Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juillet-Août 2022

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Délibération jugée créatrice de droits – Décisions à caractère pécuniaire – Retrait impossible au-delà de quatre mois – Délibération annulée – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour annuler un titre exécutoire émis par une commune à l’encontre d’un conseiller municipal, se fonde sur ce que l’indemnité litigieuse avait été allouée par une délibération du conseil municipal qui avait créé des droits à son profit et qu’ainsi les versements mensuels de son indemnité de fonctions, qui ne sauraient résulter d'une simple erreur de liquidation ou de paiement de la part de la commune, constituaient des décisions pécuniaires créatrices de droit ne pouvant être retirées au-delà d'un délai de quatre mois. En effet, la délibération précitée a été annulée par un jugement du tribunal administratif devenu définitif, elle doit donc être réputée n'être jamais intervenue. Par suite, les versements litigieux constituaient de simples mesures de liquidation fondée sur cette délibération réputée n'être jamais intervenue.

(1er juillet 2022, Commune de Wissous, n° 454751)

(2) V. également sur cette commune et sur le même sujet : 1er juillet 2022, Commune de Wissous, n° 450937.

 

3 - Acte de gouvernement – Acte relatif aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif – Présentation d’un projet de loi – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le juge du référé liberté du Conseil d’État était saisi de décisions du gouvernement et du président de la république de reporter, à plusieurs reprises, depuis le 23 mai 2022, la présentation du projet de loi « relatif aux mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat » devant le Conseil des ministres. 

Le requérant demandait à ce juge d'enjoindre au gouvernement :

- d’une part, de prendre des mesures urgentes, nécessaires et proportionnées afin que les concitoyens puissent vivre dignement, que leurs droits civils, politiques, économiques et sociaux garantis par les engagements internationaux soient effectifs et mis en œuvre par tous les moyens dont disposent les pouvoirs publics,

- d’autre part, d'intégrer dans le projet de loi relatif aux mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, le droit à l'alimentation proclamé par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de permettre son effectivité par sa justiciabilité, suite à la recommandation du Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels adressée à la France le 27 juin 2016.

Sera-t-on surpris de lire que cette requête en référé a été jugée manifestement irrecevable car il n'appartient pas au Conseil d'État de connaître d'une telle demande qui se rattache aux rapports du pouvoir exécutif avec le Parlement ?

Ce pittoresque recours est donc rejeté.

(4 juillet 2022, M. A., n° 465418)

(4) V. aussi, réitérant l’incompétence absolue du juge administratif pour connaître d’un recours dirigé contre le refus du premier ministre de soumettre au parlement un projet de loi car il touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels : 15 juillet 2022, Syndicat national des policiers municipaux, n° 448535.

V. aussi, sur ce second point, le n° 203

 

5 - Projet de lignes directrices de gestion ministérielle – Lignes directrices relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports - Obligation de transmission pour accord au ministre chargé de la fonction publique – Absence – Incompétence de leur auteur – Annulation.

Dès lors qu’il résulte du I de l’art. 2 du décret du 29 janvier 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires que « Tout projet de lignes directrices de gestion relevant du présent I est transmis pour accord au ministre chargé de la fonction publique (…) avant saisine du comité social ministériel », l’inobservation de cette formalité en l’espèce à propos d’un projet de lignes directrices relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, entache d’illégalité leur édiction par suite de l’incompétence de leur auteur.

La solution est nouvelle et très logique mais elle traduit un effacement supplémentaire de la frontière entre le régime des décisions et celui des actes non décisoires.

(5 juillet 2022, M. B., n° 448711)

 

6 - Note de la direction des services judiciaires du ministère de la justice - Note portant listes des postes offerts aux auditeurs de justice de la promotion 2021 - Acte préparatoire - Absence de caractère décisoire - Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette note - Rejet.

Est irrecevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre la note de la direction des services judiciaires du ministère de la justice en date du 27 avril 2021 qui se borne à diffuser la liste des postes offerts aux auditeurs de justice de la promotion 2019 à l'issue de leur scolarité à l'École nationale de la magistrature et à préciser que le choix des postes se fera le 4 mai 2021 en vue d'une prise de fonctions le 1er septembre 2021 car cet acte constitue une mesure préparatoire à l'établissement de la liste de classement et à la nomination des auditeurs : elle n'a, par suite, pas le caractère d'une décision faisant grief. 

(22 août 2022, Mme B., n° 454042)

 

7 - Exploitant d'un produit de santé autre qu'un médicament - Exploitant non fabricant du produit - Obligation d'en déclarer le fabricant et d'identifier de façon certaine le produit (art. L. 165-1-1-1 c. séc. soc.) -  Absences d'inconventionnalité et de non respect des objectifs d'une directive européeene - Absence de subdélégation interdite - Rejet.

Le syndicat requérant, d'une part, poursuivait l'annulation du décret n° 2020-1710 du 24 décembre 2020 relatif à l'accord de distribution et aux déclarations mentionnées à l'article L. 165-1-1-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté son recours gracieux et, d'autre part, d'ordonner le sursis à exécution ainsi qu'une expertise sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-1 du CJA, en vue de déterminer tant la proportion de dispositifs médicaux fabriqués hors de France et en particulier dans d'autres États membres de l'Union européenne visés par les obligations posées par l'article L. 165-1-1-1 du code de la sécurité sociale que la charge de travail que représentent ces obligations pour les exploitants.

Ces demandes sont rejetées tant au titre de la légalité externe qu’à celui de la légalité interne, seuls ces derniers étant ici examinés.

Tout d'abord est rejeté le grief d'inconventionnalité de l'article L. 165-1-1-1 du code de la sécurité sociale.

 En premier lieu, les dispositions législatives en application desquelles a été pris le décret attaqué ne sauraient être regardées, contrairement à ce que soutient le demandeur, comme une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation entre les États membres de l'Union européenne au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne car elles ne visent qu'à permettre à l'administration d'identifier de façon certaine, en vue d'assurer une meilleure régulation des dépenses afférentes, les dispositifs médicaux et autres produits de santé sans apporter une limitation à l'importation ou instituer une distinction fondée sur la nationalité ni, non plus, faire obstacle à la mise sur le marché ou à la mise en service de ces produits comme à leur prise en charge. 

En second lieu, les dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux invoquées par la requête ne s'opposent pas à ce que les autorités nationales, dans l'exercice de leurs compétences et par le biais d'une législation distincte, prévoient, pour l'exploitant non fabricant d'un dispositif médical, lorsque ce dernier est inscrit sur l'une des listes prévues aux articles L. 165-1 ou L. 165-11 ou pris en charge au titre de l'article L. 165-1-1 ou L. 165-1-5 du code de la sécurité sociale, une obligation de signer un accord de distribution avec le fabricant ou son mandataire et de transmettre aux ministres de la santé et de la sécurité sociale les informations permettant l'identification certaine du produit. De plus, ces obligations - qui ne pèsent pas, contrairement à ce qui est soutenu, sur une grande majorité d'exploitants distribuant en France des dispositifs fabriqués dans d'autres États de l'Union - ne sauraient être regardées comme constituant une charge de nature à faire obstacle à la mise sur le marché ou la mise en service sur le marché français des produits en cause.

Ensuite est rejeté le grief selon lequel le décret litigieux méconnaîtrait la directive précitée d'abord parce que celle-ci n'affecte pas la faculté des États membres de mettre en œuvre des mesures en vue de gérer le financement des systèmes de santé publique et d'assurance maladie concernant directement ou indirectement de tels dispositifs et parce que les indications à fournir en vertu des dispositions du décret attaqué ne se recoupent pas avec celles exigées au titre de cette directive.

Enfin, le renvoi opéré par le décret précité à des arrêtés ministériels fixe de manière suffisamment précise le cadre dans lequel doivent intervenir ces arrêtés et n'institue pas au profit des auteurs de ces derniers une subdélégation interdite en particulier en n'établissant pas une obligation d'intervention avant une date déterminée alors qu'une telle exigence de date ne s'imposait pas en l'espèce.

(7 juillet 2022, Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM), n° 453897)

 

8 - Contrôle technique motorisé - Véhicules à moteur à deux, trois et quatre roues - Suspension sine die du décret relatif à la mise en place du contrôle technique de ces véhicules - Décision prise par un ministre délégué - Incompétence - Rejet.

L’exécution du décret 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et des quadricycles à moteur a été suspendue « jusqu’à nouvel ordre » par une décision du 12 août 2021 prise par le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

D’évidence, un ministre, lequel ne dispose pas, sauf disposition expresse, du pouvoir réglementaire, est incompétent pour suspendre un décret du premier ministre.

La décision est, sans surprise, annulée.

(27 juillet 2022, Association Respire, n° 456131)

 

9 - Site Légifrance - Décisions implicites du premier ministre relatives à ce site - Demande de rétablissement de certaines publications sur ce site - Rejet.

Le requérant poursuivait l’annulation de décisions implicites du premier ministre  refusant d’accéder à ses demandes : 1° de mettre à disposition du public, sur le site Légifrance, l'ensemble des arrêtés préfectoraux à caractère réglementaire ; 2° de revenir, d’une part, sur le 2° du I de l'article 1er du décret du 8 septembre 2020 relatif à la modernisation du service public de diffusion du droit par l'internet, en tant qu'il a prévu que le site Légifrance ne mettrait plus à disposition du public « les décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, de la Cour de cassation et du Tribunal des conflits », mais « les décisions et arrêts transmis par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État, la Cour de cassation et le Tribunal des conflits », c'est-à-dire uniquement une sélection de décisions et d'arrêts, et, d'autre part, sur  le 2° du II du même article, en tant qu'il a supprimé la disposition selon laquelle le site Légifrance « rend compte de l'actualité législative, réglementaire et juridictionnelle ».

Le recours est rejeté tout d’abord car le site Légifrance a vocation à mettre à la disposition du public les actes à caractère normatif émanant des autorités de l'État à compétence nationale, notamment leurs actes à caractère réglementaire et que tel n’est pas le cas des actes réglementaires des préfets qui n’émanent d’une autorité de l’État à compétence nationale.

Le recours est également rejeté en ce qu’il est dirigé contre des dispositions du décret du 8 septembre 2020 pour non consultation préalable du Conseil d’État, cette consultation n’étant pas requise au cas de l’espèce.

(27 juillet 2022, M. B., n° 450330)

 

10 - Décision de suspension d’un praticien hospitalier - Décision susceptible d’y mettre fin - Absence de caractère d’acte ou procédure complexe de ces deux décisions - Invocation impossible d’une exception d’illégalité - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge inopérant le moyen tiré par voie d’exception de l’illégalité de la mesure de suspension d’un fonctionnaire (ici un praticien hospitalier) à l’encontre de la décision susceptible d’y mettre fin.

En effet, la décision de suspension d'un praticien hospitalier, décision individuelle qui devient définitive à l'expiration du délai de recours contentieux que fait naître sa notification, ne forme pas, avec la décision susceptible d'être prononcée pour y mettre fin, une opération administrative unique comportant entre ces deux décisions un lien tel que les illégalités susceptibles d'affecter la décision initiale puissent, malgré le caractère définitif que celle-ci aurait acquis, être invoquées à l'appui de conclusions dirigées contre la décision ultérieure.

(15 juillet 2022, Mme A., n° 442632)

 

11 - Refus de modifier des dispositions de caractère réglementaire - Décision elle-même à caractère réglementaire - Absence d’obligation de motivation - Rejet.

Dans le cadre d’un contentieux opposant la fédération requérante au premier ministre, celui-ci ayant implicitement refusé de modifier les dispositions des art. R. 111-29 et suivants du code de la construction et de l’habitation mettant en œuvre l’incompatibilité, édictée par l’art. L. 111-25 (aujourd’hui L. 125-3) de ce code, de l’activité de contrôle technique avec l'exercice de toute activité de conception, d'exécution ou d'expertise d'un ouvrage, le juge réitère deux solutions bien connues.

D’une part, le refus de prendre ou de modifier un texte réglementaire constitue lui-même une décision réglementaire.

D’autre part, il n’existe aucune obligation, sans texte, de motiver une décision réglementaire.

(19 juillet 2022, Fédération des syndicats des métiers de la prestation intellectuelle, du conseil, de l'ingénierie et du numérique (CINOV), n° 444993)

 

12 - Date d’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation (art. L. 221-4 CRPA) - Régime de l’abrogation ou du retrait des décisions créatrices de droits (art. L. 242-4 CRPA) - Inapplicabilité aux décisions réglementaires - Rejet.

Le requérant a demandé au garde des sceaux de retirer ou d'abroger les dispositions du 4° de l'article 2 du décret du 27 novembre 2020 (en fait et en réalité celles de son article 12) portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui modifient l'article R. 321-20 du code des procédures civiles d'exécution afin de porter le délai de péremption des commandements de payer valant saisie de deux à cinq ans. Ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2021 et s'appliquent aux instances en cours à cette date.

Cette demande est rejetée en ses deux chefs.

Tout d’abord, l’art. L. 221-4 du CRPA, selon lequel, sauf disposition législative contraire, une nouvelle réglementation ne s'applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur n’est pas en cause ici. En effet, en prévoyant que ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2021 et s'appliquent aux instances en cours, l'article 12 du décret dont l'abrogation a été demandée n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les situations juridiques définitivement constituées et notamment de remettre en cause la péremption des commandements de payer valant saisie dont la péremption était acquise au 1er janvier 2021.

Ensuite, les dispositions de l'art. L. 242-4 du CRPA fixant les conditions dans lesquelles l'administration peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits à la demande de son bénéficiaire, ne peuvent utilement être invoquées à l'encontre d'une décision refusant, comme en l’espèce, d'abroger ou de retirer un acte réglementaire. 
(19 juillet 2022, M. A., n° 454676)

 

13 - Communiqué du Conseil national des universités (CNU) - Annonce d’une procédure expérimentale de recrutement des professeurs du premier groupe - Publication d’un projet de protocole d’accord entre le CNU et la ministre de l’enseignement supérieur - Irrecevabilité de conclusions à fin d’annulation et d’injonction.

La demande d’annulation est évidemment rejetée s’agissant de documents - un communiqué du CNU annonçant un protocole d’accord entre la ministre de l’enseignement supérieur et les présidents des six sections composant le premier groupe (droit, économie, gestion, science politique) du CNU et la copie du projet de protocole - qui, même s'ils annoncent l'intention du Gouvernement d'introduire, à l'occasion d'une modification du décret du 6 juin 1984, une procédure expérimentale de recrutement des professeurs des universités relevant du 1° de l'article 46 de ce décret, précisée dans le protocole d'accord, constituent deux actes qui ne rendent pas immédiatement applicable cette nouvelle procédure et sont dépourvus de toute portée normative. Au reste, ces mêmes actes ne sont pas susceptibles d'avoir des effets notables sur la situation des personnes auxquelles ils s'adressent ou d'influer de manière significative sur leurs comportements tant que le décret annoncé n'est pas intervenu.

La demande d’injonction à la ministre de l'enseignement supérieur et aux présidents des sections du groupe 1 du CNU de respecter la loi votée par la représentation nationale, est tout aussi irrecevable, le pouvoir d’injonction du juge administratif ne pouvant être utilisé qu’au service de l’exécution de la chose jugée.

(20 juillet 2022, M. B., n° 451805)

 

14 - Cessation d’activité d’une installation classée pour l’environnement - Inobservation des prescriptions applicables à une telle installation - Mise en demeure de satisfaire à ces prescriptions - Compétence liée du préfet pour infliger une sanction - Compétence demeurant liée en dépit d’une pluralité de sanctions possibles - Erreur de droit - Annulation.

(19 juillet 2022, Société noiséenne d'outillage et de presse (SNOP), n° 444986 ; ministre de la transition écologique, n° 445039)

V. n° 165

 

15 - Police des jeux - Casino - Courriel d’une direction du ministère de l’intérieur comportant interprétation de la réglementation applicable aux casinos - Absence de caractère de décision ou de document de portée générale à effets notables - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable et rejeté comme tel le recours de la fédération requérante dirigé contre un courriel de la chef du bureau des établissements de jeux de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur en réponse  à un courrier de cette fédération et se bornant  à lui faire part de l'interprétation, par l'administration, de la réglementation applicable aux casinos résultant de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif au fonctionnement des tables de jeux de blackjack et aux personnels habilités à les surveiller. En effet, ce courriel, qui se borne à répondre à une demande d’information, ne constitue ni une décision ni un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des établissements de jeux ou de leurs salariés.

(21 juillet 2022, Fédération des employés et cadres Force ouvrière, n° 449388)

 

16 - Modalités de mise en œuvre  d’un dispositif expérimental par les directions générales des finances publiques et des douanes et droits indirects - Traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne - Absence d’autorisation d’une collecte généralisée et indifférenciée de données à caractère personnel - Collecte portant sur des contenus librement accessibles sur l'une des plateformes relevant du champ d'application du dispositif avec l'identité des titulaires des comptes qui les ont délibérément divulguées - Contreseing ministériel (art. 22 de la Constitution) - Notion de « ministre chargé de l’exécution » - Exclusion des ministres et secrétaires d’État délégués - Rejet.

Dans un litige relatif à l’annulation du décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne, était soulevée une question tenant à un vice touchant la légalité externe du décret litigieux.

Celui-ci était prétendu illégal en ce qu’il ne comportait pas, contrairement aux dispositions de l’art. 22 de la Constitution, s’agissant d’un décret du premier ministre, la signature des ministres chargés de son exécution.

Le moyen est rejeté car les ministres et secrétaires d'État délégués auprès d'un ministre ne sont investis d'aucune compétence propre et ne peuvent donc pas être regardés comme ayant compétence pour prendre les mesures nécessaires à l'exécution d'un acte signé par le Premier ministre.

Ainsi, au cas de l’espèce, l'absence de contreseing du secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, du ministre délégué chargé de l'industrie et du secrétaire d'État chargé de l'économie sociale, solidaire et responsable, tous quatre placés auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, n'est pas de nature à entacher le décret d'irrégularité.

(22 juillet 2022, Association La Quadrature du Net, n°451653)

Sur cette décision voir aussi le n° 24

 

17 - Fonctionnaire territorial - Liquidation de la pension de retraite sans prise en compte de décisions postérieures à la date de prise d’effet de la retraite - Demande de prise en compte - Actes inexistants - Rejet.

(22 juillet 2022, Mme A., n° 446628)

V. n° 4

 

18 - Déclaration du ministre de la santé et de la prévention - Décision de maintenir l'obligation de vaccination contre le Covid-19 des professionnels des secteurs sanitaires et médico-social - Nature de simple avis - Acte insusceptible d'exécution - Rejet de la demande de sa suspension.

Doit être rejetée la demande, formée par une gynécologue, tendant à la suspension d'exécution d'une déclaration du ministre de la santé annonçant sa volonté de maintenir l'obligation vaccinale contre le Covid-19 pour les professionnels de santé. Cette obligation résultant directement de la loi, la déclaration en cause n'exprime qu'une opinion dont la suspension d'exécution ne saurait être demandée au juge.

(2 août 2022, Mme A., n° 466079)

 

19 - Sous-lieutenant de l'armée de l'air - Évocation par un communiqué d'un plan d'action d'amélioration des carrières d'officiers - Instruction mettant en œuvre les règles et principes contenus dans ce communiqué - Demande du bénéfice de l'application de ces textes - Rejet.

Un sous-officier de l'armée de l'air n'est recevable à invoquer au soutien de sa demande de report rétroactif des règles applicables à son grade, ni un communiqué intitulé « Transformation du cursus des officiers sous contrat du personnel navigant » diffusé par l'armée de l'air le 7 janvier 2020 et annonçant un plan d'action ayant pour but d'améliorer l'attractivité et de dynamiser la filière des officiers sous contrat du cadre des personnels navigants de l'armée de l'air car ce communiqué est dépourvu de toute valeur juridique, ni l'instruction du 15 octobre 2020 mettant en œuvre la réforme des règles de gestion annoncée par ce communiqué et prévoyant notamment des conditions d'avancement au grade de sous-lieutenant plus favorables car cette instruction ne modifie pas rétroactivement la situation des officiers ayant vocation - comme le requérant - à être nommés au grade de sous-lieutenant au cours de l'année 2020.

(5 août 2022, M. A., n° 457350)

 

20 - Loi organique du 8 août 2016 - Numérisation des dossiers administratifs des magistrats - Décret d'application prévu à cet effet par la loi organique non encore intervenu six ans après - Retard excédant le délai raisonnable imparti au pouvoir réglementaire - Injonction au premier ministre de prendre sous quatre mois ledit décret.

Le syndicat requérant demande l'annulation du rejet implicite par le premier ministre de sa demande du 4 mai 2021 tendant à ce que soient édictés et publiés le décret d'application et les mesures règlementaires prévus par le dernier alinéa de l'article 12-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature.

Le Conseil d'État juge déraisonnable que six ans après le vote de la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature n'ait pas encore été pris le décret d'application de celle-ci afin que soit assurée la numérisation des dossiers administratifs des magistrats, et alors que la direction des services judiciaires a entrepris depuis plusieurs années à cette numérisation sans que soit intervenu le décret prévu à cet effet et qui était pourtant nécessaire, en vertu de la loi organique, dans le cas où ces dossiers seraient gérés sur support électronique.

Il est fait injonction au premier ministre de prendre sous quatre mois le décret nécessaire.

(19 août 2022, Union syndicale des magistrats, n° 454531)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

21 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Infliction d'une sanction pécuniaire à une chaîne de télévision - Irrecevabilité du recours formé par une personne non sanctionnée - Irrespect de l'obligation ne pas inciter à la haine ou à la discrimination - Manquement à l'obligation de maîtrise de l'antenne - Rejet.

La chaîne CNEWS est sanctionnée par le CSA pour des propos tenus à l'antenne par l'un de ses chroniqueurs M. E. Zemmour. Contre cette sanction le chroniqueur et la chaîne saisissent le Conseil d'État.

Le recours de M. Zemmour est rejeté au motif que la sanction n'a frappé que la chaîne CNEWS non lui-même bien qu'il fût l'auteur des propos ayant conduit à la sanction et qu'il estime celle-ci attentatoire à sa réputation.

Le recours de la chaîne de télévision contre le principe de la sanction est rejeté au double motif qu'elle a laissé tenir à l'antenne, par l'un de ses chroniqueurs, des propos de nature à inciter à la haine et à la discrimination et qu'elle n'a pas su maîtriser l'antenne par exemple en donnant la parole à des contradicteurs ou à des tenants d'autres points de vue.

Le recours de la chaîne contre le montant (bien modeste : deux cent mille euros) de la sanction est également rejeté car il est proportionné à la faute. Peut-être même qu'un tel montant est si bas qu'il aurait pu en être jugé illégal...

La décision est si classique et si attendue que sa publication au Recueil Lebon étonne sauf à faire de cette dernière un acte symbolique ou de se rendre propitiatrice la dignité humaine.

(12 juillet 2022, M. B., n° 451897 ; Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 452475)

 

22 - Référé suspension - Téléphonie mobile - Octroi de blocs sur une bande de fréquence à un opérateur - Atteinte à la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile à La Réunion - Défaut d’urgence tenant à l’absence d’atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la requérante - Rejet.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’une requête tendant à la suspension de l'exécution de plusieurs décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) autorisant la société Orange à utiliser des fréquences dans les bandes 700 MHz et 3,4 - 3,8 GHz à La Réunion pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public, en tant qu'elle a attribué à cette société un second bloc de 5 MHz dans la bande des 700 MHz.

Pour rejeter le recours pour défaut d’urgence, le juge retient :

- qu’il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des débats lors de l'audience, que les décisions contestées feraient par elles-mêmes obstacle au lancement à court terme par la société Zeop Mobile, requérante, d'offres de téléphonie mobile incluant l'utilisation de la technologie 5G ;

- qu’il n’est pas établi que l’une des décisions attaquées, qui autorise la société Zeop mobile à utiliser, outre 5 MHz dans la bande des 700 MHz, 8 blocs de 10 MHz dans la bande 3,4 - 3,8 GHz et qui s'ajoute à une précédente attribution de fréquences dans les bandes de 1,8 GHz et de 2,1 GHz, rendrait techniquement impossible le déploiement d'une offre de téléphonie mobile de 5ème génération ;

- qu’il n’est pas, non plus, démontré que le retard éventuel de la société Zeop mobile dans ce déploiement trouverait exclusivement sa cause dans les décisions attaquées et non dans ses choix stratégiques, technologiques et économiques, alors qu'il n'est pas contesté qu'il peut techniquement être recouru à des hautes fréquences pour mettre en œuvre la 5G d’autant que les opérateurs attributaires de blocs supplémentaires en basse fréquence vont, compte tenu du plafonnement imposé par la réglementation, être contraints de restituer, dans ces zones, des bandes de fréquence à l'attribution desquelles la société requérante pourra postuler. S'il est par ailleurs soutenu que l'offre susceptible d'être ainsi développée en 5G par la société Zeop mobile serait d'une qualité moindre que celle que ses concurrents s'apprêteraient à proposer aux usagers, il n'est pas établi qu'un éventuel déport d'une fraction de la clientèle de Zeop mobile vers les autres opérateurs revêtirait un caractère à la fois majeur et irréversible de nature à porter, dans le délai nécessaire à l'intervention d'une décision du juge de l'excès de pouvoir, une atteinte grave à la situation de cette société ;

- qu’il n'est pas établi non plus qu'un éventuel déport d'une fraction de la clientèle de Zeop mobile vers les autres opérateurs revêtirait un caractère à la fois majeur et irréversible de nature à porter, dans le délai nécessaire à l'intervention d'une décision du juge de l'excès de pouvoir, une atteinte grave à la situation de cette société ;

- qu’enfin, si la société Zeop mobile soutient que son éventuel retard à entrer sur le marché de la téléphonie mobile de 5ème génération serait de nature à empêcher le maintien d'une concurrence effective sur le marché de la téléphonie mobile à La Réunion, elle n'établit pas que la présence de trois opérateurs concurrents sur ce marché ne serait pas suffisante pour garantir, dans les quelques mois nécessaires à l'intervention des juges du fond sur sa requête et alors que le déploiement de la 5G ne sera que progressif, l'accès des usagers à ce service à un prix raisonnable. 

(18 juillet 2022, Société Zeop Mobile, n° 465108)

 

23 - Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) - Images médicales du serveur d’un chirurgien orthopédiste librement accessibles - Existence d’une faille de sécurité informatique - Prises des mesures nécessaires dans les vingt-quatre heures par l’intéressé - Infliction d’une amende par la formation restreinte de la CNIL - Amende réduite - Rejet du surplus.

Les services de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), informés par un signalement  sur le site internet " 01net.com " de l'existence, dans différents pays, de serveurs informatiques d'imagerie médicale en libre accès, ont constaté le caractère librement accessible de ces données par des serveurs localisés en France et, après obtention de son identité et des coordonnées de ses adresses IP, ont avisé, par un courrier électronique du 8 octobre 2019, M. C., chirurgien orthopédiste, que  le contrôle en ligne effectué par la délégation de contrôle de la CNIL, avait révélé le caractère librement accessible des images médicales de ses patients à partir de l'adresse IP de son serveur. Le lendemain, M. C. a répondu avoir pris les mesures nécessaires pour mettre fin à la violation constatée.

La formation restreinte de la CNIL a, par une délibération en date du 3 décembre 2020, prononcé à l'encontre de M. C. une amende administrative de 3 000 euros au titre des manquements constatés aux articles 32 et 33 du règlement du 27 avril 2016.

M. C. a demandé l'annulation de cette délibération, il est, pour l’essentiel, débouté.

Le juge note en premier lieu que la faille de sécurité informatique qui a conduit à mettre en libre accès plus de cinq mille trois cents images médicales, assorties des nom, prénom et date de naissance des patients, de la date de réalisation de l'examen et du nom des praticiens concernés, est imputable à l'installation informatique de M. C., qui a admis avoir, d'une part, procédé à l'ouverture des ports réseaux de la « box Internet » utilisée à son domicile pour faire fonctionner son « VPN », dont il avait paramétré lui-même la fonction serveur du logiciel d'imagerie « HOROS » sans recourir à un prestataire et, d'autre part, omis de mettre en place un dispositif de chiffrement des données à caractère personnel figurant sur son disque dur externe, permettant ainsi à toute personne prenant possession de ses appareils ou s'introduisant de manière indue sur le réseau auquel ces appareils étaient raccordés de prendre connaissance de ces données.

C’est donc par une exacte application des dispositions de l’art. 32 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données que la formation restreinte de la CNIL a estimé que, eu égard à la sensibilité particulière de ces données de nature médicale, un manquement aux exigences élémentaires en matière de sécurité informatique qui incombe à tout responsable de traitement était constitué.

Il est, en deuxième lieu, relevé - et c’est un point important de la décision - que la CNIL ne saurait reprocher à l’intéressé de ne lui avoir pas notifié une violation de données à caractère personnel susceptible de faire naître un risque pour les droits et libertés des personnes physiques dès lors que c’est la CNIL l'a elle-même informé de cette violation et a engagé son contrôle sur la base des informations portées à sa connaissance par ailleurs, ainsi que rappelé plus haut.

Enfin, l’amende de 3000 euros infligée est ramenée à 2500 euros étant considérée la circonstance que le requérant s’est rendu coupable seulement d’un manquement à l’art. 32 précité.

(22 juillet 2022, M. C., n° 449694)

 

24 - Modalités de mise en œuvre  d’un dispositif expérimental par les directions générales des finances publiques et des douanes et droits indirects - Traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne - Absence d’autorisation d’une collecte généralisée et indifférenciée de données à caractère personnel - Collecte portant sur des contenus librement accessibles sur l'une des plateformes relevant du champ d'application du dispositif avec l'identité des titulaires des comptes qui les ont délibérément divulguées - Rejet.

L’association requérante demandait : 1° l’annulation du décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne ; 2° qu’injonction soit faite au ministre de l'économie, des finances et de la relance de procéder à la suppression des données traitées depuis l'entrée en vigueur de ce décret, sous astreinte de 1 024 euros par jour de retard ; 3°  que, subsidiairement, deux questions préjudicielles soient posées à la CJUE.

Aucune de ces demandes n’est accueillie, le Conseil d’État ne paraissant point ébranlé par l’énormité de moyens d’espionnage et de mise en relation des résultats, ainsi subrepticement obtenus, accordés à deux des directions du ministère des finances. En effet, l’affirmation de la prétendue accessibilité publique des données est un sophisme dès lors qu’au moment de leur mises sur Internet leurs auteurs ignoraient qu’elles pourraient être utilisées, mises en relation et confrontées à des fins de maillage fiscal, surtout, circonstance passablement aggravante, que ce régime est rétroactif puisqu’il porte sur les données présentes sur le Net sans considération de la date à laquelle elles y ont été incluses. Bref, si l’on voulait assurer de beaux jours au « darkweb » et autres complotismes télématiques, il ne fallait vraiment pas s’y prendre autrement.

Le décret litigieux, pris pour l'application de l’article 154 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, autorise ces deux directions, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, à mettre en œuvre des traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne. 

En bref, en premier lieu, par ses articles 4 et 5 le décret litigieux définit, respectivement pour la direction générale des finances publiques et pour la direction générale des douanes et droits indirects, les modalités de mise en œuvre des traitements de la phase dite d'apprentissage et de conception, dont le but consiste à développer des outils de collecte, de nettoyage et d'analyse des données afin d'identifier les titulaires des comptes et pages internet et de modéliser et d'identifier les agissements susceptibles de révéler la commission de ceux des infractions et manquements mentionnés au I de l'article 154 de la loi précitée.

En second lieu, par ses articles 6, 7 et 8 le décret litigieux définit, pour les mêmes administrations, les modalités de mise en œuvre des traitements pendant la phase dite d'exploitation, qui consiste à déployer les outils conçus lors de la première phase en vue de collecter sur les plateformes, de sélectionner et de qualifier les données pertinentes afin de recueillir des indices destinés à être exploités par les services compétents pour la recherche de ces infractions et manquements.

Selon le juge, compte tenu de la gravité des faits auxquels s’applique ce dispositif expérimental, il n’est guère douteux qu’il s’agit d’infractions pénales au sens de la directive du 27 avril 2016 et du titre III de la loi du 6 janvier 1978 aussi bien dans la phase d’apprentissage et de conception que dans celle d’exploitation décrite ci-dessus.

Enfin, sont rejetés les moyens soulevés.

D’abord est rejeté celui selon lequel le décret attaqué autoriserait une collecte généralisée et indifférenciée de données à caractère personnel car la collecte de données autorisée ne peut porter que sur les contenus qui sont librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme de mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service, à l'exclusion de contenus accessibles après saisie d'un mot de passe ou inscription sur le site et aussi parce que ces données se rapportent à la personne qui les a délibérément divulguées, ainsi que le rappelle l'article 2 du décret attaqué.

Ensuite, n’est pas, non plus, retenu le moyen tiré de l’illégalité du recueil de données d'identification des personnes concernées, traitées lors des deux phases car ce sont celles qui permettent de mettre en relation des contenus librement accessibles sur l'une des plateformes relevant du champ d'application du dispositif avec l'identité des titulaires des comptes qui les ont délibérément divulguées. Ces données peuvent ainsi porter sur l'état-civil des intéressés, le pseudonyme qu'ils utilisent, leurs coordonnées postales, téléphoniques et électroniques, ou encore le lien vers d'autres pages personnelles dont ils seraient titulaires. Contrairement à ce qui est soutenu, l'adresse postale, le numéro de téléphone et l'adresse électronique constituent des données adéquates, pertinentes et nécessaires aux fins d'identifier les personnes concernées.

Également, contrairement à ce qui est soutenu, les notions de « données d'identification » et de « données susceptibles de caractériser l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une activité illicite » sont suffisamment définies par le décret, d’où il suit qu’il ne saurait être soutenu que le décret litigieux méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme.

(22 juillet 2022, Association La Quadrature du Net, n° 451653)

Sur cette décision voir aussi le n° 16

 

Biens et Culture

 

25 - Autorisation d’occupation domaniale – Refus sur le fondement de l’existence d’un périmètre de sauvegarde et de mise en valeur – Refus devant être limité aux seules occupations modificatives de l’état des immeubles – Absence en l’espèce – Annulation.

Encourt la cassation l’arrêt d’appel jugeant que les dispositions du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune d'Aix-en-Provence sont opposables à une demande d’occupation domaniale alors qu’en l’absence de modification de l’état des immeubles (10 décembre 1993, Robert Y. et autres c /ville d’Aix-en-Provence, n° 124900) un tel plan n’est pas opposable à une demande d’autorisation d’occupation domaniale.

(5 juillet 2022, Société Ice Thé c/ ville d’Aix-en-Provence, n° 459089)

 

26 - Aliénation de parcelles d’assiette d’un chemin rural désaffecté ou de parcelles du domaine public routier déclassées – Délai de recours contentieux contre la décision d’aliénation – Point de départ – Notification de la décision d’aliénation – Impossibilité d’y substituer toute autre forme de publicité – Rejet.

Les dispositions des articles L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime pour ce qui concerne les chemins ruraux désaffectés et de l’art. L. 112-8 du code de la voirie routière s’agissant des voies du domaine public routier déclassées, ouvrent aux propriétaires riverains de ces voies mis en demeure d’acquérir ces parcelles un délai d’un mois pour s’en porter acquéreurs. Il suit de là, selon cette décision qui renverse une jurisprudence en sens contraire (6 décembre 1993, Bon, n° 82533), que le délai de recours contentieux contre une décision d'aliénation de parcelles supportant un chemin rural après sa désaffectation ou de parcelles supportant des voies du domaine public routier après leur déclassement ne peut courir, pour les propriétaires riverains qui doivent être mis en demeure d'acquérir ces parcelles en application des dispositions précitées, qu'à compter de la date à laquelle la décision d'aliénation leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée. 

(5 juillet 2022, M. C., n° 459683)

 

27 - Domaine public maritime - Convention annuelle d’occupation temporaire du domaine public portuaire - Expiration - Non-renouvellement - Mesure d’exécution du contrat - Annulation impossible par le juge administratif - Annulation.

M. B. a conclu avec la commune de Sanary un contrat d’occupation temporaire du domaine public portuaire lui permettant de bénéficier d'un poste d'amarrage dans le port de cette commune pour un bateau dont il est copropriétaire avec M. D. Informés par la commune que ce contrat ne serait pas renouvelé à l’expiration de sa durée actuelle soit après le 31 décembre 2016 et leur demande d’annulation du refus de renouvellement ayant été rejetée par le tribunal administratif, ils ont interjeté appel de ce jugement. La cour administrative d’appel, annulant ce jugement, a annulé la décision de non-renouvellement prise par la commune.

La commune se pourvoit ; le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel et règle le litige au fond en faisant application d’une solution classique du contentieux contractuel.

Il est de principe que le juge du contrat ne peut, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, que rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Il n’y a d’exception que dans le cas où une partie à un contrat administratif, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, décide de former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.

Tel n’était pas le cas en l’espèce où la commune a refusé de faire application des stipulations du contrat relatives à son renouvellement car une telle mesure d’exécution du contrat n’avait pas pour objet de mettre unilatéralement un terme à une convention en cours puisque la convention était entièrement exécutée à la date de prise d’effet de la décision de non-renouvellement.

L’arrêt d’appel était entaché d’erreur de droit, l’appel de M. B. étant irrecevable comme il vient d’être indiqué et celui de M. D., copropriétaire du bateau, l’était également puisqu’il n’était pas partie au contrat litigieux.

(13 juillet 2022, Commune de Sanary, n° 458488)

 

28 - Domaine public maritime - Zone des « cinquante pas géométriques » ou « des cinquante pas du Roi » - Concession d’occupation résiliée pour non paiement des redevances d’occupation dues - Expulsion demandée sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA - Absence d’examen du caractère utile de la demande - Ordonnance d’expulsion irrégulière - Annulation.

Une société publique locale (SPL) titulaire d'un contrat de concession pour la gestion et la valorisation du littoral balnéaire de Saint-Paul à La Réunion, a autorisé par convention deux personnes physiques ainsi que la société Zourite, alors en cours de constitution, à occuper une parcelle relevant du domaine public maritime située dans la zone dite des cinquante pas géométriques, pour y exploiter un établissement commercial.

Cette convention a été résiliée par un courrier du 11 février 2021, signifié par huissier le 19 février 2021, pour absence de paiement des redevances d'occupation dues. La SPL a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA (référé mesures utiles), d'ordonner l'expulsion des trois occupants sans titre du domaine public maritime, ce qu’elle a obtenu par une ordonnance du 12 août 2021

Les intéressés se pourvoient en cassation contre cette ordonnance et en obtiennent l’annulation car le juge des référés, alors qu’il n’avait pas à se prononcer sur l’urgence à expulser, la zone des cinquante pas géométriques étant exceptée de cette exigence par l’’art. L. 521-3-1 du CJA, ne s’est, en revanche, pas prononcé sur l’utilité de la mesure d’expulsion, contrairement aux dispositions expresses de l’art. L. 521-3 précitées.

(20 juillet 2022, MM. B. et A., et société Zourite, n° 457447)

 

29 - Domaine privé - Forêt domaniale - Contrat d’occupation - Contrat de droit privé sauf élément(s) d’exorbitance - Qualification inexacte des stipulations contractuelles - Annulation pour incompétence du juge administratif.

Les forêts domaniales de l’État constituent des dépendances du domaine privé et les contrats conclus en vue de l’occupation de parcelles sises à l’intérieur de celles-ci constituent des contrats de droit privé dont le contentieux relève du juge judiciaire sauf s’ils comporte une clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

En l’espèce, une convention entre l’ONF et le requérant avait accordé à ce dernier l’autorisation d’occuper une parcelle sise dans la forêt domaniale littorale de Saint-Philippe à La Réunion.

L’ONF ayant résilié en 2016 la convention d’occupation qui avait été conclue en 2014 pour une durée de neuf ans, son bénéficiaire a saisi le juge administratif ; il a été débouté en première instance de sa demande de reprise des relations contractuelles.

La cour administrative d’appel, saisie à son tour, s’est fondée, pour juger compétent l’ordre administratif de juridiction, sur trois motifs justifiant que le contrat en litige comprenait des clauses impliquant qu'il relève du régime des contrats administratifs.

D’abord l’art. 8 de la convention permettait à l'ONF de résilier le contrat sans indemnité ni préavis dans le cas où il déciderait d'engager une procédure de cession de cette parcelle. Ensuite, l’art. 2, d’une part, permettait à l'ONF de faire réaliser des travaux de remise en état du terrain aux frais du concessionnaire et, d'autre part, habilitait ses agents à contrôler la bonne exécution par l'intéressé des obligations qui lui incombaient. Enfin, l'art. 3 interdisait au concessionnaire d'élaguer, d'abattre ou d'enlever un arbre sans l'accord écrit de l'ONF en même temps qu’il l’autorisait à procéder à des coupes d'arbres sur le terrain et soumettait la plantation d'arbres à autorisation écrite de l'Office.

Cependant le Conseil d’État considère qu’« Aucune de ces clauses ne justifie toutefois que, dans l'intérêt général, cette convention relève du régime exorbitant des contrats administratifs. » L’imperatoria brevitas de la formulation (cf. Tacite et, plus récemment, M. Hauriou) cache mal ici sa faible vertu explicative ou démonstrative. C’est le lieu de regretter l’abandon du critère du « climat » de droit public ou du « régime de droit public » proposé par certains commissaires du gouvernement et retenu alors par la jurisprudence. Ici, en effet, l’accumulation de trois clauses aurait pu être considérée comme révélant un « climat » ou un « régime » de droit public.

(20 juillet 2022, M. C. c/ Office national des forêts (ONF), n° 457616)

 

30 - Langue française - Traduction en langue anglaise de rubriques de la carte française d’identité - Choix effectué par le premier ministre au vu d’un règlement de l’Union - Contrariété à l’art. 2 de la Constitution - Demande d’abrogation - Rejet.

Le règlement européen n° 2019/1157 du 20 juin 2019 relatif au renforcement de la sécurité des cartes d'identité des citoyens de l'Union et des documents de séjour délivrés aux citoyens de l'Union et aux membres de leur famille exerçant leur droit à la libre circulation dispose, à propos de la carte nationale d’identité, au 3. de son art. 3 : « Le document porte le titre " Carte d'identité " ou un autre intitulé national reconnu dans la ou les langues officielles de l'État membre de délivrance, ainsi que les mots " Carte d'identité " dans au moins une autre langue officielle des institutions de l'Union ».

Par ailleurs, au point 3.3 de la partie 3 du document de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) auquel renvoie l'article 3 du règlement précité, « les désignations peuvent être dans la langue officielle de l'État émetteur. (...) Si la langue officielle de l'État émetteur (...) est le français, l'anglais ou l'espagnol, l'État émetteur (...) devrait employer une des deux autres langues pour imprimer la langue de désignation (...) ». 

Ces préconisations sont présentées comme un élément de la liberté de circulation des personnes exerçant leur droit d’aller et venir entre États (cf. en ce sens le point 2 du préambule du règlement du 20 juin 2019 précité).

Appliquant ces textes, le premier ministre a indiqué aux associations requérantes, dans un courrier qu’il leur a adressé, avoir choisi l’usage de la traduction en anglais (on suppose du Royaume-Uni) des rubriques obligatoires de la nouvelle carte française d’identité.

Ces associations demandent l’annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur a rejeté leurs demandes tendant à la suppression des traductions en langue anglaise qui figurent sur les nouvelles cartes nationales d'identité.

Leurs recours joints sont rejetés.

Le juge estime que si l’art. 2 de la Constitution invoqué par les requérantes, d’une part, impose l’usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et d’autre part, interdit aux particuliers de se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français ainsi que de ne pas être contraints à un tel usage, il « n’interdit pas, en tout état de cause, l'utilisation de traductions. Il ne fait ainsi pas obstacle à ce que le titre et les désignations des rubriques qui figurent en français sur la carte nationale d'identité, laquelle permet notamment de voyager et d'entrer dans tout État membre de l'Union européenne, soient accompagnées de leur traduction dans une ou plusieurs langues étrangères ».

Par ailleurs, le juge déduit des dispositions des art. 1er, 2, 3 et 4 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qu’elles n'interdisent pas que figure sur la carte nationale d'identité, document permettant aux citoyens français notamment de voyager dans les pays de l'Union européenne, une traduction des désignations de ses rubriques.

Curieusement, à aucun moment - semble-t-il - n’a été évoquée, du côté des parties comme de celui du juge, la question de savoir si la langue française fait partie des principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France (ce que dit en substance l’art. 1er de la loi précitée de 1994) au point que sa traduction dans des documents aussi officiels et symboliques que la carte nationale d’identité y porte une atteinte aussi substantielle que possible.

Reste que selon la formule de G. Gusdorf (La Parole, Presses universitaires de France, 1952, coll. « Quadrige », 2008) : « C’est par la parole (et donc la langue) que l’homme vient au monde et que le monde vient à la pensée ».

(22 juillet 2022, Association Défense de la langue française, n° 455477 ; Association Francophonie Avenir, n° 455486, jonction)

 

31 - Détention par un particulier d’un bien appartenant au domaine public - Bien autre qu’un trésor national - Bien acquis de bonne foi - Absence de revendication par l’État jusqu’en 2018 - Restitution ordonnée - Droit à l’indemnisation de la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien - Réparation du préjudice moral et de tous autres liés au comportement irrégulier de l’administration - Quantum de l’indemnité allouée - Rejet.

L’État, lors de sa mise en vente aux enchères, a revendiqué comme lui appartenant le manuscrit des « Commentaria in Evangelium sancti Lucae » attribué à Saint-Thomas d'Aquin, acquis en 1901 par l’aïeul de M. de Villoutreys.

Celui-ci a réclamé au juge, d’une part, l’annulation de la décision refusant la délivrance de l’autorisation d’exportation d’un bien culturel autre qu’un trésor national, d’autre part, la réparation du préjudice causé par cette revendication. Si en première instance il a été débouté sur ces deux chefs de demande, en appel la cour administrative lui a donné raison sur le second de ces chefs en lui allouant une certaine indemnité très inférieure au montant de sa demande.

Le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi principal de la ministre de la culture sur le principe de l’indemnisation et d’un pourvoi incident de M. de Villoutreys portant sur l’insuffisance du quantum d’indemnisation. Ils sont tous deux rejetés.

L’appartenance de cet ouvrage au domaine public est fondée, selon le juge, sur le fait que ce bien, entré dans le patrimoine familial pour avoir été acquis en 1901 lors d’enchères publiques, faisait partie de la bibliothèque de la chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon, devenue la chartreuse d'Aubevoye, lors de l'intervention du décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 plaçant tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation. Naturellement, ce raisonnement suppose légitime au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme la spoliation ainsi réalisée, ce qui n’est pas certain.

Dès ces prémisses admises, ne pouvait être contestée la domanialité publique du bien.

Concernant le principe d’une indemnisation, le Conseil d’État est très clair et ferme.

L’art. L. 3111-1 du CGPPP qui doit être lu à la lumière de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH exige l’indemnisation du détenteur de bonne foi d’un bien appartenant au domaine public lorsqu’il est revendiqué par l’administration, cette indemnisation couvre soit la réparation du préjudice lié à la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi, soit, en l’absence d’une telle charge spéciale et exorbitante, les dépenses nécessaires à la conservation du bien que l’intéressé a pu être conduit à exposer ainsi que, en cas de faute de l'administration, à l'indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute. La cour n’a pas commis d’erreur de droit en reconnaissant à M. de Villoutreys ce droit à réparation dans les circonstances de l’espèce en y voyant une charge « excessive » et non une charge « exorbitante », les deux termes s’équivalant quant au régime d’indemnisation applicable.

La cour n’a pas, non plus, commis une erreur de qualification juridique en apercevant ici dans la privation de l'intérêt patrimonial à jouir de ce manuscrit une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi, compte tenu des circonstances de l’espèce, notamment de la durée et des conditions de détention de bonne foi du manuscrit par la famille du requérant, ainsi que de l'attitude des pouvoirs publics qui n'en ont jamais revendiqué la propriété jusqu'à la vente aux enchères de 2018, alors qu'ils en avaient eu la possibilité au moins depuis la signature de la convention de dépôt aux archives départementales de Maine-et-Loire en 1991.

Enfin, la cour ne s’est pas méprise sur l’existence d’un préjudice moral dont la réparation est d’ailleurs incluse dans celle de la charge spéciale et exorbitante.

Concernant le montant de l’indemnisation allouée, le juge considère d’abord que le montant réclamé par le demandeur incident est excessif dès lors qu’il ne pouvait être propriétaire d’un bien appartenant au domaine public et d’autre part, que la somme fixée par la cour l’a été en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation et sans dénaturation des faits ou des pièces.

(22 juillet 2022, ministre de la culture et M. de Villoutreys, n° 458590)

 

Collectivités territoriales

 

32 - Attribution d’indemnités aux conseillers municipaux – Exercice effectif de leurs fonctions ou de délégations reçues du maire – Plafond légal – Calcul du plafond – Rejet.

Les dispositions combinées, d’une part, des art. L. 2122-18 et L. 2122-20 du CGCT et d’autre part, des art. L. 2123-20, L. 2123-23, L. 2323-24 de ce même code, fixent le plafond des indemnités maximales que, dans les communes de moins de 100 000 habitants, le conseil municipal peut décider d'attribuer à des conseillers municipaux soit pour l'exercice effectif de leurs fonctions soit à raison d'une délégation reçue du maire. Ce plafond (cf. le II de l’art. L. 2123-24), est constitué du montant total des indemnités maximales, hors majoration, susceptibles d'être allouées au maire et aux adjoints, telles qu’elles résultent de l’art. L. 2123-23 et du I de l'article L. 2123-24 précités. 

En l’espèce, une cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé tout d’abord que le nombre d'adjoints devant être pris en compte dans le calcul du plafond susmentionné correspondait au nombre d'adjoints exerçant effectivement leurs fonctions et non au nombre d'adjoints désignés en début de mandat en application des dispositions de l'article L. 2122-2 du CGCT.

Elle est également approuvée d’avoir jugé que la détermination de ce plafond ne pouvait inclure de conseillers municipaux, fussent-ils délégataires de fonctions précédemment exercées par un adjoint au maire.

Si des indemnités peuvent bien être versées à la fois à des conseillers municipaux et à des adjoints, le plafond légal à ne pas dépasser est, lui, déterminé par le seul effectif composé du maire et des adjoints.

(1er juillet 2022, M. D. et autres, n° 452223)

 

33 - Changement de nom des communes - Autorité compétente pour le décider - Régime différent pour les communes nouvelles et pour les communes existantes - Refus de transmettre une QPC.

Un arrêté préfectoral décide de donner à la commune nouvelle issue du rapprochement des anciennes communes de La Chapelle-Basse-Mer et de Barbechat, le nom de Divatte-sur-Loire. Il est attaqué en vain en première instance et en appel. Le juge de cassation confirme la décision des premiers juges et y ajoute le refus de transmettre une QPC.

Auparavant, il nous semble nécessaire de relever l'étrangeté d'un régime juridique faisant intervenir l'État pour décider du changement ou de l'attribution du nom d'une commune alors que dans un État démocratique et décentralisé il semble qu'une telle compétence exercée sous la forme du pouvoir de nommer appartient aux habitants concernés sous forme référendaire précédé d'une enquête publique de présentation et de défense des noms proposés par eux.

Ceci étant dit, le régime légal prévoit, aussi bien lorsque les communes concernées sont en désaccord ou lorsqu’elles ont pris des délibérations concordantes, la compétence exclusive du préfet pour déterminer le nom de la commune nouvelle (cf. art. L. 2311-6 CGCT) ce qui conduit à s'interroger sur l'utilité de consulter lesdites communes.

Par ailleurs l'art. L. 2111-1 du CGCT prévoit que, hormis le cas d'une modification des limites territoriales des communes, le changement de nom d'une commune est décidé par décret en Conseil d'État, sur demande du conseil municipal et après consultation du conseil départemental.

Le Conseil d'État n'aperçoit en la matière aucune atteinte au principe d'égalité au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales ni, non plus mais ceci n'était pas invoqué, au principe de libre administration et rejette donc la demande de transmission d'une QPC.

On a vu solution plus respectueuse de la décentralisation et de l'identité inhérente aux collectivités locales, surtout les communes.

(7 juillet 2020, Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres, n° 460445)

 

34 - Contribution au redressement des finances publiques - Détermination - Cas où une intercommunalité intègre une commune nouvelle issue d’une fusion des communes constituant alors une communauté de communes - Minoration de la dotation d’intercommunalité servie à l’ancienne communautés de communes - QPC - Rejet.

La communauté de communes requérante, créée à compter du 1er janvier 2017, intègre dans son périmètre la commune nouvelle de Charny-Orée-de-Puisaye, créée au 1er janvier 2016 par fusion des communes composant l'ancienne communauté de communes de l'Orée de Puisaye. La communauté de communes a contesté en vain, en première instance et en appel, la décision préfectorale lui notifiant le montant de la dotation d'intercommunalité pour l'année 2017 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Dans le présent litige, elle conteste le montant de la dotation d'intercommunalité qui lui a été attribué au titre de l'année 2017, d'une part, et de l'année 2018, d'autre part, et plus spécifiquement le calcul de la minoration de cette dotation au titre de la contribution au redressement des finances publiques. 

Elle soulève à l’appui de cette demande une QPC tirée de la question de la conformité à l'article 13 de la Déclaration de 1789 des art. L. 2113-20 et L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 en ce que le législateur a méconnu sa compétence en s'abstenant de définir les dispositions permettant de faire obstacle à la double prise en compte, au titre de la détermination de la contribution au redressement des finances publiques, des recettes réelles de fonctionnement d'une communauté de communes devenue commune nouvelle entre l'arrêt des comptes de gestion et l'année de répartition.

La requérante estime que le législateur a méconnu sa compétence en s'abstenant de définir les dispositions permettant de faire obstacle, dans l'hypothèse où - comme en l’espèce - une communauté de communes a intégré dans son périmètre, au moment de sa création, une commune nouvelle, elle-même issue de la fusion des communes constituant une ancienne communauté de communes, à la double prise en compte, au titre de la détermination de la contribution au redressement des finances publiques due par la nouvelle communauté de communes, de la minoration de la  dotation d'intercommunalité servie à l'ancienne communauté de communes, et soutient que cette double prise en compte méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques.

La demande de transmission est d’abord rejetée car le dispositif organisé par l’art. L. 5211-28  du CGCT n’aboutit pas, pour une année donnée, contrairement à ce qui est soutenu, à intégrer deux fois les recettes de l'ancien établissement intercommunal lors de l'année de référence, et impose au contraire, année après année, de tenir compte, dans le calcul des parts afférentes à chaque commune concernée, d'un éventuel changement d'appartenance, au cours des années de référence, des communes concernées. Il ne conduit donc pas à tenir compte deux fois des recettes réelles de fonctionnement de cet ancien établissement public de coopération intercommunal.

Cette demande de transmission est également rejetée s’agissant de la minoration de la dotation d'intercommunalité des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au titre de la contribution au redressement des finances publiques prévue par l'article L. 5211-28 du CGCT. Cette dernière est, en effet, distincte de la minoration de la dotation forfaitaire des communes au titre de la contribution au redressement des finances publiques, telle que prévue par l'article L. 2334-7-3 du même code, applicable aux communes nouvelles dans les conditions prévues par l'article L. 2113-1 de ce code, et la circonstance que les ressources de la commune nouvelle soient éventuellement réduites à raison de la minoration de la dotation d'intercommunalité de la communauté des communes à laquelle elle s'est substituée est, outre que cette commune nouvelle est, pendant les trois années suivant sa création, dispensée de contribution au redressement des finances publiques, sans incidence sur le calcul de la contribution au redressement des finances publiques assumée par la communauté de communes nouvelle, déterminée sur la base de ses propres recettes réelles de fonctionnement.

Par suite, la requérante ne saurait utilement soutenir que cet établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre nouveau est conduit à assumer doublement la contribution au redressement des finances publiques. 

(18 juillet 2022, Communauté de communes de Puisaye-Forterre, n° 460810 et n° 460811)

 

35 - Nouvelle-Calédonie - Autorisation d’abattage de requins-tigres - Autorité compétente - Compétence des provinces - Avis rendu en ce sens.

Les associations requérantes ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision d'autorisation d'abattage de requins-tigres prise conjointement par la présidente de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie et la maire de Nouméa. 

La cour administrative d’appel a renvoyé au Conseil d’État, pour avis, sur le fondement de l'article 205 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, la question de savoir si, au regard des règles de compétences déterminées par les articles 20, 22 (10e) et 46 de cette loi, les provinces sont compétentes et, le cas échéant, dans quelles conditions, en matière de destruction des spécimens appartenant à des espèces marines protégées susceptibles de se déplacer indifféremment dans la zone économique exclusive et dans les eaux de la mer territoriale.

Le juge régulateur suprême déduit de l’ensemble des dispositions applicables qu'en Nouvelle-Calédonie les provinces sont compétentes pour établir la liste des espèces animales qu'elles entendent protéger et réglementer, dans les eaux intérieures, telles que définies par l'article 46 de la loi organique du 19 mars 1999, et dans les eaux surjacentes de la mer territoriale, les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux interdictions qu'elles édictent dans le cadre de cette protection, y compris s'agissant d'espèces animales qui se déplacent également dans la zone économique exclusive.

(Avis, 18 juillet 2022, Association Ensemble pour la planète et association Sea Shepherd Nouvelle-Calédonie, n° 462434)

(36) V. aussi, allant dans le même sens, constatant que la préservation de l'environnement n'étant pas au nombre des compétences attribuées respectivement à l'État ou à la Nouvelle-Calédonie par les articles 21 et 22 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et aucune disposition de la législation applicable en Nouvelle-Calédonie ne confiant cette compétence aux communes, d’où résulte la compétence des provinces en cette matière : avis, 18 juillet 2022, Haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie, n° 462438.

 

37 - Participation spécifique pour la réalisation d'équipements exceptionnels (art. L. 332-8 c. urb.) - Émission de titres de perception en vue du paiement de cette participation - Régime contentieux de la contestation de ces titres - exception de chose jugée - Erreur de droit - Annulation.

(22 juillet 2022, Communauté de communes « Rives de Moselle », n° 443366)

V. n° 108

 

38 - Établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre - Dotation globale de fonctionnement (DGF) - Composante de cette dotation - Dotation d’intercommunalité attribuée individuellement - III de l’article L. 5211-28 du CGCT - Atteinte aux principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques, de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales - Rejet de la demande de transmission de la QPC.

L’établissement public requérant soulève une QPC au soutien de son recours en annulation de l'arrêté ministériel qui lui a notifié pour l'exercice 2021 son attribution individuelle au titre des composantes de la dotation globale de fonctionnement en application de l'article L. 1613-5-1 du CGCT, en tant que cet arrêté ne lui accorde aucune somme au titre de la dotation d'intercommunalité.

Le Conseil d’État rejette l’exception d’inconstitutionnalité, refusant ainsi la demande de transmission d’une QPC.

En premier lieu, il est jugé qu’en conditionnant le versement d’un complément de dotation d’intercommunalité à un indicateur de ressource fiscale apprécié comparativement à la moyenne des établissements de la même catégorie, et en distinguant ainsi entre catégories d'établissements publics de coopération intercommunale, lesquelles sont placées dans des situations différentes, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel en rapport direct avec l'objet de la loi. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, le montant des attributions individuelles de dotation d'intercommunalité n'est pas sans rapport avec les niveaux de potentiel fiscal et de coefficient d'intégration fiscale, qui s'appliquent, aux côtés d'un indicateur tiré du revenu par habitant, pour le calcul du montant des attributions de tous les établissements publics de coopération intercommunale éligibles à la dotation d'intercommunalité et qui permettent de tenir compte du niveau d'intégration intercommunale et du niveau des ressources fiscales de l'établissement.
Ainsi se trouvent rejetés les moyens tirés de l’atteinte qui aurait été portée aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques.

En second lieu, si la requérante invoque la perte financière qui résulte pour elle de l'absence de versement en 2021 d'une somme au titre de la dotation d'intercommunalité et qui aurait eu pour conséquence la dégradation de sa capacité d'autofinancement brute, elle ne démontre pas que cette perte financière serait d'une ampleur telle qu'elle serait susceptible d'entraver sa libre administration ou de porter atteinte à son autonomie financière.

Cette décision donne une interprétation aussi stricte que possible de textes déjà peu amènes en matière de décentralisation, le critère de l’autonomie financière étant le seul indicateur pertinent du degré de décentralisation car tout le reste est littérature, tout exercice d’une compétence ayant un coût. La jurisprudence des deux ailes du Palais-Royal réalise depuis plusieurs décennies une saisissante dégradation de la décentralisation en France.

(22 juillet 2022, Communauté de communes Chinon Vienne et Loire, n° 464270)

 

39 - Fusion entre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - EPCI en situations différentes au regard de leurs régimes de fiscalité professionnelle - EPCI soumis au régime fiscal de la fiscalité professionnelle unique et EPCI soumis au régime de la fiscalité additionnelle - Compensation de la suppression de la taxe d’habitation - Mécanisme dit de « débasage / rebasage » de la part communale du taux de taxe d'habitation - Versement d'attributions de compensation aux communes concernées par l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle (cf. le V. de l’art. 1609 nonies C du CGI) - Atteinte au principe constitutionnel principe d'égalité devant la loi - Question présentant un caractère sérieux - Transmission d’une QPC.

Les données de ce litige sont un peu complexes dans leur technicité.

À leur origine se trouve la suppression progressive de la taxe d’habitation et l’institution d’un mécanisme compensatoire pour les collectivités territoriales par l’art. 16 (en ses points IV et V) de la loi de finances du 28 décembre 2019 dans la version qui lui a été donnée par la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

Le a du 1° du A du IV de cet article ayant déjà été déclaré contraire à la Constitution (déc. n° 2021-982 QPC du 17 mars 2022), il s’ensuit que la QPC soulevée à ce sujet est devenue sans objet dès lors que la requérante ne conteste aucune autre des dispositions de ce IV ; ne reste donc à examiner que la constitutionnalité du V.

La difficulté venait ici du cas où s’est opérée après 2017 (année de début de la suppression progressive de la taxe d’habitation) une fusion entre deux catégories différentes d’EPCI, l’un à fiscalité propre et donc soumis à l’art. 1609 nonies C du CGI et l’autre qui est soit un EPCI à fiscalité propre additionnelle faisant ou non application des dispositions de l’art. 1609 quinquies du CGI soit un EPCI sans fiscalité propre.

Lorsque le nouvel EPCI est issu d’une fusion réalisée dans les conditions prévues par l'article L.5211-41-3 du CGCT, il est soumis de plein droit au régime prévu par ces mêmes dispositions que cette fusion soit réalisée entre EPCI à fiscalité propre ou entre EPCI relevant de régimes fiscaux différents l’un de l’autre.

Par suite et par l’effet des dispositions de l'article 1638-0 bis du CGI, le nouvel EPCI, soumis désormais au régime de la fiscalité professionnelle unique, se voit appliquer le mécanisme dit de « débasage / rebasage » de la part communale du taux de taxe d'habitation issu de la réforme de la taxe professionnelle, sur le territoire de l'ancien établissement public de coopération intercommunale à fiscalité additionnelle.

Le V de l'article 1609 nonies C du CGI prévoit en ce cas le versement d'attributions de compensation par l'établissement public de coopération intercommunale aux communes concernées. 

Là surgit le problème.

Le nouvel EPCI - comme il vient d’être indiqué - verse aux communes issues de l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle des attributions de compensation au titre du « débasage / rebasage » du taux de taxe d'habitation postérieur à 2017, alors que la compensation à l’EPCI de la perte de ressources induite par la suppression de la taxe d'habitation se fonde sur les taux de taxe d'habitation de 2017 antérieurs au « débasage / rebasage ». Il se comprend ainsi aisément que le nouvel EPCI issu d'une fusion postérieure à 2017 subit une perte de ressources équivalente au gain dont bénéficient les communes membres de l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle.

Le juge en déduit donc que présente un caractère sérieux la question de savoir s’il est, par-là, porté atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et qu’est ainsi justifiée la transmission d’une QPC relative au V. de l'article 16 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

(22 juillet 2022, Communauté d'agglomération Vienne Condrieu Agglomération, n° 464934)

 

40 - Traitement et élimination des déchets - Commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs - Compétence réglementaire - Composition des collèges - Collège des collectivités territoriales - Rejet.

Était demandée l’annulation du décret du 12 octobre 2020 relatif à la commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs pris pour l’application des dispositions de l’art. L. 541-10 du code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, dès lors que le pouvoir réglementaire, par le décret attaqué relatif à la  commission inter-filières, d’une part, s'est borné à préciser la composition, les modalités de fonctionnement et les missions d'une commission administrative à caractère consultatif chargée de rendre des avis sur certains aspects du dispositif de responsabilité élargie des producteurs prévu à l'article L. 541-10 du code de l'environnement et d’autre part n’a eu ni pour objet, ni pour effet de préciser les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement, ni de définir les conditions de la prévention des atteintes à l'environnement ou de la limitation de leurs conséquences, ni de mettre en cause un principe relevant du domaine de la loi, il ne saurait être soutenu que le décret attaqué a empiété sur le domaine de la loi.

