Chronique de jurisprudence

Le Professeur Jean-Claude RICCI vous propose chaque mois sa chronique de jurisprudence du Conseil d'État. Il sélectionne les principales décisions rendues par la Haute Juridiction, les classe par thème et les analyse.

Vous pouvez consulter toutes ses chroniques depuis janvier 2018 et effectuer des recherches parmi celles-ci.

Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Décembre 2023

Décembre 2023

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Documents administratifs – Nature de - – Documents produits par des agents de police municipale – Régime juridique – Refus de communiquer – Rejet.

En principe, les documents produits par les agents de police municipale dans l'exercice de leur mission de service public, notamment ceux par lesquels ils rendent compte des opérations de police administrative qu'ils effectuent, de leur propre initiative ou à la suite d'un signalement, à des fins de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques, sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de la sécurité intérieure, ont le caractère de documents administratifs, quand bien même ils seraient par la suite transmis à une juridiction.

En revanche, les rapports et procès-verbaux mentionnés à l'article 21-2 du code de procédure pénale, par lesquels les agents de police municipale constatent une infraction pénale ou en rendent compte, qu'ils transmettent au procureur de la République, le cas échéant par l'intermédiaire des officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, ne sont pas détachables de la procédure juridictionnelle à laquelle ils participent et ne constituent donc pas des documents administratifs.

Enfin, il appartient à l'administration d'occulter ou de disjoindre les mentions dont la communication demandée est susceptible de porter atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou leurs préliminaires, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente et, lorsque le demandeur n'est pas la personne intéressée au sens de l'article L. 311-6, celles : 1)  dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée d'autres personnes, 2) celles qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une autre personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable et 3) celles qui font apparaître le comportement d'une tierce personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

En cette hypothèse, l'administration ne peut légalement se borner à occulter le nom d'une tierce personne aisément identifiable par le demandeur, mais doit occulter l'ensemble des informations relevant de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, lorsqu’elles se rapportent à cette personne.

(06 décembre 2023, Mme Margueritat, n° 468626)

(2) V. aussi, à propos de la communication de documents produits ou reçus par les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la distinction faite par le juge entre ces documents, comparable à celle présentée dans la décision précédente, selon qu’ils se situent dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des infractions pénales prévues par le code de la consommation, et qui, alors, ne constituent pas des documents administratifs communicables sur le fondement des dispositions du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sans préjudice du régime de communication particulier organisé par les dispositions de l'art. L. 521-27 du code de la consommation, ou qu’ils se situent dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des manquements aux dispositions du code de la consommation et qui sont susceptibles de donner lieu à des sanctions administratives, ou dans le cadre des contrôles administratifs prévus à l'article L. 511-14 du même code, lesquels revêtent le caractère de documents administratifs, quand bien même ils seraient par la suite transmis à une juridiction. En l’espèce, il est jugé qu’entrant dans la catégorie des documents non communicables, les documents litigieux ne pouvaient, contrairement à ce qui a été jugé par erreur de droit en première instance, donner lieu à communication : 06 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470726 et n° 470727.

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 45

(3) V. également, confirmant celle des premiers juges, la décision estimant que sont communicables les comptes rendus et le rapport de synthèse des contrôles des assainissements non collectifs établis en 2010 par la communauté de communes du Grand Chambord sans que puisse être invoquée à l’encontre de cette demande la circonstance que le nombre des demandes passées présentées par l’intéressé et les conflits qui l'opposent à la communauté de communes suffiraient à démontrer que sa demande de communication des documents en litige avait pour objet de perturber le bon fonctionnement des services. En outre, est inopérante ici l’invocation, seulement  dans une note en délibéré, de la charge, pour la collectivité, résultant de la communication des documents faisant l'objet du litige, notamment à raison de l'obligation de procéder à l'occultation d'un grand nombre de mentions, et alors que le tribunal administratif a estimé ne pas devoir rouvrir l’instruction, comme il en a la faculté. En effet, il s’agit d’un moyen que la demanderesse à la cassation était en état de faire valoir dans le délai du pourvoi :15 décembre 2023, Communauté de communes du Grand Chambord, n° 469651.

 

4 - Communication de documents administratifs – Demande de publication des fichiers correspondant aux délibérations budgétaires des collectivités territoriales et de leurs groupement, réalisés avec l'application « TotEM » et versés dans l'application « Actes budgétaires » - Refus – Application des principes de base - Rejet. 

Le ministre de l’intérieur a refusé la communication à la requérante, par publication en ligne, de plusieurs documents budgétaires et comptables des collectivités territoriales et de leurs groupements versés dans l'application « Actes budgétaires » à partir de l'application « TotEM ». Après que le tribunal administratif a enjoint cette communication par mise en ligne, le Conseil d’État, saisi par le ministre défendeur, annule ce jugement en rappelant et en croisant deux principes méthodologiques bien connus en droit de la communication des actes administratifs.

En premier lieu, celui qui demande la communication de documents administratifs n'a pas à justifier de son intérêt à cette communication, quel que soit le fondement légal de sa demande (code des relations entre le public et l’administration ou CGCT) sauf dans le cas où, l’administration invoque la charge matérielle excessive pesant sur elle du fait de cette demande, ce qui oblige le juge à apprécier l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public. 

En second lieu, l’obligation de communication ne peut porter que sur les documents tels qu’ils sont et selon les moyens techniques et modalités dont dispose l’administration détentrice. En aucun cas, cette obligation ne saurait contraindre cette dernière à recourir à un logiciel mis à sa disposition par le demandeur, à développer un nouvel outil informatique, ou à développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose.

Au cas de l’espèce, le juge relève d’abord, pour trouver régulier le refus opposé par le ministère de l’intérieur à l’association requérante, que les documents dont la communication est demandée représentent plusieurs centaines de milliers de fichiers qui peuvent contenir des données à caractère personnel concernant, notamment, le personnel de la collectivité, les personnes physiques bénéficiaires de prêts, aides et autres concours financiers, ou encore les personnes physiques débitrices à l'égard de l'administration. Il relève ensuite l’énormité de la tâche consistant en l’anonymisation matérielle des données personnelles, en l’absence de logiciel existant à cet effet et compte tenu de ce que, comme indiqué ci-dessus, l’administration n’est tenue ni d’utiliser un logiciel mis à sa disposition par l’association demanderesse, ni de développer les fonctionnalités des dispositifs actuellement utilisés par elle.

Reste entière la question de savoir – non abordée ou résolue ici - s’il est bien conforme aux exigences contemporaines de transparence et de clarté de laisser à l’administration la liberté totale de choisir selon quels moyens et modalités elle stocke les données qu’elle utilise au risque, bien évidemment, d’en rester à un stade minimal de développement des capacités techniques mises en œuvre, limitant ainsi drastiquement les possibilités de satisfaire les demandes de communication dont elle est saisie.

On peut d’ailleurs douter que les textes du droit de l’Union, ceux européens ou internationaux, soient compatibles avec cette orientation minimaliste.

(20 décembre 2023, Association « Ouvre-boîte », n° 467161)

 

5 - Procédure non contentieuse – Fixation d’un délai pour produire des observations – Observations faites avant l’expiration du délai – Impossibilité d’une décision intervenant postérieurement à ces observations mais antérieurement à l’expiration du délai fixé – Annulation.

(08 décembre 2023, M. A., n° 466620)

V. n° 126

 

6 - Avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Conditions de livraison des dépositaires de presse – Prise d’acte d’une information – Absence de caractère décisoire – Irrecevabilité d’un recours formé contre une décision ne faisant pas grief – Rejet.

Est jugé irrecevable le recours en annulation dirigé contre l’avis de l’ARCEP en date du 16 février 2023 relatif aux conditions techniques, tarifaires et contractuelles des prestations des Messageries Lyonnaises de Presse en tant qu'il se prononce sur la suppression d'un jour de livraison de la presse. En effet, cet avis, qui se borne à prendre acte de l’information portant sur les conditions de livraison des dépositaires de presse, ne constitue pas une décision susceptible de faire grief aux sociétés requérantes.

(11 décembre 2023, Société MLP et société Messageries Lyonnaises de Presse, n° 473404)

 

7 - Décret d’extradition – Demande d’abrogation – Irrecevabilité.

Pour la première fois avec une telle netteté le Conseil d’État juge, en réponse à un moyen tiré de ce qu’un décret d’extradition pris à l’encontre du requérant serait devenu illégal à la suite de changements dans les circonstances de droit et de fait postérieurs à son édiction, que des conclusions à fin d'abrogation d'un décret d'extradition ne sont pas recevables.

(21 décembre 2023, M. A., n° 476011)

 

8 - Site Eduscol – Éducation des jeunes à la sexualité - Liste ne comportant pas de commentaire – Publication de caractère informatif dépourvue de caractère impératif et sans effets notables – Irrecevabilité manifeste - Rejet.

L’association requérante demandait l'abrogation des références faites sur la plateforme Eduscol à plusieurs sites internet d'éducation sexuelle des mineurs et qu’injonction soit faite au ministre de l’éducation nationale d'abroger ces références.

Le site d'information et d'accompagnement des professionnels de l'éducation dénommé Eduscol fait référence à plusieurs sites internet traitant de l'éducation des jeunes à la sexualité, tel un site créé par Santé publique France et dénommé « onsexprime.fr ».

Le Conseil d’État rejette la requête.

Il considère que ces références, qui figurent sur le site internet Eduscol, au sein de la rubrique « éducation à la sexualité », dans un fichier devant être préalablement téléchargé, comportant une liste d'ouvrages et de sites internet, rendus accessibles au moyen de liens hypertextes, tous relatifs à l'éducation des jeunes à la sexualité, ne sont accompagnées d'aucun commentaire, ayant seulement un objet informatif, sont dépourvues de tout caractère impératif et ne peuventt être regardées, en l'espèce, comme ayant par elles-mêmes des effets notables sur les droits ou la situation des personnes auxquelles cette information est destinée. Dès lors, le refus du ministre d'abroger certaines des références, qui ne fait pas grief, est insusceptible de recours, la requête est donc manifestement irrecevable.

(28 décembre 2023, Association France Audace, n° 447946)

 

9 - Instruction relative à l’interprétation de l’état du droit – Absence d’instruction – Abstention de le faire – Irrecevabilité du recours dirigé contre cette abstention – Rejet.

La solution est classique.

Les intéressés ont demandé au premier ministre d’enjoindre aux établissements et services accueillant des personnes handicapées ou des personnes atteintes de pathologies chroniques mentionnés au 7° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, notamment les maisons d'accueil spécialisées, de respecter la législation prohibant le recours à l'isolement ou à la contention.

Ils demandent l’annulation du refus implicite né du silence gardé par le premier ministre sur leur demande et qu’injonction lui soit faite de prendre la mesure sollicitée.

Le recours est rejeté selon une motivation constante et bien connue : une autorité publique n'est jamais tenue d'adresser à des destinataires relevant de son autorité des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit qu'ils ont mission de mettre en œuvre, pas davantage n’est-elle tenue, lorsqu’elle est saisie par un tiers, de répondre à la demande dont l'objet est de faire donner instruction à ces destinataires d'appliquer les règles de droit à une situation déterminée, obligation à laquelle ceux-ci sont en tout état de cause tenus.

Par suite, le recours dirigé contre le refus de donner des instructions est manifestement irrecevable.

(28 décembre 2023, M. et Mme A., n° 488858)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

10 - Message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique – Message diffusé dans les salles de spectacles cinématographiques – Message diffusé par voie radiophonique – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Message pouvant être diffusé immédiatement après l’annonce publicitaire – Rejet.

Les recours, joints par le juge, tendaient à l’annulation de l'arrêté du ministre de la santé du 29 juillet 2022 relatif au message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique devant figurer sur les communications commerciales diffusées dans les salles de spectacles cinématographiques par des services de communication audiovisuelle, sur support imprimé, affichage et par voie radiophonique.

Ces recours qui portent essentiellement sur l’arrêté litigieux en tant qu'il s'applique à la diffusion du message de mise en garde par voie radiophonique, sont, sans surprise, rejetés.

Le développement considérable pris par les jeux et paris en ligne est devenu un phénomène de société qui oblige les pouvoirs publics à s’en préoccuper (cf. art. D. 320-2 et D. 320-5 du code de la sécurité intérieure) en raison du risque de multiplication d’addictions de tous ordres en cas de pratique excessive. Le principe même d’adoption de mesures régulatrices n’est contraire ni au principe d’égalité, étant sauve l’éventuelle spécificité des supports publicitaires, ni au principe de liberté du commerce et de l’industrie qui doit être concilié avec les nécessités de l’ordre public.

La circonstance que le message originaire d’avertissement était d’une durée de dix secondes et qu’il est désormais d’une durée double est liée à la croissance considérable des jeux en lignes et donc des risques.

Enfin, il ne saurait être sérieusement soutenu qu’il serait porté atteinte au principe d’égalité en raison de ce que les messages publicitaires diffusés par voie radiophonique, compte tenu des caractéristiques de ce média, imposent que le message de mise en garde fasse l'objet d'une lecture à haute voix diffusé immédiatement après le message publicitaire, ce qui conduit à traiter ce média différemment des autres médias où le message de mise en garde peut être lu directement par ses destinataires. Cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la norme et n'est pas manifestement disproportionnée, de sorte que le principe d'égalité n'est pas méconnu. 

(01 décembre 2023, Syndicat des radios indépendantes, n° 467991 ; Association Le Bureau de la Radio, n° 471033)

 

11 - Nom d’une personne figurant sur une liste de personnalités politiques et comme membre d’un parti politique – Situation d’appartenance ayant cessé – Auteur d’un roman dont la promotion serait impossible de ce fait – Rejet.

Le requérant demande au juge du référé liberté de faire injonction à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de retirer sans délai son nom des listes des personnalités politiques établies en application des dispositions de l’art. 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et, à titre subsidiaire, de supprimer la mention de son appartenance au parti « Reconquête ».

Il fait valoir que, venant de publier un roman, disponible en librairie depuis le 23 novembre 2023, il ne pourrait en assurer la promotion en raison du refus des médias audiovisuels de lui accorder un temps de parole au motif, selon eux, que ce temps devrait être décompté comme un temps d'intervention au titre du parti « Reconquête ». Ceci justifierait, selon lui, l'urgence particulière attachée au prononcé de cette injonction. 

La requête est rejetée.

L’intéressé ne met pas le juge en état de connaître la composition actuelle des listes en ce qui le concerne puisque le dernier relevé produit, en date du 5 décembre 2022 selon l'attestation jointe à la présente requête, mentionnant son temps de parole, date du mois de septembre 2022 et est donc antérieur à la rupture des liens de celui-ci avec le parti « Reconquête ».

Dès lors que n’est pas établie l’existence de l’urgence particulière au référé de l’art. L. 521-2 CJA, fait défaut l’une des conditions nécessaires à l’octroi de l’injonction sollicitée par cette voie.

(ord. réf. 01 décembre 2023, M. B., n° 489781)

(12) V. aussi, rejetant pour défaut d’urgence le référé tendant à la suspension de la décision par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a demandé aux éditeurs des services de radio et de télévision de regarder le requérant comme une « personnalité politique » pour l'application des dispositions de l’art. 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : ord. réf. 22 décembre 2023, M. B., n° 490109. 

 

13 - Activité de location de véhicules en libre accès - Principe de minimisation des données – Durée excessive de conservation de données personnelles – Sanction proportionnée – Rejet.

La société requérante a fait l’objet d’une amende administrative de 175 000,00 euros infligée par la formation restreinte de la CNIL, amende dont elle demande l’annulation. Sa requête est rejetée en ses différents griefs.

L’activité de l’intéressée consiste en une offre de location de véhicules automobiles en autopartage, proposée à ses clients particuliers, comportant un service entièrement dématérialisé avec des véhicules en libre accès sans intervention du personnel de la société ni lors de la prise du véhicule, ni lors de sa restitution.

La société collectait, pour sa plateforme, déployée en France, en Italie, et partiellement en Belgique, les données de géolocalisation de ses véhicules tous les 500 mètres, ainsi que lorsque le moteur s'allume ou se coupe et lorsque les portières s'ouvrent ou se ferment. Ses équipes pouvaient en outre obtenir la localisation des véhicules en temps réel. Enfin, la société conservait l'historique de l'ensemble des données de localisation pour chaque contrat de location.

La CNIL a estimé qu’il avait été ainsi manqué au respect du principe de minimisation des données au regard de leur nature, à la date de ses contrôles. Notamment, sans s’opposer au principe même de la géolocalisation des véhicules loués dans le cadre de l'activité d'autopartage proposée par la société requérante, la CNIL a cependant estimé que seule la conservation de l'intégralité des données de géolocalisation de chaque véhicule tous les 500 mètres pour chaque contrat de location, et non leur collecte, n'était pas justifiée au regard des trois finalités poursuivies tenant à la gestion de la flotte de véhicules et du service, pour limiter le temps écoulé entre chaque location et assurer la flexibilité du service, à la prévention et à la lutte contre le vol et à l'assistance à l'utilisateur en cas d'accident.

La CNIL a également considéré qu’il y avait eu manquement à cause de la durée de conservation des données puisque celles-ci, qui sont à caractère personnel et qui concernent des utilisateurs non professionnels, sont conservées pour une durée de trois ans à partir de la fin de la relation commerciale, sauf si l’utilisateur demande l'effacement anticipé de ses données. Il en va particulièrement ainsi des données de géolocalisation des véhicules, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elles sont rattachées aux données de l'utilisateur.

Par suite, la demanderesse ne saurait contester ni le bien-fondé de l’amende ni son montant.

(06 décembre 2023, Société Ubeeqo International, n° 467368)

 

14 - Article publié sur un journal en ligne – Référence acessible à partir des prénon et nom de l’auteur sur Google - Demande de déréférencement – Rejet.

M. C. a demandé a demandé à la société Google de procéder au déréférencement, dans les résultats affichés par le moteur de recherche qu'elle exploite à la suite d'une recherche portant sur son nom, du lien hypertexte renvoyant vers un article le concernant, publié sur le site Mediapart.fr. À la suite du refus opposé à cette demande par la société Google, il a saisi la CNIL d'une plainte en vue qu'il soit enjoint à cette société de procéder au déréférencement du lien en cause.

La présidente de la CNIL ayant informé M. C. de la clôture de sa plainte, celui-ci a demandé au Conseil d’État l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. 

Pour rejeter cette demande, le juge se fonde sur deux éléments.

Tout d’abord, l’article incriminé se borne à retracer le parcours artistique et politique du demandeur d’effacement sans comporter d’inexactitude matérielle dans sa narration. Au surplus, le caractère prétendument diffamatoire du titre de l’article en litige a été rejeté par un jugement du tribunal correctionnel au motif de la bonne foi de son auteur. La CNIL ne s’est donc pas fondée sur des faits matériellement inexacts pour décider de clôre la plainte.

Ensuite, ces données ayant été rendues publiques par le requérant lui-même au sens du e) du § 2 de l’art. 9 du RGPD, il s’ensuit que ce dernier ne saurait exciper de ce qu’elles relèvent d'une des catégories particulières visées à l'article 9 du RGPD.

Il est donc jugé qu’eu égard à la nature des données à caractère personnel litigieuses, à leur source journalistique et au sujet de l'article de presse, qui porte sur le choix de certaines mairies dirigées par des élus du Rassemblement national de promouvoir auprès de leurs administrés un produit proposé par l'entreprise dont M. C. est toujours co-gérant et directeur général, c’est sans illégalité que la CNIL a cru pouvoir estimer que ces informations contribuaient à alimenter un débat d'intérêt général et que le maintien du lien présentait en conséquence un intérêt prépondérant pour le public. Le refus de ne pas ordonner le déréférencement n’est, par suite, pas entaché d’illégalité.

On doit demeurer dubitatif non sur le fait que des informations soient données mais sur la mise en corrélation et le croisement de certaines d’entre elles afin de les porter, ainsi croisées et corrélées et non dans leur primitive originalité, à la connaissance de la partie du public hostile à une mouvance idéologique dans le clair dessein de voir se reporter cette hostilité vers une décision de non achat du produit en cause.

(20 décembre 2023, M. C., n° 464642)

 

15 - Pôle emploi – Traitement de données relatives aux handicapés – Exigences de légalité externe – Absence d’illégalités internes – Rejet.

Était demandée l’annulation du décret n° 2022-1161 du 17 août 2022 relatif à la création, par Pôle Emploi et les organismes spécialisés de placement mentionnés à l'art. L. 5214-3-1 du code du travail,  d'un traitement de données à caractère personnel dénommé « Traitement de données de santé nécessaires à l'accompagnement adapté des personnes en situation de handicap » afin d'améliorer l'accompagnement des demandeurs d'emploi handicapés.

Le recours soulevait un certain nombre d’irrégularités qui auraient affecté la légalité externe du décret. Elles sont toutes rejetées.

En premier lieu, le traitement en cause ne relève pas, eu égard à ses finalités et aux données traitées, des dispositions des articles 31 et 32 de la loi du 6 janvier 1978, dont aucune disposition n'imposait que ce traitement fût autorisé par décret en Conseil d'Etat.
En deuxième lieu, il est constant que la CNIL a été consultée sur le projet de décret, qu'elle a rendu un avis le 21 avril 2022 et qu’aucune disposition ne prévoit la publication de son avis.
En troisième lieu, enfin, aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonne la légalité de l'acte créant un traitement de données à caractère personnel et justifiant la réalisation d'une analyse d'impact des opérations de traitement envisagées à la condition que cette analyse soit réalisée et transmise à la CNIL préalablement à la signature de cet acte.

Concernant la légalité interne du décret litigieux, les moyens sont également tous rejetés.

En premier lieu, le traitement en cause est conforme aux exigences de l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978 en tant qu’il ne comporte que les données pertinentes au regard de sa finalité et en adéquation avec cette dernière.

Il est également respectueux :

- d’une part, des dispositions de l'article D. 5312-50 du code du travail d’ailleurs introduit dans ce code par le décret attaqué visant à l'information, l'accueil, l'orientation et l'accompagnement de manière adaptée des demandeurs d'emploi en situation de handicap vers l'emploi, l'élaboration et le suivi du projet personnalité d'accès à l'emploi, l'attribution et le versement d'aides et la mobilisation de prestations, la gestion électronique de documents et la production de statistiques. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, la circonstance que des données à caractère personnel identiques fassent l'objet d'autres traitements ayant une finalité connexe est sans incidence sur le caractère légitime, au sens de l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978, des finalités précédemment mentionnées.

- d’autre part, des dispositions de l'article D. 5312-51 introduit dans le code du travail par le même décret litigieux, en ce que les données de santé limitativement énumérées à l’article D. 5312-50 précité qu’il s’agisse de l’« origine » du handicap ou des données relatives au « besoin lié au rétablissement de la personne en situation de handicap permettant d'identifier les modalités de soutien nécessaires à son insertion professionnelle, y compris ses habitudes de vie et interactions sociales ». Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que ce décret méconnaîtrait à ce titre le droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution et l'art. 8 de la convention EDH, ainsi que les dispositions de l'art. 9 du RGDP et de l'art. 4 de la loi du 6 janvier 1978.

En deuxième lieu, les dispositions issues du décret attaqué limitent l'accès aux données à caractère personnel concernant la santé des demandeurs d'emploi figurant dans le traitement aux seuls agents, y compris de Pôle emploi, soumis au secret professionnel sous les sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal et habilités à cet effet eu égard à leurs fonctions, des organismes qu'elles énumèrent et à condition que ces agents aient besoin d'en connaître pour l'exercice des missions d'accompagnement et de soutien aux demandeurs d'emploi en situation de handicap qui leur sont dévolues. En outre, ces dispositions n'autorisent pas la collecte de données concernant la santé des personnes en méconnaissance des exigences du secret médical et de l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique. Enfin, aucune règle n'impoe que le décret attaqué mentionne les conditions dans lesquelles seront désignées et habilitées les personnes autorisées à traiter les données de santé conservées dans le traitement.

En troisième lieu enfin, dès lors, qu'eu égard à l'importance des finalités susrappelées et aux garanties dont est entourée la mise en œuvre du traitement litigieux, ainsi que la CNIL l'a d'ailleurs admis dans son avis, c'est à bon droit que le décret attaqué a été pris sur le fondement des dispositions précitées de l'exception prévue au g) du paragraphe 2 de l'article 9 du RGDP, contrairement à ce que soutient l'association requérante

(20 décembre 2023, Association Act Up Paris, n° 468295)

 

16 - Plainte d’un particulier à la CNIL – Existence d’un fichier national d’incidents d’avocats – Délai raisonnable d’instruction dépassé – Absence de traitement de la plainte – Termes de la demande – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Le requérant a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d’une demande « de bien vouloir interroger le ministère de la justice sur l'existence, l'usage et la légalité » d'un fichier national d'incidents concernant les avocats, alimenté notamment par le tribunal de grande instance de Nice. Il demande au Conseil d'État d'annuler le rejet implicite né de l'absence de réponse de la CNIL à sa plainte. 

Il est tout d’abord jugé que la CNIL, qui a enregistré la plainte de M. A. le 5 août 2019, a engagé des investigations dans le délai initial de trois mois prévu par les dispositions de l'article 78 du RGPD et a donné à M. A., par son courrier du 5 mars 2020, une partie des informations qu'il avait sollicitées sur l'existence et la base juridique du traitement en litige, s’est depuis lors bornée à lui adresser des réponses d'attente, souvent à la suite de relances de l'intéressé, lui confirmant la poursuite de l'instruction, la CNIL ne peut être regardée comme ayant traité cette plainte dans le délai raisonnable exigé par les dispositions de l'art. 8 de la loi du 6 janvier 1978. Elle doit donc être réputée l'avoir implicitement rejetée, ce qui permet à M. A. de saisir le Conseil de cette décision de rejet, ses conclusions aux fins d'annulation d'une telle décision n’étant pas dépourvues d'objet, contrairement à ce que soutient la CNIL. 

Cependant, l’intéressé s’est borné à interroger la CNIL sans se prévaloir d'aucune illégalité entachant ce traitement, ni d'aucune atteinte à ses droits s'agissant des données à caractère personnel le concernant. 

La CNIL n’a donc pas commis d’erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de prendre des mesures dans le cadre du traitement de cette plainte. Il suit de là que l’absence de traitement dans un délai raisonnable est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

(20 décembre 2023, M. A., n° 471469)

 

17 - Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et informatique (ARCOM) – Mise en demeure adressée à une chaîne de télévision – Obligation de se conformer à une stipulation conventionnelle ainsi qu’à une délibération du CSA (aujourd’hui ARCOM) – Garanties de pluralisme et d’honnêteté s’imposant aux émissions concourant à l’information même si elles ne présentent pas d’information – Manquements avérés – Rejet.

La société C8 n’est pas fondée à se plaindre de la mise en demeure que lui a adressée l’ARCOM de se conformer, à l'avenir, aux stipulations de l'article 2-3-8 de sa convention du 29 mai 2019 ainsi qu'aux dispositions des articles 1er et 3 de la délibération du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent, après des propos tenus les 18, 19 et 24 octobre 2022 par l'animateur de l'émission « Touche pas à mon poste » à la suite du meurtre d'une enfant. 

Le juge indique on ne peut plus clairement désormais que  l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique étant tenue par l’art. 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, de garantir l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, les exigences qu'elle formule s'appliquent également aux programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement. Tel est le cas de l’émission « Touche pas à mon poste » qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information puisque s’y mêlent des éléments de divertissement,  concourt à son traitement. La décision de l’ARCOM n’est donc pas, de ce chef, illégale.

Par ailleurs, il résulte tant de l’art. 3 de la délibération n° 2018-11 que de son art. 1er, d’une part, qu’il est bien établi que la chaîne en cause a manqué à son obligation de traiter l'affaire en cause avec mesure et de porter une attention particulière au respect de la présomption d'innocence et, d’autre part, que n’a pas, à cette occasion, été garantie une présentation honnête de la question traitée.

(21 décembre 2023, Société C8, n° 470565)

 

Biens et Culture

 

18 - Collectivité territoriale – Exercice du droit de préemption urbain – Conditions de légalité – Absence – Annulation de l’ordonnance de référé.

La société requérante, qui exerce l’activité d’auto-école, a consenti une cession de droit au bail sur laquelle la commune a exercé son droit de préemption urbain.

Elle a saisi le juge du référé suspension afin qu’il ordonne à la commune la suspension de l’exécution de la délibération du conseil municipal relative à l’exercice de ce droit.

Elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet.

Le Conseil d’État rappelle que l’art. L. 210-1 du code de l’urbanisme, combiné avec l’art. L. 300-1 de ce code, soumet l’exercice du droit de préemption, particulièrement attentatoire au droit de propriété et à la liberté des affaires, à plusieurs conditions cumulatives : justifier, à la date d’exercice de ce droit, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement ; projet devant figurer parmi les objets mentionnés à l'article L. 300-1 précité ; faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date ; obligation de répondre à un intérêt général suffisant.

Or, en l’espèce, le juge de cassation aperçoit dans l’ordonnance de rejet, à la fois, une erreur de droit et une dénaturation des pièces du dossier. En effet, il a cru devoir écarter les moyens soulevés par la demanderesse, tirés d’une part, de l'absence de justification de la réalité d'un projet répondant aux objectifs mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, de ce que la mise en œuvre du droit de préemption ne répondait pas à un intérêt général suffisant, alors que ni la décision de préemption attaquée, qui se borne à se référer à cette délibération et à indiquer que l'extension d'un commerce déjà existant va à l'encontre de l'objectif de diversité commerciale et artisanale ayant présidé au choix de délimiter ce périmètre, n'apportait de précision quant à la nature du projet poursuivi, notamment la où les activités commerciales ou artisanales dont l'installation ou le développement seraient organisés dans le périmètre en cause, laquelle ne ressortait pas non plus de la délibération délimitant le périmètre, ni les autres pièces du dossier qui lui était soumis n'indiquaient la nature de ce projet.

(15 décembre 2023, SAS NM Market, n° 470167)

 

19 - Domaine communal – Compétences respectives du maire et du conseil municipal  en matière d’occupation domaniale – Erreur de droit – Annulation.

Par une délibération du 16 octobre 2019, un conseil municipal a autorisé son maire à conclure avec une société une convention d'occupation et d'utilisation de plusieurs voies et chemins relevant du domaine public communal, pour les besoins d'un projet de création d'un parc éolien. La convention a été signée le même jour par le maire, et le 22 janvier 2020 par la société.

Les requérants ont demandé au tribunal administratif l'annulation de cette délibération, de la convention ainsi que de la décision implicite du maire rejetant leur recours tendant au retrait de ces actes.  Ce tribunal a transmis leur requête à la cour administrative d’appel en application des dispositions du 13° de l'article R. 311-5 du CJA.

Les intéressés se pourvoient en cassation de l’arrêt de rejet de leurs demandes.

C’est l’occasion pour le juge, au visa des art. L. 2121-29, L. 2122-21, L. 2122-22, et R. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, et R. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques de rappeler d’abord que le maire n'est compétent pour décider la conclusion de conventions d'occupation du domaine public dont la durée n’excède pas douze ans que sur délégation du conseil municipal prise en application des dispositions du 5° de l'art. L. 2122-22 du CGCT et de rappeler ensuite que s'il appartient au conseil municipal de délibérer sur les conditions générales d'administration du domaine communal, le maire est seul compétent pour délivrer et retirer les autorisations unilatérales d'occuper temporairement ce domaine. 

En l’espèce, les demandeurs contestaient la validité de la convention précitée en raison de l'illégalité de la délibération du conseil municipal en autorisant la conclusion. Or la cour a rejeté cette argumentation en retenant que cette convention ayant pour objet l'occupation du domaine public, le maire était seul compétent pour la conclure en vertu des dispositions de l'art. L. 2122-21 du CGCT, de sorte que la délibération contestée présentait un caractère superfétatoire.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour l’erreur de droit ayant consisté à n’avoir pas recherché si étaient remplies en l’espèce les deux conditions prévues au 5° de l’art. L. 2122-22 du CGCT précité : existence d’une délégation donnée au maire par le conseil municipal, appréciation de la durée de la convention.

(21 décembre 2023, M. A., société civile immobilière du Roussay et M. C., n° 471189)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Département – Demande d’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes – Régime de l’autorisation environnementale – Intérêts pouvant être soulevés à l’appui d’un recours contre une telle autosiation – Défaut d’intérêt à agir du département – Rejet.

Approuvant la solution retenue par la cour administrative d’appel, le Conseil d’État estime irrecevable le recours formé par un département contre un arrêté préfectoral autorisant sur son territoire l’implantation et l’exploitation d’un parc éolien.

Il retient pour cela qu’en vertu du 2° de l'art. 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, les autorisations délivrées au titre de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement obéissent, après leur délivrance, au régime de l'autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les conditions dans lesquelles elles sont contestées. Or l'art. R. 181-50 du code de l'environnement dispose que les autorisations environnementales peuvent être déférées à la juridiction administrative « par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 » et l’art. L. 511-1 de ce code, auquel il est renvoyé par l'art. L. 181-3, vise les dangers et inconvénients « soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ».

Il suit de là qu’une personne morale de droit public ne peut pas se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge administratif une autorisation environnementale sauf dans les cas où les inconvénients ou les dangers pour les intérêts visés à l'article L. 181-3 sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue. Il est certain que, comme l’a jugé la cour,  un département ne justifie d'aucune compétence propre en matière de protection de l'environnement, des paysages ou du patrimoine, d'aménagement du territoire ou de lutte contre l'effet de serre par la maîtrise et l'utilisation rationnelle de l'énergie qui serait susceptible de lui conférer un intérêt direct à l'annulation d’un arrêté préfectoral comme celui en cause en l’espèce.

Au reste, la circonstance que le conseil départemental de la Charente-Maritime ait voté la création d'un observatoire de l'éolien et une demande de moratoire sur l'implantation de parcs éoliens sur le territoire du département est sans aucun effet à cet égard.

En outre, si le département dispose de compétences qui lui sont attribuées par la loi en matière de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, d'élaboration et de mise en œuvre d'une politique touristique, laquelle comprend notamment l'élaboration d'un plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, il ne justifie d'aucune atteinte que le parc éolien litigieux serait susceptible de porter aux intérêts dont il assume la charge au titre de ces compétences.

Enfin, si le département entend se prévaloir de ce que le projet serait susceptible de porter atteinte à la commodité ou au cadre de vie des habitants de la Charente-Maritime, cette circonstance ne saurait lui permettre de justifier d'une incidence sur sa propre situation ou sur les intérêts dont il a la charge. Il ne saurait pas davantage soutenir être compétent en matière de promotion des solidarités et de la cohésion car ce ne sont pas là des intérêts protégés par l'article L. 181-3 du code de l'environnement.

(01 décembre 2023, département de Charente-Maritime, n° 467009)

(21) V. aussi, jugeant :

- d’abord, confirmant la décision précédente, qu’une région, comme un département, ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'arrêté autorisant l’installation et l’exploitation d’éoliennes sur son territoire,

- ensuite, qu’en revanche des communes peuvent se prévaloir d’un intérêt donnant cette qualité à agir en faisant valoir que le projet litigieux affecterait directement la qualité de leur environnement et aurait un impact sur leur activité touristique, en raison notamment de nuisances paysagères et patrimoniales résultant de la proximité ou covisibilité du site d'implantation du projet avec plusieurs monuments historiques et sites inscrits et de la présence de zones naturelles à préserver, dont une zone Natura 2000, susceptibles d'être affectées par le fonctionnement du parc éolien et situées à proximité immédiate de ce dernier : 01 décembre 2023, Région Auvergne-Rhône-Alpes et communes de Saint-Hilaire et de Meillers, n° 470723.

(22) V. encore, annulant pour contradiction entre les motifs l’arrêt d’appel jugeant que l’implantation et l’exploitation d’éoliennes nécessitait une dérogation « espèces protégées » dès lors que l’atteinte portée à la noctule de Leisler, à la noctule commune, à la pipistrelle de Nathusius, à la sérotine commune, à la pipistrelle de Kuhl, à la pipistrelle commune, à la grue cendrée et à l'oedicnème criard, alors que l’arrêt relevait également, pour la noctule de Leisler, la noctule commune, la grue cendrée et l'oedicnème criard, en s'appuyant sur les conclusions des études naturaliste et chiroptérologique et sur l'étude d'impact, versées au dossier qui lui était soumis, que les impacts pour ces espèces étaient faibles : 06 décembre 2023, Société Éoliennes des Terres Rouges, n° 466696 ; ministre de la transition écologique, n° 466723.

 

23 - Quota de logements sociaux à réaliser sur le territoire d’une commune – Non respect assorti d’une sanction financière – Article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation – Atteintes aux principes de libre administration et de nécessité et de proportionnalité des peines – QPC – Refus de transmission.

La commune d'Olivet s’est vu infliger par deux arrêtés préfectoraux une pénalité consistant à porter à 150% le taux de majoration du prélèvement fiscal prévu par l'article L. 302-7 du code de la construction et de l’habitation en raison de sa carence à satisfaire le quota de logements sociaux devant être atteint sur son territoire pour les périodes triennales 2017-2019 puis 2020-2022, quota fixé à 396 logements pour la deuxième période triennale.

Parallèlement au recours en annulation dirigé contre chacun de ces deux arrêtés, la commune a soulevé une QPC dirigée contre les dispositions de l’art. L. 302-8 du code précité en ce qu’elles méconnaissent les principes de libre administration des collectivités territoriales, de nécessité et de personnalité des peines.

Le Conseil d’État refuse la transmission de cette question.

En premier lieu, le juge rappelle que le dispositif critiqué par la QPC a été jugé conforme à la Constitution par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel rendues en 2000, 2001, 2013 et 2017 car il a pour but de mettre en œuvre l'objectif de mixité sociale et d'accroissement de la production de logements locatifs sociaux, répondant ainsi à une fin d'intérêt général et n’est pas manifestement inapproprié à l'objectif poursuivi. De sorte que la loi imposant de telles contraintes n’a pas porté à la libre administration des communes concernées une atteinte d'une gravité telle que seraient méconnus les articles 72 et 72-2 de la Constitution. 

Si, au cas de l’espèce, il est fait valoir que les dispositions en cause diffèrent de celles sur lesquelles se sont fondées les décisions précitées du juge constitutionnel, en ce qu’elles confient au préfet et plus au conseil municipal la compétence pour fixer les quotas, il n’en demeure pas moins que les différents critères de détermination des quotas sont fixés par la loi elle-même et s’imposent au préfet. La question n’est donc pas nouvelle.

En second lieu, les griefs concernant la nécessité et la personnalité des peines ne peuvent être retenus en tant qu’ils sont dirigés contre l’art. L. 302-8 précité puisque les sanctions de substitution à la carence des communes ne résultent pas de ce texte.

(01 décembre 2023, Commune d’Olivet, n° 488444)

 

24 - Département – Non-renouvellement par l’État de concessions hydrauliques – Carence prolongée – Refus d’indemnisation – Erreurs de droit – Annulation.

Un département a demandé la condamnation de l'État à lui verser la somme de 9 311 525,20 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du non-renouvellement par l'État des concessions hydroélectriques de la vallée d'Ossau.

Le département, qui a saisi du litige la juridiction administrative, se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande.

Le Conseil d’État relève dans l’arrêt attaqué deux erreurs de droit conduisant à sa censure.

En premier lieu, il est reproché à la cour, après qu’elle a jugé que la carence prolongée de l'État à procéder au renouvellement des concessions en litige était constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité, d’avoir estimé que le préjudice allégué par le département des Pyrénées-Atlantiques, tenant à l'absence de versement d'une fraction de la redevance due par les titulaires des concessions, ne revêtait pas un caractère certain au motif, notamment, que leur montant dépendait des bénéfices aléatoires retirés par ces derniers de l'exploitation des installations hydroélectriques. La cour, ce jugeant, a commis une erreur de droit car il résulte des dispositions de l’art. L. 523-2 (ex-art. L. 521-23) du code de l’énergie que les redevances en litige ne sont pas calculées en proportion des bénéfices mais des recettes de la concession, diminuées des achats d'électricité liés aux pompages. 

En second lieu, il est encore reproché à la cour de s’être bornée à juger que le département demandeur n'avait pas subi de perte de chance de percevoir une fraction de la redevance au motif, d'une part, qu'une personne publique peut renoncer à conclure une concession dont elle a engagé la procédure de passation pour un motif d'intérêt général ou lorsqu'aucune offre acceptable n'a été présentée et, d'autre part, que le taux de redevance mentionnée à l'article L. 523-2 du code de l'énergie dépend de l'équilibre économique de la concession. Là encore est commise une erreur de droit dès lors qu’il incombait à la cour de déterminer si, au regard de l'ensemble des faits propres à l'espèce, le département avait perdu une chance sérieuse de percevoir une part de cette redevance.

(14 décembre 2023, Département des Pyrénées-Atlantiques, n° 466746)

(25) V. aussi, retenant comme motif d’annulation le second des motifs exposés dans la décision précédente : 14 décembre 2023, Communauté de communes de la vallée d'Ossau, n° 466747.

 

26 - Transfert d’agents publics d’une collectivité à un syndicat intercommunal -  Règles applicables – Champ d’application – Annulation.

La solution ici retenue, en partie inédite mais cependant attendue, vaut surtout par l’extension considérable qu’il y est donné au champ d’application de la loi  sur la reprise des salariés en cas de succession d’entités employeuses. Il est jugé qu’il résulte des dispositions des art. L. 5216-6, L. 5211-41 du CGCT ainsi que de celles du dernier alinéa du I de l’art. 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du décret du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'État, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale dont est issu le deuxième alinéa de l'article L. 5211-41 du code général des collectivités territoriales, que le législateur, qui a entendu éviter les effets de discontinuité en cas de substitution d'un établissement public de coopération intercommunale à un syndicat mixte, n'a assorti les dispositions prévoyant que l'ensemble des personnels de l'établissement transformé est réputé relever du nouvel établissement dans les conditions de statut et d'emploi qui sont les siennes d'aucune restriction quant à leur champ d'application, qui couvre également, par conséquent, la situation des personnels exerçant une activité accessoire conformément aux dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et du décret du 2 mai 2007.

En conséquence, est annulé pour une première erreur de droit l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que le demandeur initial n'était pas membre du personnel de l'établissement public de coopération intercommunale, communauté d'agglomération Paris-Saclay, au sens du deuxième alinéa de l'article L. 5211-41 du code général des collectivités territoriales alors qu’il exerçait une activité accessoire pour le compte du syndicat intercommunal pour l'accueil des gens du voyage (SIAGV) à la date à laquelle cette communauté d’agglomération s'est substituée à ce syndicat dans l'exercice de ses compétences, le 1er janvier 2016.

Ensuite, les actes de recrutement de l’intéressé pris par le président du syndicat intercommunal ne prévoient point de limitation de durée pour l’exercice des deux missions, d'expertise et de conseil dans le domaine de la gestion administrative et financière, qui lui ont été alors confiées, d’où il suit que la cour a commis une seconde erreur de droit en  jugeant que M. B. était, à compter du 1er janvier 2016, employé sur la base d'un contrat à durée déterminée, au seul motif qu'un tel contrat avait été préparé par la communauté d’agglomération et que, si ce contrat n'avait pas été signé par l'intéressé, les modifications de rémunération et de quotité de travail qu'il emportait ne pouvaient lui avoir échappé eu égard aux mentions figurant sur les bulletins de salaire qu'il avait reçus.

(20 décembre 2023, Communauté d'agglomération Paris-Saclay, n° 459883)

 

27 - Authentification du chiffre de population des communes – Décret du 29 décembre 2022 – Refus de transmission d’une QPC – Utilisation de la méthode de recensement par sondage – Caractère non contradictoire – Rejet.

La commune de Corbeil-Essonnes a demandé l’annulation, d’une part, de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande de retrait du décret n° 2022-1702 du 29 décembre 2022 authentifiant notamment les chiffres des populations de métropole ainsi, d’autre part, que celle de ce décret lui-même.

La QPC qu’elle soulève ainsi que les moyens de la requête en annulation sont rejetés.

Sur la QPC, le juge fait observer, à titre principal, que contrairement à ce que soutient la commune requérante le législateur, en renvoyant - par l'article 158 de la loi du 27 février 2002 -  au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités de mise en œuvre des opérations de recensement, ne saurait avoir méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Le grief est ainsi dépourvu de caractère sérieux.

Sur la requête en annulation, le rejet est tout aussi ferme. Tout d’abord la méthode de recensement par sondage qui a été employée n'est pas dépourvue de base légale et l'INSEE est bien compétent pour concevoir, en application de l’art. 1er de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques comme de l’art. 156 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, les modalités de mise en œuvre de cette méthode. Ensuite, il ne peut être soutenu que le choix par l'INSEE, pour la mise en œuvre de la méthode par sondage, de se fonder, chaque année, sur un taux d'échantillonnage de 8% de l'ensemble des logements de la commune, soit au total, pour la période de cinq années prévue par les dispositions précitées, un échantillon de 40% de ces logements, serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Également, il appartient à l'INSEE, de déterminer les méthodes en application desquelles sont établis les résultats du recensement. En particulier, si le législateur a prévu que, pour établir les chiffres de la population lors des opérations de recensement, l'INSEE utilise, entre autres, les données démographiques non nominatives issues des fichiers administratifs, notamment sociaux et fiscaux, que cet institut est habilité à collecter à des fins exclusivement statistiques, il ne peut être regardé comme ayant entendu imposer par ces dispositions que l'INSEE fonde directement l'évaluation de la population sur les chiffres issus de ces fichiers. De plus, aucune disposition non plus qu’aucun principe n'impose que les opérations de recensement confiées à l'INSEE soient menées, et leurs résultats arrêtés, contradictoirement avec les communes intéressées. Enfin, la commune de Corbeil-Essonnes n’assortit d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé, le moyen – qui ne peut donc qu’être rejeté - que la méthode retenue par l'INSEE méconnaîtrait les dispositions du règlement (CE) n° 862/2007 du 11 juillet 2007 relatif aux statistiques communautaires sur la migration et la protection internationale, du règlement n° 763/2008 du 9 juillet 2008 relatif au recensement de la population et du logement et du règlement n° 1201/2009 du 30 novembre 2009 relatif à la mise en œuvre du règlement n° 763/2008 en ce qui concerne les spécifications techniques des thèmes et de leur classification.

(20 décembre 2023, Commune de Corbeil-Essonnes, n° 475296)

 

28 - Réforme de la dotation d’intercommunalité – Dispositions de nature transitoire – Pérennisation instituant une différence de traitement – Modification de la législation après une décision en ce sens du Conseil constitutionnel - Transmission d’une QPC.

(20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488692)

(29) V. aussi, 20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488696.

V. n° 232

 

30 - Conseil de territoire – État spécial adopté par le conseil de territoire et arrêté par le conseil d’une métropole – Président du conseil de territoire, ordonnateur des crédits à lui alloués – Étendue de sa compétence – Nouvelle répartition des crédits – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui juge que le président d’un conseil de territoire n’est pas compétent pour modifier la répartition des crédits d'investissement prévus à l'état spécial du territoire approuvé par délibération de son conseil de territoire et arrêté par le conseil de la métropole, dans la limite prévue par les dispositions de l'art. L. 5218-8-5 du code général des collectivités territoriales. En effet, il incombait à la cour de rechercher seulement si les modifications décidées excédaient la limite fixée par cet article.

(22 décembre 2023, métropole Aix-Marseille-Provence, n° 464881)

 

Contrats

 

31 - Responsabilité contractuelle - Convention de prestation de services entre un établissement public maritime et une société privée – Portée et champ d’application de la convention - Interprétation des stipulations de la convention – Commune intention des parties – Rejet.

Le 6 juillet 2007 ont été conclues, entre le port autonome de Marseille, établissement public de l'État auquel s'est substitué le grand port maritime de Marseille et la société anonyme Carfos deux conventions.

La première autorise cette dernière à établir et exploiter sur le terminal minéralier de Fos-sur-Mer un portique à processus continu, appartenant à cette société, dénommé « P+ », destiné au déchargement de vracs solides.

La seconde convention a pour objet de déterminer les conditions de réalisation de prestations de services rendues par le port pour le fonctionnement, notamment, de ce portique.

Le portique « P+ », alors conduit par l'un des agents du grand port maritime, a percuté le portique « C2 » appartenant à cet établissement public. Le grand port maritime a émis à l’encontre de la société Carfos un titre exécutoire pour remboursement des frais de remise en état des installations portuaires. Celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt rejetant l’appel qu'il avait formé contre le jugement du tribunal administratif qui a annulé ce titre exécutoire et déchargé la société Carfos de l'obligation de payer la somme en litige.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État juge que c’est sans avoir dénaturé ni les stipulations de la convention, ni l'intention des parties à cette convention que la cour a d’abord jugé que les stipulations en cause ne se sont pas bornées à organiser les modalités d'intervention des agents du terminal minéralier de Fos mis à la disposition de la société Carfos pour la réalisation des opérations de conduite et de dépannage des portiques appartenant à cette société mais ont défini le contenu et les conditions de la prestation de services effectuée par ces agents sous le contrôle et l'encadrement du grand port maritime puis qu’elle a ensuite jugé que le grand port maritime de Marseille était responsable des dommages causés du fait de la manipulation par ses agents du portique « P+ » appartenant à la société Carfos

(22 décembre 2023, Grand port maritime de Marseille, n° 472006)

 

32 - Contrat de maîtrise d’œuvre - Devoir de conseil des maîtres d’œuvre – Existence de désordres susceptibles d’effets sur la réception de l’ouvrage – Champ d’application des désordres – Annulation.

L’OPH Domanys a confié la maîtrise d'œuvre de la construction d'un ensemble de logements à un groupement dont la société SIZ' IX Architectes, aux droits de laquelle vient la société Emmanuelle Andreani Architectes, était le mandataire. Après réception de l’ouvrage, suite à un contrôle, le directeur départemental des territoires a mis en demeure l'OPH Domanys de mettre les logements en conformité aux normes portant sur leur aération et leur accessibilité aux personnes handicapées. Les travaux à cet effet ont été effectués par la société titulaire du marché de travaux. Le tribunal administratif a fait droit à la demande de l'OPH Domanys tendant à la condamnation de la société SIZ'-IX Architectes à lui rembourser le coût de ces travaux de reprise. L'OPH Domanys se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a annulé ce jugement et rejeté ses conclusions.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi au prix d’une importante extension de l’obligation de conseil incombant aux maîtres d’œuvre.

Pour accueillir l’appel de la société SIZ'-IX Architectes, la cour avait jugé que les non-conformités aux règles de construction des bâtiments d'habitation neufs n'auraient pas pu figurer au nombre des réserves assortissant la réception au motif qu'elles ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications des marchés de travaux et qu'en admettant qu'elles relèvent d'erreurs de conception de l'ouvrage, leur signalement ne relevait pas de la mission d'assistance aux opérations de réception incombant au maître d'œuvre. La cour a donc jugé que la responsabilité contractuelle de ce dernier pour manquement à son devoir de conseil à la réception ne pouvait être engagée pour ne pas les avoir signalées au maître d'ouvrage.

Le Conseil d’État, pour annuler cet arrêt, retient une conception large de l’obligation de conseil en jugeant que « Ce devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage toute non-conformité de l'ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l'art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage. » 

(22 décembre 202, Office public de l'habitat (OPH) Domanys, n° 472699)

 

33 - Décompte général et définitif – Erreur de date – Absence de caractère certain de la créance – Dénaturation des pièces – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis la cour administrative d’appel jugeant qu’un décompte général établi par le maître d'œuvre était devenu le décompte général et définitif du marché car il avait été notifié à la société concernée le 14 septembre 2011, alors, d’une part, qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette notification serait intervenue à cette date et, d’autre part, que la commune contestait le caractère définitif du décompte général et, par suite, le caractère certain de la créance de la société demanderesse.

(29 décembre 2023, Commune de Saint-Thibéry, n° 470274)

 

34 - Polynésie française – « Loi du pays » dispensant certaines délégations de service public de tout obligation de publicité et de mise en concurrence – Illégalité quels que soient les motifs avancés – Méconnaissance d’exigences constitutionnelles.

Le Conseil d’État était saisi par un jugement avant dire droit du tribunal administratif de Polynésie française de la question de savoir si les alinéas 2 à 5 de l'art. LP. 28 de la « loi du pays » du 7 décembre 2009 sont conformes aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures applicables en matière de commande publique, ainsi qu'à l'article 28-1 de la loi organique du 27 février 2004.

Ce texte décide que les règles de publicité et de mise en concurrence des délégations de service public, ne s'appliquent pas lorsqu'un établissement public confie la gestion d'un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l'art. L. 233-1 du code de commerce, c'est-à-dire une société dont il possède plus de la moitié du capital.

Le Conseil d’État, rejette d’abord la justification donnée par les autorités polynésiennes pour cette dérogation à savoir la nécessité pour les établissements publics de l’archipel de garder la maîtrise, par l'intermédiaire de leurs filiales, des services publics assurant l'« interconnexion » entre les îles de l'archipel et le fait qu’elle rendrait la gestion de ces services publics insuffisamment rentable pour des opérateurs privés.

Guère convaincu par ce « raisonnement », le juge décide qu’en dispensant par principe de toute obligation de publicité et de mise en concurrence la conclusion des délégations de service public entre les établissements publics de la Polynésie française et leurs filiales, les dispositions litigieuses méconnaissent les exigences constitutionnelles de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats, rappelées à l'art. 28-1 de la loi organique du 27 février 2004.

(29 décembre 2023, Société Pacific Mobile Telecom, n° 488288)

 

Droit du contentieux administratif

 

35 - Département – Demande d’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes – Régime de l’autorisation environnementale – Intérêts pouvant être soulevés à l’appui d’un recours contre une telle autosiation – Défaut d’intérêt à agir du département – Rejet.

(01 décembre 2023, département de Charente-Maritime, n° 467009)

V. n° 20

 

36 - Obligation de recourir au ministère d’un avocat – Irrecevabilité du recours en l’absence de satisfaction spontanée à cette exigence – Régime et effets – Cas d’une demande d’aide juridictionnelle - Annulation.

Dans un litige en désignation d’expert pour faire constater la superficie d’un logement, le Conseil d’État est conduit à rappeler et à préciser le régime de droit applicable aux actions introduites sans le ministère d’un avocat dans les cas où ce ministère est obligatoire.

Tout d’abord, la chose pouvait se discuter, l’appel d’une ordonnance en référé constat  (art. R. 531-1 CJA) n’est pas dispensé du ministère d’avocat.

Ensuite, la cour administrative d'appel peut rejeter les requêtes d'appel irrecevables à raison du  défaut de ministère d'avocat.

Elles n’ont pas, à cet effet, l’obligation de demander à l’appelant,  préalablement à l’opposition de l’irrecevabilité, de régulariser sa requête d’appel dès lors que la notification du jugement attaqué mentionnait l'obligation pour lui du ministère d'avocat en l'espèce.

En l’absence d’une telle mention dans la notification du jugement, il incombe à la cour de mettre l’intéressé en demeure de régulariser sa requête.

Enfin, dans l’hypothèse où le requérant a obtenu la désignation d'un avocat au titre de l'aide juridictionnelle et si cet avocat n'a pas produit de mémoire, la juridiction d'appel ne peut pas rejeter la requête sans avoir préalablement mis l'avocat désigné en demeure d'accomplir, dans le délai qu'elle détermine, les diligences qui lui incombent et porté cette carence à la connaissance du requérant, afin de le mettre en mesure, le cas échéant, de choisir un autre représentant, ceci afin de satisfaire à l’objectif poursuivi par la loi de 1991 sur l’aide juridictionnelle, d’accès au juge.

(01 décembre 2023, M. B., n° 468973)

 

37 - Appel d’une ordonnance de référé liberté rejetant la demande d’annulation de l’interdiction d’un concert – Délai trop bref – Requête devenu sans objet – Rejet.

À l’impossible nul n’est tenu, y compris le juge du référé liberté…

Un arrêté préfectoral du 29 novembre 2023 a interdit la tenue d’un concert prévu le 1er décembre à 20h00 ; saisi par M. B. d’une demande de suspension de cet arrêté par voie de référé liberté, le juge du tribunal administratif a rejeté la requête.

Saisi le même jour d’un appel contre cette ordonnance, le juge des référés du Conseil d’État ne peut que constater que le recours formé contre l’interdiction du spectacle est devenu sans objet après l’heure prévue pour le début de celui-ci.

(01 décembre 2023, M. B., n° 489853)

 

38 - Référé liberté – Condition d’urgence – Condition non satisfaite lorsque l’urgence ne résulte que de l’attitude du demandeur en référé – Cas de travaux sur une voie d’accès à une habitation – Rejet.

Les requérants ont saisi le juge du référé liberté en se fondant sur le fait que l’institution d’un sens unique sur la voie conduisant à leur propriété y rend l’accès impossible compte tenu de l'angle de braquage trop aigu impliqué par le sens de circulation retenu. Ce juge a rejeté leur demande au motif que si les aménagements en cause rendaient impossible l'accès à la maison des requérants en marche avant sauf à empiéter sur les places de stationnement nouvellement créées et s’il était ainsi porté atteinte à leur liberté de circulation et à leur liberté d'aller et venir, ils s'étaient toutefois placés eux-mêmes en situation d'urgence, dans la mesure où la commune avait proposé de réaliser à ses frais des travaux à l'entrée du chemin privé qui conduit à leur maison, afin de rendre plus aisé le braquage des véhicules qui s'y engagent, et qu'ils s'y étaient opposés.

Le juge d’appel rejette l’action des intéressés en relevant que s’ils contestent s’être opposés à la proposition de la commune, il ressort des pièces du dossier que tel a cependant été le cas.

(ord. réf. 01 décembre 2023, M. et Mme A., n° 489631)

(39) V., dans le même sens, le rejet de l’invocation de l’urgence lorsque c’est le requérant lui-même qui, par son attitude (ici le refus de communiquer l’état de frais funéraires), a fait naître une situation d’urgence : 22 décembre 2023, M. B., n° 488153.

(40) V. aussi, jugeant dans une affaire d’hébergement d’urgence, que si les requérants s’étaient eux-mêmes mis, par refus d’une proposition d’hébergement, en situation d’urgence et de précarité, toutefois l’état de santé de leur enfant de six ans souffrant d’un diabète de type 1, «  dont la stabilité impose un traitement par injection, environ quatre fois par jour, d'une dose d'insuline rapide à chaque repas et le soir d'une injection d'une dose d'insuline lente pour la nuit, que ce traitement soit administré de manière régulière, que les doses d'insuline sous forme de stylos soient conservées dans un endroit réfrigéré, enfin que l'enfant bénéficie également de repas adaptés et équilibrés » imposait au préfet, comme jugé en première instance, qui en a pris l’initiative pour quatre mois, à 50 km de Rennes, d’un accueil de cette famille dans un centre où la famille peut préparer ses propres repas. Pour autant, le juge rappelle qu’un tel placement « demeure toutefois sans incidence sur les mesures que l'État pourrait prendre pour assurer l'éloignement de la famille hors du territoire français. » : ord. réf. 04 décembre 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 489529.

(41) V. encore, jugeant avec une certaine sévérité que la seule circonstance qu'il n'est pas prévu de poursuivre l'accueil provisoire d'urgence d'une personne se déclarant mineure et isolée lorsqu'au terme de l'évaluation conduite, le département estime qu'elle n'a pas la qualité de mineur et que le juge des enfants, saisi, n'a pas encore statué, ne saurait caractériser par elle-même une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées. Le juge ajoute que, en tout état de cause, les mesures demandées, qui supposent de repenser l'articulation des dispositifs existants et de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique permettant, en dehors des conditions précédemment exposées, qu'un jeune, qui ne peut se réclamer de sa minorité, soit mis à l'abri dans l'attente de la décision du juge des enfants, excèdent celles pouvant être prononcées par le juge des référés, statuant sur le fondement de l'art. L. 521-2 (référé liberté)  du CJA : 08 décembre 2023, M. B., n° 489825.

(42) V. également, identique en substance à la décision précédente : 08 décembre 2023, M. B., n° 489826.

(43) V., annulant une ordonnance enjoignant à la ville de Paris d’offrir un hébergement et une mise en sécurité à une ressortissante guinéenne dont l’état de minorité est douteux, sans enfant ni souci de santé spécifique, ne présentant pas une vulnérabilité particulière et parvenue en France dans des conditions pour le moins indéterminées : ord. réf. 26 décembre 2023, Mme A., n° 490048.

 

44 - Jugements rendus sous forme d’ordonnances – Caractère public de l’audience et convocation des parties - Régime procédural propre (art. R. 742-2 CJA) – Rejet.

Il résulte du régime procédural propre aux ordonnances, fixé par l'art. R. 742-2 du CJA que celui-ci n'impose la mention ni de ce que l'audience a été publique ni de ce que les parties ont été convoquées à l'audience.

Dès lors qu'il ressort des pièces de la procédure suivie devant le juge des référés et n'est pas sérieusement contesté que l'audience a été publique que les parties y ont été convoquées, la seule circonstance que l'ordonnance ne comporte pas de mention en ce sens est sans incidence sur sa régularité. 

(05 décembre 2023, Mme Signou, n° 487973)

 

45 - Pourvoi incident – Condition de recevabilité – Pourvoi ne devant pas soulever un litige distinct – Rejet.

Est irrecevable un pourvoi incident qui soulève en réalité un litige distinct de celui sur lequel porte le pourvoi principal.

Ici, alors que le premier juge avait ordonné la communication de certains documents administratifs, le pourvoi incident demandait la communication de documents autres que ceux mentionnés dans le jugement, ce qui soulevait un litige distinct de celui sur lequel portait le pourvoi principal, d’où l’opposition de l’irrecevabilité.

(06 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470726)

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 2

 

46 - Audience – Ajournement – Absence d’indication sur une autre date d’audience – Audience tenue hors la présence ou la représentation des demandeurs – Annulation.

Une cour administrative d’appel, par un avis de renvoi en date du 12 décembre 2022, informe les parties au litige de l'ajournement de l'audience initialement fixée au 15 décembre 2022.

Ni cet avis ni aucun autre avis ultérieur ne les a averties de la date de la nouvelle audience.

Comme il ne ressort ni des mentions de l'arrêt attaqué, ni d'aucun autre élément du dossier que les parties auraient été présentes ou représentées à l'audience qui s'est tenue le 12 janvier 2023, les requérants sont fondés à soutenir que cet arrêt est intervenu au terme d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation.

(07 décembre 2023, M. C. et Mme D., n° 474539)

 

47 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Situation compromise d’une société d’assurance mutuelle – Suspension temporaire de toute nouvelle souscription – Nomination d’un administrateur provisoire – Irrecevabilité de recours formés par la société seule – Rejet.

(12 décembre 2023, Société Assurance mutuelle d'Illkirch-Graffenstaden (AMIG), n°s 469238, 469762, 471357)

V. n° 112

 

48 - Agent public contractuel – Médecin de prévention au sein de services ministériels déconcentrés – Licenciement – Conclusions jugées irrecevables pour tardiveté – Rejet.

(13 décembre 2023, Mme B., n° 459853)

V. n° 171

 

50 - Conclusions tendant au reversement de sommes dues – Jugement annulant une décision contre laquelle aucune conclusion n’avait été prise – Dénaturation des écritures de la requête – Annulation.

Alors que le tribunal administratif avait été saisi de conclusions tendant à voir condamner la caisse requérante à reverser aux organismes intéressés une certaine somme correspondant au montant de l'aide personnalisée au logement due pour l'occupation d’un appartement à compter du 1er mai 2018, il a annulé la décision par laquelle le directeur de la caisse d'allocations familiales a notifié à l’un de ces organismes la perte définitive de l'allocation de logement conservée à compter du 1er mai 2018 pour l'occupation de l'appartement en cause.

Dénaturant les écritures de la requête, le jugement est annulé.

(13 décembre 2023, Caisse d’allocations familiales de l’Hérault, n° 465912)

 

51 - Référé – Appel – Parties non présentes en première instance – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Même en référé et en dépit de l’urgence alléguée, ne peut pas interjeter appel un justiciable qui n’a été ni partie ni représenté en première instance. Cette irrecevabilité est manifeste.

(ord. réf. 04 décembre 2023, Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et Association France Palestine Solidarité, n° 489743)

V. aussi le n° 204

 

52 - Minute des jugements et arrêts – Arrêt rendu dans une formation à trois juges – Absence de mention du nom de l’un d’eux – Irrégularité – Annulation.

Appliquant les dispositions de l’art. L. 1, alinéa 1, du CJA, selon lequel « Les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus », le juge de cassation annule un arrêt dont la minute révèle que s’il a été signé par deux magistrats, respectivement président de la formation de jugement et rapporteur de l'affaire, aucune de ses mentions ne permet d'établir l'identité du troisième magistrat ayant participé à l'audience et au délibéré.

(15 décembre 2023, M. C., n° 465432)

 

53 - Ordonnance non complètement datée – Irrégularité – Annulation.

Une ordonnance, ici de la Cour nationale du droit d’asile, qui comporte seulement l’indication qu’elle a été rendue le 4 mars mais sans préciser l’année est évidemment irrégulière et encourt annulation.

(15 décembre 2023, M. B., n° 467236)

 

54 - Référé mesure utile – Délai d’appel de quinze jours – Tardiveté opposée à tort – Annulation.

Le requérant a interjeté appel d’une ordonnance de référé rendue en vue que soit ordonnée une expertise médicale en milieu pénitentiaire sur les conditions de sommeil d’un détenu. Cette ordonnance, notifiée le 20 février 2023 au garde des sceaux, était appelable sous quinze jours soit, au plus tard, le 8 mars 2023. La requête de ce dernier, enregistrée au greffe de la cour le 8 mars, était donc recevable et, contrairement à ce qu’a jugé la présidente de la cour, elle n’était pas entachée d’irrecevabilité manifeste pour tardiveté.

(15 décembre 2023, garde des sceaux, n° 472836)

 

55 - Permis de construire – Requête préfectorale en suspension d’exécution du permis délivré - Préfet agissant sur le fondement de l’art. L. 554-1 du CJA et L. 2131-6 du CGCT – Recours contre l’ordonnance de suspension – Recours ayant la nature d’un appel de droit commun – Attribution de la requête à la cour administrative d’appel.

(15 décembre 2023, Société Biarritz Camping, société civile immobilière Mendixka, n° 484082)

V. n° 293

 

56 - Permis de construire – Contestation par une association agréée pour la défense de l’environnement – Existence d’un intérêt donnant à cette association qualité pour agir - Qualification inexacte des faits – Annulation.

(18 décembre 2023, Association Patrimoine et Environnement, n° 464454)

V. n° 151

 

57 - Autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé – Absence de réception des courriers à lui adressés par la cour administrative d’appel – Absence de qualité de partie à l’instance – Pourvoi en cassation devant être regardé comme une tierce opposition – Renvoi à la cour.

Après que le tribunal administratif a annulé la décision administrative de licenciement de l’intéressé, la société employeur a saisi la cour administrative d’appel d’un appel dirigé contre ce jugement. Il est constant que le salarié n'a produit aucun mémoire en appel et n'était pas présent à l'audience tandis que tous les courriers qui lui ont été adressés par la cour ont été retournés à celle-ci avec la mention « défaut d'accès ou d'adressage » alors que l’adresse de ce dernier est demeurée inchangée. Enfin, l’avis d’audience, daté du 18 juin 2020, ne lui a été présenté que le 4 août suivant, puis remis le 16 août, soit postérieurement à la date de l'audience fixée au 6 juillet. M. A. n’ayant été ni partie, ni représenté ni mis en cause durant l’instance d’appel, il s’ensuit que son pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt de cette cour doit s’analyser en une tierce opposition au sens de l’art. R. 832-1 du CJA.

L’affaire est donc renvoyée à la cour administrative d’appel.

(19 décembre 2023, M. A., n° 445220)

 

58 - Expulsion du territoire français pour menace grave – Saisine du juge du référé liberté – Requête ne contenant l’exposé d’aucun fait ou moyen et n’ayant pas fait l’objet d’une régularisation – Irrecevabilité – Rejet.

Est évidemment irrecevable une « requête » qui ne contient l’exposé d’aucun fait ou moyen et qui n’a pas été régularisée de ces vices dans le délai du recours contentieux.

(19 décembre 2023, Mme B., n° 489670)

(59) V., identique en substance, à propos d’un ensemble de demandes provenant d’un détenu handicapé : ord. réf. 21 décembre 2023, M. A., n° 489829.

 

60 - Demande de suspension d’un concours administratif en référé – Absence d’atteinte grave et immédiate aux intérêts du requérant – Absence d’urgence – Rejet.

Ne justifie pas d’une atteinte grave et immédiate à ses intérêts ni donc d’une urgence à voir le juge statuer sur sa requête, ce qui entraîne le rejet de sa demande, un maître de conférence des universités et praticien hospitalier, qui continue à exercer ses fonctions dans un centre hospitalier universitaire, auteur d’un référé tendant  à la suspension du déroulement  d’un concours de recrutement de professeurs d'université - praticiens hospitaliers dans la section 56.02 du conseil national des universités « prévention, épidémiologie, économie de la santé, odontologie légale », aux motifs que le prochain concours dans cette spécialité ne se tiendra qu’en 2025, que ses conditions de travail sont dégradés et qu’il souffre de problèmes de santé. 

(19 décembre 2023, M. B., n° 489767)

 

61 - Interdiction d’embarquer sur un aéronef – Suspicion de trafic de stupéfiants – Interdiction limitée à cinq jours – Recours en référé devenu sans objet – Rejet.

Est déclaré devenu sans objet le recours en référé liberté dirigé contre un arrêté préfectoral pris le 21 novembre 2023, faisant interdiction au demandeur d’embarquer sur un aéronef à destination « de l’Hexagone » en raison d’une suspicion de trafic de stupéfiants, pris pour une durée de cinq jours, laquelle est expirée au jour de la présente décision.

(19 décembre 2023, M. A., n° 490021)

 

62 - Recours prématuré – Décision non encore existante – Irrecevabilité manifeste sauf intervention en cours d’instance d’une décision expresse ou explicite – Recours devenant recevable sauf s’il a, auparavant, formellement été déclaré manifestement irrecevable – Rejet.

En principe, est irrecevable le recours dirigé contre une décision qui n’existe pas encore – recours dit « prématuré » - car elle n’a pas encore été prise. Le caractère manifeste de cette irrecevabilité se traduit par l’impossibilité pour le juge d’inviter la partir concernée à régulariser sa requête. De telles conclusions peuvent donc être rejetées par ordonnance sur le fondement du 4° de l'art. R. 222-1 du CJA. Toutefois, si intervient en cours d’instance une décision expresse ou explicite, le recours devient alors recevable hormis le cas où, avant l’intervention d’une telle décision, le juge a déjà opposé l’exception de caractère prématuré.

(20 décembre 2020, M. B. et association La Quadrature du Net, n° 463151)

 

63 - Référé de l’art. R. 531-1 CJA (référé constat) – Référé susceptible uniquement d’appel – Renvoi du requérant devant la cour administrative d’appel.

Rappel qu’il résulte des dispositions des art. L. 522-3, R. 531-1 et R. 533-1 du CJA que la décision du juge des référés du tribunal administratif se prononçant sur une demande présentée en application de l'art. R. 531-1 du CJA, parce qu’elle n'entre pas dans le champ d'application des art. L. 521-1 à L. 523-1 du même code relatifs au juge des référés statuant en urgence, est susceptible de faire l'objet d'un appel.

Alors même que – comme ce fut le cas en l’espèce -, le juge des référés du tribunal administratif a, à la suite d'une erreur de droit, rejeté par une ordonnance fondée sur l'art. L. 522-3 du même code, la demande présentée par le requérant en application de l'art. R. 531-1 de ce code cette ordonnance a le caractère d'un appel.

Il y a donc lieu d'en attribuer le jugement à la cour administrative d'appel.

(21 décembre 2023, M. A., n° 475125)

 

64 - Référé provision (art. R. 541-1 CJA)  – Office du juge – Obligation d’apprécier lui-même le caractère non sérieusement contestable d’une créance – Annulation.

Pour dire non sérieusement contestable la créance fiscale dont se prévalait une requérante, le juge du référé provision a retenu deux éléments : le tribunal administratif avait, par des jugements devenus définitifs, prononcé la décharge totale des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la contribuable avait été assujettie à raison d’une parcelle qu’elle détenait, au titre des années 2014 à 2018 et l'administration n'avait pas démontré que la situation de fait aurait évolué en 2019 et 2020. 

Le Conseil d’État considère qu’a été méconnu en l’espèce l’office du juge du référé provision car il incombait à ce dernier d’apprécier lui-même directement le caractère non sérieusement contestable de la créance revendiquée par la requérante.

(21 décembre 2023, ministre de l'économie, des finances…, n° 488282)

 

65 - Référé suspension – Référé dirigé contre deux décisions avec des moyens distincts – Obligation d’identifier le(s) moyen(s) de nature à créer un doute sérieux – Absence – Annulation.

Dans un litige en suspension d’une décision décidant la mutation d’office d’un agent public et d’une délibération du conseil municipal portant création d’un poste de chargé de mission, est annulée pour insuffisance de motivation l’ordonnance du juge des référés qui ne désigne pas avec précision, celui ou ceux des moyens dont il a considéré qu'ils sont de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de chacune des décisions dont la suspension était demandée.

(13 décembre 2023, Commune de Mantes-la-Jolie, n° 472907)

 

66 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice – Réintégration d’un enseignant au sein d’une université - Risques de troubles allégués – Absence de conséquences difficilement réparables – Rejet.

Par une décision du 4 septembre 2023, contre laquelle l'université de Montpellier s’est pourvue en cassation, le CNESER, après renvoi du Conseil d'État, a infligé à M. Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur des universités à l’université de Montpellier, la sanction de l'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pour une durée de quatre ans avec privation de la totalité de son traitement.

L'université de Montpellier, à l'appui de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette décision, soutient que la sanction prononcée par le CNESER, statuant en matière disciplinaire, ayant désormais été entièrement exécutée, la réintégration, en son sein, de l’intéressé risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables. Elle produit, pour en justifier, un article de presse du 9 décembre 2022 et des publications sur les réseaux sociaux se faisant l'écho d'une mobilisation contre le retour de l’enseignant au sein de l'établissement, ainsi que des attestations d'agents exprimant leurs inquiétudes. Le Conseil d’État estime que ces éléments ne permettent pas de retenir que la condition d’existence de conséquences difficilement réparables, est remplie en l’espèce.

(22 décembre 2023, Université de Montpellier, n° 488979)

(67) V. aussi, rappelant que sont devenues sans objet des conclusions à fin de sursis à exécution d’un arrêt d’appel dès lors que leur auteur a complètement exécuté cet arrêt : 27 décembre 2023, Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 476188.

(68) V. également, ordonnant le sursis à l’exécution de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers en ce qu'elle impose au demandeur et à une SELARL de communiquer sous astreinte au conseil départemental de l'Ordre des infirmiers de la Gironde un avenant au contrat de collaboration conclu avec les collaborateurs du demandeur en raison de ce que l’exécution de cette injonction, entraînant la modification de nombreux contrats de collaboration et de l'astreinte importante dont elle est assortie, aurait des conséquences difficilement réparables : 27 décembre 2023, M. E. et SELARL E., n° 476329.

(69) V. encore, rejetant une demande de sursis à l’exécution d’une décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers au motif que si les moyens invoqués à l'appui de la requête paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à conduire à l'annulation de la décision attaquée, ils ne sont cependant pas de nature à entraîner l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond : 27 décembre 2023, Mme A., n° 488746.

 

70 - Requête d’appel – Annonce de la production d’un mémoire complémentaire – Conditions du rejet de l’appel pour irrecevabilité (art. R. 222-1, 7° du CJA) – Annulation.

Rappel qu’en vertu des dispositions du 7° de l’art. R. 222-1 du CJA les magistrats des cours administratives d'appel ne peuvent, par ordonnance rendue en application de ce 7°, rejeter une requête d'appel qu'après l'expiration du délai d'appel contre le jugement de première instance, ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé devant la cour, après la production de ce mémoire. 

En l’espèce est annulée l’ordonnance jugeant irrecevable un appel, après qu’a été annoncée la production d’un mémoire complémentaire, au motif qu’aurait expiré le délai d’appel alors que l’annonce d’un tel mémoire a été faite dans le délai d’appel.

(28 décembre 2023, M. B., n° 465725)

 

71 - Recours en révision – Ordonnance invitant à régulariser un pourvoi en cassation – Invitation adressée à l’avocat des parties non à celles-ci – Irrégularité - Ordonnance déclarée nulle et non avenue – Recours soumis à nouveau à la procédure d’admission des pourvois.

Il résulte des dispositions combinées des art. R. 612-1, R. 821-3 et R. 822-5 du CJA que l'irrecevabilité tirée de ce qu'un pourvoi en cassation a été introduit sans le ministère d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation ne peut être opposée à des conclusions soumises à cette obligation que si le requérant, invité à régulariser son pourvoi, s'est abstenu de donner suite à cette invitation.

La demande de régularisation, si elle peut être adressée pour information à un mandataire du requérant, y compris un avocat autre qu'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, qui l'aurait représenté avant l'introduction du pourvoi devant le Conseil d'État, doit impérativement être communiquée au requérant, une demande adressée à un tel mandataire ne pouvant tenir lieu de demande de régularisation adressée au requérant.

(28 décembre 2023, M. et Mme A., n° 468453)

(72) V. aussi, dans un litige en révocation d’un agent public, le rejet de l’allégation que le Conseil d’État se serait prononcé en jugeant sur « pièces fausses » (qui est l’un des trois cas donnant ouverture à révision selon l’art. 834-1 du CJA), les faits regardés comme établis par la décision attaquée l'ayant été sur la base d'attestations mensongères de collègues de l’intéressé produites dans le seul but de lui nuire, le requérant n’assortissant son affirmation d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé : 22 décembre 2023, M. D., n° 473365.

 

73 - Délai raisonnable de jugement – Invocation d’un préjudice moral du fait de son dépassement – Décomposition de la durée entre les différentes procédures – Absence de méconnaissance du délai raisonnable et de droit à réparation du préjudice moral – Rejet.

(20 décembre 2023, M. B., n° 472425)

(74) V. aussi, 28 décembre 2023, Mme B., n° 470222.

Voir n° 245 

 

75 - Litiges relatifs aux services d'aide et d'accompagnement à domicile – Dispositions applicables lors de l’épidémie de Covid-19 – Décisions ne relevant pas de l’art. L. 351-1 du code de l’action sociale et des familles – Compétence du tribunal administratif – Annulation.

(29 décembre 2023, Association de soins et services à domicile de Dunkerque, n° 470106)

(76) V. aussi, identique : 29 décembre 2023, Association d’aide à domicile en activités regroupées en Sambre-Avesnois (ADAR Sambre-Avesnois), n° 470106.

V. n° 138

 

77 - Intérêt pour agir – Convention constitutive d’un groupement d’intérêt public (GIP) – Exercice dans le passé d’une mission relevant du champ de ce GIP et vocation à en assurer d’autres dans le futur - Absence d’intérêt suffisamment direct et certain - Rejet.

Pour justifier de son intérêt à demander l’annulation de l'arrêté du 3 octobre 2022 portant approbation de la convention constitutive du groupement d'intérêt public dénommé « France Volontaires », dont l'objet est d'agir « en vue de développer et de promouvoir des engagements volontaires et solidaires à l'international, y compris dans leur dimension réciproque », le requérant indique, d’une part, avoir accompli par le passé une mission en tant que volontaire relevant de l'initiative des volontaires européens de l'aide humanitaire qui lui avait été confiée dans le cadre d'un contrat conclu avec l'association France Volontaires, d’autre part, avoir vocation à accomplir de nouvelles missions, dans le futur, dans le cadre de contrats à conclure avec le groupement d'intérêt public qui s'est substitué à cette association.

Le Conseil d’État juge, à juste raison, au vu du flou du projet du requérant et en considération du fait que l’arrêté litigieux a pour seul objet de procéder à l'approbation des conditions d'organisation et de fonctionnement internes définies par ce groupement d'intérêt public, que cela n'emporte aucune conséquence sur la situation du requérant et qu’ainsi celui-ci ne justifie pas d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

(29 décembre 2023, M. B., n° 471204).

 

78 - Avis d’audience absent ou incomplet – Absence d’information sur l’existence ou non de conclusions d’un rapporteur public – Privations de garanties – Annulation.

Encourt l’annulation pour avoir privé les parties de garanties de procédure, le jugement rendu alors qu’il n’est pas établi par les pièces du dossier que le demandeur ait reçu l’avis d’audience et qu’il est constant que l’avis d’audience adressé au département défendeur se bornait à l'informer que l'état de l'instruction du dossier pouvait être consulté sur le site de l'application « Sagace », sans comporter les informations relatives aux conclusions du rapporteur public prévues par le deuxième alinéa de l'art. R. 711-2 du CJA.

(29 décembre 2023, M. B., n° 471750)

 

79 - Transports scolaires – Frais de déplacement des élèves handicapés entre leur domicile et l’établissement scolaire fréquenté – Contentieux – Tribunal statuant sous réserve d’appel – Renvoi du litige à la cour administrative d’appel.

Les litiges relatifs au remboursement, par le Syndicat des transports d'Île-de-France et, désormais, Île-de-France Mobilités, des frais de déplacement exposés par les élèves handicapés ayant leur domicile dans la région Île-de-France ne relèvent pas des litiges relatifs « aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale » au sens de l'art. R. 811-1 du CJA. Les jugements prononcés en cette matière ne sont pas rendus en dernier ressort. Ils relèvent donc de la voie de l’appel devant une cour administrative d’appel non d’un pourvoi direct en Conseil d’État.

Le dossier de la présente affaire est renvoyé à la cour administrative d’appel de Versailles.

(29 décembre 2023, Mme A., n° 473744)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

80 - Impôt sur les sociétés – Détournements de fond – Régime applicable – TVA – Factures fictives – Régime applicable – Erreur de droit et annulation sur l’impôt – Confirmation et rejet sur la taxe.

Rappel, en premier lieu, du régime fiscal applicable en cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société.

En principe, les pertes en résultant sont déductibles des résultats de la société. Tel est normalement le cas, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers.

Toutefois, cette déduction n’est pas possible soit lorsque les détournements ont été commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés soit lorsqu’ils l’ont été par un salarié s’ils ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société.

Enfin, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, le Conseil d’État décide, pour l’application de ce régime, que ne saurait être considéré comme dirigeant ou mandataire social, celui qui exerçait les fonctions de directeur du département plancher de la société et d’un site de celle-ci, était titulaire de la signature sur les comptes bancaires et avait la qualité d'associé minoritaire. Celui-ci n’étant que salarié, la cour aurait du rechercher si les détournements commis par ce salarié ne résultaient pas d'un comportement délibéré des principaux dirigeants, associés ou investis de la qualité de mandataire social de la société ou de leur carence manifeste dans l'organisation de celle-ci et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle interne.

Rappel,  en second lieu, que, comme jugé en appel, dès lors que l’administration fiscale a à bon droit considéré que les factures émises par certains tiers étaient fictives, la cour a pu juger que la TVA qu'elles mentionnaient n'était pas déductible. 

(06 décembre 2023, Société Strudal Préfabriqués, n° 458981)

 

81 - Sommes inscrites au crédit d’un compte courant d’associé – Prise en considération de l’année d’utilisation non de la nature de ces sommes – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Annulation.

Commet une erreur de droit et entache son arrêt d’insuffisance de motivation la cour administrative d’appel qui, pour dire justifiée l’imposition au titre des revenus distribués d’une somme figurant au compte courant d’associé du contribuable, se fonde sur la circonstance qu’il n’en a disposé qu’en 2013 et ne répond pas à l’argumentation fondée sur leur nature d’intérêts des sommes inscrites en compte courant. Or c’est cette nature qui, seule, fixe le régime d’imposition.

(06 décembre 2023, M. A., n° 467508)

 

82 - Article 1649 A du CGI - Comptes ouverts à l’étranger et non déclarés – Présomption d’utilisation postérieure à l’année de découverte de leur existence - Demande de justification par l’administration au titre des années ultérieures –  Non réponse ou réponse insuffisante – Taxation d’office – Rejet.

(06 décembre 2023, M. et Mme B., n° 469040)  

(06 décembre 2023, M. et Mme B., n° 469042)

(06 décembre 2023, Mme B., n° 469043)

(06 décembre 2023, M. et Mme B., n° 469044)

V. n° 56, chronique novembre 2023 (29 novembre 2023, M. et Mme B., n° 469039)

 

83 - Qualité d’assujetti (à la TVA) revendeur – Régime de la TVA sur la marge – Revente d’un bien d’occasion – Fournisseur (direct ou indirect) situé dans un autre État de l’Union – Conditions de remise en cause par l’administration fiscale – Annulation.

Le principe, tel qu’il résulte des dispositions des art. 256bis, I, 2°bis, 297 A et 297 E du CGI, est qu'une entreprise française assujettie à la TVA a la qualité d'assujetti revendeur et peut appliquer le régime de taxation sur la marge prévu par l'art. 297 A du CGI lorsqu'elle revend un bien d'occasion acquis auprès d'un fournisseur, situé dans un autre État membre, qui, en sa qualité d'assujetti revendeur, lui a délivré une facture conforme aux dispositions de l'art. 297 E de ce code, et dont le fournisseur a aussi cette qualité ou n'est pas assujetti à la TVA ou encore est situé en France mais dont le fournisseur est situé quant à lui dans un autre État-membre.

Toutefois, par exception à ce principe, l'administration peut remettre en cause l'application du régime de TVA à la marge lorsque l'entreprise française connaissait ou ne pouvait ignorer que son fournisseur n'avait pas la qualité d'assujetti revendeur et n'était pas autorisé à appliquer lui-même le régime de taxation sur la marge. Lorsqu'une entreprise produit des factures émanant de ses fournisseurs qui mentionnent que la vente des biens en cause s'effectuaient sous le régime de la taxe sur la marge, il incombe à l'administration, si elle s'y croit fondée, de démontrer que les mentions portées sur ces factures sont erronées et que le bénéficiaire de ces achats savait ou aurait dû savoir que les opérations présentaient le caractère d'acquisitions intracommunautaires taxables sur l'intégralité du prix de revente à ses propres clients, et sans que pèse sur le contribuable l'obligation de vérifier la qualité d'assujetti revendeur de ses fournisseurs.

En l’espèce, commet une erreur de droit la juridiction d’appel qui, pour décider que l'administration avait à bon droit remis en cause l'application du régime de TVA sur la marge, se fonde sur ce qu'il résultait de l'instruction et qu'il n'était pas contesté que les véhicules en litige avaient précédemment appartenu soit à des loueurs, soit à des concessionnaires, soit étaient utilisés à des fins professionnelles par des sociétés commerciales, inférant de là que ces propriétaires avaient ainsi bénéficié du droit de déduire la TVA, alors que la circonstance que les véhicules en litige aient précédemment appartenu à de tels propriétaires ne suffisait pas à établir qu'ils avaient bénéficié du droit de déduire la TVA, notamment s'agissant de voitures particulières acquises par des sociétés commerciales indéterminées.

(07 décembre 2023, M. A., n° 467358)

(84) V. aussi, très voisine, mais, à l’inverse de la précédente, la décision annulant l’arrêt d’appel pour n’avoir pas recherché si la société établissait, ainsi qu'elle le soutenait, que les conditions de fond pour l’application de l’art. 297 A du CGI, transposant celles de l'art. 314 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA étaient satisfaites en l’espèce : 12 décembre 2023, Société Lefebvre Petrenko, n° 466239.

 

85 - TVA – Location de terrains non aménagés et de locaux nus - Demande de décharge de rappels de TVA – Droit à déduction pour dépenses antérieure à l’option – Prétendue rétroactivité de l’option – Erreur de droit – Annulation.

L’art. 261 D du CGI exonère de la TVA les contribuables pratiquant des locations de terrains non aménagés et des locaux nus. La société François Perrino Holding a demandé, en vain en première instance, la décharge des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée procédant de la remise en cause de l'exercice d'un droit à déduction au titre de la taxe grevant des dépenses exposées antérieurement à la date à laquelle elle avait formulé l'option prévue à l’art. 260 du CGI selon lequel « Peuvent sur leur demande acquitter la taxe sur la valeur ajoutée :

(...) 2° Les personnes qui donnent en location des locaux nus pour les besoins de l'activité d'un preneur assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ou, si le bail est conclu à compter du 1er janvier 1991, pour les besoins de l'activité d'un preneur non assujetti.

L'option ne peut pas être exercée :

(...) b. Si le preneur est non assujetti, sauf lorsque le bail fait mention de l'option par le bailleur. » L’art. 194 de l’annexe II à ce code précise que « L'option ou sa dénonciation prend effet à compter du premier jour du mois au cours duquel elle est formulée auprès du service des impôts ».

La cour administrative d’appel a estimé que la société avait clairement manifesté son intention de conférer à cette option, exercée le 15 décembre 2016, un effet rétroactif au 1er janvier de la même année, ce dont elle a déduit que, peu important le temps écoulé entre l'engagement des dépenses en amont et le début effectif de l'activité en cause, intervenu le 1er janvier 2017, la société était fondée à solliciter le bénéfice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses.

Le Conseil d’État, sur pourvoi du ministre de l’économie et des finances, est à la cassation de cet arrêt pour erreur de droit car il incombait à la cour de rechercher à quelle date avaient été souscrits les engagements contractuels en vertu desquels la société a débuté son activité, le 1er janvier 2017, et alors que l'option exercée était en tout état de cause insusceptible de produire des effets, au titre de l'exercice par la société de son droit à déduction, antérieurement au 1er décembre 2016 ainsi qu’il résulte des dispositions précitées du CGI.

(21 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 474042)

 

86 - Détermination de la valeur locative de locaux professionnels – Hôtel – Application de l’art. 1498 du CGI – Méthodes d’évaluation – Régime – Annulation.

Le volume des contentieux suscité par les dispositions régissant les impôts locaux est tel, année après année, que s’introduit un doute sur la légitimité de tels impôts ou sur l’ahurissante complexité subjective de leurs bases.

À la lecture du texte de l’art. 1498 du CGI, il ressort que le juge de l'impôt, saisi d'une contestation portant sur la méthode d'évaluation des locaux soumis à impôt retenue par l’administration, a l'obligation, lorsqu'il estime irrégulière cette dernière méthode d'évaluation, de lui substituer la méthode d'évaluation qu'il juge régulière.

Lorsqu’il retient une méthode d’évaluation par comparaison, comme le permet le  2° de cet article 1498, il incombe au juge de rechercher un terme de comparaison qu'il estime, par une appréciation souveraine, pertinent et dont il vérifie la régularité, en se fondant pour cela sur les éléments dont il dispose ou qu'il sollicite par un supplément d'instruction.

En l’espèce, il est reproché à la cour administrative d’appel d’avoir tout à la fois manqué à son office et commis une erreur de droit en retenant comme terme de comparaison l’application au local-type choisi par l’administration d’un coefficient d’ajustement de 55% proposé par la société contribuable pour tenir compte des différences de caractéristiques entre les deux termes de comparaison sans rechercher si l'évaluation de la valeur locative sur laquelle elle s'est fondée était conforme aux dispositions de l'article 1498 du CGI et alors au surplus que cette évaluation reposait sur le même local-type que celui qu'elle avait écarté.

(07 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 474034, n° 474057, n° 474058 et n° 474059)

 

87 - Sanctions des contrevenants aux obligations légales en matière fiscale – Impossibilité de leur déduction du bénéfice soumis à impôt – Cas d’une sanction infligée par un organisme étranger pour méconnaissance d’une obligation légale étrangère – Annulation.

Une société a déduit de son bénéfice imposable les sommes qu’elle a été tenue d’acquitter à titre punitif pour n’avoir pas satisfait aux obligations légales d’un pays étranger et auxquelles elle a été contrainte sur décision d’un organisme situé à l’étranger. Le ministre requérant demande l’annulation de l’arrêt qui a estimé ces sommes déductibles.

