699, 459016, 459120, 459121, 459122, 459123) ; l'administration doit attendre son retour de congé (n° 458666, n° 458690, n° 459987).

 

Ensuite, l’obligation vaccinale imposée à ces personnels est toujours une exigence légale découlant directement des textes applicables (n°s 458681, 458686, 458690, 458695, 459120), en revanche, sauf cas particulier, il est toujours irrégulier que le juge refuse d’apercevoir l’urgence à statuer lorsqu’est invoquée la perte par un agent, du fait de son absence de vaccination, de son traitement, en tout ou en partie (n°s 458517, 458681, 458686, 458690, 458695, 459120) sauf à établir une situation spécifique en termes de revenus et/ou de charges.  Le Conseil d’État aperçoit même pratiquement toujours dans ce refus d’admettre l’urgence à statuer une dénaturation des pièces du dossier.    

 

Également, il s’ensuit que le fait de faire courir le délai dans lequel la personne concernée doit se faire vacciner pendant une période de congé, assorti de la privation, partielle ou complète, de son traitement entraîne toujours la suspension de la mesure administrative par le juge du référé suspension (n°s 458693, 458699, 459106, 459120, 459121, 459122, 459123, 459974, 459987, 460010, 462400).

 

Encore, il est aussi jugé que ne saurait créer un doute sérieux quant à la légalité d’une mesure suspendant un agent non vacciné ni le fait qu'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire est pendante devant la Cour de cassation, ni l’allégation qu'elle est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière d'obligation vaccinale ou qu'elle porte atteinte au droit au travail, consacré par le Préambule de la Constitution de 1946 (n° 458517).

 

Enfin, lorsque le premier juge a expressément constaté qu’il n’y avait pas urgence à suspendre la décision contestée après avoir pris en considération à la fois les conséquences financières du refus de se faire vacciner, les charges que doit supporter l’intéressé et le risque de cette attitude pour la santé publique, son ordonnance est confirmée par le juge des référés du Conseil d’État (n° 459119). Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que cette ordonnance a, à tort, considéré comme régulière l’application de la mesure pendant le temps de congé est, ici, rendu inopérant, la première des deux conditions cumulativement nécessaires à l’obtention d’une mesure de suspension n’étant pas satisfaite (même décision).

 

Il convient de mettre à part la décision n° 462201 qui concerne le recours formé par un médecin contre une mesure de suspension d’exercice de sa fonction prise par le directeur d’une agence régionale de santé pour défaut de vaccination et contre la décision subséquente de « récupération financière » prise à son encontre par la directrice d’une caisse primaire d’assurance maladie et qui invoque au soutien de la demande d’annulation de ces décisions une QPC que le juge des référés du tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d’État.

Ce dernier estime, comme le premier juge, n’y avoir lieu à transmission de cette QPC et rejette, eu égard aux moyens soulevés, le pourvoi en cassation.

 

Les décisions ci-dessous sont toutes des ordonnances de référé suspension.

 

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Nîmes, n° 458517

23 septembre 2022, Mme C. épouse B. c/ EHPAD Résidence Emeraude Anne Laffont, n° 458666

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier du Pays d’Aix, n° 458681

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier du Pays d’Aix, n° 458686

23 septembre 2022, Mme B. c/ Centre hospitalier du Pays d’Aix, n° 458690

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier du Pays d’Aix, n° 458693

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier du Pays d’Aix, n° 458695

23 septembre 2022, M. B. c/ Centre hospitalier du Pays d’Aix, n° 458699

23 septembre 2022, Mme A. c/ Hôpital Nord-Franche Comté, n° 459016

23 septembre 2022, Mme B. c/ Centre hospitalier d’Hauteville, n° 459119

23 septembre 2022, M. B. c/ Centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Tours, n° 459120

23 septembre 2022, Mme B. c/ Centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Tours, n° 459121

23 septembre 2022, Mme B. c/ Centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Tours, n° 459122

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Tours, n° 459123

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier Paul Martinais de Loches, n° 459125

23 septembre 2022, Mme B. c/ Centre hospitalier intercommunal de Morestel, n° 459987

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier de Die, n° 459974

23 septembre 2022, Mme A. c/ Centre hospitalier Pierre Oudot, n° 460010

23 septembre 2022, Mme B. c/ Assistance publique-Hôpitaux de de Paris (AP-HP), n° 462400

23 septembre 2022, Mme A. c/ Agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 462201

 

86 - Enseignement supérieur - Prime de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) - Montant annuel individuel de la prime versée aux professeurs inférieur à celui de la prime versée aux maîtres de conférences – Absence d’illégalité s’agissant de deux corps différents – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté du 26 février 2021 fixant le montant annuel des attributions individuelles de la prime de recherche et d'enseignement supérieur instituée par le décret n° 89-775 du 23 octobre 1989 relatif à la prime de recherche et d'enseignement supérieur des personnels de l'enseignement supérieur (PRES) relevant du ministère chargé de l'enseignement supérieur, en tant qu'il prévoit un montant de la prime de recherche et d'enseignement supérieur versée aux professeurs d'universités inférieur d’environ 30% au montant de la prime versée aux maîtres de conférences.

Pour rejeter le recours le Conseil d’État retient que s’agissant de deux corps différents de fonctionnaires le principe d’égalité ne s’applique pas et ne s’impose dès lors pas au pouvoir réglementaire pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. C’est le cas en l’espèce, d’où le rejet du recours.

Cette décision est contestable car elle repose sur une contradiction et sur un paralogisme.

Le juge, concernant la mise à l’écart du principe d’égalité, réserve le cas où « la norme en cause (n’est), en raison de son contenu, pas limitée à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires. ». C’est précisément la situation de la PRES qui, dans l’un et l’autre corps, rémunère selon d’identiques critères exactement les mêmes espèces d’activités et de responsabilités, elle est donc bien transversale et n’est pas limitée dans ses composantes d’attribution à un seul corps mais recouvre a minima à la fois ceux des professeurs et des maîtres de conférences.

Le paralogisme qui entache ici le raisonnement du juge vient de ce qu’il s’en tient à l’existence de deux corps distincts omettant d’apercevoir qu’ils sont corrélés et qu’ils le sont en tant qu’ils sont hiérarchisés. En effet, par exemple, les professeurs peuvent participer au recrutement de maîtres de conférences et non l’inverse ou encore en matière disciplinaire ou de prise de décisions quelconques seuls peuvent y participer ceux d’un grade au moins égal à celui de l’agent concerné : une décision prise à l’égard d’un professeur par un collège composé de maîtres de conférences serait illégale parce que le maître de conférences n’est pas dans un grade « au moins égal » à celui de professeur, il se situe donc en-dessous. Les deux corps ne sont donc pas tant distincts que corrélés dans un sens hiérarchique, ce qui contredit l’argument retenu pour justifier la décision contestée.

(28 septembre 2022, Mme E. et autres, n° 451488)

(87) V. aussi, réitérant la regrettable décision précédente : 28 septembre 2022, M. AD et M. Z., n° 461102 ; Mme S. et autres, n° 461724 ; Mme Q. et autres, n° 461862 ; M. D., n° 461863.

 

88 - Commandant de police – chef de cellule du renseignement - Refus d’exécuter un ordre de son supérieur hiérarchique - Mise à la retraite d’office – Absence de caractère disproportionné de la sanction – Rejet.

En infligeant la sanction de la mise à la retraite d’office à un commandant de police, chef de cellule du renseignement, en raison du refus d’exécuter l’ordre de son supérieur hiérarchique de couvrir un mouvement de protestation sur le site d’un aéroport, le ministre de l’intérieur n’a pas pris une sanction disproportionnée eu égard à la gravité, au nombre et à la réitération des faits reprochés. 

(29 septembre 2022, M. C., n° 452874)

 

Hiérarchie des normes

 

89 - Limitation à 40 tonnes du poids maximal des ensembles de véhicules circulant en trafic international – Décret du 29 juillet 2021 pris pour la transposition de directives européennes - Exception d’invalidité d’une directive de l’Union européenne – Régime contentieux – Rejet.

Pris pour la transposition de directives de l’Union européenne, le décret n° 2021-1006 du 29 juillet 2021 relatif aux poids et dimensions des véhicules terrestres à moteur et modifiant le code de la route fixe à 40 tonnes le poids maximal autorisé d'un véhicule comportant plus de quatre essieux et prévoit des possibilités de dépassements en cas d'opération de transport intermodal. En outre ce décret prévoit que, par dérogation, « le poids total roulant autorisé d'un ensemble comportant plus de quatre essieux peut dépasser 40 tonnes, sans excéder 44 tonnes, pour un transport routier réalisé entièrement sur le territoire national ».

Les requérantes soulèvent à l’encontre de ce décret, pour en demander l’annulation, une exception d’invalidité à l’encontre de la directive du 25 juillet 1996 qu'il transpose, en tant qu'elle limite à 40 tonnes le poids maximal autorisé des véhicules ou ensembles de véhicules routiers à cinq ou six essieux circulant entre États membres ; elles invoquent également des moyens tirés du seul droit interne.

Ainsi est rejetée la première branche de l’argumentation, qui vise la prétendue invalidité de la directive contestée.

Sur le moyen d’exception d’invalidité d’une directive, le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence désormais classique. Lorsqu’il est saisi d’une demande d’annulation d’un acte de droit interne au motif qu’il transpose une directive violant elle-même le droit de l’Union (dispositions des traités, charte des droits fondamentaux de l'Union, principes généraux du droit de l'Union ou stipulations d'une convention à laquelle l'Union européenne est partie), le juge administratif adopte l’une des deux attitudes suivantes :  si la réponse à l’exception d’invalidité soulevée devant lui ne présente pas de difficulté sérieuse il lui revient d'écarter le moyen invoqué, dans le cas contraire, il doit saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle (cf. art. 267 TFUE). 

En l’espèce, il lui apparaît n’exister aucune difficulté sérieuse à ce qu’il constate lui-même devoir écarter le moyen.

Premièrement, si l’art. 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union proclame la liberté d’entreprise, cette dernière ne saurait être absolue et peut être soumise, dans l’intérêt de la société et de ses membres, à diverses limitations comme en l’espèce où les mesures en cause s’efforcent de parvenir, selon les propres termes de la directive, à un « équilibre entre l'utilisation rationnelle et économique des véhicules routiers utilitaires et les exigences d'entretien de l'infrastructure, de sécurité routière et de protection de l'environnement et du cadre de vie ».

Deuxièmement, il ne saurait être sérieusement soutenu que la limite de 40 tonnes constituerait par elle-même une entrave à la libre circulation des marchandises ainsi qu'une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives prohibée par le droit de l'Union européenne, alors que la directive vise à éviter les effets préjudiciables sur la concurrence et la libre circulation entre les États membres qu'entraîneraient des différences de normes en matière de poids des véhicules routiers. 

Troisièmement, est rejeté car non étayé le moyen selon lequel la limitation à 40 tonnes du poids maximal des ensembles de véhicules circulant en trafic international aura pour effet une augmentation du nombre de véhicules roulant sur le territoire européen dans les zones frontalières et par suite des émissions de gaz à effet de serre.

Sur les moyens tirés du droit interne, ils sont tous rejetés soit parce qu’en réalité ils visent non ce droit mais le contenu de la directive soit parce qu’ils répètent un moyen déjà dirigé contre la directive soit, enfin, parce que la discrimination alléguée entre nationaux et non nationaux n’existe pas, la dérogation relative à la circulation intranationale découlant directe d’une faculté ouverte par la directive elle-même.

(27 septembre 2022, Union professionnelle du transport et de la logistique, société Transports Dubacque Belgique, Fédération des industries extractives et transformatrices de roches non combustibles et société Carrières unies de porphyre, n° 457029 ; Union nationale des producteurs de granulats et société STB Transport, n° 457147)

 

Libertés fondamentales

 

90 - Ressortisante ukrainienne - Bénéfice de la protection temporaire instituée par décision du Conseil de l'Union européenne (4 mars 2022) - Conditions d'application de ce régime - Absence de satisfaction à celles-ci - Rejet.

La requérante, ressortissante ukrainienne est entrée régulièrement en France le 13 novembre 2021, sous couvert d'un visa en qualité d'étudiante. A la suite de l'invasion de son pays par les forces russes le 24 février 2022, elle s'est rendue le 4 mars en Ukraine pour en ramener son fils, né le 18 novembre 2010. Ils sont revenus tous les deux en France le 16 avril 2022.

Mme A. s'est vue refuser le bénéfice de la protection temporaire par l'autorité préfectorale et sa demande de référé liberté dirigée contre ce refus d'enregistrer sa demande de protection temporaire et de lui délivrer un titre de séjour a été rejetée par une ordonnance du 2 septembre 2022 du tribunal administratif.

Son appel est rejeté par le juge des référés du Conseil d'État. Celui-ci relève en effet qu'il résulte de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l'Union européenne du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001, qu'une protection temporaire est instituée à cette date au bénéfice des catégories de personnes énumérées en son article 2.

Or la requérante, qui résidait régulièrement en France à la date du 24 février 2022, jour de l'invasion de l'Ukraine, ne peut prétendre directement au bénéfice de la protection temporaire instituée par la décision du Conseil de l'Union européenne du 4 mars 2022.

En outre, à supposer que son fils puisse être regardé comme résidant en Ukraine au 24 février 2022, elle ne peut davantage prétendre au bénéfice de cette protection en qualité de membre de sa famille, dès lors qu'il résulte des dispositions de la décision d'exécution précitée que cette notion doit s'entendre uniquement des membres de la famille qui résidaient eux-mêmes en Ukraine à cette même date.

En l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, ainsi que l'a relevé le premier juge, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, celui-ci a rejeté sa demande. 

On peut trouver la solution bien sévère.

(ord. réf. 9 septembre 2022, Mme A., n° 467244)

 

91 - Liberté de l'enseignement - Ouverture d'une école hors contrat - Opposition préfectorale - Motif d'ordre public - Défaut d'urgence - Rejet du référé liberté.

N'établit pas l'existence de l'urgence propre au référé de l'art. L. 521-2 du CJA, l'association qui, pour demander la suspension d'exécution de l'opposition préfectorale à l'ouverture d'une école hors contrat, fondée sur des motifs d'ordre public, invoque l'urgence résultant de ce qu'elle a été contrainte de reporter la rentrée scolaire prévue le 2 septembre et qu'elle a besoin du paiement des frais d'inscription de ses vingt élèves pour continuer à louer ses locaux et conserver ses quatre salariés.

Par suite sa demande ne peut qu'être rejetée ainsi que jugé en première instance.

(ord. réf. 12 septembre 2022, Association Cours Trilingue Arthur Rimbaud (CTAR), n° 467299)

 

92 - Droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er, charte des droits fondamentaux de l'UE) – Liberté fondamentale – Rejet.

Le conseil départemental du Var a entrepris en 2021 des travaux en vue du recalibrage d’une route départementale avec création d'une voie cyclable. Les requérants, qui possèdent un laboratoire limitrophe de l'endroit où se déroulent les travaux contestés et où ils mènent depuis plusieurs années un travail de recensement et d'études des espèces protégées s'y trouvant, font valoir que la poursuite de ces travaux portera atteinte de manière irréversible à ces espèces protégées et entraînera la destruction de leur habitat. Ils se pourvoient en cassation contre l’ordonnance de rejet de leur demande par le premier juge au visa de l’art. L. 521-2 CJA.

La principale question posée par le pourvoi était de savoir si les intéressés pouvaient fonder leur action sur l’art. L. 521-2 du CJA. En effet, ils invoquaient l’atteinte portée par les travaux publics litigieux à la liberté fondamentale du droit de vivre dans un environnement sain.

Précisément, leur demande en référé liberté avait été rejetée en première instance car le juge avait estimé qu’il n’y avait pas là une « liberté fondamentale » au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 CJA.

Le Conseil d’État casse sur ce point l’ordonnance de rejet en jugeant que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ».

La requête est cependant rejetée pour défaut d’urgence et absence d’irrégularité de la décision préfectorale accordant pour ce projet une dispense d’étude d’impact.

(ord. réf. 20 septembre 20222, M. et Mme C., n° 451129)

 

93 - Demande d’asile par une mère et son fils mineur – Protection subsidiaire accordée à la mère et refusée à son fils – Erreur de droit – Annulation et octroi de cette protection.

Commet une erreur de droit au regard des dispositions du deuxième alinéa de l’art. L. 741-1 du CESEDA, la Cour nationale du droit d’asile qui, saisie d’une demande d’asile d’une mère et de son fils mineur représenté par cette dernière, accorde à la mère le bénéfice de la protection subsidiaire et le refuse au fils.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation prononce l’annulation de ce refus et accorde lui-même le bénéfice de la protection subsidiaire au fils.

(23 septembre 2022, M. C. représenté par sa mère, n° 455233)

 

94 - Suppression du statut de réfugié – Complicité à la réalisation d’un crime de guerre – Transport et pose de mines antipersonnel – Application d’un protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949 – Erreur de droit – Annulation.

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmé par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a mis fin au statut de réfugié du requérant sur le fondement du 1° de l'article L. 711-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, repris désormais à l'article L. 511-8 de ce code.

Ces décisions reposent sur la conviction de l’OFPRA et de la CNDA que le demandeur a participé à la commission de crimes de guerre car lors de la seconde guerre de Tchétchénie, il avait apporté son concours au transport de mines antipersonnel et aidé les ingénieurs et poseurs de ces mines, dans les districts de Kourtchaloï et d'Argoun. Or l'article 35 du Premier protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, adopté le 8 juin 1977, proscrit l'utilisation des armes de nature à causer des maux superflus, auxquels la CNDA a assimilé les mines antipersonnel. 

Après avoir relevé que ce protocole ne s’applique qu’aux conflits armés internationaux et non, comme dans le cas de l’espèce, aux conflits armés non internationaux comme l’était le conflit armé opposant la Fédération de Russie aux indépendantistes tchétchènes, le Conseil d’État estime cependant que l’art. 35 invoqué par la CNDA constitue une règle coutumière du droit international humanitaire et donc applicable à des conflits internes aux États. En assimilant les mines antipersonnel à de telles armes prohibées, la CNDA n’a donc pas commis d’erreur de droit.

En revanche, c’est au prix d’une erreur de droit qu’elle a, en conséquence, jugé que les agissements de M. B. devaient être qualifiés de complicité à la réalisation d'un crime de guerre, en retenant l'aide qu’il avait apportée à l'emploi de mines antipersonnel. Selon le juge de cassation, « il ne résulte ni de cette règle (coutumière), ni d'aucun autre principe du droit international humanitaire, ni d'aucune convention internationale, notamment pas, en l'état de son processus de ratification, de la convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, signée le 18 septembre 1997, pas plus que de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, en particulier de son article 8, point 2, définissant les crimes de guerre au sens de cette convention, que l'emploi de mines antipersonnel serait interdit en tant que tel pour l'ensemble des Etats. » La CNDA ne pouvait de ce seul fait apercevoir l’existence de crime de guerre sauf à établir qu’en l’espèce les conditions d'emploi de ces armes ont été telles qu'elles traduisaient notamment l'exercice d'une violence indiscriminée impliquant nécessairement des atteintes graves à la vie et à l'intégrité physique de civils et qu’ainsi la participation à leur transport et à leur pose est susceptible d'être regardée comme présentant le caractère d'un crime de guerre au sens du a) du F de l'article de la convention de Genève.

Faute qu’ait été effectuée la recherche en ce sens, la décision de la Cour est annulée.

On dira notre désaccord avec une solution qui illustre pleinement, hélas, la maxime cicéronienne summun ius summa iniuria : lorsque l’on sait quelles horreurs produisent les mines antipersonnel, il devient très immoral et même assez répugnant de conserver à celui qui les fournit et aide à les poser le beau statut français de réfugié.

Il y a là une véritable contradiction dans les termes.

(27 septembre 2022, M. B., n° 455663)

 

95 - Principe d’égalité entre praticiens en matière de dépassements d’honoraires – Possibilité ouverte aux seuls praticiens exerçant dans un établissement public de santé – Existence de différences objectives justificatives – Refus de transmission d’une QPC.

A l’appui d’un recours dirigé contre  le décret du 5 février 2022 relatif à l'activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé, les requérants avaient soulevé une QPC fondée sur la méconnaissance, par ces dispositions, du principe d'égalité en ce qu'elles autorisent les seuls praticiens des établissements publics de santé à exercer au sein de leur établissement une activité libérale, pouvant donner lieu le cas échéant à dépassement d'honoraires, sans prévoir cette possibilité pour les praticiens des établissements de santé privés d'intérêt collectif.

La requête reposait sur l’affirmation que les situations respectives des deux catégories de praticiens sont comparables.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État estime que ce n’est pas le cas car il existe entre ces catégories de médecins des différences appréciables de situation.

En premier lieu, il est jugé que contrairement aux praticiens exerçant dans les établissements de santé privé d'intérêt collectif, les praticiens hospitaliers ont vocation à consacrer l'intégralité de leur carrière au secteur public et sont régis par un statut de droit public. Ce statut régit entièrement les conditions de leur rémunération, sans possibilité de dérogation par voie conventionnelle, et fixe, en dépit des assouplissements apportés sur ce point par l'ordonnance du 17 mars 2021, des règles contraignantes pour l'exercice d'activités extérieures à l'établissement public de santé, auxquelles ne sont pas soumis les médecins exerçant dans les établissements de santé privé d'intérêt collectif.

L’affirmation que les praticiens hospitaliers « ont vocation à consacrer l'intégralité de leur carrière au secteur public » est quelque peu inexacte : c’est l’intégralité de leur temps d’activité non de leur carrière – Dieu merci pour eux – qu’ils doivent consacrer au service public. Quant à l’affirmation qu’ils « sont régis par un statut de droit public », c’est un truisme puisqu’il concerne le libellé même de la question, si tous les praticiens étaient soumis au même statut cette question ne se poserai pas. Ce qu’il convenait de se demander c’est si la différence statutaire est un motif suffisant et pertinent de différenciation en matière de dépassements d’honoraires.

En second lieu, il est également jugé que « l'exercice d'une activité libérale au sein des établissements publics de santé reste soumis, même à la suite des assouplissements introduits par l'ordonnance du 17 mars 2021, à des conditions restrictives. L'exercice, dans de telles conditions, d'une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires des établissements publics de santé. Il permet d'améliorer l'attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des soins prodigués dans les établissements publics de santé. »

Ici encore, il faut se demander si ce sont là des motifs pertinents au regard de la question posée. Cela veut-il dire, par exemple, qu’un coup de pouce salarial via les dépassements d’honoraires peut bien être donné aux praticiens hospitaliers et pas aux autres ?

Bref, il y a là une solution dont la motivation ne parvient pas à la rendre complètement convaincante.

(28 septembre 2022, Association Hôpital Foch, fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, association Hôpitaux privés de Metz, mutualité Fonction publique action santé social et groupement de coopération sanitaire « Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille », n° 462637)

 

Police

 

96 - Police de la sécurité publique - Risque d'éboulements d'une falaise en surplomb d'un restaurant en bord de mer - Rejet par le préfet de la demande d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public - Arrêté municipal de fermeture de l'établissement jusqu'aux résultats d'une  étude géotechnique de cette falaise - Rejet.

La requérante, exploitante d'un  restaurant situé au pied d'une falaise, a été informée en 2015, par un bureau d'études, de la nécessité de faire un diagnostic de cette falaise afin d'apprécier les risques de chute de blocs et de définir le cas échéant les travaux à effectuer. Elle n'a pas fait réaliser ce diagnostic.

Par deux courriers des mois de novembre 2017 et de mars 2021, le préfet a mis cette société en demeure de cesser toute occupation du domaine public maritime, de démonter le bâtiment abritant ce restaurant et rejeté une demande d'autorisation occupation temporaire du domaine public, soulignant les risques de chute de blocs et de glissement de terrain existant dans la zone où il se situe, et les effets inacceptables d'une exploitation qui attire du public dans une telle zone. 

C'est dans ces conditions que le maire de la commune a, par l'arrêté attaqué, usé de ses pouvoirs de police pour ordonner la fermeture de cet établissement, jusqu'à la levée de tout risque par une étude géotechnique portant sur la fiabilité de la falaise.

Le juge des référés du Conseil d’État rejette la demande en référé liberté formée par la société et fondée sur ce que cet arrêté constituerait une mesure manifestement inadaptée ou disproportionnée ou serait entaché de détournement de pouvoir alors qu'il a été pris pour garantir la sécurité publique face au risque de chute de blocs ou de glissement de terrain.

(ord. réf. 9 septembre 2022, Société Austin, n° 467212)

 

97 - Police des animaux dangereux - Pouvoir de police du maire – Confiscation de l’animal dangereux - Droit de propriété sur un animal – Liberté fondamentale –Mesure sans caractère manifestement illégal – Rejet.

Les requérants sont propriétaires d'un chien qui a mordu une personne. Le maire de la commune a ordonné, sur le fondement de dispositions du code rural, une évaluation comportementale du chien qui a conclu au classement de ce chien au niveau 2 de risque de dangerosité, soit, aux termes de l'article D. 211-3-2 du code rural, « un risque de dangerosité faible pour certaines personnes ou dans certaines situations » nécessitant de ne pas laisser le chien seul, sans surveillance, de sécuriser le portail et d'attacher le chien lorsque ce dernier se retrouve seul. Un mois après, le chien s’est échappé de la propriété de ses maîtres et, divaguant sur la voie publique, a attaqué des voitures et s’est révélé impossible à maîtriser, mordant à nouveau une personne.

Par un arrêté du 12 septembre 2022, le maire a ordonné le placement du chien dans un lieu de dépôt sécurisé et a autorisé son euthanasie. 

Les propriétaires forment un référé liberté contre cette décision.

Le juge admet que la non restitution d’un animal à ses maîtres constitue une atteinte à leur droit de propriété qui est une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA.

Cependant, s’agissant d’une mesure de police, le maire n’était pas tenu, d’une part, d’entendre les intéressés préalablement à sa décision, d’autre part, de ne prendre cette mesure qu’envers des chiens déclarés dangereux par le code rural.

Enfin, la décision contestée ne revêt pas une illégalité manifeste alors que ce chien, échappé sur la voie publique, a mordu une femme une première fois, que le maire a ordonné son évaluation comportementale ce qui a conduit à recommander de ne pas laisser le chien seul, sans surveillance, de sécuriser le portail et d'attacher le chien lorsque ce dernier se retrouve seul, qu’ensuite le chien a brisé sa chaîne, s'est à nouveau échappé sur la voie publique et a alors mordu un père de famille, qui a dû se réfugier dans son véhicule avec sa femme et ses enfants.

Si les intéressés proposent de confier l’animal à d'autres personnes, dont leur fils, maître-chien et dresseur, le directeur par intérim de la direction départementale de la protection des populations de Vaucluse, vétérinaire, a estimé qu'eu égard à son âge, sa race et aux deux morsures intervenues à quelques semaines d'intervalle, la probabilité que diminue l'agressivité de ce chien vis-à-vis des humains qu'il ne connaît pas est très faible, y compris s'il est confié à un chenil ou au fils des requérants, qui ne dispose par ailleurs que d'un petit jardin, dans Marseille, ce qui augmente les risques.

La décision du maire n'est, au regard du droit de propriété comme, en tout état de cause, du « droit à la vie » de l'animal, pas manifestement illégale, d’où le rejet du référé liberté.

(21 septembre 2022, M. et Mme C., n° 467514)

 

98 - Police de la santé publique – Obligation faite aux restaurateurs de contrôler au moyen d’un téléphone mobile la validité des passes sanitaires de leurs clients – Absence d’atteinte à divers droits et libertés – Rejet.

Le juge rejette le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les dispositions du III de l'article 2.3 du décret du 1er juin 2021 en ce qu'elles imposent aux restaurateurs, pour prouver l'exécution de leur obligation de contrôler la validité des passes sanitaires de leurs clients au travers de l'application gouvernementale dénommée « TousAntiCovid Vérif », de disposer d’un téléphone portable et de l'utiliser à cette fin.

Le juge estime que l’obligation de détenir un téléphone susceptible de procéder au contrôle du « code-QR » présenté par leurs clients, eu égard au coût d'un tel appareil, ne saurait par elle-même porter une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie. Il considère qu’eu égard au fait qu'il s'agit d'appareils légalement commercialisés, couramment utilisés par les professionnels et dont certains modèles répondent aux préoccupations éthiques et environnementales des requérantes, doit être écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’art. 6 de la Charte de l’environnement par les dispositions résultant de l'obligation de disposer d'un téléphone mobile susceptible de procéder au contrôle des « codes-QR » des passes sanitaires.

Pas davantage ne peut être invoquée ici la liberté de conscience de ceux qui désapprouvent cette technologie alors que cette atteinte est néanmoins justifiée par la nécessité de contrôler les justificatifs dans des conditions garantissant à la fois la confidentialité des données médicales qu'ils contiennent et leur authenticité.

Enfin, sont rejetés, d’une part, le moyen tiré de ce que de l’illégalité d’une mesure de police qui est, à la fois, nécessaire, adaptée et proportionnée et qui ne saurait être regardée, en tout état de cause, comme portant atteinte à la liberté de choix des moyens pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, et d’autre part, de ce que les sanctions pénales établies par le décret attaqué et assortissant cette obligation méconnaîtraient le principe constitutionnel de nécessité des peines  alors qu’elles ont été établies par les dispositions du D du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021. 

(23 septembre 2022, Société Le Poirier-au-Loup et Mme C., gérante, n° 455412)

(99) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le décret du 14 février 2022, qui a modifié le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire afin de prévoir, au 2° de l'article 2-2 de ce décret, que, s'agissant des vaccins autres que le vaccin « COVID-19 Vaccine Janssen », les personnes de dix-huit ans et un mois ou plus ayant reçu le vaccin doivent, pour que leur schéma vaccinal reste reconnu comme complet, avoir reçu une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager au plus tard quatre mois suivant l'injection de la dernière dose requise, alors que ce délai était précédemment fixé à sept mois. La durée de validité du certificat de rétablissement délivré à une personne à la suite d'une contamination à la Covid-19, mentionnée au 3° de l'article 2-2, a, quant à elle, été ramenée de six à quatre mois également, lorsque cette personne ne justifiait pas d'un schéma vaccinal initial complet ou que l'infection est intervenue moins de trois mois après celui-ci. La mesure est jugée adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances prévalant à la date du décret attaqué au regard des avis scientifiques alors disponibles ainsi que de l’avis du Haut conseil scientifique rendu le 23 décembre 2021 après celui en sens contraire du 13 octobre 2021 : 23 septembre 2022, M. G. et autres, n° 461567.

 

100 - Police de la détention d’armes – Armes détenues par voie successorale – Régime de droit commun applicable – Rejet.

Le requérant se pourvoit en cassation contre l’arrêt confirmatif rejetant sa demande d’annulation de l’arrêté préfectoral qui lui a ordonné de remettre les armes, éléments d'armes et munitions en sa possession au commissariat de police, l'a interdit d'acquisition et de détention de toutes catégories d'armes, d'éléments d'armes et de munitions et l'a informé de son inscription au fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes. 

Son pourvoi est rejeté au visa de dispositions du code de la sécurité intérieure (cf. L. 312-4, L. 312-11, L. 314-2, R. 312-51, R. 312-74 et R. 312-75) desquelles le juge déduit que la détention d’armes de catégorie B, même par voie successorale, sans être autorisé à les détenir, est dans l’obligation soit de s’en défaire (par vente, destruction, neutralisation ou remise à l’État) en produisant un certificat de cette opération soit obtenir l’autorisation administrative de les conserver après avoir, dans l’attente, déposé ces armes chez un armurier autorisé.

En l’espèce, l’intéressé, qui n’avait pas remis sans délai ses armes, ne peut invoquer le non respect d’une procédure contradictoire avant la prise de l’arrêté litigieux car cette procédure est prévue pour le dessaisissement des armes non pour leur remise (cf. art. L. 312-11 CSI). Ce moyen est donc ici inopérant.

Enfin, le juge rejette trois moyens qui auraient peut-être mérité un autre traitement ou un examen plus approfondi.

D’abord, il est jugé que c’est sans erreur de droit que l’arrêt attaqué a estimé que le préfet avait pu ordonner la remise des armes par l’intéressé sans lui avoir demandé préalablement de s’en dessaisir.

Ensuite, la circonstance que les armes qu'il lui a été ordonné de remettre aux services de police n'étaient pas conservées à son domicile mais à celui de sa mère ne fait pas, par elle-même, obstacle -  ainsi que l’a jugé la cour - à ce qu'il puisse être regardé comme ayant été mis en possession de ces armes au sens des dispositions de l'art. R. 312-51 susvisé dès lors qu'il y avait librement accès et qu'il avait manifesté son intention de ne pas s'en dessaisir mais de régulariser sa situation afin de les conserver.

Enfin, le moyen tiré de ce que le requérant ne présente ni un comportement dangereux ni un état psychologique instable et qu'il n'a jamais commis d'infraction pénale est inopérant car ce n’est pas là le motif fondant l’arrêté litigieux, lequel réside seulement dans le fait que, dans le délai qui lui était imparti, il ne s’était pas dessaisi de ces armes et n'avait pas obtenu l'autorisation de les détenir.

(28 septembre 2022, M. A., n° 453580)

 

101 - Police des mines – Application du code minier outre-mer – Participation du public en l’absence d’entrée en vigueur de l’ordonnance prévoyant cette participation – Application directe du code de l’environnement – Rejet.

Les autorisations d’exploitation de mines accordées outre-mer alors que n’était pas encore entrée en vigueur l’ordonnance du 13 avril 2022  relative à l’adaptation outre-mer du code minier et que n’y existaient pas de dispositions législatives régissant les conditions dans lesquelles une autorisation d'exploitation de mines est accordée, étaient néanmoins soumises, eu égard à leurs incidences directes et significatives sur l'environnement, au principe de participation du public prévu à l’art. 7 de la Charte de l’environnement que met en œuvre le I de l’art. L. 123-19-2 du code de l’environnement.

(30 septembre 2022, Associations France nature environnement et Guyane nature environnement, n° 455062)

 

102 - Grave excès de vitesse - Suspension du permis de conduire en urgence – Absence de procédure contradictoire nécessaire – Rejet.

Par une décision quelque peu latitudinaire le Conseil d’État juge que les conditions particulières d'urgence dans lesquelles intervient la décision par laquelle le préfet suspend un permis de conduire sur le fondement de l'article L. 224-2 du code de la route, qui doit être prise dans les 72 heures et qui a pour objet de faire obstacle à ce qu'un conducteur ayant commis un grave excès de vitesse retrouve l'usage de son véhicule, permettent au préfet de prendre légalement cette décision en se dispensant de la procédure contradictoire prévue 1° de l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration.

(29 septembre 2022, ministre de l’intérieur, n° 460634)

 

103 - Nouvelle conductrice - Permis à points d’un capital de six points – Infractions commises durant la période probatoire – Perte de points – Stage de sensibilisation avec rétablissement de points - Décision constatant la perte de validité du permis – Annulation de la décision – Erreur de droit – Annulation du jugement.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour annuler une décision « 48 SI » constatant la perte de validité du permis de conduire d’une automobiliste qui s’était déjà vue retirer des points du fait d’infractions commises en 2014 et 2015 et compte tenu de la perte par la suite de deux fois quatre points pour des infractions commises les 24 janvier 2017 et 18 septembre 2019, relève d’abord qu'avant le terme de sa période probatoire, celle-ci avait reconstitué le capital de six points du début de période probatoire, ensuite, que le relevé d'information intégral portait la mention « Fin de période probatoire 16/07/2016 K = 12 » et, enfin, que les infractions précitées de 2017 et 2019 n'ayant entraîné qu'une perte totale de huit points, l'intéressée conservait quatre points au capital de points de son permis de conduire.

En réalité, les infractions commises en 2014 et 2015 avaient fait obstacle à ce que son capital de points puisse bénéficier des majorations prévues, à l'issue des première et deuxième années du délai probatoire, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 223-1 et du II de l'article R. 223-1 du code de la route. De plus, la mention figurant au relevé d'information intégral selon laquelle « K = 12 » n'indique pas le solde effectif de points du permis mais seulement le nombre maximal de points dont ce permis aurait pu être affecté à la date d'expiration du délai probatoire. Le jugement repose donc sur une erreur de droit conduisant à constater à tort que le permis de conduire de l'intéressée était affecté d'un capital de douze points en fin de période probatoire sur lequel ont été ensuite imputés les retraits de points intervenus postérieurement.

(29 septembre 2022, ministre de l’intérieur, n° 460900)

 

Professions réglementées

 

104 - Ordre des experts comptables – Ordonnance de 1945 – Contraintes particulières pour les ressortissants étrangers – Limitations de nature législative – QPC impossible – Refus de transmission.

(20 septembre 2022, M. D. et autre, société LF Audit Conseil et société Kaerus, n° 465288)

V. n° 110

 

105 - Médecin spécialiste en anesthésie-réanimation - Dépendance alcoolique - Experts attestant l'absence d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession - Suspension temporaire d'exercice de ses fonctions et obligation de se soumettre à une nouvelle expertise - Rejet du référé suspension.

Le juge rejette le référé suspension dirigé par un médecin anesthésiste-réanimateur contre la décision du Conseil national de l'ordre des médecins le suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et subordonnant la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une nouvelle expertise.

Le demandeur faisait valoir à l'appui de sa demande de suspension que cette décision était entachée d'une erreur d'appréciation car fondée sur le motif « qu'il n'apporte pas la preuve d'un réel suivi pour une dépendance à l'alcool depuis plusieurs années », alors que, d'une part, les experts désignés sur le fondement de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique ont relevé qu'il bénéficiait d'un suivi médical et psychologique pour son trouble anxieux et sa dépendance à l'alcool et abouti à la conclusion qu'il ne se trouvait pas dans un état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession et, d'autre part, qu'il produit de nouvelles pièces attestant d'un tel suivi et de ce qu'il exerçait sa profession à la satisfaction de tous depuis la reprise de ses fonctions en septembre 2021.

De façon très laconique, la juge des référés estime que cette argumentation, en l'état, n'établit pas l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

(ord. réf. 9 septembre 2022, M. A., n° 467022)

 

106 - Vétérinaires – Procédure disciplinaire – Tentative de conciliation ou de médiation ordinale – Absence de caractère obligatoire avant dépôt d’une plainte – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la décision de la chambre supérieure de discipline de l'ordre des vétérinaires qui juge irrecevable une plainte formée par les requérants devant un conseil régional de l’ordre au motif que ce dépôt de plainte n’avait pas été précédé d’une tentative de conciliation ou d’une demande de médiation ordinale contrairement aux dispositions du dernier alinéa de l’art. R. 242-39 du code rural et de la pêche maritime. En effet, ce texte n’institue pas, contrairement à ce qu’a jugé la chambre supérieure de discipline de l’ordre des vétérinaires, un préalable obligatoire à toute plainte, sous la forme d’une conciliation ou d’une médiation, qui en conditionnerait la recevabilité.

(28 septembre 2022, M. C. et société vétérinaire Le loup blanc, n° 442713)

 

107 - Médecins – Nouveau régime de communication professionnelle – Demandes d’annulation de dispositions du code de déontologie – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de dispositions de l'article 1er du décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 portant modification du code de déontologie des médecins et relatif à leur communication professionnelle. Les premiers (requête n° 448293) poursuivaient l'annulation de la première phrase de l'article R. 4127-13 du code de la santé publique ainsi que de l'article R. 4127-19-1 du même code, tels que résultant du décret du 22 décembre 2020 ; le second voulait obtenir l’annulation du II de l'article R. 4127-19-1 du code de la santé publique, issu du décret litigieux du 22 décembre 2020.

Tout d’abord, la première phrase de l'article R. 4127-13 du code de la santé publique dispose désormais que : « Lorsque le médecin participe à une action d'information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion, il ne fait état que de données confirmées, fait preuve de prudence et a le souci des répercussions de ses propos auprès du public » tandis que celle de l’art. R. 4127-19-1 de ce code énonce « I. - Le médecin est libre de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice. »

Ensuite, le II de l'article R. 4127-19-1 dudit code dispose « II. - Le médecin peut également, par tout moyen, y compris sur un site internet, communiquer au public ou à des professionnels de santé, à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique. Il formule ces informations avec prudence et mesure, en respectant les obligations déontologiques, et se garde de présenter comme des données acquises des hypothèses non encore confirmées. »

Les moyens sont rejetés.

Le juge estime que sont suffisamment claires et précises les expressions données confirmées, informations scientifiquement étayées ou hypothèses non encore confirmées, et que contrairement à ce qui est soutenu elles ne méconnaissent pas l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme.

Il juge ensuite que ces prescriptions ne contreviennent pas aux dispositions de l’art. 10 de la Convention EDH sur la liberté d’expression et de communication en tant qu’elles tendent à éviter les risques qu'une communication imprudente pourrait faire courir en matière de santé publique ainsi que ceux pouvant résulter d’informations communiquées par les médecins qui ne seraient pas scientifiquement étayées ou encore de ce que ces derniers présenteraient comme acquises des hypothèses non encore confirmées. De telles limitations n'excèdent pas les limites que la protection de la santé justifie d'apporter à la liberté d'expression des médecins.

(28 septembre 2022, M. H. et autres, n° 448293 ; Syndicat des médecins Aix et Région, n° 450127)

 

108 - Médecins - Praticiens hospitaliers – Risque de concurrence directe entre leurs fonctions hospitalières et l’exercice de certaines activités rémunérées extérieures en cas de départ de l’hôpital- Interdiction d’exercice temporaire – Transmission d’une QPC.

(8 septembre 2022, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 462977)

() V. aussi, comparable : 28 septembre 2022, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 462978

V. n° 114 et n° 115

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

109 - Demande de reconnaissance de la qualité de réfugié - Audition du demandeur d'asile par la Cour nationale du droit d'asile en l'absence d'un avocat (art. L. 531-16 CESEDA) - Art. 88-1 de la Constitution inopposable en l'espèce en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France - Procédure administrative n'ayant pas le caractère de sanction - Absence de mise en cause d'un droit ou d'une liberté garanti par la Constitution - Refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Le requérant avait formé une QPC à l'encontre des dispositions de l'art. L. 531-16 du CESEDA en ce qu'elles permettent à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de mener l'entretien individuel avec le demandeur d'asile sans la présence d'un avocat, dans le cas où l'avocat d'un demandeur incarcéré et dont l'entretien se déroule par visioconférence n'a pu se rendre au centre pénitentiaire pour un motif indépendant de la volonté du demandeur.

Le juge rejette in fine cette QPC mais le raisonnement conduit pour parvenir à ce résultat est très intéressant.

Pour résister à la demande de transmission de la QPC le ministre de l'intérieur et l'OFPRA défendeurs soutenaient que la procédure régie par la disposition litigieuse se borne à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises du troisième alinéa du point 4 de l'article 23 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale. Or l'on sait qu'il résulte de l'interprétation donnée de l'art. 88-1 de la Constitution par le Conseil constitutionnel que ce dernier considère qu'il n'est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne sauf dans le cas où serait mis en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. En dehors de cette hypothèse, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne. 

Cette argumentation est ici rejetée car cette même directive, en son article 5, réserve aux Etats membres la faculté de «prévoir ou maintenir des normes plus favorables en ce qui concerne les procédures d'octroi et de retrait de la protection internationale, pour autant que ces normes soient compatibles avec la présente directive.» Ainsi, la rédaction retenue exclut l'existence pour ces États d'une « obligation inconditionnelle et précise » au sens et pour l'application de la jurisprudence constitutionnelle sus-évoquée. Il suit de là qu'en ce cas, même en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel est compétent pour juger une QPC.

Toutefois, le droit à l'assistance d'un avocat n'est une exigence constitutionnelle, issue de l'art. 16 de la Déclaration de 1789, selon le Conseil constitutionnel, que lorsqu'est en cause une procédure juridictionnelle ou, en dehors des procédures juridictionnelles, l'infliction d'une sanction ayant le caractère d'une punition ou l'audition d'une personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Tel n'est pas le cas d'une procédure se déroulant devant l'OFPRA lequel n'est pas une juridiction de jugement ou d'instruction et ne connaît donc que d'une procédure administrative au terme de laquelle ne peut être prise qu'une décision qui, même en cas de refus, ne constitue pas une sanction.

D'où il suit que l'OFPRA peut réaliser l'entretien personnel du demandeur d'asile en l'absence de son avocat dès lors que les dispositions législatives contestées n'affectent aucun droit ou liberté que la Constitution garantit.

Par ailleurs aucun des moyens développés au soutien du pourvoi en cassation devant le Conseil d'État n'étant de nature à en permettre l'admission, l'entier recours est rejeté.

(16 septembre 2022, M. B., n° 459394)

 

110 - Ordre des experts comptables – Ordonnance de 1945 – Contraintes particulières pour les ressortissants étrangers – Limitations de nature législative – QPC impossible – Refus de transmission.

Saisi d’une QPC dirigée contre l'article 7 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, le Conseil d’État en refuse la transmission au Conseil constitutionnel.

Il considère celle-ci irrecevable car dirigée contre des dispositions non de nature législative mais de nature réglementaire. Selon lui, au nombre des libertés publiques – lesquelles ressortissent à la compétence du législateur en vertu de l’art. 34 de la Constitution - figure le libre accès à l'exercice par les citoyens d'une activité professionnelle n'ayant fait l'objet d'aucune limitation légale. Toutefois, l'ordonnance du 19 septembre 1945 a subordonné l'exercice de la profession d'expert-comptable au respect de règles prévoyant notamment des contraintes particulières pour les ressortissants étrangers. Compte tenu des limitations qui ont été ainsi apportées par la loi, antérieurement à la Constitution du 4 octobre 1958, à l'exercice de la profession d'expert-comptable, la réglementation de la création des sociétés d'expertise comptables prévue à l'article 7 de l'ordonnance de 1945, qui réserve aux seuls ressortissants d'un des États membres de l'Union européenne ou d'autres États parties à l'accord sur l'Espace économique européen ou à des sociétés ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement dans l'un de ces États, la possibilité de détenir plus d'un tiers des droits de vote et aux seules personnes physiques ressortissantes de ces mêmes États la possibilité d'être représentants légaux des sociétés d'expertise comptable, ne relève pas du domaine de la loi par application de l'article 34 de la Constitution, mais présente un caractère réglementaire. 

La QPC est donc irrecevable en tant qu’elle porte sur une disposition réglementaire.

On peut ne pas être convaincu par ce raisonnement autant elliptique que spécieux.

(20 septembre 2022, M. D. et autre, société LF Audit Conseil et société Kaerus, n° 465288)

 

111 - Crèches associatives – Assujettissement à taxe sur la création de locaux à usage de bureaux, commerce et stockage en Île-de-France – Absence du bénéfice de certaines exonérations – Question de la constitutionnalité de ce régime présentant un caractère sérieux – Transmission.

Les associations sans but lucratif, si elles ne constituent pas des associations reconnues d’utilité publique, d’une part, sont assujetties à la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, commerce et stockage en Île-de-France, sont assujetties à raison de la construction des locaux professionnels qu'elles détiennent et utilisent pour l'exercice de leurs activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, tel un service de crèche et, d’autre part, ne bénéficient ni des exonérations prévues en faveur des locaux, notamment de même type, affectés au service public et appartenant ou destinés à appartenir à l'État, à des collectivités territoriales ou à des établissements publics ne présentant pas un caractère industriel et commercial, ni de l'exemption de taxe prévue en faveur des locaux de caractère social ou sanitaire qui sont mis à la disposition du personnel travaillant dans les immeubles soumis à la taxe, ni encore, si leur activité est réalisée à titre non lucratif, des tarifs réduits applicables aux locaux commerciaux, alors que ceux-ci peuvent être destinés à l'exercice de prestations de services de même type.

Par suite, il est jugé que présente un caractère sérieux la question de savoir si cette situation, résultant des dispositions combinées des dispositions des art. L. 520-1 et L. 520-6 du code de l’urbanisme, porte atteinte notamment au principe d’égalité devant les charges publiques garanti à l’art. 13 de la Déclaration de 1789. Cette question est donc transmise.

Il est étrange que puisse exister un tel mécanisme qui froisse autant le bon sens que l'élémentaire souci de bienveillance sociale.

(23 septembre 2022, Association France Horizon, n° 452256)

 

112 - Régime disciplinaire des professionnels libéraux de santé à raison d’actes de fonction publique – Limitation des autorités pouvant engager l’action disciplinaire – Différence de traitement entre les médecins chargés d’un service public et les autres – Refus de transmission de la QPC.

L’art. L. 4124-2 du code de la santé publique dispose que « Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit ».

Les requérants faisaient valoir deux griefs d’inconstitutionnalité au soutien de leur demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ce texte. Ils sont rejetés par le juge.

En premier lieu, il est jugé que les autorités énumérées dans cette disposition ne sont pas les seules détenant le pouvoir d’agir ce qui paralyserait toute autre action. D’abord parce que le refus de l’une quelconque d’entre elles d’exercer des poursuites disciplinaires peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et ensuite parce que toute personne victime d’un manquement déontologique lui portant préjudice dispose du pouvoir d’en poursuivre la réparation devant la juridiction compétente.

En second lieu, et contrairement à ce qui est soutenu, d’une part, s'agissant des praticiens chargés d'un service public en leur qualité d'agents publics, le principe d'égalité n'impose pas que les conditions de mise en œuvre des poursuites disciplinaires à l'égard d'agents publics soient identiques à celles applicables aux autres praticiens, d’autre part, s'agissant des praticiens n'ayant pas la qualité d'agent public mais devant être regardés, pour certains de leurs actes, comme chargés d'un service public en raison de l'intérêt général qui s'attache à leur mission et des prérogatives qui lui sont associées, les dispositions contestées, en prévoyant que seules les autorités publiques ou ordinales peuvent mettre en cause leur responsabilité disciplinaire dans l'accomplissement de ces missions de service public, ne les mettent pas à l'abri de toute poursuite disciplinaire pour des actes commis dans l'exercice de leur mission de service public.

La QPC n’est donc pas transmise.

(28 septembre 2022, Mme E. de Bourbon et M. C. de Linage, n° 465394)

 

113 - Forfait de post-stationnement – Déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition le régissant – Instance non encore jugée à la date de cette déclaration – Annulation de l’ordonnance rejetant la demande pour irrecevabilité.

L’intéressé a contesté le titre exécutoire émis le 21 août 2018 par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions en vue du recouvrement du forfait de post-stationnement qui lui a été adressé pour absence de paiement d'une redevance de stationnement constatée le 15 mai 2018 pour un véhicule qu'il avait cédé 20 juin 2017.

Par une ordonnance du 8 juin 2020, le magistrat désigné par la présidente de la commission du contentieux du stationnement payant, en se fondant sur les dispositions de l'article L. 2333-87 du CGCT subordonnant la recevabilité du recours contentieux contre la décision rendue à l'issue du recours administratif préalable obligatoire et contre le titre exécutoire émis au paiement préalable du montant de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement et de la majoration prévue au IV de l'article L. 2333-87 si un titre exécutoire a été émis, a rejeté comme irrecevables les conclusions du requérant tendant à l'annulation du titre exécutoire émis à son encontre le 21 août 2018 au motif qu'il n'avait pas transmis à la commission, contrairement aux dispositions du II de l'article R. 2333-120-31 du même code, la pièce justifiant du paiement préalable du montant du forfait de post-stationnement majoré dont il demandait la décharge.

M. B. se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

Le Conseil d’État, appliquant une jurisprudence bien établie dans ce genre de situations,  annule l’ordonnance attaquée motif pris de ce que le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020, a déclaré contraire à la Constitution l'art. L. 2333-87-5 du CGCT, décision prenant effet à compter de la date de la publication de cette décision et de ce que l’instance engagée par le requérant n’était pas définitivement jugée à la date de la décision du Conseil constitutionnel.

(29 septembre 2022, Maître Descorps-Declère, n° 445438)

 

114 - Médecins - Praticiens hospitaliers – Risque de concurrence directe entre leurs fonctions hospitalières et l’exercice de certaines activités rémunérées extérieures en cas de départ de l’hôpital - Interdiction d’exercice temporaire – Transmission d’une QPC.

Le Conseil national de l’ordre des médecins soulève, au soutien d’un recours pour excès de pouvoir en annulation du décret du 5 février 2022 portant diverses dispositions relatives aux personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé, une question prioritaire de constitutionnalité contestant la conformité à la Constitution des dispositions de l’art. L. 6152-5-1 du code de la santé publique.

Celles-ci font interdiction, pour une durée maximum de vingt-quatre mois, aux praticiens qui exerçaient à titre principal dans un établissement public de santé  et qui le quittent, dont la quotité de temps de travail est au minimum de 50 %, d'exercer une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie lorsque cette nouvelle activité risque d'entrer en concurrence directe avec l'établissement public de santé dans lequel ils exerçaient à titre principal et qu’elle est située dans un rayon de dix kilomètres de l’établissement public de santé.

Le Conseil d’État juge que les moyens tirés de ce que ces dispositions portent atteinte à la liberté d'entreprendre et sont entachées d'incompétence négative affectant par elle-même la liberté d'entreprendre soulèvent une question présentant un caractère sérieux justifiant sa transmission.

Ajoutons, au surplus, circonstance aggravante, que ce régime ne joue pas en cas de départ du secteur privé vers le secteur public.

(8 septembre 2022, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 462977)

(115) V. aussi, comparable : 28 septembre 2022, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 462978

 

116 - Principe d’égalité entre praticiens en matière de dépassements d’honoraires – Possibilité ouverte aux seuls praticiens exerçant dans un établissement public de santé – Existence de différences objectives justificatives – Refus de transmission d’une QPC.

(28 septembre 2022, Association Hôpital Foch, fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, association Hôpitaux privés de Metz, mutualité Fonction publique action santé social et groupement de coopération sanitaire « Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille », n° 462637)

V. n° 95

 

117 - Immeuble menaçant ruine – Prise d’un arrêté de péril – Obligation pour le propriétaire de reloger ou d’héberger les occupants - Absence d’atteinte au droit de propriété ainsi qu’à l’égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC.

Saisi d’une QPC dirigée contre les dispositions de l’art. L. 521-1 du code de la construction et de l’habitation qui font obligation au propriétaire dont l’immeuble est frappé d’un arrêté de péril d’assurer l’hébergement ou le relogement de ses occupants éventuels, le Conseil d’État en refuse la transmission.

Cette disposition n’aboutit pas, selon lui, à priver le propriétaire de son droit de propriété car elle est justifiée par un motif d'intérêt général et elle est proportionnée à l'objectif poursuivi ; elle ne contrevient pas au principe d’égalité devant les charges publiques ni non plus au principe constitutionnel de responsabilité énoncé à l’art. 4 de la Déclaration de 1789.

Cette solution, excellente pour les locataires de gros propriétaires fonciers et les marchands de sommeil, risque d’être très lourde de conséquences pour les petits propriétaires d’un seul appartement…

(28 septembre 2022, M. B., n° 465405)

 

Responsabilité

 

118 - Victime d’un dommage bénéficiaire de l’assistance par une tierce personne – Détermination du montant de l’indemnité due – Existence d’un crédit d’impôt – Conditions de déduction, ou non, de ce crédit d’impôt du montant de l’indemnité allouée.

Le Conseil d’État, par la présente décision - dont l’importance a motivé sa publication au Recueil Lebon -, répond à la demande d’avis de droit (art. L. 113-1 CJA) suivante : « Le crédit d'impôt prévu par les dispositions de l'article 199 sexdecies du code général des impôts doit-il être pris en considération - et, le cas échéant, selon quelles modalités - pour la détermination de l'indemnité due à la victime en réparation de son besoin d'assistance par une tierce personne ? ».

Très pédagogiquement, tant par sa rédaction que par son contenu, la réponse donnée fournit un vade-mecum complet pour guider les juges du fond en pareille hypothèse.

Tout d’abord, l’indemnisation de la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne, impose au juge saisi de procéder en deux temps :

- en premier lieu doit être établie l'étendue de ces besoins d'aide et les dépenses nécessaires pour y pourvoir ;

- en second lieu, doivent être déduites du montant de l'indemnité allouée à la victime au titre de l'assistance par tierce personne les prestations ayant pour objet la prise en charge de tels frais.

Sur le premier point, pour établir les dépenses nécessitées par les besoins de la victime, le juge doit se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.

Cependant, à ce stade, le juge n’a pas à tenir compte de l'aide qui a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

Sur le second point, le Conseil d’État précise dans sa réponse qu’il n’y a pas lieu à déduction des prestations, telle un crédit d’impôt, lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement si le bénéficiaire revient à meilleure fortune.

(Avis, 30 septembre 2022, Hôpitaux universitaires de Strasbourg et société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 460620)

 

Service public

 

119 - Comités de bassin – Composition du conseil d’administration – Obligation d’un représentant de l’agriculture biologique – Désignation par une fédération - Procédure administrative non contentieuse – Administration consultative –– Rejet.

(22 septembre 2022, Assemblée permanente des chambres d’agriculture, n° 445459)

V. n° 3

 

120 - La Poste - Service universel – Offres commerciales – Modification des tarifs applicables au service « Colissimo outre-mer » - Hausses tarifaires supérieures outre-mer par rapport à ceux de la France continentale – Absence d’erreur manifeste d’appréciation ou d’atteinte manifeste au principe du concours à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation des tarifs de l'offre « Colissimo outre-mer » fixés par le catalogue des offres commerciales de La Poste relevant du service universel.

Ils estimaient que ces tarifs tels que fixés à partir du 1er janvier 2022 ne respectent pas, d’une part, l'article 12 de la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service et, d’autre part, les principes du service universel.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, il est jugé que si les dispositions du 1 de l’art. 12 de la directive précitée prévoient, par dérogation au principe selon lequel les prix reflètent les conditions et les coûts du marché, que les États membres peuvent décider d'appliquer à certains services faisant partie de la prestation du service universel un tarif unique sur l'ensemble de leur territoire national, elles n'imposent pas que toute péréquation des tarifs prenne la forme d'un tarif uniforme sur l'ensemble de ce territoire. Ainsi, le 6ème alinéa de l'article L. 1 du code des postes et des communications électroniques, sur le fondement duquel les tarifs litigieux ont été adoptés, n’est pas incompatible avec ces dispositions en ce qu'il prévoit que certains services d'envois postaux à l'unité fournis par le prestataire du service universel postal sont proposés au même tarif sur l'ensemble du territoire métropolitain, et non sur l'ensemble du territoire national. Le raisonnement est limite dans une perspective, traditionnelle en France, d’élimination de tout facteur de renchérissement du coût des services publics pour leurs usagers ultra-marins.

En second lieu, est rejeté le moyen tiré de ce que les tarifs litigieux ont connu une hausse supérieure à celle des tarifs applicables à la métropole, et qu'ils présentent avec ces derniers des différences importantes et injustifiées, en particulier compte tenu du rétablissement des conditions du trafic aérien après la crise de la Covid-19 et de la dotation budgétaire versée à La Poste à compter de 2022, alors que les revenus moyens dans les outre-mer sont inférieurs à ceux de la métropole.

L’argument n’est pas sans valeur et sans fondement et l’on peut regretter que, pour le rejeter, le juge se borne à constater  que les tarifs de l'offre « Colissimo outre-mer » n'ont pas été fixés à un niveau tel qu'ils la rendraient économiquement inabordable pour une partie de la population, qu'ils ne sont pas entachés d'une erreur manifeste au regard de l'exigence de prix abordables pour tous les utilisateurs et, qu’enfin ces tarifs ne méconnaissent pas manifestement le principe de concours à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire. 

(27 septembre 2022, M. S. et autres, n° 460534)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

121 - Permis de construire – Intérêt pour agir contre la décision accordant le permis - Règles applicables à Saint-Barthélemy – Erreurs de droit – Annulation.

Le conseil exécutif de la collectivité de Saint-Barthélemy a délivré un permis autorisant la construction d'un restaurant de plage comprenant une boutique, une cave à vin et un bar, ainsi que d'un parc de stationnement semi-enterré, après démolition de l'habitation présente sur le terrain à l'exception de la citerne conservée pour le projet. La société requérante, implantée dans le même quartier, a demandé en référé la suspension de l’exécution de cette décision. Sa requête a été rejetée en raison de son irrecevabilité pour défaut d’intérêt pour agir.

Après avoir relevé l’applicabilité à cette collectivité ultra-marine des dispositions des art. L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du code de l’urbanisme, le Conseil d’État annule cette ordonnance pour erreurs de droit après avoir rappelé qu’il se déduit des dispositions de l’art. L. 600-1-3 de ce code que – ce qui n’allait pas de soi - « l’intérêt pour agir d'un requérant contre un permis de construire s'apprécie au vu des circonstances de droit et de fait à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures, qu'elles aient pour effet de créer, d'augmenter, de réduire ou de supprimer les incidences de la construction, de l'aménagement ou du projet autorisé sur les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance mentionnées à l'article L. 600-1-2. A ce titre, il y a lieu de procéder à cette appréciation au vu des constructions environnantes dans leur état à cette date. »

D’une part, l’ordonnance de rejet attaquée repose sur une première erreur de droit en ce qu’elle retient la densification du bâti existant dans cette zone, notamment une résidence de tourisme de cinq logements sur une parcelle adjacente à celle servant d’assiette au projet litigieux, alors qu’à la date de cette ordonnance cette résidence n’existait pas, la demande de permis la concernant étant encore en cours d’instruction.

D’autre part, cette ordonnance est entachée d’une seconde erreur de droit en ce qu’elle estime que chacun des deux terrains en cause étant desservi par une voie d’accès distincte, la société demanderesse ne justifie pas d’un intérêt à agir alors que les voies d'accès aux deux parcelles en cause, distantes d'une cinquantaine de mètres, sont desservies par la RD 209 et que la circonstance que la parcelle d'assiette du projet litigieux n'est pas directement desservie par cette route départementale ne fait pas par elle-même obstacle à ce que ce projet, par son incidence sur la circulation sur cette route, soit de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de la propriété de la société Maison Camp David demanderesse.

On saluera cette application souple d’une règle stricte d’appréciation de l’intérêt pour agir.

L’affaire est renvoyée au tribunal administratif.

(21 septembre 2022, Société Maison Camp David, n° 461113)

 

122 - Refus illégal d’un permis de construire – Détermination du préjudice  en résultant – Absence de lien direct – Annulation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la cour administrative d’appel qui condamne une commune à raison du préjudice résultant pour le pétitionnaire du refus d’un permis de construire fondé sur une disposition illégale du plan d’occupation des sols qui l’a contraint à céder son bien à un prix inférieur à sa valeur vénale.

En effet, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation, à moins que le requérant ne justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain.

Or cette preuve n’est pas, ici, rapportée d’autant plus qu'à la date de la vente des terrains, le 30 novembre 2011, le plan d'occupation des sols litigieux n'était plus en vigueur, un nouveau plan d’urbanisme ayant alors été approuvé qui rendait d'ailleurs les parcelles en cause partiellement constructibles.

(21 septembre 2022, Commune de Bormes-les-Mimosas, n° 448601)

 

123 - Octroi d’un permis de construire – Constatation du caractère incomplet du dossier – Sursis à statuer en vue de la régularisation de la demande – Absence de notification d’une régularisation – Abstention du juge de se prononcer sur une demande subsidiaire lors du second jugement – Rejet.

N’est pas insuffisamment motivé, ne méconnaît pas l'office du juge et ne commet pas d’erreur de droit, le second jugement qui, après avoir constaté qu'aucune mesure de régularisation n’avait été notifiée en exécution d’un premier jugement, s’abstient de se prononcer sur les conclusions subsidiaires tendant, à défaut de report d'audience, à l'application de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, qui étaient dépourvues de toute portée.

(21 septembre 2022, Société Nexity IR Programmes Domaines, n° 452513)

 

124 - Décision reposant sur une pluralité de motifs – Caractère erroné de l’un d’eux – Pouvoirs du juge de cassation – Rejet.

(21 septembre 2022, Commune du Monêtier-les-Bains, n° 455174)

V. n° 13

 

125 - Plan local d’urbanisme – Dispositions du plan annulées par le juge - Jugement rendant inconstructibles certaines parcelles – Propriétaire de ces parcelles sans qualité en tant que tels pour former tierce opposition à ce jugement – Rejet.

(27 septembre 2022, Mme J., n° 451013)

V. n° 18

 

126 - Permis de construire en zone de tension entre offre et demande de logements – Recours dirigé contre le refus de retirer un tel permis – Compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif – Recours dirigé contre le refus de retirer un permis de construire assujetti aux dispositions de l’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme – Défaut d’accomplissement de cette formalité – Irrecevabilité – Rejet.

A l’occasion du rejet d’un pourvoi dirigé contre un jugement qui a rejeté le recours des requérants tendant à l’annulation du permis de construire – valant permis de démolir - un immeuble de vingt logements dans une zone de forte tension entre l’offre et la demande de logements (art. 232 du CGI), le Conseil d’État fait d’utiles rappels de procédure contentieuse propres au droit de l’urbanisme.

Tout d’abord, il résulte de l’art. R. 811-1-1 du CJA que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours dirigés contre « les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du CGI et son décret d'application ».

Compte tenu de l’intention du législateur d’accélérer les procès lorsqu’ils portent sur des immeubles situés dans les zones de forte tension entre l'offre et la demande de logements, la disposition précitée du CJA doit être considérée comme applicable non seulement aux  recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager, mais également, lorsque ces autorisations  ont été accordées puis retirées, aux recours dirigés contre ces retraits comme à ceux dirigés contre les refus de retraits. 

Il s’ensuit qu’en l’espèce le jugement querellé a été rendu en premier et dernier ressort et que le recours dirigé contre ce jugement a la nature d'un pourvoi en cassation, donc relevant directement de la compétence du Conseil d'Etat.

Ensuite, la décision refusant de retirer un permis de construire constitue une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le code de l'urbanisme au sens et pour l’application des dispositions de l’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme. Dès lors, il appartient à l'auteur d'un recours contentieux dirigé contre une telle décision d'adresser au greffe de la juridiction où le recours contentieux a été enregistré la preuve de la notification de ce recours à l'auteur de la décision contestée et au titulaire de l'autorisation. L’inaccomplissement de cette formalité entraîne l’irrecevabilité de la requête, irrecevabilité que le juge peut relever d’office.

Également, au cas de l’espèce il ne résulte du jugement attaqué ni la preuve de la notification par les requérants de leur recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation, ni une invitation du tribunal administratif à produire celle-ci. En ne s’assurant pas du respect de la formalité prévue à l'article R. 600-1 précité, le jugement est entaché d’irrégularité et doit être annulé.

Enfin, réglant le litige au fond, le juge de cassation constate que, destinataires de la part de la société défenderesse, d’une fin de non-recevoir tirée du défaut d'accomplissement des formalités susindiquées, les demandeurs n’ont pas accompli ces formalités en notifiant leur recours à l'auteur et au titulaire des permis de construire attaqués. Leur recours présenté devant le tribunal administratif ne peut qu'être rejeté comme irrecevable.

(27 septembre 2022, M. D. et autres, n° 456071)

 

127 - Superficie d’une maison d’habitation excédant celle déclarée au titre du permis de construire – Mise à la charge des contrevenants de suppléments d’imposition – Infraction commise plus de cinq ans avant – Prescription – Annulation.

(28 septembre 2022, M. et Mme B., n° 439596)

V. n° 41

 

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juillet-Août 2022

Juillet-Août 2022

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Délibération jugée créatrice de droits – Décisions à caractère pécuniaire – Retrait impossible au-delà de quatre mois – Délibération annulée – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour annuler un titre exécutoire émis par une commune à l’encontre d’un conseiller municipal, se fonde sur ce que l’indemnité litigieuse avait été allouée par une délibération du conseil municipal qui avait créé des droits à son profit et qu’ainsi les versements mensuels de son indemnité de fonctions, qui ne sauraient résulter d'une simple erreur de liquidation ou de paiement de la part de la commune, constituaient des décisions pécuniaires créatrices de droit ne pouvant être retirées au-delà d'un délai de quatre mois. En effet, la délibération précitée a été annulée par un jugement du tribunal administratif devenu définitif, elle doit donc être réputée n'être jamais intervenue. Par suite, les versements litigieux constituaient de simples mesures de liquidation fondée sur cette délibération réputée n'être jamais intervenue.

(1er juillet 2022, Commune de Wissous, n° 454751)

(2) V. également sur cette commune et sur le même sujet : 1er juillet 2022, Commune de Wissous, n° 450937.

 

3 - Acte de gouvernement – Acte relatif aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif – Présentation d’un projet de loi – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le juge du référé liberté du Conseil d’État était saisi de décisions du gouvernement et du président de la république de reporter, à plusieurs reprises, depuis le 23 mai 2022, la présentation du projet de loi « relatif aux mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat » devant le Conseil des ministres. 

Le requérant demandait à ce juge d'enjoindre au gouvernement :

- d’une part, de prendre des mesures urgentes, nécessaires et proportionnées afin que les concitoyens puissent vivre dignement, que leurs droits civils, politiques, économiques et sociaux garantis par les engagements internationaux soient effectifs et mis en œuvre par tous les moyens dont disposent les pouvoirs publics,

- d’autre part, d'intégrer dans le projet de loi relatif aux mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, le droit à l'alimentation proclamé par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de permettre son effectivité par sa justiciabilité, suite à la recommandation du Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels adressée à la France le 27 juin 2016.

Sera-t-on surpris de lire que cette requête en référé a été jugée manifestement irrecevable car il n'appartient pas au Conseil d'État de connaître d'une telle demande qui se rattache aux rapports du pouvoir exécutif avec le Parlement ?

Ce pittoresque recours est donc rejeté.

(4 juillet 2022, M. A., n° 465418)

(4) V. aussi, réitérant l’incompétence absolue du juge administratif pour connaître d’un recours dirigé contre le refus du premier ministre de soumettre au parlement un projet de loi car il touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels : 15 juillet 2022, Syndicat national des policiers municipaux, n° 448535.

V. aussi, sur ce second point, le n° 203

 

5 - Projet de lignes directrices de gestion ministérielle – Lignes directrices relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports - Obligation de transmission pour accord au ministre chargé de la fonction publique – Absence – Incompétence de leur auteur – Annulation.

Dès lors qu’il résulte du I de l’art. 2 du décret du 29 janvier 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires que « Tout projet de lignes directrices de gestion relevant du présent I est transmis pour accord au ministre chargé de la fonction publique (…) avant saisine du comité social ministériel », l’inobservation de cette formalité en l’espèce à propos d’un projet de lignes directrices relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, entache d’illégalité leur édiction par suite de l’incompétence de leur auteur.

La solution est nouvelle et très logique mais elle traduit un effacement supplémentaire de la frontière entre le régime des décisions et celui des actes non décisoires.

(5 juillet 2022, M. B., n° 448711)

 

6 - Note de la direction des services judiciaires du ministère de la justice - Note portant listes des postes offerts aux auditeurs de justice de la promotion 2021 - Acte préparatoire - Absence de caractère décisoire - Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette note - Rejet.

Est irrecevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre la note de la direction des services judiciaires du ministère de la justice en date du 27 avril 2021 qui se borne à diffuser la liste des postes offerts aux auditeurs de justice de la promotion 2019 à l'issue de leur scolarité à l'École nationale de la magistrature et à préciser que le choix des postes se fera le 4 mai 2021 en vue d'une prise de fonctions le 1er septembre 2021 car cet acte constitue une mesure préparatoire à l'établissement de la liste de classement et à la nomination des auditeurs : elle n'a, par suite, pas le caractère d'une décision faisant grief. 

(22 août 2022, Mme B., n° 454042)

 

7 - Exploitant d'un produit de santé autre qu'un médicament - Exploitant non fabricant du produit - Obligation d'en déclarer le fabricant et d'identifier de façon certaine le produit (art. L. 165-1-1-1 c. séc. soc.) -  Absences d'inconventionnalité et de non respect des objectifs d'une directive européeene - Absence de subdélégation interdite - Rejet.

Le syndicat requérant, d'une part, poursuivait l'annulation du décret n° 2020-1710 du 24 décembre 2020 relatif à l'accord de distribution et aux déclarations mentionnées à l'article L. 165-1-1-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté son recours gracieux et, d'autre part, d'ordonner le sursis à exécution ainsi qu'une expertise sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-1 du CJA, en vue de déterminer tant la proportion de dispositifs médicaux fabriqués hors de France et en particulier dans d'autres États membres de l'Union européenne visés par les obligations posées par l'article L. 165-1-1-1 du code de la sécurité sociale que la charge de travail que représentent ces obligations pour les exploitants.

Ces demandes sont rejetées tant au titre de la légalité externe qu’à celui de la légalité interne, seuls ces derniers étant ici examinés.

Tout d'abord est rejeté le grief d'inconventionnalité de l'article L. 165-1-1-1 du code de la sécurité sociale.

 En premier lieu, les dispositions législatives en application desquelles a été pris le décret attaqué ne sauraient être regardées, contrairement à ce que soutient le demandeur, comme une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation entre les États membres de l'Union européenne au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne car elles ne visent qu'à permettre à l'administration d'identifier de façon certaine, en vue d'assurer une meilleure régulation des dépenses afférentes, les dispositifs médicaux et autres produits de santé sans apporter une limitation à l'importation ou instituer une distinction fondée sur la nationalité ni, non plus, faire obstacle à la mise sur le marché ou à la mise en service de ces produits comme à leur prise en charge. 

En second lieu, les dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux invoquées par la requête ne s'opposent pas à ce que les autorités nationales, dans l'exercice de leurs compétences et par le biais d'une législation distincte, prévoient, pour l'exploitant non fabricant d'un dispositif médical, lorsque ce dernier est inscrit sur l'une des listes prévues aux articles L. 165-1 ou L. 165-11 ou pris en charge au titre de l'article L. 165-1-1 ou L. 165-1-5 du code de la sécurité sociale, une obligation de signer un accord de distribution avec le fabricant ou son mandataire et de transmettre aux ministres de la santé et de la sécurité sociale les informations permettant l'identification certaine du produit. De plus, ces obligations - qui ne pèsent pas, contrairement à ce qui est soutenu, sur une grande majorité d'exploitants distribuant en France des dispositifs fabriqués dans d'autres États de l'Union - ne sauraient être regardées comme constituant une charge de nature à faire obstacle à la mise sur le marché ou la mise en service sur le marché français des produits en cause.

Ensuite est rejeté le grief selon lequel le décret litigieux méconnaîtrait la directive précitée d'abord parce que celle-ci n'affecte pas la faculté des États membres de mettre en œuvre des mesures en vue de gérer le financement des systèmes de santé publique et d'assurance maladie concernant directement ou indirectement de tels dispositifs et parce que les indications à fournir en vertu des dispositions du décret attaqué ne se recoupent pas avec celles exigées au titre de cette directive.

Enfin, le renvoi opéré par le décret précité à des arrêtés ministériels fixe de manière suffisamment précise le cadre dans lequel doivent intervenir ces arrêtés et n'institue pas au profit des auteurs de ces derniers une subdélégation interdite en particulier en n'établissant pas une obligation d'intervention avant une date déterminée alors qu'une telle exigence de date ne s'imposait pas en l'espèce.

(7 juillet 2022, Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM), n° 453897)

 

8 - Contrôle technique motorisé - Véhicules à moteur à deux, trois et quatre roues - Suspension sine die du décret relatif à la mise en place du contrôle technique de ces véhicules - Décision prise par un ministre délégué - Incompétence - Rejet.

L’exécution du décret 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et des quadricycles à moteur a été suspendue « jusqu’à nouvel ordre » par une décision du 12 août 2021 prise par le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

D’évidence, un ministre, lequel ne dispose pas, sauf disposition expresse, du pouvoir réglementaire, est incompétent pour suspendre un décret du premier ministre.

La décision est, sans surprise, annulée.

(27 juillet 2022, Association Respire, n° 456131)

 

9 - Site Légifrance - Décisions implicites du premier ministre relatives à ce site - Demande de rétablissement de certaines publications sur ce site - Rejet.

Le requérant poursuivait l’annulation de décisions implicites du premier ministre  refusant d’accéder à ses demandes : 1° de mettre à disposition du public, sur le site Légifrance, l'ensemble des arrêtés préfectoraux à caractère réglementaire ; 2° de revenir, d’une part, sur le 2° du I de l'article 1er du décret du 8 septembre 2020 relatif à la modernisation du service public de diffusion du droit par l'internet, en tant qu'il a prévu que le site Légifrance ne mettrait plus à disposition du public « les décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, de la Cour de cassation et du Tribunal des conflits », mais « les décisions et arrêts transmis par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État, la Cour de cassation et le Tribunal des conflits », c'est-à-dire uniquement une sélection de décisions et d'arrêts, et, d'autre part, sur  le 2° du II du même article, en tant qu'il a supprimé la disposition selon laquelle le site Légifrance « rend compte de l'actualité législative, réglementaire et juridictionnelle ».

Le recours est rejeté tout d’abord car le site Légifrance a vocation à mettre à la disposition du public les actes à caractère normatif émanant des autorités de l'État à compétence nationale, notamment leurs actes à caractère réglementaire et que tel n’est pas le cas des actes réglementaires des préfets qui n’émanent d’une autorité de l’État à compétence nationale.

Le recours est également rejeté en ce qu’il est dirigé contre des dispositions du décret du 8 septembre 2020 pour non consultation préalable du Conseil d’État, cette consultation n’étant pas requise au cas de l’espèce.

(27 juillet 2022, M. B., n° 450330)

 

10 - Décision de suspension d’un praticien hospitalier - Décision susceptible d’y mettre fin - Absence de caractère d’acte ou procédure complexe de ces deux décisions - Invocation impossible d’une exception d’illégalité - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge inopérant le moyen tiré par voie d’exception de l’illégalité de la mesure de suspension d’un fonctionnaire (ici un praticien hospitalier) à l’encontre de la décision susceptible d’y mettre fin.

En effet, la décision de suspension d'un praticien hospitalier, décision individuelle qui devient définitive à l'expiration du délai de recours contentieux que fait naître sa notification, ne forme pas, avec la décision susceptible d'être prononcée pour y mettre fin, une opération administrative unique comportant entre ces deux décisions un lien tel que les illégalités susceptibles d'affecter la décision initiale puissent, malgré le caractère définitif que celle-ci aurait acquis, être invoquées à l'appui de conclusions dirigées contre la décision ultérieure.

(15 juillet 2022, Mme A., n° 442632)

 

11 - Refus de modifier des dispositions de caractère réglementaire - Décision elle-même à caractère réglementaire - Absence d’obligation de motivation - Rejet.

Dans le cadre d’un contentieux opposant la fédération requérante au premier ministre, celui-ci ayant implicitement refusé de modifier les dispositions des art. R. 111-29 et suivants du code de la construction et de l’habitation mettant en œuvre l’incompatibilité, édictée par l’art. L. 111-25 (aujourd’hui L. 125-3) de ce code, de l’activité de contrôle technique avec l'exercice de toute activité de conception, d'exécution ou d'expertise d'un ouvrage, le juge réitère deux solutions bien connues.

D’une part, le refus de prendre ou de modifier un texte réglementaire constitue lui-même une décision réglementaire.

D’autre part, il n’existe aucune obligation, sans texte, de motiver une décision réglementaire.

(19 juillet 2022, Fédération des syndicats des métiers de la prestation intellectuelle, du conseil, de l'ingénierie et du numérique (CINOV), n° 444993)

 

12 - Date d’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation (art. L. 221-4 CRPA) - Régime de l’abrogation ou du retrait des décisions créatrices de droits (art. L. 242-4 CRPA) - Inapplicabilité aux décisions réglementaires - Rejet.

Le requérant a demandé au garde des sceaux de retirer ou d'abroger les dispositions du 4° de l'article 2 du décret du 27 novembre 2020 (en fait et en réalité celles de son article 12) portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui modifient l'article R. 321-20 du code des procédures civiles d'exécution afin de porter le délai de péremption des commandements de payer valant saisie de deux à cinq ans. Ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2021 et s'appliquent aux instances en cours à cette date.

Cette demande est rejetée en ses deux chefs.

Tout d’abord, l’art. L. 221-4 du CRPA, selon lequel, sauf disposition législative contraire, une nouvelle réglementation ne s'applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur n’est pas en cause ici. En effet, en prévoyant que ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2021 et s'appliquent aux instances en cours, l'article 12 du décret dont l'abrogation a été demandée n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les situations juridiques définitivement constituées et notamment de remettre en cause la péremption des commandements de payer valant saisie dont la péremption était acquise au 1er janvier 2021.

Ensuite, les dispositions de l'art. L. 242-4 du CRPA fixant les conditions dans lesquelles l'administration peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits à la demande de son bénéficiaire, ne peuvent utilement être invoquées à l'encontre d'une décision refusant, comme en l’espèce, d'abroger ou de retirer un acte réglementaire. 
(19 juillet 2022, M. A., n° 454676)

 

13 - Communiqué du Conseil national des universités (CNU) - Annonce d’une procédure expérimentale de recrutement des professeurs du premier groupe - Publication d’un projet de protocole d’accord entre le CNU et la ministre de l’enseignement supérieur - Irrecevabilité de conclusions à fin d’annulation et d’injonction.

La demande d’annulation est évidemment rejetée s’agissant de documents - un communiqué du CNU annonçant un protocole d’accord entre la ministre de l’enseignement supérieur et les présidents des six sections composant le premier groupe (droit, économie, gestion, science politique) du CNU et la copie du projet de protocole - qui, même s'ils annoncent l'intention du Gouvernement d'introduire, à l'occasion d'une modification du décret du 6 juin 1984, une procédure expérimentale de recrutement des professeurs des universités relevant du 1° de l'article 46 de ce décret, précisée dans le protocole d'accord, constituent deux actes qui ne rendent pas immédiatement applicable cette nouvelle procédure et sont dépourvus de toute portée normative. Au reste, ces mêmes actes ne sont pas susceptibles d'avoir des effets notables sur la situation des personnes auxquelles ils s'adressent ou d'influer de manière significative sur leurs comportements tant que le décret annoncé n'est pas intervenu.

La demande d’injonction à la ministre de l'enseignement supérieur et aux présidents des sections du groupe 1 du CNU de respecter la loi votée par la représentation nationale, est tout aussi irrecevable, le pouvoir d’injonction du juge administratif ne pouvant être utilisé qu’au service de l’exécution de la chose jugée.

(20 juillet 2022, M. B., n° 451805)

 

14 - Cessation d’activité d’une installation classée pour l’environnement - Inobservation des prescriptions applicables à une telle installation - Mise en demeure de satisfaire à ces prescriptions - Compétence liée du préfet pour infliger une sanction - Compétence demeurant liée en dépit d’une pluralité de sanctions possibles - Erreur de droit - Annulation.

(19 juillet 2022, Société noiséenne d'outillage et de presse (SNOP), n° 444986 ; ministre de la transition écologique, n° 445039)

V. n° 165

 

15 - Police des jeux - Casino - Courriel d’une direction du ministère de l’intérieur comportant interprétation de la réglementation applicable aux casinos - Absence de caractère de décision ou de document de portée générale à effets notables - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable et rejeté comme tel le recours de la fédération requérante dirigé contre un courriel de la chef du bureau des établissements de jeux de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur en réponse  à un courrier de cette fédération et se bornant  à lui faire part de l'interprétation, par l'administration, de la réglementation applicable aux casinos résultant de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif au fonctionnement des tables de jeux de blackjack et aux personnels habilités à les surveiller. En effet, ce courriel, qui se borne à répondre à une demande d’information, ne constitue ni une décision ni un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des établissements de jeux ou de leurs salariés.

(21 juillet 2022, Fédération des employés et cadres Force ouvrière, n° 449388)

 

16 - Modalités de mise en œuvre  d’un dispositif expérimental par les directions générales des finances publiques et des douanes et droits indirects - Traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne - Absence d’autorisation d’une collecte généralisée et indifférenciée de données à caractère personnel - Collecte portant sur des contenus librement accessibles sur l'une des plateformes relevant du champ d'application du dispositif avec l'identité des titulaires des comptes qui les ont délibérément divulguées - Contreseing ministériel (art. 22 de la Constitution) - Notion de « ministre chargé de l’exécution » - Exclusion des ministres et secrétaires d’État délégués - Rejet.

Dans un litige relatif à l’annulation du décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne, était soulevée une question tenant à un vice touchant la légalité externe du décret litigieux.

Celui-ci était prétendu illégal en ce qu’il ne comportait pas, contrairement aux dispositions de l’art. 22 de la Constitution, s’agissant d’un décret du premier ministre, la signature des ministres chargés de son exécution.

Le moyen est rejeté car les ministres et secrétaires d'État délégués auprès d'un ministre ne sont investis d'aucune compétence propre et ne peuvent donc pas être regardés comme ayant compétence pour prendre les mesures nécessaires à l'exécution d'un acte signé par le Premier ministre.

Ainsi, au cas de l’espèce, l'absence de contreseing du secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, du ministre délégué chargé de l'industrie et du secrétaire d'État chargé de l'économie sociale, solidaire et responsable, tous quatre placés auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, n'est pas de nature à entacher le décret d'irrégularité.

(22 juillet 2022, Association La Quadrature du Net, n°451653)

Sur cette décision voir aussi le n° 24

 

17 - Fonctionnaire territorial - Liquidation de la pension de retraite sans prise en compte de décisions postérieures à la date de prise d’effet de la retraite - Demande de prise en compte - Actes inexistants - Rejet.

(22 juillet 2022, Mme A., n° 446628)

V. n° 4

 

18 - Déclaration du ministre de la santé et de la prévention - Décision de maintenir l'obligation de vaccination contre le Covid-19 des professionnels des secteurs sanitaires et médico-social - Nature de simple avis - Acte insusceptible d'exécution - Rejet de la demande de sa suspension.

Doit être rejetée la demande, formée par une gynécologue, tendant à la suspension d'exécution d'une déclaration du ministre de la santé annonçant sa volonté de maintenir l'obligation vaccinale contre le Covid-19 pour les professionnels de santé. Cette obligation résultant directement de la loi, la déclaration en cause n'exprime qu'une opinion dont la suspension d'exécution ne saurait être demandée au juge.

(2 août 2022, Mme A., n° 466079)

 

19 - Sous-lieutenant de l'armée de l'air - Évocation par un communiqué d'un plan d'action d'amélioration des carrières d'officiers - Instruction mettant en œuvre les règles et principes contenus dans ce communiqué - Demande du bénéfice de l'application de ces textes - Rejet.

Un sous-officier de l'armée de l'air n'est recevable à invoquer au soutien de sa demande de report rétroactif des règles applicables à son grade, ni un communiqué intitulé « Transformation du cursus des officiers sous contrat du personnel navigant » diffusé par l'armée de l'air le 7 janvier 2020 et annonçant un plan d'action ayant pour but d'améliorer l'attractivité et de dynamiser la filière des officiers sous contrat du cadre des personnels navigants de l'armée de l'air car ce communiqué est dépourvu de toute valeur juridique, ni l'instruction du 15 octobre 2020 mettant en œuvre la réforme des règles de gestion annoncée par ce communiqué et prévoyant notamment des conditions d'avancement au grade de sous-lieutenant plus favorables car cette instruction ne modifie pas rétroactivement la situation des officiers ayant vocation - comme le requérant - à être nommés au grade de sous-lieutenant au cours de l'année 2020.

(5 août 2022, M. A., n° 457350)

 

20 - Loi organique du 8 août 2016 - Numérisation des dossiers administratifs des magistrats - Décret d'application prévu à cet effet par la loi organique non encore intervenu six ans après - Retard excédant le délai raisonnable imparti au pouvoir réglementaire - Injonction au premier ministre de prendre sous quatre mois ledit décret.

Le syndicat requérant demande l'annulation du rejet implicite par le premier ministre de sa demande du 4 mai 2021 tendant à ce que soient édictés et publiés le décret d'application et les mesures règlementaires prévus par le dernier alinéa de l'article 12-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature.

Le Conseil d'État juge déraisonnable que six ans après le vote de la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature n'ait pas encore été pris le décret d'application de celle-ci afin que soit assurée la numérisation des dossiers administratifs des magistrats, et alors que la direction des services judiciaires a entrepris depuis plusieurs années à cette numérisation sans que soit intervenu le décret prévu à cet effet et qui était pourtant nécessaire, en vertu de la loi organique, dans le cas où ces dossiers seraient gérés sur support électronique.

Il est fait injonction au premier ministre de prendre sous quatre mois le décret nécessaire.

(19 août 2022, Union syndicale des magistrats, n° 454531)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

21 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Infliction d'une sanction pécuniaire à une chaîne de télévision - Irrecevabilité du recours formé par une personne non sanctionnée - Irrespect de l'obligation ne pas inciter à la haine ou à la discrimination - Manquement à l'obligation de maîtrise de l'antenne - Rejet.

La chaîne CNEWS est sanctionnée par le CSA pour des propos tenus à l'antenne par l'un de ses chroniqueurs M. E. Zemmour. Contre cette sanction le chroniqueur et la chaîne saisissent le Conseil d'État.

Le recours de M. Zemmour est rejeté au motif que la sanction n'a frappé que la chaîne CNEWS non lui-même bien qu'il fût l'auteur des propos ayant conduit à la sanction et qu'il estime celle-ci attentatoire à sa réputation.

Le recours de la chaîne de télévision contre le principe de la sanction est rejeté au double motif qu'elle a laissé tenir à l'antenne, par l'un de ses chroniqueurs, des propos de nature à inciter à la haine et à la discrimination et qu'elle n'a pas su maîtriser l'antenne par exemple en donnant la parole à des contradicteurs ou à des tenants d'autres points de vue.

Le recours de la chaîne contre le montant (bien modeste : deux cent mille euros) de la sanction est également rejeté car il est proportionné à la faute. Peut-être même qu'un tel montant est si bas qu'il aurait pu en être jugé illégal...

La décision est si classique et si attendue que sa publication au Recueil Lebon étonne sauf à faire de cette dernière un acte symbolique ou de se rendre propitiatrice la dignité humaine.

(12 juillet 2022, M. B., n° 451897 ; Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 452475)

 

22 - Référé suspension - Téléphonie mobile - Octroi de blocs sur une bande de fréquence à un opérateur - Atteinte à la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile à La Réunion - Défaut d’urgence tenant à l’absence d’atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la requérante - Rejet.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’une requête tendant à la suspension de l'exécution de plusieurs décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) autorisant la société Orange à utiliser des fréquences dans les bandes 700 MHz et 3,4 - 3,8 GHz à La Réunion pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public, en tant qu'elle a attribué à cette société un second bloc de 5 MHz dans la bande des 700 MHz.

Pour rejeter le recours pour défaut d’urgence, le juge retient :

- qu’il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des débats lors de l'audience, que les décisions contestées feraient par elles-mêmes obstacle au lancement à court terme par la société Zeop Mobile, requérante, d'offres de téléphonie mobile incluant l'utilisation de la technologie 5G ;

- qu’il n’est pas établi que l’une des décisions attaquées, qui autorise la société Zeop mobile à utiliser, outre 5 MHz dans la bande des 700 MHz, 8 blocs de 10 MHz dans la bande 3,4 - 3,8 GHz et qui s'ajoute à une précédente attribution de fréquences dans les bandes de 1,8 GHz et de 2,1 GHz, rendrait techniquement impossible le déploiement d'une offre de téléphonie mobile de 5ème génération ;

- qu’il n’est pas, non plus, démontré que le retard éventuel de la société Zeop mobile dans ce déploiement trouverait exclusivement sa cause dans les décisions attaquées et non dans ses choix stratégiques, technologiques et économiques, alors qu'il n'est pas contesté qu'il peut techniquement être recouru à des hautes fréquences pour mettre en œuvre la 5G d’autant que les opérateurs attributaires de blocs supplémentaires en basse fréquence vont, compte tenu du plafonnement imposé par la réglementation, être contraints de restituer, dans ces zones, des bandes de fréquence à l'attribution desquelles la société requérante pourra postuler. S'il est par ailleurs soutenu que l'offre susceptible d'être ainsi développée en 5G par la société Zeop mobile serait d'une qualité moindre que celle que ses concurrents s'apprêteraient à proposer aux usagers, il n'est pas établi qu'un éventuel déport d'une fraction de la clientèle de Zeop mobile vers les autres opérateurs revêtirait un caractère à la fois majeur et irréversible de nature à porter, dans le délai nécessaire à l'intervention d'une décision du juge de l'excès de pouvoir, une atteinte grave à la situation de cette société ;

- qu’il n'est pas établi non plus qu'un éventuel déport d'une fraction de la clientèle de Zeop mobile vers les autres opérateurs revêtirait un caractère à la fois majeur et irréversible de nature à porter, dans le délai nécessaire à l'intervention d'une décision du juge de l'excès de pouvoir, une atteinte grave à la situation de cette société ;

- qu’enfin, si la société Zeop mobile soutient que son éventuel retard à entrer sur le marché de la téléphonie mobile de 5ème génération serait de nature à empêcher le maintien d'une concurrence effective sur le marché de la téléphonie mobile à La Réunion, elle n'établit pas que la présence de trois opérateurs concurrents sur ce marché ne serait pas suffisante pour garantir, dans les quelques mois nécessaires à l'intervention des juges du fond sur sa requête et alors que le déploiement de la 5G ne sera que progressif, l'accès des usagers à ce service à un prix raisonnable. 

(18 juillet 2022, Société Zeop Mobile, n° 465108)

 

23 - Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) - Images médicales du serveur d’un chirurgien orthopédiste librement accessibles - Existence d’une faille de sécurité informatique - Prises des mesures nécessaires dans les vingt-quatre heures par l’intéressé - Infliction d’une amende par la formation restreinte de la CNIL - Amende réduite - Rejet du surplus.

Les services de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), informés par un signalement  sur le site internet " 01net.com " de l'existence, dans différents pays, de serveurs informatiques d'imagerie médicale en libre accès, ont constaté le caractère librement accessible de ces données par des serveurs localisés en France et, après obtention de son identité et des coordonnées de ses adresses IP, ont avisé, par un courrier électronique du 8 octobre 2019, M. C., chirurgien orthopédiste, que  le contrôle en ligne effectué par la délégation de contrôle de la CNIL, avait révélé le caractère librement accessible des images médicales de ses patients à partir de l'adresse IP de son serveur. Le lendemain, M. C. a répondu avoir pris les mesures nécessaires pour mettre fin à la violation constatée.

La formation restreinte de la CNIL a, par une délibération en date du 3 décembre 2020, prononcé à l'encontre de M. C. une amende administrative de 3 000 euros au titre des manquements constatés aux articles 32 et 33 du règlement du 27 avril 2016.

M. C. a demandé l'annulation de cette délibération, il est, pour l’essentiel, débouté.

Le juge note en premier lieu que la faille de sécurité informatique qui a conduit à mettre en libre accès plus de cinq mille trois cents images médicales, assorties des nom, prénom et date de naissance des patients, de la date de réalisation de l'examen et du nom des praticiens concernés, est imputable à l'installation informatique de M. C., qui a admis avoir, d'une part, procédé à l'ouverture des ports réseaux de la « box Internet » utilisée à son domicile pour faire fonctionner son « VPN », dont il avait paramétré lui-même la fonction serveur du logiciel d'imagerie « HOROS » sans recourir à un prestataire et, d'autre part, omis de mettre en place un dispositif de chiffrement des données à caractère personnel figurant sur son disque dur externe, permettant ainsi à toute personne prenant possession de ses appareils ou s'introduisant de manière indue sur le réseau auquel ces appareils étaient raccordés de prendre connaissance de ces données.

C’est donc par une exacte application des dispositions de l’art. 32 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données que la formation restreinte de la CNIL a estimé que, eu égard à la sensibilité particulière de ces données de nature médicale, un manquement aux exigences élémentaires en matière de sécurité informatique qui incombe à tout responsable de traitement était constitué.

Il est, en deuxième lieu, relevé - et c’est un point important de la décision - que la CNIL ne saurait reprocher à l’intéressé de ne lui avoir pas notifié une violation de données à caractère personnel susceptible de faire naître un risque pour les droits et libertés des personnes physiques dès lors que c’est la CNIL l'a elle-même informé de cette violation et a engagé son contrôle sur la base des informations portées à sa connaissance par ailleurs, ainsi que rappelé plus haut.

Enfin, l’amende de 3000 euros infligée est ramenée à 2500 euros étant considérée la circonstance que le requérant s’est rendu coupable seulement d’un manquement à l’art. 32 précité.

(22 juillet 2022, M. C., n° 449694)

 

24 - Modalités de mise en œuvre  d’un dispositif expérimental par les directions générales des finances publiques et des douanes et droits indirects - Traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne - Absence d’autorisation d’une collecte généralisée et indifférenciée de données à caractère personnel - Collecte portant sur des contenus librement accessibles sur l'une des plateformes relevant du champ d'application du dispositif avec l'identité des titulaires des comptes qui les ont délibérément divulguées - Rejet.

L’association requérante demandait : 1° l’annulation du décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne ; 2° qu’injonction soit faite au ministre de l'économie, des finances et de la relance de procéder à la suppression des données traitées depuis l'entrée en vigueur de ce décret, sous astreinte de 1 024 euros par jour de retard ; 3°  que, subsidiairement, deux questions préjudicielles soient posées à la CJUE.

Aucune de ces demandes n’est accueillie, le Conseil d’État ne paraissant point ébranlé par l’énormité de moyens d’espionnage et de mise en relation des résultats, ainsi subrepticement obtenus, accordés à deux des directions du ministère des finances. En effet, l’affirmation de la prétendue accessibilité publique des données est un sophisme dès lors qu’au moment de leur mises sur Internet leurs auteurs ignoraient qu’elles pourraient être utilisées, mises en relation et confrontées à des fins de maillage fiscal, surtout, circonstance passablement aggravante, que ce régime est rétroactif puisqu’il porte sur les données présentes sur le Net sans considération de la date à laquelle elles y ont été incluses. Bref, si l’on voulait assurer de beaux jours au « darkweb » et autres complotismes télématiques, il ne fallait vraiment pas s’y prendre autrement.

Le décret litigieux, pris pour l'application de l’article 154 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, autorise ces deux directions, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, à mettre en œuvre des traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne. 

En bref, en premier lieu, par ses articles 4 et 5 le décret litigieux définit, respectivement pour la direction générale des finances publiques et pour la direction générale des douanes et droits indirects, les modalités de mise en œuvre des traitements de la phase dite d'apprentissage et de conception, dont le but consiste à développer des outils de collecte, de nettoyage et d'analyse des données afin d'identifier les titulaires des comptes et pages internet et de modéliser et d'identifier les agissements susceptibles de révéler la commission de ceux des infractions et manquements mentionnés au I de l'article 154 de la loi précitée.

En second lieu, par ses articles 6, 7 et 8 le décret litigieux définit, pour les mêmes administrations, les modalités de mise en œuvre des traitements pendant la phase dite d'exploitation, qui consiste à déployer les outils conçus lors de la première phase en vue de collecter sur les plateformes, de sélectionner et de qualifier les données pertinentes afin de recueillir des indices destinés à être exploités par les services compétents pour la recherche de ces infractions et manquements.

Selon le juge, compte tenu de la gravité des faits auxquels s’applique ce dispositif expérimental, il n’est guère douteux qu’il s’agit d’infractions pénales au sens de la directive du 27 avril 2016 et du titre III de la loi du 6 janvier 1978 aussi bien dans la phase d’apprentissage et de conception que dans celle d’exploitation décrite ci-dessus.

Enfin, sont rejetés les moyens soulevés.

D’abord est rejeté celui selon lequel le décret attaqué autoriserait une collecte généralisée et indifférenciée de données à caractère personnel car la collecte de données autorisée ne peut porter que sur les contenus qui sont librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme de mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service, à l'exclusion de contenus accessibles après saisie d'un mot de passe ou inscription sur le site et aussi parce que ces données se rapportent à la personne qui les a délibérément divulguées, ainsi que le rappelle l'article 2 du décret attaqué.

Ensuite, n’est pas, non plus, retenu le moyen tiré de l’illégalité du recueil de données d'identification des personnes concernées, traitées lors des deux phases car ce sont celles qui permettent de mettre en relation des contenus librement accessibles sur l'une des plateformes relevant du champ d'application du dispositif avec l'identité des titulaires des comptes qui les ont délibérément divulguées. Ces données peuvent ainsi porter sur l'état-civil des intéressés, le pseudonyme qu'ils utilisent, leurs coordonnées postales, téléphoniques et électroniques, ou encore le lien vers d'autres pages personnelles dont ils seraient titulaires. Contrairement à ce qui est soutenu, l'adresse postale, le numéro de téléphone et l'adresse électronique constituent des données adéquates, pertinentes et nécessaires aux fins d'identifier les personnes concernées.

Également, contrairement à ce qui est soutenu, les notions de « données d'identification » et de « données susceptibles de caractériser l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une activité illicite » sont suffisamment définies par le décret, d’où il suit qu’il ne saurait être soutenu que le décret litigieux méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme.

(22 juillet 2022, Association La Quadrature du Net, n° 451653)

Sur cette décision voir aussi le n° 16

 

Biens et Culture

 

25 - Autorisation d’occupation domaniale – Refus sur le fondement de l’existence d’un périmètre de sauvegarde et de mise en valeur – Refus devant être limité aux seules occupations modificatives de l’état des immeubles – Absence en l’espèce – Annulation.

Encourt la cassation l’arrêt d’appel jugeant que les dispositions du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune d'Aix-en-Provence sont opposables à une demande d’occupation domaniale alors qu’en l’absence de modification de l’état des immeubles (10 décembre 1993, Robert Y. et autres c /ville d’Aix-en-Provence, n° 124900) un tel plan n’est pas opposable à une demande d’autorisation d’occupation domaniale.

(5 juillet 2022, Société Ice Thé c/ ville d’Aix-en-Provence, n° 459089)

 

26 - Aliénation de parcelles d’assiette d’un chemin rural désaffecté ou de parcelles du domaine public routier déclassées – Délai de recours contentieux contre la décision d’aliénation – Point de départ – Notification de la décision d’aliénation – Impossibilité d’y substituer toute autre forme de publicité – Rejet.

Les dispositions des articles L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime pour ce qui concerne les chemins ruraux désaffectés et de l’art. L. 112-8 du code de la voirie routière s’agissant des voies du domaine public routier déclassées, ouvrent aux propriétaires riverains de ces voies mis en demeure d’acquérir ces parcelles un délai d’un mois pour s’en porter acquéreurs. Il suit de là, selon cette décision qui renverse une jurisprudence en sens contraire (6 décembre 1993, Bon, n° 82533), que le délai de recours contentieux contre une décision d'aliénation de parcelles supportant un chemin rural après sa désaffectation ou de parcelles supportant des voies du domaine public routier après leur déclassement ne peut courir, pour les propriétaires riverains qui doivent être mis en demeure d'acquérir ces parcelles en application des dispositions précitées, qu'à compter de la date à laquelle la décision d'aliénation leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée. 

(5 juillet 2022, M. C., n° 459683)

 

27 - Domaine public maritime - Convention annuelle d’occupation temporaire du domaine public portuaire - Expiration - Non-renouvellement - Mesure d’exécution du contrat - Annulation impossible par le juge administratif - Annulation.

M. B. a conclu avec la commune de Sanary un contrat d’occupation temporaire du domaine public portuaire lui permettant de bénéficier d'un poste d'amarrage dans le port de cette commune pour un bateau dont il est copropriétaire avec M. D. Informés par la commune que ce contrat ne serait pas renouvelé à l’expiration de sa durée actuelle soit après le 31 décembre 2016 et leur demande d’annulation du refus de renouvellement ayant été rejetée par le tribunal administratif, ils ont interjeté appel de ce jugement. La cour administrative d’appel, annulant ce jugement, a annulé la décision de non-renouvellement prise par la commune.

La commune se pourvoit ; le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel et règle le litige au fond en faisant application d’une solution classique du contentieux contractuel.

Il est de principe que le juge du contrat ne peut, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, que rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Il n’y a d’exception que dans le cas où une partie à un contrat administratif, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, décide de former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.

Tel n’était pas le cas en l’espèce où la commune a refusé de faire application des stipulations du contrat relatives à son renouvellement car une telle mesure d’exécution du contrat n’avait pas pour objet de mettre unilatéralement un terme à une convention en cours puisque la convention était entièrement exécutée à la date de prise d’effet de la décision de non-renouvellement.

L’arrêt d’appel était entaché d’erreur de droit, l’appel de M. B. étant irrecevable comme il vient d’être indiqué et celui de M. D., copropriétaire du bateau, l’était également puisqu’il n’était pas partie au contrat litigieux.

(13 juillet 2022, Commune de Sanary, n° 458488)

 

28 - Domaine public maritime - Zone des « cinquante pas géométriques » ou « des cinquante pas du Roi » - Concession d’occupation résiliée pour non paiement des redevances d’occupation dues - Expulsion demandée sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA - Absence d’examen du caractère utile de la demande - Ordonnance d’expulsion irrégulière - Annulation.

Une société publique locale (SPL) titulaire d'un contrat de concession pour la gestion et la valorisation du littoral balnéaire de Saint-Paul à La Réunion, a autorisé par convention deux personnes physiques ainsi que la société Zourite, alors en cours de constitution, à occuper une parcelle relevant du domaine public maritime située dans la zone dite des cinquante pas géométriques, pour y exploiter un établissement commercial.

Cette convention a été résiliée par un courrier du 11 février 2021, signifié par huissier le 19 février 2021, pour absence de paiement des redevances d'occupation dues. La SPL a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA (référé mesures utiles), d'ordonner l'expulsion des trois occupants sans titre du domaine public maritime, ce qu’elle a obtenu par une ordonnance du 12 août 2021

Les intéressés se pourvoient en cassation contre cette ordonnance et en obtiennent l’annulation car le juge des référés, alors qu’il n’avait pas à se prononcer sur l’urgence à expulser, la zone des cinquante pas géométriques étant exceptée de cette exigence par l’’art. L. 521-3-1 du CJA, ne s’est, en revanche, pas prononcé sur l’utilité de la mesure d’expulsion, contrairement aux dispositions expresses de l’art. L. 521-3 précitées.

(20 juillet 2022, MM. B. et A., et société Zourite, n° 457447)

 

29 - Domaine privé - Forêt domaniale - Contrat d’occupation - Contrat de droit privé sauf élément(s) d’exorbitance - Qualification inexacte des stipulations contractuelles - Annulation pour incompétence du juge administratif.

Les forêts domaniales de l’État constituent des dépendances du domaine privé et les contrats conclus en vue de l’occupation de parcelles sises à l’intérieur de celles-ci constituent des contrats de droit privé dont le contentieux relève du juge judiciaire sauf s’ils comporte une clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

En l’espèce, une convention entre l’ONF et le requérant avait accordé à ce dernier l’autorisation d’occuper une parcelle sise dans la forêt domaniale littorale de Saint-Philippe à La Réunion.

L’ONF ayant résilié en 2016 la convention d’occupation qui avait été conclue en 2014 pour une durée de neuf ans, son bénéficiaire a saisi le juge administratif ; il a été débouté en première instance de sa demande de reprise des relations contractuelles.

La cour administrative d’appel, saisie à son tour, s’est fondée, pour juger compétent l’ordre administratif de juridiction, sur trois motifs justifiant que le contrat en litige comprenait des clauses impliquant qu'il relève du régime des contrats administratifs.

D’abord l’art. 8 de la convention permettait à l'ONF de résilier le contrat sans indemnité ni préavis dans le cas où il déciderait d'engager une procédure de cession de cette parcelle. Ensuite, l’art. 2, d’une part, permettait à l'ONF de faire réaliser des travaux de remise en état du terrain aux frais du concessionnaire et, d'autre part, habilitait ses agents à contrôler la bonne exécution par l'intéressé des obligations qui lui incombaient. Enfin, l'art. 3 interdisait au concessionnaire d'élaguer, d'abattre ou d'enlever un arbre sans l'accord écrit de l'ONF en même temps qu’il l’autorisait à procéder à des coupes d'arbres sur le terrain et soumettait la plantation d'arbres à autorisation écrite de l'Office.

Cependant le Conseil d’État considère qu’« Aucune de ces clauses ne justifie toutefois que, dans l'intérêt général, cette convention relève du régime exorbitant des contrats administratifs. » L’imperatoria brevitas de la formulation (cf. Tacite et, plus récemment, M. Hauriou) cache mal ici sa faible vertu explicative ou démonstrative. C’est le lieu de regretter l’abandon du critère du « climat » de droit public ou du « régime de droit public » proposé par certains commissaires du gouvernement et retenu alors par la jurisprudence. Ici, en effet, l’accumulation de trois clauses aurait pu être considérée comme révélant un « climat » ou un « régime » de droit public.

(20 juillet 2022, M. C. c/ Office national des forêts (ONF), n° 457616)

 

30 - Langue française - Traduction en langue anglaise de rubriques de la carte française d’identité - Choix effectué par le premier ministre au vu d’un règlement de l’Union - Contrariété à l’art. 2 de la Constitution - Demande d’abrogation - Rejet.

Le règlement européen n° 2019/1157 du 20 juin 2019 relatif au renforcement de la sécurité des cartes d'identité des citoyens de l'Union et des documents de séjour délivrés aux citoyens de l'Union et aux membres de leur famille exerçant leur droit à la libre circulation dispose, à propos de la carte nationale d’identité, au 3. de son art. 3 : « Le document porte le titre " Carte d'identité " ou un autre intitulé national reconnu dans la ou les langues officielles de l'État membre de délivrance, ainsi que les mots " Carte d'identité " dans au moins une autre langue officielle des institutions de l'Union ».

Par ailleurs, au point 3.3 de la partie 3 du document de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) auquel renvoie l'article 3 du règlement précité, « les désignations peuvent être dans la langue officielle de l'État émetteur. (...) Si la langue officielle de l'État émetteur (...) est le français, l'anglais ou l'espagnol, l'État émetteur (...) devrait employer une des deux autres langues pour imprimer la langue de désignation (...) ». 

Ces préconisations sont présentées comme un élément de la liberté de circulation des personnes exerçant leur droit d’aller et venir entre États (cf. en ce sens le point 2 du préambule du règlement du 20 juin 2019 précité).

Appliquant ces textes, le premier ministre a indiqué aux associations requérantes, dans un courrier qu’il leur a adressé, avoir choisi l’usage de la traduction en anglais (on suppose du Royaume-Uni) des rubriques obligatoires de la nouvelle carte française d’identité.

Ces associations demandent l’annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur a rejeté leurs demandes tendant à la suppression des traductions en langue anglaise qui figurent sur les nouvelles cartes nationales d'identité.

Leurs recours joints sont rejetés.

Le juge estime que si l’art. 2 de la Constitution invoqué par les requérantes, d’une part, impose l’usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et d’autre part, interdit aux particuliers de se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français ainsi que de ne pas être contraints à un tel usage, il « n’interdit pas, en tout état de cause, l'utilisation de traductions. Il ne fait ainsi pas obstacle à ce que le titre et les désignations des rubriques qui figurent en français sur la carte nationale d'identité, laquelle permet notamment de voyager et d'entrer dans tout État membre de l'Union européenne, soient accompagnées de leur traduction dans une ou plusieurs langues étrangères ».

Par ailleurs, le juge déduit des dispositions des art. 1er, 2, 3 et 4 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qu’elles n'interdisent pas que figure sur la carte nationale d'identité, document permettant aux citoyens français notamment de voyager dans les pays de l'Union européenne, une traduction des désignations de ses rubriques.

Curieusement, à aucun moment - semble-t-il - n’a été évoquée, du côté des parties comme de celui du juge, la question de savoir si la langue française fait partie des principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France (ce que dit en substance l’art. 1er de la loi précitée de 1994) au point que sa traduction dans des documents aussi officiels et symboliques que la carte nationale d’identité y porte une atteinte aussi substantielle que possible.

Reste que selon la formule de G. Gusdorf (La Parole, Presses universitaires de France, 1952, coll. « Quadrige », 2008) : « C’est par la parole (et donc la langue) que l’homme vient au monde et que le monde vient à la pensée ».

(22 juillet 2022, Association Défense de la langue française, n° 455477 ; Association Francophonie Avenir, n° 455486, jonction)

 

31 - Détention par un particulier d’un bien appartenant au domaine public - Bien autre qu’un trésor national - Bien acquis de bonne foi - Absence de revendication par l’État jusqu’en 2018 - Restitution ordonnée - Droit à l’indemnisation de la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien - Réparation du préjudice moral et de tous autres liés au comportement irrégulier de l’administration - Quantum de l’indemnité allouée - Rejet.

L’État, lors de sa mise en vente aux enchères, a revendiqué comme lui appartenant le manuscrit des « Commentaria in Evangelium sancti Lucae » attribué à Saint-Thomas d'Aquin, acquis en 1901 par l’aïeul de M. de Villoutreys.

Celui-ci a réclamé au juge, d’une part, l’annulation de la décision refusant la délivrance de l’autorisation d’exportation d’un bien culturel autre qu’un trésor national, d’autre part, la réparation du préjudice causé par cette revendication. Si en première instance il a été débouté sur ces deux chefs de demande, en appel la cour administrative lui a donné raison sur le second de ces chefs en lui allouant une certaine indemnité très inférieure au montant de sa demande.

Le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi principal de la ministre de la culture sur le principe de l’indemnisation et d’un pourvoi incident de M. de Villoutreys portant sur l’insuffisance du quantum d’indemnisation. Ils sont tous deux rejetés.

L’appartenance de cet ouvrage au domaine public est fondée, selon le juge, sur le fait que ce bien, entré dans le patrimoine familial pour avoir été acquis en 1901 lors d’enchères publiques, faisait partie de la bibliothèque de la chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon, devenue la chartreuse d'Aubevoye, lors de l'intervention du décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 plaçant tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation. Naturellement, ce raisonnement suppose légitime au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme la spoliation ainsi réalisée, ce qui n’est pas certain.

Dès ces prémisses admises, ne pouvait être contestée la domanialité publique du bien.

Concernant le principe d’une indemnisation, le Conseil d’État est très clair et ferme.

L’art. L. 3111-1 du CGPPP qui doit être lu à la lumière de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH exige l’indemnisation du détenteur de bonne foi d’un bien appartenant au domaine public lorsqu’il est revendiqué par l’administration, cette indemnisation couvre soit la réparation du préjudice lié à la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi, soit, en l’absence d’une telle charge spéciale et exorbitante, les dépenses nécessaires à la conservation du bien que l’intéressé a pu être conduit à exposer ainsi que, en cas de faute de l'administration, à l'indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute. La cour n’a pas commis d’erreur de droit en reconnaissant à M. de Villoutreys ce droit à réparation dans les circonstances de l’espèce en y voyant une charge « excessive » et non une charge « exorbitante », les deux termes s’équivalant quant au régime d’indemnisation applicable.

La cour n’a pas, non plus, commis une erreur de qualification juridique en apercevant ici dans la privation de l'intérêt patrimonial à jouir de ce manuscrit une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi, compte tenu des circonstances de l’espèce, notamment de la durée et des conditions de détention de bonne foi du manuscrit par la famille du requérant, ainsi que de l'attitude des pouvoirs publics qui n'en ont jamais revendiqué la propriété jusqu'à la vente aux enchères de 2018, alors qu'ils en avaient eu la possibilité au moins depuis la signature de la convention de dépôt aux archives départementales de Maine-et-Loire en 1991.

Enfin, la cour ne s’est pas méprise sur l’existence d’un préjudice moral dont la réparation est d’ailleurs incluse dans celle de la charge spéciale et exorbitante.

Concernant le montant de l’indemnisation allouée, le juge considère d’abord que le montant réclamé par le demandeur incident est excessif dès lors qu’il ne pouvait être propriétaire d’un bien appartenant au domaine public et d’autre part, que la somme fixée par la cour l’a été en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation et sans dénaturation des faits ou des pièces.

(22 juillet 2022, ministre de la culture et M. de Villoutreys, n° 458590)

 

Collectivités territoriales

 

32 - Attribution d’indemnités aux conseillers municipaux – Exercice effectif de leurs fonctions ou de délégations reçues du maire – Plafond légal – Calcul du plafond – Rejet.

Les dispositions combinées, d’une part, des art. L. 2122-18 et L. 2122-20 du CGCT et d’autre part, des art. L. 2123-20, L. 2123-23, L. 2323-24 de ce même code, fixent le plafond des indemnités maximales que, dans les communes de moins de 100 000 habitants, le conseil municipal peut décider d'attribuer à des conseillers municipaux soit pour l'exercice effectif de leurs fonctions soit à raison d'une délégation reçue du maire. Ce plafond (cf. le II de l’art. L. 2123-24), est constitué du montant total des indemnités maximales, hors majoration, susceptibles d'être allouées au maire et aux adjoints, telles qu’elles résultent de l’art. L. 2123-23 et du I de l'article L. 2123-24 précités. 

En l’espèce, une cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé tout d’abord que le nombre d'adjoints devant être pris en compte dans le calcul du plafond susmentionné correspondait au nombre d'adjoints exerçant effectivement leurs fonctions et non au nombre d'adjoints désignés en début de mandat en application des dispositions de l'article L. 2122-2 du CGCT.

Elle est également approuvée d’avoir jugé que la détermination de ce plafond ne pouvait inclure de conseillers municipaux, fussent-ils délégataires de fonctions précédemment exercées par un adjoint au maire.

Si des indemnités peuvent bien être versées à la fois à des conseillers municipaux et à des adjoints, le plafond légal à ne pas dépasser est, lui, déterminé par le seul effectif composé du maire et des adjoints.

(1er juillet 2022, M. D. et autres, n° 452223)

 

33 - Changement de nom des communes - Autorité compétente pour le décider - Régime différent pour les communes nouvelles et pour les communes existantes - Refus de transmettre une QPC.

Un arrêté préfectoral décide de donner à la commune nouvelle issue du rapprochement des anciennes communes de La Chapelle-Basse-Mer et de Barbechat, le nom de Divatte-sur-Loire. Il est attaqué en vain en première instance et en appel. Le juge de cassation confirme la décision des premiers juges et y ajoute le refus de transmettre une QPC.

Auparavant, il nous semble nécessaire de relever l'étrangeté d'un régime juridique faisant intervenir l'État pour décider du changement ou de l'attribution du nom d'une commune alors que dans un État démocratique et décentralisé il semble qu'une telle compétence exercée sous la forme du pouvoir de nommer appartient aux habitants concernés sous forme référendaire précédé d'une enquête publique de présentation et de défense des noms proposés par eux.

Ceci étant dit, le régime légal prévoit, aussi bien lorsque les communes concernées sont en désaccord ou lorsqu’elles ont pris des délibérations concordantes, la compétence exclusive du préfet pour déterminer le nom de la commune nouvelle (cf. art. L. 2311-6 CGCT) ce qui conduit à s'interroger sur l'utilité de consulter lesdites communes.

Par ailleurs l'art. L. 2111-1 du CGCT prévoit que, hormis le cas d'une modification des limites territoriales des communes, le changement de nom d'une commune est décidé par décret en Conseil d'État, sur demande du conseil municipal et après consultation du conseil départemental.

Le Conseil d'État n'aperçoit en la matière aucune atteinte au principe d'égalité au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales ni, non plus mais ceci n'était pas invoqué, au principe de libre administration et rejette donc la demande de transmission d'une QPC.

On a vu solution plus respectueuse de la décentralisation et de l'identité inhérente aux collectivités locales, surtout les communes.

(7 juillet 2020, Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres, n° 460445)

 

34 - Contribution au redressement des finances publiques - Détermination - Cas où une intercommunalité intègre une commune nouvelle issue d’une fusion des communes constituant alors une communauté de communes - Minoration de la dotation d’intercommunalité servie à l’ancienne communautés de communes - QPC - Rejet.

La communauté de communes requérante, créée à compter du 1er janvier 2017, intègre dans son périmètre la commune nouvelle de Charny-Orée-de-Puisaye, créée au 1er janvier 2016 par fusion des communes composant l'ancienne communauté de communes de l'Orée de Puisaye. La communauté de communes a contesté en vain, en première instance et en appel, la décision préfectorale lui notifiant le montant de la dotation d'intercommunalité pour l'année 2017 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Dans le présent litige, elle conteste le montant de la dotation d'intercommunalité qui lui a été attribué au titre de l'année 2017, d'une part, et de l'année 2018, d'autre part, et plus spécifiquement le calcul de la minoration de cette dotation au titre de la contribution au redressement des finances publiques. 

Elle soulève à l’appui de cette demande une QPC tirée de la question de la conformité à l'article 13 de la Déclaration de 1789 des art. L. 2113-20 et L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 en ce que le législateur a méconnu sa compétence en s'abstenant de définir les dispositions permettant de faire obstacle à la double prise en compte, au titre de la détermination de la contribution au redressement des finances publiques, des recettes réelles de fonctionnement d'une communauté de communes devenue commune nouvelle entre l'arrêt des comptes de gestion et l'année de répartition.

La requérante estime que le législateur a méconnu sa compétence en s'abstenant de définir les dispositions permettant de faire obstacle, dans l'hypothèse où - comme en l’espèce - une communauté de communes a intégré dans son périmètre, au moment de sa création, une commune nouvelle, elle-même issue de la fusion des communes constituant une ancienne communauté de communes, à la double prise en compte, au titre de la détermination de la contribution au redressement des finances publiques due par la nouvelle communauté de communes, de la minoration de la  dotation d'intercommunalité servie à l'ancienne communauté de communes, et soutient que cette double prise en compte méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques.

La demande de transmission est d’abord rejetée car le dispositif organisé par l’art. L. 5211-28  du CGCT n’aboutit pas, pour une année donnée, contrairement à ce qui est soutenu, à intégrer deux fois les recettes de l'ancien établissement intercommunal lors de l'année de référence, et impose au contraire, année après année, de tenir compte, dans le calcul des parts afférentes à chaque commune concernée, d'un éventuel changement d'appartenance, au cours des années de référence, des communes concernées. Il ne conduit donc pas à tenir compte deux fois des recettes réelles de fonctionnement de cet ancien établissement public de coopération intercommunal.

Cette demande de transmission est également rejetée s’agissant de la minoration de la dotation d'intercommunalité des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au titre de la contribution au redressement des finances publiques prévue par l'article L. 5211-28 du CGCT. Cette dernière est, en effet, distincte de la minoration de la dotation forfaitaire des communes au titre de la contribution au redressement des finances publiques, telle que prévue par l'article L. 2334-7-3 du même code, applicable aux communes nouvelles dans les conditions prévues par l'article L. 2113-1 de ce code, et la circonstance que les ressources de la commune nouvelle soient éventuellement réduites à raison de la minoration de la dotation d'intercommunalité de la communauté des communes à laquelle elle s'est substituée est, outre que cette commune nouvelle est, pendant les trois années suivant sa création, dispensée de contribution au redressement des finances publiques, sans incidence sur le calcul de la contribution au redressement des finances publiques assumée par la communauté de communes nouvelle, déterminée sur la base de ses propres recettes réelles de fonctionnement.

Par suite, la requérante ne saurait utilement soutenir que cet établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre nouveau est conduit à assumer doublement la contribution au redressement des finances publiques. 

(18 juillet 2022, Communauté de communes de Puisaye-Forterre, n° 460810 et n° 460811)

 

35 - Nouvelle-Calédonie - Autorisation d’abattage de requins-tigres - Autorité compétente - Compétence des provinces - Avis rendu en ce sens.

Les associations requérantes ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision d'autorisation d'abattage de requins-tigres prise conjointement par la présidente de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie et la maire de Nouméa. 

La cour administrative d’appel a renvoyé au Conseil d’État, pour avis, sur le fondement de l'article 205 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, la question de savoir si, au regard des règles de compétences déterminées par les articles 20, 22 (10e) et 46 de cette loi, les provinces sont compétentes et, le cas échéant, dans quelles conditions, en matière de destruction des spécimens appartenant à des espèces marines protégées susceptibles de se déplacer indifféremment dans la zone économique exclusive et dans les eaux de la mer territoriale.

Le juge régulateur suprême déduit de l’ensemble des dispositions applicables qu'en Nouvelle-Calédonie les provinces sont compétentes pour établir la liste des espèces animales qu'elles entendent protéger et réglementer, dans les eaux intérieures, telles que définies par l'article 46 de la loi organique du 19 mars 1999, et dans les eaux surjacentes de la mer territoriale, les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux interdictions qu'elles édictent dans le cadre de cette protection, y compris s'agissant d'espèces animales qui se déplacent également dans la zone économique exclusive.

(Avis, 18 juillet 2022, Association Ensemble pour la planète et association Sea Shepherd Nouvelle-Calédonie, n° 462434)

(36) V. aussi, allant dans le même sens, constatant que la préservation de l'environnement n'étant pas au nombre des compétences attribuées respectivement à l'État ou à la Nouvelle-Calédonie par les articles 21 et 22 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et aucune disposition de la législation applicable en Nouvelle-Calédonie ne confiant cette compétence aux communes, d’où résulte la compétence des provinces en cette matière : avis, 18 juillet 2022, Haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie, n° 462438.

 

37 - Participation spécifique pour la réalisation d'équipements exceptionnels (art. L. 332-8 c. urb.) - Émission de titres de perception en vue du paiement de cette participation - Régime contentieux de la contestation de ces titres - exception de chose jugée - Erreur de droit - Annulation.

(22 juillet 2022, Communauté de communes « Rives de Moselle », n° 443366)

V. n° 108

 

38 - Établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre - Dotation globale de fonctionnement (DGF) - Composante de cette dotation - Dotation d’intercommunalité attribuée individuellement - III de l’article L. 5211-28 du CGCT - Atteinte aux principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques, de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales - Rejet de la demande de transmission de la QPC.

L’établissement public requérant soulève une QPC au soutien de son recours en annulation de l'arrêté ministériel qui lui a notifié pour l'exercice 2021 son attribution individuelle au titre des composantes de la dotation globale de fonctionnement en application de l'article L. 1613-5-1 du CGCT, en tant que cet arrêté ne lui accorde aucune somme au titre de la dotation d'intercommunalité.

Le Conseil d’État rejette l’exception d’inconstitutionnalité, refusant ainsi la demande de transmission d’une QPC.

En premier lieu, il est jugé qu’en conditionnant le versement d’un complément de dotation d’intercommunalité à un indicateur de ressource fiscale apprécié comparativement à la moyenne des établissements de la même catégorie, et en distinguant ainsi entre catégories d'établissements publics de coopération intercommunale, lesquelles sont placées dans des situations différentes, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel en rapport direct avec l'objet de la loi. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, le montant des attributions individuelles de dotation d'intercommunalité n'est pas sans rapport avec les niveaux de potentiel fiscal et de coefficient d'intégration fiscale, qui s'appliquent, aux côtés d'un indicateur tiré du revenu par habitant, pour le calcul du montant des attributions de tous les établissements publics de coopération intercommunale éligibles à la dotation d'intercommunalité et qui permettent de tenir compte du niveau d'intégration intercommunale et du niveau des ressources fiscales de l'établissement.
Ainsi se trouvent rejetés les moyens tirés de l’atteinte qui aurait été portée aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques.

En second lieu, si la requérante invoque la perte financière qui résulte pour elle de l'absence de versement en 2021 d'une somme au titre de la dotation d'intercommunalité et qui aurait eu pour conséquence la dégradation de sa capacité d'autofinancement brute, elle ne démontre pas que cette perte financière serait d'une ampleur telle qu'elle serait susceptible d'entraver sa libre administration ou de porter atteinte à son autonomie financière.

Cette décision donne une interprétation aussi stricte que possible de textes déjà peu amènes en matière de décentralisation, le critère de l’autonomie financière étant le seul indicateur pertinent du degré de décentralisation car tout le reste est littérature, tout exercice d’une compétence ayant un coût. La jurisprudence des deux ailes du Palais-Royal réalise depuis plusieurs décennies une saisissante dégradation de la décentralisation en France.

(22 juillet 2022, Communauté de communes Chinon Vienne et Loire, n° 464270)

 

39 - Fusion entre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - EPCI en situations différentes au regard de leurs régimes de fiscalité professionnelle - EPCI soumis au régime fiscal de la fiscalité professionnelle unique et EPCI soumis au régime de la fiscalité additionnelle - Compensation de la suppression de la taxe d’habitation - Mécanisme dit de « débasage / rebasage » de la part communale du taux de taxe d'habitation - Versement d'attributions de compensation aux communes concernées par l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle (cf. le V. de l’art. 1609 nonies C du CGI) - Atteinte au principe constitutionnel principe d'égalité devant la loi - Question présentant un caractère sérieux - Transmission d’une QPC.

Les données de ce litige sont un peu complexes dans leur technicité.

À leur origine se trouve la suppression progressive de la taxe d’habitation et l’institution d’un mécanisme compensatoire pour les collectivités territoriales par l’art. 16 (en ses points IV et V) de la loi de finances du 28 décembre 2019 dans la version qui lui a été donnée par la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

Le a du 1° du A du IV de cet article ayant déjà été déclaré contraire à la Constitution (déc. n° 2021-982 QPC du 17 mars 2022), il s’ensuit que la QPC soulevée à ce sujet est devenue sans objet dès lors que la requérante ne conteste aucune autre des dispositions de ce IV ; ne reste donc à examiner que la constitutionnalité du V.

La difficulté venait ici du cas où s’est opérée après 2017 (année de début de la suppression progressive de la taxe d’habitation) une fusion entre deux catégories différentes d’EPCI, l’un à fiscalité propre et donc soumis à l’art. 1609 nonies C du CGI et l’autre qui est soit un EPCI à fiscalité propre additionnelle faisant ou non application des dispositions de l’art. 1609 quinquies du CGI soit un EPCI sans fiscalité propre.

Lorsque le nouvel EPCI est issu d’une fusion réalisée dans les conditions prévues par l'article L.5211-41-3 du CGCT, il est soumis de plein droit au régime prévu par ces mêmes dispositions que cette fusion soit réalisée entre EPCI à fiscalité propre ou entre EPCI relevant de régimes fiscaux différents l’un de l’autre.

Par suite et par l’effet des dispositions de l'article 1638-0 bis du CGI, le nouvel EPCI, soumis désormais au régime de la fiscalité professionnelle unique, se voit appliquer le mécanisme dit de « débasage / rebasage » de la part communale du taux de taxe d'habitation issu de la réforme de la taxe professionnelle, sur le territoire de l'ancien établissement public de coopération intercommunale à fiscalité additionnelle.

Le V de l'article 1609 nonies C du CGI prévoit en ce cas le versement d'attributions de compensation par l'établissement public de coopération intercommunale aux communes concernées. 

Là surgit le problème.

Le nouvel EPCI - comme il vient d’être indiqué - verse aux communes issues de l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle des attributions de compensation au titre du « débasage / rebasage » du taux de taxe d'habitation postérieur à 2017, alors que la compensation à l’EPCI de la perte de ressources induite par la suppression de la taxe d'habitation se fonde sur les taux de taxe d'habitation de 2017 antérieurs au « débasage / rebasage ». Il se comprend ainsi aisément que le nouvel EPCI issu d'une fusion postérieure à 2017 subit une perte de ressources équivalente au gain dont bénéficient les communes membres de l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle.

Le juge en déduit donc que présente un caractère sérieux la question de savoir s’il est, par-là, porté atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et qu’est ainsi justifiée la transmission d’une QPC relative au V. de l'article 16 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

(22 juillet 2022, Communauté d'agglomération Vienne Condrieu Agglomération, n° 464934)

 

40 - Traitement et élimination des déchets - Commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs - Compétence réglementaire - Composition des collèges - Collège des collectivités territoriales - Rejet.

Était demandée l’annulation du décret du 12 octobre 2020 relatif à la commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs pris pour l’application des dispositions de l’art. L. 541-10 du code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, dès lors que le pouvoir réglementaire, par le décret attaqué relatif à la  commission inter-filières, d’une part, s'est borné à préciser la composition, les modalités de fonctionnement et les missions d'une commission administrative à caractère consultatif chargée de rendre des avis sur certains aspects du dispositif de responsabilité élargie des producteurs prévu à l'article L. 541-10 du code de l'environnement et d’autre part n’a eu ni pour objet, ni pour effet de préciser les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement, ni de définir les conditions de la prévention des atteintes à l'environnement ou de la limitation de leurs conséquences, ni de mettre en cause un principe relevant du domaine de la loi, il ne saurait être soutenu que le décret attaqué a empiété sur le domaine de la loi.

Ensuite, la composition de la commission en cinq collèges n’est pas critiquable. Spécialement s’agissant du collège des collectivités territoriales, le juge rappelle que le principe de représentativité, principe général du droit applicable à l'ensemble des relations collectives de travail, ne peut être utilement invoqué s'agissant de la composition de l'un des collèges d'une instance administrative consultative dont l'objet est d'assurer la représentation des collectivités territoriales. En outre, si les syndicats mixtes peuvent être constitués, en application des articles L. 5711-1 et L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales, de collectivités territoriales, de groupements de telles collectivités et d'autres personnes morales de droit public, ils ne constituent pas des collectivités territoriales de la République au sens de l'article 72 de la Constitution.

Enfin, compte tenu de la mission confiée à la commission inter-filières, le pouvoir réglementaire n'a pas entaché son appréciation d'erreur manifeste en retenant la composition du collège des collectivités territoriales comme il l’a fait et en ne prévoyant pas, au sein de celui-ci, une représentation des syndicats mixtes chargés de la gestion des déchets ménagers distincte de celles des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale qui y sont associés. 

(28 juillet 2022, Syndicat mixte d'élimination et de valorisation des déchets (Symevad), Syndicat mixte pour la valorisation des déchets du pays d'Avignon (Sidomra), Syndicat intercommunal Ain traitement et valorisation des déchets ménagers (Organom), Smictom Valcobreizh, et Syctom (Agence métropolitaine des déchets ménagers), n° 447834)

 

Contrats

 

41 - Domaine public maritime - Convention annuelle d’occupation temporaire du domaine public portuaire - Expiration - Non-renouvellement - Mesure d’exécution du contrat - Annulation impossible par le juge administratif - Annulation.

(13 juillet 2022, Commune de Sanary, n° 458488)

V. n° 27

 

42 - Concession de plage naturelle et sous-traités de concession du service public balnéaire - Intangibilité du règlement de la consultation en vue d’une délégation de la gestion du service public - Irrégularité affectant une candidature à une offre - Conséquences - Erreur de droit - Annulation.

La commune du Lavandou, concessionnaire de la plage naturelle de Saint-Clair, a organisé une procédure de mise en concurrence en vue de l’attribution de sous-traités de délégation de la gestion du service public balnéaire. L’un des lots a été attribué à une société et la commune a informé M. A. et sa société du rejet de sa candidature à raison du caractère irrégulier de son offre.

Celui-ci a demandé en justice la réparation du préjudice résultant de son éviction qu’il estimait irrégulière.

Le tribunal administratif lui a accordé cette réparation tandis que la cour administrative, sur l’appel de la commune, a, avant-dire droit, ordonné une expertise pour déterminer le montant du bénéfice que M. A. aurait réalisé au cours de la période concernée, après avoir jugé que si le projet de sous-traité soumis à la commune du Lavandou par M. A. ne comportait pas le nom du candidat ni le montant de la redevance proposée, ces omissions  ne rendaient pas sa candidature irrégulière car l'identité du candidat ressortait de la lettre de présentation de la candidature, tandis que le montant de la redevance était énoncé dans une fiche distincte figurant au dossier. 

La commune se pourvoit contre cet arrêt.

Pour prononcer l’annulation de cet arrêt pour erreur de droit, le Conseil d’État reproche à celui-ci de n’avoir pas recherché si les exigences non satisfaites par le requérant étaient manifestement dépourvues de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si leur méconnaissance résultait d'une erreur purement matérielle.

Le Conseil d’État ayant décidé de régler l’affaire au fond (cf. art. L. 821-1 CJA), celui-ci  rappelle d’abord la ligne générale selon laquelle il exerce son contrôle en la matière, précisant, complétant et renforçant les solutions antérieurement adoptées par les mêmes deux chambres réunies (21 septembre 2011, Département des Hauts-de-Seine, n° 349149, rec. Lebon p. 443 ; 28 mars 2022, Commune de Ramatuelle et Société Tropezina Beach Development, n° 454341 et 454896, cf. cette Chronique, mars 2022, n° 24).

« Le règlement de la consultation prévu par une autorité délégante pour la passation d'une délégation de service public est obligatoire dans toutes ses mentions. L'autorité délégante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d'une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue. »

Appliquée au cas de l’espèce, cette ligne générale conduit le juge à estimer que les informations omises « étaient nécessaires à l'autorité délégante pour s'assurer de l'identité de la personne avec laquelle elle contracterait, et ne peuvent, dès lors, être regardées comme ayant été manifestement inutiles. En outre, l'omission en cause ne saurait être regardée comme une erreur purement matérielle, aucune des informations relatives à l'identité du titulaire de la concession n'ayant été renseignée dans le projet de contrat. Par suite, (…) la commune ne pouvait attribuer le contrat à un candidat qui n'avait pas respecté une des exigences imposées par le règlement de consultation. »

On avouera ne pas partager une solution excessive au regard des éléments relevés par la cour administrative d’appel concernant la fourniture de ces éléments dans les autres pièces du dossier. Notre réticence est d’autant plus renforcée à la lecture de ce qui suit : « Si M. A. soutient, par ailleurs, que la commune du Lavandou aurait méconnu le principe d'égalité en ne l'invitant pas à régulariser sa candidature, contrairement à celles de candidats à l'attribution des lots n°s 2 et 9 de la même plage, il ne peut utilement se prévaloir de cette circonstance qui intéresse la procédure de passation d'autres lots. Il s'ensuit que la commune, qui n'était pas tenue de demander la régularisation de sa candidature, devait l'écarter comme irrégulière. ». N’existe-t-il pas un principe de loyauté contractuelle carillonné il y a une décennie par le juge administratif ? Que devient-il ici ?

Naturellement, est annulée, en conséquence et pour faire bonne mesure, l’indemnisation allouée en appel.

(20 juillet 2022, Commune du Lavandou, n° 458427)

 

43 - Procédure de mise en concurrence avec négociation en vue de l'attribution d'un accord-cadre - Renouvellement du système de billetterie d’un réseau de transports publics - Rejet d’une offre - Demande d’indemnisation - Invocation de l’irrégularité d’une offre adverse en raison des délais d’exécution prévus par elle - Vice jugé sans effet sur l’offre évincée - Erreur de droit - Annulation.

La société Flowbird, requérant, a demandé en vain, en première instance et en appel, l'annulation, ou à défaut la résiliation, de l'accord-cadre conclu par le syndicat mixte des transports Artois-Gohelle avec la société AEP Ticketing Solutions portant sur le renouvellement de la billettique du réseau Tadao et le développement de l'interopérabilité avec le support régional " C. " et, d'autre part, la condamnation du syndicat mixte à lui verser la somme de 1 631 076,50 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts en réparation des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure d'attribution de l'accord-cadre. 

La société soutient que l’attribution de l’accord-cadre à sa concurrente est illégale en raison de ce que son offre prévoyait des délais d’exécution excédant ceux prévus par les documents de la consultation publique.

Pour rejeter cette argumentation au soutien de la demande d’indemnisation, la cour administrative d’appel a jugé que la demanderesse n'était pas susceptible d'avoir été affectée par un tel vice dès lors qu'elle avait obtenu la note maximale pour le sous-critère concernant le calendrier prévisionnel d'exécution.

Ce jugeant, la cour a évidemment commis une erreur de droit car le manquement en cause était bien en rapport direct avec l'éviction de la société Flowbird, dont ni la candidature ni l'offre n'ont été jugées irrégulières. La cassation est prononcée avec renvoi à la cour.

(21 juillet 2022, Société Flowbird, n° 456472)

 

44 - Compétence juridictionnelle - Offre adressée par l’assureur d’un établissement public - Remboursement à un tiers payeur des prestations faisant l’objet d’une déduction du montant de cette offre - Obligation de réparer pesant sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance le liant à l’établissement public - Nature juridique de ce contrat - Contrat administratif - Compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

(21 juillet 2022, Hospices civils de Lyon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n° 449789)

V. n° 68

 

Droit du contentieux administratif

 

45 - Effet normalement rétroactif des annulations prononcées par le juge administratif – Faculté de moduler dans le temps les effets de ces annulations – Pouvoir souverain des juges du fond sauf dénaturation – Rejet.

Le Conseil d’État précise avec beaucoup de netteté que la faculté de modulation des effets des annulations qu’il prononce reconnu au juge administratif relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond sous réserve, le cas échéant, d’une dénaturation.

(1er juillet 2022, M. D. et autres, n° 452223)

V., pour un autre aspect de cette décision, le n° 32

 

46 - Covid-19 – État d’urgence sanitaire - Dispositions procédurales particulières en matière de notification des jugements et arrêts – Absence d’effets sur la prolongation du délai d’appel pour les justiciables résidant à l’étranger – Erreur de droit – Annulation.

Les dispositions de l'article 6 du décret du 18 novembre 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif durant l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020, qui simplifient et accélèrent la notification des décisions de justice, n'ont eu ni pour objet, ni pour effet de modifier le délai de quatre mois imparti aux parties qui demeurent à l'étranger pour former un appel contre les décisions des tribunaux administratifs.

Commet ainsi une erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge tardif l’appel interjeté le 21 avril 2021 contre une ordonnance du tribunal administratif notifiée au mandataire du requérant au moyen de l'application informatique Télécours le 5 janvier 2021, alors que s’agissant d’un requérant résidant en Suisse, celui-ci disposait de quatre mois pour saisir la cour administrative d’appel soit jusqu’au 6 mai 2021 inclus. L’ordonnance est annulée.

(1er juillet 2022, Etablissement fédéral de la confédération helvétique Compenswiss, n° 459623)

 

47 - Référé suspension – Demande dirigée contre un décret – Condition d’urgence ne résultant pas de ce décret mais de la loi – Mesures transitoires – Absence d’atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale – Rejet.

Les deux fédérations requérantes demandaient la suspension de l'exécution, d'une part, du dernier alinéa de l'article 1er du décret du 29 avril 2022 relatif à l'information du consommateur sur les qualités et caractéristiques environnementales des produits générateurs de déchets, insérant dans le code de l'environnement un article R. 541-223 aux termes duquel il est interdit de faire figurer sur un produit ou un emballage, neuf à destination du consommateur, les mentions « biodégradable », « respectueux de l'environnement » ou toute autre allégation environnementale équivalente et, d'autre part, du III de l'article 3 de ce même décret, en tant qu'il prévoit que les dispositions de l'article R. 541-223 entrent en vigueur au lendemain du jour de la publication de ce décret.

La requête est rejetée en premier lieu en l’absence d’urgence attachée au décret attaqué puisque l’interdiction qu’il réitère trouve son fondement dans les dispositions de l'article L. 541-9-1 du code de l'environnement, ce décret ne crée ainsi pas par lui-même une situation d’urgence. Cet argument est spécieux puisque cet article législatif renvoie expressément à un décret d’application preuve qu’il n’est pas directement applicable par lui-même et qu’ainsi seul le règlement d’application crée concrètement la situation d’urgence.

La requête est rejetée en second lieu sur le constat que le dernier alinéa du III de l’art. 3 du décret du 29 avril 2022, prévoit des dispositions transitoires afin de permettre jusqu'au 1er janvier 2023 l'écoulement des stocks d'emballages fabriqués avant l'entrée en vigueur de l'interdiction d'apposer les mentions précitées. Ainsi, ne saurait, de ce chef, être caractérisée une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts en cause.

(1er juillet 2022, Fédération de l'hygiène et de l'entretien responsable et Fédération des entreprises de la beauté, n° 465005)

 

48 - Composition de la juridiction – Juridiction statuant sur renvoi après cassation – Cas où le jugement cassé a été rendu par un seul juge – Circonstance n’empêchant pas de statuer en formation collégiale pour juger après cassation – Rejet.

A la différence des juridictions judiciaires civiles où le juge unique peut constituer à lui seul une juridiction autonome, le juge administratif, dans les affaires où il peut statuer seul, n’est jamais organiquement détaché de la formation juridictionnelle à laquelle il appartient. Cela permet de juger sous forme collégiale toutes les affaires.

Ceci a pour conséquence qu’en cas de cassation d’un jugement rendu par un juge administratif statuant seul, la formation à laquelle est renvoyé, le cas échéant, le jugement de l’affaire, peut toujours être une formation collégiale (cf. art. R. 222-19 CJA).

C’est pourquoi, à strictement et correctement parler, afin de respecter la différence statutaire et organique entre les deux hypothèses, civile et administrative, il vaut mieux réserver l’expression « juge unique » à l’ordre judiciaire de juridiction et celle de « juge statuant seul » à l’ordre juridictionnel administratif.

(5 juillet 2022, M. B., n° 449112)

 

49 - Chirurgiens-dentistes – Demande d’inscription d’une société d’exercice libéral à responsabilité (SELAS) au tableau de l’Ordre - Refus implicite – Demande de suspension en référé – Rejet.

(ord. réf. 5 juillet 2022, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELAS) « Cabinet 158 Croix Nivert » et Société de participation financière de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France, n° 465022)

V. n° 254

 

50 - Contentieux sociaux – Régime particulier – Office spécial du juge – Application au contentieux de l'inscription par Pôle emploi sur la liste des demandeurs d'emploi – Annulation pour méconnaissance par le juge de son office.

On sait qu’en raison du public concerné par les contentieux sociaux et de la finalité attachée à ceux-ci, le code de justice administrative et la jurisprudence administrative imposent au juge saisi un office à la fois étendu et singulièrement orienté.

Ici, où était en cause le refus de Pôle emploi d’inscrire une personne sur la liste des demandeurs d'emploi au motif qu'elle ne disposait pas d'un titre de séjour en cours de validité figurant sur la liste limitative des titres ouvrant droit à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi telle que définie par l’art. R 5221-48 du code du travail, le juge saisi d’un pourvoi rappelle d’abord sa ligne générale de conduite et de traitement des contentieux sociaux et en fait application à l’espèce pour annuler le jugement querellé devant lui.

Tout d’abord, c’est le rappel de l’office du juge dans les contentieux sociaux.

« Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. »

Le litige portant sur le droit à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi, le juge indique que c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer.

Ensuite, pour annuler le jugement pour méconnaissance de son office, le Conseil d’État retient que pour opposer l’irrecevabilité de sa demande à la requérante le juge du premier degré a estimé qu’il lui était demandé d'examiner ses droits à inscription sur la liste des demandeurs d'emploi et a jugé que les recours dirigés contre les décisions de Pôle emploi relatives à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi n'étaient pas au nombre de ceux pour lesquels il appartient au juge administratif d'examiner les droits de l'intéressé en qualité de juge de plein contentieux et qu'il lui revenait en conséquence d'y statuer comme juge de l'excès de pouvoir, ce dont il a déduit que les conclusions de la requérante devaient être regardées comme tendant à titre principal à ce qu'il prononce une injonction.

La cassation du jugement est prononcée pour méconnaissance par son auteur de son office particulier s’agissant d’un contentieux social.

(7 juillet 2022, Mme B., n° 454955)

 

51 - Droit de l’urbanisme – Requête en annulation d’une autorisation d’extension d’une maison d’habitation – Mémoire opposant une fin de non-recevoir - Irrecevabilité manifeste opposée en conséquence – Erreur de droit – Annulation.

Les requérants ont demandé l’annulation d’un permis de construire délivré en vue de l’extension d’une maison d’habitation. Les pétitionnaires défendeurs soulèvent en cours d’instance devant le tribunal administratif une fin de non-recevoir tirée de ce que les demandeurs ne justifiaient pas de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article R. 600-1 c. urb. consistant en l’obligation de notifier leur recours au titulaire de l'autorisation de construire. Ce mémoire en défense a été communiqué aux demandeurs avec demande de réponse « dans les meilleurs délais » ainsi que, postérieurement, le mémoire des défendeurs demandant le rejet de la requête pour irrecevabilité manifeste avec réponse éventuelle attendue « dans les meilleurs délais ». Puis, se fondant sur les dispositions du 4° de l’art. R. 222-1 CJA, un président de chambre du tribunal a rejeté la requête comme manifestement irrecevable. Dans les deux cas ne figurait ni une date limite pour une réponse ni une invitation à régulariser ni l’indication des conséquences pouvant s’attacher à l’absence de régularisation.

Cette ordonnance est annulée pour erreur de droit, ce qui donne l’occasion au Conseil d’État de rappeler le régime juridique et procédural des ordonnances rejetant les requêtes manifestement irrecevables résultant des art. R. 612-1 et R. 222-1 CJA.

« Les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance en application de ces dernières dispositions sont, d'une part, celles dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte, d'autre part, celles qui ne peuvent être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours, si ce délai est expiré et, enfin, celles qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation comme l'exige l'article R. 612-1 du code de justice administrative, est expiré. En revanche, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non-recevoir. En pareil cas, à moins que son auteur n'ait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l'article R. 612-1 du code de justice administrative, la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une décision prise après audience publique. »

Ainsi est marquée toute la différence séparant une justice simplificatrice et rapide d’une justice expéditive.

(7 juillet 2022, M. et Mme I., n° 456370)

 

52 - Demandes d'injonctions à adresser à un directeur du ministère de la justice - Demandes manifestement irrecevables - Rejet.

Ne relève manifestement pas de la compétence du Conseil d'État la demande en référé liberté tendant à voir le juge des référés de cette juridiction prononcer diverses injonctions, adressées notamment au directeur du service d'accès au droit et à la justice et d'aide aux victimes du ministère de la justice, en rapport au droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle dont se prévaut le demandeur.

(ord. réf. 4 juillet 2022, M. B., n° 462274)

(53) V. aussi pour un identique rejet de la même requête : ord. réf. 4 juillet 2022, Mme A. épouse C., n° 465276.

(54) V. encore, comparable en ce qu’il juge manifestement irrecevable le référé liberté tendant à voir le juge administratif ordonner des injonctions notamment au bâtonnier du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lyon, en rapport à une convocation en justice le concernant, devant le tribunal judiciaire de Lyon, datant du 10 mars 2022 : ord. réf. 22 août 2022, M. B., n° 466839.

 

55 - Référé liberté - Obligation pour le demandeur d'établir les circonstances particulières justifiant que le juge statue à bref délai - Insuffisance de la seule atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

Les sociétés requérantes poursuivaient l'annulation d'un arrêté municipal prescrivant la fermeture des établissements du type épiceries de nuit de 22 heures à 6 heures du jeudi au dimanche inclus pour la période courant du 1er juin au 30 septembre et durant les périodes des congés scolaires de printemps et de la Toussaint.

Leur action en référé liberté ayant été rejetée en première instance, ces sociétés forment appel devant le Conseil d'État.

C'est pour lui l'occasion de rappeler une nouvelle fois qu'il est deux conditions à réunir pour succéder en référé liberté : l'atteinte à une liberté fondamentale et la démonstration que les circonstances imposent au juge de décider de mesures applicables et efficaces dans le bref délai de quarante-huit heures. L'absence de l'une de ces deux conditions entraîne toujours l'insuccès de la procédure de l'art. L. 521-2 du CJA.

L'ordonnance du premier juge est confirmée car son auteur a relevé à bon droit que les sociétés requérantes n'avaient fourni aucune précision sur l'ampleur de la privation de chiffre d'affaires annuel qui résulterait des dispositions contestées, alors notamment que celles-ci ne faisaient qu'étendre la mesure de fermeture au dimanche soir, tout en en réduisant l'amplitude horaire, et que les ventes nocturnes d'alcool demeuraient par ailleurs interdites dans les mêmes périmètres.

C'est sans erreur de droit qu'il en a déduit que n'était pas établie l'urgence qui s'attacherait à ce que soit ordonnée la suspension des dispositions litigieuses.

Constatant que les appelantes n'ont produit aucun élément susceptible d'infirmer cette appréciation, le Conseil d'État rejette l'appel.

(ord. réf. 6 juillet 2022, Sarl Le Trigone, SAS O'Shop, Sarl Wael, SAS EatetDrink et Sarl Original Market, n° 465134)

 

56 - Référé suspension - Condition d'urgence - Dispositions applicables au plus tôt en décembre 2024 – Condition non remplie - Rejet.

Est rejetée comme ne satisfaisant pas à la condition d'urgence le référé tendant à la suspension d'une délibération du 9 juin 2022 du conseil d'administration de la SNCF en tant qu'elle introduit un article 16 au chapitre 1 et un article 4-10 au chapitre 9 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel (GRH0001) dès lors que si l'ensemble des nouvelles dispositions du statut sont entrées en vigueur au 1er juillet 2022, celles contestées au titre du référé, qui sont seulement relatives aux modifications spécifiquement prévues au sein des filiales créées en réponse à appel d'offres d'une autorité organisatrice de transport, ne s'appliqueront pas avant le terme d'un processus de sélection et d'attribution qui conduit à envisager un début d'exploitation au plus tôt au mois de décembre 2024 s'agissant des lots pour lesquels la procédure est la plus avancée et où une filiale dédiée a déjà été constituée juridiquement. 

(11 juillet 2022, Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail et Union fédérale des cheminots et activités complémentaires, n° 465305)

 

57 - Recours dirigé contre une délibération du jury du concours externe d'officier de la police nationale - Demande d'organiser de nouvelles épreuves orales - Recours dirigé contre une décision prise par un organisme collégial à compétence nationale - Concours relatif à des agents ou des postes situés dans le ressort de plusieurs tribunaux administratif - Compétence du tribunal dans le ressort duquel siège l'auteur de la décision attaquée - Irrecevabilité de la saisine directe du Conseil d'État - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le recours visait à obtenir l'annulation de la délibération du jury du concours externe d'officier de la police nationale arrêtant la liste des candidats admis à ce concours et à ce qu'il soit fait injonction à ce jury et à la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale d'organiser de nouvelles épreuves orales d'admission.

Parce que la décision attaquée émane d'un organisme collégial à compétence nationale le requérant a cru pouvoir saisir le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort. Mais sa requête est irrecevable de ce chef, la compétence directe du Conseil d'État ne jouant que pour les actes réglementaires pris par de tels organismes non pour les décisions d'un jury de concours qui ne sont que des collections d'actes individuels même si une solidarité existe entre eux.

Appliquant les dispositions de l'art. R. 312-12 du CJA, le Conseil d'État renvoie l'affaire au tribunal administratif de Paris dans le ressort duquel siège l'autorité qui a pris la décision litigieuse, à savoir le jury du concours externe d'officier de la police nationale.

(12 juillet 2022, M. B., n° 455667)

 

58 - Circulaire ministérielle relative à la police des lieux de sépulture - Qualité donnant intérêt pour agir - Qualité de citoyen ou d’ancien adjoint maire de sa commune ou d’individu attaché à la neutralité des cimetières - Absence d’intérêt pour agir - Rejet.

Ne possède pas une qualité lui conférant intérêt pour agir contre une circulaire ministérielle du 19 février 2008 relative à l'aménagement des cimetières et au regroupement confessionnel des sépultures celui qui se prévaut de la qualité de citoyen ou d’ancien adjoint au maire de sa commune de résidence ou de personne attachée à la neutralité des cimetières.

(15 juillet 2022, M. B., n° 448930)

 

59 - Demande de confirmation des conclusions d’un requérant - Absence de réponse dans le délai imparti - Désistement d’office - Conditions d’application du régime - Non respect du délai d’un mois - Irrégularité du donné acte d’un désistement - Annulation.

L’art. R. 612-5-1 du CJA permet à la juridiction saisie de donner acte d’un désistement du requérant lorsque celui-ci, invité à confirmer ses conclusions, s’abstient de répondre dans le délai qui lui est imparti. Lorsqu’il conteste l’ordonnance de donné acte du désistement d’office, il convient que le juge de cassation, saisi d’une argumentation en ce sens, vérifie :

- que l'intéressé a reçu la demande de confirmation du maintien de ses conclusions,

- que cette demande de confirmation laissait au requérant un délai d'au moins un mois pour y répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai,

- que ce requérant s'est abstenu de répondre en temps utile.

En l’espèce, la juridiction n’avait imparti qu’un délai de quinze jours au demandeur pour lui faire connaître s’il maintenait ses conclusions. Par suite est irrégulière l’ordonnance donnant acte de ce qu’il s’était désisté de ses conclusions.

(18 juillet 2022, M. A., n° 459593)

 

60 - Allocation d’une provision en référé - Obligation de reversement total ou partiel par son bénéficiaire - Juge du fond estimant la créance non fondée ou d’un montant inférieur à la provision - Provision définitivement acquise en cas de rejet au fond de la demande pour irrecevabilité ou pour prescription de l’action au fond - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (juge de cassation statuant au fond).

Cette décision est très importante par la précision qu’elle apporte sur le sort, en certains cas, des sommes allouées à titre provisionnel sur le fondement des dispositions de l’art. R. 541-1 du CJA (référé provision).

A la suite de désordres survenus lors de la réalisation d’un lycée, la région Guyane, aux droits de laquelle vient la collectivité territoriale de Guyane, a obtenu du tribunal administratif une provision de 4 166 910 d’euros mise à la charge du cabinet d’architectes assurant la maîtrise d’œuvre de ces travaux.

Puis, ce tribunal et la cour administrative d’appel ont, respectivement le 28 février 2018 et le 30 novembre 2018 rejeté l'action au fond ultérieurement introduite par la région Guyane tendant à la réparation des dommages liés à ces désordres, au motif que cette action au fond était prescrite. 

Saisie par le cabinet d’architectes, la cour a, par arrêt du 8 juin 2021, ordonné à la collectivité territoriale de Guyane, notamment, de lui reverser la somme de 7 622,44 euros correspondant à la part de la provision octroyée en 2003 qui n'avait pas été couverte par les assureurs de ce cabinet.

Sur pourvoi de cette collectivité territoriale, le Conseil d’État juge erroné en droit cet arrêt.

En effet, il résulte tout d’abord des dispositions de l’art. R. 541-4 du CJA que « Si le créancier n'a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d'une provision peut saisir le juge du fond d'une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel ».

Il se déduit ensuite de là qu’il convient de distinguer deux situations très différentes. En premier lieu, le demandeur qui a obtenu du juge des référés le bénéfice d'une provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du CJA doit la reverser en tout ou en partie lorsque le juge du fond, statuant sur sa demande pécuniaire ou sur une demande du débiteur tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, décide que la créance invoquée n'est pas fondée ou qu'elle est d'un montant inférieur au montant de la provision. En second lieu - et c’était là la situation de l’espèce - lorsque le juge du fond rejette la demande dont il est saisi pour un motif tiré de l'irrecevabilité ou de la prescription de l'action au fond, les sommes accordées par le juge des référés à titre de provision sont définitivement acquises. 

C’est donc au prix d’une erreur de droit que l’arrêt attaqué du 8 juin 2021 a jugé que l'exécution de l’arrêt du 30 novembre 2018, par lequel avait été rejeté la demande de la collectivité territoriale de Guyane au motif que le délai de la garantie décennale était expiré à la date à laquelle a été introduite l'action au fond, impliquait nécessairement que la collectivité reverse la provision que lui avait accordée le juge des référés.

La solution nous semble d’une logique parfaite. Le rejet au fond, total ou partiel, d’une créance car elle n’existait pas ou n’atteignait pas un certain montant implique nécessairement la restitution de ce qui a été versé à titre de provision sur cette somme. En revanche, lorsque le créancier n’est débouté au fond que pour un motif de procédure qui n’atteint pas la réalité du montant de sa créance, il est normal que la restitution de la provision n’ait pas lieu.

(20 juillet 2022, Collectivité territoriale de Guyane venant aux droits de la région Guyane, n° 455106)

 

61 - Compétence juridictionnelle - Contentieux de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE) et de la taxe départementale sur la consommation finale d'électricité (TDCFE) - Compétence exclusive du juge judiciaire pour les contestations concernant l'assiette et le recouvrement des deux taxes - Compétence exclusive du juge administrative pour les actions en responsabilité pour faute à raison de l’exercice par une personne publique de sa fonction normative - Annulation avec renvoi.

La société requérante demandait le remboursement de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité et de la taxe départementale sur la consommation finale d'électricité qu'elle aurait indûment supporté de 2014 à 2018. Les juges du fond ont décliné la compétence des juridictions administratives pour connaître de cette action.

Le Conseil d’État juge que si en raison de leur nature de contributions indirectes le contentieux relatif à l’assiette et au recouvrement de ces deux taxes relève bien de la compétence du juge judiciaire, en revanche seul le juge administratif est compétent pour connaître des actions qui - comme celles en cause en la présente espèce - tendent à la réparation des préjudices causés du fait de la responsabilité pour faute d’une personne publique dans l’exercice de son activité normative, législative ou réglementaire. 

Les trois ordonnances attaquées sont annulées pour avoir, en déclinant la compétence du juge administratif en l’espèce, commis chacune une erreur de droit.

(21 juillet 2022, Société d'étude et de promotion hôtelière internationale (SEPHI), n° 454784, n° 454786 et n° 454787)

(62) V. aussi, retenant la même solution à propos du partage entre les deux ordres de juridiction du contentieux de la contribution tarifaire d’acheminement : 21 juillet 2022, Société de luxe d’hôtellerie française, n° 454779 et n° 454783.

 

63 - Compétence juridictionnelle – Dépaysement d’un litige opposant une chambre de commerce à une personne en formation – Demande de référé d’heure à heure – Incompétence du Conseil d’État statuant en référé liberté – Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable devant le Conseil d’État l’action en référé tendant à le voir ordonner le dépaysement du litige opposant le requérant à la CCI de Colmar et enjoindre à la juridiction désignée de statuer sur le référé d'heure à heure introduit à l'encontre de la décision de la CCI de Colmar refusant de lui communiquer ses documents de fin de formation professionnelle.

(ord. réf. 22 août 2022, M. B., n° 455840)

 

64 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Soumission au droit commun de la procédure administrative contentieuse - Obligation de viser et d’analyser les mémoires produits devant elle - Omission en l’espèce - Décision de rejet irrégulière - Annulation.

Parce qu’elle est une juridiction administrative, la CNDA est tenue de respecter toutes les exigences de la procédure administrative contentieuse dont elle n’est pas dispensée par une disposition expresse. Il suit de là qu’en ne visant pas ni n’analysant un mémoire produit devant elle et contenant des éléments de fait nouveaux dont elle ne tient pas compte dans sa décision, elle commet une irrégularité conduisant à la cassation de sa décision subséquente.

(21 juillet 2022, M. B., n° 452211)

 

65 - Ressortissant de nationalités argentine et française - Extradition vers l’Argentine - Demande du bénéfice de la protection consulaire et de renouvellement de son passeport et de sa carte d’identité - Refus implicite - Incompétence du Conseil d’État pour connaître en premier ressort du recours contre ce refus - Attribution de la requête au tribunal administratif de Paris.

Extradé vers l’Argentine à la demande des autorités de ce pays, le requérant, qui dispose des nationalités argentine et française, a demandé au président de la république le bénéfice de la protection consulaire ainsi que le renouvellement de son passeport et de sa carte d’identité.

Il saisit directement le Conseil d’État d’un recours en annulation du rejet implicite de ses demandes.

Le Conseil d’État juge que dès lors que ces demandes relèvent normalement de la compétence des autorités consulaires locales, c’est à elles qu’elles sont « réputées avoir été transmises ».

Par suite, ne relevant d’aucun des cas limitativement énumérés à l’art. R. 311-1 du CJA comme relevant de la compétence directe de premier ressort du Conseil d’État et en l’absence de tribunal administratif compétent, la requête est attribuée au tribunal administratif de Paris.

La solution ne s’imposait pas d’évidence mais se justifie par des considérations dont certaines d’ordre pratique.

(21 juillet 2022, M. D., n° 461483)

 

66 - Responsabilité hospitalière du fait des conditions de la naissance d’un enfant - Demande d’expertise en vue d’évaluer divers préjudices - Extension en appel de la mission de l’expert définie en première instance - Appréciation de son caractère utile (art. R. 532-1 CJA) - Réponse positive pour des éléments révélés postérieurement à la date de la première expertise - Annulation.

(21 juillet 2022, Centre hospitalier de Voiron et Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 446965)

V. n° 290

 

67 - Enregistrement des demandes d’asile - Prescriptions de mesures aux fins d’en améliorer le fonctionnement - Injonction sous astreinte de ramener à dix jours ouvrés le délai d’enregistrement de ces demandes - Saisine du juge de l’exécution (art. L. 911-7 CJA) - Rejet de la demande de liquidation d’astreinte.

Le Conseil d’État rejette la demande de liquidation d’astreinte dont l’a saisi l’association requérante. En effet, il résulte de l’instruction et des diligences effectuées par la section du rapport et des études du Conseil d’État, que l’administration compétente a bien, dans le délai de quatre mois qui lui avait été imparti dans le cadre d’une injonction sous astreinte, pris les mesures nécessaires afin d’améliorer le fonctionnement de la plateforme téléphonique dédiée mise en œuvre par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et d’accroître les capacités de traitement des demandes d'enregistrement dans les guichets uniques pour demandeurs d'asile afin de ramener à dix jours au maximum le délai d'enregistrement des demandes d'asile en Île-de-France. L’instruction ayant montré que le délai moyen est désormais compris entre 5,4 et 9,7 jours ouvrés, il n’y a pas lieu de procéder à la liquidation de l’astreinte demandée par l’association requérante.

(21 juillet 2022, Association " La Cimade ", n° 447339)

 

68 - Compétence juridictionnelle - Offre adressée par l’assureur d’un établissement public - Remboursement à un tiers payeur des prestations faisant l’objet d’une déduction du montant de cette offre - Obligation de réparer pesant sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance le liant à l’établissement public - Nature juridique de ce contrat - Contrat administratif - Compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que relève du juge judiciaire le contentieux né de l’action en remboursement formée par l’assureur d’un établissement public contre la caisse de sécurité sociale à laquelle il a versé une somme en réparation du préjudice qu’il doit couvrir en vertu du contrat le liant à cet établissement public dès lors que ce contrat constitue - comme c’est le cas en l’espèce - un contrat administratif, l’exécution des obligations qu’il crée relevant de la compétence du juge administratif.

Le Conseil d’État, pour établir la nature administrative du contrat en cause, retient la date à laquelle il a été conclu et la circonstance qu’en application de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier alors en vigueur, il est un contrat administratif par détermination de la loi.

De là s’ensuit la compétence de la juridiction administrative pour connaître également de l'action en répétition de l'indu exercée, le cas échéant, par l'assureur contre le tiers payeur au titre de sommes versées à titre amiable.

(21 juillet 2022, Hospices civils de Lyon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n° 449789)

 

69 - Demande d’exécution d’un jugement (art. L. 911-4 CJA) - Absence de définition par ce jugement des mesures de mise en œuvre qu’il implique - Obligations s’imposant au juge de l’exécution - Respect de l’autorité de chose jugée - Limites de ses pouvoirs - Rejet.

Rappel de ce  qu'en l'absence de définition, par le jugement ou l'arrêt dont l'exécution lui est demandée, des mesures qu'implique nécessairement cette décision, il appartient au juge de l’exécution (cf. art. L. 911-4 CJA) d'y procéder lui-même en tenant compte des situations de droit et de fait existant à la date de sa décision, sans toutefois pouvoir méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée.

En particulier, la rectification des erreurs de droit ou de fait dont serait entachée la décision en cause ne peut procéder que de l'exercice, dans les délais fixés par les dispositions applicables, des voies de recours ouvertes contre cette décision. 

La clarification opérée par la présente décision est bienvenue car le juge de l’exécution n’est pas un juge d’appel ou quelque autre juridiction chargée de corriger les décisions sur la base desquelles il n’exerce qu’un pouvoir d’exécution de celles-ci telles qu’elles ont été rendues. L’absence d’indications du juge sur les mesures d’exécution qu’appelle son jugement ou son arrêt n’ouvre pas au juge de l’exécution un quelconque pouvoir de rectification, de correction ou de réécriture de ce jugement ou de cet arrêt.

(21 juillet 2022, Mme H. et autres, n° 449882)

 

70 - Ordre professionnel (vétérinaires) - Procédure disciplinaire - Rejet d’un appel pour tardiveté - Dates de réception et de signature de la notification de la décision de première instance - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Le président de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a, par ordonnance, rejeté comme tardif l'appel formé par le requérant le 28 octobre 2020 contre la décision de la chambre disciplinaire régionale de première instance du 10 janvier 2020. Il s’est fondé pour cela non sur l'accusé de réception du courrier de notification qui ne figurait pas au dossier, mais sur un « historique de traçabilité du courrier » électronique émanant des services postaux selon lequel la décision de première instance avait été notifiée par un courrier recommandé daté du 10 janvier 2020, remis le 16 janvier 2020 et signé le même jour à 9 h 40, par une personne identifiée par le postier, cette signature étant reproduite sur le document en cause.

Toutefois, l’intéressé soutient ne pas avoir reçu la décision du 10 janvier 2020, alléguant ne pas connaître l'identité du signataire et justifiant que cette signature ne correspondait à aucune des signatures, qu'il produisait, des trois personnes, en plus de lui-même, habilitées à réceptionner des plis lui étant adressés. Il suit de là que l’ordonnance litigieuse est entachée d’erreur de droit en raison de la dénaturation des pièces du dossier sur laquelle elle repose.

(22 juillet 2022, M. A., n° 448999)

 

71 - Autorité relative de la chose jugée - Identité de cause, d’objet et de parties - Rejet antérieur pour demandes insuffisamment étayées et non à titre de principe - Apport d’éléments nouveaux - Circonstances indifférentes pour l’application de cette autorité - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif rejette les requêtes des sociétés demanderesses, toutes trois appartenant à un groupe exerçant l'activité de commerce de détail de produits de boucherie sous l'enseigne commerciale « Grand frais » au sein de plusieurs établissements, à raison de l’autorité de chose jugée résultant d’un précédent jugement.

En effet,  il existe une identité d’objet, de cause juridique et de parties entre ce jugement rejetant leurs demandes de décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales auxquelles elles ont été assujetties ainsi que des pénalités correspondantes et l’actuelle instance en dépit de ce que le premier jugement a rejeté les premières demandes non dans leur principe, mais faute d'être suffisamment étayées et alors que ces dernières entendaient apporter des éléments nouveaux quant au calcul des surfaces taxables dans le cadre de la seconde instance.

Dans ces deux instances les recours étaient formés par les mêmes parties et concernaient le bien-fondé des cotisations supplémentaires de taxe d'aménagement sur les surfaces commerciales mises à leur charge : ils présentaient ainsi une identité de parties, d'objet et de cause juridique avec les précédents litiges portés devant ce tribunal,

(22 juillet 2022, Société GFDDV, n° 453134 ; Société LDGF, n° 452136 ; Société GDV, n° 452137, jonction)

 

72 - Procédure d’expropriation - Arrêté de cessibilité - Vice affectant l’avis de l’autorité environnementale - Supplément d’instruction en vue de régularisation - Nouvel avis rendu par une autorité dotée de l’autonomie - Vice primitif ayant privé l’intéressée d’une garantie - Annulation de l’arrêté de cessibilité - Erreur de droit - Cassation.

Une cour administrative d’appel, saisie d’un recours contre un arrêté de cessibilité rendu dans le cadre d’une importante opération d’aménagement, constate l’irrégularité de l’avis donné par l’autorité environnementale et ordonne, par un arrêt avant dire droit, un supplément d’instruction à fin de régularisation. Après qu’a été rendu un nouvel avis, favorable, par une autorité disposant de l’autonomie requise, la cour estime que le vice initial a privé la société intéressée d’une garantie et annule par un second arrêt le jugement du tribunal administratif ainsi que l’arrêté de cessibilité.

Le Conseil d’État casse l’arrêt car ayant invité à régulariser et ayant constaté qu’un nouvel avis avait été rendu dans des conditions régulières la cour devait statuer en prenant en compte seulement la régularisation qui lui avait été notifiée.

(25 juillet 2022, Établissement public d'aménagement Euroméditerranée, n° 462681, demande d’annulation, et n° 462773, sursis à l’exécution des deux arrêts)

(73) V. aussi, annulant l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif enjoignant l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles litigieuses jusqu'à ce que le juge de l'expropriation des Bouches-du-Rhône se soit prononcé, au motif que l’arrêt d’appel ayant été annulé par le Conseil d’État (cf. le n° 72), celle-ci est désormais à nouveau saisie du jugement du tribunal administratif de Marseille rejetant la requête de la SCI Les Marchés Méditerranéens dirigée contre l'arrêté de cessibilité. Il en résulte que cet arrêté ne fait pas l'objet, à la date de la présente ordonnance, d'une « annulation par une décision définitive du juge administratif », condition exigée par les art. L. 223-2 et R. 223-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique pour « faire constater par le juge [de l'expropriation] que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale ». Il en résulte que si la reprise des travaux est de nature, dans l'hypothèse d'une annulation devenue irrévocable de l'arrêté de cessibilité, à faire obstacle à ce que les biens en cause soient restitués à la société, qui serait alors indemnisée, cette reprise ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif, alors que l'absence d'annulation définitive de l'arrêté de cessibilité fait en tout état de cause obstacle à l'action en restitution devant le juge de l'expropriation. c'est donc à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a ordonné à l’EPA de suspendre ses travaux : ord. réf. 25 août 2022, Établissement public d'aménagement Euroméditerranée, n° 466421.

 

74 - Demande de confirmation du maintien des conclusions du demandeur - Absence de réponse - Ordonnance donnant acte du désistement - Conditions de régularité de l’ordonnance - Étendue du contrôle de cassation - Annulation de l’ordonnance.

Lorsque le juge a fait usage de son pouvoir de demander à une partie si elle maintient ses conclusions et constate l’absence de réponse à cette demande, il prend une ordonnance constatant le désistement de cette partie.

La présente affaire donne l’occasion de rappeler l’étendue du contrôle qu’exerce le juge de cassation, saisi d’un pourvoi en ce sens, sur la régularité d’une telle ordonnance (art. R. 612-5-1 CJA).

Le juge de cassation doit vérifier :

- que l'intéressé a reçu la demande de confirmation du maintien de ses conclusions,

 - que cette demande laissait au requérant un délai d'au moins un mois pour y répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai,

- que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile.

En revanche et en principe, le juge de cassation ne peut être saisi de moyens contestant les motifs pour lesquels le signataire de l'ordonnance de donné acte a estimé que l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur.

Cependant, le juge de cassation doit censurer l'ordonnance qui lui est déférée dans le cas où il juge, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, - comme c’est le cas ici - qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par l'art. R. 612-5-1 du CJA.

(27 juillet 2022, M. B., n° 442531)

 

75 - Aide sociale - Demande du bénéfice d’une aide-ménagère - Refus - Obligation d’un recours administratif préalable à la saisine du juge - Irrecevabilité du recours contentieux devant être soulevée d’office - Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 134-2 du code de l'action sociale et des familles qu’un recours contentieux dirigé contre le refus du président du conseil départemental de renouveler à l’intéressée le bénéfice d'une aide-ménagère au titre de l'aide sociale doit être précédé d’un recours administratif préalable.

Faute du respect de cette exigence, son recours contentieux devait être déclaré d’office irrecevable.

Imparable au regard des textes, cette solution crée une situation regrettable s’agissant d’un contentieux social où les formalités sont réduites par rapport au droit commun et où leur non-respect est généralement apprécié avec mansuétude.

(27 juillet 2022, Mme B., n° 449546)

(76) V. aussi, dans un contentieux social voisin, l’annulation du rejet pour tardiveté d’un recours contre le refus implicite d’un président de conseil départemental de revenir sur une décision de récupération d’indu car il ne ressort pas du dossier que le recours préalable contre cette décision avait fait l'objet d'un accusé de réception comportant les mentions exigées par les art. L. 110-1, L. 112-3, L. 112-6 et R. 112-5 du code des relations du public avec l’administration. Ainsi, l’ordonnance de rejet pour tardiveté est entachée d'une erreur de droit : 27 juillet 2022, Mme B., n° 453167.

 

77 - Conseil supérieur de la magistrature statuant en matière disciplinaire - Nature juridictionnelle de ces fonctions - Décisions relevant exclusivement d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État - Référé liberté manifestement irrecevable - Rejet.

Rappelant une jurisprudence constante faisant relever exclusivement du Conseil d’État statuant en cassation les recours dirigés contre les décisions disciplinaires rendues par le Conseil supérieur de la magistrature à l'encontre de magistrats du siège, le juge en déduit logiquement qu'il ne peut être saisi, contre de telles décisions, de recours en référé (ici un référé liberté) ni non plus de conclusions à fin d'injonction ou tendant à mettre en cause le Défenseur des droits.

(2 août 2022, M. Andrianarivony, n° 466086)

 

78 - Chômage partiel - Cohabitation avec une personne vulnérable - Covid-19 - Interruption de l'indemnisation par une CPAM - Incompétence du juge administratif - Rejet.

Sont irrecevables comme portés devant une juridiction incompétente pour en connaître, d'une part, le recours direct en Conseil d'État dirigé contre une CPAM pour interruption du versement des indemnités journalières que le demandeur percevait au titre du dispositif de chômage partiel indemnisant les personnes cohabitant avec une personne vulnérable dans le cadre de la pandémie de Covid-19 et, d'autre part, la demande d'injonction à cette caisse de le rétablir dans ce dispositif.

(5 août 2022, M. B., n° 466409)

(79) V. aussi, rejeté pour avoir été porté en Conseil d'État en premier et dernier ressort, le recours en référé tendant à la délivrance au requérant de documents de circulation pour étrangers mineurs au profit de ses deux enfants résidant actuellement à Mayotte : 5 août 2022, M. B., n° 466423.

 

80 - Expertise ordonnée par le juge judiciaire - Nécessité à cet effet d'une interruption temporaire du fonctionnement d'une antenne de radiotéléphonie mobile - Référé mesures utiles à cette fin - Déploiement de réseau ordonné par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Erreur procédurale - Obligation d'agir en référé suspension - Erreur de droit - Annulation et rejet.

Un groupement agricole (GAEC) situé à proximité immédiate d'une infrastructure supportant des stations radioélectriques de téléphonie mobile a obtenu du tribunal judiciaire statuant en référé que soit ordonnée une expertise relative au comportement, à l'état sanitaire et à la baisse de la production de lait du cheptel qu'il exploite mais cette juridiction a décliné sa compétence pour statuer sur la demande de suspension temporaire du fonctionnement de stations radioélectriques pour les besoins des opérations d'expertise.

Le groupement a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'un référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) aux fins de voir ordonner la cessation provisoire d'exploitation du fonctionnement de cette infrastructure le temps que soit réalisée l'expertise. Le juge des référés a enjoint à l'État et à la société Orange « d'arrêter le fonctionnement de l'antenne de radiotéléphonie mobile (...), ainsi qu'à tous les opérateurs, pendant une durée de deux mois, à compter d'une date arrêtée en concertation avec l'expert judiciaire (...) en lien avec le préfet de la Haute-Loire, aux fins d'organisation de la sécurité et des appels de secours dans la zone concernée, la cessation de fonctionnement devant être effective dans un délai de trois mois au plus ». 

Relevant que le déploiement de la station en cause était réalisé pour l'exécution des décisions de l'ARCEP du 15 novembre 2018 et de l'arrêté interministériel du 12 juillet 2019 faisant obligation aux sociétés Orange, SFR, Free Mobile et Bouygues Télécom de fournir des services de radiotéléphonie mobile et d'accès mobile à très haut débit, le Conseil d'État juge que la procédure de l'art. L. 521-3 n'est pas applicable à l'espèce car elle fait obstacle à l'exécution d'une décision administrative contrairement aux prescriptions de ce texte. Il convenait donc de mettre en œuvre la procédure du référé suspension de l'art. L. 521-1 du CJA.

L'ordonnance attaquée, qui n'invoque point l'existence d'un péril grave, est annulée et la demande du GAEC rejetée.

(ord. réf. 17 août 2022, SA Orange, n° 464622 ; Société SFR, n° 464652 ; Société Free Mobile, n° 464743 ; ministre des finances..., n° 464763)

 

81 - Agent révoqué du corps des magistrats de l'ordre judiciaire - Demande, par voie de référé liberté, de réexamen d'un pourvoi en cassation formé le 27 avril 1981 - Incompétence manifeste du juge des référés - Rejet.

Doit-on s'étonner qu'ici le Conseil d'État juge manifestement irrecevable une demande en référé liberté formée le 8 août 2022 en vue que, par cette procédure, il soit procédé au réexamen d'un pourvoi en cassation formé le 27 avril 1981 contre la révocation du requérant du corps des magistrats de l'ordre judiciaire ?

(ord. réf. 10 août 2022, M. A., n° 466496)

 

82 - Compétence du Conseil d'État en premier ressort - Recours dirigé contre une décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

N'est pas au nombre des décisions contre lesquelles un recours direct peut être porté en premier ressort devant le Conseil d'État et est donc manifestement irrecevable, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirmant la décision d'un consul général de France refusant de délivrer un visa à Mme D.

(16 août 2022, M. A. et Mme D., n° 466626)

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

83 - Omission par un contribuable de déclarations obligatoires – Omission de déclarer une activité à un centre de formalité des entreprises ou au greffe d’un tribunal de commerce – Activité réputée occulte – Régime juridique applicable – Rejet.

Rappel en premier lieu de ce que le contribuable qui n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, est réputé exercer une activité occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.

Rappel en second lieu, qu’en ce cas, si le contribuable fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un État autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États.

C’est au prix de plusieurs irrégularités (deux erreurs de droit, une insuffisance de motivation et une dénaturation de pièces du dossier) que la cour administrative d’appel a cru pouvoir rejeter l’appel du ministre auteur du pourvoi, d’où sa cassation.

(1er juillet 2022, ministre de l’économie…, n ° 453636)

 

84 - Taxe sur les surfaces commerciales – Taxe frappant les superficies supérieures à 400 m2 – Détermination de cette superficie – Espace de réception affecté à la remise aux clients des véhicules acquis – Exclusion de cette surface – Qualification inexacte des faits – Annulation.

La taxe sur les surfaces commerciales frappe les établissements dont la surface commerciale excède 400 mètres carrés. Un tribunal administratif a estimé que n’entrait pas dans cette catégorie et ne pouvait être comptée dans les 400 mètres carrés la superficie d’un espace de réception affecté, au sein d’un établissement, à la remise aux clients des véhicules qu'ils avaient acquis car il constitue un espace clos séparé de manière permanente de la zone d'exposition des véhicules se trouvant dans ce même établissement : il ne pouvait, contrairement à ce qu'avait retenu l'administration, être regardé comme un espace affecté à la circulation de la clientèle pour y effectuer ses achats au sens et pour l'application des dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972. 

Le jugement est cassé car les faits auraient été inexactement qualifiés par le premier juge en raison des termes mêmes de l’art. 3 précité que : « (…) La surface de vente des magasins de commerce de détail, prise en compte pour le calcul de la taxe (sur les surfaces commerciales), et celle visée à l'article L. 720-5 du code de commerce, s'entendent des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l'exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement, et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente.(…) ».

A notre sens la solution adoptée n’a pas les vertus de l’évidence au regard du libellé de la disposition que l’on vient de lire.

(1er juillet 2022, ministre de l’économie…, n° 459697)

 

85 - Conventions fiscales internationales – Convention franco-américaine – Régime applicable aux prestations artistiques et à leurs accessoires – Champ d’application de la retenue à la source – Application à l’ensemble des éléments indissociables de la prestation scénique – Rejet.

La convention fiscale franco-américaine dispose en son art. 17 § 2 : « 2. Lorsque les revenus d'activités qu'un artiste du spectacle ou un sportif exerce personnellement et en cette qualité sont attribués non pas à l'artiste ou au sportif lui-même mais à une autre personne, qu'elle soit ou non un résident d'un État contractant, ces revenus sont imposables, nonobstant les dispositions des articles 7 (Bénéfices des entreprises), 14 (Professions indépendantes) et 15 (Professions dépendantes), dans l'État contractant où les activités de l'artiste ou du sportif sont exercées ». 

En l’espèce se posaient deux questions pour l’application de cette stipulation.

En premier lieu, s’agissant de la territorialité de l’activité, c’est sans erreur de droit ni dénaturation que la cour administrative d’appel, exerçant à cet égard son pouvoir souverain d’appréciation, a jugé que les sommes facturées par la société Bornrocker  à la société requérante l'avaient été en contrepartie de prestations artistiques fournies par l’artiste en France et que cette facturation ne trouvait aucune contrepartie dans une intervention de cette dernière distincte de ces prestations artistiques, ainsi la convention internationale précitée ne faisait pas obstacle à l’imposition en France des revenus tirés par l’artiste de son activité personnelle de spectacle.

En second lieu, il convenait de déterminer l’assiette de l’imposition au titre de la prestation artistique en cause. C’est sans erreur de droit que la cour a estimé que si cette prestation artistique était la « composante essentielle » du contrat en cause, elle n’était pas la seule et que devaient y être incluses la concession de droits qui y était prévue, limitée à la promotion du spectacle auquel l’artiste participait car elle était indissociable de sa prestation scénique, tout comme les prestations de contrôle et de suivi prévues au contrat car elles se limitaient au contrôle et à la validation, pour le compte de l’artiste, d'opérations inhérentes à la prestation scénique fournie par lui et n'avaient pas la nature d'une prestation de « producteur délégué ».

C’est donc à bon droit que la cour a jugé que l'ensemble des sommes facturées par la société Bornrocker à la société Encore B en contrepartie de ces prestations de services devaient être soumises à la retenue à la source prévue à l'article 182 A bis du CGI, sans qu'ait d'incidence à cet égard l'absence de lien juridique direct entre la société Encore B et l’artiste.

(5 juillet 2022, Société Encore B, n° 455789)

 

86 - Impôt sur les sociétés – Assujettissement des entreprises exploitées en France – Établissement stable de chantier ou installation fixe d'affaires - Notion – Application à l’espèce – Rejet.

La société Bouygues TP, requérante, contestait sa solidarité dans les dettes d’une entreprise chypriote qui est l’une de ses prestataires. Elle fait valoir à titre principal que celle-ci n’a pas d’établissement stable en France et se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui a jugé le contraire.

Selon le I de l'article 209 du CGI : « (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ».

Le Conseil d’État approuve la juridiction d’appel d’avoir estimé sans erreur de droit que l’entreprise chypriote avait exploité en France, au cours des années 2009 à 2011, une entreprise autonome au sens du I de l’art. 209 précité, en se fondant pour opérer cette déduction, sur les circonstances de fait, opérantes et non arguées de dénaturation, établissant que la gestion et la coordination administrative et opérationnelle des travailleurs qu'elle a mis à la disposition de la société Bouygues TP étaient exclusivement assurées par des personnels dédiés, installés en France pendant la durée du chantier, le siège de la société situé à Chypre n'intervenant que pour réceptionner les documents contractuels et émettre la facturation des prestations. 

Il approuve encore la cour d’avoir jugé, pour l’application de la convention fiscale franco-chypriote du 18 décembre 1981, que la société chypriote a exercé en France une activité consistant à mettre au service de la société Bouygues TP, entre 2009 et 2011, le personnel nécessaire aux opérations du chantier dont cette dernière était maître d'ouvrage à Flamanville, et que, pour ce faire, cette société a disposé en France, sur le site du chantier, d'une représentante légale en charge de la signature des contrats de mission du personnel, de la fourniture des bulletins de paie et de la signature des documents transmis à l'administration française. Enfin, elle a relevé que les contrats-cadres de mise à disposition du personnel ont été conclus et signés, au nom de la société chypriote, à Flamanville, le siège de la société à Chypre se bornant, durant cette période d'activité, à émettre la facturation correspondante. L’activité de mise à disposition de personnel au service de la société Bouygues TP par l'entremise, en la personne de sa représentante légale en France, d'un agent dépendant disposant des pouvoirs d'engager la société, caractérisent ainsi l'existence d'un établissement stable de chantier ou d'une installation fixe d'affaires dont les bénéfices étaient imposables en France en application des stipulations de la convention fiscale franco-chypriote.

(5 juillet 2022, Société Bouygues TP, n° 458293)

 

87 - Impôt sur les sociétés - Holding de droit mauricien - Réintégration d’intérêts d’emprunt dans le résultat imposable d’une filiale - Impositions complémentaires et cotisations additionnelles - Loi applicable - Droit de l’Union - Convention fiscale franco-mauricienne - Rejet.

La société par actions simplifiée MW Brands, devenue Thaï Union Europe, est détenue par la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Thaï Union France Holding 2, elle-même détenue par la société de droit luxembourgeois Thaï Union EU Seafood SA, cette dernière étant à son tour détenue par la société Thaï Union Investment Holding, établie à l'Île Maurice.

La SASU Thaï Union France Holding 2, en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, s’est vu imposer des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles au titre de l'exercice clos en 2013 à raison de la réintégration dans le résultat imposable de sa filiale MW Brands d'intérêts d'emprunt versés par cette dernière à la société mauricienne Thaï Union Investment Holding.

Le pourvoi est dirigé contre l’arrêt confirmatif du rejet du recours contentieux intenté contre le rejet du recours administratif préalable formé devant l’administration fiscale. Ce recours était fondé, d’une part, sur ce que la société contribuable aurait rapporté la preuve d’un assujettissement au taux normal d'imposition fixé à 15 % à l'Île Maurice et, d’autre part, sur les dispositions de l’art. 63 du TFUE et sur la convention fiscale franco-mauricienne.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, l'administration fiscale, se fondant sur les dispositions du I de l’art. 212 du CGI, a prononcé les impositions et cotisations supplémentaires, en retenant la circonstance que la société prêteuse bénéficiait à l'Île Maurice d'un abattement spécial de 80 % sur ses bénéfices ayant pour effet de l'assujettir à un taux d'imposition de 3 %, inférieur au quart du taux de droit commun français. C’est sans erreur de droit et surtout par application des règles régissant l’administration de la preuve en matière fiscale que la cour administrative d’appel a considéré que la contribuable ne rapportait pas la preuve de son allégation selon laquelle elle aurait été assujettie en l’occurrence, à raison de ces intérêts, au taux normal d'imposition fixé à 15 % à l'Île Maurice. C’est à bon droit qu’en l’absence de production d'un avis d'imposition rectificatif, ni la lettre de renonciation de la contribuable au bénéfice de l’abattement spécial, ni les attestations émanées de l’administration fiscale mauricienne ne permettent d’établir l’acquittement de l’impôt au taux de 15%.

Ensuite, le b) du I. de l’art. 212 du CGI, en faisant obstacle à la déduction des intérêts versés par une société débitrice à une société liée imposée à un niveau inférieur au quart de l'impôt de droit commun en France, traite différemment les sociétés concernées selon le niveau d'imposition de leur prêteur, et non selon le siège de ce dernier. Ainsi que relevé par la cour, ces dispositions n'introduisent donc aucune restriction directe à la liberté de circulation des capitaux qui contreviendrait aux stipulations du 1. de l’art. 63 du TFUE. Au reste, comme l’a jugé la cour, eu égard au niveau d'imposition plancher qu’elles fixent au quart de l'impôt français de droit commun, les dispositions de l’art. 212 du CGI précitées, n'instaurent par elles-mêmes aucune différence de traitement généralement défavorable, de fait, aux situations transfrontalières. Il s’ensuit l'absence de restriction indirecte à la liberté de circulation des capitaux, quand bien même les situations purement internes susceptibles de relever de ces dispositions seraient généralement celles dans lesquelles les entreprises prêteuses bénéficient d'un régime particulier. 

Enfin, il s’évince des dispositions des paragraphes 4 et 5 de l’art. 25 de la convention fiscale franco-mauricienne du 11 décembre 1980, respectivement, d’une part, que le I. de l’art. 212 du CGI, comme indiqué plus haut, n’affecte pas la clause conventionnelle de non-discrimination  et, d’autre part, que ces stipulations ne sauraient être invoquées pour faire obstacle à une règle nationale défavorable à une entreprise du seul fait qu'elle verse des intérêts à des créanciers non-résidents, dès lors que cette différence de traitement n'est pas elle-même fondée sur le fait que les non-résidents détiennent ou contrôlent le capital de l'entreprise.

(13 juillet 2022, Société Thaï Union France Holding 2, n° 451533)

 

88 - Bénéfices industriels et commerciaux - Impôt sur les sociétés - Société de droit suisse - Appartements mis à disposition gratuite d’un associé - Réintégration dans le bénéfice imposable de recettes éludées par suite d’un acte anormal de gestion - Caractère indifférent de la conformité de l’acte aux statuts de la société - Rejet.

L’administration a considéré comme un acte anormal de gestion la mise à disposition gratuite de son unique associé, par une société, de deux appartements, elle a, en conséquence, réintégré dans ses revenus le montant des loyers dont la société s’est involontairement privée et a rectifié les impositions dues qu’elle a assorties de pénalités.

La requérante se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté son recours dirigé contre ces décisions ; son pourvoi est rejeté, le Conseil d’État approuvant en tous points le raisonnement de la cour administrative d’appel.

Tout d’abord, se posait une question de qualification de la nature de cette société de droit suisse qui n’a pas d’équivalent strict en droit français afin de déterminer le régime fiscal applicable (cf. art. 206 CGI). Les juges du fond sont approuvés, d’une part, pour avoir assimilé cette société à une société anonyme de droit français au regard des dispositions de l’art. 206 du CGI et d’autre part, pour avoir procédé à cette qualification sans tenir compte du caractère civil ou commercial de l'objet de cette société, un tel critère n'étant pas au nombre des caractéristiques définissant ce type de sociétés.

Ensuite, devait être examinée l’existence en l’espèce d’un acte anormal de gestion, acte dont on sait qu’il consiste pour une entreprise à s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il est jugé que la société requérante se trouvait dans ce cas en mettant gratuitement à disposition de son unique associé deux appartements situés à Cannes sans recevoir une quelconque contrepartie. À cet égard il est précisé que « la circonstance qu'une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l'objet social de l'entreprise n'est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l'intérêt propre de l'entreprise, ni que satisfaire par cette gratuité l'un des objets pour lequel la société a été créée soit une contrepartie suffisante. »

Enfin, c’est conformément à l’art. 6 des stipulations de la convention fiscale franco-suisse que cette société a été imposée à l'impôt sur les sociétés en France sur la base des revenus correspondant au prix normal de location qu'elle aurait pu tirer de ses appartements situés à Cannes durant la période d'occupation gratuite par son associé, ces revenus ayant, aux termes de cette convention, la nature de revenus provenant de biens immobiliers.

(22 juillet 2022, Société Phoenix Union Co, n° 444942)

 

89 - Imposition des bénéfices industriels et commerciaux – Institution d’un abattement renforcé de 65% - Mécanisme reposant sur l’absence de toute garantie de la société émettrice des parts – Notion de « garantie » - Absence en l’espèce – Rejet.

L’administration fiscale a remis en cause le bénéfice de l’abattement de 65% appliqué par le contribuable sur la plus-value réalisée au moment de la cession des parts qu’il avait acquis de deux sociétés de gestion de portefeuille et, pour l’une d’elles, en tant que salarié. Pour pratiquer ce rehaussement de l’imposition, l’administration fiscale s’est fondée sur le non-respect de l’interdiction faite aux sociétés cédantes d’accorder une garantie en capital du chef de l’acquisition de ces parts et de l’obligation de respecter cette condition négative tout au long de la durée de détention des parts.

La cour administrative d’appel, saisie par le contribuable, annule cette décision au terme du raisonnement suivant.

Elle a tout d’abord relevé que concomitamment à l'acquisition le 13 mars 2008 des 7200 actions de la société OTC Asset Management en cause, le contribuable salarié avait signé une promesse unilatérale de cession de ces actions au bénéfice de M. A., directeur général de la société OTC Asset Management, lequel était partie, avec la société financière OTC Securities et la société de gestion d'actifs Tocqueville Finance, à un pacte d'actionnaires conclu le 28 novembre 2006, en vertu duquel cette dernière société s'était elle-même engagée à céder aux futurs collaborateurs d'OTC Asset Management des actions de cette société, sous réserve que les cessionnaires signent une telle promesse.

La cour a ensuite constaté qu'aux termes de la promesse de vente, le contribuable s'engageait, d'une part, à céder ses actions à M. A., si ce dernier lui en faisait la demande et, d'autre part, à ne pas se défaire de ses actions au profit d'un tiers autre que ce dernier ou une personne désignée par lui jusqu'au terme de la promesse, lequel interviendrait à la fin du sixième mois suivant la cessation de ses fonctions de salarié au sein d'OTC Asset Management ou, au plus tard, le 13 mars 2020, le prix de cession ne pouvant, dans cette hypothèse, en vertu des stipulations de l'article 4 de la promesse de vente, être inférieur au prix d'acquisition des actions par le contribuable salarié.

La cour a enfin relevé qu'indépendamment de toute cessation de fonctions, le contribuable  s'obligeait, en vertu de la promesse de vente, à céder ses titres dans l'hypothèse d'une offre de rachat de la société OTC Asset Management portant sur 95% au moins de ses titres, acceptée par 50 % au moins des associés, cette cession intervenant alors « au prix, termes et conditions de l'offre reçue et décrite dans la notification de cession ».

Ainsi la cour administrative d’appel s'est fondée sur ce que cette promesse unilatérale de vente ne comportait aucune obligation pour son bénéficiaire, M. A., de l'exercer, de sorte que le contribuable n'était pas assuré de vendre, en toute hypothèse, ses titres pour un prix égal à celui auquel il les avait acquis.

Le Conseil d’État approuve cette solution au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et en l’absence de dénaturation ou de qualification inexacte des faits : la société OTC Asset Management, via son directeur général, ne peut être réputée avoir accordé au contribuable une garantie en capital contrairement à ce que soutenait le ministre auteur du pourvoi.

