Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Consultation préalable obligatoire d’un organisme – Choix d’une consultation directe du public – Décision subséquente de consulter l’organisme prévu – Irrégularités affectant la consultation ouverte – Absence d’effet sur la décision de l’administration – Rejet.

Lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA).

Toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)).

En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

V. n° 74 pour les autres aspects de cette décision

 

2 - « Tweets » du premier ministre et du ministre de l’intérieur – Messages ne révélant pas une décision – Simples rappels d’une obligation déjà existante – Rejet.

Le recours dirigé contre des « tweets » contenant prétendument l’obligation de recourir à un certain modèle d’attestation au titre du justificatif de déplacement hors du domicile par temps de Covid-19 est rejeté car ces messages se bornent à rappeler une obligation préexistante non à l’instituer.

(4 mars 2022, M. C., n° 445905)

(3) V. aussi la solution identique retenue s’agissant d’un recours contre le point 2 d’un communiqué du premier ministre du 20 mars 2021 : 4 mars 2022, M. C., n° 451312.

 

4 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Un communiqué de presse, du 20 juillet 2020, de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et de la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie, a annoncé la mise en œuvre d’un dispositif dit « Pack rebond », destiné à favoriser l'implantation de sites industriels sur l'ensemble du territoire national, ajoutant ainsi 66 nouveaux sites aux 12 déjà retenus en janvier 2020.

Ces sites « clés en main » ont vocation à faciliter – par la purge préalable ou l’anticipation des autorisations administratives nécessaires – et à accélérer la réalisation des investissements industriels sur le territoire national grâce au raccourcissement des délais de réalisation des projets pour les investisseurs.

L'association requérante a demandé l'annulation du communiqué de presse et du dossier de presse annexé, en tant qu'ils se rattachent aux sites « clés en main »
Sa requête est jugée irrecevable car dirigée contre des documents qui ne constituent pas par eux-mêmes des décisions. En particulier, les travaux préparatoires qu’ils annoncent n'ont pas pour objet de déroger aux dispositions législatives et réglementaires gouvernant les autorisations régies par le code de l’environnement, ils ne comportent pas davantage de décision nouvelle ni de donnent instruction aux services concernés.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

 

5 - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires –Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de la décision du 25 mai 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'abroger le dernier alinéa de l'article 6.1 du modèle de convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente au titre de l'article L. 201-13 du code rural et de la pêche maritime, figurant en annexe 2 à l'instruction technique n° DGAL/SDSPA/2019-642 du 30 octobre 2019.

Elles invoquaient divers moyens d’annulation dont aucun n’est examiné puisque le Conseil d’État relève d’office (ce qui est révélé par l’incise figurant au début du point 11 « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de la requête ») le moyen tiré de l’incompétence du ministre de l’agriculture pour édicter par une instruction technique l’art. 6.1 querellé.

En effet, selon ce texte, « Sous réserve de l'application d'une procédure écrite spécifique garantissant l'égalité de traitement entre adhérents et non adhérents, le délégataire est autorisé à ne pas transmettre les certificats et attestations sanitaires à tout détenteur d'animaux dont le compte fait apparaître une dette, contractée au titre de l'exécution de la présente délégation, de plus de 6 mois et ayant fait l'objet d'au moins deux rappels. Il en informe le délégant. ».

Cette disposition permet donc à l'organisme délégataire compétent pour établir et expédier les attestations sanitaires à délivrance anticipée, alors que les conditions auxquelles la réglementation en vigueur subordonne la délivrance des attestations sollicitées sont remplies au regard de la qualification sanitaire des troupeaux d'appartenance ou de provenance des bovins, de refuser la délivrance de ces attestations au seul motif que le demandeur n'a pas réglé les redevances dues au titre d'attestations délivrées antérieurement.

Or aucun texte ou principe existant à la date de l’instruction technique ni non plus à la date de la présente décision ne confère au susdit ministre une telle compétence.

L’annulation est prononcée avec injonction d’abroger sous un mois le dernier alinéa de l’art. 6.1 litigieux.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

 

6 - Demande de communication de documents administratifs – Nombre considérable des documents visés – Effort disproportionné exigé de l’administration – Obligation en ce cas pour l’administré d’apporter la justification de sa demande – Rejet.

Il arrive que les administrés saisissent l’administration d’une demande de communication portant sur un nombre élevé de pièces et d’annexes exigeant d’elle un travail long et considérable, d’ampleur disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

En ce cas, et alors qu’un administré n’a pas, en principe, à justifier de son intérêt à cette communication, il lui incombe de faire connaître l’intérêt qui s’attache pour lui à ladite communication. Le juge fait ensuite la balance entre l’effort très important à fournir et l’intérêt du demandeur à ladite communication. Ce second aspect est, sans être nouveau, une accentuation et une précision d’une tendance jurisprudentielle née à partir des actions contentieuses célèbres d’un requérant quérulent (21 juillet 1989, Association SOS Défense et Sieur Bertin, n° 34954) et récemment ravivée (27 mars 2020, Association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry (ACENAS), n° 426623 ; voir cette Chronique mars 2020 n° 5).

(17 mars 2022, M. M., n° 449620)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Communication ordonnée par le juge – Obligation d’y déférer sauf impossibilité matérielle – Destruction de ces documents – Obligation de reconstitution – Rejet.

Dans un litige opposant la société requérante à l’association Nos Amis Les Animaux, (NALA), le juge avait, en 2018, annulé le refus de communiquer à cette dernière une copie des registres d'entrée et de sortie des animaux ainsi que les registres de leur suivi sanitaire et de santé et fait injonction de procéder à cette communication dans les quatre mois.

En juillet 2020, saisi d’une demande d’exécution du jugement précédent, le tribunal a ordonné son exécution dans les deux mois sous astreinte quotidienne sauf à justifier de leur destruction ou de leur versement en archives.

La société a formé un pourvoi contre ce dernier jugement au motif que les documents en cause avaient été détruits en janvier 2019 et produisait à l’appui de cette affirmation une attestation de son gérant.

Dans une décision dont la rigueur doit être complètement approuvée, le Conseil d’État juge que les personnes et entités tenues à la communication, d’autant quand celle-ci est ordonnée par le juge, ont l’obligation de faire toutes diligences pour y satisfaire, cela alors même que la réglementation ne leur imposerait plus, à cette date, de les conserver. Si - comme c’était le cas de l’espèce - elles ont procédé à une destruction après la notification du jugement, elles sont tenues d'accomplir toutes les diligences nécessaires pour les reconstituer, sous réserve d'une charge de travail manifestement disproportionnée, sans préjudice de l'engagement de leur responsabilité.

Ici, le Conseil d’État approuve les premiers juges d’avoir estimé, sans erreur de droit, que la requérante ne justifiait ni de l'exécution du jugement ni de la destruction des documents demandés.

La solution est tout à fait justifiée : il serait trop facile aux organismes concernés de se défaire de l’obligation de communication en invoquant la prétendue destruction des pièces demandées.

(17 mars 2022, Société Solution Antoine Beaufour, n° 452034)

 

8 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation - Annulation du refus et injonction d’abroger l’arrêté attaqué.

L’étude d’huissiers requérante demandait l’annulation du refus d’abroger l’arrêté du garde des sceaux portant approbation d’une modification du règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice en matière de calcul des indemnités kilométriques dues aux huissiers du chef de leurs déplacements à fin d’instrumenter. Elle considérait cet arrêté comme étant illégal du fait qu’il porte approbation d’une décision modificative du règlement intérieur elle-même contraire aux dispositions de l’art. 75-3 du décret du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers.

Accueillant le moyen, le Conseil d’État relève qu’aucune disposition n’attribue compétence aux auteurs du règlement intérieur pour déroger aux mesures prises par le ministre sur le fondement de l'article 75-3 du décret du 29 février 1956. La délibération litigieuse est donc illégale et cela alors même que le ministre aurait eu compétence pour modifier sur le fondement de cet article 75-3 les dispositions de l'arrêté antérieur du 4 août 2004. L’arrêté d’approbation est, par de voie de conséquence, lui-même illégal.

Le refus de l’abroger est annulé assorti d’une injonction au ministre de procéder sous deux mois à son abrogation.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

9 - Éducation nationale – Affectation des collégiens dans les lycées - Arrêté autorisant la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel (Affelnet Lycée) – Arrêté ne définissant pas les règles d’affectation des collégiens dans les lycées – Griefs inopérants – Rejet.

Les parents d’une collégienne demandent l’annulation, à tout le moins la modification de l'arrêté ministériel (éducation nationale) du 17 juillet 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Affelnet Lycée ».

Ils soulèvent divers griefs d’irrégularité ou d’illégalité à l’encontre de cette décision.

Toutefois, les requérants se méprennent sur la nature et la portée de ce texte qui n’a pas pour objet d’organiser lui-même ce traitement automatisé au moyen d’algorithmes mais seulement d’en autoriser la création.

C’est pourquoi les griefs développés à son encontre sont inopérants car ils visent une décision critérisant et organisant le régime et les règles d’affectation des collégiens dans des lycées alors que tel n’est pas l’objet de l’arrêté litigieux.

Le recours est rejeté.

(4 mars 2022, M. et Mme D., n° 451932)

 

10 - Covid-19 – Aide exceptionnelle en faveur de services de radio aux recettes publicitaires affectées par l’épidémie – Différence de traitement avec le sort réservé à certains éditeurs de service de radio associatifs – Différence en rapport direct avec l’objet de l’aide – Rejet.

Le décret du 10 avril 2021 a créé un dispositif de soutien à la diffusion hertzienne terrestre de services de télévision à vocation locale et de radio ayant été affectés par la propagation de l'épidémie de Covid-19.

Il exclut du champ d’application du bénéfice de l’aide les éditeurs associatifs accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l'expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l'environnement ou la lutte contre l'exclusion qui ont bénéficié, au titre de l'exercice comptable 2019, de la subvention d'exploitation prévue à l'article 5 du décret du 25 août 2006 pris pour l'application de l'article 80 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret précité en tant qu’il n’ouvre pas droit, pour certaines catégories d’éditeurs de service de radio, au bénéfice de l’aide qu’il institue.

Après avoir rejeté le moyen de légalité externe tiré de la prétendue non-communication à la Commission européenne du décret attaqué car il manque en fait, le juge rejette également le moyen de légalité interne reposant sur la violation du principe d’égalité en raison de la différence de traitement opérée selon les services de radio concernés.

Pour cela, il relève la différence objective de situation entre, d’une part, les services de radio dont les recettes, notamment publicitaires, ont été particulièrement affectées par la crise économique liée à l'épidémie de Covid-19, pour lesquels le décret litigieux a prévu la prise en charge ponctuelle d'une partie de leurs coûts de diffusion et, d’autre part, les éditeurs des services de radio associatifs susmentionnés, ceux-ci tirant la majorité de leurs ressources de subventions publiques et la perte de leurs ressources publicitaires liée à l'épidémie de Covid-19 n'étant susceptible d'affecter directement qu'une part plafonnée à 20 % de leur chiffre d'affaires total, contre 80 % à 100 % du chiffre d'affaires des éditeurs de services éligibles au dispositif. En outre, ces éditeurs non éligibles à l’aide pouvaient bénéficier de dispositifs de soutien qui leur étaient propres, notamment par l'adaptation du mode de calcul et du calendrier de versement des aides du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER).

La différence de traitement critiquée est ainsi en rapport direct avec l’objet de l’aide exceptionnelle créée par le décret attaqué.

(9 mars 2022, Syndicat national des radios libres et Confédération nationale des radios associatives, n° 452767)

 

Biens – Culture – Patrimoine

 

11 - Monuments historiques – Demande de radiation d’une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques – Refus – Procédure régulière – Erreur de droit – Annulation.

Les requérantes avaient demandé au préfet de région la radiation de l'inscription de la « Butte des Zouaves », lieu de mémoire, à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Cela leur ayant été refusé, elles avaient obtenu en première instance et en appel l’annulation du rejet préfectoral, la cour administrative d’appel relevant en particulier que la décision de refus de radier devait être précédée d’une consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture réunie en formation plénière, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans ce raisonnement, d’où l’annulation de l’arrêt, car seule la décision d'inscrire ou de radier un immeuble au titre des monuments historiques suppose nécessairement l'intervention de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture. En revanche, la décision refusant de faire droit à une demande de radiation n’a pas à faire l’objet d’une telle consultation qui n’est d’ailleurs exigée par aucun texte et notamment pas par l'article R. 621-59 du code du patrimoine, lequel se borne à prévoir la consultation de cette commission en cas de décision de radiation. 

(7 mars 2022, Ministre de la culture, n° 449328)

 

12 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

Un litige s’étant élevé sur la détermination du redevable de la taxe sur les propriétés foncières bâties entre, d’une part, une métropole propriétaire du terrain d’assiette et une société privée titulaire d’un bail emphytéotique sur ledit terrain, le Conseil d’État, qui statue ici pour la seconde fois en cassation, signe d’une certaine difficulté, est conduit à une analyse de la situation de droit complexe née de cette situation.

Deux précisions importantes apportées par cette décision doivent être retenues.

En premier lieu, la solution est sur ce point bien connue et constante : « Dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. Lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique. La faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public d'une collectivité territoriale, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 1311-2 à L. 1311-8 du code général des collectivités territoriales, entrés en vigueur le 1er juillet 2006, et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public. »

Or, en l’espèce, le tribunal administratif, appliquant les règles de droit civil régissant les contrats de bail, s'est fondé sur ce que le contrat en cause n'attribuait pas au bailleur, avant la fin du contrat, la propriété des constructions et aménagements réalisés par le preneur pour décider que la société SMA Environnement était propriétaire des constructions réalisées en cours d'exécution du bail emphytéotique administratif et donc redevable de la taxe litigieuse sur les constructions édifiées. En réalité, ce jugement reposait sur une erreur de droit car il s'agissait de biens établis sur le domaine public dont il n'était pas contesté qu'ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public et par suite propriété, non de la société preneuse mais de la personne publique délégante.

En second lieu, il résulte des articles 1402 et 1403 du CGI que les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Seule leur publication au fichier immobilier fait produire ses effets à la mutation. Il suit de là que tant que la mutation cadastrale n'a pas été faite, l'ancien propriétaire continue à être imposé au rôle, et lui ou ses héritiers naturels peuvent être contraints au paiement de la taxe foncière, sauf leur recours contre le nouveau propriétaire.

Ainsi donc, pour qu’une mutation de propriété soit opposable à l’administration fiscale, s’agissant de déterminer le redevable légal de la taxe foncière, il faut qu’elle ait été publiée au fichier immobilier. 

Or le bail emphytéotique administratif objet du litige n'ayant pas été publié au fichier immobilier il s’ensuit que la qualité d'emphytéote de la société SMA Environnement ne permet pas de la regarder comme la redevable légale de la taxe foncière.

C’est donc à tort que cette dernière a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des constructions qu'elle a réalisées sur le terrain faisant l'objet du bail emphytéotique administratif.  

En revanche, la communauté d'agglomération Agglopole Provence, aux droits de laquelle est venue la métropole d'Aix-Marseille-Provence, étant propriétaire, au 1er janvier des années d'imposition en litige, des constructions réalisées par la société SMA Environnement, elle doit être désignée redevable légale des impositions en litige.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(13) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

 

14 - Bail commercial sur le domaine privé communal – Exploitation d’un camping – Rétablissement postérieur de la domanialité publique sur ce bien – Demande d’expulsion de l’occupant – Rejet du référé pour contestation sérieuse (art. L. 521-3 CJA) – Annulation.

La société requérante exploite un camping sur un terrain communal autrefois dépendance du domaine public mais déclassé le 8 février 2019 et devenu domaine privé antérieurement à la conclusion du bail avec cette société, le 1er septembre 2019.

Le conseil municipal a délibéré le 22 septembre 2020 l’abrogation de sa précédente délibération du 8 février 2019 portant déclassement d’une parcelle du domaine public et, par suite, a, par décision du 17 décembre 2020, constaté l’extinction du bail commercial à effet du 1er janvier 2021.

Devant le refus du preneur de quitter les lieux la commune a saisi le juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA.

Celui-ci a constaté l’existence d’une contestation sérieuse résultant de ce que la société, d’une part, avait demandé au tribunal administratif l'annulation de la délibération du 22 septembre 2020, d'autre part, soutenait que le bail commercial avait été conclu à une date où le camping municipal était situé sur le domaine privé, la délibération litigieuse du 22 septembre 2020 n'ayant pu modifier cette situation juridique. Il a, en conséquence, rejeté la demande en référé présentée par la commune.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance de référé, annule celle-ci au motif qu’« En statuant ainsi, sans se prononcer sur le bien-fondé de l'argumentation soulevée devant elle, laquelle n'était au surplus pas dirigée contre la décision par laquelle la commune avait mis fin au titre d'occupation dont était titulaire la société, le juge des référés (…) a commis une erreur de droit. »

(11 mars 2022, Société Domaine du Pierrageais, n° 452006)

 

15 - Dépendance du domaine public – Installation d’un fonds de commerce (restaurant) interdite sur cette dépendance – Illégalité dans le cas de l’espèce – Indivisibilité de la clause illégale avec le reste de la convention d’occupation du domaine public – Refus d’annuler – Rejet.

Une convention d’occupation précaire d’une dépendance du domaine public autorise les requérants à y installer un commerce de restaurant. La convention interdit la création d’aucun fonds de commerce sur cette dépendance.

Les requérants saisissent le juge administratif aux fins de voir annuler soit la convention soit la clause litigieuse. En effet, il résulte de l’art. L. 2124-32-1 du CGCT issu des dispositions de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et applicables à la convention en litige conclue après l'entrée en vigueur de cette loi qu’est reconnu aux occupants d'une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d'exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d'occupation à la condition qu'ils disposent d'une clientèle propre distincte des usagers du domaine public. 

Ils se pourvoient contre l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a jugé que si la clause litigieuse était bien illégale, elle formait cependant un ensemble indivisible avec les autres stipulations de la convention d’occupation ; or  la méconnaissance par cette clause des dispositions de l'article L. 2124-32-1 du CGCT ne pouvait pas constituer, à elle seule, un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation de la convention en son entier ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention.

La solution est approuvée par le juge de cassation qui n’y aperçoit aucune erreur de droit.

(11 mars 2022, M. L. et M. B., n° 453440)

 

16 - Domaine privé communal – Présence d’une statue de la Vierge Marie – Refus de l’enlever ayant le caractère d’une décision administrative – Compétence du juge administratif – Érection de la statue postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 – Statue n’entrant pas dans l’une des exceptions prévues par la loi (art. 28) – Obligation d’enlèvement – Rejet.

La commune requérante demandait la cassation de l’arrêt d’appel annulant le refus du maire de déplacer une statue de la Vierge Marie située au sommet du Mont Chatel (Ain) sur une parcelle dépendant du domaine privé de la commune car établie en violation des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.

Son recours est rejeté.

Le juge règle en premier lieu deux points de procédure.

Tout d’abord, la commune a commis une erreur procédurale en ne reprenant pas explicitement en appel la fin de non-recevoir qu’elle avait soulevée en première instance mais qui n’avait pas été examinée par le tribunal administratif celui-ci ayant opposé l’exception de connaissance acquise à la demande des requérants dirigée contre le refus opposé par la commune. Elle ne peut donc reprocher à la cour de n’avoir pas examiné un moyen qu’elle n’avait pas repris devant elle.

Ensuite, la commune ne peut pas soutenir la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de ce litige en se fondant sur la domanialité privée de la parcelle d’implantation de la statue car les requérants contestaient une décision administrative laquelle ressortit à la compétence du juge administratif.

Cette solution peut se discuter dès lors que l’arrêt n’indique pas si cette décision est détachable ou non de la gestion de cette dépendance du domaine privé, ce n’est que dans le premier cas que serait justifiée la compétence du juge administratif.

Sur le fond, le juge confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé, positivement, que l’art. 28 de la loi de 1905 interdit d’élever des monuments religieux sur les emplacements publics, et, négativement, que cette statue n’entre dans aucune des exceptions prévues par ce même article 28.

Même si depuis plusieurs siècles c’est là un lieu de pèlerinage constant et traditionnel, la statue ne constitue pas en soi un édifice servant au culte, ce qui aurait complètement changé la donne.

Également, il est rappelé que l’interdiction édictée par la loi de 1905 s’applique indifféremment au domaine privé et au domaine public des personnes publiques.

Enfin, le Conseil d’État rejette l’argument de la commune selon lequel elle n’est pas l’auteur ni le financeur de la statue – ce sont des particuliers - qui ne lui appartiendrait pas et donc ne saurait être destinataire de l’injonction de déplacement ; en effet, la statue étant située sur un sol qui lui appartient la commune en est propriétaire par application des dispositions des art. 552 et 555 du code civil,

Il ne reste plus à la commune, si elle tient à conserver la statue in situ, qu’à vendre aux particuliers intéressés la portion de parcelle nécessaire à son maintien ou encore à conclure un bail emphytéotique comportant construction d’un édifice du culte que surmonterait ensuite ladite statue peut-être encore plus haut que précédemment : « Quo non ascendam ? ».

Devise du surintendant Fouquet qui serait ici parfaitement en situation.

(11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d'Alvey, n° 4540706 et n° 456932)

 

17 - Biens culturels ne constituant pas des « trésors nationaux » - Exportation définitive ou temporaire – Relèvement des seuils de recours obligatoire à un certificat administratif attestant de l’absence de caractère de « trésor national » - Absence de non-respect du droit de l’Union – Mesure d’intérêt général – Rejet.

La requérante contestait la juridicité de l’art. 5 du décret du 28 décembre 2020 relatif au régime de circulation des biens culturels en ce qu’il modifie l’annexe 1 du code du patrimoine en rehaussant les seuils applicables à certaines catégories de biens.

Si les biens entrant dans la catégorie des « trésors nationaux » sont exclus d’exportation sauf renonciation par l’État à leur acquisition (V. Ph. TOSI, La notion française de trésor national, thèse Aix-Marseille, 2016), il n’en va pas de même des autres biens culturels.

Toutefois, au-delà d’un certain seuil de leur valeur déclarée la réglementation exige que cette exportation soit précédée d’un certificat administratif attestant que le bien n’est pas un trésor national.

L’objet du décret attaqué était de relever le seuil à partir duquel est exigé ce certificat.

La requérante fait d’abord valoir que ce relèvement ne serait pas conforme au règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels qui définit les seuils d'ancienneté et de valeur à partir desquels un bien culturel doit faire l'objet d'une licence d'exportation préalablement à sa sortie du territoire de l'Union européenne.

Le Conseil rejette cet argument, d’une part car aucune disposition de ce règlement ne fait obligation aux États-membres de fixer des seuils identiques à ceux du règlement pour la délivrance du certificat en cause, et d’autre part car l’art. 5 du décret attaqué est sans incidence sur les conditions dans lesquelles un bien illégalement exporté peut faire l'objet d'un retour, qui sont fixées par les articles L. 112-1 et suivants du code du patrimoine ainsi que par les dispositions réglementaires prises pour leur application, lesquels transposent la directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre. Il suit de là que la SPPEF ne peut utilement invoquer la méconnaissance ni des termes ni des objectifs de cette directive.

La requérante invoque aussi le risque de sous-estimation des œuvres, le relèvement des seuils facilitant la fraude à l’exportation. Le moyen est rejeté d’abord car les trésors nationaux ont une valeur très supérieure à ces seuils et il n’y a donc pas de risque de voir exporter de véritables trésors nationaux, ensuite car il reste la sanction pénale de telles fraudes qui est assortie d’une procédure de retour des œuvres.

Le détournement de pouvoir allégué n’est pas, lui non plus, retenu.

(17 mars 2022, Association Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France-Sites et Monuments (SPPEF), n° 454057)

 

18 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

V. n° 22

 

19 - Domaine public – Personne privée titulaire d’une servitude de droit privé sur ce domaine – Servitude consistant en un droit d’implanter des ouvrages – Installation d’un réseau de chauffage urbain – Assimilation d’une telle servitude à une autorisation d’occupation du domaine public – Obligation pour son titulaire de déplacer à ses frais les installations existant sur la partie de terrain grevé de la servitude – Légalité des titres exécutoires émis pour valoir remboursement des frais engagés par le propriétaire du domaine pour le déplacement des installations – Erreur de droit de l’arrêt contraire – Annulation.

Cette décision est importante en ce que, pour la première fois, elle assimile complètement le titulaire d'une servitude de droit privé maintenue après son incorporation dans le domaine public, au titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages. Le Conseil d’État enfonce encore d’ailleurs un peu plus le clou en relevant que la circonstance que le titulaire de la servitude n’est pas soumis au paiement d’une redevance au titre de ces ouvrages est sans incidence sur son assimilation à un titulaire d’autorisation d’occupation domaniale.

En l’espèce, une société disposait d’une servitude sur la voirie publique expressément maintenue après incorporation de cette voirie dans le domaine public. A ce titre, elle y a placé les installations d’un réseau de chauffage urbain.

La collectivité publique a, par la suite, décidé d’implanter sur cette voie une ligne de tramway en site propre ce qui nécessitait le déplacement, sous forme d’un dévoiement, des ouvrages de chauffage. Ayant effectué elle-même les travaux de déplacement du réseau, la collectivité a émis un titre exécutoire à l’encontre de la société titulaire de la servitude pour mise à sa charge des frais qu’elle avait acquittés.

Elle se fondait pour cela sur une assimilation du titulaire d’une servitude de droit privé sur le domaine public au titulaire d’une autorisation d’occupation dudit domaine.

L’enjeu juridique et financier (le coût du déplacement du réseau de chauffage excède sept millions d’euros) était très important.

Classiquement, en effet, le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation du domaine public, doit supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine. Nul doute que la seconde condition était satisfaite en l’espèce car la création d’une ligne de tramway sur une voie publique constitue bien une réalisation conforme à la destination de cette dépendance domaniale. Le respect de la première condition est, lui, plus discutable : en quoi la réalisation de la ligne de tramway est-elle bien entreprise dans l’intérêt du domaine occupé ? Existe-t-il ici un intérêt objectivement et a priori attaché à la voie conduisant comme par une conséquence nécessaire et liée à la création d’une ligne de tramway ? Cela peut, au moins, se discuter.

Mais qu’en est-il d’une servitude de droit privé quant à la charge du coût de déplacement d’installations s’y trouvant ?

Saisi par la société d’un recours contre la légalité du titre exécutoire, le tribunal administratif a annulé le titre exécutoire. La cour administrative d’appel a rejeté l’appel contre ce jugement dont l’avait saisie le département défendeur, relevant en particulier que la société titulaire de la servitude, à la différence d’un occupant domanial, n’acquittait aucune redevance au titre de la servitude.

Cassant cet arrêt le Conseil d’État décide que : « Le titulaire d'une servitude de droit privé permettant l'implantation d'ouvrages sur le terrain d'une personne publique, maintenue après son incorporation dans le domaine public, doit être regardé comme titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages, quand bien même il n'acquitterait pas de redevance à ce titre. » D’où cette conséquence, selon cette étrange doctrine, qu’il doit supporter les frais de déplacement des installations lorsque celui-ci répond aux deux conditions susmentionnées (travaux réalisés dans l’intérêt du domaine et conformes à la destination de ce dernier). Voilà une bien étrange conception de la servitude notion et catégorie juridique que seul régit le Code civil, notamment en ses art. 697 et suivants.

Il y a là la manifestation d’une certaine crispation et d’un impérialisme autour d’une vision passablement « vintage » de la protection des situations immobilières de droit privé comme de droit public.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

Pour un autre aspect de cette décision, voir n° 53

 

Contrats

 

20 - Accord-cadre portant sur des prestations de service de formation professionnelle – Phase d’analyse des offres – Rejet d’une offre estimée anormalement basse – Annulation de l’ensemble de la procédure – Erreur de droit – Annulation partielle - Absence de renvoi, plus rien ne restant à juger.

Dans le cadre de la conclusion de certains lots d’un accord-cadre portant sur des prestations de services de formation professionnelle au bénéfice des personnes à la recherche d'un emploi, Pôle emploi, au stade de l’analyse des offres, a rejeté l’offre présentée par l’une des sociétés candidates comme étant anormalement basse. Sur recours de la société évincée, fondé sur l’art. L. 551-1 CJA, le juge des référés du tribunal administratif, après avoir constaté le non-lieu à statuer sur l’un des lots litigieux, a annulé la décision de Pôle emploi rejetant les offres de l’intéressée et portant sur les autres lots.

Pôle emploi se pourvoit en vue d’obtenir la cassation de cette ordonnance.

Le pourvoi est partiellement rejeté car, sans être contestée sur ce point, l’ordonnance attaquée a estimé que les prix proposés par la société évincée n'étaient pas manifestement sous-évalués et de nature à compromettre l'exécution des marchés et qu'en conséquence Pôle Emploi avait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant d'écarter les offres présentées par cette société au motif de leur caractère anormalement bas et qu'il avait ainsi méconnu le principe d'égalité entre les candidats.

En revanche, dès lors que ce manquement ne se rapportait qu’à la seule phase d’examen des offres, le premier juge ne pouvait pas annuler l’ensemble de la procédure, ordonnant à Pôle emploi, s’il entendait la poursuivre, de reprendre la procédure en son entier.

Comme la société évincée requérante n’a demandé en première instance que l'annulation de la procédure au stade de la sélection des offres, aucune question ne restant à juger, le juge de cassation n’use pas ici de son pouvoir de statuer au fond.

Il appartient donc désormais à Pôle emploi, s’il entend poursuivre la conclusion du marché, de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres.

(ord. réf. 2 mars 2022, Pôle emploi, n° 458019)

 

21 - Procédure de concession d’aérodrome – Ordonnance avant-dire enjoignant l’État de différer la signature de ce contrat – Annulation de la décision d’attribution de la concession – Rejet.

La Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers (CCISM) de Polynésie française a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-24 CJA, d'enjoindre à l'État, à titre conservatoire, de différer la signature de la concession de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a dans la limite de 20 jours, d'autre part, d'enjoindre à l'État de lui communiquer les motifs détaillés du rejet de l'offre du groupement dont elle était mandataire et les caractéristiques et avantages relatifs de l'offre retenue et enfin, à titre principal, d'annuler la décision d'attribution de la concession et la décision du 15 septembre 2021 rejetant l'offre du groupement et, à titre subsidiaire, d'annuler l'ensemble de la procédure de passation de la concession. 

Le juge saisi a rendu deux ordonnances : par la première (8 octobre 2021), il a fait injonction à l’État, avant-dire droit, de différer pendant vingt jours la signature du contrat de concession de l'aérodrome et rejeté les demandes de communication de la CCISM. ; par la seconde (28 octobre 2021), il a annulé la décision attribuant la concession de l’aérodrome au groupement Société Egis Airport Operation - Caisse des dépôts et consignations.

La ministre de la transition écologique et le groupement se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État rejette l’argument de procédure fondé sur le non-respect du principe du contraire et des droits de la défense car le juge des référés, s’il s’est fondé, pour prononcer l’annulation du contrat de concession, sur l'irrégularité de l'offre du groupement attributaire, moyen soulevé par la CCISM dans un mémoire enregistré le 25 octobre 2021, soit quelques heures seulement avant l'audience, il a, à l'issue de l'audience, différée la clôture de l'instruction jusqu'au 26 octobre et d’ailleurs, un mémoire en défense présenté pour l'État a été enregistré le 26 octobre 2021, avant donc cette clôture.

Sur le fond, le juge de cassation approuve le premier juge d’avoir retenu, d’une part, pour annuler l’attribution du contrat de concession, la circonstance que, contrairement aux exigences du guide de constitution de l’offre, l’offre retenue ne comportait pas l’identité des cocontractants constructeurs et qu’ainsi, irrégulière au regard des indications données dans le document de la consultation, elle devait être écartée, et, d’autre part, le fait que cette irrégularité était de nature à avoir lésé la CCISM demanderesse.

(2 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 458354 ; Société Egis Airport Operation et Caisse des dépôts et consignations, n° 458356)

 

22 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

La commune de Toulouse a créé un musée de la photographie (dit Galerie du Château d’eau) qu’elle a géré et exploité d’abord en régie directe avant d’en confier la gestion à l'association pour la Photographie au Château d'eau (PACE). Lorsque cette dernière a été mise en redressement judiciaire s’est posée, devant le juge judiciaire, la double question de la nature juridique des conventions successives conclues entre la commune et l’association et, par voie de conséquence, de celle du statut juridique de ces biens.

Interrogé par ce juge au moyen de questions préjudicielles, le tribunal administratif a estimé qu’une partie des conventions, les premières, constituaient des marchés publics, et les secondes ainsi que l'ensemble contractuel conclu à compter de 2013, de conventions d'objectifs et de moyens assorties de subventions. Étrangement, il a estimé ne pas pouvoir répondre à la question de savoir qu’elle était la nature, publique ou privée, des biens en litige. C’est oublier que la juridiction saisie d’une question préjudicielle exerce un office pleinement juridictionnel et qu’elle est donc tenue d’y répondre, sauf hypothèses de saisine irrégulière ou d’incompétence de la juridiction saisie.

La commune, qui avait soutenu devant le tribunal administratif que les conventions qu’elle avait conclues avec l'association étaient des délégations de service public et que les fonds photographique et documentaire constitués par l'association dans le cadre de ces conventions constituaient des biens de retour, donc lui appartenant, se pourvoit en Conseil d’État.

Après avoir rappelé, d’une part, les définitions respectives des marchés publics (dans le code des marchés publics de l’époque puis dans celui de la commande publique) et des conventions de délégation de service public (dans le CGCT et le code de la commande publique), et, d’autre part, que les subventions ne sauraient constituer des contrats de commande publique (en ce sens les remarquables observations de C. Blanchon, in Recherche sur la subvention : contribution à l’étude du don en droit public, Thèse Aix 2017, LGDJ 2019, Préf. F. Linditch), le Conseil d’État juge être en présence d’une délégation non d’un marché en se fondant sur le célébrissime et toujours discuté critère de la part d’aléa que doit comporter un tel contrat (depuis, notamment : 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ commune de Lambesc, n° 168325, à propos de la notion de rémunération « substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation »).

Cet aléa se retrouve ici, estime le juge, en dépit des soutiens financiers significatifs et quantitativement importants apportés par la commune de Toulouse à son cocontractant. La preuve en est que l’association se trouve en redressement judiciaire, l’aléa économique lié à son contrat ayant joué en sa défaveur.

Ici, l’argument est un peu court : la déconfiture peut n’être pas la conséquence objective d’aléas mais, par exemple, d’une mauvaise gestion laquelle n’est pas un aléa objectif mais purement subjectif donc non inhérent à la structure même du contrat tel que configurée par la volonté commune des parties.

Concernant le statut des biens, il est directement commandé par la solution précédente : ce sont des biens de retour qui font donc partie du patrimoine de la commune dès l’origine du contrat sauf stipulation contraire explicite – inexistante ici – du contrat. Ils sont donc de nature publique et doivent être appréciés comme tels pour le dénouement de la procédure de redressement judiciaire.

En revanche, l’on sait que les biens de reprise n’entrent dans le patrimoine de la collectivité publique, en cas d’exercice de sa faculté d’acquisition, qu’à l’expiration du contrat.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

 

23 - Attribution d’un lot de sous-concession de travaux et de service public balnéaire – Exploitation d’un lot de plage – Exclusion de la procédure de passation d’un contrat de concession – Motifs – Dénomination de la société attributaire comportant un risque grave de confusion avec une autre entreprise candidate – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de référé pour un autre motif et annulation de la procédure de passation du lot litigieux au stade de l'examen des offres.

Le litige concernait l’attribution d’un lot de la sous-concession de la plage de Pampelonne rendue célèbre pour être une zone inépuisable de contentieux depuis plus d’un demi-siècle (cf. Assemblée 29 mars 1968, Société anonyme du lotissement de la plage de Pampelonne, n° 59004, Rec. Lebon p. 211 ; AJDA 1968 p. 335).

La commune de Ramatuelle, concessionnaire de la plage, avait lancé une procédure qui a conduit à l’attribution d’un lot de la sous-concession de plage à la société EPI. Le juge des référés du tribunal administratif, statuant au visa de l’art. L. 551-1 du CJA, a considéré que la dénomination sociale de la société EPI, attributaire pressentie du contrat de sous-concession en litige, créait un « grave risque de confusion » avec la société détenant l'hôtel du même nom, actionnaire unique de la société EPI plage de Pampelonne, également candidate, eu égard à la forte notoriété de cet établissement, d'ailleurs titulaire de la marque « EPI Plage ».

Il a, en conséquence, jugé que la commune concédante aurait dû exclure la société EPI de la procédure de passation ou, à tout le moins, solliciter ses observations sur le fondement de l'article L. 3123-11 du code de la commande publique et que s’étant abstenue de le faire elle a entaché d’illégalité la décision d’attribution du lot litigieux.

Le juge de cassation censure pour erreur de droit cette ordonnance car le choix par un opérateur économique d'une dénomination sociale ne saurait, au seul motif que celle-ci est susceptible d'induire un risque de confusion avec une autre société également candidate à l'attribution de la sous-concession en litige, justifier son exclusion sur le fondement des dispositions de l'article L. 3123-8 du code de la commande publique. Le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit.

Toutefois, la procédure d’attribution de ce lot est annulée au stade de l’examen des offres puisque la candidature retenue ne respectait pas la stipulation du cahier des charges techniques exigeant qu’une surface minimum de 60 % soit allouée à la location de bains de soleil alors qu’il ressortait du plan de masse soumis par la société EPI dans son offre que cette surface n’y était que de 41%.

La commune était tenue d’écarter l’offre de cette dernière. 

(24 mars 2022, Société EPI et MM. Frédéric F. et Paul C., n° 457733 ; Commune de Ramatuelle, n° 457735)

(24) V. aussi, à propos de la sous-concession irrégulière d’un autre lot de cette même plage pour incomplétude grave des documents remis à l’appui de sa candidature par une société attributaire de ce lot et dont l’irrégularité rend insusceptible de permettre la poursuite de l’exécution du contrat : 28 mars 2022, Commune de Ramatuelle, n° 454341 ; Société Tropezina Beach Development, n° 454896.

 

25 - Marché de travaux – Réserves lors de la réception des travaux – Réserves non levées dans le délai imparti – Exécution des travaux à la demande du maître de l’ouvrage aux frais et risques du titulaire y compris après établissement du décompte général – Réserves non levées à la réception devant être portées par le maître de l’ouvrage, chiffrées ou non chiffrées, sur le décompte, à peine de déchéance du droit à en être indemnisé – Réserves non chiffrées portées au décompte empêchant le caractère définitif du décompte sur les seuls éléments de ce dernier y relatifs – Réserves portées chiffrées au décompte sans réclamation du titulaire emportant caractère définitif du décompte – Annulation.

Cette décision revêt, par les précisions qu’elle apporte à la jurisprudence existante, une importance théorique et pratique certaine au regard du régime des réserves en matière de marchés publics de travaux.

La commune requérante, qui avait confié le lot n° 1 « démolition - gros œuvre » du marché de réaménagement d'une grange en bibliothèque à Sainte-Flaive-des-Loups, a fait l’objet de la part de la société attributaire de ce lot d’une double demande qui a été portée au contentieux : arrêter à une certaine somme le montant du décompte général et définitif de ce lot et verser à cette entreprise le solde du décompte assorti d’intérêts moratoires et capitalisés.

Le tribunal administratif a condamné la commune à payer le solde du marché avec intérêts et capitalisation de ceux-ci et rejeté le surplus des demandes des parties. Ce jugement a été confirmé par l’arrêt rejetant l’appel de la commune.

Celle-ci se pourvoit.

Le Conseil d’État tranche deux questions très intéressantes.

En premier lieu, il résultait d’une stipulation du cahier des clauses administratives générales alors applicable aux marchés de travaux que le maître de l'ouvrage peut faire exécuter aux frais et risques du titulaire les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception qui n'ont pas été levées dans le délai imparti au titulaire pour ce faire.

Le Conseil d’État juge qu’il ne résulte pas de là que le maître de l’ouvrage serait tenu de faire assurer ces travaux avant l’établissement du décompte général, ce qui était alors assez discuté.

En second lieu, et surtout, était en cause le régime juridique des réserves émises lors de la réception des travaux. Ceci conduit le juge à quatre rappels ou précisions.

1°/ Les réserves peuvent être chiffrées ou non chiffrées.

2°/ Lorsque les réserves émises à la réception, qu’elles aient été chiffrées ou non, n’ont pas été levées au moment de l’établissement du décompte, elles doivent impérativement y être reprises car à défaut le maître de l’ouvrage serait déchu de son droit à indemnisation du fait que le caractère définitif du décompte est en principe insurmontable.

3°/ Lorsque les réserves non chiffrées ont été portées au décompte celui-ci ne devient définitif qu’en ce qui concerne ceux de ses éléments non affectés par les réserves.

4°/ Lorsque le maître de l’ouvrage chiffre le montant de ces réserves dans le décompte sans réclamation du titulaire de ce chef, le décompte devient définitif dans sa totalité.

Naturellement, en ce cas les sommes correspondant à ces réserves sont déduites du solde des sommes dues au titulaire si celui-ci n'a pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves. 

En l’espèce l’arrêt d’appel est annulé pour erreur de droit en ce qu’il a estimé que malgré l'inscription dans le décompte général et définitif d'une somme correspondant aux travaux ayant fait l'objet de réserves non levées, la commune maître d'ouvrage ne pouvait se prévaloir d'une créance correspondant à cette somme à l'encontre du titulaire au motif que ces travaux n'avaient pas été réalisés.

Cette clarification jurisprudentielle vient heureusement compléter une solution relativement récente (6 mai 2019, Société ICADE promotion c/ CHU de Reims, n° 420765 ; V. cette Chronique, mai 2019 n° 19) jugeant que le caractère définitif du décompte ne fait pas obstacle à la recevabilité de conclusions d'appel en garantie du maître d'ouvrage contre le titulaire du marché, sauf s'il est établi que le maître d'ouvrage avait eu connaissance de l'existence du litige avant qu'il n'établisse le décompte général du marché et qu'il n'a pas assorti le décompte d'une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige.

(28 mars 2022, Commune de Saine-Flaive-des-Loups, n° 450477)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Compétence en premier ressort de la cour administrative d’appel – Litige en réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Compétence de cette cour.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice prétendument subi du fait du concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

La décision est intéressante même si elle résout la difficulté par la solution implicite qu’elle contient.

Si les textes confient à la cour administrative d’appel la compétence de premier et dernier ressort pour connaître du contentieux né de la délivrance ou du refus de délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, ils sont muets sur la juridiction administrative compétente pour connaître du recours à fins indemnitaires en vue d’obtenir réparation du préjudice causé par une autorisation d’exploitation illégalement accordée comme c’était le cas en l’espèce, ou par le refus illégal de délivrer cette autorisation.

On sera pleinement d’accord avec le Conseil d’État pour confier à cette même juridiction, dans un louable souci de simplification, et le contentieux de la légalité de ces autorisations d’urbanisme et celui de plein contentieux né directement de l’irrégularité desdites autorisations ou de leur refus.

(2 mars 2022, Commune de Saint-Affrique, n° 440079)

 

27 - Mémoire comportant des conclusions indemnitaires nouvelles – Absence de mesure de clôture de l’instruction - Mémoire parvenu au greffe de la juridiction avant l’audience – Conclusions non visées et sans réponse – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige relatif à la fixation du taux d’invalidité permanente partielle des séquelles résultant d’une maladie professionnelle, un tribunal administratif, destinataire près de deux semaines avant l’audience et en l’absence d’ordonnance de clôture de l’instruction, d’un nouveau mémoire de l’intéressé contenant des prétentions indemnitaires nouvelles, omet de le viser et d’y répondre.

Cette irrégularité étant irrémissible, le jugement est annulé.

(3 mars 2022, M. C., n° 439613)

 

28 - Jugement – Signatures devant être portées sur la minute d’un jugement – Absence de l’une d’elles – Annulation.

 L’article R. 741-7 du CJA disposant que la minute du jugement rendu par un tribunal administratif doit être signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, il s’ensuit que l’absence de la signature du rapporteur ayant siégé dans la formation collégiale qui a rendu le jugement constituant l’omission d’une formalité substantielle en raison de l’objectif poursuivi par cette disposition, entraîne l’annulation du jugement.

(3 mars 2022, Société Bégédis, n° 442760)

 

29 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

V. n° 4

 

30 - Excès de pouvoir  - Existence d’une pluralité de moyens pouvant justifier une annulation – Choix du moyen le plus adéquat à la résolution du litige – Existence concomitante d’une demande d’injonction – Demande prioritaire dans l’examen des moyens idoines – Demande d’injonction constituant la demande principale – Hiérarchisation des moyens en fonction de la cause juridique – Obligation pour le juge de la respecter – Rejet des moyens au soutien de la demande principale mais existence d’un moyen retenu au soutien de la demande subsidiaire – Conséquences sur l’office du juge – Effets en cas d’appel – Rejet.

Réitération d’une importante jurisprudence de formulation complexe mais logique (Section 21 décembre 2018, Société Eden, n° 409678 ; V. cette Chronique, décembre 2018 n° 89)

« (…) lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale. »

(7 mars 2022, Mme A., n° 438147)

 

31 - Annulation d’une résolution du conseil d’administration de l’Office national des forêts (ONF) – Ouverture d’une procédure contradictoire sur la date de prise d’effet de l’annulation – Absence de motifs de report – Effets de l’annulation non différés avec portée rétroactive.

Le Conseil d’État, par une décision du 2 juillet 2021, a annulé pour motif d’incompétence une résolution du conseil d’administration de l’ONF puis sursis à statuer sur la détermination de la date d’effet de cette annulation, rouvrant ainsi le débat contentieux sur cet aspect.

Tout d’abord, le juge refuse de donner acte à l’un des requérants de son désistement puisque par le premier arrêt il avait été statué sur ses conclusions.

Ensuite,  le Conseil d’État, par la présente décision, juge, d’une part, que l'annulation rétroactive de la réglementation litigieuse n’emporterait pas des conséquences manifestement excessives au regard des situations qui ont pu se constituer lorsqu'elle était en vigueur, notamment par l'effet des contrats de vente conclus sur les lots de bois d'œuvre de chêne acquis auprès de l'ONF et, d’autre part, que si la réglementation annulée poursuit une finalité d'intérêt général de préservation de la filière de transformation du bois de chêne, l'ONF et la Fédération nationale du bois soutenant en défense qu'elle devra être remplacée par une réglementation de portée équivalente, ne sont pas apportés en l’espèce des éléments permettant d’établir que l’effet rétroactif attaché à cette annulation entraînerait des conséquences manifestement excessives pour l’intérêt général. 

Enfin, il considère qu’eu égard aux inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation de la résolution attaquée, il n'y a lieu ni de différer les effets de cette annulation ni d'en réputer définitifs les effets passés. 

(9 mars 2022, Syndicat de la filière bois et autres, n° 427483)

 

32 - Avocats ressortissants d’un État membre de l’Union européenne – Représentation de leurs clients devant le Conseil d’État et la Cour de cassation – Régime fixé aux art.  2 et 3 du décret du 16 février 2021 – Rejet.

Le groupement requérant contestait les art. 2 et 3 du décret du 16 février 2021 organisant la représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation par les professionnels ressortissants des États membres de l'Union européenne (UE) ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) autres que la France et modifiant le décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991 relatif aux conditions d'accès à la profession d'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Ces dispositions font obligation aux avocats de l’UE et de l’EEE - afin de pouvoir assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation sur le fondement de l'autorisation délivrée par le garde des sceaux, ministre de la justice -, d’une part, d’avoir élu domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation auquel les actes de la procédure sont valablement notifiés, d’autre part, de joindre à leur constitution un document attestant l'existence d'une convention avec l'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation autorisant l'élection de domicile pour l'instance considérée. 

Selon le groupement requérant, ces dispositions méconnaîtraient, d’une part, les libertés d’établissement et de prestation de services, d’autre part, le principe d’égalité.

Ces moyens sont rejetés.

En premier lieu, l’obligation pour un avocat d’élire domicile chez un avocat aux Conseils n’a pas été jugée contraire au droit de l’Union, notamment à l'article 5 de la directive 77/249/CEE du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (en ce sens : CJCE 10 juillet 1991, Commission des Communautés européennes contre République française, aff. C-294/89).

Semblablement, l’obligation pour cet avocat d’obtenir une autorisation délivrée par le garde des sceaux au vu des documents attestant de son identité, de sa nationalité et de son titre professionnel et de ceux permettant de vérifier qu'il est habilité dans l'État où il est établi à représenter les parties devant les juridictions suprêmes, juges de cassation de cet État, et qu'il y consacre à titre habituel une part substantielle de son activité, n’est imposée qu’en vue de garantir l'objectif de bonne administration de la justice. Elle ne contrevient pas aux dispositions de l'article 3 de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 prévoyant la possibilité d'imposer à l'avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle de s'inscrire auprès de l'autorité compétente de cet État membre.

Ainsi, l’art. 3 du décret attaqué, en subordonnant la représentation en justice devant les juridictions de cassation par un avocat ressortissant d'un État membre de l'Union ou partie à l'accord sur l'EEE autre que la France à l'obtention préalable d'une autorisation du ministre de la justice et à l'obligation de conclure une convention prévoyant l'élection de domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, ne méconnaît ni la liberté d'établissement ni la liberté de prestation de services, l’une et l’autre garanties par le droit de l'Union.

En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu par le groupement requérant, les dispositions litigieuses ne portent pas atteinte au principe d’égalité.

D’abord, il ne saurait être soutenu qu'en permettant au ministre de la justice, de suspendre provisoirement l'autorisation d'exercer l'activité d'assistance et de représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation accordée à un professionnel d'un autre État européen que la France, lorsque l'urgence le justifie et que l'une ou plusieurs des conditions permettant cet exercice ne sont plus remplies, il serait porté atteinte au principe d'égalité dans la mesure où aucun texte ne prévoit la possibilité d'une telle mesure de suspension à l'égard d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. En effet, les professionnels autorisés à représenter les parties devant les juridictions suprêmes françaises sous leur titre professionnel d'origine ne sont pas dans la même situation que les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation auxquels une telle autorisation n'a pas à être délivrée.

Ensuite, il ne saurait davantage être soutenu que dès lors que pour assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, sous leur titre professionnel d'origine, les ressortissants d'un État membre de l’UE ou partie à l'accord sur l'EEE doivent justifier que, dans le pays où ils sont établis, ils sont habilités à représenter les parties devant la ou les juridictions de cassation et y consacrent une part substantielle de leur activité, ils ne sont pas dans la même situation que les avocats exerçant en France qui ne peuvent justifier d'une telle expérience devant une juridiction de cassation.

Ces questions ne sont pas nouvelles et se posent parfois à l’intérieur de l’espace juridictionnel français s’agissant de la distinction, souvent critiquée, entre les avocats aux Conseils et ceux de barreaux.

(7 mars 2022, Groupement européen d'intérêt économique Alphalex avocats, n° 451753)

 

33 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Juge retenant un document non soumis au débat contradictoire – Annulation.

Dans un litige en décharge de taxe d’enlèvement des ordures ménagères, le juge s’était fondé, pour rejeter la requête, sur le contenu du budget primitif de la commune pour l’année considérée.

Cependant, ce document n’avait pas été versé aux débats et n’avait par conséquent pas fait l’objet d’une discussion contradictoire entre les parties.

Le juge de cassation prononce bien évidemment l’annulation de ce jugement rendu dans des conditions irrégulières.

(11 mars 2022, SCI Noisy-le-Sec, n° 453571)

 

34 - Contributions à la taxe sur le foncier bâti et sur le foncier non bâti – Contestation du jugement du tribunal administratif – Contestation ayant le caractère d’un appel devant être porté devant la cour administrative d’appel non devant le Conseil d’État – Renvoi à la cour.

Une commune réclame réparation à l’État de la faute commise par les services fiscaux en raison de l'insuffisant assujettissement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de la société civile Synchrotron Soleil aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties au titre de plusieurs années. Le tribunal ayant donné raison à la commune, le ministre des finances a contesté ce jugement que la cour de Versailles a renvoyé au Conseil d’État estimant que cette affaire relevait des cas où le tribunal administratif statue en premier et en dernier ressort (cf. art. R. 811-1 CJA).

Le Conseil d’État considère que ce recours constitue un appel en raison de ce que le litige n’entre matériellement pas dans les exceptions prévues au 4° de l’art. R. 811-1 CJA ni non plus, en raison du montant de l’indemnité réclamée (près d’1,5 million d’euros), dans un cas prévu au 8° de cet article.

Le dossier est renvoyé à la cour de Versailles.

(11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saint-Aubin, n° 460641)

(35) V. aussi, identique : 11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saclay, n° 460623)

 

36 - Intérêt donnant qualité pour agir – Buralistes contestant le régime de TVA applicable aux débits de tabacs situés dans un terminal ferroviaire à l’instar de ceux situés dans un port ou un aéroport – Absence d’intérêt direct et certain – Rejet.

La confédération syndicale demanderesse poursuivait l’annulation des paragraphes 10 et suivants des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) du 22 juillet 2021 en tant qu'ils interprètent la loi comme incluant les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles (situé à la sortie du tunnel sous la Manche) dans le champ du bénéfice du régime suspensif de paiement de la TVA prévu pour les ports et aéroports.

En effet, pour justifier de sa recevabilité à former un recours pour excès de pouvoir contre les commentaires qu'elle conteste, la confédération requérante se prévaut seulement de la différence de traitement qu'ils institueraient, dans l'accès au régime suspensif de TVA, entre les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles et les gérants de débit de tabac établis à proximité, au détriment de ces derniers, alors que ses statuts lui donnent pour objet la défense des intérêts de la profession des gérants de débits de tabacs et des chambres syndicales qui en sont membres. Elle ne justifie ainsi pas d'un intérêt direct et certain lui donnant qualité pour agir. 

(11 mars 2022, Confédération nationale des buralistes de France, n° 456321)

 

37 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Exercice de fonctions disciplinaires – Obligation de viser les conclusions et moyens des parties – Obligation pour le juge d’appel qui en modifie le dispositif d’annuler le jugement – Annulation.

Le CNESER, dispose, entre autres, de compétences disciplinaires et il statue en ce cas comme juridiction administrative relevant du Conseil d’État par la voie de la cassation.

En l’espèce, il avait relaxé des poursuites disciplinaires dont elle avait fait l’objet en première instance de la part de la commission disciplinaire de son université, une maître de conférences. Toutefois, dans sa décision, le CNESER n’avait ni visé les conclusions et moyens de la requérante ni, non plus, procédé à leur analyse dans ses motifs, ce qui entraîne son annulation.

De plus, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, le CNESER, qui avait modifié le dispositif du jugement qui lui était soumis, s’est abstenu de l’annuler, d’où un second motif de cassation.

On remarquera au passage ce rappel bienvenu car souvent oublié que « le juge d'appel, statuant au titre de l'effet dévolutif de l'appel, n'est pas juge de la décision de première instance (…) ». En effet, le double degré de juridiction impose un nouvel examen de l’affaire non un examen du jugement. Au contraire, on peut bien dire du pourvoi en cassation que, d’une certaine manière, en se limitant aux seules pièces du dossier, il juge l’arrêt non l’affaire.

(14 mars 2022, Université de Strasbourg, n° 438191)

(38) V. aussi, jugeant que le CNESER a dénaturé les pièces du dossier à lui soumis en jugeant que l’enseignant déféré devant lui n’avait pas commis les faits de harcèlement sexuel qui lui étaient reprochés, qualifiant ainsi inexactement les faits en litige : 14 mars 2022, Université Lumière Lyon 2, n° 446009.

 

39 - Bulletin officiel de la sécurité sociale – Commentaires administratifs y figurant – Rubrique « frais professionnels » - Commentaires susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir du chapitre 9 et des paragraphes 2120 à 2250 des commentaires publiés le 31 mars 2021 au Bulletin officiel de la sécurité sociale sous la référence « Frais professionnels » ainsi que leur annexe.

Le recours est rejeté en ses différents moyens.

D’une part, les dispositions attaquées ne méconnaissent ni le sens ni la portée de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ni ne leur apportent une modification entachée d'incompétence en ce qu'elles indiquent, comme le juge également la Cour de cassation, que, pour appliquer la déduction forfaitaire spécifique, l'employeur doit disposer des justificatifs démontrant que le salarié bénéficiaire supporte effectivement des frais professionnels, la seule appartenance à l'une des professions y ouvrant droit ne suffisant pas à elle seule. 

D’autre part, il ne saurait être sérieusement soutenu :

- ni que l’art. 81 du CGI, qui ouvre le bénéfice d'une exonération de plein droit pour la seule détermination de l'impôt sur le revenu des professions qu'il vise, institue une présomption d'utilisation des frais professionnels de ces professions conforme à leur destination faisant obstacle à ce que des justificatifs du caractère effectif de l'exposition de tels frais soient requis pour la détermination des cotisations sociales dues,

- ni que l’exigence de justification du caractère effectif des frais professionnels serait susceptible de porter atteinte à la liberté de la presse ou au secret des sources protégé par la loi du 29 juillet 1881. 

Toutefois, l’intérêt principal de cette décision réside en ce que c’est la première fois, semble-t-il, que le recours pour excès de pouvoir est admis contre les commentaires administratifs figurant au Bulletin officiel de la sécurité sociale.

Cette solution est d’ailleurs logique.

(14 mars 2022, Alliance de la presse d'information générale, Syndicat des éditeurs de la presse magazine et Fédération nationale de la presse d'information spécialisée, n° 453073)

 

40 - Recours en référé liberté – Interdiction temporaire de circulation de véhicules sur un passage à niveau – Réalisation de travaux – Arrêté municipal d’interdiction argué d’insuffisance de motivation – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

L’insuffisance de motivation d’un arrêté municipal de police, à la supposer établie, n’ouvre pas la voie du référé liberté car, en soi, cette circonstance n’établit pas l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 11 mars 2022, SAS Société Carrefour Supply Chain et autres, n° 461751)

 

41 - Amende pour requête abusive (art. R. 741-12 CJA) – Absence d’urgence déjà opposée à une première requête en référé liberté – Réitération en l’absence de fait nouveau – Requérant professionnel du droit – Rejet.

C’est sans inexactitude dans sa qualification des faits à lui soumis qu’un juge des référés condamne un requérant à une amende pour recours abusif en relevant que l’intéressé, professionnel du droit, après avoir formé un premier référé liberté rejeté pour défaut d’urgence, en forme un second, également dépourvu d’urgence et en l’absence de tout fait nouveau postérieur au premier rejet.

Il est bon de rappeler que le référé est une procédure juridictionnelle non un exutoire.

(23 mars 2022, M. B., n° 450713)

 

42 - Frais exposés et non compris dans les dépens (art. L. 761-1 CJA) – Attribution – Autorisation délivrée par le maire au nom de l’État – Mise à la charge du requérant débouté d’une somme au titre de l’art. L. 761-1 CJA au profit de la commune – Erreur de droit – Annulation dans cette mesure.

La société requérante avait demandé au juge des référés, sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA, la suspension du rejet par le maire de Senlisse de sa demande d’autorisation de travaux (cf. L. 111-8 code de la construction et de l’habitation) en vue de la création d'une salle de réception au château de la Cour Senlisse.

Déboutée, la société a été condamnée, par l’art. 2 de l’ordonnance de référé, sur le fondement de l’art. L. 761-1 CJA, à verser une certaine somme à la commune.

Elle saisit le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre cet art. 2.

Le pourvoi est admis en raison de l’erreur de droit commise par le juge des référés en ordonnant le versement d’une somme à la commune alors que le maire n’a pas agi en l’espèce comme organe de la commune mais exercé une compétence en tant qu’autorité de l’État.