Le Conseil d’État lui donne raison relevant seulement qu’il est fait exception à ce principe de non déductibilité des sanctions et pénalités fiscales seulement dans le cas où cette sanction aurait été prononcée en contrariété avec la conception française de l'ordre public international.

La décision ne nous paraît admissible qu’en cas d’identité et non de simple compatibilité des régimes applicables en cette matière dans les deux États en cause ainsi que d’une procédure administrative non contentieuse présentant toutes garanties.

(08 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 458968)

 

88 - Retenues à la source sur les produits d'actions et de parts sociales et les revenus assimilés - Application aux revenus dont le bénéficiaire n’a pas son domicile fiscal ou son siège en France – Application églement au récipiendaire ayant son domicile fiscal ou son siège en France si le bénéficiaire effectif des revenus en cause a son domicile fiscal ou son siège hors de France – Ajout à la loi – Auteur incompétent – Annulation.

La requérante demandait l’annulation des paragraphes 1 et 5 des commentaires administratifs publiés le 15 février 2023 au bulletin officiel des finances publiques-Impôts sous la référence BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10 ainsi que des commentaires administratifs publiés sous les références BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123.

Selon les paragraphes critiqués, la retenue à la source sur les produits d'actions et de parts sociales et les revenus assimilés instituée par cet article « s'applique aux revenus considérés dans la mesure où ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. (…) À cet égard, la retenue à la source s'applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c'est-à-dire la personne qui a le droit d'en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France ». Le paragraphe 5 des mêmes commentaires précise que :

« Dans certaines situations, la détermination des personnes qui bénéficient effectivement des revenus sur lesquels s'applique cette retenue à la source peut présenter des spécificités, notamment en ce qui concerne le traitement fiscal de certaines activités des établissements bancaires concernant les acquisitions temporaires d'actions de sociétés françaises et les opérations sur certains produits dérivés.

Pour plus de précisions sur les opérations susceptibles de donner lieu au prélèvement par l'établissement bancaire d'une retenue à la source, il convient de se reporter au BOI-RES-RPPM-000122.

Pour plus de précisions sur la retenue à la source à prélever par un établissement bancaire s'agissant d'opérations d'acquisition temporaire d'actions de sociétés françaises auprès de personnes dont le domicile ou le siège est situé hors de France ou de conclusion avec ces mêmes personnes d'opérations sur produits dérivés dont les sous-jacents sont ou comportent des actions de sociétés françaises, il convient de se reporter au BOI-RES-RPPM-000123 ». 

La requérante soutenait qu’il résulte des dispositions du 2 de l’art. 119 bis du CGI que les distributions entrant dans leur champ donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsque le titulaire du droit de les percevoir ou, s'agissant de revenus regardés comme distribués, leur bénéficiaire est domicilié ou établi hors de France. Elles ne sauraient être interprétées comme prévoyant que sont soumises à retenue à la source des distributions dont le titulaire est une personne ayant son domicile fiscal ou son siège en France, lorsque les sommes en cause sont reversées, en tout ou en partie, à une personne ne satisfaisant pas à cette condition et regardée par l'administration comme en étant le bénéficiaire effectif. 

Reprenant à son compte ce raisonnement, le Conseil d’État juge qu'en dehors des situations prévues par l'art. 119 bis A du CGI, l'administration fiscale ne peut, sauf à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, écarter comme ne lui étant pas opposable l'interposition, entre l'établissement payeur et la personne non résidente qu'elle regarde comme le bénéficiaire effectif des revenus en cause, d'une personne résidente titulaire du droit de percevoir des distributions. Il tire de là qu’en énonçant que la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI « s'applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c'est-à-dire la personne qui a le droit d'en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France », les commentaires attaqués ajoutent incompétemment aux dispositions législatives qu'ils ont pour objet d'éclairer. 

Ces commentaires sont annulés.

(08 décembre 2023, Fédération bancaire française, n° 472587)

(89) V. aussi, très comparable dans la démarche et identique dans son constat d’ajout à la loi par une autorité incompétente, la décision jugeant que les paragraphes 540 et 585 des commentaires administratifs publiés le 25 septembre 2017 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-RPPM-RCM-40-50-20-20, par lesquels l'administration fiscale a fait connaître son interprétation des dispositions de l'art. L. 221-31 du code monétaire et financier en tant que ces commentaires excluent la possibilité d'inscrire dans un plan d'épargne en actions les titres acquis en exercice de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, ont ajouté incompétemment à la loi. En effet, si l'art. L. 221-31 du code monétaire et financier exclut la possibilité d'inscrire dans un plan d'épargne en actions des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, de tels bons ne figurant pas au nombre des emplois énumérés par son I, ni ces dispositions, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne font obstacle à ce que les sommes versées sur ce plan soient employées pour l'acquisition, en exercice de tels bons, de titres éligibles au plan en vertu de ce même I. Est sans incidence à cet égard, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, l'abrogation par l'art. 13 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 du c) du 1° du I de l'art. L. 221-31 du code monétaire et financier, qui permettait d'inscrire dans un plan d'épargne en actions des droits ou bons de souscription ou d'attribution attachés à des actions ou parts de sociétés éligibles en vertu des a) et b) du même 1° : 08 décembre 2023, M. B., n° 482922.

 

90 - Régimes de l’impôt sur les sociétés et de la TVA – Droits et charges versés par une société établie en France à une société située hors de France – Cas  d’une fiscalité privilégiée existant dans cet État – Conditions de déductibilité de l’assiette de l’impôt (art. 238 A CGI) – Rejet.

Expression du traditionnel nationalisme du droit fiscal, l’art. 238 A du CGI  décide que ne sont admises comme charges déductibles, pour l'établissement de l'impôt, que celles versées par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elles sont soumises à un régime fiscal privilégié, que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Pour dire un régime fiscal priviligié, cet article retient qu’il en est ainsi lorsqu’il aboutit à ce que les débiteurs n’y sont pas imposables ou y soient assujettis à des impôts dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont ils auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, s’ils y avaient été domiciliés ou établis.

En l’espèce, l'administration fiscale a notamment remis en cause la déduction des bénéfices de la société Pro'Confort de redevances qu’elle a versées à une société en exécution d'un contrat de licence de la marque « Pro'Confort » conclu avec cette dernière. 

Il convenait encore, pour refuser la déductibilité des sommes versées à titre de droits et charges, d’établir l’existence d’une fiscalité privilégiée et le caractère réel et non anormal desdits droits et charges.

Sur le premier point, le juge est convaincu par la démonstration opérée par l’administration fiscale d’où il résulte que les sociétés constituées à Chypre dont le capital est détenu par des non-résidents et dont la source des revenus est située hors de Chypre sont soit soumises à un taux d'impôt sur les sociétés de 10 % (12,5 % en 2013) si elles sont contrôlées ou dirigées depuis Chypre, soit exonérées dans le cas contraire (heureux contribuables chypriotes…), alors que le taux de l'impôt français sur les sociétés était fixé à 33,1/3 % à l’époque des années en litige.

Sur le second point, le juge de cassation approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé que la société demanderesse n'apportait aucune justification comptable au soutien de ses allégations selon lesquelles le montant des redevances versées était proportionné au regard du chiffre d'affaires réalisé grâce à la vente des produits qu'elle commercialisait sous les marques « Pro'Confort France ».

Le recours est rejeté.

On relèvera le caractère artificiel et contestable de la « logique » de cet article 238 A du CGI, illustration supplémentaire de la rapacité fiscale propre à la France. Comparer deux taux d’imposition pris abstraitement n’a aucun sens. Il convient de restituer la réalité dans sa globalité en mettant en balance, dans les deux cas, et le taux d’imposition et la qualité, la régularité et la densité des services rendus par la puissance publique dans chacun d’eux. L’impôt n’est pas une substance désincarnée flottant dans les airs mais une modalité en relation directe avec ce qu’est l’ordre social désirable dans une société et une civilisation données.

(12 décembre 2023, Société Pro’Confort, n° 464740)

(91) V. aussi, identique : 12 décembre 2023, Société Pro’Confort, n° 464874.

 

92 - Impôt sur les sociétés – Interposition d’une société luxembourgeoise dépourvue de substance économique – Abus de droit - Revenus devant être considérés comme appréhendés directement par le contribuable requérant – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier qu’une cour administrative d’appel aperçoit un montage artificiel constitutif d’un abus de droit, avec toutes les conséquences qui découlent de cette qualification juridique, dans l’interposition entre le contribuable et la société productrice de dividendes d’une société de droit luxembourgeois dépourvue de substance économique réelle, son interposition entre ses associés et la société française Fidem avait pour but exclusif de permettre au contribuable de s'approprier en franchise d'impôt le produit de la cession des actifs de la société Fidem via la société Holdem.

La circonstance, invoquée par le contribuable, qu'il aurait eu la possibilité, au moyen d'un rachat par la société Fidem de ses propres titres suivi de leur annulation, d'appréhender en franchise d'impôt la trésorerie de cette société compte tenu du montant élevé des droits de mutation à titre gratuits acquittés lors de l'entrée de ces titres dans son patrimoine, venant majorer leur prix de revient. Toutefois, cette circonstance était sans incidence sur l'existence d'un montage artificiel et sur le droit de l'administration de l'écarter comme ne lui étant pas opposable.

Ainsi, cette interposition n’était pas opposable  et les distributions réalisées par la société française Fidem devaient être regardées, à hauteur de la participation de M. B. au capital de la première de ces sociétés, comme des sommes directement appréhendées par celui-ci, taxables entre ses mains.

La solution n’est guère judicieuse au regard de l’argumentation du contribuable relative au rachat de ses propres parts par la société Fidem. En quoi le caractère, même à le supposer artificiel, d’un montage juridique produisant les mêmes effets qu’un montage régulier lèse-t-il le fisc ? Où est passé le « réalisme » du droit fiscal ?

(12 décembre 2023, M. B., n° 470038)

(93) V. aussi, dans le même litige que ci-dessus, avec même solution : 12 décembre 2023, M. B., n° 470039.

 

94 - Taxe sur les métaux précieux – Notion de bijoux au sens du I de l’art. 150VK du CGI – Absence de métaux précieux entrant dans la composition de bijoux – Soumission à la taxe – Annulation.

Le I de l’art. 150 VI du CGI soumet à une taxe (une de plus !) sur les métaux précieux les cessions à titre onéreux de bijoux.

Une cour administrative d’appel a jugé que seules entraient, en qualité de « bijoux », dans le champ d’application de cette taxe « les montres composées de métaux précieux ou comportant des perles, des pierres précieuses ou des diamants ».

Annulant pour erreur de droit cette qualification, le Conseil d’État décide que par « bijoux » au sens de cette disposition fiscale il faut entendre les « objets ouvragés, précieux par la matière ou par le travail, destinés à être portés à titre de parure, y compris lorsqu'ils ne sont pas composés de métaux précieux. » Ainsi, avec une logique qui n’appartient qu’à lui le juge estime applicable la taxe sur les métaux précieux à des objets ne comportant pas de métal précieux.

Reste plus qu’à baptiser carpe le lapin…

(12 décembre 2023, Société Paris Heure, n° 470249)

 

95 - TVA – Calcul (art. 1586 ter, II, 1 du CGI) - Loyers afférents à des biens corporels – Notion – Sommes représentatives de contreparties – Erreur de droit – Annulation.

Il résulte d’abord du 1 du II de l'article 1586 ter du CGI que  : « La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies ».

Il résulte ensuite du 4 du I de l'article 1586 sexies précité : « La valeur ajoutée est égale à la différence entre :

a) D'une part, le chiffre d'affaires (...)

(...)

b) Et, d'autre part :

(...)

- les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location (...) ».

Interprétant ces dispositions, le Conseil d’État considère que doivent être regardés comme des loyers afférents à des biens corporels l'ensemble des sommes versées en contrepartie d'une prestation dont l'objet principal est la mise à disposition de tels biens, y compris celles constituant la contrepartie d'une prestation accessoire à cette mise à disposition.

En revanche, le juge estime que les sommes versées en contrepartie d'autres prestations, distinctes, fournies en complément de la mise à disposition de biens corporels et des prestations accessoires, n'ont pas le caractère de loyers.

Il en déduit qu’en cas de facturation globale, le preneur doit établir, par tous moyens, la fraction du prix qui correspond à ces prestations distinctes.

En l’espèce, la société requérante, pour assurer la livraison de béton, concluait avec des loueurs des contrats-cadres dont l'objet était la location de véhicules avec personnel de conduite, notamment pour une durée supérieure ou égale à six mois. Des contrats d'application étaient ensuite conclus, précisant notamment que le service rendu consistait à mettre un camion avec chauffeur à disposition du preneur afin de lui permettre de délivrer des quantités de béton sur les chantiers de ses clients. 

Suite à un litige portant sur cette notion de loyers déductibles, la cour administrative d’appel a d’abord estimé que les dépenses de loyers, non déductibles de la valeur ajoutée servant au calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, s'entendaient strictement, à l'exclusion de l'ensemble des prestations et frais annexes à cette location mais compris dans le coût global facturé par le prestataire. Elle a ensuite jugé que pouvaient être déduits de la valeur ajoutée la part des coûts des contrats ne correspondant pas à « la stricte location des camions ». Ce faisant elle a commis une erreur de droit car elle n’a pas recherché si les frais annexes à déduire correspondaient effectivement à des prestations distinctes fournies en complément de la mise à disposition des véhicules et non à des prestations accessoires à celle-ci.

(12 décembre 2023, Société Eqiom Bétons, n° 470624)

 

96 - Sommes provenant de détournements des fonds d’une SARL par son gérant – Imposition au titre des bénéfices non commerciaux – Erreur de droit - Requalification en revenus de capitaux mobiliers (art. 109 CGI) – Substitution de base légale sur demande de l’administration – Rejet.

L’administration et les juges du fond commettent une erreur de droit en considérant que les sommes provenant du détournement de fonds d’une SARL par son gérant entrent dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (art. 92 CGI) alors qu’ils ressortissent à celle des revenus de capitaux mobiliers ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. 109 du CGI.

Toutefois, il est loisible à l’administration fiscale, à tous les stades de la procédure, d’opérer une substitution de la base légale de l’imposition pour justifier de son bien-fondé.

Le pourvoi du contribuable est donc rejeté.

(13 décembre 2023, M. A., n° 469629)

 

97 - Contrats comportant occupation du domaine public d’aéroports – Société occupante assujettie à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à la taxe additionnelle – Absence d’erreur de droit ou de qualification inexacte des faits – Rejet.

La société demanderesse louait des espaces au sein des aéroports de Nice Côte d'Azur et de Pointe-à-Pitre aux fins d'exploitation commerciale de boutiques de « duty free » sur le fondement de conventions conclues avec, respectivement, la société des aéroports de la Côte d'Azur et la chambre de commerce et d'industrie de région des Îles de Guadeloupe, et constituant « des autorisations d'occupation temporaires et révocables » du domaine public. En contrepartie, la société versait des redevances comportant une part fixe et une part variable indexée sur le montant du chiffre d'affaires.

À la suite d’une vérification de comptabilité l’administration fiscale a remis en cause la déduction de certaines charges de la valeur ajoutée retenue pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont la société était redevable au titre des années correspondant aux deux exercices contrôlés et l'a assujettie à des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle et de frais d'assiette.

Son recours contre cette décision ayant été rejeté en première instance et en appel, la société se pourvoit en cassation, en vain. 

Le débat portait sur la qualification juridique du lien contractuel entre la société et les gestionnaires d’aéroports. Cette dernière soutenait que la part fixe de ses redevances correspondait à l’exploitation commerciale des boutiques et que la part variable correspondait à un droit spécifique conféré à l’occupant et distinct de celui d’occupation domaniale.

Le juge de cassation fait sienne l’analyse de la cour au bénéfice du pouvoir d’appréciation souveraine des faits exempt de dénaturation. Selon la cour,  il ne résultait d'aucune des stipulations de ces conventions, et notamment pas de celles précisant que l'objet de l'occupation du domaine était l'exploitation commerciale de boutiques, que la part variable des redevances serait la contrepartie spécifique d'un droit conféré à l'occupant, distinct de celui d'occuper privativement le domaine public à des fins économiques. En conséquence, c’est sans erreur de droit ou qualification inexacte des faits que la cour a  jugé que ces redevances constituaient, pour leur totalité, la contrepartie de la location de biens corporels au sens de l'article 1586 sexies du CGI dont le I du 4 dispose : « La valeur ajoutée est égale à la différence entre :

a) D'une part, le chiffre d'affaires (...)

b) Et, d'autre part : (...)

- les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance (...) ». Il s’en déduit donc que, selon ce texte, doivent être regardés comme des loyers ou redevances afférents à des biens corporels, non déductibles pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et partant, pour le calcul de la taxe additionnelle et des frais de gestion, l'ensemble des sommes versées en contrepartie d'une prestation dont l'objet principal est la mise à disposition de tels biens, y compris celles constituant la contrepartie d'une prestation accessoire à cette mise à disposition. Ce qui était exactement le cas de l’espèce.

(21 décembre 2023, Société Dufry France, n° 469209)

 

98 - Taxe annuelle sur les logements vacants – Art. 232, I, 2° et 1407 ter, I du CGI – Taxe perçue dans les communes touristiques – Absence de charge excessive ou de défaut de critères objectifs et rationnels – Refus de transmission d’une QPC.

 (21 décembre 2023, Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM) et autres, n° 488601)

V. n° 235

 

99 - Procédure de redressement – Créances fiscales nées postérieurement au jugement ouvrant cette procédure – Dispense de l’obligation de déclaration prévue alors par le code de commerce – Absence d’incidence sur ces créances – Rejet.

N’est pas entaché d’insuffisance de motivation et d’erreur de droit le jugement qui, constatant que les créances en litige sont nées après le jugement d'ouverture de la procédure de redressement dont Mme A. a fait l'objet, estime que ces créances n'étaient dès lors pas soumises à l'obligation de déclaration prévue par l'art. 50 de la loi du 25 janvier 1985 repris à l'art. L. 621-43 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 et applicable à la procédure ouverte à l'encontre de la requérante et qu’en conséquence l'absence de déclaration des créances fiscales au liquidateur de Mme A. était sans incidence sur leur exigibilité et leur recouvrement.

(22 décembre 2023, Mme A. et société JSA, mandataire liquidateur, n° 470988)

 

100 - TVA – Demande de décharge de rappels de taxe – Invocation du bénéfice des dispositions du second alinéa de l’art. L. 80A du LPF – Juridiction statuant exclusivement sur le fondement des dispositions du premier alinéa de cet article – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Le contribuable, qui exerce la profession d’avocat, demandait l'annulation d’un arrêt en tant qu'il avait statué sur ses conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012. À cet effet, le demandeur faisait valoir, sur le fondement de l'art. L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs du 12 septembre 2012 relatifs aux règles d'assujettissement des prestations d'avocat selon les conditions d'exercice de cette profession. 

Pour rejeter la demande, la cour s’est fondée sur le premier alinéa de cet article, motif pris de ce que M. A., qui n'avait ni souscrit les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à son activité d'avocat libéral au titre de l'exercice clos en 2012, ni spontanément acquitté cette taxe au cours du même exercice, ne pouvait utilement s'en prévaloir.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit pour n’avoir pas examiné l’argumentation du contribuable reposant sur le second alinéa de ce même art. L. 80 A alors qu'elle avait estimé que M. A. s'était prévalu, sur ce fondement, de la même instruction pour soutenir qu'en ne déclarant pas de taxe sur la valeur ajoutée, il avait appliqué un texte fiscal que l'administration avait interprété comme excluant qu'il en soit lui-même redevable en sa qualité de membre d'une société d'exercice libéral. 

(22 décembre 2023, M. A., n° 471373)

 

101 - TVA – Condition d’assujettissement – Absence de développement d’une activité économique en France – Absence d’établissement doté d’un degré suffisant de permanence en France – Rejet.

L’administration fiscale lui ayant infligé des suppléments d’impôt sur les sociétés et surtout des suppléments de TVA, une société de droit britannique a saisi, d’abord en vain, le tribunal administratif, puis avec succès la cour administrative d’appel ; le ministre des finances se pourvoit en cassation de l’arrêt rendu par celle-ci.

Le Conseil d’État approuve la solution retenue par l’arrêt querellé.

D’abord, c’est sans erreur de droit que la cour, au visa du I de l’art. 209 du CGI selon lequel « (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) », a jugé que la société n'exploitait pas une entreprise en France au sens des dispositions de cet article, pas plus qu'elle n'y disposait d'un établissement stable au sens de la convention signée le 19 janvier 2008 entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord, dès lors qu’elle se bornait à encaisser des sommes, correspondant en l'occurrence à des commissions liées à l'activité d'architecte exercée en France par son associé unique, cette circonstance ne permettant pas de regarder cette société comme développant une activité économique, notamment en France.

Ensuite, c’est encore sans erreur de droit que la cour, au visa de l’art. 256 du CGI, a estimé, reprenant les motifs précédents, que la société ne pouvait être regardée comme disposant d'un établissement doté d'un degré suffisant de permanence et d'une structure autonome en France justifiant son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée en France.

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 474331)

 

102 - Déduction de 40% des biens d'équipement de réfrigération et de traitement de l'air utilisant certains fluides réfrigérants (I de l’art. 39 decies D CGI) – Commentaires administratifs illégaux – Annulation.

Le I de l’art. 39 decies D du CGI prévoit que les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu selon un régime réel d'imposition peuvent déduire de leur résultat imposable une somme égale à 40 % de la valeur d'origine, hors frais financiers, de l'ensemble des biens d'équipement de réfrigération et de traitement de l'air utilisant certains fluides réfrigérants.

La contribuable requérante demande l’annulation du n° 150 des commentaires administratifs, dont l’abrogation a été refusée par une décision implicite, en tant qu’ils énoncent « Si une entreprise choisit de ne pas commencer à (…) pratiquer (les déductions concernées) à la clôture de l'exercice où les biens sont acquis ou fabriqués, elle prend une décision de gestion définitive. Par conséquent, elle ne peut pas corriger par la suite sa déclaration pour déduire les déductions auxquelles elle a renoncé ».

Le juge rappelle opportunément que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'art. R. 196-1 du livre des procédures fiscales, sauf si loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre au contribuable une option entre différentes modalités d'imposition dont la mise en œuvre impose nécessairement qu'elle soit exercée dans un délai déterminé.

Or ni l'article 39 decies D du CGI ni aucune autre disposition législative ne prévoit une règle de déchéance du bénéfice de l'avantage fiscal qu'il instaure en l'absence d'exercice par le contribuable, lors de la déclaration du résultat de l'exercice au cours duquel l'immobilisation a été acquise ou fabriquée, de la faculté offerte par ces dispositions de déduire de celui-ci 40 % de la valeur des investissements éligibles à ce dispositif. De plus, l'économie générale de celui-ci ne fait pas obstacle à ce que le contribuable puisse régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'art. R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

Illégaux, ces commentaires administratifs doivent, sur injonction, être abrogés dans les deux mois de cette décision.

(22 décembre 2023, Société par action simplifiée Agrial Entreprise, n° 476379)

 

103 - Aides d’une société française à sa filiale turque – Existence d’un intérêt commercial propre à cette opération – Remise en cause des déductions opérées à ce titre – Erreurs de droit – Annulation.

La société Compagnie Gervais Danone a conclu avec la société de droit turc Danone Tikvesli un contrat concédant à cette dernière le droit d'utiliser les marques des produits laitiers du groupe Danone, des brevets et un savoir-faire, dont elle est propriétaire, afin de fabriquer et vendre des produits laitiers sur le marché turc.

Pour faire face à la situation déficitaire de la société Danone Tikvesli à la fin de l'exercice 2010, ce qui devait conduire, en vertu du droit turc, à la cessation de son activité, la société Compagnie Gervais Danone lui a versé en 2011 une subvention de 39 148 346 euros, dont l'administration n'a admis la déduction qu'à proportion de sa participation dans la société Danone Tikvesli, qui s'élevait à 22,58 %.

Le débat porte donc sur l'existence en l’espèce d'un intérêt commercial de nature à permettre de justifier la déduction de l'aide ainsi accordée.

La société Compagnie Gervais Danone justifie de l'existence d'un intérêt commercial de nature à permettre la déduction de l'aide ainsi accordée à sa filiale, en faisant valoir, d'une part, l'importance stratégique du maintien de sa présence sur le marché turc des produits laitiers et, d'autre part, la perspective de croissance des produits qu'elle devait recevoir de sa filiale turque au titre des redevances d'exploitation des marques et droits incorporels qu'elle détient.

Pour confirmer la position de l’administration et rejeter cette argumentation, la cour administrative d’appel s’est fondée sur deux motifs, l’un et l’autre voués à la cassation pour erreur de droit.

En premier lieu, est annulé le motif tiré de l'absence d'un intérêt commercial de la société Compagnie Gervais Danone du fait de l’existence d'un intérêt financier de l'actionnaire principal de la société Danone Tikvesli à procéder à son refinancement ce qui empêcherait, selon la cour, que la société Compagnie Gervais Danone supporte intégralement la charge du refinancement de la société Danone Tikvesli.

En second lieu, est également annulé le motif selon lequel les éléments produits par la société Compagnie Gervais Danone ne permettaient pas de tenir pour établies les perspectives alléguées de croissance de ses produits, qui se trouvaient contredites par la circonstance qu'aucune redevance ne lui avait été versée avant 2017 par la société turque en rémunération du droit d'exploiter les marques et droits incorporels qu'elle détient.

Le juge de cassation considère, au rebours, que la circonstance qu'une aide soit motivée par le développement d'une activité qui, à la date de son octroi, n'a permis la réalisation d'aucun chiffre d'affaires ou, comme en l'espèce, le versement d'aucune redevance en rémunération de la concession du droit d'exploiter des actifs incorporels, est néanmoins susceptible de conférer à une telle aide un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité n'apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles.

(29 décembre 2023, Société Compagnie Gervais Danone, n° 455810 ; Société par actions simplifiée Danone et société anonyme Compagnie Gervais Danone, n° 455813)

 

104 - Droit fiscal néo-calédonien – Convention fiscale entre la France et la Nouvelle-Calédonie – Cumul d’impositions excédant le plafond fixé par cette convention – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

La banque requérante a demandé, en vain, aux juges du fond le prononcé de la décharge de la cotisation additionnelle à l'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'exercice clos en 2015. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande prononcé en première instance.

La banque soutenait que le cumul, sur l'assiette constituée par les bénéfices de son établissement stable situé en Nouvelle-Calédonie, en sus de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) et de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés (CAIS) conduisait à une imposition desdits bénéfices excédant le plafond fixé par le paragraphe 8 de l'art. 9 de la convention fiscale conclue entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Cette argumentation a été rejetée par la cour administrative d’appel au motif que l'IRVM avait la nature d'un impôt sur les distributions, dû par le bénéficiaire de celles-ci et dont la société distributrice se contente de faire l'avance, et non d'un impôt sur le bénéfice des entreprises, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'en tenir compte pour apprécier le respect de la règle de plafonnement en cause. 

Ce raisonnement est cassé pour erreur de droit car, pour les sociétés concernées dont la requérante, les bénéfices réalisés par l'établissement stable sont réputés distribués alors même qu'ils demeurent dans le patrimoine de la société et l'IRVM que cette dernière supporte à ce titre est assis sur l'intégralité desdits bénéfices. Il s'ensuit que, dans une telle situation, l'IRVM a la nature d'une imposition des bénéfices de l'établissement stable au sens des dispositions du paragraphe 8 de l'art. 9 de la convention fiscale et qu’il entre dans le champ de la règle de plafonnement.

Le jugement est, à son tour, annulé car, comme le soutient la banque requérante, elle ne saurait, en application de la règle de plafonnement précitée, être assujettie à une imposition supplémentaire ayant, comme la CAIS, pour assiette tout ou partie des mêmes bénéfices que ceux assujettis à l’impôt sur les sociétés et à l’IRVM (au taux de 10%).

(29 décembre 2023, Société Casden Banque Populaire, n° 462713)

(105) V. aussi, dans le cadre du droit fiscal néo-calédonien, à propos de la demande, par la société contribuable, de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale additionnelle, de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, d'impôt sur le revenu des créances, dépôts et cautionnements, de contribution calédonienne de solidarité et de centimes additionnels auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016, la décision jugeant, pour l’essentiel, que la contribuable est fondée à soutenir que les frais correspondant à des prestations individualisables réalisées par une entreprise ayant son siège social en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour le compte d'un établissement stable ou d'une personne morale liée situé sur ce territoire, qui constituent des charges directes de cet établissement ou de cette personne morale, sont déductibles de son bénéfice net imposable en application du I de l'article 21 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie : 29 décembre 2023, Société La Mondiale, n° 462718.

(106) V. également, semblable à la décision précédente, à propos d’un litige de droit fiscal néo-calédonien portant sur une demande de décharge de cotisations supplémentaires des impôts et contributions citées dans la décision ci-dessus : 29 décembre 2023, Société QBE Insurance International Ltd, n° 463523.

(107) V. encore, comme dans la décision ci-dessus : 29 décembre 2023, Société générale calédonienne de banque, n° 471614.

 

Droit public de l'économie

 

108 - Cave viticole coopérative – Soumission de bâtiments à la taxe foncière sur les propriétés bâties – Refus du maintien du bénéfice de l’exonération de cette taxe prévue par le 6° de l’art. 1382 du CGI – Rejet.

À la suite d’une vérification de comptabilité, la société requérante, qui exerce une activité d'assemblage, d'embouteillage, de conditionnement et de commercialisation de vin qu'elle réalise, pour les besoins exclusifs de ses adhérents, a vu remise en cause l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties dont elle bénéficiait en application des dispositions du 6° de l'art. 1382 du CGI. Elle se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté se demande de décharge de cotisations à cette taxe auxquelles elle a été soumise suite à ce contrôle.

Le pourvoi est rejeté pour deux raisons principales.

En premier lieu, c’est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits, que le tribunal administratif a jugé que, compte tenu de la proportion importante de vin acquis par la société requérante auprès de producteurs non adhérents, et quand bien même ces achats auraient été nécessaires pour améliorer la qualité des vins produits par ses adhérents, l'activité de cette société ne pouvait pas être regardée comme constituant le prolongement d'opérations qui s'insèrent dans le cycle biologique de la production animale ou végétale, au sens du a du 6° de l'art. 1382 du CGI, et qu'il en a déduit que les immeubles lui appartenant ne pouvaient être considérés comme affectés à un usage agricole au sens de ces mêmes dispositions : ainsi, ils ne pouvaient bénéficier de l'exonération prévue au b du 6° du même article.

En second lieu, contrairement à ce que soutient la demanderesse, le tribunal administratif n’a pas davantage commis d’erreur de droit ou une dénaturation des faits en ne recherchant pas si ses achats de vin auprès de producteurs non adhérents étaient conjoncturels ou structurels, et avaient rendu nécessaires des investissements supérieurs à ceux qu'exigeait la satisfaction des besoins collectifs de ses adhérents. En effet, ayant constaté que l'activité de la société ne pouvait être regardée comme correspondant à des opérations réalisées habituellement par les agriculteurs eux-mêmes, ce qui est la première des deux conditions cumulatives auxquelles est subordonné le bénéfice de l'exonération prévue par les dispositions du b du 6° de l'article 1382 précité, le tribunal n’avait pas à apprécier la seconde de ces conditions, qui est relative au caractère non industriel de cette activité.

(04 décembre 2023, Société coopérative agricole (SCA) Union des caves coopératives du secteur de Saint-Chinian, n° 461395)

 

109 - Appellation « Camembert de Normandie » pour des fromages ne bénéficiant pas de l’appellation d’origine protégée (AOP) – Injonction de mise en conformité des étiquetages litigieux – Suspension par le juge des référés – Annulation et confirmation partielles.

Cette décision est un nouvel épisode de la « saga du camembert », produit odoriférant qui se caractérise également, on le voit ici, par son sex-appeal contentieux.

Le service de la répression des fraudes a enjoint à la société requérante de mettre en conformité, avec les prescriptions du règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012, l'étiquetage des fromages qu'elle commercialise et qui ne bénéficient pas de l'AOP « Camembert de Normandie ».

Le juge des référés a, sur recours de la société, suspendu l’injonction administrative.

Le ministre de l’économie et des finances se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Celui-ci contestait d’abord qu’il y eût urgence à suspendre mais le Conseil d’État, confirmant la solution du premier juge, d’une part, reconnaît la possibilité d’existence d’un préjudice économique difficilement réversible, les effets de l'injonction étant susceptibles d'affecter durablement la structure du marché, compte tenu du risque avéré de perte définitive d'un avantage concurrentiel sur les marchés européens et hors Union européenne, et, d’autre part,  que ce dernier n'a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'en se bornant à invoquer la possibilité d'un recours en manquement des autorités communautaires, l'administration n'établissait pas l'existence d'une urgence à ce que la mesure d'injonction demeure exécutoire en dépit des conséquences économiques qui en résultent pour la requérante. 

Plus délicate était l’appréciation des moyens critiquant l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

D’un ensemble juridique et factuel complexe, il convient de retenir en premier lieu que pour un certain nombre de fromages commercialisés par la société le juge du premier degré n’a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant, s'agissant de ces mentions, eu égard aux caractéristiques formelles des mentions et au graphisme mis en cause, ainsi qu’à leur signification, que les moyens précités étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 24 septembre 2021. 

En deuxième lieu, il est jugé cependant que pour les mentions et graphismes litigieux d’autres fromages, du fait de leur agencement et de leurs modalités concrètes d'apposition, sur la face avant de l'emballage et associant directement la référence à la Normandie, que ce soit par les termes employés ou la reproduction du blason caractéristique de la Normandie, au terme camembert lui-même, notamment à sa fabrication, ces mentions et graphismes sont de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l'esprit le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine ; sur ce point, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que tel n'était pas le cas et en regardant les moyens précités comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 24 septembre 2021. Toutefois, au visa du § 2 de l’art. 14 du règlement n°1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, le Conseil d’État relève qu’ « une marque dont l'utilisation enfreint l'article 13, paragraphe 1, et qui a été déposée, enregistrée, ou acquise par l'usage dans les cas où cela est prévu par la législation concernée, de bonne foi sur le territoire de l'Union, avant la date du dépôt auprès de la Commission de la demande de protection relative à l'appellation d'origine ou à l'indication géographique, peut continuer à être utilisée et renouvelée pour ce produit nonobstant l'enregistrement d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, pour autant qu'aucun motif de nullité ou de déchéance, au titre du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire ou de la directive 2008/95/CE, ne pèse sur la marque. En pareil cas, l'utilisation tant de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée que des marques concernées est autorisée ».

En conséquence, le ministre de l'économie et des finances est jugé fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il conteste, sauf en tant qu'elle porte, d'une part, sur les mentions de l'origine du lait figurant sur les étiquettes des produits « Le Fameux Normand », « Gerbe d'Or »  et « Best moments » et, d'autre part, sur l'usage de la dénomination le « Fameux Normand » et de l'écusson évoquant le blason de la Normandie utilisé par la marque « Lanquetot ».

La leçon méritait peut-être bien un fromage mais ce beau fromage justifiait cette belle leçon.

(04 décembre 2023, Société Fromagère d'Orbec, n° 462065)

(110) V. aussi, manifestant à nouveau la vigueur contentieuse du camembert et de ses succédanés (ici les dénominations « Cœur de Lion », « Le Rustique » et « Le Père normand »), concernant des questions communes avec la décision ci-dessus et d’autres plus spécifiques : 04 décembre 2023, Société Compagnie des Fromages et Richesmonts, n° 463386.

 

111 - Droit public de l’agriculture – Schéma directeur régional des exploitations agricoles - Terres agricoles – Autorisation de reprise ou d’extension d’exploitation – Demandes concurrentes – Ordre de priorité – Régime – Annulation.

Le code rural prévoit que les demandes d’autorisation de reprise en exploitation de terres agricoles sont adressées au préfet. Lorsque celui-ci est saisi de demandes concurrentes il suit en principe l’ordre de priorité fixé, au regard des prescriptions du schéma directeur régional, par les art. L. 312-1, III, L. 331-2, I, 1°, L. 331-3, L. 331-3-1 et R. 331-6 du code rural.

Toutefois, il lui est possible de déroger à cet ordre de priorité en délivrant une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur de priorité si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient. 

La question ici posée est de savoir si cette faculté de dérogation n’est qu’exceptionnelle ou si elle peut être exercée dès lors qu’elle serait justifiée au regard de l’intérêt général ou de circonstances particulières.

La cour administrative d’appel avait jugé irrégulière l’autorisation préfectorale dérogatoire d’exploiter délivrée en l’espèce parce que, constituant une exception à la règle de priorité, elle ne devait être accordée que de façon limitée. Rejetant cette analyse, le juge de cassation considère que le respect de l’ordre de priorité ou son non respect, lorsqu’il est commandé par l’intérêt général ou les circonstances, se situent au même plan. C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation de l’arrêt d’appel, entaché d’erreur de droit.

(12 décembre 2023, ministre de l’agriculture, n° 462416 ; GAEC de la Ruais, n° 462503)

 

112 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Situation compromise d’une société d’assurance mutuelle – Suspension temporaire de toute nouvelle souscription – Nomination d’un administrateur provisoire – Irrecevabilité de recours formés par la société seule – Rejet.

La société requérante a demandé l’annulation des décisions par lesquelles l’ACPR a :

- refusé d'approuver le plan de financement à court terme qu'elle lui avait transmis, décidé de « poursuivre » la mesure d'interdiction temporaire de toute nouvelle souscription de contrats et prononcé une mesure conservatoire de restriction temporaire de la libre disposition de ses actifs ; 

- confirmé la mesure de restriction temporaire de libre disposition de ses actifs et lui a enjoint de déposer une demande de transfert de tout ou partie de son portefeuille de contrats d'assurance dans un délai de quatre mois ;

- décidé de porter à la connaissance du public que l'interdiction de souscription par la société AMIG de tout contrat d'assurance à compter du 13 juillet 2022 « se poursuit » et que les contrats en cours ne pourraient pas être renouvelés au 1er janvier 2023, sauf à ce que la société justifie d'ici le 31 décembre 2022 qu'elle a rétabli sa situation et qu'elle respecte les exigences réglementaires.

Ces différents recours sont rejetés car l’ACPR a nommé un administrateur provisoire auprès de la société requérante le 11 janvier 2023 et non seulement ni une requête déposée après cette date, ni des mémoires complémentaires annoncés dans les deux autres requêtes, qui n’ont pas été produits ne sont – et pour cause pour ces deux derniers – revêtus de la signature de cet administrateur provisoire mais encore celui-ci a expressément refusé de les régulariser.

Comme  il résulte des dispositions de l’art. L. 612-34 du code monétaire et financier que l'administrateur provisoire désigné par l'ACPR est seul investi des pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne auprès de laquelle il est placé, seul ce mandataire est habilité à représenter les intérêts de cette dernière devant la juridiction administrative, et notamment à se pourvoir en justice comme à poursuivre ou interrompre l'action préalablement engagée par les dirigeants de la société. D’où il suit que la requête présentée par la société requérante après la désignation de cet administrateur est irrecevable et que cette dernière doit être réputée s’être désistée des deux autres requêtes en raison de l’absence de production des mémoires annoncés pour chacune d’elles.

Cette solution, innovante car nouvelle sur une question inédite, doit être approuvée en raison de son caractère parfaitement logique.

(12 décembre 2023, Société Assurance mutuelle d'Illkirch-Graffenstaden (AMIG), nos 469238, 469762, 471357)

 

113 - Boulangeries – Obligation d’un jour de fermeture hebdomadaire par arrêté préfectoral – Libre jeu de la concurrence – Refus d’apercevoir une distorsion de concurrence – Erreur de droit – Annulation partielle.

Sur le fondement des dispositions de l’art. L. 3132-29 du code du travail, un arrêté du préfet de Seine-et-Marne a, en premier lieu, imposé la fermeture au public, un jour par semaine au choix des intéressés, des établissements, parties d'établissements, magasins, fabricants artisanaux ou industriels, dépôts ou locaux de quelque nature qu'ils soient, couverts ou découverts, sédentaires et/ou ambulants, employant ou non des salariés, dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente au détail ou la distribution de produits panifiés, emballés ou non.

Cet arrêté a également prévu, en second lieu, que les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche devront fermer leur rayon pâtisserie, le même jour que celui choisi pour leur rayon pain.

Le tribunal administratif, confirmé par la cour administrative d’appel, ayant rejeté la demande d’annulation de cet arrêté formée par la fédération requérante, celle-ci se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi car la  cour a, à bon droit, jugé que l’obligation d’un jour hebdomadaire de fermeture permettait d’assurer l'égalité entre les établissements d'une même profession, quelle que soit leur taille, au regard du repos hebdomadaire et ainsi à préserver les conditions du libre jeu de la concurrence entre ces établissements, qu'ils emploient ou non des salariés.

En revanche, il estime que la cour a commis une erreur de droit en rejetant le moyen tiré de l’illégalité de l’arrêté litigieux en ce qu’il impose aux seules boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche de fermer leur rayon pâtisserie le même jour que celui choisi pour leur rayon pain, cependant que les autres établissements qui commercialisent de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, ne sont pas contraints de fermer leur rayon pâtisserie un jour par semaine. En effet, il est erroné de juger que l'arrêté litigieux n'engendrait pas de distorsion de concurrence entre les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche, d'une part, et les autres établissements commercialisant de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, d'autre part, alors que la requérante faisait valoir, sans être utilement contredite, que ces établissements commercialisent les mêmes articles et se trouvent placés en concurrence directe sur un même marché.

(15 février 2023, Fédération des entreprises de boulangerie, n° 468710)

 

114 - Institution par une société d’aéroport d’une redevance pour bagage – Demande à l’Autorité de régulation des transports (ART) de constater les manquements commis en cette circonstance – Obligation pour l’ART de rechercher, et de constater, un éventuel manquement portant sur un tarif de redevance aéroportuaire – Annulation avec injonction de décider sous deux mois.

Le syndicat requérant avait demandé à l’ART de rechercher des manquements qu'aurait commis la société Aéroport de Toulouse-Blagnac lorsqu'elle a institué une redevance pour bagage. L’ART avait estimé que l'exigence d'impartialité comme les principes de sécurité juridique et de confiance légitime s'opposaient à ce qu'elle puisse procéder à la recherche et à la constatation d'un manquement portant sur un tarif de redevance aéroportuaire qu'elle avait précédemment homologué. Le Conseil d’État rejette le moyen, estimant que ni le principe d’impartialité ni ceux de sécurité juridique et de confiance légitime ne sauraient par eux-mêmes faire obstacle à ce que le collège de l'ART puisse décider, en application des dispositions de l'art. L. 1264-1 du code des transports, de procéder à la recherche et à la constatation de manquements liés à un tarif qu'il a homologué en application de l'art. L. 6327-2 du même code.

Injonction est faite à l’ART de procéder au réexamen de la demande du syndicat requérant dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

(21 décembre 2023, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, n° 475334)

 

115 - Demande d’extension d’un accord interprofessionnel – Refus – Liberté d’action laissée aux autorités nationales par la jurisprudence de la CJUE – Motivation régulière du refus d’extension – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du refus du ministre de l’agriculture  d'étendre l'accord interprofessionnel « Pêche-nectarine-calibrage » relatif aux campagnes 2021-2023 conclu dans le cadre d'Interfel.

Cet accord prévoyait que les pêches et nectarines produites en France et destinées à être commercialisées sur le marché français et à l'exportation seraient soumises à un calibrage minimum de 56 millimètres ou de 85 grammes à toutes les étapes de la commercialisation et durant toute la campagne de commercialisation. Or,  les dispositions de la partie 5 (relative à la « Norme de commercialisation applicable aux pêches et aux nectarines ») du B de l'annexe I du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 prévoient que « Le calibre minimal est de : (…)

 - 56 mm ou 85 g pour la catégorie " Extra ",

- 51 mm ou 65 g pour les catégories I et II ", »

 et que « toutefois, les fruits de moins de 56 mm ou 85 g ne sont pas commercialisés pendant la période allant du 1er juillet au 31 octobre (hémisphère Nord) et du 1er janvier au 30 avril (hémisphère Sud) ».

Ainsi les stipulations de l’accord interprofessionnel vont au-delà des dispositions du règlement précité.

L’association requérante justifie la restricion supplémentaire qu’il comporte par le souci de garantir la qualité des fruits vendus aux consommateurs.

Toutefois, les dispositions de l'article 164, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007, n'autorisent explicitement l'extension d'accords fixant des règles plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union que dans le domaine des « règles de production » mentionnées au b) de ce paragraphe 4, ce que ne sont pas les normes de calibrage ici en cause.

C’est pourquoi, saisi par cette organisation professionnelle, le Conseil d’État (décisions du 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450426 ; v. aussi, les renvois préjudiciels du même jour, n° 450429 concernant le « Concombre de type long ou hollandais », n° 451793 relatif à la « Pomme-calibre au poids » ou encore n° 451895 portant sur le « Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - maturité » ; V. cette Chronique juillet-août 2022, n° 124),  a estimé que « la réponse au moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement refuser d'étendre l'accord litigieux, dès lors que l'association aurait démontré l'impact qualitatif bénéfique des mesures de calibrage dont l'extension est demandée, dépend de la réponse à la question de savoir si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée, et notamment si cet article autorise, alors que la réglementation de l'Union prévoit des règles de commercialisation pour une catégorie donnée de fruits ou de légumes, l'adoption de règles plus contraignantes, sous forme d'un accord interprofessionnel, et leur extension à l'ensemble des opérateurs. ». Il a, en conséquence, sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur cette question préjudicielle.

De la réponse donnée par cette Cour (29 juin 2023, aff. C-501/22 à C-504/22), le Conseil d’État déduit :

- d’une part,  que si l’extension sollicitée par la requérante est jugée possible au regard du droit de l’Union, elle ne constitue pas une obligation pour les États-membres mais une simple faculté,

- d’autre part, que cette extension est exclue en particulier : 1° lorsque les règles dont l'extension est demandée portent préjudice aux opérateurs auxquels elles seraient étendues, 2° lorsqu'elles ont les effets énumérés à l'article 210, paragraphe 4, du même règlement (distorsions de concurrence non indispensables pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune poursuivis par l'activité de l'organisation interprofessionnelle ou création de discriminations ou élimination de la concurrence pour une partie substantielle des produits concernés), 3°  lorsqu’elles sont contraires à la législation de l'Union ou à la réglementation européenne en vigueur.

Ensuite, des dispositions du droit national (art. L. 632-3 code rural), il s’évince qu'il appartient aux autorités nationales compétentes d'apprécier, sous l'entier contrôle du juge, si l'extension de l'accord présente un intérêt commun conforme à l'intérêt général. Ce point est sans doute l’aspect le plus important de cette décision.

Examinant le cas de l’espèce, le juge rejette le recours en tous ses moyens dont les trois principaux.

En premier lieu, ne saurait être invoqué le principe de sécurité juridique dès lors que l’extension prononcée lors de périodes précédentes ne l’a toujoutrs été que pour des périodes déterminées, excluant toute pérennisation ou automaticité de l’extension ; ne saurait non plus être invoqué le principe de confiance légitime, le ministre ayant déjà fait part de ses doutes sur la justification de cette extension, n'ayant pris aucun engagement ni donné aucune assurance à l'association Interfel requérante permettant à celle-ci, opérateur avisé du secteur, de nourrir des espérances fondées. 

En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu, en prenant la décision de rejet querellée le ministre de l’agriculture est resté dans la limite de ses compétences s’agissant d’apprécier si l’extension sollicitée était justifiée par les améliorations invoquées de la qualité des produits ou du fonctionnement du marché.

En troisième lieu, c'est sans erreur d'appréciation que le ministre a estimé que l'association requérante n'apportait pas les éléments permettant d'établir que cette restriction, susceptible d'empêcher la commercialisation d'une partie de leur production par certains producteurs, était justifiée par l'amélioration du fonctionnement du marché ou de la satisfaction des consommateurs.

(22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450426)

(116) V. aussi, même solution à propos du « Concombre de type long ou hollandais » : 22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450429.

(117) V. encore s’agissant de la variété « Pomme – calibre au poids », la décision identique aux précédentes : 22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451793.

(118) V. également, pour la variété « Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation -maturité », la décision elle aussi identique aux précédentes : 22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451895.

(119) V., voisine, la décision rejetant la demande d’annulation de l'arrêté du 7 juin 2022 du ministre de l'agriculture relatif à l'extension de l'accord interprofessionnel du 14 février 2022 conclu dans le cadre de l'association INTERAPI - Interprofession des produits de la ruche établissant une cotisation interprofessionnelle. Sont en particulier rejetés les griefs dirigés contre les conditions fixées pour la présentation et l'instruction de la demande d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue, contre l'absence d'extension des stipulations de l'accord relatives aux cotisations volontaires demandées aux conditionneurs et contre les cotisations volontaires obligatoires (sic) auxquelles sont assujettis les distributeurs : 22 décembre 2023, Union Nationale de l'Apiculture Française (UNAF), n° 466469.

 

120 - Droit public vitivinicole – Aide pour restructuration de vignobles – Différence entre surface déclarée lors de la demande d’aide et surface effectivement soumise à restructuration – Mode de détermination de cette différence – Parcelle cadastrale et parcelle culturale - Erreur de droit – Annulation.

Le demandeur a obtenu de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) une aide versée au titre de la restructuration de son vignoble pour la campagne 2015/2016, pour une surface déclarée de 3,40 hectares. A la suite d'un contrôle, FranceAgriMer a rejeté partiellement cette demande d'aide après avoir constaté un taux de sous-réalisation de l'opération subventionnée de 27,94 %.

Le demandeur se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif du jugement qui avait annulé le rejet partiel de sa demande d’aide.

Tout le litige tournait autour de la méthodologie de décompte des superficies concernées par la demande d’aide. L’administration, comme le juge d’appel et à la différence des premiers juges, apprécient celle-ci par parcelle cadastrale alors que le demandeur soutient que, la demande concernant une parcelle culturale, la réalisation de la restructuration financée par cette aide devait elle aussi être appréciée dans le cadre de cette parcelle prise globalement.

Approuvant cette analyse, le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit dès lors qu’il ne résulte pas des dispositions du droit de l'Union européenne (cf. notamment le § 1 de l'article 46 et le § 3 de l’art. 3 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, l’art. 67 du règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune, l’art. 14 du règlement d'exécution (UE) n° 809/2014 de la Commission du 17 juillet 2014 établissant les modalités d'application du règlement (UE) n° 1306/2013 en ce qui concerne le système intégré de gestion et de contrôle, les mesures en faveur du développement rural et la conditionnalité) que la demande d'aide, et la conformité à cette demande des plantations réalisées, doivent s'apprécier à l'échelle de la parcelle cadastrale. Pas davantage une telle exigence ne résulte des dispositions de la décision du 20 juillet 2015 par laquelle le directeur général de FranceAgriMer, comme le prévoient les dispositions du décret du 25 février 2013 relatif au programme d'aide national au secteur vitivinicole pour les exercices financiers 2014 à 2018, a précisé les conditions d'éligibilité aux aides, l'article 6 de cette décision disposant au contraire que la demande d'aide porte sur une parcelle culturale, consistant en une parcelle en vigne plantée ou à planter d'un seul tenant avec la même variété et les mêmes écartements entre rangs et entre pieds, et la mention des parcelles cadastrales par la demande d'aide n'étant imposée par l'article 12 de cette décision qu'en vue de permettre la localisation de la parcelle culturale objet de cette demande. 

Pour nouvelle que puisse sembler cette solution, en ce qu’elle procède à la distinction entre parcelle cadastrale et parcelle culturale, elle est très logique et pouvait être prévue.

(22 décembre 2023, M. A., n° 459632)

 

121 - Autorisation d’exploitation commerciale - Extension de la surface de vente d’un commerce au détail – Application de la loi nouvelle dans le temps – Erreur de droit – Annulation.

Saisi d’un litige inédit, le Conseil d’État estime que si les dispositions du 2° du I de l’art. L. 752-1 du code de commerce, dans la version que lui a donnée la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, soumettent à une autorisation d’exploitation commerciale l'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail dès qu'elle concerne un magasin existant de plus de 1 000 m2 ou qu'elle porte la surface de ce magasin à plus de 1000 m2, cependant l'extension d'un ensemble commercial, y compris lorsque l'extension ne concerne qu'un seul de ses magasins, n'était, sous l'empire des dispositions du 5° du I du même article dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008, applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009, soumise à autorisation d'exploitation commerciale que si l'extension, en elle-même, dépassait 1 000 m2. 

Tel n’était pas le cas en l’espèce où l'extension avait été réalisée en octobre 2008 ; la cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en jugeant que l’extension litigieuse aurait dû faire l'objet d'une autorisation préalable.

(29 décembre 2023, Société Deta Distribution, n° 471159)

 

Droit social - Action sociale – Sécurité sociale

 

122 - Hébergement d’urgence – Volonté de poursuivre une activité associative – Refus - d’hébergements proposés – Demande de réquisition municipale de locaux – Absence de carence – Rejet.

La demanderesse ne saurait invoquer, au soutien d’un référé liberté formé à l’appui d’une demande d’hébergement d’urgence, la carence de l’État ou celle du maire, ce dernier au titre de ses pouvoirs de police municipale, à lui fournir un hébergement, alors qu’elle a refusé à quatre reprises des solutions d'hébergement d'urgence permettant un accompagnement social à Dax, dans un CHRS, puis à Mont-de Marsan en faisant valoir qu'elles n'étaient pas compatibles avec l'activité associative bénévole qui est la sienne à Mimizan plage, compte-tenu de l'éloignement de ces deux communes et de son état de santé. 

(19 décembre 2023, Mme A., n° 489599)

 

123 - Cumul emploi-retraite – Réglementation propre aux avocats et à certains régimes spéciaux – Interdiction de constitution de nouveaux droits à pension – Rejet.

Le requérant recherchait l’annulation de la décision implicite par laquelle la première ministre a rejeté sa demande d'abrogation de l'art. R. 723-45-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 7 janvier 2010 relatif au cumul emploi-retraite dans le régime des avocats et dans certains régimes spéciaux.

Pour rejeter ce recours, le juge retient d’abord qu’il résulte des dispositions combinées des art. L. 161-22, L. 161-22-1 et L. 653-7 du code de la sécurité sociale qu'un avocat ne peut cumuler sa pension de vieillesse avec une activité professionnelle qu'à la condition d'avoir liquidé ses pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, le législateur ayant entendu exclure que la reprise d'activité par un avocat puisse lui permettre d'acquérir de nouveaux droits en matière de retraite.

L'art. R. 723-45-2 du code de la sécurité sociale, objet de la critique, n'a fait que tirer les conséquences des dispositions législatives précitées, par suite leur légalité ne saurait être discutée au motif qu'il méconnaîtrait les art. 16 et 17 de la déclaration de 1789, le principe d'égalité ou les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH. 

Le juge retient ensuite que si, comme le soutient le demandeur, l'art. 26 de loi du 14 avril 2023 a introduit, par les dispositions codifiées au 2° de l'art. L. 161-22-1 du code précité, une exception à la règle générale selon laquelle la reprise ou la poursuite d'une activité professionnelle par le bénéficiaire d'une pension de vieillesse personnelle servie par un régime de retraite de base légalement obligatoire n'ouvre droit à aucun avantage de vieillesse auprès d'un régime légal ou rendu légalement obligatoire d'assurance vieillesse, en autorisant la liquidation d'une seconde pension de vieillesse lorsque l'assuré satisfait aux conditions énumérées à cet article, le requérant n'est néanmoins pas fondé à soutenir que le refus d'abroger qui lui a été opposé serait contraire à ces dispositions législatives, dès lors que le décret du 10 août 2023 a complété l'art. R. 653-11 en précisant qu'il n'est pas applicable à l'assuré ayant liquidé une seconde pension de vieillesse en application de ces mêmes dispositions législatives.

(06 décembre 2023, M. C., n° 466858)

 

124 - Pension d’ayant-droit de victimes décédées d’accidents du travail ou de maladies professionnelles – Exception d’illégalité du décret fixant un âge limite unique pour le droit à pension – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi par renvoi préjudiciel d’un tribunal judiciaire sur le point de savoir si, comme le soutenait la demanderesse, l’art. R. 434-15 du code de la sécurité sociale était ou non illégal au regard des dispositions de l’art. L. 434-10 de ce code.

Selon le premier alinéa de l’art. L. 434-10 : « Les enfants dont la filiation, y compris adoptive, est légalement établie ont droit à une rente jusqu'à un âge limite. Cette limite d'âge peut être relevée pour les enfants qui sont placés en apprentissage, qui poursuivent leurs études, qui sont à la recherche d'une première activité professionnelle et inscrits comme demandeurs d'emploi à l'institution mentionnée à l'article L. 311-7 du code du travail, ou qui, par suite d'infirmités ou de maladies chroniques, sont dans l'impossibilité permanente de se livrer à un travail salarié ».

Le premier alinéa de l’art. R. 434-15 du même code dispose : « La limite d'âge prévue au premier alinéa de l'article L. 434-10 est fixée à 20 ans ».

La requérante soutenait que ces dernières dispositions étaient entachées d'illégalité car elles méconnaîtraient le premier aliéna de l'art. L. 434-10 précité, dans l'hypothèse où elles seraient regardées comme fixant la limite d'âge au-delà de laquelle cette rente n'est plus versée sans prévoir un relèvement de celle-ci dans les hypothèses prévues par ces dispositions législatives. 

Le Conseil d’État rejette cette argumentation en faisant observer que cet article n’institue qu’une faculté, non une obligation, pour le pouvoir réglementaire, d’où la formulation retenue par cet article : « Cette limite d’âge peut être relevée… » ; l’exception d’illégalité n’est donc pas fondée.

(28 décembre 2023, Mme B., n° 475854)

 

125 - Salarié protégé – Revendication de la qualité de lanceur d’alerte – Refus – Licenciement Absence de bonne foi - – Rejet.

Un salarié protégé, licencié en raison de dénonciations calomnieuses à l’endroit de son supérieur hiérarchique direct et de plusieurs autres personnes au sein de SNCF Mobilités, a tenté de se revendiquer comme lanceur d’alerte afin de bénéficier de la protection applicable à cette catégorie de personnes.

Le Conseil d’État approuve le tribunal administratif d’avoir jugé qu’il ne pouvait se réclamer de cette qualification en raison d’accusations d’une particulière gravité qu’il a proférées dans plusieurs courriers électroniques, formulées en des termes généraux et outranciers, sans avoir jamais été en mesure de les préciser d'aucune manière, pas davantage il n’a étayé le moindre élément factuel à l’appui de ses affirmations dans le cadre d'une campagne de dénigrement dirigée contre son ancien supérieur hiérarchique direct, le mettant en cause de façon répétée pour des pratiques illégales, il n’a pas, non plus, donné suite à la demande de précision de la direction de l'éthique de la SNCF qu'il avait saisie en 2013, en des termes allusifs, d'accusations de fraude.

En l’absence de bonne foi, il ne saurait prétendre à la qualité et au statut de lanceur d’alerte.

(08 décembre 2023, M. A, n° 435266)

 

126 - Salarié protégé – Licenciement – Sélection parmi les fautes commises de celles fondant le licenciement – Conséquence – Respect du contradictoire dans la procédure administrative d’autorisation du licenciement – Annulation.

Le litige ayant donné lieu à cette décision est intéressant par les deux précisions qu’il apporte en matière de procédure administrative d’autorisation  du licenciement des salariés de droit privé.

En premier lieu, cette décision aborde la question, assez inédite, de la sélection par l’employeur, en cas de pluralité de fautes reprochées au salarié, de l’une ou plusieurs d’entre elles pour motiver la décision de licenciement.

Le Conseil d’État fait sienne la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Celle-ci décide, lorsque l'employeur qui a connaissance, dans une même période de temps, de divers faits commis par un salarié, non atteints par la prescription résultant de l'art. L. 1332-4 du code du travail et considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner qu'une partie d’entre eux, il ne peut plus légalement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire en vue de sanctionner les autres faits dont il avait connaissance à la date de l'infliction de la première sanction.

Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’a jugé ici la juridiction d’appel, l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé pour un motif disciplinaire, ne peut légalement autoriser ce licenciement lorsqu’il se fonde sur des agissements fautifs du salarié qui étaient déjà connus de l'employeur à la date à laquelle il a prononcé une précédente sanction disciplinaire. 

En second lieu, et c’est là l’application d’une règle constante de la procédure administrative non contentieuse destinée à sauvegarder le principe du contradictoire, l’administration qui a imparti à l’administré un certain délai pour qu’il formule une réponse ou autre, ne peut pas décider avant l’expiration de ce délai même si l’intéressé a donné sa réponse ou autre avant la date d’expiration. Ici, il avait été donné dix jours au salarié, à compter du 11 avril, pour présenter ses observations ; celui-ci les a adressées le 12 avril : la ministre ne pouvait, le 19 avril, donc avant l’expiration du délai fixé au 21 avril, prendre sa décision.

(08 décembre 2023, M. A., n° 466620)

 

127 - Aide personnalisée au logement (APL) – Condition de ressources – Notion d’activité professionnelle rémunérée – Condition non remplie – Annulation.

Pour apprécier l’éligibilité d’une demande d’APL les textes prévoient la prise en compte de l’activité professionnelle rémunérée du demandeur.

En l’espèce, pour réduire le montant de l’aide qu’elle lui avait accordée, une caisse d’allocations familiales a retenu que l’intéressée avait occupé un emploi salarié de garde d’enfant à domicile.

Le tribunal administratif, saisi par cette dernière, est jugé avoir commis une erreur de droit en voyant dans cet emploi « une activité professionnelle rémunérée » alors qu’il n’a été exercé que quelques mois et pour un revenu faible, de 200 euros par mois.

(13 décembre 2023, Mme A., n° 468456)

 

128 - Institution d’une zone touristique internationale « Paris La Défense » - Conditions légales de création – Satisfaction – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté interministériel créant dans le secteur « Paris La Défense » une zone touristique internationale en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 3132-24 du code du travail.

Celles-ci exigent la réunion de plusieurs conditions pour une telle création. En conséquence de cette qualification juridique, les établissements de vente au détail mettant à disposition des biens et des services peuvent donner le repos hebdomadaire par roulement à tout ou partie du personnel dans les conditions prévues aux art. L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4 du code précité.

Pour rejeter le pourvoi dirigé contre l’arrêt infirmatif de la cour administrative d’appel, le juge retient principalement deux motifs.

En premier lieu, ce quartier répond bien au critère du code du travail (art. R. 3132-21-1, II, 1°) d' « avoir un rayonnement international en raison d'une offre de renommée internationale en matière commerciale ou culturelle ou patrimoniale ou de loisirs », ainsi qu'à celui, posé au 3°, de « connaître une affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France », la cour ayant relevé la présence annuelle de 2,4 millions de « touristes d’affaires ».

En second lieu, est également satisfait en l’espèce, le critère exposé au 4° de ce II de l’art. R. 3132-21-1 du code du travail, selon lequel le quartier ainsi classé doit « bénéficier d'un flux important d'achats effectués par des touristes résidant hors de France, évalué par le montant des achats ou leur part dans le chiffre d'affaires total de la zone », la cour ayant indiqué que le volume des achats réalisés au sein du centre commercial pouvait être évalué à 31,4 millions d'euros pour ceux effectués par la clientèle étrangère résidant hors de l'Union européenne et à 62,8 millions d'euros pour l'ensemble de la clientèle étrangère résidant hors de France.

(15 décembre 2023, Syndicats Fédération des syndicats CFTC Commerce Services et Force de vente (CFTC-CSFV) et Union départementale CFTC des Hauts-de-Seine, n° 467650)

 

129 - Aides sociales – Récupération d’indus – Imputation des prélèvements portant sur des échéances à venir mais se rapportant à des droits ouverts antérieurement – Rejet.

Confirmant le jugement qui lui est déféré, le Conseil d’État juge, ce qui n’allait pas de soi, qu’un conseil départemental, après suspension du versement d’indus à des bénéficiaires, a pu décider la récupération de plusieurs indus de prestations sociales au moyen de retenues sur des échéances à venir de prime d'activité et de revenu de solidarité active, alors même que ces échéances se rapporteraient à des droits ouverts au titre d'une période antérieure à la décision de récupération des indus. C’est ce dernier point qui pouvait faire difficulté car il semblait procéder d’une rétroactivité de la décision de récupération. Ce n’est pas le cas selon la Haute Juridiction.

(15 décembre 2023, Mme B. et M. C., n° 468253)

 

130 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Exigences s’imposant à l’employeur pour prévenir les conséquences de ce plan sur la santé et la sécurité des salariés – Étendue de la liberté contractuelle des signataires de l’accord collectif majoritaire – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la décision par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a validé l'accord collectif majoritaire relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Assistance Aéronautique et Aérospatiale et de la décision par laquelle le même directeur régional a validé l'avenant à l'accord collectif majoritaire relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Assistance Aéronautique et Aérospatiale. 

Si le tribunal administratif a annulé ces deux décisions, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté les demandes. Les requérants se pourvoient, en vain, en cassation.

De cette longue décision, comme toujours s’agissant des recours dirigés contre les validations de PSE où sont en jeu de multiples intérêts et de nombreuses exigences légales ou réglementaires, on retiendra surtout l’affirmation par le Conseil d’État que « s'il incombe à l'employeur de prendre des mesures pour prévenir les conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs, en application des dispositions de (l'art. L. 4121-1 c. trav.), et de les mettre en œuvre, conformément aux dispositions de (l'art. L. 4121-2 dudit code), il est loisible aux signataires d'un accord collectif majoritaire fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de cette entreprise, eu égard à la liberté contractuelle qui découle des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958, d'adopter de telles mesures. »

De là le juge déduit qu’il incombe à l’administration d’opérer un certain nombre de contrôles quant au respect par l’employeur de ses obligations au travers des mesures prises, « lesquelles peuvent également figurer, en tout ou partie, dans l'accord collectif, ce contrôle n'étant pas séparable du contrôle auquel elle est tenue en application des articles (L. 1233-61, L. 1233-24-1, L. 1233-24-4) du même code ». 

(Concernant l’étendue du contrôle que, selon le juge, doit exercer l’administration du travail, on pourra lire cette Chronique, mars 2023 n° 100, sur 21 mars 2023, ministre du travail, n° 450012).

(19 décembre 2023, Fédération générale des mines et de la métallurgie et autres, n° 458434)

(131) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, relevant que la décision attaquée se fonde sur l'ensemble des éléments nécessaires, en particulier ceux relatifs aux mesures prises pour l'équipe de transition, juge cependant qu'aucun avenant à l'accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi n'a été signé pour intégrer les éléments produits par l'employeur après la signature de l'accord, qu'aucune demande d'homologation de ces éléments n'a été présentée, et que l'autorité administrative s'est bornée à valider l'accord collectif majoritaire sans procéder à l'homologation des éléments élaborés par l'employeur, de sorte que sa décision est entachée d'illégalité. Alors qu’il n’incombait à l’administration du travail, saisie d'une demande de validation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, de vérifier les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'art. L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée et que ces mesures figurent dans l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, le cas échéant, précisé et complété, par avenant, ou par tout autre document, ou dans des documents produits par l'employeur, dès lors que seul l'employeur a la responsabilité d'assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs : 19 décembre 2023, ministre du travail, n° 464864 ; Société Blizzard Entertainment et M. A., n°464923.

(132) V. également, revenant sur une jurisprudence pourtant récente (13 juillet 2016, Société PIM Industries et autres, n° 387448 et 489), et jugeant désormais que le contrôle exercé par le juge administratif, saisi d’un recours contre une décision d’homologation du document unilatéral portant PSE fondé sur le moyen que l’administration aurait inexactement apprécié le respect des conditions s’imposant à l’homologation (comme, par exemple, s’agissant de la procédure d’information et de consultation du comité social et économique) et critiquant la méthode d’évaluation suivie par l’administration, ne s’effectuerait plus au vu de la seule motivation de la décision administrativre mais de l’ensemble des pièces du dossier. À cet égard, il incombe donc au juge de rechercher si l’administration a vérifié la réalité du respect des conditions prévues et si elle a pu, au vu de cette constatation, estimer qu’elles étaient satisfaites, sans qu’il soit tenu compte d’erreurs pouvant affecter, dans le détail, la motivation de la décision de l’administration au cours d’une étape simplement intermédiaire de son analyse : 19 décembre 2023, ministre du travail, n° 465656 ; Société Sealants Europe, n° 465817.

(133) V. encore, jugeant qu’il n’appartient pas à l'autorité administrative statuant sur une demande d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de vérifier la bonne application des dispositions de l’art. L. 1224-1 du code du travail selon lequel « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ».

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel écarte comme inopérant le moyen tiré de l'illégalité de la décision contestée en raison de l'absence de contrôle par l'administration du respect des dispositions de l'art. L. 1224-1 du code du travail : 19 décembre 2023, M. F. et autres, n° 467283.

(134) V., jugeant notamment : 1°/ que l'existence d'une unité économique et sociale à laquelle appartiennent les sociétés PSI et l'Équipe, requérantes, ne faisait pas obstacle, en l'espèce, à ce que des projets de réorganisation de chacune des sociétés, motivés, pour le premier, par une cessation anticipée d'activité, pour le second, par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, soient conduits de façon concomitante et donnent lieu à l'établissement de documents unilatéraux portant plan de sauvegarde de l'emploi distincts, propres à chaque société ; 2°/ qu’aucune disposition législative ou règlementaire ne faisait obstacle à ce que l'employeur retire, après échange avec l'administration, sa première demande d'homologation du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société L'Équipe, aucune décision d'homologation expresse ou implicite n'étant alors intervenue dans les conditions fixées par l'art. L. 1233-57-4 du code du travail : 29 décembre 2023, Société L'Equipe et société Presse Sport Investissement, n° 463794 ; ministre du travail, n° 463814, jonction.

 

135 - Licenciement d’un salarié protégé – Obligation de respecter le délai de réflexion de sept jours calendaires prévu par les dispositions d’un plan de sauvegarde de l'emploi – Juridiction ne se fondant que sur un premier courrier – Erreur de droit – Annulation.

Une cour administrative d’appel avait jugé que l'inspectrice du travail ne pouvait légalement autoriser le licenciement d’un salarié motif pris de ce que la date à laquelle le courrier de son employeur, daté du 31 mai 2018, lui proposant des postes de reclassement et lui indiquant qu'il devait manifester son intérêt pour ces propositions de reclassement avant le 6 juin 2018 à 17 heures, faute de quoi il serait réputé les avoir refusés, ne pouvait être déterminée, l’intéressé alléguant même l'avoir reçu seulement le 7 juin 2017. La cour a estimé il n'était pas établi qu'il avait bénéficié du délai de réflexion de sept jours calendaires prévu par les dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi de la société requérante, homologué le 30 mai 2018, pour se prononcer sur les offres de reclassement qui lui avaient été adressées par un courrier du 31 mai 2018.

Le Conseil d’État est à la cassation car la convocation à l'entretien préalable qui a été remise en mains propres au salarié le 5 juin 2018 mentionnait également qu'il disposait « d'un délai de réflexion de 7 jours » à ce titre. Par suite la cour a commis une erreur de droit en se fondant sur le seul premier courrier du 31 mai 2018 pour apprécier si le salarié avait disposé de la garantie de délai de réflexion prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi pour répondre aux offres de reclassement qui lui avaient été faites.

(28 décembre 2023, Société Ardennaise Industrielle, n° 467385)

(136) V. aussi, dix autres décisions identiques et du même jour : 28 décembre 2023, Société Ardennaise Industrielle, n° 467386 ; n° 467387 ; n° 467388 ; n° 467389 ; n° 467390 ; n° 467392 ; n° 467393 ; n° 467394 ; n° 467395 ; n° 467397.   

 

137 - Revenu de solidarité active (RSA) – Fausse déclaration ou omission délibérée de déclaration – Amende administrative – Erreur de droit – Annulation.

Le président d’un conseil départemental, après constatation de la perception par l’intéressé d’un indu de RSA et l’avoir informé préalablement, par un courrier du 22 septembre 2020, qu’il envisageait de prononcer à son encontre une amende administrative, lui a infligé le 11 décembre 2020 une amende administrative d'un montant de 500 euros.

Le requérant s’est pourvu en cassation du jugement qui n’a que partiellement fait droit à sa demande d’être déchargé de cette amende.

Il est jugé par le Conseil d’État qu’il découle des dispositions de l’art. L. 262-52 du code l’action sociale et des familles et de celles de l’art. L. 144-17, 6ème alinéa, du code de la sécurité sociale que le président du conseil départemental ne peut sanctionner, par l'amende administrative qu'elles prévoient, que des fausses déclarations ou des omissions délibérées de déclaration ayant abouti à un versement indu du revenu de solidarité active qui s'est poursuivi moins de deux ans avant la date à laquelle il prononce cette amende. Le tribunal administratif a donc commis une erreur de droit en se fondant sur la date du courrier par lequel le président du conseil départemental a informé M. A. de son intention de lui infliger une amende administrative (soit le 22 septembre 2020) alors que c'est au regard de la date du prononcé de l'amende, soit le 11 décembre 2020, qu'il devait apprécier le respect de ces dispositions.

(29 décembre 2023, M. A., n° 465637)

 

138 - Litiges relatifs aux aides aux services d'aide et d'accompagnement à domicile – Dispositions applicables lors de l’épidémie de Covid-19 – Décisions ne relevant pas des dispositions de l’art. L. 351-1 du code de l’action sociale et des familles – Compétence du tribunal administratif – Annulation.

L’association requérante demandait la condamnation du département du Nord à lui verser une provision assortie des intérêts au taux légal, correspondant au préjudice financier qu'elle estimait avoir subi du fait des modalités selon lesquelles ce département a décidé de compenser les pertes d'activité des services d'aide et d'accompagnement à domicile dans le cadre de la pandémie de Covid-19. Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont rejeté le recours comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître, le litige relevant en réalité de la compétence du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale en application des dispositions de l'article L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles.

L’association se pourvoit, avec succès, en cassation.

Le Conseil d’État censure l’erreur de droit commise par les juges du fond car les aides aux services d'aide et d'accompagnement à domicile prévues par les dispositions des ordonnances du 25 mars 2020 et du 9 décembre 2020 et des décrets des 29 juin 2020 et 2 avril 2021 précisant les modalités de financement des services d'aide et d'accompagnement à domicile dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 ne sont pas au nombre des décisions mentionnées à l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles. Les conclusions de l'association requérante relevaient donc de la compétence du tribunal administratif et non de celle du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale. 

(29 décembre 2023, Association de soins et services à domicile de Dunkerque, n° 470106)

(139) V. aussi, identique : 29 décembre 2023, Association d’aide à domicile en activités regroupées en Sambre-Avesnois (ADAR Sambre-Avesnois), n° 470107.

 

140 - Prime d’activité – Destinataires – Exclusion des étudiants – Cas des élèves-avocats – Rejet

Le Conseil d’État déduit de la combinaison des dispositions des art. L. 841-1 et L. 841-2 du code de la sécurité sociale avec celles de la loi du 31 décembre 1971 et du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, éclairées par les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, que la prime d'activité est destinée aux travailleurs et non aux étudiants.

Les élèves avocats, lorsqu'ils effectuent un stage au titre de leur formation, assurée par un centre régional de formation professionnelle d'avocats, en vue d'obtenir le certificat d'aptitude à la profession d'avocat, doivent être regardés, pour l'application du 3° de l'article L. 842-2 du code de la sécurité sociale, comme des stagiaires au sens des dispositions de l'article L. 124-1 du code de l'éducation, sauf lorsqu'ils ont la qualité de stagiaires de la formation professionnelle continue. Les élèves-avocats ne peuvent pas, par conséquent, bénéficier de la prime d'activité, sauf lorsque leurs revenus professionnels, excluant les gratifications de stage, excèdent mensuellement, pour chacun des trois mois précédant l'examen ou le réexamen périodique du droit, le plafond de rémunération mentionné au 2° de l'article L. 512-3 du code de la sécurité sociale ou lorsqu'ils ont la qualité de stagiaires de la formation professionnelle continue, dès lors qu'ils remplissent par ailleurs l'ensemble des conditions d'ouverture des droits.

Ainsi, en l’espèce, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que, dès lors que l’élève-avocat requérant devait être regardé pendant la période litigieuse, pour l'application du 3° de l'article L. 842-2 du code de la sécurité sociale, comme un stagiaire au sens de l'article L. 124-1 du code de l'éducation, la caisse d'allocations familiales avait fait une exacte application de ces dispositions en le regardant comme ne remplissant pas les conditions pour bénéficier de la prime d'activité pour la période en litige.

(29 décembre 2023, M. B., n° 470286)

 

141 - Agents de direction et agents comptables des organismes de sécurité sociale – Nomination par voie d’inscription sur une liste d’aptitude – Conditions – Absence d’atteinte au principe d’égalité entre candidats aux emplois de direction accessibles à partir de cette liste – Rejet.

Les requérants recherchaient à titre principal l’annulation de l'arrêté du 21 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 31 juillet 2013 relatif aux conditions d'inscription sur la liste d'aptitude aux emplois d'agent de direction des organismes de sécurité sociale du régime général et de certains régimes spéciaux.

Ils invoquaient en particulier l’atteinte au principe d’égalité.

Leur recours est rejeté.

L'article 6 de l'arrêté du 31 juillet 2013, dans sa rédaction issue de l'arrêté attaqué dispose que peuvent notamment solliciter leur inscription sur la liste d'aptitude dans la classe L 1-2, lorsqu'ils occupent ou ont occupé un emploi d'agent de direction, les anciens élève de l'École nationale de sécurité sociale ou les titulaires du certificat qualifiant CapDirigeants (CapDIR) délivré par cette école, qui remplissent en outre une condition de durée d'exercice allant de cinq à dix ans dans des fonctions de direction, selon la nature des postes occupés, sur deux postes différents.

Le juge considère que les agents de direction salariés d'organismes de sécurité sociale se trouvent, au regard de leur aptitude à occuper un emploi d'agent de direction de ces organismes, dans une situation différente des personnes précédentes.

Ainsi, en leur permettant, dans la limite de quatre chaque année, de demander leur inscription sur la liste d'aptitude, sous condition d'expérience professionnelle et d'encadrement et uniquement sur proposition conjointe des caisses nationales du régime général, l'arrêté attaqué a opéré une différence de traitement qui est en rapport avec l'objet de l'établissement de cette liste d'aptitude, sans être manifestement disproportionnée.

Les requérants ne sont pas fondés, par suite, à soutenir que l’arrêté querellé aurait porté une atteinte illégale au principe d'égalité entre les candidats aux emplois de direction accessibles par la classe L 1-2 de cette liste d'aptitude.

(29 décembre 2023, Fédération de la protection sociale et de l'emploi CFTC et Syndicat national CFTC des agents de direction et d'encadrement des organismes sociaux, n° 471608)

 

Environnement

 

142 - Performance énergétique des bâtiments – Recours aux énergies renouvelables – Exclusion dans le futur du biométhane dans les constructions nouvelles – Absence d’obligation de faire apparaître la part de chaque source d’énergie renouvelable dans les coefficients d’impact de la consommation d’énergie sur le changement climatique – Absence d’atteinte disproportionnée au biogaz – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation, assortie d’une injonction, du décret du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et de l'arrêté du 4 août 2021 relatif aux mêmes exigences de performance énergétique et environnementale et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l'art. R. 172-6 du code de la construction et de l'habitation, en tant qu'ils ont pour effet d'exclure le biométhane des constructions nouvelles à compter du 1er janvier 2022 s'agissant des maisons individuelles et à compter du 1er janvier 2025 s'agissant des logements collectifs.

Le Conseil d’État rejette les recours.

Se fondant sur les dispositions de l’art. 1er de la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments, du paragraphe 4 de l’art. 15 de la directive du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et, enfin, sur celles du 10° de l’art. L. 111-1 du code de la construction et de l’habitation, le juge estime qu’aucun des moyens invoqués au soutien des requêtes ne peut prospérer.

 Ainsi, le coefficient applicable au « gaz méthane (naturel) issu des réseaux » prend en compte les émissions de gaz à effet de serre associées au gaz fossile mais également celles du biogaz, à hauteur de sa part dans le gaz injecté dans le réseau national de distribution de gaz naturel, actuellement de l'ordre de 1 %. Par ailleurs, le pouvoir réglementaire, contrairement à ce qui est soutenu, n’avait pas l'obligation de déterminer un coefficient propre au biogaz.

Semblablement, alors que les constructions nouvelles ne représentent chaque année qu'environ 1 % du parc des bâtiments et que l'utilisation du gaz reste possible pour les constructions existantes et dans des bâtiments à faibles émissions de gaz à effet de serre comme solution d'appoint, les dispositions attaquées ne peuvent être regardées comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des producteurs et fournisseurs de biogaz, ainsi que des constructeurs et installateurs de solution de chauffage utilisant le biogaz.

Pas davantage il ne saurait être allégué que les dispositions attaquées, en tant qu'elles concernent le biogaz, seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation alors, d’une part, que lorsqu'il est injecté dans le réseau de distribution du gaz, le biogaz est physiquement indissociable du gaz fossile, contrairement à ce qui existe pour le biofioul ou les réseaux de chaleur et que, d’autre part, les capacités de production du biométhane ne permettraient pas de répondre aux besoins de l'ensemble des constructions neuves. Enfin, la limitation du recours au biogaz dans les constructions nouvelles n’est pas de nature à freiner son développement, compte tenu des autres usages dont il peut faire l'objet, pour l'industrie ou les transports ou pour les besoins de chauffage des bâtiments anciens tout comme il n'est pas davantage établi que les dispositions attaquées auront pour effet d'augmenter le recours au gaz naturel pour produire l'électricité nécessaire.

(01 décembre 2023, Association Coénove, n° 457117 ; Association française du gaz, n° 457153, jonction)

 

143 - Réduction des émissions de gaz à effet de serre et recherche de la neutralité carbone – Performance énergétique des bâtiments – Réglementation environnementale des bâtiments neufs (« RE 2020 ») – Méthode retenue pour l’analyse du cycle de vie du bâtiment (ou « dynamique simplifiée ») – Rejet.

À des titres divers, les organisations ci-après recherchaient l’annulation soit du seul décret du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine, soit, en outre, l’annulation de l'arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l'article R. 172-6 du code de la construction et de l'habitation.

Brevitatis causa, ces dispositions cherchent tout à la fois à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à améliorer la performance énergétique des bâtiments et à déterminer une méthode de mesure satisfaisante de la durée du cycle de vie d’un bâtiment.

Les moyens, très divers, soulevés par les demandeurs sont tous rejetés comme il fallait s’y attendre car il n’est pas dans la nature du Conseil d’État d’empêcher une politique publique.

Sur la légalité externe, sont rejetés les deux moyens principaux soulevés, tirés, l’un, de l’insuffisance de la consultation du public en termes de durée de celle-ci et de consistance du document présenté à cet effet, l’autre, de l’absence de consultation de l’Autorité de la concurrence. Le rejet est motivé pour l’essentiel, au premier cas, par l’absence d’applicabilité directe et donc d’invocabilité par les citoyens des stipulations de la convention d’Aarhus, et au second cas, par l’absence de mise à l’écart d’un quelconque matériau ou procédé ou d’institution d’un régime nouveau par les textes attaqués.

Sur la légalité interne, sont d’abord rejetés les griefs de non respect de la hiérarchie des normes : la mise en cause de la constitutionnalité de l’atteinte portée à des droits ou libertés constitutionnellement garantis par une disposition du code de l’environnement (ici l’art. L. 171-1) à la Charte des droits fondamentaux ne peut se faire que par une QPC dont le Conseil d’État a déjà, ici, refusé la transmission ; les stipulations tant de l'article 2 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC), conclue à New-York le 9 mai 1992 et signée par la France le 13 juin 1992 que de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New-York le 22 avril 2016 sont jugées sans effet direct et donc insusceptibles d’être invoquées devant le juge.

Par ailleurs, ne sont entachés d’erreur manifeste d’appréciation, contrairement à ce qui est soutenu, ni les dispositions retenant la prise en compte du stockage temporaire du carbone dans les bâtiments ni celles régissant la méthode retenue par l’arrêté attaqué pour l’analyse du cycle de vie dit « dynamique simplifiée » relative aux indicateurs d’impact sur le changement climatique, tels que Icénergie, Icconstruction et Icbâtiment. D’où, sur ces différents points, cette conclusion du juge qu’« (…) qu'il n'est pas établi que le recours à la méthode d'analyse du cycle de vie dite " dynamique simplifiée " et la prise en compte du stockage temporaire du carbone définies par l'arrêté attaqué, qui ont notamment pour effet de différencier les émissions immédiates de gaz à effet de serre de celles qui peuvent être reportées dans le temps, transféreront aux générations futures la responsabilité des émissions produites par les bâtiments construits sur la base des dispositions réglementaires attaquées. »

Pas davantage n’est retenu le grief de méconnaissance de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne car, d’une part, les dispositions litigieuses n'écartent, par elles-mêmes, aucune solution ou technique de construction, pourvu que soient respectés les indicateurs de performance qu'elles fixent, l'utilisation de produits ou techniques dont l'impact sur le changement climatique est élevé pouvant être compensée par le recours à des solutions dont l'impact est plus faible et, d’autre part, car la circonstance, alléguée, que la méthode d'analyse du cycle de vie dite « dynamique simplifiée » résultant de l'arrêté attaqué ne serait pas utilisée dans un autre État membre de l'Union européenne n'est pas, par elle-même, constitutive d'une discrimination. 

Les solutions retenues ne méconnaissent pas non plus la hiérarchie des modes de valorisation des déchets et des objectifs de valorisation des déchets car, conformément aux dispositions du droit de l’Union (directive du 19 novembre 2008 relative aux déchets, modifiée), les textes critiqués évaluent l'impact sur le changement climatique lié aux composants du bâtiment ou au bâtiment lui-même sur l'ensemble du cycle de vie de ce dernier et prennent en compte les charges et bénéfices liés à la valorisation en fin de vie. De plus, la phase de fin de vie des bâtiments, d'une part, « couvre la valorisation des déchets de chantier de déconstruction et démolition » notamment sous forme de réemploi, réutilisation, recyclage ou valorisation énergétique et, d'autre part, « permet de comptabiliser les bénéfices et charges environnementaux liés à la valorisation des produits en fin de vie » tels que le recyclage ou la valorisation énergétique.

Semblablement est rejeté le grief tiré de la méconnaissance prétendue, par le code de la construction et de l’habitation, du règlement du 9 mars 2011 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction eu égard notamment à la portée donnée à ce texte par la jurisprudence de la CJUE (17 décembre 2020, Deutsche BundesRepublik, aff. C-475/19 P et C-688/19P).

Enfin, sont rejetées les classiques objections fondées sur de prétendues atteintes au principe d’égalité comme au principe de la liberté d’entreprendre, au principe de sécurité juridique comme à celui de confiance légitime.

(01 décembre 2023, Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (FILMM), n° 457118 ; Société Vicat, n° 457132 ; association La Filière Béton, n° 457143 ; association La Filière Béton, n° 457144 ; Fédération française des tuiles et briques et Syndicat national des industries de roches ornementales et de construction, n° 457175 ; Syndicat professionnel Alliance des minerais, minéraux et métaux, Fédération française de la distribution des métaux, association Construiracier, association professionnelle des armaturiers, société Arcelormittal France, société Afica et société Aperam services et solutions France, n° 457154 ; Fédération française des tuiles et briques et Syndicat national des industries de roches ornementales et de construction, n° 457531)

 

144 - Déchets nucléaires à forte ou à moyenne radioactivité – Enfouissement profond – Opération classée comme étant d’intérêt national (art. R. 102-3 c. urb.) – Mise en conformité de documents d’urbanisme – Déclaration d’utilité publique – Étude d’impact – Principe de précaution – Compensation, réduction ou évitement des effets notables du stockage – Hiérarchie des normes et mises en cohérence diverses – Rejet.

Le rejet des recours introduits ne faisait aucun doute en dépit des moyens, souvent pertinents, invoqués par les requérants car le juge ne saurait annuler certains projets publics trop importants, précisément parce qu’ils le sont. Si l’on ajoute qu’en l’espèce s’ajoutait à cette tradition contentieuse la grave incertitude touchant à l’évolution pluricentenaire sinon millénaire de déchets nucléaires, il était inévitable – les choses étant au Palais-Royal ce qu’elles sont – qu’un rejet fût prononcé, le Conseil d’État optant pour le claudélien « le pire n’est pas toujours sûr » contre le jonassien « le pire n’est pas exclu » qui est, on le sait, à la base du principe de précaution.

Étaient attaqués deux décrets du 7 juillet 2022  décidant :

- l’un (sous le n° 992), d’inscrire le centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue (Cigéo) parmi les opérations d'intérêt national mentionnées à l'art. R. 102-3 du code de l'urbanisme,

- l’autre (sous le n° 993), de déclarer d’utilité publique le centre Cigéo et portant mise en compatibilité du schéma de cohérence territoriale du Pays Barrois, du plan local d'urbanisme intercommunal de la Haute-Saulx et du plan local d'urbanisme de Gondrecourt-le-Château (Meuse). 

De très nombreux moyens étaient soulevés touchant principalement à la classification du stockage des déchets nucléaires en cause parmi les opérations d'intérêt national et à la déclaration d’utilité publique du centre de stockage en couche géologique profonde desdits déchets.

Sur le premier point, la cartographie, le périmètre, les effets juridiques, etc. de cette opération sont jugés avoir été suffisamment exposés et mis à disposition des collectivités territoriales concernées. De plus, le premier des deux décrets attaqués (n° 992) n'est, par lui-même, pas susceptible d'avoir une incidence directe et significative sur l'environnement telle qu'il aurait dû être soumis à la participation du public en application des dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement puisqu’il ne dispense pas cette opération du respect des obligations auxquelles les travaux réalisés à ce titre peuvent être soumis.

Sur la déclaration d’utilité publique, qui appelait des développements plus étendus du fait de la critique de divers aspects de cette déclaration, le juge répond aux différents moyens touchant à la compétence de l’auteur du décret en Conseil d’État déclarant cette utilité, à la légalité de l’arrêté portant ouverture de l’enquête publique, aux modalités d’organisation de l’enquête, au contenu du dossier d’enquête. Une place spécifique est faite au sein de l’analyse de la juridicité de la déclaration d’utilité publique, à l’étude d’impact appelée à y jouer un rôle important.

Semblablement, sont rejetés les moyens critiquant cette étude, qu’il s’agisse, globalement, de son contenu ou, plus particulièrement, des analyses qu’elle comporte :

- de l'intérêt géothermique du site de Bure et des risques du projet pour la sûreté,

- de la maîtrise des risques, de la sûreté et de la sécurité,

- de l'hydrogéologie des eaux souterraines et des eaux d'exhaure,

- des caractéristiques radiologiques de l'environnement et des effets du projet sur la biodiversité, 

- des incidences du projet sur les générations futures, allusion directe, ici, à la jurisprudence constitutionnelle (C.C. déc. n° 2023-1066 QPC, 27 octobre 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres), d’ailleurs mentionnée dans les visas de la présente décision,

- des incidences de l'exploitation du bâtiment d'exploitation de phase 2 dit EP2,

- de la méconnaissance des exigences résultant de l’art. 9bis de la directive 2011/92/UE dans le version que lui a donné la directive 2014/52/UE du 16 avril 2014, qui impose aux États membres de veiller à ce que les autorités compétentes accomplissent les missions relatives à l'évaluation environnementale des projets ayant des incidences sur l'environnement de façon objective et de ne pas se trouver en situation de conflit d'intérêts.

Enfin, ne sont pas retenus non plus les nombreux moyens de légalité interne soulevés à l’appui des recours.