(5 juillet 2022, ministre de l’économie…, n° 460047)

 

90 - Doctrine fiscale - Commentaires administratifs – Paragraphe 100, alinéa 2, de ces commentaires portant interprétation du I de l'article 216 du CGI – Quote-part des frais et charges à déduire du produit net des participations à retrancher du bénéfice net de la société mère – Méconnaissance de la disposition légale – Annulation du refus du ministre d’abroger le paragraphe illégal.

Le I de l’art. 216 du CGI détermine le calcul de la quote-part de frais et charges devant, en application du régime des sociétés mères, être défalquée du produit net des participations à retrancher du bénéfice net de la mère. Interprétant ce texte, le § 100, al. 2, des commentaires administratifs croit pouvoir énoncer que cet article « fixe un mode de calcul pour la réintégration des charges afférentes à des produits qui ne sont pas imposés et ne peut s'analyser comme conduisant à l'imposition d'une partie des dividendes ».

Toutefois, parce que la quote-part des produits de participations qu'une société mère doit réintégrer à son bénéfice en application du I de l'article 216 du CGI, sans possibilité pour cette dernière de limiter cette réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d'imposition en vue de l'acquisition ou la conservation des revenus correspondants, revêt un caractère strictement forfaitaire, il s’ensuit, par une conséquence nécessaire et liée,  qu’en réalité cette disposition n’a pas pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d'impôt sur les sociétés, mais, bien au contraire, entend soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères.

Le refus du ministre des finances d’abroger – comme le lui demandait la société requérante - cette intempestive interprétation du I de l’art. 216 du CGI par le second alinéa du § 100 litigieux est annulé.

(5 février 2022, Société anonyme AXA, n° 463021)

 

91 - Cotisation foncière des entreprises – Taxe professionnelle – Exonération au profit de certaines organisations agricoles – Cas des coopératives agricoles – Exclusion de ce bénéfice pour une union de coopératives n’ayant pas elle-même cette qualité – Substitution de motif – Rejet.

La requérante réclamait que lui soit appliqué le bénéfice des dispositions du 3° du I de l’art. 1451 du CGI qui exonèrent certains organismes agricoles de la cotisation foncière des entreprises et, jusqu’en 2009, de la taxe professionnelle.

Sont ainsi exonérées les coopératives agricoles par combinaison de ce texte avec les dispositions de l’art. L. 551-1 du code rural. Toutefois, il est jugé ici que la demanderesse, si elle est constituée par l’union de deux coopératives agricoles, n’a pas elle-même la nature d’une coopérative agricole. Il s’ensuit qu’elle n’est pas éligible à l’exonération qu’elle revendique et que son recours doit être rejeté.

Il nous semble qu’un tel rejet devait procéder de l’analyse du point de savoir si cette union était complètement autonome de l’activité conduite par ses deux membres ou si, au contraire, elle avait pour effet de créer un effet de complémentarité, de synergie ou autre entrant complètement dans l’objet de ces dernières ce qui, à notre sens, en ce second cas, devait en permettre l’éligibilité à l’exonération.

(7 juillet 2022, Union de coopératives agricoles (UCA) « La Quercynoise », n° 440424 et n° 440425)

 

92 - Œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur – Bénéfice du taux de TVA réduit de 7% - Condition – Constituer une « œuvre d’art » ou une prestation de services ou une livraison de biens au sens de l’annexe III de la directive du 28 novembre 2006 - Absence – Rejet.

Le g de l’art. 279 du CGI, transposant les articles 98, 99 et 103 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, spécialement son annexe III, institue un taux réduit de TVA à 7% pour « Les cessions des droits patrimoniaux reconnus par la loi aux auteurs des œuvres de l'esprit et aux artistes-interprètes ainsi que de tous droits portant sur les œuvres cinématographiques et sur les livres. »

Il est jugé, compte tenu des dispositions de l’art. L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle définissant les œuvres de l’esprit,  que les œuvres de l'esprit dont les droits d'auteur sont protégés en vertu des dispositions de ce code ne sont pas au nombre de celles visées par les dispositions du g de l'article 279 du CGI dès lors qu’elles ne relèvent ni de la catégorie juridique des « objets d'art » au sens de la directive précitée ni d'aucune des prestations de service ou des livraisons de biens mentionnées à l'annexe III de cette directive. 

Or en l’espèce, ainsi que l’a relevé la cour administrative d’appel sans dénaturation, la société requérante a cédé une « bibliothèque de livres et d'images » s'apparentant à un « fonds documentaire », constituée à partir d'images triées et regroupées en différentes catégories. Leur protection par le code de la propriété intellectuelle n’en fait pas pour autant des « objets d’art » non plus qu’une prestation de services ou une livraison de biens au sens de l’annexe III de la directive, d’où il suit que doit être rejeté son pourvoi tendant à l’annulation de l’arrêt d’appel en tant qu'il s'est prononcé sur ses conclusions subsidiaires d'appel tendant à la réduction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée par l'application du taux réduit de 7 %. 

(7 juillet 2022, Société Mihail Chemiakin Ltd, n° 448012)

 

93 - Impôt sur le revenu – Déductions opérées sur le revenu - Régime différencié de déduction des cotisations sociales et d’une fraction de la CSG entre micro-entrepreneurs et salariés – Circulaire interprétative non contraire au principe d’égalité devant les charges publiques – Rejet.

N’est pas contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques l’annexe 1 à la circulaire interprétative du 15 novembre 2017 qui, d’une part, indique que les revenus tirés de l'activité professionnelle des micro-entrepreneurs s'apprécient par application d'un abattement sur le chiffre d'affaires engendré par leur activité et qui, d’autre part, indique que les revenus des salariés s'apprécient nets de cotisations sociales et de la fraction déductible de la contribution sociale généralisée mais sans application de la déduction forfaitaire applicable en matière d'impôt sur le revenu.

En effet, ce faisant, cette circulaire s’est bornée à expliciter le sens et la portée des dispositions de l’art. L. 160-1 et de l’art. L. 380-2 et de celles de l’art. L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale et, tirant les conséquences de ce que les deux catégories de contribuables sont placées dans des situations différentes, n’a pas porté atteinte aux principes susrappelés.

(7 juillet 2022, Mme B., n° 457193)

 

94 - Échange de droits et parts apportés par une personne physique à une société soumise à un régime réel d’imposition (art. 151 octies B du CGI) - Report d’imposition des plus-values - Conditions - Droits et parts reçus devant être nécessaires à l’exercice de l’activité de l’apporteur - Absence - Intention d’éluder l’impôt - Absence en l’état d’indétermination de la jurisprudence - Annulation partielle.

Un médecin ophtalmologiste a apporté des actions qu’il détenait de la société anonyme Clinique Mathilde à la société Mathilde Médical Développement (MMD) en contrepartie d’une remise de titres de cette dernière. Il a estimé pouvoir bénéficier d’un report d’imposition sur le fondement de l’art. 151 octies B du CGI. Toutefois l’administration fiscale a considéré qu’il ne remplissait pas l’une des conditions posées au 4° de cette disposition, à savoir que les droits et parts échangés devaient être « nécessaires à l’activité de l’apporteur » et qu’en outre il avait, par son attitude, manifesté son intention d’éluder l’impôt. Le rehaussement d’impôt était donc accompagné de l’infliction des pénalités prévues à l’art. 1729 du CGI.

Le requérant se pourvoit en cassation contre l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de son action.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi sur le premier point : l’échange de droits et parts litigieux n’était pas « nécessaires à l’activité de l’apporteur », lequel exerçait les fonctions d’ophtalmologiste au sein de la Clinique Mathilde.

Tout d’abord, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la seule circonstance que les parts apportées par M. B. étaient inscrites à son actif professionnel ne pouvait suffire à établir que ces parts auraient été nécessaires, au sens de l'article 151 octies B précité, à l'exercice de son activité d'ophtalmologiste,

Ensuite, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que si la détention des parts de la société Clinique Mathilde donnait au requérant la possibilité de peser sur les orientations décidées au sein de cette société, il n'en découlait pas que cette détention pouvait être regardée comme nécessaire à l'exercice de son activité, alors notamment qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'intéressé aurait été tenu à une obligation de détention des parts de la société Clinique Mathilde et qu'il n'était pas contesté que des praticiens non associés exerçaient au sein de cette clinique.

Enfin, pas davantage la cour n’a inexactement qualifié les faits en décidant que si M. B. avait un intérêt professionnel, de même que les autres praticiens exerçant au sein de cette clinique, à préserver, par l'opération d'apport en litige, l'indépendance de celle-ci et à conserver ainsi la maîtrise de leur outil de travail, cette circonstance ne pouvait suffire à regarder la détention des parts de la société MMD comme nécessaire, au sens des dispositions précitées du CGI, à l'exercice, par les intéressés, de leur activité professionnelle au sein de la clinique Mathilde et cela d’autant plus que la cour a relevé que la société MMD exerçait exclusivement une activité de holding sans gérer la clinique Mathilde.

En revanche, le pourvoi est accueilli en tant qu’il porte sur la demande d’annulation des pénalités infligées sur le fondement de l’art. 1729 du CGI car, relève le juge de cassation, « compte tenu de la portée susceptible d'être donnée au texte (de l’art. 151 octies B du CGI), qui n'avait pas encore donné lieu à interprétation à la date des faits, M. B., qui avait du reste fait procéder à l'enregistrement de l'acte mentionnant la plus-value en cause, ne saurait être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant délibérément fait application d'un régime de report d'imposition au bénéfice duquel il savait ne pas pouvoir prétendre ». En jugeant le contraire la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce et son arrêt encourt sur ce point la cassation.

(13 juillet 2022, M. B., n° 459899 et n° 459900)

 

95 - Taxe sur les salaires - Champ d’application - Salariés exerçant leur activité à l’étranger - Absence d’assujettissement de l’entreprise à la TVA - Imposition non discriminatoire et ne portant atteinte ni à la liberté d’établissement ni à la libre prestation de services - Taxe ne constituant pas une cotisation sociale - Rejet.

La société requérante a contesté le montant de la taxe sur les salaires à laquelle elle avait été assujettie et en a demandé la réduction ; elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant sa demande.

Le Conseil d’État confirme en tous points la solution retenue par la cour administrative d’appel.

Tout d’abord, c’est sans erreur de droit ni contradiction de motifs que la cour a jugé, contrairement à  ce qui était soutenu, que le renvoi opéré par l'article 231 du CGI, à partir de 2013, à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale pour la détermination du montant des rémunérations à prendre en compte en vue de l'établissement de la taxe litigieuse n'avait eu ni pour objet, ni pour effet d'exclure de l'assiette de la taxe les rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité à l'étranger ne se trouvant pas à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie et n'entrant pas, par suite, dans le champ de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement défini à l'article L. 136-1 du même code. En effet, rappelle le juge de cassation, il résulte des dispositions combinées des art. L. 136-1 et L. 136-2 du code de la sécurité sociale et de celles du 1 de l’art. 231 du CGI complétées par celles de l’art. 51 de l’annexe III au CGI, que la taxe sur les salaires est due par les employeurs établis en France qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou qui ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des sommes imposables, à raison des rémunérations versées à l'ensemble des salariés qu'ils emploient, indépendamment du lieu où ceux-ci exercent leur activité. Cette imposition est également due par les employeurs dont le siège social est situé à l'étranger et qui disposent d'une installation en France, à raison des rémunérations qu'ils versent à ceux de leurs salariés rattachés à cette installation.

Ensuite, la cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en estimant qu’en dépit de l'affectation du produit de cet impôt de production aux diverses branches de la sécurité sociale, l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité dans un autre État membre et soumis à la législation de sécurité sociale de cet État membre ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe d'unicité de la législation sociale qui découle des dispositions de l’art. 11 du règlement CE n° 883/2004 du Parlement 29 avril 2004.

Également, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les dispositions relatives à la taxe sur les salaires, en tant qu'elles prévoient l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées aux salariés exerçant leur activité à l'étranger, ne méconnaissaient ni la liberté de circulation des travailleurs, ni celle des citoyens de l'Union, ni la liberté d’établissement ni le principe de la libre prestation de services.

Enfin, la cour n’a pas non plus commis d’erreur de droit en écartant l'argumentation de la requérante, tirée de l'invocation d’accords de sécurité sociale conclus entre la France et divers États dès lors que la taxe sur les salaires a le caractère d'une imposition de toute nature et non d'une cotisation de sécurité sociale. 

(13 juillet 2022, Société HSBC Continental Europe (France), n° 460386)

 

96 - Avantage en argent - Versement rétribuant l’exercice effectif de responsabilités au sein d’une société - Inclusion dans la base d’imposition - Circonstance indifférente d’un versement réalisé par une filiale d’un même groupe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour juger que n’entrait pas dans la catégorie des traitements et salaires l'avantage correspondant à l'attribution à prix préférentiel à M. C., par la société Charly et par Mme B., d'actions de la société Prosol Gestion car celui-ci n'était salarié ni de la société Charly ni de la société Prosol Gestion, mais d'une autre société du même groupe. Il résulte en effet des dispositions combinées des art. 79 et 82 du CGI que la circonstance que l'avantage en cause avait été consenti non par la société mère du groupe mais par une de ses filiales et une de ses actionnaires de référence ne lui ôtait pas le caractère de versement incitatif visant à rétribuer l'exercice effectif de fonctions dirigeantes de M. C. au sein de ce groupe et qu’il devait, comme l’a justement décidé l’administration fiscale, être imposé dans la catégorie des  traitements et salaires.

(19 juillet 2022, ministre de l’économie…, n° 456671)

 

97 - Institut français du textile et de l’habillement - Exercice d’une activité lucrative - Absence - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d’État joint ici quatre affaires jugées par deux cours d’appel différentes et mettant en cause le même organisme requérant à propos de questions identiques.

Pour juger que l’institut demandeur exerce une activité de caractère lucratif et qu’en conséquence il devait être assujetti aux impôts commerciaux sur la totalité de son activité notamment à la taxe professionnelle, les cours administratives d’appel ont retenu qu'il avait vocation à permettre aux professionnels du secteur du textile et de l'habillement de réduire leurs coûts, d'augmenter leurs recettes ou de faciliter l'exercice d'un des aspects de leur activité.

Le Conseil d’État, constate d’abord que cet institut, est un centre technique industriel, régi par les dispositions des articles L. 521-1 et suivants du code de la recherche, qu’il est chargé de promouvoir le progrès des techniques et de participer à l'amélioration du rendement et à la garantie de la qualité dans l'industrie textile et de l'habillement, qu’il réalise à cette fin, à la demande d'entreprises du secteur, des travaux de laboratoires et d'ateliers expérimentaux et qu’il participe à des enquêtes sur la normalisation ainsi qu'à l'établissement des règles de contrôle de la qualité des produits textiles.

Il en déduit ensuite, que les cours administratives d’appel devaient rechercher, ce qu’elles n’ont pas fait, si la partie de l'activité de l'institut en litige bénéficiait seulement à certaines entreprises qui en retiraient un avantage concurrentiel, alors qu'il était soutenu devant elles que l'activité en litige consistait en des actions collectives engagées dans l'intérêt de l'ensemble des professionnels du secteur.

C’est pourquoi il est à la cassation.

(19 juillet 2022, Institut français du textile et de l’habillement, n° 458701 ; n° 459431 ; n° 459443 ; n° 459445, quatre espèces jointes)

 

98 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Participation à un circuit de fraude - Société présumée connaître cette fraude ou ne pouvoir en ignorer l’existence - Pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond - Rejet.

L’administration fiscale a assujetti une société à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré, au motif qu'elle avait participé à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée mis en place par deux autres sociétés, qu'elle connaissait ou dont elle ne pouvait ignorer l'existence.

La société a saisi, en vain, le tribunal administratif mais obtenu gain de cause en appel.

Le ministre défendeur se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a déchargé la contribuable de ces droits et pénalités.

Le Conseil d’État reconnaît aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation en cette matière sous réserve de l’exception de dénaturation et constate qu’en l’espèce c’est sans dénaturation que la cour, pour décharger la contribuable des droits et pénalités mis à sa charge, a jugé que l’administration ne pouvait être regardée comme apportant la preuve que la société contribuable savait ou ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude. À cet effet, la cour a retenu :

- que la société contribuable disposait de plusieurs fournisseurs et que l’une des sociétés contrevenantes n'était que le deuxième d'entre eux en termes de chiffre d'affaires tandis que l’autre société contrevenante ne lui avait adressé qu'une seule facture,

- que les prix proposés par ces deux sociétés étaient, à l'exception d'une facture, inférieurs de moins de 4 % aux prix pratiqués par leurs concurrents,

- que l'existence de liens personnels ou économiques entre la société contribuable et les sociétés contrevenantes n'était pas établie,

- que l'imprécision de l'objet social, la circonstance que le capital social des sociétés fraudeuses était faible et la discordance entre l'adresse de domiciliation et celle du compte bancaire ne pouvaient être regardées, en l'espèce, comme des indices suffisants pour permettre à leurs clients de soupçonner une fraude,

- que l'absence de salarié et l'absence de moyens d'exploitation n'étaient pas nécessairement connues de la contribuable,

- enfin, que la circonstance que cette société savait que les produits étaient expédiés par les fournisseurs des deux sociétés fraudeuses ne permettait pas davantage, à elle seule, d'établir qu'elle avait connaissance de participer à une fraude.

(20 juillet 2022, ministre de l’action et des comptes publics, n° 439467)

 

99 - Impôt sur les sociétés - Détermination du bénéfice net - Charges déductibles - Rémunération d’une garantie de risque - Manquement délibéré - Dénaturation des pièces du dossier - Cassation sans renvoi (second pourvoi).

La société Control Union Inspection France (CUIF) a versé certaines sommes de 2007 à 2009, à la société Control Union Western Hemisphere (CUWH) NV, filiale du même groupe, en rémunération de la garantie des risques liés à l'exécution du contrat signé le 11 juillet 2006 avec l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) par lequel celui-ci lui a confié l'inspection et le contrôle des cargaisons de céréales qu'il importe par voie maritime. Elle a, en conséquence, déduit ces sommes du chiffre d’affaires réalisé.

L'administration a remis en cause, sur le fondement des art.  238 A et 39, point 1 du CGI, la déductibilité de ces sommes et l’a assujettie en premier lieu à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de chacun des exercices vérifiés, assorties de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, en deuxième lieu, à des retenues à la source au titre des mêmes exercices, en application de l'article 119 bis de ce code, également assorties de la majoration pour manquement délibéré, dès lors que les sommes en cause ont été regardées comme des revenus réputés distribués au sens du 1 du 1° de l'article 109 du même code, et, en troisième lieu, à des cotisations minimales de taxe professionnelle au titre des années 2008 et 2009, faute pour les sommes versées à la société CUWH NV de pouvoir être déduites de la valeur ajoutée de la société CUIF.

Par deux jugements, le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux demandes de la société CUIF tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. Puis, par un arrêt rendu sur appel du ministre, la cour administrative d’appel a annulé ces jugements et remis à sa charge les impositions et pénalités en litige.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi par la société CUIF, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour.

Par un arrêt du 4 juin 2020, la cour a remis à la charge de la société CUIF les impositions en litige, à l'exclusion des pénalités, annulé les jugements en ce qu'ils étaient contraires à son arrêt et rejeté le surplus des conclusions d'appel du ministre. Cette dernière société se pourvoit contre cet arrêt en tant qu'il a fait partiellement droit aux conclusions d'appel du ministre.

La cour administrative d’appel, pour refuser la déductibilité des charges d’assurance, avait retenu que la réalité et la valeur des contreparties retirées par la société CUIF de ces prestations ne pouvaient être regardées comme établies et s’était fondée pour cela sur les motifs suivants :

- l'administration contestait l'exercice habituel par la société CUWH de la profession d'assureur et affirmait que la société CUIF n'apportait aucune justification de la capacité juridique et financière de cette société à lui fournir effectivement les prestations d'assurance prévues par le contrat et dont la rémunération, à hauteur de 0,30 dollar par tonne de céréales transportée, n'avait fait l'objet, d'ailleurs, d'aucun calcul fondé sur une évaluation du risque lors de sa conclusion et n'avait pas été révisée en fonction de la sinistralité constatée,

- la circonstance que la société CUIF avait refacturé à la société CUWH les réfactions de prix mises à sa charge par l'OAIC en exécution de la convention qui les liait, et que cette dernière société s'en était acquittée, pour un montant très sensiblement inférieur au montant des primes reçues, ce qui n'était pas davantage de nature à établir la réalité de la prestation d'assurance,

- enfin, que s'il n'était pas contesté que la société CUWH avait garanti, à hauteur d'un million de dollars, la bonne exécution par la société CUIF de ses obligations contractées envers l'OAIC, la société CUIF n'apportait aucun élément de nature à établir la part revenant à la contrepartie ainsi retirée des sommes versées, qui correspondaient indistinctement à cette garantie et à l'assurance, et qui représentaient, à elles seules, comme l'administration le faisait valoir, plus de 30 % de la rémunération versée par l'Office algérien interprofessionnel des céréales.

Le Conseil d’État aperçoit dans la conclusion de ce raisonnement une dénaturation des pièces du dossier puisqu’il résultait des propres constatations de la cour que la société CUWH s'était effectivement acquittée de ses obligations contractuelles, qu'il n'était pas démontré que le montant des primes d'assurance était excessif au regard des conditions du marché et qu'il n'y avait aucune raison de rémunérer séparément le coût de la garantie, qui n'est qu'une modalité d'exécution de la responsabilité contractuelle de la société CUIF, couverte par le contrat d'assurance qu'elle avait conclu avec la société CUWH.

Statuant au fond, le Conseil d’État juge - très logiquement -, rejetant le pourvoi du ministre et confirmant les jugements du tribunal administratif, que la société CUIF produit des éléments suffisants quant à l'existence et la valeur de la contrepartie qu'elle a retirée des prestations assurées par la société CUWH et que l'administration n'apporte pas la preuve que ces charges seraient dépourvues de contrepartie pour le contribuable, qu'elles auraient une contrepartie dépourvue d'intérêt pour lui ou que la rémunération de cette contrepartie serait excessive et, dès lors, que ces charges ne seraient pas déductibles. 

(20 juillet 2022, Société Control Union Inspection France, n° 442362)

(100) V. aussi, identique à la décision précédente : 20 juillet 2022, Société Control Union Inspection France, n° 442366.

 

101 - Taxe sur les surfaces commerciales - Champ et conditions d’application - Réduction de taux pour les activités exigeant une surface anormale de vente - Refus d’appliquer le taux de réduction de 30% - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La taxe sur les surfaces commerciales est assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 (loi du 13 juillet 1972, art.3).

Par ailleurs, une réduction de taux a été instituée en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées, elle a été fixée à 30% en ce qui concerne la vente exclusive de certaines marchandises énumérées au décret du 26 janvier 1995 (art. 3) dont les meubles meublants.

La société requérante - qui exerce une activité de vente de biens et de réalisation de prestations concernant l'aménagement de la maison - a fait l’objet d’un redressement fiscal pour avoir appliqué le taux de réduction de 30%.

Elle a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa demande motif pris de ce qu’une fraction des surfaces des établissements en litige n'était pas affectée à la vente exclusive de matériaux de construction ou de meubles meublants.

Le jugement est annulé, sur pourvoi, car le tribunal n’a pas recherché, comme il le lui incombait, si la société, comme elle le soutenait, exploitait des surfaces affectées à titre exclusif à une activité consistant à vendre des meubles meublants ou des matériaux de construction.

(20 juillet 2022, SAS Lapeyre, n° 449677)

(102) V. aussi, en sens inverse de la solution précédente et à propos de la même société, l’annulation de jugements estimant établies les affirmations de la société contribuable sur  l’affectation de surfaces commerciales à la vente de marchandises bénéficiant du taux réduit dès lors qu’elles ne sont pas contredites par l’administration fiscale, alors que, selon le juge de cassation, il incombait aux tribunaux de rechercher si les articles ainsi vendus constituaient des meubles meublants ou des matériaux de construction au sens des dispositions du décret du 26 janvier 1995.

Ces solutions sont très discutables en l’état de l’attitude de l’administration fiscale : 20 juillet 2022, SAS Lapeyre, n° 451869 ; n° 451869 ; n° 452641 ; n° 455249, quatre espèces.

 

103 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas d’un immeuble démoli - Condition d’exonération - Distinction entre un immeuble impropre à toute utilisation et un immeuble inutilisable - Rejet.

Sont exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties, d’une part les immeubles faisant l’objet de travaux entrainant leur destruction intégrale avant leur reconstruction et cela jusqu’à l’achèvement des travaux, d’autre part les immeubles qui font l’objet de travaux nécessitant une démolition qui, sans être totale, affecte leur gros œuvre d'une manière telle qu'elle les rend dans leur ensemble impropres à toute utilisation. 

En revanche ne sont pas exonérés les immeubles qui - comme au cas de celui concerné en l’espèce - font l'objet de travaux qui, sans emporter ni démolition complète ni porter une telle atteinte à leur gros œuvre, les rendent inutilisables au 1er janvier de l'année d'imposition.

La distinction est subtile et critiquable.

Elle est par trop subtile car on voit mal la différence entre, d’une part, les deux catégories d’immeubles exonérés qui, lorsque ceux-ci deviennent, au cours de leur reconstruction ou travaux, impropres à toute utilisation, continuent à être exonérés jusqu’à l’achèvement des travaux, et d’autre part, ceux simplement inutilisables…

Elle est critiquable car l’institution de la taxe sur le foncier bâti a pour seule cause impulsive et déterminante non l’existence même de ce bâti mais les dépenses de tous ordres que son utilisation fait peser sur la collectivité (ordures ménagères, éclairage des rues, risque d’incendie, voies et réseaux à créer et ou entretenir, etc.). L’inutilisabilité (si l’on peut oser le terme) objective d’un immeuble ne correspond point à cela.

(21 juillet 2022, Société 30 AGV, n° 453616)

(104) V. aussi, à propos de cet impôt, la décision jugeant que commet une erreur de droit le juge qui estime légal l’assujettissement à cet impôt d’ombrières supportant une activité de production d'électricité d'origine photovoltaïque du seul fait que des panneaux photovoltaïques sont fixés sur des structures porteuses en bois, de plusieurs mètres de hauteur, ancrées au sol par des vis de fondation et qui bien que conçues pour être démontables, ne sauraient être regardées comme pouvant être déplacées, alors qu’il devait être examiné également si ces structures étaient destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits, ou si elles constituaient des ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions : 21 juillet 2022, Société Energie Plaine du Mas Dieu, n° 450831.

(105) Voir également, annulant le jugement qui, dénaturant les pièces du dossier, qualifie la demande dont il est saisi comme relative à un changement de consistance des locaux tel que prévu à l'article 1517 du CGI alors que la société requérante demandait la rectification des surfaces servant au calcul de la valeur locative qu'elle estimait inexactes en raison d'une erreur de déclaration commise par l'ancien propriétaire des lieux : 22 juillet 2022, Société DHL Holding France, n° 440588.

 

106 - Taxe sur les propriétés foncières non bâties - Demande de décharge - Transformation d’un port autonome en un grand port maritime - Détermination du redevable de la taxe - Rejet.

Le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS), venant aux droits du grand port maritime du Havre (GPMH), se pourvoit contre le jugement par lequel ont été rejetées ses demandes de dégrèvement des cotisations de taxe foncière auxquelles il a été assujetti dans diverses communes au titre des biens qu’il y possède.

Le pourvoi est rejeté.

 Le juge relève qu’il résulte des dispositions du I de l'article L. 101-6 du code des ports maritimes, en vigueur lors de la création du GPMH) que lorsqu'un port autonome est transformé en un grand port maritime, cette transformation n'emporte pas une mutation de propriété au sens et pour l'application des art. 1380, 1403 et 1415 CGI. Dès lors une telle transformation ne nécessite pas la publication d'un acte translatif de propriété au fichier immobilier.

C’est donc sans erreur de droit que le magistrat désigné a jugé que, lorsqu'un transfert de propriété à un port autonome a fait l'objet d'une publication, le bien immobilier concerné peut faire l'objet d'un avis d'imposition établi au nom du grand port maritime sans publication préalable au fichier immobilier, et en en déduisant que l'administration avait à bon droit désigné le grand port maritime comme redevable légal des impositions en litige.

(22 juillet 2022, Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS), venant aux droits du grand port maritime du Havre (GPMH), n° 449554)

(107) V. aussi, identique s’agissant à la fois de demandes de décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties, de taxe d'enlèvement des ordures ménagères et de taxe foncière sur les propriétés non bâties sur les territoires d’autres communes : 22 juillet 2022, Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS), venant aux droits du grand port maritime du Havre (GPMH), n° 452961 ; n° 463852.

 

108 - Participation spécifique pour la réalisation d'équipements exceptionnels (art. L. 332-8 c. urb.) - Émission de titres de perception en vue du paiement de cette participation - Régime contentieux de la contestation de ces titres - exception de chose jugée - Erreur de droit - Annulation.

Une communauté de communes a, dans le cadre de la création et de l'aménagement d’une zone d'activités, institué une participation spécifique pour la réalisation d'équipements publics exceptionnels prévue à l’art. L. 332-8 du code de l’urbanisme. Après avoir accordé à la société JM6 un permis de construire des locaux commerciaux dans cette zone, le maire de la commune d’assiette de la zone d’activités, a mis à sa charge une participation financière. Puis, le préfet ayant accordé à cette société un second permis de construire pour la création et l'extension de lots dans la zone d'activités, la commune a mis à nouveau à sa charge une participation financière. La société ayant contesté en vain au contentieux devoir ces sommes (rejets par le tribunal administratif le 17 mars 2015 et par la cour administrative d’appel le 17 décembre 2015), le président de la communauté de communes « Rives de Moselle » a émis, le 26 février 2015, deux titres de perception qui, sur recours de la société, ont été annulés par la cour administrative d’appel.

Contre cet arrêt se pourvoit avec succès la communauté de communes.

Le Conseil d’État rappelle qu’en principe le destinataire d'un titre de perception peut contester, à l'appui de son recours contre cet acte, et dans un délai de deux mois suivant la notification de ce dernier, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance est devenue définitive.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, des moyens relatifs au bien-fondé de la créance ont été écartés dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision administrative initiale par une décision juridictionnelle revêtue de l'autorité relative de la chose jugée, cette autorité, eu égard à l'identité d'objet existant entre un tel recours et le recours de plein contentieux contre le titre de perception, susceptible d'être formé par l'intéressé à l'encontre de la même personne publique, s'oppose, dès lors qu'elle est invoquée par cette dernière car ce moyen n’est pas d’ordre public, à ce que le bien-fondé de la créance soit, à l'occasion de ce second recours, de nouveau contesté par le débiteur. 

La cour a donc commis une erreur de droit en écartant l'exception de chose jugée invoquée par la communauté de communes « Rives de Moselle » à l'appui de ses conclusions tendant au rejet de la requête de la société JM6 formant opposition aux deux titres de perception et contestant le bien-fondé des participations d'urbanisme mises à sa charge au regard des conditions énoncées à l'article L. 332-8 du code de l'urbanisme, alors que l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 17 décembre 2015 s'opposait à ce que le bien-fondé de la créance en litige soit de nouveau contesté.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État, relève d’une part que les titres exécutoires litigieux satisfaisaient bien aux conditions de forme et de fond imposées par l’art. 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et, d’autre part, que l'autorité relative de la chose jugée dont est revêtu l'arrêt définitif de la cour administrative d'appel du 17 décembre 2015, qui s'est déjà prononcé sur le bien-fondé des participations spécifiques pour la réalisation d'équipements publics exceptionnels remises à la charge de la société JM6, fait obstacle, ainsi que le soutient la communauté de communes « Rives de Moselle », à ce qu'il soit à nouveau statué sur ce bien-fondé à l'occasion du recours dirigé contre les titres de perception.

(22 juillet 2022, Communauté de communes « Rives de Moselle », n° 443366)

 

109 - Acquisition de titres de participation - Régime d’imposition applicable aux plus-values à long terme en résultant - Définition comptable des titres de participation - Conditions réalisées en l’espèce - Erreurs de droit et de qualification juridique - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La société Areva a acquis en septembre 2005 des titres de la société Suez à hauteur de 2,2% du capital de celle-ci ; elle les a classés, en décembre 2005, comme « titres de participation ». Puis, à la suite de la filialisation de l'activité environnementale de la société Suez suivie de la fusion des sociétés Suez et GDF le 2 juillet 2008, la société Areva a inscrit à son actif les titres GDF-Suez pour une valeur de 1.136.000.142 euros en contrepartie de la sortie du bilan des titres Suez pour une valeur de 585.412.049 euros et elle a soumis la plus-value ainsi réalisée au régime des plus-values à long terme, donc au taux de 0%, en application des dispositions du a) quinquies du I de l'article 219 du CGI. L’administration fiscale a remis en cause la qualification comme « titres de participation » et a soumis l’intégralité de la plus-value au taux de droit commun.

La société Areva a contesté avec succès cette décision devant le tribunal administratif et elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel qui, annulant ce jugement, a rétabli le taux d’imposition retenu par l’administration fiscale.

Des dispositions combinées du a) quinquies du I de l'article 219 du CGI, - lequel retient comme titres de participation ceux « revêtant ce caractère sur le plan comptable » - et de l’art. R. 123-184 du code de commerce, il résulte que « les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. Une telle utilité peut notamment être caractérisée si les conditions d'achat des titres en cause révèlent l'intention de l'acquéreur d'exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d'exercer une telle influence. Une telle utilité peut aussi être caractérisée lorsque les conditions d'acquisition des titres révèlent l'intention de la société acquéreuse de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu'une telle détention lui confère ou les avantages qu'elle lui procure pour l'exercice de cette activité. » 

Faisant application de ces éléments, le Conseil d’État juge qu’en l’espèce la cour administrative d’appel, en admettant l’appel du ministre de l’action et des comptes publics et en annulant le jugement qui avait accordé à la société Areva la réduction du supplément de base imposable mis à sa charge, a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’a jugé la cour, du fait de ces titres la société Areva disposait de prérogatives juridiques lui permettant, par exemple, de demander l'inscription d'une résolution aux assemblées générales du groupe.

Ensuite, en dépit d’un montant faible, le taux de participation d’Areva dans la société, soit 2,2%, en faisait le cinquième plus important actionnaire de cette société, avec des droits de vote devant s'élever à 3,7 % à l'issue d'une période de deux ans de détention, d’autant que les deux principaux actionnaires ne détenaient respectivement que 11,5 % et 5,5 % des droits de vote sans qu'aucun pacte d'actionnaires n'ait été conclu. Au reste, la présidente de son directoire a conservé son siège, même si c'était à titre personnel, au sein du conseil d'administration.

Enfin, cette acquisition de titres, comme indiqué par la présidente du directoire d’Areva, ne relevait pas d'une nouvelle politique générale consistant à prendre des participations chez ses clients, mais d'une démarche propre à la société Suez liée au développement des activités d'Areva en matière nucléaire en Belgique et en Europe.  De plus, l'Agence des participations de l'État n'a, à aucun moment, contesté ce reclassement en « titres de participation », qui n'est d’ailleurs pas incompatible avec le classement des titres, au regard des normes IFRS, en tant qu'« actifs disponibles à la vente ». Par ailleurs, les deux groupes entretenaient d’anciennes relations dans le marché du nucléaire ce qu’atteste le triplement du chiffre d’affaires réalisé entre 2005 et 2009 par Areva avec Suez.

La cour a ainsi commis une erreur de qualification juridique en refusant la qualification de « titres de participation » aux acquisitions d’Areva dans Suez et alors qu’elle devait « seulement (…) vérifier si l'intention de la société Areva était de favoriser son activité au regard notamment des prérogatives juridiques conférées ou des avantages procurés et (…), particulièrement dans le secteur en cause, tenir compte du temps nécessaire au développement des activités commerciales (…) ».

(22 juillet 2022, Société Areva, n° 449444)

 

110 - Exercice d’une activité occulte de vente de cartes téléphoniques - Exercice par l’administration de son droit de reprise ou de rectification - Droit pouvant s’exercer dans un délai de dix ans - Contribuable disposant d’une même durée pour présenter sa réclamation - Erreur de droit - Annulation.

Le demandeur, à la suite d’une vérification, a fait l’objet d'une proposition de rectification puis a été assujetti à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de la majoration de 80%, au titre de la période du 1er janvier 2008 au 28 février 2009, à raison de l'exercice d'une activité occulte de vente, en France, de cartes téléphoniques.

Son recours en décharge de ces droits et pénalités a été rejeté en première instance et en appel. L’intéressé se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel en ce qu’il est fondé sur le caractère tardif de son recours motif pris de ce que si l'art. L. 176 du livre des procédures fiscales prévoit, par exception, un délai dérogatoire de reprise de dix ans lorsque le contribuable exerce une activité occulte, ces dispositions n'ont pas pour effet de porter le délai de réclamation d'un contribuable exerçant une telle activité à dix ans lorsque l'administration a mis en œuvre son droit de reprise, à son égard, dans le délai de droit commun de trois ans.

L’arrêt est évidemment annulé.

Il résulte de l’art. R. 196-3 du livre des procédures fiscales que « Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ». La circonstance que, disposant d’un délai de dix ans, l’administration ait notifié les résultats de l’exercice du droit de reprise ou de rectification dans le délai de droit commun de trois ans ne saurait faire échec à la règle susrappelée fixée à l’art. R. 196-3 du LPF. La détermination du délai d’action est exclusivement liée à la nature du droit exercé par l’administration non à son comportement concret en l’espèce. Ici, s’agissant du droit de reprise à l’encontre d’une activité occulte, le délai de prescription est de dix ans, pour l’administration comme pour le contribuable.

La cour a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt avec renvoi.

(22 juillet 2022, M. C., n° 451206)

 

111 - Crédits de TVA - Demande de remboursement de ces crédits par la société créancière - Silence de l’administration - Cession par la société de cette créance professionnelle à une banque (cession Dailly ; art. L. 313-23 et suiv. du code monétaire et financier) - Recours contentieux direct de la banque cessionnaire en vue d’obtenir ce remboursement - Qualité pour agir du cessionnaire sur le fondement de la réclamation introduite par le cédant - Fin de non-recevoir opposé par l’administration - Rejet.

Une société qui avait, antérieurement, formé une demande préalable tendant à voir remboursés par l’administration des crédits de TVA qu’elle détenait, les cède à une banque selon la procédure dite de cession Dailly. L’administration ayant implicitement rejeté la demande de remboursement, la banque a saisi le juge administratif d’une demande d’annulation de ce refus.

L’administration opposait à cette action contentieuse une fin de non-recevoir tirée du défaut de réclamation préalable par cette banque.

La cour administrative d’appel est approuvée pour avoir, au visa des art. L. 321-23 et suivants du code monétaire et financier, rejeté cette exception en se fondant sur ce que la demande de la banque, présentée directement devant le tribunal administratif et tendant au remboursement des crédits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui avaient été cédés par la société, a été introduite après le rejet implicite des demandes de remboursement valant réclamations préalables présentées par la société cédante à l'administration fiscale.

Cette solution, conforme à la logique des affaires et des cessions Dailly et à la tendance jurisprudentielle (20 septembre 2017, Société Monti Paschi Banque, n° 393271), doit être approuvée.

(22 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances, n° 451251)

 

112 - Cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) des entreprises - Assujettissement de la caisse nationale des barreaux français - Absence d’appartenance de cette caisse à une catégorie de personnes morales exonérées de cette imposition - Rejet.

Opérant une substitution de motif, le Conseil d’État juge que faute pour elle de relever d’une catégorie de personnes morales exonérée par le II. de l’art. 1447 du CGI de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la caisse nationale des barreaux français, organisme de sécurité sociale, y est assujettie alors même que les loyers qu’elle perçoit ne sont pas des revenus d’une activité lucrative et qu’ils sont affectés à la réalisation même de sa mission désintéressée de gestion des retraites des avocats, ces circonstances étant inopérantes au regard des dispositions du 1bis de l’art. 206 du CGI.

(22 juillet 2022, Caisse nationale des barreaux français, n° 452730)

 

113 - Sommes provenant de la réalisation d’infractions en matière de stupéfiants - Personne collectant ces sommes - personne considérée et imposée pour avoir eu la libre disposition de fonds provenant de certaines infractions - Garde seulement temporaire d’une somme d’argent résultant d’infractions - Erreur de droit - Annulation.

A la suite de la saisie au domicile du contribuable requérant d’une importante somme d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants ayant donné lieu à condamnation pénale, l’administration fiscale a considéré, sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du CGI, que celui-ci devait être imposé, avec pénalités, sur les sommes dont il avait eu la libre disposition.

Ses recours ayant été rejetés, il se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Pour annuler cet arrêt, le Conseil d’État retient que lorsqu'une personne n'a eu que la garde temporaire d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées à l’article précité, elle doit être regardée comme n'en ayant pas eu la libre disposition au sens de ces dispositions.

Tel est le cas en l’espèce où le contribuable n’a été qu’un collecteur de fonds au profit de donneurs d'ordre situés au Maroc. Il ne pouvait relever, contrairement à ce qu’a jugé la cour au prix d’une erreur de droit, du régime prévu au 1. de l’article précité du CGI mais relevait de celui institué au 2. de cette disposition.

(22 juillet 2022, M. C., n° 454050)

 

114 - Exonération d’impôt sur les sociétés - Entreprises nouvelles installées dans les zones d’aide à finalité régionale (ZAFR) - Distinction entre activité sédentaire et activité non sédentaire - Rejet.

Un contentieux est né de l’application des dispositions de l'article 44 sexies du CGI qui exonère de l’impôt sur les sociétés les entreprises nouvelles s’installant dans les zones d'aide à finalité régionale (ZAFR) en fonction de la nature de l'activité exercée par l'entreprise. La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif par lequel une cour administrative d’appel rejette sa demande d’annulation du refus de l’administration fiscale de la reconnaître éligible à ce mécanisme d’imposition.

Le Conseil d’État rejette son pourvoi en précisant avec beaucoup de clarté le mécanisme légal en cause.

Le bénéfice de l'exonération d'impôt créée par l’art. 44 sexies du CGI en faveur des entreprises nouvelles dans les ZAFR dépend de la nature de l'activité exercée par l'entreprise.

Si cette activité est sédentaire, c'est-à-dire qu'elle est réalisée au sein des locaux de l'entreprise, cette exonération s'applique à la condition que le siège social et l'ensemble des moyens d'exploitation de l'entreprise soient implantés dans une ZAFR.

Lorsque cette activité a un caractère non sédentaire, c'est-à-dire qu'elle est exercée, à raison de ses caractéristiques mêmes, pour une bonne part à l'extérieur des locaux de l'entreprise, cette dernière bénéficie néanmoins du régime d'imposition institué en faveur des entreprises sédentaires à la double condition, d’une part, que son siège social et l'ensemble des moyens d'exploitation dédiés à l'activité exercée soient implantés dans une ZAFR et d’autre part, que l'activité exercée en dehors de cette zone corresponde au plus à 15 % de son chiffre d'affaires. Si cette part est supérieure à 15 %, seul son chiffre d'affaires résultant de l'activité exercée dans la ZAFR ouvre droit au régime d'exonération d'impôt en faveur des entreprises nouvelles.

Le juge estime que la cour, en jugeant que cette activité, exercée pour une bonne part en dehors du siège et des locaux situés dans la ZAFR de Biarritz où la société Soltéa était installée, n'avait pas de caractère sédentaire, n'a entaché son arrêt ni de dénaturation des pièces du dossier, ni d'erreur de qualification juridique des faits.

(22 juillet 2022, Sarl Soltéa, n° 454426)

 

115 - Produits distribués par une société par prélèvement sur des sommes non soumises à impôt au taux normal - Obligation de versement d’un précompte jusqu’en 2004 (1. de l’art. 223 sexies du CGI) - Redistribution par une société mère établie en France, de dividendes en provenance de filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne - Jurisprudence de la CJUE excluant l’obligation du précompte - Question sérieuse - Transmission d’une QPC.

(25 juillet 2022, Société européenne Schneider Electric SE et sociétés anonymes Axa, Engie et Orange, n° 442224)

V. n° 277

 

116 - Procédure fiscale non contentieuse - Envoi de l'avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d’un contribuable - Envoi devant être libellé à l’adresse indiquée par le contribuable - Absence de preuve de l’exact libellé de l’adresse - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge irrégulière la procédure suivie en l’espèce par l’administration fiscale pour l’envoi à une adresse située aux États-Unis de la notification d’un avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle du contribuable concerné.

En effet, le contribuable avait déclaré à l’administration une adresse dans l’État de Virginie et celle-ci avait envoyé à cette même adresse le 7 janvier 2005 un avis d’examen de la situation fiscale personnelle du contribuable et le 25 mars 2005 un autre courrier.

Dès lors que l’administration n'établissait pas avoir régulièrement notifié l'avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle à cette adresse américaine et qu’elle ne soutenait ni que cette adresse était fictive ni qu’elle était destinée à l’égarer, la cour ne pouvait que juger les impositions en litige comme ayant été établies à la suite d'une procédure irrégulière.

Le pourvoi du ministre est rejeté.

(25 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances…, n° 449436)

 

 

Droit public de l'économie

 

117 - Pratiques anti-concurrentielles – Refus de l’Autorité de la concurrence d’accepter des engagements proposés par une société suite à une préoccupation de concurrence – Acte non détachable de la procédure d’instruction ouverte par cette Autorité - Recours contre ce refus ne relevant pas de la compétence de la juridiction administrative – Rejet.

L’autorité de la concurrence, saisie de pratiques mises en œuvre par le groupe Sony sur le marché des consoles statiques de jeux vidéo de huitième génération et sur celui des accessoires de contrôle compatibles avec la console PlayStation 4, a adressé aux sociétés de ce groupe une évaluation préliminaire qui portait sur des préoccupations de concurrence soulevées par deux des cinq pratiques dénoncées relatives d'une part, au déploiement, à compter de novembre 2015, d'un programme de contre-mesures techniques visant à affecter le bon fonctionnement des manettes de jeux tierces présumées contrefaisantes et, d'autre part, à la politique d'octroi de licences aux entreprises souhaitant commercialiser des manettes compatibles avec la console PlayStation 4. En réponse,  la société Sony Interactive Entertainment Europe Limited a présenté plusieurs versions successives d'une proposition d'engagements qui ont été rejetées par l’Autorité de la concurrence. Celle-ci estimait que ces engagements ne permettaient pas de répondre aux préoccupations de concurrence identifiées et a renvoyé le dossier à l'instruction.

Les sociétés requérantes demandent au Conseil d’État l'annulation de ce refus pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État estime que cette requête ne peut être regardée comme un acte détachable de cette procédure, pouvant ainsi faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir car elle n'est pas susceptible de produire des effets par elle-même indépendamment de la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence dans laquelle elle s'inscrit. Il s’ensuit que la juridiction administrative est incompétente pour en connaître, les dispositions du code de commerce (L. 462-8, L.464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27) soumettant le contentieux des décisions de l’Autorité de la concurrence à la cour d’appel judiciaire de Paris s'appliquant aux décisions que prend l'Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles. 

(1er juillet 2022, Société Sony Interactive Entertainment France et société Sony Interactive Entertainment Europe Limited, n° 448061)

 

118 - Droit public de l'agriculture - Demande d'autorisation préfectorale d'exploiter des terres agricoles - Substitution en cours d'instruction de la demande  d'un schéma directeur régional des exploitations agricoles au schéma directeur départemental des structures agricoles en vigueur lors du dépôt de la demande d'autorisation - Document applicable en cas de décision préfectorale postérieure à l'entrée en vigueur du nouveau schéma - Appréciation des demandes de concurrents formées après cette entrée en vigueur - Circonstance indifférente - Application des dispositions en vigueur au moment de la saisine du préfet - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de l'arrêté préfectoral du 12 juillet 2016 autorisant le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de Pors Clochet à exploiter 59,36 ha de terres situées sur les communes de Carnöet et de Ploura'ch et antérieurement mises en valeur par un agriculteur.

Il estimait que pour apprécier la juridicité de cet arrêté il fallait tenir compte non pas des dispositions du schéma directeur départemental des structures agricoles en vigueur le jour où le préfet a reçu la demande d'autorisation du GAEC mais de celles du schéma directeur régional des exploitations agricoles, document que la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a substitué au schéma départemental et qui étaient entrées en vigueur avant que le préfet ne prenne l'arrêté litigieux.

L'argumentation est rejetée en ses deux branches.

En premier lieu, il est jugé que le préfet saisi d'une demande d'autorisation d'exploitation agricole enregistrée avant la date d'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles, doit procéder à son contrôle et prendre sa décision selon les modalités, les seuils et les critères définis par le schéma directeur des structures agricoles du département applicable à la demande dont il est saisi alors même que sa décision intervient postérieurement à l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles.

En second lieu, répondant à l'autre branche de l'argumentation, le juge indique que la même solution doit être adoptée pour l'appréciation des demandes concurrentes alors même qu'elles seraient déposées après l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles. 

Cette double solution se comprend parfaitement si l'on considère qu'ici le préfet était saisi d'un recours pour excès de pouvoir, ce qui impose de tenir compte de la juridicité au jour de la formation de la demande alors qu'en plein contentieux il eût été tenu compte d'abord de la date à laquelle le préfet puis le juge ont statué.

Toutefois, on pourrait objecter s'agissant des demandes d'autorisation concurrentes, que celles-ci ont bien été formées en l'espèce postérieurement à l'entrée en vigueur du schéma régional. Cependant, un souci de simplicité conduit à choisir une unique règle d'application dans le temps pour l'ensemble des litiges relatifs à une même demande d'autorisation.

(12 juillet 2022, M. B., n° 440585)

 

119 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Sanctions - Pouvoirs et devoirs du juge du référé suspension saisi d’une demande de suspension des sanctions - Appréciation du caractère sérieux du moyen au regard du caractère disproportionné des sanctions infligées - Suspension ordonnée.

La commission des sanctions de l’AMF a infligé aux demandeurs, à raison de divers manquements, une sanction de 150 000 euros à la société DCT assortie d’une interdiction temporaire de cinq ans d’exercice de la profession de conseil en investissements financiers et une sanction de 200 000 euros, outre une interdiction d’exercice de même durée, à l’encontre de M. B.

Ceux-ci demandent que soit suspendue l’exécution de ces sanctions.

Après avoir constaté que les manquements reprochés sont constants et établis, le juge relève que si aucun des moyens soulevés par la société DCT et M. B... n'est de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à l’existence des trois manquements retenus par la commission de sanctions de l'AMF à leur encontre, il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, de vérifier si un tel doute ne naît pas du moyen tiré de ce que la sanction ne serait pas proportionnée, eu égard tant aux manquements constatés qu'aux autres critères mentionnés au III ter de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier.

Le juge relève d’abord l’absence de préjudice subi par les clients de la société du chef des manquements constatés ainsi que l’absence de tout gain ou avantage recueilli de ces manquements par les requérants.

Il relève ensuite, d’une part, que la sanction de 150 000 euros est quasiment égale à la moitié du chiffre d’affaires annuel de la société DCT et qu’elle est très supérieure au niveau de ses disponibilités financières, et d’autre part, s’agissant de M. B., que la sanction pécuniaire de 200 000 euros est supérieure au revenu annuel du ménage, y compris si l'on tient compte des disponibilités que M. B. pourrait retirer de la société au titre de son compte courant d'associé. De là se déduit le caractère disproportionné de ces deux sanctions, ce qui est de nature, en l’état, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette sanction.

Joint au caractère certain de l’urgence à statuer, ce second motif conduit à la suspension des sanctions litigieuses.

(ord. réf. 18 juillet 2022, Société en nom collectif DCT et M. B., n° 465352)

 

120 - Secteur de la distribution alimentaire en Guyane - Prise de contrôle exclusif d’une société - Notification à l’Autorité de la concurrence - Autorisation accordée sous réserve du respect de conditions suspensives - Contrôle du juge administratif - Contrôle plein et entier - Rejet.

La requérante conteste les décisions par lesquelles l’Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif de la société NDIS par la société antillaise frigorifique (SAFO), a agréé la société Sainte-Claire et Cie comme repreneur du fonds de commerce exploité par la société NG Kon Tia relevant de l’enseigne Carrefour.

Dans un contexte territorial particulier était en jeu le maintien d’une concurrence effective sur le marché du commerce, alimentaire pour l’essentiel, l’opération en cause pouvant affecter cette concurrence, d’où le recours introduit.

Celui-ci est rejeté en tous ses chefs de critique, de forme donc de légalité externe, de fond donc de légalité interne.

Il ne saurait être question dans les limites de cette Chronique d’exposer l’ensemble de l’analyse par le juge de la critique des décisions de l’Autorité de la concurrence.

Sont examinées notamment, dans cette riche décision du Conseil d’État :

- la correcte motivation de la décision autorisant la concentration,

- la délimitation satisfaisante par l’Autorité de la concurrence des marchés pertinents, - la bonne qualité de l'analyse concurrentielle relative au marché aval de la distribution au détail à dominante alimentaire,

- le contenu et la régularité des engagements pris par les opérateurs de la concentration tant les engagements principaux que celui dit alternatif, qu’il s’agisse des engagements relatifs au marché de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires ou de ceux relatifs au marché aval de la distribution au détail à dominante alimentaire, etc.

On se permet de renvoyer le lecteur intéressé par ce sujet au texte même, assez long, de cette décision.

(22 Juillet 2022, Société commerciale Guyane Ruiling (SCGR), n° 436274)

 

121 - Appellation d’origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie » - Recours à la mention « fabriqué en Normandie » - Obligation de se conformer à un cahier des charges - Application de la réglementation de l’Union - Exigences d’étiquetage - Droits acquis des fabricants normands de camembert hors AOP - Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait, en premier lieu, l’annulation, d'une part, de l'avis de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, (DGCCRF) du 9 juillet 2020 relatif à la protection de la dénomination enregistrée en AOP « Camembert de Normandie », en tant qu'il pose une interdiction générale de la mise en exergue de la mention « fabriqué en Normandie » sur un fromage ne répondant pas aux cahiers des charges de l'AOP et, d'autre part, de la décision de rejet née du silence gardé par la DGCCRF sur la demande du syndicat du 31 août 2020, reçue le 9 septembre 2020, tendant au retrait de cet avis.

En second lieu, il demandait la transmission à la CJCE d’une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 13, paragraphe 1, dernier alinéa, du règlement n°1151/2012 du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, s'agissant d'une appellation d'origine protégée complexe composée à la fois d'un nom de produit générique et d'une dénomination géographique et de la faculté d'utiliser cette dénomination géographique en relation avec des produits ne répondant pas au cahier des charges de l'appellation d'origine protégée.

Ces demandes sont rejetées.

Il convient de rappeler le cadre juridique du litige.

Un avis aux opérateurs économiques sur la protection de la dénomination enregistrée en appellation d'origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie », publié le 9 juillet 2020 sur le site internet de la DGCCRF a fait savoir que : « la mise en exergue de la mention "fabriqué en Normandie", n'est pas possible sur un fromage ne répondant pas au cahier des charges de l'AOP car elle est de nature à constituer une violation de l'article 13 du règlement 1151/2012 et (de) l'article L. 722 du code de la propriété intellectuelle. Cette règle est valable aussi bien pour les produits mis sur le marché dans l'UE que pour les produits exportés dans des pays disposant d'accord de réciprocité avec l'UE ».

L'avis accorde aux opérateurs concernés un délai expirant le 31 décembre 2020 pour mettre en conformité leur étiquetage et leur indique que « les autorités en charge du contrôle et de la protection de ces dénominations (DGCCRF et INAO) actionneront toutes les voies de droit nécessaires à la pleine protection de la dénomination protégée "Camembert de Normandie" ».

C‘est de cet avis que le Syndicat normand des fabricants de camembert demande l'annulation pour excès de pouvoir.

I.- La réglementation européenne en la matière vise à la protection du consommateur par le respect scrupuleux des éléments constitutifs d’une appellation d’origine et la répression des mensonges ou astuces destinés à entretenir la confusion avec des produits ne relevant pas de cette appellation. Traduisant et transposant sur ce point le règlement n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, notamment son article 5, l'article L. 643-2, alinéa 1er, du code rural dispose : « L'utilisation d'indication d'origine ou de provenance ne doit pas être susceptible d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques du produit, de détourner ou d'affaiblir la notoriété d'une dénomination reconnue comme appellation d'origine ou enregistrée comme indication géographique ou comme spécialité traditionnelle garantie, ou, de façon plus générale, de porter atteinte, notamment par l'utilisation abusive d'une mention géographique dans une dénomination de vente, au caractère spécifique de la protection réservée aux appellations d'origine, aux indications géographiques et aux spécialités traditionnelles garanties ».

Parce que la dénomination « Camembert de Normandie » constitue une appellation d'origine protégée, elle bénéficie de la protection qui y est attachée.

Si tout fromage répondant aux prescriptions du décret du 27 avril 2007 concernant le produit dénommé « camembert » peut utiliser la dénomination « camembert », qui présente un caractère générique, cela ne peut être réalisé que dans des conditions qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la protection attachée à la dénomination « Camembert de Normandie ». C’est pourquoi, en ce cas, il ne saurait être fait mention, en association avec le terme générique « camembert », de l'origine « Normandie », laquelle ne constitue pas un terme générique, d'une manière telle que cette association de termes, en reprenant l'essentiel de la dénomination protégée, conduise le consommateur à avoir directement à l'esprit, à la lecture de cette mention, le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine.

Ainsi, l'avis litigieux, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, n'a pas édicté une interdiction générale et absolue dispensant d'un examen au cas par cas, puisqu’il a énoncé que la « mise en exergue » de la mention « fabriqué en Normandie » sur l'étiquette de fromages ne répondant pas au cahier des charges de l'AOP « Camembert de Normandie » était susceptible de porter atteinte à la protection accordée à cette AOP, et a enjoint, en conséquence, aux opérateurs concernés, de proscrire l'usage de cette mention dans des conditions qui, par son agencement ou ses modalités concrètes d'apposition, conduiraient à constituer une évocation répréhensible de la dénomination protégée. 

Par ailleurs, compte tenu des dispositions de l'article 26 du règlement n° 1169/2011 du 25 octobre 2011, et de celles du règlement précité n° 1151/2012, les producteurs concernés ne sont pas empêchés de mentionner, selon des modalités appropriées, le nom et l'adresse de l'entreprise de fabrication ce qui leur permet de se conformer aux obligations d'information du consommateur sur la provenance d'une denrée alimentaire. 

II.- Cependant, le point central de la décision porte sur l’atteinte que l’avis querellé porterait aux droits acquis des fabricants normands de camembert hors AOP.

Le syndicat demandeur fait observer la tolérance dont il a toujours bénéficié quant à l’emploi de l’appellation « Camembert de Normandie ». Ainsi, en premier lieu, le décret du 31 août 1983 et celui du 29 décembre 1986 qui l’a remplacé, relatifs à l’appellation d’origine « Camembert de Normandie » comportent un article 7 dont le second alinéa dispose : « Sous réserve des dispositions qui précèdent, l'emploi de la mention "Fabriqué en Normandie" est autorisé pour l'indication du lieu de fabrication prévu par la réglementation relative aux fromages, sur l'étiquetage des camemberts ne bénéficiant pas de l'appellation d'origine ». Pareillement, la pratique administrative a toujours laissé coexister sur le marché, d’une part, les fromages répondant au cahier des charges de l'AOP, qui exige l'emploi de lait cru, le moulage à la louche ainsi qu'une durée de pâturage de six mois pour des vaches devant provenir à 50 % de race normande, seuls autorisés à porter la mention « Camembert de Normandie », et d’autre part, des fromages portant la dénomination « camembert » et conformes à la définition de ce produit résultant du décret du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères, mais qui étant à base de lait pasteurisé ou thermisé ne peuvent bénéficier de l'AOP, comportant néanmoins sur leur étiquette la mention « fabriqué en Normandie ». L’argument est rejeté car le décret précité de 1986 a été abrogé par le décret du 18 septembre 2008 relatif à l'appellation d'origine contrôlée  « Camembert de Normandie » et, surtout, parce que le cahier des charges de cette appellation, qu’a approuvé le règlement d’exécution de la Commission européenne du 25 novembre 2013 ne contient aucune prescription relative à l'emploi de la mention « fabriqué en Normandie », pas davantage qu'aucune disposition législative ou réglementaire du droit de l'Union ou du droit interne.

Il suit nécessairement de là que nul n'ayant de droit acquis au maintien d'une règlementation, le syndicat requérant ne saurait soutenir que la suppression de la dérogation initialement admise porterait atteinte aux droits des fabricants concernés. La tolérance dont l’administration a fait preuve même postérieurement à l'intervention du décret du 18 septembre 2008 ne saurait avoir créé, au profit des producteurs de camembert hors AOP, un droit à porter atteinte à la protection attachée à l'AOP. Le Syndicat normand des fabricants de camembert n'est donc pas fondé à soutenir que l'avis qu'il conteste porterait atteinte aux droits acquis des fabricants de camembert hors AOP.

C’est en vain que le syndicat requérant se prévaut, d’une part, de ce que les conditions de l’enregistrement de l'AOP « Camembert de Normandie » par la Commission européenne, selon la procédure simplifiée prévue à l'article 17 du règlement (CEE) n°2081/92 du 14 juillet 1992, tel qu'effectué par le règlement (CE) n°1107/96 de la Commission du 12 juin 1996, aurait constitué une validation de la coexistence des deux dénominations et, d’autre part, de l’arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 mars 1999 (Danemark e. a. c/ Commission, aff. C-289/96, 293/96 et 199/96). En effet, le syndicat s’appuie sur les conditions de l’enregistrement de l’AOP en 1996 alors que l’avis litigieux repose sur le cahier des charges établi par le décret du 18 septembre 2008 et enregistré par la Commission le 25 novembre 2013. De plus, la jurisprudence invoquée ne concerne que des produits légalement commercialisés sous la dénomination dont l'enregistrement est demandé dans des États membres autres que l'État d'origine demandeur de l'enregistrement. 

Sont également rejetés le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité ainsi que la demande de renvoi préjudiciel.

(22 juillet 2022, Syndicat normand des fabricants de camembert, n° 447234)

(122) V. aussi, identiques : 22 juillet 2022, Société Lactalis, n° 448526 ou encore : 22 juillet 2022, Coopérative Isigny-Sainte-Mère, n° 452140.

 

123 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Émission par cette Autorité d’une notice de conformité - Notice partiellement conforme à des orientations de l’autorité bancaire européenne (ABE) - Questions préjudicielles devant être posées à la CJCE - Rejet.

Les requérantes, demandaient au Conseil d’État, en premier lieu, l’annulation pour excès de pouvoir de la notice de conformité du 18 décembre 2020 par laquelle l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a déclaré se conformer partiellement aux orientations du 29 mai 2020 de l'Autorité bancaire européenne (ABE) sur l'octroi et le suivi des prêts (EBA/GL/2020/06) et, en second lieu, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de huit questions préjudicielles .

Le recours est rejeté en tous ses chefs au terme d’une très longue et détaillée décision.

Est d’abord rejeté le grief selon lequel l’ACPR ne pouvait appliquer les orientations litigieuses aux sociétés de financement car, selon le juge, d’une part, relève de la compétence de l’ACPR l'activité d'octroi de prêts, y compris, notamment, le crédit à la consommation et le crédit hypothécaire (cf. art. L. 612-2 du code monétaire et financier) et, d’autre part, les sociétés de financement sont des établissements financiers au sens de l'article 4, paragraphe 1, point 26) du règlement (UE) n° 575/2013 et elles effectuent des opérations de crédit. Au reste, il résulte des dispositions des articles 2 et 9 de l'arrêté du 23 décembre 2013 relatif au régime prudentiel des sociétés de financement que celles-ci, même si elles ne sont pas des établissements de crédit au sens de l'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement (UE) nº 575/2013, sont néanmoins soumises aux dispositions de ce règlement et aux exigences issues de la transposition et de l'exécution de la directive 2013/36/UE en matière de gouvernance interne et de surveillance prudentielle. Elles sont donc tenues de tout mettre en œuvre pour respecter les orientations émises par l'ABE dans le champ de ce règlement et de cette directive ou nécessaires pour assurer l'application cohérente et efficace de ces actes. L'ACPR pouvait donc, sur le fondement de l'arrêté du 23 décembre 2013, sans outrepasser ses pouvoirs, inclure ces sociétés de financement dans le champ de la notice attaquée en ce qui concerne la mise en œuvre des sections 4 « Gouvernance interne concernant l'octroi et le suivi des crédits » et 8 « Cadre de suivi » de ces orientations. 

Est ensuite rejeté l’argument concernant les orientations de l’ABE. Celles-ci ne revêtent point un caractère obligatoire ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la CJUE (15 juillet 2021, Fédération bancaire française c/ ACPR, aff. C-911/19, point 48) selon laquelle le législateur de l'Union a entendu, en autorisant l'ABE à émettre des orientations, conférer à cette autorité un pouvoir d'incitation et de persuasion distinct du pouvoir d'adopter des actes dotés d'une force obligatoire. Il n’y a donc pas lieu de saisir sur ce point la Cour de Justice ni non plus sur celui de savoir, résolu en réalité par le règlement précité (cf. son art. 16), si ces orientations ne méconnaissent pas le droit de l’Union en raison de leur imprécision alors qu’il est clair que les établissements financiers sont directement destinataires des orientations en litige et sont tenus de tout mettre en œuvre pour les respecter, quand bien même les autorités de régulation compétentes, qu'il s'agisse de la Banque centrale européenne (BCE) ou des autorités compétentes nationales, - comme c’est le cas en la présente espèce -, ne déclareraient  se conformer qu'à une partie seulement de ces orientations.

Sont encore rejetées les demandes de renvoi préjudiciel sur le point de savoir si l’ABE est autorisée à intervenir dans les matières régies par la directive précitée et si les orientations trouvent leur base légale dans le droit de l’Union en tant qu’elles sont relatives aussi à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la réponse à chacune de ces questions étant d’évidence positive.

Enfin, s’agissant des prêts, il n’y a lieu à renvoyer à titre préjudiciel à la CJCE ni les orientations contenues dans la section 4 relatives à la prise de décision en matière de crédit ni celles de la section 5 relatives aux procédures d'octroi de prêts ni, non plus celles qui, au sein de ces deux sections, concernent la prise en compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ni, enfin, celles de la section 7 relatives à l'évaluation des biens immobiliers et mobiliers.

(22 juillet 2022, Fédération bancaire française (FBF), Crédit agricole société anonyme (CASA) et Association française des sociétés financières (ASF), n°449898)

 

124 - Accord interprofessionnel « Pêche-nectarine-calibrage » dans le cadre d’Interfel (Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais) - Refus ministériel d’extension de cet accord pour les campagnes 2021-2023 - Règles de calibrage allant au-delà des dispositions du règlement européen d’exécution - Renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’association requérante a demandé en vain au ministre de l’agriculture d'étendre l'accord interprofessionnel « Pêche-nectarine-calibrage » relatif aux campagnes 2021-2023 conclu dans le cadre d'Interfel, elle demande l’annulation du rejet implicite qui lui a été opposé.

Le juge constate que cet accord prévoit que les pêches et nectarines produites en France et destinées à être commercialisées sur le marché français et à l'exportation sont soumises à un calibrage minimum de 56 millimètres ou de 85 grammes à toutes les étapes de la commercialisation et durant toute la campagne de commercialisation. Or, les dispositions de la partie 5 (relatif à la « Norme de commercialisation applicable aux pêches et aux nectarines ») du B de l'annexe I du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 prévoient que « Le calibre minimal est de : (…)

 - 56 mm ou 85 g pour la catégorie " Extra ",

- 51 mm ou 65 g pour les catégories I et II ",

 et que " toutefois, les fruits de moins de 56 mm ou 85 g ne sont pas commercialisés pendant la période allant du 1er juillet au 31 octobre (hémisphère Nord) et du 1er janvier au 30 avril (hémisphère Sud) ».

Ainsi les stipulations de l’accord interprofessionnel vont au-delà des dispositions du règlement précité.

L’association requérante justifie la restriction supplémentaire qu’il comporte par le souci de garantir la qualité des fruits vendus aux consommateurs.

Toutefois, les dispositions de l'article 164, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007, n'autorisent explicitement l'extension d'accords fixant des règles plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union que dans le domaine des « règles de production » mentionnées au b) de ce paragraphe 4, ce que ne sont pas les normes de calibrage ici en cause.

Il suit de là que « la réponse au moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement refuser d'étendre l'accord litigieux, dès lors que l'association aurait démontré l'impact qualitatif bénéfique des mesures de calibrage dont l'extension est demandée, dépend de la réponse à la question de savoir si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée, et notamment si cet article autorise, alors que la réglementation de l'Union prévoit des règles de commercialisation pour une catégorie donnée de fruits ou de légumes, l'adoption de règles plus contraignantes, sous forme d'un accord interprofessionnel, et leur extension à l'ensemble des opérateurs. »

En raison du caractère essentiel de la réponse à cette question pour la résolution du litige qui lui est soumis, le Conseil d’État adresse à la CJUE une question préjudicielle à cette fin.

(22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450426)

(125) V. aussi, identiques, s’agissant du refus implicite d’étendre l'accord interprofessionnel « Concombre de type long ou hollandais » : 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450429 ou encore du refus implicite d’étendre l'accord interprofessionnel « Pomme - calibre au poids » : 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451793 ou également du refus implicite d’étendre l'accord interprofessionnel « Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - maturité » : 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451895.

 

126 - Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale - Demande de permis déposée le 9 juillet 2018 - Loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - Loi applicable aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2019 - Invocation au soutien de la demande d’autorisation du critère de la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial - Invocation impossible en l’absence de rétroactivité de la loi - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à l’annulation de son arrêt la cour administrative d'appel qui juge que le moyen soulevé par la requérante au soutien de sa demande d’annulation du permis délivré à une société concurrente, au titre du respect de l'objectif de la protection du consommateur et tiré de ce que le projet contesté ne permettait pas de contribuer à la revitalisation du tissu commercial, était inopérant au motif que ce critère n'était applicable qu'aux demandes d'autorisation déposées à compter du 1er janvier 2019.

En effet, si l'article 166 de la loi du 23 novembre 2018 a prévu que l'article L. 752-6 du code de commerce modifié ne serait applicable qu'aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2019, il résulte de l'article L. 752-6 du code de commerce dans sa rédaction antérieure, issue de l'ordonnance du 23 septembre 2015, que le critère relatif à la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, en tant qu'il se rattache à l'objectif de protection du consommateur, était applicable aux demandes relevant de cet état antérieur du droit.

(22 juillet 2022, Société Hermalaur, n° 456470)

 

127 - Nomination d’un directeur général dans une caisse de prévoyance - Opposition du collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Conditions d’honorabilité estimées absentes - Décision sans caractère juridictionnel - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) s'est opposé à ses nominations en qualité de directeur général par intérim et de responsable de la fonction clé " gestion des risques " de la Caisse régionale de prévoyance du bâtiment et des travaux publics des Antilles et de la Guyane française.

Son recours est rejeté.

Des dispositions combinées de droit européen (art. 42 de la directive du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice - dite « solvabilité II » - et de l'article 273 § 4 du règlement délégué du 10 octobre 2014 complétant la directive précitée) et de droit interne (art.L. 612-23-1 du code monétaire et financier) prévoient la vérification par les instances nationales compétentes que les personnes appelées à diriger des entreprises d’assurance ou de ré-assurance satisfont aux conditions posés par les textes, l’une d’elles étant la condition d’honorabilité. Celle-ci est ainsi définie en droit de l’Union (cf. art. 273 § 4 du règlement précité du 10 octobre 2014) : « L'évaluation de l'honorabilité d'une personne comprend une évaluation de son honnêteté et de sa solidité financière, fondée sur des éléments concrets concernant son caractère, son comportement personnel et sa conduite professionnelle, y compris tout élément de nature pénale, financière ou prudentielle pertinent aux fins de cette évaluation ».

Tout d’abord, répondant à un argument du requérant, le juge relève que la décision attaquée mentionne bien les motifs de fait et de droit qui ont conduit le collège de supervision de l’ACPR à s’opposer, pour défaut d’honorabilité, à sa nomination et qu’ainsi cette décision n’est pas entachée d’insuffisance de motivation.

Ensuite, ce collège, ce décidant, n’a ni la nature ni les fonctions ni les pouvoirs d’un tribunal et n’a pas à conduire une procédure juridictionnelle.

Également, pour déduire que le demandeur ne remplissait pas la condition d'honorabilité requise pour exercer les fonctions au titre desquelles il avait été nommé, le collège de supervision de l'ACPR s'est fondé sur des faits dont la matérialité n'est pas contestée et qui sont de nature à justifier légalement la décision attaquée, alors même que la plainte déposée à l'encontre du requérant n'a pas donné lieu à des poursuites judiciaires.

Enfin, contrairement à ce qui est prétendu, la décision querellée n’empêche nullement l’intéressé d’exercer des fonctions autres que celles soumises à la condition d’honorabilité et ne porte donc pas une atteinte disproportionnée au droit d'obtenir un emploi, garanti par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

(22 juillet 2022, M. C., n° 458567)

 

128 - Droit de la consommation - Décret relatif aux dénominations des denrées à base de protéines animales - Interdiction d’appellations spécifiques à la boucherie, charcuterie ou poissonnerie - Suspension.

Le juge des référés de l’art. L. 521-1 CJA était saisi par la demanderesse d’une demande de suspension de l'exécution du décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales.

Dans un souci de protection du consommateur, ce décret, assorti de sanctions pécuniaires, a été pris pour l’application de l’art. L. 412-10 inséré au code de la consommation par la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires sur la base de l’art. 17 du règlement européen du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires.

Il est reproché à ce décret - qui fait obstacle à l'usage, pour désigner des denrées fabriquées à base de protéines végétales, de termes dorénavant réservés aux denrées à base de protéines animales -, de s'appliquer à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux, visées respectivement aux 3° et 4° de l'article 2 de ce décret.

Le juge admet l’urgence à statuer car l’application immédiate du décret imposerait aux membres de l'association requérante de modifier à compter du 1er octobre 2022 la dénomination d'un grand nombre de leurs produits, y compris en renonçant à des appellations parfois utilisées de longue date ou installées dans l'esprit des consommateurs et surtout car, comme le soutient, sans être contredite, l'association requérante, les adaptations nécessaires à la mise en œuvre de cette nouvelle réglementation impliquent, pour ses membres, tant des délais matériels incompressibles concernant la modification de leurs emballages et l'ensemble de leurs supports de vente que des démarches commerciales importantes à l'intention de leurs clients pour assurer la pérennité de leur activité.

Le juge estime exister un doute sérieux quant à la juridicité de ce texte tant au regard du droit interne qu’à celui du droit de l’Union en raison de l’imprécision entourant l’étendue de la prohibition : absence de liste des termes dont l’usage est interdit, absence d’identification des caractéristiques visées, absence de précision sur la portée de la mesure, créant ainsi une insécurité juridique d’autant que certaines appellations sont désormais consacrées par l’usage comme steak de soja, saucisse vegan, lardons végétaux, boulettes végétales, carpaccio de légumes ou caviar vegan. Cela d’autant plus qu’en défense l’administration se borne à indiquer que le contenu des codes des usages ne serait qu'une référence non exhaustive pour déterminer la portée de l'interdiction, qui devrait s'apprécier à la lumière de « référentiels commerciaux », y compris non codifiés, tels que des ouvrages et dictionnaires de gastronomie.

En bref, sont reprochées par le juge l’absence dans le décret contesté de liste exhaustive des dénominations dont, sous peine de sanction administrative, il interdit l'usage ainsi que l'imprécision dans la caractérisation des termes dont l'usage est prohibé, et l'absence d'accès gratuit pour le public aux codes des usages auxquels l'administration fait référence pour en éclairer la portée.

Au surplus, ce décret souffre des mêmes défauts au regard des exigences du droit de l’Union précitées concernant la dénomination d'une denrée alimentaire

Le décret est suspendu.

(27 juillet 2022, Association Protéines France, n° 465844)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

129 - Extension d’un accord conclu entre branches professionnelles - Extension sous réserves – Régime de l’extension – Pouvoir du ministre – Contrôle du juge – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté du 10 juillet 2020 de la ministre du travail portant extension d'un accord relatif au regroupement des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l'événement (n° 2717) et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins (n° 2397).

Les divers moyens présentés sont rejetés.

En premier lieu, les requérants ne sauraient soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité en ce qu'il procède à l'extension d'un accord négocié et conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives n'aient été associées à toutes les réunions de négociation de cet accord alors que ce projet a été inscrit à l’ordre du jour de commissions paritaires, qu’il a été présenté en temps utile aux organisations concernées, dont les requérantes, qui l’ont rejeté et que l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans les deux branches concernées par le regroupement, ont été conviés à une réunion portant sur le projet d'accord de regroupement à l'issue de laquelle l'accord a été signé.

En deuxième lieu, le moyen tiré de la dissimulation aux organisations syndicales de l’information sur le regroupement entre les branches professionnelles en cause est rejeté car les organisations syndicales représentatives de la branche des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequin étaient informées de la négociation puis de la signature, le 4 décembre 2018, d'un accord relatif au regroupement de la convention collective des entreprises techniques au service de la création et de l'événement et de la convention collective des propriétaires exploitants de chapiteaux.

En troisième lieu, et c’est là un point très important de cette décision, le juge fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'une demande tendant à ce qu'il étende un accord collectif, de s'assurer, conformément aux dispositions de l'article L. 2261-25 du code du travail, que cet accord ne comporte pas de clauses qui seraient contraires aux textes législatifs et réglementaires ou qui ne répondraient pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application de l'accord.

En outre, sont apportées à cet égard deux substantielles précisions.

1°/ Si l'accord satisfait aux exigences ci-dessus, le ministre n'est pas pour autant tenu de procéder à l'extension qui lui est demandée. Il peut en particulier la refuser pour des motifs d'intérêt général. 

2°/ Il convient de faire la distinction entre l’exercice par le ministre du travail, de son pouvoir de fusionner des branches professionnelles, lequel est soumis à l'existence de conditions sociales et économiques analogues entre les branches concernées (cf. art. L. 2261-32 c. trav.) et l’exercice par ce dernier de son pouvoir d’extension d'un accord collectif ayant pour objet le rapprochement de branches professionnelles, lequel n'est pas subordonné au respect d'une telle condition (cf. art. L. 2261-15 et L. 2261-25 c. trav.). 

Au cas d’espèce, il existe suffisamment de points de convergence ou de ressemblance entre les deux branches pour juger que la ministre n’avait pas à refuser l’extension de l'accord collectif de rapprochement entre les deux branches en cause en se fondant sur le motif d’intérêt général, qui n’existe pas ici, tenant à l'hétérogénéité des conditions sociales et économiques des deux branches.

Enfin, les requérants ne sauraient reprocher à la ministre du travail de n’avoir pas formulé dans son arrêté une réserve permettant de préserver les dispositions d'ordre public et les stipulations en vigueur relatives au travail des enfants mannequins et à la protection de la santé des mannequins, dès lors que l'objet de l'accord étendu par l'arrêté attaqué se borne à prévoir le regroupement des deux branches professionnelles concernées et à définir le champ d'application de la future convention commune ainsi que la méthode de négociation de celle-ci, sans se substituer aux stipulations conventionnelles applicables avant que ne soit décidé ce regroupement. 

(5 juillet 2022, Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-Unsa) et Union nationale des syndicats autonomes spectacle et communication (Unsa spectacle et communication), n° 444949)

 

130 - Projet d’extension du champ d’application d’une convention ou d’un accord collectif ou d’un avenant – Demande d’une organisation représentative de saisir le groupe d’experts ad hoc – Obligation pour le ministre ainsi sollicité de convoquer ce groupe et de recueillir son avis – Absence en l’espèce – Arrêté portant extension illégal – Annulation.

Dans une décision qui doit être spécialement signalée, le juge administratif fait une application remarquée de la jurisprudence Danthony et autres (Assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033, Rec. Lebon p. 649) dans le cadre de la procédure d’extension du champ d’application des conventions et accords collectifs ainsi que des avenants.

Lorsque le ministre compétent envisage d’étendre par arrêté le champ d’application d’une convention collective, d’un accord collectif, ou d’un avenant à l’une ou l’autre, il est possible à une organisation représentative d’employeurs ou de salariés dans ce champ d’application, au moyen d’une demande écrite et motivée, de solliciter du ministre la saisine du groupe d’experts (cf. L. 2261-27-1 c. trav.). En ce cas, le ministre ne peut refuser cette saisine et doit recueillir l’avis de cet organisme avant que ne soit saisie la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle à laquelle cet avis doit être communiqué préalablement à son rapport sur l'extension envisagée.

En l’espèce, cette formalité n’avait pas été respectée en dépit de la demande faite au ministre. Jugeant, par application de la solution Danthony, que le syndicat requérant avait été de ce fait « privé d’une garantie », le Conseil d’État annule l’arrêté ministériel litigieux portant extension.

(5 juillet 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance), n° 450006 et n° 450072)

 

131 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Accord collectif majoritaire sur ce plan - Validation par l’autorité administrative - Étendue des vérifications devant être effectuées par cette autorité - Vice affectant la consultation du comité d’entreprise - Moyen inopérant - Annulation de l’arrêt d’appel sur ce point.

Un accord collectif majoritaire fixant le plan de sauvegarde de l'emploi a été signé entre la direction d’une société et le délégué syndical central CFDT, désigné par la fédération CFDT des entreprises agro-alimentaires et agricoles. La directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a validé cet accord collectif majoritaire.

Le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande du syndicat CFDT des entreprises agroalimentaires et agricoles de Seine-Maritime, du comité d'établissement de l'usine de Maromme et de M. Amand tendant à l'annulation de la décision de validation. La cour administrative d’appel a d’abord jugé irrecevables la requête d'appel du syndicat CFDT des entreprises agroalimentaires et agricoles de Seine-Maritime et autres, en tant qu'elle émane du comité d'établissement de l'usine de Maromme et l'intervention en demande de M. Amand, puis annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision administrative ayant validé l'accord fixant le PSE de la société.

Sur pourvoi de la ministre du travail en tant que cet arrêt lui fait grief, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel sur un point important de procédure non contentieuse du droit administratif du travail qui, à notre connaissance, n’avait jamais été porté au contentieux.

Le PSE d’une entreprise doit avoir été adopté d’un commun accord par l’employeur et par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, ou par le conseil d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 2321-9 du code du travail.

Il incombe ensuite à l’autorité administrative chargé de valider le PSE d’opérer un certain nombre de vérifications (signature régulière du plan par des personnes ayant qualité pour engager, respectivement, l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise ; caractère régulier de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise ; émission régulière par ce comité d’un avis tant sur l'opération projetée et ses modalités d'application que sur le projet de licenciement collectif et sur le PSE ; communication par l’employeur au comité d’entreprise de tous éléments utiles pour qu’il puisse rendre en connaissance de cause ses deux avis).

En revanche, il ne peut être soutenu que la décision de validation de l’accord sur le PSE serait illégale à raison d'un vice affectant la consultation du comité d'entreprise sur les éléments du projet de licenciement dès lors que l'employeur n'est pas tenu de soumettre pour avis au comité d'entreprise les éléments du projet de licenciement collectif fixés par l'accord collectif majoritaire qu'il soumet à la validation de l'administration. 

Enfin, et c’est là le point-clé de cette décision, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, le Conseil d’État décide qu’il n'appartient pas à l'autorité administrative, lorsque le mandat des membres des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise a été prorogé par la voie d'un accord collectif conclu en application des dispositions transitoires du 3° du II de l'article 9 de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, d'apprécier si ce mandat a été valablement prorogé par cet accord, à moins que l'autorité judiciaire dûment saisie à cet effet n’ait jugé que tel n'était pas le cas. 

C’est le rappel, strict mais logique, de la finalité attachée par la loi à l’intervention de l’autorité administrative dans le cadre de la validation d’un PSE.

(19 juillet 2022, ministre du travail, n° 436401)

 

132 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique - Obligations de recherche et de reclassement s’imposant à l’employeur - Vérification du caractère sérieux des recherches - Existence de postes pourvus au titre du travail temporaire - Obligation de les proposer à ce salarié - Rejet.

A l’occasion d’un litige portant sur l’absence de reclassement d’un salarié protégé licencié pour inaptitude physique à conserver l’emploi actuellement occupé, le Conseil d’État rappelle que s’imposent en ce cas à l’employeur, d’une part, l’obligation de recherche sérieuse de postes disponibles, en rapport avec les capacités de ce salarié, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d’être proposés pour son reclassement, d’autre part, dans le cas de recours par l’employeur au travail temporaire sur un ou des postes disponibles, de proposer ces postes au salarié, en rapport avec ses capacités, peu important qu'ils soient susceptibles de faire l'objet de contrats à durée indéterminée ou déterminée.

L’arrêt d’appel est approuvé pour avoir procédé selon les préconisations ci-dessus.

(19 juillet 2022, M. B., n° 438076)

 

133 - Projet de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique - Obligation de vérifier que cette inaptitude justifie le licenciement sans rechercher la cause de l’inaptitude - Projet de licenciement également en rapport avec les fonctions représentatives exercées - Dégradation de l’état de santé du salarié résultant d’obstacles mis à l’exercice de ses fonctions représentatives - Situation révélant l’existence d’un rapport entre ces dernières et le projet de licenciement - Examen global ne pouvant s’arrêter à l’une des étapes intermédiaires de l’analyse - Annulation.

Rappel qu’en cas de projet de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique, l’autorité administrative a, d’abord, l’obligation de vérifier que cette inaptitude justifie le licenciement et cela sans rechercher la cause de l’inaptitude. Ensuite, lorsqu’elle estime, au terme de ce premier examen - et seulement en ce cas -, que le projet de licenciement est également en rapport avec les fonctions représentatives exercées, il lui appartient de faire obstacle à ce licenciement.

Il lui est possible, à cet égard, de retenir que, dans l’hypothèse où la dégradation de l’état de santé du salarié protégé résulte d’obstacles mis à l’exercice de ses fonctions représentatives, cette situation révèle l’existence d’un rapport entre ces dernières et le projet de licenciement.

Toutefois, il appartient au juge saisi d’effectuer un examen global du dossier sans pouvoir s’arrêter à l’une des étapes intermédiaires de l’analyse effectuée par l’autorité administrative.

C’est pourquoi l’arrêt d’appel est ici annulé pour avoir jugé que la ministre du travail n’avait pas « procédé à un examen attentif » des faits pour apprécier l'éventuel lien du projet de licenciement avec les mandats, de sorte que sa décision était entachée d'illégalité alors qu’il incombait seulement à la cour de déterminer si le projet de licenciement était, ou non, en rapport avec les mandats exercés.

(22 juillet 2022, Société Interxion France, n° 454035)

 

134 - Aide sociale - Demande du bénéfice d’une aide-ménagère - Refus - Obligation d’un recours administratif préalable à la saisine du juge - Irrecevabilité du recours contentieux devant être soulevée d’office - Annulation.

(27 juillet 2022, Mme B., n° 449546)

V. n° 75

 

135 - Durée hebdomadaire du travail - Méconnaissance par l’employeur - Infliction d’amendes - Loi nouvelle plus douce - Obligation pour le juge du plein contentieux de l’appliquer aux faits non encore jugés antérieurs à la loi - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, saisie d’un recours dirigé contre le montant des sanctions pécuniaires infligées à un employeur pour non-respect de la législation du travail en matière de durée hebdomadaire du travail, applique à des infractions commises entre mai et décembre 2017 le montant des sanctions prévues par la législation alors en vigueur alors que, en sa qualité de juge du plein contentieux, il lui incombait de faire application de la loi nouvelle plus douce, du 10 août 2018, en vigueur au jour de sa décision.

Réitération d’une solution bien établie et d’ailleurs souvent invoquée par les employeurs en droit social.

(27 juillet 2022, Société Distribution Casino France, n° 459385)

 

136 - Service régulier de transport public - Accompagnement et transfert de salariés de la RATP en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Île-de-France - Modalités de prise en compte de l'ancienneté - Transfert suivi immédiatement ou non d'une reprise d'activité - Rejet.

Les requérantes poursuivaient l'annulation du décret n° 2021-1027 du 30 juillet 2021 relatif à l'information, à l'accompagnement et au transfert des salariés de l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Île-de-France en ce qu'il crée les articles R. 3111-36-7 et R. 3111-36-8 du code des transports, en particulier en ce que l'article R. 3111-36-7 emploie les termes : " un cinquième de mois de salaire jusqu'à cinq ans d'ancienneté " et en ce que l'article R. 3111-36-8 comporte un III disposant que : " L'indemnité différentielle est réduite à due concurrence de la progression du salaire dont le salarié a bénéficié depuis son transfert, que cette progression résulte d'augmentations générales ou individuelles ".

Le recours est rejeté en ses deux chefs de demandes relatives à la légalité interne du décret attaqué.

En premier lieu, c'est sans illégalité que les dispositions contestées ont prévu que l'ancienneté prise en compte pour calculer la première part de l'indemnité en cause est la même pour tous les salariés ayant une ancienneté comprise entre un et cinq ans d'ancienneté, puis entre six et dix ans d'ancienneté, puis entre dix et quinze ans d'ancienneté, puis à partir de seize ans d'ancienneté, et que la seconde part peut varier entre zéro, dans le cas où le salarié retrouve immédiatement un emploi salarié ou indépendant, et un montant significativement supérieur à la première part, augmentant progressivement tant que l'intéressé n'a pas repris un emploi salarié ou indépendant. En effet, les dispositions attaquées de l'article R. 3111-36-7 du code des transports, contrairement à ce qui est soutenu, n'opèrent pas de modulation du montant total de l'indemnité en cause en fonction d'autres critères que celui prévu à l'article L. 3111-16-5 de ce code.

En outre, si les dispositions attaquées prévoient des modalités de calcul de l'indemnité en cause différentes de celles de l'article R. 1234-2 du code du travail qui déterminent, en vertu de l'article L. 1234-9 du même code, le montant minimum de l'indemnité légale de licenciement, il résulte des termes mêmes de l'article L. 3111-16-5 du code des transports que le législateur a entendu que l'indemnité versée se substitue à l'indemnité légale de licenciement et n'a pas exclu que son montant puisse être inférieur, le montant de l'indemnité légale de licenciement constituant au contraire un plafond. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions attaquées méconnaîtraient le principe d'égalité.

En second lieu, s'agissant de la garantie de rémunération et contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas des dispositions de l'art. L. 3111-16-7 du code des transports instaurant un régime propre de transfert des contrats des salariés en cas de changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Île-de-France opéré par la RATP que celles-ci seraient violées dans la mesure où l'art. R. 3111-16-8 du code des transports prive d'effet pour les salariés concernés le bénéfice d'augmentations futures tant que celles-ci n'auront pas porté leur rémunération au niveau garanti car le maintien qu'elles imposent du niveau de la rémunération des salariés transférés au minimum au niveau antérieur à leur transfert n'emporte pas l'obligation de garantir en outre à ces salariés le maintien du montant de l'indemnité différentielle servie en dépit d'augmentations ultérieures de salaire.

Par ailleurs, parce que les dispositions des articles L. 3111-16-1 à L. 3111-16-12 du code des transports instaurent un régime propre de transfert des contrats des salariés en cas de changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Île-de-France opéré par la RATP, prévoyant le transfert des garanties sociales de haut niveau, dont la garantie du maintien du niveau de la rémunération, les salariés concernés se trouvent dans une situation différente des salariés qui ne bénéficient pas des mêmes garanties. Il ne peut par suite être utilement soutenu que la réduction contestée de l'indemnité différentielle jusqu'à ce que la rémunération qui résulterait d'éventuelles augmentations de salaire atteigne le niveau assuré par la garantie de la rémunération antérieure, qui figure au nombre des garanties des salariés concernés, serait contraire au principe d'égalité. En outre et en tout état de cause, il ne résulte de ce dispositif aucune atteinte au principe de sécurité juridique ou au droit à la protection des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH. 

(1er août 2022, Union nationale des syndicats autonomes - Régie autonome des transports parisiens (UNSA-RATP), n° 457090)

 

137 - Recouvrement d'indu social (RMI) - Délai de recours - Distinction entre contestation du bien-fondé de ce recouvrement et contestation du titre exécutoire émis en vue de ce recouvrement - Prescription de l'action - Opposition de la règle du délai raisonnable - Délai de quatre ans - Acte interruptif - Existence - Erreur de droit - Annulation partielle.

Le juge est amené à trancher dans une même affaire d'action en récupération d'indu social (RMI) par un département, deux questions de prescription très distinctes mais souvent confondues ou inaperçues des justiciables agissant dans le cadre de contentieux sociaux.

En premier lieu, il est rappelé qu'un acte de poursuite diligenté pour la récupération par le département d'un indu de revenu minimum d'insertion peut être contesté, d'une part, devant le juge compétent pour connaître du contentieux du bien-fondé de la créance, pour les contestations portant sur l'obligation de payer, le montant de la dette compte tenu des paiements déjà effectués et l'exigibilité de la somme réclamée et, d'autre part, devant le juge de l'exécution, pour les contestations de la régularité formelle de cet acte. Par ailleurs, selon le 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, le bien-fondé de la créance peut être contesté dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite.

Cependant, on le sait, le code de justice administrative (art. R. 421-5) subordonne l'application et l'opposition du délai de recours contentieux à la condition qu'aient été mentionnés dans la notification de la décision les délais et voies de recours ouverts contre cette décision.

En l'espèce, la demanderesse soutenait n'avoir jamais reçu le titre exécutoire et les actes de recouvrement émis à son encontre avant celui du 5 juillet 2017 qu'elle a attaqué. Mais le juge relève qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment d'une lettre du 2 avril 2014 adressée par son avocat au président du conseil général lui demandant notamment de faire cesser toute mesure de recouvrement de l'indu, que la demanderesse avait connaissance de l'existence de cet indu qui venait de lui être réclamé par décision du 17 mars 2014. Elle ne pouvait donc contester le bien-fondé de la créance du département de la Seine-Saint-Denis au-delà d'un délai raisonnable d'un an (cf. jurisprudence Czabaj, issue d'une décision d'Assemblée du 13 juillet 2016) courant à compter de cette date. Elle n'était donc plus recevable, lorsqu'elle a saisi le tribunal administratif le 5 janvier 2018, à contester le bien-fondé de la créance du département faisant l'objet de l'opposition à tiers détenteur litigieuse. De ce chef, par substitution de motif, l'arrêt d'appel n'est pas annulé.

En second lieu, s'agissant de l'opposition à tiers détenteur du 5 juillet 2017 et des conclusions aux fins de décharge et d'injonction, il est rappelé qu'en vertu de dispositions du code de l'action sociale et des familles (art. L. 262-11, L. 262-41 et R. 262-73) et de celles du 3° de l'art. L. 1617-5 du GCT, le titre exécutoire émis par le département en vue de la récupération d'un indu de revenu minimum d'insertion ouvre le délai de quatre ans de la prescription de l'action en recouvrement des sommes énoncées sur ce titre, à compter de la date de sa prise en charge par le comptable public.

Toutefois, pour produire leur effet interruptif, le titre exécutoire et les actes de recouvrement pris sur son fondement doivent être régulièrement notifiés. La preuve de cette notification incombe naturellement à l'administration. Or si la demanderesse ne pouvait plus, à l'occasion de son recours contre la décision du 8 août 2017 du président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, contester le bien-fondé de l'indu qui lui était réclamé, celle-ci restait recevable à se prévaloir, à l'occasion de la contestation de l'opposition à tiers détenteur du 5 juillet 2017, de la prescription de l'action en recouvrement de la créance du département en invoquant, comme en l'espèce, que l'opposition à tiers détenteur lui avait été notifiée au-delà du délai de quatre ans ayant couru à compter de l'émission par le président du conseil général du titre de recettes du 16 mai 2008.

C'est donc par suite d'une erreur de droit que, pour rejeter cette prétention, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que le bordereau de situation établi par la direction générale des finances publiques, attestait de l'émission de plusieurs mises en demeure et commandements de payer en 2008, 2012, 2013, 2015 et 2016 ainsi que du paiement d'une somme de 532 euros le 7 juin 2013 mais sans s'assurer que les actes en cause avaient été régulièrement notifiés à l'intéressée. 

D'où la cassation qui est prononcée de ce chef.

(3 août 2022, Mme A., n° 451071)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence de la vie publique

 

138 - Élection à la présidence d'un syndicat mixte - Nombre de bulletins excédant celui du nombre des membres délégués - Retranchement à titre hypothétique - Perte de la majorité absolue - Confirmation de l'annulation de l'élection.

Alors que le comité syndical du syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères (SYCTOM) de l'agglomération parisienne comprend 90 délégués, lors du scrutin organisé pour la désignation de son président 91 suffrages ont été décomptés, dont 46 suffrages exprimés en faveur de M. C., 44 suffrages exprimés en faveur de Mme D. et un bulletin blanc.

L'invalidation du suffrage surnuméraire conduit à défalquer par retranchement à titre hypothétique une voix des suffrages exprimés en faveur de M. C., ramenant son résultat à 45 voix, ce qui fait obstacle à ce qu'il atteigne dès le premier tour la majorité absolue fixée à 46 voix.

Le scrutin est annulé ainsi que l'a jugé le tribunal administratif.

(12 juillet 2022, M. C., n° 449028)

 

139 - Absence de dépôt d’un compte de campagne - Non restitution par l’intéressé des carnets de reçus-dons délivrés à son mandataire financier à la demande de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques - Présomption de perception de dons de personnes physiques - Refus de répondre et de produire - Présomption n’ayant pas été renversée - Manquement délibéré à une règle substantielle - Inéligibilité.

Pour vérifier si un candidat à une élection n’a pas commis de manquement à une règle substantielle en ne déposant pas son compte de campagne, la CNCCFP lui a réclamé la restitution des carnets de reçus-dons délivrés à son mandataire financier par les services de l'administration compétente.

Faute pour ce dernier de répondre à cette demande de communication, il est présumé avoir bénéficié de dons consentis par des personnes physiques.

Cette présomption, en l’espèce, n’est combattue par aucune preuve contraire, le candidat n’ayant ni répondu à la Commission ni, non plus, produit ces pièces devant le juge saisi. En l’état de ce manquement grave à une règle substantielle, le défendeur se voit infliger une inéligibilité d’une année.

(15 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection de l’Assemblée de Corse, n° 460572)

(140) V. aussi, censurant par une inéligibilité d’une année le non-dépôt d’un compte de campagne sans justifications convaincantes : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462038 ou encore, à propos de ces mêmes élections, la solution identique retenue : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462037.

(141) V. aussi, très comparable et emportant une inéligibilité de neuf mois, le juge estimant que les motifs de non ouverture de compte de campagne étant ou controuvés ou fondés sur des éléments trop tardifs dans le déroulement de la campagne : 15 juillet 2022, M. E. et Mme F., Élection des conseillers départementaux du canton de Saint-Denis de La Réunion-2, n° 461159.

(142) V. également, observant que le dépôt tardif du compte de campagne constitue un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales justifiant l’inéligibilité d’une année prononcée en première instance : 20 juillet 2022, Mme B. et M. C., Élection départementale du canton de Grenoble-2, n° 463517 ou par le Conseil d’État statuant sur le résultat d’élections régionales : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462040. Dans le même sens, voir : 1er août 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), M. A., Élection des conseillers régionaux de la région Occitanie, n° 459538.

(143) V. encore, jugeant que malgré les difficultés que le candidat aurait rencontré avec son mandataire financier, constitue un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales justifiant une inéligibilité de six mois, le dépôt d’un compte déficitaire ne comportant que des pièces disparates et incomplètes qui ne permettent pas d'attester la régularité des opérations réalisées et comportant une liste de dons recueillis notamment par l'intermédiaire d'une plateforme de paiement en ligne dont il n’est pas justifié ou établi qu’ils ont été versés sur le compte bancaire unique ouvert par son mandataire financier : 21 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections régionales de Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 459504 ou, également, sanctionnant, outre le non dépôt d’un compte de campagne, la non restitution par un candidat des carnets de reçus-dons : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462037.

(144) Voir, prononçant une inéligibilité d’une année pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales en raison du versement direct par le candidat sans recourir à l’office de son mandataire financier, une somme de 1175,00 euros : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à l’Assemblée de Martinique, n° 462039.

(145) Mais voir cependant, la décision qui, après avoir constaté le non dépôt du compte de campagne, exempte de l’inéligibilité un binôme qui, dès la décision de la commission des comptes de campagne relevant cette anomalie, a communiqué son compte de campagne présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables, sans que ce compte ne comporte d'irrégularité et eu égard au faible montant des recettes et dépenses du compte, de l'ordre de 5 000 euros : 27 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton de Villars-les-Dombes, n° 462202.

(146) Dans le même sens que la solution précédente, voir, confirmant le jugement attaqué en ce qu'il a entériné le rejet du compte de campagne d'un binôme mais a dispensé celui-ci de l'inéligibilité : 1er août 2022, M. A. et Mme D., Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton de Bouzonville, n° 462163.

(147) V., apportant cette précision que l'inéligibilité consécutive au non-respect des règles régissant la tenue et le dépôt du compte de campagne s'applique même lorsque l'élection pour laquelle cette irrégularité a été relevée a été annulée car cette inéligibilité (cf. art. L. 118-3 code électoral) : « s'applique à toutes les élections et s'exécute à compter de la date à laquelle la décision du juge la constatant devient définitive. Est sans incidence sur cette inéligibilité la circonstance que l'élection a été annulée » : 1er août 2022, M. B. et Mme A., Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton de Vitry-sur-Seine 2, n° 462166.

 

148 - Élections des conseillers départementaux - Noms portés sur les bulletins de vote - Conditions de régularité - Application en l’absence de manœuvre et de doute sur les intentions des électeurs - Confirmation de l’annulation du scrutin - Rejet.

Il résulte des art. L. 52-3 et L. 66 du code électoral que l'interdiction, à peine de nullité, de faire figurer sur les bulletins de vote un ou plusieurs noms autres que celui du ou des candidats ou de leurs remplaçants éventuels a notamment pour objet d'éviter toute confusion dans l'esprit des électeurs sur l'identité et la qualité des candidats et sur les enjeux du scrutin. 

En l’espèce, par application de ces dispositions, 169 bulletins ont été déclarés nuls car ils mentionnaient le nom d'une personne autre que celui des candidats, ces bulletins indiquant sous le nom de M. N., que celui-ci était " ancien membre de cabinet d'Alain C.".

Le juge d’appel approuve le tribunal administratif d’avoir jugé qu'en l'absence de doute sur l'intention exprimée par les électeurs ayant utilisé les 169 bulletins concernés et de toute manœuvre, c'est à tort que ces bulletins ont été écartés, privant ainsi le vote des électeurs qui les ont utilisés de portée utile. C'est également à bon droit qu'il a jugé que, compte tenu du faible écart de voix entre les candidats à l'issue du premier tour, l'exclusion de ces bulletins du décompte des voix a nécessairement affecté la désignation des binômes qualifiés pour le second tour et a altéré la sincérité du scrutin.

L’annulation du premier tour de scrutin est confirmée par le juge d’appel.

(18 juillet 2022, Mme J. et M. G., Élection des conseillers départementaux du canton de Bordeaux-3, n° 461721)

 

149 - Élection de conseillers départementaux - Dénomination du site internet de campagne - Bulletin municipal contenant un acte de propagande électorale - Article nécrologique du bulletin municipal - Rejet.

Les protestataires interjetaient appel du jugement refusant d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 pour l'élection des conseillers d'Alsace dans le canton de Wittenheim et de prononcer l'inéligibilité de deux élus.

Leur appel est rejeté en tous ses chefs de protestation.

Il ne saurait être reproché aux défendeurs la création d’un site internet de campagne qui ne se présente pas comme un site institutionnel susceptible de produire une confusion avec les sites des collectivités intéressées, ni non plus la circonstance que sa dénomination ne soit pas celle des candidats concernés.

S’il est regrettable qu’un article d’un numéro du bulletin municipal ait plus ou moins indirectement mais clairement appelé à voter pour les défendeurs, cette irrégularité ne saurait être regardée, compte tenu de la portée qu'elle est susceptible d'avoir eu et des écarts de voix constatés tant au premier qu'au second tour de scrutin, comme ayant été susceptible d'altérer la sincérité de celui-ci. 

Enfin, la photo diffusée dans un numéro du bulletin municipal à l’occasion du décès de l’ancien maire ne saurait être regardée, compte tenu des circonstances, comme un élément de propagande électorale prohibé par les dispositions de l’art. L. 52-8 du code électoral.

(19 juillet 2022, M. A et Mme S., Élection des conseillers départementaux du canton de Wittenheim, n° 462034)

 

150 - Élection de conseillers départementaux - Signature de la liste d’émargement - Doute sur l’authenticité de certaines signatures - Annulation de suffrages - Annulation des opérations électorales - Rejet.

Les protestataires interjetaient appel du jugement annulant les opérations électorales s’étant déroulées dans le canton n° 12 de Sada (Mayotte) en raison du caractère douteux de certaines signatures apposées sur les listes d’émargement en raison de différences les affectant entre les deux tours de scrutin.

Le Conseil d’État, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 62-1 du code électoral, rappelle que la constatation d'un vote par l'apposition, sur la liste d'émargement, soit d'une croix, soit de signatures qui présentent des différences manifestes entre les deux tours de scrutin sans qu'il soit fait mention d'un vote par procuration sur la liste d'émargement, ne peut être regardée comme garantissant l'authenticité du vote. L'inobservation de ces règles est susceptible d'entraîner, même en l'absence de fraude ou de manœuvre, l'annulation des opérations électorales. Il confirme donc l’irrégularité de 48 suffrages parmi ceux jugés irréguliers par le tribunal administratif ; en revanche, il estime que les différences entre huit autres suffrages entre les deux tours se justifient par le recours au vote par procuration, ceux-ci ne sont donc pas irréguliers contrairement à ce qui a été jugé en première instance.

Au total est confirmée l’annulation des opérations électorales prononcée par les premiers juges.

(19 juillet 2022, M. B., Élection des conseillers départementaux du canton n° 12 de Sada, n° 462057)

(151) V. aussi, infirmant la solution des premiers juges, la décision discutable estimant que la circonstance que des électeurs aient signé au premier tour la liste d’émargement et seulement apposé leurs initiales sur celle-ci au second tour n’établit  pas une fraude, les intéressés attestant avoir voté et leurs signatures étant cohérentes avec celle figurant sur leur carte nationale d'identité ; reste que la concomitance de plusieurs électeurs se trouvant en ce cas ne semble pas avoir  retenu l’attention du juge d’appel : 27  juillet 2022, M. E. et Mme H., Élection des conseillers départementaux du canton d’Épinay-sous-Sénart, n° 462338.

 

152 - Élections au conseil départemental - Documents électoraux non parvenus à certains électeurs avant le premier tour de scrutin - Absence d’atteinte à l’égalité de traitement - Absence d’altération de la sincérité du scrutin - Rejet.

Selon l’instruction, la circonstance que certains électeurs du canton n'auraient pas reçu, préalablement au premier tour de scrutin, les documents électoraux en raison de dysfonctionnements d'acheminement n’a pas été de nature à porter atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats et à altérer la sincérité du scrutin, dès lors que ces dysfonctionnements ont affecté l'ensemble des binômes candidats et que les écarts de voix entre les différents binômes ont été importants. 

(20 juillet 2022, M. F. et Mme G., Élection des conseillers départementaux du canton d’Épernon, n° 461668)

(153) V. aussi le rejet d’une protestation invoquant en vain, d’une part, le déroulement de la campagne dont aucun des éléments signalés n’était de nature à altérer la sincérité du scrutin, d’autre part, les opérations de vote dépourvues de manœuvres ou d’irrégularités susceptibles d’effets sur les résultats du vote ou sur la sincérité du scrutin : 21 juillet 2021, Mme D et M. C., Élection des conseillers départementaux du canton de Roanne 1, n° 460663.

(154) V. également, rejetant une protestation invoquant un grand nombre de griefs (campagne de promotion publicitaire, élément nouveau de polémique électorale, défaillances dans l’acheminement des professions de foi et bulletins de votes, irrégularités qui auraient affecté le déroulement des opérations électorales) non établis ou insusceptibles d’avoir altéré la sincérité du scrutin ou inopérants au regard de l’écart des voix : 25 juillet 2022, M. D. et Mme A., Élection des conseillers départementaux du canton de Brest-3, n° 460808 ou encore : 1er août 2022, Mme S. et autres, Élection des conseillers régionaux de la région Occitanie, n° 454279.

(155) V. encore, retenant la solution des premiers juges et rejetant le recours aux motifs soit d'absence d'irrégularités, soit de leurs faiblesse soit de leur absence d'influence sur la sincérité du scrutin ou sur son résultat en raison de l'écart des voix : 1er août 2022, M. G., Élection des conseillers départementaux du canton de Grand-Bourgtheroulde, n° 461679.

 

156 - Élection de conseillers régionaux - Demande d’annulation de l’élection de candidats pour non-respect des dispositions de l’art. L. 339 du code électoral - Conditions d’inscription sur la liste électorale d’une commune de la région et de résidence dans la région - Rejet.

Le requérant entendait obtenir l’annulation de l’élection de deux candidats aux élections au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté en raison de leur prétendue inéligibilité tirée des dispositions de l’art. I. 339 du code électoral, selon lesquelles « Nul ne peut être élu conseiller régional s'il n'est âgé de dix-huit ans révolus. Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits avant le jour de l'élection, qui sont domiciliés dans la région ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d'une des contributions directes au 1er janvier de l'année dans laquelle se fait l'élection, ou justifient qu'ils devaient y être inscrits à ce jour ».

Ses demandes sont rejetées.

L’élection de M. C. n’est pas contraire aux dispositions invoquées car celui-ci a été assujetti à la taxe d'habitation au titre des années 2018, 2019, 2020 et 2021 dans les rôles de la commune de Sens et il est, en outre, inscrit sur une liste électorale.

L’élection de M. B. ne saurait non plus être contestée du chef de ce même texte car celui-ci  a produit un bail de location, conclu le 24 avril 2021 avec une prise d'effet au même jour, d'un local meublé à usage d'habitation à Vesoul, un avenant à ce bail en date du 14 mai 2021, une attestation de contrat d'électricité concernant ce logement, établie à son nom le 24 avril 2021, deux relevés bancaires adressés au logement en litige couvrant, l'un, la période du 1er mai au 2 juin 2021 et, l'autre, la période du 3 juin au 2 juillet 2021, un contrat d'abonnement à un fournisseur d'accès à internet en date du 24 mai 2021 libellé à l'adresse du logement pris à bail à Vesoul, une attestation d'assurance habitation prise par l'intéressé pour ce logement et établie le 10 août 2021 pour la période allant du 22 avril 2021 au 31 mars 2022. Par ailleurs, M. B. est inscrit sur une liste électorale. Vainement le protestataire invoque les faits, à les supposer établis, qu’il est propriétaire d'un bien immobilier situé à Paris ou qu'à la date du scrutin, il était inscrit comme élève avocat à l'École de Formation du Barreau située à Paris, ni même que, postérieurement au scrutin, il se soit inscrit comme avocat au barreau de Paris.

(22 juillet 2022, M. F., Élections au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, n° 454181)

(157) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre l’élection de la présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, l’art. 62 du code électoral sur l’obligation de passer dans un isoloir n’étant pas applicable à l’élection dont s’agit et l’écriture à la main sur des bulletins vierges du nom du candidat choisi par chaque électeur n’ayant pu altérer la sincérité du scrutin : 22 juillet 2022, M. C., Élections à la présidence du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, n° 454336.

 

158 - Élections municipales - Annulation de l’élection d’un conseiller municipal - Absence d’annulation par voie de conséquence de l’élection du maire et de ses adjoints en dépit de la candidature à cette élection du conseiller municipal invalidé - Rejet.

Suite à l’annulation de sa propre élection en qualité de conseiller municipal, le protestataire avait demandé l’annulation, par voie de conséquence, de l’élection du maire et des adjoints de la commune, du fait de sa propre candidature à cette élection.

Sa protestation est rejetée s’agissant d’élections se déroulant dans une commune de moins de 1000 habitants où l'inscription sur une liste n'est pas obligatoire et où le panachage est admis car même dans le cas où l'élection du maire et des adjoints n'a été acquise qu'à une voix de majorité, la modification de l'équilibre du conseil municipal pouvant résulter de ce que, saisi d'une protestation relative à l'élection des conseillers municipaux, le juge annule l'élection d'un candidat et en proclame un autre élu à sa place ne peut être légalement réputée retirer rétroactivement sa validité à l'élection du maire et des adjoints.

(22 juillet 2022, M. E., n° 459857)

 

159 - Élections régionales - Griefs divers (anomalies prétendues dans la distribution des bulletins, report du scrutin pour motif sanitaire, abstention massive pour cause de Covid, immixtion du chef de l’État dans la campagne, demande de divers condamnations pénales, affichage irrégulier, caractère d’opérations publicitaires de certaines informations ou autres publications, soutien financier de la région à l’une des listes, tracts intempestifs, élément nouveau de polémique électorale, etc.) - Rejet.

Visiblement, les requérants, dont les recours sont joints, ont réuni dans leurs recours tous les griefs possibles, certains pittoresques d’ailleurs comme la demande de condamnation pénale du chef de l’État ou de la Banque nationale de Paris, sans réellement convaincre le juge qui les rejette tous dans une décision d’une longueur inusitée en matière électorale (pas moins de 36 points).

Le lecteur intéressé pourra se reporter au texte de la décision.

(27 juillet 2022, M. I., Élections au conseil régional d’Île-de-France, n° 454133 ; M. A., M. B. et M. L., Élections au conseil régional d’Île-de-France, n° 454273)

 

160 - Bureau de vote - Demande d’en créer un dans un centre pénitentiaire - Refus - Complications matérielles et juridiques - Rejet.

L’association requérante poursuit l’annulation du jugement rejetant sa demande dirigée contre le refus de créer un bureau de vote au sein du centre pénitentiaire de Vivonne.

Son appel est rejeté aux motifs qu’existent des difficultés particulières propres à l'instauration de modalités de vote au sein des établissements pénitentiaires et que les détenus, qui disposaient du droit de vote par procuration, ne pourraient plus, une fois libérés, accéder à ces locaux et ainsi au bureau de vote auquel ils auraient été rattachés.

(28 juillet 2022, Association Robin des Lois, n° 451890)

 

161 - Règles spéciales au contentieux électoral - Impossibilité d'interjeter appel d'un jugement alors que l'appelant n'était pas protestataire en première instance et que le jugement a rejeté le recours en annulation d'opérations électorales - Délai de trois mois imparti au tribunal administratif pour statuer à peine de dessaisissement - Rejet.

L'expiration du délai de trois mois imparti au tribunal administratif pour rendre son jugement en matière de contentieux des élections locales entraîne le dessaisissement d'office de la juridiction au profit du Conseil d'État.

Toutefois, lorsque le juge administratif est saisi de la contestation d'une élection dans une circonscription où le montant des dépenses électorales est plafonné, il sursoit à statuer jusqu'à réception des décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques qui doit se prononcer sur les comptes de campagne des candidats à cette élection dans le délai de deux mois suivant l'expiration du délai fixé au II de l'article L. 52-12 du même code.

En application des articles 1er et 11 de la loi du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, la date limite mentionnée au II de l'article L. 52-12 du code électoral a été fixée au 17 septembre 2021 à 18 heures pour le renouvellement général des conseils départementaux de 2021.

Le tribunal ayant reçu la décision de cette commission le 16 novembre 2021, le délai de trois mois imparti n'était pas expiré lorsqu'a été rendu, le 8 février 2022, le jugement contesté.

C'est donc compétemment que cette juridiction s'est prononcée en l'espèce, sans encourir de dessaisissement, contrairement à ce qui est soutenu par le requérant.

(1er août 2022, M. B., Élection des conseillers départementaux du canton de Montpellier-2, n° 461512)

 

162 - Élections municipales et communautaires - Salariée de la commune - Démission tardive de l'emploi - Inéligibilité - Annulation de l'élection et remplacement par le suivant de liste - Admission et rejet partiels.

Une salariée de la commune ne pouvant être élue au conseil municipal, il s'ensuit que doit être annulée pour inéligibilité l'élection d'une personne encore salariée de la commune à la date du premier tour de scrutin.

Elle est remplacée par le suivant de liste.

En revanche est rejetée la demande d'annulation pure et simple des élections pour atteinte à la sincérité du scrutin en raison de la notoriété de la candidate inéligible. En effet, la présence de cette candidature sur la liste, au demeurant arrivée en troisième position, n'a pas présenté le caractère d'une manœuvre de nature, eu égard à l'écart de voix séparant les deux listes arrivées en tête, et elle n'est pas non plus de nature à avoir porté atteinte à la sincérité du scrutin.

(1er août 2022, M. F. et M. A., Élections municipales et communautaires de la commune d'Apatou, n° 463365)

 

Environnement

 

163 - Cessation d’activité d’une installation classée pour l’environnement - Inobservation des prescriptions applicables à une telle installation - Mise en demeure de satisfaire à ces prescriptions - Compétence liée du préfet pour infliger une sanction - Compétence demeurant liée en dépit d’une pluralité de sanctions possibles - Erreur de droit - Annulation.

Suite à la cessation d’activité d’une société exploitant une installation classée pour l’environnement, et celle-ci ne respectant pas les obligations résultant de cette cessation, le préfet l’a mise en demeure de s’y plier.

Le liquidateur judiciaire de la société a demandé, en vain, au tribunal administratif l’annulation de l’arrêté préfectoral mettant en demeure car il émanait selon lui d’une autorité incompétente, le tribunal estimant qu’en l’espèce le préfet se trouvait en situation de compétence liée.

Sur appel du liquidateur, la cour administrative d’appel a annulé le jugement en se fondant sur le fait que le II de l’art. L. 171-8 du code de l’environnement laissant au préfet le choix entre plusieurs catégories de sanctions en cas de non-exécution de son injonction, celui-ci ne se serait pas trouvé, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, en situation de compétence liée et qu’ainsi le moyen tiré de l’incompétence de ce dernier ne serait pas inopérant.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État relève que la faculté pour le préfet de choisir entre plusieurs sanctions pour non-respect des prescriptions légales n'affecte pas le caractère lié de la compétence du préfet pour édicter la mise en demeure.

Cette solution doit être approuvée : la compétence liée est une obligation d’agir en vue d’un certain résultat, peu important que, pour parvenir à ce résultat, le texte impose une seule voie de droit ou en propose plusieurs.

(19 juillet 2022, Société noiséenne d'outillage et de presse (SNOP), n° 444986 ; ministre de la transition écologique, n° 445039)

 

164 - Qualification comme « aéroports coordonnés » des aéroports de Paris-Orly et Paris-Charles-de-Gaulle - Réduction et augmentation des vols en périodes nocturnes - Absence non irrégulière de la consultation du public - Absence d’atteinte au principe de non régression - Rejet.

L’institution de l’« aéroport coordonné », qui résulte du règlement européen du 18  janvier 1993 (art. 6 point 1), permet une certaine rationalisation des paramètres d'attribution des créneaux horaires dans un tel aéroport.

Le ministre des transports a, par un arrêté du 27 septembre 2021, retenu la qualification d'aéroports coordonnés pour les aéroports de Paris-Orly et Paris - Charles-de-Gaulle, notamment, concernant la capacité globale des deux aéroports, afin de réduire le nombre maximal de départs par heure entre minuit et 1 heure 59 et l'augmenter entre 3 heures et 4 heures 59 et pour imposer au coordonnateur de laisser disponibles jusqu'à 3 jours avant la date d'exploitation deux créneaux horaires de départ dans la tranche horaire de minuit à 4 heures 59 et trois créneaux horaires d'arrivée dans la tranche horaire de minuit à 5 heures 59 qui, au-delà de ce délai, seront alloués aux transporteurs aériens en fonction des demandes exprimées. Le nombre maximal d'arrivées par heure reste fixé à 30 entre minuit et 0 heure 59 et à 20 entre 1 heure et 4 heures 59.

L’association requérante demande l’annulation de cet arrêté en tant qu’il devait être précédé de la consultation du public prévue par l’art. L. 123-19-1 du code de l’environnement. Sa prétention est rejetée car le juge relève que les dispositions de l’arrêté querellé n'ont pas sur l'environnement une incidence directe et significative du fait qu’il instaure un plafond moyen de 48 départs et arrivées par nuit, inférieur donc à la capacité globale des deux aéroports.

La requérante invoquait aussi le principe de non régression énoncé au 9° de l’art. L. 110-1 du code de l’environnement Le moyen est rejeté du fait que, comme indiqué ci-dessus, le projet n’a pas d’incidence directe sur l’environnement.

Le recours est ainsi rejeté.

(21 juillet 2022, Association de défense contre les nuisances aériennes, n° 459090)

 

165 - Arrêté préfectoral déclaratif d’utilité publique d’acquisition de terrains - Irrégularité de l’avis émis par l'autorité environnementale sur l'évaluation environnementale du projet - Sursis à statuer en vue de permettre la régularisation de la procédure - Consultation présentée comme réalisant cette régularisation - Régime contentieux d’éventuels recours formés à ce stade - Rejet.

Par un arrêté du 9 mars 2015, le préfet de l'Hérault a déclaré d'utilité publique les travaux portant sur la nouvelle section de la liaison intercantonale d'évitement nord (LIEN) entre l'A750 à Bel Air et la RD986 au nord de Saint Gély du Fesc et a approuvé la mise en compatibilité des plans d'occupation des sols de plusieurs communes. 

La commune de Grabels a contesté en vain la légalité de cet arrêté devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel. Sur pourvoi, le Conseil d’État (9 juillet 2021, Commune de Grabels, n° 437634, voir cette Chronique, juillet-août 2021 n° 237) a rejeté la plupart des arguments de la commune, retenant cependant celui tiré de l'irrégularité de l'avis émis par l'autorité environnementale sur l'évaluation environnementale du projet, cette autorité ne pouvant être regardée comme disposant, à l'égard du préfet, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis impartial conformément aux exigences de la directive du 13 décembre 2011.

Le Conseil d'État a alors sursis à statuer pour permettre la régularisation éventuelle du vice de procédure entachant l'arrêté attaqué par la consultation de la mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente et en portant ce nouvel avis à la connaissance du public. Il a alors précisé que si cet avis différait substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique, des consultations complémentaires devraient être organisées à titre de régularisation, dans le cadre desquelles seraient soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par ce nouvel avis. Il a également indiqué que les mesures de régularisation devraient lui être notifiés dans un délai de trois mois, ou de neuf mois en cas de reprise des consultations. 

La mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente, saisie par l'administration le 28 juillet 2021, a rendu un avis le 28 septembre 2021. Après une consultation du public par voie électronique tenue du 31 janvier au 2 mars 2022, le préfet de l'Hérault a, par un courrier enregistré le 31 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, fait valoir que cette consultation du public était de nature à régulariser l'arrêté litigieux.

S’est alors posée l’importante question de savoir quels moyens peuvent être invoqués à ce stade et c’est ce qui constitue l’apport essentiel de cette décision. De façon très pédagogique, le Conseil d’État expose le régime contentieux post-régularisation en ces termes :

« 4. À compter de la décision par laquelle le juge administratif sursoit à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour régulariser un arrêté déclarant d'utilité publique et urgents des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d'occupation des sols et de plans locaux d'urbanisme, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier.À ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de la mesure de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'elle n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Elles ne peuvent en revanche soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.
5. En l'espèce, eu égard au vice retenu, tiré de l'irrégularité de l'avis rendu par l'autorité environnementale sur le dossier du projet en cause, comprenant notamment l'étude d'impact, seuls sont susceptibles d'être utilement invoqués à ce stade des moyens mettant en cause des vices propres à la mesure de régularisation, ou contestant que l'avis émis par l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente permettrait de régulariser le vice relevé par la décision du Conseil d'État du 9 juillet 2021 ou soutenant que de nouveaux vices, fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation, affecteraient la légalité de l'arrêté attaqué.
 »

Passant à l’examen des moyens présentés, dont les plus importants concernent le caractère suffisant ou non de l’étude d’impact et les conditions de la consultation complémentaire faite dans le cadre de la procédure de régularisation, le Conseil d’État les rejette tous pour conclure que le vice de légalité entachant l'arrêté du 9 mars 2015 du préfet de l'Hérault a été régularisé.

Le recours de la commune est rejeté. 

(21 juillet 2022, Commune de Grabels, n° 437634)

(166) V. aussi, illustratif des moyens contentieux pouvant être développés après une régularisation à l’invitation du juge, ici dans le cadre d’un permis d'aménager valant permis de démolir en vue de la réalisation de cinq lots à usage d'habitat : 21 juillet 2022, Syndicat des copropriétaires du Clos Vézy et Mme A., n° 444525.

 

167 - Contrôle technique obligatoire des véhicules à deux ou trois roues et quadricyles - Mise en place initiale en 2022 puis retardée et échelonnée - transposition d’une directive de l’Union – Non-respect - Annulation sans modulation de la date d’effet de la décision.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur, en tant qu'il fixe au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L et en tant qu'il prévoit, à son article 8, un dispositif d'application par paliers courant jusqu'à 2026.

La directive européenne du 3 avril 2014, selon son article 1er « établit les exigences minimales pour un dispositif de contrôle technique périodique des véhicules utilisés sur la voie publique ». Les autres dispositions détaillent et précises pour chaque catégorie le régime applicable.

En bref, les États sont placés, s’agissant des véhicules à deux roues, devant une alternative : ou bien est instauré un contrôle technique périodique, lequel entre en vigueur au 1er janvier 2022, ou bien sont mises en place des mesures alternatives de sécurité routière qui doivent alors tenir notamment compte des statistiques pertinentes de sécurité routière.

La France a opté pour le premier terme de l’alternative et le décret litigieux prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2023 avec un échelonnement progressif des véhicules concernés jusqu’en 2026 (cf. art.6, 8 et 9 du décret).

Ce texte, sans qu’aucun motif ne le justifie, n’est pas conforme à la directive précitée et les dispositions précitées sont annulées tant qu'elles reportent au-delà du 1er janvier 2022, l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, ainsi que par voie de conséquence l’article 8. 

S’agissant de la modulation dans le temps des effets de cette décision d'annulation, le juge rappelle d’abord le principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses auquel déroge, en cas de conséquences excessives, la possibilité d’une modulation. Il rappelle ensuite qu’en cas d’annulation pour violation du droit de l’Union, le pouvoir de modulation ne s’exerce qu’à titre exceptionnel.

Ici, il refuse d’ordonner la modulation, aucun motif ne le justifiant.

(27 juillet 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 457398)

(168) V. aussi, rejetant le recours - de ces mêmes organisations - en référé suspension de l'exécution du décret n° 2022-1044 du 25 juillet 2022 abrogeant le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur, en raison de ce que le recours au fond de ces associations sera examiné dans les prochaines semaines et de ce que la mise en œuvre de ce décret ne créerait pas une situation d'urgence telle qu'elle justifierait sa suspension immédiate sans attendre la décision sur le fond : 1er août 2022, Association RESPIRE, association Ras-le-Scoot et association Paris sans voiture, n° 466190.

 

169 - Schémas directeurs et schémas d’aménagement et de gestion des eaux - Objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux -  Compatibilité des programmes et décisions avec cet objectif - Prise en compte des mesures d’évitement et de réduction - Absence de prise en compte des impacts temporaires de courte durée (décret du 4 octobre 2018) - Directive du 23 octobre 2000 (art. 4) - Interprétation de cette disposition  par la CJUE -  Méconnaissance des objectifs de la directive - Annulation.

Le décret  du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et aux schémas d'aménagement et de gestion des eaux prévoit à son article 7 que « pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives (…) avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux (…), il est tenu compte des mesures d'évitement et de réduction et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ». L’organisation requérante a demandé l’annulation de ces dispositions ainsi que de la décision implicite née du refus de faire droit à sa demande de les retirer.

Le Conseil d’État a sursis à statuer dans l’attente des réponses de la CJUE aux questions préjudicielles qu’il lui a posées dans le cadre de ce litige. La Cour s’est prononcée par sa décision du 5 mai 2022 (Association France Nature Environnement, aff. C-525/20), ce qui permet au juge premier saisi de statuer définitivement.

Le Conseil d’État décide qu’il résulte des textes et de la jurisprudence que les dispositions de la directive précitée ne permettent pas aux États membres, lorsqu'ils apprécient la compatibilité d'un programme ou d'un projet particulier avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte d'impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur celles-ci, à moins qu'il ne soit manifeste que de tels impacts n'ont, par nature, que peu d'incidence sur l'état des masses d'eau concernées et qu'ils ne peuvent entraîner de « détérioration » de celui-ci, au sens de ces dispositions.

En sens inverse, il s’ensuit que dans le cas où, dans le cadre de la procédure d'autorisation d'un programme ou d'un projet, les autorités nationales compétentes déterminent que celui-ci est susceptible de provoquer une telle détérioration, ce programme ou ce projet ne peut, même si cette détérioration est de caractère temporaire, être autorisé que si les conditions prévues à l'article 4, paragraphe 7, de ladite directive sont remplies.

Les dispositions de l’art. 7 du décret attaqué, en ce qu’elles excluent, dans l'appréciation portée par l'autorité administrative de la compatibilité des programmes et des décisions administratives avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux prévu par la loi, leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme, méconnaissent les objectifs de l'article 4 de la directive du 23 octobre 2000 : il échet donc d’en prononcer l’annulation en tant qu'ont été ajoutés, par le dernier alinéa de cet article 7, les termes « et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme » à l'article R. 212-13 du code de l'environnement.

(28 juillet 2022, France Nature Environnement, n° 429341)

 

170 - Usinier fondé en titre - Moulin exploitant l’énergie hydroélectrique - Exonération de certaines obligations (L. 214-18-1 du code de l'environnement) - Prescriptions supplémentaires à l’autorisation d’exploiter - Date d’appréciation des règles régissant la police de l’eau - Moulin en situation irrégulière - Annulation et rejet.

La société demandait l’annulation de l’arrêté par lequel le préfet de l'Indre a fixé des prescriptions supplémentaires à l'autorisation d'exploiter l'énergie hydroélectrique sur le barrage de Moulin Neuf dont elle est titulaire.

Son recours ayant été rejeté en première instance et en appel, la société se pourvoit.

C’est l’occasion d’une décision particulièrement technique.

Le Conseil d’État commence par annuler l’arrêt d’appel en raison de l’erreur de droit qu’il contient. En effet, dans un souci de préservation du patrimoine hydraulique que sont les moulins à eau, l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement dispense ces moulins des obligations mentionnées au 2° du I de l'article L. 214-17 du même code. La cour ne pouvait donc pas, pour rejeter le recours de la société contre l’arrêté préfectoral, se fonder sur ce que l’exonération dont s’agit était limitée aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement (soit l'art. L. 232-6 du code rural, devenu l'article L. 432-6 du code de l'environnement) ayant le même objet ce qui n’était pas, selon elle, le cas du Moulin Neuf.

Ensuite, le juge rappelle qu’en sa qualité du juge du plein contentieux au titre de la police de l’eau, il doit apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation et opère à cet égard une distinction : le respect des règles relatives au contenu du dossier de demande d'autorisation s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation ; le respect des règles de fond qui s'imposent à l'autorisation s'apprécie en fonction des considérations de droit et de fait en vigueur à la date de la décision du juge.

Puis, passant à l’examen du fond, le Conseil d’État observe qu’un procès-verbal du 23 janvier 2013 a relevé diverses non-conformités s’agissant du taux de mortalité des anguilles prises dans les éléments du moulin en cause et qu’il a conduit à un projet d’arrêté portant prescriptions complémentaires et soumis au contradictoire effectif de l’exploitant. De là résulte que, si pour l’application des dispositions de l’art. 2 du règlement 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes, un délai de cinq ans après la publication des listes prévues au 2° du I de l’art. L. 214-17 est accordé aux exploitants d' « ouvrages existants régulièrement installés » pour mettre en œuvre les obligations qu'il instaure, ce délai n'est pas ouvert aux exploitants d'ouvrages antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l'article L. 232-6 du code rural, devenu l'article L. 432-6 du code de l'environnement, qui, comme c’est le cas du Moulin Neuf en l’espèce, n'auraient pas respecté le délai de cinq ans octroyé par ces dispositions pour mettre en œuvre cette obligation.

De là le juge tire les conséquences suivantes pour la Sarl Centrale du Moulin Neuf.

Celle-ci bénéficie d'un droit fondé en titre à hauteur de 48 kW et l'installation concernée a également bénéficié, par ordonnance royale du 11 mars 1842, d'une autorisation d'exploiter une installation hydraulique dont la puissance a été évaluée, par un arrêté du préfet de l'Indre en date du 12 novembre 1973, à 136 kW.

Cette autorisation, qui concernait une installation ayant une puissance inférieure à 150 kW, est toujours en vigueur en application des dispositions de l'article L. 511-9 du code de l'énergie.

Toutefois, à la date de publication de l'arrêté du 10 juillet 2012, en vertu duquel la section de la Creuse sur laquelle est située son installation a été classée sur la liste des cours d'eau, tronçons de cours d'eau ou canaux classés au titre du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, la société requérante n'avait mis en place aucun dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs, en méconnaissance des exigences de la législation antérieure à ces dispositions. Son installation ne constitue donc pas un ouvrage existant régulièrement installé, au sens du III de cet article, de sorte que les obligations posées par son I lui étaient immédiatement applicables à compter de la publication de l'arrêté du 10 juillet 2012. 

La société requérante ne peut se prévaloir du délai de cinq ans précité.

Au reste, « si la requérante invoque les dispositions de l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement pour soutenir qu'aucune obligation résultant du 2° du I de l'article 214-17-1 du même code ne peut être imposée à son installation, ces dispositions, en tant qu'elles exonèrent les moulins à eau existant à la date de publication de la loi du 24 février 2017 des obligations mentionnées au 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, indépendamment de leur incidence sur la continuité écologique des cours d'eau concernés et de leur capacité à affecter les mouvements migratoires des anguilles, méconnaissent les objectifs de la directive du 23 octobre 2000 ainsi que le règlement du 18 septembre 2007. Par suite, eu égard aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes dans l'ordre juridique interne telles qu'elles découlent de l'article 55 de la Constitution, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire de s'abstenir d'adopter les mesures réglementaires destinées à permettre la mise en œuvre de ces dispositions et, le cas échéant, aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, de donner instruction à leurs services de n'en point faire application tant que ces dispositions n'ont pas été modifiées. Il suit de là que la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de ces dispositions exonératoires et que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par l'arrêté attaqué ne peut être qu'écarté. »

Enfin, les prescriptions techniques imposées du chef de ces obligations revêtent un caractère proportionné qu’il s’agisse de celles relatives à la montaison et à la dévalaison des espèces migratrices (grande alose, lamproie marine, lamproie fluviatile, truite fario, anguille et brochet) ou de celles concernant le débit minimum biologique.

(28 juillet 2022, Sarl Centrale Moulin Neuf, n° 443911)

 

171 - Principe de responsabilité élargie du producteur (art. L. 541-10 du code de l’environnement) - Produits générateurs de déchets - Obligation d’une démarche d’écoconception des produits - Cas des produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou en partie de plastique et des produits devant être utilisés avec des produits du tabac - Rejet.

La fédération requérante conteste la légalité du décret du 29 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation relatives à la responsabilité élargie des producteurs, en ce qu'il a introduit les articles R. 543-309 et R. 543-310 dans le code de l'environnement. Ces articles établissent une responsabilité élargie, au sens et pour l’application de l’art. L. 541-10 du code de l’environnement qui, lui-même transpose la directive du 5 juin 2019 relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement, applicable aux produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou partie de plastique et aux produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac.

Son recours est rejeté en ses trois chefs de demandes.

En premier lieu, il est soutenu que le pouvoir réglementaire aurait excédé sa compétence, méconnu l'intention du législateur et commis une erreur de droit en adoptant des dispositions qui soumettent au principe de responsabilité élargie du producteur les produits destinés à être utilisés avec du tabac, même lorsqu'ils ne comportent pas de plastique, alors que la loi, pour assurer la transposition de la directive du 5 juin 2019 précitée, a entendu limiter une telle application aux filtres comportant du plastique. Le moyen est rejeté car le juge, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 541-10-1 du code de l’environnement, estime que la responsabilité élargie du producteur a vocation à s'appliquer à la fois aux produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou partie de plastique et aux produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac, qu'ils soient ou non composés en tout ou partie de plastique, le législateur ayant non seulement transposé la directive du 5 juin 2019 qui impose de réduire l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement, mais également entendu lutter, plus largement, contre les déchets constitués par les produits du tabac, en particulier les mégots, qu'ils soient ou non composés de plastique.

En deuxième lieu, c’est vainement qu’il est soutenu que le décret litigieux introduirait une discrimination illégale et méconnaîtrait le principe d'égalité en distinguant les filtres vendus directement avec les produits du tabac, qui n'entrent dans le champ d'application de la responsabilité élargie du producteur que lorsqu'ils comportent des composants plastiques, des autres filtres, vendus séparément, qui sont soumis au principe de responsabilité élargie, même s'ils ne comportent pas de plastique car, comme déjà indiqué, les produits du tabac équipés de filtres entrent, quelle que soit la composition de ces filtres, dans le champ d'application du principe de responsabilité élargie du producteur.

Enfin, c’est sans excéder sa compétence ni commettre d’erreur de droit que le pouvoir réglementaire a défini les producteurs soumis au principe de responsabilité élargie comme étant les personnes qui procèdent à la première mise sur le marché des produits du tabac équipés de filtres comportant ou non du plastique, puisque ce disposant il s’est borné à faire application de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement.

(28 juillet 2022, Fédération des fabricants de cigares, n° 454065)

(172) V. aussi, annulant sur recours de la même fédération l'arrêté du 5 février 2021 portant cahier des charges d'agrément des éco-organismes de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits du tabac et ce cahier des charges lui-même car ils ont été pris sans consultation préalable du public, contrairement aux dispositions de l’art. L. 123-19-1 du code de l’environnement, cette irrégularité étant de nature à avoir exercé une influence sur le sens de l'arrêté attaqué et a privé le public de la garantie de voir son avis pris en considération à l'égard d'un acte ayant une incidence directe et significative sur l'environnement : 28 juillet 2022, Fédération des fabricants de cigares, n° 455411.

 

173 - Concessions minières en Guyane - Prolongation - Effets de la décision QPC du 18 février 2022 - Décrets sans base légale - Annulation.

La requérante a formé quatre recours, ici joints, contre des décisions du premier ministre prolongeant sur une superficie plus réduite des concessions de mines de métaux précieux n° 32, n° 6, n° 86 et n° 651, situées sur une partie du territoire de la commune de Roura, en Guyane.

Le Conseil d’État annule ces décrets qui, par l’effet d’une décision récente du Conseil constitutionnel (18 février 2022, France Nature Environnement, n° 2021-971 QPC), se trouvent privés de base légale.

En effet, le Conseil constitutionnel, dans cette décision, a estimé que la décision de prolongation d'une concession minière est susceptible de porter atteinte à l'environnement et relevé qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, aucune disposition législative ne prévoyait que l'administration prenne en compte les conséquences environnementales de la prolongation d'une concession minière avant de se prononcer sur la demande qui lui était adressée. Il a estimé que le législateur avait méconnu, pendant cette période, les articles 1er et 3 de la Charte de l'environnement et a déclaré contraire à la Constitution la seconde phrase de l'article L. 144-4 du code minier. Cette déclaration d'inconstitutionnalité a pris effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, soit le 19 février 2022, et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. 

Par suite, les décrets litigieux, qui ont été pris sur le fondement de la seconde phrase de l’art. L. 144-4 du code minier déclaré inconstitutionnel, sont sans base légale et doivent annulés sans que puisse faire échec à cette annulation la mise en œuvre de procédures respectueuses de l’environnement.

(28 juillet 2022, France Nature Environnement, n° 456524 ; n° 456525 ; n° 456528 et n° 456529, jonction)


174 - Énergie nucléaire - Arrêt définitif de l’exploitation de la centrale nucléaire de Fessenheim - Vices de procédure - Décision en contradiction avec certains objectifs économiques et environnementaux - Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation du décret du 18 février 2020 par lequel le premier ministre, faisant droit à la demande en ce sens de la société EDF, a abrogé, à compter du 22 février 2020, s'agissant du réacteur n°1, et du 30 juin 2020, s'agissant du réacteur n°2, l'autorisation d'exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim dont était titulaire cette société en vertu des dispositions du second alinéa de l'article L. 311-6 du code de l'énergie.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, si les associations requérantes reprochent au décret qu'elles attaquent d'avoir été édicté sans que soit respecté le délai de deux ans, prévu par l'article L. 593-26 du code de l'environnement, entre la formulation de sa demande par l'exploitant et la mise à l'arrêt définitif de l'installation, il ressort toutefois des pièces du dossier que la fermeture du site électronucléaire de Fessenheim est intervenue au terme d'un long débat public et d'une série de décisions et de déclarations de l'État qui a encouragé et accompagné cette décision de fermeture. Dans un tel contexte, les requérantes ne peuvent sérieusement soutenir que le délai de cinq mois qui a séparé la demande de l'exploitant et l'édiction du décret attaqué aurait été insuffisant pour mettre l'État en mesure de préparer les mesures d'accompagnement de la décision de fermeture du site de Fessenheim, ou privé le public d'une garantie inhérente à cette procédure.

En deuxième lieu est écarté le moyen tiré de ce que serait contraire tant à l’art. R. 593-66 du code l’environnement, qu’aux art. 6 de la convention d’Aarhus et 7 de la charte de l’environnement, la circonstance que la déclaration de mise à l'arrêt définitif des deux réacteurs a été mise à la disposition du public par l'exploitant, à l'exception de la mise à jour du plan de démantèlement, qui n'a été communiquée au public que le 6 février 2020, soit douze jours avant l'édiction du décret attaqué, car cette communication tardive n’a pas privé le public, destinataire de cette information, d’une garantie.

En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la décision par laquelle l'autorité administrative abroge, à la demande de l'exploitant, l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité délivrée en application des articles L. 311-5 et suivants du code de l'énergie ne constitue pas une mesure d'application de la décision par laquelle l'exploitant d'une installation nucléaire de base déclare à l'autorité compétente, dans les conditions prévues à l'article L. 593-26 du code de l'environnement, la mise à l'arrêt définitif de cette installation. Cette décision d’abrogation n’a pas sa base juridique dans cette déclaration à l’égard de laquelle ne saurait être soulevée une exception d’illégalité et ne constitue pas non plus avec cette dernière une opération complexe.

Enfin, si l’objectif de diminution de la part de l'énergie nucléaire dans la production totale d'électricité impose qu'aucune nouvelle autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité ne peut être délivrée lorsqu'elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d'électricité d'origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts, cela ne fait pas obstacle à ce que l’autorité administrative fasse droit à la demande d'abrogation de l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité présentée par l'exploitant de cette dernière alors même que la capacité totale autorisée de production d'électricité nucléaire n'excède pas le plafond précité. Pareillement, il ne saurait être soutenu que l'arrêt de l'exploitation de la centrale nucléaire de Fessenheim serait en contradiction avec les objectifs de garantie de la sécurité de l'approvisionnement, de qualité de l'air et de lutte contre l'effet de serre assignés par l'article L. 121-1 du code de l'énergie au service public de l'électricité car cette décision d’arrêt d’exploitation doit être replacée dans le cadre d’une politique énergétique d’ensemble visant en particulier au fort développement d’énergies renouvelables comme à la réduction de la consommation d’énergie.

(29 juillet 2022, Association des écologistes pour le nucléaire, Association « Fessenheim notre Energie », Association « Initiatives pour le climat et l'énergie » et Association de défense des actionnaires salariés d'EDF, n° 440932)

 

175 - Éoliennes - Autorisation d’implantation entre les îles de Noirmoutier et d’Yeu - Autorisation préfectorale de destruction et de perturbation intentionnelle de spécimens d’espèces animales protégées - Demande d’arrêt des travaux et de complément d’instruction par le Conseil national de protection de la nature - Rejet.

Les deux associations requérantes ont saisi la cour administrative d’appel de Nantes : 1° d’une demande d’annulation de l'arrêté préfectoral ayant accordé à la société Éoliennes en Mer îles d'Yeu et de Noirmoutier (EMYN) une autorisation de destruction et de perturbation intentionnelle de spécimens d'espèces animales protégées dans le cadre de l'aménagement et de l'exploitation du parc éolien en mer au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier, 2° d’une demande de saisir, avant-dire droit, le Conseil national de protection de la nature, afin qu'il puisse compléter son instruction au regard des nouvelles informations apportées en réponse à son avis défavorable sur ce projet éolien, et 3° d'enjoindre au préfet de la Vendée de prendre toutes les mesures nécessaires à l'arrêt des travaux.

La cour ayant rejeté la requête, le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi qu’il rejette, confirmant en tous points l’arrêt déféré à sa censure.

Tout d’abord, en dépit de l’étendue des compétences dévolues au ministre chargé de la protection de la nature pour délivrer des dérogations s’agissant des opérations d'enlèvement, de capture, de destruction, de transport en vue d'une réintroduction dans le milieu naturel, de destruction, d'altération ou de dégradation du milieu particulier des espèces de vertébrés protégées au titre de l'article L. 411-1 du code de l’environnement, menacée d'extinction en France en raison de la faiblesse, observée ou prévisible, de ses effectifs et dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, celui-ci de dispose pas d’une compétence de principe pour délivrer toutes les autres sortes de dérogations. Le préfet était donc compétent pour prendre les décisions querellées.

Ensuite, le dossier de demande de dérogation au titre du 4° de l'article L.411-2 du code de l'environnement n’est pas insuffisant contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, ni concernant les impacts de la partie maritime du raccordement électrique du projet de parc éolien ni concernant l’impact du projet, au demeurant limité, sur d'autres espèces protégées qui n'ont pas fait l'objet d'une demande de dérogation, notamment le puffin des Baléares, les mammifères marins et la tortue luth. La cour, ce jugeant, a, sans dénaturation d’aucune sorte, exercé son pouvoir souverain d’appréciation.

Enfin et surtout, le Conseil d’État se prononce sur la qualification de « raison impérative d’intérêt public majeur » (cf. 24 juillet 2019, Société PCE et autre, n° 414353, V. cette Chronique, juillet-août 2019 n° 51) rendant possible les dérogations et autorisations contenues dans l’arrêté litigieux.

Il le fait en trois temps en examinant les réponses de la cour aux trois questions suivantes :

- Le projet répond-il à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement ?

- Les atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues ne nuisent-elles pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ?

- N’existe-t-il pas pas d'autre solution satisfaisante ? (Cf. 15 avril 2021, Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres, n° 430500, V. cette Chronique, avril 2021 n° 127)

Il convient de constater que le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour répondre à ces questions, le juge de cassation n’exerçant qu’un contrôle de la dénaturation.

(29 juillet 2022, Association « Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » et Association « Société pour la protection du paysage et de l'esthétique de la France », n° 443420)

 

État-civil et nationalité

 

176 - Naturalisation - Déclaration mensongère par dissimulation de la situation familiale du demandeur - Décret de naturalisation rapporté pour fraude - Aucun motif invoqué ne faisant obstacle à ce retrait - Rejet.

Un ressortissant sénégalais obtient sa naturalisation notamment sur la foi de sa déclaration, le 31 mars 2010, qu’il est marié avec une ressortissante française depuis le 10 décembre 2005.

Avisé le 7 mai 2019 par le ministère des affaires étrangères que l’intéressé était le père de six enfants, mineurs au moment de sa demande de naturalisation, nés au Sénégal entre 1996 et 2009, et résidant habituellement dans ce pays avec leur mère, le ministre de l’intérieur a prononcé le 7 mai 2021 le retrait du décret de naturalisation du 25 mai 2011 après avoir constaté que M. A. parlait et comprenait le français et qu’il n’invoque aucun argument pour justifier la grossièreté de son mensonge sur sa situation familiale réelle au moment de l’accomplissement des démarches en vue de sa naturalisation.

Le Conseil d’État rejette le recours en annulation de ce décret nonobstant que le demandeur fait valoir que ses attaches se trouvent principalement en France du fait de son mariage avec une ressortissante française, décédée en 2015, de son activité commerçante et de sa résidence en Charente depuis plusieurs années. De telles circonstances sont sans incidence sur le caractère frauduleux des déclarations en vertu du principe fraus omnia corrumpit.

(21 juillet 2022, M. A., n° 458349)

(177) V. aussi, très comparable en particulier quant à la non révélation de l’existence d’enfants nés de deux unions contractées au Sénégal : 21 juillet 2022, M. A., n° 459818 ou encore, très voisin : 21 juillet 2022, M. A., n° 459890.

 

178 - Autorisation de changement de nom par adjonction - Demande de retrait de l’autorisation - Délai expiré en l’absence de fraude - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la décision du ministre de la justice, du 21 février 2018, autorisant M. d’Ortoli à changer son nom en d’Ortoli d’Ornano. Ils saisissent le juge du rejet qui a été opposé à leur demande le 8 janvier 2021.

Le recours est rejeté, d’une part car le délai de quatre mois ouvert par l’art. L. 242-1 du code des relations du public avec l’administration pour contester une autorisation de changement de nom, était expiré quand les intéressés ont, le 30 novembre 2020, saisi le ministre de la justice d’une demande de retrait et d’autre part car ils ne sauraient invoquer que ce décret a été obtenu par fraude, ce qui aurait eu pour effet de prolonger indéfiniment le délai de recours, dès lors qu’il n’était pas contesté que le lien entre M. B. d'Ortoli et le patronyme d'Ornano était le mariage de son grand-père avec Marie-Antoinette d'Ornano et que celle-ci était sa grand-mère. 

(21 juillet 2022, MM. A. et C. d’Ornano, n° 454759)

 

179 - Certificat de nationalité française - Conditions de délivrance - Obligation de disposer d'une adresse électronique - Décisions de refus de ce certificat n'ayant pas à être motivées - Obligation du ministère d'avocat pour contester en justice le refus de délivrance de ce certificat - Récépissé dispensé de la mention des voies et délais de recours - Rejet.

(ord. réf. 3 août 2022, Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 466054 ; Conseil national des barreaux (CNB), n° 466118, jonction)

V. n° 308

 

Étrangers

 

180 - Prolongement ou rétablissement des contrôles aux frontières terrestres, maritimes et aériennes de la France - Règlement européen du 9 mars 2016 - Menaces nouvelles ou d’une nature différente des précédentes - Cas en l’espèce - Rejet.

Le gouvernement français a notifié à la Commission européenne son intention de renouveler temporairement le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures terrestres avec la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, la Confédération Suisse, l'Italie et l'Espagne ainsi qu'aux frontières aériennes et maritimes, du 1er mai 2022 au 31 octobre 2022.

Les organisations requérantes demandent l’annulation de cette décision.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, n’est pas accueilli le moyen tiré de ce que l'article 25 du règlement européen du 9 mars 2016, qui détermine un cadre général de procédure pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures des États appartenant à l'espace Schengen, limite la durée maximale de la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen à six mois. En effet, cette disposition ne fait pas obstacle, en cas de menace nouvelle grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure, au renouvellement de la mise en place d'un contrôle aux frontières pour une nouvelle période d'une durée maximale de six mois ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la CJUE (grande chambre, 26 avril 2022, NW c/ Landespolizeidirektion Steiermark et Bezirkshauptmannschaft Leibnitz, aff.C-368/20).

En second lieu, le juge examine avec beaucoup de précision la notion de « menace nouvelle » qui est centrale en l’espèce.

Il déduit des articles 25 à 27 du règlement précité qu’une menace peut être regardée comme nouvelle « soit lorsqu'elle est d'une nature différente de celles des menaces précédemment identifiées, soit lorsque des circonstances et événements nouveaux en font évoluer les caractéristiques dans des conditions telles qu'elles en modifient l'actualité, la portée ou la consistance. De tels circonstances et événements peuvent tenir, notamment, à l'objet de la menace, son ampleur ou son intensité, sa localisation et son origine. »

Il entreprend d’identifier les différentes menaces entrant actuellement dans cette définition et qui justifient la décision querellée par le présent recours :

- menace terroriste (résultant du risque accru de retour de combattants terroristes en provenance d'Irak ou de Syrie lié à l'instabilité sécuritaire dans la région, en particulier à la suite de l'attaque de la prison d'Hassaké dans le nord-est syrien le 20 janvier 2022 qui a provoqué la fuite de centaines de prisonniers, à l'augmentation du nombre d'appels à commettre des attentats émanant de mouvements terroristes islamistes se réclamant de « l'État islamique » et de l'organisation « Al-Qaïda », notamment contre les personnes de confession juive, à l'expansion récente, au-delà de la zone irako-syrienne et de l'Afghanistan, du réseau terroriste islamiste en Afrique centrale et occidentale et au verdict attendu du procès des attentats du 13 novembre 2015),

- risque lié à la pandémie de Covid-19 (arrivée de nouveaux variants dominants dont le niveau de transmissibilité est particulièrement élevé et pour lesquels l'efficacité des vaccins est moindre),

- et risques générés par le conflit ukrainien sur le territoire français en matière de criminalité organisée et de trafic d'êtres humains, cette dernière menace étant nouvelle par sa nature.

En revanche, le juge admet que la menace, également invoquée, tirée des mouvements secondaires de migrants, ne constitue pas une menace nouvelle mais observe que la décision du premier ministre eût été la même en l’absence de ce motif.

(27 juillet 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers et autres, n° 463850)

 

181 - Étranger malade séjournant régulièrement en France (11° de l’art. 313-11 du CESEDA) - Saisine du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) - État de santé estimé comme nécessitant une prise en charge médicale sans conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge - Secret médical levé par l’étranger malade - Demande de communication du dossier médical - Erreur de droit - Annulation.

Entré régulièrement en France en 2013, un ressortissant djiboutien a sollicité un titre de séjour en qualité d’étranger malade sur le fondement du 11° de l’art. L. 313-11 du CESEDA. Le collège des médecins de l’OFII a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le préfet a refusé le titre de séjour demandé et a imparti à l’intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

Celui-ci a saisi, en vain, le juge administratif et se pourvoit en cassation de l’ordonnance d’appel confirmative.

Le Conseil d’État pose d’abord que le juge saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il doit prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'OFII.

Il indique ensuite que si le demandeur entend contester l’avis rendu par ce collège, il lui appartient, comme seul il en a le pouvoir, de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l’OFII, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire. 

En l’espèce, confirmant le rejet de la demande d’annulation des décisions préfectorales, l’ordonnance d’appel s’est fondée sur ce que le secret médical s'opposait à la communication à l'intéressé du rapport médical sur le fondement duquel le collège de médecins a émis un avis, commettant ainsi, au regard de ce qui précède, une erreur de droit.

En effet, il ressort des pièces du dossier que le requérant avait levé le secret médical le concernant en faisant état des pathologies l'affectant, et qu'il avait formulé une demande auprès du juge d'appel tendant à ce que lui soit communiqué ce rapport médical.

(28 juillet 2022, M. A., n° 441481)

 

182 - Réfugiés ukrainiens - Centres d'accueil - Places disponibles - Demande d'affecter ces places à d'autres personnes vulnérables présentes dans des campements - Rejet.

Les requérantes interjettent appel de l'ordonnance de référé rejetant leur demande en référé liberté (art. L. 521-2 CJA) tendant à voir ordonner à diverses autorités publiques de proposer aux personnes vulnérables présentes dans les campements, un hébergement d'urgence au sein des places vacantes existant dans les dispositifs dédiés aux réfugiés Ukrainiens, notamment du centre d'accueil du parc des expositions de la porte de Versailles.

La demande est rejetée.

Le juge affirme et rappelle en préambule deux points essentiels.

Tout d'abord, même dans le silence des textes, il incombe à toute autorité de police générale en tant que garante du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.

Ensuite, en cas de carence des autorités publiques qui exposerait des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale alors que la situation permettrait de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 du CJA, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Ici, pour rejeter l'exception d'illégalité manifeste, le juge rappelle que le dispositif mis en place en France, comme dans les autres pays de l'Union, résulte de la mise en œuvre  de la décision du Conseil de l'Union européenne du 4 mars 2022 prise en application de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. 

Enfin, le juge croit pouvoir déduire de tout cela qu'eu égard à cette circonstance et à la nécessité de pouvoir continuer à assurer à tout moment la prise en charge immédiate des personnes relevant du dispositif exceptionnel, la circonstance que celui-ci ne soit pas ouvert, dans la mesure où il ne serait pas à ce jour saturé, aux personnes dépourvues d'un hébergement, notamment à celles identifiées comme vulnérables, relevant des dispositifs de droit commun au titre du droit d'asile ou de l'hébergement d'urgence, ne peut être regardée comme caractérisant, à la date de la présente ordonnance, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

On a vu des solutions plus généreuses...

(4 août 2022, Associations Médecins du Monde et Utopia 56, n° 466242)

 

183 - Expulsion – Art. L. 631-1 du CESEDA – Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes – Sympathie affichée pour une organisation terroriste et son défunt leader – Personne fichée S - Antisémitisme – Proclamation de l’infériorité et du devoir de soumission des femmes – Violation du principe constitutionnel d’égalité – Ministre du culte - Étranger né en France et y résidant continûment depuis sa naissance – Annulation.

Le ministre de l’intérieur demandait l’annulation de l’ordonnance du 5 août 2022 par laquelle le juge du référé liberté du tribunal administratif de Paris a suspendu l’exécution de sa décision du 29 juillet 2022 portant expulsion du territoire français et retrait du titre de séjour d’un ministre du culte musulman et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l’intéressé dans un délai de trois mois suivant la notification de son ordonnance et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de trois jours suivant la notification de son ordonnance.

L’intéressé, de nationalité marocaine, est né en France en 1964 et y réside continûment depuis, bénéficiant de titres de séjour renouvelés jusqu’au retrait prononcé en juillet 2022, il est père de famille et marié à une femme de même nationalité qui séjourne régulièrement sur le territoire français.

Pour prendre l’arrêté litigieux le ministre s’est fondé sur deux séries de considérations :

1°/ L’intéressé aurait affiché publiquement sa sympathie avec un illustre chef terroriste, remis en question la réalité des attentats terroristes revendiqués par son organisation et, de manière générale, il aurait encouragé son auditoire par un discours complotiste à répondre par la violence à toute atteinte qui serait considérée comme « islamophobe », rejetterait les lois de la République au-dessus desquelles il placerait la loi islamique et inviterait au séparatisme ;

2°/ L’intéressé a développé un discours antisémite ainsi qu’un discours systématique théorisant l’infériorité de la femme.

Le Conseil d’État, statuant collégialement en état de référé, confirme tout d’abord en partie l’ordonnance qui lui était déférée en ce que le premier juge a estimé que le premier motif développé par le ministre appelant au soutien de sa demande n’établit pas, en l’état de l’instruction et des éléments du dossier soumis au juge, que les propos reprochés caractériseraient une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes au sens de l’article L. 631-3 du CESEDA.

Ensuite, le juge du Palais-Royal annule l’ordonnance frappée d’appel pour n’avoir pas estimé que deux séries d’éléments constituaient par eux-mêmes des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes au sens de l’article L. 631-3 du CESEDA et qu’ils étaient, en conséquence, de nature à eux seuls à fonder la décision d’expulsion que cette ordonnance a cru devoir suspendre.

En premier lieu, en ce que cette ordonnance n’a pas retenu comme contrevenant gravement aux dispositions de l’article précité le discours antisémite développé depuis plusieurs années, à l’occasion de nombreuses conférences et discours relayés par les réseaux sociaux à un public large, sans que les « excuses » présentées pour ce discours en 2004 et sa condamnation en 2015 l’antisémitisme, puissent être prises en considération dès lors que, d’une part, il apparaît que ces deux prises de position ne sont intervenues qu’en réaction à l’émotion créée par son discours et ne comportent pas de réfutation explicite des propos antisémites précédemment tenus et que, d’autre part, l’intéressé a réitéré des propos à caractère antisémite après ses « excuses » de 2004, les vidéos relayant ses propos antisémites étant restées en ligne jusqu’à une date récente sans qu’il n’ait cherché à en faire cesser la diffusion.

En second lieu, est relevé le fait que, par de nombreuses interventions diffusées dans des vidéos toujours disponibles sur internet, dont les dernières ont été réalisées en 2021, développe un discours systématique sur l’infériorité de la femme. Un tel discours, théorisant la soumission de la femme à l’homme et impliquant que les femmes ne puissent bénéficier des mêmes libertés ou des mêmes droits que les hommes, méconnaît au détriment des femmes le principe constitutionnel d’égalité.

Enfin, le premier juge a, à tort, estimé que la mesure d’expulsion portait une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale de l’intéressé, justifiant qu’elle fût suspendue.

En effet, le Conseil d’État estime tout d’abord que si, en tant qu’étranger résidant régulièrement en France depuis sa naissance, il ne peut être procédé à son expulsion qu’en raison de comportements dont la particulière gravité justifierait son éloignement durable du territoire français, c’est le cas en l’espèce alors même que ses attaches en France y sont fortes.

Il estime ensuite que les enfants de l’intéressé sont majeurs et ne dépendent plus de leur père et que son épouse, qui est également de nationalité marocaine, ne se trouve pas dans l’impossibilité de se déplacer au Maroc et de l’y rejoindre le cas échéant. Dans ces conditions, la décision d’expulsion – contrairement à ce qu’a jugé le premier juge des référés -  n’apparaît pas manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

(ord. réf., form. coll., 30 août 2022, ministre de l’intérieur, n° 466554)

 

184 - Expulsion – Personne présentant des troubles psychiatriques – Absence de liens avec le pays d’origine – Présence de nombreux parents en France dont plusieurs de nationalité française résidant régulièrement en France – Urgence avérée – Atteinte au droit de mener une vie familiale en France – Annulation.

Commet une erreur de fait l’ordonnance qui rejette le recours de l’intéressé contre l’arrêté préfectoral décidant son expulsion vers le Maroc au motif que, condamné à douze reprises entre 2005 et 2021 à des peines d'amende et d'emprisonnement, il présente un profil violent et instable sur le plan psychiatrique.

D’une part, est jugée constituée l’urgence à statuer dès lors que cette dernière circonstance, qui pourrait justifier une prise en charge médicale, voire une hospitalisation, ne peut en elle-même faire obstacle à ce que soit, le cas échéant, suspendue la mesure d'expulsion visant le requérant.

D’autre part, la mesure prise porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit du requérant de mener une vie privée et familiale en France dès lors qu’il réside régulièrement en France depuis qu'il y est entré en 2004, à l’âge de huit ans, et qu’il soutient sans être sérieusement contredit n'avoir aucune famille au Maroc, pays vers lequel il a été décidé de l’expulser, alors que ses parents et ses sept frères et sœurs, dont plusieurs ont la nationalité française, résident régulièrement en France et se montrent disposés à l'assister. 

L’ordonnance du premier juge et l’arrêté d’expulsion sont annulés.

(ord. réf. 29 juillet 2022, M. A., n° 466003)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

185 - Reprise d’activités périscolaires et extrascolaires d’une association par un centre communal d’action sociale (CCAS) – Transfert d’une salariée de l’association au CCAS et placée sous contrat de droit public à durée indéterminée – Détermination de la rémunération brute, primes incluses, afférente aux fonctions régies par ce contrat – Rejet.

Le Conseil d’État tranche un litige récurrent en cas de reprise par une collectivité ou une structure publique d’une activité assurée jusque-là par une personne privée s’agissant de la rémunération du personnel transféré. Il pose deux règles importantes.

En premier lieu et à titre de principe, la rémunération versée dans l’emploi public ne saurait être inférieure à celle perçue sous l’empire du contrat de travail liant le salarié à son ancien employeur. En particulier, la collectivité publique ne saurait se prévaloir de ce que, à niveaux de responsabilité et de qualification équivalents, cette rémunération serait supérieure à celle des agents en fonctions dans l'organisme d'accueil à la date du transfert. Il n’en va différemment qu’au cas où la précédente rémunération excéderait celle que, dans le droit commun, il appartiendrait à l'autorité administrative compétente de fixer, sous le contrôle du juge, en tenant compte, notamment, des fonctions occupées par l'agent non titulaire, de sa qualification et de la rémunération des agents de l'État de qualification équivalente exerçant des fonctions analogues. 

En second lieu, pour opérer cette comparaison par équivalence entre l’ancienne et la nouvelle rémunération, le juge impose d’abord de tenir compte, au titre de la rémunération résultant du contrat de droit privé, du montant brut des primes accordées à l'agent et liées à l'exercice normal des fonctions, ce qui comprend toutes les primes et indemnités qui, au moment de la reprise d'activité par une personne publique, lui étaient versées par son employeur à échéances régulières, y compris celles qui, à l'instar des primes d'ancienneté ou de déroulement de carrière, ne rémunèrent pas directement la prestation de travail. Il impose ensuite, au titre de la rémunération afférente au contrat de droit public, de tenir compte du montant brut des primes accordées à l'agent et liées à l'exercice normal des fonctions soit toutes les primes et indemnités contractuellement prévues, qu'il s'agisse des primes fixes, comme l'indemnité de résidence, ou des primes variables que l'agent est susceptible de percevoir. S'agissant en particulier des primes variables, telles que l'indemnité d'exercice de missions des préfectures et l'indemnité d'administration et de technicité, elles doivent aussi être prises en compte, eu égard aux modalités de leur détermination, pour leur montant de référence ou tout autre montant servant de base aux modulations individuelles, tel que ce montant est arrêté par la collectivité concernée dans le cadre du régime qui les détermine. C’est au terme de la comparaison entre ces deux masses brutes de rémunération et primes, que pourra être appréciée soit l’équivalence soit la disproportion de rémunération globale, dans l’un ou l’autre sens.

C’est sans erreur de droit que la cour, procédant comme il vient d’être indiqué, a jugé la nouvelle rémunération de l’intéressée équivalente à celle qu’elle avait dans son précédent emploi.

(1er juillet 2022, Mme A., n° 444792)

 

186 - Fonctionnaires appartenant au même corps – Application stricte du principe d’égalité sauf circonstances exceptionnelles – Brigadiers-chefs promus majors de police – Reclassement avec une ancienneté variable du fait du calendrier adopté – Illégalité – Rejet.

C’est sans erreur de droit, contrairement à ce que soutient le ministre auteur du pourvoi, qu’une cour administrative d’appel a jugé illégale l’atteinte portée par l’art. 19 du décret du 23 décembre 2004, dans la rédaction qui lui a été donnée par le décret du 29 octobre 2015, au principe d'égalité entre les fonctionnaires appartenant à un même corps du fait que le statut particulier de ce corps fixe des règles établissant une différence de traitement entre ces fonctionnaires hors de toutes circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier cette différence dans l'intérêt du service. En l’espèce, les brigadiers-chefs ayant atteint le 6ème échelon et promus au grade de major de police ont été reclassés au 2ème échelon avec une ancienneté acquise dans la limite d'un an pour ceux nommés au titre de l'année 2015 et dans la limite de deux ans pour ceux nommés au titre de l'année 2016. Ainsi, les brigadiers-chefs promus au titre de l'année 2016 ont été nommés dans le grade de major de police en juillet 2016 alors que les brigadiers-chefs promus dans ce grade au titre de l'année 2015 l'ont été à compter du 2 décembre 2015. Ce calendrier, combiné aux règles de reclassement dans le grade de major de police précédemment rappelées, a conduit à accorder aux brigadiers-chefs promus dans le grade de major de police au titre de l'année 2016 une ancienneté dans ce grade supérieure à certains des brigadiers-chefs promus dans ce même grade au titre de l'année précédente, inversant par suite l'ordre d'ancienneté de certains membres de ce corps.

Errare humanum est, perseverare autem diabolicum ou, pour le dire comme et avec Cicéron (Philippiques, XII.5, mars 43 av. J.-C.) : Cuiusvis hominis est errare : nullius nisi insipientis, in errore perseverare. Bref, le ministre pouvait se tromper en édictant un texte aux pareils effets, il était, en revanche, diabolique, devant l’annulation en appel, de poursuivre en Conseil d’État.

(1er juillet 2022, ministre de l’intérieur, n° 448916)

 

187 - Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Sanction annulée par le juge – Engagement d’une nouvelle procédure disciplinaire – Légalité – Absence de prescription de l’action disciplinaire – Rejet.

Le requérant, secrétaire adjoint des affaires étrangères, dont la sanction disciplinaire qui le frappait a été annulée par le juge administratif, soutenait qu’une procédure disciplinaire ne pouvait pas être à nouveau engagée à son encontre tant en vertu du principe non bis in idem que du fait de la prescription de trois ans frappant les faits en cause.

Ses prétentions ayant été rejetées par le juge du référé-liberté, il saisit le juge du Conseil d’État par voie d’appel.

Le rejet primitif de sa demande est confirmé.

Tout d’abord, la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office qui le frappait ayant été annulée par le tribunal administratif pour un vice de procédure, cette illégalité étant régularisable et l'appel contre ce jugement n'étant pas suspensif, le ministre compétent pouvait donc à la fois interjeter appel contre ce jugement et engager une nouvelle procédure disciplinaire à l'encontre du requérant sans  porter atteinte au droit à recours du requérant non plus qu’au principe non bis in idem. En outre, l'engagement d'une nouvelle procédure disciplinaire n'empêche pas, contrairement à ce que soutient le requérant, que la cour administrative d’appel se prononce sur l'appel formé par le ministre contre le jugement prononçant l'annulation de son précédent arrêté. 

Ensuite, ne saurait être invoquée ici la règle tirée de l’art. L. 532-2 du code général de la fonction publique selon laquelle « Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction ». La sanction disciplinaire infligée le 4 octobre 2019 a interrompu le délai de prescription et un nouveau délai a été ouvert par la notification du jugement annulant cette sanction. C'est sans erreur de droit que le juge des référés du tribunal administratif a rejeté le moyen tiré de la méconnaissance de cette règle sans se prononcer sur son caractère de liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du CJA.

(1er juillet 2022, M. Mazzoni, n° 465257)

 

188 - Fonctionnaire - Chef de poste diplomatique - Mise à la retraite d’office par mesure disciplinaire - Absence de vices affectant la légalité externe du décret de mise à la retraite d’office - Gravité et durée des comportements répréhensibles - Sanction non disproportionnée - Rejet.

A la suite de plusieurs signalements de comportements sexistes, le secrétaire général du ministère a demandé à l'inspection générale des affaires étrangères de conduire une enquête administrative portant sur ces allégations, qui mettaient en cause M. F. Après la remise de ce rapport il a été mis fin aux fonctions de M. F. par décret du président de la république, puis au terme de la procédure disciplinaire subséquente, l’intéressé a été mis à la retraite d’office par un décret du président de la république : il en demande l’annulation ainsi que celle de la publication de cette sanction sous forme anonymisée sur le site intranet du ministère pour une durée de six mois.

Le recours est rejeté tant en ses griefs de légalité externe qu’en ceux de légalité interne.

Sur la légalité externe.

Le requérant n’établit pas son allégation selon laquelle l'enquête de l'inspection générale des affaires étrangères aurait été déclenchée à la suite de pressions d'agents faisant preuve d'animosité à son égard et ne démontre pas davantage que plusieurs personnes dont le témoignage en sa faveur aurait été crucial, n'auraient délibérément pas été auditionnées par la mission d'enquête de l'inspection générale. Au reste, la mission d’enquête a recueilli de nombreux témoignages tant à charge qu'à décharge et, s'il lui est fait en particulier reproche de ne pas avoir auditionné un attaché de défense après l'important témoignage écrit qu'il avait produit, ce témoignage se terminait par la mention du refus de son auteur « de répondre aux enquêteurs du ministère des affaires étrangères ». Enfin, M. F., qui avait, au surplus, la faculté de produire des témoignages utiles à sa défense, en a produit plusieurs au cours de la procédure disciplinaire et en a d'ailleurs produit de nouveaux devant le Conseil d'État. 

Il n’est pas davantage établi que le décret se serait fondé sur des témoignages auxquels le requérant n'aurait pas eu accès en temps utile. 

Il ne saurait être reproché que M. F. n’a pas pu interroger lui-même des témoins, cette faculté n’existant pas en droit français.

Aucune des autres critiques n’a convaincu le juge.

Sur la légalité interne.

Le décret présidentiel mettant fin aux fonctions de l’intéressé au vu d’agressions sexuelles et de harcèlements sexuels avérés, qui n’a été dicté que par le souci de l’intérêt du service et de la réputation de la France à l’étranger, n’a pas constitué une sanction disciplinaire. Il a été pris dans le respect du principe d’impartialité.

Le second décret, sanctionnant par la mise à la retraite d’office un comportement répréhensible, est fondé sur des faits certains, s’étalant sur un grand nombre d’années de la vie professionnelle du requérant et survenus en de multiples lieux et occasions. L’enquête au terme de laquelle ce décret est intervenu a été très minutieuse et repose sur de « patients recoupements ».

Il suit de là qu’en l’absence de tout doute sur les reproches faits au demandeur, sur leur nature comme sur leur durée, la sanction retenue contre lui y compris sa publication pendant six mois - sous forme anonyme - sur le site intranet du Ministère, ne revêt pas, contrairement à ce qui est prétendu, un caractère disproportionné.

(13 juillet 2022, M. F., n° 461914)

 

189 - Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) – Décret abrogeant la consultation d’organismes paritaires préalablement au recrutement de certains personnels de l’AEFE – Illégalité – Urgence – Annulation.

Le syndicat requérant demandait la suspension de l’art. 2 du décret du 16 juin 2022 modifiant les modalités de recrutement, de rémunération et de gestion des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger, en tant qu'il abroge les dispositions organisant la consultation des commissions consultatives paritaires préalablement au recrutement des personnels de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). 

Le juge accorde la suspension demandée.

D’une part, en effet, devait être respecté le principe, posé par la loi, de consultation des commissions consultatives paritaires préalablement au recrutement de certains personnels de l'AEFE, et d’autre part, l’imminence de la rentrée scolaire crée une situation d’urgence sans que, pour échapper à son impéritie aggravée d’illégalité, l’administration puisse soutenir que l'intérêt général ferait obstacle à ce que ces dispositions attaquées soient suspendues en tant qu'elles abrogent l'obligation de consulter ces commissions, du fait de l'incompatibilité alléguée de cette suspension avec l'organisation de la rentrée scolaire ; en réalité elle est elle-même la cause de la situation extravagante dans laquelle elle se trouve…

(ord. réf. 23 août 2022, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 466160)

 

 

190 - Covid-19 - Agents vulnérables - Agents ne pouvant recourir au télétravail - Mesures de protection renforcée des agents vulnérables - Régimes distincts pour les salariés de droit privé et pour la fonction publique d'État - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la circulaire du 10 novembre 2020 de la directrice générale de l'administration et de la fonction publique relative à l'identification et aux modalités de prise en charge des agents publics civils reconnus personnes vulnérables, sauf en ce qu'elle étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret n° 2020-521 du 5 mai 2020.

Le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 place en position d'activité partielle certaines catégories de salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler (personnes vulnérables - c'est-à-dire risquant de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 - ou partageant le même domicile qu'une personne vulnérable...). Le décret du 5 mai 2020 et celui du 29 août 2020 (dont le juge a ordonné la suspension d'exécution de plusieurs de ses dispositions) ont fixé les critères d'identification des personnes vulnérables au sens de la loi précitée et la durée d'application de ce régime.

A partir de la circulaire du 1er septembre 2020 le premier ministre s'est préoccupé de la situation des agents vulnérables dans la fonction publique de l'État et a donné des instructions en ce sens aux ministres en reprenant et en adaptant à cette fonction publique certaines modalités de placement en activité partielle des salariés du secteur privé vulnérables notamment lorsque le télétravail n'était pas possible, les agents publics présentant l'une de ces pathologies devant être placés en autorisation spéciale d'absence. En outre, d'une part, ceux des agents présentant un autre facteur de vulnérabilité devaient être placés en télétravail lorsque les missions exercées s'y prêtaient et d'autre part, en cas de reprise du travail sur place, les conditions d'emploi de ces agents devaient être aménagées. 

Ce dernier point a été repris et développé dans une circulaire du 29 octobre 2020.

Enfin, par la circulaire du 10 novembre 2020 qui est l'acte attaqué dans le cadre de la présente affaire et qui accompagne le décret du 10 novembre 2020, la directrice générale de l'administration et de la fonction publique a rappelé les conditions de mise en œuvre des mesures de protection des agents vulnérables à la suite de l'abrogation du décret du 29 août 2020 par le décret du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020.

De cette circulaire, il résulte tout d'abord que le premier critère d'identification des personnes vulnérables, se rapporte à la situation d'âge, de grossesse ou d'état de santé de la personne. Ensuite, celles-ci, sur leur demande et sur présentation d'un certificat délivré par un médecin traitant ou justification de leur âge, doivent être placées totalement en télétravail ou, si le recours au télétravail est impossible, dans le cadre d'aménagements apportés à leur poste de travail Enfin, l'agent doit être placé en autorisation spéciale d'absence si l'administration estime être dans l'impossibilité d'aménager le poste de façon à protéger suffisamment l'agent ou, en cas de désaccord avec l'agent sur les mesures de protection mises en œuvre, dans l'attente de l'avis du médecin du travail alors saisi par l'employeur. 

Les demandeurs formulent trois critiques à l'encontre de cette circulaire.

Elle serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle permet le retour des agents vulnérables sur le lieu de travail lorsque le télétravail n'est pas possible et en ce que les mesures de protection qu'elle prévoit seraient insuffisantes. Le moyen est rejeté car la circulaire sur ce point se borne à reprendre soit les mesures prévues par le décret du 10 novembre 2020 soit les critères énoncés par la circulaire du 1er septembre 2020 et qui ont été repris par le décret du 10 novembre 2020. Les moyens ne pouvaient donc prospérer en tant qu'ils sont dirigés non contre de décret mais contre une circulaire qui ne fait qu'expliciter ce décret sans y ajouter.

La circulaire attaquée serait, ensuite, entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle ne prévoit pas que les agents cohabitant avec une personne vulnérable puissent bénéficier du dispositif d'activité partielle institué par l'article 20 de loi du 25 avril 2020. Le moyen est rejeté car ce régime d'activité partielle n'est applicable, ainsi qu'il résulte des termes mêmes de la loi, qu'aux salariés de droit privé et aussi parce que la circulaire attaquée se borne à présenter la mise en œuvre des mesures décidées par la circulaire du 1er septembre 2020 du premier ministre, lesquelles ne concernent que les agents vulnérables de la fonction publique de l'État.

Enfin, est rejeté le moyen tiré de ce que cette circulaire méconnaîtrait le droit au recours juridictionnel dans la mesure où, le médecin du travail, saisi par l'administration en cas de désaccord avec l'agent, émet un avis sur les mesures de protection mises en œuvre. Cet avis constitue un élément de la procédure préalable à la décision du chef de service de placer ou non l'agent en autorisation spéciale d'absence et sa contestation par l'agent doit être regardée comme permettant, le cas échéant, au chef de service de saisir pour avis le médecin inspecteur du travail territorialement compétent.

Le refus de faire droit à une demande d'autorisation spéciale d'absence pour ce motif est susceptible de recours devant le juge administratif, d’où il résulte que le moyen n’est pas fondé.

(7 juillet 2022, Association Renaloo, l'association France Lymphome Espoir et M. A., n° 447977)

 

191 - Ingénieurs territoriaux - Concours externe de recrutement - Covid-19 - Maintien de l'épreuve orale d'entretien en langue étrangère - Suppression de l'épreuve orale facultative d'entretien en langue étrangère - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de la décision du premier ministre maintenant, pour le concours externe de recrutement des ingénieurs territoriaux de l'année 2021, l'épreuve orale d'entretien en langue étrangère et suspendant l'épreuve facultative de langue étrangère en ce que cette dualité de régime juridique reposait sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où la situation sanitaire ne pouvait justifier la suspension de la seule épreuve orale facultative de langue étrangère.

Le recours est rejeté pour le double motif qu'en raison de la situation sanitaire à la date du décret attaqué, d'une part, existaient des contraintes supplémentaires liées à la mise en place d'un protocole sanitaire strict pour l'organisation d'épreuves orales et, d'autre part, qu'il a été ainsi tenu compte de l'importance particulière de l'épreuve obligatoire d'entretien pour apprécier l'aptitude des candidats au concours d'ingénieur territorial.

On peut trouver discutable la solution retenue.

(5 août 2022, M. B., n° 461700)

 

192 - Professeur des universités (médecine) – Recrutement – Violation de l’égalité entre candidats – Annulation.

Pour annuler les conditions dans lesquelles s’est déroulé le recrutement d’un professeur en pédopsychiatrie, addictologie, option pédopsychiatrie au titre de l'année 2020 et, par voie de conséquence, la nomination et la titularisation d’une personne en qualité de professeur des universités-praticien hospitalier sur un emploi vacant auprès du CHU de Paris (UFR de médecine Paris-Centre), DMU médecine de l'enfant et de l'adolescent, service pédopsychiatrie, hôpital Necker-Enfants, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Paris-Centre, le Conseil d’État retient que la procédure y conduisant a été « irrémédiablement viciée », le choix de l’adverbe a ici une forte connotation réprobatrice allant au-delà d’une classique affirmation d’irrégularité.

Pour aboutir à ce constat, le juge relève en premier lieu la façon dont a été traitée la candidate requérante. Tout d’abord, « le doyen de la faculté de santé de l'université de Paris, par ailleurs rapporteur du dossier de candidature de Mme E. devant le conseil restreint de la faculté de médecine, a fait savoir à l'intéressée, par un courriel du 28 février 2020 en réponse à une demande de rendez-vous qu'elle avait formulée, que la faculté de médecine et le directeur du groupement hospitalier Necker avaient " fait un autre choix " que celui de sa candidature, " sous réserve de validation par le CNU " ». Ensuite, le rapport du même doyen, présenté lors de la réunion du 13 mars 2020 du conseil restreint de l'UFR de médecine de l'université de Paris, indiquait que, même si la qualité de la candidature de Mme E. ne faisait pas de doute, « le choix prioritaire du site se porte sur une candidate plus jeune dont la complémentarité avec le GHU Sainte-Anne de Paris peut apporter une synergie nouvelle ». Enfin, le rapporteur du dossier de candidature de Mme E. au sein de l'UFR de médecine de l'université de Paris et l'avis de la gouvernance des hôpitaux universitaires Paris-Centre, lu lors de la séance de la commission médicale d’établissement (CME) en formation restreinte de l'AP-HP le 10 mars 2020, ont fait valoir, après avoir exposé les qualités de la candidature de Mme E. ainsi que l'inadéquation de son profil au regard des priorités de l'UFR de médecine et de l'hôpital Necker, que sa candidature avait déjà été examinée à l'occasion de précédentes déclarations de vacance du poste sans qu'une suite favorable lui ait été donnée.

Le juge relève ensuite la façon dont a été traitée la candidature de la personne recrutée en mutation. Celle-ci a été auditionnée, le 25 juin 2019, par le conseil restreint de la faculté de médecine de l'université de Paris comme « candidate au poste de PU-PH en pédopsychiatrie à l'hôpital Necker-Enfants C. ». Elle a commencé à exercer dans le service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker dès le début du mois de février 2020. Lors de son audition par le CNU, le rapporteur sur sa candidature avait indiqué que l'intéressée avait été affectée dans ce service dans la perspective de sa prochaine nomination comme chef de service. Enfin, lorsque, après son inscription sur la liste d'admission aux emplois de professeur des universités-praticien hospitalier établie par arrêté du 6 juillet 2020, elle s’est portée candidate le 22 juillet 2020, au titre du recrutement par concours, sur l'emploi de professeur des universités-praticien hospitalier en pédopsychiatrie, addictologie, option pédopsychiatrie, elle a, au soutien de sa candidature, présenté son curriculum vitae dans lequel il était mentionné qu’elle était « praticien hospitalier, service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker Enfants C. en vue d'une nomination comme chef de service en septembre 2020 ». 

De ces deux séries d’éléments rigoureusement en sens inverse, le juge déduit qu’ils « n'ont pu demeurer sans influence sur les positions prises par les membres de la formation du conseil restreint de l'UFR de médecine de l'université de Paris et de la CME de l'AP-HP lorsqu'ils ont délibéré sur la candidature de Mme E. présentée pour pourvoir le poste en cause et sur le déroulement de la procédure dans son ensemble (…) ».

Sont annulées les épreuves ainsi viciées, la nomination, la titularisation et l’affectation d’une autre personne que la requérante.

Cette décision implique donc que, si l'emploi en cause est toujours vacant et ouvert au recrutement, la procédure de recrutement soit reprise à son début, c’est-à-dire au stade du recrutement par voie de mutation. Il est enjoint à l'État de reprendre la procédure de recrutement sur ce poste, au stade du recrutement par voie de mutation, dans un délai de trois mois pour autant que le poste reste vacant et ouvert à recrutement.

(5 juillet 2022, Mme E., n° 448212)

(193) V. aussi, rejetant le recours d’une candidate à un poste de professeur des universités en « psychopathologie de la vulnérabilité et cliniques de l'extrême dans le monde contemporain » au sein de l'unité de formation et de recherche Institut Humanités, Sciences et Sociétés de l’Université de Paris, que le comité de sélection de cette dernière n’a pas retenue en vue d’une audition, aucun des moyens soulevés par la requérante n’ayant convaincu le juge : 20 juillet 2022, Mme B., n° 441054.

(194) V. également, estimant régulière la décision d’un conseil académique d’interrompre comme infructueux un concours de recrutement de professeur des universités en raison de ce que l’un des quatre membres qui participaient au comité de sélection en visioconférence a quitté, sans aucun motif légitime, le jury de ce concours avant la fin de la séance de questions adressées au troisième candidat lors de la séance d'audition des trois candidats retenus par le comité de sélection, cette absence ayant été de nature à porter atteinte à l'égalité entre les candidats de ce concours : 20 juillet 2022, M. B., n° 442754.

 

195 - Fonctionnaire territoriale de région – Disponibilité pour convenances personnelles d’une durée inférieure à trois années – Demande de réintégration – Obligations de la région – Erreurs de droit – Annulation.

Ingénieure territoriale principale de la région Poitou-Charentes, la requérante a été placée à deux reprises, sur sa demande, en disponibilité pour convenances personnelles pour une durée inférieure à trois ans puis a, chaque fois, sollicité sa réintégration. Elle a demandé réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du chef de fautes commises par la région dans le traitement de ses demandes de réintégration.

Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel qui a rejeté deux de ses moyens à l’appui de sa requête en indemnisation.

Le Conseil d’État lui donne raison.

Avant de procéder à l’examen de ces moyens, le juge de cassation rappelle en ces termes le régime juridique de la réintégration du fonctionnaire territorial à l’issue de périodes de disponibilité pour convenances personnelles : « (Ce fonctionnaire) a le droit, sous réserve de la vacance d'un emploi correspondant à son grade, d'être réintégré à l'issue de sa disponibilité, et (…) la collectivité est tenue de lui proposer l'un des trois premiers emplois devenus vacants (…) ; si le fonctionnaire territorial n'a droit à réintégration à l'issue d'une disponibilité pour convenances personnelles d'une durée de moins de trois ans qu'à l'occasion de l'une des trois premières vacances d'emploi, la collectivité doit néanmoins justifier son refus de réintégration sur les deux premières vacances par un motif tiré de l'intérêt du service et, enfin, (…) les propositions formulées par la collectivité en vue de satisfaire à son obligation de réintégration sur l'une des trois premières vacances d'emploi doivent être fermes et précises quant à la nature de l'emploi et la rémunération et notamment ne pas subordonner le recrutement à la réalisation de conditions soumises à l'appréciation de la collectivité. »

En premier lieu, contrairement à ce qui a été jugé en appel, la cour devait examiner, comme l’y invitait la requérante, si l'une au moins des cinq propositions d'emploi qui lui étaient faites correspondait aux trois premières vacances, présentait un caractère ferme et précis et correspondait à son grade. Faute de procéder à cette recherche l’arrêt de rejet est entaché d’erreur de droit.

En second lieu, alors que la requérante soutenait que les emplois d'architecte programmiste et de chargé de mission sur lesquels elle a été réintégrée respectivement en 2010 et 2015 ne correspondaient pas aux fonctions susceptibles de lui être confiées, la cour, pour rejeter cette argumentation, a retenu que la requérante avait accepté ces emplois, sans alléguer y avoir été contrainte. Une erreur de droit était encore commise car l'acceptation de l'offre par l'agent ne suffit pas à établir que la réintégration était légale ce dont il incombait à la cour de s’assurer.

(7 juillet 2022, Mme B., n° 449178)

 

196 - Attribution de titres-restaurant à des fonctionnaires ou agents publics - Régime de l'ordonnance du 27 septembre 1967 - Agents exerçant en télétravail - Maintien du droit à l'attribution de titres dans les conditions d'exercice identiques sur leur lieu de travail - Annulation.

Un inspecteur divisionnaire des finances publiques affecté à Rodez a signé une convention de télétravail à effet du 20 novembre 2017 ; aux termes de cette convention, il devait exercer ses fonctions, chaque semaine, trois jours à son domicile (à Cagnac-les-Mines) et deux jours sur le site de son service. Il a alors sollicité de son administration le bénéfice du régime des titres-restaurant, ce qui lui a été refusé au motif que son poste étant situé à Rodez, près d'un restaurant administratif, il n'avait pas droit à bénéficier de ce mécanisme.

Son recours a été rejeté par le tribunal administratif mais, en appel, il a été transmis au Conseil d'État par la cour administrative d’appel.

Le juge pose d'abord en principe qu'il résulte des dispositions de l'art. 6 du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature, qu'une administration ayant décidé d'attribuer le titre-restaurant à ses agents dans les conditions prévues à l'art. 19 de l'ordonnance du 27 septembre 1967 relative à l'aménagement des conditions de travail en ce qui concerne le régime des conventions collectives, le travail des jeunes et les titres-restaurant ceux-ci ont le même droit à l'attribution de ce titre que s'ils exerçaient leurs fonctions sur leur lieu d'affectation. 

Ensuite, il estime que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant, pour annuler le refus opposé au demandeur, que le droit au bénéfice de cet avantage devait, pour les agents exerçant leurs fonctions en télétravail à domicile ou dans des locaux distincts de ceux de leur employeur public, être apprécié en tenant compte de l'éloignement de leur lieu de télétravail avec un dispositif de restauration collective. En effet, il devait seulement rechercher si l'intéressé aurait bénéficié de cet avantage s'il avait exercé ses fonctions sur son lieu d'affectation.

Enfin, en l'espèce, le demandeur, affecté à Rodez, aurait pu bénéficier sur son lieu d'affectation d'un dispositif de restauration collective excluant donc l'octroi de titres-restaurant. Par suite, il n'avait pas droit à ces titres pour les jours de télétravail accomplis à son domicile.

(7 juillet 2022, ministre de l'économie..., n° 457140)

 

197 - Mutation des fonctionnaires - Obligation de prise en considération de leur situation de famille - Obligation s'imposant même aux mutations décidées dans l'intérêt du service - Exigence non respectée - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge des référés estimant que les dispositions de l'art. 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (devenu les art. L. 512-18 et L. 512-19 du code général de la fonction publique) qui imposent à l'autorité compétente de tenir compte, parmi les critères de priorité des mutations de fonctionnaires, de la situation de famille des intéressés, ne sont pas applicables aux mutations décidées dans l'intérêt du service.

Annulation de cette ordonnance.

(ord. réf. 7 juillet 2022, M. B., n° 459456)

 

198 - Recours dirigé contre une délibération du jury du concours externe d'officier de la police nationale - Demande d'organiser de nouvelles épreuves orales - Recours dirigé contre une décision prise par un organisme à caractère collégial - Concours relatif à des agents ou des postes situés dans le ressort de plusieurs tribunaux administratif - Compétence du tribunal dans le ressort duquel siège l'auteur de la décision attaquée - Saisine directe du Conseil d'État irrecevable - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

(12 juillet 2022, M. B., n° 455667)

V. n° 57

 

199 - Concession d’un logement dans une caserne par nécessité absolue de service - Charges d’occupation - Chauffage collectif réglable par l’occupant - Application du régime d’individualisation des frais de chauffage collectif - Fixation unilatérale de ces frais - Illégalité - Rejet.

Un sous-officier de la gendarmerie nationale logé dans une caserne par nécessité absolue de service a fait l’objet d’un avis portant régularisation des charges d'occupation de son logement y compris les charges de chauffage.

Il a contesté avec succès devant les juges du fond la régularité du mode de calcul de ces dernières. Le ministre de l’intérieur se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif. Le pourvoi est rejeté.

L’agent logé dans les conditions sus-rappelées est soumis à l’obligation d’acquitter les frais de chauffage. Cependant, s’agissant de logements avec chauffage collectif dotés d'appareils permettant d'individualiser les frais de chauffage collectif, conformément aux dispositions combinées de l’art. L. 241-9 du code de l’énergie et de l’art. R. 131-7 du code de la construction et de l’habitation, applicables au logement litigieux comme à tout autre immeuble collectif comportant au moins deux logements destinés à être occupés à titre privatif et chauffés par une même installation, les frais de chauffage doivent être répartis par individualisation de la consommation.

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé - après avoir constaté que le logement litigieux se situait dans un casernement comprenant plusieurs logements et était muni d'un compteur individuel de calories -, que les frais de chauffage collectif devaient être individualisés et répartis selon les modalités prévues par l’article R. 131-7 précité et non de façon différente.

(15 juillet 2022, ministre de l’intérieur, n° 440106 ; n° 440107 ; n° 440108 ; n° 440110 et n° 440111, cinq espèces)

 

200 - Directrice adjointe d’un centre hospitalier recrutée par contrat à durée indéterminée - Licenciement - Interprétation erronée des dispositions dérogatoires de l’art. 2 de la loi du 9 janvier 1986 - Annulation avec renvoi.

La requérante a été recrutée en juillet 2012 par un contrat à durée indéterminée en qualité de directrice-adjointe chargée des services économiques et de l'équipement d’un centre hospitalier. Par un courrier du 26 novembre 2014, le directeur du centre hospitalier l'a informée que son emploi ne pouvait être occupé par un agent contractuel et qu'un reclassement lui serait proposé, puis, le 10 février 2015, il a prononcé son licenciement.

La requérante a demandé en vain, aux juges du fond, l’annulation de cette décision et l’indemnisation du préjudice en résultant.

Elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État est à la cassation notamment en raison de ce que l’arrêt d’appel confirmatif, pour juger que les fonctions de directrice adjointe chargé des services économiques et de l'équipement exercées par la demanderesse ne pouvaient être confiées qu'aux seuls agents appartenant au corps des personnels de direction des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986.

Ce raisonnement repose sur une erreur de droit car la disposition précitée, qui est relative aux emplois réservés aux fonctionnaires, n'impose pas une telle restriction.

(15 juillet 2022, Mme B., n° 441447)

 

201 - Professeurs des écoles - Recrutement à l’issue du concours - Choix du département d’affectation - Régime applicable – Non-respect du principe d’affectation des lauréats en fonction de leurs vœux et rangs de classement - Illégalité - Atteinte grave et immédiate aux intérêts des membres du syndicat demandeur - Impossibilité d’annuler en raison de l’intérêt du service - Engagement de l’administration à l’audience de référé - Défaut d’urgence - Rejet.

La décision est très intéressante par la mise en valeur qu’elle réalise de l’oralité de l’audience de référé en permettant un véritable « accord » des parties devant le juge.

En bref, le syndicat requérant contestait que les lauréats d’un concours de recrutement des professeurs des écoles ne puissent pas bénéficier purement et simplement de leurs résultats en fonction de leurs vœux et rangs de classement puisque les critères de la quotité de travail et des capacités d'accueil ouvertes dans chaque département ont été pris en compte par l’administration prioritairement au respect des vœux et de l'ordre de classement.

Le procédé est jugé à la fois illégal et de nature à porter une atteinte grave et immédiate aux intérêts des lauréats concernés.

Toutefois, le juge des référés constate d’abord que la remise en cause générale des opérations d'affectation réalisées par chaque service académique en vue de la rentrée scolaire 2022, dont il résulte de l'instruction qu'elles sont pour l'essentiel terminées, aurait pour conséquence de désorganiser le service public de l'éducation nationale. Ensuite, il prend acte d’engagements pris à l’audience par l’administration et acceptés par le syndicat requérant, que les lauréats qui, au regard de leur rang de classement, s'estimeraient lésés par l'application des règles contestées entre les stagiaires à temps plein et ceux à mi-temps pourront demander le réexamen, au cas par cas et dans le respect de l'intérêt du service, de leur département d'affectation au regard de leurs vœux et de leur classement.

Ainsi la requête perd son caractère d’urgence et se trouve rejetée de ce fait.

(ord. réf. 13 juillet 2022, Syndicat des enseignants de l'union nationale des syndicats autonomes, n° 465513)

 

202 - Professeur agrégé du second degré - Sanction disciplinaire - Gestes déplacés - Réduction de la sanction par le CNESER - Dénaturation des pièces - Annulation.

Un professeur du second degré exerçant dans une université en éducation sportive s’étant vu reprocher des gestes déplacés sur quatre étudiantes, a fait l’objet d’une sanction d’interdiction d’enseignement pendant un an dans cette université.

Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) statuant comme juge d’appel de la section disciplinaire de l’université, saisi par l’enseignant sanctionné, a estimé que les gestes reprochés n’étaient pas déplacés mais relevaient de la pédagogie d’explication du placement des mains ou autres en fonction de la discipline sportive en cause et il a infligé à l’intéressé la sanction du rappel à l’ordre.

La solution est critiquable car de deux choses l’une : ou il y avait ou il n’y avait pas de gestes déplacés, dans le premier cas le CNESER devait expliquer pourquoi il ne retenait pas la sanction primitive, dans le second il n’y avait pas lieu de prononcer une quelconque sanction.