Ensuite, la composition de la commission en cinq collèges n’est pas critiquable. Spécialement s’agissant du collège des collectivités territoriales, le juge rappelle que le principe de représentativité, principe général du droit applicable à l'ensemble des relations collectives de travail, ne peut être utilement invoqué s'agissant de la composition de l'un des collèges d'une instance administrative consultative dont l'objet est d'assurer la représentation des collectivités territoriales. En outre, si les syndicats mixtes peuvent être constitués, en application des articles L. 5711-1 et L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales, de collectivités territoriales, de groupements de telles collectivités et d'autres personnes morales de droit public, ils ne constituent pas des collectivités territoriales de la République au sens de l'article 72 de la Constitution.

Enfin, compte tenu de la mission confiée à la commission inter-filières, le pouvoir réglementaire n'a pas entaché son appréciation d'erreur manifeste en retenant la composition du collège des collectivités territoriales comme il l’a fait et en ne prévoyant pas, au sein de celui-ci, une représentation des syndicats mixtes chargés de la gestion des déchets ménagers distincte de celles des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale qui y sont associés. 

(28 juillet 2022, Syndicat mixte d'élimination et de valorisation des déchets (Symevad), Syndicat mixte pour la valorisation des déchets du pays d'Avignon (Sidomra), Syndicat intercommunal Ain traitement et valorisation des déchets ménagers (Organom), Smictom Valcobreizh, et Syctom (Agence métropolitaine des déchets ménagers), n° 447834)

 

Contrats

 

41 - Domaine public maritime - Convention annuelle d’occupation temporaire du domaine public portuaire - Expiration - Non-renouvellement - Mesure d’exécution du contrat - Annulation impossible par le juge administratif - Annulation.

(13 juillet 2022, Commune de Sanary, n° 458488)

V. n° 27

 

42 - Concession de plage naturelle et sous-traités de concession du service public balnéaire - Intangibilité du règlement de la consultation en vue d’une délégation de la gestion du service public - Irrégularité affectant une candidature à une offre - Conséquences - Erreur de droit - Annulation.

La commune du Lavandou, concessionnaire de la plage naturelle de Saint-Clair, a organisé une procédure de mise en concurrence en vue de l’attribution de sous-traités de délégation de la gestion du service public balnéaire. L’un des lots a été attribué à une société et la commune a informé M. A. et sa société du rejet de sa candidature à raison du caractère irrégulier de son offre.

Celui-ci a demandé en justice la réparation du préjudice résultant de son éviction qu’il estimait irrégulière.

Le tribunal administratif lui a accordé cette réparation tandis que la cour administrative, sur l’appel de la commune, a, avant-dire droit, ordonné une expertise pour déterminer le montant du bénéfice que M. A. aurait réalisé au cours de la période concernée, après avoir jugé que si le projet de sous-traité soumis à la commune du Lavandou par M. A. ne comportait pas le nom du candidat ni le montant de la redevance proposée, ces omissions  ne rendaient pas sa candidature irrégulière car l'identité du candidat ressortait de la lettre de présentation de la candidature, tandis que le montant de la redevance était énoncé dans une fiche distincte figurant au dossier. 

La commune se pourvoit contre cet arrêt.

Pour prononcer l’annulation de cet arrêt pour erreur de droit, le Conseil d’État reproche à celui-ci de n’avoir pas recherché si les exigences non satisfaites par le requérant étaient manifestement dépourvues de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si leur méconnaissance résultait d'une erreur purement matérielle.

Le Conseil d’État ayant décidé de régler l’affaire au fond (cf. art. L. 821-1 CJA), celui-ci  rappelle d’abord la ligne générale selon laquelle il exerce son contrôle en la matière, précisant, complétant et renforçant les solutions antérieurement adoptées par les mêmes deux chambres réunies (21 septembre 2011, Département des Hauts-de-Seine, n° 349149, rec. Lebon p. 443 ; 28 mars 2022, Commune de Ramatuelle et Société Tropezina Beach Development, n° 454341 et 454896, cf. cette Chronique, mars 2022, n° 24).

« Le règlement de la consultation prévu par une autorité délégante pour la passation d'une délégation de service public est obligatoire dans toutes ses mentions. L'autorité délégante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d'une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue. »

Appliquée au cas de l’espèce, cette ligne générale conduit le juge à estimer que les informations omises « étaient nécessaires à l'autorité délégante pour s'assurer de l'identité de la personne avec laquelle elle contracterait, et ne peuvent, dès lors, être regardées comme ayant été manifestement inutiles. En outre, l'omission en cause ne saurait être regardée comme une erreur purement matérielle, aucune des informations relatives à l'identité du titulaire de la concession n'ayant été renseignée dans le projet de contrat. Par suite, (…) la commune ne pouvait attribuer le contrat à un candidat qui n'avait pas respecté une des exigences imposées par le règlement de consultation. »

On avouera ne pas partager une solution excessive au regard des éléments relevés par la cour administrative d’appel concernant la fourniture de ces éléments dans les autres pièces du dossier. Notre réticence est d’autant plus renforcée à la lecture de ce qui suit : « Si M. A. soutient, par ailleurs, que la commune du Lavandou aurait méconnu le principe d'égalité en ne l'invitant pas à régulariser sa candidature, contrairement à celles de candidats à l'attribution des lots n°s 2 et 9 de la même plage, il ne peut utilement se prévaloir de cette circonstance qui intéresse la procédure de passation d'autres lots. Il s'ensuit que la commune, qui n'était pas tenue de demander la régularisation de sa candidature, devait l'écarter comme irrégulière. ». N’existe-t-il pas un principe de loyauté contractuelle carillonné il y a une décennie par le juge administratif ? Que devient-il ici ?

Naturellement, est annulée, en conséquence et pour faire bonne mesure, l’indemnisation allouée en appel.

(20 juillet 2022, Commune du Lavandou, n° 458427)

 

43 - Procédure de mise en concurrence avec négociation en vue de l'attribution d'un accord-cadre - Renouvellement du système de billetterie d’un réseau de transports publics - Rejet d’une offre - Demande d’indemnisation - Invocation de l’irrégularité d’une offre adverse en raison des délais d’exécution prévus par elle - Vice jugé sans effet sur l’offre évincée - Erreur de droit - Annulation.

La société Flowbird, requérant, a demandé en vain, en première instance et en appel, l'annulation, ou à défaut la résiliation, de l'accord-cadre conclu par le syndicat mixte des transports Artois-Gohelle avec la société AEP Ticketing Solutions portant sur le renouvellement de la billettique du réseau Tadao et le développement de l'interopérabilité avec le support régional " C. " et, d'autre part, la condamnation du syndicat mixte à lui verser la somme de 1 631 076,50 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts en réparation des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure d'attribution de l'accord-cadre. 

La société soutient que l’attribution de l’accord-cadre à sa concurrente est illégale en raison de ce que son offre prévoyait des délais d’exécution excédant ceux prévus par les documents de la consultation publique.

Pour rejeter cette argumentation au soutien de la demande d’indemnisation, la cour administrative d’appel a jugé que la demanderesse n'était pas susceptible d'avoir été affectée par un tel vice dès lors qu'elle avait obtenu la note maximale pour le sous-critère concernant le calendrier prévisionnel d'exécution.

Ce jugeant, la cour a évidemment commis une erreur de droit car le manquement en cause était bien en rapport direct avec l'éviction de la société Flowbird, dont ni la candidature ni l'offre n'ont été jugées irrégulières. La cassation est prononcée avec renvoi à la cour.

(21 juillet 2022, Société Flowbird, n° 456472)

 

44 - Compétence juridictionnelle - Offre adressée par l’assureur d’un établissement public - Remboursement à un tiers payeur des prestations faisant l’objet d’une déduction du montant de cette offre - Obligation de réparer pesant sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance le liant à l’établissement public - Nature juridique de ce contrat - Contrat administratif - Compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

(21 juillet 2022, Hospices civils de Lyon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n° 449789)

V. n° 68

 

Droit du contentieux administratif

 

45 - Effet normalement rétroactif des annulations prononcées par le juge administratif – Faculté de moduler dans le temps les effets de ces annulations – Pouvoir souverain des juges du fond sauf dénaturation – Rejet.

Le Conseil d’État précise avec beaucoup de netteté que la faculté de modulation des effets des annulations qu’il prononce reconnu au juge administratif relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond sous réserve, le cas échéant, d’une dénaturation.

(1er juillet 2022, M. D. et autres, n° 452223)

V., pour un autre aspect de cette décision, le n° 32

 

46 - Covid-19 – État d’urgence sanitaire - Dispositions procédurales particulières en matière de notification des jugements et arrêts – Absence d’effets sur la prolongation du délai d’appel pour les justiciables résidant à l’étranger – Erreur de droit – Annulation.

Les dispositions de l'article 6 du décret du 18 novembre 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif durant l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020, qui simplifient et accélèrent la notification des décisions de justice, n'ont eu ni pour objet, ni pour effet de modifier le délai de quatre mois imparti aux parties qui demeurent à l'étranger pour former un appel contre les décisions des tribunaux administratifs.

Commet ainsi une erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge tardif l’appel interjeté le 21 avril 2021 contre une ordonnance du tribunal administratif notifiée au mandataire du requérant au moyen de l'application informatique Télécours le 5 janvier 2021, alors que s’agissant d’un requérant résidant en Suisse, celui-ci disposait de quatre mois pour saisir la cour administrative d’appel soit jusqu’au 6 mai 2021 inclus. L’ordonnance est annulée.

(1er juillet 2022, Etablissement fédéral de la confédération helvétique Compenswiss, n° 459623)

 

47 - Référé suspension – Demande dirigée contre un décret – Condition d’urgence ne résultant pas de ce décret mais de la loi – Mesures transitoires – Absence d’atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale – Rejet.

Les deux fédérations requérantes demandaient la suspension de l'exécution, d'une part, du dernier alinéa de l'article 1er du décret du 29 avril 2022 relatif à l'information du consommateur sur les qualités et caractéristiques environnementales des produits générateurs de déchets, insérant dans le code de l'environnement un article R. 541-223 aux termes duquel il est interdit de faire figurer sur un produit ou un emballage, neuf à destination du consommateur, les mentions « biodégradable », « respectueux de l'environnement » ou toute autre allégation environnementale équivalente et, d'autre part, du III de l'article 3 de ce même décret, en tant qu'il prévoit que les dispositions de l'article R. 541-223 entrent en vigueur au lendemain du jour de la publication de ce décret.

La requête est rejetée en premier lieu en l’absence d’urgence attachée au décret attaqué puisque l’interdiction qu’il réitère trouve son fondement dans les dispositions de l'article L. 541-9-1 du code de l'environnement, ce décret ne crée ainsi pas par lui-même une situation d’urgence. Cet argument est spécieux puisque cet article législatif renvoie expressément à un décret d’application preuve qu’il n’est pas directement applicable par lui-même et qu’ainsi seul le règlement d’application crée concrètement la situation d’urgence.

La requête est rejetée en second lieu sur le constat que le dernier alinéa du III de l’art. 3 du décret du 29 avril 2022, prévoit des dispositions transitoires afin de permettre jusqu'au 1er janvier 2023 l'écoulement des stocks d'emballages fabriqués avant l'entrée en vigueur de l'interdiction d'apposer les mentions précitées. Ainsi, ne saurait, de ce chef, être caractérisée une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts en cause.

(1er juillet 2022, Fédération de l'hygiène et de l'entretien responsable et Fédération des entreprises de la beauté, n° 465005)

 

48 - Composition de la juridiction – Juridiction statuant sur renvoi après cassation – Cas où le jugement cassé a été rendu par un seul juge – Circonstance n’empêchant pas de statuer en formation collégiale pour juger après cassation – Rejet.

A la différence des juridictions judiciaires civiles où le juge unique peut constituer à lui seul une juridiction autonome, le juge administratif, dans les affaires où il peut statuer seul, n’est jamais organiquement détaché de la formation juridictionnelle à laquelle il appartient. Cela permet de juger sous forme collégiale toutes les affaires.

Ceci a pour conséquence qu’en cas de cassation d’un jugement rendu par un juge administratif statuant seul, la formation à laquelle est renvoyé, le cas échéant, le jugement de l’affaire, peut toujours être une formation collégiale (cf. art. R. 222-19 CJA).

C’est pourquoi, à strictement et correctement parler, afin de respecter la différence statutaire et organique entre les deux hypothèses, civile et administrative, il vaut mieux réserver l’expression « juge unique » à l’ordre judiciaire de juridiction et celle de « juge statuant seul » à l’ordre juridictionnel administratif.

(5 juillet 2022, M. B., n° 449112)

 

49 - Chirurgiens-dentistes – Demande d’inscription d’une société d’exercice libéral à responsabilité (SELAS) au tableau de l’Ordre - Refus implicite – Demande de suspension en référé – Rejet.

(ord. réf. 5 juillet 2022, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELAS) « Cabinet 158 Croix Nivert » et Société de participation financière de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France, n° 465022)

V. n° 254

 

50 - Contentieux sociaux – Régime particulier – Office spécial du juge – Application au contentieux de l'inscription par Pôle emploi sur la liste des demandeurs d'emploi – Annulation pour méconnaissance par le juge de son office.

On sait qu’en raison du public concerné par les contentieux sociaux et de la finalité attachée à ceux-ci, le code de justice administrative et la jurisprudence administrative imposent au juge saisi un office à la fois étendu et singulièrement orienté.

Ici, où était en cause le refus de Pôle emploi d’inscrire une personne sur la liste des demandeurs d'emploi au motif qu'elle ne disposait pas d'un titre de séjour en cours de validité figurant sur la liste limitative des titres ouvrant droit à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi telle que définie par l’art. R 5221-48 du code du travail, le juge saisi d’un pourvoi rappelle d’abord sa ligne générale de conduite et de traitement des contentieux sociaux et en fait application à l’espèce pour annuler le jugement querellé devant lui.

Tout d’abord, c’est le rappel de l’office du juge dans les contentieux sociaux.

« Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. »

Le litige portant sur le droit à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi, le juge indique que c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer.

Ensuite, pour annuler le jugement pour méconnaissance de son office, le Conseil d’État retient que pour opposer l’irrecevabilité de sa demande à la requérante le juge du premier degré a estimé qu’il lui était demandé d'examiner ses droits à inscription sur la liste des demandeurs d'emploi et a jugé que les recours dirigés contre les décisions de Pôle emploi relatives à l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi n'étaient pas au nombre de ceux pour lesquels il appartient au juge administratif d'examiner les droits de l'intéressé en qualité de juge de plein contentieux et qu'il lui revenait en conséquence d'y statuer comme juge de l'excès de pouvoir, ce dont il a déduit que les conclusions de la requérante devaient être regardées comme tendant à titre principal à ce qu'il prononce une injonction.

La cassation du jugement est prononcée pour méconnaissance par son auteur de son office particulier s’agissant d’un contentieux social.

(7 juillet 2022, Mme B., n° 454955)

 

51 - Droit de l’urbanisme – Requête en annulation d’une autorisation d’extension d’une maison d’habitation – Mémoire opposant une fin de non-recevoir - Irrecevabilité manifeste opposée en conséquence – Erreur de droit – Annulation.

Les requérants ont demandé l’annulation d’un permis de construire délivré en vue de l’extension d’une maison d’habitation. Les pétitionnaires défendeurs soulèvent en cours d’instance devant le tribunal administratif une fin de non-recevoir tirée de ce que les demandeurs ne justifiaient pas de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article R. 600-1 c. urb. consistant en l’obligation de notifier leur recours au titulaire de l'autorisation de construire. Ce mémoire en défense a été communiqué aux demandeurs avec demande de réponse « dans les meilleurs délais » ainsi que, postérieurement, le mémoire des défendeurs demandant le rejet de la requête pour irrecevabilité manifeste avec réponse éventuelle attendue « dans les meilleurs délais ». Puis, se fondant sur les dispositions du 4° de l’art. R. 222-1 CJA, un président de chambre du tribunal a rejeté la requête comme manifestement irrecevable. Dans les deux cas ne figurait ni une date limite pour une réponse ni une invitation à régulariser ni l’indication des conséquences pouvant s’attacher à l’absence de régularisation.

Cette ordonnance est annulée pour erreur de droit, ce qui donne l’occasion au Conseil d’État de rappeler le régime juridique et procédural des ordonnances rejetant les requêtes manifestement irrecevables résultant des art. R. 612-1 et R. 222-1 CJA.

« Les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance en application de ces dernières dispositions sont, d'une part, celles dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte, d'autre part, celles qui ne peuvent être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours, si ce délai est expiré et, enfin, celles qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation comme l'exige l'article R. 612-1 du code de justice administrative, est expiré. En revanche, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non-recevoir. En pareil cas, à moins que son auteur n'ait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l'article R. 612-1 du code de justice administrative, la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une décision prise après audience publique. »

Ainsi est marquée toute la différence séparant une justice simplificatrice et rapide d’une justice expéditive.

(7 juillet 2022, M. et Mme I., n° 456370)

 

52 - Demandes d'injonctions à adresser à un directeur du ministère de la justice - Demandes manifestement irrecevables - Rejet.

Ne relève manifestement pas de la compétence du Conseil d'État la demande en référé liberté tendant à voir le juge des référés de cette juridiction prononcer diverses injonctions, adressées notamment au directeur du service d'accès au droit et à la justice et d'aide aux victimes du ministère de la justice, en rapport au droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle dont se prévaut le demandeur.

(ord. réf. 4 juillet 2022, M. B., n° 462274)

(53) V. aussi pour un identique rejet de la même requête : ord. réf. 4 juillet 2022, Mme A. épouse C., n° 465276.

(54) V. encore, comparable en ce qu’il juge manifestement irrecevable le référé liberté tendant à voir le juge administratif ordonner des injonctions notamment au bâtonnier du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lyon, en rapport à une convocation en justice le concernant, devant le tribunal judiciaire de Lyon, datant du 10 mars 2022 : ord. réf. 22 août 2022, M. B., n° 466839.

 

55 - Référé liberté - Obligation pour le demandeur d'établir les circonstances particulières justifiant que le juge statue à bref délai - Insuffisance de la seule atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

Les sociétés requérantes poursuivaient l'annulation d'un arrêté municipal prescrivant la fermeture des établissements du type épiceries de nuit de 22 heures à 6 heures du jeudi au dimanche inclus pour la période courant du 1er juin au 30 septembre et durant les périodes des congés scolaires de printemps et de la Toussaint.

Leur action en référé liberté ayant été rejetée en première instance, ces sociétés forment appel devant le Conseil d'État.

C'est pour lui l'occasion de rappeler une nouvelle fois qu'il est deux conditions à réunir pour succéder en référé liberté : l'atteinte à une liberté fondamentale et la démonstration que les circonstances imposent au juge de décider de mesures applicables et efficaces dans le bref délai de quarante-huit heures. L'absence de l'une de ces deux conditions entraîne toujours l'insuccès de la procédure de l'art. L. 521-2 du CJA.

L'ordonnance du premier juge est confirmée car son auteur a relevé à bon droit que les sociétés requérantes n'avaient fourni aucune précision sur l'ampleur de la privation de chiffre d'affaires annuel qui résulterait des dispositions contestées, alors notamment que celles-ci ne faisaient qu'étendre la mesure de fermeture au dimanche soir, tout en en réduisant l'amplitude horaire, et que les ventes nocturnes d'alcool demeuraient par ailleurs interdites dans les mêmes périmètres.

C'est sans erreur de droit qu'il en a déduit que n'était pas établie l'urgence qui s'attacherait à ce que soit ordonnée la suspension des dispositions litigieuses.

Constatant que les appelantes n'ont produit aucun élément susceptible d'infirmer cette appréciation, le Conseil d'État rejette l'appel.

(ord. réf. 6 juillet 2022, Sarl Le Trigone, SAS O'Shop, Sarl Wael, SAS EatetDrink et Sarl Original Market, n° 465134)

 

56 - Référé suspension - Condition d'urgence - Dispositions applicables au plus tôt en décembre 2024 – Condition non remplie - Rejet.

Est rejetée comme ne satisfaisant pas à la condition d'urgence le référé tendant à la suspension d'une délibération du 9 juin 2022 du conseil d'administration de la SNCF en tant qu'elle introduit un article 16 au chapitre 1 et un article 4-10 au chapitre 9 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel (GRH0001) dès lors que si l'ensemble des nouvelles dispositions du statut sont entrées en vigueur au 1er juillet 2022, celles contestées au titre du référé, qui sont seulement relatives aux modifications spécifiquement prévues au sein des filiales créées en réponse à appel d'offres d'une autorité organisatrice de transport, ne s'appliqueront pas avant le terme d'un processus de sélection et d'attribution qui conduit à envisager un début d'exploitation au plus tôt au mois de décembre 2024 s'agissant des lots pour lesquels la procédure est la plus avancée et où une filiale dédiée a déjà été constituée juridiquement. 

(11 juillet 2022, Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail et Union fédérale des cheminots et activités complémentaires, n° 465305)

 

57 - Recours dirigé contre une délibération du jury du concours externe d'officier de la police nationale - Demande d'organiser de nouvelles épreuves orales - Recours dirigé contre une décision prise par un organisme collégial à compétence nationale - Concours relatif à des agents ou des postes situés dans le ressort de plusieurs tribunaux administratif - Compétence du tribunal dans le ressort duquel siège l'auteur de la décision attaquée - Irrecevabilité de la saisine directe du Conseil d'État - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le recours visait à obtenir l'annulation de la délibération du jury du concours externe d'officier de la police nationale arrêtant la liste des candidats admis à ce concours et à ce qu'il soit fait injonction à ce jury et à la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale d'organiser de nouvelles épreuves orales d'admission.

Parce que la décision attaquée émane d'un organisme collégial à compétence nationale le requérant a cru pouvoir saisir le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort. Mais sa requête est irrecevable de ce chef, la compétence directe du Conseil d'État ne jouant que pour les actes réglementaires pris par de tels organismes non pour les décisions d'un jury de concours qui ne sont que des collections d'actes individuels même si une solidarité existe entre eux.

Appliquant les dispositions de l'art. R. 312-12 du CJA, le Conseil d'État renvoie l'affaire au tribunal administratif de Paris dans le ressort duquel siège l'autorité qui a pris la décision litigieuse, à savoir le jury du concours externe d'officier de la police nationale.

(12 juillet 2022, M. B., n° 455667)

 

58 - Circulaire ministérielle relative à la police des lieux de sépulture - Qualité donnant intérêt pour agir - Qualité de citoyen ou d’ancien adjoint maire de sa commune ou d’individu attaché à la neutralité des cimetières - Absence d’intérêt pour agir - Rejet.

Ne possède pas une qualité lui conférant intérêt pour agir contre une circulaire ministérielle du 19 février 2008 relative à l'aménagement des cimetières et au regroupement confessionnel des sépultures celui qui se prévaut de la qualité de citoyen ou d’ancien adjoint au maire de sa commune de résidence ou de personne attachée à la neutralité des cimetières.

(15 juillet 2022, M. B., n° 448930)

 

59 - Demande de confirmation des conclusions d’un requérant - Absence de réponse dans le délai imparti - Désistement d’office - Conditions d’application du régime - Non respect du délai d’un mois - Irrégularité du donné acte d’un désistement - Annulation.

L’art. R. 612-5-1 du CJA permet à la juridiction saisie de donner acte d’un désistement du requérant lorsque celui-ci, invité à confirmer ses conclusions, s’abstient de répondre dans le délai qui lui est imparti. Lorsqu’il conteste l’ordonnance de donné acte du désistement d’office, il convient que le juge de cassation, saisi d’une argumentation en ce sens, vérifie :

- que l'intéressé a reçu la demande de confirmation du maintien de ses conclusions,

- que cette demande de confirmation laissait au requérant un délai d'au moins un mois pour y répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai,

- que ce requérant s'est abstenu de répondre en temps utile.

En l’espèce, la juridiction n’avait imparti qu’un délai de quinze jours au demandeur pour lui faire connaître s’il maintenait ses conclusions. Par suite est irrégulière l’ordonnance donnant acte de ce qu’il s’était désisté de ses conclusions.

(18 juillet 2022, M. A., n° 459593)

 

60 - Allocation d’une provision en référé - Obligation de reversement total ou partiel par son bénéficiaire - Juge du fond estimant la créance non fondée ou d’un montant inférieur à la provision - Provision définitivement acquise en cas de rejet au fond de la demande pour irrecevabilité ou pour prescription de l’action au fond - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (juge de cassation statuant au fond).

Cette décision est très importante par la précision qu’elle apporte sur le sort, en certains cas, des sommes allouées à titre provisionnel sur le fondement des dispositions de l’art. R. 541-1 du CJA (référé provision).

A la suite de désordres survenus lors de la réalisation d’un lycée, la région Guyane, aux droits de laquelle vient la collectivité territoriale de Guyane, a obtenu du tribunal administratif une provision de 4 166 910 d’euros mise à la charge du cabinet d’architectes assurant la maîtrise d’œuvre de ces travaux.

Puis, ce tribunal et la cour administrative d’appel ont, respectivement le 28 février 2018 et le 30 novembre 2018 rejeté l'action au fond ultérieurement introduite par la région Guyane tendant à la réparation des dommages liés à ces désordres, au motif que cette action au fond était prescrite. 

Saisie par le cabinet d’architectes, la cour a, par arrêt du 8 juin 2021, ordonné à la collectivité territoriale de Guyane, notamment, de lui reverser la somme de 7 622,44 euros correspondant à la part de la provision octroyée en 2003 qui n'avait pas été couverte par les assureurs de ce cabinet.

Sur pourvoi de cette collectivité territoriale, le Conseil d’État juge erroné en droit cet arrêt.

En effet, il résulte tout d’abord des dispositions de l’art. R. 541-4 du CJA que « Si le créancier n'a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d'une provision peut saisir le juge du fond d'une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel ».

Il se déduit ensuite de là qu’il convient de distinguer deux situations très différentes. En premier lieu, le demandeur qui a obtenu du juge des référés le bénéfice d'une provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du CJA doit la reverser en tout ou en partie lorsque le juge du fond, statuant sur sa demande pécuniaire ou sur une demande du débiteur tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, décide que la créance invoquée n'est pas fondée ou qu'elle est d'un montant inférieur au montant de la provision. En second lieu - et c’était là la situation de l’espèce - lorsque le juge du fond rejette la demande dont il est saisi pour un motif tiré de l'irrecevabilité ou de la prescription de l'action au fond, les sommes accordées par le juge des référés à titre de provision sont définitivement acquises. 

C’est donc au prix d’une erreur de droit que l’arrêt attaqué du 8 juin 2021 a jugé que l'exécution de l’arrêt du 30 novembre 2018, par lequel avait été rejeté la demande de la collectivité territoriale de Guyane au motif que le délai de la garantie décennale était expiré à la date à laquelle a été introduite l'action au fond, impliquait nécessairement que la collectivité reverse la provision que lui avait accordée le juge des référés.

La solution nous semble d’une logique parfaite. Le rejet au fond, total ou partiel, d’une créance car elle n’existait pas ou n’atteignait pas un certain montant implique nécessairement la restitution de ce qui a été versé à titre de provision sur cette somme. En revanche, lorsque le créancier n’est débouté au fond que pour un motif de procédure qui n’atteint pas la réalité du montant de sa créance, il est normal que la restitution de la provision n’ait pas lieu.

(20 juillet 2022, Collectivité territoriale de Guyane venant aux droits de la région Guyane, n° 455106)

 

61 - Compétence juridictionnelle - Contentieux de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE) et de la taxe départementale sur la consommation finale d'électricité (TDCFE) - Compétence exclusive du juge judiciaire pour les contestations concernant l'assiette et le recouvrement des deux taxes - Compétence exclusive du juge administrative pour les actions en responsabilité pour faute à raison de l’exercice par une personne publique de sa fonction normative - Annulation avec renvoi.

La société requérante demandait le remboursement de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité et de la taxe départementale sur la consommation finale d'électricité qu'elle aurait indûment supporté de 2014 à 2018. Les juges du fond ont décliné la compétence des juridictions administratives pour connaître de cette action.

Le Conseil d’État juge que si en raison de leur nature de contributions indirectes le contentieux relatif à l’assiette et au recouvrement de ces deux taxes relève bien de la compétence du juge judiciaire, en revanche seul le juge administratif est compétent pour connaître des actions qui - comme celles en cause en la présente espèce - tendent à la réparation des préjudices causés du fait de la responsabilité pour faute d’une personne publique dans l’exercice de son activité normative, législative ou réglementaire. 

Les trois ordonnances attaquées sont annulées pour avoir, en déclinant la compétence du juge administratif en l’espèce, commis chacune une erreur de droit.

(21 juillet 2022, Société d'étude et de promotion hôtelière internationale (SEPHI), n° 454784, n° 454786 et n° 454787)

(62) V. aussi, retenant la même solution à propos du partage entre les deux ordres de juridiction du contentieux de la contribution tarifaire d’acheminement : 21 juillet 2022, Société de luxe d’hôtellerie française, n° 454779 et n° 454783.

 

63 - Compétence juridictionnelle – Dépaysement d’un litige opposant une chambre de commerce à une personne en formation – Demande de référé d’heure à heure – Incompétence du Conseil d’État statuant en référé liberté – Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable devant le Conseil d’État l’action en référé tendant à le voir ordonner le dépaysement du litige opposant le requérant à la CCI de Colmar et enjoindre à la juridiction désignée de statuer sur le référé d'heure à heure introduit à l'encontre de la décision de la CCI de Colmar refusant de lui communiquer ses documents de fin de formation professionnelle.

(ord. réf. 22 août 2022, M. B., n° 455840)

 

64 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Soumission au droit commun de la procédure administrative contentieuse - Obligation de viser et d’analyser les mémoires produits devant elle - Omission en l’espèce - Décision de rejet irrégulière - Annulation.

Parce qu’elle est une juridiction administrative, la CNDA est tenue de respecter toutes les exigences de la procédure administrative contentieuse dont elle n’est pas dispensée par une disposition expresse. Il suit de là qu’en ne visant pas ni n’analysant un mémoire produit devant elle et contenant des éléments de fait nouveaux dont elle ne tient pas compte dans sa décision, elle commet une irrégularité conduisant à la cassation de sa décision subséquente.

(21 juillet 2022, M. B., n° 452211)

 

65 - Ressortissant de nationalités argentine et française - Extradition vers l’Argentine - Demande du bénéfice de la protection consulaire et de renouvellement de son passeport et de sa carte d’identité - Refus implicite - Incompétence du Conseil d’État pour connaître en premier ressort du recours contre ce refus - Attribution de la requête au tribunal administratif de Paris.

Extradé vers l’Argentine à la demande des autorités de ce pays, le requérant, qui dispose des nationalités argentine et française, a demandé au président de la république le bénéfice de la protection consulaire ainsi que le renouvellement de son passeport et de sa carte d’identité.

Il saisit directement le Conseil d’État d’un recours en annulation du rejet implicite de ses demandes.

Le Conseil d’État juge que dès lors que ces demandes relèvent normalement de la compétence des autorités consulaires locales, c’est à elles qu’elles sont « réputées avoir été transmises ».

Par suite, ne relevant d’aucun des cas limitativement énumérés à l’art. R. 311-1 du CJA comme relevant de la compétence directe de premier ressort du Conseil d’État et en l’absence de tribunal administratif compétent, la requête est attribuée au tribunal administratif de Paris.

La solution ne s’imposait pas d’évidence mais se justifie par des considérations dont certaines d’ordre pratique.

(21 juillet 2022, M. D., n° 461483)

 

66 - Responsabilité hospitalière du fait des conditions de la naissance d’un enfant - Demande d’expertise en vue d’évaluer divers préjudices - Extension en appel de la mission de l’expert définie en première instance - Appréciation de son caractère utile (art. R. 532-1 CJA) - Réponse positive pour des éléments révélés postérieurement à la date de la première expertise - Annulation.

(21 juillet 2022, Centre hospitalier de Voiron et Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 446965)

V. n° 290

 

67 - Enregistrement des demandes d’asile - Prescriptions de mesures aux fins d’en améliorer le fonctionnement - Injonction sous astreinte de ramener à dix jours ouvrés le délai d’enregistrement de ces demandes - Saisine du juge de l’exécution (art. L. 911-7 CJA) - Rejet de la demande de liquidation d’astreinte.

Le Conseil d’État rejette la demande de liquidation d’astreinte dont l’a saisi l’association requérante. En effet, il résulte de l’instruction et des diligences effectuées par la section du rapport et des études du Conseil d’État, que l’administration compétente a bien, dans le délai de quatre mois qui lui avait été imparti dans le cadre d’une injonction sous astreinte, pris les mesures nécessaires afin d’améliorer le fonctionnement de la plateforme téléphonique dédiée mise en œuvre par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et d’accroître les capacités de traitement des demandes d'enregistrement dans les guichets uniques pour demandeurs d'asile afin de ramener à dix jours au maximum le délai d'enregistrement des demandes d'asile en Île-de-France. L’instruction ayant montré que le délai moyen est désormais compris entre 5,4 et 9,7 jours ouvrés, il n’y a pas lieu de procéder à la liquidation de l’astreinte demandée par l’association requérante.

(21 juillet 2022, Association " La Cimade ", n° 447339)

 

68 - Compétence juridictionnelle - Offre adressée par l’assureur d’un établissement public - Remboursement à un tiers payeur des prestations faisant l’objet d’une déduction du montant de cette offre - Obligation de réparer pesant sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance le liant à l’établissement public - Nature juridique de ce contrat - Contrat administratif - Compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que relève du juge judiciaire le contentieux né de l’action en remboursement formée par l’assureur d’un établissement public contre la caisse de sécurité sociale à laquelle il a versé une somme en réparation du préjudice qu’il doit couvrir en vertu du contrat le liant à cet établissement public dès lors que ce contrat constitue - comme c’est le cas en l’espèce - un contrat administratif, l’exécution des obligations qu’il crée relevant de la compétence du juge administratif.

Le Conseil d’État, pour établir la nature administrative du contrat en cause, retient la date à laquelle il a été conclu et la circonstance qu’en application de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier alors en vigueur, il est un contrat administratif par détermination de la loi.

De là s’ensuit la compétence de la juridiction administrative pour connaître également de l'action en répétition de l'indu exercée, le cas échéant, par l'assureur contre le tiers payeur au titre de sommes versées à titre amiable.

(21 juillet 2022, Hospices civils de Lyon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n° 449789)

 

69 - Demande d’exécution d’un jugement (art. L. 911-4 CJA) - Absence de définition par ce jugement des mesures de mise en œuvre qu’il implique - Obligations s’imposant au juge de l’exécution - Respect de l’autorité de chose jugée - Limites de ses pouvoirs - Rejet.

Rappel de ce  qu'en l'absence de définition, par le jugement ou l'arrêt dont l'exécution lui est demandée, des mesures qu'implique nécessairement cette décision, il appartient au juge de l’exécution (cf. art. L. 911-4 CJA) d'y procéder lui-même en tenant compte des situations de droit et de fait existant à la date de sa décision, sans toutefois pouvoir méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée.

En particulier, la rectification des erreurs de droit ou de fait dont serait entachée la décision en cause ne peut procéder que de l'exercice, dans les délais fixés par les dispositions applicables, des voies de recours ouvertes contre cette décision. 

La clarification opérée par la présente décision est bienvenue car le juge de l’exécution n’est pas un juge d’appel ou quelque autre juridiction chargée de corriger les décisions sur la base desquelles il n’exerce qu’un pouvoir d’exécution de celles-ci telles qu’elles ont été rendues. L’absence d’indications du juge sur les mesures d’exécution qu’appelle son jugement ou son arrêt n’ouvre pas au juge de l’exécution un quelconque pouvoir de rectification, de correction ou de réécriture de ce jugement ou de cet arrêt.

(21 juillet 2022, Mme H. et autres, n° 449882)

 

70 - Ordre professionnel (vétérinaires) - Procédure disciplinaire - Rejet d’un appel pour tardiveté - Dates de réception et de signature de la notification de la décision de première instance - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Le président de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a, par ordonnance, rejeté comme tardif l'appel formé par le requérant le 28 octobre 2020 contre la décision de la chambre disciplinaire régionale de première instance du 10 janvier 2020. Il s’est fondé pour cela non sur l'accusé de réception du courrier de notification qui ne figurait pas au dossier, mais sur un « historique de traçabilité du courrier » électronique émanant des services postaux selon lequel la décision de première instance avait été notifiée par un courrier recommandé daté du 10 janvier 2020, remis le 16 janvier 2020 et signé le même jour à 9 h 40, par une personne identifiée par le postier, cette signature étant reproduite sur le document en cause.

Toutefois, l’intéressé soutient ne pas avoir reçu la décision du 10 janvier 2020, alléguant ne pas connaître l'identité du signataire et justifiant que cette signature ne correspondait à aucune des signatures, qu'il produisait, des trois personnes, en plus de lui-même, habilitées à réceptionner des plis lui étant adressés. Il suit de là que l’ordonnance litigieuse est entachée d’erreur de droit en raison de la dénaturation des pièces du dossier sur laquelle elle repose.

(22 juillet 2022, M. A., n° 448999)

 

71 - Autorité relative de la chose jugée - Identité de cause, d’objet et de parties - Rejet antérieur pour demandes insuffisamment étayées et non à titre de principe - Apport d’éléments nouveaux - Circonstances indifférentes pour l’application de cette autorité - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif rejette les requêtes des sociétés demanderesses, toutes trois appartenant à un groupe exerçant l'activité de commerce de détail de produits de boucherie sous l'enseigne commerciale « Grand frais » au sein de plusieurs établissements, à raison de l’autorité de chose jugée résultant d’un précédent jugement.

En effet,  il existe une identité d’objet, de cause juridique et de parties entre ce jugement rejetant leurs demandes de décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales auxquelles elles ont été assujetties ainsi que des pénalités correspondantes et l’actuelle instance en dépit de ce que le premier jugement a rejeté les premières demandes non dans leur principe, mais faute d'être suffisamment étayées et alors que ces dernières entendaient apporter des éléments nouveaux quant au calcul des surfaces taxables dans le cadre de la seconde instance.

Dans ces deux instances les recours étaient formés par les mêmes parties et concernaient le bien-fondé des cotisations supplémentaires de taxe d'aménagement sur les surfaces commerciales mises à leur charge : ils présentaient ainsi une identité de parties, d'objet et de cause juridique avec les précédents litiges portés devant ce tribunal,

(22 juillet 2022, Société GFDDV, n° 453134 ; Société LDGF, n° 452136 ; Société GDV, n° 452137, jonction)

 

72 - Procédure d’expropriation - Arrêté de cessibilité - Vice affectant l’avis de l’autorité environnementale - Supplément d’instruction en vue de régularisation - Nouvel avis rendu par une autorité dotée de l’autonomie - Vice primitif ayant privé l’intéressée d’une garantie - Annulation de l’arrêté de cessibilité - Erreur de droit - Cassation.

Une cour administrative d’appel, saisie d’un recours contre un arrêté de cessibilité rendu dans le cadre d’une importante opération d’aménagement, constate l’irrégularité de l’avis donné par l’autorité environnementale et ordonne, par un arrêt avant dire droit, un supplément d’instruction à fin de régularisation. Après qu’a été rendu un nouvel avis, favorable, par une autorité disposant de l’autonomie requise, la cour estime que le vice initial a privé la société intéressée d’une garantie et annule par un second arrêt le jugement du tribunal administratif ainsi que l’arrêté de cessibilité.

Le Conseil d’État casse l’arrêt car ayant invité à régulariser et ayant constaté qu’un nouvel avis avait été rendu dans des conditions régulières la cour devait statuer en prenant en compte seulement la régularisation qui lui avait été notifiée.

(25 juillet 2022, Établissement public d'aménagement Euroméditerranée, n° 462681, demande d’annulation, et n° 462773, sursis à l’exécution des deux arrêts)

(73) V. aussi, annulant l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif enjoignant l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles litigieuses jusqu'à ce que le juge de l'expropriation des Bouches-du-Rhône se soit prononcé, au motif que l’arrêt d’appel ayant été annulé par le Conseil d’État (cf. le n° 72), celle-ci est désormais à nouveau saisie du jugement du tribunal administratif de Marseille rejetant la requête de la SCI Les Marchés Méditerranéens dirigée contre l'arrêté de cessibilité. Il en résulte que cet arrêté ne fait pas l'objet, à la date de la présente ordonnance, d'une « annulation par une décision définitive du juge administratif », condition exigée par les art. L. 223-2 et R. 223-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique pour « faire constater par le juge [de l'expropriation] que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale ». Il en résulte que si la reprise des travaux est de nature, dans l'hypothèse d'une annulation devenue irrévocable de l'arrêté de cessibilité, à faire obstacle à ce que les biens en cause soient restitués à la société, qui serait alors indemnisée, cette reprise ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif, alors que l'absence d'annulation définitive de l'arrêté de cessibilité fait en tout état de cause obstacle à l'action en restitution devant le juge de l'expropriation. c'est donc à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a ordonné à l’EPA de suspendre ses travaux : ord. réf. 25 août 2022, Établissement public d'aménagement Euroméditerranée, n° 466421.

 

74 - Demande de confirmation du maintien des conclusions du demandeur - Absence de réponse - Ordonnance donnant acte du désistement - Conditions de régularité de l’ordonnance - Étendue du contrôle de cassation - Annulation de l’ordonnance.

Lorsque le juge a fait usage de son pouvoir de demander à une partie si elle maintient ses conclusions et constate l’absence de réponse à cette demande, il prend une ordonnance constatant le désistement de cette partie.

La présente affaire donne l’occasion de rappeler l’étendue du contrôle qu’exerce le juge de cassation, saisi d’un pourvoi en ce sens, sur la régularité d’une telle ordonnance (art. R. 612-5-1 CJA).

Le juge de cassation doit vérifier :

- que l'intéressé a reçu la demande de confirmation du maintien de ses conclusions,

 - que cette demande laissait au requérant un délai d'au moins un mois pour y répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai,

- que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile.

En revanche et en principe, le juge de cassation ne peut être saisi de moyens contestant les motifs pour lesquels le signataire de l'ordonnance de donné acte a estimé que l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur.

Cependant, le juge de cassation doit censurer l'ordonnance qui lui est déférée dans le cas où il juge, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, - comme c’est le cas ici - qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par l'art. R. 612-5-1 du CJA.

(27 juillet 2022, M. B., n° 442531)

 

75 - Aide sociale - Demande du bénéfice d’une aide-ménagère - Refus - Obligation d’un recours administratif préalable à la saisine du juge - Irrecevabilité du recours contentieux devant être soulevée d’office - Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 134-2 du code de l'action sociale et des familles qu’un recours contentieux dirigé contre le refus du président du conseil départemental de renouveler à l’intéressée le bénéfice d'une aide-ménagère au titre de l'aide sociale doit être précédé d’un recours administratif préalable.

Faute du respect de cette exigence, son recours contentieux devait être déclaré d’office irrecevable.

Imparable au regard des textes, cette solution crée une situation regrettable s’agissant d’un contentieux social où les formalités sont réduites par rapport au droit commun et où leur non-respect est généralement apprécié avec mansuétude.

(27 juillet 2022, Mme B., n° 449546)

(76) V. aussi, dans un contentieux social voisin, l’annulation du rejet pour tardiveté d’un recours contre le refus implicite d’un président de conseil départemental de revenir sur une décision de récupération d’indu car il ne ressort pas du dossier que le recours préalable contre cette décision avait fait l'objet d'un accusé de réception comportant les mentions exigées par les art. L. 110-1, L. 112-3, L. 112-6 et R. 112-5 du code des relations du public avec l’administration. Ainsi, l’ordonnance de rejet pour tardiveté est entachée d'une erreur de droit : 27 juillet 2022, Mme B., n° 453167.

 

77 - Conseil supérieur de la magistrature statuant en matière disciplinaire - Nature juridictionnelle de ces fonctions - Décisions relevant exclusivement d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État - Référé liberté manifestement irrecevable - Rejet.

Rappelant une jurisprudence constante faisant relever exclusivement du Conseil d’État statuant en cassation les recours dirigés contre les décisions disciplinaires rendues par le Conseil supérieur de la magistrature à l'encontre de magistrats du siège, le juge en déduit logiquement qu'il ne peut être saisi, contre de telles décisions, de recours en référé (ici un référé liberté) ni non plus de conclusions à fin d'injonction ou tendant à mettre en cause le Défenseur des droits.

(2 août 2022, M. Andrianarivony, n° 466086)

 

78 - Chômage partiel - Cohabitation avec une personne vulnérable - Covid-19 - Interruption de l'indemnisation par une CPAM - Incompétence du juge administratif - Rejet.

Sont irrecevables comme portés devant une juridiction incompétente pour en connaître, d'une part, le recours direct en Conseil d'État dirigé contre une CPAM pour interruption du versement des indemnités journalières que le demandeur percevait au titre du dispositif de chômage partiel indemnisant les personnes cohabitant avec une personne vulnérable dans le cadre de la pandémie de Covid-19 et, d'autre part, la demande d'injonction à cette caisse de le rétablir dans ce dispositif.

(5 août 2022, M. B., n° 466409)

(79) V. aussi, rejeté pour avoir été porté en Conseil d'État en premier et dernier ressort, le recours en référé tendant à la délivrance au requérant de documents de circulation pour étrangers mineurs au profit de ses deux enfants résidant actuellement à Mayotte : 5 août 2022, M. B., n° 466423.

 

80 - Expertise ordonnée par le juge judiciaire - Nécessité à cet effet d'une interruption temporaire du fonctionnement d'une antenne de radiotéléphonie mobile - Référé mesures utiles à cette fin - Déploiement de réseau ordonné par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Erreur procédurale - Obligation d'agir en référé suspension - Erreur de droit - Annulation et rejet.

Un groupement agricole (GAEC) situé à proximité immédiate d'une infrastructure supportant des stations radioélectriques de téléphonie mobile a obtenu du tribunal judiciaire statuant en référé que soit ordonnée une expertise relative au comportement, à l'état sanitaire et à la baisse de la production de lait du cheptel qu'il exploite mais cette juridiction a décliné sa compétence pour statuer sur la demande de suspension temporaire du fonctionnement de stations radioélectriques pour les besoins des opérations d'expertise.

Le groupement a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'un référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) aux fins de voir ordonner la cessation provisoire d'exploitation du fonctionnement de cette infrastructure le temps que soit réalisée l'expertise. Le juge des référés a enjoint à l'État et à la société Orange « d'arrêter le fonctionnement de l'antenne de radiotéléphonie mobile (...), ainsi qu'à tous les opérateurs, pendant une durée de deux mois, à compter d'une date arrêtée en concertation avec l'expert judiciaire (...) en lien avec le préfet de la Haute-Loire, aux fins d'organisation de la sécurité et des appels de secours dans la zone concernée, la cessation de fonctionnement devant être effective dans un délai de trois mois au plus ». 

Relevant que le déploiement de la station en cause était réalisé pour l'exécution des décisions de l'ARCEP du 15 novembre 2018 et de l'arrêté interministériel du 12 juillet 2019 faisant obligation aux sociétés Orange, SFR, Free Mobile et Bouygues Télécom de fournir des services de radiotéléphonie mobile et d'accès mobile à très haut débit, le Conseil d'État juge que la procédure de l'art. L. 521-3 n'est pas applicable à l'espèce car elle fait obstacle à l'exécution d'une décision administrative contrairement aux prescriptions de ce texte. Il convenait donc de mettre en œuvre la procédure du référé suspension de l'art. L. 521-1 du CJA.

L'ordonnance attaquée, qui n'invoque point l'existence d'un péril grave, est annulée et la demande du GAEC rejetée.

(ord. réf. 17 août 2022, SA Orange, n° 464622 ; Société SFR, n° 464652 ; Société Free Mobile, n° 464743 ; ministre des finances..., n° 464763)

 

81 - Agent révoqué du corps des magistrats de l'ordre judiciaire - Demande, par voie de référé liberté, de réexamen d'un pourvoi en cassation formé le 27 avril 1981 - Incompétence manifeste du juge des référés - Rejet.

Doit-on s'étonner qu'ici le Conseil d'État juge manifestement irrecevable une demande en référé liberté formée le 8 août 2022 en vue que, par cette procédure, il soit procédé au réexamen d'un pourvoi en cassation formé le 27 avril 1981 contre la révocation du requérant du corps des magistrats de l'ordre judiciaire ?

(ord. réf. 10 août 2022, M. A., n° 466496)

 

82 - Compétence du Conseil d'État en premier ressort - Recours dirigé contre une décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

N'est pas au nombre des décisions contre lesquelles un recours direct peut être porté en premier ressort devant le Conseil d'État et est donc manifestement irrecevable, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirmant la décision d'un consul général de France refusant de délivrer un visa à Mme D.

(16 août 2022, M. A. et Mme D., n° 466626)

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

83 - Omission par un contribuable de déclarations obligatoires – Omission de déclarer une activité à un centre de formalité des entreprises ou au greffe d’un tribunal de commerce – Activité réputée occulte – Régime juridique applicable – Rejet.

Rappel en premier lieu de ce que le contribuable qui n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, est réputé exercer une activité occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.

Rappel en second lieu, qu’en ce cas, si le contribuable fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un État autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États.

C’est au prix de plusieurs irrégularités (deux erreurs de droit, une insuffisance de motivation et une dénaturation de pièces du dossier) que la cour administrative d’appel a cru pouvoir rejeter l’appel du ministre auteur du pourvoi, d’où sa cassation.

(1er juillet 2022, ministre de l’économie…, n ° 453636)

 

84 - Taxe sur les surfaces commerciales – Taxe frappant les superficies supérieures à 400 m2 – Détermination de cette superficie – Espace de réception affecté à la remise aux clients des véhicules acquis – Exclusion de cette surface – Qualification inexacte des faits – Annulation.

La taxe sur les surfaces commerciales frappe les établissements dont la surface commerciale excède 400 mètres carrés. Un tribunal administratif a estimé que n’entrait pas dans cette catégorie et ne pouvait être comptée dans les 400 mètres carrés la superficie d’un espace de réception affecté, au sein d’un établissement, à la remise aux clients des véhicules qu'ils avaient acquis car il constitue un espace clos séparé de manière permanente de la zone d'exposition des véhicules se trouvant dans ce même établissement : il ne pouvait, contrairement à ce qu'avait retenu l'administration, être regardé comme un espace affecté à la circulation de la clientèle pour y effectuer ses achats au sens et pour l'application des dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972. 

Le jugement est cassé car les faits auraient été inexactement qualifiés par le premier juge en raison des termes mêmes de l’art. 3 précité que : « (…) La surface de vente des magasins de commerce de détail, prise en compte pour le calcul de la taxe (sur les surfaces commerciales), et celle visée à l'article L. 720-5 du code de commerce, s'entendent des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l'exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement, et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente.(…) ».

A notre sens la solution adoptée n’a pas les vertus de l’évidence au regard du libellé de la disposition que l’on vient de lire.

(1er juillet 2022, ministre de l’économie…, n° 459697)

 

85 - Conventions fiscales internationales – Convention franco-américaine – Régime applicable aux prestations artistiques et à leurs accessoires – Champ d’application de la retenue à la source – Application à l’ensemble des éléments indissociables de la prestation scénique – Rejet.

La convention fiscale franco-américaine dispose en son art. 17 § 2 : « 2. Lorsque les revenus d'activités qu'un artiste du spectacle ou un sportif exerce personnellement et en cette qualité sont attribués non pas à l'artiste ou au sportif lui-même mais à une autre personne, qu'elle soit ou non un résident d'un État contractant, ces revenus sont imposables, nonobstant les dispositions des articles 7 (Bénéfices des entreprises), 14 (Professions indépendantes) et 15 (Professions dépendantes), dans l'État contractant où les activités de l'artiste ou du sportif sont exercées ». 

En l’espèce se posaient deux questions pour l’application de cette stipulation.

En premier lieu, s’agissant de la territorialité de l’activité, c’est sans erreur de droit ni dénaturation que la cour administrative d’appel, exerçant à cet égard son pouvoir souverain d’appréciation, a jugé que les sommes facturées par la société Bornrocker  à la société requérante l'avaient été en contrepartie de prestations artistiques fournies par l’artiste en France et que cette facturation ne trouvait aucune contrepartie dans une intervention de cette dernière distincte de ces prestations artistiques, ainsi la convention internationale précitée ne faisait pas obstacle à l’imposition en France des revenus tirés par l’artiste de son activité personnelle de spectacle.

En second lieu, il convenait de déterminer l’assiette de l’imposition au titre de la prestation artistique en cause. C’est sans erreur de droit que la cour a estimé que si cette prestation artistique était la « composante essentielle » du contrat en cause, elle n’était pas la seule et que devaient y être incluses la concession de droits qui y était prévue, limitée à la promotion du spectacle auquel l’artiste participait car elle était indissociable de sa prestation scénique, tout comme les prestations de contrôle et de suivi prévues au contrat car elles se limitaient au contrôle et à la validation, pour le compte de l’artiste, d'opérations inhérentes à la prestation scénique fournie par lui et n'avaient pas la nature d'une prestation de « producteur délégué ».

C’est donc à bon droit que la cour a jugé que l'ensemble des sommes facturées par la société Bornrocker à la société Encore B en contrepartie de ces prestations de services devaient être soumises à la retenue à la source prévue à l'article 182 A bis du CGI, sans qu'ait d'incidence à cet égard l'absence de lien juridique direct entre la société Encore B et l’artiste.

(5 juillet 2022, Société Encore B, n° 455789)

 

86 - Impôt sur les sociétés – Assujettissement des entreprises exploitées en France – Établissement stable de chantier ou installation fixe d'affaires - Notion – Application à l’espèce – Rejet.

La société Bouygues TP, requérante, contestait sa solidarité dans les dettes d’une entreprise chypriote qui est l’une de ses prestataires. Elle fait valoir à titre principal que celle-ci n’a pas d’établissement stable en France et se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui a jugé le contraire.

Selon le I de l'article 209 du CGI : « (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ».

Le Conseil d’État approuve la juridiction d’appel d’avoir estimé sans erreur de droit que l’entreprise chypriote avait exploité en France, au cours des années 2009 à 2011, une entreprise autonome au sens du I de l’art. 209 précité, en se fondant pour opérer cette déduction, sur les circonstances de fait, opérantes et non arguées de dénaturation, établissant que la gestion et la coordination administrative et opérationnelle des travailleurs qu'elle a mis à la disposition de la société Bouygues TP étaient exclusivement assurées par des personnels dédiés, installés en France pendant la durée du chantier, le siège de la société situé à Chypre n'intervenant que pour réceptionner les documents contractuels et émettre la facturation des prestations. 

Il approuve encore la cour d’avoir jugé, pour l’application de la convention fiscale franco-chypriote du 18 décembre 1981, que la société chypriote a exercé en France une activité consistant à mettre au service de la société Bouygues TP, entre 2009 et 2011, le personnel nécessaire aux opérations du chantier dont cette dernière était maître d'ouvrage à Flamanville, et que, pour ce faire, cette société a disposé en France, sur le site du chantier, d'une représentante légale en charge de la signature des contrats de mission du personnel, de la fourniture des bulletins de paie et de la signature des documents transmis à l'administration française. Enfin, elle a relevé que les contrats-cadres de mise à disposition du personnel ont été conclus et signés, au nom de la société chypriote, à Flamanville, le siège de la société à Chypre se bornant, durant cette période d'activité, à émettre la facturation correspondante. L’activité de mise à disposition de personnel au service de la société Bouygues TP par l'entremise, en la personne de sa représentante légale en France, d'un agent dépendant disposant des pouvoirs d'engager la société, caractérisent ainsi l'existence d'un établissement stable de chantier ou d'une installation fixe d'affaires dont les bénéfices étaient imposables en France en application des stipulations de la convention fiscale franco-chypriote.

(5 juillet 2022, Société Bouygues TP, n° 458293)

 

87 - Impôt sur les sociétés - Holding de droit mauricien - Réintégration d’intérêts d’emprunt dans le résultat imposable d’une filiale - Impositions complémentaires et cotisations additionnelles - Loi applicable - Droit de l’Union - Convention fiscale franco-mauricienne - Rejet.

La société par actions simplifiée MW Brands, devenue Thaï Union Europe, est détenue par la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Thaï Union France Holding 2, elle-même détenue par la société de droit luxembourgeois Thaï Union EU Seafood SA, cette dernière étant à son tour détenue par la société Thaï Union Investment Holding, établie à l'Île Maurice.

La SASU Thaï Union France Holding 2, en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, s’est vu imposer des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles au titre de l'exercice clos en 2013 à raison de la réintégration dans le résultat imposable de sa filiale MW Brands d'intérêts d'emprunt versés par cette dernière à la société mauricienne Thaï Union Investment Holding.

Le pourvoi est dirigé contre l’arrêt confirmatif du rejet du recours contentieux intenté contre le rejet du recours administratif préalable formé devant l’administration fiscale. Ce recours était fondé, d’une part, sur ce que la société contribuable aurait rapporté la preuve d’un assujettissement au taux normal d'imposition fixé à 15 % à l'Île Maurice et, d’autre part, sur les dispositions de l’art. 63 du TFUE et sur la convention fiscale franco-mauricienne.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, l'administration fiscale, se fondant sur les dispositions du I de l’art. 212 du CGI, a prononcé les impositions et cotisations supplémentaires, en retenant la circonstance que la société prêteuse bénéficiait à l'Île Maurice d'un abattement spécial de 80 % sur ses bénéfices ayant pour effet de l'assujettir à un taux d'imposition de 3 %, inférieur au quart du taux de droit commun français. C’est sans erreur de droit et surtout par application des règles régissant l’administration de la preuve en matière fiscale que la cour administrative d’appel a considéré que la contribuable ne rapportait pas la preuve de son allégation selon laquelle elle aurait été assujettie en l’occurrence, à raison de ces intérêts, au taux normal d'imposition fixé à 15 % à l'Île Maurice. C’est à bon droit qu’en l’absence de production d'un avis d'imposition rectificatif, ni la lettre de renonciation de la contribuable au bénéfice de l’abattement spécial, ni les attestations émanées de l’administration fiscale mauricienne ne permettent d’établir l’acquittement de l’impôt au taux de 15%.

Ensuite, le b) du I. de l’art. 212 du CGI, en faisant obstacle à la déduction des intérêts versés par une société débitrice à une société liée imposée à un niveau inférieur au quart de l'impôt de droit commun en France, traite différemment les sociétés concernées selon le niveau d'imposition de leur prêteur, et non selon le siège de ce dernier. Ainsi que relevé par la cour, ces dispositions n'introduisent donc aucune restriction directe à la liberté de circulation des capitaux qui contreviendrait aux stipulations du 1. de l’art. 63 du TFUE. Au reste, comme l’a jugé la cour, eu égard au niveau d'imposition plancher qu’elles fixent au quart de l'impôt français de droit commun, les dispositions de l’art. 212 du CGI précitées, n'instaurent par elles-mêmes aucune différence de traitement généralement défavorable, de fait, aux situations transfrontalières. Il s’ensuit l'absence de restriction indirecte à la liberté de circulation des capitaux, quand bien même les situations purement internes susceptibles de relever de ces dispositions seraient généralement celles dans lesquelles les entreprises prêteuses bénéficient d'un régime particulier. 

Enfin, il s’évince des dispositions des paragraphes 4 et 5 de l’art. 25 de la convention fiscale franco-mauricienne du 11 décembre 1980, respectivement, d’une part, que le I. de l’art. 212 du CGI, comme indiqué plus haut, n’affecte pas la clause conventionnelle de non-discrimination  et, d’autre part, que ces stipulations ne sauraient être invoquées pour faire obstacle à une règle nationale défavorable à une entreprise du seul fait qu'elle verse des intérêts à des créanciers non-résidents, dès lors que cette différence de traitement n'est pas elle-même fondée sur le fait que les non-résidents détiennent ou contrôlent le capital de l'entreprise.

(13 juillet 2022, Société Thaï Union France Holding 2, n° 451533)

 

88 - Bénéfices industriels et commerciaux - Impôt sur les sociétés - Société de droit suisse - Appartements mis à disposition gratuite d’un associé - Réintégration dans le bénéfice imposable de recettes éludées par suite d’un acte anormal de gestion - Caractère indifférent de la conformité de l’acte aux statuts de la société - Rejet.

L’administration a considéré comme un acte anormal de gestion la mise à disposition gratuite de son unique associé, par une société, de deux appartements, elle a, en conséquence, réintégré dans ses revenus le montant des loyers dont la société s’est involontairement privée et a rectifié les impositions dues qu’elle a assorties de pénalités.

La requérante se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté son recours dirigé contre ces décisions ; son pourvoi est rejeté, le Conseil d’État approuvant en tous points le raisonnement de la cour administrative d’appel.

Tout d’abord, se posait une question de qualification de la nature de cette société de droit suisse qui n’a pas d’équivalent strict en droit français afin de déterminer le régime fiscal applicable (cf. art. 206 CGI). Les juges du fond sont approuvés, d’une part, pour avoir assimilé cette société à une société anonyme de droit français au regard des dispositions de l’art. 206 du CGI et d’autre part, pour avoir procédé à cette qualification sans tenir compte du caractère civil ou commercial de l'objet de cette société, un tel critère n'étant pas au nombre des caractéristiques définissant ce type de sociétés.

Ensuite, devait être examinée l’existence en l’espèce d’un acte anormal de gestion, acte dont on sait qu’il consiste pour une entreprise à s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il est jugé que la société requérante se trouvait dans ce cas en mettant gratuitement à disposition de son unique associé deux appartements situés à Cannes sans recevoir une quelconque contrepartie. À cet égard il est précisé que « la circonstance qu'une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l'objet social de l'entreprise n'est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l'intérêt propre de l'entreprise, ni que satisfaire par cette gratuité l'un des objets pour lequel la société a été créée soit une contrepartie suffisante. »

Enfin, c’est conformément à l’art. 6 des stipulations de la convention fiscale franco-suisse que cette société a été imposée à l'impôt sur les sociétés en France sur la base des revenus correspondant au prix normal de location qu'elle aurait pu tirer de ses appartements situés à Cannes durant la période d'occupation gratuite par son associé, ces revenus ayant, aux termes de cette convention, la nature de revenus provenant de biens immobiliers.

(22 juillet 2022, Société Phoenix Union Co, n° 444942)

 

89 - Imposition des bénéfices industriels et commerciaux – Institution d’un abattement renforcé de 65% - Mécanisme reposant sur l’absence de toute garantie de la société émettrice des parts – Notion de « garantie » - Absence en l’espèce – Rejet.

L’administration fiscale a remis en cause le bénéfice de l’abattement de 65% appliqué par le contribuable sur la plus-value réalisée au moment de la cession des parts qu’il avait acquis de deux sociétés de gestion de portefeuille et, pour l’une d’elles, en tant que salarié. Pour pratiquer ce rehaussement de l’imposition, l’administration fiscale s’est fondée sur le non-respect de l’interdiction faite aux sociétés cédantes d’accorder une garantie en capital du chef de l’acquisition de ces parts et de l’obligation de respecter cette condition négative tout au long de la durée de détention des parts.

La cour administrative d’appel, saisie par le contribuable, annule cette décision au terme du raisonnement suivant.

Elle a tout d’abord relevé que concomitamment à l'acquisition le 13 mars 2008 des 7200 actions de la société OTC Asset Management en cause, le contribuable salarié avait signé une promesse unilatérale de cession de ces actions au bénéfice de M. A., directeur général de la société OTC Asset Management, lequel était partie, avec la société financière OTC Securities et la société de gestion d'actifs Tocqueville Finance, à un pacte d'actionnaires conclu le 28 novembre 2006, en vertu duquel cette dernière société s'était elle-même engagée à céder aux futurs collaborateurs d'OTC Asset Management des actions de cette société, sous réserve que les cessionnaires signent une telle promesse.

La cour a ensuite constaté qu'aux termes de la promesse de vente, le contribuable s'engageait, d'une part, à céder ses actions à M. A., si ce dernier lui en faisait la demande et, d'autre part, à ne pas se défaire de ses actions au profit d'un tiers autre que ce dernier ou une personne désignée par lui jusqu'au terme de la promesse, lequel interviendrait à la fin du sixième mois suivant la cessation de ses fonctions de salarié au sein d'OTC Asset Management ou, au plus tard, le 13 mars 2020, le prix de cession ne pouvant, dans cette hypothèse, en vertu des stipulations de l'article 4 de la promesse de vente, être inférieur au prix d'acquisition des actions par le contribuable salarié.