Le juge estime qu’il n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, porté atteinte au principe de précaution par un raisonnement qui peut ne pas convaincre car affirmer que les risques – qui comportent toujours en matière nucléaire une marge, pouvant être importante, d’indétermination - ont été identifiés ne suffit pas à établir avec certitude l’adéquation et la proportionnalité des mesures adoptées, à raison même de ce qu’elles concernent des éléments non complètement déterminés.

Pareillement, il ne lui apparaît pas une insuffisance des dispositions relatives à l'évitement, à la réduction, et à la compensation des effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine ou encore des dispositions concernant la réversibilité du stockage des déchets radioactifs ou de celles relatives au financement du centre de stockage ou encore celles concernant l'absence de demande de dérogation «espèces protégées ».

On ne sera pas étonné de lire que le juge trouve positif le bilan coûts-avantages du projet et admet donc son utilité publique.

(01 décembre 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres, n° 467331 et n° 467370)

 

145 - Département – Demande d’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes – Régime de l’autorisation environnementale – Intérêts pouvant être soulevés à l’appui d’un recours contre une telle autorisation – Défaut d’intérêt à agir du département – Rejet.

(01 décembre 2023, département de Charente-Maritime, n° 467009)

V. n° 20

 

146 - Épandage de produits phytosanitaires à proximité de zones d’habitation ou de travail – Intervention d’une décision du Conseil d’État – Décret et arrêtés pris pour l’exécution de cette décision – Demande d’annulation – Rejet.

(04 décembre 2023, Collectif des maires anti-pesticides et association Agir pour l'environnement, n° 460892 ; M. D. et autres, n° 461521 ; Association des Amis de la Terre en Haute-Savoie, n° 462555 ; M. D., n° 474338)

V. n° 253

 

147 -   Élevage de poules pondeuses en cage – Régime fixé par un décret pris sur injonction en ce sens du Conseil d’État – Demande d’annulation – Rejet.

Par une décision du 27 mai 2021 (Association Compassion in World Farming France (CIWF), n° 441660), le Conseil d'État a enjoint au premier ministre de prendre le décret d’application prévu par l’art. L. 214-11 du code rural qui interdit la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cages à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018.

Le décret du 14 décembre 2021, par son art. 1er, est venu préciser les modalités d’application de l’art. L. 214-11 précité en introduisant dans le même code un article D. 214-38 ainsi conçu :

« Pour l'application de l'article L. 214-11, constitue un nouveau bâtiment la construction ou la reconstruction, totale ou partielle, d'un bâtiment destiné à l'élevage de poules pondeuses élevées en cage.

Pour l'application de ce même article, constituent un réaménagement de bâtiment :

1° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ;

2° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant conduisant à augmenter le nombre de poules pondeuses pouvant y être élevées en cage. »

C’est de ce texte que les organisations requérantes demandaient l’annulation. Leur requête est rejetée.

Sur la légalité externe, le décret litigieux n’avait pas à être soumis à l’obligation de participation du public dès lors qu’il ne peut aucunement être regardé comme ayant des effets à la fois directs et significatifs sur l’environnement.

Sur la légalité interne, deux moyens sont écartés. Le premier moyen était tiré de ce que le législateur, en prohibant la mise en production de tout bâtiment réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cage, aurait entendu interdire les travaux ou aménagements permettant le maintien en production, à capacités inchangées, d'un bâtiment existant affecté à l'élevage en cage de poules pondeuses. En réalité, le législateur, ainsi que le montrent les travaux parlementaires, n’a pas eu en vue cette interdiction. Ainsi, le décret attaqué n’a pas méconnu les dispositions législatives qu’il applique en définissant comme réaménagement d'un bâtiment, pour l'application de ces dispositions, l'aménagement d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ou l'aménagement d'un bâtiment d'élevage existant conduisant à augmenter le nombre de poules pouvant y être élevées en cage.

Le second moyen, fondé sur une prétendue différence de traitement qu’aurait institué le décret litigieux entre exploitants de bâtiments déjà affectés à l'élevage en cages et exploitants de bâtiments affectés à un autre usage, est rejeté car les exploitants de bâtiments déjà affectés à l'élevage en cages de poules pondeuses ne sont pas dans la même situation, eu égard à l'objet de l'interdiction énoncée, que les exploitants de bâtiments affectés à un autre usage.

(04 décembre 2023, Association Compassion in World Farming France (CIWF) et autres, n° 461367)

 

148 - Projet de parc éolien – Demande d’autorisation environnementale – Nécessité d’un avis conforme du ministère des armées – Rejet implicite – Nature juridique et régime contentieux – Annulation.

La société W.E.B. Énergie du Vent a développé un projet d’implantation d’un parc éolien et, en vue de la constitution du dossier de demande d'autorisation environnementale, elle a cherché à obtenir l’avis du ministre des armées sur son projet. Par courrier et courriel celui-ci a indiqué que cette implantation n'était pas possible dans le secteur envisagé. La société W.E.B. Énergie du Vent a saisi la cour administrative d’appel dont l’une des présidentes de chambre a rendu une ordonnance d’irrecevabilité manifeste de son recours dirigé contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord sur sa nouvelle demande du 12 mai 2021 tendant à l'obtention d'un nouvel avis sur un projet modifié. Elle se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

De la combinaison des dispositions des art. R. 181-32 et R. 181-34 du code de l'environnement subordonnant la délivrance de l'autorisation environnementale portant sur un projet d'installation de production éolienne d'électricité à un accord du ministre de la défense le juge déduit l’existence de deux régimes contentieux  pour la contestation du refus d’un tel accord selon le stade chronologique d’intervention du refus. Cette distinction, logique, n’en est pas moins source de complexité pour le justiciable et, parfois, d’égarement pour le juge comme on le voit ici.

En premier lieu, lorsque cet accord est sollicité par le préfet après que ce dernier a été saisi d'une demande d'autorisation environnementale, le refus d'un tel accord, qui s'impose au préfet, ne constitue pas une décision susceptible de recours. Cependant, il est loisible au requérant d’invoquer devant le juge saisi de la décision préfectorale, et cela  quel que soit le sens de la décision prise par le préfet pour statuer sur la demande d'autorisation, des moyens tirés de la régularité et du bien-fondé de ce refus.

En second lieu, lorsque la phase de concertation relative à cet accord a lieu – comme en l’espèce - avant le dépôt du dossier de demande d'autorisation directement entre le pétitionnaire et le ministre de la défense, un refus d'accord recueilli par le demandeur rend impossible la constitution d'un dossier susceptible d'aboutir à une décision favorable, mettant ainsi un terme à la procédure, sauf pour l'intéressé à présenter néanmoins au préfet une demande d'autorisation nécessairement vouée au rejet, dans le seul but de faire naître une décision susceptible d'un recours à l'occasion duquel le refus d'accord pourrait être contesté. Dans ces conditions, le refus d'accord du ministre de la défense doit être regardé comme faisant grief et comme étant, par suite, susceptible d'être déféré au juge. 

L’ordonnance attaquée est annulée, son auteur n’ayant pas recherché si le refus d'accord opposé par le ministre mettait ou non un terme à la procédure de délivrance de cette autorisation. 

(06 décembre 2023, Société W.E.B. Énergie du Vent, n° 462446)

 

149 - Parc éolien – Exigences successives du chef de l’évolution du droit positif – Application dans le temps des variations légales – Rejet.

La présente décision, relative à une énième contestation du refus d’autoriser l’implantation et l’exploitation d’un parc éolien, est intéressante par son analyse des rapports entre permis de construire et édification d’éoliennes du fait de la succession rapide des régimes juridiques applicables.

Au régime de l'autorisation unique prévu par l'ordonnance du 20 mars 2014 a succédé celui de l'autorisation environnementale institué par l'ordonnance du 26 janvier 2017. De plus, s’agissant du droit transitoire, le législateur a organisé un mécanisme disposant que les demandes d'autorisation au titre de la police des installations classées pour la protection de l'environnement régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 seraient instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires antérieures à l'entrée en vigueur de l’ordonnance de janvier 2017 et qu'après la délivrance de ces autorisations, ces dernières seraient considérées comme des autorisations environnementales auxquelles les dispositions du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l'environnement sont applicables, notamment lorsque ces autorisations sont modifiées ou contestées.

En l’espèce, les recours tendaient à voir annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel annulant l'arrêté préfectoral du 29 juillet 2019 refusant l'autorisation d'exploiter six éoliennes et un poste de livraison à la société Centrale éolienne Vexin, accordant à cette dernière l'autorisation demandée et enjoignant au préfet de l'Eure d'assortir cette dernière, dans un délai de six mois, de toutes les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Le pourvoi est rejeté en tous ses chefs de griefs.

En premier lieu, il est déduit des dispositions applicables en l’espèce (L. 512-1, L. 181-1 c. environnement, art. 15, ord. 26 janv. 2017) que la demande d’autorisation du parc éolien, en date du 23 octobre 2013, refusée par l’arrêté préfectoral du 29 juillet 2019, était antérieure à l’entrée en vigueur des ordonnances de 2014 et de 2017 précitées ; c’est donc sans erreur de droit ou contradiction de motifs que l’arrêt de la cour a jugé que cette dernière était saisie d'un litige relatif au refus d'une autorisation régie par la législation antérieure à ces deux ordonnances.

En deuxième lieu, il se déduit des dispositions combinées des art. L. 421-1, L. 421-6, L. 151-9 et R. 151-33 du code de l’urbanisme, d’une part, des dispositions des art. L. 123-5 (devenu L. 152-1) c. urb. et L. 514-6, I c. environnement, d’autre part, ainsi que de celles des art. L. 421-5 c. urb. et D. 181-15-2 c. environnement, qu’il convient d’opérer une distinction entre les projets d'installation d'éoliennes terrestres obtenus depuis le 1er mars 2017 et ceux qui, comme celui en litige, ont fait l'objet d'une demande régulièrement déposée avant le 1er mars 2017.

Dans le premier cas, les projets d'installation d'éoliennes terrestres soumis, depuis cette date, à autorisation environnementale sont dispensés de l'obtention d'un permis de construire mais tenus du respect des règles d'urbanisme qui leur sont applicables sous le contrôle de l'autorité administrative, à l'occasion de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale. Ces dispositions permettent ainsi d’assurer le respect, par les projets d'installation d'éoliennes terrestres, des prescriptions du plan local d'urbanisme, notamment celles relatives à la hauteur des constructions et installations.

Dans le second cas, les projets qui ont fait l'objet d'une demande régulièrement déposée avant le 1er mars 2017 et qui sont soumis à la fois à l'exigence d'un permis de construire et d'une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement, si le plan local d'urbanisme est opposable à l'autorisation d'exploiter (cf. art. L. 514-6 c. environnement), ne sont tenus qu’au respect des seules prescriptions du PLU qui déterminent les conditions d'utilisation et d'occupation des sols et les natures d'activités interdites ou limitées s'imposant à cette autorisation. En ce cas, les règles relatives à la hauteur des constructions et installations ne sont pas opposables à l'autorisation d'exploiter, peu important à cet égard la circonstance qu'elles figurent dans une partie du règlement du PLU relative à la nature de l'occupation et de l'utilisation des sols.

C’est donc à bon droit et sans erreur de droit que la cour a jugé que les règles du PLU relatives à la hauteur des constructions et installations n'étaient pas opposables à l'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement.

En troisième lieu, c’est sans insuffisance de motivation, qu’en sa qualité de juge de pleine juridiction que lui confèrent les dispositions de l’art. L. 181-17 c. env., que la cour administrative d’appel a accordé l’autorisation sollicitée.

Enfin, il résulte des dispositions du 2° de l'art. 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 que les demandes d'autorisation d'exploiter déposées au titre du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement avant le 1er mars 2017, ainsi que les demandes d'autorisation unique déposées sur le fondement de l'ordonnance du 20 mars 2014 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires antérieures à l'entrée en vigueur du régime de l'autorisation environnementale. C’est donc sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que la cour a jugé inapplicables aux demandes déposées avant la même date les prescripttions contenues dans les textes entrés postérieurement en vigueur.

(18 décembre 2023, Association pour la défense des habitants du Vexin normand (ALIANSE), n°459339 ; ministre de la transition écologique, n° 460192)

 

150 - Chasse au grand tétras – Annulation précédente par le Conseil d’État du refus de suspendre cette chasse – Absence d’annulation par voie de conséquence – Absence d’erreur d’appréciation – Rejet.

Sans surprise est ici rejeté le recours en annulation de l'arrêté du 1er septembre 2022 par lequel le ministre de la transition écologique a suspendu la chasse du grand tétras en France métropolitaine pour une durée de cinq ans.

En effet, la fédération requérante ne saurait soutenir, alors que son recours en tierce opposition a été rejeté, que le Conseil d’État décide en sens contraire de ce rejet.

Elle ne peut davantage prétendre que la procédure suivie pour prendre l’arrêté attaqué l’a été irrégulièrement, le ministre n’étant pas tenu de décider dans un sens déterminé.

Enfin, eu égard à la très mauvaise situation du grand tétras en France métropolitaine, la mesure d’interdiction de le chasser pendant cinq ans ne repose pas sur une erreur manifeste d’appréciation.

(06 décembre 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 468959)

 

151 - Permis de construire – Contestation par une association agréée pour la défense de l’environnement – Existence d’un intérêt donnant à cette association qualité pour agir - Qualification inexacte des faits – Annulation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce le jugement qui dénie à une association agréée pour la protection de l'environnement (cf. art. L. 141-1 code environmt.), ayant pour objet statutaire le développement durable, la protection et la mise en valeur de l'environnement et du patrimoine archéologique, architectural, paysager et touristique de la France ainsi que l'amélioration du cadre de vie des Français, tout intérêt lui donnant qualité pour agir contre toute décision qui, relevant de son objet statutaire, produit des effets dommageables pour l'environnement au sens de l'art. L. 141-1 préc.

Le Conseil d’État juge qu’il en va particulièrement ainsi du recours formé par cette association contre un permis de construire qui, comme celui délivré en l’espèce, autorise la réalisation d'une opération d'urbanisme importante, conduisant à la densification des parcelles concernées et, comme le relève d'ailleurs le jugement attaqué, à l'abattage de plusieurs arbres de haute tige.

(18 février 2023, Association Patrimoine et Environnement, n° 464454)

 

152 - Emploi de tendelles pour la chasse aux oiseaux dans les départements de l’Aveyron et de la Lozère - Directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages – Code de l’environnement (art. L. 424-2) – Arrêté préfectoral autorisant cette forme ce chasse – Refus d’abrogation – Annulation.

Est illégal comme contrevenant tant au droit de l’Union qu’au droit national, un arrêté préfectoral ouvrant dans deux départements français la possibilité de chasser certaines espèces d’oiseaux sauvages au moyen de tendelles. Par suite, est également illégal le refus de l’abroger sans que puissent être invoqués le caractère traditionnel d'une méthode de capture d'oiseaux, l’absence d’une autre solution satisfaisante ou le fait qu'une autre méthode requerrait une adaptation et, par conséquent, exigerait de s'écarter de certaines caractéristiques d'une tradition.

(20 décembre 2023, Association One Voice, n° 458522)

 

État-civil et nationalité

 

153 - Décret accordant la nationalité française à un ressortissant congolais – Mensonge sur la réalité de sa situation familiale – Retrait du décret – Rejet.

C’est sans illégalité que le premier ministre rapporte un décret de naturalisation au vu des déclarations mensongères de l’intéressé. Celui-ci s’est déclaré célibataire avec un enfant à charge alors qu’il est, en outre, père de trois autres enfants résidant habituellement à l’étranger avec leur mère.

Au surplus, la circonstance que M. E. a porté ces informations à la connaissance des services des impôts en déclarant la pension alimentaire versée à ses enfants est sans incidence à cet égard. 

(18 décembre 2023, M. E., n° 468555)

(154) V., dans le même sens, pour avoir celé l’existence de son mariage avec une ressortissante algérienne qui résidait alors habituellement à l'étranger :  28 décembre 2023, M. B., n° 468605.

(155) V., identique, rejetant le recours dirigé contre le décret rapportant le décret de naturalisation de la requérante, ressortissante haïtienne, pour mensonge sur la réalité de sa situation matrimoniale : 28 décembre 2023, Mme A., n° 468808.

(156) V. aussi, la solution identique concernant un ressortissant algérien : 28 décembre 2023, M. B., n° 470232.

 

157 - Décret de naturalisation – Extension de plein droit de ses effets à un enfant mineur – Conditions – Rejet.

Nouveau rappel qu'un enfant ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents que s'il est mineur, et qu'à condition, d'une part, que ce parent ait porté son existence, sauf impossibilité ou force majeure, à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret et, d'autre part, qu'il ait, à la date du décret, résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

(28 décembre 2023, M. A., n° 468782)

 

158 - Déchéance de la nationalité française – Participation à une entreprise terroriste – Déchéance ne mettant pas l’intéressé en état d’apatridie – Gravité des faits justifiant la mesure – Rejet.

Ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’intéressé, la décision portant déchéance de sa nationalité française, consécutive à sa condamnation pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme prenant la forme d’un départ en Syrie où il a rejoint les rangs de l'organisation terroriste « État islamique », suivi un entrainement de type militaire et participé aux opérations de ce groupe en tant que combattant.

En outre, la mesure a été prise dans le respect des conditions de forme exigées.

(18 décembre 2023, M. A., n° 473340)

 

159 - Déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage – Indignité – Rejet.

Un ressortissant égyptien ayant épousé une française a fait une déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage. Celle-ci a été rejetée par un décret portant opposition à cette acquisition à raison de l’indignité du demandeur sur le fondement des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil.

Pour motiver ce refus, le premier ministre fait valoir que le requérant a fait l'objet d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel pour avoir, pendant trois ans, apporté ou tenté d'apporter une aide directe ou indirecte facilitant l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers en France d'étrangers, en bande organisée, et s'être rendu complice de faux, en l'espèce de bulletins de salaire, et en avoir fait usage.

Le Conseil d’État rappelle d’abord que le principe de pla résomption d'innocence ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement s'oppose, pour indignité, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger en se fondant sur des faits qui n'ont pas donné lieu à une condamnation pénale devenue définitive, dès lors que ces faits sont établis. 

Il relève ensuite que le requérant ne conteste pas sérieusement la matérialité des faits reprochés dans l’ordonnance de renvoi en correctionnelle, par suite, il ne saurait soutenir qu’en se fondant sur ces circonstances pour estimer qu'en raison de la nature, de la durée et de la gravité des faits qui lui sont reprochés, il devait être regardé, à la date du décret attaqué, comme indigne d'acquérir la nationalité française, l’auteur du décret aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du Code civil. 

(28 décembre 2023, M. B., n° 488658)

 

Étrangers

 

160 - Ressortissant marocain – Expulsion de France pour participation à une entreprise terroriste – Régime spécial applicable aux étrangers entrès très jeunes en France – Absence de caractère disproportionné de la mesure – Rejet.

Un ressortissant marocain entré en France à l’âge de deux mois et aujourd’hui âgé de 33 ans, fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour son implication dans la mouvance terroriste.

Il relève d’un régime particulier de protection à raison de l’ancienneté de ses liens avec la France, régime dont il se prévaut au soutien de sa requête en référé liberté tendant à voir suspendue cette mesure.

Son appel contre l’ordonnance rejetant sa demande est lui-même rejeté.

Le Conseil d’État relève un ensemble d’éléments au soutien de sa décision de rejet :

- participation à la filière orléanaise d'acheminement de combattants jihadistes vers la zone syro-irakienne,

- reconnaissance, au cours de l’audience pénale, de son implication dans la réception de l'argent destiné à l'achat d'armes et dans l'identification des cibles potentielles d'attentats ; témoignages cités à l'audience confirmant son soutien aux thèses de l'organisation terroriste de l'État islamique,

- condamnation pénale définitive pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme,

- expertise psychiatrique soulignant son déni global et son absence de prise de conscience de la gravité des faits pour lesquels il a été condamné ainsi que d'empathie pour les victimes d'attentats antérieurs et celles potentielles des attentats que son groupe prévoyait, et  concluant à une dangerosité criminologique très réelle ainsi qu’à une capacité de récidive, notamment en cas de retour dans sa zone géographique initiale,

- nouvelle expertise psychiatrique faisant état de « traits dyssociaux de personnalité » pouvant le rendre dangereux pour autrui,

- auteur, en tant que chauffeur intérimaire d’autobus, de harcèlement à l’encontre d’une passagère contactée à l'aide d'une fausse identité.

Sans surprise, le juge d’appel des référés estime que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande de suspension de l’arrêté d’expulsion.

Par ailleurs, constatant que l’intéressé est célibataire et sans enfant, et alors même qu’il justifie d'un ancrage personnel et familial ancien en France et indique ne pas lire ni parler la langue arabe et ne pas s'être rendu au Maroc depuis de nombreuses années, le juge estime, eu égard aux éléments de dangerosité persistante, que la décision d'expulsion prise à son encontre n'apparaît pas manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

(04 décembre 2023, M. B., n° 489712)

 

161 - Ressortissant algérien – Certificat de résidence d’un an – Existence d’un lien conjugal – Condition exigible, sauf fraude, seulement lors du premier renouvellement – Avis de droit – Réponse en ce sens.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’avis sur le point de savoir si la condition d'une communauté de vie effective entre les époux prévue par les stipulations du 2) du dernier alinéa de l'article 6, dans leur rédaction issue du troisième avenant à l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et des membres de leur famille, est exigée uniquement dans le cas d'un premier renouvellement du certificat de résidence d'un an, de sorte que les renouvellements de certificats de résidence d'un an suivants ne sont subordonnés qu'au maintien des liens du mariage à la date de la décision attaquée, ou bien si elle peut être exigée pour les renouvellements ultérieurs.

Le Conseil d’État répond d’abord que si l'octroi et le renouvellement du certificat de résidence d'un an portant la mention « vie privée et familiale » délivré de plein droit au ressortissant algérien marié avec un ressortissant de nationalité française sont subordonnés à l'existence de ce lien conjugal, seul le premier renouvellement d'un tel certificat est soumis à la condition d'une communauté de vie effective entre les époux. 

Il ajoute cependant ces deux précisions : 1° si ce premier renouvellement a été obtenu par fraude, notamment en raison de la dissimulation délibérée d'une rupture de la vie commune, le préfet peut légalement le retirer ; 2° les stipulations de l’accord précité laissent entier le pouvoir de l’administration française de refuser tout renouvellement du certificat en se fondant sur des motifs tenant à l'ordre public. 

(21 décembre 2023, Mme B., n° 476142)

 

162 - Ressortissante algérienne – Situation d’urgence du fait de la gravité de l’état de sa fille – Dénaturation des pièces du dossier – Juge des référés imposant à l’administration diverses obligations de faire – Annulation.

La requérante a demandé, en vain en première instance, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l'exécution des décisions implicites par lesquelles la préfète du Rhône a respectivement rejeté sa demande de titre de séjour et refusé de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de ces décisions et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour portant droit au travail d'une durée d'au moins six mois.

Elle se pourvoit en Conseil d’État contre l’ordonnance de rejet de ses demandes.

Le juge de cassation estime que c’est au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que le juge du référé suspension a refusé d’apercevoir l’existence d’une urgence en l’espèce alors que ce dernier a lui-même relevé que l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 4 juillet 2022 concernant l'enfant de la requérante, considérait que l'état de santé de ce dernier nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et dont il ne pouvait pas bénéficier dans son pays d'origine, que la requérante produisait la confirmation d'inscription de son enfant sur la liste nationale d'attente d'une greffe de rein et d'une greffe de foie, un certificat médical du 9 février 2022 du chef de service du service de néphrologie, rhumatologie et dermatologie pédiatrique de l'hôpital femme-mère-enfant de Bron établissant que l'enfant de la requérante nécessitait des soins quotidiens et un certificat médical du même jour indiquant que sa présence était justifiée sur le territoire du fait de l'état de santé de son fils et qu'enfin, elle soutenait, sans être contredite, qu'elle se trouvait dans une situation de très grande précarité et dépourvue de toute ressource pour faire face aux besoins de son enfant.

En outre, le juge de cassation, compte tenu des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles, exprime un doute sérieux quant à la légalité de la décision implicite par laquelle la préfète du Rhône a refusé de délivrer à Mme B. un certificat de résidence.

En conséquence, usant pleinement de ses pouvoirs, le juge des référés ordonne de délivrer à Mme B. un récépissé de sa demande de titre de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de huit jours à compter de la notification de sa décision et de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la même date, au réexamen de sa demande de titre de séjour. 

(21 décembre 2023, Mme B., n° 487666)

 

163 - Ressortissante guinéenne – Invocation de son état de minorité – Refus - Demande d’hébergement et de prise en charge – Rôles respectifs du juge judiciaire et du juge administratif – Rejet du référé liberté.

Rappel de solutions constantes applicables au cas d’un mineur étranger demandant à être pris en charge et à être hébergé par un département qui réfute son état prétendu de minorité.

Tout d’abord, lorsqu'il est saisi par un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l'art. L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné.

Ensuite, l'art. 375 du Code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite.

Également, lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation prévue au II de l’art. R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département. 

Enfin, et par exception, si le juge administratif du référé liberté, saisi à cet effet, estime que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, il peut enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. 

En l’espèce, le juge du Conseil d’État annule en appel l’ordonnance faisant droit à la demande de la requérante et enjoignant la maire de Paris d'assurer l'hébergement de la requérante dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que le juge des enfants se prononce sur la question relative à sa minorité. Il estime qu'aucun des éléments retenus par les services de la Ville de Paris pour conclure que l’intéressée n'établissait pas être mineure, ce qu'il appartiendra au juge des enfants de déterminer, ne révèle d'erreur manifeste d'appréciation. La seule copie d'un acte de naissance établi dans des conditions présentant certaines incohérences avec la législation guinéenne que l'instruction et l'audience tenue dans le cadre de la présente instance n'ont pas permis de clarifier, et qui n'a pas été légalisée par les services diplomatiques français en Guinée, ne peut, en l'absence de tout autre élément d'état civil probant, suffire à établir une telle erreur. Si la demanderesse a produit, par une note en délibéré postérieure à l'audience tenue en appel, une carte consulaire établie sur la base de cet acte de naissance, ce document n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à infirmer l'ensemble des éléments qui ont conduit à écarter sa minorité. 

(ord. réf. 21 décembre 2023, Ville de Paris, n° 490020)

 

164 - Expulsion d’un étranger – Demande de suspension d’exécution de l’arrêté d’expulsion – Assignation à résidence du fait de l’impossibilité d’exécuter la mesure d’expulsion – Absence d’autorisation de travail – Rejet.

Le demandeur, a fait l’objet d’un arrêté d'expulsion en urgence absolue dans le cadre de son réexamen quinquennal et a été assigné à résidence avec fixation de l’Autriche comme pays de renvoi. Il a demandé la suspension de ces décisions ainsi qu’injonction soit faite au ministrte de l’intérieur de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail.  Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de la décision d’expulsion et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B., dans l'attente du jugement au fond, une autorisation provisoire de travail et d'aménager la mesure d'assignation à résidence dont il fait l'objet pour la rendre compatible avec l'exercice de sa future activité professionnelle dans un délai de 8 jours à compter de la notification de cette ordonnance et sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État annule cette ordonnance car l'intéressé est actuellement assigné à résidence en raison de l'impossibilité temporaire d'exécuter l’arrêté d’expulsion dès lors qu'il ne possède pas de passeport en cours de validité et que les démarches pour obtenir un laissez-passer consulaire auprès des autorités russes n'ont pas abouti.

En outre, les désagréments dont il se plaint : une atteinte grave et immédiate à sa vie privée et familiale, le fait d’être empêché de travailler alors qu'il dispose d'une promesse d'embauche,  l’absence de sa femme et de ses enfants résidant en Autriche, trouvent tous leur origine dans l'assignation à résidence prononcée à l'encontre de l'intéressé, qui n'est pas au nombre de celles devant être assortie d'une autorisation de travail en application de l'art. L. 732-9 du CESEDA, et non dans la décision refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion du 2 octobre 2017.

Enfin, le demandeur ne saurait soutenir que cette décision a conduit à lui retirer l'autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dont il disposait, car cette autorisation provisoire de séjour a été délivrée en exécution d'une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 5 septembre 2022, dans l'attente du réexamen quinquennal de l'arrêté ministériel d'expulsion, au terme duquel elle prenait ainsi fin. Ainsi, la condition d'urgence prévue par les dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA n'est pas remplie. 

(18 décembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 474650)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

165 - Sapeurs-pompiers professionnels – Organisation du temps de travail par le règlement intérieur d’un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) – Absence d’incidence sur le décret relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux – Annulation partielle sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

L’intérêt de cette décision vient du rappel qu’elle contient et des précisions qu’elle apporte.

Il est d’abord rappelé que, saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision. Naturellement, si aucun changement n’est intervenu dans ces règles, il est légitime de se fonder sur elles.

Il est ensuite apporté des précisions, s’agissant des données propres à l’espèce, en ce qui concerne les effets sur la durée des congés annuels, des modulations des temps de présence journaliers des sapeurs-pompiers fixées par le règlement intérieur d’un SDIS.

Revenant à une application correcte de la hiérarchie des normes, le Conseil d’État juge que si l'organe délibérant d'un SDIS peut, d'une part, en application des dispositions du décret du 31 décembre 2001, moduler les temps de présence journaliers des sapeurs-pompiers professionnels et, d'autre part, en application de l'art. 2 du décret du 12 juillet 2001, réduire la durée annuelle de travail servant au décompte de leur temps de travail pour tenir compte des sujétions propres à leur activité, aucune disposition ne prévoit que ces ajustements imposeraient une modulation des conditions dans lesquelles sont ouverts des droits à jours de congé dits « de fractionnement » en application du troisième alinéa de l'art. 1er du décret du 26 novembre 1985, dont les dispositions s'appliquent à tous les fonctionnaires territoriaux indépendamment de la durée du temps de travail ou des congés annuels des fonctionnaires concernés.

L’arrêt attaqué est annulé pour erreur de droit en ce qu’il a jugé que le nombre de jours à poser par les sapeurs-pompiers du SDIS du Pas-de-Calais, en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre, pour bénéficier d'un jour de congé supplémentaire, dit de « fractionnement », devait être proratisé selon une quotité de 5/25èmes des jours de congés annuels prévus, correspondant à 2,8 jours arrondis à 3 jours pour les agents astreints aux gardes mixtes, bénéficiant de quatorze jours de congés annuels, et à 3,8 jours arrondis à 4 jours pour les agents astreints aux gardes de douze heures, bénéficiant de dix-neuf jours de congés annuels.

L’arrêt est confirmé en ce qu’il a jugé qu'il résulte des dispositions de l'article 1er du décret du 26 novembre 1985 que les jours de congé supplémentaires dits de fractionnement doivent être assimilés à des jours légaux de congés, et qu'il en a déduit que, dès lors que son règlement intérieur prévoit que les sapeurs-pompiers en gardes mixtes bénéficient de congés équivalents à 14 gardes de 24 heures, pondérées à 16,8 unités de temps de travail et que les sapeurs-pompiers en gardes exclusives de 12 heures bénéficient de congés équivalents à 19 jours de garde, pondérés à 12 unités de temps de travail, le SDIS du Pas-de-Calais ne pouvait légalement fixer la valeur d'un jour de congé de fractionnement à sept unités de temps de travail. 

(04 décembre 2023, Syndicat autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et spécialisés (SPP-PATS) du Pas-de-Calais, n° 457244)

 

166 - Magistrats exerçant à titre temporaire – Demande d’alignement sur certaines dispositions statutaires régissant les magistrats professionnels – Absence d’illégalité – Rejet.

Le syndicat demandeur recherchait l’annulation de la décision implicite née du silence gardé par le garde des sceaux sur sa demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant aux magistrats exerçant à titre temporaire de bénéficier d'un statut conforme à ce qu'exigent leurs conditions d'emploi, et prévoyant au moins des droits et des garanties équivalents à ceux dont bénéficient les agents contractuels de l'État.

Pour rejeter cette requête le juge rappelle d’abord, d’une part, que les intéressés exercent à titre temporaire et partiel  des fonctions normalement dévolues aux magistrats de carrière alors qu’ils n'entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, et d’autre part, que, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, des garanties appropriées leur permettent de satisfaire au principe d'indépendance tout comme leur sont applicables les obligations qui s’imposent à l'ensemble des magistrats.

Il indique ensuite que leur est attribuée une indemnité et non un traitement, à la différence des magistrats de carrière dès lors que les magistrats exerçant à titre temporaire sont autorisés à exercer une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé conforme à la Constitution (décis. n° 94-355 DC du 10 janvier 1995, Loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, et n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016, Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature) que l’indemnité allouée aux magistrats exerçant à titre temporaire soit fixée par décret en Conseil d’État à la différence du traitement des magistrats de carrière qui relève d’un décret en conseil des ministres.

Enfin, ces magistrats, qui constituent une catégorie particulière de magistrats en tant notamment qu'ils contribuent au service public de la justice sous la forme de vacations, ne tirent d’aucune disposition législative ni d’aucun principe général du droit l’application à leur cas des garanties ou droits équivalents à ceux accordés à des agents appartenant à des corps différents, ou régis par des dispositions statutaires différentes tels certains droits ou garanties applicables aux assistants de justice ou aux agents non titulaires de l'État et ne sauraient prétendre que le refus implicite opposé à leur demande serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation ou méconnaîtrait le principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires.

(06 décembre 2023, Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire, n° 470054)

 

167 - Candidature à l'exercice des fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire – Conditions – Refus – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni erreur manifeste d’appréciation que le ministre de la justice rejette la candidature à l’exercice des fonctions de magistrat à titre temporaire d’une personne titulaire d'un master de droit et études européennes, mention « droit privé et sciences criminelles », qui a exercé pendant 27 ans au sein de la gendarmerie nationale en section de recherches, essentiellement comme enquêteur puis comme commandant de la division « délinquance économique, financière et numérique »  de Toulouse de 2016 à 2021, et qui se prévaut de ce que ces missions l'ont mis en contact étroit avec les professionnels et les procédures judiciaires. En effet, le dossier du candidat, notamment l'avis des chefs de cour, l'avis du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Toulouse et l'avis du président de ce tribunal, à la suite des entretiens organisés avec l'intéressé, montre des insuffisances sur sa manière de servir et sur sa capacité à adopter le positionnement d'un magistrat, ainsi que des carences en matière de connaissances juridiques, notamment en droit civil. 

(06 décembre 2023, M. B., n° 471789)

(168) V. aussi, assez voisin, avec solution identique : 06 décembre 2023, M. A., n° 472054.

 

 

169 - Magistrat de la Cour des comptes – Reproche d’exhibition sexuelle dans son bureau - Suspension de ses fonctions – Poursuites pénales – Attente de la décision définitive – Rejet.

C’est sans illégalité – et notamment sans erreur manifeste d’appréciation – que, dans l’intérêt du service, l’autorité de nomination d’un magistrat à la Cour des comptes, poursuivi pour exhibition sexuelle dans son bureau, le suspend d’abord pour une durée limitée à quatre mois, puis, après sa condamnation, et en raison de l’appel qu’il a interjeté, prolonge la suspension jusqu’à l’achèvement de la procédure pénale.

(18 décembre 2023, M. B., n° 474387)

 

170 - Arrêts maladie – Imputabilité au service tardivement reconnue – Congés annuels non pris - Indemnisation – Rejet.

Professeur contractuel de l'enseignement privé, la requérante a été placée en congé pour accident de service du 28 mai au 17 octobre 2004, puis en congé de longue durée non imputable au service pour plusieurs périodes successives de six mois jusqu'à la date du 15 septembre 2009 à laquelle, sur sa demande, elle a été admise à la retraite pour invalidité, à l'âge de soixante ans. Saisie par cette dernière, le tribunal administratif a, par un jugement devenu définitif, annulé le refus de la rectrice de l'académie de reconnaître l'imputabilité au service du congé de longue durée. Après avoir en vain saisi l'État d'une demande indemnitaire préalable, le 2 janvier 2014, Mme B. a formé devant le même tribunal administratif un recours tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus de reconnaissance de l'imputabilité au service. Cette imputabilité ayant finalement été reconnue par un arrêté rectoral du 29 septembre 2015, la requérante a demandé la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'abstention de l'administration, jusqu'à cette date, de reconnaître l'imputabilité au service de son état de santé.

Après que le tribunal a rejeté ses prétentions, la cour administrative d’appel, saisie par l’intéressée, par un premier arrêt, a annulé ce jugement, rejeté ses conclusions tendant à la réparation de la perte de l'indemnité compensatrice de congés payés puis, statuant par la voie de l'évocation, rejeté les mêmes conclusions et rejeté le surplus de ses conclusions d'appel à l'exception de celles tendant à la réparation du préjudice résultant de la réduction de ses droits à pension, ordonnant à cet effet, avant dire droit, de procéder à un supplément d'instruction contradictoire concernant ces droits à pension. Enfin, par un second arrêt, elle a rejeté les conclusions d'appel tendant à la réparation du préjudice résultant de la réduction des droits à pension. Mme B. se pourvoit en cassation des deux arrêts de la cour.

En premier lieu, le Conseil d’État juge que la cour, en se fondant sur les dispositions de l'art. 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'État, applicables aux professeurs contractuels de l'enseignement privé sous contrat d'association, pour écarter la demande de Mme B., tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de ses congés payés pendant la période où elle était en congé de maladie, a commis une erreur de droit. En effet, ces dispositions, en tant qu'elles ne prévoient pas l'indemnisation des congés annuels qu'un agent aurait été, en raison d'un arrêt maladie, dans l'impossibilité de prendre avant la fin de sa relation de travail, méconnaissent les objectifs de la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail tels qu’interprétés par la jurisprudence de la CJCE (grande chambre, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e. a., aff. C-350/06 et C-520/06).

En revanche, c’est dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation et sans dénaturation que la cour a relevé que les pièces médicales produites par la demanderesse se bornaient à attester de l'imputabilité au service de l'accident du 3 mai 2004 et d'un suivi médical mais ne démontraient pas que le refus en cause lui aurait par lui-même causé des souffrances morales. Semblablement, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour a demandé à l’intéressée la production des éléments qui étaient nécessaires à l'appréciation de la réalité du préjudice invoqué et de son lien avec une éventuelle faute de l'administration, et qui ne pouvaient être produits que par elle ou, à sa demande, par sa caisse de retraite, puis que, ayant constaté l’absence de production de ces éléments, elle a jugé que la requérante ne justifiait pas de la réalité du préjudice invoqué.

Enfin, concernant la demande relative à l'indemnisation des congés annuels non pris, le juge de cassation oppose la prescription quadriennale née de ce que le fait générateur de la créance est apparu  le 15 septembre 2009, à une date où la requérante n'avait pas pu prendre les congés annuels correspondant aux cinq années précédentes, pendant lesquelles elle était en arrêt maladie. Or, alors qu’aucun fait ou acte n’a interrompu le cours de la prescription, elle n’a formé sa réclamation pécuniaire préalable que le 2 janvier 2014, trop tardivement puisque la prescription était acquise le 31 décembre 2013. Dura lex sed lex

(13 décembre 2023, Mme B., n° 449752)

 

171 - Agent public contractuel – Médecin de prévention au sein de services ministériels déconcentrés – Licenciement – Conclusions jugées irrecevables pour tardiveté – Rejet.

Licenciée pour insuffisance professionnelle, l’intéressée a, dans le délai de recours contentieux de deux mois à compter de la notification de cette décision, adressé à l'administration un recours, qu'elle a qualifié de « recours gracieux », par lequel elle a indiqué, après avoir contesté les motifs de son licenciement qu’elle estimait « sans cause réelle et sérieuse », prendre acte de la décision de licenciement prise à son encontre, et s'est bornée à demander « l'application de la loi en réparation des préjudices subis pour licenciement abusif ».

La cour administrative d’appel a jugé que les conclusions dont elle a saisi le tribunal administratif étaient tardives et donc irrecevables car il résulte de ce qui vient d’être dit que Mme B. n'avait souhaité tirer de conséquences de son licenciement que sur le terrain indemnitaire. Elle avait donc saisi l'administration d'une demande indemnitaire préalable mais non d'un recours administratif de nature à interrompre le délai de recours en excès de pouvoir à l'encontre de la décision de licenciement.

Le juge de cassation approuve cette solution.

(13 décembre 2023, Mme B., n° 459853)

 

172 - Fonctionnaire de police – Mutation irrégulière – Annulation – Obligation s’imposant à l’administration – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Commet une erreur de droit conduisant à son annulation, l’arrêt d’appel qui, après avoir annulé l'arrêté prononçant la mutation du requérant dans l'intérêt du service, juge que cette annulation n'implique pas nécessairement la réintégration de l’intéressé dans ses fonctions et se borne à enjoindre à l'administration de l'affecter dans un poste de niveau comparable, alors qu’il est constant qu’en cas d’annulation pour illégalité d’une décision de mutation d’un agent public l’autorité compétente est tenue de replacer l'intéressé dans l'emploi qu'il occupait précédemment et de reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation.

Il n’y a d’exceptions à cette exigence que si la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l'intéressé ait renoncé aux droits qu'il tient de l'annulation prononcée par le juge ou qu'il n'ait plus la qualité d'agent public. 

(13 décembre 2023, M. A., n° 465836)

 

173 - Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – Fonctionnaire - Indemnités sous forme de prime de restructuration de service, d’allocation d’aide à la mobilité du conjoint, indemnité de départ volontaire – Annulation partielle.

Le requérant a demandé l’annulation de la décision du 15 juillet 2020 par laquelle la déléguée régionale Île-de-France du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a rejeté sa demande du 9 mars 2020 tendant au bénéfice des indemnités prévues par les décrets nos 2008-366 et 2008-368 du 17 avril 2008 au titre du transfert de l'École normale supérieure (ENS) Paris-Saclay du site de Cachan vers le plateau de Moulon à Gif-sur-Yvette.

Si la demande d’annulation des deux décisions refusant au requérant le bénéfice de la prime de restructuration de service, de l'allocation d'aide à la mobilité du conjoint et d'indemnité de départ volontaire prévues par l’arrêté du 2 juillet 2019, est rejetée, en revanche, est jugée fondée l’invocation du principe d’égalité entre agents d’un service faisant l’objet d’une restructuration. Ainsi  l'arrêté du 2 juillet 2019 a créé une différence de traitement qui ne saurait être justifiée par la seule absence de demande du CNRS tendant à l'édiction d'un tel arrêté, laquelle n'est pas exigée par les textes, dès lors qu’ayant ouvert le bénéfice des indemnités instituées par les décrets du 17 avril 2008 aux seuls agents de l'ENS Paris-Saclay affectés au sein du laboratoire PPSM-UMR 8531 au titre du transfert de ce laboratoire du site de Cachan de l'ENS Paris-Saclay vers le plateau de Moulon à Gif-sur-Yvette, il a refusé d'inclure les agents du CNRS affectés au sein de ce même laboratoire dans le champ de cet arrêté. Celui-ci est donc entaché d’illégalité pour méconnaissance du principe d'égalité.

(14 décembre 2023, M. B., n° 473265 et n° 473276)

 

174 - Sapeur pompier professionnel - Médecin-chef d’un service de santé et de secours médical d’un service départemental d'incendie et de secours (SDIS) – Mise à disposition auprès de CHU – Emploi entrant dans la catégorie « services actifs » - Prise en compte pour le calcul des droits à pension de retraite – Rejet.

Un médecin sapeur-pompier professionnel occupant l'emploi de médecin-chef du service de santé et de secours médical au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Bas-Rhin, a été mis à disposition des hôpitaux universitaires de Strasbourg pendant trois ans pour y exercer les fonctions de directeur médical du SAMU-SMUR de Strasbourg.

Il a demandé à  Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales de prendre en compte en catégorie active, pour le décompte de ses droits à pension, ces trois années de mise à disposition. Le directeur de cette caisse ayant rejeté sa demande, il a saisi le tribunal administratif d'une demande d'annulation de cette décision de rejet.

Le tribunal a annulé cette décision et enjoint au directeur de la caisse de procéder au réexamen de la situation du demandeur.

Sur pourvoi de la caisse, le Conseil d’État confirme le jugement qu’elle conteste. Il décide, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, que les fonctionnaires occupant un emploi classé dans la catégorie active bénéficient de ces dispositions lorsqu'ils sont mis à disposition, ainsi qu'il résulte de l'art. 61 de la loi du 26 janvier 1984 selon lequel les fonctionnaires mis à disposition sont réputés occuper leur emploi, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'ils exercent des fonctions analogues, par leur nature ou les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'ils exerçaient lorsqu'ils occupaient un emploi classé dans la catégorie active. 

C’est sans erreur de droit que le tribunal a jugé en ce sens.

(14 décembre 2023, Caisse des dépôts et consignations, n° 470520)

 

175 - Services pris en compte pour le calcul de la pension de retraite – Période de prolongation d’activité retenue sur le fondement de l’art. 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 – Erreur de droit – Annulation.

L’intéressée, ancienne greffière de cour d'appel, a été maintenue dans ses fonctions après avoir atteint la limite d'âge, du 5 mai 2019 au 30 avril 2020. Cette période n'a pas été prise en compte, pour le calcul de sa pension de retraite, par le titre de pension qui lui a été concédé et le directeur du service des retraites de l'État a rejeté la demande de l’intéressée tendant à ce que cette période soit prise en compte et que soit révisée sa pension de retraite.

Le tribunal administratif, saisi par la pensionnée, a annulé ces rejets et enjoint que soit pris en compte dans le calcul des droits à pension de retraite de la requérante les services accomplis du 5 mai 2019 au 30 avril 2020.

Le ministre des finances se pourvoit contre ce jugement.

Le Conseil d’État est à la cassation en raison de l’erreur de droit contenue dans ce jugement. Pour dire que la demanderesse avait droit à la prise en compte de la période litigieuse, le tribunal s’est fondé sur les dispositions du décret du 30 décembre 2009 pris pour l'application de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public. Or la demande de prolongation d'activité de l’intéressé, qui n'appartenait pas à un cadre d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à celle prévue au premier alinéa de l'article 1er de la loi du 13 septembre 1984, se fondait sur les dispositions de l'article 1-1 de cette loi. Dès lors, le tribunal ne pouvait pas, en l’espèce, faire application des dispositions du décret du 30 décembre 2009, qui ne concernent que les demandes présentées sur le fondement de l'article 1-3 de la même loi.

(14 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471202)

 

176 - Services pris en compte pour le calcul de la pension de retraite – Période de prolongation d’activité non retenue – Annulation – Rejet du pourvoi.

C’est sans erreur de droit, contrairement à ce qui est soutenu par le pourvoi, qu’un jugement retient qu’un agent public admis à la retraite par arrêté d’une rectrice d'académie du 1er mai 2018 avec effet à cette date, puis, après retrait de cet arrêté par un nouvel arrêté rectoral du 30 août 2018, n'était pas, au sens et pour l'application des dispositions de l'art. L. 161-22-1 A du code de la sécurité sociale (selon lesquelles « La reprise d'activité par le bénéficiaire d'une pension de vieillesse personnelle servie par un régime de retraite de base légalement obligatoire n'ouvre droit à aucun avantage de vieillesse, de droit direct ou dérivé, auprès d'aucun régime légal ou rendu légalement obligatoire d'assurance vieillesse, de base ou complémentaire »), en situation de reprise d'activité lorsqu'il a occupé, du 5 au 29 septembre 2018, avant sa mise à la retraite au 1er octobre 2018, un emploi d'adjoint administratif, et que, par suite, et sans que la liquidation de sa pension de retraite du régime général d'assurance vieillesse ait d'incidence à cet égard, les dispositions de cet article ne pouvaient par elles-mêmes faire obstacle à la prise en compte des services accomplis par cet agent pendant cette période.

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466534)

 

177 - Professeur des écoles ancien instituteur – Invocations du principe d’égalité – Rejet.

Le litige portait sur les conditions et les effets de l’intégration des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles après sa création par le décret du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles. Parmi les moyens développés au soutien d’une demande d’indemnisation à raison de préjudices qu’elle aurait subis de ce fait, la requérante se prévalait par deux fois du principe d’égalité entre agents publics.

En premier lieu, le juge rappelle que le principe d'égalité ne s’applique normalement qu'entre les agents appartenant à un même corps, sauf à ce que la norme en cause ne soit, en raison de son contenu, pas limitée à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires. En l’espèce, la requérante ne pouvait pas invoquer le principe d'égalité pour contester la différence de traitement dont les instituteurs et les professeurs des écoles feraient l'objet dans le déroulement de leur carrière à raison de l'appartenance de leurs corps respectifs à des catégories différentes.

En second lieu, le juge de cassation estime que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que le décret du 1er août 1990 portant statut particulier des professeurs des écoles a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, prévoir des règles différentes pour le classement des agents intégrant le corps des professeurs des écoles par la voie de concours externes, d'une part, et le reclassement avec reprise d'ancienneté des fonctionnaires qui appartenaient au corps des instituteurs intégrant ce corps par la voie de concours internes ou d'inscription sur des listes d'aptitude, d'autre part, dès lors que ces règles ne s'appliquent qu'à l'entrée dans le corps et que la carrière des agents recrutés par les différentes voies est ensuite régie par les mêmes dispositions.

(22 décembre 2023, Mme C. épouse A., n° 472661)

 

178 - Personnels enseignants relevant du ministère de l’agriculture – Prime d’équipement informatique – Prime non accordée aux professeurs de la discipline « documentation » – Atteinte justifiée au principe d’égalité entre membres d’un même corps – Rejet.

Les requérants se plaignaient de n’être points bénéficiaires, comme les autres collègues de l’enseignement agricole public, de la prime d’équipement informatique créée par l’art. 1er du décret n° 2021-1095 du 18 août 2021 : ils contestaient ce qu’ils considèrent être une atteinte au principe d’égalité entre agents membres d’un même corps.

Le Conseil  d’État rappelle, ce qui n’a pas la vertu d’évidence, qu’il peut être porté atteinte au principe d’égalité non seulement entre agents appartenant à des corps différents (solution ancienne et classique, voir, par exemple, la décision rapportée au n° 177) mais encore entre agents d’un même corps de fonctionnaires en raison de différences dans les conditions d'exercice de leurs fonctions.

En l’espèce, aussi bien quantitativement que qualitativement, il ressort du dossier qu’eu égard aux conditions d'exercice de leurs fonctions, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu le principe d'égalité en excluant les professeurs de la discipline de documentation du bénéfice de la prime annuelle d'équipement informatique instituée par le décret attaqué, compte tenu de l'objet de cette prime, quand bien même ces fonctionnaires appartiennent aux mêmes corps que les autres enseignants de l'enseignement agricole.

La solution a l’inconvénient de « saucissonner » à l’extrême les régimes applicables aux fonctionnaires et agents publics en multipliant les particularités prises en compte à l’intérieur de chaque corps d’agents nuisant d’autant au principe de l’unité de corps.

(20 décembre 2023, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 457698)

 

179 - Magistrate – Congés maternité fractionnés – Nomination sur avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – Suspension de l’avis – Injonction d’un réexamen de la demande de réintégration.

La requérante a bénéficié d’un congé maternité au cours de sa scolarité à l’École nationale de la magistrature, puis, au terme de cette scolarité, a été nommée à Amiens, poste qu’elle avait choisi en fonction de son rang de classement. Elle n’a pas occupé ce poste du fait de sa nouvelle mise en congé maternité. En vue de sa réintégration, au terme de ce dernier congé, elle a émis, conformément à la procédure applicable, trois choix d’affectation, à Alès, Auxerre et Montpellier. Le ministre de la justice a agréé sa nomination à Alès et l’a soumise à la formation compétente du CSM qui a émis un avis non conforme par le motif que « le fait de solliciter un congé parental de très courte durée, à répétition, et, sans avoir jamais rejoint le poste qu'elle s'était engagée à occuper à l'issue de sa scolarité à l'École nationale de la magistrature, de demander sa réintégration sur un autre poste, constitue une fraude à la loi. Le Conseil invite la direction des services judiciaires à faire pleinement application des dispositions de l'art. 72-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 et notamment son dernier alinéa qui prévoit une priorité de réintégration du magistrat en congé parental sur le poste précédemment exercé. »

 L’intéressée demande la suspension de cet avis dans l’attente du jugement de son recours sur le fond.

Le Conseil d’État juge remplie la condition d’urgence car la requérante et son conjoint, qui a quitté son emploi pour ce faire, se sont installés à Nîmes (Gard) sans attendre l'avis du CSM, afin de pouvoir notamment organiser au mieux la garde de leur bébé qui n'est âgé que de 8 mois. L'exécution de l'avis contesté leur impose un nouveau déménagement, alors que la requérante, en congé parental, est privée de son traitement. 

Il juge également que si Mme B. détenait un droit à être réintégrée dans l'emploi dans lequel elle avait été nommée à Amiens, il n'apparaît pas que le ministre de la justice disposait, sur le fondement de l’art. 72-3 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958, du pouvoir de lui imposer d'être réintégrée dans le poste de juge placé auprès du Premier président de la cour d'appel d'Amiens dans lequel elle avait été nommée à l'issue de sa scolarité à l'ÉNM.

En conséquence, le moyen pris de ce que le CSM a fait une application erronée de ces dispositions en considérant qu'il y avait lieu, en priorité, de la réintégrer dans ce poste apparaît propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de son avis.

Un second moyen apparaît également créer un doute sérieux, celui tiré de ce que l’intéressée, dans toutes ses démarches, n'a fait que se conformer en tout point aux indications qui lui ont été données par la Direction des services judiciaires, qu’il s’agisse de la demande et de l'obtention du congé parental,  puis de ce qu’elle a postulé, à l'issue de ce congé parental, sur le poste à Alès ou encore de sa demande de renouvellement de son congé parental qui a été suggérée par la chancellerie, soucieuse de placer l'intéressée dans une position statutaire régulière dans l'attente de l'aboutissement de la procédure visant à la nommer à Alès.

Dès lors apparaît sérieux le moyen que c'est par une appréciation erronée des circonstances de l'espèce que le CSM a considéré que le comportement de la requérante révélait une fraude à la loi.

L’exécution de l’avis querellé est suspendu jusqu’au jugement sur le fond et injonction est faite au ministre de la justice de réexaminer la demande de réintégration de Mme B. à l'issue de son congé parental dans un délai d'un mois à compter de la notification de cette ordonnance.

(ord. réf. 21 décembre 2023, Mme Marion Benslimane, n° 489598)

 

180 - Professeur du second degré – Régime disciplinaire – Principes et règles régissant la communication du dossier disciplinaire à l’intéressé – Portée du principe non bis in idem en l’espèce – Annulation partielle mais sans effet sur l’arrêt critiqué dont le premier motif justifie le dispositif – Rejet en substance.

Un professeur du second degré (philosophie) a été sanctionné par une mise à la retraite d’office, prononcée par arrêté du ministre de l’éducation, en raison de manquements à ses obligations déontologiques ainsi qu'à son devoir de neutralité et d'obéissance hiérarchique.

Le juge des référés ayant suspendu l'exécution de cette sanction, le ministre a réintégré l'intéressé et pris à son encontre la sanction d'exclusion temporaire, pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois.

Le tribunal administratif a annulé la sanction de mise à la retraite d'office et rejeté la demande de l’intéressé tendant à l'annulation de la sanction d'exclusion temporaire. Puis, la cour administrative d'appel, sur appel de l’intéressé, a annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre la sanction d'exclusion temporaire et annulé cette sanction. 

Le ministre de l'éducation nationale se pourvoit en cassation de cet arrêt.

 

1 - La cour s’était fondée sur deux moyens pour annuler la décision ministérielle.

 

a/ Le premier moyen est un moyen de forme relatif à une garantie de procédure instituée au profit de l’agent public. La cour a relevé, d’une part, qu’en l’espèce, pour prendre la sanction litigieuse, le ministre s’était fondé sur un rapport conjoint de l'inspection générale de l'éducation nationale et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et sur des « témoignages concordants » recueillis par la mission d'inspection, d’autre part, que si ce rapport avait été communiqué à l'intéressé, ces témoignages ne l'avaient pas été et que seuls des extraits de ces témoignages figuraient au rapport. Elle a, en conséquence, considéré que la communication à l'intéressé des seuls extraits de témoignages reproduits dans le rapport d'inspection ne suffisait pas à garantir les droits de la défense, dès lors que la sanction était fondée sur l'ensemble des témoignages. Elle a donc pu en déduire, sans erreur de droit, que, faute que l'intégralité de ces témoignages, qu'il appartenait à l'administration d'anonymiser, s'agissant de témoignages d'élèves sur leur professeur, en fonction de son appréciation du risque de préjudice pour ceux-ci, lui aient été communiqués, le demandeur avait été privé de la garantie d'assurer utilement sa défense. D’où l’annulation prononcée au terme d’une appréciation souveraine que le juge de cassation estime exempte de dénaturation.

On remarquera sur ce point que le ministre défendeur soutenait en cassation que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant la procédure irrégulière alors que le requérant n'avait pas demandé communication des témoignages. Ce moyen de défense est fondé car il incombe à l’agent poursuivi de demander lui-même la communication intégrale ou, du moins, la plus complète possible, des témoignages, toutefois, en l’espèce, ce moyen a été présenté pour la première fois en cassation, étant donc nouveau en cassation, il est inopérant et rejeté comme tel.   

 

b/ Le second moyen est tiré du principe, commun à toutes les branches du droit de la sanction (pénal, disciplinaire, administrative), non bis in idem qui interdit de sanctionner deux fois une personne juridique (physique et/ou morale) à raison d’un même fait reproché.

La cour, relevant que la sanction d'exclusion temporaire infligée au demandeur le 10 décembre 2018 l'avait été pour les mêmes faits que la sanction de mise à la retraite d'office prise le 31 juillet 2018, qui demeurait dans l'ordonnancement juridique dès lors que seule son exécution avait été suspendue par le juge des référés, a jugé que le demandeur avait été illégalement sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Sur ce point l’arrêt est annulé pour erreur de droit car à la date de la sanction d'exclusion temporaire litigieuse, celle-ci était la seule sanction susceptible de produire des effets par suite de la suspension par le juge des référés de la décision de mise à la retraite d’office.

 

2 - Cette solution appelle plusieurs précisions d’importance.

 

a/ Sur l’office du juge de cassation en présence d’une pluralité de motifs, les uns erronés les autres fondés.

Tout d’abord, elle réitère une jurisprudence désormais bien établie selon laquelle, sauf en excès de pouvoir, lorsque le juge de cassation est saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle reposant sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, il ne lui appartient pas de rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs mais doit accueillir le pourvoi, sauf si ce motif erroné présente un caractère surabondant. Ensuite, dans le cas d’un recours en excès de pouvoir, lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation d'une décision administrative en retenant un ou des moyens de nature à justifier cette annulation, il incombe au juge de cassation, de rejeter le pourvoi mais, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, il entre dans l’office du juge de cassation de ne prononcer ce rejet qu’après avoir, au préalable, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés.

 

b/ Sur la portée de la communication intégrale de son dossier à l’agent faisant l’objet d’une procédure disciplinaire.

Il est rappelé que dans le cas où l'autorité disciplinaire se fonde sur le rapport établi par une mission d'inspection, elle doit mettre cet agent à même de prendre connaissance de celui-ci ou des parties de celui-ci relatives aux faits qui lui sont reprochés, ainsi que des témoignages recueillis par les inspecteurs dont elle dispose, notamment ceux au regard desquels elle se détermine. Une restriction importante est apportée à ce principe général lorsque la communication d'un témoignage comporterait un risque avéré de préjudice pour son auteur au regard de la situation particulière du témoin vis-à-vis de l'agent public mis en cause. En ce cas, d’une part, l'autorité disciplinaire ne communique ce témoignage à l'intéressé que s'il en forme la demande, d’autre part, cette communication ainsi demandée s’effectue selon des modalités préservant l'anonymat du témoin.

 

c/ Sur la substitution de sanction dans le cadre d’un référé.

Lorsque le juge des référés a suspendu l'exécution d'une sanction en raison de son caractère disproportionné, l'autorité compétente, peut, éventuellement sans attendre qu'il soit statué sur le recours en annulation joint à la demande de suspension, prendre une nouvelle sanction, plus faible que la précédente. Ce faisant, cette autorité ne méconnaît ni le caractère exécutoire et obligatoire de l'ordonnance de référé, ni le principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits. De plus, en cas de rejet du recours tendant à l'annulation de la sanction initialement prononcée et provisoirement suspendue, l’autorité compétente demeure libre de retirer l'une ou l'autre des sanctions. 

(Section, 22 décembre 2023, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, n° 462455)

 

181 - Droits à pension de retraite – Prolongations successives d’activité accordées avant la rupture du lien avec le service – Conditions et effets – Rejet.

Dans cette importante décision, qui aurait pu prendre la forme d’un arrêt de Section, le Conseil d’État entérine la solution adoptée par le tribunal administratif en matière de prolongations successives d’activité en vue, pour un agent, d’optimiser le montant de sa pension de retraite.

Il y est jugé que les agents publics qui ont obtenu, avant d’avoir atteint la limite d’âge, plusieurs autorisations successives de prolongation de leur activité au-delà de cette limite, sous réserve de l’intérêt du service et de ne pas dépasser un maximum de dix trimestres supplémentaires, ont droit à la prise en compte de l'ensemble des périodes correspondantes pour la détermination des droits à pension, alors même qu'une partie de ces autorisations avaient été accordées après la survenance de la limite d'âge.

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 472933)

 

182 - Constitution de droits à pension – Demande de validation de certains trimestres – Demande postérieure à l’acceptation de la proposition de l’administration – Irrecevabilité – Rejet et annulation.

L’agent qui, dans le délai prévu à l'art. D. 2 du code des pensions civiles et militaires de retraite, n'a pas contesté la proposition de validation de ses services d'auxiliaire à temps incomplet que lui a adressée le ministre de l'économie mais l'a au contraire acceptée, est irrecevable à demander l’annulation des décisions refusant de porter de deux à six le nombre de trimestres validés pour les mêmes services, ces décisions n’ayant qu'un caractère purement confirmatif de la décision initiale de validation devenue irrévocable. A donc commis une erreur de droit la magistrate du tribunal administratif à ce déléguée qui a jugé recevables les conclusions de l’intéressé. 

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 472185)

 

183 - Imputabilité d’une maladie au service – Conditions – Présomption – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Rappel du principe bien établi selon lequel une maladie contractée par un militaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel du militaire ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher du service la survenance ou l'aggravation de la maladie.

En conséquence, qualifie inexactement les faits de l’espèce et encourt l’annulation, l’arrêt jugeant qu’en raison des difficultés familiales rencontrées par la requérante le lien direct entre la pathologie dont souffre Mme C. et le service ne pouvait être regardé comme établi alors que l’arrêt lui-même et les pièces jointes relatent que les relations professionnelles au sein de l'unité dans laquelle était affectée Mme C. étaient extrêmement tendues, ainsi que l'établissait le rapport de l'enquête de commandement conduite à l'automne 2015, que les rapports de la requérante avec sa hiérarchie étaient dégradés et qu'un certificat médical imputait à ces circonstances les souffrances psychologiques subies par Mme C.

(29 décembre 2023, Mme C., n° 469382)

 

184 - Gardien de la paix – Participation à un groupe de discussion sur une messagerie – Activité se déroulant partiellement en dehors du service – Abstention de modérer ou dissuader la tenue de propos violents déplacés – Révocation – Sanction non disproportionnée – Rejet.

Un gardien de la paix est révoqué de ses fonctions pour s’être abstenu, au cours d’un forum entre collègues fonctionnaires de police sur la messagerie WhatsApp, de modérer des propos violemment racistes, misogynes, antisémites et discriminatoires émis par les autres membres du groupe, ou de les dissuader d’en tenir et pour avoir lui-même tenu à quatre reprises des propos racistes et discriminatoires.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a estimé justifié le principe d’une sanction et non disproportionné son quantum.

Le pourvoi est rejeté en ces deux chefs de griefs en dépit de ce que ces propos ont été tenus en partie en dehors du service et des bons états de service de l’agent concerné.

Cette solution est bien dans l’air du temps mais ne dispense pas de s’interroger sur les conditions de la captation des propos et sur le respect, en l’espèce, de la loyauté de la preuve.

(28 décembre 2023, M. A., n° 474289)

 

185 - Fonctionnaire – Condamnation pénale – Peine complémentaire d’interdiction d’exercer certaines fonctions – Conséquences à tirer par l’administration – Erreur de droit – Annulation.

Un agent appartenant au corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire a fait l’objet d’une condamnation pénale assortie d’une peine complémentaire pour faits de violence sur la personne d’un détenu.

Le garde des sceaux l’ayant radié des cadres, l’intéressé a obtenu du juge des référés la suspension de l’exécution de cette mesure. Le ministre se pourvoit en cassation de cette ordonnance de suspension.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance.

En effet, lorsqu'un agent public a été condamné pénalement à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer, à titre définitif ou temporaire, les fonctions dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice desquelles l'infraction a été commise, il appartient à l'autorité administrative de tirer les conséquences nécessaires de cette condamnation. Cette autorité est tenue de prononcer sa radiation des cadres lorsque l'intéressé ne pourrait être affecté à un nouvel emploi correspondant à son grade sans méconnaître l'étendue de l'interdiction d'exercice prononcée par le juge pénal. Cette autorité est, en ce cas, en situation de compétence liée à la fois du fait du principe que le criminel tient le civil (et donc l’administratif) en état et en raison de l’autorité de chose jugée au pénal.

(29 décembre 2023, M. B’tina, n° 475893)

 

Hiérarchie des normes

 

186 - Convention d'aide mutuelle judiciaire entre le Gabon et la France – Demande d’exéquatur à la juridiction administrative française d’arrêts rendus par le Conseil d’État gabonais – Principes de droit international coutumier - Immunité juridictionnelle des États – Immunité d’exécution - Distinction entre actes de gestion et actes participant de la souveraineté des États – Conditions d’une éventuelle renonciation de l’État à son privilège de juridiction – Annulation.

Cette décision donne une solution classique à une question classique de droit processuel international, illustrant l’une des plus criantes imperfections de l’ordre juridique international, imperfection à laquelle sont attachés tous les États, très soucieux, en protégeant la souveraineté des autres États, de sauvegarder leur propre souveraineté sous la forme de l’immunité de juridiction. Cette solution d’un autre temps subsiste en dépit du développement de l’État de droit, d’une reconnaissance croissante des droits subjectifs des sujets de droit, privés comme publics, personnes physiques comme personnes morales et d’une internationalisation des droits de l’homme. Outre le paradoxe né de ce double mouvement en sens contraire, il est piquant de voir cela reposer sur une fantomatique « souveraineté » dont on peut se demander ce qu’elle recouvre à part que les gros peuvent manger impunément les petits.

La requérante a saisi le président du tribunal administratif de Paris de deux demandes.

La première tend à le voir ordonner, sur le fondement de la convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exéquatur des jugements et d'extradition entre la France et le Gabon du 23 juillet 1963, l'exéquatur d’arrêts par lesquels le Conseil d'État gabonais a reconnu la responsabilité de l'État gabonais dans le démantèlement par la force publique de panneaux publicitaires appartenant à cette société et a condamné cet État à lui verser la somme de 11 184 814 496 francs CFA. Cette demande mettait donc en jeu, non l’immunité juridictionnelle d’un État mais l’immunité d’exécution.

La seconde demande tend à la conversion en euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'intervention de ces arrêts portant condamnation de l’État gabonais.

La présidente de l’une des sections du tribunal administratif de Paris ayant rejeté par ordonnance ces demandes comme manifestement irrecevables, la société requérante se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

En premier lieu, le Conseil d’État, au visa de la convention précitée de 1963, spécialement ses articles 34 et 43, rejette l’exception d’incompétence de la juridiction administrative française soulevée par l’État gabonais dès lors que les arrêts du Conseil d'État gabonais condamnant l'État gabonais à indemniser la Société gabonaise d'édition et de communication pour le démantèlement par la force publique de panneaux publicitaires appartenant à cette société relèvent de la matière administrative au sens et pour l'application des stipulations de l'article 43 de la convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963.

En deuxième lieu, est cassée pour une évidente erreur de droit l’ordonnance attaquée en ce qu’elle fonde l’irrecevabilité manifeste qu’elle a opposée à la société demanderesse sur la circonstance que les arrêts du Conseil d'État gabonais étaient relatifs à des faits s'étant déroulés sur le territoire du Gabon et ne présentant ainsi aucun lien avec la France.

En troisième lieu enfin, sur le fond, le pourvoi est rejeté en vertu du principe de droit international coutumier d’immunité des États (qu’exprime l’adage « par in parem non habet jurisdictionem » ; sur ces points, voir : RICCI J.-C. et LOMBARD F., Droit administratif des obligations, Sirey Université, 2018, p. 387 et s., § 739-742 et la jurisprudence citée). Le juge rappelle, d’une part, que ce principe couvre tous les actes étatiques qui participent, par leur nature ou leur finalité, à l'exercice de la souveraineté de l’État dits de iure imperii, à la différence des actes de gestion, ou de iure gestionis, qui ne bénéficient pas de ce privilège.

Il ajoute ici cette précision, quelque peu inédite, qu’un État peut renoncer à son immunité de juridiction dans un litige, y compris par l'effet d'engagements résultant d'une convention internationale. Dans tous les cas, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation entérinée par le Palais-Royal, cette renonciation doit être certaine, expresse et non équivoque.

Tel n’est pas le cas en l’espèce où l’on se trouve bien en présence d’un acte de souveraineté et où il n’existe pas de « renonciation certaine, expresse et non équivoque ».

La requête est rejetée.

(Section, 22 décembre 2023, Société gabonaise d'édition et de communication, n° 463451)

 

Libertés fondamentales

 

187 - Liberté de manifestation – Droit à recours juridictionnel effectif – Atteintes – Refus de transmission d’une QPC portant sur l’art. L. 211-4 du code de la sécurité intérieure.

Dans le cadre d’un contentieux né de ce que la requérante estime contraires aux art. 11 et 13 de la Convention EDH les art. L. 211-4 et R. 211-26-1 du code de la sécurité intérieure et R. 644-4 du code pénal en ce qu’ils porteraient une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté de manifester et au droit à un recours juridictionnel effectif, celle-ci a soulevé une QPC fondée sur ces deux libertés constitutionnelles. 

La transmission est refusée et le recours rejeté au fond.

Sur la QPC, le rejet opposé par le Conseil d’État peut laisser dubitatif.

La requérante soutenait l’inconstitutionnalité de l’art. L. 211-4 précité pour un triple motif, cette disposition ne fixant pas de délai minimal de principe entre la notification d'une interdiction de manifester et la date de la manifestation, auquel il ne pourrait être dérogé qu'en cas d'urgence liée à un risque d'atteinte grave à la sécurité publique, en ne confèrant pas d'effet suspensif au recours juridictionnel formé contre une telle interdiction et en ne prévoyant pas de mesures d'information adéquates et effectives de l'arrêté d'interdiction auprès de l'ensemble des manifestants potentiels. Les deux premiers moyens méritaient de retenir l’attention. Le juge balaie les objections au moyen d’un argumentaire assez faible selon lequel la déclaration d'une manifestation peut être faite jusqu'à trois jours francs avant la date de l'évènement, les risques de troubles à l'ordre public peuvent ne se révéler que peu de temps avant la tenue de la manifestation, enfin, l'autorité administrative doit, avant de prendre une décision d'interdiction de la manifestation, évaluer si d'autres mesures moins attentatoires à la liberté de manifester seraient de nature à prévenir ces risques puis, normalement, mettre les organisateurs à même de faire valoir leurs observations sur l'interdiction ou les restrictions envisagées.

Le juge retient aussi que la décision interdisant une manifestation sur la voie publique doit être dûment notifiée aux organisateurs et préciser les motifs, la date, les horaires et le périmètre de l'interdiction et qu’elle doit être portée à la connaissance du public par tout moyen utile.

Certes, il concède que l’autorité de police doit procéder, dans toute la mesure du possible, à ces différentes mesures d'information dans un délai permettant de saisir utilement le juge administratif, notamment celui chargé des référés mais en réalité les requérants, semble-t-il, ne demandaient pas autre chose. On a un peu l’impression d’un dialogue de sourds. S’il n’y a pas urgence, on ne peut dire que la solution retenue soit celle d’une solution équilibrée, en revanche, la position du juge se défend en cas d’urgence ou toute autre circonstance spéciale.

Sur le fond, il ne semble pas que soit conforme aux art. 11 et 13 de la convention EDH un régime juridique qui ne prévoit, dans de telles circonstances, ni un effet suspensif au recours nécessairement formé à bref délai ni un délai minimal de communication de l’interdiction avant la date prévue pour la manifestation. Au reste, en plusieurs de ses décisions récentes, le juge des référés du Conseil d’État a déploré la tardiveté de mesures, préfectorale et/ou ministérielle, d’interdiction, ce qui est un peu contradictoire avec la position adoptée dans cette affaire.

(04 décembre 2023, Ligue des droits de l’homme, n° 487984)

 

188 - Régime de la garde à vue et de la rétention dans les locaux prévus à cet effet. – Respect de la dignité des personnes concernées – Absence d’atteintes systémiques à cette dignité – Efforts et décisions des pouvoirs publics – Rejet.

La requérante demandait, d’une part, l’annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux ont rejeté sa demande tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement et d’autre part, qu’une série d’injonctions soient adressées à ces ministres.

La requête est rejetée au moyen d’une argumentation qui peine à convaincre.

Pour le juge, s’il peut exister des situations locales déplorables, on ne saurait parler, comme la requérante, d’une atteinte systémique à la dignité des personnes concernées. Ceci résulterait des efforts importants déjà faits par l’administration, de ceux en cours ou à intervenir comme en témoigne par exemple l’importante augmentation des dépenses destinées à l'achat de couvertures et à leur nettoyage régulier. 

L’existence, enfin, de possibilités de recours devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif selon la matière en litige permet de corriger les dysfonctionnements éventuellement constatés et subis par les intéressés.

Au vu de tout cela, il est jugé qu'à la date de la présente décision, il n’existe pas de défaillances généralisées sur l'ensemble du territoire et d'une ampleur suffisante pour que soit établie une atteinte caractérisée, au niveau national, à la dignité de la personne humaine.

L’affirmation semble discutable, ainsi que le montre, par exemple, le rapport alarmant du Bâtonnier de Marseille, Me Mathieu Jacquier, du 22 décembre 2023, sur les conditions de garde à vue constatées le 19 décembre dans deux commissariats de Marseille, constat ayant entraîné la saisine du tribunal administratif.

Ce rejet tranche quelque peu avec les espoirs qu’avaient suscité deux récentes décisions d’Assemblée du 11 octobre 2023 (Ligue des droits de l’homme et autres, n°s 467771 et 467781, à propos de l’identifiant des forces de l’ordre ; Amnesty international France et autres, n° 454836, à propos des contrôles d’identité au faciès ; V. cette chronique, octobre 2023, n° 175 et n° 176).

(29 décembre 2023, Association des avocats pénalistes, n° 461605)

 

189 - Hospitalisation psychiatrique sans consentement – Mesures d’isolement et de contention – Décret du 23 mars 2022 – Atteintes à certaines libertés – Insuffisance des moyens permettant d’assurer l’effectivité de l’accès au juge et de l’exercice des contrôles – Rejet.

Les syndicats demandaient l’annulation du décret n° 2022-419 du 23 mars 2022 modifiant la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d'isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement. Les divers moyens soulevés sont rejetés. En particulier, ne sont pas retenus les griefs tirés de la méconnaissance par ce décret de la liberté individuelle (art. 66 de la Constitution) ainsi que du droit au recours effectif (art. 16 Déclaration de 1789), en ce qu'il instaure l'obligation de saisir le juge des libertés et de la détention pour le renouvellement d'une mesure d'isolement ou de contention et qu'il fixe à celui-ci un délai de vingt-quatre heures pour statuer, ces griefs relevant d’une QPC, absente ici.

Également, est rejeté le grief d’insuffisance des moyens en personnels (greffes et magistrats), ce qui rendrait ineffectif le contrôle prétendument exercé par les juridictions judiciaires.

Pareillement, n’est pas admis le moyen que, faute de prévoir des mesures transitoires nécessaires au recrutement et à l'affectation de juges des libertés et de la détention, le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaîtrait la liberté individuelle et le droit au recours effectif garantis par les stipulations des art. 5 et 6 de la convention EDH, alors qu’il n’est pas démontré qu’une entrée en vigueur retardée était nécessaire pour tenir compte des conséquences du décret attaqué sur le fonctionnement des services, alors, au surplus, que les dispositions tendant à soumettre le maintien à l'isolement ou sous contention au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire étaient attendues depuis la décision du Conseil constitutionnel (n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021) abrogeant, à compter du 31 décembre 2021, les dispositions des troisième et sixième alinéas du paragraphe II de l'art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique. 

(06 décembre 2023, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France et Union syndicale de la psychiatrie, n° 464444)

 

190 - Demande d’asile ou de protection subsidiaire – Récusation d’une juge – Délai réduit de convocation à l’audience – Rejet.

Un ressortissant ouzbek s’est vu refuser l’asile ou la protection subsidiaire au motif qu’il ne démontrait pas le caractère fallacieux des accusations portées contre lui par son pays selon lesquelles il entretiendrait des liens avec des mouvements islamistes radicaux, ce qui a conduit  à ce que des poursuites pénales soient engagées à son encontre. Il se pourvoit, en vain, en cassation de cette décision, le Conseil d’État n’apercevant pas d’erreur de droit dans la décision querellée de la Cour nationale du droit d’asile. Toutefois, la décision est intéressante surtout par les deux points de procédure soulevés par le demandeur.

En premier lieu, il demandait la récusation de la présidente de la formation de jugement  en raison de ce qu’elle avait refusé d'autoriser le conseil du requérant à plaider sa demande de renvoi de l'affaire. Cette demande de récusation est rejetée car les propos alors tenus par cette magistrate n'ont porté que sur la seule question du report de l'audience et n'ont ainsi pas été de nature à établir l'existence d'un pré-jugement de l'affaire. C’est donc sans erreur de droit ou de qualification juridique des faits que la CNDA a jugé que ni la décision de refuser le renvoi de l'affaire en formation collégiale, ni le comportement de la présidente de la formation de jugement n'étaient susceptibles de mettre en doute l'impartialité de cette dernière.

En second lieu, le délai séparant la date de l’avis d’audience et la date de l’audience a été ramené en l’espèce de quinze à sept jours, ce qui est possible lorsque l’OFPRA soit statue en procédure accélérée sur une demande d'asile, soit prend une décision d'irrecevabilité. Après avoir jugé qu’il lui incombait en sa qualité de juge de cassation, de vérifier, le cas échéant,  s’il a été fait un usage abusif de cette faculté, ce qui est assez nouveau, le Conseil d’État estime que tel n’a pas été le cas ici.

(06 décembre 2023, M. A., n° 464542)

 

191 - Statut de réfugié – Évolution – Disparition de la vie conjugale initiale – Accession à la majorité d’un mineur lors de l’octroi du statut – Régimes de droit – Annulation.

Apportant une précision et une clarification bienvenues, cette décision se prononce sur les évolutions des situations familiales des personnes auxquelles a été, à un moment donné, reconnu le statut de réfugié, et sur leurs effets sur ce statut.

Le juge envisage deux cas.

En premier lieu,  en vertu des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, une personne ayant la même nationalité qu'un réfugié et qui, à la date à laquelle ce dernier a demandé son admission au statut, était unie à lui par le mariage ou entretenait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille, doit, sous réserve de l'application des clauses d'exclusion prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, se voir reconnaître la qualité de réfugié par l'OFPRA, à condition que ce mariage ou cette liaison n'ait pas cessé à la date à laquelle l'office se prononce.

En second lieu, en vertu de ces mêmes principes généraux, si les enfants de ce réfugié, qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France, sont devenus majeurs à la date à laquelle l'OFPRA se prononce, ne bénéficient pas ipso facto de la qualité de réfugiés, sauf s’ils sont à la charge de leurs parents ou s’il existe des circonstances particulières, tenant notamment à leur vulnérabilité, les mettant dans la dépendance de leurs parents, de nature à justifier l'application à leur profit de ces principes. 

(06 décembre 2023, M. A., n° 469817)

 

192 - Réfugié – Commission d’actes très graves – Exclusion du bénéfice de la Convention de Genève – Expulsion - Impossibilité d’opposer le principe de non refoulement à cette expulsion – Rejet.

Un ressortissant russe d’origine tchéchène qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié a été par la suite exclu du bénéfice de la Convention de Genève en raison de la commission de faits qui, par leur nature, par leur gravité et par leur dimension internationale, constituent des agissements contraires aux buts et principes des Nations unies, par application des dispositions du c) du F de l’article 1er de cette Convention.

En conséquence, a été décidé à son encontre, à sa sortie de prison, un arrêté d’expulsion et la fixation de la Russie comme pays de destination dont l’intéressé a demandé, en vain, la suspension par voie de référé liberté. Il interjette appel de l’ordonnance de rejet de sa demande.

Le Conseil d’État, juge d’appel en matière de référé liberté, confirme la décision du premier juge après avoir constaté que n’est apporté en appel aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause l’ordonnance attaquée.

C’est peut-être avec beaucoup d’optimisme et un peu d’inconscience qu’il est précisé que l’intéressé n’établit pas, en cas de retour en Russie, risquer d'être soumis à la torture, à la peine de mort ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants prohibés par l'art. 3 de la convention EDH et les art. 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du fait du statut de déserteur qui serait actuellement le sien ou des opinions politiques qui lui seraient imputées.

(ord. réf. 29 décembre 2023, M. A., n° 490438)

 

193 - Demande d’asile – Refus par l’administration et rejets par les juges – Cour EDH demandant de ne pas éloigner l’intéressé jusqu’à l’achèvement de la procédure ouverte devant elle – Arrêté fixant l’Ouzbékistan comme pays de renvoi – Exécution annulée par le juge – Injonction de rapatrier en France l’intéressé.

Cette ordonnance de référé a fait grand bruit en ce qu’elle oblige l’État à revenir sur une décision autorisée par une juridiction en raison de ce que la situation créée par l’éloignement d’un ressortissant ouzbek vers son pays d’origine ne respecterait pas la demande de suspension de cet éloignement formulée par la Cour EDH dans sa décision du 26 avril 2022.

Un ressortissant ouzbek, après avoir fait l’objet d’une interdiction de territoire pour appartenance à la menace terroriste, a sollicité l’asile, ce qui lui a été refusé par une décision de l’OFPRA confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d’asile. Entretemps et parallèlement à la fois, la Cour EDH, saisie par l’intéressé, a, une première fois, demandé aux autorités françaises de ne pas éloigner M. A. vers l'Ouzbékistan ou la Russie, dans l'attente de la décision de la CNDA. Après la décision de rejet de la CNDA, la Cour a décidé, pour la seconde fois, de proroger cette demande pour la durée de la procédure en cours devant elle. 

Puis, le ministre de l’intérieur a, par arrêté du 13 novembre 2023 fixé, à l’intéressé l’Ouzbekistan comme pays de destination et exéuté cet arrêté le 15 novembre 2023. Enfin, le tribunal administratif, saisi en référé liberté le 14 novembre 2023, a rejeté les demandes de l’intéressé.

Le Conseil d’État a été saisi d’un pourvoi en cassation de cette ordonnance de rejet.

Le juge des référés a estimé que le ministre de l'intérieur ne faisant valoir aucun obstacle objectif empêchant le gouvernement français de se conformer à la mesure prescrite et dont il aurait informé la Cour EDH afin de l'inviter à réexaminer la mesure conservatoire prescrite, il s’ensuit que l'éloignement à destination de l'Ouzbékistan de M. A., qui a été décidé en violation de la mesure provisoire prescrite par la Cour EDH, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

Il a, en conséquence, ordonné le retour en France du requérant.

En bref, il suffisait à la France de le maintenir en résidence surveillée jusqu’à la reddition de la décision de la Cour EDH.

À cette occasion, jugée emblématique par eux, certains élus ont demandé qu’il soit mis fin à la supériorité normative des traités internationaux sur les actes de droit interne celle-ci empêchant toute réforme sérieuse du droit de l’immigration.

(ord. réf. 07 décembre 2023, M. A., n° 489817)

 

194 - Demandeur d’asile – Acceptation des conditions matérielles d’accueil ne comportant pas hébergement – Refus de la proposition d’hébergement faite ultérieurement – Refus emportant celui des conditions matérielles d’accueil même acceptées antérieurement – Rejet.

De la combinaison, d’une part, des art. L. 551-9, L. 552-8 et L. 552-9 du CESEDA relatifs à l’octroi au demandeur d’asile de conditions matérielles d’accueil et, d’autre part, des art. L. 551-15 et L. 551-16 du même code, le juge tire cette conséquence, inaperçue jusqu’alors, que dans le cas où les conditions matérielles d'accueil initialement proposées au demandeur d'asile ne comportent pas encore la désignation d'un lieu d'hébergement, dont l'attribution résulte d'une procédure et d'une décision particulières, le refus par le demandeur d'asile de la proposition d'hébergement qui lui est faite ultérieurement doit être regardé comme un motif de refus des conditions matérielles d'accueil entrant dans le champ d'application de l'art. L. 551-15 du CESEDA et non comme un motif justifiant qu'il soit mis fin à ces conditions relevant de l'art. L. 551-16 du même code y compris dans le cas où le demandeur avait initialement accepté, dans leur principe, les conditions matérielles d'accueil qui lui avaient été proposées.

Pour sévère que puisse sembler cette solution elle a sa cohérence globale avec le dispositif en cause et elle a le mérite de la clarté.

(11 décembre 2023, M. A., n° 467151)

(195) V. aussi, annulant l’ordonnance de référé faisant droit à la demande de l’intéressée, ressortissante albanaise, tendant à ce qu’injonction soit faite au préfet d’indiquer un hébergement d'urgence pour elle et ses quatre enfants. Le juge rappelle à cette occasion que : 1° Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, et qui doivent ainsi quitter le territoire, n'ont pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence sauf le temps nécessaire à l’organisation de leur départ ;

2° Il n’en va autrement qu’en cas de circonstances exceptionnelles ;

3° Qu’une telle circonstance peut se rencontrer en présence d’enfants de très jeune âge, en cas de risque grave pour leur santé ou leur sécurité, leur intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant. 

Toutefois, en l’espèce, les enfants étant âgés de 4, 8, 14 et 17 ans et leur mère ayant refusé une solution d'hébergement d'urgence dans la banlieue de Strasbourg, qui n'était pas, contrairement à ce qu'elle soutient, inadaptée à sa situation : ord. réf. 21 décembre 2023, Mme B., n° 489927.

 

196 - Demandeurs d’asile – Détenteurs de visa d’un autre pays périmés depuis moins de six mois – Décision de cet État de les reprendre en charge - Demande parallèle de titre de séjour en qualité d’« étranger malade » - Refus d’enregistrement de cette demande de titre confirmé par le juge des référés – Contestation – Rejet.

Ayant constaté que des kossovars, demandeurs d’asile en France, étaient en possession de visas délivrés par la Suisse et périmés depuis moins de six mois, les autorités françaises ont obtenu des autorités suisses la reprise en charge des intéressés. Parallèlement, était déposée une demande de titre de séjour « étranger malade ». Celle-ci ayant été refusée et le juge du référé liberté ayant rejeté le référé dirigé contre ce refus, les intéressés interjettent appel devant le Conseil d’État.

Celui-ci, à son tour, rejette l’appel au motif que faisant l’objet d’un transfert en Suisse sans que s’y oppose son état de santé, la requérante n’établit pas qu'elle risquerait dans ce pays d'être privée des soins qui lui sont nécessaires. 

En l’absence de circonstances particulières justifiant l’intervention à très bref délai d’une décision de justice, le pourvoi est rejeté.

Le juge rappelle à nouveau que l’atteinte portée à une liberté fondamentale ne crée pas, par elle-même, une situation d’urgence de la nature de celles que vise l’art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 15 décembre 2023, Mme D., n° 489972)

 

197 - Extradition – Décret – Exécution – Absence de qualité de réfugié – Rejet.

Le requérant, de nationalité serbe, fait l’objet d’une demande d’extradition pour purger en Serbie une peine de quatre ans et cinq mois d'emprisonnement pour des faits qualifiés de vols avec violence, vol aggravé et falsification de documents pour tenter de les utiliser comme documents authentiques, prononcée le 4 décembre 2020 par le tribunal de première instance de Cacak.

Il demande, en vain, l’annulation du décret d’extradition car celui-ci repecte les conditions de forme et de fond imposées par la loi et les traités. Surtout, il ne saurait exciper de sa qualité de réfugié, celle-ci lui ayant été refusée  par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 24 octobre 2022, sans que l'intéressé ne fasse état d'aucun élément nouveau qui serait intervenu depuis cette décision.

(18 décembre 2023, M. A., n° 474710)

 

198 - Décret d’extradition – Demande d’abrogation – Irrecevabilité - Rejet.

(21 décembre 2023, M. A., n° 476011)

V. n° 7

 

199 - Demande d’asile par des parents au nom de leur fille – Invocation de risques ou menaces personnellement encourus – Incohérences du dossier – Absence de démonstration du bien-fondé de la demande – Rejet.

Les demandeurs, en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure, ont sollicité pour celle-ci, née le 27 décembre 2020 en France et de nationalité guinéenne, la reconnaissance de la qualité de réfugié ou, à défaut, le bénéfice de la protection subsidiaire, en raison des craintes de persécutions de leur fille en cas de retour dans son pays d'origine, du fait de son appartenance au groupe social des jeunes filles exposées à une excision.

L’OFPRA a rejeté leur demande, ces craintes ne lui apparaissant pas fondées.

Leur recours contre cette décision ayant été rejeté par la Cour nationale du droit d’asile, ils se pourvoient en cassation contre l’arrêt qu’elle a rendu.

Le pourvoi est rejeté notamment en raison des incohérences ou imprécisions contenues dans les déclarations des parents et du fait de l’absence d’éléments permettant de regarder l’enfant comme personnellement exposée à des persécutions sans que puissent faire obstacle la circonstance que la cour n’a pas explicitement pris parti sur son appartenance à un groupe social. 

(15 décembre 2023, M. E. et Mme B., n° 464424)

 

200 - Liberté d’aller et venir - Demande de suspension d’une décision administrative en référé – Durée de validité de la mesure expirée au jour où le juge statue – Non lieu à statuer – Nouveau départ envisagé – Absence de nouvelle décision – Rejet.

La demanderesse poursuit la suspension d’un arrêté du 26 novembre 2023 par lequel le préfet de la Guyane lui a interdit, pour dix jours, d'embarquer dans un aéronef au départ de l'aéroport de Cayenne en raison de sa « tentative itérative de participer au trafic de stupéfiants ». Elle saisit le juge des référés du Conseil d’État d’une demande d’annulation de l’ordonnance de rejet de sa demande de suspension de cet arrêté rendue le 5 décembre 2023 par le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane. 

L’appel est rejeté car l’arrêté querellé a épuisé ses effets le 6 décembre 2023, date à laquelle l'intéressée a introduit sa requête en annulation de l'ordonnance attaquée. Il n’y a donc plus lieu d’y statuer alors même que la requérante fait état de son intention d'embarquer sur un vol au départ de l'aéroport de Cayenne le jeudi 7 décembre 2023, en soirée, car l'arrêté en litige est insusceptible de justifier un nouveau refus d'embarquer, lequel ne pourrait être légalement fondé, le cas échéant, que sur un nouvel arrêté préfectoral d'interdiction.

(07 décembre 2023, Mme A., n° 489937)

 

201 - Art. L. 481-1 du code de l’urbanisme – Obligation éventuelle de démolition et de remise en état des lieux – Absence de privation du droit de propriété – Mesures proportionnées – Absence d’atteinte au droit de propriété – Refus de transmission d’une QPC.