C’est à juste tire que le juge de cassation relève qu’en dénaturant ainsi les pièces du dossier la juridiction d’appel a été conduite à qualifier inexactement les faits, d’où la cassation prononcée

(20 juillet 2022, ministre des universités, n° 444667 ; Université de Montpellier, n° 4446710, jonction)

 

203 - Policiers municipaux - Demande de prise en compte de l'intégralité de l'indemnité spéciale mensuelle de fonction dans le calcul de la retraite - Demande du bénéfice d'une bonification de retraite de cinq ans pour 25 ans de service actif - Compétence du législateur - Pouvoir réglementaire d’exécution des lois - Acte de gouvernement - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation du rejet implicite par le premier ministre de sa demande tendant à ce que soient accordés aux agents de police municipale d’une part la prise en compte de l'intégralité de l'indemnité spéciale de fonction dans le calcul de la retraite et, d'autre part, le bénéfice d'une bonification de retraite de cinq ans pour 25 ans de service actif avec une rétroactivité de dix ans.

Les deux chefs de demande son rejetés car ils relèvent soit de la seule compétence du législateur dont le Conseil d’État n’est pas juge soit des relations entre le pouvoir exécutif, chargé de l’exécution des lois, et le pouvoir législatif, relations qui, constituant un acte de gouvernement, échappent à la compétence de la juridiction administrative.

(15 juillet 2022, Syndicat national des policiers municipaux, n° 448535)

 

204 - Agents hospitaliers non vaccinés - Mesure de suspension - Note de service les informant de la perte du droit d'exercer une activité libérale ou de suivre une formation pendant leur période de suspension - Existence d’une urgence et d’un doute sérieux - Suspension ordonnée - Annulation de l’ordonnance contraire.

Par une note de service, le directeur du centre hospitalier de Perpignan a indiqué que les agents hospitaliers refusant d’être vaccinés seraient suspendus et qu’en conséquence ils perdraient le droit d'exercer une activité libérale ou de suivre une formation pendant leur période de suspension.

Les syndicats requérants demandaient la suspension de cette note et qu’injonction soit faite à son auteur d'informer ses agents de leur droit à exercer une activité rémunérée ou à suivre une formation en cas de suspension.

Le juge du référé suspension a rejeté ces demandes.

Sur pourvoi des syndicats, le Conseil d’État juge tout d’abord car ce point était contesté par le défendeur, que la note de service querellée étant susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre, le centre hospitalier de Perpignan n'est pas fondé à soutenir qu'elle ne pourrait être déférée au juge de l'excès de pouvoir. C’est là une application de la désormais classique jurisprudence Fairvesta-Numericable (Assemblée, 21 mars 2016, n° 368082 et n° 390023).

Ensuite, le juge constate que sont réunies les conditions d’octroi d’une suspension en référé : l’urgence est établie par l’entrée en vigueur le 15 septembre 2021 de cette note du 10 septembre 2021, et paraît sérieux le moyen tiré de ce que la note de service serait entachée d'une méconnaissance du champ d'application de la loi en ce qu'elle prévoit que les agents suspendus perdront le droit d'exercer une activité libérale ou de suivre une formation pendant leur période de suspension.

Si l’exécution de la note litigieuse est suspendue, en revanche le juge refuse d’enjoindre au centre hospitalier d'informer ses agents de l'existence d'un droit à exercer une activité libérale ou à suivre une formation durant une suspension prononcée sur le fondement de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

(15 juillet 2022, Syndicat CGT Médecins-Ingénieurs-Cadres-Techniciens du centre hospitalier de Perpignan et syndicat CGT du centre hospitalier de Perpignan, n° 458208)

 

205 - Réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État (ordonnance du 2 juin 2021) - Régime juridique et régime contentieux des ordonnances de l’art. 38 - Notion de « ministre responsable » - Champ d’une habilitation à prendre une ordonnance de l’art. 38 - Domaine de la loi et domaine du règlement en matière de fonction publique - Incompétence négative du législateur - Garanties européennes de l’indépendance des juges (art. 2 du traité sur l’Union européenne et art. 6 § 1 de la convention EDH et art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) - Rejet.

On ne saurait rendre compte ici de la très riche - et très longue - décision sus-référencée qui, au travers de ses 89 points, aborde d’importantes questions de droit et de contentieux administratifs, de hiérarchie des normes notamment. On se permet d’y renvoyer le lecteur.

(19 juillet 2022, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine (ADMR), n° 453971 ; Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), n° 454719 ; Syndicat de la juridiction administrative, n° 454775 ; Association des anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration (AAEENA) et autres, n° 455105 ; M. E., n° 455119 ; Association des magistrats de la Cour des comptes (AMCC), n° 455150 ; Syndicat des juridictions financières, n° 455155, jonction)

 

206 - Magistrate - Demande de détachement judiciaire - Avis de la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature - Avis défavorable - Absence de réelle motivation - Annulation.

Encourt annulation l’avis défavorable de la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature à la candidature de la requérante, maître de conférences en droit, en vue d’un détachement judiciaire en raison de l’absence de réelle motivation, la commission s’étant bornée à relever qu’il résulte « de l'examen de la candidature de Mme B., que malgré ses compétences professionnelles avérées, celle-ci ne présente pas les aptitudes professionnelles requises pour exercer immédiatement des fonctions judiciaires opérationnelles dans le cadre d'un détachement au premier grade de la hiérarchie judiciaire ». Autant dire qu’une telle prétendue motivation n’en est pas une. Ce que relèvent, un tantinet agacées, des magistrates du Conseil d’État, observant que la commission n’a pas indiqué « même sommairement, les raisons pour lesquelles elle estimait que l'intéressée ne présentait pas les aptitudes professionnelles requises pour exercer immédiatement, par la voie du détachement, ces fonctions judiciaires. »

(19 juillet 2022, Mme B., n° 455434)

 

207 - Magistrature - Demande d'intégration directe - Refus - Contrôle de la décision de la commission d'avancement réduit à celui de l'erreur manifeste d'appréciation - Absence - Rejet.

N'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation la décision de la commission d'avancement - que la loi organique a investi d'un large pouvoir d'appréciation de l'aptitude des candidats -, refusant cette intégration à la requérante au vu de l'ensemble des évaluations réalisées lors de son stage, dont plusieurs faisaient état de réserves quant à son positionnement et à son comportement professionnels ainsi que de l'avis défavorable formulé par la sous-directrice des recrutements et de la validation des compétences de l'École nationale de la magistrature, nonobstant l'avis favorable du jury et les attestations laudatives fournies par les présidents et magistrats des juridictions dans lesquelles l'intéressée avait exercé des fonctions de juge de proximité et de magistrate à titre temporaire.

(22 août 2022, Mme B., n° 456323)

 

208 - Magistrate - Infliction d'un avertissement - Mesure prise en considération de la personne - Motivation suffisante et exempte d'erreur de fait - Compétence de la première présidente de la cour d'appel - Rejet.

La requérante, qui exerce les fonctions de vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants auprès du tribunal judiciaire de Cayenne, a fait l'objet d'un avertissement infligé par la première présidente de la cour d'appel en raison de reproches faits sur la manière d'exercer ses fonctions. Cette dernière, pour fonder sa décision, a ainsi reproché à l'intéressée de ne pas reconnaître l'autorité du premier vice-président du pôle pénal dont elle dépendait malgré une mise en garde du président à ce sujet, d'avoir, en outre, usé d'un ton inapproprié à son égard et, enfin, d'avoir remis en cause la tenue d'une audience qui lui était attribuée depuis plusieurs semaines. Par ailleurs, alors que 23 audiences foraines de mineurs étaient programmées à Saint-Laurent du Maroni de septembre 2020 à janvier 2021 pour tenir compte des besoins importants et des difficultés de transport des habitants de l'ouest guyanais, ces audiences, dont le format avait été défini par l'intéressée, n'ont été tenues que pour une infime partie d'entre elles et n'ont été conformes ni au volume d'affaires annoncé, ni à la nature des audiences prévues, cet état de fait ayant causé une perte significative de temps pour les magistrats et greffiers concernés et affecté le jugement des affaires, la situation des usagers et les conditions d'accomplissement de leur mission par les avocats et escortes. La première présidente a, en conséquence, estimé que le comportement réitéré de la requérante était constitutif de manquements aux devoirs de diligence, de rigueur et de délicatesse envers les justiciables, les avocats et l'encadrement de la juridiction, inhérents à son état de magistrat, et qu'elle portait une atteinte grave à l'image de l'institution judiciaire, d'où l'avertissement qui lui a été donné.

Le juge rejette le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette mesure.

Celle-ci, si elle ne constitue pas une sanction, est bien une mesure prise en considération de la personne et supposait le respect d'une certaine procédure, ce qui a été le cas en l'espèce par la communication préalable à l'intéressée de son dossier et des pièces justificatives des faits.

La première présidente était bien compétente pour prendre la décision querellée dès lors que sa destinataire est l'une des personnes placées sous son autorité.

La décision critiquée est suffisamment motivée et ne comporte pas d'inexactitude matérielle quant aux faits reprochés.

Le recours est rejeté.

(22 août 2022, Mme A., n° 456905)

 

209 - Ouvrier des établissements industriels de l’État recruté en 1981 - Engagé comme agent contractuel le 1er septembre 2011 - Pension de retraite - Absence de maintien de la faculté d’opter pour le maintien du régime de retraite institué par le décret du 3 octobre 1949 - Trop-perçu - Erreur de droit - Annulation.

D’abord recruté en qualité d'ouvrier des établissements industriels de l'État, au sein du ministère des armées le 1er juin 1981, le requérant a été intégré en 1989 en qualité d'agent contractuel du ministère de la défense, régi par les dispositions du décret du 3 octobre 1949 fixant le statut des agents sur contrat du ministère de la défense nationale. Il a opté en faveur de son maintien dans le régime de retraite des ouvriers des établissements industriels de l'État, sur le fondement de l'article 3 de ce décret.

Par contrat du 1er septembre 2011, il a été engagé en qualité d'agent contractuel dans l'emploi d'ingénieur cadre technico-commercial, sur le fondement du décret du 4 mai 1988 relatif à certains agents sur contrat des services à caractère industriel ou commercial du ministère de la défense et de l'arrêté du 4 mai 1988 pris pour son application.

L’intéressé a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juin 2017.

Des avances sur pension lui ont été servies à compter de cette date, puis, par décision du 6 janvier 2020, la Caisse des dépôts et consignations a arrêté le montant définitif de ses droits à pension et a notifié à l’intéressé un trop-perçu de 34 391 euros au titre des sommes qui lui ont été versées par le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État, dont le reversement lui a été réclamé.

Le rejet des recours formés devant l’administration contre les décisions fixant, l’une, le montant de la retraite, l’autre, celui du reversement, a été contesté devant le tribunal administratif qui les a, l’une et l’autre, annulées, la ministre des armées et la Caisse des dépôts se pourvoient contre ce jugement.

Accueillant ces pourvois, le Conseil d’État annule le jugement par le motif que le décret du 4 mai 1988 a institué un nouveau régime statutaire, distinct de celui prévu par le décret du 3 octobre 1949 et, contrairement à ce dernier, n'a prévu aucune dérogation, en matière d'affiliation au régime de retraite, aux dispositions générales fixées par le décret du 17 janvier 1986.

En outre, il est jugé, contrairement à ce que soutient l’ouvrier retraité, que le dernier alinéa de l'article 1er de ce dernier décret qui prévoyait, dans sa version en vigueur jusqu'au 24 mars 2014, que les dispositions réglementaires en vigueur à la date de publication de ce décret continuent à s'appliquer au personnel qu'elles régissent si elles sont plus favorables, ne peut trouver à s'appliquer aux agents recrutés - comme c’est le cas en l’espèce - sur le fondement du décret du 4 mai 1988, ce dernier étant postérieur au décret du 17 janvier 1986.

Par suite, ainsi que le soutiennent la ministre et la caisse demanderesses au pourvoi, l’agent retraité ne pouvait être maintenu dans le régime de retraite des ouvriers des établissements industriels de l'État au-delà sur 1er septembre 2011, alors que le contrat par lequel il a été engagé à compter du 1er septembre 2011 a été établi sur le fondement du décret du 4 mai 1988, lequel ne prévoit pas, contrairement au décret du 3 octobre 1949, la possibilité pour les agents contractuels qui relevaient par le passé du régime de retraite des ouvriers des établissements industriels de l'État de continuer à bénéficier de ce régime sur option de leur part.

(20 juillet 2022, Caisse des dépôts et consignations, n° 454997 ; ministre des armées, n° 455041)

 

210 - Régime du complément indemnitaire dans la fonction publique d’État (décret du 20 mai 2014) - Exclusion des agents contractuels - Absence d’illégalité - Rejet.

Le requérant, agent contractuel du ministère de la transition écologique, demandait l’annulation du rejet implicite par le premier ministre de son recours gracieux tendant à l'abrogation du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État en tant qu'il exclut les agents contractuels du bénéfice du complément indemnitaire annuel lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir ; il demandait, à défaut, qu’il soit fait injonction à cette autorité d’étendre aux agents contractuels le bénéfice des dispositions de ce décret.

Le recours est, bien évidemment, rejeté en ses trois moyens.

Tout d’abord étaient invoquées les dispositions de la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 selon lesquelles, en ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs sous contrat à durée déterminée ne doivent pas être traités d'une manière moins favorable que les travailleurs sous régime à durée indéterminée en situations comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. Les différences de traitement entre fonctionnaires et agents contractuels, au regard du complément indemnitaire en cause, ne sont en rien liées à la distinction entre travailleurs sous contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée. L’invocation de ce texte est ici plus irrelevante qu’inopérante.

Ensuite, il n’est pas illégal qu’un texte de nature réglementaire traite de manière différente des catégories se trouvant chacune dans des conditions différentes ni qu’il déroge au principe d’égalité sous la limite bien connue que cette différenciation ne revête pas un caractère disproportionné. Ici, les deux catégories d’agents en cause sont placées dans des situations différentes notamment pour ce qui concerne la détermination des éléments de leur rémunération, les fonctions, l'expérience et les résultats des agents contractuels, ces éléments ayant vocation à être pris en compte dans le cadre de leur rémunération fixée contractuellement.

Enfin, le demandeur ne peut utilement soutenir qu'en ne prévoyant pas l'application aux agents contractuels d'un élément d'un régime indemnitaire applicable aux fonctionnaires, le Gouvernement aurait méconnu les dispositions de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 selon lesquelles leur rémunération peut tenir compte de leurs résultats professionnels et des résultats collectifs du service, ceci eu égard aux modalités différentes de détermination des éléments constitutifs de leur rémunération.

(21 juillet 2022, M. D., n° 460172)

 

211 - Prorogation du mandat des membres du conseil d’administration de l’Agence nationale de santé publique - Effets excessifs sur les mandats en cours et à venir - principe de périodicité raisonnable du suffrage - Pandémie de Covid-19 - Rejet.

Par un décret du 25 juin 2021 le premier ministre a prorogé la durée du mandat des membres du conseil d'administration de l'Agence nationale de santé publique.

Les syndicats requérants demandent l’annulation de ce décret et la mention dans un nouvel arrêté que les nouveaux élus à ce conseil le sont « pour une durée de quatre ans » à compter de la publication du nouvel arrêté et non « pour la durée du mandat restant à courir ».

Le recours est rejeté au terme d’un raisonnement décevant et discutable.

D’abord est invoquée la pandémie de Covid-19 qui n’aurait pas permis le renouvellement de mandats de quatre ans parvenus à leur terme. L’argument est dérisoire en raison des moyens technologiques permettant la tenue de vote sans présence physique dans des organismes administratifs aux effectifs restreints.

Ensuite, saisi de cette très juste observation que le décret litigieux aboutit de facto à porter la durée des mandats en cours de quatre à six ans et ceux des mandats à venir de quatre à deux ans, le juge la rejette au motif que « le principe constitutionnel de périodicité raisonnable du suffrage (…) ne s'applique qu'aux élections à caractère politique (…) ». L’objection ne tient pas car l’existence de ce principe ne fait point obstacle à ce que celui-ci s’applique également à toute élection ou désignation car il n’est pas inhérent au seul univers politique mais infuse tout système démocratique, telles des élections professionnelles ou administratives, publiques ou privées (associations, sociétés, syndicats et autres), etc. Qu’il ait été proclamé avec valeur constitutionnelle n’empêche point sa reconnaissance comme principe général du droit ou autre s’imposant au pouvoir réglementaire.

Voilà une décision en tout point regrettable et inutilement frustratrice.

(21 juillet 2022, Syndicat CFDT des affaires sociales et santé Ile-de-France (SASS IDF - CDFT INTERCO) et Syndicat général du ministère des affaires sociales et du travail CGT (SMAST - CGT), n° 455957)

 

212 - Administration des douanes - Transfert de missions - Prévision d’un accompagnement individuel du personnel reclassé - Absence d’autorisation législative à cet effet - Possibilité d’informer les personnels de l’accompagnement offert en cas de réalisation de l’opération - Absence de base légale sans effet à ce stade - Rejet.

En vue du transfert du recouvrement et de la gestion et du contrôle de missions fiscales de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) vers la direction générale des finances publiques, la directrice générale des douanes et droits indirects a émis deux notes afin, d’une part, de constituer des cellules locales d'accompagnement des reclassements individuels des agents concernés par le transfert de ces missions, d’autre part, dans le cadre du transfert du droit annuel de francisation et de navigation à la direction des affaires maritimes, de proposer 22 postes au sein du bureau « Guichet Unique de la Fiscalité de la Plaisance », dont les fiches de poste figurent en annexe de l’une des notes, et a invité les directeurs et chefs de service à rechercher parmi les agents de catégorie A ou B placés sous leur autorité des candidats souhaitant poursuivre leur activité au sein de ces centres d'expertise.

Le syndicat requérant demande l'annulation de ces deux notes.

Le juge admet l’argument des requérants concernant l’absence de base légale permettant à l’auteur de ces notes de transférer la gestion et le contrôle du droit annuel de francisation et de navigation à la direction des affaires maritimes. Cependant, pour rejeter les demandes d’annulation, le juge retient qu’il est loisible à l'administration, en vue d'une réforme de son organisation et sans attendre la publication des textes afférents, d'alerter les personnels susceptibles d'être concernés, de leur offrir un accompagnement en vue de leur reclassement et, par ailleurs, de relayer à tous ses agents des fiches de postes ouverts dans les services nouvellement créés ou transférés.

Au reste, si, finalement, le transfert des missions n’intervenait pas, les nominations envisagées n'interviendraient pas non plus.

D’où le rejet du recours.

(21 juillet 2022, Syndicat national des agents des douanes - Confédération générale du travail (SNAD-CGT), n° 455051)

(213) V. aussi, assez voisine de la précédente, avec même requérant, la décision rejetant un recours dirigé contre l’arrêté ministériel portant modification de la liste des bureaux des douanes et droits indirects ainsi que contre le document du 2 mars 2021 intitulé « GT du 24 mars 2021 - Transfert des missions fiscales : impact sur la charge de travail, sur les effectifs et les structures » de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) par les motifs qu’ils n’emportent pas par eux-mêmes décision de transfert de missions à direction des affaires maritimes et ne sauraient donc être utilement argués d’être dépourvus de base légale. Au reste ces actes n’ayant qu’un caractère préparatoire le recours formé à leur encontre est irrecevable : 21 juillet 2022, Syndicat national des agents des douanes - Confédération générale du travail (SNAD-CGT), n° 451934.

 

214 - Agent technique de La Poste - Demande de réintégration dans son corps d’origine - Demande d’attribution d’un poste à proximité de son domicile pour motif médical - Refus - Demande d’octroi de l’allocation de retour à l’emploi - Rejet.

Pour justifier, à l’issue d’une mise en disponibilité, sa demande de réintégration dans son corps d’origine à proximité de son domicile situé à Landerneau (Finistère), la requérante, agent technique et de gestion titulaire de La Poste affecté à la direction opérationnelle territoriale Courrier (DOTC) de Haute-Normandie, a produit l’attestation d’un médecin agréé consulté le 12 septembre 2017, en application de l'alinéa 2 de l'article 49 du décret du 16 septembre 1985, qui avait conclu à son inaptitude à effectuer des trajets entre son domicile et son travail de plus de vingt kilomètres.

Un poste d'assistant ressources humaines chargé de la prévention à la plateforme industrielle courrier de Rouen Madrillet (Seine-Maritime) lui ayant été proposé, elle soutenait avoir refusé ce poste pour un motif légitime tiré de l’attestation médicale susrappelée et qu’elle devait par suite être regardée comme involontairement privée d'emploi, ce qui justifiait sa demande d’octroi de l’allocation de retour à l’emploi et la fondait à demander l’annulation du refus opposé à cette demande par La Poste.

Le Conseil d’État, rejetant le recours, approuve le tribunal administratif d’avoir jugé, sans erreur de droit, qu’en vertu des dispositions du statut qui lui est applicable, il pouvait lui être proposé tout poste correspondant à son statut sur le territoire national, d’où il suit qu’elle ne pouvait ni se prévaloir de l’attestation médicale précitée ni soutenir qu'elle avait refusé ce poste pour un motif légitime et devait par suite être regardée comme involontairement privée d'emploi.

(21 juillet 2022, Mme A., n° 449973)

 

215 - Fonctionnaires et agents publics - Traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés - Régime du recours contentieux - Recours n’entrant pas dans les matières relevant du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort - Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel - Renvoi de l’affaire à une cour.

Rappel de ce que la demande d'un fonctionnaire ou d'un agent public tendant seulement au versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés, sans chercher la réparation d'un préjudice distinct du préjudice matériel objet de cette demande pécuniaire, ne revêt pas le caractère d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'article R. 811-1 du CJA. Par suite, une telle demande n'entre pas, quelle que soit l'étendue des obligations qui pèseraient sur l'administration au cas où il y serait fait droit, dans le champ de l'exception, prévue à ce 8°, en vertu de laquelle le tribunal administratif statue en dernier ressort. L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel.

(19 juillet 2022, M. C., n° 459892)

 

216 - Fonctionnaire de la police nationale - Demande de mise en disponibilité - Refus et infliction d’un blâme - Rejet.

Le requérant, M. D., brigadier-chef de la police nationale, affecté au service central du renseignement territorial, puis placé en position de détachement à compter du 1er septembre 2015 auprès d'une organisation syndicale, s’est vu infliger un blâme par décision du ministre de l'intérieur du 29 juin 2017. Le 9 novembre 2017, il a sollicité son placement en disponibilité et a déposé une déclaration d'exercice d'une activité privée en qualité de « responsable relations supporters » sous contrat à durée indéterminée avec la société Paris Saint-Germain Football Club.

La commission de déontologie de la fonction publique a émis le 11 janvier 2018 un avis d'incompatibilité sur cette demande et, par une décision du 2 février 2018, le directeur des ressources et des compétences de la police nationale l'a rejetée.

Le 12 juin 2018, M. D. a demandé à être radié des cadres de la police nationale et a présenté sa démission, qui a été acceptée par arrêté du 29 juin 2018.

Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel confirmant le rejet par le tribunal administratif de sa demande tendant à l'annulation de la décision de blâme du ministre de l'intérieur du 29 juin 2017, de l'avis de la commission de déontologie de la fonction publique du 11 janvier 2018 ainsi que de la décision du 2 février 2018 du directeur des ressources et des compétences de la police nationale.

Le pourvoi est rejeté.

Le juge estime fondée et proportionnée la sanction litigieuse en raison, d’une part, de ce que, « lors d'une réception à l'ambassade du Qatar en France, en décembre 2015, M. D. a rencontré, à titre privé, les dirigeants du club de football du Paris Saint-Germain (PSG) et qu'il a fait état, au cours d'une conversation relative aux groupes de supporters « ultras » qui ne sont pas acceptés au stade, de sa qualité d'agent du ministère de l'intérieur, qui a suscité l'intérêt des dirigeants du club » et d’autre part, du fait qu’il a participé, le 22 septembre 2016, à une réunion entre les dirigeants du club parisien, qui connaissaient sa qualité de policier, et des représentants d'un groupe de supporters " ultras ".

Ainsi la cour n’a pas dénaturé les faits et pièces du dossier en estimant que le requérant s'était présenté comme un agent du ministère de l'intérieur susceptible d'aider les dirigeants du club à résoudre la situation entre le PSG et ces supporters ; elle n’a pas, non plus, insuffisamment motivé son arrêt en ne relevant pas qu'il n'avait pas fait état de sa qualité d'agent du ministère de l'intérieur à l'occasion de cette réunion laquelle était déjà connue de ses interlocuteurs.

Il a également retenu que si M. D. faisait valoir qu'il avait agi à titre privé et qu'il n'avait par son comportement ni méconnu ses devoirs de probité, d'exemplarité, de réserve ou de loyauté, ni compromis « les enjeux institutionnels » par une initiative inappropriée dès lors qu'il n'existait aucune position publique du ministre de l'intérieur sur les supporters, la cour a pu estimer que les faits reprochés, même commis à titre privé et hors du service, pouvaient être qualifiés par le ministre de manquements aux devoirs de réserve et de loyauté, constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction.

Le juge admet également comme légal le refus de satisfaire la demande de mise en disponibilité et entérine la position de la cour administrative d’appel fondée notamment, en premier lieu, sur l’existence de liens antérieurs établis à titre privé par M. D. avec son futur employeur dans des conditions contraires à la déontologie ainsi que cela a été relevé par la commission de déontologie et, en deuxième lieu, sur le risque que M. D. ne tire un avantage personnel de sa qualité d'agent du ministère de l'intérieur, dont il s'est prévalue pour son recrutement au sein du PSG, pouvant ainsi porter atteinte à la réputation d'intégrité et de probité de la police nationale, en méconnaissance des principes déontologiques.

(21 juillet 2022, M. D., n° 450428)

 

217 - Procédure disciplinaire - Agent hospitalier - Suspension puis révocation de la fonction publique - Irrégularité de la procédure suivie - Sanction hors de proportion - Confirmation de l’annulation prononcée par le juge d’appel - Rejet.

Un assistant socio-éducatif principal, agent de l’établissement requérant, s’est vu infliger pour des faits de violence d’abord une suspension d’exercice de ses fonctions d’une durée de quatre mois puis la révocation.

L’établissement public se pourvoit en cassation contre l’arrêt infirmatif par lequel la cour administrative d’appel a annulé pour irrégularité formelle la procédure disciplinaire suivie puis, se prononçant sur les faits retenus, a annulé la sanction infligée comme étant hors de proportion avec ceux-ci.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi.

En premier lieu, il importe évidemment que le conseil de discipline motive en fait et en droit la sanction proposée, cette motivation des faits pouvant ressortir soit de l’avis lui-même soit du procès-verbal de la réunion. Or la cour a retenu que la procédure suivie en l’espèce est irrégulière faute qu’existe dans l’avis rendu ou le procès-verbal de la séance du conseil de discipline aucune présentation, même synthétique, des motifs de fait ou de droit retenus par le conseil de discipline. C’est donc sans commettre d'erreur de droit et sans dénaturer les faits et les pièces du dossier qui lui était soumis que la cour a jugé que cette absence de toute motivation avait privé l’intéressé d'une garantie et a annulé la décision de révocation.

En second lieu, il appartenait, par suite, au pouvoir souverain de la cour, sous réserve d’un contrôle de la qualification juridique par le juge de cassation, d’établir et de caractériser les faits. Celle-ci relève l’absence de faits de violences physiques reprochés tant par l’avis que par le procès-verbal du conseil de discipline, en particulier l’absence de passages à l’acte. Elle en a, à bon droit, déduit que les fautes pouvant être légalement retenues contre l’agent, en dépit de leur gravité, ne caractérisaient pas son incapacité à exercer ses fonctions au sein des Établissements publics médico-sociaux de Fécamp justifiant qu'il soit mis un terme définitif à ses relations avec le service ; elle a, en conséquence, annulé la révocation.

Comme le rappelle le juge, cette décision ne fait pas obstacle à ce que, en cas de reprise de la procédure disciplinaire, soit retenue à l’égard de l’intéressé l’une des sanctions moins sévères prévues, ceci dans le respect de l’autorité de la chose jugée.

(22 juillet 2022, Établissements publics médico-sociaux de Fécamp, n° 443802)

 

218 - Fonctionnaire territorial - Liquidation de la pension de retraite sans prise en compte de décisions postérieures à la date de prise d’effet de la retraite - Demande de prise en compte - Actes inexistants - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge régulière la décision de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales de ne pas tenir compte, pour calculer le montant de la pension de retraite d’une fonctionnaire territoriale parvenue à l’âge de la retraite le 5 novembre 2015, des services qu'elle a accomplis du 6 novembre 2015 au 31 mai 2017 ainsi que de son reclassement indiciaire à effet du 1er juillet 2016.

En effet, ces actes, qui ont été pris après la rupture de tout lien entre l’intéressée et le service et alors que cette dernière n’avait, avant la date de son départ à la retraite, formulé aucune demande de prolongation de son activité professionnelle au-delà de son soixante-cinquième anniversaire, étaient des actes inexistants donc nuls et non avenus, dispensant la Caisse d’en obtenir l’annulation ou le retrait par son auteur.

(22 juillet 2022, Mme A., n° 446628)

 

219 - Retraite des fonctionnaires et agents publics - Calcul de la décote pour insuffisance du nombre de trimestres cotisés - Absence de limite d’âge dans le statut particulier du pensionné - Application de la limite d’âge fixée pour les emplois relevant de la même catégorie - Annulation.

Le montant de la pension de retraite versée aux fonctionnaires et agents publics est fonction du nombre de trimestres cotisés au cours de la vie professionnelle avec application d’une décote si ce nombre est inférieur au minimum requis pour obtenir une pension à taux plein ou d’une surcote en cas de trimestres excédentaires.

En l’espèce, s’agissant d’un contrôleur divisionnaire de la Poste, relevant donc de la catégorie A de la fonction publique, son statut particulier ne prévoyant pas de limite d’âge d’activité, le tribunal administratif a jugé qu’il convenait de calculer le coefficient de minoration en litige, en prenant en compte, avant application du III de l'article 66 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, la limite d'âge de 62 ans fixée pour les emplois des centres de tri dès lors que bien qu’agent de catégorie A dite « sédentaire » l’intéressé avait accompli plus de dix-sept années de services effectifs dans des emplois de centres de tri classés dans la catégorie B dite « active ». Le ministre des finances s’est pourvu en cassation contre ce jugement.

Le Conseil d’État lui donne raison, étendant une jurisprudence appliquée jusque-là à la seule fonction publique hospitalière et de portée incertaine (24 mars 2021, CHU de Toulouse, n° 421065), en jugeant que pour l’application du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraites, « si aucune limite d'âge n'est déterminée par le statut particulier du corps auquel appartient le pensionné, la limite d'âge qui lui est applicable est celle que ne peuvent pas dépasser les agents affectés sur les emplois classés dans la même catégorie que celui qu'il occupait lorsqu'il a été admis à la retraite. »

Le tribunal a ainsi commis une erreur de droit en retenant une limite d’âge fixée à 62 ans.

(22 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances…, n° 453065)

 

220 - Comités sociaux territoriaux - Inéligibilité de certains agents en congé de maladie - Différence de traitement en rapport avec l’objet de l’institution de ces comités - Rejet.

La loi du 6 août 2019 dite de transformation de la fonction publique, a prévu la fusion des comités techniques et des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein d'une nouvelle instance unique, le comité social territorial.

Le décret du 10 mai 2021 relatif aux comités sociaux territoriaux des collectivités territoriales et de leurs établissements publics décide que n’y sont pas éligibles « les agents en congé de longue maladie, de longue durée ou de grave maladie ».

La fédération requérante demande l’annulation du décret sur ce point.

Son recours est rejeté.

Le Conseil d’État juge en effet, avec juste raison, que le but poursuivi par l’institution de cette inéligibilité est le bon fonctionnement et la continuité de ces comités sociaux grâce à l’exercice effectif des mandats de leurs membres. Cet objectif ne serait guère susceptible d’être atteint avec des élus atteints d'affections particulièrement graves que leur caractère invalidant et la nécessité d'un traitement et de soins prolongés, mettraient durablement dans l'impossibilité d'exercer assidûment leurs fonctions. En outre, cette disposition est en rapport direct avec l’objet de l’institution de ces comités et ne revêt pas un caractère manifestement disproportionné.

(22 juillet 2022, Fédération nationale des services publics et de santé Force ouvrière, n° 454471)

 

221 - Fixation d’un loyer plafond pour le calcul du remboursement du loyer des agents de l’État affectés à Mayotte - « Discrimination » résultant de l’application de ce plafond aux seuls personnels relevant du ministère de la défense - Texte applicable à l’ensemble des agents visés par la réglementation antérieure - Recours sans objet - Rejet.

La fédération syndicale requérante demandait au principal l’annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre a rejeté sa demande tendant à ce que le Gouvernement mette fin à la discrimination illicite qui résulterait de ce que l'abrogation, par l'arrêté du 25 septembre 2013, de l'art. 2 de l'arrêté du 6 janvier 1986 fixant un loyer plafond pour le calcul du remboursement du loyer des agents de l'État affectés à Mayotte ne s'applique, pour ce qui concerne les personnels civils, qu'aux seuls agents du ministère de la défense.

Le recours est rejeté comme étant sans objet car il résulte des termes mêmes de l’art. 3 de l'arrêté du 25 septembre 2013, signé notamment par les ministres désignés à l'art. 6 du décret du 29 novembre 1967 portant réglementation du logement et de l'ameublement des magistrats et des fonctionnaires de l'État en service dans les territoires d'outre-mer, que, ainsi que le soutient le ministre de la transformation et de la fonction publiques, cet arrêté a eu pour effet d'abroger l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1986 pour l'ensemble des agents auxquels celui-ci s'appliquait, et pas  seulement pour les agents du ministère de la défense.

(27 juillet 2022, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 453370)

 

222 - École polytechnique - Épreuves d’admission dans les services publics de l'État (corps des ingénieurs des mines et corps des ingénieurs de l'armement) - Irrégularités diverses invoquées - Rejet.

La requérante a invoqué diverses irrégularités au soutien de sa demande d’annulation de la décision du 18 décembre 2020 par laquelle le président de l'Ecole polytechnique a modifié les règlements de la scolarité des promotions X2016, X2017, X2018 et X2019 en tant seulement qu'elle porte sur le règlement de la scolarité de la promotion X2018.

Ces griefs sont tous rejetés.

Les dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 ont permis de nombreuses adaptations aux épreuves et aux conditions de leur déroulement.

C’est ainsi que c’est sans incompétence car habilité par le conseil d’administration de l’École, que son président a modifié le règlement de la scolarité de la promotion X2018 et sans erreur manifeste d’appréciation qu’il a supprimé les épreuves sportives de troisième année.

Par ailleurs, la composition des jurys de passage et d'admission dans les services publics des élèves de la promotion X2018 de l'École polytechnique était conforme aux dispositions qui les régissent.

Les autres griefs sont également rejetés.

(27 juillet 2022, Mme B., n° 457106)

 

223 - Rémunérations des membres du Parlement européen - Régime fiscal - Absence de caractère de traitements et salaires - Absence de caractère de bénéfices non commerciaux - Rejet.

Le ministre requérant se pourvoit contre l’arrêt déchargeant un parlementaire français de l’Union européenne des suppléments d’imposition ainsi que des pénalités mis à sa charge à raison des indemnités parlementaires qu’il a perçues.

La loi du 6 juillet 1979 relative à l'indemnité des représentants au Parlement européen a prévu que les représentants français au Parlement européen percevront de l'Assemblée nationale ou du Sénat une indemnité soumise au régime des indemnités des membres du Parlement français. Puis, une décision du Parlement européen entrée en vigueur en 2009, a prévu que les députés européens ont désormais droit à une indemnité qui est à la charge du Parlement européen, sauf pour ceux qui, faisant partie de ce Parlement avant l'entrée en vigueur du statut, ont opté, pour toute la durée de leurs mandats, en faveur du régime national antérieur.

Cette indemnité est soumise à l'impôt au profit des Communautés mais est réservée toutefois aux États membres la possibilité de soumettre cette indemnité aux dispositions du droit fiscal national « à condition que toute double imposition soit évitée ».

La cour administrative d’appel est approuvée d’avoir, sans dénaturation des pièces du dossier, ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits, jugé inapplicables à cette catégorie de revenus les dispositions de l’art. 79 du CGI concernant les traitements et salaires car ceux-ci ne peuvent s’entendre que des sommes perçues en rémunération de leur activité professionnelle par des personnes exerçant cette activité dans le cadre d'une relation de travail avec un employeur, ce qu’à l’évidence ne sont pas les indemnités parlementaires.

La cour est également approuvée d’avoir jugé que ces indemnités n’entraient pas, non plus, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux qui supposent l’exercice d’une activité professionnelle ou d'une occupation, exploitation lucrative ou source de profits.

(27 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances…, n° 458543)

 

Hiérarchie des normes

 

224 - Réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État (ordonnance du 2 juin 2021) - Régime juridique et régime contentieux des ordonnances de l’art. 38 - Notion de « ministre responsable » - Champ d’une habilitation à prendre une ordonnance de l’art. 38 - Domaine de la loi et domaine du règlement en matière de fonction publique - Incompétence négative du législateur - Garanties européennes de l’indépendance des juges (art. 2 du traité sur l’Union européenne et art. 6 § 1 de la convention EDH et art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) - Rejet.

On ne saurait rendre compte ici de la très riche - et très longue - décision sus-référencée qui, au travers de ses 89 points, aborde d’importantes questions de hiérarchie des normes notamment. On se permet d’y renvoyer le lecteur.

(19 juillet 2022, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine (ADMR), n° 453971 ; Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), n° 454719 ; Syndicat de la juridiction administrative, n° 454775 ; Association des anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration (AAEENA) et autres, n° 455105 ; M. E., n° 455119 ; Association des magistrats de la Cour des comptes (AMCC), n° 455150 ; Syndicat des juridictions financières, n° 455155, jonction)

 

225 - Ordonnance de l’art. 38 de la Constitution non ratifiée - Disposition de cette ordonnance déclarée inconstitutionnelle - Déclaration d’inconstitutionnalité prenant effet au jour de la décision du Conseil constitutionnel - Autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel - Solution applicable à tous les litiges non encore jugés définitivement - Annulation rétroactive sur recours pour excès de pouvoir.

L’union requérante demandait l’annulation de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique en ce que ses dispositions portent atteinte au respect de la vie privée.

Sur renvoi d’une QPC sur ce point par Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution le paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020, au motif que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 (déc. n° 2021-917 du 11 juin 2021). Il a, en outre, décidé que cette déclaration d’inconstitutionnalité prendrait effet à compter de sa publication et qu’elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Il suit de là que le Conseil d’État, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre cette ordonnance, fait droit aux conclusions tendant à l'annulation rétroactive de ces dispositions.

Cette solution, inédite dans cette configuration, est très importante, ce qui justifie qu’elle ait été rendue en Section.

(26 juillet 2022, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Fonction publique, n° 449040)

 

Libertés fondamentales

 

226 - Octroi du droit d’asile et reconnaissance de la qualité de réfugiés – Ressortissants syriens – Contenu de certains documents et éléments de faits – Qualification inexacte des faits – Annulation.

C’est au prix d’une qualification inexacte des faits conduisant à la cassation que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a accordé à un couple de ressortissants syriens la qualité de réfugiés et donc la protection asilaire qui leur avait été refusée par l’OFPRA, demandeur à la présente instance.

En effet, le Conseil relève qu’il ressort des pièces du dossier soumis à la CNDA « notamment de (.) deux notes blanches (…), que M. B. a été soupçonné par les services de renseignement de s'être rendu en Syrie dans une zone de combats et qu'il a effectué de nombreux et fréquents déplacements dans la région ainsi que dans d'autres pays liés, à l'époque, au développement de la mouvance radicale et pro djihadiste internationale, pour des motifs prétendument liés à son métier de commerçant mais dont la Cour a elle-même relevé les imprécisions. Il est en outre constant que M. B., dont le ministère de l'intérieur a admis qu'il était connu des services de renseignement, a été inscrit au Fichier des personnes recherchées et a fait l'objet d'un arrêté en date du 17 décembre 2015, pris sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence, portant assignation à résidence, dont la légalité a été reconnue par le tribunal administratif de Lille et la cour administrative d’appel de Douai. Il ressort enfin du dossier soumis aux juges du fond que ses propos et déclarations, qui ont varié dans le temps, sont entachés de contradictions, notamment sur les conditions d'obtention d'un passeport syrien alors qu'il avait déclaré avoir quitté le pays, ainsi que sur les dates et lieux de ses déplacements avant son entrée en France. » 

On peut comprendre l’étonnement de l’OFPRA de voir accorder un tel statut international protecteur à des personnes au parcours pour le moins discutable…

(4 juillet 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 450204)

 

227 - Bénéfice de la protection subsidiaire - Condition d’octroi - Situation de violence existant sur le territoire de destination ou sur un territoire de passage obligatoire vers la destination finale - Existence en l’espèce - Refus d’accorder le bénéfice de la protection subsidiaire - Motivation insuffisante du refus - Annulation.

Dans cette décision le Conseil d’État rappelle que la condition d’octroi à un étranger du bénéfice de la protection subsidiaire au sens et pour l’application de l’art. L. 512-1 du CESEDA (ex-L. 712-1), qui consiste en l’existence de menaces ou de violences graves pour la vie d’une personne sans considération de celle-ci, résultant d’un conflit armé interne ou international, s’applique aussi bien dans le cas où cette situation existe dans le territoire que l’intéressé doit rejoindre ou dans le territoire par lequel il doit nécessairement passer pour atteindre sa destination finale et cela quand bien même cet état de fait ne serait que temporaire.

Ainsi, n’est pas suffisamment motivée la décision de la Cour nationale du droit d’asile refusant le bénéfice de cette protection à un ressortissant somalien qui, pour rejoindre une province somalienne qui n’est pas une zone de violence et qui ne justifierait pas l’octroi de la protection subsidiaire, doit transiter par une région où la situation sécuritaire présente un degré de violence tel qu’il existe des motifs sérieux que sa vie y soit exposée du fait de son seul passage même temporaire.

Le refus est cassé avec renvoi à la CNDA.

(21 juillet 2022, M. B., n° 453997)

 

228 - Enregistrement des demandes d’asile - Prescriptions de mesures aux fins d’en améliorer le fonctionnement - Injonction sous astreinte de ramener à dix jours ouvrés le délai d’enregistrement de ces demandes - Saisine du juge de l’exécution (art. L. 911-7 CJA) - Rejet de la demande de liquidation d’astreinte.

(21 juillet 2022, Association " La Cimade ", n° 447339)

V n° 67

 

229 - Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Décision de mettre fin au statut de réfugié - Omission de prendre en compte les observations écrites de l’intéressé informé de cette mesure - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) jugeant que l’intéressé avait été privé d’une garantie essentielle et le renvoyant devant l’OFPRA - Méconnaissance de l’office du juge de la pleine juridiction et erreur de droit - Annulation avec renvoi à la CNDA.

Statuant en qualité de juge de la pleine juridiction dans un litige né de la décision de l’OFPRA de mettre fin au statut de réfugié  précédemment accordé à un ressortissant kossovar, la CNDA, constatant que l’Office avait omis de prendre en compte les observations écrites que ce dernier avait présentées après qu'il avait été informé que l'Office envisageait de mettre fin à son statut de réfugié, a jugé que, de ce fait, l’intéressé avait été privé d'une garantie essentielle justifiant l'annulation de la décision de l'OFPRA et le renvoi de l'examen de la situation de l'intéressé devant ce dernier.

Sur pourvoi de l’OFPRA contre la décision de la CNDA, le Conseil d’État annule celle-ci au motif qu’en sa qualité de juge de plein contentieux la CNDA devait se prononcer sur le droit de l'intéressé au maintien de la protection qui lui avait été accordée, au vu des observations écrites produites devant l'OFPRA ainsi que de l'ensemble des éléments recueillis dans le cadre de l'instruction menée devant elle.

Faute d’avoir ainsi procédé la Cour a méconnu son office et commis une erreur de droit. 
(21 juillet 2022, OFPRA, n° 452868)

 

230 - Demande d’asile en France – Décision de transfert vers l’Italie – Absence de présentation aux convocations en vue de ce transfert – Personne déclarée en fuite – Rejet.

N’est pas fondé le recours formé contre un arrêté préfectoral et contre une ordonnance de référé jugeant que le requérant s'était soustrait de façon répétée aux convocations visant à permettre l'exécution de la mesure de transfert vers l’Italie, pays par lequel il a transité avant de de demander asile en France, dans des circonstances qui devaient le faire regarder comme étant en fuite au sens de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

(ord. réf. 24 août 2022, M. B., n° 466773)

 

Police

 

231 - Police sanitaire – Abattage rituel des animaux – Conciliation entre exigences sanitaires et convictions religieuses – Traçabilité des conditions d’abattage exclues – Rejet.

L’association requérante demandait l'annulation du rejet implicite par le ministre de l'agriculture de sa demande tendant :

1° à l'adoption des mesures réglementaires assurant la traçabilité, à l'intention du consommateur final, des viandes issues d'abattages réalisés sans étourdissement ;

2° à l'abrogation du E du II et l'annexe I de la note de service du 13 mars 2012 ainsi que des points n° 51 à n° 54, n° 56, n° 57 et n° 59 de la note de service du 26 septembre 2012, en tant que ces dispositions n'imposent pas que le système d'enregistrements applicable à l'abattage rituel soit assorti d'un processus de traçabilité assurant l'information du consommateur final sur les viandes issues des abattages à finalité rituelle initiale, pratiqués à ce titre sans étourdissement, qui sont finalement distribuées sur le marché non-rituel ;

3° à l’adoption des mesures réglementaires prescrivant un tel processus de traçabilité. 

Le Conseil d’État rejette le recours en ses deux moyens.

Tout d’abord, il estime que les dispositions de l’art. R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime, adoptées conformément à l’art. 4 du règlement communautaire du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort,  qui régissent ce type d’abattages ont été édictées dans le but de concilier, dans le respect du principe de laïcité qui impose que la République garantisse le libre exercice des cultes, les objectifs de police sanitaire et l'égal respect des croyances et traditions religieuses, en vue d'assurer, en autorisant à titre dérogatoire la pratique de l'abattage rituel par mise à mort de l'animal sans étourdissement, le respect effectif de la liberté de religion (cf. art. 9 CEDH). Pour autant, le droit de l’Union n’impose pas, en outre, à l'État de rendre obligatoires des mesures de traçabilité, notamment par étiquetage, en vue de garantir à certains consommateurs finals qu'ils ne consomment pas des viandes ou des produits carnés issus d'abattages pratiqués sans étourdissement. Par suite, la requérante ne saurait exciper de ces dispositions pour dire illégal le rejet de leur demande par le ministre de l’agriculture.

Le raisonnement est étrange d’abord en tant qu’il ne trouve dans le droit interne français, apparemment, aucune règle ou aucun principe concernant cette matière. Il est aussi curieux par sa dissymétrie : alors que certains consommateurs ont le droit d’exiger la certification que l’animal a bien été abattu selon leurs convictions, d’autres qui, à l’inverse, souhaitent connaître l’existence d’une pratique rituelle contraire à leurs convictions en matière de souffrance animale n’y ont pas droit…

Ensuite, le recours est rejeté en tant qu’il invoque le principe de laïcité pour demander l’annulation du refus d’assurer la traçabilité des viandes ou des produits carnés issus d'abattages pratiqués sans étourdissement car l'association demanderesse ne se prévaut d'aucune conviction religieuse reposant sur la prohibition de la consommation de tels produits. Là aussi, il convient de s’interroger : on avait cru comprendre que la laïcité était au nombre des « principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France » et que c’était même là la raison principale de l’invention par le Conseil constitutionnel de cette catégorie juridique. Dès lors, il nous paraît suffire d’invoquer la qualité de Français pour invoquer le principe de laïcité, notamment en justice.

(1er juillet 2022, Association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), n° 441260)

 

232 - Police sanitaire - Mesures de lutte contre la pandémie de Covid-19 - Défaut de proportionnalité - Incompatibilité avec le droit de l’Union - Rejet.

Les requérants contestaient la légalité du décret primo-ministériel du 29 octobre 2020, exceptée celle de son article 1er, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire pris sur le fondement de l’art. L. 3131-15 du code de la santé publique ainsi que de son décret modificatif du 27 novembre 2020. Ils demandaient également, d’une part, un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union pour examen de la compatibilité de ces mesures avec le droit de l’Union, en particulier avec l'article 35 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et, d’autre part, une demande d’avis à la Cour EDH portant sur la combinaison devant être opérée, en cas de pandémie, entre, d'une part, le paragraphe 1er de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au droit à la vie, et d'autre part, les articles 5, 8, 9 et 11 de la même convention et l'article 1er de son premier protocole additionnel.

Le recours est, sans grande surprise, rejeté.

D’abord, l’accélération du rythme de l'épidémie de Covid-19 est directement à l’origine du décret attaqué du 29 octobre 2020 qui fixe des règles d'hygiène et de distance entre les personnes (interdiction des déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence, conditions d'accueil du public dans les commerces) et qui a été pris au vu de la note rendue le 26 octobre 2020 et actualisée le 28 par le comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 du code de la santé publique. Cet avis n’a pas manqué à l'impartialité ou à la rigueur scientifique qui aurait pu entacher la légalité du décret attaqué.

Ensuite, c’est sans excéder ses pouvoirs que le gouvernement, se fondant sur une très forte accélération du nombre des contaminations, des hospitalisations et des décès, en septembre et octobre 2020, et alors que les avis scientifiques disponibles mettaient en évidence le risque d'une évolution quasi exponentielle du nombre de nouveaux cas et d'une saturation des capacités hospitalières, a pris les mesures contestées de stricte limitation des déplacements de personnes hors de leur domicile assorties de dérogations d’abord restreintes puis progressivement élargies, lesquelles n’étaient point devenues inutiles à la date du décret modificatif du 27 novembre 2020. Il en va de même de l'interdiction d’accès du public aux commerces, même si elle impliquait la fermeture temporaire de certains établissements, restreignant ainsi fortement l'exercice de la liberté d'entreprendre, ces dispositions étant justifiées par la situation et exactement proportionnées à elle. Les dispositions critiquées par les requérants n'ont pas porté une atteinte excessive aux libertés fondamentales dont ils se prévalent.

Enfin, la dérogation prévue permettant l'ouverture au public des « supérettes, supermarchés, magasins multi-commerces, hypermarchés » se justifiait par la circonstance qu'ils vendent essentiellement des produits de première nécessité sans que puissent y être inclus les salons de coiffure. 

Le recours est rejeté en ses demandes d’annulation comme de renvois préjudiciels.

(22 juillet 2022, Mme C. et Société Profil CS, n° 446709)

(233) V. aussi, rejetant par des motifs largement comparables à ceux retenus dans la décision précédente le recours collectif tendant à l’annulation des articles 1er, 2, 8, 11, 15, 21, 27, 36, 38, 40, 44, 45, 46 et 47 ainsi que de l'annexe 1 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire : 22 juillet 2022, M. AE et autres, n° 448306.

(234) V. également, le rejet, aux termes d’une motivation largement identique à celle retenues dans les deux précédentes décisions, d’un recours contestant la légalité de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020 et tendant à voir autorisés les déplacements pour la pratique des activités physiques à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes : 22 juillet 2022, M. B., n° 448902.

(235) V. encore (les requérants étant sur ce point décidément intarissables), rejetant - inévitablement - un recours demandant, au principal, de saisir la Cour européenne des droits de l'homme de la demande d'avis suivante : « L'interprétation des articles 2, 16, 17 de la charte des droits fondamentaux, de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 1er du protocole n° 12, des articles 2, 5, 7 et 14 de la convention s'oppose-t-elle aux dispositions des articles 3 et 4 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret du 27 novembre 2020, du 14 décembre 2020, du 15 janvier 2021 et du 25 février 2021 », et, au subsidiaire, notamment, d'annuler pour excès de pouvoir les articles 3 et 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans ses versions issues successivement du décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020, du décret n° 2020-31 du 15 janvier 2021, du décret n° 2021-51 du 21 janvier 2021 et du décret n° 2020-217 du 25 février 2021, ainsi que l'avis du 8 janvier 2021 du comité de scientifiques prévu par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique : 22 juillet 2022, M. C., n° 449663.

(236) V., rejetant les recours dirigés contre l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié en dernier lieu par le décret du 25 février 2021 : 22 juillet 2022, Association Le Cercle Droit et Liberté et autres, n° 450405 ; M. B. et autres, n° 450748.

(237) et encore, rejetant un recours en annulation de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié en dernier lieu par le décret du 2 avril 2021, en tant qu'il impose un confinement et un couvre-feu aux personnes vaccinées : 22 juillet 2022, M. A., n° 451456.

(238) V., semper idem, rejetant le recours de ressortissants mahorais se plaignant que les dispositions attaquées (décret n° 2021-173 du 17 février 2021 modifiant le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020) instaureraient une différence de traitement injustifiée au détriment des habitants de Mayotte en matière de lutte contre l’épidémie de Covid-19 : 22 juillet 2022, MM. B. et C., n° 452781.

(239) et, en outre, rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire notamment en ce que son art. 47-1 fixe à cinquante personnes le seuil d'application du « passe sanitaire » « pour l'accès à certains lieux, établissements et évènements » : 22 juillet 2022, Association Le Cercle droit et liberté, n° 454831 ou encore, toujours à propos du « passe sanitaire », le rejet résultant de : 22 juillet 2022, Mme D. et autres, n° 455732 ou également, le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l’encontre des articles 12 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire sur la base desquels a été pris le décret attaqué du 1er juin 2021 modifié, en ce qu’il serait porté atteinte à la liberté individuelle, au droit au respect de la vie privée, à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au droit au respect de l'intégrité physique et du corps humain, à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie et que serait méconnu le principe d’égalité : 22 juillet 2022, Mme W. épouse K. et autres, n° 456195.

(240) et aussi, plus original, rejetant – pour défaut d’urgence en l’état des incendies de forêts au jour où le juge statue - la demande que les sapeurs-pompiers non vaccinés contre le Covid-19 soient autorisés à participer à la lutte contre les importants incendies de forêt de l’été 2022 : ord. réf. 26 août 2022, Association de défense des libertés fondamentales et M. B., n° 466821.


241 - Manifestation statique déclarée en préfecture – Interdiction par un préfet de police pour risque de troubles à l’ordre public – Proposition d’autres lieu et heure pour la tenue de cette manifestation – Refus – Rejet.

Le syndicat demandeur s’est vu refuser par la préfecture de police de Paris l’autorisation d’organiser une manifestation statique les jeudi 30 juin, vendredi 1er juillet et samedi 2 juillet 2022 entre 16 heures 30 et 22 heures dans le Jardin des Champs-Elysées, au niveau du 35, avenue Gabriel à Paris. Ce rassemblement comportait l'organisation de prises de parole et de débats citoyens. Estimant l’heure et le lieu susceptibles de causer des troubles à l’ordre public, la préfecture de police a proposé la tenue de cette manifestation les mêmes jours de 14 heures à 18 heures, place de la République à Paris ; le syndicat requérant a refusé.

Son référé liberté ayant été rejeté par le juge du tribunal administratif, le syndicat a formé appel de l’ordonnance de rejet devant le juge des référés du Conseil d’État ; ce dernier confirme l’ordonnance attaquée.

Le juge estime que contrairement à ce que soutiennent les organisateurs, d’une part, le lieu de la manifestation, prévue 35, avenue Gabriel, à proximité immédiate du palais de l'Elysée, au niveau de l'entrée sud, dite entrée de la « Grille du coq », se trouve au sein d'un périmètre se caractérisant par de fortes contraintes en matière de sécurité, notamment dans le contexte actuel de menace terroriste, qui demeure à un niveau élevé, d'autre part, il existe un risque de débordements par des groupes agressifs, notamment compte tenu des violences qui ont émaillé des rassemblements similaires au cours des années 2021 et 2022 et du fait qu'un appel au rassemblement « devant la Grille du coq » a été transmis sur les réseaux sociaux, et notamment sur le compte Twitter du syndicat, qui a ensuite été relayé par d'autres comptes du mouvement des Gilets jaunes, auprès d'environ 30 000 abonnés, de sorte que le nombre de manifestants à ce rassemblement, qui se déroule sur trois jours, est susceptible d'être supérieur au nombre de cinquante participants annoncés en un lieu qui se caractérise par des trottoirs de superficie réduite ainsi que par la présence de nombreuses barrières, configuration qui est susceptible de rendre plus difficile le maintien de l'ordre public, en particulier en cas d'afflux de participants.

Enfin, compte tenu du refus de la solution alternative qui lui était proposée, le syndicat requérant ne saurait prétendre que, par son refus d’autoriser la manifestation statique projetée, préfet de police aurait porté à la liberté de manifester une atteinte grave et manifestement illégale.

(1er juillet 2022, Syndicat des Gilets jaunes, n° 465411)

 

242 - Police des débits de boissons - Établissement ayant servi force alcools à deux individus ivres - Accident mortel causé ensuite par l'un de ces individus - Arrêté de fermeture temporaire de l'établissement - Absence d'illégalité - Rejet.

N'est pas entaché d'illégalité l'arrêté préfectoral ordonnant la fermeture temporaire pour un mois de l'établissement de la société requérante pour avoir servi à des individus - déjà ivres après avoir consommé au cours d'un repas, deux bouteilles de vin, deux bières et deux verres d'alcool fort -, l'équivalent de onze verres de liqueur et un litre un quart de bière, l'un d'eux ayant, ensuite, causé un accident mortel... Des témoignages concernant leur état plus tard dans l'après-midi, confirment au surplus la certitude de leur ivresse.

Est rejeté le moyen tiré de ce que la société n'aurait pas eu communication du rapport de police du 23 mai 2022 préalablement à l'intervention de l'arrêté contesté dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'elle a été mise à même de connaître et de discuter utilement l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés.

L'ordonnance du premier juge rejetant la mesure de fermeture d'un mois est ainsi confirmée.

Un mois d’abstinence ne semble pas trop cher payé...

(ord. réf. 9 août 2022, Société « Le River's Pub », n° 466124)

 

243 - Forfait post-stationnement – Contestation du bien-fondé de la somme mise à la charge du redevable de ce forfait – Régime - Contestation d’un titre exécutoire en cas de non-paiement du forfait dans les trois mois – Régime – Erreur de droit – Annulation.

Rappel, à nouveau, mais les choses sont si compliquées en la matière que ce rappel est utile, du régime de contestation du forfait de post-stationnement.

Normalement, il incombe au redevable d'un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge de saisir l'autorité administrative d'un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, d'introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant. 

Cependant, dans le cas où le redevable n’a pas acquitté dans les trois mois le forfait, ce qui entraîne automatiquement l’émission d’un titre exécutoire pour un montant égal audit forfait majoré de la somme due à l’État, celui-ci peut contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement et contesté au contentieux le rejet de son recours. De là résulte que si, selon les dispositions de l’art. R. 2333-120-35 du CGCT, le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué, ces mêmes dispositions ne l’empêchent pas de contester, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

Ceci dit, à la lecture de ce qui précède on peut comprendre que redevables, juges et collectivités intéressées y perdent quelque peu leur latin…

(5 juillet 2022, Mme B., n° 445212)

(244) V. aussi, rappelant à nouveau l’inconstitutionnalité de l’art. L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales constatée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020 : 15 juillet 2022, M. A., n° 447028.

 

245 - Police du permis de conduire - Permis de conduire de catégorie B - Autorisation de conduire des véhicules de sécurité civile excédant le poids total autorisé pour les titulaires d'un permis B - Permission n'existant pas pour les transporteurs sanitaires - Critique - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation du refus implicite du premier ministre d'abroger le décret n° 2019-1260 du 29 novembre 2019 relatif à la conduite de certains véhicules affectés aux missions de sécurité civile, en tant que le dispositif qu'il crée ne s'applique pas aux véhicules utilisés par les personnes exerçant l'activité de transport sanitaire.

Le recours est rejeté.

Le décret attaqué, pris sur le fondement et pour la transposition du b) du paragraphe 4 de l'article 4 de la directive n° 2006/126/CE du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire, prévoit que les titulaires d'un permis B puissent conduire des véhicules affectés à des missions de sécurité civile dont le poids total excède le plafond autorisé pour ce type de permis.

Les requérants ont demandé en vain au premier ministre d'abroger ce décret en tant qu'il ne prévoit pas la même dérogation pour la conduite des véhicules utilisés par les personnes exerçant l'activité de transport sanitaire. 

Le juge estime que les situations respectives de ces deux catégories de véhicules, résultant de la spécifité des missions en cause, sont suffisamment différentes pour justifier un traitement différencié au regard du permis nécessaire à leur conduite. Certes, les missions peuvent se recouper, des missions de sécurité civile pouvant consister en des transports sanitaires mais il subsiste globalement entre les deux de très nombreuses dissemblances de champ et de condition d'application.

Pas davantage le décret litigieux ne crée une distorsion de concurrence entre les deux types d'intervention. Tout d'abord, les services d'incendie et de secours (qui sont incontestablement des véhicules de sécurité civile) ne sont amenés à effectuer, à la demande de la régulation médicale du centre 15, des interventions de transport sanitaire ne relevant pas de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, dites carences ambulancières, que lorsque celle-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés. Ensuite, le bénéfice de la dérogation légale n'est accordé que pour la conduite des véhicules qui sont affectés par les entités concernées aux missions de sécurité civile, à l'exclusion de toute autre affectation de ces véhicules, et notamment de leur mise à la disposition d'établissements de santé au bénéfice des structures mobiles d'urgence et de réanimation en application des dispositions du code de la santé publique (cf. en particulier les art. L. 1424-42 et D. 6124-12).

(12 juillet 2022, Chambre nationale des services d'ambulance (CNSA) et Fédération nationale de la mobilité sanitaire (FNMS), n° 443202)

 

246 - Police des débits de boissons - Déclaration de changement de gérant et de translation d'un débit de quatrième catégorie - Pouvoirs du maire et du préfet à l'égard de cette déclaration - Contrôle des seules exigences de forme avant la réalisation de l'opération -Annulation.

Une association d'habitants d'une commune reproche au maire de celle-ci d'avoir, au reçu d'une déclaration préalable de mutation du gérant et de translation d'un débit de boissons de quatrième catégorie, donné au demandeur récépissé le même jour de cette déclaration.

La préfecture a rejeté la demande de l'association des habitants tendant à ce qu'elle s'oppose à l'exploitation de ce débit de boissons. Le tribunal administratif a annulé ce refus et enjoint à cette autorité de procéder au retrait du récépissé de déclaration dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le pétitionnaire bénéficiaire de l'autorisation se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif.

Pour accueillir le pourvoi et annuler l'arrêt d'appel, le Conseil d'État rappelle qu'en cette matière le maire agit en qualité d'agent de l'État et se borne à constater l'accomplissement de la formalité de déclaration d'ouverture d'un débit de boissons, de mutation dans la personne de son propriétaire ou de son gérant ou de translation d'un lieu à un autre qui lui est présentée et à en délivrer récépissé. Le maire ne peut pas, à cette occasion, examiner la capacité du requérant, la situation du débit ou la régularité de l'opération envisagée.

Il transmet ensuite copie intégrale du récépissé au préfet et au procureur de la république.

Ces diverses autorités ne sauraient intervenir à titre préventif au moment de la délivrance du récépissé : le procureur est susceptible d'être à tout moment saisi, de rechercher et de poursuivre les infractions qui pourraient être commises, le préfet peut faire usage après l'ouverture, la mutation ou la translation du débit de boissons, de ses pouvoirs de police administrative lorsque la situation le justifie.

En revanche, il n'appartient pas au maire ni, par suite, au préfet, de s'opposer à l'opération envisagée avant sa réalisation.

(12 juillet 2022, M. B., n° 447143)

 

247 - Véhicules d’intérêt général prioritaires - Véhicules des gardes champêtres - Véhicules exclus de cette catégorie - Absence d’atteinte au principe d’égalité - Rejet.

La fédération requérante poursuivait l’annulation du rejet implicite de sa demande tendant à l'abrogation du point 6.5 de l'article R. 311-1 du code de la route en tant qu'il ne mentionne pas les véhicules de service des gardes champêtres ou à l'adoption d'un acte réglementaire similaire, pour ces véhicules, au décret du 28 avril 2005 relatif aux véhicules de police municipale.

La requête est rejetée.

Le Conseil d’État considère que les différences existant entre les missions des gardes champêtres, telles qu'elles sont notamment définies à l'article L. 521-1 du code de la sécurité intérieure, et celles des policiers municipaux, telles qu'elles sont notamment définies à l'article L. 511-1 de ce code, justifient les différences qui peuvent affecter les équipements des gardes champêtres par rapport à ceux des policiers municipaux, et en particulier les modalités de signalisation de leurs véhicules de service respectifs sans qu’il soit porté atteinte au principe d'égalité. 

La simple affirmation, à défaut d’éléments suffisants pour l’établir, que les gardes champêtres doivent pouvoir bénéficier des mêmes facilités de circulation que les policiers dont les véhicules sont regardés comme des véhicules d'intérêt général prioritaires, ne suffit pas à révéler une erreur manifeste d’appréciation dans la décision du ministre de l’intérieur refusant d’étendre aux véhicules des gardes champêtres le bénéfice des dispositions relatives aux véhicules d'intérêt général prioritaires.

(15 juillet 2022, Fédération nationale des gardes champêtres (FNGC), n° 453681)

 

248 - Contrôle technique des véhicules poids lourds - Demande de suspension de l’agrément accordé à une société exerçant ce contrôle - Invocation d’une atteinte à la concurrence - Intérêt pour agir - Existence - Qualification inexacte des faits - Annulation sans renvoi (seconde cassation).

Une société de contrôle technique des véhicules poids lourds a demandé au préfet de suspendre l’agrément accordé à une autre société de contrôle.

Elle a saisi en vain le tribunal administratif du rejet implicite de sa demande, ce dernier estimant que la requérante ne faisait état d'aucune circonstance particulière de nature à établir que les conditions posées par le code de la route auraient été gravement méconnues, alors qu'aucun dysfonctionnement en matière de sécurité n'avait été relevé lors d'une visite de contrôle du 16 septembre 2010. La cour administrative d’appel a rejeté l’appel dirigé contre son jugement puis, après cassation de son arrêt et renvoi, elle a confirmé à nouveau ce rejet motif pris de ce que la société Vivauto PL ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir.

Saisi d’un second pourvoi, le Conseil d’État annule cet arrêt en ce qu’il repose sur une inexacte qualification des faits.

En effet, pour demander la suspension de l’agrément accordé à cette autre société, la demanderesse soutenait que cette dernière, avec laquelle elle se trouve en concurrence, bénéficie indûment d'une situation irrégulière face à laquelle le préfet refuse d'intervenir. La société requérante exploite un réseau de centres de contrôle technique de poids lourds, dont un est implanté à Villefranche-sur-Saône (Rhône), à une distance de près d'une centaine de kilomètres de celui exploité par la société concurrente à Roanne (Loire), qui fonctionne sans accréditation du comité français d'accréditation (COFRAC). Pour justifier de son intérêt pour agir contre la décision préfectorale contestée, elle fait état d'un préjudice commercial tiré de l'avantage concurrentiel dont bénéficie cette société en s'abstenant de se soumettre à la procédure d'accréditation par le COFRAC, ce qui permet à cette dernière d'éviter les coûts associés à cette procédure ainsi que ceux résultant du respect des conditions de mise en conformité auxquelles est conditionnée l'accréditation.

Le juge déduit de là que du fait de la proximité entre ces deux activités de contrôle technique, séparées par une distance qui n'excède pas la distance moyenne entre le centre géré par la société en cause et ses autres concurrentes, et de l’existence subséquente de l'avantage concurrentiel qui peut résulter de cette situation pour cette société, la société Vivauto PL justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. 

Cette seconde cassation conduit le juge, statuant sur le fond du litige, à annuler le refus implicite du préfet de suspendre l’agrément illégalement accordé à la société rivale de la requérante et à lui enjoindre de suspendre ledit agrément.

(19 juillet 2022, Société Vivauto PL, n° 447368)

 

249 - Police des armes et munitions - Classement des armes en catégories - Demande d’abrogation de l’arrêté portant classement de certaines armes et munitions - Refus - Annulation partielle.

La société requérante, qui fabrique et commercialise des armes de force intermédiaire, dites non létales, demande l’annulation du refus implicite du ministre de l’intérieur d’accéder à sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions en application du B de l'article 2 et du (a) de l'article 5 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 modifié relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions.

Avant d’examiner le fond du recours, le Conseil d’État règle deux importantes questions de procédure. D’abord, il affirme sa compétence en premier et dernier ressort pour connaître du litige car la décision par laquelle le ministre de l'intérieur ou le ministre de la défense procède au classement d'une arme dans l'une des catégories définies à l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure présente un caractère réglementaire, or les recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires des ministres relèvent de la compétence directe du Conseil d’État. Ensuite, le ministre défendeur opposait une fin de non-recevoir au demandeur pour défaut d’intérêt pour agir. Cette exception est rejetée car, comme le relève justement le Conseil d’État, la société Redcore fabrique et commercialise des armes telles que celles concernées par les mesures réglementaires contestées. Ainsi, la demanderesse justifie d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation du refus d'abrogation de l'arrêté du 30 avril 2001. 

S’agissant des armes fabriquées et commercialisées par la société Verney-Carron, le juge retient que le « Flash-Ball Pro » fabriqué et commercialisé par cette société ne doit pas être regardé, contrairement à ce que soutient la société Redcore, comme une arme spécifiquement destinée au maintien de l'ordre au sens des dispositions du code de la sécurité intérieure mais comme une arme que ses caractéristiques destinent à la protection rapprochée des forces de l'ordre à des fins de légitime défense. De plus, en raison des diverses autres caractéristiques du « Flash-Ball Pro » (canon lisse et non rayé, munitions en caoutchouc souple ne causant pas des lésions graves ou permanentes, etc.), le refus du ministre de l’intérieur de procéder à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe le « Flash-Ball Pro » et ses munitions 44/83 et 44/83 P en catégorie B3, n’est pas entaché d’illégalité.

S’agissant des armes fabriquées et commercialisées par la société Alsetex, le ministre et cette société ont reconnu à l’audience que, compte tenu de leur dangerosité, les lanceurs de grenades « Cougar » et « Chouka » que cette société commercialise et leurs munitions de calibre 56 mm, qui sont spécifiquement destinés au maintien de l'ordre, relèvent respectivement des 4° et 5° de la catégorie A2.

D’où il suit qu’en refusant de procéder à l’abrogation, qui lui était demandée, de leur classement en catégorie B3, le ministre de l’intérieur a inexactement appliqué les dispositions des art. L. 311-2 et R. 311-2 du code de la sécurité intérieure. Le juge ordonne donc cette abrogation sur le fondement de l’art. L. 911-1 du CJA, cette abrogation devant intervenir dans le délai d’un mois.

(21 juillet 2022, Société Redcore, n° 436692)

 

250 - Police des jeux - Casino - Courriel d’une direction du ministère de l’intérieur comportant interprétation de la réglementation applicable aux casinos - Absence de caractère de décision ou de document de portée générale à effets notables - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

(21 juillet 2022, Fédération des employés et cadres Force ouvrière, n° 449388)

V. n° 15

 

251 - Police des véhicules - Contrôle technique obligatoire des véhicules à deux ou trois roues et quadricyles - Mise en place initiale en 2022 puis retardée et échelonnée - transposition d’une directive de l’Union – Non-respect - Annulation sans modulation de la date d’effet de la décision.

(27 juillet 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 457398)

V. n° 167

 

252 - Prolongement ou rétablissement des contrôles aux frontières terrestres, maritimes et aériennes de la France - Règlement européen du 9 mars 2016 - Menaces nouvelles ou d’une nature différente des précédentes - Cas en l’espèce - Rejet.

(27 juillet 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers et autres, n° 463850)

V. n° 180

 

Professions réglementées

 

253 - Signalement relatif à un mineur par un médecin – Dispositions combinées du code pénal et du code de l’action sociale et des familles - Absence de faute disciplinaire sauf mauvaise foi – Rejet.

Cette décision a le grand mérite de clarifier et de préciser le régime applicable aux signalements effectués par un médecin sur des violences que pourrait subir un mineur. Elle rassurera les praticiens et les ordres professionnels concernés et devrait réduire un certain nombre de contentieux « parasitaires » en cette matière.

Le juge déduit ici, en les combinant, des dispositions des art. 226-13 et 226-14 du code pénal et L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles que « lorsqu'un médecin signale au procureur de la République ou à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes, des faits laissant présumer qu'un mineur a subi des violences physiques, sexuelles ou psychiques et porte à cet effet à sa connaissance tous les éléments utiles qu'il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce jeune patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l'enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l'enfant soumis à son examen médical, sa responsabilité disciplinaire ne peut être engagée à raison d'un tel signalement, s'il a été effectué dans ces conditions, sauf à ce qu'il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi. » 

C’est bien évidemment à celui qui allègue la mauvaise foi, laquelle ne saurait se présumer, d’en rapporter la preuve.

(5 juillet 2022, Mme E., n° 448015)

 

254 - Chirurgiens-dentistes – Demande d’inscription d’une société d’exercice libéral à responsabilité (SELAS) au tableau de l’Ordre - Refus implicite – Demande de suspension en référé – Rejet.

On sera surpris de cette ordonnance de référé refusant de suspendre la décision implicite par laquelle le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes a refusé l'inscription de la SELAS " Cabinet 158 Croix Nivert " au tableau.

En dépit des éléments du dossier, la demande de suspension est rejetée pour défaut d’urgence.

Les requérantes faisaient valoir, ce dont le juge ne disconvient pas, que le projet médical porté par la SELAS est de rassembler une large équipe pluridisciplinaire sur un plateau médical neuf s'étendant sur 360 m2 avec une capacité totale de onze unités de soins, permettant d'intégrer jusqu'à seize praticiens, qu’il a mobilisé pendant neuf mois un grand nombre d'acteurs et a fait l'objet de lourds investissements. Elles précisent encore avoir signé un bail commercial d'un montant de 170 000 euros par mois et avoir investi 1 110 066,49 euros pour l'aménagement du plateau, le montant de trésorerie consolidé de 1 449 060,34 euros devant être rapidement amputé compte tenu de cet investissement. Enfin, elle ajoute qu’un praticien s'est retiré en tant qu'associé d'une autre société d'exercice libéral dans l'optique de sa nouvelle participation et qu'une promesse d'intégration a été adressée à un futur associé professionnel qui se trouve dans l'attente d'un transfert. 

Le juge des référés rétorque, d’une part, que la société requérante ne pouvait toutefois ignorer que, ainsi que le prévoit l'article R. 4113-4 du code de la santé publique, elle était constituée sous la condition suspensive de son inscription au tableau de l'ordre, et que par conséquent elle prenait un risque en engageant toutes les dépenses sans attendre son inscription - le fait que, selon elle, le refus du conseil départemental n'était pas prévisible étant, selon la position discutable du juge, sans incidence -, et, d’autre part, que le conseil régional, appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée dans le cadre du recours préalable obligatoire prévu par l'article R. 4112-5 du code de la santé publique, dont la décision se substituera à la décision attaquée, a été saisi dès début juin et a convoqué les parties au litige le 7 juillet prochain. Il statuera donc sur le recours dans de brefs délais.

Si le conseil régional ne donne pas gain de cause aux demandeurs et si ceux-ci estiment à nouveau irrégulier ce refus, il leur faudra plaider devant le juge – sans doute des référés – du Conseil d’État. Ce ne sera alors plus l’urgence mais le feu…

(ord. réf. 5 juillet 2022, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELAS) « Cabinet 158 Croix Nivert » et Société de participation financière de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France, n° 465022)

 

255 - Médecins du travail - Faculté de délégation de missions aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail (décret du 22 avril 2022) - Visites de pré-reprise et de reprise pouvant être confiées à ces infirmiers - Défaut d’urgence - Rejet.

Le Conseil national de l'ordre des médecins demande en référé la suspension de l'article R. 4623-14 du code du travail dans sa rédaction résultant du décret attaqué, en tant qu'il permet la délégation aux infirmiers en santé au travail des visites de reprise et de pré-reprise prévues par les dispositions des art. R. 4624-29 à R. 4624-32 du code du travail.

Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

D’abord, il résulte des dispositions dont la suspension est demandée que si elles précisent la nature des tâches pouvant être déléguées par les médecins du travail aux infirmiers en santé au travail dans le cadre prévu par la loi, et les conditions de cette délégation, elles n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet d'étendre le champ de ces tâches au-delà de ce que permet la loi, ni pour effet de contraindre les médecins du travail à recourir à cette délégation, dont le principe, l'étendue et le contrôle sont placés sous leur responsabilité.

Ensuite, c’est au seul médecin du travail qu’il appartient d'apprécier au cas par cas, la mesure dans laquelle la formation et l'expérience d'un infirmier en santé au travail sont compatibles avec la délégation de certaines des tâches visées par le décret attaqué, et d'organiser sous sa responsabilité, au sein de l'équipe pluridisciplinaire, les conditions dans lesquelles les travailleurs dont l'état de santé est susceptible de présenter une incompatibilité avec la reprise de leur travail, ou de réclamer une adaptation de leur poste, seront orientés de façon à ce que cette incompatibilité soit évaluée, et ces adaptations prescrites, par le médecin du travail lui-même. 

Enfin, s’il est soutenu que le nombre des médecins du travail diminuant depuis plusieurs années selon une évolution qui est susceptible de se poursuivre et qu’ainsi  ces médecins pourraient se trouver progressivement contraints de déléguer les tâches inhérentes aux examens de reprise et de pré-reprise dans des conditions qui ne garantiraient plus le respect des exigences encadrant cette délégation, et présenteraient un risque pour la santé des personnes appelées à reprendre le travail à l'issue d'un arrêt de maladie, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des éléments apportés à l'audience, que ce risque, à le supposer avéré, soit susceptible de se réaliser à brève échéance.

Faute d’urgence, la demande de suspension est rejetée sans qu’il soit besoin d’examiner l'existence éventuelle d'un moyen propre à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ce décret.

(18 juillet 2022, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 465316)

 

256 -Notaire - Demande de nomination en qualité de notaire associé - Condition d’honorabilité - Vérification auprès du procureur de la république près un tribunal judiciaire - Procédure régulière - Refus de nomination - Rejet.

Le requérant, qui exerçait jusque-là les fonctions de notaire salarié, a saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, d’une demande de nomination en qualité de notaire associé au sein de l’étude où il exerçait jusqu’alors comme notaire salarié.

Le garde des sceaux, pour vérifier l’inexistence, de la part de l’intéressé, de commission de faits contraires à l'honneur et à la probité, ne s’est pas borné à la communication par le bureau du Conseil supérieur du notariat des informations dont celui-ci disposait permettant d'apprécier l'honorabilité de l'intéressé mais a également sollicité le procureur de la république du tribunal judiciaire dans le ressort duquel le candidat exerce ses fonctions aux fins de savoir si ce dernier a été mis en cause pour de tels faits.

Il a, par la suite, refusé de nommer l’intéressé à la fonction de notaire.

Par voie de référé suspension (art. L. 521-1 CJA), le demandeur a saisi, en vain le juge de première instance et se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet.

Le juge des référés du Conseil d’État rejette le pourvoi en ses deux chefs : la procédure suivie a été régulière et le refus opposé n’est pas insuffisamment motivé.

En premier lieu, il est loisible au garde des sceaux de rechercher d’autres informations que celles dont dispose le Conseil supérieur du notariat aux fins d’opérer les vérifications qui lui incombent notamment qu’à l’honorabilité du candidat à la nomination en qualité de notaire.

En second lieu, en s’appuyant sur la circonstance que ce candidat avait giflé son ex-épouse, alors qu'il venait chercher ses enfants au domicile de cette dernière et qu'il avait été poursuivi pour des faits de violences volontaires sur conjoint ayant entraîné une incapacité totale de travail de moins de huit jours et en estimant que, bien que ces faits isolés et non réitérés n'avaient pas donné lieu à des poursuites, mais uniquement à un rappel à la loi, ils n'étaient pas suffisamment anciens à la date de la décision attaquée et présentaient un caractère de gravité suffisant pour justifier le refus de nomination opposé à M. B., le juge des référés n'a pas entaché d'insuffisance de motivation ni de dénaturation son ordonnance. 

(29 juillet 2022, M. B., n° 458168)

 

257 - Office notarial - Demande d’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe - Refus - Suspension accordée - Absence d’analyse de la caractérisation de l’urgence - Annulation.

Un office notarial s’étant vu refuser par le ministre de la justice l’autorisation d’ouvrir un bureau annexe, a saisi le juge des référés qui, pour caractériser l’urgence, a relevé que la condition d'urgence était remplie du fait de l'atteinte grave et immédiate portée aux intérêts de la société requérante par le refus opposé à sa demande d'ouverture d'un bureau annexe car cela impliquait nécessairement une perte de chiffre d'affaires pour la société, en ce qu'elle l'empêchait d'exploiter le local dont elle disposait dans la commune concernée.

Pour annuler cette ordonnance de suspension, le Conseil d’État reproche au premier juge d’avoir jugé ainsi sans apporter plus de précision sur l'impact financier pour la société ni sur les autres intérêts en présence.

Statuant au fond (cf. art. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État estime non remplie la condition d’urgence en dépit des charges d'un local dont elle a fait l'acquisition que supporte la société requérante, en vue de l'ouverture de son bureau annexe, d’autant que l'absence d'exploitation de ce local ne porte pas par elle-même une atteinte grave à sa situation, ni à l'intérêt des habitants de cette commune.

(21 juillet 2022, garde des sceaux, ministre de la justice, n° 455179)

 

258 - Médecins - Conseil national de l’ordre - Fixation de la cotisation ordinale due par les médecins retraités inscrits au tableau et n'ayant plus aucune activité médicale rémunérée - Contestation par des moyens sans portée - Rejet.

Le requérant conteste par divers moyens de caractère général et tirés de son incompatibilité avec plusieurs exigences découlant de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision annuelle par laquelle le Conseil national de l’ordre des médecins a fixé pour l’année 2019 le montant de la cotisation ordinale due par les médecins retraités inscrits au tableau et n'ayant plus aucune activité médicale rémunérée. Le recours est rejeté faute de précisions suffisantes des moyens de légalité dirigés contre la délibération attaquée ou les dispositions sur le fondement desquelles elle a été prise.

(22 juillet 2022, M. A., n° 442148)

 

259 - Ordre professionnel (vétérinaires) - Procédure disciplinaire - Rejet d’un appel pour tardiveté - Dates de réception et de signature de la notification de la décision de première instance - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

(22 juillet 2022, M. A., n° 448999)

V. n° 70

 

260 - Vétérinaires - Procédure disciplinaire - Communication du rapport du rapporteur au président du conseil régional ou national de l’ordre et à l’intéressé – Non-respect des droits de la défense et de l’égalité des armes - Annulation.

Commet une erreur de droit la juridiction ordinale qui - se fondant sur les dispositions des art. R. 242-95, R. 242-96, R. 242-97, à l'article R. 242-99, R. 242-100, R. 242-101 à R. 242-108,  R. 242-112 et R. 242-113 du code rural -,  juge que le seul fait que la personne poursuivie par l'ordre des vétérinaires n'ait connaissance du rapport qu'après qu'il ait été transmis au président du conseil régional ou du conseil national de l'ordre ne porte aucune atteinte aux droits de la défense et à l'égalité des armes.

(22 juillet 2022, Société Bozet-Michaux et MM. B. et E., n° 452221 ; Mme D., M. F. et société D.-F., n° 452302, jonction)

 

261 - Vétérinaires - Sanction disciplinaire assortie d’un sursis - Nouvelle sanction dans les cinq ans de la première devenue définitive - Application cumulée de la première et de la seconde sanction - Principe d’individualisation des peines - Transmission d’une QPC.

(26 juillet 2022, M. B., n° 461090)

V. n° 279

(262) V. aussi, identique : 26 juillet 2022, M. B., n° 464975.

 

263 - Experts-comptables - Juridictions disciplinaires - Absence de séparation entre les fonctions d’accusation, d’instruction et de jugement - Caractère sérieux de la question - Transmission d’une QPC.

(27 juillet 2022, M. D., n° 440070)

V. n° 280

 

264 - Chirurgien-dentiste - Exercice de la profession en France et en Roumanie - Liens privilégiés avec une société installée en Roumanie - Non communication à l’Ordre du contrat entre le praticien et la société - Sanction - Rejet.

Le requérant, inscrit au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes en France et en Roumanie, exerce son activité professionnelle en France dans un cabinet situé à Lyon et en Roumanie dans un établissement de soins dentaires, exploité par la société « Medical Tours Company ». Poursuivi pour infraction aux règles ordinales, il a fait l’objet d’un blâme de la part de la chambre disciplinaire de première instance puis, sur appel du conseil départemental de l’ordre, d’une interdiction d’exercice de sa profession pendant deux mois assortie du sursis, prononcée par la chambre disciplinaire nationale de l’ordre.

Il se pourvoit en cassation contre cette décision ; son pourvoi est rejeté.

Le requérant a d’abord été sanctionné pour avoir exercé sa profession « comme un commerce ». Le Conseil d’État approuve cette solution car l’intéressé participait à l'activité de la société « Medical Tours Company » en assurant la prise en charge de patients, résidant en France, souhaitant se rendre en Roumanie pour se faire poser des implants dentaires à moindre coût, d'une part, dans son cabinet à Lyon, en élaborant des plans de traitement pour ces patients et en assurant leurs visites préopératoires et post-opératoires, d'autre part, en assurant chaque mois la pose d'une quarantaine d'implants en Roumanie dans l'établissement géré par cette société et en étant rémunéré par cette dernière sous la forme de la rétrocession d'une part de ses bénéfices. La circonstance que ces éléments aient été obtenus à l’insu de M. B. au moyen d’un courriel adressé sous un nom d’emprunt à la société roumaine, permettant ainsi de constater la nature et la fréquence des liens existants entre M. B. et cette société, n’entache pas d’erreur de droit l’appréciation souveraine portée par la chambre de discipline. Pas davantage la chambre n’a commis d’erreur de droit ou de qualification juridique en voyant dans l’ensemble de ces faits l’exercice « un commerce ».

Le requérant conteste le reproche de non transmission à l’Ordre du contrat le liant à la société roumaine.

Le Conseil d’État approuve la solution car la chambre disciplinaire n’a pas inexactement qualifié les faits : la collaboration entre M. B. et la société « Medical Tours Company » présentait bien un caractère contractuel sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'activité de M. B. était exercée en France ou en Roumanie et cette collaboration aurait dû, conformément aux dispositions du code de la santé publique, donner lieu à l'établissement d'un contrat écrit devant être communiqué aux instances ordinales.

Enfin, contrairement à ce que soutient le demandeur, la sanction infligée ne revêt pas un caractère disproportionné.

(27 juillet 2022, M. B., n° 440687)

 

265 - Convention nationale des infirmiers libéraux - Avenant n° 6 à cette convention - Demande d'abrogation - Refus - Annulation très partielle.

Les requérants demandaient l'abrogation des décisions par lesquelles l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) et le ministre des solidarités et de la santé ont implicitement rejeté leur demande du 12 avril 2021 tendant à l'abrogation de l'avenant n° 6 à la convention nationale des infirmiers libéraux signée le 22 juin 2007. Ils développent au soutien de leurs conclusions la juridicité, d'une part des conditions d'adoption de l'avenant n° 6 litigieux, d'autre part, d'un certain nombre de ses dispositions.

La critique des conditions d'adoption de l'avenant, est rejetée : la convention n'était pas venue à échéance antérieurement à la conclusion de l'avenant et sa signature ne l'a pas été par un seul des deux ministres compétents mais par le seul ministre compétent.

Concernant les diverses mesures que contient cet avenant, trois critiques étaient avancées : celles portant sur le dispositif démographique applicable aux infirmiers, celles relatives à la prise en charge des soins à domicile des patients dépendants et celles relatives aux modalités d'exercice de la profession d'infirmier, prévues respectivement aux articles 3, 5.7 et 9 de l'avenant.

L'art. 3 de la convention, pris en exécution des dispositions de l'art. L. 1434-4 du code de la santé publique, distingue selon que l'infirmier exerce sa profession dans les zones où le niveau de l'offre de soins est particulièrement élevé, qui sont soumises à des mesures de limitation du conventionnement, ou dans des zones caractérisées soit par une offre de soins insuffisante soit par des difficultés dans l'accès aux soins. La délimitation de ces différentes zones est établie par le directeur général de l'ARS, après concertation avec les professions de santé concernées.

C'est donc la loi qui a autorisé les partenaires conventionnels, en vue d'améliorer l'accès aux soins des assurés sociaux, à apporter des restrictions à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la libre concurrence, à la liberté d'installation et au principe de libre exercice à titre libéral de la profession d'infirmier. 

Les restrictions ainsi apportées à l'exercice de cette profession, sont justifiées par les inégalités dans la répartition des infirmiers libéraux sur le territoire. Elles n'établissent pas de distinction selon que l'infirmier libéral est Français ou non, ce qui est conforme à l'art. 49 du TFUE et, enfin, il n'y a pas d'inégalité irrégulière à ce que médecins et infirmiers fassent l'objet de conventions distinctes aux stipulations différentes en raison des différences objectives de situation les caractérisant.

Enfin, les dispositions permettant à un organisme local d'assurance maladie de retirer le conventionnement initialement accordé à un infirmier libéral, après avoir informé l'infirmier de son intention et à l'expiration d'un délai permettant à l'intéressé de faire connaître ses observations, ne nécessitaient qu'elles fussent prises par un décret en Conseil d'État.

L'art. 5.7 de la convention, relatif à la prise en charge des soins à domicile des patients dépendants ayant épuisé ses effets sous sa version initiale, puisque remplacé par l'avenant n° 8, conclu le 19 novembre 2021, les conclusions formulées à son encontre sont devenues sans objet.

Concernant l'art. 9 de la convention, deuxième alinéa, le refus d'en abroger son approbation est irrégulier car s'il incombe au pouvoir réglementaire de définir les conditions d'une utilisation, par les infirmiers, de procédés de publicité compatibles avec les exigences de protection de la santé publique, de dignité de la profession, de confraternité entre infirmiers et de confiance des malades envers les infirmiers, il résulte des stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff. C-339/15), qu'elles s'opposent à des dispositions réglementaires, telles que celles qui figurent au deuxième alinéa de l'article 9 de l'avenant en litige, qui interdisent tout moyen direct ou indirect de publicité et notamment une signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale.

(1er août 2022, Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (ONSIL) et Syndicat des infirmiers libéraux INFIN'IDELS, n° 456934)

 

266 - Infirmiers - Nomenclature générale des actes professionnels - Durée forfaitaire d'une demi-heure retenue pour toute « séance de soins infirmiers » - Notion - Portée - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l'annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ont implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'article 11 du titre XVI de la nomenclature générale des actes professionnels en tant qu'il prévoit que la séance de soins infirmiers est d'une durée d'une demi-heure.

Le recours est rejeté.

Ce texte définit tout d'abord la « séance de soins infirmiers » prise en charge, avec la cotation qu'il lui attribue, comme comprenant « l'ensemble des actions de soins liées aux fonctions d'entretien et de continuité de la vie, visant à protéger, maintenir, restaurer ou compenser les capacités d'autonomie de la personne ». Il indique ensuite que « La cotation forfaitaire par séance inclut l'ensemble des actes relevant de la compétence de l'infirmier réalisés au cours de la séance, la tenue du dossier de soins et de la fiche de liaison éventuelle ». Il fixe la durée de cette séance à une demi-heure.

Le syndicat requérant conteste donc le refus d'abroger cette disposition dans cette mesure.

Tout d'abord, si seule l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a compétence pour abroger ou modifier la liste des actes et prestations pris en charge ou remboursés par l'assurance maladie et si, par suite, le premier ministre et le ministre de la santé et de la solidarité n'avaient pas compétence pour procéder à l'abrogation sollicitée, ils sont cependant réputés, en vertu de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration, avoir transmis cette demande à l'administration compétente.

Ensuite, il résulte des dispositions de l'article 11 précité du titre XVI de la nomenclature des actes et prestations dans sa rédaction en vigueur, issue de la décision de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie du 22 janvier 2022, que la séance de soins infirmiers, donnant lieu à une cotation forfaitaire, comprend l'ensemble des actions de soins réalisées relevant de la compétence de l'infirmier participant à la protection, au maintien, à la restauration ou à la compensation des capacités d'autonomie de la personne ainsi que la tenue du dossier de soins et de la fiche de liaison éventuelle et qu'elle a, du fait de la prise en charge globalisée qu'elle implique, vocation à durer environ une demi-heure. Cette définition de la séance de soins s'impose à l'infirmier qui ne peut notamment facturer une seconde séance au motif que la première aurait dépassé cette durée de quelques minutes. Ces dispositions ne comportent pas d'erreur manifeste d'appréciation ni en ce qu'elles établissent cette durée forfaitaire ni en ce qu'elles estiment cette durée nécessaire à la prise en charge globalisée attendue.

En outre, ces dispositions sont dépourvues d'ambiguïté et ne portent pas atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme.

(1er août 2022, Syndicat des infirmiers libéraux INFIN'IDELS, n° 457157)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

267 - Compétences dévolues à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (ARCOM) – Respect du pluralisme, de la liberté de communication et de l’indépendance des media - Incompétence négative du législateur dans la définition de ces pouvoirs – Absence – Rejet de la QPC.

L’association requérante sollicitait la transmission d’une QPC fondée sur l’inconstitutionnalité des art. 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à l’appui de sa demande d’annulation de la décision du 5 avril 2022 par laquelle l'ARCOM a rejeté sa demande tendant à ce qu'elle adresse une mise en demeure à l'éditeur du service de télévision « Cnews ».

La requête est rejetée car, relève le Conseil d’État, eu égard aux prérogatives dont, en l'état de la législation, l’ARCOM est dotée à fin d’exercer sa fonction de veiller au respect de la liberté de communication et de l'objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme et d'indépendance des media par les services de radio et de télévision, en particulier son pouvoir de mise en demeure et de sanction qu'elle est susceptible d'exercer notamment sur saisine des organisations de défense de la liberté de l'information reconnues d'utilité publique en France ou sur la base des informations transmises par le comité de personnalités prévu par l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, et qu'elle exerce sous le contrôle du juge, y compris en cas de carence dans l'exercice de ces prérogatives, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions contestées seraient entachées d'une incompétence négative de nature à priver de garantie légale les exigences constitutionnelles susrappelées.

(1er juillet 2022, Association Reporters sans frontières (RSF), n° 463162)

 

268 - Changement de nom des communes - Autorité compétente pour le décider - Régime différent pour les communes nouvelles et pour les communes existantes - Refus de transmettre une QPC.

(7 juillet 2020, Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres, n° 460445)

V. n° 33

 

269 - Dotation d'équilibre versée par chaque établissement public à la métropole du Grand Paris - Majoration à titre exceptionnel - Atteinte à des libertés constitutionnellement garanties - Transmission d'une QPC.

L'article 255 de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 a prévu qu'à titre exceptionnel, d'une part, la dotation d'équilibre versée en 2021 par chaque établissement public territorial à la métropole du Grand Paris est augmentée d'un montant égal aux deux-tiers de la différence, si elle est positive, entre le produit de la cotisation foncière des entreprises perçu en 2021 et celui perçu en 2020 par chaque établissement public territorial et d'autre part, le produit de la cotisation foncière des entreprises perçue en 2021 est majoré du montant du prélèvement sur recettes prévu au 3 du A du III de l'article 29 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

Le Conseil d'État estime que ces dispositions sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 et que, partant, leur critique soulève une question présentant un caractère sérieux justifiant la transmission de la QPC soulevée de ce chef.

(7 juillet 2022, Établissement public territorial Paris Est Marne et Bois, n° 463180)

 

270 - Contribution au redressement des finances publiques - Détermination - Cas où une intercommunalité intègre une commune nouvelle issue d’une fusion des communes constituant alors une communauté de communes - Minoration de la dotation d’intercommunalité servie à l’ancienne communautés de communes - QPC - Rejet.

(18 juillet 2022, Communauté de communes de Puisaye-Forterre, n° 460810 et n° 460811)

V. n° 34

 

271 - Demande de transmission d’une QPC - Question identique à celle déjà renvoyée au Conseil constitutionnel et en cours d’examen - Absence de transmission.

Il résulte des dispositions de l’art. R. 771-18 du CJA, qu’une QPC peut n’être pas transmise au Conseil constitutionnel lorsqu’elle est identique à une autre déjà transmise et en cours d’examen.

(18 juillet 2022, Commune de Montreuil, n° 463199)

(272) V. aussi, identique : 18 juillet 2022, Commune de Gennevilliers, n° 464560.

 

273 - Article L. 521-3-1 du code de la consommation - Site internet et application mensongers sur la nature et le contrôle des produits vendus - Injonction de cesser non respectée - Déréférencement ordonné à plusieurs sociétés de moteurs de recherche sur le fondement de cette disposition - Proportionnalité des atteintes portées par ces sanctions à diverses libertés - Transmission d’une QPC.

La société requérante, société de droit américain qui exploite une place de marché numérique constituée du site internet « wish.com » et d'une application mobile de vente en ligne sous l'appellation commerciale « Wish », n’a pas déféré à la décision du service de la répression des fraudes lui enjoignant, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 521-3-1 du code de la consommation, de cesser de tromper le consommateur sur la nature des produits vendus, sur les risques inhérents à leur utilisation et sur les contrôles effectués.

En conséquence, ce service a enjoint aux sociétés Google Ireland Ltd, Qwant SAS, Microsoft Corporation et Apple Inc. de procéder au déréférencement de l'adresse du site « wish.com » et de l'application « Wish » de leurs moteurs de recherche et magasins d'applications respectifs.

La requérante a, notamment, soulevé une QPC fondée sur ce que les dispositions du a) du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation ici applicables porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'expression et de communication, garanties par les articles 4 et 11 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil d’État - rejetant l’argument du ministre de l’économie et des finances soutenant que cette disposition se borne à tirer les conséquences nécessaires des dispositions de l'article 9 du règlement du 12 décembre 2017 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l'application de la législation en matière de protection des consommateurs et des dispositions de l'article 14 du règlement du 20 juin 2019 sur la surveillance du marché et la conformité des produits - y aperçoit une question de caractère sérieux et la transmet au Conseil constitutionnel.

(22 juillet 2022, Société ContextLogic Inc., n° 459960)

 

274 - Fichier national des empreintes génétiques et service central de préservation des prélèvements biologiques (FNAEG) - Conservation des empreintes durant un délai incompressible - Fixation de ce délai par le pouvoir réglementaire - Absence de caractère sérieux de la QPC soulevée - Refus de transmission - Rejet.

L’organisation requérante, dans le cadre d’une demande d’annulation du décret du 29 octobre 2021 modifiant le code de procédure pénale, relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques et au service central de préservation des prélèvements biologiques, soulevait une QPC à propos des dispositions de l’art. 706-54-1 du code de procédure pénale (CPP) interdisant aux personnes mentionnées au premier alinéa de l'article 706-54 du même code de demander l'effacement de leurs empreintes génétiques avant l'expiration d'un délai fixé par décret.

La transmission de la QPC est refusée car l’inscription au fichier litigieux est nécessaire à la recherche des auteurs des crimes ou délits visés par le CPP et l’impossibilité d’effacer leurs empreintes génétiques pendant une durée longue incompressible ne porte pas, dans son principe, eu égard à l'objet du fichier, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Par ailleurs le renvoi au pouvoir réglementaire de la fixation d’un tel délai sous le contrôle du juge administratif ne prive pas les personnes concernées de la garantie légale du droit au respect de leur vie privé.

Enfin, il n’y avait pas lieu de prévoir des durées incompressibles différentes selon les situations des personnes concernées.

Il n’est pas interdit de ne pas être convaincu par ce raisonnement bien latitudinaire en faveur du pouvoir exécutif.

(22 juillet 2022, Ligue des droits de l’homme, n° 459967)

 

275 - Établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre - Dotation globale de fonctionnement (DGF) -  Composante de cette dotation - Dotation d’intercommunalité attribuée individuellement -  III de l’article L. 5211-28 du CGCT - Atteinte aux principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques, de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales - Rejet de la demande de transmission de la QPC.

(22 juillet 2022, Communauté de communes Chinon Vienne et Loire, n° 464270)

V. n° 38

 

276 - Fusion entre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - EPCI en situations différentes au regard de leurs régimes fiscaux de fiscalité professionnelle - EPCI soumis au régime fiscal de la fiscalité professionnelle unique et EPCI soumis au régime de la fiscalité additionnelle - Compensation de la suppression de la taxe d’habitation - Mécanisme dit de « débasage / rebasage » de la part communale du taux de taxe d'habitation - Versement d'attributions de compensation aux communes concernées par l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle (V. de l’art. 1609 nonies C du CGI) - Atteinte au principe constitutionnel principe d'égalité devant la loi - Question présentant un caractère sérieux - Transmission d’une QPC.

(22 juillet 2022, Communauté d'agglomération Vienne Condrieu Agglomération, n° 464934)

V. n° 39

 

277 - Produits distribués par une société par prélèvement sur des sommes non soumises à impôt au taux normal - Obligation de versement d’un précompte jusqu’en 2004 (1. de l’art. 223 sexies du CGI) - Redistribution par une société mère établie en France, de dividendes en provenance de filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne - Jurisprudence de la CJUE excluant l’obligation du précompte - Question sérieuse - Transmission d’une QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de savoir si les dispositions des trois premiers alinéas du 1 de l'article 223 sexies du CGI, dans leur version issue de la loi de finances pour 2000, portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 dans la mesure où, avant la suppression du précompte par la loi de finances pour 2004, une société mère établie en France procédant à la redistribution de dividendes en provenance de filiales établies dans d'autres États  membres de l'Union européenne n'était pas redevable, par application du droit de l'Union tel qu'interprété par la CJUE (12 mai 2022, Schneider Electric SE et autres, aff.C-556/20), du précompte au titre de cette même redistribution, alors qu'elle était redevable de cet impôt à raison des redistributions de dividendes en provenance de filiales établies en France ou dans des États  non membres de l'Union européenne.

(25 juillet 2022, Société européenne Schneider Electric SE et sociétés anonymes Axa, Engie et Orange, n° 442224)

 

278 - Courtiers d’assurance ou de réassurance - Intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement - Obligation d’adhésion à une association professionnelle - Discrimination par rapport à la situation d’autres professionnels - Libertés syndicale, d’entreprendre et d’association - Principe d’égalité devant la loi - Principes d’indépendance et d’impartialité - Question présentant un caractère sérieux - Transmission d’une QPC.

Sont jugées présenter un caractère sérieux et justifier un renvoi au Conseil constitutionnel les questions suivantes soulevées par l’association requérante.

1°/ En imposant aux courtiers d'assurance ou de réassurance ainsi qu'aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement ainsi qu'à leurs mandataires respectifs d'adhérer à une association professionnelle agréée, les dispositions des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier méconnaissent la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration de 1789, la liberté syndicale et la liberté d'association.

2°/ En imposant à ces professionnels d'adhérer à une association professionnelle agréée alors que, d'une part, elles ne prévoient qu'une simple faculté d'adhésion pour ces mêmes personnes lorsqu'elles exercent en France au titre de la libre prestation de services ou de la liberté d'établissement et que, d'autre part, elles dispensent de cette obligation d'adhésion, d'un côté, les établissements de crédit et sociétés de financement, les sociétés de gestion de portefeuille et les entreprises d'investissement et les agents généraux d'assurance ainsi que leurs mandataires respectifs, lorsque ces personnes exercent le courtage d'assurance à titre de mandataire d'intermédiaire d'assurance et, de l'autre, les mandataires exclusifs en opérations de banque et en services qui exercent l'intermédiation et les intermédiaires enregistrés sur le registre d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, les dispositions des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789.

3°/ Les dispositions des art. L. 513-6 du code des assurances et L. 519-14 du code monétaire et financier méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité garantis par l'article 16 de la Déclaration des de 1789 en ce qu'elles permettent à certains adhérents des associations professionnelles agréées de prononcer des sanctions à l'égard de leurs pairs et en ce qu'elles ne garantissent pas la séparation organique ou fonctionnelle des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement, lorsque ces associations infligent une sanction à leurs membres.

4°/ Ces mêmes dispositions, en conférant aux associations professionnelles agréées un pouvoir de sanction identique à celui détenu par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, méconnaissent le principe non bis in idem et le principe de légalité des délits et des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789.

(25 juillet 2022, Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP), n° 464217)

 

279 - Vétérinaires - Sanction disciplinaire assortie d’un sursis - Nouvelle sanction dans les cinq ans de la première devenue définitive - Application cumulée de la première et de la seconde sanction - Principe d’individualisation des peines - Transmission d’une QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de savoir  si les  dispositions du III de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime, en tant qu'elles prévoient que le prononcé d'une nouvelle sanction de suspension temporaire du droit d'exercer la profession de vétérinaire au cours du délai d'épreuve de cinq ans emporte révocation du sursis à l'exécution de la première sanction de suspension temporaire du droit d'exercer cette profession, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

(26 juillet 2022, M. B., n° 461090)

 

280 - Experts-comptables - Juridictions disciplinaires - Absence de séparation entre les fonctions d’accusation, d’instruction et de jugement - Caractère sérieux de la question - Transmission d’une QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité des dispositions des art. 49 et 50 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables, dans leur rédaction antérieure à leur modification par l'article 13 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, aux droits et libertés que garantit la Constitution, spécialement au regard du principe de séparation entre les fonctions d'accusation, d'instruction et de jugement. 

(27 juillet 2022, M. D., n° 440070)

 

281 - Vétérinaire - Infliction d’une sanction - Saisine du juge des référés d’une QPC et d’une demande de suspension - Pouvoirs du juge des référés en ce cas - Attente de la réponse du Conseil constitutionnel et décision immédiate de suspension au vu de la réunion des conditions requises à cet effet.

Le juge des référés était saisi à la fois d’une QPC et d’une demande de suspension au titre de l’art. L. 521-1 du CJA, par un vétérinaire faisant l’objet d’une mesure d’interdiction d’exercer sa profession du 1er juillet 2022 au 30 avril 2023.

En ce cas, il lui appartient, le cas échéant, de transmettre la QPC s’il la juge fondée ; cependant, en vertu d’une jurisprudence bien établie, il peut, s'il estime remplies les conditions posées par l'art.  L. 521-1 du CJA, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel étant déjà saisi d’une QPC identique qui lui a été renvoyée par le Conseil d’État, il y a lieu pour le juge des référés de décider s’il convient pour lui d’attendre la réponse à cette question ou s’il doit, estimant réunies les conditions nécessaires à cet effet, se prononcer immédiatement sur la demande en référé dont il est saisi.

Examinant les faits, le juge constate en premier lieu qu’est établie l’urgence à statuer, l’interdiction d’exercice de sa profession faite au requérant, qui prend effet au 1er juillet 2022, constituant sa seule source de revenus et cette interdiction devant durer dix mois et, en second lieu, qu’un doute sérieux existe quant à la juridicité des dispositions du III de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime dont il a été fait application au requérant.

Il ordonne en conséquence la suspension de la décision litigieuse du Conseil national de l’ordre des vétérinaires jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été renvoyée à propos de cette disposition.

(ord. réf. 27 juillet 2022, M. B., n° 464980)

 

282 - Article L. 1111-11 du code de la santé publique - Pouvoir du médecin de passer outre, en certains cas, aux directives anticipées de poursuite de soins et de traitements - Atteinte à divers droits et libertés - Transmission d'une QPC.

Revêt un caractère sérieux et est nouvelle la question de savoir si les dispositions de l'art. L. 1111-11 du code de la santé publique, en tant qu'elles prévoient que des directives anticipées de poursuite des soins et traitements ne s'imposent pas au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement dans le cas où ces directives « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale », conduisant alors à mettre fin à la vie du patient contre sa volonté, méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que la liberté de conscience et la liberté personnelle, garanties par le Préambule de la Constitution et les articles 1, 2, 4 et 10 de la Déclaration de 1789.

Les demanderesses soutenaient également qu'en tout état de cause la possibilité d'écarter des directives anticipées dans une telle hypothèse de refus d'arrêt des soins et traitements prodigués n'est pas suffisamment encadrée, l'expression « manifestement inappropriées » étant imprécise, aucun délai de réflexion n'étant ménagé et la décision étant prise non de manière collégiale mais par le seul médecin en charge du patient.

(form. coll., 19 août 2022, Mmes D., n° 466082)

 

Responsabilité

 

284 - Lésion imputable à un tiers – Droit à réparation du préjudice - Préjudice non réparé par le code de la sécurité sociale – Droit d’une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) au remboursement de ses débours – Mise en jeu erronée de la responsabilité d’un centre hospitalier – Rejet d’une demande de réparation au titre de l’incidence professionnelle – Erreur de droit – Annulation.

Le Conseil d’État statue sur deux pourvois, qu’il a joints, dirigés contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles.

Blessé à la suite d’un accident de la circulation, M. B., atteint d’une fracture fermée du tiers proximal du fémur droit, a, à l’issue de l’intervention réalisée dans un centre hospitalier, été victime d’un syndrome des loges de la jambe gauche.

Le tribunal administratif saisi a mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) une certaine somme et rejeté, d’une part, les conclusions de la CPAM et celles du Centre hospitalier.

Sur appel de l’ONIAM, la cour administrative d’appel a mis l’indemnisation de la victime à la charge du Centre hospitalier qu’elle a condamné à verser à M. B. une fraction de l’indemnisation allouée en première instance tandis qu’une autre fraction devait être versée à la CPAM au titre de ses débours et au titre des arrérages de pension d'invalidité, et une autre fraction devant être versée par la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF) échus au 1er octobre 2017 ainsi que le remboursement des arrérages de pension postérieurs à cette date.

Le Conseil d’État a été saisi de deux pourvois, l’un du Centre hospitalier et l’autre de la victime.

Le pourvoi du Centre hospitalier était dirigé contre cet arrêt en tant qu'il statue sur les demandes de la CPAM du Val d'Oise tendant au remboursement des prestations servies par celle-ci à M. B.

Le pourvoi du Centre hospitalier est admis car, estime le juge de cassation, la CPAM du Val d'Oise ayant demandé devant les juges du fond le versement d'une somme au titre du remboursement de ses débours, la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que l'ensemble des dépenses qui composent cette somme étaient imputables au syndrome des loges de la jambe gauche et devaient donc être mises à la charge du Centre hospitalier alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du rapport d'expertise, que la blessure de M. B. justifiait à elle seule, compte tenu de sa gravité et indépendamment de la faute commise par le Centre hospitalier durant l'intervention chirurgicale, une prise en charge hospitalière, des soins médicaux et un arrêt de travail. 

Le pourvoi de la victime est lui aussi admis car la cour, pour rejeter ses conclusions qui tendaient, en réparation du préjudice subi, à obtenir le versement d'une indemnité au titre de l'incidence professionnelle, a retenu – commettant ainsi une erreur de droit - que le demandeur n'était pas dans l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle à la date de consolidation de son état, alors qu'une telle circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à priver la victime d'un droit à indemnisation au titre de ce chef de préjudice.

(1er juillet 2022, Centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger, n° 442802 ; M. B., n° 442951)

 

285 - Principe de réparation intégrale du préjudice - Plafonnement par la loi de l’indemnisation des pertes et avaries subies lors d'une prestation de service postal - Disposition dérogeant au droit commun de la responsabilité civile - Réponse en ce sens à la question préjudicielle.

Un tribunal de commerce a renvoyé à un tribunal administratif la question de la légalité de l'article R. 2-2 du code des postes et des communications électroniques, pris pour l'application des articles L. 7 et L. 8 de ce code et relatif au régime de responsabilité applicable aux prestataires de services postaux, au regard du principe de réparation intégrale du préjudice. Ce tribunal a transmis cette question au Conseil d’État.

Celui-ci rappelle tout d’abord un principe constant de procédure régissant les renvois préjudiciels et selon lequel la juridiction administrative doit limiter son examen à la question qui lui est renvoyée par la juridiction judiciaire et ne peut connaître d'aucune autre question ou d’un autre moyen, fût-il d'ordre public, que ceux énumérés par la juridiction qui pose la question, sauf si cette dernière n’a pas limité la portée de la question posée. Ce rappel conduit ici à rejeter un moyen que la demanderesse avait « ajouté » à la question renvoyée.

Au fond, le juge relève que l’article cause du renvoi préjudiciel, l’art. R.2-2 du code des postes, a été pris en exécution et pour l’application d’articles de ce même code, qui sont de nature législative (art. L. 7 et L. 8), lesquels, tout en faisant référence aux dispositions du Code civil relatives à la réparation intégrale du préjudice (dit aussi restitutio in integrum), y dérogent expressément (ou de façon contradictoire) en instituant un plafonnement de l'indemnisation des pertes et avaries subies lors d'une prestation de service postal. Ce principe ne peut donc être invoqué à l’encontre du texte en débat devant la juridiction de l’ordre judiciaire saisie.

En réalité, il appartenait à l’intéressé soit de soulever devant le juge consulaire une question prioritaire de constitutionnalité à transmettre au Conseil constitutionnel soit d’y invoquer l’inconventionnalité d’une disposition législative extravagante aussi bien au regard des conventions internationales (charte européenne des droits fondamentaux, convention EDH par exemple) qu’à celui de la jurisprudence internationale (cf. CPJI, 13  septembre 1928, Usine de Chorzow, Allemagne c/ Pologne (fond), p. 27; CPA, 24/27 juillet 1956, France c/ Grèce ou affaire des Concessions des phares de l’empire ottoman, Nations Unies, Recueil, vol. XII, p. 155 et suiv. J.)

(21 juillet 2022, Société Loureyl, n° 459550)

 

286 - Compétence juridictionnelle - Offre adressée par l’assureur d’un établissement public - Remboursement à un tiers payeur des prestations faisant l’objet d’une déduction du montant de cette offre - Obligation de réparer pesant sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance le liant à l’établissement public - Nature juridique de ce contrat - Contrat administratif - Compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

(21 juillet 2022, Hospices civils de Lyon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n° 449789)

V. n° C68

 

287 - Militaire de carrière - Sapeur-pompier volontaire blessé au cours d’un exercice organisé par le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Demande de réparation des préjudices subis - Demande devant être dirigée contre le SDIS non contre l’État - Rejet.

Militaire de carrière, le requérant était aussi sapeur-pompier volontaire. C’est en cette dernière qualité qu’il a été accidenté au cours d’un exercice organisé par le SDIS. À la suite de cet accident, il a été placé par le ministère de la défense en congé de maladie imputable au service puis en congé de longue maladie, et une pension militaire d'invalidité au taux de 20% lui a été concédée. M. B. a demandé au tribunal administratif de condamner l'État à réparer les préjudices qu'il a subis à la suite de cet accident. Le tribunal administratif a condamné l'État à lui verser une certaine et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d'appel ayant annulé ce jugement et rejeté sa demande de première instance ainsi que son appel incident, M. B. se pourvoit contre cet arrêt.

Aux termes de l’art. 1-5 de la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers et des art. 1er et 19 de la loi du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service,  la réparation à laquelle les sapeurs-pompiers volontaires victimes d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle peuvent prétendre de la part de la collectivité publique qui est leur employeur, au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par cet accident ou cette maladie, est déterminée forfaitairement.

Le sapeur-pompier volontaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, peut soit obtenir de la personne publique auprès de laquelle il est engagé en tant que sapeur-pompier volontaire, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, soit engager contre cette personne publique une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

Si, en l’espèce, M. B. avait la possibilité d'obtenir, sur le fondement de la responsabilité sans faute, la réparation, d’une part, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux couverts par la pension militaire d'invalidité qui lui a été concédée et, d’autre part, de ses préjudices personnels, son action en responsabilité devait être dirigée contre la personne publique auprès de laquelle il était engagé en tant que sapeur-pompier volontaire lors de la survenance de l'accident en litige. Cette personne publique ne pouvait être l’État, alors même qu'il bénéficiait du régime d'indemnisation fixé par les dispositions statutaires qui régissent les militaires, pour lequel il avait opté sur le fondement des dispositions précitées de l'article 19 de la loi du 31 décembre 1991, et percevait à ce titre des prestations versées par l'État, son employeur en sa qualité de militaire. Il ne pouvait donc diriger son action indemnitaire que contre le SDIS ainsi que l’a jugé, sans erreur de droit, la cour administrative d’appel.

(27 juillet 2022, M. B., n° 451756)

 

288 - Dommages causés aux élèves ou par les élèves de l’enseignement public (loi du 5 avril 1937) ou de l’enseignement privé sous contrat (art. 10 du décret du 22 avril 1960) - Régime de substitution de la responsabilité de l’État à l’enseignant - Polynésie française - Abrogation de l’art. 10 du 22 avril 1960 par l’art. 15 du décret du 14 mars 2008 - Maintien du principe de substitution de la responsabilité de l’État à celle des enseignants - Réponse en ce sens à la question préjudicielle.

Lorsqu’un dommage est causé à un élève ou par un élève de l’enseignement, la responsabilité de l’État est substituée à celle des enseignants soit en vertu de la loi du 5 avril 1937 pour l’enseignement public soit en vertu de l’art. 10 du décret du 22 avril 1960 pour l’enseignement privé sous contrat d’association.

Toutefois, en Polynésie française, l’art. 10 précité a été abrogé par l’art. 15 du décret du 14 mars 2008 relatif aux dispositions réglementaires du livre IV du code de l'éducation.

Lors d’une sortie scolaire d’enfants d’une école privée sous contrat d’association, un accident a laissé l’un d’eux tétraplégique. L’enseignante qui les accompagnait a été condamnée en première instance à verser une importante provision et une certaine somme tant à l’assureur qu’à la victime. L’assureur et l’enseignante ont interjeté appel de ce jugement et la cour d’appel de Papeete, par un arrêt avant dire droit du 28 octobre 2021, a renvoyé au Conseil d'État la question préjudicielle de la légalité, et le cas échéant de la portée, pour la Polynésie française, de l'abrogation par le décret du 14 mars 2008 relatif aux dispositions réglementaires du livre IV du code de l'éducation, des dispositions de l'article 10 du décret du 22 avril 1960 relatif au contrat d'association à l'enseignement public passé par les établissements d'enseignement privés qui substituent la responsabilité de l'État à celle des enseignants des établissements privés du second degré sous contrat d'association avec l'État, en matière d'accidents scolaires.

Le Conseil contourne habilement l’obstacle de l’abrogation, sans doute malencontreuse, du dispositif de 1960.

Il répond d’abord à la cour que décret de 1960 a été rendu applicable en Polynésie aux établissements secondaires privés sous contrat par l’art. 1er du décret du 2 juillet 1975.

Puis il relève que, parallèlement à l’abrogation de 2008, le principe de substitution de la responsabilité de l’État à celle des enseignants, pour les établissements sous contrat d'association, a été codifié à l'article R. 442-40 du code de l'éducation.

Enfin, l'article 2 du décret du 14 mars 2008, dans sa version applicable en l'espèce, prévoyant que : « Les références contenues dans les dispositions de nature réglementaire à des dispositions abrogées par l'article 15 du présent décret sont remplacées par les références aux dispositions correspondantes du code de l'éducation », il s’ensuit qu'à compter de la date de l'entrée en vigueur de ces dispositions, l'article 1er du décret du 2 juillet 1975 rendant applicable en Polynésie française le décret du 22 avril 1960, devait être lu, en tant qu'il était relatif à l'article 10 de ce décret, comme se référant à l'article R. 442-40 du code de l'éducation. Le décret du 30 décembre 2021 portant actualisation et adaptation des dispositions du code de l'éducation relatives à l'outre-mer, qui a abrogé l'article 1er du décret du 2 juillet 1975, a introduit dans le code de l'éducation, à son article R. 496-1, des dispositions qui rendent désormais directement applicables en Polynésie française l'article R. 442-40 du même code.

Ainsi, malgré l’abrogation de 2008 et grâce au talent d’acrobate du Conseil d’État, le principe de substitution de la responsabilité de l’État à celle des enseignants de l’enseignement privé sous contrat d’association est demeuré applicable en Polynésie française.

(27 juillet 2022, Société Allianz et Église protestante Maohi, n° 458607)

 

289 – Action en responsabilité - Demande expertise - Appréciation de l’utilité de la mesure - Absence manifeste d’un des éléments indispensables pour engager la responsabilité d’une personne publique - Annulation et rejet.

Il est jugé ici que « L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective, d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. À ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste, en l'état de l'instruction, de fait générateur, de préjudice ou de lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur. »

Cette décision, tout en reprenant, pour l’essentiel, une jurisprudence antérieure (14 février 2017, Mme Bernard, n° 401514, sur la responsabilité de l’État à raison de défectuosités d’implants mammaires) en amplifie et précise la portée sur ce point. Tout d’abord, alors que ce précédent portait sur l’allégation d’une responsabilité fondée sur la faute, ici il en est fait application à un cas de responsabilité non fautive. Ensuite, la décision de 2022 ajoute cette précision supplémentaire que la solution retenue est également applicable en cas d’absence de fait générateur ou de préjudice.

Par ailleurs, la décision de 2017 avait précisé également qu’était irrecevable une demande fondée sur cette même disposition du CJA lorsqu’« elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription ; »

(27 juillet 22022, Mme D., n° 459159)

 

290 - Responsabilité hospitalière du fait des conditions de la naissance d’un enfant - Demande d’expertise en vue d’évaluer divers préjudices - Extension en appel de la mission de l’expert définie en première instance - Appréciation de son caractère utile (art. R. 532-1 CJA) - Réponse positive pour des éléments révélés postérieurement à la date de la première expertise - Annulation.

M. C. est atteint de troubles cognitifs, psychologiques et physiques dus à sa prise en charge au centre hospitalier de Voiron, lors de sa naissance en 1994.

Le tribunal administratif a, par un jugement du 15 décembre 2015, condamné ce centre hospitalier et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser une certaine somme en réparation de divers préjudices, à la seule réserve des frais d'assistance par une tierce personne au-delà des quatre ans suivant la consolidation de son état de santé.

En 2019, la victime et ses parents ont demandé au juge des référés du même tribunal d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du CJA, une nouvelle expertise en vue d'évaluer non seulement ce besoin d'assistance par une tierce personne, mais également le préjudice professionnel et le préjudice sexuel de M. C. au motif que l'expertise réalisée en 2015 ne s'était pas prononcée sur ces préjudices et qu'ils n'en avaient pas demandé réparation dans l'instance ayant conduit au jugement du 15 décembre 2015.

Par ordonnance du 22 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif n'a que partiellement fait droit à leur demande, en prescrivant une expertise aux seules fins d'évaluer le besoin d'assistance par une tierce personne.

Le juge des référés de la cour administrative d'appel a, par une ordonnance du 12 novembre 2020, rendue sur appel de M. C. et de ses parents, réformé l'ordonnance du 22 juin 2020 et étendu la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices professionnel et sexuel allégués.

Le centre hospitalier de Voiron et son assureur se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 12 novembre 2020.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord deux choses très importantes d’ordre procédural concernant les demandes d’expertise puis les réclamations en réparation de préjudices.

1°/ Le juge indique les conditions et les limites de la mise en œuvre du référé « mesures utiles » : « (…) l'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui sont irrecevables. » 

2°/ Le juge apporte d’intéressantes indications, même si non nouvelles, quant au régime contentieux de la décision rejetant une réclamation en vue de la réparation des conséquences dommageables d'un fait imputé à une personne publique.

Cette demande lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.

Il suit de là, positivement, que la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

Il suit de là, négativement, que si, après l'expiration de ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable même dans le cas où ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur.

Toutefois, il existe à cette irrecevabilité de principe une exception de bon sens dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

Ensuite, revenant au cas de l’espèce et recevant les auteurs du pourvoi en leur demande, le juge procède à l’annulation de l’ordonnance rendue en appel portant extension de la mission expertale. Il estime que c’est au prix d’une erreur de droit que le juge des référés a cru pouvoir juger que l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif du 15 décembre 2015 ayant condamné le centre hospitalier à indemniser M. C. ne pouvait pas être opposée à une demande postérieure tendant à l'indemnisation de ces deux chefs de préjudices, faute d'identité d'objet.

Or, ce juge ne pouvait considérer cette nouvelle demande indemnitaire comme recevable en se fondant sur la seule circonstance qu'elle portait sur des chefs de préjudice invoqués pour la première fois, alors que, comme on vient de l’indiquer, la victime n'est recevable à demander, après l'expiration du délai de recours contre le rejet de sa réclamation préalable, l'indemnisation de nouveaux dommages nés du même fait générateur, que s'ils sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. D’où la cassation de l’ordonnance d’appel qui est ici prononcée.

Enfin, réglant l’affaire au fond (cf. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État relève qu’il ressort tant des écritures des parties que des termes du rapport d'expertise remis en 2015, que le préjudice professionnel et le préjudice sexuel invoqués par M. C. et ses parents à l'appui de leur nouvelle demande d'indemnisation en 2019, alors que l'intéressé était âgé de 21 ans, ne pouvaient être regardés comme ayant été révélés dans toute leur ampleur à la date à laquelle M. C. avait déposé sa première réclamation préalable dans l'instance qui a conduit au jugement avant dire droit du 21 octobre 2011 et au jugement du 15 décembre 2015 du tribunal administratif. La demande d'expertise portant sur ces chefs de préjudice revêt dès lors, en l'état de l'instruction, un caractère utile car elle se situe pleinement dans le cadre de l’exception ci-dessus rappelée au principe d’irrecevabilité des conclusions indemnitaires tardives.

En conséquence, est ordonnée la réformation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif en tant qu’elle a rejeté leur demande d'expertise portant sur l'évaluation du préjudice sexuel et du préjudice professionnel de M. C.

(21 juillet 2022, Centre hospitalier de Voiron et Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 446965)

 

291 - Dommages causés à des cultures par des sangliers provenant d’un centre pénitentiaire - Absence de clôture séparant ce centre de l’exploitation agricole mitoyenne - Absence de carence fautive de l’État - Erreur de qualification juridique - Annulation et renvoi.

Le centre pénitentiaire de Casabianda est un centre « ouvert » qui dispose, notamment, d’une réserve de chasse où se trouvent des sangliers. À diverses reprises depuis 2005 l’attention des responsables a été attirée par le propriétaire d’un domaine agricole mitoyen sur les dégâts causés à ses cultures par le passage de ces turbulents mammifères. Les mesures prises s’étant révélées efficaces, celle promises n’ayant pas été réalisées et les indemnisations forfaitaires étant insuffisantes - ce qui n’est pas contesté par l’État défendeur -, la société requérante a demandé réparation en s’adressant au juge. Si le tribunal administratif a accueilli favorablement sa demande, sur appel du ministre de la justice, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la demande d’indemnisation.

Pour ce juger, la cour a retenu que si l’administration pénitentiaire n’avait pas édifié la clôture promise, elle n'avait cependant pas fait preuve de carence fautive dans la mise en œuvre des mesures qui lui incombaient en organisant des battues et que, si les acteurs locaux et les experts s'accordaient à reconnaître que l'implantation d'une clôture de protection était la seule mesure permettant de réduire l'intrusion des sangliers sur l'exploitation de la société, l'administration ne s'y était pas opposée.

Alors au surplus que l’administration ne contestait ni l’insuffisance des indemnisations allouées ni l’absence de faute de la part de la victime, la cour a commis une erreur de qualification juridique.

(29 juillet 2022, Société Finucchiola, n° 444623)

 

Santé publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

292 - Recommandation temporaire d'utilisation (RTU) ou prescription compassionnelle d'un médicament en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM) - Extension de la préconisation pour le traitement de la maladie de Covid-19 - Refus de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) d'élaborer une telle recommandation - Rejet.

Le laboratoire Sanofi commercialise le sulfate d'hydroxychloroquine sous le nom de marque de Plaquenil, depuis 2004, pour diverses indications thérapeutiques. M. B.  a demandé le 3 août 2020, au directeur général de l'ANSM de sécuriser l'usage du Plaquenil en dehors de son autorisation de mise sur le marché dans l'indication du traitement de la maladie de Covid-19 en établissant une recommandation temporaire d'utilisation de cette spécialité pharmaceutique (RTU). Par une décision du 21 octobre 2020, le directeur général de l'ANSM a estimé que les conditions d'élaboration d'une telle recommandation temporaire d'utilisation n'étaient pas réunies car un rapport favorable ne peut être présumé, en l'état des données disponibles, entre les bénéfices et les risques de l'hydroxychloroquine, seule ou en association avec l'azithromycine, en traitement ou en prévention de la maladie de Covid-19.

M. B. demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de refus. 

Le recours est rejeté.

Le juge relève que la recommandation temporaire d'utilisation (RTU), devenue prescription compassionnelle, est, en vertu des dispositions du I. de l'art. L. 5121-12-1 du code de la anté publique, une procédure dont l'objet, limité à une durée de trois ans, est de permettre la prescription d'une spécialité non conforme à son AMM en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une RTU établie par l'ANSM sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation.

Ce n'est qu'après obtention d'une telle RTU, que la spécialité peut faire l'objet d'une prescription dans l'indication ou les conditions d'utilisations correspondantes dès lors que le prescripteur juge qu'elle répond aux besoins du patient.

A cet égard, la circonstance qu'il existe par ailleurs une spécialité ayant fait l'objet, dans cette même indication, d'une AMM, dès lors qu'elle ne répondrait pas moins aux besoins du patient, ne fait pas obstacle à une telle prescription.

Le juge rappelle que l'autorisation donnée par l'ANSM à la demande de RTU d'un médicament en dehors de son AMM doit être fondée sur ce que l'accès compassionnel ne peut être autorisé que s'il est présumé un rapport favorable entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus de l'utilisation de la spécialité en cause hors de son AMM dans l'indication envisagée, apprécié au regard des connaissances scientifiques disponibles et des informations obtenues, le cas échéant, auprès du titulaire ou de l'exploitant de l'AMM ainsi que des organismes susceptibles de signaler à l'agence des prescriptions d'une spécialité en dehors de son autorisation de mise sur le marché.

Au cas de l'espèce, en premier lieu, la conclusion selon laquelle l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité de l'hydroxychloroquine dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19 ne permet pas de présumer un rapport favorable entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus résulte d'une analyse, s'agissant du bénéfice, des résultats de nombreuses publications portant sur des études observationnelles et des essais aléatoires ainsi que du rapport du Haut conseil de la santé publique du 23 juillet 2020 relatif à l'actualisation de la prise en charge des patients atteints de Covid-19 et, s'agissant des risques, des données issues du résumé des caractéristiques du produit du Plaquenil et de la pharmacovigilance.

Cette analyse n'est entachée d'aucune illégalité au motif qu'en auraient été écartées certaines données compte tenu de leurs limites méthodologiques et de leur faible niveau de preuve non plus que d'une erreur manifeste d'appréciation.

En second lieu, le Haut conseil de la santé publique (avis du 23 juillet 2020) a constaté que les études, trop sommaires au plan méthodologique, sur l'hydroxychloroquine, associée ou non à l'azithromycine, ne permettaient pas de se prononcer sur l'intérêt de cette spécialité dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19 tandis que l'ANSM a fondé sa décision sur les premiers résultats d'essais contrôlés aléatoires qui n'étaient pas en faveur de l'utilisation de l'hydroxychloroquine.

Ainsi, aucun élément nouveau en sens contraire n'ayant été fourni, et alors même que les risques associés à l'hydroxychloroquine peuvent être réduits par une durée de traitement inférieure à celle correspondant aux indications de l'AMM du Plaquenil et par une prise en charge adaptée, l'appréciation selon laquelle un rapport favorable ne peut être présumé entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus par l'usage de l'hydroxychloroquine dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19 n'est pas manifestement erronée.

C'est donc sans illégalité que la décision litigieuse a estimé que les conditions d'élaboration d'un cadre de prescription compassionnel ne sont pas remplies et qu'elle a, en conséquence, refusé de l'établir.

(4 juillet 2022, M. B., n° 445932)

 

293 - Inscription d'un médicament sur la liste des spécialités remboursables - Évaluation du service médical rendu - Prix fabricant estimé non justifié - Recours à une méthode comparative - Critères retenus - Annulation partielle.

Les requérantes  recherchaient l'annulation de la décision du 6 septembre 2021 du ministre de la santé et du ministre de l'économie rejetant leur demande d'inscription de la spécialité pharmaceutique Sialanar 320 mcg/ml, solution buvable, sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale. Elles réclamaient aussi qu'injonction soit aux ministres compétentes d'inscrire cette spécialité sur la liste précitée, au prix fabricant hors taxes de 315 euros par flacon.

Le recours est rejeté et admis en partie.

Le rejet de la demande d'inscription du Sialanar est fondé sur deux motifs : absence d'amélioration du service médical rendu et prix excessif.

S'agissant du service médical rendu, le juge tient pour établi que celui-ci est au mieux moyen.

S'agissant du prix, le juge reproche aux ministres défendeurs, d'une part, de ne pas avoir déterminé sur la base de critères objectifs et vérifiables la méthode de comparaison des prix la plus adaptée aux caractéristiques de la spécialité en cause dès lors qu'ils entendaient comparer deux spécialités, Scopoderm et Salanar, à même visée thérapeutique, quant à leur prix, d'autre part, d'avoir retenu pour évaluer le coût annuel du traitement par Sialanar, et cela sans s'en expliquer, une durée de traitement de huit semaines, un poids moyen de 30 kg et une posologie moyenne de 0,12 mg de bromure de glycopyrronium/kg. Or les ministres non seulement ne justifient pas des raisons les ayant conduit à retenir cette posologie moyenne qui correspond, non à celle prévue par le résumé des caractéristiques du produit accompagnant l'autorisation de mise sur le marché, mais à celle, susceptible d'être plus élevée, observée dans le cadre d'un essai clinique sans lien avec les conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament, mais encore ils ont multiplié cette posologie, exprimée en milligrammes de bromure de glycopyrronium/kg, non par le prix d'un milligramme de bromure de glycopyrronium, soit 3,94 euros, mais par le prix d'un milligramme de glycopyrronium, soit 3,15 euros.

La décision refusant l'inscription du Sialanar sur la liste des spécialités remboursables est ainsi entachée d'illégalité et annulée. Injonction est faite de réexaminer, dans un délai de trois mois, la demande d'inscription sur ladite liste de la spécialité Sialanar, dans l'indication du traitement symptomatique de la sialorrhée sévère chez les enfants âgés de 3 ans et plus et les adolescents atteints de troubles neurologiques chroniques.

(7 juillet 2022, Société par actions simplifiée Centre spécialités pharmaceutiques et société Proveca Pharma Limited, n° 457993)

(294) V. aussi, comparable en tant que le recours est dirigé  en premier lieu contre une décision ministérielle refusant l'inscription de la spécialité Ajovy 225 mg (frémanezumab), solution injectable, dans ses deux présentations en seringue préremplie et en stylo prérempli, sur la liste mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, pour la prophylaxie de la migraine chez les patients adultes atteints de migraine sévère avec au moins huit jours de migraine par mois en échec à au moins deux traitements prophylactiques et sans atteinte cardiovasculaire et qu'en second lieu il tend à voir le juge enjoindre lesdits ministres de procéder à l'inscription sollicitée ou, subsidiairement, de réexaminer la demande d'inscription dans un délai de deux mois, la demande d'inscription de la spécialité Ajovy, dans ses deux présentations, sur la liste mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale pour la prophylaxie de la migraine chez les patients adultes en échec à au moins trois classes de traitements prophylactiques et nécessitant au moins dix jours de traitements spécifiques de la crise ou quinze jours de traitements non spécifiques.

Ici le recours est rejeté tant en raison du service médical moyen rendu par la spécialité en cause révélé par le résultat défavorable de la comparaison établie entre cette spécialité et d'autres d'un niveau équivalent qu'en raison de son prix de vente trop élevé : 7 juillet 2022, Société par actions simplifiée Teva Santé, n° 455301.

 

295 - Inscription d'un médicament sur la liste des spécialités dont la mise sur le marché est autorisée (art. L. 162-22-7 code de la séc. soc.) - Évaluation du service médical rendu - Absence  de comparateur pertinent - Inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités - Annulation d'une décision fondée sur un avis entaché d'erreur manifeste - Absence d'exécution de la décision du Conseil d'État - Intervention d'un nouvel avis en 2021 - Injonction accordant un délai supplémentaire pour prendre une nouvelle décision au vu de cet avis.

La société requérante produit, notamment, la spécialité ADCETRIS, indiquée pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches. Elle en a demandé l'inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale dont la mise sur le marché est autorisée.

Sur son recours, le Conseil d'État (21 octobre 2019, Société Takeda France, n° 419169 ; V. cette Chronique, octobre 2019, n° 106) a annulé la décision du 8 novembre 2017 des ministres de la santé et des comptes publics refusant d'inscrire la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale et a enjoint à ces ministres, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du Conseil d'État, de réexaminer la demande d'inscription de cette spécialité dans cette indication sur cette liste.

Constatant le non-respect de cette injonction, la société requérante a à nouveau saisi le Conseil d'État, le 28 février 2020, à fin d'exécution de la chose jugée par la décision précitée du 21 octobre 2019. Puis, lesdits ministres, ayant par une décision du 20 décembre 2019, réitéré leur refus, la société a saisi le juge le 6 juillet 2020. Enfin, elle l'a encore saisi le 3 septembre 2020, du rejet implicite de son recours gracieux du 17 février 2020 dirigé contre la décision du 20 décembre 2019.

En premier lieu, le Conseil d'État constate que le nouveau refus est fondé sur le même avis que celui déclaré entaché d'erreur manifeste par le juge, d'où il suit qu'en s'appropriant les termes d'un avis manifestement erroné, la décision litigieuse doit être annulée.

En second lieu cependant, il résulte du dossier d'instruction que la commission de la transparence, sollicitée par les ministres en vue de l'exécution de la décision du Conseil d’État statuant au contentieux, a émis un nouvel avis le 21 juillet 2021. Ceci conduit le juge à adresser injonction aux ministres concernés de reprendre, au vu de ce nouvel avis, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, une décision sur la demande d'inscription de la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

(1er août 2022, Société Takeda France, n° 441117 ;  n° 441625 et n° 443675)

(296) V. assez comparable, où le juge avait annulé (31 décembre 2019, Société Sanofi Aventis France, n° 423958 ; V. cette Chronique, décembre 2019, n° 127) deux arrêtés ministériels relatifs, l'un à l'expérimentation pour l'incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques délivrés en ville et l'autre à l'efficience et à la pertinence de la prescription hospitalière de médicaments biologiques délivrés en ville, au motif que lesdits ministres ne peuvent pas, tout d'abord, sans commettre d'erreur de droit, pour définir le champ de l'expérimentation qu'ils autorisent ou déterminer les indicateurs qui fondent l'évaluation des résultats des établissements de santé ouvrant le bénéfice d'une dotation du fonds d'intervention régional, inciter à la prescription de certains médicaments biologiques de préférence à d'autres en utilisant les notions de « médicaments biologiques similaires » ou de « médicaments biosimilaires » dans un sens différent de celui qui résulte des dispositions de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. Ensuite, il avait été jugé que pour prendre des mesures incitatives applicables à des médicaments ayant en tout ou partie les mêmes indications thérapeutiques mais n'appartenant pas au même groupe générique ou au même groupe biologique similaire tels que définis par l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, les ministres doivent préciser les conditions dans lesquelles la prescription d'une spécialité doit, dans une telle situation, être regardée comme plus pertinente et plus efficiente que celle d'une autre. Ici la requérante contestait précisément l'application de ce dispositif à la spécialité Toujeo, qui consiste en un médicament à base d'insuline glargine administrée au moyen d'une solution injectable en stylo pré-rempli dans le traitement du diabète sucré de l'adulte ; se rangeant aux arguments soutenus devant lui et tirés de sa précédente décision,  le juge annule les arrêtés et la relance du 19 avril 2021, les arrêtés du 30 septembre 2021, du 15 décembre 2021 et du 31 mars 2022 : 1er  août 2022, Société Sanofi Aventis France, n° 453036; n° 458873; n° 461677 et n° 464609, jonction.

 

297 - Jeune patiente atteinte d'une encéphalopathie épileptique génétique congénitale - Décision collégiale de refus de l'obstination déraisonnable - Limitation de la prise en charge de l'état de santé de la patiente - Désaccord des proches - Rejet du juge après expertise - Engagement du centre hospitalier de ne reprendre la limitation des soins qu'après décision collégiale communiquée à la famille - Refus d'administrer un certain traitement de caractère risqué pour la patiente - Engagement sur un futur protocole d'accord -  Rejet.

Une patiente de 22 ans est engagée depuis 2012 dans un calvaire physique du fait d'une encéphalopathie épileptique génétique congénitale, pathologie caractérisée par des états de mal épileptique réfractaires et récurrents, difficiles à prévenir et à contrôler, nécessitant des traitements de plus en plus puissants et des intubations trachéales, et qui, en se multipliant, conduisent à un déclin neurologique progressif. Celle-ci est grabataire et totalement dépendante pour les actes de la vie courante en même temps qu'elle manifeste une vigilance et des émotions quand bien même elle n'a qu'une compréhension verbale limitée et n'émet que de rares sons inarticulés. Elle a, depuis dix ans, été hospitalisée à dix-huit reprises, chaque fois pour une dizaine de jours environ.

Lors de la prise en charge de la patiente, entre le 7 novembre et le 28 décembre 2021, le service de réanimation du CHU de Caen Normandie a mis en œuvre la procédure collégiale prévue aux dispositions ad hoc du code de la santé publique. Au vu de la gravité de la pathologie neurologique sous-jacente, dégénérative, incurable et évolutive, du degré de dépendance et de la durée d'hospitalisation de plus de cinq mois depuis le 3 juin 2021, la décision a été prise le 30 novembre 2021, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, de limiter la prise en charge de l'état de santé de cette patiente aux traitements en rapport avec la pathologie neurologique, incluant la protection des voies aériennes avec recours à l'intubation orotrachéale, mais de ne pas augmenter le niveau des soins suppléant les fonctions vitales en cas de survenue d'une complication intercurrente grave. Ainsi, il a été décidé de ne pas initier de support aminergique, de ne pas recourir à l'épuration extra-rénale, de ne pas recourir à une chirurgie en urgence et de ne pas traiter d'arrêt cardiaque. 

Les proches de cette personne, consultés sur ces décisions, ont manifesté leur désaccord et saisi le juge des référés d'un référé liberté qui a été rejeté après que ce juge a ordonné une expertise et au vu des conclusions de celle-ci. Ils interjettent appel de cette ordonnance de rejet.

Le Conseil d'État rejette l'appel en faisant valoir :

- que la décision de limitation de soins du 30 novembre 2021 a cessé de produire tout effet à la sortie de la patiente du service de réanimation le 28 décembre 2021 et qu'aucune autre décision ayant le même objet n'a été prise depuis ;

- que le CHU a pris l'engagement que, dans le cas où la procédure collégiale serait de nouveau mise en œuvre, l'éventuelle décision prise serait, sans délai, remise, sous forme écrite, aux requérants ;

- que la mise en œuvre d'un traitement à base de cannabidiol, réclamé par les proches, pouvait, selon l'expert commis, être tenté mais celui-ci a souligné le caractère risqué de ce traitement qui ne bénéficie ni d'une autorisation de mise sur le marché ni d'une autorisation temporaire d'utilisation ou, désormais, d'accès précoce ou compassionnel pour la pathologie en cause ;

- qu'en tout état de cause ce traitement ne pouvait être mis en œuvre tant que persistera le climat actuel de défiance entre le CHU et la famille, les deux parties s'engageant toutefois à une discussion et une réflexion communes pour améliorer le climat et pouvant déboucher sur un document commun manifestant leur éventuel accord ;

- que l'absence de mise à disposition d'une chambre individuelle ne constituait pas une atteinte grave.

De tout ceci résulte l'absence d'atteinte grave et immédiate qui serait porté à une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. formation collégiale 6 juillet 2022, Mme B., M. E. et M. D., n° 464843)

 

298 – Responsabilité hospitalière - Infection nosocomiale - Conditions d’existence - Erreur de droit - Cassation et renvoi partiels.

Commet une erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel jugeant que les difficultés de cicatrisation d’une patiente ne résultaient pas d’une infection nosocomiale car sa dénutrition sévère l’exposait particulièrement à des difficultés de cicatrisation alors que revêt un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. D’où il suit que contrairement à ce qu’a jugé ici la cour un état initial comportant une exposition particulière à l'infection ne peut être regardé en lui-même comme l'origine de cette infection.

(15 juillet 2022, M. E. et autres, n° 452391)

 

299 - Responsabilité hospitalière du fait des conditions de la naissance d’un enfant - Demande d’expertise en vue d’évaluer divers préjudices - Extension en appel de la mission de l’expert définie en première instance - Appréciation de son caractère utile (art. R. 532-1 CJA) - Réponse positive pour des éléments révélés postérieurement à la date de la première expertise - Annulation.

Des parents et leur fils ont demandé au juge des référés du tribunal administratif d'ordonner une expertise en vue d'évaluer le préjudice professionnel, le besoin d'assistance par une tierce personne et le préjudice sexuel que ce fils estime avoir subis du fait des fautes commises par le centre hospitalier de Voiron lors de sa naissance. Le juge des référés du tribunal administratif n'a que partiellement fait droit à leur demande, en ordonnant une expertise aux fins d'évaluer le besoin d'assistance par une tierce personne. Puis, sur appel des demandeurs, le juge des référés de la cour administrative d'appel a étendu l'expertise à l'évaluation des préjudices professionnel et sexuel allégués. 

Le centre hospitalier de Voiron et la société hospitalière d'assurances mutuelles se pourvoient en cassation de cette ordonnance.

Principes applicables.

Le juge rappelle tout d’abord le régime juridique et contentieux de l’ordonnance prescrivant une mesure d’instruction ou d’expertise sur le fondement de l’art. R. 532-1 CJA et, ensuite, celui des demandes de réparation de préjudices lorsqu’elles font l’objet d’un rejet par une personne publique.

Sur le premier point, l'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise au sens de l'art. R. 532-1 du CJA doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. À ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui sont irrecevables. 

Sur le second point, est rappelé le principe constant que la décision par laquelle une personne publique rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.

Ensuite, sur cette base, il convient de distinguer deux situations quant au délai de recours.

1°/ La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

2°/ Si cependant, après l'expiration de ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable.

Et le juge précise ici qu’il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur. Il n'est fait exception à ce qui précède que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

Examen du cas de l’espèce.

Examinant le cas de l’espèce, le juge annule l’ordonnance rendue en appel motif pris de ce que pour considérer qu’était utile la demande d’extension de l’expertise ordonnée en première instance, le juge des référés  a estimé que l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif ayant condamné le Centre hospitalier de Voiron à indemniser M. C. ne pouvait pas être opposée à une demande postérieure tendant à l'indemnisation de deux autres chefs de préjudices, faute d'identité d'objet. Le juge des référés de la cour administrative d’appel a, en effet, commis une erreur de droit en se fondant, pour regarder la nouvelle demande indemnitaire comme recevable, sur la seule circonstance qu'elle portait sur des chefs de préjudice invoqués pour la première fois, alors que la victime - comme rappelé ci-dessus - n'est recevable à demander, après l'expiration du délai de recours contre le rejet de sa réclamation préalable, l'indemnisation de nouveaux dommages nés du même fait générateur, que s'ils sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

Enfin, réglant lui-même l’affaire au fond, le Conseil d’État constate qu’il ressort des écritures des parties et des termes du rapport d'expertise remis en 2015, que le préjudice professionnel et le préjudice sexuel invoqués par M. C. et ses parents à l'appui de leur nouvelle demande d'indemnisation en 2019, alors que l'intéressé était âgé de 21 ans, ne pouvaient être regardés comme ayant été révélés dans toute leur ampleur à la date à laquelle M. C. avait déposé sa première réclamation préalable dans l'instance qui a conduit au jugement avant dire droit du 21 octobre 2011 et au jugement du 15 décembre 2015 du tribunal administratif. La demande d'expertise portant sur ces chefs de préjudice revêt dès lors, en l'état de l'instruction, un caractère utile. Par suite, M. C. et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande d'expertise portant sur l'évaluation du préjudice sexuel et du préjudice professionnel de M. C.

 L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif est donc réformée en tant qu'elle n'a pas fait porter la mission d'expertise sur ces deux chefs de préjudice.

(21 juillet 2022, Centre hospitalier de Voiron et Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 446965)

 

Service public

 

300 - Enseignants du second degré de l’enseignement privé sous contrat – Priorité d’accès aux services vacants pour certaines catégories de maîtres titulaires ou de lauréats de concours (art. L. 914-1 c. éducation) – Disposition législative à laquelle une disposition réglementaire (art. R. 914-77 c. éduc.) ne peut déroger – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 914-1 du code de l’éducation que peuvent bénéficier d'une priorité d'accès aux services vacants d'enseignement ou de documentation des classes sous contrat d'association dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, les maîtres titulaires d'un contrat définitif dont le service est supprimé ou réduit, les maîtres titulaires d'un contrat provisoire préalable à l'obtention d'un contrat définitif ainsi que les lauréats de concours.

L’art. R. 914-77 de ce code énumère ainsi l’ordre de priorité de présentation des candidatures : « (…)

1° Des maîtres titulaires d'un contrat définitif dont le service a été supprimé ou réduit à la suite de la résiliation totale ou partielle d'un contrat d'association ;

2° Des maîtres titulaires d'un contrat définitif candidats à une mutation ;

3° Des maîtres lauréats d'un concours externe de recrutement de l'enseignement privé ayant satisfait aux obligations de leur année de stage ;

4° Des maîtres lauréats d'un concours interne de recrutement de l'enseignement privé ayant satisfait aux obligations de leur année de stage ;

5° Des maîtres qui ont été admis définitivement à une échelle de rémunération à la suite d'une mesure de résorption de l'emploi précaire ;

6° Des maîtres titulaires d'un contrat définitif recrutés en application du 2° de l'article R. 914-16. (…) ».

Parce qu’un acte réglementaire (ici l’art. R. 914-77) qui n’y a pas été autorisé ne saurait déroger à la loi (ici l’art. L. 914-1), il s’ensuit, positivement, que l'autorité académique peut, pour pourvoir aux services vacants dans le respect des priorités d'accès fixées à l'article L. 914-1, réserver certains services vacants, aux lauréats des concours de recrutement de l'enseignement privé, en vue de leur permettre d'effectuer leur stage dans les meilleurs conditions d'apprentissage et, négativement, que les maîtres titulaires d'un contrat définitif et dont le service n'est pas supprimé ou réduit ne peuvent, en ce qui concerne ces services vacants, se prévaloir de la priorité que leur confère l'article R. 914-77.

Par suite la fédération requérante ne saurait exciper de l’illégalité du II. de la note de service annuelle du 18 février 2022 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relative au mouvement des maîtres du second degré de l'enseignement privé sous contrat en ce que celle-ci ne garantit pas une priorité aux maîtres titulaires d'un contrat définitif candidats à la mutation.

Curieusement, le juge ne dit rien de l’illégalité du 2° de l’ordre de priorité résultant de l’art. R. 914-77 du code de l’éducation. Il serait pertinent de rétablir un peu de sécurité juridique à défaut d’une exigence de confiance légitime.

(5 juillet 2022, Fédération nationale des syndicats professionnels de l'enseignement libre catholique (SPELC), n° 465066)

 

301 - Service public de l’enseignement - Enfant handicapé - Droit à l’éducation - Obligation de scolarisation - Défaut - Carence de l’État - Responsabilité pour faute - Régime - Annulation.

Dans cette importante décision, d’ailleurs promise à publication au Recueil Lebon, le Conseil d’État renforce et précise l’obligation incombant à l’État de scolariser les enfants handicapés, titulaires ici d’un véritable droit, ainsi que le régime de la responsabilité lui incombant dans l’exercice de cette obligation.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord le principe fondamental dégagé dans sa jurisprudence antérieure à partir de dispositions du code de l’éducation et de celles du code de l’action sociale et des familles et constamment réitéré depuis.

« (…) le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et (…) l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Ainsi, il incombe à l'État, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. »

De ce droit individuel de l’enfant et de sa famille et de l’obligation de faire en résultant pour l’État, se déduit logiquement le régime de responsabilité applicable à ce dernier en cas de manquement à son obligation de scolarisation ; il s’agit d’un régime de responsabilité fondé sur la preuve de la faute. Comme tel, ce régime, d’une part, s’applique à proportion de l’absence ou de la part de faute imputable aux responsables légaux de l’enfant et, d’autre part, n’exclut pas l’action récursoire de l’État contre un établissement social et médico-social auquel serait imputable une faute de nature à engager sa responsabilité à raison du refus d'accueillir un enfant orienté par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.

En l’espèce, et contrairement à ce qu’ont jugé les juridictions du fond, il est relevé que les parents de l’enfant ici en cause ont fait preuve de toute la diligence nécessaire pour assurer la scolarisation de leur enfant, la responsabilité fautive de l’État à raison de sa carence à assurer son obligation d’exercice effectif du respect du droit à l’éducation est ainsi entière.

(19 juillet 2022, Mme D. et M. C., n° 428311)

 

302 - Organisme de droit privé chargé d’une mission de service public - Prud’homie des patrons-pêcheurs du 5ème arrondissement maritime - Absence de nature d’établissement public - Rejet.

Le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulon a saisi le tribunal administratif de Toulon d'une question préjudicielle portant sur la nature juridique de la prud'homie des patrons pêcheurs de La Seyne-sur-Mer - Saint-Mandrier et sur le caractère saisissable de ses biens.

Le tribunal administratif de Toulon a déclaré que la prud'homie des patrons pêcheurs de La Seyne-sur-Mer - Saint-Mandrier devait être regardée comme un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public.

Cette dernière se pourvoit en cassation contre ce jugement ; son pourvoi est rejeté en l’absence d’erreur de qualification juridique de la part des premiers juges.

Le Conseil retient, pour parvenir à cette conclusion, qu’il résulte des dispositions du décret du 19 novembre 1859 portant règlement sur la pêche maritime côtière dans le 5ème arrondissement maritime et de l'ensemble des dispositions qui précisent l'organisation et le fonctionnement des prud'homies de pêcheurs que ces communautés de patrons pêcheurs sont des organismes à caractère professionnel, administrés par ces derniers en vue de défendre leurs intérêts et de discipliner l'exercice de leur profession. Si ces prud’homies ont des attributions de nature juridictionnelle pour trancher les différends entre pêcheurs dans l'étendue de leur ressort, concourrent à la recherche et à la constatation des infractions à la réglementation applicable en matière de pêche et d'aquaculture maritimes, et disposent à la fois du pouvoir de régir les activités de pêche par l'édiction de règlements ayant le caractère d'actes administratifs et s'imposant à la profession dans leur ressort et d'exercer un pouvoir disciplinaire pour veiller au bon fonctionnement des institutions prud'homales, pour autant ces dispositions n'ont pas entendu leur conférer le caractère d'un établissement public mais celui d'un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public. Ce que confirme le fait qu’elles emploient des salariés de droit privé, que leur fonctionnement interne est régi par le droit privé et qu’elles ont pour ressources les cotisations collectées auprès de leurs membres, les amendes prononcées à l'encontre des professionnels et le revenu des biens leur appartenant.

(18 juillet 2022, Prud'homie des patrons pêcheurs de La Seyne-sur-Mer - Saint-Mandrier, n° 459789)

 

303 - Création d’une cour administrative d’appel à Toulouse - Contestation de l’impartialité du Conseil d’État et de la ministre de la justice - Étude préparatoire réalisée par une société en liens économiques avec la ville de Toulouse - Erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Aucun des griefs articulés par les requérants à l’encontre du décret du 7 décembre 2021 créant une cour administrative d’appel à Toulouse n’est retenu par le Conseil d’État.

Est d’abord rejeté le grief tiré du défaut d’impartialité, d’une part, du Conseil d’État, car aucun des membres de la formation de jugement n’a pris part à la préparation de la décision qui a été conduite par le secrétariat général du Conseil d’État, et d’autre part, de Mme C. du fait des fonctions électives et professionnelles qu'elle avait auparavant exercées à Toulouse, dès lors qu'elle n'exerçait plus les fonctions de ministre de la justice à la date à laquelle a été pris ce décret. 

Ensuite n’est pas retenu le grief selon lequel la société qui a réalisé une étude préparatoire sur l'implantation de la cour administrative d’appel dans les communes de Montpellier ou de Toulouse, initialement envisagées, entretenait des liens économiques avec la commune et la métropole de Toulouse, car la part de l'activité de cette société en relation avec les collectivités toulousaines était très faible et parce qu’aucun élément du dossier ne permet ni d'établir que cette société serait dans une situation de dépendance vis-à-vis de ces collectivités, ni de mettre en doute l'objectivité et la fiabilité de l'étude réalisée. 

Enfin, le choix de Toulouse par le premier ministre n’est entaché d’aucune erreur manifeste d’appréciation.

(19 juillet 2022, Ordre des avocats au barreau de Montpellier et M. de Buzareingues, n° 461155 ; commune de Montpellier, n° 461254)

 

304 - Chambres de commerce et d’industrie - Chambre de commerce territoriale et chambre de région - Budget rectificatif - Prise en compte ou non des schémas sectoriels - Motifs d’adoption d’un budget rectificatif - Rejet.

La chambre de commerce et d'industrie territoriale de Marseille-Provence devenue Chambre de commerce et d’industrie métropolitaine Aix-Marseille-Provence (CCI) a demandé au tribunal administratif et obtenu de celui-ci l'annulation de la délibération par laquelle l'assemblée générale de la chambre de commerce et d'industrie de région (CCIR) Provence-Alpes-Côte d'Azur a adopté un budget rectificatif pour l'année 2016 en tant qu'il retient une nouvelle affectation de la ressource fiscale.

Sur appel de la CCIR, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et la CCI se pourvoit en cassation contre son arrêt.

Ses deux moyens sont rejetés.

En premier lieu, l'assemblée générale de la CCIR Provence-Alpes-Côte d'Azur a adopté un budget rectificatif aux termes duquel les impositions de toute nature affectées aux chambres territoriales ont été réparties en fonction du critère de la « pesée économique », c'est-à-dire en tenant compte du poids économique respectif des différentes chambres, à hauteur de 90 %, de l'activité des centres de formalités des entreprises et du nombre de contrats d'apprentissage enregistrés, à hauteur de 5 % chacun. La CCI estimait que cette répartition méconnaissait les dispositions de l'article L. 711-8 du code de commerce. Pour rejeter ce moyen, la cour a retenu, d'une part, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que la prise en compte de la « pesée économique » conduirait à une méconnaissance des schémas sectoriels existants et, d'autre part, qu'une telle non-conformité ne saurait résulter de la seule prise en compte, comme critère principal, du poids respectif des différents territoires en nombre de ressortissants, salariés et bases fiscales, ni même de l'absence de justification, par la délibération attaquée, de la prise en compte des schémas sectoriels. Ce raisonnement est approuvé par le juge de cassation dès lors que, en l'état de l'argumentation soumise aux juges du fond, il ne pouvait être tenu pour établi que les critères de répartition retenus auraient méconnu telle ou telle disposition spécifique des schémas sectoriels adoptés par la CCIR Provence-Alpes-Côte d'Azur.

En second lieu, c’est sans erreur de droit que la cour a pu juger qu'il ne résultait d'aucun texte ni d'aucun principe que l'adoption d'un budget rectificatif en application de l'article R. 712-15 du code de commerce devrait être réservée au cas où des ajustements budgétaires sont rendus nécessaires par le décalage entre les prévisions et les évolutions constatées.

(20 juillet 2022, Chambre de commerce et d'industrie métropolitaine Aix-Marseille-Provence, venant aux droits de la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Marseille-Provence, n° 459362)

 

305 - Redevances aéroportuaires - Condition d’établissement de leur tarif au regard du service rendu - Compensation entre les différentes redevances - Application des principes d’égalité et de non-discrimination - Caractère non fondé de l’exception d’illégalité objet de la question préjudicielle.

Le Conseil d’État était saisi, dans le cadre d’un litige opposant la société Aéroports de Paris à la société EasyJet Airline Company Limited, sur renvoi préjudiciel de la cour d’appel de Paris, de la question de la légalité des tarifs de la redevance aéroportuaire CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016.

La redevance CREWS étant une redevance pour service rendu elle est soumise à la règle d’équivalence et aux principes d’égalité et de non-discrimination.

S’agissant du respect de la règle d’équivalence entre le tarif d'une redevance pour service rendu et la valeur de la prestation ou du service, le juge indique qu’il peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire.

De là le juge précise que même établi de manière objective et rationnelle, en tenant compte des critères définis par l'article L. 6325-1 du code des transports et des dispositions réglementaires prises pour son application, ce tarif peut ne pas être strictement proportionné au coût du service correspondant dès lors, d'une part, que le produit global des redevances n'excède pas le coût des prestations servies et, d'autre part, que la compensation entre les différentes redevances est limitée.

Concernant ce dernier point, qui est très important, le Conseil d’État considère que ce caractère limité « s'apprécie au regard, d'une part, du rapport entre le montant compensé et le produit de l'ensemble des redevances et, d'autre part, de l'écart entre le tarif fixé pour la redevance concernée et la valeur de la prestation ou du service correspondant. »

Appliquant ces principes à la redevance CREWS, il juge, au vu des éléments du dossier, qu'il ne peut être soutenu que la compensation effectuée entre les différentes redevances ne présenterait manifestement pas un caractère limité et que les tarifs fixés en conséquence pour cette redevance auraient été manifestement disproportionnés.

S’agissant des principes d’égalité et de non-discrimination, est rejeté le moyen de la société Easyjet Airline Company Limited selon lequel le tarif des redevances aurait été établi en méconnaissance des principes d'égalité et de non-discrimination, dès lors notamment que son produit était supérieur au coût du service rendu en raison des avantages accordés à certaines compagnies aériennes.

En effet, les compagnies aériennes n'étaient redevables de cette redevance, pendant la période considérée, qu'au titre des terminaux dans lesquels avait été déployé le système informatique d'enregistrement et d'embarquement CREWS. Cette différence de traitement reposait donc sur une différence de situation objective en rapport avec l'utilisation d'un service mis en place par la société Aéroports de Paris, sans qu'ait d'incidence la circonstance que les compagnies utilisant leur propre système auraient été avantagées de manière injustifiée par le non-paiement d'une redevance dont le montant était supérieur au coût du service et le bénéfice de la compensation avec les autres redevances.

L’exception d’illégalité soulevée devant la juridiction judiciaire n’est donc pas fondée et il est répondu en ce sens au juge a quo.

(21 juillet 2022, Société Aéroports de Paris, n° 459433)

 

306 - Administration pénitentiaire - Détenu - Demande d’autorisation d’utiliser un micro-casque et des CD-Rom gravés - Refus - Utilisation devant être considérée comme interdite - Absence d’atteinte à un projet professionnel inexistant ou à la liberté de religion - Rejet.

Le requérant, détenu dans une enceinte pénitentiaire, a contesté en vain la légalité du refus par l’administration pénitentiaire de l'autoriser à recevoir un micro-casque ainsi que des CD-Rom gravés aux fins d'apprentissage du grec ancien. Il se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif du rejet du recours contre cette décision de l’administration.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord aucune critique des conditions de forme de l’arrêt critiqué n’est retenue.

Ensuite, au fond, est approuvé l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a jugé que dès lors que les dispositifs dont l’usage était sollicité par le demandeur n’étaient pas au nombre de ceux expressément autorisés, ils étaient interdits. La solution, inverse de celle du droit commun, est logique en milieu carcéral.

De plus l’invocation de la liberté de religion au soutien des demandes d’autorisation ici en cause est rejetée, l’intéressé n’établissant pas ne pouvoir recourir à un autre moyen technique pour suivre les cours de grec ancien proposés par l'Institution théologique du soir.

Enfin, le projet professionnel invoqué ne saurait être retenu en raison de son caractère flou et incertain.

(21 juillet 2022, M. A., n° 446163)

 

307 - Administration pénitentiaire - Tarif de cantine - Autorité compétente - Chef d’établissement et non ministre de la justice - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d’État en premier ressort - Renvoi au tribunal administratif.

Les requérants ont demandé au tribunal administratif l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville sur la demande tendant à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement en tant qu'il méconnait les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice. Estimant que le recours était dirigé contre une clause réglementaire du marché n° MGD-2015A conclu entre le ministre de la justice et le prestataire en charge de la prestation de cantine, le tribunal administratif en a déduit qu'il relevait de la compétence directe du Conseil d'État, et l'a transmis au Conseil d'État (cf. art. R. 351-2 du CJA et 14 novembre 2018, M. de Jésus, n° 418788).

Le Conseil d’État renvoie juge que la fixation des prix des produits proposés par la cantine d'un établissement pénitentiaire relève de la seule compétence du chef de cet établissement en vertu des dispositions de l’art. D. 344 du code de procédure pénale, repris à l'article D. 332-34 du code pénitentiaire.

La demande tendant à l'annulation du refus de modifier le tarif de la cantine du centre pénitentiaire de Joux-la-Ville ne pouvant être regardée comme dirigée contre un acte réglementaire d'un ministre au sens du 2° de l'art. R. 311-1 du CJA et aucune autre disposition de ce code ne donnant compétence au Conseil d’État pour connaître en premier et dernier ressort de cette demande, l’affaire est renvoyée au tribunal administratif.

(27 juillet 2022, M. A. et autres, n° 463996)

 

308 - Certificat de nationalité française - Conditions de délivrance - Obligation de disposer d'une adresse électronique - Décisions de refus de ce certificat n'ayant pas à être motivées - Obligation du ministère d'avocat pour contester en justice le refus de délivrance de ce certificat - Récépissé dispensé de la mention des voies et délais de recours - Rejet.

De cette longue décision rendue dans le cadre d'un référé suspension, dont tous les arguments sont rejetés, on retiendra un certain nombre de refus qui peuvent surprendre s'agissant d'une activité de service public, à savoir le nouveau régime de la délivrance d'un certificat de nationalité, institué par le décret attaqué du 17 juin 2022 relatif à ce certificat.

En particulier, le juge des référés du Conseil d'État estime que l'obligation de disposer d'une adresse électronique tant pour déposer une demande de certificat de nationalité que pour recevoir l'information sur l'issue de la demande, ne crée pas un doute sérieux sur le décret attaqué. Pas davantage n'est jugée critiquable la dispense de motivation des décisions de refus d'octroi d'un tel certificat, tout comme sont, sans illégalité, rendue obligatoire la présence de l'avocat dans le procès en contestation du refus de délivrance de ce certificat et dispensé de la mention des voies et délais de recours le récépissé de dépôt d'une demande de certificat de nationalité française.

Ces exemples montrent la sévérité des solutions retenues.

(ord. réf. 3 août 2022, Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 466054 ; Conseil national des barreaux (CNB), n° 466118, jonction)

 

Sport

 

309 - Footballeur - Dopage - Faits avérés - Activité professionnelle - Unique source de revenu - Sanction suspendue.

Un footballeur professionnel de 26 ans évoluant en National 3 et titulaire d'un contrat à durée déterminé a été convaincu de dopage  - ce qu'il n'a pas nié - pour avoir, la veille d'une compétition, fumé des cigarettes mélangées de résine de cannabis dont il est un consommateur régulier. Il a été sanctionné d'une interdiction de participation directe ou indirecte pendant une année à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, et des manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci, de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage, et d'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres.

Le juge administratif accueille la demande de suspension de cette sanction dont l'a saisi le footballeur fautif.

D'une part, il y a urgence à statuer sur une sanction privant un individu de son unique source de revenus et qui l'empêche de participer au championnat de National 3 qui s'ouvre le 12 août 2022.

D'autre part, apparaît sérieux le doute sur la légalité d'une sanction d'une durée d'un an alors que la durée maximale de l'interdiction susceptible d'être infligée était, en application du I. de l'art. L. 232-23-3-3 du code du sport, de trois mois et qu'il semble en outre établi tant par les circonstances de fait que par divers témoignages que la consommation de cannabis n'était effectuée qu'à des fins ludiques et non d'amélioration de performances sportives

(ord. réf. 6 juillet 2022, M. A., n° 465057)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

310 - Interdiction de construire sur cent mètres de part et d’autre de certaines voies de circulation – Classement d’une voie, en 1952, comme étant « à grande circulation » - Décision toujours en vigueur – Opposabilité – Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Le maire d’une commune n'a pas fait opposition à la déclaration préalable du 24 avril 2008 déposée, en vue de la réalisation de deux lots à bâtir, par les propriétaires de parcelles situées route d'Orléans sur le territoire de sa commune. Puis il a retiré le permis que, deux ans plus tard, il avait tacitement accordé aux requérants sur l’un de ces lots et, enfin, au terme d’un sursis à statuer sur la demande de permis, a rejeté la demande de permis.

Le tribunal administratif, saisi par les pétitionnaires, leur a accordé une indemnisation en réparation du préjudice d'inconstructibilité résultant de la faute de la commune tenant à l'illégalité de l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable du 24 avril 2008.

Sur l’appel de la commune la cour administrative d’appel a annulé ce jugement.

Cet arrêt de rejet est fondé sur ce que, à la date de l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable susmentionné, le tronçon de la route départementale 960, entre Châteauneuf-sur-Loire et Saint-Jean-de-Braye, au bord duquel sont situés les terrains en litige, n'était pas une voie à grande circulation et qu’ainsi ne lui étaient pas applicables les dispositions de l’art. L.111-1-4 du code de l'urbanisme selon lesquelles : « En dehors des espaces urbanisés des communes, les constructions ou installations sont interdites dans une bande de cent mètres de part et d'autre de l'axe des autoroutes, des routes express et des déviations au sens du code de la voirie routière et de soixante-quinze mètres de part et d'autre de l'axe des autres routes classées à grande circulation. (...) ».

C’était oublier un grand principe du droit de la décision administrative : celle-ci ne disparaît ni par désuétude ni par non application car elle subsiste jusqu’à son abrogation. Or il résulte des pièces du dossier que la route départementale 960, qui jouxte le terrain appartenant aux requérants, correspond à l'itinéraire de l'ancienne route nationale 152, que le décret du 13 décembre 1952 portant nomenclature des voies à grande circulation classait comme voie à grande circulation sur le tronçon qui suit la rive droite de la Loire, de Briare à Angers.

Ainsi, dès lors qu’aucun acte abrogeant le classement n'a été produit à l’instance, cette voie doit être regardée comme ayant conservé ce caractère, indépendamment de ses changements de numérotation et de son transfert.

L’arrêt est cassé pour dénaturation des pièces du dossier.

La solution est sévère.

(4 juillet 2022, M. A. et Mme D., n° 447441)

 

311 - Autorisation d’occupation domaniale – Refus sur le fondement de l’existence d’un périmètre de sauvegarde et de mise en valeur – Refus devant être limité aux seules occupations modificatives de l’état des immeubles – Absence en l’espèce – Annulation.

(5 juillet 2022, Société Ice Thé c/ ville d’Aix-en-Provence, n° 459089)

V. n° 25

 

312 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Analyse des résultats de l'application du PLU neuf ans après - Obligation de recenser les indicateurs nécessaires à cette analyse - Absence - Illégalité - Illégalité sans conséquence sur l'opposabilité normative du PLU aux autorisations d'urbanisme - Annulation de la seule omission de recenser les indicateurs.

Voilà une solution heureuse qui doit être pleinement approuvée pour son caractère pragmatique et anti-fétichiste.

L'art. L. 153-27 du code de l'urbanisme impose que neuf ans au plus après la délibération approuvant un PLU, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou le conseil municipal procède à une analyse des résultats de l'application du plan. Il est donc nécessaire que la délibération initiale d'approbation du PLU recense les indicateurs nécessaires à l'analyse des résultats de l'application du PLU.

Comment traiter le PLU qui ne prévoit pas d'indicateurs ou ne le ferait que de façon défaillante ?

Tout d'abord, il est certain que le PLU est illégal du chef de cette absence ou de cette incomplétude.

Ensuite, compte tenu de l'objectif de la législation sur ce point, cette illégalité n'affecte point les dispositions réglementaires du PLU, parfaitement détachables de l'absence d'indicateurs, qui conservent leur pleine efficacité et normativité à l'égard de toutes les autorisations d'urbanisme.

Enfin et en revanche, il importe que l'autorité compétente, spontanément ou sur demande d'un administré ou du juge, fasse adopter au plus court terme par l'organe délibérant la recension desdits indicateurs.

(7 juillet 2022, M. B. et Mme C. épouse B., n° 451137)

 

313 - Transformation d'un local avec changement de destination - Projet prétendu relever de la procédure du permis de construire - Opposition à déclaration préalable de travaux - Annulation - Rejet.

C'est sans erreur de droit et avec une motivation suffisante qu'une cour administrative d’appel juge que la procédure administrative applicable au projet qui consiste à transformer un local occupé par un commerce de boucherie en supérette et à en modifier les façades ne consitue plus un changement de destination dès lors qu'il est postérieur au 1er janvier 2016. En effet, les dispositions de l'art. R. 421-14 du code de l'urbanisme dans la version que leur a donnée le décret du 28 décembre 2015 ne soumettant plus le projet litigieux à un permis de construire mais à une déclaration préalable.

La ville de Paris ne pouvait donc pas s'opposer à la déclaration de travaux au motif qu'un permis de construire était nécessaire, sans que puisse d'ailleurs y faire obstacle la circonstance que le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris était en cours de modification le 1er janvier 2016.

(7 juillet 2022, Ville de Paris, n° 454789)

 

314 - Affichage du permis de construire - Irrégularité - Rejet du recours pour tardiveté - Dénaturation de pièces et erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit par suite de dénaturation de pièces du dossier conduisant à sa cassation, l'ordonnance d'un président de chambre d'un tribunal administratif qui, pour juger tardive une requête en annulation de permis de construire, relève que ce permis avait été affiché de manière régulière sur la voie publique, par deux panneaux, l'un à hauteur du 172 de l'avenue Guigue et l'autre à l'intersection de l'avenue Guigue et de l'allée Antoine-Millan et que le terrain d'assiette du projet en litige, correspondant aux parcelles cadastrées section AK n° 247 et n° 427, était sis 172, avenue Guigue et n'était pas, durant la période des affichages précités, directement desservi par une voie publique.

En réalité, si l'îlot 6 de la zone d'aménagement concerté de l'écoquartier des Orfèvres, dont fait partie le projet, donne sur l'avenue Guigue, tel n'est pas le cas des parcelles cadastrées section AK n° 247 et n° 427, terrain d'assiette du projet litigieux, lesquelles sont en revanche desservies par l'allée Antoine-Millan, qui est une voie publique.

Le juge ne pouvait juger que le permis a été régulièrement affiché alors qu'aucun des deux panneaux d'affichage ne se trouvait sur le terrain d'assiette du projet, lequel était pourtant desservi par une voie publique.

(7 juillet 2022, M. et Mme C., n° 458712)

 

315 - Permis de construire, initial et modificatif - Exigence de précision des règles contenues dans un plan local d’urbanisme (PLU) - Même exigence pour les règles d’exception du PLU - Permis irréguliers - Obligation pour le juge d’en ordonner la régularisation - Absence - Erreur de droit - Annulation sur ce point.

Un permis de construire initial et un permis modificatif sont contestés.

Le tribunal administratif est approuvé pour avoir écarté comme trop imprécises les dispositions dérogatoires d’un PLU sur la base desquelles ont été délivrés les permis litigieux. Il résulte en effet notamment des dispositions des art. L. 151-8 et L. 152-3 du code de l’urbanisme que s’impose aux auteurs d’un PLU une exigence de rédaction précise des règles destinées à assurer l'insertion des constructions dans leurs abords, leur qualité et leur diversité architecturale, urbaine et paysagère ainsi que la conservation et la mise en valeur du patrimoine que ces règles constituent le droit commun du PLU ou celles de ses dispositions à caractère dérogatoire afin de permettre une intégration plus harmonieuse des projets dans le milieu urbain environnant.

En revanche, le jugement est annulé avec renvoi en ce que, après avoir jugé que le vice constaté n'était pas régularisable, il s’est abstenu de rechercher, pour déterminer si le vice entachant le bien-fondé du permis de construire litigieux pouvait être régularisé, et alors même que cette régularisation aurait impliqué de revoir l'économie générale du projet en cause, si les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle il statuait permettaient une mesure de régularisation qui n'impliquait pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

Si l’on peut comprendre la logique qui sous-tend cette décision, il demeure cependant une urgence : celle de clarifier ce qu’il convient d’entendre par l’expression de « bouleversement (mot déjà fort) de nature à changer la nature même du projet » et par celle de « bouleversement de l’économie générale du projet », expressions auxquelles s’attachent des conséquences juridiques diamétralement opposées.

(19 juillet 2022, Commune de Yerres, n° 449111 ; M. et Mme F., n° 449228)

 

316 - Permis de construire - Éoliennes - Atteinte aux sites avoisinants - Pouvoirs du juge - Limite - Erreur de droit - Annulation.

Rappel de ce qu’il résulte des dispositions de l’art. R. 111-27 du code de l’urbanisme que l’autorité administrative compétente, saisie d’un projet de construction portant atteinte aux sites avoisinants peut soit refuser de délivrer le permis de construire soit l’assortir de prescriptions spéciales.

Le juge, pour déterminer l'existence éventuelle d'une atteinte à un site de nature à fonder le refus de permis de construire ou sa délivrance sous réserve de prescriptions spéciales, doit, d’abord, apprécier la qualité du site sur lequel la construction est projetée et ensuite, évaluer l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

À ce second stade de son raisonnement le juge ne saurait procéder à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-27 précité (atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales).

En l’espèce, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en procédant, pour rejeter le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché sa décision d’accorder le permis de construire litigieux d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-27 précitées, à l'examen du caractère du site où figure un dolmen, monument historique protégé et a estimé que le parc éolien aurait une incidence forte sur ce site protégé. Elle a ensuite, pour juger que l’autorisation préfectorale n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation,  considéré que le site de ce dolmen était relativement peu fréquenté par le public et accessible seulement par un petit chemin à partir d'un parc de stationnement aménagé, et elle a retenu que le pétitionnaire s'était engagé à assurer l'entretien et la préservation des chênes qui entourent le dolmen et, enfin, qu'il avait choisi la variante qui rendait l'éolienne la plus au nord moins perceptible depuis le site. 

Ce jugeant la cour n’a retenu que des moyens inopérants au regard des seuls intérêts pouvant être pris en considération tels qu’ils sont limitativement énumérés à l’art. R. 111-27 précité.

(19 juillet 2022, Association pour la protection des paysages et de l'environnement de Lathus, n° 451324)

 

317 - Droit de l’urbanisme – Requête en annulation d’une autorisation d’extension d’une maison d’habitation – Mémoire opposant une fin de non-recevoir - Irrecevabilité manifeste opposée en conséquence – Erreur de droit – Annulation.

(7 juillet 2022, M. et Mme I., n° 456370)

V. n° 51

 

318 - Participation spécifique pour la réalisation d'équipements exceptionnels (art. L. 332-8 c. urb.) - Émission de titres de perception en vue du paiement de cette participation - Régime contentieux de la contestation de ces titres - exception de chose jugée - Erreur de droit - Annulation.

(22 juillet 2022, Communauté de communes « Rives de Moselle », n° 443366)

V. n° 108

 

319 - Permis de construire un lieu de culte - Avis préalable obligatoire du préfet à la délivrance du permis - Avis exigé pour les seuls projets ayant pour effet de créer ou d'étendre significativement une construction ou une installation destinée à l'exercice d'un culte - Inexistence en l’espèce - Aménagement de volumes existant - Annulation partielle.

L’article L. 422-5-1 du code de l’urbanisme qui prévoit un avis obligatoire du préfet avant la délivrance d’une autorisation d’urbanisme relative à une construction ou installation destinée à l’exercice d’un culte, ne s’applique - selon le juge interprétant les travaux préparatoires - que dans le cas où le projet a pour effet de créer des constructions ou installations destinées à l'exercice d'un culte ou de les étendre de manière significative.

Tel n’était pas le cas en l’espèce de la mosquée de Bagneux où il ne s’agissait que de réduire des salles de prière pour les femmes et pour les hommes situées au rez-de-chaussée respectivement de 24 et 8 m², de créer au rez-de-jardin une salle de prière de 134 m² pour les femmes et de réduire corrélativement de 171 m² la taille de la salle de prière réservée aux hommes ainsi que de créer au rez-de-chaussée un espace commercial de 105 m².

Il convient de préciser qu’est rejetée dans cette décision la demande de transmission d’une QPC fondée sur ce que l’art. L. 422-5-1 du code de l’urbanisme porterait atteinte notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales et à la liberté de culte.

(25 juillet 2022, Commune de Bagneux, n° 463525)

 

320 - Permis de construire modificatif - Octroi toujours possible avant achèvement de la construction - Modifications ne changeant pas la nature du projet - Procédure contentieuse - Clôture de l’instruction à effet immédiat (art. R. 611-11-1 CJA) - Absence de mémoire en défense - Intervention du prononcé de la clôture - Rejet.

Le litige portait sur un permis de construire modificatif dont la requérante demandait l’annulation et comportait aussi une importante question de procédure relative au régime de la clôture de l’instruction, qui a justifié que cette décision fût rendue en Section.

Sur le régime du permis modificatif, le juge rappelle que l’autorité administrative saisie d’une demande en ce sens peut délivrer un permis modificatif tant que la construction autorisée par le permis initial n’est pas achevée (V., par ex. : 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, n° 374338) sous la condition, habituelle, que la modification sollicitée n’apporte pas au projet d’origine un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.

Sur la clôture de l’instruction à effet immédiat qui est, on le sait, l’une des deux formes de clôture, il convient de rappeler la chronologie des faits. Le tribunal administratif a informé les parties le 30 avril 2019, d’une part, qu’il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience, au quatrième trimestre 2019 et, d’autre part, que l'instruction était susceptible d'être close par une ordonnance de l'article R. 611-11-1 du CJA, qui pourrait intervenir à compter du 20 mai 2019. Le même jour, il a mis en demeure la commune de produire ses observations sous dix jours. Le premier mémoire en défense de la commune, enregistré le 13 mai 2019, a été communiqué le même jour à la requérante par le tribunal, qui lui a donné un délai de trente jours pour y répondre.  Par un courrier du 17 mai 2019, il a refusé de prolonger ce délai. Le mémoire en réplique de la requérante a été produit dans le délai imparti, le 20 mai 2019, et communiqué à la commune, à qui un délai de dix jours a été laissé pour y répondre.

La commune a produit un second mémoire en défense le 6 juin 2019, qui a été communiqué à la requérante en lui indiquant qu'elle disposait d'un délai de dix jours pour y répondre.

A l'issue de ce dernier délai, une ordonnance de clôture immédiate de l'instruction est intervenue, le 10 juillet 2019. Après cette clôture la requérante a produit un nouveau mémoire, le 30 juillet 2019, qui a été visé mais qui n'a pas été communiqué. 

La demanderesse reproche d’abord au tribunal la méconnaissance des dispositions de l’art. R. 611-11-1 du CJA pour avoir avisé les parties le 30 avril qu’une clôture était susceptible d’intervenir à partir du 20 mai alors qu’à cette date aucun mémoire en défense n’avait été produit.

En réalité, cette dernière circonstance ne faisait pas obstacle à la prise d’une ordonnance de clôture immédiate, que le défendeur ait été mis, ou non, en demeure de produire (cf. par ex., la classique solution de : Assemblée, 8 avril 1997, ministre de la santé, n° 45172). Toutefois, le principe de loyauté des débats impose que cette ordonnance ne soit prise qu'à compter de la date fixée dans la lettre d'information et une fois expiré chacun des délais laissés aux parties pour produire un mémoire ou répliquer aux mémoires communiqués.

Tel était bien le cas de l’espèce.

La demanderesse reproche ensuite au tribunal d’avoir irrégulièrement statué en lui indiquant par son courrier du 13 mai 2019 qu'elle disposait d'un délai de trente jours (soit jusqu’au 13 juin) pour répliquer au mémoire en défense de la commune, tout en refusant de reporter la date, indiquée précédemment comme étant celle du 20 mai 2019, à partir de laquelle la clôture de l'instruction pouvait intervenir. Cependant, il est constant que la requérante a disposé du délai de trente jours qui lui avait été annoncé pour produire ses observations en réplique, la clôture de l'instruction n'étant au demeurant intervenue que quatre semaines après l'expiration de ce délai.

La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la procédure suivie aurait été irrégulière.

(Section, 26 juillet 2022, Mme D., n° 437765)

 

321 - Certificat d’urbanisme - Demande de prorogation dans les déllais - Droit à prorogation d’une année - Condition - Erreur de droit - Annulation.

Le juge rappelle ici que le titulaire d’un certificat d’urbanisme a droit, sur sa demande formée dans le délai réglementaire, à ce qu’il soit prorogé d’une année sauf si les prescriptions d'urbanisme, les servitudes administratives de tous ordres ou le régime des taxes et participations d'urbanisme qui étaient applicables au terrain à la date de délivrance du certificat ont changé depuis cette date.

A cet égard, l'adoption, la révision ou la modification du plan local d'urbanisme couvrant le territoire dans lequel se situe le terrain constitue en principe un tel changement.

Toutefois, cette prorogation est également de droit lorsque la révision ou la modification de ce plan ne porte que sur une partie du territoire couvert par ce document dans laquelle ne se situe pas le terrain d’assiette du certificat d’urbanisme.

Est annulé l’arrêt d’appel qui, pour rejeter le recours de la société demanderesse, se fonde sur ce qu'à la date de prorogation du certificat d'urbanisme, le projet de plan local d'urbanisme était suffisamment avancé pour que soit opposé un sursis à statuer, et en déduit que le maire devait apprécier les demandes de permis d'aménager sollicitées au regard des dispositions du plan local d'urbanisme approuvé par délibération du 23 mars 2017. En réalité, le certificat ayant été délivré le 24 novembre 2016 et prorogé à compter du 3 janvier 2017, la cour devait seulement vérifier si la possibilité d'opposer un sursis existait dès la date de la délivrance du certificat d'urbanisme, qui avait seulement fait l'objet d'une prorogation, conservant le droit de la personne titulaire de ce certificat à ce que sa demande d'autorisation soit examinée au regard des dispositions d'urbanisme applicables à la date du certificat.

(27 juillet 2022, Sarl Le Parc de Chavaray (ou société Alzina Côte d’Azur), n° 451788)

 

322 - Plan local d'urbanisme - Disposition du règlement du PLU - Notion de « hauteur totale de la construction » - Rejet.

La disposition du règlement d'un plan local d'urbanisme selon laquelle « Les constructions, à l'exclusion des débords de toiture dans la limite de 0,60 mètre, doivent être édifiées en respectant un retrait par rapport aux limites séparatives égal à la moitié de la hauteur totale de la construction sans que ce retrait puisse être inférieur à quatre mètres (L = H/2) », doit être interprétée comme s'étendant non pas de la hauteur à l'égout atteinte par le bâtiment projeté, mais de la hauteur totale de la construction c'est-à-dire celle correspondant à la différence de niveau entre son point le plus haut (mesuré au faîtage des toitures) et son point le plus bas situé à sa verticale. 

(3 août 2022, M. et Mme d'Agata, n° 459436 ; Syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Le Clos de l'Aqueduc », n° 459438)

 

323 - Permis de construire - Existence de vices affectant sa régularité - Mesure de régularisation - Communication aux parties du permis modificatif délivré aux fins de régularisation - Compétence exclusive du juge d'appel.

Rappel de ce qu'il se déduit des dispositions, d'une part, de l'art. L. 600-5-2 du code de l'urbanisme et, d'autre part, de l'art. R. 351-3 du CJA, que, lorsque le juge d'appel est saisi d'un appel contre un jugement d'un tribunal administratif ayant annulé un permis de construire en retenant l'existence d'un ou plusieurs vices entachant sa légalité et qu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure visant à la régularisation de ces vices a été pris, seul le juge d'appel est compétent pour connaître de sa contestation dès lors que ce permis, cette décision ou cette mesure lui a été communiqué ainsi qu'aux parties.

Si un recours pour excès de pouvoir a été formé contre ce permis, cette décision ou cette mesure devant le tribunal administratif, il incombe donc à ce dernier de le transmettre, en application des articles R. 351-3 et, le cas échéant, R. 345-2 du CJA, à la cour administrative d'appel saisie de l'appel contre le jugement relatif au permis initial.

En conséquence, il est fait ici attribution à la cour administrative d'appel de Lyon de la requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble portant sur le permis délivré par le maire de Tain-l'Hermitage à la Société Bouvet Promotion.

(22 août 2022, M. et Mme B., n° 463455)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Juin 2022

Juin 2022

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication de documents administratifs - Détermination des documents ayant cette nature - Correspondances (courriels) entre le maire et des élus municipaux relatives à des affaires soumises à délibération du conseil municipal - Distinction à opérer - Annulation.

Les échanges de correspondances (ici des courriels) entre un maire et des élus municipaux portant sur des sujets faisant l'objet de délibérations du conseil municipal ne sont communicables que si elles sont reçues ou adressées dans le cadre des fonctions exercées au nom de la commune, par le maire, ses adjoints ou les membres du conseil municipal auxquels le maire a délégué une partie de ses fonctions. Tel n'est pas le cas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, des correspondances des élus locaux exprimant, notamment, des positions personnelles ou des positions prises dans le cadre du libre exercice de leur mandat électif car en ce cas elles ne peuvent nullement être regardées comme émanant de la commune.

La solution, d’application assez aisée, doit être approuvée.

(3 juin 2022, Commune d'Arvillard, n° 452218)

 

2 - Plateforme gouvernementale d'information sur internet - Refus d'un ministre de retirer de cette plateforme des liens renvoyant vers des contenus proposés par certains sites - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour connaître en premier et dernier ressort d'un recours contre ce refus - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le refus d'un ministre de retirer d'une plateforme gouvernementale d'information sur internet des liens renvoyant vers des contenus proposés par certains sites étant une décision ne présentant pas un caractère réglementaire, le recours dirigé contre ce refus ne peut être porté en premier ressort devant le Conseil d'État (cf. art. R. 311-1 CJA).

Ce dernier renvoie donc l'affaire au tribunal administratif de Paris.

(3 juin 2022, Association "Pornostop", n° 453794)

(3) V. aussi, la solution retenue à propos d'un recours dirigé contre la décision du ministre de l'intérieur d'interdire la vente aux mineurs, la publicité et l'exposition à la vue au public de l'ouvrage "Apprendre le Tawhid aux enfants", prise sur le fondement de l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : 3 juin 2022, Société Authenticia, n° 457453.

(4) V. également, rejetant comme ne relevant pas de la compétence directe du Conseil d'État un recours dirigé contre un acte non réglementaire, en l'espèce l'arrêté portant agrément d'une société en tant qu'éco-organisme de la filière à responsabilité élargie du producteur des huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles, tel que défini par l'article R. 543-3 du code de l'environnement : ord. réf. 9 juin 2022, Chambre syndicale du reraffinage et Société Compagnie française Eco-huile, n° 463769

 

5 - Décision individuelle dont l'octroi serait créateur de droit - Décision ne relevant manifestement pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'État - Rejet.

Est manifestement irrecevable en tant qu'il est porté devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort, le recours tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail, une telle mesure constitue, en effet, une décision individuelle créatrice de droits.

(7 juin 2022, M. B., 464569)

(6) V. aussi, la solution identique retenue pour rejeter la demande de suspension de la décision de la commune de Niort procédant au retrait de l'autorisation de stationnement dont l'intéressé bénéficiait sur le territoire de la commune : 8 juin 2022, M. A., n° 464722.

 

7 - Acte de gouvernement - Refus du pouvoir exécutif de soumettre un projet de loi au parlement - Invocation sans effet de l'existence d'engagements internationaux de la France - Rejet.

L'association requérante avait demandé, en vain, au Ppemier ministre de permettre aux commerçants-artisans de pouvoir ester en justice contre les autorisations de construire de plus de 1000 m2 de surface de vente non soumis à autorisation d'exploitation commerciale. Elle a saisi le juge d'une demande d'injonction aux autorités compétentes de procéder, par la loi, à cette modification.

La réponse contenue dans la présente décision réitère une solution constante et classique : le refus du pouvoir excutif de déposer un projet de loi devant le parlement constitue un acte de gouvernement car il concerne les relations entre des pouvoirs publics constitutionnels. Il est précisé, en outre, ici, que cette solution jurisprudentielle n'est en rien affectée par la circonstance, comme en l'espèce, que la requérante invoque au soutien de sa requête les engagements internationaux de la France. Irrecevable, la demande principale est ainsi rejetée tout comme le sont, pour le même motif et par voie de conséquence, les demandes accessoires à celle-ci.

(15 juin 2022, Association En toute franchise région PACA, n° 447544)

 

8 - Fonction publique - Tableau d'avancement d'enseignants - Critères de classement - Tableau établi en application d'une note de service - Incompétence d'un recteur d’académie pour fixer des règles de nature statutaire - Ajout illégal à un décret - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Annulation.

Est illégal un tableau d'avancement de professeurs de lycée professionnel établi sur la base d'une note de service prise par un recteur d'académie et fixant des critères d'attribution de points dès lors que, comportant des mesures de nature statutaire et ajoutant à un décret, cette note est entachée d'incompétence et donc illégale.

Doit être annulé l'arrêt d'appel qui omet de relever d'office une telle irrégularité.

(21 juin 2022, M. B., n° 443455)

 

9 - Obligation légale non respectée – Invocation d’une circonstance de force majeure – Situation non prévue par un texte – Rejet de l’exception – Erreur de droit – Annulation.

La requérante, pour justifier que le total de ses absences hors de Polynésie française a excédé le plafond de 90 jours fixé par  l'article 137 de loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 pour les bénéficiaires de l’indemnité temporaire de retraite résidents de Polynésie française, invoquait l’exception de force majeure.

Pour rejeter sa demande le tribunal administratif retient qu’elle ne pouvait utilement se prévaloir d'un cas de force majeure non prévu par un texte.

Ce jugeant il commettait une erreur de droit car ainsi que le rappelle le Conseil d’État : « Un requérant peut utilement se prévaloir d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer du respect d'une obligation légale, alors même que la loi ne réserve pas le cas de la force majeure. »

La force majeure n’est ni une règle ni un principe mais est inhérente – comme la respiration - à la nature des choses car « à l’impossible nul n’est tenu ».

(28 juin 2022, Mme A., n° 452627)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

10 - Administration numérique - Obligation de recourir à un téléservice pour accomplir une démarche administrative - Obligation sans effet sur les conditions légales  de délivrance des actes et autorisations - Exigence d'exercice effectif des droits des administrés et d'accès normal des usagers au service - Cas particuliers des étrangers et des porteurs de handicaps - Nécessité de prévoir des solutions de substitution - Illégalité de l'absence de telles solutions - Annulations partielles.

Etait en cause ici le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour qui modifie notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour ainsi que son arrêté d'application. 

Le Conseil d’État, dépassant le strict cadre du litige concret dont il était saisi fournit une réponse en même temps qu'un mode d'emploi complet du recours obligatoire au téléservice.

En principe, l'institution d'une obligation d'user du téléservice pour effectuer une démarche administrative et notamment obtenir une autorisation est légale dès lors qu'elle ne modifie pas les conditions existantes de délivrance des actes et ne concerne pas les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi. 

Cependant, il incombe aux pouvoirs publics d'assurer l'accès des individus aux systèmes de téléservice en vertu des dispositions de l'art. L. 112-9 du code des relations du public avec l'administration. Si les administrés ont le droit mais non l'obligation d'user du téléservice, le pouvoir réglementaire peut instituer une obligation d'accomplir des démarches administratives au moyen d'un téléservice. En soi, cette exigence ne contrevient pas aux divers droits ou principes invoqués par les demandeurs (principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant le service public et de continuité du service public, droit à la compensation du handicap, principe de non-discrimination et autres droits garantis par la Convention EDH, etc.).

Enfin, il incombe toutefois au pouvoir réglementaire de n'édicter une « telle obligation qu'à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement. »

Appliquant cette ligne générale d'interprétation et de conciliation au cas de l'espèce, le Conseil d'État annule le décret du 24 mars 2021 en tant qu'il ne prévoit pas de solution de substitution à la procédure de téléservice et l'arrêté du 27 avril 2021, en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.

Non seulement ces annulations impliquent pour le ministre l'édiction d'une réglementation complémentaire mais encore, dans l'attente de son entrée en vigueur effective, il est fait obligation à l'autorité administrative, si un étranger venait à se trouver confronté à l'impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité. 

(Section, 3 juin 2022, Conseil national des barreaux, n° 452798 et 454716 ; La Cimade et autres, n° 452806, jonction)

(11) V. aussi, du même jour, l'important avis rendu par une décision de Section (le fait est notable) en réponse à des demandes d'avis des tribunaux administratifs de Montreuil et de Versailles portant sur l'étendue de la notion de téléservice (demande de rendez-vous, courriel à une administration via une adresse internet dédiée), sa nature ou non de traitement automatisé de données à caractère personnel, enfin, son caractère détachable ou non de la procédure de demande d'actes (ici de titres de séjour) : Avis, Section, 3 juin 2022, La Cimade et autres, n° 461694 et n° 461695 ; La Cimade et autres, n° 461922, jonction.

 

12 - Sanction infligée par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Personne ayant intérêt à contester cette sanction - Rejet.

Le Conseil d'État rejette - pour défaut d'intérêt - le recours de la société requérante qui était dirigé contre une sanction infligée par l'ARCEP à la société Free Caraïbes et tendait, d'une part, à l'annulation d’une sanction infligée par l'ARCEP à cette dernière société, et d'autre part, à la substitution à cette décision de sanction d'une autre décision aggravant la précédente.