La cour a enfin relevé qu'indépendamment de toute cessation de fonctions, le contribuable  s'obligeait, en vertu de la promesse de vente, à céder ses titres dans l'hypothèse d'une offre de rachat de la société OTC Asset Management portant sur 95% au moins de ses titres, acceptée par 50 % au moins des associés, cette cession intervenant alors « au prix, termes et conditions de l'offre reçue et décrite dans la notification de cession ».

Ainsi la cour administrative d’appel s'est fondée sur ce que cette promesse unilatérale de vente ne comportait aucune obligation pour son bénéficiaire, M. A., de l'exercer, de sorte que le contribuable n'était pas assuré de vendre, en toute hypothèse, ses titres pour un prix égal à celui auquel il les avait acquis.

Le Conseil d’État approuve cette solution au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et en l’absence de dénaturation ou de qualification inexacte des faits : la société OTC Asset Management, via son directeur général, ne peut être réputée avoir accordé au contribuable une garantie en capital contrairement à ce que soutenait le ministre auteur du pourvoi.

(5 juillet 2022, ministre de l’économie…, n° 460047)

 

90 - Doctrine fiscale - Commentaires administratifs – Paragraphe 100, alinéa 2, de ces commentaires portant interprétation du I de l'article 216 du CGI – Quote-part des frais et charges à déduire du produit net des participations à retrancher du bénéfice net de la société mère – Méconnaissance de la disposition légale – Annulation du refus du ministre d’abroger le paragraphe illégal.

Le I de l’art. 216 du CGI détermine le calcul de la quote-part de frais et charges devant, en application du régime des sociétés mères, être défalquée du produit net des participations à retrancher du bénéfice net de la mère. Interprétant ce texte, le § 100, al. 2, des commentaires administratifs croit pouvoir énoncer que cet article « fixe un mode de calcul pour la réintégration des charges afférentes à des produits qui ne sont pas imposés et ne peut s'analyser comme conduisant à l'imposition d'une partie des dividendes ».

Toutefois, parce que la quote-part des produits de participations qu'une société mère doit réintégrer à son bénéfice en application du I de l'article 216 du CGI, sans possibilité pour cette dernière de limiter cette réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d'imposition en vue de l'acquisition ou la conservation des revenus correspondants, revêt un caractère strictement forfaitaire, il s’ensuit, par une conséquence nécessaire et liée,  qu’en réalité cette disposition n’a pas pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d'impôt sur les sociétés, mais, bien au contraire, entend soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères.

Le refus du ministre des finances d’abroger – comme le lui demandait la société requérante - cette intempestive interprétation du I de l’art. 216 du CGI par le second alinéa du § 100 litigieux est annulé.

(5 février 2022, Société anonyme AXA, n° 463021)

 

91 - Cotisation foncière des entreprises – Taxe professionnelle – Exonération au profit de certaines organisations agricoles – Cas des coopératives agricoles – Exclusion de ce bénéfice pour une union de coopératives n’ayant pas elle-même cette qualité – Substitution de motif – Rejet.

La requérante réclamait que lui soit appliqué le bénéfice des dispositions du 3° du I de l’art. 1451 du CGI qui exonèrent certains organismes agricoles de la cotisation foncière des entreprises et, jusqu’en 2009, de la taxe professionnelle.

Sont ainsi exonérées les coopératives agricoles par combinaison de ce texte avec les dispositions de l’art. L. 551-1 du code rural. Toutefois, il est jugé ici que la demanderesse, si elle est constituée par l’union de deux coopératives agricoles, n’a pas elle-même la nature d’une coopérative agricole. Il s’ensuit qu’elle n’est pas éligible à l’exonération qu’elle revendique et que son recours doit être rejeté.

Il nous semble qu’un tel rejet devait procéder de l’analyse du point de savoir si cette union était complètement autonome de l’activité conduite par ses deux membres ou si, au contraire, elle avait pour effet de créer un effet de complémentarité, de synergie ou autre entrant complètement dans l’objet de ces dernières ce qui, à notre sens, en ce second cas, devait en permettre l’éligibilité à l’exonération.

(7 juillet 2022, Union de coopératives agricoles (UCA) « La Quercynoise », n° 440424 et n° 440425)

 

92 - Œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur – Bénéfice du taux de TVA réduit de 7% - Condition – Constituer une « œuvre d’art » ou une prestation de services ou une livraison de biens au sens de l’annexe III de la directive du 28 novembre 2006 - Absence – Rejet.

Le g de l’art. 279 du CGI, transposant les articles 98, 99 et 103 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, spécialement son annexe III, institue un taux réduit de TVA à 7% pour « Les cessions des droits patrimoniaux reconnus par la loi aux auteurs des œuvres de l'esprit et aux artistes-interprètes ainsi que de tous droits portant sur les œuvres cinématographiques et sur les livres. »

Il est jugé, compte tenu des dispositions de l’art. L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle définissant les œuvres de l’esprit,  que les œuvres de l'esprit dont les droits d'auteur sont protégés en vertu des dispositions de ce code ne sont pas au nombre de celles visées par les dispositions du g de l'article 279 du CGI dès lors qu’elles ne relèvent ni de la catégorie juridique des « objets d'art » au sens de la directive précitée ni d'aucune des prestations de service ou des livraisons de biens mentionnées à l'annexe III de cette directive. 

Or en l’espèce, ainsi que l’a relevé la cour administrative d’appel sans dénaturation, la société requérante a cédé une « bibliothèque de livres et d'images » s'apparentant à un « fonds documentaire », constituée à partir d'images triées et regroupées en différentes catégories. Leur protection par le code de la propriété intellectuelle n’en fait pas pour autant des « objets d’art » non plus qu’une prestation de services ou une livraison de biens au sens de l’annexe III de la directive, d’où il suit que doit être rejeté son pourvoi tendant à l’annulation de l’arrêt d’appel en tant qu'il s'est prononcé sur ses conclusions subsidiaires d'appel tendant à la réduction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée par l'application du taux réduit de 7 %. 

(7 juillet 2022, Société Mihail Chemiakin Ltd, n° 448012)

 

93 - Impôt sur le revenu – Déductions opérées sur le revenu - Régime différencié de déduction des cotisations sociales et d’une fraction de la CSG entre micro-entrepreneurs et salariés – Circulaire interprétative non contraire au principe d’égalité devant les charges publiques – Rejet.

N’est pas contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques l’annexe 1 à la circulaire interprétative du 15 novembre 2017 qui, d’une part, indique que les revenus tirés de l'activité professionnelle des micro-entrepreneurs s'apprécient par application d'un abattement sur le chiffre d'affaires engendré par leur activité et qui, d’autre part, indique que les revenus des salariés s'apprécient nets de cotisations sociales et de la fraction déductible de la contribution sociale généralisée mais sans application de la déduction forfaitaire applicable en matière d'impôt sur le revenu.

En effet, ce faisant, cette circulaire s’est bornée à expliciter le sens et la portée des dispositions de l’art. L. 160-1 et de l’art. L. 380-2 et de celles de l’art. L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale et, tirant les conséquences de ce que les deux catégories de contribuables sont placées dans des situations différentes, n’a pas porté atteinte aux principes susrappelés.

(7 juillet 2022, Mme B., n° 457193)

 

94 - Échange de droits et parts apportés par une personne physique à une société soumise à un régime réel d’imposition (art. 151 octies B du CGI) - Report d’imposition des plus-values - Conditions - Droits et parts reçus devant être nécessaires à l’exercice de l’activité de l’apporteur - Absence - Intention d’éluder l’impôt - Absence en l’état d’indétermination de la jurisprudence - Annulation partielle.

Un médecin ophtalmologiste a apporté des actions qu’il détenait de la société anonyme Clinique Mathilde à la société Mathilde Médical Développement (MMD) en contrepartie d’une remise de titres de cette dernière. Il a estimé pouvoir bénéficier d’un report d’imposition sur le fondement de l’art. 151 octies B du CGI. Toutefois l’administration fiscale a considéré qu’il ne remplissait pas l’une des conditions posées au 4° de cette disposition, à savoir que les droits et parts échangés devaient être « nécessaires à l’activité de l’apporteur » et qu’en outre il avait, par son attitude, manifesté son intention d’éluder l’impôt. Le rehaussement d’impôt était donc accompagné de l’infliction des pénalités prévues à l’art. 1729 du CGI.

Le requérant se pourvoit en cassation contre l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de son action.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi sur le premier point : l’échange de droits et parts litigieux n’était pas « nécessaires à l’activité de l’apporteur », lequel exerçait les fonctions d’ophtalmologiste au sein de la Clinique Mathilde.

Tout d’abord, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la seule circonstance que les parts apportées par M. B. étaient inscrites à son actif professionnel ne pouvait suffire à établir que ces parts auraient été nécessaires, au sens de l'article 151 octies B précité, à l'exercice de son activité d'ophtalmologiste,

Ensuite, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que si la détention des parts de la société Clinique Mathilde donnait au requérant la possibilité de peser sur les orientations décidées au sein de cette société, il n'en découlait pas que cette détention pouvait être regardée comme nécessaire à l'exercice de son activité, alors notamment qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'intéressé aurait été tenu à une obligation de détention des parts de la société Clinique Mathilde et qu'il n'était pas contesté que des praticiens non associés exerçaient au sein de cette clinique.

Enfin, pas davantage la cour n’a inexactement qualifié les faits en décidant que si M. B. avait un intérêt professionnel, de même que les autres praticiens exerçant au sein de cette clinique, à préserver, par l'opération d'apport en litige, l'indépendance de celle-ci et à conserver ainsi la maîtrise de leur outil de travail, cette circonstance ne pouvait suffire à regarder la détention des parts de la société MMD comme nécessaire, au sens des dispositions précitées du CGI, à l'exercice, par les intéressés, de leur activité professionnelle au sein de la clinique Mathilde et cela d’autant plus que la cour a relevé que la société MMD exerçait exclusivement une activité de holding sans gérer la clinique Mathilde.

En revanche, le pourvoi est accueilli en tant qu’il porte sur la demande d’annulation des pénalités infligées sur le fondement de l’art. 1729 du CGI car, relève le juge de cassation, « compte tenu de la portée susceptible d'être donnée au texte (de l’art. 151 octies B du CGI), qui n'avait pas encore donné lieu à interprétation à la date des faits, M. B., qui avait du reste fait procéder à l'enregistrement de l'acte mentionnant la plus-value en cause, ne saurait être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant délibérément fait application d'un régime de report d'imposition au bénéfice duquel il savait ne pas pouvoir prétendre ». En jugeant le contraire la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce et son arrêt encourt sur ce point la cassation.

(13 juillet 2022, M. B., n° 459899 et n° 459900)

 

95 - Taxe sur les salaires - Champ d’application - Salariés exerçant leur activité à l’étranger - Absence d’assujettissement de l’entreprise à la TVA - Imposition non discriminatoire et ne portant atteinte ni à la liberté d’établissement ni à la libre prestation de services - Taxe ne constituant pas une cotisation sociale - Rejet.

La société requérante a contesté le montant de la taxe sur les salaires à laquelle elle avait été assujettie et en a demandé la réduction ; elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant sa demande.

Le Conseil d’État confirme en tous points la solution retenue par la cour administrative d’appel.

Tout d’abord, c’est sans erreur de droit ni contradiction de motifs que la cour a jugé, contrairement à  ce qui était soutenu, que le renvoi opéré par l'article 231 du CGI, à partir de 2013, à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale pour la détermination du montant des rémunérations à prendre en compte en vue de l'établissement de la taxe litigieuse n'avait eu ni pour objet, ni pour effet d'exclure de l'assiette de la taxe les rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité à l'étranger ne se trouvant pas à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie et n'entrant pas, par suite, dans le champ de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement défini à l'article L. 136-1 du même code. En effet, rappelle le juge de cassation, il résulte des dispositions combinées des art. L. 136-1 et L. 136-2 du code de la sécurité sociale et de celles du 1 de l’art. 231 du CGI complétées par celles de l’art. 51 de l’annexe III au CGI, que la taxe sur les salaires est due par les employeurs établis en France qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou qui ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des sommes imposables, à raison des rémunérations versées à l'ensemble des salariés qu'ils emploient, indépendamment du lieu où ceux-ci exercent leur activité. Cette imposition est également due par les employeurs dont le siège social est situé à l'étranger et qui disposent d'une installation en France, à raison des rémunérations qu'ils versent à ceux de leurs salariés rattachés à cette installation.

Ensuite, la cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en estimant qu’en dépit de l'affectation du produit de cet impôt de production aux diverses branches de la sécurité sociale, l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité dans un autre État membre et soumis à la législation de sécurité sociale de cet État membre ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe d'unicité de la législation sociale qui découle des dispositions de l’art. 11 du règlement CE n° 883/2004 du Parlement 29 avril 2004.

Également, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les dispositions relatives à la taxe sur les salaires, en tant qu'elles prévoient l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées aux salariés exerçant leur activité à l'étranger, ne méconnaissaient ni la liberté de circulation des travailleurs, ni celle des citoyens de l'Union, ni la liberté d’établissement ni le principe de la libre prestation de services.

Enfin, la cour n’a pas non plus commis d’erreur de droit en écartant l'argumentation de la requérante, tirée de l'invocation d’accords de sécurité sociale conclus entre la France et divers États dès lors que la taxe sur les salaires a le caractère d'une imposition de toute nature et non d'une cotisation de sécurité sociale. 

(13 juillet 2022, Société HSBC Continental Europe (France), n° 460386)

 

96 - Avantage en argent - Versement rétribuant l’exercice effectif de responsabilités au sein d’une société - Inclusion dans la base d’imposition - Circonstance indifférente d’un versement réalisé par une filiale d’un même groupe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour juger que n’entrait pas dans la catégorie des traitements et salaires l'avantage correspondant à l'attribution à prix préférentiel à M. C., par la société Charly et par Mme B., d'actions de la société Prosol Gestion car celui-ci n'était salarié ni de la société Charly ni de la société Prosol Gestion, mais d'une autre société du même groupe. Il résulte en effet des dispositions combinées des art. 79 et 82 du CGI que la circonstance que l'avantage en cause avait été consenti non par la société mère du groupe mais par une de ses filiales et une de ses actionnaires de référence ne lui ôtait pas le caractère de versement incitatif visant à rétribuer l'exercice effectif de fonctions dirigeantes de M. C. au sein de ce groupe et qu’il devait, comme l’a justement décidé l’administration fiscale, être imposé dans la catégorie des  traitements et salaires.

(19 juillet 2022, ministre de l’économie…, n° 456671)

 

97 - Institut français du textile et de l’habillement - Exercice d’une activité lucrative - Absence - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d’État joint ici quatre affaires jugées par deux cours d’appel différentes et mettant en cause le même organisme requérant à propos de questions identiques.

Pour juger que l’institut demandeur exerce une activité de caractère lucratif et qu’en conséquence il devait être assujetti aux impôts commerciaux sur la totalité de son activité notamment à la taxe professionnelle, les cours administratives d’appel ont retenu qu'il avait vocation à permettre aux professionnels du secteur du textile et de l'habillement de réduire leurs coûts, d'augmenter leurs recettes ou de faciliter l'exercice d'un des aspects de leur activité.

Le Conseil d’État, constate d’abord que cet institut, est un centre technique industriel, régi par les dispositions des articles L. 521-1 et suivants du code de la recherche, qu’il est chargé de promouvoir le progrès des techniques et de participer à l'amélioration du rendement et à la garantie de la qualité dans l'industrie textile et de l'habillement, qu’il réalise à cette fin, à la demande d'entreprises du secteur, des travaux de laboratoires et d'ateliers expérimentaux et qu’il participe à des enquêtes sur la normalisation ainsi qu'à l'établissement des règles de contrôle de la qualité des produits textiles.

Il en déduit ensuite, que les cours administratives d’appel devaient rechercher, ce qu’elles n’ont pas fait, si la partie de l'activité de l'institut en litige bénéficiait seulement à certaines entreprises qui en retiraient un avantage concurrentiel, alors qu'il était soutenu devant elles que l'activité en litige consistait en des actions collectives engagées dans l'intérêt de l'ensemble des professionnels du secteur.

C’est pourquoi il est à la cassation.

(19 juillet 2022, Institut français du textile et de l’habillement, n° 458701 ; n° 459431 ; n° 459443 ; n° 459445, quatre espèces jointes)

 

98 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Participation à un circuit de fraude - Société présumée connaître cette fraude ou ne pouvoir en ignorer l’existence - Pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond - Rejet.

L’administration fiscale a assujetti une société à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré, au motif qu'elle avait participé à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée mis en place par deux autres sociétés, qu'elle connaissait ou dont elle ne pouvait ignorer l'existence.

La société a saisi, en vain, le tribunal administratif mais obtenu gain de cause en appel.

Le ministre défendeur se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a déchargé la contribuable de ces droits et pénalités.

Le Conseil d’État reconnaît aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation en cette matière sous réserve de l’exception de dénaturation et constate qu’en l’espèce c’est sans dénaturation que la cour, pour décharger la contribuable des droits et pénalités mis à sa charge, a jugé que l’administration ne pouvait être regardée comme apportant la preuve que la société contribuable savait ou ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude. À cet effet, la cour a retenu :

- que la société contribuable disposait de plusieurs fournisseurs et que l’une des sociétés contrevenantes n'était que le deuxième d'entre eux en termes de chiffre d'affaires tandis que l’autre société contrevenante ne lui avait adressé qu'une seule facture,

- que les prix proposés par ces deux sociétés étaient, à l'exception d'une facture, inférieurs de moins de 4 % aux prix pratiqués par leurs concurrents,

- que l'existence de liens personnels ou économiques entre la société contribuable et les sociétés contrevenantes n'était pas établie,

- que l'imprécision de l'objet social, la circonstance que le capital social des sociétés fraudeuses était faible et la discordance entre l'adresse de domiciliation et celle du compte bancaire ne pouvaient être regardées, en l'espèce, comme des indices suffisants pour permettre à leurs clients de soupçonner une fraude,

- que l'absence de salarié et l'absence de moyens d'exploitation n'étaient pas nécessairement connues de la contribuable,

- enfin, que la circonstance que cette société savait que les produits étaient expédiés par les fournisseurs des deux sociétés fraudeuses ne permettait pas davantage, à elle seule, d'établir qu'elle avait connaissance de participer à une fraude.

(20 juillet 2022, ministre de l’action et des comptes publics, n° 439467)

 

99 - Impôt sur les sociétés - Détermination du bénéfice net - Charges déductibles - Rémunération d’une garantie de risque - Manquement délibéré - Dénaturation des pièces du dossier - Cassation sans renvoi (second pourvoi).

La société Control Union Inspection France (CUIF) a versé certaines sommes de 2007 à 2009, à la société Control Union Western Hemisphere (CUWH) NV, filiale du même groupe, en rémunération de la garantie des risques liés à l'exécution du contrat signé le 11 juillet 2006 avec l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) par lequel celui-ci lui a confié l'inspection et le contrôle des cargaisons de céréales qu'il importe par voie maritime. Elle a, en conséquence, déduit ces sommes du chiffre d’affaires réalisé.

L'administration a remis en cause, sur le fondement des art.  238 A et 39, point 1 du CGI, la déductibilité de ces sommes et l’a assujettie en premier lieu à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de chacun des exercices vérifiés, assorties de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, en deuxième lieu, à des retenues à la source au titre des mêmes exercices, en application de l'article 119 bis de ce code, également assorties de la majoration pour manquement délibéré, dès lors que les sommes en cause ont été regardées comme des revenus réputés distribués au sens du 1 du 1° de l'article 109 du même code, et, en troisième lieu, à des cotisations minimales de taxe professionnelle au titre des années 2008 et 2009, faute pour les sommes versées à la société CUWH NV de pouvoir être déduites de la valeur ajoutée de la société CUIF.

Par deux jugements, le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux demandes de la société CUIF tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. Puis, par un arrêt rendu sur appel du ministre, la cour administrative d’appel a annulé ces jugements et remis à sa charge les impositions et pénalités en litige.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi par la société CUIF, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour.

Par un arrêt du 4 juin 2020, la cour a remis à la charge de la société CUIF les impositions en litige, à l'exclusion des pénalités, annulé les jugements en ce qu'ils étaient contraires à son arrêt et rejeté le surplus des conclusions d'appel du ministre. Cette dernière société se pourvoit contre cet arrêt en tant qu'il a fait partiellement droit aux conclusions d'appel du ministre.

La cour administrative d’appel, pour refuser la déductibilité des charges d’assurance, avait retenu que la réalité et la valeur des contreparties retirées par la société CUIF de ces prestations ne pouvaient être regardées comme établies et s’était fondée pour cela sur les motifs suivants :

- l'administration contestait l'exercice habituel par la société CUWH de la profession d'assureur et affirmait que la société CUIF n'apportait aucune justification de la capacité juridique et financière de cette société à lui fournir effectivement les prestations d'assurance prévues par le contrat et dont la rémunération, à hauteur de 0,30 dollar par tonne de céréales transportée, n'avait fait l'objet, d'ailleurs, d'aucun calcul fondé sur une évaluation du risque lors de sa conclusion et n'avait pas été révisée en fonction de la sinistralité constatée,

- la circonstance que la société CUIF avait refacturé à la société CUWH les réfactions de prix mises à sa charge par l'OAIC en exécution de la convention qui les liait, et que cette dernière société s'en était acquittée, pour un montant très sensiblement inférieur au montant des primes reçues, ce qui n'était pas davantage de nature à établir la réalité de la prestation d'assurance,

- enfin, que s'il n'était pas contesté que la société CUWH avait garanti, à hauteur d'un million de dollars, la bonne exécution par la société CUIF de ses obligations contractées envers l'OAIC, la société CUIF n'apportait aucun élément de nature à établir la part revenant à la contrepartie ainsi retirée des sommes versées, qui correspondaient indistinctement à cette garantie et à l'assurance, et qui représentaient, à elles seules, comme l'administration le faisait valoir, plus de 30 % de la rémunération versée par l'Office algérien interprofessionnel des céréales.

Le Conseil d’État aperçoit dans la conclusion de ce raisonnement une dénaturation des pièces du dossier puisqu’il résultait des propres constatations de la cour que la société CUWH s'était effectivement acquittée de ses obligations contractuelles, qu'il n'était pas démontré que le montant des primes d'assurance était excessif au regard des conditions du marché et qu'il n'y avait aucune raison de rémunérer séparément le coût de la garantie, qui n'est qu'une modalité d'exécution de la responsabilité contractuelle de la société CUIF, couverte par le contrat d'assurance qu'elle avait conclu avec la société CUWH.

Statuant au fond, le Conseil d’État juge - très logiquement -, rejetant le pourvoi du ministre et confirmant les jugements du tribunal administratif, que la société CUIF produit des éléments suffisants quant à l'existence et la valeur de la contrepartie qu'elle a retirée des prestations assurées par la société CUWH et que l'administration n'apporte pas la preuve que ces charges seraient dépourvues de contrepartie pour le contribuable, qu'elles auraient une contrepartie dépourvue d'intérêt pour lui ou que la rémunération de cette contrepartie serait excessive et, dès lors, que ces charges ne seraient pas déductibles. 

(20 juillet 2022, Société Control Union Inspection France, n° 442362)

(100) V. aussi, identique à la décision précédente : 20 juillet 2022, Société Control Union Inspection France, n° 442366.

 

101 - Taxe sur les surfaces commerciales - Champ et conditions d’application - Réduction de taux pour les activités exigeant une surface anormale de vente - Refus d’appliquer le taux de réduction de 30% - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La taxe sur les surfaces commerciales est assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 (loi du 13 juillet 1972, art.3).

Par ailleurs, une réduction de taux a été instituée en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées, elle a été fixée à 30% en ce qui concerne la vente exclusive de certaines marchandises énumérées au décret du 26 janvier 1995 (art. 3) dont les meubles meublants.

La société requérante - qui exerce une activité de vente de biens et de réalisation de prestations concernant l'aménagement de la maison - a fait l’objet d’un redressement fiscal pour avoir appliqué le taux de réduction de 30%.

Elle a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa demande motif pris de ce qu’une fraction des surfaces des établissements en litige n'était pas affectée à la vente exclusive de matériaux de construction ou de meubles meublants.

Le jugement est annulé, sur pourvoi, car le tribunal n’a pas recherché, comme il le lui incombait, si la société, comme elle le soutenait, exploitait des surfaces affectées à titre exclusif à une activité consistant à vendre des meubles meublants ou des matériaux de construction.

(20 juillet 2022, SAS Lapeyre, n° 449677)

(102) V. aussi, en sens inverse de la solution précédente et à propos de la même société, l’annulation de jugements estimant établies les affirmations de la société contribuable sur  l’affectation de surfaces commerciales à la vente de marchandises bénéficiant du taux réduit dès lors qu’elles ne sont pas contredites par l’administration fiscale, alors que, selon le juge de cassation, il incombait aux tribunaux de rechercher si les articles ainsi vendus constituaient des meubles meublants ou des matériaux de construction au sens des dispositions du décret du 26 janvier 1995.

Ces solutions sont très discutables en l’état de l’attitude de l’administration fiscale : 20 juillet 2022, SAS Lapeyre, n° 451869 ; n° 451869 ; n° 452641 ; n° 455249, quatre espèces.

 

103 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas d’un immeuble démoli - Condition d’exonération - Distinction entre un immeuble impropre à toute utilisation et un immeuble inutilisable - Rejet.

Sont exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties, d’une part les immeubles faisant l’objet de travaux entrainant leur destruction intégrale avant leur reconstruction et cela jusqu’à l’achèvement des travaux, d’autre part les immeubles qui font l’objet de travaux nécessitant une démolition qui, sans être totale, affecte leur gros œuvre d'une manière telle qu'elle les rend dans leur ensemble impropres à toute utilisation. 

En revanche ne sont pas exonérés les immeubles qui - comme au cas de celui concerné en l’espèce - font l'objet de travaux qui, sans emporter ni démolition complète ni porter une telle atteinte à leur gros œuvre, les rendent inutilisables au 1er janvier de l'année d'imposition.

La distinction est subtile et critiquable.

Elle est par trop subtile car on voit mal la différence entre, d’une part, les deux catégories d’immeubles exonérés qui, lorsque ceux-ci deviennent, au cours de leur reconstruction ou travaux, impropres à toute utilisation, continuent à être exonérés jusqu’à l’achèvement des travaux, et d’autre part, ceux simplement inutilisables…

Elle est critiquable car l’institution de la taxe sur le foncier bâti a pour seule cause impulsive et déterminante non l’existence même de ce bâti mais les dépenses de tous ordres que son utilisation fait peser sur la collectivité (ordures ménagères, éclairage des rues, risque d’incendie, voies et réseaux à créer et ou entretenir, etc.). L’inutilisabilité (si l’on peut oser le terme) objective d’un immeuble ne correspond point à cela.

(21 juillet 2022, Société 30 AGV, n° 453616)

(104) V. aussi, à propos de cet impôt, la décision jugeant que commet une erreur de droit le juge qui estime légal l’assujettissement à cet impôt d’ombrières supportant une activité de production d'électricité d'origine photovoltaïque du seul fait que des panneaux photovoltaïques sont fixés sur des structures porteuses en bois, de plusieurs mètres de hauteur, ancrées au sol par des vis de fondation et qui bien que conçues pour être démontables, ne sauraient être regardées comme pouvant être déplacées, alors qu’il devait être examiné également si ces structures étaient destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits, ou si elles constituaient des ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions : 21 juillet 2022, Société Energie Plaine du Mas Dieu, n° 450831.

(105) Voir également, annulant le jugement qui, dénaturant les pièces du dossier, qualifie la demande dont il est saisi comme relative à un changement de consistance des locaux tel que prévu à l'article 1517 du CGI alors que la société requérante demandait la rectification des surfaces servant au calcul de la valeur locative qu'elle estimait inexactes en raison d'une erreur de déclaration commise par l'ancien propriétaire des lieux : 22 juillet 2022, Société DHL Holding France, n° 440588.

 

106 - Taxe sur les propriétés foncières non bâties - Demande de décharge - Transformation d’un port autonome en un grand port maritime - Détermination du redevable de la taxe - Rejet.

Le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS), venant aux droits du grand port maritime du Havre (GPMH), se pourvoit contre le jugement par lequel ont été rejetées ses demandes de dégrèvement des cotisations de taxe foncière auxquelles il a été assujetti dans diverses communes au titre des biens qu’il y possède.

Le pourvoi est rejeté.

 Le juge relève qu’il résulte des dispositions du I de l'article L. 101-6 du code des ports maritimes, en vigueur lors de la création du GPMH) que lorsqu'un port autonome est transformé en un grand port maritime, cette transformation n'emporte pas une mutation de propriété au sens et pour l'application des art. 1380, 1403 et 1415 CGI. Dès lors une telle transformation ne nécessite pas la publication d'un acte translatif de propriété au fichier immobilier.

C’est donc sans erreur de droit que le magistrat désigné a jugé que, lorsqu'un transfert de propriété à un port autonome a fait l'objet d'une publication, le bien immobilier concerné peut faire l'objet d'un avis d'imposition établi au nom du grand port maritime sans publication préalable au fichier immobilier, et en en déduisant que l'administration avait à bon droit désigné le grand port maritime comme redevable légal des impositions en litige.

(22 juillet 2022, Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS), venant aux droits du grand port maritime du Havre (GPMH), n° 449554)

(107) V. aussi, identique s’agissant à la fois de demandes de décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties, de taxe d'enlèvement des ordures ménagères et de taxe foncière sur les propriétés non bâties sur les territoires d’autres communes : 22 juillet 2022, Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS), venant aux droits du grand port maritime du Havre (GPMH), n° 452961 ; n° 463852.

 

108 - Participation spécifique pour la réalisation d'équipements exceptionnels (art. L. 332-8 c. urb.) - Émission de titres de perception en vue du paiement de cette participation - Régime contentieux de la contestation de ces titres - exception de chose jugée - Erreur de droit - Annulation.

Une communauté de communes a, dans le cadre de la création et de l'aménagement d’une zone d'activités, institué une participation spécifique pour la réalisation d'équipements publics exceptionnels prévue à l’art. L. 332-8 du code de l’urbanisme. Après avoir accordé à la société JM6 un permis de construire des locaux commerciaux dans cette zone, le maire de la commune d’assiette de la zone d’activités, a mis à sa charge une participation financière. Puis, le préfet ayant accordé à cette société un second permis de construire pour la création et l'extension de lots dans la zone d'activités, la commune a mis à nouveau à sa charge une participation financière. La société ayant contesté en vain au contentieux devoir ces sommes (rejets par le tribunal administratif le 17 mars 2015 et par la cour administrative d’appel le 17 décembre 2015), le président de la communauté de communes « Rives de Moselle » a émis, le 26 février 2015, deux titres de perception qui, sur recours de la société, ont été annulés par la cour administrative d’appel.

Contre cet arrêt se pourvoit avec succès la communauté de communes.

Le Conseil d’État rappelle qu’en principe le destinataire d'un titre de perception peut contester, à l'appui de son recours contre cet acte, et dans un délai de deux mois suivant la notification de ce dernier, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance est devenue définitive.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, des moyens relatifs au bien-fondé de la créance ont été écartés dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision administrative initiale par une décision juridictionnelle revêtue de l'autorité relative de la chose jugée, cette autorité, eu égard à l'identité d'objet existant entre un tel recours et le recours de plein contentieux contre le titre de perception, susceptible d'être formé par l'intéressé à l'encontre de la même personne publique, s'oppose, dès lors qu'elle est invoquée par cette dernière car ce moyen n’est pas d’ordre public, à ce que le bien-fondé de la créance soit, à l'occasion de ce second recours, de nouveau contesté par le débiteur. 

La cour a donc commis une erreur de droit en écartant l'exception de chose jugée invoquée par la communauté de communes « Rives de Moselle » à l'appui de ses conclusions tendant au rejet de la requête de la société JM6 formant opposition aux deux titres de perception et contestant le bien-fondé des participations d'urbanisme mises à sa charge au regard des conditions énoncées à l'article L. 332-8 du code de l'urbanisme, alors que l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 17 décembre 2015 s'opposait à ce que le bien-fondé de la créance en litige soit de nouveau contesté.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État, relève d’une part que les titres exécutoires litigieux satisfaisaient bien aux conditions de forme et de fond imposées par l’art. 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et, d’autre part, que l'autorité relative de la chose jugée dont est revêtu l'arrêt définitif de la cour administrative d'appel du 17 décembre 2015, qui s'est déjà prononcé sur le bien-fondé des participations spécifiques pour la réalisation d'équipements publics exceptionnels remises à la charge de la société JM6, fait obstacle, ainsi que le soutient la communauté de communes « Rives de Moselle », à ce qu'il soit à nouveau statué sur ce bien-fondé à l'occasion du recours dirigé contre les titres de perception.

(22 juillet 2022, Communauté de communes « Rives de Moselle », n° 443366)

 

109 - Acquisition de titres de participation - Régime d’imposition applicable aux plus-values à long terme en résultant - Définition comptable des titres de participation - Conditions réalisées en l’espèce - Erreurs de droit et de qualification juridique - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La société Areva a acquis en septembre 2005 des titres de la société Suez à hauteur de 2,2% du capital de celle-ci ; elle les a classés, en décembre 2005, comme « titres de participation ». Puis, à la suite de la filialisation de l'activité environnementale de la société Suez suivie de la fusion des sociétés Suez et GDF le 2 juillet 2008, la société Areva a inscrit à son actif les titres GDF-Suez pour une valeur de 1.136.000.142 euros en contrepartie de la sortie du bilan des titres Suez pour une valeur de 585.412.049 euros et elle a soumis la plus-value ainsi réalisée au régime des plus-values à long terme, donc au taux de 0%, en application des dispositions du a) quinquies du I de l'article 219 du CGI. L’administration fiscale a remis en cause la qualification comme « titres de participation » et a soumis l’intégralité de la plus-value au taux de droit commun.

La société Areva a contesté avec succès cette décision devant le tribunal administratif et elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel qui, annulant ce jugement, a rétabli le taux d’imposition retenu par l’administration fiscale.

Des dispositions combinées du a) quinquies du I de l'article 219 du CGI, - lequel retient comme titres de participation ceux « revêtant ce caractère sur le plan comptable » - et de l’art. R. 123-184 du code de commerce, il résulte que « les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. Une telle utilité peut notamment être caractérisée si les conditions d'achat des titres en cause révèlent l'intention de l'acquéreur d'exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d'exercer une telle influence. Une telle utilité peut aussi être caractérisée lorsque les conditions d'acquisition des titres révèlent l'intention de la société acquéreuse de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu'une telle détention lui confère ou les avantages qu'elle lui procure pour l'exercice de cette activité. » 

Faisant application de ces éléments, le Conseil d’État juge qu’en l’espèce la cour administrative d’appel, en admettant l’appel du ministre de l’action et des comptes publics et en annulant le jugement qui avait accordé à la société Areva la réduction du supplément de base imposable mis à sa charge, a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’a jugé la cour, du fait de ces titres la société Areva disposait de prérogatives juridiques lui permettant, par exemple, de demander l'inscription d'une résolution aux assemblées générales du groupe.

Ensuite, en dépit d’un montant faible, le taux de participation d’Areva dans la société, soit 2,2%, en faisait le cinquième plus important actionnaire de cette société, avec des droits de vote devant s'élever à 3,7 % à l'issue d'une période de deux ans de détention, d’autant que les deux principaux actionnaires ne détenaient respectivement que 11,5 % et 5,5 % des droits de vote sans qu'aucun pacte d'actionnaires n'ait été conclu. Au reste, la présidente de son directoire a conservé son siège, même si c'était à titre personnel, au sein du conseil d'administration.

Enfin, cette acquisition de titres, comme indiqué par la présidente du directoire d’Areva, ne relevait pas d'une nouvelle politique générale consistant à prendre des participations chez ses clients, mais d'une démarche propre à la société Suez liée au développement des activités d'Areva en matière nucléaire en Belgique et en Europe.  De plus, l'Agence des participations de l'État n'a, à aucun moment, contesté ce reclassement en « titres de participation », qui n'est d’ailleurs pas incompatible avec le classement des titres, au regard des normes IFRS, en tant qu'« actifs disponibles à la vente ». Par ailleurs, les deux groupes entretenaient d’anciennes relations dans le marché du nucléaire ce qu’atteste le triplement du chiffre d’affaires réalisé entre 2005 et 2009 par Areva avec Suez.

La cour a ainsi commis une erreur de qualification juridique en refusant la qualification de « titres de participation » aux acquisitions d’Areva dans Suez et alors qu’elle devait « seulement (…) vérifier si l'intention de la société Areva était de favoriser son activité au regard notamment des prérogatives juridiques conférées ou des avantages procurés et (…), particulièrement dans le secteur en cause, tenir compte du temps nécessaire au développement des activités commerciales (…) ».

(22 juillet 2022, Société Areva, n° 449444)

 

110 - Exercice d’une activité occulte de vente de cartes téléphoniques - Exercice par l’administration de son droit de reprise ou de rectification - Droit pouvant s’exercer dans un délai de dix ans - Contribuable disposant d’une même durée pour présenter sa réclamation - Erreur de droit - Annulation.

Le demandeur, à la suite d’une vérification, a fait l’objet d'une proposition de rectification puis a été assujetti à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de la majoration de 80%, au titre de la période du 1er janvier 2008 au 28 février 2009, à raison de l'exercice d'une activité occulte de vente, en France, de cartes téléphoniques.

Son recours en décharge de ces droits et pénalités a été rejeté en première instance et en appel. L’intéressé se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel en ce qu’il est fondé sur le caractère tardif de son recours motif pris de ce que si l'art. L. 176 du livre des procédures fiscales prévoit, par exception, un délai dérogatoire de reprise de dix ans lorsque le contribuable exerce une activité occulte, ces dispositions n'ont pas pour effet de porter le délai de réclamation d'un contribuable exerçant une telle activité à dix ans lorsque l'administration a mis en œuvre son droit de reprise, à son égard, dans le délai de droit commun de trois ans.

L’arrêt est évidemment annulé.

Il résulte de l’art. R. 196-3 du livre des procédures fiscales que « Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ». La circonstance que, disposant d’un délai de dix ans, l’administration ait notifié les résultats de l’exercice du droit de reprise ou de rectification dans le délai de droit commun de trois ans ne saurait faire échec à la règle susrappelée fixée à l’art. R. 196-3 du LPF. La détermination du délai d’action est exclusivement liée à la nature du droit exercé par l’administration non à son comportement concret en l’espèce. Ici, s’agissant du droit de reprise à l’encontre d’une activité occulte, le délai de prescription est de dix ans, pour l’administration comme pour le contribuable.

La cour a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt avec renvoi.

(22 juillet 2022, M. C., n° 451206)

 

111 - Crédits de TVA - Demande de remboursement de ces crédits par la société créancière - Silence de l’administration - Cession par la société de cette créance professionnelle à une banque (cession Dailly ; art. L. 313-23 et suiv. du code monétaire et financier) - Recours contentieux direct de la banque cessionnaire en vue d’obtenir ce remboursement - Qualité pour agir du cessionnaire sur le fondement de la réclamation introduite par le cédant - Fin de non-recevoir opposé par l’administration - Rejet.

Une société qui avait, antérieurement, formé une demande préalable tendant à voir remboursés par l’administration des crédits de TVA qu’elle détenait, les cède à une banque selon la procédure dite de cession Dailly. L’administration ayant implicitement rejeté la demande de remboursement, la banque a saisi le juge administratif d’une demande d’annulation de ce refus.

L’administration opposait à cette action contentieuse une fin de non-recevoir tirée du défaut de réclamation préalable par cette banque.

La cour administrative d’appel est approuvée pour avoir, au visa des art. L. 321-23 et suivants du code monétaire et financier, rejeté cette exception en se fondant sur ce que la demande de la banque, présentée directement devant le tribunal administratif et tendant au remboursement des crédits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui avaient été cédés par la société, a été introduite après le rejet implicite des demandes de remboursement valant réclamations préalables présentées par la société cédante à l'administration fiscale.

Cette solution, conforme à la logique des affaires et des cessions Dailly et à la tendance jurisprudentielle (20 septembre 2017, Société Monti Paschi Banque, n° 393271), doit être approuvée.

(22 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances, n° 451251)

 

112 - Cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) des entreprises - Assujettissement de la caisse nationale des barreaux français - Absence d’appartenance de cette caisse à une catégorie de personnes morales exonérées de cette imposition - Rejet.

Opérant une substitution de motif, le Conseil d’État juge que faute pour elle de relever d’une catégorie de personnes morales exonérée par le II. de l’art. 1447 du CGI de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la caisse nationale des barreaux français, organisme de sécurité sociale, y est assujettie alors même que les loyers qu’elle perçoit ne sont pas des revenus d’une activité lucrative et qu’ils sont affectés à la réalisation même de sa mission désintéressée de gestion des retraites des avocats, ces circonstances étant inopérantes au regard des dispositions du 1bis de l’art. 206 du CGI.

(22 juillet 2022, Caisse nationale des barreaux français, n° 452730)

 

113 - Sommes provenant de la réalisation d’infractions en matière de stupéfiants - Personne collectant ces sommes - personne considérée et imposée pour avoir eu la libre disposition de fonds provenant de certaines infractions - Garde seulement temporaire d’une somme d’argent résultant d’infractions - Erreur de droit - Annulation.

A la suite de la saisie au domicile du contribuable requérant d’une importante somme d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants ayant donné lieu à condamnation pénale, l’administration fiscale a considéré, sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du CGI, que celui-ci devait être imposé, avec pénalités, sur les sommes dont il avait eu la libre disposition.

Ses recours ayant été rejetés, il se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Pour annuler cet arrêt, le Conseil d’État retient que lorsqu'une personne n'a eu que la garde temporaire d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées à l’article précité, elle doit être regardée comme n'en ayant pas eu la libre disposition au sens de ces dispositions.

Tel est le cas en l’espèce où le contribuable n’a été qu’un collecteur de fonds au profit de donneurs d'ordre situés au Maroc. Il ne pouvait relever, contrairement à ce qu’a jugé la cour au prix d’une erreur de droit, du régime prévu au 1. de l’article précité du CGI mais relevait de celui institué au 2. de cette disposition.

(22 juillet 2022, M. C., n° 454050)

 

114 - Exonération d’impôt sur les sociétés - Entreprises nouvelles installées dans les zones d’aide à finalité régionale (ZAFR) - Distinction entre activité sédentaire et activité non sédentaire - Rejet.

Un contentieux est né de l’application des dispositions de l'article 44 sexies du CGI qui exonère de l’impôt sur les sociétés les entreprises nouvelles s’installant dans les zones d'aide à finalité régionale (ZAFR) en fonction de la nature de l'activité exercée par l'entreprise. La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif par lequel une cour administrative d’appel rejette sa demande d’annulation du refus de l’administration fiscale de la reconnaître éligible à ce mécanisme d’imposition.

Le Conseil d’État rejette son pourvoi en précisant avec beaucoup de clarté le mécanisme légal en cause.

Le bénéfice de l'exonération d'impôt créée par l’art. 44 sexies du CGI en faveur des entreprises nouvelles dans les ZAFR dépend de la nature de l'activité exercée par l'entreprise.

Si cette activité est sédentaire, c'est-à-dire qu'elle est réalisée au sein des locaux de l'entreprise, cette exonération s'applique à la condition que le siège social et l'ensemble des moyens d'exploitation de l'entreprise soient implantés dans une ZAFR.

Lorsque cette activité a un caractère non sédentaire, c'est-à-dire qu'elle est exercée, à raison de ses caractéristiques mêmes, pour une bonne part à l'extérieur des locaux de l'entreprise, cette dernière bénéficie néanmoins du régime d'imposition institué en faveur des entreprises sédentaires à la double condition, d’une part, que son siège social et l'ensemble des moyens d'exploitation dédiés à l'activité exercée soient implantés dans une ZAFR et d’autre part, que l'activité exercée en dehors de cette zone corresponde au plus à 15 % de son chiffre d'affaires. Si cette part est supérieure à 15 %, seul son chiffre d'affaires résultant de l'activité exercée dans la ZAFR ouvre droit au régime d'exonération d'impôt en faveur des entreprises nouvelles.

Le juge estime que la cour, en jugeant que cette activité, exercée pour une bonne part en dehors du siège et des locaux situés dans la ZAFR de Biarritz où la société Soltéa était installée, n'avait pas de caractère sédentaire, n'a entaché son arrêt ni de dénaturation des pièces du dossier, ni d'erreur de qualification juridique des faits.

(22 juillet 2022, Sarl Soltéa, n° 454426)

 

115 - Produits distribués par une société par prélèvement sur des sommes non soumises à impôt au taux normal - Obligation de versement d’un précompte jusqu’en 2004 (1. de l’art. 223 sexies du CGI) - Redistribution par une société mère établie en France, de dividendes en provenance de filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne - Jurisprudence de la CJUE excluant l’obligation du précompte - Question sérieuse - Transmission d’une QPC.

(25 juillet 2022, Société européenne Schneider Electric SE et sociétés anonymes Axa, Engie et Orange, n° 442224)

V. n° 277

 

116 - Procédure fiscale non contentieuse - Envoi de l'avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d’un contribuable - Envoi devant être libellé à l’adresse indiquée par le contribuable - Absence de preuve de l’exact libellé de l’adresse - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge irrégulière la procédure suivie en l’espèce par l’administration fiscale pour l’envoi à une adresse située aux États-Unis de la notification d’un avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle du contribuable concerné.

En effet, le contribuable avait déclaré à l’administration une adresse dans l’État de Virginie et celle-ci avait envoyé à cette même adresse le 7 janvier 2005 un avis d’examen de la situation fiscale personnelle du contribuable et le 25 mars 2005 un autre courrier.

Dès lors que l’administration n'établissait pas avoir régulièrement notifié l'avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle à cette adresse américaine et qu’elle ne soutenait ni que cette adresse était fictive ni qu’elle était destinée à l’égarer, la cour ne pouvait que juger les impositions en litige comme ayant été établies à la suite d'une procédure irrégulière.

Le pourvoi du ministre est rejeté.

(25 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances…, n° 449436)

 

 

Droit public de l'économie

 

117 - Pratiques anti-concurrentielles – Refus de l’Autorité de la concurrence d’accepter des engagements proposés par une société suite à une préoccupation de concurrence – Acte non détachable de la procédure d’instruction ouverte par cette Autorité - Recours contre ce refus ne relevant pas de la compétence de la juridiction administrative – Rejet.

L’autorité de la concurrence, saisie de pratiques mises en œuvre par le groupe Sony sur le marché des consoles statiques de jeux vidéo de huitième génération et sur celui des accessoires de contrôle compatibles avec la console PlayStation 4, a adressé aux sociétés de ce groupe une évaluation préliminaire qui portait sur des préoccupations de concurrence soulevées par deux des cinq pratiques dénoncées relatives d'une part, au déploiement, à compter de novembre 2015, d'un programme de contre-mesures techniques visant à affecter le bon fonctionnement des manettes de jeux tierces présumées contrefaisantes et, d'autre part, à la politique d'octroi de licences aux entreprises souhaitant commercialiser des manettes compatibles avec la console PlayStation 4. En réponse,  la société Sony Interactive Entertainment Europe Limited a présenté plusieurs versions successives d'une proposition d'engagements qui ont été rejetées par l’Autorité de la concurrence. Celle-ci estimait que ces engagements ne permettaient pas de répondre aux préoccupations de concurrence identifiées et a renvoyé le dossier à l'instruction.

Les sociétés requérantes demandent au Conseil d’État l'annulation de ce refus pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État estime que cette requête ne peut être regardée comme un acte détachable de cette procédure, pouvant ainsi faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir car elle n'est pas susceptible de produire des effets par elle-même indépendamment de la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence dans laquelle elle s'inscrit. Il s’ensuit que la juridiction administrative est incompétente pour en connaître, les dispositions du code de commerce (L. 462-8, L.464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27) soumettant le contentieux des décisions de l’Autorité de la concurrence à la cour d’appel judiciaire de Paris s'appliquant aux décisions que prend l'Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles. 

(1er juillet 2022, Société Sony Interactive Entertainment France et société Sony Interactive Entertainment Europe Limited, n° 448061)

 

118 - Droit public de l'agriculture - Demande d'autorisation préfectorale d'exploiter des terres agricoles - Substitution en cours d'instruction de la demande  d'un schéma directeur régional des exploitations agricoles au schéma directeur départemental des structures agricoles en vigueur lors du dépôt de la demande d'autorisation - Document applicable en cas de décision préfectorale postérieure à l'entrée en vigueur du nouveau schéma - Appréciation des demandes de concurrents formées après cette entrée en vigueur - Circonstance indifférente - Application des dispositions en vigueur au moment de la saisine du préfet - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de l'arrêté préfectoral du 12 juillet 2016 autorisant le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de Pors Clochet à exploiter 59,36 ha de terres situées sur les communes de Carnöet et de Ploura'ch et antérieurement mises en valeur par un agriculteur.

Il estimait que pour apprécier la juridicité de cet arrêté il fallait tenir compte non pas des dispositions du schéma directeur départemental des structures agricoles en vigueur le jour où le préfet a reçu la demande d'autorisation du GAEC mais de celles du schéma directeur régional des exploitations agricoles, document que la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a substitué au schéma départemental et qui étaient entrées en vigueur avant que le préfet ne prenne l'arrêté litigieux.

L'argumentation est rejetée en ses deux branches.

En premier lieu, il est jugé que le préfet saisi d'une demande d'autorisation d'exploitation agricole enregistrée avant la date d'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles, doit procéder à son contrôle et prendre sa décision selon les modalités, les seuils et les critères définis par le schéma directeur des structures agricoles du département applicable à la demande dont il est saisi alors même que sa décision intervient postérieurement à l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles.

En second lieu, répondant à l'autre branche de l'argumentation, le juge indique que la même solution doit être adoptée pour l'appréciation des demandes concurrentes alors même qu'elles seraient déposées après l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles. 

Cette double solution se comprend parfaitement si l'on considère qu'ici le préfet était saisi d'un recours pour excès de pouvoir, ce qui impose de tenir compte de la juridicité au jour de la formation de la demande alors qu'en plein contentieux il eût été tenu compte d'abord de la date à laquelle le préfet puis le juge ont statué.

Toutefois, on pourrait objecter s'agissant des demandes d'autorisation concurrentes, que celles-ci ont bien été formées en l'espèce postérieurement à l'entrée en vigueur du schéma régional. Cependant, un souci de simplicité conduit à choisir une unique règle d'application dans le temps pour l'ensemble des litiges relatifs à une même demande d'autorisation.

(12 juillet 2022, M. B., n° 440585)

 

119 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Sanctions - Pouvoirs et devoirs du juge du référé suspension saisi d’une demande de suspension des sanctions - Appréciation du caractère sérieux du moyen au regard du caractère disproportionné des sanctions infligées - Suspension ordonnée.

La commission des sanctions de l’AMF a infligé aux demandeurs, à raison de divers manquements, une sanction de 150 000 euros à la société DCT assortie d’une interdiction temporaire de cinq ans d’exercice de la profession de conseil en investissements financiers et une sanction de 200 000 euros, outre une interdiction d’exercice de même durée, à l’encontre de M. B.

Ceux-ci demandent que soit suspendue l’exécution de ces sanctions.

Après avoir constaté que les manquements reprochés sont constants et établis, le juge relève que si aucun des moyens soulevés par la société DCT et M. B... n'est de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à l’existence des trois manquements retenus par la commission de sanctions de l'AMF à leur encontre, il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, de vérifier si un tel doute ne naît pas du moyen tiré de ce que la sanction ne serait pas proportionnée, eu égard tant aux manquements constatés qu'aux autres critères mentionnés au III ter de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier.

Le juge relève d’abord l’absence de préjudice subi par les clients de la société du chef des manquements constatés ainsi que l’absence de tout gain ou avantage recueilli de ces manquements par les requérants.

Il relève ensuite, d’une part, que la sanction de 150 000 euros est quasiment égale à la moitié du chiffre d’affaires annuel de la société DCT et qu’elle est très supérieure au niveau de ses disponibilités financières, et d’autre part, s’agissant de M. B., que la sanction pécuniaire de 200 000 euros est supérieure au revenu annuel du ménage, y compris si l'on tient compte des disponibilités que M. B. pourrait retirer de la société au titre de son compte courant d'associé. De là se déduit le caractère disproportionné de ces deux sanctions, ce qui est de nature, en l’état, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette sanction.

Joint au caractère certain de l’urgence à statuer, ce second motif conduit à la suspension des sanctions litigieuses.

(ord. réf. 18 juillet 2022, Société en nom collectif DCT et M. B., n° 465352)

 

120 - Secteur de la distribution alimentaire en Guyane - Prise de contrôle exclusif d’une société - Notification à l’Autorité de la concurrence - Autorisation accordée sous réserve du respect de conditions suspensives - Contrôle du juge administratif - Contrôle plein et entier - Rejet.

La requérante conteste les décisions par lesquelles l’Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif de la société NDIS par la société antillaise frigorifique (SAFO), a agréé la société Sainte-Claire et Cie comme repreneur du fonds de commerce exploité par la société NG Kon Tia relevant de l’enseigne Carrefour.

Dans un contexte territorial particulier était en jeu le maintien d’une concurrence effective sur le marché du commerce, alimentaire pour l’essentiel, l’opération en cause pouvant affecter cette concurrence, d’où le recours introduit.

Celui-ci est rejeté en tous ses chefs de critique, de forme donc de légalité externe, de fond donc de légalité interne.

Il ne saurait être question dans les limites de cette Chronique d’exposer l’ensemble de l’analyse par le juge de la critique des décisions de l’Autorité de la concurrence.

Sont examinées notamment, dans cette riche décision du Conseil d’État :

- la correcte motivation de la décision autorisant la concentration,

- la délimitation satisfaisante par l’Autorité de la concurrence des marchés pertinents, - la bonne qualité de l'analyse concurrentielle relative au marché aval de la distribution au détail à dominante alimentaire,

- le contenu et la régularité des engagements pris par les opérateurs de la concentration tant les engagements principaux que celui dit alternatif, qu’il s’agisse des engagements relatifs au marché de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires ou de ceux relatifs au marché aval de la distribution au détail à dominante alimentaire, etc.

On se permet de renvoyer le lecteur intéressé par ce sujet au texte même, assez long, de cette décision.

(22 Juillet 2022, Société commerciale Guyane Ruiling (SCGR), n° 436274)

 

121 - Appellation d’origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie » - Recours à la mention « fabriqué en Normandie » - Obligation de se conformer à un cahier des charges - Application de la réglementation de l’Union - Exigences d’étiquetage - Droits acquis des fabricants normands de camembert hors AOP - Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait, en premier lieu, l’annulation, d'une part, de l'avis de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, (DGCCRF) du 9 juillet 2020 relatif à la protection de la dénomination enregistrée en AOP « Camembert de Normandie », en tant qu'il pose une interdiction générale de la mise en exergue de la mention « fabriqué en Normandie » sur un fromage ne répondant pas aux cahiers des charges de l'AOP et, d'autre part, de la décision de rejet née du silence gardé par la DGCCRF sur la demande du syndicat du 31 août 2020, reçue le 9 septembre 2020, tendant au retrait de cet avis.

En second lieu, il demandait la transmission à la CJCE d’une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 13, paragraphe 1, dernier alinéa, du règlement n°1151/2012 du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, s'agissant d'une appellation d'origine protégée complexe composée à la fois d'un nom de produit générique et d'une dénomination géographique et de la faculté d'utiliser cette dénomination géographique en relation avec des produits ne répondant pas au cahier des charges de l'appellation d'origine protégée.

Ces demandes sont rejetées.

Il convient de rappeler le cadre juridique du litige.

Un avis aux opérateurs économiques sur la protection de la dénomination enregistrée en appellation d'origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie », publié le 9 juillet 2020 sur le site internet de la DGCCRF a fait savoir que : « la mise en exergue de la mention "fabriqué en Normandie", n'est pas possible sur un fromage ne répondant pas au cahier des charges de l'AOP car elle est de nature à constituer une violation de l'article 13 du règlement 1151/2012 et (de) l'article L. 722 du code de la propriété intellectuelle. Cette règle est valable aussi bien pour les produits mis sur le marché dans l'UE que pour les produits exportés dans des pays disposant d'accord de réciprocité avec l'UE ».

L'avis accorde aux opérateurs concernés un délai expirant le 31 décembre 2020 pour mettre en conformité leur étiquetage et leur indique que « les autorités en charge du contrôle et de la protection de ces dénominations (DGCCRF et INAO) actionneront toutes les voies de droit nécessaires à la pleine protection de la dénomination protégée "Camembert de Normandie" ».

C‘est de cet avis que le Syndicat normand des fabricants de camembert demande l'annulation pour excès de pouvoir.

I.- La réglementation européenne en la matière vise à la protection du consommateur par le respect scrupuleux des éléments constitutifs d’une appellation d’origine et la répression des mensonges ou astuces destinés à entretenir la confusion avec des produits ne relevant pas de cette appellation. Traduisant et transposant sur ce point le règlement n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, notamment son article 5, l'article L. 643-2, alinéa 1er, du code rural dispose : « L'utilisation d'indication d'origine ou de provenance ne doit pas être susceptible d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques du produit, de détourner ou d'affaiblir la notoriété d'une dénomination reconnue comme appellation d'origine ou enregistrée comme indication géographique ou comme spécialité traditionnelle garantie, ou, de façon plus générale, de porter atteinte, notamment par l'utilisation abusive d'une mention géographique dans une dénomination de vente, au caractère spécifique de la protection réservée aux appellations d'origine, aux indications géographiques et aux spécialités traditionnelles garanties ».

Parce que la dénomination « Camembert de Normandie » constitue une appellation d'origine protégée, elle bénéficie de la protection qui y est attachée.

Si tout fromage répondant aux prescriptions du décret du 27 avril 2007 concernant le produit dénommé « camembert » peut utiliser la dénomination « camembert », qui présente un caractère générique, cela ne peut être réalisé que dans des conditions qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la protection attachée à la dénomination « Camembert de Normandie ». C’est pourquoi, en ce cas, il ne saurait être fait mention, en association avec le terme générique « camembert », de l'origine « Normandie », laquelle ne constitue pas un terme générique, d'une manière telle que cette association de termes, en reprenant l'essentiel de la dénomination protégée, conduise le consommateur à avoir directement à l'esprit, à la lecture de cette mention, le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine.

Ainsi, l'avis litigieux, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, n'a pas édicté une interdiction générale et absolue dispensant d'un examen au cas par cas, puisqu’il a énoncé que la « mise en exergue » de la mention « fabriqué en Normandie » sur l'étiquette de fromages ne répondant pas au cahier des charges de l'AOP « Camembert de Normandie » était susceptible de porter atteinte à la protection accordée à cette AOP, et a enjoint, en conséquence, aux opérateurs concernés, de proscrire l'usage de cette mention dans des conditions qui, par son agencement ou ses modalités concrètes d'apposition, conduiraient à constituer une évocation répréhensible de la dénomination protégée. 

Par ailleurs, compte tenu des dispositions de l'article 26 du règlement n° 1169/2011 du 25 octobre 2011, et de celles du règlement précité n° 1151/2012, les producteurs concernés ne sont pas empêchés de mentionner, selon des modalités appropriées, le nom et l'adresse de l'entreprise de fabrication ce qui leur permet de se conformer aux obligations d'information du consommateur sur la provenance d'une denrée alimentaire. 

II.- Cependant, le point central de la décision porte sur l’atteinte que l’avis querellé porterait aux droits acquis des fabricants normands de camembert hors AOP.

Le syndicat demandeur fait observer la tolérance dont il a toujours bénéficié quant à l’emploi de l’appellation « Camembert de Normandie ». Ainsi, en premier lieu, le décret du 31 août 1983 et celui du 29 décembre 1986 qui l’a remplacé, relatifs à l’appellation d’origine « Camembert de Normandie » comportent un article 7 dont le second alinéa dispose : « Sous réserve des dispositions qui précèdent, l'emploi de la mention "Fabriqué en Normandie" est autorisé pour l'indication du lieu de fabrication prévu par la réglementation relative aux fromages, sur l'étiquetage des camemberts ne bénéficiant pas de l'appellation d'origine ». Pareillement, la pratique administrative a toujours laissé coexister sur le marché, d’une part, les fromages répondant au cahier des charges de l'AOP, qui exige l'emploi de lait cru, le moulage à la louche ainsi qu'une durée de pâturage de six mois pour des vaches devant provenir à 50 % de race normande, seuls autorisés à porter la mention « Camembert de Normandie », et d’autre part, des fromages portant la dénomination « camembert » et conformes à la définition de ce produit résultant du décret du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères, mais qui étant à base de lait pasteurisé ou thermisé ne peuvent bénéficier de l'AOP, comportant néanmoins sur leur étiquette la mention « fabriqué en Normandie ». L’argument est rejeté car le décret précité de 1986 a été abrogé par le décret du 18 septembre 2008 relatif à l'appellation d'origine contrôlée  « Camembert de Normandie » et, surtout, parce que le cahier des charges de cette appellation, qu’a approuvé le règlement d’exécution de la Commission européenne du 25 novembre 2013 ne contient aucune prescription relative à l'emploi de la mention « fabriqué en Normandie », pas davantage qu'aucune disposition législative ou réglementaire du droit de l'Union ou du droit interne.

Il suit nécessairement de là que nul n'ayant de droit acquis au maintien d'une règlementation, le syndicat requérant ne saurait soutenir que la suppression de la dérogation initialement admise porterait atteinte aux droits des fabricants concernés. La tolérance dont l’administration a fait preuve même postérieurement à l'intervention du décret du 18 septembre 2008 ne saurait avoir créé, au profit des producteurs de camembert hors AOP, un droit à porter atteinte à la protection attachée à l'AOP. Le Syndicat normand des fabricants de camembert n'est donc pas fondé à soutenir que l'avis qu'il conteste porterait atteinte aux droits acquis des fabricants de camembert hors AOP.

C’est en vain que le syndicat requérant se prévaut, d’une part, de ce que les conditions de l’enregistrement de l'AOP « Camembert de Normandie » par la Commission européenne, selon la procédure simplifiée prévue à l'article 17 du règlement (CEE) n°2081/92 du 14 juillet 1992, tel qu'effectué par le règlement (CE) n°1107/96 de la Commission du 12 juin 1996, aurait constitué une validation de la coexistence des deux dénominations et, d’autre part, de l’arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 mars 1999 (Danemark e. a. c/ Commission, aff. C-289/96, 293/96 et 199/96). En effet, le syndicat s’appuie sur les conditions de l’enregistrement de l’AOP en 1996 alors que l’avis litigieux repose sur le cahier des charges établi par le décret du 18 septembre 2008 et enregistré par la Commission le 25 novembre 2013. De plus, la jurisprudence invoquée ne concerne que des produits légalement commercialisés sous la dénomination dont l'enregistrement est demandé dans des États membres autres que l'État d'origine demandeur de l'enregistrement. 

Sont également rejetés le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité ainsi que la demande de renvoi préjudiciel.

(22 juillet 2022, Syndicat normand des fabricants de camembert, n° 447234)

(122) V. aussi, identiques : 22 juillet 2022, Société Lactalis, n° 448526 ou encore : 22 juillet 2022, Coopérative Isigny-Sainte-Mère, n° 452140.

 

123 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Émission par cette Autorité d’une notice de conformité - Notice partiellement conforme à des orientations de l’autorité bancaire européenne (ABE) - Questions préjudicielles devant être posées à la CJCE - Rejet.

Les requérantes, demandaient au Conseil d’État, en premier lieu, l’annulation pour excès de pouvoir de la notice de conformité du 18 décembre 2020 par laquelle l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a déclaré se conformer partiellement aux orientations du 29 mai 2020 de l'Autorité bancaire européenne (ABE) sur l'octroi et le suivi des prêts (EBA/GL/2020/06) et, en second lieu, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de huit questions préjudicielles .

Le recours est rejeté en tous ses chefs au terme d’une très longue et détaillée décision.

Est d’abord rejeté le grief selon lequel l’ACPR ne pouvait appliquer les orientations litigieuses aux sociétés de financement car, selon le juge, d’une part, relève de la compétence de l’ACPR l'activité d'octroi de prêts, y compris, notamment, le crédit à la consommation et le crédit hypothécaire (cf. art. L. 612-2 du code monétaire et financier) et, d’autre part, les sociétés de financement sont des établissements financiers au sens de l'article 4, paragraphe 1, point 26) du règlement (UE) n° 575/2013 et elles effectuent des opérations de crédit. Au reste, il résulte des dispositions des articles 2 et 9 de l'arrêté du 23 décembre 2013 relatif au régime prudentiel des sociétés de financement que celles-ci, même si elles ne sont pas des établissements de crédit au sens de l'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement (UE) nº 575/2013, sont néanmoins soumises aux dispositions de ce règlement et aux exigences issues de la transposition et de l'exécution de la directive 2013/36/UE en matière de gouvernance interne et de surveillance prudentielle. Elles sont donc tenues de tout mettre en œuvre pour respecter les orientations émises par l'ABE dans le champ de ce règlement et de cette directive ou nécessaires pour assurer l'application cohérente et efficace de ces actes. L'ACPR pouvait donc, sur le fondement de l'arrêté du 23 décembre 2013, sans outrepasser ses pouvoirs, inclure ces sociétés de financement dans le champ de la notice attaquée en ce qui concerne la mise en œuvre des sections 4 « Gouvernance interne concernant l'octroi et le suivi des crédits » et 8 « Cadre de suivi » de ces orientations. 

