Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Droit public de l’agriculture – Arrêté portant autorisations de nouvelles plantations de vigne – Acte réglementaire – Compétence – Rejet.

L'arrêté par lequel le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre de l'agriculture fixent, pour certains produits vitivinicoles et dans certaines zones géographiques, des limitations du nombres d'hectares rendus disponibles pour l'octroi d'autorisations de nouvelles plantations de vigne, présente un caractère réglementaire. Le contentieux en résultant relève de la compétence directe du Conseil d’État statuant en premier et en dernier ressort.

(06 janvier 2023, Association des viticulteurs d’Alsace, n° 454866)

Sur cette décision voir aussi le n° 48

 

2 - Lutte contre la pollution atmosphérique - Classification des véhicules pour l’attribution de certificats de qualité de l’air en fonction de leur niveau d’émission de polluants – Incompétence de l’autrice de la décision – Procédure irrégulière – Annulation.

(25 janvier 2023, Société Gaz'up, société Primagaz, société Proviridis et société Endesa Energia, n° 465058)

V. n° 85

 

3 - Guerre du Yémen - Délivrance de licences d’exportation des matériels de guerre et matériels assimilés – Demande de suspension de ces licences – Vérification de leur conformité aux engagements internationaux de la France – Acte de gouvernement – Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

Il avait été demandé au premier ministre de suspendre les licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen, notamment l’Arabie saoudite.

Son silence valant décision implicite de rejet, les requérantes ont saisi, en vain, le juge administratif, avant dire droit, d'enjoindre le premier ministre de déclassifier et de verser à l'instance, après avis de la commission du secret de la défense nationale, d'une part, l'ensemble des licences délivrées aux pays membres de la coalition internationale impliquée dans la guerre au Yémen à compter du 26 mars 2015 et antérieurement, mais dont l'exécution serait postérieure, d'autre part, l'ensemble des délibérations et avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre afférents à ces licences et, enfin, toutes les informations susceptibles d'éclairer la juridiction et les parties sur la conformité aux engagements internationaux de la France, des licences délivrées. Elle a également demandé au tribunal d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé pendant deux mois par le premier ministre sur sa demande du 1er mars 2018 tendant à la suspension des licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen.

Le Conseil d’État estime que c’est sans erreur de droit, ni qualification inexacte des faits et sans contradiction de motifs que le premier juge a estimé que la juridiction administrative n’était pas compétente pour reconnaître du recours dirigé contre ce refus. En effet ce dernier n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France. Constituant un acte de gouvernement, il n’est pas possible d’invoquer à son encontre les stipulations des art. 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, de l'art. 2 de la charte des Nations-Unies et de l'art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les dispositions des art. 1 et 2 de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et de l'art. L. 2335-4 du code de la défense.

Le recours est rejeté

(27 janvier 2023, Association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), n° 436098 ; Associations Action sécurité éthique républicaines (ASER), Action contre la faim, Salam For Yemen, Médecins du monde et Sherpa, n° 436099)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

4 - Respect du pluralisme des courants d’opinion dans les services de radio et de télévision – Absence de précision législative ou réglementaire sur la détermination du respect de cette exigence – Prise en compte par le CSA (devenu ARCOM) des horaires et conditions de diffusion des émissions concernées – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation de la décision du CSA la mettant en demeure de se conformer aux dispositions de sa délibération du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision, ainsi qu'aux stipulations de la convention portant sur le même objet conclue entre le CSA et la société requérante, et d'annuler également la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), venue aux droits du CSA, rejetant le recours gracieux formé par la société requérante contre cette mise en demeure.

Le principal argument de la requérante consistait en ce qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune stipulation applicable aux services de radio et de télévision ne précise expressément que le respect des obligations en matière d'expression pluraliste des courants d'opinion fixées par la délibération du 22 novembre 2017, prise sur le fondement des articles 1 et 13 de la loi du 30 septembre 1986, doit s'apprécier en tenant compte des heures de diffusion des émissions.

Cette défense est rejetée à bon droit par le juge pour qui, comme cela est d’ailleurs évident, « il résulte de l'objet même de ces dispositions, qui tendent à ce que les différents courants d'opinion soient équitablement diffusés afin de concourir à la formation de l'opinion des téléspectateurs et de contribuer ainsi au débat et à l'expression démocratique, que les obligations qu'elles édictent ne sauraient être regardées comme respectées sans tenir compte des horaires et des conditions de diffusion de ces émissions. » 

Cette décision constitue une transposition à la matière du pluralisme d’une précédente décision relative au calcul du respect par une chaîne de télévision de son obligation de respecter les contraintes qui lui sont imposées en ce qui concerne la diffusion d'oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et la diffusion d'oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire (Section, 20 janvier 1989, Commission nationale de la communication et des libertes (CNCL), n° 103063).

(13 janvier 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 462663)

(5) V. aussi, rejetant le recours de la même requérante contre une mise en demeure du CSA pour avoir déclaré un total d’interventions de sept minutes pour un candidat auquel avait été accordée une heure d’antenne… : 27 janvier 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 455263.

 

6 - Injonction administrative à déréférencer l’adresse d’un site – Rejet du référé suspension et de la demande de transmission d’une QPC – Rejet.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enjoint les sociétés Google Ireland, Qwant, Microsoft Corporation et Apple de procéder au déréférencement de l'adresse du site « Wish.co » de leurs moteurs de recherche et applications respectifs. La société requérante se pourvoit en cassation contre l’ordonnance de référé rejetant à la fois sa demande de suspension de cette décision et sa demande de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre du a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation.

Le pourvoi est rejeté.

D’abord la QPC ne pouvait prospérer en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 2022-1016 QPC du 21 octobre 2022, Société ContextLogic Inc.) qui a déclaré conforme à la Constitution le a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Ensuite, concernant les moyens dirigés contre la décision de la DGCCRF, ils ne sont pas davantage retenus.

Le juge des référés n’a pas méconnu le champ d'application de la loi en jugeant implicitement qu'une tromperie sur la nature d'un produit prévue au 1° de l'article L. 441-1 du code de la consommation, peut justifier la mise en œuvre d'une mesure de déréférencement en application de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation.

II n’a pas, non plus, commis une erreur de droit ou dénaturé les pièces du dossier en jugeant, que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision de déréférencement contestée, le moyen soulevé tiré de ce que le délit de tromperie reproché n'était pas manifestement caractérisé alors que la requérante n'établissait pas avoir supprimé toute possibilité pour les vendeurs d'obtenir, pour les produits proposés à la vente, un badge portant la mention « Vérifié par les utilisateurs Wish », lequel était de nature à induire en erreur le consommateur sur la conformité et la sécurité des produits.

Pas davantage l’ordonnance querellée n’a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la mesure de déréférencement ordonnée n’était pas disproportionnée et qu’il n’existait pas de doute sérieux sur sa légalité alors même que l’administration aurait pu choisir l’autre sanction prévue par la loi (message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu'ils accèdent au contenu manifestement illicite).

Enfin, l’ordonnance attaquée n’a pas méconnu le régime de la charge de la preuve.

(27 janvier 2023, Société ContextLogic, n° 459960)

 

7 - Contribution au développement de la production de certaines œuvres audiovisuelles - Obligation pour les éditeurs de radio et de télévision - Mise en demeure – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision par laquelle le CSA l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir à ses obligations de contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles patrimoniales, d'œuvres audiovisuelles patrimoniales indépendantes et d'œuvres audiovisuelles patrimoniales d'expression originale française fixées aux articles 40, 42 et 43 du décret du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre.

Le recours est rejeté.

Contrairement à ce qui est soutenu, le CSA a correctement appliqué les dispositions de l'art. 33 du décret du 2 juillet 2010 et les pouvoirs qu'il tient de l'art. 42 de la loi du 30 septembre 1986 en estimant que la société d'édition de Canal Plus, en procédant à la déduction des ressources totales de ses exercices 2018 et 2019, prises en compte pour le calcul, de sa contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles, la partie du produit des abonnements de ses usagers qu'elle a estimé correspondre au produit de cette offre de presse en ligne, avait méconnu les obligations de contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles que lui imposent les textes et que ce manquement justifiait de faire usage des pouvoirs de mise en demeure qui lui sont reconnus.

Ensuite, les dispositions de l’art. 33 du décret précité ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques au motif, inexact, que l'assiette de la contribution ne serait pas définie de manière objective et rationnelle ni, non plus, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie.

Par ailleurs, contrairement à l’argumentation de la demanderesse, la mise en demeure est un acte de procédure non contentieuse conforme aux exigences constitutionnelles (cf. C.C. déc. n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Conseil supérieur de l’audiovisuel) et indispensable en tant qu’elle permet, ensuite, l’infliction de sanctions, dans le respect du principe de la légalité des délits et des peines.

(27 janvier 2023, Société d’édition de Canal Plus, n° 452765)

 

Collectivités territoriales

 

8 - Délibérations municipales portant avenant à une concession d’aménagement et approbation de la cession d’une parcelle domaniale - Recours de conseillers municipaux pour excès de pouvoir contre ces deux délibérations – Irrecevabilité du recours contre la délibération portant avenant et recevabilité du recours contre celle autorisant une cession – Annulation et renvois partiels.

Par deux délibérations du même jour un conseil municipal a approuvé, en premier lieu, un avenant n° 2 à un traité de concession d'aménagement conclu avec une société et, en second lieu, la cession par un établissement public foncier régional, à cette même société, d’une parcelle domaniale. 

Des conseillers municipaux forment un recours pour excès de pouvoir contre chacune de ces délibérations.

La cour administrative d’appel a rejeté ces conclusions en raison de ce qu’elles étaient irrecevables. Les demandeurs se pourvoient en cassation et le pourvoi est partiellement admis.

Le Conseil d’État, faisant une application classique et sans surprise de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne, opère une distinction entre les objets des deux recours.

Le premier recours pour excès de pouvoir, ainsi que l’a jugé la cour, était irrecevable car seul peut être formé contre un contrat, par un tiers, le préfet ou un membre de l’assemblée délibérante, un recours de plein contentieux, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

En revanche, c’est par suite d’une erreur de droit, entraînant sur ce point son annulation, que l’arrêt d’appel a déclaré irrecevables les conclusions d’excès de pouvoir dirigées contre la délibération autorisant la cession d’une parcelle domaniale à la société. Il est donc renvoyé sur ce point à la cour.

Ceci montre l’intérêt comme la persistance de la distinction des contentieux dans le droit du procès administratif.

(17 janvier 2023, Mme E. et autres, n° 462893)

 

9 - Mise en vente d’une parcelle par une communauté de communes – Intérêt à l’acquisition manifesté par deux entreprises – Cession du terrain à l’une d’elles et octroi d’un permis de construire – Contestation de ce permis par l’autre entreprise – Absence d’intérêt pour agir – Rejet.

Une communauté de communes ayant annoncé sa décision de mettre en vente une parcelle lui appartenant située dans une zone d’activités, deux sociétés d’exploitation de garages et de vente d’automobiles ont manifesté leur intérêt pour l’acquérir.

En septembre 2018 les deux candidates sont informées que la communauté de communes entendait vendre la parcelle à l’une d’entre elles ; en octobre 2018, la requérante, candidate évincée, fait une offre d’acquisition à la communauté de communes au prix que cette dernière a fixé, puis, en avril 2019 elle assigne la communauté devant le TGI aux fins de voir juger parfaite la vente de la parcelle à son profit (en raison de l’accord sur la chose et sur le prix).

En juillet et décembre 2019, respectivement, la communauté et le maire d’une des communes membres de la communauté ce communes, formalise la décision de vendre et octroie un permis de construire à la société attributaire de la parcelle.

La requérante saisit le juge administratif d’une demande d’annulation de ce permis de construire.

Sans surprise le pourvoi est rejeté, ce qui confirme les rejets déjà prononcés en première instance et en appel.

Il tombe sous le sens que celui qui entend agir comme propriétaire d'un bien qu’il prétend affecté directement par une décision administrative mais qui ne fait état ni d'un acte de propriété, ni d'une promesse de vente, ni d'un contrat préliminaire ne justifie pas d'un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l'annulation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le code de l'urbanisme, sauf à ce qu'il puisse sérieusement revendiquer la propriété de ce bien devant le juge compétent.

(25 janvier 2023, Société Touche Automobiles, n° 445937)

 

Contrats

 

10 - Acte d’engagement d’un groupement d’entreprises pour la construction d’un centre culturel et touristique – Marché de prestations intellectuelles confiant à l’une des entreprises une mission de conception et de direction artistique – Juge du référé de l’art. L. 521-3 CJA ordonnant aux diverses entreprises, sur demande du maître d’ouvrage, de justifier de la souscription d'une assurance de responsabilité décennale obligatoire – Entreprise estimant ne pas devoir ni pouvoir produire ce document – Contestation sérieuse – Erreur de droit – Annulation.

Sur demande de son assureur, la commune de Bordeaux a saisi le juge du référé de l’art. L. 523-1 CJA d’une requête en vue qu’il soit ordonné au groupement d’entreprises auquel a été confié, par acte d’engagement, la construction d’un centre culturel et touristique du vin, de justifier de la souscription d'une assurance de responsabilité décennale obligatoire. Le juge a enjoint ces sociétés de produire ce document sous deux mois sous astreinte.

La société requérante qui, dans le cadre d’un marché de prestations intellectuelles, s’est vu confier une mission de conception et de direction artistique des productions audiovisuelles et multimédia du parcours permanent de ce centre, a alors soutenu qu’elle estimait ne pas être soumise à cette obligation et que, par suite, elle n'avait pas souscrit une telle assurance pour le chantier en cause et se trouvait par conséquent dans l'impossibilité de transmettre l'attestation demandée. 

Elle demande l’annulation de l’ordonnance demandant la transmission d’attestation d’assurance.

Le Conseil d’État accède à sa requête au motif que la mise en œuvre de L. 521-3 est subordonnée à l’absence de contestation sérieuse ; or l’argumentation de la requérante constituait précisément une telle contestation : le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit en faisant injonction à la société requérante de produire l’attestation d’assurance litigieuse.

(ord. réf. 11 janvier 2023, Société Casson Mann Limited, n° 466691)

 

11 - Énergie photovoltaïque – Régime privilégié des contrats d’achat de l’électricité produite par cette source d’énergie – Rémunération estimée excessive – Modifications par voie législative intervenue en cours d’exécution de ces contrats d’achat –Rétroactivité – Aide d’État résultant d’une tarification avantageuse – Absence de notification à la Commission – Illégalité de l’arrêté – Annulation.

 (27 janvier 2023, Association Solidarité Renouvelables, association Enerplan, syndicat des professionnels de l'énergie solaire et syndicat des énergies renouvelables, n° 458991 ; Société Bovi-ER et société Pepigreen, n° 459049, jonction)

V. n° 52

 

12 - Recours excès de pouvoir – Action dirigée contre un décret approuvant un avenant à une concession d’autoroutes et contre la modification d’une disposition du cahier des charges – Recours portant sur des clauses réglementaires d’un contrat et sur des clauses non réglementaires d’un avenant à ce contrat – Annulation et rejet partiels.

Le requérant demandait l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 janvier 2022 approuvant, d’une part, le dix-huitième avenant à la convention passée entre l'État et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé, ayant pour objet de permettre le Contournement Ouest de Montpellier et, d'autre part, l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention en tant qu'il majore les tarifs de péages sur l'ensemble du réseau concédé à la société ASF.

En premier lieu était contestée la clause tarifaire autorisant une hausse du prix des péages ce qui soulevait préalablement une importante question de recevabilité à laquelle le juge répond ici positivement car l’article modifié du cahier des charges, qui augmente pour l'ensemble du réseau concédé à la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF), le tarif des péages applicable au véhicules de la classe 1 pour les exercices 2023 à 2026, présente un caractère réglementaire susceptible d'être contesté par la voie d'un recours pour excès de pouvoir.

La qualité d'usager du réseau autoroutier concédé à la société ASF, donne au demandeur un intérêt direct et certain lui permettant de demander l'annulation pour excès de pouvoir de cette disposition sans qu’il y ait lieu de s’arrêter à la fin de non-recevoir opposée à cette demande et tirée du caractère limité de cette augmentation.

Sur le fond, cette clause réglementaire est annulée car la hausse qu’elle autorise est mise à la charge de l'ensemble des usagers de la totalité des 2 714 km du réseau autoroutier concédé à la société ASF alors qu’il ne s’agit que de financer les travaux de réalisation d'un tronçon de 6,2 km destiné au contournement ouest de Montpellier dépourvu de péage. Ainsi est méconnue la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu. 

En deuxième lieu, en revanche, est rejeté le recours dirigé contre des clauses non réglementaires de l’avenant, car il fallait pour que ce recours fût recevable que le demandeur, tiers au contrat litigieux, ait été lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation de l’avenant ou par ses clauses. Par ailleurs, d’une part, l’invocation de sa seule qualité d'usager des autoroutes concédées à la société ASF, ne justifie pas ipso facto que le demandeur serait lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la décision d'aménagement du contournement ouest de Montpellier ou par les autres stipulations de l'avenant relatives à sa mise en œuvre, et, d’autre part, ces dispositions non réglementaires n’étant pas indivisibles de celles réglementaires annulées, elles ne sauraient l’être par voie de conséquence.

Enfin, en dernier lieu, est rejeté le recours dirigé contre la légalité du décret du 28 janvier 2022 en tant qu’il porte approbation du contrat litigieux. En effet, la jurisprudence restreint les cas d’ouverture à recours en cette hypothèse aux seuls moyens tirés de vices propres entachant l'acte d'approbation ou de l'annulation de cet acte par voie de conséquence de ce qui est jugé sur les recours formés contre le contrat. Or, le seul moyen fondé sur un vice propre au décret attaqué soulevé par le requérant manque en fait : la section des travaux publics du Conseil d’État a bien émis un avis sur le décret attaqué.

(27 janvier 2023, M. A., n° 462752 et n° 465060)

 

13 - Marché de travaux – Retards dans l’exécution d’un lot – Expertise – Décompte de liquidation d’un marché résilié – Délai de 45 jours (art. 13.4.4. CCAG Travaux) – Point de départ – Annulation sans renvoi (jugement au fond).

Dans le cadre d’un marché portant sur un projet de reconstruction, restructuration et extension d’un centre hospitalier, la société GETELEC TP s’est vue attribuer par acte d’engagement du 18 octobre 2013 le lot 401 « VRD / Station-Service ».

Le centre hospitalier, mettant un terme à de nombreuses difficultés rencontrées dans l’exécution de ce marché, a résilié le marché le 5 novembre 2019 et notifié à la société GETELEC TP, le 10 août 2020, un décompte de liquidation comportant notamment des pénalités de retard et fixant le solde du marché à une somme négative. Par lettre du 1er octobre 2020, la société GETELEC TP a fait part de son refus de signer le décompte de liquidation et a transmis un mémoire en réclamation qui a été rejeté par une décision du centre hospitalier du 9 novembre 2020.

La société a saisi le 13 janvier 2022 le juge du référé de l’art. R. 532-1 du CJA en vue que soit désigné un expert afin de déterminer avec précision les causes du retard pris par le chantier, le volume de travaux réellement effectués dans le cadre de l'exécution du lot qui lui a été attribué, ainsi que le montant des préjudices en découlant pour cette société.

Le juge du premier degré a ordonné cette expertise, confirmé en cela par le juge des référés de la cour administrative d’appel rejetant le recours dirigé contre cette ordonnance.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation du rejet de sa demande d’annulation de l’ordonnance.

Se fondant sur les dispositions du CCAG Travaux ici applicable, le Conseil d’État juge qu’il résulte de la combinaison de dispositions des art. 47,13 et 50 de ce cahier que, dans le silence de ce document sur ce point, en cas de résiliation du marché, l'établissement et la contestation du décompte de liquidation, qui se substitue alors au décompte général établi dans les autres cas, sont régis par les stipulations des articles 13 et 50 du CCAG.

Normalement, l'absence de notification au titulaire du décompte de résiliation dans le délai, fixé par l'article 47.2.3, de deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1, permet au titulaire de mettre le représentant du pouvoir adjudicateur en demeure de le faire, l'absence de réponse à cette mise en demeure dans un délai de trente jours l'autorisant alors à saisir le tribunal administratif en cas de désaccord.

Il en résulte donc que la notification du décompte de résiliation postérieurement au délai de deux mois – comme c’était le cas en l’espèce -, qu'elle réponde à une mise en demeure adressée par le titulaire au représentant du pouvoir adjudicataire ou pas, fait courir le délai de 45 jours imparti par l'article 13.4.4 au titulaire pour renvoyer au représentant du pouvoir adjudicateur le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou pour faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer, à peine d'être regardé comme ayant accepté le décompte notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur.

C’est pourquoi la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que le décompte de liquidation du marché notifié par le centre hospitalier à la société GETELEC TP, le 10 août 2020, soit neuf mois après la signature du procès-verbal de résiliation du marché, ne pouvait tenir lieu de décompte de liquidation, au motif que sa notification était intervenue au-delà du délai de deux mois prévu par l'article 47.2.3 du CCAG, et que la société GETELEC TP ne pouvait ainsi se voir opposer les délais de contestation de ce décompte prévus par ce cahier.

S’agissant, ensuite, de la demande d’expertise celle-ci est jugée sans utilité dès lors que comme sus-indiqué, en cas de décompte de liquidation après résiliation du marché, la société titulaire du marché disposait d'un délai de 45 jours pour renvoyer le décompte signé ou faire connaître les motifs pour lesquels elle refusait de le signer. Or ce n’est que le 1er octobre 2020 que la société a formé un recours contre un décompte de liquidation qui lui avait été notifié le 10 août 2020, soit 51 jours plus tard. La société n’ayant pas contesté la décision de résilier le marché et le délai de 45 jours étant expiré, le décompte litigieux est devenu définitif rendant sans utilité l’expertise demandée.

(27 janvier 2023, Centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, n° 464149)

 

Droit du contentieux administratif

 

14 - Référé liberté – Révocation d’un magistrat par le Conseil supérieur de la magistrature – Demande de réexamen du pourvoi – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable la demande formée devant le juge du référé liberté tendant à ce qu’il réexamine le pourvoi que le demandeur avait formé le 27 avril 1981 contre la décision prise le 8 février 1981 par le Conseil supérieur de la magistrature ayant prononcé sa révocation du corps des magistrats de l'ordre judiciaire. 