En effet, lorsque l'ARCEP a décidé de mettre en demeure un exploitant, un fournisseur ou un gestionnaire d'infrastructure d'accueil, de se conformer dans un délai déterminé aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à son activité ou aux décisions prises pour en assurer la mise en œuvre, seule la personne qui fait l'objet de cette mise en demeure a intérêt à la contester, quelle qu'en soit la teneur. 

La solution peut se discuter : un exploitant de réseau, un fournisseur de services ou un gestionnaire d'infrastructure d'accueil semble légitime à contester une sanction visant un tiers lorsque cette sanction, du fait de son irrespect de textes ou principes  ou de son insuffisance ou de son incomplétude, lui cause un préjudice ou l'aggrave. Sinon il lui faut quitter le terrain de l'excès de pouvoir, ou du contentieux de l'annulation, pour se porter sur celui du plein contentieux, ici celui de la responsabilité.

A l'inverse, on peut présenter cette solution comme manifestant la vigueur persistante de la distinction des contentieux que l'on sait être sérieusement discutée au sein même du Conseil d'État notamment.

(21 juin 2022, Société Outremer Télécom, n° 453266)

(13) V. aussi, admettant la recevabilité du recours de la même société dirigé contre la même partie adverse mais le rejetant au fond en tant qu'il visait à l'annulation de la décision de l'ARCEP ayant renoncé à demander une modification de l'accord de mutualisation de réseaux mobiles conclu entre les sociétés Digicel French Caribbean et Free Caraïbe et à ce que le juge administratif enjoigne à l'ARCEP d'adopter, dans un certain délai, une décision visant à la modification de cet accord afin d'assurer le respect des objectifs de la régulation et des obligations souscrites par les parties dans le cadre de leurs autorisations de fréquences : 21 juin 2022, Société Outremer Télécoms, n° 453528.

 

14 - Loi du 6 janvier 1978 (dite informatique et libertés), art. 82 – Manquements à cette disposition – Sanction pécuniaire infligée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Invocation d’irrégularités, d’illégalités et d’inconventionnalités diverses – Rejet.

Condamnée à 35 millions d’euros de pénalité assortis d’une injonction sous astreinte et d’une publication de la décision, la société requérante invoque de nombreux griefs, tous rejetés, comme aussi sa demande de renvoi de huit questions préjudicielles à la CJUE.

 

I - Tout d’abord il est jugé que la CNIL était compétente pour prendre la décision querellée sans que puisse être invoquée à l’encontre de cette compétence l'absence d’application du mécanisme du « guichet unique » défini à l'article 56 RGPD, s’agissant de traitements transfrontaliers. Les mesures de mise en œuvre et de contrôle de la directive du 12 juillet 2002 ne relèvent que de la compétence des autorités nationales de contrôle en vertu de l'article 15 bis de cette directive.

Par suite, pour ce qui concerne le contrôle, au regard des dispositions ayant transposé les objectifs de la directive précitée, des opérations d'accès et d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs en France d'un service de communications électroniques, même procédant d'un traitement transfrontalier, le mécanisme du « guichet unique » ne s'applique pas. La CNIL, qui n’a pas entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits ni ne s’est méprise sur le champ des opérations soumises à son contrôle, ne saurait, non plus, se voir reprocher de n’avoir pas mis en œuvre le mécanisme du « guichet unique » prévu par le RGPD.

II - Ensuite, concernant l’art. 3 de la loi de 1978, la requérante met en cause sa compatibilité avec le droit de l’Union. Le Conseil d’État livre d’abord ex-ante son interprétation de l’article 3, examine ensuite sa compatibilité et, enfin, ex-post, vérifie son application à l’espèce.

Le Conseil d’État estime que cette disposition qui , en son I, déclare s’appliquer « aux traitements des données à caractère personnel effectués dans le cadre des activités d'un établissement d'un responsable du traitement ou d'un sous-traitant sur le territoire français, que le traitement ait lieu ou non en France », s’applique donc sans préjudice, en ce qui concerne les traitements entrant dans le champ du RGPD, des critères prévus par les paragraphes 2 et 3 de l'article 3 de ce règlement. Au reste, il découle de la jurisprudence européenne (CJUE, 5 juin 2018, Unabhängiges Landeszentrum für Datenschutz Schleswig-Holstein contre Wirtschaftsakademie Schleswig-Holstein GmbH, aff. C-210/16) y compris celle forgée sur le I de l’art. 3 du RGPD (CJUE 15 juin 2021, Facebook Ireland Ltd e.a., aff. C-645/19) qu'au vu de l'objectif poursuivi par cette directive et par ce règlement, consistant à assurer une protection efficace et complète des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment du droit à la protection de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, un traitement de données à caractère personnel peut être regardé comme effectué « dans le cadre des activités » d'un établissement national non seulement si cet établissement intervient lui-même dans la mise en œuvre de ce traitement, mais aussi dans le cas où ce dernier se borne à assurer, sur le territoire d'un État membre, la promotion et la vente d'espaces publicitaires permettant de rentabiliser les services offerts par le responsable d'un traitement consistant à collecter des données à caractère personnel par le biais de traceurs de connexion installés sur les terminaux des visiteurs d'un site.

L’art. 82 de la loi de 1978 s'applique aux opérations d'accès et d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs d'un service de communications électroniques en France lorsque le responsable de ce traitement y dispose d'un établissement et que ce traitement est effectué dans le cadre des activités de cet établissement. Pas davantage la directive de 2002 ne fait obstacle à ce que la CNIL, autorité nationale compétente en France, sanctionne ce responsable en cas de manquements aux dispositions de cet article 82 commis au préjudice de ces utilisateurs. 

Au reste, cet article, qui vise à garantir l'effectivité des dispositions de la directive de 2002 et à assurer une protection efficace des libertés et des droits fondamentaux des utilisateurs des terminaux concernés en France, s'applique quel que soit le lieu de l'établissement principal de ce responsable : l’art. 82 ne saurait en tout état de cause constituer une entrave à la libre prestation de services prohibée par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, pas davantage qu'une entrave à la liberté d'établissement interdite par l'article 49 du même traité. Les dispositions de la directive de 2002, en ce qu'elles ne font pas obstacle à une telle législation, ne sont pas davantage de nature à constituer une telle entrave.

Enfin, il est établi par l’instruction qu’à la date de la décision de la CNIL attaquée la société Amazon Online France, dont il n'est pas contesté qu'elle constitue un établissement de la société Amazon Europe Core en France, exerçait une activité de promotion et de commercialisation d'outils publicitaires contrôlés et exploités par la société Amazon Europe Core, fonctionnant notamment grâce aux données collectées par le biais des traceurs de connexion déposés sur les terminaux des utilisateurs du site « amazon.fr » en France. Ainsi, la formation restreinte de la CNIL a fait une exacte application des dispositions de cet article 3 en déduisant de ces éléments que le traitement de données mis en œuvre par la société Amazon Europe Core était effectué dans le cadre des activités de son établissement Amazon Online France situé en France, au sens de l'article 3 de la loi du 6 janvier 1978 et n'a donc pas, contrairement à ce qui est soutenu, insuffisamment motivé sa décision sur ce point.

III – La procédure suivie et au terme de laquelle a été prise la décision de sanction critiquée a été en tous points régulière. La société requérante ne peut sérieusement soutenir :

- d'une part, qu'elle n'a pas été suffisamment informée du champ des contrôles effectués et des faits ayant fondé la sanction,

- et, d'autre part, que la mention du RGPD dans ces documents l'aurait induite en erreur, alors surtout que le consentement requis par l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 est défini par le RGPD, conformément aux dispositions du f) de l'article 2 de la directive de 2002. 

La requérante ne saurait davantage soutenir que l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée de répondre à une demande d'information des services de la CNIL à une date à laquelle un rapporteur avait été désigné, sans qu'elle en soit encore informée, aurait caractérisé une violation de son droit à ne pas s'auto-incriminer et, alors qu’elle a bénéficié au total d'un délai de six mois pour présenter sa défense, que la procédure serait à ce titre irrégulière.

Semblablement, la société requérante n'est pas fondée à soutenir, alors même que le procès-verbal du contrôle en ligne effectué le 19 mai 2020 par les services de la CNIL ne mentionne pas qu'il a été demandé par le rapporteur, que la procédure aurait été conduite en méconnaissance de l'article 39 du décret du 29 mai 2019.

IV – Aucune violation de l’art. 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE n’est ici en cause contrairement à ce qui est allégué. Ne saurait être retenue l’affirmation par la requérante qu'en engageant une procédure de contrôle et de sanction portant sur la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel qui faisaient déjà l'objet de poursuites de la part de l'autorité luxembourgeoise de protection des données à raison des mêmes faits, la formation restreinte de la CNIL a méconnu le principe, tel que garanti par l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, selon lequel une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites à raison des mêmes faits. En effet, ce principe ne s’applique, conformément à l’interprétation qu’a donné de cet art. 50 la CJUE (26 février 2013, Aklagaren c/ Akerberg Fransson, aff. C-617/10 ; 3 avril 2019, Powszechny Zaklad Ubezpieczen na Zycie SA, aff. C-617/17 ;  22 mars 2022, bpost SA c/ Autorité belge de la concurrence, aff. C-117/20) que lorsqu'une procédure à caractère pénal, au sens de ces dispositions, est définitivement close, notamment lorsqu'une sanction pénale est devenue définitive, ce qui suppose qu'une décision a été rendue à la suite d'une appréciation portant sur le fond de l'affaire et n'est plus susceptible de recours, que ces dispositions s'opposent à ce que des poursuites de nature pénale pour la même infraction soient par la suite diligentées contre une même personne et, le cas échéant, qu'une sanction à caractère pénal soit prononcée. 

Tel n’est, bien évidemment, pas le cas de la société requérante en l’état.

V - Enfin, le recours est rejeté également sur deux autres points.

D’abord, la caractérisation du manquement à l’art. 82 en matière de « cookies » est certaine car ainsi que le relève la CNIL « d'une part, quel que soit le parcours de l'utilisateur - que celui-ci se rende directement sur le site « amazon.fr » ou qu'il se rende sur une page « produit » du site via une annonce -, plus de quarante « cookies » poursuivant une finalité publicitaire étaient déposés sur le terminal de l'utilisateur préalablement à toute action de sa part et que, d'autre part, l'information délivrée par la société s'agissant des opérations d'accès ou d'inscription des « cookies » était soit incomplète, soit inexistante ». Vainement, est invoqué le caractère non clair et stabilisé du cadre juridique applicable aux traceurs de connexion car c’est le II de l’art. 32 de la loi de 1978 qui posait déjà le principe d'un consentement préalable au dépôt des « cookies », celui d'une information claire et complète de l'utilisateur, ainsi que d'un droit d'opposition. 

Ensuite, la sanction infligée n’est en rien disproportionnée compte tenu de la gravité des manquements commis, des avantages obtenus par la société grâce à ces manquements et du chiffre d'affaires annuel mondial de la société Amazon Europe Core sur lequel la CNIL s'est fondée, estimé à 7,7 milliards d'euros.

La sanction porte donc sur 0,0045 % de ce dernier chiffre.

Beaucoup de contribuables français en infraction souhaiteraient être traités avec une aussi incommensurable mansuétude.

(27 juin 2022, Société Amazon Europe Core, n° 451423)

 

15 - Traitement de données de santé – Passage du système « StopCovid » au système « TousAntiCovid » - Respect de la vie privée – Exigences s’imposant aux traitements de données personnelles – Double enregistrement de données sur un serveur distinct – Finalité légitime – Traitement adéquat et proportionné au regard de ces finalités – Rejet.

L’association requérante contestait la légalité du décret du 12 février 2021 modifiant le décret du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid ».

Le recours est rejeté.

 

L’association soutenait tout d’abord, pour l’essentiel, que la mise en place, par le décret attaqué, d'une localisation par « QR-code » des personnes physiques est insuffisamment encadrée en ce qui concerne des lieux pouvant révéler des données sensibles et qu'une identification des personnes est possible à partir de l'enregistrement des lieux qu'elles ont fréquentés.

Le moyen est rejeté en premier lieu car la nouvelle fonctionnalité introduite dans l'application n'autorise pas la mise en œuvre d'un suivi des déplacements de l'utilisateur mais se borne à permettre l'enregistrement, à partir de protocoles différents et sur un serveur distinct et séparé de celui permettant le suivi des contacts, de données permettant d'informer les utilisateurs qu'ils ont fréquenté un lieu où se trouvait pendant la même période de temps une personne dépistée positive à la Covid-19. Il est rejeté en second lieu car le décret prévoit que ces données sont conservées sur le serveur central et sur le téléphone de l'utilisateur pendant quinze jours à compter de leur enregistrement sur ce téléphone et que l'utilisateur a la possibilité, depuis son terminal, de supprimer de son historique tout lieu visité.

Le juge en déduit que le risque d'identification indirecte susceptible de résulter de l'enregistrement de ces lieux sur le serveur, même dans le cas de personnes ayant eu un très faible nombre de contacts ou ayant fréquenté des lieux où se trouvaient un faible nombre de personnes au cours de la même période, est particulièrement limité.

 

La requérante contestait ensuite le décret litigieux en ce qu’il autoriserait un double enregistrement de données sur des serveurs distincts et sans que cela apparaisse nécessaire et efficace au vu des finalités poursuivies. Le moyen ne convainc pas le juge pour qui l'introduction de la nouvelle fonctionnalité d'enregistrement des visites par l'utilisateur de certains lieux ouverts au public est utile pour lutter plus efficacement contre l'épidémie de Covid-19 et l'existence de deux serveurs distincts sans possibilité de communication de l'un à l'autre constitue une garantie pour limiter les atteintes à la vie privée et protéger les données. 

(27 juin 2022, Association Dataring, n° 451655)

 

Biens

 

16 - Occupation irrégulière du domaine public maritime - Mise en demeure de se mettre en conformité - Mise en demeure constituant un acte sans effets juridiques - Impossibilité de la contester par voie de recours contentieux - Nécessité de recourir à la procédure d'établissement d'une contravention de grande voirie puis, le cas échéant, d'en assurer l'exécution forcée - Rejet.

Rappel d'un aspect du droit domanial souvent négligé tant par les administrations que par les occupants de certaines dépendances du domaine public naturel : la procédure de contravention de grande voirie est ici la seule procédure permettant d'exiger d'un occupant irrégulier de ce domaine l'exécution des mesures prescrites en vue de sa remise en état.

Une simple mise en demeure, même circonstanciée, précise et fixant un délai, est toujours impuissante à obtenir un tel résultat car elle dépourvue d'effets juridiques propres. D'où cette conséquence logique qu'une telle mise en demeure ne saurait être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir faute qu'elle revête le caractère d'une décision.

(14 juin 2022, Société anonyme immobilière de la Pointe du Cap Martin, n° 455050)

 

Collectivités territoriales

 

17 - Fonction publique territoriale - Résorption de l'emploi précaire - Changement de régime législatif - Atteintes aux principes constitutionnels de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté contractuelle -  Transmission d'un QPC pouvant « être regardée comme nouvelle ».

L'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable jusqu'à son abrogation par la loi du 6 août 2019, disposait notamment : « Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales et des établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 sont fixées par la collectivité ou l'établissement, dans les limites applicables aux agents de l'État, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements. (...)

Les régimes de travail mis en place antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale peuvent être maintenus en application par décision expresse de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement prise après avis du comité social territorial, sauf s'ils comportent des dispositions contraires aux garanties minimales applicables en matière de durée et d'aménagement du temps de travail ».

L'art. 47 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique  dispose désormais en son I. :

« I.- Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d'un délai d'un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition. » (...)

Les communes requérantes soutenaient que ces dernières dispositions portent à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifierait aucun motif d'intérêt général.

Convaincu de ce que la question peut être regardée comme nouvelle, le Conseil d'État en accepte la transmission.

(1er juin 2022, Commune de Bonneuil-sur-Marne, n° 462193 ;  Commune de Fontenay-sous-Bois, n° 462194 ;  Commune d'Ivry-sur-Seine, n° 462195 ; Commune de Vitry-sur-Seine, n° 462196)

 

18 - Démission d'un membre du conseil municipal - Conditions de forme - Absence d'information du maire - Démission inexistante - Rejet.

L'art. L. 2121-4 du CGCT impose que la démission d'un membre du conseil municipal soit adressée au maire. En l'absence de la preuve d'une telle information ne peut être réputé démissionnaire le membre du conseil municipal qui se prétend tel.

(3 juin 2022, M. J. et M. d'Aldéguier, Élections municipales de la commune de Montesquieu-Lauragais, n° 461722)

 

19 - Obligation d’un taux minimum de logements locatifs sociaux – Taux cible ramené à 20% en certains cas – Décret fixant les valeurs des ratios de calcul – Contestation – Rejet.

Le I de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation impose aux communes dont la population atteint un certain seuil de population et qui sont englobées dans une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants d'atteindre, au plus tard en 2025, un taux de 25 % de logements locatifs sociaux en regard des résidences principales.

Le II de cet article institue une dérogation à ce taux, réduit à 20%, dans deux hypothèses. En premier lieu, lorsque le parc de logements existant ne justifie pas un effort de production supplémentaire pour répondre à la demande et aux capacités à se loger des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées. En second lieu, pour les communes de plus de 15 000 habitants dont le nombre d'habitants a crû dans des conditions et sur une durée fixées par décret et qui n'appartiennent pas à une agglomération ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comportant une commune de plus de 15 000 habitants, lorsque leur parc de logements existant justifie un effort de production pour répondre à la demande des personnes concernées.

En conséquence, un décret fixe, au début de chacune des périodes triennales, la liste des agglomérations ou des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés, dans lequel s’applique ce taux cible de 20% de logements locatifs sociaux.

Le décret du 6 août 2020 fixe, pour la période triennale 2020-2022, les valeurs des ratios permettant de déterminer la liste des agglomérations, des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes mentionnés au II de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation et détermine la liste des communes bénéficiant d'un taux cible dérogatoire de 20 % de logements locatifs sociaux en regard du nombre de résidences principales, en fonction de la moyenne arithmétique sur les trois dernières années du rapport entre le nombre de demandes de logements sociaux et le nombre d'emménagements annuels hors mutations internes dans le parc locatif social de la collectivité concernée.

La commune de Montauban et la communauté d'agglomération du Grand Montauban demandent au Conseil d’État l’annulation de ce décret pour excès de pouvoir en tant qu’elles ne figurent pas au nombre des collectivités mentionnées sur la liste établie par le décret précité.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, les requérantes ne sauraient exciper de l’illégalité du décret du 27 juin 2019 sur la base duquel a été pris le décret attaqué du 6 août 2020. En effet, le décret de 2019 a modifié les modalités de calcul du ratio servant de base à la détermination du taux d'obligation de logements locatifs sociaux, en disposant que ce dernier est désormais calculé à partir de la moyenne arithmétique, sur les trois dernières années de référence, entre le nombre de demandes de logements locatifs sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social. En retenant cette modalité de calcul en lieu et place de la précédente qui consistait en un calcul du même ratio à une date fixe, le pouvoir règlementaire a entendu améliorer la prévisibilité des obligations incombant aux collectivités concernées en lissant les variations ponctuelles du ratio occasionnées par des modifications non structurelles sur le parc locatif et n'a pas méconnu les objectifs fixés par le législateur. Si la modalité de calcul choisie se fonde sur une moyenne arithmétique sur trois ans du ratio précité, cette moyenne demeure fondée sur le rapport entre le nombre de demandes de logements sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social de la collectivité en cause. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, le décret attaqué, en fixant, pour pouvoir bénéficier de la dérogation au taux de 25 % de logements locatifs sociaux, des taux de pression distincts en fonction de la situation des collectivités concernées au regard de la taxe sur les logements vacants ou du statut de commune dite isolée, a apporté un traitement différent à des communes placées dans des situations différentes, en fonction de critères objectifs et rationnels, assis sur les caractéristiques démographiques et géographiques et sur le degré de tension sur l'accès au logement constaté dans ces collectivités, en rapport avec l'objectif de la règlementation mise en œuvre. Ainsi, le décret attaqué ne méconnaît pas le principe d'égalité.

Egalement, le Conseil d’État croit pouvoir rejeter le moyen tiré de ce que la Cour des comptes, dans son rapport annuel de février 2020, a dénoncé l'existence de lacunes statistiques dans le cadre de l'exploitation des données provenant du système national d'enregistrement, prévu par l'article L. 441-2-1 du code de la construction et de l'habitation, pour l'établissement du ratio entre le nombre de demandes de logements locatifs sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social. Il considère que cette circonstance « n'est pas par elle-même de nature (…) à rendre illégales les dispositions de la dernière phrase du premier alinéa du II et du deuxième alinéa du III de l'article R. 302-14 du code de la construction et de l'habitation qui prévoient le recours à des extractions de données provenant de ce système pour l'établissement de ce ratio ». On peut trouver l’argumentation plus expédiente (ne pas contraindre l’administration à de longs et fastidieux et di

fficiles nouveaux calculs) que convaincante car c’est bien le vice intrinsèque résultant de données lacunaires qui est, par lui-même, le cas échéant, de nature à miner l’entier système normatif fondé sur lesdites données.

Pas davantage n’est retenu le moyen, corrélé au précédent, que cette non fiabilité des chiffres a engendré la non inclusion des collectivités requérantes sur  la liste de celles relevant du taux cible de 20%. Le juge a beau jeu, mais c’est un sophisme ici, de dire que cette argumentation « n’est au demeurant pas appuyée sur un constat précis » : comment exiger un tel constat alors que la base de ce constat, estimée lacunaire, n’est par hypothèse, pas discutable ?

C’est une illustration remarquable de la théorie de l’impossibilité de rapporter la preuve exigée.

Enfin, la circonstance d’une pandémie justifie que le décret litigieux n’ait pas été publié au début de la période triennale comme exigé par les textes mais seulement au mois d’août 2020 : l’excuse épidémique a bon dos, celle-ci ayant débuté en fin du premier semestre 2020 or trois mois contenaient bien « le début de la période triennale »…

(24 juin 2022, Commune de Montauban et communauté d'agglomération du Grand Montauban, n° 445183)

 

Contrats

 

20 - Concession - Dépôt d'une candidature par voie électronique - Candidature rejetée pour cause de tardiveté - Candidat justifiant de ses diligences pour effectuer le téléchargement de sa candidature et du fonctionnement normal de son équipement informatique - Rejet.

La solution retenue est ici applicable à une procédure contractuelle mais elle est transposable mutatis mutandis à toute procédure comportant une nécessité de téléchargement. Elle est au reste parfaitement justifiée.

La candidature d'une société à une concession a été rejetée pour cause de tardiveté dans sa réception or celle-ci soutient avoir effectué les diligences nécessaires en vue du téléchargement et disposer d'un matériel informatique en état de fonctionnement normal.

Le recours est rejeté car si l'un des deux liens hypertextes indiqués par la collectivité ne permettait pas le téléchargement d'une candidature, l'autre lien, également mentionné dans le règlement de la consultation, fonctionnait correctement et avait d'ailleurs permis la remise en temps utile de plusieurs candidatures. 

(3 juin 2022, Société Saur, n° 461899)

 

21 - Contentieux contractuel - Accord cadre portant sur un lot de transport d'élèves et d'étudiants  handicapés - Lot  divisé en circuits attribués par répartition entre trois sociétés - Décision de la collectivité de ne pas reconduire cet accord cadre avec l'une des sociétés - Demande d'annulation des accords subséquents - Ordonnance de référé annulant l'accord cadre - Annulation pour avoir statué ultra petita - Action en réalité irrecevable – Rejet.

Une collectivité territoriale, a conclu un accord cadre portant sur un lot ayant pour objet le transport scolaire pour élèves et étudiants en situation de handicap, les dix circuits de transports étant répartis entre trois sociétés par marché d'une durée d'un an renouvelable trois fois. A l'expiration de la première année, la collectivité informe l'une de ces sociétés qu'elle ne reconduira pas l'accord cadre avec elle. En conséquence, cette dernière n'est pas consultée lors de l'attribution des marchés subséquents. Elle saisit le juge du référé d'une action en annulation desdits marchés ou, subsidiairement, à ce qu'il ordonne l'une des mesures alternatives prévues à l'art. L. 551-19 du CJA. Ce juge annule l'accord cadre.

Le Conseil d'État casse l'ordonnance pour avoir statué ultra petita puisque le requérant n'a demandé que l'annulation des marchés subséquents non l'annulation de l'accord cadre sur la base duquel ils ont été passés.

Réglant le litige au fond, le Conseil d'État relève d'office l'irrecevabilité de la demande formée devant le juge des référés car le demandeur n'a ni sollicité la suspension de la décision de mettre fin à ses relations contractuelles avec la collectivité Alsace ni, non plus, saisi le juge d'une action en reprise des relations contractuelles. Partant, il n'était plus titulaire de cet accord cadre et, partant, il se trouvait sans intérêt pour contester les marchés pris pour son exécution.

(3 juin 2022, Collectivité européenne d'Alsace venant aux droits du département du Bas-Rhin, n° 462256)

 

22 - Marché à prix global et forfaitaire - Régime des sujétions imprévues - Régime des travaux supplémentaires - Indemnisation aux conditions habituelles - Annulation partielle.

Double rappel de ce que dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire son titulaire a droit à être indemnisé  :

1° des dépenses exposées en raison de sujétions imprévues, c'est-à-dire de sujétions présentant un caractère exceptionnel et imprévisible et dont la cause est extérieure aux parties, si ces sujétions ont eu pour effet de bouleverser l'économie générale du marché ;

2° au titre de travaux supplémentaires effectués, que ceux-ci l'aient été même sans ordre de service, dès lors que ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ou que ceux-ci aient été utiles à la personne publique contractante lorsqu'ils sont réalisés à sa demande.

(10 juin 2022, Société VATP, n° 451334)

 

23 - Convention entre un médecin ne relevant pas du statut de praticien statutaire à temps plein - Conclusion d'une convention d'exercice libéral au sein d'un hôpital entre ce dernier et ce médecin - Fixation contractuelle du taux d'une redevance devant être versée à l'hôpital par le médecin - Taux illégal - Décision de l'hôpital mettant rétroactivement à la charge du médecin le paiement de la différence entre les deux taux, illégal ou légal - Illégalité de la décision en raison de sa rétroactivité - Nécessité de recourir au juge pour lui donner cette portée - Rejet.

Cette très intéressante décision donne l'occasion de rappeler les profondes différences séparant l'acte unilatéral du contrat en droit administratif. Même si sont reconnues d'importantes prérogatives à l'administration contractante, le contrat demeure un acte mettant d'abord en jeu des droits purement subjectifs qui viennent, en de nombreux cas, limiter les pouvoirs unilatéraux de l'administration. La présente affaire en constitue une excellente illustration.

Un médecin qui n'y exerce pas à plein temps mais seulement un jour et demi par semaine ainsi que des tours de garde et d'astreintes, conclut avec l'hôpital qui l'emploie, le 28 décembre 2009, une convention prévoyant notamment qu'il devra verser à ce dernier 16% sur les actes réalisés au titre de son activité libérale au sein de l'établissement. Les 11 juillet 2017, 20 septembre 2017 et 16 avril 2018, à la suite de divers actes, l'hôpital émet un titre exécutoire à portée rétroactive assis non sur le taux contractuel de 16% mais sur celui de 30% qui est, en effet, celui prévu par la réglementation (arrêté du 28 mars 2011). L'hôpital estime que la clause portant taux de 16%  est « nulle et non écrite ».

Mais un contrat n'est pas une décision unilatérale...

Tout d'abord, l'arrêt d'appel est annulé pour s'être fondé sur le fait que l'intéressé détenait des droits définitivement acquis en application de la décision individuelle dont il avait fait l'objet. Précisément, la théorie des droits acquis ne s'applique qu'aux actes unilatéraux et le praticien n'a jamais fait l'objet d'une « décision individuelle » puisque engagé dans une relation contractuelle.

Ensuite, la décision de l'hôpital ne pouvait pas rétroagir, elle est illégale et le juge de rappeler que si l'hôpital peut retenir le taux de 30% pour l'avenir puisqu'il s'impose aux parties contractantes, en revanche, sa rétroactivité de pouvait résulter que d'une décision de justice, ce qui aurait nécessité une saisine du juge administratif par l'hôpital. Ce n'a pas été le cas en l'espèce.

Ainsi se trouve pleinement confirmé le jugement du tribunal administratif de Bastia.

(13 juin 2022, Centre hospitalier d'Ajaccio, n° 453769)

(24) V., identique : 13 juin 2022, Centre hospitalier d'Ajaccio, n° 453770.

 

25 - Marchés publics - Manoeuvres dolosives - Annulation - Conséquences financières et contentieuses - Questions diverses - Annulations et rejets partiels - Désignation d'un expert pour le surplus.

Cette décision se situe dans un contexte contentieux d'ententes frauduleuses anticoncurrentielles entre sociétés lors de la réponse à des appels d'offres lancés par le département de Seine-Maritime qui a donné lieu à une cascade de décisions de justice. Ici, la requérante saisit le Conseil d'État d'un pourvoi dirigé contre l'arrêt qui, d'une part, n'a que partiellement fait droit à son appel s'agissant des conséquences financières de l'annulation des marchés tant en première instance qu'en appel et en tant qu'il a partiellement fait droit à l'appel incident du département.

Parmi les nombreuses questions à résoudre on en retiendra quatre : le régime contentieux et financier du dol résultant de pratiques anticoncurrentielles, la détermination des dépenses utiles dont demeure créancier l'auteur des manoeuvres dolosives, les conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation des préjudices subis par le département de Seine-Maritime, l'expertise du surplus des demandes.

I - Dol résultant de pratiques anticoncurrentielles, régime contentieux et financier

Le Conseil d'État rappelle ainsi les règles applicables.

La personne publique victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d'un dol ayant vicié son consentement, peut saisir le juge administratif, alternativement ou cumulativement, d'une part, de conclusions tendant à ce que celui-ci prononce l'annulation du marché litigieux et tire les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d'autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif. 

Il suit de là qu'après annulation du contrat pour pratiques anticoncurrentielles leur auteur doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais qu'il peut cependant prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci. De ce chef, en cas d'annulation du contrat, la personne publique ne peut obtenir, sur le terrain quasi-délictuel, la réparation du préjudice lié au surcoût qu'ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime puisque cette annulation entraîne par elle-même l'obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles. En revanche, cette collectivité peut demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant. 

II - Détermination du caractère de « dépenses utiles » dont est créancier l’auteur du dol

Il appartient au juge, au besoin par voie d'expertise, d'évaluer les dépenses qui ont été utiles à la personne publique et dont, en conséquence, l’auteur des manœuvres dolosives est créancier.

A cet égard, la prise en compte de toute marge bénéficiaire étant exclue, sont de telles dépenses celles qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l'administration ainsi que la quote-part des frais généraux qui contribue à l'exécution du marché et est à ce titre utile à la personne publique.

En revanche, ne peuvent pas être regardés comme utilement exposés pour l'exécution du marché les frais de communication ainsi que, dans le cas où le contrat en cause est un marché public et sauf s'il s'agit d'un marché de partenariat, les frais financiers engagés par le cocontractant.

III - Conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation des préjudices subis par le département de Seine-Maritime

 Sur ce point, le juge estime qu'une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a elle-même le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance.

Toutefois, le juge admet que lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d'une demande tendant à son recouvrement. Or les conclusions d'une collectivité publique tendant à la réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles de son cocontractant doivent être regardées comme portant sur une créance qui trouve son origine dans un contrat.

Par suite, la société Lacroix City Saint-Herblain n'est pas fondée à soutenir que les conclusions indemnitaires présentées par le département de la Seine-Maritime devant le tribunal administratif seraient irrecevables.

Pour déterminer le préjudice qu'elle a estimé que le département de la Seine-Maritime avait subi en raison de l'indisponibilité des sommes payées indûment par celui-ci au titre du surprix des marchés annulés durant la période antérieure à la demande d'intérêts devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel a jugé qu'il y avait lieu de condamner la société Lacroix City Saint-Herblain au paiement d'une certaine somme correspondant, pour chacun des marchés, à l'application du taux d'intérêt légal aux sommes indisponibles depuis la fin de l'exécution des marchés.

Cependant, la cour a sur ce point insuffisamment motivé son arrêt car elle n'a indiqué ni les bases ni les modalités du calcul de ce montant, alors qu'elle s'écartait de la méthode proposée par le département de la Seine-Maritime. 

Au reste,  si le département de la Seine-Maritime soutient que le comportement dolosif de la société Lacroix City Saint-Herblain lui a causé un préjudice lié à l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés jusqu'à la date de sa demande d'intérêts, le seul préjudice qu'il allègue avoir subi tient à l'impossibilité de se désendetter du montant correspondant. Ce préjudice n'étant pas indemnisable, le département n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions relatives à l'indemnisation du préjudice qu'il alléguait avoir subi du fait de l'indisponibilité des sommes d'argent correspondant au surcoût des marchés.

IV - Renvoi à une expertise

Sur l'appel principal de la société Lacroix City Saint-Herblain portant sur les restitutions consécutives à l'annulation du marché au titre des dépenses utiles, le juge relève que les méthodes préconisées tant par cette dernière que par le département pour établir le montant des dépenses qui ont été utiles à la personne publique souffrent, chacune, de défauts méthodologiques.

Aussi, l'état du dossier ne permettant pas au Conseil d'État d'apprécier le montant des dépenses engagées par la société pour l'exécution de ces marchés et qui ont été utiles au département de la Seine-Maritime, pas davantage que les effets de l'érosion monétaire jusqu'à la date du 26 mars 2015, à laquelle la demande du département a été enregistrée devant le tribunal administratif, sur les prix payés par le département au titre des marchés annulés et les dépenses utiles exposées par la société Lacroix City Saint-Herblain, avant de statuer, une expertise est ordonnée sur ces deux points avec mission à l'expert de concilier les parties si faire se peut à l'issue des opérations d'expertise.

(17 juin 2022, Société Lacroix City Saint-Herblain, n° 454189)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Action en référé - Intervention - Condition de recevabilité d'une intervention - Rejet.

Des parents d'élèves ont obtenu en référé la suspension du refus d'une commune de scolariser en école maternelle, dans une classe de très petite section, des enfants âgés  de moins de trois ans.

La commune se pourvoit en cassation et, devant le juge de cassation, des fédérations de parents d'élèves interviennent en défense aux côtés des parents demandeurs en première instance. Se posait ainsi la question de la recevabilité de leurs interventions.

Celles-ci sont jugées irrecevables car elles ne satisfont pas à la condition ainsi énoncée en termes de principe : « Eu égard à son caractère accessoire par rapport au litige principal, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable, lorsqu'elle est présentée à l'appui d'une demande de suspension de l'exécution d'une décision administrative sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale tenant à l'annulation de cette décision, à moins qu'il n'en ait par ailleurs lui-même directement demandé l'annulation. » Ici, faute que les intervenantes ne justifient ni même n'allèguent être intervenues devant le tribunal administratif en demande au soutien des requêtes à fin d'annulation présentées par les parents d'élèves ou avoir elles-mêmes demandé l'annulation pour excès de pouvoir des décisions en litige, leurs interventions en cassation sont irrecevables. 

(1er juin 2022, Commune de Pluneret, n° 456625 ; n° 456626 ; n° 456627)

Sur un autre aspect de cette affaire, voir n° 198

 

27 - Référé liberté - Atteinte à une liberté fondamentale - Notion – Mutations d’enseignantes - Absence d’atteinte en l'espèce - Rejet.

Dans le cadre de référés liberté tendant à voir annulées des décisions de mutations d'enseignantes dans l'intérêt du service, le juge, amené à apprécier l'atteinte éventuelle à une liberté fondamentale, rappelle, d'une part, que la méconnaissance du droit d'un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne à la communication de son dossier ne révèle pas, par elle-même, une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du CJA, et d'autre part, que la méconnaissance du principe d'égalité ne révèle pas non plus, par elle-même, une atteinte de cette nature faute, par exemple, que soit démontrée l'existence d'une volonté de discrimination.

(3 juin 2022, Mme B. et autres, n° 464259 ; 3 juin 2022, Mme C. et autres, n° 464262 ; 3 juin 2022, Mme C. et autres, n° 464279 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464285 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464288 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464294, six espèces)

 

28 - Demandes adressées à l'administration - Accusés de réception - Point de départ du délai de recours - Art. L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-6 du CRPA - Absence de litige entre l'administration et l'un de ses agents - Tardiveté opposée - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, le magistrat qui juge applicables à un litige relatif au versement de la moitié de la rente viagère d'invalidité dont peut bénéficier le conjoint d'un fonctionnaire en complément de la pension de réversion, les dispositions des art. L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations du public avec l'administration alors qu'un tel litige ne saurait être regardé comme un litige entre l'administration et l'un de ses agents au sens de l'article L. 112-2 dudit code. Est donc annulée l'ordonnance rejetant la demande du requérant,  qui portait sur le versement de cette moitié de la rente d'invalidité, au motif qu'elle était irrecevable en raison de sa tardiveté.

(10 juin 2022, M. D., n° 458304)

 

29 - Refus d'autorisation d'exploiter une centrale électrique - Arrêt rejetant le recours - Conséquences difficilement réparables - Moyen sérieux - Sursis à l'exécution de l'arrêt accordé.

Dans un litige relatif au refus préfectoral d'accorder à la société requérante l'autorisation d'exploiter une centrale électrique sur le gave de Pau, le Conseil d'État ordonne le sursis à l'exécution de l'arrêt rejetant le recours dirigé contre ce refus au double motif des conséquences difficilement réparables de cette décision qui empêche l'exercice de l'unique activité de la société et de l'existence d'un moyen sérieux tiré de ce que la cour n'a pas répondu aux moyens par lesquels la société Suo énergie soutenait que le mécanisme des biens de retour était inapplicable en l'espèce.

(9 juin 2022, Société Suo énergie, n° 460176)

 

30 - Référé provision (art. R. 541-1 CJA) - Demande d'allocation d'une provision sur une indemnité pour accident de service - Provision accordée - Portée de l'exigence de respect d'une procédure contradictoire - Admission par l'administration du caractère non sérieusement contestable de l'obligation à l'origine de l'octroi de la provision - Octroi de la provision et mise à la charge de l'État fondés - Rejet.

Une enseignante, sérieusement blessée par la chute d'un tableau de bois fixé à un mur de sa classe, a sollicité l'octroi d'une indemnité, à la suite d'une expertise évaluant son préjudice. Après que lui a été opposé un refus implicite de lui verser cette indemnisation, l'intéressée a saisi le juge des référés d'une demande de versement d'une provision. Cette dernière lui a été accordée et le ministre de l'éducation nationale conteste à la fois la mise à la charge de l'État et le montant de l'allocation provisionnelle.

On sait que l'octroi d'une provision suppose que la créance invoquée au soutien de la demande de référé provision ne soit pas « sérieusement contestable ».

Le Conseil d'État approuve d'abord l'ordonnance de référé d'avoir retenu que la rectrice de l'académie avait admis le caractère non contestable de l'obligation dont la requérante se prévalait au soutien de ses conclusions à fin de provision. On aura bien noté que ce qui est incontestable ici ce n'est pas la demande de provision mais l'obligation servant de source à la demande de provision.

Il approuve ensuite celle-ci d'avoir énoncé que, dans la mesure où la réparation des préjudices subis par la demanderesse est susceptible d'être mise à la charge de l'État même en l'absence de faute, l'obligation dont l'existence est invoquée par elle au soutien de ses conclusions afin de provision à la charge de l'État n'est pas sérieusement contestable, cette fois au sens de l'article R. 541-1 du CJA, sans qu'il ait eu à se prononcer dans cette instance sur une éventuelle faute de l'État.

(14 juin 2022, ministre de l'éducation nationale, n° 446406)

 

31 - Médecin - Section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins statuant en matière disciplinaire - Délai de prescription - Absence d'indication  sur ceux des actes atteints ou non par la prescription - Insuffisance de motivation empêchant l'exercice de son pouvoir de contrôle par le juge de cassation - Annulation.

La section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins, alors même, qu'elle avait informé les parties que sa décision était susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les griefs reprochés à la requérante portaient en partie sur des faits antérieurs au délai de prescription de trois ans prévu à l'article R. 145-22 du code de la sécurité sociale, a omis de faire apparaître dans sa décision retenant à l'encontre de celle-ci de nombreux manquements, soit la date à compter de laquelle la facturation des actes reprochés n'était pas atteinte par la prescription, de sorte que ces actes étaient susceptibles de poursuites disciplinaires, soit la date à laquelle les actes jugés par elle fautifs ont été facturés. Ce faisant, elle n'a pas permis au juge de cassation de contrôler le respect des règles de prescription d'où l'annulation de sa décision comme entachée d'insuffisance de motivation.

(14 juin 2022, Mme B., n° 451480)

 

32 - Moyen relevé d'office par le juge - Moyen n'étant pas d'ordre public - Méconnaissance de l'office du juge et erreur de droit - Cassation.

Pour suspendre l'exécution d'une sanction disciplinaire infligée à un étudiant par son établissement, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER)  a retenu le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décisions disciplinaire qui lui était déférée. Or ce moyen, qui n'était pas d'ordre public et qui n'était pas invoqué par l'appelant, a été relevé d'office par le CNESER. Ce manquement à l'office du juge et l'erreur de droit qu'il comporte conduisent inévitablement à la cassation.

(14 juin 2022, M. B., n° 441516)

 

33 - Régularité des décisions de justice - Contradiction entre les motifs d'une décision de justice et son dispositif - Annulation.

Rappel de ce que l'existence d'une contradiction entre les motifs (ici  d'un arrêt d'appel) et le dispositif d'une décision de justice entraîne toujours son annulation. En l'espèce, alors que l'arrêt, dans ses motifs, met une indemnisation à la charge d’une commune, dans un article de son dispositif il la met à la charge de l'État.

(15 juin 2022, ministre de l'éducation nationale, n° 458622)

 

34 - Régularité des décisions de justice - Litige n'entrant pas dans les cas de dispense du prononcé des conclusions par un rapporteur - Absence de preuve de l'existence de telles conclusions - Annulation.

Dans un litige portant sur le refus d'un premier président de cour d'appel d'ordonner la communication de documents administratifs, le Conseil d'État rappelle que le rapporteur public n'est dispensé de prononcer des conclusions qu'en certaines matières et que dans les autres, faute qu'existe dans le jugement ou l'arrêt, un élément établissant ce prononcé, la décision est irrégulière et doit être annulée.

(17 juin 2022, Société Sarlu, Agence Funeraire Lyonnaise Pompes Funèbres Viollet, n° 452459)

 

35 - Régularité des décisions de justice - Non convocation de la demanderesse à l'audience - Annulation.

Est rendu dans des conditions irrégulières entraînant sa cassation, le jugement dont aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond ni la fiche Sagace détaillant les événements et mesures d'instruction n'établissent que la requérante  ait été convoquée à l'audience au cours de laquelle elle n'était ni présente, ni représentée.

(17 juin 2022, Mme B., n° 452936)

(36) V. aussi, annulant un jugement rendu sans convocation à l'audience ni représentation de la justiciable et cela alors même qu'elle n'a pas produit de mémoire avant que l'affaire ne soit appelée à l'audience : 21 juin 2022, Commune de Brie-sous-Matha, n° 445342.

 

37 - Harcèlement et fautes l'accompagnant - Demande d'indemnisation - Demande de réparation également au titre de la responsabilité sans faute - Omission de réponse à moyen - Insuffisance de motivation - Annulation.

(16 juin 2022, Mme A., n° 443367)

V. n° 182

 

38 - Suspension du refus de raccordement d'un terrain au réseau d'eau potable d'une commune - Contestation - Contestation devenue sans objet du fait de l'épuisement de ses effets - Rejet.

Un particulier a obtenu du juge des référés la suspension de la décision d'une communauté d'agglomération refusant sa demande tendant au raccordement, pour l'hiver 2020-2021, au réseau d'eau potable de son terrain. La collectivité se pourvoit en Conseil d'État contre cette ordonnance.

Constatant que la demande de raccordement portait sur « l'hiver 2020-2021 », lequel s'est achevé le 20 mars 2021, le juge estime que cette décision, même si elle n'avait pas été suspendue, aurait épuisé ses effets à la date à laquelle le Conseil d'État statue sur le présent pourvoi d’où le rejet d'une demande devenue sans objet.

(16 juin 2022, Communauté d'agglomération du Niortais, n° 448302)

 

39 - Référé liberté - Réalisation par une collectivité publique de travaux sur les réseaux dans le cadre d'une opération d'aménagement - Demandes réitérées de dépose des vérandas établies sur le domaine public - Absence d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale - Rejet.

Des restaurateurs disposant de vérandas sur le domaine public sont invités à les déposer en vue de permettre la réalisation de travaux sur les réseaux dans le cadre des opérations d'aménagement d'une voie publique. Après avoir bénéficié de plusieurs reports de la date d’enlèvement des vérandas, d'août 2021 au début de juin 2022, et alors que la collectivité a fixé une date butoir à cet effet, ils saisissent le juge du référé liberté.

Leur recours est évidemment rejeté en première instance comme en appel.

C'est en vain qu'ils font valoir l'existence d'atteintes graves et manifestement illégales à la liberté d'entreprendre, en se fondant tout d'abord sur une prétendue erreur manifeste d'appréciation tirée de ce que la date des travaux aurait été fixée sans tenir compte de leurs contraintes d'exploitation, qui révèlerait une absence d'examen particulier des circonstances.

Ils se prévalent en outre en vain de la méconnaissance d'engagements qu'aurait pris la collectivité, lesquels résulteraient tant des dates de travaux indiquées sur son site internet que d'un document présenté lors d'une réunion. En effet, l'instruction de cette affaire ne révèle aucun engagement de la part de cette collectivité.

Dès lors que n'existe ici aucune atteinte de la nature de celles justifiant l'octroi d'une suspension au titre de l'art. L. 521-2 CJA, la requête est rejetée.

(ord. réf. 16 juin 2022, SARL Aristo SLBR et autres, n° 464713)

 

40 - Référé suspension - Utilisation de cette procédure en matière fiscale - Conditions de recevabilité et conditions d'admission - Rejet.

(21 juin 2022, Société François Invest Construction Promotion (FICOP), n° 451062)

V. n° 75

 

41 - Référé suspension - Demande d'annulation des élections législatives des 12 et 19  juin 2022 - Requête manifestement irrecevable - Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA comme manifestement irrecevable devant le Conseil d'État la requête en référé suspension tendant à le voir annuler les élections législatives du 19 juin 2022.

Où la fertilité de l'imagination des plaideurs n'assure pas la fécondité du succès contentieux...

(ord. réf. 20 juin 2022, M. A., n° 465117)

 

42 - Référé suspension dirigé contre une décision dont la contestation est soumise à l’exercice d’un  recours administratif préalable obligatoire – Demande en référé possible avant décision de l’administration  sur ce recours préalable – Décision intervenant sur ce dernier recours avant ou après que le juge des référés a statué – Effets – Formation d’un pourvoi en cassation – Effets – Décision attaquée devenue sans objet – Non lieu à statuer – Rejet.

Lorsqu’une décision de l’administration ne peut être contestée au contentieux qu’après formation contre cette décision d’un recours administratif (cas en l’espèce où il s’agissait de refus de délivrance de visa par l’autorité consulaire française de Téhéran), il est possible au requérant, sans attendre la réponse de l’administration, de saisir le juge du référé suspension si sont réunies les deux conditions nécessaires (urgence et existence d’un moyen créant un doute sérieux).

Tout d’abord, en principe, la mesure ordonnée par le juge des référés vaut, au plus tard, jusqu'à l'intervention de la décision administrative prise sur le recours présenté par l'intéressé à moins que ce juge n’en décide autrement.

Ensuite, si une décision implicite ou explicite de rejet du recours préalable obligatoire intervient avant qu'il n'ait statué, le juge des référés reste néanmoins saisi si le requérant présente une requête tendant à l'annulation de cette dernière décision et s'il lui en adresse une copie ou si le juge constate qu'elle a été adressée au greffe et la verse au dossier. 

Enfin, si la décision implicite ou explicite statuant sur le recours administratif préalable obligatoire intervient après que le juge des référés a statué sur la demande de suspension de la décision initiale, à laquelle elle se substitue, et avant l'introduction d'un pourvoi en cassation formé contre l'ordonnance du juge des référés, les conclusions de ce pourvoi sont dépourvues d'objet et ne sont, par suite, pas recevables puisqu’il n’y a plus lieu d’y statuer.

(22 juin 2022, M. C. et Mme B., n° 462341)

(43) V. aussi, comparable mutatis mutandis s’agissant également d’un refus de délivrance d’un visa par l’autorité consulaire française d’Istanbul : 22 juin 2022, M. F. et Mme F., n° 462628.

 

44 - Juge des référés - Incompétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Ordonnance de référé rejetant les conclusions nonobstant les règles régissant le traitement des questions de compétence au sein de la juridiction administrative - Rejet.

Rappel de ce que le juge des référés saisi, comme en l'espèce où était demandée la suspension  de l'exécution des délibérations du jury ayant fixé la liste des candidats admis au concours externe de psychologue de l'éducation nationale pour la session 2022, de conclusions ne relevant manifestement pas de la compétence directe du Conseil d'État en premier et dernier ressort, est compétent, nonobstant les dispositions régissant le traitement des questions de compétence à l'intérieur de l'ordre juridictionnel administratif, pour rejeter par voir d'ordonnance toute demande ne relevant pas de la compétence de la juridiction administrative ou étant irrecevable ou mal fondée.

(ord. réf. 21 juin 2022, Mme A., n° 464890)

 

45 - Référé liberté – Demandes ne relevant pas du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable et doit être rejeté selon l’expédiente procédure de l’art. L. 522-3 du CJA, le recours en référé liberté tendant à voir cette juridiction prononcer diverses injonctions, adressées notamment au directeur du service d'accès au droit et à la justice et d'aide aux victimes du ministère de la justice, en rapport au droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle dont se prévaut la demanderesse en référé.

(20 juin 2022, Mme A. épouse C., n° 464936)

(46) V. aussi, identique : 20 juin 2022, M. B., n° 465012.

 

47 - Affaire normalement jugée à juge unique - Impôts locaux - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Renvoi à une formation collégiale - Absence d'indication sur l'un des trois magistrats composant cette formation - Annulation.

La minute du jugement rendu sur renvoi à une formation collégiale au lieu du juge unique doit mentionner les noms des trois magistrats ayant siégé à l'audience puis participé au délibéré sur l'affaire. Le défaut d'indications sur l'un des trois membres de la juridiction entache d'irrégularité le jugement et conduit à sa cassation.

(23 juin 2022, Société l'Immobilière Groupe Casino, n° 445797)

(48) V. aussi, identique : 23 juin 2022, Société Mercyalis, n° 445798

 

49 - Contentieux fiscal - Autorité de la chose jugée au pénal - Constatations de fait opérées par le juge répressif -  Substitution de base  légale en matière fiscale - Rejet.

La présente affaire décrit une très intéressante situation contentieuse où s'articulent - ou s'imbriquent - le caractère protecteur des libertés qui est celui du droit pénal et le régime contentieux administratif, aussi favorable que possible aux intérêts de l'administration fiscale.

Un couple de contribuables fait l'objet de rehaussements d'impositions (cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales) ainsi que de pénalités à raison de prélèvements inscrits au débit du compte courant d'associé détenu par l'époux dans les écritures de l'EURL Better Life. En outre, sont engagées des poursuites pénales devant le tribunal correctionnel.

Ce dernier a relaxé l'époux des fins de poursuites intentées contre lui pour fraude fiscale au motif qu'il ne connaissait pas la qualification de ces sommes au moment de la passation des écritures et de son obligation déclarative car il ignorait, jusqu'à une certaine date, que les prélèvements effectués en 2011, 2012 et 2013 figurant au débit de son compte courant d'associé ouvert dans les écritures de l'EURL Better Life avaient donné lieu, à l'initiative de son comptable, à une écriture de régularisation inscrite au débit du compte de rémunération. 

Comme on le sait, les constatations de fait du juge pénal, qui sont revêtues de l'autorité de la chose jugée en vertu des dispositions de l'art. 4, al. 2 du code pénal, qu'exprimait l'adage « le criminel tient le civil en l'état » avant la réforme de cet article par la loi du 5 mars 2007, lient absolument le juge de l'impôt.

L'arrêt d'appel ayant jugé le contraire est annulé.

Cependant, la jurisprudence du Conseil d'État est en ce sens que l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement infligée.

C'est ce qui est appliqué ici, les condititions de la substitution de base légale étant satisfaites. Simplement, la pénalité finalement retenue est ramenée de 40% à 10%, ce taux d'une part, étant celui applicable en cas de manquement non intentionnel, et d'autre part, ne privant les contribuables d'aucune garantie.

(23 juin 2022, M. et Mme B., n° 446656)

 

50 - Intervention d’un syndicat en première instance, en demande aux côtés du salarié licencié – Appel interjeté par le syndicat intervenant – Conditions de recevabilité – Erreur de droit – Annulation.

(14 juin 2022, Syndicat CGT Schindler, n° 456117)

V. n° 103

 

51 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu – Opposition à contrainte – Demande tardive – Délai de droit commun de saisine du juge et délai spécial de l’art. R. 5426-22 du code du travail – Computation – Date d’envoi et non date de réception – Erreur de droit – Annulation.

(24 juin 2022, Mme B., n° 453757)

V. n° 104

 

52 - Donné acte d’un désistement d’office – Dépôt d’un mémoire valant confirmation du maintien de la requête – Erreur matérielle – Recours en révision impossible – Ouverture à un recours en rectification d’erreur matérielle – Ordonnance nulle et non avenue – Admission du recours en rectification.

Les requérants avaient contesté par voie d’un référé suspension le décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire. A cette demande de référé, qui a été rejetée, était jointe une demande d’annulation de ce décret. L’art. R. 612-5-2 du CJA prévoit en ce cas que le requérant doit confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet faute de quoi il est réputé s’être désisté.

Par une ordonnance du 30 novembre 2021, le président de la 10ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État a donné acte du désistement d'instance des requérants au motif que, bien qu'informés, dans la notification de l'ordonnance de référé, qu'il leur appartenait, à peine de désistement d'office, de confirmer expressément, dans le délai d'un mois, le maintien de leur requête au fond, ils n'avaient fait parvenir aucune confirmation du maintien de leur requête au fond dans ce délai. 

Or les demandeurs ont produit le 27 juillet 2021, lendemain de la notification de l'ordonnance rejetant leur demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, un mémoire enregistré dans le cadre de leur requête en annulation. 

Le juge, saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance de donné acte du désistement, décide de façon très raisonnable que si, pour ne pas être réputé s'être désisté de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, le requérant qui a présenté une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA doit, si cette demande est rejetée au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés, il doit le faire par un écrit dénué d'ambiguïté : la production, dans le délai d'un mois, d’un nouveau mémoire au soutien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, vaut confirmation du maintien de cette requête. 

C’était le cas dans cette affaire.

Se pose alors la question de savoir sur quel fondement peut être contestée l’ordonnance donnant acte, à tort, d’un désistement. Les requérants demandaient à titre principal la révision (art. R. 834-1 CJA) de l’ordonnance et, subsidiairement, sa rectification pour erreur matérielle.

Compte tenu des dispositions très restrictives régissant les cas d’ouverture à recours en révision, la demande ne pouvait pas prospérer de ce chef. En revanche, est accueilli le recours en rectification d’erreur matérielle, l’ordonnance de donné acte du désistement constituant « une erreur matérielle qui ne peut être regardée comme insusceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision et qui est imputable, non aux requérants, mais au juge », cette dernière est déclarée nulle et non avenue.

(24 juin 2022, M. B., Fédération nationale des entreprises des activités physiques de loisirs (ACTIVE-FNEAPL), Association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et Syndicat des loisirs actifs (SLA), n° 460898)

 

53 - Imposition sur le produit brut des jeux (art. 34, loi du 30 décembre 1995 portant loi de finances rectificative pour 1995) – Décision préfectorale agréant les dépenses ouvrant droit à abattement supplémentaire – Contestation de cette décision relevant du contentieux de l’excès de pouvoir – Décision du directeur des finances publiques arrêtant le montant de l’abattement supplémentaire - Contestation de cette décision relevant du contentieux de la pleine juridiction – Erreur de droit – Annulation.

Réitération, assez spectaculaire étant donnés les débats actuels à ce sujet, d’une très célèbre jurisprudence (Section, 29 juin 1962, Société des Aciéries de Pompey, n° 53090, rec. Leb. p. 438, JCP 1963.II.13026, concl. M. Poussière ; v. aussi, J.-C. Ricci, Le pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale, thèse Aix-Marseille, PUAM 1977, passim).

Un litige s’est élevé entre une société exploitante d’un casino qui, ayant entrepris la construction d’un hôtel attenant à son établissement de jeux, a obtenu du préfet l'agrément préalable de ses dépenses, à hauteur d’un certain montant, afin de bénéficier de l'abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux pour un montant de 10 560 000 euros environ. Le directeur départemental des finances publiques, après annulation par le tribunal administratif d’un premier montant d’abattement définitif, a arrêté à 8 750 000 euros environ le montant des dépenses éligibles. La cour administrative, sur appel de la société, n’ayant majoré ce montant que de 105 000 euros environ, la société se pourvoit en cassation.

Reprenant la distinction posée dans la décision de principe ci-dessus, le Conseil d’État rappelle que si la décision prise par le préfet sur la demande d'agrément des dépenses ouvrant droit à l'abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, la décision du directeur départemental ou régional des finances publiques arrêtant le montant de l'abattement supplémentaire sur la demande du contribuable, qui présente le caractère d'une réclamation, n'est pas détachable de la procédure d'imposition, de sorte que sa contestation relève d'un recours de plein contentieux formé devant le juge de l'impôt. 

Il suit de là que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant irrecevables les conclusions de la demanderesse dirigées contre la décision du directeur départemental des finances publiques arrêtant le montant de l’abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux et surtout en statuant en excès de pouvoir sur cette contestation.

(27 juin 2022, Société Amnéville Loisirs, n° 444875)

 

54 - Action en réparation d’un dommage – Prescription en référé (art. R. 532-1 CJA, référé instruction ou mesures utiles) d’une expertise en vue de déterminer les causes du sinistre – Extension de l’expertise aux préjudices de l’ensemble des parties et intervenantes – Rejet d’une demande d’intervention volontaire et de mise en cause dans les opérations d’expertise – Appel incident - Tardiveté de conclusions et délai de distance – Personnes susceptibles d’être rendues communes à une expertise – Réformation et annulation partielles de l’ordonnance de référé rendue en appel.

Un convoi routier de la société Sleepy Yacht et Spezial Transport GmbH s’étant immobilisé sur une voie ferrée à hauteur d’un passage à niveau  a été percuté par un convoi ferroviaire de fret composé de wagons appartenant à la société Europorte et transportant de l'acide phosphorique pour le compte de la société Prayon. A la demande de SNCF Réseau, le tribunal administratif a ordonné une expertise aux fins de déterminer les causes du sinistre, ainsi que les désordres affectant l'ouvrage public et de recenser les préjudices invoqués par SNCF Réseau et d'en évaluer le montant. Sur appel des sociétés impliquées dans l’accident, Prayon, Europorte France, et de leurs assureurs, QBE Insurance Europe limited et Helvetia compagnie suisse d'assurances, la présidente de la cour administrative d’appel a, d’une part, étendu la mission initiale de l'expert à l'évaluation des préjudices de l'ensemble des parties et intervenantes présentes à l'expertise et, d’autre part, rejeté, notamment, les conclusions d'appel présentées par la société VTG France et autres tendant à ce soit admise l'intervention de la société VTG Rail Europe GmbH et à ce qu’elle soit mise en cause dans les opérations d'expertise. 

Le pourvoi introduit par cette dernière est donc dirigé contre l’ordonnance d’appel en tant qu’elle refuse d’admettre son intervention volontaire sans l’instance et de la mettre en cause dans les opérations d’expertise qu’elle a ordonnées.

Deux questions importantes de procédure se posaient.

En premier lieu, le pourvoi dirigé contre l’ordonnance d’appel était-il recevable et fondé, ces points étant contestés par SNCF Réseau ?

Sur la recevabilité du pourvoi, le juge rappelle d’abord un principe essentiel de procédure commun aux cassations civile et administrative, selon lequel « L'intérêt à se pourvoir en cassation s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle critiquée. » De là résulte qu’en l’espèce le pourvoi est recevable puisque par cette voie de droit les sociétés requérantes contestent l'ordonnance qu'elles attaquent en tant qu'elle a rejeté une partie de leurs conclusions d'appel.

Sur le bien-fondé du pourvoi, il faut indiquer d’abord que le rejet de l’appel était fondé sur ce que les conclusions de la société VTG Rail Europe GmbH, dont le siège est à Hambourg, étaient tardives puisque déposées au-delà du délai de quinzaine imparti par les dispositions de l’art. R. 533-1 CJA. Ce rejet était entaché d’une double erreur de droit car :

1° le CJA institue un délai de distance de deux mois pour les justiciables résidant à l’étranger qui s’ajoute au délai fixé par le code (art. R. 811-5 CJA). Cette société disposait donc de deux mois et quinze jours pour saisir le juge d’appel : la notification de l’ordonnance du premier juge ayant été effectuée le 1er octobre 2021 et les conclusions de la requérante ayant été formulées dans un mémoire enregistré au greffe le 30 novembre 2021, la forclusion n’était donc pas encourue contrairement à ce qui a été jugé par erreur de droit.

2° Au reste et au surplus, indépendamment de ce motif scripturaire, il était un autre motif d’illégalité de l’ordonnance attaquée : l’appel en cause était un appel incident qui, à raison même de cette nature et selon une jurisprudence constante, pouvait être formé sans condition de délai.

En second lieu, du fait de l’annulation de l’ordonnance, le juge de cassation statuant alors comme juge d’appel, se trouvait ipso facto saisi des deux rejets contenus dans l’ordonnance annulée : refus d’admettre l’intervention volontaire des requérantes et refus de les dire communes avec les autres parties dans l’expertise ordonnée.

Les principes du droit du contentieux sont ici très simples : peuvent être appelées à une expertise ordonnée sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du CJA les personnes n’étant pas manifestement étrangères au litige susceptible d'être engagé devant le juge de l'action qui motive l'expertise. Telle était, bien évidemment, le cas des demanderesses en l’espèce encore qu’un apparent obstacle juridique ait été soulevé par les parties défenderesses au pourvoi : la société VTG Rail Europe GmbH est identifiée comme le « détenteur », au sens de la directive du 11 mai 2016 relative à la sécurité ferroviaire, des wagons impliqués dans le litige. Elle n’en est donc ni propriétaire, ni locataire, pour autant, contrairement à ce qu'a retenu le juge des référés du tribunal administratif, elle n'est pas manifestement étrangère au litige.

Il doit ainsi être donné suite à sa demande d'être appelée aux opérations d'expertise.

(décis. sur réf. 28 juin 2022, Sociétés VTG France VTG Rail Europe GmbH, VTG Rail Logistics France et VTG Deutschland GmbH, n° 460571)

 

55 - Requête jugée abusive – Amende – Application inexacte de l’art. R. 741-12 CJA – Cassation sans renvoi, plus rien ne restant à juger.

Fait une inexacte application de l'article R. 741-12  du CJA la cour administrative d’appel qui, jugeant abusive la requête formée devant elle par l’appelante, lui inflige une amende alors que, par cette requête, l’intéressée, étudiante à l'école universitaire de management de Clermont-Ferrand, demandait l'annulation de la délibération du jury de cette école et l'annulation de la décision du doyen de cette même école du 22 juin 2017, en ce qui concerne sa note d'examen au diplôme universitaire en gestion internationale du patrimoine 2016 qu'elle n'avait ainsi pu obtenir, et eu égard aux moyens qui étaient développés au soutien de ses demandes.

(29 juin 2022, Mme C., n° 455124)

 

56 - Institution de comités sociaux d’administration au sein de certains ministères -  Critique pour illégalité – Demande de référé suspension non accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet (art. L. 522-3 CJA).

(27 juin 2022, Syndicat professionnel Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés (UATS-UNSA), n° 465275)

V. n° 157

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

57 - Impôt sur les sociétés - Acte anormal de gestion - Notion - Régime de la preuve du caractère anormal de la gestion - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Le juge rappelle qu'est un acte anormal de gestion celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Concernant l'administration de la preuve de cette anormalité à l'occasion d'une cession d'actifs, le juge se montre, comme à l'accoutumée en cette matière, assez laxiste envers l'administration.

Il suffit à celle-ci de relever que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue. C'est alors au contribuable d'apporter un élément de nature à remettre en cause cette évaluation. A défaut,  l'administration est regardée comme ayant apporté la preuve du caractère anormal de l'acte de cession sauf pour le contribuable à justifier l'appauvrissement comme résultant d'une décision prise dans l'intérêt de l'entreprise, où à laquelle elle s'est trouvée dans la nécessité de procéder ou encore en établissant qu'elle en a tiré une contrepartie. 

En l'espèce, pour juger que la contribuable avait consenti à certains salariés une libéralité constitutive d'un acte anormal de gestion, la cour administrative d'appel s'est seulement arrêtée à relever que le prix de cession des actions d'une  société filiale était, à la date de cession, significativement inférieur à leur valeur vénale. Ce jugeant elle a dénaturé les pièces du dossier dont il ressortait que les fonctions exercées au sein du groupe par les bénéficiaires des cessions de titres en cause étaient énoncées dans la demande introductive d'instance présentée par la société devant le tribunal administratif et que la société produisait la copie d'une promesse de vente consentie en considération du rôle personnel que pouvait jouer le bénéficiaire dans le développement de la société dont les titres étaient cédés et qu'elle était subordonnée à la condition que ce bénéficiaire soit toujours salarié au jour de la levée de l'option d'achat et cède les titres ainsi cédés à la société Groupe Windsor en cas de rupture de son contrat de travail. 

(2 juin 2022, Société Groupe Windsor, n° 448886)

(58) V. aussi, identiques : 2 juin 2022, M. A., n° 448888 ; Mme A., n° 448893, deux espèces.

 

59 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - TVA relative aux dépenses d'aménagement d'un immeuble - Déductibilité - Conditions - Absence - Rejet.

Rappel de ce qu'il résulte des dispositions du II de l'art. 271 du CGI que la déduction de la TVA grevant des biens et services n'est possible que si ces biens et services ont été utilisés en vue de la réalisation de celles des opérations imposables à la TVA.

Tel n'est pas le cas de la TVA acquittée sur des biens et travaux d'aménagement d'un appartement dès lors que ces aménagements et agencements ainsi réalisés avaient été abandonnés par la société requérante sans contrepartie à la société bailleresse, dans laquelle son propre gérant avait des intérêts.

(2 juin 2022, Société ITD, n° 449810)

 

60 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Terrain à bâtir - Application de la TVA sur la marge (art. 268 CGI) - Terrain supportant déjà du bâti - Exclusion du régime de l'art. 268 CGI - Rejet.

Rappel, une fois de plus, que les règles de calcul dérogatoires de la TVA prévues à l'art. 392 de la directive européenne du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA dont les art. 257, 266 et 268 CGI assurent la transposition, ne s'appliquent qu'aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et non à ceux d'entre eux qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment. 

(17 juin 2022, Société De Cambracq, n° 443893)

 

61 - Impôt sur le revenu - Dépenses déductibles - Somme versée en qualité de caution - Somme versée par le dirigeant d'une entreprise caution de celle-ci - Annulation.

Les sommes que le dirigeant salarié d'une entreprise a versées en sa qualité de caution de l'entreprise sont déductibles du revenu imposable au cours de l'année de leur versement à condition que la qualité de caution soit  directement liée à celle de dirigeant, que cet engagement ait été pris dans l'intérêt de l'entreprise et, enfin, que son montant ne soit pas hors de proportion avec les revenus actuels ou escomptés de l'auteur de la caution.

(2 juin 2022, M. et Mme A., n° 450870)

 

62 - Impôt sur le revenu - Rattachement ou non des enfants majeurs au foyer fiscal - Irrévocabilité du choix opéré - Erreur commise de bonne foi - Annulation.

Les dispositions du 3 de l'art. 6 du CGI prévoient que les enfants devenus majeurs vivant au foyer de leurs parents ont la faculté d'opter, pour l'année entière et pour l'ensemble de leurs revenus, entre une imposition dans les conditions de droit commun et le rattachement, avec l'accord du contribuable, au foyer fiscal de leurs parents ou de l'un d'eux selon le cas, et en suivant les règles fixées par ces dispositions. A l'expiration du délai de déclaration, l'option exercée est irrévocable pour l'année au titre de laquelle elle a été souscrite.

En l'espèce, il était soutenu par les parents que les déclarations de revenus à titre personnel souscrites par leurs enfants majeurs l'avaient été par erreur et que ceux-ci n'avaient jamais eu l'intention de renoncer au rattachement à leur foyer fiscal.

L'administration fiscale, après avoir constaté que ces enfants avaient déjà déposé des déclarations de revenus séparées au titre des mêmes années, a remis en cause le quotient familial des intéressés et les déductions relatives aux enfants à charge scolarisés dans l'enseignement supérieur auxquelles ils avaient procédé.

La cour administrative d'appel a jugé que le caractère irrévocable de l'option ne permettait pas de revenir sur les déclarations personnelles lesquelles constituaient des révocations de leurs demandes antérieures de rattachement au foyer fiscal de leurs parents.

L'arrêt est judicieusement cassé motif pris de l'erreur de droit qu'il contient pour avoir écarté comme inopérante la circonstance invoquée par les contribuables selon laquelle les déclarations de revenus à titre personnel souscrites par leurs enfants majeurs l'avaient été par erreur et que ceux-ci n'avaient jamais eu l'intention de renoncer au rattachement à leur foyer fiscal alors que cette erreur, si elle a été commise de bonne foi, était susceptible de priver de portée les déclarations de revenus souscrites par les enfants. 

(21 juin 2022, M. et Mme A., n° 439846)

 

63 - Groupe fiscalement intégré - Principe de neutralisation des opérations internes - Conditions - Provisions pour dépréciation de titres de participation - Reprise ultérieure (totale ou partielle) de la provision - Déduction du résultat d'ensemble - Limite - Rejet.

Le code général des impôts prévoit que sont neutralisées les opérations internes entre sociétés d'un groupe fiscalement intégré afin d'éviter les doubles prises en compte du résultat des sociétés intégrées. Au reste la neutralisation entre  provisions pour dépréciation de titres de participation et reprises de provisions portant sur ces titres ne se justifie que si les sociétés concernées demeurent membres du groupe intégré, ce qui va de soi.

Trois situations appellent des précisions particulières.

En premier lieu, lors de la reprise ultérieure de tout ou partie de la provision par la société du groupe qui l'avait initialement constituée, la fraction correspondante de cette provision est déduite du résultat d'ensemble.

En deuxième lieu, le résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré est majoré du montant des dotations complémentaires aux provisions constituées par une société après son entrée dans le groupe, à raison de la dépréciation des titres de participation, soumis au régime des plus et moins-values à long terme, qu'elle détient sur une autre société du même groupe.

Enfin, en cas de dissolution du groupe fiscalement intégré avant la reprise de la provision par la société qui l'avait initialement constituée, il n'y a pas lieu de déduire du dernier résultat d'ensemble du groupe la fraction de la provision non encore reprise, sauf dispositions expresses en ce sens. 

Le pourvoi contre l'arrêt d'appel est rejeté notamment au prix d'une substitution  de motif.

 (9 juin 2022, Société Vivalto Santé, n° 445023)

 

64 - Principe d'imposition commune des époux - Contribution sur les revenus du patrimoine - Assujettissement à ce principe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui juge qu'une personne ne pouvait faire l'objet d'une imposition commune avec son époux à raison de la contribution du patrimoine alors qu'il résulte des dispositions combinées de l'art. L. 136-6 du code de la sécurité sociale, des art. L. 14-10-4 et L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles et de celles des art. 1600-0 C, 1600-0 G, 1600-0 F bis du CGI ainsi que de l'art. 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, que la contribution sur les revenus du patrimoine est assise selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu, d'où il découle que, contrairement à ce qu'a jugé la cour, elle est donc soumise au principe de l'imposition commune entre époux prévu par l'article 6 du code général des impôts.

(9 juin 2022, ministre de l'écoomie et des finances, n° 456544)

 

65 - Intégration fiscale à une société mère - Régime français refusant à une société mère résidente le bénéfice de la neutralisation fiscale de la quote-part de frais et charges réintégrée - Difficulté sérieuse d'interprétation de l'art. 49 du TFUE - Renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg.

Soulève une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne nécessitant la saisine de la CJUE, la question de savoir si l'article 49 du TFUE s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des dividendes perçus par elle de sociétés résidentes parties à l'intégration ainsi que, pour tenir compte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015 (Groupe Steria SCA, aff. C-386/14), à raison de dividendes perçus de filiales établies dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, au régime d'intégration mais qui refuse le bénéfice de cette neutralisation à une société mère résidente qui, en dépit de l'existence de liens capitalistiques avec d'autres entités résidentes permettant la constitution d'un groupe fiscal intégré, n'a pas opté pour son appartenance à un tel groupe, à raison tant des dividendes qui lui sont distribués par ses filiales résidentes que de ceux provenant de filiales établies dans d'autres États membres satisfaisant aux critères d'éligibilité autres que la résidence. 

(14 juin 2022, SA Manitou BF, n° 454107)

(66) V. aussi, avec même solution de renvoi préjudiciel : 14 juin 2022, SA Bricolage Investissement France, n° 458579.

 

67 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Valeur locative d'un stade - Modification de cette valeur intervenue en 2016 - Modification ayant une incidence les années postérieures - Rejet de la contestation pour disparition entre-temps de la compétence en cause de la commission communale des impôts directs -  Impossibilité de se prévaloir d'irrégularités affectant une année antérieure à celles d'imposition - Erreur de droit - Annulation.

La requérante, société chargée de la rénovation du stade Vélodrome de Marseille puis de la gestion de la mise à disposition de ce stade par un contrat de partenariat conclu avec la commune de Marseille en 2014, a demandé décharge, au moins partielle, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 dans les rôles de la commune de Marseille à raison des droits dont elle disposait sur le stade Vélodrome et le stade Delors.

La contribuable s'est vue déchargée de ces contributions en cours d'instance sur décisions de l'administration fiscale. Le tribunal a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur cette partie du litige et rejeté le surplus des demandes dont il était saisi. La société se pourvoit contre ce jugement, avec succès.

Le litige tenait à l'irrégularité des conditions dans lesquelles la commune a, au cours de l'année 2017, modifié la valeur locative de ce stade puisqu'elle y a procédé sans saisir préalablement la commission communale des impôts directs. L'administration fiscale a alors émis un rôle complémentaire de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Or si cette dernière a, par la suite, sur réclamation de la requérante, prononcé le dégrèvement de ces impositions supplémentaires, n'en demeure pas moins en vigueur, pour le futur, la nouvelle valeur locative irrégulièrement arrêtée.

Le tribunal a rejeté le moyen d'irrégularité procédurale en se fondant sur la suppression entre-temps de la compétence de cette commission pour arrêter les valeurs locatives des immeubles ; il a également jugé que la société ne pouvait utilement exciper de l'irrégularité de la modification de la valeur locative révisée du stade Vélodrome à l'encontre des impositions établies au titre des années 2017 et 2018.

Ce faisant, deux erreurs de droit étaient ainsi commises conduisant à la cassation : l'irrégularité initiale dans la fixation de la valeur locative du stade Vélodrome demeure et la requérante peut utilement invoquer, pour solliciter la réduction des cotisations d'impôts locaux dues à compter de l'année 2017 dans la mesure de l'application des dispositifs de lissage (cf. le XVI de l'art. 34 de la loi de finances rectificatives du 29 décembre 2010, pour 2011, dans la version que lui a donnée la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015), lesquels tiennent compte des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017, l'illégalité du mode de détermination de cette valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 au motif que l'administration l'avait établie par application du coefficient annuel de majoration prévu à l'article 1518 bis du CGI à une valeur locative au 1er janvier 2016 irrégulièrement fixée en l'absence d'avis de la commission communale des impôts directs et devant par suite être définitivement écartée. 

(14 juin 2022, Société Arema, n° 458555)

 

68 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Décharge prononcée par le juge - Obligation pour celui-ci de désigner le redevable de cette taxe - Omission de statuer sur ce point - Annulation.

Rappel de ce qu'aux termes de l'art. 1404 du CGI, le tribunal qui décharge un contribuable de la cotisation à la taxe foncière sur les propriétés bâties est tenu d'en désigner le redevable faute de quoi son jugement encourt annulation.

La solution est conforme au texte mais ce texte, lui, n'est pas satisfaisant car il institue à la charge du juge une obligation de désigner le redevable d'un impôt, tâche qui revient à l'administration fiscale et on ne voit pas sur quel fondement sérieux repose ce véritable privilège.

(16 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 447507)

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Caractère d'établissement industriel du local-type - Dénaturation  des pièces du dossier - Annulation.

La requérante, pour contester le montant de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2016 en raison d'un immeuble situé à Romorantin-Lanthenay, se prévalait du caractère erroné du choix, comme terme de comparaison, d'un local-type n° 70, estimant plus correcte la référence au local-type n° 3.

Sa requête est rejetée par le tribunal administratif en raison de ce que, compte tenu de la prépondérance de l'outillage utilisé, la valeur locative du local litigieux aurait dû être évaluée selon les règles applicables aux établissements industriels, à la suite de son acquisition par une coopérative agricole car la requérante ne produisait aucun élément afférent à la nature et à l'importance des moyens techniques mis en œuvre pour l'exercice de l'activité.

Or, relève le Conseil d'État « la société des Entrepôts de Thumeries faisait valoir que l'affectation à un usage industriel du local-type n° 3 de la commune de Châlette-sur-Loing ressortait de l'acte du 1er mars 1973 par lequel la société Magasins Généraux du Gâtinais a vendu une partie des terrains et bâtiments composant ce local-type, dès lors que, de même que ceux que cette société a conservés, ces terrains et bâtiments y sont qualifiés de terrains et bâtiments industriels. La société des Entrepôts de Thumeries faisait valoir également qu'il ressortait de cet acte de vente que le lot n° 3 constitué, avec trois autres lots, en vue de cette vente comportait d'importants moyens techniques et l'acte de vente indique en effet que ce lot comprenait, notamment,  « un silo à tourteaux composé de huit cellules métalliques à fond conique d'une capacité vrac de six cents tonnes environ avec installation de manutention mécanique de déchargement de péniches et chargement direct de wagons/camions vrac, composé de deux élévateurs à godet et six vis transporteur incluant une bascule de circuit CURONOS ». La société des Entrepôts de Thumeries a, par ailleurs, produit un rapport, en date du 22 janvier 1976, du conseil d'administration de l'une des sociétés cessionnaires du local-type n° 3, la société CAPROGA La Meunière, qui comportait plusieurs photos montrant l'importance des installations du site ainsi que des indications sur la capacité d'expédition journalière de céréales s'élevant à 1 250 tonnes par jour par voie fluviale et 500 tonnes par jour par voie ferrée."

On peut se demander sur quelles pièces s'est fondé le tribunal administratif pour rendre le jugement attaqué et, à juste titre, annulé.

(21 juin 2022, Société des Entrepôts de Thumeries, n° 441810)

(70) V. aussi, en matière de cotisation foncière des entreprises, sur la méthode d'évaluation de la valeur locative d'immeubles industriels et d'immobilisations industrielles, mettant en particulier à l'écart l'acte dit loi du 15 mars 1942 relatif à la contribution foncière des propriétés bâties et non bâties, maintenu en vigueur en 1945, qui a donné valeur législative aux prescriptions d'une instruction du 1er octobre 1941 contenant une définition restrictive de la notion d'établissement industriel : 21 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 450705.

(71) V. aussi, illustratifs du faible degré d'acceptation sociale de cette taxe, source d'un si abondant contentieux qu'il serait bien venu de calculer le coût de ce dernier pour apprécier la valeur nette rapportée par cette antique taxe : 23 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443520 ; 23 juin 2022, Société Stéarinerie Dubois Fils, n° 450247 ; 23 juin 2022, CHU de Bordeaux, n° 453077, en y ajoutant, pour faire bonne mesure, la taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères.

 

72 - Procédure fiscale non contentieuse - Mises en demeure en vue du recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et autres - Non respect de l'obligation d'informer l'intéressé des voies et délais de recours - Substitution du délai raisonnable d'un an - Inapplication - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit l'auteur de l'ordonnance rejetant l'appel dirigé contre le jugement déclarant le contribuable forclos en son action contre la décision de recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et autres pour non respect du délai de saisine de deux mois fixé par l'art. R. 199-1 du livre des procédures fiscales alors qu'en l'absence de notification à l'intéressé ou de connaissance acquise par celui-ci de ce délai, il disposait du délai raisonnable d'un an, de nature jurisprudentielle, pour saisir le juge.

(20 juin 2022, M. B., n° 443433)

 

73 - Procédure fiscale non contentieuse - Exercice du droit de communication - Utilisation de pièces déclarées illégales par un juge - Établissement d'une imposition subséquente - Condition de régularité de l'utilisation des pièces - Rejet.

Cette décision a le grand mérite d'accentuer le contrôle du juge sur la régularité de l'emport ou de l'utilisation par l'administration fiscale de pièces lorsqu'ils sont par la suite déclarés illégaux. En particulier, par son caractère équilibré, elle précise et rassure par rapport à la décision trop timorée du 15 avril 2015 (Société Car diffusion, n° 373269) publiée au Rec. Lebon.

Il y est jugé que l'art. 16 de la Déclaration de 1789 fait obstacle à ce que l'administration fiscale se prévale, pour établir une imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge. En revanche, cette imposition est légalement justifiée par des éléments non compris dans le champ de la déclaration d'illégalité prononcée par le juge, dès lors que ces éléments ne découlent pas eux-mêmes de l'exploitation des pièces ou documents obtenus de façon irrégulière. 

(21 juin 2022,  Société Constructions générales du bâtiment (CGB), n° 446421)

 

74 - Revenus d'origine indéterminée - Taxation d'office puis dégrèvement partiel - Décharge des pénalités pour manquement délibéré  - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Un couple de ressortissants néerlandais résidant et travaillant en France a fait l'objet d'une mesure de taxation d'office à raison d'importants revenus d'origine indéterminée non déclarés, assortie de diverses majorations et de pénalités.

Par la suite, l'administration fiscale a, en cours d'instance d'appel, accordé un dégrèvement et maintenu les pénalités. La cour administrative d'appel a jugé n'y avoir lieu à statuer sur le montant du dégrèvement, déchargé les intéressés des pénalités et rejeté le surplus de leurs réclamations.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a annulé les pénalités infligées.

La cour a, en effet, estimé que les contribuables avaient bénéficié en cours de procédure d'un dégrèvement sur une partie importante des impositions résultant de la réintégration de revenus d'origine indéterminée et que la seule circonstance qu'ils ne parvenaient pas à apporter la preuve de l'origine des revenus restant en litige ne démontrait pas qu'ils avaient intentionnellement éludé les impositions correspondantes. Or le ministre défendeur soutenait que les rehaussements de revenus imposables maintenus après le dégrèvement représentaient toujours un montant important par rapport aux sommes déclarées et que les manquements aux obligations déclaratives présentaient un caractère répété.

En décidant sans rechercher s'il en était bien ainsi la cour a commis une erreur de droit conduisant à la cassation sur ce point de son arrêt.

(21 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443828)

 

75 - Référé suspension - Utilisation de cette procédure en matière fiscale - Conditions de recevabilité et conditions d'admission - Rejet.

Rappel de ce que le contribuable qui a saisi le juge de l'impôt de conclusions tendant à la décharge d'une imposition à laquelle il a été assujetti est recevable à demander au juge du référé-suspension (art. L. 521-1 CJA), la suspension de la mise en recouvrement de l'imposition, dès lors que celle-ci est exigible. Naturellement, il lui appartient de satisfaire à la double condition de faire état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la régularité de la procédure d'imposition ou sur le bien-fondé de l'imposition et de démontrer l'urgence à statuer.

(21 juin 2022, Société François Invest Construction Promotion (FICOP), n° 451062)

 

76 - Impôt sur les sociétés - Abandon de créances ou octroi d'aides financières par une société à une filiale - Notion - Conséquences sur la valeur de la participation de la société dans le capital de la filiale - Présomption simple pouvant être renversée - Erreur de droit à ne l'avoir pas admis - Annulation.

En principe, l'abandon de créances ou l'octroi d'aides financières consenti par une société à des filiales a pour effet mécanique d'accroître la valeur de la participation de cette société au capital des filiales lorsqu'elle se traduit, pour ces dernières, par un actif net comptable positif. En ce cas, cette aide ou cet abandon ne peut être déduit.

Il n'en va autrement que dans le cas où la société établit qu'en dépit de cette aide ou de cet abandon la valeur de sa participation dans le capital de ses filiales n'a, ce nonobstant, pas augmenté.

En arguant de ce que la société demanderesse ne présentait que des évaluations reposant sur des méthodes de nature économique insusceptibles d'établir au plan comptable la situation nette des filiales et en s'abstenant de rechercher si la participation de cette société dans le capital des filiales avait ou non augmenté du fait de l'aide apportée, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt.

(21 juin 2022, Société Ixcore, n° 447084)

 

77 - Bénéfices ou revenus positifs tirés d'une entité établie ou constituée hors de France - Entité soumise à un régime fiscal privilégié - Soumission au CGI français - Application au régime des sociétés mères - Erreur de droit - Annulation.

Selon l'art. 123bis du CGI  : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique-personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable-établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. (...)".

Pour l'application de ce texte les bénéfices ou les revenus positifs d'une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié sont déterminés selon les règles du CGI comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. Ces règles incluent donc le régime des sociétés mères tel qu'il est défini aux articles 145 et 216 du CGI dès lors que l'entité juridique serait soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés au taux normal si elle était établie en France. 

En l'espèce, une cour administrative d'appel juge que la part des bénéfices d'une société trouvant son origine dans des produits de participation ne pouvait être calculée par application du régime des sociétés mères et que ce régime ne s'applique qu'aux sociétés qui ont été effectivement soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal. Elle commet, ce jugeant, une erreur de droit car la prise en compte de ce régime pour le calcul des bénéfices de cette société, établie à Gibraltar, dépendait de ce que cette société aurait été soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés si elle avait été établie en France. 

(21 juin 2022, M. et Mme B., n° 449408)

 

78 - Liberté de mouvement de capitaux intra-communautaires et entre États de l'Union et pays tiers - Prohibition de toute restriction (1. de l'art. 63, TFUE) - Détermination du caractère défavorable d'un traitement fiscal - Comparaison entre résidents et non-résidents fiscaux - Conséquence - Rejet.

Rappel de ce que pour l'application du principe de libre mouvement des capitaux posé par le 1. de l'art. 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union, il y a lieu de comparer la charge fiscale supportée respectivement par le contribuable qui conteste au nom de ce principe l'imposition qu'il subit en France et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable.

S'il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l'administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l'impôt, de dégrever l'imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d'une équivalence de traitement avec les contribuables résidents. 

Ici, au terme de cette comparaison, le taux d'imposition du contribuable requérant applicable aux plus-values qu'il a réalisées est réduit de 33 1/3% à 19%.

(23 juin 2022, M. B., n° 445785)

 

79 - Taxe sur les logements vacants – Biens immobiliers demeurés en indivision après un divorce – Taxe assise pour le tout sur l’un seulement des co-indivisaires – Confusion entre indivision et solidarité – Erreur de droit – Annulation.

Des époux qui avaient acquis des biens en indivision n’ayant pas partagé ces biens lors de leur divorce, l’administration fiscale, confirmée par le juge des référés du tribunal administratif, a estimé que du fait de cette indivision la taxe sur les logements vacants pouvait être réclamée en son entier à l’un quelconque des deux indivisaires.

Ainsi était opérée une confusion entre indivision et solidarité – guère admissible au regard des principes fondamentaux attachés aux catégories juridiques et notamment celui selon lequel « La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée (…) » (énoncé à l’art. 1202 du Code civil) –.

Réitérant sa jurisprudence constante sur ce point (V. par ex. : Plén. Fisc., 25 juillet 1975, Antoine et Emmanuelle Vauchez, n° 92401 et n° 92402, Rec. Lebon p. 459 ; 30 septembre 2019, M. C., n° 419384 ; Mme C. épouse B., n° 419490), le Conseil d’État décide que l’administration ne pouvait réclamer le paiement de la taxe qu’à chacun des co-indivisaires à proportion de sa part dans l’indivision.

L’ordonnance est, très naturellement et très évidemment, cassée.

(23 juin 2022, Mme B., n° 449318)

 

80 - Demande de remboursement du précompte versé par une société (Suez) au trésor public – Remboursement ordonné par jugement - Cession postérieure de cette créance de remboursement du précompte à une autre société (Société générale) – Juridiction d’appel annulant le jugement – Émission à l’encontre de la société cessionnaire d’avis de recouvrement valant commandements de payer – Contestation du bien-fondé de l'application du précompte aux redistributions de dividendes servis par les filiales de la société Suez  et opposition à poursuites – Arrêt de rejet – Pourvoi – Rejet.

La société Suez a versé un précompte lors de la redistribution de dividendes perçus en 1999, 2000 et 2001 de ses filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne, puis a vainement demandé le remboursement de ce précompte et a saisi de ce litige le tribunal administratif qui, lui donnant raison, a ordonné la restitution des sommes litigieuses. Durant l’instance devant ce tribunal, Suez a cédé à la Société générale ce qui, par l’effet du jugement précité, est devenu sa créance sur le trésor public.

Sur appel du ministre des finances, la cour administrative d’appel a annulé le jugement et remis à la charge de la société Suez, au titre de chacune des années en litige, les montants en litige et prescrit qu'il serait tenu compte, pour l'exécution de son arrêt, de ce que les sommes correspondantes avaient été encaissées par la Société générale. C’est donc contre cette dernière que l’administration fiscale a émis quatre avis de mise en recouvrement puis deux mises en demeure valant commandements de payer.

La Société générale a tout d’abord, au gracieux, contesté le bien-fondé de l'application du précompte aux redistributions de dividendes servis par les filiales de la société Suez et formé une opposition à poursuites. Ses demandes ayant été rejetées, elle a saisi, en vain, le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel (arrêt du 12 décembre 2014).

Elle dirige son pourvoi contre l’arrêt de cette dernière.

Le Conseil d’État estime que ce pourvoi doit être regardé comme tendant seulement à ce que le juge de cassation statue sur sa demande en décharge des impositions. Il rejette alors les moyens développés au soutien du pourvoi en raison de leur caractère inopérant.

En effet, l’administration fiscale n’était pas tenue d'émettre les avis de mise en recouvrement dès lors que, par l’effet de l’arrêt du 12 décembre 2014, l'imposition avait été rétablie de plein droit à son profit.

Il suit de là que si la Société générale pouvait, en sa qualité de cessionnaire de la créance correspondant à la restitution du précompte réclamée par la société Suez, former une réclamation en son nom propre dans les mêmes délais que le cédant et avait qualité pour agir devant le juge de l'impôt afin d'obtenir le paiement de cette créance, en revanche, elle n'était plus recevable, pas plus que la société Suez elle-même, à former une nouvelle réclamation tendant à la restitution de ces impositions postérieurement à l'arrêt de la cour administrative d'appel statuant sur ces impositions, lequel, au demeurant, ne constituait pas à son égard, pas davantage que les avis de mise en recouvrement qui se bornaient à en tirer les conséquences, un événement au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

(24 juin 2022, Société générale, n° 443754)

 

81 - Sursis d’imposition de plus-values ne dégageant pas de liquidités – Objectif poursuivi par le législateur – Souci de réinvestissement économique – Caractère de réinvestissement non établi – Opération à but exclusivement fiscal – Erreur de droit – Annulation.

Le Conseil d’État rappelle ici qu’en adoptant les dispositions de l'art. 150-0 B du CGI (issues de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000) le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités.

Pour cela, l’apport des titres d'une société par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis leur cession immédiate par cette dernière ne répond à l'objectif économique poursuivi par le législateur que si le produit de cession fait l'objet, pour une part significative et à bref délai, d'un réinvestissement à caractère économique par cette société.

En revanche, faute d’un tel réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

En l’espèce, il est reproché à la cour administrative d’appel, d’où la cassation de son arrêt pour erreur de droit, de n’avoir pas tenu compte de l'ensemble des sommes ayant bénéficié du mécanisme du sursis d'imposition pour apprécier si le produit de la cession de titres avait fait l'objet, pour une part significative, d'un réinvestissement à caractère économique.

(27 juin 2022, M. B., n° 449656)

(82) V. aussi, s’agissant des dispositions de l’art. 150-0 D CGI et de l’abattement renforcé de 85% sur les plus-values de cession de titres prévu par le 3° du 1 quater de cet article, l’annulation de l’arrêt d’appel qui, dénaturant les pièces du dossier, juge que la société A détenait une participation dans la société B alors que c’est exactement l’inverse (sic)… : 24 juin 2022, M. et Mme A., n° 455925.

(83) V. encore, avec même dénaturation et même conséquence : 24 juin 2022, M. et Mme B., n° 455926.

 

84 - Prescription quadriennale – Acte ou fait interruptif de la prescription – Communication écrite de l’administration intéressée – Courrier se prononçant sur le fait générateur de la créance – Absence d’interruption – Qualification inexacte de pièces du dossier – Annulation.

L’art. 2 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale décide que cette prescription est interrompue par « Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) ». 

En l’espèce, où était en cause un litige relatif à une indemnité différentielle puis compensatrice estimée calculée sur une base erronée à partir d’une prime de rendement des ouvriers d'État au taux moyen de 16 % au lieu du taux maximum de 32 %, la cour administrative d’appel avait jugé qu’un courrier adressé à l’intéressé par le secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense ne constituait pas un acte interruptif de la prescription quadriennale et avait rejeté sa requête de ce chef.

Annulant cette qualification inexacte d’une pièce du dossier, le Conseil d’État relève que le courrier précité précisait les règles applicables pour la détermination de la prime de rendement à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité différentielle en litige et informait le requérant de l'évolution de celle-ci. Ainsi, se prononçant sur le fait générateur de la créance de M. B., ce courrier devait être regardé comme une communication écrite de l'administration au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et comme ayant interrompu le cours de la prescription quadriennale de la créance.

(27 juin 2022, M. B., n° 456175)

 

Droit public de l'économie

 

85 - Importation de certaines productions agricoles - Étiquetage de produits comme venant du Maroc - Produits provenant en réalité du Sahara occidental - Éléments d'information du consommateur ayant le caractère d'une norme de commercialisation - Renvoi de questions préjudicielles à la CJUE.

La confédération requérante recherchait l'annulation du refus implicite opposé par les ministres des finances et de l'agriculture à sa demande, fondée sur l'art. 23 bis du code des douanes, que soit pris un arrêté prohibant l'importation de tomates cerises et de melons charentais récoltés sur le territoire du Sahara occidental, au motif que ce territoire n'appartient pas au Royaume du Maroc et que, par suite, l'étiquetage présentant ces produits comme originaires du Maroc viole les dispositions du droit de l'Union relatives à l'information des consommateurs sur l'origine des fruits et légumes mis à la vente.

Le Conseil d'État relève que l'exigence de la mention du pays ou territoire d'origine, qui a pour objet l'information du consommateur et revêt ainsi le caractère d'élément d'une norme de commercialisation, doit, en principe, être respectée dès l'importation. Toutefois, aucun des règlements en cause (n° 1169/2011 du 25 octobre 2011; n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 ; règlement d'exécution n° 543/2011 de la Commission ; règlement n° 952/ établissant le code des douanes de l'Union) ne confère expressément compétence aux États membres pour adopter des mesures, qu'elles soient individuelles ou générales, d'interdiction des importations des produits qui ne seraient pas conformes alors qu'une telle mesure, notamment dans l'hypothèse où la méconnaissance des conditions d'importation présente un caractère massif rendant difficile l'accomplissement de nombreux contrôles en aval une fois les produits disséminés sur le territoire de l'Union, pourrait justifier au niveau national l'adoption d'une interdiction des importations de fruits et légumes en provenance d'un pays déterminé.

Ceci le conduit à poser quatre questions préjudicielles à la CJUE dont certaines sont très délicates mais déterminantes pour la solution du litige soumis au Conseil d'État :

1) les dispositions du règlement n° 1169/2011, du règlement n° 1308/2013, du règlement n° 543/2011 et du règlement n° 952/2013 doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles autorisent un État membre à adopter une mesure nationale d'interdiction des importations, en provenance d'un pays déterminé, de fruits et légumes qui méconnaissent les articles 26 du règlement n° 1169/2011 et 76 du règlement n° 1308/2013 faute de mentionner le pays ou territoire dont ils sont réellement originaires, notamment lorsque cette méconnaissance présente un caractère massif et qu'elle peut difficilement être contrôlée une fois les produits entrés sur le territoire de l'Union ?

 2) il est posé à la Cour la question de savoir si l'accord sous forme d'échange de lettres entre l'UE et le Maroc doit être interprété en ce sens que, pour l'application des articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1669/2011 et de l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011, d'une part, les fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ont comme pays d'origine le Maroc et, d'autre part, si les autorités marocaines sont compétentes pour délivrer les certificats de conformité prévus par le règlement n° 543/2011 aux fruits et légumes récoltés sur ce territoire.

3) En cas de réponse positive à cette deuxième question, il est demandé à la Cour de dire si la décision du Conseil du 28 janvier 2019 approuvant l'accord sous forme d'échange de lettres est conforme à l'article 3, paragraphe 5 du traité sur l'Union européenne, à l'article 21 du même traité et au principe coutumier d'autodétermination rappelé notamment à l'article 1er de la Charte des Nations-Unies. 

4) Enfin, la Cour est interrogée sur la question de savoir si, compte tenu de l'analyse qu'elle a fait sur la situation du territoire du Sahara occidental dans ses arrêts du 21 décembre 2016 (Conseil c/Front Polisario, aff. C-104/16 P) et du 27 février 2018 (Western Sahara Campaign UK, aff. C-266/16) et des réponses apportées aux questions précédentes, les articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1669/2011 et l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011 doivent être interprétés en ce sens qu'au stade de l'importation comme de la vente au consommateur, l'emballage des fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ne peut mentionner le Maroc au titre du pays d'origine mais doit faire mention du territoire du Sahara occidental ?

(9 juin 2022, Confédération paysanne, n° 445088)

 

86 - Fourniture d'électricité - Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) - Volumes déterminés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Remise en cause - Motifs - Rejet.

La société requérante -  qui n'a pu présenter de demande au titre de la période de livraison commençant le 1er janvier 2021 en raison d'une interruption de son droit à l'ARENH prononcée en application de l'article R. 336-27 du code de l'énergie en raison d'un défaut de paiement - ne saurait exciper des objectifs de liberté de choix du fournisseur d'électricité, d'accès transparent, équitable et non discriminatoire à l'électricité produite par les centrales nucléaires et de développement de la concurrence énoncés par le code de l'énergie, pour demander l'annulation de la délibération du 6 mai 2021 ainsi que de la décision du 28 mai 2021 de la CRE l'informant qu'aucun volume d'ARENH ne pourrait lui être accordé sur la période de livraison débutant le 1er juillet 2021 car les objectifs invoqués par la requérante ne sauraient permettre à la CRE, en l'absence de disposition expresse en ce sens, de remettre en cause les volumes d'ARENH qu'elle a notifiés à leurs bénéficiaires au titre d'une période en cours - en l'espèce celle courant du 1er janvier au 31 décembre 2021 - et qui ont donné lieu à des engagements fermes d'achat de la part de ces fournisseurs d'électricité.

En outre, selon le code de l'énergie, les cessions d'électricité en application du dispositif d'ARENH reposent sur des livraisons d'électricité pour une quantité déterminée sur une période d'un an et selon un profil qui doit être constant d'un mois à l'autre. Il n'est donc pas possible de prévoir une cession d'électricité au titre de la période de livraison allant du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 qui ne commencerait qu'en janvier 2022, date à laquelle les décisions prises sur les demandes présentées au titre de la période débutant au 1er janvier 2021 n'auront plus d'incidence. 

(9 juin 2022, Société Oui Energy, n° 454294)

 

87 - Aménagement commercial - Projet d'équipement commercial refusé par avis de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) avant le 15 février 2015 - Annulation contentieuse du refus - Nouvelle décision sur réexamen du dossier - Nature d'une décision et non d'un avis - Erreur de droit - Annulation.

Contrairement à ce qui a été jugé par la cour administrative d'appel dont l'arrêt est, pour ce motif, annulé, lorsqu'à la suite de l'annulation contentieuse d'une décision de la CNAC antérieure au 15 février 2015 (date d'entrée en vigueur de l'art. 6 du décret 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial), celle-ci statue à nouveau sur la demande d'autorisation commerciale dont elle se retrouve saisie du fait de cette annulation, l'acte par lequel elle se prononce sur le projet d'équipement commercial a le caractère d'une décision, susceptible de recours pour excès de pouvoir, et non d'un avis, à la condition qu'il n'ait été apporté au projet aucune modification substantielle au regard des règles dont la CNAC doit faire application et cela même si la Commission se prononce à nouveau après le 15 février 2015. 

(14 juin 2022, Société Distribution Casino France, n° 437816)

(88) V. aussi, rejetant comme irrecevable le recours d'une commune dirigé contre l'avis favorable donné par la Commission nationale d'aménagement commercial à un projet d'aménagement commercial que la commune avait refusé d'autoriser, motif pris de ce que cet avis n'étant qu'une mesure préparatoire, il est insusceptible de faire l’objet d'un recours contentieux.

(14 juin 2022, Commune d'Aix-en-Provence, n° 446920)

 

89 - Aménagement commercial - Juridicité d'un projet  prétendue contraire à deux objectifs ou critères - Sursis à statuer sur l'un d'entre eux et absence de décision sur l'autre - Insuffisance de motif et erreur de droit - Annulation par voie de conséquence de la seconde décision - Annulations avec renvoi.

Dans ce litige en contestation de l'arrêté municipal délivrant à une société  un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la création d'un ensemble dénommé de 39 000 m² de surfaces de vente et d'un parc de stationnement de 2 056 places, sur un terrain de 13,68 hectares, la requérante soutenait devant la cour administrative d'appel que le projet litigieux méconnaissait l'objectif d'aménagement du territoire prévu par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce, d'une part, au regard du critère de l'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral et d'autre part, au regard du critère de l'effet sur les flux de transports.

La cour, après avoir estimé que le moyen tiré de l'atteinte du projet à l'objectif d'aménagement du territoire en raison de ses effets sur les flux de transport était fondé, en l'état du dossier qui lui était alors soumis, a fait usage des pouvoirs qu'elle tenait de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et a décidé de sursoir à statuer par son arrêt du 27 juin 2019, sans toutefois se prononcer préalablement sur le moyen tiré de l'atteinte du projet à l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral.

Or il lui incombait, avant de surseoir à statuer, de constater que les autres moyens invoqués n'étaient pas fondés, ce qu'elle n'a pas fait, rendant ainsi un arrêt  insuffisamment motivé et commettant une erreur de droit. C'est pourquoi le Conseil d'État est à la cassation.

Le Conseil d'État fait ensuite application de la technique, au demeurant très justifiée ici, d'annulation par voie de conséquence.

En effet, lorsque le juge administratif, saisi de conclusions à fin d'annulation d'une autorisation d'urbanisme, s'il estime par une première décision, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, les motifs de cette première décision qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de la décision qui clôt finalement l'instance si cette seconde décision rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans la première décision a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation.

C'est pourquoi, en l'espèce, il appartient au juge d'appel ou de cassation, saisi de conclusions dirigées contre ces deux décisions, s'il annule la première décision, d'annuler en conséquence, le cas échéant d'office, la seconde décision.

(15 juin 2022, Société Eurocommercial Properties Taverny, n° 442937)

 

90 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Conseillers en investissements financiers – Manquements - Sanctions disciplinaires - Absence de caractère excessif ou disproportionné au regard des manquements reprochés - Rejet.

Les requérants recherchaient l'annulation  de la décision par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à leur encontre, pour chacun, une sanction pécuniaire de 50 000 euros et une interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers d'une durée de 5 ans, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers et fixé à 5 ans à compter de la date de la décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme ; à titre subsidiaire, ils demandaient au juge de réformer cette décision en annulant l'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers pendant cinq années prononcée à leur encontre ou en en réduisant la durée.

Les demandes sont, sans grande surprise, rejetées.

Tout d'abord, la circonstance qu'est ouverte à un membre du collège ayant pris part à la phase d'instruction préalable à l'instance disciplinaire, la faculté  de présenter des observations et de proposer une sanction doit être regardée comme celle d'émettre un avis, qui ne lie la commission des sanctions ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci. Au reste, compte tenu de la procédure suivie devant la commission des sanctions, notamment les conditions d'établissement du rapport et de sa soumission au contradictoire, la parole donnée n dernier lieu aux personnes poursuivies, assurent - contrairement à ce qui est soutenu - le respect des principes du caractère contradictoire de la procédure et des droits de la défense.

Ensuite, les fait reprochés sont bien d'une certaine gravité, consistant notamment à avoir conseillé à une congrégation religieuse des investissements très spéculatifs inadaptés tant aux connaissances de celle-ci qu'à sa situation financière et à ses objectifs d'investissement, à ne pas avoir remis dès le début des relations avec deux clientes, divers documents d'information ainsi qu'en ne les informant pas des modalités et du montant des commissions perçues sur les investissements effectués. Enfin, il leur est également reproché, d'une part, la méconnaissance de l'obligation de diffuser des informations exactes, claires et non trompeuses dans leurs relations avec plusieurs autres clients, et d'autre part, l'encaissement des fonds de six clients pour un montant de 660 000 euros, qui ne rémunéraient pas leur activité.

Ces faits, reconnus par les intéressés et répétés sur une durée de trois ans, constituent des manquements caractérisés auxquels il convient d'ajouter des comportements frauduleux constituant des manquements à l'obligation de diligence et de loyauté à l'égard des contrôleurs auxquels ont été remis des documents antidatés.

Les sanctions infligées ne sont, dans ces conditions, ni excessives ni disproportionnées quand bien même l'une des personnes sanctionnées fait valoir, s'agissant de l'interdiction d'exercice de cinq années, que, au vu de son âge, cela a pour effet de lui faire cesser définitivement l'activité en cause.

En revanche, est rejeté le recours incident du président de l'AMF tendant à ce que la sanction pécuniaire soit portée de cinquante mille à cent mille euros.

(17 juin 2022, Société Groupe Consultant en Gestion Financière Internationale (CGFI) et M. A., n° 443523)

 

91 - Aménagement commercial - Étendue de la compétence de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) – Étendue de sa compétence systématique - Faculté d'autosaisine en dehors de cette compétence - Erreur de droit - Annulation.

Il résulte des dispositions de l'art. L. 752-17 du code de commerce que la CNAC est systématiquement informée des projets dont la surface de vente est supérieure ou égale à 20 000 m2 et de ceux ayant déjà atteint ce seuil ou devant le dépasser par la réalisation du projet.

Toutefois, cette compétence systématique de la CNAC ne l'empêche pas, contrairement à ce qu'avait jugé la cour administrative d'appel, de connaître de l'ensemble des projets d'aménagement et non seulement de ceux dont la surface de vente devant être autorisée est supérieure ou égale à 20 000 m2.

(20 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 441707)

 

92 - Inspecteurs de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes - Enquête débouchant sur la constatation de manquements et l'infliction d'amendes administratives - Nominations de ces agents constatateurs non publiées - Irrégularité - Annulation des sanctions - Erreur de droit - Annulation.

La société Réseau assistance, sanctionnée par deux amendes administratives pour des manquements constatés par des agents du service de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes ayant donné lieu de leur part à l'établissement de procès-verbaux, conteste la régularité de la procédure suivie à son endroit.

La cour administrative d'appel, se fondant sur l'obligation de publication des décisions portant nominations, promotions de grades et mises à la retraite dans la fonction publique d'État (art. 28 de la loi du 11 janvier 1984 et art. 2 du décret du 19 mars 1963 portant règlement d'administration publique relatif à la publication des décisions concernant la situation individuelle des fonctionnaires), a, d'une part, constaté l'absence de publication des nominations en qualité d'inspecteurs de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, des agents verbalisateurs, et d'autre part, déduit de cette situation qu'ils n'avaient pas été habilités à mener les opérations d'enquête à l'encontre de la société Réseau Assistance à compter du mois de janvier 2016, ni à en dresser procès-verbal le 1er mars 2016.

Le Conseil d'État annule cet arrêt en raison de l'erreur de droit sur laquelle il repose : la circonstance que les décisions de nominations les concernant n'aient pas été publiées est sans incidence sur la légalité de leur nomination comme sur la validité de leurs actes.

D'où cette question naïve : que recherche le législateur en imposant cette publication ? Rien ? Il serait étrange que le législateur exige de porter à la connaissance de l'opinion des nominations sans que le non respect de cette exigence de forme ait une quelconque incidence.

(23 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443379)

 

93 - Demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché et permis de matières fertilisantes, d'adjuvants pour matières fertilisantes et de supports de culture – Composition du dossier – Exigences d’informations portant atteinte au secret des affaires – Absence d’atteinte – Rejet.

La demanderesse recherchait l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 1er avril 2020 fixant la composition des dossiers de demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché et permis de matières fertilisantes, d'adjuvants pour matières fertilisantes et de supports de culture et les critères à prendre en compte dans la préparation des éléments requis pour l'évaluation.

A l’appui de son recours, l’union requérante invoquait trois moyens, tous rejetés.

En premier lieu, était invoqué en vain le non respect du principe de sécurité juridique  puisqu’en annexe de l’arrêté litigieux figure bien un « guide relatif à l'évaluation des dossiers de demande relative à une autorisation de mise sur le marché ou à un permis pour des matières fertilisantes, des adjuvants pour matières fertilisantes et des supports de culture », lequel présente les recommandations relatives aux éléments à renseigner selon les différents paramètres évalués et permet notamment aux demandeurs d'être informés des éléments attendus pour évaluer la conformité de leurs produits aux teneurs de référence et de flux. C’est donc à tort qu’était soulevée ici la méconnaissance du principe de sécurité juridique.

En deuxième lieu, il était prétendu que l'arrêté querellé était entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que, d'une part, il fixerait des valeurs en éléments traces métalliques (ETM) de référence maximale pour la délivrance des différentes autorisations relatives aux produits concernés qui se situeraient en-deçà des valeurs limites fixées par le règlement européen du 5 juin 2019, par les normes françaises qui seraient applicables et par la règlementation d'autres États membres sans tenir compte, au demeurant, des particularités des différentes catégories de fertilisants, et en ce que, d'autre part, il porterait atteinte à la liberté de circulation des marchandises. Le juge relève cependant que cet argument doit être écarté puisque ces teneurs constituent uniquement des références pour la qualité des produits et qu'en cas de dépassement de ces dernières, le demandeur apporte les justifications nécessaires sur les éléments en excédent, sans que cela fasse obstacle à son autorisation.

En troisième lieu et surtout – c’est là l’apport le plus important de la décision -, était invoquée l’atteinte au secret des affaires qui résulterait des exigences contenues au I de l’art. 4 de l’arrêté en litige. Pour rejeter le moyen, le juge, se fondant sur les dispositions du code commerce relatives au secret des affaires (art. L. 151-1 et L. 151-7) et sur celle du code rural et de la pêche maritime relatives aux permis d’expérimentation d’une matière fertilisante, d'un adjuvant pour matières fertilisantes ou d'un support de culture ainsi qu’aux autorisations de mise sur le marché (art. L. 255-1, L. 255-7 et L. 255-8 et R. 255-7), en déduit que le secret des affaires n'est pas opposable à la transmission des informations demandées en application des dispositions du I de l'article 4 de l'arrêté attaqué dès lors qu'elles sont requises dans le cadre de l'instruction des demandes de permis d'expérimentation menée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. L'obligation de divulgation de telles informations est limitée à cette agence, aux fins de l'évaluation dont elle a la charge, et les conclusions de son évaluation, qui sont rendues publiques, ne peuvent inclure aucune information dont la publication porterait atteinte au secret des affaires. 

(24 juin 2022, Union des industries de la fertilisation, n° 443192)

 

Droit social et action sociale

 

94 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Entreprise en liquidation judiciaire - Recherche de reclassements par le liquidateur - Portée de l'obligation de reclassement - Rejet.

Dans cette importante décision le Conseil d'État juge que l'obligation de reclassement des salariés d'une société faisant l'objet d'un PSE qu'imposent les art. L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail est satisfaite même si l'annexe au plan est incomplète faute pour une des entreprises du groupe d'avoir fait savoir, avant la décision de l'administration, s'il existait des postes de reclassement sur le territoire national en son sein, dès lors que le liquidateur judiciaire a utilement saisi de cette question les autres entreprises du groupe. L'administration doit exercer un contrôle global du caractère suffisant des mesures que contient le PSE (cf. Assemblée, 22 juillet 2015, Syndicat CGT de l'union locale de Calais et environs, n° 383481).

La cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en estimant illégale la décision de l'administration validant le PSE en raison de l'incomplétude de l'annexe relative aux reclassements.

(1er juin 2022, ministre du travail, n° 434225 ; SELAFA MJA et la SELARL FIDES, agissant en qualité de liquidateurs de la société Alliage Assurances, n° 434243)

 

95 - Plan de sauvegarde de l'emploi  (PSE) - Plan de reclassement du personnel intégré au PSE - Étendue et portée du contrôle exercé par l'inspection du travail - Rejet.

Une nouvelle fois est en cause l'étendue du contrôle exercé par l'inspection du travail, dans le cadre d'un PSE, s'agissant des indications et précisions qui doivent figurer dans le plan de reclassement du personnel, lequel est intégré au PSE.

De l'ensemble des dispositions applicables du code du travail, le juge tire une double conséquence, positive et négative, au stade du document unilatéral portant PSE.

Positivement d'abord, l'autorité administrative doit s'assurer qu'en application des articles L. 1233-61 et suivants du code du travail, le plan de reclassement intégré au PSE est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, que l'employeur a identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise et, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, que l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, a procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement sur le territoire national dans les autres entreprises du groupe, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d'être proposés pour pourvoir à ces postes, en indiquant dans le plan, pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, leur nombre, leur nature et leur localisation.

Négativement ensuite, l'autorité administrative ne peut contrôler le respect de l'obligation qui, en application de l'article L. 1233-4 du code du travail, incombe à l'employeur qui projette de licencier un salarié pour motif économique, consistant à procéder, préalablement à son licenciement, à une recherche sérieuse des postes disponibles pour le reclassement de ce salarié, qu'ils soient ou non prévus au PSE, en vue d'éviter autant que possible ce licenciement. Il en va ainsi même lorsque le document unilatéral arrêtant le PSE comporte des garanties relatives à la mise en œuvre de l'obligation, prévue à l'article L. 1233-4 du code du travail, de recherche sérieuse de reclassement individuel.

Le juge relève à cet égard que, de telles garanties, dont les salariés pourront, le cas échéant, se prévaloir, pour contester leur licenciement, ne sont pas de nature à dispenser l'employeur de respecter, dans toute son étendue, l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article L. 1233-4 du code du travail. 

Le recours est rejeté.

(20 juin 2022,  Comité social et économique de l'UES Hop ! et autres, n° 437767)

 

96 - Salarié protégé - Licenciement collectif pour motif économique - Contrôle de la régularité de la consultation du comité d'entreprise - Qualité de l'information qui y est donnée - Consultation non nécessaire du comité d'hygiène et de sécurité - Connaissance satisfaisante du périmètre  du groupe - Contrôle de la réalité du motif économique invoqué - Absence de manquement de l'employeur à son obligation de reclassement - Rejet.

Le juge relève l'absence d'irrégularités qui affecteraient la décision de licenciement pour motif économique de la requérante, salariée protégée, dans le cadre d'un licenciement collectif.

C'est en vain que la demanderesse critique les conditions de consultation du comité central d'entreprise de la société employeur ainsi que celles des comités d'établissement, en particulier eu égard aux informations suffisantes qui leur ont été communiquées.

En revanche, n'était pas requise la consultation du comité d'hygiène et de sécurité.

Tout aussi vainement la requérante invoque-t-elle une méconnaissance par l'administration du travail du périmètre du groupe, cela résultant des pièces du dossier, et une insuffisante connaissance de la réalité du motif économique invoqué au soutien de sa décision de licenciement.

Enfin, l'employeur n'a pas manqué à son obligation de recherche sérieuse de reclassement, alors surtout que l'intéressé n'a pas donné suite à la proposition de reclassement personnalisé qui lui a été faite.

(14 juin 2022, M. B., n° 437422)

(97) V. aussi, annulant une ordonnance du juge d'appel estimant que le liquidateur judiciaire d'une société qui avait procédé au licenciement d'un agent de celle-ci n'avait pas effectué une recherche sérieuse de reclassement dans la mesure où il s'était borné à adresser aux autres entreprises du groupe une « lettre-circulaire » indiquant les emplois occupés par les salariés à reclasser ainsi que leur classification car ce courrier ne comportait aucune précision quant aux caractéristiques de ces emplois, notamment quant à leur rémunération et à leurs conditions d'exercice. Le Conseil d'État juge que commet une erreur de droit l'auteur de cette ordonnance qui estime qu'il appartenait au liquidateur judiciaire, au titre de son obligation de recherche personnalisée de reclassement, d'accompagner son courrier de recherche de postes de reclassement auprès des autres entreprises du groupe de précisions quant à la rémunération et aux caractéristiques des emplois occupés par les salariés à reclasser : 14 juin 2022, Selarl Grave-Randoux, n° 446792.

 

98 - Autorisation administrative de licenciement pour faute disciplinaire d’un salarié protégé – Contestation de la procédure suivie et des motifs du licenciement – Rejet.

Réglant au fond le litige par application de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’État – au contraire de l’arrêt d’appel infirmatif attaqué devant lui - juge légale et régulière la décision de l’inspection du travail autorisant ici le licenciement pour motif disciplinaire d’un salarié protégé.

Sur la procédure, le juge relève que n’est pas fondé le moyen tiré de ce que le requérant n’aurait pas disposé d'un délai suffisant pour préparer son audition devant la délégation unique du personnel soit le lendemain de son entretien préalable. Ainsi, la décision de l'inspectrice du travail n’est pas illégale pour avoir estimé que le délai séparant l'entretien préalable de la consultation de la délégation unique du personnel était suffisant. Il constate également que les membres titulaires et suppléants de la délégation unique du personnel ont été régulièrement convoqués à la réunion extraordinaire du 15 décembre 2017 en vue de sa consultation sur le projet de licenciement pour motif disciplinaire de l’intéressé.

Enfin, ne saurait être soutenu le caractère non contradictoire de l’enquête menée par l’inspectrice du travail en ce que celle-ci a mis à la disposition du requérant la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire adressée par son employeur en y adjoignant les déclarations, non anonymisées, de l'apprentie auprès de laquelle il lui est reproché d'avoir eu un comportement inapproprié et les témoignages, anonymisés, des autres salariés, dès lors qu'elle avait estimé que la connaissance des noms de ces salariés était, à ce stade de la procédure, de nature à porter préjudice à leurs auteurs. En procédant ainsi, l'inspectrice du travail n'a pas méconnu les exigences posées par l'article R. 2121-11 du code du travail. 

Sur le motif du licenciement, le juge estime que l’inspectrice du travail n’a pas inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis en estimant qu'ils étaient fautifs et de nature à justifier à eux seuls le licenciement. En effet, il ressortait du dossier que le requérant a eu à l'égard d'une apprentie de dix-neuf ans un geste à caractère sexuel, particulièrement inapproprié dans le cadre des relations professionnelles et qu’il tenait habituellement des propos à caractère déplacé à l'encontre de salariées de l'entreprise. Ce geste, commis au préjudice d'une jeune femme en contrat d'apprentissage, constitue une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement sans que puisse y faire obstacle les allégations du requérant qui ne sont pas établies.

(29 juin 2022, M. B., n° 442190)

 

99 - Licenciement pour motif économique d’un salarié protégé – Portée de l’exigence d’une enquête administrative contradictoire – Cas particulier d’un licenciement en vertu de l’art. L. 631-17 du code de commerce – Rejet.

De cette très longue décision seront retenus ici seulement deux aspects.

Le premier concerne l’étendue de l’obligation pour l’autorité administrative de mener une enquête contradictoire en cas de licenciement d’un salarié protégé.

Si des dispositions du code du travail (art. R. 2421-4 et R. 2421-11) imposent à l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, de procéder à une enquête contradictoire quel que soit le motif de la demande, cette obligation ne s’applique pas lorsque ministre chargé du travail est saisi d'un recours hiérarchique contre la décision de l’inspecteur. Il n’en va autrement que dans l’hypothèse où l'inspecteur du travail n'ayant pas lui-même respecté l’exigence d’une enquête contradictoire, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation. 

Le second aspect concerne le cas particulier où des licenciements pour motif économique sont jugés nécessaires alors que l’entreprise est placée en période d’observation dans le cadre d’un redressement judiciaire. En ce cas, selon l’art. L. 631-17 du code de commerce, l'administrateur judiciaire ne peut procéder à des licenciements pour motif économique que s'ils présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable et après autorisation, non nominative, du juge-commissaire désigné par le tribunal de commerce.

Le Conseil d’Etat estime en outre, au-delà du texte légal, que si est envisagé le licenciement d’un salarié protégé, l'administrateur doit, en outre, solliciter l'autorisation nominative de l'inspecteur du travail qui vérifie, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que ce licenciement n'est pas en lien avec le mandat du salarié, que la suppression du poste en cause est réelle et a été autorisée par le juge-commissaire, que l'employeur s'est acquitté de son obligation de reclassement, et qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée.

En revanche, le Conseil d’Etat déduit de ces dispositions du code de commerce que pendant cette période d'observation, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes sont examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire. Il s’ensuit que si un licenciement a été autorisé par une ordonnance du juge-commissaire, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent être contestés qu'en exerçant les voies de recours ouvertes contre cette ordonnance et ne peuvent être discutés devant l'administration et, partant, devant le juge administratif.

(29 juin 2022, Mme C., n° 443955)

 

100 - Autorisation administrative de licenciement - Autorisation irrégulière - Mise en cause de la responsabilité pour faute de l'État - Faute de la victime venant atténuer cette responsabilité - Étendue de l'obligation de réparer - Rejet partiel.

(20 juin 2022, Société Henri Berruer, venant aux droits de la société Benichou Legrain Berruer, n° 438885)

V. n° 183

 

101 - SNCF - Agents faisant l'objet de mesures de suspension à titre conservatoire - Engagement d'une procédure disciplinaire - Dispositions du code du travail applicables sauf  dispositions propres au statut de ces agents ayant le même objet - Absence en l'espèce - Erreur de droit - Annulation.

(20 juin 2022, M. A., n° 435266)

V. n° 144

 

 

102 - Droit à congé annuel payé - Absence d'exercice de ce droit par le salarié placé en congé maladie - Régime juridique issu du droit de l'Union européenne - Erreur de droit - Annulation partielle.

Il résulte des dispositions l'art. 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail telles qu'interprétées par la jurisprudence de la CJCE (20 janvier 2009, Gerhard Schultz-Hoff, aff.C-350/06 et Stringer e. a., aff. C-520/06) :

- que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période, parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de la période en cause, ne s'éteint pas à l'expiration de celle-ci et, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, qu'un droit à indemnité financière doit lui être reconnu lorsqu'il n'a pu, pour cette raison, exercer son droit au congé annuel payé.

- que ce droit au report ou, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, à indemnisation financière, s'exerce toutefois, en l'absence de dispositions sur ce point dans le droit national, dans la limite de quatre semaines par année de référence.

L'arrêt de la cour est confirmé en tant qu'il statue sur le premier aspect et annulé en tant que, sur le second aspect, il juge que l'intéressé devait disposer de 25 jours de congés payés qui n'avaient pu être pris du fait d'un arrêt de maladie alors qu'il résulte de l'art. 7 de la directive qu'il n'avait droit qu'à 20 jours.

(22 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 443053)

 

103 - Intervention d’un syndicat en première instance, en demande aux côtés du salarié licencié – Appel interjeté par le syndicat intervenant – Conditions de recevabilité –

Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance d’appel jugeant qu'un syndicat n'a pas qualité pour introduire un recours contre la décision de l'inspecteur du travail autorisant un employeur à licencier un salarié protégé pour inaptitude alors, d’une part, qu’un syndicat de salariés est recevable à demander l'annulation de la décision par laquelle un inspecteur du travail autorise le licenciement d'un délégué du personnel et d’autre part, que la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir est recevable à interjeter appel du jugement rendu contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité pour introduire elle-même le recours ce qui était le cas de l’espèce. 

(14 juin 2022, Syndicat CGT Schindler, n° 456117)

 

104 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu – Opposition à contrainte – Demande tardive – Délai de droit commun de saisine du juge et délai spécial de l’art. R. 5426-22 du code du travail – Computation – Prise en compte de la date d’envoi non de la date de réception – Erreur de droit – Annulation.

Pôle emploi a, le 30 juillet 2020, signifié par acte d'huissier de justice à Mme B. une contrainte émise le 22 juillet 2020 pour la récupération d'une somme correspondant à un indu d'allocation de solidarité spécifique. Une ordonnance du magistrat du tribunal administratif à ce désigné a jugé que l'opposition à cette contrainte, formée le 17 août 2020 au greffe de ce tribunal, était tardive et l'a, en conséquence, rejetée comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du CJA.

Cependant, le Conseil d’État relève que si, en principe, les délais de recours devant les juridictions administratives sont des délais francs, les recours devant être enregistrés au greffe de la juridiction avant l'expiration du délai, il résulte toutefois un régime particulier de computation des délais du chef des dispositions de l'article R. 5426-22 du code du travail selon lesquelles : « Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification ».

D’une part, ces dispositions sont applicables également aux oppositions formées par un allocataire à l'encontre d'une contrainte émise par Pôle emploi aux fins d'obtenir le remboursement d'une prestation servie au titre du régime d'assurance chômage qu'il estime avoir indûment versée, oppositions qui relèvent des juridictions judiciaires.

D’autre part, ainsi que cela est le cas devant ces juridictions en vertu des articles 642 et 668 du code de procédure civile, l'opposition à contrainte doit seulement être « adressée » à la juridiction compétente, c'est-à-dire expédiée - en cas d'envoi postal -, avant le terme du délai de quinze jours à compter de la signification de la contrainte, qui n'est pas un délai franc mais est seulement susceptible de prorogation jusqu'au premier jour ouvrable suivant s'il expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé.

En l’espèce, la signification à l’intéressée ayant eu lieu le 30 juillet 2020 par exploit d’huissier, le délai de quinze jours prévu à l'article R. 5426-22 précité expirait le vendredi 14 août 2020 à minuit.

Se fondant, pour rejeter comme tardive l'opposition de Mme B. à la contrainte signifiée le 30 juillet 2020, sur la circonstance qu'elle n'avait été enregistrée au greffe du tribunal que le lundi 17 août 2020, l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit faute d’avoir recherché à quelle date le pli contenant l'opposition à contrainte avait été adressé au tribunal. 

(24 juin 2022, Mme B., n° 453757)

(105) V. aussi, identique : 24 juin 2022, M. B., n° 455435.

 

106 - Centre communal d’action sociale (CCAS) – Suspension d’aides facultatives – Intérêt pour agir d’une organisation nationale à l’encontre d’une mesure à effet local – Indétermination des motifs de suspension des aides et urgence – Annulation.

Par délibération de son conseil d’administration, un président de CCAS a été autorisé à suspendre l'accès aux aides sociales facultatives, telles que prévues dans le règlement de l'aide sociale facultative de ce CCAS, aux personnes décrites dans la délibération. Etaient visées : les personnes ayant « fait l'objet d'un rappel à l'ordre », ou ayant « refusé l'accompagnement parental proposé par le conseil des droits et devoirs des familles au titre de l'article 141-2 du code de l'action sociale et des familles », ou « fait l'objet d'un jugement définitif suite à une infraction troublant l'ordre public » ou « causé un préjudice à la commune », ainsi que la « famille directe » de ces personnes « lorsque lesdites personnes sont mineures ».

L’organisation demanderesse a formé un référé tendant à la suspension de l’exécution de cette délibération. Cette action soulevait deux questions distinctes.

La première tenait à l’intérêt d’une organisation à vocation nationale pour agir contre une mesure à effet local. La réponse, on le sait, est en principe négative sauf si la décision contestée « soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ». Le premier juge des référés ne l’a pas pensé puisqu’il a jugé irrecevable l’action introduite en l’espèce. Au contraire, le juge du Conseil d’État a estimé que cette décision était de nature à affecter des personnes vulnérables et qu’elle présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes, une portée excédant son seul objet local, d’où il déduit la recevabilité du recours. La solution se discute car la potentialité de « diffusion » de cette décision suppose autant de délibérations distinctes des CCAS des différentes communes « imitatrices » ; de là à voir apparaître un intérêt suffisamment général, il y a un très grand pas à franchir…

La seconde question portait sur le fond de la demande : le juge y aperçoit l’urgence à statuer eu égard aux effets de la délibération contestée sur la situation des personnes susceptibles de bénéficier des aides sociales facultatives et a un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée en ce qu’elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de ses imprécisions quant aux circonstances pouvant conduire à la suspension des aides sociales facultatives et de l'absence de tout encadrement de la faculté reconnue au président du CCAS.

(24 juin 2022, Ligue des droits de l’homme, n° 454799)

 

Élections et financement de la vie politique - Transparence de la vie publique

 

107 - Élection des députés à l'Assemblée nationale représentant la huitième circonscription  des Français de l'étranger - Demande d'ouverture de bureaux de vote supplémentaires - Refus - Rejet.

Électeur dans la 8ème circonscription des Français de l'étranger (Chypre, la Grèce, Israël, Italie, Malte, Saint-Marin, Saint-Siège et Turquie) l'intéressé avait demandé l'ouverture de bureaux de vote supplémentaires en Israël, dans la circonscription consulaire de Tel-Aviv, à Ashod et Beer-Sheva. Il demande l'annulation du refus opposé à sa demande.

Pour rejeter le recours le Conseil d'État relève d'une part, le peu d'utilisation du vote à l'urne dans cette circonscription, la distance raisonnable pour effectuer le trajet aller-retour entre Tel-Aviv et Ashod ou Beer-Sheva qui dure deux heures, d'autre part, la circonstance de la coïncidence de la date du scrutin avec la fête juive de Chavouot où les fidèles restreignent fortement leurs déplacements, réduisant encore davantage le recours au vote à l'urne.

(1er juin 2022, M. A., n° 464200)

(108) V. aussi, à propos d'un litige relatif à l'acheminement de matériel électoral pour les élections législatives se déroulant en France continentale et aux conditions de délai : 5 juin 2022, M. B. et autres requérants de Lutte ouvrière, n° 464686.

(109) V. encore, statuant sur diverses contestations, dont aucune n'est retenue, relatives à la circonscription électorale Asie-Océanie et constatant qu'au total le résultat de l'élection demeure inchangé : 16 juin 2022, M. Q. et autres, n° 459463.

 

110 - Élections des conseillers des Français de l’étranger – 4ème circonscription du Canada – Ambiguïté sur le soutien apporté à une liste – Profession de foi se prévalant du soutien d’un président de la république – Manœuvres dans un contexte de faible écart de voix – Annulation.

Deux recours, joints, demandaient l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées d’abord entre les 21 et 26 mai, puis le 29 mai 2021 en vue de l'élection des conseillers des Français de l'étranger dans la 4ème circonscription du Canada (Montréal, Moncton et Halifax).

Le juge retient, pour procéder à l’annulation sollicitée, en premier lieu, l’ambiguïté résultant de ce que sur la circulaire électorale de la liste conduite par Mme Q. (Écologie, urgence climatique et environnement avec les Françaises et les Français du Québec et des Provinces atlantiques : liste verte pour servir et défendre vos intérêts en accord avec les objectifs de développement durable de l'ONU) figuraient la signature du président de la Fondation Nicolas Hulot ainsi que son portrait et un logo très semblable à celui de cette Fondation même s’il était soutenu que cette liste ne s’était pas appropriée le soutien de cette Fondation mais que cette liste apportait son soutien à cette Fondation.

Est retenu en second lieu le fait que la profession de foi de la liste conduite par M. F. (Ensemble avec le Président de la République et le Premier ministre pour une fiscalité équitable en supprimant la CSG/CRDS, une protection sociale de la CFE accessible à tous et une simplification des démarches consulaires en ligne) a fait figurer en pleine page la photographie de M. Emmanuel Macron, Président de la République en exercice, accompagnée de la mention de cette qualité dans la plus forte police de caractères du document, associée à la photographie de M. F... en format réduit insérée en bas à droite et, en bas à gauche, à un logo reproduisant la façade du palais de l'Élysée arborant le pavillon national. Les bulletins de vote de cette liste ont par ailleurs reproduit, également avec la plus forte police de caractères du document, la mention « Président de la République » , accompagnée par le même logo.

Tout ceci a été jugé constituer des manœuvres qui, en l’état du faible écart des voix, conduisaient à l’annulation des opérations électorales litigieuses.

(24 juin 2022, M. Y., n° 453475 ; M. X. et M. AH., n° 453507)

 

111 - Consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie (12 décembre 2021) - Choix de la date de la consultation - Prise de position publique du premier ministre - Modalités de vote offertes dans certaines communes pour cause d'épidémie - Acte de campagne regrettable - Rejet.

Le Conseil d'État rejette tous les griefs contenus dans les protestations dirigées contre la tenue de la consultation du 12 décembre 2021 sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

Tout d'abord,  était critiquée le maintien de cette consultation en temps de pandémie et durant la période de deuil coutumier décrété par le sénat coutumier qui auraient provoqué un fort taux d'abstention. Ces griefs sont rejetées car les mesures prises ont permis de concilier sécurité sanitaire et bon déroulement des opérations électorales. Par ailleurs, le taux d'abstention n'est pas, en France, à lui seul, un élément de la validité d'un scrutin.

Ensuite, en prenant position en faveur du choix de la France par les électeurs néo-calédoniens le premier ministre n'a contrevenu à aucune règle ou principe et notamment pas à une prétendue « obligation de loyauté et d'impartialité ».

En outre, pour certaines communes, du fait de leur situation sanitaire, le haut-commissaire de la république a prévu une faculté de prolongation de la période ouverte pour les électeurs des communes insulaires de la Nouvelle-Calédonie pour demander à voter ou à ne plus voter dans un lieu de vote ouvert à Nouméa lors de cette consultation, il a prolongé de deux semaines la période d'option dont disposaient les électeurs des communes de Bélep, île des Pins, Lifou, Maré et Ouvéa pour choisir de voter dans un lieu de vote délocalisé.

Enfin, pour regrettable que soit la diffusion des clips vidéos des groupements « Voix du Non 2 » et « Voix du Non 3 » pendant une partie de la campagne officielle celle-ci n'a pas porté atteinte à la sincérité du scrutin en l'état du nombre de « non » parmi les suffrages exprimés.

(3 juin 2022, Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie et autres, n° 459711 ; M. AZ. et autres, n° 459753, jonction)

 

112 - Élections législatives - Établissement de la « grille des nuances politiques » - Objectif d'obtenir des résultats électoraux sincères - Refus de prévoir une nuance « NUPES » - Organisation présentant un programme partagé de gouvernement et des candidats uniques sur tout le territoire - Annulation.

En vue des élections législatives devant se tenir les 5 et 12 juin 2022, le ministre de l'intérieur a, comme à l'accoutumée, établi une grille des nuances politiques afin que les citoyens disposent de résultats électoraux sincères faisant apparaître les tendances politiques.

Diverses formations politiques se sont réunies en une Union qui s'est dotée d'un programme politique qu'elles se partagent et présentant des candidatures uniques communes.

La circulaire du 13 mai 2022 ne prévoit pas la nuance « NUPES » dans la grille des nuances, chaque parti la composant y est enregistré sous son propre nom tandis que la nuance « ECO » réunit tous les partis écologistes quelle que soit leur tendance politique, gauche ou droite.

Les requérants demandaient la suspension de l'exécution de cette circulaire en tant que n'y figure pas la nuance NUPES.

Le juge des référés statuant en formation collégiale prononce la suspension de la circulaire litigieuse.

Il le fait d'abord à partir d'un constat porté par un souci de démocratie. La coalition « NUPES », analyse le juge, « rassemble les principaux partis et formations politiques d'opposition situés à gauche de l'échiquier politique français, autour d'un programme partagé de gouvernement et des candidatures uniques dans l'ensemble des circonscriptions électorales. Ce rassemblement constitue un courant politique qui participe à la structuration du débat électoral en vue des élections législatives de 2022. Dans ces conditions, l'absence de comptabilisation, sous une nuance unique, des suffrages qui se porteront sur les candidats soutenus par la coalition " NUPES " (...) est susceptible de porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux à l'issue des deux tours de scrutin. »

Il le fait ensuite dans un souci d'équité, relevant, non sans malice, « que les suffrages portés sur les candidats des partis et formations composant la majorité présidentielle seront comptabilisés sous la seule nuance " Ensemble ! ". »

Il le fait enfin en contraignant le ministre de l'intérieur à mettre un terme à une double incohérence qui, ici, confine la mauvaise foi, ce dont le juge n'est dupe. Il est noté, d'une part, « que (les suffrages) portés sur les candidats investis par les partis et formations écologistes appartenant à la coalition " NUPES " seront comptabilisés sous la nuance " ECO " avec d'autres mouvements écologistes qui n'ont pas rejoint cette coalition » et d'autre part, que si « le ministre de l'intérieur fait valoir que la coalition " NUPES " n'a été constituée que récemment et qu'à la différence des partis et formations composant la majorité présidentielle, les partis et formations politiques de la coalition " NUPES " ont conservé leur autonomie pour l'investiture des candidats dans les circonscriptions électorales qu'elles se sont réparties, pour la campagne audiovisuelle et pour l'accès au financement public (...) » ce même ministre « regroupant (par sa circulaire), sous des nuances communes, des formations politiques totalement indépendantes les unes des autres, le critère de l'autonomie n'apparaît dès lors pas déterminant dans la définition des nuances ».

L'analyse est fine et sévère, montrant par là les limites d'un exercice confiant au ministre de l'intérieur le soin de distribuer un nuancier politique sur l'honnêteté intellectuelle duquel on peut s'interroger.

Reste cependant aussi qu’une « coalition » dont les composantes demeurent indépendantes les unes des autres et agissent tantôt ensemble tantôt séparément  a quelque mal à prouver qu’elle existe réellement.

(ord. réf. form. coll., 7 juin 2022, La France insoumise, Europe Ecologie les Verts, Génération.s, Génération Écologie, Les nouveaux Démocrates, le Parti communiste français, le Parti socialiste et la coalition la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), n° 464414)

 

113 - Référé suspension - Demande d'annulation des élections législatives des 12 et 19  juin 2022 - Requête manifestement irrecevable - Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA comme manifestement irrecevable devant le Conseil d'État la requête en référé suspension tendant à le voir annuler les élections législatives du 19 juin 2022.

Où la fertilité de l'imagination des plaideurs n'assure pas la fécondité du succès contentieux...

(ord. réf. 20 juin 2022, M. A., n° 465117)

V. n° 41

 

 

114 - Élections au conseil départemental - Irrégularité alléguée de procurations - Écart des voix - Demande de proclamer des inéligibilités - Absence de preuve de manoeuvres frauduleuses - Rejets.

La circonstance, prétendue, que sur 130 procurations, plusieurs dizaines d'entre elles auraient été établies irrégulièrement est sans effets sur les résultats du scrutin dès lors qu'au premier tour du scrutin, 556 voix séparaient le binôme arrivé en troisième position de celui arrivé en deuxième position et qu'au second tour, 271 voix séparaient les deux binômes restés en lice.

Par ailleurs, en l'absence de toute preuve que M. K. ou Mme F. auraient accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin, la demande de les déclarer inéligibles ne peut qu'être rejetée.

(17 juin 2022, M. H. et Mme B., Élections des conseillers du canton de Vesoul 2, n° 461890)

 

115 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Avis d'incompatibilité entre des fonctions exercées et des fonctions envisagées - Rejet.

Le juge des référés de l'art. L. 521-4 CJA rejette la demande de suspension de l'exécution  de la délibération de la HATVP contenant un avis d'incompatibilité à propos de l'exercice des fonctions de directeur d'activités au sein de la société Alliaserv ESNA avec les fonctions publiques exercées au cours des trois dernières années dans les services de la commune de Cenon.

Pour ce faire, il relève, pour l'essentiel, tout d'abord, qu'un contrat de performance énergétique chauffage, ventilation, climatisation, d'une durée de 6 ans et 8 mois, a été attribué le 21 avril 2021 par la commune de Cenon au groupement dont la société Alliaserv ESNA est le mandataire ainsi que le marché global de performance pour la construction d'un centre aqualudique, d'une durée totale de 138 mois, confié par la commune le 1er mars 2021 à un groupement dont la société Baudin Chateauneuf est le mandataire et dont la société Alliaserv ESNA est l'un des co-traitants.

Il relève ensuite que ces deux contrats ont fait l'objet de procédures de passation pilotées par la direction du patrimoine dont le requérant était à l'époque le directeur. Le juge précise que si ce dernier fait valoir qu'il ne disposait pas de délégation de signature pour conclure ces marchés, qu'il n'a pas participé avec voix délibérative au jury du concours, qu'aucun document écrit n'atteste qu'il a formalisé un avis à l'une quelconque des étapes du choix et que la commune bénéficiait dans les deux cas d'une assistance à maîtrise d'ouvrage, il n'en reste pas moins que les fonctions qu'il exerçait l'ont effectivement conduit à participer à de nombreuses étapes du processus d'analyse, de négociation et de sélection dans chacun des deux marchés.

Par suite, le moyen tiré de ce que la HATVP aurait inexactement appliqué les dispositions pénales en cause et commis une erreur dans l'appréciation du risque que les éléments constitutifs de l'infraction réprimée à l'article 432-13 du code pénal puissent être réunis, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

(ord. réf. 14 juin 2022, M. A., n° 464441)

 

Environnement

 

116 - Implantation d'éoliennes - Refus d'autorisation - Annulation par le juge administratif - Formation de tierces oppositions - Régime applicable - Rejet pour l'essentiel.

Diverses interventions n'ayant pas été admises par les premiers juges, cela donne l'occasion au Conseil d'État, outre l'examen des moyens de fond, de rappeler les principes qui gouvernent la tierce opposition en procédure administrative.

Tout d'abord, la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue en défense à un recours pour excès de pouvoir est recevable à interjeter appel du jugement rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre le jugement faisant droit au recours. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ».

Ensuite, la circonstance qu'une association justifie, eu égard à son objet social, d'un intérêt pour agir contre une décision administrative ne lui donne pas, de ce seul fait, qualité pour former tierce opposition au jugement par lequel un tribunal administratif a annulé la décision refusant cette autorisation, y compris lorsque le tribunal administratif a assorti son jugement d'une injonction tendant à la délivrance de cette autorisation, dès lors que l'autorisation ainsi délivrée peut être contestée par des tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement. Cette association n'est donc pas recevable à relever appel d'un tel jugement alors même qu'elle est intervenue en défense devant le tribunal administratif. Il en va de même de toute personne qui justifierait d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette décision administrative, dès lors que le jugement par lequel le tribunal administratif a annulé la décision refusant cette autorisation ne préjudicie pas à ses droits.

Également, celui dont l'intervention en défense n'a pas été admise par le tribunal administratif, s'il peut former appel contre le jugement en tant qu'il n'a pas admis son intervention, n'est en revanche pas recevable à contester le jugement en tant qu'il statue sur les refus de permis de construire contestés par la société demanderesse, dès lors qu'il ne justifie pas qu'il aurait eu qualité pour former tierce opposition à l'encontre de ce jugement.

Enfin, lorsque le juge administratif annule un refus d'autoriser une installation classée pour la protection de l'environnement et accorde lui-même l'autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions, la voie de la tierce opposition est ouverte contre cette décision aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, sans qu'ils aient à justifier d'un droit lésé. Le tiers peut invoquer tout moyen à l'appui de sa tierce opposition.

A cet égard, pour pouvoir contester une décision prise au titre de la police des installations classées, les tiers doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.

(1er juin 2022, Association Apache et autres, n° 441176 ; M. B., n° 441181 ; Commune de Richelieu, n° 481183, jonction)

(117) V. aussi, sur le régime de l'intervention dans le procès administratif : 14 juin 2022, Société Vilogia, n° 449416.

 

118 - Protection d'espèces d'oiseaux menacées - Connaissances scientifiques lacunaires à leur égard - Souci d'améliorer ces connaissances - Absence d'autorisation directe de prélèvements par le décret attaqué - Rejet.

L'association requérante, bien connue du juge administratif, poursuivait l'annulation du décret n° 2020-1092 du 27 août 2020 relatif à la liste des espèces soumises à gestion adaptative et demandait à la ministre de la transition écologique, à titre principal, de désinscrire la barge à queue noire, le courlis cendré, le grand-tétras et la tourterelle des bois de l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée et de les inscrire sur la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire prévue par l'arrêté du 29 octobre 2009 et, à titre subsidiaire, de prendre sur le fondement de l'article R. 424-14 du code de l'environnement des arrêtés suspendant la chasse de la barge à queue noire, du courlis cendré, du grand-tétras et de la tourterelle des bois.

Le Conseil d'État rejette le recours.

La chasse des espèces en cause est autorisée sur le territoire européen de la France et dans sa zone maritime. Le juge précise, se fondant notamment sur les dispositions des art. L. 425-16 et L. 425-17 du code de l'environnement, que si leur chasse, si elle n'est pas interdite, doit néanmoins être réglementée de manière à ce que le nombre maximal d'oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de ces espèces dans leur aire de distribution.

De là se déduit la juridicité du décret attaqué dans la mesure où son auteur, en l'état de connaissances scientifiques lacunaires sur ces oiseaux, vise à recueillir des données permettant d'améliorer ces connaissances scientifiques.

De plus, si ces espèces sont en mauvais état, ce n'est pas le décret litigieux qui est susceptibles d'aggraver cette situation mais les éventuels arrêtés pris sur sa base en tant qu'ils autoriseraient des prélèvements. C'est donc au ministre de la chasse qui reviendra, dans ses arrêtés, de satisfaire à l'exigence d'une régulation équilibrée de chaque espèce du point de vue écologique.

Par suite, d'une part c'est contre de tels arrêtés que devraient, le cas échéant, être dirigés les recours de la demanderesse, d'autre part, et pour le même motif, ne sauraient être retenue à l'encontre dudit décret l'atteinte aux principes de précaution et de conciliation (cf. art. L. 110-1 et L. 110-2 c. env. et art. 6 Charte de l'environnement).

(1er juin 2022, Association One Voice, n° 445616)

(119) V. aussi le rejet du recours de cette association dirigé contre le décret du 27 août 2020 relatif à la gestion adaptative des espèces, qui précise notamment la nature des informations recueillies par les chasseurs lors des prélèvements de spécimens d'espèces soumises à gestion adaptative et les modalités de leur transmission en application de l'article L. 425-20 du code de l'environnement : 1er juin 2022, Association One Voice, n° 445728.

(120) V. encore, rejetant un recours en suspension de l'exécution d'un arrêté ministériel en tant qu'il classe le renard roux sur la liste des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges : 7 juin 2022, Association Oiseaux-Nature, n° 464088.

(121) V. également, annulant  le refus du ministre chargé de la chasse de prendre un arrêté suspendant la chasse au grand tétras, espèce en mauvais état de conservation, ce refus ne respectant pas l'obligation qui résulte des objectifs de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages au motif, rédigé ici en termes de principe, que : « S'il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi l'ensemble des mesures qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent et si le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait en principe être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations, le refus de prendre une mesure déterminée est illégal dans l'hypothèse où l'édiction de cette mesure se révèle nécessaire au respect des obligations qui s'imposent aux autorités compétentes et où l'abstention de la prendre fait obstacle à ce qu'elles puissent être respectées ». : 1er juin 2022, Associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées, Nature en Occitanie, Nature Comminges, France Nature Environnement, Comité écologique ariégeois et Groupe ornithologique du Roussillon, n° 453232

 

122 - Police de l'eau - Cours d'eau - Débit minimal nécessaire à la continuité écologique sur la Mayenne - Exploitation de microcentrales hydroélectriques - Répartitition des débits attribués - Rejet.

Était contesté un arrêté préfectoral fixant  la répartition des débits des deux microcentrales hydroélectriques installées sur le seuil de la Richardière, sur la Mayenne. Après avoir vu rejeter son action en première instance puis en appel, la société requérante a saisi le juge de cassation en invoquant deux moyens, l'un et l'autre rejetés.

En premier lieu, la requérante jugeait illégale la fixation de l'ordre de priorité dans la répartition des débits autorisés entre la microcentrale qu'elle exploite et celle de la Société hydraulique d'études et de mission d'assistance (SHEMA). Pour rejeter ce moyen le juge relève, comme la cour administrative d'appel, que cette répartition évolue en fonction du débit moyen de la Mayenne et que pour reconnaître à la SHEMA une priorité d'attribution de débit le préfet a pu légalement retenir qu'à la différence de l'ouvrage de cette dernière celui de la requérante n'était pas équipé de turbines ichtyophiles ni de passes à anguilles.

En second lieu, il est jugé, confirmant l'arrêt d'appel, que si les dispositions du code de l'environnement relatives à la police de l'eau imposent de prendre en compte les droits des tiers ainsi que les droits et usages antérieurement établis, elles ne sauraient ni conduire l'autorité administrative à porter atteinte à la règle du débit minimal nécessaire pour garantir la continuité écologique, qui participe de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont le respect est prescrit par l'article L. 211-1 du code de l'environnement ni imposer, contrairement à ce que soutient le pourvoi, qu'un ordre de priorité soit fixé sur le fondement d'une antériorité d'exploitation. Le pourvoi est rejeté.

(22 juin 2022, Société de Lauture, n° 441187)

 

123 - Énergie nucléaire - Autorisation de mise en service d'une installation nucléaire de base (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés) - Défaut d'intérêt à agir - Délai de mise en service - Non respect - Conséquences - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire du 28 juillet 2020 autorisant la mise en service de l'installation nucléaire de base n° 173, dénommée Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés, exploitée par EDF sur le site du Bugey, dans la commune de Saint-Vulbas (Ain).

Tout d'abord, pour rejeter le recours des collectivités publiques genevoises, le Conseil d'État se fonde sur leur défaut d'intérêt intérêt direct et certain leur donnant qualité pour demander l'annulation de la décision attaquée. Il considère en effet « que l'installation litigieuse a pour objet de conditionner et d'entreposer des déchets activés produits dans le cadre, d'une part, du programme de démantèlement des centrales nucléaires dites " de première génération " et de la centrale de Creys-Malville, et, d'autre part, de l'exploitation, de la maintenance et d'éventuelles modifications des centrales nucléaires à eau pressurisée, dans l'attente de leur stockage définitif prévu par la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Il en résulte également que cette installation n'a vocation ni à produire de l'énergie, ni à fabriquer ou enrichir des combustibles nucléaires. Les collectivités requérantes sont situées à une soixantaine de kilomètres du site d'implantation de l'installation litigieuse et en amont du Rhône. »

Compte tenu de l'objet de l'activité ainsi exercée, des caractéristiques de l'installation et de leur éloignement du site, la République et Canton de Genève et la ville de Genève ne démontrent pas avoir un intérêt à agir.

Ensuite, concernant la procédure suivie et les critiques qui lui sont adressées par les autres requérants que ceux déclarés dépourvus d'intérêt à agir, le Conseil d'État indique que le décret du 2 novembre 2007 autorisant la création d'une installation nucléaire de base, y compris une installation dont la demande d'autorisation de création a été instruite selon les procédures prévues par le décret du 11 décembre 1963, fixe notamment le délai dans lequel cette installation doit être mise en service. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe qu'une nouvelle autorisation serait requise en cas de dépassement de ce délai, un tel dépassement ayant uniquement pour effet d'ouvrir la possibilité de mettre fin à l'autorisation de l'installation, après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire.

(22 juin 2022, République et Canton de Genève, ville de Genève et autres, n° 444945)

(124) V. aussi, assez voisin et également de rejet, la décision : 22 juin 2022, République et Canton de Genève, ville de Genève et autres, n° 451998.

Ces deux décisions soulèvent une importante question de principe qui est de savoir jusqu'à quel point il est légitime de faire prévaloir le seul le droit national (ici le droit français) du lieu d'application d'une décision de l'administration lorsque ses effets peuvent se produire, pour l'essentiel, tant en durée qu'en étendue et en gravité, sur le territoire d'un autre État. La souveraineté territoriale trouve ici, comme en bien d'autres matières environnementales, des limites ou des remises en cause sérieuses. La transnationalité des effets ou des risques n'est guère compatible avec la souveraineté de l'État et ce n'est pas l'existence d'un droit et - corrélativement - d'une obligation de réparer qui peut fonder la juste cause du droit de décider solitairement.

 

125 - Projet dénommé « Grand Paris » - Procédure d'évaluation des investissements publics (loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 et décret du 23 décembre 2013) - Contre-expertise - Cas de recours à cette procédure - Contre-expertise non versée au dossier d'enquête - Conséquences - Rejet.

Le décret du 23 décembre 2013 relatif à la procédure d'évaluation des investissements publics pris en application de la loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012, institue en certaines hypothèses une obligation de réaliser une contre-expertise indépendante en fonction de la part  du montant du financement d'un projet prise en charge par celles des personnes publiques mentionnées au II de l'art. 1er de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris lorsque ce financement atteint au moins 100 000 000 euros hors taxe et représente au moins 5 % du montant total hors taxe du projet d'investissement.

La présente espèce soulevait deux questions distinctes : celle des hypothèses concernées par la détermination de ce seuil et celle des conséquences du non versement de la contre-expertise au dossier de l'enquête publique.

Sur le premier point, le Conseil d'État interprète les dispositions précitées comme rendant obligatoire le recours à une contre-expertise non seulement pour un projet dont le montant de financement public dépasse les seuils qui y sont fixés, mais aussi, en cas de modification d'un projet déjà autorisé, soit lorsque la modification entraîne un dépassement des seuils de financement public prévus par cette disposition, soit lorsque la modification apportée porte elle-même sur des montants supérieurs à ces seuils.

Sur le second point, plus spécifique à l'espèce, il est jugé qu'alors même que le projet a déjà fait l'objet d'une contre-expertise, les modifications qui lui ont été ensuites apportées requéraient à nouveau une contre-expertise qui, précisément, n'a pas été déposée au dossier de l'enquête publique ainsi d'ailleurs que l'avis du secrétaire général pour l'investissement. Toutefois, il est jugé que l'analyse socio-économique qui figurait dans le dossier d'enquête indiquait clairement les différentes évolutions par rapport aux projections faites initialement et tenait compte des observations faites dans le cadre de la contre-expertise et par le secrétaire général pour l'investissement et y répondait. Dans ces conditions, l'absence de la contre-expertise et de l'avis du secrétaire général pour l'investissement dans le dossier d'enquête n'a pas été de nature à nuire à l'information du public ni à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

Certes, c'est là l'application d'une jurisprudence simplificatrice selon laquelle les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de cette enquête publique, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. On doit cependant regretter que des textes prévoient l'obligation de respecter des formes et procédures dont le juge décide ensuite que leurs omissions ou imperfections ne seront sanctionnées que de temps à autre. Il serait plus conforme à la démocratie de laisser au seul législateur le pouvoir de distinguer entre les formalités qu’il requiert à peine de nullité et celles dont le non respect est pour lui moins ou pas peccamineux. Ce serait plus conforme au respect du à la hiérarchie des normes que de laisser le juge, comme c’est le cas aujourd’hui, faire son marché au sein de la règle légale.

(22 juin 2022, Association France Nature Environnement Ile-de-France et autres, n° 450701)

 

État-civil et nationalité

 

126 - Personne déclarée « Mort pour la France » - Décès survenu en Algérie le 15 août 1956 - Demande de versement d'une pension de réversion (loi de finances pour 2011) - Demanderesse se prévalant d'un jugement rendu à titre rétroactif – Absence de l’État français en tant que partie à ce jugement - Absence d'opposabilité de celui-ci - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit l'arrêt d'appel estimant que le jugement du tribunal de Cherchell (Algérie), du 8 octobre 2006, authentifiant le mariage de la requérante avec un homme « mort pour la France » le 15 août 1956 et ordonnant son inscription à l'état-civil à titre rétroactif, rendu sans que l'État français n'ait été appelé à l'instance, n'était pas opposable à celui-ci et ne constituait qu'un élément de preuve susceptible d'être retenu par le juge pour apprécier si la date du mariage était établie de façon certaine. Le pourvoi est rejeté.

(14 juin 2022, Mme C., n° 455292)

 

127 - Actes d'état civil étrangers - Obligation de légalisation - Force probante d'un acte légalisé - Irrégularité de la légalisation - Effets - Avis de droit.

Le Conseil d'État a été saisi selon la procédure de l'art. L. 113-1 CJA de deux demandes d'avis de droit relatives à la légalisation des actes d'état civil étrangers et au régime juridique de ces actes.

Le Conseil  rappelle à titre liminaire que le régime de  la légalisation des actes publics étrangers destinés à être produits en France a été d'abord soumis à l'ordonnance d'août 1681 jusqu'à son abrogation par l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, puis, de cette date jusqu'à la loi du 23 mars 2019, par la coutume internationale reconnue par une jurisprudence établie du juge judiciaire.

L'absence de voie de recours possible contre les refus de légalisation a conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraires à la Constitution les dispositions des 1er et 3è alinéas du II de l'article 16 de la loi de 2019, tout comme le Conseil d'État a annulé le décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère pris en exécution de ces dispositions législatives déclarées inconstitutionnelles, l'un et l'autre juges ayant repoussé au 31 décembre 2022 les effets de ces annulations.

Les dispositions de la loi de 2019, qui se sont substituées à compter de leur entrée en vigueur comme fondement de l'exigence de légalisation à la coutume internationale, demeurent donc applicables jusqu'au 31 décembre 2022. C'est sur leur base que sont posées les questions auxquelles répond le présent avis de droit.
En premier lieu, il résulte de là l'existence d'une présomption légale selon laquelle dans l'acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, puisque la présomption ainsi instituée n'est qu'une présomption simple, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. 

En deuxième lieu, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. D'où il suit qu'en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
En troisième lieu, enfin, dès lors que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient.

Revenant aux cas des espèces qui sont à l'origine de sa saisine pour avis, le Conseil d'État indique que l'autorité administrative saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du CESEDA, doit fonder sa réponse, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.

(21 juin 2022, M.B., n° 457494 ; M. C., n° 458031, deux espèces, jonction)

 

128 - Nationalité française - Déchéance - Sanction dépourvue de caractère disproportionné - Rejet.

N'est pas entaché d'illégalité le décret prononçant la déchéance de la nationalité française d'un individu aux motifs qu'il a été condamné à une peine de six ans de prison assortie d'une période de sûreté de la moitié pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme et qu'il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal qu'il a rejoint en Syrie un groupe djihadiste affilié à Al-Qaida dont il adoptait l'idéologie djihadiste, a suivi un entraînement au maniement des armes, possédé une arme automatique et été en contact avec des combattants djihadistes sur zone.

Au regard de ces éléments, la mesure attaquée ne revêt point un caractère disproportionné.

(22 juin 2022, M. B., n° 455395)

 

129 - Attribution de la nationalité française - Fraude par omission de déclaration - Retrait d'un décret accordant cette nationalité - Article 27-2 du Code civil - Rejet.

N'est pas illégale la décision du premier ministre de rapporter un décret de naturalisation fondée sur ce que son bénéficiaire, pendant l'instruction de sa demande de naturalisation, a contracté mariage en Tunisie, où elle réside habituellement, avec une ressortissante tunisienne sans porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant cette demande, la survenue de ce mariage, lequel a constitué un changement de sa situation familiale. L'intéressé doit ainsi être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale.

Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil. 

(22 juin 2022, M. C., n° 457369)

 

130 - Nationalité française - Demande d'acquisition par mariage - Personne non assimilée à la communauté française - Refus - Rejet.

C'est sans illégalité au regard des dispositions de l'art. 21-4 du Code civil que pour refuser à une personne l'acquisition de la nationalité française par mariage le premier ministre s'est fondé sur ce que l'intéressé ne pouvait être regardé comme assimilé à la communauté française dès lors qu'il adopte un mode de vie caractérisé par une soumission des femmes qui ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment l'égalité entre les sexes, ainsi qu'il résulte notamment des propos qu'il a tenus au cours des entretiens menés par les agents du consulat général de France à Alger chargés de l'instruction de son dossier.

(22 juin 2022, M. B., n° 459548)

 

131 - Actes de l’état civil – Mention du nom de chacun des deux parents – Régime d’espacement des deux noms – Circulaires imposant l’existence seulement d’un espace – Interprétation exacte de la loi – Rejet.

La loi (art. 311-21 C. civ.) ayant prévu que les deux parents puissent donner à leurs enfants leurs deux noms de famille « accolés dans l'ordre choisi par eux », il s’ensuit que les circulaires du 25 octobre 2011 relative à la modification des modalités d'indication des « doubles noms » et du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation, en tant qu'elles imposent qu'un simple espace sépare les deux noms des parents qui souhaitent procéder à leur accolement pour leurs enfants en application de l'art. 311-21 du code civil ne fixent pas une règle nouvelle mais donnent de la loi une exacte interprétation : elles ne sont donc pas entachées d’incompétence.

Pas davantage, il ne saurait être sérieusement soutenu qu’en n’autorisant pas que l'accolement des deux parties des noms dévolus puisse se faire par tous les signes d'adjonction communément admis en langue française, ces circulaires porteraient atteinte au droit à la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention EDH, méconnaîtraient l'art. 2 de la Constitution et l'art. 111 de l'ordonnance d'août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts.

(21 juin 2022, M. E. et autres, n° 456840)

 

Étrangers

 

132 - Étranger mineur entré irrégulièrement en France - Étranger devenu majeur - Obligation de solliciter un titre de séjour - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) possible seulement en ce cas - Octroi d'une carte de séjour temporaire « salarié » ou « travailleur temporaire » sans effet sur l'obligation de solliciter un titre de séjour - Rejet.

L'étranger entré irrégulièrement en France alors qu'il était mineur a l'obligation, lorsqu'il est devenu majeur, de solliciter un titre de séjour dans les deux mois suivant l'accession à l'âge de dix-huit ans.

D'une part, ne saurait faire obstacle ou échec à cette obligation la circonstance qu'il ait été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qu'il puisse éventuellement se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », dans les conditions prévues à l'article L. 313-15 du CESEDA.

D'autre part, et en revanche, il ne peut faire l'objet d'une OQTF que s'il s'est abstenu de solliciter un titre pendant cette période.

Enfin, si l'autorité préfectorale doit, avant de prendre une décision portant obligation de quitter le territoire français, mettre l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permettre, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne, ne commet pas d'erreur de droit la juridiction qui, pour écarter le moyen pris de ce qu'en l'espèce le préfet aurait méconnu le droit de l'intéressé d'être entendu, faute pour lui d'avoir bénéficié de l'assistance d'un interprète lors de la notification de la décision contestée, relève qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que cette assistance lui aurait été nécessaire dès lors qu'il avait lui-même déclaré savoir lire et comprendre le français lors de la notification de l'arrêté.

(1er juin 2022, M. A., n° 441736)

 

133 - Demande de titre de séjour - Importance de cet acte pour le séjour et l'éventuel emploi d'un étranger - Nécessité d'une fixation du rendez-vous en préfecture dans un délai raisonnable - Dysfonctionnement constaté de la procédure de formalités préalables en ligne - Possibilité de saisir le juge du référé (L. 521-3 CJA) - Pouvoir du juge - Rejet - Infliction d'une amende pour recours abusif - Annulation.

Cette décision traduit une fois de plus le mouvement jurisprudentiel d'accentuation de la pression exercée sur l'administration des étrangers dans un souci du traitement raisonnable des dossiers.

En l'espèce, il est jugé que doit être fixée dans un délai raisonnable la date du rendez-vous en préfecture pour l'étranger candidat à l'obtention d'un titre de séjour car ce dernier est très important pour son séjour et, le cas échéant, pour travailler.

Lorsque cette démarche doit être précédée de formalités devant être effectuées en ligne et qu'il est établi un dysfonctionnement du système télématique en cause, l'étranger peut saisir le juge du référé mesures utiles afin qu'il enjoigne au préfet de fixer, dans un délai que le juge détermine, la date du rendez-vous. A cet effet, ce juge doit tenir compte de la situation concrète de l'intéressé ainsi que de son comportement et des données concrètes du dossier.

En l'espèce, le juge des référés est approuvé d'avoir apprécié qu'il n'y avait pas urgence à statuer en mai 2021 sur ce litige dès lors que le demandeur a fait l'objet, le 8 novembre 2017, d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français à laquelle il n'a pas déféré.

En revanche, est annulée la décision du juge d'infliger à l'intéressé une amende pour requête abusive car celle-ci est fondée sur la circonstance que l'intéressé avait antérieurement déjà présenté la même demande, qui avait été rejetée par ordonnance du 29 mars 2021 pour les mêmes motifs. Or, relève le Conseil d'État, eu égard à l'objet même de sa demande M. A. pouvait considérer que l'écoulement du temps était de nature à davantage caractériser la situation d'urgence qu'il invoquait, sa requête a donc inexactement été qualifiée d'abusive. 

La solution est très « bienveillante »…

(9 juin 2022, M. A., n° 453391)

(134) V. aussi, largement fondée sur les mêmes principes de raisonnement, l'importante décision (d'ailleurs promise à une publication au Recueil Lebon) par laquelle le Conseil d'État juge - dans un litige relatif à des demandes afghanes de visas pour réunification familiale (V. sur ce point : Assemblée, 2 décembre 1994, Agyepong, Rec. p. 523 ; 10 juin 2011, Mulenda Zangela, Rec. p. 290) - que si aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne fixe de délai déterminé dans lequel l'autorité consulaire serait tenue de recevoir l'étranger désireux d'obtenir un visa au titre de la réunification familiale, toutefois, en raison de l'importance pour les intéressés d'obtenir un tel titre « il incombe à l'autorité consulaire saisie d'une demande de visa au titre de la réunification familiale, accompagnée des justificatifs d'identité et des preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, de convoquer ces personnes afin de procéder, notamment, aux relevés de leurs empreintes digitales, puis à l'enregistrement de leurs demandes dans un délai raisonnable. » Ce qui confirme une jurisprudence antérieure (10 juin 2020, M. Bhiri, Rec. T. p.780 et 918).

Au terme d'une analyse très fouillée et précise de l'ensemble des mesures prises par les autorités françaises tant nationales que dans les postes consulaires d'Islamabad, de Téhéran et de New-Delhi, le juge déclare que la requête dont il est saisi est devenue sans objet et qu'il n'y a donc plus lieu d'y statuer : 9 juin 2022, M. T. et Mme A. et autres, n° 455754.

(135) V. encore, dans la même lignée, assez audacieux même s'il débouche sur un rejet, l'arrêt jugeant, à propos de demandes de visas pour l'épouse et les huit enfants mineurs d'un réfugié afghan, que lorsque l'autorité consulaire, saisie d'une demande de visa pour réunification familiale, s'abstient de convoquer le demandeur pendant deux mois, naît une décision implicite de refus de convoquer, dont il peut être demandé l'annulation et, le cas échéant, la suspension de l'exécution sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA : 9 juin 2022, M. B., n° 457934.

(136) V. également, identique au précédent mutatis mutandis : 9 juin 2022, M. A., n°457936

(137) V. enfin, rejetant pour défaut d'urgence la demande de suspension de l'absence de rendez-vous en dépit de l'impossibilité alléguée par la requérante d'y parvenir en se connectant au site internet de la préfecture : ord. réf. 22 juin 2022, Mme B., n° 461563.

 

138 - Demande de titre de séjour refusée sur le fondement d'un texte - Demande adressée au juge du référé suspension de lui délivrer ce titre sur la base d'une autre disposition - Obligation de saisir l'administration en vue de sa régularisation - Décision échappant à l'office du juge du référé liberté - Rejet.

L'étrangère qui s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour en application du 1° de l'art. R. 431-5 du CESEDA et dont le recours dirigé contre ce refus est rejeté par le juge, ne saurait demander à celui-ci, en faisant valoir qu'elle remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur d'autres fondements, d'enjoindre au préfet de police de Paris de lui délivrer un récépissé de renouvellement de titre de séjour dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir car une telle demande n'entre pas dans l'office du juge du référé liberté, l'intéressée n'ayant pas, préalablement, présenté à l'administration une demande de régularisation.

(ord. réf. 20 juin 2022, Mme A., n° 464258)

 

139 - Séjour des étrangers - Décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou prolongeant la durée de cette interdiction - Procédure contentieuse - Extension à cette matière des dispositions de l'art. L. 614-5 du CESEDA.

Un tribunal administratif a interrogé le Conseil d'État sur la question de savoir si les recours formés contre les décisions portant prolongation d'une interdiction de retour sur le territoire français prises à l'encontre d'un étranger en application de l'article L. 612-11 du CESEDA doivent être présentés, instruits et jugés selon les modalités prévues aux articles L. 614-5 du CESEDA et R. 776-13-1 et suivants du CJA ?

Adoptant une démarche particulièrement constructive, le juge déduit de diverses dispositions du CESEDA et de l'art. R. 776-3 du CJA que la procédure contentieuse applicable à la contestation d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français relève du régime applicable à la contestation de la décision portant obligation de quitter le territoire français qu'elle accompagne ou, lorsque la décision d'interdiction de retour est prise postérieurement à celle-ci, et en l'absence d'assignation à résidence ou de placement en rétention, de la procédure prévue par l'article L. 614-5 du CESEDA. 

Il estime également qu'il résulte de l'économie générale de ces mêmes dispositions que la procédure prévue par l'article L. 614-5 est également applicable, en l'absence d'assignation à résidence ou de placement en rétention, à la contestation des décisions prolongeant les interdictions de retour, prises en application de l'article L. 612-11 du CESEDA. 

Voilà une bien utile clarification qui montre, une fois de plus, l'invraisemblable fatras rassemblé dans l'illisible CESEDA.

(Avis, 9 juin 2022, M. B., n° 462143)

 

140 - Étranger - Mesure d'éloignement - Préfet de département compétent pour la prendre - Choix du lieu de résidence ou de celui de l'interpellation ou du fondement retenu pour prononcer l'OQTF - Cas d'une mesure d'éloignement fondée sur le rejet définitif d'une demande de protection internationale - Avis de droit.

Saisi d'une demande d'avis (cf. art. L. 113-1 CJA) en ce sens, le Conseil d'État apporte les précisions suivantes concernant la détermination du préfet de département compétent dans diverses situations de prononcé d'une obligation de quitter le terrtoire français (OQTF).

Tout d'abord et à titre principal, le préfet territorialement compétent pour édicter la décision portant obligation de quitter le territoire français est celui qui constate l'irrégularité de la situation au regard du séjour de l'étranger concerné. De ce chef, il est indifférent que cette mesure soit liée à une décision refusant à ce dernier un titre de séjour ou son renouvellement, au refus de reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire, ou encore au fait que l'étranger se trouve dans un autre des cas énumérés à l'article L. 611-1 CESEDA.

Ensuite, en toute hypothèse, le préfet du département où se trouve le lieu de résidence ou de domiciliation de l'étranger est toujours compétent à cet effet.

Enfin, dans le cas où l'irrégularité de la situation de l'étranger a été constatée dans un autre département, le préfet de ce département est également compétent. Il peut donc exister en ce cas une dualité d'autorités compétentes.

Ceci clarifie de façon très opportune et avec grande simplcité des situations confuses dont le nombre est assez élevé.

(13 juin 2022, M. B., n° 459555)

 

Fonction publique et agents publics - Agents des services publics

 

141 - Professeur de l'enseignement supérieur - Exercice, sans autorisation, d'activités privées et publiques lucratives en sus de ses obligations de service - Manquements divers dans l'exercice de ses fonctions administratives et pédagogiques au sein de son université - Sanction fondée et proportionnée - Rejet.

Le Conseil d'État, statuant en premier et dernier ressort s'agissant d'un litige relatif à un fonctionnaire nommé par décret du président de la république, juge fondée et proportionnée la sanction de suspension de six mois de ses fonctions sans privation de son traitement, prise par un président d'université à l'encontre d'un professeur de son université pour l'exercice, sans autorisation, en sus de ses obligations professionnelles, d'activités privées (dans une entreprise) et publiques (dans une autre université) lucratives, ce qui a eu pour conséquence des dysfonctionnements sérieux sur l'accomplissement des activités pédagogiques et administratives dont l'intéressé avait la charge dans sa propre université.

(1er juin 2022, M. B., n° 458362)

 

142 - Fonction publique et agents de l'État - Principe d'égalité - Réservation aux seuls syndicats représentatifs du droit d'assister un agent de l'État exerçant un recours administratif à l'encontre de décisions défavorables - Question non nouvelle mais de caractère sérieux - Transmission d'une QPC.

(1er juin 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460759)

V. n° 173

 

143 - Agent d'une chambre de commerce et d'industrie (CCI) – Demande d’indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cotisation de la CCI employeur - Caractère éventuel du préjudice et prescription quadriennale - Erreurs de droit - Annulation.

(10 juin 2022, M. D., n° 452733)

V. n° 178

 

144 - SNCF - Agents faisant l'objet de mesures de suspension à titre conservatoire - Engagement d'une procédure disciplinaire - Dispositions du code du travail applicables sauf  dispositions propres au statut du personnel de la SNCF ayant le même objet - Absence en l'espèce - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant, salarié protégé de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, a fait l'objet de la part de la ministre du travail, d'une autorisation de licenciement qu'il a contestée en vain en première instance et en appel, d'où son pourvoi.

Il résulte de l'art. L. 2111-1 du code du travail que les dispositions du livre Ier et du livre IV de la deuxième partie de ce code  - relatives notamment aux syndicats professionnels, au délégué syndical ou au représentant de section syndicale, ainsi qu'à leur protection - s'appliquent au personnel des entreprises publiques soumises à un statut règlementaire, tel que le personnel de la SNCF, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.

La question se posait donc de savoir si, en l'espèce, l'on se trouvait - ou non - en présence de dispositions particulières dérogeant au code du travail.

Les dispositions du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel prévoient pour les agents faisant l'objet d'une mesure de suspension à titre conservatoire, qui s'apparente à une mesure de mise à pied sans suspension du salaire, suivie de l'engagement d'une procédure disciplinaire, des règles particulières comportant notamment en fin de procédure l'intervention du conseil de discipline.

Cependant, aucune de ces règles ne fixe de délai pour la saisine de l'inspecteur du travail lorsque, s'agissant d'un salarié protégé, sa radiation ou son licenciement est envisagé.

Par suite, ces dispositions du statut ne peuvent être interprétées comme ayant fixé une règle particulière dérogeant à celles du code du travail figurant au deuxième alinéa de l'article R. 2421-6 du code du travail, dont il résulte que la demande de licenciement doit être adressée dans les huit jours à compter de la consultation du conseil de discipline, au cas où un agent de la SNCF ayant la qualité de représentant d'une section syndicale est susceptible d'être radié à l'issue d'une période de suspension conservatoire.

Ainsi les juges du fond ont commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article R. 2421-6 précité ne s'appliquaient pas aux agents de la SCNF ayant la qualité de salarié protégé, dès lors qu'aucune disposition législative ne le prévoit et qu'elles ne sont pas plus favorables que celles résultant de leur statut, en particulier, en ce qui concerne la procédure disciplinaire. 

L'arrêt d'appel confirmatif est cassé.

(20 juin 2022, M. A., n° 435266)

 

145 - Classes préparatoires - Professeur de chaire supérieure - Service statutaire - Décision réduisant le nombre des heures supplémentaires - Compétence de l'auteur de la mesure et légalité de celle-ci - Erreur de droit - Annulation.

Le proviseur d'un lycée tire de cette qualité la compétence pour fixer et, le cas échéant, modifier le service d'enseignement assuré dans sa discipline par la requérante, dans le respect de son statut de professeure de chaire supérieure.

Est légale la décision par laquelle le proviseur a retiré à l'intéressée les enseignements magistraux qu'assurait celle-ci dans la classe 2PSI « étoile » en physique et sciences de l'ingénieur et lui a attribué, toujours en classe préparatoire, des enseignements en première année de physique et sciences de l'ingénieur. Par cette décision, il n'a ni « modifié la chaire » sur laquelle l'intéressée avait été affectée, ni incompétemment modifié son affectation, alors qu'il s'est borné à lui attribuer un nouveau service d'enseignement dans sa discipline. Il en va ainsi alors même que la décision querellée a eu pour effet de réduire les heures d'enseignement accomplies par la demanderesse au-delà de ses obligations statutaires et ainsi sa rémunération effective.

La décision contraire rendue par la cour administrative d'appel est annulée.

(20 juin 2022, Mme A., n° 440778)

 

146 - Fonction publique - Tableau d'avancement d'enseignants - Critères de classement - Tableau établi en application d'une note de service - Incompétence d'un recteur d’académie pour fixer des règles de nature statutaire - Ajout illégal à un décret - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Annulation.

(21 juin 2022, M. B., n° 443455)

V. n° 8

 

147 - Modalités d'accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant  - Ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances - Contrôle contentieux des ordonnances non ratifiées passé le délai d'habilitation - Recherche de la diversification des profils des élèves admis à suivre un cycle préparatoire - Conditions de ressources - Condition de résidence dans un quartier prioritaire - Discrimination - Rejets.

I - La requérante soutenait l'illégalité de divers textes réglementaires (ordonnance de l'article 38, décret et arrêtés) en tant qu'ils établissent pour des publics défavorisés des règles d'accès dérogatoires à certaines écoles de service public. Elle entendait dénoncer un recrutement non au mérite et aux qualités mais fondé sur la condition sociale ou sur celle de résidence dans certains quartiers.

Cette critique est rejetée encore qu'elle soulève de réelles questions fondamentales comme l’érection du darwinisme en norme légale ou encore le caractère non nécessaire d'un haut niveau en matière de fonction publique supérieure ce que démontre a contrario le fait que de telles solutions ne sont pas retenues pour la délivrance du diplôme de médecin ou l'admission au corps de ballet de l'Opéra de Paris, fonctions souffrant guère l’à peu-près ou l’amateurisme.

Ainsi sont donc rejetés les moyens tirés de l'atteinte portée aux principes d'égalité et d'égal accès aux emplois publics, ou également du fait des critères retenus pour l'attribution de bourses de l'enseignement supérieur ou pour l'accès facilité à ces filières notamment en raison de la résidence dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, une zone de revitalisation rurale ou une collectivité située outre-mer, ces critères ne servant qu'à départager des candidats en cas d'égalité de mérite.

Les mêmes objections sont également rejetées quand elles sont formulées à l'encontre des conditions d'accès aux cycles de formation.

II - La décision se signale aussi par ce qu'elle précise à propos des recours dirigés contre les dispositions non ratifiées d'une ordonnance de l'art. 38.

Après avoir rappelé les conséquences résultant de la jurisprudence récente et incongrue du Conseil constitutionnel admettant que des QPC soient posées à l'encontre de telles ordonnances lorsqu'elles sont fondées sur la violation d'un droit ou d'une liberté constitutionnellement garanti, le Conseil d'État ajoute ceci qui n'est pas nouveau mais dont la ferme réitération n'est pas innocente : Nonobstant cette jurisprudence, le juge administratif peut annuler l'ordonnance dont il est saisi par voie d'action ou peut écarter son application au litige dont il est saisi, si elle est illégale pour d'autres motifs, y compris du fait de sa contrariété avec d'autres règles de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution garantit. A ce titre, le requérant a le choix des moyens qu'il entend soulever, en particulier lorsque des principes voisins peuvent trouver leur source dans la Constitution, dans des engagements internationaux ou dans des principes généraux du droit. 

A bon entendeur, salut.

(20 juin 2022, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, n° 451852 et n° 452060)

 

148 - Auditeur de justice stagiaire - Refus de titularisation en fin de stage - Déclaration d'inaptitude à l'exercice des fonctions judiciaires - Mesure prise en considération de la personne sans caractère disciplinaire - Absence de droit de l'intéressée à faire valoir ses observations - Décision non soumise à l'obligation de motivation - Rejet.

La requérante demandait notamment l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part de la décision du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 la déclarant inapte à l'exercice des fonctions judiciaires et d'autre part, de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice mettant fin à ses fonctions d'auditrice de justice.

Il faut retenir surtout de cette décision de rejet, parmi les nombreux moyens qui y sont examinés, le rappel par le juge du régime juridique des refus de titularisation en fin de stage dans la fonction publique.

Tout d'abord, la situation de l'agent public stagiaire est probatoire et provisoire.

Ensuite, il découle de cela qu'alors même que la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de façon générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne, elle n'est pas - sauf à revêtir le caractère d'une mesure disciplinaire - au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de faire valoir ses observations ou de prendre connaissance de son dossier.

Enfin, cette décision n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et les règlements.

Les mêmes règles et principes s'appliquent à la décision par laquelle le jury de classement décide, sur le fondement de l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, d'écarter de l'accès aux fonctions judiciaires un auditeur de justice en raison de son inaptitude à ces fonctions.

(22 juin 2022, Mme E., n° 444254 et n° 444260)

(149) V. aussi, voisine - en ce qu’elle porte sur un refus de titularisation et un licenciement - quoique comportant en outre d’autres aspects, notamment de procédure contentieuse, la décision : 24 juin 2022, M. B., n° 438227.

(150) V. également, concernant le rejet d’un pourvoi dirigé contre un arrêt rejetant la demande d’annulation du refus de titulariser la requérante dans le corps des maîtres de conférences des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministère de l'agriculture après prolongation d’une année de son année de stage et fondé sur ce que malgré des éléments favorables, la stagiaire n'était pas dénuée de défaillances en matière pédagogique : 29 juin 2022, Mme C., n° 439974.

 

151 - Praticiens hospitaliers et internes - Fixation du temps de travail par demi-journées - Indétermination de la durée d'une demi-journée - Établissement à titre prévisionnel d'un tableau de service nominatif mensuel - Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande tendant à l'adoption d'une réglementation imposant le décompte horaire du temps de travail des internes et des praticiens hospitaliers et instituant une sanction en cas de méconnaissance par les établissements publics de santé des règles relatives à la limitation de ce temps de travail.

En réalité, les textes régissant le temps de travail des praticiens hospitaliers fixent leurs obligations de service hebdomadaires à dix demi-journées lorsqu'ils exercent à temps plein, sans que leur durée de travail ne puisse excéder quarante-huit heures par semaine, cette durée étant calculée en moyenne sur une période de quatre mois. De façon similaire, les textes régissant la durée de service des internes la fixent à dix demi-journées, dont huit demi-journées de stage et une demi-journée de temps de formation hors stage, qui ne peuvent excéder quarante-huit heures par période de sept jours, calculées en moyenne sur le trimestre, ainsi qu'une demi-journée de temps personnel de consolidation des connaissances et des compétences, qui n'est pas décomptée comme du temps de travail effectif.

Or aucune disposition du code de la santé publique ne définit la durée d'une demi-journée, notamment en termes de nombre d'heures qu'elle comporte.

Pour rejeter le recours et contourner la difficulté ainsi créée, le Conseil d'État recourt à un tour de passe-passe.

Il relève d'abord que, pour organiser et suivre l'accomplissement des obligations de service des praticiens hospitaliers et des internes, l'établissement qui les emploie, d'une part, conformément aux dispositions des articles R. 6153-2-2 et R. 6153-2-3 du code de la santé publique, établit à titre prévisionnel un tableau de service nominatif mensuel comportant leurs périodes de travail et, d'autre part, leur transmet un récapitulatif tous les quatre mois, pour les praticiens hospitaliers, et tous les trois mois, pour les internes.

Ensuite - car pour autant de tels tableaux ne résolvent pas la difficulté que l'on vient de signaler - le Conseil d'État considère que les dispositions précitées « impliquent également nécessairement que les établissements publics de santé se dotent, en complément des tableaux de services prévisionnels et récapitulatifs qu'ils établissent, d'un dispositif fiable, objectif et accessible permettant de décompter, selon des modalités qu'il leur appartient de définir dans leur règlement intérieur, outre le nombre de demi-journées, le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque agent, afin de s'assurer que la durée de son temps de travail effectif ne dépasse pas le plafond réglementaire de quarante-huit heures hebdomadaires, calculées en moyenne sur une période de quatre mois pour les praticiens hospitaliers et de trois mois pour les internes. » Cette façon de raisonner ne répond pas à la question car une fois décompté le nombre total d'heures effectuées afin de vérifier le non dépassement du plafond européen de 48 heures hebdomadaires on ne sera pas plus avancé quant à la détermination du nombre de demi-journées effectuées ou devant l'être. Quant au nébuleux renvoi à « des modalités qu'il appartient (aux hôpitaux) de définir dans leur règlement intérieur » il introduit le risque, illégal et incohérent, d'une fixation en nombre d'heures de la durée d'une demi-journée propre à chaque structure hospitalière compétente. Ce n'est guère pensable.

Il eût été plus judicieux que le juge fixe, comme il sait très bien le faire, une durée raisonnable de la demi-journée, quatre heures par exemple, à charge pour le pouvoir réglementaire ou législatif, sorti de sa torpeur normative sur le sujet et n'étant pas, éventuellement, d'accord, d'en fixer par la suite une autre.

(22 juin 2022, Syndicat des jeunes médecins, n° 446917)

(152) V. aussi, largement comparable un autre rejet sur le même sujet par une décision où l'on peut lire - ce qui est inexact - que l'organisation « requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de fixer la valeur horaire d'une demi-journée, les dispositions attaquées exposeraient les internes à des inégalités de traitement. » : 22 juin 2022, Intersyndicale nationale des internes, n° 446944.

(153) V. également, comportant même rejet et même affirmation erronée : 22 juin 2022, Association Action praticiens hôpital, n° 447003.

 

154 - Agent public - Plongeuse à la cuisine d'un ministre - Suspension de ses fonctions - Demande de protection fonctionnelle - Refus de cette protection annulé - Contestation du ministre rejetée.

Une personne exerçant les fonctions de plongeuse dans la cuisine du cabinet d'un ministre est suspendue de ses fonctions pour quatre mois et essuie un refus du ministre de lui accorder la protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral et de violences à caractère sexiste et sexuel.

Saisi par l'intéressée, le juge du référé a suspendu l'exécution de cette décision de refus en estimant que l'intéressée avait été victime de tels faits et qu'elle n'avait pas commis de faute personnelle.

Le ministre se pourvoit contre l'ordonnance de suspension.

Son recours est rejeté en ses deux chefs.

En premier lieu, le juge des référés ayant fait droit aux conclusions tendant à la suspension de la décision implicite refusant d'accorder la protection fonctionnelle,  le ministre de l'éducation nationale n'est évidemment pas recevable à contester l'ordonnance en tant qu'elle a omis de statuer sur les mêmes conclusions de l'intéressée dirigées contre la même décision de refus, prise cette fois explicitement.

En second lieu, en jugeant comme il l'a fait à propos de la victime, le juge des référés n'a pas dénaturé les pièces du dossier.

(22 juin 2022, ministre de l'éducation nationale..., n° 458141 et n° 458152)

 

155 - Concours national d’agrégation des professeurs de droit (droit privé et sciences criminelles 2020-2021) – Contestation de la nomination du président du jury, de certains membres du jury, des résultats d’admission, des nominations et des affectations des impétrants – Invocation d’irrégularités multiples – Rejet.

Par cette décision, longue en raison du nombre et de la diversité des moyens articulés à l’encontre des décisions contestées, est rejeté le recours d’un candidat, par ailleurs défaillant à la dernière épreuve de « spécialité » devant être préparée en loge.

Le lecteur intéressé se reportera au texte de cette décision dont les développements ne peuvent être traités dans le cadre de cette Chronique mais qui soulève nombre de questions récurrentes dont plusieurs ne sont pas négligeables.

(15 juin 2022, M. H., n°446348)

 

156 - Fonctionnaire invoquant des faits de harcèlement moral – Régime d’établissement de ces faits – Absence d’obligation d’établir la preuve des faits – Faits permettant la naissance d’une présomption d’existence du harcèlement – Erreur de droit – Annulation.

Un ouvrier professionnel des établissements d'enseignement de la fonction publique d'État détaché auprès du département du Var en qualité d'adjoint technique territorial principal de 2ème classe au collège « Les Eucalyptus » d'Ollioules a demandé en vain aux juges de premier degré et d’appel l’indemnisation du préjudice subi du fait d'un harcèlement moral dont il s'estimait victime ainsi qu'au titre d'un dysfonctionnement des services résultant d'un manquement à l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des agents.

La cour administrative d’appel, dans son arrêt confirmatif, avait rejeté les demandes du requérant motif pris de ce qu’il n'établissait pas avoir été victime d'une situation de harcèlement moral.

Ce dernier se pourvoit et c’est l’occasion pour le juge de cassation d’indiquer à nouveau le régime juridique d’établissement des faits de harcèlement moral, matière délicate s’il en est.

L’exigence attachée à l’établissement des faits dénoncés comme étant de harcèlement moral est ainsi rappelée : « Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. » 

Il est reproché à la cour d’avoir en réalité exigé du demandeur qu’il rapporte la preuve des faits dénoncés alors « qu'il lui appartenait seulement, en vertu des règles d'administration de la preuve (…), d'apporter des éléments de fait de nature à faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ».

L’erreur de droit ainsi commise conduit à la cassation avec renvoi de l’arrêt déféré à la censure du Conseil d’État.

(24 juin 2022, M. B., n° 444568)

 

157 - Institution de comités sociaux d’administration au sein de certains ministères -  Critique pour illégalité – Demande de référé suspension non accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet (art. L. 522-3 CJA).

Rappel et sanction de la règle élémentaire de procédure qu’une requête en référé suspension doit, à peine d’irrecevabilité insurmontable, être accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir de la décision dont la suspension est demandée.

(27 juin 2022, Syndicat professionnel Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés (UATS-UNSA), n° 465275)

 

Hiérarchie des normes

 

158 - Polynésie française – Dispositions du code l’éducation (art. R. 914-57 et R. 914-58) – Applicabilité ou non dans ce territoire – Portée et place hiérarchique de la loi du 17 juillet 1986 et de la loi organique du 27 février 2004 (art. 7 et 14) – Répartition des compétences entre l’État et le territoire de Polynésie française – Cas des agents publics - Détermination de la qualité d’agents publics – Art. 9 de la loi du 17 juillet 1986 inconciliable avec le principe de compétence exclusive de l’État en cette matière – Disposition abrogée par la loi organique – Exclusivité de la compétence d’État en matière d’agents publics.

La cour d’appel de Papeete a été saisie de demandes de requalification en contrats à durée indéterminée de contrats d’engagement des requérantes qui ont exercé les fonctions de maître délégué au sein d'établissements scolaires en Polynésie française en exécution de plusieurs contrats à durée déterminée conclus avec le vice-recteur de la Polynésie française.

Elle a relevé que ces contrats, qui portent visa des articles R. 914-57 et R. 914-58 du code de l'éducation, rendus applicables en Polynésie française, avaient été conclus sous une forme différente et pour un motif autre que ceux limitativement énumérés par le code du travail polynésien pour autoriser le recours au contrat à durée déterminée. 

Elle a donc sursis à statuer et renvoyé au Conseil d’État la question préjudicielle portant sur la légalité, au regard de la loi du 17 juillet 1986 et des articles 7 et 14 de la loi organique statutaire du 27 février 2004, des articles R. 914-57 et R. 914-58 du code de l'éducation en tant qu'ils s'appliquent en Polynésie française en vertu de l'article R. 973-1 du même code.

Le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la « fonction publique civile et militaire de l'État » et le « statut des autres agents publics de l'État » sont au nombre des matières pour lesquelles les autorités de l'État sont compétentes. Il résulte, en outre, de l'article 7 de la même loi organique, dans sa rédaction antérieure à la loi organique du 5 juillet 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, applicable aux contrats en litige, que les dispositions législatives et réglementaires relatives aux « statuts des agents publics de l'État » sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière. Or le Conseil d’État relève que si l’art. 31 de cette loi organique permet aux autorités de Polynésie de participer à l’exercice des compétences que l’État  conserve en matière législative et réglementaire, le régime des agents publics de l’État ne figure pas dans les matières limitativement énumérées dans lesquelles peut s’opérer cette participation.

Ensuite, l'article 1er de la loi du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et des tribunaux du travail en Polynésie française dispose : « La présente loi est applicable dans le territoire de la Polynésie française (...).

Elle s'applique à tous les salariés exerçant leur activité dans le territoire.

Elle s'applique également à toute personne physique ou morale qui emploie lesdits salariés.

Sauf dispositions contraires de la présente loi, elle ne s'applique pas aux personnes relevant d'un statut de droit public (...) ».

Comme cette dernière réserve, relative aux personnes relevant d'un statut de droit public, ne vise que les agents régis par le titre premier du statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales, il s'ensuit que les agents contractuels de l'État et de ses établissements publics administratifs employés en Polynésie français étaient régis par les dispositions de la loi du 17 juillet 1986, avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 8 de la loi du 5 juillet 2019 portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, qui prévoit désormais que « les agents non titulaires de l'État régis par le droit privé sont placés sous un régime de droit public à compter du 1er juillet 2021 lorsqu'ils travaillent pour le compte d'un service public administratif en Polynésie française ». 

Enfin, en vertu de la jurisprudence dite Berkani (TC 25 mars 1996, n° 03000, Rec. Lebon p. 535), sauf dispositions législatives contraires, ont la qualité d'agents publics tous les personnels non statutaires travaillant pour le compte d'une personne publique gérant un service public administratif, quel que soit leur emploi.

Il suit donc de là cette première conséquence que la loi du 17 juillet 1986, en soumettant de tels personnels en Polynésie française à ses dispositions, n'a pas eu pour effet de les priver de leur qualité d'agent public.

Il suit également de là cette seconde conséquence que les dispositions de l’art. 9 de la loi du 17 juillet 1986, en renvoyant à une délibération de l’assemblée de la Polynésie française la fixation des cas et des conditions dans lesquels un contrat de travail peut être conclu à durée déterminée lorsque ce contrat est conclu entre un agent public et l'État, sont inconciliables avec le principe de la compétence exclusive de l'État pour fixer le statut de ses agents publics, qui découle de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004. 

Ces dispositions doivent donc être considérées comme ayant été abrogées par l’art. 196 de la loi organique qui a abrogé toutes les dispositions contraires à cette loi organique.

(27 juin 2022, Mme A. et Mme E., n° 452552)

 

 

Libertés fondamentales

 

159 - Formations de santé - Institution à titre expérimental d'échanges entre les formations dispensées entre universités et établissements d'enseignement privés - Mise en place d'enseignements communs - Atteintes à la liberté de l'enseignement, à la liberté contractuelle, au principe d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle - Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret n° 2020-553 du 11 mai 2020 relatif à l'expérimentation des modalités permettant le renforcement des échanges entre les formations de santé, la mise en place d'enseignements communs et l'accès à la formation par la recherche. Elle invoquait des moyens de légalité externe qui ne nous retiendrons pas et des moyens de légalité interne tournant pour l'essentiel autour de la liberté d'enseignement.

Ils sont tous rejetés.

Pour dire que le décret attaqué ne porte pas atteinte à la liberté de l'enseignement, le juge retient que ce dispositif de conventionnement, s'il réserve aux universités l'initiative d'une telle expérimentation, ne porte cependant pas atteinte au caractère propre des établissements privés et ne les empêche pas de créer, de gérer ou de financer de tels établissements. Les dispositions de ce décret n'ont en outre pas pour effet d'interdire à ces établissements de délivrer des formations.

Semblablement, pour rejeter le grief d'atteinte à la liberté d'entreprendre, au principe de libre concurrence ainsi qu'à la liberté contractuelle, il est indiqué que le décret litigieux ne crée aucune obligation pour les établissements d'enseignement supérieur privés délivrant des formations dans le domaine de la santé de faire partie d'une expérimentation ni de conclure, par voie de conséquence, une convention dans ce cadre, qu'il n'a pas, non plus, pour objet ou pour effet de limiter le nombre d'établissements pouvant conclure une telle convention ou de restreindre le droit des établissements non parties à une expérimentation d'organiser des formations dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Enfin, doit être relevé le fait que l'accord des établissements associés à une expérimentation est requis préalablement à la transmission d'un projet d'expérimentation aux ministres compétents aux fins d'autorisation.

Également, il ne saurait être soutenu l'instauration d'une inégalité entre étudiants selon que leur établissement aura ou non conclu une convention d'expérimentation car le décret attaqué n'établit par lui-même aucune atteinte au principe de l'égal accès dans l'enseignement supérieur ou à une formation professionnelle.

Ici, la motivation du juge peine à convaincre dans la mesure où le décret attaqué n'instaurant pour les universités aucune obligation de conventionner avec des établissements privés, l'absence éventuelle de conventionnement est bien une conséquence directe, nécessaire et liée de la liberté que ce décret laisse sur ce point aux universités et la différence entre étudiants selon que l'établissement privé dont il relève a ou n'a pas été invité à conventionner en est aussi la résultante directe.

Encore, peut laisser dubitatif l'argument selon lequel bien que la possibilité d'expérimentation ait été prévue par la loi du 24 juillet 2019 également pour les formations paramédicales et que ces dernières ne soient pas envisagées par le décret litigieux cela n'emporte pas méconnaissance de ladite loi parce que cette différence serait en rapport direct avec l'objectif d'expérimentation sans être manifestement disproportionnée.