Est ensuite rejeté l’argument concernant les orientations de l’ABE. Celles-ci ne revêtent point un caractère obligatoire ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la CJUE (15 juillet 2021, Fédération bancaire française c/ ACPR, aff. C-911/19, point 48) selon laquelle le législateur de l'Union a entendu, en autorisant l'ABE à émettre des orientations, conférer à cette autorité un pouvoir d'incitation et de persuasion distinct du pouvoir d'adopter des actes dotés d'une force obligatoire. Il n’y a donc pas lieu de saisir sur ce point la Cour de Justice ni non plus sur celui de savoir, résolu en réalité par le règlement précité (cf. son art. 16), si ces orientations ne méconnaissent pas le droit de l’Union en raison de leur imprécision alors qu’il est clair que les établissements financiers sont directement destinataires des orientations en litige et sont tenus de tout mettre en œuvre pour les respecter, quand bien même les autorités de régulation compétentes, qu'il s'agisse de la Banque centrale européenne (BCE) ou des autorités compétentes nationales, - comme c’est le cas en la présente espèce -, ne déclareraient  se conformer qu'à une partie seulement de ces orientations.

Sont encore rejetées les demandes de renvoi préjudiciel sur le point de savoir si l’ABE est autorisée à intervenir dans les matières régies par la directive précitée et si les orientations trouvent leur base légale dans le droit de l’Union en tant qu’elles sont relatives aussi à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la réponse à chacune de ces questions étant d’évidence positive.

Enfin, s’agissant des prêts, il n’y a lieu à renvoyer à titre préjudiciel à la CJCE ni les orientations contenues dans la section 4 relatives à la prise de décision en matière de crédit ni celles de la section 5 relatives aux procédures d'octroi de prêts ni, non plus celles qui, au sein de ces deux sections, concernent la prise en compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ni, enfin, celles de la section 7 relatives à l'évaluation des biens immobiliers et mobiliers.

(22 juillet 2022, Fédération bancaire française (FBF), Crédit agricole société anonyme (CASA) et Association française des sociétés financières (ASF), n°449898)

 

124 - Accord interprofessionnel « Pêche-nectarine-calibrage » dans le cadre d’Interfel (Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais) - Refus ministériel d’extension de cet accord pour les campagnes 2021-2023 - Règles de calibrage allant au-delà des dispositions du règlement européen d’exécution - Renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’association requérante a demandé en vain au ministre de l’agriculture d'étendre l'accord interprofessionnel « Pêche-nectarine-calibrage » relatif aux campagnes 2021-2023 conclu dans le cadre d'Interfel, elle demande l’annulation du rejet implicite qui lui a été opposé.

Le juge constate que cet accord prévoit que les pêches et nectarines produites en France et destinées à être commercialisées sur le marché français et à l'exportation sont soumises à un calibrage minimum de 56 millimètres ou de 85 grammes à toutes les étapes de la commercialisation et durant toute la campagne de commercialisation. Or, les dispositions de la partie 5 (relatif à la « Norme de commercialisation applicable aux pêches et aux nectarines ») du B de l'annexe I du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 prévoient que « Le calibre minimal est de : (…)

 - 56 mm ou 85 g pour la catégorie " Extra ",

- 51 mm ou 65 g pour les catégories I et II ",

 et que " toutefois, les fruits de moins de 56 mm ou 85 g ne sont pas commercialisés pendant la période allant du 1er juillet au 31 octobre (hémisphère Nord) et du 1er janvier au 30 avril (hémisphère Sud) ».

Ainsi les stipulations de l’accord interprofessionnel vont au-delà des dispositions du règlement précité.

L’association requérante justifie la restriction supplémentaire qu’il comporte par le souci de garantir la qualité des fruits vendus aux consommateurs.

Toutefois, les dispositions de l'article 164, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007, n'autorisent explicitement l'extension d'accords fixant des règles plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union que dans le domaine des « règles de production » mentionnées au b) de ce paragraphe 4, ce que ne sont pas les normes de calibrage ici en cause.

Il suit de là que « la réponse au moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement refuser d'étendre l'accord litigieux, dès lors que l'association aurait démontré l'impact qualitatif bénéfique des mesures de calibrage dont l'extension est demandée, dépend de la réponse à la question de savoir si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée, et notamment si cet article autorise, alors que la réglementation de l'Union prévoit des règles de commercialisation pour une catégorie donnée de fruits ou de légumes, l'adoption de règles plus contraignantes, sous forme d'un accord interprofessionnel, et leur extension à l'ensemble des opérateurs. »

En raison du caractère essentiel de la réponse à cette question pour la résolution du litige qui lui est soumis, le Conseil d’État adresse à la CJUE une question préjudicielle à cette fin.

(22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450426)

(125) V. aussi, identiques, s’agissant du refus implicite d’étendre l'accord interprofessionnel « Concombre de type long ou hollandais » : 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450429 ou encore du refus implicite d’étendre l'accord interprofessionnel « Pomme - calibre au poids » : 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451793 ou également du refus implicite d’étendre l'accord interprofessionnel « Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - maturité » : 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451895.

 

126 - Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale - Demande de permis déposée le 9 juillet 2018 - Loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - Loi applicable aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2019 - Invocation au soutien de la demande d’autorisation du critère de la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial - Invocation impossible en l’absence de rétroactivité de la loi - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à l’annulation de son arrêt la cour administrative d'appel qui juge que le moyen soulevé par la requérante au soutien de sa demande d’annulation du permis délivré à une société concurrente, au titre du respect de l'objectif de la protection du consommateur et tiré de ce que le projet contesté ne permettait pas de contribuer à la revitalisation du tissu commercial, était inopérant au motif que ce critère n'était applicable qu'aux demandes d'autorisation déposées à compter du 1er janvier 2019.

En effet, si l'article 166 de la loi du 23 novembre 2018 a prévu que l'article L. 752-6 du code de commerce modifié ne serait applicable qu'aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2019, il résulte de l'article L. 752-6 du code de commerce dans sa rédaction antérieure, issue de l'ordonnance du 23 septembre 2015, que le critère relatif à la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, en tant qu'il se rattache à l'objectif de protection du consommateur, était applicable aux demandes relevant de cet état antérieur du droit.

(22 juillet 2022, Société Hermalaur, n° 456470)

 

127 - Nomination d’un directeur général dans une caisse de prévoyance - Opposition du collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Conditions d’honorabilité estimées absentes - Décision sans caractère juridictionnel - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) s'est opposé à ses nominations en qualité de directeur général par intérim et de responsable de la fonction clé " gestion des risques " de la Caisse régionale de prévoyance du bâtiment et des travaux publics des Antilles et de la Guyane française.

Son recours est rejeté.

Des dispositions combinées de droit européen (art. 42 de la directive du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice - dite « solvabilité II » - et de l'article 273 § 4 du règlement délégué du 10 octobre 2014 complétant la directive précitée) et de droit interne (art.L. 612-23-1 du code monétaire et financier) prévoient la vérification par les instances nationales compétentes que les personnes appelées à diriger des entreprises d’assurance ou de ré-assurance satisfont aux conditions posés par les textes, l’une d’elles étant la condition d’honorabilité. Celle-ci est ainsi définie en droit de l’Union (cf. art. 273 § 4 du règlement précité du 10 octobre 2014) : « L'évaluation de l'honorabilité d'une personne comprend une évaluation de son honnêteté et de sa solidité financière, fondée sur des éléments concrets concernant son caractère, son comportement personnel et sa conduite professionnelle, y compris tout élément de nature pénale, financière ou prudentielle pertinent aux fins de cette évaluation ».

Tout d’abord, répondant à un argument du requérant, le juge relève que la décision attaquée mentionne bien les motifs de fait et de droit qui ont conduit le collège de supervision de l’ACPR à s’opposer, pour défaut d’honorabilité, à sa nomination et qu’ainsi cette décision n’est pas entachée d’insuffisance de motivation.

Ensuite, ce collège, ce décidant, n’a ni la nature ni les fonctions ni les pouvoirs d’un tribunal et n’a pas à conduire une procédure juridictionnelle.

Également, pour déduire que le demandeur ne remplissait pas la condition d'honorabilité requise pour exercer les fonctions au titre desquelles il avait été nommé, le collège de supervision de l'ACPR s'est fondé sur des faits dont la matérialité n'est pas contestée et qui sont de nature à justifier légalement la décision attaquée, alors même que la plainte déposée à l'encontre du requérant n'a pas donné lieu à des poursuites judiciaires.

Enfin, contrairement à ce qui est prétendu, la décision querellée n’empêche nullement l’intéressé d’exercer des fonctions autres que celles soumises à la condition d’honorabilité et ne porte donc pas une atteinte disproportionnée au droit d'obtenir un emploi, garanti par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

(22 juillet 2022, M. C., n° 458567)

 

128 - Droit de la consommation - Décret relatif aux dénominations des denrées à base de protéines animales - Interdiction d’appellations spécifiques à la boucherie, charcuterie ou poissonnerie - Suspension.

Le juge des référés de l’art. L. 521-1 CJA était saisi par la demanderesse d’une demande de suspension de l'exécution du décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales.

Dans un souci de protection du consommateur, ce décret, assorti de sanctions pécuniaires, a été pris pour l’application de l’art. L. 412-10 inséré au code de la consommation par la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires sur la base de l’art. 17 du règlement européen du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires.

Il est reproché à ce décret - qui fait obstacle à l'usage, pour désigner des denrées fabriquées à base de protéines végétales, de termes dorénavant réservés aux denrées à base de protéines animales -, de s'appliquer à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux, visées respectivement aux 3° et 4° de l'article 2 de ce décret.

Le juge admet l’urgence à statuer car l’application immédiate du décret imposerait aux membres de l'association requérante de modifier à compter du 1er octobre 2022 la dénomination d'un grand nombre de leurs produits, y compris en renonçant à des appellations parfois utilisées de longue date ou installées dans l'esprit des consommateurs et surtout car, comme le soutient, sans être contredite, l'association requérante, les adaptations nécessaires à la mise en œuvre de cette nouvelle réglementation impliquent, pour ses membres, tant des délais matériels incompressibles concernant la modification de leurs emballages et l'ensemble de leurs supports de vente que des démarches commerciales importantes à l'intention de leurs clients pour assurer la pérennité de leur activité.

Le juge estime exister un doute sérieux quant à la juridicité de ce texte tant au regard du droit interne qu’à celui du droit de l’Union en raison de l’imprécision entourant l’étendue de la prohibition : absence de liste des termes dont l’usage est interdit, absence d’identification des caractéristiques visées, absence de précision sur la portée de la mesure, créant ainsi une insécurité juridique d’autant que certaines appellations sont désormais consacrées par l’usage comme steak de soja, saucisse vegan, lardons végétaux, boulettes végétales, carpaccio de légumes ou caviar vegan. Cela d’autant plus qu’en défense l’administration se borne à indiquer que le contenu des codes des usages ne serait qu'une référence non exhaustive pour déterminer la portée de l'interdiction, qui devrait s'apprécier à la lumière de « référentiels commerciaux », y compris non codifiés, tels que des ouvrages et dictionnaires de gastronomie.

En bref, sont reprochées par le juge l’absence dans le décret contesté de liste exhaustive des dénominations dont, sous peine de sanction administrative, il interdit l'usage ainsi que l'imprécision dans la caractérisation des termes dont l'usage est prohibé, et l'absence d'accès gratuit pour le public aux codes des usages auxquels l'administration fait référence pour en éclairer la portée.

Au surplus, ce décret souffre des mêmes défauts au regard des exigences du droit de l’Union précitées concernant la dénomination d'une denrée alimentaire

Le décret est suspendu.

(27 juillet 2022, Association Protéines France, n° 465844)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

129 - Extension d’un accord conclu entre branches professionnelles - Extension sous réserves – Régime de l’extension – Pouvoir du ministre – Contrôle du juge – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté du 10 juillet 2020 de la ministre du travail portant extension d'un accord relatif au regroupement des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l'événement (n° 2717) et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequins (n° 2397).

Les divers moyens présentés sont rejetés.

En premier lieu, les requérants ne sauraient soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité en ce qu'il procède à l'extension d'un accord négocié et conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives n'aient été associées à toutes les réunions de négociation de cet accord alors que ce projet a été inscrit à l’ordre du jour de commissions paritaires, qu’il a été présenté en temps utile aux organisations concernées, dont les requérantes, qui l’ont rejeté et que l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans les deux branches concernées par le regroupement, ont été conviés à une réunion portant sur le projet d'accord de regroupement à l'issue de laquelle l'accord a été signé.

En deuxième lieu, le moyen tiré de la dissimulation aux organisations syndicales de l’information sur le regroupement entre les branches professionnelles en cause est rejeté car les organisations syndicales représentatives de la branche des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de seize ans employés par les agences de mannequin étaient informées de la négociation puis de la signature, le 4 décembre 2018, d'un accord relatif au regroupement de la convention collective des entreprises techniques au service de la création et de l'événement et de la convention collective des propriétaires exploitants de chapiteaux.

En troisième lieu, et c’est là un point très important de cette décision, le juge fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'une demande tendant à ce qu'il étende un accord collectif, de s'assurer, conformément aux dispositions de l'article L. 2261-25 du code du travail, que cet accord ne comporte pas de clauses qui seraient contraires aux textes législatifs et réglementaires ou qui ne répondraient pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application de l'accord.

En outre, sont apportées à cet égard deux substantielles précisions.

1°/ Si l'accord satisfait aux exigences ci-dessus, le ministre n'est pas pour autant tenu de procéder à l'extension qui lui est demandée. Il peut en particulier la refuser pour des motifs d'intérêt général. 

2°/ Il convient de faire la distinction entre l’exercice par le ministre du travail, de son pouvoir de fusionner des branches professionnelles, lequel est soumis à l'existence de conditions sociales et économiques analogues entre les branches concernées (cf. art. L. 2261-32 c. trav.) et l’exercice par ce dernier de son pouvoir d’extension d'un accord collectif ayant pour objet le rapprochement de branches professionnelles, lequel n'est pas subordonné au respect d'une telle condition (cf. art. L. 2261-15 et L. 2261-25 c. trav.). 

Au cas d’espèce, il existe suffisamment de points de convergence ou de ressemblance entre les deux branches pour juger que la ministre n’avait pas à refuser l’extension de l'accord collectif de rapprochement entre les deux branches en cause en se fondant sur le motif d’intérêt général, qui n’existe pas ici, tenant à l'hétérogénéité des conditions sociales et économiques des deux branches.

Enfin, les requérants ne sauraient reprocher à la ministre du travail de n’avoir pas formulé dans son arrêté une réserve permettant de préserver les dispositions d'ordre public et les stipulations en vigueur relatives au travail des enfants mannequins et à la protection de la santé des mannequins, dès lors que l'objet de l'accord étendu par l'arrêté attaqué se borne à prévoir le regroupement des deux branches professionnelles concernées et à définir le champ d'application de la future convention commune ainsi que la méthode de négociation de celle-ci, sans se substituer aux stipulations conventionnelles applicables avant que ne soit décidé ce regroupement. 

(5 juillet 2022, Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-Unsa) et Union nationale des syndicats autonomes spectacle et communication (Unsa spectacle et communication), n° 444949)

 

130 - Projet d’extension du champ d’application d’une convention ou d’un accord collectif ou d’un avenant – Demande d’une organisation représentative de saisir le groupe d’experts ad hoc – Obligation pour le ministre ainsi sollicité de convoquer ce groupe et de recueillir son avis – Absence en l’espèce – Arrêté portant extension illégal – Annulation.

Dans une décision qui doit être spécialement signalée, le juge administratif fait une application remarquée de la jurisprudence Danthony et autres (Assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033, Rec. Lebon p. 649) dans le cadre de la procédure d’extension du champ d’application des conventions et accords collectifs ainsi que des avenants.

Lorsque le ministre compétent envisage d’étendre par arrêté le champ d’application d’une convention collective, d’un accord collectif, ou d’un avenant à l’une ou l’autre, il est possible à une organisation représentative d’employeurs ou de salariés dans ce champ d’application, au moyen d’une demande écrite et motivée, de solliciter du ministre la saisine du groupe d’experts (cf. L. 2261-27-1 c. trav.). En ce cas, le ministre ne peut refuser cette saisine et doit recueillir l’avis de cet organisme avant que ne soit saisie la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle à laquelle cet avis doit être communiqué préalablement à son rapport sur l'extension envisagée.

En l’espèce, cette formalité n’avait pas été respectée en dépit de la demande faite au ministre. Jugeant, par application de la solution Danthony, que le syndicat requérant avait été de ce fait « privé d’une garantie », le Conseil d’État annule l’arrêté ministériel litigieux portant extension.

(5 juillet 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance), n° 450006 et n° 450072)

 

131 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Accord collectif majoritaire sur ce plan - Validation par l’autorité administrative - Étendue des vérifications devant être effectuées par cette autorité - Vice affectant la consultation du comité d’entreprise - Moyen inopérant - Annulation de l’arrêt d’appel sur ce point.

Un accord collectif majoritaire fixant le plan de sauvegarde de l'emploi a été signé entre la direction d’une société et le délégué syndical central CFDT, désigné par la fédération CFDT des entreprises agro-alimentaires et agricoles. La directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a validé cet accord collectif majoritaire.

Le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande du syndicat CFDT des entreprises agroalimentaires et agricoles de Seine-Maritime, du comité d'établissement de l'usine de Maromme et de M. Amand tendant à l'annulation de la décision de validation. La cour administrative d’appel a d’abord jugé irrecevables la requête d'appel du syndicat CFDT des entreprises agroalimentaires et agricoles de Seine-Maritime et autres, en tant qu'elle émane du comité d'établissement de l'usine de Maromme et l'intervention en demande de M. Amand, puis annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision administrative ayant validé l'accord fixant le PSE de la société.

Sur pourvoi de la ministre du travail en tant que cet arrêt lui fait grief, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel sur un point important de procédure non contentieuse du droit administratif du travail qui, à notre connaissance, n’avait jamais été porté au contentieux.

Le PSE d’une entreprise doit avoir été adopté d’un commun accord par l’employeur et par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, ou par le conseil d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 2321-9 du code du travail.

Il incombe ensuite à l’autorité administrative chargé de valider le PSE d’opérer un certain nombre de vérifications (signature régulière du plan par des personnes ayant qualité pour engager, respectivement, l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise ; caractère régulier de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise ; émission régulière par ce comité d’un avis tant sur l'opération projetée et ses modalités d'application que sur le projet de licenciement collectif et sur le PSE ; communication par l’employeur au comité d’entreprise de tous éléments utiles pour qu’il puisse rendre en connaissance de cause ses deux avis).

En revanche, il ne peut être soutenu que la décision de validation de l’accord sur le PSE serait illégale à raison d'un vice affectant la consultation du comité d'entreprise sur les éléments du projet de licenciement dès lors que l'employeur n'est pas tenu de soumettre pour avis au comité d'entreprise les éléments du projet de licenciement collectif fixés par l'accord collectif majoritaire qu'il soumet à la validation de l'administration. 

Enfin, et c’est là le point-clé de cette décision, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, le Conseil d’État décide qu’il n'appartient pas à l'autorité administrative, lorsque le mandat des membres des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise a été prorogé par la voie d'un accord collectif conclu en application des dispositions transitoires du 3° du II de l'article 9 de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, d'apprécier si ce mandat a été valablement prorogé par cet accord, à moins que l'autorité judiciaire dûment saisie à cet effet n’ait jugé que tel n'était pas le cas. 

C’est le rappel, strict mais logique, de la finalité attachée par la loi à l’intervention de l’autorité administrative dans le cadre de la validation d’un PSE.

(19 juillet 2022, ministre du travail, n° 436401)

 

132 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique - Obligations de recherche et de reclassement s’imposant à l’employeur - Vérification du caractère sérieux des recherches - Existence de postes pourvus au titre du travail temporaire - Obligation de les proposer à ce salarié - Rejet.

A l’occasion d’un litige portant sur l’absence de reclassement d’un salarié protégé licencié pour inaptitude physique à conserver l’emploi actuellement occupé, le Conseil d’État rappelle que s’imposent en ce cas à l’employeur, d’une part, l’obligation de recherche sérieuse de postes disponibles, en rapport avec les capacités de ce salarié, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d’être proposés pour son reclassement, d’autre part, dans le cas de recours par l’employeur au travail temporaire sur un ou des postes disponibles, de proposer ces postes au salarié, en rapport avec ses capacités, peu important qu'ils soient susceptibles de faire l'objet de contrats à durée indéterminée ou déterminée.

L’arrêt d’appel est approuvé pour avoir procédé selon les préconisations ci-dessus.

(19 juillet 2022, M. B., n° 438076)

 

133 - Projet de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique - Obligation de vérifier que cette inaptitude justifie le licenciement sans rechercher la cause de l’inaptitude - Projet de licenciement également en rapport avec les fonctions représentatives exercées - Dégradation de l’état de santé du salarié résultant d’obstacles mis à l’exercice de ses fonctions représentatives - Situation révélant l’existence d’un rapport entre ces dernières et le projet de licenciement - Examen global ne pouvant s’arrêter à l’une des étapes intermédiaires de l’analyse - Annulation.

Rappel qu’en cas de projet de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique, l’autorité administrative a, d’abord, l’obligation de vérifier que cette inaptitude justifie le licenciement et cela sans rechercher la cause de l’inaptitude. Ensuite, lorsqu’elle estime, au terme de ce premier examen - et seulement en ce cas -, que le projet de licenciement est également en rapport avec les fonctions représentatives exercées, il lui appartient de faire obstacle à ce licenciement.

Il lui est possible, à cet égard, de retenir que, dans l’hypothèse où la dégradation de l’état de santé du salarié protégé résulte d’obstacles mis à l’exercice de ses fonctions représentatives, cette situation révèle l’existence d’un rapport entre ces dernières et le projet de licenciement.

Toutefois, il appartient au juge saisi d’effectuer un examen global du dossier sans pouvoir s’arrêter à l’une des étapes intermédiaires de l’analyse effectuée par l’autorité administrative.

C’est pourquoi l’arrêt d’appel est ici annulé pour avoir jugé que la ministre du travail n’avait pas « procédé à un examen attentif » des faits pour apprécier l'éventuel lien du projet de licenciement avec les mandats, de sorte que sa décision était entachée d'illégalité alors qu’il incombait seulement à la cour de déterminer si le projet de licenciement était, ou non, en rapport avec les mandats exercés.

(22 juillet 2022, Société Interxion France, n° 454035)

 

134 - Aide sociale - Demande du bénéfice d’une aide-ménagère - Refus - Obligation d’un recours administratif préalable à la saisine du juge - Irrecevabilité du recours contentieux devant être soulevée d’office - Annulation.

(27 juillet 2022, Mme B., n° 449546)

V. n° 75

 

135 - Durée hebdomadaire du travail - Méconnaissance par l’employeur - Infliction d’amendes - Loi nouvelle plus douce - Obligation pour le juge du plein contentieux de l’appliquer aux faits non encore jugés antérieurs à la loi - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, saisie d’un recours dirigé contre le montant des sanctions pécuniaires infligées à un employeur pour non-respect de la législation du travail en matière de durée hebdomadaire du travail, applique à des infractions commises entre mai et décembre 2017 le montant des sanctions prévues par la législation alors en vigueur alors que, en sa qualité de juge du plein contentieux, il lui incombait de faire application de la loi nouvelle plus douce, du 10 août 2018, en vigueur au jour de sa décision.

Réitération d’une solution bien établie et d’ailleurs souvent invoquée par les employeurs en droit social.

(27 juillet 2022, Société Distribution Casino France, n° 459385)

 

136 - Service régulier de transport public - Accompagnement et transfert de salariés de la RATP en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Île-de-France - Modalités de prise en compte de l'ancienneté - Transfert suivi immédiatement ou non d'une reprise d'activité - Rejet.

Les requérantes poursuivaient l'annulation du décret n° 2021-1027 du 30 juillet 2021 relatif à l'information, à l'accompagnement et au transfert des salariés de l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Île-de-France en ce qu'il crée les articles R. 3111-36-7 et R. 3111-36-8 du code des transports, en particulier en ce que l'article R. 3111-36-7 emploie les termes : " un cinquième de mois de salaire jusqu'à cinq ans d'ancienneté " et en ce que l'article R. 3111-36-8 comporte un III disposant que : " L'indemnité différentielle est réduite à due concurrence de la progression du salaire dont le salarié a bénéficié depuis son transfert, que cette progression résulte d'augmentations générales ou individuelles ".

Le recours est rejeté en ses deux chefs de demandes relatives à la légalité interne du décret attaqué.

En premier lieu, c'est sans illégalité que les dispositions contestées ont prévu que l'ancienneté prise en compte pour calculer la première part de l'indemnité en cause est la même pour tous les salariés ayant une ancienneté comprise entre un et cinq ans d'ancienneté, puis entre six et dix ans d'ancienneté, puis entre dix et quinze ans d'ancienneté, puis à partir de seize ans d'ancienneté, et que la seconde part peut varier entre zéro, dans le cas où le salarié retrouve immédiatement un emploi salarié ou indépendant, et un montant significativement supérieur à la première part, augmentant progressivement tant que l'intéressé n'a pas repris un emploi salarié ou indépendant. En effet, les dispositions attaquées de l'article R. 3111-36-7 du code des transports, contrairement à ce qui est soutenu, n'opèrent pas de modulation du montant total de l'indemnité en cause en fonction d'autres critères que celui prévu à l'article L. 3111-16-5 de ce code.

En outre, si les dispositions attaquées prévoient des modalités de calcul de l'indemnité en cause différentes de celles de l'article R. 1234-2 du code du travail qui déterminent, en vertu de l'article L. 1234-9 du même code, le montant minimum de l'indemnité légale de licenciement, il résulte des termes mêmes de l'article L. 3111-16-5 du code des transports que le législateur a entendu que l'indemnité versée se substitue à l'indemnité légale de licenciement et n'a pas exclu que son montant puisse être inférieur, le montant de l'indemnité légale de licenciement constituant au contraire un plafond. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions attaquées méconnaîtraient le principe d'égalité.

En second lieu, s'agissant de la garantie de rémunération et contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas des dispositions de l'art. L. 3111-16-7 du code des transports instaurant un régime propre de transfert des contrats des salariés en cas de changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Île-de-France opéré par la RATP que celles-ci seraient violées dans la mesure où l'art. R. 3111-16-8 du code des transports prive d'effet pour les salariés concernés le bénéfice d'augmentations futures tant que celles-ci n'auront pas porté leur rémunération au niveau garanti car le maintien qu'elles imposent du niveau de la rémunération des salariés transférés au minimum au niveau antérieur à leur transfert n'emporte pas l'obligation de garantir en outre à ces salariés le maintien du montant de l'indemnité différentielle servie en dépit d'augmentations ultérieures de salaire.

Par ailleurs, parce que les dispositions des articles L. 3111-16-1 à L. 3111-16-12 du code des transports instaurent un régime propre de transfert des contrats des salariés en cas de changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Île-de-France opéré par la RATP, prévoyant le transfert des garanties sociales de haut niveau, dont la garantie du maintien du niveau de la rémunération, les salariés concernés se trouvent dans une situation différente des salariés qui ne bénéficient pas des mêmes garanties. Il ne peut par suite être utilement soutenu que la réduction contestée de l'indemnité différentielle jusqu'à ce que la rémunération qui résulterait d'éventuelles augmentations de salaire atteigne le niveau assuré par la garantie de la rémunération antérieure, qui figure au nombre des garanties des salariés concernés, serait contraire au principe d'égalité. En outre et en tout état de cause, il ne résulte de ce dispositif aucune atteinte au principe de sécurité juridique ou au droit à la protection des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH. 

(1er août 2022, Union nationale des syndicats autonomes - Régie autonome des transports parisiens (UNSA-RATP), n° 457090)

 

137 - Recouvrement d'indu social (RMI) - Délai de recours - Distinction entre contestation du bien-fondé de ce recouvrement et contestation du titre exécutoire émis en vue de ce recouvrement - Prescription de l'action - Opposition de la règle du délai raisonnable - Délai de quatre ans - Acte interruptif - Existence - Erreur de droit - Annulation partielle.

Le juge est amené à trancher dans une même affaire d'action en récupération d'indu social (RMI) par un département, deux questions de prescription très distinctes mais souvent confondues ou inaperçues des justiciables agissant dans le cadre de contentieux sociaux.

En premier lieu, il est rappelé qu'un acte de poursuite diligenté pour la récupération par le département d'un indu de revenu minimum d'insertion peut être contesté, d'une part, devant le juge compétent pour connaître du contentieux du bien-fondé de la créance, pour les contestations portant sur l'obligation de payer, le montant de la dette compte tenu des paiements déjà effectués et l'exigibilité de la somme réclamée et, d'autre part, devant le juge de l'exécution, pour les contestations de la régularité formelle de cet acte. Par ailleurs, selon le 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, le bien-fondé de la créance peut être contesté dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite.

Cependant, on le sait, le code de justice administrative (art. R. 421-5) subordonne l'application et l'opposition du délai de recours contentieux à la condition qu'aient été mentionnés dans la notification de la décision les délais et voies de recours ouverts contre cette décision.

En l'espèce, la demanderesse soutenait n'avoir jamais reçu le titre exécutoire et les actes de recouvrement émis à son encontre avant celui du 5 juillet 2017 qu'elle a attaqué. Mais le juge relève qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment d'une lettre du 2 avril 2014 adressée par son avocat au président du conseil général lui demandant notamment de faire cesser toute mesure de recouvrement de l'indu, que la demanderesse avait connaissance de l'existence de cet indu qui venait de lui être réclamé par décision du 17 mars 2014. Elle ne pouvait donc contester le bien-fondé de la créance du département de la Seine-Saint-Denis au-delà d'un délai raisonnable d'un an (cf. jurisprudence Czabaj, issue d'une décision d'Assemblée du 13 juillet 2016) courant à compter de cette date. Elle n'était donc plus recevable, lorsqu'elle a saisi le tribunal administratif le 5 janvier 2018, à contester le bien-fondé de la créance du département faisant l'objet de l'opposition à tiers détenteur litigieuse. De ce chef, par substitution de motif, l'arrêt d'appel n'est pas annulé.

En second lieu, s'agissant de l'opposition à tiers détenteur du 5 juillet 2017 et des conclusions aux fins de décharge et d'injonction, il est rappelé qu'en vertu de dispositions du code de l'action sociale et des familles (art. L. 262-11, L. 262-41 et R. 262-73) et de celles du 3° de l'art. L. 1617-5 du GCT, le titre exécutoire émis par le département en vue de la récupération d'un indu de revenu minimum d'insertion ouvre le délai de quatre ans de la prescription de l'action en recouvrement des sommes énoncées sur ce titre, à compter de la date de sa prise en charge par le comptable public.

Toutefois, pour produire leur effet interruptif, le titre exécutoire et les actes de recouvrement pris sur son fondement doivent être régulièrement notifiés. La preuve de cette notification incombe naturellement à l'administration. Or si la demanderesse ne pouvait plus, à l'occasion de son recours contre la décision du 8 août 2017 du président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, contester le bien-fondé de l'indu qui lui était réclamé, celle-ci restait recevable à se prévaloir, à l'occasion de la contestation de l'opposition à tiers détenteur du 5 juillet 2017, de la prescription de l'action en recouvrement de la créance du département en invoquant, comme en l'espèce, que l'opposition à tiers détenteur lui avait été notifiée au-delà du délai de quatre ans ayant couru à compter de l'émission par le président du conseil général du titre de recettes du 16 mai 2008.

C'est donc par suite d'une erreur de droit que, pour rejeter cette prétention, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que le bordereau de situation établi par la direction générale des finances publiques, attestait de l'émission de plusieurs mises en demeure et commandements de payer en 2008, 2012, 2013, 2015 et 2016 ainsi que du paiement d'une somme de 532 euros le 7 juin 2013 mais sans s'assurer que les actes en cause avaient été régulièrement notifiés à l'intéressée. 

D'où la cassation qui est prononcée de ce chef.

(3 août 2022, Mme A., n° 451071)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence de la vie publique

 

138 - Élection à la présidence d'un syndicat mixte - Nombre de bulletins excédant celui du nombre des membres délégués - Retranchement à titre hypothétique - Perte de la majorité absolue - Confirmation de l'annulation de l'élection.

Alors que le comité syndical du syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères (SYCTOM) de l'agglomération parisienne comprend 90 délégués, lors du scrutin organisé pour la désignation de son président 91 suffrages ont été décomptés, dont 46 suffrages exprimés en faveur de M. C., 44 suffrages exprimés en faveur de Mme D. et un bulletin blanc.

L'invalidation du suffrage surnuméraire conduit à défalquer par retranchement à titre hypothétique une voix des suffrages exprimés en faveur de M. C., ramenant son résultat à 45 voix, ce qui fait obstacle à ce qu'il atteigne dès le premier tour la majorité absolue fixée à 46 voix.

Le scrutin est annulé ainsi que l'a jugé le tribunal administratif.

(12 juillet 2022, M. C., n° 449028)

 

139 - Absence de dépôt d’un compte de campagne - Non restitution par l’intéressé des carnets de reçus-dons délivrés à son mandataire financier à la demande de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques - Présomption de perception de dons de personnes physiques - Refus de répondre et de produire - Présomption n’ayant pas été renversée - Manquement délibéré à une règle substantielle - Inéligibilité.

Pour vérifier si un candidat à une élection n’a pas commis de manquement à une règle substantielle en ne déposant pas son compte de campagne, la CNCCFP lui a réclamé la restitution des carnets de reçus-dons délivrés à son mandataire financier par les services de l'administration compétente.

Faute pour ce dernier de répondre à cette demande de communication, il est présumé avoir bénéficié de dons consentis par des personnes physiques.

Cette présomption, en l’espèce, n’est combattue par aucune preuve contraire, le candidat n’ayant ni répondu à la Commission ni, non plus, produit ces pièces devant le juge saisi. En l’état de ce manquement grave à une règle substantielle, le défendeur se voit infliger une inéligibilité d’une année.

(15 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection de l’Assemblée de Corse, n° 460572)

(140) V. aussi, censurant par une inéligibilité d’une année le non-dépôt d’un compte de campagne sans justifications convaincantes : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462038 ou encore, à propos de ces mêmes élections, la solution identique retenue : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462037.

(141) V. aussi, très comparable et emportant une inéligibilité de neuf mois, le juge estimant que les motifs de non ouverture de compte de campagne étant ou controuvés ou fondés sur des éléments trop tardifs dans le déroulement de la campagne : 15 juillet 2022, M. E. et Mme F., Élection des conseillers départementaux du canton de Saint-Denis de La Réunion-2, n° 461159.

(142) V. également, observant que le dépôt tardif du compte de campagne constitue un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales justifiant l’inéligibilité d’une année prononcée en première instance : 20 juillet 2022, Mme B. et M. C., Élection départementale du canton de Grenoble-2, n° 463517 ou par le Conseil d’État statuant sur le résultat d’élections régionales : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462040. Dans le même sens, voir : 1er août 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), M. A., Élection des conseillers régionaux de la région Occitanie, n° 459538.

(143) V. encore, jugeant que malgré les difficultés que le candidat aurait rencontré avec son mandataire financier, constitue un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales justifiant une inéligibilité de six mois, le dépôt d’un compte déficitaire ne comportant que des pièces disparates et incomplètes qui ne permettent pas d'attester la régularité des opérations réalisées et comportant une liste de dons recueillis notamment par l'intermédiaire d'une plateforme de paiement en ligne dont il n’est pas justifié ou établi qu’ils ont été versés sur le compte bancaire unique ouvert par son mandataire financier : 21 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections régionales de Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 459504 ou, également, sanctionnant, outre le non dépôt d’un compte de campagne, la non restitution par un candidat des carnets de reçus-dons : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à  l’Assemblée de Martinique, n° 462037.

(144) Voir, prononçant une inéligibilité d’une année pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales en raison du versement direct par le candidat sans recourir à l’office de son mandataire financier, une somme de 1175,00 euros : 22 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élection des conseillers à l’Assemblée de Martinique, n° 462039.

(145) Mais voir cependant, la décision qui, après avoir constaté le non dépôt du compte de campagne, exempte de l’inéligibilité un binôme qui, dès la décision de la commission des comptes de campagne relevant cette anomalie, a communiqué son compte de campagne présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables, sans que ce compte ne comporte d'irrégularité et eu égard au faible montant des recettes et dépenses du compte, de l'ordre de 5 000 euros : 27 juillet 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton de Villars-les-Dombes, n° 462202.

(146) Dans le même sens que la solution précédente, voir, confirmant le jugement attaqué en ce qu'il a entériné le rejet du compte de campagne d'un binôme mais a dispensé celui-ci de l'inéligibilité : 1er août 2022, M. A. et Mme D., Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton de Bouzonville, n° 462163.

(147) V., apportant cette précision que l'inéligibilité consécutive au non-respect des règles régissant la tenue et le dépôt du compte de campagne s'applique même lorsque l'élection pour laquelle cette irrégularité a été relevée a été annulée car cette inéligibilité (cf. art. L. 118-3 code électoral) : « s'applique à toutes les élections et s'exécute à compter de la date à laquelle la décision du juge la constatant devient définitive. Est sans incidence sur cette inéligibilité la circonstance que l'élection a été annulée » : 1er août 2022, M. B. et Mme A., Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton de Vitry-sur-Seine 2, n° 462166.

 

148 - Élections des conseillers départementaux - Noms portés sur les bulletins de vote - Conditions de régularité - Application en l’absence de manœuvre et de doute sur les intentions des électeurs - Confirmation de l’annulation du scrutin - Rejet.

Il résulte des art. L. 52-3 et L. 66 du code électoral que l'interdiction, à peine de nullité, de faire figurer sur les bulletins de vote un ou plusieurs noms autres que celui du ou des candidats ou de leurs remplaçants éventuels a notamment pour objet d'éviter toute confusion dans l'esprit des électeurs sur l'identité et la qualité des candidats et sur les enjeux du scrutin. 

En l’espèce, par application de ces dispositions, 169 bulletins ont été déclarés nuls car ils mentionnaient le nom d'une personne autre que celui des candidats, ces bulletins indiquant sous le nom de M. N., que celui-ci était " ancien membre de cabinet d'Alain C.".

Le juge d’appel approuve le tribunal administratif d’avoir jugé qu'en l'absence de doute sur l'intention exprimée par les électeurs ayant utilisé les 169 bulletins concernés et de toute manœuvre, c'est à tort que ces bulletins ont été écartés, privant ainsi le vote des électeurs qui les ont utilisés de portée utile. C'est également à bon droit qu'il a jugé que, compte tenu du faible écart de voix entre les candidats à l'issue du premier tour, l'exclusion de ces bulletins du décompte des voix a nécessairement affecté la désignation des binômes qualifiés pour le second tour et a altéré la sincérité du scrutin.

L’annulation du premier tour de scrutin est confirmée par le juge d’appel.

(18 juillet 2022, Mme J. et M. G., Élection des conseillers départementaux du canton de Bordeaux-3, n° 461721)

 

149 - Élection de conseillers départementaux - Dénomination du site internet de campagne - Bulletin municipal contenant un acte de propagande électorale - Article nécrologique du bulletin municipal - Rejet.

Les protestataires interjetaient appel du jugement refusant d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 pour l'élection des conseillers d'Alsace dans le canton de Wittenheim et de prononcer l'inéligibilité de deux élus.

Leur appel est rejeté en tous ses chefs de protestation.

Il ne saurait être reproché aux défendeurs la création d’un site internet de campagne qui ne se présente pas comme un site institutionnel susceptible de produire une confusion avec les sites des collectivités intéressées, ni non plus la circonstance que sa dénomination ne soit pas celle des candidats concernés.

S’il est regrettable qu’un article d’un numéro du bulletin municipal ait plus ou moins indirectement mais clairement appelé à voter pour les défendeurs, cette irrégularité ne saurait être regardée, compte tenu de la portée qu'elle est susceptible d'avoir eu et des écarts de voix constatés tant au premier qu'au second tour de scrutin, comme ayant été susceptible d'altérer la sincérité de celui-ci. 

Enfin, la photo diffusée dans un numéro du bulletin municipal à l’occasion du décès de l’ancien maire ne saurait être regardée, compte tenu des circonstances, comme un élément de propagande électorale prohibé par les dispositions de l’art. L. 52-8 du code électoral.

(19 juillet 2022, M. A et Mme S., Élection des conseillers départementaux du canton de Wittenheim, n° 462034)

 

150 - Élection de conseillers départementaux - Signature de la liste d’émargement - Doute sur l’authenticité de certaines signatures - Annulation de suffrages - Annulation des opérations électorales - Rejet.

Les protestataires interjetaient appel du jugement annulant les opérations électorales s’étant déroulées dans le canton n° 12 de Sada (Mayotte) en raison du caractère douteux de certaines signatures apposées sur les listes d’émargement en raison de différences les affectant entre les deux tours de scrutin.

Le Conseil d’État, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 62-1 du code électoral, rappelle que la constatation d'un vote par l'apposition, sur la liste d'émargement, soit d'une croix, soit de signatures qui présentent des différences manifestes entre les deux tours de scrutin sans qu'il soit fait mention d'un vote par procuration sur la liste d'émargement, ne peut être regardée comme garantissant l'authenticité du vote. L'inobservation de ces règles est susceptible d'entraîner, même en l'absence de fraude ou de manœuvre, l'annulation des opérations électorales. Il confirme donc l’irrégularité de 48 suffrages parmi ceux jugés irréguliers par le tribunal administratif ; en revanche, il estime que les différences entre huit autres suffrages entre les deux tours se justifient par le recours au vote par procuration, ceux-ci ne sont donc pas irréguliers contrairement à ce qui a été jugé en première instance.

Au total est confirmée l’annulation des opérations électorales prononcée par les premiers juges.

(19 juillet 2022, M. B., Élection des conseillers départementaux du canton n° 12 de Sada, n° 462057)

(151) V. aussi, infirmant la solution des premiers juges, la décision discutable estimant que la circonstance que des électeurs aient signé au premier tour la liste d’émargement et seulement apposé leurs initiales sur celle-ci au second tour n’établit  pas une fraude, les intéressés attestant avoir voté et leurs signatures étant cohérentes avec celle figurant sur leur carte nationale d'identité ; reste que la concomitance de plusieurs électeurs se trouvant en ce cas ne semble pas avoir  retenu l’attention du juge d’appel : 27  juillet 2022, M. E. et Mme H., Élection des conseillers départementaux du canton d’Épinay-sous-Sénart, n° 462338.

 

152 - Élections au conseil départemental - Documents électoraux non parvenus à certains électeurs avant le premier tour de scrutin - Absence d’atteinte à l’égalité de traitement - Absence d’altération de la sincérité du scrutin - Rejet.

Selon l’instruction, la circonstance que certains électeurs du canton n'auraient pas reçu, préalablement au premier tour de scrutin, les documents électoraux en raison de dysfonctionnements d'acheminement n’a pas été de nature à porter atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats et à altérer la sincérité du scrutin, dès lors que ces dysfonctionnements ont affecté l'ensemble des binômes candidats et que les écarts de voix entre les différents binômes ont été importants. 

(20 juillet 2022, M. F. et Mme G., Élection des conseillers départementaux du canton d’Épernon, n° 461668)

(153) V. aussi le rejet d’une protestation invoquant en vain, d’une part, le déroulement de la campagne dont aucun des éléments signalés n’était de nature à altérer la sincérité du scrutin, d’autre part, les opérations de vote dépourvues de manœuvres ou d’irrégularités susceptibles d’effets sur les résultats du vote ou sur la sincérité du scrutin : 21 juillet 2021, Mme D et M. C., Élection des conseillers départementaux du canton de Roanne 1, n° 460663.

(154) V. également, rejetant une protestation invoquant un grand nombre de griefs (campagne de promotion publicitaire, élément nouveau de polémique électorale, défaillances dans l’acheminement des professions de foi et bulletins de votes, irrégularités qui auraient affecté le déroulement des opérations électorales) non établis ou insusceptibles d’avoir altéré la sincérité du scrutin ou inopérants au regard de l’écart des voix : 25 juillet 2022, M. D. et Mme A., Élection des conseillers départementaux du canton de Brest-3, n° 460808 ou encore : 1er août 2022, Mme S. et autres, Élection des conseillers régionaux de la région Occitanie, n° 454279.

(155) V. encore, retenant la solution des premiers juges et rejetant le recours aux motifs soit d'absence d'irrégularités, soit de leurs faiblesse soit de leur absence d'influence sur la sincérité du scrutin ou sur son résultat en raison de l'écart des voix : 1er août 2022, M. G., Élection des conseillers départementaux du canton de Grand-Bourgtheroulde, n° 461679.

 

156 - Élection de conseillers régionaux - Demande d’annulation de l’élection de candidats pour non-respect des dispositions de l’art. L. 339 du code électoral - Conditions d’inscription sur la liste électorale d’une commune de la région et de résidence dans la région - Rejet.

Le requérant entendait obtenir l’annulation de l’élection de deux candidats aux élections au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté en raison de leur prétendue inéligibilité tirée des dispositions de l’art. I. 339 du code électoral, selon lesquelles « Nul ne peut être élu conseiller régional s'il n'est âgé de dix-huit ans révolus. Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits avant le jour de l'élection, qui sont domiciliés dans la région ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d'une des contributions directes au 1er janvier de l'année dans laquelle se fait l'élection, ou justifient qu'ils devaient y être inscrits à ce jour ».

Ses demandes sont rejetées.

L’élection de M. C. n’est pas contraire aux dispositions invoquées car celui-ci a été assujetti à la taxe d'habitation au titre des années 2018, 2019, 2020 et 2021 dans les rôles de la commune de Sens et il est, en outre, inscrit sur une liste électorale.

L’élection de M. B. ne saurait non plus être contestée du chef de ce même texte car celui-ci  a produit un bail de location, conclu le 24 avril 2021 avec une prise d'effet au même jour, d'un local meublé à usage d'habitation à Vesoul, un avenant à ce bail en date du 14 mai 2021, une attestation de contrat d'électricité concernant ce logement, établie à son nom le 24 avril 2021, deux relevés bancaires adressés au logement en litige couvrant, l'un, la période du 1er mai au 2 juin 2021 et, l'autre, la période du 3 juin au 2 juillet 2021, un contrat d'abonnement à un fournisseur d'accès à internet en date du 24 mai 2021 libellé à l'adresse du logement pris à bail à Vesoul, une attestation d'assurance habitation prise par l'intéressé pour ce logement et établie le 10 août 2021 pour la période allant du 22 avril 2021 au 31 mars 2022. Par ailleurs, M. B. est inscrit sur une liste électorale. Vainement le protestataire invoque les faits, à les supposer établis, qu’il est propriétaire d'un bien immobilier situé à Paris ou qu'à la date du scrutin, il était inscrit comme élève avocat à l'École de Formation du Barreau située à Paris, ni même que, postérieurement au scrutin, il se soit inscrit comme avocat au barreau de Paris.

(22 juillet 2022, M. F., Élections au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, n° 454181)

(157) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre l’élection de la présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, l’art. 62 du code électoral sur l’obligation de passer dans un isoloir n’étant pas applicable à l’élection dont s’agit et l’écriture à la main sur des bulletins vierges du nom du candidat choisi par chaque électeur n’ayant pu altérer la sincérité du scrutin : 22 juillet 2022, M. C., Élections à la présidence du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, n° 454336.

 

158 - Élections municipales - Annulation de l’élection d’un conseiller municipal - Absence d’annulation par voie de conséquence de l’élection du maire et de ses adjoints en dépit de la candidature à cette élection du conseiller municipal invalidé - Rejet.

Suite à l’annulation de sa propre élection en qualité de conseiller municipal, le protestataire avait demandé l’annulation, par voie de conséquence, de l’élection du maire et des adjoints de la commune, du fait de sa propre candidature à cette élection.

Sa protestation est rejetée s’agissant d’élections se déroulant dans une commune de moins de 1000 habitants où l'inscription sur une liste n'est pas obligatoire et où le panachage est admis car même dans le cas où l'élection du maire et des adjoints n'a été acquise qu'à une voix de majorité, la modification de l'équilibre du conseil municipal pouvant résulter de ce que, saisi d'une protestation relative à l'élection des conseillers municipaux, le juge annule l'élection d'un candidat et en proclame un autre élu à sa place ne peut être légalement réputée retirer rétroactivement sa validité à l'élection du maire et des adjoints.

(22 juillet 2022, M. E., n° 459857)

 

159 - Élections régionales - Griefs divers (anomalies prétendues dans la distribution des bulletins, report du scrutin pour motif sanitaire, abstention massive pour cause de Covid, immixtion du chef de l’État dans la campagne, demande de divers condamnations pénales, affichage irrégulier, caractère d’opérations publicitaires de certaines informations ou autres publications, soutien financier de la région à l’une des listes, tracts intempestifs, élément nouveau de polémique électorale, etc.) - Rejet.

Visiblement, les requérants, dont les recours sont joints, ont réuni dans leurs recours tous les griefs possibles, certains pittoresques d’ailleurs comme la demande de condamnation pénale du chef de l’État ou de la Banque nationale de Paris, sans réellement convaincre le juge qui les rejette tous dans une décision d’une longueur inusitée en matière électorale (pas moins de 36 points).

Le lecteur intéressé pourra se reporter au texte de la décision.

(27 juillet 2022, M. I., Élections au conseil régional d’Île-de-France, n° 454133 ; M. A., M. B. et M. L., Élections au conseil régional d’Île-de-France, n° 454273)

 

160 - Bureau de vote - Demande d’en créer un dans un centre pénitentiaire - Refus - Complications matérielles et juridiques - Rejet.

L’association requérante poursuit l’annulation du jugement rejetant sa demande dirigée contre le refus de créer un bureau de vote au sein du centre pénitentiaire de Vivonne.

Son appel est rejeté aux motifs qu’existent des difficultés particulières propres à l'instauration de modalités de vote au sein des établissements pénitentiaires et que les détenus, qui disposaient du droit de vote par procuration, ne pourraient plus, une fois libérés, accéder à ces locaux et ainsi au bureau de vote auquel ils auraient été rattachés.

(28 juillet 2022, Association Robin des Lois, n° 451890)

 

161 - Règles spéciales au contentieux électoral - Impossibilité d'interjeter appel d'un jugement alors que l'appelant n'était pas protestataire en première instance et que le jugement a rejeté le recours en annulation d'opérations électorales - Délai de trois mois imparti au tribunal administratif pour statuer à peine de dessaisissement - Rejet.

L'expiration du délai de trois mois imparti au tribunal administratif pour rendre son jugement en matière de contentieux des élections locales entraîne le dessaisissement d'office de la juridiction au profit du Conseil d'État.

Toutefois, lorsque le juge administratif est saisi de la contestation d'une élection dans une circonscription où le montant des dépenses électorales est plafonné, il sursoit à statuer jusqu'à réception des décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques qui doit se prononcer sur les comptes de campagne des candidats à cette élection dans le délai de deux mois suivant l'expiration du délai fixé au II de l'article L. 52-12 du même code.

En application des articles 1er et 11 de la loi du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, la date limite mentionnée au II de l'article L. 52-12 du code électoral a été fixée au 17 septembre 2021 à 18 heures pour le renouvellement général des conseils départementaux de 2021.

Le tribunal ayant reçu la décision de cette commission le 16 novembre 2021, le délai de trois mois imparti n'était pas expiré lorsqu'a été rendu, le 8 février 2022, le jugement contesté.

C'est donc compétemment que cette juridiction s'est prononcée en l'espèce, sans encourir de dessaisissement, contrairement à ce qui est soutenu par le requérant.

(1er août 2022, M. B., Élection des conseillers départementaux du canton de Montpellier-2, n° 461512)

 

162 - Élections municipales et communautaires - Salariée de la commune - Démission tardive de l'emploi - Inéligibilité - Annulation de l'élection et remplacement par le suivant de liste - Admission et rejet partiels.

Une salariée de la commune ne pouvant être élue au conseil municipal, il s'ensuit que doit être annulée pour inéligibilité l'élection d'une personne encore salariée de la commune à la date du premier tour de scrutin.

Elle est remplacée par le suivant de liste.

En revanche est rejetée la demande d'annulation pure et simple des élections pour atteinte à la sincérité du scrutin en raison de la notoriété de la candidate inéligible. En effet, la présence de cette candidature sur la liste, au demeurant arrivée en troisième position, n'a pas présenté le caractère d'une manœuvre de nature, eu égard à l'écart de voix séparant les deux listes arrivées en tête, et elle n'est pas non plus de nature à avoir porté atteinte à la sincérité du scrutin.

(1er août 2022, M. F. et M. A., Élections municipales et communautaires de la commune d'Apatou, n° 463365)

 

Environnement

 

163 - Cessation d’activité d’une installation classée pour l’environnement - Inobservation des prescriptions applicables à une telle installation - Mise en demeure de satisfaire à ces prescriptions - Compétence liée du préfet pour infliger une sanction - Compétence demeurant liée en dépit d’une pluralité de sanctions possibles - Erreur de droit - Annulation.

Suite à la cessation d’activité d’une société exploitant une installation classée pour l’environnement, et celle-ci ne respectant pas les obligations résultant de cette cessation, le préfet l’a mise en demeure de s’y plier.

Le liquidateur judiciaire de la société a demandé, en vain, au tribunal administratif l’annulation de l’arrêté préfectoral mettant en demeure car il émanait selon lui d’une autorité incompétente, le tribunal estimant qu’en l’espèce le préfet se trouvait en situation de compétence liée.

Sur appel du liquidateur, la cour administrative d’appel a annulé le jugement en se fondant sur le fait que le II de l’art. L. 171-8 du code de l’environnement laissant au préfet le choix entre plusieurs catégories de sanctions en cas de non-exécution de son injonction, celui-ci ne se serait pas trouvé, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, en situation de compétence liée et qu’ainsi le moyen tiré de l’incompétence de ce dernier ne serait pas inopérant.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État relève que la faculté pour le préfet de choisir entre plusieurs sanctions pour non-respect des prescriptions légales n'affecte pas le caractère lié de la compétence du préfet pour édicter la mise en demeure.

Cette solution doit être approuvée : la compétence liée est une obligation d’agir en vue d’un certain résultat, peu important que, pour parvenir à ce résultat, le texte impose une seule voie de droit ou en propose plusieurs.

(19 juillet 2022, Société noiséenne d'outillage et de presse (SNOP), n° 444986 ; ministre de la transition écologique, n° 445039)

 

164 - Qualification comme « aéroports coordonnés » des aéroports de Paris-Orly et Paris-Charles-de-Gaulle - Réduction et augmentation des vols en périodes nocturnes - Absence non irrégulière de la consultation du public - Absence d’atteinte au principe de non régression - Rejet.

L’institution de l’« aéroport coordonné », qui résulte du règlement européen du 18  janvier 1993 (art. 6 point 1), permet une certaine rationalisation des paramètres d'attribution des créneaux horaires dans un tel aéroport.

Le ministre des transports a, par un arrêté du 27 septembre 2021, retenu la qualification d'aéroports coordonnés pour les aéroports de Paris-Orly et Paris - Charles-de-Gaulle, notamment, concernant la capacité globale des deux aéroports, afin de réduire le nombre maximal de départs par heure entre minuit et 1 heure 59 et l'augmenter entre 3 heures et 4 heures 59 et pour imposer au coordonnateur de laisser disponibles jusqu'à 3 jours avant la date d'exploitation deux créneaux horaires de départ dans la tranche horaire de minuit à 4 heures 59 et trois créneaux horaires d'arrivée dans la tranche horaire de minuit à 5 heures 59 qui, au-delà de ce délai, seront alloués aux transporteurs aériens en fonction des demandes exprimées. Le nombre maximal d'arrivées par heure reste fixé à 30 entre minuit et 0 heure 59 et à 20 entre 1 heure et 4 heures 59.

L’association requérante demande l’annulation de cet arrêté en tant qu’il devait être précédé de la consultation du public prévue par l’art. L. 123-19-1 du code de l’environnement. Sa prétention est rejetée car le juge relève que les dispositions de l’arrêté querellé n'ont pas sur l'environnement une incidence directe et significative du fait qu’il instaure un plafond moyen de 48 départs et arrivées par nuit, inférieur donc à la capacité globale des deux aéroports.

La requérante invoquait aussi le principe de non régression énoncé au 9° de l’art. L. 110-1 du code de l’environnement Le moyen est rejeté du fait que, comme indiqué ci-dessus, le projet n’a pas d’incidence directe sur l’environnement.

Le recours est ainsi rejeté.

(21 juillet 2022, Association de défense contre les nuisances aériennes, n° 459090)

 

165 - Arrêté préfectoral déclaratif d’utilité publique d’acquisition de terrains - Irrégularité de l’avis émis par l'autorité environnementale sur l'évaluation environnementale du projet - Sursis à statuer en vue de permettre la régularisation de la procédure - Consultation présentée comme réalisant cette régularisation - Régime contentieux d’éventuels recours formés à ce stade - Rejet.

Par un arrêté du 9 mars 2015, le préfet de l'Hérault a déclaré d'utilité publique les travaux portant sur la nouvelle section de la liaison intercantonale d'évitement nord (LIEN) entre l'A750 à Bel Air et la RD986 au nord de Saint Gély du Fesc et a approuvé la mise en compatibilité des plans d'occupation des sols de plusieurs communes. 

La commune de Grabels a contesté en vain la légalité de cet arrêté devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel. Sur pourvoi, le Conseil d’État (9 juillet 2021, Commune de Grabels, n° 437634, voir cette Chronique, juillet-août 2021 n° 237) a rejeté la plupart des arguments de la commune, retenant cependant celui tiré de l'irrégularité de l'avis émis par l'autorité environnementale sur l'évaluation environnementale du projet, cette autorité ne pouvant être regardée comme disposant, à l'égard du préfet, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis impartial conformément aux exigences de la directive du 13 décembre 2011.

Le Conseil d'État a alors sursis à statuer pour permettre la régularisation éventuelle du vice de procédure entachant l'arrêté attaqué par la consultation de la mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente et en portant ce nouvel avis à la connaissance du public. Il a alors précisé que si cet avis différait substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique, des consultations complémentaires devraient être organisées à titre de régularisation, dans le cadre desquelles seraient soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par ce nouvel avis. Il a également indiqué que les mesures de régularisation devraient lui être notifiés dans un délai de trois mois, ou de neuf mois en cas de reprise des consultations. 

La mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente, saisie par l'administration le 28 juillet 2021, a rendu un avis le 28 septembre 2021. Après une consultation du public par voie électronique tenue du 31 janvier au 2 mars 2022, le préfet de l'Hérault a, par un courrier enregistré le 31 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, fait valoir que cette consultation du public était de nature à régulariser l'arrêté litigieux.

S’est alors posée l’importante question de savoir quels moyens peuvent être invoqués à ce stade et c’est ce qui constitue l’apport essentiel de cette décision. De façon très pédagogique, le Conseil d’État expose le régime contentieux post-régularisation en ces termes :

« 4. À compter de la décision par laquelle le juge administratif sursoit à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour régulariser un arrêté déclarant d'utilité publique et urgents des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d'occupation des sols et de plans locaux d'urbanisme, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier.À ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de la mesure de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'elle n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Elles ne peuvent en revanche soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.
5. En l'espèce, eu égard au vice retenu, tiré de l'irrégularité de l'avis rendu par l'autorité environnementale sur le dossier du projet en cause, comprenant notamment l'étude d'impact, seuls sont susceptibles d'être utilement invoqués à ce stade des moyens mettant en cause des vices propres à la mesure de régularisation, ou contestant que l'avis émis par l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente permettrait de régulariser le vice relevé par la décision du Conseil d'État du 9 juillet 2021 ou soutenant que de nouveaux vices, fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation, affecteraient la légalité de l'arrêté attaqué.
 »

Passant à l’examen des moyens présentés, dont les plus importants concernent le caractère suffisant ou non de l’étude d’impact et les conditions de la consultation complémentaire faite dans le cadre de la procédure de régularisation, le Conseil d’État les rejette tous pour conclure que le vice de légalité entachant l'arrêté du 9 mars 2015 du préfet de l'Hérault a été régularisé.

Le recours de la commune est rejeté. 

(21 juillet 2022, Commune de Grabels, n° 437634)

(166) V. aussi, illustratif des moyens contentieux pouvant être développés après une régularisation à l’invitation du juge, ici dans le cadre d’un permis d'aménager valant permis de démolir en vue de la réalisation de cinq lots à usage d'habitat : 21 juillet 2022, Syndicat des copropriétaires du Clos Vézy et Mme A., n° 444525.

 

167 - Contrôle technique obligatoire des véhicules à deux ou trois roues et quadricyles - Mise en place initiale en 2022 puis retardée et échelonnée - transposition d’une directive de l’Union – Non-respect - Annulation sans modulation de la date d’effet de la décision.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur, en tant qu'il fixe au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L et en tant qu'il prévoit, à son article 8, un dispositif d'application par paliers courant jusqu'à 2026.

La directive européenne du 3 avril 2014, selon son article 1er « établit les exigences minimales pour un dispositif de contrôle technique périodique des véhicules utilisés sur la voie publique ». Les autres dispositions détaillent et précises pour chaque catégorie le régime applicable.

En bref, les États sont placés, s’agissant des véhicules à deux roues, devant une alternative : ou bien est instauré un contrôle technique périodique, lequel entre en vigueur au 1er janvier 2022, ou bien sont mises en place des mesures alternatives de sécurité routière qui doivent alors tenir notamment compte des statistiques pertinentes de sécurité routière.

La France a opté pour le premier terme de l’alternative et le décret litigieux prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2023 avec un échelonnement progressif des véhicules concernés jusqu’en 2026 (cf. art.6, 8 et 9 du décret).

Ce texte, sans qu’aucun motif ne le justifie, n’est pas conforme à la directive précitée et les dispositions précitées sont annulées tant qu'elles reportent au-delà du 1er janvier 2022, l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, ainsi que par voie de conséquence l’article 8. 

S’agissant de la modulation dans le temps des effets de cette décision d'annulation, le juge rappelle d’abord le principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses auquel déroge, en cas de conséquences excessives, la possibilité d’une modulation. Il rappelle ensuite qu’en cas d’annulation pour violation du droit de l’Union, le pouvoir de modulation ne s’exerce qu’à titre exceptionnel.

Ici, il refuse d’ordonner la modulation, aucun motif ne le justifiant.

(27 juillet 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 457398)

(168) V. aussi, rejetant le recours - de ces mêmes organisations - en référé suspension de l'exécution du décret n° 2022-1044 du 25 juillet 2022 abrogeant le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur, en raison de ce que le recours au fond de ces associations sera examiné dans les prochaines semaines et de ce que la mise en œuvre de ce décret ne créerait pas une situation d'urgence telle qu'elle justifierait sa suspension immédiate sans attendre la décision sur le fond : 1er août 2022, Association RESPIRE, association Ras-le-Scoot et association Paris sans voiture, n° 466190.

 

169 - Schémas directeurs et schémas d’aménagement et de gestion des eaux - Objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux -  Compatibilité des programmes et décisions avec cet objectif - Prise en compte des mesures d’évitement et de réduction - Absence de prise en compte des impacts temporaires de courte durée (décret du 4 octobre 2018) - Directive du 23 octobre 2000 (art. 4) - Interprétation de cette disposition  par la CJUE -  Méconnaissance des objectifs de la directive - Annulation.

Le décret  du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et aux schémas d'aménagement et de gestion des eaux prévoit à son article 7 que « pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives (…) avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux (…), il est tenu compte des mesures d'évitement et de réduction et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ». L’organisation requérante a demandé l’annulation de ces dispositions ainsi que de la décision implicite née du refus de faire droit à sa demande de les retirer.

Le Conseil d’État a sursis à statuer dans l’attente des réponses de la CJUE aux questions préjudicielles qu’il lui a posées dans le cadre de ce litige. La Cour s’est prononcée par sa décision du 5 mai 2022 (Association France Nature Environnement, aff. C-525/20), ce qui permet au juge premier saisi de statuer définitivement.