(24 mars 2022, Société Senlisse Evénements, n° 456225)

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

Est entaché d’irrégularité le jugement qui, statuant sur un litige en détermination de la valeur locative cadastrale d’un ensemble immobilier pour la fixation de la taxe foncière sur les propriétés bâties, omet de répondre au moyen qui n’était pas inopérant contestant cette détermination car effectuée sur la base d’une division en trois lots de cet ensemble immobilier alors que n’y est exercée qu’une seule activité de vente de pneumatiques.

La solution est constante et va de soi.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

 

44 - Covid-19 – Adaptation de certaines règles de la procédure administrative contentieuse – Dispense de conclusions du rapporteur public – Absence de motivation – Rejet.

Si l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dispose que, durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, « le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience des conclusions sur une requête », il ne résulte ni de ces dispositions ni d'aucun principe que cette décision doit être motivée.

(28 mars 2022, Mme A., n° 442854)

 

45 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances subrogée aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

V. n° 139

 

46 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

V. n° 91

 

47 - Délai d’appel – Notification du jugement par lettre recommandé – Point du départ du délai - Date de retrait du pli postal – Arrêt de rejet – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier l’ordonnance rejetant un appel au motif que le jugement appelé avait été notifié un 18 octobre alors qu’il résulte de ces pièces que la destinataire de cette notification, absente de chez elle le 18 octobre, avait retiré le pli la contenant le 19 octobre ainsi qu’en atteste l’opérateur postal.

(30 mars 2022, Mme B., n° 442313)

(48) V. aussi, sur le même thème de la computation du délai de recours, le rejet d’un pourvoi en cassation pour cause de tardiveté en dépit de la prorogation des délais contentieux consécutive à la pandémie de Covid-19 (décret du 25 mars 2020), le pourvoi ayant été formé le 11 septembre 2020 alors que le délai pour le former expirait le 24 août 2020 : 30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019.

 

49 - Concours de la force publique – Délai de constitution d’une faute pour abstention de fournir ce concours – Rejet.

C’est sans erreur de droit – contrairement à ce que soutient le ministre demandeur au pourvoi - qu’un tribunal administratif juge que la responsabilité fautive de l’État est engagée en raison de son refus d’accorder le concours de la force publique au terme du délai de deux mois suivant la demande d’octroi de ce concours, conformément aux dispositions des art. L. 412-1 et R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution.

(30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019)

 

50 - Référé suspension – Condition d’urgence – Office du juge dans l’appréciation de cette condition – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Annulation et rejet.

Dans un litige relatif à la suspension d’un agent hospitalier de ses fonctions, il est reproché au juge des référés de n’avoir retenu, pour apprécier l’urgence à suspendre la décision attaquée, que les seuls effets de cette décision sur le sort de l’intéressé  sans examiner l’autre aspect de cette question d’urgence constitué par l’argument du centre hospitalier selon lequel la réintégration de l'intéressé était de nature à causer des troubles dans le bon fonctionnement de l'établissement justifiant l'exécution de cette même décision.

Le Conseil d’État aperçoit dans l’analyse faite par le juge des référés une erreur de droit et une insuffisance de motivation, d’où la cassation, ici prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Centre hospitalier de Valence, n° 449277)

 

51 - Appel d’un jugement – Demande de sursis à l’exécution de ce jugement – Demande pouvant être fondée sur les dispositions générales de l’art. R. 811-17 du CJA même dans le cas où elles pourraient l’être sur celles, particulières, de l’art. R. 811-15 du CJA – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance rejetant une demande de sursis à l’exécution d’un jugement frappé d’appel au motif que cette demande, présentée sur le fondement de l'art. R. 811-17 du CJA, entrait dans le champ d'application de l'article R. 811-15 de ce code alors que la partie qui s’y croit fondée peut présenter au juge d'appel des conclusions à fin de sursis à exécution d'un jugement ayant annulé une décision administrative en invoquant les dispositions générales de l'article R. 811-17 du CJA, y compris dans le cas où de telles conclusions pourraient être fondées sur les dispositions particulières de l'art. R. 811-15 de ce code.

(30 mars 2022, CHU de la Martinique, n° 450520)

 

52 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Erreur sur la date fixant le point de départ des intérêts d’une somme – Recours recevable et fondé – Rectification en conséquence.

Le Conseil d’État juge recevable et fondé un recours en rectification d’erreur matérielle reposant sur la circonstance que si dans le dispositif de sa décision le juge fait mention de la date du 21 décembre 2020 comme point de départ du calcul des intérêts au taux légal assortissant une condamnation pécuniaire, le point 10 des motifs de cette décision mentionne la date du 21 décembre 2010.

Le dispositif est rectifié en conséquence.

(30 mars 2022, M. et Mme B., n° 454906)

 

53 - Condition d’opposabilité des voies et délais de recours contre une décision administrative – Obligation de les mentionner dans la notification de la décision administrative – Application de la règle du délai raisonnable en cas de défaut de mention de ces indications – Règle applicable aux titres exécutoires – Règle applicable à la saisine d’un ordre juridictionnel incompétent pour connaître du fond du litige – Rejet.

Dans cette affaire, importante pour la solution qu’elle contient en droit domanial (voir par ailleurs), était posée une intéressante question de délai de recours contentieux.

Le département défendeur opposait une fin de non-recevoir à la demande d’annulation d’un titre exécutoire qu’il avait émis le 19 septembre 2011 au motif qu’elle était tardive.

En l’espèce, le titre exécutoire litigieux ne précisait pas les voies et délais de recours dont disposait à son encontre la société destinataire. Cette omission empêchait le délai de recours de courir.

Toutefois, on le sait, pour échapper au risque d’un délai infini de recours, le Conseil d’État a fixé de façon prétorienne une limite à la durée possible du recours en ce cas, celui-ci est généralement d’un an (C.E. Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763), mais il peut, en certains cas, être plus long (ainsi est-il de trois ans s’agissant des recours dirigés contre des décrets portant libération des liens d’allégeance avec la France : 29 novembre 2019, X., n°411145, n° 426372, n° 429248, 3 espèces). La forclusion ne peut, en principe, pas être opposée à un recours contre une décision ne comportant pas mention des voies et délais de recours s’il est formé dans l’année qui suit sa réception par son destinataire. Cette solution jurisprudentielle a été étendue aux recours contre des titres exécutoires (16 avril 2019, Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, n° 422004).

En l’espèce, en raison de mentions jugées ambigües portées sur le titre exécutoire, sa récipiendaire l’a contesté devant les juridictions de l’ordre judiciaire jusqu’à ce qu’un terme définitif soit porté à cette affaire par un arrêt rendu le 29 mars 2017 par la Cour de cassation confirmant l’incompétence de l’ordre judiciaire pour en connaître.

Par suite, le département soutenait que la juridiction administrative avait été saisie trop tardivement.

Confirmant l’arrêt d’appel, le juge administratif de cassation rejette cette argumentation car la règle du délai raisonnable s’applique aussi en cas de saisine, comme en l’espèce, d’un ordre juridictionnel incompétent.

Il suffit donc, pour échapper à toute forclusion, d’une part que, dans le délai d’un an, une juridiction, même incompétente, ait été saisie et d’autre part, que le juge administratif ait été saisi au plus tard dans les deux mois de la décision judiciaire irrévocable se déclarant incompétente soit, ici, avant le 29 juin 2017.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

54 - Demande de décharge ou de réduction d’impôt - Compensation à l’initiative de l’administration fiscale – Régime – Annulation avec renvoi.

Le litige portait sur les conditions d’application de l’art. L. 203 du LPF selon lequel : « Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. »

Le Conseil d’État déduit de ce texte, d’une part, la faculté pour l‘administration fiscale d’effectuer ou de demander au juge la compensation sans mener au préalable une procédure de rectification ou de taxation d'office, et notamment sans adresser la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 du LPF ou la notification mentionnée à son article L. 76, d’autre part, l’obligation pour cette administration de respecter les garanties prévues en matière d'engagement et de conduite d'un tel contrôle en faveur du contribuable vérifié.

Est donc cassé l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui avait rejeté, à tort, comme inopérant le moyen soulevé par le contribuable que l'administration fiscale aurait effectué au cours de l'instruction de la réclamation contentieuse un rapprochement critique des déclarations du contribuable et des éléments de sa comptabilité sans respecter les garanties du contribuable vérifié.

(2 mars 2022, M. N., n° 442722)

 

55 - Transformation de locaux commerciaux en bureaux ou non – Notions de « locaux commerciaux » et de « locaux à usage de bureaux » - Activité de généalogiste successoral – Assujettissement à la redevance instituée par l’art. L. 520-1 c. urb. -Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Une société civile immobilière obtient un permis de construire afin de transformer des locaux commerciaux en locaux à usage de bureaux. Après achèvement des travaux, elle est assujettie à la redevance prévue à l’art. L. 520-1 du code de l’urbanisme en raison du changement de destination des lieux.

Elle fait valoir qu’en réalité et contrairement aux termes de sa demande de permis de construire, les locaux n’avaient pas changé de destination et qu’ainsi la redevance n’était pas due.

Pour rejeter cette prétention les premiers juges, se fondant sur la demande de permis et sur la consistance physique des locaux au terme des travaux, ont estimé que la contribuable ne rapportait pas la preuve de l’absence de changement de destination de ces locaux en particulier s’agissant de l’installation future d’une activité de généalogiste successoral.

Or la contribuable requérante soutenait que la notice de sécurité pour les établissements recevant du public figurant dans le dossier de demande du permis de construire établissait que la moitié des locaux serait accessible au public, que l'activité de généalogiste successoral était, comme la précédente, de nature commerciale et que le bail commercial conclu avec le futur occupant mentionnait la réception de clientèle dans les locaux.

Le Conseil d’État annule le jugement attaqué pour erreur de droit en ce qu’il n’a pas recherché si l'activité de généalogiste successoral impliquait, dans tout ou partie des locaux en litige, l'accueil d'une clientèle pour la réalisation de prestations commerciales.

(3 mars 2022, SCI Apler, n° 435318)

 

56 - Cession, par les usufruitiers, de parts sociales démembrées – Charge de l’imposition au titre de la plus-value dégagée lors de la cession - Prise en considération de faits ou actes postérieurs à la cession – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Par acte notarié du 28 octobre 2008, un couple de parents fait donation à ses trois enfants d’actions d’une société qu’il détient, pour l’essentiel en usufruit. Cette cession est suivie de deux autres, les 6 janvier et 5 février 2009.

Puis, par un pacte du 15 novembre 2008, les donateurs et les donataires ont convenu qu'en cas de cession intégrale par M. et Mme A. de leurs actions de la société Viveris, leurs fils cèderaient simultanément la nue-propriété des actions données, le prix devant être remployé par ces derniers dans une société civile immobilière à constituer avec leurs parents.

L’administration fiscale a prétendu imposer les parents à l’impôt sur les revenus, à titre supplémentaire, assorti des contributions sociales y relatives, à raison, d'une part, de revenus de capitaux mobiliers dégagés lors de la cession du 6 janvier 2009, et, d'autre part, de plus-values de cession de droits sociaux nées lors l'opération du 5 février 2009.

La demande d’annulation de ces décisions fiscales a été rejetée en première instance tandis que la cour administrative d’appel a estimé que la fraction des gains tirés du rachat des actions en vue de leur distribution à des salariés de la société Viveris serait imposée entre les mains des requérants selon le régime applicable aux plus-values de l'article 150-0 A du CGI et qu’il y avait lieu de rejeter le surplus de leur requête d'appel.

Les intéressés se pourvoient.

Le Conseil d’État annule l’arrêt déféré à sa censure en raison des deux erreurs de droit sur lesquelles il repose et qui tournent toutes deux autour de l’oubli que les effets fiscaux d’une cession de titres sont immédiats, complets et définitifs.

Auparavant le juge de cassation rappelle que si l'imposition de la plus-value constatée à la suite des opérations par lesquelles l'usufruitier et le nu-propriétaire de parts sociales dont la propriété est démembrée procèdent ensemble à la cession de ces parts sociales, se répartit entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, en revanche, lorsque les parties ont décidé, par les clauses contractuelles en vigueur à la date de la cession - comme c’était le cas en l’espèce -, que le droit d'usufruit serait, à la suite de la cession, reporté sur le prix issu de celle-ci, la plus-value est alors intégralement imposée entre les mains de l'usufruitier. Lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier, la plus-value réalisée n'est imposable qu'au nom du nu-propriétaire.

En premier lieu, la cour ne pouvait pas juger que les requérants n'établissaient pas que le reste de la somme perçue par leurs fils aurait fait l'objet d'un remploi dans la société civile immobilière à créer, de sorte que ces derniers n'avaient pas satisfait à l'obligation leur incombant en vertu du pacte susmentionné, en se fondant pour cela sur des circonstances postérieures au fait générateur que constituait la cession.

En second lieu, la cour ne pouvait pas se fonder sur le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société Viveris du 24 décembre 2008 aux termes duquel l'adoption des résolutions autorisant les rachats de titres valait, pour les actionnaires de titres dont la propriété était démembrée, « mandat irrévocable à l'usufruitier par le nu-propriétaire de percevoir seul le prix de base et l'éventuel complément de prix » car ce procès-verbal ne pouvait avoir eu pour objet ou pour effet de modifier les droits respectifs que l'acte de donation partage du 28 octobre 2008 ou le pacte du 15 novembre 2008 conféraient aux usufruitiers et aux nus propriétaires sur les titres en litige.

(3 mars 2022, M. et Mme A., n° 437247)

 

57 - Travaux de reconstruction – Notion au sens de l’art. 31 du CGI – Travaux affectant le gros œuvre et d’une ampleur suffisante – Absence – Annulation.

Ayant fait l’objet de redressements fiscaux pour avoir entrepris dans un bien immobilier comprenant un ancien hôtel-restaurant et une maison de gardien, des travaux qualifiés fiscalement de « reconstruction » et donc non déductibles des revenus fonciers, la requérante se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmant le rejet de son recours en première instance.

De l’énumération des charges de la propriété déductibles du revenu imposable qu’il comprend l’art. 31 (cf. le I, 1°, b/) du CGI en exclut expressément ceux constituant des travaux de reconstruction.

En l’espèce, l’administration fiscale, confirmée en cela par les juges du fond, avait estimé que la contribuable avait réalisé des travaux dont l’ensemble constituait une reconstruction. Elle estimait tout d’abord que la transformation de l'ancien hôtel-restaurant et de la maison de gardien en studios et chambres meublés avait conduit à une redistribution importante de l'espace intérieur de ces locaux ainsi qu'à la création de surfaces de logement supplémentaires, quand bien même la surface habitable de l'ensemble n'avait pas été substantiellement augmentée. Elle relevait également que les travaux de démolition, de dépose des planchers de bois remplacés par des planchers en béton, ceux de couverture, de démolition et de reconstruction de cloisons intérieures, ainsi que le percement d'ouvertures, avaient affecté de manière significative le gros œuvre et n'étaient pas dissociables des travaux de rénovation et d'amélioration des locaux simultanément entrepris. 

Il s’agissait donc d’une reconstruction au sens et pour l’application de l’art. 31 précité et non, comme le soutenait la demanderesse, des travaux d'entretien, de réparation ou encore d'amélioration.

Le Conseil d’État est à la cassation car il juge que les travaux en litige n'ayant pas affecté de manière importante le gros œuvre et n'étant pas d'une ampleur suffisante pour être qualifiés de travaux de reconstruction, la cour, en jugeant le contraire, a dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits de l’espèce.

On peut trouver cette décision sévère à l’égard de la juridiction d’appel compte-tenu des éléments de fait susrappelés.

(3 mars 2022, Mme B., n° 443135)

(58) V. aussi, très semblable, apercevant une dénaturation des faits et une inexacte qualification de ceux-ci, dès lors que le gros œuvre n’a pas été affecté de manière importante, dans un arrêt qui juge que constituent une reconstruction et un agrandissement des travaux de ravalement de la façade, de remplacement des huisseries extérieures, de modification partielle de la toiture et d'isolation des cloisons existantes ainsi que des travaux d'installation électrique, d'alimentation en eau et de plomberie réalisés au rez-de-chaussée du bâtiment et qui étaient indissociables de ceux entrepris pour la transformation du grenier en surface habitable : 3 mars 2022, M. et Mme B., n° 447962.

 

59 - Revenus des capitaux mobiliers – Manœuvres frauduleuses (art. 1729 CGI) – Imposition supplémentaire et pénalités – Absence d’agissements en ce sens – Recherche d’office par le juge d’une intention délibérée d’éluder l’impôt – Réduction de la pénalité.

La requérante, salariée et associée d’une société exploitant un commerce de boulangerie-pâtisserie dont elle possède 10% des parts, a fait l’objet d’un rehaussement d’impôt assorti d’une pénalité de 80% pour manœuvres frauduleuses. Elle a contesté en vain ces décisions en première instance et en appel, d’où son pourvoi.

Le Conseil d’État estime qu’il n’est pas établi que l’intéressée ait participé à la mise en place d'un système de fraude consistant en l'effacement des données des caisses enregistreuses de plusieurs boulangeries dont celle l’employant car les juges du fond n’ont pas relevé de sa part d'agissements destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle qui lui soient personnellement imputables.

Il rejette également la demande de substitution de motif faite par le ministre des finances car elle supposerait l’appréciation d’éléments de fait au stade de la cassation.

En revanche, il recherche d’office si, sur la base des éléments de fait relevés par l’administration fiscale lors de son contrôle, n’est pas établie l’intention délibérée de la contribuable d’éluder le paiement de l’impôt. Estimant qu’elle ne pouvait pas ignorer les manœuvres frauduleuses mises en place au sein de la société, il ramène de 80% à 40% la majoration d’impôt qui lui a été infligée.

(7 mars 2022, Mme Galipienso, n° 449087)

 

60 - Impôts sur les sociétés - Demande de report en arrière d’une partie de déficit d’un exercice clos (art. 220 quinquies du CGI) – Refus partiel – Refus justifié – Rejet.

La société requérante avait sollicité le remboursement d'une créance née du report en arrière d'une partie du déficit constaté au titre de l'exercice 2010 sur les bénéfices de l'exercice clos en 2007, à hauteur de 566 480 euros et elle se fondait pour cela sur les dispositions de l’art. 220 quinquies du CGI dont le I. est ainsi libellé : « I. Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa du I de l'article 209, le déficit constaté au titre d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1984 par une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés peut, sur option, être considéré comme une charge déductible du bénéfice de l'antépénultième exercice et, le cas échéant, de celui de l'avant-dernier exercice puis de celui de l'exercice précédent, dans la limite de la fraction non distribuée de ces bénéfices et à l'exclusion des bénéfices (...) qui ont donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts (...) ». 

Ainsi donc, il résulte de ces dispositions que les entreprises peuvent imputer le déficit d'un exercice sur les bénéfices réalisés lors de l'un des trois exercices précédents, sous réserve que le montant ainsi imputé n'excède pas la fraction non distribuée de ces bénéfices, déduction faite des bénéfices ayant donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts.

Cette dernière condition empêche ainsi – comme cela a été jugé en première instance et en appel - l'imputation d'un tel déficit sur les bénéfices pour lesquels l'impôt sur les sociétés a été acquitté au moyen de l'excédent de crédit d'impôt mentionné à l'article 199 ter B du CGI. 

Le pourvoi est logiquement rejeté.

(10 mars 2022, SAS Technocer, n° 443690)

 

61 - Taxe sur la valeur ajoutée – Demande de compensation par l’administration entre une non-soumission à la TVA et une remise en cause du droit à déduction de TVA – Défaut de constatation de l’insuffisance de taxation pouvant être relevé antérieurement à la réclamation de la contribuable – Annulation.

Dans un litige en matière de TVA due par un organisme de construction et de location de logements, l’administration fiscale a demandé en cours d’instance que les impositions en litige soient maintenues par substitution de dispositions du code général des impôts à la base légale initialement retenue pour les fonder. Elle soutenait notamment que l'absence de soumission à la TVA des cessions de terrains à bâtir litigieuses, fût-ce au bénéfice de la seule interprétation administrative de la loi, faisait obstacle à ce que la société requérante puisse bénéficier de l'imputation de la TVA ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement des terrains à bâtir. 

Pour rejeter cette argumentation et donc cette demande, le juge observe qu’en réalité celle-ci tend à compenser la non-soumission à la TVA des opérations de cession de terrains par la remise en cause du droit à déduction de la TVA ayant grevé des opérations distinctes d'achats de biens et services. Cette demande ne s’analyse donc pas en une classique demande de substitution de base légale mais en une demande de compensation.

Or celle-ci ne peut qu’être rejetée en raison de la chronologie des faits de l’espèce.

Il résulte de l'instruction, notamment d'une proposition de rectification adressée le 18 décembre 2009 par l'administration à la société, qu’elle disposait, avant l'introduction par la contribuable de sa réclamation, de l'ensemble des éléments propres à lui permettre de remettre en cause l'imputation de la taxe ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement.

Par suite, l'insuffisance de taxation en cause ne saurait être regardée comme ayant été « constatée dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande » au sens de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales.

La demande de compensation ne peut, dès lors, qu'être rejetée et le jugement contesté, annulé.

(11 mars 2022, SA Habitat des Hauts-de-France venue aux droits de la SA Habitat 62/59, n° 448818)

 

62 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(63) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

V. n° 13

 

64 - Société – Acte anormal de gestion – Cession de parts - Appauvrissement sans contrepartie – Absence – Annulation sans renvoi (recours à l’art. R. 821-2 CJA).

Pour le calcul de l’impôt sur les sociétés les art. 38 et 209 du CGI excluent que puissent être déduites du revenu imposable les opérations qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale en ce qu’elles aboutissent à un appauvrissement de l’entreprise à des fins étrangères à son intérêt. En cas de cession d’un élément d’actif, tels des titres, est refusée la prise en compte de la perte résultant de cessions à un prix significativement inférieur à la valeur vénale retenue par l’entreprise cédante sauf si est rapportée la preuve de l’impossibilité de ne pas réaliser cette cession ou qu’elle y trouve une contrepartie.

En l’espèce, l’administration avait estimé que constituait un acte anormal de gestion et donc comme une libéralité la cession par une entreprise à un particulier – à un prix significativement inférieur à leur valeur vénale à cette date - d’actions d’une société filiale en exécution d’un engagement antérieur de cession.

Déboutée en première instance et en appel, la requérante se pourvoit.

Pour confirmer la position de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel avait écarté l'argumentation de la société prétendant s'être trouvée contrainte de céder les titres en litige à ce prix en exécution d'un engagement de cession qu'elle avait contracté à l'égard de M. G. au motif que cette circonstance ne constituait pas une contrainte qui lui était extérieure et que la promesse de vente ne mentionnait aucun engagement de ce dernier en contrepartie du sien.

Le Conseil d’État annule cet arrêt car la cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si, à la date du 14 mars 2009, en consentant une promesse de vente d’actions à un prix irrévocablement fixé et alors même que cette promesse n'était pas subordonnée au respect d'engagements pris par ce dernier, la société Alone et Co avait agi conformément à son intérêt, compte tenu des avantages résultant de l'implication complémentaire qu'elle pouvait attendre, du fait de l'option d'achat qu'elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres.

Statuant au fond, le Conseil d’État rejette d’abord le moyen tiré de ce que M. G. ne fût pas salarié de la société Alone et Co car ceci n'était pas de nature à faire obstacle à ce que cette société trouvât, eu égard aux conséquences qu'elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation dans la société filiale, un intérêt propre à inciter l'intéressé au développement de cette société dont il était, comme il a été dit, le directeur commercial.

Il vérifie ensuite l’éventuelle existence d’un intérêt de l’entreprise requérante à cette cession et le trouve dans les compétences de M. G. et son expérience commerciale dans la vente de préparations culinaires auprès de restaurants, segment d'activité sur lequel la société filiale avait axé son développement, et cela était de nature à permettre à M. G., par son implication particulière, d'obtenir un accroissement important du chiffre d'affaires de cette société et, par suite, de la valeur de ses titres.

Enfin, le juge, fait litière  de l’argument selon lequel la promesse de vente en litige ouvrait à M. G. la possibilité d'exercer son droit d'option à tout moment pendant une période de cinq ans et n'était pas subordonnée à des engagements de sa part, en relevant d’abord, que le prix de 1 euro qu'elle fixait pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle a été consentie et, ensuite, que les perspectives de croissance de l'activité de la société ne présentaient aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir, à l'égard de M. G. un réel effet incitatif.

(11 mars 2022, Société Alone et Co, n° 453016)

 

65 - Taxe d’aménagement (cf. art. L. 331-6 c. urb.) – Permis de construire délivré à plusieurs personnes – Redevable(s) de la taxe – L’un quelconque des bénéficiaires ou chacun pour sa propre fraction – Rejet.

Dans une décision antérieure (19 juin 2019, Ministre de la cohésion des territoires et de la mer, n° 413967) le Conseil d’État avait déjà jugé qu’en cas de permis de construire délivré à plusieurs personnes physiques ou morales pour la construction de bâtiments dont le terrain d'assiette doit faire l'objet d'une division en propriété ou en jouissance avant l'achèvement des travaux, les redevables de la taxe d'aménagement dont ce permis est le fait générateur sont les titulaires de celui-ci, chacun d'entre eux étant redevable de l'intégralité de la taxe due à raison de l'opération de construction autorisée.

Il avait donc également jugé, en conséquence, que l'administration compétente peut soit mettre cette taxe à la charge de l'un quelconque des bénéficiaires du permis, soit à la charge de chacun d’eux sans que le montant cumulé des différents titres de perception émis excède celui de la taxe due.

Il avait censuré pour erreur de droit le jugement décidant impossible la mise de la taxe à la charge d’un seul de ces bénéficiaires.

Il réitère cette solution dans la présente affaire où un autre tribunal avait commis semblable erreur en jugeant que reposait sur une erreur manifeste d’appréciation la décision de l’administration fiscale de ne faire porter la charge de la taxe d’aménagement que sur une seule personne alors qu’en l’espèce le terrain avait fait l'objet d'une division avant la demande de permis de construire et que l'administration disposait de la répartition des surfaces de plancher entre les bénéficiaires.

Cette seconde solution, étendant la précédente, ne nous paraît point judicieuse si ce n’est de faciliter la tâche de l’administration laissant ensuite aux différents bénéficiaires la charge de se débrouiller – ou pas – entre eux.

C’est là une prime à une certaine paresse administrative.

Après tout, le juge administratif, qui est au service de tous, n’est pas tenu de favoriser à peu près systématiquement le confort de l’administration alors qu’elle dispose de moyens et d’agents rémunérés à l’effet d’exercer complètement et correctement ses tâches.

(17 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 453610)

 

66 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

V. n° 43

 

67 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Appréciation du caractère manifestement disproportionné du produit de la taxe – Termes de comparaison – Prise en compte des seuls produits et dépenses relatifs aux ordures ménagères – Absence - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La solution est classique en matière d’appréciation du caractère manifestement disproportionné, ou non, du montant de la taxe sur les ordures ménagères eu égard aux dépenses qui sont consacrées à cet important service public.

Le contentieux est abondant, signe soit d’une mauvaise acceptation de cette charge fiscale soit d’une mauvaise pédagogie sur les conditions de sa fixation.

La requérante ayant été déboutée de sa demande de décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères mise à sa charge par le syndicat intercommunal de collecte de traitement des ordures ménagères au titre de l'année 2015 à raison de locaux situés à Lons-le-Saunier, saisit le Conseil d’État.

Celui-ci censure l’erreur de droit sur laquelle repose le jugement frappé de pourvoi.

Pour établir que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'était pas manifestement disproportionné, le tribunal administratif a comparé les recettes globales du syndicat à ses dépenses globales qui comprenaient donc, les unes et les autres, les ordures ménagères et celles non ménagères. Il lui incombait de ne comparer que les recettes et les dépenses afférentes aux seules ordures ménagères puisque c’était uniquement sur cette catégorie que portait le litige dont il était saisi.

Le Conseil d’État rappelle que les premiers juges pouvaient procéder à cette comparaison au besoin au moyen d'un supplément d'instruction s'ils estimaient non probants les éléments produits par la société sur ce point. 

(28 mars 2022, Société L'Immobilière Groupe Casino, n° 442878)

 

68 - Société soumise à l’impôt sur les sociétés – Sommes créditées au compte courant d’un associé – Sommes considérées être à la disposition de cet associé et devant imposées comme telles – Règle applicable même en cas d’erreur comptable sauf preuve contraire pertinente – Rejet.

Pour habituelle qu’elle soit la solution est assez impitoyable.

Dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé sont à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu du 2º du 1 de l'article 109 du CGI.

Pour échapper à cette rigoureuse interprétation, l'associé doit faire la preuve du contraire en démontrant soit qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes soit que ces sommes ne correspondent pas à la mise à sa disposition d'un revenu.

(28 mars 2022, M. C., n° 444025)

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Évaluation de la valeur locative attribuée à un immeuble - Recours à la méthode par comparaison – Impossibilité de comparer avec un local type détruit ou entièrement restructuré – Situation devant exister antérieurement au 1er janvier de l’année d’imposition – Annulation sans renvoi (décision rendue au fond).

L’une des deux méthodes d’évaluation de la valeur locative d’un immeuble pour l’application des taxes foncières est celle dite « par comparaison », résultant des dispositions de l’art. 1415 du CGI. Elle consiste à comparer l’immeuble à évaluer avec un local type similaire situé dans la commune ou, à défaut, situé dans une commune présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause.