(1er juin 2022, Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 441760)

 

160 - Droit d'asile - Exclusion du statut de réfugié - Régime de la convention de Genève du 28 juillet 1951 (a), b) et c) du F de l'article 1er) - Office du juge - Cas du « crime grave » à mobile politique (cf. le b) précité) - Appréciation - Rejet.

Les a), b) et c) du F de l'article 1er de la convention de Genève prévoient l'exclusion du bénéfice du statut de réfugié lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité dans les crimes ou les agissements qu'il mentionne peut être imputée personnellement au demandeur d'asile.

En ce cas, il entre dans l'office de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de rechercher si les éléments de fait résultant de l'instruction sont de nature à fonder de sérieuses raisons de penser que le demandeur a été personnellement impliqué dans de tels crimes ou agissements. 

S'agissant du cas spécifique visé par le b) de ce texte, qui a pour objet d'exclure de cette protection l'auteur d'un crime grave dont il est allégué qu'il ne présente pas le caractère de crime de droit commun mais qu'il a été commis dans un but politique, le demandeur d'asile ne peut être exclu du bénéfice du statut de réfugié si le caractère politique de l'acte qu'il a commis prédomine sur le caractère de droit commun.

En ce cas, il incombe à la CNDA de déterminer s'il existe un lien direct entre l'acte commis et le but politique poursuivi et de mesurer l'adéquation et la proportionnalité entre cet acte et ce but, au regard notamment des moyens employés, de l'exercice ou non d'une violence anormale et indiscriminée et de la nature et du nombre des victimes.

Même si elle peut s'autoriser de précédents jurisprudentiels (v., par ex. : 4 décembre 2017, OFPRA, n° 403454, sur le point de savoir si l'intéressé avait une responsabilité personnelle et consciente dans les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité commis au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994) - moins explicites toutefois que la présente décision - cette dernière est assez spectaculaire par l'ampleur qu'elle donne à l'interprétation unilatérale, même si elle est de bon sens, de l'une des conventions internationales parmi les plus invoquées devant les juridictions françaises et dont il est à regretter qu’elle ne soit pas dotée d’une juridiction ad hoc au moins pour son interprétation.

(21 juin 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 447538)

 

Police

 

161 - Autorisation, dans l'intérêt de la défense et de la sécurité nationale, de la connexion des terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile - Mesure de police - Intérêt pour agir contre cette mesure - Qualité de concurrent insuffisante - Annulation.

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu, à la demande de la société concurrente Orange, l'exécution des décisions du 1er juillet 2021 du Premier ministre autorisant SRR à exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau 5G sur le territoire de La Réunion (cf. art. L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques). Saisi de recours formés par les sociétés SRR et SFR, bénéficiaires de l'autorisation, et par le premier ministre, Le Conseil d'État annule l'ordonnance attaquée pour erreur de droit.

Il relève que la société Orange, qui se prévaut de sa qualité de concurrent de SRR sur le marché de la téléphonie mobile à la Réunion, ne justifie pas de ce fait d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation des autorisations accordées à ce dernier, sa demande est donc irrecevable. 

(9 juin 2022, Sociétés SRR et SFR, n° 460203 ; Premier ministre, n° 460207)

 

162 - Amende infligé à un transporteur aérien - Débarquement  en France d'une passagère dépourvue de document de voyage - Pouvoir et devoirs du juge saisi – Étendue du contrôle exercé par le juge de cassation - Rejet.

L'art. L. 6421-2 du code des transports institue une amende à la charge des transporteurs aériens qui débarquent sur le territoiore français des passagers dépourvus de documents de voyage.

En l'espèce, où était en cause la compagnie Air France, le Conseil d'État clarifie sur trois points ce dispositif devenu une source non négligeable de contentieux.

En premier lieu, le juge saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision administrative infligeant une amende à une entreprise de transport doit, d'une part, statuer sur le bien-fondé de cette pénalité et, d'autre part, s'il y a lieu, peut réduire le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce. 

En deuxième lieu, ce juge exerce, sous réserve de dénaturation, un pouvoir souverain de constatation et d'appréciation de l'irrégularité qu'il est reproché au transporteur de ne pas avoir décelée.

En troisième lieu enfin, le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur le caractère manifeste des irrégularités dont l'absence de détection constitue un manquement du transporteur à ses obligations de contrôle de nature à justifier le prononcé d'une amende. En revanche, ce juge ne saurait remettre en cause l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des manquements constatés et des circonstances de l'espèce, appréciation qui est laissée au pouvoir des juges du fond sauf si la solution retenue est hors de proportion.

(21 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 448996)

(163) V. aussi, à propos d'amendes infligées à Air France pour méconnaissance de son obligation de réacheminement résultant alors de l'article L. 625-7 du CESEDA et jugeant que constitue une circonstance exonératoire l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu'il n'incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l'intéressé et qu'il ne lui appartient pas d'exercer sur lui une contrainte : 21 juin 2022, Société Air France, n° 450480 ; ministre de l'intérieur, n° 451363.

 

164 - Règlement relatif à certaines tenues de bain dans les piscines municipales - Régles d'organisation et de fonctionnement d'un service public - Respect des principes de neutralité et d'égalité de traitement des usagers - Possibilité d'adaptations justifiées pour motifs religieux sans remise en cause de la neutralité du service  - Autorisation du port du « burkini » - Différence de traitement injustifiée et caractère trop fortement dérogatoire - Rejet.

La présente ordonnance de référé, rendue dans un contexte fortement médiatisé et controversé, l'a été en formation collégiale, signe, à la fois, du souci du juge d'en asseoir la légitimité et d'en solenniser le caractère pédagogique.

Le conseil municipal de Grenoble avait adopté le 16 mai 2022 un nouveau règlement intérieur des quatre piscines municipales dont la commune est gestionnaire dont l'art. 10 de ce règlement, pour le dire vite, y autorisait le port du « burkini ».

Le préfet de l'Isère avait saisi le juges des référés d'un recours contre cette délibération et s'était fondé pour cela sur les dispositions du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales. Il convient de rappeler ici que lorsqu'il est dirigé contre un acte de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, ce référé est traité comme le référé liberté de l'art. L. 521-2 du CJA, en particulier concernant le délai de 48 heures imparti au juge pour statuer.

Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu ladite délibération par ordonnance du 25 mai 2022 dont la commune interjette appel.

Le raisonnement débouchant sur le rejet de l'appel dirigé contre cette ordonnance est organisé en trois temps.

1°/ En premier lieu, est posé le principe bien connu que le gestionnaire d'un service public est tenu, lorsqu'il définit ou redéfinit les règles d'organisation et de fonctionnement d'un service public, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l'égalité de traitement des usagers.

2°/ En second lieu, le juge admet cependant que « pour satisfaire à l'intérêt général qui s'attache à ce que le plus grand nombre d'usagers puisse accéder effectivement au service public », il est loisible  de prendre en considération, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s'imposent à lui, certaines spécificités du public concerné, et si les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que ces spécificités correspondent à des convictions religieuses. Ce n'est là qu'une faculté, les intéressés ne disposant d'aucun droit à ce qu'il soit tenu compte de leurs convictions.

3°/ Enfin, en troisième lieu, il ne peut s'agir que d'adaptations qui ne peuvent en aucun cas porter atteinte à l'ordre public ou nuire au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l'égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l'obligation de neutralité du service public. 

 

La cause était dès lors entendue : en ne satisfaisant pas à la condition positive exposée au 2°/ et en se situant, en droit comme en fait, dans le cadre de la prohibition édictée au 3°/, la délibération litigieuse ne pouvait qu'être annulée.

(ord. réf. formation collégiale, 21 juin 2022, Commune de Grenoble, n° 464648)

 

165 - Police des mines et carrières - Autorisation d'exploitation au vu notamment des capacités financières de la société pétitionnaire - Substitutiton de deux financeurs à deux autres figurant dans le dossier de consultation du public - Substitution sans effet sur l'information suffisante du public - Absence d'irrégularité - Annulation pour erreur de droit.

Est entaché d'erreur de droit l'arrêt d'une cour administrttive d'appel qui, pour juger irrégulière la procédure d'attribution d'un permis de recherche exclusif à une société s'appuie sur l'insuffisance de l'information financière donnée lors de la consultation du public du fait qu'après celle-ci deux financeurs du projet avaient été substitués à deux autres figurant dans le dossier de consultation.

Dès lors que cette substitution n'altérait pas les capacités financières de la société attributaire du permis exclusif elle n'a pas eu pour effet, contrairement à ce qu'a jugé la cour, d'entaché d'irrégularité la procédure d'information.

(22 juin 2022, Commune de Couflens et autres, n° 442746)

 

166 - Autorisation de port d'arme - Demande d'autorisation par un maire menacé de mort - Refus - Contrôle restreint du juge - Rejet.

Le maire du Plessis-Robinson avait sollicité l'autorisation du port d'une arme à raison de menaces de mort proférées à son encontre et il avait attaqué en vain devant le juge administratif du fond le refus opposé par le ministre de l'intérieur.

Son pourvoi en cassation est rejeté par le double motif que le juge administratif n'exerce sur les refus d'autorisation de port d'armes qu'un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation et que les juges du fond disposent en la matière d'un pouvoir souverain  d'appréciation des faits, sous réserve de dénaturation.

(22 juin 2022, M. A., n° 450398)

 

167 - Police de la sécurité dans les ports - Refus de délivrer l'agrément individuel pour effectuer des visites de sûreté portuaire - Refus résultant de la consultation d'un fichier - Absence de preuve de la consultation régulière du fichier et par une personne habilité - Circonstance sans effet  sur la régularité du refus d'agrément - Annulation.

Le demandeur s'est vu refuser par le préfet la délivrance de l'agrément individuel nécessaire pour effectuer des visites de sûreté portuaire au motif que la consultation du traitement des antécédents judiciaires effectuée à l'occasion de l'enquête administrative préalable à la délivrance de l'agrément révélait de sa part des faits récents justifiant un refus d'agrément.

Il a saisi la juridiction administrative qui, tant en première instance qu'en appel, a estimé que, faute pour le ministre de l'intérieur d'apporter la preuve, qui lui incombait, de ce que la consultation du traitement des antécédents judiciaires l'avait été par un agent individuellement désigné et spécialement habilité à cette fin, la décision attaquée devait être regardée comme entachée d'un vice de procédure. 

Le Conseil d'État, faisant litière de ce raisonnement, juge dès lors que le code des transports prévoit la possibilité que certains traitements automatisés de données à caractère personnel soient consultés au cours de l'enquête conduite par l'administration dans le cadre de ses pouvoirs de police, préalablement à la délivrance d'un agrément individuel, la circonstance que l'agent ayant procédé à cette consultation n'aurait pas été individuellement désigné et régulièrement habilité à cette fin, si elle est susceptible de donner lieu aux procédures de contrôle de l'accès à ces traitements, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la décision prise sur la demande d'agrément. 

Encore une fois, est-ce bien le rôle du juge administratif de discriminer entre les violations des exigences de forme prévues par la loi celles méritant sanction et celles n'étant que des peccadilles ? Sur quoi se fonde-t-on pour décider que le législateur a voulu fonder une hiérarchie des violations dont l'existence ne ressort nullement du texte qu'il a adopté, surtout dans une matière aussi pernicieuse, insinuante et délétère pour les libertés ? Surtout, enfin, d’où se déduirait, si cette hiérarchie des violations  existait, la compétence du juge pour y mettre bon ordre ?

(22 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 452969)

 

Professions réglementées

 

168 - Médecin spécialiste en psychiatrie – Suspension du droit d’exercer – Insuffisance professionnelle – Obligation de suivre une formation adaptée – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni d’appréciation que le Conseil national de l’ordre des médecins – estimant que les lacunes professionnelles de M. C. étaient constitutives d'une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession - a pris à l’encontre de celui-ci une mesure de suspension temporaire du droit d'exercer pendant un an avec obligation de suivre une formation adaptée pendant la durée de la mesure en se fondant pour cela sur un rapport d’expertise qu’il avait ordonné et qui relevait  que ce praticien présentait des insuffisances en matière de connaissances dans le domaine de la psychiatrie de l'adulte, notamment des lacunes dans l'élaboration de diagnostics, la prescription de psychotropes ou l'énonciation de bilans complémentaires nécessaires dans la surveillance de traitements et qu'en outre, il n'avait pas actualisé ses connaissances depuis plusieurs années, malgré l'obligation de développement professionnel continu. 

A cet égard, il importe peu qu'aucune plainte n'ait, antérieurement à la décision contetée, été déposée à son encontre.

(15 juin 2022, M. C., n° 454846)

 

169 - Chirurgiens-dentistes – Procédure disciplinaire – Procédure d’un confrère contre un autre jugée abusive par l’instance ordinale – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui juge que la procédure intentée par un confrère contre un autre revêtait un caractère abusif alors que, pour justifier les manquements disciplinaires qu'elle reprochait à son confrère, l’intéressée faisait valoir, d’une part, mettre en cause l'extraction par ce praticien d'une dent saine et en indiquant de quelle dent il s'agissait, de sorte que sa requête n'était pas totalement dépourvue de précision, et d'autre part, que sa plainte n'était pas motivée par une intention de nuire à ce confrère.

(29 juin 2022, Mme A., n° 442685)

 

170 - Médecin – Interdiction de toute publicité et communication commerciale par voie électronique – Sanction – Incompatibilité de dispositions prohibitives du code de la santé publique avec celles du droit de l’Union (art. 56 TFUE) – Annulation.

Statuant sur une sanction disciplinaire infligée par un conseil départemental de l’ordre des médecins à l’un de ses membres pour avoir contrevenu aux dispositions des art. R. 4126-19 et R. 4127-19 du code de la santé publique prohibant de manière générale et absolue toute publicité et toute communication commerciale par voie électronique, le Conseil d’État rappelle à nouveau l’incompatibilité de ces dispositions avec les stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la CJUE (4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff.C-339/15). La sanction est annulée.

(29 juin 2022, M. A., n° 458711)

 

171 - Médecin - Section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins statuant en matière disciplinaire - Délai de prescription - Absence d'indication  sur ceux des actes atteints ou non par la prescription - Insuffisance de motivation empêchant l'exercice de son pouvoir de contrôle par le juge de cassation - Annulation.

(14 juin 2022, Mme B., n° 451480)

V. n° 31

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

172 - TVA - Obligation d'établir mensuellement un état récapitulatif - Sanction du non respect de cette obligation - Invocation des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines - Demande de transmission d'une QPC - Existence d'un contrôle de proportionnalité exercé par les juges du fond - Rejet.

Les textes instituent, en matière de TVA frappant les échanges intracommunautaires, une obligation pour les entreprises d'établir un état récapitulatif des clients auxquels elles ont fourni des services pour lesquels le preneur est redevable de la taxe dans un autre État membre de la Communauté européenne. Le non respect de cette obligation est puni par l'art. 1788 A du CGI d'une amende de 750 euros portée à 1500 euros à défaut de production de la déclaration dans les trente jours d'une mise en demeure. La requérante soulevait une QPC  à l'encontre de cette disposition en arguant que par son caractère automatique et forfaitaire elle porte atteinte aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines puisqu'elle est infligée tous les mois et indépendamment de l'existence de droits éludés et de la valeur des biens ou services échangés.

Le Conseil d'État refuse cette transmission par le motif  que « le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le contribuable ».

On ne peut qu'être étonné que l'auto-institution par un juge d'une compétence à statuer en proportionnalité ait pour effet de supprimer la possibilité d'un recours en QPC surtout qu'à notre connaissance, les opinions des différents juges - qui ne sont que des opinions - sur la proportionnalité peuvent être disparates à souhait risquant ainsi de faire éclater l'unicité d'interprétation de la norme constitutionnelle.

En outre, qu'est-ce une sanction qui, à la fois, peut être plus lourde que le préjudice subi et frapper une absence de droits éludés ? Du fétichisme ou du racket ?

(1er juin 2022, Société Perferencement, n° 459099)

 

173 - Fonction publique et agents de l'État - Principe d'égalité - Réservation aux seuls syndicats représentatifs du droit d'assister un agent de l'État exerçant un recours administratif à l'encontre de décisions défavorables - Question non nouvelle mais de caractère sérieux - Transmission d'une QPC.

Le syndicat demandeur posait une QPC tirée de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État en ce qu'elles réserveraient aux seules organisations syndicales représentatives la faculté de désigner un représentant aux fins d'assister un agent de l'État dans l'exercice d'un recours administratif contre les décisions individuelles défavorables prises à son encontre en matière de promotion interne, d'avancement de grade et de mutations. Le Conseil d'État juge que si la question n'est pas nouvelle - lui-même s'est prononcé sur le sujet dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte réglementaire contenant en substance la même disposition - elle revêt un caractère sérieux justifiant sa transmission.

(1er juin 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460759)

 

174 - Fonction publique territoriale - Résorption de l'emploi précaire - Changement de régime législatif - Atteintes aux principes constitutionnels de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté contractuelle -  Transmission d'un QPC pouvant « être regardée comme nouvelle ».

(1er juin 2022, Commune de Bonneuil-sur-Marne, n° 462193 ;  Commune de Fontenay-sous-Bois, n° 462194 ;  Commune d'Ivry-sur-Seine, n° 462195 ; Commune de Vitry-sur-Seine, n° 462196)

V. n° 17

 

175 - Implantation d'éoliennes - Allégation d'inconstitutionnalité de la distance de 500 mètres devant les séparer des habitations - Conseil constitutionnel s'étant déjà prononcé sur cette question  - Invocation d'un changement dans les circonstances - Changement insuffisant pour justifier une nouvelle saisine de ce Conseil - Rejet.

Les requérants soulevait une question prioritaire de constitutionnalité à l'encontre des dispositions du dernier alinéa de l'art. L. 515-44 du code de l'environnement en ce qu'elles fixent à 500 mètres la distance d'éloignement imposée entre les installations d’éoliennes et les constructions à usage d'habitation en arguant de ce que si le Conseil constitutionnel a déjà déclaré cette disposition conforme à la Constitution (13 août 2015, Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, n° 2015-718 DC), un changement de circonstances est survenu postérieurement à cette décision du fait d'une évolution de la taille et de la puissance des éoliennes.

Le Conseil d'État, avec une grande avarice de démonstration comme d’analyse des moyens, se borne, pour refuser la transmission de la QPC, à dire que les évolutions invoqués par les requérants « ne sont pas telles qu'elles caractériseraient un changement dans les circonstances de fait justifiant que le Conseil constitutionnel soit à nouveau saisi de la constitutionnalité de ces dispositions ». Ce qui, d'évidence, ne répond pas à l'argumentation dont le juge était saisi.

(9 juin 2022, Commune de Courcival et autres, n° 460644)

 

176 - Déduction de la TVA déjà acquittée - Défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue à cet effet -  Amende forfaitaire et automatique - Atteinte au principe de proportionnalité des peines - Question de caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Le moyen tiré de ce que les dispositions du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 16 juin 2021 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-CF-INF-20-20 réitérant les dispositions du premier alinéa du 4 de l'article 1788 A du GI, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment, du fait de l'absence de plafonnement du montant de l'amende, au principe de proportionnalité des peines, soulève une question présentant un caractère sérieux, justifiant ainsi la transmission de la QPC qui le contient.

(14 juin 2022, Société Igdal, n° 462398)

 

Responsabilité

 

177 - Prescription des actions personnelles ou mobilières en responsabilité - Art. 2224 du Code civil - Point de départ de la prescription - Date de manifestation du dommage et non date de la connaissance de sa cause - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui fixe, en violation des dispositions de l’art. 2224 du Code civil, le point de départ de la prescription non au jour de la manifestation du dommage mais à celui de l'identification de l'origine des désordres et des responsables de ces désordres.

(10 juin 2022, Socié Otéis, n° 450675)

 

178 - Agent d'une chambre de commerce et d'industrie (CCI) - Indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cotisation de la CCI employeur - Caractère éventuel du préjudice et prescription quadriennale - Erreurs de droit - Annulation.

Un agent d’une CCI reproche à cette chambre, son employeur, de n'avoir pas cotisé à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO et demande réparation du préjudice subi de ce fait. La cour administrative d'appel a, d'une part, jugé que le régime d'assurance vieillesse reposant sur l'aléa d'un départ à la retraite et que M. D. n'ayant pas encore été admis à faire valoir ses droits à la retraite, le préjudice qui résulte de la minoration de la pension complémentaire qui lui serait servie présente un caractère éventuel et ne saurait donc donner lieu à réparation, et d'autre part, que, dès lors qu'avaient été publiés les textes règlementaires obligeant son employeur, ainsi qu'il l'a fait pour la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, à racheter les droits d'affiliés au régime complémentaire AGIRC-ARRCO de ses employés, il appartenait à M. D., s'il s'y croyait fondé, d'en demander le bénéfice au titre des services d'enseignant titulaire qu'il avait accomplis du 1er mars 2006 au 31 décembre 2010. L'arrêt est cassé en ses deux chefs pour erreurs de droit.

En premier lieu, il incombait à la cour de rechercher si des circonstances particulières, telle que l'âge de l'agent, permettaient de regarder le préjudice invoqué comme suffisamment certain.

En second lieu, la cour n'a pas, non plus, recherché si le requérant ne pouvait pas être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968.

(10 juin 2022, M. D., n° 452733)

(179) V. aussi, concernant un identique litige avec la même CCI, confirmant le second point de l'analyse de la décision précédente : 10 juin 2022, M. D. , n° 452737.

 

180 - Dépose d'éléments d'un opéra contenant de l'amiante - Travaux de dépollution - Demande, en qualité de subrogée, de remboursement des fonds avancés par la commune, et des réparations versées par son assureur - Rejet.

C'est sans erreur de qualification des faits qu'une cour d'appel rejette le recours de l'assureur de la commune de Lyon et de son opéra, motif pris, d'une part, de ce que la ville de Lyon avait connaissance de la présence d'amiante dans les cinq portes coupe-feu dont elle a demandé à une société, par un bon de commande émis le 9 décembre 2008, de procéder à la dépose, l'évacuation en décharge et le remplacement, et qu'elle ne s'était pas assurée que cette société ou la société à laquelle cette dernière sous-traitait l'exécution de la prestation disposait du certificat de qualification exigé par l'arrêté du 22 février 2007 définissant les conditions de certification des entreprises réalisant des travaux de retrait ou de confinement de matériaux contenant de l'amiante, et d'autre part, de ce que le préjudice dont la ville demandait réparation du fait de la pollution du site survenue à la suite de l'exécution de cette prestation lui était exclusivement imputable, alors même que la société et sa sous-traitante étaient informées de la présence d'amiante dans les portes et qu'elles ne disposaient pas du certificat de qualification requis.

On peut trouver la solution excessive en ce qu'elle n'opère pas a minima un partage de responsabilité.

(10 juin 2022, Société Axa France Iard, n° 453977)

 

181 - Acquisition d'un hôtel - Exercice du droit de préemption urbain suivi d'une renonciation -  Dommages résultant de décisions légales - Responsabilité sans faute à prouver engagée - Moyen d'ordre public devant être soulevé d'office - Absence - Cassation sans renvoi, le juge statuant au fond.

Sur déclaration d'intention d'aliéner en vue de l'acquisition d'un hôtel faite par la requérante, la commune a fait part de sa volonté d'exercer son droit de préemption puis, un an plus tard, a renoncé à cette acquisition forcée.

Le bien ayant subi divers dégâts et déprédations, la société requérante a réclamé réparation à la commune pour faute. La cour de Nancy a rejeté cette demande sans se prononcer sur l'éventuelle existence d'une responsabilité sans faute à prouver, moyen qui est d'ordre public.

Elle doit donc être considérée comme ayant rejeté également mais implicitement ce chef de responsabilité, or comme sont ici réunies, selon le Conseil d'État, les conditions de déclenchement de ce régime de responsabilité (décisions légales, préjudice grave, de caractère spécial et excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine couverte par le droit de préemption), la cassation est prononcée.

Statuant au fond, le juge, après avoir décidé que la faute de la victime (ici le défaut d'un gardiennage des lieux) ne pouvait pas empêcher le jeu de la réparation sans faute à prouver, il attribue une indemnisation déduction faite de la part du rôle causal joué par la faute de la victime dans la réalisation puis dans l'ampleur du dommage.

(13 juin 2022, Société Immotour, n° 437160)

 

182 - Harcèlement et fautes l'accompagnant - Demande d'indemnisation - Demande également de réparation de la responsabilité sans faute - Omission de réponse à moyen - Insuffisance de motivation - Annulation.

L’intéressée, assistante territoriale d'enseignement artistique employée par la commune de Loos, recherchait sur deux terrains la responsabilité de cette commune.

Sur le fondement de la responsabilité pour faute, elle sollicitait la réparation des préjudices découlant du harcèlement moral dont elle soutenait avoir été victime et des fautes qu'elle soutenait avoir été commises par la commune de Loos dans l'organisation du service et à raison du manquement à son obligation de protection de la santé de ses agents.

Sur le fondement de la responsabilité sans faute à prouver, elle demandait la réparation du préjudice résultant des souffrances physiques et morales liées à la pathologie dont elle souffrait.

La cour administrative d'appel ne s'est pas prononcée sur sur ce second chef de demande de réparation du préjudice. Son arrêt est annulé car l'omission de réponse à un moyen qui n’était pas inopérant a entaché celui-ci d'insuffisance de motivation.

(16 juin 2022, Mme A., n° 443367)

 

183 - Autorisation administrative de licenciement - Autorisation irrégulière - Mise en jeu de la responsabilité pour faute de l'État - Faute de la victime venant atténuer cette responsabilité - Étendue de l'obligation de réparer - Rejet partiel.

Le licenciement d'un salarié protégé ne pouvant intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative, il en résulte que l'illégalité de cette autorisation constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique à l'égard de l'employeur, pour autant qu'il en soit résulté pour celui-ci un préjudice direct et certain. 
Pour déterminer l'étendue de la responsabilité de l'État en ce cas, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, de la faute également commise par l'employeur en sollicitant la délivrance d'une telle autorisation.

En l'espèce, la cour administrative d'appel est approuvée pour avoir opéré un partage de responsabilité du fait des fautes respectives commises, d'une part,  par l'employeur en adressant la lettre de convocation à l'entretien préalable sans qu'elle comporte la mention de la possibilité, pour l'intéressé, de se faire assister par un conseiller du salarié lors de son entretien préalable alors que cette société ne comportait pas d'institution représentative du personnel et d'autre part, par l'autorité administrative qui a délivré une autorisation de licenciement sur la base d'une procédure irrégulière.

En revanche, la cour devait également, ce qu'elle n'a pas fait, appliquer ce même partage de responsabilité, entre les deux parties perdantes, l'employeur et l'État,  à la somme allouée au demandeur au titre de l'art. L. 761-1 CJA.

(20 juin 2022, Société Henri Berruer, venant aux droits de la société Benichou Legrain Berruer, n° 438885)

 

184 - Responsabilité de l'administration fiscale dans l'établissement et le recouvrement de l'impôt - Notion de préjudice - Exclusion du paiement de l'impôt - Annulation.

Le Conseil d'État rappelle opportunément qu'en principe l'État est responsable de toute faute commise lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt envers un contribuable ou toute autre personne s'il existe entre cette faute et le préjudice un lien direct de causalité.

Précisant les préjudices susceptibles d'être, ou non, réparés, le juge indique, positivement, que peuvent être réparées les conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans les conditions d'existence dont le contribuable justifie.

Négativement, il considère que ne sont pas recevables des conclusions indemnitaires qui n'invoquent que le préjudice résultant du paiement de l'imposition car ces conclusions ont le même objet que l'action tendant à la décharge de cette imposition que le contribuable a introduite ou aurait pu introduire sur le fondement des règles prévues par le livre des procédures fiscales.

En l'espèce est annulé l'arrêt qui, pour juger la requérante non recevable à rechercher la responsabilité de l'État du chef du préjudice dont elle demandait réparation, a relevé que la demande d'agrément présentée par son mandataire tendait à obtenir à son profit une réduction d'impôt de même montant sur le fondement des dispositions de l'article 199 undecies B du CGI, ce dont elle a déduit que la demande indemnitaire présentée par la société requérante avait en réalité le même objet qu'une demande tendant à la réduction d'une imposition et qu'elle devait, par voie de conséquence, être rejetée comme irrecevable faute d'avoir été présentée dans les formes et délais prévus par les articles L. 190 et suivants du livre des procédures fiscales. Ce jugeant la cour a commis une erreur de droit car  la réduction d'impôt qu'établissent  les dispositions de l'article 199 undecies B du CGI n'est instituée qu'en faveur des contribuables qui réalisent un investissement productif neuf outre-mer, à l'exclusion, le cas échéant, de l'entreprise locataire chargée de l'exploiter, laquelle ne bénéficie qu'indirectement de cette réduction d'impôt sous la forme d'une diminution du loyer et du prix de cession du bien que sont tenus de consentir les investisseurs.

Dès lors la cour ne pouvait dire irrecevable une demande indemnitaire au motif qu'elle avait le même objet qu'une demande tendant à l'octroi de l'avantage fiscal prévu par l'article 199 undecies B du CGI, alors que l'action engagée par l'entreprise ayant la disposition du bien produit tendait, non à l'octroi d'une indemnité équivalant à une réduction d'impôt, mais à la réparation d'un préjudice distinct, de caractère économique et financier, tenant à l'absence de rétrocession, pour assurer le financement des travaux, d'une fraction de la réduction d'impôt dont aurait bénéficié l'investisseur si l'agrément sollicité lui avait été délivré conformément à la loi.

(23 juin 2022, Société l'Île, n° 445213)

 

185 - Action en réparation d’un dommage – Prescription en référé (art. R. 532-1 CJA, rééré instruction ou mesures utiles) d’une expertise en vue de déterminer les causes du sinistre – Extension de l’expertise aux préjudices de l’ensemble des parties et intervenantes – Rejet d’une demande d’intervention volontaire et de mise en cause dans les opérations d’expertise – Appel incident - Tardiveté de conclusions et délai de distance – Personnes susceptibles d’être rendues communes à une expertise – Réformation et annulation partielles de l’ordonnance de référé rendue en appel.

(décis. sur réf. 28 juin 2022, Sociétés VTG France VTG Rail Europe GmbH, VTG Rail Logistics France et VTG Deutschland GmbH, n° 460571)

V. n° 54

 

Santé  publique

 

186 - Maladies à déclaration obligatoire - Statut n'existant pas pour le syndrome hémolytique et urémique (SHU-Typique) - Contrôle du juge - Rejet.

Saisi au moyen d'un référé liberté de demandes d'injonctions à la ministre de la santé, d'une part, de consulter le Haut conseil de la santé publique en vue d'ajouter le syndrome hémolytique et urémique à la liste des maladies à déclaration obligatoire puis, à la suite de cet avis, de l'y ajouter, et d'autre part, de prendre, dans l'attente, toutes les mesures réglementaires appropriées propres à assurer une intervention urgente locale, nationale ou internationale, pour tout cas de syndrome hémolytique et urémique identifié.

Si le recours est rejeté, notamment car fait défaut ici la satisfaction de la condition d'urgence particulière au référé liberté, la décision est intéressante en ce que le juge y affirme que l'extension de la liste des maladies à déclaration obligatoire peut être demandée à l'autorité administrative compétente et qu'un refus de sa part peut être contesté devant la juridiction administrative par la voie d'une requête en annulation assortie, le cas échéant, d'une demande de suspension.

(ord. réf. 8 juin 2022, , n° 464243)

 

187 - Enfants présentant un trouble du neuro-développement - Diagnostic en vue d'un parcours de bilan et d'intervention précoce - Prise en charge par l'assurance-maladie - Conclusion d'un contrat conforme à un contrat type entre les psychologues et les structures organisatrices de ces bilan et intervention - Obligation de respecter les recommandations de bonnes pratiques professionnelles édictées par la Haute autorité de santé (HAS) - Rejet.

Les différentes requêtes,  contestant chacune la juridicité de l'arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l'expertise spécifique des psychologues mentionnée à l'article R. 2135-2 du code de la santé publique, ont été jointes.

Outre des moyens de légalité externe, d'ailleurs rejetés, les demandes soulevaient des moyens de légalité interne, également rejetés.

L'exception d'illégalité opposée à l'arrêté litigieux du fait qu'il serait pris pour l'application de l'art. R. 2135-2, point III, lequel serait illégal, ne saurait prospérer. En effet, alors que  cette dernière disposition se borne à fixer les prestations qui, lorsqu'elles sont réalisées dans le cadre d'un parcours de bilan et d'intervention précoce pour les troubles du neuro-développement par des psychologues ayant conclu un contrat avec une plateforme de coordination et d'orientation, peuvent être prises en charge par l'assurance maladie, l'arrêté attaqué, lui, fixe les conditions mises à l'usage professionnel du titre de psychologue par le I de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social. Cet arrêté n'a donc pas été pris en exécution ou pour l'application du III de l'art. R. 2135-2 précité.

Ensuite, les dispositions contestées ne portent atteinte ni à la liberté des psychologues de mettre en œuvre d'autres types d'expertise que ceux mentionnés dans cet arrêté et aux patients d'y recourir, ni à l'égalité entre les patients, ceux bénéficiant de prestations prises en charge dans le cadre d'une plateforme de coordination et d'orientation se trouvant en tout état de cause dans une situation différente de ceux qui n'en bénéficient pas.

Enfin, il n'est pas démontré que les recommandations de bonnes pratiques préconisées par la HAS seraient manifestement incomplètes, inexactes ou obsolètes. Et l'arrêté attaqué, en prévoyant que les interventions et programmes que le psychologue met en œuvre doivent, pour être pris en charge, respecter les recommandations de bonnes pratiques professionnelles établies par la Haute Autorité de santé, propres à chaque trouble du neuro-développement, et en s'y référant pour définir l'expertise spécifique que ce psychologue doit détenir, n'a pas méconnu la portée des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé et n'est entaché, ni d'erreur manifeste d'appréciation, ni de détournement de pouvoir.

Étrange durcissement du droit « mou ».

(13 juin 2022, Association des psychologues freudiens, n° 452333 ;  M. E. et autres, n° 453254 ; Association Collège des psychologues de l'Arisse, n° 453328 ; Syndicat CGT-APAJH33, n° 453329,  jonction)

 

188 - Médicaments - Autorisation de mise sur le marché (AMM) - Réglementation européenne - Nouvelle demande d'AAM ou modification d'une AMM existante - Médicament n'apportant aucune amélioration du service médical rendu (ASMR) -  Notion et régime - Annulation partielle.

Les requérantes demandaient, notamment, d'abord l'annulation de deux arrêtés du 1er juillet 2021, le premier modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics et le second  modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux, en tant qu'ils étendent la prise en charge de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable sous plaquettes thermoformées (B30), à l'indication de la réduction de la consommation d'alcool, après échec des autres traitements médicamenteux disponibles, chez les patients adultes ayant une dépendance à l'alcool et une consommation d'alcool à risque élevé,

Elles demandaient ensuite l'annulation :

- en premier lieu, de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) du 27 novembre 2020 portant modification de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux,

- en second lieu, de la décision implicite de l'ANSM rejetant leur demande du 2 août 2021 d'abrogation de la décision du 27 novembre 2020 portant modification de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable.

Dans ce litige, où était une nouvelle fois en cause les choix des autorités de santé publique et de celles de sécurité sociale d'autoriser, ou non, la mise sur marché de médicaments et, au sein des médicaments autorisés, à fixer le taux de remboursement de ces spécialités dans un souci de maîtrise des dépenses de santé, le Conseil d'État est conduit, répondant de manière très partiellement favorable aux demandes dont il était saisi, à une longue exposition du régime général applicable où se combinent dispositions du droit de l'Union et dispositions de droit interne.

En l'espèce, il concède seulement aux requérantes l'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2021 inscrivant la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables figurant à L. 162-17 du code de la sécurité sociale.

(13 juin 2022, SAS Ethypharm et SAS Laboratoires Etypharm, n° 456303, n° 459188, n° 459191)

 

189 - Médicament - Radiation de médicaments de la liste « en sus » (art. L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale) - Absence d'atteinte grave et immédiate à la situation de la requérante et des patients - Défaut d'urgence - Rejet de la demande de suspension de la mesure de radiation.

Les ministres chargés de la santé et du budget ont modifié la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, dite liste « en sus », radiant de cette liste les spécialités pharmaceutiques « DIFICLIR » fabriquées par la requérante.

Cette dernière saisit le juge d'un référé tendant à la suspension de cette décision. Elle soutient que la prise en charge directe de leur coût par les établissements de santé a des répercussions immédiates sur leur prescription par les médecins hospitaliers ce qui crée une modification de sa situation et porte préjudice à l'intérêt des patients de voir leurs besoins médicaux suffisamment couverts. 

Pour rejeter la requête en référé, le juge relève d'abord que la décision de radier ces spécialités de la liste « en sus » ne fait pas obstacle à leur prise en charge dans le cadre du tarif des prestations facturées par les établissements de santé.

Il constate ensuite que les montants remboursés au titre de la liste « en sus » pour la spécialité DIFICLIR ont été intégrés dans les tarifs d'hospitalisation associés aux « groupes homogènes » consommateurs de cette spécialité. Vainement, à cet égard, la société Tillots Pharma France fait valoir que cette réintégration ne compense pas l'intégralité du coût du traitement, qu'elle a déjà enregistré des refus de vente depuis le 1er mars 2022 et que ces spécialités représentent près de 30% de son chiffre d'affaires. En effet, ces divers éléments ne permettent pas, en l'état de l'instruction, d'établir que la décision contestée serait de nature à porter une atteinte grave et immédiate, d'une part, à la situation financière de la requérante et, d'autre part, à la mise de ces spécialités à disposition aux patients qui en auraient besoin.

Ainsi, en l'absence de l'urgence requise par les dispositions de l'art. L. 521-1 CJA, il n'y a pas lieu d'ordonner la suspension sollicitée.

(15 juin 2022, Société Tillotts Pharma France, n° 464329)

 

190 - Vaccination anti-Covid-19 – Liste limitative des contre-indications à cette vaccination – Compétence du pouvoir réglementaire – Conformité de la liste aux données acquises de la science – Absence d’atteintes à des dispositions constitutionnelles ou conventionnelles – Rejet.

La requérante contestait par divers moyens de légalité interne – outre des moyens de légalité externe de peu de portée - le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant qu’il prévoit les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19.

Ils sont, comme c’était prévisible, tous rejetés.

Tout d’abord le pouvoir réglementaire était bien compétent sur délégation du législateur pour établir, au titre des conditions de vaccination des personnes soumises à l'obligation de vaccination, une liste limitative de contre-indications médicales faisant obstacle à leur vaccination. 

Ensuite, le pouvoir réglementaire, en fixant la liste - contestée par le recours - des contre-indications médicales à la vaccination contre la maladie Covid-19 reconnues en l'état des connaissances scientifiques et sans la laisser à l'appréciation individuelle de chaque médecin, n’a pas méconnu l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et par les dispositions des art. L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique. 

Enfin, le décret attaqué ne méconnaît pas davantage l’art. 8 de la Convention EDH en tant qu’il garantit le droit à l’intégrité physique qui fait partie du droit au respect de la vie privée d’autant que la requérante ne démontre pas en quoi le contenu de la liste limitative des contre-indications à la vaccination des personnes soumises à cette obligation serait de nature à instaurer un rapport qui ne serait pas suffisamment favorable entre d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale.

(24 juin 2022, Mme B., n° 457396)

 

191 – Covid-19 – Obligation vaccinale des professionnels de santé – Suspension des agents non vaccinés – Exigences posées par la loi non par le décret attaqué – Loi non contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Rejet.

Les requérantes demandaient, d’une part, que soit suspendue l’exécution de toutes les dispositions relatives à l'obligation vaccinale des professionnels chargés d'assurer les services d'urgence sur le territoire français contenues dans le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, et, d’autre part, qu’il soit fait injonction à l'Etat de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée au droit à la vie des usagers du système de santé français et d'assurer la réouverture et la continuité des services d'urgence. 

Leur critique portait sur le fait que ce texte, en instaurant la vaccination obligatoire des personnels des services de santé et le principe de la suspension des agents publics qui ne justifient pas avoir satisfait à cette obligation vaccinale, méconnaît le droit des patients compte tenu de la situation actuelle des services d’urgence et des établissements de santé.

Leur requête est rejetée tout d’abord parce que, comme le relève le juge des référés, les exigences en cause ne résulte pas du décret attaqué mais de la loi du 5 août 2021, en ses art. 12 et 14. Elle est rejetée ensuite parce que les dispositions de cette loi relatives à l’obligation vaccinale des professionnels de santé et à leur suspension d’exercer en cas de refus ne sont manifestement pas incompatibles avec les stipulations de l'article 8 de la convention EDH et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Il suit de là que le décret pris en application de cette loi  ne peut être considéré comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales que les associations requérantes invoquent.

(ord. réf. 30 juin 2022, Association Je ne suis pas un danger et Association de défense de la santé publique et de l'environnement (ADSPE), n° 465040)

 

 

Service public

 

192 - École normale supérieure de Lyon (ENS lyon) - Règlement intérieur - Annulations successives des différentes versions de ce règlement adoptées par le conseil d'administration - Situation grave - Arrêté ministériel (enseignement supérieur) portant règlement intérieur - Compétence du ministre - Rejet.

Les versions successives du règlement intérieur de l'ENS Lyon ayant été, chacune, annulées, la ministre chargée de l'enseignement supérieur a établi ce règlement par arrêté.

Les requérants demandaient l'annulation de cet arrêté en relevant que l'on ne se trouvait pas, en l'espèce, dans l'hypothèse prévue, à titre transitoire, par l'art. 17 du décret du 12 décembre 2013 qui permet au ministre d'arrêter le règlement intérieur si celui-ci n'est pas adopté dans les trois mois de l'installation du nouveau conseil d'administration.

Le Conseil d'État juge que cet établissement étant sans règlement intérieur depuis  plusieurs années, le ministre était habilité par l'art. L. 719-8 du code de l'éducation  à arrêter lui-même cet acte du fait d'une « difficulté grave dans le fonctionnement des organes statutaires » de l'ENS Lyon sans qu'y fasse obstacle l'expiration du délai de trois mois prévu par le décret précité.

En réalité, l'exercice de ce pouvoir s'autorise directement du principe de continuité du service public.

(1er juin 2022, M. D. et Mme A., n° 440370)

(193) V. aussi, rejetant - au visa de l'art. L. 719-8 du code de l'éducation (difficultés graves dans le fonctionnement d'organes universiataires)  - le recours dirigé contre un arrêté du 13 janvier 2021, par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a fixé les modalités permettant de compléter, à titre provisoire, la composition du conseil d'administration de la communauté d'universités et établissements (COMUE) « Université de Lyon » jusqu'à l'organisation d'élections conformément à ses statuts, dans leur rédaction issue du décret du 30 décembre 2020. Cet arrêté prévoyait l'organisation par le recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes d'un tirage au sort des représentants des collèges des enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs, des autres personnels et des usagers parmi les élus titulaires des collèges correspondants au sein des conseils d'administration des établissements membres de la COMUE en exercice à la date de publication dudit arrêté. Il fixe également, à titre provisoire, la liste des entreprises et associations représentées au conseil d'administration de la COMUE. Cet arrêté a été modifié par un arrêté du 28 janvier 2021, par lequel la ministre en a modifié l'article 2 afin de prévoir que, pour l'université Lyon-II, participent au tirage au sort, pour les mêmes collèges, les élus titulaires de son conseil d'administration en exercice à la date du tirage au sort : 1er juin 2022, M. B. et Association Démocratie et transparence à l'université de Lyon, n° 451043.

 

194 - Formations de santé - Intitution à titre expérimental d'échanges entre les formations dispensées entre universités et établissements d'enseignement privés - Mise en place d'enseignements communs - Atteintes à la liberté de l'enseignement, à la liberté contractuelle, au principe d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle - Rejet.

(1er juin 2022, Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 441760)

V. n° 159

 

195 - Enseignement en classe préparatoire - Durée hebdomadaire de service - Notion de classe - Décret du 25 mai 1950 - Rejet.

Le litige portait sur le point de savoir si la durée hebdomadaire de service pour un professeur de classe préparatoire est de huit heures comme le prétendait le requérant ou de dix heures comme le soutenait l'administration. Le Conseil d'État, confirmant l'arrêt d'appel infirmatif, interprète les dispositions de l'art. 6 du décret du 25 mai 1950  portant règlement d'administration publique pour la fixation des maxima de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements d'enseignement du second degré comme signifiant que le terme « classe » doit être regardé comme faisant référence aux groupes d'élèves respectifs auxquels le professeur dispense son enseignement de manière habituelle pendant l'année scolaire, et non à l'effectif total de la division dont ces groupes sont issus. En l'espèce, où l'enseignant exerçait devant trois groupes de 17, 14 et 15 élèves, ceux-ci constituaient trois classes et non une seule cmposée de 46 élèves comme l'affirmait le demandeur. Son service hebdomadaire était bien de dix heures.

(1er juin 2022, M. B., n° 452644)

 

196 - École maternelle - Classe de très petite section - Condition d'inscription d'enfants - Refus de la commune - Rejet.

Des parents d'élèves ont obtenu en référé la suspension du refus d'une commune de scolariser en école maternelle, dans une classe de très petite section, des enfants âgés  de moins de trois ans.

La commune se pourvoit en cassation.

Les trois ordonnances de référé sont cassées pour omission de répondre à un moyen soulevé par la commune et qui n'est pas inopérant.

Celle-ci soutenait qu'en l'absence de projet éducatif propre à l'accueil des enfants n'ayant pas atteint l'âge de l'obligation scolaire, de locaux et de matériels adaptés, elle ne pouvait pas accueillir dans de bonnes conditions en classe de très petite section de maternelle les enfants âgés de moins de trois ans.

Le Conseil d'État juge tout d'abord, fixant par là une norme générale classique, que les dispositions des art. L. 113-1 et D. 113-1 du code de l'éducation « qui n'instituent pas un droit pour les enfants âgés de moins de trois ans à l'issue de l'année civile où a lieu la rentrée scolaire, qui ne sont pas soumis à l'obligation scolaire, à être accueillis dans les écoles et classes maternelles, impliquent que lorsque cet accueil peut être organisé, il le soit en priorité dans les écoles et classes maternelles situées dans un environnement social défavorisé et dans la limite des places disponibles. Saisi d'une demande d'admission dans une classe ou une école maternelle d'un enfant de moins de trois ans non soumis à l'obligation scolaire, il appartient au maire de se prononcer conformément aux dispositions (...) des articles L. 113-1 et D. 113-1 du code de l'éducation, en prenant en considération la situation particulière de l'école ou de la classe en cause, le cas échéant en lien avec les services de l'éducation nationale. Il ne peut en revanche refuser une telle admission sur le fondement de considérations de principe portant sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans qu'il n'est pas compétent pour édicter. »

Le Conseil d'État relève ensuite qu'est fondée en droit l'invocation par la commune de l'absence de projet éducatif relatif à l'accueil des enfants non encore soumis à l'obligation scolaire et de l'insuffisance des moyens humains et matériels nécessaires à l'accueil de ces très jeunes enfants, alors même que de tels enfants étaient, au cours des années scolaires précédentes, accueillis au sein des classes de petite et moyenne sections de l'école maternelle en cause.

(1er juin 2022, Commune de Pluneret, n° 456625 ; n° 456626 ; n° 456627)

Voir aussi, pour un autre aspect de ce litige, le n° 26

 

197 - Diplômes nationaux - Compétence pour les délivrer réservée aux seuls établissements accrédités à cet effet - Obligation d'obtenir une certification par un organisme externe non accrédité en vue de l'obtention d'un diplôme national - Illégalité des décret et arrêté attaqués - Annulation intégrale des dispositions indivisibles.

Un décret et un arrêté  du 3 avril 2020 imposent aux candidats au brevet de technicien supérieur et au diplôme universitaire de technologie d'obtenir en langue anglaise une certification délivrée par un organisme extérieur. Ce document est pris en compte pour la délivrance des diplômes précités qui, étant des diplômes nationaux, ne peuvent être délivrés qu'au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes appréciées par des établissements accrédités à cet effet. Par définition, les organismes extérieurs visés par les textes litigieux n'appartiennent pas à cette catégorie.

En conséquence, ces établissements, en subordonnant l'obtention des diplômes nationaux à la présentation par les candidats d'une certification, qui fait l'objet d'une évaluation externe par des organismes non accrédités, méconnaissent les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'éducation.

Ces dispositions étant indivisibles des autres dispositions de ce décret et de cet arrêté, l'annulation ainsi prononcée emporte l'annulation de l'ensemble des dispositions du décret et de l'arrêté du 3 avril 2020, sauf, s'agissant de ce dernier, pour celles de ses dispositions concernant la licence professionnelle.

(7 juin 2022, Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères et autres, n° 441056 ; Fédération des langues régionales germaniques de France et autres, n° 441903 ;  Association Urgéncia Diversitat Biolingüistica, n° 447981)

 

198 - Enseignement privé - Forfait d'externat - Injonction en référé de verser à titre provisoire une certaine somme - Décision n'ayant pas en tous points les effets de l'exécution d'un jugement d'annulation - Rejet.

Les collectivités publiques concernées ont l'obligation de verser aux établissements d'enseignement privé ayant conclu un contrat d'association à l'enseignement public un forfait d'externat calculé selon les règles fixées par des textes généraux.

La région requérante a refusé à un établissement sous contrat le versement du forfait d'externat pour l'année 2019-2020 et le juge des référés a suspendu l'exécution de ce refus en même temps qu'il a ordonné la convocation, sous un mois, de l'organe délibérant de la région pour réexamen de la mesure de refus. La commission permanente a refusé d'adopter une délibération allouant le forfait d'externat. Le juge des référés a suspendu cette délibération de refus et fait injonction à la région de verser, à titre provisoire, le montant du forfait d'externat.

La région se pourvoit contre cette ordonnance d'injonction dont elle demande l'annulation au motif que la mesure ordonnée aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision alors que la juridiction de référé est une juridiction du provisoire.

Pour rejeter cette argumentation, le juge du Conseil d'État décide que si, en effet, les mesures prescrites en référé doivent présenter un caractère provisoire, ce qui interdit au juge des référés de prononcer l'annulation d'une décision administrative ou d'ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision, tel n'est pas le cas en l'espèce. Notamment, l'injonction à titre provisoire de verser le montant d'un forfait d'externat n'a pas des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par la région de la décision par laquelle le juge de l'excès de pouvoir viendrait, le cas échéant, à prononcer l'annulation de la décision de refus litigieuse, la somme versée à titre provisoire n'étant pas acquise définitivement à l'association bénéficiaire.

C'est donc sans erreur de droit que le juge des référés de première instance a décidé comme il l'a fait.

(16 juin 2022, Région Hauts-de-France, n° 454824)

 

Travaux publics et expropriation

 

199 - Expropriation en urgence - Octroi d'une indemnité d'expropriation provisionnelle - Indemnité à parfaire mais définitive en son montant actuel - Traitement fiscal - Rattachement à l'exercice au cours duquel a été perçue l'indemnité – Erreur de droit - Annulation.

La société requérante, exploitante d'un bar discothèque, a été expropriée selon la procédure d'urgence pour la réalisation du dédoublement de l'autoroute A9. Le juge de l'expropriation lui a accordé une indemnité d'expropriation provisionnelle afin de permettre à l'expropriant de prendre immédiatement possession des lieux.

Au plan fiscal, la cour administrative d'appel, se fondant sur le caractère « provisionnel » et donc incomplet de l'indemnité d'expropriation, a estimé que son monta           nt ne pouvait pas être rattaché à l'année de perception de la provision.

L'arrêt est cassé pour erreur de droit car quoique provisionnel le montant alloué est définitif pour cette partie, il ne pourra in fine qu'être confirmé ou augmenté. La provision devait donc être rattachée à l'exercice fiscal au cours duquel elle a été encaissée par la contribuable.

(3juin 2022, Société D3P, n° 452708)

(200) V. aussi, mêmes solutions pour la même opération d'expropriation : 3 juin 2022, Société KRCS, n° 452710 ; 3 juin 2022, SCI Alpha, n° 452711 ; Société Agora Paradise, n° 452714.

 

201 - Expropriation -  Annulation de l'arrêté de cessibilité pour illégalité de la déclaration d'utilité publique - Action en restitution de l'ensemble immobilier exproprié - Travaux de démolition entrepris par le bénéficiaire de l'expropriation - Suspension immédiate de ces travaux ordonnée en référé - Suspension confirmée sous réserve d'intervention d'une décision au fond du Conseil d'État, ou du juge de l'expropriation ou d'un nouvel arrêté de cessibilité.

Dans le cadre de l'importante opération d'aménagement « Euromed », dans sa phase « Euromed 2 », l'établissement public administratif (EPA) porteur du projet consistant en la création d'une ZAC, a obtenu l'expropriation et payé l'indemnité d'expropriation relatives à des parcelles qui étaient propriété de la SCI « Les marchés méditerranéens ». Cette dernière a obtenu du juge administratif l'annulation de l'arrêté de cessibilité en raison de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique et, conséquemment, la suspension immédiate des travaux de démolition entrepris par l'EPA sur ses parcelles jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause. L'intéressée a, parallèlement, saisi le juge de l'expropriation en application de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation et de restitution de cet ensemble immobilier. 

L'établissement demandeur interjette appel de l'ordonnance rendue par la cour administrative d'appel.

Il fait valoir en premier lieu le défaut d'urgence particulière au référé liberté car, d'une part, les immeubles en cause ont fait l'objet de travaux les rendant impropres à ce qu'ils soient rendus à leur usage originel d'abattoir et, d'autre part, l'interruption des travaux entraîne des surcoûts importants et empêche l'alimentation en électricité de logements dont la construction est bientôt terminée.

Ce moyen est évidemment rejeté, d‘abord parce que le demandeur n'établit pas l'inexistence d'un autre moyen de raccordement au réseau électrique et, ensuite et surtout, parce que le caractère restituable de biens expropriés ne dépend pas du maintien de leur usage antérieur d'abattoirs. Au reste, il est relevé en l'espèce une atteinte minime, voire inexistante, au gros œuvre et donc l'absence d'obstacle à leur restitution à l'ancien propriétaire.

L'EPA appelant invoquait ensuite l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale et le moyen est rejeté d'originale façon par le juge des référés du Conseil d'État. Celui-ci considère que la poursuite, postérieurement à la décision privant l'ordonnance d'expropriation de sa base légale, de travaux de démolition des bâtiments implantés sur les parcelles en cause, est de nature à rendre irréversible l'appropriation des parcelles en cause, au regard des travaux réalisés et de leur état au moment où le juge de l'expropriation saisi statuera, et à priver de son effet utile le recours de la SCI tendant à obtenir la restitution des biens expropriés devant le juge de l'expropriation. Ainsi il serait contrevenu au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par la Convention EDH, droit qui constitue une liberté fondamentale et qui n'est pas lié à la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution de mesures dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l'atteinte aux biens.

Enfin, l'établissement public s'étant pourvu en cassation contre l'ordonnance rendue par la cour administrative d'appel et ayant demandé le sursis à son exécution, le sursis ou l'annulation de l'arrêt attaqué rendrait inapplicables, avec effet immédiat, les dispositions précitées de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation. C'est pourquoi, qu'il sera « immédiatement mis fin à la suspension des travaux en cause si le Conseil d'État, statuant au contentieux, annule ou sursoit à l'exécution de l'arrêt du 22 février 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'arrêté de cessibilité du 27 février 2017 ou si le juge de l'expropriation se prononce ou si est adopté un nouvel arrêté de cessibilité portant sur ces parcelles. »

(ord. réf.  17 juin 2022, Établissement public administratif Euroméditerranée, n° 463341)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

202 - Lotissement - Lotissement comportant des habitations individuelles et des habitations collectives - Arrêté municipal modifiant le cahier des charges du lotissement - Calcul de la majorité nécessaire pour demander ou accepter une modification dudit cahier - Interprétation de l'art. L. 442-10 c. urb. - Rejet.

Le recours contestait l'arrêté municipal approuvant la modification de l'art. 1er  du cahier des charges d'un lotissement.

L'art. L. 442-10 du code de l'urbanisme subordonne à la satisfaction de l'une des deux conditions suivantes la juridicité de la modification du cahier des charges d'un lotissement :

- soit une demande émanant de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement

- soit une demande émanant des deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie.

Le débat s'est porté sur la détermination et le calcul de cette majorité dans la mesure où le lotissement en cause comprenait  trois catégories de lots :  des lots comportant des maisons individuelles, des lots supportant des constructions détenues en copropriété et des lots affectés à d'autres usages que l'habitation.

Le Conseil d'État approuve la cour administrative d'appel d'avoir jugé qu'il convenait en ce cas, d'une part, de compter pour une unité l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, et d'autre part, de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction, qu'il s'agisse ou non de lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion des surfaces des lots affectés à d'autres usages.

(1er juin 2022, Société Le Flocon, n° 443808)

 

203 - Déclaration préalable de division d'une parcelle en deux lots - Lotissement - Demande de permis de construire - Absence de cession du lot concerné - Impossibilité de se prévaloir du bénéfice de l'art. L. 442-14 c. urb. - Rejet de la demande de prononcer le non-lieu.

Une société a adressé au maire de Bormes-les-Mimosas une déclaration préalable de division d'une parcelle en deux lots, en vue de construire sur l'un d'eux, l'autre supportant déjà une villa. Le maire, par son arrêté du 28 avril 2015, ne s'est pas opposé à cette déclaration préalable.

Elle a ensuite sollicité un permis de construire en se prévalant du bénéfice des dispositions de l'art. L. 442-14 du code l'urbanisme selon lesquelles, notamment : « Le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant: 1° la date de non-opposition à cette déclaration, lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable (...) ». 

Cependant, cette société, qui entendait conserver la propriété de l'ensemble de la parcelle dont elle avait préalablement déclaré la division et sollicitait le permis litigieux pour son propre compte, en vue de la location saisonnière de la construction projetée, n'avait pas procédé, à la date de la demande du permis de construire, à la cession dont aurait résulté la division.

Il lui était par suite, en l'absence de tout transfert de propriété ou de jouissance, impossible de se prévaloir du bénéfice de l'art. L. 442-14 du code de l'urbanisme précité, puisque son projet de construction ne pouvait en relever.

C'est pourquoi, d'une part, cette société ne peut opposer aux requérants le non-lieu à statuer et, d'autre part, commet une erreur de droit l'arrêt d'appel jugeant que la règle posée à l'article L. 442-14 s'appliquait à l'arrêté litigieux, pour en déduire que sa légalité devait être appréciée au regard des règles du plan local d'urbanisme approuvé le 28 mars 2011 et non de celles du plan approuvé le 17 décembre 2015.

(13 juin 2022, M. et Mme B., n° 452457)

 

204 - Permis de construire une surface de vente valant autorisation d'exploitation commerciale - Annulation par une cour administrative d'appel - Défaut de consommation économe de l'espace - Atteinte à la qualité environnementale et à l'objectif de développement durable - Absence d'erreur de droit - Rejet.

C'est sans erreur de droit que pour annuler un arrêté de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, une cour administrative d'appel  relève que le projet méconnaît, d'une part, au regard du critère de consommation économe de l'espace, l'objectif d'aménagement du territoire, et d'autre part, au regard du critère de qualité environnementale du projet, l'objectif de développement durable.

 (14 juin 2022, Société Caroline, n° 443560)

 

205 - Permis de construire et permis modificatif - Extension d'une maison individuelle - Plan local d'urbanisme - Demande d'annulation des permis fondée sur une règle de prospect figurant au PLU - Ordonnnce litigieuse ne se prononçant pas sur le respect cette règle - Insuffisance de motivation - Annulation.

Encourt annulation l'ordonnance d'appel confirmant le rejet d'une demande d'annulation de permis de construire en se fondant sur ce que le cinquième alinéa du futur article UC 7 du PLU n'était pas applicable aux extensions de constructions existantes alors que les demandeurs invoquaient au soutien de leurs conclusions à fin d'annulation les dispositions du septième alinéa de cet article dont ils estimaient qu'elles avaient été méconnues en l'espèce.

Le Conseil d'État fonde son annulation sur ce que « l'auteur de l'ordonnance attaquée a insuffisamment motivé sa décision » ; il nous semblerait plus adéquat d'y apercevoir la sanction d'une omission de réponse à moyen.

(17 juin 2022, M. E. et Mme B., n° 455945)

 

206 - Permis de construire obtenu par fraude - Intérêt pour agir en annulation du refus d'abroger ce permis - Délai de recours contentieux - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d'État confirme sa jurisprudence antérieure selon laquelle un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un permis obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin.

Le juge ajoute ici cette importante précision qu'en ce cas le délai du recours contentieux ouvert pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, sans que l'absence d'accusé de réception de sa demande y fasse obstacle. 

(22 juin 2022, Société Corim et associés, n° 443625 ;  Commune de Juvignac, n° 443633)

 

207 - Permis de construire - Projet prévoyant l'abattage d'arbres sans en justifier - Illégalité régularisable - Absence de bouleversement de l'économie du projet - Rejet.

C'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu'un tribunal administratif juge que le permis de construire 38 logements et un parc de stationnement en sous-sol est illégal en tant qu'il autorise un projet de construction ne pouvant, sans qu'il en soit justifié, être réalisé sans l'abattage de l'ensemble des arbres de haute tige préexistants sur son terrain d'assiette et qu'une telle illégalité est susceptible de régularisation, dès lors qu'elle n'apporterait pas un bouleversement tel à l'économie générale du projet qu'elle en modifierait la nature, une telle régularisation n'impliquant qu'une diminution de l'ampleur du projet.

(22 juin 2022, Commune de Neuilly-Plaisance, n° 456477; Société HLM France Seqens, n° 456489 ; Mme K. et autres, n° 456858)

 

208 - Permis de construire – Détermination du nombre de places de stationnement imposé par les textes – Jugement retenant un article du plan local d’urbanisme (PLU) – Article inopposable en raison d’une disposition du code de l’urbanisme – Annulation.

Un tribunal administratif annule partiellement un permis de construire pour nombre insuffisant de places de stationnement car en raison de la distance mesurée entre la station de tramway la plus proche et la parcelle en litige étaient applicables les dispositions du deuxième alinéa de l'art. L. 151-35 du code de l'urbanisme. Ceci l’a conduit à écarter partiellement les dispositions de l'art. AU1 12 du règlement du plan local d'urbanisme en ce qu'elles avaient de contraire à la règle de l'art. L. 151-35, qui s'impose nonobstant toute disposition d'un PLU, limitant la réalisation lors de la construction de logements sociaux de plus d’une demi-place de stationnement par logement.

Ce jugeant, le tribunal n’a ainsi pas tenu compte – alors qu’il devait au besoin le relever même d’office s’agissant du champ d’application du texte invoqué devant lui – de ce que l'art. L. 151-36 du code de l'urbanisme limite cette exigibilité, pour les logements à usage d'habitation autres que ceux mentionnées aux 1° à 3° de l'art. L. 151-34 et situés dans le même périmètre, à une aire de stationnement par logement au maximum, nonobstant toute disposition du PLU. Par suite, en s'abstenant de faire application de ces dispositions pour la partie restante du projet comprenant des logements non sociaux, qui avaient pour effet de rendre l'art. AUI 12 du règlement du PLU inopposable à l'ensemble du projet, le tribunal administratif, à qui il appartenait de vérifier, le cas échéant d'office, que les dispositions invoquées devant lui étaient applicables au litige, a commis une erreur de droit. 

(22 juin 2022, Société Hélénis, n° 456445)

 

209 - Permis de construire modificatif – Demande d’annulation – Jugement impartissant la prise d’un permis modificatif de régularisation – Nouveau permis modificatif contesté au contentieux – Rejet du recours contre ce nouveau permis – Annulation du jugement en appel – Régime contentieux des recours dirigés contre un jugement recourant à l’art. L. 600-5-1 c. urb. et contre un jugement mettant fin à l’instance – Erreur de droit – Annulation.

La technique de la régularisation en matière de permis de construire, de démolir ou d’aménager, censée simplifier et accélérer la gestion du contentieux de l’urbanisme, vire parfois à une belle complexité ainsi qu’on en juge dans la présente affaire. Certes, le Conseil d’État s’emploie à exposer très pédagogiquement la marche à suivre mais il n’en reste pas moins que le chemin est très chaotique, assez proche d’Indiana Jones à la poursuite du permis disparu ou du Mystère de la chambre (jaune) de régularisation.

Un permis de construire ayant été délivré pour la réalisation d'une maison individuelle avec garage, le maire a d’abord ordonné l'interruption des travaux pour non-conformité de  « l'implantation altitudinale » du bâtiment audit permis, puis il a délivré un permis de construire modificatif autorisant l'augmentation de la surface de plancher sans modification de l'emprise au sol, la modification des façades, la rectification du dessin du terrain naturel et l'implantation du dispositif d'assainissement non collectif.

Des propriétaires voisins  ont demandé l’annulation de ce permis modificatif.

Le tribunal administratif a tout d’abord, par un premier jugement, sursis à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, en impartissant un délai de quatre mois aux pétitionnaires ainsi qu'à la commune pour justifier de la délivrance d'un nouveau permis modificatif permettant d'assurer la conformité du projet à l'obligation de consulter l'architecte des bâtiments de France.

Ce permis modificatif nouveau a été délivré le 20 décembre 2018 et versé à l'instruction. Il a été attaqué par les mêmes demandeurs que précédemment.

Par un second jugement,  le tribunal a constaté que le vice relevé dans son premier jugement avait été régularisé et a rejeté les conclusions à fin d’annulation dont il était saisi.

Saisie, d’une part, par les requérants déboutés d’un recours contre les deux jugements du tribunal administratif et d’autre part d’un appel incident formé par les pétititonnaires contre le premier jugement, la cour administrative d'appel a annulé les deux jugements, les deux arrêtés municipaux des 21 septembre 2015 (délivrant le premier permis modificatif)  et 20 décembre 2018 (délivrant le second permis modificatif), ainsi que le rejet du recours gracieux des requérants.

Les pétitionnaires se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord, ce qui est sa jurisprudence désormais constante quoique pas très ancienne lorsqu'un tribunal administratif a décidé de surseoir à statuer sur une demande d’annulation (ici d’un permis de construire) en faisant usage de son pouvoir d’inviter l'administration à régulariser le vice relevé.

En ce cas, l'auteur du recours formé contre ce jugement avant dire droit peut contester le jugement aussi bien en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme qu’en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1. En revanche, dès l’instant de la délivrance du permis modificatif de régularisation, les conclusions de celui-ci dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont privées d'objet.

Le Conseil d’État indique ensuite que, lorsqu’après délivrance du permis modificatif, le juge qui constate la conformité de ce permis modificatif à son propre jugement avant dire droit, met fin à l’instance par un second jugement, l'auteur d'un recours contre ce jugement peut contester aussi bien la légalité du permis de construire modificatif, en invoquant des moyens propres, que le permis initial en soutenant qu’il n'était pas régularisable contrairement à ce qu’a jugé le jugement avant dire droit.

Enfin, abordant plus spécifiquement le cas de l’espèce, le juge de cassation tire des dispositions de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme cette conséquence que, tant à l'appui d'un recours contre un jugement avant dire droit recourant à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme qu'à l'appui d'un recours contre le jugement mettant fin à l'instance, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à l'appui de leurs conclusions, passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties, faite selon un dispositif permettant d'en attester la date de réception, du premier mémoire en défense présenté dans l'instance par  l'un quelconque des défendeurs.

Par ailleurs, la circonstance que le délai de recours puisse ne pas être expiré, notamment compte tenu des dispositions de l'article R. 811-6 du CJA prévoyant que le délai d'appel contre un jugement avant dire droit court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige, ou même que ce jugement ne soit pas encore intervenu, est sans incidence à cet égard.

Or en l’espèce, la cour avait retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UD 7 du règlement du plan local d'urbanisme pour annuler le permis de construire délivré le 21 septembre 2015 et, par voie de conséquence, le permis modificatif délivré le 20 décembre 2018, en accueillant ce moyen elle a commis une erreur de droit.

(24 juin 2022, M. A. et Mme G., n° 456348)

 

210 - Permis de construire – Méconnaissance d’une disposition du plan de prévention des risques naturels prévisibles d'inondation de la basse vallée du Var – Absence d’aire de refuge – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (seconde cassation).

Un tribunal administratif annule l’arrêté municipal accordant à la requérante un permis de construire en vue de l'édification de deux immeubles de quarante logements, dont seize logements locatifs sociaux, et un commerce, après démolition des constructions existantes. Puis, après cassation de ce jugement, ce tribunal annule à nouveau le permis de construire pour méconnaissance de l'art. 1.1.2 du plan de prévention des risques naturels d'inondation applicable à la commune.

Le plan applicable à cette commune définit une zone bleue comme « zone de risque d'autorisations sous prescription », subdivisée en 6 zones (B1 à B6) en fonction de l'intensité de l'aléa. Il définit ensuite une zone rouge, subdivisée en 4 zones (R0 à R3), comme une zone de « risque d'interdiction » dans laquelle les occupations et utilisations du sol sont très limitées et soumises au respect de prescriptions particulières. Enfin, l'article 1.1.2 du plan, dans sa partie relative aux dispositions particulières et aux règles de construction applicables en zone R3, s'agissant des aires de plein air à vocation sportive, de loisirs ou d'espaces verts, précise que « les projets devront inclure une aire de refuge qui devra s'implanter au-dessus de la cote d'implantation du présent article ». 

S’appuyant sur cette dernière disposition, le tribunal administratif a jugé que ce projet méconnaissait l'obligation posée par celle-ci en raison de l'absence de création d'une aire de refuge dans le cadre de l'aménagement des jardins prévus dans la zone rouge R3.

Le Conseil d’État aperçoit dans cette motivation une erreur de droit  car, selon lui, le juge devait rechercher si les parties du projet situées en zone bleue, attenantes aux espaces extérieurs situées en zone rouge, ne présentaient pas des caractéristiques, au regard notamment de leur accessibilité, leur permettant de tenir lieu de l'aire de refuge exigée.

La solution semble davantage dictée par le souci de « sauver » un projet de constructions que par le respect des prescriptions du plan de prévention du risque d’inondation. Elle fait bon marché des conditions de survenue de crues dans cette région géographique et orographique soumise à un régime méditerranéen caractérisé par l’intensité et la soudaineté des catastrophes pluviométriques.

(24 juin 2022, Société La Maison familiale de Provence, n° 453543)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mai 2022

Mai 2022

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Pouvoir d’instruction du premier ministre – Circulaire adressée à certaines autorités et leur prescrivant d’agir en matière d’environnement – Circulaire invitant les administrations à éviter de recourir au plastique – Application anticipée d’une mesure législative – Illégalité - Rejet.

Le premier ministre a, par une circulaire du 25 février 2020 relative aux engagements de l'État pour des services publics écoresponsables, indiqué aux ministres et secrétaires d'État et aux préfets de région que la démarche de l'État exemplaire devait désormais reposer sur un socle de vingt mesures présentées comme obligatoires ainsi que sur un dispositif de mobilisation des agents appelés à identifier et proposer d'autres mesures. Dans la liste des vingt engagements du socle obligatoire énumérés dans l'annexe de cette circulaire, la mesure n° 9 prévoit qu'à compter de juillet 2020, l'État s'engage à ne plus acheter de plastique à usage unique en vue d'une utilisation sur les lieux de travail et dans les événements qu'il organise.

C’est de cette mesure que la requérante demandait l’annulation en invoquant deux moyens au soutien de sa prétention.

En premier lieu, le premier ministre n’aurait pas été compétent pour prendre cette circulaire. Rejetant le moyen, le Conseil d’État n’aperçoit pas ici l’exercice d’un pouvoir réglementaire mais d’un pouvoir tiré de celles des dispositions de l’art. 21 de la Constitution en vertu desquelles « il dirige l'action du gouvernement ». De cette fonction constitutionnelle le juge déduit qu’il lui est toujours loisible « d'adresser aux membres du Gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d'agir dans un sens déterminé ou d'adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur ». On aperçoit ici un mélange et une adaptation des arrêts Labonne et Jamart avec toutefois cette importante différence, d’une part, qu’il s’agit de mesures « obligatoires » selon les propres termes de la circulaire et qui ont effet très au-delà du cercle de leurs destinataires puisqu’elles affectent directement les professionnels du secteur et ce n’est pas la formule trompeuse selon laquelle le premier ministre « s’est borné à leur prescrire un certain nombre d'actions visant à améliorer le respect de l'environnement par les administrations de l'État, notamment en évitant de recourir à des produits en plastique à usage unique » qui change les choses car c’est bien d’un ordre qu’il s’agit en l’espèce et d’un ordre affectant l’ordonnancement juridique.

Faut-il lire cette décision comme créant deux pouvoirs du premier ministre au sein de l’art. 21 de la Constitution, celui, classique, d’exécution des lois et désigné expressément comme tel par ce texte et celui, nouveau, fondé sur le fait qu’il dirige l’action du gouvernement ? Étant au surplus indiqué que par « gouvernement » le juge entend ici toute la chaîne de commandement du pouvoir exécutif jusqu’aux préfets de région.

En second lieu, la fédération requérante invoquait également une autre illégalité : alors que la loi (art. L. 541-15-10 du code de l'environnement) avait d’ores et déjà fixé une date à partir de laquelle il était interdit à l'État d'acquérir des produits en plastique à usage unique, celle du 1er janvier 2022, la circulaire attaquée anticipe l’échéance au mois de juillet 2020.

Il y a là, semble-t-il deux difficultés.

La première est de savoir s’il appartenait au premier ministre de modifier la date prévue par le législateur alors que n’est invoquée nulle urgence ou circonstance exceptionnelle. Se posait ainsi sérieusement la question de la légalité de cette circulaire sur ce point.

La seconde résulte de ce que cette anticipation est plus qu’une entorse au principe de sécurité juridique, lequel impose (au moins depuis l’arrêt Lacroix) la prise de mesures transitoires pour « lisser » les effets de décisions administratives brutales. Les opérateurs concernés pourraient exiger l’indemnisation du préjudice causé par cette accélération des choses.

En revanche, en l’absence de règles communautaires applicables en l’espèce, ne saurait être invoqué le principe de confiance légitime.

(16 mai 2022, Fédération nationale de vente et services automatiques, n° 445265)

 

2 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recours pour excès de pouvoir – Recours contre un acte non réglementaire – Rejet et renvoi de l’affaire au tribunal administratif de Paris.

(19 mai 2022, Mme C., n° 458057)

V. n° 27

 

3 - Décision ministérielle répartissant des quotas de pêche - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Rejet.

La décision par laquelle la ministre chargée de la pêche maritime procède à la répartition de quotas de pêche ne présente pas de caractère réglementaire, dès lors sa contestation ne relève pas de la compétence directe du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort.

(ord. réf. 18 mai 2022, Syndicat des moniteurs guides de pêche français, n° 463774)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

4 - Sites en ligne à contenu pornographique – Obligation pour tout service de communication au public en ligne d’en empêcher l’accès aux mineurs – Demande se heurtant à une décision implicite de rejet du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Mesures prises en réalité en ce sens – Rejet d’une demande devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

L’association requérante contestait la décision implicite de refus du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 pour assurer la protection des mineurs à l'égard des contenus accessibles sur huit sites internet.

Pour rejeter ce recours, le juge constate qu’il est devenu sans objet car en réalité il résulte de l’instruction que le président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a, d'une part, mis en demeure les éditeurs de cinq des sites concernés de se mettre en conformité avec leur obligation, résultant de l'article 227-24 du code pénal, d'empêcher l'accès des mineurs à leur contenu, et, d'autre part, a demandé à l'éditeur des trois autres sites d'établir que le procédé technique mis en place répond effectivement à cette obligation tout en l'informant de la possibilité d'une mise en demeure si sa réponse n'était pas satisfaisante.Par suite, la demande de la requérante est devenue sans objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

(19 mai 2022, Association Civitas, n° 454178)

 

Biens

 

5 - Copropriété des immeubles bâtis – Notifications et mises en demeure par voie électronique – Obligation de l’accord exprès des propriétaires – Absence d’atteinte à divers principes ou libertés invoqués – Rejet.

Le recours contestait la légalité de l’art. 42-1 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâties, créé par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové et qui dispose que : « Les notifications et mises en demeure, sous réserve de l'accord exprès des copropriétaires, sont valablement faites par voie électronique. » Son annulation était recherchée. Cette demande est rejetée.

Dès lors que le recours à ce procédé est subordonné à l’accord exprès du propriétaire concerné et n’a donc pour lui aucun caractère obligatoire, il en résulte que ne peut être invoquée au soutien de la demande d’annulation l’atteinte au principe de sécurité juridique, à l'économie de conventions légalement conclues, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre. Pas davantage, en raison de cette liberté de consentir à ce mode de communication, il ne peut être sérieusement soutenu que le texte litigieux opérerait une discrimination mettant en cause le principe d’égalité entre les copropriétaires y ayant recours et ceux qui le refusent, entre les copropriétaires selon les ressources financières de la copropriété ou celles du copropriétaire ou selon l'accessibilité d'internet dans la zone géographique concernée.

(11 mai 2022, M. Prince, n° 448191)

 

6 - Domaine public maritime - Interdiction d'aménagement ou d'édification d'ouvrages - Exercice de l'action domaniale à l'encontre du propriétaire ou gardien - Notion de gardien - Rejet.

Propriétaire d'une villa aux pieds de laquelle se trouvent plusieurs installations situées sur le domaine public (plate-forme en béton dallée, trois bollards, un plongeoir et une rampe double d'escaliers), la société requérante a été invitée à les démolir et à remettre les lieux en leur état naturel.

Cette dernière, qui n'est ni propriétaire ni constructeur de ces biens, contestait sa qualité de gardien de ceux-ci et soutenait ne pas en avoir l'usage exclusif.

Le Conseil d'État approuve la cour administrative d'appel d'avoir - sans erreur de droit ni de qualification des faits - jugé le contraire en retenant que la demanderesse avait la jouissance des installations en cause, situées en contrebas de sa propriété, que des panneaux interdisant l'accès aux piétons sont apposés à proximité du seul cheminement permettant au public d'y accéder, que l'ancien propriétaire de la villa avait, comme elle, demandé à occuper la dépendance sur laquelle elles sont construites, et qu'elle s'était elle-même acquittée d'indemnités pour occupation sans droit ni titre de cette dépendance.

C'est donc à bon droit que la requérante est tenue de remettre les lieux en leur état naturel.

(31 mai 2022, Société Mayer, n° 457886)

 

7 - Convention fiscale internationale (convention franco-chinoise du 30 mai 1984 en vue de prévenir les doubles impositions) - Fonction d'une telle convention - Office du juge dans l'application des stipulations claires de la convention - Erreur de droit - Annulation.

Dans un litige relatif à l'application d'une convention fiscale franco-chinoise en matière d'impôts sur les sociétés, le juge est amené à apporter un certain nombre de précisions ou d'éclaircissements.

I. - Tout d'abord, il est jugé, très classiquement car c'est une évidence, qu'une convention fiscale internationale destinée à éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition.

Ensuite, et ceci découle directement de ce qui précède, il appartient au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

Enfin, et alors même qu'une telle convention n'a pas pour objet la répartition du pouvoir d'imposer entre les deux États qui y sont parties, il incombe au juge saisi de faire application des stipulations claires subordonnant l'imputation du crédit d'impôt forfaitaire qu'elles prévoient, à raison de l'impôt réputé perçu dans l'État où les revenus en cause trouvent leur source, à l'inclusion dans l'assiette de l'impôt sur les bénéfices dû en France du revenu en cause augmenté de cet impôt. 

 

II. - En conséquence c'est au prix d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a cru pouvoir juger dans le cas de l'espèce que dès lors qu'aucune disposition législative de droit interne ne prévoyait l'inclusion de cet impôt forfaitaire dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France, la société requérante était en droit d'imputer sur cet impôt, calculé, en ce qui concerne les opérations en cause, sur le seul montant des intérêts de source chinoise perçus par elle, un crédit d'impôt égal au montant total de l'impôt réputé prélevé à la source sur ces intérêts.

La cassation est donc encourue.

(31 mai 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 461519)

 

Contrats

 

8 - Sous-concession d’un lot de plage – Mise en concurrence – Méthode d’évaluation des offres au regard des critères d’attribution – Étendue de la liberté de définition des éléments d’appréciation des offres – Obligation de cohérence avec les critères, leur portée et leur hiérarchisation – Utilisation de flèches de couleur et absence de note chiffrée – Office du juge du référé de l’art. L. 551-1 CJA – Annulation.

Une société, candidate infructueuse à l’attribution d’un lot de sous-concession de plage, a obtenu du juge des référés de l’art. L. 551-1 CJA l’annulation de la procédure de la mise en concurrence au stade de l’examen des offres. La commune organisatrice de la procédure d’attribution des lots se pourvoit en cassation.

Le pourvoi est accueilli.

Le juge de cassation rappelle sa ligne jurisprudentielle constante sur la large étendue du pouvoir détenu par l’autorité concédante pour définir la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics comme dans son appréciation globale des offres.

Cette liberté lui permet, d’une part, de déterminer chacun des éléments d'appréciation qu’elle décide de prendre en compte pour réaliser son évaluation des offres, d’autre part, de fixer les modalités de leur combinaison.

Pour étendue et discrétionnaire qu’elle soit cette liberté n’est cependant pas sans limites.

Les deux plus importantes sont, l’une externe, l’autre interne à la volonté de l’autorité concédante.

En premier lieu, au plan externe, s’imposent à elle les principes fondamentaux du droit de la commande publique tels ceux d’égalité entre les concurrents et de transparences des procédures. La méthode d’évaluation retenue doit donc respecter et mettre en œuvre ces principes en particulier en ce que les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution doivent être en lien direct avec les critères dont ils permettent l'évaluation.

En second lieu, au plan interne, l’autorité est soumise à une obligation de cohérence entre ses choix, d’une part, en ne prenant en compte que des éléments d’appréciation des offres qui sont en rapport direct avec les critères dont ils permettent l'évaluation, d’autre part, en s’abstenant de retenir des modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments qui seraient, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation car, dans l’un et l’autre de ces cas les modalités retenues pourraient conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

Toutefois, cette exigence de cohérence interne cède le pas au respect des principes du droit de la commande publique, d’où le juge tire ici cette conséquence que les limites à la liberté de l’autorité concédante découlant de l’obligation de respecter ces principes s’imposent alors même que l'autorité concédante, qui n'y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d'évaluation.

En l’espèce, le juge des référés du tribunal administratif a estimé que la méthode d'évaluation de l'offre litigieuse, dans le cadre de laquelle l'appréciation de l'autorité concédante sur les différents critères d'attribution était matérialisée par des flèches de couleur, était irrégulière faute pour ces signes d'être convertis en note chiffrée, ce qui laissait « une trop grande part à l'arbitraire ».

En réalité, d’une part, chaque critère faisait l’objet d’une appréciation littérale accompagnée d’une flèche (une flèche verte orientée vers le haut pour la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas pour la moins bonne, des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite pour les évaluations intermédiaires) et d’autre part, l’autorité concédante a classé les offres au regard de l'appréciation qu'elle avait portée sur chacun des critères. Cette façon de procéder, qui permettait de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles et qui n’était pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation, n’était pas entachée d'irrégularité.

Le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit alors qu'il lui incombait seulement de rechercher si la méthode d'évaluation retenue n'était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu'avait retenue l'autorité concédante.

(3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 459678 et n° 460724)

(9) V. aussi, à propos de l’attribution d’un autre lot sur la même plage, la décision, identique à celle rapportée ci-dessus, mais ajoutant ces précisions bien connues :

1° que le montant prévisionnel des redevances proposées par les candidats, alors même qu'il serait évalué pour partie par référence au chiffre d'affaires prévisionnel s'agissant des redevances variables, n'est pas dépourvu de tout lien avec le critère de la qualité et de la cohérence des offres sur le plan financier, dont il est un élément d'appréciation, et vise à apprécier non la valeur financière de l'offre mais la cohérence et la crédibilité de celle-ci au plan financier ;

2° qu’il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par l'autorité concédante, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres ;

3° que le caractère éventuellement initialement irrégulier d’une offre ne fait pas obstacle à ce que la négociation la fasse évoluer et conduise à sa régularisation ;

4° qu’il incombe au juge des référés, comme faisant partie intégrante de son office, de vérifier que l'autorité concédante n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats : 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 460089 ; 3 mai 2022, Société Le 10 Plage, n° 460155, jonction.

(10) V. également, identiques aux décisions jointes ci-dessus : 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 460090 ; Société Le Sporting Plage, n° 460154, jonction.

 

11 - Marché en cours d’exécution – Marché conclu avec un groupement sans personnalité juridique – Substitution à un ou plusieurs membres de ce groupement d’un ou plusieurs autres opérateurs économiques – Obligation d’organiser une mise en concurrence – Avenant au marché – Incompétence du juge du référé contractuel sauf si l’avenant a été lui-même soumis aux règles de publicité et de concurrence – Annulation partielle de l’ordonnance rendue en référé contractuel avec différé d’exécution et infliction d’une pénalité (cf. art. L. 551-19 CJA).

La requérante a notamment demandé l’annulation – par voie de référé contractuel – du contrat conclu entre le Groupe hospitalier du sud de l'Ile-de-France (GHSIF) et la société Bureau européen d'assurance hospitalière (BEAH), le nouvel assureur se substituant à la Lloyd's Insurance Company, pour l'exécution des prestations d'assurance de responsabilité civile à compter du 1er janvier 2022 et des contrats ou avenants conclus entre le GHSIF et le BEAH ou la Lloyd's Insurance Company en ce qu'ils contiennent des augmentations tarifaires prohibées par le code de la commande publique.

Elle se pourvoit contre une ordonnance de référé jugeant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur certains chefs de demande et rejetant le surplus.

A la suite d’un appel d’offres ouvert le Groupe hospitalier précité a conclu avec plusieurs sociétés d’assurance un contrat d’assurance responsabilité civile et risques annexes. Avant le terme de ce contrat, l’une des compagnies signataires de celui-ci l’a résilié pour sa part et le Groupe hospitalier a conclu avec BEAH un avenant substituant à cette compagnie une autre pour la période restant à courir du contrat initial.

La requérante demande en fait l’annulation de cet avenant et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État décide qu’il n'entre pas dans la compétence du juge du référé contractuel, telle que définie par l'article L. 551-13 du CJA, de statuer sur un avenant à un contrat sauf dans le cas où la conclusion d'un tel accord est soumise aux règles de publicité et de concurrence qui s'appliquent à la passation des contrats visés aux articles L. 551-1 et L. 551-5 du CJA.

Il juge ensuite, par combinaison des dispositions des art. L. 2194-1, R. 2142-19 à R. 2142-25, et R. 2194-5 à R. 2194-7 du code de la commande publique, que la substitution en cours d’exécution d’un marché public, au groupement d’opérateurs qui l’a signé, d’un ou plusieurs autres opérateurs économiques constitue en réalité une modification du titulaire du marché laquelle ne peut être réalisée régulièrement sans mise en concurrence que dans les cas limitativement énoncés à la disposition législative et aux dispositions réglementaires précitées. C’est donc par suite d’une erreur de droit que, pour rejeter le recours dont l’avait saisi la SHAM, le juge du référé contractuel a estimé que le changement d’un seul des membres du groupement sans modification du mandataire dudit groupement ne constituait pas une modification du titulaire du marché.

Jugeant l’affaire au fond (par application de l’art. L. 821-2 CJA) par suite de l’annulation prononcée de l’ordonnance, le juge de cassation estime, d’une part, que la sortie de l’une des sociétés du groupement  n'a pas eu lieu en application d'une clause de réexamen ou d'une option et qu'elle n'est pas intervenue à la suite d'une opération de restructuration de celle-ci et, d’autre part, que cette décision de retrait  en application d’une clause de résiliation stipulée au contrat constituait un événement qu’un acheteur diligent pouvait prévoir (cf. art. R. 2194-5 du CCP).

Il juge également que la requérante n'est pas recevable à contester devant le juge du référé contractuel cet avenant en tant qu'il a modifié le prix du marché d'assurances initial car cette augmentation du prix est inférieure à la fois au seuil de 215 000 euros hors taxes et à 10 % du montant total du marché. En revanche, elle est recevable à contester celles des stipulations de l’avenant procédant au remplacement de l’un des contractants, ces stipulations étant divisibles des autres dispositions de l’avenant, en tant qu’ont été méconnues par le Groupe hospitalier les obligations de publicité et de mise en concurrence.

Enfin, opérant une balance bien connue des lecteurs de cette Chronique, le Conseil d’État prononce une annulation différée  jusqu’au terme de la durée d’exécution du marché en raison du double inconvénient qui résulterait, au regard de l’intérêt général, de l’ouverture d’une période où le Groupe hospitalier ne verrait plus sa responsabilité couverte et du risque contentieux que ferait courir une annulation rétroactive sur les sinistres susceptibles d’être intervenus ou découverts durant ce laps de temps.

Compte-tenu du temps d’exécution du contrat restant encore, une pénalité financière – très légère – de 5000 euros est infligée au Groupe hospitalier.

(16 mai 2022, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 45940)

 

12 - Renouvellement du contrat – Restitution à la commune, par le précédent titulaire du contrat, des biens de retour matériels et immatériels – Retour normalement gratuit dans le patrimoine communal – Invocation du régime de la propriété littéraire et artistique – Marque déposée – Urgence ou utilité des mesures sollicitées par la commune – Annulation de l’ordonnance de référé et admission du recours.

La commune de Nîmes demande l’annulation de l’ordonnance de référé qui a rejeté sa demande tendant à voir ordonner à la société Culturespaces de procéder sans délai à la restitution des biens de retour de la concession portant sur l'exploitation touristique et culturelle des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne que constituent les biens matériels et immatériels liés à ce contrat, notamment les communautés et contenus numériques liés aux pages des réseaux sociaux, le film relatif à la Maison carrée et les décors des Grands Jeux romains ou, à tout le moins, de restituer sans délai les communautés et contenus numériques liés aux pages des réseaux sociaux et les décors des Grands Jeux romains, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

1 - Le juge commence par rappeler qu’en principe le juge administratif ne peut intervenir dans la gestion d'un service public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat. C’est le rappel de la bien connue jurisprudence Préfet de l’Eure.

Toutefois doit être réservé le cas où l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle. Cette situation permet au juge du contrat de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d'urgence, le juge des référés peut, de même (cf. art. L. 521-3 CJA) ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Il est précisé ici qu’au nombre des mesures susceptibles d’être prises à ce titre figure la restitution par le concessionnaire des biens de retour afin que soient assurés la continuité du service public et son fonctionnement correct.

2 – Dans le présent litige, la candidature de la société Culturespaces à qui avait été attribuée en 2012 pour prendre effet le 7 janvier 2013, une délégation de service public portant sur l'exploitation culturelle et touristique des monuments romains de la ville, impliquant la gestion des services d'accueil, l'animation culturelle, la communication et la valorisation des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne n’a pas été retenue lors de l’attribution d’une nouvelle concession avec même objet. Si le juge judiciaire a ordonné à cette société de suspendre toute action de destruction et de s'assurer de la conservation des biens matériels et immatériels susceptibles d'être qualifiés de biens de retour de la concession, le juge administratif des référés, au visa de l’art. L. 521-3 CJA, a rejeté la demande de la commune en vue que lui soient restitués lesdits biens. 

Pour estimer que les stipulations de la convention de délégation de service public étaient susceptibles de faire obstacle au retour gratuit à la personne publique de biens nécessaires au service public créés au cours de la délégation, il incombait au juge des référés de rechercher si les biens en cause étaient nécessaires au fonctionnement du service public puisqu’il est de  principe que si les parties au contrat de délégation peuvent décider la dévolution gratuite à la personne publique d'un bien qui ne serait pas nécessaire au fonctionnement du service public, elles ne peuvent en revanche jamais exclure qu'un bien nécessaire au fonctionnement du service public lui fasse retour gratuitement, or c’est ce qu’a jugé erronément le juge des référés. En effet, dans une concession de service public ou de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique.

Il s’ensuit nécessairement qu’au terme de la convention, les biens qui sont entrés dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font retour à celle-ci gratuitement, ce qui interdit que le contrat puisse, à l’arrivée de ce terme, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique. Il n’y a d’exception que dans le cas où une clause du contrat de concession permet à la personne publique, lorsque sont remplies les conditions qu'elle fixe, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public.

4 – Statuant au fond, le Conseil d’État rejette la double critique sur la compétence juridictionnelle tenant d’une part à l’exception d’incompétence soulevée par la défenderesse, fondée d’une part sur la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de litiges portant sur la propriété littéraire et artistique (art. L. 331-1 code de la propriété intellectuelle) et d’autre part sur le fait que l’office du juge des référés ne saurait s’étendre aux litiges en restitution de biens de retour. Sur le second point, l’arrêt avait déjà répondu et sur le premier point le juge rétorque que la restitution des éléments matériels et immatériels des différents supports s’effectue sans préjudice des éventuels droits de propriété intellectuelle relatifs à ces supports ou aux contenus hébergés par ces pages.

Puis, il ordonne la restitution gratuite à titre de biens de retour :

- du film visé à l'article 18 de la convention, à savoir un « nouveau film de la Maison Carrée » en raison de son caractère utile et urgent pour permettre le démarrage immédiat de la nouvelle concession ;

- des droits d'administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l'objet du contrat qui sont nécessaires de façon urgente au fonctionnement du service public tel qu'institué par la commune de Nîmes, ce transfert devant s’effectuer dans le respect des obligations que le droit de l’Union attache à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel sans que ces obligations puissent constituer aucun obstacle à l’exercice du droit au retour ;

- des décors créés pour l’organisation de la manifestation dite des « Grands jeux romains » qui l'ont été spécialement pour cette occasion quand bien même, comme le soutient la société défenderess, ils ne seraient plus nécessaires au service public et sans que puisse être opposée à cette restitution la circonstance que l'appellation « Grands Jeux romains » serait protégée par une marque déposée par la société Culturespace, ces circonstances ne sauraient faire obstacle au retour de ces biens à la commune en raison de l’urgence ou de l’utilité qui s’y attache pour cette dernière.

En revanche, faute de précisions sur ceux-ci, est rejetée la demande de la commune en restitution d’autres biens.

Cette décision fait injonction d’opérer la restitution desdits bien sous quinzaine assortie, passé ce délai, d’une astreinte de 200 euros par jour de retard.

(16 mai 2022, Commune de Nîmes, n° 459904)

 

13 - Marché de maîtrise d’œuvre de travaux de construction d’un centre hospitalier – Marché attribué à un groupement solidaire – Absence de répartition des tâches, par le marché, entre les membres du groupement – Représentation mutuelle – Formulation, au contentieux, de conclusions divergentes – Attribution des sommes correspondant aux prestations de l’un des membres – Conséquence sur les obligations du maître de l’ouvrage envers les autres membres du groupement – Cassation.

Un groupement d’entreprises s’étant vu attribuer le marché de maîtrise d’œuvre de travaux de construction d’un centre hospitalier et le marché ne précisant pas la répartition des tâches entre les entreprises membres, se posait la question de savoir quelles règles doivent être suivies en ce cas pour le paiement des prestations fournies.

Ceci conduit le Conseil d’État à rappeler tout d’abord qu’en l’absence de répartition, par les stipulations du marché, des prestations relevant de chacune des entreprises membres du groupement solidaire créé pour l'exécution du marché, ces entreprises sont réputées se représenter mutuellement. Il suit de là que les conclusions qu’elles forment à fin de paiement desdites prestations doivent être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement ; ainsi, ces demandes peuvent tendre au paiement du solde global du marché. 

Ensuite, est envisagée l’hypothèse où, comme dans le cas de l’espèce, les membres du groupement présentent au juge des conclusions divergentes. En ce cas, tout membre du groupement peut demander le paiement, pour son propre compte, des prestations qu’il a effectuées y compris dans le silence du marché sur la répartition des tâches et cela sans qu’il y ait lieu de s’arrêter à la question de savoir si ce membre est mandataire ou non du groupement.

Enfin, se déduit de là cette conséquence que le maître de l’ouvrage qui a versé la somme correspondant à la prestation réalisée par le membre demandeur se trouve libéré de sa dette à du concurrence de son montant et cela à l’égard de tous les membres du groupement.

(19 mai 2022, Société Patriarche venant aux droits de la société BDM Architectes, n° 454367)

 

14 - Marché de travaux – Absence de projet de décompte final adressé au maître d’œuvre dans le délai de 45 jours à compter de la notification de réception des travaux – Décompte final établi d’office par le maître d’œuvre pouvant faire l’objet de réclamations dans les 45 jours de sa transmission y compris sur des postes absents de ce décompte – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Il résulte des dispositions de l’art. 13 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux, dans sa rédaction approuvée par l'arrêté du 8 septembre 2009, applicable ici, que faute pour le titulaire du marché d’avoir adressé au maître d’œuvre un projet de décompte final dans les 45 jours de la notification de la réception des travaux, le maître d’œuvre établit d’office un décompte final que le titulaire du marché doit renvoyer, éventuellement assorti  des motifs de son refus, dans les 45 jours de sa réception.

La question qui se posait ici et qui d’ailleurs n’était pas nouvelle, était de savoir si le titulaire peut contester le décompte final définitif établi d’office par le maître d’œuvre sur des postes de rémunération ou d’indemnisation qui n’y sont pas mentionnés. La réponse est positive car les dispositions précitées du CCAG « n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de priver (le titulaire du marché) du droit de former, dans le délai de quarante-cinq jours suivant la transmission du décompte général du marché, une réclamation sur ce décompte général, quand bien même elle porterait sur un poste de rémunération ou d'indemnisation qui n'avait pas été mentionné dans le décompte final établi d'office par le maître d'œuvre ».

En somme le décompte établi d’office n’a pas un effet cristallisateur sur les prétentions du titulaire du marché et ne constitue ainsi pas un cas de déchéance des droits de ce dernier à réclamation.

(19 mai 2022, Sociétés Eiffage Route Nord Est, Eiffage Génie civil et Entreprise Jean Lefebvre Nord, n° 455134)

 

Droit du contentieux administratif

 

15 - Aide juridictionnelle – Retrait de l’aide pour requête abusive ou dilatoire - Exercice d’un pouvoir propre du juge – Retrait prononcé d’office ne constituant pas le relèvement d’un moyen d’ordre public – Rejet sur ce point – Annulation au fond.

Le litige portait, dans le cadre de la contestation d’un refus préfectoral de renouveler à un ressortissant algérien son certificat de résidence mention « retraité », sur les conditions de retrait de l’aide juridictionnelle primitivement accordée. Si, en définitive, le Conseil d’État donne raison au requérant sur ce dernier point, la décision vaut surtout par l’analyse qu’elle présente de la nature juridique du retrait d’une décision d’octroi du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

En l’espèce, la cour administrative d’appel avait jugé abusive la seconde des deux requêtes présentées par le demandeur et prononcé d’office le retrait total de l’aide juridictionnelle conformément aux dispositions de l’art. 104 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique qui était alors applicable. Le requérant soutenait que la cour avait commis une irrégularité en ne lui communiquant pas préalablement l’existence d’un moyen relevé d’office. Cet argument est rejeté car le juge prononçant d’office le retrait total de l’aide juridictionnelle exerce un pouvoir propre dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et ne soulève donc pas un moyen d’ordre public. Il n’a pas à communiquer préalablement au demandeur ce relèvement d’office qui n’entre pas dans les prévisions de l’art. R. 611-7 du CJA.

(5 mai 2022, M. C., n° 455860)

 

16 - Autorisation de fusion absorption – Société requérante prétendant exercer une activité concurrente de celle de la société issue de la fusion – Absence d’activité après liquidation de la société requérante – Absence d’intérêt donnant qualité pour agir – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’un arrêté ministériel du 10 décembre 2020 autorisant la fusion par voie d'absorption de la société anonyme Bpifrance par sa filiale la société anonyme Bpifrance Financement et faisaient valoir, d’une part, que la société MEI Partners exerce dans son domaine une activité concurrente de celle de la société résultant de cette fusion et d’autre part qu'elle détient une créance sur l'État, au titre d'une « gestion d'affaires » consistant à réclamer par la voie contentieuse le reversement à l'État d'aides d'État qui auraient été indûment versées à BPi.

Le Conseil d’État juge la requête manifestement irrecevable et la rejette comme telle car il constate que la société MEI Partners est dépourvue de toute activité réelle au moins depuis le jour de sa mise en liquidation et que à  supposer même que des aides d'État aient été indûment versées à la BPi, l'opération de fusion autorisée par l'arrêté du 10 décembre 2020 serait dépourvue de toute incidence sur la créance que l'État détiendrait à ce titre sur l'établissement fusionné comme, à supposer qu'elle existe, la créance que détiendrait la société MEI Partners sur l'État.

Dès lors, ni cette société ni son liquidateur judiciaire ne justifient d'un intérêt leur donnant qualité à agir contre l'autorisation attaquée ou les décisions refusant d'abroger cette autorisation et de notifier à la Commission européenne les « apports d'actif » correspondants ou un plan de restructuration de la société Bpifrance. Il en va de même, par voie de conséquence, de M. A., qui se borne à faire valoir sa qualité d'actionnaire de la société MEI Partners et de la société Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux, d’où il prétend tirer sa vocation à succéder aux droits et obligations de la société MEI Partners. 

(11 mai 2022, Société MEI Partners, Me Jean-Marc Noël, liquidateur judiciaire de cette société, Société européenne Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux et M. B. A., n° 442707)

 

17 - Motivation des jugements – Omission de réponse à moyen – Jugement insuffisamment motivé – Annulation.

Dans un litige en décharge de taxe d’habitation, une association sportive invoquait devant le juge un moyen tiré des dispositions du 2° du I de l'article 1407 du CGI et un moyen tiré de deux réponses ministérielles publiées au Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Le tribunal administratif a rejeté le recours en se fondant sur le premier de ces moyens sans répondre au second ni juger, par exemple, qu’il était irrecevable ou inopérant.

Le jugement est annulé à raison de l’insuffisance de sa motivation.

(11 mai 2022, Association sportive du Bas Rhône Languedoc, n° 449944)

 

18 - Harcèlement moral et harcèlement sexuel – Appel principal et appel incident – Autorité absolue de chose jugée au pénal – Annulation avec renvoi.

Inspectrice des douanes, la requérante a adressé au ministre des finances et des comptes publics une demande tendant notamment à la reconnaissance de deux accidents de service, à la reconnaissance de faits de harcèlement moral et de faits de harcèlement sexuel et à l'octroi de la protection fonctionnelle à raison de ces différents faits. Cette demande ayant été rejetée d’abord implicitement puis explicitement, elle a saisi le tribunal administratif  qui a condamné l'État à lui verser une indemnité en réparation du préjudice moral causé par le refus de protection à raison des faits de harcèlement sexuel, enjoint au ministre de l'économie et des finances de saisir la commission de réforme dans un délai de deux mois et rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.

Saisie d’un appel principal de l’intéressée et d’un appel incident du ministre, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel principal de Mme B. contre ce jugement en tant qu'il avait rejeté ses conclusions tendant à la reconnaissance des faits de harcèlement moral, à la réparation des préjudices liés à ce harcèlement, à la mise en œuvre de la protection fonctionnelle à raison de ces faits et la prise en charge intégrale de ses frais et honoraires de procédure ; elle a fait droit à l'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics en annulant le jugement du tribunal administratif, à l'exception de son article 1er en tant qu'il avait annulé la décision refusant de reconnaître l'existence de deux accidents de service et de son article 3 faisant injonction au ministre de l'économie et des finances de saisir la commission de réforme dans un délai de deux mois. Mme B. se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État annule tout d’abord l’arrêt en tant qu’il fait droit à l’appel incident du ministre car, on le sait, l’appel incident n’est recevable que s’il ne soumet pas au juge un litige distinct de celui dont l’appel principal l'a saisi. Or l’appel principal ne portait que sur le harcèlement moral non sur le harcèlement sexuel tandis que l’appel du ministre ne concernait que les faits de harcèlement sexuel. Comme ces deux sortes de harcèlement constituent des catégories juridiques distinctes, l’appel incident du ministre soulevait un litige distinct de celui sur lequel portait l’appel principal, il était ainsi irrecevable.

Le Conseil d’État annule ensuite l’arrêt d’appel en tant qu’il a rejeté l’appel principal de Mme B. car cette dernière invoque un arrêt définitif rendu au pénal par la cour d’appel de Paris qui a condamné le supérieur hiérarchique de la requérante à six mois de prison avec sursis pour des faits de harcèlement moral. Il est de principe que la chose jugée portant sur les faits constatés par une juridiction pénale s’impose absolument aux juridictions administratives et que le moyen tiré de la méconnaissance de l’autorité absolue ainsi attachée à ces décisions juridictionnelles est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'État.

Il s’ensuit que le dispositif de l’arrêt de la cour administrative d’appel doit être annulé en tant qu’il repose sur des constatations de fait directement contraires à celles retenues par la cour d’appel de Paris statuant avec plénitude de juridiction sur elles.

L’arrêt est ainsi annulé en totalité.

(12 mai 2022, Mme B., n° 442880)

 

19 - Mémoires produits dans l’instance – Passages injurieux, outrageants ou diffamatoires – Constatation de ce caractère – Suppression desdits passages ordonnés – Annulation de l’arrêt mais confirmation de sa solution.

L’art. L. 741-2 CJA, s’appropriant les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’art. 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, permet au juge administratif d’ordonner la suppression « des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires » contenus dans les mémoires produits devant lui. L’exercice de cette faculté n’est pas très fréquent et la présente espèce fournit l’occasion d’une illustration.

(12 mai 2022, M. C., n° 448022)

 

20 - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Production régulière d’une note en délibéré – Note non visée par la Cour – Annulation et renvoi.

Est irrégulière et doit être annulée la décision de la CNDA qui ne vise pas une note en délibéré produite après l’audience et avant la lecture de la décision alors que cette note en télécopie comportant la signature de l’avocat a été déposée à la Cour et figure dans le dossier soumis au juge du fond.

(12 mai 2022, M. B., n° 452153)

 

21 - Procédure devant les juridictions administratives – Dispense de conclusions du rapporteur public par le code de justice administrative et par une disposition d’une ordonnance non ratifiée – Nature législative de la dispense – Rejet faute de QPC.

Dans un litige de droit fiscal, les contribuables requérants contestaient le caractère discrétionnaire du pouvoir reconnu en procédure administrative contentieuse au président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public de prononcer ses conclusions dans un litige donné. Ils critiquaient l’absence de tout critère objectif pour fonder cette dispense.

Ce pouvoir est prévu à titre permanent par les dispositions de l’art. L. 732-1 du CJA et, à titre temporaire et exceptionnel, par celles de l’art. 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, prise sur habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la cessation de l’urgence sanitaire (qui aura lieu le 12 juillet 2020).

Renversant sa jurisprudence (20 octobre 1982, Société Chanel, n° 29501 ; 17 avril 1989, Sarl « Hostellerie du Grand Cerf, n° 58150), le Conseil d’État pose en postulat que si les règles de procédure administrative contentieuse relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou par d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, tel n'est pas le cas des dispositions de l'article L. 7 du code de justice administrative prévoyant l'intervention du rapporteur public, lesquelles relèvent des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.

Il s’ensuit, d’une part, que les dispositions de l’art. 8 précité de l’ordonnance du 25 mars 2020 ont-elles aussi nécessairement une nature législative en ce qu’elles dérogent expressément à l’art. L. 7 précité et d’autre part, que s’agissant d’invoquer l’atteinte portée à un droit constitutionnellement garanti, alors que le délai d’habilitation est expiré, les requérants devaient accompagner leur recours d’une QPC ainsi qu’il résulte de l’étrange jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce point.

(12 mai 2022, M. A. et Mme A., n° 444994)

V. aussi pour un autre aspect de la décision le n° 50

 

22 - Plan local d’urbanisme – Recours en annulation de la délibération l’approuvant – Mémoire produit après la clôture de l’instruction et contenant des conclusions nouvelles – Absence d’obligation de les viser dans le jugement ou l’arrêt – Rejet.

C’est sans abus que le président de chambre d’une cour administrative d’appel a, sur le fondement du dernier alinéa de l’art. R. 222-1 CJA, rejeté par voie d’ordonnance l’appel formé contre le jugement refusant d’annuler une délibération communale approuvant le plan local d’urbanisme et cela sans viser le mémoire déposé après la clôture de l’instruction alors même que celui-ci contenait des conclusions nouvelles.

Cette solution, nouvelle, est logique. Il est heureux que le juge n’ait pas estimé que ses effets sont disproportionnés au regard du droit de propriété en cause dans ce litige du fait du classement, par le PLU, en zone UE réservée aux équipements publics et d'intérêt collectif, de la parcelle dont le requérant est propriétaire…

(16 mai 2022, M. A., n° 442991)

 

23 - Covid-19 – Aide de l’État à l’attractivité des foires et salons français – Société non inscrite sur la liste des entreprises aidées – Référé-liberté – Engagement de l’État pris à l’audience – Défaut d’urgence compte tenu de cet engagement – Rejet sous réserve.

Dans le contexte de la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19, un décret du premier ministre, auquel est annexée une liste des entreprisequi y sont éligibles, a institué une aide d’État pour leur participation aux foires et salons français.

La société requérante, absente de cette liste alors qu’elle organise des foires et salons et un événement de cette nature (« ADF et PCD et PLD Paris » devenu en 2022 « Paris Packaging Week »), a demandé – mais en vain - au premier ministre ainsi qu’au ministre de l’économie son inscription sur cette liste.  

Elle saisit le juge des référés sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA en vue qu’il enjoigne à l'État de modifier, sous sept jours, l'annexe du décret n° 2022-370 du 16 mars 2022 de façon à y inscrire le salon Paris Packaging Week organisé du 29 au 30 juin 2022 et, par voie de conséquence, celui organisé du 25 au 26 janvier 2023.

L’intérêt de cette affaire est d’illustrer parfaitement l’importante mutation que la procédure de référé fait subir à la procédure administrative contentieuse. C’est ce que démontre la façon dont ce litige a été traité.

Tout s’est en réalité noué au cours de l’audience durant laquelle le ministre défendeur a reconnu que la demanderesse remplissait bien les conditions d’éligibilité à l’aide instituée et pour être inscrite sur la liste des entreprises bénéficiaires. Le juge des référés a demandé au ministre de produire après l’audience un mémoire par lequel il s’engageait à procéder à cette inscription « dans les meilleurs délais » selon ses propres termes.

Prenant acte de cet engagement même s’il est pris sans date certaine, le juge des référés constate qu’à la date où il statue il n’y a plus d’urgence et rejette donc la requête dont il était saisi.

Toutefois, et pour donner pleine efficacité à sa décision, il est précisé dans l’ordonnance que « Cet engagement (du ministre de l’économie) devra cependant être traduit dans le droit aussi tôt que possible, la société requérante disposant en toute hypothèse de la possibilité de saisir à nouveau le juge des référés s'il n'en était pas ainsi ». 

Il faut saluer cette manière de procéder où l’élégance procédurale est jointe au réalisme pratique.

(16 mai 2022, Société Easyfairs Oriex, n° 463623)

 

24 - Condamnation de l’administration pénitentiaire à une obligation de faire sous astreinte – Distribution de kits et de trousses d’hygiène aux détenus – Prétendue inexécution de cette mesure – Demande de liquidation de l’astreinte – Rejet.

Par une décision du 24 décembre 2021 le Conseil d’État a condamné l’administration pénitentiaire à une astreinte de mille euros par jour de retard s’il n’était pas justifié, dans un délai d'un mois à compter de la notification de sa décision, de l'exécution des injonctions contenues dans l'ordonnance du 28 avril 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Melun relatives à la distribution de kits et de trousses d'hygiène aux détenus du centre pénitentiaire de Fresnes. Arguant de l’inexécution de la mesure ordonnée, la requérante a saisi le Conseil d’État d’une demande de liquidation d’astreinte.

La demande est rejetée car après diligences faites par la section du rapport et des études du Conseil d'État il est constaté qu’en date du 22 janvier 2022 l’administration s’est acquittée de cette obligation d’une part par l’affichage d’une note accessible aux lieux où circulent les détenus leur indiquant la possibilité d’obtenir une dotation supplémentaire à la distribution mensuelle de kits d’hygiène quelles que soient leurs ressources financières et d’autre part par une instruction de service en ce sens destinée aux personnels pénitentiaires.

La circonstance que ne sont pas mentionnés les motifs pour lesquels une demande de kit d'hygiène supplémentaire pourrait être refusée et que l'information n’a pas été effectuée par écrit en différentes langues étrangères ou oralement par le canal interne de la télévision, ne saurait constituer une inexécution de la mesure prescrite dès lors qu'il résulte de l'instruction que les modalités de distribution du formulaire permettent aux détenus de demander des précisions orales aux agents pénitentiaires pour garantir l'effectivité de la mesure. Ainsi n’est pas établie l’inexécution alléguée.

(19 mai 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP), n° 435622)

(25) V. aussi, avec même requérante, le rejet, d’une part, de son recours en annulation  contre les décisions implicites par lesquelles le directeur du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly et le directeur de l'administration pénitentiaire ont refusé de l'informer de l'état d'avancement de l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane du 23 février 2019 et de lui communiquer les documents en attestant ainsi que des bilans trimestriels de l'état d'avancement de son exécution, et d'autre part, de sa demande tendant à ce qu’injonction soit adressée aux directeurs saisis de faire droit à ses demandes, ou, à défaut, de procéder à leur réexamen sous astreinte : 19 mai 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP), n° 456201.

 

26 - Recours en révision – Décision prétendue rendue sur pièce fausse – Notion – Cas d’un avenant contractuel – Absence d’un tel caractère – Rejet.

La circonstance que dans le cadre d’une négociation contractuelle les autorités d'Aéroports de Paris auraient indiqué de façon inexacte à leurs interlocuteurs que le souhait d'organiser une nouvelle consultation avait été formulé par le conseil d'administration lui-même, inexactitude dont, au demeurant, l'existence n'a pas été établie par un avis rendu par la commission d'accès aux documents administratifs, n'aurait pas pour effet de faire regarder l'avenant au protocole conclu le 20 avril 2004 comme une pièce fausse au sens des dispositions de l'article R. 834-1 du CJA.

Par suite fait défaut l’existence de celui des trois cas d’ouverture du recours en révision invoqué en l’espèce, d’où le rejet du recours.

(19 mai 2022, Société JSC Investissement et autres, n° 458394)

 

27 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recours pour excès de pouvoir – Recours contre un acte non réglementaire – Rejet et renvoi de l’affaire au tribunal administratif de Paris.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé  contre la décision implicite de rejet par le premier ministre et par la secrétaire d'État qui lui est rattachée, chargée des personnes handicapées, de sa demande tendant à ce qu'ils mettent en œuvre, à l'encontre de l'exploitant du site internet de la Tour Eiffel, les pouvoirs qu'ils tiennent du décret du 24 juillet 2019 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne, est dirigé contre une décision non réglementaire et ne peut donc être porté directement devant le Conseil d’État. Le dossier est renvoyé au tribunal administratif de Paris.

(19 mai 2022, Mme C., n° 458057)

 

28 - Jugement se prononçant sur une question préjudicielle – Délai d’appel – Expiration – Rejet.

L’appel interjeté le 15 juillet 2019 contre un jugement notifié le 18 mai 2019, statuant sur une question préjudicielle renvoyée par le juge judiciaire et comportant l’indication des délais de recours, est à juste titre rejeté comme entaché de forclusion le délai d’appel étant, en cette matière, de quinze jours.

(19 mai 2022, M. A., n° 445744)

 

29 - Requête contenant des moyens non assortis de précisions – Précisions apportées après expiration du délai d’appel - Requête rejetée comme manifestement irrecevable – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Encourt cassation, au visa des dispositions combinées de l’art. R. 411-1 CJA et de l’art. R. 4126-11 du code de la santé publique, l’ordonnance rejetant comme manifestement irrecevable un appel formé contre un jugement de la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins alors que la requête contenait l'exposé de conclusions soumises au juge d'appel et qu’elle était assortie de moyens : la décision attaquée procéderait d'une inexacte appréciation des faits invoqués dans la plainte du conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins ;  l'instruction de cette plainte serait entachée de partialité ; la sanction prononcée serait insuffisamment motivée s'agissant du manquement, lui étant reproché, relatif au caractère illusoire des procédés thérapeutiques mis en œuvre ; la sanction infligée devrait être plus modérée. 

Il en va ainsi alors même qu’au moment de leur dépôt ces moyens n'auraient pas été, à ce stade, assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et que le requérant n’a apporté des précisions à l'appui de certains de ces moyens qu’après expiration du délai d’appel. 

(20 mai 2020, M. B., n° 439568)

 

30 - Police de la sécurité – Police des immeubles en état de péril – Obligation d’exécuter des travaux – Exécution d’office – Immeuble détenu en indivision – Solidarité des propriétaires indivis – Émission d’un titre exécutoire à l’encontre d’un seul des deux propriétaires valant pour le tout – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation sur moyen soulevé d’office.

(24 mai 2022, Commune de Coudekerque-Branche, n° 440499)

V. n° 115

 

31 - Recours excès de pouvoir – Intervention devant le tribunal administratif – Conditions pour interjeter appel – Obligation de le faire dans le délai d’appel – Absence de respect de ce délai – Forclusion – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue soit à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, soit en défense à un tel recours, est recevable à interjeter appel du jugement rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité soit pour introduire elle-même le recours, soit, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre le jugement faisant droit au recours.

Il en résulte nécessairement que son mémoire en intervention présenté en soutien à l'appel doit être regardée comme constituant lui-même un appel, qui, pour être recevable, devait avoir été introduit dans les délais de recours contentieux.

C’est au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a annulé la délibération d’urbanisme contestée par cet appel alors que, formé après expiration du délai d’appel, celui-ci était irrecevable car entaché de forclusion.

(24 mai 2022, M. B., n° 443699)

 

32 - Aide sociale aux personnes handicapées - Recouvrement de cette aide par un département - Personne handicapée revenue à meilleure fortune - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Transmission au tribunal judiciaire de Versailles (cf. art. 32, al. 1, décr. 27 février 2015).

(2 mai 2022, Département des Yvelines, n° 450154)

V. n° 69

 

33 - Référé liberté - Nécessité d'établir l'urgence à statuer - Atteinte éventuelle à une liberté fondamentale ne pouvant établir par elle-même cette urgence - Rejet.

Le requérant, avait demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif d'enjoindre au maire de la commune de Montreuil, par une ordonnance qui serait exécutoire dès son prononcé, d'inscrire à l'ordre du jour du conseil municipal du 30 mars 2022 la proposition de délibération qu'il a déposée sous le titre « Mise en œuvre d'une communication sans stéréotype de sexe et de l'utilisation de l'écriture épicène et inclusive » et de répondre aux questions orales déposées dans le cadre du code général des collectivités territoriales et du règlement intérieur du conseil municipal. Il invoquait au soutien de sa requête que la possibilité de présenter en conseil municipal une proposition de délibération et d'obtenir en séance publique des réponses à des questions d'actualité constituent des libertés fondamentales reconnues à un élu local que seule pourrait garantir une intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Le juge relève une nouvelle fois que les conditions de formation d'une demande en référé liberté sont cumulatives, dont celle de l'urgence à statuer, et que cette urgence ne résulte pas ipso facto d'une atteinte à une liberté fondamentale.

(5 mai 2022, M. A., n° 463170)

 

34 - Référé de l'art. L. 521-3 - Irrecevabilité manifeste - Demande qu'injonction soit faite à un tribunal judiciaire - Rejet.

Est manifestement irrecevable la requête en référé tendant à ce que le juge administratif fasse injonction à un tribunal judiciaire « de faire cesser la privation de son droit constitutionnel d'être représenté par un avocat et d'obtenir un procès équitable et impartial ». Il faut beaucoup d'aménité pour s'abstenir d'apercevoir dans cette démarche une requête abusive...

(9 mai 2022, M. B., n° 463095)

(35) V. aussi, tout aussi étrange que la précédente, la requête en référé liberté - évidemment rejetée - tendant à l'annulation de la décision du Conseil constitutionnel du 13 avril 2022, relative aux résultats du premier tour du scrutin de l'élection du président de la République et à la suspension les élections présidentielles de 2022 : 9 mai 2022, Mme B., n° 463369.

 

36 - Référé suspension - Professeur des universités - Personne porteuse d'un handicap - Demande de mutation prioritaire - Demande renvoyée au comité de sélection - Absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant - Rejet.

Le requérant, professeur des universités affecté à Rouen, a demandé au titre de son handicap, sa mutation prioritaire sur un emploi à pourvoir à l'université de Paris-Cité. Le conseil d'administration de cette université a renvoyé sa demande à l'examen du comité de sélection.

L'intéressé saisit le Conseil d'État d'une demande de suspension de cette décision.

Le recours est évidemment rejeté.

Tout d'abord, sa demande - contrairement à ce qu'il soutient - n'a pas été rejetée par l'université mais, ayant été adressée au conseil d'administration de celle-ci, elle a été transmise par ce dernier au comité de sélection. Ensuite, les problèmes psychiques invoqués par le requérant durent depuis plus de dix ans et cet état a été estimé consolidé désormais, ce qui exclut l'existence d'une urgence. Enfin, alors qu'il est seul concerné, le demandeur ne saurait prétendre, par son action, protéger les intérêts généraux des personnes en situation de handicap souhaitant bénéficier de la procédure de mutation prioritaire.

(10 mai 2022, M. A., n° 463730)

 

37 - Demande de faire injonction à un tribunal administratif - Compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort - Absence - Rejet.

Est manifestement irrecevable le référé liberté formé directement devant le Conseil d'État et tendant à ce que ce dernier enjoigne à un tribunal administratif diverses choses dans le cadre d'une instance pendante devant ce tribunal.

(13 mai 2022, M. D., n° 463799)

 

38 - Référé suspension - Litige porté au rôle d'une chambre du Conseil d'État dans les prochaines semaines - Absence d'urgence - Rejet.

Il n'y a pas lieu de faire droit à un référé tendant à la suspension de la décision du premier ministre de prolonger la réintroduction temporaire des contrôles à l'ensemble des frontières intérieures de la zone de Schengen du 1er mai 2022 au 31 octobre 2022, telle qu'elle a été révélée par la notification à la Commission effectuée en application de l'article 27 du règlement (UE) n° 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).

En effet, dès lors que sur le rapport de la 10ème chambre de la section du contentieux, cette affaire va être inscrite prochainement au rôle en vue du jugement du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision litigieuse, il n'y a pas d'urgence à statuer.

(13 mai 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, n° 463851)

 

39 - Compétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Recours contre des décisions du conseil de l'ordre des pharmaciens refusant l'inscription au tableau de l'ordre - Compétence de ce juge pour connaître d'autres mesures en matière d'inscription ou de radiation - Exclusion de la compétence des autres juridictions administratives de droit commun - Annulation.

S'il résulte des dispositions de l'article R. 4222-4-2 du code du code de la santé publique que le Conseil d'État est compétent pour statuer, en premier et dernier ressort, sur les recours contentieux formés contre les décisions de refus d'inscription au tableau prononcées, sur recours administratif préalable obligatoire, par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens saisi d'une décision de l'un des conseils régionaux de la section A ou de l'un des conseils centraux des sections B, C, D, E, G ou H, il s'en déduit que le Conseil d'État est également compétent pour statuer, dans les mêmes conditions, sur les décisions d'inscription au tableau de l'ordre, de retrait d'inscription, ou de radiation de ce tableau.

(25 mai 2022, M. A., n° 440639)

(40) V. aussi, s'agissant d'un refus d'inscription au tableau de l'ordre des pharmaciens : 25 mai 2022, Mme A., n° 446477.

 

41 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) - Procédure disciplinaire - Déduction, à partir de propos tenus actuellement, de la preuve de la tenue de ces mêmes propos antérieurement - Manquement à l'office du juge par insuffisance de motivation - Annulation.

Le CNESER avait à connaître du cas d'un étudiant poursuivi disciplinairement par son université pour avoir tenu à l'encontre d'un enseignant des propos injurieux et menaçants.

Pour juger les faits établis et rejeter le recours de l'étudiant contre la mesure d'exclusion définitive de cette université, le CNESER a retenu qu'il avait donné une teneur injurieuse, insultante et diffamatoire aux courriels qu'il avait adressés aux juridictions de première instance et d'appel durant l'instruction de son affaire et qu'ainsi était prouvée la continuité du comportement reproché à l'intéressé.

Le Conseil d'Etat est à la cassation de cette décision car en déduisant d'un fait certain le contenu d'un fait incertain, le juge a manqué à son office. En effet, pour dire continu le comportement reproché il eût fallu que le CNESER, de quelque façon, s'assurât de la nature des propos initiaux pour lesquels l'étudiant a été poursuivi et sanctionné.

(30 mai 2022, M. B., n° 450374)

 

42 - Procédure contentieuse - Demande d'une production rapide d'éventuelles observations - Absence d'indication du délai imparti à cet effet - Atteinte au principe du caractère contradictoire - Annulation.

Porte atteinte à l'exigence de contradictoire le jugement de rejet d'une requête après que son auteur a été informé, suite au dépôt d'un mémoire en défense par l'administration, d'une part que : «  Dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites en deux exemplaires dans les meilleurs délais » et d'autre part que  «  Afin de ne pas retarder la mise en état d'être jugé de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l'estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible ». Ces indications ne permettaient pas au demandeur de connaître le délai dont il disposait pour produire ses observations en réplique et ne pouvait, non plus, les faire valoir oralement en l'absence d'audience.

(31 mai 2022, M. B., n° 453814)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Établissement sur la base des éléments déclarés par le contribuable – Droits excédant ceux résultant desdits éléments – Non-respect des droits de la défense – Annulation.

On retiendra surtout de cette décision l’opportun rappel de ce que le respect du principe général des droits de la défense exige, lorsqu'une imposition est, comme la taxe foncière sur les propriétés bâties, assise sur la base d'éléments qui doivent être déclarés par le redevable.  En effet, l'administration ne peut établir, à la charge du contribuable des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu'il a déclarés qu'après l'avoir mis à même de présenter ses observations.

Faute du respect de cette règle élémentaire, l’imposition en litige est réduite à hauteur des éléments déclarés.

(11 mai 2022, SAS DA B., n° 439567)

 

44 - Réintégration erronée par le vérificateur de charges dans les résultats de la contribuable – Rejet pour impossibilité de distinguer la répartition des charges de l’avion dont la contribuable est propriétaire – Erreur de droit et méconnaissance par le juge de son office – Annulation.

Commet une erreur de droit et méconnaît son office la cour administrative d’appel  qui juge justifiée la réintégration par le vérificateur dans les résultats d’une EURL des charges liées à l’entretien et aux heures de vol de l’avion appartenant à cette entreprise en raison de l’impossibilité de distinguer entre les charges afférentes à l'entretien et à l'usage de l'avion relevant de l'activité de l'EURL et celles qui se rattachent aux déplacements personnels de M. A. B. alors qu’elle avait admis, sur justifications apportées par les requérants, que l'usage de l'avion avait présenté un caractère professionnel à hauteur de 48 heures de vol.

(11 mai 2022, M. et Mme A. B., n° 446757)

 

45 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Exclusion de panneaux d’isolation thermique de la base d’imposition à cette taxe – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante, qui exploite un établissement industriel de fabrication de fromages, a demandé au tribunal administratif la réduction des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie du fait de l'exclusion des panneaux d'isolation thermique de la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties. 

Le Conseil d'État avait prononcé l'admission des conclusions du pourvoi, en tant que ce jugement statue sur l’exclusion desdits panneaux.

Par la présente décision est prononcée, pour erreur de droit, la cassation de ce jugement  à raison de ce que pour exclure les panneaux d'isolation thermique de la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties il s’est fondé sur ce que les outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels mentionnés au 11° de l'article 1382 du CGI doivent s'entendre de ceux qui participent directement à l'activité industrielle de l'établissement et sont dissociables des immeubles. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante et fréquemment réitérée au Palais-Royal, que pour l’appréciation de la consistance des propriétés (cf. art. 1495 CGI et 324 B de son annexe III) qui entrent, en vertu de ses articles 1380 et 1381, dans le champ de la taxe foncière sur les propriétés bâties, « il est tenu compte non seulement de tous les éléments d'assiette mentionnés par ces deux derniers articles, mais également des biens faisant corps avec eux.

Sont toutefois exonérés de cette taxe, en application du 11° de l'article 1382 du même code, ceux de ces biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 ».

L'exclusion des panneaux solaires de la base d'imposition était donc irrégulière.

(11 mai 2022, Société Établissements L. Tessier, n° 450570)

 

46 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Immeubles étant la propriété d’un syndicat mixte – Exonération de la taxe sous conditions – Absence de satisfaction à ces conditions – Annulation du jugement et rejet de la requête.

En application des 1° et 9° de l’art. 1382 du CGI, les syndicats mixtes peuvent bénéficier de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des immeubles dont ils sont propriétaires à condition, d'une part, que ces immeubles soient affectés à un service public ou à un objet d'utilité générale et, d'autre part, qu'ils ne soient pas, pour leurs propriétaires, productifs de revenus, même symboliques. 

En l’espèce, l’immeuble litigieux  était mis à disposition d'un tiers exploitant dans le cadre d'un contrat prévoyant que cet exploitant reverse au syndicat une fraction des recettes ou des résultats de l'activité qu'il exerce dans cet immeuble, par suite cet immeuble doit être considéré comme productif de revenus au sens des dispositions du 1° de l'article 1382, sans que puisse faire échec à l’application de ce texte la circonstance que ce reversement puisse varier en fonction des résultats de l'exploitation. 

Doit donc être annulé pour erreur dans la qualification juridique des faits le jugement ayant estimé qu’en l’espèce le syndicat devait être exonéré de la taxe.

On peut ne pas être d'accord avec la solution retenue.

(12 mai 2022, ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 443811)

 

47 - Contribuable travaillant en Arabie saoudite - Existence prétendue d’un foyer en France – Lieu habituel d’existence et centre de vie personnelle en France – Éléments retenus impuissants à opérer cette localisation – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Alors que l’intéressé est employé par une société de construction en Arabie saoudite, la cour administrative d’appel, pour juger justifiée la position de l’administration selon laquelle il a son domicile fiscal en France, retient que celui-ci, divorcé, était propriétaire d'un appartement à Rennes, qu'il y disposait d'un logement dans lequel il séjournait lors de ses congés et qu'il versait une pension alimentaire à ses deux enfants mineurs qui résidaient en France. A l’évidence, ce raisonnement minimaliste n’établit en aucune façon l’existence que le contribuable habitait normalement en France et y avait le centre de sa vie personnelle. Il serait temps de réaliser que la détention d’un bien immobilier, même à usage d’habitation, sur le territoire français, n’établit point une « habitation normale » en France et que ce critère a fait son temps depuis sa mise à l’honneur en droit romain.

(11 mai 2022, M. A., n° 450692)

 

48 - Opérations de marchands de biens ou de lotisseurs portant sur des terrains à bâtir – Conditions d’assujettissement à la TVA sur la marge – Saisine et réponse de la CJUE – Conséquences sur le litige – Rejet.

Saisi par la requérante d’un recours dirigé contre l’arrêt d’appel ayant rejeté sa demande de restitution de TVA, le Conseil d’État, avant dire droit, a saisi la CJUE de questions préjudicielles (25 juin 2020, SAS Icade Promotion Logement, n° 416727). La présente décision statue au vu des réponses données par la Cour de Luxembourg (30 septembre 2021, aff. C-299-20).

En premier lieu, la CJUE a jugé que l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 doit être interprété en ce sens qu'il permet d'appliquer le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la TVA sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe que lorsque leur acquisition n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.

Elle a cependant précisé qu’en dehors de ces cas, cette disposition ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la TVA, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée.

En second lieu, la CJUE a estimé que ce même article 392 doit être interprété en ce sens :

1° qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir,

2° qu'il n'exclut pas en revanche l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots ou la réalisation de travaux d'aménagement permettant l'installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l'instar, notamment, des réseaux de gaz ou d'électricité.

Le Conseil d’État tire de là deux conséquences principales.

Tout d’abord, il déduit de cette décision de la CJUE que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI sont incompatibles avec les dispositions de l'article 392 de la directive 2006/112/CE en tant qu'elles soumettent au régime de la TVA sur la marge les cessions de terrains à bâtir réalisées par des revendeurs assujettis, au profit des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation, lorsque l'acquisition initiale du terrain à bâtir par le revendeur n'a pas été soumise à la TVA, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée, et que le prix auquel le revendeur a acquis ces biens n'incorpore pas un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que ces dispositions étaient compatibles avec l'article 392 de cette directive.
Le juge ajoute toutefois qu’il résulte de la combinaison des dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 2 et du k) du paragraphe 1 de l'article 135 de la directive 2006/112/CE que toute livraison de terrains à bâtir réalisée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel doit, en principe, être soumise à la TVA. Le régime de taxation sur la marge, prévu à l'article 392 de cette directive, constitue une dérogation au régime de droit commun de l'article 73 de la même directive en vertu duquel la TVA est calculée sur la totalité du prix de vente. Ainsi, dès lors que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI ne sont incompatibles avec la directive 2006/112/CE qu'en tant qu'elles soumettent les opérations en cause à une TVA calculée sur la marge et non à la TVA calculée sur le prix total, la société Icade Promotion ne peut utilement invoquer une telle incompatibilité pour demander la restitution de la TVA qu'elle a acquittée, qui a été calculée sur la seule marge. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus par la cour aux points 8 et 9 de l'arrêt attaqué.

Ensuite, le juge estime que la circonstance que la société Icade Promotion a procédé, dans le cadre de son activité de lotisseur, à des travaux de viabilisation des terrains préalablement à leur revente à des particuliers est par elle-même sans incidence sur l'application du régime de la TVA sur la marge prévue par les dispositions combinées du 6° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI aux opérations de cession de terrains à bâtir qui entrent dans le champ de la taxe. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, peut être substitué aux motifs retenus par la cour. Il s'ensuit que les moyens du pourvoi dirigés contre ces motifs de l'arrêt attaqué, tirés d'une dénaturation des pièces du dossier, d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

Enfin, sur un point particulier la présente décision étonne.

La société requérante invoquait une jurisprudence constante de la CJUE selon laquelle le principe de neutralité fiscale de la TVA s'oppose, d'une part, à ce que des livraisons de biens semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA ainsi que, d'autre part, à ce que les opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA. Le Conseil d’État estime que la société Icade Promotion ne saurait utilement se prévaloir de ce principe au motif que les opérations de vente effectuées par les départements, communes et établissements publics et relatives à des terrains leur appartenant pouvaient être exonérées de taxe sauf option contraire en application du 1° du 5 de l'article 261 du CGI, dans sa rédaction en vigueur lors de la période d'imposition en litige, dès lors que, par cette disposition, le législateur a seulement entendu maintenir l'exonération dont bénéficiaient ces opérations avant l'entrée en vigueur de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, comme l'autorisaient les dispositions du b) du paragraphe 3 de l'article 28 de cette directive, désormais reprises à l'article 371 de la directive 2006/112/CE.

Et le Conseil d’État de conclure : « Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu au point 10 de l'arrêt attaqué. Le moyen du pourvoi dirigé contre ce motif de l'arrêt attaqué, tiré d'une erreur de droit, ne peut, par conséquent, qu'être écarté. »

Sera-t-on étonné de nous voir dubitatif devant un tel raisonnement ? En quoi le maintien d’un privilège anti-concurrentiel est-il une justification ?

(12 mai 2022, Société Icade Promotion, n° 416727)

 

49 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Dispense dérogatoire de TVA en cas de cession d'une unité immobilière (art. 257bis CGI) - Conditions - Régime de régularisation de la TVA antérieurement due - Cas de dispense de régularisation - Cession ou acquisition initiale placée en dehors du champ d'application de la TVA - Impossibilité de se prévaloir de la dérogation (cf. art. 207, annexe II CGI) - Rejet après substitution d'un motif.

La société requérante a cédé le 30 juin 2009 un ensemble immobilier composé de bâtiments à usage de supermarché, d'une station-service et d'un parking qu'elle avait fait construire en 2004. L'administration fiscale a alors estimé qu'en application des dispositions du 1° du 1 du III de l'art. 207 de l'annexe II au CGI, cette société était tenue, en l'absence d'imposition à la TVA de la cession de cet ensemble immobilier, de régulariser la taxe antérieurement déduite ayant grevé les dépenses d'acquisition et de construction de cet ensemble.

Ayant saisi en vain les juridictions du fond en annulation des rappels de TVA auxquels elle a été assujettie, la requérante se pourvoit.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d'État considère que la dispense de TVA prévue par l'art. 257bis CGI lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens s'applique à tout transfert d'un fonds de commerce ou d'une partie autonome d'une entreprise dès lors que le bénéficiaire du transfert a pour intention d'exploiter le fonds de commerce ou la partie d'entreprise ainsi transmis et non simplement de liquider immédiatement l'activité concernée.

Par ailleurs, il lui paraît résulter des dispositions de l'art. 207 de l'annexe II au CGI que la cession de l'ensemble immobilier litigieux étant intervenue plus de cinq ans après son achèvement, cette cession était ainsi placée hors du champ de la TVA (cf. 2 du 7° de l'art. 257 du CGI).

Il en résulte donc que cette opération ne pouvait être regardée comme dispensée de TVA en application de l'art. 257bis précité car une telle dispense ne peut bénéficier qu'à une opération soumise à cette même taxe.

La contribuable requérante ne pouvait pas, ainsi, bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions du 1° du 4 du III de l'art. 207 de l'annexe II CGI, qui permettent de ne pas procéder à la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses d'acquisition en cas de cession d'un bien immobilier dispensée de TVA.

Le Conseil d'État substitue ainsi ce motif reposant sur des faits constants à celui, erroné, qu'avait retenu la cour administrative d'appel dans son arrêt dont il justifie cependant légalement le dispositif.

(31 mai 2022, Société Anciens établissements Georges Schiever et fils, n° 451379)

 

50 - Bénéfices réalisés à l’étranger par des résidents fiscaux (art. 123 bis CGI) – Régime d’imposition – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 123bis du CGI que sont imposables les bénéfices réalisés à l’étranger par des résidents fiscaux à raison d’entités situées dans des États ou territoires où elles sont soumises à un régime fiscal privilégié, sur lesquelles ces résidents exercent un contrôle, même partagé, quelle que soit la forme juridique de ce contrôle et dès lors, quand il est quantifiable, qu’il est supérieur à 10 %.

Ces conditions étant réunies dans le cas de l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a rejeté le recours dont elle était saisie.

(12 mai 2022, M. A. et Mme A., n° 444994)

V. aussi pour un autre aspect de la décision le n° 21

 

51 - Société à responsabilité limitée (Sarl) – Déduction de charges considérée comme constituant un revenu distribué (art. 109, 1° et 2° du 1, CGI) – Revenu imposé dans les mains de l’associé et gérant de la société – Présomption de distribution en raison de la qualité de maître de l’affaire du contribuable – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

L’administration fiscale n’avait pas accepté la déduction de certaines charges invoquée par une Sarl et les a considérées comme des revenus distribués imposables entre les mains du contribuable en sa qualité de maître de l’affaire.

La cour administrative d’appel avait jugé que si les dispositions du 2° du 1 de l’art. 109 du CGI font obligation à l'administration, lorsqu'elle estime devoir imposer l'associé d'une société qui n'a pas accepté, même tacitement, le redressement de son imposition à l'impôt sur le revenu, d'apporter la preuve que celui-ci a eu la disposition des sommes ou valeurs qu'elle entend imposer à son nom à raison de revenus regardés comme distribués, l'administration est toutefois réputée apporter la preuve de l'appréhension effective des fonds lorsqu'elle établit que cet associé, en sa qualité de maître de l'affaire, était en mesure de prélever des sommes à son profit.

L’arrêt est cassé pour erreur de droit car, relève à bon droit le Conseil d’État, s'agissant d'une imposition fondée sur le 2° du 1 de l'article 109 du CGI, il incombait à la cour de rechercher si les revenus avaient effectivement été distribués au requérant, et non de le présumer en raison de la qualité de maître de l'affaire de ce dernier. 

(19 mai 2022, M. C., n° 446787)

 

52 - Loi du pays en Polynésie française – Loi du pays relative aux impôts et taxes - Imposition des plus-values de cessions immobilières – distinction entre cessions intervenant dans les cinq ans de l’acquisition et celles postérieures – Finalité d’intérêt général – Critère objectif – Absence de charge excessive ou de caractère confiscatoire – Rejet.

Dans le cadre d’un recours en annulation de l’acte dit « loi du pays » n° 2021-55 du 27 décembre 2021, pris par la Polynésie française, portant simplification et performance du système fiscal, en faveur de la solidarité et de l'emploi et notamment de son article LP 30, le Conseil d’État est amené, notamment, à se prononcer sur un des aspects essentiels de cette réforme fiscale.

Le nœud de la difficulté résidait dans l’art. LP 30 de ce texte qui porte de 20 à 50 % le taux d'imposition des plus-values de cessions de biens immobiliers lorsque la vente intervient dans les cinq premières années de détention de ces biens.

Tout d’abord, cette « loi » ne constituant pas un texte à caractère « économique ou social » au sens de la loi organique relative à la Polynésie française, mais un texte à caractère exclusivement fiscal, son adoption n’avait pas à être précédée de la consultation préalable du conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie française.

Ensuite, le passage d’un taux d’imposition de 20% à celui de 50% ne constitue pas une sanction punitive et ne relève donc pas des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines fixés à l’art. 8 de la Déclaration de 1789.

Également, en retenant cette majoration pour les seules plus-values nées de la cession de biens immobiliers intervenue moins de cinq ans après leur acquisition, les auteurs du texte ont entendu retenir un critère objectif et rationnel, celui de lutter contre la spéculation foncière. D’une part son taux n’est pas confiscatoire puisqu’il porte sur la plus-value « nette » et d’autre part, la circonstance que toute cession intervenant moins de cinq ans après l’acquisition, sans distinguer selon le nombre d’années à l’intérieur de cette durée globale, n’entraîne pas une atteinte caractérisée au principe d’égalité devant les charges publiques.

Le recours est rejeté.

(19 mai 2022, Mme C., n° 460705)

(53) V. aussi, sur l’étendue et les motifs du contrôle exercé par le juge sur les « lois du pays » à propos de la loi portant réforme de la gouvernance de la protection sociale généralisée, dont il était en l’espèce prétendu qu’elle n’était pas non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : 19 mai 2022, M. A., n° 460991.

 

54 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Installations d’un port de plaisance sises sur le domaine public maritime – Détermination de leur valeur locative – Rejet.

Confirmant les jugements de première instance, le Conseil d’État juge – à propos de Port-Camargue - que c’est sans erreur de droit ni dénaturation des faits que le tribunal administratif a estimé que la valeur locative au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle sont assujetties les installations des ports de plaisance situées sur le domaine public maritime doit être établie en fonction du seul nombre de postes d'amarrage du port, multiplié par un tarif déterminé selon la situation géographique du port de plaisance concerné et les services et équipements qu'il offre aux usagers. En revanche, il n’y a pas lieu, en raison de leur caractère inopérant, de tenir compte pour l’établissement de cette imposition de ce que certains postes d'amarrage ne seraient pas des propriétés bâties ou ne seraient pas une propriété publique.

La solution n’était pas évidente et elle est, au reste, discutable ; le juge lui-même a d'ailleurs recouru ici au biais des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2012 (art. 37) pour aboutir à l’interprétation ci-dessus des art. 1380, 1400 et du III de l’art. 1501 du CGI.

(20 mai 2022, Commune du Grau-du-Roi, n° 437810)

 

55 - Transfert de parts sociales détenues dans une société civile professionnelle vers le patrimoine privé de l’un des associés cessant son activité de médecin – Détermination de la moins-value ou de la plus-value résultant de ce transfert – Critique de la méthode d’évaluation de la valorisation des parts retenue par le vérificateur - Question de fait susceptible d’effet sur la réponse à donner à une question de droit (art. L.59 A, II, LPF) – Non information sur la possibilité de saisir  la commission départementale des impôts directs – Annulation de l’arrêt d’appel sans renvoi.

L’un des associés d’un cabinet médical constitué sous forme d’une SCI cessant son activité de médecin, ses parts sociales dans cette dernière ont été transférées dans son patrimoine privé. Le vérificateur a, suite à un contrôle sur pièces, assujetti cet associé à un supplément d’impôt et de cotisations sociales.

Alors que le contribuable contestait la méthode utilisée pour apprécier la valorisation des parts en litige, le vérificateur, dans sa réponse aux observations du contribuable (la « ROC »), a rayé la mention pré-imprimée relative à la faculté de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs.

Pour ce motif, dont il a jugé qu’il avait privé l’intéressé d’une garantie légale, le tribunal administratif avait prononcé au bénéfice du contribuable la décharge des cotisations d’impôt et des prélèvements sociaux corrélatifs. La cour administrative d’appel, sur appel du ministre des finances, a annulé ce jugement et rejeté la demande du contribuable.

Le Conseil d’État, sur pourvoi de ce dernier, casse cet arrêt motif pris de ce que la contestation de la méthode d’évaluation constituait une question de fait dont la réponse était susceptible de retentir sur une question de droit et qu’ainsi elle pouvait être posée à la commission départementale des impôts directs conformément au II de l’art. 59 du LPF. L’intempestive radiation par le vérificateur de la rubrique ad hoc sur la « ROC » a ainsi privé le contribuable du bénéfice de la garantie légale.

La cassation de l’arrêt d’appel remettant en vigueur le jugement de première instance prononçant la décharge, il n’y a pas lieu de renvoyer le litige à la cour.

(20 mai 2022, M. C., n° 441999)

 

56 - Convention fiscale franco-néo-zélandaise – Champ d’application – Commentaires du comité fiscal de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) – Redevances de source française dont le bénéficiaire effectif réside en Nouvelle-Zélande – Caractère indifférent du versement des redevances à un intermédiaire établi dans un État tiers – Obligation de se prononcer sur la qualité de bénéficiaire effectif – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La société Planet, qui exerce une activité de distribution de programmes sportifs à destination de clubs de fitness, a été assujettie à des rappels de retenue à la source à raison de sommes qualifiées de redevances versées aux sociétés Les Mills Belgium SPRL et Les Mills Euromed Limited, établies respectivement en Belgique et à Malte, en contrepartie de la sous-distribution de programmes collectifs de fitness élaborés par la société Les Mills International LTD, établie en Nouvelle-Zélande.

Le tribunal administratif a déchargé la requérante des sommes mises à sa charge, tandis que sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, la cour administrative d’appel, annulant ce jugement, a rétabli les impositions.

Sur pourvoi de la contribuable, le Conseil d’État juge en premier lieu, qu’eu « égard à leur objet, et telles qu'elles sont éclairées par les commentaires formulés par le comité fiscal de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) sur l'article 12 de la convention-modèle établie par cette organisation publiés le 11 avril 1977, et ainsi d'ailleurs qu'il résulte des mêmes commentaires publiés respectivement les 23 octobre 1997, 28 janvier 2003 et 15 juillet 2014 et en dernier lieu le 21 novembre 2017, les stipulations du 2 de l'article 12 de la convention fiscale franco-néo-zélandaise sont applicables aux redevances de source française dont le bénéficiaire effectif réside en Nouvelle-Zélande, quand bien même elles auraient été versées à un intermédiaire établi dans un État tiers. » 

En second lieu, il reproche à la cour, alors qu’il lui incombait de se prononcer elle-même sur la qualité de bénéficiaire effective desdites sommes qui était celle de la société Planet, de s’être bornée, pour qualifier les sommes en cause de « redevances », à examiner la qualification des sommes versées par la société Planet à la société belge Les Mills Belgium SPRL en 2011 ainsi qu'à la société maltaise Les Mills Euromed Limited de 2012 à 2014, seulement au regard des stipulations de la convention fiscale franco-néo-zélandaise du 30 novembre 1979. 

(20 mai 2022, Société Planet, n° 444451)

 

57 - Durée maximum des vérifications comptables à fin fiscale – Durée fixée à trois mois – Durée portée à six mois en cas d’irrégularités graves affectant la valeur probante de la comptabilité – Calcul de cette durée – Prolongation supérieure à six mois du fait de l’examen de la comptabilité d’un tiers – Absence d’effet sur la régularité de la vérification – Rejet.

De cette décision dont l’objet est, pour l’essentiel, de statuer sur la remise en cause d’un crédit d’impôt recherche, sera retenue une question de procédure fiscale non contentieuse.

L’art. 52 du livre des procédures fiscales dispose en son I. que « Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) » ; en son II. il prévoit un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles ce délai de trois mois peut être porté à six mois au maximum, notamment dans le cas, prévu au 4° de ce II., où auraient été « commises de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité ». 

En l’espèce, le contribuable invoquait la circonstance que la vérification sur place avait duré plus de six mois puisqu’elle avait débuté chez un tiers et que c’est sur la base des éléments qui y furent recueillis qu’a été ouverte la vérification de la comptabilité de la requérante. Ainsi, cette vérification serait frappée de nullité comme aussi les rectifications d’impôt consécutives.

Par une interprétation par trop latitudinaire du texte de l’art. L. 52 précité en faveur de l’administration fiscale, le Conseil d’État rejette le moyen d’irrégularité au motif que « (…) l'exploitation, à l'issue de la vérification de comptabilité d'un contribuable, d'éléments recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité d'un tiers est sans incidence pour apprécier, au regard des dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, la durée de la première de ces vérifications de comptabilité. »

(20 mai 2022, Société Trade Invest, n° 446817)

 

58 - Impôt sur le revenu et taxes assimilées, impôts sur les sociétés – Compétence territoriale du comptable public – Incompétence – Impossibilité d’obtenir décharge pour ce motif – Dispositions impératives de l’art. L. 206 LPF – Rejet.

Dans un litige né du recours au régime de la taxation d’office, le juge fait usage des dispositions peu connues de l’art. L. 206 du LPF selon lesquelles : « En ce qui concerne l'impôt sur le revenu et les taxes assimilées et l'impôt sur les sociétés, les contestations relatives au lieu d'imposition ne peuvent, en aucun cas, entraîner l'annulation de l'imposition. » et en fait application à l’espèce par substitution de motif à celui retenu dans l’arrêt d’appel attaqué.

(20 mai 2022, SCI Les Greniers de Sophie, n° 448794)

 

59 - Demande de décharge de l’obligation de payer des cotisations sociales corrélatives à des impositions – Opposition de la prescription – Application de l’art. 2251 du Code civil – Interprétation de la notion de volonté « sans équivoque » - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation avec renvoi.

Des ressortissants français qui établissent leur domicile fiscal en Suisse demandent le remboursement des prélèvements sociaux consécutifs aux impositions qu’ils ont acquittées.

Ils se sont pourvus en cassation suite à l’échec des procédures antérieures.

Le débat juridique principal consistait, d’une part, à déterminer si, comme le soutenaient les demandeurs, l’action de l’administration en recouvrement de ces impositions était prescrite et d’autre part, si, comme le soutenait l’administration fiscale, le paiement spontané de leurs impôts par les contribuables valait renonciation au bénéfice de la prescription.

L’art. 2251 du Code civil dispose : « La renonciation à la prescription est expresse ou tacite. La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription. »

Le paiement d’un impôt sans y être contraint par un acte particulier doit-il être considéré comme exprimant « sans équivoque » la volonté de renoncer à se prévaloir d’une prescription affectant l’impôt ?

La cour administrative d’appel l’a pensé : en effectuant un paiement volontaire et spontané les contribuables auraient manifesté sans équivoque leur renonciation à se prévaloir d’une prescription affectant l’objet du paiement.

La solution est heureusement cassée par les juges du Palais-Royal pour qui il résulte du second alinéa de l’art. 2251 précité qu’« un contribuable ne saurait être regardé comme ayant (tacitement) renoncé à la prescription du seul fait du règlement, en l'absence d'acte de poursuite, d'une imposition. » Cela d’autant plus qu’en l’espèce, il est relevé « que les intéressés avaient, le 24 décembre 2014, soit avant le paiement des sommes en litige, demandé la décharge de l'obligation de payer en se prévalant de la prescription et (…) que le paiement était intervenu aux fins d'obtenir la mainlevée des hypothèques prises par le comptable public sur des biens immobiliers dont ils étaient propriétaires, les privant par suite de la libre disponibilité de ces biens ».

(20 mai 2022, M. et Mme C., n° 449038)

 

60 - Société civile d’exploitation viticole (SCEV) – Cession par l’un des associés à la SCEV de l’usufruit temporaire de parts détenues par lui – Société non admise à la négociation sur un marché réglementé - Détermination de la valeur de cession de l’usufruit des parts sociales – Méthode d’évaluation par l’administration fiscale – Méthode non sérieusement contestée par les contribuables – Rejet.

La société civile requérante, constituée à parts égales entre deux époux, a reçu de Mme D. l’usufruit temporaire de ses parts divisées en deux fractions, l’une pour une durée d’usufruit de dix ans et l’autre pour une durée d’usufruit de dix-sept ans. L’administration fiscale a réévalué la valeur des cessions d'usufruit temporaire, réintégré en conséquence la différence dans l'actif net de la société et requalifié le montant de la cession des parts sociales de Mme D. en plus-values professionnelles. Ceci a conduit à une imposition supplémentaire de la SCEV à l’impôt sur les sociétés et de Mme D. à l’impôt sur le revenu.

Saisi par la société et par M. et Mme D., le tribunal administratif a partiellement fait droit aux demandes de décharge qu’ils ont présentées, confirmé par arrêt de la cour administrative d’appel.

Les demandeurs se pourvoient en cassation contre cet arrêt en tant qu’il rejette le surplus de leurs demandes.

Le pourvoi est rejeté.

Cette affaire posait la classique question de l’évaluation des parts sociales d’une société non admise à la négociation sur un marché réglementé.

La méthode d’évaluation retenue par le vérificateur a consisté à déterminer la valeur attendue de l'usufruit des parts de la SCEV en effectuant la moyenne arithmétique des valeurs obtenues à l'aide, d'une part, de la méthode de la valeur actualisée des flux de revenus futurs, en capitalisant le montant du dividende moyen distribué les trois années précédant la cession en litige, à partir d'un taux de rendement et d'un taux de croissance des dividendes sur la durée de l'usufruit, et d'autre part de la méthode de la valeur en pleine propriété des titres, l'usufruit étant déterminé à partir du taux de rendement des titres sur la durée de l'usufruit.

Au terme de cette analyse, il est apparu à la cour que la valeur de l'usufruit des titres en litige ainsi déterminée était supérieure de 69 % à la valeur déclarée par les contribuables s'agissant des titres démembrés durant une période de dix ans et de 114 % pour ceux portant sur une durée de dix-sept ans.

Le juge rejette en réalité pour deux motifs principaux le pourvoi.

En premier lieu, la méthode utilisée par le vérificateur n’est pas réellement contestée par les contribuables qui se bornent à cet égard à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en refusant de soustraire des résultats distribués la rémunération versée à Mme D., associée exploitante de la SCEV, pour la détermination du dividende de référence utilisé pour calculer la valeur actualisée des flux de revenus futurs de l'usufruitier et la valeur de rendement de la pleine propriété des titres alors précisément que le dividende de référence a été calculé à partir des résultats distribués les trois années précédentes, lesquels correspondaient aux résultats comptables de la SCEV compte tenu de la pratique de distribution intégrale de ces derniers. Or, il ressort des pièces comptables figurant au dossier soumis aux juges du fond que les rémunérations versées par la SCEV à Mme D., ont été, au cours des exercices précédant la cession, déduites des résultats comptables. Il s’ensuit que cette déduction n’avait pas à être opérée une seconde fois.

En second lieu, c’est en vain que les contribuables ont proposé une méthode alternative d’évaluation de l’usufruit fondée sur le solde actualisé de la trésorerie disponible correspondant à la différence entre l'excédent brut d'exploitation et le besoin en fonds de roulement, les annuités d'autofinancement des investissements et la rémunération des associés. D’une part, les contribuables ne s’expliquaient pas sur le fait qu’ainsi la société entendait modifier pour l'avenir sa pratique antérieure constante de distribution de la totalité de ses bénéfices comptables. D’autre part, comme relevé par la cour, cette méthode se bornait à déterminer l'endettement financier de la SCEV et sa trésorerie disponible et ne permettait pas, par suite, de déterminer le montant des distributions prévisionnelles attendu par l'usufruitier.

Au reste, la méthode alternative proposée aboutissait, sur les quatre années antérieures, à retenir un montant de trésorerie disponible nettement inférieur au montant effectivement distribué au titre de ces mêmes années.

Est également confirmé le taux de majoration de l’impôt pour manquement délibéré retenu par l’administration et entériné par la cour. 

(20 mai 2022, Société civile Ambroise D. et M. et Mme D., n° 449385)

 

61 - Impôt sur le revenu et contribution sur les hauts revenus - Plus-value de cession de valeurs mobilières - Pénalités - Contestation par le redevable - Rejet en première instance de la demande sur ce point - Obligation pour le juge d'appel d'examiner une inexactitude éventuelle de la déclaration fiscale - Rejet.

Il avait été infligé au contribuable requérant une pénalité pour manquement délibéré à l'obligation de déclaration fiscale.

En première instance, le tribunal administratif avait définitivement rejeté la demande du contribuable tendant à la décharge de l'imposition supplémentaire résultant de la remise en cause du régime d'abattement auquel il prétendait avoir droit.

En appel, le ministre avait saisi la cour d'une demande de substitution de la pénalité de l'article 1758 A du CGI à la pénalité pour manquement délibéré retenue en première instance. La cour s'est alors prononcée sur la réalité de l'inexactitude dans la déclaration du contribuable invoquée par le ministre. Celui-ci contestait devant le juge de cassation ce réexamen et prétendait que le motif retenu par la cour était surabondant.

Donnant raison à la cour, le Conseil d'État juge qu'en dépit de ce que le jugement avait jugé définitivement ce point, il incombait à la cour, comme elle l'a fait, de se prononcer sur l'inexactitude invoquée pour justifier l'application de la pénalité de l'article 1758 A.

(25 mai 2022, M. C. Baron B., n° 447812)

 

62 - Abus de droit - Montage par emboîtement d'une succesion d'opérations - Montage permettant à des sociétés d'entrer dans les prévisions de dispositions du CGI dispensant de l'impôt sur les sociétés - Montage ne reposant sur aucune justification économique  - Montage devant être qualifié de prise en pension de titres - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits qu'une cour d'appel qualifie d'abus de droit - alors qu'aucune justification économique sérieuse n'en est donnée -  une succession d'opérations emboîtées les unes dans les autres entre des filiales et leur société mère ainsi qu'avec une société écran à seule fin qu'entrant ainsi dans les prévisions de dispositions du CGI puisse être obtenue une exonération de l'impôt sur les sociétés.

(31 mai 2022, Société Dassault Systèmes devenue société européenne (S.E.) Dassault Systèmes, n° 453173)

(63) V. aussi, sur d'autres aspects de ce même litige : 31 mai 2022, Société Dassault Systèmes devenue société européenne (S.E.) Dassault Systèmes, n° 453175

 

64 - Plus-value de cession ou d'échanges de titres de sociétés - Régime du sursis d'imposition (art. 150-0 B CGI) - Sursis portant aussi sur la soulte - Condition - Absence en l'espèce - Annulation.

L'art. 150-0 B CGI prévoit un sursis d'imposition de la plus-value constatée lors de la cession ou de l'échange de titres pour permettre la réalisation de cette opération alors qu'en cas de paiement immédiat de l'impôt le redevable ne disposerait pas des liquidités nécessaires pour y procéder. Ce sursis d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport.

Compte tenu de l'objet de ce sursis, lorsque la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés, l'administration fiscale est fondée en ce cas à prétendre que, à l'encontre de l'objectif poursuivi par la loi fiscale, les parties à l'opération n'ont, en l'espèce, recherché que le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B du CGI, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées. 

C'est à bon droit que ce comportement, contrairement à ce qu'a jugé la cour administrative d'appel, a été sanctionné sur le fondement de l'abus de droit (art. L. 64 LPF).

(31 mai 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 455349 ;  M; et Mme C., n° 455807)

(65) V. aussi, sur ce mécanisme de sursis d'imposition et sur l'application du régime de répression des abus de droit : 31 mai 2022, M. B., n° 454288.

 

Droit public de l'économie

 

66 - Énergie électrique – Accès régulé à l’électricité nucléaire historique – Allocation exceptionnelle d’un volume additionnel d’électricité devant être cédé aux entreprises privées fournisseurs d’énergie électrique – Atteinte aux intérêts financiers d’EDF et de ses agents – Rejet.

L’importance de l’enjeu, l’atteinte aux intérêts de l’une des plus puissantes baronnies françaises, la qualité des requérants, le nombre et la diversité des intervenants à l’instance expliquent la reddition de cette ordonnance de référé en formation collégiale.

En bref, l’État a imposé à EDF de livrer une quantité supplémentaire d’électricité produite à partir de l’énergie nucléaire, en sus de celle que cet établissement est déjà tenu de livrer aux entreprises privées fournissant de l’énergie électrique aux consommateurs.

Il convient ici de rappeler que le code de l’énergie (cf. art. L. 336-1 et L. 336-2) prévoit que pour permettre l’exercice par le consommateur de sa liberté de choisir son fournisseur d'électricité tout en faisant bénéficier l'attractivité du territoire et l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, est institué un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique (ARENH) produite par des centrales nucléaires, pour une période transitoire. Cet accès, d’une part, est ouvert à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes et, d’autre part, est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l'utilisation des centrales nucléaires mentionnées à l’article L. 336-2 précité. 

Le décret litigieux du 11 mars 2022 et son arrêté d’application du même jour ont fixé les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) à 20 TWh en complément du volume global maximal fixé à 100 TWh par un précédent arrêté du 28 avril 2011.

Les requérants demandent, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l'exécution de ces deux textes tandis que l’un d’entre eux ne demande que la suspension de l’art. 5 du décret du 11 mars 2022. Ces requêtes sont rejetées.

1 - À l’encontre de l’ensemble des deux textes attaqués étaient développés trois moyens.

Le premier d’entre eux consistait à invoquer l’atteinte grave et immédiate qui serait portée par les dispositions querellées aux intérêts propres des requérants et à ceux des personnes qu'ils défendent ou représentent, en leur qualité, soit d'organisations syndicales représentant les salariés d'Électricité de France (EDF), soit de conseils de surveillance de deux fonds communs de placement ouverts aux salariés et retraités d'EDF et investis en actions EDF, soit d'associations de défense des actionnaires salariés d'EDF. Le moyen est rejeté à la fois pour défaut d’argumentation au soutien de ces affirmations et pour défaut d’établissement en quoi la diminution du cours de l’action d’EDF aurait une incidence revêtant le caractère d’une atteinte grave et immédiate sur leur propre situation ou sur celle des actionnaires salariés d'EDF.

Le deuxième moyen porte sur l’atteinte qui serait portée par les mesures contestées à la situation d'EDF, ainsi qu'aux intérêts publics qui s'attachent à la pérennité de cette société et au financement de ses investissements à venir ; il est rejeté car aucun élément n’est apporté qui permettrait d’établir l'ampleur de l'atteinte portée par les mesures contestées au regard de l'ensemble de l'équilibre financier d’EDF même en faisant la part des autres facteurs pertinents, y compris l'indisponibilité d'une partie du parc de production d'électricité d'origine nucléaire et l'effet de la hausse des cours de l'électricité sur les recettes d'EDF sur le marché de gros.

Le troisième moyen, reposant sur ce que les mesures en cause méconnaîtraient le droit de l’Union pour non-notification à la Commission européenne et pour violation des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, est rejeté car il n’établit pas en quoi, s’il était fondé, il prouverait l’urgence à statuer en référé.

Au reste, le juge constate que les mesures prises sont justifiées par l’existence d'une forte hausse des prix sur le marché de gros de l'électricité qui est à l'origine d'importantes répercussions tant pour les particuliers que pour les professionnels, et qui a d'ailleurs conduit la Commission européenne à adopter plusieurs communications sur les mesures de réduction des coûts de l'énergie susceptibles d'être prises par les États membres. Les dispositions litigieuses s’inscrivent pleinement dans une stratégie de limitation des effets de cette importante hausse des prix et poursuivent une finalité d’intérêt général car cette limitation a un effet sur les coûts d'approvisionnement des fournisseurs qui en bénéficient, et indirectement sur les tarifs qu'ils sont en mesure de proposer aux clients finaux. Sans avoir d'effet direct en 2022 pour les clients éligibles aux tarifs réglementés, dont elle devrait cependant alléger le rattrapage tarifaire en 2023, elle devrait dès 2022 avoir des conséquences tarifaires pour les autres consommateurs d'électricité.

Faute d’urgence démontrée et alors qu’aucun doute sérieux ne pèse sur la légalité des mesures en litige, la demande en référé est rejetée.

2 – Concernant la demande spécifique de suspension des dispositions de l’art. 5 du décret du 11 mars 2022, formulée par les centres Leclerc (SIPLEC), elle est fondée sur ce que la différence entre le prix qu'elles fixent et le prix du marché de gros de l'électricité est de nature à caractériser une atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers.

Cependant, alors que la fourniture d'électricité ne représente qu'une part limitée de son activité, qui n'est au demeurant tournée que vers les sociétés de son groupe, la requérante n’établit pas l'ampleur de cette atteinte au regard de l'ensemble de son activité.

Au reste, le manque à gagner invoqué, calculé par rapport à la situation où ce prix de rachat n'aurait pas été plafonné, ne s'analyse que comme une limitation apportée à l'avantage que constituerait pour un fournisseur qui en bénéficie la livraison d'un volume additionnel d'ARENH au prix de 46,20 euros fixé par un autre arrêté du 11 mars 2022, alors qu'au surplus un fournisseur n'est pas tenu de solliciter l'attribution de cet avantage et que celui-ci a vocation, comme il a été dit ci-dessus, à être répercuté sur son client.

Par suite, l’absence d’atteinte grave et immédiate aux intérêts financiers de la requérante n’est pas susceptible de justifier l'urgence qu'elle invoque, d’où le rejet du référé. 

(ord. réf. form. coll. 5 mai 2022, Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, n° 462841 ; Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF et autres, n° 463190 ; Société d'importation Leclerc (SIPLEC), n° 463411)

(67) V. aussi, rejetant pour défaut d'urgence la demande, notamment, de suspension de l'exécution d'une part, du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et, d'autre part, de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par Électricité de France au titre de l'ARENH, pris en application de l'article L. 336-2 du code de l'énergie : 17 mai 2022, Syndicat CFE-CGC Énergies Tricastin Provence, syndicat CFE-CGC des fonctions centrales d'électricité de France (EDF), syndicat Force Ouvrière d'EDF/CNPE de Gravelines, syndicat Force Ouvrière des fonctions centrales d'EDF, syndicat CGT du site EDF Flamanville et syndicat des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise des services centraux fonctionnels EDF et des organismes sociaux, n° 463531.

 

 68 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Conseil en investissements financiers (CIF) – Courtier en assurance et en réassurance - Commission d’infractions diverses – Sanctions – Rejet.

L’AMF a sanctionné la société requérante et l’un de ses gérants, également requérant, pour manquements à leurs obligations professionnelles : en premier lieu, pour manquement à l'obligation d'agir avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent au mieux des intérêts des clients pour avoir fait souscrire à des clients non professionnels un produit n'ayant pas reçu d'autorisation de commercialisation en France ; en deuxième lieu, du fait de la réception par la société de fonds autres que ceux destinés à rémunérer son activité de CIF ; en troisième lieu, pour n’avoir pas respecté l'obligation d'agir avec loyauté et d'exercer son activité avec la diligence qui s'impose au mieux des intérêts de ses clients du fait d’avoir conseillé à des clients de conclure des contrats de prêt avec un établissement non habilité à recevoir des fonds remboursables du public.

La commission des sanctions de l’AMF a prononcé à l'encontre de la société Traditia un avertissement et, à l'encontre du gérant poursuivi, un avertissement et une sanction pécuniaire de 50 000 euros. Elle a en outre ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'AMF et fixé à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.

Les sanctionnés demandent au Conseil d’État, en vain, l’annulation de ces mesures.

Pour rejeter le recours, le juge retient tout d’abord que la décision de sanction est, contrairement aux allégations des demandeurs, régulière car les contrôles réalisés par les agents de l’AMF – auxquels ne s’applique pas le principe des droits de la défense – se sont déroulés sans déloyauté dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés.

Le juge retient ensuite que la décision attaquée est fondée en ce qui concerne les manquements relevés par l’AMF sans que l’absence éventuelle de préjudice pour les clients concernés atténue en quelque façon la méconnaissance par cette société de ses obligations professionnelles et leur particulière gravité et alors même que, pour l’une des catégories d’infractions, il est invoqué l’existence d’un seul cas.

Enfin, il est jugé que les diverses sanctions infligées, pécuniaires et autres, n’ont aucun caractère disproportionné.

(16 mai 2022, Société Traditia et M. P. Le Gouz de Saint-Seine, n° 452191)

 

Droit social et action sociale

 

69 - Aide sociale au logement – Retour du bénéficiaire à meilleure fortune – Recouvrement du montant de l’aide par le département – Demande de restitution de la somme recouvrée par le département – Refus – Compétence du juge judiciaire pour connaître du litige – Désignation directe par le Conseil d’État de la juridiction judiciaire compétence.

Une personne handicapée avait perçu d'un département une aide au logement qu’elle a remboursée sur demande de ce dernier lorsqu’elle s’est retrouvée à meilleure fortune conformément aux dispositions du code de l’action sociale et des familles.

La fille de la bénéficiaire, Mme G., a demandé au département de lui restituer cette somme, ce qui lui a été refusé. Elle a saisi la juridiction administrative d’un recours en annulation de ce refus.

Le Conseil d’État, se fondant sur l’art. L. 134-3 du code précité, juge que les juridictions judiciaires sont seules compétente pour connaître de ce litige. Par ailleurs, mettant en œuvre, s’agissant d’un contentieux relatif à l’admission à l’aide sociale,  les dispositions du premier alinéa de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles, le Conseil d’État renvoie les parties directement devant le tribunal judiciaire de Versailles compte tenu des dispositions combinées de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, du tableau VIII-III annexé à ce code et du 9° de l'article R. 142-10 du code de la sécurité sociale.

(2 mai 2022, M. G. tuteur de Mme G., n° 450154)

 

70 - Aide sociale à l’hébergement aux personnes âgées – Refus de cette aide par un département – Compétence juridictionnelle pour connaître du litige né de ce refus – Participation des bénéficiaires, dans la limite d’un plafond, aux frais de leur hébergement – Rejet.

Le litige est né de la décision d’un président de conseil départemental de refuser à une personne le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées. L’association requérante se pourvoit contre le jugement rejetant sa demande d’annulation de ce refus. Le pourvoi est rejeté.

Examinant les éléments du litige, le juge de cassation est amené à apporter deux précisions importantes sur le régime juridique de la contribution des bénéficiaires et de leurs débiteurs alimentaires aux frais engendrés par leur prise en charge.

En premier lieu est réglée une complexe question de compétence juridictionnelle née de l’imbrication des dispositions des art. L. 132-7, L. 134-1 et L. 134-3 du code de l’action sociale et des familles.

De première part, le juge administratif, du fait qu’il est compétent pour déterminer dans quelle mesure les frais d'hébergement dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont pris en charge par les collectivités publiques au titre de l'aide sociale, est nécessairement compétent pour fixer, au préalable, le montant de la participation aux dépenses laissée à la charge du bénéficiaire de l'aide sociale et, le cas échéant, de ses débiteurs alimentaires.

De seconde part, seul le juge judiciaire est compétent pour assigner à chacune des personnes tenues à l'obligation alimentaire le montant et la date d'exigibilité de leur participation à ces dépenses ou, le cas échéant, pour décharger le débiteur de tout ou partie de la dette alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers celui-ci. Lorsque le juge judiciaire a, par une décision devenue définitive, statué avant que le juge administratif ne se prononce sur le montant de la participation des obligés alimentaires, ce dernier est lié par cette décision.

Pour la période antérieure à la date à laquelle la décision de l'autorité judiciaire contraint les obligés alimentaires à verser une participation, c’est au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, qu’il revient de s'assurer qu'il ne résulte pas manifestement des circonstances de fait existant à la date à laquelle il statue que la contribution postulée par le département n'a pas été ou ne sera pas versée spontanément par les obligés alimentaires.

En second lieu, devait être précisée la règle posée par les art. L. 132-3 et L. 132-4 du code précité selon laquelle les personnes âgées hébergées en établissement et prises en charge au titre de l'aide sociale doivent pouvoir disposer librement de 10 % de leurs ressources sans que la somme ainsi laissée à leur disposition ne puisse être inférieure à 1 % du montant annuel des prestations minimales de vieillesse. Le Conseil d’État estime que ces dispositions doivent être interprétées comme devant permettre à ces personnes de subvenir aux dépenses qui sont mises à leur charge par la loi et sont exclusives de tout choix de gestion ce qui implique nécessairement que la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code précité doit être appliquée sur une assiette de ressources diminuée de ces dépenses. 

Dès lors que le tribunal administratif a statué en ce sens le recours de l’association demanderesse est rejeté.

(12 mai 2022, Association tutélaire du Pas-de-Calais, n° 454403)

 

71 - Aide sociale aux personnes handicapées - Recouvrement de cette aide par un département - Personne handicapée revenue à meilleure fortune - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Transmission au tribunal judiciaire de Versailles (cf. art. 32, al. 1, décr. 27 février 2015).

 Le département des Yvelines a émis, le 20 juin 2014, un avis de sommes à payer en recouvrement du montant de l'aide sociale versée au titre des frais d'hébergement et d'entretien de Mme H. D., personne handicapée, entre le 27 septembre 2006 et le 31 décembre 2013, à la suite du retour à meilleure fortune de cette dernière.

Il a été demandé au département l'annulation de cette décision et à ce que cette somme soit restituée à l'intéressée.

Le président du conseil départemental des Yvelines a rejeté cette demande.

Saisi par l'intéressée, le tribunal administratif a annulé ce refus et enjoint au département de lui rembourser cette somme.

Le département des Yvelines conteste ce jugement devant le Conseil d'État.

Relevant d'office le moyen, celui-ci estime, d'une part, que la décision de refus litigieuse résultant de l'application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles elle ressortit à la compétence du juge judiciaire, et d'autre part, qu'est sans incidence sur cette compétence la circonstance que le dernier alinéa de l'article L. 344-5 du même code prévoit que les sommes versées au titre des frais d'hébergement et d'entretien des personnes handicapées « ne font pas l'objet d'un recouvrement à l'encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune ».

Par application de l'article 32, al. 1, du décret du 27 février 2015 ainsi que des dispositions combinées de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, du tableau VIII-III annexé à ce code et du 9° de l'article R. 142-10 du code de la sécurité sociale, l'affaire est directement renvoyée au tribunal judiciaire de Versailles.

(2 mai 2022, Département des Yvelines, n° 450154)

 

Élections et financement de la vie politique

 

72 - Élection de conseillers départementaux – Différences entre les signatures de certains électeurs entre les deux tours – Annulation des votes litigieux – Office du juge de l’élection – Annulation hypothétique du nombre de voix de chaque binôme de candidats – Confirmation de l’annulation des résultats du second tour de scrutin et, par voie de conséquence et d’office, de ceux du premier tour.

La différence entre les paraphes ou signatures apposés sur le registre des émargements par les mêmes électeurs entre les deux tours de scrutin en vue de la désignation des conseillers départementaux dans le canton n° 4 d’Amiens conduit le juge à annuler six suffrages.

Il est donc procédé au calcul des résultats par retranchement hypothétique de ces suffrages à chacun des binômes en présence, d’où il résulte en l’espèce que ce nombre étant supérieur à l'écart de deux voix qui sépare le nombre de voix obtenues par ce binôme et celui d’un autre binôme, le second tour de scrutin dans cette circonscription électorale doit être annulé ce qui entraîne d’office l’annulation des opérations électorales du premier tour.

(19 mai 2022, M. B. et Mme I., Él. cantonales d’Amiens, n° 460491)

 

73 - Élections au conseil régional - Critique de la neutralité du président d'un bureau de vote - Demande de sanction pénale à son encontre - Incompétence - Annulation.

Parmi les demandes contenues dans sa protestation électorale tendant à l'annulation du scrutin s'étant déroulé en vue du renouvellement général du conseil régional de Bretagne, le protestataire demandait l'infliction d'une sanction pénale à l'encontre du président d'un bureau de vote.

Le rejet était d'évidence en raison de l'incompétence de l'ordre administratif de juridiction en matière pénale.

(31 mai 2022, M. B., Élections au conseil régional de Bretagne, n° 454309)

(74) V. aussi, sur ces mêmes élections, confirmant la sanction de dix-huit mois d'inéligibilité en l'absence de dépôt d'un compte campagne : 31 mai 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ M. B., n° 459536.

 

Environnement

 

75 - Article 7 de la Charte de l’environnement – Participation aux décisions publiques intéressant l’environnement – Art. L. 123-19-1 c. env. n’apportant pas de garanties légales suffisantes de fiabilité des avis exprimés – Rejet et refus de transmission de la QPC.

(5 mai 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

V. n° 126

 

76 - Programmation pluriannuelle de l’énergie – Énergie nucléaire – Prolongation de la durée d’exploitation de réacteurs nucléaires – Notion (décret du 21 avril 2020) – Légalité du rapport annexé à ce décret – Principe d’impartialité en matière environnementale (art. 6 directive du 27 juin 2001) – Rejet.

Bien que présentant des questions distinctes, les deux séries de requêtes jointes ici ont pour objet de contester la juridicité du décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie, la première en tant que ce texte décide la prolongation de l'exploitation des réacteurs nucléaires français au-delà de leur quatrième visite décennale, la seconde en demandant l’annulation de l’entier décret.

Les recours sont rejetés.

Sur la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs actuellement existants, le Conseil d’État relève  d’abord que si le rapport annexé au décret attaqué pose un principe général de mise à l'arrêt des réacteurs du parc nucléaire français à l'échéance de leur cinquième visite décennale, cette orientation n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet d'autoriser la prolongation de l'exploitation des réacteurs en cause au-delà de leur quatrième visite décennale, une telle prolongation étant soumise à l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire dans les conditions prévues notamment au dernier alinéa de l'article L. 593-19 du code de l'environnement.

C’est pourquoi sont rejetés les moyens d'irrégularité et d'erreur de droit tirés de ce que cette orientation, fixée par le rapport annexé au décret attaqué, révèlerait un projet au sens de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, qui aurait dû faire l'objet, pour chacun des réacteurs concernés, d'une évaluation environnementale conforme aux exigences posées par la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, d'une évaluation d'incidences conforme aux exigences posées par la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et d'une procédure d'information et de participation du public conforme aux exigences posées par la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.

Le raisonnement tourne au sophisme car l’on voit mal pourquoi il serait besoin de prévoir une cinquième visite décennale si les réacteurs devaient avoir cessé de fonctionner à cette date et, mettre en avant la nécessité d’une autorisation - préalable à la prolongation - de l’Autorité de sûreté nucléaire : c’est faire bon marché de la réalité sociologique, politique et lobbyiste de prise des décisions de cette importance.

Ensuite il est jugé que c’est sans irrégularité que le rapport annexé au décret attaqué ne donne pas d'indications quant aux ressources publiques mobilisées pour le soutien à la filière nucléaire, contrairement à ce qui y est mentionné s'agissant des énergies renouvelables. Le juge estime qu’il ressort des pièces du dossier que ce rapport consacre un développement détaillé aux coûts de production de l'électricité nucléaire à la charge des exploitants et qu'à la différence du secteur des énergies renouvelables, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne prévoit pas d'affecter des ressources publiques à l'atteinte des objectifs qu'elle fixe en matière d'électricité nucléaire, leur financement relevant en principe de l'exploitant des centrales.
Egalement, le rapport annexé au décret attaqué n’est pas entaché d'une erreur de fait en ce qu'il indique que des investissements lourds seraient nécessaires pour permettre la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de leur cinquième visite décennale parce que, selon le juge, une telle indication n'implique nullement que de tels investissements ne seront pas nécessaires à l'issue de la quatrième visite décennale de ces réacteurs. On a envie de se demander : « Et alors ? ».
Enfin, le rapport litigieux n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation du fait qu’il ignorerait les problèmes de sûreté que présente le parc nucléaire français actuellement car les textes prévoient (art. L. 593-20 à L. 593-23 et L. 593-1 c. env.) que l'autorité compétente peut, à tout moment, décider d'édicter des prescriptions, de suspendre le fonctionnement ou d'ordonner la mise à l'arrêt d'une installation nucléaire de base en cas de risque ou de menace pour certains intérêts.

Sur l’ensemble du décret, les critiques sur son défaut de complétude sont rejetées car les éléments pertinents figurent sur le site internet du ministère chargé de l’écologie et ce mode de publicité ne méconnaît pas l’exigence que ces éléments soient « fixés par décret ».

Semblablement, et contrairement à ce qui est soutenu, la procédure suivie et organisée en France en la matière n’est pas contraire aux prescriptions de l’art. 6 de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, du moins dans l’interprétation qui lui est donnée par la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10), s'agissant du principe de séparation fonctionnelle et effective entre l'autorité publique compétente pour élaborer et adopter un plan ou un programme et l’autorité chargée de la consultation en matière environnementale.

Également, ne constituent des irrégularités ni la circonstance que les hypothèses de coûts financiers de certaines filières n’ont pas été notifiées à la Commission européenne car, à ce stade, ce ne sont que des prévisions, ni celle qu’en raison des critiques formulées par l’Autorité environnementale dans son avis le décret subséquent serait illégal, celui-ci ne faisant l’objet de la part du juge que d’un contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation, ni une prétendue obsolescence des scenarii macro-économiques sur lesquels s’appuie la programmation pluriannuelle de l’énergie du fait de la crise née de l’épidémie de Covid-19 car cette obsolescence n’est pas établie par les auteurs du recours n° 441382.

Enfin, le décret n’est entaché ni d’une erreur de droit ni d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que le rapport qui lui est annexé prévoit, afin d'atteindre l'objectif de 50 % de la production d'électricité d'origine nucléaire d'ici 2035, de mettre à l'arrêt quatorze réacteurs nucléaires, dont ceux de la centrale de Fessenheim car il est précisé qu'il s'agit d'une orientation dont les modalités de mise en œuvre devront être décidées de concert avec la société Électricité de France. Par suite, ce passage du rapport n’empiète pas sur les prérogatives reconnues à l'exploitant par l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie, le plan stratégique que cet article impose à ce dernier d'établir ayant précisément pour objet de traduire les orientations fixées dans la programmation pluriannuelle de l'énergie ; ce rapport  ne décide pas davantage la mise à l'arrêt des réacteurs en cause, une telle mise à l'arrêt ne pouvant être mise en œuvre que dans les conditions prévues par l'article L. 593-26 du code de l'environnement.

Ces questions sont irritantes et les réponses qui y sont données frustrantes tant il est clair que l’ensemble des techniques, modalités et organismes censés donner au public toute garantie d’impartialité et de fiabilité sont profondément entachés par l’entre-soi dominant au sein de l’appareil d’État avec des personnes de formation identique ou voisine, respirant le même « air » culturel, défendant le même système d’intérêts sur ce qui serait « bon pour la France ». Il est à craindre que quels que soient les éminents mérites des personnes, celles-ci finissent par pécher non par manque d’honnêteté mais du fait de leur aveuglement né du partage, sans distanciation et sans remises en cause, des connaissances et des savoirs devenus, hélas, des certitudes infrangibles or, il faut le rappeler, il n’y a pas de rapport entre la raison et la vérité ou encore, sur un tout autre plan, entre la Vernunft et la Verstand pour reprendre la célèbre distinction de Kant, systématisée par Hegel.

Pas davantage la cohérence de choix eux-mêmes rationnels n’est gage de quoi que ce soit.

(16 mai 2022, Associations Réseau « Sortir du nucléaire » et Greenpeace France, n° 441351 ; Association Fédération environnement durable et autres, n° 441382, jonction)

 

77 - Contrôle technique des véhicules motorisés à deux et trois roues et quadricycles à moteur – Fixation de la date d’entrée en vigueur de ce contrôle et prise de mesures transitoires – Notion de mesures alternatives de sécurité routière – Report de date d’entrée en vigueur méconnaissant l’obligation de transposition d’une directive européenne – Suspension du report de date ordonnée.

Les requérantes contestaient la légalité du décret du 9 août 2021 en tant qu’il repousse du 1er octobre 2022 au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L (véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur) et qu'il prévoit des dispositions transitoires et ils en demandaient donc l’immédiate suspension.

Il convient de rappeler que l’instauration de ce contrôle a un double but, de sécurité routière et de protection de la santé respiratoire et auditive des individus.

Le juge des référés du Conseil d’État donne satisfaction aux requérantes après avoir observé que le délai de transposition de la directive 2014/45 du 3 avril 2014 du Parlement européen et du Conseil relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques est expiré depuis le 20 mai 2017 et que la directive fixe une date d'application au 1er janvier 2022 et que l’intérêt qui s'attache à ce qu'il soit mis fin immédiatement à une atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne est au nombre des intérêts publics qui doivent être pris en considération par le juge des référés dans le cadre de son office.

En l’espèce, il est relevé qu’à l’audience de référé le Gouvernement a annoncé son intention de ne pas appliquer ce texte y compris au 1er janvier 2023 alors qu’il a disposé, depuis le 1er janvier 2022, du temps nécessaire à la mise en place et à l’agrément des centres techniques de contrôle nécessaires. Par suite, d’une part, il y a urgence à statuer en tant que le décret contesté reporte au-delà du 1er octobre 2022, l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3 et, d’autre part, ce report lui-même, même si une notification a été adressée par le Gouvernement français à la Commission européenne, méconnaît l’obligation de transposer la directive précitée ce qui fait naître un doute sérieux sur la juridicité de ce report. 

En ordonnant la suspension du décret litigieux en tant qu’il reporte au-delà du 1er octobre 2022 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, le juge des référés impose par là-même au pouvoir exécutif de décider cette entrée en vigueur à cette date du 1er octobre 2022.

(17 mai 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 462679)

 

78 - Non-opposition à déclaration portant sur le rejet d'eaux pluviales - Opération ayant la nature de projet d'aménagement - Assiette du projet excédant dix hectares - Obligation impérative d'une évaluation environnementale - Absence - Suspension ordonnée de l'exécution de la non-opposition.

Le Conseil d'État ordonne que soit suspendue la non opposition à une déclaration de rejet d'eaux pluviales en raison des caractéristiques de l'opération qui constitue un projet d'aménagement sur un espace de plus de 19 hectares sur lequel sont prévues  la création de jardins destinés à accueillir 300 000 visiteurs par an et la construction de divers bâtiments, comprenant notamment un aquarium, une géode, un bâtiment administratif, un restaurant, un pavillon des vins, des équipements d'accueil et des sanitaires, ainsi que des voies d'accès et des terrassements sur l'ensemble du terrain d'assiette.

En effet, il résulte de la rubrique 39 b) de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement que cette opération devait être soumise à une évaluation environnementale systématique, laquelle n'a pas eu lieu en l'espèce.

(25 mai 2022, Association France Nature Environnement Languedoc-Roussillon, n° 447898)

 

État-civil et nationalité

 

79 - Procédure de naturalisation – Non-déclaration de la situation matrimoniale du pétitionnaire – Caractère nécessairement frauduleux des déclarations souscrites à l’appui de la demande de naturalisation – Régularité du retrait rétroactif du décret de naturalisation – Rejet.

C’est sans illégalité qu’est rapporté un décret de naturalisation par le motif que son bénéficiaire n’a pas déclaré l’union matrimoniale qu’il contractait dans un pays étranger avec une ressortissante étrangère durant la procédure de naturalisation sans que la circonstance qu’il a lui-même avisé les services concernés de l’existence de cette union mais postérieurement à l’édiction du décret de naturalisation, ait d’incidence sur le caractère frauduleux de l’omission.

(12 mai 2022, M. B., n° 455913)

 

Étrangers

 

80 - Demande de titre de séjour – Demande formulée après expiration du délai pour le renouvellement du titre antérieur – Demande constituant une première demande d’un nouveau titre de séjour – Rejet.

Rappel de ce que le titulaire d’un titre de séjour qui doit en solliciter le renouvellement dans un certain délai et ne le fait qu’après expiration dudit délai doit être regardé non comme sollicitant un renouvellement de ce titre mais comme étant l‘auteur d’une première demande d’un nouveau titre de séjour.

(12 mai 2022, M. A., n° 461894)

 

Fonction publique et agents publics

 

81 - Nouvelle bonification indiciaire – Conditions d’attribution – Bonification liée non au corps ou au grade mais à l’emploi – Obligation d’abroger un texte illégal ab initio ou postérieurement à son édiction – Annulation.

Le recours portait sur le refus implicite du premier ministre d’abroger l'article 1er du décret n° 91-1067 du 14 octobre 1991 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels du ministère de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace, en ce qu’il exclut du bénéfice de cette bonification des fonctionnaires en raison de leur appartenance à un corps.

Le Conseil d’État rappelle l’obligation résultant du principe devenu ensuite règle que l'autorité administrative compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date.

En l’espèce, le décret litigieux excluait du bénéfice de la bonification indiciaire qu’il instituait la catégorie des fonctionnaires des corps techniques de l'équipement, devenue par la suite la catégorie des ingénieurs des ponts et chaussées et des fonctionnaires des corps techniques de l'équipement. Or la loi du 18 juillet 1991, créant cette bonification, rattache ladite bonification, dans le I de son art. 27, à « certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulières (…) » sans aucune référence au corps d’appartenance ou au grade du fonctionnaire.

Le décret attaqué est donc entaché d’illégalité tout comme le refus primo-ministériel de l’abroger, d’où leurs annulations.

(5 mai 2022, M. B., n° 452347)

 

82 - Personnel des chambres de commerce et d’industrie (CCI) – Agent titulaire – Licenciement par suppression d’emploi – Indemnité proportionnelle à l’ancienneté - Années de fonction prises en compte pour le calcul de l’indemnité – Rejet.

La requérante, agent titulaire d’une chambre de commerce et d’industrie, a été licenciée par suppression de l’emploi qu’elle occupait. Elle a contesté le calcul du montant de l’indemnité versée pour son licenciement et calculée en proportion de ses années d’ancienneté.

Elle se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a jugé que ne pouvaient être prises en compte au titre de l’ancienneté de services que les années accomplies dans des emplois définis à l'article 1er du statut du personnel des CCI annexé à l’arrêté du 25 juillet 1997, à savoir des emplois répondant à un besoin permanent, exercés pour une quotité de service d'au moins 50%, et sans que les intéressés exercent aucune autre activité professionnelle rémunérée ou non.

La cour a, en conséquence jugé que les années de service accomplies en tant qu'agent contractuel ou vacataire de droit public ne pouvaient être prises en compte que pour autant que l'intéressé avait occupé des emplois répondant cumulativement aux trois critères ci-dessus.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État faisant sien le raisonnement de la cour administrative d’appel.

(5 mai 2022, Mme A., n° 455181)

 

83 - Agents hospitaliers - Vaccination obligatoire contre le Covid-19 – Décision de suspendre de ses fonctions et de son traitement un agent non vacciné – Agent en congé pour maladie – Mesures ne pouvant prendre effet qu’au retour de l’agent dudit congé – Annulation.

Le contentieux des mesures prises envers les agents hospitaliers refusant d’être vaccinés contre le Covid-19 ou ne l’étant pas est devenu envahissant (cf. cette Chronique, Avril 2022, n° 146 et la vingtaine de décisions qui y sont recensées).

Il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que la suspension de ces agents de leurs fonctions ainsi que du traitement afférent est en principe légale et justifiée.

Cependant, lorsque l’agent est, au moment où elles sont prononcées, en congé pour maladie, maternité ou autre, ces mesures ne sont légales que si elles interviennent au retour de congé de l’agent.

En revanche, comme c’est le cas de la présente espèce, ces mesures sont illégales lorsqu’elles sont appliquées pendant la période de congé.

(ord. réf. 11 mai 2022, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise, n° 459011)

(84) V. aussi, très semblables : 11 mai 2022, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise, n° 459012 ; 31 mai 2022, Mme B., n° 458892 ; 31 mai 2022, M. A., n° 459840 ; 31 mai 2022, Mme B., n° 460158.

(85) V. également diverses décisions en matière de suspension des fonctions d'agents hospitaliers pour non ou incomplète vaccination contre le Covid-19 : 31 mai, Mme B., n° 458261 ; Mme B., n° 458212 ; Mme A., n° 457984 ; Mme A., n° 457879 ; Mme B., n° 458892 ; Mme A., n° 459085 ; Mme A., n° 459305 ; Mme A., n° 459369.

 

86 - Obligation pour l’administration d’assurer la sécurité et la protection de la santé physique et morale de ses agents – Devoir de proposition d’aménagement ou de modification des conditions et/ou des postes de travail pour les agents concernés – Compétence exclusive du service de médecine préventive – Qualification inexacte des faits – Annulation et renvoi.

Est annulé pour avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce, le jugement d’un tribunal administratif qui, pour rejeter le recours de l’intéressé contre son employeur public pour n’avoir pas suivi les préconisations du médecin de travail à son égard, se fonde sur les constatations d’un infirmier  auteur d’une attestation de suivi alors que celles-ci, d’évidence, ne sauraient remettre en cause les propositions d'aménagements de poste de travail ou de conditions d'exercice des fonctions émises par le médecin conformément aux dispositions des art. 2-1, 11 et 24 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale.

Cette solution est la confirmation de la décision du 30 décembre 2011, Patrick Renard, n° 330959.

(12 mai 2022, M. B., n° 438121)

 

87 - Fixation du contingent d’heures de décharge d’activité attribuées à chaque syndicat professionnel – Agents employés par un syndicat mixte – Syndicat ne pouvant être affilié qu’à titre facultatif à un centre de gestion départemental – Obligation pour ce centre de gestion de calculer et répartir le contingent d’heures de décharge en tenant compte des syndicats mixtes qui lui sont affiliés même à titre facultatif – Rejet.

La solution retenue ici est la confirmation de celle adoptée par la cour administrative d’appel.

La circonstance que l’affiliation des syndicats mixtes composés exclusivement de  collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs auprès des centres départementaux de gestion est purement facultative ne dispense pas un centre de gestion de tenir compte des agents des syndicats mixtes qui lui sont affiliés  - même s'ils le sont à titre facultatif - pour calculer la répartition de l’enveloppe globale du contingent d’heures de décharge de service entre les agents inscrits sur la liste électorale du comité technique placé auprès de lui.

(12 mai 2022, Syndicat CFDT Interco 67 et Fédération Interco CFDT, n° 442675)

 

88 - Enseignant de l’enseignement supérieur – Sanction disciplinaire – Comportement inapproprié envers des étudiants étrangers et des étudiantes – Suspension en référé – Annulation – Suspension ordonnée pour d’autres motifs – Rejet.

Un enseignant de l’école supérieure d’art de Nice fait l’objet, à titre de sanction disciplinaire pour comportements inappropriés tant à l’égard d’étudiants étrangers que d’étudiantes, d’une mesure de suspension de ses fonctions pour deux années, assortie d’un sursis d’une année. Sur requête de l’agent, le juge des référés a suspendu cette sanction en tant qu'elle lui interdit de percevoir une rémunération et d'acquérir des droits à l'avancement, aux congés et à la retraite.

Le ministre de la culture se pourvoit en cassation contre l’ordonnance de référé.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance au double motif que le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier en jugeant d’une part qu’était de nature à créer un doute sérieux la circonstance que la décision reposait sur des faits non établis et d’autre part que la sanction retenue était entachée d’une erreur d’appréciation.

Puis, réglant l’affaire au fond (par application de l'art. L. 821-2 CJA), le juge de cassation relève tout d’abord que la privation de traitement de l’intéressé est de nature à bouleverser ses conditions d’existence et constitue une situation d’urgence justifiant l’engagement d’une procédure de référé suspension. Il juge ensuite que crée un doute sérieux sur la légalité de la sanction la non-communication à l’agent de la totalité des procès-verbaux d'auditions des personnes entendues par l'inspection générale des affaires culturelles au cours de l’enquête visant les faits reprochés à l'intéressé sauf, le cas échéant, s’agissant de procès-verbaux dont la communication serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

Il est donc fait droit aux conclusions que l’agent sanctionné a présentées en première instance.

(ord. réf. 19 mai 2022, ministre de la culture, n° 448273)

 

89 - Accords collectifs dans la fonction publique – Modalités de négociation et de conclusion – Intervention du comité de suivi des mesures – Faculté de demande d’ouverture d’une négociation en vue de la révision d’un accord réservée aux syndicats signataires de l’accord – Illégalité – Annulation partielle.

Les requérantes demandaient l’annulation des articles 5, 8 et 10 du décret n° 2021-904 du 7 juillet 2021 relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique.

Tout d’abord, sont rejetées les demandes dirigées contre l’art. 5, cette disposition n’ayant ni pour objet ni pour effet d’attribuer au comité de suivi des pouvoirs excédant le seul suivi de la mise en œuvre de l’accord, et contre l’art. 10, ce dernier résultant des dispositions mêmes de l’art. 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et ces dispositions ayant été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (déc.n° 2021-956 QPC, 10 décembre 2021, Union fédérale des syndicats de l'État - CGT et autres).