(13 décembre 2023, Société Human Immobilier, n° 488749)

V. n° 231

 

202 - Manifestation contre le vote d’une loi – Autorisation donnée pour une période restreinte et en un autre lieu – Circonstances particulières – Arrêté ne portant pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté – Rejet.

La requérante a demandé l’autorisation de manifester de façon statique pendant 21heures, du 13 décembre à 13heures au 14 décembre à 10 heures, Place du Palais-Bourbon.

Le préfet de police n’a autorisé cette manifestation que pour le 13 décembre 2023 de 16h à 20h et le 14 décembre 2023 de 7h à 10h sur le terre-plein numéro 3 de l'esplanade des Invalides. 

L’association a demandé la suspension de cet arrêté, ce qui a été rejeté en première instance, et saisit le juge des référés du Conseil d’État d’un appel en annulation de ce rejet et en octroi de cette suspension.

L’association invoque précisément le caractère symbolique du lieu choisi pour manifester s’agissant de protester contre un projet de loi en cours de discussion, elle affirme que les nécessités de l’ordre public ne sauraient prévaloir sur le respect de la dignité humaine  qui est son objet statutaire.

L’appel est rejeté.

Le juge retient pour cela le caractère particulièrement sensible de cette zone en matière de risque et de sécurité du fait de la présence de plusieurs sites institutionnels, d’où une protection renforcée en permanence et le fait que l’emplacement proposé est le plus proche de celui réclamé par l’association compatible avec les exigences de sécurité des personnes et des biens d’autant que d’autres manifestations sont prévues simultanément place Édouard Herriot, qui ont donné lieu à des déclarations antérieures à celle de la requérante.

(ord. réf. 13 décembre 2023, Association Utopia 56, n° 490098)

(203) V. aussi, très semblable : ord. réf. 20 décembre 2023, Association Utopia 56, n° 490326.

 

204 - Manifestation sur la voie publique – Soutien à la paix au Proche-Orient – Interdictions par un préfet – Allégation d’interdictions systématiques – Rejet.

Le requérantes, se fondant sur le fait qu’un préfet a interdit plusieurs des manifestations qu’elles ont organisées en ont déduit l’existence chez ce dernier de la volonté d'interdire systématiquement leurs rassemblements pour la paix.

Le juge des référés, relevant toutefois que les arrêtés d’interdiction comportent la même motivation générale et « traduisent une orientation générale que ce préfet entend suivre en matière de maintien de l'ordre public dont il a la charge dans le département », décide qu’en l’espèce les demandeurs n’établissent pas «  l'existence d'une décision administrative, qui serait d'ailleurs illégale, interdisant, de manière générale et absolue et par anticipation, toute manifestation de soutien à la population palestinienne ou appelant à l'arrêt des hostilités au Proche-Orient, ni (d’)une décision ayant des effets notables sur les droits ou la situation d'une personne, notamment sur les associations qui peuvent librement déclarer les manifestations sur la voie publique qu'elles entendent organiser ».

Reste que si les arrêtés querellés sont sauvés, ils le sont in extremis d’autant que le préfet a, par ses déclarations publiques, plutôt révélé une intention d’interdiction systématique donc illégale.

(ord. réf. 04 décembre 2023, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 489743)

 

205 - Accès à l’eau potable – Droits au respect de la vie et de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants – Caractère sérieux de la situation à Mayotte – Prise en considération des efforts faits et en cours – Absence de carence constitutive d’une atteinte grave et immédiate à des libertés fondamentales – Rejet.

La question de l’accès à l’eau, surtout à l’eau potable, est un grave sujet de préoccupation à Mayotte tant en raison d’un déficit structurel en eau, que du fait de l’accroissement exponentiel de la population conjugué à une sécheresse extrême. C’est dans ce contexte que les requérants ont saisi le juge du référé liberté d’une action tendant à le voir enjoindre au préfet de Mayotte de publier et de déclencher un plan ORSEC « eau potable » adapté à Mayotte et d'établir dans les 48 heures un plan complet d'urgence sanitaire et d'accès à l'eau à Mayotte comportant toutes mesures utiles pour faire cesser au plus vite et durablement la crise d'accès à l'eau, humanitaire, sanitaire, scolaire et environnementale afin de fournir cent litres d'eau par jour et par personne, au regard du volume réel de la population.

Le premier juge ayant rejeté leurs demandes, les requérants interjettent appel de son ordonnance. Ils n’ont pas davantage de succès.

Si le juge d’appel admet la gravité de la situation en raison de sa persistance, de ses aspects multiformes et de ses effets critiques, il rejette la demande, d’une part en considération des efforts des pouvoirs publics déjà accomplis et en cours ainsi que de ceux à venir, ce qui exclut un constat de carence constitutive d’une atteinte grave et immédiate aux libertés fondamentales que sont le droit au respect de la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, d’autre part du fait que cette demande comporterait, pour sa satisfaction, que le juge des référés, qui excéderait alors son office, ordonne des mesures de sauvegarde de nature structurelle et de toutes façons inefficaces dans le bref délai de 48 heures.

(ord. réf. 26 décembre 2023, Association « Notre affaire à tous », association « Mayotte a soif » et autres, n° 489993)

 

206 - Droit au logement opposable – Invocation du caractère inadapté du logement attribué – Méprise du tribunal sur les écritures de la requérante – Annulation avec renvoi.

Doit être annulé pour s’être mépris sur les écritures de la requérante, reconnue par une commission de médiation (cf. art. L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation) comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence, le jugement rendu dans les circonstances suivantes. Pour rejeter la requête dont il était saisi, le tribunal administratif s’est fondé sur ce que l’intéressée se bornait à se prévaloir du caractère sur-occupé et mal isolé de ce logement, alors qu’elle a soutenu dans son mémoire qu'elle partageait l'unique chambre de ce logement de 32m², situé au 4ème étage sans ascenseur, avec son fils de 12 ans, reconnu en situation de handicap avec un taux d'incapacité compris entre 50 et 80 %, présentant une hypoacousie, un souffle cardiaque avec insuffisance mitrale, des troubles cognitifs et des troubles de l'apprentissage, et que leurs conditions de logement faisaient obstacle à l'amélioration de son état.

Nous aurions plutôt aperçu dans ce jugement une dénaturation des pièces et conclusions.

(27 décembre 2023, Mme A., n° 472920)

(207) V. aussi, jugeant qu’il ne résulte d'aucun texte que la commission de médiation statuant sur le caractère prioritaire d’une demande de logement ou relogement puisse être saisie par le représentant de l'État ni qu'il lui appartienne de proposer un logement au demandeur. Ainsi, commet une erreur de droit la magistrate désignée par le président du tribunal administratif qui enjoint au préfet de saisir la commission de médiation afin qu'elle propose de nouveaux logements à la requérante : 27 décembre 2023, Mme A., n° 475167.

(208) V. également, jugeant :

1°/ que le II de l’art. L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation ayant ouvert aux personnes reconnues prioritaires une voie de droit spéciale devant la juridiction administrative afin d'obtenir l'exécution d'une décision de la commission de médiation, ces personnes ne sont en principe pas recevables à agir à cette fin sur le fondement de l'art. L. 521-2 du code de justice administrative ;

2°/ que toutefois les art. L. 345-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles permettent à ces personnes de saisir le juge des référés, sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA, de conclusions à fin d’injonction à l'administration de prendre toutes mesures afin d'assurer leur hébergement d'urgence dans les plus brefs délais, sans qu'ait d'incidence sur la recevabilité d'une telle requête l'existence de la voie de droit mentionnée au 1°/, qui est ouverte devant la juridiction administrative aux fins, distinctes, d'obtenir l'exécution d'une décision de la commission de médiation, peu important d'ailleurs que cette voie de droit ait ou non été exercée, et dont les effets ne peuvent, contrairement à ce que soutient le ministre, eu égard en particulier au délai devant être respecté avant de l'exercer et à celui imparti au juge pour statuer, être regardés comme équivalents.

Ainsi doit être rejeté le recours en annulation de l’ordonnance du premier juge estimant recevables les conclusions des demandeurs : 29 décembre 2023, ministre délégué chargé de la ville et du logement, n° 489206.

 

Police

 

209 - Police de l’hygiène et de la salubrité – Camp de migrants – Obligation, par le juge, d’assurer des conditions mininimales d’accès à l’eau, froide et chaude, et d’hygiène corporelle – Inexécution par la commune des injonstions prononcées à cet effet – Conséquences – Nouvelles injonctions alourdies et contraignantes.

Une ordonnance du juge des référés, du 2 juin 2023, confirmée par le rejet des appels de la commune de Ouistreham et du ministre de l’intérieur dirigés contre cette ordonnance, a fait injonction au préfet et au maire de créer, à titre provisoire, à proximité immédiate d’un campement de migrants, des points d'eau et des latrines, ainsi qu'un dispositif d'accès à des douches selon des modalités prévoyant des créneaux dédiés pour les personnes vulnérables et d'organiser, en lien avec les associations requérantes, le nombre, la localisation précise de ces installations et leurs modalités d'accès et fixé à huit jours à compter de la notification de son ordonnance le délai dans lequel ces prescriptions devaient connaître un début de réalisation. 

La commune  a installé, à la fin du mois de juin 2023, un point d'eau comportant un robinet et, à la fin du mois d'août 2023, une cabine modulaire à usage de WC, puis, par délibération du conseil municipal, elle a refusé de voter la dépense, évaluée à 75 000 euros par son maire, correspondant à des travaux de création d'un espace sanitaire pérenne sur le campement des migrants.

Le préfet, devant l’inertie communale, a usé de son pouvoir de substitution et commandé l'installation, la pose et le raccordement aux réseaux sanitaires et électriques, de deux cellules sanitaires comprenant chacune une cabine de WC, un lavabo, une douche et un chauffe-eau de 80 litres, ainsi que des prestations périodiques d'entretien et de vidange des cuves de ces installations sanitaires. Ces équipements ont été installés le 6 octobre 2023 et raccordés au réseau électrique le 27 octobre 2023.

Toutefois, compte tenu du refus de la commune de prendre en charge l'abonnement au réseau d'assainissement de ces équipements et afin de prévenir tout risque de pollution accidentelle du canal de l'Orne, situé à proximité immédiate du campement, l'accès aux deux WC et aux lavabos compris dans ces cellules sanitaires a été interdit.

À la date à laquelle il statue, le juge constate que ne sont donc opérationnels qu'un point d'eau, une cabine à usage de WC et deux douches. Il estime, en sa qualité de juge de l’exécution, puisque saisi sur le fondement de l’art. L. 911-4 du CJA, que n’a pas été assurée, plus de six mois après qu’elle ait été ordonnée, l’exécution complète des injonctions prononcées par le juge des référés le 2 juin 2023. Il relève aussi que deux cents personnes environ vivent dans ce camp et que les associations requérantes n'ont pas été associées à la détermination, en fonction du nombre de migrants présents sur le site, du nombre et des modalités d'accès aux installations sanitaires dont la création a été ordonnée par le juge du référé-liberté.

En conséquence, sans doute passablement agacé par la désinvolture des édiles communaux, il prend les décisions très détaillées suivantes :

- D’une part, il fait injonction à la commune de prendre les mesures indispensables au fonctionnement effectif des équipements sanitaires installés par la préfecture du Calvados sur le site, en particulier de souscrire, à son nom, l'abonnement nécessaire auprès de l'opérateur du réseau d'assainissement, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision. Ces prescriptions sont assorties d'une astreinte de 1 000 euros par jour jusqu'à la date à laquelle ces équipements seront opérationnels. 

- D’autre part, il fait injonction à la commune de déterminer, en lien avec les associations requérantes, les mesures d'adaptation de la nature et du nombre des installations sanitaires en tenant compte du nombre de personnes présentes sur le campement, et de prévoir des créneaux d'accès à ces équipements dédiés aux personnes vulnérables, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision. Ces prescriptions sont assorties d'une astreinte de 1 000 euros par jour jusqu'à la date à laquelle ces adaptations auront été déterminées et communiquées aux associations requérantes.

Également, il est fait injonction à la commune, sans astreinte sur ce point, et, au besoin, au préfet, de mettre en œuvre les adaptations ainsi déterminées. 

(01 décembre 2023, Association Vents contraires et autres, n° 487539)

 

210 - Police de l’urbanisme – Obligation de démolition de biens immobiliers - Art. L. 481-1 c. urb. – Présomption d’urgence – Limites – Rejet au fond.

Étendant le champ d’application de la jurisprudence établie en matière d’atteintes immobilières assez irréversibles (cf. 18 novembre 2009, ministre de la santé et des sports, n° 327909), le Conseil d’État juge qu’eu égard à la gravité des conséquences qu'emporte une mise en demeure prononcée en application de l'art. L. 481-1 du code de l'urbanisme prescrivant une mise en conformité qui implique nécessairement la démolition de constructions, la condition d'urgence est en principe satisfaite en cas de demande de suspension de son exécution présentée, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA, par le propriétaire de l'immeuble qui en est l'objet.

Sans être irréfragable cette présomption est tout de même assez forte puisqu’il ne peut y être fait exception que dans deux situations : soit l'exécution de la mesure de démolition n'affecte pas gravement la situation du propriétaire, soit un intérêt public s'attache à l'exécution rapide de cette mesure. 

(11 décembre 2023, SCI Brunetière, n° 470207)

 

211 - Police du stationnement public – Tarification applicable au stationnement sur voie ou en équipements – Tarif établi pour les résidents en fonction du revenu fiscal de référence – Refus de transmission d’une QPC.

La commune de Strasbourg a adopté une tarification applicable au stationnement sur voirie et en ouvrages prévoyant pour les résidents un tarif de stationnement progressif en fonction de leur revenu fiscal de référence. Cinq conseillers municipaux ont saisi le tribunal administratif d’une requête en annulation en même temps qu’ils y ont joint une QPC dirigée contre l’art. L. 2333-87 du CGCT en ce qu’il prévoit la possibilité pour les collectivités territoriales d’instituer une redevance pour le stationnement des véhicules « en prenant en compte un objectif d’équité sociale ».

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette QPC, en premier lieu car, rappelle-t-il, il était loisible au législateur de fixer à la loi un nouvel objectif d'équité sociale et de chercher à favoriser l'accès à la mobilité des plus vulnérables, et en conséquence de prévoir que les personnes qui stationnent leur véhicule sur la voie publique pourraient se voir appliquer un tarif établi en fonction du niveau de leurs revenus. S'il en résulte une différence de traitement, celle-ci est justifiée par une différence objective de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. 

De plus les critères que la loi a retenus sont objectifs et rationnels.

Par ailleurs, la redevance pour stationnement n’ayant pas la nature d’une imposition, la loi pouvait, contrairement à ce qui est soutenu, confier aux collectivités territoriales le soin de fixer la redevance dans le cadre tracé par l’art. L. 2333-87 précité, sans méconnaître sa compétence.

(12 décembre 2023, Mme I. et autres, n° 488319)

 

212 - Police de l’ordre et de la sécurité publics – Marché de Noël de Strasbourg - Utilisation de drones – Absence d’atteinte grave aux droits et libertés eu égard aux circonstances de temps et de lieu – Rejet.

Un arrêté préfectoral ayant autorisé la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs à l'occasion du marché de Noël de Strasbourg, son annulation a été demandée mais rejetée en première instance, d’où le présent appel en Conseil d’État.

Les intéressées soutiennent notamment que ce dispositif est par trop intrusif et disproportionné, que les objectifs de prévention en vue de la sécurité des personnes et des biens sont insuffisamment précis, qu’il pourrait être recouru à des dispositifs moins attentatoires aux libertés comme les caméras de vidéo-surveillance, qu’il serait porté atteinte, par captation d’images, à la liberté d’aller et venir comme au secret professionnel des avocats requérants.

Le Conseil d’État, pour rejeter le recours, retient la notoriété de ce marché (2,8 millions de visiteurs), son étendue, sa durée (4 semaines), les circonstances qu’un attentat y a été commis le 11 décembre 2018, causant cinq morts et onze blessés graves, qu’en 2019 ont été arrêtées deux personnes pour apologie du terrorisme, qu’en 2020 et 2022 deux projets d’attentats y ont été déjoués, que le plan Vigipirate a été réhaussé à la suite de l’attentat du 13 octobre 2023, que l’autonomie des drones tout comme leur champ de vision, à 120 mètres de hauteur au moins, sont limités, que ne peuvent être filmés ni l’entrée des domiciles ni, a fortiori, leurs intérieurs, etc..

Bref, il n’est pas porté ici une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 12 décembre 2023, Mme A. et autres, n° 489923)

 

213 - Police des mines – Ordonnance du 10 novembre 2022 portant diverses dispositions relatives au code minier – Lutte contre la dégradation des sites par les orpailleurs sauvages – Absence de détournement de pouvoir – Rejet.

La requérante demandait l'annulation des dispositions du 18°) de l'article 5 de l'ordonnance n° 2022-1423 du 10 novembre 2022 portant diverses dispositions relatives au code minier au motif d’une part qu’en les prenant le pouvoir réglementaire a excédé les limites de l’habilitation législative et d’autre part qu’elles sont entachées de détournement de pouvoir.

Les deux griefs sont rejetés.

En premier lieu, l'ordonnance permet au préfet de Guyane d'autoriser un opérateur, retenu au terme d'une procédure de sélection, ou la personne déjà détentrice d'un titre minier sur un site ayant fait l'objet d'activités d'orpaillage clandestin à conduire un projet lui permettant d'exploiter les gisements découverts dans une zone irrégulièrement exploitée dans laquelle les intérêts énumérés à l’art. L. 161-1 du code minier paraissent menacés par l'orpaillage illégal, et à procéder à la réhabilitation de la zone ou, lorsque les gisements sont d'ores et déjà épuisés et qu'un danger grave pour les intérêts protégés est constaté, à conduire les travaux de réhabilitation destinés à mettre fin à ce danger. Ces dispositions visent ainsi à faire appel à des opérateurs réguliers sur des sites dégradés par l'orpaillage illégal afin qu'ils procèdent à leur réhabilitation. Par suite, en prévoyant les dispositions contestées, l'ordonnance du 10 novembre 2022 n'a pas excédé les limites de l'habilitation donnée au gouvernement par l'article 81 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

En second lieu, c’est à tort que la requérante croit pouvoir soutenir que les dispositions attaquées de l'ordonnance du 10 novembre 2022 ont pour seul objet de satisfaire les demandes des opérateurs miniers tendant à reprendre l'exploitation sur des sites antérieurement illégalement exploités, sans avoir à solliciter une autorisation d'exploitation à ce titre, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier, ainsi que des termes mêmes des dispositions attaquées, que le projet minier que le représentant de l'Etat pourra autoriser, au terme d'une procédure de sélection, est soumis à une évaluation environnementale et à l'accomplissement d'une procédure de participation du public. Ainsi, ces dispositions poursuivent l'objectif d'intérêt général de lutter contre les effets fortement dommageables de l'orpaillage illégal sur l'environnement. 

(20 décembre 2023, Association Maiouri Nature Guyane, n° 470399)

 

214 - Football - Interdictions de circulation de supporteurs de certains clubs – Arrêté ministériel du 7 décembre portant interdiction pour le 8 et le 9 décembre – Absence de circonstances particulières invoquées – Suspensions.

(ord. réf. 08 décembre 2023, Association nationale des supporters, n°489991)

(215) V. aussi : ord. réf. 12 décembre 2023, Sevilla Fútbol Club, Association nationale des supporters, Association « Accionistas Unidos del Sevilla FC, SAD », Association « Accionistas y Socios del Fútbol Español » et Football Supporters Europe eV, n° 490062.

(216) V. encore : ord. réf. 15 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490134.

(217) V. enfin : ord. réf. 19 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490204.

V. n° 280

 

218 - Schéma national du maintien de l’ordre – Exclusion des observateurs indépendants – Annulation partielle.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de trois dispositions du Schéma national du maintien de l’ordre dans sa version mise à jour le 16 décembre 2021.

Seule est retenue la demande d’annulation du point 2.2.3.3 en tant qu’il réserve aux seuls journalistes la possibilité de ne pas être contraints de quitter les lieux lors de la dispersion d'un attroupement, excluant ainsi du bénéfice de cette dérogation toute autre catégorie de personnes, y compris, par suite, les observateurs indépendants, méconnaissant ainsi l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de la décision n° 444849 du 10 juin 2021 par laquelle le Conseil d'Etat, saisi d'un recours contre la version antérieure de ce schéma, a annulé l'interdiction alors faite aux observateurs indépendants, comme aux journalistes, d'exercer leur mission lors de la dispersion d'un attroupement en les contraignant à quitter les lieux (V. cette Chronique, juin 2021, n° 122).

(29 décembre 2023, Ligue des droits de l'homme, n° 461513 ; Union syndicale solidaires et autres, n° 461598, jonction)

 

219 - Police du stationnement – Carte « mobilité inclusion » avec mention « stationnement pour personnes handicapées » - Condition de délivrance – Erreur de droit – Annulation.

Une personne à laquelle a été refusée la délivrance d’une carte « mobilité inclusion » portant la mention « stationnement pour personnes handicapées », a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation de ce refus.

Celui-ci a jugé que la requérante avait droit à la carte sollicitée en dépit de ce que le critère relatif à la réduction importante de la capacité et de l'autonomie de déplacement à pied ne pouvait pas être regardé comme rempli au sens de l'arrêté du 3 janvier 2017 (relatif aux modalités d'appréciation d'une mobilité pédestre réduite et de la perte d'autonomie dans le déplacement individuel, prévues aux art. R. 241-12-1 et R. 241-20-1 du code de l'action sociale et des familles) car cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que le juge administratif estime, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce qu'il lui appartenait d'apprécier, qu'une personne est atteinte d'un handicap réduisant de manière importante et durable sa capacité et son autonomie de déplacement à pied au sens de la loi.

Ce jugeant a été commise une évidente erreur de droit conduisant à l’annulation du jugement car il résulte de l’arrêté précité que seule peut être regardée comme ayant droit à l'attribution de la carte « mobilité inclusion » portant la mention « stationnement pour personnes handicapées » une personne qui satisfait aux critères fixés par cet arrêté, c'est-à-dire, s'agissant du critère de réduction importante de la capacité et de l'autonomie de déplacement à pied, qui se trouve exclusivement dans l'une des trois situations qu'il prévoit.

(29 décembre 2023, département du Var, n° 473559)

 

Professions réglementées

 

220 - Pharmaciens d’officine – Demande de regroupement de deux phamacies – Autorisation d’installation concomitante accordée à une troisième – Absence d’appréciation de l’intérêt à agir de la requérante – Erreur de droit – Annulation.

Alors que deux sociétés de pharmacies d’officine ont sollicité de l’Agence régionale de santé l’autorisation de se regrouper sur le territoire d’une commune, cette agence a, dans le même temps, accordé à une troisième pharmacie, société Pharmacie Ottavy Sylvain, l’autorisation de se transférer vers cette même commune.

Le tribunal a rejeté la demande de l’une des deux requérantes, la Pharmacie du Centre, l’autre société s’étant désisté de son action, tendant à l’annulation de l'autorisation accordée à la société Pharmacie Ottavy Sylvain. La cour administrative d’appel, saisie par la société Pharmacie du Centre, a confirmé le rejet motif pris de ce que la demande de première instance était irrecevable pour défaut d'intérêt pour agir.

Cette dernière se pourvoit, ce qui conduit à la cassation de l’arrêt, entaché d’erreur de droit et de qualification inexacte des faits cadre du litige. En effet, l’appelante soutenait avoir intérêt à contester l'autorisation attaquée car cette autorisation accordée à une autre officine faisait par elle-même, à compter de sa délivrance, obstacle à ce qu'il puisse être fait droit à sa propre demande de regroupement sur le territoire de la même commune, compte tenu de la taille de cette commune. Or la cour a jugé irrecevable le recours introduit en première instance en se fondant sur ce que la demande de regroupement ne bénéficiait pas d'une priorité, telle que définie par les dispositions du code de la santé publique dans leur rédaction applicable au litige, sur la demande de transfert de la société Pharmacie Ottavy Sylvain.

La cour devait seulement rechercher si l'intérêt invoqué par l’appelante présentait un caractère suffisamment direct et certain pour lui donner qualité pour agir et non chercher à déterminer, comme elle l’a fait, si la société requérante était susceptible de se voir accorder l'autorisation de regroupement qu'elle avait elle-même déposée.

(15 décembre 2023, Société Pharmacie du Centre, n° 473691)

 

221 - Commissaires aux comptes – Sanctions à l’encontre d’un individu et d’une société – Pouvoir normatif et règles de procédure – Exigences du procès équitable (art. 6 § 1 convention EDH) – Rejet.

La formation restreinte du Haut Conseil du commissariat aux comptes a prononcé à l'encontre de M. C., la radiation de la liste des commissaires aux comptes et à l'encontre de la société C. et associés, une interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée. Les sanctionnés demandent l’annulation des sanctions ou, à défaut, leur réduction à de plus justes proportions.

Le recours est rejeté.

Le rapporteur général près le Haut conseil ne s’est pas auto-saisi des dossiers contrairement à ce qui est soutenu mais a été saisi par une lettre du président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.

Par ailleurs, l'absence de mention de la société mise en cause dans la lettre de convocation pour une audition n'a pas porté atteinte aux droits de la défense et le moyen tiré de ce que l'enquête serait, pour ce motif, irrégulière doit être écarté dès lors que cette lettre a été adressée au représentant légal de cette société.

Enfin et surtout, l'attribution par la loi au collège du Haut conseil du commissariat aux comptes, d’une part, de la compétence pour adopter des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel et, d’autre part, à sa formation restreinte, l’exercice du pouvoir disciplinaire à l'égard des commissaires aux comptes ne contrevient pas aux exigences de l'art. 6 § 1 de la Convention EDH dès lors que ce pouvoir de sanction est aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et l'impartialité de la décision.

Pour le reste, le pouvoir de sanction a été correctement exercé, l’existence d’infractions professionnelles parfaitement établie et les sanctions infligées exactement proportionnées.

(15 décembre 2023, M. C. et Société C. et associés, n° 451785)

(222) V. aussi, très semblable en matière encore de commissariat aux comptes : 15 décembre 2023, Société Mazars et M. M., n° 451835.

(223) V. encore, toujours aussi voisin et concernant un commissaire aux comptes : 15 décembre 2023, M. F., n° 451866.

(224) V. également, illustrant un certain comportement systémique en matière de commissariat aux comptes : 15 décembre 2023, Sociétés PricewaterhouseCoopers Audit et PricewaterhouseCoopers Entreprises et M. H., n° 451878.

(225) V., très comparable : 15 décembre 2023, M. B., n° 451947.

 

226 - Architecte – Compétence du conseil régional de l’ordre pour la tenue à jour de la liste des architectes satisfaisant aux conditions de moralité – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui annule la décision du conseil régional des architectes d'Île-de-France prononçant la radiation administrative d’un architecte du tableau de l'ordre des architectes, au motif qu'une telle mesure de radiation motivée par la perte des garanties de moralité ne pouvait être prononcée que par une juridiction de l'ordre dans le cadre d'une procédure disciplinaire, et non par le conseil régional de l'ordre statuant dans le cadre d'une procédure administrative.

C’est à juste titre que la ministre demande l’annulation de l’arrêt d’appel.

(18 décembre 2023, ministre de la culture, n° 466528)

 

227 - Médecins – Laboratoires d’optique – Interventions ne relevant pas d’activités de chirurgie – Actes non soumis à autorisation préalable – Qualification inexacte des faits – Annulation sur ce point.

Dès lors qu’en l'état des données acquises de la science et des techniques utilisées, les interventions de chirurgie réfractive réalisées directement sur la cornée par le recours à des techniques de laser, dites extra oculaires par différence avec les interventions dites intra oculaires réalisées notamment sur le cristallin, si elles doivent répondre à des conditions d'hygiène et d'asepsie permettant de maîtriser le risque infectieux, n'impliquent pas, eu égard à la nature superficielle de l'effraction sur la cornée et à sa durée très courte, le recours à un secteur opératoire et ne nécessitent pas le recours à une anesthésie justifiant l'application des dispositions de l'art. D. 6124-91 du code de la santé publique. Il s'ensuit qu'en jugeant que les interventions de chirurgie réfractive proposées dans le centre créé par la société Optical Center relevaient des activités de chirurgie soumises à autorisation en application des art. L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique et n'avaient, en l'espèce, pas été autorisées par l'agence régionale de santé, la cour administrative a inexactement qualifié les faits de l'espèce. Son arrêt encourt annulation sur ce point.

(29 décembre 2023, Société Optical Center, n° 455074)

(228) V. aussi, identique sur ce point : 29 décembre 2023, Société Optical Center, n° 455075.

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

229 - Quota de logements sociaux à réaliser sur le territoire d’une commune – Non respect assorti d’une sanction financière – Article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation – Atteintes aux principes de libre administration et de nécessité et de proportionnalité des peines – QPC – Refus de transmission.

(01 décembre 2023, Commune d’Olivet, n° 488444)

V. n° 23

 

230 - Police du stationnement public – Tarification applicable au stationnement sur voie ou en équipements – Tarif établi pour les résidents en fonction du revenu fiscal de référence – Refus de transmission d’une QPC.

(12 décembre 2023, Mme I. et autres, n° 488319)

V. n° 211

 

231 - Art. L. 481-1 du code de l’urbanisme – Obligation éventuelle de démolition et de remise en état des lieux – Absence de privation du droit de propriété – Mesures proportionnées – Absence d’atteinte au droit de propriété – Refus de transmission d’une QPC.

L’art. L. 481-1 du code de l’urbanisme permet à l’autorité administrative, lorsqu’a été constatée l’irrégularité de travaux soumis à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable, en vertu de ses pouvoirs de police spéciale et indépendamment de poursuites pénales, de mettre en demeure l'intéressé, après avoir recueilli ses observations, selon la nature de l'irrégularité constatée et les moyens permettant d'y remédier, soit de solliciter l'autorisation ou la déclaration nécessaire, soit de mettre la construction, l'aménagement, l'installation ou les travaux en cause en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, y compris, si la mise en conformité l'impose, en procédant aux démolitions nécessaires. 

La société requérante fait plaider que, par là, d’une part, il est institué un mécanisme de privation du droit de propriété garanti par l'art. 17 de la Déclaration de 1789 sans intervention du juge judiciaire et, d’autre part, que sont méconnus  le droit de propriété garanti par l'art. 2 de la Déclaration précitée ainsi que l'étendue de la compétence reconnue au législateur. 

Ces moyens sont rejetés.

En premier lieu, le pouvoir conféré à l’autorité administrative n’a pour seul objet que de rétablir les lieux dans leur situation antérieure aux opérations entreprises ou exécutées irrégulièrement. Il en résulte que si la remise en état a pour effet de priver le propriétaire de l'usage du bien tel qu'il l'avait irrégulièrement aménagé, elle n'a pas pour effet, contrairement à ce qui est soutenu, de conduire à une privation du droit de propriété tel qu’il est garanti par l'art. 17 précité sans que l’absence d’intervention du juge judiciaire ne méconnaisse les principes de la garantie des droits et de la séparation des pouvoirs.

En second lieu, les garanties dont est entourée la mise en œuvre de l’art. L. 481-1 du code de l’urbanisme (respect du contradictoire, délai de régularisation, démolition ne pouvant être ordonnée que si elle est strictement nécessaire…) ne méconnaissent ni l’étendue de la compétence du législateur ni, non plus, le droit constitutionnel de propriété.

(13 décembre 2023, Société Human Immobilier, n° 488749)

 

232 - Réforme de la dotation d’intercommunalité – Dispositions de nature transitoire – Pérennisation instituant une différence de traitement – Modification de la législation après une décision en ce sens du Conseil constitutionnel -  Transmission d’une QPC.

Le Conseil d’État admet le raisonnement de la collectivité requérante selon lequel s'il était loisible au législateur de prévoir, dans le cadre de la réforme de la dotation d'intercommunalité, le maintien à titre transitoire du prélèvement auquel certains établissements publics de coopération intercommunale étaient jusqu'alors soumis, afin de garantir qu'ils continueraient à participer, à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, au redressement des finances publiques, il ne pouvait, sans porter une atteinte caractérisée à l'égalité devant les charges publiques, compte tenu de l'objet de ce prélèvement et sans autre possibilité d'ajustement que celle expressément prévue en cas de changement de périmètre d'un établissement, laisser subsister de façon pérenne une différence de traitement reposant uniquement sur la circonstance que l'établissement a été ou non soumis au prélèvement en 2018.

Le juge relève également que si les dispositions contestées par la présente QPC sont substantiellement identiques à celles déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, la modification introduite par la loi de finances pour 2020 se bornant à étendre, dans certaines conditions, le prélèvement en cause aux communes nouvelles, sans modifier le principe d'un prélèvement et sans possibilité, hors cas de changement de périmètre d'un établissement, d'ajustement dans le temps, il ressort de la décision du 15 octobre 2020 que cette déclaration d'inconstitutionnalité et les effets que le Conseil constitutionnel a décidé de lui attacher ne portent que sur la version initiale de l'article 250 de la loi de finances pour 2019 et ne s'étendent pas à sa version immédiatement postérieure. La question n'a donc, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, pas perdu son objet. Il découle en outre des motifs de la décision du 15 octobre 2020 que la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, en soutenant notamment que les dispositions en cause, dans leur version issue de la loi de finances pour 2020, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, soulève une question qui présente un caractère sérieux.

(20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488692)

(233) V. aussi, à l’inverse, concernant la même requérante que ci-dessus, refusant de transmettre la QPC soulevée par cette même communauté de communes du fait que le législateur a reconduit, à l'identique, chaque année à compter de 2019, le prélèvement opéré en 2018 afin de garantir la participation à ce redressement des établissements qui en étaient redevables à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, tout en prévoyant, à compter de l'année 2021, qu'une baisse des recettes réelles de fonctionnement par habitant du budget principal du pénultième exercice d'un établissement de plus de 5% par rapport à celles prises en compte au jour de la répartition initiale de la minoration induit un ajustement à la baisse de sa participation à l'effort budgétaire de redressement des comptes publics. Ainsi, le législateur a entendu s'assurer que la participation de chaque établissement à l'effort sollicité des établissements publics de coopération intercommunale dans leur ensemble n'excède pas, au titre d'un exercice donné, l'effort qui peut lui être demandé compte tenu de sa richesse relative telle que constatée lors du pénultième exercice. Dès lors, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif d'intérêt général que tous les établissements publics de coopération intercommunale participent, à hauteur de leur richesse relative, à l'effort de redressement des finances publiques, auquel répond le dispositif de participation ainsi institué, qui n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il n'a, par suite, méconnu ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, lesquels n'imposaient pas, contrairement à ce que soutient l'établissement requérant, que le mécanisme d'ajustement en cause tienne compte, en sus des critères de ressources et de population ainsi retenus, des charges incombant aux établissements concernés pour l'exercice des compétences qu'ils exercent : 20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488696.

 

234 - Complément de traitement indiciaire versé à certains agents publics – Exclusion de certaines catégories d’agents hospitaliers du bénéfice de ce complément – Transmission d’une QPC.

À l’appui d’un recours en annulation de la décision par laquelle le premier ministre a refusé de modifier le décret n° 2020-1152 du 19 septembre 2020 relatif au versement d'un complément de traitement indiciaire à certains agents publics, dans sa version issue du décret n° 2022-1497 du 30 novembre 2022, la fédération requérante a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

Celle-ci est fondée sur ce que les dispositions du I de l'article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, dont fait application le décret attaqué, méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité en ce qu'elles excluent du bénéfice du complément de traitement indiciaire qu'elles instituent les agents des filières administrative, technique, ouvrière, ainsi que les agents des services hospitaliers qualifiés de la filière soignante des établissements publics sociaux et médico-sociaux autonomes hors EHPAD et appartenant à la fonction publique hospitalière.

Le Conseil d’État juge que cette question présente un caractère sérieux notamment concernant l'atteinte au principe d'égalité devant la loi résultant de l’exclusion de certains personnels hospitaliers du bénéfice du complément de traitement.

La question est donc transmise au Conseil constitutionnel. 

(21 décembre 2023, Fédération hospitalière de France (FHF), n° 475351)

 

235 - Taxe annuelle sur les logements vacants – Art. 232, I, 2° et 1407 ter, I du CGI – Taxe perçue dans les communes touristiques – Absence de charge excessive ou de défaut de critères objectifs et rationnels – Refus de transmission d’une QPC.

Les intéressés entendaient contester la légalité du décret n° 2023-822 du 25 août 2023 modifiant le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l'article 232 du CGI et soulevaient à l’appui de leur demande une question prioritaire de constitutionnalité.

Celle-ci était d’abord dirigée contre le 2° du I de l’art. 232 du CGI décidant l’application de la taxe annuelle sur les logements vacants : « 2° Dans les communes ne respectant pas les conditions prévues au 1° du présent I où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou la proportion élevée de logements affectés à l'habitation autres que ceux affectés à l'habitation principale par rapport au nombre total de logements. »

Celle-ci visait également le I de l’art. 1407 ter du CGI en ce qu’il dispose que : « Dans les communes classées dans les zones géographiques mentionnées au I de l'article 232, le conseil municipal peut, par une délibération (...), majorer d'un pourcentage compris entre 5% et 60% la part lui revenant de la cotisation de taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale due au titre des logements meublés ».

Au soutien de leur QPC les demandeurs se prévalaient de deux exemples arithmétiques montrant que ces dispositions conduiraient à des augmentations de taxes d'habitation de 432 et 760 euros. Ils faisaient aussi valoir, de façon très générale, l'importance de la part relative, dans le produit des taxes locales perçu par les communes touristiques, des impositions acquittées par les propriétaires de résidences secondaires, la contribution de ces propriétaires à la vie de ces communes et aux conditions dans lesquelles certains d'entre eux ont financé l'acquisition de leur bien. Toutefois, ces éléments ne sont pas retenus par le juge pour apprécier la transmissibilité ou non de la QPC dès lors qu’ils ne démontrent pas que le législateur ne se serait pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il s'est fixé ou aurait fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives, en méconnaissance des principes garantis par les art. 6 et 13 de Déclaration de 1789. 

La QPC n’est pas transmise, démontrant une fois de plus le peu de cas que les citoyens doivent faire des annonces et promesses des personnes publiques en lesquelles il est pure folie de croire.

(21 décembre 2023, Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM) et autres, n° 488601)

 

236 - Droit de propriété – Rapports locatifs - Notion et régime de « logement décent » - Performance énergétique des appartements loués – Refus de transmission d’une QPC.

Les requérantes soulevaient, à l’appui de leur recours en annulation du décret du 18 août 2023 pris pour l'application de l'art. 6 et de l'art. 20-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et adaptant les dispositions des contrats types de location de logements à usage de résidence principale, une QPC dirigée contre le 1er alinéa de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi du 23 décembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019, et des 1er et 3ème à 10ème alinéas du même article, dans leur rédaction issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Le Conseil d’État refuse, comme il fallait s’y attendre, la transmission de cette question au Conseil constitutionnel. Il considère que les dispositions en cause ne méconnaissent pas le droit de propriété tel qu’il est protégé par les art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789.

Déjà, il faut relever la naïveté de requérants qui semblent croire encore à l’existence, en France, d’un droit de propriété tel que fantasmé, plutôt que « garanti », par les dispositions de la Déclaration précitée telles qu’interprétées depuis près d’un siècle par la jurisprudence.

Ensuite, entonnant un refrain bien connu le juge réitère que la loi n’entraîne aucune privation de propriété, mais croit-il lui-même à la méthode Coué ? Car le droit de propriété n’est que l’ensemble des prérogatives exercées par son titulaire sur la chose, prérogatives qui fondent la relation juridique née de la propriété, telle, ici, la location.

Pourquoi ne pas avoir l’honnêteté d’écrire – ce qui est un vrai truisme aujourd’hui – que l’art. 17 de la Déclaration de 1789 n’a plus cours tout comme n’a plus cours l’esclavage pourtant maintenu (de 1789 à 1793) puis rétabli (à partir de 1802) sous l’empire de l’art. 1er de cette même Déclaration ?

Ayant relevé l’absence de privation de propriété, le juge n’a plus à rechercher « que les limites apportées à son exercice (sont) justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. » Comme le motif central du dispositif législatif est le désordre climatique progressif qui caractérisera les prochaines décennies, il ne reste plus à vérifier que les atteintes – qui n’affectent pas la propriété, le juge dixit – sont proportionnées à l’objectif poursuivi par le législateur.

Évidemment qu’il en est bien ainsi, d’où cette imparable conclusion : « (…) les limitations apportées à l'exercice du droit de propriété par les dispositions contestées trouvent leur justification dans la poursuite d'objectifs à valeur constitutionnelle et n'apparaissent pas, eu égard à leur portée et aux modalités de leur mise en œuvre, disproportionnées au regard des objectifs poursuivis. »

(21 décembre 2023, Union des syndicats de l'immobilier (UNIS) et l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI), n° 488900)

 

237 - Projet d’aménagement – Prescription de fouille d’archéologie préventive – Mise à la charge exclusive de l’aménageur du coût des opérations de fouilles - Absence d’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC.

La requérante soulevait une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de dispositions du code du patrimoine (en particulier les articles art. L. 522-2, L. 523-9, L. 524-14) en ce qu’elles portent atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques dès lors qu’elles mettent à la charge exclusive de l'aménageur le coût des opérations de fouilles d'archéologie préventive sans prévoir de dispositif de soutien financier suffisant, alors que ce coût peut être élevé et extrêmement variable selon les situations. 

Le moyen dirigé contre le premier de ces articles est rejeté, le Conseil constitutionnel l’ayant déclaré conforme à la Constitution par une décision rendue en 2003 et aucun changement n’étant survenu depuis dans les circonstances de droit ou de fait qui justifierait une nouvelle saisine de celui-ci.

Ensuite, l'obligation pour la personne projetant d'exécuter les travaux ayant donné lieu à une prescription de fouilles d'archéologie préventive de réaliser à ses frais les opérations correspondantes résulte des dispositions de l'art. L. 523-8 du code du patrimoine, qui ne font pas l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité et qui, au reste, sont issues de l'art. 5 de la loi du 17 janvier 2001 dans sa rédaction résultant de l'art. 6 de la loi du 1er août 2003, lequel a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel susmentionnée.

Également ce coût ne pèse que sur les aménageurs qui ne renoncent pas à réaliser les aménagements qu’ils avaient prévus (quelle magnanimité !), de plus, ces frais peuvent être réduits en mettant en concurrence les opérateurs de fouilles.

Enfin, si la réalisation des fouilles et leur financement mettent en péril l’équilibre de l’opération d’aménagement, il est possible que ces prescriptions de fouilles soient prises en charge par l'État dans les cas énumérés et selon les modalités définies au dernier alinéa de l’art. L. 524-14 du code  précité et peuvent, dans les autres cas, donner lieu au versement de subventions du Fonds national pour l'archéologie préventive, qui doivent viser à « faciliter la conciliation entre la préservation du patrimoine archéologique et le développement des territoires, en particulier ruraux ». 

On regrettera le réalisme assez faible d’une analyse qui pourrait ne pas passer le test de conformité à la Convention EDH.

(29 décembre 2023, Commune de Grandvillars, n° 488870)

 

Responsabilité

 

238 - Responsabilité hospitalière – Saisine du juge administratif en vue d’une désignation d’expert puis de la commission régionale d’indemnisation de conciliation et d’indemnisation (CRCI) – Incompétence déclarée de cette commission – Désistement d’instance – Nouvelle saisine du juge en vue d’une désignation d’expert – Intervention de la caisse d’assurance maladie – Annulation partielle de l’arrêt d’appel et confirmation du jugement.

Les faits et la procédure sont complexes en raison des multiples options de procédure successives que l’intéressée a cru devoir suivre.

Reprochant les conditions de sa prise en charge dans un centre hospitalier, une patiente a demandé réparation des préjudices qui en auraient résulté. Cela lui a été refusé par une décision expresse notifiée le 29 septembre 2019 par le groupe hospitalier auquel le centre appartient. Elle a alors saisi le juge administratif d’un recours à fins indemnitaires, la CPAM, appelée en la cause, ayant demandé à être remboursée de ses débours. Parallèlement, la requérante a saisi d'une demande d'indemnisation amiable la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, laquelle s’est déclarée incompétente. Elle s’est, ensuite, désistée de l’instance introduite devant le tribunal administratif. Ce dernier a, à la fois, donné acte de ce désistement et rejeté les conclusions de la CPAM.

Deux ans plus tard, l’intéressée a à nouveau saisi le juge administratif des référés, cette fois d’une demande de désignation d’expert, demande rejetée. Sur appel de la demanderesse, une ordonnance d’appel a annulé celle rendue en première instance et prescrit l’expertise demandée. Le groupe hospitalier se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État examine l’ordonnance attaquée en ses deux chefs de décisions.

D’abord, l’ordonnance prescrit une expertise relative à une éventuelle action de la patiente  tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du centre hospitalier. Sur ce point est relevée l’erreur de droit commise par l’auteur de l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a estimé que la saisine de la CRCI par une personne qui avait déjà saisi le juge administratif d’une identique demande de réparation avait pour effet de prolonger le délai de recours contentieux ou de faire naître un nouveau délai au terme duquel le juge pourrait être saisi de la même demande. Ceci ne se produit que lorsque la saisine du juge est postérieure à la décision de la CRCI, car en ce cas le délai imparti à la personne ayant saisi la commission pour exercer un recours contentieux contre cette décision se trouve suspendu jusqu'au terme de cette procédure.

Ensuite, l’ordonnance a prescrit une expertise relative à une éventuelle action de la patiente  tendant à l'engagement de la responsabilité de l'établissement au titre des dommages résultant d'un produit défectueux, à savoir l’utilisation de sondes d'intubation défectueuses. On sait que l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique institue en ce cas un régime de responsabilité sans faute à prouver.

Sur ce second point, il est relevé en premier lieu, que la juridiction d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le désistement de la requête initialement formée devant le tribunal administratif, tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'établissement, dont le tribunal lui a donné acte, avait le caractère d'un désistement d'instance et ne faisait donc pas obstacle à l'exercice d'une nouvelle action visant à obtenir réparation de ses préjudices sur le fondement du régime de responsabilité sans faute, les deux régimes, pour faute et sans faute, constituant des causes juridiques distinctes.

Il est aussi relevé en second lieu, que la juridiction d’appel a cependant commis une erreur de droit en tant qu'elle a ordonné une expertise en rapport avec une éventuelle action de la demanderesse tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute du centre hospitalier. En effet, si le jugement du tribunal administratif a rejeté les conclusions présentées devant lui par la CPAM, alors même qu'un tel jugement doit être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement statué sur les droits de la caisse au titre de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement hospitalier, il ne saurait faire obstacle, en l'absence d'identité d'objet et de parties entre les deux instances, à ce que la demanderesse puisse utilement demander l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement hospitalier au titre des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. 

Enfin, réglant l’affaire au titre de l’action en référé, le juge retient que le délai dont disposait la requérante pour agir contre le groupe hospitalier sur le fondement de la responsabilité pour faute étant expiré, ses conclusions tendant à ce que le juge des référés ordonne une expertise en rapport avec une éventuelle action recherchant la responsabilité pour faute de l'établissement ne peuvent qu'être rejetées.

La solution ne nous paraît pas d’une grande clarté.

(01 décembre 2023, Groupe hospitalier de la Haute-Saône, n° 471514)

 

239 - Responsabilité pour faute – Scolarisation d’enfants à besoins particuliers – Refus puis scolarisation dans un local non scolaire – Demande d’indemnisation non chiffrée dans la demande préalable – Validité – Annulation et rejet.

Ceci ne se passe pas dans un roman d’Eugène Sue ni au XIXème siècle mais ces jours-ci en banlieue parisienne, à Ris-Orangis…

Le maire de la commune, après avoir refusé de scolariser douze enfants de nationalité roumaine et d'origine rom, âgés de cinq à douze ans, dont les deux enfants des requérants, a ensuite décidé de les placer dans un local attenant à un gymnase municipal, aménagé en salle de classe au moyen d'équipements sommaires, hors de tout établissement scolaire et à l'écart des autres enfants scolarisés de la commune, alors que des places étaient disponibles dans des écoles de la commune, les privant ainsi en particulier de l'accès au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires ou périscolaires organisées au sein des écoles.

Les parents ayant obtenu condamnation de la commune à réparer les préjudices causés par ce comportement, la commune s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État. Celui-ci, en dépit d’une annulation du jugement contesté pour des raisons particulières, en a repris les motifs (méconnaissance du principe d'égalité de traitement des usagers du service public, quelle que soit leur origine) ainsi que les chefs et montants de condamnation avec intérêts et capitalisation.

(08 décembre 2023, Mme G. et M. E., n° 438289)

(240) V. aussi, identique au précédent avec rappel qu’un requérant peut se borner à demander à une collectivité publique ou à l'administration réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi pour ne chiffrer ses prétentions et ne préciser les chefs de préjudice qu'il invoque que devant le juge administratif ; sur le fond, même comportement affligeant et même réponse vigoureuse du juge de cassation : 08 décembre 2023, Mme et M. D. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438287.

(241) V. également, identique : 08 décembre 2023, Mme D. et M. J. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438288.

(242) V. encore, identique : 08 décembre 2023, M. et Mme B. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438290.

(243) V. aussi, comme dans l’affaire n° 438289 ci-dessus, jugeant que le maire d’une commune, lorsqu’il dresse, en application des art. L. 131-1, L. 131-5 et L.131-6 du code de l'éducation, la liste des enfants résidant sur le territoire de sa commune qui sont soumis à l'obligation scolaire, agit au nom de l'État (19 décembre 2018, Commune de Ris-Orangis, n° 408710) et qu’en revanche, il agit au nom de la commune lorsqu'il décide de l'inscription d'un enfant dans une école de la commune en fonction de la sectorisation définie par délibération du conseil municipal et délivre le certificat d'inscription qui indique l'école que l'enfant doit fréquenter. Les conséquences dommageables des décisions prises à ce double titre engagent les responsabilités respectives de l’État et de la commune : 08 décembre 2023, M. D. et autres, n° 441979.

 

244 - Suicide d’un détenu – Responsabilité fautive de principe de l’État – Conditions – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA) et condamnation de l’État à réparer.

En principe, le décès consécutif au suicide d’un détenu engage la responsabilité pour faute de l’État à condition que, compte tenu des informations à sa disposition : existence chez le détenu de troubles mentaux, de tentatives de suicide ou d'actes d'auto-agression antérieurs, de menaces suicidaires, de signes de détresse physique ou psychologique, l’administration pénitentiaire n’ait pas pris les mesures raisonnablement attendues d’elle.

Dans le cas présent, les juges du fond avaient rejeté les actions en réparation du préjudice moral formées par des membres de la famille du détenu au motif que la lettre qu’il avait rédigée le jour même de sa tentative, annonçant son passage à l’acte, n’avait été trouvée qu’après son décès par pendaison. Le juge de cassation relève dans ce jugement et dans cette ordonnance une erreur de droit dès lors que la lettre évoquait une précédente tentative de suicide à la prison où il avait été antérieurement incarcéré, ce que l’administration pénitentiaire ne pouvait ignorer.

Dès lors est établie une faute par absence de mesures  adéquates destinées à prévenir ce comportement.

Après annulation de l’ordonnance attaquée, le juge de cassation statue au fond, donc sans renvoi.

(18 décembre 2023, Mme  K. et autres, n° 457847)

 

245 - Délai raisonnable de jugement – Invocation d’un préjudice moral du fait de son dépassement – Décomposition de la durée entre les différentes procédures – Absence de méconnaissance du délai raisonnable et de droit à réparation du préjudice moral – Rejet.

Le demandeur soutient que la durée de la procédure, à compter de sa première demande au service départemental d'incendie et de secours de Vaucluse, le 14 mars 2019, de lui communiquer divers avis en matière d'urbanisme sur le territoire de la commune de Blauvac et jusqu’à la communication des avis demandés, le 14 février 2023, soit près de quatre ans plus tard, sans que l'affaire ait présenté de complexité, a excédé le délai raisonnable de jugement et lui a causé un préjudice moral. 

Pour rejeter cette demande, le Conseil d’État relève qu’outre le déroulement de la procédure née d’un refus de communication de documents administratifs, le requérant a saisi la CADA, qu’il a introduit un recours en interprétation d’un jugement à raison de son ambiguïté qui soulevait une question complexe, puis qu’il s’est désisté de cette dernière demande, de sorte que chaque procédure a eu une durée raisonnable et que, dans son ensemble, l’enchaînement procédural n’a pas, lui-même, eu une durée excessive. D’où résulte l‘absence de préjudice moral de ce fait et le rejet de la demande d’indemnisation.

(20 décembre 2023, M. B., n° 472425)

(246) V. aussi, admettant que la méconnaissance du droit de la requérante à un délai raisonnable de jugement de son appel, lui a causé un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès et allouant à ce titre une indemnité de mille euros, tous intérêts compris, ainsi que l'avait d'ailleurs proposé le garde des sceaux, ministre de la justice, en réponse à la demande préalable de la requérante : 28 décembre 2023, Mme B., n° 470222. 

(247) V., à l’inverse, estimant que n’existe pas en l’espèce d’atteinte au droit à un délai raisonnable de jugement : 28 décembre 2023, Mme A., n° 472122.

 

248 - Ouvrier de l’État - Exposition à l’amiante – Point de départ du calcul de la prescription quadriennale – Acte interruptif de la prescription – Cas d’une plainte pénale sauf si elle n’est pas formée par la victime de l’exposition à l’amiante – Rejet.

Le décret du 21 décembre 2001 a attribué une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, à raison de leur exposition à l’amiante, à certains ouvriers de l'État relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État.

Le requérant, chaudronnier-tuyauteur aux constructions navales de Toulon, conteste en cassation l’ordonnance rejetant son appel contre le jugement ayant rejeté pour cause de prescription sa demande d’indemnisation en réparation du préjudice d’anxiété consécutif à la conscience des effets de cette exposition aux poussières d’amiante.

Le Conseil d’État réitère ici sa jurisprudence selon laquelle le point de départ du délai de prescription quadriennale est la date de publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel. Or ici le délai quadriennal était expiré à la date de saisine de la juridiction administrative.

Toutefois, il existe des causes interruptives du cours de la prescription, ainsi du dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile ou du fait de se porter partie civile dans une instruction pénale déjà ouverte. C’est ce qu’invoquait le requérant.

À tort, indique le Conseil d’État car  si le dépôt par un ouvrier de l'État exposé aux poussières d'amiante d'une plainte avec constitution de partie civile ou le fait de se porter partie civile constitue bien un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance au profit de cet auteur, cette interruption ne saurait bénéficier à d'autres ouvriers de l'État exposés aux poussières d'amiante alors même qu'ils auraient travaillé dans les mêmes établissements ou parties d'établissements que l'auteur de la plainte, l'action en cause ne pouvant être regardée comme relative au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de leur propre créance.

(22 décembre 2023, M. B. n° 474885)

 

249 - Décès du conjoint – Évaluation du préjudice économique subi par le conjoint survivant – Prise en compte de la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien ainsi que de la part desdits revenus affectés à l’entretien de la famille – Erreur de droit – Annulation.

En principe, le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte de la partie des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus et déduction faite des prestations reçues en compensation. Ce préjudice est établi par référence à un pourcentage des revenus de la victime affecté à l'entretien de la famille. 

Est donc cassé pour erreur de droit, en tant qu'il statue sur les pertes de revenus du demandeur, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui inclut parmi les revenus effectivement perçus par le demandeur la rente « Assurance vieillesse et survivants / Assurance invalidité » que celui-ci percevait en Suisse depuis le 1er juin 2014, sans l'inclure aussi dans le calcul des revenus dont le foyer aurait normalement bénéficié pendant la période en litige, alors que cette rente, qui était servie au demandeur en considération de ses droits propres et lui était acquise en toute hypothèse, devait être en prise en compte dans le calcul de ces derniers revenus. 

(27 décembre 2023, M. B., n° 456128)

 

250 - Illégalité fautive de décisions disciplinaires d’un conseil départemental de l’ordre des médecins – Exercice du pouvoir juridictionnel au nom de l’État – Responsabilité exclusive de l’État – Rejet.

La décision par laquelle une autorité ordinale décide de traduire un praticien devant l'instance disciplinaire compétente n'étant pas détachable de la procédure juridictionnelle ainsi engagée, les conclusions à fin de dommages et intérêts, y compris si elles sont présentées par des tiers, à raison de l'illégalité fautive reprochée aux poursuites disciplinaires à l'origine de cette procédure doivent être regardées comme tendant à la réparation d'un dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Il s’ensuit qu’en l’espèce seule la responsabilité de l'État pouvait être engagée, le cas échéant, à l'égard de la société Optical Center du fait des illégalités fautives qu'aurait commises le conseil départemental de l'ordre des médecins du Rhône en décidant d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un praticien partenaire de la société et que, par suite, les conclusions indemnitaires présentées par celle-ci tendant à ce que le conseil départemental de l'ordre des médecins du Rhône soit condamné à ce titre ne pouvaient, dès lors qu'elles étaient mal dirigées, qu'être rejetées.

(29 décembre 2023, Société Optical Center, n° 455074)

V. pour un autre aspect de l’affaire, le n° 227

 

251 - Responsabilité contractuelle - Convention de prestation de services entre un établissement public maritime et une société privée – Portée et champ d’application de la convention - Interprétation des stipulations de la convention – Commune intention des parties – Rejet.

(22 décembre 2023, Grand port maritime de Marseille, n° 472006)

V. n° 31

 

Santé  publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux – Recherche médicale

 

252 - Informations couvertes par le secret médical – Obligation de transmission, à certaines conditions, aux services de renseignements – Absence d’opposabilité du secret – Rejet.

L’instance ordinale demandait l’annulation de la circulaire primo-ministérielle du 28 mars 2022 relative aux dispositions de l'art. L. 863-2 du code de la sécurité intérieure. Selon cet article, applicable aux établissements publics de santé et aux établissements privés de santé en tant qu'ils sont chargés d'une mission de service public, les personnels de ces établissements qui détiennent des informations protégées au titre du secret médical peuvent légalement les transmettre aux services de renseignement qui en font la demande, par dérogation aux dispositions de l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique instituant un secret lié au respect de la vie privée sauf dérogation légale expresse.

Le Conseil d’État, dans une décision décevante, rejette le recours.

Auparavant, il faut rappeler l’avertissement de Montesquieu selon lequel « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites (…) » (De l’esprit des lois, Livre XI, chap. IV). C’est une présomption de suspicion générale qui pèse sur les détenteurs du pouvoir non une présomption d’innocence, ce que traduit au reste parfaitement la séparation des pouvoirs. Or la source principale de la puissance est, aujourd’hui plus que jamais, l’information, d’autant que sa connaissance et son extension sont désormais, via les technologies télématiques, immenses. Et, naturellement, c’est l’occasion qui fait le larron : on peine à imaginer l’existence de cet être vertueux qui, détenteur d’une masse d’informations, avec une capacité à peu près infinie de stockage, serait capable d’engranger tout cela avec l’intention de ne surtout pas s’en servir.

On est déçu de voir ici le juge faire litière des moyens soulevés par l’organisation requérante.

Le juge répond d’abord à l’ordre des médecins pour justifier son rejet sur ce point, que les dispositions attaquées n'ont ni pour objet, ni pour effet d'autoriser les personnels des établissements susvisés, parce que précisément ils sont tenus par le secret médical, à fournir de telles informations au directeur de l'établissement ou à tout autre membre du personnel de celui-ci, en-dehors des cas prévus par la loi, afin qu'il les transmette lui-même au service de renseignement demandeur. On a envie de dire « Et alors ? Cela change quoi ?»

Ajoutant la complexité à la perplexité, le juge indique qu’il appartient en revanche au directeur de l'établissement, au titre de ses pouvoirs d'organisation du service, de veiller à ce que les mesures nécessaires soient prises pour assurer le traitement des demandes émanant des services de renseignement, dans le respect du secret médical au sein de l'établissement. En somme, à la différence des femmes s’agissant de la succession au trône de France sous l’Ancien régime, le directeur peut parfaitement « servir de pont et de planche »…
Ensuite, il est jugé que si la demande formulée par les services de renseignement peut prendre la forme d'une demande « ponctuelle et spécifique » ou celle d'une « demande-cadre aux termes plus génériques », la circulaire attaquée n'a pas pour objet, et n'aurait pu légalement avoir pour effet, d'autoriser les services de renseignement à demander la transmission d'informations qui ne seraient pas strictement nécessaires à l'accomplissement des missions du service et susceptibles de concourir à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Il eût été plus conforme au respect des droits d’exiger de ces services la démonstration préalable de cette stricte adéquation de la demande aux besoins du renseignement. Surtout, c’est une vraie mascarade de prétendre qu’une « demande-cadre aux termes plus génériques » pourrait à tous les coups satisfaire à l’exigence, alors qu’elle est générale et abstraite, d’être « strictement nécessaire à l’accomplissement des missions » du service de renseignements. Cette affirmation fait fi de l’exigence d’examen particulier des circonstances surtout avant de porter atteinte à un élément aussi fondamental de la liberté et de la dignité humaines.

Également, on demeure très étonné de lire sous la plume du juge que «  (…) l'art. L. 863-2 du code de la sécurité intérieure ne crée pas d'obligation de transmission d'informations à la charge des autorités administratives saisies, mais se borne à délier ces dernières des secrets protégés par la loi pour les besoins d'une telle transmission. Ces secrets, notamment le secret médical, ne peuvent plus, en conséquence, être légalement opposés aux services de renseignement par les administrations saisies. En invitant ces dernières à répondre aux demandes qui leur sont adressées dans un délai raisonnable et à préciser les raisons pour lesquelles elles ne seraient pas en mesure, le cas échéant, de transmettre les informations demandées, la circulaire attaquée n'a pas instauré d'obligation de transmission et n'a pas méconnu les principes et règles (concernant le secret médical, le droit au respect de la vie privée et le « principe de l'indépendance professionnelle du médecin »). » Qui peut ne pas apercevoir dans cette « motivation » ( ?) une contradiction dans les termes ?

Enfin, se pose ici, comme en toute matière affectée par son quadrillage informatique, la question de la réalité de la destruction des données recueillies lorsqu’elles ne sont plus nécessaires sans que ne soit instaurée une obligation de contrôle de cette destruction par celui qui a fourni l’information originaire et, surtout, car il n’y a jamais d’innocence là-dedans, sans que l’on puisse être assuré que l’information prétendument détruite n’a pas, auparavant, transité vers d’autres supports de stockage … Ni vu ni connu.

(06 décembre 2023, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 464480)

 

253 - Épandage de produits phytosanitaires à proximité de zones d’habitation ou de travail – Intervention d’une décision du Conseil d’État – Décret et arrêtés pris pour l’exécution de cette décision – Demande d’annulation – Rejet.

Par une décision du 26 juillet 2021, le Conseil d'État avait annulé partiellement, en premier lieu, l'article 1er du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, relatif aux chartes d'engagements des utilisateurs de produits phytopharmaceutiques et, en second lieu, l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en tant, notamment, d'une part, qu'il prévoit des distances de sécurité insuffisantes pour les produits classés comme suspectés d'être cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR 2) et, d'autre part, qu'il ne prévoit pas de dispositions destinées à protéger les personnes travaillant à proximité des zones d'utilisation des produits phytopharmaceutiques, et a enjoint au premier ministre et aux ministres concernés de prendre les mesures réglementaires qu'impliquaient les annulations prononcées par sa décision dans un délai de six mois à compter de sa notification.

C’est pour l’exécution de cette décision que sont intervenus le décret du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et les arrêtés du 25 janvier 2022 et du 14 février 2023 relatifs aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'art. L. 253-1 du code rural.

Les divers requérants demandent l’annulation, tantôt séparée tantôt conjointe, de ce décret et de ces deux arrêtés.

Le recours est rejeté.

D’abord, n’est retenu aucun des moyens de légalité externe dirigés tant contre le décret et l’arrêté de 2022 à la fois ou seulement contre ce dernier.

Au premier titre, il est jugé que la durée de la consultation du public (21 jours) a été suffisante, que la note de présentation de la consultation au public apporte des précisions suffisantes sur les projets de décision en cause et, enfin, que n’affecte pas la juridicité des décret et arrêté en cause la circonstance, selon les demandeurs, qu'il n'aurait été tiré aucune conséquence des observations formulées par le public à l'occasion de cette consultation.

Au second titre, il est rappelé que les modifications du projet postérieures à la consultation du public ne conduisent à organiser une nouvelle consultation que dans le cas où elles auraient pour effet de dénaturer le projet tel que soumis primitivement à la consultation.

Ensuite, sont rejetés les moyens de l’égalité interne développés à l’appui des requêtes.

Le décret et l’arrêté de 2022 ne sauraient être argués d’erreur manifeste d’appréciation alors que les précisions s’y rapportant se trouvent dans l’arrêté de 2023.

Il ne saurait non plus être soutenu, cette fois à l’encontre du seul décret de 2022, qu’il serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation pour n’avoir pas prévu de dispositif de contrôle, ni de sanction en cas de non-respect des engagements contenus dans les chartes d’engagements alors que toute utilisation des produits phytopharmaceutiques qui méconnaîtrait les conditions d'utilisation prévues par les chartes d'engagements expose le contrevenant aux sanctions prévues à l'art. L. 253-17 du code rural. 

S’agissant à la fois des deux arrêtés de 2022 et de 2023, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en prévoyant que les mesures de protection prévues en cas de traitement avec un produit phytopharmaceutique à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités sont étendues en cas de traitement avec un tel produit à proximité des lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière, les auteurs de ces arrêtés auraient méconnu l'autorité de la chose jugée par la décision du 26 juillet 2021 du Conseil d'État, les règles de protection de la santé des personnes issues du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ou le principe d'égalité des travailleurs au regard de leur droit à protection.

Ils ne sont pas davantage fondés à soutenir que le pouvoir réglementaire n'aurait pas défini avec suffisamment de précision les lieux auxquels s'applique l'obligation de respecter une distance de sécurité alors que celle-ci relève soit de l'autorisation de mise sur le marché, soit des dispositions de l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural.

(04 décembre 2023, Collectif des maires anti-pesticides et association Agir pour l'environnement, n° 460892 ; M. D. et autres, n° 461521 ; Association des Amis de la Terre en Haute-Savoie, n° 462555 ; M. D., n° 474338)

(254) V. aussi, jugeant qu’a bien été exécutée l’injonction par le Conseil d’État, dans sa décision du 26 juillet 2021, aux ministres concernés de prendre les mesures réglementaires prévoyant des distances de sécurité suffisantes pour les produits classés CMR 2 dont l'autorisation de mise sur le marché ne prévoit aucune distance de sécurité spécifique et par sa décision du 22 décembre 2022 impartissant un délai de deux mois – expirant donc le 22 février 2023 - sous astreinte de 500 euros par jour de retard. La circonstance d’un retard de 42 jours pour la publication de l’instruction technique n’empêche pas d’estimer acquise cette exécution surtout que la modification réglementaire a, elle, été publiée au Journal officiel dès le 21 mars 2023 : 04 décembre 2023, Association Générations futures et autres, n° 462352.

 

255 - Objectif de dépenses d’assurance maladie – Activité de psychiatrie – Fixation du montant alloué – Détermination des différentes dotations entre lesquelles est réparti ce montant – Allégations d’illégalités diverses – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours dirigé contre la décision par laquelle la première ministre a implicitement rejeté la demande de la fédération requérante tendant à l'abrogation du décret n° 2021-1255 du 29 septembre 2021 relatif à la réforme du financement des activités de psychiatrie.

Tout d’abord, sont sans objet les conclusions de la fédération requérante dirigées contre le refus d'abroger les dispositions de l'art. 2 du décret attaqué, dès lors qu'elles ont cessé de recevoir application.

Ensuite, il ne saurait être soutenu, au moyen d’une QPC, que  les art. L. 162-22-18 et L. 162-22-19 du code de la sécurité sociale, bases légales du décret attaqué, sont contraires à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, qu’elles sont entachés d'incompétence négative et portent atteinte à la garantie des droits prévue par l'art. 16 de la Déclaration de 1789. En effet, l'instauration d'un objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux activités de psychiatrie des établissements de santé constitué en dotations a notamment pour but d'assurer une meilleure répartition sur le territoire du financement de ces dépenses entre l'ensemble des établissements exerçant ces activités, en fonction des besoins de la population, tout en maîtrisant l'évolution de son coût pour la sécurité sociale. Elle met ainsi en œuvre les exigences de valeur constitutionnelle qui s'attachent tant à l'équilibre financier de la sécurité sociale qu'à la protection de la santé, en concourant, contrairement à ce qui est soutenu, à un meilleur accès aux soins. Il suit de là qu’en fixant le principe d'un tel mode de financement de ces activités, commun aux différents établissements de santé, le législateur n'a pas porté une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre ou à la liberté contractuelle, qu'il a conciliées de manière équilibrée avec les exigences précitées.

Pas davantage ne saurait venir au soutien de cette QPC le moyen qua été renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de fixer les principaux critères d'attribution des dotations dont est constitué l'objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux activités de psychiatrie car la détermination des modalités du financement des activités de psychiatrie ne relève pas des principes fondamentaux de la sécurité sociale qu'il incombe au législateur de déterminer en vertu de l'art. 34 de la Constitution.

Enfin, ne sauraient prospérer les moyens d’incompétence avancés dès lors que le premier ministre détient le pouvoir réglementaire en vertu de l’art. 21 de la Constitution et qu’il peut déléguer le pouvoir réglementaire aux ministres.

(14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 468139)

(256) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre la décision par laquelle la première ministre a implicitement rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1855 du 28 décembre 2021 relatif à la tarification nationale journalière des prestations bénéficiant aux patients hospitalisés : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 468140 ; Fédération de l'hospitalisation privée - Soins de suite et de réadaptation, n° 471006.

(257) V. encore, rejetant le recours en annulation du décret n° 2022-1775 du 31 décembre 2022 modifiant certaines dispositions relatives au financement des établissements de santé en tant qu'il modifie les dispositions du décret n° 2021-1255 du 29 septembre 2021 relatif à la réforme du financement des activités de psychiatrie : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 475556.

(258) V.  également, voisin, rejetant le recours en annulation de l'arrêté du 31 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 17 décembre 2021 relatif aux modalités de calcul, de versement et de régularisation de l'acompte, de la dotation provisionnelle et du montant complémentaire prévus aux I et II de l'art. 2 du décret n° 2021-1255 du 29 septembre 2021 relatif à la réforme du financement des activités de psychiatrie : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 475567.

(259) V. enfin, rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté du 31 décembre 2022 relatif au financement des établissements de santé exerçant des activités de soins mentionnées au 2° de l'article L. 162-22 du code de la sécurité sociale : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 475568.

 

260 - Code de la route - Dépistage de substances stupéfiantes – Demande d’abrogation de l’arrêté fixant les modalités de dépistage de substances stupéfiantes – Rejet.

L’organisation requérante a demandé l’annulation des décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par divers ministres sur ses demandes tendant à l'abrogation de l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le code de la route ; elle a également demandé qu’injonction soit faite au pouvoir réglementaire, sous quinze jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, d'abroger l'arrêté contesté et de fixer la limite de détection du cannabis dans le sang à un taux qui ne soit pas inférieur à 3 ng/ml de delta-9 tétrahydrocannabinol (THC) et de fixer un taux équivalent pour les analyses salivaires.

Le recours est bien évidemment rejeté.

D’abord est rejetée l’exception d’illégalité tirée de ce que l’arrêté du 22 février 1990 serait illégal en ce qu'il classe le cannabis comme stupéfiant sans opérer de distinction en fonction de la teneur en THC de ses différentes variétés car une telle argumentation est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige du 13 décembre 2016 dès lors que celui-ci, au nombre des substances dont il prévoit la recherche, ne mentionne pas le cannabis mais uniquement le THC, d'ailleurs également mentionné par l'arrêté du 22 février 1990, dont il n'est pas contesté qu'il relève bien des substances stupéfiantes dont l'usage est visé par l'art. L. 235-2 du code de la route. 

Ensuite, il résulte des dispositions du I de l’art. L. 235-1 et de l’art. L. 235-2 du code de la route, de celles des art. R. 235-3 à R. 235-6 inclus de ce code et l’arrêté du 13 décembre 2016,  que les seuils fixés par ce dernier pour la mise en œuvre des épreuves de dépistage et de vérification prévues par les dispositions de l'art. L. 235-2 du code de la route ne constituent pas des seuils d'incrimination pénale mais des seuils de détection assurant que les tests salivaires, urinaires ou sanguins mis en œuvre permettent de détecter et de vérifier, notamment, une présence de THC, substance dont le classement comme stupéfiant n'est pas contesté. Il n’est pas soutenu que ces seuils auraient été fixés à un niveau tel qu'ils ne permettraient pas de répondre à une telle finalité légale. La circonstance alléguée que ces seuils puissent être atteints en raison de la seule consommation de certains dérivés du cannabis autorisés à la commercialisation, dont la teneur en THC n'est pas supérieure à 0,30 %, est dépourvue d'incidence sur la légalité de l'arrêté contesté, dès lors que le THC est une substance classée elle-même comme stupéfiant, et que l'autorisation de commercialisation des produits en cause est sans incidence sur l'incrimination de conduite après usage de stupéfiants, qui est constituée s'il est établi que l'intéressé a conduit un véhicule après avoir fait usage d'une substance classée comme telle, quelle que soit la quantité absorbée. Les moyens critiquant le niveau auquel l'arrêté contesté fixe les seuils de dépistage et de vérification du THC ne peuvent dès lors qu'être écartés.

(21 décembre 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France (NORML France), n° 470132)

(261) V. aussi, sur le même sujet, à propos de la nature et de la portée de la dépêche du garde des sceaux du 31 août 2020 relative à la mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l'art. L. 3421-1 du code de la santé publique, le rejet de la requête : 21 décembre 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France (NORML France), n° 470350.

(262) V. également, rejetant, par les mêmes motifs qu’aux décisions précédentes, le recours dirigé contre les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par divers ministres sur une demande tendant à la modification de l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le code de la route, tendant à voir enjoindre au pouvoir réglementaire d'abroger ou de modifier l'arrêté attaqué et subsidiairement à saisir la CJUE d'une question préjudicielle sur la conformité au droit de l'Union européenne de l'incrimination de la conduite d'un véhicule après avoir fait usage de produits à base de cannabidiol (CBD), comportant des traces de 9-tétrahydrocannabinol (THC) inférieures à 0,3%, dont la commercialisation et la consommation est par ailleurs autorisée : 21 décembre 2023, Union des professionnels du CBD, n° 473466.

 

263 - Recherche sur les embryons humains – Importation de cellules souches embryonnaires – Obligation d’indiquer l’adresse du fournisseur – Absence – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

L'Agence de la biomédecine a délivré à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM, UMR 1190) une autorisation d'importation d'une lignée de cellules embryonnaires à des fins de recherche en provenance du WiCell Research Institute, localisé aux États-Unis.

La fondation Jérôme Lejeune a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de cette autorisation ; sa requête a été rejetée par le tribunal administratif. Sur appel de cette dernière, la cour administrative d’appel a annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que l'autorisation en litige.

L'Agence de la biomédecine se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour.

Le code de la santé publique prévoit que la décision du directeur général de l'Agence de la biomédecine autorisant l'importation de cellules souches embryonnaires humaines doit comporter l'adresse de l'organisme étranger fournisseur de ces cellules. Cette mention faisait défaut en l’espèce et la cour a relevé que l’autorisation litigieuse, qui ne comportait que l’indication de l’État dans lequel est situé le fournisseur, ne satisfaisait pas aux exigences légales et réglementaires. D’où l’annulation qu’elle a prononcée.

Le Conseil d’État est à la cassation car, selon lui, la cour devait rechercher, comme l’y invitait la défenderesse, si la notoriété de cet organisme permettait en l'espèce, en dépit de l'absence de mention de son adresse, une telle identification. Et voilà les cours appelées à jouer les commis voyageurs de la notoriété laborantine…

(29 décembre 2023, Agence de la biomédecine, n° 467400)

 

264 - Audioprothésistes – Convention nationale avec la sécurité sociale – Conditions d’exercice de cette activité professionnelle – Rejet.

Étaient demandées l’annulation ou, subsidiairement, l’abrogation de l'arrêté du 24 juin 2022 portant extension d'application de la convention nationale organisant les rapports entre les audioprothésistes délivrant des produits et prestations inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale et l'assurance maladie, plus subsidiairement, les 2° et 3° de son art. 14, d’autre part, qu’injonction soit faite au ministre de la santé d'approuver une convention contenant des mesures légales permettant la réalisation effective d'actes de télésoin et d'appareillage dans le délai de deux mois à compter de la décision à intervenir et, le cas échéant, de procéder à l'abrogation demandée dans le délai de deux mois à compter de cette décision.

L'Union nationale des caisses d'assurance maladie a conclu le 23 mars 2021, notamment avec le Syndicat des audioprothésistes, le Syndicat national des entreprises de l'audition et le Syndicat national des audioprothésistes mutualistes, une convention nationale organisant les rapports entre les audioprothésistes délivrant des produits et prestations inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale et l'assurance maladie, c'est-à-dire relevant des aides auditives, ou audioprothèses. Cette convention a été rendue applicable à l'ensemble des audioprothésistes par l’arrêté précité du 24 juin 2022 ; de cette convention la société requérante demande l'annulation ou, à titre subsidiaire, l'abrogation, totale ou partielle. 

La requête est rejetée en tous ses chefs de griefs.

Les syndicats signataires de la convention comme les auteurs matériels des signatures étaient bien compétents à cet effet contrairement à ce qui est soutenu.

La convention du 23 mars 2021 était bien au nombre de celles entrant dans le champ d'application de l'art. L. 165-6 du code de la sécurité sociale et pouvait donc, le cas échéant, être rendue applicable, dans les conditions prévues à cet article, à l'ensemble des distributeurs.

Le 2° de l’art. 14 de la convention, qui rappelle l’illégalité de l'activité itinérante d'appareillage des assurés, se borne à indiquer les exigences posées s'agissant du local dans lequel toute activité relevant de la profession d'audioprothésiste doit s'exercer, notamment, les dispositions des art.  L. 4361-6 et L. 4361-7 du code de la santé publique. Elles ne font d'ailleurs pas obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, à ce que cette activité soit, dans le respect de ces exigences, exercée selon des conditions et dans des locaux facilitant l'accès des personnes âgées ou dépendantes. Ainsi, elle n’a ni pour but ni pour effet d’étendre l'interdiction posée à l'art. L. 4361-7 du code précité. 

Enfin, le 3° de cet article 14, relatif aux consultations de suivi à distance, se bornant à rappeler les différentes exigences, résultant des dispositions du chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale, dite liste des produits et prestations (LPP), à laquelle la prise en charge des aides auditives par l'assurance maladie est subordonnée, notamment s'agissant des prestations de suivi obligatoire, ne méconnaît pas les dispositions de l’art. L. 6316-2 du même code, dont il résulte notamment que les soins nécessitant un contact direct « en présentiel » entre l'audioprothésiste et le patient ou un équipement spécifique non disponible auprès du patient ne sont pas au nombre de ceux qui peuvent être dispensés à distance.

Il n’est ainsi pas porté atteinte au principe d'égalité entre les patients, entre les professionnels de santé ou à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. 

(29 décembre 2023, Société Les audioprothésistes mobiles, n° 470028)

 

Service public

 

265 - Service public de la distribution et de la fourniture d’électricité -  Coupures à heures fixes de certains appareils électriques – Absence d’atteintes au principe d’égalité entre usagers du service public, au respect de la vie privée et domiciliaire, à la liberté du commerce et de l’industrie – Absence de défaut de proportionnalité de la mesure – Rejet.

Un arrêté de la ministre de la transition énergétique, du 22 septembre 2022, a prescrit aux gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité de désactiver « la fermeture du contact pilotable (...) entre 11 heures et 15 h 30 » pour les « dispositifs de comptage mis à la disposition des utilisateurs des réseaux publics de distribution en métropole continentale ayant souscrit une offre de fourniture assurant une gestion quotidienne du contact pilotable ». Cette désactivation quotidienne, « qui ne peut être supérieure à deux heures, commence avant 14 heures », elle doit être effective « au plus tôt le 1er octobre et au plus tard le 1er novembre 2022 » et elle prend fin « au plus tôt au 15 avril 2023 et au plus tard au 15 mai 2023 ».

La requérante demande l’annulation de cet arrêté.

Elle soutient d’abord que l'arrêté attaqué méconnaît le principe d'égalité car il prévoit des coupures à heures fixes de certains appareils électriques qui n'affectent que les souscripteurs d'un contrat de fourniture d'électricité comportant une différenciation tarifaire entre heures pleines et heures creuses, sans prendre en compte la situation personnelle et professionnelle des intéressés, et notamment de ceux d'entre eux qui travaillent à leur domicile. Le moyen est rejeté car le principe d'égalité n'imposait pas au pouvoir réglementaire de soumettre les souscripteurs de contrats de fourniture d'électricité concernés à des régimes différents adaptés en fonction de leur situation personnelle ou professionnelle. En outre, l'arrêté attaqué, qui n'a ni pour objet, ni pour effet, d'organiser des coupures d'électricité, se borne à empêcher le déclenchement automatique, durant une partie des heures méridiennes, des appareils électriques reliés à un dispositif de comptage comprenant un contact pilotable. Les souscripteurs ne sont ainsi pas privés d'un contrat avec heures creuses, et notamment ceux qui travaillent à leur domicile, de la faculté de déclencher manuellement les appareils concernés. En prévoyant une désactivation quotidienne du déclenchement automatique de ces appareils de deux heures maximum, ces dispositions créent une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de l'arrêté, qui est de limiter les pics de consommation durant les heures méridiennes.

En conséquence, cette différence de traitement ne saurait être regardée comme manifestement disproportionnée au regard des motifs, parmi lesquels la prévention des risques de délestage sur le réseau électrique, qui sont susceptibles de la justifier. 

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, la mesure attaquée ne peut être regardée ni comme une ingérence dans l'exercice du droit au respect du domicile et de la vie privée et familiale (cf. art. 8 Convention ESDH) ni comme ayant pour objet ou pour effet, d'organiser des coupures d'électricité qui porteraient atteinte à la liberté de l'industrie et du commerce, ni, non plus, comme entachée d’un défaut de proportionnalité.

(06 décembre 2023, Mme B., n° 469094)

 

266 - Enseignements dans les classes de collège – Suppression de l’enseignement de technologie en sixième et remplacement par un enseignement de soutien ou d’approfondissement – Absence de méconnaissance des dispositions applicables – Rejet.

Les requérants arguaient d’illégalité  l'arrêté du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège et l’arrêté du 21 octobre 2015 relatif aux classes des sections d'enseignement général et professionnel adapté et ils en demandaient l’annulation.

La critique de légalité externe est rejetée, les arrêtés attaqués n’ayant été pris ni en méconnaissance des dispositions de l’art. L. 231-1 du code de l’éducation, ni en méconnaissance de celles de l’art. L. 311-3 de ce code.

Concernant la légalité interne, la critique est également rejetée en tant qu’elle porte sur la suppression, en classe de sixième, de l’enseignement de technologie et son remplacement par un enseignement « de soutien ou d’approfondissement ». Ces dispositions ne portent pas sur les disciplines devant être enseignées mais identifient les connaissances et compétences qui doivent être acquises à l'issue de la scolarité obligatoire ; par suite, elles ne méconnaissent pas, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions des art. L. 121-7, L. 122-1-1 et L. 332-3, D. 122-1 et D. 122-2,  du code de l’éducation.

(08 décembre 2023, Syndicat Action et Démocratie et association Pagestec, n° 474146 et n° 474148)

 

267 - Enseignement primaire - Scolarisation d’enfants à besoins particuliers – Responsabilité pour faute – Refus puis scolarisation dans un local non scolaire – Demande d’indemnisation non chiffrée dans la demande préalable – Validité – Annulation et rejet.

(08 décembre 2023, Mme G. et M. E., n° 438289)

(268) V. aussi : 08 décembre 2023, Mme et M. D. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438287 ; 08 décembre 2023, Mme D. et M. J. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438288 ; 08 décembre 2023, M. et Mme B. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438290 ; 08 décembre 2023, M. D. et autres, n° 441979.

V. n° 239

 

269 - Service public de l’éducation – Circulaire sur la prise en compte de l’identité de genre en milieu scolaire – Méconnaissance de dispositions du Code civil – Protection de l’intérêt supérieur de l’enfant – Atteinte aux prérogatives des personnels de santé scolaire – Atteintes à divers droits et libertés – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation du rejet par le ministre de l’éducation nationale de leurs demandes de retrait de sa circulaire du 29 septembre 2021 portant lignes directrices à l'attention de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire ».

Les divers moyens développés au soutien de ces recours sont rejetés sans trop de ménagement ni un grand luxe argumentatif.

Tout d’abord, la circulaire litigieuse ne soulevant pas de question d'intérêt national concernant l'enseignement ou l'éducation au sens des dispositions de l'art. L. 231-1 du code de l'éducation, l'association SOS Éducation ne saurait soutenir qu'elle aurait dû être soumise à la consultation du Conseil supérieur de l'éducation. Dire que ce n’est pas là une question d’intérêt national concernant l’éducation est aller un peu vite en besogne.

Ensuite, il est jugé que si la circulaire recommande l'usage, par les personnels de l'éducation nationale, du prénom choisi par les élèves transgenres plutôt que celui du prénom inscrit à l'état civil dans le cadre de la vie interne des établissements et pour les documents qui en relèvent, elle précise que seul le prénom inscrit à l'état-civil doit être pris en compte pour le suivi de la notation des élèves dans le cadre du contrôle continu pour les épreuves des diplômes nationaux. En proposant une solution de nature à faciliter la scolarisation inclusive de tous les enfants conformément aux dispositions de l'art. L. 111-1 du code de l'éducation, la circulaire n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II, relative au port des noms et prénoms. Qui n’aperçoit le sophisme consistant à prétendre que cette mesure n’affecte pas les dispositions du Code civil relatives à la matière alors que l’usage répété pendant des années emportera le prénom figurant à l’état civil ? Et, pareillement, comment prétendre qu’en effectuant ce tout de passe-passe nominal il ne sera pas porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui en est juge ? À partir de quand ? Et pour quel(s) motif(s) ? Alors que l’identification nominale de l’être humain est fondamentale pour son repérage dans la société ?

Enfin, par ces dispositions, il n’est porté atteinte ni au monopole des personnels de santé en milieu scolaire, ni au principe de neutralité du service public ou à la liberté de conscience des enseignants, élèves et parents, ni, non plus, au droit des autres élèves au respect de leur vie privée et de leur intimité ainsi qu'au devoir des parents, au titre de l'autorité parentale, de protéger, dans leur intérêt, leurs enfants.

En bref, cette circulaire est trop « in », dans l’air du temps, pour que l’on puisse s’arrêter aux objections de la frange ringardisée du corps social, aux idées forcément fausses puisque minoritaires.

(29 janvier 2023, Association SOS Éducation, n° 463697 ; Association Juristes pour l'enfance, n° 467769, jonction)

 

270 - Hôpitaux publics – Réglementation de l’exercice libéral au sein de ces hôpitaux – Rejet.

Les requérants demandent l’annulation du décret n° 2022-133 du 5 février 2022 relatif à l'activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé.

Leur recours est rejeté.

Le moyen pris de la légalité externe est rejeté car le décret litigieux, qui modifie certains articles du code de la santé publique afin de préciser les conditions d'exercice d'une activité libérale interne à l'hôpital par les praticiens des établissements publics de santé, n'est pas relatif à l'assurance maladie, il est dépourvu d'incidence sur l'équilibre financier du régime général d'assurance maladie ou des régimes obligatoires de protection sociale des salariés et des non-salariés des professions agricoles. Il n’avait donc pas à être pris après consultation des organes de la Caisse nationale de l'assurance maladie, de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et de la Caisse centrale de mutualité sociale agricole. 

Concernant la légalité interne de l’ordonnance du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières, qui sert de base au décret attaqué, le juge rejette également les arguments des demandeurs.

D’abord, il n’y a pas contradiction entre les art. L. 6154-1 et L. 6154-2-1 du code de la santé publique issus de l'ordonnance attaquée en tant que le premier de ces articles décide que les praticiens hospitaliers des établissements publics de santé ne peuvent exercer d'activité libérale au sein du service de santé des armées et que le second décide que l'activité exercée le cas échéant par ces praticiens au sein de ce service est prise en compte pour l'appréciation de condition de durée hebdomadaire de service permettant l'exercice de l'activité libérale. Il n’y a ainsi pas d’atteinte portée à l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme.

Ensuite, l’auteur du décret contesté n’est pas allé au-delà des termes de la loi d’habilitation en prévoyant, à l'art. L. 6154-2-1, la prise en compte de l'activité exercée le cas échéant au sein du service de santé des armées pour l'appréciation de la condition de durée hebdomadaire de service comme indiqué précédemment.

Enfin,  les dispositions relatives à l'exercice d'une activité libérale des praticiens dans les établissements de santé, issues de l'ordonnance du 17 mars 2021, n'ont ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté de choix de son médecin par le patient.

(13 décembre 2023, Association Hôpital Foch, Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Association Hôpitaux privés de Metz, Mutualité Fonction publique action santé social et groupement de coopération sanitaire « Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille », n° 462637)

(271) V. aussi, portant sur des questions voisines, le rejet du recours dirigé contre le décret n° 2022-135 du 5 février 2022 relatif aux nouvelles règles applicables aux praticiens contractuels, celui-ci, contrairement à ce qui est soutenu, ne souffre pas de vices qui affecteraient sa légalité externe, ne porte pas atteinte au principe d'indépendance professionnelle des médecins, ni à l'art. 9 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière alors applicable, ni au principe d’égalité, ni, non plus, au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ou aux situations contractuelles en cours, ni, enfin, à l’art. 21 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : 13 décembre 2023, Syndicat Jeunes médecins, n° 462913.

(272) V. également, rejetant les recours formés contre le décret n° 2022-132 du 5 février 2022 portant diverses dispositions relatives aux personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé, s’agissant des moyens tirés du régime de l’exercice d’activités non cliniques, du dispositif de non concurrence en cas de départ temporaire ou définitif ou encore de la méconnaissance de l'art. 13 de la loi du 24 juillet 2019 : 13 décembre 2023, Syndicat Jeunes médecins, n° 462940 ; Conseil national de l’ordre des médecins, n°462977, jonction.

(273) V. encore, rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret n° 2022-134 du 5 février 2022 relatif au statut de praticien hospitalier en tant qu’il institue, en cas d’autorisation d’exercice à temps partiel pour un praticien hospitalier, une interdiction d'exercer une activité rémunérée dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé dans lequel le praticien exerce à titre principal et qu’il instaure une sanction particulière pour non respect de cette interdiction : 13 décembre 2023, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 462978.

 

274 - SNCF – Exception d’illégalité dirigée contre le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel – Question préjudicielle du juge judiciaire – Absence d’illégalité.

Dans le cadre d’un litige pendant devant un conseil de prud’hommes, le demandeur a soulevé devant cette juridiction, par voie d’exception, l’illégalité des dispositions  du paragraphe 3 de l'art. 13 du chapitre 10 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel.

Le Conseil d’État, saisi à titre préjudiciel, rejette l’exception.

D’abord, c’est erronément que le demandeur soutient que les dispositions contestées présenteraient, au motif qu'elles feraient dépendre la réintégration des agents en fin de disponibilité sans faculté de versements de la seule volonté de la SNCF, un caractère « potestatif » (sur la condition potestative au pouvoir du créancier en matière d’obligations administratives, voir J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey, 2018, p. 431 § 821-822 et pp. 433-435 § 827-829) et devraient, par conséquent, être regardées comme nulles en vertu de l'article 1304-2 du Code civil. En effet, le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel ne revêt pas le caractère d'une convention de droit privé mais présente un caractère règlementaire ce qui exclut l’applicabilité de dispositions du Code civil.