(ord. réf. 02 janvier 2023, M. A., n° 469589)

 

15 - Conseil d’État, juge des référés – Condition tenant à la compétence du Conseil d’État pour connaître du litige principal – Absence – Ordonnance de rejet.

Rappel de ce que la compétence du Conseil d’État pour statuer en référé est subordonnée à la condition impérative que le litige principal auquel se rattache la mesure sollicitée en référé relève lui-même de la compétence du Conseil d’État.

Tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, le tribunal administratif ne statue pas en premier et dernier ressort, son jugement relevant alors de l’appel devant la cour administrative d’appel non du recours direct en Conseil d’État.

On relèvera qu’en ce cas le rejet étant prononcé pour irrecevabilité manifeste, le Conseil d’État ne renvoie pas le litige à cette juridiction car il incombe au requérant de saisir lui-même, le cas échéant, la juridiction d’appel compétente.

(04 janvier 2023, M. A., n° 469953)

(16) V. aussi, très largement comparable : ord. réf. 30 janvier 2023, M. B., n° 470351.

 

17 - Juge du référé liberté – Pouvoirs et limites du juge administratif – Défaut de désignation de l’objet de la requête – Demande d’une injonction à l’encontre d’un tribunal administratif – Incompétence matérielle – Rejet.

Un requérant demande au juge des référés du Conseil d’État, , de façon peu banale, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA, l’annulation d’un décret, d’une décision de caisse d’allocations familiales (CAF)  lui refusant le bénéfice de certaines aides dont l'aide personnalisée au logement et qu’il soit fait injonction à un tribunal administratif d’accélérer le jugement de la requête qu’il y a introduite.

Le juge rejette – en sera-t-on étonné ? – tous ces « moyens ».

Le juge administratif n’est pas compétent pour annuler la décision d’une CAF de la nature de celle déférée ici.

Il n’est pas davantage saisi régulièrement alors que la requête se borne à viser « un décret de 2018 supprimant les aides au logement pour les accédants à la propriété pour les prêts ou contrats location-accession signés à compter du 1er février 2018 ».

Enfin, il n’entre ni dans les compétences ni dans l’office du juge des référés d’enjoindre un tribunal administratif de statuer sur la requête dont le requérant l’a saisi.

(ord. réf. 23 janvier 2023, M. B., n° 470483)

 

18 - Décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) admettant un magistrat à la cessation de ses fonctions – Décret d’exécution de cette décision – Saisine du juge des référés – Pourvoi en cassation contre la décision du CSM – Demande de sursis à l’exécution de cette décision – Rejet.

Le requérant, qui a fait l’objet de la part du CSM de la sanction d’admission à la cessation de ses fonctions, a fait l’objet, en exécution de cette décision, d’un décret présidentiel le radiant des cadres de la magistrature.

Il a saisi le juge des référés d’une demande de suspension du décret de révocation, qui est faite à l’appui de la demande d’annulation de cette même décision, ainsi que le prononcé de diverses injonctions. Parallèlement, il a formé un pourvoi en cassation contre la décision du CSM et une demande de sursis à l’exécution de celle-ci.

Les différentes requêtes sont évidemment rejetées.

Concernant le décret de révocation, il est rappelé que celui-ci n’est qu’une mesure d’exécution de la décision de sanction prise par le CSM et qu’une exception d’illégalité de ce décret ne saurait être tirée de l’illégalité de la décision du CSM car celle-ci est une décision juridictionnelle qui ne saurait relever du juge de l’excès de pouvoir mais du juge de cassation. Ce n’est que si ce dernier cassait la décision du CSM que le requérant pourrait ensuite saisir le juge de l’excès de pouvoir afin qu’il tire les conséquences d’une telle annulation sur le décret litigieux.

Par ailleurs, le pourvoi en cassation étant actuellement pendant et aucune décision de surseoir à l’exécution de la décision du CSM n’ayant été prise, il s’ensuit que le décret attaqué est toujours exécutoire et que son exécution ne saurait être suspendue dans la mesure où il ne fait que tirer les conséquences nécessaires de la décision juridictionnelle du CSA.

(ord. réf. 25 janvier 2023, M. Joary Andrianarivony, n° 470343)

(19) V. aussi, identique au précédent avec même requérant : 31 janvier 2023, M. Joary Andrianarivony, n° 470889.

 

20 - Moyen envisagé comme devant être relevé d’office – Observations présentées sur ce moyen après la clôture de l’instruction – Obligation de communication aux autres parties – Absence – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige en contestation du licenciement de l’agent non contractuel d’une communauté de communes, le Conseil d’État est amené à annuler l’arrêt d’une cour administrative d’appel rendu sans communiquer aux autres parties les observations de l’une d’elles, même faites après la clôture de l’instruction, en réponse à l’information que la cour était susceptible de relever d’office le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'exception d’illégalité dirigée contre la décision nommant une personne aux fonctions précédemment occupées par le requérant licencié.

(06 janvier 2023, M. C., n° 449405)

 

21 - Référé liberté et référé suspension – Absence d’équivalence – Existence de deux régimes spécifiques – Délivrance d’une carte de résident – Refus – Demande en référé liberté – Conséquences – Rejet.

Un ressortissant guinéen a sollicité le renouvellement de sa carte de résident et un premier récépissé, puis d’autres, lui ont été délivrés à sa demande. Il a cependant saisi le juge du référé liberté (L. 521-2 CJA) d’une demande en vue que soit ordonnée à l’autorité préfectorale la délivrance à son bénéfice d’une carte de résident dans les plus brefs délais, cette absence de délivrance, selon lui, compromettait, en faisant obstacle à son retour en France, son projet de se rendre au Niger à la suite du décès de sa sœur, lui interdit d'utiliser son véhicule, de bénéficier des droits sociaux et d'exercer une activité professionnelle.

La demande est rejetée car formulée dans le cadre d’un référé liberté elle supposerait, pour pouvoir être accueillie, la preuve de la nécessité de bénéficier à très bref délai de la délivrance d'une carte de résident, d'autant plus qu'il ne conteste pas n'avoir pas sollicité la délivrance d'un récépissé de sa demande dont rien ne permet de penser qu'il ne lui aurait pas été délivré et qui lui aurait permis d'être en situation régulière. 

Au contraire, son action aurait eu davantage de succès si elle avait été fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-1 CJA régissant le référé suspension.

Comme le rappelle le Conseil d’État, de façon très pédagogique : « En distinguant les deux procédures prévues par les articles L. 521-1 et L. 521-2 (…), le législateur a entendu répondre à des situations différentes. Les conditions auxquelles est subordonnée l'application de ces dispositions ne sont pas les mêmes, non plus que les pouvoirs dont dispose le juge des référés. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. »

(ord. réf. 11 janvier 2023, M. A., n° 470153)

(22) V. aussi, rejetant pour le même motif que dans l’arrêt précédent une requête d’un syndicat de médecins qui, faisant état de difficultés d'approvisionnement en France de certains médicaments, en particulier l'amoxicilline et le paracétamol, demande au juge du référé liberté du Conseil d'État d’enjoindre la première ministre, pour limiter la pénurie, d'ordonner des réquisitions, de procéder à des importations massives ou d'adopter des mesures de soutien à la production de médicaments : ord. réf. 11 janvier 2023, Syndicats des jeunes médecins, n° 470223.

 

23 - Annulation d’un permis de construire délivré par le maire de Paris - Maire d’arrondissement - Intérêt pour agir en intervention dans un pourvoi contre le jugement annulant ce permis – Absence – Rejet.

Dans le cadre d’un pourvoi du maire de Paris dirigé contre le jugement annulant un permis de construire qu’il a délivré, est irrecevable l’action en intervention formée par un maire d’arrondissement et tendant au maintien de ce jugement.

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; Ville de Paris, n° 450474)

V. aussi n° 126

 

24 - Sens des conclusions du rapporteur public – Obligation de communication aux parties dans un délai raisonnable avant l’audience – Modification de la position du rapporteur après cette communication – Nouvelle communication des conclusions modifiées en dehors du délai raisonnable – Circonstance sans effet en l’absence de modification du sens des conclusions – Rejet.

S’il est fait obligation au rapporteur public, à peine d’irrégularité du jugement ou de l’arrêt, de communiquer aux parties, dans un délai raisonnable avant l’audience, le sens de ses conclusions (cf. art. R. 711-3 du CJA), celui-ci peut aussi préciser, notamment lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. Cependant, la communication de cette information aux parties n’est pas, elle, à la différence de l’obligation précédente, prescrite à peine d’irrégularité du jugement.

Par ailleurs, lorsqu’après avoir communiqué dans un délai raisonnable le sens de ses conclusions, le rapporteur public ajoute par la suite des précisions ou informations complémentaires qui ne contredisent ni ne modifient le sens des conclusions tel que communiqué antérieurement, la circonstance que la seconde communication n’ait pas été effectuée dans un délai raisonnable est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; ville de Paris, n° 450474)

V. aussi n° 126

 

25 - Désistement d’office – Conditions d’existence – Octroi d’une prorogation du délai pour produire – Demande de prorogation tardive – Désistement d’office s’imposant – Rejet.

En principe, lorsque le demandeur a annoncé la production ultérieure d’un mémoire complémentaire, à l’expiration du délai imparti par la juridiction, il est réputé d’office s’être désisté de son action dès lors qu’il a reçu la mise en demeure prévue, qu'elle lui a laissé un délai suffisant pour y répondre et qu’il a été informé des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai.

En l’espèce, l’avocat de la requérante avait sollicité et obtenu une prorogation d’un mois du délai de quinze jours primitivement accordé pour la production du mémoire complémentaire. Par la suite, la cour administrative d’appel a constaté que la demanderesse devait être réputée s’être désistée de sa requête.

Cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt en excipant de la prolongation de délai qui avait été accordée par la cour.

Las, le pourvoi est rejeté car à la date à laquelle son avocat a demandé la prorogation du délai primitif de quinze jours ce dernier délai était déjà expiré, de sorte que l’intéressée devait être réputée s’être désistée.

La solution est sévère car l’avocat a pu, de bonne foi, penser que la prorogation était valide et, surtout, que la même cour ne saurait opposer le désistement d’office que, par son comportement, elle semblait, même fût-ce par erreur, avoir renoncé à opposer

(13 janvier 2023, Mme B., n° 452716)

 

26 - Référé liberté – Délai de 48 heures pour statuer – Délai non prescrit à peine de dessaisissement – Expiration de ce délai n’ayant pas pour effet la saisine automatique du Conseil d’État – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Rappel de ce que le délai de 48 heures imparti au juge par l’art. L. 521-2 du CJA pour statuer sur une requête en référé liberté n’est pas fixé à peine de dessaisissement.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, la circonstance que le tribunal administratif auquel le requérant demandait par voie de référé liberté d'interdire immédiatement la poursuite de déversements d'effluents pollués chimiquement dans la Romanche, à l'aval de Vizille, et dans le Drac, à l'aval du barrage de Notre-Dame de Commiers, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, n’ait pas statué à l’expiration du délai de 48 heures n’avait ni pour effet de le dessaisir ni, non plus et encore moins ( !), de saisir automatiquement le juge des référés du Conseil d’État.

(ord. réf. 13 janvier 2023, M. B., n° 470233)

 

27 - Référé « mesures utiles » – Demande de communication de pièces – Saisine du juge déjà effectuée sur le fond – Inutilité de la saisine du juge du référé « mesures utiles » - Rejet.

Est sans utilité, et donc rejetée, la demande, par une association, en référé « mesures utiles », tendant à ce que ce juge ordonne la communication de pièces qu’elle estime indispensables pour étayer un recours alors qu’elle a, par ailleurs, saisi le juge d’un recours sur le fond et qu’il lui est, par conséquent, possible de demander à ce juge qu’il ordonne cette communication de pièces.

(ord. réf. 18 janvier 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, n° 470278)

 

28 - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Recours dirigé contre une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) agréant un local destiné à recevoir des demandeurs d'asile dans le cadre d'un entretien personnel – Absence de caractère d’acte réglementaire d’une autorité à compétence nationale – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours direct en annulation de la décision du directeur général de l’OFPRA d’agréer les locaux de la zone d'attente de l'aéroport de la Réunion-Roland Garros et les locaux relevant de la police aux frontières qui lui sont rattachés pour y recevoir des demandeurs d'asile, demandeurs du statut d'apatride, réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire entendus dans le cadre d'un entretien personnel mené par l’OFPRA par un moyen de communication audiovisuelle.

Le recours est rejeté car il est jugé manifestement irrecevable : cette décision du directeur général de l’OFPRA ne saurait constituer un acte réglementaire pris par une autorité à compétence nationale que le 2° de l’art. R. 311-1 du CJA réserve à la compétence directe du Conseil d’État.

(ord. réf. 19 janvier 2023, CIMADE et autre, n° 470529)

 

29 - Projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou la santé humaine – Incidence du projet pour d’autres motifs que sa dimension – Injonction au premier ministre de prendre une mesure en ce sens – Notion d’exécution d’une décision de justice – Rejet.

(20 janvier 2023, Association France Nature Environnement et association France Nature Environnement Allier, n° 464129)

V. n° 81

 

30 - Rejet d’un pourvoi en cassation d’une ordonnance de référé de rejet – Nouvelle demande en référé – Défaut de confirmation dans le délai requis de la requête en annulation – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

Le requérant a saisi le juge d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire qu’il a assorti d’une requête en référé suspension de ce permis. Cette dernière a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif et ce refus a été confirmé, sur pourvoi, par le Conseil d’État statuant en cassation.

Le requérant a formé une nouvelle demande de suspension que le juge des référés a rejetée par le motif – fondé sur les dispositions de l’art. R. 612-5-2 du CJA - qu’il n’avait pas, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance de non-admission du Conseil d'État, confirmé sa requête à fin d'annulation et qu’ainsi il était réputé s’être désisté de son action.

Le Conseil d’État est à la cassation car il résulte des termes même de cet article (« sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés ») qu’ils excluent le cas dans lequel un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, sans réserver de solution particulière pour le cas où ce pourvoi ne serait, en définitive, pas admis. 

(20 janvier 2023, M. A., n° 464784)

 

31 - Intervention en défense au niveau de l’appel – Arrêt contraire aux conclusions de l’intervenant – Recevabilité du pourvoi en cassation de l’intervenant sous condition – Condition non satisfaite – Irrecevabilité - Rejet.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’une autorisation d’implantation d’éoliennes, rappel d’une règle bien connue du droit du contentieux administratif selon laquelle celui qui, devant la cour administrative d'appel, est régulièrement intervenu en défense, est recevable à se pourvoir en cassation contre l'arrêt rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'il aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre l'arrêt faisant droit au recours. 

Application négative ici la condition n’étant pas remplie, avec rappel de ce que la circonstance qu'une personne justifie d'un intérêt pour agir contre une décision administrative ne lui donne pas, de ce seul fait, qualité pour former tierce opposition à l'arrêt par lequel une cour administrative d'appel a annulé la décision refusant cette autorisation, y compris lorsque la cour a assorti son arrêt d'une injonction tendant à la délivrance de cette autorisation, dès lors que l'autorisation ainsi délivrée peut être contestée par des tiers à cette autorisation sans qu'ils puissent se voir opposer les termes de l'arrêt.

(25 janvier 2023, Association Dans le Vent et autres, n° 449197)

(32) V., solution identique, également en matière d’implantation d’éoliennes : 25 janvier 2023, Commune de Tourville-la-Campagne, n° 450161.

 

33 - Décret de retrait de la nationalité française (art. 23-8 Code civil) – Contestation – Nature de recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(25 janvier 2023, M. A., n° 466223)

V. n° 88

 

34 - Responsabilité hospitalière – Régime de mise en cause des caisses de sécurité sociale – Mise en cause d’ordre public – Présentation pour la première fois en appel de chefs de débours – Irrecevabilité sauf conclusions portant sur des prestations nouvelles – Annulation partielle.

(27 janvier 2023, CPAM de Côte d’Or, n° 453427)

V. n° 122

 

35 - Cotisation foncière des entreprises – Taxe pour frais de chambre de commerce et d’industrie – Taxe spéciale d’équipement – Substitution par le juge d’un terme de comparaison retenu par l’administration fiscale – Dénaturation – Annulation.

Pour prononcer la réduction de la cotisation foncière des entreprises, de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie et de la taxe spéciale d'équipement auxquelles une société propriétaire d’un local sur les Champs-Elysées, a été assujettie au titre des années 2015 à 2017, la cour administrative d’appel avait écarté le local-type n° 246 du procès-verbal des locaux commerciaux ordinaires du secteur Paris Champs Elysées retenu comme terme de comparaison par l'administration fiscale pour déterminer la valeur locative du bien en litige. La cour avait estimé que ce local-type, d'une superficie totale de 553 m2 pondérée à 399 m2 et d'une valeur locative au mètre carré de 421 francs (ou 77 euros), avait été rayé de ce procès-verbal pour faire l'objet d'une autre évaluation, portant cette fois sur une surface totale de 471 m2 pondérée à 348 m2 et une valeur locative au mètre carré de 589 francs (ou 90 euros). 

Sur pourvoi du ministre des finances, l’arrêt est annulé pour dénaturation de pièces du dossier car, relève le juge de cassation, « Il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que le local-type n° 246 n'a pas été rayé du procès-verbal des locaux commerciaux ordinaires du secteur Paris Champs Elysées mais que sur la ligne concernant ce local mise en évidence par un surlignage bleu, seule la référence cadastrale a été rayée, et que, d'autre part, le local d'une surface totale de 471 m2 mentionné par la cour ne correspond pas à une autre évaluation du local-type n° 246 mais se rapporte au local-type n° 245 qui, quoique situé à la même adresse, est distinct du local-type n° 246. »

(27 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 458875)

 

36 - Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Proposition de tarifs réglementés de vente d’électricité – Acte préparatoire – Exception d’illégalité de cette proposition contre l’arrêté fixant les tarifs – Absence de caractère d’acte de droit souple – Rejet.

Les recours pour excès de pouvoir étaient dirigés contre la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 18 janvier 2022 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

Les recours, joints, sont rejetés pour des motifs d’ordre procédural.

En premier lieu, les propositions motivées de la CRE faites aux ministres concernés (économie et énergie) de tarifs réglementés de vente d'électricité, ne constituent en elles-mêmes qu'un acte préparatoire à l’arrêté fixant lesdits tarifs, elles ne peuvent donc pas faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir. 

En deuxième lieu, il ne saurait être soutenu que les tarifs proposés par la Commission dans la délibération contestée seront pris en compte pour déterminer la composante de rattrapage, intégrée aux TRVE dits « bleus » résidentiels lors de leur première évolution pour 2023, la fixation de cette composante résultera du niveau des TRVE fixé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie lors de leur première évolution en 2023.

Par suite, la seule circonstance que les tarifs proposés par la Commission soient susceptibles d'influer sur le niveau de la composante de rattrapage n'est pas de nature à conférer à cette délibération le caractère d'un acte pouvant être déféré au juge de l'excès de pouvoir. En revanche, il pourra être excipé, le cas échéant, de l'illégalité de la délibération contestée à l'appui d'une demande d'annulation de cet arrêté.

En troisième lieu, la réponse est la même que la précédente s’agissant du moyen selon lequel, la délibération adoptant cette même proposition de la CRE serait de nature à influer sur l'ampleur de la compensation pour charges de service public due à certaines entreprises locales de distribution et aux fournisseurs alternatifs d'électricité. Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette délibération est irrecevable mais une exception d’illégalité pourrait être formée.

Enfin, cette délibération, simplement préparatoire, ne constitue pas non plus un acte de droit souple pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir car elle ne produit pas, par elle-même, « des effets notables, notamment de nature économique, sur la situation ou le comportement des fournisseurs d'électricité. »

(27 janvier 2023, Association Consommation logement et cadre de vie (CLCV) et autres, n° 461379 ; Société EkWateur, n° 462470, jonction)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

37 - Entreprise de restauration – Vérification de comptabilité – Reconstitution des recettes – Dénaturation des pièces – Régularité de la procédure d’imposition – Bien-fondé des impositions, pénalités et amende – Annulation et rejet.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation d’un arrêt qui, après cassation et renvoi, a déchargé une société des impositions et pénalités mises à sa charge.

L’arrêt est cassé pour dénaturation des pièces du dossier car il est fondé sur ce que la méthode de reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur était fondée sur un retraitement de données selon des règles qui n'étaient pas justifiées et qu’ainsi l'administration n’apportait pas la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt résultant de cette reconstitution. Or, selon le Conseil d’État, l’administration s'était prévalue d'un guide de lecture et de sa propre connaissance des modalités de fonctionnement du logiciel de caisse permissif « Prores » utilisé par la société, acquise au fur et à mesure des contrôles auxquelles elle procède et synthétisée dans un document intitulé « Rappels sur les systèmes de caisse Pi Électronique », annexé aux propositions de rectification notifiées à la société. 

S’agissant d’une seconde cassation dans le cadre d’un même litige, le Conseil d’État juge donc l’affaire au fond en partant du jugement de première instance et des moyens que la société contrôlée avait développés.

Il est jugé que la procédure d’imposition conduite en l’espèce était – comme l’a jugé le tribunal administratif, régulière, le vérificateur ayant suffisamment informé la société sur la nature des investigations souhaitées afin de lui permettre d'effectuer son choix, en toute connaissance de cause et avec un délai suffisant de réflexion de sept jours, entre les options prévues par l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et cela alors même que l'éventualité d'une reconstitution des recettes n'était pas mentionnée dans ce courrier.

Également, l’administration fiscale n’a pas méconnu son obligation de loyauté ainsi que les droits de la défense.

Par ailleurs, la reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur était uniquement fondée sur les éléments indiqués par le vérificateur dans un document annexé aux propositions de rectification communiqués à la société. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, il n’a été porté atteinte ni à l'art. L. 76 B du livre des procédures fiscales, ni à l'art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et ni aux art. 6 et 13 de la convention EDH.

Enfin, sont jugées bien fondées tant les impositions que les pénalités et l’amende mises à la charge de la société contrôlée.