Ensuite, et en revanche, est annulée la partie de l’art. 8 décidant que la faculté de demander l’ouverture d’une négociation en vue de la révision d’un accord est réservée aux seules organisations signataires de l’accord car cette condition ajoute à la loi.

(19 mai 2022, Union fédérale des syndicats de l'État CGT (UFSE-CGT), Fédération CGT des services publics, Confédération générale du travail (CGT), Fédération syndicale unitaire (FSU), Fédération CGT de l'action sociale et de la santé et Union syndicale Solidaires Fonction Publique, n° 456425)

 

90 - Intégration dans des corps de la fonction publique de l’État d’agents des collectivités territoriales affectés au service public de la justice – Abstention du premier ministre de prendre le décret d’application de la loi du 7 janvier 1983 et du décret du 3 mai 1988 – Inexécution d’une décision d’annulation rendue par le Conseil d’État et assortie d’une injonction – Absence de réponse du pouvoir exécutif à la section du rapport et des études du Conseil d’État – Demande de nouvelle injonction d’octroi d’une indemnité – Ouverture d’une procédure juridictionnelle pour inexécution d’une décision de justice (cf. art. L. 911-5 CJA) – Irrecevabilité.

« Tout çà pour çà ? », « Finir en eau de boudin » ou « Beaucoup de bruit pour rien (ou, pour les puristes Much ado about nothing) » pourraient être quelques-unes des épitaphes de cette désolante décision.

Par une décision du 13 février 2020, le Conseil d’État a annulé la décision implicite par laquelle le premier ministre a refusé de prendre le décret prévu à l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État et à l'article 8 du décret du 3 mai 1988 fixant les conditions d'intégration dans des corps de la fonction publique de l'État d'agents des collectivités territoriales affectés au service public de la justice et enjoint au premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de sa décision.

C’était déjà remarquable d’insignifiance que de traiter avec tant de mansuétude un retard qui, selon les cas, durait depuis 37 ans et depuis 32 ans.

À une requérante qui l’a saisi en mai 2021 d’un recours en vue d’assurer l’exécution de sa propre décision, inexécutée depuis plus de neuf mois après l’expiration du délai imparti pour cette exécution, le Conseil d’État répond que par une ordonnance du 14 novembre 2021, donc elle-même intervenue plus de six mois après sa saisine, le gouvernement ayant, par le 37° du I de l’art. 3 de celle-ci, abrogé à compter du 1er mars 2022 les troisième à sixième alinéas de l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983, il s’ensuit que le gouvernement ne dispose plus de base légale pour adopter le décret prévu par ce dernier article et, en application de celui-ci, par le décret du 3 mai 1988. 

D’évidence, la demande de la requérante n’était pas irrecevable au moment où elle a saisi le juge administratif, elle ne pouvait donc pas être déclarée irrecevable comme cela est décidé ici alors qu'il s'agit d'un contentieux de l'annulation non de la pleine juridiction.

Ainsi, demeure sans sanction aucune un comportement gouvernemental digne des gamineries d’une cour de récréation.

Encore une déception infligée au Huron par le Palais-Royal.

(19 mai 2022, Mme A., n° 457932)

 

91 - Enseignement supérieur - Concours de recrutement en qualité de professeur des universités – Contestation des résultats - Absence d’inscription de la requérante sur la liste des candidats à l’expiration de la date de clôture des inscriptions – Irrecevabilité – Rejet.

Est évidemment irrecevable le recours formé contre un concours de recrutement aux fonctions de professeur d’université par une personne qui, à la date de clôture des inscriptions à ce concours, n’y était pas candidate.

(18 mai 2022, Mme D., n° 433164)

(92) V. aussi : 19 mai 2022, Mme D., n° 444662.

 

93 - Enseignement supérieur - Nomination en qualité de professeur des écoles nationales supérieures d'architecture - Refus implicite - Annulation avec injonction de procéder à cette nomination au 1er septembre 2020.

Est annulé le refus implicite du président de la République de nommer le requérant dans le grade de professeur de 2ème classe des écoles nationales supérieures d'architecture alors :

- d'une part, qu'il remplissait les conditions prévues par l'article 47 du décret du 15 février 2018 et qu'il a été classé premier du concours organisé en 2020 pour le recrutement d'un professeur des écoles nationales supérieures d'architecture dans la discipline « Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine (TPCAU) » au sein de l'École nationale supérieure d'architecture de Saint-Etienne ;

- d'autre part, que contrairement à ce que soutiennent les ministres de la culture et de l'enseignement supérieur, le requérant n'a pas participé à la procédure de recrutement aux postes de professeur auxquels il a été candidat et n'a pas bénéficié d'informations qui lui auraient conféré des avantages sur les autres candidats ;

- enfin, que l'administration n'invoque aucun autre motif susceptible de faire obstacle à la nomination de l'intéressé.

Le président de la République avait donc compétence liée et devait procéder à la nomination de l'intréressé en qualité de professeur. Son refus implicite de le faire est annulé avec injonction de procéder à cette nomination au 1er septembre 2020.

(20 mai 2022, M. C., n° 457501)

 

94 - Fonctionnaire de police - Reconstitution de carrière - Rappels de traitements subséquents - Opposition de la prescription quadriennale - Rejet.

La demanderesse, fonctionnaire de police, a obtenu, par décision du 30 mai 2017, le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté au titre de ses différentes fonctions exercées depuis le 1er septembre 1997. En conséquence devaient lui être versés des rappels de traitement ; toutefois, le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Sud-Est a opposé la prescription quadriennale aux rappels de traitement qui devaient être versés à l'intéressée à la suite de la reconstitution de sa carrière ayant tenu compte de cet avantage.

Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa requête tendant à l'annulation de l'opposition de la prescription quadriennale.

Pour rejeter le pourvoi, le juge retient que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les créances dont se prévalait la demanderesse au titre des rémunérations supplémentaires résultant de l'octroi de l'avantage spécifique étaient susceptibles de se voir opposer la prescription quadriennale. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que les faits générateurs des créances détenues par la requérante au titre de cette reconstitution de sa carrière étaient constitués par les services qu'elle avait effectués et sur lesquels portait cette reconstitution de carrière. Enfin, c'est par une appréciation souveraine des faits dénuée de dénaturation que la cour a estimé que la requérante ne pouvait pas prétendre ignorer jusqu'en 2016 l'existence de ses créances sur l'État.

(25 mai 2022, Mme B., n° 438596)

(95) V. aussi, identique : 25 mai 2022, M. B., n° 438597.

 

96 - Enseignant de collège - Relation sentimentale avec une mineure - Révocation - Sanction hors de proportion avec les éléments figurant au dossier - Confirmation de l'arrêt d'appel - Rejet.

Une cour administrtative d'appel est approuvée par le Conseil d'Etat pour avoir jugé hors de proportion avec les éléments figurant au dossier de l'intéressé la sanction de la révocation dont il a fait l'objet.

Le Conseil d'Etat opère une balance entre les faits reprochés et le dossier global de l'enseignant.

D'une part, le juge retient qu'il est reproché à celui-ci d'avoir noué une relation sentimentale avec une de ses élèves de classe de troisième alors âgée de quinze ans et de l'avoir embrassée et caressée sur le bras. Il a été condamné pour ces faits, sous la qualification pénale délictuelle d'atteintes sexuelles sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité, à une peine, homologuée par une ordonnance judiciaire dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité, d'emprisonnement de quatre mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant dix-huit mois, non assortie de la peine complémentaire d'interdiction d'exercice d'une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs.

D'autre part, le juge relève également, dans une rédaction très circonstanciée, que c'est à bon droit que la cour a, pour juger disproportionnée la sanction de la révocation, considéré « la nature des agissements en cause, la procédure pénale choisie par le Procureur de la République, la qualification pénale retenue, le quantum de la peine d'emprisonnement infligée, l'absence de prononcé d'une peine complémentaire, le contexte dans lequel ces faits, isolés, ont été commis, la conscience de l'intéressé de l'anormalité de son comportement, l'absence de structure pathologique de sa personnalité et de manifestation perverse ou déviante constatée par l'expertise psychiatrique et sa manière de servir durant l'ensemble de sa carrière, également mise en évidence par la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat ».

C'est donc sans dénaturation des pièces du dossier, erreur de droit ou de qualification qu'a éré rendu cet arrêt, ce qui conduit au rejet du pourvoi du ministre.

(30 mai 2022, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, n° 449582)

 

97 - Praticien hospitalier - Suspension de ses fonctions - Utilisation des moyens du service pour ses propres activités - Détérioration du climat et perturbation du fonctionnement du service - Rejet.

La ministre de la santé n'a pas pris une décision illégale en suspendant de ses fonctions un praticien hospitalier motif pris de ce que l'utilisation par ce praticien de moyens du service pour ses activités personnelles a déclenché un conflit grave détériorant le climat du service et en perturbant le fonctionnement sans que puisse faire obstacle à la légalité de cette mesure les inconvénients en résultant pour les patients suivis par l'intéressé.

(31 mai 2022, M. B., n° 439415)

 

Libertés fondamentales

 

98 - Ressortissant syrien – Demande d’octroi de la protection subsidiaire – Refus d’octroi insuffisamment motivé – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile a refusé à un ressortissant syrien le bénéfice de la protection subsidiaire qu’il sollicitait à défaut d’obtenir celui de l’asile politique. L’intéressé saisit le Conseil d’État d’un pourvoi, ce dernier l’accueille positivement.

Pour ce juger, il relève que pour solliciter son admission au bénéfice de l'asile, le requérant soutenait craindre d'être persécuté en cas de retour dans son pays d'origine en raison de l'aide qu'il a apportée à des familles d'opposants syriens à Damas en les approvisionnant en gaz et de ce qu'arrêté lors d'une livraison, il aurait été placé en détention et aurait subi des mauvais traitements. Or la Cour, sans même se prononcer sur le degré de violence existant en Syrie, s’est bornée à rejeter cette demande au moyen d’une formule stéréotypée notant que ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites à l'audience ne permettaient de tenir pour établis les faits allégués et de fonder les craintes énoncées au regard de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La décision de rejet est annulée pour son insuffisance de motivation et le renvoi de l'affaire est ordonné devant cette Cour.

(3 mai 2022, M. B., n° 449396)

 

99 - Liberté de l’éducation – Droit de l’enfant à l’instruction – Enseignement dispensé dans la famille – Contrôle de la puissance publique – Soumission à une autorisation préalable – Institution d’un délai de huit jours pour la formation d’un recours administratif obligatoire préalable à la saisine d’une commission en cas de refus d’autorisation – Annulation sur ce dernier point et rejet du surplus.

Les requérants ainsi qu’une association intervenante demandaient la suspension de diverses dispositions des deux décrets du 15 février 2022 pris sur le fondement de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, qui précisent les modalités de délivrance de l'autorisation de l'instruction dans la famille et les conditions dans lesquelles une décision de refus d'autorisation peut faire l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire.

Sauf pour l’un d’entre eux, les moyens sont rejetés alors même qu’est établie ici l’urgence à statuer.

La limitation entre le 1er mars et le 31 mai de la période durant laquelle doit être adressée la demande d’autorisation préalable d’une instruction dans la famille ne méconnaît pas l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’exigence d’un justificatif du domicile des personnes responsables de l’enfant n’est pas illégale, les personnes sans domicile fixe ou stable pouvant toujours solliciter une attestation de domicile auprès de services ou institutions à ce désignés.

Les obligations administratives et de renseignements instituées par ces décrets, spécifiquement pour les demandes de dérogation motivées par l’état de santé de l’enfant, par la pratique d’activités sportives ou artistiques incompatibles avec le fonctionnement normal d’un établissement d’enseignement, par la situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ou en cas de harcèlement à l’école, et en particulier l’exigence de détention du baccalauréat pour enseigner à un enfant scolarisé en famille, ne comportent pas d’illégalités de nature à créer un doute sérieux.

Enfin sont rejetés divers moyens tenant à l’imprécision de certaines dispositions, à la brièveté de certains délais, à la composition de la commission de recours contre un refus d’autorisation.

Toutefois, le juge des référés estime que crée un doute sérieux quant à sa juridicité, l’art. D. 131-11-10 du code de l’éducation issu de l’un des décrets attaqués en ce qu’il prévoit que toute décision de refus d'instruction dans la famille peut être contestée dans un délai de huit jours à compter de sa notification écrite, ce délai étant jugé trop court et comme portant atteinte au droit à un recours effectif, sa suspension est ordonnée.

(ord. réf. 16 mai 2022, Association Union nationale pour l'Instruction et l'Épanouissement (UNIE), n° 463123 ; Association Les Enfants d’Abord, n° 463224 ; A. F. et autres, n° 463324)

 

100 - Exercice public des cultes – Séparation des églises et de l’État – Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République – Transmission de deux QPC.

(18 mai 2022, Union des associations diocésaines de France, Monseigneur É. de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800 ; mêmes requérants, n° 461803)

V. n° 128

 

101 - Droit au respect de la vie – Traumatisme crânien - Lésions cérébrales graves - Obstination déraisonnable – Appréciation des circonstances propres à chaque patient - Arrêt de soins – Rejet.

Statuant en formation collégiale en état de référé et après la tenue de deux audiences, le juge rejette la demande d’annulation de la décision d’une équipe médicale d’arrêter les traitements dont est l’objet une personne victime en janvier 2022 d’un traumatisme crânien ayant laissé des lésions cérébrales graves dont deux examens médicaux successifs, réalisés en mars et avril 2022, ont montré que la poursuite des soins constituerait une obstination déraisonnable.

(ord. réf. 16 mai 2022, M. D., n° 462044)

 

102 - Détenue – Exercice du droit de visite – Restriction, suppression ou limitation du droit de visite – Compétence du pouvoir de police du chef d’établissement pénitentiaire – Atteinte au respect de la vie privée et familiale – Nécessité de mesures adaptées et proportionnées – Demande d’exercice du droit de visite dans les conditions normales – Défaut d’urgence – Rejet.

Les requérants se plaignent des conditions fixées par la chef de l’établissement pénitentiaire où est détenue la requérante à l’exercice par son conjoint, M. C., de son droit de visite. Ils demandent au juge des référés qu'il enjoigne à la directrice du centre de détention de Bapaume de délivrer à M. C. un permis de visite dans un parloir sans dispositif de séparation.

Pour confirmer le rejet en première instance du référé liberté dont il était saisi, le juge relève l’absence d’urgence à statuer en raison de ce qu’il a été décidé que si les quatre premières visites qui devaient se dérouler dans un parloir comportant un hygiaphone ne donnaient lieu à aucun incident, cette restriction serait levée. En effet, deux visites ayant eu lieu les 23 et 30 avril 2022 et une autre étant prévue le 14 mai, le tout sans incident, la levée de la restriction est donc très proche.

(ord. réf. 17 mai 2022, M. C. et Mme A., n° 463681)

 

103 - Témoin de Jéhovah – Refus de toute transfusion sanguine – Volonté expresse connue des médecins de l’hôpital – Transfusion du minimum nécessaire à la survie du patient et proportionnée à son état – Absence d’atteinte à la liberté fondamentale d’un patient de donner son consentement à un traitement médical – Rejet.

Les requérants, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA, ont demandé au juge des référés d'enjoindre à l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne de Toulon de respecter la volonté de M. A. C., hospitalisé à la suite d’un traumatisme grave sur la voie publique, et de ne procéder en aucun cas à une transfusion sanguine contre son gré, conformément au respect du consentement libre et éclairé du malade, et de recourir en substitution aux traitements médicaux sans transfusion de sang, acceptés, eux, par le patient.

La requête contre l'irrespect de cette volonté par l'hôpital ayant été rejetée, ils ont saisi le Conseil d’État par voie d’appel.

Celui-ci les déboute au motif que si leur parent a bien reçu des doses de sang, contrairement aux indications données à l’équipe médicale et au contenu du document que la victime portait sur elle exprimant le refus de toute transfusion « même si le personnel soignant estime qu'une telle transfusion s'impose pour me sauver la vie », cette équipe a strictement limité les quantités transfusées et les facteurs de coagulation à ce qui était indispensable à la survie immédiate du malade. Ainsi, dès lors que le protocole suivi ne s’est écarté du choix du patient que dans la mesure strictement nécessaire et proportionnée à son état, il n’a pas été porté atteinte à la liberté fondamentale de consentement aux soins non plus qu’à d’autres libertés fondamentales garanties par la Charte européenne des droits fondamentaux, la convention EDH et la convention d’Oviedo du 4 avril 1997.

Reste que, au total, a été transfusée une personne qui s’y refusait absolument en raison de ses convictions religieuses. Qu’est devenue en ce cas la « fondamentalité » de la liberté invoquée par les requérants et reconnue par les textes comme par le juge ?

(ord. réf. 20 mai 2022, Consorts C., n° 463713)

 

104 - Ressortissants algériens - Titulaires d'un certificat de résidence « scientifique » - Epidémie de Covid-19 - Personnes non autorisées à entrer en France métropolitaine - Illégalité et annulation partielles.

Les requérants demandaient l'annulation de deux instructions du premier ministre, l'une relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogation pour les familles de ressortissants algériens « scientifiques chercheurs », l'autre en tant qu'elle maintient l'exclusion des familles des « scientifiques chercheurs » ressortissants algériens du dispositif de dérogations d'entrée sur le territoire français.

Le Conseil d'État rejette la plupart des moyens soulevés retenant cependant que la différence de traitement instituée par l'une des instructions attaquées entre les titulaires d'un visa de long séjour « passeport talent » qui peuvent entrer en France ainsi que leur conjoint et leurs enfants et ceux titulaires du certificat de résidence « scientifique »  prévu au f) de l'article 7 de l'accord franco-algérien de 1968 qui sont, eux, exclus du bénéfice de ce régime d'accès y compris les titulaires eux-mêmes.

(25 mai 2022, M. O. et autres, n° 450085 et n° 450542)

(105) V. aussi, rejetant le recours, comparable au précédent, de ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence en leur qualité de médecins exerçant en France : 25 mai 2022, Mme K. et autres, n° 451247.

 

106 - Bénéficiaire, dans un autre pays de l'Union, du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire - Impossibilité de revendiquer en France des droits conférés par ce statut ou cette protection sauf en cas d'admission au séjour - Absence de demande de renouvellement du titre de séjour dans le pays d'octroi du statut ou de la protection - État de fait sans effet sur l'existence de ce statut ou de ladite protection - Situation différente en cas d'échec de démarches de renouvellement - Annulation de l'arrêt contraire.

L'étranger qui a obtenu dans un pays de l'Union le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire ne peut pas revendiquer en France de droits tirés de ce statut ou de cette protection quand ces droits lui sont assurés dans le pays en question sauf s'il a été admis au séjour en France.

Par ailleurs, la circonstance que cet étranger n'a pas sollicité le renouvellement de son titre de séjour dans l'État d'accueil est sans effet sur la revendication de droits en France sauf s'il est établi que cette protection ou ce bénéfice ne lui est plus assuré ou est devenu ineffectif ou que les démarches en vue du renouvellement de son titre au séjour ont échoué.

Enfin, la circonstance que le titre de séjour est expiré et le fait que l'intéressé a regagné pendant un certain temps son pays d'origine et de persécution n'établissent point sa renonciation à la protection accordée par l'État d'accueil.

(25 mai 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 451863)

 

Police

 

107 - Police économique et sociale – Encadrement des loyers sur le territoire de la ville de Paris – Contrariété à la convention EDH – Compétence pour demander l’encadrement des loyers – Étendue de la compétence du premier ministre – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-315 du 12 avril 2019 fixant le périmètre du territoire de la ville de Paris sur lequel est mis en place le dispositif expérimental d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

La demande est rejetée en tous ses chefs, de légalité externe comme de légalité interne.

Sur le plan de la légalité externe, sont écartés deux moyens.

Le premier moyen est celui tiré de la non-consultation, préalablement au décret attaqué, de l’Autorité de la concurrence car ce texte institue non un régime nouveau au sens de l’art. L. 462-2 du code de commerce mais un régime expérimental, celui prévu par l’art. 140 précité de la loi du 23 novembre 2018.

Le second moyen est tiré de la non-consultation du Conseil national de l’habitat organisée par l’art. R* 361-2 du code de la construction et de l’habitation, cette consultation n’étant prévue que pour les mesures destinées à favoriser la mixité sociale or le décret litigieux, s’il peut contribuer à cet objectif, n’a pas cela pour objet.

Sur le plan de la légalité interne, il est d’abord jugé que la fixation, par le préfet, de « loyers de référence » dans les zones urbanisées caractérisées par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements situées à l’intérieur du périmètre d’application du dispositif d’encadrement des loyers ne porte pas une atteinte déraisonnable au droit de propriété eu égard à l’exigence d’intérêt général qui motive ce dispositif. Cela nous paraît cependant imposer de revoir toutes les évaluations et assiettes fiscales relatives aux biens ainsi limités dans leur rentabilité.

Pas davantage, le décret querellé ne saurait être considéré comme portant atteinte à la protection du droit de propriété en instituant une discrimination qui serait incompatible avec les dispositions de l’art. 14 de la Convention EDH et de l’art. 1er de son premier protocole additionnel du fait qu’il subordonne la mise en place du dispositif d’encadrement des loyers à une demande préalable émanant d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat ou d'une autre collectivité ayant cette compétence, cela en raison de la liberté que la loi confère à ces derniers pour exercer cette faculté de déclencher ce dispositif.

On aperçoit mal cependant en quoi le caractère facultatif du déclenchement de ce mécanisme a à voir avec l'éventuelle atteinte au droit de propriété ; celle-ci se réalise dès l'instauration de l'encadrement des loyers.

Également, si le premier ministre détient le pouvoir d’apprécier si le choix par une collectivité de retenir un certain périmètre pour l’application de l’encadrement des loyers est justifié, il ne lui appartient pas de décider si des territoires situés en dehors de celui de la collectivité demanderesse devraient également être assujettis à cet encadrement. C'est pourtant là une réelle difficulté juridique dans la mesure où est ainsi supprimée toute objectivité dans la détermination des zones concernées et il nous semblerait bien venu de décider que la légalité des périmètres proposés ainsi que de ceux retenus soit soumise à un contrôle « en tant que ne pas » (Assemblée,16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646).

Enfin, les données chiffrées sur le rapport entre le niveau moyen des loyers dans le parc social locatif et celui des loyers du parc locatif privé démontrent le bien-fondé du recours, pour la ville de Paris, à l’encadrement des loyers.

(10 mai 2022, Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI Paris) et Chambre nationale des propriétaires, n° 431495)

(108) V. aussi, très largement identiques et rejetant les recours : 10 mai 2022, Chambre des propriétaires du Grand Paris, n° 449603 et n° 454450, 2 espèces.

 

109 - Police économique et sociale – Encadrement des loyers sur le territoire de la métropole européenne de Lille – Respect des conditions posées par la loi – Rejet.

Les deux requêtes jointes tendaient, d’une part à l’annulation du rejet implicite de leurs demandes d’abrogation et d’autre part à l’annulation du décret n° 2020-41 du 22 janvier 2020 fixant le périmètre du territoire de la métropole européenne de Lille sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Les moyens développés au soutien de ces recours sont rejetés.

Le juge relève que contrairement à ce qui est soutenu, d’une part, le premier ministre a procédé, avant de prendre le décret litigieux, à la vérification du respect des conditions posées par l’art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 sans se croire en situation de compétence liée et, d’autre part, il résulte bien des chiffres y relatifs un écart important, du simple au double, entre le montant moyen du loyer dans le parc locatif public et celui du loyer dans le parc locatif privé. Il est ainsi établi l’existence d’une situation entrant dans les prévisions du législateur pour l’instauration d’un régime d’encadrement des loyers. 

(10 mai 2022, Association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord, n° 442698 ; Association UNPI Nord de France, n° 442699)

 

110 - Police économique et sociale – Obligation d’atteindre un certain pourcentage de logements locatifs sociaux parmi les résidences principales – Exemption de l’obligation – Conditions – Annulation du décret refusant à une commune cette exemption.

La loi a prévu la possibilité, pour une commune, d’être exemptée à certaines conditions de l'obligation d'atteindre un certain pourcentage de logements locatifs sociaux parmi les résidences principales (art. L. 302-5 et suivants c. de la construction et de l’habitation). La commune requérante demande l’annulation du décret du 30 décembre 2019 fixant la liste des communes exemptées de cette obligation, en tant qu'elle n'est pas mentionnée dans ses annexes qui désignent, pour la période triennale 2019 – 2022, les communes concernées.

Pour être exemptées de leurs obligations en matière de logement social, les communes doivent être proposées comme éligibles à cette exemption par une décision de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) auquel elles appartiennent et doivent être ensuite retenues par le décret prévu par le premier alinéa de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation.

Il en résulte que l'absence de présentation par l'EPCI compétent fait obstacle à ce que la commune puisse être retenue par ce décret. Ceci appelant deux précisions juridiques importantes.

En premier lieu, si la commune doit remplir l'une au moins des trois conditions mentionnées au III de l'article L. 302-5 précité pour demander à être exemptée de l’obligation, cela n’impose pas à l’EPCI de proposer sa candidature à l’exemption, celui-ci pouvant refuser en se fondant sur divers critères (importance de la demande de logements locatifs sociaux sur son territoire, taux de logements sociaux de la commune, politique en matière de réalisation de logements sociaux et performances passées dans l'atteinte des objectifs).

En second lieu, si la délibération de l'EPCI, qu'elle accueille la demande d'une commune ou qu’elle la rejette, n’a que le caractère d’une mesure préparatoire insusceptible d’être discutée au contentieux, sa légalité peut néanmoins, en vertu d’une jurisprudence constante, être invoquée au soutien du recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret pris au titre de la période triennale pour laquelle l’exemption a été sollicitée par la commune.

En l’espèce, le Conseil d’État retient que le refus du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Paris-Vallée de la Marne (devenue ensuite communauté d'agglomération de Marne la vallée - Val Maubuée) de proposer la commune requérante comme éligible à l’exemption est entaché d’illégalité car, d’une part, celle-ci satisfait bien à l’un au moins des critères prévus par la loi et d’autre part la communauté d’agglomération  ne fait état d’aucune circonstance justifiant que ne soit pas proposée à l’exemption la commune d’Emerainville. En effet, cette dernière soutenait sans être contredite que plus de la moitié du territoire urbanisé de la commune était soumis à une inconstructibilité résultant d'une zone A, B ou C du plan d'exposition au bruit de l'aérodrome de Lognes-Emerainville.

Le décret est donc illégal et son annulation est accompagnée d’une injonction à la communauté d’agglomération de réexaminer sous deux mois la demande de la commune d’Emerainville.

(10 mai 2022, Commune d’Emerainville, n° 439128)

 

111 - Police des événements sportifs – Service d’ordre assuré dans l’intérêt de l’organisateur d’une manifestation (art. L. 211-11 code de la sécurité intérieure) – Remboursement des dépenses afférentes à cette intervention – Charge des dépenses excédant les besoins normaux du maintien de l’ordre - Absence de signature de la convention sans effet sur la dette des organisateurs – Rejet.

L'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure dispose notamment :

« Les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d'y assurer un service d'ordre lorsque leur objet ou leur importance le justifie.

Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'État les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt (...) ». 

L'association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre a reçu, à l’issue de l’organisation, en 2016, des épreuves du championnat du monde moto « Superbike » sur le circuit de Nevers Magny-Cours, une facture de la gendarmerie nationale relative au service d'ordre assuré lors de cette manifestation que l'association a refusé de payer et qui a fait l’objet d’une majoration. L'association a demandé en vain l’annulation de ce titre de perception au tribunal administratif et à la cour administrative d’appel ; elle se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté.

Il résulte des dispositions précitées du code de la sécurité intérieure qu’elles ne concernent que les services d'ordre assurés dans l'intérêt de l'organisateur d'une manifestation excèdant les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l'intérêt général.

Le texte opère une distinction très claire entre, d’une part, les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif qui sont seuls susceptibles de se voir imposer par l'État la tenue d'un tel service d'ordre et qui ne peuvent être assujettis qu’au paiement de la part du coût d’intervention des forces de l’ordre excédant celui résultant de la satisfaction des besoins normaux de sécurité. et d’autre part toute personne physique ou morale pour le compte de laquelle un tel service d'ordre est assuré par les services de police ou de gendarmerie et qui est tenue de rembourser à l'État la totalité des dépenses correspondantes. 

Normalement, une convention doit être signée entre les services publics de maintien de l’ordre et les bénéficiaires de l’opération (art. 2 et 4 du décret du 5 mars 1997 relatif au remboursement de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie).

En l’espèce, il est tout d’abord jugé que c’est sans dénaturation et dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour a estimé justifié le déploiement des forces de l’ordre au vu de l'affluence telle qu'elle ressortait des articles de presse consacrés à cet événement et des chiffres de la billetterie ainsi qu’en raison du nombre de spectateurs de cette manifestation.

Ensuite, le titre de perception litigieux était régulier en la forme car il comportait toutes les mentions requises.

Enfin, l’absence de caractère lucratif de la manifestation comme l’absence de signature par l’association requérante de la convention proposée par le préfet de la Nièvre ne pouvaient pas faire obstacle à l’application des dispositions de l’art. L. 211-11 précitées.

(11 mai 2022, Association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre, n° 449370)

(112) V. aussi, identique : 11 mai 2022, Association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre, n° 449371.

 

113 - Police de l’hygiène et de la sécurité – Réglementation des piscines privées ouvertes à l’usage public – Baignade artificielle – Application du régime des piscines – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Les demandeurs contestaient la légalité d’un arrêté préfectoral interdisant l’accès du public à un lieu de baignade qu’ils exploitent jusqu’à la mise en conformité aux règles régissant les piscines.

Pour casser l’arrêt d’appel le Conseil d’État relève que celui-ci repose sur une inexacte qualification des faits en jugeant applicable en l’espèce la réglementation propre aux piscines privées ouvertes au public alors qu’il résulte du dossier que l’installation en cause est constituée d'une cuvette créée par terrassement, dont l'aménagement permet, par une membrane imperméable posée sur son fond, de maintenir captives les eaux souterraines de la nappe phréatique ; elle n’est donc pas une piscine – ce qui supposerait une alimentation en eau à partir d'un réseau de distribution publique (art. D. 1332-4, alinéa 2 du code de la santé publique) - mais une baignade artificielle à laquelle ne saurait être imposée la réglementation propre aux piscines.

(11 mai 2022, Société Marissol et Mme C., n° 438409)

 

114 - Associations et groupements de fait – Dissolution – Conditions – Atteinte aux libertés de réunion et d’association – Suspension du décret de dissolution.

Un décret du 30 mars 2022, du président de la République, a dissout l’organisation requérante sur le fondement du 1° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en retenant trois motifs.

Les requérants demandent la suspension du décret de dissolution.

Le Conseil d’État statuant en formation collégiale en état de référé suspend ledit décret aucun des motifs de dissolution ne lui semblant établi et l’urgence lui paraissant démontrée.

En premier lieu, le grief de mener des actions violentes est rejeté car il n’est pas établi que le groupement en cause ait été à l'origine d’appels à manifester ni que les agissements violents commis à l'occasion de ces manifestations aient été directement liés aux activités de ce groupement cela alors même que plusieurs de ses membres ont participé à ces manifestations. Par ailleurs, d’une part, les condamnations infligées à certains membres pour « violences volontaires », à raison des éléments les caractérisant, ne sauraient les faire regarder comme « violents » au sens et pour l’application de la disposition précitée, et d’autre part, l’instruction ne montre pas que les dégradations causées aux biens soient le fait dudit groupement.

En deuxième lieu, le positionnement idéologique de ce groupement ainsi que la phraséologie qu’il utilise, notamment sur les réseaux sociaux, tout comme sa participation à un festival dit « antifafest » dont il n’est pas l’organisateur, ne caractérisent pas une provocation à des agissements violents au sens du 1° de l'article L. 212-1 précité.

Enfin, en troisième lieu, s’il est certain que peut être reprochée à ce groupement la violence de ses propos – ainsi les publications sur les réseaux sociaux des photographies de tags « Mort aux nazis » sur les murs du local du groupement d'extrême-droite Terra Nostra, des commentaires « On va se venger », publié à la suite de l'incendie d'une mosquée, et « pour une bonne dissolution, une seule solution : vive la chaux vive », publié en référence aux dissolutions des groupements d'extrême-droite Unité radicale, Bloc identitaire et Génération identitaire, des formules « deux banques ont eu le bonjour du bloc anticapitaliste », figurant dans le compte-rendu d'une manifestation, et « c'est cela qui nous tient à cœur en tant qu'antifascistes : des ripostes collectives et multiples d'autodéfense populaire ». Il en est de même du recours au mot-clé " #feuauxprisons " ou du dessin d'un centre de rétention administrative en flammes intitulé « feu aux centres de rétention », à l'appui de publications dénonçant de supposées violences d'État – ceux-ci ne sauraient manifestement pas être regardés comme entrant dans les prévisions du texte précité.

(ord. réf. form. coll. 16 mai 2022, M. A. C. et groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs (dit « la GALE »), n° 462954)

 

115 - Police de la sécurité – Police des immeubles en état de péril – Obligation d’exécuter des travaux – Exécution d’office – Immeuble détenu en indivision – Solidarité des propriétaires indivis – Émission d’un titre exécutoire à l’encontre d’un seul des deux propriétaires valant pour le tout – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation sur moyen soulevé d’office.

La commune requérante a mis en demeure deux frères, propriétaires indivis d’un immeuble en état de péril, d’exécuter les travaux propres à faire cesser cet état et, les travaux n’ayant pas été réalisés dans le délai imparti, les a fait exécuter d’office.

Un contentieux est né de la réclamation du remboursement des frais avancés par la commune au moyen de titres exécutoires adressés à l’un des deux frères.

La cour administrative d’appel a jugé que faute de l’existence d’une solidarité entre les deux frères débiteurs la commune ne pouvait pas légalement émettre les titres exécutoires litigieux à l'encontre de l’un d’eux seulement pour la totalité de la somme due par l'indivision qu'il formait avec son frère.

Sans s’arrêter aux moyens du pourvoi, le Conseil d’État soulève d’office, car il est d’ordre public, celui tiré de la méconnaissance par l’arrêt d’appel du champ d’application de la loi du fait que cette solidarité résulte des termes mêmes de l’art. L. 541-2-1 du code de la construction et de l’habitation.

(24 mai 2022, Commune de Coudekerque-Branche, n° 440499)

 

116 - Police sanitaire - Covid-19 - Limitation des effectifs admis dans des festivals de musique - Communiqué annonçant un acte réglementaire mais ayant un effet significatif sur les comportements des personnes - Acte faisant grief - Rejet au fond.

Saisi d'un recours en annulation du cadre de l'organisation des festivals pour l'année 2021, annoncé par la ministre de la culture dans son communiqué de presse du 18 février 2021, en tant qu'il prévoit d'interdire les festivals de plus de 5 000 personnes et impose la configuration assise, le Conseil d'État tranche d'abord une question de recevabilité.

Il juge en effet que « Si, en principe, l'annonce publique de l'intention du Gouvernement d'édicter un acte réglementaire ne constitue pas en elle-même un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, il en va différemment lorsque cette annonce a pour objet, comme en l'espèce, d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elle s'adresse pour leur permettre de se préparer au futur cadre juridique auquel elles seront soumises. » La solution est judicieuse et se distingue radicalement de la question du droit mou.

Ensuite, au fond, le juge estime que les mesures que contient ce communiqué ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

 Le recours est rejeté.

(25 mai 2022, Association Territoire de Musiques, l'association Hellfest Productions et la société Musilac, n° 451846)

 

117 - Police du permis de conduire - Émission d'amendes forfaitaires pour infractions au code de la route - Amendes non acquittées - Absence de preuve de la connaissance par l'intéressée des informations requises - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour estimer qu'une personne a bien reçu l'information requise par les articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route en matière de contravention, se borne à retenir que les infractions commises auraient donné lieu à l'émission d'amendes forfaitaires, sans constater que ces amendes n'avaient pas été payées et qu'ainsi n'était pas rapportée la preuve de l'existence de l'information.

(31 mai 2022, Mme B., n° 445132)

(118) V. aussi, sur la portée probante la mention certifiée par l'agent verbalisateur que le contrevenant a refusé d'apposer sa signature sur une page écran où figurent toutes les mentions nécessaires (31 mai 2022, ministre de l'intérieur, n° 45557) ou, sur la preuve de la réception par l'intéressé du procès-verbal, l'exécution de la composition pénale afférente à l'infraction litigieuse n'établissant pas la réception de l'information préalable requise par les textes (31 mai 2022, M. A., n° 45623) ou encore pour ce même défaut d'information (31 mai 2022, M. B., n° 456408).

 

Professions réglementées

 

119 - Masseurs-kinésithérapeutes – Étendue de la compétence du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes en matière d’études et de diplômes – Pouvoirs de l’ordre en cette matière – Annulation et injonction.

La requérante demandait l’annulation de deux décisions implicites du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes : le refus d'abroger l'avis du 13 juin 2018 relatif à la pratique par un kinésithérapeute de la « puncture kinésithérapique par aiguille sèche », dite « dry-needling » et le refus de reconnaître la formation qu'elle dispense en lien avec l'Association suisse de dry-needling.

Donnant raison à la requérante, le Conseil d’État retient deux moyens.

Tout d’abord, il résulte des art. L. 4321-2 et s. et R. 4321-122 et s. du code de la santé publique que si le Conseil national de l'ordre peut, au titre de sa compétence de reconnaissance d'une qualification, d'un titre ou d'un diplôme particulier, fixer aussi, de manière générale, les contenus ou les modalités de formation qu'il estime nécessaires pour que certaines qualifications, titres ou diplômes puissent figurer dans des documents, annuaires ou plaques professionnels, en revanche cet organisme ne tire ni de ces dispositions ni d'aucun autre texte ou principe la compétence pour déterminer les contenus des formations requises pour la pratique, par les masseurs-kinésithérapeutes, des différents actes professionnels de masso-kinésithérapie. Il s’ensuit qu’en estimant en l’espèce, pour rejeter la demande dont il était saisi, que « Seul le kinésithérapeute ayant validé un cursus de formation complémentaire à celui de sa formation initiale peut réaliser la puncture kinésithérapique par aiguille sèche (...) » et que « le contenu du cursus de formation nécessaire à la mise en œuvre de cette technique » est celui élaboré par le « collège de la masso-kinésithérapie », instance professionnelle n'ayant qu'une compétence de proposition en matière de formation continue des masseurs-kinésithérapeutes, le Conseil national de l'ordre a méconnu sa propre compétence.

Ensuite, pour refuser de reconnaître la formation délivrée par la requérante, le Conseil national s’est fondé sur ce que les diplômes qui la sanctionnent « ne sont pas précédés de la formation prévue par le « collège de la masso-kinésithérapie ». » Ce faisant il s’est livré à une inexacte application de la règle de droit dont il est chargé d’assurer le respect car il ne lui appartenait d'apprécier, au vu des pièces soumises par les demandeurs, que le contenu et les modalités de la formation que ces derniers lui soumettaient, en sollicitant le cas échéant de leur part tout élément complémentaire de nature à en éclairer certains aspects.

(10 mai 2022, Société française de dry-needling (SFDN), n° 439652 et n° 447474)

(120) V. aussi la solution identique mutatis mutandis d’annulation du refus par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de reconnaître le certificat interuniversitaire de kinésithérapie du sport délivré conjointement par l'université catholique de Louvain (Belgique) et l'université de Liège (Belgique) au titre de l'année universitaire 2015-2016 : 10 mai 2022, M. B., n° 441497.

 

121 - Pharmacien – Infliction d’une sanction non prévue par les textes applicables – Aggravation en appel sur le seul appel du contrevenant – Illégalités – Annulation.

Sur plaintes du médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du Bas-Rhin du service médical de la Caisse nationale d'assurance-maladie et du directeur de cette caisse, le requérant s’et vu infliger par la section des assurances sociales du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des pharmaciens la sanction d'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux, pour une durée de cinq ans.

Sur l’appel du demandeur, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a annulé cette décision au motif qu'elle n'était pas prévue par les dispositions de l'article R. 145-2 du code de la sécurité sociale et lui a infligé la sanction d'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux, pour une durée de cinq ans.

Le pharmacien ainsi sanctionné se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève, sans le dire ici, qu’en vertu d’un principe général du droit disciplinaire, la juridiction disciplinaire d’appel saisie par le seul appel de la personne sanctionnée en première instance ne peut pas lui infliger une sanction plus lourde que celle retenue en première instance. C’est le cas ici où l’interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux pendant cinq ans est plus lourde que celle lui interdisant, pour la même durée, de donner des soins aux assurés sociaux.

La décision querellée est annulée.

(10 mai 2022, M. B., n° 447369)

 

122 - Compétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Recours contre des décisions du conseil de l'ordre des pharmaciens refusant l'inscription au tableau de l'ordre - Compétence de ce juge pour connaître d'autres mesures en matière d'inscription ou de radiation - Exclusion de la compétence des autres juridictions administratives de droit commun - Annulation.

(25 mai 2022, M. A., n° 440639)

V. n° 39

 

123 - Huissiers de justice – Greffiers des tribunaux de commerce – Tarifs réglementés applicables à certains professionnels du droit – Tarifs réglementés des huissiers de justice et des greffiers de tribunaux de commerce – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient toutes l’annulation des articles 5 et 8 du décret du 28 février 2020 relatif aux tarifs réglementés applicables à certains professionnels du droit pris pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 444-2 du code commerce qui ont, respectivement, modifié l'article R. 444-7 et inséré l'article R. 444-12-1 dans la partie réglementaire de ce code. Séparément une organisation d’huissiers et le conseil national des greffiers de tribunaux de commerce demandaient respectivement l’annulation d’arrêtés du 28 février2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers et ceux des greffiers de tribunaux de commerce.

Sans grande surprise ces diverses demandes sont rejetées.

La consultation de l’Autorité de la concurrence n’a pas été entachée d’irrégularité du fait qu’après son avis et conformément à celui-ci le projet de décret a été modifié pour en tenir compte en vue du calcul de l'objectif de taux de résultat moyen à partir d’un taux de référence sans consultation de cette Autorité dès lors que cette modification ne posait pas de question nouvelle.

S‘agissant de la critique de la juridicité de l’art. R. 444-7 du code commerce, il est jugé que le premier ministre était compétent, sur délégation législative (art. L. 444-2 et L. 444-7 code précité), pour définir par décret en Conseil d'État les modalités de détermination de l'objectif de taux de résultat moyen sur la base duquel les tarifs sont fixés par arrêté conjoint des ministres de la justice et de l'économie et pour y préciser que l'objectif de taux de résultat moyen est déterminé à partir d'un taux de référence égal à 20 % auquel est appliqué un coefficient correcteur multiplicateur.

Par ailleurs le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu les dispositions des art. L. 444-2 et L. 4444-7 du code de commerce en décidant que la rémunération raisonnable est déterminée globalement pour chaque profession en appliquant au chiffre d'affaires régulé un taux de résultat moyen de cette profession.  Il n’a pas non plus retenu des critères dépourvus de précision et d'objectivité en fixant un taux de référence de 20 % pour la détermination de l'objectif de taux de résultat moyen pour l'ensemble des professions réglementées concernées et en prévoyant la possibilité d'ajuster ce taux à la hausse dans la limite d'un multiple de 1,6, ce qui  tient compte des différences existant entre ces professions, notamment de la part du chiffre d'affaires régulé dans leur chiffre d'affaires total, des différences des taux de résultat entre elles, ainsi que de l'évolution du service rendu.

S’agissant de la critique de la juridicité de l’art. R. 444-12-1 du code de commerce, est rejeté le moyen tiré d’une prétendue violation des objectifs fixés par l'article L. 444-2 ainsi que de l'étendue de la compétence du pouvoir réglementaire, ce dernier ayant défini de  manière suffisamment précise les critères de détermination des majorations des émoluments pouvant être fixées dans les départements et collectivités d’outre-mer pour tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de chaque territoire et de celles qui en résultent pour les professionnels qui y sont installés, tout en fixant l'objectif de rapprocher le taux de résultat moyen de ces professionnels de l'objectif de taux de résultat moyen mentionné à l'article R. 444-7.

Enfin, s’agissant des arrêtés du 28 février 2020 relatif, l’un aux huissiers de justice, l’autre aux greffiers des tribunaux de commerce, sont rejetés le recours en ce qu’ils sont fondés sur une illégalité par voie de conséquence du fait de la prétendue irrégularité des articles 5 et 8 du décret attaqué dont ils font application puisque les recours dirigés contre ces dispositions sont eux-mêmes rejetés.

(16 mai 2022, Syndicat Union nationale des huissiers de justice, n° 442355 ; Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, n° 442356 ; Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, n° 442357 ; Syndicat Union nationale des huissiers de justice, n° 442359 ; Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, n° 442577, jonction)

 

124 - Médecin - Interdiction d'exercice de la médecine - Obligation de suivre une formation - Atteinte grave et immédiate à la situation du requérant - Doute sérieux sur la légalité de la décision de suspension temporaire d'exercer - Suspension ordonnée.

La formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins avait suspendu pour six mois le requérant de l'exercice de ses fonctions et l'avait obligé à suivre une formation en raison d'une connaissance faible du réseau régional d'accès à l'innovation thérapeutique.

Estimant, d'une part, que le motif retenu était d'une légalité douteuse car n'était pas démontrée l'existence d'une insuffisance professionnelle grave de nature à rendre dangereux l'exercice de la médecine par l'intéressé et, d'autre part, constatant l'atteinte grave ainsi portée à la situation du requérant, le juge des référés du Conseil d'État ordonne la suspension de l'exécution de la décision litigieuse.

(ord. réf. 24 mai 2022, M. A., n° 463888)

 

125 - Médecin - Signalement adressé à l'autorité judiciaire - Juge des enfants déjà saisi du dossier - Sanction disciplinaire pour violation du secret professionnel - Absenced'une telle violation - Annulation.

Ne commet pas de faute contre la déontologie professionnelle et fait à tort l'objet d'une sanction disciplinaire le médecin qui signale au juge des enfants le cas d'une mineure dont ce juge était déjà saisi.

(30 mai 2022, Mme A., n° 448646)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

126 - Article 7 de la Charte de l’environnement – Participation aux décisions publiques intéressant l’environnement – Art. L. 123-19-1 c. env. n’apportant pas de garanties légales suffisantes de fiabilité des avis exprimés – Rejet et refus de transmission de la QPC.

L’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement fixe le régime d’application du principe, prévu à l’art. 7 de la Charte de l’environnement, de participation du public à la prise de décisions intéressant l’environnement. La fédération requérante soutient à cet égard une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que le législateur, en édictant l'article L. 123-19-1 de ce code, a méconnu sa compétence en s'abstenant de définir des garanties légales suffisantes relatives à la fiabilité des avis exprimés au cours de la procédure de participation, pour assurer l'exigence constitutionnelle du principe de participation prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement.

L’argument est rejeté par le Conseil d’État qui juge que le législateur a opéré une mise en œuvre effective de cet article 7 notamment s’agissant de l’information sur l’organisation de la consultation, des formes d’expression, électronique ou orale, des avis, de l’exigence d’une prise en compte des avis et suggestions du public au moyen de leur synthèse avant adoption éventuelle du projet de décision. Ainsi la loi ayant déterminé de manière suffisante les modalités permettant une participation effective du public pour assurer l'exigence constitutionnelle du principe de participation prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, il n’y a pas lieu à transmission de la QPC.

(5 mai 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

 

127 - Assistance médicale à la procréation – Personnes ayant changé de sexe à l’état-civil et disposant de la capacité de mener une grossesse - Exclusion du bénéfice de cette assistance – Transmission de la QPC.

Constitue une question nouvelle celle de savoir si ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi l’exclusion, par l’art. L. 2141-2 du code de la santé publique, de l'accès à l'assistance médicale à la procréation des personnes ayant changé la mention de leur sexe à l'état civil mais disposant de la capacité de mener une grossesse.

(12 mai 2022, Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles, n° 459000)

 

128 - Exercice public des cultes – Séparation des églises et de l’État – Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la république – Transmission de deux QPC.

Le Conseil d’État était saisi de deux requêtes en QPC formées par les représentants de l’ensemble des églises chrétiennes qui se trouvent en France, l’une dirigée contre les art. 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907 dans leur version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 (recours n° 461800) et l’autre contre les art. 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 dans la version que leur a donnée la loi du 24 août 2021 (recours n° 461803).

Il accueille les deux demandes comme « nouvelles », la première au regard des droits constitutionnels en cause et de l'étendue des obligations pesant désormais sur les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 et ayant des activités cultuelles ; la seconde au regard des droits constitutionnels en cause et compte tenu de la portée donnée à la déclaration de la qualité cultuelle.

(18 mai 2022, Union des associations diocésaines de France, Monseigneur É. de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800 ; mêmes requérants, n° 461803)

 

129 - Référé liberté - Demande de transmission par le Conseil d'État d'une QPC au Conseil constitutionnel - Litige en cours d'instruction devant un tribunal aministratif - Incompétence manifeste du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Rejet.

Est manifestement irrecevable la requête en référé liberté demandant au Conseil d'État qu'il transmette au Conseil constitutionnel sa question prioritaire de constitutionnalité concernant le dossier n° 2104607, en cours d'instruction devant le tribunal administratif de Melun, dès lors qu'un tel recours n'est pas au nombre de ceux dont il appartient au Conseil d'État de connaître en premier et dernier ressort (cf. art. R. 311-1 CJA).

(9 mai 2022, Mme B., n° 463358)

 

Responsabilité

 

130 - Responsabilité hospitalière – Accomplissement d’un acte médical – Obligation préalable au recueil du consentement du patient – Information sur les risques connus attachés à cet acte médical – Absence – Effets – Interruption d’une intervention – Appréciation des conséquences – Annulation.

M. A. B., souffrant de douleurs lombaires, a été opéré d'un rétrécissement du canal rachidien. Au cours de l'opération, une brèche de la dure-mère et un saignement épidural ont conduit le chirurgien à interrompre le geste opératoire et à renoncer ainsi à obtenir une libération canalaire totale. A la suite de cette opération, l’intéressé a souffert, malgré plusieurs interventions chirurgicales ultérieures, d'un déficit sensitif et moteur des membres inférieurs caractérisé par des douleurs et des limitations fonctionnelles importantes.

Il se pourvoit contre l’arrêt d’appel partiellement infirmatif en tant qu’il met diverses sommes à la charge de l’établissement hospitalier et qu'il rejette son appel incident.

Le Conseil d’État est à la cassation à la suite du raisonnement et des motifs suivants.

Tout d’abord, il se déduit des dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique que préalablement au recueil du consentement du patient à l'accomplissement d'un acte médical, doivent être portées à sa connaissance les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

Ensuite, la cour ayant jugé que l’absence d’information préalable donnée au patient sur la possible survenance du syndrome dont il souffrait n'avait pas méconnu l'obligation d'information qui résulte des dispositions de l’art. L. 1111-2 précité car ce risque ne s'était, en l'espèce, réalisé que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales, elle a commis une erreur de droit. Il lui incombait de rechercher si le risque en question ne pouvait advenir, en toutes circonstances, que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales et non dans le seul cas soumis à son examen. 

Enfin, la cour a jugé que la brèche de la dure-mère et l'hémorragie survenue au cours de l'opération, qui ne résultaient d'aucune erreur commise par le chirurgien, ne justifiaient pas qu'il interrompe son intervention. Elle en a déduit qu'en ne conduisant pas à son terme la décompression du « fourreau dural », le praticien avait commis une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, qui était en lien direct, non avec le dommage subi par M. A. B., mais avec une perte de chance d'éviter ce dommage, qu’elle a estimée à 20 %. Le Conseil d’État censure ce raisonnement car la cour s’est fondée pour cela sur un rapport d'expertise dont il résultait que, dans les opérations du type de celle en litige et en cas de brèche de la dure-mère, le fait de ne pas mener à son terme la décompression canalaire entraînait, pour le patient, une moindre chance de rétablissement fonctionnel, donc de guérison par rapport à son état de santé avant l'opération, que l'expert estimait à 20 %. Le juge de cassation estime que la cour a commis, ce jugeant, une erreur de droit en rne echerchant pas si, après la survenue de l'incident opératoire de brèche de la dure-mère, la poursuite jusqu'à son terme et dans les règles de l'art de l'opération de libération canalaire aurait été de nature à éviter ce dommage, ou seulement susceptible de limiter la probabilité qu'il survienne et, dans cette dernière hypothèse, d'apprécier les chances qu'un tel dommage survienne malgré la poursuite de l'opération jusqu'à son terme et dans les règles de l'art.

(11 mai 2022, M. et Mme A. B., n° 439623)

 

131 - Responsabilité hospitalière - Produits et appareils de santé - Implantation d'un produit défectueux dans le corps d'un patient - Action récursoire - Responsabilité sans faute du producteur de ce produit (art. 1245 à 1245-17 du Code civil) - Responsabilité pour faute du producteur - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d'État apporte d'utiles précisions en matière de responsabilité hospitalière du fait de l'implantation d'un produit ou appareil défectueux dans le corps d'un patient. Plus précisément, il rappelle que l'hôpital dispose de deux sortes d'action récursoire contre le producteur ou le fabricant du produit ou de l'appareil défectueux.

En premier lieu, par application du droit de l'Union transposé en droit interne par les articles 1245 à 1245-17 du Code civil, l'hôpital peut fonder son action récursoire sur la responsabilité sans faute du producteur ou fabricant, celle-ci se prescrivant par dix ans.

En second lieu, lorsque l'hôpital fonde son action récursoire sur la faute commise par le producteur ou fabricant, cette prescription décennale n'est pas opposable.

En l'espèce, l'arrêt d'appel est annulé pour n'avoir envisagé que le cas de la responsabilité sans faute résultant des dispositions précitées du Code civil sans rechercher si pouvait être relevée une faute du producteur.

(25 mai 2022, CHU de Rennes, n° 446692)

 

132 - Responsabilité hospitalière - Lésion accidentelle non fautive survenue au cours d'une intervention chirurgicale - Lésion n'étant pas la cause d'arrêts de travail d'une certaine durée - Conditions de prise en charge au titre de la solidarité nationale non remplies - Rejet.

Une cour administrative d'appel a annulé le jugement mettant à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des préjudices subis par la victime requérante du fait d'une lésion survenue, sans faute, au cours d'une intervention chirurgicale.

La cour est approuvée par le Conseil d'État d'abord pour avoir jugé, sans erreur de droit et sans dénaturation, que la seule persistance des douleurs invalidantes qui avaient justifié l'opération, ainsi que les traitements médicamenteux que ces douleurs exigeaient, avaient à eux seuls justifié les arrêts de travail accordés à la victime.

Elle est également approuvée pour avoir déduit de l'appréciation précédente, sans erreur de droit et sans qualification inexacte des faits, que, alors même que la lésion d'un nerf aurait pu avoir, à elle seule, pour conséquence d'entraîner des arrêts de travail de la durée requise par les dispositions de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique, cet accident médical ne pouvait, en l'espèce, être regardé comme ayant entraîné des arrêts de travail au sens de ces dispositions et qu'ainsi ses conséquences ne remplissaient pas la condition de gravité requise pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

(25 mai 2022, M. A., n° 453990)

 

133 - Agents embarqués à bord de navires de la Marine nationale - Exposition à l'amiante - Préjudice d'anxiété – Conditions de réparation – Indemnisation - Rejet.

Ces décisions confirment en tout point, s’agissant du préjudice d’anxiété, la partie de l’avis de droit rendu sur cette question par le Conseil d’État saisi par la cour administrative d’appel de Marseille dont il a été rendu compte dans cette Chronique (avril 2022, n° 181 sur 19 avril 2022, M. D., n° 457560).

Il convient de souligner la remarquable efficacité de la procédure d’avis de droit afin d’évacuer et d’accélérer les litiges, parfaitement illustrée par ce contentieux du préjudice d’anxiété consécutif à l’exposition à l’amiante des personnels embarqués à bord de navires de la Marine nationale.

(13 mai 2022, ministre des armées, n° 450501 ; n° 450503 ; n° 450504 ; n° 450505 ; n° 450966 ; n° 451322 ; n° 451325 ; n° 451333 ; n° 451345 ; n° 452876 ; n° 451877 ; n° 453377 ; n° 451379 ; n° 451380 ; n° 453818 ; n° 453819 ; n° 453842, 17 espèces)

 

134 - Responsabilité d'un centre hospitalier - Suicide de l'un de ses praticiens - Action en responsabilité de la veuve - Obligation de sécurité de résultat - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Rejet.

Dans le cadre d'un contentieux formé par l'épouse d'un praticien contre le centre hospitalier employeur de son mari, en raison du suicide de ce dernier, celle-ci reprochait à la cour administrative d'appel de n'avoir pas soulevé d'office la responsabilité de l'établissement au titre d'une « obligation de sécurité de résultat » qui aurait pesé sur lui. 

Le moyen est rejeté car nulle erreur de droit ne saurait être imputée à l'arrêt, aucune obligation de cette nature n'incombant, de ce chef, à la cour.

(31 mai 2022, Mme A., n° 436824)

 

135 - Fonctionnaire - Imputabilité d'une pathologie au service - Condition d'établissement - Régime légal (art. 34 loi du 11 janvier 1984) - Nécessité d'un lien seulement direct et non d'un lien direct et certain - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, recherchant l'éventuelle imputabilité au service de troubles divers d'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques éprouvés par la requérante à la suite de son affectation dans un bureau situé à quelques mètres d'un émetteur de forte puissance, exige l'existence d'un lien direct et certain entre cette pathologie et la localisation de son emploi.

Selon le Conseil d'Etat, il résulte, en effet, des dispositions de l'art. 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat que cette imputabilité ne repose que sur l'existence d'un lien direct sans qu'il soit nécessaire de rechercher en outre si ce lien a un caractère certain.

(31 mai 2022, Mme B., n° 447677)

 

Santé  publique – Santé – Sécurité sociale

 

136 - Local jugé non impropre à l’habitation – Local de 13 m2 – Superficie supérieure au minimum réglementaire fixé par le règlement sanitaire départemental – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Le règlement sanitaire départemental de Paris fixe des superficies minimales en dessous desquelles les locaux concernés sont par nature impropres à l'habitation et ne peuvent donc être utilisés aux fins d'habitation. En ce cas, le préfet dispose du pouvoir de mettre en demeure le propriétaire de faire cesser l’occupation des locaux à fin d’habitation.

Saisie d’un appel du préfet dirigé contre le jugement ayant annulé son arrêté de mise en demeure afin de cessation d’habiter, la cour administrative d’appel a confirmé le jugement d’annulation de l'arrêté préfectoral en retenant que le local litigieux présente une surface totale au sol de 13 m2 et dispose d'un éclairage naturel suffisant.

L’arrêt d’appel est cassé sur pourvoi du ministre chargé de la santé.

Le Conseil d’État retient que la cour a inexactement qualifiés les faits en raison de la configuration particulière des lieux qui sont constitués de deux espaces d'environ quatre mètres de long chacun, situés dans l'alignement l'un de l'autre, le premier étant large d'un peu moins de deux mètres et le second étant large d'environ un mètre. Cette configuration, nonobstant les éléments positifs retenus par la cour, rend ces locaux impropres à l’habitation.

(11 mai 2022, Ministre des solidarités et de la santé, n° 447135)

 

137 - Droit au respect de la vie – Traumatisme crânien - Lésions cérébrales graves - Obstination déraisonnable – Appréciation des circonstances propres à chaque patient - Arrêt de soins – Rejet.

(ord. réf. 16 mai 2022, M. D., n° 462044)

V. n° 101

 

Service public

 

138 - Communication de documents administratifs - Personne privée chargée d'une mission d'intérêt général - Notion de service public - Réitération des critères jurisprudentiels (décisions NARCY et A.P.R.E.I.) - Erreur de droit - Annulation.

Dans le cadre de l'exécution de marchés publics la société requérante a demandé la communication de documents administratifs y afférents. Pour rejeter sa demande les premiers juges ont estimé que cette demande de communication n'était pas adressée à une personne privée disposant de prérogatives de puissance publique. Ils se fondaient ainsi sur la jurisprudence Narcy (Section 28 juin 1963, p. 401; AJDA 1964 p. 91, note A. de Laubadère).

Le jugement est annulé pour n'avoir pas recherché si la personne privée ne se trouvait pas dans l'hypothèse de l'arrêt A.P.R.E.I. (Section 22 février 2007, n° 264541) qui reconnaît l'existence d'une situation de gestion d'un service public par une personne privée dans le cas où eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une mission de service public alors même qu'elle ne disposerait pas de prérogatives de puissance publique.

Il est jugé en l'espèce, au visa des art. L. 2422-5 et L. 2422-10 du code de la commande publique, que le mandataire de maîtrise d'ouvrage d'une des personnes mentionnées à l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui agit en son nom et pour son compte, est tenu, en application de l'article L. 311-1 du même code, et tant que sa mission n'est pas achevée, de communiquer aux tiers les documents administratifs qu'il a produits ou reçus dans le cadre de l'exercice de son mandat, dans les conditions prévues par le livre III dudit code.

(25 mai 2022, Société Spie Batignolles Ile-de-France, n° 450003)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

139 - Permis de construire une antenne relais – Inscription dans le périmètre de visibilité d’un site remarquable – Avis de l’architecte des Bâtiments de France – Portée – Annulation de l’ordonnance de suspension - Suspension de la décision du maire ordonnée.

Le Conseil d’État décide, se fondant sur les dispositions des art. L. 621-32, L. 632-1 et L. 632-2-1 du code du patrimoine et sur celles des art. R. 424-1 et R. 424-3 du code de l’urbanisme, que, « si la délivrance d'une autorisation de construction d'une antenne relais dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable est soumise à un avis de l'architecte des Bâtiments de France, cet avis n'est pas un avis conforme et que le silence gardé par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire une antenne relais dans un tel périmètre fait naître à l'issue du délai d'instruction un permis de construire tacite, alors même que l'avis a été assorti de prescriptions. » 

L’ordonnance de référé est annulée pour erreur de droit en tant qu’elle refuse de suspendre la décision implicite de rejet de la demande de délivrance d'un certificat au motif que le silence gardé par le maire de Villeneuve d'Ascq avait fait naître une décision de refus du permis, en raison des prescriptions émises par l'architecte des Bâtiments de France dans l'instruction de la demande.

Le Conseil d’État ordonne la suspension de la décision litigieuse.

On peut regretter une application des textes régissant la protection des sites et monuments remarquables beaucoup plus stricte pour les constructions de bâtiments que pour celles d’antennes relais même si sont pris en considération des motifs d’intérêt général de couverture du territoire par des réseaux de téléphonie mobile.

 (ord. réf. 3 mai 2022, Sociétés Bouygues Télécom et Cellnex, n° 453520)

 

140 - Plan local d’urbanisme – Recours en annulation de la délibération l’approuvant – Mémoire produit après la clôture de l’instruction et contenant des conclusions nouvelles – Absence d’obligation de les viser dans le jugement ou l’arrêt – Rejet.

(16 mai 2022, M. A., n° 442991)

V. n° 22

 

141 - Permis de construire – Disposition d’un plan local d’urbanisme instituant une faculté dérogatoire – Refus d’user de cette faculté – Étendue du contrôle du juge sur ce refus – Annulation.

Rappel de ce que lorsque l'autorité administrative, se prononçant sur une demande d'autorisation d'urbanisme, ne fait pas usage d'une faculté qui lui est ouverte par le règlement d'un plan local d'urbanisme d'accorder ou d'imposer l'application d'une règle particulière, dérogeant à une règle générale de ce règlement, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens au soutien de la contestation de la décision prise, de s'assurer que l'autorité administrative n'a pas, en ne faisant pas usage de cette faculté, commis d'erreur manifeste d'appréciation. Il s’agit donc d’un contrôle juridictionnel restreint.

En l’espèce, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, qui, au surplus, a dénaturé les pièces du dossier à elle soumis, c’est sans illégalité que la commune n’a pas exercé la faculté de dérogation au plan local d’urbanisme.

(12 mai 2022, Commune de Tassin la Demi-Lune, n° 453502)

 

142 - Permis de construire – Règles de prospect - Calcul de la distance entre deux immeubles – Existence de loggias – Point de départ du calcul de la distance – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour apprécier le respect des règles de prospect, calcule la distance séparant deux immeubles dont l’un comporte des loggias, non à partir de la façade de ce dernier mais à partir de la baie ouvrant sur la loggia, traitant ainsi l’espace entre cette baie et la façade comme s’il constituait un balcon.

(12 mai 2022, M. A. et autres, n° 453787)

 

143 - Permis de construire valant permis de démolir – Construction susceptible de porter atteinte aux lieux environnants – Pouvoir de l’autorité compétente – Appréciation de l’effet de la construction sur le site en cas de démolition suivie de reconstruction – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

Il résulte des dispositions des art. R. 111-1 et R. 111-27 du code de l’urbanisme que l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou à la conservation des perspectives monumentales.

En l’espèce, le maire de la commune a refusé de délivrer un permis de construire valant permis de démolir pour la construction d'un ensemble immobilier de cinquante logements, dont quinze logements sociaux, répartis en deux résidences indépendantes, avec cinquante-quatre places de stationnement sur deux niveaux de sous-sol. 

Le débat se portait sur le point de savoir comment déterminer, d’une part, l'existence d'une atteinte, et d’autre part, en conséquence, si celle-ci est de nature à fonder un refus de permis de construire ou l’instauration de prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis.

Très pédagogiquement, le juge détaille les deux phases de cette appréciation.

En premier lieu, l’autorité compétente doit examiner quelle est la qualité du site sur lequel la construction est projetée. En second lieu, il lui appartient d'évaluer l'effet que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

Et le juge d’ajouter deux précisions très importantes à cette sorte de vade-mecum.

Tout d’abord, ces deux examens sont les seuls qui doivent être pratiqués, il est ainsi exclu que cette autorité se livre à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux susrappelés. 

Ensuite, dans le cas où la demande de permis de construire porte à la fois sur la construction et sur la démolition d'une construction existante, lorsque cette démolition est nécessaire à cette opération (cf. art. L. 451-1 c. urb.), l’autorité compétente doit évaluer l’effet sur le site, non de la seule démolition de la construction existante mais de son remplacement par la construction autorisée.

En l’espèce, l’ordonnance d’appel est annulée pour s’être fondée sur l’effet de la seule démolition en s’abstenant d’examiner celui-ci du fait du remplacement par de nouvelles constructions.

(12 mai 2022, Société civile de construction vente Léane, n° 453959)

 

144 - Permis de construire - Application du règlement du plan local d'urbanisme - Distance minimale à respecter entre la façade d'un immeuble et la limite séparative - Calcul - Erreur de droit - Annulation.

Le règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Divonne-les-Bains dispose qu'à l'exception des débordements de toiture inférieurs ou égaux à un mètre, tout point de la façade, y compris au niveau de balcons en saillie, doit respecter une distance minimale par rapport à la limite séparative correspondant à la moitié de la hauteur de la façade, mesurée à l'égout du toit ou, dans le cas d'un mur pignon, au sommet de ce dernier, avec un minimum de quatre mètres.

Se fondant sur cette disposition, les premiers juges ont annulé le permis de construire attaqué devant eux pour non respect de ces prescriptions. La cour administrative d'appel a annulé le jugement et rejeté le recours au motif que l'ensemble de cette façade, hors débord de toiture, se trouvait à cinq mètres de la limite séparative, soit à une distance supérieure à la moitié de la hauteur totale de ce mur pignon, de neuf mètres.

Sur pourvoi des demandeurs, le Conseil d'État annule l'arrêt infirmatif pour erreur de droit en relevant, d'une part, que la façade sud-ouest de la construction autorisée, qui se situe pour l'essentiel à cinq mètres de la limite séparative, comporte, sous le débord de toiture d'un mètre, deux balcons en saillie de la même profondeur, qui se trouvent ainsi à quatre mètres de la projection verticale de cette limite et, d'autre part, que la cour a fait abstraction des balcons en saillie pour l'application de l'art. N7 du règlement du plan local d'urbanisme, alors que ce dernier n'en exclut pas la prise en compte, y compris s'ils se trouvent à l'aplomb d'un débord de toiture.

(25 mai 2022, MM. B. et autres, n° 455127)

 

145 - Urbanisme et aménagement commercial - Recours préalable obligatoire à la Commission nationale d'aménagement commercial - Date à laquelle doit se placer cette commission pour rendre son avis - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la juridiction administrative qui ne retient pas que, saisie d'un recours préalable obligatoire d'un projet d'aménagement commercial, la Commission nationale d'aménagement commercial est tenue de se prononcer sur celui-ci en l'état des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de son avis

(30 mai 2022, Société supermarchés Match, n° 450230)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Avril 2022

Avril 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Procédure d’interdiction d’emprunt ou d’émission de titres – Procédure applicable aux organismes divers d’administration centrale (ODAC) – Incompétence négative – Absence de compétence liée – Annulation.

Des arrêtés pris par le ministre des finances et le secrétaire d’État au budget ont inscrit la société anonyme de gestion de stocks de sécurité (SAGESS) sur la liste des organismes divers d'administration centrale (ODAC) ayant interdiction de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ou d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée. La société concernée a demandé l’annulation de ces arrêtés ministériels en tant qu’ils l’ont inscrite sur cette liste, en vain en première instance, avec succès en appel.

Les ministres concernés se pourvoient ; ils sont déboutés.

Le Conseil d’État confirme d’abord l’arrêt d’appel en ce qu’il a relevé que les ministres défendeurs ont méconnu l’étendue de la compétence que leur confère l'article 12 de la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 en reconnaissant eux-mêmes que les listes annexées aux arrêtés contestés – dont ils devaient être les auteurs - avaient été établies en s'en remettant exclusivement à l'appréciation de l'INSEE, renonçant ainsi par là à définir par eux-mêmes la liste des organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales soumis à l'interdiction de souscrire un emprunt d'une durée supérieure à douze mois ou d'émettre des titres de créance dont le terme excède cette durée.

Ensuite, rejetant le moyen développé par les demandeurs à la cassation sur ce point, le Conseil d’État juge qu’il ne résulte ni de l’art. 12 précité ni des termes du règlement du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux de l'Union européenne et de ses annexes que ces ministres étaient en situation de compétence liée pour l’établissement de cette liste  alors qu’il leur incombait de porter une appréciation, notamment sur l'organisation, l'objet et l'origine des ressources des organismes concernés et en particulier sur le caractère non marchand de leur activité ainsi que sur le contrôle qu'exerce à leur égard l'administration publique.

(1er avril 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance et ministre délégué chargé des comptes publics, n° 4443924)

 

2 - Faculté pour une autorité publique de donner des instructions à ses subordonnés – Faculté discrétionnaire même sur invitation d’un tiers – Absence d’obligation de répondre à une telle demande – Refus opposé à celle- i ne pouvant pas être déféré au juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Le juge rappelle ici que s’il est loisible à toute autorité administrative (ici le président de la république et le premier ministre) d’adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire même sur saisine en ce sens de tiers.

Il en résulte, d’une part, qu’elle n’est pas tenue de répondre à une telle demande de tiers, et d’autre part, qu’un tel refus de répondre ne peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir. 

(5 avril 2022, Association « Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs » (UFCNA), n° 454440)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 123

 

3 - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère – Inconstitutionnalité de la base juridique du décret attaqué constatée par une QPC – Absence d’effets antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel – Atteinte au droit à un procès équitable – Annulation.

Les associations requérantes avaient déjà contesté le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère sur le fondement d’une QPC dirigée contre le II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice en tant qu’il exclut tout recours contre la décision de refus de légalisation.

Le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État (cf. cette Chronique, décembre 2021 n° 211), a accueilli la QPC mais différé l’effet de l’annulation de la disposition litigieuse au 31 décembre 2022 (C.C. 18 février 2022, n° 2021-972 QPC) après avoir indiqué dans les motifs de sa décision que « la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité » (sic).

Le caractère platonique en l’espèce de cette décision a conduit les mêmes associations à opter pour une voie plus simple et – du moins le croyaient-elles - plus efficace à savoir l’invocation de l’inconventionnalité de la disposition législative servant de base au décret attaqué en ce qu’elle porte une atteinte excessive au droit à un procès équitable (cf. art 6 CEDH). Si le Conseil d’État accueille la requête pour les mêmes raisons que le Conseil constitutionnel, toutefois, comme ce dernier, il estime devoir repousser les effets de la sanction de cette inconventionnalité au 31 décembre 2022 car son application immédiate aurait des conséquences manifestement excessives. Seuls peuvent cependant se prévaloir de cette inconventionnalité les auteurs d’actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause.

On avoue mal percevoir en quoi pourraient consister, si elles existent, les conséquences « manifestement excessives » d’une application immédiate. Certes, on pourra objecter qu’il eût été mal venu pour le Conseil d’État de ne pas s’aligner sur la date fixée par le Conseil constitutionnel mais c’est oublier que :

« Quand sur une personne on prétend se régler,

C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler » (Molière, Les Femmes savantes, I,1)

Au reste, la Cour de Strasbourg pourrait fort bien ne pas avoir la même opinion que ces juridictions hexagonales sur l’application du droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable…

(7 avril 2022, GISTI et autre, n° 448296 ; Association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448305 et n° 455519 ; GISTI et autres, n° 454144)

 

4 - Agents intervenant dans la détermination de l'assiette, du contrôle, du recouvrement ou du contentieux des impôts et autres prévus au code général des impôts – Informations recueillies dans ce cadre – Bénéfice du secret (art. L. 103 LPF) – Champ d’application de l’opposabilité du secret et droit à la communication des documents administratifs – Co-débiteur solidaire du paiement de l’impôt – Héritiers – Exclusion de l’opposabilité du secret – Erreur de droit – Annulation.

(8 avril 2022, MM. T., n° 450114)

V. n° 74

 

5 - Procédure administrative non contentieuse – Examen par le comité technique de ce ministère de textes relatifs à l’organisation de directions du ministère de la culture – Séance tardive – Représentants du personnel quittant celle-ci – Consultation régulière car effective – Rejet.

En vue de l’examen de projets de textes du ministère de la culture relatifs aux missions et à l'organisation, respectivement, de la direction générale de la création artistique et de la direction générale des patrimoines et de l'architecture, les membres du comité technique de l'administration centrale du ministère de la culture ont été convoqués pour le 3 décembre 2020, afin de recueillir l'avis du comité technique sur ces projets. A l’issue de cette procédure de consultation ont été prises diverses décisions par arrêtés ministériels.

L’objet du présent recours est d’en obtenir l’annulation notamment sur le fondement du caractère irrégulier de la consultation.

Pour rejeter cette requête, le Conseil d’État relève que ces décisions ont été arrêtées à l'issue d'une large concertation préalable : 53 réunions de travail ont été tenues avec les représentants du personnel à partir de juin 2019 ; plus de la moitié des amendements proposés par les représentants du personnel ont été retenus par l'administration.

De plus, alors que la réunion du comité technique, initialement prévue le 25 novembre 2020, a été reportée d'une semaine à la demande des représentants du personnel et que l'ordre du jour de la réunion, transmis le 16 novembre 2020, prévoyait l'examen des différents textes au cours d'une seule journée, avant que ne soit envisagée, le 1er décembre, la prolongation de la séance pendant deux heures et demie, le 4 décembre au matin, pour le seul examen des textes relatifs à la direction générale des patrimoine et de l'architecture, dans ce qui se présentait comme un déroulé prévisionnel de la séance.

Le 3 décembre, la séance, qui a commencé à 9 heures, n'a pas permis d'examiner tous les projets de textes inscrits à l'ordre du jour, sur lesquels les représentants du personnel ont présenté 432 amendements.

Un important retard avait été pris à cause du recours à la visio-conférence du fait de l’épidémie de Covid-19 et des dysfonctionnements de celle-ci, lesquels ne sont pas imputables à l’administration.

Alors qu'il restait à examiner, à 22 heures 15, les projets de textes relatifs à la direction générale de la création artistique et à la direction générale des patrimoines, les représentants du personnel ont décidé de quitter la séance.

Ce départ, alors que l’examen des projets de textes concernant la direction générale de la création artistique et la direction générale des patrimoines et de l’architecture n’avait pas encore commencé et que, par conséquent, comme le relève le syndicat requérant, ses experts admis à participer au comité technique sur ces deux points de l’ordre du jour n’avaient pas été entendus, doit être regardé, dans les circonstances de l’espèce, comme exprimant leur refus de se prononcer sur les projets de texte restant à l’ordre du jour. 

Par application de la théorie de la formalité impossible, les syndicats requérants ne sauraient se plaindre du défaut d’une consultation à laquelle ils se sont en réalité eux-mêmes volontairement refusé.

(8 avril 2022, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles CGT-Culture, n° 450289)

 

6 - Arrêté d’un président de conseil départemental – Doute sur son authenticité - Demande de copie certifiée conforme – Demande jugée sans utilité – Erreur de droit – Annulation sans renvoi – Injonction d’effectuer cette communication.

La requérante, ayant de forts doutes à ce sujet, a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, d'enjoindre à un département de lui communiquer une copie de l'arrêté du président du conseil départemental, du 28 avril 2016, certifiée conforme à l'original. 

Le premier juge a estimé que cette demande ne présentait pas le caractère « utile » exigé par les dispositions précitées dès lors qu’il résulte des art. R. 113-10 et R. 113-11 du code des relations entre le public et l'administration qu’il est interdit à l'administration d'exiger des usagers la production de copies certifiées conformes pour les documents administratifs et que ceux-ci ne prévoient la délivrance de copies certifiées conformes que pour satisfaire à des demandes d'autorités étrangères.

L’ordonnance est annulée pour l’erreur de droit consistant à user de dispositions relatives à la simplification des démarches administratives, lesquelles n’étaient, à l’évidence, pas applicables à la demande en référé présentée par l'Union maritime de Mayotte (UMM) sur le fondement de l'article L. 521-3 précité.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État retient que l’UMM ait état de doutes sérieux sur l'authenticité de l'arrêté litigieux qui lui a été opposé pour justifier des tarifs applicables aux usagers du port pour une certaine période car cet acte, entaché d'irrégularités formelles, n'a fait l'objet ni d'une transmission au contrôle de légalité, ni d'une publication dans un bulletin officiel. Elle justifie sa demande par l'intention de demander la résiliation du contrat de concession du port de Longoni à la société MCG si l'arrêté tarifaire attaqué se révélait être un faux.

Le juge accède à la demande qui selon lui présente un caractère utile et urgent et ne fait pas obstacle à l'exécution d'une décision administrative, notant au passage que le département de Mayotte n'a fait valoir aucune observation dans la présente instance. 

(8 avril 2022, Union maritime de Mayotte (UMM), n° 455000)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Liste des dispositifs médicaux ayant obtenu le marquage « CE » et de ceux se l’étant vu refuser - Demande faite par une journaliste dans le cadre d’une enquête effectuée dans plusieurs pays – Refus de communication – Annulation partielle.

Les requérantes avaient demandé au Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) et à la société GMED de leur communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont délivré le marquage « conformité européenne » (CE) ainsi que la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont refusé de l'accorder. Ces organismes ayant refusé de communiquer les listes demandées, elles ont saisi le tribunal administratif afin qu’il leur enjoigne de communiquer sans délai ces listes.

Si le tribunal a fait droit aux conclusions tendant à la communication de la liste des dispositifs médicaux ayant reçu le marquage « CE » et déjà mis sur le marché, il a en revanche rejeté le surplus de leur demande notamment en ce qu’elle portait sur la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels a été refusé l’octroi du marquage « CE ».

Les requérantes se pourvoient en cassation. Elles ne reçoivent qu’une satisfaction partielle. Il était invoqué trois sources normatives auxquelles le refus partiel de communication aurait porté atteinte.

S’agissant du code des relations du public avec l’administration, le juge rejette deux des trois moyens d’illégalité mais retient le troisième. Tout d’abord, c’est sans erreur de droit ou de qualification des faits que les premiers juges ont estimé, d’une part, que les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration protégeant le secret des affaires s'opposaient à la communication des informations demandées s'agissant de dispositifs médicaux non encore mis sur le marché et, d’autre part, qu’ils ont fait usage du critère de la mise sur le marché sans se limiter au seul espace national. En revanche, le tribunal ne pouvait invoquer le secret des affaires pour juger régulier le refus de communication à partir du moment où les dispositifs médicaux ont été mis sur le marché sans avoir obtenu le marquage « CE » en France mais l’ont obtenu d’un autre organisme certificateur de l’un des autres États membres de l’Union ou de l’Espace économique européen (EEE). Ce jugeant il a commis une erreur de droit : était donc communicable la liste des dispositifs mis sur le marché avec un marquage « CE » n’émanant pas de LNE ou de GMED.

S’agissant du droit de l’Union, sont rejetés les deux moyens y relatifs. D’abord la directive européenne du 8 juin 2016 sur la protection du secret des affaires est muette sur la communication des documents administratifs et elle n’institue pas les journalistes comme détenteurs légitimes d’informations portant atteinte à un tel secret, par suite c’est sans erreur de droit que le tribunal a jugé qu’elle ne pouvait pas être invoquée. Ensuite, est rejeté comme nouveau en cassation le moyen tiré de la méconnaissance de l’art. 11 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’UE.

S’agissant de la convention EDH, le tribunal est approuvé d’abord d’avoir jugé que l’art. 10 de ce texte peut être considéré comme instituant un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Ensuite, le tribunal est approuvé pour avoir jugé que le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés à cet article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.

Enfin, il est jugé que c’est sans erreur de droit ni dénaturation des faits que le tribunal a considéré que le refus de communication de la liste de l'ensemble des dispositifs médicaux auxquels avait été délivré ou refusé le marquage « CE » opposé par le LNE et la société GMED à Mme B. constituait, pour ce qui concerne les dispositifs qui n'avaient pas été mis sur le marché, une ingérence nécessaire et proportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la convention EDH, en raison de ce que les risques que représenteraient pour la santé publique des dispositifs médicaux défaillants restent théoriques tant que ceux-ci n'ont pas été mis sur le marché. 

(8 avril 2022, Société éditrice du Monde et Mme B., n° 447701)

 

8 - Droit souple – Question-réponse en ligne sur le site de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Interprétation de la loi susceptible d’effets notables – Refus de retrait de cette question-réponse – Recevabilité du recours pour excès de pouvoir – Admission du recours et rejet au fond.

La CNIL a mis en ligne sur son site internet le 18 mars 2021, dans le cadre d’une série de 32 « questions - réponses sur les lignes directrices modificatives et la recommandation cookies et autres traceurs », une question-réponse n° 12 portant sur son interprétation des dispositions de l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Ce texte institue un droit à une information claire et complète de tout abonné ou utilisateur d'un service de communications électroniques.

Dans ce texte, la CNIL, à la question : « Les traceurs utilisés pour la facturation des opérations d'affiliation sont-ils exemptés de consentement ? », répond ceci : « Non. Les traceurs utilisés pour la facturation des opérations d'affiliation n'entrent pas dans les exemptions de l'article 82 de la loi Informatique et Libertés, qui doivent être interprétées strictement. En effet, ces opérations n'ont pas pour finalité exclusive de permettre ou faciliter la communication par voie électronique et ne sont pas strictement nécessaires à la fourniture d'un service de communication en ligne expressément demandé par l'utilisateur ». 

Les organisations requérantes ont demandé l’annulation de cette réponse.

L’intérêt principal de cette affaire réside dans le point de savoir si cette dernière est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En effet, si elle fait partie du vaste ensemble d’actes réunis sous le qualificatif de droit souple encore fallait-il déterminer si cette souplesse était si distendue que la réponse litigieuse pouvait être ignorée au contentieux ou, au contraire, si cette souplesse contient encore suffisamment de fermeté potentielle pour être, le cas échéant, retendue et, alors, en ce cas, intéresser le contentieux.

Pour juger recevable le recours dont il était saisi, le Conseil d’État a retenu que cette réponse, interprétant l’art. 82 précité de la loi du 6 janvier 1978 quant à la portée et au champ d'application des exemptions à l'obligation de consentement préalable au dépôt des traceurs de connexion, en ce qui concerne les opérations dites d'affiliation, était susceptible, eu égard à sa teneur, de produire des effets notables sur la situation des personnes qui se livrent à des opérations d'affiliation et des utilisateurs et abonnés de services électroniques.

Par suite, est rejetée la fin de non-recevoir opposée par la CNIL à la requête et admise la recevabilité de cette dernière.

Le recours est cependant rejeté au fond.

(8 avril 2022, Syndicat national du marketing à la performance (SNMP), n° 452668 ; Collectif des acteurs du marketing digital (CPA), n° 459026)

 

9 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État

– Transmission à la juridiction compétente.

Les décisions par lesquelles le garde des sceaux dissout une société  de notaires, supprime un office notarial et désigne, à titre provisoire puis à titre définitif, l'attributaire des minutes de l'office ainsi supprimé n'ont pas, par elles-mêmes, pour objet d'assurer l'organisation du service public notarial et sont, dès lors, dépourvues de caractère réglementaire.

Leur contestation par la voie du recours pour excès de pouvoir ne relève donc pas de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort mais de celle du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé l’office ou le siège de la société.

(13 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

 

10 - Autorisation de la réalisation d’un parc éolien en mer – Arrêté d’autorisation ne prévoyant pas la consultation d’un certain organisme – Consultation prévue par un précédent arrêté toujours en vigueur – Absence d’illégalité – Rejet.

(13 avril 2022, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins des Côtes d'Armor, n° 452820)

V. n° 124

 

11 - Premier ministre - Obligation d'assurer l'exécution des lois - Décret d'exécution devant être pris dans un délai raisonnable - Absence de respect de cette exigence en l'espèce - Annulation assortie d'une injonction sous astreinte.

Si le premier ministre est chargé de l'exécution des lois notamment par l'édiction, spontanée ou sur ordre de la loi, d'actes réglementaires, il ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard puisqu'il doit agir dans un délai raisonnable.

En l'espèce, l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 a prévu qu'un décret doit fixer les conditions de la soumission à une obligation de formation continue pour toute personne faisant un usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur.

L'association requérante demande l'annulation du refus implicite du premier ministre d'accéder à la demande qu'elle avait formulée par lettre du 2 février 2021 de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la loi du 4 mars 2002, pour les personnes faisant un usage professionnel du titre de chiropracteur uniquement.

Constatant que quelque complexe que puisse être éventuellement la rédaction de ce décret le délai raisonnable d'exécution de la loi est dépassé, le juge enjoint à l'intéressé de prendre ce décret sous six mois à peine de 500 euros par jour de retard.

(15 avril 2022, Association française de chiropraxie, n° 452905)

 

12 - Acte réglementaire - Arrêté ministériel fixant les quotas de thon rouge pouvant être pêché - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour en connaître en premier ressort - Rejet.

Est rejetée, en tant qu'elle est portée directement devant le juge des référés du Conseil d'État, la demande de suspension de l'arrêté du 2 février 2022 de la ministre de la mer établissant les modalités de répartition du quota de thon rouge (Thunnus thynnus) accordé à la France pour la zone « océan Atlantique à l'est de la longitude 45° O et Méditerranée » pour l'année 2022.

Cet arrêté ne revêtant pas un caractère réglementaire, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort et cette incompétence s'applique aussi et par suite à la juridiction des référés exercée par le Coneil d’État.

(ord. réf. 22 avril 2022, Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie (SPMLR), n° 463043)

 

13 - Motivation des décisions administratives - Autorisation dérogatoire de redoubler l'année de PASS pour la seule année 2021-2022 - Compétence du président d'université - Refus d'autoriser le redoublement - Obligation de motivation - Annulation.

Le décret du 4 novembre 2019 pris pour l'application de l'art. 1er de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé qui a réformé l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, a prévu que, par dérogation, à titre exceptionnel et pour la seule année universitaire 2020-2021, les étudiants inscrits en PASS - qui, lorsqu'ils n'ont pas été admis en deuxième année des études de santé ne peuvent, en principe, pas redoubler en PASS - pourraient être autorisés par le président de l'université, sur proposition d'une commission d'examen des situations individuelles exceptionnelles dans le cadre de l'accès en deuxième année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, être autorisés à s'inscrire une nouvelle fois à la rentrée universitaire 2021 dans l'une de ces formations. Naturellement le président de l'université peut opposer un refus à la demande de dérogation.

En l'espèce, le juge des référés avait estimé que la décision refusant à une étudiante l'autorisation de redoubler la première année des études de santé dans la filière PASS n'avait pas à être motivée. Le Conseil d'État annule l'ordonnance de référé pour erreur de droit. Ce refus de dérogation doit être motivé.

(27 avril 2022, Université Paris Cité, n° 457838)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

14 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Autorisation donnée à une société d’utiliser des fréquences radioélectriques pour la transmission de signaux entre satellites et postes fixes terriens situés chez les clients résidentiels – Décision susceptible d’affecter fournisseurs d’accès à internet à haut débit et utilisateurs finals – Obligation de consulter le public – Absence – Annulation.

La commission fédérale des communications des États-Unis d'Amérique (FCC) a autorisé la société SpaceX, dans le cadre du projet dénommé Starlink, à déployer 12000 satellites en position orbitale basse pour fournir des services fixes d'accès à internet à haut débit.

En conséquence, l'ARCEP, a autorisé la société Starlink Internet Services Limited à utiliser des fréquences radioélectriques permettant de transmettre des signaux entre ces satellites et des stations terriennes fixes installées chez les clients résidentiels pour fournir des services fixes d'accès à internet à haut débit sur l'ensemble du territoire national.

Les requérantes considèrent que cette décision est illégale car elle aurait dû être précédée d’une consultation du public en vertu des dispositions du V de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques qui rendent obligatoire pour l’ARCEP cette consultation avant qu’elle n'adopte des mesures ayant une incidence importante sur un marché ou affectant les intérêts des utilisateurs finals.

Entérinant cette analyse, le Conseil d’État estime que l’autorisation litigieuse est, en effet, susceptible d'avoir une incidence importante sur le marché de la fourniture d'accès à internet à haut débit et d'affecter les intérêts des utilisateurs finals.

En ne procédant pas à la consultation préalable du public, l'ARCEP a pris une décision irrégulière au regard du texte précité ; sa décision est annulée. 

(5 avril 2022, Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 455321)

 

15 - Autorité de la concurrence – Ouverture d’une phase de « pré-notification » à la demande des parties à un projet de concentration – Élément de procédure de caractère préparatoire – Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre un tel acte – Rejet.

Rappel, à nouveau, que « La décision de l'Autorité de la concurrence d'ouvrir, à la demande des parties à un projet de concentration, une (…) phase de « pré-notification » de l'opération susceptible de lui être notifiée ultérieurement en application de l'article L. 430-3 du code de commerce, constitue un élément de la procédure pouvant conduire l'Autorité à se prononcer sur l'opération de concentration en cause. Elle revêt, dès lors, un caractère purement préparatoire et n'est, par suite, et alors même qu'au cours de cette phase les agents chargés de l'instruction de l'affaire peuvent demander, sous peine des sanctions prévues à l'article L. 450-8 et au V de l'article L. 464-2 du code de commerce, la communication d'informations ou de documents auprès de tiers à l'opération, pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. »

(7 avril 2022, Société Iliad et société Free, n° 458272)

 

16 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Sanction pour non respect du quota de diffusion de documentaires - Notion de documentaires - Inexistence en l'espèce - Rejet.

Rejetant la requête dont il était saisi, le Conseil d'État approuve le CSA d'avoir jugé que différents programmes diffusés par la société requérante ne constituaient pas des documentaires en prenant en compte l'existence d'un point de vue d'auteur, la présence d'un apport de connaissances pour le spectateur, la présentation de faits ou de situations qui préexistent à la réalisation de l'émission, l'absence - sans interdire toute reconstitution - de mises en scène artificielles et, le cas échéant, l'obtention du soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée au titre des œuvres documentaires.

C'est donc sans erreur de droit que le CSA a jugé que les documentaires diffusés par la requérante ont représenté non 72,45% du temps total de diffusion comme soutenu par l'intéressée mais 59,2%, et sans inexactitude ou excès qu'il a fixé à un certain montant la sanction infligée en conséquence.

(22 avril 2022, Société RMC Découverte, n° 449533)

 

17 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Demande de fixation par le CSA d'une règle applicable à la publication de sondages en période électorale - Incompétence du CSA - Rejet.

Le requérant sollicitait du CSA qu'il impose à tous les sondages réalisés en période électorale de comporter l'ensemble des candidats déclarés, classés par ordre alphabétique. La demande ayant été rejetée, le Conseil d'État est saisi sur renvoi du tribunal administratif primitivement saisi. Le recours est évidemment rejeté, le CSA ne tirant d'aucun texte ou principe la compétence pour fixer des règles applicables aux sondages d'opinion.

(22 avril 2022, M. B., n° 458050)

 

18 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Demande d'adresser des mises en demeure à certaines sociétés de programmes à raison de propos tenus à l'antenne - Refus implicite - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de la décision implicite du CSA refusant de mettre en demeure les sociétés nationales de programme Radio France et France Télévisions de se conformer à leurs obligations à la suite d'interventions sur leurs chaînes de Mmes G., F. et B.

Le recours est rejeté car les propos incriminés, tenus par ces personnes, n'ont pas méconnu les règles s'imposant aux journalistes et autres intervenants sur les ondes et les écrans, par suite, le CSA n'a pas lui-même enfreint ses obligations en rejetant la demande dont il était saisi.

Par ailleurs, ne saurait être invoquée, au soutien des prétentions du demandeur, la « Charte d'éthique professionnelle des journalistes », d'une part, car ce texte est sans valeur normative, et d'autre part, car il n'est pas au rang des dispositions dont le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou, désormais, l'Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, doit assurer le respect.

(22 avril 2022, M. E., n° 459057)

 

19 - Enregistrement de photos de personnes dans l'espace public - Utilisation, en certaines hypothèses, dans un dispositif de reconnaissance faciale - Existence d'une nécessité absolue à cet effet - Contrôle du procureur de la république - Dispositif proportionné - Justification par la lutte contre la criminalité publique - Absence de contrariété au droit de l'Union - Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation du refus implicite du premier ministre d'abroger les alinéas 16 et 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, tel qu'explicité par un courrier du ministre de la justice, en tant que ces dispositions autorisent un traitement automatisé de données biométriques qui permet de révéler l'identité associée aux déplacements et aux activités de toute personne dont l'image est collectée par les autorités, notamment par le réseau de vidéosurveillance ou par des caméras embarquées, et qui, ce faisant, empêche tout anonymat dans l'espace public, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 10 de la directive 2016/680, du 27 avril 2016, lues à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Le recours est rejeté en chacune des deux branches relevant de la légalité interne.

En premier lieu, en ce qui concerne l'alinéa 16 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, le Conseil d'État retient trois éléments.

Tout d'abord, il est jugé que l'enregistrement d'une photographie des personnes mises en cause comportant les données biométriques nécessaires à la mise en œuvre d'un dispositif de reconnaissance faciale a pour objet de permettre aux agents habilités à accéder à ce traitement et à procéder à ces opérations, d'identifier une personne à partir de l'image de son visage, grâce à une recherche automatisée, et, le cas échéant, d'exploiter les informations de la fiche correspondante, pour les finalités mentionnées à l'article 230-6 du code de procédure pénale. Cette identification à partir du visage d'une personne et le rapprochement avec les données enregistrées peut (sic) s'avérer absolument nécessaire à la recherche des auteurs d'infractions et à la prévention des atteintes à l'ordre public, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle. Par suite, l'enregistrement de telles données dans ce traitement répond à la condition de « nécessité absolue » posée par les dispositions de l'art. 10 de la directive précitée.

Ensuite, il est relevé que sont strictement délimités les cas de recueil de ces données.

Enfin, les données ainsi obtenues ne peuvent être utilisées par les services compétents qu'en cas de nécessité absolue ; leur usage faisant l'objet d'un suivi par un magistrat désigné à cet effet par le ministre de la justice et étant soumis au contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, laquelle peut s'assurer du respect des droits des personnes concernées.

Ainsi il n'est porté atteinte ni aux art. 7, 8 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne tel que les interprète la CJUE (cf. 6 octobre 2020, La Quadrature du Net et autres, aff. C-511/18, C-512/18 et C-520/18) ni non plus à leur lettre même qui admet des limitations à l'exercice de ces droits et libertés, pour autant que celles-ci soient prévues par la loi, qu'elles respectent le contenu essentiel de ces droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d'autrui, ni, non plus, à l'art. 10 de la directive invoquée, ce qui dispense d'effectuer un renvoi préjudiciel à la CJUE.

En second lieu, en ce qui concerne l'alinéa 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, le juge rappelle l'inapplicabilité du règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), en vertu de son article 2,  aux traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière. 

De plus, il ne saurait être soutenu que portent atteinte à l'art. 9 du RGPD les dispositions de l'alinéa litigieux qui se bornent à mettre en oeuvre l'article 230-6 du code de procédure pénale.

(26 avril 2022, Association "la Quadrature du Net", n° 442364)

 

20 - Données personnelles - Traitement de telles données jugé non conforme au Règlement général sur la protection des données (RGPD) - Infliction d'une amende et injonction de mettre ce traitement en conformité avec le RGPD - Rejet.

La requérante a fait l'objet de la part de la formation restreinte de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une condamnation à une amende de 250 000 euros assortie d'une injonction de mettre ses traitements de données en conformité avec le RGPD sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de trois mois accordé pour ce faire. Elle demande l'annulation de ces deux mesures ; son recours est rejeté.

Le juge n'aperçoit pas d'irrégularités dans la procédure suivie par la formation restreinte de la CNIL dans ce dossier, contrairement à ce qui est soutenu.

Sur le fond, il considère avérés les manquements constatés par la CNIL notamment la circonstance que la vulnérabilité du système informatique à l'origine de la violation des données de près de 200 000 clients européens est la conséquence directe de l'absence de mise en œuvre par la société Optical Center d'un contrôle régulier sur les mesures techniques et organisationnelles prises par son sous-traitant chargé d'assurer la sécurité de son site web, aucun document produit par cette dernière ne permettant de justifier de la mise à jour régulière des différents composants logiciels du site. Ensuite, est pointé le manque de robustesse de la politique de mots de passe de la société eu égard aux catégories de données traitées qui incluent notamment le numéro de sécurité sociale de ses clients, ce qui a accru l'exposition de son système à un risque d'attaque informatique. Enfin, il est certain que la société a méconnu ses obligations en matière d'exercice des droits des personnes dont les données sont traitées.

Concernant le montant de la sanction infligée, celui-ci n'apparaît pas d'un montant disproportionné eu égard au chiffre d'affaires de 202 millions d'euros réalisé par la société contrevenante au cours de l'année de commission de l'infraction.

(26 avril 2022, Société Optical Center, n° 449284)

 

21 - Décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Décision portant définition du marché pertinent de fourniture en gros d'accès local en position déterminée - Décision désignant un opérateur comme exerçant une influence significative sur ce marché - Obligations imposées à cet opérateur à ce titre - Illégalité pour incomplétude - Annulation.

L'Arcep détient, en vertu des dispositions des art. L. 37-1, L. 38, L. 38-1 et L. 38-2 du code des postes et des communications électroniques, le pouvoir d'imposer certaines mesures aux opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques.

Cette prérogative s'exerce en trois temps.

En premier lieu, l'ARCEP doit d'abord constater qu'un marché pertinent présente des caractéristiques susceptibles de justifier l'imposition d'obligations particulières, en prenant en considération les éventuelles barrières à l'entrée et l'évolution de la structure de ce marché vers une concurrence effective.

En deuxième lieu, l'ARCEP doit alors établir qu'il existe un ou plusieurs opérateurs bénéficiant d'une puissance significative sur ce marché.

En dernier lieu, l'ARCEP peut imposer à ces opérateurs, en vue d'établir une concurrence effective et durable sur ce marché, une ou plusieurs des obligations prévues aux articles L. 38 et L. 38-1 du code des postes et des communications électroniques.

Ces obligations, qui dérogent à la liberté d'entreprise, doivent être justifiées, adaptées et proportionnées au regard de la nature du problème concurrentiel identifié.

A cet effet, l'ARCEP a défini à partir de 2005 un cadre de régulation ayant pour objet de favoriser le développement de la concurrence sur le marché du haut débit fixe, en estimant que l'existence d'un fonctionnement concurrentiel sur le marché de gros était la condition nécessaire d'un fonctionnement satisfaisant sur les marchés de détail de l'accès à haut débit et très haut débit. Cet accès s'effectue au moyen de la boucle locale de cuivre ou d'une boucle locale optique, qui peut être dédiée à un abonné (BLOD) ou mutualisée entre abonnés (« fibre optique jusqu'à l'abonné » ou FttH), et qui permet de déployer la fibre optique depuis le nœud de raccordement jusqu'aux logements ou aux locaux à usage professionnel.

C'est dans ce cadre qu'ont été fixées les obligations imposées à Orange en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché, celles-ci comprenant notamment celle de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à la boucle locale de cuivre, qui ne peut être raisonnablement dupliquée par les opérateurs tiers. Elles incluent également, depuis une décision de l'ARCEP du 14 décembre 2017, l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès passif aux infrastructures de sa boucle locale optique mutualisée pour répondre aux besoins du marché des entreprises et de proposer aux autres opérateurs une offre de gros leur permettant de revendre sous leur propre marque ses offres de détail à destination des entreprises.

Par une décision du 15 décembre 2020 l'ARCEP a, d'une part, déclaré pertinent le marché de la fourniture en gros d'accès local en position déterminée, qui comprend les offres d'accès à la boucle locale de cuivre et aux boucles locales optiques des opérateurs de communications électroniques et, d'autre part, a désigné la société Orange comme étant l'opérateur exerçant une influence significative sur ce marché, elle lui a donc imposé un certain nombre d'obligations. 

En particulier, et c'est l'objet du litige, l'art. 18 de cette décision - dont la société requérante demande l'annulation - impose à Orange de faire droit, dans les zones très denses, aux demandes de raccordement de local à usage professionnel à son infrastructure de réseau FttH dans un délai raisonnable qui ne peut en principe excéder six mois à compter de la demande de raccordement. Il précise en outre qu’ « Orange n'est pas tenu de faire droit aux demandes de raccordement d'un local à usage professionnel lorsque celui-ci est situé :

- dans un immeuble faisant déjà l'objet d'une convention d'équipement en fibre optique signée avec un autre opérateur d'immeuble ou

- dans un immeuble situé dans une zone arrière de point de mutualisation exploité par un autre opérateur d'immeuble en poches de basse densité ou

 - dans un immeuble situé dans une zone arrière de point de mutualisation exploité par un autre opérateur d'immeuble en dehors des poches de basse densité, lorsque l'immeuble a moins de douze locaux et a vocation à être raccordé à ce point de mutualisation ».

Pour annuler cette disposition, le Conseil d'État, accueillant l'argumentation d'Orange, relève qu'aucun des postulats mentionnés par l'ARCEP dans les énonciations de la décision attaquée « n'est quantifié et que le seul élément qui serait susceptible de caractériser un frein au développement de la concurrence relevé par l'ARCEP est formulé en termes hypothétiques. (...) Il ressort des pièces du dossier, notamment du document soumis à la consultation publique le 11 juillet 2019, ainsi que des échanges intervenus au cours de la séance orale d'instruction qui s'est tenue le 16 mars 2022, qu'à la date de la décision attaquée, la part de marché nationale d'Orange sur le segment des accès à haute qualité des entreprises était inférieure à 40 % sur la boucle locale de cuivre et à 30 % sur la boucle locale optique dédiée, en nette diminution par rapport à 2017, et que ses parts de marché dans les zones très denses étaient inférieures à ses parts de marché nationales. »

Faute que l'ARCEP ait identifié sur les marchés considérés aucun obstacle au développement d'une concurrence effective qui serait susceptible de justifier les obligations litigieuses, il s'ensuit que, par sa décision querellée, il a violé les dispositions du code des postes et des communications électroniques mises en oeuvre.

(26 avril 2022, Société Orange, n° 449833)

 

22 - Transfert de données personnelles - Transfert de données des chauffeurs Uber vers les États-Unis et tout pays tiers - Incompétence de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) - Absence de menace grave et immédiate sur les requérants - Rejet.

Était demandée l'annulation de la décision de la CNIL rejetant la demande de la Ligue des droits de l'homme tendant à ce que la Commission exerce en urgence son droit de contrôle et de sanction afin de suspendre ou d'interdire le transfert de données personnelles des chauffeurs Uber vers les États-Unis et tout pays tiers.

Le recours est rejeté.

C'est avec suffisamment de précision que la CNIL a justifié de son incompétence pour connaître de cette demande, qui relève de son homologue néerlandaise, incompétence qui ne saurait être mise entre parenthèses du fait que la CJUE a constaté que les États-Unis n'assurent pas un niveau adéquat de protection des données à caractère personnel transférées depuis l'Union vers des organisations établies dans ce pays, en raison des possibilités d'accès à ces données et d'utilisation de celles-ci par les autorités publiques américaines dans le cadre de programmes de surveillance fondés sur l'article 702 du « Foreign Intelligence Surveillance Act » (FISA) ou de l' « Executive order n° 12333 »

(26 avril 2022, Ligue des droits de l'homme et autres, n° 449845)

 

Biens

 

23 - Avis de droit - Association syndicale autorisée de propriétaires - Demande préfectorale de modification d'un acte pris par une telle association syndicale -Modification d'office - Délai - Acte soumis à l'obligation de transmission - Application de la jurisprudence Préfet de l'Eure.

Le Conseil d'État était saisi d'une demande d'avis de droit portant sur l'étendue et l'exercice du pouvoir de tutelle du préfet sur une association syndicale autorisée de propriétaires tel qu'il résulte des dispositions de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires et de son décret d'application du 3 mai 2006.

Pour l'essentiel, cette tutelle porte sur ceux des actes des associations syndicales soumis à l'obligation de transmission.

Tout d'abord, en cas de refus de l'association de donner suite à une demande de modification faite par le préfet, celui-ci dispose d'un délai de deux mois (parfois réduit à huit ou dix jours) pour lui demander d'opérer, dans les trente jours, cette modification pour des motifs de légalité ou d'opportunité. Puis, en cas de refus explicite de l'association d'effectuer cette modification ou de refus implicite, passé le délai de trente jours, le préfet prend cette décision dans les deux mois de ce refus, ce délai n'étant pas de caractère franc. S'il n'a pas pris de décision à l'expiration de ce délai - lequel ne peut être prorogé - il est réputé avoir renoncé à la modification.

Les actes devant être obligatoirement transmis au préfet ne peuvent recevoir exécution qu'une fois qu'ils ont été approuvés. Ceux des actes qui sont soumis à approbation ainsi que tous les autres actes, n'entrent en vigueur qu'une fois expiré le délai imparti au préfet pour en demander, le cas échéant, la modification ou, lorsque le préfet a demandé une telle modification, qu'une fois que celle-ci a été adoptée par l'association syndicale autorisée ou que le préfet y a procédé d'office ou qu'il y a finalement renoncé.

Le préfet ne peut pas, en raison des pouvoirs de tutelle dont il dispose à leur égard, demander au juge l'annulation d'un acte soumis à l'obligation de transmission. C'est l'application de la bien connue jurisprudence Préfet de l'Eure (30 mai 1913, n° 49241, Rec. Lebon p. 583 ; Sirey 1915.III. p. 9 note M. Hauriou).

En revanche, pour les actes de l'association syndicale non soumis à cette obligation, le préfet dispose du délai de droit commun du recours contentieux soit deux mois, délai faisant éventuellement suite à l’exercice d'un recours gracieux.

(19 avril 2022, M. et Mme D. et Catherine G., Association syndicale autorisée des propriétaires des rues Mirabeau et Sergent-Bobillot, n° 461061)

 

Collectivités territoriales

 

24 - Conseil régional – Règlement intérieur – Régime de l’exercice du droit d’amendement – Temps de parole d’un groupe épuisé – Amendement réputé défendu par ce groupe – Régularité – Annulation.

Le conseil régional d’Île-de-France a adopté dans son règlement intérieur la disposition suivante en son article 24 : « Quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu ».

Le conseiller régional requérant en a demandé l’annulation, ce que lui a accordé l’arrêt d’appel infirmatif en jugeant que cette disposition portait une atteinte excessive au droit d’amendement.

Sur pourvoi de la région, le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit en retenant, d’une part, qu’aucune disposition non plus qu’aucun principe n’institue un droit d’amendement des élus locaux, et d’autre part, que l’ensemble du régime des amendements prévu au règlement intérieur de ce conseil régional en assure l’exercice effectif comme l’encadrement raisonnable.

On peut juger discutable l’affirmation que n’existe pas un droit d’amendement des élus locaux alors que les conseils des collectivités territoriales sont des assemblées délibérantes dotées d’un pouvoir plénier de décision dans leur ordre de compétence et que le droit d’amendement est naturellement inhérent aux membres de ces sortes d’organismes.

(14 avril 2022, M. François Damerval, n° 438429)

 

25 - Commune – Expression des élus - Obligation d’équité entre les espaces d’expression respectivement offerts à la majorité et à l’opposition – Obligation du caractère suffisant de l’espace ouvert à l’opposition – Annulation et rejet.

Le juge des référés du tribunal administratif avait, sur le fondement de l’art. L 521-1 du CJA, suspendu l’exécution d’une délibération du conseil municipal de la commune appelante pour avoir, par une modification de l’art. 32 de son règlement intérieur, réduit de moitié l'espace globalement réservé à l'expression des élus n'appartenant pas à la majorité municipale et réservé un espace aux élus de la majorité. Il a en particulier jugé qu’était, par-là, violé l’art. L. 2121-27-1 du CGCT.

Saisi par la commune, le juge des référés du Conseil d’État annule cette ordonnance en estimant que ce dernier article imposait seulement, d’une part, que l'espace réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale présente un caractère suffisant et soit équitablement réparti eu égard aux caractéristiques de la publication et, d'autre part, qu’il n’avait pas pour objet d'interdire qu'un espace soit attribué à l'expression des élus de la majorité, sous réserve que cette expression n'ait pas pour effet, notamment au regard de son étendue, de faire obstacle à l'expression des élus n'appartenant pas à la majorité.

Or il relève que le premier juge en décidant comme il l’a fait a commis une erreur de droit car il ne lui appartenait que de se prononcer sur le caractère suffisant et équitablement réparti, au regard des caractéristiques de la publication, de l'espace réservé à l'expression des élus de l'opposition.

(ord. réf. 15 avril 2022, Commune de Thouaré-sur-Loire, n° 448912)

(26) V. aussi la solution inverse adoptée sur le même sujet, dans un contexte de droit et de fait différent, par : 15 avril 2022, M. C. d'Hulst, Mme E. D., M. B. A. et Mme Amandine van Mullen c/ commune de Willems, n° 451097.

 

27 - Nouvelle-Calédonie - Conseil du dialogue social - Étendue du champ de sa saisine pour avis - Défense en justice des délibérations prises par le Congrès - Qualité à cet effet du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie - Rejet.

Sur pourvoi du gouvernement néo-calédonien, le Conseil d'État est amené à deux importantes précisions.

Tout d'abord, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a qualité pour défendre, au nom de la Nouvelle-Calédonie, devant les juridictions dans les instances mettant en cause la légalité des délibérations adoptées par le Congrès.

Ensuite, compte tenu de la compétence générale dévolue au conseil économique, social et environnemental de la Nouvelle-Calédonie, où siègent aussi des représentants des organisations professionnelles et des syndicats, le conseil du dialogue social n'est compétent pour émettre un avis que sur les textes ou leurs dispositions qui ont pour objet le travail, l'emploi, la formation professionnelle, la protection ou la prévoyance sociale applicables aux seuls salariés.

C'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que le conseil du dialogue social aurait dû être consulté sur le projet de délibération-cadre litigieux, alors que ce texte fixe les orientations d'une réforme globale de la protection sociale sans comporter de dispositions spécifiques aux seuls salariés.

(22 avril 20222, Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 445320)

 

Contrats

 

28 - Principes directeurs de la commande publique – Information exacte sur les critères de sélection des offres – Moment de cette information – Ajout de sous-critères, pondération et hiérarchisation – Obligations – Annulation.

Dans cette affaire où étaient en cause les conditions de sélection des offres dans le cadre de la construction de la nouvelle cité administrative de Toulouse, le juge fait deux rappels classiques.

1°/  « (…) pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution. Le pouvoir adjudicateur est ainsi tenu d'informer dans les documents de consultation les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation. S'il décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.

En revanche, il n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés. »

2°/ « (…) il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats. »

(1er avril 2022, Société Bourdarios, n° 458793 ; Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 458864, jonction)

 

29 - Comité consultatif de règlement amiable des différends – Compétence matérielle – Exclusion des actions en reprise des relations contractuelles – Saisine pour ce motif n’interrompant pas le délai de recours contentieux – Forclusion opposée à bon droit – Rejet.

A la suite de la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre dont elle était titulaire, l’entreprise requérante a saisi le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends (CCIRA) d’une demande de reprise des relations contractuelles mais cet organisme, s’il peut être saisi des litiges relatifs à une résiliation n’a pas compétence pour ordonner la reprise des relations contractuelles. Il s’ensuit qu’outre le rejet de la demande ce mauvais aiguillage a entraîné la forclusion de la demande car, a jugé la cour administrative d’appel approuvée en cela par le Conseil d’État, le temps passé en vain devant la CCIRA ne conserve pas le délai de recours contentieux.

On peut comprendre l’étonnement de la demanderesse en un temps où l’on encense le recours au règlement amiable des litiges lequel devrait ipso facto, comme le recours gracieux ou le recours hiérarchique, conserver le délai du recours contentieux. Gageons qu’une évolution rendue évidente par le bon sens se produira sans trop tarder.

(12 avril 2022, Société Agence d'architecture Frédéric Nicolas, n° 452601)

 

30 - Marché de prestations intellectuelles - Décompte final - Solde du marché - Juridiction statuant ultra petita - Exigence d'un mémoire préalable en réclamation avant toute instance contentieuse - Absence - Rejet.

Le centre hospitalier de Cannes a conclu en 2002 avec la société Somerco un marché de prestations intellectuelles portant sur une mission d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) d'un projet de restructuration complète d'un ensemble immobilier pour une rémunération globale et forfaitaire. Ce marché a fait l'objet d'un marché complémentaire ainsi que d'avenants. Par une décision du 2 mars 2009 il a été procédé à la résiliation des marchés aux torts exclusifs de la société Somerco.

Le litige s'est porté sur le décompte final, le centre hospitalier n'ayant pas admis le projet de décompte présenté par l'entrepreneur et lui ayant substitué ses propres décomptes généraux des marchés résiliés.

L'appel principal, formé par le centre hospitalier, portait sur la contestation d'une somme mise à sa charge par l'arrêt d'appel alors que la cour n'avait été saisie d'aucune demande en ce sens. L'arrêt est annulé sur ce point pour avoir statué au-delà des conclusions donc ultra petita.

La solution est logique et classique.

L'appel incident de la société Somerco portait sur la dénaturation des pièces du dossier qui aurait été commise par la cour en arrêtant les montants dus à celle-ci. Le pourvoi est rejeté car il résulte des dispositions combinées des articles 12.31, 12.32 et 40.1 du cahier des clauses administratives générales « prestations intellectuelles » (CCAG-PI), applicable aux marchés litigieux, que tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, préalablement à toute instance contentieuse, d'un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché. Or la cour s'est fondée sur ce point sur le projet de décompte car les montants qui y étaient portés n'ont pas été contestés par la société Somerco dans son mémoire en réclamation.

La solution ici retenue est constante.

(21 avril 2022, Centre hospitalier de Cannes, Société Sommerco, n° 453914)

 

31 - Contrat de travaux publics – Action en responsabilité – Prescription - Durée quinquennale en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant – Durée décennale en cas d’action du maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants – Rejet.

(12 avril 2022, Société Arest, n° 448946)

V. n° 178

 

Droit du contentieux administratif

 

32 - Obligation d’emploi de la langue française dans les décisions de justice (édit de Villers-Cotterêts, août 1539) – Possibilité d’une citation en langue étrangère assortie de sa traduction en français ou dont la teneur est explicitée en français – Absence – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. 2 de la Constitution de 1958 et de l’article 111 de l’édit d’août 1539 dit édit de Villers-Cotterêts que tout jugement doit être rédigé en langue française.

Ce qui implique, d’une part, que les productions et mémoires des parties en langue étrangère doivent être accompagnées d’une traduction authentique en français cette version seule pouvant être soumise au débat contradictoire, et d’autre part, qu’un jugement n’est pas irrégulier lorsqu’il inclut la citation d'un texte en langue étrangère si cette citation est assortie soit de sa traduction en langue française, soit d'une explicitation de sa teneur en français.

En l’espèce, la cour administrative d'appel de Versailles s'est fondée sur les dispositions en langue anglaise de l'article 31 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l'Île de Man sans assortir sa citation d'une traduction en langue française ou d'une explicitation de sa teneur en français. L’arrêt est annulé.

Le lecteur appréciera sans doute de trouver ici le texte savoureux de l’art. 111 de l’édit précité :

« Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »

(1er avril 2022, Société Amaya Services Limited venant aux droits de la société Rational Services Limited, n° 450613)

V. aussi, sur un autre aspect de la décision, le n° 70

 

33 - Procédure fiscale contentieuse - Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères – Recours formé au nom de contribuables différents – Rejet en première instance – Erreur de droit – Annulation.

(1er avril 2022, Société Clinique Saint Roch, n° 450320)

V. n° 68

 

34 - Demandes d’asile et de l’octroi de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Annonce d’un mémoire complémentaire – Production dudit mémoire – Rejet pour non production du mémoire annoncé – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier et est en conséquence annulée la décision de la Cour nationale du droit d’asile qui rejette une demande d’octroi du statut de réfugié ou, à défaut, du bénéfice de la protection subsidiaire, pour défaut de production du mémoire complémentaire qui avait été annoncée alors que ce mémoire a été produit dans les délais légaux et comportait des moyens nouveaux qui n’étaient pas inopérants.

(5 avril 2022, M. A., n° 447324)

 

35 - Décision du juge pénal ordonnant des travaux de remise en état des lieux assortie d’une astreinte – Inexécution de la décision – Point de départ de l’obligation d’exécuter – Responsabilité pour faute engagée – Absence d’invocation de la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique - Rejet.

(5 avril 2022, Ministre de la transition écologique, n° 447631)

V. n° 177

 

36 - Refus d’entrer sur le territoire français opposé par un brigadier de police à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle – Décision individuelle – Tribunal administratif compétent pour connaître du recours contre cette décision – Lieu du siège de l’autorité qui a pris la décision attaquée – Renvoi au tribunal administratif de Montreuil.

Un ressortissant congolais s’étant vu refuser par un brigadier de police, à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, l’autorisation de pénétrer sur le territoire français, celui-ci a saisi le juge administratif d’un recours contre cette décision.

Il s’agissait de déterminer le tribunal territorialement compétent pour connaître de ce litige.

La difficulté venait de ce que le CESEDA qualifie une telle décision de mesure individuelle et de ce que l’art. R. 312-8 du CJA détermine en ce cas le tribunal compétent par le lieu de résidence du destinataire de la mesure individuelle de police. Pour sortir de l’impasse le Conseil d’État use de l’article-balai qu’est l’art.  R. 312-1 du CJA dont la première phrase du premier alinéa est ainsi conçue : « Lorsqu'il n'en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée ».

Par suite, la connaissance du litige est ici attribuée au tribunal administratif de Montreuil dont le ressort territorial comprend, en vertu des dispositions de l’art. R. 221-3 du CJA, l'emprise de l'aérodrome de Paris - Charles-de-Gaulle.

(5 avril 2022, M. B., n° 460466)

(37) V. aussi, identique, à propos du refus d’accès en France opposé à un ressortissant ivoirien et sur le même aéroport : 5 avril 2022, M. B., n° 460470.

 

38 - Décision de non-lieu à statuer en excès de pouvoir – Non-lieu tiré d’une autre décision – Impossibilité en l’absence de caractère irrévocable de cette dernière décision – Possibilité en cas de jonction des requêtes – Hypothèse de saisine du juge, à la fois, de conclusions à fin de retrait et à fin d’annulation d’une même décision – Non-lieu à statuer.

Dans un litige né de la contestation par une candidate non admise à un concours de recrutement d'un professeur des universités-praticien hospitalier, le juge est amené, car c’est un des aspects de cette affaire, à revisiter les conditions de prononcé d’un non-lieu à statuer par le juge de l’excès de pouvoir du fait de la disparition de l’objet du litige en cours d’instance.

En principe, il n’est pas possible à ce juge de déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable.

Cependant, lorsque les deux affaires relèvent de sa compétence, il est toujours loisible à ce juge, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de les joindre pour statuer par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations.

Cette solution a le grand avantage de permettre à toutes les parties concernées, en cas d'exercice d'une voie de recours, d’être mises en cause et celle à laquelle un non-lieu a été opposé, d’être mise à même de former, si elle le souhaite, un recours incident contre cette partie du dispositif du jugement. 

Par ailleurs, dans le cas où le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision et de conclusions tendant à son retrait, si celui-ci statue par une même décision, il se prononce d’abord sur les conclusions à fin de retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière. 

C’est ce qui se produit en l’espèce s’agissant de la demande d’annulation de la décision du jury du concours de ne pas admettre la requérante.

(6 avril 2022, Mme I., n° 432065)

 

39 - Commune condamnée en première instance – Défaut d’exercice par le maire d’une compétence exercée au nom de l’État – Absence de qualité du maire pour interjeter appel – Ministre ne s’étant pas approprié ses conclusions – Irrecevabilité.

Le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, par une ordonnance du 28 octobre 2021, avait fait injonction au maire de la commune requérante et au recteur de l’académie de Mayotte de « faire le nécessaire (...) pour que soit assurée la scolarisation dans une école maternelle de la commune » du fils des requérants.

Ces derniers et des associations ont à nouveau saisi ce juge afin qu’en application des dispositions de l’art. L. 911-4 du CJA soit exécutée l’ordonnance précédente ; par une ordonnance du 20 janvier 2022, il a enjoint les mêmes destinataires de scolariser l’enfant dans les cinq jours sous astreinte de cent euros par jour de retard.

La commune saisit le Conseil d’État par voie d’appel.

Cet appel est jugé irrecevable car le Conseil d’État estime que l’ordonnance attaquée « ne porte pas (…) sur les seules modalités d'admission de l'enfant dans une classe de maternelle, mais sur son inscription sur la liste scolaire, qui relève des compétences du maire agissant (…) au nom de l'État ».

Seul un ministre, ou le premier d’entre eux, avait qualité pour interjeter appel par conclusions propres ou en s’appropriant celles de la commune.

L’appel formé par le maire l’a été par une personne dépourvue de qualité à cet égard et il est donc irrecevable et cela alors même que tant la première ordonnance que la seconde imposaient au maire de les exécuter.

(ord. réf. 4 avril 2022, Commune de Tsingoni, n° 462087)

(40) V. aussi, identiques, six autres ordonnances : ord. réf. 5 avril 2022, Commune de Tsingoni, n° 462088 ; n° 462090 ; n° 462091 ; n° 462092 ; n° 462094 ; n° 462095.

 

41 - Covid-19 – Ordonnances du 18 novembre 2020 et ordonnance modificative du 13 mai 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif – Contestations de divers aspects de procédure devant l’ensemble des juridictions administratives – Critique de dispositions applicables à la Cour nationale du droit d’asile – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de dispositions contenues dans plusieurs ordonnances destinées à modifier le droit procédural administratif en raison de l’épidémie de Covid-19.

De très nombreux moyens étaient développés, tous rejetés :

- certains comme inopérants (ainsi celui tiré de la non consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la loi du 23 mars 2020, art. 11, en dispensant),

- certains comme devant être écartés (la procédure administrative relève du règlement non de la loi ; les ordonnances ne sortent pas du champ fixé par la loi d’habilitation, par ex. la dispense de conclusions du rapporteur public, la possibilité de référé sans audience ou la signature des décisions collégiales par le seul président ; plusieurs dérogations sont à caractère exceptionnel et n’interdisent pas, lorsque c’est possible, l’utilisation des règles habituelles),

- d’autres comme relevant du domaine de la QPC (irrecevables car non présentées en l’espèce par un mémoire distinct, ainsi de la contestation du référé sans audience),

- d’autres car les dispositions critiquées opèrent en réalité une conciliation raisonnable entre des exigences contradictoires, ce qui les fait échapper au reproche d’atteinte à diverses convention ou charte européennes,

- d’autres encore car l’atteinte à la collégialité qui est dénoncée par les requêtes est temporaire, de champ limité et réservée aux cas exceptionnels.

Il en va de même des dispositions exceptionnelles régissant la procédure devant la Cour nationale du droit d’asile.

(6 avril 2022, Association ELNA France et autres, n° 440715 ; Association GISTI et autre, n° 440806 ; Conseil national des barreaux, n° 440866 ; Syndicat de la juridiction administrative, n°441399 et n° 447578 et n° 447873) 

 

42 - Fonctionnaire nommé par décret du président de la république – Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État pour connaître des litiges relatifs au recrutement et à la discipline d’un tel agent – Recours ne tendant pas à l’une de ces fins – Renvoi au tribunal administratif.

(6 avril 2022, M. B., n° 454768)

V. n° 138

 

43 - Gendarmerie nationale – Contestation d’un arrêté ministériel (armées) relatif au régime indemnitaire des artificiers – Gendarmes relevant du ministre de l’intérieur – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité – Rejet.

Des gendarmes ont demandé à la ministre des armées d'abroger l'arrêté du 5 février 2018 fixant, par armées et directions, le nombre d'artificiers militaires susceptibles de percevoir une indemnité mensuelle de déminage et de dépiégeage en tant qu’il n’inclut pas la gendarmerie parmi les entités pouvant bénéficier de cette indemnité.

Ils demandent l'annulation de la décision implicite de rejet de cette demande par la ministre des armées.

Leur recours est rejeté comme irrecevable car l’abrogation d’une décision administrative ne saurait être demandée que par une personne y ayant intérêt ce qui n’est pas le cas des gendarmes nationaux à l’égard d’une décision du ministre des armées puisque ces agents relèvent du ministre de l’intérieur.

(6 avril 2022, M. L. et autres, n° 457348)

 

44 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État – Transmission à la juridiction compétente.

(13 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

V. n° 9

 

45 - Recours contre une disposition d’une ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Ordonnance ratifiée en cours d’instance – Recours devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre une disposition d’une ordonnance de l’art. 38 ratifiée par le législateur pendant le cours de l’instance rend sans objet ce recours et il n’y a donc plus lieu d’y statuer.

(13 avril 2022, M. Israël, n° 441050)

 

46 - Fonctionnaire des douanes mis à la retraite – Mise en cause de la responsabilité de l’État notamment en raison d’un défaut d’information sur ses droits à pension de retraite – Interprétation erronée de cette demande par la juridiction d’appel – Annulation.

Se méprend sur les écritures dont elle est saisie la cour administrative d’appel qui juge que l’appelant ne contestait pas ne pas remplir les conditions légales lui permettant de bénéficier d'un report de la limite d'âge alors que celui-ci soutenait dans ses conclusions d’appel que bien qu'ayant atteint la limite d'âge qui lui était applicable le 28 février 2015, il aurait pu bénéficier, en raison de sa situation familiale, d'un recul de cette limite d'âge en application de l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, ce qui lui aurait permis de détenir pendant six mois le neuvième échelon de son grade.

La pension de retraite eût été alors calculée sur le neuvième échelon de son grade et non, comme elle l’a été, sur le huitième.

(14 avril 2022, M. B., n° 442882)

 

47 - Procédure contentieuse – Mémoire présenté avant la clôture de l’instruction et contenant des conclusions subsidiaires – Mémoire non visé et conclusions non examinées – Annulation.

Doit être annulé le jugement qui, rejetant les conclusions principales d’un requérant, ne vise pas le mémoire qu’il a présenté avant la clôture de l’instruction et ne se prononce pas sur les conclusions subsidiaires qu’il contient.

(14 avril 2022, Société de l’abattoir de Tarbes, n° 443658)

 

48 - Avis d’audience – Communication à un avocat associé au sein de la structure à laquelle appartient l’avocat mandataire de la requérante – Procédure irrégulière – Annulation.

Doit être annulé le jugement rendu sur un dossier alors que l’avis d’audience y relatif a été adressé non à l’avocat mandataire de la société demanderesse mais à un autre avocat associé à ce dernier dans une « communauté de bureaux » sans qu’il soit établi que l’avocat mandataire aurait eu connaissance de cet avis et alors que la demanderesse n’a été ni présente ni représentée à l’audience.

(14 avril 2022, Société Bibko Système, n° 443691)

(49) V. aussi, adoptant la même solution à propos du même avocat mais dans un autre dossier : 14 avril 2022, M. C., n° 443693.

(50) V. également, comparable, s’agissant de l’omission de viser une note en délibéré : 14 avril 2022, M. et Mme D., n° 446116.

 

51 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Contradiction entre les motifs et le dispositif d’un arrêt d’appel – Rejet d’un recours en rectification – Erreur de droit – Annulation.

Est entaché d’erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge qu’une contradiction entre les motifs d’un arrêt et son dispositif ne peut présenter le caractère d'une erreur matérielle susceptible d'être corrigée par la voie d'un recours en rectification d’erreur matérielle.

(15 avril 2022, M. D., n° 450394)

(52) V. aussi, rejetant un recours en rectification d'erreur matérielle fondé sur ce qu'un président de chambre au Conseil d'État a informé l'avocat des requérants qu'une ordonnance était susceptible d'être prise sur le fondement des 1° à 4° de l'article R. 822-5 CJA sans attendre la production d'éventuels mémoires et sans renouveler cette information après une telle production : 25 avril 2022, M. et Mme L., n° 456870.

(53) V. également, rejetant un tel recours car est en cause non une erreur matérielle mais une appréciation juridique ou un motif surabondant : 29 avril 2022, Société BNP Paribas, n° 449354 et n° 449356, deux espèces, ou encore un moyen inopérant auquel il n'a pas été répondu : 29 avril 2022, Société BNP Paribas, n° 449359.

 

54 - Recours contre un permis de construire - Désistement - Désistement d'instance et non d'action - Effet sur l'introduction d'un nouveau recours - Cas de l'intervenant en première instance interjetant appel - Intérêt pour agir - Absence - Annulation et rejet.

En l'espèce, deux recours en annulation d'un permis de construire délivré au défendeur avaient été formés, l'un par une personne physique, l'autre par une association. Puis cette dernière s'est désistée de son recours contentieux, ce dont il lui a été donné acte. Cette association a alors formé une intervention volontaire en demande au soutien des conclusions de la demanderesse personne physique. Cette intervention a été rejetée en première instance ainsi que la demande d'annulation du permis de construire attaqué.

L'association a, seule, interjeté appel de ce jugement et la cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que le permis de construire.

Le pétitionnaire se pourvoit en cassation.

Deux questions de procédure se posaient.

La première était de savoir si, s'étant désistée, l'association pouvait néanmoins poursuivre l'instance.

La seconde était celle de l'intérêt à agir de l'association.

Sur le premier point, il n'y avait pas vraiment de difficulté. Réitérant une jurisprudence désormais bien établie et au rebours de sa jurisprudence antérieure, le Conseil d'État rappelle qu'un désistement dont la portée n'est pas précisée par le désistant n'est qu'un désistement d'instance non un désistement d'action. On sait que la différence est importante : alors que le désistement d'action interdit toute reprise de la même demande devant le juge ce qui entraînerait ipso facto son irrecevabilité, le désistement d'instance n'empêche pas une telle reprise. Ici le juge de cassation confirme que c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel en a jugé ainsi.

Sur le second point, l'arrêt est annulé en toutes ses conséquences. En effet, il résulte de l'art. 3 des statuts de l'association requérante qu'elle a pour objet « d'assurer la protection de la nature et de l'environnement de l'île de Noirmoutier, de sauvegarder sa flore, sa faune, ses réserves naturelles, en tenant compte du milieu dont elles dépendent, de veiller au bon équilibre des intérêts humains, sociaux, culturels, scientifiques, économiques, sanitaires et touristiques ». Or la cour a jugé que cette association aurait eu qualité, en vertu de cet article 3, pour introduire elle-même un recours et qu'elle était ainsi recevable à interjeter appel du jugement ayant rejeté la demande d'annulation du permis attaqué.

Il tombe sous le sens que cet objet statutaire ne comprend pas la faculté de former un recours en annulation d'un permis de construire portant sur une maison individuelle située sur un terrain supportant déjà une construction et lui-même inclus dans une zone déjà urbanisée de la commune. A défaut d'intérêt à agir, l'association ne pouvait ni saisir elle-même le tribunal aministratif d'une telle demande ni, non plus, intervenir aux côtés de la demanderesse. D'où il suit que, sans qualité pour agir en première instance elle n'avait pas davantage qualité pour interjeter appel. L'annulation du permis à la demande d'un requérant qui ne pouvait agir est donc elle-même annulée.

(12 avril 2022, M. J., n° 451778)

 

55 - Référé suspension - Décision implicite de rejet d'abroger une disposition du décret du 11 décembre 2019 portant réforme de la procédure civile - Maintien en vigueur du régime de l'exécution provisoire (ancien art. 524 du code de procédure civile) - Rejet.

La société requérante demandait au juge administratif du référé, à la fois :

- qu'il ordonne la suspension de l'exécution de la décision implicite du premier ministre refusant d'abroger le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile en tant qu'il maintient l'application de l'ancien article 524 du code de procédure civile aux instances engagées avant le 1er janvier 2020 sans prévoir expressément l'arrêt de l'exécution provisoire en cas d'impossibilité d'exécuter la condamnation sans céder des immobilisations au sens comptable ou souscrire un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'autres atteintes au droit de propriété de l'emprunteur que l'octroi de sûretés ;

- qu'il enjoigne au susdit d'édicter à titre provisoire, jusqu'à ce que le Conseil d'État ait statué au fond, un décret complétant celui du 11 décembre 2019 prévoyant expressément l'arrêt de l'exécution provisoire en cas d'impossibilité d'exécuter la condamnation sans céder des immobilisations au sens comptable ou souscrire un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'autres atteintes au droit de propriété de l'emprunteur que l'octroi de sûretés.

Le référé est rejeté au terme d'une argumentation embarrassée, le juge évoquant « le fonctionnement de l'autorité judiciaire », ce qui semble pencher vers une incompétence du juge aministratif saisi, puis constate l'absence d'urgence et poursuit enfin par la recherche d'un éventuel doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

En bref, le décret attaqué ayant décidé le maintien de l'application de l'ancien art. 524 du CPC à toutes les instances introduites avant le 1er janvier 2020, la société requérante - qui a été condamnée par le tribunal de commerce, sous régime d'exécution provisoire, à verser près de 51 000 000,00 d'euros à une autre société -, estime que cette mise en oeuvre immédiate du jugement de condamnation l'exposerait à se trouver dans une situation critique, elle en a demandé l'abrogation au premier ministre. Par son silence, ce dernier a refusé d'accéder à cette exigence.

Le juge des référés estime que la condition d'urgence n'est pas satisfaite car les éléments dont la société « fait état se rapportent au fonctionnement de l'autorité judiciaire à travers l'appréciation que le premier président de la cour d'appel, saisi au titre de l'article 524 du code procédure civile maintenu en vigueur, est susceptible de porter prochainement, à la lumière d'un rapport d'expertise qu'il a sollicité, sur sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la condamnation la concernant au regard des risques que fait peser sur sa pérennité la condamnation prononcée à son encontre par le premier juge. Ces circonstances ne sont pas au nombre de celles qui caractérisent une urgence justifiant que, sans attendre, le juge administratif suspende le refus d'abroger les dispositions réglementaires qui ont seulement eu pour effet de maintenir en vigueur aux instances en cours les dispositions de l'ancien art. 524 ».

Puis, alors que cela n'est pas nécessaire, il est passé à l'examen du doute sérieux sur la légalité du refus dont il est affirmé qu'il n'existe pas en l'espèce car il ne saurait être soutenu que « faute d'imposer le prononcé de l'arrêt de l'exécution provisoire d'une condamnation à caractère pécuniaire lorsqu'elle a pour effet d'entraîner la cession d'actifs stratégiques ou la souscription d'un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'atteintes au droit de propriété autres que l'octroi de sûretés, (cette exécution provisoire) porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété (...) ».

(14 avril 2022, SAS InnoVent, n° 462980)

 

56 - Référé liberté - Intéressé figurant sur une liste d'attente - Demande devant être traitée par rang d'antériorité - Invocation d'une atteinte à une liberté fondamentale - Diligences accomplies excluant une telle atteinte - Rejet.

L'intéressé, arrivé en France en novembre 2021, a demandé à être scolarisé. Suite à des tests pratiqués en janvier 2022, le centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés (CASNAV) a préconisé sa scolarisation dans une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A).

Il a été avisé par courriel du 14 mars 2022 par les services compétents que sa demande sera traitée en fonction des places vacantes et de l'antériorité des demandes en attente.

Le juge des réfrés déduite de ces diligences accomplies qu’il en résulte que l'intéressé ne saurait soutenir que son défaut actuel de scolarisation doit être regardé comme portant une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 19 avril 2022, M. A., n° 462747)

 

57 - Contentieux fiscal - Vérification de comptabilité - Non communication de pièces - Pièces jugées ne pas constituer des pièces comptables - Erreur de qualification juridique des faits - Annulation.

Commet une erreur de qualification des faits conduisant à sa cassation l'arrêt d'appel jugeant qu'aucune des pièces sur lesquelles s'était fondée l'administration fiscale pour procéder aux rehaussements litigieux ne présentait le caractère de pièces comptables de l'entreprise vérifiée et que l'administration n'était, dès lors, pas tenue de soumettre ces pièces à un débat oral et contradictoire,  alors que plusieurs d'entre elles étaient des factures émises par les fournisseurs de la société requérante et constituaient donc des pièces comptables.

(21 avril 2022, Société Uranie International, n° 442599)

 

58 - Détenu – Demande de libération conditionnelle - Rapports remis au juge de l'application des peines - Contestation - Compétence exclusive de la juridiction judiciaire - Rejet.

Le requérant, détenu, a demandé sa libération conditionnelle et celle-ci lui a été refusée au vu de rapports émis par les agents pénitentiaires compétents et communiqués au juge de l'application des peines.

Il sollicite du juge administratif l'indemnisation par l'État du préjudice moral qu'il a subi de ce fait.

Le Conseil d'État estime - très logiquement - que la responsabilité de l'État à raison de l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire mentionné à l'article 712-7 du code de procédure pénale et des rapports produits par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) à destination du juge de l'application des peines dans le cadre et pour les besoins de l'instruction d'une demande de libération conditionnelle ne peut être mise en cause que devant le juge judiciaire.

En effet, une telle demande met en cause le fonctionnement du service public de la justice judiciaire (TC 27 novembre 1952, Officiers ministériels de Cayenne c/ État, n° 01420 ; cet arrêt est parfois, abusivement, dénommé « Préfet de la Guyane ») du fait d'actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire. 

(22 avril 2022, M. C., n° 449084)

 

59 - Acte réglementaire - Arrêté ministériel fixant les quotas de thon rouge pouvant être pêché - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour en connaître en premier ressort - Rejet.

(ord. réf. 22 avril 2022, Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie (SPMLR), n° 463043)

V. n° 12

 

60 - Recours en révision - Cas limitativement énumérés par l'art. R. 834-1 CJA - Cas de l'espèce n'en relevant pas - Rejet.

Les cas dans lesquels peut être introduit un recours en révision sont strictement et limitativement énumérés à l'art. R. 834-1 CJA. Dès lors, les requérants ne sauraient fonder un tel recours sur la circonstance que l'envoi d'un courrier les avisant, ainsi que leur conseil, de ce que l'admission de leur pourvoi était susceptible d'être refusée en application des dispositions de l'article R. 822-5 du CJA n'était pas suffisant pour répondre à l'exigence d'information préalable prévue par les dispositions de l'article R. 822-5-1 de ce code, dès lors que ce courrier leur a été communiqué préalablement à l'enregistrement de leur nouveau mémoire régularisé par un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et que ce courrier n'a pas été réitéré. 

(25 avril 2022, M. et Mme L., n° 456870)

 

61 - Droit au logement opposable - Caractère prioritaire d'une demande de logement - Absence de droit ayant la nature de liberté fondamentale - Rejet du référé liberté de l'art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 25 avril 2022, Mme A., n° 463011)

V. n° 161

 

62 - Zone de tension entre offre et demande de logements - Logements vacants - Contentieux de la taxe annuelle sur les logements - Compétence juridictionnelle - Recours contre les retraits ou les refus de retraits d'autorisations de construire, de démolir ou d'aménager - Cas des recours contre les certificats de conformité - Compétences respectives de la cour administrative d'appel et du Conseil d'État.

(26 avril 2022, SNC Immobilière Aire Saint-Michel, n° 452695)

V. n° 214

 

63 - Transfert d'un aérodrome envisagé puis délaissé - Conditions d'indemnisation des propriétaires riverains - Contestation - Demande d'ordonner une médiation - Rejet.

Le litige portait sur les conditions d'indemnisation des propriétaires riverains d'un aérodrome dont le transfert est annoncé puis abandonné, en raison du dommage en résultant du fait d'acquisition, d'amélioration, d'extension, etc. de logements consécutives à l'annonce du transfert puis frustrées par l'abandon dudit transfert.

Les requérants demandaient à titre principal l'organisation d'une médiation et à titre subsidiaire, l'annulation du décret du 19 avril 2021 portant création d'un dispositif d'aide à la revente aux propriétaires d'immeubles d'habitation riverains de certains aérodromes appartenant à l'État à la suite de l'abandon de leur transfert sur un autre site, ainsi que, par voie de conséquence, des arrêtés pris pour son application. Ils soulevaient également une QPC tirée de l'atteinte portée au principe d'égalité par les dispositions critiquées en ce qu'elles créent une différence de traitement entre propriétaires en fonction de la date d'acquisition, de reconstruction ou de réalisation des travaux sur leurs logements.

Le recours est rejeté en tous ses chefs de demande.

L'un de ses rejets retient l'attention, il s'agit du rejet de la demande d'organiser une médiation car celui-ci est formulé sans aucune explication.

Rien n'éclaire sur les conditions, objectifs ou autres que doit revêtir une telle demande pour être accueillie et c'est dommage dans la mesure où il a été répété sur tous les tons que l'usage de solutions alternatives au procès devait être grandement favorisé au point même que l'on a eu l'impression de l'apparition d'un droit commun du traitement des litiges sous la forme des modes alternatifs de règlement des différends allant même jusqu'à la formation d'un acronyme (MARD) et d'une exception, la voie classique du contentieux juridictionnel.

Une contradiction nous semble ainsi exister entre le caractère discrétionnaire de l'exercice du pouvoir d'ordonner une médiation et le souci d'en développer fortement l'usage.

Si le législateur tient à cette réforme, il conviendrait d'en prendre les moyens, par exemple en décidant qu'une demande de médiation ne peut être refusée sauf pour un motif d'ordre public ou d'absence d'avantage eu égard aux circonstances de temps et de fait de l'espèce.

(26 avril 2022, Commune de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, région Pays-de-la-Loire, département de Loire-Atlantique, Nantes Métropole, commune de Nantes, commune de Bouguenais et association « Le Collectif des Citoyens Exposés au Trafic Aérien » (COCETA), n° 457654)

 

64 - Délai du recours contentieux - Point de départ de ce délai - Publication - Publication équivalente à une parution au Journal officiel - Conditions - Publication faisant courir le délai de recours - Rejet.

Le recours des intéressés est rejeté pour cause de tardiveté de la saisine du juge administrative compte tenu du délai écoulé depuis la publication de l'instruction  réglementaire litigieuse.

Pour parvenir à ce résultat, le Conseil d'État relève qu'en principe l'absence d'obligation de publier un acte réglementaire dans un recueil autre que le Journal officiel, la publication dans un tel recueil n'est pas, en principe, de nature à faire courir le délai du recours contentieux sauf si le recueil dans lequel le texte est publié peut, eu égard à l'ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision.

Or il constate qu'en l'espèce l'instruction attaquée du 19 septembre 2018 a été mise en ligne le 21 septembre 2018, dans son intégralité, sur le site internet du ministère de l'agriculture, dans la rubrique dédiée au Bulletin officiel de ce ministère, dans des conditions permettant un accès facile et garantissant sa fiabilité et sa date de publication. Enfin, il relève qu'eu égard à l'objet de cette circulaire, relative aux règles s'appliquant à la diffusion, à l'utilisation par les administrations et à la réutilisation par des tiers de données du système intégré de gestion et de contrôle d'aides relevant de la politique agricole commune, cette diffusion était de nature à assurer le respect des obligations de publication à l'égard des personnes ayant un intérêt leur donnant qualité pour la contester. Elle a ainsi fait valablement courir le délai de recours contentieux de deux mois, d'où il suit que la requête de M. et Mme D. d'Hautecloque, enregistrée le 20 février 2020 au tribunal administratif de Paris, était tardive et donc irrecevable. 

(29 avril 2022, M. et Mme D. d'Hautecloque, n° 440879)

 

65 - Sanction pour dopage - Recours du président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Personne sanctionnée - Recours de plein contentieux - Possibilité de former une demande reconventionnelle en dépit du silence des textes à ce sujet - Rejet sur ce point.

(26 avril 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 453347)

V. n° 203

 

Droit fiscal et droit financier public

 

66 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Appréciation de la proportionnalité du produit de cette taxe par rapport aux dépenses engagées par la commune – Octroi à la commune de subventions métropolitaines en vue de l’équilibre du budget du traitement des déchets – Aide sans effet sur la détermination de la proportionnalité du taux de la taxe aux dépenses – Déduction obligatoire cependant du produit de la redevance spéciale au titre de la collecte des déchets non ménagers. Annulation partielle.

La société requérante contestait, par voie d’exception d’illégalité, la légalité de ses cotisations primitives de taxe d’enlèvement des ordures ménagères et invoquait au soutien de ses prétentions en cassation les deux moyens rejetés par le tribunal administratif.

En premier lieu, la commune où est située l’immeuble qu’elle possède a obtenu pendant six années consécutives une subvention de sa métropole vers son budget annexe retraçant les recettes et dépenses liées au traitement des déchets afin d'en assurer l'équilibre. La requérante soutenait que ces sommes devaient être déduites du montant des dépenses retenu pour apprécier la proportionnalité du produit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères aux dépenses réellement exposées par la commune. Le moyen est rejeté, comme il l’avait été en première instance, car ces subventions ne constituent pas des recettes non fiscales au sens et pour l’application des dispositions de l’art. L. 2224-14 du CGCT combinées avec celles des art. L. 2331-2 et 2331-4 de ce code. Or seule des recettes non fiscales doivent être déduites pour apprécier la proportionnalité.

En second lieu cependant, et à l’inverse le jugement frappé de pourvoi est annulé en tant qu’il n’a pas inclus dans les recettes non fiscales le produit attendu de la redevance spéciale relative à l’enlèvement des déchets non ménagers.

(1er avril 2022, Société PF02, n° 444266)

(67) V. aussi, jugeant - au rebours des premiers juges dont le jugement est annulé - fondée l'exception d'illégalité soulevée par la société requérante à l'encontre de délibérations fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à un niveau que le juge considère comme manifestement disproportionné pour l'année 2014 : 22 avril 2022, Société Hyper 19, n° 454748.

 

68 - Procédure fiscale contentieuse - Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères – Recours formé au nom de contribuables différents – Rejet en première instance – Erreur de droit – Annulation.

La requérante a demandé pour elle-même et, en tant que sa mandataire, pour la société Bpifrance Financement, la décharge de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elles ont été toutes deux assujetties, l’une pour 2016 et l’autre pour 2017 à raison des mêmes locaux situés à Cambrai. 

Les premiers juges ont fait droit à la fin de non-recevoir opposée par l’administration fiscale, sur le fondement de l’art. R. 197-1 LPF, à raison de ce que cet unique recours portait sur des impositions établies au nom de contribuables différents.

Le jugement est annulé pour erreur de droit car il n’a pas été recherché si les conclusions de cette demande présentaient entre elles un lien suffisant, auquel cas seulement elle eût été recevable.

(1er avril 2022, Société Clinique Saint Roch, n° 450320)

 

69 - Réintégration dans les bénéfices d’une société d’une somme portée au passif – Élément de passif injustifié – Société unipersonnelle dissoute – Associé unique disposant d’un droit propre sur une créance entrée dans son patrimoine du fait de la disparition de la société – Annulation partielle.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que, ainsi que l’affirme l’administration fiscale, constituent un élément de passif injustifié deux dettes inscrites au bilan de l’exercice d’une société car la liquidation anticipée de celle-ci a éteint ces dettes.

La cour s’est fondée pour aboutir à cette conclusion sur le fait qu'il ne résultait d'aucune disposition législative que la dissolution d'une société emportait de plein droit transfert de ses créances dans le patrimoine de ses associés, personnes physiques, et qu’en l’espèce la société n'établissait pas, en l'absence des formalités prescrites par l'article 1690 du code civil et de tout autre élément probant, la réalité d'un transfert de créances au profit de l'ancien associé unique, personne physique, de la société liquidée.

En réalité, il résulte des dispositions d’une part de l’art. L. 1844-5 du Code civil, et d’autre part de celles de l’art. L. 237-2 du code de commerce que l'ancien associé unique, personne physique, d'une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée peut se prévaloir d'un droit propre et personnel sur la créance dont il est devenu titulaire à la suite de la société.

(1er avril 2022, Société Erol Construction, n° 445634)

 

70 - Entreprise de jeu de poker en ligne – Demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée – Conditions – Rejet.

Une entreprise de jeu de poker en ligne, basée sur l’Île de Man, afin de justifier de sa demande de remboursement de crédit de TVA, entend d'établir qu'elle réalise des prestations de services dans le champ d'application de la TVA en vertu de la législation locale.

A cet effet, elle soutient exercer une activité de prestations de services de marketing et de support au profit de la société Rational Entertainment Enterprises Limited (REEL), seule propriétaire et exploitante de licences de jeux, et elle a produit : 1° le contrat la liant avec cette société, 2° un certificat d'immatriculation à la TVA établi le 6 janvier 2011 portant mention du code d'activité 82990 « Autres activités de soutien aux entreprises », et 3° un courrier de l'administration fiscale de l'Île de Man du 18 décembre 2013 indiquant que l'activité de la société requérante consiste en la fourniture de services de marketing et d'autres services opérationnels de support aux sociétés du groupe Rational et qu'à ce titre, elle effectue des transactions taxables à la TVA en vertu de la législation fiscale locale, ainsi que des factures établies par ses soins et adressées à la société REEL. 

Pour rejeter sa demande, le juge relève d’abord, que les factures produites ne mentionnent pas de taux de TVA ni ne détaillent les types de prestations réalisées ; ensuite, que la société requérante ne facturait à la société REEL que des montants de taxe inférieurs à 0,31 % des prestations en cause.

De la sorte, doit être considérée comme exacte l’affirmation du ministre défendeur, que d’ailleurs la requérante ne conteste pas, selon laquelle ces montants de taxe établissent soit l'exonération intégrale de l'activité qu'elle exerçait dans le secteur des jeux d'argent et de hasard au titre de la période d'imposition en litige en vertu de la législation fiscale de l'Île de Man, soit l'exonération d'une part prépondérante des prestations fournies, laquelle aurait dû donner lieu à l'établissement d'un prorata de déduction.

En conséquence, le Conseil d’État décide que, faute d'éléments complémentaires que seule la société demanderesse était en mesure de fournir et alors que celle-ci ne conteste que le principe du refus de remboursement qui lui a été opposé, la condition prévue à l'article 242-0 Q de l'annexe II au CGI, tenant à ce que les services fournis par la société française à la demanderesse aient été utilisés pour des opérations taxables dans l'Île de Man, ne peut être regardée comme satisfaite.

Par suite, la demande de remboursement de TVA en litige est donc rejetée.

(1er avril 2022, Société Amaya Services Limited venant aux droits de la société Rational Services Limited, n° 450613)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 32

 

71 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Droit à déduction de la TVA - TVA grevant une opération taxable - Obligation de présenter les factures en attestant - Absence - Erreur de droit - Annulation et rejet au fond de la requête initiale.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que l'administration fiscale, en l'absence de factures en attestant le paiement et pour ce seul motif, ne pouvait pas légalement refuser d'imputer sur la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de ses ventes de biens et services la taxe sur la valeur ajoutée qui avait grevé les achats de biens et services qui avait nécessairement été effectués pour les besoins de l’activité, au seul motif que le contribuable n'était pas en mesure de présenter les factures correspondantes. Ce jugeant, la cour n'a pas respecté les dispositions claires et impératives du 2. du II de l'art. 271 du CGI selon lesquelles " 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession soit desdites factures, soit de la déclaration d'importation sur laquelle ils sont désignés comme destinataires réels."

(22 avril 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 455114)

 

72 - Crédit-bail avec option d’achat sur un bâtiment industriel – Acquisition de ce bâtiment – Faculté de contestation par le crédit-preneur de la taxe foncière sur les propriétés bâties et des taxes annexes auxquelles il a été assujetti – Annulation et rejet de la QPC.

La requérante, spécialisée dans la fabrication de machines agricoles et forestières, a acquis par levée d’option d’un crédit-bail un bâtiment à usage industriel pour lequel elle est assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties et des taxes annexes.

Elle a entendu contester le montant des sommes réclamées à ce titre mais le tribunal administratif, rejetant sa demande, lui a opposé que la valeur locative litigieuse du bien en cause était définitivement établie à l'issue de l'année 2012, année d'acquisition du bien par la société requérante, en l'absence de rectification intervenue à l'initiative de l'administration ou du crédit-bailleur. Il a donc exclu toute possibilité de réclamation du crédit-preneur pour les exercices non prescrits.

La société se pourvoit et, par mémoire distinct, soulève une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. 1499 0 A du CGI.

Cependant le Conseil d’État décide, praeter legem et avec grand bon sens, que si la valeur locative plancher à retenir en application de l'article 1499-0 A du code général des impôts est celle qui a été retenue pour l'imposition du crédit-bailleur au titre de l'année d'acquisition, cette valeur locative peut être contestée par le crédit-preneur ayant acquis les immobilisations industrielles, à l'occasion des impositions auxquelles il est assujetti au titre de chaque exercice non prescrit, dans les conditions de droit commun. 

Ainsi, est annulé le jugement en sens contraire et il n’y a plus lieu de statuer sur la QPC.

(5 avril 2022, Société Rousseau, n° 448710)

 

73 - Domaine viticole – Vérification de comptabilité – Reconstitution de stocks – Rehaussement du chiffre d’affaires taxable et du bénéfice imposable – Faits non réellement établis – Rejet.

Après vérification de sa comptabilité, la société exploitante d’un domaine viticole a fait l’objet d’une reconstitution de stocks débouchant sur un rehaussement du chiffre d’affaires taxable et du bénéfice imposable assorti d’une amende fiscale.
Le tribunal administratif a fait droit à sa demande de décharge des différentes sommes mises à sa charge et ce jugement a été confirmé en appel. Le ministre des finances se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté en ses trois branches.

Tout d’abord, c’est sans dénaturation que la cour a jugé que la reconstitution de stocks opérée par le vérificateur ne permettait pas d'aboutir au constat d'une minoration de récoltes, dès lors que cette reconstitution faisait apparaître à la fois des manquants et des excédents, pour des volumes approximativement équivalents.
Ensuite, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé : 1° que l'absence de production, au cours du contrôle, du registre de cave ne permettait pas de caractériser une grave irrégularité dans la comptabilisation des stocks, dès lors que la société avait mis à la disposition du vérificateur les déclarations de récolte, les stocks fiscaux à la clôture et au début de chaque exercice ainsi que les déclarations récapitulatives mensuelles mentionnant les pertes, au surplus ces documents ont d'ailleurs été utilisés par le vérificateur dans sa reconstitution du stock théorique ; 2° que l'irrégularité de la comptabilisation des stocks ne pouvait résulter de l'absence de numéro de factures dans les ventes comptabilisées au grand livre, dès lors que le vérificateur avait lui-même estimé que les factures produites étaient exhaustives, le total de ces factures dépassant même le chiffre d'affaires déclaré.

Enfin, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation en jugeant que l'administration fiscale n'apportait pas la preuve qui lui incombait de ce que la comptabilisation des stocks et, partant, la comptabilité dans son ensemble, présentaient de graves irrégularités et étaient par suite dénuées de valeur probante. 

Belle occasion pour l’administration fiscale, si l’on ose dire, de mettre de l’eau dans son vin…

(6 avril 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 446799)

 

74 - Agents intervenant dans la détermination de l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts et autres prévus au CGI – Informations recueillies dans ce cadre – Bénéfice du secret (art. L. 103 LPF) – Champ d’application de l’opposabilité du secret – Co-débiteur solidaire du paiement de l’impôt – Héritiers – Exclusion de l’opposabilité du secret – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement estimant que c’est à bon droit que l’administration fiscale a opposé le secret institué par l’art. L. 103 du LPF aux requérants qui contestaient le refus de celle-ci de leur communiquer les déclarations et justificatifs fiscaux concernant l'encaissement des sommes versées au titre de contrats d'assurance vie souscrits par Mme L. G., les déclarations fiscales complémentaires et rectificatives émises, les justificatifs de prélèvement de 20 % sur les sommes perçues dépassant 152 500 euros, les attestations sur l'honneur établies par les bénéficiaires en application de l'article 990-I du code général des impôts et les justificatifs du versement des droits.

Le Conseil d’État censure pour erreur de droit cette solution car si ce secret a été institué par la disposition précitée en faveur des personnes appelées, à l'occasion de leurs fonctions ou attributions, à intervenir dans la détermination de l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts pour toutes les informations recueillies à l'occasion de ces opérations, cette disposition n'est opposable ni au débiteur solidaire de l'impôt, dans la mesure où les pièces couvertes par le secret sont utiles à l'exercice de son droit de réclamation, dans la limite de la solidarité prononcée à son encontre, ni aux héritiers tenus au paiement d'une dette fiscale de la succession. Il en va ainsi des documents administratifs sur lesquels l'administration fiscale s'est fondée pour établir l'imposition mise à la charge de la succession, dans la mesure où ils sont utiles à l'exercice des droits des requérants, y compris lorsque plusieurs personnes sont intéressées par les mêmes documents, sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des autres informations mettant en cause la vie privée de tiers qu'ils comporteraient. 

(8 avril 2022, MM. T., n° 450114)

 

75 - Pension versée en vue de l’entretien d’un enfant – Déductibilité des revenus soumis à l’impôt – Conditions – Distinction entre pension alimentaire et pension versée en raison d’une obligation d’entretien et d’éducation – Omission de réponse à moyen non inopérant - Annulation.

Le contribuable requérant avait déduit de son revenu imposable la pension versée à la mère de son enfant. L’administration fiscale a réduit le montant admis en déduction, rehaussé les impositions dues et infligé les pénalités y afférentes.

Sa demande d’annulation de ces diverses décisions ayant été rejetée en première instance et ce rejet confirmé par deux ordonnances rendues par le magistrat compétent de la cour administrative d’appel, le contribuable se pourvoit.

Si les choses sont claires pour une pension alimentaire, laquelle est ipso facto déductible du revenu imposable par l’effet des dispositions du 2° du II de l’art. 156 du CGI, en revanche cette possibilité de déduction est plus délicate à évaluer pour une pension versée en application de l’obligation d’entretien et d’éducation posée par les dispositions des art. 203 et 371-2 du Code civil, ce dernier texte disposant que « Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant ».

En l’espèce, le juge admet le principe de déductibilité de cette pension sous condition que le contribuable se prévale soit de ce que son montant a été fixé par un jugement soit, à défaut, de ce que, comme l’indique l’art. 371-2 précité, que ce montant est proportionné au regard de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant, compte tenu notamment de son âge.

Par ailleurs, car c’était un autre point en discussion dans cette affaire, le juge précise que les ressources à prendre en considération pour déterminer le caractère proportionné du montant de la pension sont les revenus avant déduction des pensions versées ou reçues.

En omettant de répondre au moyen tiré de cette dernière exigence, lequel n’est pas inopérant puisqu’en réalité il est complètement opérant et efficace, les ordonnances attaquées sont entachées d’irrégularité.

Si cette question n’est pas nouvelle et a déjà fait l’objet d’une décision allant dans le sens de la présente décision, cette dernière cependant est plus nette et de portée plus large.

(14 avril 2022, M. E., n° 436589)

 

76 - Taxes foncières – Taxe établie sur les faits existants au 1er janvier de l’année d’imposition – Biens dont le contribuable dispose au terme de la période d’imposition sans en disposer au début de celle-ci – Biens assujettis au 1er janvier – Rejet.

La solution retenue dans cette affaire peut surprendre.

L’art. 1415 du CGI dispose : « La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ». Le juge interprète cette disposition ainsi : « (…) La circonstance que la taxe foncière soit établie pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ne fait pas obstacle à ce que les biens dont le redevable disposait au terme de la période de référence sans en disposer au début de celle-ci soient intégrés dans cette assiette. »

Ainsi, en l’espèce est jugé erroné en droit l’arrêt d’appel qui relève que l'installation de traitement des eaux et le bâtiment de traitement n'étant passibles de la taxe foncière qu'à compter, respectivement, des 1er janvier 2010 et 1er janvier 2011, ces biens devaient être exclus de l'assiette de la cotisation foncière des entreprises au titre, respectivement de 2011 et de 2012, alors qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la construction de ces biens a été achevée, respectivement, au mois de mai 2009 et le 25 juillet 2010.

(14 avril 2022, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 389812)

 

77 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Biens assujettis – Cas des biens faisant corps avec les biens assujettis – Exemption pour les biens relevant du 11° de l’art. 1382 du CGI – Annulation partielle.

Le litige portait sur l’assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, au titre du 11° de l’art. 1382 du CGI, de certains biens d’un établissement industriel de fabrication de roues pour véhicules automobiles.

Le Conseil d’État approuve les premiers juges d’avoir estimé que les sols techniques d’une telle entreprise, dès lors qu'ils constituent des ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation au sens du 1° de l'article 1381 du CGI, ne peuvent pas être exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties sur le fondement du 11° de l'article 1382.

En revanche, il censure l’erreur de droit commise par le tribunal en jugeant que les outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels mentionnés au 11° de l'article 1382 du CGI s'entendent de ceux qui participent directement à l'activité industrielle de l'établissement et sont dissociables des immeubles, et en rejetant cette qualification pour la chaufferie et pour l'adaptateur électrique. Il devait, en effet, pour l’application correcte de ce dernier texte, déterminer ceux de ces biens qui faisant partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation de l’établissement industriel en cause c'est-à-dire ceux de ces biens qui, tels la chaufferie ou l’adaptateur électrique litigieux, relèvent de cet établissement, qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans celui-ci et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

(15 avril 2022, Société Mefro Wheels France, n° 488898)

 

78 - Évaluation de la valeur d’un fonds de commerce – Provision pour dépréciation – Valeur inscrite au bilan comptable de l’exercice 2013 – Absence de comparaison avec la valeur de la société lors de sa création en 1994 – Refus – Erreur de droit – Annulation.

Les requérants ont contesté la décision de l’administration fiscale assujettissant cette société à une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés en raison de la remise en cause de la déduction d’une provision pour dépréciation de la valeur de son fonds de commerce.

La cour administrative, pour rejeter l’appel qu’ils avaient dirigé contre le jugement de rejet du tribunal administratif, a estimé que les intéressés ne justifiaient pas du bien-fondé de la provision litigieuse car le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés avant déduction de la provision étaient supérieurs à ceux des deux années précédentes.

Sur pourvoi des demandeurs, le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit en ce qu’il n’a pas été comparé, comme cela était demandé, la valeur du fonds de commerce évalué, selon les modalités retenues lors de la création de la société en 1994, avec la valeur inscrite à l'actif du bilan comptable à la clôture de l'exercice 2013.

(14 avril 2022, Société MC Legal et Me Pellegrini, mandataire judiciaire de cette société, n° 443985)

 

79 - Doctrine administrative – Interprétation formelle de la loi fiscale (art. L. 80 A du LPF) – Interprétation inopposable lorsqu’est en cause un autre aspect de l’imposition – Substitution de motif – Rejet.

Par substitution de motif de pur droit, la requête de la SCI C., fondée sur l’interprétation formelle de la loi fiscale par l’administration (mécanisme de l’art. L. 80 A du LPF), est rejetée car elle est relative à l’interprétation des dispositions applicables au régime fiscal des sociétés immobilières pour le commerce et l'industrie  (SICOMI) issues de l'article 6 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 alors que le présent litige est relatif à l’interprétation des dispositions de l'article 239 sexies du CGI applicables au crédit-preneur en cas de levée de l'option d'achat.

(15 avril 2022, Société civile immobilière C., n° 452251)

 

80 - Société civile gestionnaire de contrats de capitalisation – Absence d’option pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés – Associés soumis au régime du II de l’art. 238 bis K du CGI – Soumission à l’impôt sur le revenu par quote-part des revenus (art. 125-0 A CGI) – Annulation et rejet partiels.

Censurant sur ce point pour erreur de droit l’arrêt frappé de pourvoi, le Conseil d’État juge qu’une société n’ayant pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et l'ensemble de ses associés relevant du II de l'article 238 bis K du CGI, ceux-ci sont soumis à l'impôt sur le revenu à concurrence de leur quote-part des revenus de la société déterminés en application des dispositions de l'article 125-0 A du CGI sans qu'aient d'incidence à cet égard ni la répartition de ces revenus ni les modalités de calcul du résultat que la société était statutairement tenue de déterminer à seule fin d'information de ces mêmes associés.

(15 avril 2022, M. G., n° 454264)

(81) V. aussi, identiques pour l’essentiel : 15 avril 2022, M. et Mme H., n° 454265 ; 15 avril 2022, Héritiers de Mme A., n° 454266.

 

82 - Institut français du textile et de l’habillement – Centre technique industriel régi par le code de la recherche (art. L. 521-1 et suivants) – Soumission de son activité aux impôts commerciaux – Assujettissement à la taxe professionnelle – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

L’organisme requérant a demandé la décharge de montants supplémentaires de taxe professionnelle à raison de deux établissements qu’il exploite à Troyes et à Mulhouse.

Il se pourvoit en Conseil d’État contre les arrêts confirmatifs ayant rejeté ses demandes.

Cet organisme est un centre technique industriel, régi par les dispositions des articles L. 521-1 et suivants du code de la recherche, qui est chargé de promouvoir le progrès des techniques et de participer à l'amélioration du rendement et à la garantie de la qualité dans l'industrie textile et de l'habillement.

Il réalise, dans cet objet, à la demande d'entreprises du secteur, des travaux de laboratoires et d'ateliers expérimentaux et participe à des enquêtes sur la normalisation ainsi qu'à l'établissement des règles de contrôle de la qualité des produits textiles.

L’administration fiscale a cru pouvoir estimer que cet organisme devait être assujetti aux impôts commerciaux sur la totalité de son activité.

L’arrêt de rejet – après avoir relevé que l'institut était investi d'une mission d'intérêt général et alors qu'il soutenait que l'activité en litige consistait en des actions collectives engagées dans l'intérêt de l'ensemble des professionnels du secteur - se fonde sur ce que cet institut a vocation à permettre aux professionnels du secteur du textile et de l'habillement de réduire leurs coûts, d'augmenter leurs recettes ou de faciliter l'exercice d'un des aspects de leur activité.

L’erreur de droit, ici censurée à bon droit, est assez évidente surtout que la cour n’a même pas recherché si, en agissant ainsi, l'institut venait en aide seulement à certaines entreprises qui en retiraient un avantage concurrentiel. 

(15 avril 2022, Institut français du textile et de l'habillement, n° 456205)

 

83 - Restructurations et créations d'entreprises - Sursis d'imposition des plus-values résultant d'opérations ne dégageant pas de liquidités - Apports de titres dont le produit de cession concourt à un réinvestissement de caractère économique - Cas de l'activité de loueur en meublé - Absence d'un tel caractère sauf cas particulier - Rejet.

Dans le souci de favoriser soit la restructuration soit la création soit le développement d'entreprises, la loi fiscale a prévu (art. 150-0 B CGI) un sursis automatique d'imposition sur les plus-values lorsqu'elles proviennent d'opérations ne dégageant pas de liquidités. Il en a été déduit que la cession de titres dont le produit fait l'objet d'un réinvesstissement économique est éligible à ce sursis.

En principe, l'activité de loueur en meublé ne revêt pas un tel caractère et ne peut prétendre au bénéfice de ce sursis sauf si le propriétaire accomplit son activité dans des conditions le conduisant à fournir une prestation d'hébergement ou si elle implique pour lui, alors qu'il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d'importants moyens matériels et humains.

Ce n'était pas le cas en l'espèce ainsi que l'a jugé à bon droit la cour administrative d'appel.

(19 avril 2022, M. B., n° 442946)

 

84 - Redevance assise, en Île-de-France, sur la construction, la reconstruction ou l'agrandissement des locaux commerciaux et des locaux de stockage  - Notion de réserves attenantes à des locaux destinés à l'exercice d'une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal - Cas en l'espèce - Rejet.

En région Île-de-France l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme alors en vigueur a institué une redevance perçue à l'occasion de la construction, de la reconstruction ou de l'agrandissement de locaux commerciaux et de locaux de stockage, le III de l'art. 231 ter du CGI définissant respectivement chacune de ces ceux catégories de locaux en ses 2° « (2° (...) les locaux commerciaux, (...) s'entendent des locaux destinés à l'exercice d'une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal ainsi que de leurs réserves attenantes couvertes ou non et des emplacements attenants affectés à la vente) » et 3° « ( (...) les locaux de stockage, (...) s'entendent des locaux ou aires couvertes destinés à l'entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production) ».

La société requérante contestait le jugement estimant que les réserves litigieuses, d'une surface de 685 m², constituaient, au sens du 2° du III de l'article 231 ter du CGI, des réserves attenantes à des locaux où est exercée une activité de restauration, après avoir relevé que ces réserves, où sont entreposés des denrées et des matériels nécessaires à l'exploitation des restaurants, sont situées à quelques étages au-dessous de ceux-ci et reliées à eux par des ascenseurs et qu'elles se trouvent ainsi à proximité immédiate des salles de restauration et qu'ainsi ils entraient dans l'assiette de la redevance litigieuse.

Le Conseil d'État rejette le pourvoi dirigé contre ce jugement car il ne repose pas sur une qualification inexacte des faits de l'espèce.

(19 avril 2022, Société Unibail Rodamco Westfield, n° 443039)

 

85 - Revenus réalisés par une filiale étrangère d'une société française - Revenus réputés acquis par la société française (art. 209 B du CGI) - Absence d'incompatibilité entre cette disposition et le droit de l'Union - Rejet.

La requérante ayant fait l'objet de rehaussements d'impositions ainsi que de contributions y afférentes, après avoir contesté en vain ces décisions en première instance et en appel, a saisi le Conseil d'État d'un pourvoi que celui-ci rejette, aucun des moyens présentés au soutien du pourvoi n'étant admis.

Parmi eux, l'un retient spécialement l'attention en ce qu'il portait sur l'incompatibilité des dispositions de l'art. 239 B du CGI avec le droit de l'Union.

La société soutenait que la cour administrative d'appel avait commis une erreur de droit en jugeant que la société Rubis ne pouvait utilement se prévaloir, dans le cadre d'un litige mettant en cause sa filiale établie à l'île Maurice, de l'incompatibilité de l'article L. 209 B du CGI avec le principe de libre circulation des capitaux.

Elle reproche à cet arrêt - prétendument destiné à frapper les seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de la filiale établie hors de France, notamment dans un pays tiers, et d'en déterminer les activités - d'avoir jugé cet article applicable quand bien même la société établie en France ne détiendrait ni la majorité du capital ni la majorité des droits de vote au sein de la filiale. Le Conseil d'État rétorque que cet article doit s'analyser avec le but poursuivi par le législateur au moyen de cette disposition : il s'agit de dissuader les entreprises passibles en France de l'impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices au travers de filiales, créées par elles ou par une de leurs filiales, dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du CGI.

La requérante reproche ensuite à cet article, de ce fait, sa contrariété avec le droit de l'Union tel qu'interprété par la la Cour de Justice.

En effet, la jurisprudence de la CJUE (13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, aff. C-35/11) opère une distinction quant à l'opposabilité des stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des capitaux.

En principe, lorsqu'est en cause la participation d'une société résidente d'un État membre dans une société établie dans un pays tiers, l'examen de l'objet de la législation nationale suffit pour apprécier si cette participation relève des stipulations de cet article 63. Il suit de là qu'une législation nationale ne s'appliquant pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société établie dans le pays tiers doit être appréciée au regard de ces stipulations. En ce cas, une société résidente d'un État membre peut, indépendamment de l'ampleur de la participation qu'elle détient dans la société distributrice de dividendes établie dans un pays tiers, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de mettre en cause la légalité d'une telle réglementation.

Par exception, si l'objet d'une législation nationale ne lui donne vocation à s'appliquer qu'aux participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de la société établie dans le pays tiers et d'en déterminer les activités, les stipulations de l'article 63 du traité ne peuvent être utilement invoquées.

Tel est, selon le juge, le cas de l'espèce.

En retenant le critère de la détermination du pouvoir d'une société résidente de déterminer les activités de sa filiale établie dans un pays tiers, le juge lève la contrariété prétendue mais court le risque d'une interprétation très extensive de la jurisprudence de la CJUE que cette dernière pourrait ne pas entériner.

(25 avril 2022, Société Rubis, n° 439859)

 

86 - Taxe sur la valeur ajoutée - Compensations entre impositions - Limites - Rejet.

La société requérante se prévalait, à l'appui de ses conclusions à fin de décharge par voie de compensation entre les rappels litigieux de taxe sur la valeur ajoutée et l'excédent de taxe constaté par l'administration fiscale, des dispositions de l'art. L. 80 du livre des procédures fiscales permettant à l'administration d'effectuer toutes les compensations entre impôts et autres taxes. 

Le Conseil d'État pose ici tout d'abord une règle selon laquelle « En matière de taxe sur la valeur ajoutée, la compensation ne peut s'effectuer entre des impositions qui ne sont pas dues par le contribuable et des impositions qui avaient été initialement omises par l'administration que lorsque chacune de ces impositions est relative à la période couverte par un même avis de mise en recouvrement. »

Ensuite, il interprète l'art. L.80 LPF précité comme ne permettant pas à l'administration fiscale d'opérer des compensations en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

Le régime de la compensation est, en matière fiscale, non seulement inique mais complètement anachronique. Il serait temps de constater que la société a évolué et que les moeurs du XIXè siècle ont fait leur temps.

(25 avril 202, Société SPI, n° 444616)

 

87 - Dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI - Amende forfaitaire pour non respect des obligations déclaratives prévues par l'art. 240, le 1 de l'art. 242 ter et l'art. 242 ter B du CGI - Intervention d'un changement des circonstances - Transmission d'une QPC.

(25 avril 2022, Société Lorraine services, n° 458429)

V. n° 175

 

Droit public de l'économie

 

88 - Concessions hydroélectriques – Regroupement – Fixation d’une nouvelle date d’échéance des concessions – Regroupement comprenant pour partie des concessions ayant déjà fait l’objet d’une dérogation de plein droit – Illégalité – Annulation.

La procédure de regroupement de concessions hydroélectriques formant une chaîne d'aménagements hydrauliquement liés et déjà accordées sur un cours d’eau pose un problème de flux des trésoreries disponibles pour chacune des concessions regroupées car en raison de leur échelonnement dans le temps elles se déroulent chacune selon sa chronologie propre. C’est pourquoi, le regroupement de concessions – qui implique nécessairement l’adoption d’une date d’échéance commune – consiste concomitamment à allonger la durée des concessions proches de l’échéance et à réduire la durée de celles dont la date d’échéance est la plus éloignée. Lorsque, parmi les concessions regroupées, figurent une ou plusieurs concessions ayant déjà fait l’objet d’une prorogation de plein droit dite aussi « en délais glissants » (cf. alinéa 3 de l’art. L. 521-16 c. énergie) il convient d’assurer la neutralité économique du regroupement. A cet effet doit être définie la date d'échéance théorique de cette (ou ces) concession(s).

Naturellement, la formule permettant de calculer cette date d'échéance théorique varie selon qu'est positive, négative ou nulle la variable « E » mentionnée à l'article R. 521-61 du code de l'énergie, qui correspond à la valeur actualisée nette des flux de trésorerie pendant la période de prorogation de la concession, augmentée des investissements de remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d'échéance de la concession et qui ont été réalisés après cette date.

En l’espèce, le litige portait sur le point de savoir quels flux de trésorerie doivent être pris en compte lorsque la variable « E » est nulle ou négative, la requérante soutenant sur ce point l’illégalité des dispositions de l’art. R. 521-61 du code précité.

Le Conseil d’État relève tout d’abord que l’art. L. 521-16-1 (al. 4) du code précité dispose que seuls les flux de trésorerie correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire durant cette période, à l'exclusion de ceux qui visent seulement à la remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d'échéance de la concession, et qui ont été réalisés après cette date, doivent être pris en compte pour la détermination de la date commune d'échéance des concessions regroupées.

Cette disposition a pour but évident d'inciter le concessionnaire à poursuivre ses investissements pendant cette période, indépendamment du caractère excédentaire ou déficitaire de son exploitation.

Or le juge constate ensuite que l’art. R. 521-61 précité décide, lorsque la variable « E » est nulle ou négative, que doit être pris en compte pour le calcul de la date commune d'échéance des concessions regroupées l'ensemble des flux de trésorerie réalisés dans le cadre de la concession en « délais glissants ». Cette disposition méconnaît ainsi directement, en tenant compte de flux de trésorerie autres que ceux correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire pendant la période de « délais glissants », l’art. L. 521-16-1 dudit code pour l’application duquel elle a été prise alors que celui-ci énonce très clairement – comme indiqué plus haut - que dans l’hypothèse ici en cause seuls les flux de trésorerie correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire durant cette période doivent être pris en compte.

(12 avril 2022, Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), n° 434438)

 

89 - Président d’une société exerçant du lobbying auprès des pouvoirs publics – Personne classée dans une catégorie de risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme en raison de sa profession – Appréciation dénuée d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Le président d’une société exerçant du lobbying auprès des pouvoirs publics s’est vu demander par sa banque - sur le fondement des dispositions des art. L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier - un certain nombre de documents et d’informations en raison de ce que cette activité présente un risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme qui fait considérer l’intéressé comme « politiquement exposé ».

Estimant cette demande injustifiée, il a saisi l’Autorité de contrôle prudentiel (APC) aux fins qu’elle sanction ladite banque à raison de son comportement à son égard. Cette demande ayant été rejetée, il a saisi le Conseil d’État.

Celui-ci rejette le pourvoi en relevant que l’ACP n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que le classement du requérant, par sa banque, dans une catégorie de risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme en raison de sa profession, et qu'en conséquence elle avait pu lui demander des informations de même nature que celles demandées aux personnes politiquement exposées. Le Conseil d’Etat juge que la décision de l’ACP n'était pas de nature à justifier l'ouverture d'une procédure de sanction à son encontre, cela alors même qu’il ne serait pas lui-même une « personne politiquement exposée ». 

On regrettera que le Conseil d’État n’exerce sur une telle décision qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation alors qu’elle est d’une extrême gravité par ses conséquences possibles comme par la réprobation morale qu’elle comporte ainsi qu’en raison de l’atteinte envers la dignité des personnes qui la sous-tend.

Au surplus, il est certain qu’en raison des moyens et de la puissance de stockage de cette information il en demeurera trace ad perpetuam (rei memoriam) même si elle est infondée.

(15 avril 2022, M. D., n° 450459)

(90) V. aussi, rejetant un recours contre la décision du 9 mars 2021 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a adressé une mise en garde à une société d’assurances, sur le fondement de l'article L. 612-30 du code monétaire et financier, à l'encontre de la poursuite de pratiques tenant à la communication d'informations inexactes ou imprécises concernant la solvabilité de la société d'assurance de droit danois Gefion Insurance et au renouvellement anticipé de contrats d'assurance souscrits auprès de cet assureur partenaire : 15 avril 2022, Société TCA Assurances, n° 452307.

 

Droit social et action sociale

 

91 - Représentativité syndicale dans le champ d’une convention collective – Personnel des offices publics de l’habitat (art. L. 421-1 et s. c. de la construct. et de l’habitat.) – Décision ministérielle définissant les audiences respectives des différents syndicats – Application des critères posés par le code du travail – Compétence en premier ressort de la cour administrative d’appel de Paris - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la décision de la ministre du travail du 6 février 2018 établissant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat (IDCC n° 3220).

Concernant la compétence juridictionnelle, le Conseil d’État confirme implicitement le jugement du tribunal administratif primitivement saisi, mais à tort : le litige relève bien de la compétence de premier ressort de la cour administrative d’appel de Paris par application du 1° de l’art. R. 351-3 CJA.

Ensuite, au fond, les divers moyens soulevés sont rejetés.

Concernant la légalité externe de la décision contestée, celle-ci a bien été prise par un agent compétent en vertu de la délégation de signature dont il disposait et après consultation du Haut Conseil du dialogue social (HCDS), par ailleurs elle n’avait pas à être motivée.

Concernant la légalité interne, il est tout d’abord jugé qu’est inopérant le grief développé à l’encontre de la décision attaquée dès lors que la présomption de représentativité fixée par les I et III de l’art. 11 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a, en vertu de ces dispositions, une durée de quatre années. Ensuite, la dernière mesure de représentativité ayant eu lieu le 4 décembre 2014, il ne saurait être reproché à la décision querellée, prise le 6 février 2018, de ne pas respecter la représentativité issue des élections, très postérieures à cette décision, du 6 décembre 2018.

Egalement, en regroupant les collèges comprenant les agents de maîtrise et assimilés ainsi que les cadres pour mesurer l'audience de la CFE-CGC la décision attaquée fait une correcte application des dispositions de l’art. L. 2122-7 du code du travail.

Enfin, la ministre défenderesse n’a pas commis d’erreur de droit en estimant, au vu des critères fixés par le code du travail, que l'UNSA OPH n'était pas au nombre des organisations syndicales représentatives dans le champ de la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat, et que, par suite, alors même qu'elle avait signé cette convention, elle n'avait pas à figurer dans la liste des organisations syndicales représentatives.

(6 avril 2022, Syndicat UNSA OPH et autres, n° 434612)

 

92 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Validation par le directeur régional des entreprises - Non satisfaction au critère de transparence financière – Non publicité des comptes – Rejet.

Un directeur régional des entreprises a validé le 16 septembre 2019 l'accord collectif signé le 23 août 2019 entre la société Imprimerie du Midi et les organisations syndicales FILPAC-CGT Midi Libre et FO relatif à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société.

Le tribunal administratif a rejeté la demande du Syndicat Sud Industrie 34 et de M. B. La cour administrative d’appel a annulé ce jugement et la décision du directeur régional des entreprises.

Le Conseil d’État, saisi par un pourvoi en cassation fait siennes les solutions de la cour qui ne sont entachées ni d’erreur de droit ni d’inexacte qualification des faits.

La cour a estimé que l'administration, saisie d'une demande de validation d'un accord d'entreprise portant plan de sauvegarde de l'emploi doit vérifier, d’une part, que cet accord a été régulièrement signé pour le compte d'une ou de plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise et d’autre part que le ou les syndicats signataires satisfont aux critères de représentativité énoncés par l'article L. 2121-1 du code du travail, dont celui de transparence financière. C’est donc sans erreur de droit qu’elle a jugé irrégulière la validation par l’administration d’un PSE dès lors que l'une des organisations syndicales signataires, ayant obtenu 80% des suffrages lors du premier tour des élections professionnelles, ne satisfaisait pas, à la date de la signature de cet accord, au critère de transparence financière requis par les dispositions de l'article L. 2121-1 du code du travail, peu important que la représentativité de ce syndicat n'eût pas été contestée devant le juge judiciaire à l'occasion du contentieux des élections professionnelles.

La cour, pour juger non satisfait le critère de transparence financière, s’est d’abord fondée sur ce que le syndicat FILPAC-CGT Midi Libre n'avait publié sur son site internet, au titre du dernier exercice clos ayant précédé la signature de l'accord, ainsi que, d'ailleurs, des deux exercices l'ayant précédé, que ses bilans simplifiés, tandis que ses comptes de résultats simplifiés ainsi que le tableau annexe de ses ressources n'ont quant à eux fait l'objet d'aucune mesure de publicité. Elle s’est ensuite également fondée sur ce qu'il n'était pas soutenu qu'aurait été mise en œuvre une mesure de publicité équivalente.

C’est à juste titre qu’elle a jugé que l'accord ne pouvait pas, par suite, être légalement homologué par l'administration.

(6 avril 2022, Société Imprimerie du Midi, n° 444460 ; Syndicat Filpac-CGT Midi Libre, n° 444447 ; Ministre du travail, n° 444642)

 

93 - Licenciement d’un salarié protégé – Vérification administrative du caractère sérieux de la recherche d’un reclassement par l’employeur– Contrôle du juge – Contrôle global de cette vérification – Erreur portant sur un détail de cette approche globale – Erreur ne devant pas être retenue – Annulation.

L’une des tâches de l’inspection du travail lors du licenciement d’un salarié protégé consiste à s’assurer que l’employeur s’est bien livré à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié sur le territoire national ainsi que, lorsque le salarié l'a demandé, hors du territoire national. En l’espèce, la cour administrative d’appel avait annulé l’autorisation de licenciement au motif qu’elle comportait une erreur en ce qu’elle indiquait que l’intéressé n’avait pas souhaité recevoir des offres de reclassement à l’étranger.

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour ne devait pas s’arrêter à ce détail mais s’assurer que l’obligation légale de reclassement imposée à l’employeur avait bien été respectée en l’espèce tant en ce qui concerne un reclassement sur le territoire national que pour ce qui regarde un reclassement en dehors de ce territoire « sans s'arrêter sur une erreur susceptible d'émailler, dans le détail de la motivation de la décision attaquée, une des étapes intermédiaires de l'analyse portée sur ce point par l'autorité administrative ».

La solution est nouvelle et se discute car affirmer qu’un salarié n’a pas demandé un reclassement hors territoire national alors qu’il l’a demandé et prétendre que l’autorisation donnée sur cette base pourrait néanmoins ne pas être illégale est assez acrobatique.

(12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442338)

(94) Voir aussi, identiques et concernant la même société : 12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442339 ; 12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442340.

(95) V. également, confirmant l’assouplissement du contrôle contentieux de la correcte application par l’administration du travail, de son obligation de vérifier, en cas de licenciement d’un salarié protégé, la recherche sérieuse par l’employeur (ici par l’administrateur judiciaire) de possibilités de reclassement de l’intéressé : 12 avril 2022, Société ACM, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRM Mobilier, n° 443229, n° 443231 et n° 443232, trois espèces.

 

96 - Licenciement d'un salarié protégé - Dénonciation de faits susceptibles d'une qualification pénale - Licenciement à raison de cette dénonciation - Conditions de régularité - Absence - Annulation.

Un salarié membre du comité d'entreprise a signalé à diverses administrations et autres des faits commis par des salariés et des responsables de la société employeur susceptibles de recevoir une qualification pénale et notamment celle du délit d'abus de biens sociaux. Après que cette société a obtenu du ministre du travail l'autorisation administrative de licenciement et qu'il a été licencié, l'intéressé a saisi le juge administratif. La cour administrative d'appel a, par arrêt confirmatif, rejeté le recours dirigé contre l'autorisation de licenciement.

Il saisit le Conseil d'État d'un pourvoi contre cet arrêt.

Le coeur du débat se concentre sur les dispositions de l'art. L. 1132-3-3 du code du travail. Selon ce texte (cf. son 1er alinéa), le licenciement d'un salarié protégé pour dénonciation de faits pénalement répréhensibles n'est pas possible lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : les faits dénoncés doivent être susceptibles d'être qualifiés crime ou délit, ils doivent avoir été connus dans l'exercice des fonctions et leur dénonciation doit avoir été faite de bonne foi.

En l'espèce, pour annuler l'arrêt déféré à sa censure, le juge de cassation relève qu'en jugeant que la dénonciation a porté sur des faits non étayés et qu'ainsi, même s'il a agi dans l'exercice de ses fonctions, le salarié n'en a pas moins commis une faute, la cour n'a pas correctement appliqué les dispositions de l'art. L. 1132-3-3 du code du travail, spécialement celles de son troisième alinéa.

(27 avril 2022, M. I., n° 437735)

 

97 - Revenu de solidarité active (RSA) – Fausse déclaration de revenus ou omission délibérée – Sanction par une amende administrative – Prescription de l’action – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 262-52 du code de l’action sociale et des familles que la fausse déclaration ou l'omission délibérée de déclaration ayant abouti au versement indu du RSA est passible d'une amende administrative. Toutefois, le président du conseil départemental ne peut sanctionner par cette amende que des fausses déclarations ou des omissions délibérées de déclaration ayant abouti à un versement indu du RSA qui s'est poursuivi moins de deux ans avant la date à laquelle il prononce cette amende. 

Ici le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant légal le prononcé, par le président du conseil départemental, le 9 juillet 2019, d’une amende administrative à raison de perceptions indues du RSA au titre de périodes antérieures au 31 mars 2017.

(12 avril 2022, Mme B., n° 453056)

 

98 - Accord collectif de travail – Extension par arrêté ministériel – Refus – Accord incomplet devant être ultérieurement complété – Impossibilité – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’un arrêté interministériel portant extension d'un avenant à la convention collective nationale du golf, en tant qu'il exclut de cette extension les stipulations figurant à son article 9.10.2.

La demande est rejetée au motif qu’un ministre ne peut pas, sans méconnaître les pouvoirs qu'il tient de l’article L. 2261-25 du code du travail, étendre certaines clauses d'un accord collectif de travail sous réserve qu'elles soient complétées par un accord collectif ultérieur dont il n'est pas en mesure d'apprécier, comme il lui appartient pourtant de le faire avant de signer l'arrêté d'extension, la conformité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur. 

En outre, s’il résulte du dernier alinéa de cet article L. 2261-25 que l'entrée en vigueur de clauses étendues peut être subordonnée à l'existence d'une convention d'entreprise prévoyant des stipulations complémentaires, il résulte des termes mêmes de l'article L. 6324-3 du code du travail qu'il n'appartient qu'à un accord collectif de branche étendu de définir la liste des certifications professionnelles éligibles à la reconversion ou à la promotion par alternance. Par suite c’est sans erreur de droit que le ministre concerné a estimé que le caractère incomplet de l'article 9.10.2 de l'avenant n° 75 du 24 janvier 2019 au regard de l'article L. 6324-3 du code du travail faisait obstacle à qu’il procède à son extension. 

(12 avril 2022, Syndicat national de l'éducation permanente, de la formation, de l'animation, de l'hébergement, du sport et du tourisme Force ouvrière (SNEPAT-FO) et fédération Force ouvrière des employés et cadres, n° 442247)

 

99 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Autorisation de licenciements de salariés protégés pour motif économique - Appréciation de leur légalité sur renvois préjudiciels - Situation économique appréciée au niveau de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité - Rejet.

Dans le cadre d'un PSE, l'inspection du travail a autorisé le licenciement de plusieurs salariés protégés motif pris de la nécessité de maintenir la compétitivité de l'entreprise requérante.

Sur renvoi préjudiciel de neuf jugements du juge judiciaire en appréciation de la légalité de ces autorisations, le tribunal administratif s'est fondé, pour porter cette appréciation, notamment s'agissant de la compétitivité, sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause.

Cette façon de procéder, critiquée par le pourvoi, est approuvée par le juge de cassation et elle est d'ailleurs conforme à la jurisprudence de ce dernier en ce domaine.

C'est donc par une exacte appréciation des faits que le tribunal a constaté, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que la société requérante détient de manière directe ou indirecte plusieurs filiales à 100 %, qu'elle a constitué des coentreprises - ou « joint-venture » - avec des tiers pour les besoins de ses activités et que la division « mousse souple » (polyuréthane) de ce groupe est organisée entre, d'une part, le pôle « Eurofoam » « construit autour d'une joint-venture détenue à 50 % par le groupe Recticel et à 50 % par le groupe Greiner », et d'autre part, le pôle « 100 % Recticel » « composé des sociétés historiques du groupe Recticel, détenues à 100 % par la société Recticel NV/SA », dont la société Recticel SAS, spécialisée dans la production de mousse souple.

C'est également sans erreur de droit que le tribunal en a déduit que la menace sur la compétitivité de l'entreprise Recticel SAS, invoquée par cette dernière pour justifier les licenciements litigieux, devait s'apprécier, au sein du groupe contrôlé par la société Recticel NV/SA, au niveau du secteur d'activité constitué du pôle « Eurofoam » et du pôle « 100% Recticel ».

C'est donc à bon droit que le tribunal administratif a jugé, en prenant en compte ce périmètre, que l'autorité administrative avait illégalement accordé les autorisations de licenciement sollicitées : la menace pour la compétitivité alléguée par la société Recticel SAS n'était pas établie au niveau du secteur d'activité en cause. 

(27 avril 2022, Société Recticel SAS, n°s 441784, 441786, 441788, 441789, 441790, 441792, 441793, 441794 et 441795)

 

100 - Pôle emploi - Extension d'un avenant à la convention collective nationale de cet établissement public administratif - Compétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre l'arrêté ministériel portant extension - Rejet.

Le syndicat demandeur contestait la légalité de l'arrêté ministériel du 15 janvier 2020 par lequel la ministre du travail a étendu les stipulations de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle emploi, lequel a été agréé par un arrêté du 22 novembre 2019 de la ministre du travail et du ministre de l'action et des comptes publics.

Outre les questions de fond soulevées à cet égard et dont tous les moyens y relatifs sont rejetés, le Conseil d'État tranche implicitement mais nécessairement en faveur de la compétence du juge administratif pour connaître des litiges nés d'extensions de la convention collective nationale de Pôle emploi.

La solution, pour inédite qu'elle soit, est logique : si le personnel de Pôle emploi relève – ce qui n’est guère judicieux - du droit privé, cet organisme est un établissement public administratif et ses salariés sont chargés par la loi d'une mission de service public.

(27 avril 2022, Fédération Force ouvrière des employés et cadres, n° 440521)

 

101 - Revenu de solidarité active (RSA) - Revenus tirés d'une activité professionnelle – Produit d'une sous-location d'appartement - Conditions de prise en compte - Absence de bénéfice tiré de cette sous-location - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, le jugement qui estime que doit être pris en compte pour le calcul des droits au revenu de solidarité active le sous-loyer que son bénéficiaire perçoit de la sous-location d'une partie du logement qu'il occupe lui-même en qualité de locataire, alors même que celui-ci fait valoir qu'il n'en retire aucun bénéfice, cette sous-location lui ayant seulement permis de faire face à ses charges locatives en y contribuant partiellement. Cette annulation entraîne subséquemment - sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de cassation dirigés à son encontre - celle du jugement qui estime fondée la contrainte délivrée par un organisme social en vue de la répétition de l'indu prétendument né de cette sous-location.

(12 avril 2022, M. L., n° 440736)

 

102 - Emploi d'un étranger non muni d'une autorisation d'exercer en France une activité salariée - Infraction réprimée au moyen d'une contribution spéciale forfaitaire - Obligation de s'assurer de la proportionnalité de la sanction en cas d'invocation des difficultés financières de l'entreprise - Absence - Annulation.

Pour avoir employé un étranger non muni de l'autorisation administrative d'exercer une activité salariée en France la société requérante est condamnée à près de vingt mille euros de contribution spéciale forfaitaire (17700,00 euros) et de frais de réacheminement de l'employé (2124,00 euros).

Celle-ci, reconnaissant l'infraction, invoquait des circonstances propres à l'espèce, notamment des difficultés financières en résultant. La cour administrative d'appel a refusé de les examiner. Le Conseil d'État est à la cassation car il incombait à la cour pour exercer son plein contrôle sur la proportionnalité de la sanction, d'examiner si, au regard de la nature et de la gravité des agissements, il n'était pas justifié, en dépit de l'exigence de répression effective des infractions, que la société soit, à titre exceptionnel, dispensée de cette sanction. 

Il faut regretter cette propension du juge, qui diffuse partout désormais, de tailler des croupières aux textes législatifs sous prétexte de proportionnalité et autres considérations semblables. Aucun traité international ou autre norme quelconque ne peut fonder la subversion de l'ordre démocratique selon lequel le peuple, directement ou par ses représentants, au rang desquels ne se trouve pas le juge, même constitutionnel, a seul le pouvoir de vouloir en son nom et de décider. Donner au juge un pouvoir de réformation des règles et tarifs fixés par le législateur est un attentat contre cet ordre que les citoyens peuvent seul juger socialement désirable. C'est ici le lieu de rappeler ce principe cardinal énoncé par Montesquieu et qui à ses yeux de magistrat avait vertu d'évidence : les juges n'ont que le pouvoir d'empêcher non celui de statuer. Il appartient au législateur de se prémunir contre ces basses manoeuvres de contournement et de grignotage du plus vilain effet.

(12 avril 2022, Sarl Majesty Pizza, n° 449684)

 

103 - Liberté syndicale - Accord de méthode sur les conditions de participation à une négociation collective - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

En vue de négociations collectives à venir au sein du grand hôpital de l'Est francilien, un accord de méthode a été conclu entre les organisations syndicales et la direction de cet hôpital sur les conditions de ces négociations. L'organisation requérante considère que sur trois points cet accord porte atteinte à la liberté syndicale dans la fonction publique. Sa demande en référé liberté est rejetée.