Le juge relève, au reste, que la réintégration des agents de la SNCF en fin de disponibilité est subordonnée à une condition objective de vacance d'emploi et que l'employeur doit prendre immédiatement, en cas de vacance d'emploi, des dispositions pour y nommer un titulaire, de sorte que la réintégration d'un agent à l'issue d'un congé de disponibilité sans faculté de versements ne peut être regardée comme laissée à la seule volonté de la SNCF.

Ensuite, il est constant que tout agent mis en disponibilité peut obtenir sa réintégration s’il la demande deux mois à l’avance au moins et que la SNCF, sans être obligée d’effectuer cette réintégration, a l’obligation d’y procéder dans un délai raisonnable en fonction des vacances d’emploi.

Les dispositions critiquées ne sont pas entachées d’illégalité contrairement à ce qui est soutenu.

(15 décembre 2023, M. B., n° 473300)

 

275 - Universités – IEP de Paris – Régime disciplinaire – Caractère juridictionnel de l’instance disciplinaire – Obligation de respecter les règles générales de procédure – Sursis à l’exécution d’une sanction disciplinaire.

Une décision prise par la section disciplinaire de l’IEP de Paris, qui avait à l’époque du litige le caractère d'une décision juridictionnelle, devait observer la règle générale de procédure d'après laquelle la rédaction des décisions juridictionnelles doit contenir le nom des juges. Faute de satisfaire à cette exigence, la décision querellée est irrégulière. Ce motif, soulevé par le requérant, paraît sérieux et de nature à justifier son annulation, d’où la suspension d’exécution de cette décision par le juge.

(27 décembre 2023, IEP de Paris, n° 461306)

 

276 - Établissement pénitentiaire – Location de téléviseurs aux détenus – Principe d’égalité – Erreur de fait – Substitution de motif impossible en cassation  en l’espèce – Annulation et rejet.

Des détenus, qui avaient saisi en vain le tribunal administratif d’une demande de condamnation de l’État à verser à chacun d'eux une somme égale au montant qui leur est facturé, pendant leur détention à la maison centrale d'Ensisheim (Haut-Rhin), pour l'accès aux chaînes de télévision gratuites, soit 3,86 euros par mois, à compter du 1er février 2017 jusqu'à la notification du jugement, assortie des intérêts et de la capitalisation, ont interjeté appel. La cour administrative d’appel a estimé que ces détenus faisaient l'objet d'une différence de traitement par rapport à d'autres détenus placés dans une situation identique, en considérant que la maison centrale d'Ensisheim était un établissement à gestion privée et que la tarification mise en place dans cet établissement n'était pas appliquée dans des établissements à gestion publique.

Le garde des sceaux se pourvoit en cassation de cet arrêt.

En premier lieu, le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de fait en ce que les faits ont été inexactement qualifiés : d'une part, la maison centrale d'Ensisheim n'est pas un établissement sous gestion privée mais sous gestion publique, et, d'autre part, la tarification était en tout état de cause identique, durant la période en cause, dans ces deux catégories d'établissements pénitentiaires.

En second lieu, invité par les demandeurs à substituer au motif erroné retenu par la cour un motif tiré de l'existence d'une différence de traitement entre les détenus propriétaires de leur téléviseur et n'accédant qu'aux chaînes non payantes, d'une part, et les autres catégories de détenus, d'autre part, constitutive d'une rupture d'égalité, le juge de cassation s’y refuse en vertu d’une classique limite de procédure : une telle substitution supposerait une appréciation de circonstances de fait à laquelle le Conseil d'État, en qualité de juge de cassation, ne peut se livrer. 

(15 décembre 2023, M. G. et autres, n° 470619)

 

277 - Principe d’égal accès à l’instruction – Scolarisation d’un enfant handicapé – Conditions d’accueil en institut médico-éducatif – Régime général – Saisine du juge des référés – Irrecevabilité de l’appel du ministre de la santé – Rejet.

Les parents d’un enfant handicapé éprouvant de graves difficultés pour en obtenir la scolarisation ont saisi le juge du référé liberté  qui a constaté l’existence d'une carence caractérisée dans l'accomplissement des obligations mises à la charge de l'État, constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales, résultait de ce que l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France, qui exerce la tutelle sur les établissements médico-éducatifs, s'était abstenue d'intervenir au niveau régional, alors qu'aucune solution à la situation individuelle critique de cette personne handicapée n'avait pu être trouvée au niveau départemental. Il a, en conséquence, enjoint à la directrice générale de l'ARS d'Île-de-France d'accomplir, sans délai, toutes diligences afin de s'assurer de l'existence de places disponibles au sein des instituts médico-éducatifs ayant refusé d'accueillir E. de manière permanente pour une raison de sectorisation géographique, puis de proposer, dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, une solution d'accueil permanent pour le jeune E. au niveau régional, y compris en sureffectif le cas échéant, si aucune autre solution ne permettait de respecter la décision de placement prise par la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du département de l'Essonne. 

Le ministre de la santé a interjeté appel de cette ordonnance.

Sa requête est rejetée pour un motif de procédure. En effet, l’appelant faisait valoir que tant l'urgence que l'atteinte aux libertés fondamentales relevées par le juge des référés du tribunal administratif ont disparu, du fait de l'admission, à temps plein depuis le 22 novembre 2023, du jeune E. à l'institut médico-éducatif « Notre école », en vertu d'un contrat de séjour signé le 20 novembre 2020 pour la durée de l'orientation décidée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, soit jusqu'au 13 octobre 2030. De plus, les représentants du ministre à l'audience, ont précisé que l'objet de l’appel du ministre n'était pas de remettre en cause l'accueil de l'enfant dans cet établissement, décidé par sa directrice avec l'accord de la directrice générale de l’ARS, laquelle a engagé les procédures devant permettre de régulariser, à titre définitif, cet accueil actuellement défini en sureffectif et à en assurer le financement.

Il tombe donc sous le sens que « l'appel présenté par le ministre de la santé (…) ne tend à remettre en cause aucun des effets de l'injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif (…) sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA. Ses conclusions sont, par suite, irrecevables, et ne peuvent qu'être rejetées. »  Beaucoup de bruit pour rien comme dirait Shakespeare…

(ord. réf. 20 décembre 2023, ministre de la santé, n° 489645)

 

278 - Autoroutes – Tarif des péages – Hausse des tarifs sur un réseau autoroutier concédé – Critiques - Rejet.

Mme B. demande au Conseil d’État d’annuler le décret du 30 janvier 2023 approuvant les avenants aux conventions passées entre l'État et la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et entre l'État et la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) et les cahiers des charges annexés à ces conventions, en ce qu'ils prévoient une hausse des tarifs autoroutiers sur le réseau concédé à la société AREA.

Le recours est rejeté en ses différents chefs de demandes.

En particulier, est rejeté le moyen que les hausses tarifaires en cause auraient été décidées en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 122-4 du code de la voirie routière car les tarifs de péages fixés pour le tronçon Chambéry-Grenoble et le tronçon Chambéry-Albertville, d'une longueur équivalente sont différents et parce que le tarif des péages appliqué au tronçon Chambéry-Grenoble a augmenté entre 2022 et 2023. Le juge estime que ces seuls éléments, au reste non assortis de précisions, ne sont de nature à démontrer ni la méconnaissance du principe d'égalité ni l'illégalité de la stipulation de l'article 25 du cahier des charges annexé à la convention conclue avec la société AREA qui prévoit une majoration des tarifs de péages de 0,080 %.  Au surplus, ces hausses tarifaires sont notamment justifiées par l'aménagement d'un pôle d'échange multimodal sur l'autoroute A48 en entrée de l'agglomération grenobloise et par la création de dix parkings de covoiturage et de deux voies réservées aux transports collectifs alors même que la requérante allègue que ce pôle d'échange ne profiterait qu'à une faible partie des usagers de l'autoroute, ce seul motif ne pouvant permettre d’établir que la hausse tarifaire litigieuse serait manifestement disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par cette tarification.

Ensuite, est également rejeté le moyen que la concession autoroutière confiée à la société AREA s'est avérée beaucoup plus rentable que ce qui avait été initialement anticipé, cette seule circonstance n'étant pas de nature à démontrer qu'aucun risque lié à l'exploitation de l'ouvrage n'a été transféré au concessionnaire, en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 1121-1 du code de la commande publique, cet aléa étant consubstantiel à la notion de concession.

(29 décembre 2023, Mme B., n° 472655)

 

279 - Œuvres universitaires et scolaires (CROUS) – Décision d’affecter des chambres de résidence étudiante à certaines personnes autres que des étudiants dans le cadre de l’organisation des J.O. de l’été 2024 – Absence d’illégalité – Rejet.

Était demandée au juge des référés la suspension de l’exécution de la décision du CROUS de Paris, révélée par un courriel d'information adressé aux étudiants logés dans certaines résidences universitaires, d'affecter les logements de ces résidences à l'accueil de volontaires et partenaires des Jeux Olympiques et Paralympiques pendant l'été 2024 et, par suite, en cas de demande de renouvellement de leur droit d'occupation pour l'année universitaire 2023-2024, et que leur soit accordé un droit d'occupation dans ces résidences ayant pour terme le 30 juin 2024. 

Le juge des référés ayant suspendu l’exécution de cette décision, le CROUS de Paris se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le point le plus important de l’arrêt annulant cette ordonnance consiste en ce qu’il juge que la faculté reconnue au gestionnaire d'une résidence universitaire qui n'est pas totalement occupée de louer les locaux inoccupés après le 31 décembre de chaque année pour des séjours d'une durée inférieure à trois mois s'achevant au plus tard le 1er octobre de l'année suivante (cf. art. L. 631-12-1 du code de la construction et de l'habitation), si elle est susceptible de bénéficier, en particulier, aux publics reconnus prioritaires par l'État au sens de l'article L. 441-1 du même code, n'a pas pour portée d'en réserver le bénéfice à ces publics et ne s'oppose pas, s'agissant de l'année universitaire 2023-2024, à ce que de tels locaux soient loués à l'État pour y loger des personnels mobilisés pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris de 2024.

(29 décembre 2023, CROUS de Paris, n° 488337)

 

Sport

 

280 - Football - Interdictions de circulation de supporteurs de certains clubs – Arrêté ministériel du 7 décembre portant interdiction pour le 8 et le 9 décembre – Absence de circonstances particulières invoquées – Suspensions.

Constatant l’absence d’invocation par le ministre de l’intérieur de circonstances particulières à chacune de ces rencontres sportives que justifieraient les nécessités de l’ordre public ainsi que l’absence de rivalité entre les deux équipes respectivement en compétition lors de chacune de ces quatre rencontres, le juge des référés ordonne, en référé liberté, la suspension d’arrêtés ministériels du 7 décembre 2023 ou préfectoraux des 5, 6 ou 7 décembre 2023 interdisant de façon générale la circulation voire le stationnement de supporteurs à l’occasion des matches de football du vendredi 8 décembre 2023 opposant le Montpellier Hérault Sport Club (MHSC) au Racing Club de Lens, des rencontres du 9 décembre 2023 opposant d’une part, le Football Club des Girondins de Bordeaux à l'Angoulême Charente Football Club et d’autre part, le Football Club Saint-Meziery à l'Association jeunesse auxerroise et du match du10 décembre 2023 opposant l'OGC Nice au Stade de Reims.

On saluera la belle indépendance dont fait preuve ici le juge des référés en se dégageant da l’automatisme de confirmation des arrêtés d’interdiction qui prévalait jusque-là.

(ord. réf. 08 décembre 2023, Association nationale des supporters, n°489991)

(281) V. aussi, dans le même sens que la décision précédente et rendue par un autre juge des référés, l’ordonnance jugeant par des motifs semblables, dont le caractère manifestement disproportionné des interdictions édictées, que sont illégaux l'arrêté du 12 décembre 2023 du ministre de l'intérieur et l'article 1er de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 11 décembre 2023 pris en vue de la rencontre comptant pour la sixième journée de la phase de groupe de la Ligue des champions de l'Union européenne des associations de football (UEFA), où le Racing Club de Lens (RCL) reçoit l'équipe espagnole du Sevilla Fútbol club (FC Séville) au stade Bollaert-Delelis de Lens (Pas-de-Calais), le mardi 12 décembre 2023 à 18 h 45, arrêtés décidant, respectivement, d’interdire le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club du FC Séville ou se comportant comme tel, entre les points frontières routiers, portuaires et aéroportuaires français, d'une part, et la commune de Lens, d'autre part, et d’interdire, du 12 décembre 2023 à 10 h 00 au 13 décembre 2023 à 3 h 00, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du FC Séville ou se comportant comme tel, d'accéder au stade Bollaert-Delelis et à ses abords, de circuler ou de stationner sur la voie publique dans les périmètres qu'il précise à Lens, Liévin et Arras :  ord. réf. 12 décembre 2023, Sevilla Fútbol Club, Association nationale des supporters, Association « Accionistas Unidos del Sevilla FC, SAD », Association « Accionistas y Socios del Fútbol Español » et Football Supporters Europe eV, n° 490062.

(282) V. encore, signe supplémentaire d’un raidissement très net des différents juges de référé du Conseil d’État, l’ordonnance suspendant à son tour l’exécution d’arrêtés du ministre de l’intérieur portant interdiction de déplacements de supporteurs à l’occasion des matches de football de la 16ème journée du championnat de Ligue 1, le samedi 16 décembre 2023, opposant le Racing Club de Lens (RCL) au Stade de Reims (SR), le samedi 16 décembre 2023 à 17h00, opposant le Havre Athletic Club (HAC) à l'Olympique Gymnaste Club de Nice (OGCN) et le dimanche 17 décembre 2023 opposant le Lille Olympique Sporting Club (LOSC) au Paris Saint-Germain (PSG) : ord. réf. 15 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490134.

(283) V. enfin, largement identique, décidant la suspension d’exécution d’arrêtés du ministre de l’intérieur interdisant le déplacement :

1°/ le mardi 19 décembre 2023, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l'En avant de Guingamp ou se comportant comme tel entre les communes du département des Côtes-d'Armor et la commune d'Angers (Maine-et-Loire),

2°/ le mercredi 20 décembre 2023, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Racing Club de Lens ou se comportant comme tel entre les communes du département du Pas-de-Calais et la commune de Nice (Alpes-Maritimes),

3°/ le mercredi 20 décembre 2023 de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Football Club de Nantes ou se comportant comme tel entre les communes du département de la Loire-Atlantique et les communes de Décines-Charpieu, Meyzieu et Lyon (Rhône),

pour absence de justification suffisante de ces mesures au regard des nécessités de la préservation de l'ordre public et de leur application immédiate, ce qui rend accomplie la condition d’urgence : ord. réf. 19 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490204.

 

284 - Sportif – Dopage – Personne asthmatique - Demande d’autorisation d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) rétroactive – Absence de justification – Sanction non disproportionnée – Rejet.

C’est sans excès de sévérité ni erreur d’appréciation que, dans les circonstances de l’espèce, la commission des sanctions de l’Agence française de lutte contre le dopage a, le 27 avril 2023,  condamné le demandeur, notamment, à l'interdiction, pendant une durée de trois ans, de participer à une manifestation sportive et à diverses activités sportives et à l'annulation des résultats individuels obtenus depuis le 14 octobre 2021.

Le sportif en cause ne saurait critiquer le refus qui a été opposé à sa demande d’autorisation à titre rétroactif, de prendre un médicament pour le traitement de l’asthme dès lors qu'il n'est pas possible d'exclure une amélioration de la performance sportive au-delà du retour à la normale lorsque la ventoline est utilisée à des doses largement supérieures aux doses prescrites habituellement à titre thérapeutique et qu'il n'y a pas d'indication thérapeutique à l'utilisation de la ventoline au-delà des doses habituellement prescrites.

Un tel refus n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

(2023, M. B., n° 473401)

 

285 - Athlétisme – Demande de réduction d’une sanction pour dopage – Irrégularité  de la procédure de sanction suivie – Rejets.

Un athlète qui a refusé par deux fois de se soumettre aux contrôles antidopage pour lesquels il avait été désigné, a été sanctionné d'une interdiction, pendant une durée de huit ans, de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de manifestations sportives, aux entraînements y préparant ainsi qu'à des activités sportives, et d'exercer des fonctions d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres. Il a sollicité le 15 novembre 2022 la réduction de la sanction à trois ans, à tout le moins à quatre ans, par application, d’une part, des dispositions en ce sens du IV de l’art. 63 de l'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l’efficacité de la lutte contre le dopage, et d’autre part, de l’art. 79 du décret du 2 août 2021 modifiant les dispositions de la partie réglementaire du code du sport relatives à la lutte contre le dopage.

Sa demande ayant été rejetée par une décision de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) en date du 8 mars 2023, il saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation ou en réformation de cette décision.

Pour rejeter la requête, le Conseil d’État retient deux motifs.

D’abord, le demandeur ne pouvait pas, après l'expiration du délai de recours, soulever contre la décision attaquée un moyen tiré de ce que la commission des sanctions a pris la décision attaquée au terme d'une procédure irrégulière, alors que ce moyen, de légalité externe, figurant pour la première fois dans le mémoire complémentaire enregistré le 12 mai 2023, relève d'une cause juridique distincte des moyens relatifs à la légalité interne de cette décision, seuls soulevés dans le délai de recours. Le moyen est frappé d’une insurmontable irrecevabilité.

Ensuite, le demandeur n’ayant fondé sa requête en réduction de la durée de la sanction que sur des allégations sommaires concernant les circonstances des manquements incriminés, celles-ci ne permettaient pas à la commission de revenir sur sa décision querellée.

(21 décembre 2023, M. A., n° 472484)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

286 - Permis de construire – Possibilité, à certaines conditions, d’y apporter des modifications – Modifications n’étant pas de nature à différer la date de formation d’un permis de construire tacite – Exceptions – Annulation.

Rappel  que faute qu’existent des dispositions en sens contraire dans le code de l’urbanisme, il est loisible à l'auteur d'une demande de permis de construire d'apporter à son projet, pendant la phase d'instruction de sa demande et avant l'intervention d'une décision expresse ou tacite, des modifications qui n'en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié.

En principe, une telle demande complémentaire est sans incidence sur la date de naissance d'un permis de construire tacite.

Il en va cependant différemment lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d'instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu'elles impliquent, en ce cas l'autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée.

En cette hypothèse, l'administration doit être considérée comme saisie d'une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l'autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire.

Il appartient, le cas échéant, à l'administration d'indiquer au pétitionnaire, dans le délai d'un mois, les pièces manquantes dont la fourniture est nécessaire à l'examen du projet modifié. 

(01 décembre 2023, Commune de Gorbio, n° 448905)

 

287 - Permis de construire – Recours en annulation – Appréciation de l’intérêt à agir – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Les juges du fond se voient reprocher d’avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce en décidant que l’association requérante n’avait pas d’intérêt à agir contre un permis de construire alors, d’une part, que celui-ci autorise la construction de trois bâtiments totalisant une surface de plancher de plus de 7100 mètres carrés qui sont destinés à accueillir des activités artisanales et commerciales et, d’autre part, que l'association requérante s'est donnée pour objet statutaire d'assurer, dans l'ensemble du département du Var, « la défense et la préservation du cadre de vie contre toute atteinte qui y serait portée par la planification ou l'autorisation de surfaces destinées au commerce », notamment en veillant « à la légalité des autorisations d'urbanisme portant sur des surfaces destinées au commerce, y compris celles ne nécessitant pas la saisine de la commission départementale d'aménagement commercial ». Est ainsi annulée l’irrecevabilité opposée à l’association demanderesse eu égard à son objet statutaire et à la nature comme à l'importance des constructions autorisées par le permis attaqué.

(01 décembre 2023, Association « En toute franchise Département du Var », n° 466492)

 

288 - Permis de construire – Contestation – Portée des dispositions de l’art. R. 412-1 CJA – Invitation à régulariser – Formation d’un recours gracieux ou hiérarchique – Production de la pièce justificative – Art. R. 412-1 censé respecté – Annulation.

Cette décision vaut d’abord  en ce qu’elle constitue une preuve de plus de l’interprétation souple (ou bienveillante) par le juge, en faveur des pétitionnaires de permis de construire, des règles de procédure, notamment celles dotées d’un effet couperet.

Cette situation est d’ailleurs doublement paradoxale. D’abord, elle contredit une tendance inverse de la part des juridictions du fond, davantage enclines à une application des textes conforme aux volontés de leurs auteurs. Ensuite, et ceci est plus piquant, c’est le juge qui est le plus souvent à l’origine de l’instauration de ces articles « couperet » qui se met en situation de détourner le couteau de la tête des justiciables…

Était ici en cause, une nouvelle fois, l’art. 412-1 du CJA selon lequel est irrecevable la requête non accompagnée de l’acte attaqué ou d’un document justifiant de la date du dépôt de la réclamation.

Le juge rappelle à nouveau qu’en principe est irrecevable la requête en annulation d’un permis de construire, d’aménager ou de toute autre occupation du sol, lorsque son auteur n'a pas, en dépit d'une invitation à régulariser ou de la communication d'un mémoire lui opposant à ce titre une fin de non-recevoir, produit soit la décision attaquée, dont tient lieu la pièce justifiant de la date de dépôt de la demande faite à l'administration lorsqu'il s'agit d'une décision implicite de rejet d'une demande, soit, en cas d'impossibilité, tout document justifiant des diligences qu'il a accomplies pour en obtenir la communication.

Toutefois, il apporte un sérieux tempérament à ce principe lorsque  le demandeur a formé un recours gracieux ou hiérarchique et exerce un recours contentieux suite à son rejet. En effet, et c’est là l’apport principal de cette décision, le juge administratif, du moins  s'il est saisi dans le délai de recours contentieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet de ce recours administratif, doit interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale. Le Conseil d’État estime donc que la production, par le requérant, dans le cadre du recours contentieux consécutif au rejet de son recours gracieux ou hiérarchique, de la décision explicite de rejet de ce recours administratif ou, en cas de rejet implicite, de la pièce justifiant de la date du dépôt de ce recours administratif, suffit à assurer le respect des dispositions de l'art. R. 412-1 du CJA tant à l'égard des conclusions dirigées contre le seul recours gracieux ou hiérarchique que, le cas échéant, à l'égard de celles également dirigées contre la décision administrative initiale ou interprétées en ce sens par le juge administratif saisi des seules premières.

Ceci conduit, au cas d’espèce, à juger entachées d’erreur de droit les décisions des juges du fond en ce qu’elles se sont fondées pour rejeter le recours dont ils étaient saisis sur ce que le requérant n'avait pas justifié des diligences accomplies pour obtenir la communication des permis de construire attaqués.

(01 décembre 2023, M. D., n° 466579)

 

289 - Permis de construire un immeuble de logements – Dispositions du règlement du plan local d’urbanisme imposant des césures de façade et des pans coupés aux angles des voies publiques – Erreurs de droit – Annulation.

Les requérants poursuivaient l’annulation d’un permis de construire et d’un permis de construire modificatif à la société civile de construction vente Montreuil Rapatel, pour la réalisation de 49 logements sur un terrain situé à l'intersection de trois voies publiques. Leur demande ayant été rejetée par le tribunal administratif, ils se pourvoient en cassation de ce jugement.

Le Conseil d’État accueille au fond le pourvoi en relevant deux erreurs de droit dans les motifs du jugement.

En premier lieu, dans un souci d’aération urbaine, le règlement du PLU communal a prévu l’obligation pour les constructions de comporter des césures des façades en fonction de leur hauteur et de leur longueur. Ainsi le tribunal a commis une première erreur de droit en jugeant, pour calculer la longueur du linéaire de la façade nord du bâtiment projeté bordant l’une des rues et relever qu'elle était inférieure à 65 mètres, que les pans biseautés, de 5 mètres chacun, situés aux deux extrémités de cette façade ne devaient pas être inclus dans la mesure de son linéaire, alors que ces pans seraient visibles depuis cette rue et susceptibles d'être projetés sur l'alignement. À cet égard est sans incidence, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, la circonstance que le tracé de cette façade suit le tracé de la parcelle d'assiette.

En second lieu, le règlement précité prescrit des règles particulières pour les constructions édifiées à l'angle de deux voies publiques et qui comportent la réalisation d'un pan coupé. Le tribunal a commis une seconde erreur de droit en jugeant que ces dispositions n'étaient pas applicables au projet litigieux alors que la construction projetée comporte des pans coupés aux deux extrémités de la façade nord du bâtiment projeté bordant la rue du Demi-Cercle, l'un à l'angle de la rue Rapatel, l'autre à l'angle du boulevard Jeanne d'Arc. Si ceux-ci épousent la délimitation de la parcelle d'assiette, cette circonstance ne dispense pas du respect des dispositions susmentionnées, qui imposent un retrait à partir du point d'intersection des deux alignements bordant le terrain d'assiette, correspondant en l'espèce à l'intersection des deux linéaires de façades.

(06 décembre 2023, M. et Mme L., société civile immobilière Eco-Logis et autres, n° 463274)

 

290 - Permis de construire – Transfert du secteur d’assiette d’une opération immobilière – Classement en zone 1 AUf (ouverture à l’urbanisation) d’une zone jusque-là classée 2AUe (fermeture à l’urbanisation pour insuffisance de la desserte en réseaux divers – Rejet.

Les secteurs à caractère naturel d’une commune peuvent être ouverts à l'urbanisation selon des modalités différentes en fonction du caractère suffisant ou insuffisant des voies publiques et des réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate de la zone à urbaniser - dite zone AU - pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone.

Il suit de là, en premier lieu, que si les voies et réseaux existant à la périphérie immédiate des terrains ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de la zone, celle-ci est ouverte à l'urbanisation.

Au cas contraire, en second lieu, le plan local d'urbanisme peut soit subordonner l'ouverture à l'urbanisation de la zone à une modification ou à une révision de ce plan, soit fixer immédiatement les règles de constructibilité applicables dans la zone en subordonnant la possibilité d'autoriser des constructions à la réalisation des voies et réseaux nécessaires à la périphérie immédiate de la zone.

En l’espèce, l'arrêt de la cour administrative d’appel est approuvé pour avoir jugé que ce transfert, à la date du permis de construire attaqué, était entaché d'erreur manifeste d'appréciation, au motif que les voies ouvertes au public en périphérie de la zone n'étaient pas suffisantes pour que celle-ci puisse être ouverte à l'urbanisation et que les travaux nécessaires pour doter ces voies de la capacité requise n'étaient certains ni dans leur principe, ni dans leur échéance de réalisation.

Le recours est rejeté car la cour s'est prononcée, sans erreur de droit, sur l'état de la voirie existant en périphérie de la zone à urbaniser en litige et non dans la zone elle-même contrairement à ce qui est soutenu.

(06 décembre 2023, Commune de Plaisance-du-Touch, n° 466055)

 

291 - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale – Avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial - Permis ne pouvant pas être retiré mais seulement abrogé car non illégal dès l’origine – Erreur de droit – Illégalité de l’arrêté municipal donnant effet rétroactif à la décision du maire de revenir sur le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale initialement accordé – Annulation.

C’est au prix d’une erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge qu’un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ne pouvait légalement être retiré par un maire à la suite de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial au motif qu'il n'était pas illégal dès son édiction, mais pouvait seulement être abrogé.

En revanche, peut être substitué à ce motif erroné celui qui, répondant à un moyen soulevé devant la cour et n'appelant l'appréciation d'aucune circonstance de fait, justifie le dispositif de l'arrêt attaqué, en ce qu’il repose sur la circonstance que le maire d’une commune ne pouvait pas, en donnant un effet rétroactif à sa seconde décision, revenir sur le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale initialement accordé.

(08 décembre 2023, Société Distribution Casino France, n° 467105)

 

292 - Projet de restructuration urbaine – Insuffisances de l’étude d’impact – Invitation à régulariser – Régime contentieux et juridique de la régularisation – Possibilité d’effet suspensif de la régularisation sur l’appréciation de l’utilité publique du projet – Rejet.

Les demandeurs ont obtenu en première instance l’annulation d’un arrêté préfectoral déclarant d'utilité publique, au bénéfice de l'Établissement public foncier d'Île-de-France, la réalisation du projet de restructuration urbaine du secteur Paris-Joffre, et emportant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme d'Épinay-sur-Seine. 

Saisi par cet Établissement d’un appel dirigé contre ce jugement, la cour administrative d’appel a sursis à statuer pour permettre la régularisation éventuelle, dans un délai de six à douze mois, des illégalités entachant l'arrêté litigieux. 

Les demandeurs se pourvoient cassation de cet arrêt. Ils sont déboutés en tous leurs chefs de demandes.

Le juge de cassation indique pour la première fois, semble-t-il, que la régularisation d'un arrêté déclarant d'utilité publique des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d'occupation des sols et de plans locaux d'urbanisme peut être mise en œuvre pour la première fois en appel au titre de l’effet dévolutif de l’appel.

La décision de régularisation peut subordonner cette dernière à la réalisation d’une enquête complémentaire.

Contrairement à ce qui est soutenu, la cour n’a pas entaché de contradiction de motifs, n’a pas commis d’erreur de droit et a suffisamment motivé son arrêt pour avoir, à la fois, accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'action préventive et ne pas se prononcer sur la régularisation de ce vice. En effet, dès lors qu’ayant jugé lacunaires les inventaires faunistiques et floristiques de l’étude d’impact, en ce qu’ils ne comportaient pas indication des mesures d'évitement et de réduction suffisantes pour permettre d'assurer le respect du principe de prévention, et qu’elle a précisé que ces vices entachant l'arrêté litigieux étaient susceptibles d'être réparés par l'élaboration d'études complémentaires destinées, notamment, à préciser les mesures visant à éviter, réduire et compenser les impacts négatifs du projet sur l'environnement, il s’en déduit nécessairement que la cour a entendu inclure le vice tiré de la méconnaissance du principe d'action préventive et de correction dans le champ de la régularisation donnant lieu au sursis à statuer. 

Enfin, la cour a pu estimer sans erreur de droit, les autres moyens n’étant pas jugés fondés, que les lacunes de l'étude d'impact concernant les nuisances sonores et l'inventaire de la flore et de la faune ne lui permettaient pas d'apprécier l'utilité publique du projet, or la réponse au moyen contestant cette utilité publique supposait de disposer des éléments complémentaires attendus de l'éventuelle régularisation.

(11 décembre 2023, SCI Safa et autres, n° 466593)

 

293 - Permis de construire – Requête préfectorale en suspension d’exécution du permis délivré - Préfet agissant sur le fondement des art. L. 554-1 du CJA et L. 2131-6 du CGCT – Recours contre l’ordonnance de suspension – Recours ayant la nature d’un appel de droit commun – Attribution de la requête à la cour administrative d’appel.

Le recours d’un préfet, fondé sur les dispositions des art. L. 554-1 du CJA et L. 2131-6 du CGCT, tendant à voir suspendue l’exécution d’un permis de construire :

1°/ n’entre pas dans l’exception prévue à l’art. R. 811-1-1 du CJA prévoyant que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours, introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027, dirigés « contre : / 1° Les permis de construire (...) un bâtiment comportant plus de deux logements (..) lorsque le bâtiment (...) est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application (..). » En effet, si la commune de Biarritz entre bien dans la catégorie précitée de communes, le permis dont s’agit, qui tend à la construction d'une structure d'hébergement touristique, comportant cinquante-deux hébergements et divers équipements ne peut être regardé comme portant sur un bâtiment comportant plus de deux logements au sens et pour l’application des dispositions précitées.

2°/ dès lors qu’ici le juge des référés du tribunal administratif se prononce sur une demande de suspension présentée par le représentant de l'État en application de l’art. L. 2131-6 du CGCT, sa décision n’entre pas dans le champ d'application des articles L. 521-1 à L. 523-1 du CJA relatifs au juge des référés statuant en urgence, elle est sseulement usceptible de faire l'objet d'un appel dans les conditions du droit commun.

L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel.

(15 décembre 2023, Société Biarritz Camping, société civile immobilière Mendixka, n°484082)

 

294 - Permis de construire – Document comportant des inexactitudes ou des omissions – Absence d’effet sur la légalité du permis – Erreur prétendue de l’architecte des Bâtiments de France – Absence – Rejet.

L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif ayant rejeté sa demande d’annulation du jugement du tribunal administratif rejetant sa requête en annulation d’un permis de construitre et d’un permis de démolir.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État opère une substitution de motifs dans l’arrêt d’appel, jugeant que dès lors que d'éventuelles erreurs susceptibles d'affecter les mentions, prévues par l'article A. 424-9 du code de l'urbanisme, devant figurer sur l'arrêté délivrant le permis ne sauraient donner aucun droit à construire dans des conditions différentes de celles résultant de la demande, il s’ensuit que la seule circonstance que l'arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou des omissions en ce qui concerne la ou les destinations de la construction qu'il autorise, ou la surface de plancher créée, est sans incidence sur la portée et sur la légalité du permis.

Puis, il considère que l’on ne saurait tirer de ce que l’architecte des Bâtiments de France (ABF) a, le lendemain du jour où il a pris un avis défavorable à la démolition, rendu un avis favorable à cette démolition, l’existence d’une erreur d’appréciation qui entacherait le second avis.

(20 décembre 2023, M. A., n° 461552)

 

295 - Demandes de permis de construire – Refus – Refus jugés illégaux – Conditions d’indemnisation de l’illégalité fautive – Erreur de droit – Annulation.

Des pétitionnaires s’étant vu refuser à plusieurs reprises un permis de construire sur l’un des lots, le lot F, d’un terrain leur appartenant et ces refus ayant été jugés illégaux par les juges du fond, ils ont demandé réparation des préjudices causés par ces décisions entachées d’illégalité fautive.

Ils se pourvoient en cassation de l’arrêt confirmatif rejetant deux chefs de demandes de réparation.

Le Conseil d’État accède à leur requête après avoir rappelé tout d’abord qu’en principe la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, ouvrir droit à réparation. Le Conseil d’État rappelle ensuite qu’il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain (ainsi des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers). En ce cas, le requérant est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

En premier lieu, la cour a jugé que si les demandeurs avaient fourni, au soutien de leur demande d’indemnisation, un « engagement unilatéral d'achat » ayant date et prix certains, cet engagement unilatéral d'achat, dont la cour ne contestait pas le caractère ferme et précis, ne démontrait cependant pas le caractère sérieux des intentions de la candidate sur le lot F, dès lors que l’acquéreuse avait finalement acquis une autre parcelle appartenant aux demandeurs. Ce jugeant, la cour a commis une évidente erreur de droit puisque cette dernière circonstance était manifestement sans incidence sur l'appréciation de ses intentions sur le lot F.

En second lieu, pour refuser d’indemniser les frais d’architecte vainement exposés par les demandeurs, la cour s’est fondé sur ce que ceux-ci étaient dans l'obligation d'exposer ces dépenses puisqu'ils étaient tenus de faire appel à un architecte pour présenter leurs dossiers de permis de construire, elle a commis, ce jugeant, une seconde erreur de droit puisque ces frais, engagés en vain pour chaque permis de construire illégalement refusé par la commune, constituaient un préjudice indemnisable sous réserve que les requérants justifient de leur paiement.

Enfin, au plan de la procédure contentieuse, on relèvera que le Conseil d’État rejette les deux demandes de substitution de motifs que la commune défenderesse lui demandait d’opérer car il fallait pour cela apprécier des circonstances de fait ce qui rendait impossible, pour le juge de cassation, de telles substitutions.

(28 décembre 2023, Commune de Cussac-Fort-Médoc, n° 460492)

 

296 - Permis de construire – Plan local d’urbanisme (PLU) – Disposition du règlement du - PLU relative aux places de stationnement pour personne à mobilité réduite – Défaut de réponse à moyen – Annulation.

Est entaché d’insuffisance de motivation pour omission de réponse au moyen tiré du non-respect, par le permis de construire attaqué, de la disposition du règlement du PLU imposant une règle de dimension particulière pour les places de stationnement afin d’accueillir le véhicule d'une personne à mobilité réduite. 

Le jugement du litige est renvoyé au tribunal administratif.

(27 décembre 2023, Syndicat des copropriétaires du 127 rue Diderot et autre, n° 466896)

 

297 - Déclaration de travaux – Non-opposition – Péremption – Situation sans effet sur l’arrêté de non-opposition à travaux – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge que la péremption d’un arrêté de non opposition à déclaration de travaux est, par elle-même, contrairement à ce que soutenaient les requérants, sans incidence sur la légalité de l'arrêté de non opposition aux travaux en litige.

(28 décembre 2023, M. et Mme B., n° 470947)

 

298 - Permis de construire – Demande de suspension – Information insuffisante sur le recensement de la végétation existante et son traitement – Doute sérieux sur la juridicité de la décision contestée – Suspension ordonnée.

La circonstance qu’un dossier de demande de permis de construire est dépourvu d'une information suffisante s'agissant du recensement de la végétation existante et de son traitement par le projet, est de nature à fausser l'appréciation de l'administration, qui ne pouvait être en mesure de la porter, sur le respect par le projet des prescriptions de l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme, imposant que les espaces libres soient aménagés en maintenant les plantations existantes ou en les remplaçant par des plantations indigènes et que les limites avec les zones naturelles ou agricoles soient obligatoirement constituées par une haie vive d'essences végétales indigènes variées. Ainsi, le permis de construire en litige ayant été délivré au vu d'un dossier de demande de permis de construire lacunaire, n'a pas permis à l'administration d'apprécier la conformité du projet à la règlementation applicable, en particulier à l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme, il est ainsi, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

La suspension d’exécution du permis est ordonnée.

(29 décembre 2023, M. B., n° 476137)

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d‘État

Novembre 2023

Novembre 2023

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

1 - Tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) – Proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Niveau tarifaire prétendu insuffisamment élevé – Délibération préparatoire – Absence d’acte de droit souple - Irrecevabilité – Rejet.

(07 novembre 2023, Société Ekwateur, n° 467489)

V. n° 62

2 - Habilitation au secret défense – Retrait – Absence de caractère contradictoire – Nature alléguée de sanction – Invocation tardive – Rejet.

L’intéressé s’est, d’une part, vu retirer son habilitation d'accès aux informations et supports classifiés au niveau confidentiel défense, d'autre part, retirer ses autorisations d'accès au site naval de Cherbourg. Par deux jugements, le tribunal administratif de Caen a rejeté les demandes tendant à l’annulation de ces décisions ; solution confirmée en appel.

Le requérant se pourvoit en cassation, en vain.

Le juge de cassation vérifie tout d’abord la réalité des faits reprochés, à savoir le fait d’avoir pénétré sans présenter de badge sur le site de l'entreprise Naval Group à Cherbourg, puis de s’être introduit au cours de la même matinée, sans autorisation, dans des locaux situés dans une zone protégée dont l'accès est soumis à des règles strictes et réservé aux personnels détenant une habilitation spécifique.

Confirmant entièrement l’arrêt qui lui était déféré, le Conseil d’État est conduit à trancher une importante question de procédure administrative contentieuse sinon pour la première fois, du moins avec une très grande netteté ici. Au demandeur, qui reprochait à la décision contestée d’avoir été prise sans qu’il ait fait l’objet d’une procédure contradictoire préalable conformément aux dispositions de l’art. L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, le Conseil d’État oppose un rejet ainsi argumenté.

Il estime que le retrait d'une habilitation au secret de la défense nationale, eu égard à la nature d'une telle habilitation et aux motifs susceptibles d'en justifier le retrait, qui ne sont pas nécessairement liés au comportement personnel de l'intéressé et dont la divulgation peut être de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale, n'est pas au nombre des décisions devant être soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable, alors même qu'il serait fondé sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur le comportement de l'intéressé.

Par ailleurs est rejeté le moyen que la mesure prise étant une sanction, il incombait à l’administration de suivre les règles procédurales applicables en ce cas : en effet, ce moyen n’avait pas été soulevé en appel, nouveau en cassation il ne peut qu’être rejeté.

(09 novembre 2023, M. A., n° 466754)

 

3 - Note du garde des sceaux relative à la localisation des emplois de magistrats et fonctionnaires des services judiciaires pour l'année 2022 - Annexe à cette note relative aux créations de postes de magistrats au sein du tribunal judiciaire de Nanterre – Absence de caractère décisoire – Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Étaient demandées l’annulation de la note du garde des sceaux du 27 juillet 2022 relative à la localisation des emplois de magistrats et fonctionnaires des services judiciaires pour l'année 2022 ainsi que son annexe n° 1, en tant qu'elles concernent les créations de postes de magistrats au sein du tribunal judiciaire de Nanterre et la prise d’une injonction à l'État d'affecter des postes de magistrats au tribunal judiciaire de Nanterre sur la base de critères objectifs et pertinents, tenant notamment compte de la nature des affaires soumises à cette juridiction et susceptibles de permettre le jugement des affaires dans un délai raisonnable.

Le recours est rejeté car il est irrecevable en ce qu’il ne concerne qu’un document indicatif et d’orientation qui, sans caractère décisoire, ne saurait lier le président de la république dans l'exercice de son pouvoir de nomination individuelle des magistrats, dans les conditions prévues par l'art. 65 de la Constitution et l'art. 28 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

(10 novembre 2023, Ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine et association des magistrats du tribunal judiciaire de Nanterre, n° 467645)

 

4 - Documents relatifs à l’évaluation psychologique d’un enfant scolarisé dans un établissement d’enseignement privé sous contrat – Communicabilité des pièces – Condition de participation à l’exercice d’une mission de service public – Réponse positive pour un organisme de gestion d’un tel établissement – Réponse négative pour une direction diocésaine de l’enseignement catholique – Rejet.

La mère d’un enfant scolarisé dans un établissement d’enseignement catholique sous contrat d’association avec l’État, a demandé la communication de divers documents relatifs à une évaluation psychologique concernant son fils, effectuée à la suite de plusieurs incidents, en octobre 2020, par une psychologue scolaire employée par la direction diocésaine de l’enseignement catholique et intervenant dans cet établissement.

Cette communication ayant été refusée, elle a saisi le juge administratif qui s’est déclaré incompétent la requête ne relevant manifestement pas de la compétence des juridictions administratives car les documents en cause ne mettaient pas en jeu l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Sur pourvoi de l’intéressée, le Conseil d’État annule cette ordonnance en raison de l’évidente erreur de droit sur laquelle elle repose, la nature administrative de documents détenus par une personne privée ne résulte que de la participation de cette dernière à une mission de service public sans qu’il soit besoin, en outre, que soient détenues, à cet effet, des prérogatives de puissance publique.

Il convenait donc de déterminer l’existence ou non, en l’espèce, de missions de service public dans le cadre de l’exécution desquelles entreraient les documents dont la communication était demandée.

Le juge pratique une intéressante et très logique distinction.

C’est le contrat d’association conclu entre l’État et une personne privée gestionnaire d’une école privée qui, seul, permet à cette dernière de participer à des missions de service public dans le cadre de l’enseignement. Tel est le cas des organismes gestionnaires (OGEC pour les écoles catholiques) des établissements sous contrat. En revanche, la direction diocésaine de l’enseignement catholique, en dépit des prérogatives qu’elle exerce sur l’établissement, ne peut être regardée ni comme un organisme gestionnaire de cet établissement ni comme étant elle-même chargée par l'État d'une mission de service public. 

Il suit de là que les documents dont la communication était demandée étant détenus non par l’organisme de gestion mais par la direction diocésaine, ils n’ont pas la nature de documents administratifs communicables en tant que tels.

(13 novembre 2023, M. B., n° 466958)

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

5 - Opposition à déclaration préalable en vue de l'édification d'une station relais de téléphonie mobile – Rejet en référé de la demande de suspension de cette opposition – Demande jugée manifestement infondée – Méconnaissance de son office par le juge des référés – Annulation de l’ordonnance et de l’opposition.

La société requérante a saisi le juge du référé en vue qu’il suspende l’opposition du maire d’une commune à sa déclaration préalable en vue de l'édification d'une station relais de téléphonie mobile. Cette société faisait valoir que la décision litigieuse avait été signée par une personne n’ayant pas compétence à cet effet, qu'elle devait être regardée comme le retrait illégal d'une décision implicite de non-opposition à déclaration préalable et qu'au regard des caractéristiques du projet et de celles des lieux environnants, les motifs de refus, tirés du non-respect des art. R. 111-27 du code de l'urbanisme et N.T.1.1 du règlement du plan d'urbanisme de la commune en raison de la hauteur du projet et de son impact visuel, étaient illégaux. Le juge des référés a rejeté sa demande.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance en relevant que ce dernier, méconnaissant ainsi son office, a fondé son ordonnance de rejet sur ce qu'il apparaissait manifeste, au seul vu de la demande, que celle-ci était mal fondée et l'a rejetée en application des dispositions de l'article L. 522-3 du CJA, sans instruction contradictoire, et en particulier sans solliciter les observations de la commune sur les caractéristiques du lieu d'implantation du projet et des lieux avoisinants. 

Statuant au fond, il annule, outre l’ordonnance, l’opposition du maire, lui faisant injonction, sans astreinte, de prendre une décision de non-opposition dans un délai d'un mois. 

(ord. réf. 10 novembre 2023, Société Free Mobile, n° 470808)

(6) V. aussi, très comparable, annulant l’ordonnance de référé refusant de suspendre un arrêté municipal s’opposant à la déclaration préalable de la société Free Mobile en vue de la réalisation de deux antennes-relais de téléphonie mobile sur le toit d'un hôtel situé sur le territoire communal et admettant le pourvoi avec injonction au maire de délivrer sous un mois une décision de non-opposition : ord. réf. 30 novembre 2023, Société Free Mobile, n° 474900. Les maires devraient comprendre qu’il n’est à peu près jamais possible de s’opposer à une déclaration d’installation en vue de la téléphonie mobile, le Conseil d’État y voyant une espèce de « grande cause nationale ».

(7) V. également, illustrant la sanctuarisation du contentieux de la téléphonie mobile : ord. réf. 30 novembre 2023, Société TDF, n° 470172.

 

8 - Attribution d’une aide à une création audiovisuelle – Réalisation d’un documentaire – Refus – Absence d’erreur manifeste d’appréciation eu égard à ses caractéristiques – Rejet.

La requérante a sollicité du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) une allocation d’investissement pour un projet de « documentaire » intitulé « Nus et Culottés Saison 7 (Objectif Île de la Réunion) ». La présidente du CNC a refusé d’allouer cette aide en raison de ce que ce projet ne constituait pas un « documentaire » vu son faible apport de connaissances pour le spectateur, son absence d'originalité et d'innovation par rapport aux épisodes antérieurs et sur une construction narrative s'apparentant à celle d'une aventure filmée.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel confirmatif du rejet, en première instance, de la demande d’annulation de ce refus, estime que cet arrêt n’est entaché ni d'erreur de droit, ni de dénaturation des pièces du dossier, en ce qu’il a jugé, d’une part, que le programme en cause avait essentiellement pour objet « de mettre en scène deux aventuriers qui se lancent le défi de partir complètement nus dans la nature sans argent pour atteindre un objectif jugé impossible au cœur d'une région de rêve », d’autre part, que la présidente du CNC n’avait pas commis une erreur manifeste d'appréciation en lui déniant le caractère de documentaire de création éligible à une aide financière, alors même que certains épisodes antérieurs avaient pu obtenir une telle qualification. 

L’existence d’aides sur fonds publics, donc prélevés sur les biens et le labeur des particuliers, pour de telles « réalisations », laisse rêveur sur notre degré de civilisation.

(13 novembre 2023, Société Bonne Pioche Télévision, n° 460831)

Biens et Culture

9 - Domaine public maritime – Contravention de grande voirie – Demande de condamnations diverses du contrevenant – Rejet partiel assorti d’une injonction de démolir sous astreinte – Recours en tierce opposition – Rejet.

Le préfet des Alpes-Maritimes a déféré au tribunal administratif une société et son gérant, comme prévenus d'une contravention de grande voirie sur la base d'un procès-verbal constatant l'occupation, sans autorisation, du domaine public maritime et lui a demandé de condamner les intéressés à l'amende maximale prévue à cet effet au titre de l'action publique ainsi que d'ordonner la remise en état du domaine public maritime par la démolition des ouvrages et des constructions visés dans le procès-verbal à compter de la notification du jugement.

Le tribunal, par jugement du 21 novembre 2017, a estimé l'action publique prescrite, rejeté les conclusions du déféré du préfet relatives au paiement d'une amende et au remboursement des frais d'établissement du procès-verbal et condamné la société et son gérant à évacuer le domaine public des installations et ouvrages visés dans le procès-verbal, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de six mois, l'administration étant autorisée à procéder d'office, aux frais, risques et périls de cette société, à cette évacuation en cas d'inexécution du jugement dans ce même délai.

La cour administrative d'appel, saisie par la société et son gérant, a, par son arrêt du 16 novembre 2018, annulé l'art. 3 du dispositif du jugement les condamnant à démolir la portion d'embarcadère débordant de l'emprise de la terrasse, rejeté le surplus des conclusions et prononcé un non-lieu à statuer sur leur requête à fin de sursis à exécution du jugement.

Par une requête en tierce opposition, enregistrée le 3 août 2021 au greffe de la cour, le syndicat de la copropriété « La Joie de Vivre », a demandé à la cour de surseoir à l'exécution de son arrêt du 16 novembre 2018 et de le déclarer nul et non avenu.

Ce recours ayant été rejeté, le syndicat se pourvoit en cassation.

Le juge raisonne en deux temps.

Tout d’abord, la juridiction saisie d'un procès-verbal constatant une occupation irrégulière du domaine public, et alors même que la transmission de cet acte ne comporte pas de conclusions tendant à faire cesser l'occupation irrégulière et à remettre le domaine public en l'état, est tenue en sa qualité de juge de la contravention de grande voirie, d'y faire droit sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n'y fassent pas obstacle. 

Ensuite, la recevabilité de la tierce opposition du syndicat était subordonnée à la condition que le tiers opposant n’ait été ni partie ni représenté ni mis en cause dans l’instance devant la cour administrative d’appel. Ici, le syndicat soutenait que ses intérêts ne concordaient pas, dans l'instance de contravention de grande voirie, avec ceux de la société, propriétaire du lot n°1, dès lors que la destruction des ouvrages implantés sans autorisation sur le domaine public maritime était susceptible d'avoir des conséquences sur les parties communes de la copropriété, en particulier sur un mur de soutènement commun à tous les lots. Elle était donc bien, selon elle, tiers à la procédure ouverte devant la cour. Le moyen est rejeté car, comme indiqué plus haut, elle ne pouvait, pas plus que le contrevenant, contester une décision de justice prescrivant la remise en état du domaine public, en se prévalant de ce que cette remise en état était susceptible de porter atteinte à ses propres intérêts privés.

Ainsi, c’est sans erreur de droit ou qualification juridique inexacte des faits, que la cour a jugé que, dans l'instance en cause, ses intérêts et ceux de la société étaient concordants et qu’il devait être regardé comme ayant été représenté en appel par cette société, au sens de l'art. R. 832-1 du CJA.

(13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété « La Joie de Vivre », n° 474211)

 

10 - Domaine public communal – Autorisation donnée à une brasserie d’installer une contre-terrasse – Abrogation – Annulation pour irrégularité de procédure – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation et rejet.

La Ville de Paris a informé la société exploitant une brasserie, qui avait été autorisée par un arrêté du 6 octobre 2008 à installer une contre-terrasse au droit de sa façade, de l’abrogation de cette décision par un arrêté du 22 mars 2023.

La société a obtenu la suspension de cet arrêté par le juge des référés.

Sur pourvoi de la commune, l’ordonnance est annulée pour dénaturation des pièces du dossier. En effet, l’ordonnance de suspension était motivée par le fait que l’arrêté d’abrogation avait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, la décision envisagée paraissant avoir été prise avant que ne se soit tenue la réunion du 1er mars 2023 à la demande de la société, en raison de la mention figurant sur ledit arrêté, selon laquelle, au cours de cette réunion, « la société (…) a été informée de l'abrogation de son autorisation de contre-terrasse à compter du 1er avril 2023 ».

Estimant que la décision d'abrogation ne pouvait procéder que de l'arrêté en litige, qui, lui, a été pris postérieurement à la réunion, et que la mention précitée devait seulement être regardée comme rappelant que la société avait été informée, lors de la réunion, de l'abrogation envisagée, pour lui permettre de présenter ses observations, il est jugé que l’ordonnance attaquée a dénaturé les pièces du dossier.

(21 novembre 2023, Ville de Paris, n° 474604)

Collectivités territoriales

11 - Transferts de compétences d’une commune à  un établissement public de coopération intercommunale -  Transmission automatique des tous les droits et obligations attachés aux compétences transférées – Rejet.

Rappel du principe traditionnel de succession entre personnes morales en cas de transfert de compétences entre collectivités et/ou groupements de collectivités territoriales. Un tel transfert entraîne automatiquement transfert des droits et obligations attachés à chacune des compétences transférées y compris lorsque ces droits et obligations sont nés antérieurement au transfert.

C’est sans erreur de droit que l’arrêt d’appel a jugé que la requérante était tenue des obligations attachées à la compétence du service public de gestion des eaux pluviales en raison du transfert de cette compétence, et a condamné, par suite, la communauté d'agglomération à verser à la victime une certaine somme en réparation de ses préjudices au titre de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage public.

(28 novembre 2023,  Communauté d'agglomération de la Provence Verte, n° 471274)

12 - Communauté de communes –  Raccordement irrégulier d’habitations d’une commune au réseau intercommunal d’assainissement des eaux usées - Émission d’un titre exécutoire envers la commune – Irrecevabilité de conclusions dirigées contre une délibération ne faisant pas grief – Préjudice continu et régulier – Interruption de la prescription quadriennale – Rejet.

Un litige opposait la commune requérante à une communauté de communes du chef de redevances mises à la charge de cette commune par suite du raccordement irrégulier au réseau intercommunal d'assainissement des eaux usées, géré alors par un syndicat intercommunal aux droits duquel est venu cette communauté de communes, de plusieurs habitations ou installations situées sur le territoire de la commune alors que celle-ci n'était pas membre du syndicat.

La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif rejetant la requête de la commune de Cauro.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en ses deux chefs principaux de moyens.

En premier lieu, est rejeté le moyen dirigé contre la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes en date du 4 juillet 2016. Le Conseil d’État approuve la cour d’avoir, sans erreur de droit ni qualification juridique erronée des faits, jugé irrecevable ce chef de demande dès lors que cette délibération s'était bornée à prendre acte de la démarche exposée par sa présidente et n'avait pas entendu constater l'existence, la quotité et l'exigibilité de la créance, ni décidé d'en poursuivre le recouvrement ou de s'immiscer dans les compétences de la présidente de la communauté de communes en tant qu'ordonnatrice. Ne faisant pas grief, cette délibération était insusceptible de recours.

En second lieu, était discutée par la commune  la régularité du titre exécutoire émis par la présidente de la communauté de communes. Le juge, confirmant la solution retenue par la cour, rappelle, d’une part, que la créance d’indemnité de la victime d’un préjudice causé par une personne publique naît à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ce préjudice ont été entièrement révélées, d’autre part, que si le préjudice présente un caractère continu et évolutif, cette créance doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi faisant ainsi courir le point de départ de la precription quadriennale (loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics) au 1er janvier de chaque année.

Cette seconde situation est celle réalisée en l’espèce puisque la faute commise par la commune en organisant le raccordement de certaines parties de son territoire au réseau d'intercommunal d'assainissement des eaux usées alors qu'elle n'était pas encore membre du syndicat intercommunal, a produit un préjudice continu et régulier correspondant au surcoût engendré par le rejet supplémentaire d'eaux usées pour le fonctionnement du service d'assainissement. Ce préjudice a bien eu, pour la totalité de son montant, un caractère continu et évolutif, interrompant sans cesse le cours de la prescription quadriennale ainsi, au reste, que d’autres éléments (les conclusions reconventionnelles présentées par le syndicat à l'occasion d'un précédent litige, ou encore la délibération en date du 1er juillet 2011 du conseil municipal de Cauro autorisant la signature d'un précédent protocole d'accord, qui constitue une communication écrite de l'administration intéressée au sens du troisième alinéa de l’article 2 de la loi de 1968).

(29 novembre 2023, Commune de Cauro, n° 465840)

Contrats

13 - Marché de travaux de réhabilitation d’un poste de livraison –Décompte général - Notification au titulaire du marché – Décompte irrégulier – Impossibilité pour le titulaire d’établir un décompte général et définitif tacite (cf. art. 13.4.4 du CCAG alors applicable aux marchés de travaux) – Office du juge – Annulation partielle.

Des diverses questions traitées dans cette décision il convient de retenir celles relatives au régime juridique et contentieux du caractère irrégulier du décompte général produit au terme d’un marché public de travaux soumis aux dispositions du CCAG travaux alors applicable.

En l’espèce, la société requérante a adressé son projet de décompte final à un centre hospitalier le 18 juillet 2016. Le maître d'œuvre lui a transmis le décompte général le 27 octobre 2016, faisant apparaître un solde négatif de 347 039,92 euros TTC. La société a formé une réclamation contre ce décompte le 25 novembre 2016, qui a été implicitement rejetée. Elle a adressé, le 14 avril 2017, un projet de décompte général signé au centre hospitalier et a saisi le tribunal administratif afin qu'il condamne celui-ci à lui verser la somme totale de 72084,88 euros TTC au titre des travaux non payés et du coût de la prolongation des travaux. Le centre hospitalier a présenté des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société à lui verser une somme de 222 815,00 euros au titre des préjudices liés à la faute commise par cette dernière au cours de l'exécution des travaux.

Par un jugement du 15 juillet 2020, le tribunal a fixé le solde du marché à la somme négative de 334 441,43 euros TTC et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

La société se pourvoit en cassation de l'arrêt du 14 octobre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement ainsi que l'appel incident formé par le centre hospitalier.

Il résulte notamment des dispositions de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux applicable au moment des faits de l’espèce : « Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé (...).

Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3.

Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. (...) ». 

C’est ce dernier décompte qui est appelé décompte tacite et c’est de cette règle que la demanderesse se prévalait.

Toutefois, en l’espèce l’on ne se trouvait pas dans le cas prévu à l’art. 13.4.4. précité dans la mesure où il existait bien un décompte mais irrégulier. Or, rappelle le juge, même irrégulier un décompte est un décompte et cela exclut que le titulaire du marché puisse proprio motu établir un décompte général et définitif tacite.

La solution est parfaitement justifiée : qu’en présence d’un silence une autre prise de position, tacite, puisse valoir décision se comprend fort bien mais qu’en présence d’un décompte, même prétendu irrégulier, le titulaire du contrat puisse en quelque sorte l’annuler pour lui en substituer un autre ne saurait être admis.

Se posait alors la question de l’office du juge du contrat en pareille situation. En l'absence de décompte général devenu définitif, il lui appartient de statuer sur les réclamations pécuniaires présentées par chacune des deux parties pour déterminer le solde de leurs obligations contractuelles respectives. Est ainsi approuvé, sur ce point, l’arrêt d’appel qui a pris en compte les pénalités de retard réclamées dans le décompte général et contestées par la société.

(09 novembre 2023, Société Transport tertiaire, n° 469673)

14 - Marché public avec négociation – Achat de vélos à assistance électrique – Gestion d’un service public de location de ces vélos en libre-service – Principes de la commande publique– Critères et sous-critères, pondération et hiérarchisation – Pouvoirs du juge du référé précontractuel – Annulation sans renvoi.

Un candidat non retenu dans le cadre d’un marché public devant être passé selon la procédure formalisée avec négociation portant sur l'achat de vélos à assistance électrique et le déploiement et la gestion d'un service public de location de ces vélos en libre-service, a saisi le juge du référé précontractuel d’un recours en annulation de cette procédure. Après que celui-ci a annulé la procédure de passation de ce marché ainsi que la décision de rejet de l'offre de la société Ecovélo Human Concept et celle attribuant ce marché à la société Fifteen, cette dernière et la collectivité territoriale se pourvoient en cassation de l’ordonnance portant annulation de la procédure de passation de ce marché.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance.

C’est l’occasion pour lui d’opérer deux rappels assez classiques.

En premier lieu, est à nouveau rappelé le cadre strict dans lequel intervient le juge du référé précontractuel. Tout d’abord, il ne peut se prononcer que sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat. Ensuite et en conséquence, ce juge ne saurait se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Enfin, s’il est saisi d'un moyen en ce sens, il lui incombe de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

En second lieu, il est rappelé que le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics sous la réserve que cette méthode ne méconnaisse pas les principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Il en serait ainsi, notamment, si les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres étaient dépourvus de tout lien avec les éléments de l’offre dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation. C’est pourquoi l’ordonnance attaquée est, en l’espèce, entachée d’erreur de droit pour avoir estimé que les notes attribuées comportaient des décimales, alors que cela traduisait, sous forme arithmétique, les appréciations littérales portées sur chacun des critères.

(24 novembre 2023, Communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération, n° 473674; Société Fifteen, n° 473793)

15 - Contrat de concession – Résiliation pour motif d’intérêt général – Indemnisation – Règles générales - Régime d’amortissement – Rejet.

Le juge rappelle qu’un contrat de concession peut être résilié pour motif d’intérêt général et qu’en ce cas il convient de respecter les principes d’indemnisation.

En premier lieu, si les parties peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en ce cas, ces droits ne sauraient comporter, au détriment d'une personne publique, une disproportion entre l'indemnité ainsi fixée et le préjudice subi.

En second lieu des règles spécifiques régissent l'indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans un contrat de concession.

Tout d’abord, si la concession est résiliée avant le terme prévu, le concessionnaire a droit à l'indemnisation du préjudice subi à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu'ils n'ont pu être totalement amortis.

Ensuite, si l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Si leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat.

Enfin, s’il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités qui viennent d’être précisées.

(24 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 473696 ; Société Enedis, n° 473723)

16 - Accord-cadre – Conclusion avec plusieurs opérateurs économiques – Notion de tiers – Régime d’annulation ou de résiliation de cet accord - Avis de droit.

Dans le cadre d’un litige né d’un accord-cadre portant sur des prestations d'interprétariat et de traduction conclu par un centre hospitalier universitaire, il est posé au Conseil d’État deux questions sous forme d’avis de droit (art. L. 113-1 CJA) :

« 1°) Appartient-il au juge du contrat, saisi de conclusions en ce sens par l'un des titulaires d'un accord-cadre multi-attributaire à bons de commande, notamment dévolus par une méthode dite « en cascade », de prononcer l'annulation ou la résiliation de cet accord-cadre en tant qu'il a été conclu avec un ou plusieurs de ses autres titulaires, alors qu'une telle annulation ou résiliation aurait pour effet de ramener le nombre des titulaires de cet accord-cadre à un nombre inférieur à celui fixé en vertu des dispositions du règlement de la consultation publié pour la passation du contrat en litige voire à aboutir à ce que seul l'un de ses titulaires en assure l'exécution ?

2°) Les irrégularités constatées par le juge du contrat saisi d'un recours en contestation de la validité d'un accord-cadre multi-attributaire formé par l'un de ses titulaires, alors même qu'elles ne porteraient que sur la candidature ou sur l'offre de l'un de ses titulaires, peuvent-elles le conduire à prononcer l'annulation ou la résiliation totale de l'accord-cadre en litige ? »

Le Conseil d’État, se situant dans le droit fil de la jurisprudence « Tarn-et-Garonne » (Assemblée, 4 avril 2014, n° 358994), rappelle d’abord que tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles.

Il répond ensuite ceci aux questions qui lui sont posées.

En premier lieu, dans un accord-cadre conclu avec plusieurs opérateurs économiques, chacun de ses titulaires doit être regardé, pour l'exercice de l'action en contestation de la validité du contrat, comme un tiers à cet accord en tant que celui-ci a été conclu avec les autres opérateurs.

En second lieu, le juge du contrat, saisi par l'un des titulaires d'un recours en contestation de la validité de l'accord-cadre en tant qu'il a été conclu avec d'autres opérateurs économiques, peut prononcer, le cas échéant, la résiliation ou l'annulation de cet accord en tant qu'il a été attribué à ces autres opérateurs dès lors qu'il est affecté de vices qui ne permettent pas la poursuite de son exécution.

En troisième lieu, la circonstance qu'une telle annulation ou une telle résiliation aurait pour effet de ramener le nombre des titulaires de cet accord-cadre à un nombre inférieur à celui envisagé par le règlement de la consultation est sans incidence sur la possibilité pour le juge de la prononcer.

Enfin, en dernier lieu, saisi de conclusions contestant la validité de l'accord-cadre en tant qu'il a été conclu avec certains opérateurs économiques, le juge du contrat ne peut prononcer la résiliation ou l'annulation de l'accord-cadre dans son ensemble.

(24 novembre 2023, Association Imedi, n° 474108)

17 - Accord-cadre en procédure formalisée d’appel d’offres ouvert – Marché de location, enlèvement, transport et vidage des caissons d’une déchetterie – Différences de taux de TVA figurant dans une offre – Dénaturation de pièces du dossier – Annulation.

Le juge du référé précontractuel a, en l’espèce, annulé la procédure de passation du marché,  la décision de rejet de l’offre de l’entreprise saisissante et l’attribution du marché à une autre société. Il a estimé que le pouvoir adjudicateur avait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence car le montant de l'offre toutes taxes comprises (TTC) de la société attributaire, figurant dans le rapport d'analyse des offres, correspondait au prix hors taxes (HT) indiqué par la société augmenté de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux de 5,5 % et parce que le pouvoir adjudicateur avait noté en commentaire du rapport d'analyse des offres que la société avait indiqué sur le détail quantitatif estimatif un taux de TVA de 10 %. Le pouvoir adjudicateur aurait ainsi rectifié de lui-même l'offre de la société attributaire. Le juge de cassation annule cette ordonnance pour dénaturation des pièces du dossier car il ressortait du rapport d'analyse des offres, qui portait la mention « analyse des offres après demande de précisions », que le pouvoir adjudicateur avait retenu le taux de TVA légalement applicable après avoir demandé à la société de rectifier son offre sur ce point.

(24 novembre 2023, Communauté d’agglomération Morlaix Communauté, n° 476301)

 

18 - Contestation relative à l’exécution d’un contrat – Critique du contenu du contrat sans demande d’annulation de celui-ci – Annulation par le juge – Manquement à son office – Erreur de droit de la juridiction d’appel – Annulation.

L'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités a demandé au tribunal administratif de condamner une région à lui verser, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et, à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle, une somme à parfaire, correspondant à la différence entre le montant de la contribution prévisionnelle pour l'année 2016 au titre du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre eux pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2016, tel qu'estimé par SNCF Mobilités, et le montant retenu par la délibération du 3 novembre 2016 du conseil régional, auquel s'ajoutait une somme correspondant au solde non versé, assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, outre la capitalisation des intérêts à compter du jugement à intervenir.

Le tribunal administratif a annulé ce contrat et a ordonné avant dire droit une expertise comptable afin de déterminer le montant des charges de SNCF Mobilités et, le cas échéant, le préjudice financier indemnisable subi par ce dernier au titre de l'exercice 2016 du fait de la délibération litigieuse.

Par un arrêt du 19 janvier 2022, la cour administrative d'appel a donné acte à SNCF Mobilités de son désistement au titre de sa demande de condamnation de la région à lui verser la somme litigieuse assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, avec capitalisation de ces intérêts au titre de l'exercice 2016, et a rejeté le surplus des conclusions de son appel.

La société SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'établissement SNCF Mobilités, se pourvoit en cassation de cet arrêt notamment en tant qu’il rejette sa demande tendant à l'annulation du jugement du 15 octobre 2019 en ce qu'il annule le contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre SNCF Mobilités et la région.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi au motif que le tribunal administratif, qui n'était saisi que d'un litige indemnitaire relatif à l'exécution du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2016, a annulé ce contrat, alors que la région, si elle avait invoqué en défense, par la voie de l'exception, le caractère illicite du contenu du contrat, afin que le litige soit réglé sur un terrain extracontractuel, ne l'avait pas saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat. Semblablement, la cour administrative d'appel, après avoir estimé que le contrat litigieux avait un contenu illicite et qu'il devait, de ce fait, être écarté, a refusé de faire droit aux conclusions de la société requérante tendant à l'annulation du jugement du 15 octobre 2019 en tant qu'il a annulé le contrat d'exploitation en cause.

Enfin, il est jugé que la cour a commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son arrêt,  en rejetant l'appel de SNCF Mobilités contre ce jugement car il lui appartenait de relever d'office le moyen tiré de ce que, saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat sans que l'une des parties ait demandé son annulation par la voie de l'action, le tribunal administratif ne pouvait, sans méconnaître son office, annuler ce contrat.

(27 novembre 2023, Société SNCF Voyageurs, venant aux droits de SNCF Mobilités, n° 462445)

 

19 - Délégation de service public – Attribution d’un lot de plage – Éviction irrégulière d’un contrat – Indemnisation du manque à gagner – Détermination de l’existence d’une chance sérieuse d’emporter le contrat – Annulation partielle.

Réitérant une jurisprudence bien établie (au moins depuis Section, 13 mai 1970, Sieur Monti, n° 74601 ou encore, 8 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075), le Conseil d’État rappelle que lorsqu’un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure contractuelle et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat.

En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité.

Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre.

Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.

La cour administrative d’appel a donc commis en l’espèce une erreur de droit en se fondant, pour indemniser un candidat irrégulièrement évincé, sur la seule circonstance qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'offre finale de cette société aurait eu une valeur inférieure à celles des trois autres candidats admis à négocier, alors qu'il lui revenait d'apprécier si, en l'absence de faute de la commune, la société aurait eu des chances sérieuses d'emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats.

(28 novembre 2023, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 468867)

                    

Droit du contentieux administratif

20 - Référé suspension – Personnel de surveillance de l’administration pénitentiaire – Dépassement du volume horaire hebdomadaire maximum de travail – Absence d’urgence – Rejet.

Le litige portait sur l’inapplication aux personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Le requérant faisait valoir, au moyen de plusieurs tableaux, l’existence de moyennes mensuelles de durée hebdomadaire de travail supérieures à 48 heures.

Il demandait, en conséquence, l’annulation de la décision du directeur de l'administration pénitentiaire du 27 mars 2023 refusant d'appliquer cette directive aux personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire et qu’injonction lui soit faite de transposer ce texte à ces personnels.

Pour rejeter la requête, la juge des référés du Conseil d’État estime que ces tableaux ne sauraient suffire, en tout état de cause, à établir, par eux-mêmes, le caractère grave et immédiat de l'atteinte portée à la sécurité et à la santé psychique et physique des personnels de l'administration pénitentiaire dont il se prévaut.

Le raisonnement est discutable, d’un côté, il peut être soutenu que l’immédiateté et l’urgence de l’atteinte à la santé ne résultent pas ipso facto d’un dépassement du temps de travail hebdomadaire, d’un autre côté il peut aussi être retenu que la limite hebdomadaire ainsi fixée tient compte nécessairement des risques résultant de son non-respect, risques qui, s’agissant de nerfs, de psychisme et autres, peuvent être immédiats.

Certes la voie de droit commun a davantage de chance de prospérer mais l’addition, mois après mois, de semaines où le plafond est dépassé, devrait aussi pouvoir trouver au moins une solution d’attente en référé.

(03 novembre 2023, M. A., n° 489113)

21 - Accident de plongée imputable au service - Demande d’allocation temporaire d’invalidité – Silence de l’administration valant rejet implicite – Délai de recours contentieux – Intervention d’une décision implicite de rejet puis d’une décision explicite – Condition de prorogation du délai – Absence – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Un adage dit, avec juste raison, que gagnant en principe sur le fond, un justiciable peut perdre son procès sur la procédure. Le présent dossier en est une illustration.

Victime d’un accident de plongée, un commandant de port, est atteint d’une incapacité permanente partielle que la commission de réforme a arrêtée à 35%, nécessitant un appareillage auditif. Il a demandé 14 décembre 2015 à son administration le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité. Une décision de refus lui ayant été opposée le 13 décembre 2017, la victime a saisi le tribunal administratif. Celui-ci a annulé le refus et fait injonction de réexaminer sa demande.

Le ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation contre ce jugement.

Le Conseil d’État annule le jugement pour un pur motif de procédure.

L’administration étant demeurée silencieuse pendant plus de deux mois après la réception, le 15 décembre 2015, de la demande préalable de la victime, est née une décision implicite de rejet le 15 février 2016 puisqu’en application des dispositions de l’art. L. 231-4 (5°) du code des relations entre le public et l’administration le silence gardé par l'administration pendant deux mois sur une demande dont elle est saisie vaut décision de rejet dans les relations entre l'administration et ses agents. 

Le requérant soutenait que, en vertu de l’art. R. 421-3 du CJA dans sa rédaction alors applicable, « l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (...) », ce qui était le cas en l’espèce s’agissant d’un litige indemnitaire où, en cas de refus tacite, le recours contentieux n'était enfermé dans aucun délai. Il n’en allait autrement que si intervenait une décision expresse de rejet, régulièrement notifiée, son destinataire disposant alors d’un délai de recours de deux mois à compter de la date de cette notification.

Or le décret du 2 novembre 2016 a supprimé cette disposition de l'article R. 421-3 précité à compter du 1er janvier 2017 et a prévu que les nouvelles dispositions de cet article s'appliqueraient aux requêtes enregistrées à partir de cette date.

D’où il découle d‘abord que, s'agissant des décisions implicites relevant du plein contentieux, le délai de recours de deux mois court désormais à compter de la date à laquelle elles sont nées, soit, au plus tôt, à compter du 1er janvier 2017. Il en découle ensuite que, pour les décisions implicites relevant du plein contentieux, nées antérieurement à cette date, à titre transitoire, un délai franc de recours de deux mois a couru à compter du 1er janvier 2017, soit jusqu'au 2 mars 2017.

Dans le présent litige, le requérant, avisé du rejet de sa demande par décision expresse du 13 décembre 2017, avait formé un recours gracieux par courrier du 5 février 2018, rejeté implicitement le 5 avril 2018 et avait saisi le tribunal administratif le 28 mai 2018. Son recours était donc irrecevable car la décision expresse du 13 décembre 2017 ne constituait pas une décision nouvelle ouvrant le délai du recours contentieux mais était purement confirmative du rejet implicite antérieur car il est de principe qu'un requérant n'est pas recevable à contester une décision expresse confirmative d'une décision de rejet devenue définitive.

(07 novembre 2023, ministre de la transition écologique…, n° 468432)

22 - Renvoi, après cassation, à une cour administrative d’appel – Obligation d’aviser le mandataire et non le seul requérant – Procédure irrégulière – Annulation.

À la suite de la cassation d’un arrêt d’appel rendu en matière fiscale et du renvoi de l’affaire devant la cour primitivement saisie, la cour avait notifié la reprise d’instance et l’avis d’audience au seul requérant. Or il résulte des dispositions de l’art. R. 431-1 du CJA qu’en cas de représentation d’une partie par un mandataire « les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire ». La procédure suivie était irrégulière d’où la cassation de l’arrêt. Le Conseil d’État, s’agissant d’une seconde cassation, statue donc lui-même au fond. En l’espèce la demande est rejetée.

(09 novembre 2023, M. C., n° 468731)

 

23 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Soumission aux règles générales de procédure – Obligation de prendre connaissances des notes en délibéré et de les viser – Absence – Annulation.

Encourt annulation la décision de la CNDA qui, en violation des règles générales relatives aux productions postérieures à la clôture de l'instruction, s’abstient dans un dossier de prendre connaissance des notes en délibéré versées et de les viser ainsi qu’il résulte de l’absence de visas relatifs à cette note en délibéré.

(09 novembre 2023, M. B., n° 469240)

(24) V. aussi, identique,  et de deux ! : 09 novembre 2023, Mme A., n° 469326

 

25 - Demande d’expulsion d’occupants d’une habitation privée – Action en justice des occupants irréguliers – Défaut de respect du principe du contradictoire – Tierce opposition – Annulation.

Les propriétaires d’un logement ont obtenu du préfet qu’une mise en demeure soit adressée à ses occupants irréguliers aux fins de libérer les lieux sous 48 heures. Le juge des référés, saisi par ces derniers, a, au visa de l’art. L. 521-2 CJA, suspendu l’exécution de l’arrêté préfectoral. Sur appel des propriétaires contre cette ordonnance de suspension, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté leur requête pour irrecevabilité, les appelants n'ayant été ni appelés ni présents à l'instance ayant abouti à l'ordonnance attaquée.

Les propriétaires ont alors demandé au juge des référés du tribunal administratif, par une requête en tierce opposition, de déclarer nulle et non avenue l’ordonnance litigieuse et de mettre fin à la suspension d’exécution de la mise en demeure préfectorale. Le juge des référés ayant rejeté ces deux demandes, les déboutés saisissent le juge des référés du Conseil d’État.

Celui-ci relève que le juge des référés a, lors de l'audience commune aux deux requêtes ayant donné lieu aux ordonnances attaquées, informé les parties à l'audience que la clôture de l'instruction interviendrait le 29 septembre à 12h. Pour chacune des deux affaires, les occupants irréguliers ont déposé un premier mémoire en défense, qui ont tous deux été enregistrés le 29 septembre à 11h01 et qui n'ont pas été communiqués aux parties.

Ainsi, le juge des référés du tribunal administratif, en ne communiquant pas aux parties les mémoires en défense présentés par les propriétaires, en violation des dispositions combinées des art. R. 522-8 et R. 611-1 du CJA, a entaché d'irrégularité les procédures aux termes desquelles il a pris les deux ordonnances attaquées rendues sans qu’aient été communiqués aux demandeurs le premier mémoire des défendeurs. Il en aurait été différemment seulement dans le cas où, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'aurait pas pu préjudicier aux droits des parties.

Au fond, l’ordonnance de suspension est déclarée non avenue ce qui rend sans objet les conclusions présentées contre celle-ci.

(ord. réf. 08 novembre 223, M. et Mme J., n° 488872)

 

26 - Appel d’un jugement – Appel déclaré manifestement irrecevable – Méprise sur les écritures du requérant – Annulation.

Encourt annulation l’ordonnance d’une présidente de chambre de cour administrative d’appel qui juge manifestement irrecevable l’appel d’un jugement rejetant une demande d’annulation de l’OQTF qui a été donné. En effet, alors que cette irrecevabilité était fondée sur que la requête ne comportait pas de moyens critiquant utilement le jugement et l'arrêté préfectoral attaqués, il est constant que le dossier soumis en appel comportait l'exposé d'éléments de fait et de droit mettant le juge d'appel à même de se prononcer.

(10 novembre 2023, M. Gakou, n° 468403)

 

27 - Interdiction de prises de vue aériennes – Non-respect des distances minimales de survol – Urgence non démontrée – Annulation de l’ordonnance de référé suspension.

La ministre demandait l’annulation de l’ordonnance de référé prononcée en première instance décidant la suspension d’exécution de l’interdiction d'exploitation faite à une société concernant la prise de vues aériennes jusqu'à la levée de cette constatation dite « de niveau 1 » par suite du survol d'une régate à Saint-Tropez le 14 juin 2022 sans respecter les distances minimales autorisées en vol rasant et du fait de l'absence de flotteurs nécessaires aux survols maritimes par un hélicoptère.

Sur pourvoi de la ministre chargée de l’écologie, l’ordonnance de suspension est annulée car la société demanderesse n’établit pas se trouver, du fait de cette interdiction, en situation d’urgence à cause de sa situation financière, les éléments financiers qu’elle a fournis étant lacunaires, en outre l’activité en cause n’est que saisonnière et enfin la société exerce d’autres activités.

(10 novembre 2023, ministre de la transition écologique, n° 469464)

 

28 - Rectification d’erreur matérielle contenue dans un jugement – Régime contentieux – Exclusion du champ de l’office du juge de l’exécution – Erreur de droit – Annulation.

Rappel qu’en cas d’erreur matérielle entachant un jugement, le justiciable dispose soit des voies de réformation ordinaires soit de la faculté de signaler au président du tribunal qui a rendu ce jugement l’erreur affectant ce jugement. En revanche, il n’entre pas dans l’office du juge de l’exécution, saisi sur le fondement des dispositions des art. L. 911-1 et L. 911-4 du CJA, d’opérer cette rectification d’erreur matérielle.

Ici, l’ordonnance rendue au visa de ces dispositions afin de rectifier une erreur matérielle est annulée.

(10 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 470316)

 

29 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Demande adressée au bureau d’aide juridictionnelle près cette cour – Délai de quinze jours – Délai non franc – Demande ne pouvant être adressée qu’à ce bureau ou à la cour elle-même - Rejet.

Confirmant pleinement un avis de sa Section du contentieux (28 juin 2013, M. B., n° 363460), le Conseil d’État rappelle dans la présente décision que le délai de quinze jours imparti à un requérant (art. 9-4, loi du 10 juillet 1991) pour envoyer au bureau d'aide juridictionnelle de la CNDA sa demande d’aide juridictionnelle n’est pas un délai franc car cette demande ne constitue pas un recours contentieux. Par ailleurs, si cette demande peut être adressée au bureau d’aide juridictionnelle de la CNDA ou à la CNDA elle-même, en revanche aucune disposition ne permet qu’elle soit déposée auprès du chef de l’établissement pénitentiaire où est incarcéré le requérant.

Cette dernière restriction, eu égard à une situationn de détention, ne nous semble pas bienvenue.

(13 novembre 2023, M. B., n° 467595)

 

30 - Domaine public maritime – Contravention de grande voirie – Demande de condamnations diverses du contrevenant – Rejet partiel assorti d’une injonction de démolir sous astreinte – Recours en tierce opposition – Rejet.

(13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété « La Joie de Vivre », n° 474211)

V. n° 9

 

31 - Caractère contradictoire de la procédure contentieuse – Indication trop vagues données à la demanderesse pour fournir son mémoire – Incertitudes de date et de délai – Annulation.

Dans un litige portant sur le licenciement d’une aide-soignante titulaire exerçant au sein d’un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), le juge de cassation est amené à annuler l’arrêt d’une cour administrative d’appel pour non-respect du contradictoire dans les circonstances suivantes.

La cour a communiqué le mémoire en défense de l’EHPAD à la requérante avec les indications suivantes : « Dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites en deux exemplaires, dans les meilleurs délais » et « Afin de ne pas retarder la mise en état d'être jugé de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l'estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible ». De telles indications ne permettaient pas à l'intéressée, en l'absence de date déterminée, de connaître de façon certaine le délai dans lequel elle était invitée à produire ses observations en réplique. De plus, en l'absence d'audience, elle n'a pas été mise en mesure de les faire éventuellement valoir avant que la cour ne statue.

L’arrêt est annulé pour méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.

(14 novembre 2023, Mme B., n° 471622)

(32) V. aussi, très comparable, le juge des référés ayant, dans un litige en contestation d’autorisation d’implanter des éoliennes, rendu son ordonnance le lendemain du jour de l’envoi de son invitation à produire… : 29 novembre 2023, Association Fédération environnement durable et autres, n° 468962.

 

33 - Référé liberté – Procédure – Nécessité de respecter les conditions d’ouverture de ce référé – Contestation du silence gardé sur ses plaintes ou réclamations – Requête manifestement irrecevable – Rejet.

Est manifestement irrecevable et rejetée selon les modalités prévues à l’art. L. 522-3 du CJA, la requête en référé liberté d’une personne contestant l'absence de réponse à ses plaintes adressées au procureur de la république de Paris et au Conseil national de l'ordre des médecins ainsi que l'absence de réponse à ses réclamations adressées à tous les organismes de santé publique de Paris et relatives à l'autorisation de commercialisation sur le territoire français des flacons Cominarty du laboratoire Pfizer. En effet, la demanderesse n’indique pas en quoi et comment ces demandes se rattacheraient à une mesure que le juge des référés serait susceptible de prononcer en vertu des dispositions du code de justice administrative. 

(ord. réf. 21 novembre 2023, Mme A., n° 489346)

(34) V. aussi, rejetant un recours de la même requérante tendant à la suspension de l’exécution de l'ordonnance du 6 septembre 2023 par laquelle le président de la chambre de discipline du conseil central de la section H de l'Ordre des pharmaciens a rejeté sa plainte, un tel litige ne relevant de la compétence drecte du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort : ord. réf. 21 novembre 2023, Mme A., n° 489347

 

35 - Référé liberté – Urgence particulière à ce référé – Longueur du délai à saisir le juge des référés – Rejet.

Ne saurait justifier sa demande de suspension de la décision implicite par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant une interdiction de retour pour une durée de deux ans, le ressortissant étranger (algérien) qui a attendu près de deux mois pour saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une telle demande, ce temps mis à saisir le juge n’est justifié par aucune circonstance particulière d’où il résulterait pour ce dernier une obligation impérative de statuer à bref délai.

(ord. réf. 24 novembre 2023, M. B., n° 489414)

 

36 - Référé liberté – Désistement de conclusions à fin d’injonction - Conditions d’application de l’art. L. 761-1 CJA – Absence d’effet automatique sur la qualité de « partie perdante » - Rejet.

Dans un litige en revendication d’hébergement d’urgence, satisfaction ayant été accordée à la demanderesse d’hébergement, celle-ci s’est désistée de ses conclusions à fin d’injonction. Son avocat a réclamé le bénéfice de l’application  à son profit des dispositions de l’art. L. 761-1 CJA.

Pour rejeter cette demande le juge rappelle d’abord que la circonstance que la requérante ait déclaré se désister purement et simplement de ses conclusions à fin d'injonction ne conduit pas à la regarder ipso facto comme la partie perdante au sens et pour l'application des dispositions de l'art. L. 761-1 CJA et ne s'oppose dès lors pas au maintien des conclusions présentées à ce titre par son avocat. Il indique ensuite qu’en cette hypothèse il appartient au juge d'apprécier, en fonction des circonstances de l'espèce, s'il y a lieu d'y faire droit. 

Enfin, constatant que l’avocat requérant se borne à faire valoir en appel que sa cliente n'a obtenu l'hébergement qu'elle réclamait que peu de temps avant la tenue de l'audience convoquée pour examiner sa requête et que la préparation de cette dernière a exigé plusieurs heures de travail, il relève cependant que l’avocat n'apporte pas d'élément de nature à remettre en cause le rejet de sa demande prononcé par le juge des référés du tribunal administratif. Son appel est donc rejeté.

Nous est-il permis de dire que l’argumentation du juge est très elliptique ?

(ord. réf. 24 novembre 2023, Maître Bastien Demars, n° 489458)

 

37 - Référé liberté – Demande d’injonction adressée à l’État (élaboration et déclenchement d’un plan ORSEC eau à Mayotte) – Absence de compétence directe du Conseil d’État – Rejet.

L’association requérante a saisi directement le Conseil d’État d’un référé liberté en vue qu’il soit fait injonction à l’État d'élaborer et de déclencher un plan ORSEC Eau Potable adapté à Mayotte et d'établir, dans les quarante-huit heures, un plan complet d'urgence sanitaire et d'accès à l'eau à Mayotte. Cette requête est rejetée car bien que ses conclusions soient dirigées contre l'État « pris en la personne du ministre délégué aux outre-mer », l’essentiel des mesures réclamées relève de la compétence du préfet  car elles doivent être mises en œuvre localement.

La juridiction saisie est donc manifestement incompétente pour connaître d’un tel recours direct et cela alors même que la requérante invoque une défaillance du préfet.

(ord. réf. 24 novembre 2023, Association Notre affaire à tous, n° 489567)

 

38 - Société demandant l’annulation d’un contrat conclu par une collectivité publique avec une autre société – Société demanderesse ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire – Sursis à statuer sur le recours en annulation dans l’attente de la désignation d’un mandataire ad hoc – Rejet.

Une société, candidate à l’attribution d’un lot de plage, a demandé l’annulation de l’attribution de ce lot à une autre société. Sa demande a été rejetée en première instance puis, l’appel ayant été interjeté, la société requérante a été mise en liquidation judiciaire. Par un arrêt avant-dire droit, la cour administrative d’appel a sursis à statuer sur la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois afin de permettre la désignation, par le tribunal compétent, d'un administrateur ad hoc pour représenter la société appelante.

La commune se pourvoit en cassation de cet arrêt au motif principal que la requérante ayant perdu la personnalité morale du fait de sa liquidation son appel ne pouvait plus être jugé.

Le moyen est rejeté au visa des dispositions de l’art. L. 237-2 du code du commerce d’où il résulte que la perte de la personnalité morale d'une société en cours d'instance ne prive pas d'objet sa requête.

C’est ainsi sans erreur de droit que la cour a décidé de surseoir à statuer dans l’attente de la désignation d’un mandataire ad hoc.

(28 novembre 2023, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 468865)

 

39 - Référé suspension – Chasse à la tourterelle des bois – Suspension jusqu’au 30 juillet 2024 – Doute sur la compatibilité de cette chasse avec la conservation de l’espèce – Condition d’urgence non remplie – Rejet.

Il convient de signaler cette décision rejetant un référé tendant à la suspension de l'arrêté du 2 août 2023 par lequel le ministre chargé de l’écologie a suspendu la chasse de la tourterelle des bois sur l'ensemble du territoire métropolitain jusqu'au 30 juillet 2024.

En effet, pour dire que la condition d’urgence n’est pas remplie en l’espèce, le juge retient « le doute sur la compatibilité de la chasse avec les efforts de conservation de cette espèce », ce qui est une formulation assez proche des exigences du principe de précaution qui conduit à s’abstenir en cas de doute car le pire n’est jamais exclu.

Voilà qui satisferait les préconisations d’Hans JONAS (cf. Le principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, 1979, Flammarion, coll. Champs, 2013 ; V. aussi : J.-C. Ricci, Histoire des idées politiques, Dalloz Cours, 5ème édit. 2023, § 590).

(ord. réf. 29 novembre 2023, Union nationale des associations de chasseurs d'oiseaux migrateurs, n° 489320)

(40) V. aussi, rejetant pour le même motif que ci-dessus le recours en référé suspension de l’arrêté suspendant la chasse du courlis cendré sur l'ensemble du territoire métropolitain jusqu'au 30 juillet 2024 (ord. réf. 29 novembre 2023, Union nationale des associations de chasseurs d'oiseaux migrateurs, n° 489321)

(41) V. encore, rejetant pour le même motif que ci-dessus le recours en référé suspension de l’arrêté suspendant la chasse de la barge à queue noire sur l'ensemble du territoire métropolitain jusqu'au 30 juillet 2024 (ord. réf. 29 novembre 2023, Union nationale des associations de chasseurs d'oiseaux migrateurs, n° 489321)

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

42 - Location de fonds de restaurant et exploitation de deux restaurants – Vérification de comptabilité et examen contradictoire de la situation fiscale personnelle du contribuable -  Reconstitution des recettes – Exercice de plusieurs activités distinctes retracées dans une comptabilité unique – Nouvelle notification de redressements – Notion – Information sur les conséquences financières de la vérification – Reconstitution du chiffre d’affaires par la méthode « des cafés » - Annulations et rejets partiels.

Cette décision, qui porte notamment sur la notion et le régime des vérifications de comptabilité et sur une méthode de reconstitution du chiffre d’affaires dans la restauration, est intéressante à ce double titre.

À la suite de la vérification de la comptabilité d’un loueur de fonds de restaurant exploitant lui-même également deux restaurants, puis de l’examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, l’administration a, d’une part, procédé à la reconstitution des recettes et, d’autre part, taxé d’office les sommes qu’elle a considérées comme des revenus d’origine indéterminée. Un contentieux s’en est suivi jusqu’en cassation.

Tout d’abord, il est jugé, conformément à la jurisprudence antérieure, que dans le cas où le contribuable exerce des activités distinctes (ici location de fonds et exploitation directe de restaurants) dont les opérations sont retracées dans une seule comptabilité donnant lieu à une déclaration fiscale commune, l’administration n’est pas tenue de suivre une procédure de vérification propre à chacune de ces activités. L’impôt est déclaratif et l’administration contrôle normalement des déclarations.