(05 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 452595)

 

38 - Moyen tiré de l’existence d’éléments d’équipement dispensés de taxe foncière sur les propriétés bâties – Obligation de réponse du juge à ce moyen – Absence – Motivation insuffisante – Annulation.

Ne motive pas suffisamment son jugement et encourt la cassation, le tribunal administratif qui, saisi de moyens fondés sur ce que des installations frigorifiques et des panneaux isothermes devaient être exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties au motif qu'ils présentaient les caractéristiques des biens d'équipement spécialisés mentionnés au 11° de l'article 1382 du code général des impôts, les rejette en se bornant à indiquer que les éléments produits par la demanderesse étaient insuffisants s’agissant des installations frigorifiques et qu’elle n’apportait aucun élément de nature à démontrer que les panneaux isothermes ne feraient pas corps avec le reste du bâtiment.

(05 janvier 2023, Société Alliance Océane, n° 454909)

 

39 - Personne prétendue « maître de l’affaire » - Imposition en conséquence – Jugement contraire du tribunal correctionnel – Motivation insuffisante – Annulation et renvoi dans la mesure de la cassation prononcée.

Encourt la cassation pour insuffisance de sa motivation, l’arrêt d’appel qui, pour rejeter l’argumentation du contribuable selon laquelle, contrairement à ce que prétend l’administration fiscale, il n’est pas le maître de l’affaire, se borne à relever que l’intéressé ne conteste pas sérieusement les éléments de fait réunis par l’administration pour opérer cette qualification alors que celui-ci, pour prétendre n’être pas le maître de l’affaire, invoquait notamment des constatations de fait issues d'un jugement de tribunal correctionnel, produit au dossier, dont il soutenait qu'elles étaient revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée.

(05 janvier 2023, M. C., n° 455612)

 

40 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Aires de stationnement situées sur le territoire de deux communes – Évaluation distincte – Absence d’erreur de droit - Rejet.

La requérante loue aux sociétés d’un groupe dont elle fait partie, en premier lieu, des biens d'exploitation d'une superficie de 15 000 m² situés sur le territoire de la commune du Plessis-Pâté (Essonne) et, en second lieu, un ensemble de parcelles, contigu au premier et d'une superficie de 25 000 m², aménagé en aire de stationnement pour poids-lourds, situé sur le territoire limitrophe de la commune de Brétigny-sur-Orge.

La société requérante n’ayant pas jugé utile de déclarer le second terrain, l’administration procéda à son évaluation d’office ce qui souleva un contentieux sur le point de savoir s’il devait y avoir une évaluation distincte ou non pour déterminer la valeur locative de chaque fraction de propriété susceptible de faire l'objet d'une utilisation distincte par un même occupant. Le Conseil d’État répond ici positivement à cette question, précisant même que la circonstance que la propriété fasse ou non l'objet d'une exploitation commerciale autonome est sans incidence à cet égard.

C’est pourquoi le tribunal administratif est approuvé pour avoir jugé que dès lors qu'aucune partie de l'aire de stationnement en litige ne présentait des caractéristiques ou une valeur d'utilisation différente d'une autre, cette aire devait être évaluée, conformément à sa nature, dans la catégorie des parcs de stationnement à ciel ouvert sans qu'il y ait lieu d'appliquer à une quelconque fraction de cette aire un coefficient de pondération inférieur à un.

(05 janvier 2023, SCI Sociprat, n° 460519)

 

41 - Majoration de la valeur locative des terrains constructibles non bâtis situés dans les zones urbaines de la commune – Demande de réduction à due concurrence de la taxe foncière sur les propriétés non bâties – Terrain jugé se situer en zone urbaine – Non-examen de l’existence de voies et réseaux – Erreur de droit – Annulation.

La commune de Cournon-d’Auvergne ayant majoré la valeur locative des terrains constructibles non bâtis situés dans les zones urbaines de la commune, M. et Mme D. ont demandé que soit réduite à due concurrence de cette majoration le montant de la taxe foncière sur les propriétés non bâties applicable à la parcelle dont ils étaient propriétaires. Ceci leur ayant été refusé et leur recours contentieux contre ce refus ayant été rejeté, leurs héritiers ont, après leurs décès, saisi le juge d’un pourvoi en cassation.

Il est jugé qu’il résulte des dispositions de l’art. 1393 du CGI combinées à celles du B. du II de l’art. 1395, que les communes peuvent majorer la valeur locative de ces terrains lorsqu’ils sont situés dans les zones, d’une part, définies comme urbanisées ou à urbaniser par le document d'urbanisme applicable et, d’autre part, équipées de voies publiques et de réseaux d'eau et d'électricité suffisants pour desservir les constructions devant y être implantées, à l'exception des terrains insusceptibles de recevoir une construction.

Or, pour rejeter la requête de M. et Mme D., puis de leurs héritiers, le tribunal administratif s’est fondé sur la localisation du terrain litigieux en zone urbaine. Ce jugeant, il a commis une erreur de droit car une telle localisation n’est pas suffisante, encore faut-il que la zone au sein de laquelle se situe le terrain soit équipée de voies publiques et de réseaux d'eau et d'électricité suffisants pour desservir les constructions devant y être implantées.

(05 janvier 2023, Mme D. et autres, héritiers de M. et Mme D., n° 462008)

 

42 - Procédure fiscale – Redevance pour pollution d’origine non domestique - Condition de la substitution de base légale – Absence de demande en ce sens de l’administration défenderesse – Méconnaissance de l’office du juge de l’impôt – Annulation sur ce point et recours à la méthode de calcul préconisée par la contribuable.

Une société rejetant des substances polluantes qui n'avait pas mis en œuvre de dispositif agréé de suivi régulier des rejets des substances polluantes inhérents à son activité, a adressé à l'agence de l'eau Seine-Normandie, dans les délais impartis, les déclarations en vue de la détermination de l'assiette de la redevance pour pollution d'origine non domestique au titre des années 2011 et 2012 suivant la méthode indirecte (cf. II, deuxième alinéa, art. L. 213-10-2 du code de l'environnement). L'agence de l'eau a entendu faire application non de cette méthode, mais de la taxation d'office (cf. 1° de l'art. L. 213-11-6 du code précité) applicable aux personnes n'ayant pas fourni la déclaration des éléments nécessaires à son calcul à la date fixée par la loi. 

1 - La requérante demande l’annulation de cette substitution de la base légale de l’imposition, les redevances perçues par les agences de l'eau en application de l'article L. 213-10 du code de l'environnement constituant des impositions de toute nature. 

Le Conseil d’État accueille le moyen car il est de principe que le juge de l'impôt ne peut pas substituer d'office au fondement de l'imposition contestée un autre fondement justifiant son maintien lorsqu'il n'y a pas été invité par l'administration défenderesse au cours de l'instance.

C’est pourquoi est annulé sur ce point l’arrêt d’appel qui s’était borné à juger inopérant le moyen, invoqué par la contribuable, tiré de l’irrégularité du recours à la taxation d’office par les motifs que celle-ci n'avait été privée d'aucune des garanties inhérentes à la procédure contradictoire de contrôle prévue par le code de l'environnement et que l'agence de l'eau avait déterminé l'assiette des redevances dues en se fondant sur les informations déclarées par la société.

Ce jugeant elle a évidemment manqué à son office.

2 - Cependant, comme on le sait, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, de substituer une base légale à celle qui a été primitivement invoquée par elle dès lors que cette substitution peut être faite sans méconnaître les règles de la procédure d'imposition. Or en l’espèce, l’agence de l’eau fait valoir devant le Conseil d'État, dans l'hypothèse d'un règlement au fond après cassation, que les redevances litigieuses peuvent être maintenues sur le fondement de la méthode indirecte à partir des informations qui ont été communiquées par la société.

Le juge fait droit à cette demande de substitution de base légale car elle ne prive la contribuable d'aucune garantie de procédure. De là suit qu’est annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu’il a prononcé la décharge des impositions litigieuses au motif qu'elles ont été établies à l'issue d'une procédure de redressement irrégulière. En effet, la substitution de base légale rend inopérants les moyens relatifs aux impositions litigieuses soulevés par la société Boréalis Chimie devant le tribunal administratif. 

3 – En outre, l’agence de l’eau avait infligé une majoration de 40% du montant de la redevance en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 213-11-7 du code de l’environnement et l’art. 1728 du CGI mais la société Boréalis Chimie n’entrant pas dans le champ de ces dispositions législatives, c’est sans erreur de droit que la cour, dont l’arrêt est, sur ce point, confirmé, a jugé que l’agence de l’eau n'avait pu légalement appliquer cette majoration, ni non plus celle de 10%.

(25 janvier 2023, Société Boréalis Chimie, n° 446730)

 

43 - Permis de construire en vue de la création d’une activité de crèche associative – Imposition des locaux soit comme bureaux soit comme locaux commerciaux – Prestations rémunérées – Absence de caractère automatiquement commercial – Erreur de droit – Annulation.

L’association requérante qui a obtenu le permis de construire un local constituant une crèche, contestait son assujettissement de ce fait à la taxe pour la construction de locaux commerciaux.

Son recours ayant été rejeté elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement rejetant la demande d’annulation du titre de perception litigieux.

Le juge rappelle tout d’abord qu’il résulte des dispositions des art. L. 520-1, L. 520-8 et du III. de l’art. L. 520-7 du code de l’urbanisme ainsi que de celles du III de l’art. 231 ter du CGI, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires, que les locaux utilisés par des associations sont imposables dans la catégorie des locaux à usage de bureaux au sens du 1° du III de l'article 231 ter du CGI, à l'exception de ceux qu'elles utilisent pour exercer, à titre lucratif, des activités de commerce ou de prestations de services et qui sont destinés à accueillir la clientèle, ces locaux-là étant imposables dans la catégorie des locaux commerciaux au sens du 2° de ce même III.

Ensuite le jugement est annulé au double motif :

1°/ qu’il s’est borné à juger que ces locaux constituaient des locaux commerciaux au sens des dispositions du 2° du III de l'art. L. 231 ter du CGI car le public s'y rendait afin d'y recevoir une prestation de services moyennant une rémunération alors qu’à elle seule la perception d'une rémunération en contrepartie d'une prestation de services ne suffit pas à faire regarder cette prestation comme fournie à titre lucratif ;

2°/ qu’il devait distinguer parmi ces locaux ceux relevant du régime fiscal des locaux commerciaux – car destinés à accueillir une clientèle pour la réalisation, à titre lucratif, de prestations de services - et ceux relevant d’un autre régime fiscal.

(27 janvier 2023, Association France Horizon, n° 452256)

 

44 - Taxe sur les surfaces de stationnement – Conditions de soumission à la taxe – Conditions d’exonération – Intégration topographique à un établissement de production – Rejet de la demande de décharge – Erreur de droit – Annulation.

La requérante s’est vu refuser par l’administration fiscale la décharge de la taxe sur les surfaces de stationnement à laquelle elle avait été assujettie. Ayant, en vain, demandé l’annulation de ce refus devant le tribunal administratif, elle se pourvoit.

Le juge de cassation lui donne raison.

Tout d’abord, cette société est propriétaire d'un ensemble immobilier, exploité par le groupe de transport collectif Transdev, composé de bureaux, d'un atelier d'entretien et de réparation de véhicules, de surfaces d'accueil des bus et de surfaces de stationnement des véhicules du personnel et des visiteurs, ainsi que des voies de circulation desservant ces surfaces.

Elle a sollicité la décharge de la taxe, obtenant un dégrèvement partiel par l’administration mais rejet du surplus de sa demande. Le litige porte donc sur la part de taxe maintenue à la charge de la requérante.

Ensuite, il résulte des dispositions de l’art. 1599 quater C du CGI que la taxe sur les surfaces de stationnement est due pour celles de ces surfaces qui sont annexées à des locaux à usage de bureaux, à des locaux commerciaux ou à des locaux de stockage. Toutefois, en sont exceptés ceux des locaux qui sont topographiquement intégrés à un établissement de production (III de cet article du CGI et III, 1°, 2°, 3° et 4°, de l’art. 231 ter du CGI).

Le tribunal a jugé que le moyen de la requérante selon lequel les surfaces en cause n’étaient pas taxables ne pouvait être reçu puisqu’il revenait pour cette dernière à opposer une condition de mise à disposition de ces surfaces aux utilisateurs des locaux taxables non prévue par l'article 1599 quater C précité.

Le Conseil d’État est, très logiquement, à la cassation car le tribunal devait seulement rechercher si l'utilisation de ces surfaces contribuait directement à l'activité déployée dans des locaux relevant de l'une des catégories visées aux 1° à 3° de l'article 231 ter précité.

(27 janvier 2023, Société L’Immobilière des Fontaines, n° 458457)

(45) V. la solution identique retenue pour un autre établissement de la même société : 27 janvier 2023, Société L’Immobilière des Fontaines, n° 458459.

 

46 - Crédit impôt recherche – Acquisition de matériel génétique végétal – Absence de nouveauté de l’élément d’actif source des dotations aux amortissements – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante a acquis auprès d’une autre société du matériel génétique végétal constitué de graines, de plants, de plantes, de cellules germinales et d'autres matériels héréditaires. Ce matériel génétique dit « B. » a été immobilisé à l'actif de la société Ragt 2N.

L’administration fiscale a exclu de la base de calcul du crédit d'impôt recherche sollicité par la requérante au titre des années 2012 et 2013 les dotations aux amortissements afférentes au « B. » ainsi que les frais de fonctionnement forfaitaires correspondants.

La cour administrative d’appel a d’abord relevé que la société Ragt Semences ne produisait aucun élément de nature à établir que les travaux menés par sa filiale Ragt 2N sur le « B. » ne se situeraient pas dans la stricte continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société venderesse du matériel génétique. Puis, la cour a, en conséquence, considéré que les dotations aux amortissements liées à cet élément d'actif ne satisfaisaient pas à la condition de nouveauté applicable aux immobilisations créées ou acquises et par suite ne pouvaient être prises en compte au titre des dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt. 

Annulant cet arrêt le juge de cassation relève que, pour l’application du a du II de l'article 244 quater B du CGI (qui régit le crédit d’impôt recherche), la cour devait seulement s’interroger sur le point de savoir si cet élément d'actif immobilisé pouvait être regardé comme acquis à l'état neuf  sans s’arrêter sur la circonstance que les travaux menés par la filiale de la société sur le « B. » se situeraient dans la stricte continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société venderesse du matériel végétal. En effet, la disposition précitée du CGI est très claire sur ce point : relèvent du régime du crédit d’impôt («…a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation de prototypes ou d'installations pilotes (…).)

(27 janvier 2023, Société Ragt Semences, n° 460229)

 

47 - Avis de mise en recouvrement (ou AMR) – Régime de la signature – Distinction entre AMR antérieurs et ceux postérieurs au 1er janvier 2017 – Absence de mention – Erreur de droit – Annulation.

La décision apporte d’importantes précisions concernant certaines exigences de forme accompagnant les avis de mise en recouvrement et précise très nettement les différences séparant, sur ce point, les AMR adressés aux contribuables avant le 1er janvier 2017 et ceux notifiés postérieurement à cette date.

Les avis de mise en recouvrement émis antérieurement au 1er janvier 2017 doivent mettre le contribuable en état de vérifier que leur signataire est effectivement l'autorité compétente en vertu des dispositions des articles L. 256, L. 257 A et R. 256-8 du livre des procédures fiscales. Si l'ampliation de l'avis de mise en recouvrement adressée au contribuable n'a pas nécessairement à comporter de signature dès lors que l'original déposé au service compétent en est revêtu, il résulte des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration que cet avis doit en revanche comporter les mentions de nature à permettre l'identification de son auteur et sa qualité. 

Les avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017 n'ont pas à comporter la signature de leur auteur, dès lors que, par les autres mentions qu'ils comportent, ils sont conformes aux prescriptions de l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration. A défaut de cette conformité, ils doivent comporter cette signature.

(27 janvier 2023, Société Le Saphir, n° 462599)

 

Droit public de l'économie

 

48 - Droit public de l’agriculture – Autorisations de nouvelles plantations de vigne – Vignoble alsacien – Risque d’offre excédentaire ou de dépréciation importante de l’AOP Alsace – Démonstration non rapportée – Rejet.

Le ministre de l’agriculture et celui des finances ont mis en œuvre le dispositif d'autorisations de plantation en matière de gestion du potentiel de production viticole - Campagne 2019, sans limiter le nombre d'hectares rendus disponibles, au sein de la zone Alsace, pour la délivrance d'autorisations de plantation nouvelle pour des superficies situées hors de l'aire de l'appellation d'origine protégée (AOP) Alsace. L’association requérante, au soutien de sa demande d’annulation pour illégalité, prétend que cet arrêté crée, d’une part, un risque d'offre excédentaire de produits vitivinicoles eu égard aux perspectives offertes par le marché, d’autre part un risque de dépréciation importante de l'AOP Alsace.

Son action est rejetée faute pour elle d’apporter la démonstration de la réalité de l’un et l’autre points de son argumentation.

(06 janvier 2023, Association des viticulteurs d’Alsace, n° 454866)

Sur cette décision voir aussi le n° 1

(49) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre l’arrêté ministériel du 21 février 2022 relatif à la mise en œuvre du dispositif d'autorisations de plantation en matière de gestion du potentiel de production viticole (campagne 2022), dont l'annexe 1 procède à la définition des limitations de la délivrance d'autorisations de plantation nouvelle au niveau régional pour la campagne 2022, tendant à l'annulation des dispositions de cette annexe 1, qui sont divisibles, en tant qu'elles fixent une limitation à deux hectares pour la zone « VSIG - départements 54, 55, 57 et 88 » : 06 janvier 2023, M. B., n° 463194 et n°464371.

 

50 - Droit de l’énergie – Allocation d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) – Illégalités diverses reprochées – Rejet.

La requérante soutenait que la décision de la Commission de la régulation de l’énergie (CRE) lui attribuant certains volumes d’ARENH était entachée de plusieurs illégalités (délibération irrégulière, erreur de droit, erreur manifeste d’appréciation) et elle en demandait la suspension d’exécution au juge du référé suspension en tant qu’elle portait sur des quantités inférieures à celles demandées par la requérante. Certes était invoquée l’urgence à statuer mais il est assez évident que la voie du référé, avec les limites inhérentes à l’office de ce juge des référés, n'est pas la plus propice au succès dans des contentieux de la nature de celui en cause.

L’action est rejetée car le juge relève que les indicateurs établis à partir de la demande d’ARENH formulée par la société requérante excèdent les seuils fixés par l’art. R. 336-14 du code de l’énergie tels que mis en œuvre par délibération de la CRE laquelle fait ressortir, selon les postes de demandes, soit une demande manifestement surévaluée compte tenu de l’évolution déjà en cours qui est en décalage à la fois avec la croissance constatée sur l'ensemble de son portefeuille entre septembre 2021 et septembre 2022, avec l'importance des pertes récentes de clients et avec la surestimation de son niveau de droits d'ARENH pour l'année 2021, soit une justification insuffisante de son projet de développement sur le marché des consommateurs « petits professionnels » alors que la société l'avait déjà annoncé antérieurement sans pouvoir le mettre en œuvre. Dans ces conditions, le juge du référé suspension, en l’état du dossier, n’aperçoit ni erreur de droit, ni erreur de fait, ni, non plus, une erreur manifeste d’appréciation dans la décision querellée et donc, n’éprouve pas de doute sérieux sur la légalité de celle-ci.

(ord. réf. 09 janvier 2023, Société OHM Énergies, n° 469813)

(51) V. aussi, à propos d’un recours voisin et pareillement rejeté : ord. réf. 13 janvier 2023, Société Sagiterre, n° 469993.

 

52 - Énergie photovoltaïque – Régime privilégié des contrats d’achat de l’électricité produite par cette source d’énergie – Rémunération estimée excessive – Modifications par voie législative intervenue en cours d’exécution de ces contrats d’achat – Rétroactivité – Aide d’État résultant d’une tarification avantageuse - Absence de notification à la Commission – Illégalité de l’arrêté – Annulation.

Pour favoriser la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables l’État a mis en place, sur la base de l’art. 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, un mécanisme faisant obligation aux distributeurs d'électricité de conclure avec les producteurs qui en font la demande un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par les installations qui utilisent des énergies renouvelables. Des arrêtés des 10 juillet 2006, 12 janvier 2010 et 31 août 2010 ont successivement fixé les conditions applicables aux contrats conclus à compter de l'intervention de chacun d'eux pour l'achat de l'électricité produite par les installations, d’une certaine puissance, utilisant l'énergie radiative du soleil. 

Cette rémunération est vite apparue par trop avantageuse en ce qu’elle emportait une rémunération excessive au bénéfice des producteurs et dangereuse pour les finances des distributeurs d’électricité.

La loi de finances pour 2021 a prévu dans son art. 225 une réduction du tarif d’achat de l’électricité d’origine photovoltaïque et organisé une procédure de fixation du tarif ainsi que pour le devenir des contrats en cours. Pour l’exécution de cet article 225 ont été pris, d’une part, le décret du 26 octobre 2021 et, d’autre part, l’arrêté du même jour.

De ces textes il est demandé l’annulation par les entités requérantes qui n’obtiennent pas satisfaction sauf sur un point qui n’était peut-être pas attendu par elles, celui de l’illégalité du régime de tarification spéciale d’achat de l’énergie électrique d’origine solaire fixé par l’arrêté litigieux en tant que constituant une aide d’État il n’avait pas été déclaré à la Commission européenne.

Les requérants sont donc déboutés en tous leurs chefs de griefs.

Concernant le décret attaqué, il est jugé ne point porter atteinte au principe de sécurité juridique ni à l’exigence d’une législation transitoire pour éviter les brusques changements normatifs (cf. art. L. 221-5 du code des relations du public avec l’administration), cette sécurité juridique étant suffisamment garantie par l'entrée en vigueur différée de la réglementation nouvelle assortie du caractère suffisant du délai laissé – même s’il n’est que de 35 jours -   au regard de la nature des mesures à prendre et des actions déjà entreprises. 