Le juge des référés du Conseil d'État estime qu'il n'est porté atteinte à cette liberté :

- ni par la stipulation de l'accord selon laquelle chaque organisation syndicale doit désigner les personnes habilitées à négocier parmi les agents en position d'activité au sein de l'hôpital car si elle ne permet pas la participation du secrétaire général actuel du syndicat requérant, qui est retraité, elle n'empêche pas ledit syndicat de désigner tel de ses membres en activité ;

- ni non plus par la stipulation de l'accord critiqué décidant que le nombre de représentants habilités à négocier par chaque organisation syndicale est au plus égal à la moitié des membres élus titulaires du comité technique d'établissement ;

- ni non plus, enfin, par l'engagement pris par les organisations syndicales signataires de l'accord de méthode de s'engager à ne pas communiquer sur les négociations pendant toute la durée de celles-ci, dans le but de contribuer à leur bon déroulement.

(ord. réf. 19 avril 2022, Syndicat Union fédérale autonome santé (UFAS) du grand hôpital de l'Est francilien, n° 462991)

 

104 - Conseiller prud'homme - Première élection - Obligation de formation dans un certain délai à l'exercice de sa fonction juridictionnelle - Circonstance d'un congé maladie ou d'un congé maternité sans effet sur la sanction pour non respect du délai - Démission d'office - Rejet.

L'art. L. 1442-1 du code du travail impose à tout conseiller prud'homme désigné pour la première fois de suivre, dans les quinze mois à compter du premier jour du deuxième mois suivant sa désignation, une formation à l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, à défaut l'intéressé(e) est réputé démissionnaire d'office par le premier président de la cour d'appel.

Ce dernier, pour apprécier l'éventuel non respect de ce délai, ne peut pas tenir compte de circonstances, telles que le placement de l'intéressé en congé de maladie ou en congé de maternité, qui l'auraient mis dans l'impossibilité de remplir cette obligation dans le délai fixé. Par suite c'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'en prenant une telle décision le chef de cour se borne à qualifier juridiquement le manquement à l'obligation de formation initiale et à constater la violation des dispositions précitées du code du travail, sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l'espèce.

Le pourvoi est rejeté.

(21 avril 2022, Mme H. K. et Union des syndicats CGT de Paris, n° 449255)

(105) V. aussi, solution identique : 21 avril 2022, Mme E. G. et Union des syndicats CGT de Paris, n° 449262.

 

106 - Revenu de solidarité active (RSA) - Travailleur indépendant - Demande de remise gracieuse d'un indu de RSA - Pouvoirs et devoirs du juge - Compassion jurisprudentielle - Annulation.

Cette décision constitue une nouvelle illustration, en matière de contentieux sociaux, de l'exercice compassionnel de la fonction juridictionnelle.

Réitérant un certain courant jurisprudentiel dans l'exercice de la juridiction gracieuse en matière de RSA (V. par ex. : 15 juin 2009, Département de la Manche, n° 320040 ; 17 novembre 2017, M. Rodriguez, n° 400606) le Conseil d'État rappelle en ces termes la conduite à tenir.

« Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision rejetant une demande de remise gracieuse d'un indu de RSA, il appartient au juge administratif d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise.

Lorsque l'indu résulte de ce que l'allocataire a manqué à ses obligations déclaratives, il y a lieu, pour apprécier la condition de bonne foi de l'intéressé, hors les hypothèses où les omissions déclaratives révèlent une volonté manifeste de dissimulation ou, à l'inverse, portent sur des éléments dépourvus d'incidence sur le droit de l'intéressé au revenu de solidarité active ou sur son montant, de tenir compte de la nature des éléments ainsi omis, de l'information reçue et notamment, le cas échéant, de la présentation du formulaire de déclaration des ressources, du caractère réitéré ou non de l'omission, des justifications données par l'intéressé ainsi que de toute autre circonstance de nature à établir que l'allocataire pouvait de bonne foi ignorer qu'il était tenu de déclarer les éléments omis »

La décision précitée de 2017 précisait en outre que : « A cet égard, si l'allocataire a pu légitimement, notamment eu égard à la nature du revenu en cause et de l'information reçue, ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises, la réitération de l'omission ne saurait alors suffire à caractériser une fausse déclaration. »

(26 avril 2022, Métropole de Lyon, n° 441370)

 

107 - Revenu de solidarité active (RSA) - Octroi subordonné à une recherche d'emploi ou d'insertion sociale - Pouvoirs du président du conseil départemental - Annulation.

Si toute personne bénéficiant du RSA est, en contrepartie du droit à l'allocation, tenue à des obligations en matière de recherche d'emploi ou d'insertion sociale ou professionnelle et si le président du conseil départemental est en droit de suspendre le versement du revenu de solidarité active, il ne peut ni réviser à titre rétroactif les droits au RSA d'un bénéficiaire au motif d'inaccomplissement des démarches prévues, ni fonder un refus d'ouverture de droits au RSA sur un tel motif, sauf à ce que le demandeur ait fait l'objet d'une décision préalable de suspension de ses droits et n'ait pas signé un projet personnalisé d'accès à l'emploi ou l'un des contrats prévus aux articles L. 262-35 et L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles. 

(26 avril 2022, M. Fino, n° 453176)

 

Élections et financement de la vie politique

 

108 - Élection des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires – Scrutin de liste à un tour, à la représentation proportionnelle avec utilisation de la règle de la plus forte moyenne – Demande d’annulation partielle des opérations électorales – Conditions – Rejet.

La recevabilité d’une demande d’annulation partielle d’élections tendant à la désignation des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires dont l’élection a lieu dans le cadre d’un scrutin à un tour, à la représentation proportionnelle avec utilisation de la règle de la plus forte moyenne, est limitée à la satisfaction de l’une des quatre conditions suivantes en raison du caractère indivisible de l’attribution des sièges.

Les griefs au soutien de la protestation ne peuvent porter que sur l'inéligibilité d'un ou de plusieurs candidats ou bien sont susceptibles de conduire au prononcé de l'inéligibilité d'un ou de plusieurs élus, ou encore portent sur l'incompatibilité des fonctions d'un ou de plusieurs candidats avec le mandat de conseiller des Français de l'étranger ou de délégué consulaire, ou enfin permettent au juge de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix.

En l’espèce la demande en ce sens est rejetée faute de satisfaire à l’une des ces conditions limitativement énumérées.

(7 avril 2022, M. D. et M. H., n° 453234)

(109) Voir aussi, rejetant une protestation dirigée contre le déroulement électronique des opérations électorales dans la circonscription du Paraguay parce que l’absence du nom complet d’un candidat n’a pu tromper aucun électeur et parce que l’affirmation de l’impossibilité pour certains électeurs de voter faute que l’administration leur ait adressé un authentifiant n’est pas étayée : 7 avril 2022, M. F., n°454063.

(110) Voir également, rejetant une protestation électorale relative à l’élection de quatre conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger dans la circonscription de l'Afrique occidentale fondée sur ce que sur les 22 suffrages exprimés (sur 25 électeurs inscrits) un bulletin présentait une irrégularité dans la taille des caractères imprimés sur celui-ci, chaque électeur imprimant lui-même son bulletin à partir d’un fichier numérisé et cette légère différence ne constituant ni un signe de reconnaissance de la part d’un électeur, ni une modification du modèle du bulletin de vote produit par une liste, ni comme susceptible d'affecter la désignation de la liste en faveur de laquelle le bulletin incriminé a été utilisé, elle n'a donc pu porter atteinte ni au secret du vote ni à la sincérité du scrutin : 7 avril 2022, M. A., n° 459522.

(111) V. encore, rejetant le grief d'irrégularité de certains bulletins et rectifiant les résultats du scrutin pour la circonscription d'Europe centrale et orientale : 26 avril 2022, M. H., n° 459373 ; M. M., n° 460304.

 

112 - Élections au conseil départemental – Très faible taux de participation – Circonstance indifférente à la régularité de l’élection – Rejet.

Rappel de ce que la faiblesse insigne du taux de participation à des élections n’entache pas d’irrégularité ou d’illégalité les résultats du scrutin. Il n’en irait autrement que si cette faiblesse traduis ait une situation de crainte, de peur de représailles ou autre qui caractériserait une atteinte à la libre expression du suffrage.

Pour le reste c’est bien évidemment à leur conscience que les élus sont renvoyés pour déterminer si le ridicule arithmétique des conditions de leur élection les atteint ou leur est indifférent…

(12 avril 2022, Élections départementales de l’Aisne, canton de Laon-I, n° 459807)

 

113 - Élections municipales - Accusations injurieuses par tracts - Gravité de la mise en cause d'un candidat figurant sur une liste - Impossibilité d'une défense ou réponse utile - Faible écart des voix - Confirmation de l'annulation du second tour des élections.

Le Conseil d'État confirme la décision des premiers juges d'annuler le second tour d'élections municipales en jugeant qu'un tract injurieux mettant gravement en cause la moralité d'un des candidats figurant sur une liste, diffusé dans une soixantaine de boîtes à lettres au moins et largement commenté sur les réseaux sociaux, n'avait pu faire l'objet d'une défense utile même en prenant en considération le délai écoulé entre sa distribution et le second tour du scrutin, la circonstance que la liste concernée ait pu diffuser, dans ce délai, un tract condamnant ces accusations, sans les imputer à qui que ce soit, ou encore la circonstance que les candidats figurant sur la liste adverse auraient été étrangers à la diffusion du tract litigieux. En effet, le juge relève qu'aucun de ces éléments n'a pu notablement réduire les effets des imputations portées dans ce tract.

(14 avril 2022, Mme O., Él. mun. de Pugny-Chatenod, n° 446922)

 

114 - Élection présidentielle - Covid-19 - Sortie de crise sanitaire - Suppression de l'obligation du port du masque et du respect de la distanciation dans les lieux publics - Circonstance d'une élection présidentielle - Circulaire ministérielle et addendum sanitaire à cet effet - Rejet.

(ord. réf. 7 avril 2022, M. A. et M. B. n° 462909)

V. n° 183

 

115 - Élection présidentielle - Demande d'annulation de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant la liste des candidats à cette élection - Demande de suspension de cette élection - Demande d'assignation en justice des membres du Conseil constitutionnel - Demande de mise en place d'un comité de suspension confiée au groupement requérant - Incompétence manifeste du Conseil d'État - Rejet.

Avec un tel florilège de demandes adressées au juge des référés du Conseil d'État il n'y avait pas grand risque à en prédire l'échec. Un regret cependant, pour donner à la chose tout son prix si l'on peut dire : l'absence d'amende pour recours abusif.

(ord. réf. 7 avril 2022, Syndicat anti-fraude, anti-corruption, justice et Mme B., n° 462964)

(116) V. aussi, le rejet du recours eiusdem farinae tendant à voir le Conseil d'État suspendre l'exécution de la décision du 7 mars 2022 du Conseil constitutionnel portant liste officielle des candidats à l'élection à la présidence de la république de 2022 et valider la candidature du requérant à cette élection : ord. réf. 7 avril 2022, M. B., n° 462967

(117) V. également, le rejet d'un recours en référé suspension par lequel il était demandé au juge ad hoc du Conseil d'État de procéder à l'invalidation de la candidature de M. A. par l'annulation de la décision n° 2022-187 PDR du 7 mars 2022 portant liste des candidats à l'élection à la présidence de la république de 2022 : ord. réf. 8 avril 2022, Association Le Peuple de France et M. D., n° 463024.

(118) V., assez pittoresque, le rejet, pour incompétence du Conseil d’État, de la demande d’annulation du second tour des élections présidentielles du 23 avril 2022 en même temps que de la demande de suspension de son titulaire actuel, des fonctions de président de la république à raison d’un état de santé incompatible avec ces fonctions : ord. réf. 22 avril 2022, Mme A., n° 463347.

 

119 - Élection présidentielle - Vote des Français de l'étranger - Impossibilité de voter à Shanghaï - Décision des autorités locales - Rejet.

Le requérant demandait la suspension d'exécution de la décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, révélée par un communiqué publié sur le site internet de l'ambassade de France en Chine le 22 avril 2022, de ne pas ouvrir le bureau de vote de Shanghaï pour le second tour de l'élection présidentielle, le dimanche 24 avril 2022.

Pour rejeter ce recours, le juge des référés du Conseil d'État se fonde sur ce que les autorités chinoises de Shanghaï - sollicitées en ce sens par le consul général de France dans cette ville - ont réitéré, par oral, leur refus d'autoriser l'ouverture de bureaux de vote en vue du second tour des élections présidentielles à raison du strict confinement imposé pour lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19.

S'instaure ainsi une règle implicite : ne peut être discutée au contentieux une décision prise par des autorités nationales étrangères conduisant à interdire l'accès à et/ou l'ouverture de bureaux de vote pour les Français résidant à l'étranger. Si l'on peut admettre une solution bien proche du régime de l'acte de gouvernement, il est regrettable que l'on ne songe pas à la contourner d'élégante façon en réinstaurant, surtout pour cette élection, le vote électronique qui a très bien fonctionné chaque fois où il a été appliqué.

Il ne faudrait pas croire que le cas ici en cause est isolé : ainsi, en Italie, tout Français atteint de Covid-19 n'a pu se rendre aux urnes lors de cette même élection présidentielle.

Il faut retenir que les bureaux de vote à l'étranger couvrent de vastes territoires concernant donc plusieurs centaines voire milliers de personnes.

Enfin, le délai d'établissement des procurations ne permet pas de couvrir les cas apparus dans les dernières semaines avant le scrutin.

(ord. réf. 23 avril 2022, M. A., n° 463437)

 

120 - Élections régionales - Compte de campagne - Absence de dépôt et de réponse à une mise en demeure de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques - Inéligibilité confirmée.

Saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le Conseil d'État inflige à la tête de liste, en région Guadeloupe, une inéligibilité de dix-huit mois à compter de sa décision pour non dépôt du compte de campagne dans le délai imparti et non réponse à la mise en demeure adressée par la Commission.

Cette omission constitue, en effet, compte tenu de l'absence d'ambiguïté de la règle applicable et, en l'espèce, de l'absence de toute justification, un manquement caractérisé et délibéré à une obligation substantielle.

(29 avril 2022, Mme A., n° 459494)

(121) V. aussi, la solution identique retenue à propos de ces mêmes élections régionales à l'encontre d'un candidat tête de liste qui, pour justifier le non dépôt de son compte de campagne, invoque la maladie de sa mandataire financier et l'impossibilité pour lui d'accéder au compte bancaire ouvert à cet effet, le juge relevant le peu de preuve de cet état de fait et l'absence de réponse de sa part à la demande d'observations puis à la mise en demeure qui lui ont par la suite été adressées par la Commission : 29 avril 2022, M. D., n° 459495.

 

Environnement

 

122 - Études de dangers concernant les gares de triage – Demande d’annulation partielle de la note technique ministérielle en ce sens – Compétence de son auteur – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

L’association recherchait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le point 2.1 de la note technique du 22 juin 2015 de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relative aux études de dangers remises en application de l'article L. 551-2 du code de l'environnement et au porter-à-connaissance concernant les gares de triage.

Le premier alinéa de l’art. L. 551-2 du code de l’environnement prévoit que : « Lorsque du fait du stationnement, chargement ou déchargement de véhicules ou d'engins de transport contenant des matières dangereuses, l'exploitation d'un ouvrage d'infrastructure routière, ferroviaire, portuaire ou de navigation intérieure ou d'une installation multimodale peut présenter de graves dangers pour la sécurité des populations, la salubrité et la santé publiques, directement ou par pollution du milieu, une étude de dangers est réalisée et fournie à l'autorité administrative compétente. Un décret en Conseil d'État précise selon les ouvrages d'infrastructure si cette étude est réalisée par le maître d'ouvrage, le gestionnaire de l'infrastructure, le propriétaire, l'exploitant ou l'opérateur lorsque ceux-ci sont différents. Cette étude est mise à jour au moins tous les cinq ans.(…) ». L’art. R. 551-1 de ce code dispose notamment que cette étude de dangers « En tant que de besoin, (…) donne lieu à une analyse de risques qui prend en compte la probabilité d'occurrence, la cinétique et la gravité des accidents potentiels, que leur cause soit interne ou externe, selon une méthodologie qu'elle explicite. Elle définit et justifie les mesures propres à réduire la probabilité et les effets de ces accidents. »

Sur le fondement de ce dernier texte un arrêté interministériel du 18 décembre 2009 énumère les critères techniques et méthodologiques à prendre en compte pour les études de dangers des ouvrages d'infrastructures de transport où stationnent, sont chargés ou déchargés des véhicules ou des engins de transport contenant des matières dangereuses. Cet arrêté énonce notamment la liste minimale des phénomènes dangereux et des scenarii-types à prendre en compte.

La note technique litigieuse a pour objet de compléter cet arrêté en tant qu’elle définit les phénomènes dangereux à considérer et les probabilités d'occurrence à utiliser. Selon son point 2, objet du présent recours en annulation, suite à une étude relative à l'accidentologie sur les gares de triages européennes menée en 2013, énumère les dispositions que devront prendre en compte les prochaines études de dangers ou leurs révisions : la localisation des phénomènes dangereux (point 2.1) et leur probabilité (point 2.2). En particulier, le point 2.1 de la note précise que « dans les prochaines études de dangers ou leurs révisions, l'origine des phénomènes dangereux étudiés sera considérée comme limitée à la zone de formation et à la zone de débranchement pour les gares de triage à butte. En l'absence de butte de triage, seul le faisceau de la zone de formation des trains sera pris en compte. » En outre, elle indique que les zones « dites de réception et de départ » quand elles ne se confondent pas avec les zones de formation et de débranchement, « ne présentent pas une accidentologie spécifique justifiant leur prise en compte dans le cadre de la démarche de maîtrise des risques prévue par le code de l'environnement ».

Répondant à un premier argument de la demanderesse, le juge estime que si le législateur a prévu à l’art. L. 551-2 précité qu’un décret en Conseil d’État déterminera les catégories d'ouvrages concernés par l'étude de dangers dont elles prévoient la réalisation ainsi que la personne chargée de la réaliser, le ministre chargé des transports de matières dangereuses n’en est pas moins compétent pour préciser les critères techniques et méthodologiques à prendre en compte dans une telle étude, en les adaptant, le cas échéant, à chaque catégorie d'ouvrages concernée. En apportant, par le point 2.1 de la note contestée, les indications qu’elle contient, la ministre de l'écologie s'est bornée à préciser les critères techniques et méthodologiques applicables à cette catégorie d'ouvrage et n'a pris aucune disposition qui relèverait d'un décret en Conseil d'État en application des dispositions de l'article L. 551-2 du code de l'environnement. Le moyen développé sur ce point par l'association requérante est rejeté car la note n’a pas été prise par une autorité incompétente et ne contrevient pas, par ses dispositions, aux art. R. 551-1 et suivants du code précité.

Est également rejeté le second argument, tiré de la non publication de l'étude d'accidentologie, suite à l’accident survenu en gare de Sibelin en mars 2017, sur laquelle s'est fondée la ministre pour édicter les dispositions contestées car cela n’établit pas que le refus d’abroger les points litigieux de la note précitée serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

(5 avril 2022, Associations Contre le Train en zone Urbaine et pour le Respect de l'Environnement (FRACTURE), n° 452268)

 

123 - Demande de désignation d’une autorité indépendante chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de l’Union (art. 3 règlement (UE) du 16 avril 2004) – Possibilité de désigner la direction d’un ministère – Obligation d’indépendance de cette autorité par rapport à toute organisation intervenant dans ce secteur d’activités – Absence en l’espèce – Annulation.

Les seize associations requérantes demandaient l’annulation du refus implicite opposé par le président de la république et le premier ministre à leur demande de désigner en tant qu’autorité responsable de la procédure des restrictions d’exploitation en vue de lutter contre les nuisances aéroportuaires une personne ou entité indépendante de tout organisme intervenant dans ce secteur au lieu de l’entité désignée en mars 2017.

Elles reprochaient aux intéressés d’avoir désigné à cet effet la direction générale de l'aviation civile qui ne leur apparaît pas présenter les garanties d’indépendance requises par le règlement européen du 16 avril 2004.

Pour accueillir ce moyen et dire irrégulière cette désignation, le Conseil d’État relève qu’en soi une telle désignation ne contrevient pas aux dispositions de ce règlement à condition que soit assurée « l'indépendance de cette autorité, notamment vis-à-vis de toute organisation qui interviendrait dans l'exploitation de l'aéroport, le transport aérien ou la fourniture de services de navigation aérienne, ou qui représenterait les intérêts de ces branches d'activités ainsi que ceux des riverains de l'aéroport. »

Il constate que cette condition fait défaut en l’espèce car « de telles garanties ne ressortent, s'agissant de la direction du transport aérien (sous-direction du développement durable) de la direction générale de l'aviation civile, ni des pièces du dossier ni du décret du 9 juillet 2008 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Au contraire, il résulte de l'article 6 de ce décret, que la tutelle de l'établissement public international Aéroport de Bâle-Mulhouse est assurée, pour la France, par cette direction. Par suite, la désignation de la direction du transport aérien comme autorité chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation méconnaît les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 598/2014 ».

Les décisions refusant d’abroger cette désignation sont irrégulières et injonction est faite au premier ministre de procéder sous six mois à la désignation d’une autorité présentant les garanties d’indépendance exigées par le droit de l’Union.

(5 avril 2022, Association « Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs » (UFCNA) et autres, n° 454440)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 2

 

124 - Autorisation de la réalisation d’un parc éolien en mer – Arrêté d’autorisation ne prévoyant pas la consultation d’un certain organisme – Consultation déjà prévue par un précédent arrêté toujours en vigueur – Absence d’illégalité – Rejet.

L’arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’un parc éolien en mer n’est pas illégal en ce qu’il n’a pas prévu la saisine du comité de gestion et de suivi du parc éolien préalablement à l'adoption du protocole de suivi et de transmission des mesures de surveillance et de contrôle, dès lors que l'obligation de le consulter a été prévue par un arrêté antérieur toujours en vigueur.

(13 avril 2022, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins des Côtes d'Armor, n° 452820)

 

125 - Évaluation de l'incidence de certains projets sur l'environnement - Obligation d'impartialité - Séparation fonctionnelle entre autorité de décision ou autorisation et autorité ce consultation (art. 6 directive du 13 déc. 2011) - Autonomie réelle de l'entité donneuse d'avis - Cas où la compétence d'autorisation appartient au préft de département autre que le préfet de région - Annulation.

Rappel - une nouvelle fois - et cette obligation incessante pour le juge de se répéter a quelque chose d'agaçant,  qu'il se déduit des dispositions de l'art. 6 de la directive du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, que l'autorité qui a rendu l'avis sur un projet de nature à affecter l'environnement doit disposer d'une autonomie réelle en particulier du fait qu'elle dispose de moyens administratifs et humains propres.

Tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le projet (ici d'autorisation d'exploitation d'un parc éolien) a été instruit pour le compte du préfet de département par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, dès lors qu'au sein de cette dernière l'avis n'a pas été préparé par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.

Doit ainsi être annulé pour dénaturation des faits de l'espèce l'arrêt confirmatif attaqué qui a rejeté le grief tiré de l'irrégularité de la consultation.

(13 avril 2022, M. et Mme A. c/ Préfet du Val-de-Loire et Sarl Val de Moines Énergies, n° 447406)

 

126 - Protection des oiseaux - Cas du grand cormoran ou Phalacrocorax carbo sinensis - Quotas préfectoraux des dérogations à l'interdiction de destruction - Absence d'atteinte à la directive « oiseaux sauvages » - Rejet.

La requérante demandait l'annulation de l'arrêté de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 27 août 2019 fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022.

Le Conseil d'État rejette tant les moyens de légalité externe (non examinés ici) que les moyens de légalité interne.

Concernant ces deniers, il estime en premier lieu qu'il n'est pas porté atteinte aux objectifs poursuivis par la directive européenne du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages en raison de l'ensemble des exigences réglementaires encadrant les décisions portant quotas dérogatoires.

En deuxième lieu, l'arrêté litigieux se borne à fixer des plafonds de destructions modulables, sans pouvoir être dépassés, par les préfets en fonction des circonstances locales et lorsque n'y existe aucune autre solution satisfaisante.

En troisième lieu, s'il existe incontestablement un risque de confusion entre deux espèces de grands cormorans, le carbo sinensis et le carbo carbo, cette dernière espèce étant particulièrement vulnérable et protégée - aucune destruction n'étant autorisée -, l'arrêté attaqué a fixé, pour les trois départements où ces deux espèces coexistent, des quotas annuels de destruction très bas, la solution alternative des effarouchements y étant, en dépit de sa moindre efficacité supposée, privilégiée.

(21 avril 2022, Association One Voice, n° 435539)

(127) V. aussi, assez comparable, la solution de rejet de recours en annulation de l'arrêté interministériel du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) : 21 avril 2022, Association One Voice, n° 448136 ;  Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), n° 448185 ; Association FERUS, n° 448210 et 21 avril 2022, Association One Voice, n° 448141 ;  Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), n° 448203 ; Association FERUS, n° 448214, deux espèces)

 

128 - Parc naturel régional - Charte du parc - Rapports avec une autorisation d'implantion ou d'exploitation d'une installation classée pour l'environnement - Obligation de cohérence avec les objectifs définis dans la charte du parc - Erreur ce droit - Annulation avec renvoi.

Dans la présente affaire le Conseil d'État réitère la solution qu'il avait retenue dans un arrêt de Section ayant jugé que l'activité d'extraction de matériaux étant susceptible de provoquer des nuisances environnementales et paysagères, une charte de parc naturel régional peut légalement comporter des mesures précises la concernant (Section 8 février 2012, Union des industries de carrières et matériaux de construction de Rhône-Alpes, n° 321219, Rec. Lebon p. 26).

En l'espèce, la solution antérieure est précisée, sa portée étendue ainsi que son champ d'application.

Il appartient à l'autorité administrative chargée d'autoriser l'implantation et/ou l'exploitation d'une installation classée pour l'environnement dans un parc naturel régional d'assurer la cohérence entre les objectifs de la charte du parc et la décision individuelle d'autorisation.

A cet effet, d'une part, la charte ne peut légalement ni imposer des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard ni subordonner légalement les demandes d'autorisations d'installations classées pour la protection de l'environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur. D'autre part, cependant, le caractère général des orientations définies dans la charte peuvent être mises en oeuvre au moyen de règles de fond précises avec lesquelles les décisions des différentes autorités administratives compétentes doivent être cohérentes, sous réserve de ne pas méconnaître les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu'elles concernent. 

C'est donc par suite d'une erreur de droit que l'arrêt d'appel a jugé inopérant le moyen tiré de ce que pour autoriser l'implantation d'éoliennes le préfet n'avait pas tenu compte de la charte d'un parc naturel régional alors qu'il lui incombait au contraire de vérifier si l'autorisation d'exploitation litigieuse était cohérente avec les orientations fixées par cette charte et ses documents annexes.

(21 avril 2022, Comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie et autres, n° 442953)

 

129 - Principe d'interdiction de perturbation intentionnelle des conditions de vie d'une espèce protégée dont l'état de conservation est défavorable (Cf. art. L. 411-1 du c. env.) - Cas de l'ours brun des Pyrénées - Mesures dérogatoires d'effarouchement - Conditions de légalité - Formes d'effarouchement légales et formes d'effarouchement illégales - Annulation partielle.

Les requérantes poursuivaient l'annulation de l'arrêté du 12 juin 2020 de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.

Le juge relève tout d'abord que, malgré diverses mesures, l'état de conservation de l'espèce « ours brun » n'a pas retrouvé un caractère favorable au sens de l'article 1er de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive « Habitats ».

Il constate ensuite que l'arrêté attaqué ayant pour objet de fixer, à titre expérimental jusqu'au 1er novembre 2020, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques, a prévu en son art. 2 deux formes d'effarouchements après un certain nombre d'attaques de troupeaux par des ours réparties sur un laps de temps déterminé.

Il juge enfin que si la première forme d'effarouchement ou effarouchement simple (par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux) ne porte pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromet pas l'amélioration de l'état de l'espèce, il n'en va pas de même de la seconde forme dite effarouchement renforcé (par des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou de cartouches à double détonation) en l'absence de données scientifiques nouvelles témoignant que les dérogations susceptibles d'être accordées par le préfet ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l'amélioration de l'état de l'espèce.

En conséquence, la dérogation en faveur de cette seconde forme d’effarouchement est annulée.

(22 avril 2022, Association Ferus - Ours, loup, lynx et autres, n° 442676 : Association Sea Shepherd France, n° 442769, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

130 - Acquisition de la nationalité par mariage après déclaration - Opposition du gouvernement - Indignité - Liens avec le service de renseignement de la Tunisie - Rejet.

C'est sans illégalité que le premier ministre, pour s'opposer à l'acquisition de la nationalité par mariage sur déclaration de l'intéressé a retenu notamment les liens que celui-ci avait entretenus et continuait d'entretenir avec les services de renseignement de la Tunisie, ainsi qu'en attestaient ses nombreux contacts avec des autorités françaises et tunisiennes, en particulier l'hébergement, dans les locaux de l'association qu'il préside, d'un diplomate détaché du consulat de Tunisie à Paris.

(26 avril 2022, M. I., n° 449785)

 

Étrangers

 

131 - Refus de délivrance d'un titre de séjour mention « étudiant »,  assorti d'une OQTF - Condition de bourse non remplie - Absence de poursuite de scolarité en France depuis l'âge de seize ans - Attaches familiales en Tunisie - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de contradiction de motifs, sans insuffisance de motivation, sans inexactitude dans la qualification des faits ni dénaturation des faits qu'une cour administrative d'appel juge successivement :

1° qu'une étrangère titulaire d'une bourse de l'enseignement supérieur ne peut demander l'octroi de plein droit d'une carte avec la mention « étudiant », ceci étant réservé aux seuls « boursiers du gouvernement français » c'est-à-dire ceux bénéficiaires d'une bourse attribuée par le ministère des affaires étrangères ;

2° qu'elle ne peut pas davantage solliciter une dispense du visa de long séjour dès lors qu'elle n'a pas été scolarisée en France depuis l'âge de seize ans ;

3° que si la requérante a obtenu le baccalauréat, avec mention très bien, en France, où elle a reçu en septembre 2017 une bourse de l'enseignement supérieur ainsi qu'une bourse au mérite au titre de l'année 2017-2018, et suivait avec succès, à la date de la décision attaquée une scolarité en classes préparatoires scientifiques au lycée Masséna de Nice, elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales et affectives en Tunisie, où elle a passé l'essentiel de sa vie, et où elle pourrait poursuivre ses études, et ne justifiait pas, à la date de la décision attaquée, de la présence en France de membres de sa famille, comme l'ont relevé les juges du fond, son frère, notamment, ne s'étant vu délivrer un récépissé de demande de carte de séjour que postérieurement à cette décision.

La solution est sévère mais la ligne de défense choisie n'autorisait guère une autre réponse.

(21 avril 2022, Mme A., n° 442200)

 

132 - Étranger titulaire d'une carte de résident - Bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) - Condition - Absence ici - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif jugeant que le titulaire d'une carte de résident en qualité d'ascendant à charge d'un ressortissant de nationalité française peut bénéficier du revenu de solidarité active alors même qu'il n'invoque aucun changement dans sa situation depuis la délivrance de ce titre.

En effet, le titulaire d'une telle carte est réputé entièrement pris en charge par son descendant et ne saurait dès lors, en principe, être regardé comme remplissant la condition de ressources nécessaire à l'octroi du RSA sauf dans le cas où, invoquant un changement dans sa situation à cet égard depuis la délivrance de ce titre de séjour, il justifie qu'il ne peut plus, du fait de ce changement, être regardé comme entièrement pris en charge par son descendant et à condition que compte tenu de l'ensemble des autres ressources du foyer il satisfasse à la condition d'éligibilité au RSA.

(26 avril 2022, Département de la Drôme, n° 449780)

 

133 - Libération des liens d'allégeance avec la France - Perte subséquente de la qualité de Français - Impossibilité de recouvrer la nationalité française sauf à solliciter la réintégration dans la nationalité française - Rejet.

La personne qui a perdu la qualité de français par suite de sa demande de libération des liens d'allégeance avec la France ne peut obtenir le retrait ou l'abrogation  du décret accordant cette libération sauf à démontrer qu'elle n'est pas l'auteur véritable de la demande de libération ou à s'engager dans la procédure de réintégration dans la nationalité française dans le respect des art. L. 24-1 et L. 24-2 du Code civil.

(26 avril 2022, Mme G., n° 454218)

 

Fonction publique et agents publics

 

134 - Procédure disciplinaire – Principe général du droit d’impossibilité d’aggravation d’une sanction dans le cadre de l’appel formé par le seul sanctionné – Notion d’aggravation – Violation de ce principe – Annulation.

Un universitaire a fait l’objet, de la part de la section disciplinaire de son université, d’une interdiction d'exercice des fonctions de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de cinq ans, avec privation de la moitié du traitement.

Sur appel du sanctionné, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire a annulé cette décision et infligé à l’appelant la sanction de l'interdiction d'exercer toute fonction d'enseignement et de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de trois ans, avec privation de la totalité du traitement. 

L’intéressé se pourvoit en cassation contre cette décision.

Le Conseil d’État relève d’office le moyen – car il est d’ordre public – tiré du principe général du droit disciplinaire de la fonction publique selon lequel une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel, lorsqu'il n'est régulièrement saisi que du recours de la personne frappée par la sanction. Cette solution est classique (cf. 14 mars 1994, Patrick Yousri, n° 115915, Rec. Lebon, tables p. 1144-1166, à propos d’une sanction disciplinaire infligée à un architecte ; 17 juillet 2013, M. Dioum, Rec. Lebon p. 223, en matière universitaire).

La difficulté était de déterminer si le CNESER avait, ou non, aggravé la sanction prononcée en première instance puisqu’il avait, d’une part, réduit de cinq à trois ans la durée de l’interdiction d’exercice, d’autre part et au contraire, aggravé l’étendue du champ d’application de la sanction qu’il a étendu à l’enseignement en sus de la recherche et le quantum financier puisque la privation de traitement était passée de la moitié à la totalité de celui-ci.

L’art. L. 952-8 du code de l’éducation, qui énumère les sanctions applicables, énonce en son 5° « L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; (…) ».

Le juge de cassation considère que les sanctions reposent ainsi sur la combinaison de quatre éléments (nature et étendue des fonctions dont l'exercice est interdit, périmètre de l'interdiction d'exercice, durée de celle-ci et étendue de la privation de traitement), d’où il tire cette conséquence qu’une sanction doit être regardée comme aggravée lorsque l'un de ces éléments est aggravé et cela même dans le cas où l’un quelconque des autres éléments serait atténué.

La sanction infligée au requérant a donc été aggravée en appel alors qu’il était seul appelant, elle doit ainsi être annulée car elle contrevient au principe général du droit susénoncé.

(6 avril 2022, M. M., n° 438057)

 

135 - Procédure disciplinaire - Non respect du délai de convocation devant le conseil de discipline - Urgence présumée en raison de la gravité des effets d'une suspension temporaire des fonctions pour deux ans - Erreur de droit du juge des référés - Doute sérieux sur la légalité de la sanction attaquée - Suspension de la sanction ordonnée.

Le requérant a fait l'objet de la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions de technicien de recherche et de formation au rectorat de l'académie de Poitiers, pour une durée de deux ans.

Il a contesté cette décision en vain devant le juge des référés du tribunal administratif. Son pourvoi est reçu par le Conseil d'État qui a annulé l'ordonnance qui lui était déférée.

D'une part, ce dernier a constaté l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée en ce qu'elle a été prise sans respect du délai de quinze jours prévu par la réglementation pour convoquer un agent devant le conseil de discipline.

D'autre part, la gravité des effets d'une suspension de fonctions durant deux années confère une présomption d'urgence à la demande de suspension.

La réunion des deux conditions nécessaires à cet effet conduit le juge à ordonner la suspension de la sanction litigieuse.

(22 avril 2022, M. B., n° 452906)

 

136 - Université – Recrutement sur un emploi de professeur – Procédure – Compétences respectives du comité de sélection et du conseil académique - Obligation pour ce dernier de motiver ses avis et interdiction de porter des appréciations d’ordre scientifique – Annulation.

Le recrutement des professeurs d’université, en dehors des disciplines comme le droit ou la médecine, où il existe un recrutement par un concours d’agrégation, et même pour le droit, dans les cas de recrutement hors concours d’agrégation, se déroule en trois temps : un examen et un classement des candidats retenus par le comité de sélection, l’avis du conseil académique et la décision du conseil d’université en formation restreinte aux agents d’un rang au moins égal à celui du poste à pourvoir.

En l’espèce, le Conseil d’État annule l’avis d’un conseil académique sur la candidature d’une maître de conférences sur un emploi de professeur des universités pour deux motifs principaux : il n’est pas suffisamment motivé en ce qu’il se borne à relever une « inadéquation entre la candidature et le profil du poste » sans indiquer aucunement les raisons de cette appréciation et il est entaché d’incompétence car il relève l’« insuffisance d'éléments sur les travaux de recherche » alors que, à la différence du comité de sélection, le conseil académique ne constitue pas un jury et qu’il ne lui revient donc pas d’apprécier les mérites scientifiques des candidats retenus par ce comité, surtout pour ne pas donner suite à l’avis motivé favorable du comité.

Encore une fois sévissent la complexité des procédures de recrutement dans l’enseignement supérieur dont les étapes successives ne font que traduire la défense de divers prés carrés et l’hypocrisie du fondement réel des décisions de recrutement à cause d’une opacité profonde habillée en une prétendue transparence. Compte tenu de l’évolution depuis un quart de siècle, ce mal va s’étendre encore davantage, les pouvoirs publics n’ayant de cesse que de se plier aux exigences de potentats universitaires plus soucieux de leur puissance que de la qualité des enseignants de l’enseignement supérieur.

(6 avril 2022, Mme D., n° 447899)

 

137 - Allocation temporaire d’invalidité – Conditions d’octroi – Situation de l’agent victime d’un accident de service occasionnant une invalidité permanente mais placé en congé maladie pour un autre motif – Droit à l’allocation – Erreur de droit – Annulation.

Victime d’un accident, reconnu imputable au service par la présidente d’un conseil départemental, une adjointe administrative a sollicité l’attribution d’une allocation temporaire d’invalidité. Cela lui a été refusé par décision du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, agissant en qualité de gestionnaire de l'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales ; le recours formé contre ce refus a été rejeté par le tribunal administratif. L’intéressée se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement pour erreur de droit.

Pour rejeter le recours, ce dernier s’était fondé sur ce que la requérante ne pouvait prétendre au versement de cette allocation au 15 mars 2017, date de consolidation des séquelles de l'accident de service, car elle n'avait pas repris ses fonctions en raison d'un syndrome de stress post-traumatique et de troubles dépressifs associés la conduisant à être placée en congé de longue maladie puis en congé de longue durée. Le tribunal a ensuite déduit, d’une part des articles L. 417-8 et L. 417-9 du code des communes, maintenus en vigueur et étendus à l'ensemble des agents concernés par la loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale par le III de son article 119 et, d’autre part, de l'article 2 du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, que le fonctionnaire victime d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10 % ne peut bénéficier d'une telle allocation qu'à compter de la date à laquelle il reprend effectivement ses fonctions. 

Le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit car, précisément, il découle de ces dispositions que le fonctionnaire territorial qui justifie d'une invalidité permanente résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux au moins égal à 10 % et qui ne peut reprendre ses fonctions en raison d'un placement en congé de maladie pour un autre motif a droit au versement de l'allocation temporaire d'invalidité à compter de la constatation officielle de la consolidation de sa blessure ou de son état de santé s'il formule une demande en ce sens dans l'année qui suit cette constatation. 

(6 avril 2022, Mme Q., n° 453847)

 

138 - Fonctionnaire nommé par décret du président de la république – Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État pour connaître des litiges relatifs au recrutement et à la discipline d’un tel agent – Recours ne tendant pas à l’une de ces fins – Renvoi au tribunal administratif.

Un militaire nommé par décret du président de la république a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de « retrait d'emploi par mise en non-activité » pour une durée de six mois à compter de la notification du décret à l'intéressé. Sa rémunération a, en conséquence, été réduite à 40% de sa solde tandis qu’une redevance d'occupation majorée a été mise à sa charge pour le logement qui lui avait été concédé.

Il saisit le Conseil d’État, normalement compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au recrutement et à la discipline des agents nommés par décret du président de la république (art. R. 311-1 CJA). Le Conseil d’État renvoie le requérant devant le tribunal administratif de Paris car sa requête est fondée sur que la sanction dont il a fait l’objet n'était pas exécutoire faute de lui avoir été régulièrement notifiée et sur la demande de condamnation de l'État à l'indemniser des préjudices qu'il a subis du fait de son exécution. De tels griefs n’entrent pas dans le champ d’application de la disposition dérogatoire – et donc appréciée restrictivement – précitée.

(6 avril 2022, M. B., n° 454768)

 

139 - Professeur des universités – Procédure de recrutement – Unicité du jury – Impartialité – Présence d’un professeur émérite d’une université étrangère – Utilisation de la visioconférence – Annulation d’une précédente procédure de recrutement – Conséquences devant en être tirées – Rejet.

Cette affaire constitue une nouvelle illustration des défectuosités inhérentes aux recrutement de professeurs dans l’enseignement supérieur du moins dans les disciplines où n’existe pas un véritable concours.

En l’espèce, le requérant – candidat sur un emploi de professeur de géographie à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis - avait obtenu du Conseil d’État l’annulation d’une précédente procédure de recrutement le concernant et sa reprise au stade de l'examen, par le comité de sélection, des candidatures en vue de leur audition. La seconde procédure n’ayant pas débouché sur son recrutement, il a à nouveau saisi le Conseil d’État, cette fois sans succès car tous ses moyens sont rejetés.

Ici, le juge estime d’abord qu’aucune règle ni aucun principe n'impose que le comité de sélection, lorsqu'il se prononce sur les mérites des candidats en vue de leur audition, statue dans une composition identique pour tous les candidats. A cet égard, la seule circonstance qu'un membre du jury d'un examen ou d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations de cet examen ou de ce concours. Autant dire que le principe d’unicité du jury se trouve ainsi bien malmené.

Ensuite, il est jugé que le principe d'impartialité, s’il faisait en l'espèce obstacle à ce que M. Fox, président du comité de sélection, et Mme N. participent de nouveau à l'examen de la candidature de M. E., compte tenu de la nature de leurs relations personnelles, il n'exigeait nullement que le conseil académique nomme un nouveau président ou modifie plus largement la composition du comité de sélection. Par suite la délibération du conseil académique fixant la composition de ce comité n’était pas irrégulière.

Également, il est jugé que l'annulation de la délibération précédente du comité de sélection n'impliquait pas, contrairement à ce que soutient M. E., que deux nouveaux rapporteurs soient chargés d'émettre un avis sur sa candidature. Ainsi, le comité de sélection a pu valablement délibérer au vu du rapport établi en 2017 et du nouveau rapport établi par le rapporteur désigné le 10 mai 2019 en remplacement de M. Fox. 

Enfin, seule une erreur manifeste d’appréciation – condition à peu près introuvable – pourrait être censurée s’agissant de l’inadéquation relevé par le jury entre le profil du candidat et celui du poste à pourvoir.

Ceci démontre qu’il est impossible d’imposer à une université, par voie juridique, qu’elle recrute le meilleur candidat. In fine elle obtient toujours gain de cause même si, le cas échéant, son choix devait être mauvais ou inadéquat et le juge reste impuissant.

(12 avril 2022, M. E., n° 433633)

 

140 - Agents publics à statut – Personnel des chambres de commerce et d’industrie – Licenciement pour suppression de poste – Procédure – Conditions de consultation de la commission paritaire – Exigence de reclassement – Rejet.

L’agent d’une chambre de commerce et d’industrie (CCI) sous contrat à durée indéterminée est licencié après que son emploi a été supprimé.

Se posaient deux questions.

En premier lieu, il est rappelé qu’en vertu d’un principe général du droit, commun au droit du travail et à celui de la fonction publique, s’impose à l’employeur, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée, une obligation de chercher à reclasser l'intéressé.

En second lieu, le statut du personnel de ces chambres prévoit en cette hypothèse l’intervention d’une consultation de la commission paritaire régionale de la CCI de région. Le Conseil d’État juge que, d’une part, la consultation de cette commission ne peut avoir lieu, conformément à ces dispositions statutaires, qu’après l’entretien individuel préalable au licenciement et, d’autre part, qu’en revanche, il ne résulte d’aucun texte ou principe une obligation de consulter cette commission avant que l'assemblée générale de la CCI de région ne décide de supprimer un emploi.

C’est donc sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que la cour a jugé comme elle l’a fait : le pourvoi est rejeté.

(12 avril 2022, M. K., n° 450467)

 

141 - Désignation des représentants syndicaux au sein des commissions paritaires de la fonction publique territoriale – Application de la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne – Possibilité de listes incomplètes – Annulation – Admission partielle.

La répartition des sièges syndicaux au sein des commissions paritaires de la fonction publique est une source inépuisable de contentieux, obligeant le juge à rappeler sans cesse un certain nombre de solutions bien établies.

En premier lieu, c’est sans illégalité que l’art. 23 du décret du 17 avril 1989 dispose que les sièges de représentants syndicaux titulaires sont répartis entre les listes, en fonction des voix recueillies par chacune d'elles, à la proportionnelle à la plus forte moyenne conformément aux dispositions des art. 29 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et 9 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

En deuxième lieu, c’est sans illégalité que le décret attaqué dispose que cette règle de représentation proportionnelle doit s'apprécier au regard du nombre de sièges de représentants titulaires obtenus par chaque liste au sein de la composition de la commission, prise dans son ensemble, et non au sein de chacun des groupes hiérarchiques de la catégorie d'agents concernés.

En troisième lieu, les organisations syndicales ne sont pas tenues de présenter des listes complètes dans tous les groupes hiérarchiques de la commission paritaire.

Enfin, d’une part, le a) et la deuxième phrase du b) de l'article 23 du décret précité, pour garantir les droits des listes qui ne sont pas arrivées en tête lors des élections des représentants du personnel aux commissions administratives paritaires des collectivités territoriales, décident que ces listes doivent être assurées non seulement qu'elles obtiendront le nombre de sièges auxquels les résultats du scrutin leur donnent droit, mais encore qu'elles pourront obtenir ces sièges dans les groupes hiérarchiques pour lesquels elles avaient présenté des candidats, dans la mesure où le nombre des sièges qu'elles ont obtenus le leur permet. Cependant, d’autre part, ces mêmes dispositions ne sauraient conduire à ce que la répartition globale des sièges de représentants titulaires issue du scrutin proportionnel soit modifiée.

Application de ces principes est faite au cas de l’espèce où le juge répartit lui-même les sièges de titulaires et de suppléants au sein de la commission administrative paritaire des agents de catégorie C du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Meuse. 

(12 avril 2022, Syndicat CFDT Interco Meuse et Fédération Interco CFDT, n° 451408)

 

142 - Personnels de l’État affectés dans un établissement public administratif (EPA) – Déconcentration du pouvoir de les gérer au profit du directeur de l’établissement – Décision de déconcentration relevant d’un décret en Conseil d’État – Compétence du directeur pour la gestion des membres de ce corps affectés en dehors cet EPA – Rejet.

Un décret en Conseil d’État a prévu qu'à compter du 1er janvier 2022, les membres des corps d’agents techniques de l’environnement et de techniciens de l'environnement seront recrutés, nommés et gérés par le directeur de l'Office français de la biodiversité.

Le syndicat requérant demande l’annulation de la décision de rejet de sa demande d’abrogation des art. 5 et 11 du décret du 22 mai 2020.

Le recours est rejeté tout d’abord car il résulte de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qu'une déconcentration de l'ensemble des actes de gestion des membres d'un corps de fonctionnaires de l'État affectés dans un établissement public administratif peut être décidée, par décret en Conseil d'État, au profit du directeur de cet établissement.

Le recours est rejeté ensuite parce que la faculté reconnue ci-dessus au pouvoir réglementaire peut s’étendre à la gestion des membres de ce corps affectés au sein de services de l'État ou dans d'autres établissements publics dès lors que cette mesure de déconcentration répond à des motifs de bonne gestion administrative et à la condition que ce directeur soit en mesure d'exercer cette mission. 

C’est donc sans illégalité que le décret attaqué a confié au directeur de l'Office français de la biodiversité non seulement la mission de recruter, nommer et gérer les membres du corps des agents techniques de l'environnement et de celui des techniciens de l'environnement qui sont affectés au sein de l'Office mais également les membres des mêmes corps qui ne sont pas affectés dans l’Office mais dans les établissements publics de parcs nationaux.

Il est jugé, ce qui peut sembler un peu limite, que ce transfert de gestion ne méconnaît pas, par lui-même, les principes de spécialité et d'autonomie des établissements publics. 

(12 avril 2022, Syndicat national de l'environnement FSU, n° 452471)

 

143 - Administration pénitentiaire - Note comportant des modalités de réduction des jours d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT) et des jours de congés compensateurs de sujétions particulières (COSP) – Invocation d’une directive européenne ne concernant que les congés annuels – Rejet.

Est rejetée la demande d’annulation d’une note de service de l’administration pénitentiaire relative aux modalités de réduction des jours d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT) et des jours de congés compensateurs de sujétions particulières (COSP) en ce qu’elle serait contraire à l’art. 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail car cet article ne concerne que le seul régime des congés annuels.

(13 avril 2022, Mme A., n° 448144)

 

144 - Ministère des affaires étrangères – Conseiller de coopération culturelle à l’ambassade de France à Malte – Contrat à durée déterminée (CDD) – Licenciement – Demande réparation – Rejet.

Le requérant, recruté par CDD du 1er septembre 2017 au 31 août 2019 pour occuper les fonctions de conseiller culturel à l’ambassade de France à Malte, ayant été licencié le 7 décembre 2017, se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté sa demande d’indemnisation à raison d’un licenciement qu’il estime abusif.

Les divers moyens invoqués au soutien de sa requête sont rejetés.

Tout d’abord, le régime de son licenciement relève bien, comme jugé en appel, du champ du décret du 18 juin 1969 portant fixation du statut des agents contractuels de l'État et des établissements publics de l'État à caractère administratif, de nationalité française, en service à l'étranger et il résulte de l’art. 8 de ce texte que : « Le contrat n'est définitif qu'à l'expiration du stage probatoire ou de formation que l'intéressé peut être appelé à effectuer dès la conclusion de son contrat dans le pays où il se trouve au moment de son recrutement. Au cours et à l'expiration de cette période de stage l'engagement peut être résilié de part et d'autre sans condition ni préavis ».

Ensuite, s’agissant du décompte de la durée de ce stage, elle n’est fixée que par le seul contrat en dehors de tout autre texte ou principe ici applicable, soit une durée de trois mois à partir de la date de prise d’effet du contrat fixée souverainement et sans dénaturation par la cour administrative d’appel, au lundi 11 septembre 2017. 

Il ne résulte du décret de 1969 aucune obligation de motivation de la décision mettant fin au contrat, les dispositions de l’art. L. 211-2 du code des relations du public avec l’administration étant contrairement à ce que soutient le requérant, inapplicables en matière contractuelle.

Enfin, le motif retenu pour juger justifiée la décision de licenciement (parution en cours de stage d'un article de presse mettant gravement en cause le comportement personnel de M. F., dans l'exercice des responsabilités qui avaient été antérieurement les siennes au sein d'une organisation dont il avait été le président et de nature à nuire sérieusement à l’image de la France à Malte) l’a été sans dénaturation des faits qui ont été souverainement appréciés par la cour.

(15 avril 2022, M. F., n° 453230)

 

145 - Fonctionnaires de l'État et certains magistrats - Dispositions concernant la durée des séjours et le régime des congés propres à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna - Régime différent de celui applicable dans les autres collectivités d'outre-mer - Différence de traitement non illégale - Rejet.

Le pouvoir réglementaire (décrets du 26 novembre 1996 et du 22 septembre 1998) a organisé un régime propre au séjour des agents de l'État affectés dans le groupe de territoires constitué des trois collectivités d'outre-mer situées dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna), tenant compte de l'éloignement et des sujétions particulières qui s'imposent à eux, en limitant la durée de leur affectation et en leur permettant, à leur retour, dont les frais de voyage sont pris en charge, de bénéficier de congés supplémentaires à l'issue de ce séjour, tout en laissant à leur charge les frais de voyage qu'ils exposeraient dans le cas où ils feraient le choix de s'absenter de ces territoires au cours de leur séjour, quelle que soit leur destination. 

La requérante, affectée à Wallis-et-Futuna contestait la différence de traitement entre celui qui lui est applicable et celui dont relèvent les autres agents de l'État exerçant leurs fonctions dans d'autres collectivités d'outre-mer ou sur le territoire européen de la France, en particulier l'application d'un régime particulier exclusif de celui du dispositif des « congés bonifiés ».

Pour rejeter le grief, le Conseil d'État se fonde sur ce qu'eu égard aux avantages que comporte ce régime particulier et alors d'ailleurs que ces agents bénéficient, en outre, d'une majoration de rémunération et d'une indemnité d'éloignement d'un montant tenant compte des sujétions pesant sur eux, la différence de traitement qui en résulte, qui est en rapport direct avec l'objet des normes qui l'établissent, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation. 

(21 avril 2022, Mme L., n° 443620)

 

146 - Cuisinier non vacciné employé dans un centre hospitalier - Agent exerçant dans un bâtiment distinct et éloigné du centre hospitalier - Agent suspendu de ses fonctions - Absence de doute sérieux sur la légalité de la décision de suspension - Annulation de l'ordonnance de suspension sans renvoi.

Entache son ordonnance d'erreur de droit le juge des référés qui estime qu'existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de suspension pour non soumission à l'obligation vaccinale d'un cuinier exerçant dans un bâtiment distinct et éloigné du centre hospitalier qui l'emploie.

(ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Roanne, n° 458231)

(147) V. aussi, largement analogue et émanant du même directeur d'hôpital, à propos de la suspension de ses fonctions d'une ouvrière principale de deuxième classe : ord. réf. 22 avril 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 458238.

(148) V., très voisin : ord. réf. 22 avril 2022, CHU de Grenobles-Alpes, n° 459380.

(149) V. également, avec solution inverse, le rejet du pourvoi dirigé contre une ordonnance de suspension d'une agent hospitalier non vaccinée dès lors que celle-ci, sans être contredite sur ce point par le groupe hospitalier défendeur, soutenait être en congés annuels à la date de prise d'effet de la mesure de suspension dont elle a fait l'objet ; par ailleurs est jugée constituée une situation d'urgence en raison de la perte de revenus consécutive à la mesure de suspension : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458352.

(150) V. encore, les dix-neuf solutions, identiques à la précédente, retenues lorsque l'agent suspendu était en congé maladie au moment de l'instauration de l'obligation vaccinale, celle-ci ne pouvant prendre effet qu'à la cessation dudit congé : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458360 ou encore : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458361 ; n° 458363 ; n° 458364 ; n° 458366 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Lannion-Trestel, n° 459258 et n° 459263 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Valence, n° 459297 et n° 459298 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier intercommunal d'Aix-Pertuis, n° 459323, n° 459478, n° 459480, n° 459481, n° 459482, n° 459977 et n° 459980 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier Théophile Roussel, n° 459793 et n° 460076 ; ord. réf. 22 avril 2022, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, n° 459985.

 

151 - Prime d'attractivité versée à certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale et à certains psychologues de l'éducation nationale - Institution d'une différence de traitement par différenciation du montant de la prime en fonction du grade de l'agent - Différence satisfaisant aux exigences jurisprudentielles - Rejet.

Est rejeté le recours de la fédération demanderesse dirigé contre les articles 4 et 5 du décret du 12 mars 2021 instituant une prime d'attractivité pour certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale et pour certains psychologues de l'éducation, ainsi que l'arrêté du 12 mars 2021 fixant le montant annuel de la prime d'attractivité pour certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale ainsi que pour certains psychologues de l'éducation nationale.

Ces textes instituent des montants différents de cette prime, d'une part entre agents titulaires en fonction de leur grade et, d'autre part, entre ces derniers et les agents non titulaires.

Le juge rappelle, dans une formulation traditionnelle, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. 

Il réitère aussi sa doctrine selon laquelle ces principes peuvent être appliqués à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.

Au cas de l'espèce, la différenciation du montant de la prime n'est pas illégale car elle est en rapport direct avec l'objet du texte, justifiée par la différence des situations des agents publics concerné. Elle n'est pas, non plus, manifestement disproportionnée au regard du motif qui la fonde, à savoir les difficultés chroniques du recrutement par concours des personnels enseignants et d'éducation et de psychologues scolaires, marqué notamment par un faible taux de candidatures, une moindre sélectivité et une augmentation du nombre de postes non pourvus.

Enfin, il ne contrevient pas davantage à la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive du 28 juin 1999 et ne révèle pas davantage une erreur manifeste d'appréciation.

(27 avril 2022, Fédération des syndicats Sud Education, n° 452511)

 

Libertés fondamentales

 

152 - Extradition – Décret autorisant l’extradition d’un ressortissant serbe – Absence d’irrégularités – Rejet.

Est rejeté le recours dirigé contre le décret autorisation l’extradition d’un ressortissant serbe condamné à cinq ans et trois mois de prison pour vol avec violences commis en réunion.

Le décret a bien été pris sur le rapport du garde des sceaux (cf. art. 696-18 c. proc. pén.), il comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait exigé par l’art. L. 211-5 du code des relations du public avec l’administration, la demande d’extradition est rédigée en français conformément à la déclaration de la France annexée à la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 en application du 2 de son article 12.

Enfin, le requérant ne saurait soutenir que la communication des décisions de condamnation fondant la demande d’extradition n’était pas intégrale car cette circonstance résulte de l'existence de coauteurs des faits ayant été jugés par la même décision que le requérant ; ceci n'a pas privé les autorités françaises des éléments nécessaires à l'examen de la demande dont elles étaient saisies, notamment au regard des garanties prévues par l'article 6 de la convention EDH.

En l’absence de violation de la convention d’extradition précitée, la demande est rejetée.

(5 avril 2022, M. A., n° 458438)

 

153 - Transfert d’un détenu placé en détention provisoire – Nouveau lieu d’incarcération distant de 7000 km de sa famille – Mesure normalement excessive – Circonstances particulières justificatives – Légalité sous réserve d’une stricte limitation temporelle de la mesure – Rejet.

Un juge des libertés et de la détention a placé un individu en détention provisoire sous mandat de dépôt en Guadeloupe où il réside avec sa famille puis s’est dessaisi du dossier au profit de la juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France. Ensuite, le garde des sceaux l’a affecté dans un centre de détention situé dans l’Allier.

Le juge administratif du référé liberté, saisi par l’intéressé, dans une ordonnance longuement et clairement motivée, rejette la demande d’annulation de cette dernière mesure.

Le juge reconnaît que déplacer une personne, pour les besoins d’une détention provisoire, à sept mille kilomètres de son lieu de vie habituel avec sa famille, dont ses quatre enfants, bouleverse « dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, le droit de M. B. de conserver des liens familiaux autres que ceux que permettent le téléphone et les moyens de télécommunication audiovisuelle ».

Cependant, le juge tient également compte des caractéristiques particulières que cette personne présente au regard du bon déroulement de l’enquête. Il relève à cet effet « que la mesure se trouve justifiée par la nécessité d'éloigner de la Guadeloupe, et même, comme l'a indiqué à l'audience la représentante du ministre de la justice, dans l'immédiat, de la Martinique, l'intéressé, mis en examen pour des faits qui sont déroulés du 15 novembre 2021 au 17 janvier 2022, afin de protéger le bon déroulement d'une enquête délicate et difficile impliquant de nombreuses personnes auxquelles il est reproché d'avoir agi de manière préméditée et coordonnée à l'échelle du département. Il n'est pas en effet sérieusement contesté que l'intéressé, connu des services de police comme un des leaders du gang dénommé « Sektion Kriminel », qui a déjà fait l'objet de deux condamnations pénales en 2016 et 2017, et d'un relevé d'incident en détention dès le 4 février 2022 à la maison d'arrêt de Basse-Terre pour détention non autorisée d'un téléphone portable, entretient des liens avec différents protagonistes de l'affaire en cours d'instruction et dispose, ainsi que l'a noté le juge des libertés et de la détention, dans son ordonnance du 21 janvier 2022, d'une capacité d'influence sur les milieux locaux ou de pression, même indirecte, sur les témoins et les victimes voire, comme la représentante du ministre l'a indiqué à l'audience, sur les familles des surveillants pénitentiaires. La mesure tend enfin à prévenir, pour les mêmes raisons, des troubles dans les établissements pénitentiaires à Basse-Terre ou Baie-Mahaut. »

Faisant la balance entre ces intérêts opposés, le juge admet au final la légalité du transfèrement sous réserve qu’ « il appartiendra au garde des sceaux, ministre de la justice, compte tenu de l'évolution de la situation, du déroulement de l'enquête, de sa durée, des places disponibles dans les établissements pénitentiaires susceptibles d'accueillir une personne placée en détention provisoire, et sans préjudice des demandes émanant de l'autorité judiciaire, de veiller, dès que possible, à un rapprochement géographique de M. B... de sa famille, même le cas échéant en métropole, (…) ».

(ord. réf. 6 avril 2022, M. B., n° 462556)

 

154 - Détenu – Refus du permis de visite opposé à son conjoint – Allégation de risque de fourniture ou de trafic de drogue – Mesure excessive – Illégalité – Annulation avec injonction de réexamen sous huit jours.

Après avoir rappelé que les décisions tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite relèvent du pouvoir de police des chefs d'établissements pénitentiaires, le Conseil d’État juge qu’affectant directement les liens d’un détenu avec sa famille, ces décisions doivent, notamment au regard de l’art. 8 (respect de la vie privée et familiale) de la CEDH, être nécessaires, adaptées et proportionnées au respect du bon ordre et de la sécurité de l’établissement pénitentiaire sans porter une atteinte excessive aux droits du détenu.

En l’espèce, l’interdiction faite, pour une durée indéterminée, à son compagnon de visiter la personne incarcérée et à ses enfants de voir leur mère est excessive alors même que selon l’administration pénitentiaire les multiples condamnations du demandeur pour des infractions liées au trafic de stupéfiants, dont la dernière date de 2017, ne permettent pas d'écarter un risque de trafic de stupéfiants à l'occasion de ses visites à sa compagne.

Il est enjoint à l’auteur de la mesure d’interdiction de réexaminer sous huit jours la demande d’octroi d’un permis de visite.

(ord. réf. 8 avril 2022, M. C., n° 462880)

 

155 - Entreprises en difficulté – Jugement arrêtant le plan de cession – Actionnaires sans pouvoir sur la procédure de cession des actifs – Faculté restreinte d’exercice d’un recours juridictionnel – Cas des actionnaires demeurant à l’étranger – Atteintes à plusieurs droits ou libertés - Rejet.

La requérante contestait le rejet implicite par le premier ministre de sa demande d'abrogation des art. R. 611-26-2 et R. 661-2 du code de commerce, du troisième alinéa de l'article 586 et de l'entier article 643 du code de procédure civile en ce qu’ils restreignent par trop le droit à un recours effectif des actionnaires en cas d’arrêt d’un plan de cession des actifs d’une entreprise en difficulté faisant l’objet d’une procédure préventive dite « prepack cession », en particulier le droit des actionnaires demeurant à l’étranger.

En bref, il est reproché à cet ensemble normatif, régissant la cession d’actifs d’entreprises en difficulté, d’une part, de tenir les actionnaires à l’écart de la procédure de cession alors qu’il s’agit d’une procédure préventive et non liquidative, d’autre part, de fixer à dix jours le délai de recours contentieux ce qui est manifestement trop bref car il n’est même pas tenu compte du délai de distance pour ceux des actionnaires résidant à l’étranger.

Le Conseil d’État rejette d’abord les griefs dirigés contre l’art. L. 611-7 du commerce motif pris de ce qu’il les avait déjà rejetés dans une précédente décision refusant de renvoyer une QPC posée sur ce point faute qu’une nouvelle QPC soit posée. Il estime ensuite que certaines des dispositions législatives ou réglementaires critiquées par la requérante n’ont pas été prises pour l’application de cet art. L. 611-7.

Enfin, il rejette deux autres moyens qui retiennent l’attention.

En premier lieu, la requérante soutenait que les dispositions de l'art. R. 661-2 du code de commerce sont illégales en ce qu’elles limitent à dix jours, à compter de la publication du jugement arrêtant ou rejetant le plan de cession au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, sans que ce délai puisse être augmenté pour les actionnaires demeurant à l'étranger, le délai de la tierce opposition dite « tierce opposition – nullité » ouvert aux actionnaires d'entreprises en difficulté à l'encontre dudit jugement.

L’argument n’était pas sans portée et la motivation de son rejet par le juge est assez décevante. Selon lui, ce bref délai serait justifié par l’intérêt général qui s’attache à ce que des mesures rapides soient prises assorties d’une limitation stricte de leur délai de contestation. Pour faire bonne mesure, est également invoquée la publication immédiate sur internet du Bulletin officiel précité d’où il résulterait que ce bref délai « n'est pas susceptible de rendre un tel recours impossible (sic), ni même excessivement difficile (re-sic) pour les intéressés, y compris lorsque ceux-ci résident à l'étranger ».

En second lieu, le juge relève, en réponse à un autre argument de la demanderesse, que s’il est exact que l’art. R. 661-2 du code de commerce fixe à dix jours le délai d'exercice de la tierce opposition à l'encontre des jugements rendus en matière de difficultés des entreprises et si les art. 586, alinéa 3, et 643 du code de procédure civile, dont il résulte que ce délai n'est augmenté au profit des tiers demeurant à l'étranger que si le jugement contesté leur a été notifié, ces dispositions n'ont ni pour objet d'autoriser l'organisation de la cession partielle ou totale d'une entreprise en difficulté, ni de définir les conditions dans lesquelles un plan de cession, susceptible de porter atteinte aux intérêts des actionnaires, peut être préparé.

Il s’ensuit que les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaitraient le principe d'égalité, le droit de propriété, la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et le principe de sécurité juridique au motif que le dispositif dit de « prepack cession » conduirait en cas de cession de l'entreprise en difficulté à priver de toute valeur les actions de cette entreprise, sans garantie pour les actionnaires que leurs intérêts soient préservés, doivent être écartés. 

(14 avril 2022, Société Aldini AG, n° 446819)

 

156 - Covid-19 - Réglementation de l'exercice de la liberté religieuse - Restriction aux seules cérémonies funéraires à 30 personnes - Mesures provisoires - Absence d'atteinte disproportionnée à cette liberté - Rejet.

Les deux requérants demandaient l'annulation du I de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020, qui interdit les rassemblements et réunions dans les lieux de culte à l'exception des cérémonies funéraires et limite à 30 personnes la participation à ces cérémonies. Cette interdiction est demeurée en vigueur jusqu'au 27 novembre 2020.

Après avoir rappelé le caractère fondamental de la liberté de culte et que celle-ci « ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte », le juge indique aussi la nécessité de concilier cette liberté avec l'objectif de protection de la santé.

Se fondant sur le caractère strictement proportionné des mesures critiquées et leur durée limitée à celle du risque épidémique, le Conseil d'État juge, d'une part qu'il n'est ainsi pas porté atteinte aux stipulations de l'art. 9 de la convention EDH, et d'autre part, que ces mesures, dans le contexte où elles sont intervenues, étaient nécessaires.

Enfin, relevant leur forte atténuation à compter du décret du 2 décembre 2020, le juge estime qu'il n'a pas été porté une atteinte disproportionnée à une liberté fondamentale.

On retrouve donc ici, tel un mantra, le raisonnement maintes fois répété du juge sans que ce psittacisme à l'égard de lui-même rende sa rhétorique plus convaincante.

(22 avril 2022, M. D. et M. E., n° 446393)

 

157 - Demandeur d'asile – Comportement erratique et dangereux - Octroi de la protection subsidiaire par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

Un ressortissant de nationalité afghane, demandeur d'asile, s'est signalé depuis février 2018 par une série de comportements, attitudes et propos menaçants, ce qui a conduit l'OFPRA à lui refuser tant l'octroi de la qualité de réfugié que celui de la protection subsidaire.

La CNDA a estimé excusables ces attitudes et propos violents ou grossiers en raison de l'état mental du concerné et lui a accordé la protection subsidiaire.

L'OFPRA demande au Conseil d'État l'annulation de cette décision, ce qui lui est accordé au terme d'un exposé des faits qui laisse peu de place à la sollicitude.

Le Conseil d'État considère ici, et c'est un apport important de sa décision, que l'autorité administtrative, quelle que soit la fondamentalité du droit d'asile, ne peut ignorer qu'un individu constitue une menace grave pour l'ordre public de l'État d'accueil et cela en dépit de son état mental. Au demeurant cet état psychologique chaotique fait partie des éléments à prendre en compte pour apprécier la dangerosité de l'intéressé.

En octroyant à cette personne le bénéfice de la protection subsidiaire, la CNDA a inexactement qualifié les faits de l'espèce, d'où la cassation prononcée et le renvoi à cette dernière pour réexamen du dossier.

(22 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 455520)

(158) V. aussi, annulant la décision de la CNDA estimant que n'atteignaient pas un degré de gravité suffisant pour être qualifiés « crime grave de droit commun » au sens et pour l'application du c) du F de l'art. 1er  de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et lui reconnaissant la qualité de réfugié, la participation directe et régulière, pendant deux ans, d'un engagé volontaire dans l'armée tchadienne, aux activités habituelles de son unité consistant à exiger des civils contrôlés la remise des biens de valeur qu'ils détenaient et à user de violences à l'encontre des personnes récalcitrantes, infractions assimilables à une pratique d'extorsion en bande organisée, réprimée en France de vingt ans de réclusion criminelle par l'article 312-6 du code pénal, peine portée à la réclusion criminelle à perpétuité en cas d'usage ou de menace d'une arme : 26 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 453613.

(159) V. encore, très largement comparable, annulant pour inexacte qualification juridique des faits  la décision de la CNDA reconnaissant la qualité de réfugié à un ressortissant sri-lankais dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'il aurait pu prendre une part personnelle de responsabilité dans la commission d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, au sens et pour l'application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : 29 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 451365.

(160) V. enfin, jugeant, pour annuler une décision de la CNDA octroyant l'asile à un ancien policier afghan, la non vérification par celle-ci de la double condition suivante.

En premier lieu les opinions politiques susceptibles d'ouvrir droit à la protection internationale ne peuvent être regardées comme résultant de la seule appartenance à une institution de l'État que lorsque celle-ci subordonne l'accès des personnes à un emploi en son sein à une adhésion à de telles opinions, ou agit sur leur seul fondement, ou combat exclusivement tous ceux qui s'y opposent.

En second lieu, la qualité de réfugié est susceptible d'être reconnue à un demandeur qui craint avec raison de subir des actes de persécution en cas de retour dans son pays d'origine en raison de ses activités passées au sein d'une institution de l'État, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités nationales, lorsque, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce relatives à sa situation individuelle, notamment à la nature et au niveau des responsabilités qu'il y a exercées, aux activités auxquelles il a pris part, aux motivations personnelles qui l'ont amené à s'engager au sein de cette institution et à la perception que les acteurs des persécutions en cause sont susceptibles d'en avoir, un lien peut être établi entre ces persécutions et les opinions politiques que ces derniers lui attribuent personnellement : 29 avril 2022, M. A., n° 447581.

 

161 - Droit au logement opposable - Caractère prioritaire d'une demande de logement - Absence de caractère de liberté fondamentale - Rejet du référé liberté de l'art. L. 521-2 CJA.

Est rejetée une demande en référé liberté tendant à l'octroi d'un logement d'urgence car le droit au logement opposable ne constitue pas une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 25 avril 2022, Mme A., n° 463011)

 

162 - Fermeture d'un lieu de culte - Conciliation nécessaire entre respect des libertés et sauvegarde de l'ordre public - Motifs de police insuffisants à justifier cette mesure - Rejet.

Le Conseil d'État statuant en formation collégiale en état de référé, rejetant l'appel du ministre de l'intérieur, confirme l'annulation par le premier juge des référés de l'arrêté préfectoral du 14 mars 2022 prononçant la fermeture, pour une durée de six mois, de la mosquée « Al Farouk » de Pessac. 

Après avoir énoncé les conditions impératives de légalité de la fermeture d'un lieu de culte eu égard, d'une part au respect de la liberté fondamentale que constitue (en l'espèce) le droit de propriété et, d'autre part, au respect de la liberté fondamentale de culte, le Conseil rejette tous les moyens soutenus par le ministre défendeur appelant :

- S'il est prétendu, d'une part, que les imams intervenant ou étant intervenus à la mosquée de Pessac ont tenu dans le cadre de leurs prêches des propos de nature à encourager la haine et la violence à l'égard des non-musulmans ou des musulmans ne partageant pas leurs convictions, ce fait n'est pas établi par l'instruction, et, d'autre part, si dans une discussion, le 22 octobre 2021, un groupe de jeunes fidèles aurait justifié l'assassinat d'une personne, ces propos et les liens entre les personnes en cause et l'association gestionnaire du lieu de culte ne sont pas suffisamment établis pour en imputer la responsabilité à celle-ci.

- Si les publications régulières par l'association gestionnaire de la mosquée ou par son président, sur des sites internet ou des réseaux sociaux, des textes de tiers, aux thèses desquels ils se sont associés de manière évidente qui, adoptant une posture volontairement victimaire, rendent les institutions de la République, les responsables politiques, voire la société française dans son ensemble, responsables d'un prétendu climat d'islamophobie, incitent au repli identitaire et contestent le principe de laïcité et s'il résulte également de l'instruction que l'association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » a publié des messages, dans certaines de ses publications sur le réseau social Facebook, de soutien à des associations dissoutes ou à des organisations ou à des personnes promouvant un islam radical, « ces publications ne présentent pas, compte tenu de leur teneur et dans les circonstances de l'espèce, un caractère de provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination ».

- Si l'association gestionnaire du lieu de culte a diffusé sur son compte Facebook, les 9 et 12 mai 2021, un message appelant à la prière pour refouler les juifs de Jérusalem et une publication qualifiant Israël d'État terroriste, ayant suscité un commentaire qui présentait un caractère ouvertement antisémite et incitait à la violence, ces éléments, supprimés seulement en mars 2022, s'ils sont susceptibles de caractériser la diffusion, au sein de la mosquée de Pessac, d'idées et de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes ou tendant à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence, de nature le cas échéant à fonder une mesure de fermeture temporaire du lieu de culte en application de l'article 36-3 de la loi du 9 décembre 1905, ne permettent pas, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et de leur caractère isolé au regard des nombreuses pièces produites, et alors au surplus que l'association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » a pris, après l'engagement de la procédure de fermeture administrative, des mesures correctrices pour modérer les échanges sur ses réseaux sociaux, de caractériser un lien avec un risque de commission d'actes de terrorisme ou une apologie de tels actes au sens des dispositions de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure.

S'ensuit donc l'annulation de la fermeture pour six mois de la mosquée en cause.

On observera le très grand libéralisme dont fait preuve ici le juge administratif - nonobstant l'accumulation des griefs et des faits reprochés par l'auteur de la mesure attaquée - libéralisme fondé non sur une appréciation globale des circonstances et des faits relevés mais sur leur découpage en vue d'une appréciation strictement individualisée de chaque cas « infractif ».

(ord. réf. form coll. 26 avril 2022, Ministre de l'intérieur, n° 462685)

 

Police

 

163 - Police des édifices insalubres à titre irrémédiable - Interdiction définitive d'habiter avec obligation de démolition - Détermination de la valeur du coût de reconstruction - Présomption irréfragable d'urgence en cas de reféré suspension de l'arrêté préfectoral d'insalubrité irrémédiable - Erreur de droit - Suspension ordonnée.

Les requérants, copropriétaires d'un immeuble déclaré insalubre à titre irrémédiable par arrêté préfectoral, ont demandé l'annulation et la suspension d'exécution dudit arrêté par lequel le préfet portait interdiction d'habiter et obligation de démolition.

Leur demande a été rejetée en première instance, d'où la saisine du Conseil d'État.

Celui-ci rappelle qu'en raison de la gravité des conséquences résultant de la démolition d’un bâtiment à usage d'habitation et actuellement occupé, la condition d'urgence doit être présumée lorsque le propriétaire de l'immeuble qui en est l'objet en demande la suspension.

Cette présomption d'urgence est à peu près irréfragable lorsque l'autorité administrative n'invoque aucune circonstance particulière faisant apparaître, soit que l'exécution de la mesure de démolition n'affecterait pas gravement la situation des copropriétaires, soit qu'un intérêt public s'attache à l'exécution rapide de cette mesure. Tel n'est pas le cas en l'espèce, où l'urgence doit être présumée établie.

En second lieu, constitue en l'espèce un moyen de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées celui tiré de ce que le coût de reconstruction tel qu’évalué par l'administration n'avait pas incorporé le coût de démolition de l'immeuble concerné. En jugeant le contraire le juge des référés a commis une erreur de droit. En effet, le coût des travaux nécessaires à la résorption de l'insalubrité du bâtiment est évalué à 2 686 827,92 euros et le coût de sa reconstruction, dans lequel doit être inclus le coût de sa démolition, est évalué à 2 991 233,31 euros.

Par suite, l'arrêté contesté est fondé sur une évaluation inexacte du coût de reconstruction de la partie de l'immeuble concernée ce qui est propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Les conditions posées par l'art. L. 521-1 CJA étant remplies, est ordonnée la suspension de cet arrêté et annulée l'ordonnance de rejet de la demande de suspension de cet arrêté.

(22 avril 2022, Société Drofer et autres, n° 451505)

 

Professions réglementées

 

164 - Vétérinaire – Poursuites devant la juridiction ordinale - Rejet en raison du caractère purement civil du litige – Erreur de droit – Annulation.

Une personne porte plainte devant l’ordre des vétérinaires contre un vétérinaire pour avoir administré à son chat un médicament à usage humain, qui n'était pas autorisé pour les animaux et ne pouvait être délivré que par les pharmaciens et dont, en outre, le prix n'était pas libre. Sa plainte est rejetée au motif qu'elle ne tendait qu’à l'engagement de la responsabilité civile professionnelle du vétérinaire.

Le Conseil d’État annule la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires pour erreur de droit car les faits dénoncés sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations fixées au code de déontologie vétérinaire, matière qui ressortit à la compétence des juridictions ordinales. 

(6 avril 2022, Mme B., n° 433880)

 

165 - Médecin – Reconnaissance mutuelle des diplômes dans l’Union européenne – Reconnaissance par l’Espagne – Refus d’accorder une équivalence en France pour non-conformité de la spécialité médicale en cause – Contrariété à la jurisprudence de la CJUE - Erreur de droit – Annulation.

La requérante, de nationalité française, est titulaire du diplôme syrien de docteur en médecine reconnu en Espagne comme équivalent au titre espagnol de « Licenciada en medicina » par application des dispositions de la directive 2005/36 du 7 septembre 2005, elle ne dispose cependant pas du titre attestant sa qualification professionnelle de médecin-dermatologue en Espagne au sens de la même directive qui lui donnerait droit à une reconnaissance automatique de cette qualification en France.

Exerçant depuis janvier 2016 en qualité de dermatologue à Dubaï, elle a saisi le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) d'une demande d'autorisation d'exercice de la médecine dans la spécialité dermatologie sur le fondement du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique.

Cette demande a été rejetée comme irrecevable par le chef du département concours, autorisation d'exercice, mobilité, développement professionnel du CNG au motif qu'elle ne justifiait pas de la reconnaissance par l'Espagne de ses qualifications professionnelles en qualité de dermatologue.

Son recours contre cette décision a été rejeté par un arrêt d’appel confirmatif. La cour administrative d'appel a jugé que l'administration était tenue de déclarer irrecevable la demande d'autorisation d'exercice de la médecine dans la spécialité dermatologie-vénérologie de Mme O. au motif que son diplôme de médecine ayant été reconnu par l'Espagne au titre de « Licenciada en medicina » et non au titre de la spécialité « Dermatologia médico-quirurgica y venereologia »  elle ne pouvait exercer en Espagne la spécialité de dermatologie, et par suite ne remplissait pas les conditions fixées par le II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique,

Toutefois, il résulte de la jurisprudence de la CJUE (cf. par ex. : 8 juillet 2021, BB contre Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, aff. C-166/20) qu’en l’absence de titre de formation qualifiant un demandeur pour l’exercice d’une profession réglementée il incombe aux autorités nationales saisies de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'État membre d'origine que dans l'État membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale. 

Or le Conseil d’État estime que la requérante satisfaisait en l’espèce à ces conditions puisqu’elle « est titulaire d'une attestation de formation spécialisée (AFS) de dermatologie et vénéréologie (Université Claude Bernard- Lyon I), d'une attestation de formation spécialisée approfondie (AFSA) de dermatologie et vénéréologie (Université Montpellier I), d'un diplôme interuniversitaire de dermatologie esthétique, lasers dermatologiques et cosmétologie (Université de Franche-Comté), d'un diplôme universitaire de formation à la recherche clinique (Université Montpellier I), d'un diplôme universitaire de pathologie et thérapeutique chirurgicale du cuir chevelu (Université Pierre et Marie Curie, Paris VI), d'un diplôme interuniversitaire de dermatologie chirurgicale oncologique (Université Montpellier I) et a en outre effectué des stages pratiques dans des établissements de santé en France, notamment dans le service de dermatologie de l'Hôpital Lyon Sud et au sein du service de dermatologie de l'Hôpital Saint-Eloi, qui relève du centre hospitalier universitaire régional de Montpellier. »

L’arrêt déféré à la censure du juge de cassation est annulé.

(6 avril 2022, Mme O., n° 436218)

 

166 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Non-respect du délai de convocation à l’audience – Présence à l’audience – Annulation.

Doit être annulée la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes car elle a été rendue au terme d’une procédure irrégulière en ce qu’il ne résulte ni des pièces de la procédure ni des termes de cette décision que les requérants auraient reçu une convocation à l'audience du 27 février 2020 quinze jours au moins avant cette date, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4126-25 du code de la santé publique et cela alors même que M. B. a assisté à l'audience et a pu y présenter des observations.

La solution est logique car ce délai de quinzaine a été institué à la fois pour que l’intéressé se rende disponible et, surtout, pour qu’il puisse préparer utilement ses observations en vue de l’audience.

(6 avril 2022, M. B. et société B., n° 443359)

 

167 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Motivation insuffisante des griefs fondant la sanction disciplinaire – Annulation.

Saisie par le médecin-conseil, chef du service médical de la région Rhône-Alpes, au titre de l'échelon local du service médical de la Loire, et la directrice de la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des chirurgiens-dentistes a infligé au requérant la sanction de l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pour une durée de deux mois assortis du sursis et l'a condamné à verser la somme de 7 686,55 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire. Sur appel des demandeurs, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté l’interdiction de deux mois à six mois, assortis du sursis pour la période excédant trois mois et dont la partie ferme est à exécuter du 1er mars au 31 mai 2021, avec publication, et à 10 093,00 euros la somme à payer à la CPAM de la Loire.

Le praticien se pourvoit en cassation.

Pour casser la décision du conseil national, le Conseil d’État relève que sa section des assurances sociales s’est fondée pour sanctionner le requérant sur ce qu’il avait coté des actes qui n'étaient pas remboursables ainsi que des actes qui n'avaient pas été réalisés ou constatés ou des actes antidatés, qu'il avait pratiqué la double cotation d'un même acte dans trois dossiers et qu'il avait facturé des actes non conformes aux données acquises par la science et que, par suite, elle a jugé qu'il devait être condamné à verser la somme de 10 093,00 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, cette somme étant justifiée par « de nombreuses anomalies [qui] remplissent une ou plusieurs des conditions mentionnées à l'article L. 145-2 CSS et constituent des abus d'honoraires ». Or, ce jugeant, elle n’a pas précisé, parmi les anomalies qu'elle avait relevées, celles qui étaient constitutives d'honoraires abusifs ni les modalités de calcul du montant de la sanction pécuniaire infligée.

Le Conseil d’État précise au passage ce que sont des honoraires abusifs : « (…) ceux qui sont réclamés pour un acte facturé sans n'avoir jamais été réalisé, pour un acte surcoté, pour un acte réalisé dans des conditions telles qu'alors même qu'il a été effectivement pratiqué, il équivaut à une absence de soins, ou encore ceux dont le montant est établi sans tact ni mesure. »

(6 avril 2022, M. C., n° 450279)

 

168 - Chirurgien-dentiste – Sanction disciplinaire – Faute au sens de l’art. L. 145-1 du code de la sécurité sociale – Erreur de droit sur un ensemble indivisible – Annulation totale.

Un chirurgien-dentiste est poursuivi disciplinairement pour n’avoir pas fourni, à plusieurs reprises, des radiographies en réponse aux demandes qui lui avaient été adressées dans le cadre de l'analyse de son activité par le service du contrôle médical départemental.

Le Conseil national de l’ordre (section des assurances sociales) a jugé que l'intéressé avait ainsi méconnu l'obligation, qui découle des dispositions de l'article R. 315-1-1 du code de la sécurité sociale, de communiquer au service du contrôle médical toutes les radiographies lui permettant de procéder à l'analyse prévue à l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale. Son attitude a été sanctionnée pour non-respect des dispositions de l’art. L. 145-1 du code précité.

Cette décision est cassée car ce dernier article ne concerne que des fautes commises par un praticien à l’occasion des soins qu’il délivre aux assurés sociaux non les relations du praticien avec les services administratifs de contrôle.

Comme la sanction infligée à l’intéressé reposait à la fois sur ces faits et sur d’autres, elle résulte d’un ensemble apprécié indivisément ce qui entraîne l’annulation de la décision attaquée dans son ensemble.

(12 avril 2022, M. E., n° 442638)

 

169 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État – Transmission à la juridiction compétente.

(12 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

V. n° 9

 

170 - Société de pharmaciens biologistes - Recours à une publicité interdite - Sanction - Absence d'erreur dans la qualification des faits et d'erreur de droit - Rejet.

Saisie par des confrères pharmaciens, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a jugé que la requérante s'était rendue coupable d'une publicité interdite et a, en conséquence, prononcé contre la SELAS Gen-Bio la sanction de l'interdiction de pratiquer des examens de biologie médicale pendant une durée de 15 jours et contre ses deux co-responsables la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée d'un mois, assortie d'un sursis de 15 jours. 

La SELAS se pourvoit ; son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d'État juge que l'instance disciplinaire a exactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que constituait une publicité interdite (cf. art. L. 6222-8 c. santé pub.) la circonstance que quatre articles consacrés à la SELAS Gen-Bio avaient paru entre 2015 et 2016 dans la presse régionale destinée au grand public du territoire où cette société est implantée, que ces articles procédaient à une mise en valeur de la société ainsi que des pharmaciens biologistes qui la composaient, qu'ils soulignaient notamment, en termes élogieux, ses performances techniques ainsi que l'essor de son activité économique et qu'ils détaillaient ses implantations géographiques, sans se borner à une simple information du lecteur. Elle a également à bon droit relevé que si les pharmaciens poursuivis soutenaient ne pas avoir pris l'initiative de ces publications, cette circonstance n'était pas de nature à les exonérer de leur responsabilité, dès lors qu'il leur appartenait en toute hypothèse de veiller au respect de leurs obligations déontologiques et réglementaires. 

(15 avril 2022, Société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Gen-Bio, n° 440308)

 

171 - Experts-comptables et commissaires aux comptes - Conditions d'organisation et de fonctionnement de la Compagnie nationale et des compagnies régionales des commissaires aux comptes - Décret du 2 juin 2020 - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du décret du 2 juin 2020 relatif à la Compagnie nationale et aux compagnies régionales des commissaires aux comptes en particulier s'agissant des règles de composition.

Est d'abord écarté le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire, celui-ci ayant agi par délégation du législateur.

Ensuite, le pouvoir réglementaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en instituant au sein du conseil national deux collèges, celui des commissaires aux comptes exerçant une ou des missions de certification auprès d'entités d'intérêt public et celui des commissaires aux comptes n'exerçant pas de telles missions. En dépit du poids démographique limité des premiers dans l'ensemble de cette profession, la spécificité des enjeux les concernant et de leurs missions ainsi que leur poids économique justifiaient l'existence de deux catégories de commissaires aux comptes. Pas davantage une telle distinction ne porte d'atteinte disproportionnée au principe de représentativité ou à celui d'égalité.

La prétendue atteinte au principe de sécurité que réaliserait le décret contesté doit être écartée car les règles de l'organisation des élections tenues en septembre 2020 ont donné lieu à une concertation préalable et étaient connues avant même la publication du décret attaqué, dès l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

(21 avril 2022, Fédération des experts comptables et des commissaires aux comptes de France, n° 441690 ; M. H., n° 441720 ; M. E., n° 441722)

 

172 - Avocats - Prestation de « conseil en ressources humaines » - Exclusion des cabinets d'avocats de la prestation de « conseil en ressources humaines » - Atteinte au principe de libre concurrence - Annulation d'une instruction ministérielle.

Par une décision du 13 août 2020 la ministre du travail a rejeté le recours gracieux du Conseil national des barreaux tendant au retrait ou à la modification, de son instruction du 4 juin 2020 relative à la prestation de « conseil en ressources humaines » pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), afin de permettre aux cabinets d'avocats de pouvoir assurer la prestation de conseil en ressources humaines.

Le recours pour excès de pouvoir contre cette décision est accueilli par le Conseil d'État qui y voit une atteinte injustifiée au principe de libre concurrence car plusieurs des thématiques relatives au « conseil en ressources humaines » comportent une dimension juridique et les connaissances sur l'environnement institutionnel et l'expertise en matière de droit du travail sont des critères de contrôle de la qualité des prestataires auxquels les entreprises peuvent faire appel. Au reste, de nombreux cabinets d'avocats disposent d'une expérience en matière de conseil et de gestion des ressources humaines en entreprise. Ainsi, en excluant par principe les cabinets d'avocats des prestataires auxquels les entreprises peuvent faire appel pour bénéficier de la prise en charge par l'État de la prestation « conseil en ressources humaines », l'instruction attaquée est entachée d'illégalité.

(26 avril 2022, Conseil national des barreaux, n° 453192)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

173 - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère – Inconstitutionnalité de la base juridique du décret attaqué constatée par une QPC – Absence d’effets antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel – Atteinte au droit à un procès équitable – Annulation.

(7 avril 2022, GISTI et autre, n° 448296 ; Association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448305 et n° 455519 ; GISTI et autres, n° 454144)

V. n° 3

 

174 - Droit fiscal - Rectification de déclarations fiscales sur invitation de l'administration - Absence de demande de rectification adressée par l'administration fiscale - Contribuables en situations différentes justifiant un traitement différencié - Refus de renvoi d'une QPC.

Au soutien de leurs prétentions à obtenir décharge de contributions fiscales supplémentaires, des contribuables ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité que la cour administrative d'appel a refusé de transmettre.

Les intéressés se pourvoient contre cet arrêt en tant, d'une part, qu'il refuse cette transmission et, d'autre part, qu'il rejette au fond leur appel dirigé contre le rejet de leur requête par le tribunal administratif.

La QPC était dirigée contre le a) du II de l'art. 1758 A du CGI, selon lequel la majoration de 10% frappant le retard ou le défaut de déclarations fiscales ainsi que les inexactitudes et omissions qui y sont relevées, n'est pas applicable : « a) En cas de régularisation spontanée ou lorsque le contribuable a corrigé sa déclaration dans un délai de trente jours à la suite d'une demande de l'administration (...) ». Les requérants faisaient valoir l'inconstitutionnalité du traitement inégalitaire entre les contribuables informés par l'administration et ceux ne l'étant pas, les premiers échappant à la majoration, les seconds y étant soumis. Rejetant, « comme de bien entendu » (cf. la célèbre valse d’Arletty et Michel Simon dans Circonstances atténuantes) ce raisonnement, le Conseil d'État refuse la transmission sollicitée motif pris de ce que les deux catégories de contribuables font l'objet à juste titre de traitements différenciés car justifiés par une différence de situation et en rapport direct avec l'objet de la loi (sic). 

On regrettera vivement le paralogisme au moyen duquel le Conseil d'État construit sa réponse. En effet, il n'y a initialement, au plan objectif, strictement aucune différence entre les deux catégories car il n'y a en réalité qu'une seule catégorie, celle des contribuables dont la déclaration est entachée de manquements.

L'apparition de deux catégories naît d'un processus purement subjectif et parfaitement arbitraire, à savoir la décision de l'administration fiscale de n'adresser une demande qu'à une partie seulement des contribuables ressortissant pourtant à cette unique catégorie.

C'est l'administration et elle seule, sans motivation explicite d'ailleurs sur le fait qu'elle a choisi de n'aviser que certains des contribuables, qui crée une différenciation. Dans ces conditions le juge est mal venu de dire cette dichotomie justifiée au regard de la loi, laquelle est bien évidemment complètement hors circuit en cette matière.

Au reste, le principe d'égalité exigerait à tout le moins que tous les contribuables fussent avertis par l'administration ou que la loi fixe avec précision le(s) critère(s) permettant à cette dernière d'instituer deux catégories au sein des déclarations défaillantes.

(22 avril 2022, M. A. et Mme C., n° 459103)

 

175 - Dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI - Amende forfaitaire pour non respect des obligations déclaratives prévues par l'art. 240, le 1 de l'art. 242 ter et l'art. 242 ter B du CGI - Intervention d'un changement des circonstances - Transmission d'une QPC.

Est transmise au Conseil constitutionnel la QPC tirée de ce que les dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI, instituant une amende forfaitaire de 50% pour non respect d'obligations déclaratives  prévues à l'art. 240, au 1 de l'article 242 ter et à l'article 242 ter B du CGI, portent atteinte au principe de proportionnalité des peines découlant de l'art. 8 de la Déclaration de 1789.

En effet,  si la décision n° 2012-267 QPC du 20 juillet 2012 a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du 1 du I de l'article 1736 du CGI, l'intervention de ses décisions n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016, n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, n° 2017-667 QPC du 27 octobre 2017 et n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 sont susceptibles de constituer un changement de circonstances au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et d’avoir une incidence sur l’abrupte jurisprudence du 20 juillet 2012. 

(25 avril 2022, Société Lorraine services, n° 458429)

 

Responsabilité

 

176 - Décision du Conseil d’État en matière fiscale – Soumission de dividendes perçus par une société non résidente à une retenue à la source – Application du 2 de l’art. 119 bis CGI - Disposition jugée compatible avec le droit de l’Union – Décision postérieure de la CJUE affirmant l’existence d’une incompatibilité – Demande de réparation du préjudice subi par la société contribuable du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union – Rejet par adoption des motifs de la juridiction d’appel.

La requérante, société de droit luxembourgeois, a demandé réparation à l’État du préjudice que lui a causé la décision du Conseil d'État n° 352209 du 29 octobre 2012 jugeant qu’elle était soumise à l’obligation, instituée par l’art. 119 bis CGI, d’une retenue à la source au taux de 15% sur les dividendes que lui ont versé deux sociétés de droit français.

Elle fonde sa réclamation pécuniaire sur la circonstance que, par une décision du 22 novembre 2018 (Sofina SA, aff. C-575/17), d’ailleurs rendue sur saisine du Conseil d’État, la CJUE a jugé que n’était pas compatible avec les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) la réglementation d'un État membre assujettissant les dividendes distribués par une société résidente à une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice.

La réclamation de la société Kermadec a été rejetée en première instance et la cour administrative d’appel, tout en relevant la contrariété de la décision du Conseil d’État à la jurisprudence européenne précitée de 2018, l’a également rejetée au fond.

Le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi : celui-ci est, à son tour, rejeté.

Deux questions se posaient, une de procédure contentieuse, l’autre de fond.

Sur la procédure, il était objecté que ce litige devait être tranché non par le Conseil d’État mais directement par la CJUE elle-même, d’où la demande d’un renvoi préjudiciel. L’argumentation est rejetée en trois propositions.

D’abord, le droit de l’Union lui-même (cf. CJUE 30 septembre 2003, Gerhard Köbler c. Republik Österreich, aff. C-224/01) réserve au droit national la compétence exclusive pour désigner quelle est, dans son ordre juridique, la juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs à la mise en jeu de la responsabilité de l’État à raison des dommages causés aux particuliers par une violation manifeste du droit de l'Union résultant du contenu d'une décision d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort.

Ensuite, cette juridiction nationale doit respecter les principes fondamentaux garantissant l’impartialité de la justice, l’égalité des armes et le respect du contradictoire ; ceci est assuré en l’espèce car les membres de la formation de jugement du Conseil d'État qui a adopté la décision dont il est allégué qu'elle est entachée d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne doivent s'abstenir de siéger dans l'instance qui doit statuer sur l'existence de cette violation. 

Enfin, et en tout état de cause, l’art. 267 du TFUE ne donne pas compétence à la Cour de Luxembourg pour appliquer les règles du droit de l'Union à une espèce déterminée, mais seulement pour se prononcer sur l'interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l'Union. Dès lors, il ne saurait y avoir lieu à saisine de la CJUE à titre préjudiciel afin qu'elle apprécie elle-même le caractère manifeste de la méconnaissance alléguée du droit de l'Union par une décision du juge national.

Sur le fond, il convenait de vérifier qu’étaient réunies en l’espèce les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État pour faute lourde résultant d’une violation manifeste du droit de l’Union par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort. Le Conseil d’État confirme la réponse négative donnée à cette question par la cour administrative d’appel.

Là aussi l’argumentation est rejetée en ses trois branches.

D’abord, l’engagement de cette responsabilité pour violation manifeste du droit de l’Union suppose la commission d’une faute lourde dont l’existence doit être appréciée au jour où a été rendue la décision litigieuse soit le 29 octobre 2012.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu par la demanderesse, le seul fait que le Conseil d’État n’ait pas procédé à un renvoi préjudiciel à la Cour européenne à propos de la question posée par la société Kermadec ne saurait constituer en soi une faute ainsi qu’il résulte d’ailleurs de la jurisprudence de cette Cour (Köbler précité). Cette dernière estime en effet que si la décision de non renvoi ou l’abstention de renvoi d’une question préjudicielle est un des éléments que le juge national peut prendre en considération pour apprécier l’existence d’une responsabilité, cette décision ou cette abstention ne constitue pas une cause autonome susceptible, à elle seule, d’engager la responsabilité de la juridiction nationale.

Enfin, cette faute doit être manifeste et ce n’est pas le cas ici ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel. La décision du Conseil d’État, lorsqu’elle a été rendue, se situait dans le prolongements d’arrêts antérieurs de la Cour et, spécialement, de celui du 22 décembre 2008 (Belgique c/ Truck Center SA, aff. C-282/07)  où est expressément admise la conformité au droit communautaire d'une différence de traitement consistant en l'application de techniques d'imposition différentes selon le lieu d'établissement des sociétés bénéficiaires de capitaux, les sociétés non-résidentes étant assujetties à une retenue à la source tandis que les sociétés résidentes étaient imposées à l'impôt sur les sociétés.

D’une part, l’arrêt d’appel attaqué ne souffre d’aucune critique, d’autre part, en l’absence de doute raisonnable, il ne saurait y avoir lieu de saisir à titre préjudiciel la CJUE.

Reste qu’un principe élémentaire de justice, de bon sens et de droit naturel – au demeurant principe général du droit administratif - interdit de condamner quelqu’un à payer une somme qu’il ne doit pas et que ce principe est laissé ici lettre morte…

(1er avril 2022, Société Kermadec, n° 443882)

 

177 - Décision du juge pénal ordonnant des travaux de remise en état des lieux assortie d’une astreinte – Inexécution de la décision – Point de départ de l’obligation d’exécuter – Responsabilité pour faute engagée – Absence d’invocation de la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique - Rejet.

Une décision définitive du juge pénal a condamné une société italienne et des personnes physiques à remettre en état des lieux sur lesquels ils avaient illégalement effectué de travaux d'exhaussement et de coupe d'arbres sans autorisation sur plusieurs parcelles sur le territoire de la commune de Vallauris. Cette condamnation a été prononcée sous astreinte à défaut d’exécution dans un délai de six mois.

Une SCI a demandé réparation à la commune et à l’État du préjudice subi du fait de leur abstention à faire procéder d’office ou à procéder eux-mêmes à l’exécution de l’arrêt d’appel ordonnant ces mesures.

Par arrêt confirmatif la cour administrative d’appel a jugé qu’était engagée la responsabilité fautive de l’État. La ministre se pourvoit en vain car le Conseil d’État rejette son pourvoi.

En premier lieu, il est jugé que l’obligation d’exécuter la décision du juge pénal, en faisant procéder aux travaux nécessaires à la remise en état des lieux, prend effet à l’expiration du délai qu’il a fixé indépendamment du prononcé éventuel d’une astreinte. C’est sans erreur de droit que la cour a jugé que la liquidation de l'astreinte ne constituait ni un préalable ni une alternative à cette exécution d'office.

En second lieu, si l’autorité administrative peut se dispenser d’exécuter une décision de justice ce ne peut être que pour un motif tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique. Or en l’espèce n’était invoqué que le coût de la remise en état des lieux ce qui n’est pas un motif pertinent pour refuser d’exécuter une décision de justice. En jugeant que, par leur carence, les services de l’État avaient commis une faute engageant la responsabilité de ce dernier la cour n’a pas, non plus, commis d’erreur de droit.

(5 avril 2022, Ministre de la transition écologique, n° 447631)

 

178 - Contrat de travaux publics – Action en responsabilité – Prescription - Durée quinquennale en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant – Durée décennale en cas d’action du maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants – Rejet.

Le département de la Vendée a été condamné par jugement d’un tribunal administratif à verser à une société une certaine somme correspondant à des surcoûts résultant de la réalisation de plans d'exécution et de notes de calcul dont cette société n'était pas contractuellement redevable et de la moitié des surcoûts générés par la modification du plan de construction initial. Le département, estimant que les manquements pour lesquels il avait été condamné étaient exclusivement imputables au groupement chargé de la maîtrise d'œuvre, après avoir vainement recherché la responsabilité du seul mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Plan 01 et Arest et de M. O., membres du groupement de maîtrise d'œuvre. Cette demande, rejetée en première instance, a été accueillie en appel.

La requérante, condamnée à rembourser le département, se pourvoit en cassation.

Le débat juridique se concentre, pour l’essentiel, sur le point de savoir si la créance du département était ou non prescrite au moment où celui-ci a entendu la répéter sur la requérante.

Or il existe, sur ce terrain de la responsabilité résultant de contrats de travaux publics, deux délais de prescription. Selon l’art. 2224 du Code civil la prescription est de cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières et le Conseil d’État la juge applicable en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant. Selon l’art. 1792-4-3 de ce Code la prescription est de dix ans (la fameuse garantie décennale) pour les actions dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants. Comme cette disposition figure dans une section du code civil relative aux devis et marchés et qu’elle est insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d'ouvrage et d'industrie, le Conseil d’État la considère applicable aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous traitants. 

En l’espèce c’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a appliqué le délai décennal à une action en responsabilité intentée par le département de la Vendée en sa qualité de maître d’ouvrage et dirigée contre les constructeurs membres du groupement de maîtrise d’œuvre et cela – c’est un point très important de cette décision – « alors même (que l’action en responsabilité) ne concerne pas un désordre affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination ». 

Il s’agit d’un élargissement important du champ d’application de cette disposition qui s’aligne d’ailleurs sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation.

(12 avril 2022, Société Arest, n° 448946)

 

179 - Avis de droit - Action en responsabilité pour faute – Possibilité de demande d’injonction – Condition – Action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics – Condition identique de la demande d’injonction.

Des questions posées dans le cadre d’un avis de droit conduisent le Conseil d’État à un abandon jurisprudentiel bien venu car simplificateur.

Il s’agissait de savoir si la possibilité pour le juge administratif de mettre en œuvre ses pouvoirs d'injonction, en l'absence de toute conclusion aux fins d'indemnité, reconnue en matière de dommages d'ouvrages ou de travaux publics dans le cadre de la responsabilité sans faute, peut être étendue en matière de responsabilité pour faute, notamment dans le cas de la carence fautive d'une personne publique à exercer ses pouvoirs de police ou de son refus de se conformer aux obligations qui lui sont fixées par voie législative ou réglementaire.

Le Conseil d’État répond que la personne qui subit un dommage causé par un comportement fautif, d’une part, a droit à sa réparation et, d’autre part, en cas de persistance du comportement fautif produisant un dommage, peut saisir le juge de conclusions à fin d’injonction mais seulement si elle a formulé des conclusions à fins indemnitaires.

Il précise aussi, et c’est là l’innovation jurisprudentielle, que la solution est la même dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics.

On approuvera cette solution de simplicité.

(12 avril 2022, Société La Closerie, n° 458176)

 

180 - Responsabilité hospitalière - Séquelles du traitement de la fracture d'une cheville - Demande d'indemnisation de la perte de gains professionnels - Rejet - Annulation.

Employé dans une entreprise de transports, le requérant, qui a fait l'objet d'une prise en charge hospitalière pour le traitement d'une fracture de sa cheville gauche, en a conservé des séquelles dont il a demandé réparation au titre de l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels. La cour administrative d'appel a rejeté ce chef de réparation motif pris de ce qu'il n'était pas définitivement inapte à toute activité professionnelle.

Le Conseil d'État casse cet arrêt en retenant que la cour, ce jugeant, n'avait pas indiqué les motifs pour lesquels elle estimait que, dans les circonstances de l'espèce et eu égard à la teneur de l'argumentation dont elle était saisie, le déficit fonctionnel permanent de l'intéressé ne devait pas être regardé, eu égard notamment à son âge, à son secteur d'activité et à son niveau de formation, comme la cause directe d'une perte de toute possibilité de retrouver un revenu professionnel, tant pour la période antérieure que pour la période postérieure à son arrêt.

En effet, la victime faisait valoir devant la juridiction d'appel qu'alors même que son déficit fonctionnel permanent avait été évalué à 15 % seulement, celui-ci, d'une part, s'accompagnait de limitations fonctionnelles importantes, en particulier d'une exclusion de la station debout prolongée ou de la station assise prolongée, du travail en hauteur, du travail avec utilisation d'échelle ou d'escabeau, des montées ou descentes d'escaliers répétées et de la marche prolongée ou en terrain instable, d'autre part, que ces contraintes l'avaient forcé à abandonner un projet de reconversion dans la restauration ou l'hôtellerie après son licenciement et qu'enfin, eu égard à son âge et à son niveau de qualification, elles l'avaient privé, et le privaient pour l'avenir, de toute chance réelle et sérieuse de retrouver un emploi.

Il appartiendra à la cour, si elle la maintient, de motiver plus sérieusement la solution de rejet d'indemnisation du préjudice professionnel.

(15 avril 2022, M. A., n° 446813)

 

181 - Avis de droit - Exposition à l'amiante - Délai(s) de prescription applicable (s) - Prescription quadriennale - Caractère continu et évolutif du préjudice d'anxiété ou caractère instantané - Causes d'interruption du délai de prescription.

La cour administrative d'appel de Marseille, usant de la procédure d'avis de droit régie par l'art. L. 113-1 du CJA, a posé au Conseil d'État un certain nombre de questions, d'une grande importance, sur le régime de la prescription des actions en responsabilité intentées du fait de l'exposition à l'amiante.

Trois groupes de questions étaient posés : le point de départ du délai de prescription, la prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété et l'éventuelle interruption de la prescription.

1 - Sur le point de départ du délai de prescription, la cour s'interrogeait d'abord sur le point de savoir s'il avait commencé à courir à compter de la date de publication de l'arrêté portant inscription de l'établissement dans lequel l'intéressé a travaillé sur la liste de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; ensuite, dans l'hypothèse où l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ACAATA et lorsque l'intéressé a travaillé durant la période initiale et terminé son activité pendant la période de prolongation, s'il convient de prendre en compte la date de la publication de l'arrêté initial d'inscription ou celle de l'arrêté de prolongation ; enfin, en cas de réponses négatives, quelle date retenir.

 Le Conseil d'État répond tout d'abord que la créance de réparation dont dispose la victime naît à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés ; si le préjudice présente un caractère continu et évolutif la créance doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. 

2 - Sur le deuxième point, relatif au préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir tout salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA), le juge régulateur décide qu'il naît « de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ».

Cette conscience est nécessairement acquise par la publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel : Le droit à réparation du préjudice d'anxiété est donc acquis à la date de publication de cet arrêté.

Dans la sous-hypothèse évoquée par la cour où l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ACAATA, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé.

Si l'exposition à l'amiante a cessé, la créance se rattache non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

3 - Sur le troisième point, relatif à l'interruption de la prescription, la cour demandait au Conseil d'État si le cours de ce délai de prescription avait pu être interrompu par les recours formés soit à l'encontre de l'État, par des tiers tels que les ayants droit des salariés d'autres sociétés ayant donné lieu aux quatre décisions du Conseil d'État du 3 mars 2004, n° 241150, 241151, 241152, 241153 ou par des sociétés comme dans le cas de la décision du 9 novembre 2015, SAS Construction Mécanique de Normandie (CMN) n° 342468, soit à l'encontre de l'employeur, par les actions en reconnaissance de sa faute inexcusable formées devant les juridictions judiciaires, soit par la plainte pénale contre X déposée en 2006 par un salarié de l'établissement de Dunkerque de la société Normed et une association.

Le Conseil d'État regroupe en trois points sa réponse sur cette question en raison de la diversité des cas visés et des régimes juridiques y afférents.

En premier lieu, il est répondu que les recours formés à l'encontre de l'État par des tiers tels que d'autres salariés victimes, leurs ayants droit ou des sociétés exerçant une action en garantie fondée sur les droits d'autres salariés victimes ne peuvent être regardés comme relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, dont ils ne peuvent dès lors interrompre le délai de prescription en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.

En deuxième lieu, il résulte de ces dernières dispositions qui subordonnent l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique, que les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires ne peuvent pas non plus, en l'absence d'une telle mise en cause, interrompre le cours du délai de prescription de la créance éventuellement détenue sur l'État.

En troisième lieu, lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions de l'article 2 précité de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance.

En revanche, ne présentent un tel caractère ni une plainte pénale qui n'est pas déposée entre les mains d'un juge d'instruction et assortie d'une constitution de partie civile, ni l'engagement de l'action publique par le seul Parquet, ni l'exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette dernière action donne lieu en première instance et en appel. 

On saluera le remarquable effort de clarification et de simplification réalisé par cet avis davantage normatif qu'interprétatif mais fidèle à la ligne générale comme à l'esprit des textes applicables.

(19 avril 2022, M. D., n° 457560)

 

Santé publique - Santé - Sécurité sociale

 

182 - Spécialité pharmaceutique pouvant être délivrée sans prescription – Conditions – Traitement différent de deux spécialités étroitement comparables – Annulation.

Le laboratoire requérant produit un médicament (Nalgesic 300 mg, comprimé pelliculé) dont l’autorisation de mise sur le marché ne prévoit pas sa délivrance par un pharmacien sans sa prescription préalable par un médecin. Il a demandé de modifier l’autorisation de mise sur le marché sur ce point et proposé au ministre de la santé d'accorder à cette spécialité, pour son conditionnement en boîte de 10 comprimés, une exonération à la règlementation des substances vénéneuses dont elle relève en vue que, dans ce conditionnement, sa prescription médicale ne soit plus obligatoire mais facultative.

Cette double demande était notamment fondée sur ce qu’un autre médicament (Ibuprofène), étroitement comparable à celui en cause, bénéficiait lui de l’exonération.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a refusé de transmettre au ministre de la santé la proposition d’exonération sollicitée.

Le laboratoire saisit le Conseil d’État.

Celui-ci rejette l’étrange argumentation de l’ANSM qui, pour justifier le refus de transmettre la demande du laboratoire requérant, prétend qu’en fait il y aurait lieu de revoir l’exonération de l’ibuprofène car celle-ci résulte d’arrêtés pris en 1994 et 2007. En effet, outre que le Nalgesic 300 mg fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché depuis 1976, le juge relève qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu que ce réexamen serait engagé ni même véritablement envisagé. D’où il suit que le directeur général de l'ANSM ne pouvait, compte tenu du caractère étroitement comparable des deux spécialités, se fonder sur cette seule circonstance pour refuser de proposer l'exonération sollicitée. 

L’administration dispose de six mois pour réexaminer la demande du laboratoire requérant « de façon cohérente avec les spécialités étroitement comparables ».

(6 avril 2022, Société Laboratoire Sciencex, n° 449623)

 

183 - Covid-19 - Sortie de crise sanitaire - Suppression de l'obligation du port du masque et de respect de la distanciation dans les lieux publics - Circonstance d'une élection présidentielle - Circulaire ministérielle et addendum sanitaire à cet effet - Rejet.

Comme l'on pouvait s'y attendre, de même que l'instauration de mesures contraignantes pour faire face au Covid-19 avait soulevé une submersion contentieuse, de même la levée de ces mêmes mesures suscite à son tour une ire contentieuse. Ce qui confirme que « Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles » (Ch. de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946)

Les requérants entendaient obtenir, d'une part la suspension des mesures génértales liées à la sortie de la crise sanitaire, d'autre part, la traduction desdites mesures dans le cadre du déroulement de l'élection présidentielle.

On ne sera guère surpris du rejet de l'ensemble de ces demandes.

Tout d'abord, l'évolution de la situation sanitaire générale ne révèle pas une erreur manifeste d'appréciation dans les décisions relatives au port du masque et à la distanciation.

Ensuite, la circulaire et son addendum sanitaire en vue, proprement, de l'élection présidentielle sont des actes de droit souple sans caractère décisoire mais susceptibles d'avoir des incidences notables sur les électeurs se rendant aux urnes. Ils peuvent donc être déférés au juge de l'excès de pouvoir pour l'un des moyens susceptibles d'être relevés en ce cas (fixation d'une règle nouvelle entachée d'incompétence, interprétation du droit positif en méconnaissant le sens et la portée ou mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure). En l'espèce le juge ne relève rien de tel y compris dans les conseils de prudence donnés, la possibilité de conserver le port du masque dans l'enceinte du buteau de vote sauf à dévoiler son visage pour vérification d'identité, etc.

(ord. réf. 7 avril 2022, M. A. et M. B. n° 462909)

(184) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le protocole du ministre des solidarités et de la santé du 18 mars 2022 édicté dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 et relatif aux établissements et services accueillant des personnes âgées et des personnes en situation de handicap en ce qu'il prévoit une obligation du port du masque en intérieur seulement pour les personnes âgées accueillies en établissement médico-social car ce protocole, ne constituant que des recommandations, n'institue pas d'obligation, il n'est pas une mesure pouvant être considérée comme n'étant pas manifestement nécessaire et proportionnée à l'objectif de santé publique en raison de l'évolution des taux d'incidence et d'hospitalisation chez les personnes âgées de plus de 70 ans  et, enfin, eu égard aux personnes et formes de pathologies en cause, de tels établissements sont dans une situation différente de celle des établissements médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap : ord. réf. 20 avril 2022, Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) et autres, n° 463012.

(185) V. également, le rejet d'un recours tendant à l'annulation de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui interdit tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence, en tant qu'il limite à une heure quotidienne et à un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile la dérogation prévue pour, soit l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit les besoins des animaux de compagnie : 26 avril 2022, M. F., n° 445861 ;  M. B., n° 445894.

(186) V. encore, rejetant un autre recours en annulation de ce même article 4 du décret du 29 octobre 2020 : 26 avril 2022, Mme A., n° 446079 ou celui dirigé contre le I de cet article 4 en tant qu'il ne comporte pas d'exception - à l'interdiction de tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence - pour le ramassage du bois de chauffage, la cueillette de fruits sauvages ou de champignons, ou le jardinage en un lieu distinct du lieu de résidence : 26 avril 2022, M. C., n° 446386 et n° 449566.

(187) V. le rejet du recours dirigé contre le a) du 1° et le 9° de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 modifiant divers décrets prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'il réglemente les déplacements en dehors du domicile et l'accès aux établissements de type X et de type PA, interdisant notamment tout exercice d'activités physiques et sportives des mineurs dans les établissements sportifs couverts et toute pratique d'une telle activité, même en extérieur, entre 18 heures et 6 heures : 26 avril 2022, Mme F. et autres, n° 450015.

(188) V., rejetant la demande de transmission d'une QPC fondée sur l'inconstitutionnalité de l'art.  1er de la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de la gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, en tant qu'il interdit l'accès à certains lieux, la pratique de certaines activités et certains déplacements effectués en transports publics interrégionaux aux personnes non détentrices d'un passe vaccinal aux fins de lutter contre l'épidémie de Covid-19 : 26 avril 2022, M. C., n° 460958.

(189) V., rejetant des recours dirigés contre la décision, contenue dans l'article 36 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié par trois décrets successifs, imposant le port du masque aux enfants dès l'âge de 6 ans dans les établissements d'enseignement : 29 avril 2022, Mme N., n° 449527 ; Mme S., n° 449646 ; Mme I. et autres, n° 450660 ; M. C., représentant unique désigné et autres requérants, n° 450668.

(190) V., annulant partiellement la circulaire n° 6245/SG du Premier ministre du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant que, par principe, elle impose qu'un refus soit systématiquement opposé aux demandes d'étrangers d'entrer en France en vue d'y célébrer leur mariage avec un Français car elle porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage et au respect de la vie privée et familiale : 29 avril 2022, Mme L. et autres et association de soutien aux amoureux au ban public, n° 450885.

 

191 - Covid-19 - Réglementation de l'exercice de la liberté religieuse - Restriction aux seules cérémonies funéraires à 30 personnes - Mesures provisoires - Absence d'atteinte disproportionnée à cette liberté - Rejet.

(22 avril 2022, M. D. et M. E., n° 446393)

V. n° 156

 

192 - Classification commune des actes médicaux (CCAM) - Fixation de la prise en charge ou du remboursement par l'assurance maladie des actes techniques figurant à la CCAM - Absence d'autorisation donnée à l'accomplissement d'actes ne relevant pas de la compétence des praticiens qui s'y livrent - Rejet.

Le Conseil national professionnel de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie demandait l'annulation - après rejet implicite de sa demande d'abrogation - de la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) rendant applicables aux chirurgiens-dentistes libéraux et salariés, pour la prise en charge ou le remboursement de leurs actes techniques par l'assurance maladie, les dispositions des livres I, II et III de la liste des actes et prestations pris en charge ou remboursés par l'assurance maladie prévue par les dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale qui, jusqu'alors, s'appliquaient, en vertu de la décision du 11 mars 2005 du même collège des directeurs, aux seuls médecins libéraux et salariés, pour la prise en charge ou le remboursement de leurs actes techniques.

L'organisation requérante estimait notamment qu'en prenant la décision litigieuse, le collège des directeurs de l'UNCAM avait méconnu les dispositions des articles L. 4141-1 et L. 4161-1 du code de la santé publique, faute d'avoir expressément exclu de la prise en charge ou du remboursement par l'assurance maladie des actes réalisés par des chirurgiens-dentistes, ceux qui relèvent de la seule compétence des médecins. Il aurait ainsi permis à un praticien de l'art dentaire d'effectuer des actes figurant sur cette liste qui dépassent sa compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose.

Le moyen est rejeté car, explique le Conseil d'État, la décision litigieuse a pour seul objet de fixer une orientation relative aux inscriptions d'actes et prestations réalisés par les chirurgiens-dentistes, en vue de leur prise en charge ou de leur remboursement par l'assurance maladie telle que prévue par les art. L. 182-2-3 et L. 182-2-4 du code de la sécurité sociale.

(12 avril 2022, Conseil national professionnel de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie, n° 452963)

 

193 - Médicaments « particulièrement coûteux » - Notion et champ d'application - Indication d'un médicament restreinte aux troubles de l'érection - Refus d'inscription sur la liste des spécialités remboursables - Absence d'erreur manifeste d'appréciation – Rejet.

Le litige portait sur le refus ministériel d'inscrire parmi les spécialités remboursables deux spécialités produites par la société requérante destinées à lutter contre les troubles de l'érection en raison de l'impact que pourrait avoir l'admission au remboursement de celles-ci sur leur consommation, alors que les troubles de l'érection peuvent avoir des causes variées et que les traitements pharmacologiques sont déconseillés lorsque des facteurs psychologiques et relationnels en sont la cause prépondérante. En outre, ce refus d'inscription est fondé sur ce qu'une telle inscription est susceptible d'entraîner, compte tenu des conditions dans lesquelles ces spécialités sont prescrites, une augmentation sensible de leur consommation totale, en dehors d'une indication restreinte aux patients pour lesquels une atteinte organique grave est à l'origine des troubles de l'érection, et dès lors non justifiée au regard de leur utilité pour la santé publique.

A cet égard, le caractère particulièrement coûteux d'un médicament peut s'apprécier soit à partir de son prix unitaire soit à raison des dépenses globales qui sont ainsi engendrées.

Enfin, s'il existe une procédure permettant de subordonner le remboursement d'une spécialité, en fonction des indications dans lesquelles elle est prescrite, lorsqu'elle relève des « médicaments particulièrement coûteux », à une information du contrôle médical tant pour les médicaments particulièrement coûteux unitairement qu'au regard des dépenses globales représentées, il ne ressort pas en l'espèce que les ministres compétents auraient pu mettre utilement en œuvre cette faculté de telle sorte que l'inscription de ces spécialités ne serait plus susceptible d'entraîner des hausses de consommation ou des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie au regard de leur utilité pour la santé publique.

Le recours est rejeté.

(26 avril 2022, Société Les Laboratoires Majorelle, n° 454942 et n° 454943)

 

194 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Décision d'arrêt de traitements pour motif d'obstination déraisonnable - Mise en balance des éléments en présence - Rejet.

Statuant en formation collégiale - comme c'est souvent le cas dans ce contentieux - sur une situation médicale dramatique, le Conseil d'État confirme l'ordonnance rendue par le tribunal administratif rejetant la demande d'annulation de la décision de l'équipe médicale du service d'anesthésie et de réanimation d'un hôpital d'arrêter des traitements prodigués à l'épouse du premier requérant dénommé.

Appliquant une ratio decidendi désormais bien établie, le juge fait une balance entre, d'une part, les données objectives fournies par l'état actuel de la science au regard de l'état du patient concerné et de son évolution future à peu près certaine, et d'autre part, le respect de la vie qui constitue une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 du CJA.

Ici, il constate que la poursuite des traitements dont l'arrêt a été décidé ne saurait améliorer les perspectives d'évolution de l'état de la patiente et, dès lors, apparaît inutile et comme résultant d'une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. La demande d’annulation de la décision d’arrêt des soins est, en conséquence, rejetée.

(ord. réf. formation collégiale, 25 avril 2022, M. I. et autres, n° 462576)

 

Service public – Autorités administratives diverses

 

195 - Caisse des dépôts et consignations (CDC) – Réforme de la gouvernance de la Caisse (décr. 20 novembre 2019) – Absence de vices de légalité externe – Désignation des représentants du personnel au sein de la commission de surveillance – Pouvoirs attribués au directeur général de la Caisse – Surveillance et garantie de l’autorité législative – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret du 20 novembre 2019 portant réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations. Tous les moyens, de légalité externe comme de légalité interne, sont rejetés.

Concernant la légalité externe, il est jugé que cette réforme ne relevait pas des dispositions de l’art. 1, 1er alinéa, du code du travail qui ne prévoient de concertation préalable avec les organisations syndicales qu’en cas de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, ce qui n’est pas le cas de l’espèce où la réforme ayant été opérée par la loi le décret attaqué se borne à en fixer les conditions d’application ; au reste, les conditions et les modalités de la gouvernance de la Caisse ne relèvent pas du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle.

Pareillement, le décret litigieux ne saurait être contesté en sa légalité du chef qu’il n’a pas été soumis à l’avis préalable du Comité unique de la Caisse des dépôts et consignations (CUEP) alors que ce dernier avait donné son avis sur plusieurs projets de décrets qui in fine ont été réunis en un seul, celui du 20 novembre 2019, objet du litige.

Concernant la légalité interne du décret du 20 novembre 2019, trois chefs de critiques étaient développés par les requérantes.

En premier lieu, était contestée la désignation des membres représentant le personnel au sein de la commission de surveillance opérée par le décret. Cette critique, qui porte sur la méconnaissance par les dispositions en cause du principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, du principe général de représentativité, le fait que le pouvoir réglementaire les aurait entachées d'erreur manifeste d'appréciation ou qu’elles seraient entachées d'incompétence négative revient à mettre en cause la loi elle-même ce qui ne peut être fait, devant le juge administratif, qu’au moyen d’une QPC.

En deuxième lieu, les requérantes jugeaient illégaux les pouvoirs conférés au directeur général de la Caisse. Brevitatis causa, la réforme transfère du premier ministre et du ministre de l’économie à ce directeur le pouvoir de désigner des directeurs délégués.

Sont rejetés les griefs selon lesquels ne serait pas prévue l’autorité compétente pour mettre fin aux fonctions de ces directeurs délégués alors que s’applique le bien connu principe du parallélisme des compétences (voir, par ex. : C.E. 1er février 2006, Touzard, n° 271676) même si le Conseil d’État ne le cite pas expressément ici tout en l’appliquant. Ainsi le premier ministre n’a pas commis d’erreur de droit en prévoyant explicitement cette compétence au profit du directeur général de la Caisse alors même que la loi est muette sur ce point. Pareillement, ce retrait de fonctions s’effectue, dans le silence du texte critiqué, selon les règles et principes applicables aux agents des différents corps auxquels appartiennent les personnes concernées. De même, la faculté de déléguer une partie de ses pouvoirs reconnue au directeur général ne contrevient à aucun principe général non plus qu’à aucune règle.

En troisième lieu, enfin, la CDC n’est pas « une administration centrale de par la loi ».

Concernant les moyens critiquant l’absence de surveillance et de garantie de l'autorité législative prévue à l’art. L. 518-2 du code monétaire et financier, ceux-ci ne sauraient prospérer puisque sur ce point le décret contesté se borne à reproduire des dispositions législatives.

(1er avril 2022, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n° 437773)

(196) V. aussi, à propos des refus du ministre du travail d’ouvrir une enquête de représentativité et de fixer la liste des organisations représentatives dans le périmètre du personnel navigant technique (PNT) des entreprises de transport aérien, l’arrêt décidant, d’une part, implicitement, que le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur ces décisions de refus et d’autre part que ce ministre est compétent, en application de l'article L. 2121-2 du code du travail, pour, s'il y a lieu, fixer la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans tout périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir : 6 avril 2022, Syndicat national des pilotes de ligne France ALPA, n° 439658.

 

197 - Exercice du droit de grève dans les services publics – Cas des autoroutes – Réglementation de l’exercice de la grève par directive ministérielle – Application de la jurisprudence Dehaene – Rejet.

Le syndicat demandait, au principal, l’annulation du refus implicite de retirer, à tout le moins d’abroger, la directive ministérielle du 26 septembre 1980 relative au service minimum à assurer en cas de grève, sur les autoroutes concédées.

Sans surprise la requête est rejetée à la suite d’un raisonnement droit venu de la solution retenue par le célèbre arrêt Dehaene (Assemblée 7 juillet 1950, Rec. Lebon p. 426) et constamment réitérée (par ex : Assemblée, 4 février 1966, Syndicat unifié des techniciens de la RTF, Rec. Lebon p. 81ou Assemblée, 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et Mines et autres, Rec. Lebon p. 94).

Tout d’abord, « En indiquant dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l'Assemblée Constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l'une des modalités et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte. »

Ensuite, la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, en vigueur lors de l’édiction de la directive ministérielle attaquée, ne constitue pas l'ensemble de la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution puisqu’elle ne régit l’exercice du droit de grève que sur deux points seulement. Aussi, faute qu’existe la complète législation annoncée par la Constitution et la reconnaissance du droit de grève ne pouvant avoir un caractère absolu ou illimité, c’est à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même les conditions d’exercice de ce droit dans ce service. Dans le cas des services concédés, ce pouvoir appartient, sauf texte particulier, à l'autorité concédante, qui, s'agissant des concessions d'autoroutes, est l'État. 

Le cahier des charges de la concession d’autoroutes par l’État à Cofiroute, approuvé par décret, prévoit que le ministre chargé de la voirie nationale est compétent pour réglementer le service minimum sur les autoroutes en cas de grève.

Par la directive attaquée, son auteur a pu légalement et en demeurant dans le champ de sa compétence, définir les fonctions indispensables à la sécurité des personnes et des biens dont la continuité doit être assurée en période de grève, qui sont relatives aux interventions de sécurité, aux équipements de sécurité, à la surveillance de certains ouvrages, et aux informations et moyens nécessaires à ces tâches et au fonctionnement de ces équipements.

(5 avril 2022, Syndicat CGT de la société Cofiroute, n° 450313)

 

198 - Principe d’égalité – Application pouvant, à certaines conditions, être différenciée en fonction de la différence des situations – Limites – Prime accordée à une partie seulement de certaines catégories d’établissements scolaires – Exclusion des assistants d’éducation du bénéfice de cette prime – Absence de justification – Annulation.

C’est une solution contentieuse bien établie et de longue date que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

Le Conseil d’État précise ici que ces modalités de mise en œuvre différenciée du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.

En l’espèce, a été créée au bénéfice de certains personnels affectés ou exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ (Réseau d'éducation prioritaire renforcé) ou REP (Réseau d'éducation prioritaire) une prime destinée à prendre en compte les conditions difficiles d'exercice de leurs fonctions par ces personnels, à attirer des candidatures pour ces emplois et destinées à servir durablement dans ces écoles ou établissements, de façon à y améliorer la stabilité des équipes pédagogiques et de vie scolaire.Cette prime est ouverte à tous les personnels intervenant dans ces établissements, y compris aux contractuels sous CDD, mais pas aux assistants d'éducation.

Le Conseil d’État accueille le recours de la fédération requérante contre un traitement inégalitaire injustifié dans la mesure où ces agents sont soumis aux mêmes contraintes et charges que leurs autres collègues bénéficiaires de la prime. L’atteinte au principe d’égalité est jugée illégale car a été créée une différence de traitement sans rapport avec l'objet du texte qui institue cette indemnité.

L’application positive des limites aux atteintes au principe d’égalité est assez rare pour que soit saluée cette décision qui sera d’ailleurs publiée au Recueil Lebon

(12 avril 2022, Fédération Sud Education, n° 452547)

(199) V. en revanche, jugeant qu’est justifiée la différence de montant de la prime selon que la fonction est exercée en REP+ ou en REP : 12 avril 2022, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Education, n°456068, n° 456069 et n° 456072.

 

200 - Opérations de lutte contre l'incendie ou de secours - Participation de mineurs en qualité de sapeurs pompiers volontaires - Protection de l'intérêt supérieur de l'enfant - Principe général prohibant l'emploi et l'exposition de mineurs - Inexistence - Méconnaissance de dispositions européennes ou internationales - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension du refus implicite du premier ministre d'abroger les articles R. 723-6 et R. 723-10 du code de la sécurité intérieure en tant qu'ils permettent l'engagement et la participation à des opérations de lutte contre l'incendie ou de secours de mineurs âgés de moins de dix-huit ans et de plus de seize ans en qualité de sapeurs-pompiers volontaires et assortissait cette demande principale d'une d'action afin qu'injonction soit donné au susdit d'abroger les articles litigieux.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, contrairement à ce que soutient le syndicat demandeur, il n'existe pas de principe général qui interdirait l'emploi de personnes de moins de dix-huit ans exposées à des risques pour leur santé, leur sécurité, leur moralité ou à des travaux excédant leur force.

En deuxième lieu, ces dispositions ne portent pas atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant car, d'une part, l'engagement de mineurs âgés de plus de seize ans comme sapeurs-pompiers volontaires, susceptibles d'exercer les mêmes missions, potentiellement dangereuses, que les sapeurs-pompiers volontaires majeurs, repose sur le volontariat et le bénévolat et nécessite, outre le choix volontaire du mineur, le consentement écrit de son représentant légal et, d'autre part, cet engagement est subordonné à des conditions d'aptitude physique et médicale, certifiée par un médecin après examen de l'intéressé, enfin, les intéressés bénéficient, avant toute participation à une activité opérationnelle, d'une formation adaptée dispensée tout au long d'une période probatoire qui ne peut être inférieure à un an et leur engagement opérationnel se fait de manière progressive au fur et à mesure de l'acquisition des compétences indispensables à leur sécurité. 

En troisième lieu, les éléments qui précèdent expliquent et justifient que cet emploi de mineurs de seize à dix-huit ans pour l'exercice de fonctions les exposant à des risques certains ne contrevient pas aux dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'art. 7 de la directive du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail.

Enfin, s'agissant du moyen tiré de la méconnaissance d'autres engagements internationaux de la France, il est jugé que ceux-ci laissent une marge importante d'appréciation aux États et qu’étant dépourvus d'effet direct dans le chef des particuliers (sur cette notion, voir la décision fondatrice : Assemblée 11 avril 2012, GISTI et Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement, Rec. Lebon p. 142), ils requièrent l'intervention d'actes complémentaires, ils ne peuvent donc être invoqués à l'appui de conclusions dirigés contre les dispositions attaquées : ainsi en va-t-il de l'article 7 relatif au droit des enfants et des adolescents à la protection de la charte sociale européenne révisée signée à Strasbourg le 3 mai 1996, de l'article 3 de la convention internationale du travail n° 138 concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi, adoptée à Genève le 26 juin 1973, des articles 3 et 7 de la convention internationale du travail n° 182 concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination, adoptée à Genève le 17 juin 1999.

(19 avril 2022, Syndicat Sud SDIS National, n° 451727)

 

201 - Enseignement supérieur - Compétence exclusive du conseil d'administration - Incompétence du président d'université pour statuer dans une matière non encore régie par le conseil d'administration - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'au sein des universités le conseil d'administration, auquel il appartient de déterminer la politique de l'établissement, est compétent pour fixer, s'il y a lieu, les capacités d'accueil et les modalités de sélection pour l'accès à la première année du deuxième cycle, d'où il suit qu'en l'espèce, la décision du président de l'université prise le 27 juillet 2018, de refuser une inscription en master I alors que le conseil d'administration, seul compétent à cet effet, n'a délibéré que le 22 octobre 2018 sur la fixation de capacités d'accueil et de modalités de sélection pour l'accès à ce master I, est entachée d'incompétence. 

(27 avril 2022, Université Paris Cité venue aux droits de l'Université Paris V - Descartes, n° 450490)

 

Sport

 

202 - Fédération française de football (FFF) – Statuts – Cas non prévus – Décisions de relégation en National 2 et de montée en National 1 – Règlement des championnats de National 1 et de National 2 - Compétence du comité exécutif – Maintien à 18 de l’effectif du championnat de National 1 – Principe de sécurité juridique – Rejet.

Les recours joints, qui sont une conséquence de l’épidémie de Covid-19, tendent à faire juger entachées d’incompétence et d’illégalité les décisions prises par le comité exécutif de la FFF concernant les montée et descente en et du National 1 des clubs concernés alors que l’une des deux séries avait pu jouer tous les matches prévus et l’autre non et que les statuts et autres règlements applicables n’ont pas prévu une telle situation.

Le Conseil d’État estime que le comité exécutif de la Fédération tient de l’art. 18 des statuts le pouvoir de statuer sur « tous les problèmes présentant un intérêt supérieur pour le football et sur tous les cas non prévus par les statuts ou règlements » et ceci en dépit de ce que l'article 38 du règlement des championnats de National 1 et 2 2020-2021 dispose que les cas non prévus par ce règlement relèveront de l'appréciation de la commission d'organisation compétente car, en tout état de cause, l'article 3 des règlements généraux dispose que « le comité exécutif peut, en application de l'article 18 des statuts, prendre toute mesure modificative ou dérogatoire que dicterait l'intérêt supérieur du football ». Il suit de là qu’en l'absence de dispositions ayant prévu par avance des règles à suivre en matière de relégation et d'accession entre deux championnats lorsque des circonstances imprévues font obstacle à ce que l'un d'entre eux se poursuive jusqu'à son terme et donne lieu à un classement, tandis que l'autre a pu aller à son terme, et alors qu'un intérêt général s'attachait à une clarification des règles applicables, notamment pour adapter les modalités de comblement des vacances de places à ce contexte inédit, le comité exécutif était, contrairement à ce qui est soutenu, compétent pour prendre les mesures contestées.

Par suite nécessaire et liée, il appartenait au comité exécutif de déterminer les conséquences à en tirer pour résoudre les difficultés d'articulation découlant de cette situation imprévue, le cas échéant en dérogeant aux dispositions normalement applicables ou en les adaptant. Si le règlement des championnats de National 1 et de National 2 2020-2021 (art. 5 et 6) permettait de désigner 17 équipes pour participer au championnat de National 1, il ne faisait cependant pas obstacle à ce que le comité exécutif puisse légalement prendre des dispositions pour adapter les règles d'attribution des places vacantes afin de ne pas en rester à ce nombre d'équipes et, au contraire, s'il l'estimait souhaitable, d'atteindre le nombre qu'il fixe de 18 équipes qualifiées pour disputer le championnat. Ces dispositions n'imposaient pas davantage, pour combler les vacances dans la composition d'un championnat, de donner une priorité au repêchage des clubs classés en fin de tableau du championnat de National 1 de la saison 2019-2020 sur l'accession des clubs classés meilleurs deuxièmes à l'issue de cette même saison. De ce chef, la décision contestée ne méconnaît pas les dispositions des articles 5 et 6 de ce règlement.

De là aussi, cette conséquence que le juge ne peut exercer, en l’espèce, qu’un contrôle réduit à l’erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne :

1° le maintien à 18 de l'effectif du championnat de National 1 et la définition à cet effet d’une règle de repêchage ou d'accession permettant de compenser la relégation de l'équipe classée dernière de ce championnat alors que le principe d'une « saison blanche » avait été retenu pour le championnat 2020-2021 de National 2,

2° le choix de ne pas repêcher l'équipe classée dernière du championnat de National 1, qui résultait de l'application de la règlementation et reflétait les résultats sportifs d'une saison parvenue à son terme,

3° le choix d'attribuer la dernière place vacante au meilleur deuxième du championnat de National 2 en se référant au dernier classement fondé sur le mérite sportif, soit celui de la saison 2019-2020, par une simple adaptation des règles applicables en vue de combler les places vacantes,

4° la décision de ne pas procéder, de façon dérogatoire, au repêchage d'un club classé en fin de tableau du championnat de National 1 au titre de la même saison.

Enfin, sont également rejetés deux autres griefs.

Tout d’abord, c’est sans atteinte illégale au principe d’égalité que la FFF a fondé ses décisions de relégation et de montée pour combler les places vacantes sur les performances de saisons différentes selon les championnats car cette différence est liée à une différence de situation dès lors qu'un seul des deux championnats concernés a donné lieu à un classement.

Ensuite, n’est pas non plus contraire au principe de sécurité juridique la décision du comité exécutif du 23 avril 2021 au motif qu’elle aurait entériné l'absence d'accession en National 1, ce qui laissait penser qu'aucune relégation en National 2 n'aurait lieu ; il ressort, en effet, des pièces du dossier que la décision en cause ne portait que sur les accessions sportives, sans prendre parti sur l'articulation entre les championnats de National 1 et National 2, et qu'en revanche, le choix d'appliquer les règles relatives aux vacances de places prévues par les règlements des championnats avait été opéré dès le 6 mai 2021.

(5 avril 2022, Association Lyon-La Duchère et société anonyme sportive professionnelle Lyon-La Duchère, n° 454918 ; Association Le Puy Foot 43 Auvergne, n° 454953, jonction)

 

203 - Sanction pour dopage - Recours du président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Personne sanctionnée - Recours de plein contentieux - Possibilité de former une demande reconventionnelle en dépit du silence des textes à ce sujet - Rejet sur ce point.

Rejetant la fin de non-recevoir opposée par la requérante à une sportive convaincue de dopage et sanctionnée pour cela, le Conseil d'État rappelle à nouveau (cf. 6 avril 2016, M. Rosier, n° 374224) que dans les litiges relevant du contentieux de la pleine juridiction, ou plein contentieux, le silence des textes sur ce point ne peut être interprété comme excluant pour une personne sanctionnée, la faculté de présenter des conclusions reconventionnelles en vue d'obtenir l'annulation ou la réformation de la sanction prononcée à son encontre.

(26 avril 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 453347)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

204 - Sursis à une demande de permis de construire – Pétitionnaire bénéficiaire d’une promesse de vente d’un terrain sous condition d’obtention d’un permis de construire sur celui-ci – Constatation d’une urgence – Suspension du refus de permis de construire – Erreur de droit – Annulation.

Le maire de la commune requérante a opposé à une société de promotion immobilière un sursis à statuer sur sa demande de permis de construire. Sur saisine de cette société le juge des référés a suspendu l’arrêté opposant le sursis et ordonné le réexamen sous un mois de la demande de permis.

Réexaminant cette demande le maire l’a rejetée le 29 juin 2021 et le juge des référés a, par ordonnance du 27 août 2021, suspendu ce refus et ordonné, à nouveau, le réexamen, sous un mois, de la demande de permis en tenant compte des motifs de son ordonnance. Celle-ci reposait sur la circonstance que le promoteur avait conclu avec le propriétaire du terrain d'assiette une promesse de vente, consentie jusqu'au 20 octobre 2021, sous la condition suspensive de la délivrance dans le délai d'instruction d'un permis de construire valant permis de démolir pour la réalisation de l'opération projetée. Le juge en a donc déduit qu'en raison du refus opposé à sa demande, la société pétitionnaire risquait de devoir renoncer à l'acquisition du terrain et à son projet immobilier, en vue de la réalisation duquel elle avait engagé des frais, et qu'elle serait ainsi exposée à d'importantes pertes financières.

Saisi par la commune, le Conseil d’État casse cette ordonnance à raison de son erreur de droit. Il est constant, en effet, que le défaut de réalisation d’une promesse de vente sous condition suspensive stipulée dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur ne rend pas caduque la promesse.

C’est donc par erreur de droit que pour juger qu’il y avait urgence à statuer, l’auteur de l’ordonnance attaquée s’est fondé sur ce que le refus litigieux faisait obstacle à l'acquisition du bien objet de la promesse de vente conclue le 13 mai 2020 et prorogée par un avenant du 23 juin 2021. En réalité, il lui incombait de rechercher si, comme le faisait valoir la commune d'Auribeau-sur-Siagne, la condition suspensive tenant à la délivrance d'un permis de construire n'avait pas été stipulée dans l'intérêt exclusif de la société pétitionnaire. 

(7 avril 2022, Commune d’Auribeau-sur-Siagne, n° 453667 et n° 456647)

 

205 - Décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme – Recours contentieux – Règle de la cristallisation des moyens – Irrecevabilité de principe des moyens nouveaux – Exceptions – Annulation.

Dans le souci d’accélérer les procédures en matière d’urbanisme l’art. R. 600-5 du code de l’urbanisme décide – par dérogation au droit commun du procès administratif - que lorsqu’une juridiction a été saisie d’un recours en annulation ou en réformation d’une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme, les moyens nouveaux sont irrecevables passé le délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense.

En l’espèce, des particuliers avaient demandé l’annulation d’un permis de construire délivré en vue de la surélévation d’un immeuble et leur recours avait été rejeté par le tribunal administratif sur le fondement de son irrecevabilité tirée des dispositions de l’art. R. 600-5 c. urb.

Le juge de cassation, dans une importante décision, annule ce jugement aux termes de ce que l’on pourrait appeler la doctrine du Conseil d’État sur l’utilisation de l’art. R. 600-5 précité.

Après avoir rappelé le sens et la portée de ce texte, le juge de cassation énonce deux inflexions majeures à la rigueur de la règle de cristallisation des moyens.

En premier lieu, le président de la formation de jugement ou d’instruction peut fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens « s’il estime que les circonstances de l’affaire le justifient ». La formule est souple est large : ces moyens peuvent être de droit mais aussi, ce sera le cas le plus fréquent, de fait ; par ailleurs nous ignorons l’étendue du contrôle qui sera exercé sur ce pouvoir de « décristallisation » ou, plutôt, de « recristallisation », mais on peut penser qu’il sera réduit à celui de l’erreur manifeste d’appréciation, ce qui signerait sa nature discrétionnaire.

En second lieu, s’il est normalement facultatif l’exercice de ce pouvoir de « recristallisation » peut être rendu obligatoire pour la juridiction ; c’est le cas, selon une formulation bien connue,  lorsque le moyen est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n'était pas en mesure de faire état avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Il est donc fait application ici de l’exception initialement instituée à raison du contenu de certaines notes en délibéré.

La solution doit être approuvée mais soulève une interrogation critique : pourquoi s’évertuer à faire prendre par le pouvoir réglementaire des textes de procédure « durs » comme le fait souvent le Conseil d’État, si c’est ensuite pour les « assouplir » au nom d’un certain réalisme contentieux ?

(8 avril 2022, M. et Mme M., n° 442700)

 

206 - Plan local d’urbanisme (PLU) – Règlement évoquant « la plate-forme » d’une voie – Notion en l’absence de définition – Rejet.

Dans un litige en matière de permis de démolir en vue de la construction d’un immeuble collectif comportant 23 logements, était notamment en cause la disposition suivante du dernier alinéa de l’art. 3 du règlement d’un PLU : « (…) Aucune voie automobile ne doit avoir une plate-forme d'une largeur inférieure à 7 mètres ». Faute que les auteurs du plan aient défini cette notion de plate-forme d’une voie, le Conseil d’État s’essaie à une telle définition en jugeant que « la plate-forme d'une voie comprend, en l'absence de précisions contraires, la chaussée, sur laquelle circulent les véhicules, les accotements qui bordent la chaussée et qui peuvent, le cas échéant, accueillir des trottoirs, ainsi que d'éventuels terre-pleins. » Le choix d’une définition large n’est, bien évidemment, pas sans conséquence sur la portée et les effets de la disposition en cause. Cependant, ce décidant, le juge est parfaitement dans son office.

(8 avril 2022, M. K. et autres, n° 448183)

 

207 - Arrêté d’interruption de travaux en cours pour non-conformité à l’autorisation de construire – Obligation d’organiser une procédure contradictoire sauf urgence – Abstention d’apprécier l’urgence – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Si, en principe, la mesure de police que constitue un arrêté d’interruption de travaux pour non-conformité à l’autorisation de construire doit, à peine de nullité, être précédé d’une procédure contradictoire, c’est sous réserve de l’existence d’une urgence ou de circonstances exceptionnelles.

En l’espèce, où la commune invoquait expressément l’urgence, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en annulant l’arrêté litigieux au seul motif du défaut de contradictoire sans examen de l’existence ou non de l’urgence invoquée par la commune.

(13 avril 2022, Société les Roures, n° 448969)

 

208 - Fiscalité du droit de l'urbanisme - Taxe d’aménagement – Applicabilité à tous installations ou aménagements soumis à autorisation par une disposition du code de l’urbanisme – Cas de résidences mobiles de loisir implantées dans un camping – Absence de soumission à autorisation – Infraction pénale – Circonstance indifférente – Insuffisance de motivation – Annulation et renvoi.

L’art. L. 331-6 du code de l’urbanisme soumet au paiement de la taxe d'aménagement les installations ou aménagements de toute nature soumis à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme. En cas de constructions ou d'aménagements sans autorisation ou en infraction aux obligations résultant de l'autorisation de construire ou d'aménager, la date du fait générateur est celle du procès-verbal constatant l'achèvement des constructions ou des aménagements en cause.

Une personne ayant disposé des résidences mobiles de loisir sur un terrain de camping, a été, pour cela, reconnue pénalement responsable par arrêt d’une cour judiciaire d’appel pour installation sans autorisation.

Celle-ci a soutenu devant le tribunal administratif que l’installation de ce type d’habitat n'est soumise par le code de l'urbanisme à aucun régime d'autorisation et qu'en l'absence de procès-verbal constatant l'édification d'une construction sans une telle autorisation, la taxe d'aménagement était privée de fait générateur. Le tribunal a rejeté cette argumentation.

Le Conseil d’État, sur pourvoi dirigé contre ce jugement, l’annule car il incombait seulement au juge de rechercher si cette installation était soumise à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme sans pouvoir se soustraire à cette exigence en invoquant une décision du juge pénal.

Voilà une belle illustration de l’indépendance des qualifications juridiques opérées par chaque ordre de juridiction.

(14 avril 2022, M. A., n° 422801)

 

209 - Fiscalité du droit de l'urbanisme - Taxe d'aménagement - Modification apportée au permis de construire - Droit à décharge - Délai de réclamation à compter du permis modificatif - Annulation.

Une société a obtenu un permis de construire modificatif qui avait pour objet une réduction du nombre d'emplacements de stationnement afférents à un ensemble immobilier.

Elle a donc demandé à l'administration, en vain, une réduction du montant de la taxe d'aménagement à laquelle elle avait été assujettie. Le tribunal administratif a rejeté sa requête comme entachée de forclusion, la saisine du juge ayant eu lieu le 3 février 2017 soit plus de deux ans (cf. art. L. 331-31 c. urb.) après l'émission du premier titre de perception, le 27 octobre 2014.

Le Conseil d'État annule pour erreur de droit cette solution car lorsque la modification apportée au permis de construire entraîne non pas un complément de taxe faisant l'objet d'un titre de perception émis dans le délai de douze mois à compter de la date de délivrance de ce nouveau permis conformément aux dispositions de l'article L. 331-24 du code de l'urbanisme, mais ouvre droit à une décharge, une réduction ou une restitution de taxe en application du 2° de l'article L. 331-30 de ce code, les réclamations sont recevables, s'agissant des seules modifications apportées au projet, jusqu'au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de la délivrance du permis modificatif. 

En l'espèce, le permis modificatif a été délivré le 10 novembre 2015, le délai de saisine du juge expirait donc le 31 décembre 2017 et c'est donc à tort que le tribunal a opposé la forclusion à une saisine intervenue en février 2017.

(22 avril 2022, Société Le Malaza, n° 439459)

 

210 - Recours contre un permis de construire - Désistement - Désistement d'instance et non d'action - Effet sur l'introduction d'un nouveau recours - Cas de l'intervenant en première instance interjetant appel - Intérêt pour agir - Absence - Annulation et rejet.

(12 avril 2022, M. J., n° 451778)

V. n° 54

 

211 - Droit de préemption urbain - Parcelles grevées de baux à construction et comportant des constructions - Exercice de ce droit au moment de la levée des options - Transmission de la promesse de vente à l'autorité de préemption - Incompatibilité avec la constitution d'une réserve foncière ou la réalisation d'une opération d'aménagement - Annulation des ordonnances attaquées - Suspension en référé ayant pour effet d'empêcher le transfert de propriété, la prise de possession des biens préemptés au bénéfice de la collectivité publique et permettant aux propriétaires et aux acquéreurs évincés de mener la vente à son terme.

La commune requérante a décidé d'user de son droit de préemption urbain sur trois parcelles grevées de baux à construction et supportant des constructions, à l'occasion de la levée des options d'achat par les acquéreurs en vue d'une opération d'aménagement d'un « pôle d'excellence du nautisme ».

Les acquéreurs évincés ont obtenu par deux ordonnances de référé la suspension de l'arrêté de préemption en tant qu'il permet le transfert de propriété ou la prise de possession du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique titulaire du droit de préemption. 

La commune se pourvoit en Conseil d'État. Celui-ci annule ces ordonnances pour un pur motif de procédure, à savoir le non-respect du contradictoire après une malencontreuse mesure de réouverture (involontaire ?) de l'instruction.

Passant à l'examen du fond, le juge fait ici application d'une présomption d'urgence liée à toute décision de préemption au regard de ses effets sur l'acquéreur évincé dès lors que l'autorité de préemption n'invoque ou n'établit pas de circonstances particulières permettant d'écarter, au cas de l'espèce, la présomption d'urgence. Ce n'est pas le cas ici.

Concernant la seconde condition tenant à l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le Conseil d'État la juge satisfaite ici.

Il relève tout d'abord, ce qui n'allait pas de soi, que la circonstance qu'une parcelle soit grevée d'un bail à construction ne fait pas, par elle-même, obstacle à l'exercice du droit de préemption lorsqu'elle fait l'objet d'une aliénation soumise au droit de préemption car cette situation n'entre pas dans l'énumération limitative que fait l'art. L. 213-1 du code de l'urbanisme des exceptions à l'exercice du droit de préemption.

Il précise ensuite, en raison du mécanisme particulier du bail à construction, les conséquences s'attachant inéluctablement à une préemption exercée à l'occasion de la levée, par le preneur, de l'option stipulée au contrat d'un bail à construction. Or cette levée d'option a pour effet de lui permettre d'accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail et de transmettre à l'autorité qui préempte ces parcelles la qualité de bailleur. De cette seconde conséquence, il s'ensuit que la commune qui préempte succède à l'acquéreur évincé dans les obligations attachées à cette qualité, au premier rang desquelles figure l'obligation d'exécuter la promesse de vente. 

C'est pourquoi existe bien ici un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption puisqu'en emportant obligation pour la commune de céder aux acquéreurs les parcelles visées par la déclaration d'intention d'aliéner cette préemption ne permet plus de satisfaire au motif de son intervention, à savoir la réalisation d'une opération d'aménagement.

Enfin, relevant que le juge du référé suspension, en ordonnant la suspension de la décision de préemption peut limiter les effets de sa décision soit au transfert de propriété soit à la prise de possession du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique, le Conseil d'État décide qu'il n'y a pas lieu au cas de l'espèce, de limiter les effets de la suspension et qu'il convient donc de permettre aux propriétaires et aux acquéreurs évincés de mener la vente à son terme.

(19 avril 2022, Commune de Mandelieu-la-Napoule, n° 442150)

 

212 - Permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement - Application de l'art. L. 121-8 c. urb. - Distinction entre secteur déjà urbanisé et espace d'urbanisation diffuse - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

L'office requérant demandait l'annulation du jugement d'un tribunal administratif ayant annulé l'arrêté municipal qui lui avait accordé un permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement comportant onze lots. 

Les premiers juges s'étaient fondés, pour prononcer cette annulation, sur les dispositions de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme dans la version que lui a donnée la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Ils ont considéré que le terrain d'assiette du projet étant inscrit dans un « compartiment » ne présentant pas une densité significative de constructions, il n'était pas situé dans un secteur déjà urbanisé au sens des dispositions du deuxième alinéa de l'article précité.

En jugeant ainsi ils ont commis une erreur de droit car ils n'ont pas fait application des critères retenus par ce texte pour distinguer les secteurs déjà urbanisés des espaces d'urbanisation diffuse.

(22 avril 2022, Office public de l'habitat des Pyrénées-Atlantiques, n° 450229)

 

213 - Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSVM) - Conséquences du PSVM sur les travaux possibles sur les immeubles qui y sont situés - Installation d'un ascenseur - Evolution du texte du III de l'art. L. 313-1 c. urb. - Art. 3 du PSVM contraire à la loi - Annulation.

Leur immeuble étant situé dans le périmètre du PSMV de la commune de Versailles, les requérants, propriétaires d'un appartement en copropriété, se sont vu refuser, à la suite de la déclaration préalable de travaux, l'autorisation d'y installer un ascenseur en application de l'art. 3 du règlement de ce PSVM qui dispose en particulier : « La conservation de ces immeubles est impérative : par suite, tous travaux effectués sur un immeuble ne peuvent avoir pour but que la restitution de l'immeuble dans son état primitif ou dans un état antérieur connu compatible avec son état primitif ».

Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt d'appel infirmatif du jugement qui avait enjoint à la commune de Versailles de leur délivrer un certificat de non-opposition à cette déclaration préalable.

Le Conseil d'État annule l'arrêt contesté en relevant que si le III de l'art. L. 313-1 c. urb. disposait jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, que « (...) Le plan de sauvegarde et de mise en valeur peut (...) comporter l'indication des immeubles ou parties intérieures ou extérieures d'immeubles : (...) dont la démolition, l'enlèvement ou l'altération sont interdits et dont la modification est soumise à des conditions spéciales (...) », il résulte de ses travaux  préparatoires que si les PSVM peuvent identifier les immeubles ou parties intérieures ou extérieures d'immeubles dont la démolition, l'enlèvement ou l'altération sont interdits et dont la modification est soumise à des conditions spéciales, cette dernière loi ne permet plus désormais d'en interdire toute modification de façon générale et absolue.

Il suit de là qu'en maintenant une telle interdiction générale et absolue les dispositions de l'art. 3 précitées du PSVM de la commune de Versailles sont contraires à la loi et que c'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a rendu l'arrêt frappé de pourvoi.

(26 avril 2022, M. et Mme B., n° 448894)

 

214 - Zone de tension entre offre et demande de logements - Logements vacants - Contentieux de la taxe annuelle sur les logements - Compétence juridictionnelle - Recours contre les retraits ou les refus de retraits d'autorisations de construire, de démolir ou d'aménager - Cas des recours contre les certificats de conformité - Compétences respectives de la cour administrative d'appel et du Conseil d'État.

Dans le souci d'accélérer le règlement du contentieux des permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou des permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une commune dans laquelle a été constatée une tension entre offre et demande de logements ayant conduit à l'institution d'une taxe annuelle sur les logements vacants, le code de justice administrative attribue au tribunal administratif le jugement en premier et dernier ressort de ces litiges.

Le Conseil d'État apporte à cet égard deux précisions.

Tout d'abord, la compétence du tribunal administratif s'étend aux recours dirigés contre les retraits ou les refus de retrait des autorisations accordées (réitération sur ce point de : Section, 5 mai 2017, M. Fiorentino, n° 391925).

Ensuite, cette compétence dérogatoire du tribunal administratif ne s'étend pas aux recours dirigés contre les certificats de conformité des travaux à l'autorisation délivrée ou les refus de retraits de ces certificats. En ce cas, qui est celui de l'espèce, l'appel est porté devant la cour administrative d'appel.

(26 avril 2022, SNC Immobilière Aire Saint-Michel, n° 452695)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2022

Mars 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Consultation préalable obligatoire d’un organisme – Choix d’une consultation directe du public – Décision subséquente de consulter l’organisme prévu – Irrégularités affectant la consultation ouverte – Absence d’effet sur la décision de l’administration – Rejet.

Lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA).

Toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)).

En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

V. n° 74 pour les autres aspects de cette décision

 

2 - « Tweets » du premier ministre et du ministre de l’intérieur – Messages ne révélant pas une décision – Simples rappels d’une obligation déjà existante – Rejet.

Le recours dirigé contre des « tweets » contenant prétendument l’obligation de recourir à un certain modèle d’attestation au titre du justificatif de déplacement hors du domicile par temps de Covid-19 est rejeté car ces messages se bornent à rappeler une obligation préexistante non à l’instituer.

(4 mars 2022, M. C., n° 445905)

(3) V. aussi la solution identique retenue s’agissant d’un recours contre le point 2 d’un communiqué du premier ministre du 20 mars 2021 : 4 mars 2022, M. C., n° 451312.

 

4 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Un communiqué de presse, du 20 juillet 2020, de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et de la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie, a annoncé la mise en œuvre d’un dispositif dit « Pack rebond », destiné à favoriser l'implantation de sites industriels sur l'ensemble du territoire national, ajoutant ainsi 66 nouveaux sites aux 12 déjà retenus en janvier 2020.

Ces sites « clés en main » ont vocation à faciliter – par la purge préalable ou l’anticipation des autorisations administratives nécessaires – et à accélérer la réalisation des investissements industriels sur le territoire national grâce au raccourcissement des délais de réalisation des projets pour les investisseurs.

L'association requérante a demandé l'annulation du communiqué de presse et du dossier de presse annexé, en tant qu'ils se rattachent aux sites « clés en main »
Sa requête est jugée irrecevable car dirigée contre des documents qui ne constituent pas par eux-mêmes des décisions. En particulier, les travaux préparatoires qu’ils annoncent n'ont pas pour objet de déroger aux dispositions législatives et réglementaires gouvernant les autorisations régies par le code de l’environnement, ils ne comportent pas davantage de décision nouvelle ni de donnent instruction aux services concernés.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

 

5 - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires –Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de la décision du 25 mai 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'abroger le dernier alinéa de l'article 6.1 du modèle de convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente au titre de l'article L. 201-13 du code rural et de la pêche maritime, figurant en annexe 2 à l'instruction technique n° DGAL/SDSPA/2019-642 du 30 octobre 2019.

Elles invoquaient divers moyens d’annulation dont aucun n’est examiné puisque le Conseil d’État relève d’office (ce qui est révélé par l’incise figurant au début du point 11 « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de la requête ») le moyen tiré de l’incompétence du ministre de l’agriculture pour édicter par une instruction technique l’art. 6.1 querellé.

En effet, selon ce texte, « Sous réserve de l'application d'une procédure écrite spécifique garantissant l'égalité de traitement entre adhérents et non adhérents, le délégataire est autorisé à ne pas transmettre les certificats et attestations sanitaires à tout détenteur d'animaux dont le compte fait apparaître une dette, contractée au titre de l'exécution de la présente délégation, de plus de 6 mois et ayant fait l'objet d'au moins deux rappels. Il en informe le délégant. ».

Cette disposition permet donc à l'organisme délégataire compétent pour établir et expédier les attestations sanitaires à délivrance anticipée, alors que les conditions auxquelles la réglementation en vigueur subordonne la délivrance des attestations sollicitées sont remplies au regard de la qualification sanitaire des troupeaux d'appartenance ou de provenance des bovins, de refuser la délivrance de ces attestations au seul motif que le demandeur n'a pas réglé les redevances dues au titre d'attestations délivrées antérieurement.

Or aucun texte ou principe existant à la date de l’instruction technique ni non plus à la date de la présente décision ne confère au susdit ministre une telle compétence.

L’annulation est prononcée avec injonction d’abroger sous un mois le dernier alinéa de l’art. 6.1 litigieux.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

 

6 - Demande de communication de documents administratifs – Nombre considérable des documents visés – Effort disproportionné exigé de l’administration – Obligation en ce cas pour l’administré d’apporter la justification de sa demande – Rejet.

Il arrive que les administrés saisissent l’administration d’une demande de communication portant sur un nombre élevé de pièces et d’annexes exigeant d’elle un travail long et considérable, d’ampleur disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

En ce cas, et alors qu’un administré n’a pas, en principe, à justifier de son intérêt à cette communication, il lui incombe de faire connaître l’intérêt qui s’attache pour lui à ladite communication. Le juge fait ensuite la balance entre l’effort très important à fournir et l’intérêt du demandeur à ladite communication. Ce second aspect est, sans être nouveau, une accentuation et une précision d’une tendance jurisprudentielle née à partir des actions contentieuses célèbres d’un requérant quérulent (21 juillet 1989, Association SOS Défense et Sieur Bertin, n° 34954) et récemment ravivée (27 mars 2020, Association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry (ACENAS), n° 426623 ; voir cette Chronique mars 2020 n° 5).

(17 mars 2022, M. M., n° 449620)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Communication ordonnée par le juge – Obligation d’y déférer sauf impossibilité matérielle – Destruction de ces documents – Obligation de reconstitution – Rejet.

Dans un litige opposant la société requérante à l’association Nos Amis Les Animaux, (NALA), le juge avait, en 2018, annulé le refus de communiquer à cette dernière une copie des registres d'entrée et de sortie des animaux ainsi que les registres de leur suivi sanitaire et de santé et fait injonction de procéder à cette communication dans les quatre mois.

En juillet 2020, saisi d’une demande d’exécution du jugement précédent, le tribunal a ordonné son exécution dans les deux mois sous astreinte quotidienne sauf à justifier de leur destruction ou de leur versement en archives.

La société a formé un pourvoi contre ce dernier jugement au motif que les documents en cause avaient été détruits en janvier 2019 et produisait à l’appui de cette affirmation une attestation de son gérant.

Dans une décision dont la rigueur doit être complètement approuvée, le Conseil d’État juge que les personnes et entités tenues à la communication, d’autant quand celle-ci est ordonnée par le juge, ont l’obligation de faire toutes diligences pour y satisfaire, cela alors même que la réglementation ne leur imposerait plus, à cette date, de les conserver. Si - comme c’était le cas de l’espèce - elles ont procédé à une destruction après la notification du jugement, elles sont tenues d'accomplir toutes les diligences nécessaires pour les reconstituer, sous réserve d'une charge de travail manifestement disproportionnée, sans préjudice de l'engagement de leur responsabilité.

Ici, le Conseil d’État approuve les premiers juges d’avoir estimé, sans erreur de droit, que la requérante ne justifiait ni de l'exécution du jugement ni de la destruction des documents demandés.

La solution est tout à fait justifiée : il serait trop facile aux organismes concernés de se défaire de l’obligation de communication en invoquant la prétendue destruction des pièces demandées.

(17 mars 2022, Société Solution Antoine Beaufour, n° 452034)

 

8 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation - Annulation du refus et injonction d’abroger l’arrêté attaqué.

L’étude d’huissiers requérante demandait l’annulation du refus d’abroger l’arrêté du garde des sceaux portant approbation d’une modification du règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice en matière de calcul des indemnités kilométriques dues aux huissiers du chef de leurs déplacements à fin d’instrumenter. Elle considérait cet arrêté comme étant illégal du fait qu’il porte approbation d’une décision modificative du règlement intérieur elle-même contraire aux dispositions de l’art. 75-3 du décret du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers.

Accueillant le moyen, le Conseil d’État relève qu’aucune disposition n’attribue compétence aux auteurs du règlement intérieur pour déroger aux mesures prises par le ministre sur le fondement de l'article 75-3 du décret du 29 février 1956. La délibération litigieuse est donc illégale et cela alors même que le ministre aurait eu compétence pour modifier sur le fondement de cet article 75-3 les dispositions de l'arrêté antérieur du 4 août 2004. L’arrêté d’approbation est, par de voie de conséquence, lui-même illégal.

Le refus de l’abroger est annulé assorti d’une injonction au ministre de procéder sous deux mois à son abrogation.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

9 - Éducation nationale – Affectation des collégiens dans les lycées - Arrêté autorisant la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel (Affelnet Lycée) – Arrêté ne définissant pas les règles d’affectation des collégiens dans les lycées – Griefs inopérants – Rejet.

Les parents d’une collégienne demandent l’annulation, à tout le moins la modification de l'arrêté ministériel (éducation nationale) du 17 juillet 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Affelnet Lycée ».

Ils soulèvent divers griefs d’irrégularité ou d’illégalité à l’encontre de cette décision.

Toutefois, les requérants se méprennent sur la nature et la portée de ce texte qui n’a pas pour objet d’organiser lui-même ce traitement automatisé au moyen d’algorithmes mais seulement d’en autoriser la création.

C’est pourquoi les griefs développés à son encontre sont inopérants car ils visent une décision critérisant et organisant le régime et les règles d’affectation des collégiens dans des lycées alors que tel n’est pas l’objet de l’arrêté litigieux.

Le recours est rejeté.

(4 mars 2022, M. et Mme D., n° 451932)

 

10 - Covid-19 – Aide exceptionnelle en faveur de services de radio aux recettes publicitaires affectées par l’épidémie – Différence de traitement avec le sort réservé à certains éditeurs de service de radio associatifs – Différence en rapport direct avec l’objet de l’aide – Rejet.

Le décret du 10 avril 2021 a créé un dispositif de soutien à la diffusion hertzienne terrestre de services de télévision à vocation locale et de radio ayant été affectés par la propagation de l'épidémie de Covid-19.

Il exclut du champ d’application du bénéfice de l’aide les éditeurs associatifs accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l'expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l'environnement ou la lutte contre l'exclusion qui ont bénéficié, au titre de l'exercice comptable 2019, de la subvention d'exploitation prévue à l'article 5 du décret du 25 août 2006 pris pour l'application de l'article 80 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret précité en tant qu’il n’ouvre pas droit, pour certaines catégories d’éditeurs de service de radio, au bénéfice de l’aide qu’il institue.

Après avoir rejeté le moyen de légalité externe tiré de la prétendue non-communication à la Commission européenne du décret attaqué car il manque en fait, le juge rejette également le moyen de légalité interne reposant sur la violation du principe d’égalité en raison de la différence de traitement opérée selon les services de radio concernés.

Pour cela, il relève la différence objective de situation entre, d’une part, les services de radio dont les recettes, notamment publicitaires, ont été particulièrement affectées par la crise économique liée à l'épidémie de Covid-19, pour lesquels le décret litigieux a prévu la prise en charge ponctuelle d'une partie de leurs coûts de diffusion et, d’autre part, les éditeurs des services de radio associatifs susmentionnés, ceux-ci tirant la majorité de leurs ressources de subventions publiques et la perte de leurs ressources publicitaires liée à l'épidémie de Covid-19 n'étant susceptible d'affecter directement qu'une part plafonnée à 20 % de leur chiffre d'affaires total, contre 80 % à 100 % du chiffre d'affaires des éditeurs de services éligibles au dispositif. En outre, ces éditeurs non éligibles à l’aide pouvaient bénéficier de dispositifs de soutien qui leur étaient propres, notamment par l'adaptation du mode de calcul et du calendrier de versement des aides du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER).

La différence de traitement critiquée est ainsi en rapport direct avec l’objet de l’aide exceptionnelle créée par le décret attaqué.

(9 mars 2022, Syndicat national des radios libres et Confédération nationale des radios associatives, n° 452767)

 

Biens – Culture – Patrimoine

 

11 - Monuments historiques – Demande de radiation d’une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques – Refus – Procédure régulière – Erreur de droit – Annulation.

Les requérantes avaient demandé au préfet de région la radiation de l'inscription de la « Butte des Zouaves », lieu de mémoire, à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Cela leur ayant été refusé, elles avaient obtenu en première instance et en appel l’annulation du rejet préfectoral, la cour administrative d’appel relevant en particulier que la décision de refus de radier devait être précédée d’une consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture réunie en formation plénière, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans ce raisonnement, d’où l’annulation de l’arrêt, car seule la décision d'inscrire ou de radier un immeuble au titre des monuments historiques suppose nécessairement l'intervention de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture. En revanche, la décision refusant de faire droit à une demande de radiation n’a pas à faire l’objet d’une telle consultation qui n’est d’ailleurs exigée par aucun texte et notamment pas par l'article R. 621-59 du code du patrimoine, lequel se borne à prévoir la consultation de cette commission en cas de décision de radiation. 

(7 mars 2022, Ministre de la culture, n° 449328)

 

12 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

Un litige s’étant élevé sur la détermination du redevable de la taxe sur les propriétés foncières bâties entre, d’une part, une métropole propriétaire du terrain d’assiette et une société privée titulaire d’un bail emphytéotique sur ledit terrain, le Conseil d’État, qui statue ici pour la seconde fois en cassation, signe d’une certaine difficulté, est conduit à une analyse de la situation de droit complexe née de cette situation.

Deux précisions importantes apportées par cette décision doivent être retenues.

En premier lieu, la solution est sur ce point bien connue et constante : « Dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. Lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique. La faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public d'une collectivité territoriale, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 1311-2 à L. 1311-8 du code général des collectivités territoriales, entrés en vigueur le 1er juillet 2006, et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public. »

Or, en l’espèce, le tribunal administratif, appliquant les règles de droit civil régissant les contrats de bail, s'est fondé sur ce que le contrat en cause n'attribuait pas au bailleur, avant la fin du contrat, la propriété des constructions et aménagements réalisés par le preneur pour décider que la société SMA Environnement était propriétaire des constructions réalisées en cours d'exécution du bail emphytéotique administratif et donc redevable de la taxe litigieuse sur les constructions édifiées. En réalité, ce jugement reposait sur une erreur de droit car il s'agissait de biens établis sur le domaine public dont il n'était pas contesté qu'ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public et par suite propriété, non de la société preneuse mais de la personne publique délégante.

En second lieu, il résulte des articles 1402 et 1403 du CGI que les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Seule leur publication au fichier immobilier fait produire ses effets à la mutation. Il suit de là que tant que la mutation cadastrale n'a pas été faite, l'ancien propriétaire continue à être imposé au rôle, et lui ou ses héritiers naturels peuvent être contraints au paiement de la taxe foncière, sauf leur recours contre le nouveau propriétaire.

Ainsi donc, pour qu’une mutation de propriété soit opposable à l’administration fiscale, s’agissant de déterminer le redevable légal de la taxe foncière, il faut qu’elle ait été publiée au fichier immobilier. 

Or le bail emphytéotique administratif objet du litige n'ayant pas été publié au fichier immobilier il s’ensuit que la qualité d'emphytéote de la société SMA Environnement ne permet pas de la regarder comme la redevable légale de la taxe foncière.

C’est donc à tort que cette dernière a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des constructions qu'elle a réalisées sur le terrain faisant l'objet du bail emphytéotique administratif.  

En revanche, la communauté d'agglomération Agglopole Provence, aux droits de laquelle est venue la métropole d'Aix-Marseille-Provence, étant propriétaire, au 1er janvier des années d'imposition en litige, des constructions réalisées par la société SMA Environnement, elle doit être désignée redevable légale des impositions en litige.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(13) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

 

14 - Bail commercial sur le domaine privé communal – Exploitation d’un camping – Rétablissement postérieur de la domanialité publique sur ce bien – Demande d’expulsion de l’occupant – Rejet du référé pour contestation sérieuse (art. L. 521-3 CJA) – Annulation.

La société requérante exploite un camping sur un terrain communal autrefois dépendance du domaine public mais déclassé le 8 février 2019 et devenu domaine privé antérieurement à la conclusion du bail avec cette société, le 1er septembre 2019.

Le conseil municipal a délibéré le 22 septembre 2020 l’abrogation de sa précédente délibération du 8 février 2019 portant déclassement d’une parcelle du domaine public et, par suite, a, par décision du 17 décembre 2020, constaté l’extinction du bail commercial à effet du 1er janvier 2021.

Devant le refus du preneur de quitter les lieux la commune a saisi le juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA.

Celui-ci a constaté l’existence d’une contestation sérieuse résultant de ce que la société, d’une part, avait demandé au tribunal administratif l'annulation de la délibération du 22 septembre 2020, d'autre part, soutenait que le bail commercial avait été conclu à une date où le camping municipal était situé sur le domaine privé, la délibération litigieuse du 22 septembre 2020 n'ayant pu modifier cette situation juridique. Il a, en conséquence, rejeté la demande en référé présentée par la commune.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance de référé, annule celle-ci au motif qu’« En statuant ainsi, sans se prononcer sur le bien-fondé de l'argumentation soulevée devant elle, laquelle n'était au surplus pas dirigée contre la décision par laquelle la commune avait mis fin au titre d'occupation dont était titulaire la société, le juge des référés (…) a commis une erreur de droit. »

(11 mars 2022, Société Domaine du Pierrageais, n° 452006)

 

15 - Dépendance du domaine public – Installation d’un fonds de commerce (restaurant) interdite sur cette dépendance – Illégalité dans le cas de l’espèce – Indivisibilité de la clause illégale avec le reste de la convention d’occupation du domaine public – Refus d’annuler – Rejet.

Une convention d’occupation précaire d’une dépendance du domaine public autorise les requérants à y installer un commerce de restaurant. La convention interdit la création d’aucun fonds de commerce sur cette dépendance.

Les requérants saisissent le juge administratif aux fins de voir annuler soit la convention soit la clause litigieuse. En effet, il résulte de l’art. L. 2124-32-1 du CGCT issu des dispositions de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et applicables à la convention en litige conclue après l'entrée en vigueur de cette loi qu’est reconnu aux occupants d'une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d'exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d'occupation à la condition qu'ils disposent d'une clientèle propre distincte des usagers du domaine public. 

Ils se pourvoient contre l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a jugé que si la clause litigieuse était bien illégale, elle formait cependant un ensemble indivisible avec les autres stipulations de la convention d’occupation ; or  la méconnaissance par cette clause des dispositions de l'article L. 2124-32-1 du CGCT ne pouvait pas constituer, à elle seule, un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation de la convention en son entier ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention.

La solution est approuvée par le juge de cassation qui n’y aperçoit aucune erreur de droit.

(11 mars 2022, M. L. et M. B., n° 453440)

 

16 - Domaine privé communal – Présence d’une statue de la Vierge Marie – Refus de l’enlever ayant le caractère d’une décision administrative – Compétence du juge administratif – Érection de la statue postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 – Statue n’entrant pas dans l’une des exceptions prévues par la loi (art. 28) – Obligation d’enlèvement – Rejet.

La commune requérante demandait la cassation de l’arrêt d’appel annulant le refus du maire de déplacer une statue de la Vierge Marie située au sommet du Mont Chatel (Ain) sur une parcelle dépendant du domaine privé de la commune car établie en violation des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.

Son recours est rejeté.

Le juge règle en premier lieu deux points de procédure.

Tout d’abord, la commune a commis une erreur procédurale en ne reprenant pas explicitement en appel la fin de non-recevoir qu’elle avait soulevée en première instance mais qui n’avait pas été examinée par le tribunal administratif celui-ci ayant opposé l’exception de connaissance acquise à la demande des requérants dirigée contre le refus opposé par la commune. Elle ne peut donc reprocher à la cour de n’avoir pas examiné un moyen qu’elle n’avait pas repris devant elle.

Ensuite, la commune ne peut pas soutenir la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de ce litige en se fondant sur la domanialité privée de la parcelle d’implantation de la statue car les requérants contestaient une décision administrative laquelle ressortit à la compétence du juge administratif.

Cette solution peut se discuter dès lors que l’arrêt n’indique pas si cette décision est détachable ou non de la gestion de cette dépendance du domaine privé, ce n’est que dans le premier cas que serait justifiée la compétence du juge administratif.

Sur le fond, le juge confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé, positivement, que l’art. 28 de la loi de 1905 interdit d’élever des monuments religieux sur les emplacements publics, et, négativement, que cette statue n’entre dans aucune des exceptions prévues par ce même article 28.

Même si depuis plusieurs siècles c’est là un lieu de pèlerinage constant et traditionnel, la statue ne constitue pas en soi un édifice servant au culte, ce qui aurait complètement changé la donne.

Également, il est rappelé que l’interdiction édictée par la loi de 1905 s’applique indifféremment au domaine privé et au domaine public des personnes publiques.

Enfin, le Conseil d’État rejette l’argument de la commune selon lequel elle n’est pas l’auteur ni le financeur de la statue – ce sont des particuliers - qui ne lui appartiendrait pas et donc ne saurait être destinataire de l’injonction de déplacement ; en effet, la statue étant située sur un sol qui lui appartient la commune en est propriétaire par application des dispositions des art. 552 et 555 du code civil,

Il ne reste plus à la commune, si elle tient à conserver la statue in situ, qu’à vendre aux particuliers intéressés la portion de parcelle nécessaire à son maintien ou encore à conclure un bail emphytéotique comportant construction d’un édifice du culte que surmonterait ensuite ladite statue peut-être encore plus haut que précédemment : « Quo non ascendam ? ».

Devise du surintendant Fouquet qui serait ici parfaitement en situation.

(11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d'Alvey, n° 4540706 et n° 456932)

 

17 - Biens culturels ne constituant pas des « trésors nationaux » - Exportation définitive ou temporaire – Relèvement des seuils de recours obligatoire à un certificat administratif attestant de l’absence de caractère de « trésor national » - Absence de non-respect du droit de l’Union – Mesure d’intérêt général – Rejet.

La requérante contestait la juridicité de l’art. 5 du décret du 28 décembre 2020 relatif au régime de circulation des biens culturels en ce qu’il modifie l’annexe 1 du code du patrimoine en rehaussant les seuils applicables à certaines catégories de biens.

Si les biens entrant dans la catégorie des « trésors nationaux » sont exclus d’exportation sauf renonciation par l’État à leur acquisition (V. Ph. TOSI, La notion française de trésor national, thèse Aix-Marseille, 2016), il n’en va pas de même des autres biens culturels.

Toutefois, au-delà d’un certain seuil de leur valeur déclarée la réglementation exige que cette exportation soit précédée d’un certificat administratif attestant que le bien n’est pas un trésor national.

L’objet du décret attaqué était de relever le seuil à partir duquel est exigé ce certificat.

La requérante fait d’abord valoir que ce relèvement ne serait pas conforme au règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels qui définit les seuils d'ancienneté et de valeur à partir desquels un bien culturel doit faire l'objet d'une licence d'exportation préalablement à sa sortie du territoire de l'Union européenne.

Le Conseil rejette cet argument, d’une part car aucune disposition de ce règlement ne fait obligation aux États-membres de fixer des seuils identiques à ceux du règlement pour la délivrance du certificat en cause, et d’autre part car l’art. 5 du décret attaqué est sans incidence sur les conditions dans lesquelles un bien illégalement exporté peut faire l'objet d'un retour, qui sont fixées par les articles L. 112-1 et suivants du code du patrimoine ainsi que par les dispositions réglementaires prises pour leur application, lesquels transposent la directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre. Il suit de là que la SPPEF ne peut utilement invoquer la méconnaissance ni des termes ni des objectifs de cette directive.

La requérante invoque aussi le risque de sous-estimation des œuvres, le relèvement des seuils facilitant la fraude à l’exportation. Le moyen est rejeté d’abord car les trésors nationaux ont une valeur très supérieure à ces seuils et il n’y a donc pas de risque de voir exporter de véritables trésors nationaux, ensuite car il reste la sanction pénale de telles fraudes qui est assortie d’une procédure de retour des œuvres.

Le détournement de pouvoir allégué n’est pas, lui non plus, retenu.

(17 mars 2022, Association Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France-Sites et Monuments (SPPEF), n° 454057)

 

18 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

V. n° 22

 

19 - Domaine public – Personne privée titulaire d’une servitude de droit privé sur ce domaine – Servitude consistant en un droit d’implanter des ouvrages – Installation d’un réseau de chauffage urbain – Assimilation d’une telle servitude à une autorisation d’occupation du domaine public – Obligation pour son titulaire de déplacer à ses frais les installations existant sur la partie de terrain grevé de la servitude – Légalité des titres exécutoires émis pour valoir remboursement des frais engagés par le propriétaire du domaine pour le déplacement des installations – Erreur de droit de l’arrêt contraire – Annulation.

Cette décision est importante en ce que, pour la première fois, elle assimile complètement le titulaire d'une servitude de droit privé maintenue après son incorporation dans le domaine public, au titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages. Le Conseil d’État enfonce encore d’ailleurs un peu plus le clou en relevant que la circonstance que le titulaire de la servitude n’est pas soumis au paiement d’une redevance au titre de ces ouvrages est sans incidence sur son assimilation à un titulaire d’autorisation d’occupation domaniale.

En l’espèce, une société disposait d’une servitude sur la voirie publique expressément maintenue après incorporation de cette voirie dans le domaine public. A ce titre, elle y a placé les installations d’un réseau de chauffage urbain.

La collectivité publique a, par la suite, décidé d’implanter sur cette voie une ligne de tramway en site propre ce qui nécessitait le déplacement, sous forme d’un dévoiement, des ouvrages de chauffage. Ayant effectué elle-même les travaux de déplacement du réseau, la collectivité a émis un titre exécutoire à l’encontre de la société titulaire de la servitude pour mise à sa charge des frais qu’elle avait acquittés.

Elle se fondait pour cela sur une assimilation du titulaire d’une servitude de droit privé sur le domaine public au titulaire d’une autorisation d’occupation dudit domaine.

L’enjeu juridique et financier (le coût du déplacement du réseau de chauffage excède sept millions d’euros) était très important.

Classiquement, en effet, le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation du domaine public, doit supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine. Nul doute que la seconde condition était satisfaite en l’espèce car la création d’une ligne de tramway sur une voie publique constitue bien une réalisation conforme à la destination de cette dépendance domaniale. Le respect de la première condition est, lui, plus discutable : en quoi la réalisation de la ligne de tramway est-elle bien entreprise dans l’intérêt du domaine occupé ? Existe-t-il ici un intérêt objectivement et a priori attaché à la voie conduisant comme par une conséquence nécessaire et liée à la création d’une ligne de tramway ? Cela peut, au moins, se discuter.

Mais qu’en est-il d’une servitude de droit privé quant à la charge du coût de déplacement d’installations s’y trouvant ?

Saisi par la société d’un recours contre la légalité du titre exécutoire, le tribunal administratif a annulé le titre exécutoire. La cour administrative d’appel a rejeté l’appel contre ce jugement dont l’avait saisie le département défendeur, relevant en particulier que la société titulaire de la servitude, à la différence d’un occupant domanial, n’acquittait aucune redevance au titre de la servitude.

Cassant cet arrêt le Conseil d’État décide que : « Le titulaire d'une servitude de droit privé permettant l'implantation d'ouvrages sur le terrain d'une personne publique, maintenue après son incorporation dans le domaine public, doit être regardé comme titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages, quand bien même il n'acquitterait pas de redevance à ce titre. » D’où cette conséquence, selon cette étrange doctrine, qu’il doit supporter les frais de déplacement des installations lorsque celui-ci répond aux deux conditions susmentionnées (travaux réalisés dans l’intérêt du domaine et conformes à la destination de ce dernier). Voilà une bien étrange conception de la servitude notion et catégorie juridique que seul régit le Code civil, notamment en ses art. 697 et suivants.

Il y a là la manifestation d’une certaine crispation et d’un impérialisme autour d’une vision passablement « vintage » de la protection des situations immobilières de droit privé comme de droit public.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

Pour un autre aspect de cette décision, voir n° 53

 

Contrats

 

20 - Accord-cadre portant sur des prestations de service de formation professionnelle – Phase d’analyse des offres – Rejet d’une offre estimée anormalement basse – Annulation de l’ensemble de la procédure – Erreur de droit – Annulation partielle - Absence de renvoi, plus rien ne restant à juger.

Dans le cadre de la conclusion de certains lots d’un accord-cadre portant sur des prestations de services de formation professionnelle au bénéfice des personnes à la recherche d'un emploi, Pôle emploi, au stade de l’analyse des offres, a rejeté l’offre présentée par l’une des sociétés candidates comme étant anormalement basse. Sur recours de la société évincée, fondé sur l’art. L. 551-1 CJA, le juge des référés du tribunal administratif, après avoir constaté le non-lieu à statuer sur l’un des lots litigieux, a annulé la décision de Pôle emploi rejetant les offres de l’intéressée et portant sur les autres lots.

Pôle emploi se pourvoit en vue d’obtenir la cassation de cette ordonnance.

Le pourvoi est partiellement rejeté car, sans être contestée sur ce point, l’ordonnance attaquée a estimé que les prix proposés par la société évincée n'étaient pas manifestement sous-évalués et de nature à compromettre l'exécution des marchés et qu'en conséquence Pôle Emploi avait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant d'écarter les offres présentées par cette société au motif de leur caractère anormalement bas et qu'il avait ainsi méconnu le principe d'égalité entre les candidats.

En revanche, dès lors que ce manquement ne se rapportait qu’à la seule phase d’examen des offres, le premier juge ne pouvait pas annuler l’ensemble de la procédure, ordonnant à Pôle emploi, s’il entendait la poursuivre, de reprendre la procédure en son entier.

Comme la société évincée requérante n’a demandé en première instance que l'annulation de la procédure au stade de la sélection des offres, aucune question ne restant à juger, le juge de cassation n’use pas ici de son pouvoir de statuer au fond.

Il appartient donc désormais à Pôle emploi, s’il entend poursuivre la conclusion du marché, de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres.

(ord. réf. 2 mars 2022, Pôle emploi, n° 458019)

 

21 - Procédure de concession d’aérodrome – Ordonnance avant-dire enjoignant l’État de différer la signature de ce contrat – Annulation de la décision d’attribution de la concession – Rejet.

La Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers (CCISM) de Polynésie française a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-24 CJA, d'enjoindre à l'État, à titre conservatoire, de différer la signature de la concession de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a dans la limite de 20 jours, d'autre part, d'enjoindre à l'État de lui communiquer les motifs détaillés du rejet de l'offre du groupement dont elle était mandataire et les caractéristiques et avantages relatifs de l'offre retenue et enfin, à titre principal, d'annuler la décision d'attribution de la concession et la décision du 15 septembre 2021 rejetant l'offre du groupement et, à titre subsidiaire, d'annuler l'ensemble de la procédure de passation de la concession. 

Le juge saisi a rendu deux ordonnances : par la première (8 octobre 2021), il a fait injonction à l’État, avant-dire droit, de différer pendant vingt jours la signature du contrat de concession de l'aérodrome et rejeté les demandes de communication de la CCISM. ; par la seconde (28 octobre 2021), il a annulé la décision attribuant la concession de l’aérodrome au groupement Société Egis Airport Operation - Caisse des dépôts et consignations.

La ministre de la transition écologique et le groupement se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État rejette l’argument de procédure fondé sur le non-respect du principe du contraire et des droits de la défense car le juge des référés, s’il s’est fondé, pour prononcer l’annulation du contrat de concession, sur l'irrégularité de l'offre du groupement attributaire, moyen soulevé par la CCISM dans un mémoire enregistré le 25 octobre 2021, soit quelques heures seulement avant l'audience, il a, à l'issue de l'audience, différée la clôture de l'instruction jusqu'au 26 octobre et d’ailleurs, un mémoire en défense présenté pour l'État a été enregistré le 26 octobre 2021, avant donc cette clôture.

Sur le fond, le juge de cassation approuve le premier juge d’avoir retenu, d’une part, pour annuler l’attribution du contrat de concession, la circonstance que, contrairement aux exigences du guide de constitution de l’offre, l’offre retenue ne comportait pas l’identité des cocontractants constructeurs et qu’ainsi, irrégulière au regard des indications données dans le document de la consultation, elle devait être écartée, et, d’autre part, le fait que cette irrégularité était de nature à avoir lésé la CCISM demanderesse.

(2 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 458354 ; Société Egis Airport Operation et Caisse des dépôts et consignations, n° 458356)

 

22 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

La commune de Toulouse a créé un musée de la photographie (dit Galerie du Château d’eau) qu’elle a géré et exploité d’abord en régie directe avant d’en confier la gestion à l'association pour la Photographie au Château d'eau (PACE). Lorsque cette dernière a été mise en redressement judiciaire s’est posée, devant le juge judiciaire, la double question de la nature juridique des conventions successives conclues entre la commune et l’association et, par voie de conséquence, de celle du statut juridique de ces biens.

Interrogé par ce juge au moyen de questions préjudicielles, le tribunal administratif a estimé qu’une partie des conventions, les premières, constituaient des marchés publics, et les secondes ainsi que l'ensemble contractuel conclu à compter de 2013, de conventions d'objectifs et de moyens assorties de subventions. Étrangement, il a estimé ne pas pouvoir répondre à la question de savoir qu’elle était la nature, publique ou privée, des biens en litige. C’est oublier que la juridiction saisie d’une question préjudicielle exerce un office pleinement juridictionnel et qu’elle est donc tenue d’y répondre, sauf hypothèses de saisine irrégulière ou d’incompétence de la juridiction saisie.

La commune, qui avait soutenu devant le tribunal administratif que les conventions qu’elle avait conclues avec l'association étaient des délégations de service public et que les fonds photographique et documentaire constitués par l'association dans le cadre de ces conventions constituaient des biens de retour, donc lui appartenant, se pourvoit en Conseil d’État.

Après avoir rappelé, d’une part, les définitions respectives des marchés publics (dans le code des marchés publics de l’époque puis dans celui de la commande publique) et des conventions de délégation de service public (dans le CGCT et le code de la commande publique), et, d’autre part, que les subventions ne sauraient constituer des contrats de commande publique (en ce sens les remarquables observations de C. Blanchon, in Recherche sur la subvention : contribution à l’étude du don en droit public, Thèse Aix 2017, LGDJ 2019, Préf. F. Linditch), le Conseil d’État juge être en présence d’une délégation non d’un marché en se fondant sur le célébrissime et toujours discuté critère de la part d’aléa que doit comporter un tel contrat (depuis, notamment : 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ commune de Lambesc, n° 168325, à propos de la notion de rémunération « substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation »).

Cet aléa se retrouve ici, estime le juge, en dépit des soutiens financiers significatifs et quantitativement importants apportés par la commune de Toulouse à son cocontractant. La preuve en est que l’association se trouve en redressement judiciaire, l’aléa économique lié à son contrat ayant joué en sa défaveur.

Ici, l’argument est un peu court : la déconfiture peut n’être pas la conséquence objective d’aléas mais, par exemple, d’une mauvaise gestion laquelle n’est pas un aléa objectif mais purement subjectif donc non inhérent à la structure même du contrat tel que configurée par la volonté commune des parties.

Concernant le statut des biens, il est directement commandé par la solution précédente : ce sont des biens de retour qui font donc partie du patrimoine de la commune dès l’origine du contrat sauf stipulation contraire explicite – inexistante ici – du contrat. Ils sont donc de nature publique et doivent être appréciés comme tels pour le dénouement de la procédure de redressement judiciaire.

En revanche, l’on sait que les biens de reprise n’entrent dans le patrimoine de la collectivité publique, en cas d’exercice de sa faculté d’acquisition, qu’à l’expiration du contrat.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

 

23 - Attribution d’un lot de sous-concession de travaux et de service public balnéaire – Exploitation d’un lot de plage – Exclusion de la procédure de passation d’un contrat de concession – Motifs – Dénomination de la société attributaire comportant un risque grave de confusion avec une autre entreprise candidate – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de référé pour un autre motif et annulation de la procédure de passation du lot litigieux au stade de l'examen des offres.

Le litige concernait l’attribution d’un lot de la sous-concession de la plage de Pampelonne rendue célèbre pour être une zone inépuisable de contentieux depuis plus d’un demi-siècle (cf. Assemblée 29 mars 1968, Société anonyme du lotissement de la plage de Pampelonne, n° 59004, Rec. Lebon p. 211 ; AJDA 1968 p. 335).

La commune de Ramatuelle, concessionnaire de la plage, avait lancé une procédure qui a conduit à l’attribution d’un lot de la sous-concession de plage à la société EPI. Le juge des référés du tribunal administratif, statuant au visa de l’art. L. 551-1 du CJA, a considéré que la dénomination sociale de la société EPI, attributaire pressentie du contrat de sous-concession en litige, créait un « grave risque de confusion » avec la société détenant l'hôtel du même nom, actionnaire unique de la société EPI plage de Pampelonne, également candidate, eu égard à la forte notoriété de cet établissement, d'ailleurs titulaire de la marque « EPI Plage ».

Il a, en conséquence, jugé que la commune concédante aurait dû exclure la société EPI de la procédure de passation ou, à tout le moins, solliciter ses observations sur le fondement de l'article L. 3123-11 du code de la commande publique et que s’étant abstenue de le faire elle a entaché d’illégalité la décision d’attribution du lot litigieux.

Le juge de cassation censure pour erreur de droit cette ordonnance car le choix par un opérateur économique d'une dénomination sociale ne saurait, au seul motif que celle-ci est susceptible d'induire un risque de confusion avec une autre société également candidate à l'attribution de la sous-concession en litige, justifier son exclusion sur le fondement des dispositions de l'article L. 3123-8 du code de la commande publique. Le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit.

Toutefois, la procédure d’attribution de ce lot est annulée au stade de l’examen des offres puisque la candidature retenue ne respectait pas la stipulation du cahier des charges techniques exigeant qu’une surface minimum de 60 % soit allouée à la location de bains de soleil alors qu’il ressortait du plan de masse soumis par la société EPI dans son offre que cette surface n’y était que de 41%.

La commune était tenue d’écarter l’offre de cette dernière. 

(24 mars 2022, Société EPI et MM. Frédéric F. et Paul C., n° 457733 ; Commune de Ramatuelle, n° 457735)

(24) V. aussi, à propos de la sous-concession irrégulière d’un autre lot de cette même plage pour incomplétude grave des documents remis à l’appui de sa candidature par une société attributaire de ce lot et dont l’irrégularité rend insusceptible de permettre la poursuite de l’exécution du contrat : 28 mars 2022, Commune de Ramatuelle, n° 454341 ; Société Tropezina Beach Development, n° 454896.

 

25 - Marché de travaux – Réserves lors de la réception des travaux – Réserves non levées dans le délai imparti – Exécution des travaux à la demande du maître de l’ouvrage aux frais et risques du titulaire y compris après établissement du décompte général – Réserves non levées à la réception devant être portées par le maître de l’ouvrage, chiffrées ou non chiffrées, sur le décompte, à peine de déchéance du droit à en être indemnisé – Réserves non chiffrées portées au décompte empêchant le caractère définitif du décompte sur les seuls éléments de ce dernier y relatifs – Réserves portées chiffrées au décompte sans réclamation du titulaire emportant caractère définitif du décompte – Annulation.

Cette décision revêt, par les précisions qu’elle apporte à la jurisprudence existante, une importance théorique et pratique certaine au regard du régime des réserves en matière de marchés publics de travaux.

La commune requérante, qui avait confié le lot n° 1 « démolition - gros œuvre » du marché de réaménagement d'une grange en bibliothèque à Sainte-Flaive-des-Loups, a fait l’objet de la part de la société attributaire de ce lot d’une double demande qui a été portée au contentieux : arrêter à une certaine somme le montant du décompte général et définitif de ce lot et verser à cette entreprise le solde du décompte assorti d’intérêts moratoires et capitalisés.

Le tribunal administratif a condamné la commune à payer le solde du marché avec intérêts et capitalisation de ceux-ci et rejeté le surplus des demandes des parties. Ce jugement a été confirmé par l’arrêt rejetant l’appel de la commune.

Celle-ci se pourvoit.

Le Conseil d’État tranche deux questions très intéressantes.

En premier lieu, il résultait d’une stipulation du cahier des clauses administratives générales alors applicable aux marchés de travaux que le maître de l'ouvrage peut faire exécuter aux frais et risques du titulaire les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception qui n'ont pas été levées dans le délai imparti au titulaire pour ce faire.

Le Conseil d’État juge qu’il ne résulte pas de là que le maître de l’ouvrage serait tenu de faire assurer ces travaux avant l’établissement du décompte général, ce qui était alors assez discuté.

En second lieu, et surtout, était en cause le régime juridique des réserves émises lors de la réception des travaux. Ceci conduit le juge à quatre rappels ou précisions.