Ensuite, il est rappelé que toute révision à la hausse du montant des redressements notifiés doit faire l'objet d'une nouvelle notification de redressements, à peine d'irrégularité de la fraction de l'imposition correspondant aux rehaussements opérés. En l’espèce, la cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé n’être pas en présence d’une rectification supplémentaire dès lors que l’administration se bornait à corriger une erreur affectant la saisie du résultat reconstitué en matière de bénéfices industriels et commerciaux et une erreur tenant à l'omission d'un remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée au profit du contribuable. D’autant que cela conduisait à arrêter un montant de rappels de taxe sur la valeur ajoutée, en droits, inchangé, et un montant des droits réclamés au titre des bénéfices industriels et commerciaux modifié à la baisse.

Également, l’administration, s’agissant des conséquences financières de la vérification de comptabilité, a procédé à l'application d'une majoration de 345 euros sur le fondement de l'art. 1758 A du CGI qui n'avait pas été mise en œuvre auparavant, et, s'agissant des conséquences financières de l'examen de situation fiscale personnelle, elle a appliqué une majoration de 2988 euros sur le fondement du même article, alors que ce montant avait été arrêté à 2637 euros dans la réponse aux observations du contribuable. Pour la seconde majoration, il est jugé que le contribuable a été mis en mesure de présenter utilement ses observations tant sur le principe de cette majoration, infligée à raison d'un retard de déclaration, puisque ce retard était relevé dès la proposition de rectification, que sur le montant des droits mis à sa charge sur laquelle elle était assise, modifié seulement à la baisse par un courrier postérieur, c'est sans erreur de qualification juridique ni erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que l'administration n'était pas tenue de répondre aux observations que le contribuable avait formulées sur ce point en réponse à ce courrier. En revanche, pour la majoration de 345 euros, dont il n'avait pas été en mesure auparavant de contester le principe, le contribuable est jugé fondé à soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en estimant que l'administration n'était pas tenue de répondre à ses observations sur ce point.

Enfin, la comptabilité du contribuable ayant été considérée comme non probante à raison de l’existence de revenus de source indéterminée, l’administration a reconstitué son chiffre d’affaires, s’agissant d’un établissement de restauration, par la « méthode des cafés ». Celle-ci consiste, d'une part, à estimer le nombre de ventes de café non enregistrées, en évaluant le nombre de cafés servis à partir des achats et de l'évolution des stocks, et en en déduisant le nombre de cafés enregistrés comme vendus, la consommation estimée du personnel et une réfaction de 5 % au titre des cafés offerts, d'autre part, à estimer le chiffre d'affaires associé à chaque café vendu, et enfin à multiplier le nombre estimé de cafés dont la vente n'a pas été enregistrée par le chiffre d'affaires par café vendu estimé. 

Le contribuable soutenait que la méthode de calcul était viciée car elle ne tenait pas compte des cafés simples inclus dans le prix de la majorité des menus. Il est jugé qu'en écartant ce moyen la cour administrative d'appel a commis une erreur de qualification juridique.

(03 novembre 2023, M. B., n° 460520)

 

43 - Déficit reportable – Groupe fiscalement intégré – Déficit imputable à la société mère ou à celle l’absorbant – Imputation possible sur les sociétés membres de l’ancien groupe figurant à nouveau comme telle dans le groupe absorbant – Annulation.

Le litige portait sur le régime, souvent source de contentieux, des déficits reportables notamment en cas de fusion ou absorption de groupes fiscalement intégré.

De la combinaison des dispositions des articles 233 C, 233 I, 233 L et 233 S du CGI, le juge tire cette conclusion que :

- d’une part, les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré ayant cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe ;

- d’autre part, qu’en cas d’absorption de cette société mère par une société qui est mère d'un nouveau groupe fiscalement intégré avec les sociétés membres de l'ancien groupe, les déficits reportables constitués par l'ancien groupe sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante, sous réserve d'obtention de l'agrément nécessaire à cet effet.

En revanche, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, au prix d’une erreur de droit, ces déficits ne peuvent être également imputés que sur les bénéfices des seules sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe et non de l’ensemble des déficits constitués par l'ancien groupe transférés à la société absorbante.

(07 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 455304)

 

44 - Contrôle sur pièces et examen d’une situation fiscale personnelle – Non-communication des procès-verbaux d'audition fondant les rectifications en litige – Absence de vérification d’une demande en ce sens pour une année – Erreur de droit – Annulation de l’arrêt dans cette limite.

Après un contrôle sur pièces portant sur l'année 2013 et un examen de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2014 et 2015, l'administration a, par deux propositions de rectification concernant respectivement l'année 2013 et les années 2014 et 2015, notifié aux contribuables requérants des rehaussements d’imposition sur les trois années.

La cour administrative d’appel, se fondant sur les dispositions de l’art. 76 B du livre des procédures fiscales, a jugé qu'en s'abstenant de communiquer aux contribuables les procès-verbaux d'audition fondant les rectifications en litige, l'administration fiscale avait, au titre des trois années, méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

L’arrêt est cassé concernant l’année 2013 car il est reproché à la cour de n’avoir pas recherché si, au titre de cette année, dont la vérification était distincte de celle des années 2014 et 2015, les requérants avaient sollicité la communication des procès-verbaux en cause avant la mise en recouvrement des impositions en litige. Le renvoi est effectué dans cette mesure.

(07 novembre 2023, M. et Mme A., n° 465362)

 

45 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Inclusion prétendue des dotations aux amortissements des immobilisations affectées à ce service – Absence – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Le Conseil d’État annule un jugement comme entaché de dénaturation des pièces à lui soumises, dans les circonstances suivantes, relatives au contentieux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Cette dénaturation ressort de deux éléments.

En premier lieu, le tribunal a jugé que le montant total des dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères d’une communauté d'agglomération, évalué à 14 932 873 euros, incluait les dotations aux amortissements des immobilisations qui lui étaient affectées, d'un montant de 2 025 000 euros, alors qu’il ressortait de l'état de répartition de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères figurant au dossier que le montant de 14 932 873 euros n'incluait aucune charge d'amortissement.

En second lieu, il est également reproché aux premiers juges d’avoir pris en compte le montant de dotations aux amortissements de 2 025 000 euros, qui figurait dans le tableau « annexes - éléments du bilan - présentation croisée par fonction - vue d'ensemble (1) » sous la mention « opérations non ventilables », sans procéder, au besoin par un supplément d'instruction, à un retraitement afin d'identifier la part afférente aux immobilisations affectées au service de collecte des déchets.

(07 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466957)

 

46 - Cession de droits incorporels (brevets) - Dispositifs d'éclairage pour piscines – Prix d’achat payé par une société de droit français à une société lettone pour la fourniture de ces dispositifs supérieur au prix moyen du marché – Présomption de transfert de bénéfices – Absence de procédure pour abus de droit – Défaut de preuve – Rejet.

La requérante, qui exerce une activité de vente de dispositifs d'éclairage pour piscines, a créé entre ses associés la société de droit letton PPLV Trading, l'un étant, en outre, l'ayant-droit économique de la société luxembourgeoise Royalux.

La société Alphadif vend ces dispositifs qu’elle acquiert auprès de la société PPLV Trading qui, elle-même se fournit en Chine.

En 2008, les associés d’Alphadif ont cédé à la société Royalux leurs droits de propriété intellectuelle sur les demandes de brevets relatifs à ces équipements pour la somme de 10 000 euros. La société Royalux en a concédé l'exploitation à la société PPLV Trading moyennant une redevance annuelle fixée à 400 000 euros.

Suite à une procédure de visite et de saisie, puis à une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2010, 2011 et 2012, l'administration fiscale a réintégré dans son résultat imposable des trois exercices vérifiés les sommes correspondant à la partie des paiements effectués au bénéfice de la société PPLV Trading en tant qu'ils correspondaient à la redevance acquittée par cette dernière auprès de la société Royalux.

La demande d’Alphadif tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, des retenues à la source qui lui ont été réclamées ainsi que des pénalités correspondantes, à la suite de cette rectification, a été rejetée en première instance tandis que la cour administrative d'appel a annulé ce jugement, prononcé la décharge des impositions en litige et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Le ministre de l'économie, des finances …, se pourvoit en cassation des articles 1er à 3 de cet arrêt. Il est débouté.

Tout d’abord, il est jugé que c’est sans erreur de droit que la cour a rejeté la prétention du ministre à la voir appliquer en l’espèce une présomption de transfert de bénéfices car l’administration n'a pas fait valoir auprès des juges du fond que les prix payés par la société Alphadif à la société lettone PPLV Trading pour la fourniture de dispositifs d'éclairage pour piscines auraient été supérieurs à ceux pratiqués pour des biens comparables par des entreprises similaires exploitées normalement.

Ensuite, il est jugé qu’à supposer même – comme il est soutenu par le demandeur à la cassation - que le montage et les opérations en cause aient été réalisés dans le but de faire échapper des bénéfices ou des revenus à l'imposition en France par le jeu de la cession de droits incorporels à un prix minoré et de la prise en charge, par la société Alphadif dont les cédants de ces droits étaient associés, d'une redevance excessive en contrepartie de ces droits, à l'avantage de la société luxembourgeoise Royalux, il est constant que l’administration a, au cours de la procédure de vérification, renoncé à mener à son terme la procédure de répression des abus de droit prévue à l'art. L. 64 du livre des procédures fiscales et qu’ainsi elle n'a apporté la preuve - qui lui incombait puisque la présomption de transfert de bénéfices ne pouvait jouer en l’espèce -, ni de ce que le montant de la redevance supportée en définitive par la société Alphadif était excessif, notamment au regard de son chiffre d'affaires, ni de ce que la société lettone PPLV Trading lui aurait facturé une prestation qu'elle ne lui aurait pas fournie.

(07 novembre 2023, Société Alphadif, n° 471310)

 

47 - Remboursements des frais de déplacement perçus par le gérant majoritaire d’une sarl – Éléments du revenu imposable – Absence de comptabilisation apparente ou de justificatifs sans effet à cet égard – Absence de caractère d’avantage occulte – Annulation.

L’associé unique et gérant majoritaire d’une s a r l a perçu les remboursements de ses frais de déplacement qu’il a déduits des revenus imposables à l’impôt sur les sociétés. L’administration fiscale a réintégré les sommes correspondantes dans le revenu imposable car, selon elle, ces charges n’étaient pas assorties de justificatifs et les a qualifiés d’avantage occulte constitutif de revenu distribué.

Les contribuables ont saisi, en vain, les juges du fond ; ils se pourvoient en cassation de l’arrêt de rejet confirmatif.

Le Conseil d’État est à la cassation car il considère qu’il résulte des dispositions combinées des art. 62, 39 et 111, c et d, du CGI que les remboursements de frais de déplacement perçus par un gérant majoritaire de s a r l constituent, en principe, même en l'absence de justificatifs, un élément de sa rémunération imposable (cf. art. 62 du CGI), dans la catégorie des rémunérations allouées aux gérants majoritaires de société à responsabilité limitée, sauf si l'administration établit que les sommes correspondantes n'ont pas fait l'objet d'une comptabilisation explicite en tant que remboursements octroyés au personnel ou que leur montant, ajouté aux autres éléments de la rémunération, a pour effet de porter le total de celle-ci à un niveau excessif.

Dans chacun de ces deux derniers cas, ces sommes sont imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement, respectivement, des c et d de l'article 111 du même code.

Ainsi, en l’espèce, l'absence de justification du caractère professionnel de remboursements de frais de déplacement n'était pas à elle seule de nature à faire écarter la qualification d'élément de la rémunération imposable du contribuable. Comme de tels remboursements ne constituent pas des avantages en nature (cf. art. 54 bis CGI), il s’en déduit que la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que les sommes en litige présentaient le caractère d'un avantage occulte au sens du c de l'article 111 du CGI et qu’elles étaient, en conséquence,  imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, alors qu'elle a relevé par ailleurs que les frais de déplacement en litige avaient été inscrits dans la comptabilité de la société et qu'elle n'a pas fait état de ce que l'administration aurait établi que ces remboursements portaient la rémunération de M. C. à un niveau excessif.

(07 novembre 2023, M. et Mme C., n° 471338)

 

48 - Exercice d’une activité occulte ou détention de revenus distribués par une personne morale exerçant une activité occulte – Droit de reprise de l’administration – Délai décennal – Exercice de ce droit dans le délai de droit commun de trois ans – Absence d’effets sur le délai décennal – Erreur de droit – Annulation.

Selon l’art. L. 169 du livre des procédures fiscales, en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Toutefois ce texte comporte une exception lorsque le contribuable exerce une activité occulte ou lorsqu'il est bénéficiaire de revenus distribués par une personne morale exerçant une activité occulte, le droit de reprise s'exerce alors jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.

Par ailleurs, l’art. R. 196-3 du livre des procédures fiscales dispose que lorsqu’un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations.

En l’espèce, l’administration prétendait, suivie en cela par les juges du fond, que dès lors qu’elle avait exercé, en l’espèce, son droit de reprise dans le délai de droit commun de trois ans, le contribuable, en raison du parallélisme de délais instauré par l’art. R. 196-3 précité, ne disposait également que du même délai de trois ans et non de dix ans comme le soutenait ce dernier. La cour avait donc confirmé le rejet, prononcé par le tribunal administratif, de la requête en raison de ce que le contribuable ne disposait pas d’un délai de dix ans.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit l’arrêt déféré à sa censure. Cette solution doit être approuvée car il se déduit évidemment de l’art. L. 169 précité du LPF que le contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification dispose, pour présenter ses propres réclamations, d'un délai égal à celui fixé à l'administration pour établir l'impôt, lequel expire, s'agissant de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés et lorsque le contribuable exerce une activité occulte, le 31 décembre de la dixième année suivant celle au cours de laquelle la proposition de rectification lui a été régulièrement notifiée. Il importe peu à cet égard que l’administration n’ait pas usé de la faculté exceptionnelle d’étendre de trois ans (délai de droit commun) à dix ans (délai exceptionnel) le délai de reprise car la durée exceptionnelle de celui-ci est exclusivement liée à la nature occulte des revenus en cause. Une fois cette condition remplie, le délai est inexorablement de dix ans. 

(09 novembre 2023, M. B., n° 466960)

 

49 - Agent public – Avance sur frais de déplacement et de mission – Principe de prescription biennale des demandes de répétition d’indus adressés aux agents – Erreur de droit – Annulation.

L'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations dispose que les répétitions d’indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents sont enfermées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. C’est la règle de la prescription biennale.

En l’espèce, suivant en cela l’argumentation de l’agent bénéficiaire d’une avance sur frais de déplacement et de mission, une cour administrative d’appel a jugé que l’administration ne pouvait pas répéter cette avance car cette répétition était couverte par la prescription biennale.

Pour annuler l’arrêt, le Conseil d’État relève que la prescription biennale ne s’applique pas aux sommes en cause qui ne sont pas des « rémunérations » au sens et pour l’application des dispositions précitée de la loi du 12 avril 2000, lesquelles à raison de leur caractère dérogatoire sont nécessairement de droit étroit.

(09 novembre 2023, ministre des armées, n° 469144)

 

50 - Société de biens immobiliers de droit américain – Mise à disposition gratuite d’un bien à titre de résidence principale aux parents de l’un de ses associés – Mise à disposition par ces derniers au profit d’un employé d’entretien de ce bien d’une partie de celui-ci comme avantage en nature – Opération de caractère lucratif – Qualification juridique inexacte des faits – Annulation.

Le litige concernait une société de droit américain dont le siège est en Californie, à raison de son assujettissement à l’impôt sur les sociétés par voie d’évaluation d’office.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord que, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, il incombe au juge fiscal d'identifier, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, à quel type de société de droit français est assimilable la société de droit étranger. Ensuite, il détermine le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

Sur le fond, l’administration fiscale, confirmée par les juges du fond, a estimé que la société  se livrait à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, relevant en particulier pour cela qu’elle était propriétaire d'un ensemble immobilier et d'une maison et que ces biens immobiliers étaient mis à la disposition gratuite des parents de son associé, ces derniers occupant l'ensemble immobilier à titre de résidence principale et ayant attribué, comme logement de fonction au titre d'un avantage en nature, une maison à leur employé et sa compagne, qui n'étaient ni associés ni en lien de parenté avec les associés. La cour en avait conclu que la société Carmejane LLC était passible de l'impôt sur les sociétés en France, dès lors que, compte tenu de son objet social, qui inclut notamment l'achat, la location et la revente de biens immobiliers, la mise à disposition à titre gracieux de tels biens au profit des parents de son dirigeant ainsi que de tiers, devait être regardée comme une opération de caractère lucratif au sens et pour l'application du 1 de l'article 206 du CGI.

Le Conseil d’État annule cet arrêt  pour avoir inexactement qualifié les faits au plan juridique car « la mise à disposition à titre gratuit par une société de biens immobiliers aux parents de son associé à titre de résidence principale ne saurait caractériser, par elle-même, une activité lucrative, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ces derniers mettent à leur tour à la disposition de leur salarié chargé d'entretenir la propriété et d'assurer son gardiennage, à titre d'avantage en nature, une partie des biens en cause. »

(13 novembre 2023, Société Carmejane LLC, n° 465852)

 

51 - Impôt sur les sociétés - Provisions pour dépréciation de stocks – Provisions pour créances douteuses – Déduction refusée – Annulation - Rejet.

Une société, membre du groupe fiscalement intégré dont la requérante est la mère, exerce un négoce de visserie et de boulonnerie comprenant un très grand nombre d’articles différents. Elle a déduit de ses résultats une provision pour dépréciation de stocks et une provision pour créances douteuses qui n’ont pas été admises par l’administration fiscale.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d’appel, saisi par la contribuable a accordé les dégrèvements d’impôts qu’elle sollicitait.

Le ministre des finances, de l’économie…se pourvoit, en vain, en cassation de cet arrêt.

La déduction fiscale pour dépréciation de stocks se réalise lorsqu’une entreprise constate que tout ou partie des matières ou produits qu'elle possède en stock a, à la date de clôture de l'exercice, une valeur probable de réalisation inférieure au prix de revient.

Cette dépréciation doit normalement être calculée par articles ou catégories d’articles en stock concernés. En l’espèce, la cour est approuvée d’avoir jugé que les différentes variétés de boulons et de vis constituant le fonds de ces stocks, subissaient, du fait d’une rotation lente, une dépréciation homogène sans qu’il soit besoin de spécifier cette dépréciation par type ou catégorie de pièces correspondant aux références figurant en catalogue, opération qui ne serait, ici, ni utile ni raisonnable en vue d’une utilisation statistique. Si le ministre faisait valoir qu’il convenait de tenir compte, en toute rigueur statistique, du réapprovisionnement de certaines références ayant fait, à la suite du constat de leur faible rotation, l'objet de provisions inscrites au cours de la même année, ce qui aurait révélé le caractère vicié dans son principe de la méthode statistique adoptée par la société, la cour a pu, sans erreur de droit, estimer que ceci ne concernait, le cas échéant, qu’un très petit nombre de pièces et qu’il incombait à l’administration de remettre en cause les provisions constituées à raison des seuls produits pour lesquels pouvait être établie l'incohérence des pratiques de cette société. Enfin, il est jugé que la circonstance que les produits dont les références avaient fait l'objet de provisions étaient vendus à un prix excédant la valeur moyenne unitaire nette de ces articles en comptabilité n'était pas, par elle-même, de nature à invalider la méthode statistique adoptée par la société.

S’agissant de la provision pour créance douteuse, c’est sans erreur de droit que la cour, après avoir relevé que la société avait effectué des relances régulières au sujet de la créance qu’elle détenait sur une cliente étrangère et faisait valoir l'insuffisance et les difficultés de la trésorerie de celle-ci, ainsi que l'existence d'autres dettes concurrentes, a jugé que cette société établissait le caractère probable du risque d'irrecouvrabilité de cette créance et en déduire que la société était fondée à constituer, au titre de l'exercice clos en 2008, une provision égale à près de 90 % du montant de cette créance, sans qu'ait d'incidence à cet égard l'absence de caractère coercitif des relances effectuées ou la circonstance que la cliente étrangère ait procédé, en 2008, au paiement de factures émises par cette société. 

(13 novembre 2023, ministre des finances, de l’économie…, n° 466464)

 

52 - Réintégration dans le bénéfice d’une société mère des revenus distribués par sa filiale à 100% - Résultat d’ensemble du groupe – Obligation, sauf exceptions légales, pour chacune des sociétés intégrées de déterminer son résultat dans les conditions de droit commun – Revenus distribués regardés à bon droit comme réintégration de recettes non comptabilisées – Rejet.

Une société fiscalement intégrée à un groupe prétend avoir distribué la totalité de ses revenus à sa société mère, ils sont requalifiés par l’administration fiscale et par le juge comme étant en réalité des recettes non comptabilisées à la date de clôture des exercices contrôlés. S’ensuivent des rehaussements d’impositions qui sont contestés par la société mère.

Celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a rejeté ses prétentions : elle est déboutée.

Le juge rappelle une constante qui résulte directement de dispositions du CGI (art. 223 A et 223 B du CGI et art. 46 quater-0 ZG de l'annexe III à ce code) : dans un groupe fiscal intégré le résultat d’ensemble de la société mère résulte de la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun. Dès lors que l’une (ou plusieurs) des sociétés du groupe ne se trouve(nt) pas dans l’une des exceptions légales à ce principe, c’est donc le droit commun qui s’applique. Or en l’espèce, les revenus prétendument distribués à la société mère n’apparaissent pas dans le résultat de la société distributrice.

C’est pourquoi la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir jugé, par application du principe que l’on vient de rappeler, que les sommes réintégrées aux résultats de la société Cesco ne pouvaient être neutralisées pour le calcul du résultat d'ensemble du groupe fiscal intégré que cette société formait avec sa filiale, la société Bastide du Cours, d’autant que ces sommes n’avaient ni la nature d’une  subvention directe ni celle d’une subvention indirecte au sens et pour l’application des dispositions de l’art. 223 B du CGI.

La cour a retenu deux éléments à cet effet.

 En premier lieu, elle a estimé que la circonstance que la filiale avait désigné la société mère comme étant la bénéficiaire des revenus réputés distribués, en litige, ne permettait pas de regarder la filiale comme ayant procédé au versement effectif d'une quelconque somme au bénéfice de sa société mère, de sorte que les distributions ne pouvaient être regardées comme ayant la nature d'une subvention directe consentie par la première à la seconde au sens des dispositions du sixième alinéa de l'art. 223 B du CGI.

En second lieu, elle a considéré que le rehaussement des bénéfices de la société Bastide du Cours dont découlent les distributions en litige ne procédait pas de la remise en cause d'une opération constitutive d'un acte anormal de gestion ayant pour effet un transfert de bénéfice à sa mère, ce dont elle a déduit que ces distributions ne pouvaient pas davantage être regardées comme des subventions indirectes au sens des mêmes dispositions. 

(13 novembre 2023, Société Cesco, n° 469628)

 

53 - Plan d’épargne en actions (PEA) – Retraits partiels de sommes d’un PEA – Assujettissement des gains nets en résultant aux contributions sociales sur le revenu – Rejet.

Il est jugé que les gains nets afférents aux retraits partiels de sommes d'un plan d'épargne en actions sont soumis aux contributions sociales sur les revenus de placements instituées par le b du 5° du II de l'art. L. 136-7 du code de la sécurité sociale, quelle que soit l'origine des sommes retirées.

Il en va notamment ainsi lorsque ces sommes proviennent, en tout ou partie, du gain de cession de titres inscrits sur ce plan d'épargne, regardé, eu égard aux conditions dans lesquelles il est intervenu, comme acquis en contrepartie des fonctions de salarié ou de dirigeant du cédant et comme ayant, par suite, la nature de traitements et salaires devant être soumis à l'impôt sur le revenu dans cette catégorie au titre de l'année de la cession en application des articles 79 et 82 du CGI. 

Le pourvoi est rejeté car c’est cette solution qu’a adoptée l’arrêt de la cour sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits.

(29 novembre 2023, M. B., n° 461258)

 

54 - Plus value de cession d’un bien immobilier – Exonération – Conditions – Libre disposition du bien depuis le 1er janvier de l’année précédant la cession – Opposition d’une QPC – Refus de transmission.

(29 novembre 2023, M. A., n° 466283)

V. n° 143

 

55 - Dettes fiscales – Avis à tiers détenteurs – Référé liberté –  Dettes prescrites - Annulation.

Qui rechercherait une illustration de l’adage « summun ius summa iniuria » la trouverait à la perfection dans la présente affaire.

La requérante a fait l’objet de la part de l’administration fiscale d’une saisie administrative à tiers détenteur auprès de Pôle emploi afin d'obtenir le paiement de la somme de 1 016 euros correspondant à des reliquats de cotisations de taxe d'habitation de l'année 2007 et d'impôt sur le revenu de 2006. La réclamation de la contribuable adressée au service des impôts étant demeurée sans réponse de ce dernier, l’intéressée a saisi le juge du référé liberté en vue que soient suspendus les effets de cet avis à tiers détenteur ainsi que la restitution des sommes déjà prélevées. Elle interjette appel du rejet de sa requête en référé.

Le juge des référés du Conseil d’État annule l’ordonnance attaquée : l’urgence à suspendre est avérée et l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale certaine.

Sur le premier point, il est relevé, d’une part, qu'en dehors de la somme de 143 euros dont elle dispose mensuellement après déduction des sommes prélevées sur les allocations qui lui sont versées par Pôle emploi en exécution de la saisie administrative à tiers détenteur en litige, l'intéressée ne dispose d'aucune autre ressource pour subvenir à ses besoins et, d’autre part, que son compte bancaire présentait au 10 octobre 2023 un solde débiteur de 122 euros, enfin, qu'elle n'est détentrice d'aucun produit d'épargne dans l'établissement bancaire concerné. Ces éléments, au surplus, ne sont pas contestés par l'administration fiscale.

L’ordonnance de rejet est annulée en ce qu’elle est fondée sur le défaut d’urgence. Il faut s’interroger sur la double question de savoir comment l’administration peut-elle s’obstiner dans l’immoralité d’appliquer la loi en pareille situation et comment un juge des référés a pu ne pas apercevoir l’existence d’une urgence ? Qui peut vivre, c’est-à-dire continuer à exister, avec moins de cinq euros par jour aujourd’hui en France ?

Sur le second point, et c’est là un sommet, le juge du référé liberté statuant en appel, relève qu’un arrêt de la cour administrative d’appel a déchargé la requérante de l’obligation de payer cette somme de 1016 euros, afférente à une dette d’impôt sur le revenu de 304 euros au titre de l’année 2006 et à une dette de taxe d’habitation de 683 euros au titre de l’année 2007, dès lors que les deux mises en demeure valant commandement de payer ont été émises à l'encontre de la contribuable le 18 juillet 2016, donc déjà atteintes par la prescription.

Le juge ne peut que constater « qu'en émettant à l'encontre de la contribuable l'avis de saisie administrative à tiers détenteur en litige en vue du recouvrement de ces mêmes sommes, l'administration fiscale a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit pour un propriétaire de disposer librement de ses biens ».

(ord. réf. 15 novembre 2023, Mme A., n° 488864)

 

56 - Article 1649 A du CGI - Comptes ouverts à l’étranger et non déclarés – Présomption d’utilisation postérieure à l’année de découverte de leur existence - Demande de justification par l’administration au titre des années ultérieures –  Non réponse ou réponse insuffisante – Taxation d’office – Rejet.

Confirmant et précisant une jurisprudence récente (8 mars 2023, M. et Mme C., n° 463267, cf. cette Chronique, mars 2023, n° 64), le Conseil d’État juge que l’administration fiscale, lorsqu’elle a réuni les éléments nécessaires pour établir l’ouverture par un contribuable de comptes à l’étranger sans les lui avoir déclarés et leur utilisation pendant une ou plusieurs années – comme il y est pourtant tenu en application des dispositions de l’art. L. 1649 A du CGI - est fondée à se prévaloir du délai de reprise spécial de dix ans prévu par l'art. L. 169 du livre des procédures fiscales (LPF) aux fins d'imposer, le cas échéant, au titre de ces années, tant les transferts réalisés en provenance ou au bénéfice de ces comptes dissimulés que les revenus issus des avoirs y figurant.

Par ailleurs, faute de réponse satisfaisante aux demandes de l’administration fiscale celle-ci est fondée à mettre en œuvre, en application de l’art. L. 69 du LPF, une procédure de taxation d’office à raison des revenus tirés de ces avoirs au titre de ces mêmes années.

(29 novembre 2023, M. et Mme B., n° 469039)

 

57 - Service public transfusionnel – Livraison de produits dérivés du sang humain dits « produits sanguins labiles » par l’Établissement français du sang – Assujettissement à la TVA – Contrariété au droit de l’Union – Rejet.

En premier lieu, c’est sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits qu’une cour administrative d’appel juge contraire aux dispositions du d du 1 de l'art. 132 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, telles qu’interprétées par la CJUE (5 octobre 2016, TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH, aff. C-412/15), l’art. 281 octies du CGI, dans sa rédaction alors en vigueur, en ce qu’il assujettissait la fourniture de produits sanguins labiles à un taux de TVA de 2,1%. Ces produits sont, en effet, exclus du champ d’application de la TVA lorsqu’ils sont destinés à un usage thérapeutique direct.

En second lieu, c’est également  sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits que cette cour juge fondée l’action en restitution d’indu de TVA formée par une clinique contre l’Établissement français du sang, au visa des art. 1302 et 1302-1 du Code civil, lesquels disposent respectivement : « (...) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution » et « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ».

(29 novembre 2023, Établissement français du sang, n° 469111)

 

58 - Valeur locative des propriétés bâties – Détermination – Cas des foires et salons – Réduction de cette valeur en cas d’affectation partielle ou totale à une activité de service public ou d'utilité générale – Caractère commercial de l’activité – Élément sans effet si l’affectation au service public ou à l’utilité gérale est significative – Annulation avec renvoi.

Encourt annulation le jugement qui, pour refuser à la requérante le bénéfice de la réduction de 50% de la valeur cadastrale du parc qu’elle exploite à usage de foires et salons et autres, retient le caractère purement commercial de l'exploitation tant de l'activité d'organisation de foires, salons et congrès à destination de professionnels ou du grand public que des activités, qu'il a regardées comme accessoires, de commerce, hôtellerie, restauration et autres.

Le tribunal a, en effet, commis une erreur de droit en se fondant sur ce motif alors qu’il lui incombait de rechercher si l'activité de service public ou d'utilité générale présentait en l’espèce un caractère significatif.

(30 novembre 2023, Société d'exploitation du parc des expositions de la ville de Paris, n° 469920)

 

Droit public de l'économie

 

59 - Viande porcine - Extension d’accords interprofessionnels – Cotisation pour équarrissage – Illégalités diverses alléguées – Rejet.

Il était demandé le prononcé de l’annulation des deux arrêtés interministériels (Finances et Agriculture) du 22 décembre 2021, relatifs, l’un à l'extension de l'accord interprofessionnel du 8 septembre 2021 portant sur la cotisation interprofessionnelle  « contribution volontaire équarrissage éleveur » au profit de l'association « ATM porc » (dit accord « amont ») et l’autre, à l'extension de l'accord interprofessionnel du 8 septembre 2021 relatif à la cotisation interprofessionnelle « contribution aval spécifique équarrissage » au profit de l'association « ATM porc » (dit accord « aval ») ainsi que d’éventuels renvois préjudiciels au juge judiciaire et à la CJUE.

La requête est rejetée.

Après avoir rejeté le moyen de légalité externe qui ne pouvait prospérer, le juge rejette tous les moyens de l’égalité interne, qu’il s’agisse de celui critiquant le caractère incomplet du dossier à partir duquel l’administration a décidé ; de ceux relatifs à la compétence de l'INAPORC, sa représentativité et les conditions d'adoption des accords dont l'extension est contestée ; de celui, manquant en droit, soutenant que l’extension serait illégale faute de prévoir une durée limitée ou encore de ceux invoquant la méconnaissance de l'article 165 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, alors applicable, ou la méconnaissance de la liberté du commerce et de l'industrie, de la liberté d'entreprendre et de la libre concurrence.

(03 novembre 2023, Société Cooperl Arc Atlantique, n° 460806)

(60) V. aussi, dans la même affaire, rejetant la demande de la société requérante de voir le juge administratif surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge judiciaire ait statué sur le recours relatif au paiement des contributions volontaires interprofessionnelles obligatoires dont il a été saisi et soulevant pour l’essentiel les mêmes moyens que dans la décision ci-dessus, y ajoutant les griefs tenant aux principes de sécurité juridique et de clarté de la norme, d’illégalité de la rétroactivité de l'extension de l'accord et au non-respect de la Convention EDH : 03 novembre 2023, Société Cooperl Arc Atlantique, n° 466358

 

61 - Exercice d’une activité de production dans le secteur des vins – Cas de l’Institut coopératif du vin - Absence d’erreur de qualification juridique – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni de qualification juridique qu’une cour administrative d’appel juge que l’Institut coopératif du vin (ICV) doit être regardé comme exerçant, au moins en partie, une activité de production dans le secteur des vins au sens et pour l'application de l'art. 2.1.2 de la décision de la directrice générale de FranceAgriMer du 27 juillet 2017. En effet, la cour a souverainement apprécié pour décider ainsi que l’Institut en cause fournit à ses seuls associés coopérateurs des conseils à la vinification, des analyses œnologiques et des services propres à favoriser la mise en œuvre de tous procédés utiles à la bonne conservation et à la commercialisation de vins et autres produits vinicoles répondant aux marchés et jugé que ces opérations conduisent l'ICV, au-delà de la simple fourniture de conseils généraux ou d'analyses, à exercer en lieu et place de ses adhérents une partie des opérations participant de la production du vin, induisant ainsi, par leur nature, une intervention directe dans la fabrication du vin.

La requête de FranceAgriMer est rejetée. 

(03 novembre 2023, FranceAgriMer, n° 461297)

 

62 - Tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) – Proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Niveau tarifaire prétendu insuffisamment élevé – Délibération préparatoire – Absence d’acte de droit souple - Irrecevabilité – Rejet.

La société Ekwateur demande l'annulation de la délibération par laquelle la Commission de régulation de l'énergie a adopté, le 7 juillet 2022, une délibération portant proposition de tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) en ce que les tarifs retenus l’auraient été à un niveau insuffisamment élevé.

Le recours est jugé irrecevable et rejeté.

Tout d’abord, il est rappelé que s'il peut être excipé de l'illégalité des propositions motivées de la CRE à l'appui d'une demande d'annulation de l'arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et de l'énergie fixant les TRVE, ces propositions ne constituent en elles-mêmes qu'un acte préparatoire à cet arrêté, insusceptible de faire directement l'objet d'un recours en excès de pouvoir. 

Ensuite, les seules circonstances que les tarifs proposés par la CRE soient susceptibles d'influer sur le niveau de la composante de rattrapage au titre des tarifs dits « bleus » ou sur le niveau de la compensation pour charges de service public ne sont pas, non plus, de nature à conférer à cette délibération le caractère d'un acte pouvant être déféré au juge de l'excès de pouvoir. 

Enfin, la délibération contestée qui n’est qu’une proposition de tarifs, ne constitue pas davantage un acte de droit souple susceptible de faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir, faute de produire, par elle-même, des effets notables, notamment de nature économique, sur la situation ou le comportement des fournisseurs d'électricité.

(07 novembre 2023, Société Ekwateur, n° 467489)

 

63 - Certificat d’économie d’énergie – Application du dispositif – Opérations standardisées d’économies d’énergie – Octroi de certificats d’énergie bonifiés – Atteintes aux principes de la liberté du commerce et de l’industrie et au principe d’égalité ainsi qu’au droit européen de la concurrence et à la directive « services » – Absence – Rejet.

Le litige portait sur un arrêté ministériel (écologie) modificatif qui prévoit, en faveur des signataires de la charte intitulée « Coup de pouce Chauffage des bâtiments résidentiels collectifs et tertiaires », qui s'engagent à accorder aux propriétaires ou aux gestionnaires de ce type de bâtiments, des incitations financières sur certaines opérations réalisées pour leur compte durant une certaine période et achevés avant une date limite.

Le juge rejette d’abord le moyen de légalité externe tiré de la non consultation de l'Autorité de la concurrence prévue par l’art. L. 462-2 du code de commerce dès lors que le dispositif contesté n'institue pas, par lui-même, un régime nouveau.

Sont ensuite rejetés les divers moyens de légalité interne soulevés par la demanderesse.

L’arrêté modificatif litigieux ne méconnait pas les art. L. 443-9-3 et L. 712-3 du code de l’énergie car il se borne à prévoir l'octroi de certificats d'économies d'énergie bonifiés au titre de certaines opérations et il ne fait pas, par lui-même, obstacle à l'utilisation d'installations de chauffage de secours ou de complément telle que prévue par les dispositions des articles L. 443-9-3 et L. 712-3 du code de l'énergie.

Pas davantage ne sont méconnus la liberté du commerce et de l'industrie, eu égard aux objectifs poursuivis et en l'absence de tout élément établissant que ce dispositif de bonification constituerait un frein au développement de la filière dite « biogaz », ou le principe d’égalité en ce que l’arrêté querellé incite au remplacement d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire au charbon, au fioul ou au gaz non performants par le raccordement à un système de chauffage alimenté majoritairement par des énergies renouvelables. Au reste, c’est en se fondant sur des critères objectifs et rationnels dans un but d'intérêt général, que l’arrêté exclut du dispositif les équipements de chauffage car s’ils sont susceptibles de fonctionner au gaz produit en totalité à partir d'énergies renouvelables c’est sur la base de la souscription, par définition, non pérenne, d'offres commerciales.

La requérante ne saurait, non plus, soutenir que, par l’instauration de ce dispositif, les demandeurs de certificats d'économies d'énergie seraient empêchés de jouer un rôle actif et incitatif dans la réalisation des opérations d'économies d'énergie au sens et pour l'application de l'article R. 221-22 du code de l'énergie, dans l'hypothèse où le raccordement à un réseau de chaleur serait devenu obligatoire du fait du classement de ce réseau en application de l'article L. 712-1 dudit code. En effet un tel classement ne fait naître, dans le chef des propriétaires ou des gestionnaires de bâtiments résidentiels collectifs ou tertiaires existants qui se situent dans le périmètre de ce réseau, une obligation de raccordement à ce réseau que lorsque ces bâtiments font l'objet de travaux de rénovation importants au sens du 2° de l'article R. 712-9 de ce code, c'est-à-dire lorsque le remplacement de l'installation de chauffage ou de refroidissement d'une puissance supérieure à 30 kilowatts a été décidé par les propriétaires ou gestionnaires des bâtiments, permettant ainsi aux demandeurs de certificats d'économies d'énergie de jouer un rôle actif et incitatif dans cette prise de décision.  

Enfin, la demanderesse n’est fondée à prétendre ni qu’il est porté atteinte aux règles européennes de concurrence car, contrairement à ce qui est prétendu, l'arrêté attaqué n’a pas pour effet de renforcer le droit exclusif des délégataires de réseaux de chaleur, qui serait issu de l'article L. 712-1 du code de l'énergie, ni que seraient méconnu le principe de la liberté d'établissement et la directive « services » dès lors que la création de certificats d’économies d’énergie bonifiés cherche seulement à inciter, par l'octroi d'une bonification du volume des certificats d'économies d'énergie, au raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération, ou, en cas d'impossibilité technique ou économique attestée par le gestionnaire du réseau de chaleur, à la mise en place d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire ne consommant ni charbon ni fioul.

(07 novembre 2023, Association Coénove, n° 467980)

 

64 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Taux manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir – Obligation du juge d’y substituer le taux voté l’année précédente – Omission à statuer – Annulation.

Rappel à nouveau que lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l'année en litige, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher s'il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l'année précédente.

D’une part, on aura relevé que le juge doit avoir été expressément invité à opérer cette substitution pour, le cas échéant, y procéder. En l’espèce, l’annulation est prononcée car le juge, expressément invité à la faire, a omis de statuer sur ce chef de demande.

D’autre part, il ne peut être procédé à cette substitution que si le taux de l'année précédente n’est pas lui-même manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimé au titre de l'année en litige.

(21 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances..., n° 474838)

 

Droit social - Action sociale – Sécurité sociale

 

65 - Handicap – Fonds départemental de compensation du handicap – Conditions d’intervention – Détermination des ressources des personnes handicapées – Rejet.

Les recours joints tendaient à voir annuler le décret n° 2022-639 du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap.

Les personnes handicapées perçoivent automatiquement une prestation de compensation du handicap et sont éligibles, pour la part des conséquences financières de ce handicap restant à leur charge après versement de la prestation, à une aide versée par les fonds départementaux de compensation du handicap.

Les requérantes demandent l’annulation du décret - qui définit les conditions d’attribution des aides versées par les départements - auquel elles reprochent principalement deux choses.

Leur recours est rejeté.

En premier lieu, s’agissant du dispositif d'intervention du fonds, que le législateur a voulu non contraignant pour les départements en donnant à cette aide un caractère facultatif et en fixant seulement des objectifs non contraignants, ne porte pas atteinte au principe d’égalité ainsi que jugé par le Conseil constitutionnel (24 mars 2023, Association Handi-Social et autre, n° 2023-1039 QPC) ; il n’est pas davantage incompatible avec les stipulations de l’art. 14 de la convention EDH non plus qu’avec protocole n° 12 à cette dernière que la France n’a pas ratifié.

En second lieu, s’agissant de la détermination du montant des ressources personnelles nettes d'impôts de la personne handicapée, aucune disposition non plus qu’aucun principe ne fait obstacle à ce que le pouvoir réglementaire prévoie de déterminer ce montant, ainsi qu'il l'a fait par les dispositions en litige, à partir du revenu fiscal de référence du foyer fiscal de cette personne, le montant de l'impôt sur le revenu de ce foyer fiscal étant déduit de cette somme qui est ensuite divisée par le nombre de parts fiscales qui le composent. Ne saurait faire obstacle à ces dispositions le fait que l'article 6 du CGI prévoit des cas d’impositions séparées des époux dans les hypothèses qu'il énonce ou que les ressources du conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de la personne handicapée ne soient pas prises en compte dans la détermination du taux de prise en charge dans la limite duquel est accordée la prestation de compensation prévue par l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles, non plus que dans les ressources pouvant se cumuler, dans la limite d'un plafond, avec l'allocation aux adultes handicapés prévue par les dispositions de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, entrées en vigueur le 1er octobre 2023, ces prestations sociales obligatoires ayant en tout état de cause un objet différent des aides facultatives versées par les fonds départementaux de compensation du handicap.

(09 novembre 2023, Association France Handicap, n° 465268 ; Association Handi-Social et Mme B., n° 468567, jonction)

 

66 - Récupération d’indus – Concubinage – Preuve de sa réalité – Dénaturation des pièces – Erreur de fait et erreur de droit par inexacte application des textes – Annulation.

Une caisse d’allocations familiales a entendu récupérer auprès de la requérante un indu d'allocation de logement familiale, un indu de prime exceptionnelle de fin d'année et un indu de revenu de solidarité active au motif qu’alors qu’elle se déclarait comme allocataire isolée depuis 2012, l’intéressée vivait maritalement depuis le mois de novembre 2016.

Sa demande d’annulation de ces décisions ayant été rejetée par tribunal administratif, elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État reproche aux premiers juges d’avoir dénaturé les pièces du dossier en omettant de prendre en compte les éléments dont se prévalait la requérante et qui conduisaient à remettre en cause la réalité d'une vie de couple stable et continue.

(09 novembre 2023, Mme A., n° 466043)

 

67 - Dispositif d’hébergement d’urgence – Prise en charge effective demandée – Enfant mineur handicapé – Rejet.

Des ressortissants algériens et leurs enfants mineurs font l’objet depuis le mois de juillet 2023 d’une prise en charge au titre du dispositif d’hébergement d’urgence, puis à compter d’octobre 2023 d’un hébergement dans un hôtel. Le juge du référé liberté qu’ils avaient saisi, constatant qu’ils s’étaient vu attribuer un logement en hôtel, a, par ordonnance du 27 octobre 2023, jugé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une injonction à bref délai qui avait perdu son objet.

Le Conseil d’État, juge d’appel, est saisi d’un recours contre cette ordonnance, motif pris de ce que ce dernier hébergement à pris fin le 2 novembre. Il rejette l’appel car, contrairement à ce qui est soutenu, le juge des référés n'a pas, en tout état de cause, méconnu son office et entaché son ordonnance d'irrégularité en s'abstenant de vérifier le caractère adapté et pérenne de la prise en charge de la famille proposé dans le cadre du « 115 », avant de constater que la demande d'injonction dont il était saisi avait perdu son objet. Il incombe donc aux demandeurs, si l'interruption de la mise à l'abri de la famille dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence perdurait, de saisir à nouveau le juge des référés du tribunal administratif afin qu'il se prononce, à bref délai, sur la situation nouvelle née de cette rupture dans la prise en charge de la famille au regard notamment des dispositions du code de l’action sociale et des familles.

(ord. réf. 06 novembre 2023, Mme B. et M. C., n° 489186)

() V. aussi, à l’inverse, annulant une ordonnance en référé liberté enjoignant à un préfet de proposer au requérant prétendument mineur un hébergement d'urgence alors que cet état de minorité, dénié par le rapport d’évaluation sociale et éducative, n’est pas attesté en l’absence de toute pièce ou de tout document de nature à contredire le rapport ; est ainsi rejeté l’appel de l’intéressé et accueilli celui de la délégation interministérielle : ord. réf. 09 novembre 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 488952 ; M. A., n° 489010.

(68) V. également, jugeant qu’est sans objet une requête tendant à voir le juge du référé liberté enjoindre à l’État de procurer à ses auteurs, un couple de ressortissants ivoiriens et leurs deux enfants, de leur assurer un hébergement d’urgence à Paris alors, d’une part, qu’ils ont refusé la proposition d’un hébergement à Beaucouzé, en Pays de la Loire, et, d’autre part, qu’il n’est pas établi que la prise en charge de la famille au titre de l'hébergement d'urgence ne pourrait pas être assurée à proximité d'Angers dans des conditions qui sont de nature à répondre à l'état de détresse qu'elle rencontre actuellement : ord. réf. 16 novembre 2023, Mme B. et M. C., n° 489150.

(69) V. encore, confirmant l’ordonnance rejetant une demande d’hébergement de deux ressortissants congolais et leurs deux enfants au motif qu’en n’indiquant pas les raisons pour lesquelles ils s'étaient rendus à Paris et en ne permettant ainsi pas au juge d'apprécier pleinement leur situation, ils ne pouvaient qu'être regardés comme s'étant eux-mêmes placés dans la situation d'urgence qu'ils invoquent : ord. réf. 20 novembre 2023, Mme E. et M. F., n° 489247.

(70) V. en revanche, annulant l’ordonnance du premier juge rejetant la demande en référé d’attribution d’un logement d’urgence à une ressortissante ivoirienne et à ses fils car la circonstance que l’un d’eux ait moins d’un an place ces personnes dans le groupe des plus vulnérables, le refus d’accorder une solution d’hébergement porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : ord. réf. 27 novembre 2023, Mme A., n° 489412.

 

71 - Allocation de logement sociale – Refus d’octroi antérieurement au mois de juillet 2019 – Incompétence de l’ordre administratif de juridiction – Rejet.

Le litige portait, d’une part, sur le rejet, par le directeur de la caisse d'allocations familiales de Paris, du recours préalable formé par la requérante et confirmé par une décision explicite du 5 novembre 2019, de sa demande de bénéficier de l'allocation de logement sociale antérieurement au mois de juillet 2019 et, d'autre part, sur la demande de l’intéressée tendant à ce que que la caisse d'allocations familiales de Paris soit condamnée à lui verser une somme au titre des allocations de logement sociales dues pour la période du 22 novembre 2004 au 5 juillet 2019, ainsi qu'une indemnité de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des fautes commises.

Le juge saisi du litige a rejeté cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. 

Le Conseil d’État rejette le recours car il résulte des dispositions de l’ordonnance du 17 juillet 2019, notamment celle insérant un article L. 825-1 dans le code de la construction et de l’habitation, et celle figurant à l’art. 23 de cette ordonnance que la décision précitée du 5 novembre 2019, intervenue avant le 1er janvier 2020, demeurait soumise aux dispositions applicables en matière de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole prévues aux art. L. 142-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

Si le directeur de la caisse d'allocations familiales de Paris s'est à nouveau prononcé, après la date du 1er janvier 2020, sur un recours administratif concernant la même décision initiale et les conséquences financières qu'elle implique, cette décision n'a pu, en tout état de cause, se substituer à la décision initiale dès lors que les dispositions relatives à l'entrée en vigueur du recours administratif préalable obligatoire institué par l'art. L. 825-2 du code de la construction et de l'habitation et celles relatives à ses modalités d'applications prévues aux art. R. 825-1 à R. 825-3 du même code n'étaient pas applicables aux décisions prises avant le 1er janvier 2020, faute d'être entrées en vigueur avant cette date.

Ainsi que l’a jugé le premier juge, le recours présenté par Mme A. continuait de relever de la compétence du juge judiciaire.

(10 novembre 2023, Mme A., n° 473907)

 

72 - Indu de revenu de solidarité active – Récupération – Office du juge saisi – Cas particulier des contentieux sociaux – Dénaturation des pièces – Annulation.

Rappel à nouveau – cela devient quelque peu lassant - que « Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision rejetant une demande de remise gracieuse d'un indu de revenu de solidarité active, il appartient au juge administratif d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise. Lorsque l'indu résulte de ce que l'allocataire a omis de déclarer certaines de ses ressources, il y a lieu, pour apprécier la condition de bonne foi de l'intéressé, hors les hypothèses où les omissions déclaratives révèlent une volonté manifeste de dissimulation ou, à l'inverse, portent sur des ressources dépourvues d'incidence sur le droit de l'intéressé au revenu de solidarité active ou sur son montant, de tenir compte de la nature des ressources ainsi omises, de l'information reçue et de la présentation du formulaire de déclaration des ressources, du caractère réitéré ou non de l'omission, des justifications données par l'intéressé ainsi que de toute autre circonstance de nature à établir que l'allocataire pouvait de bonne foi ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises. A cet égard, si l'allocataire a pu légitimement, notamment eu égard à la nature du revenu en cause et de l'information reçue, ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises, la réitération de l'omission ne saurait alors suffire à caractériser une fausse déclaration. »

En l’espèce, il est jugé que la demanderesse ne pouvait être regardée comme ayant sciemment dissimulé une ressource. Le tribunal administratif a dénaturé les faits de l'espèce et les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant qu'elle ne saurait être regardée comme justifiant de sa bonne foi.

(23 novembre 2023, Mme C., n° 469399)

 

73 - Journalistes – Calcul des cotisations de sécurité sociale - Déduction forfaitaire spécifique (DFS) au titre des frais professionnels – Recueil de l’accord des salariés par l’employeur – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du paragraphe 2330 des commentaires publiés le 16 janvier 2023 au Bulletin officiel de la sécurité sociale, en ses dispositions applicables aux journalistes.

Le chapitre 9 de la rubrique « Frais professionnels » des commentaires publiés au bulletin précité porte sur la déduction forfaitaire spécifique. Ce dispositif, issu de l'art. 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, est ouvert à l'employeur qui fait ce choix, sous les conditions de recueil de l'accord des salariés ou de leurs représentants que prévoit cet arrêté, pour les professions, dont les journalistes, prévues à l'art. 5 de l'annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant du même arrêté. Il consiste en un abattement de l'assiette des cotisations de sécurité sociale, calculé selon les taux prévus au même article du code général des impôts, dans la limite de 7600 euros par année civile.

À la suite d'une mise à jour du 16 janvier 2023, la section 3 du chapitre 9 de la rubrique prévoit, pour cinq secteurs, dont celui des journalistes, une extinction de la déduction forfaitaire spécifique au 1er janvier 2038, avec une réduction progressive de son taux à compter du 1er janvier 2023. En outre, le paragraphe 2330 dispose qu'à compter du 1er janvier 2023, pour ces secteurs, par dérogation au paragraphe 2190 en vertu duquel, depuis le 1er avril 2021, lorsqu'à défaut d'une convention ou d'un accord collectif du travail ou d'un accord donné par les représentants du personnel il appartient à chaque salarié d'accepter ou non cette option, l'employeur doit s'assurer annuellement de ce consentement. Le texte précise à cet égard : « (...) Par ailleurs, en vue de faciliter les modalités de gestion des informations concernant les salariés bénéficiaires de ce dispositif en cours d'extinction, par tolérance et pour ces cinq seuls secteurs, il est admis que le consentement des salariés couvre la totalité de la période de transition dans les conditions suivantes : (...)

- Pour (...) les journalistes : si le consentement des salariés a été recueilli avant 2023, il couvre, pour ces salariés, la totalité de la période restant à courir jusqu'à la suppression du dispositif.

En l'absence de convention collective ou d'accord collectif du travail prévoyant explicitement l'application de la DFS, ou d'accord du comité d'entreprise, des délégués du personnel ou du comité social et économique, l'application de la déduction forfaitaire spécifique à tout salarié embauché à compte du 1er janvier 2023 est quant à elle conditionnée au recueil de son consentement et vaut jusqu'à extinction du dispositif. Lorsque le travailleur ne répond pas à cette consultation, son silence vaut accord. »

C’est de cette disposition que les requérants demandaient l’annulation.

Le juge relève tout d’abord que si la circulaire du 7 janvier 2003 relative à la mise en œuvre de l'arrêté du 10 décembre 2002 concernant l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de sécurité sociale et l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale et, désormais, la rubrique 2190 du Bulletin officiel de la sécurité sociale, préconisent que, lorsqu'il y a lieu de le recueillir, l'employeur s'assure annuellement du consentement du salarié, initialement lors de l'établissement de la déclaration annuelle des données sociales (DADS) et, désormais, par année civile, il ressort aussi des pièces du dossier qu'ainsi que les syndicats requérants le font valoir, que les entreprises de presse le font usuellement selon cette périodicité.

Cependant, le juge reproche aux dispositions litigieuses de ne pas imposer que l'accord de chaque salarié en faveur de cette option revête une durée déterminée.

Or lorsque cette option ne revêt pas de durée déterminée, ce qui peut notamment se déduire de ce qu'il n'a pas été sollicité par l'employeur au titre d'une période précise, l'employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique aussi longtemps que l'auteur de l'accord donné ne décide pas, comme il lui est loisible de le faire, d'y mettre fin pour l'avenir.

En revanche, lorsqu'il revêt une durée déterminée, l'employeur ne peut toutefois opter pour la déduction forfaitaire spécifique au-delà de cette durée sans avoir recueilli un nouvel accord.

Le juge en conclut que si les commentaires attaqués pouvaient modifier les précisions qui avaient été apportées sur les modalités de recueil de consentement dans les commentaires publiés au Bulletin officiel de la sécurité sociale depuis le 1er avril 2021 ainsi que, précédemment, par la circulaire du 7 janvier 2003, pour indiquer que l'employeur pourrait, lorsqu'il y a lieu de recueillir le consentement du salarié, ne le faire, à compter du 1er janvier 2023, qu'une seule fois jusqu'à l'extinction du dispositif au 1er janvier 2038 ou, dans le cas où un consentement a été donné avant 2023, sans le recueillir de nouveau, les commentaires en litige ont en revanche méconnu le sens et la portée des dispositions précitées en ne rappelant pas la possibilité pour les salariés de mettre fin ultérieurement à leur accord pour l'option exprimée par leur employeur en faveur de la déduction forfaitaire spécifique. En outre, ces commentaires auraient dû préciser qu'il était nécessaire de le recueillir de nouveau lorsqu'il a revêtu une durée déterminée, en particulier dans l'hypothèse où l'employeur l'aurait sollicité pour une période précise, par exemple d'une année.

Est donc prononcée l’annulation du paragraphe 2330 des commentaires publiés le 16 janvier 2023 au Bulletin officiel de la sécurité sociale en tant qu'il s'applique aux journalistes.

(29 novembre 2023, Syndicat national des journalistes, Syndicat général des journalistes - Force ouvrière (SGJ-FO), Fédération Communication Conseil Culture (F3C) CFDT et Syndicat national des journalistes - CGT (SNJ-CGT), n° 472182)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

74 - Élections à l’assemblée de la Polynésie française – Proclamation d’aucun candidat comme étant élu – Absence de demande de proclamation d’un élu – Protestation irrecevable.

Est irrecevable, comme sans objet, la protestation dirigée contre les opérations électorales du 16 avril 2023 en vue de la désignation des représentants à l'assemblée de la Polynésie française dès lors, d’une part, que ces opérations n’ont débouché sur la proclamation d’aucun candidat, et, d’autre part, que le protestataire ne demande pas au juge de l’élection de proclamer élu un candidat.

(09 novembre 2023, M. E., n° 473463)

 

75 - Élections municipales complémentaires – Proclamation de deux élus sur les quatre sièges à pourvoir – Nécessité d’un second tour – Absence d’obligation pour le juge d’enjoindre la tenue d’un second tour – Rejet.

À l’issue d’opérations électorales complémentaires en vue de la désignation de quatre conseillers municipaux, le tribunal administratif, sur déféré préfectoral, a proclamé élus seulement deux des quatre candidats.

Le requérant soutenait que le tribunal n’avait pas satisfait à son obligation d’épuiser son pouvoir juridictionnel en n’enjoignant pas à l'autorité administrative de convoquer les électeurs de la commune de Tousson au second tour des élections municipales complémentaires car cela ne constituait pas une mesure d’exécution du jugement au sens de l’art. L. 911-1 du CJA.

La requête est rejetée.

(24 novembre 2023, M. C., Élections municipales complémentaires de Tousson, n° 476229)

 

Environnement

76 - Absence d’étude d’impact – Projet prétendument soumis à une telle étude – Conséquences contentieuses – Rejet.

L'article L. 122-2 du code de l'environnement dispose que lorsqu’une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d'approbation d'un projet visé au I de l'article L. 122-1 est fondée sur l'absence d'étude d'impact, le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, est tenu d’y faire droit dès que cette absence est constatée.

La requérante a saisi le juge des référés en vue qu’il suspende l’exécution de la délibération du 9 mai 2022 par laquelle le conseil municipal de Nancy a approuvé le projet de piétonnisation du centre-ville en soutenant son illégalité en raison de l’absence d’étude d’impact.

Elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance rejetant leur demande.

Le pourvoi est rejeté car l’opération litigieuse ne constitue pas, au sens et pour l’application du 1° du I de l’art. L. 122-1 du code de l’environnement, un projet nécessitant une étude d’impact préalable. La piétonnisation du centre-ville de Nancy n'implique la construction d'aucune voie de circulation mais seulement la mise en place de mesures restrictives de circulation et la modification des modalités de stationnement dans et aux abords de cette zone. Ce projet se traduit, outre la suppression de 155 places de stationnement dans la zone piétonnisée et la modification des durées de stationnement autorisé ou gratuit pour des places existantes, celle de la carte du stationnement résidentiel autour de cette zone, par l'aménagement de 41 places de stationnement sur une voie, au demeurant sur un emplacement actuellement consacré au stationnement d'autobus. Aucune de ces mesures ne relève de celles dont l'art. R. 122-2 du code précité prévoit qu'elles doivent être soumises à une évaluation environnementale et donc nécessitant l'élaboration d'une étude d'impact. Semblablement, ce projet, limité à quelques rues, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine justifiant de le soumettre à cette évaluation et imposant une telle étude en application de l'art. R. 122-2-1 du même code.

(09 novembre 2023, Société V3 Lor et autres, n° 471882)

 

77 - Décret du 27 novembre 2020 – Réforme du régime de responsabilité élargie des producteurs de déchets – Méconnaissance de dispositions du droit de l’Union – Contestation de diverses dispositions du code de l’environnement introduites ou modifiées par le décret attaqué – Rejet sauf d’un seul des moyens.

(10 novembre 2023, Société EcoDDS, n° 449213)

V. n° 145

 

78 - Éoliennes et aérogénérateurs – Demande d’autorisation unique – Refus annulé par le juge décidant d’accorder cette autorisation - Prise en compte de l’impact visuel ou de la saturation visuelle d’un projet nonobstant les dispositions de l’art. L. 511-1 c. env. – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à sa cassation, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour écarter l'existence d'un effet de saturation visuelle susceptible de faire regarder le projet litigieux comme présentant des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage, relève que si soixante-douze éoliennes avaient déjà été construites ou autorisées dans un rayon de dix kilomètres autour du village du Plessier-Rozainvilliers et seize dans un rayon de trois kilomètres, et que le projet avait pour effet de porter le cumul des angles occupés par des machines à un total de 167,5 degrés, il ne résultait pas de l'instruction que les éoliennes seraient toutes simultanément visibles depuis un même point.

Le Conseil d’État reproche à la cour : 1°/ de n’avoir pas retenu qu’alors même que les éoliennes ne seraient pas toutes simultanément visibles depuis un même point, cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à permettre d'écarter l'existence d'un effet de saturation ; 2°/ de n’avoir pas tenu compte de l'effet d'encerclement lié à la réduction de l'angle de respiration qu'invoquaient les parties. 

(10 novembre 2023, ministre de la transition écologique, n° 459079)

 

79 - Office français de la biodiversité – Fichier national du permis de chasser – Absence d’intervention du décret d’application d’une loi – Délai raisonnable dépassé – Illégalité – Annulation et injonction assortie d’une astreinte.

Une nouvelle fois le pouvoir exécutif fait la preuve de son peu d’empressement à prendre les dispositions réglementaires qu’appellent les lois votées en matière d’environnement.

La loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité a prévu en son art. 13 que serait pris un décret, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, pour préciser les modalités de constitution et de mise à jour du fichier national du permis de chasser et définir les conditions de consultation du fichier par les agents de l'Office français de la biodiversité et de la Fédération nationale des chasseurs. 

Saisi en ce sens par une association, le Conseil d’État constate qu’il s'est écoulé plus de quatre ans depuis la promulgation de la loi du 24 juillet 2019 sans que ne soit pris ce décret et il juge qu’a été excédé le délai raisonnable nécessaire à cette exécution sans que puisse venir atténuer cette impéritie le fait que l'élaboration du décret se serait heurtée à certaines difficultés d'ordre juridique et technique, du fait notamment des interconnexions devant être réalisées entre le fichier national en cause et les fichiers existants consacrés au contrôle des armes, tels que le fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes (Finiada) et le système d'information sur les armes (SIA).

Il est fait injonction de prendre ce décret dans les six mois sous astreinte de deux cents euros par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai.

(13 novembre 2023, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 459252)

 

80 - Pêche de l’anguille européenne – Arrêté fixant de nouvelles dates de pêche – Méconnaissance alléguée d’un règlement européen – Absence de doute sérieux sur la juridicité de l’arrêté attaqué – Rejet.

Était demandée la suspension d’exécution de l'arrêté ministériel du 19 octobre 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de douze centimètres en domaine maritime en Atlantique.

L'arrêté contesté autorise la pêche de l'anguille européenne de moins de 12 centimètres dans chacune des unités de gestion de l'anguille (UGA) de la façade atlantique pendant deux mois, dans la période comprise entre le 1er janvier et le 31 mars 2024, qui correspond en principe à une période de fermeture en application des dispositions du i) du b) du 4 de l'article 13 du règlement (UE) n° 2023/194, l’arrêté prévoit que les captures effectuées pendant l'un de ces deux mois sont exclusivement destinées au repeuplement. En outre, il résulte de l'instruction que la pêche est fermée pendant une période complémentaire d'au moins cinq mois entre le 1er mars et le 31 décembre 2023. Enfin, si le paragraphe 2 de l'article 13 précise que les périodes de fermeture sont cohérentes avec les schémas de migration des anguilles au stade de développement concerné, la seule circonstance que la pêche des civelles soit autorisée dans une UGA pendant une partie de leur période de migration ne suffit pas à établir que cette autorisation méconnaît les dispositions de cet article et, par suite, elle n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté.

(ord. réf. 13 novembre 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 489107)

(81) V. aussi, rejetant la demande de référé en suspension de l’exécution de l'arrêté ministériel du 24 octobre 2023 portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de douze centimètres pour la campagne de pêche 2023-2024 en tant qu’il a fixé des quotas de 26 tonnes pour les anguilles de moins de 12 centimètres destinées à la mise à la consommation et de 39 tonnes pour les anguilles destinées au repeuplement, dont respectivement 22,62 tonnes et 33,93 tonnes sont attribués aux marins pêcheurs. Un arrêté du même jour du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires fixe le quota de capture de ces anguilles attribué aux pêcheurs professionnels en eau douce dans les secteurs où la pêche est autorisée en application de l'art. R. 436-65-3 du code de l'environnement à 8,845 tonnes, dont 3,38 tonnes destinées à la consommation car cet arrêté contesté, se bornant à mentionner des quotas totaux résultant de l'addition des quotas attribués respectivement aux marins pêcheurs et aux pêcheurs professionnels en eau douce présente un caractère récognitif. Le moyen tiré de ce qu’il serait entaché d'incompétence en ce qu'il n'a été signé que par le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté. Les autres moyens de la requête ne sont pas davantage susceptibles de créer un doute sérieux sur la légalité de ses dispositions : ord. réf. 13 novembre 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 489108.

 

82 - Demande de suspension d’exécution totale ou partielle d’un arrêté ministériel relatif à la destruction d’espèces susceptibles d'occasionner des dégâts – Défaut, selon les espèces, d’urgence ou d’atteinte grave aux intérêts défendus par l’association requérante – Rejet.

Étaient demandées la suspension d’exécution :

- à titre principal, de l'arrêté du 3 août 2023 pris pour l'application de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégât,

- à titre subsidiaire, de l’exécution de cet arrêté en tant qu’il fait figurer le corbeau freux et le renard roux sur cette liste au niveau national, qu'il ne restreint pas le classement du renard aux seuls abords des activités susceptibles de faire l'objet de dégâts imputables à l'espèce, qu'il autorise le déterrage dans certains départements et qu'il autorise la destruction du renard roux, de la martre des pins, de la fouine, de l'étourneau sansonnet et du geai des chênes dans certains départements, le cas échéant au-delà des zones où ils sont susceptibles d'occasionner des dégâts importants. 

Le recours, en son principal et en son subsidiaire, est rejeté.

Le juge des référés relève que dans chaque cas fait défaut l’une des deux conditions cumulatives nécessaires à l’octroi d’une suspension en référé, soit l’urgence (martre des pins, fouine, étourneau sansonnet, geai des chênes, renard roux) soit l’atteinte grave aux intérêts défendus par la demanderesse (corbeau freux).

(ord. réf. 20 novembre 2023, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 489082)

 

83 - Qualité de l’air – Décisions enjoignant l’État de ramener sous un certain seuil les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 – Vérification du degré d’exécution de ces décisions – Mesures insuffisantes dans certaines zones – Exécution incomplète – Condamnation à astreinte.

Voilà un feuilleton que les pouvoirs publics n’auront pas peu contribué tant à en écrire le scénario qu’au foisonnement des épisodes, la monotonie risquant de gagner les lecteurs et pourtant l’enjeu est de taille.

Tout commence avec une décision du 12 juillet 2017 (Les Amis de la Terre France, n° 394254), par laquelle le Conseil d'État, après avoir annulé les décisions implicites de divers membres du pouvoir exécutif refusant de prendre toutes mesures utiles et d'élaborer des plans conformes à l'art. 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, permettant de ramener, sur l'ensemble du territoire national, les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 en deçà des valeurs limites fixées à l'annexe XI de cette directive, a également enjoint au premier ministre et au ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour plusieurs zones, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'art. R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible, et de transmettre le résultat à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

Puis, une décision du Conseil d’État du10 juillet 2020 (n° 428409), a prononcé une astreinte de dix millions d'euros par semestre à l'encontre de l'État et ce jusqu'à la date de cette exécution, s'il ne justifiait pas, dans les six mois, avoir exécuté la décision du 12 juillet 2017, pour chacune des zones énumérées.

Une décision du Conseil d’État du 4 août 2021 (toujours sous le n° 428409) a procédé à la liquidation provisoire de l'astreinte de dix millions d’euros prononcée pour le semestre courant du 11 janvier au 11 juillet 2021, à répartir entre diverses associations et organismes.

Par une quatrième décision, du 17 octobre 2022 (n° 428409), le Conseil d’État a procédé à la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée pour la période des deux semestres courant du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022, soit la somme de vingt millions d'euros, répartie selon des modalités identiques à celles fixées dans la précédente décision.

Les organisations requérantes ont à nouveau saisi le Conseil d’État pour lui faire constater que ses décisions précitées du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 n'ont pas été pleinement exécutées au terme du délai laissé par la décision du 10 juillet 2020 et elles ont demandé le prononcé d’une astreinte ainsi que d’en porter le plafond de dix à vingt millions d’euros par semestre.
Le juge analyse d’abord comment ont évolué durant cette période les concentrations en particules fines PM10 et les concentrations en dioxyde d’azote.

En premier lieu, pour les particules fines PM10, il conclut de cette analyse que la situation d'absence de dépassement dans la ZAG (zone à risque agglomération) Paris pouvant désormais être considérée comme consolidée, sa décision du 12 juillet 2017 doit donc être regardée comme étant exécutée s'agissant du respect des taux de concentration en particules fines.

En second lieu, pour les concentrations en dioxyde d’azote, il conclut de cette analyse que sa décision du 12 juillet 2017 ne peut être regardée comme étant désormais exécutée que pour la seule ZAG Toulouse. La situation à Marseille-Aix ne peut, en raison de la persistance d'une valeur très proche de la valeur limite, être considérée comme suffisamment consolidée et les ZAG Lyon et Paris connaissent encore des dépassements significatifs pour ce polluant.

Le juge étudie ensuite les mesures adoptées pour en conclure que, pour la ZAG de Marseille-Aix, ces mesures peuvent être regardées comme assurant, pour la zone qu'elles concernent, une correcte exécution de la décision du Conseil d'État du 12 juillet 2017 mais qu’en revanche tel n’est pas le cas pour les ZAG de Paris et de Lyon où les valeurs limites sont dépassées.

Ainsi, si les différentes mesures prises et celles qui vont être mises en vigueur « devraient permettre de poursuivre l'amélioration de la situation constatée à ce jour par rapport à 2021, les éléments produits ne permettent pas d'établir que les effets des différentes mesures adoptées permettront de ramener, dans le délai le plus court possible, les niveaux de concentration en dioxyde d'azote en deçà des valeurs limites fixées à l'art. R. 221-1 du code de l'environnement pour les ZAG Lyon et Paris. Par suite, l'Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes, propres à assurer l'exécution complète des décisions du Conseil d'Etat des 12 juillet 2017 et 10 juillet 2020 dans ces deux zones. »

Une condamnation à astreinte de dix millions d’euros est donc prononcée, elle est ainsi répartie :

- 10 000 euros pour l'association Les Amis de la Terre France,

- 3,3 millions d'euros à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME),
- 2,5 millions d'euros au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA),

- 2 millions d'euros à Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES),

- 1 million d'euros à Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS),

- 450 000 euros aux associations agréées de surveillance de la qualité de l'air  Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes, chacune,

- 145 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud, chacune.

(24 novembre 2023, Association « Les Amis de la Terre France » et autres, n° 428409)

État-civil et nationalité

84 - Décision d’irrecevabilité d’une demande de naturalisation française – Incompétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour connaître du recours contre cette décision - Compétence du tribunal administratif de Nantes – Renvoi à ce tribunal.

La décision par laquelle un agent de la sous-direction de l'accès à la nationalité française, dont le siège se situe à Rézé (Loire-Atlantique), déclare irrecevable une demande d’acquisition de la nationalité française transmise par le consul général de France à Alger, bien que prise sur délégation du ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, n’est pas au nombre de celles dont le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort mais relève de la compétence territoriale du tribunal administratif de Nantes.

(27 novembre 2023, M. B., n° 470102)

85 - Déchéance de la nationalité française – Participation à une entreprise terroriste – Rejet.

Doit être rejeté le recours formé contre le décret déclarant déchu de la nationalité française l’individu qui a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme du 1er janvier au 31 décembre 2014, confirmé et assorti d'une peine de sûreté des deux tiers, par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 octobre 2018 devenu définitif.

Le décret attaqué, en énonçant que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies, sans qu'aucun élément relatif à la situation personnelle du requérant ni aux circonstances de l'espèce justifie qu'il y soit fait obstacle, satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française.

(30 novembre 2023, M. A., n° 474304)

(86) V. aussi, très largement identique au précédent : 30 novembre 2023, M. B., n° 474300.

(87) V. également, très comparable et ajoutant cette précision que l’affirmation selon laquelle le décret de déchéance de nationalité est susceptible de le rendre apatride, ne saurait être retenue faute pour le requérant de l’établir par un quelconque élément : 30 novembre 2023, M. A., n° 474081.

(88) V. encore, identique ou presque, précisant que l'art. 4 du protocole n° 7 à la convention EDH, invoqué par la requérante et selon lequel : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par des juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État », ne trouve à s'appliquer que pour les poursuites en matière pénale, ce qui n’est pas le cas de la déchéance de la nationalité, laquelle constitue une sanction de nature administrative. Par suite, la requérante ne saurait utilement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait ces stipulations : 30 novembre 2023, Mme A., n° 472953.

 

Étrangers

89 - Ressortissant malgache - OQTF assortie d’une interdiction de retour pendant un an – Invocation du respect de la vie privée et familiale et d’une intégration scolaire en France – Absence d’atteinte grave et manifestement illégale – Confirmation du rejet de la requête en référé liberté.

Confirmant l’ordonnance de rejet rendue en première instance, le juge d’appel du référé liberté estime que ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale ou à l'intérêt supérieur de ses enfants, l’arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, interdisant son retour pendant une durée d'un an et fixant Madagascar comme pays de destination, sans que puissent faire échec à cette décision, d’une part, l’affirmation du requérant soutenant avoir le centre de sa vie privée et familiale en France, où il affirme s'être établi depuis 2015, en produisant des justificatifs de sa présence et des dépenses engagées pour sa famille durant cette période, ainsi que de son engagement au sein d'une association de quartier et, d’autre part, faisant valoir que ses quatre enfants, dont l'aînée est âgée de 13 ans et dont les deux derniers sont nés en France, en 2017 et 2020, ont suivi toute leur scolarité en France, de façon assidue et avec des résultats satisfaisants. En effet, ces circonstances, à elles seules, ne suffisant pas, au regard des exigences de l’art. L. 521-2 du CJA, « à justifier que l'arrêté préfectoral dont il demande la suspension porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale ou à l'intérêt supérieur de ses enfants, qui sont tous, comme leur mère, de nationalité malgache. »

La solution peut sembler sévère.

(ord. réf. 02 novembre 2023, M. B., n° 489060)

90 - Ressortissant malien - Refus de titre de séjour – Contrôle juridictionnel insuffisant – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt, la cour administrative d’appel qui rejette la demande d'annulation du refus de titre de séjour opposé au requérant, estimant qu'il n'était pas établi qu’il avait moins de 19 ans au moment où il a formulé sa demande de titre en se fondant seulement sur ce que la consultation du fichier Visabio avait permis de constater que le requérant avait précédemment sollicité un visa, sous une autre identité, en faisant état d'un âge sensiblement supérieur.

Il appartenait à la cour de se prononcer sur les différents documents produits par le requérant en vue d’attester de son état civil, notamment de son âge, dont l'acte de naissance et le jugement supplétif qui avaient été déclarés conformes par les services spécialisés dans la fraude documentaire et avaient justifié le placement de l'intéressé auprès du service départemental de l'aide sociale à l'enfance par jugement du tribunal pour enfants. 

(10 novembre 2023, M. A., n° 467770)           

 

91 - Ressortissant burkinabé – Refus de visa d’entrée en France – Contrôle du juge – Erreur de droit – Annulation.

Le ressortissant étranger auquel a été reconnue la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, y compris par ceux qui sont issus d'une autre union, à la condition que ceux-ci n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été présentée.

Dans le cas où la demande est présentée pour les enfants issus d'une autre union, elle doit satisfaire, en outre, aux autres conditions prévues par les art. L. 434-3 ou L. 434-4 du CESEDA, le respect de celles d'entre elles qui reposent sur l'existence de l'autorité parentale devant s'apprécier, le cas échéant, à la date à laquelle l'enfant était encore mineur. 

En se bornant à indiquer en l’espèce que l’intéressé avait plus de dix-huit ans et moins de dix-neuf sans appliquer les autres conditions prévues par ces dispositions, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

(27 novembre 2023, M. B. A. et M. C. A., n° 471525)

 

92 - Ressortissant ivoirien bénéficiaire d’un visa long séjour pour études – Demande de renouvellement de titre de séjour – Absence de délivrance d’un récépissé de sa demande  de renouvellement – Rejet.

Pour demander au juge de cassation l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande qu’il soit fait injonction à un préfet de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour et d'achever l'instruction de sa demande de renouvellement de ce titre, le requérant invoque, comme en première instance, que se trouvant en situation irrégulière depuis l'expiration le 31 octobre 2023 de son quatrième titre de séjour, et, par conséquent, exposé au risque de faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, il ne peut plus se déplacer sur le territoire national ou à l'étranger pour exercer les activités de recherche nécessaires à la poursuite de ses études de doctorat ni accepter des missions d'enseignement ou d'intérim et se trouve menacé de devoir quitter son logement étudiant. La requête est rejetée, ces éléments ne suffisant pas à établir l'urgence particulière à ce qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale soit prise dans les quarante-huit heures, dès lors que le caractère obligatoire de ses activités de recherche, la réalité de ses projets universitaires et professionnels ainsi que le risque de voir résilier le bail de son logement étudiant ne sont pas établis. Par ailleurs, le juge rappelle que la condition d'urgence propre à l'art. L. 521-2 du CJA, contrairement à ce que soutient le requérant, ne saurait être présumée. 

(ord. réf. 27 novembre 2023, M. A., n° 489461)

 

93 - Étranger mineur non accompagné – Prise en charge ordonnée par le juge des référés – Minorité jugée non contestable – Portée des mentions figurant sur un passeport – Rejet.

Un ressortissant guinéen âgé de 16 ans s’est vu refuser sa prise en charge par une commune  au titre de la protection de l'enfance. Le juge du référé liberté a enjoint à la maire de la commune d'assurer l'hébergement de l’intéressé dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question relative à sa minorité.

La commune interjette appel de cette ordonnance.

Le pourvoi est rejeté.

En premier lieu, le Conseil d’État relève que le premier juge a estimé « qu'en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, l'appréciation portée par la maire de A. sur la minorité de M. B. doit être regardée comme manifestement erronée » et qu’il s’est appuyé pour juger ainsi  sur ce que M. B. avait présenté pour justifier sa minorité un passeport biométrique original à son nom délivré le 7 octobre 2022 à Conakry, ne présentant ni rature, ni modification manifeste susceptible de remettre en doute son authenticité et dont la division nationale de la lutte contre la fraude documentaire et à l'identité, qui l'a analysé dans le cadre d'une commission rogatoire du juge des enfants du tribunal pour enfants de A., a relevé qu'il « présente toutes les caractéristiques d'un document authentique » et a estimé que ni l'indication figurant dans le rapport de la division nationale de la lutte contre la fraude documentaire selon laquelle le « risque d'une obtention indue » du passeport n'était pas exclu, ni l'absence de visa pour l'Espagne alors que M. B. affirme y être passé, ni l'évaluation sociale mettant en doute le parcours migratoire relaté par l'intéressé, ne remettaient en cause la force probante de la mention de sa date de naissance figurant sur son passeport. 

En second lieu, la seule circonstance qu'un passeport ne soit pas un acte d'état civil au sens des dispositions de l'article 47 du code civil ne fait pas obstacle à ce que le juge des référés se fonde sur les données personnelles figurant sur un passeport qu'il estime authentique ainsi que sur l'ensemble des pièces du dossier, y compris le rapport d'évaluation qui concluait en sens contraire.

Au surplus, si la commune fait valoir qu'aucun élément ne permet de rattacher le passeport à M. B. et que les conditions de son obtention ainsi que les déclarations de M. B. doivent conduire à écarter sa valeur probante, elle n'apporte aucun élément nouveau ou sérieux de nature à remettre en cause l'appréciation du juge des référés du tribunal administratif.

(ord. réf. 15 novembre 2023, Ville de A., n° 489228)

(94) V. aussi, très sensiblement voisin, à propos d’un ressortissant ivoirien, avec même solution envers le refus de prise en charge : ord. réf. 15 novembre 2023, Ville de Paris, n° 489229.

 

95 - Étrangers demandeurs d’asile – Application de la procédure « Dublin » - Déclaration de fuite – Atteinte grave à une liberté fondamentale – Défaut de l’urgence requise en procédure de référé liberté – Rejet.

Un couple de ressortissants turcs d’origine kurde a présenté en décembre 2022 une demande d’asile, la préfecture les a orientés en procédure « Dublin » et leur a délivré à chacun une attestation de demande d'asile. Une fille est née en France le 31 janvier 2023. Les autorités italiennes ayant donné leur accord pour une prise en charge, le préfet a prononcé leur transfert vers l'Italie et, dans l’attente, les a assignés à résidence.

Constatant que les intéressés ne s'étaient pas rendus à trois convocations des 30 mars, 2 juin et 4 juillet 2023, sans justifications, le préfet a signalé aux autorités italiennes qu'il les déclarait « en fuite », prolongeant ainsi le délai de transfert et donc de l'assignation à résidence, puis  il a retiré leur attestation de demande d'asile et cessé de les placer en assignation à résidence. Après que la juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande qu’il soit fait injonction au préfet de leur réattribuer le bénéfice de leur attestation de demande d'asile, ils interjettent appel.

La décision illustre très bien les exigences propres au référé liberté.

En premier lieu, le juge relève que les requérants se sont rendus en réalité à plusieurs convocations sans discontinuité, que leurs absences ne procédaient pas d’un mauvais vouloir et que trois jours avant d’être déclarés en fuite ils s’étaient rendus à une convocation tout comme avant que le préfet ne retire leurs demande d’asile ils s’étaient présentés à quatre reprises aux services préfectoraux. Ainsi, ce retrait a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile pour l'exercice duquel l'attestation est délivrée. 

En second lieu, il est repoché aux requérants de se borner à faire état de quelques considérations générales sans apporter aucun élément de nature à établir que leur demande de rétablissement de cette attestation serait, en ce qui les concerne, justifiée par une situation d'urgence.

L’appel est rejeté.

(ord. réf. 20 novembre 2023, M. et Mme C., n° 489212)

 

96 - Demande de renouvellement d'un document de circulation pour étranger mineur – Effet d’un tel document – Refus – Absence de présomption d’urgence – Rejet, à défaut d’invocation de circonstances particulières.

Si le refus de délivrance d’un titre de séjour à un étranger ou son retrait a une incidence immédiate sur la situation concrète de l'intéressé et donc sur l’appréciation de l’urgence à statuer, il n’en va pas de même du document de circulation pour étranger mineur, qui, en vertu des dispositions des art. L. 414-4 et L. 414-5 du CESEDA, permet seulement à son titulaire d'être réadmis en France sans avoir à justifier d'un visa et n'a aucune incidence sur la régularité de son séjour. Il suit de là que son refus comme son retrait ne saurait, en principe et en l'absence de circonstances particulières relatives à la situation concrète de l'étranger, créer une situation d'urgence.

C’est sans erreur de droit que l’auteur de l’ordonnance attaquée a jugé que la requérante ne pouvait pas se prévaloir d'une présomption d'urgence à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution du refus du préfet de renouveler le document de circulation de sa fille mineure.  

(ord. réf. 24 novembre 2023, Mme F., n° 476318)

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

97 - Rédacteur territorial – Contrat à durée indéterminée – Recruté en qualité d'animateur éducateur sportif – Mises en demeure de rejoindre son poste – Constat d’abandon de poste – Radiation des cadres – Erreur de droit – Annulation.

Le requérant, rédacteur territorial dans une commune, y a d’abord été embauché par contrat à durée déterminée, puis par contrat à durée indéterminé, il a été, en premier lieu, affecté comme directeur des services de la jeunesse et des sports en janvier 2011, en deuxième lieu, en novembre 2014, comme instructeur des permis de construire dans le service aménagement, urbanisme et foncier, en troisième lieu, en janvier 2017, il a été  nommé au grade d'éducateur territorial des activités physiques et sportives, en qualité d'animateur éducateur sportif. Malgré trois mises en demeure successives, il a refusé de rejoindre cette nouvelle affectation. Estimant se trouver en présence d’un abandon de poste, la commune l’a radié des cadres.

L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif qui a considéré que le maire a à bon droit estimé que M. B., qui ne pouvait être regardé comme se trouvant dans l'impossibilité matérielle de reprendre son service et ne faisait valoir aucun justificatif d'ordre médical, avait rompu le lien qui l'unissait au service en refusant de rejoindre son poste d'animateur éducateur sportif en dépit des mises en demeure qui lui avaient été adressées, et que ce comportement était constitutif d'un abandon de poste justifiant sa radiation des effectifs.

Le Conseil d’État annule cet arrêt en reprochant à la cour de n’avoir pas recherché, alors qu'elle était saisie de moyens en ce sens, si le requérant avait signé le nouveau contrat par lequel la commune proposait de le recruter en qualité d'animateur éducateur sportif ou si, à défaut de nouveau contrat, ce changement d'affectation constituait une modification d'un élément substantiel du contrat en cours, justifiant qu'il refuse de rejoindre cette nouvelle affectation.

Il est très, très difficile, tant la jurisprudence se montre restrictive pour en reconnaître l’existence, de radier un agent public des cadres pour avoir abandonné son poste.

(03 novembre 2023, M. B., n° 461537)

 

98 - Invalidité temporaire imputable au service - Invalidité temporaire prononcée à titre définitif (art. 37-9) et invalidité temporaire prononcée à titre provisoire (art. 37-5) – Régimes distincts régis par le décret du 30 juillet 1987 – Annulation de l’ordonnance de rejet.

Le juge rappelle une délicate subtilité du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux.

Lorsqu’une collectivité est saisie d’une demande de reconnaissance d’invalidité temporaire imputable au service, deux cas peuvent se présenter et la confusion entre les deux est fréquente.

Soit la collectivité, appliquant les dispositions de l’art. 37-9 du décret de 1987, place l’agent en congé pour invalidité temporaire imputable au service, ce qui implique qu’elle a reconnu l'imputabilité au service de l'accident ou de la maladie à l'origine de cette invalidité temporaire. Il s’agit donc d’une décision créatrice de droits au profit de l'agent. D’où cette conséquence, inaperçue en l’espèce par la commune, que l'autorité territoriale ne peut retirer ou abroger un tel arrêté, s'il est illégal, que dans le délai de quatre mois suivant son adoption, et ne saurait ultérieurement, en l'absence de fraude, remettre en cause l'imputabilité au service ainsi reconnue. 

Soit la collectivité, appliquant les dispositions de l’art. 37-5 du décret de 1987 parce qu’elle n'est pas en mesure d'instruire la demande de l'agent dans les délais impartis, le place en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre seulement provisoire et la décision précise qu'elle peut être retirée dans les conditions prévues à l'article 37-9 du décret du 30 juillet 1987, un tel placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire ne vaut pas reconnaissance d'imputabilité et il peut être retiré si, au terme de l'instruction de la demande de l'agent, cette imputabilité n'est pas reconnue. 

Alors qu’elle se trouvait dans le premier cas, la commune a appliqué le régime du second cas. En validant ce raisonnement l’ordonnance en référé provision encourt annulation.

(ord. réf. 03 novembre 2023, Mme A., n° 465818)

 

99 - Aide-soignante - Radiation des cadres – Demande de reconnaissance de l’imputabilité au service d’un syndrome dépressif antérieur à la radiation – Refus pour rupture de tout lien avec le service – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, confirmant la décision de son employeur, rejette la requête d’un agent qui, radié des cadres, demande que soit reconnu imputable au service un syndrome dépressif apparu antérieurement à la décision de radiation. Cette radiation est, en effet, sans conséquences sur les éléments ou événements qui lui sont antérieurs.

(09 novembre 2023, Mme B., n° 461203)

 

100 - Agent public stagiaire – Licenciement pour insuffisance professionnelle – Régime applicable – Contrôle du juge – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Saisi d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt confirmatif du jugement annulant, à l’issue de son stage, le licenciement pour insuffisance professionnelle d’une adjointe technique territoriale, le Conseil d’État rappelle ainsi les conditions et points de contrôle incombant au juge saisi d’un recours en annulation d’un tel licenciement : « (…) pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations. »

En l’espèce, où la cour administrative d’appel avait confirmé l’annulation de la décision de licenciement, le Conseil d’État relève qu’il résulte de la motivation de l’arrêt une dénaturation des pièces du dossier.

(09 novembre 2023, Syndicat intercommunal au service de la personne âgée (SISPA) « Vivre ensemble », n° 465459)

 

101 - Militaire de carrière dans la marine nationale – Succès au concours externe de contrôleur des douanes et droits indirects – Candidature au tableau d’avancement pour l’accès au grade de contrôleur de 1ère classe – Invocation du bénéfice de l’ancienneté acquise dans ses fonctions antérieures – Refus – Annulation du refus – Annulation de l’arrêt.

Un militaire de carrière ayant servi dans la marine nationale passe avec succès les épreuves du concours externe de contrôleur des douanes et droits indirects. Il est d’abord titularisé dans le corps des contrôleurs de 2ème classe. Il se porte candidat au tableau d’avancement pour l’accès au grade de contrôleur de 1ère classe et invoque au soutien de sa candidature le bénéfice de l’ancienneté acquise dans ses fonctions militaires antérieures. Cela lui ayant été refusé, il a saisi le tribunal et la cour administrative d’appel ont fait droit à sa demande.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État décide que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l’intéressé avait droit au bénéfice de la bonification pour ancienneté de services car si, pour pouvoir être inscrits sur le tableau d'avancement précité, les contrôleurs des douanes et droits indirects doivent justifier d'au moins cinq ans de services effectifs accomplis en qualité de fonctionnaire dans un corps, cadre d'emplois ou emploi de catégorie B ou de même niveau, ni les dispositions de l'article L. 4139-1 du code de la défense, ni aucune autre disposition législative ou règlementaire ne prévoit que lorsqu'un militaire est intégré dans la fonction publique selon la procédure prévue par cet article, l'appréciation de la durée de service exigée pour l'avancement dans le corps ou le cadre d'emploi d'accueil doit inclure les services qu'il a antérieurement accomplis en tant que militaire.

(09 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470522)

(102) V. aussi, identique : 09 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470523.

 

103 - Assistants sociaux – Retrait d’agréments puis licenciements – Suspension de ces mesures ordonnée – Rejet.

Un département, prétendûment sur la base d’une information préoccupante, a retiré aux requérants leurs agréments en qualité d’assistants familiaux pour l’accueil, respectivement, de deux et de trois enfants, puis les a licenciés.

Ils ont obtenu du juge des référés la suspension de ces mesures.

Le département se pourvoit en cassation de cette ordonnance. Il est débouté par le Conseil d’État qui approuve en tous points l’ordonnance attaquée : il y avait bien urgence à statuer et, en l’état de l’instruction, il existe un doute sérieux quant à la juridicité des décisions attaquées.

L’urgence résulte de ce que ces décisions ont pour effet de faire obstacle à la poursuite, par les requérants, de leur activité professionnelle et privent leur foyer de tout revenu d'activité, également de ce que leur détresse psychique est établie et, enfin, de ce que l'existence d'un intérêt public suffisant justifiant le maintien de l'exécution de ces décisions n'était pas établie, le département ne donnant aucune information sur l'information préoccupante qui en était à l'origine.