En l’espèce, où l’un des éléments à évaluer était un cinéma, pour pratiquer cette comparaison l’administration fiscale avait retenu un local à usage de cinéma qui avait lui-même été évalué par comparaison avec un local type constitué par un cinéma détruit en 2011-2012, alors qu’il s’agissait de fixer la taxe foncière sur les propriétés bâties au 1er janvier des années 2015 et 2016. En admettant pour régulier ce curieux raisonnement, le tribunal administratif a commis une erreur de droit, d’où son annulation., sans renvoi par application de l’art. L 821-2 CJA

Nous sommes ainsi rassurés : il n’existe pas encore de locaux fantômes ayant une valeur foncière malgré l’exubérante inventivité de Bercy pour alimenter « la pompe à phynances » chère au Père Ubu.

(30 mars 2022, SNC Beaugrenelle Patrimoine, n° 444837)

 

70 - Produit de la cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire – Personne imposable – Imposition dans la catégorie des revenus à laquelle se rattache le revenu ou bénéfice procuré – Imposition en l’espèce aux bénéfices industriels et commerciaux – Rejet.

Le 1° du 5 de l'art. 13 du CGI décide que le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé.

Dans cette affaire, le Conseil d’État interprète ce texte, pour la première fois semble-t-il, non seulement – cela va de soi -  à la cession à titre onéreux, par le propriétaire d'un bien ou droit, d'un usufruit portant sur celui-ci mais encore, ce qui est beaucoup moins évident même au visa des articles 617 et 619 du Code civil, à la première cession à titre onéreux, par son titulaire, d'un usufruit préconstitué, dans le cas où le cessionnaire bénéficie du droit d'usufruit pour une période qui n'est pas exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine. 

C’est donc au prix d’une erreur de droit, selon le Conseil d’État, que la cour administrative d’appel a cru pouvoir juger qu’en l’espèce l’apport fait à une société par la contribuable, pour une durée contractuellement fixée à trente ans, de l'usufruit dont celle-ci était titulaire à titre viager sur les parts d’une autre société n'avait pas la nature d'une cession d'usufruit temporaire, au sens et pour l'application des dispositions précitées du CGI.

Toutefois cette solution suppose admises des prémisses discutables.

(31 mars 2022, Mme C., n° 458518)

 

71 - Taxe sur les encaissements des entreprises du numérique (art. 299 CGI) – Services taxables (art. 299 bis CGI) – Localisation en France – Détermination de cette localisation – Rejets et annulations partiels.

La société requérante demandait l’annulation du rejet implicite par le ministre des finances de sa demande d’abrogation de plusieurs paragraphes des commentaires administratifs parus au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts en 2020 et 2021.

Ces commentaires ont notamment pour objet d’expliciter des dispositions contenues aux art. 299 et 299 bis du CGI, spécialement ce dernier texte, lesquels créent une taxe sur les services numériques et en organisent le régime juridique en particulier s’agissant de déterminer la notion de « localisation en France » de l’activité taxable ainsi que l’assiette des encaissements taxables.

En premier lieu, sont jugées irrecevables celles des demandes dirigées contre la version des 23 et 30 mars 2020 de ces paragraphes puisqu’une nouvelle version leur a été substituée le 8 avril 2021 rendant ces demandes sans objet. Il convient ici de rappeler qu’il n’en est ainsi que dans le contentieux de la légalité, en revanche, un éventuel recours en responsabilité fondé sur l’existence de préjudices causés du chef et au temps des dispositions remplacées serait recevable et, le cas échéant, fondé.

En deuxième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 170 de ces commentaires en ce qu’il restreint le bénéfice de l'exclusion des services taxables aux seuls jeux proposant des interactions minimes entre les joueurs ou ayant pour principale fonctionnalité le jeu en solitaire, indépendamment du contenu numérique qu'ils proposent, car ce faisant ces commentaires ajoutent à la loi qu’ils ont prétendument pour objet d’expliciter.

En troisième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 80 de ces commentaires en ce qu’il indique que les services proposés par une société à une autre société du même groupe ne peuvent bénéficier de l'exclusion du champ d'application de la taxe lorsque ce service est fourni à l'ensemble des entreprises alors qu’il découle clairement des dispositions du dernier alinéa du 2° du II de l'art. 299 du CGI que sont exclues des services taxables l'ensemble des prestations de services fournies entre entreprises appartenant à un même groupe, sans qu'ait d'incidence à ce égard la circonstance que ces prestations soient rendues dans le cadre d'un service taxable proposé également à des tiers. Comme au cas précédent ces commentaires ajoutent illégalement à la loi.

En quatrième lieu, est rejeté le recours en tant qu’il est dirigé contre le § 30 desdits commentaires administratifs qui se bornent à préciser que les informations figurant dans le compte client d'un utilisateur, notamment celles relatives à son domicile habituel, peuvent, sans être à elles seules suffisantes pour établir avec certitude la présence de cet utilisateur en France, être mobilisées dans le cadre d'un faisceau d'indices pour déterminer sa localisation. Ce faisant, ces commentaires se bornent à mettre en œuvre les dispositions du 2° du II de l'article 299 bis du CGI selon lesquelles la localisation d'un utilisateur est une donnée objective pouvant être appréciée par tout moyen.

En cinquième lieu, le juge procède à une distinction s’agissant de l’appréciation de la légalité du § 140 des commentaires administratifs.

D’une part, il estime que le 4ème alinéa de ce paragraphe ne méconnaît pas la loi qu’il a pour objet d’éclairer, spécialement le 3° du I de l’art. 299 bis précité, dès lors qu’il n’intervient que pour expliciter le régime fiscal applicable lorsqu'un exploitant d'une place de marché impose aux acheteurs d'avoir recours aux offres de transport des biens qu'il propose, en leur facturant des frais de livraison dont le montant varie en fonction de la solution de livraison retenue et, en particulier, en précisant que cette prestation obligatoire de transport ne peut être regardée comme indépendante de l'accès à l'interface numérique elle-même ou de son utilisation. Cette interprétation est, au reste, conforme aux dispositions du I de l’art. 257 ter CGI, à propos des opérations distinctes et indépendantes taxables à la TVA.

D’autre part, les 5ème, 6ème et 7ème alinéas de ce même paragraphe sont jugés entachés d’incompétence en ce que, ajoutant à la loi, celui-ci décide (au lieu d’éclairer) que ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme indépendantes de l'accès ou de l'utilisation de l'interface les prestations dont l'acquisition permet de bénéficier de fonctionnalités additionnelles ou améliorées, ou encore d'avantages commerciaux et qu'en particulier, lorsqu'un exploitant d'une place de marché propose aux vendeurs des services logistiques revêtant un caractère optionnel et en concurrence avec d'autres entreprises, mais qui leur permettent de bénéficier de conditions tarifaires plus avantageuses dans l'utilisation de cette place de marché, ces prestations ne sont pas, sur le plan économique, indépendantes de l'accès à la place de marché ou de son utilisation. Cette opinion est évidemment en contradiction avec les dispositions législatives précitées selon lesquelles la simple existence d'une offre promotionnelle conjointe ne saurait caractériser, à elle seule, l'existence de prestations associées ou indispensables.

Enfin, en dernier lieu, concernant les §§ 110 et 150 des commentaires administratifs,  le juge rejette tout d’abord le recours dirigé contre le dernier alinéa du § 110 et les deux premiers alinéas du § 150 en tant qu’ils se bornent à énoncer que lorsqu'une offre commerciale propose à un prix forfaitaire une prestation indissociable comportant une composante taxable et une composante non taxable même si celle-ci revêt un caractère accessoire les dispositions du 3° du I de l'article 299 bis ne font pas obstacle à ce que l'ensemble des sommes versées soit intégrée à la base de calcul de l'assiette de la taxe.

En revanche, le troisième alinéa du paragraphe 150 est jugé entaché d’incompétence car en énonçant que lorsque l'exploitant d'une place de marche commercialise, pour un prix forfaitaire, une offre donnant, pendant une période déterminée, accès à un service de fourniture de contenus numériques ainsi qu'un accès privilégié à la place de marché, cette offre ne peut être artificiellement décomposée, il ajoute aux dispositions de l’art. 257 ter du CGI selon lesquelles l'existence d'une offre commerciale conjointe ne saurait faire obstacle, à elle seule, à ce que les prestations qu'elle rassemble puissent être considérées comme indépendantes.

Le Conseil d’État enjoint au ministre des finances de procéder sous deux mois à l’abrogation de ceux des commentaires administratifs qui sont annulés par la présente décision.

(31 mars 2022, Société par actions simplifiée unipersonnelle Amazon Online France, n° 461058)

 

72 - Redevance d’archéologie préventive (art. L. 524-2 c. du patrimoine) – Note de la direction générale d’un ministère relative à l’impact d’une jurisprudence sur la taxe d’aménagement (art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.) – Rejet d’une QPC – Rejet de la requête.

La requérante demandait l’annulation de « précisions » contenues dans une note d’une direction générale du ministère du logement et de l'habitat durable et relatives, d’une part, à la taxe d'aménagement, et, d’autre part, à la redevance d'archéologie préventive. En même temps elle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la contrariété, aux droits et libertés constitutionnellement garantis, de la jurisprudence du Conseil d’État interprétant les art. L. 331-6 et L. 331-10 c. urb.

Le juge refuse de transmettre la QPC et rejette la requête au fond.

L’art. L. 524-2 du code du patrimoine institue une redevance dite d’archéologie préventive calculée dans les conditions prévues aux art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.

Ces derniers distinguent parmi les opérations concernées, entre autres, deux situations, celle de la reconstruction et celle de l’agrandissement.

Pour le Conseil d’État est une reconstruction « une opération comportant la construction de nouveaux bâtiments à la suite de la démolition totale des bâtiments existants » tandis que l’agrandissement est « une opération ayant pour conséquence une augmentation nette de la surface d'un bâtiment préexistant ».

La différence entre ces deux catégories d’opérations est importante en raison des effets qu’y attache la jurisprudence du Conseil d’État. En cas de reconstruction, la taxe d'aménagement est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu d'en déduire la surface supprimée y compris lorsque l'opération consiste en la reconstruction après destruction totale d'une partie divisible de bâtiments existants. Au contraire, en cas d’agrandissement, la taxe d'aménagement est assise sur la surface créée, déduction faite, le cas échéant, de la surface supprimée.

Cette dualité de traitement de ces deux sortes d’opérations retentit donc directement sur la redevance d’archéologie préventive qui est l’objet du litige.

La requérante développe au soutien de la QPC deux arguments principaux. Tout d’abord, les articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb., tels qu'interprétés par la jurisprudence du Conseil d’État, instituent une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi fiscale entre, les redevables de la taxe d'aménagement à raison d'opérations d'agrandissement ceux redevables de cette taxe due à raison d'opérations de reconstruction avec destruction totale des bâtiments existants ou d'une partie divisible d'entre eux. Ensuite, une seconde inconstitutionnalité est relevée en ce que la distinction entre la reconstruction où la taxe est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu de déduire la surface détruite et l’agrandissement où la taxe est calculée sous déduction de la surface détruite porte atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques.

Ces moyens sont rejetés selon un raisonnement bien connu : les règles d’assiette de cette imposition sont définies selon « des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec son objet », il y aurait une différence de nature entre les deux catégories d’opérations. Au reste, selon un mantra bien rodé « la loi (…) s'est bornée à régler de manière différente des situations différentes, cette différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi ».

Exit la QPC, place à l’examen de la requête au fond.

Son rejet coule de source : celles des dispositions de la note dont l’annulation était demandée ne méconnaissent pas, contrairement à ce que soutient la demanderesse, les dispositions des articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb. ni celles des art. L. 331-6 et L. 331-10 de ce code qu'elles commentent ni non plus celles des art. L. 524-2 et L. 524-7 du code du patrimoine qu’elles ont également pour objet de commenter.

Ces rejets successifs fondés sur l’existence de situations, d’objectifs et autres différents justifiant l’adoption de solutions différentes sont agaçants en raison de leur légèreté. Il ne suffit pas de constater qu’une reconstruction est différente d’un agrandissement encore que ce dernier, suppose dans tous les cas, comme la reconstruction, une construction, il faut encore montrer comment et pourquoi la logique de l’institution d’une redevance d’archéologie préventive serait atteinte dans sa substance même comme dans sa finalité en l’absence de ce traitement différencié. Faute quoi, d’une part, toute différence en soi, même minime même artificielle même peccamineuse, suffirait à justifier des inégalités de traitement, d’autre part, l’invocation de l’existence de situations différentes tournerait à la simple figure de style sans consistance et donc impuissante à convaincre dans une matière aussi délicate et conflictuelle que le droit fiscal.

(31 mars 2022, Société civile immobilière Aix Lesseps Tübingen, n° 460168)

 

73 - Fonds communs de placements à risque (FCPR) – Répartition d’actifs entre porteurs de parts – Soumission de la fraction imposable au régime des plus-values à long terme – Condition de délai des apports en capital – Commentaires administratifs ajoutant à la loi – Annulation.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite de rejet par le ministre de l'économie, des finances et de la relance de sa demande tendant à l'abrogation de la dernière phrase du paragraphe n° 120 des commentaires administratifs publiés le 11 mars 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts relatifs au régime fiscal des fonds communs de placement à risque (FPCR).

Elle estimait illégale l’exigence posée par ces commentaires que le bénéfice du régime des plus-values à long terme ne pouvait être accordé à un porteur de parts non souscripteur initial de ces parts qu’à la condition qu’il ait acquis ses parts depuis au moins deux ans à la date de la répartition des parts.

Le Conseil d’État reçoit l’argument car le paragraphe litigieux, en ce disposant, ajoute à la loi qu’il prétend commenter.

En effet, il résulte des dispositions combinées du IX de l’art. L. 214-28 du code monétaire et financier sur la distribution de fractions d’actifs par un FCPR et du 2° du 5 de l’art. 38 du CGI, que lors de la répartition d’actifs entre ses porteurs de parts par un FCPR, que ceux-ci les aient souscrites à l’émission ou qu’ils les aient acquises postérieurement, la fraction imposable de cette répartition est soumise pour sa totalité au régime des plus-values à long terme, à condition que les apports en capital aient été effectués deux ans au moins avant la répartition. 

La requérante est par suite fondée à demander l’annulation de la décision implicite de refus d’abroger ledit paragraphe, le ministre se voyant accorder un délai de deux mois pour procéder à cette abrogation.

 (31 mars 2022, Société Financière Investissement Azur, n° 461406)

 

Droit public de l'économie

 

74 - Acquisition de logements neufs ou en l’état futur d’achèvement - Acquisition bénéficiant d’une réduction d’impôt – Plafonnement des frais et commissions facturés par les professionnels de l'intermédiation commerciale – Légalité – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-1426 du 20 décembre 2019 pris pour l'application du X bis de l'article 199 novovicies du CGI et relatif au plafonnement des frais et commissions des intermédiaires intervenant lors d'une acquisition de logement bénéficiant de la réduction d'impôt prévue à cet article.

A défaut de respecter ce plafonnement, les professionnels encourent une amende administrative.

Tous les moyens invoqués, de forme comme de fond, sont rejetés.

Tout d’abord, l’on sait que lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA) ; toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)). En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

Ensuite, les dispositions litigieuses qui se bornent à faire application du X bis de l'article 199 novovicies CGI, en tant qu’elles plafonnent les frais de commercialisation versés aux intermédiaires pour la vente de logements éligibles à la réduction d'impôt, limitant ainsi la liberté de ces intermédiaires de fixer les tarifs de leurs prestations, entrent bien, contrairement à ce qui était soutenu, dans les prévisions de l’art. 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur car elles constituent une exigence à laquelle l'exercice de l'activité d'intermédiaire commercial en matière immobilière en France est subordonné au sens et pour l’application du § 7 de l’art. 4 de cette directive.

Elles ne comportent aucune discrimination ni à raison de la localisation des intermédiaires ni à raison de leur nationalité.

Elles sont commandées par le souci de moraliser les prix des transactions et d’éviter les montants abusifs des ventes, en violation de l’art. 199 novovicies précité.

Enfin, dans la mesure où le plafonnement ne s’applique qu’aux frais de commercialisation, qu’à l’acquisition de certains types de logement seulement et que dans certaines zones géographiques, ne sont critiquables ni le recours au pouvoir réglementaire pour prendre la disposition querellée, ni le montant du plafond retenu par le décret attaqué, ni la prétendue atteinte au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ou au principe de l’obligation d’édicter des mesures transitoires dans un souci de sécurité juridique.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

 

75 - Locaux professionnels – Centres commerciaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Application d’un coefficient de localisation au terme d’une comparaison entre deux grands centres commerciaux urbains – Absence d’erreur de droit ou d’inexactitude dans la qualification des faits – Rejet.

Une société de location d’espaces dans des centres commerciaux a demandé, et obtenu du juge la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison de locaux situés à Marseille, dans les 15e et 16e arrondissements.

Le ministre soutenait que la magistrate déléguée avait commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l’espèce à raison de la démarche suivie pour aboutir à sa décision.

Celle-ci, appliquant pleinement les dispositions régissant la matière, issues de l'article 34 de la loi de finances rectificative n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, dans la rédaction que lui a donnée la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, a retenu l’existence d’une différence entre les locaux-types d’un centre commercial situé à « La Valentine », dans le 11e arrondissement, et ces mêmes locaux considérés dans le centre commercial objet du litige, dit « Grand Littoral ». Elle a relevé que les locaux situés dans ce dernier subissaient un taux de vacance élevé, que les tarifs au mètre carré appliqués aux locaux-types, dans la cadre de la révision de la valeur locative des locaux professionnels, étaient supérieurs de 25 % pour les boutiques et de près de 70 % pour les moyennes surfaces à ceux appliqués au centre commercial à évaluer. En outre, la société requérante faisait valoir que le centre commercial en litige est situé au cœur d'un quartier d'habitat social au taux de chômage élevé, ce qui n'est pas le cas du centre commercial « La Valentine ». 

Le recours du ministre est ainsi rejeté.

(2 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 451239)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Locaux appartenant à une société fromagère – Locaux mis à disposition d’une autre société fromagère – Absence d’exonération de la taxe – Rejet.

Une société coopérative de fabrication de fromage mettait ses locaux à disposition d’une autre société fromagère et entendait bénéficier de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties instituée par le b du 6° de l'article 1382 du CGI pour les bâtiments affectés à un usage agricole par les sociétés coopératives agricoles. Or, en l’espèce, la société occupante réalisait, pour son compte, une activité de transformation du lait.

L’exonération a été à bon droit refusée car cette disposition n’est pas applicable à une société coopérative agricole qui loue ou met à la disposition d'une personne tierce des bâtiments, quand bien même les opérations réalisées au sein de ces bâtiments le seraient à partir des seuls produits issus de cultures ou d'élevages des membres de la société coopérative agricole.

En d’autres termes, l’exonération ne joue que dans le cas où une société coopérative agricole occupe ses bâtiments pour y exercer sa propre activité agricole.

(10 mars 2022, Société coopérative « Les Fruitières de Savoie », n° 438828)

(77) V. aussi, assez voisin : 10 mars 2022, Société coopérative agricole (SCA) Cave de l'Ormarine, n° 449226.

 

78 - Contribution au service public de l’électricité (CSPE) – Demande de remboursement (art. L. 121-22 c. de l’énergie) – Conditions – Exclusion du bénéfice du remboursement en l’absence d’engagement du fournisseur d’énergie sur l’origine et le mode de production de l’énergie facturée – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du refus implicite opposé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à sa demande de remboursement partiel de la CSPE qu’elle a acquittée au titre de l’énergie acquise par elle pour les besoins d’un site qu’elle exploite.

Le recours est rejeté au prix d’une lecture très étroite des dispositions de l’art. L. 121-22 du code de l’énergie  selon lesquelles, notamment : « Les consommateurs finals d'électricité acquérant de l'électricité produite à partir d'une source d'énergie renouvelable (...) dans un État membre de l'Union européenne peuvent demander le remboursement d'une part de la contribution acquittée en application de l'article L. 121-10 pour cette électricité lorsqu'ils en garantissent l'origine (...) ». Le Conseil d’État considère qu’en l’absence de cette garantie d’origine, le remboursement ne saurait avoir lieu même si, comme dans le cas de l’espèce, le consommateur final – et alors que l’électricité est un bien fongible – démontre qu'il a acquis et utilisé des garanties d'origine attestant de la production d'électricité à partir de sources renouvelables dans un autre État membre de l'Union européenne (situées en Finlande, en Slovénie et en Suède) pour des quantités équivalentes.

Il n’est pas certain que la CJUE reprendrait à son compte une interprétation aussi restrictive des termes et exigences de l’art. 15 de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

(2 mars 2022, Société Bellevue Distribution, n° 443883)

 

79 - Organisation de producteurs (règlement communautaire du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles) – Organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Reconnaissance d’une SICA (société d’intérêt collectif agricole) en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Illégalité pour violation du droit de l’Union – Rejets partiels et renvois préjudiciels.

La requérante demande l’annulation de l'arrêté du 20 décembre 2019 portant reconnaissance de la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière. Elle invoque à cet effet divers moyens de légalité interne (ceux de légalité externe, sans grand intérêt, n’étant pas étudiés ici), tous organisés autour de l’idée que cette reconnaissance ne respecte pas le droit de l’Union tel qu’il ressort notamment des art. 152, 153 et 154 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

Le Conseil d’État rejette tout d’abord le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions du c) du 1 de l'article 154 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013.

D’une part, la SICA des betteraviers d'Etrépagny a conclu avec la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) une convention d'externalisation d'activités par laquelle la CGB s'engage à mettre à disposition de la SICA « au minimum un (emploi) demi-équivalent temps plein », respectant ainsi les exigences minimales posées par l'article D. 551-55 du code rural et de la pêche maritime. D’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'externalisation prévue se ferait dans des conditions ne permettant pas à l'organisation de producteurs de conserver le contrôle de l'activité externalisée et que le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la SICA disposait de moyens suffisants pour exécuter correctement ses activités.

Il rejette également le moyen tiré de ce que, à supposer même que les conditions de reconnaissance d'une organisation de producteurs soient satisfaites en l’espèce, l'arrêté de reconnaissance attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions prohibant les pratiques anti-concurrentielles figurant aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.

La requérante invoquait au soutien de ce moyen deux motifs.

1°/ la présence au sein de la SICA de membres non producteurs tels que la CGB Eure, la CGB Ile-de-France et la société Naples Investissement créerait un risque d'entente et d'échange illicite d'informations au-delà du périmètre de l'organisation de producteurs.

2°/ la seule exemption à la règle prévue par les statuts de la SICA imposant à des adhérents de lui apporter la totalité de leur production n’est prévue qu’en faveur des volumes déjà engagés auprès d'une coopérative sucrière, cette règle conduisant ainsi à favoriser ces coopératives, au détriment de sociétés telles que la requérante elle-même. 

Enfin, le Conseil d’État renvoie à la CJUE trois questions préjudicielles :

- La règle énoncée par le b) du 1 de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, selon laquelle les statuts d'une organisation de producteurs exigent de ses membres de « n'être membres que d'une seule organisation de producteurs pour un produit donné de l'exploitation », doit-elle être interprétée comme valant uniquement pour les membres producteurs ?

Pour s'assurer du respect du principe prévu par le c) du 2 de l'article 153 du règlement (UE) n°1308/2013, selon lequel les producteurs membres d'une organisation de producteurs doivent contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière : 

- y a-t-il lieu, pour apprécier l'indépendance des membres de l'organisation, de tenir compte exclusivement de la détention de leur capital par une même personne physique ou morale, ou également d'autres liens tels que, pour des membres non-producteurs, l'affiliation à une même confédération syndicale, ou, pour des membres producteurs, l'exercice de responsabilités de direction au sein d'une telle confédération ?
- suffit-il, pour conclure à la réalité du contrôle exercé sur l'organisation par ses membres producteurs, que ces derniers disposent de la majorité des voix, ou convient-il d'examiner si, compte tenu de la répartition des voix entre membres réellement indépendants, la part de voix d'un ou plusieurs membres non-producteurs les met en mesure, même sans majorité, de contrôler les décisions prises par l'organisation ? 

(10 mars 2022, Société Saint-Louis Sucre, n° 439178)

 

80 - Droit public de l’agriculture - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires – Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

V. n° 5

 

Droit social et action sociale

 

81 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Accord collectif relatif à un PSE - Signature par une personne n’ayant pas reçu mandat à cet effet – Défaut de conclusion régulière de l’accord - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge qu’a été irrégulièrement signé un accord collectif relatif à un plan de sauvegarde de l’emploi dès lors que, du côté de l’employeur, est intervenue à l’acte la directrice générale adjointe en charge des ressources humaines et de l'éthique et que cette dernière ne disposait pas d'un mandat exprès donné par les entreprises de l'unité économique et sociale (UES) Pierre Fabre pour signer un tel accord.

Est donc exigée praeter legem (cf. les termes de l’art. L. 2231-1 c. trav.) l’existence d’un mandat exprès préalable des entreprises membres de l'UES.

Ce défaut de mandat peut ainsi être soulevé devant le juge de l’excès de pouvoir saisi d’un recours dirigé contre la décision administrative validant le PSE.

(2 mars 2022, Ministre du travail, n° 438136 ; Société Pierre Fabre Santé Information, n° 438200)

 

82 - Salarié protégé – Autorisation administrative de licenciement – Étendue du contrôle exercé par l’inspecteur du travail – Prise en compte du contrat de travail et des conventions collectives lui étant applicables – Obligation de recherche sérieuse de reclassement – Absence de contrôle sur le reclassement externe – Rejet.

En l’espèce, la société exerçant la fonction de mandataire liquidateur d’une autre société avait sollicité et obtenu de l’inspection du travail l’autorisation administrative de licencier trois salariés protégés en leur qualité de représentants du personnel.

Leur recours contre ces décisions administratives ayant été rejeté en première instance comme en appel, ils se pourvoient.

L’essentiel du litige se concentrait sur l’étendue des obligations s’imposant à l’inspection du travail lors de son contrôle du licenciement de salariés protégés.

C’est sur ce point que l’arrêt apporte d’intéressantes précisions.

Le Conseil d’État rappelle que l’objectif de ce contrôle est de s’assurer que le licenciement n’est pas motivé par les fonctions de représentation des salariés et de défense de leurs intérêts exercées par les personnes licenciées. C’est pourquoi l’autorisation administrative de licenciement est un préalable obligatoire à tout licenciement d’un salarié protégé.

Pour cette raison, il incombe tout d’abord à l’inspection du travail de s’assurer de la régularité du fond et de la forme du licenciement en se fondant, d’une part sur le contrat de travail lui-même et d’autre part, sur les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié.

Il incombe également à l’autorité administrative de vérifier le sérieux qui a présidé à l’obligation de reclassement en s’appuyant à la fois sur les exigences légales en la matière et, le cas échéant, sur celles de nature conventionnelle (contrat de travail et conventions collectives). Cette exigence comporte à titre principal l’effective recherche par l’employeur des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

En revanche, le juge fixe une limite importante aux obligations mises à la charge de l’administration du travail : il n’appartient pas à cette dernière de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe. 

(2 mars 2022, Mme J., n° 442578 ; M. S., n° 442579 ; M. C., n° 442582, jonction)

 

83 - Médecine du travail – Régime propre aux industries électriques et gazières – Pouvoirs dévolus aux médecin-conseils desdites industries – Défaut d’urgence – Rejet de la demande de référé suspension.

Un arrêté ministériel du 27 décembre 2021, modificatif d’un arrêté du 13 septembre 2011, dispose que lorsqu'un médecin-conseil du régime spécial des industries électriques et gazières considère qu'un arrêt de travail n'est pas fondé, il en informe l'employeur qui notifie à l'agent une décision conforme à cet avis. L'agent peut présenter une contestation d'ordre médical contre la décision de l'employeur devant une commission médicale de recours amiable nationale.

La fédération requérante saisit le juge des référés pour en obtenir la suspension de l’exécution de cet arrêté. Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

La requérante fait valoir, d’une part, que le caractère national de la commission médicale de recours amiable est dissuasif pour les agents concernés, d’autre part et surtout, qu’il est ainsi porté une atteinte grave et immédiate aux droits et intérêts des agents des industries électriques et gazières dans la mesure où le médecin-conseil peut remettre en cause un arrêt de travail délivré par le médecin traitant de l'agent en imposant à ce dernier de reprendre son travail dans les vingt-quatre heures.

Au vu du débat tenu à l’audience, le juge relève en premier lieu que ce mécanisme ne sera mis en place qu’après accord des parties sur le règlement intérieur de la commission médicale de recours amiable, lequel est toujours en concertation entre elles.

Il indique également que l’examen au fond de la requête en annulation assortissant la demande de suspension aura lieu avant l’été 2022. De là se déduit l’absence d’urgence.

(ord. réf. 3 mars 2022, Fédération nationale des syndicats salariés des mines et de l'énergie CGT (FNME-CGT), n° 461592)

 

84 - Réponse à une question préjudicielle - Établissement d’enseignement privé agricole sous contrat d’association – Enseignant délégué du personnel – Condition de rémunération des heures consacrées à cette fonction – Absence de rémunération par l’État – Obligation incombant à l’établissement employeur – Rejet.

La cour de Poitiers a renvoyé au juge administratif des questions préjudicielles sur le régime applicable à un enseignant d’un établissement privé sous contrat exerçant en qualité de délégué du personnel en ce qui concerne l’imputation ou non des heures consacrées à ces fonctions sur sa dotation horaire globale et la charge de leur rémunération.

Les réponses données par le tribunal administratif n’ayant pas satisfait l’association gestionnaire de cet établissement, celle-ci se pourvoit, en vain.

Le Conseil d’État confirme entièrement la réponse des premiers juges donnée sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire.

Tout d’abord, les heures de dotation accordées aux établissements privés sous contrat d'association, donnant lieu à rémunération par l'État des contractuels agents publics, sont réservées à l'accomplissement par ces derniers d'une obligation de service sous forme d'un service d'enseignement exercé dans les conditions prévues par le contrat d'association, mais des heures de décharges d'activité peuvent être déduites des horaires correspondant à cette obligation de service, dans la mesure où elles correspondent soit à des dispositions applicables aux personnels de l'enseignement public, soit à la possibilité de bénéficier d'autorisations d'absence dans les conditions prévues à l'article R. 813-76 du code rural et de la pêche maritime s’agissant des établissements d’enseignement agricole.