Le Conseil d’État décide qu’il résulte des textes et de la jurisprudence que les dispositions de la directive précitée ne permettent pas aux États membres, lorsqu'ils apprécient la compatibilité d'un programme ou d'un projet particulier avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte d'impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur celles-ci, à moins qu'il ne soit manifeste que de tels impacts n'ont, par nature, que peu d'incidence sur l'état des masses d'eau concernées et qu'ils ne peuvent entraîner de « détérioration » de celui-ci, au sens de ces dispositions.

En sens inverse, il s’ensuit que dans le cas où, dans le cadre de la procédure d'autorisation d'un programme ou d'un projet, les autorités nationales compétentes déterminent que celui-ci est susceptible de provoquer une telle détérioration, ce programme ou ce projet ne peut, même si cette détérioration est de caractère temporaire, être autorisé que si les conditions prévues à l'article 4, paragraphe 7, de ladite directive sont remplies.

Les dispositions de l’art. 7 du décret attaqué, en ce qu’elles excluent, dans l'appréciation portée par l'autorité administrative de la compatibilité des programmes et des décisions administratives avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux prévu par la loi, leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme, méconnaissent les objectifs de l'article 4 de la directive du 23 octobre 2000 : il échet donc d’en prononcer l’annulation en tant qu'ont été ajoutés, par le dernier alinéa de cet article 7, les termes « et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme » à l'article R. 212-13 du code de l'environnement.

(28 juillet 2022, France Nature Environnement, n° 429341)

 

170 - Usinier fondé en titre - Moulin exploitant l’énergie hydroélectrique - Exonération de certaines obligations (L. 214-18-1 du code de l'environnement) - Prescriptions supplémentaires à l’autorisation d’exploiter - Date d’appréciation des règles régissant la police de l’eau - Moulin en situation irrégulière - Annulation et rejet.

La société demandait l’annulation de l’arrêté par lequel le préfet de l'Indre a fixé des prescriptions supplémentaires à l'autorisation d'exploiter l'énergie hydroélectrique sur le barrage de Moulin Neuf dont elle est titulaire.

Son recours ayant été rejeté en première instance et en appel, la société se pourvoit.

C’est l’occasion d’une décision particulièrement technique.

Le Conseil d’État commence par annuler l’arrêt d’appel en raison de l’erreur de droit qu’il contient. En effet, dans un souci de préservation du patrimoine hydraulique que sont les moulins à eau, l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement dispense ces moulins des obligations mentionnées au 2° du I de l'article L. 214-17 du même code. La cour ne pouvait donc pas, pour rejeter le recours de la société contre l’arrêté préfectoral, se fonder sur ce que l’exonération dont s’agit était limitée aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement (soit l'art. L. 232-6 du code rural, devenu l'article L. 432-6 du code de l'environnement) ayant le même objet ce qui n’était pas, selon elle, le cas du Moulin Neuf.

Ensuite, le juge rappelle qu’en sa qualité du juge du plein contentieux au titre de la police de l’eau, il doit apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation et opère à cet égard une distinction : le respect des règles relatives au contenu du dossier de demande d'autorisation s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation ; le respect des règles de fond qui s'imposent à l'autorisation s'apprécie en fonction des considérations de droit et de fait en vigueur à la date de la décision du juge.

Puis, passant à l’examen du fond, le Conseil d’État observe qu’un procès-verbal du 23 janvier 2013 a relevé diverses non-conformités s’agissant du taux de mortalité des anguilles prises dans les éléments du moulin en cause et qu’il a conduit à un projet d’arrêté portant prescriptions complémentaires et soumis au contradictoire effectif de l’exploitant. De là résulte que, si pour l’application des dispositions de l’art. 2 du règlement 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes, un délai de cinq ans après la publication des listes prévues au 2° du I de l’art. L. 214-17 est accordé aux exploitants d' « ouvrages existants régulièrement installés » pour mettre en œuvre les obligations qu'il instaure, ce délai n'est pas ouvert aux exploitants d'ouvrages antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l'article L. 232-6 du code rural, devenu l'article L. 432-6 du code de l'environnement, qui, comme c’est le cas du Moulin Neuf en l’espèce, n'auraient pas respecté le délai de cinq ans octroyé par ces dispositions pour mettre en œuvre cette obligation.

De là le juge tire les conséquences suivantes pour la Sarl Centrale du Moulin Neuf.

Celle-ci bénéficie d'un droit fondé en titre à hauteur de 48 kW et l'installation concernée a également bénéficié, par ordonnance royale du 11 mars 1842, d'une autorisation d'exploiter une installation hydraulique dont la puissance a été évaluée, par un arrêté du préfet de l'Indre en date du 12 novembre 1973, à 136 kW.

Cette autorisation, qui concernait une installation ayant une puissance inférieure à 150 kW, est toujours en vigueur en application des dispositions de l'article L. 511-9 du code de l'énergie.

Toutefois, à la date de publication de l'arrêté du 10 juillet 2012, en vertu duquel la section de la Creuse sur laquelle est située son installation a été classée sur la liste des cours d'eau, tronçons de cours d'eau ou canaux classés au titre du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, la société requérante n'avait mis en place aucun dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs, en méconnaissance des exigences de la législation antérieure à ces dispositions. Son installation ne constitue donc pas un ouvrage existant régulièrement installé, au sens du III de cet article, de sorte que les obligations posées par son I lui étaient immédiatement applicables à compter de la publication de l'arrêté du 10 juillet 2012. 

La société requérante ne peut se prévaloir du délai de cinq ans précité.

Au reste, « si la requérante invoque les dispositions de l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement pour soutenir qu'aucune obligation résultant du 2° du I de l'article 214-17-1 du même code ne peut être imposée à son installation, ces dispositions, en tant qu'elles exonèrent les moulins à eau existant à la date de publication de la loi du 24 février 2017 des obligations mentionnées au 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, indépendamment de leur incidence sur la continuité écologique des cours d'eau concernés et de leur capacité à affecter les mouvements migratoires des anguilles, méconnaissent les objectifs de la directive du 23 octobre 2000 ainsi que le règlement du 18 septembre 2007. Par suite, eu égard aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes dans l'ordre juridique interne telles qu'elles découlent de l'article 55 de la Constitution, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire de s'abstenir d'adopter les mesures réglementaires destinées à permettre la mise en œuvre de ces dispositions et, le cas échéant, aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, de donner instruction à leurs services de n'en point faire application tant que ces dispositions n'ont pas été modifiées. Il suit de là que la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de ces dispositions exonératoires et que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par l'arrêté attaqué ne peut être qu'écarté. »

Enfin, les prescriptions techniques imposées du chef de ces obligations revêtent un caractère proportionné qu’il s’agisse de celles relatives à la montaison et à la dévalaison des espèces migratrices (grande alose, lamproie marine, lamproie fluviatile, truite fario, anguille et brochet) ou de celles concernant le débit minimum biologique.

(28 juillet 2022, Sarl Centrale Moulin Neuf, n° 443911)

 

171 - Principe de responsabilité élargie du producteur (art. L. 541-10 du code de l’environnement) - Produits générateurs de déchets - Obligation d’une démarche d’écoconception des produits - Cas des produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou en partie de plastique et des produits devant être utilisés avec des produits du tabac - Rejet.

La fédération requérante conteste la légalité du décret du 29 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation relatives à la responsabilité élargie des producteurs, en ce qu'il a introduit les articles R. 543-309 et R. 543-310 dans le code de l'environnement. Ces articles établissent une responsabilité élargie, au sens et pour l’application de l’art. L. 541-10 du code de l’environnement qui, lui-même transpose la directive du 5 juin 2019 relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement, applicable aux produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou partie de plastique et aux produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac.

Son recours est rejeté en ses trois chefs de demandes.

En premier lieu, il est soutenu que le pouvoir réglementaire aurait excédé sa compétence, méconnu l'intention du législateur et commis une erreur de droit en adoptant des dispositions qui soumettent au principe de responsabilité élargie du producteur les produits destinés à être utilisés avec du tabac, même lorsqu'ils ne comportent pas de plastique, alors que la loi, pour assurer la transposition de la directive du 5 juin 2019 précitée, a entendu limiter une telle application aux filtres comportant du plastique. Le moyen est rejeté car le juge, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 541-10-1 du code de l’environnement, estime que la responsabilité élargie du producteur a vocation à s'appliquer à la fois aux produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou partie de plastique et aux produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac, qu'ils soient ou non composés en tout ou partie de plastique, le législateur ayant non seulement transposé la directive du 5 juin 2019 qui impose de réduire l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement, mais également entendu lutter, plus largement, contre les déchets constitués par les produits du tabac, en particulier les mégots, qu'ils soient ou non composés de plastique.

En deuxième lieu, c’est vainement qu’il est soutenu que le décret litigieux introduirait une discrimination illégale et méconnaîtrait le principe d'égalité en distinguant les filtres vendus directement avec les produits du tabac, qui n'entrent dans le champ d'application de la responsabilité élargie du producteur que lorsqu'ils comportent des composants plastiques, des autres filtres, vendus séparément, qui sont soumis au principe de responsabilité élargie, même s'ils ne comportent pas de plastique car, comme déjà indiqué, les produits du tabac équipés de filtres entrent, quelle que soit la composition de ces filtres, dans le champ d'application du principe de responsabilité élargie du producteur.

Enfin, c’est sans excéder sa compétence ni commettre d’erreur de droit que le pouvoir réglementaire a défini les producteurs soumis au principe de responsabilité élargie comme étant les personnes qui procèdent à la première mise sur le marché des produits du tabac équipés de filtres comportant ou non du plastique, puisque ce disposant il s’est borné à faire application de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement.

(28 juillet 2022, Fédération des fabricants de cigares, n° 454065)

(172) V. aussi, annulant sur recours de la même fédération l'arrêté du 5 février 2021 portant cahier des charges d'agrément des éco-organismes de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits du tabac et ce cahier des charges lui-même car ils ont été pris sans consultation préalable du public, contrairement aux dispositions de l’art. L. 123-19-1 du code de l’environnement, cette irrégularité étant de nature à avoir exercé une influence sur le sens de l'arrêté attaqué et a privé le public de la garantie de voir son avis pris en considération à l'égard d'un acte ayant une incidence directe et significative sur l'environnement : 28 juillet 2022, Fédération des fabricants de cigares, n° 455411.

 

173 - Concessions minières en Guyane - Prolongation - Effets de la décision QPC du 18 février 2022 - Décrets sans base légale - Annulation.

La requérante a formé quatre recours, ici joints, contre des décisions du premier ministre prolongeant sur une superficie plus réduite des concessions de mines de métaux précieux n° 32, n° 6, n° 86 et n° 651, situées sur une partie du territoire de la commune de Roura, en Guyane.

Le Conseil d’État annule ces décrets qui, par l’effet d’une décision récente du Conseil constitutionnel (18 février 2022, France Nature Environnement, n° 2021-971 QPC), se trouvent privés de base légale.

En effet, le Conseil constitutionnel, dans cette décision, a estimé que la décision de prolongation d'une concession minière est susceptible de porter atteinte à l'environnement et relevé qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, aucune disposition législative ne prévoyait que l'administration prenne en compte les conséquences environnementales de la prolongation d'une concession minière avant de se prononcer sur la demande qui lui était adressée. Il a estimé que le législateur avait méconnu, pendant cette période, les articles 1er et 3 de la Charte de l'environnement et a déclaré contraire à la Constitution la seconde phrase de l'article L. 144-4 du code minier. Cette déclaration d'inconstitutionnalité a pris effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, soit le 19 février 2022, et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. 

Par suite, les décrets litigieux, qui ont été pris sur le fondement de la seconde phrase de l’art. L. 144-4 du code minier déclaré inconstitutionnel, sont sans base légale et doivent annulés sans que puisse faire échec à cette annulation la mise en œuvre de procédures respectueuses de l’environnement.

(28 juillet 2022, France Nature Environnement, n° 456524 ; n° 456525 ; n° 456528 et n° 456529, jonction)


174 - Énergie nucléaire - Arrêt définitif de l’exploitation de la centrale nucléaire de Fessenheim - Vices de procédure - Décision en contradiction avec certains objectifs économiques et environnementaux - Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation du décret du 18 février 2020 par lequel le premier ministre, faisant droit à la demande en ce sens de la société EDF, a abrogé, à compter du 22 février 2020, s'agissant du réacteur n°1, et du 30 juin 2020, s'agissant du réacteur n°2, l'autorisation d'exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim dont était titulaire cette société en vertu des dispositions du second alinéa de l'article L. 311-6 du code de l'énergie.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, si les associations requérantes reprochent au décret qu'elles attaquent d'avoir été édicté sans que soit respecté le délai de deux ans, prévu par l'article L. 593-26 du code de l'environnement, entre la formulation de sa demande par l'exploitant et la mise à l'arrêt définitif de l'installation, il ressort toutefois des pièces du dossier que la fermeture du site électronucléaire de Fessenheim est intervenue au terme d'un long débat public et d'une série de décisions et de déclarations de l'État qui a encouragé et accompagné cette décision de fermeture. Dans un tel contexte, les requérantes ne peuvent sérieusement soutenir que le délai de cinq mois qui a séparé la demande de l'exploitant et l'édiction du décret attaqué aurait été insuffisant pour mettre l'État en mesure de préparer les mesures d'accompagnement de la décision de fermeture du site de Fessenheim, ou privé le public d'une garantie inhérente à cette procédure.

En deuxième lieu est écarté le moyen tiré de ce que serait contraire tant à l’art. R. 593-66 du code l’environnement, qu’aux art. 6 de la convention d’Aarhus et 7 de la charte de l’environnement, la circonstance que la déclaration de mise à l'arrêt définitif des deux réacteurs a été mise à la disposition du public par l'exploitant, à l'exception de la mise à jour du plan de démantèlement, qui n'a été communiquée au public que le 6 février 2020, soit douze jours avant l'édiction du décret attaqué, car cette communication tardive n’a pas privé le public, destinataire de cette information, d’une garantie.

En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la décision par laquelle l'autorité administrative abroge, à la demande de l'exploitant, l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité délivrée en application des articles L. 311-5 et suivants du code de l'énergie ne constitue pas une mesure d'application de la décision par laquelle l'exploitant d'une installation nucléaire de base déclare à l'autorité compétente, dans les conditions prévues à l'article L. 593-26 du code de l'environnement, la mise à l'arrêt définitif de cette installation. Cette décision d’abrogation n’a pas sa base juridique dans cette déclaration à l’égard de laquelle ne saurait être soulevée une exception d’illégalité et ne constitue pas non plus avec cette dernière une opération complexe.

Enfin, si l’objectif de diminution de la part de l'énergie nucléaire dans la production totale d'électricité impose qu'aucune nouvelle autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité ne peut être délivrée lorsqu'elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d'électricité d'origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts, cela ne fait pas obstacle à ce que l’autorité administrative fasse droit à la demande d'abrogation de l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité présentée par l'exploitant de cette dernière alors même que la capacité totale autorisée de production d'électricité nucléaire n'excède pas le plafond précité. Pareillement, il ne saurait être soutenu que l'arrêt de l'exploitation de la centrale nucléaire de Fessenheim serait en contradiction avec les objectifs de garantie de la sécurité de l'approvisionnement, de qualité de l'air et de lutte contre l'effet de serre assignés par l'article L. 121-1 du code de l'énergie au service public de l'électricité car cette décision d’arrêt d’exploitation doit être replacée dans le cadre d’une politique énergétique d’ensemble visant en particulier au fort développement d’énergies renouvelables comme à la réduction de la consommation d’énergie.

(29 juillet 2022, Association des écologistes pour le nucléaire, Association « Fessenheim notre Energie », Association « Initiatives pour le climat et l'énergie » et Association de défense des actionnaires salariés d'EDF, n° 440932)

 

175 - Éoliennes - Autorisation d’implantation entre les îles de Noirmoutier et d’Yeu - Autorisation préfectorale de destruction et de perturbation intentionnelle de spécimens d’espèces animales protégées - Demande d’arrêt des travaux et de complément d’instruction par le Conseil national de protection de la nature - Rejet.

Les deux associations requérantes ont saisi la cour administrative d’appel de Nantes : 1° d’une demande d’annulation de l'arrêté préfectoral ayant accordé à la société Éoliennes en Mer îles d'Yeu et de Noirmoutier (EMYN) une autorisation de destruction et de perturbation intentionnelle de spécimens d'espèces animales protégées dans le cadre de l'aménagement et de l'exploitation du parc éolien en mer au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier, 2° d’une demande de saisir, avant-dire droit, le Conseil national de protection de la nature, afin qu'il puisse compléter son instruction au regard des nouvelles informations apportées en réponse à son avis défavorable sur ce projet éolien, et 3° d'enjoindre au préfet de la Vendée de prendre toutes les mesures nécessaires à l'arrêt des travaux.

La cour ayant rejeté la requête, le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi qu’il rejette, confirmant en tous points l’arrêt déféré à sa censure.

Tout d’abord, en dépit de l’étendue des compétences dévolues au ministre chargé de la protection de la nature pour délivrer des dérogations s’agissant des opérations d'enlèvement, de capture, de destruction, de transport en vue d'une réintroduction dans le milieu naturel, de destruction, d'altération ou de dégradation du milieu particulier des espèces de vertébrés protégées au titre de l'article L. 411-1 du code de l’environnement, menacée d'extinction en France en raison de la faiblesse, observée ou prévisible, de ses effectifs et dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, celui-ci de dispose pas d’une compétence de principe pour délivrer toutes les autres sortes de dérogations. Le préfet était donc compétent pour prendre les décisions querellées.

Ensuite, le dossier de demande de dérogation au titre du 4° de l'article L.411-2 du code de l'environnement n’est pas insuffisant contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, ni concernant les impacts de la partie maritime du raccordement électrique du projet de parc éolien ni concernant l’impact du projet, au demeurant limité, sur d'autres espèces protégées qui n'ont pas fait l'objet d'une demande de dérogation, notamment le puffin des Baléares, les mammifères marins et la tortue luth. La cour, ce jugeant, a, sans dénaturation d’aucune sorte, exercé son pouvoir souverain d’appréciation.

Enfin et surtout, le Conseil d’État se prononce sur la qualification de « raison impérative d’intérêt public majeur » (cf. 24 juillet 2019, Société PCE et autre, n° 414353, V. cette Chronique, juillet-août 2019 n° 51) rendant possible les dérogations et autorisations contenues dans l’arrêté litigieux.

Il le fait en trois temps en examinant les réponses de la cour aux trois questions suivantes :

- Le projet répond-il à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement ?

- Les atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues ne nuisent-elles pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ?

- N’existe-t-il pas pas d'autre solution satisfaisante ? (Cf. 15 avril 2021, Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres, n° 430500, V. cette Chronique, avril 2021 n° 127)

Il convient de constater que le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour répondre à ces questions, le juge de cassation n’exerçant qu’un contrôle de la dénaturation.

(29 juillet 2022, Association « Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » et Association « Société pour la protection du paysage et de l'esthétique de la France », n° 443420)

 

État-civil et nationalité

 

176 - Naturalisation - Déclaration mensongère par dissimulation de la situation familiale du demandeur - Décret de naturalisation rapporté pour fraude - Aucun motif invoqué ne faisant obstacle à ce retrait - Rejet.

Un ressortissant sénégalais obtient sa naturalisation notamment sur la foi de sa déclaration, le 31 mars 2010, qu’il est marié avec une ressortissante française depuis le 10 décembre 2005.

Avisé le 7 mai 2019 par le ministère des affaires étrangères que l’intéressé était le père de six enfants, mineurs au moment de sa demande de naturalisation, nés au Sénégal entre 1996 et 2009, et résidant habituellement dans ce pays avec leur mère, le ministre de l’intérieur a prononcé le 7 mai 2021 le retrait du décret de naturalisation du 25 mai 2011 après avoir constaté que M. A. parlait et comprenait le français et qu’il n’invoque aucun argument pour justifier la grossièreté de son mensonge sur sa situation familiale réelle au moment de l’accomplissement des démarches en vue de sa naturalisation.

Le Conseil d’État rejette le recours en annulation de ce décret nonobstant que le demandeur fait valoir que ses attaches se trouvent principalement en France du fait de son mariage avec une ressortissante française, décédée en 2015, de son activité commerçante et de sa résidence en Charente depuis plusieurs années. De telles circonstances sont sans incidence sur le caractère frauduleux des déclarations en vertu du principe fraus omnia corrumpit.

(21 juillet 2022, M. A., n° 458349)

(177) V. aussi, très comparable en particulier quant à la non révélation de l’existence d’enfants nés de deux unions contractées au Sénégal : 21 juillet 2022, M. A., n° 459818 ou encore, très voisin : 21 juillet 2022, M. A., n° 459890.

 

178 - Autorisation de changement de nom par adjonction - Demande de retrait de l’autorisation - Délai expiré en l’absence de fraude - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la décision du ministre de la justice, du 21 février 2018, autorisant M. d’Ortoli à changer son nom en d’Ortoli d’Ornano. Ils saisissent le juge du rejet qui a été opposé à leur demande le 8 janvier 2021.

Le recours est rejeté, d’une part car le délai de quatre mois ouvert par l’art. L. 242-1 du code des relations du public avec l’administration pour contester une autorisation de changement de nom, était expiré quand les intéressés ont, le 30 novembre 2020, saisi le ministre de la justice d’une demande de retrait et d’autre part car ils ne sauraient invoquer que ce décret a été obtenu par fraude, ce qui aurait eu pour effet de prolonger indéfiniment le délai de recours, dès lors qu’il n’était pas contesté que le lien entre M. B. d'Ortoli et le patronyme d'Ornano était le mariage de son grand-père avec Marie-Antoinette d'Ornano et que celle-ci était sa grand-mère. 

(21 juillet 2022, MM. A. et C. d’Ornano, n° 454759)

 

179 - Certificat de nationalité française - Conditions de délivrance - Obligation de disposer d'une adresse électronique - Décisions de refus de ce certificat n'ayant pas à être motivées - Obligation du ministère d'avocat pour contester en justice le refus de délivrance de ce certificat - Récépissé dispensé de la mention des voies et délais de recours - Rejet.

(ord. réf. 3 août 2022, Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 466054 ; Conseil national des barreaux (CNB), n° 466118, jonction)

V. n° 308

 

Étrangers

 

180 - Prolongement ou rétablissement des contrôles aux frontières terrestres, maritimes et aériennes de la France - Règlement européen du 9 mars 2016 - Menaces nouvelles ou d’une nature différente des précédentes - Cas en l’espèce - Rejet.

Le gouvernement français a notifié à la Commission européenne son intention de renouveler temporairement le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures terrestres avec la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, la Confédération Suisse, l'Italie et l'Espagne ainsi qu'aux frontières aériennes et maritimes, du 1er mai 2022 au 31 octobre 2022.

Les organisations requérantes demandent l’annulation de cette décision.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, n’est pas accueilli le moyen tiré de ce que l'article 25 du règlement européen du 9 mars 2016, qui détermine un cadre général de procédure pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures des États appartenant à l'espace Schengen, limite la durée maximale de la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen à six mois. En effet, cette disposition ne fait pas obstacle, en cas de menace nouvelle grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure, au renouvellement de la mise en place d'un contrôle aux frontières pour une nouvelle période d'une durée maximale de six mois ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la CJUE (grande chambre, 26 avril 2022, NW c/ Landespolizeidirektion Steiermark et Bezirkshauptmannschaft Leibnitz, aff.C-368/20).

En second lieu, le juge examine avec beaucoup de précision la notion de « menace nouvelle » qui est centrale en l’espèce.

Il déduit des articles 25 à 27 du règlement précité qu’une menace peut être regardée comme nouvelle « soit lorsqu'elle est d'une nature différente de celles des menaces précédemment identifiées, soit lorsque des circonstances et événements nouveaux en font évoluer les caractéristiques dans des conditions telles qu'elles en modifient l'actualité, la portée ou la consistance. De tels circonstances et événements peuvent tenir, notamment, à l'objet de la menace, son ampleur ou son intensité, sa localisation et son origine. »

Il entreprend d’identifier les différentes menaces entrant actuellement dans cette définition et qui justifient la décision querellée par le présent recours :

- menace terroriste (résultant du risque accru de retour de combattants terroristes en provenance d'Irak ou de Syrie lié à l'instabilité sécuritaire dans la région, en particulier à la suite de l'attaque de la prison d'Hassaké dans le nord-est syrien le 20 janvier 2022 qui a provoqué la fuite de centaines de prisonniers, à l'augmentation du nombre d'appels à commettre des attentats émanant de mouvements terroristes islamistes se réclamant de « l'État islamique » et de l'organisation « Al-Qaïda », notamment contre les personnes de confession juive, à l'expansion récente, au-delà de la zone irako-syrienne et de l'Afghanistan, du réseau terroriste islamiste en Afrique centrale et occidentale et au verdict attendu du procès des attentats du 13 novembre 2015),

- risque lié à la pandémie de Covid-19 (arrivée de nouveaux variants dominants dont le niveau de transmissibilité est particulièrement élevé et pour lesquels l'efficacité des vaccins est moindre),

- et risques générés par le conflit ukrainien sur le territoire français en matière de criminalité organisée et de trafic d'êtres humains, cette dernière menace étant nouvelle par sa nature.

En revanche, le juge admet que la menace, également invoquée, tirée des mouvements secondaires de migrants, ne constitue pas une menace nouvelle mais observe que la décision du premier ministre eût été la même en l’absence de ce motif.

(27 juillet 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers et autres, n° 463850)

 

181 - Étranger malade séjournant régulièrement en France (11° de l’art. 313-11 du CESEDA) - Saisine du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) - État de santé estimé comme nécessitant une prise en charge médicale sans conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge - Secret médical levé par l’étranger malade - Demande de communication du dossier médical - Erreur de droit - Annulation.

Entré régulièrement en France en 2013, un ressortissant djiboutien a sollicité un titre de séjour en qualité d’étranger malade sur le fondement du 11° de l’art. L. 313-11 du CESEDA. Le collège des médecins de l’OFII a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le préfet a refusé le titre de séjour demandé et a imparti à l’intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

Celui-ci a saisi, en vain, le juge administratif et se pourvoit en cassation de l’ordonnance d’appel confirmative.

Le Conseil d’État pose d’abord que le juge saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il doit prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'OFII.

Il indique ensuite que si le demandeur entend contester l’avis rendu par ce collège, il lui appartient, comme seul il en a le pouvoir, de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l’OFII, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire. 

En l’espèce, confirmant le rejet de la demande d’annulation des décisions préfectorales, l’ordonnance d’appel s’est fondée sur ce que le secret médical s'opposait à la communication à l'intéressé du rapport médical sur le fondement duquel le collège de médecins a émis un avis, commettant ainsi, au regard de ce qui précède, une erreur de droit.

En effet, il ressort des pièces du dossier que le requérant avait levé le secret médical le concernant en faisant état des pathologies l'affectant, et qu'il avait formulé une demande auprès du juge d'appel tendant à ce que lui soit communiqué ce rapport médical.

(28 juillet 2022, M. A., n° 441481)

 

182 - Réfugiés ukrainiens - Centres d'accueil - Places disponibles - Demande d'affecter ces places à d'autres personnes vulnérables présentes dans des campements - Rejet.

Les requérantes interjettent appel de l'ordonnance de référé rejetant leur demande en référé liberté (art. L. 521-2 CJA) tendant à voir ordonner à diverses autorités publiques de proposer aux personnes vulnérables présentes dans les campements, un hébergement d'urgence au sein des places vacantes existant dans les dispositifs dédiés aux réfugiés Ukrainiens, notamment du centre d'accueil du parc des expositions de la porte de Versailles.

La demande est rejetée.

Le juge affirme et rappelle en préambule deux points essentiels.

Tout d'abord, même dans le silence des textes, il incombe à toute autorité de police générale en tant que garante du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.

Ensuite, en cas de carence des autorités publiques qui exposerait des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale alors que la situation permettrait de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 du CJA, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Ici, pour rejeter l'exception d'illégalité manifeste, le juge rappelle que le dispositif mis en place en France, comme dans les autres pays de l'Union, résulte de la mise en œuvre  de la décision du Conseil de l'Union européenne du 4 mars 2022 prise en application de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. 

Enfin, le juge croit pouvoir déduire de tout cela qu'eu égard à cette circonstance et à la nécessité de pouvoir continuer à assurer à tout moment la prise en charge immédiate des personnes relevant du dispositif exceptionnel, la circonstance que celui-ci ne soit pas ouvert, dans la mesure où il ne serait pas à ce jour saturé, aux personnes dépourvues d'un hébergement, notamment à celles identifiées comme vulnérables, relevant des dispositifs de droit commun au titre du droit d'asile ou de l'hébergement d'urgence, ne peut être regardée comme caractérisant, à la date de la présente ordonnance, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

On a vu des solutions plus généreuses...

(4 août 2022, Associations Médecins du Monde et Utopia 56, n° 466242)

 

183 - Expulsion – Art. L. 631-1 du CESEDA – Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes – Sympathie affichée pour une organisation terroriste et son défunt leader – Personne fichée S - Antisémitisme – Proclamation de l’infériorité et du devoir de soumission des femmes – Violation du principe constitutionnel d’égalité – Ministre du culte - Étranger né en France et y résidant continûment depuis sa naissance – Annulation.

Le ministre de l’intérieur demandait l’annulation de l’ordonnance du 5 août 2022 par laquelle le juge du référé liberté du tribunal administratif de Paris a suspendu l’exécution de sa décision du 29 juillet 2022 portant expulsion du territoire français et retrait du titre de séjour d’un ministre du culte musulman et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l’intéressé dans un délai de trois mois suivant la notification de son ordonnance et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de trois jours suivant la notification de son ordonnance.

L’intéressé, de nationalité marocaine, est né en France en 1964 et y réside continûment depuis, bénéficiant de titres de séjour renouvelés jusqu’au retrait prononcé en juillet 2022, il est père de famille et marié à une femme de même nationalité qui séjourne régulièrement sur le territoire français.

Pour prendre l’arrêté litigieux le ministre s’est fondé sur deux séries de considérations :

1°/ L’intéressé aurait affiché publiquement sa sympathie avec un illustre chef terroriste, remis en question la réalité des attentats terroristes revendiqués par son organisation et, de manière générale, il aurait encouragé son auditoire par un discours complotiste à répondre par la violence à toute atteinte qui serait considérée comme « islamophobe », rejetterait les lois de la République au-dessus desquelles il placerait la loi islamique et inviterait au séparatisme ;

2°/ L’intéressé a développé un discours antisémite ainsi qu’un discours systématique théorisant l’infériorité de la femme.

Le Conseil d’État, statuant collégialement en état de référé, confirme tout d’abord en partie l’ordonnance qui lui était déférée en ce que le premier juge a estimé que le premier motif développé par le ministre appelant au soutien de sa demande n’établit pas, en l’état de l’instruction et des éléments du dossier soumis au juge, que les propos reprochés caractériseraient une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes au sens de l’article L. 631-3 du CESEDA.

Ensuite, le juge du Palais-Royal annule l’ordonnance frappée d’appel pour n’avoir pas estimé que deux séries d’éléments constituaient par eux-mêmes des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes au sens de l’article L. 631-3 du CESEDA et qu’ils étaient, en conséquence, de nature à eux seuls à fonder la décision d’expulsion que cette ordonnance a cru devoir suspendre.

En premier lieu, en ce que cette ordonnance n’a pas retenu comme contrevenant gravement aux dispositions de l’article précité le discours antisémite développé depuis plusieurs années, à l’occasion de nombreuses conférences et discours relayés par les réseaux sociaux à un public large, sans que les « excuses » présentées pour ce discours en 2004 et sa condamnation en 2015 l’antisémitisme, puissent être prises en considération dès lors que, d’une part, il apparaît que ces deux prises de position ne sont intervenues qu’en réaction à l’émotion créée par son discours et ne comportent pas de réfutation explicite des propos antisémites précédemment tenus et que, d’autre part, l’intéressé a réitéré des propos à caractère antisémite après ses « excuses » de 2004, les vidéos relayant ses propos antisémites étant restées en ligne jusqu’à une date récente sans qu’il n’ait cherché à en faire cesser la diffusion.

En second lieu, est relevé le fait que, par de nombreuses interventions diffusées dans des vidéos toujours disponibles sur internet, dont les dernières ont été réalisées en 2021, développe un discours systématique sur l’infériorité de la femme. Un tel discours, théorisant la soumission de la femme à l’homme et impliquant que les femmes ne puissent bénéficier des mêmes libertés ou des mêmes droits que les hommes, méconnaît au détriment des femmes le principe constitutionnel d’égalité.

Enfin, le premier juge a, à tort, estimé que la mesure d’expulsion portait une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale de l’intéressé, justifiant qu’elle fût suspendue.

En effet, le Conseil d’État estime tout d’abord que si, en tant qu’étranger résidant régulièrement en France depuis sa naissance, il ne peut être procédé à son expulsion qu’en raison de comportements dont la particulière gravité justifierait son éloignement durable du territoire français, c’est le cas en l’espèce alors même que ses attaches en France y sont fortes.

Il estime ensuite que les enfants de l’intéressé sont majeurs et ne dépendent plus de leur père et que son épouse, qui est également de nationalité marocaine, ne se trouve pas dans l’impossibilité de se déplacer au Maroc et de l’y rejoindre le cas échéant. Dans ces conditions, la décision d’expulsion – contrairement à ce qu’a jugé le premier juge des référés -  n’apparaît pas manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

(ord. réf., form. coll., 30 août 2022, ministre de l’intérieur, n° 466554)

 

184 - Expulsion – Personne présentant des troubles psychiatriques – Absence de liens avec le pays d’origine – Présence de nombreux parents en France dont plusieurs de nationalité française résidant régulièrement en France – Urgence avérée – Atteinte au droit de mener une vie familiale en France – Annulation.

Commet une erreur de fait l’ordonnance qui rejette le recours de l’intéressé contre l’arrêté préfectoral décidant son expulsion vers le Maroc au motif que, condamné à douze reprises entre 2005 et 2021 à des peines d'amende et d'emprisonnement, il présente un profil violent et instable sur le plan psychiatrique.

D’une part, est jugée constituée l’urgence à statuer dès lors que cette dernière circonstance, qui pourrait justifier une prise en charge médicale, voire une hospitalisation, ne peut en elle-même faire obstacle à ce que soit, le cas échéant, suspendue la mesure d'expulsion visant le requérant.

D’autre part, la mesure prise porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit du requérant de mener une vie privée et familiale en France dès lors qu’il réside régulièrement en France depuis qu'il y est entré en 2004, à l’âge de huit ans, et qu’il soutient sans être sérieusement contredit n'avoir aucune famille au Maroc, pays vers lequel il a été décidé de l’expulser, alors que ses parents et ses sept frères et sœurs, dont plusieurs ont la nationalité française, résident régulièrement en France et se montrent disposés à l'assister. 

L’ordonnance du premier juge et l’arrêté d’expulsion sont annulés.

(ord. réf. 29 juillet 2022, M. A., n° 466003)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

185 - Reprise d’activités périscolaires et extrascolaires d’une association par un centre communal d’action sociale (CCAS) – Transfert d’une salariée de l’association au CCAS et placée sous contrat de droit public à durée indéterminée – Détermination de la rémunération brute, primes incluses, afférente aux fonctions régies par ce contrat – Rejet.

Le Conseil d’État tranche un litige récurrent en cas de reprise par une collectivité ou une structure publique d’une activité assurée jusque-là par une personne privée s’agissant de la rémunération du personnel transféré. Il pose deux règles importantes.

En premier lieu et à titre de principe, la rémunération versée dans l’emploi public ne saurait être inférieure à celle perçue sous l’empire du contrat de travail liant le salarié à son ancien employeur. En particulier, la collectivité publique ne saurait se prévaloir de ce que, à niveaux de responsabilité et de qualification équivalents, cette rémunération serait supérieure à celle des agents en fonctions dans l'organisme d'accueil à la date du transfert. Il n’en va différemment qu’au cas où la précédente rémunération excéderait celle que, dans le droit commun, il appartiendrait à l'autorité administrative compétente de fixer, sous le contrôle du juge, en tenant compte, notamment, des fonctions occupées par l'agent non titulaire, de sa qualification et de la rémunération des agents de l'État de qualification équivalente exerçant des fonctions analogues. 

En second lieu, pour opérer cette comparaison par équivalence entre l’ancienne et la nouvelle rémunération, le juge impose d’abord de tenir compte, au titre de la rémunération résultant du contrat de droit privé, du montant brut des primes accordées à l'agent et liées à l'exercice normal des fonctions, ce qui comprend toutes les primes et indemnités qui, au moment de la reprise d'activité par une personne publique, lui étaient versées par son employeur à échéances régulières, y compris celles qui, à l'instar des primes d'ancienneté ou de déroulement de carrière, ne rémunèrent pas directement la prestation de travail. Il impose ensuite, au titre de la rémunération afférente au contrat de droit public, de tenir compte du montant brut des primes accordées à l'agent et liées à l'exercice normal des fonctions soit toutes les primes et indemnités contractuellement prévues, qu'il s'agisse des primes fixes, comme l'indemnité de résidence, ou des primes variables que l'agent est susceptible de percevoir. S'agissant en particulier des primes variables, telles que l'indemnité d'exercice de missions des préfectures et l'indemnité d'administration et de technicité, elles doivent aussi être prises en compte, eu égard aux modalités de leur détermination, pour leur montant de référence ou tout autre montant servant de base aux modulations individuelles, tel que ce montant est arrêté par la collectivité concernée dans le cadre du régime qui les détermine. C’est au terme de la comparaison entre ces deux masses brutes de rémunération et primes, que pourra être appréciée soit l’équivalence soit la disproportion de rémunération globale, dans l’un ou l’autre sens.

C’est sans erreur de droit que la cour, procédant comme il vient d’être indiqué, a jugé la nouvelle rémunération de l’intéressée équivalente à celle qu’elle avait dans son précédent emploi.

(1er juillet 2022, Mme A., n° 444792)

 

186 - Fonctionnaires appartenant au même corps – Application stricte du principe d’égalité sauf circonstances exceptionnelles – Brigadiers-chefs promus majors de police – Reclassement avec une ancienneté variable du fait du calendrier adopté – Illégalité – Rejet.

C’est sans erreur de droit, contrairement à ce que soutient le ministre auteur du pourvoi, qu’une cour administrative d’appel a jugé illégale l’atteinte portée par l’art. 19 du décret du 23 décembre 2004, dans la rédaction qui lui a été donnée par le décret du 29 octobre 2015, au principe d'égalité entre les fonctionnaires appartenant à un même corps du fait que le statut particulier de ce corps fixe des règles établissant une différence de traitement entre ces fonctionnaires hors de toutes circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier cette différence dans l'intérêt du service. En l’espèce, les brigadiers-chefs ayant atteint le 6ème échelon et promus au grade de major de police ont été reclassés au 2ème échelon avec une ancienneté acquise dans la limite d'un an pour ceux nommés au titre de l'année 2015 et dans la limite de deux ans pour ceux nommés au titre de l'année 2016. Ainsi, les brigadiers-chefs promus au titre de l'année 2016 ont été nommés dans le grade de major de police en juillet 2016 alors que les brigadiers-chefs promus dans ce grade au titre de l'année 2015 l'ont été à compter du 2 décembre 2015. Ce calendrier, combiné aux règles de reclassement dans le grade de major de police précédemment rappelées, a conduit à accorder aux brigadiers-chefs promus dans le grade de major de police au titre de l'année 2016 une ancienneté dans ce grade supérieure à certains des brigadiers-chefs promus dans ce même grade au titre de l'année précédente, inversant par suite l'ordre d'ancienneté de certains membres de ce corps.

Errare humanum est, perseverare autem diabolicum ou, pour le dire comme et avec Cicéron (Philippiques, XII.5, mars 43 av. J.-C.) : Cuiusvis hominis est errare : nullius nisi insipientis, in errore perseverare. Bref, le ministre pouvait se tromper en édictant un texte aux pareils effets, il était, en revanche, diabolique, devant l’annulation en appel, de poursuivre en Conseil d’État.

(1er juillet 2022, ministre de l’intérieur, n° 448916)

 

187 - Fonctionnaires – Régime disciplinaire – Sanction annulée par le juge – Engagement d’une nouvelle procédure disciplinaire – Légalité – Absence de prescription de l’action disciplinaire – Rejet.

Le requérant, secrétaire adjoint des affaires étrangères, dont la sanction disciplinaire qui le frappait a été annulée par le juge administratif, soutenait qu’une procédure disciplinaire ne pouvait pas être à nouveau engagée à son encontre tant en vertu du principe non bis in idem que du fait de la prescription de trois ans frappant les faits en cause.

Ses prétentions ayant été rejetées par le juge du référé-liberté, il saisit le juge du Conseil d’État par voie d’appel.

Le rejet primitif de sa demande est confirmé.

Tout d’abord, la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office qui le frappait ayant été annulée par le tribunal administratif pour un vice de procédure, cette illégalité étant régularisable et l'appel contre ce jugement n'étant pas suspensif, le ministre compétent pouvait donc à la fois interjeter appel contre ce jugement et engager une nouvelle procédure disciplinaire à l'encontre du requérant sans  porter atteinte au droit à recours du requérant non plus qu’au principe non bis in idem. En outre, l'engagement d'une nouvelle procédure disciplinaire n'empêche pas, contrairement à ce que soutient le requérant, que la cour administrative d’appel se prononce sur l'appel formé par le ministre contre le jugement prononçant l'annulation de son précédent arrêté. 

Ensuite, ne saurait être invoquée ici la règle tirée de l’art. L. 532-2 du code général de la fonction publique selon laquelle « Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction ». La sanction disciplinaire infligée le 4 octobre 2019 a interrompu le délai de prescription et un nouveau délai a été ouvert par la notification du jugement annulant cette sanction. C'est sans erreur de droit que le juge des référés du tribunal administratif a rejeté le moyen tiré de la méconnaissance de cette règle sans se prononcer sur son caractère de liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du CJA.

(1er juillet 2022, M. Mazzoni, n° 465257)

 

188 - Fonctionnaire - Chef de poste diplomatique - Mise à la retraite d’office par mesure disciplinaire - Absence de vices affectant la légalité externe du décret de mise à la retraite d’office - Gravité et durée des comportements répréhensibles - Sanction non disproportionnée - Rejet.

A la suite de plusieurs signalements de comportements sexistes, le secrétaire général du ministère a demandé à l'inspection générale des affaires étrangères de conduire une enquête administrative portant sur ces allégations, qui mettaient en cause M. F. Après la remise de ce rapport il a été mis fin aux fonctions de M. F. par décret du président de la république, puis au terme de la procédure disciplinaire subséquente, l’intéressé a été mis à la retraite d’office par un décret du président de la république : il en demande l’annulation ainsi que celle de la publication de cette sanction sous forme anonymisée sur le site intranet du ministère pour une durée de six mois.

Le recours est rejeté tant en ses griefs de légalité externe qu’en ceux de légalité interne.

Sur la légalité externe.

Le requérant n’établit pas son allégation selon laquelle l'enquête de l'inspection générale des affaires étrangères aurait été déclenchée à la suite de pressions d'agents faisant preuve d'animosité à son égard et ne démontre pas davantage que plusieurs personnes dont le témoignage en sa faveur aurait été crucial, n'auraient délibérément pas été auditionnées par la mission d'enquête de l'inspection générale. Au reste, la mission d’enquête a recueilli de nombreux témoignages tant à charge qu'à décharge et, s'il lui est fait en particulier reproche de ne pas avoir auditionné un attaché de défense après l'important témoignage écrit qu'il avait produit, ce témoignage se terminait par la mention du refus de son auteur « de répondre aux enquêteurs du ministère des affaires étrangères ». Enfin, M. F., qui avait, au surplus, la faculté de produire des témoignages utiles à sa défense, en a produit plusieurs au cours de la procédure disciplinaire et en a d'ailleurs produit de nouveaux devant le Conseil d'État. 

Il n’est pas davantage établi que le décret se serait fondé sur des témoignages auxquels le requérant n'aurait pas eu accès en temps utile. 

Il ne saurait être reproché que M. F. n’a pas pu interroger lui-même des témoins, cette faculté n’existant pas en droit français.

Aucune des autres critiques n’a convaincu le juge.

Sur la légalité interne.

Le décret présidentiel mettant fin aux fonctions de l’intéressé au vu d’agressions sexuelles et de harcèlements sexuels avérés, qui n’a été dicté que par le souci de l’intérêt du service et de la réputation de la France à l’étranger, n’a pas constitué une sanction disciplinaire. Il a été pris dans le respect du principe d’impartialité.

Le second décret, sanctionnant par la mise à la retraite d’office un comportement répréhensible, est fondé sur des faits certains, s’étalant sur un grand nombre d’années de la vie professionnelle du requérant et survenus en de multiples lieux et occasions. L’enquête au terme de laquelle ce décret est intervenu a été très minutieuse et repose sur de « patients recoupements ».

Il suit de là qu’en l’absence de tout doute sur les reproches faits au demandeur, sur leur nature comme sur leur durée, la sanction retenue contre lui y compris sa publication pendant six mois - sous forme anonyme - sur le site intranet du Ministère, ne revêt pas, contrairement à ce qui est prétendu, un caractère disproportionné.

(13 juillet 2022, M. F., n° 461914)

 

189 - Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) – Décret abrogeant la consultation d’organismes paritaires préalablement au recrutement de certains personnels de l’AEFE – Illégalité – Urgence – Annulation.

Le syndicat requérant demandait la suspension de l’art. 2 du décret du 16 juin 2022 modifiant les modalités de recrutement, de rémunération et de gestion des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger, en tant qu'il abroge les dispositions organisant la consultation des commissions consultatives paritaires préalablement au recrutement des personnels de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). 

Le juge accorde la suspension demandée.

D’une part, en effet, devait être respecté le principe, posé par la loi, de consultation des commissions consultatives paritaires préalablement au recrutement de certains personnels de l'AEFE, et d’autre part, l’imminence de la rentrée scolaire crée une situation d’urgence sans que, pour échapper à son impéritie aggravée d’illégalité, l’administration puisse soutenir que l'intérêt général ferait obstacle à ce que ces dispositions attaquées soient suspendues en tant qu'elles abrogent l'obligation de consulter ces commissions, du fait de l'incompatibilité alléguée de cette suspension avec l'organisation de la rentrée scolaire ; en réalité elle est elle-même la cause de la situation extravagante dans laquelle elle se trouve…

(ord. réf. 23 août 2022, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 466160)

 

 

190 - Covid-19 - Agents vulnérables - Agents ne pouvant recourir au télétravail - Mesures de protection renforcée des agents vulnérables - Régimes distincts pour les salariés de droit privé et pour la fonction publique d'État - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la circulaire du 10 novembre 2020 de la directrice générale de l'administration et de la fonction publique relative à l'identification et aux modalités de prise en charge des agents publics civils reconnus personnes vulnérables, sauf en ce qu'elle étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret n° 2020-521 du 5 mai 2020.

Le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 place en position d'activité partielle certaines catégories de salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler (personnes vulnérables - c'est-à-dire risquant de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 - ou partageant le même domicile qu'une personne vulnérable...). Le décret du 5 mai 2020 et celui du 29 août 2020 (dont le juge a ordonné la suspension d'exécution de plusieurs de ses dispositions) ont fixé les critères d'identification des personnes vulnérables au sens de la loi précitée et la durée d'application de ce régime.

A partir de la circulaire du 1er septembre 2020 le premier ministre s'est préoccupé de la situation des agents vulnérables dans la fonction publique de l'État et a donné des instructions en ce sens aux ministres en reprenant et en adaptant à cette fonction publique certaines modalités de placement en activité partielle des salariés du secteur privé vulnérables notamment lorsque le télétravail n'était pas possible, les agents publics présentant l'une de ces pathologies devant être placés en autorisation spéciale d'absence. En outre, d'une part, ceux des agents présentant un autre facteur de vulnérabilité devaient être placés en télétravail lorsque les missions exercées s'y prêtaient et d'autre part, en cas de reprise du travail sur place, les conditions d'emploi de ces agents devaient être aménagées. 

Ce dernier point a été repris et développé dans une circulaire du 29 octobre 2020.

Enfin, par la circulaire du 10 novembre 2020 qui est l'acte attaqué dans le cadre de la présente affaire et qui accompagne le décret du 10 novembre 2020, la directrice générale de l'administration et de la fonction publique a rappelé les conditions de mise en œuvre des mesures de protection des agents vulnérables à la suite de l'abrogation du décret du 29 août 2020 par le décret du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020.

De cette circulaire, il résulte tout d'abord que le premier critère d'identification des personnes vulnérables, se rapporte à la situation d'âge, de grossesse ou d'état de santé de la personne. Ensuite, celles-ci, sur leur demande et sur présentation d'un certificat délivré par un médecin traitant ou justification de leur âge, doivent être placées totalement en télétravail ou, si le recours au télétravail est impossible, dans le cadre d'aménagements apportés à leur poste de travail Enfin, l'agent doit être placé en autorisation spéciale d'absence si l'administration estime être dans l'impossibilité d'aménager le poste de façon à protéger suffisamment l'agent ou, en cas de désaccord avec l'agent sur les mesures de protection mises en œuvre, dans l'attente de l'avis du médecin du travail alors saisi par l'employeur. 

Les demandeurs formulent trois critiques à l'encontre de cette circulaire.

Elle serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle permet le retour des agents vulnérables sur le lieu de travail lorsque le télétravail n'est pas possible et en ce que les mesures de protection qu'elle prévoit seraient insuffisantes. Le moyen est rejeté car la circulaire sur ce point se borne à reprendre soit les mesures prévues par le décret du 10 novembre 2020 soit les critères énoncés par la circulaire du 1er septembre 2020 et qui ont été repris par le décret du 10 novembre 2020. Les moyens ne pouvaient donc prospérer en tant qu'ils sont dirigés non contre de décret mais contre une circulaire qui ne fait qu'expliciter ce décret sans y ajouter.

La circulaire attaquée serait, ensuite, entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle ne prévoit pas que les agents cohabitant avec une personne vulnérable puissent bénéficier du dispositif d'activité partielle institué par l'article 20 de loi du 25 avril 2020. Le moyen est rejeté car ce régime d'activité partielle n'est applicable, ainsi qu'il résulte des termes mêmes de la loi, qu'aux salariés de droit privé et aussi parce que la circulaire attaquée se borne à présenter la mise en œuvre des mesures décidées par la circulaire du 1er septembre 2020 du premier ministre, lesquelles ne concernent que les agents vulnérables de la fonction publique de l'État.

Enfin, est rejeté le moyen tiré de ce que cette circulaire méconnaîtrait le droit au recours juridictionnel dans la mesure où, le médecin du travail, saisi par l'administration en cas de désaccord avec l'agent, émet un avis sur les mesures de protection mises en œuvre. Cet avis constitue un élément de la procédure préalable à la décision du chef de service de placer ou non l'agent en autorisation spéciale d'absence et sa contestation par l'agent doit être regardée comme permettant, le cas échéant, au chef de service de saisir pour avis le médecin inspecteur du travail territorialement compétent.

Le refus de faire droit à une demande d'autorisation spéciale d'absence pour ce motif est susceptible de recours devant le juge administratif, d’où il résulte que le moyen n’est pas fondé.

(7 juillet 2022, Association Renaloo, l'association France Lymphome Espoir et M. A., n° 447977)

 

191 - Ingénieurs territoriaux - Concours externe de recrutement - Covid-19 - Maintien de l'épreuve orale d'entretien en langue étrangère - Suppression de l'épreuve orale facultative d'entretien en langue étrangère - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de la décision du premier ministre maintenant, pour le concours externe de recrutement des ingénieurs territoriaux de l'année 2021, l'épreuve orale d'entretien en langue étrangère et suspendant l'épreuve facultative de langue étrangère en ce que cette dualité de régime juridique reposait sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où la situation sanitaire ne pouvait justifier la suspension de la seule épreuve orale facultative de langue étrangère.

Le recours est rejeté pour le double motif qu'en raison de la situation sanitaire à la date du décret attaqué, d'une part, existaient des contraintes supplémentaires liées à la mise en place d'un protocole sanitaire strict pour l'organisation d'épreuves orales et, d'autre part, qu'il a été ainsi tenu compte de l'importance particulière de l'épreuve obligatoire d'entretien pour apprécier l'aptitude des candidats au concours d'ingénieur territorial.

On peut trouver discutable la solution retenue.

(5 août 2022, M. B., n° 461700)

 

192 - Professeur des universités (médecine) – Recrutement – Violation de l’égalité entre candidats – Annulation.

Pour annuler les conditions dans lesquelles s’est déroulé le recrutement d’un professeur en pédopsychiatrie, addictologie, option pédopsychiatrie au titre de l'année 2020 et, par voie de conséquence, la nomination et la titularisation d’une personne en qualité de professeur des universités-praticien hospitalier sur un emploi vacant auprès du CHU de Paris (UFR de médecine Paris-Centre), DMU médecine de l'enfant et de l'adolescent, service pédopsychiatrie, hôpital Necker-Enfants, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Paris-Centre, le Conseil d’État retient que la procédure y conduisant a été « irrémédiablement viciée », le choix de l’adverbe a ici une forte connotation réprobatrice allant au-delà d’une classique affirmation d’irrégularité.

Pour aboutir à ce constat, le juge relève en premier lieu la façon dont a été traitée la candidate requérante. Tout d’abord, « le doyen de la faculté de santé de l'université de Paris, par ailleurs rapporteur du dossier de candidature de Mme E. devant le conseil restreint de la faculté de médecine, a fait savoir à l'intéressée, par un courriel du 28 février 2020 en réponse à une demande de rendez-vous qu'elle avait formulée, que la faculté de médecine et le directeur du groupement hospitalier Necker avaient " fait un autre choix " que celui de sa candidature, " sous réserve de validation par le CNU " ». Ensuite, le rapport du même doyen, présenté lors de la réunion du 13 mars 2020 du conseil restreint de l'UFR de médecine de l'université de Paris, indiquait que, même si la qualité de la candidature de Mme E. ne faisait pas de doute, « le choix prioritaire du site se porte sur une candidate plus jeune dont la complémentarité avec le GHU Sainte-Anne de Paris peut apporter une synergie nouvelle ». Enfin, le rapporteur du dossier de candidature de Mme E. au sein de l'UFR de médecine de l'université de Paris et l'avis de la gouvernance des hôpitaux universitaires Paris-Centre, lu lors de la séance de la commission médicale d’établissement (CME) en formation restreinte de l'AP-HP le 10 mars 2020, ont fait valoir, après avoir exposé les qualités de la candidature de Mme E. ainsi que l'inadéquation de son profil au regard des priorités de l'UFR de médecine et de l'hôpital Necker, que sa candidature avait déjà été examinée à l'occasion de précédentes déclarations de vacance du poste sans qu'une suite favorable lui ait été donnée.

Le juge relève ensuite la façon dont a été traitée la candidature de la personne recrutée en mutation. Celle-ci a été auditionnée, le 25 juin 2019, par le conseil restreint de la faculté de médecine de l'université de Paris comme « candidate au poste de PU-PH en pédopsychiatrie à l'hôpital Necker-Enfants C. ». Elle a commencé à exercer dans le service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker dès le début du mois de février 2020. Lors de son audition par le CNU, le rapporteur sur sa candidature avait indiqué que l'intéressée avait été affectée dans ce service dans la perspective de sa prochaine nomination comme chef de service. Enfin, lorsque, après son inscription sur la liste d'admission aux emplois de professeur des universités-praticien hospitalier établie par arrêté du 6 juillet 2020, elle s’est portée candidate le 22 juillet 2020, au titre du recrutement par concours, sur l'emploi de professeur des universités-praticien hospitalier en pédopsychiatrie, addictologie, option pédopsychiatrie, elle a, au soutien de sa candidature, présenté son curriculum vitae dans lequel il était mentionné qu’elle était « praticien hospitalier, service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker Enfants C. en vue d'une nomination comme chef de service en septembre 2020 ». 

De ces deux séries d’éléments rigoureusement en sens inverse, le juge déduit qu’ils « n'ont pu demeurer sans influence sur les positions prises par les membres de la formation du conseil restreint de l'UFR de médecine de l'université de Paris et de la CME de l'AP-HP lorsqu'ils ont délibéré sur la candidature de Mme E. présentée pour pourvoir le poste en cause et sur le déroulement de la procédure dans son ensemble (…) ».

Sont annulées les épreuves ainsi viciées, la nomination, la titularisation et l’affectation d’une autre personne que la requérante.

Cette décision implique donc que, si l'emploi en cause est toujours vacant et ouvert au recrutement, la procédure de recrutement soit reprise à son début, c’est-à-dire au stade du recrutement par voie de mutation. Il est enjoint à l'État de reprendre la procédure de recrutement sur ce poste, au stade du recrutement par voie de mutation, dans un délai de trois mois pour autant que le poste reste vacant et ouvert à recrutement.

(5 juillet 2022, Mme E., n° 448212)

(193) V. aussi, rejetant le recours d’une candidate à un poste de professeur des universités en « psychopathologie de la vulnérabilité et cliniques de l'extrême dans le monde contemporain » au sein de l'unité de formation et de recherche Institut Humanités, Sciences et Sociétés de l’Université de Paris, que le comité de sélection de cette dernière n’a pas retenue en vue d’une audition, aucun des moyens soulevés par la requérante n’ayant convaincu le juge : 20 juillet 2022, Mme B., n° 441054.

(194) V. également, estimant régulière la décision d’un conseil académique d’interrompre comme infructueux un concours de recrutement de professeur des universités en raison de ce que l’un des quatre membres qui participaient au comité de sélection en visioconférence a quitté, sans aucun motif légitime, le jury de ce concours avant la fin de la séance de questions adressées au troisième candidat lors de la séance d'audition des trois candidats retenus par le comité de sélection, cette absence ayant été de nature à porter atteinte à l'égalité entre les candidats de ce concours : 20 juillet 2022, M. B., n° 442754.

 

195 - Fonctionnaire territoriale de région – Disponibilité pour convenances personnelles d’une durée inférieure à trois années – Demande de réintégration – Obligations de la région – Erreurs de droit – Annulation.

Ingénieure territoriale principale de la région Poitou-Charentes, la requérante a été placée à deux reprises, sur sa demande, en disponibilité pour convenances personnelles pour une durée inférieure à trois ans puis a, chaque fois, sollicité sa réintégration. Elle a demandé réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du chef de fautes commises par la région dans le traitement de ses demandes de réintégration.

Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel qui a rejeté deux de ses moyens à l’appui de sa requête en indemnisation.

Le Conseil d’État lui donne raison.

Avant de procéder à l’examen de ces moyens, le juge de cassation rappelle en ces termes le régime juridique de la réintégration du fonctionnaire territorial à l’issue de périodes de disponibilité pour convenances personnelles : « (Ce fonctionnaire) a le droit, sous réserve de la vacance d'un emploi correspondant à son grade, d'être réintégré à l'issue de sa disponibilité, et (…) la collectivité est tenue de lui proposer l'un des trois premiers emplois devenus vacants (…) ; si le fonctionnaire territorial n'a droit à réintégration à l'issue d'une disponibilité pour convenances personnelles d'une durée de moins de trois ans qu'à l'occasion de l'une des trois premières vacances d'emploi, la collectivité doit néanmoins justifier son refus de réintégration sur les deux premières vacances par un motif tiré de l'intérêt du service et, enfin, (…) les propositions formulées par la collectivité en vue de satisfaire à son obligation de réintégration sur l'une des trois premières vacances d'emploi doivent être fermes et précises quant à la nature de l'emploi et la rémunération et notamment ne pas subordonner le recrutement à la réalisation de conditions soumises à l'appréciation de la collectivité. »

En premier lieu, contrairement à ce qui a été jugé en appel, la cour devait examiner, comme l’y invitait la requérante, si l'une au moins des cinq propositions d'emploi qui lui étaient faites correspondait aux trois premières vacances, présentait un caractère ferme et précis et correspondait à son grade. Faute de procéder à cette recherche l’arrêt de rejet est entaché d’erreur de droit.

En second lieu, alors que la requérante soutenait que les emplois d'architecte programmiste et de chargé de mission sur lesquels elle a été réintégrée respectivement en 2010 et 2015 ne correspondaient pas aux fonctions susceptibles de lui être confiées, la cour, pour rejeter cette argumentation, a retenu que la requérante avait accepté ces emplois, sans alléguer y avoir été contrainte. Une erreur de droit était encore commise car l'acceptation de l'offre par l'agent ne suffit pas à établir que la réintégration était légale ce dont il incombait à la cour de s’assurer.

(7 juillet 2022, Mme B., n° 449178)

 

196 - Attribution de titres-restaurant à des fonctionnaires ou agents publics - Régime de l'ordonnance du 27 septembre 1967 - Agents exerçant en télétravail - Maintien du droit à l'attribution de titres dans les conditions d'exercice identiques sur leur lieu de travail - Annulation.

Un inspecteur divisionnaire des finances publiques affecté à Rodez a signé une convention de télétravail à effet du 20 novembre 2017 ; aux termes de cette convention, il devait exercer ses fonctions, chaque semaine, trois jours à son domicile (à Cagnac-les-Mines) et deux jours sur le site de son service. Il a alors sollicité de son administration le bénéfice du régime des titres-restaurant, ce qui lui a été refusé au motif que son poste étant situé à Rodez, près d'un restaurant administratif, il n'avait pas droit à bénéficier de ce mécanisme.

Son recours a été rejeté par le tribunal administratif mais, en appel, il a été transmis au Conseil d'État par la cour administrative d’appel.

Le juge pose d'abord en principe qu'il résulte des dispositions de l'art. 6 du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature, qu'une administration ayant décidé d'attribuer le titre-restaurant à ses agents dans les conditions prévues à l'art. 19 de l'ordonnance du 27 septembre 1967 relative à l'aménagement des conditions de travail en ce qui concerne le régime des conventions collectives, le travail des jeunes et les titres-restaurant ceux-ci ont le même droit à l'attribution de ce titre que s'ils exerçaient leurs fonctions sur leur lieu d'affectation. 

Ensuite, il estime que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant, pour annuler le refus opposé au demandeur, que le droit au bénéfice de cet avantage devait, pour les agents exerçant leurs fonctions en télétravail à domicile ou dans des locaux distincts de ceux de leur employeur public, être apprécié en tenant compte de l'éloignement de leur lieu de télétravail avec un dispositif de restauration collective. En effet, il devait seulement rechercher si l'intéressé aurait bénéficié de cet avantage s'il avait exercé ses fonctions sur son lieu d'affectation.

Enfin, en l'espèce, le demandeur, affecté à Rodez, aurait pu bénéficier sur son lieu d'affectation d'un dispositif de restauration collective excluant donc l'octroi de titres-restaurant. Par suite, il n'avait pas droit à ces titres pour les jours de télétravail accomplis à son domicile.

(7 juillet 2022, ministre de l'économie..., n° 457140)

 

197 - Mutation des fonctionnaires - Obligation de prise en considération de leur situation de famille - Obligation s'imposant même aux mutations décidées dans l'intérêt du service - Exigence non respectée - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge des référés estimant que les dispositions de l'art. 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (devenu les art. L. 512-18 et L. 512-19 du code général de la fonction publique) qui imposent à l'autorité compétente de tenir compte, parmi les critères de priorité des mutations de fonctionnaires, de la situation de famille des intéressés, ne sont pas applicables aux mutations décidées dans l'intérêt du service.

Annulation de cette ordonnance.

(ord. réf. 7 juillet 2022, M. B., n° 459456)

 

198 - Recours dirigé contre une délibération du jury du concours externe d'officier de la police nationale - Demande d'organiser de nouvelles épreuves orales - Recours dirigé contre une décision prise par un organisme à caractère collégial - Concours relatif à des agents ou des postes situés dans le ressort de plusieurs tribunaux administratif - Compétence du tribunal dans le ressort duquel siège l'auteur de la décision attaquée - Saisine directe du Conseil d'État irrecevable - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

(12 juillet 2022, M. B., n° 455667)

V. n° 57

 

199 - Concession d’un logement dans une caserne par nécessité absolue de service - Charges d’occupation - Chauffage collectif réglable par l’occupant - Application du régime d’individualisation des frais de chauffage collectif - Fixation unilatérale de ces frais - Illégalité - Rejet.

Un sous-officier de la gendarmerie nationale logé dans une caserne par nécessité absolue de service a fait l’objet d’un avis portant régularisation des charges d'occupation de son logement y compris les charges de chauffage.

Il a contesté avec succès devant les juges du fond la régularité du mode de calcul de ces dernières. Le ministre de l’intérieur se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif. Le pourvoi est rejeté.