Le doute sérieux résulte, lui, du constat que les intéressés ont eu pour seule information, mentionnée dans les décisions du 6 octobre 2022 suspendant leurs agréments d'assistant familial, que le département avait été destinataire d'une information préoccupante faisant état de faits graves remettant en cause leurs pratiques professionnelles, tandis que le président du conseil départemental a refusé de leur apporter des précisions sur la teneur des éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux leur ayant raisonnablement permis de penser que le ou les enfants étaient victimes des comportements en cause ou risquaient de l'être, au motif que ces éléments faisaient l'objet d'une instruction pénale. De plus, la commission consultative paritaire départementale, saisie pour avis par le président du conseil départemental en vue d'un éventuel retrait d'agrément, s'est trouvée dans l'impossibilité de rendre un avis faute de disposer de ces éléments. Il s’ensuit que ces décisions, prises en méconnaissance tant des dispositions de l'art. R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles, que des droits de la défense et du principe du caractère contradictoire de la procédure, étaient propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées.

(09 novembre 2023, département de Seine-et-Marne, n° 473633)

(104) V. aussi, très comparable, jugeant que la seule existence d'un signalement ne pouvait suffire à constituer la justification des mesures de suspension prises à l’égard d’un couple d’assistants sociaux et qu'en l'absence d'autre précision apportée par le département du Pas-de-Calais, employeur, dans le cadre des instances de référé, un doute sérieux existait quant à la légalité de ces décisions et, par conséquent, quant à la juridicité de la décision du 28 février 2023 mettant fin à la prise en charge à son domicile de l'enfant accueilli par M. A ; ainsi, le juge des référés du tribunal administratif s'est livré à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, sans les dénaturer, et n'a pas commis d'erreur de droit : 09 novembre 2023, département du Pas-de-Calais, n° 474932.

 

105 - Candidature à l'intégration dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes – Rejet – Information de ce rejet ne constituant pas une décision – Institution d’une commission assistant le conseil supérieur des chambres régionales des comptes – Rejet.

La requérante demande l’annulation de  la décision par laquelle le premier président de la Cour des comptes l'a informée du rejet de sa candidature à l'intégration dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes et du décret du président de la république portant intégration dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes, en tant que son nom n'y figure pas.

Le recours est rejeté en tous ses griefs.

D’abord, le courrier du premier président de la Cour des comptes adressé à l’intéressée se bornait à l’informer du rejet de sa candidature par l’autorité compétente, il ne constituait pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Ensuite, si le code des juridictions financières prévoit une procédure spécifique comprenant notamment un avis du conseil supérieur des chambres régionales des comptes, ce dernier peut parfaitement préciser les conditions dans lesquelles il se prononce sur les candidatures et aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce qu'il confie à une commission le soin de l'assister pour les examiner dès lors que l'appréciation de cette commission ne lie pas le conseil supérieur, qui délibère sur chacune des candidatures pour émettre son avis. À la supposer établie, la circonstance que le règlement intérieur du conseil supérieur prévoyant l'existence et la composition de cette commission n'aurait pas été publié est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.

Également, la requérante ne saurait soutenir que la procédure suivie est entachée d'irrégularité au motif que la commission d'intégration n'aurait pas utilisé de grille d'analyse pour évaluer les mérites respectifs des candidatures et qu'elle aurait insuffisamment motivé son rapport au conseil supérieur des chambres régionales des comptes, faute de se prononcer sur les mérites individuels de chaque candidat, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe que cette commission aurait été soumise à de telles obligations.

Enfin, il ne découle pas des dispositions de l'art. L. 221-9 du code des juridictions financières qui permettent l’intégration d’agents publics dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes, que cette intégration constitue un droit pour le fonctionnaire qui en sollicite le bénéfice. Le président de la république disposant à cet effet d’un large pouvoir d’appréciation. Or il n’apparaît pas en l’espèce que son refus reposerait sur une erreur manifeste d’appréciation.

(10 novembre 2023, Mme B., n° 454476)

 

106 - Accès à la fonction publique – Instituts régionaux d’administration (IRA) – Refus de suppression de l’épreuve orale d’admission aux IRA – Demande d’annulation – Rejet d’une QPC et rejet au fond.

Doit être rejeté le recours dirigé contre la décision primo-ministérielle refusant de supprimer les épreuves orales d'admission au concours des instituts régionaux d'administration. La transmission d’une QPC fondée sur ce que les dispositions des lois du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État porteraient atteinte aux droits et libertés que garantit la Constitution, est refusée, aucune d’elle ne prévoyant d’ailleurs le principe de l'organisation d'épreuves orales d'admission aux concours d'accès à la fonction publique de l'État.

Au fond, c’est sans méconnaître le principe d'égalité des candidats et alors qu’aucun principe n'impose l'anonymat des épreuves d'un concours d'accès à la fonction publique, que l'article 1er de l'arrêté attaqué a institué une épreuve orale d'admission pour les concours externes, les concours internes et les troisièmes concours d'accès aux instituts régionaux d'administration.

(10 novembre 2023, M. A., n° 487986)

 

107 - Professeur des universités et président d’université – Suspension de ses fonctions à titre conservatoire – Formation d’un référé liberté – Absence de démonstration de l’urgence spécifique à ce référé – Rejet.

Suite à des dénonciations de harcèlement dirigées contre lui, la ministre de l’enseignement supérieur, après rapport de l'inspection générale de l'éducation concluant à l'existence de faits susceptibles de relever d'un harcèlement moral et à la responsabilité du président de l'université dans cette situation, a suspendu de ses fonctions un professeur des universités, président de l’université de La Réunion, avec maintien de son traitement, à l’exception de sa prime de président. Elle a indiqué engager une procédure disciplinaire à son encontre parallèlement à l’action publique déclenchée du fait de la saisine du parquet de Saint-Denis-de-La Réunion.

L’intéressé a demandé la suspension de l’exécution de cette mesure par la voie d’un référé liberté. Cela lui est refusé car n’est pas établie en l’espèce l’existence de l’urgence spécifique aux demandes en référé liberté et l’atteinte, même avérée, à une liberté fondamentale ne saurait, par elle-même, constituer une situation d’urgence non plus que la continuité du service public prise en la gouvernance de l’université laquelle est, en l’espèce, correctement assurée.

(10 novembre 2023, M. Frédéric Miranville, n° 489207)

 

108 - Pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires – Organisation des épreuves du concours de recrutement – Diplômes permettant de concourir – Détention d’un diplôme d’études spécialisées – Absence – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation, d’une part, de la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et le ministre de l'éducation nationale ont refusé de modifier l'annexe de l'arrêté interministériel du 25 septembre 2021 relatif à l'organisation des épreuves du concours de praticien hospitalier des établissements publics de santé, en tant qu'elle fixe la liste des diplômes requis pour se présenter dans la spécialité n° 72, « pharmacie polyvalente et pharmacie hospitalière », et d’autre part, de l'arrêté du 28 octobre 2022 du ministre de la santé portant ouverture du concours national de praticien hospitalier des établissements de santé publics, session 2022.

Le recours est rejeté notamment pour ce qui regarde l’argument principal du requérant.

Concernant le recours dirigé contre l’arrêté interministériel du 25 septembre 2021, il est rappelé que l’art. R. 5126-2 du code de la santé publique dispose que pour exercer au sein d'une pharmacie à usage intérieur, le pharmacien doit être titulaire soit du diplôme d'études spécialisées (DES) de pharmacie hospitalière et des collectivités, soit du DES de pharmacie industrielle et biomédicale, soit du DES de pharmacie, soit du DES de pharmacie hospitalière.

Toutefois, l’art. R. 5126-3 du même code prévoit que, par dérogation aux dispositions de l'art. R. 5126-2, peut également exercer au sein d'une pharmacie à usage intérieur, le pharmacien qui, soit à la date du 1er juin 2017 justifie d'un exercice au sein d'une pharmacie à usage intérieur, à temps plein ou à temps partiel, d'une durée équivalente à deux ans à temps plein sur la période des dix dernières années, soit après le 1er juin 2017 et jusqu'au 1er juin 2025 reprend un exercice au sein d'une pharmacie à usage intérieur et justifie, à la date de la reprise, d'un exercice au sein d'une pharmacie à usage intérieur, à temps plein ou à temps partiel, d'une durée équivalente à deux ans à temps plein sur la période des dix dernières années. Cet article prévoit également que les périodes de fonction en pharmacie à usage intérieur en qualité de faisant fonction d'interne, d'attaché associé, de praticien attaché associé ou d'assistant associé sont prises en compte au titre de la condition de durée minimale d'exercice de deux ans rappelée ci-dessus. 

L'arrêté interministériel querellé, du 25 septembre 2021, relatif à l'organisation des épreuves du concours de praticien hospitalier des établissements publics de santé prévoit trois spécialités accessibles aux pharmaciens : la spécialité « hygiène hospitalière » (n° 14), la spécialité « pharmacologie clinique et toxicologie » (n° 58) et la spécialité « pharmacie polyvalente et pharmacie hospitalière » (n° 72).

Les pharmaciens lauréats du concours de praticien hospitalier dans cette dernière spécialité ont vocation à exercer leurs fonctions dans les « pharmacies à usage intérieur » des établissements hospitaliers et doivent donc, en principe, être titulaires de l'un des diplômes d'études spécialisées prévus par l'art. R. 5126-2 précité. Toutefois, il est constant que des pharmaciens non titulaires de ces diplômes peuvent continuer à exercer leurs fonctions dans les « pharmacies à usage intérieur », ou y reprendre du service jusqu'en juin 2025, sans être titulaires de l'un de ces diplômes, et peuvent ainsi être utilement inscrits sur la liste d'aptitude à l'issue du concours en vue de leur recrutement comme praticiens hospitaliers dans la spécialité n° 72, dès lors qu'ils justifient, par ailleurs, en vertu de l'annexe à l'arrêté en litige, du « diplôme d'État de docteur en pharmacie ». C’est donc sans méconnaître les dispositions de l'art. R. 5126-2, qui, au demeurant, ne fixent pas les conditions de recrutement des pharmaciens praticiens hospitaliers, que les ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur ont pu ne pas imposer aux candidats au concours de praticien hospitalier dans la spécialité « pharmacie polyvalente et pharmacie hospitalière » (n° 72) d'être titulaires d'un des diplômes d'études spécialisés prévus audit article.

Concernant le recours dirigé contre l’arrêté ministériel du 28 octobre 2022, il ne peut qu’être rejeté dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu par le syndicat requérant, cet arrêté se borne à se référer aux dispositions de l'arrêté interministériel du 25 septembre 2021, sans y apporter de compléments ou de modifications. Le moyen tiré de l’incompétence de son auteur ne peut qu’être rejeté.

(14 novembre 2023, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU), n° 470022 et n° 470150, jonction pour connexité des questions posées)

 

109 - Ouvrier de l’État – Départ à la retraite - Décision plaçant rétroactivement un agent dans  un échelon supérieur – Effets – Erreur de droit – Annulation.

Un ouvrier de l’État, radié des contrôles le 31 octobre 2015, a fait l’objet, par une décision du 12 janvier 2016, d’un reclassement au 8ème échelon du groupe hors catégorie A (HCA) de l'emploi de contrôleur des travaux de l'infrastructure avec effet à compter du 19 mars 2015.

Une pension civile de retraite lui a été concédée à compter du 1er novembre 2020 sur la base d'un classement au 8ème échelon de la catégorie 7 de l'emploi de contrôleur des travaux de l'infrastructure, ainsi qu'il résulte du brevet de pension qui lui a été notifié le 29 avril 2021.

Estimant cette décision irrégulière en ce qu’elle ne tient pas compte de sa dernière promotion, l’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation ainsi que d’une demande d'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de cette omission.

Sa requête ayant été rejetée, il se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement.

Celui-ci était fondé sur ce que le requérant ne pouvait pas se prévaloir de la décision de reclassement du 12 janvier 2016, au motif que cette décision ayant été adoptée après sa radiation des contrôles le 31 octobre 2015 et donc après la cessation de ses fonctions, présentait un caractère rétroactif alors qu’elle n'avait été prise en exécution ni d'une loi, ni d'un règlement ayant légalement un effet rétroactif, ni d'une décision du juge de l'excès de pouvoir. Toutefois, le juge de cassation indique que cette décision était antérieure à la date du 1er novembre 2020, à laquelle il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite. Ainsi, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

Le jugement est annulé en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de la décision concédant une pension de retraite qui ne tient pas compte de la promotion du demandeur au 8ème échelon du groupe hors catégorie A.

(29 novembre 2023, M. B., n° 469031)

 

110 - Fonctionnaire territorial – Agent affecté à un établissement public communal (CCAS) – Détachement auprès d’un organisme privé – Réintégration à l’issue du détachement – Refus des postes proposés dans la collectivité et non dans l’établissement public – Refus de l’allocation d’aide au retour à l’emploi – Refus justifié - Annulation.

La requérante, recrutée au sein du centre communal d'action sociale de Jarville-la-Malgrange en qualité d'adjointe technique territoriale de 2e classe stagiaire pour y exercer les fonctions de veilleur de nuit, a été titularisée en 2012, puis détachée auprès de la société Médica France jusqu'au 31 décembre 2016.

Elle a d’abord sollicité la fin anticipée de son détachement et, en l'absence de poste vacant au sein du centre communal d'action sociale, elle a été placée en disponibilité d'office jusqu'à la date à laquelle son détachement aurait dû prendre fin, puis, en octobre 2016, elle a demandé  sa réintégration au sein de la mairie de Jarville-la-Malgrange ou d'une autre collectivité territoriale de la métropole du grand Nancy à compter du 1er janvier 2017.

Après qu’elle a refusé deux propositions d'emploi au sein de la commune, elle a été placée en disponibilité d'office à compter du 1er janvier 2017 pour une durée maximale de trois ans.

Le président du centre communal d'action sociale a refusé de faire droit à sa demande de versement de l'allocation de retour à l'emploi. Le centre se pourvoit en cassation du jugement qui a annulé cette décision.

Le Conseil d’État est à la cassation de ce jugement retenant que l’intéressée avait refusé des propositions d’emplois au sein de la commune et que la circonstance de son affectation au sein du CCAS, établissement public communal mais distinct de la commune, n’empêchait pas, compte tenu des liens étroits entre un CCAS et sa commune d’exercice, que des emplois lui fussent proposés parmi les emplois communaux.

Dès lors, la requérante ne pouvait soutenir avoir été involontairement privée d’emploi « involontairement » au sens et pour l’application des dispositions combinées du 1° de l’art. L. 5424-1 et de l’art. L. 5422-1 du code du travail. Par suite, c’est sans illégalité que le CCAS lui a refusé le bénéfice de l'allocation de retour à l'emploi.

(29 novembre 2023, Centre communal d'action sociale de Jarville-la-Malgrange, n° 470421)

 

Libertés fondamentales

 

Dissolution d’associations ou de groupements de fait,

variations sur l’ordre et la liberté

(n°s 111 à 114 inclus)

 

Une vague de dissolutions d’associations et de groupements de fait prononcées par décrets présidentiels est l’occasion pour le juge administratif de rappeler et de préciser sa doctrine dans une matière sensible pour les libertés publiques d’une part et pour l’étendue du pouvoir de police d’autre part. Les dissolutions d’associations ou de groupements de fait ne sont pas une chose très fréquente et c’est heureux. Leur emploi très concentré en 2023 n’en a que davantage marqué l’opinion et a conduit le juge à rendre des décisions dans une de ses plus importantes formations contentieuses : la Section du contentieux.

Naturellement, ces décisions, diverses dans les faits comme dans les solutions en droit, ont été abondamment commentées voire, parfois, critiquées tant il entre une part de subjectivité tant dans l’appréciation des circonstances de fait que dans le maniement du principe de proportionnalité car ce principe est toujours un critère subjectif en lui-même et ce caractère se diffuse, lorsqu’il est mis en œuvre, à l’ensemble du litige, faisant courir à la décision le risque d’être discutée souvent âprement.

 

111 - Liberté d’association, liberté fondamentale – Interprétation stricte des dispositions affectant cette liberté – Application du principe de proportionnalité – Absence de provocation à des agissements violents – Publication de propos outranciers accusant les pouvoirs publics d’être hostiles aux musulmans – Publication et commentaires de nature à provoquer discrimination et violence – Dissolution fondée et non disproportionnée – Rejet.

Les requérants recherchaient l’annulation du décret du 20 octobre 2021 portant dissolution de l'association demanderesse, fondée sur l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Le juge opère une distinction.

S’agissant du 1° de cet article, l’organisation en cause n’y contrevient pas et les requérants sont fondés à soutenir qu’il en a été fait une inexacte application en l’espèce dans la mesure où les réactions exprimées à la suite d’affrontements entre une famille musulmane et d’autres habitants d’un village, pour injurieuses et menaçantes qu’elles fussent, n’appelaient pas à la violence.

Cependant, en revanche, au regard des dispositions du 6° de l’article précité, l’association dissoute a, de façon récurrente, sur ses réseaux sociaux, publié en grand nombre, notamment entre 2019 et 2021, tenu des propos, dont certains outranciers, fondés sur l'idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que de nombreux partis politiques et médias seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l'antisémitisme pour nuire aux musulmans. La gravité de ces accusations et les nombreuses réactions qu’elles ont suscitées sans que l'association ne tente de les contredire ou de les effacer relèvent manifestement de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une nation, une prétendue race ou une religion déterminée ou à propager des idées ou théories tendant à les justifier ou à les encourager, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que l'objet de l'association, tel que défini par ses statuts, n'était pas illicite.

Dès lors, en prononçant la dissolution contestée, le décret attaqué n’a pas pris une mesure présentant un caractère disproportionné au regard des risques de troubles à l'ordre public résultant de ces agissements.

L’application inexacte du 1° de l’art. L. 212-1 du code précité n’a aucune incidence en l’espèce car l’auteur du décret aurait pris la même décision s’il ne s’était fondé que sur les seules dispositions de son 6°.

(Section, 09 novembre 2023, Association « Coordination contre le racisme et l'islamophobie », n° 459704 et M. Chaambi, n° 459737)

 

112 - Groupement de fait – Justification de la discrimination et de la haine envers les étrangers et les Français issus de l'immigration – Assimilation à des criminels ou à des terroristes – Liaisons avec des groupes à l’idéologie largement comparable – Gravité et récurrence des agissements – Rejet du recours dirigé contre le décret de dissolution.

Le recours formé contre le décret du 19 novembre 2021 prononçant la dissolution de l’Alvarium, soulevait une question de qualification juridique de ce dernier qui n’a pas la personnalité juridique, ce qui explique l’introduction du présent recours par une personne physique se disant porte-parole de ce mouvement. Le Conseil d’État le qualifie de « groupement de fait », catégorie juridique reconnue par l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et d’ailleurs reprise telle quelle de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées adoptée à la suite des émeutes du 6 février 1934.

Le juge considère que le caractère récurrent et la gravité de ces agissements assimilant les étrangers et les Français musulmans à des délinquants, criminels ou terroristes et appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine contre les étrangers, les font entrer dans le champ du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dont il a été fait en l’espèce une exacte application ne contrevenant pas aux dispositions de l’art. 11 de la Convention EDH.

(Section, 09 novembre 2023, M. Gannat, (dissolution du groupement de fait Alvarium), n° 460457)

 

113 - Groupement de fait – Règles et principes s’appliquant à son décret de dissolution – Procédure administrative suivie – Appel à des agissements violents lors de manifestations – Violences revendiquées sur les forces de l’ordre et sur leurs moyens – Appels au meurtre – Actes graves et répétés justifiant la dissolution – Rejet.

Le recours dirigé contre le décret dissolvant le groupement de fait dont les requérants sont des dirigeants soulevaient trois questions préalables de procédure.

Tout d’abord, bien que sans personnalité juridique, sans structure(s) et non déclaré, il constitue, comme dans la décision précédente, un groupement de fait ce qui le rend éligible aux dispositions invoquées par l’auteur du décret de dissolution.

Ensuite, si ce décret a été pris le jour de l’expiration du délai de dix jours légalement imparti pour permettre aux intéressés de faire parvenir leurs observations sur la projet de dissolution, il n’y a là aucune irrégularité.

Enfin, n’est pas irrégulière la circonstance que le courrier d’information ait été adressé à l’un des dirigeants du groupement et non aux deux.

Sur le fond, le juge rappelle, d’une part, que le 1° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, réprime les agissements qui constitue une provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, de nature à troubler gravement l'ordre public et, d’autre part, que le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soit les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions tout comme le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d'incitations explicites à commettre des actes de violence. 

Examinant les faits à l’origine du décret de dissolution, le juge relève que le 1° de l’art. précité, lorsque les conditions qu’il prévoit pour sa mise en œuvre sont réunies, n’apporte pas, contrairement à ce qui est soutenu, des ingérences injustifiées dans les libertés garanties par les stipulations des art. 10 et 11 de la Convention EDH. Puis, il estime que ne saurait être contesté que plusieurs messages postés par le groupement dissous et M. D. sur les réseaux sociaux, dont il ne peut être sérieusement contesté qu'ils leur sont imputables, ont appelé explicitement à commettre des agissements violents sur les biens ou les personnes, constitutifs de troubles graves à l'ordre public, en particulier à l'occasion de manifestations, déclarées ou non, sur la voie publique. Enfin, entrent dans les prévisions du 1° précité la répétition et la durée dans le temps, d’une part, de messages comprenant des photographies ou des dessins représentant des policiers ou des véhicules de police incendiés, recevant des projectiles ou faisant l'objet d'autres agressions ou dégradations, et d’autre part, de messages approuvant et justifiant des violences graves commises à l'encontre de militants d'extrême-droite et de leurs biens ainsi que des appels, formulés par des tiers, à la violence, voire à leur meurtre, sans donner lieu à une quelconque modération de la part de l'organisation, qui n'était pas dépourvue de moyens pour y procéder. 

Le décret de dissolution est, à la fois, exactement fondé dans son existence et correctement proportionné dans son contenu.

(Section, 09 novembre 2023, M. Festas et autre, (dissolution du groupement de fait « Groupe Antifasciste Lyon et environs, dit " la GALE ", »), n° 464412)

 

114 - Groupement de fait – Dissolution – Régime et limites – Provocation par action ou par abstention – Nécessité d’une mesure de caractère adapté, nécessaire et proportionné – Absence – Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 21 juin 2023 portant dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre ».

Le Conseil d’État rappelle à nouveau (cf. requête n° 464412 ci-dessus) que dès lors que la dissolution est fondée sur le 1° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, il est nécessaire d’établir l’existence d’une provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, de nature à troubler gravement l'ordre public et que constitue une telle provocation le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soit les auteurs, tout comme le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d'incitations explicites à commettre des actes de violence. 

En l’espèce, le juge constate que le groupement n’a ni appelé à des violences contre les personnes ni exercé de telles violences quand bien même des membres des forces de l’ordre ont été blessés au cours des manifestations organisées par lui.

En revanche, c’est sans erreur de droit ou de fait que le décret attaqué a estimé que le groupement de fait et ses membres ont provoqué à des agissements contre les biens, ce qui relève effectivement du 1° de l’art. L. 212-1 du CSI. Par ailleurs, il est constant qu’ont été commises des dégradations matérielles qui ont été suscitées puis revendiquées par le groupement.

Toutefois, au regard de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu'elles ont pu avoir, « la dissolution du groupement ne peut être regardée, à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public. »

Le décret de dissolution est annulé. 

(Section, 09 novembre 2023, Les Soulèvements de la Terre, M. H et autres, n° 476384 ; M. J., n° 476392 ; M. P., n° 476408 ; Association Europe Écologie Les Verts et autres, n° 476946, jonction).

 

115 - Expulsion du territoire français en urgence absolue – Retrait de visa – Ressortissante palestinienne - Menace grave à l’ordre public – Membre dirigeant d’un mouvement classé comme terroriste par l’Union européenne – Annulation.

Une militante palestinienne, Mme Mariam Abou Daqqa, a fait l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire français en urgence absolue pour menace grave à l'ordre public et du retrait de son visa de court séjour délivré le 7 août 2023.

Elle a obtenu du tribunal administratif la suspension de l’arrêté ministériel attaqué. Le ministre de l’intérieur interjette appel de cette ordonnance.

Le Conseil d’État annule celle-ci.

Il relève d’abord que la requérante a donné plusieurs conférences et a participé à plusieurs actions de soutien à la cause palestinienne sans qu’aucun incident ne soit survenu et donc sans qu’il ait été porté atteinte à l’ordre public. Ses interventions publiques ne sauraient à elles seules être assimilées à un soutien au Hamas, à des propos antisémites ou à des agissements de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.

Ensuite, le juge note cependant que le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), en vertu du règlement d'exécution du Conseil du 20 juillet 2023, figure sur la liste tenue par l’Union européenne en vertu de l'art. 2, § 3, du règlement du Conseil du 27 décembre 2001 sur laquelle sont inscrits les personnes morales, groupes ou entités « commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation », ceux « détenus ou contrôlés par une ou plusieurs (de ces) personnes (...) morales, groupes ou entités » ou ceux « agissant pour le compte ou sous les ordres d'une ou de plusieurs (de ces) personnes (...) morales, groupes ou entités ».

Enfin, il retient que, pour la première fois dans la procédure, l’instruction a révélé que, contrairement à ses affirmations, l’intéressée est non seulement demeurée membre du FPLP mais qu'elle est une « dirigeante du mouvement », notamment aux termes mêmes du site internet officiel en arabe de cette organisation. Le FPLP a commis, de 2002 à 2015, treize attentats contre des civils israéliens, faisant de nombreuses victimes.

En conséquence, eu égard à la tension internationale au Proche-Orient, à une récente attaque du Hamas en Israël, à la forte recrudescence de l’antisémitisme, la présence de cette personne en France pour s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien est susceptible de susciter de graves troubles à l'ordre public ce qui justifie la mesure d’expulsion immédiate prise à son encontre. Au surplus, la requérante ne pouvant se prévaloir d'aucune attache en France, pays dans laquelle elle est arrivée en septembre 2023 et dont elle ne parle pas la langue, son expulsion ne peut être considérée comme portant une atteinte gravement illégale à sa liberté d'aller et venir, ni, en tout état de cause, à sa liberté d'expression.

(ord. réf. 08 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 489045)

 

116 - Étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire – Retrait – Annulation par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Qualification inexacte des faits – Annulation avec renvoi à la Cour.

L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) saisit le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation dirigé contre la décision de la CNDA annulant le retrait du bénéfice de la protection subsidiaire que l’Office avait accordé à un ressortissant kosovar.

L’Office se fondait, pour justifier la mesure prise, sur divers messages et photos émanant de ce dernier et figurant sur les réseaux sociaux mais la CNDA a jugé qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que l'activité de ce dernier sur le territoire français constituait une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État.

Le Conseil d’État annule l’arrêt de la CNDA pour qualification inexacte des faits de l’espèce en raison des faits figurant au dossier. Entre le 1er mai 2017 et le 30 avril 2018, l’intéressé a publié, sur son compte personnel Facebook :

- quatre messages signalés à l'OFPRA, dont, en mai 2017, une représentation de deux fusils d'assaut croisés autour d'une horloge à l'effigie de l'Armée de Libération du Kosovo, annotée du texte : « Ah mon frère l'heure viendra un jour »,

- en décembre 2017, un message de soutien appuyé à un imam alors poursuivi au Kosovo pour incitation à commettre des actes terroristes,

- le 18 avril 2018, un autoportrait légendé : « Appelle-moi Al-K-Idda »,

- le lendemain, une photographie de plusieurs personnes en uniforme, cagoulées et porteuses d'un fusil d'assaut de type AK 47, posant devant un drapeau albanais, assortie du commentaire suivant : « J'ai pas d'amis, moi j'ai des frères, ils sont prêts à tout péter, ils attendent un coup d'appel, ils vont venir et tout baiser » (sic).

Par ailleurs, l’intéressé a été condamné à ce titre pour apologie publique d'un acte de terrorisme ;  au cours de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, il a tenté de justifier ces publications ; dans le même temps, lors de son entretien devant l'OFPRA, il a prétendu ignorer ce qu'est Al-Qaida, niant toute référence à ce groupe terroriste dans son message du 18 avril 2018, alors que l'intéressé est identifié depuis 2016 par les services de renseignement comme un individu en relation avec la mouvance islamiste, en raison d'un changement brutal de comportement, en particulier à l'égard des femmes, intervenu à la suite des attentats terroristes commis en France en 2015. 

(09 novembre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 470180)

 

117 - Droit d’asile - Recours contre un refus d’octroi de la protection asilaire – Procédure suivie devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Irrégularité – Annulation.

Encourt annulation pour irrégularité de la procédure suivie, la décision de la CNDA rejetant la requête de l’intéressée au motif qu'elle ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision du directeur général de l'OFPRA refusant de lui accorder la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire alors que l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle n'avait pas encore produit de mémoire et sans l'avoir mis en demeure de le faire en lui impartissant un délai à cette fin, n’assurant pas ainsi à la requérante le respect effectif du droit qu'elle tirait de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle.

(10 novembre 2023, Mme B., n° 470807)

 

118 - Extradition – Ressortissant moldave - Contestation au moyen d’arguments divers – Rejet.

Le demandeur conteste par divers moyens, tous rejetés, la juridicité du décret autorisant son extradition vers la Moldavie.

Le décret est  correctement motivé et bien que n’existe aucune obligation de notifier un décret d’extradition à une personne dans la langue qu’elle comprend, en l’espèce tant le formulaire de notification du décret d'extradition que l'une des versions du décret qui lui a été remise ont été traduits en langue moldave, en outre, contrairement à ce qui est soutenu, le formulaire indiquait les voies et délais de recours ouverts contre ce décret ainsi que la possibilité de saisir la juridiction administrative par l'application Télérecours citoyens.

L’autorisation d’extradition est fondée sur la commission de faits également réprimés en droit français, comme en droit moldave.

Enfin, il est constant, en premier lieu, que le requérant avait adressé un écrit au tribunal de Chisinau aux termes duquel il avait déclaré reconnaître les faits et souhaiter être jugé selon une procédure simplifiée et que, s'il n'était pas présent à l'audience, il avait été informé de sa date et y a été représenté par son avocat lequel l'avait assisté dès le début de la procédure, et, en second lieu, qu'il n'a pas usé de la faculté d’interjeter appel du jugement prononcé par ce tribunal. Il n'est donc pas fondé à soutenir qu'il a été jugé par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense au sens des dispositions du 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale.

Le moyen tiré du risque de subir des traitements inhumains ou dégradants n’est pas assorti d'éléments suffisamment précis pour pouvoir être retenu.

Le recours est rejeté sans que puisse y faire obstacle, en raison des nécessités de l’ordre public, la circonstance que l'intéressé réside en France depuis 2018 et y ait une vie sociale et professionnelle, le décret d’extradition ne portant pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée.

(10 novembre 2023, M. B., n° 471792)

(119) V. aussi, à propos de l’extradition d’un ressortissant marocain, le rejet du recours dirigé contre cette décision motif pris de ce que si une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie familiale au sens de l'art. 8de la convention EDH, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition qui est de permettre dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées à l'étranger pour de tels crimes ou délits sans que puisse y faire obstacle, comme au cas d’espèce, la circonstance que l'intéressé déclare être domicilié en France, y exercer une activité professionnelle et être le père de trois enfants nés en France : 10 novembre 2023, M. A., n° 475484.

(120) V. aussi, très intéressante, la décision annulant partiellement le décret d’extradition d’un ressortissant canadien en tant que si la législation pénale canadienne punit d’un emprisonnement maximal de deux ans la personne qui, n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation, ne s’est pas conformée à une ordonnance de mise en liberté sous contrôle avec obligations de répondre aux convocations, d'assignation à résidence et de port du bracelet électronique, un tel comportement ne constitue pas en France une infraction. Au passage, le juge rappelle que ne sauraient utilement être invoquées en matière d’extradition vers un État non membre de l’UE les stipulations des articles 6, 47 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le décret d’extradition attaqué ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union européenne mais la convention franco-canadienne d’extradition : 27 novembre 2023, M. A., n° 476088.

 

121 - Demande d’asile ou de protection subsidiaire – Demande présentée par une personne entrée irrégulièrement en France ou s’y maintenant irrégulièrement – Examen en procédure accélérée – Décompte du délai de quatre-vingt-dix jours – Erreur de droit.

La solution retenue par cette décision n’allait pas de soi.

Le Conseil d’État décide que des dispositions combinées des art. L. 521-1, L. 532-6, L. 532-7, ce dernier transposant l'art. 31 de la directive du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection, il se déduit que le point de départ du délai de quatre-vingt-dix jours au terme duquel l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) statue en procédure accélérée sur la demande d’asile formée par une personne entrée irrégulièrement en France ou s’y maintenant irrégulièrement n’est pas la date à laquelle l’OFPRA a été saisi de la demande d’asile ou de protection subsidiaire mais celle de l'introduction de la demande de protection en vue de son enregistrement par l'autorité administrative compétente et de la remise de l'attestation de demande d'asile.

En l’espèce, le magistrat de la  la Cour nationale du droit d’asile statuant seul sur le recours de l’intéressée, a commis une erreur de droit en jugeant que la demande de la requérante relevait de la procédure accélérée et en rejetant pour ce motif sa demande de renvoi devant une formation collégiale de la Cour nationale du droit d'asile (cf. art.  L. 532-7 CESEDA), dès lors que celle-ci avait présenté sa demande d'asile devant l'OFPRA le 1er juin 2021, soit plus de quatre-vingt-dix jours après son entrée en France, le 30 septembre 2019 ; elle relevait donc des dispositions du 3° de l'art. L. 531-27 du CESEDA. Or il ressortait des pièces du dossier soumis à son examen qu'un enregistrement de sa demande en guichet unique pour demandeurs d'asile avait été opéré dès le 10 octobre 2019.

(27 novembre 2023, Mme A., n° 467705)

 

122 - Étranger sollicitant l’asile en France pour lui-même et ses enfants mineurs – Possibilité d’invoquer des motifs de persécution propres à ses enfants – Cas de la naissance d’enfant(s) ou d’une entrée d’enfant(s) mineur(s) en France postérieurement à l’enregistrement de la demande d’asile du père – Régime – Rejet.

L’OFPRA demandait l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) par laquelle celle-ci lui a renvoyé, pour nouvel examen, le dossier d’une candidate mineure à l’asile que l’OFPRA avait refusé d’examiner.

C’est l’occasion d’une importante décision relative au cas des enfants mineurs entrés en France ou nés postérieurement à la demande d’asile formée par leur(s) ascendant(s). Le juge délivre pour ces cas un vade-mecum assez complet et somme toute marqué par un fort souci d’équilibre entre des exigences qui ne sont pas forcément à l’unisson entre elles.

Il déduit des dispositions combinées des art. L. 521-3, L. 521-13 et L. 531-12 du CESEDA les conséquences suivantes.

Tout d’abord, l'étranger présent sur le territoire français souhaitant demander l'asile doit présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. Il peut, au soutien de sa demande pour ses enfants, faire valoir, s'il y a lieu, des craintes propres de persécution pour ses enfants lors de l'entretien prévu en ce cas par le CESEDA (cf. art. L. 531-12 CESEDA).

Ensuite, en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger, qui est tenu d'informer dans les meilleurs délais l'OFPRA de cette naissance ou de cette entrée, doit procéder de la même manière que dans le cas précédent. À cet égard, la circonstance que l'Office a déjà statué sur sa demande n’a pas d’effet sur cette procédure.  Sur ce point, deux situations se présentent : soit la naissance ou l’entrée est antérieure à l’entretien soit elle lui est postérieure.

Dans le premier cas, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant, sauf si celui-ci établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire.

Dans le second cas, et si l'enfant se prévaut de craintes propres de persécution, il appartient à l'OFPRA de convoquer à nouveau l'étranger afin qu'il puisse, le cas échéant, faire valoir de telles craintes. Lorsque l'Office est informé de ces craintes postérieurement à sa décision sur la demande de l'étranger, il lui appartient en outre de réformer cette décision afin d'en tenir compte. Il en est ainsi y compris après l'enregistrement d'un recours devant la Cour nationale du droit d'asile.

Enfin, quel que soit le cas susvisé, lorsque l'OFPRA n'a pas procédé à un tel examen individuel des craintes propres de l'enfant ou s'est abstenu de convoquer l'étranger à un nouvel entretien, il appartient, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision de l'OFPRA et de lui renvoyer l'examen des craintes propres de l'enfant si, d'une part, elle n'est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection de l'enfant au vu des éléments établis devant elle et, d'autre part, elle estime que l'absence de prise en compte de l'enfant ou de ses craintes propres par l'Office n'est pas imputable au parent de cet enfant.

En l’espèce, contrairement à ce que soutient l’OFPRA demandeur, la CNDA n’a pas dénaturé les faits de l'espèce, ni commis d'erreur de qualification juridique en s'estimant saisie, dans les circonstances de l'espèce, d'un rejet de la demande de la jeune C. sur laquelle elle n'avait pas statué dans sa décision du 27 octobre 2022 rejetant la demande de son père, ni méconnu les dispositions du CESEDA relatives tant au caractère familial des demandes qu'au devoir d'information et de coopération incombant au demandeur. Pas davantage, la Cour n’a méconnu son office ou commis d’erreur de droit dès lors qu’ayant jugé que l'Office a pris la décision litigieuse sans procéder à un examen individuel de la demande ou en se dispensant, en dehors des cas prévus par la loi, d'un entretien personnel avec le demandeur, en ne se prononçant pas sur la demande de la jeune C.

Il appartient donc à l’OFPRA de procéder à l’examen de la demande dont il a été saisi.

(27 novembre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 472147)

 

123 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Demande adressée au bureau d’aide juridictionnelle près cette cour – Délai de quinze jours – Délai non franc – Demande ne pouvant être adressée qu’à ce bureau ou à la cour elle-même. Rejet.

(13 novembre 2023, M. B., n° 467595)

V. n° 29

 

124 - Liberté de la presse – Conditions d’accès au régime économique de la presse – Reconnaissance des services de presse en ligne – Nécessité d’une équipe rédactionnelle composée de journalistes – Exigences répondant à un but légitime dans une société démocratique – Rejet.

Les requêtes, jointes par le juge, d’un syndicat et d’une société de presse tendaient, pour le syndicat requérant, à l’annulation du décret du 21 décembre 2021 modifiant le code des postes et des communications électroniques ainsi que le code général des impôts et le décret du 29 octobre 2009 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse et, pour la société requérante, à l’annulation du refus primo-ministériel d’abroger ces mêmes dispositions.

Les requêtes sont rejetées.

Le décret du 29 octobre 2009 n’excède pas l'habilitation que lui donne la loi du 1er août 1986 et il n’est pas, non plus, entaché d’incompétence négative. Le Conseil d’État a d’ailleurs refusé de transmettre la QPC soulevée par la société requérante sur la non-conformité de l'article 1er, alinéa 3, de la loi du 1er août 1986 avec les art. 1er, 2 et 34 de la Constitution et les art. 4, 6, 11 et 16 de la Déclaration des droits de 1789. Par ailleurs, le décret litigieux, s’agissant de la presse imprimée, ne fait pas application de la loi de 1986 mais, à la fois, du dernier alinéa de l'art. L. 2 du code des postes et communications électroniques, sur le bénéfice du tarif postal de la presse, et de l'article 298 septies du code général des impôts, s'agissant des avantages fiscaux accordés à la presse.

Ensuite, en subordonnant le bénéfice du régime économique de la presse à une nouvelle condition tenant au traitement des informations par une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels dont la composition est appréciée en fonction de la taille de l'entreprise éditrice, de l'objet de la publication et de sa périodicité, le décret attaqué n’a pas retenu  des critères équivoques ou insuffisamment précis car ce sont ceux que la commission paritaire des publications et des agences de presse applique aux publications qui lui sont soumises. Contrairement à ce qui est allégué, ces critères ne méconnaissent pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, ni le principe d'égalité devant la loi.

Enfin, il ne saurait être sérieusement soutenu que le texte querellé serait contraire aux stipulations de l’art. 10 de la Convention EDH alors qu’il n’a pas pour objet d'autoriser ou d'interdire les publications mais de les faire bénéficier d'avantages économiques en vue de garantir le pluralisme de la presse en définissant les critères de l'admission de ces publications au bénéfice de ces avantages. Il répond ainsi au but légitime et nécessaire dans une société démocratique, au sens des stipulations de l'art. 10 de la Convention précitée, de protection du pluralisme de la presse.

(13 novembre 2023, Syndicat des éditeurs de presse magazine, n° 461835 ; société RL Mags Limited, n° 469186, jonction)

 

Police

 

125 - Police de l’ordre public – Match de football – Interdiction de déplacement de supporters d’un club – Appréciation objective des risques – Décisions préfectorales de légalité douteuse - Compétence du juge saisi par voie de connexité – Rejet au regard des intérêts publics en cause.

En vue d’un match de football devant opposer, à Marseille, le 4 novembre 2023 à 21 heures, les équipes du Lille Olympique Sporting Club et de l'Olympique de Marseille, des échanges en vue de la préparation de cette rencontre en matière de sécurité ont eu lieu jusqu’au 2 novembre, débouchant sur le principe d’une présence, dans la tribune réservée aux visiteurs, de 250 à 350 supporters lillois s'y rendant pour leur majorité par leurs propres moyens, à l'exception d'un car et de deux minibus affrétés. Cependant, la veille et le jour même de cette rencontre, le ministre de l’intérieur le 3 novembre et la préfète de police le 4 novembre, ont publié chacun un arrêté interdisant, le premier, le déplacement à Marseille des personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'équipe lilloise ou se comportant comme tels et la seconde, leur présence au stade Orange vélodrome ou dans ses abords immédiats.

La suspension de ces arrêtés est demandée par l’association requérante au visa de l’art. L. 521-2 CJA (référé liberté). Ceci soulevait trois questions distinctes.

La première était une question de procédure : si le référé dirigé contre l’arrêté du ministre de l’intérieur relevait de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État, celui visant l’arrêté préfectoral relevait de la compétence du tribunal administratif de Marseille. Toutefois, le juge fait ici application des dispositions de l’art. R. 341-1 du CJA régissant le traitement de conclusions connexes dont les unes relèvent de la compétence directe du Conseil d’État et dont les autres relèvent de la compétence d’un tribunal ou d’une cour : le Conseil d’État est compétent pour connaître de l’ensemble des conclusions. Ici il s’agissait d’une connexité par l’unicité de l’objet des deux arrêtés contestés, à savoir la sécurité de la rencontre du 4 novembre au stade Vélodrome.

La deuxième question concernait la tardiveté des décisions de l’administration, intervenues, l’une la veille et l’autre le matin même de la rencontre, ce qui était parfaitement déraisonnable comme on va le voir surtout en l’état d’un calendrier des matches organisés dans le cadre du championnat de France de football connu depuis plusieurs mois. Le juge relève l’absurdité d’une telle chronologie car le mal est déjà fait en quelque sorte puisque les supporters lillois qui devaient parcourir quelques mille kilomètres pour parvenir à Marseille étaient nécessairement déjà en route ou arrivés à destination au moment de la publication des arrêtés et, a fortiori, au moment où le juge des référés rend son ordonnance. Il faut saluer les efforts remarquables des services et des membres du Conseil d’État, capables d’instruire un tel dossier dans le respect du contradictoire avec la tenue d’une audience (grand merci à l’oralité des débats !) et de déboucher sur une ordonnance qui n’a rien de bâclé ou d’approximatif en dépit d’un temps de procès follement réduit.

La troisième question portait évidemment sur le fond : les mesures d’interdictions attaquées étaient-elles légales ? Ici, le juge des référés, sans doute agacé par le traitement subi du fait de décisions intempestivement tardives et cela sans aucune justification, n’y va pas avec des gants. Il estime, au terme de son analyse, que : « Dans ces conditions, et indépendamment même de la regrettable annonce tardive des mesures contestées, en contradiction avec les travaux préparatoires qui avaient été conduits entre les parties concernées et sans que ce revirement apparaisse justifié par quelque élément nouveau que ce soit, la requérante peut nourrir des doutes quant à la légalité des décisions litigieuses. » En effet, le juge des référés n’a été convaincu par aucun des arguments du ministre et de la préfète, relevant au passage que leurs argumentaires respectifs ne concordent pas absolument  : ni l'historique des rencontres entre les deux équipes concernées, ni l’invocation du risque pour la sécurité propre au match en cause, ni la mobilisation des forces de l'ordre qu'imposerait la présence d'un nombre de toutes façons limité de supporters lillois dans le cadre d'une rencontre qui devait, en toute hypothèse, être fortement sécurisée, ni l’interdiction de la présence de personnes en réalité déjà arrivées sur place, ne sont détaillés, précisés, documentés de manière suffisante.

Et pourtant… l’ordonnance rendue au terme de cette analyse est une ordonnance de rejet, le juge des référés retenant que : « Toutefois, eu égard à l'imminence, malgré l'instruction de la présente requête dans l'espace de quelques heures, de la rencontre sportive en cause et aux risques pour l'ordre public que pourrait présenter la modification du dispositif de sécurité, tel qu'arrêté à la suite de l'interdiction ministérielle, qu'imposeraient les mesures demandées dans un contexte réel de forte mobilisation des forces de l'ordre, il y a lieu, au regard de l'ensemble des intérêts publics en cause, de rejeter la requête. »

Les arrêtés et leurs auteurs ont senti siffler le vent du boulet. À bon entendeur, salut !

(ord. réf. 04 novembre 2023, Association nationale des supporters, n° 489226)

(126) V. aussi, très largement comparable, le rejet du recours tendant à la suspension de l’exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement des supporters du Football Club des Girondins de Bordeaux (FCGB) lors de la rencontre du samedi 25 novembre 2023 à 19 heures avec le Paris Football Club  (PFC) devant se dérouler au stade Charléty dans le cadre de la 15ème journée de championnat de France de Ligue 2 BKT : ord. réf. 24 novembre 2023, Association nationale des supporters, n° 489603.

(127) V. encore, dans cette même affaire, rejetant – car devenu sans objet - l’appel formé par le ministre de l’intérieur contre l’ordonnance de référé du tribunal administratif de Paris suspendant l'exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du préfet de police, en tant qu'il interdit aux supporters des Girondins de Bordeaux de se prévaloir de cette qualité et de se comporter comme tels dans l'enceinte du stade Charléty, à l'occasion de la rencontre de football du 25 novembre 2023 entre le Paris Football Club et le Football Club des Girondins de Bordeaux. La rencontre ayant débuté le 25 novembre 2023 à 19h00, la demande d’annulation de cette ordonnance, formée le même jour, est devenue sans objet : ord. réf. 25 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 489648.

 

128 - Expulsion du territoire français en urgence absolue – Retrait de visa – Ressortissante palestinienne - Menace grave à l’ordre public – Membre dirigeant d’un mouvement classé comme terroriste par l’Union européenne – Annulation.

(ord. réf. 08 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 489045)

V. n° 115

 

129 - Police du logement – Local déclaré impropre à l’habitation – Obligation pour le propriétaire de reloger les locataires – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Un arrêté préfectoral a déclaré par nature impropre à l'habitation un local appartenant à la société requérante et lui a ordonné d'assurer le relogement de ses locataires.

La société a saisi, en vain, le juge du référé suspension ; elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet.

Pour rejeter la demande, le juge des référés s’est fondé sur ce que ne pouvait être tenu pour propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté préfectoral en litige le moyen tiré de ce que l'appartement ne présentait pas par nature un caractère impropre à l'habitation. Le Conseil d’État est à la cassation en ce que cette motivation repose sur une dénaturation des pièces du dossier dès lors que l’appartement présente une superficie de 28 m² et comporte deux pièces dont l'une, de 14 m², comprend sur la moitié de sa surface une mezzanine en bois qui supporte un chauffe-eau électrique et des espaces de rangement, même s'il est vrai que, sous cette mezzanine, la hauteur disponible n'est que de 2,10 m, d’autant que les aménagements litigieux ont un caractère réversible.

(14 novembre 2023, Société CF6 Immo, n° 472764)

 

130 - Police des épizooties – Arrêté ordonnant l’abattage d’un cheval – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Confinement de l’animal n’éliminant pas complètement le risque de propagation d’une maladie – Absence de caractère disproportionné – Rejet.

Par deux arrêtés des 17 mai et 8 juin 2023, le préfet de la Dordogne a ordonné l'abattage, par un vétérinaire, du cheval répondant au doux nom de « Plaisir des fleurs », en raison de son infection à l'anémie infectieuse des équidés, sur le fondement de l’art. 9 de l'arrêté interministériel du 23 septembre 1992 fixant les mesures de police sanitaire relatives à l'anémie infectieuse des équidés. 

Le juge des référés du tribunal administratif ayant rejeté ses demandes tendant à la suspension de l'exécution de ces arrêtés, la propriétaire de l’animal a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance de rejet.

Par ailleurs, saisi par l'administration, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire, par une ordonnance du 27 juillet 2023 puis, par une seconde ordonnance, du 17 août suivant, dont il n'a pas été interjeté appel, a rejeté la demande du préfet tendant à obtenir l'autorisation de pénétrer sur le lieu de détention de l'équidé afin de le capturer et de procéder à son abattage.

Par un troisième arrêté, du 10 octobre 2023, portant déclaration d'infection au titre de l'anémie infectieuse des équidés sur la commune de Le Bugue, le préfet a ordonné à l'intéressée de faire procéder elle-même à cet abattage avant le 22 octobre 2023, sous peine de la sanction pénale prévue à l'art. R. 228-1 du code rural.

Sa propriétaire a saisi le juge du référé liberté qui a ordonné la suspension de cet arrêté jusqu'à ce que le Conseil d'État ait statué sur le pourvoi en cassation dont l’intéressée l’a saisi et dirigé contre l’ordonnance de rejet.

Le ministre de l’agriculture se pourvoit, avec succès, contre cette ordonnance.

Le Conseil d’État retient d’abord pour cela que la circonstance que l'administration ne procède pas à l'abattage systématique des animaux souffrant de maladies qui, comme l'anémie infectieuse des équidés, est classée dans les catégories D et E du règlement d'exécution (UE) de la Commission du 3 décembre 2018 sur l'application de certaines dispositions en matière de prévention et de lutte contre les maladies à des catégories de maladies répertoriées et établissant une liste des espèces et des groupes d'espèces qui présentent un risque considérable du point de vue de la propagation de ces maladies répertoriées, est insusceptible de caractériser une atteinte au principe d'égalité qu'elle invoque dès lors qu'il s'agit de maladies distinctes, appelant des programmes et mesures de l'administration adaptés à leurs caractéristiques propres.

Il retient ensuite, et de manière très discutable, ce que trahit une rédaction embarrassée,  que s’il existe un doute sur la légalité des dispositions de l'art. 9 de l'arrêté du 23 septembre 1992 en tant qu'elles prévoient l'abattage systématique d'équidés atteints d'anémie infectieuse, indépendamment de tout mouvement au sein de l'Union européenne, ces dispositions n'apparaissent pas entachées d'une contrariété manifeste avec le droit de l'Union.

Il retient enfin que l’arrêté litigieux est suffisamment motivé et que le confinement dont fait actuellement l’objet l’animal n’élimine pas entièrement le risque de contamination, d’où il suit que doit être rejeté le grief tiré du caractère disproportionné de la mesure. C’est une façon un peu sommaire d’apprécier la régularité juridique d’une mesure aussi grave.

Pour notre « Plaisir des fleurs » ce seront donc des chrysanthèmes…

(ord. réf. 20 novembre 2023, ministre de l’agriculture, n° 489253)

 

131 - Permis de conduire – Retrait pour solde de points nul – Annulation contentieuse – Délivrance d’un nouveau permis et sort du permis initial – Régime – Solde de points nul – Rejet.

Rappel de plusieurs règles régissant le solde de points du permis ce conduire.

En premier lieu, lorsque le juge annule la décision constatant la perte de validité d'un permis de conduire pour solde de points nul, cette décision est réputée n'être jamais intervenue. Ainsi, lorsque l'intéressé réclame, en exécution du jugement, la restitution du permis il y a lieu de vérifier que son solde de points n'est pas nul. Pour déterminer ce résultat, il convient de retenir, d’une part, les retraits de points sur lesquels reposait la décision annulée qui n'ont pas été regardés comme illégaux par le juge, d’autre part les retraits justifiés par des infractions qui n'avaient pas été prises en compte par cette décision, y compris celles que l'intéressé a pu commettre en conduisant avec un nouveau permis obtenu dans les conditions prévues au II de l'article L. 223-5 du code de la route et, enfin, des reconstitutions de points prévues par les dispositions applicables au permis illégalement retiré.

En deuxième lieu, comme une même personne ne peut disposer de plus d'un permis de conduire, la personne qui obtient l'annulation d'une décision constatant la perte de validité de son permis alors qu'elle s'est vu délivrer un nouveau permis ne peut prétendre à la restitution par l'administration du permis initial qu'à la condition qu’elle restitue elle-même le nouveau permis. Toutefois, il incombe au jugement qui prononce l'annulation d’informer l’intéressé que, s’il souhaite qu'il soit procédé à cet échange, il doit le faire savoir à l'administration dans un délai que fixe le jugement et qu'à défaut il sera regardé comme ayant définitivement opté pour la conservation du nouveau permis. En l’absence de cette information dans le jugement, l'administration saisie par l'intéressé de la demande d'échange de permis doit faire droit à cette demande dès lors que le solde de points du permis initial n'est pas nul.

Enfin, si aucune demande d'échange n'a été formée, il appartient à l'administration, lorsqu'elle constate la perte de validité du nouveau permis pour solde de points nul, de vérifier le solde de points du permis initial déterminé comme précédemment indiqué. Si ce solde est positif, elle doit restituer ce permis à l'intéressé ; si le solde est nul, elle doit lui notifier une décision constatant qu'il a perdu le droit de conduire.

(21 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 466680)

 

132 - Permis de conduire – Retrait après prélèvement salivaire détectant la prise de substances psychoactives – Analyse médicale contradictoire – Absence de réalisation conforme au code de la route – Annulation.

Si un automobiliste, soupçonné, à la suite d'un prélèvement salivaire de dépistage, d'un usage de stupéfiants, peut se réserver la possibilité de demander l'examen technique, l'expertise ou la recherche de l'usage des médicaments psychoactifs prévues par l'article R. 235-11 du code de la route, en revanche la circonstance que le conducteur n'a pas été mis à même de se réserver une telle possibilité ou qu'un souhait exprimé en ce sens n'a pas été pris en compte est de nature à entacher la régularité de la procédure engagée à son encontre. Commet cependant une erreur de droit le jugement qui annule l’arrêté de suspension du permis de conduire en se fondant sur les résultats d'une expertise réalisée de la propre initiative de l’automobiliste, en dehors de la procédure organisée par les dispositions des art. L. 235-2, R. 235-5 et R. 235-6  du code de la route.

(21 novembre 2023, M. B., n° 467841)

 

133 - Permis de conduire – Retrait à la suite d’un accident de la circulation ayant entraîné la mort d’une personne – Conditions d’application et régime de l’art. L. 224-2 du code de la route – Annulation et rejet.

Il résulte notamment des dispositions de l’art. L. 224-2 du code de la route, dans sa version alors applicable : « I. - Le représentant de l’État dans le département peut, dans les soixante-douze heures de la rétention du permis prévue à l'article L. 224-1, ou dans les cent vingt heures pour les infractions pour lesquelles les vérifications prévues aux articles L. 234-4 à L. 234-6 et L. 235-2 ont été effectuées, prononcer la suspension du permis de conduire lorsque : (...) 4° Le permis a été retenu à la suite d'un accident de la circulation ayant entraîné la mort d'une personne ou ayant occasionné un dommage corporel, en application du 6° du I de l'article L. 224-1, en cas de procès-verbal constatant que le conducteur a commis une infraction en matière d'usage du téléphone tenu en main, de respect des vitesses maximales autorisées ou des règles de croisement, de dépassement, d'intersection et de priorités de passage ; (...) II.- La durée de la suspension du permis de conduire ne peut excéder six mois. Cette durée peut être portée à un an en cas d'accident de la circulation ayant entraîné la mort d'une personne ».

Il résulte également de l’art. R. 415-7 du code de la route : « À certaines intersections indiquées par une signalisation dite "cédez le passage", tout conducteur doit céder le passage aux véhicules circulant sur l'autre ou les autres routes et ne s'y engager qu'après s'être assuré qu'il peut le faire sans danger.

Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

Tout conducteur coupable de cette infraction encourt également la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l'activité professionnelle.

Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de quatre points du permis de conduire ».

À la suite d'un accident de la circulation ayant entraîné la mort d'une personne, un préfet prononce, sur le fondement de ce texte, une suspension de permis de conduire pour six mois. Le juge des référés, saisi par le conducteur sanctionné, a rejeté sa demande. Ce dernier se pourvoit en cassation.

Tout d’abord, le juge du Conseil d’État annule l’ordonnance de rejet pour l’erreur de droit qui a consisté à se fonder sur des dispositions qui ne peuvent être appliquées que si un procès-verbal établi par un officier ou par un agent de police judiciaire justifie de façon suffisamment probante, quels que soient son intitulé ou sa formulation, de la commission par le conducteur en cause d'une des infractions qu'elles énumèrent. Or tel n’était pas le cas en l’espèce où le préfet ne disposait que d’un avis de rétention immédiate du permis de conduire établi par les services de gendarmerie, qui se bornait à indiquer que les conditions de cette rétention immédiate étaient réunies, sans préciser les circonstances de l'accident et l'implication du conducteur requérant. Le juge des référés ne pouvait donc pas rejeter la demande de suspension dont il était saisi au motif que le moyen qu'il invoquait, tiré de ce que l'arrêté du préfet ne se fondait sur aucune infraction constatée à son encontre par procès-verbal n'était pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté, alors qu'un tel avis de rétention ne pouvait être regardé comme un procès-verbal constatant une infraction au sens des dispositions de l'art. L. 224-2 précité.

Ensuite, toutefois, le juge rejette à son tour la demande de suspension en retenant qu’il résulte du courrier accompagnant la notification au requérant de l'arrêté préfectoral litigieux que celui-ci s'est fondé, pour suspendre son permis de conduire, sur un procès-verbal établi par une brigade de gendarmerie, produit en défense par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l’instance devant le Conseil d'État. Or il ressort des énonciations et des illustrations de ce document intitulé « procès-verbal de transport, constatation et mesures prises », dressé par un agent de police judiciaire et un officier de police judiciaire au vu de constats immédiatement consécutifs à l'accident mortel impliquant le requérant, que cet accident est consécutif à une manœuvre qu’il a effectuée en méconnaissance d'une règle de priorité matérialisée par un panneau lui imposant de céder le passage. Un tel document doit être regardé, alors même qu'il ne renvoie pas aux dispositions précitées de l'art. R. 415-7 du code de la route et qu'il ne procède pas à la qualification expresse d'une infraction à ces dispositions, comme un procès-verbal satisfaisant aux conditions posées par l'art. L. 224-2 du code de la route.

La demande de suspension est rejetée.

(ord. réf. 21 novembre 2023, M. A., n° 473372)

 

134 - Permis de conduire – Retrait de points – Perte de validité du permis – Demande de réattribution de points – Irrecevabilité – Annulation.

La perte de validité du permis de conduire prononcée par une décision « 48 SI » devenue définitive fait par elle-même obstacle à la réattribution, en application des dispositions du 5ème alinéa de l'art. L. 223-6 du code de la route, des huit points perdus par le requérant au cours de l'année 2009 et correspondant à des contraventions des quatre premières classes. La demande qu’il a présentée au tribunal administratif par laquelle il sollicite l'annulation de la décision lui refusant la réattribution de ces points tend en réalité à remettre en cause la décision « 48 SI » devenue définitive.

Elle est, par suite, ainsi que l'a soutenu le ministre de l'intérieur en première instance, irrecevable. Il y a lieu, dès lors, de la rejeter et d’annuler le jugement contraire rendu en première instance.

(21 novembre 2023, M. A., n° 471142)

 

135 - Police du logement – Arrêté d’expulsion d’un appartement – Suspension – Erreur dans la caractérisation de l’urgence – Annulation.

Le juge des référés du Conseil d’État annule pour inexacte appréciation des faits concernant l’urgence, l’ordonnance qui a suspendu l’arrêté d’expulsion pris, sous menace du recours à la force publique, à l’encontre d’un père et de son fils mineur occupant indument un appartement, le requérant ayant un emploi stable en Suisse et y percevant à ce titre un salaire mensuel de plus de 6 000 euros qui le met à l'évidence à l'abri du besoin, y compris pour trouver rapidement une solution de relogement convenant à son fils de 7 ans, il n’a pu être jugé que l’arrêté d’expulsion était « susceptible de produire une situation irréversible pour les personnes qui en sont l'objet ».

(ord. réf. 22 novembre 2023, M. A., n° 489282

 

136 - Police du logement – Utilisation des sous-sols à fin d’habitation – Conditions – Décret du 29 juillet 2023 – Rejet d’une demande de suspension en référé.

La fédération requérante contestait la légalité de l'art. 2 du décret n° 2023-695 du 29 juillet 2023 portant règles sanitaires d'hygiène et de salubrité des locaux d'habitation et assimilés, en ce qu'il crée au sein du code de la santé publique des art. R. 1331-17 et R. 1331-18 qui permettent la mise à disposition des sous-sols aux fins d'habitation, texte dont elle demandait au juge des référés de suspendre l’exécution.

La requête est rejeteé.

La requérante faisait valoir l’urgence attachée à cette suspension car la disposition contestée – en permettant la mise à disposition de logements composés exclusivement de pièces situées en sous-sols -  autorise la location, notamment aux populations les plus précaires, de biens considérés jusqu'à présent comme impropres à l'habitation et qui doivent être regardés comme des logements indécents, portant ainsi une atteinte grave et immédiate à la protection de la santé publique et aux intérêts que la requérante défend s'agissant de la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent. 

Le juge motive son rejet en relevant la mise à disposition de sous-sols à fins d’habitation est subordonnée à ce que leurs caractéristiques ne constituent pas un risque pour la santé de l'occupant, qu'ils répondent aux exigences de hauteur sous-plafond, d'ouverture sur l'extérieur, d'éclairement et de configuration prévues par les dispositions des art. R. 1331-20 à R. 1331-23 du code de la santé publique, que les ouvertures sur l'extérieur n'exposent pas les occupants à des sources de pollution, et qu'ils soient aménagés à usage d'habitation.

De plus, ces mêmes dispositions interdisent la mise à disposition aux fins d'habitation des caves, quels que soient les aménagements et transformations qui leur sont apportés.

Dans ces conditions, dès lors que la demanderesse n'établit pas, en l'état de l'instruction, que les prescriptions encadrant ainsi la mise à disposition de sous-sols aux fins d'habitation seraient inadaptées ou insuffisantes pour assurer la protection de la santé de leurs occupants, il n'est pas justifié d'une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts invoqués par la requérante de nature à caractériser une situation d'urgence justifiant l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-1 du CJA sans attendre le jugement de la requête au fond.

(ord. réf. 30 novembre 2023, Association Fédération Droit au Logement, n° 489410)

 

Professions réglementées

137 - Notariat – Résolution de l’assemblée générale du conseil supérieur du notariat – Adoption d’un « plan visioconférence » - Établissement d’un cahier des charges pour l'ouverture à la concurrence de l'installation et de la distribution des salles de visioconférence – Recours au logiciel Lifesize - Préservation du secret professionnel – Rejet.

La requérante demande l’annulation de la décision par laquelle le président du conseil supérieur du notariat a refusé de faire droit à sa demande d'abroger la résolution de l'assemblée générale du conseil supérieur du notariat du 30 juin 2020 relative au « plan visioconférence ».

Le recours est rejeté.

En premier lieu, il résulte de dispositions du décret du 26 novembre 1971, modifié (art. 16 et 20-1), relatif aux actes établis par les notaires, qu'il appartient au Conseil supérieur du notariat, auquel il incombe d'agréer les systèmes de traitement, de communication et de transmission de l'information utilisés pour l'établissement d'actes sur support électronique, de définir les conditions dans lesquelles les dispositifs proposés à cette fin satisfont à l'obligation de garantir l'identification des parties ainsi que l'intégrité et la confidentialité des contenus. 

En deuxième lieu, le conseil supérieur n’a pas excédé sa compétence en décidant, aux fins de garantir l'identification des parties ainsi que l'intégrité et la confidentialité des contenus, l'établissement d'un cadre de référence devant être respecté par les dispositifs utilisés pour l'établissement d'actes sur support électronique mettant en œuvre un système de traitement, de communication et de transmission de l'information soumis à son agrément sur le fondement des dispositions précitées du décret du 26 novembre 1971.

En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, cette résolution, qui se borne à prévoir la définition d'un cadre de référence pour les dispositifs proposés par les opérateurs, sans instituer de régime d'agrément de ces derniers, ne méconnait pas, par elle-même, l'art. L. 420-1 du code de commerce, qui prohibe les actions concertées, telles que les ententes, ayant pour effet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.  

(10 novembre 2023, Société Adjutorium informatique, n° 458347)

 

138 - Expert-comptable – Sanction disciplinaire – Transmission de la sanction à la société absorbante ou fusionnée – Inopposabilité du principe de personnalité des peines – Situation de conflit d’intérêts – Notion – Annulation.

Le Conseil d’État, juge de cassation en matière d’ordre professionnel, apporte d’utiles précisions dans le domaine des sanctions disciplinaires dans les professions organisées en Ordres.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’avaient jugé les juridictions ordinales, le Conseil d’État indique sans équivoque que le principe de la personnalité des peines ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce que l'une des sanctions disciplinaires prévues par l'ordonnance du 19 septembre 1945, qui régit l’ordre des experts-comptables, puisse être prononcée à l'encontre d’une société absorbante au titre de manquements qui auraient été commis par la société absorbée.

Commet donc une erreur de droit la juridiction disciplinaire décidant que les poursuites disciplinaires dirigées contre une société absorbante (ici KPMG SA) sont, pour ce motif, irrecevables

Ensuite, le juge précise son office en ce domaine en rappelant qu’il appartient, dans un tel cas, à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apprécier, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, la nature et le quantum de la sanction qu'il convient d'infliger à la société absorbante en tenant compte des principes dont elle est chargée d'assurer le respect, de la nature des manquements commis par la société ayant fait l'objet de l'absorption ou de la fusion et des circonstances dans lesquelles ces manquements ont été commis.

Enfin, la juridiction ordinale, pour estimer que le fait que la sœur de l’une des personnes poursuivies  avait été l'épouse de l'un des cessionnaires des parts de société civile immobilière cédées par l’autre personne poursuivie ne caractérisait pas l'existence d'intérêts substantiels de l'expert-comptable dans cette société, s'est fondée sur ce que de tels intérêts s'entendent uniquement d'intérêts économiques. Elle a ainsi commis une erreur de droit au regard des dispositions du décret du 30 mars 2012 qui précisent que les situations de conflit d'intérêts dont doivent se garder les experts-comptables dans l'exercice de leurs missions peuvent résulter aussi bien de liens d'ordre personnel que d'ordre professionnel ou financier.  

(10 novembre 2023, M. C., n° 460684)

Question prioritaire de constitutionnalité

139 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) – Renvoi au pouvoir réglementaire de la définition des sous-groupes et catégories de locaux – Incompétence négative de la loi – Atteintes au droit de propriété et aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques – Refus de transmission de la QPC.

À l’appui d’un recours principal en minoration du montant de la TFPB auquel elle a été assujettie, la fondation requérante soulève l’inconstitutionnalité de l'article 34 de la loi du 
29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 et de l'article 1498 du CGI en ce qu’ils méconnaissent la compétence du législateur définie à l'art. 34 de la Constitution dans des conditions affectant le droit de propriété et les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, dès lors que le législateur a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de définir les sous-groupes et catégories de locaux soumis à la taxe sans prévoir qu'il lui appartiendrait de tenir compte des conditions d'exploitation des locaux, en particulier du caractère lucratif ou non-lucratif de l'exploitation.

Le Conseil d’État rejette l’argumentation développée au soutien de cette question et en refuse la transmission au Conseil constitutionnel.

Il rappelle d’abord que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. En revanche, le pouvoir donné par la loi à l'administration de fixer, contribuable par contribuable, les modalités de détermination de l'assiette d'une imposition méconnaît la compétence du législateur dans des conditions qui affectent, par elles-mêmes, le principe d'égalité devant les charges publiques.

Ensuite, en l’espèce, il est relevé que les deux dispositions critiquées prévoient, pour le calcul de la valeur locative des locaux professionnels soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties, leur classement en sous-groupes et en catégories qui doivent être définis par le pouvoir réglementaire en fonction des critères déterminés par ces mêmes dispositions législatives. Ainsi, la loi ne permettant pas à l'administration de fixer, contribuable par contribuable, l'assiette de l'impôt, l'incompétence négative alléguée n'affecte par elle-même, ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni le droit de propriété.

D’où le refus de transettre la question.

On peut s’interroger sur la légitimité, au regard de la volonté du pouvoir constituant sur ce point comme d’une certaine logique, d’une restriction aussi drastique des cas d’ouverture à QPC.

(07 novembre 2023, Fondation Saint Charles, n° 488232)

 

140 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et ses annexes – Inconstitutionnalité prétendue de plusieurs dispositions fiscales – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

Les requêtes, jointes, à l’appui de demandes en décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et taxes annexes, outre l’annulation du rejet de ces demandes par le tribunal administratif,  soulevaient la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du III de l'art. 1518 A quinquies et du I de l'art. 1518 E du CGI, ainsi que du A du III de l'art. 48 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 et du A du V de l'art. 30 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.

La demande de transmission est rejetée en tous ses chefs.

La raison principale de ce rejet tient à la considération que le législateur, par ces modalités nouvelles de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l'établissement des impositions directes locales, a entendu fonder l'assiette des impositions frappant les propriétés bâties ayant un usage professionnel, jusque-là fixée par référence aux conditions du marché locatif au 1er janvier 1970, sur leur valeur locative réelle et renforcer ainsi l'adéquation entre ces impositions et les capacités contributives de leurs redevables.

Naturellement, ce nouveau système – il a été adopté pour cela - n’aboutit qu’à des augmentations de la taxation et c’est pourquoi le législateur a prévu plusieurs mécanismes destinés à atténuer temporairement les effets de la réforme du mode de détermination des valeurs locatives des locaux professionnels.

Puis, analysant chacune des dispositions à l’encontre desquelles est invoquée une (ou plusieurs) contrariété(s) à des droits ou libertés garantis par la Constitution, le Conseil les rejette :

- Le III de l’art. 1518 A quinquies du CGI et le I de l’art. 1518 E du CGI n’instituent pas, au détriment des contribuables ayant vu le coefficient de localisation de leur parcelle fixé postérieurement à 2017, une différence de traitement méconnaissant les principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques.

- Le A du III de l’art. 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, contrairement à ce qui est soutenu, instaure de nouveaux coefficients de localisation qui s'appliquent indifféremment, à compter des impositions établies au titre de l'année 2018, à tous les contribuables assujettis aux impositions directes locales à raison de biens immobiliers implantés sur une parcelle dont la situation particulière au sein du secteur d'évaluation concerné le justifie et leur incidence sur la mise en œuvre des mécanismes atténuateurs prévus au III de l'article 1518 A quinquies et à l'article 1518 E du CGI est la même pour tous les contribuables, qu'ils aient ou non été concernés, au titre de l'année 2017, pour la détermination de la valeur locative de leurs locaux professionnels, par l'application d'un coefficient de localisation alors compris entre 0,85 et 1,15.

- Enfin, le A du V de l'article 30 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 ne saurait faire l’objet d’une QPC car par lui-même il ne porte pas atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques en ce qu'il prévoit que les dispositions de l'art. 1498 du CGI, dans la rédaction qu'elles lui donnent, n'entrent en vigueur que le 1er janvier 2018. En effet, ce texte se borne à codifier à l'article 1498 du CGI des dispositions issues de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur rédaction issue notamment de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

(13 novembre 2023, Société Immobilière Carrefour, n° 474735 et 474736 ; Société Leroy Merlin France, n° 474757, jonction)

 

141 - Articles  L. 532-11 à L. 532-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – Absence de procès-verbal ou d’enregistrement audiovisuel ou sonore des débats à l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Incompétence négative – Droit au recours effectif – Refus de transmission d’une QPC.

Le requérant, contestant l’arrêt par lequel la CNDA a rejeté son recours tendant à l’annulation du rejet de sa demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, soulève une QPC. Celle-ci est dirigée contre les art. L. 532-11 à L. 532-15 du CESEDA.

Ces dispositions, en ne prévoyant pas un procès-verbal ou un enregistrement audiovisuel ou sonore des débats se déroulant lors de l'audience devant la CNDA, seraient entachées d'incompétence négative et priveraient de garanties légales le droit à un recours effectif garanti par l'art. 16 de la Déclaration de 1789.

La demande de transmission est rejetée car il est loisible à l’intéressé de se pourvoir en cassation d’une décision de la CNDA et de contester alors devant le Conseil d'Etat l'exactitude des propos que la Cour lui a prêtés ainsi que la régularité des conditions dans lesquelles se sont tenus les débats devant elle. Ainsi, le législateur, en la matière, n'a ni méconnu l'étendue de sa compétence ni porté atteinte au droit à un recours effectif.

(20 novembre 2023, M. A., n° 475176)

(142) V. aussi, très comparable, avec refus de transmission de la QPC pour le même motif que ci-dessus : 21 novembre 2023, Mme C. agissant en son nom et en celui de ses filles mineures c/ Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 474359.

 

143 - Plus value de cession d’un bien immobilier – Exonération – Conditions – Libre disposition du bien depuis le 1er janvier de l’année précédant la cession – Opposition d’une QPC – Refus de transmission.

Le 2° du II de l'article 150 U du CGI subordonne le bénéfice de l'exonération de la plus-value tirée de la cession d'un bien immobilier qu'il prévoit à la condition que le cédant ait eu la libre disposition de ce bien au moins depuis le 1er janvier de l'année précédant la cession.

Le requérant soulève deux griefs d’inconstitutionnalité à l’encontre de cette disposition.

En premier lieu, celle-ci porterait atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi car en les adoptant, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789 ; faute de définir de manière suffisamment précise la notion de libre disposition, elle laisserait toute latitude à l'administration fiscale pour fixer, contribuable par contribuable, les modalités de détermination de l'assiette de l'impôt.

En second lieu, par cette disposition, le législateur aurait institué une présomption irréfragable d'abus, en méconnaissance de ces mêmes dispositions constitutionnelles.

La transmission est refusée, le Conseil d’État  estimant que la question, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

Pour cela est opérée une démonstration en deux temps.

Tout d’abord, en elle-même, cette condition de libre disposition figurant au 2° du II de l'article 150 U du CGI devant être respectée de manière continue entre la date du 1er janvier de l'année précédant celle de la cession et la date de cette cession, il s’ensuit que la location d'un bien immobilier à titre onéreux est au nombre des circonstances qui s'opposent, en principe, à ce que son propriétaire puisse être regardé comme en conservant la libre disposition au sens et pour l'application de ces dispositions. Il n’en va autrement que dans le cas où un logement meublé fait l'objet de locations ponctuelles durant la période en cause, la condition de libre disposition demeurant satisfaite pour autant que la mise du bien à la disposition de tiers puisse être regardée, eu égard à sa durée, sa fréquence et aux autres conditions dans lesquelles elle intervient, comme revêtant un caractère négligeable. 

Ensuite, contrairement à ce que soutient le contribuable requérant, cette condition de libre disposition n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à l'administration de fixer, contribuable par contribuable, l'assiette de l'impôt. En outre, cette disposition, qui est suffisamment claire et intelligible, se borne à prévoir les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice d'une exonération et n'a ni pour objet, ni pour effet d'instituer une présomption de fraude ou d'abus.

(29 novembre 2023, M. A., n° 466283)

Responsabilité

144 - Accident mortel – Imprégnation alcoolique de la victime – Accident détachable des fonctions - Absence d’imputabilité au service – Rejet.

Ne saurait être considéré comme imputable au service l’accident mortel de la circulation dont a été victime, à bord de son scooter, l’époux de la requérante, agent supérieur d'exploitation de la Ville de Paris, dès lors que son taux d’alcoolémie, qui a fait l'objet de deux analyses distinctes par deux laboratoires différents, a été estimé entre 0,89 g et 1,07 g/l de sang, soit un taux supérieur au taux maximal autorisé pour la conduite de véhicules.

Sont sans effet à cet égard les circonstances que l’accident s’est produit :

- sur le trajet normal entre le lieu de son travail et celui de son domicile et durant le temps normalement nécessaire pour l’effectuer,

- et qu’il est consécutif à un événement festif organisé pendant le temps de travail dès lors qu’aucune autre circonstance particulière n’est de nature à détacher l'accident du service. 

(03 novembre 2023, Mme C., n° 459023)

145 - Décret du 27 novembre 2020 – Réforme du régime de responsabilité élargie des producteurs de déchets – Méconnaissance de dispositions du droit de l’Union – Contestation de diverses dispositions du code de l’environnement introduites ou modifiées par le décret attaqué – Rejet sauf d’un seul des moyens.

Le Conseil d’État, dans une décision très longue (près de 64 000 caractères et espaces, 75 paragraphes), analyse les moyens développés par la société requérante au soutien de sa demande d’annulation du décret du 27 novembre 2020 portant réforme de la responsabilité élargie des producteurs de déchets. Il les rejette tous sauf un, celui tiré de ce que l’art. R. 541-174 du code de l’environnement introduit, par le décret attaqué, dans ce code, ne pouvait pas prévoir, étant de nature réglementaire, que le producteur est « subrogé » dans toutes les obligations de celui dont il a accepté le mandat ; il eût fallu une disposition législative en ce sens, l’art. 34 de la Constitution plaçant dans le domaine de la loi la matière des obligations.

Pour le reste, le lecteur est renvoyé à la lecture du texte même d’une décision où sont analysés les moyens dirigés, contre plus de trente articles du code de l’environnement, chacun pris séparément.

(10 novembre 2023, Société EcoDDS, n° 449213)

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux – Recherche médicale

146 - Recherche sur l’embryon humain – Effets d’un dysfonctionnement organique sur le développement embryo-foetal humain – Recherche à fins préventives et curatives – Interdiction de créer des embryons transgéniques ou chimériques (art. L. 2151-2 c. santé pub.) – Rejet.

Dans une importante décision, le Conseil d’État rejette le pourvoi formé par les requérantes contre un arrêt de cour administrative d’appel accueillant un recours dirigé contre la décision par laquelle l'Agence de la biomédecine a autorisé pour une durée de cinq ans le groupe hospitalier de Paris-Sud de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain afin d'étudier les conséquences d'un dysfonctionnement mitochondrial sur le développement embryo-fœtal humain, les moyens de les prévenir et de les traiter.

La cour, approuvée par le Conseil d’État, avait jugé qu’était contraire aux dispositions de l’art. L. 2151-12 du code de la santé publique le protocole de recherche litigieux en ce qu’il consiste en un transfert de matériau d'ADN nucléaire de l’embryon d'une patiente atteinte d'une maladie mitochondriale vers un zygote énucléé sain issu d'une donneuse et conservant son ADN mitochondrial d'origine.

En effet, il se déduit d’évidence des dispositions de l’article précité, selon lesquelles : « (...) La création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdite », que ne peut être autorisée une recherche conduisant à créer un embryon dont l'ADN mitochondrial est exogène. 

C’est l’occasion de rappeler que si l’on peut éprouver de sérieuses réticences envers un développement anarchique de l’intelligence artificielle et autres robots, ces réticences ne sont pas moins vives s’agissant d’une réification constante de la personne humaine, ainsi soumise à deux processus, à la fois convergents et parallèles, de destruction, interne et externe.

(29 novembre 2023, Agence de la biomédecine, n° 461200 ; Assistance publique – Hôpitaux de Paris, n° 461227)

147 - Fixation du prix public de médicaments – Décisions du Comité économique des produits de santé (CEPS) – Application de l’un des critères prévus par la loi – Légitimité d’une fixation par comparaison avec le prix de médicaments à même visée thérapeutique – Rejet.

Par quatre requêtes jointes la société requérante demande l’annulation de quatre décisions du CEPS fixant le prix de spécialités qu’elle fabrique (Abiraterone Sandoz 500 mg, comprimés pelliculés (B/60) ; Sitagliptine GNR 100 mg, comprimés pelliculés (B/30), et Sitagliptine GNR 50 mg, comprimés pelliculés (B/30) et de la spécialité Sitagliptine/Metformine GNR 50 mg/1000 mg, comprimés pelliculés (B/60 ; Vildagliptine Sandoz, 50 mg, comprimés (B/30), Vildagliptine Sandoz, 50 mg, comprimés (B/60) et Vildagliptine/Metformine Sandoz 50mg/1000mg, comprimés pelliculés (B/60) ; Pirfenidone Sandoz 267 mg, comprimés pelliculés (B/63), Pirfenidone Sandoz 267 mg, comprimés pelliculés (B/252), Pirfenidone Sandoz 267 mg, comprimés pelliculés sous plaquettes prédécoupées unitaires (B/252) et Pirfenidone Sandoz 801 mg, comprimés pelliculés (B/84)) et qu’il lui soit fait injonction de fixer ce prix en appliquant une décote de 60 % par rapport au prix fabricant hors taxes de leurs médicaments de référence.

Les requêtes sont rejetées, le juge estimant que le CEPS peut, sur le fondement du premier alinéa du I de l'art. L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale, fixer le prix de vente au public d'un médicament en faisant usage d'un unique critère, tel que les prix des médicaments à même visée thérapeutique, dès lors qu'il est de nature à justifier sa décision. Il en va ainsi en particulier, en principe, s'agissant de la fixation du prix de spécialités génériques d'une même spécialité de référence.

(09 novembre 2023, Société par actions simplifiée Sandoz, n°s 466777, 467602, 467603 et 470328)

 

148 - Covid-19 – Données de dépistage positif – Conservation et exploitation – Intervention du décret n° 2021-930 du 13 juillet 2021- Rejet et annulation partiels.

Il était demandé au juge l’annulation des dispositions des 2° et 4° de l'article 1er, des 1°, 2° et 3° de l'article 2, et à l'article 4, des mots : « et entrera en vigueur immédiatement », du décret n° 2021-930 du 13 juillet 2021 modifiant les dispositions du décret du 12 mai 2020 relatives aux traitements « Contact Covid » et « SI-DEP » ainsi que celles du décret du 25 décembre 2020 relatives au traitement « Vaccin Covid ». Il est également demandé au juge d’ordonner l'effacement des données de dépistage positif datant de plus de six mois stockées dans le traitement « Vaccin Covid ». 

En bref, le requérant reproche à ce décret de permettre à des tiers d'accéder à des informations relatives au statut vaccinal au regard de la Covid-19, d’organiser une interconnexion entre différents fichiers, de ne pas informer les personnes concernées par la collecte de ces données préalablement à leur traitement et de limiter la possibilité pour les personnes concernées d'exercer leur droit d'opposition et de limitation du traitement.

Le recours est rejeté pour l’essentiel sauf sur trois dispositions.

Globalement le juge estime l’ensemble du mécanisme institué conforme aux exigences qui régissent le traitement des données personnelles, leur utilisation et leur conservation pour des motifs de protection de la santé publique et de diagnostic des personnes concernées.

S’agissant de l’accès du médecin traitant et du service du contrôle médical des caisses de sécurité sociale aux données relatives à la vaccination figurant dans le traitement « Vaccin Covid », il est jugé que « s'il était loisible au pouvoir réglementaire, sur le fondement (des dispositions de l’art. L. 1110-4 du code de la santé publique), de prévoir l'accès des praticiens-conseils aux données du traitement « Vaccin Covid » relatives aux personnes présentant des maladies chroniques, sans que le consentement de celles-ci soient requis, il ne pouvait légalement étendre ce droit d'accès aux données relatives à l'ensemble des personnes figurant dans le traitement « Vaccin Covid » ». Est donc annulé le c) du 3° de l'art. 2 du décret attaqué en tant qu'il ne limite pas cette transmission aux seules données relatives aux personnes présentant des maladies chroniques. 

S’agissant des interconnexions entre le traitement « Vaccin Covid » et les traitements « Contact Covid » et « SI-DEP », il est jugé que si l'art. 11 de la loi du 11 mai 2020 prévoit que les données à caractère personnel concernant la santé susceptibles d'être contenues dans les traitements dont il prévoit la création sont strictement limitées au statut virologique ou sérologique de la personne à l'égard du virus de la Covid-19, ces dispositions ne sauraient être interprétées comme faisant obstacle à ce qu'y figurent les données relatives au statut vaccinal des personnes figurant dans ces traitements, qui peuvent se révéler indispensables pour interpréter les résultats des tests sérologiques pratiqués sur les personnes concernées. Le raisonnement est un peu court en l’absence de démonstration du bien-fondé de cette interprétation négative. De plus, peut se discuter sérieusement l’affirmation qu’en autorisant la transmission à la caisse nationale d'assurance maladie des données recueillies dans le cadre du traitement « Vaccin Covid » relatives à l'identification de la personne, à son statut vaccinal, au nom du vaccin, ainsi qu'aux dates de la ou des injections, en vue de leur enregistrement dans le traitement « Contact Covid », l'art. 2 du décret attaqué organise le partage de données à caractère personnel relatives au statut virologique et sérologique des personnes concernées à l'égard du virus de la Covid-19 conformément au cadre dérogatoire au secret médical prévu par le I de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020. Ainsi, le décret litigieux ne porterait pas atteinte au secret médical en organisant la mise en relation de ces deux traitements.

En revanche sont annulées les dispositions du b) du 2° de l'art. 2 du décret attaqué en ce qu’elles modifient le I de l'art. 2 du décret du 25 décembre 2020 pour ajouter à la liste des catégories de données enregistrées dans le traitement « Vaccin Covid » la date d'une infection par le virus de la Covid 19 obtenue à partir des données enregistrées dans le traitement « SI-DEP » car il résulte des dispositions de l'art. 11 de la loi du 11 mai 2020 que le législateur n'a entendu ouvrir la possibilité de traiter de telles données, sans le consentement des personnes concernées, par dérogation à l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique, que pour les seules finalités mentionnées à son II, dont ne fait pas partie la gestion des vaccinations.

Concernant la méconnaissance alléguée de l'art. 69 de la loi du 6 janvier 1978 et du RGPD, elle est rejetée du fait que l’obligation d’information prévue par cet article est réellement garantie puisqu’il incombe aux responsables de traitement de la porter, par tout moyen, à la connaissance des personnes concernées.

Enfin, sur la violation alléguée du droit d'opposition et de la limitation du traitement des données garanti par le règlement général sur la protection des données, le juge observe tout d’abord que le traitement « Vaccin Covid » institué par le décret du 25 décembre 2020 est rendu nécessaire pour des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique et que, par suite, la limitation de l'exercice du droit d'opposition aux données enregistrées à la suite de l'identification des personnes éligibles à la vaccination jusqu'à l'enregistrement de leur consentement à la vaccination et à la transmission des données au groupement d'intérêt public gérant la plateforme des données de santé et à la caisse nationale d'assurance maladie, répond aux exigences de nécessité et de proportionnalité. Dès lors il ne saurait être soutenu que le décret attaqué du 13 juillet 2021, qui ne modifie d’ailleurs pas les conditions d'exercice du droit d'opposition prévues initialement par le décret du 25 décembre 2020, méconnaît le droit d'opposition garanti par le RGPD. Ensuite, un raisonnement analogue est adopté envers le moyen tiré de ce qu'en faisant entrer immédiatement en vigueur le décret attaqué, son art. 4 méconnaîtrait le droit d'opposition garanti par le RGPD ainsi que le droit à la limitation du traitement, alors qu'un tel droit peut être exercé dans les conditions prévues au II de son art. 5.

(13 novembre 2023, M. A., n° 456674)

 

149 - Apnée du sommeil – Dispositif de ventilation auto-asservi – Demande d’inscription en nom de marque sur la liste des produits et prestations remboursables – Refus – Défaut d’urgence – Rejet.

La société Philips France commercial commercialise un dispositif médical de ventilation auto-asservie dénommé « DREAMSTATION BIPAP AUTOSV », qui est  utilisé pour certaines personnes atteintes d'un syndrome d'apnée du sommeil (SAS) lorsque les dispositifs médicaux de PPC (pression positive continue) ne permettent pas d'obtenir le résultat attendu. Ce dispositif médical, bénéficie d'un marquage « CE » depuis 2016 et il est mis en vente sur le marché depuis 2017.

La requérante a déposé une demande d'inscription en nom de marque de ce dispositif médical sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

Cette demande a été rejetée par les ministres compétents sur avis défavorable de la commission compétente de la Haute Autorité de Santé (CNEDiMTS). Outre l’annulation de ce refus est demandée la suspension de son exécution.

Cette dernière demande est rejetée par le Conseil d’État pour défaut d’urgence.

Le juge des référés relève que l'impact de la décision sur la société requérante sera limité eu égard à son faible effet sur le chiffre d'affaires de la société tout comme sera incertain son effet sur la réputation des dispositifs médicaux qu'elle commercialise dans le domaine du SAS car ils sont pris en charge depuis longtemps et sont largement utilisés.

Il souligne, de plus, que le risque de rupture dans la prise en charge du traitement de certains patients n'apparaît pas tel qu'il serait de nature à caractériser une situation d'urgence, compte tenu de l'état du stock des appareils de ventilation auto-asservie.

Enfin, il constate que l’audience a fait ressortir que si la société requérante présentait une nouvelle demande, de nature notamment à apporter certaines précisions et à lever certaines ambiguïtés relevées lors de l'examen par la CNEDiMTS, cette demande serait examinée avec la plus grande célérité par la Haute Autorité de Santé et les ministres compétents.

(ord. réf. 27 novembre 2023, Société Philips France Commercial, n° 489233)

Service public

150 - Entreprises de gaz et d’électricité (GRDF et ENEDIS) – Évolution des unités opérationnelles nationales – Transformation d’activités communes – Organisation interne de ces sociétés – Absence d’organisation du service public – Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

La fédération requérante recherche l’annulation de la décision conjointe de la présidente du directoire de la société Enedis et de la directrice générale de la société GRDF relative à l'évolution des unités opérationnelles nationales et à la mise en œuvre par ces deux sociétés du projet de transformation des activités communes.

Le Conseil d’État juge la juridiction administrative incompétente pour connaître de ce litige car il concerne non l’organisation du service public de l’énergie lui-même mais seulement l’organisation interne des deux sociétés qui ont charge de gérer ce service. En effet, cette décision acte la séparation, par type d'énergie, et l'intégration au sein des directions respectivement compétentes de chacune des deux sociétés, des activités de l'unité comptable nationale, de l'unité « opérateur informatique et télécoms » et de « l'unité opérationnelle Serval », ainsi que des activités « Contrat de travail et études RH », « logement » et « alternance » de l'unité opérationnelle nationale « RH et médico-social », jusque là rattachées au service commun créé en application des dispositions des art. L. 111-57 et L. 111-71 du code de l’énergie. Les fonctions faisant l'objet de ce transfert comprennent, aux dires non contestés de la requérante, la production de la comptabilité, l'assistance informatique, l'exploitation des infrastructures électroniques et des applications nationales, la gestion des ressources humaines ainsi que l'approvisionnement en matériel des unités réseaux des deux sociétés.

Rien de tout cela ne concerne l’organisation du service public énergétique, condition sine qua non de la compétence de l’ordre administratif de juridiction.

(07 novembre 2023, Fédération nationale des mines et de l'énergie - CGT (FNME-CGT), n° 472212)

151 - Consultation du Conseil économique, social et environnemental (CESE) – Participants (enfants et adolescents) invités à s’identifier par sexe – Inclusion d’un sexe « autre » - Absence d’urgence – Rejet.