Également, ce décret n’est pas entaché d’incompétence négative car, d’une part, les critères retenus à son art. 2 pour déterminer le niveau de rémunération raisonnable des capitaux sont définis avec une précision suffisante et, d’autre part, ce décret pouvait laisser à un arrêté le soin d’établir la formule de calcul de ce tarif, y compris en prévoyant une marge de 10 % et une majoration pour tenir compte de la localisation géographique des installations, critère d'ailleurs prévu à l'art. 3 du décret. Enfin, s'il est soutenu que le décret n'a pas défini plusieurs des critères légaux nécessaires à la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, il ressort des dispositions de l'art. 6 de ce décret que les critères permettant d'apprécier la viabilité économique du producteur sont définis de manière suffisamment précise et qu'en tout état de cause, il appartient à la Commission de régulation de l'énergie, en vertu de l'art. 7 de ce même décret, de procéder à un examen de cette viabilité au cas par cas, en fonction des particularités de chacune des installations concernées. 

Le décret n’a pas, non plu, opéré une délégation illégale de compétence à la Commission de régulation de l'énergie en se bornant non à lui permettre d’exercer le pouvoir de fixer le tarif individuel dans le cadre de la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, mais seulement à préciser les dispositions législatives donnant à la Commission un pouvoir de proposition.

Concernant la rétroactivité, le juge tente une esquive peu sérieuse en arguant de ce que le législateur ayant décidé que « la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n'excède pas une rémunération raisonnable », il s’en déduirait selon les juges du Palais-Royal qu’il a nécessairement entendu que c’est sur la durée totale des contrats en cause que doit s’apprécier le caractètre raisonnable du niveau de rémunération.

Faut-il encore répéter que le contrat est, fondamentalement, un combiné de justice et de prévision sur la durée entière du contrat. Si la rémunération était juste au départ, ce que l’on doit nécessairement admettre car l’État est présumé n’être ni injuste ni déraisonnable, il est entré dans les prévisions des parties comme étant l’animus contrahendi, la raison même de la conclusion du contrat, la prise en compte du montant total, pour les fournisseurs, de la rémunération attendue et pour les distributeurs du coût à supporter. En opérant un détournement des clauses contractuelles, il est attenté à la liberté contractuelle quelles que soient les contorsions rhétoriques du juge pour masquer l’évidence : à savoir un maintien de prix assurant une rémunération raisonnable (celle d’origine était donc déraisonnable), la possibilité d’invoquer une clause de sauvegarde.

Voudrait-on démontrer que le « contrat » administratif n’en est pas un que l’on ne s’y prendrait pas autrement : la diatribe européenne contre la conception française des rapports de l’individu et de la puissance publique a encore de beaux jours devant elle.

L’invocation de l’intérêt général (sorte de mantra aussi obscur que les motifs de transes de la Pythie de Delphes), à supposer ce fantasme existant, ne saurait valoir contre la fondamentalité des droits subjectifs de l’individu.

Pour finir, et c’est là la surprise, le juge relève que le tarif d’achat de 2006 et la suite constituait une aide d’État qui n’avait pas été notifiée à la Commission européenne en violation directe des art. 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE), et de leurs règlements d’application. Puis, il note que l’arrêté litigieux du 26 octobre 2021 n’a pas lui non plus était notifié alors qu’il institue une aide nouvelle même s’il constitue une réduction du volume de l’aide par rapport à celle qui résultait d’arrêtés antérieurs non notifiés, d’où son illégalité et son annulation.

Le paradoxe c’est que cette annulation fait revivre les arrêtés précédents qui, pourtant, comportaient un niveau plus élevé d’aides d’État… C’est dire qu’il est important de remédier à ce beau désordre qui n’est plus voltaïque mais volcanique.

(27 janvier 2023, Association Solidarité Renouvelables, association Enerplan, syndicat des professionnels de l'énergie solaire et syndicat des énergies renouvelables, n° 458991 ; Société Bovi-ER et société Pepigreen, n° 459049, jonction)

 

53 - Décision du conseil d’administration de la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM) – Renforcement de la cohésion du groupe – Illégalités très partielles – Rejet pour l’essentiel.

Ce litige se situe au sein d’une ample et ancienne controverse opposant certaines caisses de Crédit mutuel à la Confédération nationale sur fond de rationalisation s’opposant à une ample revendication d’autonomie de chaque caisse locale.

Le législateur, par le II de l’art. L. 511-20, l’art. L. 511-30, l’art. L. 511-32 et l’art. L. 512-56 du code monétaire et financier, tenant compte des exigences de la Banque centrale européenne et de celles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, a dévolu à la CNCM la représentation des caisses de crédit  mutuel affiliées à son réseau auprès de ces deux organismes ainsi que les missions de veiller à la cohésion de ce réseau et à l'application des dispositions législatives et réglementaires propres aux établissements de crédit, d'exercer un contrôle administratif, technique et financier sur l'organisation et la gestion de chaque caisse et de prendre toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement du réseau, afin de garantir la stabilité financière de celui-ci et la protection des déposants et sociétaires.

C’est dans ce cadre qu’est intervenue la décision attaquée par la requérante, décision de caractère général n° 1-2021 relative au renforcement de la cohésion du Groupe Crédit mutuel adoptée le 2 février 2021 par le conseil d'administration de la Confédération nationale du crédit mutuel (CNCM), organe central du Crédit mutuel.

Le Conseil d’État ne retient que deux des moyens soulevés contre cette décision et rejette les autres, soit les plus lourds de conséquences.

Il juge entachées d’illégalité, d’une part, la règle générale et contraignante, édictée aux art. 2 et 3 de la décision attaquée, qui n'est ni prévue ni impliquée par aucune des dispositions législatives précitées, selon laquelle les entités du groupe Crédit mutuel qui y sont mentionnées sont tenues de faire référence à leur appartenance au groupe dans leurs dénominations sociale et commerciale ainsi que dans toutes leurs activités commerciales et non commerciales, et d’autre part, l'art. 4 de cette décision en tant qu'il soumet à autorisation préalable les décisions relatives aux dénominations sociale et commerciale de toute structure créée directement ou indirectement par les caisses ou les fédérations et en tant que la demande d'autorisation doit comporter la représentation graphique de la dénomination envisagée.

Sont en revanche rejetés les moyens :

- que l'art. 5 de la décision attaquée serait illégal en ce qu'il prévoit un contrôle de second niveau de la CNCM pour l'appréciation des risques et également qu’il serait entaché d'une erreur de droit en ce qu'il étendrait illégalement les obligations que la réglementation bancaire impose aux établissements de crédit en matière de contrôle interne aux risques tenant à l'atteinte à l'image du groupe Crédit mutuel ;

- que l’art. 6 serait entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il prévoirait un dispositif sanctionnant des manquements dont la caractérisation serait illégale et des sanctions manifestement inadaptées aux manquements constatés ;

- que les art. 7.1 et 8 de cette décision ne permettraient pas à la CNCM de procéder à un contrôle préalable des demandes d'autorisation des opérations mentionnées aux art. L. 511-2 et L. 511-12-2 du code monétaire et financier (opérations de prise de participation, d'acquisition ou d'établissement de succursales par des établissements de crédit) aux fins de déterminer si les opérations envisagées ne sont pas de nature à compromettre la stabilité financière de l'établissement concerné et du groupe Crédit mutuel dont la surveillance prudentielle est exercée sur une base consolidée, ainsi que la protection des déposants et sociétaires ;

- que l’art. 7.2 serait entaché d'une erreur de droit en ce qu’il soumet les prises de participation des affiliés du réseau Crédit mutuel dans des sociétés commerciales, hors secteur financier, à un régime d'autorisation préalable ;

- que l’art. 11 remettrait en cause des situations juridiquement constituées en méconnaissance du principe de non-rétroactivité des actes administratifs.

(27 janvier 2023, Société Crédit mutuel Arkéa, n° 451308)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

 

Hébergement d’urgence

Rigueur et compassion

 

Une quinzaine de décisions rapportées ici attestent de l’importance du besoin d’hébergement d’urgence de ressortissants étrangers, principalement des femmes seules avec enfant(s), et de la difficulté, pour les administrations et pour le juge administratif, de répondre à une demande sans cesse croissante avec des moyens toujours insuffisants.

D’où, comme le montre la lecture de ce qui suit, une jurisprudence donnant l’impression d’être ballotée et cahotante dans ses motivations, tantôt audacieuse tantôt plus « suiviste ».

Que tout cela puisse déplaire ou donner lieu à critique se comprend mais à condition de reconnaître les efforts faits, l’ampleur de la demande, la diversité des situations, le tout se combinant en un ensemble un peu désespérant où la compassion tient lieu de droit positif et où le droit se cherche une raison d’exister sur fond de misère humaine et de détresse matérielle et morale directement venu de la vision de Dante ou des descriptions d’Eugène Sue.

 

54 - Dispositif d’hébergement d’urgence – Période hivernale – Personne seule avec deux enfants – Rejet.

Dans une décision que l’on peut juger sévère, le juge du référé liberté du Conseil d’État rejette l’appel formé contre une ordonnance de référé refusant d'enjoindre au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, de prendre en charge la requérante ainsi que ses deux fils mineurs âgés de 14 et de 16 ans., dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, sans délai, bien que cette ressortissante tunisienne vive, depuis son arrivée en France le 4 décembre 2022, dans la rue avec ses fils.

Le Conseil d’État fonde son rejet sur ce qu’aucun élément nouveau n’est apporté en appel à l’encontre de l’ordonnance attaquée, laquelle est fondée sur l'état de saturation du dispositif d'accueil en hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Île-de-France, de l'âge de la requérante et de celui de ses deux enfants ainsi que de son état de santé en retenant que la dégradation de celui-ci n'était pas établie et que le cancer apparu il y a plus de dix ans, avait été soigné et paraissait stabilisé. Par suite, il est jugé que « cette famille n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, placée parmi les plus vulnérables ».

(ord. réf. 04 janvier 2023, Mme B. épouse C., n° 470060)

(55) V., dans le même sens, annulant l’ordonnance de référé faisant droit à la demande d’une ressortissante congolaise, enceinte de quelques mois, et à sa fille de quatre ans, entrée en France le 4 octobre 2022, de recevoir un hébergement d’urgence dans l’attente du traitement de sa demande d’asile alors qu’elle est titulaire d’un titre de résidence délivré par les autorités brésiliennes valable jusqu'en 2029 : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 469942.

(56) V. aussi, comme dans l’affaire ci-dessus, l’annulation d’une ordonnance enjoignant de fournir un hébergement d’urgence à un couple de ressortissants guinéens et à leurs deux enfants, dont la demande d’asile a été rejetée et qui ne se trouvent pas subissant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470049.

(57) V. en revanche, annulant l’ordonnance de rejet de la demande d’hébergement de deux adultes et de leurs deux enfants motif pris de ce que si un hébergement a été attribué pour trois nuitées, puis, en un autre lieu, en long séjour, le représentant de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement n'a pas été en mesure, malgré la prolongation de l'instruction, de produire le document attestant que cet hébergement d'urgence serait maintenu conformément aux obligations prévues par les articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles rappelées ou de s'engager sur un tel hébergement d'urgence dit de long séjour. Il est donc ordonné à l'État de continuer à proposer sans solution de continuité à Mme D., M. B. et à leurs deux filles mineures un hébergement d'urgence conforme aux exigences afin de les placer à l'abri et d’assurer leur accompagnement social : ord. réf. 04 janvier 2023, M. D. et Mme B., n° 470063.

(58) V. également, confirmant l’ordonnance enjoignant à un préfet d’assurer l’hébergement d’une ressortissante algérienne et de son fils né le 15 août 2022 sans abri et obligés à dormir dans la rue malgré les appels de l’intéressée au dispositif de veille sociale unique d'Île-de-France : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 469944.

(59) V., identique au précédent, en ce qu’est retenu le très jeune âge de l’enfant (né le 15 novembre 2022) de parents ivoiriens pour rejeter le recours dirigé contre l’ordonnance enjoignant aux services concernés de fournir aux intéressés un hébergement d’urgence : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470044.

(60) V. encore, dans le même sens que l’ordonnance précédente, la confirmation du rôle central joué par l’âge des enfants ainsi que l’a estimé la juge des référés du tribunal administratif : ord. réf. 17 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470434.

(61) V. encore, très voisine, l’ordonnance qui tout en constatant le caractère irrégulier du séjour en France de parents guinéens, de 20 ans et 24 ans, reconnaît leur situation de détresse sociale alors que vivant dans la rue, la mère a accouché le 8 août 2022 d’une petite fille : ord. réf. 16 janvier 2023, Mme C. et M. B., n° 470178

(62) V. en revanche, la solution discutable au regard des décisions précédentes qui confirme le rejet en première instance d’une demande d’hébergement d’urgence formulée par une famille malienne composée d’un couple avec deux enfants de 6 et trois ans et alors que la femme est enceinte, motif pris de ce que la circonstance que le conjoint, à raison de son sexe, ne peut séjourner dans le même lieu que la femme et les enfants ne crée pas une situation d’urgence ou d’atteinte grave à une liberté fondamentale : ord. réf. 19 janvier 2023, Mme C. et M. A., n° 470442.

(63) V. aussi, le rejet d’une demande d’annulation d’un refus d’hébergement d’urgence, celle-ci ayant été satisfaite, rendant ainsi sans objet la requête introduite : ord. réf. 10 janvier 2023, Mme B., n° 470122, ou encore, à propos de réfugiés kazakh : ord. réf. 27 janvier 2023, M. A. et Mme C., n° 470407.

(64) V. aussi, un tantinet agacée, l’ordonnance rejetant l’appel dirigé contre l’ordonnance de référé liberté ayant :

- d’une part, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de l’association requérante tendant à ce qu’il soit fait injonction de mettre fin à la technique d'encerclement des familles réunies sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris pour réclamer un hébergement d’urgence, plus aucune famille ne se trouvant en ce lieu au moment où ce juge a statué ;

- d’autre part, rejeté la demande tendant à ce que soit ordonnée une évaluation individuelle de chaque manifestant et une orientation vers un dispositif d'hébergement adapté et pérenne, faute pour l’association demanderesse de soumettre au juge des référés tout élément de nature à établir le bien-fondé de ses demandes ni d'identifier des situations individuelles, ni d'apporter le moindre commencement de preuve d'une carence caractérisée des autorités compétentes : ord. réf. 10 janvier 2023, Association Utopia 56, n° 470140.

(65) V. tout aussi agacée, la décision rejetant la demande d’une ressortissante ivoirienne tendant à l’annulation de l’ordonnance de rejet du premier juge, se disant mère d’un enfant mineur, s'abstenant de préciser la date de son entrée en France, la durée et les conditions de son séjour sur le territoire français, l'état civil de l'enfant qui ne porte, par ailleurs, pas le même nom que le sien, ainsi que la réalité et la fréquence de ses appels au « 115 », ceci joint à l’absence, en appel, de production d’une pièce ou d’une précision nouvelle concernant en particulier la situation de l'enfant dont elle mentionne seulement le nom et la date de naissance et dont elle prétend être la mère, ni de manière générale de tout élément de nature à remettre en cause les appréciations retenues par le premier juge : ord. réf. 27 janvier 2023, Mme A., n° 470669.

(66) V., plus originale, la décision rejetant l’action introduite sur le fondement de l’art. L. 521-4 du CJA, selon lequel le juge des référés, saisi par toute personne intéressée, peut modifier les mesures qu'il avait précédemment ordonnées ou y mettre fin, au vu d'un élément nouveau, alors qu’était demandée la modification de la solution d’hébergement adoptée par l’État en l’espèce, d’où l’irrecevabilité de l’action introduite dans ces conditions : ord. réf. 19 janvier 2023, Mme A., n° 470459.

(67) V., manifestant l’attention et le souci extrêmes du juge des référés concernant une demande d’hébergement faite par une ressortissante malienne et sa fille de quatre ans scolarisée en moyenne section d’une école maternelle, pour, au final, confirmer l’ordonnance des premiers juges ordonnant le maintien de l’hébergement qui leur a été offert dans un hôtel de la banlieue parisienne, la requérante ne rapportant pas d’éléments qui justifieraient qu’il y soit mis un terme : ord. réf. 30 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470213.

(68) V., en revanche, pour une ressortissante ivoirienne accompagnée de son enfant de quatre ans, la confirmation de l’ordonnance rejetant une demande d’hébergement alors qu’existent en Île-de-France des situations de plus grande vulnérabilité et en dépit des problèmes de santé rencontrés par l'enfant décrits par un courrier d'un médecin de centre de protection maternelle et infantile de la ville de Paris : ord. réf. 30 janvier 2023, Mme A., n° 470640.

(69) V. encore, la confirmation du rejet de la « demande d’hébergement » faite par une ressortissante ivoirienne et de sa fille âgée de douze ans alors que n’est pas établie l’existence de cette demande et en dépit de la maladie des yeux de cette dernière : ord. réf. 31 janvier 2023, Mme C. agissant au nom de sa fille mineure A., n° 470745.

 

 

 

70 - Organisme de logement social – Régime disciplinaire applicable à la personne morale ou à une personne physique, dirigeante ou membre de celle-ci – Différence de traitement – Rejet.

L'agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) a proposé au ministre chargé du logement, après enquête, de prononcer une sanction à l’encontre du requérant pour faute commise dans l’exercice de ses fonctions de président du conseil d'administration du comité interprofessionnel du logement action logement Nord (CIL/ALN).

Si le recours contre la procédure et le quantum de sanction est rejeté, la décision retient l’attention précisément sur un aspect de la procédure disciplinaire.

Celle-ci, en matière d’organismes de logement social, qui est régie par le code de la construction et de l’habitation en ses art. L. 342-9, L. 342-12 et L. 342-14, d’une part, et en son art. R. 342-14, d’autre part, distingue deux régimes disciplinaires selon qu’est poursuivi un organe de la personne morale (conseil d'administration, conseil de surveillance directoire ou organe délibérant de cet organisme) ou une personne physique. Dans le premier cas, l'ANCOLS ne peut régulièrement proposer une sanction au ministre compétent qu'après que le conseil de surveillance, le conseil d'administration, le directoire ou l'organe délibérant de cet organisme a notamment été mis en mesure de présenter, en disposant à cette fin d'un délai de quatre mois, ses observations sur le rapport définitif de contrôle. Au contraire, dans le cas d’une personne physique, ne sont prévues ni la notification à celle-ci du rapport définitif de contrôle, ni que soit menée à son terme la procédure contradictoire relative à l'élaboration du rapport définitif avant que l'agence propose au ministre de prononcer une sanction contre cette personne.

Cette différence, pour très surprenant que cela soit, n’est pas jugée irrégulière sans doute car aucune QPC ou exception d’inconventionnalité n’avait été soulevée par le requérant.

(13 janvier 2023, M. Thibault de Maillard, n° 451078)

(71) V. aussi, largement identique : 13 janvier 2023, M. Duflo, n° 454951.

(72) V. également, sur le même sujet mais avec des faits et des solutions bien différents : 13 janvier 2023, M. J.-Ph. Sudre, n° 457264.

 

73 - Droits à congé payé – Régime spécifique des salariés en activité discontinue chez une pluralité d’employeurs – Refus de transmission d’une QPC.

(20 janvier 2023, Association Collectif contre les caisses de congé du BTP, société DVM Renov et société Philippe et fils, n° 467970)

V. n° 116

 

74 - Fonds départemental de compensation du handicap en vue de l’aide financière à apporter au reste à charge pour les bénéficiaires – Plafonnement du reste à charge des frais de compensation – Limitation des aides à compensation en fonction des financements des fonds départementaux – Atteintes aux principes d’égalité et de fraternité – Transmission d’une QPC.

(20 janvier 2023, Association Handi-Social et Mme B., n° 468567)

V. n° 118

 

75 - Droit public de l’agriculture – Aides directes dans le cadre de la politique agricole commune – Contrôle d’une exploitation agricole – Refus – Réduction de 100% du montant des aides – Rejet.

Une société civile d’exploitation agricole (SCEA) se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a rejeté sa demande d’annulation de la décision préfectorale du 3 mars 2017 lui appliquant un taux de réduction de 100 % sur les aides directes perçues dans le cadre de la politique agricole commune au titre de la campagne 2016.

Son recours est rejeté.

La société s’est opposée à un contrôle sur place de son exploitation : celui-ci, d’abord annoncé le 29 novembre 2016 pour une visite fixée au 6 décembre 2016, a fait l’objet d’une demande de reprise de contact, puis un nouveau contrôle, annoncé par courriel du 20 décembre, a été prévu pour le 21 décembre avec invitation faite au gérant d’indiquer s’il acceptait ce contrôle ou s’y opposait. Suite au refus exprimé, a été prise la décision attaquée appliquant un taux de réduction de 100% au montant des aides communautaires accordées à la SCEA.

Celle-ci invoque en vain le caractère de sanction de la mesure et donc la nature de plein contentieux du litige en résultant, en effet cette décision se borne à exiger le reversement d'une aide indûment perçue ; cette contestation, ainsi que jugé en appel, relève donc bien du contentieux de l’excès de pouvoir.

Ensuite, la cour a donné une qualification juridique exacte aux faits rapportés ci-dessus en jugeant que la société ne pouvait être considérée, à raison de son attitude, comme ayant pris toute mesure pouvant raisonnablement être requise de sa part pour garantir que le contrôle sur place envisagé pour l'année 2016 se réalise intégralement, d’autant qu’elle n'avait justifié ni de circonstances exceptionnelles au sens du du règlement (UE) n° 1306/2013, ni de ce que son gérant aurait été confronté à un cas de force majeure et qu’ainsi son comportement caractérisait un refus de contrôle au sens de l’art. D. 615-59 in fine du code rural comme l’a à bon droit constaté la décision préfectorale litigieuse.

Enfin, la société requérante ne saurait invoquer à l’encontre du taux de réduction retenu, soit 100%, une erreur de droit ou l’absence de prise en compte des conséquences désastreuses pour l’entreprise de l’application de ce taux dès lors que cette mesure ne constitue pas une sanction et que l’autorité administrative ne possède aucun pouvoir de modulation de ce taux.

(24 janvier 2023, Société civile d’exploitation agricole A., n° 450834)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

76 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne d’un binôme et proclamation d’inéligibilité – Document incomplet mais complété – Annulation.

Le juge d’appel annule le jugement de première instance qui a confirmé le rejet du compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ce dernier avait estimé, comme la Commission, que le compte présenté n'était appuyé que de pièces disparates et incomplètes, qui ne permettaient pas d'attester la réalité et la régularité des opérations réalisées, notamment bancaires.