Ensuite, il résulte de ce qui précède que les fonctions de délégué du personnel exercées par l’enseignant d’un établissement privé sont distinctes de celles de délégué syndical, or aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit le principe d'une telle décharge s'agissant des personnels de l'enseignement public. Il s’ensuit que c’est à tort que l’École des Établières a décompté la décharge de service accordée à l’intéressé de la dotation horaire globale qui lui a été accordée pour l'exercice de ses mandats de délégation du personnel.

D’où il suit que la charge de la rémunération de ces heures incombe non à l’État mais à l’établissement.

Enfin, l’École des Établières, tiers au contrat public qui lie l’enseignant à l'État, n'a pu modifier unilatéralement un tel contrat. Elle a toutefois influé irrégulièrement sur son exécution.

(10 mars 2022, Association familiale de gestion de l'établissement privé d'enseignement agricole sous contrat d'association Les Etablières, n° 441913)

 

85 - Règlement intérieur d’une entreprise – Interdiction de la consommation d’alcool – Conditions de restriction des droits des salariés – Prévention des risques professionnels – Existence de risques élevés compte tenu des activités exercées – Annulation.

Dans son règlement intérieur, une entreprise de construction d’automobiles interdit aux employés de son établissement de Sandouville, l’introduction, la distribution et la consommation de boissons alcoolisées. Le directeur régional du travail a imposé la modification de la disposition du règlement intérieur comportant cette prohibition.

L’entreprise a demandé l’annulation de cette décision. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté son recours pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État rappelle qu’il faut ici mettre en balance, d’une part le respect des droits et libertés des salariés et d’autre part l’obligation légale imposée à l’employeur de protéger leur santé et leur sécurité.

Pour casser l’arrêt déféré à sa censure, le Conseil d’État procède en deux temps.

Tout d’abord, il rappelle que l’obligation de sécurité s’impose sans qu’il y ait lieu d’établir l’existence antérieure d’accidents ou l’existence particulière d’un risque.

Ensuite, le juge impose à l’employeur de justifier en quoi l’interdiction édictée répond à des réalités ou à des nécessités objectives.

En l’espèce, il est relevé, pour dire légale la disposition litigieuse du règlement intérieur, « qu'à la date de la décision attaquée, l'établissement de Sandouville de la société Renault employait 2 262 salariés, dont 1 500 utilisaient des machines et outils de carrosserie-montage et utilisaient ou manipulaient des produits chimiques dans le cadre d'activités d'emboutissage, de tôlerie, de peinture, de montage et de contrôle de la qualité par la réalisation de tests. (…) 167 étaient employés à la maintenance des équipements industriels et d'exploitation, 189 à la logistique, 140 à l'assistance technique et (…) moins de 10 % des salariés occupaient des fonctions tertiaires. (…) l'ensemble des salariés étaient appelés à se déplacer régulièrement sur l'ensemble du site et à partager les mêmes locaux. Eu égard, dans ces conditions, aux risques de sécurité auxquels étaient exposés l'ensemble des salariés du site à raison des activités qui y étaient exercées et à l'obligation pesant sur l'employeur de mettre en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 du code du travail au titre de son obligation de sécurité sur le fondement des principes généraux de prévention fixés à l'article L. 4121-2 de ce code, l'administration a porté sur les faits une inexacte appréciation en estimant que les dispositions du règlement intérieur de l'établissement interdisant d'y introduire, distribuer ou consommer des boissons alcoolisées n'étaient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. »

La solution doit être pleinement approuvée dans son fondement juridique comme dans son appréhension des faits.

(14 mars 2022, Société Renault, n° 434343)

 

86 - Licenciement d’un salarié sur avis médical d’inaptitude pour danger immédiat – Annulation par l’inspecteur du travail de l’avis et du licenciement – Non-respect prétendu du contradictoire – Rejet.

L’intéressé, ingénieur marketing industriel et « reporting group » à temps partiel, a été licencié par son entreprise à la suite d’un avis médical d'inaptitude pour danger immédiat prononcé par le médecin de travail. Sur recours du salarié l’inspecteur du travail a annulé cet avis et, par suite, le licenciement.

Sur appel de l’entreprise, la décision de double annulation prise par l’inspecteur du travail est annulée.

Le motif retenu est que cette décision est intervenue au terme d'une procédure irrégulière car l’entreprise a été privée de la garantie d'une procédure contradictoire dès lors que l'inspecteur du travail ne l'avait informée ni de la mesure qu'il envisageait de prendre ni des motifs sur lesquels elle reposerait.

Pour annuler cet arrêt à la demande du salarié, le juge de cassation estime que la cour a commis une erreur de droit en jugeant comme elle l’a fait dès lors qu’elle avait elle-même jugé que l’inspecteur avait fait connaître à l’entreprise l'existence du recours formé par le salarié à l'encontre de l'avis du médecin du travail, lui avait communiqué les pièces produites et l'avait invitée à présenter ses observations.

On demeure surpris qu’un texte, fût-il législatif (art. L. 4624-1 c. trav.), puisse reconnaître à un agent public tel un inspecteur du travail, le pouvoir d’annuler une décision médicale même sous le bénéfice d’une motivation et encore qu’il s’agisse d’un avis, dans la mesure où il existe un délit d’exercice illégal de la médecine (cf. art. L. 4161-1 c. santé publ.).

Ce n’est pas l’obligation faite à l’inspecteur ou à l’employeur qui passe outre cet avis médical de motiver sa décision qui est de nature à changer quoi que ce soit à leur incompétence certaine en cette matière. En réalité, le législateur a confondu deux choses : la nature strictement médicale de l’avis et ses effets sociaux ; il a fait basculer la sentence médicale du côté du seul droit du travail, la faisant ainsi tomber sous la puissance souveraine de l’inspecteur du travail. Cette confusion et sa conséquence procèdent d’un parti-pris idéologique.

(15 mars 2022, M. B., n° 442272)

 

Élections et financement de la vie politique

 

87 - Élection présidentielle – Mémento à l’usage des candidats à cette élection établi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Lignes directrices – Absence de motivation – Élection ne ressortissant pas de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision de la CNCCFP adoptant un « mémento à l'usage du candidat à l'élection présidentielle et de son mandataire » au motif qu'il y est indiqué que les prêts ou avances remboursables accordés par des personnes physiques sont prohibés par le troisième alinéa du II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Les deux moyens développés au soutien de cette requête sont rejetés.

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ce mémorandum ne constitue pas une décision mais des lignes directrices lesquelles ne sont pas soumises à une obligation de motivation.

En second lieu, ne sauraient non plus être invoquées, car inopérantes ici, les dispositions de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH, celles-ci ne concernant que des élections en vue du « choix du corps législatif » ce que, d’évidence, n’est pas l’élection présidentielle.

(9 mars 2022, M. A., n° 460212)

 

88 - Élection présidentielle – Limitation du droit de recours des électeurs contre cette élection – Commentaires du Conseil constitutionnel – Décret du 22 décembre 2016 – Rejet.

Dans la présente affaire étaient demandées :

1° l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président de la république sur la demande du requérant tendant à l'abrogation des termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 dans sa version issue du décret n° 2016-1819 du 22 décembre 2016 ;

2° l’annulation des commentaires mis en ligne sur le site Internet du Conseil constitutionnel intitulés « Qui peut exercer un recours contre les opérations électorales ? » en tant qu'ils font état d'une limitation du droit au recours des électeurs aux seules opérations de vote le jour de l'élection présidentielle ;

3° l’injonction au président de la république d'abroger les termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret précité du 8 mars 2001.

A l’énoncé de ces demandes on ne sera guère surpris de leur rejet par le juge administratif.

Ce dernier relève que la disposition du décret litigieux selon laquelle « tout électeur a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant porter au procès-verbal mention de sa réclamation » n’a bien évidemment ni pour objet ni pour effet d’empêcher le Conseil constitutionnel d’exercer en cette matière électorale les compétences qui lui sont dévolues tant par l’art. 58 de la Constitution que par les dispositions organiques de l’ordonnance du 7 novembre 1958 (art. 46, 48, 49 et 50) et par celles du III de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Par suite, ne saurait être sérieusement soutenue la méconnaissance par les dispositions critiquées des normes et principes invoqués par le requérant.

(25 mars 2022, M. B., n° 461992)

 

Environnement

 

89 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

V. n° 117

 

90 - Déchets – Déchets se trouvant sur une installation classée pour la protection de l’environnement - Police spéciale des déchets appartenant au préfet (art. L. 541-1 et s. c. env.) – Étendue des pouvoirs du préfet – Rejet.

Les sociétés demanderesses ont été mises en demeure, sous astreinte, par arrêtés préfectoraux, d’évacuer ou de stocker sur place dans les conditions qu’ils fixent, des déchets irrégulièrement déversés par elles sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement. Elles se pourvoient en cassation contre l’arrêt confirmatif de rejet de leurs demandes.

Le pourvoi est rejeté en ses trois branches.

En premier lieu, alors même que ces déchets se trouvaient sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement, les mesures et mises en demeure prises par le préfet relèvent non de la police des installations classées mais d’une autre police spéciale, la police des déchets. Il était donc bien compétent pour prendre les décisions attaquées.

En deuxième lieu, se posait la question de la charge des obligations et donc, corrélativement, des manquements à celles-ci dans la mesure où ces déchets étaient apportés par les deux sociétés requérantes sur un terrain où ils ont été mélangés à d’autres et à de la terre et alors qu’il y avait sur place un détenteur du site à qui incombait la responsabilité des déchets. Appliquant les dispositions très claires des deuxième et troisième alinéas de l’art. L. 541-2 c. env. (selon lesquels :

« Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.

Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge »), le juge retient que les requérantes ne pouvaient être exonérées de leurs obligations, notamment en s'assurant que la société KLV Terrassement, exploitante d’une installation de déchets inertes, était autorisée à prendre en charge leurs déchets, dont ceux non inertes, et qu’elles devaient supporter les conséquences des manquements constatés aux prescriptions du code de l'environnement.

Enfin, était contestée la solution alternative proposée par le préfet aux contrevenantes : gestion collective des déchets sur le site de l’installation classée ou bien évacuation et gestion par les deux sociétés des déchets non inertes à due proportion de ceux qu'elles avaient chacune apporté sur le site. Le juge de cassation confirme les juges du fond qui ont estimé cette alternative non illégale puisqu’il incombe au préfet de prendre « toute mesure appropriée ».

(7 mars 2022, Société Est Environnement et société Arches Démolition, n° 438611)

 

91 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

La société requérante, exploitante depuis 1996 d’une installation classée pour activité de « transit, de regroupement, tri ou préparation en vue de la réutilisation de déchets non dangereux », outre un arrêté de suppression de cette installation, a fait l’objet, sur le fondement de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, de deux titres exécutoires d’un montant total de 1,5 million d’euros qu’elle a contestés par un recours en annulation et par un référé en suspension de leur exécution.

La requête en référé a été rejetée en première instance par le double motif qu’elle était manifestement sans objet et que la situation d’urgence invoquée par la demanderesse lui était imputable.

L’ordonnance de rejet est cassée en ses deux motifs.

En premier lieu, le juge des référés a commis une première erreur de droit en se fondant, pour estimer que la requête était sans objet, sur l'effet automatiquement suspensif de l'opposition à un titre exécutoire énoncée à l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, alors que, précisément, l'opposition à l'état exécutoire faisant suite à une mesure de consignation ordonnée par l'autorité administrative en application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement n'a pas de caractère suspensif. 

En second lieu, le juge a commis une seconde erreur de droit en jugeant que la condition d’urgence n’était pas remplie en l’espèce car cette situation d’urgence était liée à la propre imprudence de la requérante car son activité portait une atteinte réitérée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Or il incombait à la juridiction des référés de vérifier, ce qu’elle n’a pas fait, si l'exécution de l'arrêté en cause, dont la légalité était contestée, portait atteinte de façon suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société demanderesse.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

 

92 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

Les requérants contestaient l’arrêté préfectoral délivrant à une société une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien ; ayant été débouté en première instance et en appel ils forment un pourvoi en cassation qui est également rejeté.

Des divers moyens invoqués, l’un retient plus particulièrement l’attention. Il est tiré de l’existence du règlement départemental de la voirie du Morbihan, relatif à l'implantation d'éoliennes en bordure de la voie publique dont une disposition n’aurait pas été respectée par le préfet lors de la délivrance de l’autorisation unique.

Il convient de rappeler qu’en vertu de l'article 2 de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, applicable à l'autorisation unique contestée, une telle autorisation « tient lieu des permis, autorisation, approbation ou dérogation » prévus par divers textes. Se posait donc une question de hiérarchie des normes entre le règlement départemental de voirie et l’autorisation unique que le juge tranche en faveur de l’autorisation en décidant que ce règlement de voirie n'est pas opposable à cette autorisation dès lors que les dispositions de celui-ci n’appellent « l'intervention d'aucune décision administrative dont l'autorisation unique aurait été susceptible de tenir lieu ».

On peut trouver cette argumentation par trop laconique.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

 

93 - Création d’un parc éolien – Autorisation dérogatoire de détruire ou d’altérer les habitats de reproduction ou de repos de spécimens d’espèces animales protégées – Conditions de dérogation – Absence – Annulation.

Des requérants ont obtenu en appel l’annulation d’un arrêté préfectoral portant autorisation délivrée à la société pétitionnaire de dérogation aux interdictions relatives aux espèces de faune sauvage protégées, dans le cadre de la réalisation de son parc éolien.

La ministre de la transition écologique et la société bénéficiaire de la dérogation se pourvoient. Elles sont déboutées.

Le Conseil d’État rappelle, dans sa formulation habituelle, le régime des conditions d’octroi d’autorisations dérogatoires de projets d’aménagement ou de construction au regard de la protection des espèces animales et végétales :

« (…) un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. »

L’existence de cet intérêt public majeur étant acquise, le juge précise encore que « le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »

Le cumul de ces conditions rend donc très difficile la légalité de ces dérogations.

En l’espèce, le juge de cassation reprend à son compte l’analyse faite par la cour administrative d’appel ainsi que la conséquence qu’elle en a tirée.

Relevant que seraient affectées quatre espèces de reptiles, une espèce d'amphibien, soixante-dix espèces d'oiseaux dont neuf à fort enjeu de conservation et que le bénéfice apporté par l’implantation d’éoliennes serait somme toute assez restreint, le projet est, sans surprise, jugé comme ne répondant pas à une raison impérative d'intérêt public majeur.

D’où s’ensuit le rejet des pourvois.

(10 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 439784 ; Société Parc éolien des Avants-Monts, n° 439786)

 

94 - Autorisation préfectorale d’exploitation d’éoliennes – Sursis à statuer en vue de régularisation – Sursis ordonné sans examen d’un moyen soulevé – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige né de l’autorisation d’exploiter quatre éoliennes et deux postes de transformation dont les requérantes demandaient l’annulation, celles-ci ont, notamment soulevé le moyen tiré de ce que le projet méconnaissait les articles L. 181-13 et L. 511-1 du code de l'environnement en raison de l'atteinte qu'il portait à la préservation de l'avifaune, des paysages et du patrimoine culturel. Sans répondre à ce moyen, la cour administrative d’appel a, sur le fondement de l’art. L. 181-18 de ce code, ordonné le sursis à statuer sur la requête dont elle était saisie dans l'attente de la production, par le préfet, d'une autorisation modificative en vue d'obtenir un avis de l'autorité environnementale permettant de régulariser son arrêté querellé. 

Le Conseil d’État lit l’art. L. 181-18 précité comme imposant au juge administratif, avant de prendre la décision de surseoir à statuer, d’une part, qu’il constate préalablement qu'aucun des autres moyens présentés devant lui n'est fondé et n'est susceptible d'être régularisé et d’autre part, qu’il indique dans sa décision de sursis pour quels motifs ces moyens doivent être écartés. 

Faute d’avoir procédé ainsi, l’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour qui l’a rendu.

(10 mars 2022, Association Chazelle-l'Echo Environnement et autres, n° 448766)

 

95 - Désignation de l’exploitant d’un parc d’éoliennes en mer – Autorisations d’exploiter une installation de production d’électricité en mer – Refus implicites d’abrogation de ces décisions – Rejet.

Les trois recours sont joints car dirigés contre la décision implicite de rejet, par la ministre de l’écologie, de demandes tendant à l'abrogation, d’une part, de décisions du 6 avril 2012 désignant l'exploitant du parc éolien, respectivement, au large de Courseulles-sur-Mer, de Saint-Nazaire et de Fécamp, et d’autre part, des décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter une installation de production d'électricité sur le domaine public maritime au large de chacune des trois communes précitées.

Les recours dirigés contre l’attribution de divers lots à la société Éolien Maritime France sont rejetés car, dit le juge, les statuts des requérantes qui visent à la protection de l’environnement ne leur confèrent pas un intérêt leur donnant qualité pour agir contre le refus d’abrogation des décisions du 6 avril 2012 car celles-ci ont pour seul objet, au terme d’un appel d’offres, de retenir une candidature pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité. Cette désignation est suivie de l'autorisation administrative d'exploiter une installation de production d'électricité, prévue par l'article L. 311-1 du code de l'énergie, délivrée au candidat retenu, laquelle désigne le titulaire de cette autorisation et fixe le mode de production et la capacité autorisée ainsi que le lieu d'implantation de l'installation. 

Sur ce point, les requêtes sont donc irrecevables.

Les recours dirigés contre les décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter trois parcs éoliens offshore sont rejetées car cette autorisation crée des droits pour son bénéficiaire.

Or, contrairement à ce qui est soutenu en l’espèce, d’une part le cahier des charges de l’appel d’offres n’impose pas une condition de stabilité de l’actionnariat composant la société bénéficiaire et, d’autre part, il ne résulte d’aucun élément du dossier ni que le maintien de la participation de la société Dong Energy dans le capital de la société Éolien Maritime France constituerait une condition de l'autorisation délivrée à la société Éolien Maritime France, ni que la modification du capital de la société titulaire était soumise à une autorisation. 

C’est donc à tort que les requérants demandent l’annulation du refus d’abroger les décisions litigieuses.

(21 mars 2022, Association Libre Horizon et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 457678 ; Association pour la protection du site et de l'environnement de Sainte-Marguerite (PROSIMAR) et groupement des résidents pour la sauvegarde environnementale de la Baule (GRSB), n° 451683 ; Association de protection du site des Petites-Dalles et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 451684, jonction)

 

Étrangers

 

97 - Contestation d’une mesure d’éloignement assortie d’un placement en rétention – Régime contentieux (art. L. 512-1, III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, CESEDA) – Contestation d’un arrêté d’expulsion ou d’une autre mesure prise pour l’exécution d’une mesure d’éloignement et/ou de placement en rétention – Régime contentieux distinct du précédent – Inapplicabilité du régime de jugement par ordonnance de l’art. R. 222-1 CJA – Obligation de statuer en formation collégiale – Annulation.

Cette décision illustre parfaitement l’excessive complexité et la quasi-illisibilité d’ensemble du régime contentieux de divers recours susceptibles d’être formés par un ressortissant étranger en fonction des mesures négatives diverses pouvant être prises à son égard.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées du III de l'article L. 512-1 du CESEDA qu’en cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1 de ce code, l'étranger concerné peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. En ce cas le juge saisi statue au plus tard quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours, avec dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Ensuite, cette procédure spéciale est jugée applicable aux recours relatifs à toutes les sortes de décisions qui y sont mentionnées et cela, d’une part, quelle que soit la mesure d'éloignement en vue de l'exécution de laquelle le placement en rétention a été pris, et d’autre part, quand bien même aucun recours n’aurait été formé contre cette dernière mesure.

Enfin, s’agissant des arrêtés d’expulsion comme des mesures en vue de leur exécution, cette procédure spéciale n’est pas applicable, d’où il suit que dans le cas où l’étranger fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, alors même qu’il est maintenu en rétention et que l'arrêté d'expulsion n'a pas été contesté, le recours en annulation dirigé contre une décision fixant le pays de renvoi de l’étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ne peut être examiné que par une formation collégiale du tribunal administratif, sauf utilisation par le juge de la faculté de statuer par voie d’ordonnance conformément aux dispositions de l’art. R. 222-1 du CJA. En outre, ne joue pas ici la dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Comme le moyen tiré de ce qu’il ne pouvait pas être statué – comme en l’espèce – par une formation juridictionnelle irrégulièrement composée, puisque unipersonnelle et non collégiale, est d’ordre public, il peut être relevé d’office par le juge de cassation car il n’implique pas d’appréciation sur les pièces du dossier soumis aux juges du fond.

(22 mars 2022, M. B., n° 446639)

 

98 - Demandeur d’asile – Expulsion de son lieu d’hébergement – Autorité compétente pour la décider – Motifs – Rejet.

Cette décision comporte deux précisions nouvelles sur le régime d’expulsion d’un demandeur d’asile du logement qu’il occupe dans un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile.

Tout d’abord, par déduction des articles L. 552-15 et L. 551-16 du CESEDA combinés avec l’art. L. 521-3 du CJA, le juge estime que le préfet ou le gestionnaire du lieu d'hébergement est compétent pour saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile de toute personne commettant des manquements graves au règlement du lieu d'hébergement, y compris les demandeurs d'asile en attente de la détermination de l'État responsable de l'examen de leur demande d'asile ou de leur transfert effectif vers celui-ci.

Ensuite, pour déterminer l’existence de manquements graves, le juge retient, cette fois non par déduction de textes combinés mais du fait « de l'économie générale et des termes des dispositions précitées » la circonstance pour un demandeur d'asile de se maintenir dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile alors qu'il ne bénéficie plus des conditions matérielles d'accueil et qu'en conséquence, il a été mis fin à son hébergement.

Est donc annulée l’ordonnance qui avait rejeté la demande préfectorale d’expulsion pour absence de manquement grave en l’espèce.

(ord. réf. 22 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 450047)

 

99 - Brexit – Situation des ressortissants britanniques en France au regard du droit au séjour – Régime fixé par le décret du 19 novembre 2020 – Rejet.

Les deux recours joints demandaient notamment l’annulation, assortie d’une injonction, de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur une demande tendant à l'abrogation du décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020.

Ce décret, pris à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, régit l'entrée, le séjour, l'activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni.

Le recours est rejeté en ses trois moyens.

En premier lieu, les requérantes soutenaient que l'accord du 17 octobre 2019 sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom, sur le fondement duquel a été pris le décret attaqué, priverait les ressortissants britanniques de la citoyenneté européenne, et serait ainsi contraire aux principes et obligations communautaires invoqués par elles. Le moyen est rejeté car le décret litigieux se borne à fixer les modalités du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. En réalité, cette perte ce citoyenneté européenne est la conséquence non de cet accord mais de son entrée en vigueur ainsi qu’il résulte nécessairement des dispositions du § 2 de l’art. 50 du traité sur l’Union européenne.

En deuxième lieu, c’est à tort que les requérantes soutiennent que le décret attaqué aurait méconnu les stipulations des articles 15 et 18 de l'accord de retrait en prévoyant la délivrance d'un titre de séjour d'une durée de dix ans alors qu’il résulte de ces stipulations qu'un titre de séjour d'une durée de validité de dix ans portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » est délivré de plein droit aux ressortissants britanniques remplissant les conditions qu'il énumère, et que ce titre de séjour est renouvelé de plein droit sauf si la présence du demandeur constitue une menace pour l'ordre public.

Enfin, en troisième lieu, les demanderesses soutiennent que les dispositions du décret litigieux limitant à dix ans la validité du titre de séjour portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » créent une discrimination entre les ressortissants britanniques titulaires de ce titre et les autres étrangers titulaires des titres ouvrant droit, aux termes de l'article L. 426-4 du CESEDA, à l'obtention d'une carte de résident permanent à durée indéterminée. L’argument, qui peut sembler assez fort, est cependant rejeté motif pris de ce que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité énoncé à l'article 12 de l'accord de retrait ne concerne que les situations relevant du champ d'application de l'accord et le principe identique énoncé à l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi qu'à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne concerne que les situations relevant du champ d'application du traité.

Ces principes ne s’appliquent donc qu’en cas de discriminations entre un ressortissant britannique par rapport à un ressortissant d'un État membre ou entre un ressortissant d'un État membre par rapport au ressortissant d'un autre État membre. Ils ne sauraient être invoqués en cas d’éventuelles différences de traitement entre les ressortissants britanniques et ceux des pays tiers.

(22 mars 2022, Mme A., n° 453326 ; Association EUBritizens, n° 456678, jonction)

 

Fonction publique et agents publics

 

100 - Enseignement supérieur – Maître de conférences – Défaut d’autorisation de cumul d’une activité accessoire avec l’exercice d’une fonction publique – Sanction – Réformation partielle du quantum de la sanction.

Maître de conférences, le requérant avait fait l’objet d’une double sanction de la part de son université (interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans et privation de la moitié de son traitement) pour avoir exercé une activité extérieure sans avoir sollicité auprès de son université l’autorisation requise par les textes.

Condamné par la section disciplinaire de l’université à une interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans avec privation de la moitié de son traitement, il a interjeté appel de cette décision devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire. Celui-ci a prononcé la relaxe de l’intéressé.

Sur pourvoi de l’université, le Conseil d’État a annulé le jugement du CNESER et renvoyé le dossier devant lui. Le CNESER a confirmé la décision de relaxe.

L’université s’étant à nouveau pourvue contre ce jugement, le Conseil d’État devait juger au fond et définitivement.

Il juge tout d’abord que le CNESER a commis une erreur de droit en décidant la relaxe du requérant au motif que l'université ayant signé plusieurs contrats en vertu desquels l’intéressé devait participer à des activités de recherche avec des établissements d'enseignement et des entreprises, elle devait être réputée l’avoir tacitement autorisé à cumuler ses activités d'enseignement auprès de l'école de management Audencia de Nantes et de l'école supérieure de commerce (ESC) de Rennes avec son activité principale de maître de conférences à l'université. Selon le Conseil d’État il n’aurait pu y avoir autorisation tacite de cumul d’activités que si l’agent avait formé une demande écrite et motivée en ce sens. A défaut a bien été commise une faute disciplinaire sans qu’ait d’incidence la circonstance que l'université était informée de la participation de l’agent, d'une part, à un programme de recherche résultant d'une convention conclue entre une société qui n’était qu’une filiale de valorisation créée par cette université et l'école Audencia de Nantes, et d'autre part, à une mission confiée par cette même université à l'école supérieure de commerce de Rennes dans le cadre d'un programme de recherches conduit par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. 

Il juge ensuite excessive la sanction d’interdiction d’exercer durant deux années car, relève-t-il non sans une certaine contradiction, que si l’agent « s'est abstenu de demander l'autorisation de cumuler son activité avec ses activités d'enseignement au sein de l'ESC de Rennes et de l'école Audencia de Nantes, lesquelles se sont déroulées pendant plusieurs années, pour une quotité horaire conséquente, excédant d'ailleurs pour l'une celle d'un emploi à temps plein, et des rémunérations très élevées, alors même qu'il avait par le passé sollicité une autorisation de cumul pour une activité accessoire d'enseignement très ponctuelle. Toutefois, il résulte également de l'instruction que durant la même période, l'université d'Aix-Marseille a bénéficié des liens entretenus par M. I. avec ces deux écoles, qu'elle ne pouvait, par suite, totalement ignorer et qu'elle a ainsi noué plusieurs partenariats avec ces écoles. Dans ces conditions, il y a lieu de réformer la sanction prononcée à l'égard de M. I... par la commission disciplinaire de première instance en ramenant la sanction d'interdiction d'exercer toute fonction de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur à une période d'un an assortie de la privation de la moitié du traitement. »

En somme, pour le juge, la connaissance certaine par l’université – et ce pendant plusieurs années – de l’existence d’une activité menée par un de ses enseignants à l’extérieur de l’université et le fait qu’elle en ait tiré un certain bénéfice, si elle peut avoir un effet sur le quantum de la sanction infligée, ne saurait donner naissance à une autorisation tacite de cumul d’activités, laquelle présuppose une demande écrite expresse de l’agent.

Au reste, cette règle d’autorisation de cumul nous semble plutôt discutable, d’une part, parce qu’elle inverse indûment la charge de la preuve : c’est à l’administration d’établir que, du fait, de l’exercice d’une activité accessoire, il est – éventuellement - porté atteinte à la qualité du service ou à son fonctionnement, et d’autre part, il est bien connu que les autorisations et, surtout, les refus d’autorisation de cumul sont loin de satisfaire toujours – ni même souvent -  aux motifs en vue du respect desquels cette procédure a été instituée.

(2 mars 2022, Université d’Aix-Marseille, n° 432959)

(101) V. aussi, confirmant le bien-fondé de l’annulation par le CNESER de la sanction d‘interdiction, pendant un an, faite à un maître de conférences par le conseil de discipline de son université, d'accéder à une classe, un grade ou un corps supérieur, faute de preuve suffisante en ce sens et en dépit du régime probatoire particulier des faits de harcèlement moral allégués à son encontre : 2 mars 2022, Université de Poitiers, n° 444556.

 

102 - Covid- 19 - Examens et concours d’accès à la fonction publique – Instauration de règles dérogatoires – Obligation de respecter l’égalité entre les candidats – Dérogations devant être strictement nécessaires à raison de l’épidémie – Rejet.

L'ordonnance du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 permet en son article 5, en cas de besoin et par dérogation, l’organisation des examens et concours d’accès à la fonction publique sans la présence physique des candidats ou de tout ou partie des membres du jury ou de l'instance de sélection, lors de toute étape de la procédure de sélection. 

Candidat malheureux à un concours de recrutement en vue de l’accès à la magistrature, le requérant demandait l’annulation de cette disposition.

Le recours est rejeté en tous ses moyens, de forme comme de fond, articulés autour de l’idée générale que l’ordonnance ne pouvait traiter de la même manière les recrutements dans la magistrature et ceux dans la fonction publique « de droit commun ».