L’agent logé dans les conditions sus-rappelées est soumis à l’obligation d’acquitter les frais de chauffage. Cependant, s’agissant de logements avec chauffage collectif dotés d'appareils permettant d'individualiser les frais de chauffage collectif, conformément aux dispositions combinées de l’art. L. 241-9 du code de l’énergie et de l’art. R. 131-7 du code de la construction et de l’habitation, applicables au logement litigieux comme à tout autre immeuble collectif comportant au moins deux logements destinés à être occupés à titre privatif et chauffés par une même installation, les frais de chauffage doivent être répartis par individualisation de la consommation.

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé - après avoir constaté que le logement litigieux se situait dans un casernement comprenant plusieurs logements et était muni d'un compteur individuel de calories -, que les frais de chauffage collectif devaient être individualisés et répartis selon les modalités prévues par l’article R. 131-7 précité et non de façon différente.

(15 juillet 2022, ministre de l’intérieur, n° 440106 ; n° 440107 ; n° 440108 ; n° 440110 et n° 440111, cinq espèces)

 

200 - Directrice adjointe d’un centre hospitalier recrutée par contrat à durée indéterminée - Licenciement - Interprétation erronée des dispositions dérogatoires de l’art. 2 de la loi du 9 janvier 1986 - Annulation avec renvoi.

La requérante a été recrutée en juillet 2012 par un contrat à durée indéterminée en qualité de directrice-adjointe chargée des services économiques et de l'équipement d’un centre hospitalier. Par un courrier du 26 novembre 2014, le directeur du centre hospitalier l'a informée que son emploi ne pouvait être occupé par un agent contractuel et qu'un reclassement lui serait proposé, puis, le 10 février 2015, il a prononcé son licenciement.

La requérante a demandé en vain, aux juges du fond, l’annulation de cette décision et l’indemnisation du préjudice en résultant.

Elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État est à la cassation notamment en raison de ce que l’arrêt d’appel confirmatif, pour juger que les fonctions de directrice adjointe chargé des services économiques et de l'équipement exercées par la demanderesse ne pouvaient être confiées qu'aux seuls agents appartenant au corps des personnels de direction des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986.

Ce raisonnement repose sur une erreur de droit car la disposition précitée, qui est relative aux emplois réservés aux fonctionnaires, n'impose pas une telle restriction.

(15 juillet 2022, Mme B., n° 441447)

 

201 - Professeurs des écoles - Recrutement à l’issue du concours - Choix du département d’affectation - Régime applicable – Non-respect du principe d’affectation des lauréats en fonction de leurs vœux et rangs de classement - Illégalité - Atteinte grave et immédiate aux intérêts des membres du syndicat demandeur - Impossibilité d’annuler en raison de l’intérêt du service - Engagement de l’administration à l’audience de référé - Défaut d’urgence - Rejet.

La décision est très intéressante par la mise en valeur qu’elle réalise de l’oralité de l’audience de référé en permettant un véritable « accord » des parties devant le juge.

En bref, le syndicat requérant contestait que les lauréats d’un concours de recrutement des professeurs des écoles ne puissent pas bénéficier purement et simplement de leurs résultats en fonction de leurs vœux et rangs de classement puisque les critères de la quotité de travail et des capacités d'accueil ouvertes dans chaque département ont été pris en compte par l’administration prioritairement au respect des vœux et de l'ordre de classement.

Le procédé est jugé à la fois illégal et de nature à porter une atteinte grave et immédiate aux intérêts des lauréats concernés.

Toutefois, le juge des référés constate d’abord que la remise en cause générale des opérations d'affectation réalisées par chaque service académique en vue de la rentrée scolaire 2022, dont il résulte de l'instruction qu'elles sont pour l'essentiel terminées, aurait pour conséquence de désorganiser le service public de l'éducation nationale. Ensuite, il prend acte d’engagements pris à l’audience par l’administration et acceptés par le syndicat requérant, que les lauréats qui, au regard de leur rang de classement, s'estimeraient lésés par l'application des règles contestées entre les stagiaires à temps plein et ceux à mi-temps pourront demander le réexamen, au cas par cas et dans le respect de l'intérêt du service, de leur département d'affectation au regard de leurs vœux et de leur classement.

Ainsi la requête perd son caractère d’urgence et se trouve rejetée de ce fait.

(ord. réf. 13 juillet 2022, Syndicat des enseignants de l'union nationale des syndicats autonomes, n° 465513)

 

202 - Professeur agrégé du second degré - Sanction disciplinaire - Gestes déplacés - Réduction de la sanction par le CNESER - Dénaturation des pièces - Annulation.

Un professeur du second degré exerçant dans une université en éducation sportive s’étant vu reprocher des gestes déplacés sur quatre étudiantes, a fait l’objet d’une sanction d’interdiction d’enseignement pendant un an dans cette université.

Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) statuant comme juge d’appel de la section disciplinaire de l’université, saisi par l’enseignant sanctionné, a estimé que les gestes reprochés n’étaient pas déplacés mais relevaient de la pédagogie d’explication du placement des mains ou autres en fonction de la discipline sportive en cause et il a infligé à l’intéressé la sanction du rappel à l’ordre.

La solution est critiquable car de deux choses l’une : ou il y avait ou il n’y avait pas de gestes déplacés, dans le premier cas le CNESER devait expliquer pourquoi il ne retenait pas la sanction primitive, dans le second il n’y avait pas lieu de prononcer une quelconque sanction.

C’est à juste tire que le juge de cassation relève qu’en dénaturant ainsi les pièces du dossier la juridiction d’appel a été conduite à qualifier inexactement les faits, d’où la cassation prononcée

(20 juillet 2022, ministre des universités, n° 444667 ; Université de Montpellier, n° 4446710, jonction)

 

203 - Policiers municipaux - Demande de prise en compte de l'intégralité de l'indemnité spéciale mensuelle de fonction dans le calcul de la retraite - Demande du bénéfice d'une bonification de retraite de cinq ans pour 25 ans de service actif - Compétence du législateur - Pouvoir réglementaire d’exécution des lois - Acte de gouvernement - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation du rejet implicite par le premier ministre de sa demande tendant à ce que soient accordés aux agents de police municipale d’une part la prise en compte de l'intégralité de l'indemnité spéciale de fonction dans le calcul de la retraite et, d'autre part, le bénéfice d'une bonification de retraite de cinq ans pour 25 ans de service actif avec une rétroactivité de dix ans.

Les deux chefs de demande son rejetés car ils relèvent soit de la seule compétence du législateur dont le Conseil d’État n’est pas juge soit des relations entre le pouvoir exécutif, chargé de l’exécution des lois, et le pouvoir législatif, relations qui, constituant un acte de gouvernement, échappent à la compétence de la juridiction administrative.

(15 juillet 2022, Syndicat national des policiers municipaux, n° 448535)

 

204 - Agents hospitaliers non vaccinés - Mesure de suspension - Note de service les informant de la perte du droit d'exercer une activité libérale ou de suivre une formation pendant leur période de suspension - Existence d’une urgence et d’un doute sérieux - Suspension ordonnée - Annulation de l’ordonnance contraire.

Par une note de service, le directeur du centre hospitalier de Perpignan a indiqué que les agents hospitaliers refusant d’être vaccinés seraient suspendus et qu’en conséquence ils perdraient le droit d'exercer une activité libérale ou de suivre une formation pendant leur période de suspension.

Les syndicats requérants demandaient la suspension de cette note et qu’injonction soit faite à son auteur d'informer ses agents de leur droit à exercer une activité rémunérée ou à suivre une formation en cas de suspension.

Le juge du référé suspension a rejeté ces demandes.

Sur pourvoi des syndicats, le Conseil d’État juge tout d’abord car ce point était contesté par le défendeur, que la note de service querellée étant susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre, le centre hospitalier de Perpignan n'est pas fondé à soutenir qu'elle ne pourrait être déférée au juge de l'excès de pouvoir. C’est là une application de la désormais classique jurisprudence Fairvesta-Numericable (Assemblée, 21 mars 2016, n° 368082 et n° 390023).

Ensuite, le juge constate que sont réunies les conditions d’octroi d’une suspension en référé : l’urgence est établie par l’entrée en vigueur le 15 septembre 2021 de cette note du 10 septembre 2021, et paraît sérieux le moyen tiré de ce que la note de service serait entachée d'une méconnaissance du champ d'application de la loi en ce qu'elle prévoit que les agents suspendus perdront le droit d'exercer une activité libérale ou de suivre une formation pendant leur période de suspension.

Si l’exécution de la note litigieuse est suspendue, en revanche le juge refuse d’enjoindre au centre hospitalier d'informer ses agents de l'existence d'un droit à exercer une activité libérale ou à suivre une formation durant une suspension prononcée sur le fondement de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

(15 juillet 2022, Syndicat CGT Médecins-Ingénieurs-Cadres-Techniciens du centre hospitalier de Perpignan et syndicat CGT du centre hospitalier de Perpignan, n° 458208)

 

205 - Réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État (ordonnance du 2 juin 2021) - Régime juridique et régime contentieux des ordonnances de l’art. 38 - Notion de « ministre responsable » - Champ d’une habilitation à prendre une ordonnance de l’art. 38 - Domaine de la loi et domaine du règlement en matière de fonction publique - Incompétence négative du législateur - Garanties européennes de l’indépendance des juges (art. 2 du traité sur l’Union européenne et art. 6 § 1 de la convention EDH et art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) - Rejet.

On ne saurait rendre compte ici de la très riche - et très longue - décision sus-référencée qui, au travers de ses 89 points, aborde d’importantes questions de droit et de contentieux administratifs, de hiérarchie des normes notamment. On se permet d’y renvoyer le lecteur.

(19 juillet 2022, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine (ADMR), n° 453971 ; Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), n° 454719 ; Syndicat de la juridiction administrative, n° 454775 ; Association des anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration (AAEENA) et autres, n° 455105 ; M. E., n° 455119 ; Association des magistrats de la Cour des comptes (AMCC), n° 455150 ; Syndicat des juridictions financières, n° 455155, jonction)

 

206 - Magistrate - Demande de détachement judiciaire - Avis de la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature - Avis défavorable - Absence de réelle motivation - Annulation.

Encourt annulation l’avis défavorable de la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature à la candidature de la requérante, maître de conférences en droit, en vue d’un détachement judiciaire en raison de l’absence de réelle motivation, la commission s’étant bornée à relever qu’il résulte « de l'examen de la candidature de Mme B., que malgré ses compétences professionnelles avérées, celle-ci ne présente pas les aptitudes professionnelles requises pour exercer immédiatement des fonctions judiciaires opérationnelles dans le cadre d'un détachement au premier grade de la hiérarchie judiciaire ». Autant dire qu’une telle prétendue motivation n’en est pas une. Ce que relèvent, un tantinet agacées, des magistrates du Conseil d’État, observant que la commission n’a pas indiqué « même sommairement, les raisons pour lesquelles elle estimait que l'intéressée ne présentait pas les aptitudes professionnelles requises pour exercer immédiatement, par la voie du détachement, ces fonctions judiciaires. »

(19 juillet 2022, Mme B., n° 455434)

 

207 - Magistrature - Demande d'intégration directe - Refus - Contrôle de la décision de la commission d'avancement réduit à celui de l'erreur manifeste d'appréciation - Absence - Rejet.

N'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation la décision de la commission d'avancement - que la loi organique a investi d'un large pouvoir d'appréciation de l'aptitude des candidats -, refusant cette intégration à la requérante au vu de l'ensemble des évaluations réalisées lors de son stage, dont plusieurs faisaient état de réserves quant à son positionnement et à son comportement professionnels ainsi que de l'avis défavorable formulé par la sous-directrice des recrutements et de la validation des compétences de l'École nationale de la magistrature, nonobstant l'avis favorable du jury et les attestations laudatives fournies par les présidents et magistrats des juridictions dans lesquelles l'intéressée avait exercé des fonctions de juge de proximité et de magistrate à titre temporaire.

(22 août 2022, Mme B., n° 456323)

 

208 - Magistrate - Infliction d'un avertissement - Mesure prise en considération de la personne - Motivation suffisante et exempte d'erreur de fait - Compétence de la première présidente de la cour d'appel - Rejet.

La requérante, qui exerce les fonctions de vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants auprès du tribunal judiciaire de Cayenne, a fait l'objet d'un avertissement infligé par la première présidente de la cour d'appel en raison de reproches faits sur la manière d'exercer ses fonctions. Cette dernière, pour fonder sa décision, a ainsi reproché à l'intéressée de ne pas reconnaître l'autorité du premier vice-président du pôle pénal dont elle dépendait malgré une mise en garde du président à ce sujet, d'avoir, en outre, usé d'un ton inapproprié à son égard et, enfin, d'avoir remis en cause la tenue d'une audience qui lui était attribuée depuis plusieurs semaines. Par ailleurs, alors que 23 audiences foraines de mineurs étaient programmées à Saint-Laurent du Maroni de septembre 2020 à janvier 2021 pour tenir compte des besoins importants et des difficultés de transport des habitants de l'ouest guyanais, ces audiences, dont le format avait été défini par l'intéressée, n'ont été tenues que pour une infime partie d'entre elles et n'ont été conformes ni au volume d'affaires annoncé, ni à la nature des audiences prévues, cet état de fait ayant causé une perte significative de temps pour les magistrats et greffiers concernés et affecté le jugement des affaires, la situation des usagers et les conditions d'accomplissement de leur mission par les avocats et escortes. La première présidente a, en conséquence, estimé que le comportement réitéré de la requérante était constitutif de manquements aux devoirs de diligence, de rigueur et de délicatesse envers les justiciables, les avocats et l'encadrement de la juridiction, inhérents à son état de magistrat, et qu'elle portait une atteinte grave à l'image de l'institution judiciaire, d'où l'avertissement qui lui a été donné.

Le juge rejette le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette mesure.

Celle-ci, si elle ne constitue pas une sanction, est bien une mesure prise en considération de la personne et supposait le respect d'une certaine procédure, ce qui a été le cas en l'espèce par la communication préalable à l'intéressée de son dossier et des pièces justificatives des faits.

La première présidente était bien compétente pour prendre la décision querellée dès lors que sa destinataire est l'une des personnes placées sous son autorité.

La décision critiquée est suffisamment motivée et ne comporte pas d'inexactitude matérielle quant aux faits reprochés.

Le recours est rejeté.

(22 août 2022, Mme A., n° 456905)

 

209 - Ouvrier des établissements industriels de l’État recruté en 1981 - Engagé comme agent contractuel le 1er septembre 2011 - Pension de retraite - Absence de maintien de la faculté d’opter pour le maintien du régime de retraite institué par le décret du 3 octobre 1949 - Trop-perçu - Erreur de droit - Annulation.

D’abord recruté en qualité d'ouvrier des établissements industriels de l'État, au sein du ministère des armées le 1er juin 1981, le requérant a été intégré en 1989 en qualité d'agent contractuel du ministère de la défense, régi par les dispositions du décret du 3 octobre 1949 fixant le statut des agents sur contrat du ministère de la défense nationale. Il a opté en faveur de son maintien dans le régime de retraite des ouvriers des établissements industriels de l'État, sur le fondement de l'article 3 de ce décret.

Par contrat du 1er septembre 2011, il a été engagé en qualité d'agent contractuel dans l'emploi d'ingénieur cadre technico-commercial, sur le fondement du décret du 4 mai 1988 relatif à certains agents sur contrat des services à caractère industriel ou commercial du ministère de la défense et de l'arrêté du 4 mai 1988 pris pour son application.

L’intéressé a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juin 2017.

Des avances sur pension lui ont été servies à compter de cette date, puis, par décision du 6 janvier 2020, la Caisse des dépôts et consignations a arrêté le montant définitif de ses droits à pension et a notifié à l’intéressé un trop-perçu de 34 391 euros au titre des sommes qui lui ont été versées par le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État, dont le reversement lui a été réclamé.

Le rejet des recours formés devant l’administration contre les décisions fixant, l’une, le montant de la retraite, l’autre, celui du reversement, a été contesté devant le tribunal administratif qui les a, l’une et l’autre, annulées, la ministre des armées et la Caisse des dépôts se pourvoient contre ce jugement.

Accueillant ces pourvois, le Conseil d’État annule le jugement par le motif que le décret du 4 mai 1988 a institué un nouveau régime statutaire, distinct de celui prévu par le décret du 3 octobre 1949 et, contrairement à ce dernier, n'a prévu aucune dérogation, en matière d'affiliation au régime de retraite, aux dispositions générales fixées par le décret du 17 janvier 1986.

En outre, il est jugé, contrairement à ce que soutient l’ouvrier retraité, que le dernier alinéa de l'article 1er de ce dernier décret qui prévoyait, dans sa version en vigueur jusqu'au 24 mars 2014, que les dispositions réglementaires en vigueur à la date de publication de ce décret continuent à s'appliquer au personnel qu'elles régissent si elles sont plus favorables, ne peut trouver à s'appliquer aux agents recrutés - comme c’est le cas en l’espèce - sur le fondement du décret du 4 mai 1988, ce dernier étant postérieur au décret du 17 janvier 1986.

Par suite, ainsi que le soutiennent la ministre et la caisse demanderesses au pourvoi, l’agent retraité ne pouvait être maintenu dans le régime de retraite des ouvriers des établissements industriels de l'État au-delà sur 1er septembre 2011, alors que le contrat par lequel il a été engagé à compter du 1er septembre 2011 a été établi sur le fondement du décret du 4 mai 1988, lequel ne prévoit pas, contrairement au décret du 3 octobre 1949, la possibilité pour les agents contractuels qui relevaient par le passé du régime de retraite des ouvriers des établissements industriels de l'État de continuer à bénéficier de ce régime sur option de leur part.

(20 juillet 2022, Caisse des dépôts et consignations, n° 454997 ; ministre des armées, n° 455041)

 

210 - Régime du complément indemnitaire dans la fonction publique d’État (décret du 20 mai 2014) - Exclusion des agents contractuels - Absence d’illégalité - Rejet.

Le requérant, agent contractuel du ministère de la transition écologique, demandait l’annulation du rejet implicite par le premier ministre de son recours gracieux tendant à l'abrogation du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État en tant qu'il exclut les agents contractuels du bénéfice du complément indemnitaire annuel lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir ; il demandait, à défaut, qu’il soit fait injonction à cette autorité d’étendre aux agents contractuels le bénéfice des dispositions de ce décret.

Le recours est, bien évidemment, rejeté en ses trois moyens.

Tout d’abord étaient invoquées les dispositions de la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 selon lesquelles, en ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs sous contrat à durée déterminée ne doivent pas être traités d'une manière moins favorable que les travailleurs sous régime à durée indéterminée en situations comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. Les différences de traitement entre fonctionnaires et agents contractuels, au regard du complément indemnitaire en cause, ne sont en rien liées à la distinction entre travailleurs sous contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée. L’invocation de ce texte est ici plus irrelevante qu’inopérante.

Ensuite, il n’est pas illégal qu’un texte de nature réglementaire traite de manière différente des catégories se trouvant chacune dans des conditions différentes ni qu’il déroge au principe d’égalité sous la limite bien connue que cette différenciation ne revête pas un caractère disproportionné. Ici, les deux catégories d’agents en cause sont placées dans des situations différentes notamment pour ce qui concerne la détermination des éléments de leur rémunération, les fonctions, l'expérience et les résultats des agents contractuels, ces éléments ayant vocation à être pris en compte dans le cadre de leur rémunération fixée contractuellement.

Enfin, le demandeur ne peut utilement soutenir qu'en ne prévoyant pas l'application aux agents contractuels d'un élément d'un régime indemnitaire applicable aux fonctionnaires, le Gouvernement aurait méconnu les dispositions de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 selon lesquelles leur rémunération peut tenir compte de leurs résultats professionnels et des résultats collectifs du service, ceci eu égard aux modalités différentes de détermination des éléments constitutifs de leur rémunération.

(21 juillet 2022, M. D., n° 460172)

 

211 - Prorogation du mandat des membres du conseil d’administration de l’Agence nationale de santé publique - Effets excessifs sur les mandats en cours et à venir - principe de périodicité raisonnable du suffrage - Pandémie de Covid-19 - Rejet.

Par un décret du 25 juin 2021 le premier ministre a prorogé la durée du mandat des membres du conseil d'administration de l'Agence nationale de santé publique.

Les syndicats requérants demandent l’annulation de ce décret et la mention dans un nouvel arrêté que les nouveaux élus à ce conseil le sont « pour une durée de quatre ans » à compter de la publication du nouvel arrêté et non « pour la durée du mandat restant à courir ».

Le recours est rejeté au terme d’un raisonnement décevant et discutable.

D’abord est invoquée la pandémie de Covid-19 qui n’aurait pas permis le renouvellement de mandats de quatre ans parvenus à leur terme. L’argument est dérisoire en raison des moyens technologiques permettant la tenue de vote sans présence physique dans des organismes administratifs aux effectifs restreints.

Ensuite, saisi de cette très juste observation que le décret litigieux aboutit de facto à porter la durée des mandats en cours de quatre à six ans et ceux des mandats à venir de quatre à deux ans, le juge la rejette au motif que « le principe constitutionnel de périodicité raisonnable du suffrage (…) ne s'applique qu'aux élections à caractère politique (…) ». L’objection ne tient pas car l’existence de ce principe ne fait point obstacle à ce que celui-ci s’applique également à toute élection ou désignation car il n’est pas inhérent au seul univers politique mais infuse tout système démocratique, telles des élections professionnelles ou administratives, publiques ou privées (associations, sociétés, syndicats et autres), etc. Qu’il ait été proclamé avec valeur constitutionnelle n’empêche point sa reconnaissance comme principe général du droit ou autre s’imposant au pouvoir réglementaire.

Voilà une décision en tout point regrettable et inutilement frustratrice.

(21 juillet 2022, Syndicat CFDT des affaires sociales et santé Ile-de-France (SASS IDF - CDFT INTERCO) et Syndicat général du ministère des affaires sociales et du travail CGT (SMAST - CGT), n° 455957)

 

212 - Administration des douanes - Transfert de missions - Prévision d’un accompagnement individuel du personnel reclassé - Absence d’autorisation législative à cet effet - Possibilité d’informer les personnels de l’accompagnement offert en cas de réalisation de l’opération - Absence de base légale sans effet à ce stade - Rejet.

En vue du transfert du recouvrement et de la gestion et du contrôle de missions fiscales de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) vers la direction générale des finances publiques, la directrice générale des douanes et droits indirects a émis deux notes afin, d’une part, de constituer des cellules locales d'accompagnement des reclassements individuels des agents concernés par le transfert de ces missions, d’autre part, dans le cadre du transfert du droit annuel de francisation et de navigation à la direction des affaires maritimes, de proposer 22 postes au sein du bureau « Guichet Unique de la Fiscalité de la Plaisance », dont les fiches de poste figurent en annexe de l’une des notes, et a invité les directeurs et chefs de service à rechercher parmi les agents de catégorie A ou B placés sous leur autorité des candidats souhaitant poursuivre leur activité au sein de ces centres d'expertise.

Le syndicat requérant demande l'annulation de ces deux notes.

Le juge admet l’argument des requérants concernant l’absence de base légale permettant à l’auteur de ces notes de transférer la gestion et le contrôle du droit annuel de francisation et de navigation à la direction des affaires maritimes. Cependant, pour rejeter les demandes d’annulation, le juge retient qu’il est loisible à l'administration, en vue d'une réforme de son organisation et sans attendre la publication des textes afférents, d'alerter les personnels susceptibles d'être concernés, de leur offrir un accompagnement en vue de leur reclassement et, par ailleurs, de relayer à tous ses agents des fiches de postes ouverts dans les services nouvellement créés ou transférés.

Au reste, si, finalement, le transfert des missions n’intervenait pas, les nominations envisagées n'interviendraient pas non plus.

D’où le rejet du recours.

(21 juillet 2022, Syndicat national des agents des douanes - Confédération générale du travail (SNAD-CGT), n° 455051)

(213) V. aussi, assez voisine de la précédente, avec même requérant, la décision rejetant un recours dirigé contre l’arrêté ministériel portant modification de la liste des bureaux des douanes et droits indirects ainsi que contre le document du 2 mars 2021 intitulé « GT du 24 mars 2021 - Transfert des missions fiscales : impact sur la charge de travail, sur les effectifs et les structures » de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) par les motifs qu’ils n’emportent pas par eux-mêmes décision de transfert de missions à direction des affaires maritimes et ne sauraient donc être utilement argués d’être dépourvus de base légale. Au reste ces actes n’ayant qu’un caractère préparatoire le recours formé à leur encontre est irrecevable : 21 juillet 2022, Syndicat national des agents des douanes - Confédération générale du travail (SNAD-CGT), n° 451934.

 

214 - Agent technique de La Poste - Demande de réintégration dans son corps d’origine - Demande d’attribution d’un poste à proximité de son domicile pour motif médical - Refus - Demande d’octroi de l’allocation de retour à l’emploi - Rejet.

Pour justifier, à l’issue d’une mise en disponibilité, sa demande de réintégration dans son corps d’origine à proximité de son domicile situé à Landerneau (Finistère), la requérante, agent technique et de gestion titulaire de La Poste affecté à la direction opérationnelle territoriale Courrier (DOTC) de Haute-Normandie, a produit l’attestation d’un médecin agréé consulté le 12 septembre 2017, en application de l'alinéa 2 de l'article 49 du décret du 16 septembre 1985, qui avait conclu à son inaptitude à effectuer des trajets entre son domicile et son travail de plus de vingt kilomètres.

Un poste d'assistant ressources humaines chargé de la prévention à la plateforme industrielle courrier de Rouen Madrillet (Seine-Maritime) lui ayant été proposé, elle soutenait avoir refusé ce poste pour un motif légitime tiré de l’attestation médicale susrappelée et qu’elle devait par suite être regardée comme involontairement privée d'emploi, ce qui justifiait sa demande d’octroi de l’allocation de retour à l’emploi et la fondait à demander l’annulation du refus opposé à cette demande par La Poste.

Le Conseil d’État, rejetant le recours, approuve le tribunal administratif d’avoir jugé, sans erreur de droit, qu’en vertu des dispositions du statut qui lui est applicable, il pouvait lui être proposé tout poste correspondant à son statut sur le territoire national, d’où il suit qu’elle ne pouvait ni se prévaloir de l’attestation médicale précitée ni soutenir qu'elle avait refusé ce poste pour un motif légitime et devait par suite être regardée comme involontairement privée d'emploi.

(21 juillet 2022, Mme A., n° 449973)

 

215 - Fonctionnaires et agents publics - Traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés - Régime du recours contentieux - Recours n’entrant pas dans les matières relevant du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort - Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel - Renvoi de l’affaire à une cour.

Rappel de ce que la demande d'un fonctionnaire ou d'un agent public tendant seulement au versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés, sans chercher la réparation d'un préjudice distinct du préjudice matériel objet de cette demande pécuniaire, ne revêt pas le caractère d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'article R. 811-1 du CJA. Par suite, une telle demande n'entre pas, quelle que soit l'étendue des obligations qui pèseraient sur l'administration au cas où il y serait fait droit, dans le champ de l'exception, prévue à ce 8°, en vertu de laquelle le tribunal administratif statue en dernier ressort. L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel.

(19 juillet 2022, M. C., n° 459892)

 

216 - Fonctionnaire de la police nationale - Demande de mise en disponibilité - Refus et infliction d’un blâme - Rejet.

Le requérant, M. D., brigadier-chef de la police nationale, affecté au service central du renseignement territorial, puis placé en position de détachement à compter du 1er septembre 2015 auprès d'une organisation syndicale, s’est vu infliger un blâme par décision du ministre de l'intérieur du 29 juin 2017. Le 9 novembre 2017, il a sollicité son placement en disponibilité et a déposé une déclaration d'exercice d'une activité privée en qualité de « responsable relations supporters » sous contrat à durée indéterminée avec la société Paris Saint-Germain Football Club.

La commission de déontologie de la fonction publique a émis le 11 janvier 2018 un avis d'incompatibilité sur cette demande et, par une décision du 2 février 2018, le directeur des ressources et des compétences de la police nationale l'a rejetée.

Le 12 juin 2018, M. D. a demandé à être radié des cadres de la police nationale et a présenté sa démission, qui a été acceptée par arrêté du 29 juin 2018.

Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel confirmant le rejet par le tribunal administratif de sa demande tendant à l'annulation de la décision de blâme du ministre de l'intérieur du 29 juin 2017, de l'avis de la commission de déontologie de la fonction publique du 11 janvier 2018 ainsi que de la décision du 2 février 2018 du directeur des ressources et des compétences de la police nationale.

Le pourvoi est rejeté.

Le juge estime fondée et proportionnée la sanction litigieuse en raison, d’une part, de ce que, « lors d'une réception à l'ambassade du Qatar en France, en décembre 2015, M. D. a rencontré, à titre privé, les dirigeants du club de football du Paris Saint-Germain (PSG) et qu'il a fait état, au cours d'une conversation relative aux groupes de supporters « ultras » qui ne sont pas acceptés au stade, de sa qualité d'agent du ministère de l'intérieur, qui a suscité l'intérêt des dirigeants du club » et d’autre part, du fait qu’il a participé, le 22 septembre 2016, à une réunion entre les dirigeants du club parisien, qui connaissaient sa qualité de policier, et des représentants d'un groupe de supporters " ultras ".

Ainsi la cour n’a pas dénaturé les faits et pièces du dossier en estimant que le requérant s'était présenté comme un agent du ministère de l'intérieur susceptible d'aider les dirigeants du club à résoudre la situation entre le PSG et ces supporters ; elle n’a pas, non plus, insuffisamment motivé son arrêt en ne relevant pas qu'il n'avait pas fait état de sa qualité d'agent du ministère de l'intérieur à l'occasion de cette réunion laquelle était déjà connue de ses interlocuteurs.

Il a également retenu que si M. D. faisait valoir qu'il avait agi à titre privé et qu'il n'avait par son comportement ni méconnu ses devoirs de probité, d'exemplarité, de réserve ou de loyauté, ni compromis « les enjeux institutionnels » par une initiative inappropriée dès lors qu'il n'existait aucune position publique du ministre de l'intérieur sur les supporters, la cour a pu estimer que les faits reprochés, même commis à titre privé et hors du service, pouvaient être qualifiés par le ministre de manquements aux devoirs de réserve et de loyauté, constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction.

Le juge admet également comme légal le refus de satisfaire la demande de mise en disponibilité et entérine la position de la cour administrative d’appel fondée notamment, en premier lieu, sur l’existence de liens antérieurs établis à titre privé par M. D. avec son futur employeur dans des conditions contraires à la déontologie ainsi que cela a été relevé par la commission de déontologie et, en deuxième lieu, sur le risque que M. D. ne tire un avantage personnel de sa qualité d'agent du ministère de l'intérieur, dont il s'est prévalue pour son recrutement au sein du PSG, pouvant ainsi porter atteinte à la réputation d'intégrité et de probité de la police nationale, en méconnaissance des principes déontologiques.

(21 juillet 2022, M. D., n° 450428)

 

217 - Procédure disciplinaire - Agent hospitalier - Suspension puis révocation de la fonction publique - Irrégularité de la procédure suivie - Sanction hors de proportion - Confirmation de l’annulation prononcée par le juge d’appel - Rejet.

Un assistant socio-éducatif principal, agent de l’établissement requérant, s’est vu infliger pour des faits de violence d’abord une suspension d’exercice de ses fonctions d’une durée de quatre mois puis la révocation.

L’établissement public se pourvoit en cassation contre l’arrêt infirmatif par lequel la cour administrative d’appel a annulé pour irrégularité formelle la procédure disciplinaire suivie puis, se prononçant sur les faits retenus, a annulé la sanction infligée comme étant hors de proportion avec ceux-ci.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi.

En premier lieu, il importe évidemment que le conseil de discipline motive en fait et en droit la sanction proposée, cette motivation des faits pouvant ressortir soit de l’avis lui-même soit du procès-verbal de la réunion. Or la cour a retenu que la procédure suivie en l’espèce est irrégulière faute qu’existe dans l’avis rendu ou le procès-verbal de la séance du conseil de discipline aucune présentation, même synthétique, des motifs de fait ou de droit retenus par le conseil de discipline. C’est donc sans commettre d'erreur de droit et sans dénaturer les faits et les pièces du dossier qui lui était soumis que la cour a jugé que cette absence de toute motivation avait privé l’intéressé d'une garantie et a annulé la décision de révocation.

En second lieu, il appartenait, par suite, au pouvoir souverain de la cour, sous réserve d’un contrôle de la qualification juridique par le juge de cassation, d’établir et de caractériser les faits. Celle-ci relève l’absence de faits de violences physiques reprochés tant par l’avis que par le procès-verbal du conseil de discipline, en particulier l’absence de passages à l’acte. Elle en a, à bon droit, déduit que les fautes pouvant être légalement retenues contre l’agent, en dépit de leur gravité, ne caractérisaient pas son incapacité à exercer ses fonctions au sein des Établissements publics médico-sociaux de Fécamp justifiant qu'il soit mis un terme définitif à ses relations avec le service ; elle a, en conséquence, annulé la révocation.

Comme le rappelle le juge, cette décision ne fait pas obstacle à ce que, en cas de reprise de la procédure disciplinaire, soit retenue à l’égard de l’intéressé l’une des sanctions moins sévères prévues, ceci dans le respect de l’autorité de la chose jugée.

(22 juillet 2022, Établissements publics médico-sociaux de Fécamp, n° 443802)

 

218 - Fonctionnaire territorial - Liquidation de la pension de retraite sans prise en compte de décisions postérieures à la date de prise d’effet de la retraite - Demande de prise en compte - Actes inexistants - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge régulière la décision de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales de ne pas tenir compte, pour calculer le montant de la pension de retraite d’une fonctionnaire territoriale parvenue à l’âge de la retraite le 5 novembre 2015, des services qu'elle a accomplis du 6 novembre 2015 au 31 mai 2017 ainsi que de son reclassement indiciaire à effet du 1er juillet 2016.

En effet, ces actes, qui ont été pris après la rupture de tout lien entre l’intéressée et le service et alors que cette dernière n’avait, avant la date de son départ à la retraite, formulé aucune demande de prolongation de son activité professionnelle au-delà de son soixante-cinquième anniversaire, étaient des actes inexistants donc nuls et non avenus, dispensant la Caisse d’en obtenir l’annulation ou le retrait par son auteur.

(22 juillet 2022, Mme A., n° 446628)

 

219 - Retraite des fonctionnaires et agents publics - Calcul de la décote pour insuffisance du nombre de trimestres cotisés - Absence de limite d’âge dans le statut particulier du pensionné - Application de la limite d’âge fixée pour les emplois relevant de la même catégorie - Annulation.

Le montant de la pension de retraite versée aux fonctionnaires et agents publics est fonction du nombre de trimestres cotisés au cours de la vie professionnelle avec application d’une décote si ce nombre est inférieur au minimum requis pour obtenir une pension à taux plein ou d’une surcote en cas de trimestres excédentaires.

En l’espèce, s’agissant d’un contrôleur divisionnaire de la Poste, relevant donc de la catégorie A de la fonction publique, son statut particulier ne prévoyant pas de limite d’âge d’activité, le tribunal administratif a jugé qu’il convenait de calculer le coefficient de minoration en litige, en prenant en compte, avant application du III de l'article 66 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, la limite d'âge de 62 ans fixée pour les emplois des centres de tri dès lors que bien qu’agent de catégorie A dite « sédentaire » l’intéressé avait accompli plus de dix-sept années de services effectifs dans des emplois de centres de tri classés dans la catégorie B dite « active ». Le ministre des finances s’est pourvu en cassation contre ce jugement.

Le Conseil d’État lui donne raison, étendant une jurisprudence appliquée jusque-là à la seule fonction publique hospitalière et de portée incertaine (24 mars 2021, CHU de Toulouse, n° 421065), en jugeant que pour l’application du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraites, « si aucune limite d'âge n'est déterminée par le statut particulier du corps auquel appartient le pensionné, la limite d'âge qui lui est applicable est celle que ne peuvent pas dépasser les agents affectés sur les emplois classés dans la même catégorie que celui qu'il occupait lorsqu'il a été admis à la retraite. »

Le tribunal a ainsi commis une erreur de droit en retenant une limite d’âge fixée à 62 ans.

(22 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances…, n° 453065)

 

220 - Comités sociaux territoriaux - Inéligibilité de certains agents en congé de maladie - Différence de traitement en rapport avec l’objet de l’institution de ces comités - Rejet.

La loi du 6 août 2019 dite de transformation de la fonction publique, a prévu la fusion des comités techniques et des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein d'une nouvelle instance unique, le comité social territorial.

Le décret du 10 mai 2021 relatif aux comités sociaux territoriaux des collectivités territoriales et de leurs établissements publics décide que n’y sont pas éligibles « les agents en congé de longue maladie, de longue durée ou de grave maladie ».

La fédération requérante demande l’annulation du décret sur ce point.

Son recours est rejeté.

Le Conseil d’État juge en effet, avec juste raison, que le but poursuivi par l’institution de cette inéligibilité est le bon fonctionnement et la continuité de ces comités sociaux grâce à l’exercice effectif des mandats de leurs membres. Cet objectif ne serait guère susceptible d’être atteint avec des élus atteints d'affections particulièrement graves que leur caractère invalidant et la nécessité d'un traitement et de soins prolongés, mettraient durablement dans l'impossibilité d'exercer assidûment leurs fonctions. En outre, cette disposition est en rapport direct avec l’objet de l’institution de ces comités et ne revêt pas un caractère manifestement disproportionné.

(22 juillet 2022, Fédération nationale des services publics et de santé Force ouvrière, n° 454471)

 

221 - Fixation d’un loyer plafond pour le calcul du remboursement du loyer des agents de l’État affectés à Mayotte - « Discrimination » résultant de l’application de ce plafond aux seuls personnels relevant du ministère de la défense - Texte applicable à l’ensemble des agents visés par la réglementation antérieure - Recours sans objet - Rejet.

La fédération syndicale requérante demandait au principal l’annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre a rejeté sa demande tendant à ce que le Gouvernement mette fin à la discrimination illicite qui résulterait de ce que l'abrogation, par l'arrêté du 25 septembre 2013, de l'art. 2 de l'arrêté du 6 janvier 1986 fixant un loyer plafond pour le calcul du remboursement du loyer des agents de l'État affectés à Mayotte ne s'applique, pour ce qui concerne les personnels civils, qu'aux seuls agents du ministère de la défense.

Le recours est rejeté comme étant sans objet car il résulte des termes mêmes de l’art. 3 de l'arrêté du 25 septembre 2013, signé notamment par les ministres désignés à l'art. 6 du décret du 29 novembre 1967 portant réglementation du logement et de l'ameublement des magistrats et des fonctionnaires de l'État en service dans les territoires d'outre-mer, que, ainsi que le soutient le ministre de la transformation et de la fonction publiques, cet arrêté a eu pour effet d'abroger l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1986 pour l'ensemble des agents auxquels celui-ci s'appliquait, et pas  seulement pour les agents du ministère de la défense.

(27 juillet 2022, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 453370)

 

222 - École polytechnique - Épreuves d’admission dans les services publics de l'État (corps des ingénieurs des mines et corps des ingénieurs de l'armement) - Irrégularités diverses invoquées - Rejet.

La requérante a invoqué diverses irrégularités au soutien de sa demande d’annulation de la décision du 18 décembre 2020 par laquelle le président de l'Ecole polytechnique a modifié les règlements de la scolarité des promotions X2016, X2017, X2018 et X2019 en tant seulement qu'elle porte sur le règlement de la scolarité de la promotion X2018.

Ces griefs sont tous rejetés.

Les dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 ont permis de nombreuses adaptations aux épreuves et aux conditions de leur déroulement.

C’est ainsi que c’est sans incompétence car habilité par le conseil d’administration de l’École, que son président a modifié le règlement de la scolarité de la promotion X2018 et sans erreur manifeste d’appréciation qu’il a supprimé les épreuves sportives de troisième année.

Par ailleurs, la composition des jurys de passage et d'admission dans les services publics des élèves de la promotion X2018 de l'École polytechnique était conforme aux dispositions qui les régissent.

Les autres griefs sont également rejetés.

(27 juillet 2022, Mme B., n° 457106)

 

223 - Rémunérations des membres du Parlement européen - Régime fiscal - Absence de caractère de traitements et salaires - Absence de caractère de bénéfices non commerciaux - Rejet.

Le ministre requérant se pourvoit contre l’arrêt déchargeant un parlementaire français de l’Union européenne des suppléments d’imposition ainsi que des pénalités mis à sa charge à raison des indemnités parlementaires qu’il a perçues.

La loi du 6 juillet 1979 relative à l'indemnité des représentants au Parlement européen a prévu que les représentants français au Parlement européen percevront de l'Assemblée nationale ou du Sénat une indemnité soumise au régime des indemnités des membres du Parlement français. Puis, une décision du Parlement européen entrée en vigueur en 2009, a prévu que les députés européens ont désormais droit à une indemnité qui est à la charge du Parlement européen, sauf pour ceux qui, faisant partie de ce Parlement avant l'entrée en vigueur du statut, ont opté, pour toute la durée de leurs mandats, en faveur du régime national antérieur.

Cette indemnité est soumise à l'impôt au profit des Communautés mais est réservée toutefois aux États membres la possibilité de soumettre cette indemnité aux dispositions du droit fiscal national « à condition que toute double imposition soit évitée ».

La cour administrative d’appel est approuvée d’avoir, sans dénaturation des pièces du dossier, ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits, jugé inapplicables à cette catégorie de revenus les dispositions de l’art. 79 du CGI concernant les traitements et salaires car ceux-ci ne peuvent s’entendre que des sommes perçues en rémunération de leur activité professionnelle par des personnes exerçant cette activité dans le cadre d'une relation de travail avec un employeur, ce qu’à l’évidence ne sont pas les indemnités parlementaires.

La cour est également approuvée d’avoir jugé que ces indemnités n’entraient pas, non plus, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux qui supposent l’exercice d’une activité professionnelle ou d'une occupation, exploitation lucrative ou source de profits.

(27 juillet 2022, ministre de l’économie et des finances…, n° 458543)

 

Hiérarchie des normes

 

224 - Réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État (ordonnance du 2 juin 2021) - Régime juridique et régime contentieux des ordonnances de l’art. 38 - Notion de « ministre responsable » - Champ d’une habilitation à prendre une ordonnance de l’art. 38 - Domaine de la loi et domaine du règlement en matière de fonction publique - Incompétence négative du législateur - Garanties européennes de l’indépendance des juges (art. 2 du traité sur l’Union européenne et art. 6 § 1 de la convention EDH et art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) - Rejet.

On ne saurait rendre compte ici de la très riche - et très longue - décision sus-référencée qui, au travers de ses 89 points, aborde d’importantes questions de hiérarchie des normes notamment. On se permet d’y renvoyer le lecteur.

(19 juillet 2022, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine (ADMR), n° 453971 ; Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), n° 454719 ; Syndicat de la juridiction administrative, n° 454775 ; Association des anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration (AAEENA) et autres, n° 455105 ; M. E., n° 455119 ; Association des magistrats de la Cour des comptes (AMCC), n° 455150 ; Syndicat des juridictions financières, n° 455155, jonction)

 

225 - Ordonnance de l’art. 38 de la Constitution non ratifiée - Disposition de cette ordonnance déclarée inconstitutionnelle - Déclaration d’inconstitutionnalité prenant effet au jour de la décision du Conseil constitutionnel - Autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel - Solution applicable à tous les litiges non encore jugés définitivement - Annulation rétroactive sur recours pour excès de pouvoir.

L’union requérante demandait l’annulation de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique en ce que ses dispositions portent atteinte au respect de la vie privée.

Sur renvoi d’une QPC sur ce point par Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution le paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020, au motif que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 (déc. n° 2021-917 du 11 juin 2021). Il a, en outre, décidé que cette déclaration d’inconstitutionnalité prendrait effet à compter de sa publication et qu’elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Il suit de là que le Conseil d’État, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre cette ordonnance, fait droit aux conclusions tendant à l'annulation rétroactive de ces dispositions.

Cette solution, inédite dans cette configuration, est très importante, ce qui justifie qu’elle ait été rendue en Section.

(26 juillet 2022, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Fonction publique, n° 449040)

 

Libertés fondamentales

 

226 - Octroi du droit d’asile et reconnaissance de la qualité de réfugiés – Ressortissants syriens – Contenu de certains documents et éléments de faits – Qualification inexacte des faits – Annulation.

C’est au prix d’une qualification inexacte des faits conduisant à la cassation que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a accordé à un couple de ressortissants syriens la qualité de réfugiés et donc la protection asilaire qui leur avait été refusée par l’OFPRA, demandeur à la présente instance.

En effet, le Conseil relève qu’il ressort des pièces du dossier soumis à la CNDA « notamment de (.) deux notes blanches (…), que M. B. a été soupçonné par les services de renseignement de s'être rendu en Syrie dans une zone de combats et qu'il a effectué de nombreux et fréquents déplacements dans la région ainsi que dans d'autres pays liés, à l'époque, au développement de la mouvance radicale et pro djihadiste internationale, pour des motifs prétendument liés à son métier de commerçant mais dont la Cour a elle-même relevé les imprécisions. Il est en outre constant que M. B., dont le ministère de l'intérieur a admis qu'il était connu des services de renseignement, a été inscrit au Fichier des personnes recherchées et a fait l'objet d'un arrêté en date du 17 décembre 2015, pris sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence, portant assignation à résidence, dont la légalité a été reconnue par le tribunal administratif de Lille et la cour administrative d’appel de Douai. Il ressort enfin du dossier soumis aux juges du fond que ses propos et déclarations, qui ont varié dans le temps, sont entachés de contradictions, notamment sur les conditions d'obtention d'un passeport syrien alors qu'il avait déclaré avoir quitté le pays, ainsi que sur les dates et lieux de ses déplacements avant son entrée en France. » 

On peut comprendre l’étonnement de l’OFPRA de voir accorder un tel statut international protecteur à des personnes au parcours pour le moins discutable…

(4 juillet 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 450204)

 

227 - Bénéfice de la protection subsidiaire - Condition d’octroi - Situation de violence existant sur le territoire de destination ou sur un territoire de passage obligatoire vers la destination finale - Existence en l’espèce - Refus d’accorder le bénéfice de la protection subsidiaire - Motivation insuffisante du refus - Annulation.

Dans cette décision le Conseil d’État rappelle que la condition d’octroi à un étranger du bénéfice de la protection subsidiaire au sens et pour l’application de l’art. L. 512-1 du CESEDA (ex-L. 712-1), qui consiste en l’existence de menaces ou de violences graves pour la vie d’une personne sans considération de celle-ci, résultant d’un conflit armé interne ou international, s’applique aussi bien dans le cas où cette situation existe dans le territoire que l’intéressé doit rejoindre ou dans le territoire par lequel il doit nécessairement passer pour atteindre sa destination finale et cela quand bien même cet état de fait ne serait que temporaire.

Ainsi, n’est pas suffisamment motivée la décision de la Cour nationale du droit d’asile refusant le bénéfice de cette protection à un ressortissant somalien qui, pour rejoindre une province somalienne qui n’est pas une zone de violence et qui ne justifierait pas l’octroi de la protection subsidiaire, doit transiter par une région où la situation sécuritaire présente un degré de violence tel qu’il existe des motifs sérieux que sa vie y soit exposée du fait de son seul passage même temporaire.

Le refus est cassé avec renvoi à la CNDA.

(21 juillet 2022, M. B., n° 453997)

 

228 - Enregistrement des demandes d’asile - Prescriptions de mesures aux fins d’en améliorer le fonctionnement - Injonction sous astreinte de ramener à dix jours ouvrés le délai d’enregistrement de ces demandes - Saisine du juge de l’exécution (art. L. 911-7 CJA) - Rejet de la demande de liquidation d’astreinte.

(21 juillet 2022, Association " La Cimade ", n° 447339)

V n° 67

 

229 - Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Décision de mettre fin au statut de réfugié - Omission de prendre en compte les observations écrites de l’intéressé informé de cette mesure - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) jugeant que l’intéressé avait été privé d’une garantie essentielle et le renvoyant devant l’OFPRA - Méconnaissance de l’office du juge de la pleine juridiction et erreur de droit - Annulation avec renvoi à la CNDA.

Statuant en qualité de juge de la pleine juridiction dans un litige né de la décision de l’OFPRA de mettre fin au statut de réfugié  précédemment accordé à un ressortissant kossovar, la CNDA, constatant que l’Office avait omis de prendre en compte les observations écrites que ce dernier avait présentées après qu'il avait été informé que l'Office envisageait de mettre fin à son statut de réfugié, a jugé que, de ce fait, l’intéressé avait été privé d'une garantie essentielle justifiant l'annulation de la décision de l'OFPRA et le renvoi de l'examen de la situation de l'intéressé devant ce dernier.

Sur pourvoi de l’OFPRA contre la décision de la CNDA, le Conseil d’État annule celle-ci au motif qu’en sa qualité de juge de plein contentieux la CNDA devait se prononcer sur le droit de l'intéressé au maintien de la protection qui lui avait été accordée, au vu des observations écrites produites devant l'OFPRA ainsi que de l'ensemble des éléments recueillis dans le cadre de l'instruction menée devant elle.

Faute d’avoir ainsi procédé la Cour a méconnu son office et commis une erreur de droit. 
(21 juillet 2022, OFPRA, n° 452868)

 

230 - Demande d’asile en France – Décision de transfert vers l’Italie – Absence de présentation aux convocations en vue de ce transfert – Personne déclarée en fuite – Rejet.

N’est pas fondé le recours formé contre un arrêté préfectoral et contre une ordonnance de référé jugeant que le requérant s'était soustrait de façon répétée aux convocations visant à permettre l'exécution de la mesure de transfert vers l’Italie, pays par lequel il a transité avant de de demander asile en France, dans des circonstances qui devaient le faire regarder comme étant en fuite au sens de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

(ord. réf. 24 août 2022, M. B., n° 466773)

 

Police

 

231 - Police sanitaire – Abattage rituel des animaux – Conciliation entre exigences sanitaires et convictions religieuses – Traçabilité des conditions d’abattage exclues – Rejet.

L’association requérante demandait l'annulation du rejet implicite par le ministre de l'agriculture de sa demande tendant :

1° à l'adoption des mesures réglementaires assurant la traçabilité, à l'intention du consommateur final, des viandes issues d'abattages réalisés sans étourdissement ;

2° à l'abrogation du E du II et l'annexe I de la note de service du 13 mars 2012 ainsi que des points n° 51 à n° 54, n° 56, n° 57 et n° 59 de la note de service du 26 septembre 2012, en tant que ces dispositions n'imposent pas que le système d'enregistrements applicable à l'abattage rituel soit assorti d'un processus de traçabilité assurant l'information du consommateur final sur les viandes issues des abattages à finalité rituelle initiale, pratiqués à ce titre sans étourdissement, qui sont finalement distribuées sur le marché non-rituel ;

3° à l’adoption des mesures réglementaires prescrivant un tel processus de traçabilité. 

Le Conseil d’État rejette le recours en ses deux moyens.

Tout d’abord, il estime que les dispositions de l’art. R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime, adoptées conformément à l’art. 4 du règlement communautaire du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort,  qui régissent ce type d’abattages ont été édictées dans le but de concilier, dans le respect du principe de laïcité qui impose que la République garantisse le libre exercice des cultes, les objectifs de police sanitaire et l'égal respect des croyances et traditions religieuses, en vue d'assurer, en autorisant à titre dérogatoire la pratique de l'abattage rituel par mise à mort de l'animal sans étourdissement, le respect effectif de la liberté de religion (cf. art. 9 CEDH). Pour autant, le droit de l’Union n’impose pas, en outre, à l'État de rendre obligatoires des mesures de traçabilité, notamment par étiquetage, en vue de garantir à certains consommateurs finals qu'ils ne consomment pas des viandes ou des produits carnés issus d'abattages pratiqués sans étourdissement. Par suite, la requérante ne saurait exciper de ces dispositions pour dire illégal le rejet de leur demande par le ministre de l’agriculture.

Le raisonnement est étrange d’abord en tant qu’il ne trouve dans le droit interne français, apparemment, aucune règle ou aucun principe concernant cette matière. Il est aussi curieux par sa dissymétrie : alors que certains consommateurs ont le droit d’exiger la certification que l’animal a bien été abattu selon leurs convictions, d’autres qui, à l’inverse, souhaitent connaître l’existence d’une pratique rituelle contraire à leurs convictions en matière de souffrance animale n’y ont pas droit…

Ensuite, le recours est rejeté en tant qu’il invoque le principe de laïcité pour demander l’annulation du refus d’assurer la traçabilité des viandes ou des produits carnés issus d'abattages pratiqués sans étourdissement car l'association demanderesse ne se prévaut d'aucune conviction religieuse reposant sur la prohibition de la consommation de tels produits. Là aussi, il convient de s’interroger : on avait cru comprendre que la laïcité était au nombre des « principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France » et que c’était même là la raison principale de l’invention par le Conseil constitutionnel de cette catégorie juridique. Dès lors, il nous paraît suffire d’invoquer la qualité de Français pour invoquer le principe de laïcité, notamment en justice.

(1er juillet 2022, Association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), n° 441260)

 

232 - Police sanitaire - Mesures de lutte contre la pandémie de Covid-19 - Défaut de proportionnalité - Incompatibilité avec le droit de l’Union - Rejet.

Les requérants contestaient la légalité du décret primo-ministériel du 29 octobre 2020, exceptée celle de son article 1er, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire pris sur le fondement de l’art. L. 3131-15 du code de la santé publique ainsi que de son décret modificatif du 27 novembre 2020. Ils demandaient également, d’une part, un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union pour examen de la compatibilité de ces mesures avec le droit de l’Union, en particulier avec l'article 35 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et, d’autre part, une demande d’avis à la Cour EDH portant sur la combinaison devant être opérée, en cas de pandémie, entre, d'une part, le paragraphe 1er de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au droit à la vie, et d'autre part, les articles 5, 8, 9 et 11 de la même convention et l'article 1er de son premier protocole additionnel.

Le recours est, sans grande surprise, rejeté.

D’abord, l’accélération du rythme de l'épidémie de Covid-19 est directement à l’origine du décret attaqué du 29 octobre 2020 qui fixe des règles d'hygiène et de distance entre les personnes (interdiction des déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence, conditions d'accueil du public dans les commerces) et qui a été pris au vu de la note rendue le 26 octobre 2020 et actualisée le 28 par le comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 du code de la santé publique. Cet avis n’a pas manqué à l'impartialité ou à la rigueur scientifique qui aurait pu entacher la légalité du décret attaqué.

Ensuite, c’est sans excéder ses pouvoirs que le gouvernement, se fondant sur une très forte accélération du nombre des contaminations, des hospitalisations et des décès, en septembre et octobre 2020, et alors que les avis scientifiques disponibles mettaient en évidence le risque d'une évolution quasi exponentielle du nombre de nouveaux cas et d'une saturation des capacités hospitalières, a pris les mesures contestées de stricte limitation des déplacements de personnes hors de leur domicile assorties de dérogations d’abord restreintes puis progressivement élargies, lesquelles n’étaient point devenues inutiles à la date du décret modificatif du 27 novembre 2020. Il en va de même de l'interdiction d’accès du public aux commerces, même si elle impliquait la fermeture temporaire de certains établissements, restreignant ainsi fortement l'exercice de la liberté d'entreprendre, ces dispositions étant justifiées par la situation et exactement proportionnées à elle. Les dispositions critiquées par les requérants n'ont pas porté une atteinte excessive aux libertés fondamentales dont ils se prévalent.

Enfin, la dérogation prévue permettant l'ouverture au public des « supérettes, supermarchés, magasins multi-commerces, hypermarchés » se justifiait par la circonstance qu'ils vendent essentiellement des produits de première nécessité sans que puissent y être inclus les salons de coiffure. 

Le recours est rejeté en ses demandes d’annulation comme de renvois préjudiciels.

(22 juillet 2022, Mme C. et Société Profil CS, n° 446709)

(233) V. aussi, rejetant par des motifs largement comparables à ceux retenus dans la décision précédente le recours collectif tendant à l’annulation des articles 1er, 2, 8, 11, 15, 21, 27, 36, 38, 40, 44, 45, 46 et 47 ainsi que de l'annexe 1 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire : 22 juillet 2022, M. AE et autres, n° 448306.

(234) V. également, le rejet, aux termes d’une motivation largement identique à celle retenues dans les deux précédentes décisions, d’un recours contestant la légalité de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020 et tendant à voir autorisés les déplacements pour la pratique des activités physiques à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes : 22 juillet 2022, M. B., n° 448902.

(235) V. encore (les requérants étant sur ce point décidément intarissables), rejetant - inévitablement - un recours demandant, au principal, de saisir la Cour européenne des droits de l'homme de la demande d'avis suivante : « L'interprétation des articles 2, 16, 17 de la charte des droits fondamentaux, de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 1er du protocole n° 12, des articles 2, 5, 7 et 14 de la convention s'oppose-t-elle aux dispositions des articles 3 et 4 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret du 27 novembre 2020, du 14 décembre 2020, du 15 janvier 2021 et du 25 février 2021 », et, au subsidiaire, notamment, d'annuler pour excès de pouvoir les articles 3 et 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans ses versions issues successivement du décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020, du décret n° 2020-31 du 15 janvier 2021, du décret n° 2021-51 du 21 janvier 2021 et du décret n° 2020-217 du 25 février 2021, ainsi que l'avis du 8 janvier 2021 du comité de scientifiques prévu par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique : 22 juillet 2022, M. C., n° 449663.

(236) V., rejetant les recours dirigés contre l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié en dernier lieu par le décret du 25 février 2021 : 22 juillet 2022, Association Le Cercle Droit et Liberté et autres, n° 450405 ; M. B. et autres, n° 450748.

(237) et encore, rejetant un recours en annulation de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié en dernier lieu par le décret du 2 avril 2021, en tant qu'il impose un confinement et un couvre-feu aux personnes vaccinées : 22 juillet 2022, M. A., n° 451456.

(238) V., semper idem, rejetant le recours de ressortissants mahorais se plaignant que les dispositions attaquées (décret n° 2021-173 du 17 février 2021 modifiant le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020) instaureraient une différence de traitement injustifiée au détriment des habitants de Mayotte en matière de lutte contre l’épidémie de Covid-19 : 22 juillet 2022, MM. B. et C., n° 452781.

(239) et, en outre, rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire notamment en ce que son art. 47-1 fixe à cinquante personnes le seuil d'application du « passe sanitaire » « pour l'accès à certains lieux, établissements et évènements » : 22 juillet 2022, Association Le Cercle droit et liberté, n° 454831 ou encore, toujours à propos du « passe sanitaire », le rejet résultant de : 22 juillet 2022, Mme D. et autres, n° 455732 ou également, le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l’encontre des articles 12 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire sur la base desquels a été pris le décret attaqué du 1er juin 2021 modifié, en ce qu’il serait porté atteinte à la liberté individuelle, au droit au respect de la vie privée, à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au droit au respect de l'intégrité physique et du corps humain, à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie et que serait méconnu le principe d’égalité : 22 juillet 2022, Mme W. épouse K. et autres, n° 456195.

(240) et aussi, plus original, rejetant – pour défaut d’urgence en l’état des incendies de forêts au jour où le juge statue - la demande que les sapeurs-pompiers non vaccinés contre le Covid-19 soient autorisés à participer à la lutte contre les importants incendies de forêt de l’été 2022 : ord. réf. 26 août 2022, Association de défense des libertés fondamentales et M. B., n° 466821.


241 - Manifestation statique déclarée en préfecture – Interdiction par un préfet de police pour risque de troubles à l’ordre public – Proposition d’autres lieu et heure pour la tenue de cette manifestation – Refus – Rejet.

Le syndicat demandeur s’est vu refuser par la préfecture de police de Paris l’autorisation d’organiser une manifestation statique les jeudi 30 juin, vendredi 1er juillet et samedi 2 juillet 2022 entre 16 heures 30 et 22 heures dans le Jardin des Champs-Elysées, au niveau du 35, avenue Gabriel à Paris. Ce rassemblement comportait l'organisation de prises de parole et de débats citoyens. Estimant l’heure et le lieu susceptibles de causer des troubles à l’ordre public, la préfecture de police a proposé la tenue de cette manifestation les mêmes jours de 14 heures à 18 heures, place de la République à Paris ; le syndicat requérant a refusé.

Son référé liberté ayant été rejeté par le juge du tribunal administratif, le syndicat a formé appel de l’ordonnance de rejet devant le juge des référés du Conseil d’État ; ce dernier confirme l’ordonnance attaquée.

Le juge estime que contrairement à ce que soutiennent les organisateurs, d’une part, le lieu de la manifestation, prévue 35, avenue Gabriel, à proximité immédiate du palais de l'Elysée, au niveau de l'entrée sud, dite entrée de la « Grille du coq », se trouve au sein d'un périmètre se caractérisant par de fortes contraintes en matière de sécurité, notamment dans le contexte actuel de menace terroriste, qui demeure à un niveau élevé, d'autre part, il existe un risque de débordements par des groupes agressifs, notamment compte tenu des violences qui ont émaillé des rassemblements similaires au cours des années 2021 et 2022 et du fait qu'un appel au rassemblement « devant la Grille du coq » a été transmis sur les réseaux sociaux, et notamment sur le compte Twitter du syndicat, qui a ensuite été relayé par d'autres comptes du mouvement des Gilets jaunes, auprès d'environ 30 000 abonnés, de sorte que le nombre de manifestants à ce rassemblement, qui se déroule sur trois jours, est susceptible d'être supérieur au nombre de cinquante participants annoncés en un lieu qui se caractérise par des trottoirs de superficie réduite ainsi que par la présence de nombreuses barrières, configuration qui est susceptible de rendre plus difficile le maintien de l'ordre public, en particulier en cas d'afflux de participants.

Enfin, compte tenu du refus de la solution alternative qui lui était proposée, le syndicat requérant ne saurait prétendre que, par son refus d’autoriser la manifestation statique projetée, préfet de police aurait porté à la liberté de manifester une atteinte grave et manifestement illégale.

(1er juillet 2022, Syndicat des Gilets jaunes, n° 465411)

 

242 - Police des débits de boissons - Établissement ayant servi force alcools à deux individus ivres - Accident mortel causé ensuite par l'un de ces individus - Arrêté de fermeture temporaire de l'établissement - Absence d'illégalité - Rejet.

N'est pas entaché d'illégalité l'arrêté préfectoral ordonnant la fermeture temporaire pour un mois de l'établissement de la société requérante pour avoir servi à des individus - déjà ivres après avoir consommé au cours d'un repas, deux bouteilles de vin, deux bières et deux verres d'alcool fort -, l'équivalent de onze verres de liqueur et un litre un quart de bière, l'un d'eux ayant, ensuite, causé un accident mortel... Des témoignages concernant leur état plus tard dans l'après-midi, confirment au surplus la certitude de leur ivresse.

Est rejeté le moyen tiré de ce que la société n'aurait pas eu communication du rapport de police du 23 mai 2022 préalablement à l'intervention de l'arrêté contesté dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'elle a été mise à même de connaître et de discuter utilement l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés.

L'ordonnance du premier juge rejetant la mesure de fermeture d'un mois est ainsi confirmée.

Un mois d’abstinence ne semble pas trop cher payé...

(ord. réf. 9 août 2022, Société « Le River's Pub », n° 466124)

 

243 - Forfait post-stationnement – Contestation du bien-fondé de la somme mise à la charge du redevable de ce forfait – Régime - Contestation d’un titre exécutoire en cas de non-paiement du forfait dans les trois mois – Régime – Erreur de droit – Annulation.

Rappel, à nouveau, mais les choses sont si compliquées en la matière que ce rappel est utile, du régime de contestation du forfait de post-stationnement.

Normalement, il incombe au redevable d'un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge de saisir l'autorité administrative d'un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, d'introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant. 

Cependant, dans le cas où le redevable n’a pas acquitté dans les trois mois le forfait, ce qui entraîne automatiquement l’émission d’un titre exécutoire pour un montant égal audit forfait majoré de la somme due à l’État, celui-ci peut contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement et contesté au contentieux le rejet de son recours. De là résulte que si, selon les dispositions de l’art. R. 2333-120-35 du CGCT, le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué, ces mêmes dispositions ne l’empêchent pas de contester, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

Ceci dit, à la lecture de ce qui précède on peut comprendre que redevables, juges et collectivités intéressées y perdent quelque peu leur latin…

(5 juillet 2022, Mme B., n° 445212)

(244) V. aussi, rappelant à nouveau l’inconstitutionnalité de l’art. L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales constatée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020 : 15 juillet 2022, M. A., n° 447028.