Le Conseil d’État condamne cette analyse en relevant que toutefois, outre la circonstance que ce compte défectueux avait été établi par un expert-comptable, le binôme a produit une réfection de relevé de ce compte, pour la période du 15 juin 2021 au 10 mars 2022, à l'appui de son mémoire en défense devant le tribunal administratif. Or ce document permet de contrôler la réalité des recettes et des dépenses réalisées par le mandataire financier inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec les opérations du mandataire financier qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaît.

Ainsi sont annulés le rejet du compte et la proclamation subséquente de l’inéligibilité du binôme.

(05 janvier 2023, M. D. et Mme B., Élections départementales du canton de Douarnenez, n° 464905)

(77) V. aussi, identique en substance : 05 janvier 2023, Mme D. et M. A., Élections départementales du canton de Quimperlé, n° 464906.

 

78 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne d’un binôme – Jugement contraire du tribunal administratif – Confirmation en appel.

La CNCCFP demandait l’annulation du jugement rejetant sa demande de rejet du compte de campagne d’un binôme de candidats.

L’appel est rejeté.

Les membres du binôme n'avaient pas joint au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai légal le relevé des opérations postérieures au 30 juin 2021 effectuées sur le compte bancaire ouvert par leur mandataire financier et ils n'ont pas davantage fourni ce document dans le cadre de l'instruction menée par la CNCCFP.

Cette dernière a rejeté leur compte de campagne pour ce motif.

Cependant le juge constate, en regard de ces manquements, que le relevé des opérations joint à ce compte de campagne faisait apparaître un virement au titre d'un prêt financier consenti par une formation politique, que le compte de campagne, établi par un expert-comptable, était en outre accompagné de documents comptables, en particulier un rapprochement bancaire pour les mois de juillet et août 2021 et du journal de banque, qui retraçaient la totalité des opérations intervenues sur le compte bancaire ouvert par le mandataire financier en précisant les dates et les comptes d'origine des virements correspondant à un second prêt consenti par la même formation et à l'apport personnel du candidat, pour un montant total de 833 euros de recettes, et les numéros, les bénéficiaires et les dates de débit de cinq chèques pour un montant total de 586 euros de dépenses.

Il décide qu’en l'espèce, eu égard au faible nombre des opérations réalisées et à la modicité des sommes engagées, et dès lors que les documents produits permettaient de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci étaient cohérentes avec les opérations qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaissait, la Commission n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif a rejeté sa saisine.

On ne saurait trop dire que le bon sens et le sens de la mesure sont des qualités inhérentes aux juristes. La démonstration en est faite par cette décision comme elle l’avait été en première instance.

(25 janvier 2023, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton d’Auch 2, n° 465145)

 

Environnement

 

79 - Réglementation de la pêche au maigre – Injonction au premier ministre le 8 juillet 2020 – Exécution par arrêté du 23 août 2022 – Absence de condamnation à astreinte – Requête devenue sans objet.

L’association requérante demandait la condamnation sous astreinte du ministère de l’agriculture pour défaut de mise en œuvre de la décision du 8 juillet 2020 (n°s 428271, 428276) par laquelle le Conseil d’État a jugé qu'en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale de capture du maigre à la lumière des éléments en sa possession, alors qu'aucune autre mesure adaptée n'était prise, le ministre avait méconnu les obligations découlant du principe de précaution et a, en conséquence, d’une part, annulé les décisions implicites du ministre refusant d'abroger les dispositions des arrêtés des 26 octobre 2012 et du 28 janvier 2013 relatives à la taille minimale de capture du maigre commun, et d’autre part, enjoint à ce ministre de procéder, dans un délai d'un an, et conformément aux motifs de cette décision, au réexamen de la demande de l'association de défense des ressources marines (ADRM), demanderesse dans cette instance, tendant à la fixation de tailles minimales de capture plus élevées pour le maigre commun.

La requérante a, le 24 juin 2021, saisi le Conseil d’État sur le fondement de l’art. L. 911-5 du CJA en sa qualité de juge de l’exécution.

La requête est rejetée pour avoir perdu son objet dès lors qu’il est établi que la décision du 8 juillet 2020 a été entièrement exécutée à la date à laquelle il est statué sur le présent arrêt même si cette exécution est intervenue après expiration du délai imparti par le juge à l’administration.

La solution est regrettable en ce qu’elle ne sanctionne pas le retard d’une année mis à donner effet à une décision de justice rendue au nom du peuple français.

(06 janvier 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 447363)

(80) V. aussi, identique : 06 janvier 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 458566.

 

81 - Projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou la santé humaine – Incidence du projet pour d’autres motifs que sa dimension – Injonction au premier ministre de prendre une mesure en ce sens – Notion d’exécution d’une décision de justice – Rejet.

Par une décision n° 425424 du 15 avril 2021, le Conseil d'État a annulé le décret du 4 juin 2018 modifiant les catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale en tant qu'il ne prévoit pas de dispositions permettant qu'un projet, mentionné à l'annexe de l'article R. 122-2 du code de l'environnement, susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement pour d'autres caractéristiques que sa dimension, puisse être soumis à une évaluation environnementale et il a, en conséquence, fait injonction au premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision, les dispositions en ce sens.

Le décret du 25 mars 2022, relatif à l'évaluation environnementale des projets, a été pris pour l’exécution de cette décision de justice.

Les requérantes demandent au Conseil d'État d'assurer sous astreinte l'exécution de sa décision (cf. art. L. 911-5 et R. 931-2 CJA) et d'ordonner la communication de l'ensemble des documents préparatoires du décret du 25 mars 2022 relatif à l'évaluation environnementale des projets. 

La requête est rejetée.

D’abord il ne résulte pas des termes du décret attaqué que seraient exclus de son champ d’application les déboisements d'une surface inférieure à 0,5 ha ou, de façon générale, les demandes d'extension ou de modification relatives à un projet donné. 

Ensuite, les dispositions de ce texte « instituent bien une obligation, et non une simple option, à la charge de l'autorité compétente. »

Dès lors, et en dépit de ce que le décret d’exécution ait été pris plus de deux mois après l’expiration du délai de neuf mois imparti par la décision précitée du 15 avril 2021, cette dernière doit être considérée comme ayant été exécutée.

(20 janvier 2023, Association France Nature Environnement et association France Nature Environnement Allier, n° 464129)

 

82 - Procédure fiscale – Redevance pour pollution d’origine non domestique – Condition de la substitution de base légale – Absence de demande en ce sens de l’administration défenderesse – Méconnaissance de l’office du juge de l’impôt – Annulation sur ce point et recours à la méthode de calcul préconisée par la contribuable.

(25 janvier 2023, Société Boréalis Chimie, n° 446730)

V. n° 42

 

83 - Liste des espèces exotiques envahissantes (règlement (UE) n° 1143/2014 du 22 octobre 2014) - Absence de notification préalable de la liste à la Commission européenne – Absence d’illégalité de l’arrêté attaqué – Contrôle réduit du juge – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de l'arrêté interministériel du 28 juin 2021 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion et interdisant toutes activités portant sur des spécimens vivants.

La requête est rejetée.

Tout d’abord aucun des moyens de légalité externe n’est retenu et en particulier celui tiré de ce que la liste que l'arrêté attaqué établit des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour La Réunion n'a pas été notifiée à la Commission européenne, ainsi que le prévoierait l'art. 6 du règlement n° 1143/2014, alors que ce texte n'impose pas la notification préalable des listes établies par les États-membres ; au demeurant, il ressort des pièces du dossier que cette notification à la Commission européenne a été effectuée en septembre 2021. 

Ensuite, les moyens de légalité interne sont également rejetés.

En premier lieu, contrairement à ce qui est allégué, les dispositions du paragraphe 2 de l'art. 6 du règlement précité, si elles imposent aux États-membres comptant des régions ultrapériphériques d'adopter une liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes dans chacune de ces régions, elles ne font clairement pas obstacle à ce que, lorsque les particularités du territoire le justifient, soit prévue une interdiction d'introduire sur le territoire d'une collectivité d'outre-mer l'ensemble des espèces appartenant à une classe, un ordre ou une famille d'animaux déterminés, celle-ci étant assortie d'une énumération des espèces appartenant à cette classe, cet ordre ou cette famille qui sont expressément exclues de l'interdiction. 
En deuxième lieu, les dispositions du deuxième alinéa de l'art. R. 411-1 du code de l'environnement selon lesquelles « Les espèces sont indiquées par le nom de l'espèce ou de la sous-espèce ou par l'ensemble des espèces appartenant à un taxon supérieur ou à une partie désigné de ce taxon » ne sont pas applicables aux espèces exotiques envahissantes relevant des art. L. 411-5 et L. 411-6 et ne peuvent dès lors être utilement invoquées à l'appui de la requête dirigée contre l'arrêté attaqué fixant la liste des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion.

En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, le règlement n° 1143/2014 ne fait pas obstacle à ce que les auteurs de l'arrêté attaqué précisent que les interdictions qu'il prévoit ne s'appliquent pas aux espèces mentionnées dans l'annexe I de l'arrêté du 9 février 2018 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion, laquelle énumère la liste des espèces exotiques pouvant y être introduites.

Enfin et surtout, le juge indique expressément n’exercer qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation sur la fixation par les ministres concernés de la liste des espèces exotiques envahissantes. Ainsi en va-t-il de ce que, à la différence de l'arrêté du 1er avril 2019 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion qui a dressé une liste exhaustive des espèces végétales dont l'introduction est interdite sur ce territoire, l’arrêté querellé interdit des classes, ordres ou familles entières d'animaux, en excluant de cette interdiction seulement quelques espèces.

(25 janvier 2023, Association Réunion Biodiversité, n° 460440)

 

84 - Police du bruit – Nuisances sonores des aérodromes – Restrictions aux mouvements d’aéronefs – Dérogations possibles – Irrégularités de procédure alléguées – Principe de non-régression – Rejet.

(25 janvier 2023, Association de défense de l'environnement des riverains de l'aéroport de Beauvais-Tillé, association regroupement des organismes de sauvegarde de l'Oise et association contre les nuisances de l'aéroport de Tillé, n° 463812)

V. n° 108

85 - Lutte contre la pollution atmosphérique – Classification des véhicules pour l’attribution de certificats de qualité de l’air en fonction de leur niveau d’émission de polluants – Incompétence de l’autrice de la décision – Procédure irrégulière – Annulation.

Les sociétés requérantes poursuivaient l’annulation de l'arrêté du 11 avril 2022 modifiant l'arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques en application de l'art. R. 318-2 du code de la route.

Cet arrêté définit la catégorie des « véhicules biodiesel », qui ont pour source d'énergie le biogazole de type B100, dont les caractéristiques sont définies par un arrêté du 29 mars 2018, et d'en fixer la classification dans cette nomenclature. De plus, cet arrêté modifie la définition des véhicules à essence.

Les véhicules biodiesel de la catégorie des poids lourds, autobus et autocars bénéficient, lorsqu'ils sont soumis à la norme EURO VI ou immatriculés pour la première fois à partir du 1er janvier 2014, d'un certificat de qualité de l'air de classe 1.

L’arrêté est annulé en tant que, pris par la seule ministre de la transition écologique, alors que le II de l'art. R. 318-2 du code de la route, prévoit que les critères de classement des véhicules comme les conditions d'application de cet article sont fixés par arrêté des ministres chargés de l'environnement, des transports et de l'intérieur. Il est donc entaché d’incompétence.

L’arrêté a été pris au terme d’une procédure irrégulière car, en permettant la circulation d'une catégorie de véhicules, dont il n'est pas contesté qu'ils émettent des polluants atmosphériques, doit être regardé comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, au sens des dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement. Son adoption devait donc être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation préalable du public conformément à ces dispositions. 

(25 janvier 2023, Société Gaz'up, société Primagaz, société Proviridis et société Endesa Energia, n° 465058)

 

86 - Autorisation d’implantation d’éoliennes – Procédure - Autorité environnementale devant disposer d’une autonomie réelle (art. 6, directive du 13 décembre 2011) – Absence – Rejet.

Réitération d’une jurisprudence désormais bien établie sur la base de l’art. 6 de la célèbre directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement telle que l’interprète la CJUE et qui pose l’exigence d’une réelle autonomie de l’autorité environnementale chargée d’évaluer un projet.

Ceci conduit aux deux solutions suivantes :

1°/ « Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est chargé de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les art. R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). » 

2°/ « Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales. »

En l’espèce, l'avis de l'autorité environnementale a été émis par le préfet de la région Champagne-Ardennes sur la décision attaquée prise par le préfet du département de la Haute-Marne à une date antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale, avait été préparé par le pôle environnement durable-évaluation environnementale relevant de la mission connaissance et développement durable spécifiquement chargé de l'instruction des avis de l'autorité environnementale, mais relevant, comme le service ayant procédé à l'instruction de la demande d'autorisation, de l'autorité du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Dans ces conditions, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011.

(25 janvier 2023, Société Haut-Vannier, n° 448911 ; ministre de la transition écologique, n° 449054, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

87 - Décret autorisant un changement de nom – Procédure de relèvement de nom susceptible de tomber en déshérence (art. 61 Code civil) – Nécessité d’un intérêt légitime à cette procédure – Absence de risque d’extinction – Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 21 décembre 2021 portant changement de noms, en ce qu'il a autorisé M. J. Bolelli, Mme L. Bolelli et M. L. Bolelli. à changer leur nom en « Bolelli Fleuriot de Langle ».

Il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l’art. 61 du Code civil que « La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré (...) ».

En l’espèce, les consorts Bolelli ont demandé à adjoindre à leur nom celui de leur mère et grand-mère, en invoquant leur intérêt légitime au relèvement de ce nom, menacé selon eux d'extinction, illustré notamment par leur ascendant aux sixième et septième degrés, Paul Antoine Marie Fleuriot vicomte de Langle, second de la tragique expédition de La Pérouse et commandant de l'Astrolabe, dont ils s'attachent à perpétuer la mémoire.

Le juge relève cependant que ce nom, porté par M. Fleuriot de Langle et par ses deux enfants, descendants aux troisième et quatrième degrés, comme les consorts D., de Jean-Charles Fleuriot de Langle, n'est pas menacé d'extinction.

Dans ces conditions, les intéressés ne justifient pas d'un intérêt légitime à demander le changement de leur nom, en application du premier comme du deuxième alinéa de l'art. 61 du code civil. Le décret attaqué est annulé.

(25 janvier 2023, M. et Mme Fleuriot de Langle, n° 461746)

 

88 - Décret de retrait de la nationalité française (art. 23-8 Code civil) – Contestation – Recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Le demandeur contestait le décret lui retirant la nationalité française sur le fondement des dispositions de l’art. 23-8 du Code civil selon lesquelles : « Perd la nationalité française le Français qui, occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus généralement leur apportant son concours, n'a pas résigné son emploi ou cessé son concours nonobstant l'injonction qui lui en aura été faite par le Gouvernement. L'intéressé sera, par décret en Conseil d'État, déclaré avoir perdu la nationalité française si, dans le délai fixé par l'injonction, délai qui ne peut être inférieur à quinze jours et supérieur à deux mois, il n'a pas mis fin à son activité. »

Si le recours est rejeté c’est surtout l’aspect contentieux qui retient l’attention car, pour la première fois, nous semble-t-il le Conseil d’État admet, implicitement mais nécessairement, que le recours en annulation dirigé contre un décret fondé sur l’art. 23-8 du Code civil est un recours pour excès de pouvoir.

(25 janvier 2023, M. A., n° 466223)

 

Étrangers

 

89 - Ressortissants géorgien et ukrainien – Rejet de la demande d’asile comme de délivrance d’un titre de séjour – Ordre de quitter le territoire français – Référé liberté exceptionnellement admis au regard des circonstances très particulières de l’espèce – Annulation de l’ordonnance de référé.

En principe la formation par un étranger d’un recours en référé liberté (L. 521-2 CJA) contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) non assortie d'un délai de départ volontaire est irrecevable car la procédure spéciale organisée par l'art. L. 614-6 du CESEDA présente des garanties au moins équivalentes à celles des procédures régies par le livre V du code de justice administrative. Il s’ensuit que cette procédure spéciale est, par suite, exclusive de celle de droit commun.

Toutefois, le juge rappelle qu’exception est faite à ce principe d’irrecevabilité en cas ce circonstances particulières notamment lorsque les modalités selon lesquelles il est procédé à l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l'intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement du CESEDA, a statué ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s'attachent normalement à sa mise à exécution.

Il est ici fait application de cette réserve pour admettre la recevabilité du référé liberté introduit et pour, au fond, ordonner la suspension de la mesure d’OQTF.

En effet, le requérant a fait valoir, après l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile confirmant le rejet de sa demande, l'impossibilité matérielle dans laquelle se trouve actuellement la fille aînée de son épouse, mineure de nationalité ukrainienne à leur charge, d'obtenir de l'ambassade d'Ukraine en France le passeport qu'elle a sollicité dans le cadre de la poursuite de son contrat d'apprentissage, document d'identité sans lequel elle ne peut pas voyager à l'étranger et, le cas échéant, accompagner sa mère en Géorgie si elle veut rejoindre son époux. Il résulte également de l'instruction, notamment des dispositions produites de la loi organique relative à la nationalité géorgienne, que, d'une part, Mme F., dont les deux parents sont ukrainiens, ne peut revendiquer la nationalité géorgienne, et, d'autre part, que les enfants C. et E. ne pourraient pas davantage prétendre à cette nationalité. S'il est vrai qu'il n'est pas établi que ces derniers ne disposeraient pas d'un droit au séjour en Géorgie en raison de leur lien filial avec un ressortissant géorgien, tel n'est pas le cas pour la première, qui est dépourvue de tout lien avec la Géorgie et dont l'admissibilité à un séjour légal en Géorgie est par conséquent indéterminée selon les pièces versées à l'instruction.

C’est pourquoi le Conseil d’État annule l’ordonnance de référé rejetant ce recours au vu, d’une part, des « conditions très particulières de difficultés matérielles liées à l'obtention, dans les circonstances actuelles, de documents d'identité ukrainiens et des incertitudes juridiques sur la possibilité de reconstituer de manière légale la cellule familiale en Géorgie » et, d’autre part, de ce que « la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français dont fait l'objet M. E. pourrait avoir pour effet une séparation de l'intéressé d'avec son épouse et au moins une partie de leurs enfants pour un durée indéterminée, voire de manière durable ou définitive ».

Un tel risque révèle que la décision contestée porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale du demandeur (cf. art. 8 de la convention EDH) et à l'intérêt supérieur de ses enfants (cf. art. 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant) En conséquence, sans que soit remise en cause la décision d’OQTF « qui n’est pas caduque », cette mesure, par ses effets, excède ici ceux qui s'attachent normalement à la mise à exécution d'une obligation de quitter le territoire français, d’où la suspension ordonnée par le juge d’appel.

(02 janvier 2023, M. E., n° 469912)

 

90 - Obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire – Notification d’un délai erroné pour la saisine du juge – Demande d’aide juridictionnelle impuissante à prolonger le délai dans le cas d’un recours contre l’OQTF – Rejet.

L’intéressé s’est vu notifier une décision portant obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire avec indication de la possibilité de la contester dans un délai de trente jours devant le tribunal administratif alors que ce délai est en réalité de quinze jours.

Selon l’art. R. 421-5 du CJA, lorsque les mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la décision lorsqu'elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions normalement applicables.

De plus, en l’espèce, l’intéressé avait demandé le bénéfice de l’aide juridictionnelle ce qui constitue normalement un motif de prorogation du délai de recours contentieux.

En l’espèce et alors que le tribunal avait jugé tardive cette demande d’aide juridictionnelle formulée après l’expiration du délai de trente jours, le pourvoi est rejeté motif pris de ce que l’art. L. 512-1 du CESEDA permet à l’étranger qui conteste l’OQTF de demander au président du tribunal, dès la saisine de celui-ci, par une requête susceptible d'être motivée même après l'expiration du délai de recours, le concours d'un interprète et la désignation d'office un avocat. 

(06 janvier 2023, M. D., n° 461471)

 

91 - Ressortissant algérien faisant l’objet de deux OQTF et de trois interdictions temporaires de retour en France – Qualité de demandeur d’asile en Allemagne non établie – Rejet.

Le requérant, qui a fait l’objet de mesures d’OQTF assorties d’interdiction de retour sur le territoire français contestait par voie de référé liberté l’ordonnance du tribunal administratif de Pau refusant de lui accorder la suspension de l'arrêté du 2 juillet 2022 portant à nouveau OQTF.

Il se prévalait de deux moyens tant devant le premier juge qu’en appel.

Il invoquait d’abord un pur moyen de procédure en arguant de ce que l'ordonnance avait été irrégulièrement rendue en première instance car alors qu'il critiquait la mise en rétention ordonnée par le préfet de Corrèze, sa requête a été communiquée au préfet de la Haute-Vienne et qu’ainsi n’avait pas été respecté le caractère contradictoire de la procédure. Le moyen est rejeté car la mesure litigieuse dont il demandait la suspension a bien été prise par le préfet de la Haute-Vienne.

Il invoquait ensuite l’existence d’un fait nouveau à savoir son enregistrement comme demandeur d’asile en Allemagne, ce qui ferait obstacle à l’exécution de la mesure querellée.

Le moyen, comme en première instance, est rejeté car il n’est corroboré « que par la production de la copie du verso d'un document présenté comme une carte d'entrée sur le territoire émise par l'Allemagne, dont la validité a au demeurant expiré, copie qui, si elle mentionne le nom du requérant, ne permet nullement de l'identifier. Cette seule circonstance, comme l'a relevé le premier juge, ne suffit pas à établir la qualité de demandeur d'asile en Allemagne, (fait) naître un doute sérieux sur la vraisemblance de cette qualité tardivement revendiquée et qui n'est assortie d'aucune précision circonstancielle, ne rendant ainsi en rien nécessaire qu'il soit procédé à des mesures d'instruction supplémentaires. La circonstance que le résultat de la consultation de la borne " eurodac " ne soit pas produite par l'administration est sans incidence sur l'appréciation portée par le premier juge, qui n'est entachée d'aucune erreur. »

(ord. réf. 20 janvier 2023, M. A., n° 470486)

 

Fonction publique et agents publics – Agent des services publics

 

92 - Éviction illégale d’un agent public contractuel de son emploi – Reconstitution de ses droits sociaux – Refus de signer des avenants au contrat – Rejet de la demande de prescrire de nouvelles mesures d’exécution d’un arrêt – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, par un arrêt du 3 octobre 2019, enjoint une université de réintégrer la requérante à compter de la date de son licenciement et de reconstituer ses droit sociaux, rejette la demande d’exécution de cet arrêt formée par celle-ci aux motifs qu’elle a refusé de signer les deux avenants à son contrat proposés par l'université accroissant sa rémunération, en raison d'un désaccord sur le montant de cette dernière et que ce refus faisait obstacle à la reconstitution des droits sociaux de l'intéressée.