Sur la forme, était critiquée, d’une part, l’absence de recours à la loi organique s’agissant du recrutement de magistrats de l’ordre judiciaire et d’autre part l’absence du contreseing du garde des sceaux sur l’ordonnance litigieuse, en qualité de « ministre responsable ». Ces deux moyens ne pouvaient prospérer car la mesure adoptée ne touche point au statut de la magistrature et d’autre part n’entrait point dans les compétences dévolues au garde des sceaux.

Sur le fond, tout d’abord, l’expression « fonction publique » dont use l’ordonnance doit s’entendre, à raison de la généralité de ses termes, comme s’appliquant également à l’accès aux fonctions de magistrat.

Ensuite, contrairement à ce que soutient le requérant, la dispense de présence physique ne viole pas l’égalité entre les candidats car elle ne les expose pas à être traités différemment les uns des autres.

Également, les dispositions critiquées, d’une part, sont motivées par le souci d'assurer la continuité des recrutements et promotions, dans le respect de l'égalité de traitement entre les candidats et, d’autre part, ne peuvent être mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Elles ne sauraient donc de ce fait être arguées d’illégalité.

Enfin, le recours est dirigé contre une ordonnance de l’art. 38 non ratifiée mais pour laquelle est expiré le délai d’habilitation, c’est pourquoi, en vertu d’une jurisprudence – parfaitement incongrue - du Conseil constitutionnel, la critique reposant sur l’atteinte que cette ordonnance porterait à des droits ou libertés constitutionnellement garantis (principe d'égal accès aux emplois publics garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et incompétence négative du législateur affectant de tels droits ou libertés) ne peut être conduite qu’au travers d’une QPC.

Faute qu’ait été respecté cette exigence procédurale, les griefs articulés de ce chef sont irrecevables.

(2 mars 2022, M. F., n° 439830)

 

103 - Covid-19 – Agent hospitalier non vacciné – Suspension de ses fonctions – Doute sérieux sur la légalité de cette mesure – Suspension de celle-ci – Annulation.

Une agent affectée à la cuisine centrale d’un hôpital ayant refusé de satisfaire à l’obligation vaccinale, a été suspendue de ses fonctions et de son traitement jusqu’à ce qu’elle satisfasse à cette obligation légale (cf. art. 12 de la loi du 5 août 2021) et elle a saisi le juge du référé suspension qui, estimant douteuse la légalité de cette décision, l’a suspendue au motif que l’intéressée travaille dans la cantine du CHU de Saint-Etienne dont les locaux sont situés à distance des autres locaux de cet établissement de santé.

Sur pourvoi du CHU, le Conseil d’État annule l’ordonnance en raison de l’erreur de droit sur laquelle elle repose dès lors que l’obligation vaccinale susmentionnée concerne les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, ce qui exclut que puisse être pris en considération pour dispenser de cette obligation légale l'emplacement des locaux en question ou la circonstance que l’agent ait ou non des activités de soins ou encore qu’il soit ou non en contact avec des personnes malades ou des professionnels de santé.

(2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 458237)

(104) V., identique : 2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 459274.

(105) V. aussi, très comparable, concernant un contrôleur principal affecté à la trésorerie hospitalière Nord-Drôme : 2 mars 2022, Ministre des solidarités et de la santé, n° 459589 ; Ministre de l’économie et des finances, n° 459790.

(106) V. également, jugeant que la suspension d’activité et de traitement assortissant l’absence de vaccination d’une infirmière exerçant dans un établissement de santé et actuellement en congé maladie, ne peut être appliquée qu’au retour de celle-ci, à la fin de son congé pour maladie et que c’est donc sans erreur de droit que le premier juge a notamment sursis à l’application de la décision litigieuse jusqu’au retour de l’intéressée : 2 mars 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458353.

 

107 - Directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – Procédure disciplinaire – Procédure contradictoire – Obligation de communication de l’ensemble des pièces sauf celles pouvant porter de graves préjudices aux témoins – Communication incomplète – Illégalité – Annulation.

Nouveau rappel que : « Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. »

Application à l’espèce où le juge des référés avait écarté, pour rejeter la requête en référé suspension, le moyen tiré de ce que la décision attaquée était entachée d'irrégularité du fait que le requérant n'avait pu avoir communication de l'intégralité des pièces de son dossier.

La requête est cependant rejetée faute que le demandeur ait établi l’existence d’une urgence à statuer.

(7 mars 2022, M. B., n° 453339)

 

108 - Magistrature – Candidat à une intégration directe dans le corps judiciaire – Avis défavorable de la commission d’avancement – Étendue et limite de son pouvoir d’appréciation – Incapacité à justifier du motif du refus – Annulation avec injonction de prendre une nouvelle décision sous deux mois.

Le requérant, ancien avocat, a sollicité son intégration directe dans la magistrature. Et cela lui a été refusé suite à un avis défavorable de la commission d’avancement.

On sait qu’en principe – et c’est là un fréquent motif de rejet des recours dirigés contre des refus d’intégration directe – d’une part, il n’existe aucun droit des candidats à se voir accorder une intégration directe, et, d’autre part, la commission d'avancement dispose d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude de candidats à exercer les fonctions de magistrat. Pourtant, ici, la décision de refus opposée par le garde des sceaux est annulée. Le fait est assez rare pour être relevé.

Le Conseil d’État, pour parvenir à ce résultat, utilise une technique classique : quelle que soit l’étendue du pouvoir discrétionnaire d’une personne ou d’un organisme public encore faut-il que sa décision soit compréhensible au regard des éléments de fait de l’espèce. Ce n’était pas le cas ici ainsi qu’on va en juger.

Le candidat, décrit le Conseil d’État, « né en 1967, est titulaire d'une maîtrise et d'un diplôme d'études approfondies de droit public de l'université de Nancy, a passé le certificat d'aptitude à la profession d'avocat en 1996 et exerce depuis 1997 la profession d'avocat, d'abord au sein d'un cabinet spécialisé en procédure civile à Thionville, puis dans un cabinet généraliste à Metz, avant d'exercer pour son propre compte depuis 2006, à Metz, en particulier en droit commercial et en droit de la famille. Sa candidature à l'intégration dans la magistrature a reçu, le 2 avril 2019, un avis « favorable » du procureur général et de la première présidente de la cour d'appel de Metz, sous réserve d'approfondir sa réflexion sur des questions relatives au statut de la magistrature et aux évolutions de l'organisation judiciaire prévues par la loi du 23 mars 2019 de réforme de la justice, ainsi qu'un avis « très favorable » du président du tribunal de grande instance de Metz et du procureur de la République près ce tribunal ainsi qu'une dizaine d'attestations très favorables de magistrats en fonction et d'anciens magistrats ou de fonctionnaires l'ayant connu dans l'exercice de leurs fonctions. »

Or, face à cela, il n’a pas été possible malgré la mesure d'instruction diligentée par la 6ème chambre de la section du contentieux, tendant à la production des motifs qui ont fondé l'avis défavorable de la commission d'avancement sur la demande d'intégration directe puisqu’« aucun élément de nature à justifier cet avis n'a été produit par le garde des sceaux, ministre de la justice ».

Appliquant la solution inaugurée par l’arrêt Barel (Assemblée, 28 mai 1954, RDP 1954 p. 509-538, concl. Maxime Letourneur, note Marcel Waline) et complétée notamment par l’arrêt Jules Vicat-Blanc (21 décembre 1960, D. 1961 p. 421, note René Chapus), le Conseil d’État annule « faute de justification » la décision de refus d’intégration directe. Il ne dit pas que l’intéressé doit être intégré mais seulement que le juge n’a pas été mis en mesure de comprendre pourquoi un refus lui a été opposé.

La commission d’avancement dispose de deux mois pour, après réexamen du dossier de l’intéressé, prendre une nouvelle décision sur sa demande d’intégration directe.

(10 mars 2022, M. A., n° 444812)

 

109 - Instruction ministérielle – Instruction fixant la mesure du temps de travail effectif des agents – Recours à un mode de calcul forfaitaire – Disposition de nature statutaire – Exigence d’un décret en Conseil d’État – Incompétence du ministre – Annulation.

Une instruction ministérielle dite « instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP) », dispose dans sa mise à jour d’octobre 2019 (en son point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er) que, pour les agents couverts par le régime des horaires variables et effectuant une mission hors du service pour une journée ou plus, cette mission est comptabilisée forfaitairement sur la base d'1/5ème de la durée hebdomadaire de travail, ou à hauteur d'un 1/10ème de la durée hebdomadaire lorsque la mission est inférieure ou égale à une demi-journée.

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette disposition ainsi que contre le document édité par la DGFIP et intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité » daté de décembre 2019, en tant qu'il reprend la teneur du point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er de cette instruction concernant le décompte du temps de travail des agents en mission, le Conseil d’État procède à l’annulation directe du premier de ces textes et à l’annulation par voie de conséquence du second.

Il juge, en effet, que ce décompte du temps de travail par adoption d’une méthode forfaitaire, non prévue par le statut, suppose une modification de celui-ci qui relève d’un décret en Conseil d’État, d’où se déduit l’évidente incompétence du ministre pour la décider lui-même par l’instruction contestée.

Sont donc annulés l’instruction querellée et le document intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité ».

(14 mars 2022, M. D., n° 438315)

(110) V. aussi, en présence du même requérant et à propos de cette même instruction ministérielle dans sa version d’août 2019, en tant que le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre 1 de la 2ème partie du titre I de celle-ci prévoit qu'un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité, y compris pour un fonctionnaire qui cesse définitivement son activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris.

Ce texte est jugé illégal car il reprend les dispositions de l’art. 5 du décret du 26 octobre 1984 lequel est contraire au droit de l’Union en matière de conséquences découlant de la fin de la relation de travail tel que ce droit est interprété par la jurisprudence de la CJUE (6 novembre 2018, Stadt Wuppertal, aff. C-569/16 ; Volker Willmeroth, aff. C- 570/16 ; Kreuziger, aff. C-619/16).

La disposition litigieuse est annulée : 14 mars 2022, M. D., n° 441041.

 

111 - Pension de retraite – Nombre de trimestres de cotisation validés – Règle de « l’arrondi » (art. R. 26 c. pensions civiles et militaires de retraite) – Règle applicable au calcul de la durée des services non à celui de la durée d’assurance – Annulation.

L’art. 26 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que, pour la détermination du nombre de trimestres retenus pour le calcul des droits à pension de retraite, lorsque s’est écoulée une durée d’au moins 45 jours, cette période est décomptée comme un trimestre entier.

Toutefois le Conseil d’État précise ici que cette règle d’arrondi ne s’applique qu’à la durée des services accomplis pour laquelle le reliquat de 45 jours au moins vaut trimestre travaillé non à la durée de cotisation pour laquelle 45 jours ne valent qu’un demi-trimestre.

(14 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 449792)

 

112 - Pensions militaires d’invalidité – Prise en compte d’infirmités étrangères au service – Conditions – Effets – Cas d’infirmités multiples – Annulation.

L’art. L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ouvre droit à pension en cas d'aggravation, par le fait ou à l'occasion du service, d'infirmités étrangères au service. Selon l'art. L. 4 du même code : « Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. (…) ».

Pour cela, le même article fixe notamment les règles suivantes :

1° seules ont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 % ;

2° lorsque l'infirmité résulte exclusivement de maladie, elle n’ouvre droit à pension que si le degré d'invalidité qu'elle entraîne atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples ;

3°, enfin, en cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions qui viennent d’être indiquées.

Le requérant, radié des cadres de la marine nationale en 2011, s'est vu reconnaître par un jugement du tribunal des pensions militaires de Marseille, rendu en 2015 et devenu définitif, un droit à pension militaire d'invalidité pour l'infirmité « trouble anxio-dépressif » au taux de 30 % à compter du 8 janvier 2002. Puis, par un jugement du 9 mai 2019, ce tribunal a également reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre des infirmités « syndrome d'apnée du sommeil », « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque » et « édenture ».

Sur appel du ministre des armées, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté les demandes de M. K. : celui-ci se pourvoit en cassation contre cet arrêt seulement en tant qu’il lui a dénié le droit à pension pour l'infirmité « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque ».

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour, pour rejeter la demande de l’intéressé au titre de l’« hypertension artérielle avec retentissement cardiaque », a considéré, au vu de l’expertise qu’elle avait ordonnée, que le taux d'invalidité entraîné par cette affection, étrangère au service mais aggravée par le seul fait du service, était de 15 %, dont 10 % seulement du fait du service. Elle en a donc conclu que, n'atteignant pas le degré d'invalidité de 30 % exigé par les dispositions de l’art. 4 précité, cette affection ne pouvait pas ouvrir droit à pension. 

Elle n’a pu parvenir à cette solution qu’en ne retenant pas l'existence de l'affection de « trouble anxio-dépressif » retenant sans doute qu’une pension d'invalidité avait déjà été allouée à l'intéressé à ce titre.

C’est là précisément que gît l’erreur de droit : la cour devait apprécier, pour déterminer le droit au bénéfice d'une pension au titre de l'aggravation de l'hypertension artérielle, si cette dernière combinée avec le « trouble anxio-dépressif » ne constituait pas une situation d’infirmités multiples au sens et pour l’application de l’art. L. 4 précité.

Statuant au fond par l’effet de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’État, appliquant les règles de calcul énoncées à l’art. L. 9 du code des pensions militaires d’invalidité, juge que le requérant est fondé à demander l'attribution d'une pension au taux de 45 %, taux qui se substitue au taux de 30 %, à compter du 26 novembre 2008, date de réception de sa demande.

(22 mars 2022, M. K., n° 442509)

 

113 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

V. n° 136

 

114 - Suspension d’un conseiller référendaire à la Cour des comptes – Mesure sans caractère disciplinaire – Soupçon de commission de faits d’exhibition sexuelle dans le bureau de l’intéressé – Mesure conservatoire dans l’intérêt du service - Absence d’exigence de soumission de la mesure de suspension à une obligation de motivation comme à une procédure contradictoire – Rejet.

Le requérant soupçonné, avec grande vraisemblance, de s’être rendu coupable du fait d’exhibition sexuelle dans son bureau, a été suspendu de ses fonctions de référendaire à la Cour des comptes par un décret du président de la république pris sur proposition du premier président de la Cour des comptes. Il demande l’annulation de cette mesure de suspension, arguant de divers griefs à l’encontre de sa juridicité, tous rejetés.

La mesure en question, prise sur le fondement des dispositions de l’art. L. 124-10 du code des juridictions financières, contrairement à ce que soutient le requérant, ne constitue pas une mesure disciplinaire, - laquelle aurait nécessité la communication de son dossier à l’intéressé, une motivation de la décision et une procédure contradictoire -, mais une mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service, à la fois s’agissant de son fonctionnement interne et de son image extérieure compte tenu du retentissement  de ces faits et des fonctions exercées par la personne suspendue. Il faut et il suffit pour qu’une telle décision soit prise légalement que soit rapportée l’existence vraisemblable de faits graves, éléments que le Conseil d’État juge réunis en l’espèce.

(21 mars 2022, M. Naïl Bouricha, n° 452722)

 

115 - Fonction publique territoriale – Convention de prestations de services avec une collectivité territoriale – Conclusion postérieure d’un contrat à durée déterminée – Refus d’une intégration sur la base d’un contrat à durée indéterminée – Refus de considérer la collectivité comme l’employeur du requérant – Cassation.

Le requérant a conclu le 13 septembre 1995 avec la commune (devenue collectivité territoriale d'outre-mer) de Saint-Barthélemy une convention de prestations de services consistant en des prestations de conseil et de rédaction juridiques ainsi que de gestion des contentieux. Cette convention, plusieurs fois renouvelée, a été remplacée en octobre 2006 par un contrat à durée déterminée de trois ans (2006-2009), sur le fondement de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, contrat renouvelé une fois (2009-2012), puis par un courrier du 10 juillet 2012, le président de la collectivité de Saint-Barthélemy a informé l’intéressé que le contrat arrivant à échéance le 30 novembre 2012 ne serait pas renouvelé, la collectivité lui reprochant des retards et absences injustifiées ainsi qu'un manque de rigueur dans le suivi des dossiers.

L’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande : 1° d’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la collectivité territoriale sur sa demande du 26 décembre 2016 tendant à sa réintégration sur la base d'un contrat à durée indéterminée, 2° d’injonction au président de cette collectivité de lui proposer un contrat à durée indéterminée et 3° de condamnation à l'indemniser du préjudice subi du fait de son éviction.

Le tribunal a condamné la collectivité à verser à M. A. une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de proposition d'un contrat à durée indéterminée et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A. contre ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande et, sur l'appel incident de la collectivité, a annulé ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi, et a rejeté la demande d'indemnisation de M. A.

Celui-ci se pourvoit et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État, pour se prononcer sur ce litige, se fonde sur les dispositions, d’une part, de l'art.15 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique et, d’autre part, de l’art. 21 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

Le juge interprète ces textes – qui ont pour objet principal la résorption de la précarité dans la fonction publique - comme imposant au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’une demande invoquant ces dispositions, de vérifier si en dépit de l'existence de contrats antérieurs conclus sous la forme de conventions de prestations de services, l'agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès de la même personne publique en qualité d'agent de celle-ci. Et le Conseil d’État énumère quelques-uns des indices permettant cette détermination par la méthode bien connue en plusieurs matières dite du faisceau d’indices.

En l’espèce, il est relevé que « M. A. exerçait de fait, sous l'autorité directe (du) maire de la commune puis président de la collectivité territoriale, les fonctions de responsable du service juridique de la collectivité. Il travaillait avec les moyens de cette collectivité et disposait d'un bureau personnel à l'hôtel de ville. Il a assuré la représentation de cette collectivité au sein de plusieurs commissions administratives et instances consultatives et recevait les convocations à des réunions, commissions et séances du conseil municipal, adressées par le maire. Il a au demeurant continué à exercer les mêmes fonctions dans les mêmes conditions lorsqu'il est devenu agent de la collectivité sous contrat à durée déterminée signé le 17 octobre 2006. Il percevait une rémunération mensuelle forfaitaire en qualité de prestataire et a perçu ensuite une rémunération équivalente lorsqu'il est devenu agent contractuel en 2006, ses frais professionnels ayant toujours été directement pris en charge par la commune. Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, comme l'allègue la collectivité, M. A. aurait eu d'autres clients lorsqu'il travaillait pour le compte de celle-ci sous le statut de prestataire. Par ailleurs, la circonstance que M. A. aurait proposé ou a accepté le recours au statut de prestataire en 1995 est sans incidence, dès lors qu'il convient de qualifier le contrat au regard de la consistance réelle du lien qui a uni les parties tout au long de ces années ».

Fort de cette analyse, le Conseil d’État ne peut guère que constater l’inexacte qualification de ces faits dont la cour administrative d’appel a entaché son arrêt en jugeant que les éléments du dossier « ne permettaient pas de regarder la collectivité de Saint-Barthélemy comme étant en réalité l'employeur de M. A. lorsqu'ils étaient liés par une convention de prestations de services ». 

L’arrêt est cassé avec renvoi.

(30 mars 2022, M. A., n° 440051)

 

116 - Agent non titulaire devenu titulaire – Montant minimum de la rémunération après titularisation – Montant ne pouvant être inférieur à 70% de la rémunération perçue avant titularisation – Incidence sur le reclassement indiciaire – Cas des agents en régime de temps de travail partiel – Rejet.

Dans le souci de garantir une rémunération minimale aux agents titularisés dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État, les textes (I de l'article 7 du décret du 23 décembre 2006 relatif aux règles du classement d'échelon consécutif à la nomination dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État et art. 1er de l'arrêté du 29 juin 2007 fixant le pourcentage et les éléments de rémunération pris en compte pour le maintien partiel de la rémunération de certains agents non titulaires accédant à un corps soumis aux dispositions du décret précité) ont prévu qu'à quotité de travail inchangée, le traitement brut effectivement perçu par un agent postérieurement à sa titularisation ne peut être inférieur à 70 % de la rémunération moyenne mensuelle brute effectivement perçue par l’agent avant cette titularisation, calculée sur la base des six meilleures rémunérations mensuelles perçues au cours de la période de douze mois précédant sa titularisation.

Cette règle impose donc à l’autorité de titularisation de reclasser l’agent à des indices (brut et majoré) tels qu’ils lui assurent une rémunération au moins égale à 70% de sa rémunération antérieure à sa titularisation déterminée comme indiqué ci-dessus.

En l’espèce, une ingénieure de l'agriculture et de l'environnement stagiaire bénéficiait d'un temps de travail partiel de 6/7èmes dans le dernier poste qu'elle occupait avant sa titularisation et a continué après cette titularisation à travailler selon la même quotité de temps. Elle a été reclassée aux indices brut 611 et majoré 513, ce qui ne lui permettait de ne percevoir que 65% de sa rémunération antérieure au lieu des 70% fixés par la réglementation.

Le ministre de l’agriculture employeur s’est pourvu en cassation contre l’arrêt d’appel qui a considéré que, dans le cas particulier des agents travaillant à temps partiel, l’échelon de reclassement devait être déterminé à partir de la rémunération que ces agents auraient dû percevoir s'ils avaient exercé leurs fonctions à plein temps avant titularisation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, l’arrêt étant dépourvu de l’erreur de droit invoquée par le ministre demandeur au pourvoi.

(30 mars 2022, Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 441191)

 

Hiérarchie des normes

 

117 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

V. n° 92

 

118 - Décret du 8 avril 2020 attribuant aux préfets un pouvoir de dérogation – Pouvoir limité à certaines matières et ne concernant que des dispositions non réglementaires – Dérogations justifiées par les circonstances locales, soumises aux normes supérieures et motivées par l’intérêt général – Rejet.

Les diverses organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 attribuant aux préfets de région et de département, ainsi qu’aux représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer, le pouvoir de déroger en certaines matières et pour certains motifs à des « normes arrêtées par l’administration ».

Les moyens de légalité interne (ceux de légalité externe ne devant pas retenir l’attention) sont tous rejetés.

En premier lieu, le juge relève que la formule citée plus haut ne désigne que des actes administratifs non réglementaires, ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, ses destinataires ne peuvent déroger ni aux actes réglementaires ni, a fortiori, aux normes d’un rang supérieur.

En second lieu, ce pouvoir de dérogation : 1° ne peut être exercé qu'afin d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ; 2° ne peut concerner que certaines matières limitativement énumérées ; 3° doit être justifié par un motif d’intérêt général ; 4° doit être motivé par la prise en compte de circonstances locales le justifiant ; 5°, enfin, ne saurait affecter ni les intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni de façon disproportionnée les objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Enfin, la circonstance que le décret attaqué n'énumère pas les normes susceptibles de faire l'objet d'une dérogation, ni ne détaille les motifs d'intérêt général ou les circonstances locales susceptibles de justifier les dérogations accordées sur son fondement n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme ni à le faire considérer comme entaché d'incompétence négative ni, non plus, de porter atteinte au principe de sécurité juridique. Il n’est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation, faute d'encadrer suffisamment le pouvoir de dérogation reconnu aux préfets. 

(21 mars 2022, Les amis de la Terre France, Notre affaire à tous, Wild et Legal et Maïouri Nature Guyane, n° 440871 ; Union fédérale des consommateurs (UFC) - Que choisir, n° 441069, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

119 - Étranger demandeur d’asile – Homonymie – Demande considérée comme une demande de réexamen – Erreur des services – Obligation pour l’intéressé de recommencer ses démarches – Rejet.

L’intéressé s'est présenté en préfecture en novembre 2021 et y a déposé une demande d'asile. En raison d'une homonymie, la préfecture a requalifié sa demande en demande de réexamen d'une précédente demande d'asile et l'a transmise comme telle à l'OFPRA.

L’OFPRA, en janvier 2022, a renvoyé le formulaire de demande de réexamen au demandeur en lui indiquant qu'aucune décision le concernant n'avait été prise sur une précédente demande d'asile, qu'il ne pouvait donc présenter une demande de réexamen et qu'il lui appartenait de faire enregistrer une demande d'asile.

Le requérant faisait valoir qu'il incombait à l'OFPRA de corriger l'erreur commise par les services de la préfecture, d'instruire sa demande et d'en informer le préfet pour qu'il lui délivre une attestation. Le premier juge a rejeté la demande en référé liberté.

Le recours est à nouveau rejeté en appel au motif que l'OFPRA ne peut examiner une demande d'asile qui n'a pas été préalablement enregistrée comme telle en préfecture et qu’il appartient, en conséquence, à l’intéressé, de faire enregistrer une demande d'asile, en complétant un formulaire plus détaillé que celui qu'il avait soumis à l'appui de la demande de réexamen.

C’est pourquoi, il ne saurait être soutenu qu’il aurait été porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile. 

La solution n’est pas très satisfaisante au regard des exigences de bienveillance s’imposant en cas de faute de l’administration.

Ce rejet ne préjuge évidemment pas du droit de l’intéressé à obtenir réparation du préjudice éventuellement causé par ce dysfonctionnement administratif qui ne lui est en rien imputable.

(8 mars 2022, M. B., n° 461453)

 

120 - Liberté d’association – Associations recevant des subventions publiques – Obligation de souscription d’un contrat d’engagement républicain – Atteinte à la liberté d’association – Absence et défaut d’urgence – Rejet.

Onze associations contestaient en référé, et en demandait la suspension d’exécution, le décret du 31 décembre 2021 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et approuvant le contrat d'engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d'un agrément de l'État. Elles estiment que ces dispositions ont un effet dissuasif sur les demandes de subventions créant un risque de disparition rapide compte tenu, d'une part, de l'importance de ces aides pour leur fonctionnement et le financement de leurs activités qui présentent en outre un caractère d'intérêt général et, d'autre part, d'un manque de trésorerie.

Le juge des référés n’aperçoit pas dans ce texte d’atteinte à la liberté d’association, ainsi que l’a d’ailleurs également jugé le Conseil constitutionnel, ni non plus une diminution significative des subventions accordées depuis son entrée en vigueur le 2 janvier 2022.

Faute d’urgence établie le référé suspension est rejeté.

(ord. réf. 4 mars 2022, Ligue des droits de l'Homme et autres, n° 462048)

 

121 - Réfugié – Reconnaissance de plein droit de la qualité de réfugié - Prise en charge par un organe des Nations Unies – Prise en charge d’un palestinien par l’UNRWA – Inapplicabilité en ce cas de la convention de Genève de 1951 (cf. article 1er, section A, paragraphe 2, premier alinéa) – Interprétation d’une disposition du droit de l’Union en cas de cessation de la prise en charge d’un réfugié par un organe des Nations Unies (art. 12, § 1, a), seconde phrase de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 reprise à l’identique à l’ art. 12, § 1, sous a), de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011) – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Dans une délicate affaire de demande de l’attribution de la qualité de réfugié à un Palestinien ne relevant pas ou plus de la protection de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la Cour nationale du droit d’asile a estimé que cette personne devait se voir reconnaître de plein droit la qualité de réfugié en France. L’OFPRA, par un pourvoi en cassation, demande l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’État décide, la réponse étant indispensable à la solution du litige, de renvoyer les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Luxembourg :

« 1° Indépendamment des dispositions du droit national autorisant, sous certaines conditions, le séjour d'un étranger en raison de son état de santé et le protégeant, le cas échéant, d'une mesure d'éloignement, les dispositions de l'article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE doivent-elles être interprétées en ce sens qu'un réfugié palestinien malade qui, après avoir eu effectivement recours à la protection ou à l'assistance de l'UNRWA, quitte l'État ou le territoire situé dans la zone d'intervention de cet organisme dans lequel il avait sa résidence habituelle au motif qu'il ne peut y avoir un accès suffisant aux soins et traitements que son état de santé nécessite et que ce défaut de prise en charge entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique, peut être regardé comme se trouvant dans un état personnel d'insécurité grave et dans une situation où l'UNRWA est dans l'impossibilité de lui assurer des conditions de vie conformes à la mission lui incombant ?

2° Dans l'affirmative, quels critères - tenant par exemple à la gravité de la maladie ou à la nature des soins nécessaires - permettent d'identifier une telle situation ? »

(22 mars 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) c/ Cour nationale du droit d’asile, n° 449551)

 

122 - Perte du statut de réfugié – Absence d’effet sur la qualité de réfugié – Mesure d’éloignement à l’encontre d’un réfugié – Existence d’une présomption en faveur de ce dernier – Obligation d’un examen particulièrement approfondi et exigeant de la situation personnelle de l’intéressé – Annulation.

Le statut de réfugié est particulièrement protecteur en raison des motifs d’octroi de ce régime juridique. C’est pourquoi, même lorsque le bénéfice de ce statut est supprimé, dans les conditions et pour les raisons figurant à l’art. L. 711-6 du CESEDA et sous les limites prévues par l'article 33 § 1 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par l'article 14 § 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011, l’intéressé conserve néanmoins la qualité de réfugié.

Par suite, lorsque l’administration décide de prononcer à l’encontre de celui-ci une mesure d’éloignement, deux exigences s’imposent.

D’une part, il appartient à l’intéressé qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la CEDH ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

D’autre part, il incombe à l’administration ainsi qu’au juge administratif éventuellement saisi, en raison même de la qualité de réfugié de l’intéressé, « élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités (…) », de vérifier « au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, (…) l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination ». 

En l’espèce, est jugé entaché d’erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel qui, pour rejeter la contestation par l’intéressé de la mesure d’éloignement le visant, se borne à relever qu’il ne faisait état, tant en première instance qu'en appel, d'aucun élément de nature à établir la réalité et l'actualité des risques encourus, alors qu’elle devait s’assurer que « l'administration avait procédé, à la date de la décision d'éloignement en litige, à un examen approfondi de sa situation, prenant particulièrement en compte cette qualité (de réfugié), au regard de l'existence de risques de traitement prohibé par ces stipulations à son retour en Russie ». 