 

245 - Police du permis de conduire - Permis de conduire de catégorie B - Autorisation de conduire des véhicules de sécurité civile excédant le poids total autorisé pour les titulaires d'un permis B - Permission n'existant pas pour les transporteurs sanitaires - Critique - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation du refus implicite du premier ministre d'abroger le décret n° 2019-1260 du 29 novembre 2019 relatif à la conduite de certains véhicules affectés aux missions de sécurité civile, en tant que le dispositif qu'il crée ne s'applique pas aux véhicules utilisés par les personnes exerçant l'activité de transport sanitaire.

Le recours est rejeté.

Le décret attaqué, pris sur le fondement et pour la transposition du b) du paragraphe 4 de l'article 4 de la directive n° 2006/126/CE du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire, prévoit que les titulaires d'un permis B puissent conduire des véhicules affectés à des missions de sécurité civile dont le poids total excède le plafond autorisé pour ce type de permis.

Les requérants ont demandé en vain au premier ministre d'abroger ce décret en tant qu'il ne prévoit pas la même dérogation pour la conduite des véhicules utilisés par les personnes exerçant l'activité de transport sanitaire. 

Le juge estime que les situations respectives de ces deux catégories de véhicules, résultant de la spécifité des missions en cause, sont suffisamment différentes pour justifier un traitement différencié au regard du permis nécessaire à leur conduite. Certes, les missions peuvent se recouper, des missions de sécurité civile pouvant consister en des transports sanitaires mais il subsiste globalement entre les deux de très nombreuses dissemblances de champ et de condition d'application.

Pas davantage le décret litigieux ne crée une distorsion de concurrence entre les deux types d'intervention. Tout d'abord, les services d'incendie et de secours (qui sont incontestablement des véhicules de sécurité civile) ne sont amenés à effectuer, à la demande de la régulation médicale du centre 15, des interventions de transport sanitaire ne relevant pas de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, dites carences ambulancières, que lorsque celle-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés. Ensuite, le bénéfice de la dérogation légale n'est accordé que pour la conduite des véhicules qui sont affectés par les entités concernées aux missions de sécurité civile, à l'exclusion de toute autre affectation de ces véhicules, et notamment de leur mise à la disposition d'établissements de santé au bénéfice des structures mobiles d'urgence et de réanimation en application des dispositions du code de la santé publique (cf. en particulier les art. L. 1424-42 et D. 6124-12).

(12 juillet 2022, Chambre nationale des services d'ambulance (CNSA) et Fédération nationale de la mobilité sanitaire (FNMS), n° 443202)

 

246 - Police des débits de boissons - Déclaration de changement de gérant et de translation d'un débit de quatrième catégorie - Pouvoirs du maire et du préfet à l'égard de cette déclaration - Contrôle des seules exigences de forme avant la réalisation de l'opération -Annulation.

Une association d'habitants d'une commune reproche au maire de celle-ci d'avoir, au reçu d'une déclaration préalable de mutation du gérant et de translation d'un débit de boissons de quatrième catégorie, donné au demandeur récépissé le même jour de cette déclaration.

La préfecture a rejeté la demande de l'association des habitants tendant à ce qu'elle s'oppose à l'exploitation de ce débit de boissons. Le tribunal administratif a annulé ce refus et enjoint à cette autorité de procéder au retrait du récépissé de déclaration dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le pétitionnaire bénéficiaire de l'autorisation se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif.

Pour accueillir le pourvoi et annuler l'arrêt d'appel, le Conseil d'État rappelle qu'en cette matière le maire agit en qualité d'agent de l'État et se borne à constater l'accomplissement de la formalité de déclaration d'ouverture d'un débit de boissons, de mutation dans la personne de son propriétaire ou de son gérant ou de translation d'un lieu à un autre qui lui est présentée et à en délivrer récépissé. Le maire ne peut pas, à cette occasion, examiner la capacité du requérant, la situation du débit ou la régularité de l'opération envisagée.

Il transmet ensuite copie intégrale du récépissé au préfet et au procureur de la république.

Ces diverses autorités ne sauraient intervenir à titre préventif au moment de la délivrance du récépissé : le procureur est susceptible d'être à tout moment saisi, de rechercher et de poursuivre les infractions qui pourraient être commises, le préfet peut faire usage après l'ouverture, la mutation ou la translation du débit de boissons, de ses pouvoirs de police administrative lorsque la situation le justifie.

En revanche, il n'appartient pas au maire ni, par suite, au préfet, de s'opposer à l'opération envisagée avant sa réalisation.

(12 juillet 2022, M. B., n° 447143)

 

247 - Véhicules d’intérêt général prioritaires - Véhicules des gardes champêtres - Véhicules exclus de cette catégorie - Absence d’atteinte au principe d’égalité - Rejet.

La fédération requérante poursuivait l’annulation du rejet implicite de sa demande tendant à l'abrogation du point 6.5 de l'article R. 311-1 du code de la route en tant qu'il ne mentionne pas les véhicules de service des gardes champêtres ou à l'adoption d'un acte réglementaire similaire, pour ces véhicules, au décret du 28 avril 2005 relatif aux véhicules de police municipale.

La requête est rejetée.

Le Conseil d’État considère que les différences existant entre les missions des gardes champêtres, telles qu'elles sont notamment définies à l'article L. 521-1 du code de la sécurité intérieure, et celles des policiers municipaux, telles qu'elles sont notamment définies à l'article L. 511-1 de ce code, justifient les différences qui peuvent affecter les équipements des gardes champêtres par rapport à ceux des policiers municipaux, et en particulier les modalités de signalisation de leurs véhicules de service respectifs sans qu’il soit porté atteinte au principe d'égalité. 

La simple affirmation, à défaut d’éléments suffisants pour l’établir, que les gardes champêtres doivent pouvoir bénéficier des mêmes facilités de circulation que les policiers dont les véhicules sont regardés comme des véhicules d'intérêt général prioritaires, ne suffit pas à révéler une erreur manifeste d’appréciation dans la décision du ministre de l’intérieur refusant d’étendre aux véhicules des gardes champêtres le bénéfice des dispositions relatives aux véhicules d'intérêt général prioritaires.

(15 juillet 2022, Fédération nationale des gardes champêtres (FNGC), n° 453681)

 

248 - Contrôle technique des véhicules poids lourds - Demande de suspension de l’agrément accordé à une société exerçant ce contrôle - Invocation d’une atteinte à la concurrence - Intérêt pour agir - Existence - Qualification inexacte des faits - Annulation sans renvoi (seconde cassation).

Une société de contrôle technique des véhicules poids lourds a demandé au préfet de suspendre l’agrément accordé à une autre société de contrôle.

Elle a saisi en vain le tribunal administratif du rejet implicite de sa demande, ce dernier estimant que la requérante ne faisait état d'aucune circonstance particulière de nature à établir que les conditions posées par le code de la route auraient été gravement méconnues, alors qu'aucun dysfonctionnement en matière de sécurité n'avait été relevé lors d'une visite de contrôle du 16 septembre 2010. La cour administrative d’appel a rejeté l’appel dirigé contre son jugement puis, après cassation de son arrêt et renvoi, elle a confirmé à nouveau ce rejet motif pris de ce que la société Vivauto PL ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir.

Saisi d’un second pourvoi, le Conseil d’État annule cet arrêt en ce qu’il repose sur une inexacte qualification des faits.

En effet, pour demander la suspension de l’agrément accordé à cette autre société, la demanderesse soutenait que cette dernière, avec laquelle elle se trouve en concurrence, bénéficie indûment d'une situation irrégulière face à laquelle le préfet refuse d'intervenir. La société requérante exploite un réseau de centres de contrôle technique de poids lourds, dont un est implanté à Villefranche-sur-Saône (Rhône), à une distance de près d'une centaine de kilomètres de celui exploité par la société concurrente à Roanne (Loire), qui fonctionne sans accréditation du comité français d'accréditation (COFRAC). Pour justifier de son intérêt pour agir contre la décision préfectorale contestée, elle fait état d'un préjudice commercial tiré de l'avantage concurrentiel dont bénéficie cette société en s'abstenant de se soumettre à la procédure d'accréditation par le COFRAC, ce qui permet à cette dernière d'éviter les coûts associés à cette procédure ainsi que ceux résultant du respect des conditions de mise en conformité auxquelles est conditionnée l'accréditation.

Le juge déduit de là que du fait de la proximité entre ces deux activités de contrôle technique, séparées par une distance qui n'excède pas la distance moyenne entre le centre géré par la société en cause et ses autres concurrentes, et de l’existence subséquente de l'avantage concurrentiel qui peut résulter de cette situation pour cette société, la société Vivauto PL justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. 

Cette seconde cassation conduit le juge, statuant sur le fond du litige, à annuler le refus implicite du préfet de suspendre l’agrément illégalement accordé à la société rivale de la requérante et à lui enjoindre de suspendre ledit agrément.

(19 juillet 2022, Société Vivauto PL, n° 447368)

 

249 - Police des armes et munitions - Classement des armes en catégories - Demande d’abrogation de l’arrêté portant classement de certaines armes et munitions - Refus - Annulation partielle.

La société requérante, qui fabrique et commercialise des armes de force intermédiaire, dites non létales, demande l’annulation du refus implicite du ministre de l’intérieur d’accéder à sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions en application du B de l'article 2 et du (a) de l'article 5 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 modifié relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions.

Avant d’examiner le fond du recours, le Conseil d’État règle deux importantes questions de procédure. D’abord, il affirme sa compétence en premier et dernier ressort pour connaître du litige car la décision par laquelle le ministre de l'intérieur ou le ministre de la défense procède au classement d'une arme dans l'une des catégories définies à l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure présente un caractère réglementaire, or les recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires des ministres relèvent de la compétence directe du Conseil d’État. Ensuite, le ministre défendeur opposait une fin de non-recevoir au demandeur pour défaut d’intérêt pour agir. Cette exception est rejetée car, comme le relève justement le Conseil d’État, la société Redcore fabrique et commercialise des armes telles que celles concernées par les mesures réglementaires contestées. Ainsi, la demanderesse justifie d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation du refus d'abrogation de l'arrêté du 30 avril 2001. 

S’agissant des armes fabriquées et commercialisées par la société Verney-Carron, le juge retient que le « Flash-Ball Pro » fabriqué et commercialisé par cette société ne doit pas être regardé, contrairement à ce que soutient la société Redcore, comme une arme spécifiquement destinée au maintien de l'ordre au sens des dispositions du code de la sécurité intérieure mais comme une arme que ses caractéristiques destinent à la protection rapprochée des forces de l'ordre à des fins de légitime défense. De plus, en raison des diverses autres caractéristiques du « Flash-Ball Pro » (canon lisse et non rayé, munitions en caoutchouc souple ne causant pas des lésions graves ou permanentes, etc.), le refus du ministre de l’intérieur de procéder à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe le « Flash-Ball Pro » et ses munitions 44/83 et 44/83 P en catégorie B3, n’est pas entaché d’illégalité.

S’agissant des armes fabriquées et commercialisées par la société Alsetex, le ministre et cette société ont reconnu à l’audience que, compte tenu de leur dangerosité, les lanceurs de grenades « Cougar » et « Chouka » que cette société commercialise et leurs munitions de calibre 56 mm, qui sont spécifiquement destinés au maintien de l'ordre, relèvent respectivement des 4° et 5° de la catégorie A2.

D’où il suit qu’en refusant de procéder à l’abrogation, qui lui était demandée, de leur classement en catégorie B3, le ministre de l’intérieur a inexactement appliqué les dispositions des art. L. 311-2 et R. 311-2 du code de la sécurité intérieure. Le juge ordonne donc cette abrogation sur le fondement de l’art. L. 911-1 du CJA, cette abrogation devant intervenir dans le délai d’un mois.

(21 juillet 2022, Société Redcore, n° 436692)

 

250 - Police des jeux - Casino - Courriel d’une direction du ministère de l’intérieur comportant interprétation de la réglementation applicable aux casinos - Absence de caractère de décision ou de document de portée générale à effets notables - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

(21 juillet 2022, Fédération des employés et cadres Force ouvrière, n° 449388)

V. n° 15

 

251 - Police des véhicules - Contrôle technique obligatoire des véhicules à deux ou trois roues et quadricyles - Mise en place initiale en 2022 puis retardée et échelonnée - transposition d’une directive de l’Union – Non-respect - Annulation sans modulation de la date d’effet de la décision.

(27 juillet 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 457398)

V. n° 167

 

252 - Prolongement ou rétablissement des contrôles aux frontières terrestres, maritimes et aériennes de la France - Règlement européen du 9 mars 2016 - Menaces nouvelles ou d’une nature différente des précédentes - Cas en l’espèce - Rejet.

(27 juillet 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers et autres, n° 463850)

V. n° 180

 

Professions réglementées

 

253 - Signalement relatif à un mineur par un médecin – Dispositions combinées du code pénal et du code de l’action sociale et des familles - Absence de faute disciplinaire sauf mauvaise foi – Rejet.

Cette décision a le grand mérite de clarifier et de préciser le régime applicable aux signalements effectués par un médecin sur des violences que pourrait subir un mineur. Elle rassurera les praticiens et les ordres professionnels concernés et devrait réduire un certain nombre de contentieux « parasitaires » en cette matière.

Le juge déduit ici, en les combinant, des dispositions des art. 226-13 et 226-14 du code pénal et L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles que « lorsqu'un médecin signale au procureur de la République ou à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes, des faits laissant présumer qu'un mineur a subi des violences physiques, sexuelles ou psychiques et porte à cet effet à sa connaissance tous les éléments utiles qu'il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce jeune patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l'enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l'enfant soumis à son examen médical, sa responsabilité disciplinaire ne peut être engagée à raison d'un tel signalement, s'il a été effectué dans ces conditions, sauf à ce qu'il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi. » 

C’est bien évidemment à celui qui allègue la mauvaise foi, laquelle ne saurait se présumer, d’en rapporter la preuve.

(5 juillet 2022, Mme E., n° 448015)

 

254 - Chirurgiens-dentistes – Demande d’inscription d’une société d’exercice libéral à responsabilité (SELAS) au tableau de l’Ordre - Refus implicite – Demande de suspension en référé – Rejet.

On sera surpris de cette ordonnance de référé refusant de suspendre la décision implicite par laquelle le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes a refusé l'inscription de la SELAS " Cabinet 158 Croix Nivert " au tableau.

En dépit des éléments du dossier, la demande de suspension est rejetée pour défaut d’urgence.

Les requérantes faisaient valoir, ce dont le juge ne disconvient pas, que le projet médical porté par la SELAS est de rassembler une large équipe pluridisciplinaire sur un plateau médical neuf s'étendant sur 360 m2 avec une capacité totale de onze unités de soins, permettant d'intégrer jusqu'à seize praticiens, qu’il a mobilisé pendant neuf mois un grand nombre d'acteurs et a fait l'objet de lourds investissements. Elles précisent encore avoir signé un bail commercial d'un montant de 170 000 euros par mois et avoir investi 1 110 066,49 euros pour l'aménagement du plateau, le montant de trésorerie consolidé de 1 449 060,34 euros devant être rapidement amputé compte tenu de cet investissement. Enfin, elle ajoute qu’un praticien s'est retiré en tant qu'associé d'une autre société d'exercice libéral dans l'optique de sa nouvelle participation et qu'une promesse d'intégration a été adressée à un futur associé professionnel qui se trouve dans l'attente d'un transfert. 

Le juge des référés rétorque, d’une part, que la société requérante ne pouvait toutefois ignorer que, ainsi que le prévoit l'article R. 4113-4 du code de la santé publique, elle était constituée sous la condition suspensive de son inscription au tableau de l'ordre, et que par conséquent elle prenait un risque en engageant toutes les dépenses sans attendre son inscription - le fait que, selon elle, le refus du conseil départemental n'était pas prévisible étant, selon la position discutable du juge, sans incidence -, et, d’autre part, que le conseil régional, appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée dans le cadre du recours préalable obligatoire prévu par l'article R. 4112-5 du code de la santé publique, dont la décision se substituera à la décision attaquée, a été saisi dès début juin et a convoqué les parties au litige le 7 juillet prochain. Il statuera donc sur le recours dans de brefs délais.

Si le conseil régional ne donne pas gain de cause aux demandeurs et si ceux-ci estiment à nouveau irrégulier ce refus, il leur faudra plaider devant le juge – sans doute des référés – du Conseil d’État. Ce ne sera alors plus l’urgence mais le feu…

(ord. réf. 5 juillet 2022, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELAS) « Cabinet 158 Croix Nivert » et Société de participation financière de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France, n° 465022)

 

255 - Médecins du travail - Faculté de délégation de missions aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail (décret du 22 avril 2022) - Visites de pré-reprise et de reprise pouvant être confiées à ces infirmiers - Défaut d’urgence - Rejet.

Le Conseil national de l'ordre des médecins demande en référé la suspension de l'article R. 4623-14 du code du travail dans sa rédaction résultant du décret attaqué, en tant qu'il permet la délégation aux infirmiers en santé au travail des visites de reprise et de pré-reprise prévues par les dispositions des art. R. 4624-29 à R. 4624-32 du code du travail.

Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

D’abord, il résulte des dispositions dont la suspension est demandée que si elles précisent la nature des tâches pouvant être déléguées par les médecins du travail aux infirmiers en santé au travail dans le cadre prévu par la loi, et les conditions de cette délégation, elles n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet d'étendre le champ de ces tâches au-delà de ce que permet la loi, ni pour effet de contraindre les médecins du travail à recourir à cette délégation, dont le principe, l'étendue et le contrôle sont placés sous leur responsabilité.

Ensuite, c’est au seul médecin du travail qu’il appartient d'apprécier au cas par cas, la mesure dans laquelle la formation et l'expérience d'un infirmier en santé au travail sont compatibles avec la délégation de certaines des tâches visées par le décret attaqué, et d'organiser sous sa responsabilité, au sein de l'équipe pluridisciplinaire, les conditions dans lesquelles les travailleurs dont l'état de santé est susceptible de présenter une incompatibilité avec la reprise de leur travail, ou de réclamer une adaptation de leur poste, seront orientés de façon à ce que cette incompatibilité soit évaluée, et ces adaptations prescrites, par le médecin du travail lui-même. 

Enfin, s’il est soutenu que le nombre des médecins du travail diminuant depuis plusieurs années selon une évolution qui est susceptible de se poursuivre et qu’ainsi  ces médecins pourraient se trouver progressivement contraints de déléguer les tâches inhérentes aux examens de reprise et de pré-reprise dans des conditions qui ne garantiraient plus le respect des exigences encadrant cette délégation, et présenteraient un risque pour la santé des personnes appelées à reprendre le travail à l'issue d'un arrêt de maladie, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des éléments apportés à l'audience, que ce risque, à le supposer avéré, soit susceptible de se réaliser à brève échéance.

Faute d’urgence, la demande de suspension est rejetée sans qu’il soit besoin d’examiner l'existence éventuelle d'un moyen propre à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ce décret.

(18 juillet 2022, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 465316)

 

256 -Notaire - Demande de nomination en qualité de notaire associé - Condition d’honorabilité - Vérification auprès du procureur de la république près un tribunal judiciaire - Procédure régulière - Refus de nomination - Rejet.

Le requérant, qui exerçait jusque-là les fonctions de notaire salarié, a saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, d’une demande de nomination en qualité de notaire associé au sein de l’étude où il exerçait jusqu’alors comme notaire salarié.

Le garde des sceaux, pour vérifier l’inexistence, de la part de l’intéressé, de commission de faits contraires à l'honneur et à la probité, ne s’est pas borné à la communication par le bureau du Conseil supérieur du notariat des informations dont celui-ci disposait permettant d'apprécier l'honorabilité de l'intéressé mais a également sollicité le procureur de la république du tribunal judiciaire dans le ressort duquel le candidat exerce ses fonctions aux fins de savoir si ce dernier a été mis en cause pour de tels faits.

Il a, par la suite, refusé de nommer l’intéressé à la fonction de notaire.

Par voie de référé suspension (art. L. 521-1 CJA), le demandeur a saisi, en vain le juge de première instance et se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet.

Le juge des référés du Conseil d’État rejette le pourvoi en ses deux chefs : la procédure suivie a été régulière et le refus opposé n’est pas insuffisamment motivé.

En premier lieu, il est loisible au garde des sceaux de rechercher d’autres informations que celles dont dispose le Conseil supérieur du notariat aux fins d’opérer les vérifications qui lui incombent notamment qu’à l’honorabilité du candidat à la nomination en qualité de notaire.

En second lieu, en s’appuyant sur la circonstance que ce candidat avait giflé son ex-épouse, alors qu'il venait chercher ses enfants au domicile de cette dernière et qu'il avait été poursuivi pour des faits de violences volontaires sur conjoint ayant entraîné une incapacité totale de travail de moins de huit jours et en estimant que, bien que ces faits isolés et non réitérés n'avaient pas donné lieu à des poursuites, mais uniquement à un rappel à la loi, ils n'étaient pas suffisamment anciens à la date de la décision attaquée et présentaient un caractère de gravité suffisant pour justifier le refus de nomination opposé à M. B., le juge des référés n'a pas entaché d'insuffisance de motivation ni de dénaturation son ordonnance. 

(29 juillet 2022, M. B., n° 458168)

 

257 - Office notarial - Demande d’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe - Refus - Suspension accordée - Absence d’analyse de la caractérisation de l’urgence - Annulation.

Un office notarial s’étant vu refuser par le ministre de la justice l’autorisation d’ouvrir un bureau annexe, a saisi le juge des référés qui, pour caractériser l’urgence, a relevé que la condition d'urgence était remplie du fait de l'atteinte grave et immédiate portée aux intérêts de la société requérante par le refus opposé à sa demande d'ouverture d'un bureau annexe car cela impliquait nécessairement une perte de chiffre d'affaires pour la société, en ce qu'elle l'empêchait d'exploiter le local dont elle disposait dans la commune concernée.

Pour annuler cette ordonnance de suspension, le Conseil d’État reproche au premier juge d’avoir jugé ainsi sans apporter plus de précision sur l'impact financier pour la société ni sur les autres intérêts en présence.

Statuant au fond (cf. art. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État estime non remplie la condition d’urgence en dépit des charges d'un local dont elle a fait l'acquisition que supporte la société requérante, en vue de l'ouverture de son bureau annexe, d’autant que l'absence d'exploitation de ce local ne porte pas par elle-même une atteinte grave à sa situation, ni à l'intérêt des habitants de cette commune.

(21 juillet 2022, garde des sceaux, ministre de la justice, n° 455179)

 

258 - Médecins - Conseil national de l’ordre - Fixation de la cotisation ordinale due par les médecins retraités inscrits au tableau et n'ayant plus aucune activité médicale rémunérée - Contestation par des moyens sans portée - Rejet.

Le requérant conteste par divers moyens de caractère général et tirés de son incompatibilité avec plusieurs exigences découlant de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision annuelle par laquelle le Conseil national de l’ordre des médecins a fixé pour l’année 2019 le montant de la cotisation ordinale due par les médecins retraités inscrits au tableau et n'ayant plus aucune activité médicale rémunérée. Le recours est rejeté faute de précisions suffisantes des moyens de légalité dirigés contre la délibération attaquée ou les dispositions sur le fondement desquelles elle a été prise.

(22 juillet 2022, M. A., n° 442148)

 

259 - Ordre professionnel (vétérinaires) - Procédure disciplinaire - Rejet d’un appel pour tardiveté - Dates de réception et de signature de la notification de la décision de première instance - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

(22 juillet 2022, M. A., n° 448999)

V. n° 70

 

260 - Vétérinaires - Procédure disciplinaire - Communication du rapport du rapporteur au président du conseil régional ou national de l’ordre et à l’intéressé – Non-respect des droits de la défense et de l’égalité des armes - Annulation.

Commet une erreur de droit la juridiction ordinale qui - se fondant sur les dispositions des art. R. 242-95, R. 242-96, R. 242-97, à l'article R. 242-99, R. 242-100, R. 242-101 à R. 242-108,  R. 242-112 et R. 242-113 du code rural -,  juge que le seul fait que la personne poursuivie par l'ordre des vétérinaires n'ait connaissance du rapport qu'après qu'il ait été transmis au président du conseil régional ou du conseil national de l'ordre ne porte aucune atteinte aux droits de la défense et à l'égalité des armes.

(22 juillet 2022, Société Bozet-Michaux et MM. B. et E., n° 452221 ; Mme D., M. F. et société D.-F., n° 452302, jonction)

 

261 - Vétérinaires - Sanction disciplinaire assortie d’un sursis - Nouvelle sanction dans les cinq ans de la première devenue définitive - Application cumulée de la première et de la seconde sanction - Principe d’individualisation des peines - Transmission d’une QPC.

(26 juillet 2022, M. B., n° 461090)

V. n° 279

(262) V. aussi, identique : 26 juillet 2022, M. B., n° 464975.

 

263 - Experts-comptables - Juridictions disciplinaires - Absence de séparation entre les fonctions d’accusation, d’instruction et de jugement - Caractère sérieux de la question - Transmission d’une QPC.

(27 juillet 2022, M. D., n° 440070)

V. n° 280

 

264 - Chirurgien-dentiste - Exercice de la profession en France et en Roumanie - Liens privilégiés avec une société installée en Roumanie - Non communication à l’Ordre du contrat entre le praticien et la société - Sanction - Rejet.

Le requérant, inscrit au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes en France et en Roumanie, exerce son activité professionnelle en France dans un cabinet situé à Lyon et en Roumanie dans un établissement de soins dentaires, exploité par la société « Medical Tours Company ». Poursuivi pour infraction aux règles ordinales, il a fait l’objet d’un blâme de la part de la chambre disciplinaire de première instance puis, sur appel du conseil départemental de l’ordre, d’une interdiction d’exercice de sa profession pendant deux mois assortie du sursis, prononcée par la chambre disciplinaire nationale de l’ordre.

Il se pourvoit en cassation contre cette décision ; son pourvoi est rejeté.

Le requérant a d’abord été sanctionné pour avoir exercé sa profession « comme un commerce ». Le Conseil d’État approuve cette solution car l’intéressé participait à l'activité de la société « Medical Tours Company » en assurant la prise en charge de patients, résidant en France, souhaitant se rendre en Roumanie pour se faire poser des implants dentaires à moindre coût, d'une part, dans son cabinet à Lyon, en élaborant des plans de traitement pour ces patients et en assurant leurs visites préopératoires et post-opératoires, d'autre part, en assurant chaque mois la pose d'une quarantaine d'implants en Roumanie dans l'établissement géré par cette société et en étant rémunéré par cette dernière sous la forme de la rétrocession d'une part de ses bénéfices. La circonstance que ces éléments aient été obtenus à l’insu de M. B. au moyen d’un courriel adressé sous un nom d’emprunt à la société roumaine, permettant ainsi de constater la nature et la fréquence des liens existants entre M. B. et cette société, n’entache pas d’erreur de droit l’appréciation souveraine portée par la chambre de discipline. Pas davantage la chambre n’a commis d’erreur de droit ou de qualification juridique en voyant dans l’ensemble de ces faits l’exercice « un commerce ».

Le requérant conteste le reproche de non transmission à l’Ordre du contrat le liant à la société roumaine.

Le Conseil d’État approuve la solution car la chambre disciplinaire n’a pas inexactement qualifié les faits : la collaboration entre M. B. et la société « Medical Tours Company » présentait bien un caractère contractuel sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'activité de M. B. était exercée en France ou en Roumanie et cette collaboration aurait dû, conformément aux dispositions du code de la santé publique, donner lieu à l'établissement d'un contrat écrit devant être communiqué aux instances ordinales.

Enfin, contrairement à ce que soutient le demandeur, la sanction infligée ne revêt pas un caractère disproportionné.

(27 juillet 2022, M. B., n° 440687)

 

265 - Convention nationale des infirmiers libéraux - Avenant n° 6 à cette convention - Demande d'abrogation - Refus - Annulation très partielle.

Les requérants demandaient l'abrogation des décisions par lesquelles l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) et le ministre des solidarités et de la santé ont implicitement rejeté leur demande du 12 avril 2021 tendant à l'abrogation de l'avenant n° 6 à la convention nationale des infirmiers libéraux signée le 22 juin 2007. Ils développent au soutien de leurs conclusions la juridicité, d'une part des conditions d'adoption de l'avenant n° 6 litigieux, d'autre part, d'un certain nombre de ses dispositions.

La critique des conditions d'adoption de l'avenant, est rejetée : la convention n'était pas venue à échéance antérieurement à la conclusion de l'avenant et sa signature ne l'a pas été par un seul des deux ministres compétents mais par le seul ministre compétent.

Concernant les diverses mesures que contient cet avenant, trois critiques étaient avancées : celles portant sur le dispositif démographique applicable aux infirmiers, celles relatives à la prise en charge des soins à domicile des patients dépendants et celles relatives aux modalités d'exercice de la profession d'infirmier, prévues respectivement aux articles 3, 5.7 et 9 de l'avenant.

L'art. 3 de la convention, pris en exécution des dispositions de l'art. L. 1434-4 du code de la santé publique, distingue selon que l'infirmier exerce sa profession dans les zones où le niveau de l'offre de soins est particulièrement élevé, qui sont soumises à des mesures de limitation du conventionnement, ou dans des zones caractérisées soit par une offre de soins insuffisante soit par des difficultés dans l'accès aux soins. La délimitation de ces différentes zones est établie par le directeur général de l'ARS, après concertation avec les professions de santé concernées.

C'est donc la loi qui a autorisé les partenaires conventionnels, en vue d'améliorer l'accès aux soins des assurés sociaux, à apporter des restrictions à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la libre concurrence, à la liberté d'installation et au principe de libre exercice à titre libéral de la profession d'infirmier. 

Les restrictions ainsi apportées à l'exercice de cette profession, sont justifiées par les inégalités dans la répartition des infirmiers libéraux sur le territoire. Elles n'établissent pas de distinction selon que l'infirmier libéral est Français ou non, ce qui est conforme à l'art. 49 du TFUE et, enfin, il n'y a pas d'inégalité irrégulière à ce que médecins et infirmiers fassent l'objet de conventions distinctes aux stipulations différentes en raison des différences objectives de situation les caractérisant.

Enfin, les dispositions permettant à un organisme local d'assurance maladie de retirer le conventionnement initialement accordé à un infirmier libéral, après avoir informé l'infirmier de son intention et à l'expiration d'un délai permettant à l'intéressé de faire connaître ses observations, ne nécessitaient qu'elles fussent prises par un décret en Conseil d'État.

L'art. 5.7 de la convention, relatif à la prise en charge des soins à domicile des patients dépendants ayant épuisé ses effets sous sa version initiale, puisque remplacé par l'avenant n° 8, conclu le 19 novembre 2021, les conclusions formulées à son encontre sont devenues sans objet.

Concernant l'art. 9 de la convention, deuxième alinéa, le refus d'en abroger son approbation est irrégulier car s'il incombe au pouvoir réglementaire de définir les conditions d'une utilisation, par les infirmiers, de procédés de publicité compatibles avec les exigences de protection de la santé publique, de dignité de la profession, de confraternité entre infirmiers et de confiance des malades envers les infirmiers, il résulte des stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff. C-339/15), qu'elles s'opposent à des dispositions réglementaires, telles que celles qui figurent au deuxième alinéa de l'article 9 de l'avenant en litige, qui interdisent tout moyen direct ou indirect de publicité et notamment une signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale.

(1er août 2022, Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (ONSIL) et Syndicat des infirmiers libéraux INFIN'IDELS, n° 456934)

 

266 - Infirmiers - Nomenclature générale des actes professionnels - Durée forfaitaire d'une demi-heure retenue pour toute « séance de soins infirmiers » - Notion - Portée - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l'annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ont implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'article 11 du titre XVI de la nomenclature générale des actes professionnels en tant qu'il prévoit que la séance de soins infirmiers est d'une durée d'une demi-heure.

Le recours est rejeté.

Ce texte définit tout d'abord la « séance de soins infirmiers » prise en charge, avec la cotation qu'il lui attribue, comme comprenant « l'ensemble des actions de soins liées aux fonctions d'entretien et de continuité de la vie, visant à protéger, maintenir, restaurer ou compenser les capacités d'autonomie de la personne ». Il indique ensuite que « La cotation forfaitaire par séance inclut l'ensemble des actes relevant de la compétence de l'infirmier réalisés au cours de la séance, la tenue du dossier de soins et de la fiche de liaison éventuelle ». Il fixe la durée de cette séance à une demi-heure.

Le syndicat requérant conteste donc le refus d'abroger cette disposition dans cette mesure.

Tout d'abord, si seule l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a compétence pour abroger ou modifier la liste des actes et prestations pris en charge ou remboursés par l'assurance maladie et si, par suite, le premier ministre et le ministre de la santé et de la solidarité n'avaient pas compétence pour procéder à l'abrogation sollicitée, ils sont cependant réputés, en vertu de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration, avoir transmis cette demande à l'administration compétente.

Ensuite, il résulte des dispositions de l'article 11 précité du titre XVI de la nomenclature des actes et prestations dans sa rédaction en vigueur, issue de la décision de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie du 22 janvier 2022, que la séance de soins infirmiers, donnant lieu à une cotation forfaitaire, comprend l'ensemble des actions de soins réalisées relevant de la compétence de l'infirmier participant à la protection, au maintien, à la restauration ou à la compensation des capacités d'autonomie de la personne ainsi que la tenue du dossier de soins et de la fiche de liaison éventuelle et qu'elle a, du fait de la prise en charge globalisée qu'elle implique, vocation à durer environ une demi-heure. Cette définition de la séance de soins s'impose à l'infirmier qui ne peut notamment facturer une seconde séance au motif que la première aurait dépassé cette durée de quelques minutes. Ces dispositions ne comportent pas d'erreur manifeste d'appréciation ni en ce qu'elles établissent cette durée forfaitaire ni en ce qu'elles estiment cette durée nécessaire à la prise en charge globalisée attendue.

En outre, ces dispositions sont dépourvues d'ambiguïté et ne portent pas atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme.

(1er août 2022, Syndicat des infirmiers libéraux INFIN'IDELS, n° 457157)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

267 - Compétences dévolues à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (ARCOM) – Respect du pluralisme, de la liberté de communication et de l’indépendance des media - Incompétence négative du législateur dans la définition de ces pouvoirs – Absence – Rejet de la QPC.

L’association requérante sollicitait la transmission d’une QPC fondée sur l’inconstitutionnalité des art. 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à l’appui de sa demande d’annulation de la décision du 5 avril 2022 par laquelle l'ARCOM a rejeté sa demande tendant à ce qu'elle adresse une mise en demeure à l'éditeur du service de télévision « Cnews ».

La requête est rejetée car, relève le Conseil d’État, eu égard aux prérogatives dont, en l'état de la législation, l’ARCOM est dotée à fin d’exercer sa fonction de veiller au respect de la liberté de communication et de l'objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme et d'indépendance des media par les services de radio et de télévision, en particulier son pouvoir de mise en demeure et de sanction qu'elle est susceptible d'exercer notamment sur saisine des organisations de défense de la liberté de l'information reconnues d'utilité publique en France ou sur la base des informations transmises par le comité de personnalités prévu par l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, et qu'elle exerce sous le contrôle du juge, y compris en cas de carence dans l'exercice de ces prérogatives, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions contestées seraient entachées d'une incompétence négative de nature à priver de garantie légale les exigences constitutionnelles susrappelées.

(1er juillet 2022, Association Reporters sans frontières (RSF), n° 463162)

 

268 - Changement de nom des communes - Autorité compétente pour le décider - Régime différent pour les communes nouvelles et pour les communes existantes - Refus de transmettre une QPC.

(7 juillet 2020, Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres, n° 460445)

V. n° 33

 

269 - Dotation d'équilibre versée par chaque établissement public à la métropole du Grand Paris - Majoration à titre exceptionnel - Atteinte à des libertés constitutionnellement garanties - Transmission d'une QPC.

L'article 255 de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 a prévu qu'à titre exceptionnel, d'une part, la dotation d'équilibre versée en 2021 par chaque établissement public territorial à la métropole du Grand Paris est augmentée d'un montant égal aux deux-tiers de la différence, si elle est positive, entre le produit de la cotisation foncière des entreprises perçu en 2021 et celui perçu en 2020 par chaque établissement public territorial et d'autre part, le produit de la cotisation foncière des entreprises perçue en 2021 est majoré du montant du prélèvement sur recettes prévu au 3 du A du III de l'article 29 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

Le Conseil d'État estime que ces dispositions sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 et que, partant, leur critique soulève une question présentant un caractère sérieux justifiant la transmission de la QPC soulevée de ce chef.

(7 juillet 2022, Établissement public territorial Paris Est Marne et Bois, n° 463180)

 

270 - Contribution au redressement des finances publiques - Détermination - Cas où une intercommunalité intègre une commune nouvelle issue d’une fusion des communes constituant alors une communauté de communes - Minoration de la dotation d’intercommunalité servie à l’ancienne communautés de communes - QPC - Rejet.

(18 juillet 2022, Communauté de communes de Puisaye-Forterre, n° 460810 et n° 460811)

V. n° 34

 

271 - Demande de transmission d’une QPC - Question identique à celle déjà renvoyée au Conseil constitutionnel et en cours d’examen - Absence de transmission.

Il résulte des dispositions de l’art. R. 771-18 du CJA, qu’une QPC peut n’être pas transmise au Conseil constitutionnel lorsqu’elle est identique à une autre déjà transmise et en cours d’examen.

(18 juillet 2022, Commune de Montreuil, n° 463199)

(272) V. aussi, identique : 18 juillet 2022, Commune de Gennevilliers, n° 464560.

 

273 - Article L. 521-3-1 du code de la consommation - Site internet et application mensongers sur la nature et le contrôle des produits vendus - Injonction de cesser non respectée - Déréférencement ordonné à plusieurs sociétés de moteurs de recherche sur le fondement de cette disposition - Proportionnalité des atteintes portées par ces sanctions à diverses libertés - Transmission d’une QPC.

La société requérante, société de droit américain qui exploite une place de marché numérique constituée du site internet « wish.com » et d'une application mobile de vente en ligne sous l'appellation commerciale « Wish », n’a pas déféré à la décision du service de la répression des fraudes lui enjoignant, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 521-3-1 du code de la consommation, de cesser de tromper le consommateur sur la nature des produits vendus, sur les risques inhérents à leur utilisation et sur les contrôles effectués.

En conséquence, ce service a enjoint aux sociétés Google Ireland Ltd, Qwant SAS, Microsoft Corporation et Apple Inc. de procéder au déréférencement de l'adresse du site « wish.com » et de l'application « Wish » de leurs moteurs de recherche et magasins d'applications respectifs.

La requérante a, notamment, soulevé une QPC fondée sur ce que les dispositions du a) du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation ici applicables porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'expression et de communication, garanties par les articles 4 et 11 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil d’État - rejetant l’argument du ministre de l’économie et des finances soutenant que cette disposition se borne à tirer les conséquences nécessaires des dispositions de l'article 9 du règlement du 12 décembre 2017 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l'application de la législation en matière de protection des consommateurs et des dispositions de l'article 14 du règlement du 20 juin 2019 sur la surveillance du marché et la conformité des produits - y aperçoit une question de caractère sérieux et la transmet au Conseil constitutionnel.

(22 juillet 2022, Société ContextLogic Inc., n° 459960)

 

274 - Fichier national des empreintes génétiques et service central de préservation des prélèvements biologiques (FNAEG) - Conservation des empreintes durant un délai incompressible - Fixation de ce délai par le pouvoir réglementaire - Absence de caractère sérieux de la QPC soulevée - Refus de transmission - Rejet.

L’organisation requérante, dans le cadre d’une demande d’annulation du décret du 29 octobre 2021 modifiant le code de procédure pénale, relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques et au service central de préservation des prélèvements biologiques, soulevait une QPC à propos des dispositions de l’art. 706-54-1 du code de procédure pénale (CPP) interdisant aux personnes mentionnées au premier alinéa de l'article 706-54 du même code de demander l'effacement de leurs empreintes génétiques avant l'expiration d'un délai fixé par décret.

La transmission de la QPC est refusée car l’inscription au fichier litigieux est nécessaire à la recherche des auteurs des crimes ou délits visés par le CPP et l’impossibilité d’effacer leurs empreintes génétiques pendant une durée longue incompressible ne porte pas, dans son principe, eu égard à l'objet du fichier, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Par ailleurs le renvoi au pouvoir réglementaire de la fixation d’un tel délai sous le contrôle du juge administratif ne prive pas les personnes concernées de la garantie légale du droit au respect de leur vie privé.

Enfin, il n’y avait pas lieu de prévoir des durées incompressibles différentes selon les situations des personnes concernées.

Il n’est pas interdit de ne pas être convaincu par ce raisonnement bien latitudinaire en faveur du pouvoir exécutif.

(22 juillet 2022, Ligue des droits de l’homme, n° 459967)

 

275 - Établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre - Dotation globale de fonctionnement (DGF) -  Composante de cette dotation - Dotation d’intercommunalité attribuée individuellement -  III de l’article L. 5211-28 du CGCT - Atteinte aux principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques, de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales - Rejet de la demande de transmission de la QPC.

(22 juillet 2022, Communauté de communes Chinon Vienne et Loire, n° 464270)

V. n° 38

 

276 - Fusion entre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - EPCI en situations différentes au regard de leurs régimes fiscaux de fiscalité professionnelle - EPCI soumis au régime fiscal de la fiscalité professionnelle unique et EPCI soumis au régime de la fiscalité additionnelle - Compensation de la suppression de la taxe d’habitation - Mécanisme dit de « débasage / rebasage » de la part communale du taux de taxe d'habitation - Versement d'attributions de compensation aux communes concernées par l'ancien EPCI à fiscalité additionnelle (V. de l’art. 1609 nonies C du CGI) - Atteinte au principe constitutionnel principe d'égalité devant la loi - Question présentant un caractère sérieux - Transmission d’une QPC.

(22 juillet 2022, Communauté d'agglomération Vienne Condrieu Agglomération, n° 464934)

V. n° 39

 

277 - Produits distribués par une société par prélèvement sur des sommes non soumises à impôt au taux normal - Obligation de versement d’un précompte jusqu’en 2004 (1. de l’art. 223 sexies du CGI) - Redistribution par une société mère établie en France, de dividendes en provenance de filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne - Jurisprudence de la CJUE excluant l’obligation du précompte - Question sérieuse - Transmission d’une QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de savoir si les dispositions des trois premiers alinéas du 1 de l'article 223 sexies du CGI, dans leur version issue de la loi de finances pour 2000, portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 dans la mesure où, avant la suppression du précompte par la loi de finances pour 2004, une société mère établie en France procédant à la redistribution de dividendes en provenance de filiales établies dans d'autres États  membres de l'Union européenne n'était pas redevable, par application du droit de l'Union tel qu'interprété par la CJUE (12 mai 2022, Schneider Electric SE et autres, aff.C-556/20), du précompte au titre de cette même redistribution, alors qu'elle était redevable de cet impôt à raison des redistributions de dividendes en provenance de filiales établies en France ou dans des États  non membres de l'Union européenne.

(25 juillet 2022, Société européenne Schneider Electric SE et sociétés anonymes Axa, Engie et Orange, n° 442224)

 

278 - Courtiers d’assurance ou de réassurance - Intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement - Obligation d’adhésion à une association professionnelle - Discrimination par rapport à la situation d’autres professionnels - Libertés syndicale, d’entreprendre et d’association - Principe d’égalité devant la loi - Principes d’indépendance et d’impartialité - Question présentant un caractère sérieux - Transmission d’une QPC.

Sont jugées présenter un caractère sérieux et justifier un renvoi au Conseil constitutionnel les questions suivantes soulevées par l’association requérante.

1°/ En imposant aux courtiers d'assurance ou de réassurance ainsi qu'aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement ainsi qu'à leurs mandataires respectifs d'adhérer à une association professionnelle agréée, les dispositions des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier méconnaissent la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration de 1789, la liberté syndicale et la liberté d'association.

2°/ En imposant à ces professionnels d'adhérer à une association professionnelle agréée alors que, d'une part, elles ne prévoient qu'une simple faculté d'adhésion pour ces mêmes personnes lorsqu'elles exercent en France au titre de la libre prestation de services ou de la liberté d'établissement et que, d'autre part, elles dispensent de cette obligation d'adhésion, d'un côté, les établissements de crédit et sociétés de financement, les sociétés de gestion de portefeuille et les entreprises d'investissement et les agents généraux d'assurance ainsi que leurs mandataires respectifs, lorsque ces personnes exercent le courtage d'assurance à titre de mandataire d'intermédiaire d'assurance et, de l'autre, les mandataires exclusifs en opérations de banque et en services qui exercent l'intermédiation et les intermédiaires enregistrés sur le registre d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, les dispositions des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789.

3°/ Les dispositions des art. L. 513-6 du code des assurances et L. 519-14 du code monétaire et financier méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité garantis par l'article 16 de la Déclaration des de 1789 en ce qu'elles permettent à certains adhérents des associations professionnelles agréées de prononcer des sanctions à l'égard de leurs pairs et en ce qu'elles ne garantissent pas la séparation organique ou fonctionnelle des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement, lorsque ces associations infligent une sanction à leurs membres.

4°/ Ces mêmes dispositions, en conférant aux associations professionnelles agréées un pouvoir de sanction identique à celui détenu par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, méconnaissent le principe non bis in idem et le principe de légalité des délits et des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789.

(25 juillet 2022, Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP), n° 464217)

 

279 - Vétérinaires - Sanction disciplinaire assortie d’un sursis - Nouvelle sanction dans les cinq ans de la première devenue définitive - Application cumulée de la première et de la seconde sanction - Principe d’individualisation des peines - Transmission d’une QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de savoir  si les  dispositions du III de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime, en tant qu'elles prévoient que le prononcé d'une nouvelle sanction de suspension temporaire du droit d'exercer la profession de vétérinaire au cours du délai d'épreuve de cinq ans emporte révocation du sursis à l'exécution de la première sanction de suspension temporaire du droit d'exercer cette profession, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

(26 juillet 2022, M. B., n° 461090)

 

280 - Experts-comptables - Juridictions disciplinaires - Absence de séparation entre les fonctions d’accusation, d’instruction et de jugement - Caractère sérieux de la question - Transmission d’une QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité des dispositions des art. 49 et 50 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables, dans leur rédaction antérieure à leur modification par l'article 13 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, aux droits et libertés que garantit la Constitution, spécialement au regard du principe de séparation entre les fonctions d'accusation, d'instruction et de jugement. 

(27 juillet 2022, M. D., n° 440070)

 

281 - Vétérinaire - Infliction d’une sanction - Saisine du juge des référés d’une QPC et d’une demande de suspension - Pouvoirs du juge des référés en ce cas - Attente de la réponse du Conseil constitutionnel et décision immédiate de suspension au vu de la réunion des conditions requises à cet effet.

Le juge des référés était saisi à la fois d’une QPC et d’une demande de suspension au titre de l’art. L. 521-1 du CJA, par un vétérinaire faisant l’objet d’une mesure d’interdiction d’exercer sa profession du 1er juillet 2022 au 30 avril 2023.

En ce cas, il lui appartient, le cas échéant, de transmettre la QPC s’il la juge fondée ; cependant, en vertu d’une jurisprudence bien établie, il peut, s'il estime remplies les conditions posées par l'art.  L. 521-1 du CJA, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel étant déjà saisi d’une QPC identique qui lui a été renvoyée par le Conseil d’État, il y a lieu pour le juge des référés de décider s’il convient pour lui d’attendre la réponse à cette question ou s’il doit, estimant réunies les conditions nécessaires à cet effet, se prononcer immédiatement sur la demande en référé dont il est saisi.

Examinant les faits, le juge constate en premier lieu qu’est établie l’urgence à statuer, l’interdiction d’exercice de sa profession faite au requérant, qui prend effet au 1er juillet 2022, constituant sa seule source de revenus et cette interdiction devant durer dix mois et, en second lieu, qu’un doute sérieux existe quant à la juridicité des dispositions du III de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime dont il a été fait application au requérant.

Il ordonne en conséquence la suspension de la décision litigieuse du Conseil national de l’ordre des vétérinaires jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été renvoyée à propos de cette disposition.

(ord. réf. 27 juillet 2022, M. B., n° 464980)

 

282 - Article L. 1111-11 du code de la santé publique - Pouvoir du médecin de passer outre, en certains cas, aux directives anticipées de poursuite de soins et de traitements - Atteinte à divers droits et libertés - Transmission d'une QPC.

Revêt un caractère sérieux et est nouvelle la question de savoir si les dispositions de l'art. L. 1111-11 du code de la santé publique, en tant qu'elles prévoient que des directives anticipées de poursuite des soins et traitements ne s'imposent pas au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement dans le cas où ces directives « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale », conduisant alors à mettre fin à la vie du patient contre sa volonté, méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que la liberté de conscience et la liberté personnelle, garanties par le Préambule de la Constitution et les articles 1, 2, 4 et 10 de la Déclaration de 1789.

Les demanderesses soutenaient également qu'en tout état de cause la possibilité d'écarter des directives anticipées dans une telle hypothèse de refus d'arrêt des soins et traitements prodigués n'est pas suffisamment encadrée, l'expression « manifestement inappropriées » étant imprécise, aucun délai de réflexion n'étant ménagé et la décision étant prise non de manière collégiale mais par le seul médecin en charge du patient.

(form. coll., 19 août 2022, Mmes D., n° 466082)

 

Responsabilité

 

284 - Lésion imputable à un tiers – Droit à réparation du préjudice - Préjudice non réparé par le code de la sécurité sociale – Droit d’une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) au remboursement de ses débours – Mise en jeu erronée de la responsabilité d’un centre hospitalier – Rejet d’une demande de réparation au titre de l’incidence professionnelle – Erreur de droit – Annulation.

Le Conseil d’État statue sur deux pourvois, qu’il a joints, dirigés contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles.

Blessé à la suite d’un accident de la circulation, M. B., atteint d’une fracture fermée du tiers proximal du fémur droit, a, à l’issue de l’intervention réalisée dans un centre hospitalier, été victime d’un syndrome des loges de la jambe gauche.

Le tribunal administratif saisi a mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) une certaine somme et rejeté, d’une part, les conclusions de la CPAM et celles du Centre hospitalier.

Sur appel de l’ONIAM, la cour administrative d’appel a mis l’indemnisation de la victime à la charge du Centre hospitalier qu’elle a condamné à verser à M. B. une fraction de l’indemnisation allouée en première instance tandis qu’une autre fraction devait être versée à la CPAM au titre de ses débours et au titre des arrérages de pension d'invalidité, et une autre fraction devant être versée par la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF) échus au 1er octobre 2017 ainsi que le remboursement des arrérages de pension postérieurs à cette date.

Le Conseil d’État a été saisi de deux pourvois, l’un du Centre hospitalier et l’autre de la victime.

Le pourvoi du Centre hospitalier était dirigé contre cet arrêt en tant qu'il statue sur les demandes de la CPAM du Val d'Oise tendant au remboursement des prestations servies par celle-ci à M. B.

Le pourvoi du Centre hospitalier est admis car, estime le juge de cassation, la CPAM du Val d'Oise ayant demandé devant les juges du fond le versement d'une somme au titre du remboursement de ses débours, la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que l'ensemble des dépenses qui composent cette somme étaient imputables au syndrome des loges de la jambe gauche et devaient donc être mises à la charge du Centre hospitalier alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du rapport d'expertise, que la blessure de M. B. justifiait à elle seule, compte tenu de sa gravité et indépendamment de la faute commise par le Centre hospitalier durant l'intervention chirurgicale, une prise en charge hospitalière, des soins médicaux et un arrêt de travail. 

Le pourvoi de la victime est lui aussi admis car la cour, pour rejeter ses conclusions qui tendaient, en réparation du préjudice subi, à obtenir le versement d'une indemnité au titre de l'incidence professionnelle, a retenu – commettant ainsi une erreur de droit - que le demandeur n'était pas dans l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle à la date de consolidation de son état, alors qu'une telle circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à priver la victime d'un droit à indemnisation au titre de ce chef de préjudice.

(1er juillet 2022, Centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger, n° 442802 ; M. B., n° 442951)

 

285 - Principe de réparation intégrale du préjudice - Plafonnement par la loi de l’indemnisation des pertes et avaries subies lors d'une prestation de service postal - Disposition dérogeant au droit commun de la responsabilité civile - Réponse en ce sens à la question préjudicielle.

Un tribunal de commerce a renvoyé à un tribunal administratif la question de la légalité de l'article R. 2-2 du code des postes et des communications électroniques, pris pour l'application des articles L. 7 et L. 8 de ce code et relatif au régime de responsabilité applicable aux prestataires de services postaux, au regard du principe de réparation intégrale du préjudice. Ce tribunal a transmis cette question au Conseil d’État.

Celui-ci rappelle tout d’abord un principe constant de procédure régissant les renvois préjudiciels et selon lequel la juridiction administrative doit limiter son examen à la question qui lui est renvoyée par la juridiction judiciaire et ne peut connaître d'aucune autre question ou d’un autre moyen, fût-il d'ordre public, que ceux énumérés par la juridiction qui pose la question, sauf si cette dernière n’a pas limité la portée de la question posée. Ce rappel conduit ici à rejeter un moyen que la demanderesse avait « ajouté » à la question renvoyée.

Au fond, le juge relève que l’article cause du renvoi préjudiciel, l’art. R.2-2 du code des postes, a été pris en exécution et pour l’application d’articles de ce même code, qui sont de nature législative (art. L. 7 et L. 8), lesquels, tout en faisant référence aux dispositions du Code civil relatives à la réparation intégrale du préjudice (dit aussi restitutio in integrum), y dérogent expressément (ou de façon contradictoire) en instituant un plafonnement de l'indemnisation des pertes et avaries subies lors d'une prestation de service postal. Ce principe ne peut donc être invoqué à l’encontre du texte en débat devant la juridiction de l’ordre judiciaire saisie.

En réalité, il appartenait à l’intéressé soit de soulever devant le juge consulaire une question prioritaire de constitutionnalité à transmettre au Conseil constitutionnel soit d’y invoquer l’inconventionnalité d’une disposition législative extravagante aussi bien au regard des conventions internationales (charte européenne des droits fondamentaux, convention EDH par exemple) qu’à celui de la jurisprudence internationale (cf. CPJI, 13  septembre 1928, Usine de Chorzow, Allemagne c/ Pologne (fond), p. 27; CPA, 24/27 juillet 1956, France c/ Grèce ou affaire des Concessions des phares de l’empire ottoman, Nations Unies, Recueil, vol. XII, p. 155 et suiv. J.)

(21 juillet 2022, Société Loureyl, n° 459550)

 

286 - Compétence juridictionnelle - Offre adressée par l’assureur d’un établissement public - Remboursement à un tiers payeur des prestations faisant l’objet d’une déduction du montant de cette offre - Obligation de réparer pesant sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance le liant à l’établissement public - Nature juridique de ce contrat - Contrat administratif - Compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

(21 juillet 2022, Hospices civils de Lyon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n° 449789)

V. n° C68

 

287 - Militaire de carrière - Sapeur-pompier volontaire blessé au cours d’un exercice organisé par le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Demande de réparation des préjudices subis - Demande devant être dirigée contre le SDIS non contre l’État - Rejet.

Militaire de carrière, le requérant était aussi sapeur-pompier volontaire. C’est en cette dernière qualité qu’il a été accidenté au cours d’un exercice organisé par le SDIS. À la suite de cet accident, il a été placé par le ministère de la défense en congé de maladie imputable au service puis en congé de longue maladie, et une pension militaire d'invalidité au taux de 20% lui a été concédée. M. B. a demandé au tribunal administratif de condamner l'État à réparer les préjudices qu'il a subis à la suite de cet accident. Le tribunal administratif a condamné l'État à lui verser une certaine et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d'appel ayant annulé ce jugement et rejeté sa demande de première instance ainsi que son appel incident, M. B. se pourvoit contre cet arrêt.

Aux termes de l’art. 1-5 de la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers et des art. 1er et 19 de la loi du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service,  la réparation à laquelle les sapeurs-pompiers volontaires victimes d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle peuvent prétendre de la part de la collectivité publique qui est leur employeur, au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par cet accident ou cette maladie, est déterminée forfaitairement.

Le sapeur-pompier volontaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, peut soit obtenir de la personne publique auprès de laquelle il est engagé en tant que sapeur-pompier volontaire, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, soit engager contre cette personne publique une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

Si, en l’espèce, M. B. avait la possibilité d'obtenir, sur le fondement de la responsabilité sans faute, la réparation, d’une part, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux couverts par la pension militaire d'invalidité qui lui a été concédée et, d’autre part, de ses préjudices personnels, son action en responsabilité devait être dirigée contre la personne publique auprès de laquelle il était engagé en tant que sapeur-pompier volontaire lors de la survenance de l'accident en litige. Cette personne publique ne pouvait être l’État, alors même qu'il bénéficiait du régime d'indemnisation fixé par les dispositions statutaires qui régissent les militaires, pour lequel il avait opté sur le fondement des dispositions précitées de l'article 19 de la loi du 31 décembre 1991, et percevait à ce titre des prestations versées par l'État, son employeur en sa qualité de militaire. Il ne pouvait donc diriger son action indemnitaire que contre le SDIS ainsi que l’a jugé, sans erreur de droit, la cour administrative d’appel.

(27 juillet 2022, M. B., n° 451756)

 

288 - Dommages causés aux élèves ou par les élèves de l’enseignement public (loi du 5 avril 1937) ou de l’enseignement privé sous contrat (art. 10 du décret du 22 avril 1960) - Régime de substitution de la responsabilité de l’État à l’enseignant - Polynésie française - Abrogation de l’art. 10 du 22 avril 1960 par l’art. 15 du décret du 14 mars 2008 - Maintien du principe de substitution de la responsabilité de l’État à celle des enseignants - Réponse en ce sens à la question préjudicielle.

Lorsqu’un dommage est causé à un élève ou par un élève de l’enseignement, la responsabilité de l’État est substituée à celle des enseignants soit en vertu de la loi du 5 avril 1937 pour l’enseignement public soit en vertu de l’art. 10 du décret du 22 avril 1960 pour l’enseignement privé sous contrat d’association.

Toutefois, en Polynésie française, l’art. 10 précité a été abrogé par l’art. 15 du décret du 14 mars 2008 relatif aux dispositions réglementaires du livre IV du code de l'éducation.

Lors d’une sortie scolaire d’enfants d’une école privée sous contrat d’association, un accident a laissé l’un d’eux tétraplégique. L’enseignante qui les accompagnait a été condamnée en première instance à verser une importante provision et une certaine somme tant à l’assureur qu’à la victime. L’assureur et l’enseignante ont interjeté appel de ce jugement et la cour d’appel de Papeete, par un arrêt avant dire droit du 28 octobre 2021, a renvoyé au Conseil d'État la question préjudicielle de la légalité, et le cas échéant de la portée, pour la Polynésie française, de l'abrogation par le décret du 14 mars 2008 relatif aux dispositions réglementaires du livre IV du code de l'éducation, des dispositions de l'article 10 du décret du 22 avril 1960 relatif au contrat d'association à l'enseignement public passé par les établissements d'enseignement privés qui substituent la responsabilité de l'État à celle des enseignants des établissements privés du second degré sous contrat d'association avec l'État, en matière d'accidents scolaires.

Le Conseil contourne habilement l’obstacle de l’abrogation, sans doute malencontreuse, du dispositif de 1960.

Il répond d’abord à la cour que décret de 1960 a été rendu applicable en Polynésie aux établissements secondaires privés sous contrat par l’art. 1er du décret du 2 juillet 1975.

Puis il relève que, parallèlement à l’abrogation de 2008, le principe de substitution de la responsabilité de l’État à celle des enseignants, pour les établissements sous contrat d'association, a été codifié à l'article R. 442-40 du code de l'éducation.

Enfin, l'article 2 du décret du 14 mars 2008, dans sa version applicable en l'espèce, prévoyant que : « Les références contenues dans les dispositions de nature réglementaire à des dispositions abrogées par l'article 15 du présent décret sont remplacées par les références aux dispositions correspondantes du code de l'éducation », il s’ensuit qu'à compter de la date de l'entrée en vigueur de ces dispositions, l'article 1er du décret du 2 juillet 1975 rendant applicable en Polynésie française le décret du 22 avril 1960, devait être lu, en tant qu'il était relatif à l'article 10 de ce décret, comme se référant à l'article R. 442-40 du code de l'éducation. Le décret du 30 décembre 2021 portant actualisation et adaptation des dispositions du code de l'éducation relatives à l'outre-mer, qui a abrogé l'article 1er du décret du 2 juillet 1975, a introduit dans le code de l'éducation, à son article R. 496-1, des dispositions qui rendent désormais directement applicables en Polynésie française l'article R. 442-40 du même code.

Ainsi, malgré l’abrogation de 2008 et grâce au talent d’acrobate du Conseil d’État, le principe de substitution de la responsabilité de l’État à celle des enseignants de l’enseignement privé sous contrat d’association est demeuré applicable en Polynésie française.

(27 juillet 2022, Société Allianz et Église protestante Maohi, n° 458607)

 

289 – Action en responsabilité - Demande expertise - Appréciation de l’utilité de la mesure - Absence manifeste d’un des éléments indispensables pour engager la responsabilité d’une personne publique - Annulation et rejet.

Il est jugé ici que « L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective, d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. À ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste, en l'état de l'instruction, de fait générateur, de préjudice ou de lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur. »

Cette décision, tout en reprenant, pour l’essentiel, une jurisprudence antérieure (14 février 2017, Mme Bernard, n° 401514, sur la responsabilité de l’État à raison de défectuosités d’implants mammaires) en amplifie et précise la portée sur ce point. Tout d’abord, alors que ce précédent portait sur l’allégation d’une responsabilité fondée sur la faute, ici il en est fait application à un cas de responsabilité non fautive. Ensuite, la décision de 2022 ajoute cette précision supplémentaire que la solution retenue est également applicable en cas d’absence de fait générateur ou de préjudice.

Par ailleurs, la décision de 2017 avait précisé également qu’était irrecevable une demande fondée sur cette même disposition du CJA lorsqu’« elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription ; »

(27 juillet 22022, Mme D., n° 459159)

 

290 - Responsabilité hospitalière du fait des conditions de la naissance d’un enfant - Demande d’expertise en vue d’évaluer divers préjudices - Extension en appel de la mission de l’expert définie en première instance - Appréciation de son caractère utile (art. R. 532-1 CJA) - Réponse positive pour des éléments révélés postérieurement à la date de la première expertise - Annulation.

M. C. est atteint de troubles cognitifs, psychologiques et physiques dus à sa prise en charge au centre hospitalier de Voiron, lors de sa naissance en 1994.

Le tribunal administratif a, par un jugement du 15 décembre 2015, condamné ce centre hospitalier et la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser une certaine somme en réparation de divers préjudices, à la seule réserve des frais d'assistance par une tierce personne au-delà des quatre ans suivant la consolidation de son état de santé.

En 2019, la victime et ses parents ont demandé au juge des référés du même tribunal d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du CJA, une nouvelle expertise en vue d'évaluer non seulement ce besoin d'assistance par une tierce personne, mais également le préjudice professionnel et le préjudice sexuel de M. C. au motif que l'expertise réalisée en 2015 ne s'était pas prononcée sur ces préjudices et qu'ils n'en avaient pas demandé réparation dans l'instance ayant conduit au jugement du 15 décembre 2015.

Par ordonnance du 22 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif n'a que partiellement fait droit à leur demande, en prescrivant une expertise aux seules fins d'évaluer le besoin d'assistance par une tierce personne.

Le juge des référés de la cour administrative d'appel a, par une ordonnance du 12 novembre 2020, rendue sur appel de M. C. et de ses parents, réformé l'ordonnance du 22 juin 2020 et étendu la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices professionnel et sexuel allégués.

Le centre hospitalier de Voiron et son assureur se pourvoient en cassation contre l'ordonnance du 12 novembre 2020.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord deux choses très importantes d’ordre procédural concernant les demandes d’expertise puis les réclamations en réparation de préjudices.

1°/ Le juge indique les conditions et les limites de la mise en œuvre du référé « mesures utiles » : « (…) l'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui sont irrecevables. » 

2°/ Le juge apporte d’intéressantes indications, même si non nouvelles, quant au régime contentieux de la décision rejetant une réclamation en vue de la réparation des conséquences dommageables d'un fait imputé à une personne publique.

Cette demande lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.

Il suit de là, positivement, que la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

Il suit de là, négativement, que si, après l'expiration de ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable même dans le cas où ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur.

Toutefois, il existe à cette irrecevabilité de principe une exception de bon sens dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

Ensuite, revenant au cas de l’espèce et recevant les auteurs du pourvoi en leur demande, le juge procède à l’annulation de l’ordonnance rendue en appel portant extension de la mission expertale. Il estime que c’est au prix d’une erreur de droit que le juge des référés a cru pouvoir juger que l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif du 15 décembre 2015 ayant condamné le centre hospitalier à indemniser M. C. ne pouvait pas être opposée à une demande postérieure tendant à l'indemnisation de ces deux chefs de préjudices, faute d'identité d'objet.