En effet, cette reconstitution pouvait être effectuée par l'université sur la base de la rémunération fixée par le contrat à la date de son éviction illégale, éventuellement augmentée du montant résultant de l'application des textes retenue par l'administration, dont la contestation - le cas échéant - par la requérante relèverait d'un litige distinct de celui tranché par l'arrêt du 3 octobre 2019.

(06 janvier 2023, Mme D., n° 460794)

 

93 - Mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique (décret du 11 février 2016, art. 3) – Circulaire d’application aux agents de l’administration centrale des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur – Limitation à deux jours par semaine du recours au télétravail – Définition du télétravail et fixation de ses lieux d’exercice – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’une circulaire ministérielle (éducation nationale et enseignement supérieur) du 6 juin 2018 appliquant à l’administration centrale de ces ministères les dispositions du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature.

Est tout d’abord rejeté le grief fondé sur l’incompétence des ministres signataires de la circulaire car le décret se bornant à fixer un plafond de quotité d’activités susceptibles d’exercice en forme de télétravail, il incombait aux ministres concernés, titulaires du pouvoir d’organiser les services placés sous leur autorité (cf. Section, 7 février, Jamart) d’établir le régime du télétravail y étant applicable.

Ensuite, étaient contestés la fixation par la circulaire des lieux d’exercice du télétravail ainsi que son non-respect d’un accord du 13 juillet 2021 relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique. Les moyens sont rejetés car, d’une part, cet accord, ne comportant aucune disposition à caractère réglementaire, est dépourvu de valeur juridique et de force contraignante et ne saurait donc servir de base à la contestation de la légalité de la circulaire attaquée et, d’autre part, les ministres concernés sont restés dans les bornes des dispositions du décret en limitant, en leur qualité de chefs de service, les lieux dans lesquels peut être exercée l'activité en télétravail.

(06 janvier 2023, M. D., n° 461085 ; Association syndicale des attachés d'administration de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la jeunesse et des sports (ASAMEN), n° 462534, jonction)

 

94 - Corps des chargés de recherche – Possibilité, sous conditions, d’un reclassement rétroactif – Modalités applicables aux personnes « en fonctions » à la date d’entrée en vigueur du décret – Principe d’égalité et différence de traitement – Portée de la rétroactivité – Rejet.

Le syndicat requérant demandait, d’une part, l’annulation de l'art. 5 du décret n° 2022-262 du 25 février 2022 modifiant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques et, d’autre part, qu’injonction soit faite au premier ministre de prendre un décret ouvrant le bénéfice du reclassement rétroactif prévu par l'art. 47 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 à tous les chargés de recherche, à compter de la date de leur prise de fonctions dans ce corps, sans autre condition que d'avoir été titularisés dans le corps des chargés de recherche avant l'entrée en vigueur des règles de classement modifiées par décret et de présenter une demande de reclassement dans un délai de neuf mois à compter de la date de publication du décret rectificatif à intervenir.

Le recours est, sans surprise, rejeté.

Tout d’abord, le juge relève que l'art. 5 du décret attaqué, contrairement à ce qui est soutenu, ne méconnaît pas l'art. 47 de la loi du 24 décembre 2020 sur la base duquel il a été pris et qu’il n’est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. En effet, l’intention du législateur, en adoptant cette disposition, était d’éviter que les plus jeunes chercheurs, recrutés peu de temps avant la modification des règles de classement, ne soient placés dans une situation moins favorable que ceux recrutés postérieurement à cette modification. L’auteur du décret querellé a ainsi légalement pu prévoir que les nouvelles modalités de classement sont susceptibles de bénéficier aux chargés de recherche titulaires « en fonctions » à la date d'entrée en vigueur dudit décret, y compris lorsqu'ils sont placés en position de détachement ou de disponibilité. 

Ensuite, ne porte pas atteinte au principe d’égalité la différence de traitement instituée par le décret litigieux entre les personnes qui appartiennent au corps des chargés de recherche à la date de son entrée en vigueur et celles qui n'appartiennent plus à ce corps car cette différence, qui est en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur, n'est pas manifestement disproportionnée.

Enfin, sur la question de la rétroactivité possible de la mesure de reclassement, le juge observe que si le législateur a autorisé le pouvoir réglementaire à appliquer de manière rétroactive les nouvelles modalités de classement aux chargés de recherche déjà titularisés, il n'a pas entendu que les reclassements en résultant produisent effet dès leur entrée dans le corps des chargés de recherche. C’est pourquoi n’est pas illégal le choix de la date du 1er janvier 2021 pour la prise d’effet de ce reclassement.

(06 janvier 2023, Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU) et autres, n° 463556)

 

95 - Ouvriers de l’État – Agents n’ayant pas la qualité de fonctionnaires – Absence d’application de l’art. 34 de la Constitution – Compétence du pouvoir réglementaire – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours en annulation de la décision implicite par laquelle a été rejetée la demande des requérants tendant à l'abrogation du II de l'art. 2 du décret du 30 décembre 2016 relatif à certains éléments de rémunération des personnels à statut ouvrier relevant du ministère de la défense.

Pour rejeter le moyen tiré de l’incompétence du pouvoir réglementaire en cette matière, le juge rappelle que les ouvriers de l’État n’ayant pas la qualité de fonctionnaires les règles qui leur sont applicables ne relèvent pas du domaine de la loi et, s’agissant de celles relatives à la détermination de leur rémunération, elles ne mettent en cause aucun des règles et principes relevant de la compétence du pouvoir législatif.

(06 janvier 2023, M. C. et autres, n° 463631)

 

96 - Syndicat de fonctionnaires – Recours pour excès de pouvoir en lieu et place des agents publics concernés – Litiges portant sur la rémunération - Irrecevabilité manifeste pour défaut de qualité à agir – Rejet.

Rappel d’un principe constant régissant les recours contentieux formés par un syndicat de fonctionnaires et agents publics.

De tels recours sont irrecevables dès lors qu’ils ne tendent qu’à demander l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision refusant le versement à des agents publics de sommes qui leur seraient dues car, en ce cas, le syndicat est manifestement sans qualité pour agir.

(06 janvier 2023, Syndicat FEETS-FO, n° 464153)

 

97 - Minimum de traitement versé dans la fonction publique – Augmentation de l’indice majoré correspondant à ce minimum – Recours en annulation infondé – Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret du 20 avril 2022 portant relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique et portant de 343 à 352 l'indice majoré correspondant à ce minimum de traitement.

Le recours est rejeté au visa du principe général du droit, applicable à tout salarié et dont s'inspire l'art. L. 3231-2 du code du travail, selon lequel les agents publics ont droit à un minimum de rémunération (cf. Section, 23 avril 1982, Ville de Toulouse c/ Aragnou, n° 36851) qui, en l'absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l'intéressé appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance défini à l'art. L. 3231-2 de ce code.

Par ailleurs, ce décret, ce disposant, ne contrevient pas à la règle instituée par le quatrième alinéa de l'art. L. 522-2 du code général de la fonction publique, selon laquelle tout avancement d'échelon se traduit par une augmentation de traitement. 

(06 janvier 2023, Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, n° 464463)

 

98 - Sanction disciplinaire – Interdiction d’une double sanction à raison des mêmes faits et à l’égard de la même personne – Rejet.

Rejetant le recours formé par un lieutenant de gendarmerie contre la sanction de blâme qui lui a été infligée, la présente décision rappelle qu’en vertu d’un principe général du droit l’autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits. Ainsi, cette autorité, lorsqu’elle a pris une première décision définitive à l'égard d'une personne qui faisait l'objet de poursuites à raison de certains faits, ne peut ensuite engager de nouvelles poursuites à raison des mêmes faits en vue d'infliger une sanction.

Le juge précise en outre que cette règle s'applique aussi bien lorsque l'autorité avait initialement infligé une sanction que lorsqu'elle avait décidé de ne pas en infliger une. 

C’est là une application très bienveillante de ce principe général du droit.

(06 janvier 2023, M. C., n° 464486)

 

99 - Agent territorial – Admission à la retraite sans rente invalidité – Contestation de cette décision par divers moyens – Rejet.

La requérante, adjoint technique territoriale dans des écoles maternelles a été placée durant de longues périodes en congés maladie de diverses natures puis mise à la retraite sans l’octroi d’une rente invalidité celle-ci lui ayant été refusée. Son recours contre cette dernière décision ayant été rejeté elle saisit d’un pourvoi le Conseil d’État.

La requête est rejetée.

Le juge rappelle tout d’abord qu’une rente invalidité ne peut être servie qu’en cas de maladie imputable au service or une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

Il résulte du dossier de l’intéressée que si elle a été à plusieurs reprises et sur une durée de dix ans environ placée en congé maladie ou de longue maladie ou de longue durée, il n’apparaît pas que cela fût imputable au service ou aggravé par celui-ci.

Si est invoqué un harcèlement moral décrit par des médecins, s’est sans erreur de droit que les premiers juges ont relevé que l'appréciation de faits caractérisant un harcèlement moral dépassait le cadre strictement médical de la mission confiée aux médecins qui les ont évoqués.

Ensuite aucun des certificats médicaux produits ne s’est prononcé sur l'existence d'un lien entre ses conditions de travail et la maladie développée ; de plus, si la commission de réforme a, dans un premier temps, supposé l’existence d’un tel lien, elle est revenue sur ce point par la suite, écartant tout lien. Pareillement, l’enquête administrative diligentée par le maire sur les faits prétendus de harcèlement moral ne s’est pas prononcée sur l’imputabilité de la maladie au service.

C’est donc sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que le tribunal l’a déboutée de son action.

(17 janvier 2023, Mme A., n° 461068)

 

100 - Agent de l’administration pénitentiaire – Adjoint de sécurité non titulaire – Nomination en qualité d’élève surveillant – Refus de reprise des services exercés en qualité de non titulaire – Illégalité – Rejet pour défaut de motivation de la requête – Annulation sans renvoi (examen au fond).

Le requérant, qui avait été recruté le 2 novembre 2010 en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire au ministère de l'intérieur, a été informé le 19 août 2016, qu'il avait été déclaré apte à la fonction de surveillant de l'administration pénitentiaire et que sa nomination en qualité d'élève surveillant serait prononcée le 17 octobre 2016, date de début de sa scolarité à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP).

L’intéressé a donc présenté sa démission comme agent non titulaire à compter du 16 octobre 2016, en précisant être convoqué à l'ENAP le 17 octobre 2016 et en joignant sa convocation. Il a été nommé le 17 octobre 2016 en qualité d'élève surveillant à l'ENAP à compter du 17 octobre 2016 avant d'être nommé stagiaire dans le corps des personnels d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire puis d'être titularisé dans le grade de surveillant de ce corps à compter du 18 juin 2018.

Par une décision du 8 mars 2019, ministre de la justice, a rejeté la demande du requérant tendant à la reprise de ses services effectués en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire du 2 novembre 2010 au 16 octobre 2016.

M. A. se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif sur le fond rejetant son recours contre le rejet de sa demande par le ministre de la justice. Le Conseil d’État lui donne raison.

D’abord, s’agissant de l’arrêt d’appel  son annulation résulte de ce qu’il repose sur une erreur de droit pour avoir jugé que le requérant n'était pas fondé à demander l'annulation de la décision du ministre de la justice refusant de prendre en compte les services effectués en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire puisqu'il avait cessé d'exercer ses fonctions d'adjoint de sécurité le 16 octobre 2016 et qu'il n'avait donc plus la qualité d'agent non titulaire de l'État à la date de sa nomination le 17 octobre 2016 en qualité d'élève surveillant à l'ENAP. En effet, il ressortait des pièces du dossier que l'intéressé n’avait démissionné de ses fonctions le 16 octobre 2016 que dans le but de commencer sa scolarité à l'ENAP le lendemain.

Ensuite, l’arrêt étant cassé, restait à examiner le jugement : il est lui aussi cassé car, pour rejeter la demande dont le requérant les avait saisi les premiers juges ont considéré qu’elle était irrecevable faute de comporter une motivation alors que son auteur faisait valoir la nécessaire prise en compte de ses fonctions exercées en tant qu'adjoint de sécurité non titulaire jusqu'au 16 octobre 2016 et précisait avoir quitté ces fonctions afin de pouvoir commencer sa scolarité à l'ENAP le 17 octobre 2016. Sa demande satisfaisait ainsi à l'exigence de motivation requise par l'article R. 411-1 du CJA.

Statuant au fond, le juge de cassation prononce l’annulation de la décision querellée du ministre de la justice.

Il aura fallu pour cela, dans un litige ne présentant aucune difficulté particulière, attendre près de quatre années sa résolution : c’est trop, beaucoup trop.

(25 janvier 2023, M. A., n° 456535)

 

101 - Conseiller technique de recteur ou de vice-recteur pour les établissements et la vie scolaire – Liquidation de la pension de retraite – Obligation de prendre en compte la bonification indiciaire – Absence d’erreur de droit – Rejet.

C’est sans erreur de droit, contrairement à ce que prétend le ministre demandeur au pourvoi, qu’un tribunal administratif juge qu’il résulte de la combinaison des dispositions du premier alinéa de l'article 1er du décret du 11 avril 1988 fixant le régime de rémunération applicable à certains emplois de direction d'établissements d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale, de celles de l’art. 2 du décret du 11 décembre 2001 portant statut particulier du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale, de celles de l’art. 1er du décret du 20 octobre 2016 relatif aux emplois fonctionnels des services déconcentrés de l'éducation nationale ainsi que de celles de l’art. L. 421-1 du code de l’éducation, que les fonctions de conseiller technique de recteur ou de vice-recteur pour les établissements et la vie scolaire, nouvelle dénomination des « proviseurs vie scolaire », font partie des fonctions entrant dans le champ du II de l'art. 6 du décret du 11 avril 1988 qui ouvrent droit, pour les agents du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale détachés sur un tel emploi fonctionnel, au bénéfice de la bonification indiciaire prévue par ce décret.

Il s’ensuit que c’est à bon droit qu’il a jugé que l’intéressée avait droit au bénéfice d'une bonification indiciaire de 130 points et donc à une rémunération sur la base de l'indice 1143 pour le calcul de ses droits à pension de retraite.

Est donc rejeté le pourvoi du ministre prétendant que le tribunal se serait fondé sur une rémunération résultant de la conservation à titre personnel d'un indice antérieurement détenu pour déterminer les droits à pension de l’intéressée.

(27 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 460577)

 

102 - Médecin urgentiste - Agent hospitalier contractuel – Contrats successifs à durée déterminée – Encadrement impossible de l’activité de chirurgien – Licenciement - Existence d’un contrat à durée indéterminée – Absence – Rejet.

Le requérant, médecin urgentiste employé contractuel d’un centre hospitalier, a demandé l’annulation du licenciement dont il a fait l’objet ainsi que le versement de son traitement depuis cette date et sa réintégration.

Il se pourvoit en cassation d’un arrêt qui a seulement légèrement augmenté le montant de l’indemnité allouée en première instance mais rejeté toutes ses autres demandes formées dans son appel.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, eu égard aux dispositions des art. L. 6152-1 et R. 6152-610 du code de la santé publique, le contrat de trois ans conclu en dernier lieu par le praticien requérant ne peut pas, faute de décision expresse de son employeur, être requalifié en contrat à durée indéterminée.

Ensuite, il en va de même pour « le contrat d’engagement de servir » conclu en février 2016 entre le requérant et le centre hospitalier, la cour ayant estimé, en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation, que ce contrat ne constituait pas un contrat à durée indéterminée se substituant au contrat à durée déterminée de trois ans dont l'intéressé était titulaire à compter du 1er septembre 2014.

Également, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l’art. R. 6152-610 du code de la santé publique (lequel dispose : « Les praticiens attachés sont recrutés pour un contrat d'une durée maximale d'un an, renouvelable dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre mois. / (...) A l'issue de cette période de vingt-quatre mois, le renouvellement s'effectue par un contrat de trois ans, renouvelable de droit, par décision expresse. A l'issue du contrat triennal, le renouvellement s'effectue par un contrat à durée indéterminée. (...) », non sur celles de l’art. R. 6152-629 retenu par le tribunal administratif.

(27 janvier 2023, M. A., n° 451516)

 

Libertés fondamentales

 

103 - Demande d’asile – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Caractère suspensif d’exécution de l’OQTF du fait de la saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Rejet.

Une ressortissante haïtienne qui s’est vue refuser le bénéfice du droit d’asile ou de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, a contesté ce refus et, tandis que son action en justice est pendante devant la CNDA, demande au juge des référés du Conseil d’État, sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA, l’annulation de l’ordonnance rendue par le juge du référé liberté du tribunal administratif de Guadeloupe, rejetant sa demande de suspension de la décision d’OQTF prise à son encontre.

Le recours est rejeté

Le Conseil d’État juge d’abord qu’il n’y a pas d’urgence à statuer en l’espèce puisque, par l’effet de sa saisine de la CNDA, l’exécution de l’OQTF est suspendue jusqu’à reddition de la décision de cette dernière. Il juge ensuite qu’il n’est pas non plus porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale de l’intéressée en dépit de l’état de santé physique et psychologique dont elle se prévaut et de la situation de violence en Haïti ainsi qu'en attesterait un communiqué du Haut-commissariat des réfugiés du 3 novembre 2022 demandant aux États de mettre fin au renvoi forcé des ressortissants haïtiens dans ce pays ; pas davantage, faute d'éléments circonstanciés et suffisamment étayés, la requête n'établit l’existence d’une telle atteinte, la seule production d'un certificat médical daté du 8 décembre 2022 selon lequel Mme B. nécessiterait un suivi médical à raison de troubles gynécologiques et de douleurs dorsales, et d'un signalement du 13 décembre 2022 de la Cimade attirant l'attention de l'OFPRA sur la situation de vulnérabilité particulière de l'intéressée, se manifestant par du stress, de l'angoisse et une certaine confusion à raison de traumatismes vécus en Haïti avant sa fuite en 2018, d'un accident de voiture subi la même année et de sa grande précarité ne permettent pas, non plus, d’apercevoir une telle atteinte. Enfin, la seule invocation de la situation sécuritaire particulièrement dégradée en Haïti ne saurait justifier le prononcé d'une telle mesure de rapatriement dès lors qu'il résulte de l'instruction que Mme B. réside actuellement, ainsi qu'il ressort de son mémoire en réplique enregistré le 29 décembre 2022, à Port-au-Prince, « à l'abri dans un hôtel loin des [gangs] ».

(ord. réf. 09 janvier 2023, Mme B., n° 469996)

 

104 - Enfant souffrant de graves séquelles neurologiques et d’un polyhandicap irréversible – Décision de limitation des soins – QPC portant sur la conformité de dispositions du code de la santé publique au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis s’agissant d’une mineure – Refus de transmission de la QPC mais suspension provisoire ordonnée en vue d’une nouvelle expertise.

(ord. réf. form. coll. 12 janvier 2023, M. A. et Mme K., n° 469669)

V. n° 115

 

105 - Personnes bénéficiaires de la protection subsidiaire dans l’un des États de l’Union – Impossibilité de solliciter cette protection auprès d’un autre État membre – Admission au séjour en France – Possibilité d’y demander l’asile ou la protection subsidiaire – Annulation.

Dans cette importante décision, très favorable à une extension considérable du droit d’asile, le Conseil d’État statue sur un pourvoi de ressortissants syriens contre une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) confirmant le rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) comme irrecevables de leurs demandes d’asile au motif que les autorités espagnoles leur avaient reconnu le bénéfice de la protection subsidiaire en 2014. 

Ayant par la suite été admis au séjour en France le 1er décembre 2017, les requérants ont présenté des demandes de réexamen de leurs demandes d'asile, qui ont été rejetées par l'OFPRA, confirmé par la CNDA dans ses décisions du 26 mars 2021 contre lesquelles ils se pourvoient en cassation. 

Très pédagogiquement le Conseil d’État expose le mécanisme complexe de combinaison du droit national de l’asile et du régime européen de traitement des étrangers demandeurs à l’asile ou, à défaut, à la protection subsidiaire.

Tout d’abord, le principe est qu’en vertu des dispositions de l'art. L. 723-11 du CESEDA, la personne qui s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire dans un État membre de l'Union européenne, sur le fondement de persécutions subies dans l'État dont elle a la nationalité, ne peut plus normalement, aussi longtemps que le bénéfice de cette protection lui est maintenu et effectivement garanti dans l'État qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d'un autre État membre le bénéfice d'une protection conventionnelle ou subsidiaire à raison de ces persécutions dès son entrée sur le territoire de cet État.

Ensuite, dans le cas où cet étranger a été admis au séjour par cet État, il lui est toujours loisible d'y déposer une demande d'asile.

Ceci est déduit par le juge des dispositions du droit de l’Union.

Enfin, en France, lorsque cette demande a été déposée auprès de l'OFPRA, celui-ci est légalement tenu d'examiner si, au regard des persécutions dont la personne établit qu'elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité, elle est fondée à demander le bénéfice de l'asile conventionnel et, à défaut, de la protection subsidiaire.

De plus, et ceci est plus difficilement compatible avec le droit de l’Union nous semble-t-il, il est jugé qu’il en va de même dans le cas où l'admission au séjour ayant été accordée après le rejet d'une première demande d'asile, la demande présentée après cette admission prend la forme d'une demande de réexamen.

Un renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg ne nous serait pas apparu superflu.