(28 mars 2022, M. M., n° 450618)

 

123 - Extradition – Appréciation de la gravité de l’infraction justifiant la remise d’une personne aux autorités d’un État – Prise en compte de circonstances aggravantes prévues en droit français non dans celui de l’État requérant l’extradition – Conditions de légalité – Rejet.

Dans une décision très importante – assez défavorable aux personnes dont l’extradition est demandée -, le Conseil d’État reconnaît au premier ministre le pouvoir de retenir, pour des faits de vol sous la menace d’une arme, une qualification criminelle permettant l’extradition de son auteur alors même, d’une part, que les autorités requérantes (Arménie) n'ont pas retenu cette circonstance aggravante, mais celle, distincte, inexistante en droit français, de « vol à grande échelle ». et, d’autre part, que la circonstance que les faits incriminés ont été commis sous la menace d'une arme, n'est mentionnée ni dans la qualification pénale retenue par l'État requérant, ni dans la demande d'extradition elle-même, car cette circonstance ressort de l'exposé des faits figurant dans le mandat d'arrêt pour l'exécution duquel l'extradition est demandée, conformément aux stipulations du 2. de l’art. 12 de convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, exposé qui est joint à cette demande.

On savait le Conseil d’État peu enclin au formalisme : il est ici montré que ce n’est rien de le dire.

(22 mars 2022, M. A., n° 456003)

 

Police

 

124 - Permis de conduire – Constatation de son invalidité – Irrégularités – Rejet.

C’est sans dénaturation des pièces du dossier et au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’un tribunal administratif annule une décision « 48 SI » constatant l’invalidité d’un permis de conduire pour solde de points nul en retenant deux éléments.

Premièrement, le recours de l’intéressé contre cette décision n’est pas tardif car, comme relevé par le tribunal, celle-ci a été envoyée et reçue, le 10 août 2015, à une adresse située dans une commune qui n'était plus celle de l'intéressé et aucune pièce du dossier n'établissait la date à laquelle celui-ci en avait eu connaissance.

Secondement, la signature figurant sur l'avis de réception du pli distribué le 10 août 2015 n'était pas, selon l'intéressé, la sienne d’où il suit que c’est sans erreur, en l’absence de preuve contraire, que le tribunal a jugé que ce dernier n'avait pas réceptionné le pli.

On demeure cependant surpris que le Conseil d’État indique qu’« aucun principe général, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au titulaire d'un permis de conduire de déclarer sa nouvelle adresse à l'administration en cas de changement d'adresse ». En effet, il est obligatoire de porter sur la carte grise du véhicule la nouvelle adresse dans le mois qui suit le changement d’adresse ou de résidence (cf. art. R. 322-7 du code de la route).

(23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 453357)

 

125 - Habilitation d’un intermédiaire à demander le certificat d’immatriculation d’un véhicule à moteur – Retrait – Sanction disproportionnée – Dénaturation des pièces du dossier – Application, en référé, de l’art. L. 821-2 CJA – Annulation et rejet.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution de la décision du 17 mai 2021 par laquelle la préfète du Val-de-Marne a retiré l'habilitation l'autorisant à intervenir sur le système d'immatriculation des véhicules. Le juge des référés du tribunal administratif ayant accueilli favorablement sa demande, le ministre de l’intérieur se pourvoit.

Pour retirer l’habilitation dont bénéficiait la requérante, l’administration s’est fondée sur une sélection des dossiers d'immatriculation traités par l'organisme habilité. Or pour juger disproportionnée la mesure de retrait, le juge des référés a retenu que les manquements relevés par l'administration portaient toutefois sur une très faible proportion des dossiers traités par la société groupe PHD. De la sorte, ce nombre de manquements n’a aucun caractère exhaustif n’étant obtenu que sur la base d’un petit nombre de recensions

C’est pourquoi le Conseil d’État estime que, ce jugeant, les pièces du dossier ont été dénaturées puisqu’il tombe sous le sens que la proportion des manquements relevés par rapport au nombre total de dossiers traités par cet organisme n'était pas de nature à caractériser l'ampleur de ces manquements.

Utilisant, ce qui est assez rare en matière de référé, la faculté qui lui est ouverte de statuer au fond sans renvoyer (art. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État rejette la demande de suspension, aucun des deux moyens invoqués (décision reposant sur des faits matériellement inexacts et présentant un caractère disproportionné), n’étant de nature à créer un doute sérieux quant la légalité de la décision de retrait contestée.

(ord. réf. 23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 455021

 

Professions réglementées

 

126 - Médecin – Juridiction ordinale statuant en matière disciplinaire – Appelant réputé s’être désisté d’office (art. R. 611-8-1 CJA) – Dans les circonstances de l’espèce, usage abusif de son pouvoir par la juridiction – Annulation.

L’art. R. 811-6-1 du code de justice administrative permet au président de la formation de jugement en appel de demander à une partie de reprendre dans un mémoire récapitulatif les conclusions et moyens présentés en première instance qu'elle entend maintenir ; celui-ci peut en outre fixer un délai, qui ne peut être inférieur à un mois, à l'issue duquel, à défaut d'avoir produit le mémoire récapitulatif, la partie est réputée s'être désistée de sa requête ou de ses conclusions incidentes. 

En l’espèce, l’appelant, médecin sanctionné en première instance d’une peine d’interdiction d’exercer d’une durée d’une année dont six mois avec sursis, avait été réputé s’être désisté d’office, son mémoire récapitulatif étant parvenu à la juridiction le lendemain de l’expiration du délai qui lui avait été imparti pour le produire.

« Dans les circonstances particulières de l’espèce », le juge de cassation considère abusif l’usage fait des dispositions précitées et il doit être approuvé. En effet, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins était saisie depuis le 22 avril 2014 de l'appel formé par le requérant et celui-ci avait produit entre 2015 et 2019 cinq mémoires, en réponse tant aux mémoires du défendeur que des mesures d'instruction diligentées par la juridiction qui a mené une instruction pendant près de 7 ans.

La solution retenue doit, dans ces conditions concrètes de déroulement de l’instance, être approuvée.

(2 mars 2022, M. K., n° 453800)

 

127 - Orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes – Absence de compétence exclusive pour délivrer des orthèses de série – Remboursement par l’assurance maladie subordonné à la délivrance de ces éléments par les professionnels habilités – Annulation partielle et injonction.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la décision implicite du ministre de la santé rejetant sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 2015 relatif à la délivrance des orthèses de série par les orthoprothésistes, les podo-orthésistes et les orthopédistes-orthésistes ainsi que l’annulation de la décision par laquelle le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) a rejeté sa demande d'abrogation du « moratoire » en vertu duquel les caisses d'assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels ne remplissant pas les conditions légales auxquelles cette délivrance est subordonnée, ainsi que ce « moratoire ».

Le Conseil d’État rejette le premier chef de demande car il ne résulte d’aucun texte ou principe que les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes disposeraient d'une compétence exclusive pour la délivrance des orthèses de série.

Il accueille favorablement le second chef de demande car les orthèses de série, doivent, pour être prises en charge par l'assurance maladie, être délivrées dans le respect des dispositions de la liste des produits et prestations mentionnée à l'article R. 165-1 du code de la sécurité sociale, qui subordonnent leur remboursement à leur délivrance par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités. Or il est constant que les caisses d’assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer, en particulier par des prestataires de services et distributeurs de matériels mentionnés à l'article L. 5232-3 du code de la santé publique ne disposant pas de personnel habilité à le faire. Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie a édicté une décision illégale en rejetant la demande du syndicat requérant tendant à ce qu'il prenne toutes mesures ou décisions de nature à faire cesser de telles pratiques. C’est pourquoi, outre l’annulation est prononcée une injonction à son endroit de prendre toute mesure ou décision de nature à faire cesser, dans un délai de quatre mois à compter de la décision, les remboursements des prothèses délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer.

(14 mars 2022, Syndicat national de l'orthopédie française (SNOF), n° 446506 et n° 466510)

 

128 - Chirurgien-dentiste – Praticien ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire en première instance – Appel interjeté seulement sur le quantum de la sanction et par le médecin-conseil demandeur – Office du juge d’appel – Annulation avec renvoi.

Un chirurgien-dentiste est condamné en première instance par la chambre disciplinaire régionale de son ordre d’une interdiction d’exercer sa profession pendant deux mois assortis d’un sursis d’un mois.

Le médecin-conseil qui avait saisi la juridiction ordinale de la plainte ayant conduit à cette sanction interjette seul appel et pour insuffisance du quantum de la peine.

En appel, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a tout d’abord estimé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur les faits reprochés au praticien car celui-ci n'avait pas fait appel, cet appel n’ayant été formé que par le médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du service médical d'Île-de-France, lequel ne contestait que l’insuffisance du quantum de la sanction infligée en première instance.

Ensuite, et pour l’unique motif de contester le quantum de la sanction infligée en première instance, elle a jugé qu'eu égard à la nature des faits reprochés, la sanction d'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste lui ayant été infligée en première instance devait être portée de deux mois dont un avec sursis à deux ans, dont un an assorti du sursis. 

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État rappelle ainsi l’office du juge d’appel ordinal statuant en matière disciplinaire : « (il lui appartient), dès lors qu'(il) est valablement saisi(e) d'une requête d'appel formée contre la décision d'une chambre disciplinaire de première instance ayant infligé à un chirurgien-dentiste une sanction disciplinaire, de statuer, au titre de l'effet dévolutif de l'appel, tant sur le bien-fondé des fautes qui sont reprochées au chirurgien-dentiste que sur le choix, le cas échéant, d'une sanction, sauf à ce qu'un moyen de régularité présenté par cette requête puisse être accueilli et la conduise à annuler la décision contestée et à évoquer l'affaire. Il en va ainsi y compris lorsque seul l'auteur de la plainte a formé appel en vue de l'aggravation de la sanction prononcée en première instance. »

(15 mars 2022, M. C., n° 440006)

 

129 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation et injonction de l’abroger.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

V. n° 8

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

130 - Opération de concentration (art. L. 430-3, L. 430-4 et L. 430-7-1 c. commerce) – Autorité de la concurrence – Fusion entre opérateurs de télévision – Ouverture par l’Autorité de la concurrence d’une phase de « pré-notification » - Mesure préparatoire – Irrecevabilité subséquente de la QPC soulevée à l’encontre de dispositions du code commerce (art. L. 450-8 et V de l’art. L. 464-2) – Refus de transmission.

Les requérantes contestaient la décision de l’Autorité de la concurrence d’ouvrir, dans le cadre d’un projet de fusion des activités de TF1 et de Métropole Télévision, une phase dite de « pré-notification » conformément aux points 191 à 200 des lignes directrices arrêtées par cette Autorité sur le fondement de dispositions de l’art. L. 430-3 du code de commerce.

Elles estimaient que portent atteinte à des droits ou libertés constitutionnellement garanties les dispositions de l’art. L. 450-8 et du V de l’art. L. 464-2 du code de commerce en ce qu’elles assortissent de sanctions la non communication aux agents chargés de l'instruction de l'affaire des informations ou documents qu’ils sollicitent auprès de tiers à l'opération de fusion dans le cadre de la procédure de « pré-notification ».

La demande de transmission de la QPC est refusée car la procédure de « pré-notification » ne constitue qu’une mesure purement préparatoire, donc insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Par suite, la QPC adossée à ce recours irrecevable est elle-même irrecevable

(1er mars 2022, Société Free et société Iliad, n° 458272 et n° 459347)

 

131 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

Le 2° du I de l’art. L. 214-17 du code de l’environnement impose aux moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, le respect d’obligations en vue d’assurer la continuité écologique des cours d’eau sur lesquels ils sont installés.

La loi du 24 février 2017, dont est issu l’art. L. 214-18-1 du code de l’environnement a exonéré tous les moulins à eau qui, à la date de publication de cette loi, sont fondés en titre ou disposent d’une autorisation d’exploitation, de l’obligation de respecter la continuité écologique des cours d’eau.

Les associations requérantes invoquent à l’encontre de ce dernier texte une QPC tirée de ce qu’il méconnaît les art. 1er à 4 de la Charte de l’environnement ainsi que le principe d’égalité devant la loi dans la mesure où il octroie cette exonération à tous les moulins sans en limiter le bénéfice aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet.

Jugée présenter un caractère sérieux, la QPC est transmise.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

 

132 - Abandon de certaines catégories de terrains par leurs propriétaires à la commune d’assiette – Absence d’imposition due pour ces terrains à compter de leur abandon – Caractère obligatoire pour la commune de l’acceptation de l’abandon (art. 1401 CGI) – Inconstitutionnalité soutenue au moyen d’une QPC – Transmission de celle-ci.

L’art. 1401 du CGI permet aux contribuables désireux de s'affranchir de l'imposition à laquelle les terres vaines et vagues, les landes et bruyères et les terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux doivent être soumis, à la condition qu’ils renoncent à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées.

Il suffit que la déclaration détaillée de cet abandon perpétuel soit faite par écrit, à la mairie de la commune, par le propriétaire ou par un mandataire.

Les cotisations d’impôt sont supportées par la commune à compter des rôles d’imposition établis postérieurement à l'abandon.

C’est un cas original d’acquisition forcée de biens immobiliers.

La Ville de Nice soulève une QPC à l’encontre de cette disposition en arguant de ce qu’en ne soumettant cet abandon à aucune condition d’acceptation par la commune, elle contrevient notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales même si cette procédure d’abandon unilatéral de terrains ne concerne strictement que ceux limitativement énumérés à l’art. 1401 précité du CGI.

(18 mars 2022, Commune de Nice, n° 454827)

 

133 - Autorité administrative – Compétence pour constater des infractions ou manquements à des obligations légales - Pouvoir d’en ordonner le respect et d’en sanctionner la violation – Atteinte au principe de la séparation des pouvoirs – QPC – Refus de sa transmission.

Invitée par le service compétent à cesser certaines pratiques commerciales trompeuses, la société requérante a, au soutien de sa demande d’annulation de la mesure, soulevé une QPC.

Celle-ci est fondée sur ce que le pouvoir reconnu à une autorité purement administrative, ici le directeur départemental de la protection des populations, de constater des manquements ou des infractions à des dispositions légales (art. L. 511-5 et L. 521-1 code de la consommation), d’en enjoindre la cessation et d’infliger des sanctions violerait notamment le principe de la séparation des pouvoirs.

L’argument ne pouvait être un seul instant retenu, il est rejeté par le Conseil d’État qui rappelle que ni ce dernier principe ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, « ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ».

La transmission de la QPC n’aura donc pas lieu.

(28 mars 2022, Société Yutaka France-Japon Management, n° 451014)

 

Responsabilité

 

134 - Fonctionnaire territorial – Accident de service – Existence ou non d’un lien de causalité directe entre une faute de la commune et le dommage subi par la victime – Lien déclaré inexistant – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Un agent technique territorial qui assurait des travaux d’élagage est victime d’un accident et réclame réparation du préjudice subi.

La cour administrative d’appel, statuant sur le préjudice lié au déficit fonctionnel permanent, a, d’une part, reconnu l’existence d’une faute de la commune pour n’avoir pas fait bénéficier l’agent d’une formation adéquate en matière d’élagage, d’autre part, dénié l’existence d’un lien causal direct et certain entre ce manquement et le préjudice. Elle s’est, pour cela, fondée sur ce que le sapiteur psychiatre avait conclu à l'existence d'un syndrome de Ganser construit autour de l'accident dans une perspective de reconnaissance.

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État annule l’arrêt pour qualification inexacte des faits car « il ressortait tant du rapport de la sapiteure neurologue que de celui de l'expert désigné par le tribunal administratif, d'une part, que le syndrome de Ganser était distinct du syndrome post-commotionnel dont souffrait M. C., qui associait céphalées, instabilité, fragilité cognitive et labilité émotionnelle et, d'autre part, que ce dernier syndrome, qui était à l'origine d'une difficulté dans son intégration socio-familiale, entraînait un déficit fonctionnel permanent évalué à 15 %. ».

(7 mars 2022, M. C., n° 441313)

 

135 - Droit à un délai raisonnable de jugement - Durée excessive d’une procédure contentieuse – Responsabilité de l’État – Rejet.

Le demandeur recherchait la responsabilité de l’État à raison de la durée qu’il estimait excessive d’une procédure devant la juridiction administrative et qui, depuis l’introduction de sa requête en première instance jusqu’à la reddition de la décision de cassation, s’est déroulée sur sept ans et trois mois.

Il avait saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre le rejet implicite, par le ministre de la justice, de sa demande d’indemnisation du chef de cette durée.

Au terme d’une analyse très précise des faits le Conseil d’État rejette la requête en ces termes : « Il résulte de l’instruction que les procédures devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ont duré respectivement deux ans et dix mois et deux ans et près de quatre mois et que la décision du Conseil d’État, statuant au contentieux, est intervenue le 21 juin 2021, soit sept ans et trois mois après l'introduction de la demande de M. D. Il résulte également de l'instruction que le comportement de M. D. durant l'instruction de sa demande et de sa requête d'appel a contribué à l'allongement de la durée de ces procédures, dès lors qu'en première instance, il n'a produit son mémoire en réplique que deux ans après l'introduction de sa demande et qu'en appel, il a sollicité et obtenu un délai supplémentaire de six mois pour produire un nouveau mémoire. De plus, il résulte de l'instruction que le litige introduit par M. D. présentait un certain degré de difficulté, dès lors qu'à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 août 2013 mettant fin à la concession de logement dont il bénéficiait, il soutenait devant les juges du fond que la délibération du 28 juin 2013 du conseil d'administration du SDIS du Rhône (mettant fin à sa concession de logement) était entachée d'illégalité au motif, d'une part, que les biens cédés appartenaient au domaine public du SDIS du Rhône et, d'autre part, à supposer que ces biens fassent partie du domaine privé du SDIS, que leur cession à un prix inférieur à leur valeur n'était pas justifiée par un motif d'intérêt général et ne comportait pas des contreparties suffisantes. Il s'ensuit que, dans les circonstances de l'espèce, ni la durée de deux ans et dix mois, devant le tribunal administratif, ni celle de près de deux ans et quatre mois, devant la cour administrative d'appel, n'apparaissent excessives, et qu'en outre, la durée globale de la procédure de près de sept ans et trois mois, laquelle doit se calculer à compter de la date de saisine du tribunal administratif et non, comme le soutient M. D..., à compter de l'introduction de son recours gracieux, ne présente pas non plus de caractère excessif. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement aurait été méconnu et à demander, pour ce motif, la réparation des préjudices qu'il invoque. »

(14 mars 2022, M. D., n° 458257)

 

136 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

Le Conseil d’État fait application d’une jurisprudence bien établie dans le cadre d’un recours formé par une directrice d’école primaire afin d’obtenir réparation du préjudice que lui aurait causé l’irrégularité de la décision lui retirant son emploi ainsi que celle des actes de gestion de sa fin de carrière.

Le juge rappelle – avec son réalisme habituel – qu’en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public a normalement droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait d'une mesure illégalement prise, au plan procédural, à son encontre. Toutefois, s’il apparaît, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, que l’autorité compétente, en l’absence de cette irrégularité, aurait pris la même décision, il n’y a pas lieu à réparation puisque le préjudice allégué n’est pas la conséquence directe de l’illégalité.

Cette solution, ici intervenue en droit de la fonction publique, joue en toute matière.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

 

137 - Société d’avocats aux conseils – Responsabilité pour faute – Défaut de pourvoi en cassation contre deux arrêts – Absence de faute – Rejet.

Subrogée dans les droits de ses clients, la compagnie d’assurances requérante recherchait la responsabilité d’une société d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour n’avoir pas formé trois pourvois en cassation contre trois arrêts d’une cour d’appel. Il s’agissait, d’une part, d’un arrêt relatif à une pharmacie et, d’autre part, de deux arrêts relatifs à M. et Mme C., co-associés gérants de cette pharmacie ès qualités.

Pour dire n’y avoir lieu à faute et donc à responsabilité, le Conseil d’État retient qu’il y a bien eu échange de correspondances entre la société d’avocats et l’avocat de la pharmacie ainsi que de M. et Mme C., au sujet de trois pourvois et du montant des honoraires y relatifs, mais qu’il ressort des pièces du dossier que l’avocat de la société Allianz, tout en acceptant le montant desdits honoraires et chargé la société d’introduire le pourvoi contre l’arrêt déjà communiqué relatif à la pharmacie, n’a joint à cet envoi que les seules pièces afférentes à cet arrêt sans joindre aucun document ou autre relatif aux deux autres arrêts, qui concernaient les co-associés gérants de la pharmacie, M. et Mme C.

Par suite, le juge considère que, saisie d’un seul arrêt, la société d’avocats n’a commis aucune faute en n’introduisant le pourvoi que contre celui-ci à l’exclusion des autres arrêts.

La solution est surprenante car il tombe sous le sens que, recevant des honoraires d’un montant fixée par elle pour trois pourvois, la société d’avocats n’ait pas, à tout le moins, avisé ses clients de la distorsion entre ce montant et l’introduction d’un seul pourvoi. Il n’eût point été incongru d’apercevoir une faute dans ce défaut d’alerte de ses clients sur une incohérence manifeste quand bien même la société a fait parvenir son projet de mémoire à l’avocat des clients pour observations avant son dépôt, d’où il ressortait l’existence d’un seul pourvoi.

Reste pendante l’éventuelle recherche de la responsabilité de ce dernier avocat.

(15 mars 2022, Société Allianz IARD, n° 440753)

 

138 - Réparation des dommages imputés par un détenu aux conditions de sa détention – Conditions – Description circonstanciée et plausible de ces conditions par l’intéressé – Commencement de preuve – Renversement de la charge de la preuve – Absence de réponse - Annulation.

Une personne qui a été détenue durant trois mois environ dans un centre pénitentiaire a demandé en vain au tribunal administratif la réparation des préjudices qu’elle a subis du fait de conditions de détention indignes.

Elle se pourvoit.

Après avoir rappelé qu’en principe il incombe à celui qui demande réparation d’établir, outre l’existence de préjudices, le fait qu’ils ont pour cause des fautes commises par une personne publique, le juge rend une solution très innovante en jugeant, ici, que la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.

Il en tire cette conséquence - qui équivaut quasiment à un renversement de la charge de la preuve – que c'est alors à l'administration d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur. Le jugement de rejet de la demande est ainsi entaché d’erreur de droit et annulé, cela d’autant plus que l'administration n'avait pas produit de mémoire en défense et n'avait donc fourni aucun élément de nature à réfuter les allégations précisément détaillées du demandeur.

Si le ministre défendeur soutient détenir des éléments de nature à permettre la réfutation de ces faits et allégations, le Conseil d’État le renvoie à les développer devant la juridiction à laquelle l’affaire sera à nouveau soumise.

(21 mars 2022, M. F., n° 443986)

 

139 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances de l’aérodrome également subrogée à la fois aux droits de l’aérodrome, son assuré, et, par transaction aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

Pendant que se déroulaient sur l’aérodrome de Toulouse Blagnac, des travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste de cet aérodrome, un accident est survenu à un aéronef ayant heurté une balise temporaire sur la piste. L’assureur de la Société Aéroport de Toulouse Blagnac, subrogé dans les droits de son assuré, a recherché, d’une part, la responsabilité contractuelle des entreprises de construction sur le fondement du contrat de maîtrise d’œuvre qu’elles avaient conclu avec la société Aéroport de Toulouse Blagnac et, d’autre part, leur responsabilité extracontractuelle envers la compagnie propriétaire de l’aéronef.

Il convient ici de préciser que l’assureur avait conclu une transaction avec cette dernière et l’a dédommagée de son préjudice.

Alors que le tribunal administratif était entré en voie de condamnation des constructeurs, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement au motif que la demande dont il était saisi avait été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Les sociétés d’assurance et d’aéroport se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État aperçoit dans ces deux questions de responsabilité (contractuelle à l'égard du concessionnaire de l'aérodrome et extracontractuelle à l'égard de la victime du dommage) une difficulté sérieuse dont il décide de renvoyer l’examen au Tribunal des conflits pour déterminer l’ordre de juridiction compétent pour connaître de chacune de ces actions en responsabilité.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

 

140 - Exposition à l’amiante pendant une durée assez longue – Impossibilité de s’y soustraire – Existence d’un préjudice d’anxiété – Conditions du droit à indemnisation – Cas d’agents de la marine nationale – Rejet.

Une nouvelle fois se trouve en cause l’amiante et ses graves effets sur la santé de ceux qui y ont été exposés.

C’est l’occasion pour le juge de revenir sur le préjudice d’anxiété et le régime de sa réparation.

Dans cette affaire, un agent de la Marine nationale s’est trouvé exposé durant sa carrière au risque d'inhaler des poussières d'amiante lors de ses affectations à bord de bâtiments de la Marine nationale car, d’abord, sur ces navires construits jusqu'à la fin des années quatre-vingts, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord ; ensuite, ces matériaux d'amiante avaient tendance à se déliter du fait des contraintes physiques leur étant imposées, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin.

La cour administrative d’appel en avait conclu « qu'en conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la Marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, étaient susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ». Par suite, elle a jugé que l’intéressé ayant été exposé de manière intensive, sans protection particulière, lors de ses affectations à bord de navires de la Marine nationale, à l'inhalation de poussières d'amiante pendant une durée totale d'environ huit ans et quatre mois, il avait ainsi été exposé à un risque élevé de développer une pathologie grave de nature à engendrer un préjudice d'anxiété indemnisable, alors même que ses fonctions de commis aux vivres n'étaient pas de nature, par elles-mêmes, à l'exposer à un tel risque. Il pouvait donc légitimement craindre de voir son espérance de vie diminuer du fait du manquement de son employeur à ses obligations de sécurité et avait ainsi droit à réparation de ce préjudice d’anxiété sans qu’il soit exigé de lui qu'il produise des preuves de manifestations pathologiques de son anxiété.

La ministre des armées se pourvoit en cassation : elle est déboutée.

Le Conseil d’État, dans une formulation de principe, décide que l’agent public, faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de provoquer pour lui un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Il n’a pas pour cela à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave : il lui suffit d’établir que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves. 

Tel est le cas des agents publics exposés durant plusieurs années, à raison de leurs fonctions, à intervenir ou à évoluer dans un environnement de matériaux et d’installations contenant de l’amiante, les conduisant ainsi à en inhaler les poussières s’en dégageant.

Tel est particulièrement le cas des marins de la Marine nationale « qui, sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions et vécu, de nuit comme de jour, dans un espace clos et confiné comportant des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante ». 

Cette présomption – puisque c’est en réalité ce qu’elle est – de préjudice d’anxiété joue même à l’égard des personnes bénéficiant par ailleurs du dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (loi du 29 décembre 2015), lequel vise à compenser un risque élevé de baisse d'espérance de vie des personnels ayant été effectivement exposés à l'amiante, l’éligibilité à ce dispositif justifiant de ce seul fait d'un préjudice d'anxiété lié à leur exposition à l'amiante. 

Par suite, la ministre ne saurait demander l’annulation de l’arrêt querellé qui ne comporte ni erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier.

Il faut relever la modicité de la somme de 5000 euros allouée en réparation du préjudice d’anxiété.

(28 mars 2022, Ministre des armées, n° 453378)

 

141 - Responsabilité hospitalière – Responsabilité pour faute – Détermination du montant dû par un centre hospitalier à une caisse de sécurité sociale à raison de ses débours nés du versement d’une pension d’invalidité – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

À la suite d’une faute commise par un centre hospitalier, une caisse de sécurité sociale, amenée à verser une pension d’invalidité à la victime de cette faute, en a réclamé le remboursement à ce centre hospitalier.

Pour calculer le montant dû à la caisse, la cour administrative d’appel s’est bornée aà retenir l'intégralité du montant des arrérages et du capital versés par la caisse primaire et à y appliquer le taux de perte de chance qu'elle avait préalablement établi commettant ainsi une erreur de droit.

En effet, il lui incombait de déterminer d’abord le montant des préjudices subis par la victime du fait de ses pertes de revenus et de l'incidence professionnelle de l'incapacité, puis de fixer, dans la limite de ce montant et en tenant compte du coefficient de perte de chance, la part de la pension d'invalidité qui devait être mise à la charge du centre hospitalier.

La cassation est prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Opale, n° 446822)

 

Santé publique

 

142 - Covid-19 – Apparition du variant omicron – Perte de nécessité du passe vaccinal – Demande de suspension d’une disposition du décret du 1er juin 2021 modifié – Rejet en l’état de la situation sanitaire.

Se fondant sur l’inutilité du passe vaccinal en raison de l’évolution des données sanitaires nationales, les requérants demandaient la suspension de l'exécution du I de l'article 47-1 du décret n° 2021-669 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans la version qui lui a été donnée par le a) du 5° de l'article 1er du décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022.

Pour rejeter la requête, le juge du référé suspension retient notamment qu’à la date à laquelle il statue et en dépit d’un net ralentissement de l’épidémie, la circulation virale demeure toujours importante puisqu’au « 20 février 2022, le taux d'incidence était de 832, 80 000 nouveaux cas ayant été en moyenne relevés par jour pour la semaine du 14 au 20 février 2022. Par ailleurs, 69% des admissions à l'hôpital sont dues au Covid-19 ainsi que 79% des admissions en soins critiques à l'hôpital, l'admission en hospitalisation conventionnelle approchant le nombre de patients atteint lors des pics des trois premières vagues épidémiques et dépassant ceux de la quatrième vague. Au niveau national, plus de la moitié de la capacité hospitalière est dédiée au traitement de patients atteints du Covid-19, l'activité hospitalière hors traitement épidémique étant de 20% inférieure à la moyenne d'avant la crise sanitaire. »

(ord. réf. 1er mars 2022, M. G. et autres, association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et association ADELICO, n° 461686)

(143) V. aussi, dans le même sens, ajoutant cette précision que les modifications incessantes de la définition du schéma vaccinal complet sont sans incidence sur la légalité des dispositions critiquées : ord. réf. 11 mars 2022, M. E., n° 461570.

 

144 - Personnes françaises handicapées – Accueil de ces personnes dans des établissements belges – Invitation à signer des conventions avec une Agence régionale de santé (ARS) – Demande de suspension – Rejet.