Or, ce juge ne pouvait considérer cette nouvelle demande indemnitaire comme recevable en se fondant sur la seule circonstance qu'elle portait sur des chefs de préjudice invoqués pour la première fois, alors que, comme on vient de l’indiquer, la victime n'est recevable à demander, après l'expiration du délai de recours contre le rejet de sa réclamation préalable, l'indemnisation de nouveaux dommages nés du même fait générateur, que s'ils sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. D’où la cassation de l’ordonnance d’appel qui est ici prononcée.

Enfin, réglant l’affaire au fond (cf. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État relève qu’il ressort tant des écritures des parties que des termes du rapport d'expertise remis en 2015, que le préjudice professionnel et le préjudice sexuel invoqués par M. C. et ses parents à l'appui de leur nouvelle demande d'indemnisation en 2019, alors que l'intéressé était âgé de 21 ans, ne pouvaient être regardés comme ayant été révélés dans toute leur ampleur à la date à laquelle M. C. avait déposé sa première réclamation préalable dans l'instance qui a conduit au jugement avant dire droit du 21 octobre 2011 et au jugement du 15 décembre 2015 du tribunal administratif. La demande d'expertise portant sur ces chefs de préjudice revêt dès lors, en l'état de l'instruction, un caractère utile car elle se situe pleinement dans le cadre de l’exception ci-dessus rappelée au principe d’irrecevabilité des conclusions indemnitaires tardives.

En conséquence, est ordonnée la réformation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif en tant qu’elle a rejeté leur demande d'expertise portant sur l'évaluation du préjudice sexuel et du préjudice professionnel de M. C.

(21 juillet 2022, Centre hospitalier de Voiron et Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 446965)

 

291 - Dommages causés à des cultures par des sangliers provenant d’un centre pénitentiaire - Absence de clôture séparant ce centre de l’exploitation agricole mitoyenne - Absence de carence fautive de l’État - Erreur de qualification juridique - Annulation et renvoi.

Le centre pénitentiaire de Casabianda est un centre « ouvert » qui dispose, notamment, d’une réserve de chasse où se trouvent des sangliers. À diverses reprises depuis 2005 l’attention des responsables a été attirée par le propriétaire d’un domaine agricole mitoyen sur les dégâts causés à ses cultures par le passage de ces turbulents mammifères. Les mesures prises s’étant révélées efficaces, celle promises n’ayant pas été réalisées et les indemnisations forfaitaires étant insuffisantes - ce qui n’est pas contesté par l’État défendeur -, la société requérante a demandé réparation en s’adressant au juge. Si le tribunal administratif a accueilli favorablement sa demande, sur appel du ministre de la justice, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la demande d’indemnisation.

Pour ce juger, la cour a retenu que si l’administration pénitentiaire n’avait pas édifié la clôture promise, elle n'avait cependant pas fait preuve de carence fautive dans la mise en œuvre des mesures qui lui incombaient en organisant des battues et que, si les acteurs locaux et les experts s'accordaient à reconnaître que l'implantation d'une clôture de protection était la seule mesure permettant de réduire l'intrusion des sangliers sur l'exploitation de la société, l'administration ne s'y était pas opposée.

Alors au surplus que l’administration ne contestait ni l’insuffisance des indemnisations allouées ni l’absence de faute de la part de la victime, la cour a commis une erreur de qualification juridique.

(29 juillet 2022, Société Finucchiola, n° 444623)

 

Santé publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

292 - Recommandation temporaire d'utilisation (RTU) ou prescription compassionnelle d'un médicament en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM) - Extension de la préconisation pour le traitement de la maladie de Covid-19 - Refus de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) d'élaborer une telle recommandation - Rejet.

Le laboratoire Sanofi commercialise le sulfate d'hydroxychloroquine sous le nom de marque de Plaquenil, depuis 2004, pour diverses indications thérapeutiques. M. B.  a demandé le 3 août 2020, au directeur général de l'ANSM de sécuriser l'usage du Plaquenil en dehors de son autorisation de mise sur le marché dans l'indication du traitement de la maladie de Covid-19 en établissant une recommandation temporaire d'utilisation de cette spécialité pharmaceutique (RTU). Par une décision du 21 octobre 2020, le directeur général de l'ANSM a estimé que les conditions d'élaboration d'une telle recommandation temporaire d'utilisation n'étaient pas réunies car un rapport favorable ne peut être présumé, en l'état des données disponibles, entre les bénéfices et les risques de l'hydroxychloroquine, seule ou en association avec l'azithromycine, en traitement ou en prévention de la maladie de Covid-19.

M. B. demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de refus. 

Le recours est rejeté.

Le juge relève que la recommandation temporaire d'utilisation (RTU), devenue prescription compassionnelle, est, en vertu des dispositions du I. de l'art. L. 5121-12-1 du code de la anté publique, une procédure dont l'objet, limité à une durée de trois ans, est de permettre la prescription d'une spécialité non conforme à son AMM en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une RTU établie par l'ANSM sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation.

Ce n'est qu'après obtention d'une telle RTU, que la spécialité peut faire l'objet d'une prescription dans l'indication ou les conditions d'utilisations correspondantes dès lors que le prescripteur juge qu'elle répond aux besoins du patient.

A cet égard, la circonstance qu'il existe par ailleurs une spécialité ayant fait l'objet, dans cette même indication, d'une AMM, dès lors qu'elle ne répondrait pas moins aux besoins du patient, ne fait pas obstacle à une telle prescription.

Le juge rappelle que l'autorisation donnée par l'ANSM à la demande de RTU d'un médicament en dehors de son AMM doit être fondée sur ce que l'accès compassionnel ne peut être autorisé que s'il est présumé un rapport favorable entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus de l'utilisation de la spécialité en cause hors de son AMM dans l'indication envisagée, apprécié au regard des connaissances scientifiques disponibles et des informations obtenues, le cas échéant, auprès du titulaire ou de l'exploitant de l'AMM ainsi que des organismes susceptibles de signaler à l'agence des prescriptions d'une spécialité en dehors de son autorisation de mise sur le marché.

Au cas de l'espèce, en premier lieu, la conclusion selon laquelle l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité de l'hydroxychloroquine dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19 ne permet pas de présumer un rapport favorable entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus résulte d'une analyse, s'agissant du bénéfice, des résultats de nombreuses publications portant sur des études observationnelles et des essais aléatoires ainsi que du rapport du Haut conseil de la santé publique du 23 juillet 2020 relatif à l'actualisation de la prise en charge des patients atteints de Covid-19 et, s'agissant des risques, des données issues du résumé des caractéristiques du produit du Plaquenil et de la pharmacovigilance.

Cette analyse n'est entachée d'aucune illégalité au motif qu'en auraient été écartées certaines données compte tenu de leurs limites méthodologiques et de leur faible niveau de preuve non plus que d'une erreur manifeste d'appréciation.

En second lieu, le Haut conseil de la santé publique (avis du 23 juillet 2020) a constaté que les études, trop sommaires au plan méthodologique, sur l'hydroxychloroquine, associée ou non à l'azithromycine, ne permettaient pas de se prononcer sur l'intérêt de cette spécialité dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19 tandis que l'ANSM a fondé sa décision sur les premiers résultats d'essais contrôlés aléatoires qui n'étaient pas en faveur de l'utilisation de l'hydroxychloroquine.

Ainsi, aucun élément nouveau en sens contraire n'ayant été fourni, et alors même que les risques associés à l'hydroxychloroquine peuvent être réduits par une durée de traitement inférieure à celle correspondant aux indications de l'AMM du Plaquenil et par une prise en charge adaptée, l'appréciation selon laquelle un rapport favorable ne peut être présumé entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus par l'usage de l'hydroxychloroquine dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19 n'est pas manifestement erronée.

C'est donc sans illégalité que la décision litigieuse a estimé que les conditions d'élaboration d'un cadre de prescription compassionnel ne sont pas remplies et qu'elle a, en conséquence, refusé de l'établir.

(4 juillet 2022, M. B., n° 445932)

 

293 - Inscription d'un médicament sur la liste des spécialités remboursables - Évaluation du service médical rendu - Prix fabricant estimé non justifié - Recours à une méthode comparative - Critères retenus - Annulation partielle.

Les requérantes  recherchaient l'annulation de la décision du 6 septembre 2021 du ministre de la santé et du ministre de l'économie rejetant leur demande d'inscription de la spécialité pharmaceutique Sialanar 320 mcg/ml, solution buvable, sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale. Elles réclamaient aussi qu'injonction soit aux ministres compétentes d'inscrire cette spécialité sur la liste précitée, au prix fabricant hors taxes de 315 euros par flacon.

Le recours est rejeté et admis en partie.

Le rejet de la demande d'inscription du Sialanar est fondé sur deux motifs : absence d'amélioration du service médical rendu et prix excessif.

S'agissant du service médical rendu, le juge tient pour établi que celui-ci est au mieux moyen.

S'agissant du prix, le juge reproche aux ministres défendeurs, d'une part, de ne pas avoir déterminé sur la base de critères objectifs et vérifiables la méthode de comparaison des prix la plus adaptée aux caractéristiques de la spécialité en cause dès lors qu'ils entendaient comparer deux spécialités, Scopoderm et Salanar, à même visée thérapeutique, quant à leur prix, d'autre part, d'avoir retenu pour évaluer le coût annuel du traitement par Sialanar, et cela sans s'en expliquer, une durée de traitement de huit semaines, un poids moyen de 30 kg et une posologie moyenne de 0,12 mg de bromure de glycopyrronium/kg. Or les ministres non seulement ne justifient pas des raisons les ayant conduit à retenir cette posologie moyenne qui correspond, non à celle prévue par le résumé des caractéristiques du produit accompagnant l'autorisation de mise sur le marché, mais à celle, susceptible d'être plus élevée, observée dans le cadre d'un essai clinique sans lien avec les conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament, mais encore ils ont multiplié cette posologie, exprimée en milligrammes de bromure de glycopyrronium/kg, non par le prix d'un milligramme de bromure de glycopyrronium, soit 3,94 euros, mais par le prix d'un milligramme de glycopyrronium, soit 3,15 euros.

La décision refusant l'inscription du Sialanar sur la liste des spécialités remboursables est ainsi entachée d'illégalité et annulée. Injonction est faite de réexaminer, dans un délai de trois mois, la demande d'inscription sur ladite liste de la spécialité Sialanar, dans l'indication du traitement symptomatique de la sialorrhée sévère chez les enfants âgés de 3 ans et plus et les adolescents atteints de troubles neurologiques chroniques.

(7 juillet 2022, Société par actions simplifiée Centre spécialités pharmaceutiques et société Proveca Pharma Limited, n° 457993)

(294) V. aussi, comparable en tant que le recours est dirigé  en premier lieu contre une décision ministérielle refusant l'inscription de la spécialité Ajovy 225 mg (frémanezumab), solution injectable, dans ses deux présentations en seringue préremplie et en stylo prérempli, sur la liste mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, pour la prophylaxie de la migraine chez les patients adultes atteints de migraine sévère avec au moins huit jours de migraine par mois en échec à au moins deux traitements prophylactiques et sans atteinte cardiovasculaire et qu'en second lieu il tend à voir le juge enjoindre lesdits ministres de procéder à l'inscription sollicitée ou, subsidiairement, de réexaminer la demande d'inscription dans un délai de deux mois, la demande d'inscription de la spécialité Ajovy, dans ses deux présentations, sur la liste mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale pour la prophylaxie de la migraine chez les patients adultes en échec à au moins trois classes de traitements prophylactiques et nécessitant au moins dix jours de traitements spécifiques de la crise ou quinze jours de traitements non spécifiques.

Ici le recours est rejeté tant en raison du service médical moyen rendu par la spécialité en cause révélé par le résultat défavorable de la comparaison établie entre cette spécialité et d'autres d'un niveau équivalent qu'en raison de son prix de vente trop élevé : 7 juillet 2022, Société par actions simplifiée Teva Santé, n° 455301.

 

295 - Inscription d'un médicament sur la liste des spécialités dont la mise sur le marché est autorisée (art. L. 162-22-7 code de la séc. soc.) - Évaluation du service médical rendu - Absence  de comparateur pertinent - Inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités - Annulation d'une décision fondée sur un avis entaché d'erreur manifeste - Absence d'exécution de la décision du Conseil d'État - Intervention d'un nouvel avis en 2021 - Injonction accordant un délai supplémentaire pour prendre une nouvelle décision au vu de cet avis.

La société requérante produit, notamment, la spécialité ADCETRIS, indiquée pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches. Elle en a demandé l'inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale dont la mise sur le marché est autorisée.

Sur son recours, le Conseil d'État (21 octobre 2019, Société Takeda France, n° 419169 ; V. cette Chronique, octobre 2019, n° 106) a annulé la décision du 8 novembre 2017 des ministres de la santé et des comptes publics refusant d'inscrire la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale et a enjoint à ces ministres, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du Conseil d'État, de réexaminer la demande d'inscription de cette spécialité dans cette indication sur cette liste.

Constatant le non-respect de cette injonction, la société requérante a à nouveau saisi le Conseil d'État, le 28 février 2020, à fin d'exécution de la chose jugée par la décision précitée du 21 octobre 2019. Puis, lesdits ministres, ayant par une décision du 20 décembre 2019, réitéré leur refus, la société a saisi le juge le 6 juillet 2020. Enfin, elle l'a encore saisi le 3 septembre 2020, du rejet implicite de son recours gracieux du 17 février 2020 dirigé contre la décision du 20 décembre 2019.

En premier lieu, le Conseil d'État constate que le nouveau refus est fondé sur le même avis que celui déclaré entaché d'erreur manifeste par le juge, d'où il suit qu'en s'appropriant les termes d'un avis manifestement erroné, la décision litigieuse doit être annulée.

En second lieu cependant, il résulte du dossier d'instruction que la commission de la transparence, sollicitée par les ministres en vue de l'exécution de la décision du Conseil d’État statuant au contentieux, a émis un nouvel avis le 21 juillet 2021. Ceci conduit le juge à adresser injonction aux ministres concernés de reprendre, au vu de ce nouvel avis, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, une décision sur la demande d'inscription de la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

(1er août 2022, Société Takeda France, n° 441117 ;  n° 441625 et n° 443675)

(296) V. assez comparable, où le juge avait annulé (31 décembre 2019, Société Sanofi Aventis France, n° 423958 ; V. cette Chronique, décembre 2019, n° 127) deux arrêtés ministériels relatifs, l'un à l'expérimentation pour l'incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques délivrés en ville et l'autre à l'efficience et à la pertinence de la prescription hospitalière de médicaments biologiques délivrés en ville, au motif que lesdits ministres ne peuvent pas, tout d'abord, sans commettre d'erreur de droit, pour définir le champ de l'expérimentation qu'ils autorisent ou déterminer les indicateurs qui fondent l'évaluation des résultats des établissements de santé ouvrant le bénéfice d'une dotation du fonds d'intervention régional, inciter à la prescription de certains médicaments biologiques de préférence à d'autres en utilisant les notions de « médicaments biologiques similaires » ou de « médicaments biosimilaires » dans un sens différent de celui qui résulte des dispositions de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. Ensuite, il avait été jugé que pour prendre des mesures incitatives applicables à des médicaments ayant en tout ou partie les mêmes indications thérapeutiques mais n'appartenant pas au même groupe générique ou au même groupe biologique similaire tels que définis par l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, les ministres doivent préciser les conditions dans lesquelles la prescription d'une spécialité doit, dans une telle situation, être regardée comme plus pertinente et plus efficiente que celle d'une autre. Ici la requérante contestait précisément l'application de ce dispositif à la spécialité Toujeo, qui consiste en un médicament à base d'insuline glargine administrée au moyen d'une solution injectable en stylo pré-rempli dans le traitement du diabète sucré de l'adulte ; se rangeant aux arguments soutenus devant lui et tirés de sa précédente décision,  le juge annule les arrêtés et la relance du 19 avril 2021, les arrêtés du 30 septembre 2021, du 15 décembre 2021 et du 31 mars 2022 : 1er  août 2022, Société Sanofi Aventis France, n° 453036; n° 458873; n° 461677 et n° 464609, jonction.

 

297 - Jeune patiente atteinte d'une encéphalopathie épileptique génétique congénitale - Décision collégiale de refus de l'obstination déraisonnable - Limitation de la prise en charge de l'état de santé de la patiente - Désaccord des proches - Rejet du juge après expertise - Engagement du centre hospitalier de ne reprendre la limitation des soins qu'après décision collégiale communiquée à la famille - Refus d'administrer un certain traitement de caractère risqué pour la patiente - Engagement sur un futur protocole d'accord -  Rejet.

Une patiente de 22 ans est engagée depuis 2012 dans un calvaire physique du fait d'une encéphalopathie épileptique génétique congénitale, pathologie caractérisée par des états de mal épileptique réfractaires et récurrents, difficiles à prévenir et à contrôler, nécessitant des traitements de plus en plus puissants et des intubations trachéales, et qui, en se multipliant, conduisent à un déclin neurologique progressif. Celle-ci est grabataire et totalement dépendante pour les actes de la vie courante en même temps qu'elle manifeste une vigilance et des émotions quand bien même elle n'a qu'une compréhension verbale limitée et n'émet que de rares sons inarticulés. Elle a, depuis dix ans, été hospitalisée à dix-huit reprises, chaque fois pour une dizaine de jours environ.

Lors de la prise en charge de la patiente, entre le 7 novembre et le 28 décembre 2021, le service de réanimation du CHU de Caen Normandie a mis en œuvre la procédure collégiale prévue aux dispositions ad hoc du code de la santé publique. Au vu de la gravité de la pathologie neurologique sous-jacente, dégénérative, incurable et évolutive, du degré de dépendance et de la durée d'hospitalisation de plus de cinq mois depuis le 3 juin 2021, la décision a été prise le 30 novembre 2021, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, de limiter la prise en charge de l'état de santé de cette patiente aux traitements en rapport avec la pathologie neurologique, incluant la protection des voies aériennes avec recours à l'intubation orotrachéale, mais de ne pas augmenter le niveau des soins suppléant les fonctions vitales en cas de survenue d'une complication intercurrente grave. Ainsi, il a été décidé de ne pas initier de support aminergique, de ne pas recourir à l'épuration extra-rénale, de ne pas recourir à une chirurgie en urgence et de ne pas traiter d'arrêt cardiaque. 

Les proches de cette personne, consultés sur ces décisions, ont manifesté leur désaccord et saisi le juge des référés d'un référé liberté qui a été rejeté après que ce juge a ordonné une expertise et au vu des conclusions de celle-ci. Ils interjettent appel de cette ordonnance de rejet.

Le Conseil d'État rejette l'appel en faisant valoir :

- que la décision de limitation de soins du 30 novembre 2021 a cessé de produire tout effet à la sortie de la patiente du service de réanimation le 28 décembre 2021 et qu'aucune autre décision ayant le même objet n'a été prise depuis ;

- que le CHU a pris l'engagement que, dans le cas où la procédure collégiale serait de nouveau mise en œuvre, l'éventuelle décision prise serait, sans délai, remise, sous forme écrite, aux requérants ;

- que la mise en œuvre d'un traitement à base de cannabidiol, réclamé par les proches, pouvait, selon l'expert commis, être tenté mais celui-ci a souligné le caractère risqué de ce traitement qui ne bénéficie ni d'une autorisation de mise sur le marché ni d'une autorisation temporaire d'utilisation ou, désormais, d'accès précoce ou compassionnel pour la pathologie en cause ;

- qu'en tout état de cause ce traitement ne pouvait être mis en œuvre tant que persistera le climat actuel de défiance entre le CHU et la famille, les deux parties s'engageant toutefois à une discussion et une réflexion communes pour améliorer le climat et pouvant déboucher sur un document commun manifestant leur éventuel accord ;

- que l'absence de mise à disposition d'une chambre individuelle ne constituait pas une atteinte grave.

De tout ceci résulte l'absence d'atteinte grave et immédiate qui serait porté à une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. formation collégiale 6 juillet 2022, Mme B., M. E. et M. D., n° 464843)

 

298 – Responsabilité hospitalière - Infection nosocomiale - Conditions d’existence - Erreur de droit - Cassation et renvoi partiels.

Commet une erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel jugeant que les difficultés de cicatrisation d’une patiente ne résultaient pas d’une infection nosocomiale car sa dénutrition sévère l’exposait particulièrement à des difficultés de cicatrisation alors que revêt un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. D’où il suit que contrairement à ce qu’a jugé ici la cour un état initial comportant une exposition particulière à l'infection ne peut être regardé en lui-même comme l'origine de cette infection.

(15 juillet 2022, M. E. et autres, n° 452391)

 

299 - Responsabilité hospitalière du fait des conditions de la naissance d’un enfant - Demande d’expertise en vue d’évaluer divers préjudices - Extension en appel de la mission de l’expert définie en première instance - Appréciation de son caractère utile (art. R. 532-1 CJA) - Réponse positive pour des éléments révélés postérieurement à la date de la première expertise - Annulation.

Des parents et leur fils ont demandé au juge des référés du tribunal administratif d'ordonner une expertise en vue d'évaluer le préjudice professionnel, le besoin d'assistance par une tierce personne et le préjudice sexuel que ce fils estime avoir subis du fait des fautes commises par le centre hospitalier de Voiron lors de sa naissance. Le juge des référés du tribunal administratif n'a que partiellement fait droit à leur demande, en ordonnant une expertise aux fins d'évaluer le besoin d'assistance par une tierce personne. Puis, sur appel des demandeurs, le juge des référés de la cour administrative d'appel a étendu l'expertise à l'évaluation des préjudices professionnel et sexuel allégués. 

Le centre hospitalier de Voiron et la société hospitalière d'assurances mutuelles se pourvoient en cassation de cette ordonnance.

Principes applicables.

Le juge rappelle tout d’abord le régime juridique et contentieux de l’ordonnance prescrivant une mesure d’instruction ou d’expertise sur le fondement de l’art. R. 532-1 CJA et, ensuite, celui des demandes de réparation de préjudices lorsqu’elles font l’objet d’un rejet par une personne publique.

Sur le premier point, l'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise au sens de l'art. R. 532-1 du CJA doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. À ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui sont irrecevables. 

Sur le second point, est rappelé le principe constant que la décision par laquelle une personne publique rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.

Ensuite, sur cette base, il convient de distinguer deux situations quant au délai de recours.

1°/ La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

2°/ Si cependant, après l'expiration de ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable.

Et le juge précise ici qu’il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur. Il n'est fait exception à ce qui précède que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

Examen du cas de l’espèce.

Examinant le cas de l’espèce, le juge annule l’ordonnance rendue en appel motif pris de ce que pour considérer qu’était utile la demande d’extension de l’expertise ordonnée en première instance, le juge des référés  a estimé que l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif ayant condamné le Centre hospitalier de Voiron à indemniser M. C. ne pouvait pas être opposée à une demande postérieure tendant à l'indemnisation de deux autres chefs de préjudices, faute d'identité d'objet. Le juge des référés de la cour administrative d’appel a, en effet, commis une erreur de droit en se fondant, pour regarder la nouvelle demande indemnitaire comme recevable, sur la seule circonstance qu'elle portait sur des chefs de préjudice invoqués pour la première fois, alors que la victime - comme rappelé ci-dessus - n'est recevable à demander, après l'expiration du délai de recours contre le rejet de sa réclamation préalable, l'indemnisation de nouveaux dommages nés du même fait générateur, que s'ils sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

Enfin, réglant lui-même l’affaire au fond, le Conseil d’État constate qu’il ressort des écritures des parties et des termes du rapport d'expertise remis en 2015, que le préjudice professionnel et le préjudice sexuel invoqués par M. C. et ses parents à l'appui de leur nouvelle demande d'indemnisation en 2019, alors que l'intéressé était âgé de 21 ans, ne pouvaient être regardés comme ayant été révélés dans toute leur ampleur à la date à laquelle M. C. avait déposé sa première réclamation préalable dans l'instance qui a conduit au jugement avant dire droit du 21 octobre 2011 et au jugement du 15 décembre 2015 du tribunal administratif. La demande d'expertise portant sur ces chefs de préjudice revêt dès lors, en l'état de l'instruction, un caractère utile. Par suite, M. C. et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande d'expertise portant sur l'évaluation du préjudice sexuel et du préjudice professionnel de M. C.

 L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif est donc réformée en tant qu'elle n'a pas fait porter la mission d'expertise sur ces deux chefs de préjudice.

(21 juillet 2022, Centre hospitalier de Voiron et Société hospitalière d'assurances mutuelles, n° 446965)

 

Service public

 

300 - Enseignants du second degré de l’enseignement privé sous contrat – Priorité d’accès aux services vacants pour certaines catégories de maîtres titulaires ou de lauréats de concours (art. L. 914-1 c. éducation) – Disposition législative à laquelle une disposition réglementaire (art. R. 914-77 c. éduc.) ne peut déroger – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 914-1 du code de l’éducation que peuvent bénéficier d'une priorité d'accès aux services vacants d'enseignement ou de documentation des classes sous contrat d'association dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, les maîtres titulaires d'un contrat définitif dont le service est supprimé ou réduit, les maîtres titulaires d'un contrat provisoire préalable à l'obtention d'un contrat définitif ainsi que les lauréats de concours.

L’art. R. 914-77 de ce code énumère ainsi l’ordre de priorité de présentation des candidatures : « (…)

1° Des maîtres titulaires d'un contrat définitif dont le service a été supprimé ou réduit à la suite de la résiliation totale ou partielle d'un contrat d'association ;

2° Des maîtres titulaires d'un contrat définitif candidats à une mutation ;

3° Des maîtres lauréats d'un concours externe de recrutement de l'enseignement privé ayant satisfait aux obligations de leur année de stage ;

4° Des maîtres lauréats d'un concours interne de recrutement de l'enseignement privé ayant satisfait aux obligations de leur année de stage ;

5° Des maîtres qui ont été admis définitivement à une échelle de rémunération à la suite d'une mesure de résorption de l'emploi précaire ;

6° Des maîtres titulaires d'un contrat définitif recrutés en application du 2° de l'article R. 914-16. (…) ».

Parce qu’un acte réglementaire (ici l’art. R. 914-77) qui n’y a pas été autorisé ne saurait déroger à la loi (ici l’art. L. 914-1), il s’ensuit, positivement, que l'autorité académique peut, pour pourvoir aux services vacants dans le respect des priorités d'accès fixées à l'article L. 914-1, réserver certains services vacants, aux lauréats des concours de recrutement de l'enseignement privé, en vue de leur permettre d'effectuer leur stage dans les meilleurs conditions d'apprentissage et, négativement, que les maîtres titulaires d'un contrat définitif et dont le service n'est pas supprimé ou réduit ne peuvent, en ce qui concerne ces services vacants, se prévaloir de la priorité que leur confère l'article R. 914-77.

Par suite la fédération requérante ne saurait exciper de l’illégalité du II. de la note de service annuelle du 18 février 2022 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relative au mouvement des maîtres du second degré de l'enseignement privé sous contrat en ce que celle-ci ne garantit pas une priorité aux maîtres titulaires d'un contrat définitif candidats à la mutation.

Curieusement, le juge ne dit rien de l’illégalité du 2° de l’ordre de priorité résultant de l’art. R. 914-77 du code de l’éducation. Il serait pertinent de rétablir un peu de sécurité juridique à défaut d’une exigence de confiance légitime.

(5 juillet 2022, Fédération nationale des syndicats professionnels de l'enseignement libre catholique (SPELC), n° 465066)

 

301 - Service public de l’enseignement - Enfant handicapé - Droit à l’éducation - Obligation de scolarisation - Défaut - Carence de l’État - Responsabilité pour faute - Régime - Annulation.

Dans cette importante décision, d’ailleurs promise à publication au Recueil Lebon, le Conseil d’État renforce et précise l’obligation incombant à l’État de scolariser les enfants handicapés, titulaires ici d’un véritable droit, ainsi que le régime de la responsabilité lui incombant dans l’exercice de cette obligation.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord le principe fondamental dégagé dans sa jurisprudence antérieure à partir de dispositions du code de l’éducation et de celles du code de l’action sociale et des familles et constamment réitéré depuis.

« (…) le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et (…) l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Ainsi, il incombe à l'État, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. »

De ce droit individuel de l’enfant et de sa famille et de l’obligation de faire en résultant pour l’État, se déduit logiquement le régime de responsabilité applicable à ce dernier en cas de manquement à son obligation de scolarisation ; il s’agit d’un régime de responsabilité fondé sur la preuve de la faute. Comme tel, ce régime, d’une part, s’applique à proportion de l’absence ou de la part de faute imputable aux responsables légaux de l’enfant et, d’autre part, n’exclut pas l’action récursoire de l’État contre un établissement social et médico-social auquel serait imputable une faute de nature à engager sa responsabilité à raison du refus d'accueillir un enfant orienté par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.

En l’espèce, et contrairement à ce qu’ont jugé les juridictions du fond, il est relevé que les parents de l’enfant ici en cause ont fait preuve de toute la diligence nécessaire pour assurer la scolarisation de leur enfant, la responsabilité fautive de l’État à raison de sa carence à assurer son obligation d’exercice effectif du respect du droit à l’éducation est ainsi entière.

(19 juillet 2022, Mme D. et M. C., n° 428311)

 

302 - Organisme de droit privé chargé d’une mission de service public - Prud’homie des patrons-pêcheurs du 5ème arrondissement maritime - Absence de nature d’établissement public - Rejet.

Le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulon a saisi le tribunal administratif de Toulon d'une question préjudicielle portant sur la nature juridique de la prud'homie des patrons pêcheurs de La Seyne-sur-Mer - Saint-Mandrier et sur le caractère saisissable de ses biens.

Le tribunal administratif de Toulon a déclaré que la prud'homie des patrons pêcheurs de La Seyne-sur-Mer - Saint-Mandrier devait être regardée comme un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public.

Cette dernière se pourvoit en cassation contre ce jugement ; son pourvoi est rejeté en l’absence d’erreur de qualification juridique de la part des premiers juges.

Le Conseil retient, pour parvenir à cette conclusion, qu’il résulte des dispositions du décret du 19 novembre 1859 portant règlement sur la pêche maritime côtière dans le 5ème arrondissement maritime et de l'ensemble des dispositions qui précisent l'organisation et le fonctionnement des prud'homies de pêcheurs que ces communautés de patrons pêcheurs sont des organismes à caractère professionnel, administrés par ces derniers en vue de défendre leurs intérêts et de discipliner l'exercice de leur profession. Si ces prud’homies ont des attributions de nature juridictionnelle pour trancher les différends entre pêcheurs dans l'étendue de leur ressort, concourrent à la recherche et à la constatation des infractions à la réglementation applicable en matière de pêche et d'aquaculture maritimes, et disposent à la fois du pouvoir de régir les activités de pêche par l'édiction de règlements ayant le caractère d'actes administratifs et s'imposant à la profession dans leur ressort et d'exercer un pouvoir disciplinaire pour veiller au bon fonctionnement des institutions prud'homales, pour autant ces dispositions n'ont pas entendu leur conférer le caractère d'un établissement public mais celui d'un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public. Ce que confirme le fait qu’elles emploient des salariés de droit privé, que leur fonctionnement interne est régi par le droit privé et qu’elles ont pour ressources les cotisations collectées auprès de leurs membres, les amendes prononcées à l'encontre des professionnels et le revenu des biens leur appartenant.

(18 juillet 2022, Prud'homie des patrons pêcheurs de La Seyne-sur-Mer - Saint-Mandrier, n° 459789)

 

303 - Création d’une cour administrative d’appel à Toulouse - Contestation de l’impartialité du Conseil d’État et de la ministre de la justice - Étude préparatoire réalisée par une société en liens économiques avec la ville de Toulouse - Erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Aucun des griefs articulés par les requérants à l’encontre du décret du 7 décembre 2021 créant une cour administrative d’appel à Toulouse n’est retenu par le Conseil d’État.

Est d’abord rejeté le grief tiré du défaut d’impartialité, d’une part, du Conseil d’État, car aucun des membres de la formation de jugement n’a pris part à la préparation de la décision qui a été conduite par le secrétariat général du Conseil d’État, et d’autre part, de Mme C. du fait des fonctions électives et professionnelles qu'elle avait auparavant exercées à Toulouse, dès lors qu'elle n'exerçait plus les fonctions de ministre de la justice à la date à laquelle a été pris ce décret. 

Ensuite n’est pas retenu le grief selon lequel la société qui a réalisé une étude préparatoire sur l'implantation de la cour administrative d’appel dans les communes de Montpellier ou de Toulouse, initialement envisagées, entretenait des liens économiques avec la commune et la métropole de Toulouse, car la part de l'activité de cette société en relation avec les collectivités toulousaines était très faible et parce qu’aucun élément du dossier ne permet ni d'établir que cette société serait dans une situation de dépendance vis-à-vis de ces collectivités, ni de mettre en doute l'objectivité et la fiabilité de l'étude réalisée. 

Enfin, le choix de Toulouse par le premier ministre n’est entaché d’aucune erreur manifeste d’appréciation.

(19 juillet 2022, Ordre des avocats au barreau de Montpellier et M. de Buzareingues, n° 461155 ; commune de Montpellier, n° 461254)

 

304 - Chambres de commerce et d’industrie - Chambre de commerce territoriale et chambre de région - Budget rectificatif - Prise en compte ou non des schémas sectoriels - Motifs d’adoption d’un budget rectificatif - Rejet.

La chambre de commerce et d'industrie territoriale de Marseille-Provence devenue Chambre de commerce et d’industrie métropolitaine Aix-Marseille-Provence (CCI) a demandé au tribunal administratif et obtenu de celui-ci l'annulation de la délibération par laquelle l'assemblée générale de la chambre de commerce et d'industrie de région (CCIR) Provence-Alpes-Côte d'Azur a adopté un budget rectificatif pour l'année 2016 en tant qu'il retient une nouvelle affectation de la ressource fiscale.

Sur appel de la CCIR, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et la CCI se pourvoit en cassation contre son arrêt.

Ses deux moyens sont rejetés.

En premier lieu, l'assemblée générale de la CCIR Provence-Alpes-Côte d'Azur a adopté un budget rectificatif aux termes duquel les impositions de toute nature affectées aux chambres territoriales ont été réparties en fonction du critère de la « pesée économique », c'est-à-dire en tenant compte du poids économique respectif des différentes chambres, à hauteur de 90 %, de l'activité des centres de formalités des entreprises et du nombre de contrats d'apprentissage enregistrés, à hauteur de 5 % chacun. La CCI estimait que cette répartition méconnaissait les dispositions de l'article L. 711-8 du code de commerce. Pour rejeter ce moyen, la cour a retenu, d'une part, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que la prise en compte de la « pesée économique » conduirait à une méconnaissance des schémas sectoriels existants et, d'autre part, qu'une telle non-conformité ne saurait résulter de la seule prise en compte, comme critère principal, du poids respectif des différents territoires en nombre de ressortissants, salariés et bases fiscales, ni même de l'absence de justification, par la délibération attaquée, de la prise en compte des schémas sectoriels. Ce raisonnement est approuvé par le juge de cassation dès lors que, en l'état de l'argumentation soumise aux juges du fond, il ne pouvait être tenu pour établi que les critères de répartition retenus auraient méconnu telle ou telle disposition spécifique des schémas sectoriels adoptés par la CCIR Provence-Alpes-Côte d'Azur.

En second lieu, c’est sans erreur de droit que la cour a pu juger qu'il ne résultait d'aucun texte ni d'aucun principe que l'adoption d'un budget rectificatif en application de l'article R. 712-15 du code de commerce devrait être réservée au cas où des ajustements budgétaires sont rendus nécessaires par le décalage entre les prévisions et les évolutions constatées.

(20 juillet 2022, Chambre de commerce et d'industrie métropolitaine Aix-Marseille-Provence, venant aux droits de la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Marseille-Provence, n° 459362)

 

305 - Redevances aéroportuaires - Condition d’établissement de leur tarif au regard du service rendu - Compensation entre les différentes redevances - Application des principes d’égalité et de non-discrimination - Caractère non fondé de l’exception d’illégalité objet de la question préjudicielle.

Le Conseil d’État était saisi, dans le cadre d’un litige opposant la société Aéroports de Paris à la société EasyJet Airline Company Limited, sur renvoi préjudiciel de la cour d’appel de Paris, de la question de la légalité des tarifs de la redevance aéroportuaire CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016.

La redevance CREWS étant une redevance pour service rendu elle est soumise à la règle d’équivalence et aux principes d’égalité et de non-discrimination.

S’agissant du respect de la règle d’équivalence entre le tarif d'une redevance pour service rendu et la valeur de la prestation ou du service, le juge indique qu’il peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire.

De là le juge précise que même établi de manière objective et rationnelle, en tenant compte des critères définis par l'article L. 6325-1 du code des transports et des dispositions réglementaires prises pour son application, ce tarif peut ne pas être strictement proportionné au coût du service correspondant dès lors, d'une part, que le produit global des redevances n'excède pas le coût des prestations servies et, d'autre part, que la compensation entre les différentes redevances est limitée.

Concernant ce dernier point, qui est très important, le Conseil d’État considère que ce caractère limité « s'apprécie au regard, d'une part, du rapport entre le montant compensé et le produit de l'ensemble des redevances et, d'autre part, de l'écart entre le tarif fixé pour la redevance concernée et la valeur de la prestation ou du service correspondant. »

Appliquant ces principes à la redevance CREWS, il juge, au vu des éléments du dossier, qu'il ne peut être soutenu que la compensation effectuée entre les différentes redevances ne présenterait manifestement pas un caractère limité et que les tarifs fixés en conséquence pour cette redevance auraient été manifestement disproportionnés.

S’agissant des principes d’égalité et de non-discrimination, est rejeté le moyen de la société Easyjet Airline Company Limited selon lequel le tarif des redevances aurait été établi en méconnaissance des principes d'égalité et de non-discrimination, dès lors notamment que son produit était supérieur au coût du service rendu en raison des avantages accordés à certaines compagnies aériennes.

En effet, les compagnies aériennes n'étaient redevables de cette redevance, pendant la période considérée, qu'au titre des terminaux dans lesquels avait été déployé le système informatique d'enregistrement et d'embarquement CREWS. Cette différence de traitement reposait donc sur une différence de situation objective en rapport avec l'utilisation d'un service mis en place par la société Aéroports de Paris, sans qu'ait d'incidence la circonstance que les compagnies utilisant leur propre système auraient été avantagées de manière injustifiée par le non-paiement d'une redevance dont le montant était supérieur au coût du service et le bénéfice de la compensation avec les autres redevances.

L’exception d’illégalité soulevée devant la juridiction judiciaire n’est donc pas fondée et il est répondu en ce sens au juge a quo.

(21 juillet 2022, Société Aéroports de Paris, n° 459433)

 

306 - Administration pénitentiaire - Détenu - Demande d’autorisation d’utiliser un micro-casque et des CD-Rom gravés - Refus - Utilisation devant être considérée comme interdite - Absence d’atteinte à un projet professionnel inexistant ou à la liberté de religion - Rejet.

Le requérant, détenu dans une enceinte pénitentiaire, a contesté en vain la légalité du refus par l’administration pénitentiaire de l'autoriser à recevoir un micro-casque ainsi que des CD-Rom gravés aux fins d'apprentissage du grec ancien. Il se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif du rejet du recours contre cette décision de l’administration.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord aucune critique des conditions de forme de l’arrêt critiqué n’est retenue.

Ensuite, au fond, est approuvé l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a jugé que dès lors que les dispositifs dont l’usage était sollicité par le demandeur n’étaient pas au nombre de ceux expressément autorisés, ils étaient interdits. La solution, inverse de celle du droit commun, est logique en milieu carcéral.

De plus l’invocation de la liberté de religion au soutien des demandes d’autorisation ici en cause est rejetée, l’intéressé n’établissant pas ne pouvoir recourir à un autre moyen technique pour suivre les cours de grec ancien proposés par l'Institution théologique du soir.

Enfin, le projet professionnel invoqué ne saurait être retenu en raison de son caractère flou et incertain.

(21 juillet 2022, M. A., n° 446163)

 

307 - Administration pénitentiaire - Tarif de cantine - Autorité compétente - Chef d’établissement et non ministre de la justice - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d’État en premier ressort - Renvoi au tribunal administratif.

Les requérants ont demandé au tribunal administratif l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville sur la demande tendant à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement en tant qu'il méconnait les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice. Estimant que le recours était dirigé contre une clause réglementaire du marché n° MGD-2015A conclu entre le ministre de la justice et le prestataire en charge de la prestation de cantine, le tribunal administratif en a déduit qu'il relevait de la compétence directe du Conseil d'État, et l'a transmis au Conseil d'État (cf. art. R. 351-2 du CJA et 14 novembre 2018, M. de Jésus, n° 418788).

Le Conseil d’État renvoie juge que la fixation des prix des produits proposés par la cantine d'un établissement pénitentiaire relève de la seule compétence du chef de cet établissement en vertu des dispositions de l’art. D. 344 du code de procédure pénale, repris à l'article D. 332-34 du code pénitentiaire.

La demande tendant à l'annulation du refus de modifier le tarif de la cantine du centre pénitentiaire de Joux-la-Ville ne pouvant être regardée comme dirigée contre un acte réglementaire d'un ministre au sens du 2° de l'art. R. 311-1 du CJA et aucune autre disposition de ce code ne donnant compétence au Conseil d’État pour connaître en premier et dernier ressort de cette demande, l’affaire est renvoyée au tribunal administratif.

(27 juillet 2022, M. A. et autres, n° 463996)

 

308 - Certificat de nationalité française - Conditions de délivrance - Obligation de disposer d'une adresse électronique - Décisions de refus de ce certificat n'ayant pas à être motivées - Obligation du ministère d'avocat pour contester en justice le refus de délivrance de ce certificat - Récépissé dispensé de la mention des voies et délais de recours - Rejet.

De cette longue décision rendue dans le cadre d'un référé suspension, dont tous les arguments sont rejetés, on retiendra un certain nombre de refus qui peuvent surprendre s'agissant d'une activité de service public, à savoir le nouveau régime de la délivrance d'un certificat de nationalité, institué par le décret attaqué du 17 juin 2022 relatif à ce certificat.

En particulier, le juge des référés du Conseil d'État estime que l'obligation de disposer d'une adresse électronique tant pour déposer une demande de certificat de nationalité que pour recevoir l'information sur l'issue de la demande, ne crée pas un doute sérieux sur le décret attaqué. Pas davantage n'est jugée critiquable la dispense de motivation des décisions de refus d'octroi d'un tel certificat, tout comme sont, sans illégalité, rendue obligatoire la présence de l'avocat dans le procès en contestation du refus de délivrance de ce certificat et dispensé de la mention des voies et délais de recours le récépissé de dépôt d'une demande de certificat de nationalité française.

Ces exemples montrent la sévérité des solutions retenues.

(ord. réf. 3 août 2022, Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 466054 ; Conseil national des barreaux (CNB), n° 466118, jonction)

 

Sport

 

309 - Footballeur - Dopage - Faits avérés - Activité professionnelle - Unique source de revenu - Sanction suspendue.

Un footballeur professionnel de 26 ans évoluant en National 3 et titulaire d'un contrat à durée déterminé a été convaincu de dopage  - ce qu'il n'a pas nié - pour avoir, la veille d'une compétition, fumé des cigarettes mélangées de résine de cannabis dont il est un consommateur régulier. Il a été sanctionné d'une interdiction de participation directe ou indirecte pendant une année à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, et des manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci, de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage, et d'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres.

Le juge administratif accueille la demande de suspension de cette sanction dont l'a saisi le footballeur fautif.

D'une part, il y a urgence à statuer sur une sanction privant un individu de son unique source de revenus et qui l'empêche de participer au championnat de National 3 qui s'ouvre le 12 août 2022.

D'autre part, apparaît sérieux le doute sur la légalité d'une sanction d'une durée d'un an alors que la durée maximale de l'interdiction susceptible d'être infligée était, en application du I. de l'art. L. 232-23-3-3 du code du sport, de trois mois et qu'il semble en outre établi tant par les circonstances de fait que par divers témoignages que la consommation de cannabis n'était effectuée qu'à des fins ludiques et non d'amélioration de performances sportives

(ord. réf. 6 juillet 2022, M. A., n° 465057)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

310 - Interdiction de construire sur cent mètres de part et d’autre de certaines voies de circulation – Classement d’une voie, en 1952, comme étant « à grande circulation » - Décision toujours en vigueur – Opposabilité – Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Le maire d’une commune n'a pas fait opposition à la déclaration préalable du 24 avril 2008 déposée, en vue de la réalisation de deux lots à bâtir, par les propriétaires de parcelles situées route d'Orléans sur le territoire de sa commune. Puis il a retiré le permis que, deux ans plus tard, il avait tacitement accordé aux requérants sur l’un de ces lots et, enfin, au terme d’un sursis à statuer sur la demande de permis, a rejeté la demande de permis.

Le tribunal administratif, saisi par les pétitionnaires, leur a accordé une indemnisation en réparation du préjudice d'inconstructibilité résultant de la faute de la commune tenant à l'illégalité de l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable du 24 avril 2008.

Sur l’appel de la commune la cour administrative d’appel a annulé ce jugement.

Cet arrêt de rejet est fondé sur ce que, à la date de l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable susmentionné, le tronçon de la route départementale 960, entre Châteauneuf-sur-Loire et Saint-Jean-de-Braye, au bord duquel sont situés les terrains en litige, n'était pas une voie à grande circulation et qu’ainsi ne lui étaient pas applicables les dispositions de l’art. L.111-1-4 du code de l'urbanisme selon lesquelles : « En dehors des espaces urbanisés des communes, les constructions ou installations sont interdites dans une bande de cent mètres de part et d'autre de l'axe des autoroutes, des routes express et des déviations au sens du code de la voirie routière et de soixante-quinze mètres de part et d'autre de l'axe des autres routes classées à grande circulation. (...) ».

C’était oublier un grand principe du droit de la décision administrative : celle-ci ne disparaît ni par désuétude ni par non application car elle subsiste jusqu’à son abrogation. Or il résulte des pièces du dossier que la route départementale 960, qui jouxte le terrain appartenant aux requérants, correspond à l'itinéraire de l'ancienne route nationale 152, que le décret du 13 décembre 1952 portant nomenclature des voies à grande circulation classait comme voie à grande circulation sur le tronçon qui suit la rive droite de la Loire, de Briare à Angers.

Ainsi, dès lors qu’aucun acte abrogeant le classement n'a été produit à l’instance, cette voie doit être regardée comme ayant conservé ce caractère, indépendamment de ses changements de numérotation et de son transfert.

L’arrêt est cassé pour dénaturation des pièces du dossier.

La solution est sévère.

(4 juillet 2022, M. A. et Mme D., n° 447441)

 

311 - Autorisation d’occupation domaniale – Refus sur le fondement de l’existence d’un périmètre de sauvegarde et de mise en valeur – Refus devant être limité aux seules occupations modificatives de l’état des immeubles – Absence en l’espèce – Annulation.

(5 juillet 2022, Société Ice Thé c/ ville d’Aix-en-Provence, n° 459089)

V. n° 25

 

312 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Analyse des résultats de l'application du PLU neuf ans après - Obligation de recenser les indicateurs nécessaires à cette analyse - Absence - Illégalité - Illégalité sans conséquence sur l'opposabilité normative du PLU aux autorisations d'urbanisme - Annulation de la seule omission de recenser les indicateurs.

Voilà une solution heureuse qui doit être pleinement approuvée pour son caractère pragmatique et anti-fétichiste.

L'art. L. 153-27 du code de l'urbanisme impose que neuf ans au plus après la délibération approuvant un PLU, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou le conseil municipal procède à une analyse des résultats de l'application du plan. Il est donc nécessaire que la délibération initiale d'approbation du PLU recense les indicateurs nécessaires à l'analyse des résultats de l'application du PLU.

Comment traiter le PLU qui ne prévoit pas d'indicateurs ou ne le ferait que de façon défaillante ?

Tout d'abord, il est certain que le PLU est illégal du chef de cette absence ou de cette incomplétude.

Ensuite, compte tenu de l'objectif de la législation sur ce point, cette illégalité n'affecte point les dispositions réglementaires du PLU, parfaitement détachables de l'absence d'indicateurs, qui conservent leur pleine efficacité et normativité à l'égard de toutes les autorisations d'urbanisme.

Enfin et en revanche, il importe que l'autorité compétente, spontanément ou sur demande d'un administré ou du juge, fasse adopter au plus court terme par l'organe délibérant la recension desdits indicateurs.

(7 juillet 2022, M. B. et Mme C. épouse B., n° 451137)

 

313 - Transformation d'un local avec changement de destination - Projet prétendu relever de la procédure du permis de construire - Opposition à déclaration préalable de travaux - Annulation - Rejet.

C'est sans erreur de droit et avec une motivation suffisante qu'une cour administrative d’appel juge que la procédure administrative applicable au projet qui consiste à transformer un local occupé par un commerce de boucherie en supérette et à en modifier les façades ne consitue plus un changement de destination dès lors qu'il est postérieur au 1er janvier 2016. En effet, les dispositions de l'art. R. 421-14 du code de l'urbanisme dans la version que leur a donnée le décret du 28 décembre 2015 ne soumettant plus le projet litigieux à un permis de construire mais à une déclaration préalable.

La ville de Paris ne pouvait donc pas s'opposer à la déclaration de travaux au motif qu'un permis de construire était nécessaire, sans que puisse d'ailleurs y faire obstacle la circonstance que le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris était en cours de modification le 1er janvier 2016.

(7 juillet 2022, Ville de Paris, n° 454789)

 

314 - Affichage du permis de construire - Irrégularité - Rejet du recours pour tardiveté - Dénaturation de pièces et erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit par suite de dénaturation de pièces du dossier conduisant à sa cassation, l'ordonnance d'un président de chambre d'un tribunal administratif qui, pour juger tardive une requête en annulation de permis de construire, relève que ce permis avait été affiché de manière régulière sur la voie publique, par deux panneaux, l'un à hauteur du 172 de l'avenue Guigue et l'autre à l'intersection de l'avenue Guigue et de l'allée Antoine-Millan et que le terrain d'assiette du projet en litige, correspondant aux parcelles cadastrées section AK n° 247 et n° 427, était sis 172, avenue Guigue et n'était pas, durant la période des affichages précités, directement desservi par une voie publique.

En réalité, si l'îlot 6 de la zone d'aménagement concerté de l'écoquartier des Orfèvres, dont fait partie le projet, donne sur l'avenue Guigue, tel n'est pas le cas des parcelles cadastrées section AK n° 247 et n° 427, terrain d'assiette du projet litigieux, lesquelles sont en revanche desservies par l'allée Antoine-Millan, qui est une voie publique.

Le juge ne pouvait juger que le permis a été régulièrement affiché alors qu'aucun des deux panneaux d'affichage ne se trouvait sur le terrain d'assiette du projet, lequel était pourtant desservi par une voie publique.

(7 juillet 2022, M. et Mme C., n° 458712)

 

315 - Permis de construire, initial et modificatif - Exigence de précision des règles contenues dans un plan local d’urbanisme (PLU) - Même exigence pour les règles d’exception du PLU - Permis irréguliers - Obligation pour le juge d’en ordonner la régularisation - Absence - Erreur de droit - Annulation sur ce point.

Un permis de construire initial et un permis modificatif sont contestés.

Le tribunal administratif est approuvé pour avoir écarté comme trop imprécises les dispositions dérogatoires d’un PLU sur la base desquelles ont été délivrés les permis litigieux. Il résulte en effet notamment des dispositions des art. L. 151-8 et L. 152-3 du code de l’urbanisme que s’impose aux auteurs d’un PLU une exigence de rédaction précise des règles destinées à assurer l'insertion des constructions dans leurs abords, leur qualité et leur diversité architecturale, urbaine et paysagère ainsi que la conservation et la mise en valeur du patrimoine que ces règles constituent le droit commun du PLU ou celles de ses dispositions à caractère dérogatoire afin de permettre une intégration plus harmonieuse des projets dans le milieu urbain environnant.

En revanche, le jugement est annulé avec renvoi en ce que, après avoir jugé que le vice constaté n'était pas régularisable, il s’est abstenu de rechercher, pour déterminer si le vice entachant le bien-fondé du permis de construire litigieux pouvait être régularisé, et alors même que cette régularisation aurait impliqué de revoir l'économie générale du projet en cause, si les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle il statuait permettaient une mesure de régularisation qui n'impliquait pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

Si l’on peut comprendre la logique qui sous-tend cette décision, il demeure cependant une urgence : celle de clarifier ce qu’il convient d’entendre par l’expression de « bouleversement (mot déjà fort) de nature à changer la nature même du projet » et par celle de « bouleversement de l’économie générale du projet », expressions auxquelles s’attachent des conséquences juridiques diamétralement opposées.

(19 juillet 2022, Commune de Yerres, n° 449111 ; M. et Mme F., n° 449228)

 

316 - Permis de construire - Éoliennes - Atteinte aux sites avoisinants - Pouvoirs du juge - Limite - Erreur de droit - Annulation.

Rappel de ce qu’il résulte des dispositions de l’art. R. 111-27 du code de l’urbanisme que l’autorité administrative compétente, saisie d’un projet de construction portant atteinte aux sites avoisinants peut soit refuser de délivrer le permis de construire soit l’assortir de prescriptions spéciales.

Le juge, pour déterminer l'existence éventuelle d'une atteinte à un site de nature à fonder le refus de permis de construire ou sa délivrance sous réserve de prescriptions spéciales, doit, d’abord, apprécier la qualité du site sur lequel la construction est projetée et ensuite, évaluer l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

À ce second stade de son raisonnement le juge ne saurait procéder à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-27 précité (atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales).

En l’espèce, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en procédant, pour rejeter le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché sa décision d’accorder le permis de construire litigieux d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-27 précitées, à l'examen du caractère du site où figure un dolmen, monument historique protégé et a estimé que le parc éolien aurait une incidence forte sur ce site protégé. Elle a ensuite, pour juger que l’autorisation préfectorale n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation,  considéré que le site de ce dolmen était relativement peu fréquenté par le public et accessible seulement par un petit chemin à partir d'un parc de stationnement aménagé, et elle a retenu que le pétitionnaire s'était engagé à assurer l'entretien et la préservation des chênes qui entourent le dolmen et, enfin, qu'il avait choisi la variante qui rendait l'éolienne la plus au nord moins perceptible depuis le site. 

Ce jugeant la cour n’a retenu que des moyens inopérants au regard des seuls intérêts pouvant être pris en considération tels qu’ils sont limitativement énumérés à l’art. R. 111-27 précité.

(19 juillet 2022, Association pour la protection des paysages et de l'environnement de Lathus, n° 451324)

 

317 - Droit de l’urbanisme – Requête en annulation d’une autorisation d’extension d’une maison d’habitation – Mémoire opposant une fin de non-recevoir - Irrecevabilité manifeste opposée en conséquence – Erreur de droit – Annulation.

(7 juillet 2022, M. et Mme I., n° 456370)

V. n° 51

 

318 - Participation spécifique pour la réalisation d'équipements exceptionnels (art. L. 332-8 c. urb.) - Émission de titres de perception en vue du paiement de cette participation - Régime contentieux de la contestation de ces titres - exception de chose jugée - Erreur de droit - Annulation.

(22 juillet 2022, Communauté de communes « Rives de Moselle », n° 443366)

V. n° 108

 

319 - Permis de construire un lieu de culte - Avis préalable obligatoire du préfet à la délivrance du permis - Avis exigé pour les seuls projets ayant pour effet de créer ou d'étendre significativement une construction ou une installation destinée à l'exercice d'un culte - Inexistence en l’espèce - Aménagement de volumes existant - Annulation partielle.

L’article L. 422-5-1 du code de l’urbanisme qui prévoit un avis obligatoire du préfet avant la délivrance d’une autorisation d’urbanisme relative à une construction ou installation destinée à l’exercice d’un culte, ne s’applique - selon le juge interprétant les travaux préparatoires - que dans le cas où le projet a pour effet de créer des constructions ou installations destinées à l'exercice d'un culte ou de les étendre de manière significative.

Tel n’était pas le cas en l’espèce de la mosquée de Bagneux où il ne s’agissait que de réduire des salles de prière pour les femmes et pour les hommes situées au rez-de-chaussée respectivement de 24 et 8 m², de créer au rez-de-jardin une salle de prière de 134 m² pour les femmes et de réduire corrélativement de 171 m² la taille de la salle de prière réservée aux hommes ainsi que de créer au rez-de-chaussée un espace commercial de 105 m².

Il convient de préciser qu’est rejetée dans cette décision la demande de transmission d’une QPC fondée sur ce que l’art. L. 422-5-1 du code de l’urbanisme porterait atteinte notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales et à la liberté de culte.

(25 juillet 2022, Commune de Bagneux, n° 463525)

 

320 - Permis de construire modificatif - Octroi toujours possible avant achèvement de la construction - Modifications ne changeant pas la nature du projet - Procédure contentieuse - Clôture de l’instruction à effet immédiat (art. R. 611-11-1 CJA) - Absence de mémoire en défense - Intervention du prononcé de la clôture - Rejet.

Le litige portait sur un permis de construire modificatif dont la requérante demandait l’annulation et comportait aussi une importante question de procédure relative au régime de la clôture de l’instruction, qui a justifié que cette décision fût rendue en Section.

Sur le régime du permis modificatif, le juge rappelle que l’autorité administrative saisie d’une demande en ce sens peut délivrer un permis modificatif tant que la construction autorisée par le permis initial n’est pas achevée (V., par ex. : 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, n° 374338) sous la condition, habituelle, que la modification sollicitée n’apporte pas au projet d’origine un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.

Sur la clôture de l’instruction à effet immédiat qui est, on le sait, l’une des deux formes de clôture, il convient de rappeler la chronologie des faits. Le tribunal administratif a informé les parties le 30 avril 2019, d’une part, qu’il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience, au quatrième trimestre 2019 et, d’autre part, que l'instruction était susceptible d'être close par une ordonnance de l'article R. 611-11-1 du CJA, qui pourrait intervenir à compter du 20 mai 2019. Le même jour, il a mis en demeure la commune de produire ses observations sous dix jours. Le premier mémoire en défense de la commune, enregistré le 13 mai 2019, a été communiqué le même jour à la requérante par le tribunal, qui lui a donné un délai de trente jours pour y répondre.  Par un courrier du 17 mai 2019, il a refusé de prolonger ce délai. Le mémoire en réplique de la requérante a été produit dans le délai imparti, le 20 mai 2019, et communiqué à la commune, à qui un délai de dix jours a été laissé pour y répondre.

La commune a produit un second mémoire en défense le 6 juin 2019, qui a été communiqué à la requérante en lui indiquant qu'elle disposait d'un délai de dix jours pour y répondre.

A l'issue de ce dernier délai, une ordonnance de clôture immédiate de l'instruction est intervenue, le 10 juillet 2019. Après cette clôture la requérante a produit un nouveau mémoire, le 30 juillet 2019, qui a été visé mais qui n'a pas été communiqué. 

La demanderesse reproche d’abord au tribunal la méconnaissance des dispositions de l’art. R. 611-11-1 du CJA pour avoir avisé les parties le 30 avril qu’une clôture était susceptible d’intervenir à partir du 20 mai alors qu’à cette date aucun mémoire en défense n’avait été produit.

En réalité, cette dernière circonstance ne faisait pas obstacle à la prise d’une ordonnance de clôture immédiate, que le défendeur ait été mis, ou non, en demeure de produire (cf. par ex., la classique solution de : Assemblée, 8 avril 1997, ministre de la santé, n° 45172). Toutefois, le principe de loyauté des débats impose que cette ordonnance ne soit prise qu'à compter de la date fixée dans la lettre d'information et une fois expiré chacun des délais laissés aux parties pour produire un mémoire ou répliquer aux mémoires communiqués.

Tel était bien le cas de l’espèce.

La demanderesse reproche ensuite au tribunal d’avoir irrégulièrement statué en lui indiquant par son courrier du 13 mai 2019 qu'elle disposait d'un délai de trente jours (soit jusqu’au 13 juin) pour répliquer au mémoire en défense de la commune, tout en refusant de reporter la date, indiquée précédemment comme étant celle du 20 mai 2019, à partir de laquelle la clôture de l'instruction pouvait intervenir. Cependant, il est constant que la requérante a disposé du délai de trente jours qui lui avait été annoncé pour produire ses observations en réplique, la clôture de l'instruction n'étant au demeurant intervenue que quatre semaines après l'expiration de ce délai.

La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la procédure suivie aurait été irrégulière.

(Section, 26 juillet 2022, Mme D., n° 437765)

 

321 - Certificat d’urbanisme - Demande de prorogation dans les déllais - Droit à prorogation d’une année - Condition - Erreur de droit - Annulation.

Le juge rappelle ici que le titulaire d’un certificat d’urbanisme a droit, sur sa demande formée dans le délai réglementaire, à ce qu’il soit prorogé d’une année sauf si les prescriptions d'urbanisme, les servitudes administratives de tous ordres ou le régime des taxes et participations d'urbanisme qui étaient applicables au terrain à la date de délivrance du certificat ont changé depuis cette date.

A cet égard, l'adoption, la révision ou la modification du plan local d'urbanisme couvrant le territoire dans lequel se situe le terrain constitue en principe un tel changement.

Toutefois, cette prorogation est également de droit lorsque la révision ou la modification de ce plan ne porte que sur une partie du territoire couvert par ce document dans laquelle ne se situe pas le terrain d’assiette du certificat d’urbanisme.

Est annulé l’arrêt d’appel qui, pour rejeter le recours de la société demanderesse, se fonde sur ce qu'à la date de prorogation du certificat d'urbanisme, le projet de plan local d'urbanisme était suffisamment avancé pour que soit opposé un sursis à statuer, et en déduit que le maire devait apprécier les demandes de permis d'aménager sollicitées au regard des dispositions du plan local d'urbanisme approuvé par délibération du 23 mars 2017. En réalité, le certificat ayant été délivré le 24 novembre 2016 et prorogé à compter du 3 janvier 2017, la cour devait seulement vérifier si la possibilité d'opposer un sursis existait dès la date de la délivrance du certificat d'urbanisme, qui avait seulement fait l'objet d'une prorogation, conservant le droit de la personne titulaire de ce certificat à ce que sa demande d'autorisation soit examinée au regard des dispositions d'urbanisme applicables à la date du certificat.

(27 juillet 2022, Sarl Le Parc de Chavaray (ou société Alzina Côte d’Azur), n° 451788)

 

322 - Plan local d'urbanisme - Disposition du règlement du PLU - Notion de « hauteur totale de la construction » - Rejet.

La disposition du règlement d'un plan local d'urbanisme selon laquelle « Les constructions, à l'exclusion des débords de toiture dans la limite de 0,60 mètre, doivent être édifiées en respectant un retrait par rapport aux limites séparatives égal à la moitié de la hauteur totale de la construction sans que ce retrait puisse être inférieur à quatre mètres (L = H/2) », doit être interprétée comme s'étendant non pas de la hauteur à l'égout atteinte par le bâtiment projeté, mais de la hauteur totale de la construction c'est-à-dire celle correspondant à la différence de niveau entre son point le plus haut (mesuré au faîtage des toitures) et son point le plus bas situé à sa verticale. 

(3 août 2022, M. et Mme d'Agata, n° 459436 ; Syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Le Clos de l'Aqueduc », n° 459438)

 

323 - Permis de construire - Existence de vices affectant sa régularité - Mesure de régularisation - Communication aux parties du permis modificatif délivré aux fins de régularisation - Compétence exclusive du juge d'appel.

Rappel de ce qu'il se déduit des dispositions, d'une part, de l'art. L. 600-5-2 du code de l'urbanisme et, d'autre part, de l'art. R. 351-3 du CJA, que, lorsque le juge d'appel est saisi d'un appel contre un jugement d'un tribunal administratif ayant annulé un permis de construire en retenant l'existence d'un ou plusieurs vices entachant sa légalité et qu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure visant à la régularisation de ces vices a été pris, seul le juge d'appel est compétent pour connaître de sa contestation dès lors que ce permis, cette décision ou cette mesure lui a été communiqué ainsi qu'aux parties.

Si un recours pour excès de pouvoir a été formé contre ce permis, cette décision ou cette mesure devant le tribunal administratif, il incombe donc à ce dernier de le transmettre, en application des articles R. 351-3 et, le cas échéant, R. 345-2 du CJA, à la cour administrative d'appel saisie de l'appel contre le jugement relatif au permis initial.

En conséquence, il est fait ici attribution à la cour administrative d'appel de Lyon de la requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble portant sur le permis délivré par le maire de Tain-l'Hermitage à la Société Bouvet Promotion.

(22 août 2022, M. et Mme B., n° 463455)

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