(25 janvier 2023, M. C. et autres, n° 460094)

 

Police

 

106 - Autorisation municipale de déplacement intra-communal d’un débit de tabacs – Maire agissant comme agent de l’État – Combinaison de ses pouvoirs avec ceux du préfet – Définition préfectorale du périmètre de protection des mineurs visant les débits de boissons et absence d’un tel périmètre pour les débits de tabac – Silence suppléé par la réglementation relative aux débits de boissons – Rejet.

Le demandeur a obtenu par arrêt confirmatif l’annulation de l’arrêté municipal autorisant le déplacement d’un débit de tabacs exploité par Mme A.

Le ministre de l’économie et des finances se pourvoit en cassation de cet arrêt. Il est débouté de ses prétentions.

Le juge rappelle qu’en ce domaine le maire agit comme agent de l’État et qu’ainsi il se trouve tenu de respecter les règles de distance relatives à l'implantation des débits de tabac prises pour la fixation du périmètre de protection des mineurs par le préfet par suite des dispositions combinées des art. L. 3335-1 et L. 3511-2-2, devenu l'article L. 3512-10, du code de la santé publique. Pareillement, le préfet prend un arrêté similaire s’agissant des débits de boissons.  Or, en l’espèce, si le préfet avait bien pris un arrêté pour ce qui concerne les débits de boissons, il ne l’avait pas fait pour les débits de tabacs d’où se posait la question de savoir si le maire était tenu néanmoins par sa subordination fonctionnelle au préfet ou si son arrêté, en matière de débits de tabac, n’était pas soumis à une telle subordination. Le Conseil d’État, confirmant la cour, juge que le maire devait appliquer pour ces derniers débits les distances fixées par le préfet dans son arrêté relatif aux débits de boissons.

La solution est plus expédiente que franchement respectueuse du droit positif et elle est, pour cela, bienvenue compte tenu de la matière à réglementer.

(13 janvier 2023, M. D., n° 453434)

 

107 - Police des mines – Installations minières – Déclaration d’arrêt définitif de travaux miniers – Obligation de remise en état s’imposant à l’ancien exploitant ou à son ayant droit – Renonciation au titre minier – Absence d’effet sur cette obligation – QPC non transmise.

Un préfet enjoint le requérant de déclarer l'arrêt définitif des travaux et d'utilisation d'installations minières pour la concession d’une mine de lignite. Il a contesté cette décision, en vain, en première instance et en appel et se pourvoit en cassation y compris contre le rejet de sa demande de transmission d’une QPC.

1 – Sur la procédure d’arrêt des travaux

La police des mines a pour objets, aux termes de l’art. L. 171-1 du code minier, « de contrôler et d'inspecter les activités de recherches et d'exploitation minières ainsi que de prévenir et de faire cesser les dommages et les nuisances qui leur sont imputables, d'assurer la bonne exploitation du gisement et de faire respecter les exigences et les intérêts mentionnés à l'article L. 161-1 (lequel comporte une énumération fort longue de contraintes à respecter) et les obligations mentionnées à l'article L. 161-2 et par les textes pris pour leur application. »

Les textes instituent une procédure d’arrêt des travaux applicable à une installation particulière lorsqu'elle cesse d'être utilisée pour l'exploitation, à l'ensemble des installations et des travaux concernés lors de la fin d'une tranche de travaux, et en tout état de cause à l'ensemble des installations et des travaux n'ayant pas fait l'objet de la procédure d'arrêt lors de la fin de l'exploitation (cf. art. L. 163-1 eod. loc.). Cette procédure consiste en une déclaration faite à l'autorité compétente au plus tard au terme de la validité du titre minier. Faute de déclaration, l'autorité administrative reste habilitée au-delà de ce terme pour prescrire les mesures nécessaires (en ce sens, v. l’art. L. 163-2 du code minier).

En l’espèce, l'exploitation d’une concession de lignite a été attribuée à M. A. D. par un décret du 20 mai 1931, puis transférée, à sa demande, à son fils, M. C. D., par un décret en date du 5 août 1958. M. B. D. est, en tant qu'héritier des biens de son père, n'ayant pas renoncé à cette succession, l'ayant droit de M. C. D., son père et dernier exploitant du site, au sens et pour l’application de la législation minière.

C’est pourquoi, en premier lieu, la cour administrative d’appel a pu juger sans erreur de droit que M. B. D. pouvait être soumis à la procédure d'arrêt des travaux miniers prévue aux articles L. 163-1 et suivants du code minier, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'aucun décret de mutation du titre minier ne serait intervenu à son bénéfice. 

En deuxième lieu, la cour n’a donc pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant qu'il incombe à l'exploitant d'une concession minière ou, si celui-ci a disparu, à son ayant droit, de faire cesser les dommages causés à l'environnement par les activités minières après leur arrêt et de prévenir les dommages que pourrait ultérieurement causer la concession minière mise à l'arrêt, et qu'il n'est mis fin à l'exercice de la police de l'exploitation des mines que lorsque le préfet donne acte à l'exploitant ou à son ayant droit que les mesures qu'il a envisagées dans son dossier de déclaration d'arrêt des travaux ou qui ont été prescrites par l'autorité administrative ont été exécutées, sauf cas de survenance ultérieure de risques importants pour la sécurité des biens et des personnes.

Enfin c'est sans erreur de droit que la cour a écarté l’application des dispositions du 3° de l'article L. 132-13 du code minier à l'encontre de la décision attaquée car ces dispositions ne sont applicables que lorsqu'il n'existe plus d'exploitant en fin de concession. Or, en l’espèce, la concession n'avait pas pris fin et le requérant était soumis à une obligation de remise en état du site en sa qualité d'ayant droit de l'exploitant.

2 – Sur le refus par la cour de la transmission de la QPC

Le requérant avait soulevé une QPC à l’encontre de l’art. L. 163-10 du code minier en ce qu’il dispose que « l'absence de titre minier ne fait pas obstacle à l'application de l'intégralité des dispositions des articles L. 163-1 à L. 163-9 » dont il contestait le refus de transmission opposé par la cour. Ce moyen est rejeté car le juge cassation, comme celui d’appel, estime ce texte inapplicable au présent litige et donc irrecevable puisqu’il concerne uniquement l’hypothèse d’absence de titre minier ce qui n’était pas le cas dans la présente affaire où le requérant disposait toujours du titre minier et où il n’y a jamais eu de procédure d’arrêt des travaux à propos de cette mine.

(25 janvier 2023, M. B. D., n° 454221)

 

108 - Police du bruit – Nuisances sonores des aérodromes – Restrictions aux mouvements d’aéronefs – Dérogations possibles – Irrégularités de procédure alléguées – Principe de non-régression – Rejet.

Un arrêté ministériel du 8 mars 2022 a prévu la possibilité de dérogations aux dispositions de l’arrêté du même ministre, du 25 avril 2022, instaurant des restrictions d'exploitation de l'aérodrome de Beauvais-Tillé en interdisant notamment à tout aéronef d'atterrir ou de décoller entre 0 heure et 5 heures.

Le recours est rejeté en ses trois chefs principaux de grief.

Il ne saurait être soutenu, au regard des dispositions de l’art. L. 571-13 du code de l’environnement, que la consultation de la commission consultative de l'environnement de l'aérodrome de Beauvais-Tillé, qui a eu lieu le 1er octobre 2021, serait irrégulière faute pour son comité permanent d'avoir préalablement instruit les questions sur lesquelles la commission devait se prononcer. 

Il résulte des dispositions du e) de l'art. 2 de la directive 2002/30/CE du 26 mars 2002 relative à l'établissement de règles et procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de la Communauté et de celles des art. R. 227-8 et R. 227-9 du code de l’aviation civile que l'évaluation des caractéristiques et informations portant sur un aérodrome et leur mise à disposition ne sont requises que préalablement à l'édiction d'un arrêté du ministre chargé de l'aviation civile imposant des restrictions d'exploitation à un aérodrome c'est-à-dire visant à limiter ou à réduire l'accès d'aéronefs à cet aérodrome. Or l'arrêté litigieux a au contraire pour objet d'autoriser un plus grand nombre d'atterrissages sur l'aérodrome de Beauvais-Tillé, d’où il suit que le moyen susénoncé ne saurait être retenu.

Enfin, ne saurait être invoquée l’atteinte, par l’arrêté querellé, portée au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. env.) en raison des nombreuses conditions restrictives qu’il pose à l’octroi de dérogations en ne permettant à des aéronefs d'atterrir sur cet aérodrome entre 0 et 1 heure, que dans la limite de 25 dérogations par an et sous certaines conditions. D'une part, ces dérogations se limitent aux cas des aéronefs qui devaient atterrir entre 21 heures et 23 heures et doivent repartir le lendemain, qui subissent un retard pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur, effectuent des vols réguliers de transport de passagers et répondent à des normes acoustiques précises, et, d'autre part, ces dérogations doivent être justifiées au regard des conséquences environnementales ou d'ordre public qu'emporterait une impossibilité d'atterrissage entre 0 et 1 heure.

(25 janvier 2023, Association de défense de l'environnement des riverains de l'aéroport de Beauvais-Tillé, association regroupement des organismes de sauvegarde de l'Oise et association contre les nuisances de l'aéroport de Tillé, n° 463812)

 

Professions réglementées

 

109 - Société vétérinaire – Radiation du tableau de l’ordre – Méconnaissance de la condition de détention du capital – Recours administratif tardif – Invocation de l’absence de régularité de la signature apposée sur le récépissé du pli recommandé – Rejet.

La décision du conseil national de l’ordre des vétérinaires prononçant la radiation de la société requérante de l’ordre des vétérinaires pour méconnaissance de la condition de détention du capital posée par les dispositions du II, 1° de l'art. L. 241-17 du code rural ne permet pas d’émettre un doute sérieux sur sa légalité en l’état d’un recours administratif formé le 7 novembre 2022 contre une décision reçue par l’intéressée le 13 juillet 2022.

(ord. réf. 13 janvier 2023, Société Ultravet, n° 469835)

(110) V. aussi, à propos d’une radiation fondée sur le même motif et contestée par un recours administratif tardif car formé le 18 juillet 2022 contre une notification de radiation reçue le 31 janvier 2022 : ord. réf. 13 janvier 2023, Société Clinique vétérinaire des Bruyères, n° 469843.

(111) V. également, suspendant l'exécution de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins du 18 octobre 2022 qui a suspendu la requérante, médecin pneumologue, du droit d'exercer la médecine pendant une durée d'un an et subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une expertise médicale ; le juge estime établies :       

- d’une part, la condition de doute sérieux quant à la légalité de la décision du conseil de l’ordre car il n’est pas démontré que le suivi médical dont faisait l'objet Mme B. à la date de la décision attaquée serait en lui-même incompatible avec l'exercice de la médecine, ni que le traitement qu'elle prenait à cette date aurait été susceptible d'altérer les conditions dans lesquelles l'intéressée exerçait ses fonctions à cette même date, d’autant que celle-ci n'a, à cet égard, fait l'objet d'aucune plainte d'un patient ni d'aucun reproche de la part de son employeur tout au long de la période, d'environ quatre mois, pendant laquelle elle a exercé ses fonctions de médecin pneumologue tout en étant soumise à un traitement, y compris celui dont elle a fait état devant le Conseil national de l'ordre des médecins. Enfin, l'instruction ne fait pas ressortir de risque d'inobservance du traitement prescrit à la requérante, qui est par ailleurs consciente des troubles dont elle souffre. 

- d’autre part, la condition d’urgence en raison de la forte réduction de ses revenus au regard de ses besoins et de ceux de son fils malade aux besoins duquel elle subvient : ord. réf. 13 janvier 2023, Mme B., n° 469932.

 

112 - Expert-comptable – Revendication d’une créance contre un client – Éléments de preuve de sa qualité de créancier tirés de correspondances électroniques avec ce client – Violation du secret professionnel – Absence – Annulation de la sanction infligée.

La chambre de discipline auprès du conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables a sanctionné le requérant pour faute professionnelle résultant de ce que dans le cadre d’une action formée devant le juge judiciaire en qualité de créancier de l’un de ses clients il a communiqué des copies d’échanges électroniques avec celui-ci afin d’établir la réalité de sa qualité de créancier des honoraires lui étant dus ainsi que les accords conclus en vue de déterminer le montant de sa rémunération.

Le Conseil d’État annule la sanction car la chambre de discipline, avant de la prononcer, n’a pas recherché si le secret professionnel n'avait été levé que dans la mesure strictement nécessaire à la défense des droits de l'intéressé.

(25 janvier 2023, M. D., n° 440070)

 

113 - Infirmier – Régime des poursuites disciplinaires – Infirmier non inscrit au tableau de l’ordre – Incompétence de la juridiction de l’ordre – Erreur de droit - Annulation.

En principe, les poursuites disciplinaires engagées contre le membre d’une profession organisée en ordre sont présentées devant et jugées par les juridictions de cet ordre. En l’espèce, un infirmier était poursuivi devant l’instance disciplinaire de l’ordre des infirmiers alors qu’il n’était pas inscrit au tableau de cet ordre. Le conseil national de l’ordre des infirmiers a estimé devoir se déclarer incompétent.

Sur pourvoi de la caisse d’assurance maladie, le Conseil d’État casse cette décision au terme d’un raisonnement un peu embarrassé alors qu’il est somme toute logique en dépit de son caractère d’expédient.

Le Conseil raisonne par analogie. D’abord, à l’époque où l’ordre des infirmiers n’existait pas et où donc les infirmiers n’étaient inscrits sur aucun tableau, ces poursuites se déroulaient devant les organes juridictionnels de l’ordre des médecins. Ensuite, ils ont continué à relever de ces juridictions après la création de l’ordre et ce jusqu’au 1er janvier 2015 dans tous les cas où en méconnaissance de leur obligation d’inscription sur le tableau de l’ordre ils ont omis de s’y faire inscrire.

Par conséquent le juge en tire cette conséquence que les infirmiers sont depuis le 1er janvier 2015 susceptibles d'être poursuivis devant les sections des assurances sociales de l'ordre des infirmiers pour l'ensemble des actes qu'ils ont réalisés, qu'ils soient ou non inscrits au tableau de cet ordre.

Par suite, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des infirmiers a commis une erreur de droit en se déclarant incompétente pour connaître des faits commis antérieurement à son inscription au tableau de l'ordre des infirmiers par un infirmier pour des actes facturés du 15 janvier au 15 septembre 2013.

(27 janvier 2023, CPAM du Rhône, n° 453882)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

114 - Démarchage téléphonique en matière de travaux de rénovation énergétiques – Interdiction législative – Absence d’atteinte à une liberté ou un droit garanti par la Constitution – Non-transmission de la QPC.

A l’appui de sa demande d’annulation de la décision lui infligeant une amende administrative pour manquement aux dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation, la société requérante a soulevé une QPC.

Cette question était fondée sur l’atteinte portée par cette disposition au principe d’égalité en tant qu’elle ne prohibe le démarchage téléphonique que de la part de sociétés réalisant des travaux de rénovation énergétique.

Pour refuser la transmission de cette QPC le Conseil d’État retient les motifs du législateur pour prendre cette mesure tels qu’ils ressortent des débats et travaux parlementaires (protection de la vie privée, protection des consommateurs contre le démarchage abusif et conciliation du bon usage des deniers publics avec l'objectif d'intérêt général de réduction de la consommation énergétique des bâtiments résidentiels) et en déduit, d’une part, que l’interdiction ne concerne qu'une des formes possibles de sollicitation commerciale et de publicité et qu’elle n'est pas absolue, d’autre part, qu’elle traite de la même manière tous les professionnels dont l'activité a pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables et qu’elle n’avait pas, en revanche, à traiter pareillement les entreprises d’autres secteurs d’activités qui ne sont pas placés dans la même situation.

La solution est assez peu convaincante car ce qui est recherché c’est l’interdiction des agressions que constituent les démarchages, peu importants qu’ils concernent la rénovation énergétique, les fers à repasser ou les maillots de bain.

(05 janvier 2023, Société NRGIE Conseil, n° 468506)

 

115 - Enfant souffrant de graves séquelles neurologiques et d’un polyhandicap irréversible – Décision de limitation des soins – QPC portant sur la conformité de dispositions du code de la santé publique au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis s’agissant d’une mineure – Refus de transmission de la QPC mais suspension provisoire ordonnée en vue d’une nouvelle expertise.

Suite à une noyade dans une piscine ayant duré un certain temps, une enfant se trouve dans un état désespéré et les médecins, au vu de cette situation irréversible ont pris une décision de limitation des soins. Celle-ci a été contestée par ses parents mais le juge des référés, après avoir pris connaissance de l’expertise qu’il avait ordonnée, a rejeté le référé liberté introduit.

Les intéressés ont saisi par voie d’appel le Conseil d’État qui devait trancher deux questions.

En premier lieu, a été soulevée devant lui une QPC fondée sur ce que les dispositions du premier alinéa de l'art. L. 1110-5-1, du quatrième alinéa de l'art. L. 1110-5-2 et du sixième alinéa de l'art. L. 1111-4 du code de la santé publique, telles qu'elles ont été interprétées par le Conseil d'État comme couvrant autant la situation de personnes majeures que mineures, méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté personnelle ainsi que l'article 34 de la Constitution, faute de précision sur l'inclusion des mineurs et de garanties suffisantes dans cette hypothèse particulière, alors que l'accord des parents devrait être obligatoire pour toute décision d'arrêt des traitements prodigués à des enfants. 

Ce moyen est rejeté car, selon le juge, « dès lors qu'aucune règle ou principe constitutionnel ne s'oppose à ce que le législateur ait prévu un régime qui s'applique tant aux personnes majeures que mineures et que la procédure qu'il a mise en place présente des garanties suffisantes, la circonstance que les dispositions contestées donnent au corps médical (…) la responsabilité de décider de l'arrêt des traitements prodigués à un mineur, en s'efforçant tout particulièrement de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, sans cependant être tenu d'obtenir leur accord, ne méconnaît en tout état de cause pas les droits ou libertés garantis par la Constitution que les requérants invoquent. »

La réponse est un peu courte s’agissant de se prononcer sur la hiérarchie devant exister entre les normes applicables en matière de droits fondamentaux, entre les textes relatifs aux pouvoirs du corps médical dans certaines situations critiques pour les patients et les normes relatives au statut des parents à l’égard de leurs enfants. D’ailleurs, cette décision, dont la rédaction trahit un certain embarras, comporte une relative contradiction en ce qu’in fine elle retient une attitude plus compassionnelle que médicale ou scientifique.

En second lieu, il s’agissait pour le juge de se prononcer sur le fond du dossier : arrêts des soins ou pas ? Le juge consacre un long développement pour montrer que la décision médicale n’est guère critiquable compte tenu des éléments certains concernant l’état de l’enfant et semble laisser entendre que c’est la solution raisonnable. Toutefois, par une sorte de Deus ex machina, le juge estime qu’un semblant d’amélioration dont en réalité il dit lui-même qu’il n’y a rien à en espérer, « ainsi que de la position de ses parents qui estiment qu'une décision d'arrêt de soins serait trop précoce, à laquelle comme il a été dit une attention particulière doit être portée,… » le conduisent à décider l’octroi d’un délai d’observation de de deux mois à l’issue duquel une nouvelle expertise sera ordonnée suivie d’une décision normalement définitive.

Il faut comprendre l’extrême complexité d’une décision juridictionnelle rendue dans ces conditions : il faut à la fois appliquer les textes dont on ne saurait dire qu’ils sont déraisonnables et - car les juges sont aussi des êtres humains - donner aux familles une réponse revêtant une certaine forme compassionnelle. Cependant, le risque est celui d’un glissement de la motivation des décisions qui, d’une réponse en droit, tourne à une rédaction choisie pour rendre acceptables ces décisions ; l’exercice peut tourner davantage à l’effort de communication qu’à un acte proprement juridique.

(ord. réf. form. coll. 12 janvier 2023, M. A. et Mme K., n° 469669)

 

116 - Droits à congé payé – Régime spécifique des salariés en activité discontinue chez une pluralité d’employeurs – Refus de transmission d’une QPC.

Les requérantes, employeuses de salariés exerçant une activité discontinue chez plusieurs employeurs, soulèvent une QPC contre l’art. L. 3141-32 du code du travail en ce qu’il prévoit en ce cas des modalités particulières pour la détermination des congés payés de ces salariés, notamment par la création de caisses de congé payé.

Au plan de la procédure, il faut relever l’admission en l’espèce de la recevabilité de l’intervention en défense de caisses de congé payé aux côtés du ministre du travail défendeur à l’instance en QPC. Comme cette instance n’est qu’annexe à l’action principale (voir aussi la solution la notule n° 117 ci-après sur ce point), une telle intervention n’est possible que de la part de ceux qui étaient déjà intervenants dans l’instance principale.

Cette règle est une excellente illustration du principe d’immutabilité du litige principal à travers les instances qui en dérivent afin de ne pas étendre à l’infini le champ du litige à juger et d’éviter au juge le risque de devoir juger via l’intervention nouvelle un litige lui-même largement nouveau.

Sur le fond, le juge refuse la transmission de la QPC, aucun des moyens soulevés ne l’ayant convaincu de le faire.

La prétendue existence d’un « débat de société » sur ce régime de congé payé ne saurait donner ouverture à QPC pas plus que ne peut être invoqué un droit spécifique aux congés payés des salariés ou un principe fondamental reconnu par les lois de la République, distinct du droit constitutionnel au repos.

L’atteinte à la liberté d’entreprendre ou au principe d’égalité devant les charges publiques que réalise cette disposition n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur de tenir compte des conditions très particulières d’exécution de leurs tâches par les salariés concernés.

(20 janvier 2023, Association Collectif contre les caisses de congé du BTP, société DVM Renov et société Philippe et fils, n° 467970)

 

117 - Droit au logement opposable – Intervention à l’instance en QPC – Introduction ou maintien dans le domicile d’autrui par menace ou contrainte – Absence de recours au juge – Atteinte au droit au recours – Transmission d’une QPC.

Cette décision est d’abord intéressante en ce qu’elle confirme la précédente s’agissant de l’admission d’interventions dans l’instance en QPC.

Deux associations, la fédération Droit au logement et la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, ont formé une intervention en demande aux côtés de la requérante dans le cadre de l’action en QPC que cette dernière a formée, leur constitution est refusée en ces termes : « Eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d'une question prioritaire de constitutionnalité, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable à l'appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil d'État de renvoyer une telle question au Conseil constitutionnel qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale », or, en l’espèce, ces associations ne sont pas intervenues au soutien de la demande de Mme C. tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 22 mars 2022 par lequel le préfet de police l'a mise en demeure de quitter le logement qu'elle occupait. 