9 000 personnes handicapées de nationalité françaises sont hébergées dans des établissements belges, sur financement de l'assurance maladie française en raison, pour la plupart d’entre elles, du manque de capacités d'accueil en France, à proximité des familles.

Le gouvernement français a décidé de développer de nouvelles capacités d'accueil en France en vue de rapprocher les personnes handicapées de leurs familles et a annoncé un moratoire concernant la création de nouvelles places d'accueil pour les Français en Belgique. Enfin, il a proposé la signature d’une convention avec les établissements belges accueillant des Français, en vue de garantir la qualité de la prise en charge et de l'accompagnement de ces personnes.

L’association requérante, au moyen d’un référé liberté, poursuit l’annulation de l’ordonnance qui a rejeté sa demande de suspension de l’exécution de la décision du le directeur général de l’ARS des Hauts-de-France l'invitant à signer sans délai deux conventions fixant, pour l'une la capacité maximale d'accueil de ressortissants français atteints de handicap et, pour l'autre, les garanties exigées de l'établissement en termes de qualité de prise en charge et d'accompagnement des personnes.

Le courrier indique que, faute de signature, le Centre national de financement des soins à l'étranger cesserait de financer les forfaits des personnes accueillies, qui seraient alors susceptibles d'être réorientées vers d'autres établissements.

Pour rejeter la demande de suspension, le juge des référés du Conseil d’État statuant par voie d’appel relève qu’il a été précisé à l’audience de référé que le refus par l'association de signer les deux projets de convention n'entraînerait aucune interruption du financement par l'assurance maladie de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes handicapées hébergées aujourd'hui dans l'établissement.

Il relève également que si l’association requérante prétend qu’en cas d’impossibilité d’accueillir de nouveaux Français handicapés sa situation économique serait gravement bouleversée en raison de ce qu’est en cours de construction un bâtiment permettant d’accueillir 29 personnes supplémentaires, cependant elle ne fournit pas de documents comptables pertinents ni n’explique pourquoi ce bâtiment ne pourrait pas servir à l’accueil d’autres publics.

Enfin, les autorités françaises ne disposent en rien du pouvoir de retirer unilatéralement de l'établissement les personnes accueillies. Si le départ d'une personne handicapée de l'établissement peut être envisagé ce ne peut être qu’en raison de la nécessité de recueillir le consentement des principaux intéressés.

(ord. réf. 11 mars 2022, Association Etoile filante, n° 461750)

(145) V. aussi, même solution : ord. réf. 11 mars 2022, Association Étoile filante, n° 461752.

 

146 - Covid-19 – Décret du 29 octobre 2020 – Port obligatoire du masque pour les enfants à partir de six ans dans les établissements d’enseignement – Rejet.

Les recours joints tendaient à contester l’obligation du port de masques pour les enfants dès l’âge de six ans au sein des établissements d’enseignement.

Ils sont tous rejetés, certains pour tardiveté, d’autres pour absence de précisions en permettant l’examen, ceux retenus sont dirigés contre le décret du 29 octobre 2020.

Ce rejet ne surprendra pas l’observateur familier des solutions du juge administratif en cette matière : la mesure est justifiée par l’état de circulation du virus, elle n’est pas disproportionnée au regard de la menace à laquelle elle entend obvier et ne porte pas une atteinte excessive aux droits et libertés qu’elle peut affecter.

(4 mars 2022, M. S., n° 446394 ; M. X. d’Abbadie d’Arrast, n° 446431 ; M. T. G. et M. B., n° 446907 ; M. F.J.B., n° 447212 ; Association Victimes coronavirus covid-19 France (AVCCF / Stop covid-19) et autre, n° 448209 ; M. I., n° 449472 ; M. AA., n° 449499 ; M. O., n° 449672 ; Mme P. épouse L., n° 450666 ; M. D.B., n° 451245 ; M. M., n° 453406)

(147) V. aussi, très comparable s’agissant de l’interdiction, par le I de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020, de tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence à l'exception des déplacements qu'il mentionne : 4 mars 2022, M. A., n° 447451.

 

148 - Covid-19 – Certificat de rétablissement – Condition d’octroi non prévue – Inopérance du moyen - Proportionnalité de la mesure – Absence d’atteinte à l’égalité – Rejet.

Les requêtes jointes contestaient que le décret du 1er juin 2021, plusieurs fois modifié ou remanié, notamment dans la version qui lui a été donnée par le décret du 7 juin 2021, ne prévoit pas qu'un certificat de rétablissement puisse être délivré sur présentation d'un document mentionnant un résultat positif à un test sérologique attestant de la présence d'anticorps contre le virus SARS-CoV2. 

Le moyen est inopérant car depuis l’édiction de ce dernier texte s’appliquent désormais les dispositions postérieures du règlement (UE) du 14 juin 2021 du Parlement européen et du Conseil relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats Covid-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de Covid-19.

Ensuite, en décidant de ne pas permettre l'accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels, aux personnes rétablies d'une contamination au SARS-CoV2 justifiant seulement d'un résultat positif à un test sérologique, le gouvernement n’a pas pris, eu égard en particulier, aux avis du comité scientifique (du 3 mai 2021) et de la Haute autorité de santé (17 juin 2021), une mesure disproportionnée.

Enfin, il n’est pas, ainsi, porté atteinte au principe d’égalité dès lors que des mesures différentes sont prises envers des personnes se trouvant objectivement en des situations différentes au regard de la finalité des mesures en cause.

(14 mars 2022, Mme D., n° 454794 ; Mme R., n° 455239, jonction)

 

149 - Covid-19 – Exercice de l’activité de libraire – Restrictions – Activité de cueillette dans la nature pour les besoins d’un commerce de restauration – Absence de restriction possible – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation des art. 4 et 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Elle contestait l’art. 37 de ce décret en ce qu’il l’empêcherait d’exercer son activité de libraire, la réduisant à la seule livraison ou au seul retrait de commandes. Son recours est rejeté par les moyens habituels et répétitifs : l’évolution de la situation, la circulation du virus, le caractère non-disproportionné des mesures prohibitives, etc.

La requérante contestait également l’art. 4 dudit décret en ce que ses dispositions lui interdisaient les déplacements, au-delà de la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre, pour cueillir des produits récoltés dans la nature et destinés à l'exercice de son activité de restauration, et de vente à emporter.  Sur ce point le recours est rejeté car il n’est pas fondé : une telle interdiction n’existe pas car sont autorisés par le 1° de cet art. 4 les déplacements à destination ou en provenance du lieu d'exercice d'une activité professionnelle. 

(17 mars 2022, Société Le Poirier-au-Loup, n° 445882)

 

150 - Covid-19 – Régime des autotests scolaires (protocole sanitaire du 25 janvier 2022) – Modification postérieure à l’introduction du référé liberté – Modification sans effet sur l’objet de la requête – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Est rejeté le référé liberté dirigé contre le protocole sanitaire appliqué en école maternelle ou élémentaire, collèges et lycées à partir du 25 janvier 2022 contraignant les enfants scolarisés à effectuer trois autotests à J+0, J+2 et J+4 dès que l'un de leurs camarades de classe était testé positif à la Covid-19. 

Même si postérieurement à l'introduction de la requête, un nouveau protocole sanitaire, introduit le 11 février 2022, impose aux enfants d'effectuer un autotest seulement au deuxième jour après le contact avec la personne testée positive à la Covid-19, et non plus le jour même et le quatrième jour, cette circonstance n'est cependant pas de nature à priver la requête de son objet. 

Cependant, n’est pas apportée la démonstration qu’il serait porté, par-là, atteinte à une liberté fondamentale au sens et pour l’application par le juge administratif du référé liberté des pouvoirs qu’il tient de l’art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 7 mars 2022, M. A., n° 460830)

 

151 - Covid-19 – Institution du passe sanitaire – Document n’étant plus ni nécessaire ni proportionné – Non-démonstration de l’existence d’une situation d’urgence ou d’une atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Le recours contre le maintien du passe sanitaire doit être rejeté car n’est pas rapportée la preuve de l’existence d’une situation d’urgence, le référé tendant à faire juger que l’institution d’un passe sanitaire ne serait plus nécessaire ni proportionnée tout en portant atteinte à diverses libertés fondamentales.

(ord. réf. 10 mars 2022, Association Je ne suis pas un danger, n° 461969)

(152) V. aussi, assez voisin en substance, en tant qu’est rejetée la demande qu’il soit fait injonction au premier ministre de produire aux débats l'ensemble des éléments à sa disposition permettant d'établir ou tout du moins de corroborer que le passe vaccinal et le passe sanitaire présentent un caractère nécessaire pour la protection de la santé publique dans l'ensemble des établissements scolaires concernés ; le juge n’a aperçu dans cette requête aucun moyen de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées : ord. réf. 11 mars 2022, Mme Vogley épouse Castan, n° 462041.

(153) V. encore, rejetant la contestation du passe vaccinal et du passe sanitaire reposant sur divers motifs car aucun des moyen invoqués n’est de nature à faire douter de la légalité de la décision attaquée (art. 2-1, 2-2, 2-3, 8, 11, 15, 27 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire dans leur rédaction issue notamment des décrets des 22 janvier et 14 février 2022) : ord. réf. 11 mars 2022, M. Pierre Boileau, n° 462047.

(154) V. également, rejetant pour défaut d’urgence un référé tendant à la suspension du refus d’abroger l'article 2 du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 en ce qu’il affecterait le déplacement des gens du voyage : ord. réf. 16 mars 2022, Union défense active des forains et association France liberté voyage, n° 462146.

 

155 - Chute mortelle d’un patient dans un hôpital – Absence de défaut de surveillance – Existence d’une faute du service hospitalier pour défaut de recherche du placement de la victime dans un établissement psychiatrique – Erreur dans l’identification de la modalité de prise en charge – Erreur de droit - Annulation.

Un patient, âgé de 90 ans, admis dans un centre hospitalier et faisant l’objet d’un diagnostic de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel, est décédé des suites d'une chute du balcon de la chambre voisine de celle qu'il occupait au sein du service de gériatrie de cet établissement.

La cour administrative d’appel, tout en constatant l’absence de défaut de surveillance de la part de l’hôpital, relève l’existence d’une faute de sa part. En effet, le service hospitalier où la victime avait été admise n'étant pas adapté à sa prise en charge, l’hôpital, qui avait effectué vainement des recherches en vue d'une admission en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), a commis une faute en n’effectuant pas des démarches en vue de son admission en soins psychiatriques dès lors qu’il ne démontrait pas que l'admission en soins psychiatriques de personnes âgées atteintes de démence n'était pas justifiée en l’espèce.

Le Conseil d’État casse cet arrêt pour erreur de droit car la cour n’a pas recherché « si la pathologie de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel dont souffrait M. B. relevait effectivement, en l'espèce, d'une telle prise en charge sanitaire ».

(30 mars 2022, Hospices civils de Lyon (HCL) et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 438048)

 

Service public

 

156 - Conseil économique, social et environnemental (CESE) – Répartition et conditions de désignation des membres – Collège des salariés – Représentation des artisans et des professions libérales – Représentation des syndicats agricoles – Rejets.

Diverses organisations professionnelles contestent le sort fait par le décret du 24 mars 2021 à leur représentation parmi les diverses catégories de membres du CESE. Leurs requêtes, jointes, sont rejetées.

En ne distinguant pas, dans le collège des salariés, entre salariés du secteur privé et fonctionnaires ou agents publics, le décret litigieux ne méconnaît aucune règle ou principe qui imposerait une telle distinction et il n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Ne saurait être contestée la répartition de ces sièges entre syndicats agricoles au motif qu’elle porterait atteinte au principe d'égalité car n'aurait pas été suivie à cette fin une méthode identique à celle retenue pour répartir les sièges des représentants des salariés entre leurs organisations syndicales.

De plus, si, pour répartir les sièges entre les neuf représentants des syndicats d’exploitants agricoles le décret attaqué devait tenir compte de leurs résultats aux élections professionnelles, il n'était pas tenu, contrairement à ce que soutient la Confédération paysanne, de les répartir selon la règle de la représentation proportionnelle.

Pareillement, dès lors que le pouvoir règlementaire s'estimait en mesure d'apprécier la représentativité des organisations professionnelles appelées à désigner des représentants des professions libérales au CESE, et alors même qu'aucun arrêté de représentativité des organisations professionnelles pour les professions libérales n'aurait été pris, il n'a en tout état de cause pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne diligentant pas, avant de désigner ces organisations, une enquête de représentativité.

En regroupant les représentants des artisans et des professions libérales, qui présentent des caractéristiques communes et peuvent le cas échéant être représentés par les mêmes organisations professionnelles, le décret attaqué, qui n'a supprimé aucune de ces deux catégories, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958, qui fixe les catégories de membres composant le CESE, et n'a pas commis non plus d'erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, dès lors qu’il ne restait plus qu’un seul siège à pourvoir dans la catégorie « professions libérales » on ne saurait dire illégal le choix fait par le décret de désigner la Chambre nationale des professions libérales plutôt que l'Union nationale des professions libérales, l’une et l’autre étant également représentatives de ces professions et alors que n’est démontrée aucune erreur manifeste d’appréciation.

(14 mars 2022, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 452870 ; Union des entreprises de proximité (U2P), n° 452948 ; Confédération paysanne, n° 456822)

 

157 - Usager du service public – Adresse de domicile déclarée par lui – Adresse lui étant opposable - Obligation d’indiquer tout changement de domicile – Notion de déclaration de changement de domicile – Absence – Rejet.

L’usager des services publics indique à ceux-ci l’adresse de son domicile afin qu’y soient adressées les correspondances qu’ils lui destinent.

Cette déclaration d’adresse est faite sous la propre et exclusive responsabilité de son auteur. Cette exigence s’étend également à tout changement de l’adresse connue par ces services.

Toutefois, ne peut être considérée comme informant d’un changement de domicile que la communication qui en comporte expressément la mention.

Ainsi, la circonstance qu’une personne connue sous une unique adresse dans une commune indique travailler dans un autre département ne constitue pas une déclaration de changement de domicile et toute notification, transmission ou autre à cette adresse est valable et opposable à son destinataire avec les conséquences de droit qu’elle emporte.

(30 mars 2022, M. A., n° 454429)

 

Sport

 

158 - Dopage – Cycliste – Sanction encourue de quatre ans de diverses interdictions – Sanction ramenée à deux ans – Annulation – Rétablissement d’interdictions d’une durée de quatre années.

Une cycliste professionnelle, par ailleurs chargée de la section sport-études dans un lycée et alors vice-présidente de l'association française des coureurs cyclistes, a été contrôlée positive à une substance interdite.

La peine encourue est un ensemble d’interdictions d’une durée de quatre années. Toutefois, la commission des sanctions de l’AFLD a retenu que, selon les dires de l’intéressée, d’une part, elle ne se serait injectée qu’une seule dose, d’autre part, son geste aurait été commandé par la volonté de retrouver la confiance de son entraîneur sportif et d’obtenir le renouvellement de son contrat avec l'équipe Dolticini-Van Eyck pour des raisons purement sportives sans avoir à se soumettre aux pratiques humiliantes de son entraîneur, constitutives, selon elle, de harcèlement sexuel. La commission des sanctions de l’AFLD a donc réduit cet ensemble d’interdictions à deux années.

Sur recours de la présidente de l’AFLD, le Conseil d’État rétablit la durée de quatre ans d’interdiction prévue par les textes en relevant d’abord que selon les spécialistes, il n’y avait pas eu une seule injection mais au moins deux espacées de quelques jours, ensuite que l’intéressée n'a pas été écartée de l'équipe lorsqu'elle a cessé d'envoyer les photographies demandées par le directeur sportif de son équipe et a continué à être engagée sur plusieurs courses avec cette équipe et, enfin et peut-être surtout, que la commission des sanctions de l’AFLD s’était prononcée sur la seule base des affirmations de l’intéressée «  sans au demeurant avoir fait usage des pouvoirs d'instruction qu'elle tient des articles L. 232-93 et L. 232-94 du code du sport ».

(22 mars 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 450363)

 

Travaux publics et expropriation

 

159 - Demande d’autorisation d’occupation temporaire en vue de la réalisation de travaux publics – Loi du 29 décembre 1892 – Délivrance de l’autorisation d’occupation temporaire impossible pour le préfet – Identique impossibilité pour le juge statuant sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA – Erreur de droit – Annulation.

La requérante a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA, à titre principal, l’autorisation d’occuper immédiatement, pour une durée de cinq mois, en vertu de la loi de 1892, la partie non bâtie d'une parcelle située à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), afin d'y installer le matériel, les machines et les matériaux nécessaires à la réalisation de sondages préalables aux opérations de construction de l'ouvrage d'entonnement OA7054, de procéder auxdits sondages et, à la fin de l'occupation, de remettre les lieux dans leur état d'origine.

Cette demande a été rejetée en raison de ce que, eu égard aux caractéristiques du terrain, l'article 2 de loi du 29 décembre 1892 faisait obstacle à ce que le préfet puisse délivrer l'autorisation demandée et qu'il en allait de même, par voie de conséquence, du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit car la circonstance que le préfet n'était pas compétent pour délivrer l'autorisation sollicitée n'était pas à elle seule de nature à faire regarder la demande comme irrecevable ou mal fondée, d’autant qu’elle n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de l’ordre administratif de juridiction. 

(8 mars 2022, Société du Grand Paris, n° 450162)

 

160 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) – Expropriation de parcelles situées dans le périmètre de la future ZAC - Avis rendu par le préfet de région sur ce projet – Insuffisance alléguée de l’étude d’impact – Appréciation sommaire des dépenses – Office du juge se prononçant sur le caractère d’utilité publique d’une opération conduisant à expropriation – Rejet.

La communauté de communes du Pays de Gex a créé sur le territoire d’une commune membre la ZAC « Ferney-Genève Innovation » et approuvé le dossier de création de la ZAC dont la réalisation a été confiée à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation par un traité de concession du 27 mars 2014.

Par un arrêté du 22 juillet 2016, le préfet de l'Ain, après enquêtes, a déclaré d'utilité publique les acquisitions des parcelles nécessaires au projet de création de la ZAC et valant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune. La commission d'enquête ayant émis un avis défavorable sur l'emprise du projet, ceci a conduit à une nouvelle enquête parcellaire à l'issue de laquelle, par un arrêté du 10 avril 2018, le préfet a déclaré cessibles au profit de la SPL Territoire d'innovation les parcelles nécessaires à la réalisation de la ZAC.

Par deux jugements du 9 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes, d'une part, de la société Financière Ferney et autres, d'autre part, de l'association Église Évangélique de Crossroads, propriétaires de parcelles incluses dans le périmètre du projet déclaré d'utilité publique, tendant à l'annulation, respectivement, de l'arrêté du 22 juillet 2016 et de l'arrêté du 10 avril 2018. L'association Église Évangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres se pourvoient en cassation contre les arrêts du 12 novembre 2020 par lesquels la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leurs appels formés contre ces jugements.

Les pourvois sont joints.

L’arrêt attaqué ne faisant pas apparaître que le rapporteur public a été entendu à l’audience de jugement de ces deux requêtes, la preuve de la régularité de la procédure suivie n’est pas rapportée et les arrêts sont annulés.

Le Conseil d’État statue directement au fond sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Tous les moyens soulevés sont rejetés.

Est d’abord rappelée, pour être appliquée à l’espèce, la solution jurisprudentielle selon laquelle l'illégalité frappant la délibération créant une ZAC ne saurait être utilement invoquée, par la voie de l'exception, à l'encontre de la contestation de la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'aménagement de cette zone. 

Ensuite, s’agissant de la garantie d’indépendance de l’autorité émettrice de l’avis sur l’évaluation environnementale, qu’impose la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, le juge la considère comme respectée en l’espèce dès lors, d’une part, que l’avis a été rendu par le préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du Rhône, en qualité d'autorité environnementale, préparé et formalisé par les services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Rhône-Alpes et, d’autre part, que la déclaration d'utilité publique été prise par le préfet de l'Ain, après avoir été instruite par les services de la direction des relations avec les collectivités locales de la préfecture de l'Ain. Il est ainsi satisfait aux exigences de l’art. 6 de cette directive telle qu’interprétée par la jurisprudence de la CJUE.

Également, il est jugé que l’étude d’impact réalisée en 2015 et présentée dans le cadre du dossier de déclaration d'utilité publique était complète et suffisamment précise sur les incidences et les mesures environnementales au regard des caractéristiques d'ensemble du projet de ZAC telles qu'elles étaient connues à la date de l'enquête publique, y compris les modalités envisagées pour la création d'un réseau de chauffage. 

Encore, est rappelée la limite de l’exigence de précision requise de ce que les textes nomment eux-mêmes « appréciation sommaire des dépenses » figurant dans le dossier d’enquête publique, d’où le rejet du grief d’incomplétude et d’imprécision formulé sur ce point. Pas davantage n’est frappé du même défaut le rapport de la commission d’enquête.

Enfin, et c’était là l’aspect le plus important de cette affaire, le juge (qui n’est plus de cassation ici mais du fond par l’effet du recours à l’art. L. 821-2 CJA) entre dans une analyse minutieuse de ce qu’est l’office du juge lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers.

Celui-ci, ainsi saisi, doit obligatoirement examiner si l’opération répond à une finalité d'intérêt général, si l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente.

Il doit ensuite, mais seulement s'il est saisi d'un moyen en ce sens, s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.

Application de cette méthodologie du contrôle de l’utilité publique est alors effectuée dans la suite de la décision :

1° Le projet de création de la ZAC « répond à l'objectif d'intérêt général de rééquilibrage des programmes de logements et d'activités entre la commune suisse du Grand-Saconnex et la commune de Ferney-Voltaire, en favorisant la mixité sociale et le développement économique par la création de logements sociaux et de nouveaux espaces à vocation d'activités et en contribuant à la limitation des trajets domicile-travail ».

2° Si les requérants font valoir qu'ils avaient sur les parcelles dont ils sont propriétaires un projet d'aménagement foncier compatible avec les documents d'urbanisme et présentant de fortes convergences avec les objectifs poursuivis par la ZAC, ce qui rendait inutile l’expropriation, ce projet privé ne permettait pas d'atteindre des objectifs équivalents à ceux poursuivis à travers l'opération d'aménagement déclarée d'utilité publique. Par suite, l'inclusion de leurs parcelles dans le périmètre d'expropriation n’est pas, contrairement à ce qui est soutenu,  sans rapport avec cette opération. 

3° Les diverses atteintes (aux espèces animales, à l’activité agricole, à un lieu de culte existant) ont été prévues et assorties de mesures tendant à les réduire et, en tout hypothèse, ne sont pas excessives eu égard à l’intérêt général qui s’attache à ce projet.

(22 mars 2022, Association Église Évangélique de Crossroads, n° 448610 ; Sociétés Financière Ferney, Investissements Fonciers et Participations (IFP) et Ferjac et autres, n° 448619)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

161 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Rejet.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice subi du fait de cette illégalité et causé par le concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

L’action à fins indemnitaires a été rejetée par la cour administrative d’appel au double motif, d’une part, que les divers préjudices allégués comme devant être réparés étaient sans lien direct et certain avec l’illégalité de l’autorisation d’exploitation commerciale, et, d’autre part, que cette délivrance ne faisait pas obstacle, vu les circonstances de droit de l’espèce, à ce que la société demanderesse continue sa propre exploitation.

Le juge de cassation, au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation de la cour, rejette le pourvoi.

(2 mars 2022, Société Steso et M. J., n° 443276)

 

162 - Projet de plan local d’urbanisme (PLU) – Définition des modalités de la concertation – Décision de tenir la concertation jusqu’à ce que soit arrêté le PLU – Condition et régime de l’illégalité d’une reprise de la procédure d’élaboration sans nouvelle concertation - Bande des cent mètres - Projet de construction de logements – Illégalité alors même que cette bande est entourée de parcelles construites – Annulation partielle.

L’association requérante demandait, à la fois pour des motifs de procédure et pour des motifs de fond, l’annulation d’une délibération municipale approuvant le PLU de la commune. Parmi ceux-ci deux méritent attention, l’un étant rejeté et l’autre admis.

Au plan procédural, le juge rappelle que la commune qui a adopté une délibération définissant les modalités de la concertation en prévoyant que celle-ci doit avoir lieu jusqu'à l'arrêt du projet de plan local d'urbanisme, ne peut pas reprendre la procédure d'élaboration et arrêter un nouveau projet sans le soumettre à une nouvelle concertation. Toutefois, appliquant une jurisprudence désormais classique, il est précisé qu’un tel vice n'est de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'élaboration du projet que si ce vice a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la délibération approuvant le projet ou s'il a privé le public d'une garantie. Tel n’était pas le cas en l’espèce, comme cela a été jugé en appel et contrairement à ce que soutenait la requérante,

Sur le fond, le PLU prévoyait, s’agissant de l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, la réalisation sur un secteur qui inclut la bande littorale des cent mètres, dans un espace dénué de construction même s'il est entouré de manière plus ou moins proche de parcelles construites, d'un ensemble immobilier de 320 logements répartis dans des immeubles de deux à quatre étages, pour une surface de plancher de 30 000 m². Sans surprise, cette solution d’urbanisme est déclarée irrégulière et l’arrêt est annulé pour dénaturation des pièces du dossier pour avoir jugé que cette partie du projet n’entraînait pas une densification significative des espaces dans lesquels il devait s'insérer…

(7 mars 2022, Association Cucq Trepied Stella 2020, n° 443804)

 

163 - Permis de construire – Régularité de l’omission de réponse à certains moyens - Existence d’une servitude de « cour commune » – Absence d’opposabilité de plein droit à une demande de permis de construire – Rejet.

De cette longue décision qui intéresse autant le droit de l’urbanisme que le droit du contentieux administratif seront seulement retenus deux points.

En premier lieu, il est rappelé, au plan procédural, que ne commet pas d’irrégularité le juge qui, quoique tenu, lorsqu’il rejette un recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif rendu en matière d’urbanisme, de répondre à l'ensemble des moyens soulevés par le requérant, omet de répondre à un moyen qui est soit inopérant soit non assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé soit assorti d'éléments insusceptibles de venir à son soutien. 

Ces trois situations se rencontrent dans cette décision.

En second lieu, il est également rappelé que si l'autorité administrative, saisie d'une demande de permis de construire ou d'une déclaration préalable, doit apprécier la légalité du projet en tenant compte des effets qu'attachent l'article L. 471-1 du code de l'urbanisme ou, le cas échéant, les prescriptions particulières légalement édictées que comporte un plan local d'urbanisme, à l'existence d'une servitude de « cour commune » sur le terrain d'assiette du projet ou un terrain voisin, une telle servitude n'est pas, par elle-même, opposable à la demande d'autorisation contrairement à ce qui était soutenu en l’espèce.

(17 mars 2022, Syndicat des copropriétaires du 26, rue d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447456 ; Syndicat des copropriétaires du 7, allée d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447536, jonction)

 

164 - Directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains (décret du 2 août 2005) – Intervention postérieure de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement – Appréciation actuelle de la juridicité de cette directive – Principe d’inconstructibilité dans les zones d’aléas dites d’affaissements progressifs ou principe de constructions conditionnées en dehors de ces zones par le plan de prévention des risques – Demande d’abrogation du décret de 2005 – Rejet.

La commune requérante demande l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le décret du 2 août 2005 portant approbation de la directive territoriale d'aménagement (DTA) des bassins miniers nord-lorrains en tant qu'il en approuve les orientations relatives à la constructibilité dans le bassin ferrifère.

Le litige soulevait la question du moment où le juge doit se placer pour apprécier la juridicité du décret critiqué. Celui-ci a été pris en 2005 pour porter approbation d’une DTA, notamment en ce que celle-ci, dans cette importante zone ex-minière, a prévu soit l’interdiction de construire sur les zones d’affaissements progressifs soit, dans les autres zones, une construction fortement contrainte en application du plan de prévention des risques. A l’époque où ce décret a été pris s’appliquaient les dispositions de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme. Puis, l’art. 13 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement a substitué aux DTA les directives territoriales d'aménagement et de développement durables. Cependant, le III de cet article 13 décide que les DTA antérieures à la publication de la loi de 2010 conservent ceux de leurs effets résultant de la version antérieure à la loi de 2010 et de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme précité. Il était prévu également soit qu’elles puissent être modifiées en vue d’y intégrer les dispositions relatives aux nouvelles directives territoriales d'aménagement soit qu'elles soient supprimées par décret en Conseil d’État. 

Ensuite, l’art. 1er de l'ordonnance du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicable aux documents d'urbanisme a supprimé, à compter de l'entrée en vigueur de cette modification, le 1er avril 2021, l'exigence de compatibilité des schémas de cohérence territoriale, ainsi que le cas échéant des plans locaux d'urbanisme, des documents en tenant lieu et des cartes communales, avec les directives territoriales d'aménagement.

Des dispositions applicables en la matière au jour où il statue le juge déduit le rejet de la requête.

Tout d’abord, en interdisant ou limitant strictement les possibilités de construire, comme indiqué plus, haut, la DTA ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'art. L. 111-1-1 du code de l’urbanisme.

Ensuite, la juridicité de cette DTA ne saurait être critiquée ni en ce qu’elle classerait la commune requérante comme commune significativement concernée par les zones d'aléas miniers, ni en fixant les règles d'inconstructibilité découlant de ce classement, lesquels résultent en l'espèce du plan de prévention des risques miniers du secteur de Jarny approuvé par arrêté préfectoral du 26 mars 2013. L’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou le caractère disproportionné des mesures restrictives en raison de la circonstance qu’aucun affaissement de terrain n’a eu lieu depuis plus de vingt ans ne sauraient être invoqués à l’encontre de cette DTA qui n’en est pas à l’origine.

Enfin, ce dernier élément, de fait, ne prive pas d’objet les dispositions de la DTA attaquée.

(21 mars 2022, Commune de Jarny, n° 439835)

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