1°/ Les réserves peuvent être chiffrées ou non chiffrées.

2°/ Lorsque les réserves émises à la réception, qu’elles aient été chiffrées ou non, n’ont pas été levées au moment de l’établissement du décompte, elles doivent impérativement y être reprises car à défaut le maître de l’ouvrage serait déchu de son droit à indemnisation du fait que le caractère définitif du décompte est en principe insurmontable.

3°/ Lorsque les réserves non chiffrées ont été portées au décompte celui-ci ne devient définitif qu’en ce qui concerne ceux de ses éléments non affectés par les réserves.

4°/ Lorsque le maître de l’ouvrage chiffre le montant de ces réserves dans le décompte sans réclamation du titulaire de ce chef, le décompte devient définitif dans sa totalité.

Naturellement, en ce cas les sommes correspondant à ces réserves sont déduites du solde des sommes dues au titulaire si celui-ci n'a pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves. 

En l’espèce l’arrêt d’appel est annulé pour erreur de droit en ce qu’il a estimé que malgré l'inscription dans le décompte général et définitif d'une somme correspondant aux travaux ayant fait l'objet de réserves non levées, la commune maître d'ouvrage ne pouvait se prévaloir d'une créance correspondant à cette somme à l'encontre du titulaire au motif que ces travaux n'avaient pas été réalisés.

Cette clarification jurisprudentielle vient heureusement compléter une solution relativement récente (6 mai 2019, Société ICADE promotion c/ CHU de Reims, n° 420765 ; V. cette Chronique, mai 2019 n° 19) jugeant que le caractère définitif du décompte ne fait pas obstacle à la recevabilité de conclusions d'appel en garantie du maître d'ouvrage contre le titulaire du marché, sauf s'il est établi que le maître d'ouvrage avait eu connaissance de l'existence du litige avant qu'il n'établisse le décompte général du marché et qu'il n'a pas assorti le décompte d'une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige.

(28 mars 2022, Commune de Saine-Flaive-des-Loups, n° 450477)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Compétence en premier ressort de la cour administrative d’appel – Litige en réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Compétence de cette cour.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice prétendument subi du fait du concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

La décision est intéressante même si elle résout la difficulté par la solution implicite qu’elle contient.

Si les textes confient à la cour administrative d’appel la compétence de premier et dernier ressort pour connaître du contentieux né de la délivrance ou du refus de délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, ils sont muets sur la juridiction administrative compétente pour connaître du recours à fins indemnitaires en vue d’obtenir réparation du préjudice causé par une autorisation d’exploitation illégalement accordée comme c’était le cas en l’espèce, ou par le refus illégal de délivrer cette autorisation.

On sera pleinement d’accord avec le Conseil d’État pour confier à cette même juridiction, dans un louable souci de simplification, et le contentieux de la légalité de ces autorisations d’urbanisme et celui de plein contentieux né directement de l’irrégularité desdites autorisations ou de leur refus.

(2 mars 2022, Commune de Saint-Affrique, n° 440079)

 

27 - Mémoire comportant des conclusions indemnitaires nouvelles – Absence de mesure de clôture de l’instruction - Mémoire parvenu au greffe de la juridiction avant l’audience – Conclusions non visées et sans réponse – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige relatif à la fixation du taux d’invalidité permanente partielle des séquelles résultant d’une maladie professionnelle, un tribunal administratif, destinataire près de deux semaines avant l’audience et en l’absence d’ordonnance de clôture de l’instruction, d’un nouveau mémoire de l’intéressé contenant des prétentions indemnitaires nouvelles, omet de le viser et d’y répondre.

Cette irrégularité étant irrémissible, le jugement est annulé.

(3 mars 2022, M. C., n° 439613)

 

28 - Jugement – Signatures devant être portées sur la minute d’un jugement – Absence de l’une d’elles – Annulation.

 L’article R. 741-7 du CJA disposant que la minute du jugement rendu par un tribunal administratif doit être signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, il s’ensuit que l’absence de la signature du rapporteur ayant siégé dans la formation collégiale qui a rendu le jugement constituant l’omission d’une formalité substantielle en raison de l’objectif poursuivi par cette disposition, entraîne l’annulation du jugement.

(3 mars 2022, Société Bégédis, n° 442760)

 

29 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

V. n° 4

 

30 - Excès de pouvoir  - Existence d’une pluralité de moyens pouvant justifier une annulation – Choix du moyen le plus adéquat à la résolution du litige – Existence concomitante d’une demande d’injonction – Demande prioritaire dans l’examen des moyens idoines – Demande d’injonction constituant la demande principale – Hiérarchisation des moyens en fonction de la cause juridique – Obligation pour le juge de la respecter – Rejet des moyens au soutien de la demande principale mais existence d’un moyen retenu au soutien de la demande subsidiaire – Conséquences sur l’office du juge – Effets en cas d’appel – Rejet.

Réitération d’une importante jurisprudence de formulation complexe mais logique (Section 21 décembre 2018, Société Eden, n° 409678 ; V. cette Chronique, décembre 2018 n° 89)

« (…) lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale. »

(7 mars 2022, Mme A., n° 438147)

 

31 - Annulation d’une résolution du conseil d’administration de l’Office national des forêts (ONF) – Ouverture d’une procédure contradictoire sur la date de prise d’effet de l’annulation – Absence de motifs de report – Effets de l’annulation non différés avec portée rétroactive.

Le Conseil d’État, par une décision du 2 juillet 2021, a annulé pour motif d’incompétence une résolution du conseil d’administration de l’ONF puis sursis à statuer sur la détermination de la date d’effet de cette annulation, rouvrant ainsi le débat contentieux sur cet aspect.

Tout d’abord, le juge refuse de donner acte à l’un des requérants de son désistement puisque par le premier arrêt il avait été statué sur ses conclusions.

Ensuite,  le Conseil d’État, par la présente décision, juge, d’une part, que l'annulation rétroactive de la réglementation litigieuse n’emporterait pas des conséquences manifestement excessives au regard des situations qui ont pu se constituer lorsqu'elle était en vigueur, notamment par l'effet des contrats de vente conclus sur les lots de bois d'œuvre de chêne acquis auprès de l'ONF et, d’autre part, que si la réglementation annulée poursuit une finalité d'intérêt général de préservation de la filière de transformation du bois de chêne, l'ONF et la Fédération nationale du bois soutenant en défense qu'elle devra être remplacée par une réglementation de portée équivalente, ne sont pas apportés en l’espèce des éléments permettant d’établir que l’effet rétroactif attaché à cette annulation entraînerait des conséquences manifestement excessives pour l’intérêt général. 

Enfin, il considère qu’eu égard aux inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation de la résolution attaquée, il n'y a lieu ni de différer les effets de cette annulation ni d'en réputer définitifs les effets passés. 

(9 mars 2022, Syndicat de la filière bois et autres, n° 427483)

 

32 - Avocats ressortissants d’un État membre de l’Union européenne – Représentation de leurs clients devant le Conseil d’État et la Cour de cassation – Régime fixé aux art.  2 et 3 du décret du 16 février 2021 – Rejet.

Le groupement requérant contestait les art. 2 et 3 du décret du 16 février 2021 organisant la représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation par les professionnels ressortissants des États membres de l'Union européenne (UE) ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) autres que la France et modifiant le décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991 relatif aux conditions d'accès à la profession d'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Ces dispositions font obligation aux avocats de l’UE et de l’EEE - afin de pouvoir assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation sur le fondement de l'autorisation délivrée par le garde des sceaux, ministre de la justice -, d’une part, d’avoir élu domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation auquel les actes de la procédure sont valablement notifiés, d’autre part, de joindre à leur constitution un document attestant l'existence d'une convention avec l'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation autorisant l'élection de domicile pour l'instance considérée. 

Selon le groupement requérant, ces dispositions méconnaîtraient, d’une part, les libertés d’établissement et de prestation de services, d’autre part, le principe d’égalité.

Ces moyens sont rejetés.

En premier lieu, l’obligation pour un avocat d’élire domicile chez un avocat aux Conseils n’a pas été jugée contraire au droit de l’Union, notamment à l'article 5 de la directive 77/249/CEE du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (en ce sens : CJCE 10 juillet 1991, Commission des Communautés européennes contre République française, aff. C-294/89).

Semblablement, l’obligation pour cet avocat d’obtenir une autorisation délivrée par le garde des sceaux au vu des documents attestant de son identité, de sa nationalité et de son titre professionnel et de ceux permettant de vérifier qu'il est habilité dans l'État où il est établi à représenter les parties devant les juridictions suprêmes, juges de cassation de cet État, et qu'il y consacre à titre habituel une part substantielle de son activité, n’est imposée qu’en vue de garantir l'objectif de bonne administration de la justice. Elle ne contrevient pas aux dispositions de l'article 3 de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 prévoyant la possibilité d'imposer à l'avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle de s'inscrire auprès de l'autorité compétente de cet État membre.

Ainsi, l’art. 3 du décret attaqué, en subordonnant la représentation en justice devant les juridictions de cassation par un avocat ressortissant d'un État membre de l'Union ou partie à l'accord sur l'EEE autre que la France à l'obtention préalable d'une autorisation du ministre de la justice et à l'obligation de conclure une convention prévoyant l'élection de domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, ne méconnaît ni la liberté d'établissement ni la liberté de prestation de services, l’une et l’autre garanties par le droit de l'Union.

En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu par le groupement requérant, les dispositions litigieuses ne portent pas atteinte au principe d’égalité.

D’abord, il ne saurait être soutenu qu'en permettant au ministre de la justice, de suspendre provisoirement l'autorisation d'exercer l'activité d'assistance et de représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation accordée à un professionnel d'un autre État européen que la France, lorsque l'urgence le justifie et que l'une ou plusieurs des conditions permettant cet exercice ne sont plus remplies, il serait porté atteinte au principe d'égalité dans la mesure où aucun texte ne prévoit la possibilité d'une telle mesure de suspension à l'égard d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. En effet, les professionnels autorisés à représenter les parties devant les juridictions suprêmes françaises sous leur titre professionnel d'origine ne sont pas dans la même situation que les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation auxquels une telle autorisation n'a pas à être délivrée.

Ensuite, il ne saurait davantage être soutenu que dès lors que pour assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, sous leur titre professionnel d'origine, les ressortissants d'un État membre de l’UE ou partie à l'accord sur l'EEE doivent justifier que, dans le pays où ils sont établis, ils sont habilités à représenter les parties devant la ou les juridictions de cassation et y consacrent une part substantielle de leur activité, ils ne sont pas dans la même situation que les avocats exerçant en France qui ne peuvent justifier d'une telle expérience devant une juridiction de cassation.

Ces questions ne sont pas nouvelles et se posent parfois à l’intérieur de l’espace juridictionnel français s’agissant de la distinction, souvent critiquée, entre les avocats aux Conseils et ceux de barreaux.

(7 mars 2022, Groupement européen d'intérêt économique Alphalex avocats, n° 451753)

 

33 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Juge retenant un document non soumis au débat contradictoire – Annulation.

Dans un litige en décharge de taxe d’enlèvement des ordures ménagères, le juge s’était fondé, pour rejeter la requête, sur le contenu du budget primitif de la commune pour l’année considérée.

Cependant, ce document n’avait pas été versé aux débats et n’avait par conséquent pas fait l’objet d’une discussion contradictoire entre les parties.

Le juge de cassation prononce bien évidemment l’annulation de ce jugement rendu dans des conditions irrégulières.

(11 mars 2022, SCI Noisy-le-Sec, n° 453571)

 

34 - Contributions à la taxe sur le foncier bâti et sur le foncier non bâti – Contestation du jugement du tribunal administratif – Contestation ayant le caractère d’un appel devant être porté devant la cour administrative d’appel non devant le Conseil d’État – Renvoi à la cour.

Une commune réclame réparation à l’État de la faute commise par les services fiscaux en raison de l'insuffisant assujettissement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de la société civile Synchrotron Soleil aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties au titre de plusieurs années. Le tribunal ayant donné raison à la commune, le ministre des finances a contesté ce jugement que la cour de Versailles a renvoyé au Conseil d’État estimant que cette affaire relevait des cas où le tribunal administratif statue en premier et en dernier ressort (cf. art. R. 811-1 CJA).

Le Conseil d’État considère que ce recours constitue un appel en raison de ce que le litige n’entre matériellement pas dans les exceptions prévues au 4° de l’art. R. 811-1 CJA ni non plus, en raison du montant de l’indemnité réclamée (près d’1,5 million d’euros), dans un cas prévu au 8° de cet article.

Le dossier est renvoyé à la cour de Versailles.

(11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saint-Aubin, n° 460641)

(35) V. aussi, identique : 11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saclay, n° 460623)

 

36 - Intérêt donnant qualité pour agir – Buralistes contestant le régime de TVA applicable aux débits de tabacs situés dans un terminal ferroviaire à l’instar de ceux situés dans un port ou un aéroport – Absence d’intérêt direct et certain – Rejet.

La confédération syndicale demanderesse poursuivait l’annulation des paragraphes 10 et suivants des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) du 22 juillet 2021 en tant qu'ils interprètent la loi comme incluant les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles (situé à la sortie du tunnel sous la Manche) dans le champ du bénéfice du régime suspensif de paiement de la TVA prévu pour les ports et aéroports.

En effet, pour justifier de sa recevabilité à former un recours pour excès de pouvoir contre les commentaires qu'elle conteste, la confédération requérante se prévaut seulement de la différence de traitement qu'ils institueraient, dans l'accès au régime suspensif de TVA, entre les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles et les gérants de débit de tabac établis à proximité, au détriment de ces derniers, alors que ses statuts lui donnent pour objet la défense des intérêts de la profession des gérants de débits de tabacs et des chambres syndicales qui en sont membres. Elle ne justifie ainsi pas d'un intérêt direct et certain lui donnant qualité pour agir. 

(11 mars 2022, Confédération nationale des buralistes de France, n° 456321)

 

37 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Exercice de fonctions disciplinaires – Obligation de viser les conclusions et moyens des parties – Obligation pour le juge d’appel qui en modifie le dispositif d’annuler le jugement – Annulation.

Le CNESER, dispose, entre autres, de compétences disciplinaires et il statue en ce cas comme juridiction administrative relevant du Conseil d’État par la voie de la cassation.

En l’espèce, il avait relaxé des poursuites disciplinaires dont elle avait fait l’objet en première instance de la part de la commission disciplinaire de son université, une maître de conférences. Toutefois, dans sa décision, le CNESER n’avait ni visé les conclusions et moyens de la requérante ni, non plus, procédé à leur analyse dans ses motifs, ce qui entraîne son annulation.

De plus, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, le CNESER, qui avait modifié le dispositif du jugement qui lui était soumis, s’est abstenu de l’annuler, d’où un second motif de cassation.

On remarquera au passage ce rappel bienvenu car souvent oublié que « le juge d'appel, statuant au titre de l'effet dévolutif de l'appel, n'est pas juge de la décision de première instance (…) ». En effet, le double degré de juridiction impose un nouvel examen de l’affaire non un examen du jugement. Au contraire, on peut bien dire du pourvoi en cassation que, d’une certaine manière, en se limitant aux seules pièces du dossier, il juge l’arrêt non l’affaire.

(14 mars 2022, Université de Strasbourg, n° 438191)

(38) V. aussi, jugeant que le CNESER a dénaturé les pièces du dossier à lui soumis en jugeant que l’enseignant déféré devant lui n’avait pas commis les faits de harcèlement sexuel qui lui étaient reprochés, qualifiant ainsi inexactement les faits en litige : 14 mars 2022, Université Lumière Lyon 2, n° 446009.

 

39 - Bulletin officiel de la sécurité sociale – Commentaires administratifs y figurant – Rubrique « frais professionnels » - Commentaires susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir du chapitre 9 et des paragraphes 2120 à 2250 des commentaires publiés le 31 mars 2021 au Bulletin officiel de la sécurité sociale sous la référence « Frais professionnels » ainsi que leur annexe.

Le recours est rejeté en ses différents moyens.

D’une part, les dispositions attaquées ne méconnaissent ni le sens ni la portée de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ni ne leur apportent une modification entachée d'incompétence en ce qu'elles indiquent, comme le juge également la Cour de cassation, que, pour appliquer la déduction forfaitaire spécifique, l'employeur doit disposer des justificatifs démontrant que le salarié bénéficiaire supporte effectivement des frais professionnels, la seule appartenance à l'une des professions y ouvrant droit ne suffisant pas à elle seule. 

D’autre part, il ne saurait être sérieusement soutenu :

- ni que l’art. 81 du CGI, qui ouvre le bénéfice d'une exonération de plein droit pour la seule détermination de l'impôt sur le revenu des professions qu'il vise, institue une présomption d'utilisation des frais professionnels de ces professions conforme à leur destination faisant obstacle à ce que des justificatifs du caractère effectif de l'exposition de tels frais soient requis pour la détermination des cotisations sociales dues,

- ni que l’exigence de justification du caractère effectif des frais professionnels serait susceptible de porter atteinte à la liberté de la presse ou au secret des sources protégé par la loi du 29 juillet 1881. 

Toutefois, l’intérêt principal de cette décision réside en ce que c’est la première fois, semble-t-il, que le recours pour excès de pouvoir est admis contre les commentaires administratifs figurant au Bulletin officiel de la sécurité sociale.

Cette solution est d’ailleurs logique.

(14 mars 2022, Alliance de la presse d'information générale, Syndicat des éditeurs de la presse magazine et Fédération nationale de la presse d'information spécialisée, n° 453073)

 

40 - Recours en référé liberté – Interdiction temporaire de circulation de véhicules sur un passage à niveau – Réalisation de travaux – Arrêté municipal d’interdiction argué d’insuffisance de motivation – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

L’insuffisance de motivation d’un arrêté municipal de police, à la supposer établie, n’ouvre pas la voie du référé liberté car, en soi, cette circonstance n’établit pas l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 11 mars 2022, SAS Société Carrefour Supply Chain et autres, n° 461751)

 

41 - Amende pour requête abusive (art. R. 741-12 CJA) – Absence d’urgence déjà opposée à une première requête en référé liberté – Réitération en l’absence de fait nouveau – Requérant professionnel du droit – Rejet.

C’est sans inexactitude dans sa qualification des faits à lui soumis qu’un juge des référés condamne un requérant à une amende pour recours abusif en relevant que l’intéressé, professionnel du droit, après avoir formé un premier référé liberté rejeté pour défaut d’urgence, en forme un second, également dépourvu d’urgence et en l’absence de tout fait nouveau postérieur au premier rejet.

Il est bon de rappeler que le référé est une procédure juridictionnelle non un exutoire.

(23 mars 2022, M. B., n° 450713)

 

42 - Frais exposés et non compris dans les dépens (art. L. 761-1 CJA) – Attribution – Autorisation délivrée par le maire au nom de l’État – Mise à la charge du requérant débouté d’une somme au titre de l’art. L. 761-1 CJA au profit de la commune – Erreur de droit – Annulation dans cette mesure.

La société requérante avait demandé au juge des référés, sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA, la suspension du rejet par le maire de Senlisse de sa demande d’autorisation de travaux (cf. L. 111-8 code de la construction et de l’habitation) en vue de la création d'une salle de réception au château de la Cour Senlisse.

Déboutée, la société a été condamnée, par l’art. 2 de l’ordonnance de référé, sur le fondement de l’art. L. 761-1 CJA, à verser une certaine somme à la commune.

Elle saisit le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre cet art. 2.

Le pourvoi est admis en raison de l’erreur de droit commise par le juge des référés en ordonnant le versement d’une somme à la commune alors que le maire n’a pas agi en l’espèce comme organe de la commune mais exercé une compétence en tant qu’autorité de l’État.

(24 mars 2022, Société Senlisse Evénements, n° 456225)

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

Est entaché d’irrégularité le jugement qui, statuant sur un litige en détermination de la valeur locative cadastrale d’un ensemble immobilier pour la fixation de la taxe foncière sur les propriétés bâties, omet de répondre au moyen qui n’était pas inopérant contestant cette détermination car effectuée sur la base d’une division en trois lots de cet ensemble immobilier alors que n’y est exercée qu’une seule activité de vente de pneumatiques.

La solution est constante et va de soi.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

 

44 - Covid-19 – Adaptation de certaines règles de la procédure administrative contentieuse – Dispense de conclusions du rapporteur public – Absence de motivation – Rejet.

Si l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dispose que, durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, « le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience des conclusions sur une requête », il ne résulte ni de ces dispositions ni d'aucun principe que cette décision doit être motivée.

(28 mars 2022, Mme A., n° 442854)

 

45 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances subrogée aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

V. n° 139

 

46 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

V. n° 91

 

47 - Délai d’appel – Notification du jugement par lettre recommandé – Point du départ du délai - Date de retrait du pli postal – Arrêt de rejet – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier l’ordonnance rejetant un appel au motif que le jugement appelé avait été notifié un 18 octobre alors qu’il résulte de ces pièces que la destinataire de cette notification, absente de chez elle le 18 octobre, avait retiré le pli la contenant le 19 octobre ainsi qu’en atteste l’opérateur postal.

(30 mars 2022, Mme B., n° 442313)

(48) V. aussi, sur le même thème de la computation du délai de recours, le rejet d’un pourvoi en cassation pour cause de tardiveté en dépit de la prorogation des délais contentieux consécutive à la pandémie de Covid-19 (décret du 25 mars 2020), le pourvoi ayant été formé le 11 septembre 2020 alors que le délai pour le former expirait le 24 août 2020 : 30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019.

 

49 - Concours de la force publique – Délai de constitution d’une faute pour abstention de fournir ce concours – Rejet.

C’est sans erreur de droit – contrairement à ce que soutient le ministre demandeur au pourvoi - qu’un tribunal administratif juge que la responsabilité fautive de l’État est engagée en raison de son refus d’accorder le concours de la force publique au terme du délai de deux mois suivant la demande d’octroi de ce concours, conformément aux dispositions des art. L. 412-1 et R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution.

(30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019)

 

50 - Référé suspension – Condition d’urgence – Office du juge dans l’appréciation de cette condition – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Annulation et rejet.

Dans un litige relatif à la suspension d’un agent hospitalier de ses fonctions, il est reproché au juge des référés de n’avoir retenu, pour apprécier l’urgence à suspendre la décision attaquée, que les seuls effets de cette décision sur le sort de l’intéressé  sans examiner l’autre aspect de cette question d’urgence constitué par l’argument du centre hospitalier selon lequel la réintégration de l'intéressé était de nature à causer des troubles dans le bon fonctionnement de l'établissement justifiant l'exécution de cette même décision.

Le Conseil d’État aperçoit dans l’analyse faite par le juge des référés une erreur de droit et une insuffisance de motivation, d’où la cassation, ici prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Centre hospitalier de Valence, n° 449277)

 

51 - Appel d’un jugement – Demande de sursis à l’exécution de ce jugement – Demande pouvant être fondée sur les dispositions générales de l’art. R. 811-17 du CJA même dans le cas où elles pourraient l’être sur celles, particulières, de l’art. R. 811-15 du CJA – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance rejetant une demande de sursis à l’exécution d’un jugement frappé d’appel au motif que cette demande, présentée sur le fondement de l'art. R. 811-17 du CJA, entrait dans le champ d'application de l'article R. 811-15 de ce code alors que la partie qui s’y croit fondée peut présenter au juge d'appel des conclusions à fin de sursis à exécution d'un jugement ayant annulé une décision administrative en invoquant les dispositions générales de l'article R. 811-17 du CJA, y compris dans le cas où de telles conclusions pourraient être fondées sur les dispositions particulières de l'art. R. 811-15 de ce code.

(30 mars 2022, CHU de la Martinique, n° 450520)

 

52 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Erreur sur la date fixant le point de départ des intérêts d’une somme – Recours recevable et fondé – Rectification en conséquence.

Le Conseil d’État juge recevable et fondé un recours en rectification d’erreur matérielle reposant sur la circonstance que si dans le dispositif de sa décision le juge fait mention de la date du 21 décembre 2020 comme point de départ du calcul des intérêts au taux légal assortissant une condamnation pécuniaire, le point 10 des motifs de cette décision mentionne la date du 21 décembre 2010.

Le dispositif est rectifié en conséquence.

(30 mars 2022, M. et Mme B., n° 454906)

 

53 - Condition d’opposabilité des voies et délais de recours contre une décision administrative – Obligation de les mentionner dans la notification de la décision administrative – Application de la règle du délai raisonnable en cas de défaut de mention de ces indications – Règle applicable aux titres exécutoires – Règle applicable à la saisine d’un ordre juridictionnel incompétent pour connaître du fond du litige – Rejet.

Dans cette affaire, importante pour la solution qu’elle contient en droit domanial (voir par ailleurs), était posée une intéressante question de délai de recours contentieux.

Le département défendeur opposait une fin de non-recevoir à la demande d’annulation d’un titre exécutoire qu’il avait émis le 19 septembre 2011 au motif qu’elle était tardive.

En l’espèce, le titre exécutoire litigieux ne précisait pas les voies et délais de recours dont disposait à son encontre la société destinataire. Cette omission empêchait le délai de recours de courir.

Toutefois, on le sait, pour échapper au risque d’un délai infini de recours, le Conseil d’État a fixé de façon prétorienne une limite à la durée possible du recours en ce cas, celui-ci est généralement d’un an (C.E. Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763), mais il peut, en certains cas, être plus long (ainsi est-il de trois ans s’agissant des recours dirigés contre des décrets portant libération des liens d’allégeance avec la France : 29 novembre 2019, X., n°411145, n° 426372, n° 429248, 3 espèces). La forclusion ne peut, en principe, pas être opposée à un recours contre une décision ne comportant pas mention des voies et délais de recours s’il est formé dans l’année qui suit sa réception par son destinataire. Cette solution jurisprudentielle a été étendue aux recours contre des titres exécutoires (16 avril 2019, Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, n° 422004).

En l’espèce, en raison de mentions jugées ambigües portées sur le titre exécutoire, sa récipiendaire l’a contesté devant les juridictions de l’ordre judiciaire jusqu’à ce qu’un terme définitif soit porté à cette affaire par un arrêt rendu le 29 mars 2017 par la Cour de cassation confirmant l’incompétence de l’ordre judiciaire pour en connaître.

Par suite, le département soutenait que la juridiction administrative avait été saisie trop tardivement.

Confirmant l’arrêt d’appel, le juge administratif de cassation rejette cette argumentation car la règle du délai raisonnable s’applique aussi en cas de saisine, comme en l’espèce, d’un ordre juridictionnel incompétent.

Il suffit donc, pour échapper à toute forclusion, d’une part que, dans le délai d’un an, une juridiction, même incompétente, ait été saisie et d’autre part, que le juge administratif ait été saisi au plus tard dans les deux mois de la décision judiciaire irrévocable se déclarant incompétente soit, ici, avant le 29 juin 2017.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

54 - Demande de décharge ou de réduction d’impôt - Compensation à l’initiative de l’administration fiscale – Régime – Annulation avec renvoi.

Le litige portait sur les conditions d’application de l’art. L. 203 du LPF selon lequel : « Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. »

Le Conseil d’État déduit de ce texte, d’une part, la faculté pour l‘administration fiscale d’effectuer ou de demander au juge la compensation sans mener au préalable une procédure de rectification ou de taxation d'office, et notamment sans adresser la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 du LPF ou la notification mentionnée à son article L. 76, d’autre part, l’obligation pour cette administration de respecter les garanties prévues en matière d'engagement et de conduite d'un tel contrôle en faveur du contribuable vérifié.

Est donc cassé l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui avait rejeté, à tort, comme inopérant le moyen soulevé par le contribuable que l'administration fiscale aurait effectué au cours de l'instruction de la réclamation contentieuse un rapprochement critique des déclarations du contribuable et des éléments de sa comptabilité sans respecter les garanties du contribuable vérifié.

(2 mars 2022, M. N., n° 442722)

 

55 - Transformation de locaux commerciaux en bureaux ou non – Notions de « locaux commerciaux » et de « locaux à usage de bureaux » - Activité de généalogiste successoral – Assujettissement à la redevance instituée par l’art. L. 520-1 c. urb. -Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Une société civile immobilière obtient un permis de construire afin de transformer des locaux commerciaux en locaux à usage de bureaux. Après achèvement des travaux, elle est assujettie à la redevance prévue à l’art. L. 520-1 du code de l’urbanisme en raison du changement de destination des lieux.

Elle fait valoir qu’en réalité et contrairement aux termes de sa demande de permis de construire, les locaux n’avaient pas changé de destination et qu’ainsi la redevance n’était pas due.

Pour rejeter cette prétention les premiers juges, se fondant sur la demande de permis et sur la consistance physique des locaux au terme des travaux, ont estimé que la contribuable ne rapportait pas la preuve de l’absence de changement de destination de ces locaux en particulier s’agissant de l’installation future d’une activité de généalogiste successoral.

Or la contribuable requérante soutenait que la notice de sécurité pour les établissements recevant du public figurant dans le dossier de demande du permis de construire établissait que la moitié des locaux serait accessible au public, que l'activité de généalogiste successoral était, comme la précédente, de nature commerciale et que le bail commercial conclu avec le futur occupant mentionnait la réception de clientèle dans les locaux.

Le Conseil d’État annule le jugement attaqué pour erreur de droit en ce qu’il n’a pas recherché si l'activité de généalogiste successoral impliquait, dans tout ou partie des locaux en litige, l'accueil d'une clientèle pour la réalisation de prestations commerciales.

(3 mars 2022, SCI Apler, n° 435318)

 

56 - Cession, par les usufruitiers, de parts sociales démembrées – Charge de l’imposition au titre de la plus-value dégagée lors de la cession - Prise en considération de faits ou actes postérieurs à la cession – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Par acte notarié du 28 octobre 2008, un couple de parents fait donation à ses trois enfants d’actions d’une société qu’il détient, pour l’essentiel en usufruit. Cette cession est suivie de deux autres, les 6 janvier et 5 février 2009.

Puis, par un pacte du 15 novembre 2008, les donateurs et les donataires ont convenu qu'en cas de cession intégrale par M. et Mme A. de leurs actions de la société Viveris, leurs fils cèderaient simultanément la nue-propriété des actions données, le prix devant être remployé par ces derniers dans une société civile immobilière à constituer avec leurs parents.

L’administration fiscale a prétendu imposer les parents à l’impôt sur les revenus, à titre supplémentaire, assorti des contributions sociales y relatives, à raison, d'une part, de revenus de capitaux mobiliers dégagés lors de la cession du 6 janvier 2009, et, d'autre part, de plus-values de cession de droits sociaux nées lors l'opération du 5 février 2009.

La demande d’annulation de ces décisions fiscales a été rejetée en première instance tandis que la cour administrative d’appel a estimé que la fraction des gains tirés du rachat des actions en vue de leur distribution à des salariés de la société Viveris serait imposée entre les mains des requérants selon le régime applicable aux plus-values de l'article 150-0 A du CGI et qu’il y avait lieu de rejeter le surplus de leur requête d'appel.

Les intéressés se pourvoient.

Le Conseil d’État annule l’arrêt déféré à sa censure en raison des deux erreurs de droit sur lesquelles il repose et qui tournent toutes deux autour de l’oubli que les effets fiscaux d’une cession de titres sont immédiats, complets et définitifs.

Auparavant le juge de cassation rappelle que si l'imposition de la plus-value constatée à la suite des opérations par lesquelles l'usufruitier et le nu-propriétaire de parts sociales dont la propriété est démembrée procèdent ensemble à la cession de ces parts sociales, se répartit entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, en revanche, lorsque les parties ont décidé, par les clauses contractuelles en vigueur à la date de la cession - comme c’était le cas en l’espèce -, que le droit d'usufruit serait, à la suite de la cession, reporté sur le prix issu de celle-ci, la plus-value est alors intégralement imposée entre les mains de l'usufruitier. Lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier, la plus-value réalisée n'est imposable qu'au nom du nu-propriétaire.

En premier lieu, la cour ne pouvait pas juger que les requérants n'établissaient pas que le reste de la somme perçue par leurs fils aurait fait l'objet d'un remploi dans la société civile immobilière à créer, de sorte que ces derniers n'avaient pas satisfait à l'obligation leur incombant en vertu du pacte susmentionné, en se fondant pour cela sur des circonstances postérieures au fait générateur que constituait la cession.

En second lieu, la cour ne pouvait pas se fonder sur le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société Viveris du 24 décembre 2008 aux termes duquel l'adoption des résolutions autorisant les rachats de titres valait, pour les actionnaires de titres dont la propriété était démembrée, « mandat irrévocable à l'usufruitier par le nu-propriétaire de percevoir seul le prix de base et l'éventuel complément de prix » car ce procès-verbal ne pouvait avoir eu pour objet ou pour effet de modifier les droits respectifs que l'acte de donation partage du 28 octobre 2008 ou le pacte du 15 novembre 2008 conféraient aux usufruitiers et aux nus propriétaires sur les titres en litige.

(3 mars 2022, M. et Mme A., n° 437247)

 

57 - Travaux de reconstruction – Notion au sens de l’art. 31 du CGI – Travaux affectant le gros œuvre et d’une ampleur suffisante – Absence – Annulation.

Ayant fait l’objet de redressements fiscaux pour avoir entrepris dans un bien immobilier comprenant un ancien hôtel-restaurant et une maison de gardien, des travaux qualifiés fiscalement de « reconstruction » et donc non déductibles des revenus fonciers, la requérante se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmant le rejet de son recours en première instance.

De l’énumération des charges de la propriété déductibles du revenu imposable qu’il comprend l’art. 31 (cf. le I, 1°, b/) du CGI en exclut expressément ceux constituant des travaux de reconstruction.

En l’espèce, l’administration fiscale, confirmée en cela par les juges du fond, avait estimé que la contribuable avait réalisé des travaux dont l’ensemble constituait une reconstruction. Elle estimait tout d’abord que la transformation de l'ancien hôtel-restaurant et de la maison de gardien en studios et chambres meublés avait conduit à une redistribution importante de l'espace intérieur de ces locaux ainsi qu'à la création de surfaces de logement supplémentaires, quand bien même la surface habitable de l'ensemble n'avait pas été substantiellement augmentée. Elle relevait également que les travaux de démolition, de dépose des planchers de bois remplacés par des planchers en béton, ceux de couverture, de démolition et de reconstruction de cloisons intérieures, ainsi que le percement d'ouvertures, avaient affecté de manière significative le gros œuvre et n'étaient pas dissociables des travaux de rénovation et d'amélioration des locaux simultanément entrepris. 

Il s’agissait donc d’une reconstruction au sens et pour l’application de l’art. 31 précité et non, comme le soutenait la demanderesse, des travaux d'entretien, de réparation ou encore d'amélioration.

Le Conseil d’État est à la cassation car il juge que les travaux en litige n'ayant pas affecté de manière importante le gros œuvre et n'étant pas d'une ampleur suffisante pour être qualifiés de travaux de reconstruction, la cour, en jugeant le contraire, a dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits de l’espèce.

On peut trouver cette décision sévère à l’égard de la juridiction d’appel compte-tenu des éléments de fait susrappelés.

(3 mars 2022, Mme B., n° 443135)

(58) V. aussi, très semblable, apercevant une dénaturation des faits et une inexacte qualification de ceux-ci, dès lors que le gros œuvre n’a pas été affecté de manière importante, dans un arrêt qui juge que constituent une reconstruction et un agrandissement des travaux de ravalement de la façade, de remplacement des huisseries extérieures, de modification partielle de la toiture et d'isolation des cloisons existantes ainsi que des travaux d'installation électrique, d'alimentation en eau et de plomberie réalisés au rez-de-chaussée du bâtiment et qui étaient indissociables de ceux entrepris pour la transformation du grenier en surface habitable : 3 mars 2022, M. et Mme B., n° 447962.

 

59 - Revenus des capitaux mobiliers – Manœuvres frauduleuses (art. 1729 CGI) – Imposition supplémentaire et pénalités – Absence d’agissements en ce sens – Recherche d’office par le juge d’une intention délibérée d’éluder l’impôt – Réduction de la pénalité.

La requérante, salariée et associée d’une société exploitant un commerce de boulangerie-pâtisserie dont elle possède 10% des parts, a fait l’objet d’un rehaussement d’impôt assorti d’une pénalité de 80% pour manœuvres frauduleuses. Elle a contesté en vain ces décisions en première instance et en appel, d’où son pourvoi.

Le Conseil d’État estime qu’il n’est pas établi que l’intéressée ait participé à la mise en place d'un système de fraude consistant en l'effacement des données des caisses enregistreuses de plusieurs boulangeries dont celle l’employant car les juges du fond n’ont pas relevé de sa part d'agissements destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle qui lui soient personnellement imputables.

Il rejette également la demande de substitution de motif faite par le ministre des finances car elle supposerait l’appréciation d’éléments de fait au stade de la cassation.

En revanche, il recherche d’office si, sur la base des éléments de fait relevés par l’administration fiscale lors de son contrôle, n’est pas établie l’intention délibérée de la contribuable d’éluder le paiement de l’impôt. Estimant qu’elle ne pouvait pas ignorer les manœuvres frauduleuses mises en place au sein de la société, il ramène de 80% à 40% la majoration d’impôt qui lui a été infligée.

(7 mars 2022, Mme Galipienso, n° 449087)

 

60 - Impôts sur les sociétés - Demande de report en arrière d’une partie de déficit d’un exercice clos (art. 220 quinquies du CGI) – Refus partiel – Refus justifié – Rejet.

La société requérante avait sollicité le remboursement d'une créance née du report en arrière d'une partie du déficit constaté au titre de l'exercice 2010 sur les bénéfices de l'exercice clos en 2007, à hauteur de 566 480 euros et elle se fondait pour cela sur les dispositions de l’art. 220 quinquies du CGI dont le I. est ainsi libellé : « I. Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa du I de l'article 209, le déficit constaté au titre d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1984 par une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés peut, sur option, être considéré comme une charge déductible du bénéfice de l'antépénultième exercice et, le cas échéant, de celui de l'avant-dernier exercice puis de celui de l'exercice précédent, dans la limite de la fraction non distribuée de ces bénéfices et à l'exclusion des bénéfices (...) qui ont donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts (...) ». 

Ainsi donc, il résulte de ces dispositions que les entreprises peuvent imputer le déficit d'un exercice sur les bénéfices réalisés lors de l'un des trois exercices précédents, sous réserve que le montant ainsi imputé n'excède pas la fraction non distribuée de ces bénéfices, déduction faite des bénéfices ayant donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts.

Cette dernière condition empêche ainsi – comme cela a été jugé en première instance et en appel - l'imputation d'un tel déficit sur les bénéfices pour lesquels l'impôt sur les sociétés a été acquitté au moyen de l'excédent de crédit d'impôt mentionné à l'article 199 ter B du CGI. 

Le pourvoi est logiquement rejeté.

(10 mars 2022, SAS Technocer, n° 443690)

 

61 - Taxe sur la valeur ajoutée – Demande de compensation par l’administration entre une non-soumission à la TVA et une remise en cause du droit à déduction de TVA – Défaut de constatation de l’insuffisance de taxation pouvant être relevé antérieurement à la réclamation de la contribuable – Annulation.

Dans un litige en matière de TVA due par un organisme de construction et de location de logements, l’administration fiscale a demandé en cours d’instance que les impositions en litige soient maintenues par substitution de dispositions du code général des impôts à la base légale initialement retenue pour les fonder. Elle soutenait notamment que l'absence de soumission à la TVA des cessions de terrains à bâtir litigieuses, fût-ce au bénéfice de la seule interprétation administrative de la loi, faisait obstacle à ce que la société requérante puisse bénéficier de l'imputation de la TVA ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement des terrains à bâtir. 

Pour rejeter cette argumentation et donc cette demande, le juge observe qu’en réalité celle-ci tend à compenser la non-soumission à la TVA des opérations de cession de terrains par la remise en cause du droit à déduction de la TVA ayant grevé des opérations distinctes d'achats de biens et services. Cette demande ne s’analyse donc pas en une classique demande de substitution de base légale mais en une demande de compensation.

Or celle-ci ne peut qu’être rejetée en raison de la chronologie des faits de l’espèce.

Il résulte de l'instruction, notamment d'une proposition de rectification adressée le 18 décembre 2009 par l'administration à la société, qu’elle disposait, avant l'introduction par la contribuable de sa réclamation, de l'ensemble des éléments propres à lui permettre de remettre en cause l'imputation de la taxe ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement.

Par suite, l'insuffisance de taxation en cause ne saurait être regardée comme ayant été « constatée dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande » au sens de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales.

La demande de compensation ne peut, dès lors, qu'être rejetée et le jugement contesté, annulé.

(11 mars 2022, SA Habitat des Hauts-de-France venue aux droits de la SA Habitat 62/59, n° 448818)

 

62 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(63) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

V. n° 13

 

64 - Société – Acte anormal de gestion – Cession de parts - Appauvrissement sans contrepartie – Absence – Annulation sans renvoi (recours à l’art. R. 821-2 CJA).

Pour le calcul de l’impôt sur les sociétés les art. 38 et 209 du CGI excluent que puissent être déduites du revenu imposable les opérations qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale en ce qu’elles aboutissent à un appauvrissement de l’entreprise à des fins étrangères à son intérêt. En cas de cession d’un élément d’actif, tels des titres, est refusée la prise en compte de la perte résultant de cessions à un prix significativement inférieur à la valeur vénale retenue par l’entreprise cédante sauf si est rapportée la preuve de l’impossibilité de ne pas réaliser cette cession ou qu’elle y trouve une contrepartie.

En l’espèce, l’administration avait estimé que constituait un acte anormal de gestion et donc comme une libéralité la cession par une entreprise à un particulier – à un prix significativement inférieur à leur valeur vénale à cette date - d’actions d’une société filiale en exécution d’un engagement antérieur de cession.

Déboutée en première instance et en appel, la requérante se pourvoit.

Pour confirmer la position de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel avait écarté l'argumentation de la société prétendant s'être trouvée contrainte de céder les titres en litige à ce prix en exécution d'un engagement de cession qu'elle avait contracté à l'égard de M. G. au motif que cette circonstance ne constituait pas une contrainte qui lui était extérieure et que la promesse de vente ne mentionnait aucun engagement de ce dernier en contrepartie du sien.

Le Conseil d’État annule cet arrêt car la cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si, à la date du 14 mars 2009, en consentant une promesse de vente d’actions à un prix irrévocablement fixé et alors même que cette promesse n'était pas subordonnée au respect d'engagements pris par ce dernier, la société Alone et Co avait agi conformément à son intérêt, compte tenu des avantages résultant de l'implication complémentaire qu'elle pouvait attendre, du fait de l'option d'achat qu'elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres.

Statuant au fond, le Conseil d’État rejette d’abord le moyen tiré de ce que M. G. ne fût pas salarié de la société Alone et Co car ceci n'était pas de nature à faire obstacle à ce que cette société trouvât, eu égard aux conséquences qu'elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation dans la société filiale, un intérêt propre à inciter l'intéressé au développement de cette société dont il était, comme il a été dit, le directeur commercial.

Il vérifie ensuite l’éventuelle existence d’un intérêt de l’entreprise requérante à cette cession et le trouve dans les compétences de M. G. et son expérience commerciale dans la vente de préparations culinaires auprès de restaurants, segment d'activité sur lequel la société filiale avait axé son développement, et cela était de nature à permettre à M. G., par son implication particulière, d'obtenir un accroissement important du chiffre d'affaires de cette société et, par suite, de la valeur de ses titres.

Enfin, le juge, fait litière  de l’argument selon lequel la promesse de vente en litige ouvrait à M. G. la possibilité d'exercer son droit d'option à tout moment pendant une période de cinq ans et n'était pas subordonnée à des engagements de sa part, en relevant d’abord, que le prix de 1 euro qu'elle fixait pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle a été consentie et, ensuite, que les perspectives de croissance de l'activité de la société ne présentaient aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir, à l'égard de M. G. un réel effet incitatif.

(11 mars 2022, Société Alone et Co, n° 453016)

 

65 - Taxe d’aménagement (cf. art. L. 331-6 c. urb.) – Permis de construire délivré à plusieurs personnes – Redevable(s) de la taxe – L’un quelconque des bénéficiaires ou chacun pour sa propre fraction – Rejet.

Dans une décision antérieure (19 juin 2019, Ministre de la cohésion des territoires et de la mer, n° 413967) le Conseil d’État avait déjà jugé qu’en cas de permis de construire délivré à plusieurs personnes physiques ou morales pour la construction de bâtiments dont le terrain d'assiette doit faire l'objet d'une division en propriété ou en jouissance avant l'achèvement des travaux, les redevables de la taxe d'aménagement dont ce permis est le fait générateur sont les titulaires de celui-ci, chacun d'entre eux étant redevable de l'intégralité de la taxe due à raison de l'opération de construction autorisée.

Il avait donc également jugé, en conséquence, que l'administration compétente peut soit mettre cette taxe à la charge de l'un quelconque des bénéficiaires du permis, soit à la charge de chacun d’eux sans que le montant cumulé des différents titres de perception émis excède celui de la taxe due.

Il avait censuré pour erreur de droit le jugement décidant impossible la mise de la taxe à la charge d’un seul de ces bénéficiaires.

Il réitère cette solution dans la présente affaire où un autre tribunal avait commis semblable erreur en jugeant que reposait sur une erreur manifeste d’appréciation la décision de l’administration fiscale de ne faire porter la charge de la taxe d’aménagement que sur une seule personne alors qu’en l’espèce le terrain avait fait l'objet d'une division avant la demande de permis de construire et que l'administration disposait de la répartition des surfaces de plancher entre les bénéficiaires.

Cette seconde solution, étendant la précédente, ne nous paraît point judicieuse si ce n’est de faciliter la tâche de l’administration laissant ensuite aux différents bénéficiaires la charge de se débrouiller – ou pas – entre eux.

C’est là une prime à une certaine paresse administrative.

Après tout, le juge administratif, qui est au service de tous, n’est pas tenu de favoriser à peu près systématiquement le confort de l’administration alors qu’elle dispose de moyens et d’agents rémunérés à l’effet d’exercer complètement et correctement ses tâches.

(17 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 453610)

 

66 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

V. n° 43

 

67 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Appréciation du caractère manifestement disproportionné du produit de la taxe – Termes de comparaison – Prise en compte des seuls produits et dépenses relatifs aux ordures ménagères – Absence - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La solution est classique en matière d’appréciation du caractère manifestement disproportionné, ou non, du montant de la taxe sur les ordures ménagères eu égard aux dépenses qui sont consacrées à cet important service public.

Le contentieux est abondant, signe soit d’une mauvaise acceptation de cette charge fiscale soit d’une mauvaise pédagogie sur les conditions de sa fixation.

La requérante ayant été déboutée de sa demande de décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères mise à sa charge par le syndicat intercommunal de collecte de traitement des ordures ménagères au titre de l'année 2015 à raison de locaux situés à Lons-le-Saunier, saisit le Conseil d’État.

Celui-ci censure l’erreur de droit sur laquelle repose le jugement frappé de pourvoi.

Pour établir que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'était pas manifestement disproportionné, le tribunal administratif a comparé les recettes globales du syndicat à ses dépenses globales qui comprenaient donc, les unes et les autres, les ordures ménagères et celles non ménagères. Il lui incombait de ne comparer que les recettes et les dépenses afférentes aux seules ordures ménagères puisque c’était uniquement sur cette catégorie que portait le litige dont il était saisi.

Le Conseil d’État rappelle que les premiers juges pouvaient procéder à cette comparaison au besoin au moyen d'un supplément d'instruction s'ils estimaient non probants les éléments produits par la société sur ce point. 

(28 mars 2022, Société L'Immobilière Groupe Casino, n° 442878)

 

68 - Société soumise à l’impôt sur les sociétés – Sommes créditées au compte courant d’un associé – Sommes considérées être à la disposition de cet associé et devant imposées comme telles – Règle applicable même en cas d’erreur comptable sauf preuve contraire pertinente – Rejet.

Pour habituelle qu’elle soit la solution est assez impitoyable.

Dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé sont à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu du 2º du 1 de l'article 109 du CGI.

Pour échapper à cette rigoureuse interprétation, l'associé doit faire la preuve du contraire en démontrant soit qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes soit que ces sommes ne correspondent pas à la mise à sa disposition d'un revenu.

(28 mars 2022, M. C., n° 444025)

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Évaluation de la valeur locative attribuée à un immeuble - Recours à la méthode par comparaison – Impossibilité de comparer avec un local type détruit ou entièrement restructuré – Situation devant exister antérieurement au 1er janvier de l’année d’imposition – Annulation sans renvoi (décision rendue au fond).

L’une des deux méthodes d’évaluation de la valeur locative d’un immeuble pour l’application des taxes foncières est celle dite « par comparaison », résultant des dispositions de l’art. 1415 du CGI. Elle consiste à comparer l’immeuble à évaluer avec un local type similaire situé dans la commune ou, à défaut, situé dans une commune présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause.

En l’espèce, où l’un des éléments à évaluer était un cinéma, pour pratiquer cette comparaison l’administration fiscale avait retenu un local à usage de cinéma qui avait lui-même été évalué par comparaison avec un local type constitué par un cinéma détruit en 2011-2012, alors qu’il s’agissait de fixer la taxe foncière sur les propriétés bâties au 1er janvier des années 2015 et 2016. En admettant pour régulier ce curieux raisonnement, le tribunal administratif a commis une erreur de droit, d’où son annulation., sans renvoi par application de l’art. L 821-2 CJA

Nous sommes ainsi rassurés : il n’existe pas encore de locaux fantômes ayant une valeur foncière malgré l’exubérante inventivité de Bercy pour alimenter « la pompe à phynances » chère au Père Ubu.

(30 mars 2022, SNC Beaugrenelle Patrimoine, n° 444837)

 

70 - Produit de la cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire – Personne imposable – Imposition dans la catégorie des revenus à laquelle se rattache le revenu ou bénéfice procuré – Imposition en l’espèce aux bénéfices industriels et commerciaux – Rejet.

Le 1° du 5 de l'art. 13 du CGI décide que le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé.

Dans cette affaire, le Conseil d’État interprète ce texte, pour la première fois semble-t-il, non seulement – cela va de soi -  à la cession à titre onéreux, par le propriétaire d'un bien ou droit, d'un usufruit portant sur celui-ci mais encore, ce qui est beaucoup moins évident même au visa des articles 617 et 619 du Code civil, à la première cession à titre onéreux, par son titulaire, d'un usufruit préconstitué, dans le cas où le cessionnaire bénéficie du droit d'usufruit pour une période qui n'est pas exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine. 

C’est donc au prix d’une erreur de droit, selon le Conseil d’État, que la cour administrative d’appel a cru pouvoir juger qu’en l’espèce l’apport fait à une société par la contribuable, pour une durée contractuellement fixée à trente ans, de l'usufruit dont celle-ci était titulaire à titre viager sur les parts d’une autre société n'avait pas la nature d'une cession d'usufruit temporaire, au sens et pour l'application des dispositions précitées du CGI.

Toutefois cette solution suppose admises des prémisses discutables.

(31 mars 2022, Mme C., n° 458518)

 

71 - Taxe sur les encaissements des entreprises du numérique (art. 299 CGI) – Services taxables (art. 299 bis CGI) – Localisation en France – Détermination de cette localisation – Rejets et annulations partiels.

La société requérante demandait l’annulation du rejet implicite par le ministre des finances de sa demande d’abrogation de plusieurs paragraphes des commentaires administratifs parus au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts en 2020 et 2021.

Ces commentaires ont notamment pour objet d’expliciter des dispositions contenues aux art. 299 et 299 bis du CGI, spécialement ce dernier texte, lesquels créent une taxe sur les services numériques et en organisent le régime juridique en particulier s’agissant de déterminer la notion de « localisation en France » de l’activité taxable ainsi que l’assiette des encaissements taxables.

En premier lieu, sont jugées irrecevables celles des demandes dirigées contre la version des 23 et 30 mars 2020 de ces paragraphes puisqu’une nouvelle version leur a été substituée le 8 avril 2021 rendant ces demandes sans objet. Il convient ici de rappeler qu’il n’en est ainsi que dans le contentieux de la légalité, en revanche, un éventuel recours en responsabilité fondé sur l’existence de préjudices causés du chef et au temps des dispositions remplacées serait recevable et, le cas échéant, fondé.

En deuxième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 170 de ces commentaires en ce qu’il restreint le bénéfice de l'exclusion des services taxables aux seuls jeux proposant des interactions minimes entre les joueurs ou ayant pour principale fonctionnalité le jeu en solitaire, indépendamment du contenu numérique qu'ils proposent, car ce faisant ces commentaires ajoutent à la loi qu’ils ont prétendument pour objet d’expliciter.

En troisième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 80 de ces commentaires en ce qu’il indique que les services proposés par une société à une autre société du même groupe ne peuvent bénéficier de l'exclusion du champ d'application de la taxe lorsque ce service est fourni à l'ensemble des entreprises alors qu’il découle clairement des dispositions du dernier alinéa du 2° du II de l'art. 299 du CGI que sont exclues des services taxables l'ensemble des prestations de services fournies entre entreprises appartenant à un même groupe, sans qu'ait d'incidence à ce égard la circonstance que ces prestations soient rendues dans le cadre d'un service taxable proposé également à des tiers. Comme au cas précédent ces commentaires ajoutent illégalement à la loi.

En quatrième lieu, est rejeté le recours en tant qu’il est dirigé contre le § 30 desdits commentaires administratifs qui se bornent à préciser que les informations figurant dans le compte client d'un utilisateur, notamment celles relatives à son domicile habituel, peuvent, sans être à elles seules suffisantes pour établir avec certitude la présence de cet utilisateur en France, être mobilisées dans le cadre d'un faisceau d'indices pour déterminer sa localisation. Ce faisant, ces commentaires se bornent à mettre en œuvre les dispositions du 2° du II de l'article 299 bis du CGI selon lesquelles la localisation d'un utilisateur est une donnée objective pouvant être appréciée par tout moyen.

En cinquième lieu, le juge procède à une distinction s’agissant de l’appréciation de la légalité du § 140 des commentaires administratifs.

D’une part, il estime que le 4ème alinéa de ce paragraphe ne méconnaît pas la loi qu’il a pour objet d’éclairer, spécialement le 3° du I de l’art. 299 bis précité, dès lors qu’il n’intervient que pour expliciter le régime fiscal applicable lorsqu'un exploitant d'une place de marché impose aux acheteurs d'avoir recours aux offres de transport des biens qu'il propose, en leur facturant des frais de livraison dont le montant varie en fonction de la solution de livraison retenue et, en particulier, en précisant que cette prestation obligatoire de transport ne peut être regardée comme indépendante de l'accès à l'interface numérique elle-même ou de son utilisation. Cette interprétation est, au reste, conforme aux dispositions du I de l’art. 257 ter CGI, à propos des opérations distinctes et indépendantes taxables à la TVA.

D’autre part, les 5ème, 6ème et 7ème alinéas de ce même paragraphe sont jugés entachés d’incompétence en ce que, ajoutant à la loi, celui-ci décide (au lieu d’éclairer) que ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme indépendantes de l'accès ou de l'utilisation de l'interface les prestations dont l'acquisition permet de bénéficier de fonctionnalités additionnelles ou améliorées, ou encore d'avantages commerciaux et qu'en particulier, lorsqu'un exploitant d'une place de marché propose aux vendeurs des services logistiques revêtant un caractère optionnel et en concurrence avec d'autres entreprises, mais qui leur permettent de bénéficier de conditions tarifaires plus avantageuses dans l'utilisation de cette place de marché, ces prestations ne sont pas, sur le plan économique, indépendantes de l'accès à la place de marché ou de son utilisation. Cette opinion est évidemment en contradiction avec les dispositions législatives précitées selon lesquelles la simple existence d'une offre promotionnelle conjointe ne saurait caractériser, à elle seule, l'existence de prestations associées ou indispensables.

Enfin, en dernier lieu, concernant les §§ 110 et 150 des commentaires administratifs,  le juge rejette tout d’abord le recours dirigé contre le dernier alinéa du § 110 et les deux premiers alinéas du § 150 en tant qu’ils se bornent à énoncer que lorsqu'une offre commerciale propose à un prix forfaitaire une prestation indissociable comportant une composante taxable et une composante non taxable même si celle-ci revêt un caractère accessoire les dispositions du 3° du I de l'article 299 bis ne font pas obstacle à ce que l'ensemble des sommes versées soit intégrée à la base de calcul de l'assiette de la taxe.

En revanche, le troisième alinéa du paragraphe 150 est jugé entaché d’incompétence car en énonçant que lorsque l'exploitant d'une place de marche commercialise, pour un prix forfaitaire, une offre donnant, pendant une période déterminée, accès à un service de fourniture de contenus numériques ainsi qu'un accès privilégié à la place de marché, cette offre ne peut être artificiellement décomposée, il ajoute aux dispositions de l’art. 257 ter du CGI selon lesquelles l'existence d'une offre commerciale conjointe ne saurait faire obstacle, à elle seule, à ce que les prestations qu'elle rassemble puissent être considérées comme indépendantes.

Le Conseil d’État enjoint au ministre des finances de procéder sous deux mois à l’abrogation de ceux des commentaires administratifs qui sont annulés par la présente décision.

(31 mars 2022, Société par actions simplifiée unipersonnelle Amazon Online France, n° 461058)

 

72 - Redevance d’archéologie préventive (art. L. 524-2 c. du patrimoine) – Note de la direction générale d’un ministère relative à l’impact d’une jurisprudence sur la taxe d’aménagement (art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.) – Rejet d’une QPC – Rejet de la requête.

La requérante demandait l’annulation de « précisions » contenues dans une note d’une direction générale du ministère du logement et de l'habitat durable et relatives, d’une part, à la taxe d'aménagement, et, d’autre part, à la redevance d'archéologie préventive. En même temps elle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la contrariété, aux droits et libertés constitutionnellement garantis, de la jurisprudence du Conseil d’État interprétant les art. L. 331-6 et L. 331-10 c. urb.

Le juge refuse de transmettre la QPC et rejette la requête au fond.

L’art. L. 524-2 du code du patrimoine institue une redevance dite d’archéologie préventive calculée dans les conditions prévues aux art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.

Ces derniers distinguent parmi les opérations concernées, entre autres, deux situations, celle de la reconstruction et celle de l’agrandissement.

Pour le Conseil d’État est une reconstruction « une opération comportant la construction de nouveaux bâtiments à la suite de la démolition totale des bâtiments existants » tandis que l’agrandissement est « une opération ayant pour conséquence une augmentation nette de la surface d'un bâtiment préexistant ».

La différence entre ces deux catégories d’opérations est importante en raison des effets qu’y attache la jurisprudence du Conseil d’État. En cas de reconstruction, la taxe d'aménagement est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu d'en déduire la surface supprimée y compris lorsque l'opération consiste en la reconstruction après destruction totale d'une partie divisible de bâtiments existants. Au contraire, en cas d’agrandissement, la taxe d'aménagement est assise sur la surface créée, déduction faite, le cas échéant, de la surface supprimée.

Cette dualité de traitement de ces deux sortes d’opérations retentit donc directement sur la redevance d’archéologie préventive qui est l’objet du litige.

La requérante développe au soutien de la QPC deux arguments principaux. Tout d’abord, les articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb., tels qu'interprétés par la jurisprudence du Conseil d’État, instituent une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi fiscale entre, les redevables de la taxe d'aménagement à raison d'opérations d'agrandissement ceux redevables de cette taxe due à raison d'opérations de reconstruction avec destruction totale des bâtiments existants ou d'une partie divisible d'entre eux. Ensuite, une seconde inconstitutionnalité est relevée en ce que la distinction entre la reconstruction où la taxe est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu de déduire la surface détruite et l’agrandissement où la taxe est calculée sous déduction de la surface détruite porte atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques.

Ces moyens sont rejetés selon un raisonnement bien connu : les règles d’assiette de cette imposition sont définies selon « des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec son objet », il y aurait une différence de nature entre les deux catégories d’opérations. Au reste, selon un mantra bien rodé « la loi (…) s'est bornée à régler de manière différente des situations différentes, cette différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi ».

Exit la QPC, place à l’examen de la requête au fond.

Son rejet coule de source : celles des dispositions de la note dont l’annulation était demandée ne méconnaissent pas, contrairement à ce que soutient la demanderesse, les dispositions des articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb. ni celles des art. L. 331-6 et L. 331-10 de ce code qu'elles commentent ni non plus celles des art. L. 524-2 et L. 524-7 du code du patrimoine qu’elles ont également pour objet de commenter.

Ces rejets successifs fondés sur l’existence de situations, d’objectifs et autres différents justifiant l’adoption de solutions différentes sont agaçants en raison de leur légèreté. Il ne suffit pas de constater qu’une reconstruction est différente d’un agrandissement encore que ce dernier, suppose dans tous les cas, comme la reconstruction, une construction, il faut encore montrer comment et pourquoi la logique de l’institution d’une redevance d’archéologie préventive serait atteinte dans sa substance même comme dans sa finalité en l’absence de ce traitement différencié. Faute quoi, d’une part, toute différence en soi, même minime même artificielle même peccamineuse, suffirait à justifier des inégalités de traitement, d’autre part, l’invocation de l’existence de situations différentes tournerait à la simple figure de style sans consistance et donc impuissante à convaincre dans une matière aussi délicate et conflictuelle que le droit fiscal.

(31 mars 2022, Société civile immobilière Aix Lesseps Tübingen, n° 460168)

 

73 - Fonds communs de placements à risque (FCPR) – Répartition d’actifs entre porteurs de parts – Soumission de la fraction imposable au régime des plus-values à long terme – Condition de délai des apports en capital – Commentaires administratifs ajoutant à la loi – Annulation.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite de rejet par le ministre de l'économie, des finances et de la relance de sa demande tendant à l'abrogation de la dernière phrase du paragraphe n° 120 des commentaires administratifs publiés le 11 mars 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts relatifs au régime fiscal des fonds communs de placement à risque (FPCR).

Elle estimait illégale l’exigence posée par ces commentaires que le bénéfice du régime des plus-values à long terme ne pouvait être accordé à un porteur de parts non souscripteur initial de ces parts qu’à la condition qu’il ait acquis ses parts depuis au moins deux ans à la date de la répartition des parts.

Le Conseil d’État reçoit l’argument car le paragraphe litigieux, en ce disposant, ajoute à la loi qu’il prétend commenter.

En effet, il résulte des dispositions combinées du IX de l’art. L. 214-28 du code monétaire et financier sur la distribution de fractions d’actifs par un FCPR et du 2° du 5 de l’art. 38 du CGI, que lors de la répartition d’actifs entre ses porteurs de parts par un FCPR, que ceux-ci les aient souscrites à l’émission ou qu’ils les aient acquises postérieurement, la fraction imposable de cette répartition est soumise pour sa totalité au régime des plus-values à long terme, à condition que les apports en capital aient été effectués deux ans au moins avant la répartition. 

La requérante est par suite fondée à demander l’annulation de la décision implicite de refus d’abroger ledit paragraphe, le ministre se voyant accorder un délai de deux mois pour procéder à cette abrogation.

 (31 mars 2022, Société Financière Investissement Azur, n° 461406)

 

Droit public de l'économie

 

74 - Acquisition de logements neufs ou en l’état futur d’achèvement - Acquisition bénéficiant d’une réduction d’impôt – Plafonnement des frais et commissions facturés par les professionnels de l'intermédiation commerciale – Légalité – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-1426 du 20 décembre 2019 pris pour l'application du X bis de l'article 199 novovicies du CGI et relatif au plafonnement des frais et commissions des intermédiaires intervenant lors d'une acquisition de logement bénéficiant de la réduction d'impôt prévue à cet article.

A défaut de respecter ce plafonnement, les professionnels encourent une amende administrative.

Tous les moyens invoqués, de forme comme de fond, sont rejetés.

Tout d’abord, l’on sait que lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA) ; toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)). En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

Ensuite, les dispositions litigieuses qui se bornent à faire application du X bis de l'article 199 novovicies CGI, en tant qu’elles plafonnent les frais de commercialisation versés aux intermédiaires pour la vente de logements éligibles à la réduction d'impôt, limitant ainsi la liberté de ces intermédiaires de fixer les tarifs de leurs prestations, entrent bien, contrairement à ce qui était soutenu, dans les prévisions de l’art. 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur car elles constituent une exigence à laquelle l'exercice de l'activité d'intermédiaire commercial en matière immobilière en France est subordonné au sens et pour l’application du § 7 de l’art. 4 de cette directive.

Elles ne comportent aucune discrimination ni à raison de la localisation des intermédiaires ni à raison de leur nationalité.

Elles sont commandées par le souci de moraliser les prix des transactions et d’éviter les montants abusifs des ventes, en violation de l’art. 199 novovicies précité.

Enfin, dans la mesure où le plafonnement ne s’applique qu’aux frais de commercialisation, qu’à l’acquisition de certains types de logement seulement et que dans certaines zones géographiques, ne sont critiquables ni le recours au pouvoir réglementaire pour prendre la disposition querellée, ni le montant du plafond retenu par le décret attaqué, ni la prétendue atteinte au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ou au principe de l’obligation d’édicter des mesures transitoires dans un souci de sécurité juridique.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

 

75 - Locaux professionnels – Centres commerciaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Application d’un coefficient de localisation au terme d’une comparaison entre deux grands centres commerciaux urbains – Absence d’erreur de droit ou d’inexactitude dans la qualification des faits – Rejet.

Une société de location d’espaces dans des centres commerciaux a demandé, et obtenu du juge la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison de locaux situés à Marseille, dans les 15e et 16e arrondissements.

Le ministre soutenait que la magistrate déléguée avait commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l’espèce à raison de la démarche suivie pour aboutir à sa décision.

Celle-ci, appliquant pleinement les dispositions régissant la matière, issues de l'article 34 de la loi de finances rectificative n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, dans la rédaction que lui a donnée la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, a retenu l’existence d’une différence entre les locaux-types d’un centre commercial situé à « La Valentine », dans le 11e arrondissement, et ces mêmes locaux considérés dans le centre commercial objet du litige, dit « Grand Littoral ». Elle a relevé que les locaux situés dans ce dernier subissaient un taux de vacance élevé, que les tarifs au mètre carré appliqués aux locaux-types, dans la cadre de la révision de la valeur locative des locaux professionnels, étaient supérieurs de 25 % pour les boutiques et de près de 70 % pour les moyennes surfaces à ceux appliqués au centre commercial à évaluer. En outre, la société requérante faisait valoir que le centre commercial en litige est situé au cœur d'un quartier d'habitat social au taux de chômage élevé, ce qui n'est pas le cas du centre commercial « La Valentine ». 

Le recours du ministre est ainsi rejeté.

(2 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 451239)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Locaux appartenant à une société fromagère – Locaux mis à disposition d’une autre société fromagère – Absence d’exonération de la taxe – Rejet.

Une société coopérative de fabrication de fromage mettait ses locaux à disposition d’une autre société fromagère et entendait bénéficier de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties instituée par le b du 6° de l'article 1382 du CGI pour les bâtiments affectés à un usage agricole par les sociétés coopératives agricoles. Or, en l’espèce, la société occupante réalisait, pour son compte, une activité de transformation du lait.

L’exonération a été à bon droit refusée car cette disposition n’est pas applicable à une société coopérative agricole qui loue ou met à la disposition d'une personne tierce des bâtiments, quand bien même les opérations réalisées au sein de ces bâtiments le seraient à partir des seuls produits issus de cultures ou d'élevages des membres de la société coopérative agricole.

En d’autres termes, l’exonération ne joue que dans le cas où une société coopérative agricole occupe ses bâtiments pour y exercer sa propre activité agricole.

(10 mars 2022, Société coopérative « Les Fruitières de Savoie », n° 438828)

(77) V. aussi, assez voisin : 10 mars 2022, Société coopérative agricole (SCA) Cave de l'Ormarine, n° 449226.

 

78 - Contribution au service public de l’électricité (CSPE) – Demande de remboursement (art. L. 121-22 c. de l’énergie) – Conditions – Exclusion du bénéfice du remboursement en l’absence d’engagement du fournisseur d’énergie sur l’origine et le mode de production de l’énergie facturée – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du refus implicite opposé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à sa demande de remboursement partiel de la CSPE qu’elle a acquittée au titre de l’énergie acquise par elle pour les besoins d’un site qu’elle exploite.

Le recours est rejeté au prix d’une lecture très étroite des dispositions de l’art. L. 121-22 du code de l’énergie  selon lesquelles, notamment : « Les consommateurs finals d'électricité acquérant de l'électricité produite à partir d'une source d'énergie renouvelable (...) dans un État membre de l'Union européenne peuvent demander le remboursement d'une part de la contribution acquittée en application de l'article L. 121-10 pour cette électricité lorsqu'ils en garantissent l'origine (...) ». Le Conseil d’État considère qu’en l’absence de cette garantie d’origine, le remboursement ne saurait avoir lieu même si, comme dans le cas de l’espèce, le consommateur final – et alors que l’électricité est un bien fongible – démontre qu'il a acquis et utilisé des garanties d'origine attestant de la production d'électricité à partir de sources renouvelables dans un autre État membre de l'Union européenne (situées en Finlande, en Slovénie et en Suède) pour des quantités équivalentes.

Il n’est pas certain que la CJUE reprendrait à son compte une interprétation aussi restrictive des termes et exigences de l’art. 15 de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

(2 mars 2022, Société Bellevue Distribution, n° 443883)

 

79 - Organisation de producteurs (règlement communautaire du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles) – Organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Reconnaissance d’une SICA (société d’intérêt collectif agricole) en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Illégalité pour violation du droit de l’Union – Rejets partiels et renvois préjudiciels.

La requérante demande l’annulation de l'arrêté du 20 décembre 2019 portant reconnaissance de la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière. Elle invoque à cet effet divers moyens de légalité interne (ceux de légalité externe, sans grand intérêt, n’étant pas étudiés ici), tous organisés autour de l’idée que cette reconnaissance ne respecte pas le droit de l’Union tel qu’il ressort notamment des art. 152, 153 et 154 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

Le Conseil d’État rejette tout d’abord le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions du c) du 1 de l'article 154 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013.

D’une part, la SICA des betteraviers d'Etrépagny a conclu avec la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) une convention d'externalisation d'activités par laquelle la CGB s'engage à mettre à disposition de la SICA « au minimum un (emploi) demi-équivalent temps plein », respectant ainsi les exigences minimales posées par l'article D. 551-55 du code rural et de la pêche maritime. D’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'externalisation prévue se ferait dans des conditions ne permettant pas à l'organisation de producteurs de conserver le contrôle de l'activité externalisée et que le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la SICA disposait de moyens suffisants pour exécuter correctement ses activités.

Il rejette également le moyen tiré de ce que, à supposer même que les conditions de reconnaissance d'une organisation de producteurs soient satisfaites en l’espèce, l'arrêté de reconnaissance attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions prohibant les pratiques anti-concurrentielles figurant aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.

La requérante invoquait au soutien de ce moyen deux motifs.

1°/ la présence au sein de la SICA de membres non producteurs tels que la CGB Eure, la CGB Ile-de-France et la société Naples Investissement créerait un risque d'entente et d'échange illicite d'informations au-delà du périmètre de l'organisation de producteurs.

2°/ la seule exemption à la règle prévue par les statuts de la SICA imposant à des adhérents de lui apporter la totalité de leur production n’est prévue qu’en faveur des volumes déjà engagés auprès d'une coopérative sucrière, cette règle conduisant ainsi à favoriser ces coopératives, au détriment de sociétés telles que la requérante elle-même. 

Enfin, le Conseil d’État renvoie à la CJUE trois questions préjudicielles :

- La règle énoncée par le b) du 1 de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, selon laquelle les statuts d'une organisation de producteurs exigent de ses membres de « n'être membres que d'une seule organisation de producteurs pour un produit donné de l'exploitation », doit-elle être interprétée comme valant uniquement pour les membres producteurs ?

Pour s'assurer du respect du principe prévu par le c) du 2 de l'article 153 du règlement (UE) n°1308/2013, selon lequel les producteurs membres d'une organisation de producteurs doivent contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière : 

- y a-t-il lieu, pour apprécier l'indépendance des membres de l'organisation, de tenir compte exclusivement de la détention de leur capital par une même personne physique ou morale, ou également d'autres liens tels que, pour des membres non-producteurs, l'affiliation à une même confédération syndicale, ou, pour des membres producteurs, l'exercice de responsabilités de direction au sein d'une telle confédération ?
- suffit-il, pour conclure à la réalité du contrôle exercé sur l'organisation par ses membres producteurs, que ces derniers disposent de la majorité des voix, ou convient-il d'examiner si, compte tenu de la répartition des voix entre membres réellement indépendants, la part de voix d'un ou plusieurs membres non-producteurs les met en mesure, même sans majorité, de contrôler les décisions prises par l'organisation ? 

(10 mars 2022, Société Saint-Louis Sucre, n° 439178)

 

80 - Droit public de l’agriculture - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires – Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

V. n° 5

 

Droit social et action sociale

 

81 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Accord collectif relatif à un PSE - Signature par une personne n’ayant pas reçu mandat à cet effet – Défaut de conclusion régulière de l’accord - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge qu’a été irrégulièrement signé un accord collectif relatif à un plan de sauvegarde de l’emploi dès lors que, du côté de l’employeur, est intervenue à l’acte la directrice générale adjointe en charge des ressources humaines et de l'éthique et que cette dernière ne disposait pas d'un mandat exprès donné par les entreprises de l'unité économique et sociale (UES) Pierre Fabre pour signer un tel accord.

Est donc exigée praeter legem (cf. les termes de l’art. L. 2231-1 c. trav.) l’existence d’un mandat exprès préalable des entreprises membres de l'UES.

Ce défaut de mandat peut ainsi être soulevé devant le juge de l’excès de pouvoir saisi d’un recours dirigé contre la décision administrative validant le PSE.

(2 mars 2022, Ministre du travail, n° 438136 ; Société Pierre Fabre Santé Information, n° 438200)

 

82 - Salarié protégé – Autorisation administrative de licenciement – Étendue du contrôle exercé par l’inspecteur du travail – Prise en compte du contrat de travail et des conventions collectives lui étant applicables – Obligation de recherche sérieuse de reclassement – Absence de contrôle sur le reclassement externe – Rejet.

En l’espèce, la société exerçant la fonction de mandataire liquidateur d’une autre société avait sollicité et obtenu de l’inspection du travail l’autorisation administrative de licencier trois salariés protégés en leur qualité de représentants du personnel.

Leur recours contre ces décisions administratives ayant été rejeté en première instance comme en appel, ils se pourvoient.

L’essentiel du litige se concentrait sur l’étendue des obligations s’imposant à l’inspection du travail lors de son contrôle du licenciement de salariés protégés.

C’est sur ce point que l’arrêt apporte d’intéressantes précisions.

Le Conseil d’État rappelle que l’objectif de ce contrôle est de s’assurer que le licenciement n’est pas motivé par les fonctions de représentation des salariés et de défense de leurs intérêts exercées par les personnes licenciées. C’est pourquoi l’autorisation administrative de licenciement est un préalable obligatoire à tout licenciement d’un salarié protégé.

Pour cette raison, il incombe tout d’abord à l’inspection du travail de s’assurer de la régularité du fond et de la forme du licenciement en se fondant, d’une part sur le contrat de travail lui-même et d’autre part, sur les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié.

Il incombe également à l’autorité administrative de vérifier le sérieux qui a présidé à l’obligation de reclassement en s’appuyant à la fois sur les exigences légales en la matière et, le cas échéant, sur celles de nature conventionnelle (contrat de travail et conventions collectives). Cette exigence comporte à titre principal l’effective recherche par l’employeur des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

En revanche, le juge fixe une limite importante aux obligations mises à la charge de l’administration du travail : il n’appartient pas à cette dernière de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe. 

(2 mars 2022, Mme J., n° 442578 ; M. S., n° 442579 ; M. C., n° 442582, jonction)

 

83 - Médecine du travail – Régime propre aux industries électriques et gazières – Pouvoirs dévolus aux médecin-conseils desdites industries – Défaut d’urgence – Rejet de la demande de référé suspension.

Un arrêté ministériel du 27 décembre 2021, modificatif d’un arrêté du 13 septembre 2011, dispose que lorsqu'un médecin-conseil du régime spécial des industries électriques et gazières considère qu'un arrêt de travail n'est pas fondé, il en informe l'employeur qui notifie à l'agent une décision conforme à cet avis. L'agent peut présenter une contestation d'ordre médical contre la décision de l'employeur devant une commission médicale de recours amiable nationale.

La fédération requérante saisit le juge des référés pour en obtenir la suspension de l’exécution de cet arrêté. Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

La requérante fait valoir, d’une part, que le caractère national de la commission médicale de recours amiable est dissuasif pour les agents concernés, d’autre part et surtout, qu’il est ainsi porté une atteinte grave et immédiate aux droits et intérêts des agents des industries électriques et gazières dans la mesure où le médecin-conseil peut remettre en cause un arrêt de travail délivré par le médecin traitant de l'agent en imposant à ce dernier de reprendre son travail dans les vingt-quatre heures.

Au vu du débat tenu à l’audience, le juge relève en premier lieu que ce mécanisme ne sera mis en place qu’après accord des parties sur le règlement intérieur de la commission médicale de recours amiable, lequel est toujours en concertation entre elles.

Il indique également que l’examen au fond de la requête en annulation assortissant la demande de suspension aura lieu avant l’été 2022. De là se déduit l’absence d’urgence.

(ord. réf. 3 mars 2022, Fédération nationale des syndicats salariés des mines et de l'énergie CGT (FNME-CGT), n° 461592)

 

84 - Réponse à une question préjudicielle - Établissement d’enseignement privé agricole sous contrat d’association – Enseignant délégué du personnel – Condition de rémunération des heures consacrées à cette fonction – Absence de rémunération par l’État – Obligation incombant à l’établissement employeur – Rejet.

La cour de Poitiers a renvoyé au juge administratif des questions préjudicielles sur le régime applicable à un enseignant d’un établissement privé sous contrat exerçant en qualité de délégué du personnel en ce qui concerne l’imputation ou non des heures consacrées à ces fonctions sur sa dotation horaire globale et la charge de leur rémunération.

Les réponses données par le tribunal administratif n’ayant pas satisfait l’association gestionnaire de cet établissement, celle-ci se pourvoit, en vain.

Le Conseil d’État confirme entièrement la réponse des premiers juges donnée sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire.

Tout d’abord, les heures de dotation accordées aux établissements privés sous contrat d'association, donnant lieu à rémunération par l'État des contractuels agents publics, sont réservées à l'accomplissement par ces derniers d'une obligation de service sous forme d'un service d'enseignement exercé dans les conditions prévues par le contrat d'association, mais des heures de décharges d'activité peuvent être déduites des horaires correspondant à cette obligation de service, dans la mesure où elles correspondent soit à des dispositions applicables aux personnels de l'enseignement public, soit à la possibilité de bénéficier d'autorisations d'absence dans les conditions prévues à l'article R. 813-76 du code rural et de la pêche maritime s’agissant des établissements d’enseignement agricole.

Ensuite, il résulte de ce qui précède que les fonctions de délégué du personnel exercées par l’enseignant d’un établissement privé sont distinctes de celles de délégué syndical, or aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit le principe d'une telle décharge s'agissant des personnels de l'enseignement public. Il s’ensuit que c’est à tort que l’École des Établières a décompté la décharge de service accordée à l’intéressé de la dotation horaire globale qui lui a été accordée pour l'exercice de ses mandats de délégation du personnel.

D’où il suit que la charge de la rémunération de ces heures incombe non à l’État mais à l’établissement.

Enfin, l’École des Établières, tiers au contrat public qui lie l’enseignant à l'État, n'a pu modifier unilatéralement un tel contrat. Elle a toutefois influé irrégulièrement sur son exécution.

(10 mars 2022, Association familiale de gestion de l'établissement privé d'enseignement agricole sous contrat d'association Les Etablières, n° 441913)

 

85 - Règlement intérieur d’une entreprise – Interdiction de la consommation d’alcool – Conditions de restriction des droits des salariés – Prévention des risques professionnels – Existence de risques élevés compte tenu des activités exercées – Annulation.

Dans son règlement intérieur, une entreprise de construction d’automobiles interdit aux employés de son établissement de Sandouville, l’introduction, la distribution et la consommation de boissons alcoolisées. Le directeur régional du travail a imposé la modification de la disposition du règlement intérieur comportant cette prohibition.

L’entreprise a demandé l’annulation de cette décision. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté son recours pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État rappelle qu’il faut ici mettre en balance, d’une part le respect des droits et libertés des salariés et d’autre part l’obligation légale imposée à l’employeur de protéger leur santé et leur sécurité.

Pour casser l’arrêt déféré à sa censure, le Conseil d’État procède en deux temps.

Tout d’abord, il rappelle que l’obligation de sécurité s’impose sans qu’il y ait lieu d’établir l’existence antérieure d’accidents ou l’existence particulière d’un risque.

Ensuite, le juge impose à l’employeur de justifier en quoi l’interdiction édictée répond à des réalités ou à des nécessités objectives.

En l’espèce, il est relevé, pour dire légale la disposition litigieuse du règlement intérieur, « qu'à la date de la décision attaquée, l'établissement de Sandouville de la société Renault employait 2 262 salariés, dont 1 500 utilisaient des machines et outils de carrosserie-montage et utilisaient ou manipulaient des produits chimiques dans le cadre d'activités d'emboutissage, de tôlerie, de peinture, de montage et de contrôle de la qualité par la réalisation de tests. (…) 167 étaient employés à la maintenance des équipements industriels et d'exploitation, 189 à la logistique, 140 à l'assistance technique et (…) moins de 10 % des salariés occupaient des fonctions tertiaires. (…) l'ensemble des salariés étaient appelés à se déplacer régulièrement sur l'ensemble du site et à partager les mêmes locaux. Eu égard, dans ces conditions, aux risques de sécurité auxquels étaient exposés l'ensemble des salariés du site à raison des activités qui y étaient exercées et à l'obligation pesant sur l'employeur de mettre en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 du code du travail au titre de son obligation de sécurité sur le fondement des principes généraux de prévention fixés à l'article L. 4121-2 de ce code, l'administration a porté sur les faits une inexacte appréciation en estimant que les dispositions du règlement intérieur de l'établissement interdisant d'y introduire, distribuer ou consommer des boissons alcoolisées n'étaient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. »

La solution doit être pleinement approuvée dans son fondement juridique comme dans son appréhension des faits.

(14 mars 2022, Société Renault, n° 434343)

 

86 - Licenciement d’un salarié sur avis médical d’inaptitude pour danger immédiat – Annulation par l’inspecteur du travail de l’avis et du licenciement – Non-respect prétendu du contradictoire – Rejet.

L’intéressé, ingénieur marketing industriel et « reporting group » à temps partiel, a été licencié par son entreprise à la suite d’un avis médical d'inaptitude pour danger immédiat prononcé par le médecin de travail. Sur recours du salarié l’inspecteur du travail a annulé cet avis et, par suite, le licenciement.

Sur appel de l’entreprise, la décision de double annulation prise par l’inspecteur du travail est annulée.

Le motif retenu est que cette décision est intervenue au terme d'une procédure irrégulière car l’entreprise a été privée de la garantie d'une procédure contradictoire dès lors que l'inspecteur du travail ne l'avait informée ni de la mesure qu'il envisageait de prendre ni des motifs sur lesquels elle reposerait.

Pour annuler cet arrêt à la demande du salarié, le juge de cassation estime que la cour a commis une erreur de droit en jugeant comme elle l’a fait dès lors qu’elle avait elle-même jugé que l’inspecteur avait fait connaître à l’entreprise l'existence du recours formé par le salarié à l'encontre de l'avis du médecin du travail, lui avait communiqué les pièces produites et l'avait invitée à présenter ses observations.

On demeure surpris qu’un texte, fût-il législatif (art. L. 4624-1 c. trav.), puisse reconnaître à un agent public tel un inspecteur du travail, le pouvoir d’annuler une décision médicale même sous le bénéfice d’une motivation et encore qu’il s’agisse d’un avis, dans la mesure où il existe un délit d’exercice illégal de la médecine (cf. art. L. 4161-1 c. santé publ.).

Ce n’est pas l’obligation faite à l’inspecteur ou à l’employeur qui passe outre cet avis médical de motiver sa décision qui est de nature à changer quoi que ce soit à leur incompétence certaine en cette matière. En réalité, le législateur a confondu deux choses : la nature strictement médicale de l’avis et ses effets sociaux ; il a fait basculer la sentence médicale du côté du seul droit du travail, la faisant ainsi tomber sous la puissance souveraine de l’inspecteur du travail. Cette confusion et sa conséquence procèdent d’un parti-pris idéologique.

(15 mars 2022, M. B., n° 442272)

 

Élections et financement de la vie politique

 

87 - Élection présidentielle – Mémento à l’usage des candidats à cette élection établi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Lignes directrices – Absence de motivation – Élection ne ressortissant pas de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision de la CNCCFP adoptant un « mémento à l'usage du candidat à l'élection présidentielle et de son mandataire » au motif qu'il y est indiqué que les prêts ou avances remboursables accordés par des personnes physiques sont prohibés par le troisième alinéa du II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Les deux moyens développés au soutien de cette requête sont rejetés.

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ce mémorandum ne constitue pas une décision mais des lignes directrices lesquelles ne sont pas soumises à une obligation de motivation.

En second lieu, ne sauraient non plus être invoquées, car inopérantes ici, les dispositions de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH, celles-ci ne concernant que des élections en vue du « choix du corps législatif » ce que, d’évidence, n’est pas l’élection présidentielle.

(9 mars 2022, M. A., n° 460212)

 

88 - Élection présidentielle – Limitation du droit de recours des électeurs contre cette élection – Commentaires du Conseil constitutionnel – Décret du 22 décembre 2016 – Rejet.

Dans la présente affaire étaient demandées :

1° l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président de la république sur la demande du requérant tendant à l'abrogation des termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 dans sa version issue du décret n° 2016-1819 du 22 décembre 2016 ;

2° l’annulation des commentaires mis en ligne sur le site Internet du Conseil constitutionnel intitulés « Qui peut exercer un recours contre les opérations électorales ? » en tant qu'ils font état d'une limitation du droit au recours des électeurs aux seules opérations de vote le jour de l'élection présidentielle ;

3° l’injonction au président de la république d'abroger les termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret précité du 8 mars 2001.

A l’énoncé de ces demandes on ne sera guère surpris de leur rejet par le juge administratif.

Ce dernier relève que la disposition du décret litigieux selon laquelle « tout électeur a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant porter au procès-verbal mention de sa réclamation » n’a bien évidemment ni pour objet ni pour effet d’empêcher le Conseil constitutionnel d’exercer en cette matière électorale les compétences qui lui sont dévolues tant par l’art. 58 de la Constitution que par les dispositions organiques de l’ordonnance du 7 novembre 1958 (art. 46, 48, 49 et 50) et par celles du III de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Par suite, ne saurait être sérieusement soutenue la méconnaissance par les dispositions critiquées des normes et principes invoqués par le requérant.

(25 mars 2022, M. B., n° 461992)

 

Environnement

 

89 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

V. n° 117

 

90 - Déchets – Déchets se trouvant sur une installation classée pour la protection de l’environnement - Police spéciale des déchets appartenant au préfet (art. L. 541-1 et s. c. env.) – Étendue des pouvoirs du préfet – Rejet.

Les sociétés demanderesses ont été mises en demeure, sous astreinte, par arrêtés préfectoraux, d’évacuer ou de stocker sur place dans les conditions qu’ils fixent, des déchets irrégulièrement déversés par elles sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement. Elles se pourvoient en cassation contre l’arrêt confirmatif de rejet de leurs demandes.

Le pourvoi est rejeté en ses trois branches.

En premier lieu, alors même que ces déchets se trouvaient sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement, les mesures et mises en demeure prises par le préfet relèvent non de la police des installations classées mais d’une autre police spéciale, la police des déchets. Il était donc bien compétent pour prendre les décisions attaquées.

En deuxième lieu, se posait la question de la charge des obligations et donc, corrélativement, des manquements à celles-ci dans la mesure où ces déchets étaient apportés par les deux sociétés requérantes sur un terrain où ils ont été mélangés à d’autres et à de la terre et alors qu’il y avait sur place un détenteur du site à qui incombait la responsabilité des déchets. Appliquant les dispositions très claires des deuxième et troisième alinéas de l’art. L. 541-2 c. env. (selon lesquels :

« Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.

Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge »), le juge retient que les requérantes ne pouvaient être exonérées de leurs obligations, notamment en s'assurant que la société KLV Terrassement, exploitante d’une installation de déchets inertes, était autorisée à prendre en charge leurs déchets, dont ceux non inertes, et qu’elles devaient supporter les conséquences des manquements constatés aux prescriptions du code de l'environnement.

Enfin, était contestée la solution alternative proposée par le préfet aux contrevenantes : gestion collective des déchets sur le site de l’installation classée ou bien évacuation et gestion par les deux sociétés des déchets non inertes à due proportion de ceux qu'elles avaient chacune apporté sur le site. Le juge de cassation confirme les juges du fond qui ont estimé cette alternative non illégale puisqu’il incombe au préfet de prendre « toute mesure appropriée ».

(7 mars 2022, Société Est Environnement et société Arches Démolition, n° 438611)

 

91 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

La société requérante, exploitante depuis 1996 d’une installation classée pour activité de « transit, de regroupement, tri ou préparation en vue de la réutilisation de déchets non dangereux », outre un arrêté de suppression de cette installation, a fait l’objet, sur le fondement de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, de deux titres exécutoires d’un montant total de 1,5 million d’euros qu’elle a contestés par un recours en annulation et par un référé en suspension de leur exécution.

La requête en référé a été rejetée en première instance par le double motif qu’elle était manifestement sans objet et que la situation d’urgence invoquée par la demanderesse lui était imputable.

L’ordonnance de rejet est cassée en ses deux motifs.

En premier lieu, le juge des référés a commis une première erreur de droit en se fondant, pour estimer que la requête était sans objet, sur l'effet automatiquement suspensif de l'opposition à un titre exécutoire énoncée à l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, alors que, précisément, l'opposition à l'état exécutoire faisant suite à une mesure de consignation ordonnée par l'autorité administrative en application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement n'a pas de caractère suspensif. 

En second lieu, le juge a commis une seconde erreur de droit en jugeant que la condition d’urgence n’était pas remplie en l’espèce car cette situation d’urgence était liée à la propre imprudence de la requérante car son activité portait une atteinte réitérée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Or il incombait à la juridiction des référés de vérifier, ce qu’elle n’a pas fait, si l'exécution de l'arrêté en cause, dont la légalité était contestée, portait atteinte de façon suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société demanderesse.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

 

92 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

Les requérants contestaient l’arrêté préfectoral délivrant à une société une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien ; ayant été débouté en première instance et en appel ils forment un pourvoi en cassation qui est également rejeté.

Des divers moyens invoqués, l’un retient plus particulièrement l’attention. Il est tiré de l’existence du règlement départemental de la voirie du Morbihan, relatif à l'implantation d'éoliennes en bordure de la voie publique dont une disposition n’aurait pas été respectée par le préfet lors de la délivrance de l’autorisation unique.

Il convient de rappeler qu’en vertu de l'article 2 de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, applicable à l'autorisation unique contestée, une telle autorisation « tient lieu des permis, autorisation, approbation ou dérogation » prévus par divers textes. Se posait donc une question de hiérarchie des normes entre le règlement départemental de voirie et l’autorisation unique que le juge tranche en faveur de l’autorisation en décidant que ce règlement de voirie n'est pas opposable à cette autorisation dès lors que les dispositions de celui-ci n’appellent « l'intervention d'aucune décision administrative dont l'autorisation unique aurait été susceptible de tenir lieu ».

On peut trouver cette argumentation par trop laconique.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

 

93 - Création d’un parc éolien – Autorisation dérogatoire de détruire ou d’altérer les habitats de reproduction ou de repos de spécimens d’espèces animales protégées – Conditions de dérogation – Absence – Annulation.

Des requérants ont obtenu en appel l’annulation d’un arrêté préfectoral portant autorisation délivrée à la société pétitionnaire de dérogation aux interdictions relatives aux espèces de faune sauvage protégées, dans le cadre de la réalisation de son parc éolien.

La ministre de la transition écologique et la société bénéficiaire de la dérogation se pourvoient. Elles sont déboutées.

Le Conseil d’État rappelle, dans sa formulation habituelle, le régime des conditions d’octroi d’autorisations dérogatoires de projets d’aménagement ou de construction au regard de la protection des espèces animales et végétales :

« (…) un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. »

L’existence de cet intérêt public majeur étant acquise, le juge précise encore que « le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »

Le cumul de ces conditions rend donc très difficile la légalité de ces dérogations.

En l’espèce, le juge de cassation reprend à son compte l’analyse faite par la cour administrative d’appel ainsi que la conséquence qu’elle en a tirée.

Relevant que seraient affectées quatre espèces de reptiles, une espèce d'amphibien, soixante-dix espèces d'oiseaux dont neuf à fort enjeu de conservation et que le bénéfice apporté par l’implantation d’éoliennes serait somme toute assez restreint, le projet est, sans surprise, jugé comme ne répondant pas à une raison impérative d'intérêt public majeur.

D’où s’ensuit le rejet des pourvois.

(10 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 439784 ; Société Parc éolien des Avants-Monts, n° 439786)

 

94 - Autorisation préfectorale d’exploitation d’éoliennes – Sursis à statuer en vue de régularisation – Sursis ordonné sans examen d’un moyen soulevé – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige né de l’autorisation d’exploiter quatre éoliennes et deux postes de transformation dont les requérantes demandaient l’annulation, celles-ci ont, notamment soulevé le moyen tiré de ce que le projet méconnaissait les articles L. 181-13 et L. 511-1 du code de l'environnement en raison de l'atteinte qu'il portait à la préservation de l'avifaune, des paysages et du patrimoine culturel. Sans répondre à ce moyen, la cour administrative d’appel a, sur le fondement de l’art. L. 181-18 de ce code, ordonné le sursis à statuer sur la requête dont elle était saisie dans l'attente de la production, par le préfet, d'une autorisation modificative en vue d'obtenir un avis de l'autorité environnementale permettant de régulariser son arrêté querellé. 

Le Conseil d’État lit l’art. L. 181-18 précité comme imposant au juge administratif, avant de prendre la décision de surseoir à statuer, d’une part, qu’il constate préalablement qu'aucun des autres moyens présentés devant lui n'est fondé et n'est susceptible d'être régularisé et d’autre part, qu’il indique dans sa décision de sursis pour quels motifs ces moyens doivent être écartés. 

Faute d’avoir procédé ainsi, l’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour qui l’a rendu.

(10 mars 2022, Association Chazelle-l'Echo Environnement et autres, n° 448766)

 

95 - Désignation de l’exploitant d’un parc d’éoliennes en mer – Autorisations d’exploiter une installation de production d’électricité en mer – Refus implicites d’abrogation de ces décisions – Rejet.

Les trois recours sont joints car dirigés contre la décision implicite de rejet, par la ministre de l’écologie, de demandes tendant à l'abrogation, d’une part, de décisions du 6 avril 2012 désignant l'exploitant du parc éolien, respectivement, au large de Courseulles-sur-Mer, de Saint-Nazaire et de Fécamp, et d’autre part, des décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter une installation de production d'électricité sur le domaine public maritime au large de chacune des trois communes précitées.

Les recours dirigés contre l’attribution de divers lots à la société Éolien Maritime France sont rejetés car, dit le juge, les statuts des requérantes qui visent à la protection de l’environnement ne leur confèrent pas un intérêt leur donnant qualité pour agir contre le refus d’abrogation des décisions du 6 avril 2012 car celles-ci ont pour seul objet, au terme d’un appel d’offres, de retenir une candidature pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité. Cette désignation est suivie de l'autorisation administrative d'exploiter une installation de production d'électricité, prévue par l'article L. 311-1 du code de l'énergie, délivrée au candidat retenu, laquelle désigne le titulaire de cette autorisation et fixe le mode de production et la capacité autorisée ainsi que le lieu d'implantation de l'installation. 

Sur ce point, les requêtes sont donc irrecevables.

Les recours dirigés contre les décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter trois parcs éoliens offshore sont rejetées car cette autorisation crée des droits pour son bénéficiaire.

Or, contrairement à ce qui est soutenu en l’espèce, d’une part le cahier des charges de l’appel d’offres n’impose pas une condition de stabilité de l’actionnariat composant la société bénéficiaire et, d’autre part, il ne résulte d’aucun élément du dossier ni que le maintien de la participation de la société Dong Energy dans le capital de la société Éolien Maritime France constituerait une condition de l'autorisation délivrée à la société Éolien Maritime France, ni que la modification du capital de la société titulaire était soumise à une autorisation. 

C’est donc à tort que les requérants demandent l’annulation du refus d’abroger les décisions litigieuses.

(21 mars 2022, Association Libre Horizon et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 457678 ; Association pour la protection du site et de l'environnement de Sainte-Marguerite (PROSIMAR) et groupement des résidents pour la sauvegarde environnementale de la Baule (GRSB), n° 451683 ; Association de protection du site des Petites-Dalles et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 451684, jonction)

 

Étrangers

 

97 - Contestation d’une mesure d’éloignement assortie d’un placement en rétention – Régime contentieux (art. L. 512-1, III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, CESEDA) – Contestation d’un arrêté d’expulsion ou d’une autre mesure prise pour l’exécution d’une mesure d’éloignement et/ou de placement en rétention – Régime contentieux distinct du précédent – Inapplicabilité du régime de jugement par ordonnance de l’art. R. 222-1 CJA – Obligation de statuer en formation collégiale – Annulation.

Cette décision illustre parfaitement l’excessive complexité et la quasi-illisibilité d’ensemble du régime contentieux de divers recours susceptibles d’être formés par un ressortissant étranger en fonction des mesures négatives diverses pouvant être prises à son égard.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées du III de l'article L. 512-1 du CESEDA qu’en cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1 de ce code, l'étranger concerné peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. En ce cas le juge saisi statue au plus tard quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours, avec dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Ensuite, cette procédure spéciale est jugée applicable aux recours relatifs à toutes les sortes de décisions qui y sont mentionnées et cela, d’une part, quelle que soit la mesure d'éloignement en vue de l'exécution de laquelle le placement en rétention a été pris, et d’autre part, quand bien même aucun recours n’aurait été formé contre cette dernière mesure.

Enfin, s’agissant des arrêtés d’expulsion comme des mesures en vue de leur exécution, cette procédure spéciale n’est pas applicable, d’où il suit que dans le cas où l’étranger fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, alors même qu’il est maintenu en rétention et que l'arrêté d'expulsion n'a pas été contesté, le recours en annulation dirigé contre une décision fixant le pays de renvoi de l’étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ne peut être examiné que par une formation collégiale du tribunal administratif, sauf utilisation par le juge de la faculté de statuer par voie d’ordonnance conformément aux dispositions de l’art. R. 222-1 du CJA. En outre, ne joue pas ici la dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Comme le moyen tiré de ce qu’il ne pouvait pas être statué – comme en l’espèce – par une formation juridictionnelle irrégulièrement composée, puisque unipersonnelle et non collégiale, est d’ordre public, il peut être relevé d’office par le juge de cassation car il n’implique pas d’appréciation sur les pièces du dossier soumis aux juges du fond.

(22 mars 2022, M. B., n° 446639)

 

98 - Demandeur d’asile – Expulsion de son lieu d’hébergement – Autorité compétente pour la décider – Motifs – Rejet.

Cette décision comporte deux précisions nouvelles sur le régime d’expulsion d’un demandeur d’asile du logement qu’il occupe dans un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile.

Tout d’abord, par déduction des articles L. 552-15 et L. 551-16 du CESEDA combinés avec l’art. L. 521-3 du CJA, le juge estime que le préfet ou le gestionnaire du lieu d'hébergement est compétent pour saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile de toute personne commettant des manquements graves au règlement du lieu d'hébergement, y compris les demandeurs d'asile en attente de la détermination de l'État responsable de l'examen de leur demande d'asile ou de leur transfert effectif vers celui-ci.

Ensuite, pour déterminer l’existence de manquements graves, le juge retient, cette fois non par déduction de textes combinés mais du fait « de l'économie générale et des termes des dispositions précitées » la circonstance pour un demandeur d'asile de se maintenir dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile alors qu'il ne bénéficie plus des conditions matérielles d'accueil et qu'en conséquence, il a été mis fin à son hébergement.

Est donc annulée l’ordonnance qui avait rejeté la demande préfectorale d’expulsion pour absence de manquement grave en l’espèce.

(ord. réf. 22 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 450047)

 

99 - Brexit – Situation des ressortissants britanniques en France au regard du droit au séjour – Régime fixé par le décret du 19 novembre 2020 – Rejet.

Les deux recours joints demandaient notamment l’annulation, assortie d’une injonction, de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur une demande tendant à l'abrogation du décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020.

Ce décret, pris à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, régit l'entrée, le séjour, l'activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni.

Le recours est rejeté en ses trois moyens.

En premier lieu, les requérantes soutenaient que l'accord du 17 octobre 2019 sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom, sur le fondement duquel a été pris le décret attaqué, priverait les ressortissants britanniques de la citoyenneté européenne, et serait ainsi contraire aux principes et obligations communautaires invoqués par elles. Le moyen est rejeté car le décret litigieux se borne à fixer les modalités du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. En réalité, cette perte ce citoyenneté européenne est la conséquence non de cet accord mais de son entrée en vigueur ainsi qu’il résulte nécessairement des dispositions du § 2 de l’art. 50 du traité sur l’Union européenne.

En deuxième lieu, c’est à tort que les requérantes soutiennent que le décret attaqué aurait méconnu les stipulations des articles 15 et 18 de l'accord de retrait en prévoyant la délivrance d'un titre de séjour d'une durée de dix ans alors qu’il résulte de ces stipulations qu'un titre de séjour d'une durée de validité de dix ans portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » est délivré de plein droit aux ressortissants britanniques remplissant les conditions qu'il énumère, et que ce titre de séjour est renouvelé de plein droit sauf si la présence du demandeur constitue une menace pour l'ordre public.

Enfin, en troisième lieu, les demanderesses soutiennent que les dispositions du décret litigieux limitant à dix ans la validité du titre de séjour portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » créent une discrimination entre les ressortissants britanniques titulaires de ce titre et les autres étrangers titulaires des titres ouvrant droit, aux termes de l'article L. 426-4 du CESEDA, à l'obtention d'une carte de résident permanent à durée indéterminée. L’argument, qui peut sembler assez fort, est cependant rejeté motif pris de ce que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité énoncé à l'article 12 de l'accord de retrait ne concerne que les situations relevant du champ d'application de l'accord et le principe identique énoncé à l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi qu'à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne concerne que les situations relevant du champ d'application du traité.

Ces principes ne s’appliquent donc qu’en cas de discriminations entre un ressortissant britannique par rapport à un ressortissant d'un État membre ou entre un ressortissant d'un État membre par rapport au ressortissant d'un autre État membre. Ils ne sauraient être invoqués en cas d’éventuelles différences de traitement entre les ressortissants britanniques et ceux des pays tiers.

(22 mars 2022, Mme A., n° 453326 ; Association EUBritizens, n° 456678, jonction)

 

Fonction publique et agents publics

 

100 - Enseignement supérieur – Maître de conférences – Défaut d’autorisation de cumul d’une activité accessoire avec l’exercice d’une fonction publique – Sanction – Réformation partielle du quantum de la sanction.

Maître de conférences, le requérant avait fait l’objet d’une double sanction de la part de son université (interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans et privation de la moitié de son traitement) pour avoir exercé une activité extérieure sans avoir sollicité auprès de son université l’autorisation requise par les textes.

Condamné par la section disciplinaire de l’université à une interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans avec privation de la moitié de son traitement, il a interjeté appel de cette décision devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire. Celui-ci a prononcé la relaxe de l’intéressé.

Sur pourvoi de l’université, le Conseil d’État a annulé le jugement du CNESER et renvoyé le dossier devant lui. Le CNESER a confirmé la décision de relaxe.

L’université s’étant à nouveau pourvue contre ce jugement, le Conseil d’État devait juger au fond et définitivement.

Il juge tout d’abord que le CNESER a commis une erreur de droit en décidant la relaxe du requérant au motif que l'université ayant signé plusieurs contrats en vertu desquels l’intéressé devait participer à des activités de recherche avec des établissements d'enseignement et des entreprises, elle devait être réputée l’avoir tacitement autorisé à cumuler ses activités d'enseignement auprès de l'école de management Audencia de Nantes et de l'école supérieure de commerce (ESC) de Rennes avec son activité principale de maître de conférences à l'université. Selon le Conseil d’État il n’aurait pu y avoir autorisation tacite de cumul d’activités que si l’agent avait formé une demande écrite et motivée en ce sens. A défaut a bien été commise une faute disciplinaire sans qu’ait d’incidence la circonstance que l'université était informée de la participation de l’agent, d'une part, à un programme de recherche résultant d'une convention conclue entre une société qui n’était qu’une filiale de valorisation créée par cette université et l'école Audencia de Nantes, et d'autre part, à une mission confiée par cette même université à l'école supérieure de commerce de Rennes dans le cadre d'un programme de recherches conduit par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. 

Il juge ensuite excessive la sanction d’interdiction d’exercer durant deux années car, relève-t-il non sans une certaine contradiction, que si l’agent « s'est abstenu de demander l'autorisation de cumuler son activité avec ses activités d'enseignement au sein de l'ESC de Rennes et de l'école Audencia de Nantes, lesquelles se sont déroulées pendant plusieurs années, pour une quotité horaire conséquente, excédant d'ailleurs pour l'une celle d'un emploi à temps plein, et des rémunérations très élevées, alors même qu'il avait par le passé sollicité une autorisation de cumul pour une activité accessoire d'enseignement très ponctuelle. Toutefois, il résulte également de l'instruction que durant la même période, l'université d'Aix-Marseille a bénéficié des liens entretenus par M. I. avec ces deux écoles, qu'elle ne pouvait, par suite, totalement ignorer et qu'elle a ainsi noué plusieurs partenariats avec ces écoles. Dans ces conditions, il y a lieu de réformer la sanction prononcée à l'égard de M. I... par la commission disciplinaire de première instance en ramenant la sanction d'interdiction d'exercer toute fonction de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur à une période d'un an assortie de la privation de la moitié du traitement. »

En somme, pour le juge, la connaissance certaine par l’université – et ce pendant plusieurs années – de l’existence d’une activité menée par un de ses enseignants à l’extérieur de l’université et le fait qu’elle en ait tiré un certain bénéfice, si elle peut avoir un effet sur le quantum de la sanction infligée, ne saurait donner naissance à une autorisation tacite de cumul d’activités, laquelle présuppose une demande écrite expresse de l’agent.

Au reste, cette règle d’autorisation de cumul nous semble plutôt discutable, d’une part, parce qu’elle inverse indûment la charge de la preuve : c’est à l’administration d’établir que, du fait, de l’exercice d’une activité accessoire, il est – éventuellement - porté atteinte à la qualité du service ou à son fonctionnement, et d’autre part, il est bien connu que les autorisations et, surtout, les refus d’autorisation de cumul sont loin de satisfaire toujours – ni même souvent -  aux motifs en vue du respect desquels cette procédure a été instituée.

(2 mars 2022, Université d’Aix-Marseille, n° 432959)

(101) V. aussi, confirmant le bien-fondé de l’annulation par le CNESER de la sanction d‘interdiction, pendant un an, faite à un maître de conférences par le conseil de discipline de son université, d'accéder à une classe, un grade ou un corps supérieur, faute de preuve suffisante en ce sens et en dépit du régime probatoire particulier des faits de harcèlement moral allégués à son encontre : 2 mars 2022, Université de Poitiers, n° 444556.

 

102 - Covid- 19 - Examens et concours d’accès à la fonction publique – Instauration de règles dérogatoires – Obligation de respecter l’égalité entre les candidats – Dérogations devant être strictement nécessaires à raison de l’épidémie – Rejet.

L'ordonnance du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 permet en son article 5, en cas de besoin et par dérogation, l’organisation des examens et concours d’accès à la fonction publique sans la présence physique des candidats ou de tout ou partie des membres du jury ou de l'instance de sélection, lors de toute étape de la procédure de sélection. 

Candidat malheureux à un concours de recrutement en vue de l’accès à la magistrature, le requérant demandait l’annulation de cette disposition.

Le recours est rejeté en tous ses moyens, de forme comme de fond, articulés autour de l’idée générale que l’ordonnance ne pouvait traiter de la même manière les recrutements dans la magistrature et ceux dans la fonction publique « de droit commun ».

Sur la forme, était critiquée, d’une part, l’absence de recours à la loi organique s’agissant du recrutement de magistrats de l’ordre judiciaire et d’autre part l’absence du contreseing du garde des sceaux sur l’ordonnance litigieuse, en qualité de « ministre responsable ». Ces deux moyens ne pouvaient prospérer car la mesure adoptée ne touche point au statut de la magistrature et d’autre part n’entrait point dans les compétences dévolues au garde des sceaux.

Sur le fond, tout d’abord, l’expression « fonction publique » dont use l’ordonnance doit s’entendre, à raison de la généralité de ses termes, comme s’appliquant également à l’accès aux fonctions de magistrat.

Ensuite, contrairement à ce que soutient le requérant, la dispense de présence physique ne viole pas l’égalité entre les candidats car elle ne les expose pas à être traités différemment les uns des autres.

Également, les dispositions critiquées, d’une part, sont motivées par le souci d'assurer la continuité des recrutements et promotions, dans le respect de l'égalité de traitement entre les candidats et, d’autre part, ne peuvent être mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Elles ne sauraient donc de ce fait être arguées d’illégalité.

Enfin, le recours est dirigé contre une ordonnance de l’art. 38 non ratifiée mais pour laquelle est expiré le délai d’habilitation, c’est pourquoi, en vertu d’une jurisprudence – parfaitement incongrue - du Conseil constitutionnel, la critique reposant sur l’atteinte que cette ordonnance porterait à des droits ou libertés constitutionnellement garantis (principe d'égal accès aux emplois publics garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et incompétence négative du législateur affectant de tels droits ou libertés) ne peut être conduite qu’au travers d’une QPC.

Faute qu’ait été respecté cette exigence procédurale, les griefs articulés de ce chef sont irrecevables.

(2 mars 2022, M. F., n° 439830)

 

103 - Covid-19 – Agent hospitalier non vacciné – Suspension de ses fonctions – Doute sérieux sur la légalité de cette mesure – Suspension de celle-ci – Annulation.

Une agent affectée à la cuisine centrale d’un hôpital ayant refusé de satisfaire à l’obligation vaccinale, a été suspendue de ses fonctions et de son traitement jusqu’à ce qu’elle satisfasse à cette obligation légale (cf. art. 12 de la loi du 5 août 2021) et elle a saisi le juge du référé suspension qui, estimant douteuse la légalité de cette décision, l’a suspendue au motif que l’intéressée travaille dans la cantine du CHU de Saint-Etienne dont les locaux sont situés à distance des autres locaux de cet établissement de santé.

Sur pourvoi du CHU, le Conseil d’État annule l’ordonnance en raison de l’erreur de droit sur laquelle elle repose dès lors que l’obligation vaccinale susmentionnée concerne les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, ce qui exclut que puisse être pris en considération pour dispenser de cette obligation légale l'emplacement des locaux en question ou la circonstance que l’agent ait ou non des activités de soins ou encore qu’il soit ou non en contact avec des personnes malades ou des professionnels de santé.

(2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 458237)

(104) V., identique : 2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 459274.

(105) V. aussi, très comparable, concernant un contrôleur principal affecté à la trésorerie hospitalière Nord-Drôme : 2 mars 2022, Ministre des solidarités et de la santé, n° 459589 ; Ministre de l’économie et des finances, n° 459790.

(106) V. également, jugeant que la suspension d’activité et de traitement assortissant l’absence de vaccination d’une infirmière exerçant dans un établissement de santé et actuellement en congé maladie, ne peut être appliquée qu’au retour de celle-ci, à la fin de son congé pour maladie et que c’est donc sans erreur de droit que le premier juge a notamment sursis à l’application de la décision litigieuse jusqu’au retour de l’intéressée : 2 mars 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458353.

 

107 - Directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – Procédure disciplinaire – Procédure contradictoire – Obligation de communication de l’ensemble des pièces sauf celles pouvant porter de graves préjudices aux témoins – Communication incomplète – Illégalité – Annulation.

Nouveau rappel que : « Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. »

Application à l’espèce où le juge des référés avait écarté, pour rejeter la requête en référé suspension, le moyen tiré de ce que la décision attaquée était entachée d'irrégularité du fait que le requérant n'avait pu avoir communication de l'intégralité des pièces de son dossier.

La requête est cependant rejetée faute que le demandeur ait établi l’existence d’une urgence à statuer.

(7 mars 2022, M. B., n° 453339)

 

108 - Magistrature – Candidat à une intégration directe dans le corps judiciaire – Avis défavorable de la commission d’avancement – Étendue et limite de son pouvoir d’appréciation – Incapacité à justifier du motif du refus – Annulation avec injonction de prendre une nouvelle décision sous deux mois.

Le requérant, ancien avocat, a sollicité son intégration directe dans la magistrature. Et cela lui a été refusé suite à un avis défavorable de la commission d’avancement.

On sait qu’en principe – et c’est là un fréquent motif de rejet des recours dirigés contre des refus d’intégration directe – d’une part, il n’existe aucun droit des candidats à se voir accorder une intégration directe, et, d’autre part, la commission d'avancement dispose d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude de candidats à exercer les fonctions de magistrat. Pourtant, ici, la décision de refus opposée par le garde des sceaux est annulée. Le fait est assez rare pour être relevé.

Le Conseil d’État, pour parvenir à ce résultat, utilise une technique classique : quelle que soit l’étendue du pouvoir discrétionnaire d’une personne ou d’un organisme public encore faut-il que sa décision soit compréhensible au regard des éléments de fait de l’espèce. Ce n’était pas le cas ici ainsi qu’on va en juger.

Le candidat, décrit le Conseil d’État, « né en 1967, est titulaire d'une maîtrise et d'un diplôme d'études approfondies de droit public de l'université de Nancy, a passé le certificat d'aptitude à la profession d'avocat en 1996 et exerce depuis 1997 la profession d'avocat, d'abord au sein d'un cabinet spécialisé en procédure civile à Thionville, puis dans un cabinet généraliste à Metz, avant d'exercer pour son propre compte depuis 2006, à Metz, en particulier en droit commercial et en droit de la famille. Sa candidature à l'intégration dans la magistrature a reçu, le 2 avril 2019, un avis « favorable » du procureur général et de la première présidente de la cour d'appel de Metz, sous réserve d'approfondir sa réflexion sur des questions relatives au statut de la magistrature et aux évolutions de l'organisation judiciaire prévues par la loi du 23 mars 2019 de réforme de la justice, ainsi qu'un avis « très favorable » du président du tribunal de grande instance de Metz et du procureur de la République près ce tribunal ainsi qu'une dizaine d'attestations très favorables de magistrats en fonction et d'anciens magistrats ou de fonctionnaires l'ayant connu dans l'exercice de leurs fonctions. »

Or, face à cela, il n’a pas été possible malgré la mesure d'instruction diligentée par la 6ème chambre de la section du contentieux, tendant à la production des motifs qui ont fondé l'avis défavorable de la commission d'avancement sur la demande d'intégration directe puisqu’« aucun élément de nature à justifier cet avis n'a été produit par le garde des sceaux, ministre de la justice ».

Appliquant la solution inaugurée par l’arrêt Barel (Assemblée, 28 mai 1954, RDP 1954 p. 509-538, concl. Maxime Letourneur, note Marcel Waline) et complétée notamment par l’arrêt Jules Vicat-Blanc (21 décembre 1960, D. 1961 p. 421, note René Chapus), le Conseil d’État annule « faute de justification » la décision de refus d’intégration directe. Il ne dit pas que l’intéressé doit être intégré mais seulement que le juge n’a pas été mis en mesure de comprendre pourquoi un refus lui a été opposé.

La commission d’avancement dispose de deux mois pour, après réexamen du dossier de l’intéressé, prendre une nouvelle décision sur sa demande d’intégration directe.

(10 mars 2022, M. A., n° 444812)

 

109 - Instruction ministérielle – Instruction fixant la mesure du temps de travail effectif des agents – Recours à un mode de calcul forfaitaire – Disposition de nature statutaire – Exigence d’un décret en Conseil d’État – Incompétence du ministre – Annulation.

Une instruction ministérielle dite « instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP) », dispose dans sa mise à jour d’octobre 2019 (en son point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er) que, pour les agents couverts par le régime des horaires variables et effectuant une mission hors du service pour une journée ou plus, cette mission est comptabilisée forfaitairement sur la base d'1/5ème de la durée hebdomadaire de travail, ou à hauteur d'un 1/10ème de la durée hebdomadaire lorsque la mission est inférieure ou égale à une demi-journée.

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette disposition ainsi que contre le document édité par la DGFIP et intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité » daté de décembre 2019, en tant qu'il reprend la teneur du point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er de cette instruction concernant le décompte du temps de travail des agents en mission, le Conseil d’État procède à l’annulation directe du premier de ces textes et à l’annulation par voie de conséquence du second.

Il juge, en effet, que ce décompte du temps de travail par adoption d’une méthode forfaitaire, non prévue par le statut, suppose une modification de celui-ci qui relève d’un décret en Conseil d’État, d’où se déduit l’évidente incompétence du ministre pour la décider lui-même par l’instruction contestée.

Sont donc annulés l’instruction querellée et le document intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité ».

(14 mars 2022, M. D., n° 438315)

(110) V. aussi, en présence du même requérant et à propos de cette même instruction ministérielle dans sa version d’août 2019, en tant que le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre 1 de la 2ème partie du titre I de celle-ci prévoit qu'un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité, y compris pour un fonctionnaire qui cesse définitivement son activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris.

Ce texte est jugé illégal car il reprend les dispositions de l’art. 5 du décret du 26 octobre 1984 lequel est contraire au droit de l’Union en matière de conséquences découlant de la fin de la relation de travail tel que ce droit est interprété par la jurisprudence de la CJUE (6 novembre 2018, Stadt Wuppertal, aff. C-569/16 ; Volker Willmeroth, aff. C- 570/16 ; Kreuziger, aff. C-619/16).

La disposition litigieuse est annulée : 14 mars 2022, M. D., n° 441041.

 

111 - Pension de retraite – Nombre de trimestres de cotisation validés – Règle de « l’arrondi » (art. R. 26 c. pensions civiles et militaires de retraite) – Règle applicable au calcul de la durée des services non à celui de la durée d’assurance – Annulation.

L’art. 26 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que, pour la détermination du nombre de trimestres retenus pour le calcul des droits à pension de retraite, lorsque s’est écoulée une durée d’au moins 45 jours, cette période est décomptée comme un trimestre entier.

Toutefois le Conseil d’État précise ici que cette règle d’arrondi ne s’applique qu’à la durée des services accomplis pour laquelle le reliquat de 45 jours au moins vaut trimestre travaillé non à la durée de cotisation pour laquelle 45 jours ne valent qu’un demi-trimestre.

(14 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 449792)

 

112 - Pensions militaires d’invalidité – Prise en compte d’infirmités étrangères au service – Conditions – Effets – Cas d’infirmités multiples – Annulation.

L’art. L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ouvre droit à pension en cas d'aggravation, par le fait ou à l'occasion du service, d'infirmités étrangères au service. Selon l'art. L. 4 du même code : « Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. (…) ».

Pour cela, le même article fixe notamment les règles suivantes :

1° seules ont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 % ;

2° lorsque l'infirmité résulte exclusivement de maladie, elle n’ouvre droit à pension que si le degré d'invalidité qu'elle entraîne atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples ;

3°, enfin, en cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions qui viennent d’être indiquées.

Le requérant, radié des cadres de la marine nationale en 2011, s'est vu reconnaître par un jugement du tribunal des pensions militaires de Marseille, rendu en 2015 et devenu définitif, un droit à pension militaire d'invalidité pour l'infirmité « trouble anxio-dépressif » au taux de 30 % à compter du 8 janvier 2002. Puis, par un jugement du 9 mai 2019, ce tribunal a également reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre des infirmités « syndrome d'apnée du sommeil », « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque » et « édenture ».

Sur appel du ministre des armées, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté les demandes de M. K. : celui-ci se pourvoit en cassation contre cet arrêt seulement en tant qu’il lui a dénié le droit à pension pour l'infirmité « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque ».

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour, pour rejeter la demande de l’intéressé au titre de l’« hypertension artérielle avec retentissement cardiaque », a considéré, au vu de l’expertise qu’elle avait ordonnée, que le taux d'invalidité entraîné par cette affection, étrangère au service mais aggravée par le seul fait du service, était de 15 %, dont 10 % seulement du fait du service. Elle en a donc conclu que, n'atteignant pas le degré d'invalidité de 30 % exigé par les dispositions de l’art. 4 précité, cette affection ne pouvait pas ouvrir droit à pension. 

Elle n’a pu parvenir à cette solution qu’en ne retenant pas l'existence de l'affection de « trouble anxio-dépressif » retenant sans doute qu’une pension d'invalidité avait déjà été allouée à l'intéressé à ce titre.

C’est là précisément que gît l’erreur de droit : la cour devait apprécier, pour déterminer le droit au bénéfice d'une pension au titre de l'aggravation de l'hypertension artérielle, si cette dernière combinée avec le « trouble anxio-dépressif » ne constituait pas une situation d’infirmités multiples au sens et pour l’application de l’art. L. 4 précité.

Statuant au fond par l’effet de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’État, appliquant les règles de calcul énoncées à l’art. L. 9 du code des pensions militaires d’invalidité, juge que le requérant est fondé à demander l'attribution d'une pension au taux de 45 %, taux qui se substitue au taux de 30 %, à compter du 26 novembre 2008, date de réception de sa demande.

(22 mars 2022, M. K., n° 442509)

 

113 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

V. n° 136

 

114 - Suspension d’un conseiller référendaire à la Cour des comptes – Mesure sans caractère disciplinaire – Soupçon de commission de faits d’exhibition sexuelle dans le bureau de l’intéressé – Mesure conservatoire dans l’intérêt du service - Absence d’exigence de soumission de la mesure de suspension à une obligation de motivation comme à une procédure contradictoire – Rejet.

Le requérant soupçonné, avec grande vraisemblance, de s’être rendu coupable du fait d’exhibition sexuelle dans son bureau, a été suspendu de ses fonctions de référendaire à la Cour des comptes par un décret du président de la république pris sur proposition du premier président de la Cour des comptes. Il demande l’annulation de cette mesure de suspension, arguant de divers griefs à l’encontre de sa juridicité, tous rejetés.

La mesure en question, prise sur le fondement des dispositions de l’art. L. 124-10 du code des juridictions financières, contrairement à ce que soutient le requérant, ne constitue pas une mesure disciplinaire, - laquelle aurait nécessité la communication de son dossier à l’intéressé, une motivation de la décision et une procédure contradictoire -, mais une mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service, à la fois s’agissant de son fonctionnement interne et de son image extérieure compte tenu du retentissement  de ces faits et des fonctions exercées par la personne suspendue. Il faut et il suffit pour qu’une telle décision soit prise légalement que soit rapportée l’existence vraisemblable de faits graves, éléments que le Conseil d’État juge réunis en l’espèce.

(21 mars 2022, M. Naïl Bouricha, n° 452722)

 

115 - Fonction publique territoriale – Convention de prestations de services avec une collectivité territoriale – Conclusion postérieure d’un contrat à durée déterminée – Refus d’une intégration sur la base d’un contrat à durée indéterminée – Refus de considérer la collectivité comme l’employeur du requérant – Cassation.

Le requérant a conclu le 13 septembre 1995 avec la commune (devenue collectivité territoriale d'outre-mer) de Saint-Barthélemy une convention de prestations de services consistant en des prestations de conseil et de rédaction juridiques ainsi que de gestion des contentieux. Cette convention, plusieurs fois renouvelée, a été remplacée en octobre 2006 par un contrat à durée déterminée de trois ans (2006-2009), sur le fondement de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, contrat renouvelé une fois (2009-2012), puis par un courrier du 10 juillet 2012, le président de la collectivité de Saint-Barthélemy a informé l’intéressé que le contrat arrivant à échéance le 30 novembre 2012 ne serait pas renouvelé, la collectivité lui reprochant des retards et absences injustifiées ainsi qu'un manque de rigueur dans le suivi des dossiers.

L’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande : 1° d’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la collectivité territoriale sur sa demande du 26 décembre 2016 tendant à sa réintégration sur la base d'un contrat à durée indéterminée, 2° d’injonction au président de cette collectivité de lui proposer un contrat à durée indéterminée et 3° de condamnation à l'indemniser du préjudice subi du fait de son éviction.

Le tribunal a condamné la collectivité à verser à M. A. une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de proposition d'un contrat à durée indéterminée et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A. contre ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande et, sur l'appel incident de la collectivité, a annulé ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi, et a rejeté la demande d'indemnisation de M. A.

Celui-ci se pourvoit et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État, pour se prononcer sur ce litige, se fonde sur les dispositions, d’une part, de l'art.15 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique et, d’autre part, de l’art. 21 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

Le juge interprète ces textes – qui ont pour objet principal la résorption de la précarité dans la fonction publique - comme imposant au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’une demande invoquant ces dispositions, de vérifier si en dépit de l'existence de contrats antérieurs conclus sous la forme de conventions de prestations de services, l'agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès de la même personne publique en qualité d'agent de celle-ci. Et le Conseil d’État énumère quelques-uns des indices permettant cette détermination par la méthode bien connue en plusieurs matières dite du faisceau d’indices.

En l’espèce, il est relevé que « M. A. exerçait de fait, sous l'autorité directe (du) maire de la commune puis président de la collectivité territoriale, les fonctions de responsable du service juridique de la collectivité. Il travaillait avec les moyens de cette collectivité et disposait d'un bureau personnel à l'hôtel de ville. Il a assuré la représentation de cette collectivité au sein de plusieurs commissions administratives et instances consultatives et recevait les convocations à des réunions, commissions et séances du conseil municipal, adressées par le maire. Il a au demeurant continué à exercer les mêmes fonctions dans les mêmes conditions lorsqu'il est devenu agent de la collectivité sous contrat à durée déterminée signé le 17 octobre 2006. Il percevait une rémunération mensuelle forfaitaire en qualité de prestataire et a perçu ensuite une rémunération équivalente lorsqu'il est devenu agent contractuel en 2006, ses frais professionnels ayant toujours été directement pris en charge par la commune. Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, comme l'allègue la collectivité, M. A. aurait eu d'autres clients lorsqu'il travaillait pour le compte de celle-ci sous le statut de prestataire. Par ailleurs, la circonstance que M. A. aurait proposé ou a accepté le recours au statut de prestataire en 1995 est sans incidence, dès lors qu'il convient de qualifier le contrat au regard de la consistance réelle du lien qui a uni les parties tout au long de ces années ».

Fort de cette analyse, le Conseil d’État ne peut guère que constater l’inexacte qualification de ces faits dont la cour administrative d’appel a entaché son arrêt en jugeant que les éléments du dossier « ne permettaient pas de regarder la collectivité de Saint-Barthélemy comme étant en réalité l'employeur de M. A. lorsqu'ils étaient liés par une convention de prestations de services ». 

L’arrêt est cassé avec renvoi.

(30 mars 2022, M. A., n° 440051)

 

116 - Agent non titulaire devenu titulaire – Montant minimum de la rémunération après titularisation – Montant ne pouvant être inférieur à 70% de la rémunération perçue avant titularisation – Incidence sur le reclassement indiciaire – Cas des agents en régime de temps de travail partiel – Rejet.

Dans le souci de garantir une rémunération minimale aux agents titularisés dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État, les textes (I de l'article 7 du décret du 23 décembre 2006 relatif aux règles du classement d'échelon consécutif à la nomination dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État et art. 1er de l'arrêté du 29 juin 2007 fixant le pourcentage et les éléments de rémunération pris en compte pour le maintien partiel de la rémunération de certains agents non titulaires accédant à un corps soumis aux dispositions du décret précité) ont prévu qu'à quotité de travail inchangée, le traitement brut effectivement perçu par un agent postérieurement à sa titularisation ne peut être inférieur à 70 % de la rémunération moyenne mensuelle brute effectivement perçue par l’agent avant cette titularisation, calculée sur la base des six meilleures rémunérations mensuelles perçues au cours de la période de douze mois précédant sa titularisation.

Cette règle impose donc à l’autorité de titularisation de reclasser l’agent à des indices (brut et majoré) tels qu’ils lui assurent une rémunération au moins égale à 70% de sa rémunération antérieure à sa titularisation déterminée comme indiqué ci-dessus.

En l’espèce, une ingénieure de l'agriculture et de l'environnement stagiaire bénéficiait d'un temps de travail partiel de 6/7èmes dans le dernier poste qu'elle occupait avant sa titularisation et a continué après cette titularisation à travailler selon la même quotité de temps. Elle a été reclassée aux indices brut 611 et majoré 513, ce qui ne lui permettait de ne percevoir que 65% de sa rémunération antérieure au lieu des 70% fixés par la réglementation.

Le ministre de l’agriculture employeur s’est pourvu en cassation contre l’arrêt d’appel qui a considéré que, dans le cas particulier des agents travaillant à temps partiel, l’échelon de reclassement devait être déterminé à partir de la rémunération que ces agents auraient dû percevoir s'ils avaient exercé leurs fonctions à plein temps avant titularisation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, l’arrêt étant dépourvu de l’erreur de droit invoquée par le ministre demandeur au pourvoi.

(30 mars 2022, Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 441191)

 

Hiérarchie des normes

 

117 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

V. n° 92

 

118 - Décret du 8 avril 2020 attribuant aux préfets un pouvoir de dérogation – Pouvoir limité à certaines matières et ne concernant que des dispositions non réglementaires – Dérogations justifiées par les circonstances locales, soumises aux normes supérieures et motivées par l’intérêt général – Rejet.

Les diverses organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 attribuant aux préfets de région et de département, ainsi qu’aux représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer, le pouvoir de déroger en certaines matières et pour certains motifs à des « normes arrêtées par l’administration ».

Les moyens de légalité interne (ceux de légalité externe ne devant pas retenir l’attention) sont tous rejetés.

En premier lieu, le juge relève que la formule citée plus haut ne désigne que des actes administratifs non réglementaires, ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, ses destinataires ne peuvent déroger ni aux actes réglementaires ni, a fortiori, aux normes d’un rang supérieur.

En second lieu, ce pouvoir de dérogation : 1° ne peut être exercé qu'afin d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ; 2° ne peut concerner que certaines matières limitativement énumérées ; 3° doit être justifié par un motif d’intérêt général ; 4° doit être motivé par la prise en compte de circonstances locales le justifiant ; 5°, enfin, ne saurait affecter ni les intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni de façon disproportionnée les objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Enfin, la circonstance que le décret attaqué n'énumère pas les normes susceptibles de faire l'objet d'une dérogation, ni ne détaille les motifs d'intérêt général ou les circonstances locales susceptibles de justifier les dérogations accordées sur son fondement n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme ni à le faire considérer comme entaché d'incompétence négative ni, non plus, de porter atteinte au principe de sécurité juridique. Il n’est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation, faute d'encadrer suffisamment le pouvoir de dérogation reconnu aux préfets. 

(21 mars 2022, Les amis de la Terre France, Notre affaire à tous, Wild et Legal et Maïouri Nature Guyane, n° 440871 ; Union fédérale des consommateurs (UFC) - Que choisir, n° 441069, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

119 - Étranger demandeur d’asile – Homonymie – Demande considérée comme une demande de réexamen – Erreur des services – Obligation pour l’intéressé de recommencer ses démarches – Rejet.

L’intéressé s'est présenté en préfecture en novembre 2021 et y a déposé une demande d'asile. En raison d'une homonymie, la préfecture a requalifié sa demande en demande de réexamen d'une précédente demande d'asile et l'a transmise comme telle à l'OFPRA.

L’OFPRA, en janvier 2022, a renvoyé le formulaire de demande de réexamen au demandeur en lui indiquant qu'aucune décision le concernant n'avait été prise sur une précédente demande d'asile, qu'il ne pouvait donc présenter une demande de réexamen et qu'il lui appartenait de faire enregistrer une demande d'asile.

Le requérant faisait valoir qu'il incombait à l'OFPRA de corriger l'erreur commise par les services de la préfecture, d'instruire sa demande et d'en informer le préfet pour qu'il lui délivre une attestation. Le premier juge a rejeté la demande en référé liberté.

Le recours est à nouveau rejeté en appel au motif que l'OFPRA ne peut examiner une demande d'asile qui n'a pas été préalablement enregistrée comme telle en préfecture et qu’il appartient, en conséquence, à l’intéressé, de faire enregistrer une demande d'asile, en complétant un formulaire plus détaillé que celui qu'il avait soumis à l'appui de la demande de réexamen.

C’est pourquoi, il ne saurait être soutenu qu’il aurait été porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile. 

La solution n’est pas très satisfaisante au regard des exigences de bienveillance s’imposant en cas de faute de l’administration.

Ce rejet ne préjuge évidemment pas du droit de l’intéressé à obtenir réparation du préjudice éventuellement causé par ce dysfonctionnement administratif qui ne lui est en rien imputable.

(8 mars 2022, M. B., n° 461453)

 

120 - Liberté d’association – Associations recevant des subventions publiques – Obligation de souscription d’un contrat d’engagement républicain – Atteinte à la liberté d’association – Absence et défaut d’urgence – Rejet.

Onze associations contestaient en référé, et en demandait la suspension d’exécution, le décret du 31 décembre 2021 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et approuvant le contrat d'engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d'un agrément de l'État. Elles estiment que ces dispositions ont un effet dissuasif sur les demandes de subventions créant un risque de disparition rapide compte tenu, d'une part, de l'importance de ces aides pour leur fonctionnement et le financement de leurs activités qui présentent en outre un caractère d'intérêt général et, d'autre part, d'un manque de trésorerie.

Le juge des référés n’aperçoit pas dans ce texte d’atteinte à la liberté d’association, ainsi que l’a d’ailleurs également jugé le Conseil constitutionnel, ni non plus une diminution significative des subventions accordées depuis son entrée en vigueur le 2 janvier 2022.

Faute d’urgence établie le référé suspension est rejeté.

(ord. réf. 4 mars 2022, Ligue des droits de l'Homme et autres, n° 462048)

 

121 - Réfugié – Reconnaissance de plein droit de la qualité de réfugié - Prise en charge par un organe des Nations Unies – Prise en charge d’un palestinien par l’UNRWA – Inapplicabilité en ce cas de la convention de Genève de 1951 (cf. article 1er, section A, paragraphe 2, premier alinéa) – Interprétation d’une disposition du droit de l’Union en cas de cessation de la prise en charge d’un réfugié par un organe des Nations Unies (art. 12, § 1, a), seconde phrase de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 reprise à l’identique à l’ art. 12, § 1, sous a), de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011) – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Dans une délicate affaire de demande de l’attribution de la qualité de réfugié à un Palestinien ne relevant pas ou plus de la protection de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la Cour nationale du droit d’asile a estimé que cette personne devait se voir reconnaître de plein droit la qualité de réfugié en France. L’OFPRA, par un pourvoi en cassation, demande l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’État décide, la réponse étant indispensable à la solution du litige, de renvoyer les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Luxembourg :

« 1° Indépendamment des dispositions du droit national autorisant, sous certaines conditions, le séjour d'un étranger en raison de son état de santé et le protégeant, le cas échéant, d'une mesure d'éloignement, les dispositions de l'article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE doivent-elles être interprétées en ce sens qu'un réfugié palestinien malade qui, après avoir eu effectivement recours à la protection ou à l'assistance de l'UNRWA, quitte l'État ou le territoire situé dans la zone d'intervention de cet organisme dans lequel il avait sa résidence habituelle au motif qu'il ne peut y avoir un accès suffisant aux soins et traitements que son état de santé nécessite et que ce défaut de prise en charge entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique, peut être regardé comme se trouvant dans un état personnel d'insécurité grave et dans une situation où l'UNRWA est dans l'impossibilité de lui assurer des conditions de vie conformes à la mission lui incombant ?

2° Dans l'affirmative, quels critères - tenant par exemple à la gravité de la maladie ou à la nature des soins nécessaires - permettent d'identifier une telle situation ? »

(22 mars 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) c/ Cour nationale du droit d’asile, n° 449551)

 

122 - Perte du statut de réfugié – Absence d’effet sur la qualité de réfugié – Mesure d’éloignement à l’encontre d’un réfugié – Existence d’une présomption en faveur de ce dernier – Obligation d’un examen particulièrement approfondi et exigeant de la situation personnelle de l’intéressé – Annulation.

Le statut de réfugié est particulièrement protecteur en raison des motifs d’octroi de ce régime juridique. C’est pourquoi, même lorsque le bénéfice de ce statut est supprimé, dans les conditions et pour les raisons figurant à l’art. L. 711-6 du CESEDA et sous les limites prévues par l'article 33 § 1 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par l'article 14 § 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011, l’intéressé conserve néanmoins la qualité de réfugié.

Par suite, lorsque l’administration décide de prononcer à l’encontre de celui-ci une mesure d’éloignement, deux exigences s’imposent.

D’une part, il appartient à l’intéressé qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la CEDH ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

D’autre part, il incombe à l’administration ainsi qu’au juge administratif éventuellement saisi, en raison même de la qualité de réfugié de l’intéressé, « élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités (…) », de vérifier « au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, (…) l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination ». 

En l’espèce, est jugé entaché d’erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel qui, pour rejeter la contestation par l’intéressé de la mesure d’éloignement le visant, se borne à relever qu’il ne faisait état, tant en première instance qu'en appel, d'aucun élément de nature à établir la réalité et l'actualité des risques encourus, alors qu’elle devait s’assurer que « l'administration avait procédé, à la date de la décision d'éloignement en litige, à un examen approfondi de sa situation, prenant particulièrement en compte cette qualité (de réfugié), au regard de l'existence de risques de traitement prohibé par ces stipulations à son retour en Russie ». 

(28 mars 2022, M. M., n° 450618)

 

123 - Extradition – Appréciation de la gravité de l’infraction justifiant la remise d’une personne aux autorités d’un État – Prise en compte de circonstances aggravantes prévues en droit français non dans celui de l’État requérant l’extradition – Conditions de légalité – Rejet.

Dans une décision très importante – assez défavorable aux personnes dont l’extradition est demandée -, le Conseil d’État reconnaît au premier ministre le pouvoir de retenir, pour des faits de vol sous la menace d’une arme, une qualification criminelle permettant l’extradition de son auteur alors même, d’une part, que les autorités requérantes (Arménie) n'ont pas retenu cette circonstance aggravante, mais celle, distincte, inexistante en droit français, de « vol à grande échelle ». et, d’autre part, que la circonstance que les faits incriminés ont été commis sous la menace d'une arme, n'est mentionnée ni dans la qualification pénale retenue par l'État requérant, ni dans la demande d'extradition elle-même, car cette circonstance ressort de l'exposé des faits figurant dans le mandat d'arrêt pour l'exécution duquel l'extradition est demandée, conformément aux stipulations du 2. de l’art. 12 de convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, exposé qui est joint à cette demande.

On savait le Conseil d’État peu enclin au formalisme : il est ici montré que ce n’est rien de le dire.

(22 mars 2022, M. A., n° 456003)

 

Police

 

124 - Permis de conduire – Constatation de son invalidité – Irrégularités – Rejet.

C’est sans dénaturation des pièces du dossier et au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’un tribunal administratif annule une décision « 48 SI » constatant l’invalidité d’un permis de conduire pour solde de points nul en retenant deux éléments.

Premièrement, le recours de l’intéressé contre cette décision n’est pas tardif car, comme relevé par le tribunal, celle-ci a été envoyée et reçue, le 10 août 2015, à une adresse située dans une commune qui n'était plus celle de l'intéressé et aucune pièce du dossier n'établissait la date à laquelle celui-ci en avait eu connaissance.

Secondement, la signature figurant sur l'avis de réception du pli distribué le 10 août 2015 n'était pas, selon l'intéressé, la sienne d’où il suit que c’est sans erreur, en l’absence de preuve contraire, que le tribunal a jugé que ce dernier n'avait pas réceptionné le pli.

On demeure cependant surpris que le Conseil d’État indique qu’« aucun principe général, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au titulaire d'un permis de conduire de déclarer sa nouvelle adresse à l'administration en cas de changement d'adresse ». En effet, il est obligatoire de porter sur la carte grise du véhicule la nouvelle adresse dans le mois qui suit le changement d’adresse ou de résidence (cf. art. R. 322-7 du code de la route).

(23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 453357)

 

125 - Habilitation d’un intermédiaire à demander le certificat d’immatriculation d’un véhicule à moteur – Retrait – Sanction disproportionnée – Dénaturation des pièces du dossier – Application, en référé, de l’art. L. 821-2 CJA – Annulation et rejet.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution de la décision du 17 mai 2021 par laquelle la préfète du Val-de-Marne a retiré l'habilitation l'autorisant à intervenir sur le système d'immatriculation des véhicules. Le juge des référés du tribunal administratif ayant accueilli favorablement sa demande, le ministre de l’intérieur se pourvoit.

Pour retirer l’habilitation dont bénéficiait la requérante, l’administration s’est fondée sur une sélection des dossiers d'immatriculation traités par l'organisme habilité. Or pour juger disproportionnée la mesure de retrait, le juge des référés a retenu que les manquements relevés par l'administration portaient toutefois sur une très faible proportion des dossiers traités par la société groupe PHD. De la sorte, ce nombre de manquements n’a aucun caractère exhaustif n’étant obtenu que sur la base d’un petit nombre de recensions

C’est pourquoi le Conseil d’État estime que, ce jugeant, les pièces du dossier ont été dénaturées puisqu’il tombe sous le sens que la proportion des manquements relevés par rapport au nombre total de dossiers traités par cet organisme n'était pas de nature à caractériser l'ampleur de ces manquements.

Utilisant, ce qui est assez rare en matière de référé, la faculté qui lui est ouverte de statuer au fond sans renvoyer (art. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État rejette la demande de suspension, aucun des deux moyens invoqués (décision reposant sur des faits matériellement inexacts et présentant un caractère disproportionné), n’étant de nature à créer un doute sérieux quant la légalité de la décision de retrait contestée.

(ord. réf. 23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 455021

 

Professions réglementées

 

126 - Médecin – Juridiction ordinale statuant en matière disciplinaire – Appelant réputé s’être désisté d’office (art. R. 611-8-1 CJA) – Dans les circonstances de l’espèce, usage abusif de son pouvoir par la juridiction – Annulation.

L’art. R. 811-6-1 du code de justice administrative permet au président de la formation de jugement en appel de demander à une partie de reprendre dans un mémoire récapitulatif les conclusions et moyens présentés en première instance qu'elle entend maintenir ; celui-ci peut en outre fixer un délai, qui ne peut être inférieur à un mois, à l'issue duquel, à défaut d'avoir produit le mémoire récapitulatif, la partie est réputée s'être désistée de sa requête ou de ses conclusions incidentes. 

En l’espèce, l’appelant, médecin sanctionné en première instance d’une peine d’interdiction d’exercer d’une durée d’une année dont six mois avec sursis, avait été réputé s’être désisté d’office, son mémoire récapitulatif étant parvenu à la juridiction le lendemain de l’expiration du délai qui lui avait été imparti pour le produire.

« Dans les circonstances particulières de l’espèce », le juge de cassation considère abusif l’usage fait des dispositions précitées et il doit être approuvé. En effet, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins était saisie depuis le 22 avril 2014 de l'appel formé par le requérant et celui-ci avait produit entre 2015 et 2019 cinq mémoires, en réponse tant aux mémoires du défendeur que des mesures d'instruction diligentées par la juridiction qui a mené une instruction pendant près de 7 ans.

La solution retenue doit, dans ces conditions concrètes de déroulement de l’instance, être approuvée.

(2 mars 2022, M. K., n° 453800)

 

127 - Orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes – Absence de compétence exclusive pour délivrer des orthèses de série – Remboursement par l’assurance maladie subordonné à la délivrance de ces éléments par les professionnels habilités – Annulation partielle et injonction.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la décision implicite du ministre de la santé rejetant sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 2015 relatif à la délivrance des orthèses de série par les orthoprothésistes, les podo-orthésistes et les orthopédistes-orthésistes ainsi que l’annulation de la décision par laquelle le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) a rejeté sa demande d'abrogation du « moratoire » en vertu duquel les caisses d'assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels ne remplissant pas les conditions légales auxquelles cette délivrance est subordonnée, ainsi que ce « moratoire ».

Le Conseil d’État rejette le premier chef de demande car il ne résulte d’aucun texte ou principe que les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes disposeraient d'une compétence exclusive pour la délivrance des orthèses de série.

Il accueille favorablement le second chef de demande car les orthèses de série, doivent, pour être prises en charge par l'assurance maladie, être délivrées dans le respect des dispositions de la liste des produits et prestations mentionnée à l'article R. 165-1 du code de la sécurité sociale, qui subordonnent leur remboursement à leur délivrance par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités. Or il est constant que les caisses d’assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer, en particulier par des prestataires de services et distributeurs de matériels mentionnés à l'article L. 5232-3 du code de la santé publique ne disposant pas de personnel habilité à le faire. Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie a édicté une décision illégale en rejetant la demande du syndicat requérant tendant à ce qu'il prenne toutes mesures ou décisions de nature à faire cesser de telles pratiques. C’est pourquoi, outre l’annulation est prononcée une injonction à son endroit de prendre toute mesure ou décision de nature à faire cesser, dans un délai de quatre mois à compter de la décision, les remboursements des prothèses délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer.

(14 mars 2022, Syndicat national de l'orthopédie française (SNOF), n° 446506 et n° 466510)

 

128 - Chirurgien-dentiste – Praticien ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire en première instance – Appel interjeté seulement sur le quantum de la sanction et par le médecin-conseil demandeur – Office du juge d’appel – Annulation avec renvoi.

Un chirurgien-dentiste est condamné en première instance par la chambre disciplinaire régionale de son ordre d’une interdiction d’exercer sa profession pendant deux mois assortis d’un sursis d’un mois.

Le médecin-conseil qui avait saisi la juridiction ordinale de la plainte ayant conduit à cette sanction interjette seul appel et pour insuffisance du quantum de la peine.

En appel, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a tout d’abord estimé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur les faits reprochés au praticien car celui-ci n'avait pas fait appel, cet appel n’ayant été formé que par le médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du service médical d'Île-de-France, lequel ne contestait que l’insuffisance du quantum de la sanction infligée en première instance.

Ensuite, et pour l’unique motif de contester le quantum de la sanction infligée en première instance, elle a jugé qu'eu égard à la nature des faits reprochés, la sanction d'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste lui ayant été infligée en première instance devait être portée de deux mois dont un avec sursis à deux ans, dont un an assorti du sursis. 

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État rappelle ainsi l’office du juge d’appel ordinal statuant en matière disciplinaire : « (il lui appartient), dès lors qu'(il) est valablement saisi(e) d'une requête d'appel formée contre la décision d'une chambre disciplinaire de première instance ayant infligé à un chirurgien-dentiste une sanction disciplinaire, de statuer, au titre de l'effet dévolutif de l'appel, tant sur le bien-fondé des fautes qui sont reprochées au chirurgien-dentiste que sur le choix, le cas échéant, d'une sanction, sauf à ce qu'un moyen de régularité présenté par cette requête puisse être accueilli et la conduise à annuler la décision contestée et à évoquer l'affaire. Il en va ainsi y compris lorsque seul l'auteur de la plainte a formé appel en vue de l'aggravation de la sanction prononcée en première instance. »

(15 mars 2022, M. C., n° 440006)

 

129 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation et injonction de l’abroger.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

V. n° 8

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

130 - Opération de concentration (art. L. 430-3, L. 430-4 et L. 430-7-1 c. commerce) – Autorité de la concurrence – Fusion entre opérateurs de télévision – Ouverture par l’Autorité de la concurrence d’une phase de « pré-notification » - Mesure préparatoire – Irrecevabilité subséquente de la QPC soulevée à l’encontre de dispositions du code commerce (art. L. 450-8 et V de l’art. L. 464-2) – Refus de transmission.

Les requérantes contestaient la décision de l’Autorité de la concurrence d’ouvrir, dans le cadre d’un projet de fusion des activités de TF1 et de Métropole Télévision, une phase dite de « pré-notification » conformément aux points 191 à 200 des lignes directrices arrêtées par cette Autorité sur le fondement de dispositions de l’art. L. 430-3 du code de commerce.

Elles estimaient que portent atteinte à des droits ou libertés constitutionnellement garanties les dispositions de l’art. L. 450-8 et du V de l’art. L. 464-2 du code de commerce en ce qu’elles assortissent de sanctions la non communication aux agents chargés de l'instruction de l'affaire des informations ou documents qu’ils sollicitent auprès de tiers à l'opération de fusion dans le cadre de la procédure de « pré-notification ».

La demande de transmission de la QPC est refusée car la procédure de « pré-notification » ne constitue qu’une mesure purement préparatoire, donc insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Par suite, la QPC adossée à ce recours irrecevable est elle-même irrecevable

(1er mars 2022, Société Free et société Iliad, n° 458272 et n° 459347)

 

131 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

Le 2° du I de l’art. L. 214-17 du code de l’environnement impose aux moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, le respect d’obligations en vue d’assurer la continuité écologique des cours d’eau sur lesquels ils sont installés.

La loi du 24 février 2017, dont est issu l’art. L. 214-18-1 du code de l’environnement a exonéré tous les moulins à eau qui, à la date de publication de cette loi, sont fondés en titre ou disposent d’une autorisation d’exploitation, de l’obligation de respecter la continuité écologique des cours d’eau.

Les associations requérantes invoquent à l’encontre de ce dernier texte une QPC tirée de ce qu’il méconnaît les art. 1er à 4 de la Charte de l’environnement ainsi que le principe d’égalité devant la loi dans la mesure où il octroie cette exonération à tous les moulins sans en limiter le bénéfice aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet.

Jugée présenter un caractère sérieux, la QPC est transmise.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

 

132 - Abandon de certaines catégories de terrains par leurs propriétaires à la commune d’assiette – Absence d’imposition due pour ces terrains à compter de leur abandon – Caractère obligatoire pour la commune de l’acceptation de l’abandon (art. 1401 CGI) – Inconstitutionnalité soutenue au moyen d’une QPC – Transmission de celle-ci.

L’art. 1401 du CGI permet aux contribuables désireux de s'affranchir de l'imposition à laquelle les terres vaines et vagues, les landes et bruyères et les terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux doivent être soumis, à la condition qu’ils renoncent à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées.

Il suffit que la déclaration détaillée de cet abandon perpétuel soit faite par écrit, à la mairie de la commune, par le propriétaire ou par un mandataire.

Les cotisations d’impôt sont supportées par la commune à compter des rôles d’imposition établis postérieurement à l'abandon.

C’est un cas original d’acquisition forcée de biens immobiliers.

La Ville de Nice soulève une QPC à l’encontre de cette disposition en arguant de ce qu’en ne soumettant cet abandon à aucune condition d’acceptation par la commune, elle contrevient notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales même si cette procédure d’abandon unilatéral de terrains ne concerne strictement que ceux limitativement énumérés à l’art. 1401 précité du CGI.

(18 mars 2022, Commune de Nice, n° 454827)

 

133 - Autorité administrative – Compétence pour constater des infractions ou manquements à des obligations légales - Pouvoir d’en ordonner le respect et d’en sanctionner la violation – Atteinte au principe de la séparation des pouvoirs – QPC – Refus de sa transmission.

Invitée par le service compétent à cesser certaines pratiques commerciales trompeuses, la société requérante a, au soutien de sa demande d’annulation de la mesure, soulevé une QPC.

Celle-ci est fondée sur ce que le pouvoir reconnu à une autorité purement administrative, ici le directeur départemental de la protection des populations, de constater des manquements ou des infractions à des dispositions légales (art. L. 511-5 et L. 521-1 code de la consommation), d’en enjoindre la cessation et d’infliger des sanctions violerait notamment le principe de la séparation des pouvoirs.

L’argument ne pouvait être un seul instant retenu, il est rejeté par le Conseil d’État qui rappelle que ni ce dernier principe ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, « ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ».

La transmission de la QPC n’aura donc pas lieu.

(28 mars 2022, Société Yutaka France-Japon Management, n° 451014)

 

Responsabilité

 

134 - Fonctionnaire territorial – Accident de service – Existence ou non d’un lien de causalité directe entre une faute de la commune et le dommage subi par la victime – Lien déclaré inexistant – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Un agent technique territorial qui assurait des travaux d’élagage est victime d’un accident et réclame réparation du préjudice subi.

La cour administrative d’appel, statuant sur le préjudice lié au déficit fonctionnel permanent, a, d’une part, reconnu l’existence d’une faute de la commune pour n’avoir pas fait bénéficier l’agent d’une formation adéquate en matière d’élagage, d’autre part, dénié l’existence d’un lien causal direct et certain entre ce manquement et le préjudice. Elle s’est, pour cela, fondée sur ce que le sapiteur psychiatre avait conclu à l'existence d'un syndrome de Ganser construit autour de l'accident dans une perspective de reconnaissance.

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État annule l’arrêt pour qualification inexacte des faits car « il ressortait tant du rapport de la sapiteure neurologue que de celui de l'expert désigné par le tribunal administratif, d'une part, que le syndrome de Ganser était distinct du syndrome post-commotionnel dont souffrait M. C., qui associait céphalées, instabilité, fragilité cognitive et labilité émotionnelle et, d'autre part, que ce dernier syndrome, qui était à l'origine d'une difficulté dans son intégration socio-familiale, entraînait un déficit fonctionnel permanent évalué à 15 %. ».

(7 mars 2022, M. C., n° 441313)

 

135 - Droit à un délai raisonnable de jugement - Durée excessive d’une procédure contentieuse – Responsabilité de l’État – Rejet.

Le demandeur recherchait la responsabilité de l’État à raison de la durée qu’il estimait excessive d’une procédure devant la juridiction administrative et qui, depuis l’introduction de sa requête en première instance jusqu’à la reddition de la décision de cassation, s’est déroulée sur sept ans et trois mois.

Il avait saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre le rejet implicite, par le ministre de la justice, de sa demande d’indemnisation du chef de cette durée.

Au terme d’une analyse très précise des faits le Conseil d’État rejette la requête en ces termes : « Il résulte de l’instruction que les procédures devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ont duré respectivement deux ans et dix mois et deux ans et près de quatre mois et que la décision du Conseil d’État, statuant au contentieux, est intervenue le 21 juin 2021, soit sept ans et trois mois après l'introduction de la demande de M. D. Il résulte également de l'instruction que le comportement de M. D. durant l'instruction de sa demande et de sa requête d'appel a contribué à l'allongement de la durée de ces procédures, dès lors qu'en première instance, il n'a produit son mémoire en réplique que deux ans après l'introduction de sa demande et qu'en appel, il a sollicité et obtenu un délai supplémentaire de six mois pour produire un nouveau mémoire. De plus, il résulte de l'instruction que le litige introduit par M. D. présentait un certain degré de difficulté, dès lors qu'à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 août 2013 mettant fin à la concession de logement dont il bénéficiait, il soutenait devant les juges du fond que la délibération du 28 juin 2013 du conseil d'administration du SDIS du Rhône (mettant fin à sa concession de logement) était entachée d'illégalité au motif, d'une part, que les biens cédés appartenaient au domaine public du SDIS du Rhône et, d'autre part, à supposer que ces biens fassent partie du domaine privé du SDIS, que leur cession à un prix inférieur à leur valeur n'était pas justifiée par un motif d'intérêt général et ne comportait pas des contreparties suffisantes. Il s'ensuit que, dans les circonstances de l'espèce, ni la durée de deux ans et dix mois, devant le tribunal administratif, ni celle de près de deux ans et quatre mois, devant la cour administrative d'appel, n'apparaissent excessives, et qu'en outre, la durée globale de la procédure de près de sept ans et trois mois, laquelle doit se calculer à compter de la date de saisine du tribunal administratif et non, comme le soutient M. D..., à compter de l'introduction de son recours gracieux, ne présente pas non plus de caractère excessif. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement aurait été méconnu et à demander, pour ce motif, la réparation des préjudices qu'il invoque. »

(14 mars 2022, M. D., n° 458257)

 

136 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

Le Conseil d’État fait application d’une jurisprudence bien établie dans le cadre d’un recours formé par une directrice d’école primaire afin d’obtenir réparation du préjudice que lui aurait causé l’irrégularité de la décision lui retirant son emploi ainsi que celle des actes de gestion de sa fin de carrière.

Le juge rappelle – avec son réalisme habituel – qu’en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public a normalement droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait d'une mesure illégalement prise, au plan procédural, à son encontre. Toutefois, s’il apparaît, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, que l’autorité compétente, en l’absence de cette irrégularité, aurait pris la même décision, il n’y a pas lieu à réparation puisque le préjudice allégué n’est pas la conséquence directe de l’illégalité.

Cette solution, ici intervenue en droit de la fonction publique, joue en toute matière.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

 

137 - Société d’avocats aux conseils – Responsabilité pour faute – Défaut de pourvoi en cassation contre deux arrêts – Absence de faute – Rejet.

Subrogée dans les droits de ses clients, la compagnie d’assurances requérante recherchait la responsabilité d’une société d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour n’avoir pas formé trois pourvois en cassation contre trois arrêts d’une cour d’appel. Il s’agissait, d’une part, d’un arrêt relatif à une pharmacie et, d’autre part, de deux arrêts relatifs à M. et Mme C., co-associés gérants de cette pharmacie ès qualités.

Pour dire n’y avoir lieu à faute et donc à responsabilité, le Conseil d’État retient qu’il y a bien eu échange de correspondances entre la société d’avocats et l’avocat de la pharmacie ainsi que de M. et Mme C., au sujet de trois pourvois et du montant des honoraires y relatifs, mais qu’il ressort des pièces du dossier que l’avocat de la société Allianz, tout en acceptant le montant desdits honoraires et chargé la société d’introduire le pourvoi contre l’arrêt déjà communiqué relatif à la pharmacie, n’a joint à cet envoi que les seules pièces afférentes à cet arrêt sans joindre aucun document ou autre relatif aux deux autres arrêts, qui concernaient les co-associés gérants de la pharmacie, M. et Mme C.

Par suite, le juge considère que, saisie d’un seul arrêt, la société d’avocats n’a commis aucune faute en n’introduisant le pourvoi que contre celui-ci à l’exclusion des autres arrêts.

La solution est surprenante car il tombe sous le sens que, recevant des honoraires d’un montant fixée par elle pour trois pourvois, la société d’avocats n’ait pas, à tout le moins, avisé ses clients de la distorsion entre ce montant et l’introduction d’un seul pourvoi. Il n’eût point été incongru d’apercevoir une faute dans ce défaut d’alerte de ses clients sur une incohérence manifeste quand bien même la société a fait parvenir son projet de mémoire à l’avocat des clients pour observations avant son dépôt, d’où il ressortait l’existence d’un seul pourvoi.

Reste pendante l’éventuelle recherche de la responsabilité de ce dernier avocat.

(15 mars 2022, Société Allianz IARD, n° 440753)

 

138 - Réparation des dommages imputés par un détenu aux conditions de sa détention – Conditions – Description circonstanciée et plausible de ces conditions par l’intéressé – Commencement de preuve – Renversement de la charge de la preuve – Absence de réponse - Annulation.

Une personne qui a été détenue durant trois mois environ dans un centre pénitentiaire a demandé en vain au tribunal administratif la réparation des préjudices qu’elle a subis du fait de conditions de détention indignes.

Elle se pourvoit.

Après avoir rappelé qu’en principe il incombe à celui qui demande réparation d’établir, outre l’existence de préjudices, le fait qu’ils ont pour cause des fautes commises par une personne publique, le juge rend une solution très innovante en jugeant, ici, que la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.

Il en tire cette conséquence - qui équivaut quasiment à un renversement de la charge de la preuve – que c'est alors à l'administration d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur. Le jugement de rejet de la demande est ainsi entaché d’erreur de droit et annulé, cela d’autant plus que l'administration n'avait pas produit de mémoire en défense et n'avait donc fourni aucun élément de nature à réfuter les allégations précisément détaillées du demandeur.

Si le ministre défendeur soutient détenir des éléments de nature à permettre la réfutation de ces faits et allégations, le Conseil d’État le renvoie à les développer devant la juridiction à laquelle l’affaire sera à nouveau soumise.

(21 mars 2022, M. F., n° 443986)

 

139 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances de l’aérodrome également subrogée à la fois aux droits de l’aérodrome, son assuré, et, par transaction aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

Pendant que se déroulaient sur l’aérodrome de Toulouse Blagnac, des travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste de cet aérodrome, un accident est survenu à un aéronef ayant heurté une balise temporaire sur la piste. L’assureur de la Société Aéroport de Toulouse Blagnac, subrogé dans les droits de son assuré, a recherché, d’une part, la responsabilité contractuelle des entreprises de construction sur le fondement du contrat de maîtrise d’œuvre qu’elles avaient conclu avec la société Aéroport de Toulouse Blagnac et, d’autre part, leur responsabilité extracontractuelle envers la compagnie propriétaire de l’aéronef.

Il convient ici de préciser que l’assureur avait conclu une transaction avec cette dernière et l’a dédommagée de son préjudice.

Alors que le tribunal administratif était entré en voie de condamnation des constructeurs, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement au motif que la demande dont il était saisi avait été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Les sociétés d’assurance et d’aéroport se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État aperçoit dans ces deux questions de responsabilité (contractuelle à l'égard du concessionnaire de l'aérodrome et extracontractuelle à l'égard de la victime du dommage) une difficulté sérieuse dont il décide de renvoyer l’examen au Tribunal des conflits pour déterminer l’ordre de juridiction compétent pour connaître de chacune de ces actions en responsabilité.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

 

140 - Exposition à l’amiante pendant une durée assez longue – Impossibilité de s’y soustraire – Existence d’un préjudice d’anxiété – Conditions du droit à indemnisation – Cas d’agents de la marine nationale – Rejet.

Une nouvelle fois se trouve en cause l’amiante et ses graves effets sur la santé de ceux qui y ont été exposés.

C’est l’occasion pour le juge de revenir sur le préjudice d’anxiété et le régime de sa réparation.

Dans cette affaire, un agent de la Marine nationale s’est trouvé exposé durant sa carrière au risque d'inhaler des poussières d'amiante lors de ses affectations à bord de bâtiments de la Marine nationale car, d’abord, sur ces navires construits jusqu'à la fin des années quatre-vingts, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord ; ensuite, ces matériaux d'amiante avaient tendance à se déliter du fait des contraintes physiques leur étant imposées, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin.

La cour administrative d’appel en avait conclu « qu'en conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la Marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, étaient susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ». Par suite, elle a jugé que l’intéressé ayant été exposé de manière intensive, sans protection particulière, lors de ses affectations à bord de navires de la Marine nationale, à l'inhalation de poussières d'amiante pendant une durée totale d'environ huit ans et quatre mois, il avait ainsi été exposé à un risque élevé de développer une pathologie grave de nature à engendrer un préjudice d'anxiété indemnisable, alors même que ses fonctions de commis aux vivres n'étaient pas de nature, par elles-mêmes, à l'exposer à un tel risque. Il pouvait donc légitimement craindre de voir son espérance de vie diminuer du fait du manquement de son employeur à ses obligations de sécurité et avait ainsi droit à réparation de ce préjudice d’anxiété sans qu’il soit exigé de lui qu'il produise des preuves de manifestations pathologiques de son anxiété.

La ministre des armées se pourvoit en cassation : elle est déboutée.

Le Conseil d’État, dans une formulation de principe, décide que l’agent public, faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de provoquer pour lui un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Il n’a pas pour cela à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave : il lui suffit d’établir que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves. 

Tel est le cas des agents publics exposés durant plusieurs années, à raison de leurs fonctions, à intervenir ou à évoluer dans un environnement de matériaux et d’installations contenant de l’amiante, les conduisant ainsi à en inhaler les poussières s’en dégageant.

Tel est particulièrement le cas des marins de la Marine nationale « qui, sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions et vécu, de nuit comme de jour, dans un espace clos et confiné comportant des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante ». 

Cette présomption – puisque c’est en réalité ce qu’elle est – de préjudice d’anxiété joue même à l’égard des personnes bénéficiant par ailleurs du dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (loi du 29 décembre 2015), lequel vise à compenser un risque élevé de baisse d'espérance de vie des personnels ayant été effectivement exposés à l'amiante, l’éligibilité à ce dispositif justifiant de ce seul fait d'un préjudice d'anxiété lié à leur exposition à l'amiante. 

Par suite, la ministre ne saurait demander l’annulation de l’arrêt querellé qui ne comporte ni erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier.

Il faut relever la modicité de la somme de 5000 euros allouée en réparation du préjudice d’anxiété.

(28 mars 2022, Ministre des armées, n° 453378)

 

141 - Responsabilité hospitalière – Responsabilité pour faute – Détermination du montant dû par un centre hospitalier à une caisse de sécurité sociale à raison de ses débours nés du versement d’une pension d’invalidité – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

À la suite d’une faute commise par un centre hospitalier, une caisse de sécurité sociale, amenée à verser une pension d’invalidité à la victime de cette faute, en a réclamé le remboursement à ce centre hospitalier.

Pour calculer le montant dû à la caisse, la cour administrative d’appel s’est bornée aà retenir l'intégralité du montant des arrérages et du capital versés par la caisse primaire et à y appliquer le taux de perte de chance qu'elle avait préalablement établi commettant ainsi une erreur de droit.

En effet, il lui incombait de déterminer d’abord le montant des préjudices subis par la victime du fait de ses pertes de revenus et de l'incidence professionnelle de l'incapacité, puis de fixer, dans la limite de ce montant et en tenant compte du coefficient de perte de chance, la part de la pension d'invalidité qui devait être mise à la charge du centre hospitalier.

La cassation est prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Opale, n° 446822)

 

Santé publique

 

142 - Covid-19 – Apparition du variant omicron – Perte de nécessité du passe vaccinal – Demande de suspension d’une disposition du décret du 1er juin 2021 modifié – Rejet en l’état de la situation sanitaire.

Se fondant sur l’inutilité du passe vaccinal en raison de l’évolution des données sanitaires nationales, les requérants demandaient la suspension de l'exécution du I de l'article 47-1 du décret n° 2021-669 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans la version qui lui a été donnée par le a) du 5° de l'article 1er du décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022.

Pour rejeter la requête, le juge du référé suspension retient notamment qu’à la date à laquelle il statue et en dépit d’un net ralentissement de l’épidémie, la circulation virale demeure toujours importante puisqu’au « 20 février 2022, le taux d'incidence était de 832, 80 000 nouveaux cas ayant été en moyenne relevés par jour pour la semaine du 14 au 20 février 2022. Par ailleurs, 69% des admissions à l'hôpital sont dues au Covid-19 ainsi que 79% des admissions en soins critiques à l'hôpital, l'admission en hospitalisation conventionnelle approchant le nombre de patients atteint lors des pics des trois premières vagues épidémiques et dépassant ceux de la quatrième vague. Au niveau national, plus de la moitié de la capacité hospitalière est dédiée au traitement de patients atteints du Covid-19, l'activité hospitalière hors traitement épidémique étant de 20% inférieure à la moyenne d'avant la crise sanitaire. »

(ord. réf. 1er mars 2022, M. G. et autres, association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et association ADELICO, n° 461686)

(143) V. aussi, dans le même sens, ajoutant cette précision que les modifications incessantes de la définition du schéma vaccinal complet sont sans incidence sur la légalité des dispositions critiquées : ord. réf. 11 mars 2022, M. E., n° 461570.

 

144 - Personnes françaises handicapées – Accueil de ces personnes dans des établissements belges – Invitation à signer des conventions avec une Agence régionale de santé (ARS) – Demande de suspension – Rejet.

9 000 personnes handicapées de nationalité françaises sont hébergées dans des établissements belges, sur financement de l'assurance maladie française en raison, pour la plupart d’entre elles, du manque de capacités d'accueil en France, à proximité des familles.

Le gouvernement français a décidé de développer de nouvelles capacités d'accueil en France en vue de rapprocher les personnes handicapées de leurs familles et a annoncé un moratoire concernant la création de nouvelles places d'accueil pour les Français en Belgique. Enfin, il a proposé la signature d’une convention avec les établissements belges accueillant des Français, en vue de garantir la qualité de la prise en charge et de l'accompagnement de ces personnes.

L’association requérante, au moyen d’un référé liberté, poursuit l’annulation de l’ordonnance qui a rejeté sa demande de suspension de l’exécution de la décision du le directeur général de l’ARS des Hauts-de-France l'invitant à signer sans délai deux conventions fixant, pour l'une la capacité maximale d'accueil de ressortissants français atteints de handicap et, pour l'autre, les garanties exigées de l'établissement en termes de qualité de prise en charge et d'accompagnement des personnes.

Le courrier indique que, faute de signature, le Centre national de financement des soins à l'étranger cesserait de financer les forfaits des personnes accueillies, qui seraient alors susceptibles d'être réorientées vers d'autres établissements.

Pour rejeter la demande de suspension, le juge des référés du Conseil d’État statuant par voie d’appel relève qu’il a été précisé à l’audience de référé que le refus par l'association de signer les deux projets de convention n'entraînerait aucune interruption du financement par l'assurance maladie de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes handicapées hébergées aujourd'hui dans l'établissement.

Il relève également que si l’association requérante prétend qu’en cas d’impossibilité d’accueillir de nouveaux Français handicapés sa situation économique serait gravement bouleversée en raison de ce qu’est en cours de construction un bâtiment permettant d’accueillir 29 personnes supplémentaires, cependant elle ne fournit pas de documents comptables pertinents ni n’explique pourquoi ce bâtiment ne pourrait pas servir à l’accueil d’autres publics.

Enfin, les autorités françaises ne disposent en rien du pouvoir de retirer unilatéralement de l'établissement les personnes accueillies. Si le départ d'une personne handicapée de l'établissement peut être envisagé ce ne peut être qu’en raison de la nécessité de recueillir le consentement des principaux intéressés.

(ord. réf. 11 mars 2022, Association Etoile filante, n° 461750)

(145) V. aussi, même solution : ord. réf. 11 mars 2022, Association Étoile filante, n° 461752.

 

146 - Covid-19 – Décret du 29 octobre 2020 – Port obligatoire du masque pour les enfants à partir de six ans dans les établissements d’enseignement – Rejet.

Les recours joints tendaient à contester l’obligation du port de masques pour les enfants dès l’âge de six ans au sein des établissements d’enseignement.

Ils sont tous rejetés, certains pour tardiveté, d’autres pour absence de précisions en permettant l’examen, ceux retenus sont dirigés contre le décret du 29 octobre 2020.

Ce rejet ne surprendra pas l’observateur familier des solutions du juge administratif en cette matière : la mesure est justifiée par l’état de circulation du virus, elle n’est pas disproportionnée au regard de la menace à laquelle elle entend obvier et ne porte pas une atteinte excessive aux droits et libertés qu’elle peut affecter.

(4 mars 2022, M. S., n° 446394 ; M. X. d’Abbadie d’Arrast, n° 446431 ; M. T. G. et M. B., n° 446907 ; M. F.J.B., n° 447212 ; Association Victimes coronavirus covid-19 France (AVCCF / Stop covid-19) et autre, n° 448209 ; M. I., n° 449472 ; M. AA., n° 449499 ; M. O., n° 449672 ; Mme P. épouse L., n° 450666 ; M. D.B., n° 451245 ; M. M., n° 453406)

(147) V. aussi, très comparable s’agissant de l’interdiction, par le I de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020, de tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence à l'exception des déplacements qu'il mentionne : 4 mars 2022, M. A., n° 447451.

 

148 - Covid-19 – Certificat de rétablissement – Condition d’octroi non prévue – Inopérance du moyen - Proportionnalité de la mesure – Absence d’atteinte à l’égalité – Rejet.

Les requêtes jointes contestaient que le décret du 1er juin 2021, plusieurs fois modifié ou remanié, notamment dans la version qui lui a été donnée par le décret du 7 juin 2021, ne prévoit pas qu'un certificat de rétablissement puisse être délivré sur présentation d'un document mentionnant un résultat positif à un test sérologique attestant de la présence d'anticorps contre le virus SARS-CoV2. 

Le moyen est inopérant car depuis l’édiction de ce dernier texte s’appliquent désormais les dispositions postérieures du règlement (UE) du 14 juin 2021 du Parlement européen et du Conseil relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats Covid-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de Covid-19.

Ensuite, en décidant de ne pas permettre l'accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels, aux personnes rétablies d'une contamination au SARS-CoV2 justifiant seulement d'un résultat positif à un test sérologique, le gouvernement n’a pas pris, eu égard en particulier, aux avis du comité scientifique (du 3 mai 2021) et de la Haute autorité de santé (17 juin 2021), une mesure disproportionnée.

Enfin, il n’est pas, ainsi, porté atteinte au principe d’égalité dès lors que des mesures différentes sont prises envers des personnes se trouvant objectivement en des situations différentes au regard de la finalité des mesures en cause.

(14 mars 2022, Mme D., n° 454794 ; Mme R., n° 455239, jonction)

 

149 - Covid-19 – Exercice de l’activité de libraire – Restrictions – Activité de cueillette dans la nature pour les besoins d’un commerce de restauration – Absence de restriction possible – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation des art. 4 et 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Elle contestait l’art. 37 de ce décret en ce qu’il l’empêcherait d’exercer son activité de libraire, la réduisant à la seule livraison ou au seul retrait de commandes. Son recours est rejeté par les moyens habituels et répétitifs : l’évolution de la situation, la circulation du virus, le caractère non-disproportionné des mesures prohibitives, etc.

La requérante contestait également l’art. 4 dudit décret en ce que ses dispositions lui interdisaient les déplacements, au-delà de la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre, pour cueillir des produits récoltés dans la nature et destinés à l'exercice de son activité de restauration, et de vente à emporter.  Sur ce point le recours est rejeté car il n’est pas fondé : une telle interdiction n’existe pas car sont autorisés par le 1° de cet art. 4 les déplacements à destination ou en provenance du lieu d'exercice d'une activité professionnelle. 

(17 mars 2022, Société Le Poirier-au-Loup, n° 445882)

 

150 - Covid-19 – Régime des autotests scolaires (protocole sanitaire du 25 janvier 2022) – Modification postérieure à l’introduction du référé liberté – Modification sans effet sur l’objet de la requête – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Est rejeté le référé liberté dirigé contre le protocole sanitaire appliqué en école maternelle ou élémentaire, collèges et lycées à partir du 25 janvier 2022 contraignant les enfants scolarisés à effectuer trois autotests à J+0, J+2 et J+4 dès que l'un de leurs camarades de classe était testé positif à la Covid-19. 

Même si postérieurement à l'introduction de la requête, un nouveau protocole sanitaire, introduit le 11 février 2022, impose aux enfants d'effectuer un autotest seulement au deuxième jour après le contact avec la personne testée positive à la Covid-19, et non plus le jour même et le quatrième jour, cette circonstance n'est cependant pas de nature à priver la requête de son objet. 

Cependant, n’est pas apportée la démonstration qu’il serait porté, par-là, atteinte à une liberté fondamentale au sens et pour l’application par le juge administratif du référé liberté des pouvoirs qu’il tient de l’art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 7 mars 2022, M. A., n° 460830)

 

151 - Covid-19 – Institution du passe sanitaire – Document n’étant plus ni nécessaire ni proportionné – Non-démonstration de l’existence d’une situation d’urgence ou d’une atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Le recours contre le maintien du passe sanitaire doit être rejeté car n’est pas rapportée la preuve de l’existence d’une situation d’urgence, le référé tendant à faire juger que l’institution d’un passe sanitaire ne serait plus nécessaire ni proportionnée tout en portant atteinte à diverses libertés fondamentales.

(ord. réf. 10 mars 2022, Association Je ne suis pas un danger, n° 461969)

(152) V. aussi, assez voisin en substance, en tant qu’est rejetée la demande qu’il soit fait injonction au premier ministre de produire aux débats l'ensemble des éléments à sa disposition permettant d'établir ou tout du moins de corroborer que le passe vaccinal et le passe sanitaire présentent un caractère nécessaire pour la protection de la santé publique dans l'ensemble des établissements scolaires concernés ; le juge n’a aperçu dans cette requête aucun moyen de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées : ord. réf. 11 mars 2022, Mme Vogley épouse Castan, n° 462041.

(153) V. encore, rejetant la contestation du passe vaccinal et du passe sanitaire reposant sur divers motifs car aucun des moyen invoqués n’est de nature à faire douter de la légalité de la décision attaquée (art. 2-1, 2-2, 2-3, 8, 11, 15, 27 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire dans leur rédaction issue notamment des décrets des 22 janvier et 14 février 2022) : ord. réf. 11 mars 2022, M. Pierre Boileau, n° 462047.

(154) V. également, rejetant pour défaut d’urgence un référé tendant à la suspension du refus d’abroger l'article 2 du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 en ce qu’il affecterait le déplacement des gens du voyage : ord. réf. 16 mars 2022, Union défense active des forains et association France liberté voyage, n° 462146.

 

155 - Chute mortelle d’un patient dans un hôpital – Absence de défaut de surveillance – Existence d’une faute du service hospitalier pour défaut de recherche du placement de la victime dans un établissement psychiatrique – Erreur dans l’identification de la modalité de prise en charge – Erreur de droit - Annulation.

Un patient, âgé de 90 ans, admis dans un centre hospitalier et faisant l’objet d’un diagnostic de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel, est décédé des suites d'une chute du balcon de la chambre voisine de celle qu'il occupait au sein du service de gériatrie de cet établissement.

La cour administrative d’appel, tout en constatant l’absence de défaut de surveillance de la part de l’hôpital, relève l’existence d’une faute de sa part. En effet, le service hospitalier où la victime avait été admise n'étant pas adapté à sa prise en charge, l’hôpital, qui avait effectué vainement des recherches en vue d'une admission en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), a commis une faute en n’effectuant pas des démarches en vue de son admission en soins psychiatriques dès lors qu’il ne démontrait pas que l'admission en soins psychiatriques de personnes âgées atteintes de démence n'était pas justifiée en l’espèce.

Le Conseil d’État casse cet arrêt pour erreur de droit car la cour n’a pas recherché « si la pathologie de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel dont souffrait M. B. relevait effectivement, en l'espèce, d'une telle prise en charge sanitaire ».

(30 mars 2022, Hospices civils de Lyon (HCL) et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 438048)

 

Service public

 

156 - Conseil économique, social et environnemental (CESE) – Répartition et conditions de désignation des membres – Collège des salariés – Représentation des artisans et des professions libérales – Représentation des syndicats agricoles – Rejets.

Diverses organisations professionnelles contestent le sort fait par le décret du 24 mars 2021 à leur représentation parmi les diverses catégories de membres du CESE. Leurs requêtes, jointes, sont rejetées.

En ne distinguant pas, dans le collège des salariés, entre salariés du secteur privé et fonctionnaires ou agents publics, le décret litigieux ne méconnaît aucune règle ou principe qui imposerait une telle distinction et il n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Ne saurait être contestée la répartition de ces sièges entre syndicats agricoles au motif qu’elle porterait atteinte au principe d'égalité car n'aurait pas été suivie à cette fin une méthode identique à celle retenue pour répartir les sièges des représentants des salariés entre leurs organisations syndicales.

De plus, si, pour répartir les sièges entre les neuf représentants des syndicats d’exploitants agricoles le décret attaqué devait tenir compte de leurs résultats aux élections professionnelles, il n'était pas tenu, contrairement à ce que soutient la Confédération paysanne, de les répartir selon la règle de la représentation proportionnelle.

Pareillement, dès lors que le pouvoir règlementaire s'estimait en mesure d'apprécier la représentativité des organisations professionnelles appelées à désigner des représentants des professions libérales au CESE, et alors même qu'aucun arrêté de représentativité des organisations professionnelles pour les professions libérales n'aurait été pris, il n'a en tout état de cause pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne diligentant pas, avant de désigner ces organisations, une enquête de représentativité.

En regroupant les représentants des artisans et des professions libérales, qui présentent des caractéristiques communes et peuvent le cas échéant être représentés par les mêmes organisations professionnelles, le décret attaqué, qui n'a supprimé aucune de ces deux catégories, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958, qui fixe les catégories de membres composant le CESE, et n'a pas commis non plus d'erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, dès lors qu’il ne restait plus qu’un seul siège à pourvoir dans la catégorie « professions libérales » on ne saurait dire illégal le choix fait par le décret de désigner la Chambre nationale des professions libérales plutôt que l'Union nationale des professions libérales, l’une et l’autre étant également représentatives de ces professions et alors que n’est démontrée aucune erreur manifeste d’appréciation.

(14 mars 2022, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 452870 ; Union des entreprises de proximité (U2P), n° 452948 ; Confédération paysanne, n° 456822)

 

157 - Usager du service public – Adresse de domicile déclarée par lui – Adresse lui étant opposable - Obligation d’indiquer tout changement de domicile – Notion de déclaration de changement de domicile – Absence – Rejet.

L’usager des services publics indique à ceux-ci l’adresse de son domicile afin qu’y soient adressées les correspondances qu’ils lui destinent.

Cette déclaration d’adresse est faite sous la propre et exclusive responsabilité de son auteur. Cette exigence s’étend également à tout changement de l’adresse connue par ces services.

Toutefois, ne peut être considérée comme informant d’un changement de domicile que la communication qui en comporte expressément la mention.

Ainsi, la circonstance qu’une personne connue sous une unique adresse dans une commune indique travailler dans un autre département ne constitue pas une déclaration de changement de domicile et toute notification, transmission ou autre à cette adresse est valable et opposable à son destinataire avec les conséquences de droit qu’elle emporte.

(30 mars 2022, M. A., n° 454429)

 

Sport

 

158 - Dopage – Cycliste – Sanction encourue de quatre ans de diverses interdictions – Sanction ramenée à deux ans – Annulation – Rétablissement d’interdictions d’une durée de quatre années.

Une cycliste professionnelle, par ailleurs chargée de la section sport-études dans un lycée et alors vice-présidente de l'association française des coureurs cyclistes, a été contrôlée positive à une substance interdite.

La peine encourue est un ensemble d’interdictions d’une durée de quatre années. Toutefois, la commission des sanctions de l’AFLD a retenu que, selon les dires de l’intéressée, d’une part, elle ne se serait injectée qu’une seule dose, d’autre part, son geste aurait été commandé par la volonté de retrouver la confiance de son entraîneur sportif et d’obtenir le renouvellement de son contrat avec l'équipe Dolticini-Van Eyck pour des raisons purement sportives sans avoir à se soumettre aux pratiques humiliantes de son entraîneur, constitutives, selon elle, de harcèlement sexuel. La commission des sanctions de l’AFLD a donc réduit cet ensemble d’interdictions à deux années.

Sur recours de la présidente de l’AFLD, le Conseil d’État rétablit la durée de quatre ans d’interdiction prévue par les textes en relevant d’abord que selon les spécialistes, il n’y avait pas eu une seule injection mais au moins deux espacées de quelques jours, ensuite que l’intéressée n'a pas été écartée de l'équipe lorsqu'elle a cessé d'envoyer les photographies demandées par le directeur sportif de son équipe et a continué à être engagée sur plusieurs courses avec cette équipe et, enfin et peut-être surtout, que la commission des sanctions de l’AFLD s’était prononcée sur la seule base des affirmations de l’intéressée «  sans au demeurant avoir fait usage des pouvoirs d'instruction qu'elle tient des articles L. 232-93 et L. 232-94 du code du sport ».

(22 mars 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 450363)

 

Travaux publics et expropriation

 

159 - Demande d’autorisation d’occupation temporaire en vue de la réalisation de travaux publics – Loi du 29 décembre 1892 – Délivrance de l’autorisation d’occupation temporaire impossible pour le préfet – Identique impossibilité pour le juge statuant sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA – Erreur de droit – Annulation.

La requérante a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA, à titre principal, l’autorisation d’occuper immédiatement, pour une durée de cinq mois, en vertu de la loi de 1892, la partie non bâtie d'une parcelle située à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), afin d'y installer le matériel, les machines et les matériaux nécessaires à la réalisation de sondages préalables aux opérations de construction de l'ouvrage d'entonnement OA7054, de procéder auxdits sondages et, à la fin de l'occupation, de remettre les lieux dans leur état d'origine.

Cette demande a été rejetée en raison de ce que, eu égard aux caractéristiques du terrain, l'article 2 de loi du 29 décembre 1892 faisait obstacle à ce que le préfet puisse délivrer l'autorisation demandée et qu'il en allait de même, par voie de conséquence, du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit car la circonstance que le préfet n'était pas compétent pour délivrer l'autorisation sollicitée n'était pas à elle seule de nature à faire regarder la demande comme irrecevable ou mal fondée, d’autant qu’elle n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de l’ordre administratif de juridiction. 

(8 mars 2022, Société du Grand Paris, n° 450162)

 

160 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) – Expropriation de parcelles situées dans le périmètre de la future ZAC - Avis rendu par le préfet de région sur ce projet – Insuffisance alléguée de l’étude d’impact – Appréciation sommaire des dépenses – Office du juge se prononçant sur le caractère d’utilité publique d’une opération conduisant à expropriation – Rejet.

La communauté de communes du Pays de Gex a créé sur le territoire d’une commune membre la ZAC « Ferney-Genève Innovation » et approuvé le dossier de création de la ZAC dont la réalisation a été confiée à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation par un traité de concession du 27 mars 2014.

Par un arrêté du 22 juillet 2016, le préfet de l'Ain, après enquêtes, a déclaré d'utilité publique les acquisitions des parcelles nécessaires au projet de création de la ZAC et valant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune. La commission d'enquête ayant émis un avis défavorable sur l'emprise du projet, ceci a conduit à une nouvelle enquête parcellaire à l'issue de laquelle, par un arrêté du 10 avril 2018, le préfet a déclaré cessibles au profit de la SPL Territoire d'innovation les parcelles nécessaires à la réalisation de la ZAC.

Par deux jugements du 9 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes, d'une part, de la société Financière Ferney et autres, d'autre part, de l'association Église Évangélique de Crossroads, propriétaires de parcelles incluses dans le périmètre du projet déclaré d'utilité publique, tendant à l'annulation, respectivement, de l'arrêté du 22 juillet 2016 et de l'arrêté du 10 avril 2018. L'association Église Évangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres se pourvoient en cassation contre les arrêts du 12 novembre 2020 par lesquels la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leurs appels formés contre ces jugements.

Les pourvois sont joints.

L’arrêt attaqué ne faisant pas apparaître que le rapporteur public a été entendu à l’audience de jugement de ces deux requêtes, la preuve de la régularité de la procédure suivie n’est pas rapportée et les arrêts sont annulés.

Le Conseil d’État statue directement au fond sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Tous les moyens soulevés sont rejetés.

Est d’abord rappelée, pour être appliquée à l’espèce, la solution jurisprudentielle selon laquelle l'illégalité frappant la délibération créant une ZAC ne saurait être utilement invoquée, par la voie de l'exception, à l'encontre de la contestation de la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'aménagement de cette zone. 

Ensuite, s’agissant de la garantie d’indépendance de l’autorité émettrice de l’avis sur l’évaluation environnementale, qu’impose la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, le juge la considère comme respectée en l’espèce dès lors, d’une part, que l’avis a été rendu par le préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du Rhône, en qualité d'autorité environnementale, préparé et formalisé par les services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Rhône-Alpes et, d’autre part, que la déclaration d'utilité publique été prise par le préfet de l'Ain, après avoir été instruite par les services de la direction des relations avec les collectivités locales de la préfecture de l'Ain. Il est ainsi satisfait aux exigences de l’art. 6 de cette directive telle qu’interprétée par la jurisprudence de la CJUE.

Également, il est jugé que l’étude d’impact réalisée en 2015 et présentée dans le cadre du dossier de déclaration d'utilité publique était complète et suffisamment précise sur les incidences et les mesures environnementales au regard des caractéristiques d'ensemble du projet de ZAC telles qu'elles étaient connues à la date de l'enquête publique, y compris les modalités envisagées pour la création d'un réseau de chauffage. 

Encore, est rappelée la limite de l’exigence de précision requise de ce que les textes nomment eux-mêmes « appréciation sommaire des dépenses » figurant dans le dossier d’enquête publique, d’où le rejet du grief d’incomplétude et d’imprécision formulé sur ce point. Pas davantage n’est frappé du même défaut le rapport de la commission d’enquête.

Enfin, et c’était là l’aspect le plus important de cette affaire, le juge (qui n’est plus de cassation ici mais du fond par l’effet du recours à l’art. L. 821-2 CJA) entre dans une analyse minutieuse de ce qu’est l’office du juge lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers.

Celui-ci, ainsi saisi, doit obligatoirement examiner si l’opération répond à une finalité d'intérêt général, si l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente.

Il doit ensuite, mais seulement s'il est saisi d'un moyen en ce sens, s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.

Application de cette méthodologie du contrôle de l’utilité publique est alors effectuée dans la suite de la décision :

1° Le projet de création de la ZAC « répond à l'objectif d'intérêt général de rééquilibrage des programmes de logements et d'activités entre la commune suisse du Grand-Saconnex et la commune de Ferney-Voltaire, en favorisant la mixité sociale et le développement économique par la création de logements sociaux et de nouveaux espaces à vocation d'activités et en contribuant à la limitation des trajets domicile-travail ».

2° Si les requérants font valoir qu'ils avaient sur les parcelles dont ils sont propriétaires un projet d'aménagement foncier compatible avec les documents d'urbanisme et présentant de fortes convergences avec les objectifs poursuivis par la ZAC, ce qui rendait inutile l’expropriation, ce projet privé ne permettait pas d'atteindre des objectifs équivalents à ceux poursuivis à travers l'opération d'aménagement déclarée d'utilité publique. Par suite, l'inclusion de leurs parcelles dans le périmètre d'expropriation n’est pas, contrairement à ce qui est soutenu,  sans rapport avec cette opération. 

3° Les diverses atteintes (aux espèces animales, à l’activité agricole, à un lieu de culte existant) ont été prévues et assorties de mesures tendant à les réduire et, en tout hypothèse, ne sont pas excessives eu égard à l’intérêt général qui s’attache à ce projet.

(22 mars 2022, Association Église Évangélique de Crossroads, n° 448610 ; Sociétés Financière Ferney, Investissements Fonciers et Participations (IFP) et Ferjac et autres, n° 448619)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

161 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Rejet.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice subi du fait de cette illégalité et causé par le concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

L’action à fins indemnitaires a été rejetée par la cour administrative d’appel au double motif, d’une part, que les divers préjudices allégués comme devant être réparés étaient sans lien direct et certain avec l’illégalité de l’autorisation d’exploitation commerciale, et, d’autre part, que cette délivrance ne faisait pas obstacle, vu les circonstances de droit de l’espèce, à ce que la société demanderesse continue sa propre exploitation.

Le juge de cassation, au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation de la cour, rejette le pourvoi.

(2 mars 2022, Société Steso et M. J., n° 443276)

 

162 - Projet de plan local d’urbanisme (PLU) – Définition des modalités de la concertation – Décision de tenir la concertation jusqu’à ce que soit arrêté le PLU – Condition et régime de l’illégalité d’une reprise de la procédure d’élaboration sans nouvelle concertation - Bande des cent mètres - Projet de construction de logements – Illégalité alors même que cette bande est entourée de parcelles construites – Annulation partielle.

L’association requérante demandait, à la fois pour des motifs de procédure et pour des motifs de fond, l’annulation d’une délibération municipale approuvant le PLU de la commune. Parmi ceux-ci deux méritent attention, l’un étant rejeté et l’autre admis.

Au plan procédural, le juge rappelle que la commune qui a adopté une délibération définissant les modalités de la concertation en prévoyant que celle-ci doit avoir lieu jusqu'à l'arrêt du projet de plan local d'urbanisme, ne peut pas reprendre la procédure d'élaboration et arrêter un nouveau projet sans le soumettre à une nouvelle concertation. Toutefois, appliquant une jurisprudence désormais classique, il est précisé qu’un tel vice n'est de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'élaboration du projet que si ce vice a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la délibération approuvant le projet ou s'il a privé le public d'une garantie. Tel n’était pas le cas en l’espèce, comme cela a été jugé en appel et contrairement à ce que soutenait la requérante,

Sur le fond, le PLU prévoyait, s’agissant de l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, la réalisation sur un secteur qui inclut la bande littorale des cent mètres, dans un espace dénué de construction même s'il est entouré de manière plus ou moins proche de parcelles construites, d'un ensemble immobilier de 320 logements répartis dans des immeubles de deux à quatre étages, pour une surface de plancher de 30 000 m². Sans surprise, cette solution d’urbanisme est déclarée irrégulière et l’arrêt est annulé pour dénaturation des pièces du dossier pour avoir jugé que cette partie du projet n’entraînait pas une densification significative des espaces dans lesquels il devait s'insérer…

(7 mars 2022, Association Cucq Trepied Stella 2020, n° 443804)

 

163 - Permis de construire – Régularité de l’omission de réponse à certains moyens - Existence d’une servitude de « cour commune » – Absence d’opposabilité de plein droit à une demande de permis de construire – Rejet.

De cette longue décision qui intéresse autant le droit de l’urbanisme que le droit du contentieux administratif seront seulement retenus deux points.

En premier lieu, il est rappelé, au plan procédural, que ne commet pas d’irrégularité le juge qui, quoique tenu, lorsqu’il rejette un recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif rendu en matière d’urbanisme, de répondre à l'ensemble des moyens soulevés par le requérant, omet de répondre à un moyen qui est soit inopérant soit non assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé soit assorti d'éléments insusceptibles de venir à son soutien. 

Ces trois situations se rencontrent dans cette décision.

En second lieu, il est également rappelé que si l'autorité administrative, saisie d'une demande de permis de construire ou d'une déclaration préalable, doit apprécier la légalité du projet en tenant compte des effets qu'attachent l'article L. 471-1 du code de l'urbanisme ou, le cas échéant, les prescriptions particulières légalement édictées que comporte un plan local d'urbanisme, à l'existence d'une servitude de « cour commune » sur le terrain d'assiette du projet ou un terrain voisin, une telle servitude n'est pas, par elle-même, opposable à la demande d'autorisation contrairement à ce qui était soutenu en l’espèce.

(17 mars 2022, Syndicat des copropriétaires du 26, rue d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447456 ; Syndicat des copropriétaires du 7, allée d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447536, jonction)

 

164 - Directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains (décret du 2 août 2005) – Intervention postérieure de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement – Appréciation actuelle de la juridicité de cette directive – Principe d’inconstructibilité dans les zones d’aléas dites d’affaissements progressifs ou principe de constructions conditionnées en dehors de ces zones par le plan de prévention des risques – Demande d’abrogation du décret de 2005 – Rejet.

La commune requérante demande l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le décret du 2 août 2005 portant approbation de la directive territoriale d'aménagement (DTA) des bassins miniers nord-lorrains en tant qu'il en approuve les orientations relatives à la constructibilité dans le bassin ferrifère.

Le litige soulevait la question du moment où le juge doit se placer pour apprécier la juridicité du décret critiqué. Celui-ci a été pris en 2005 pour porter approbation d’une DTA, notamment en ce que celle-ci, dans cette importante zone ex-minière, a prévu soit l’interdiction de construire sur les zones d’affaissements progressifs soit, dans les autres zones, une construction fortement contrainte en application du plan de prévention des risques. A l’époque où ce décret a été pris s’appliquaient les dispositions de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme. Puis, l’art. 13 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement a substitué aux DTA les directives territoriales d'aménagement et de développement durables. Cependant, le III de cet article 13 décide que les DTA antérieures à la publication de la loi de 2010 conservent ceux de leurs effets résultant de la version antérieure à la loi de 2010 et de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme précité. Il était prévu également soit qu’elles puissent être modifiées en vue d’y intégrer les dispositions relatives aux nouvelles directives territoriales d'aménagement soit qu'elles soient supprimées par décret en Conseil d’État. 

Ensuite, l’art. 1er de l'ordonnance du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicable aux documents d'urbanisme a supprimé, à compter de l'entrée en vigueur de cette modification, le 1er avril 2021, l'exigence de compatibilité des schémas de cohérence territoriale, ainsi que le cas échéant des plans locaux d'urbanisme, des documents en tenant lieu et des cartes communales, avec les directives territoriales d'aménagement.

Des dispositions applicables en la matière au jour où il statue le juge déduit le rejet de la requête.

Tout d’abord, en interdisant ou limitant strictement les possibilités de construire, comme indiqué plus, haut, la DTA ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'art. L. 111-1-1 du code de l’urbanisme.

Ensuite, la juridicité de cette DTA ne saurait être critiquée ni en ce qu’elle classerait la commune requérante comme commune significativement concernée par les zones d'aléas miniers, ni en fixant les règles d'inconstructibilité découlant de ce classement, lesquels résultent en l'espèce du plan de prévention des risques miniers du secteur de Jarny approuvé par arrêté préfectoral du 26 mars 2013. L’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou le caractère disproportionné des mesures restrictives en raison de la circonstance qu’aucun affaissement de terrain n’a eu lieu depuis plus de vingt ans ne sauraient être invoqués à l’encontre de cette DTA qui n’en est pas à l’origine.

Enfin, ce dernier élément, de fait, ne prive pas d’objet les dispositions de la DTA attaquée.

(21 mars 2022, Commune de Jarny, n° 439835)

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