En l’absence d’intervention à l’instance principale est donc impossible l’intervention à l’instance dérivée ou annexe.

Ensuite, sur le fond, il est jugé que présente un caractère sérieux la question de savoir si l'art. 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable porte atteinte au droit constitutionnel au recours en ce qu’il fait exception à l’art. L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution selon lequel « Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux. ». En effet, il institue une procédure administrative permettant d’expulser à très bref délai les occupants irréguliers d’un domicile lorsque cette irrégularité est constatée. Et cela sans aucune procédure juridictionnelle.

La question est donc transmise.

(20 janvier 2023, Mme C., n° 458389)

 

118 - Fonds départemental de compensation du handicap en vue de l’aide financière à apporter au reste à charge pour les bénéficiaires – Plafonnement du reste à charge des frais de compensation – Limitation des aides à compensation en fonction des financements des fonds départementaux – Atteintes aux principes d’égalité et de fraternité – Transmission d’une QPC.

Les requérantes contestaient la constitutionnalité des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'art. L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, en ce que, tout en fixant le principe selon lequel les frais de compensation restant à la charge des personnes handicapées ne peuvent excéder 10 % de leurs ressources personnelles nettes d'impôts, elles assortissent le versement des aides destinées à permettre cette compensation d'une limite tenant aux financements des fonds départementaux de compensation du handicap et ne prévoient pas d'obligation, pour les contributeurs qu'elles mentionnent, de participer au financement de ces fonds, méconnaissant ainsi le principe d'égalité, le principe de fraternité et un principe à valeur constitutionnelle nouveau dit « d'accessibilité universelle et de solidarité de la société à l'égard des personnes handicapées », qui serait issu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Le juge y voit une question nouvelle et présentant un caractère sérieux, justifiant son renvoi au juge constitutionnel, laissant à ce dernier le soin de se prononcer, outre les principes d’égalité et de fraternité, sur l’existence du nouveau principe à valeur constitutionnelle suggéré par les demanderesses en QPC.

(20 janvier 2023, Association Handi-Social et Mme B., n° 468567)

 

119 - Modification de dispositions du code forestier par voie d’ordonnance de l’art. 38 de la Constitution – Ordonnance non ratifiée – Questions prioritaires de constitutionnalité, l’une transmise, l’autre non.

Le syndicat requérant a déposé deux QPC à l’appui de sa demande d’annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, la première était dirigée contre 1° du I de l'article 79 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, la seconde contre divers articles du code forestier, du code de l’environnement et du code de la santé publique dans la rédaction qui leur a été donnée par l’ordonnance précitée.

La demande de transmission de la première QPC est rejetée car le juge constitutionnel ne peut être saisi par voie de QPC que de griefs tirés de ce que les dispositions d'une loi d'habilitation portent atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit. Or en l’espèce la loi d’habilitation ne porte par elle-même aucune atteinte directe à un droit ou liberté que la Constitution garantit dans la mesure où elle se borne à permettre au gouvernement de modifier les dispositions du code forestier relatives à l'Office national des forêts afin d'élargir les possibilités de recrutement d'agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l'exercice de l'ensemble des missions confiées à l'office, y compris la constatation de certaines infractions et à l'exclusion de leur recherche, par certains d'entre eux commissionnés et assermentés à cet effet.

En revanche, le Conseil d’État décide de transmettre la seconde QPC dont il était saisi car celle-ci soulève une question nouvelle présentant un caractère sérieux en ce que les dix dispositions législatives retenues portent notamment atteinte à l'art. 66 de la Constitution au regard de l'étendue des pouvoirs de police judiciaire conférés aux agents de droit privé de l'Office national des forêts et des modalités de leur contrôle par l'autorité judiciaire.

(27 janvier 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, n° 466225)

 

Responsabilité

 

120 - Infection nosocomiale – Condition de la réparation du préjudice – Détermination de la perte de chance non du préjudice corporel subi – Cas de survenance d’une seconde infection nosocomiale – Rejet.

Le requérant, victime d’une fracture du tibia, a subi, du fait de complications infectieuses, une nouvelle hospitalisation au cours de laquelle il a contracté une infection de caractère nosocomial puis, par suite d’une seconde fracture du tibia, il a été à nouveau hospitalisé et a contracté au cours de cette hospitalisation une seconde infection de caractère nosocomial.

Le juge administratif, saisi par la victime, a d’abord réparé le préjudice corporel mais, sur appels du centre hospitalier et de M. B., la cour administrative d’appel a estimé que la seconde infection, qui était bien de caractère nosocomial, avait seulement été à l'origine d'une perte de chance de ne pas subir une deuxième fracture du tibia et que c’était donc à tort que les premiers juges avaient indemnisé la victime de son préjudice corporel et non la part du rôle joué par l’infection dans la perte de chance de subir cette seconde fracture.

Le requérant se pourvoit contre cet arrêt et son recours en cassation est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle ici sa jurisprudence selon laquelle « dans le cas où une infection nosocomiale a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette infection et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. Il en va de même lorsque, à la suite d'une première infection nosocomiale, un patient fait l'objet d'une nouvelle prise en charge au cours ou au décours de laquelle apparaît une seconde infection nosocomiale, et que ce patient demande la réparation d'un nouveau dommage auquel cette seconde infection nosocomiale a compromis ses chances d'échapper. Toutefois, lorsqu'il est certain que le nouveau dommage ne serait pas survenu en l'absence de la première infection nosocomiale, le préjudice qui doit être réparé est le dommage corporel et non la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage ». En l’espèce, c’est sans erreur de droit que pour juger que la seconde infection nosocomiale contractée par M. B. lui avait seulement fait perdre une chance d'éviter la survenue d'une seconde fracture du tibia, la cour a retenu que le site du second foyer de fracture avait été fragilisé par la première intervention, et que la nouvelle infection contractée à cette occasion était probablement limitée dans son étendue. De ces constatations souveraines non entachées de dénaturation il se déduit donc qu'il n'était pas certain que le dommage corporel constaté après la seconde infection ne serait pas survenu en l'absence de ces deux interventions. C’est pourquoi c’est bien la perte de chance qui doit servir de fondement à l’indemnisation non le préjudice corporel subi.

(13 janvier 2023, M. B., n° 453963)

 

121 - Co-auteurs de fautes ayant causé un dommage – Auteur public et auteur privé – Possibilité pour la victime de demander la condamnation pour le tout de la personne publique – Réponse en ce sens.

Le Conseil d’État était saisi, selon la procédure d’avis de droit de l’art. L. 113-1 du CJA, des deux questions suivantes :

« 1°) En cas de cumul de fautes, commises l'une par une personne publique, l'autre par une personne privée dont l'appréciation de la responsabilité relève du juge judiciaire, et qui portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, le juge administratif saisi par la victime de conclusions se fondant sur un partage de responsabilité entre co-auteurs, peut-il déterminer la part de responsabilité devant incomber à la personne publique attraite devant lui à l'issue d'un tel partage ou doit-il écarter le partage de responsabilité demandé par la victime et condamner la personne publique, dans la limite de la somme demandée, à réparer intégralement le dommage, à charge pour elle, le cas échéant, d'exercer une action récursoire ?

2°) Dans cette seconde hypothèse, doit-il soulever d'office un moyen en ce sens ? »

La réponse du Conseil d’État, très logique et parfaitement opportune, ne correspond cependant pas tout à fait à la totalité de la question posée car elle n’envisage que la seule hypothèse où la victime demande au juge administratif « la condamnation de l'une de ces personnes à réparer l'intégralité de son préjudice ». En ce cas, il est clair que ce juge a l’obligation de condamner la personne publique à réparer pour le tout, à charge pour elle, le cas échéant, de se retourner contre le co-auteur privé par la voie d’une action récursoire. C’est encore à bon droit que le juge rappelle qu’en ce cas il n’y a pas lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques entre ceux-ci, mais non le caractère et l'étendue de leurs obligations à l'égard de la victime du dommage. 

Mais la question posée n’était pas celle-là puisqu’elle portait sur l’hypothèse où la victime ne saisit le juge administratif que d’une action en responsabilité dirigée contre la seule personne publique et pour sa part propre de responsabilité, laissant à l’autre co-auteur la charge de sa propre part de responsabilité. Pourtant il nous semble que, même ainsi formulée, la question doit recevoir la même réponse que celle indiquée plus haut.

A notre sens, il conviendrait que chacun des deux ordres décide que la victime choisit librement celui des deux qu’elle entend saisir et que ce dernier soit toujours compétent pour statuer sur l’entière indemnisation du préjudice subi ainsi que, le cas échéant, sur l’action récursoire de l’un des co-auteurs contre l’autre.

De toutes façons, cette dernière action est toujours soumise à un régime contentieux bancal, l’ordre de juridiction choisi devant toujours in fine statuer soit s’il est administratif, sur la part de responsabilité du co-auteur privé, soit s’il est judiciaire, sur la part de responsabilité du co-auteur public.

(Avis, 20 janvier 2023, Groupe hospitalier du sud de l’Oise, n° 468190)

 

122 - Responsabilité hospitalière – Régime de mise en cause des caisses de sécurité sociale – Mise en cause d’ordre public – Présentation pour la première fois en appel de chefs de débours – Irrecevabilité sauf conclusions portant sur des prestations nouvelles – Annulation partielle.

Dans cette importante décision le juge précise assez complètement les conséquences à tirer des dispositions du huitième alinéa de l'art. L. 376-1 du code de la sécurité sociale, relatif au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable d'un accident ayant entraîné un dommage corporel. Il étend ainsi une jurisprudence récente (6 mai 2021, CPAM de Paris, n° 421744, aux Tables du Recueil Lebon).

Ce texte impose au tribunal administratif, saisi par la victime d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident, d’appeler en cause la caisse à laquelle la victime est affiliée. Cette exigence s’impose également en appel à la cour administrative d'appel, saisie dans le délai légal d'un appel de la victime. A défaut du respect de cette obligation, le jugement ou l’arrêt est irrégulier et il incombe à la cour ou au juge de cassation de relever d’office cette irrégularité résultant de l’omission de mise en cause.

En appel, lorsque le jugement a mis en cause la caisse cette dernière ne peut régulièrement présenter d'autres conclusions que celles de sa demande de première instance, sauf s’agissant de prestations servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement ou portant sur des prestations dont elle était dans l'impossibilité de justifier le montant avant cette date.

En revanche, lorsque les premiers juges ont omis de mettre en cause la caisse, celle-ci peut obtenir, le cas échéant d'office, l'annulation du jugement en tant qu'il statue sur les préjudices au titre desquels elle a exposé des débours et présenter ainsi, pour la première fois devant le juge d'appel, des conclusions tendant au paiement de l'ensemble de ces sommes.

En l’espèce, la caisse requérante avait présenté au tribunal administratif dans une instance avant dire droit des conclusions subrogatoires en vue du remboursement de ses débours mais par la suite, après ce jugement, la caisse n’a pas pris de conclusions tendant au remboursement des prestations servies à l'intéressée à compter de cette date mais a seulement demandé que ses droits relatifs à ces dépenses futures soient « réservés ». 

La caisse a présenté pour la première fois en cause d’appel des conclusions tendant au remboursement des frais exposés par elle entre le 10 octobre 2017 et le jugement du 7 février 2019 réglant le litige de première instance. La cour administrative d’appel a alors considéré que la CPAM de Côte d'Or ne justifiait pas avoir été dans l'impossibilité d'indiquer le montant de ses débours au cours de l'instruction devant le tribunal administratif et qu’ainsi elle ne pouvait régulièrement présenter pour la première fois devant le juge d'appel des conclusions chiffrées.

Sur pourvoi de la caisse, le Conseil d’État approuve la cour qui, ce jugeant, n’a pas commis d’erreur de droit. En revanche, elle a commis une erreur de droit en jugeant également irrecevables celles des conclusions de la caisse tendant au remboursement des prestations nouvelles servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement du tribunal administratif ou des dépenses futures qu'elle serait de façon certaine amenée à engager pour celle-ci. La cassation porte sur ce seul point.

(27 janvier 2023, CPAM de Côte d’Or, n° 453427)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

123 - Organisation hospitalière – Suspension de l’autorisation donnée à un centre hospitalier pour l’exercice de la gynécologie-obstétrique – Mise en demeure de remédier aux manquements constatés – Absence d’atteinte aux libertés invoquées – Rejet.

Le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté a suspendu l'autorisation d'exercer l'activité de gynécologie-obstétrique délivrée au centre hospitalier d'Autun et l’a mis en demeure  de lui faire connaître, dans le mois, les mesures prises pour obvier aux manquements constatés.

Les requérantes, agissant en référé liberté, poursuivent l’annulation de l’ordonnance rejetant leur demande de suspendre cette décision.

L’appel est rejeté.

Le juge des référés relève que la maternité du centre hospitalier d'Autun a été contrainte d'interrompre l'accueil de nouvelles parturientes du 14 au 22 novembre 2022 étant dans l’impossibilité d'assurer les astreintes médicales de nuit de gynécologie obstétrique et le centre hospitalier a informé l’ARS qu'en raison des absences de pédiatres, de gynécologues-obstétriciens ainsi que de sages-femmes sur la période du 17 décembre 2022 au 1er janvier 2023, la maternité ne serait plus en mesure d'assurer la continuité des soins à compter du 17 décembre 2022, faute de modalités de remplacement de ces personnels. En outre, les tableaux de service de la maternité faisaient également apparaître des ruptures dans la permanence des soins au cours du mois de janvier 2023.

Le directeur général de l'ARS, au vu des risques que ces difficultés répétées rencontrées par la maternité d'Autun pour garantir la continuité des soins faisaient courir pour la qualité et la sécurité de la prise en charge des patientes, a pris la double mesure litigieuse de suspension et de mise en demeure.

Il s’en déduit que la suspension de l'autorisation d'exercer l'activité de gynécologie-obstétrique n'a pas, dans les circonstances de l’espèce, porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par les requérantes en dépit des inconvénients sérieux en résultant selon les requérantes (éloignement des autres maternités, risques sur les accouchements, difficultés d’hébergement pré-accouchement, rôle joué par la maternité d’Autun dans la couverture régionale des besoins…).

Par ailleurs, il résulte de l’instruction menée encore au cours de l’audience du 26 janvier 2023 et ensuite qu’à ce jour la maternité n’est pas en état de statisfaire aux exigences de la mise en demeure sans que puisse être reproché à l’ARS une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et illégale aux libertés invoquées.

La requête est ainsi rejetée sans même qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’éventuelle existence d’une urgence à statuer.

(ord. réf. 30 janvier 2023, Association pour la promotion de la santé en Autunois et Morvan (ASPAM) et Mme A., n° 470415)

 

Service public

 

124 - Distribution d’électricité – Mesure de désactivation quotidienne – Délestages prétendus dommageables par un utilisateur – Absence d’urgence – Rejet.

Dans un souci d’économie d’énergie en raison du risque de pénurie, la ministre de la transition énergétique a, par arrêté, ordonné aux gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité de désactiver la fermeture des contacts pilotables intégrés aux dispositifs de comptage mis à la disposition des utilisateurs ayant souscrit, en métropole continentale, une offre de fourniture assurant une gestion quotidienne de ce contact.

Cette désactivation quotidienne, qui ne peut être supérieure à deux heures, intervient entre 11 heures et 15h30 et doit commencer avant 14 heures.

La requérante demande la suspension de l'exécution de cet arrêté en raison de ce que les risques de coupure d’électricité affecteraient sa situation personnelle, son activité de télétravail, et ses libertés fondamentales, si elle n'était plus en mesure de recharger sa voiture électrique ou si les services de communication s'en trouvaient perturbés.

La demande suspension est rejetée car la requérante ne justifie pas de l’urgence qu’il y aurait à ordonner cette suspension.

Il faut rappeler que le demandeur en référé suspension a l’obligation de justifier que la suspension qu’il sollicite est commandée par la réunion des deux conditions distinctes posées à l’art. L. 521-1 CJA.

(ord. réf. 16 janvier 2023, Mme B., n° 470320)

 

Travaux publics et expropriation

 

125 - Expropriation pour cause d’utilité publique – Arrêté de cessibilité – Possibilité de plusieurs arrêtés successifs même portant sur les parcelles d’un même propriétaire – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’appel confirmatif jugeant que les dispositions de l’art. L. 132-1 du code l’expropriation doivent être interprétées comme imposant de faire figurer dans un même arrêté de cessibilité l'ensemble des parcelles appartenant à un même propriétaire, dont l'expropriation est poursuivie et que l'extension du périmètre à exproprier à une parcelle qui n'était pas incluse dans l'enquête parcellaire initiale concernant d'autres parcelles appartenant au même propriétaire aurait justifié qu'il soit procédé à une nouvelle enquête parcellaire portant sur l'ensemble des parcelles de ce propriétaire et non à une enquête parcellaire et un arrêté de cessibilité portant uniquement sur la nouvelle parcelle.

Le Conseil d’État juge au contraire dans une formulation très nette et en termes de principe que « Ni (l’art. L. 132-1) ni aucune autre disposition législative ou règlementaire n'impose que l'ensemble des immeubles à exproprier pour la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique fasse l'objet d'un unique arrêté de cessibilité. Des arrêtés de cessibilité peuvent dès lors être pris successivement si l'expropriation de nouvelles parcelles se révèle nécessaire pour la réalisation de l'opération déclarée d'utilité publique. La circonstance que des parcelles faisant l'objet de ces arrêtés successifs appartiennent à un même propriétaire est à cet égard sans incidence. »

Il est permis de trouver quelque peu latitudinaire cette manière de traiter une liberté fondamentale comme le droit de propriété et la possibilité pour son propriétaire d’en suivre commodément l’exact déroulement.

Ajoutons que, sauf à prétendre pour la circonstance l’existence d’une procédure complexe qui n’en est pas une car ce n’est pas le cas de l’arrêté de cessibilité, cela conduit pour un même propriétaire à des dates différentes de points de départ des délais de recours contentieux qu’il pourrait former.

(25 janvier 2023, Établissement public d'aménagement de Paris-Saclay, n° 458930)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

126 - Permis de construire – Établissement destiné à recevoir du public – Obligation de mentionner la nécessité d’obtenir une autorisation à cet effet – Autorité compétente pour délivrer l’autorisation – Dispositions du plan local d’urbanisme (PLU) – Rejet.

Les requérants poursuivaient l’annulation du jugement ayant prononcé l’annulation d’un permis de démolir et d’un permis de construire délivrés par la ville de Paris.

Les pourvois, de la ville et du bénéficiaire du permis, sont rejetés.

En premier lieu, est approuvée l’annulation en tant qu’elle est fondée sur le non-respect des dispositions de l'art.  UG 11 du règlement du PLU de la Ville de Paris relatives à l'aspect extérieur des constructions, aux aménagements de leurs abords, à la protection des immeubles et des éléments de paysage, applicables à la zone UG qui comprend l'essentiel du territoire construit de la ville et, en particulier, de celles du point 1.3 de cet article qui énoncent que ces constructions doivent s'intégrer au tissu urbain existant, en prenant en compte les particularités des quartiers, celles des façades existantes et des couvertures. Dispositions que le juge estime non divisibles des autres dispositions de cet article qui précisent que peuvent être autorisées des constructions nouvelles permettant d'exprimer une création architecturale et qui n'imposent pas que soit refusée une autorisation de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants. Or sur ce point le jugement querellé estime que le projet litigieux ne satisfaisait pas aux exigences d'insertion dans le tissu urbain existant car si son environnement n'est pas caractérisé par une unité des registres architecturaux ou une régularité des volumes, les constructions imposantes en béton projetées, qui entraîneraient la densification massive d'une parcelle offrant jusqu'alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier, n'expriment aucune création architecturale, n'ont, malgré la végétalisation des toitures, pas de caractère innovant et ne s'intégrent pas de manière harmonieuse aux lieux avoisinants, constitués en majorité d'immeubles en pierre ou recouverts d'un parement de pierre dont la surface construite est inférieure à la moitié de celle du terrain. 

En second lieu, le jugement n’a pas, non plus, commis d’erreur de droit au regard des dispositions de l’art. UG 13.3 du règlement de ce PLU en considérant qu’en dépit de la marge d'appréciation laissée à la Ville de Paris par cette disposition, il n'était tenu ni de regarder tout projet de construction nouvelle comme exprimant, pour ce seul motif, une création architecturale, ni de regarder toute innovation comme caractérisant, par elle-même, un projet innovant.

En revanche, en vertu du principe que le juge de cassation ne saurait prononcer le rejet d’un pourvoi sans avoir, au préalable, censuré celui ou ceux des motifs retenus par les juges du fond qui seraient erronés, il est procédé à deux censures.

Tout d’abord, le tribunal ne pouvait pas, sans erreur de droit, imposer que, à la fois, le permis de construire mentionne expressément l’obligation pour pétitionnaire de demander une autorisation complémentaire au titre de l'art. L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation en ce qui concerne l'aménagement intérieur des établissements recevant du public avant leur ouverture et qu’il fasse obligation d’obtenir cette autorisation avant la délivrance dudit permis. En effet, le permis de construire litigieux ne tenant lieu, en l’espèce, ni d'autorisation d'aménagement ni d'autorisation de création au titre de la réglementation des établissements recevant du public, sa légalité n'était dès lors pas subordonnée à la délivrance d'une telle autorisation de création.

Ensuite, une seconde erreur de droit a été commise par le tribunal en jugeant que l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation prévue par l'art. L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation se trouvait « au sein de la Ville de Paris », alors que l'autorité compétente est, à Paris, le préfet de police (dispositions combinées de l’art. L. 2512-17 du CGCT, art. 72 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements et art. 2 du décret du 8 mars 1995 relatif à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité).

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; ville de Paris, n° 450474, jonction)

V. aussi le n° 24

 

127 - Permis de construire en vue de la création d’une activité de crèche associative – Imposition des locaux soit comme bureaux soit comme locaux commerciaux – Prestations rémunérées – Absence de caractère automatiquement commercial – Erreur de droit – Annulation.

(27 janvier 2023, Association France Horizon, n° 452256)

V. n° 43

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