L’association requérante demande la suspension d’exécution de la décision du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de proposer aux mineurs, en réponse à une question sur leur sexe dans un questionnaire en ligne relatif à l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, la possibilité de répondre « Autres », plutôt que « Fille » ou « Garçon ».

La requête est rejetée pour défaut d’urgence.

La consultation au titre de laquelle le questionnaire litigieux a été mis en ligne a vocation à donner lieu à la rédaction d'une synthèse des réponses, à l'organisation d'une « journée délibérative » au CESE et, le cas échéant, à un avis de ce dernier. Selon le juge, « la seule circonstance que les jeunes qui consultent voire répondent à ce questionnaire en ligne se voient offrir la possibilité de ne pas s'identifier comme une fille ou un garçon, choix qui peut d'ailleurs procéder de multiples considérations, n'est pas de nature à créer des effets notables ou à exercer une influence significative sur le comportement des personnes concernées, de sorte que la décision litigieuse n'est pas susceptible de recours contentieux. »

En tout état de cause, la décision de mise en ligne du questionnaire ainsi conçu n'est pas de nature, par elle-même, à préjudicier de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation de l'association requérante ou aux intérêts qu'elle entend défendre, alors qu'à l'inverse, la modification du questionnaire que sollicite celle-ci pourrait dissuader certains répondants de renseigner le questionnaire et priverait le CESE d'une source d'information pour alimenter sa réflexion sur le thème de la consultation.

La condition d'urgence n'est donc pas satisfaite.

On peut douter de la cohérence du raisonnement ; ainsi, par exemple, présenter trois réponses comme équivalentes les légitime toutes de la même manière et les présente comme telles aux yeux des enfants et adolescents, par ailleurs assez influençables. Le CESE ne pourra que prendre comme un fait indubitable les résultats d’une consultation qui sera devenue de facto une véritable ligne juridique obligatoire qu’il aura, en réalité, unilatéralement suscitée. La solution est plus hyporcite que fondée.

(ord. réf. 07 novembre 2023, Association « Juristes pour l’enfance, n° 489225)

 

152 - Documents relatifs à l’évaluation psychologique d’un enfant scolarisé dans un établissement d’enseignement privé sous contrat – Communicabilité des pièces – Condition de participation à l’exercice d’une mission de service public – Réponse positive pour un organisme de gestion d’un tel établissement – Réponse négative pour une direction diocésaine de l’enseignement catholique – Rejet.

(14 novembre 2023, M. B., n° 466958)

V. n° 4

 

153 - Service public de l’enseignement – Enseignement supérieur - Organisation des études médicales – Indétermination du contenu de la quatrième année du troisième cycle des études médicales – Désaffection des étudiants pour la spécialité « médecine générale » - Absence d’urgence – Rejet.

Le juge rejette le recours en référé suspension dirigé contre la décision implicite de rejet né du silence gardé par le ministre de la santé sur sa demande tendant à l'adoption de textes règlementaires relatifs à la quatrième année d'internat en médecine générale. Il estime que cette incertitude nuit à la visibilité de la quatrième année du troisième cycle des études de médecine pour cette spécialité et a des conséquences négatives sur la possibilité pour les étudiants du deuxième cycle, et en particulier ceux de sixième année, de choisir de manière éclairée leur spécialité et de construire leur parcours de formation. 

Il estime que la nouvelle durée du troisième cycle des études de médecine pour la spécialité de médecine générale s'applique aux étudiants qui commencent ce troisième cycle à la rentrée de l'année universitaire 2023 et qui, donc, ont vocation à en effectuer la quatrième année en 2026. Par ailleurs, il ressort des éléments versés par le syndicat requérant à l'appui de sa demande de référé que les choix de spécialité pour l'année en cours ont déjà été réalisés et que la prochaine procédure dite « d'appariement » aura lieu en septembre 2024. Dans ces conditions, les circonstances invoquées par le syndicat requérant ne permettent pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'il entend défendre.

(ord. réf. 20 novembre 2023, Syndicat Jeunes médecins, n° 489364)

 

154 - Service public transfusionnel – Livraison de produits dérivés du sang humain ou « sanguins labiles » par l’Établissement français du sang – Assujettissement à la TVA – Contrariété au droit de l’Union – Rejet.

(29 novembre 2023, Établissement français du sang, n° 469111)

V. n° 57

Sport

 

155 - Police de l’ordre public – Match de football – Interdiction de déplacement de supporters d’un club – Appréciation objective des risques – Décisions préfectorales de légalité douteuse - Compétence du juge saisi par voie de connexité – Rejet au regard des intérêts publics en cause.

(ord. réf. 04 novembre 2023, Association nationale des supporters, n° 489226)

V. n° 125 et n° 126

 

156 - Joueur de rugby à XIII – Analyse révélant la présence de morphine dans ses urines – Sanctions – Invocation d’irrégularités dans le stockage des prélèvements – Rejet.

Pour contester la sanction le frappant pour cause de dopage, un joueur de rugby invoque divers moyens dont la disproportion de la sanction par rapport à la gravité des faits et les conditions défectueuses de stockage des prélèvements d’urines effectués.

Sur le premier point, le rejet du recours est fondé sur la gravité de la faute commise d’autant que l’intéressé exerçant la profession d’infirmier ne saurait invoquer un prétendu manque de vigilance quant à la nature de la substance utilisée.

Sur le second point, le juge relève que si le requérant fait valoir l'absence de mention, dans le formulaire de chaîne de possession des échantillons prélevés dans ses urines, du lieu de conservation des échantillons entre le 8 mai 2022 au soir et leur remise au transporteur le 10 mai 2022, il résulte de l'instruction que les échantillons ont été pendant cette période stockés au domicile de l'agent ayant procédé au contrôle dont l'adresse a, pour en préserver la confidentialité, été masquée sur la copie du formulaire communiquée au requérant. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions relatives au stockage et au transport des échantillons doit être écarté.

La solution fait bon marché d’une réalité concrète dont le déroulement n’est pas sans reproches.

(30 novembre 2023, M. C., n° 472196)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

157 - Permis de construire – Non-respect prétendu d’une disposition du PLU – Implantation en retrait du nu des façades – Erreur de droit – Annulation.

Une disposition du règlement d’un PLU (Uh 6) prévoit que « Le nu des façades de toute construction peut être implanté dans les conditions suivantes :

- soit à l'alignement ;

- soit en retrait par rapport à l'alignement avec un minimum de 5 m.

(...) Ces prescriptions s'appliquent aux constructions à édifier en bordure des voies privées ; dans ce cas, la limite latérale effective de la voie privée est prise comme alignement ».

Et l'article 5 de ce règlement dispose que les voies et emprises publiques, au sens de l'article 6 de chaque zone, s'entendent comme les « voies publiques ou privées ouvertes à la circulation publique (...) ». 

Dès lors qu’en l’espèce, la cour administrative d’appel, pour apprécier le respect de cette prescription, s’est fondée sur la circonstance que le nu de cette façade est situé en retrait de plus de cinq mètres par rapport à la limite de la parcelle dont les appelants sont propriétaires, alors qu'il lui revenait de prendre en compte, non pas cette limite cadastrale de propriété mais la limite réelle de l'impasse, qui fait partie du domaine public communal et constitue une voie ouverte à la circulation publique, la cour a commis une erreur de droit.

(09 novembre 2023, M. et Mme C., n° 455647)

 

158 - Permis de construire en vue de l’extension d’une maison d’habitation – Absence de définition de la notion d’« extension » dans le PLU – Limitation prétorienne de la superficie supplémentaire – Annulation.

L’affaire n’est pas banale.

Un permis de construire est déposé en vue de l’extension d’une maison d’habitation sans que le PLU applicable ne définisse en quoi consiste l’extension.

Les juges du fond décident que dès lors que l’extension s’effectue en continuité physique et en complémentarité avec l’existant il n’y a pas lieu de fixer d’autre limitation notamment en surface. Ils rejettent donc le recours contre le permis dont ils ont été saisis.

Le juge de cassation vient mettre bon ordre à cette conception débridée de l’extension : dans le silence du PLU cette extension, « doit, en principe, s'entendre d'un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci. » L’arrêt attaqué est annulé.

(09 novembre 2023, M. et Mme C., n° 469300)

 

159 - Permis de construire – Demande de suspension du permis – Rejet – Pourvoi en cassation – Intervention du jugement au fond – Conclusions du pourvoi devenues sans objet – Rejet.

La requérante avait demandé en référé la suspension d’exécution d’un permis de construire. Cela lui fut refusé et elle se pourvut en cassation de cette ordonnance de rejet.

Durant l’instance de cassation, le tribunal a statué au fond rejetant les moyens qu’avait soulevés la requérante sauf celui concernant un vice pour lequel il a ouvert une procédure de régularisation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi comme devenu sans objet alors même que le jugement est susceptible d’appel car les ordonnances de référé n’ont qu’un caractère provisoire en l’attente du jugement au fond, même lorsqu’elles comportent une invitation à régulariser. L’intervention d’un tel jugement rend donc le pourvoi initial sans objet. On doit considérer que cette décision constitue un revirement de jurisprudence par rapport à la décision n° 385183 du 22 mai 2015, SCI Paolina, qui avait jugé que n’est pas privé d’objet le pourvoi en cassation dirigé contre une ordonnance suspendant l’exécution d’une autorisation d’urbanisme alors même que dans l’intervalle le juge du fond a fait usage de son pouvoir d’inviter à régulariser.

(09 novembre 2023, Mme A., n° 469380)

 

160 - Permis de démolir et de reconstruire – Incomplétude du dossier de demande de permis de démolir – Examen par le juge du degré d’influence de cette incomplétude sur l’autorisation administrative accordée ou refusée – Absence - Annulation.

Rappel que l’incomplétude documentaire d’une demande d'autorisation d'urbanisme au regard des dispositions du code de l'urbanisme, ou que la circonstance que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité l'autorisation qui a été accordée que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

En l’espèce, il est reproché à la cour administrative  d’appel, dont la décision est censurée pour erreur de droit, d’avoir, pour écarter le moyen tiré de ce que le dossier de demande de permis de démolir ne comportait pas le plan de masse de la construction à démolir, jugé que ce document ne constituait pas un des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, d’autant, au surplus, que la cour, n'a pas examiné si cette omission entachant le dossier avait été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. 

(10 novembre 2023, Société Promobilia, n° 467357)

 

161 - Déclarations préalables à la création d’un lot à bâtir – Oppositions de sursis à statuer – Annulation contentieuse – Confirmation de la demande initiale dans les six mois – Conséquences pour l’autorité administrative – Hypothèse où la décision d’annulation n’est pas devenue irrévocable – Possibilité de retrait de la nouvelle décision – Cas des tiers – Rejet.

Le litige à l’origine de cette affaire est né de l’opposition du maire de la commune auteur du pourvoi, aux déclarations préalables successivement déposées en vue de la création, sur un terrain appartenant aux pétitionnaires, d'un lot à bâtir de 740 m², puis d'un lot à bâtir de 1500 m².

Ces deux arrêtés ayant été annulés par la cour administrative d'appel de Lyon par arrêt du 20 décembre 2018, le maire a, par deux autres arrêtés du 24 janvier 2019, opposé un sursis à statuer aux mêmes déclarations préalables ; puis, les pétitionnaires ayant confirmé leur demande en application de l'art. L. 600-2 du code de l'urbanisme, par deux nouveaux arrêtés du 15 février 2019, le maire a confirmé ce sursis à statuer.

Par l'arrêt déféré au juge de cassation, la cour administrative d'appel a annulé les arrêtés du 15 février 2019, rejeté les conclusions des pétitionnaires tendant à l'annulation des arrêtés du 24 janvier 2019 et enjoint au maire de Saint-Didier-au-Mont-d'Or de prendre des décisions de non-opposition aux mêmes déclarations préalables dans le délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt.

Le Conseil d’État juge d’abord qu’il résulte, à titre de principe, des dispositions de l’art. L. 600-2 du code de l’urbanisme que, lorsqu'un refus de permis de construire ou une décision d'opposition à une déclaration préalable a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle et que le pétitionnaire a confirmé sa demande ou sa déclaration dans le délai de six mois suivant la notification de cette décision juridictionnelle d'annulation, l'autorité administrative compétente ne peut rejeter la demande de permis, opposer un sursis à statuer, s'opposer à la déclaration préalable dont elle se trouve ainsi à nouveau saisie ou assortir sa décision de prescriptions spéciales en se fondant sur des dispositions d'urbanisme postérieures à la date du refus ou de l'opposition annulé.

Toutefois, le bénéfice de ce principe ne peut être invoqué par le pétitionnaire que si l'annulation juridictionnelle de la décision de refus ou d'opposition est elle-même devenue définitive, c'est-à-dire, si la décision juridictionnelle prononçant cette annulation est devenue irrévocable. Ici, l'arrêt du 20 décembre 2018 est devenu irrévocable à l'expiration du délai de pourvoi en cassation.

Par suite, lorsque l’annulation juridictionnelle fait l'objet d'un sursis à exécution ou est elle-même annulée, sauf si les motifs de la nouvelle décision juridictionnelle font par eux-mêmes obstacle à un autre refus, l'autorité administrative qui a délivré le permis sollicité ou pris une décision de non-opposition sur le fondement de ces dispositions, peut, dans le délai de trois mois à compter de la notification à l'administration de cette nouvelle décision juridictionnelle, retirer cette autorisation.

L'administration doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations.

Enfin, l'autorisation d'occuper ou utiliser le sol délivrée au titre de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme peut être contestée par les tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l'arrêt ayant annulé le refus ou la décision d'opposition.

(13 novembre 2023, Commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, n° 466407)

 

162 - Droit de préemption – Exercice défectueux – Inexécution correcte d’un jugement – Réparation du préjudice subordonnée à l’existence d’un lien de causalité – Absence – Rejet.

L’établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d'Azur (EPF PACA) a exercé son droit de préemption en vue de l'acquisition, pour un montant de 355 000 euros, d'un entrepôt qui avait fait l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner au prix de 370 000 euros.

Cette décision a été annulée, par un jugement du 30 mai 2013, pour incompétence de l’auteur de la décision, en raison de l'absence de publication de la décision du maire déléguant son droit de préemption à l'EPF PACA.

Le même jugement a enjoint à l'EPF PACA de proposer au requérant, acquéreur évincé, l'acquisition du bien en litige à un prix rétablissant autant que possible les conditions de la transaction initiale, sans enrichissement sans cause de l'une quelconque des parties.

En conséquence, l'EPF PACA a proposé à M. B. d'acquérir le bien préempté, dépourvu de sa toiture, au prix de 432 939 euros, en justifiant ce montant par les travaux de dépose du toit qu'il avait entrepris dans le but d'éviter que le bien soit irrégulièrement occupé.

Cette offre ayant été refusée par lui, M. B. a demandé au tribunal administratif de condamner l’EPF PACA à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en sa qualité d'acquéreur évincé.

Cette demande ayant été rejetée par le tribunal administratif, et rejet ayant été confirmé par la cour administrative d’appel, M. B. se pourvoit, en vain, en cassation.

En réalité, la demande de réparation, forfaitisée à 150 000,00 euros, entendait couvrir deux préjudices, celui résultant de l'illégalité de la décision de préemption pour incompétence de son auteur et celui résultant des fautes commises dans l'exécution du jugement du 30 mai 2013.

Sur le premier point, il est de jurisprudence constante que doit exister un lien de causalité entre la faute et le dommage pour que ce dernier soit réparable. Lorsqu’est invoqué un dommage qui aurait sa cause dans l’incompétence de l’auteur de la décision critiquée, il convient de s’assurer que l’autorité compétente n’aurait pas pris la même décision car si tel est le cas, il est démontré que l’incompétence n’est pas la cause du dommage allégué. Tel était le cas en l’espèce où l’EPF PACA a fondé sa décision de préemption sur un motif d’intérêt général.

De ce chef, la demande de réparation ne pouvait prospérer comme l’a jugé la cour.

Sur le second point, l’affaire était un peu plus délicate.

Une modification du droit positif (art. L. 213-11-1, c. urb., issu de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) conduit désormais à ce que s'il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou l'acquéreur évincé, d'exercer les pouvoirs qu'il tient des art. L. 911-1 et suivants du CJA en sa qualité de juge de l’exécution, afin d'ordonner les mesures qu'implique l'annulation d’une décision de préemption, il n'appartient qu’au juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix du bien, de fixer ce prix.

Comme ces dispositions nouvelles se sont appliquées immédiatement aux litiges en cours devant le juge de l'exécution lorsque le prix d'acquisition du bien n'avait pas encore été fixé par une décision juridictionnelle, quelle que soit la date du jugement dont l'exécution était poursuivie, il s’ensuit que faute pour le requérant de saisir le juge de l'expropriation afin que celui-ci fixe ce prix, le préjudice qu'il alléguait avoir subi, tenant à la perte de chance de réaliser une plus-value à l'occasion de la revente du bien en cause, ne trouvait pas sa cause directe et certaine dans une faute qu'aurait commise l'EPF PACA dans l'exécution du jugement du 30 mai 2013, ainsi que l’a jugé la cour sans erreur de droit, ni qualification juridique inexacte des faits, d’où le rejet de la requête.

(13 novembre 2023, M. B., n° 466959)

 

163 - Permis d’aménager – Contentieux – Médiation organisée à l’initiative du juge – Absence d’effet interruptif du délai de saisine du juge des référés prévu à l’art. L. 600-3 c. urb. – Rejet.

Le requérant a demandé au juge du référé de l’art. L. 521-1 CJA de suspendre l’exécution de la décision du 7 juillet 2022, par laquelle le maire de Rasteau (Vaucluse) a délivré un permis d'aménager à la commune pour la réalisation de terrains de sport et d'un local technique et sanitaire. 

Sa demande ayant été rejetée, il se pourvoit en cassation où il est débouté.

Le pourvoi portait pour l’essentiel sur les effets du recours à la médiation sur le cours du délai de recours contentieux. La question était un peu complexe.

En premier lieu, les art. L. 213-1, L. 213-5, L. 213-6, L. 213-7 et R. 213-8, qui organisent cette procédure, ne prévoient d’interruption des délais de recours que si la médiation est organisée à l’initiative des parties avant la saisine du juge, ceci afin de préserver leur droit de saisir ultérieurement ce dernier. 

En deuxième lieu, dans le souci d’enserrer dans un délai bref la possibilité d'assortir une requête en annulation d'une autorisation d'urbanisme, telle qu'un permis d'aménager, d'une demande de suspension de l'exécution de cet acte, pour ne pas ralentir à l’excès la réalisation du projet autorisé par ce permis, l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme, décide qu’est irrecevable le moyen nouveau présenté après l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction doit informer les parties de l’irrecevabilité, à moins de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens, postérieure à la production du mémoire en cause s'il estime que les circonstances de l'affaire le justifient. Il a l’obligation de procéder ainsi lorsque le moyen est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n'était pas en mesure de faire état avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire.

La fixation d'une nouvelle date de cristallisation des moyens a pour effet que le délai dans lequel une requête en annulation d'une autorisation d'urbanisme peut être assortie d'une demande de suspension est rouvert jusqu'à l'expiration du nouveau délai de cristallisation des moyens.

Enfin, en troisième lieu, de la combinaison de ces deux séries de dispositions, le juge tire cette conséquence que le législateur n'a pas entendu conférer à la médiation organisée à l'initiative du juge un effet interruptif du délai fixé par l'art. L. 600-3 précité pour saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L 521-1 du CJA.

L’ordonnance de référé attaquée n’est pas entachée d’erreur de droit en ce que son auteur y juge que la mise en œuvre, à l'initiative du juge, d'une médiation, n'avait pu avoir pour effet, ni sur le fondement de l'art. L. 213-6 du CJA, ni sur celui d'aucun principe général du droit, d'interrompre le délai institué par l'art. L. 600-3 du code de l'urbanisme pour la saisine du juge du référé afin d'obtenir la suspension de l'exécution du permis d'aménager contesté.

(13 novembre 2023, M. A., n° 471898)

(164) V. aussi, au sujet de la médiation, les réponses du Conseil d’État à deux questions qui lui ont été posées dans le cadre d’un avis de droit contentieux (cf. art. L. 113-1 du CJA) rendu dans un litige relatif au paiement d’un marché public de travaux.

Les questions étaient les suivantes :

« 1°) à quelles conditions une pièce, des observations ou un élément d'analyse issus d'un processus de médiation peuvent-ils être considérés comme une constatation du médiateur ou des déclarations recueillies au cours de la médiation au sens et pour l'application de l'art. L. 213-2 du code de justice administrative ?

2°) dans l'hypothèse où il ne remplirait pas les conditions définies en réponse à la première question, un rapport d'expertise établi dans le cadre d'un processus de médiation et procédant à une analyse technique et factuelle des prétentions des parties peut-il être soumis au débat contradictoire et être régulièrement pris en compte par le juge du fond à titre d'élément d'information ? »

Le Conseil d’État répond d’abord que doivent demeurer confidentielles et ne peuvent donc être divulguées, sauf accord contraire des parties et sous réserve des exceptions prévues à l’art. L. 213-1, que les seules constatations du médiateur et déclarations des parties recueillies au cours de la médiation, (actes, documents ou déclarations) émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation.

Le juge indique ensuite que cet article ne fait pas obstacle à ce que soient invoqués ou produits devant le juge administratif d'autres documents, émanant notamment de tiers, alors même qu'ils auraient été établis ou produits dans le cadre de la médiation. Tel est en particulier le cas pour des documents procédant à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande du médiateur ou à l'initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ces documents ne font pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la médiation.

Enfin, le juge rappelle que dans l’hypothèse où le juge ordonne avant dire droit une expertise et où l'expert se voit confier une mission de médiation (cf. art. R. 621-1 CJA), doivent, de même, demeurer confidentiels les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l'expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige. Il appartient alors à l'expert de remettre à la juridiction un rapport d'expertise ne faisant pas état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation : 14 novembre 2023, Société Grands Travaux de l'Océan Indien (GTOI), de la société Vinci Construction Terrassement (VCT) et de la société Bourbonnaise de Travaux publics et de Construction (SBTPC), n° 475648.

 

165 - Permis de construire – Panneau d’affichage du permis – Objet – Omission de mentionner un changement de destination – Mention non prévue – Annulation.

L’art. R. 421-1 du code de l’urbanisme impose que figurent sur le panneau d'affichage du permis de construire diverses informations sur la nature du projet et ses caractéristiques. Ces mentions ont pour objet de permettre aux tiers, à la seule lecture de ce panneau, d'apprécier l'importance et la consistance du projet, le délai de recours contentieux ne commençant à courir qu'à la date d'un affichage complet et régulier.

Pour dire non complet un tel affichage, une ordonnance d’un président de chambre de cour administrative d’appel a relevé que si était bien mentionnée « une extension » du bâti, il n’était pas porté que le permis était sollicité en vue d’un changement de destination du bien. L’auteur de l’ordonnance en a déduit que l’affichage était incomplet et n'avait pu faire courir le délai de recours. En réalité, a été ainsi commise une erreur de droit pour avoir jugé que le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance, présenté par le requérant à l'appui de sa demande de sursis à exécution, ne paraissait pas sérieux en l'état de l'instruction, alors qu'aucune disposition, notamment pas celles de l'art. A. 424-16 du code de l'urbanisme, n'imposait de mentionner que le projet de construction en litige impliquait un changement de destination.

L’ordonnance est cassée.

Il faut regretter l’attitude latitudinaire du pouvoir réglementaire car la destination d’un bien à construire peut avoir une grande importance, notamment pour les voisins du bien.

(14 novembre 2023, M. C., n° 475258)

 

166 - Permis de construire – Contestation – Rejet pour absence d’intérêt donnant qualité pour agir – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Dans le souci de réduire le nombre de recours dilatoires, « mafieux » ou quérulents, dans le contentieux de l’urbanisme, les textes ont prévu une obligation renforcée pour le requérant de disposer d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision qu’il attaque. Cependant, la jurisprudence décide très logiquement que « Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction. »

Au cas d’espèce, le juge du référé suspension avait rejeté la demande du requérant motif pris de ce qu’il ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le permis de construire qu’il attaquait.

Pour annuler cette ordonnance de rejet, le juge de cassation retient que le requérant a justifié être propriétaire d'une maison à usage d'habitation implantée sur un terrain situé à proximité immédiate de la parcelle d'implantation de la construction projetée. Il a fait valoir que la maison et les aires de stationnement, objet du permis de construire, devaient être desservies par une voie d'accès établie sur sa propriété au titre d'une servitude de droit privé, et a soutenu que la décision attaquée était susceptible d'affecter, du fait du passage de nouveaux véhicules et de réseaux sur sa propriété, les conditions d'utilisation et de jouissance de la voie qui dessert également son bien et deux autres maisons. Il a ainsi fait état d'éléments relatifs à la nature, à l'importance et à la localisation du projet de nature à établir l'atteinte susceptible d'être portée par le permis de construire en litige aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

L’ordonnance de rejet a donc inexactement qualifié les faits de l'espèce.

(14 novembre 2023, M. B., n° 475532)

 

167 - Lotissement – Notion – Division parcellaire – Détachement d’une parcelle où existent déjà des bâtiments – Absence de caractère de lotissement même en cas d’agrandissement de l’existant – Rejet.

La présente décision est intéressante en ce qu’elle apporte quelques éclairages nouveaux sur la notion et le régime du lotissement, le juge faisant montre d’un grand libéralisme à l’heure où les préoccupations d’économie du foncier disponible rendent de plus en plus précaire et incertain le recours aux lotissements accusés de consommer excessivement des disponibilités foncières qui vont en se raréfiant.

Tout d’abord, est rappelé un principe classique en la matière : toute division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière constitue un lotissement dès lors que l'un au moins des terrains issus de cette division est destiné à être bâti.

Ensuite, contrairement à une idée assez répandue, le périmètre du lotissement peut ne comprendre qu'un unique lot à bâtir ou comprendre, avec un ou des lots à bâtir, des parties déjà bâties de l'unité foncière.

Enfin, et c’est peut être l’aspect le plus innovant de la décision, le juge précise que ne constitue pas un lotissement le détachement d'un terrain supportant un ou plusieurs bâtiments qui ne sont pas destinés à être démolis, ajoutant cette importante précision qu’il en va ainsi même lorsqu'est envisagée l'extension, même significative, de l'un de ces bâtiments, le cas échéant après démolition d'une partie de celui-ci, ou la construction d'annexes à ces bâtiments.

La solution nous paraît faire bon marché des préoccupations environnementales et le principe d’indépendance des législations est bien malencontreux face à l’urgence écologique.

(29 novembre 2023, Association de défense de l'environnement du parc de Maisons-Laffitte, n° 470788 et n° 470789)

 

168 - Permis de construire – Agrandissement de l’existant – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation – Octroi de la suspension d’exécution sollicitée par déféré préfectoral.

Le préfet de la Corse-du-Sud a saisi le juge administratif d’un déféré, pris sur le fondement de l'art. L. 2131-6, 3ème alinéa, du code général des collectivités territoriales, en vue que soit suspendue l'exécution de l'arrêté par lequel le maire de Figari a accordé un permis de construire portant sur l'extension d'une maison et la réalisation d'une piscine avec démolition d'un local technique.

Pour rejeter ce déféré la cour administrative d’appel avait, par arrêt confirmatif, estimé que le projet d'extension en cause constituait un simple agrandissement et ne méconnaissait donc pas les dispositions de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme selon lesquelles, notamment « L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. »

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour dénaturation des pièces du dossier. En réalité, avait d’abord été commise une erreur de droit car l’art. L. 121-8 retenu par la cour ne saurait s’appliquer à l’agrandissement d'une construction existante, opération qui ne peut être regardée comme une extension de l'urbanisation au sens de cette disposition.

Ensuite, la cour et le tribunal ont commis une dénaturation en apercevant en l’espèce seulement un agrandissement de l’existant alors que le projet objet du permis litigieux comportait la démolition d'un local technique de 2,6 m² et la réalisation d'une extension de 58,01 m² d'une maison individuelle d'une surface de plancher de 85,27 m², correspondant à une villa de 68,45 m², un garage de 14,22 m² et un local technique de 2,60 m², soit, après la démolition du local technique, une augmentation de 55,41 m², équivalent à 65 % de l'existant, ainsi que la construction d'une piscine de 30 m² se trouvant à proximité immédiate du bâti existant. C’était beaucoup pour un « agrandissement ».

La suspension demandée par le déféré préfectoral est accueillie.

(29 novembre 2023, ministre de la transition écologique, n° 470858)

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Octobre 2023

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Mesures d’exécution d’un acte réglementaire – Arrêté relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans les établissements pénitentiaires – Mesures devant être prises dans un délai raisonnable – Absence – Injonction de prendre l’acte d’exécution.

Constatant que dix ans après qu’a été publié le décret du 30 janvier 2012 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre des services de restauration des établissements pénitentiaires, son arrêté d’exécution n’a pas encore été pris, le juge retient que n’a pas été respecté en l’espèce le délai raisonnable normalement nécessaire à l’édiction d’un tel acte, il est fait injonction au garde des sceaux et autres ministres concernés de le prendre sous six mois.

(13 octobre 2023, M. A., n° 456986)

 

2 - Mesure concernant le fonctionnement du service pénitentiaire non son organisation – Mesure dépourvue de caractère réglementaire – Conseil d’État incompétent pour en connaître en premier et dernier ressort – Renvoi au tribunal administratif de la Polynésie française.

Le recours dirigé contre la décision du garde des sceaux refusant de faire droit à une demande tendant à ce qu'il soit mis fin aux conditions de détention indignes au sein du centre pénitentiaire de Nuutania (Polynésie française) ou à ce que celui-ci soit fermé pour mettre fin à ces conditions de détention indignes, concerne le fonctionnement du service public pénitentiaire et n'a pas, par lui-même, pour objet d'assurer son organisation. Par suite, ne revêtant pas un caractère réglementaire, ce recours ne saurait être porté directement devant le Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort.

L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Polynésie française.

(13 octobre 2023, M. A., n° 458055)

 

3 - Demande d’ouverture d’un bureau annexe à un office de notaire – Demande mettant en jeu le mécanisme d’ouvertures limitées d’offices et le statut spécifique du notariat – Régime spécial des autorisations d’ouverture – Absence d’application de la règle « silence vaut acceptation » et de la constitution consécutive de droits acquis – Annulation de l’arrêt et rejet de la demande au fond.

Statuant sur un litige né du refus du ministre de la justice d’autoriser un office notarial à créer un bureau annexe à cet office, le juge, qui rejette l’entier recours dirigé contre ce refus, est conduit – et c’est l’un des intérêts principaux de cette décision – à préciser, de façon plutôt innovante, le régime applicable au silence de ce ministre saisi d’une telle demande.

En effet, arguant de ce que la procédure de création d’un bureau annexe à un office notarial se relie (ou se rattache) au régime général, très spécifique, de la création des offices notariaux dont les titulaires sont des officiers ministériels dotés de prérogatives particulières, le Conseil d’État décide que le silence du ministre de la justice sur une demande d’ouverture d’un bureau annexe n’est pas au nombre des cas où le silence vaut acceptation, par dérogation au principe posé par l’art. L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration.

Il suit de là, nécessairement, que si les décisions qui retirent une décision créatrice de droits doivent être précédées d'une procédure contradictoire préalable, tel n’est pas le cas en l’espèce où n’existe aucune décision implicite d’acceptation. La circonstance que le ministre de la justice a pris une décision expresse de rejet de la demande de création d’un bureau annexe ne peut pas s’analyser comme le retrait d’une décision créatrice de droits et, ainsi, ce rejet express n’avait pas, non plus, à être précédé d’une procédure contradictoire.

(13 octobre 203, MM. Laffon, Marcuello et Ayrolles, n° 461407)

 

4 - Institution d’une prime de fidélisation territoriale – Exclusion de son bénéfice pour les maîtres contractuels exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat – Refus d’abrogation de l’arrêté ne mentionnant pas ces agents parmi les bénéficiaires de cette prime – Acte réglementaire – Absence d’obligation de motiver – Rejet.

 La décision par laquelle la ministre de la transformation et de la fonction publiques a refusé d'abroger l'arrêté du 24 octobre 2020 en tant que celui-ci n'inclut pas dans le champ des bénéficiaires de la prime de fidélisation territoriale les maîtres contractuels exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré a un caractère réglementaire. Elle n’est donc pas soumise à une obligation de motivation.

(13 octobre 2023, Syndicat professionnel de l'enseignement libre catholique (SPELC) Créteil, n° 464416 ; Syndicat de l'enseignement privé de l'académie de Créteil (CréSEP) et syndicat de l'enseignement privé de l'est francilien CFDT (SEPEF-CFDT), n° 464605)

V. aussi, pour un autre aspect de la décision, le n° 155

 

5 - Instruction relative à l’action administrative en matière d’énergie renouvelable – Indication de l’orientation de l’action contentieuse en ce domaine – Document de portée générale sans effet notable autre que sur les préfets chargés de la mettre en œuvre – Rejet.

Ne peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir la seconde partie d’une instruction gouvernementale du 16 septembre 2022 demandant aux préfets de préparer d'éventuelles mesures de répartition ou de délestage de la fourniture de gaz ou d'électricité au cours de l'hiver 2022-2023 et d'accélérer le développement des énergies renouvelables, notamment éolienne.  Ce texte, se bornant à donner instruction aux préfets sur l’action administrative en matière d'énergie renouvelable et à porter à leur connaissance une orientation de l'action contentieuse de l'État en cette matière, n’est pas susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les préfets chargés de la mettre en œuvre.

Un tel recours ne peut qu’être rejeté.

(18 octobre 2023, Association Fédération Environnement Durable et association Vent de Colère ! Fédération nationale, n° 468888)

 

6 - Spectacles de cirque – Demandes au premier ministre de déposer un projet de loi et de donner instruction aux préfets – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande tendant à ce qu'une circulaire soit adressée aux préfets sur l'accueil des cirques et le prononcé d’une injonction envers la même personne de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'accueil dans toutes les communes des cirques itinérants, dans un délai maximum d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Ces demandes sont, bien évidemment, rejetées.

Ces rejets sont l’occasion d’appliquer deux grandes théories du droit de la décision administrative : celle de l’acte de gouvernement et celle de l’autonomie d’exercice du pouvoir hiérarchique.

La première demande est rejetée en ce qu’elle tend à ce que soit conféré aux préfets le pouvoir d'annuler les actes pris par les autorités municipales pour réglementer la tenue, sur leur commune, des spectacles itinérants incluant des espèces d'animaux non domestiques, qui ne saurait trouver son fondement dans les dispositions de l'art. L. 2215-1 du CGCT. Une telle décision ne relève donc pas de la compétence du pouvoir réglementaire mais suppose la présentation au Parlement d’un projet de loi conférant une telle possibilité aux préfets. Or le refus du Gouvernement de soumettre un projet de loi au Parlement touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et constitue un acte insusceptible de tout contrôle juridictionnel. De ce chef, la requête était irrecevable.

La seconde demande, consistant à ce que soit adressée aux préfets une instruction qui rappelle le cadre juridique de la tenue des spectacles de cirques itinérants et leur demandant de déférer au juge administratif tous les actes des autorités municipales réglementant la tenue des cirques itinérants qu'ils estiment contraires à ce cadre juridique, est également rejetée car s’il est loisible à une autorité publique d'adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire. 

(20 octobre 2023, Collectif des cirques, n° 470965)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

7 - Demande d’exercice d’un droit d’accès à l’évaluation d’un travail réalisé par une société – Rejet par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Office du juge des référés – Impossibilité d’annuler une décision administrative ou de prendre toute mesure équivalant à une décision administrative – Rejet.

Il était demandé au juge des référés du Conseil d’État d'annuler la décision par laquelle la CNIL a rejeté sa réclamation concernant l'exercice de son droit d'accès à une évaluation de travail réalisée par la société Savcham et d'enjoindre à celle-ci de l'assister dans l'exercice de ce droit auprès de cette société.

Cette demande était manifestement irrecevable car le juge des référés n’est qu’un juge du provisoire d’où résulte qu’il ne peut ni annuler une décision administrative telle celle contestée, ni prononcer une injonction qui aurait la même portée que l'obligation qui pèserait sur la Commission à la suite d'une décision du juge administratif annulant une telle décision.

La voie du référé n’était donc pas la bonne au cas de l’espèce et il incombait au demandeur de saisir le juge d’une action de droit commun en annulation.

(ord. réf. 02 octobre 2023, M. A., n° 488413)

 

8 - Demande d’autorisation de poser une antenne de téléphonie mobile – Refus du maire – Annulation par les juges du fond – Conclusions manifestement irrecevables – Impossibilité de faire droit à des conclusions incidentes – Annulation et confirmation, au fond, du rejet prononcé en première instance comme en appel.

La société Orange s’étant vu refuser par le maire de la commune la délivrance d’un certificat de non-opposition à la déclaration de travaux qu’elle a fait en vue de la pose d’une antenne de téléphonie mobile, elle a saisi le tribunal administratif qui a annulé le refus et fait injonction à la commune de réexaminer sous astreinte cette demande.

Sur l’appel de la commune, la cour administrative d’appel a prononcé un rejet et, faisant droit aux conclusions incidentes de la société Orange, a enjoint au maire de la commune de délivrer une décision de non-opposition à la déclaration de travaux de cette société dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance attaquée, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

La commune se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle une évidence : dès lors qu’elle jugeait les conclusions de la commune comme manifestement dépourvues de fondement, la cour ne pouvait pas faire droit à des conclusions incidentes lesquelles ne sauraient exister sans conclusions principales…

Annulant l’arrêt d’appel sur ce point, le juge de cassation règle l’affaire au fond en rejetant le recours de la commune et en donnant satisfaction aux conclusions incidentes de la société Orange, le tout assorti d’une injonction à un mois et d’une astreinte de 50 euros par jour.

(24 octobre 2023, Commune de Sainghin-en-Mélantois, n° 465360)

 

9 - Autorisation d’exploitation d’un service radio - Agrément du CSA/ARCOM pour le changement de titulaire et de catégorie d’une autorisation antérieurement délivrée – Agrément du changement de nom et de programmes de ce service – Annulations contentieuses – Interruption immédiate de diffusion du service – Modulation dans le temps des effets des annulations prononcées.

Le Conseil d'État, par une décision du 20 juin 2023, a, sur demande de la société Europe 2 entreprises :

1°/ annulé deux décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l’une agréant le changement de titulaire et de catégorie de l'autorisation délivrée à l'Association pour l'information et le développement de la vallée de Belleville (AIDVB) pour l'exploitation du service « Virgin Radio Val Thorens Les Ménuires » et autorisant le changement de nom et de programmes de ce service,  l'autre reconduisant l'autorisation d'exploitation par la société Radio Saint-Martin Les Ménuires Val Thorens du service de radio de catégorie B par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence dénommé « R' Saint-Martin Les Ménuires Val Thorens ».

2°/ sursis à statuer, avant-dire-droit, sur la date d'effet des annulations prononcées afin de permettre aux parties de débattre, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision, de la question de savoir s'il y a lieu, en l'espèce, de limiter dans le temps les effets des annulations ainsi prononcées.

Après avoir recueilli les propositions en ce sens des deux entreprises concernées et du CSA/ARCOM, le juge retient en premier lieu que porteraient une atteinte excessive à l'intérêt du public ainsi qu'à la situation du titulaire de l'autorisation annulée, l’interruption immédiate de la diffusion du service dont l'autorisation a été annulée et l’inutilisation de la fréquence correspondante dans l'attente de la délivrance d'une nouvelle autorisation.

Il décide, en second lieu et en conséquence, que, par dérogation à la règle de l'effet rétroactif des annulations contentieuses, les annulations prononcées ne prendront effet qu'au terme du délai nécessaire à la désignation du service auquel la fréquence sera attribuée et à la délivrance de la nouvelle autorisation. 

(20 octobre 2023, Société Europe 2 entreprises, n° 454982)

 

Biens et Culture

 

10 - Demande d’installation et d’exploitation d’un parc éolien – Refus préfectoral – Atteintes au paysage – Prise en compte des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires caractérisant un paysage – Paysages proustiens – Rejet.

(04 octobre 2023, Société Combray Énergie, n° 464855)

V. n° 111

 

11 - Contrat de crédit-bail immobilier entre une personne privée et une personne publique – Terrain objet du crédit-bail supportant un atelier-relais construit par une commune – Décision ordonnant à la personne privée de quitter les lieux – Appartenance de l’ensemble immobilier au domaine public – Absence d’affectation au service public – Erreur de droit – Incompétence du juge administratif – Annulation.

La société requérante a conclu avec une commune, en juillet 2020, un contrat de crédit-bail d'une durée de quinze ans, portant sur un terrain bâti situé dans la zone artisanale sur le territoire de cette commune et comportant une option, pouvant être exercée à compter de la huitième année, d'achat de l'ensemble immobilier composé de ce terrain et de l'atelier-relais que la commune y avait édifié.

En septembre 2021, une délibération du conseil municipal prononcé le classement de l'ensemble immobilier en cause dans le domaine public communal et la commune a ensuite saisi le juge des référés afin qu'il ordonne, sur le fondement de l'art. L. 521-3 du CJA, la libération du terrain et de l'atelier-relais qu'il supportait, qu'elle entendait céder.

D’une part, la société Guillet-Joguet se pourvoit en cassation de l'ordonnance lui enjoignant de quitter sans délai les lieux.

D’autre part, la société Guillet-Joguet et la société civile professionnelle (SCP) MJuris agissant en qualité de mandataire judiciaire demandent l'annulation de l'ordonnance par laquelle ce même juge des référés a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'art. L. 521-4 du CJA, tendant à ce qu'il mette fin à cette injonction sous astreinte.

Le litige posait la question, déterminante, de savoir si l’ensemble immobilier en cause constitue, ou non, une dépendance du domaine public communal.

Appliquant tout d’abord une jurisprudence constante et ferme, le Conseil d’État décide qu’il faut se placer à la date des faits et actes en cause pour examiner quels critères doivent être pris en considération pour opérer cette qualification juridique. En effet, la loi, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, qui modifie les critères de la domanialité publique n’a pas d’effet rétroactif. Lorsque, comme en l’espèce, les faits sont antérieurs à la date précitée il convient d’appliquer les critères antérieurement retenus par la jurisprudence.

Ensuite, le juge constate que la construction d'ateliers-relais par une commune a pour objet de favoriser son développement économique en complétant ses facultés d'accueil des entreprises et qu’elle relève donc d'une mission de service public. Toutefois, pour autant, cela ne suffit pas à faire regarder ces ateliers, qui ont vocation à être loués ou cédés à leurs occupants, comme étant affectés, une fois construits, à un service public et, sous réserve qu'ils aient fait l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable, à les incorporer de ce seul fait dans le domaine public de la commune.

En l’espèce, il est constaté par le juge que l’atelier-relais en question a été édifié par la commune pour les besoins de la société Guillet-Joguet, qu’il n'était pas affecté à l'usage direct du public et ne pouvait être regardé comme affecté à un service public pour les besoins duquel il aurait fait l'objet d'aménagements spéciaux ou indispensables. Au reste, le contrat conclu entre la commune et la société comportait une clause emportant promesse unilatérale de cession au profit du preneur et la commune, dans ses écritures produites dans l’instance, a exposé l'intention de céder le bien après sa libération.

Certes, il existe bien une délibération du conseil municipal, antérieure de quelques mois à la saisine du juge, qui a prononcé le classement de ce bien dans le domaine public communal mais en l’absence de toute intention exprimée d'affecter le bien en litige à un service public, ce classement était impuissant à conférer audit bien le caractère d'une dépendance du domaine public dès lors qu’il ne satisfaisait pas aux critères alors exigés pour son appartenance à ce domaine, soit un bien à la fois affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné.

De ce que le bien immobilier litigieux ne peut être qualifié de dépendance du domaine public, s’ensuit l’incompétence du juge administratif pour connaître du litige contrairement à ce qu’a estimé, au prix d’une erreur de droit, le juge des référés.

(13 octobre 2023, Société Guillet-Joguet, n° 466114 ; Société Guillet-Joguet et société civile professionnelle (SCP) MJuris, agissant en qualité de mandataire judiciaire, n° 468983, jonction)

 

12 - Délimitation du domaine public communal – Propriété d’un mur de soutènement - Absence prétendue de revendication de la qualité de propriétaire par la commune – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Une cour administrative d’appel juge que, contrairement à ce qui est indiqué sur l’arrêté municipal délimitant le domaine public communal, ne peut pas faire partie de ce domaine public la parcelle sur laquelle se situe le mur de soutènement érigé par la commune à l'arrière d’une fontaine car elle n’a pas revendiqué en être propriétaire. Le juge de cassation aperçoit dans cette analyse une dénaturation des pièces du dossier.

En effet, il tombe sous le sens que l’acte de délimitation - qui comporte mention que la commune avait acquis ce terrain en 1883, par acte notarié, en vue de la construction d'un réseau d'adduction en eau potable issue d’une source -, d’une parcelle sur laquelle a été édifiée une fontaine, comprend nécessairement cette fontaine et son terrain d'emprise ainsi que le mur de soutènement adjacent à celle-ci, et que l’ensemble est propriété de la commune.

(18 octobre 2023, Commune de Montendre, n° 470623)

 

Contrats

 

13 - Marché public global de performance pour la création d'un réseau multiservices de l'ensemble des équipements urbains et des bâtiments communaux – Ajournement des travaux par la commune et suspension des paiements – Formation d’un référé provision (art. R. 541-1 CJA) – Indétermination du sort des clauses contractuelles concernées – Erreur de droit et manquement à l’office du juge – Annulation – Rejet au fond.

Une commune ayant informé les titulaires d’un marché public global de performance pour la création d'un réseau multiservices de l'ensemble des équipements urbains et des bâtiments communaux de sa décision d’ajourner les travaux et de suspendre les paiements, ceux-ci ont saisi le tribunal administratif d’un référé provision portant sur les montants des troisième et quatrième acomptes majorés des intérêts moratoires.

Ils se pourvoient en cassation de l’ordonnance de référé par laquelle la cour administrative d’appel a annulé celle du premier juge qui avait accordé la provision demandée.

En premier lieu, le juge de cassation annule l’ordonnance rendue en appel rejetant la demande de provision fondée, à titre principal sur les stipulations du contrat et, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Cette ordonnance se borne, très curieusement, à estimer impossible de déterminer s'il y avait lieu d'appliquer les clauses contractuelles prévues dans le contrat ou de les écarter. La cassation est justifiée par l’erreur de droit ainsi commise, le juge devant déterminer lequel des deux fondements invoqués il retenait et par un manquement à l’office du juge.

En second lieu, après avoir annulé l’ordonnance d’appel, le juge de cassation se trouvait donc saisi de l’ordonnance de première instance. Il l’annule, notamment parce que les demandeurs à la provision n’établissent pas l'existence d'une autorisation du maître d'ouvrage préalable à l'exécution des travaux. Leur créance ne saurait être dite « non sérieusement contestable ».

(ord. réf. 10 octobre 2023, Sociétés Citétech-Citéquip et Travaux électriques du midi, n° 471091)

 

14 - Construction par une université d'un centre européen de recherche en imagerie médicale (Cerimed) - Délégation de la maîtrise d’ouvrage à un groupement – Conclusion entre l’université et une société (AAA) d’une convention autorisant cette société à occuper des locaux au sein du bâtiment avant la fin des travaux – Graves dommages – Recherche d’indemnisation – Rejet.

La construction d’un centre d’imagerie médicale au sein d’une université ayant subi de graves dommages par suite d’un incendie causé par des travaux menés sur le chantier de construction, s’en est suivie une série de recours croisés entre les divers intervenants, dans le cadre de ce qui s’avère, fondamentalement, comme une action en responsabilité quasi-délictuelle en dépit de l’existence de plusieurs relations contractuelles, doublée d’une demande de condamnation solidaire.

Le juge rappelle plusieurs points importants.

Au plan de la procédure, s’agissant de notes en délibéré, il est indiqué qu’une partie ne peut se plaindre de ce qu’une juridiction n’a pas visé une note en délibéré produite par une autre partie, en raison de sa tardiveté.

S’agissant d’un mémoire produit après la clôture de l’instruction, il est aussi rappelé que la juridiction saisie n’a pas à l’analyser.

Enfin, c’est sans erreur de droit et par application d’une solution très classique, que la cour, saisie d'un appel de la société AAA contre le jugement en tant qu'il avait rejeté ses conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant du retard dans la livraison du bâtiment et avait en conséquence limité à 20 992 euros le montant de la condamnation de la société Inéo Provence Côte d'Azur à son profit ; elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que l'appel incident formé par celle-ci contre le jugement en tant qu'il l'avait condamnée à verser à la société XL Insurance Company SE une somme en réparation des dommages matériels subis par la société AAA, soulevait un litige distinct de l'appel principal, qui portait sur un autre chef de préjudice.

Au plan du fond de l’action en responsabilité, trois points retiennent l’attention.

En jugeant que l'université ayant contractuellement autorisé la société AAA à occuper des locaux au sein du bâtiment, avant la fin des travaux, moyennant le paiement d'une redevance, celle-ci avait la qualité d'occupant régulier du domaine public, la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier.

La cour n’a pas non plus méconnu le principe de l’effet relatif des contrats en estimant que l'incendie avait privé la société AAA de la possibilité d'occuper les locaux à la date prévue par la convention qu'elle avait conclue avec l'université et a condamné la société Inéo Provence et Côte d'Azur à l'indemniser du préjudice en résultant puisque, ce jugeant, elle a simplement réparé l'atteinte portée par cette dernière société au droit de la société AAA d'occuper ces locaux à compter d'une certaine date.

Enfin, dès lors que l'acte d'engagement entre l'université et le groupement conjoint avec mandataire solidaire ne comportait pas la répartition détaillée des prestations à exécuter par chacun des membres du groupement, chaque membre du groupement était tenu envers le maître d'ouvrage de l'exécution de l'ensemble des prestations contractuelles, par suite, la cour n’a pas commis d'erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation en condamnant solidairement les membres du groupement à garantir la société Inéo Provence et Côte d'Azur à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée à son encontre.

(12 octobre 2023, Société Didier Rogeon architecte et société Scott Tallon Walker architects, n° 462994 ; Société Inéo Provence et Côte d'Azur, n° 463026 ; Société TPF Ingénierie, n° 463084, jonction)

 

15 - Marché de fourniture d’appareils de diagnostic in vitro et leurs consommables à un service départemental d’incendie et de secours – Décision de suspension du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) – Indemnisation des préjudices subis – Refus – Impossibilité juridique d’exécuter le contrat – Rejet.

Une société a fourni au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie, en exécution d’un contrat de fourniture notifié en 2009, huit appareils de diagnostic in vitro de type « M-Scan II », conçus et fabriqués par une autre société et acquis auprès de cette dernière, et des consommables pour ces appareils. Le directeur de l’ANSM, par sa décision du 9 juin 2014, a suspendu la fabrication, la distribution, l'exportation et l'utilisation de ce dispositif médical.

Le SDIS de la Savoie a émis à l'encontre de cette société un titre exécutoire au titre de sa garantie contractuelle concernant les préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de l'impossibilité de poursuivre l'utilisation de ce dispositif.

Par un arrêt confirmatif, la cour administrative d’appel a rejeté l’appel du SDIS contre le jugement qui a annulé le titre exécutoire et déchargé la société de l'obligation de payer la somme correspondante.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi du SDIS.

Comme la cour, il juge que la garantie contractuelle prévue par le cahier des clauses techniques particulières du marché et détaillée à l'article 4-3 du cahier des clauses administratives particulières ne pouvait pas être invoquée du fait de l’impossibilité juridique, et non technique, de recourir aux dispositifs médicaux en cause, à la suite de la décision précitée du directeur général de l'ANSM. (12 octobre 2023, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie, n° 467372)

 

16 - Contrats de voyages touristiques et de séjours – Circonstances exceptionnelles – Épidémie de Covid-19 – Régime de remboursements des frais engagés – Ordonnance du 25 mars 2020 – Renvoi préjudiciel à la CJUE – Réponse de la Cour – Annulation.

L’ordonnance du 25 mars 2020 avait décidé qu’en cas d’annulation, pour force majeure ou circonstances exceptionnelles, des prestations de voyages touristiques et de séjours, les vendeurs de ces contrats seraient soumis à un régime de remboursement très aménagé. Ce texte avait prévu que lorsqu'un contrat de vente de voyages et de séjours fait l'objet d'une résolution entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020, « l'organisateur ou le détaillant peut proposer, à la place du remboursement de l'intégralité des paiements effectués, un avoir » d'un montant égal à celui de l'intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu. Cette proposition, qui devait être faite au plus tard dans les trois mois de la notification de la résolution du contrat, était valable pendant une durée de dix-huit mois. À l'issue de ce délai et à défaut d'acceptation par le client de la prestation identique ou équivalente à celle que prévoyait le contrat résolu et qui lui a été proposée, le professionnel serait tenu de le rembourser de l'intégralité des paiements effectués. 

Les associations requérantes avaient saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation de cette partie de l’ordonnance qui, non soumise à ratification, était donc un acte administratif réglementaire.

Ce juge a transmis trois questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg (cf. 1er juillet 2021, n° 441663 ; voir cette Chronique, juillet-août 2021 n° 79) auxquelles cette dernière a répondu (8 juin 2023, UFC - Que choisir et CLCV, aff. C-407/21) en disant pour droit que les solutions retenues par le législateur délégué français était contraire aux dispositions de l’art. 12 de la directive du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées.

Le Conseil d’État prononce, en conséquence, l’annulation des disposions litigieuses.

(13 octobre 2023, Union fédérale des consommateurs - Que choisir et Confédération consommation logement cadre de vie, n° 441663)

 

17 - Contrat de location d’un photocopieur à une commune – Résiliation anticipée du contrat par motif d’intérêt général – Indemnisation – Rejet.

Une commune a procédé, par motif d’intérêt général, à la résiliation anticipée du contrat de location d’un photocopieur qu’elle avait conclu avec la société requérante. Cette dernière réclame indemnisation du chef de cette résiliation.

Le juge de cassation rappelle que la résiliation unilatérale d’un contrat ouvre au contractant de la personne publique un droit à indemnisation du chef ce celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité cocontractante.

Ici aucun des deux chefs de réclamation n’est jugé avoir constitué une dépense utile à la collectivité défenderesse.

En premier lieu, le photocopieur étant demeuré la propriété de la société CM-CIC Leasing Solutions durant toute la durée du contrat et à son expiration, la part non amortie de ce bien ne constituait pas une dépense utile à la collectivité.

En second lieu, dès lors que l’objet du marché litigieux était la location à la commune d'un photocopieur, la société requérante n'était pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait commis une erreur de droit en jugeant que « les frais financiers engagés par le cocontractant de l'administration pour assurer l'exécution de ce contrat résilié (...) ne peuvent être regardés comme des dépenses utiles à la collectivité » alors au surplus que par l’expression « frais financiers », ici inadéquate car la requérante n'avait pas acquis l’appareil au moyen d’un emprunt, elle désignait le coût d’achat du matériel.

(13 octobre 2023, Société CM-CIC Leasing Solutions, n° 461079)

 

18 - Convention portant délégation du service public de production et de distribution de l'eau potable à une société privée – Contrat ayant la nature d’une concession – Obligation d’une information préalable appropriée des conseillers municipaux – Forme et étendue de l’obligation – Soumission des conventions aux principes de la commande publique – Possibilité d’adaptations en cours de négociation – Rejet.

Le litige portait sur les conditions de conclusion, entre une commune et une société privée, d’une convention de délégation de service public pour la production et la distribution de l'eau potable. Les requérants, conseillers municipaux, saisissent le juge de cassation d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel confirmatif du rejet, en première instance, de leur requête tendant à l’annulation de la convention.

Avant d’examiner les moyens dont il était saisi, le juge a entrepris de qualifier cette convention qu’il estime être une concession, au sens de la législation de 2016 : responsabilité du fonctionnement du service aux risques et périls de la société et gestion des équipements du service public qu'elle exploite ; contractant privé ne recevant aucune subvention de la part de la commune ; rémunération de celui-ci par les usagers en fonction notamment des volumes d'eau, dont la consommation est variable, et prise en charge du risque de factures impayées.

En premier lieu, avec une particulière netteté, le juge rappelle, s’agissant ici d’une commune de 3500 habitants et plus, l’obligation stricte pour le maire de mettre les membres du conseil municipal à même, par une information appropriée, quinze jours au moins avant la délibération, de consulter le projet de contrat accompagné de l'ensemble des pièces, notamment les rapports du maire et de la commission de délégation de service public, sans que le maire ne soit tenu de notifier ces mêmes pièces à chacun des membres du conseil municipal. À défaut du respect de cette exigence d'information adéquate de l'ensemble des membres de l’assemblée délibérante, en vue qu’ils exercent utilement leur mandat, il serait porté atteinte à une garantie pour les intéressés, susceptible d’entraîner l’annulation de la délibération subséquente. Tel n’est pas le cas ici où les requérants se plaignaient de n’avoir pas eu communication du projet de convention sur lequel ils allaient être appelés à délibérer alors qu’il n’était fait obligation au maire que de les mettre en état de demander la communication de ce projet.

En deuxième lieu, si les concessions sont, comme tout autre contrat de la commande publique, soumises à une triple exigence de liberté, d’égalité et de transparence, cela n’empêche pas l’autorité concédante de faire évoluer le projet de contrat au cours des négociations. Ainsi, en l’espèce, alors qu’à l’origine le document-programme remis aux candidats avant négociation réservait à la commune la totalité de la maîtrise d’ouvrage, celle-ci a pu, légalement, décider ensuite d’en confier une partie au délégataire.

Enfin, de ce que la durée d’une concession doit être limitée, il ne s’ensuit évidemment pas qu’il soit interdit qu’elle ait une durée inférieure à celle de l'amortissement des investissements réalisés.

(13 octobre 2023, M. Jean-Didier D. et Collectif alétois gestion publique de l'eau actions sur le Limouxin et le Saint-Hilairois, n° 464955)

 

19 - Marché public de travaux de réhabilitation de locaux scolaires - Sous-traitance (loi du 31 décembre 1975, art. 1er) – Règle du paiement direct – Conditions et régime – Délai d’acceptation ou de refus de la demande de paiement direct par le sous-traitant – Expiration – Effet – Rejet.

Tout d’abord, précisant et amplifiant une jurisprudence antérieure (26 septembre 2007, Département du Gard et société d'aménagement et d'équipement du département du Gard, n° 255993, à propos d’un contrat qui n’était pas d’entreprise mais de fournitures), le juge éclaire davantage le champ d’application du régime de la sous-traitance. Il y précise que les décisions d'accepter une entreprise en qualité de sous-traitante et d'agréer ses conditions de paiement ne sont susceptibles d'ouvrir à celle-ci un droit au paiement direct de ses prestations que pour autant que ces prestations relèvent effectivement du champ d'application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, lequel ne concerne que les prestations consistant en l'exécution d'une part du marché, à l'exclusion de simples fournitures au titulaire du marché conclu avec le maître de l'ouvrage.

Des biens présentant des spécificités destinées à satisfaire des exigences particulières d'un marché déterminé ne peuvent être regardés, pour l'application de ces dispositions, comme de simples fournitures.

Ceci étend donc la solution jusque-là retenue pour les marchés de fournitures aux prestations de fournitures dans le cadre de tout autre marché.

Ensuite, il est rappelé, la solution est classique sur ce point, que, si l'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été saisi par le sous-traitant d'une demande tendant à son paiement direct (dit aussi « privilège de pluviôse » car issu de la loi du 26 pluviôse an II) par le maître d'ouvrage, pour faire connaître son acceptation ou son refus motivé, il doit, faute d'avoir formulé un tel refus dans ce délai, être regardé comme ayant accepté définitivement la demande de paiement. Dès lors, le refus qu'il exprimerait après l'expiration du délai de quinze jours ne saurait constituer un refus motivé, au sens des dispositions, d’une part, de l’art. 116 du code des marchés publics alors en vigueur, d’autre part, de l’art. 8 de la loi précitée du 31 décembre 1975.

(17 octobre 2023, Commune de Viry-Châtillon, n° 465913)

(20) V. aussi, assez voisin sur cette question du paiement direct du sous-traitant : 17 octobre 2023, Syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire (" SIEL Territoire d'énergie Loire "), n° 469071.

 

21 - Contrat de délégation de service public en vue de la mise en valeur touristique d’un site communal – Demande par une société tierce de cesser l’exécution de cette convention – Demande faite par la société ancienne titulaire du contrat – Absence d’incidence directe et certaine sur les intérêts de cette société – Qualification inexacte des faits – Annulation sans renvoi (règlement de l’affaire au fond)

La requérante, qui a été ancienne exploitante du site objet d’une délégation de service public en vue de sa mise en valeur touristique, dont elle a été évincée lors de son renouvellement, demande à la commune des Baux-de-Provence de mettre fin à l'exécution de cette convention de délégation de service public conclue en 2010 avec la société Culturespaces.

Pour dire cette demande recevable et fondée la cour administrative d’appel a relevé l'atteinte portée par l'exécution de la convention en litige aux intérêts de la société requérante du fait de sa « qualité de candidate potentielle, ancienne exploitante du site, et non de simple tiers à la convention en litige ».  Cette qualification, étrange, aboutit à contourner la jurisprudence sur les conditions et limites de la contestation d’un contrat administratif par un tiers au contrat. En effet, le juge saisi par un tiers au contrat de conclusions en vue qu’il soit mis fin au contrat en cours d’exécution, doit apprécier si les moyens qu’il soulève sont de nature à justifier qu'il y fasse droit et qu’il ordonne, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé.

Mais quid du recours formé par une personne, physique ou morale, interlope quant à situation juridique désormais, qui a été détentrice du contrat mais ne l’est plus et qui sera, peut-être, un jour à nouveau candidate pour l’obtenir et qui, peut-être encore, l’obtiendra ?

Le juge refuse d’apercevoir deux catégories de tiers, les vrais et les ex si l’on peut dire, ce qui ouvrirait des complications infinies avec la multiplication de cas singuliers.

Dans le cas de l’espèce, la cour a inexactement qualifié les faits : la société requérante ne saurait exciper de ce cas de figure pour prétendre qu'elle serait susceptible d'être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l'exécution de la convention litigieuse.

Au reste cette solution est dans la droite ligne de l’arrêt de Section, Syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) (n° 398445) qui, sur ce point, a abandonné la solution inverse prévalant depuis la décision de Section du 24 avril 1964, Sté Ano. de Livraisons industrielles et commerciales (LIC), n°53518, AJDA 1964, p. 308, concl. M. Combarnous.

(24 octobre 2023, Société Cathédrale d'Images, n° 470101)

 

22 - Marché de maîtrise d'œuvre pour la restauration d’une église protestante à Strasbourg – Rejet d’une offre – Attribution du marché par la commission d’appel d’offres – Annulation sur référé précontractuel – Erreur de droit – Annulation et rejet au fond.

Un candidat, M. A., évincé de la procédure d’appel d’offres en vue de la conclusion du marché de maîtrise d'œuvre pour la restauration de l'église protestante Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg, a saisi le juge du référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA).

Celui-ci a annulé dans sa totalité la procédure de passation du marché de maîtrise d'œuvre litigieux, la décision d'attribution de ce marché et celle rejetant l'offre du candidat évincé.

La commune de Strasbourg se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance et rejette les différents moyens soulevés par le requérant de première instance.

Tout d’abord, il est jugé que le groupement - dont le mandataire est la société 1090 architectes, attributaire du marché -, ayant transmis l'ensemble des certificats et attestations prévus par les art. R. 2143-6 à R. 2143-10 du code de la commande publique au stade de sa candidature puis ayant procédé à une nouvelle transmission entre le 1er mars et le 14 avril 2013 de ces mêmes certificats et attestations en cours de validité, ces transmissions – comme c’est d’ailleurs leur objet - ont ainsi mis la commune à même de s'assurer que ce groupement était à jour de ses obligations tant lors du dépôt de sa candidature qu'avant la signature du marché. Dès lors, la seule circonstance que ces certificats et attestations n'auraient pas été produits dans le délai imparti par les stipulations de l'article 8.2 du règlement de la consultation est, contrairement à ce qu’a jugé le premier juge des référés, sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Il a, par suite, commis une erreur de droit en jugeant que cette circonstance constituait un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'avoir lésé M. A.

Ensuite, sont rejetés les divers moyens, dont deux d’entre eux pour n’être pas assortis de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

M. A. n’a pas été lésé du fait du retard du groupement attributaire du marché à fournir les pièces ci-dessus indiquées.

C’est erronément que M. A. soutient que la répartition des honoraires par intervenant et la répartition des honoraires par mission sont prises en compte au titre de la méthode de notation du critère du prix car elles constituent des sous-critères, distincts de celui du montant global des honoraires, qui sont liés à l'objet du marché et qui ont été portés à la connaissance des candidats avec leur pondération. 

L'article 8.2 du règlement de la consultation stipule que la commune de Strasbourg se réservait la possibilité d'attribuer le contrat sur la base des offres initiales sans négociation. Par suite et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait négocié avec d'autres candidats, la seule circonstance que celui-ci s'est abstenu de négocier avec le requérant n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie. 

Enfin, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, à qui il incombe seulement de vérifier le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Doit donc être écarté le moyen développé en ce sens.

(26 octobre 2023, Commune de Strasbourg, n° 474464)

 

23 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – Société représentante d’intérêts - Exercice d’une influence sur les décisions publiques préparant un appel d’offres - Mise en demeure d’effectuer une déclaration – Obligation de motivation – Période de référence retenue – Rejet.

(04 octobre 2023, Société Deveryware, n° 454659)

V. n° 109

 

24 - Marché public de travaux de construction d'un ensemble immobilier - Décompte général définitif – Mise en demeure – Délais fixés par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG Travaux) – Annulation très partielle.

Le juge rappelle que pour l'application de l'article 50.22 du CCAG travaux, la mise en demeure d'établir le décompte général et définitif, adressée par l'entreprise au maître de l'ouvrage, constitue un mémoire en réclamation.

Il résulte de l’art. 50.31 de ce cahier que l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif si trois mois après sa réclamation aucune décision ne lui a été notifiée ou s'il n'accepte pas cette décision.

La saisine prématurée du tribunal administratif par l’entrepreneur est régularisable par l'intervention d'une décision de rejet avant que le tribunal n'ait statué.

S’agissant de l'intervention du décompte général :

Si celle-ci a lieu avant l'expiration du délai de trois mois elle entraîne un non-lieu à statuer, alors même qu'antérieurement au jugement ce décompte a fait l'objet d'une réclamation qui a donné naissance à un litige distinct.

Si, à l’inverse, l'intervention du décompte général intervient après l'expiration du délai de trois mois le juge ne peut pas prononcer le non-lieu à statuer car en ce cas ce document ne constitue pas un décompte général au sens des dispositions du CCAG.

Par suite la cour administrative est approuvée d’avoir, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation :

- en premier lieu, estimé que le courrier litigieux intitulé « Notification du décompte général » ne revêtait pas le caractère d'un décompte général ;

- en second lieu, jugé que le courrier adressé au maître d’ouvrage qu’elle a estimé être une mise en demeure d'établir le décompte général constituait un mémoire en réclamation pour l'application de l'article 50.22 du CCAG. Or  cette réclamation ayant fait l'objet d'une réponse expresse du maître d'ouvrage reçue le 2 janvier 2013, la circonstance qu'un décompte général aurait ensuite été notifié à la même société le 7 mai 2013, soit après l'expiration du délai de trois mois imparti au maître d'ouvrage pour se prononcer sur la mise en demeure, est dépourvue d'incidence sur le cours du délai de six mois dont dispose le titulaire du marché, à compter de la notification de la décision prise sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général, pour saisir le tribunal administratif. Faute d’avoir respecté ce délai, la demande formée devant le tribunal administratif était tardive et, par suite, irrecevable. 

En revanche, l’arrêt est annulé pour erreur de droit en tant qu’il a statué sur les conclusions reconventionnelles du maître de l’ouvrage. En effet, comme on vient de le lire, les conclusions principales étant irrecevables, les conclusions reconventionnelles le sont tout autant et ne peuvent qu’être rejetées.

 (31 octobre 2023, Société GTM Sud, n° 467237)

 

25 - Marché public de travaux en vue de la réalisation d'un immeuble comportant des locaux administratifs et un pôle d'accueil des entreprises – Désordres affectant l’ouvrage – Condamnation solidaire du groupement maître d’œuvre – Rejet des pourvoi principal et provoqué.

Une communauté de communes a confié à la société Reflets du Sud le lot n° 8, relatif aux menuiseries métalliques, métalleries et serrurerie, d'un marché public de travaux pour la réalisation d'un immeuble destiné à abriter ses locaux administratifs ainsi qu'un pôle d'accueil des entreprises. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement dont le mandataire était l'entreprise Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés.

Ayant constaté des désordres sur l’ouvrage, la communauté de communes a demandé au tribunal administratif la condamnation solidaire des sociétés Reflets du Sud et Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés à une certaine somme. Ce tribunal a condamné la société Reflets du Sud à verser à la communauté de communes une somme de dédommagement et une somme au titre des dépens. Sur appel de la société Reflets du Sud, la cour administrative d’appel a annulé partiellement ce jugement, condamné la société Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés à verser des sommes à la communauté de communes à titre de réparation et pour couvrir les dépens.

C’est contre cet arrêt que la société Atelier d'architecture… se pourvoit en cassation par un pourvoi principal tandis que la communauté de communes forme un pourvoi provoqué.

Ces deux pourvois sont rejetés.

Le pourvoi principal, émané de la société Atelier d'architecture …, est rejeté car la communauté de communes n’ayant pas formé appel de la partie du jugement du tribunal administratif rejetant ses conclusions tendant à la condamnation de la société Atelier d'architecture… au titre d'un manquement à son devoir de conseil lors de la réception de l'ouvrage, la cour administrative d'appel a méconnu son office en se saisissant d'office, par l'effet dévolutif de l'appel, de ces conclusions.

Toutefois, si c’est à bon droit que la société Atelier d'architecture… a demandé l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il l'a condamnée à payer des sommes à la communauté de communes, celle-ci succombe néanmoins car le juge de cassation opère une substitution de motifs : dès lors que la communauté de communes n’avait pas pris de conclusions en appel mettant en cause la responsabilité de la société Atelier d'architecture…, les conclusions présentées devant la cour appelant en garantie la société Reflets du Sud étaient dépourvues d'objet et donc irrecevables.

Le pourvoi provoqué de la communauté de communes ne prospère pas davantage. La cour avait annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il avait condamné la société Reflets du Sud à indemniser cette communauté sur le fondement de la garantie de parfait achèvement car elle avait estimé que les vices à l'origine des désordres litigieux tenant, d'une part, à l'absence d'inclinaison des couvertines et, d'autre part, à leur mauvais positionnement par rapport à la pierre de façade, pouvaient être constatés et leur conséquences appréciées dans toute leur étendue par un homme de l'art normalement précautionneux lors de la réception de l'ouvrage.

L’arrêt étant suffisamment motivé et ne souffrant pas de dénaturation des pièces, le pourvoi provoqué de la communauté de communes ne peut, dès lors, qu'être rejeté.

(31 octobre 2023, Société Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés, n° 469536)

 

26 - Marché sur procédure adaptée – Délais de réception des candidatures et des offres – Délai raisonnable – Courrier en recommandé ouvrant les négociations par dépôt des offres – Point de départ du délai de dépôt – Erreur de droit – Annulation.

Une commune conclut un marché public d’instrumentation d’un cours d’eau pour en réduire les crues torrentielles dangereuses pour le village et pour un camping, ce marché est soumis au régime de la procédure adaptée.

La société requérante, évincée, a formé un référé précontractuel qui a conduit le juge à annuler la procédure adaptée ayant débouché sur l’attribution du marché. Puis, la procédure ayant été reprise et menée à son terme, cette dernière a été informée de l’attribution du marché à une société concurrente. La société Ogoxi-Ogoxe obtient du tribunal l’annulation du nouveau marché et l’indemnisation du préjudice né de son éviction irrégulière. Sur recours de la commune, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la demande de la société. Celle-ci se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Le Conseil d’État rappelle que les textes régissant la procédure adaptée imposent à l'acheteur, qui fixe les délais de réception des candidatures et des offres, y compris le cas échéant après négociation, de tenir compte de la complexité du marché et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur offre, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats. 

En l’espèce la commune a adressé à chaque candidat, le 19 août 2019, un premier courrier recommandé avec avis de réception engageant une phase de négociation, les invitant à présenter une offre modifiée au plus tard le 2 septembre suivant, et les informant qu'à défaut ils seraient regardés comme maintenant leur offre initiale. Le gérant de la société Ogoxi-Ogoxe ayant signalé à la commune un problème de réception de ce pli, l'Office national des forêts, en sa qualité d'assistant à la maîtrise d'ouvrage de la commune, a envoyé à cette société un second courrier recommandé avec accusé de réception daté du 5 septembre, reportant l'échéance au 9 septembre. Ce nouveau courrier n'a été retiré par la société Ogoxi-Ogoxe que le 16 septembre, soit postérieurement à la date limite du 9 septembre mais dans le délai de sa mise en instance au bureau de poste. Ce nonobstant, la cour a jugé que le délai laissé aux candidats pour présenter leurs offres modifiées était suffisant eu égard au fait qu'il y avait lieu de se placer au jour de l'envoi aux candidats du pli recommandé avec avis de réception, contenant l'information du délai de remise des offres modifiées tel que fixé par l'acheteur. La cour a ainsi commis une erreur de droit car le caractère suffisant de ce délai doit s'apprécier en prenant en compte la date de notification de ce pli résultant de l'application des principes selon lesquels lorsque le destinataire du pli recommandé avec avis de réception le retire au bureau de poste durant le délai de mise en instance de quinze jours, la date de notification de ce pli est celle de son retrait (cf. art. 5, arrêté ministériel pris pour l’application de l’art. R. 2-1 du code  des postes).

Ce n’est que dans qu’en cas de retour du pli à l'administration au terme du délai de mise en instance que la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé, dès lors du moins qu'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste.

(31 octobre 2023, Société Ogoxi-Ogoxe, n° 470264)

 

Droit du contentieux administratif

 

27 - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Décision refusant me maintien en fonctions d’un agent public au-delà de la limite d’âge – Litige ne concernant ni la nomination ni la discipline d’un agent nommé par décret du président de la république – Rejet.

Le requérant, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, demande, par recours direct au Conseil d’État, de suspendre l'exécution, d'une part, de l'avis du 12 juillet 2023 de la cheffe de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche et, d'autre part, du rejet de son recours gracieux auprès du directeur de l'encadrement du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse du 3 août 2023, tendant à son maintien en fonction au-delà de la limite d'âge.

Le recours ne pouvait aucunement prospérer, la compétence directe du Conseil d’État étant limitée aux seuls litiges relatifs à la nomination ou à la discipline des agents nommés par décret du président de la république en application soit du troisième alinéa de l'art. 13 de la Constitution soit des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'État.

Le demandeur doit donc porter son action devant le tribunal administratif.

(03 octobre 2023, M. B., n° 488258)

 

28 - Demande d’exercice d’un droit d’accès à l’évaluation d’un travail réalisé par une société – Rejet par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Office du juge des référés – Impossibilité d’annuler une décision administrative ou de prendre toute mesure équivalant à une décision administrative – Rejet.

(ord. réf. 02 octobre 2023, M. A., n° 488413)

V. n° 7

 

29 - URSSAF – Inscription d’office au répertoire des entreprises, à une même adresse, de sociétés de droit étranger – Détermination de l’ordre juridictionnel compétent pour connaître du recours contre cette décision – Procédure irrégulière pour non-respect du délai d’appel – Cassation partielle avec renvoi à la cour.

(04 octobre 2023, Société civile immobilière Immo Toulouse, n° 461138 et M. B., n° 461139)

V. n° 90

 

30 - Présentation des requêtes devant le Conseil d’État – Requête en référé liberté – Introduction de l’action par un mandataire – Demande d’aide juridictionnelle – Exclusivité au profit des avocats aux Conseils – Rejet.

Si dans les recours en référé (ici un référé liberté, art. L. 521-2 CJA) il est possible aux parties de se faire représenter dans l’instance ouverte devant le Conseil d’État par un mandataire de leur choix, autre qu’un avocat au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, en revanche l’allocation de l’aide juridictionnelle ne peut être attribuée qu’à un tel avocat, non à un mandataire n’ayant pas cette qualité.

(04 octobre 2023, Mme A., n° 488502)

 

31 - Juge du référé liberté – Atteinte alléguée à une liberté fondamentale – Mesures nécessaires prises – Non-lieu à statuer par disparition de l’objet du litige.

Rappel de ce que le juge du référé liberté, s’il peut ordonner, sous réserve que la condition particulière d'urgence requise soit remplie, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale en cas d'atteinte grave et manifestement illégale à une telle liberté, doit constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande dont il est saisi lorsque, les mesures nécessaires ayant été prises, cette demande ayant alors perdu son objet.

(ord. réf. 06 octobre 2023, Ministre de l’Europe et des affaires étrangères, n° 488599)

 

32 - Appel – Rejet pour cause de tardiveté d’introduction de l’appel – Erreur de droit dans la détermination du point de départ de la computation du délai d’appel – Annulation.

Dans un litige en réparation des dégâts qui auraient été causés à des plantations forestières par de gros gibiers, la présidente d’une chambre de cour administrative d’appel a rejeté l’appel pour cause de tardiveté, celui-ci ayant été introduit le 5 août alors que le pli recommandé notifiant le jugement a été présenté le 1er juin.

L’ordonnance est annulée car si le pli a bien été présenté le 1er juin à l'adresse du groupement forestier requérant, il n'a cependant pas été distribué à cette date mais mis en instance au bureau de poste et distribué à son destinataire le 7 juin 2022 seulement. Celui-ci n’était donc pas forclos lorsqu’il a saisi la juridiction d’appel contrairement à ce qui a été jugé, au prix d’une erreur de droit.

(10 octobre 2023, Groupement forestier du chemin vert, n° 468730)

 

33 - Action en responsabilité – Désignation d’un expert – Mise en doute de son impartialité – Rejet – Annulation.

Suite à un accident médical survenu lors de la prise en charge hospitalière de l’un de ses clients, la mutuelle requérante a mis en cause l’impartialité du médecin que la cour administrative d’appel avait désigné comme expert pour examiner les conditions de l’intervention chirurgicale à la suite de laquelle son client est demeuré paraplégique. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt rendu à la suite de cette expertise.

Le juge de cassation, après avoir rappelé les termes de l’art. R. 4127-105 du code de la santé publique qui fixe le cadre de l’impartialité de l’expert médical (obligation de refuser « une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »), expose l’office du juge saisi d’un moyen contestant l’impartialité d’un expert.

En ce cas, il appartient au juge « de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise. » La dernière phrase ici citée sonne comme une véritable présomption.

Examinant le cas en litige, le Conseil d’État retient – avec juste raison – que le médecin désigné comme expert a remis ses conclusions le 9 septembre 2021 alors qu’il avait assuré au cours de l'année 2021, en qualité de médecin-conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de l’assureur du centre hospitalier dont la responsabilité était recherchée par la mutuelle requérante.

Il tire de là qu’en jugeant que cette dernière n'était pas fondée à mettre en cause l'impartialité de l’expert eu égard, d'une part, aux obligations déontologiques et aux garanties qui s'attachent tant à la qualité de médecin qu'à celle d'expert désigné par une juridiction et, d'autre part, au déroulement des opérations d'expertise, tenues en présence de deux médecins-conseils de la mutuelle, la cour administrative d’appel a qualifié inexactement les faits de l’espèce.

Au reste, le seul visa de l’art. R. 4127-105 précité du code de la santé publique aurait dû conduire la cour à ne pas désigner ce médecin comme expert ou, l’ayant fait, à le démettre de sa mission expertale.

(10 octobre 2023, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), n° 461706)

 

34 - Requête présentée sans ministère d’avocat – Rejet par les cours administratives d’appel sans invitation préalable à régulariser – Condition – Cas où le requérant est bénéficiaire de l’aide juridictionnelle – Annulation.

Le Conseil d’État rappelle ici que les cours administratives d'appel peuvent rejeter, sans demande de régularisation préalable, les requêtes qui n'ont pas été présentées par un avocat à la condition que le requérant ait été averti dans la notification du jugement attaqué que l'obligation du ministère d'avocat s'imposait à lui en l'espèce.

Dans le cas où le requérant a sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle, s’ensuivent deux conséquences. En premier lieu, le juge ne peut régulièrement statuer sur un recours formé par le requérant avant qu’il n’ait reçu la notification de la décision prise sur sa demande. En second lieu, l’exigence du droit à un recours effectif impose en ce cas au juge de surseoir à statuer, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'il n'aurait pas été avisé de l'existence d'une telle demande. 

En l’espèce, l’ordonnance de la présidente de la cour est annulée en ce qu’elle rejette le recours de l’intéressée comme manifestement irrecevable pour avoir été présenté sans ministère d’avocat alors que cette dernière avait demandé pendant l'instance le bénéfice de l'aide juridictionnelle et qu'il appartenait donc à la cour de surseoir à statuer jusqu'à la décision du bureau d'aide juridictionnelle compétent.

(10 octobre 2023, Mme B., n° 464601)

 

35 - Notification d’un jugement de tribunal administratif à une rectrice mais non au ministre de l’éducation nationale – Ministre ayant seul qualité pour interjeter appel au nom de l’État – Délai d’appel ne pouvant courir contre l’État – Exception de forclusion opposée à tort – Annulation.

Le jugement prononçant l’annulation de la décision de licenciement prise par le proviseur d’un lycée à l’encontre d’un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH), a été notifié à la rectrice de l’académie mais point au ministre de l’éducation.

Or le ministre avait seul qualité pour interjeter appel au nom de l’État contre ce jugement.

C’est donc à tort que la cour administrative d’appel a jugé irrecevable pour cause de tardiveté l’appel du ministre car le délai d’appel de deux mois n’a pu courir envers un jugement non notifié.

(10 octobre 2023, ministre de l’éducation nationale, n° 470461)

 

36 - Loi du 5 mars 2007 – Occupation illicite de logements – Compétence de constat appartenant au maire en qualité d’officier de police judiciaire – Refus d’intervention du maire – Absence de compétence exclusive du juge judiciaire – Rejet pour défaut d’urgence.

Le maire de Marseille, saisi en ce sens par le propriétaire d’un logement, sur le fondement de l’art. 38 de la loi modifiée du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, n’ayant pas répondu à sa demande de constater l'occupation illicite de ce logement, l’intéressé a saisi le juge administratif par voie de référé liberté afin qu’il enjoigne au maire de procéder à ce constat.

Ce juge a, notamment, opposé à cette demande l’incompétence de l’ordre administratif de juridiction pour connaître de ce litige car le maire agit en ce cas comme agent de police judiciaire et le contentieux né d’actes pris en cette qualité n’appartient qu’au juge judiciaire.

Le Conseil d’État a estimé cette solution erronée car il n’en résulte pas pour autant que le litige échapperait manifestement à la compétence de la juridiction administrative, d’autant que le maire a également la qualité d'autorité administrative.

Le recours est cependant rejeté car le premier juge a relevé, sans erreur, l’absence d’établissement par le demandeur d’une situation d’urgence.

(ord. réf. 11 octobre 2023, M. B., n° 488783)

 

37 - Sursis à l’exécution d’un arrêt – Arrêt ordonnant une mesure de régularisation coûteuse et fondé sur une erreur de droit – Sursis ordonné.

Le litige portait, une fois de plus, sur une autorisation d’implantation et d’exploitation d’éoliennes (cf. cette Chronique, juillet-août 2023, après le n° 140, l’encadré intitulé Du malheur d’être une éolienne ou paradoxes d’un progrès écologique). La cour administrative d’appel avait sursis à statuer sur le recours dirigé contre l’autorisation préfectorale jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, afin de permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de procéder à la régularisation de l'illégalité mentionnée au point 35 de son arrêt, par l'obtention d'une dérogation au titre des art. L. 411-1 et suivants du code de l'environnement.

Cette dernière se pourvoit en cassation de cet arrêt dont elle demande au Conseil d’État qu’il en ordonne le sursis à l’exécution.

Pour accéder à cette requête, le juge retient en premier lieu que l’exécution de cet arrêt est susceptible d'entraîner un retard estimé entre un an et deux ans pour la réalisation du projet éolien, de nature à générer un surcoût évalué entre 1,8 et 3,6 millions d'euros et qu’elle est, de nature à priver d'objet un recours contre cet arrêt contestant le bien-fondé de l'illégalité ayant justifié cette mesure. Il relève en second lieu, qu’est sérieux, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’erreur commise par la cour en jugeant que le projet litigieux nécessitait l'octroi d'une dérogation dite « espèces protégées ».

(03 octobre 2023, Société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire, n° 474381)

 

38 - Sursis à l’exécution d’une décision juridictionnelle (art. R. 821-5 CJA) – Moyens non susceptibles d’être invoqués – Exigences d’infirmation de la solution retenue par les juges du fond – Absence – Rejet.

Rejetant la demande de sursis à l’exécution d’une décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins sollicitée par le praticien sanctionné, le Conseil d’État rappelle opportunément, au visa de l’art. R. 825-1 du CJA, que la circonstance que sont invoquées la composition irrégulière de la formation de jugement et l’insuffisance de motivation de sa décision, quand bien même  ces moyens paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à conduire à l'annulation de la décision attaquée, le sursis à l’exécution ne peut être accordé. Il faut impérativement établir, par les autres (ou un autre) moyen(s), que ceux-ci (ou celui-ci) sont (ou est) de nature à entraîner l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

(13 octobre 2023, M. B., n° 471329)

(39) V. aussi, en sens inverse, accordant le sursis à exécution sollicité par un occupant sans droit ni titre du domaine public ferroviaire condamné à payer une somme hors de proportion avec les revenus du foyer et compte tenu de ce que paraît, en l’état, sérieux et de nature à justifier, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond le moyen tiré de ce qu’ils ont estimé que les indemnités d'occupation sans titre du domaine public étaient exigibles à l'issue de chaque période annuelle d'occupation : 18 octobre 2023, M. A., n° 471950.

(40) V. encore, jugeant que le refus d’admission d’un pourvoi entraîne ipso facto que deviennent sans objet les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l’arrêt frappé de pourvoi : 18 octobre 2023, Commune de La Flotte, n° 472088.

 

41 - Dispositions réglementaires contestées en justice – Dispositions remplacées par d’autres – Dispositions originaires n’ayant jamais reçu d’application – Recours devenu sans objet – Rejet.

Le syndicat requérant a demandé l’annulation d’un décret du 24 janvier 2022 portant notamment sur les préparateurs en pharmacie hospitalière dans les établissements publics de santé. Après l’introduction de ce recours, le décret du 31 août 2022 est venu corriger les erreurs matérielles que comportait celui du 24 janvier 2022.

Dès lors que ce premier décret n’a pas reçu d’application avant l’intervention du second, le recours est devenu sans objet, il est donc rejeté.

(13 octobre 2023, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU), n° 462605)

 

42 - Moyen soulevé d’office par le juge – Obligation d’en informer les parties – Absence – Annulation.

Encourt l’annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, dans un litige fiscal, soulève d’office un moyen sans en aviser les parties.

(13 octobre 2023, M. A., n° 469302)

 

43 - Délibérations communales annulées – Annulation en appel – Arrêt rendu sans répondre aux fins de non-recevoir dont la cour était saisie – Annulation.

Encourt – évidemment – annulation l’arrêt qui se prononce sur un jugement annulant des délibérations municipales sans statuer sur les fins de non-recevoir dont elle était saisie.

(18 octobre 2023, M. A., n° 470192)

 

44 - Pourvoi en cassation – Conditions d’ouverture – Nécessité d’avoir été partie à l’instance frappée de pourvoi – Personne invitée par le juge à présenter des observations – Rejet.

Rappel d’un grand classique du contentieux de la cassation.

Le recours en cassation n'est ouvert, en vertu des règles générales de la procédure, qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée. Ne peut être regardée comme une partie à l'instance devant les juges du fond que la personne qui, ni présente ni représentée dans l’instance, a été invitée par eux à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond.

Il convient de rappeler que selon l’art. R. 832-1 CJA « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. »

(17 octobre 2023, Mme B. veuve C., n° 463019)

 

45 - Pourvoi en cassation – Demande concomitante de sursis à exécution de la décision frappée de pourvoi – Refus d’admission du pourvoi – Requête à fin de sursis devenue sans objet – Rejet.

Devient sans objet une requête à fin de sursis à l’exécution d’un jugement frappé de pourvoi lorsque ce pourvoi n’est pas admis.

(20 octobre 2023, M. C., n° 470066 et n° 470652)

 

46 - Sentence arbitrale – Exécution forcée – Sentence rendue dans un litige contractuel entre une personne publique française et une personne de droit étranger – Condition de la compétence du juge administratif – Arbitrabilité du litige – Absence – Rejet.

La réticence du juge administratif envers l’arbitrage appliqué aux personnes publiques comme celle du législateur national sont bien connues (v. en ce sens : 23 décembre 2015, Territoire des Îles Wallis-et-Futuna, n° 376018 ; voir aussi, l’enterrement du projet de la commission Labetoulle du 13 mars 2007). Cette culture de l’« inarbitrage » public de principe se révèle pleinement dans le présent dossier.

Le Syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) a conclu le 8 février 2008 avec la société Ryanair et la société Airport marketing services, sa filiale à 100 %, deux conventions ayant pour objet le développement d'une liaison aérienne régulière entre les aéroports de Londres-Stansted et d'Angoulême à compter du printemps 2008. Ces conventions, expressément soumises au droit français, comportaient cependant une stipulation imposant le recours à l'arbitrage auprès de la cour d'arbitrage international de Londres, pour tout différend non résolu à l'amiable « découlant de ou en relation avec la Convention, y compris toute question concernant son existence, sa validité ou sa résiliation ».

La société Ryanair a notifié au SMAC sa décision de supprimer la liaison Londres/Angoulême, mettant également fin à la seconde convention, dite « de services marketing » conclue par le SMAC avec la société Airport marketing services.

Dans une décision rendue avant dire droit, la cour d'arbitrage international de Londres s'est déclarée compétente pour connaître du litige opposant les sociétés au SMAC et a en conséquence refusé de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif de Poitiers, également saisi par le syndicat, se soit prononcé sur le même litige. Par sa sentence au fond du 18 juin 2012, elle a décidé que le contrat de services aéroportuaires avait été valablement résilié, elle a prononcé la résiliation du contrat de services marketing et accordé aux sociétés le remboursement de frais juridiques et mis à la charge du SMAC le coût total de l'arbitrage.

Puis, par une décision nos 352750, 362020 du 19 avril 2013, le Conseil d'État a rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les requêtes du SMAC tendant à l'annulation des sentences arbitrales, tandis que le tribunal administratif a rejeté les demandes de la société Ryanair et de la société Airport marketing services tendant à ce qu'il ordonne l'exequatur des sentences arbitrales. Enfin, la cour administrative d'appel a rejeté leur appel formé contre ce jugement du tribunal administratif.

Le juge de cassation rappelle en deux volets les règles et les principes gouvernant l’arbitrage lorsqu’y est partie une personne morale de droit public.

1er volet : L'exécution forcée d'une sentence arbitrale rendue dans le cadre de l'application d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, ne saurait être autorisée par le juge administratif si elle est contraire à l'ordre public (V. en ce sens : Assemblée, 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 3888806).

2ème volet : Il résulte des principes généraux du droit public français que, sous réserve des dérogations découlant de dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d'un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties. Le juge administratif, saisi d'une demande d'exequatur d'une sentence arbitrale, doit s'assurer qu'il n'a pas été recouru à l'arbitrage en méconnaissance de ces principes. C’est pourquoi la seule circonstance qu'un contrat a été passé par une personne publique pour les besoins du commerce international ne permet pas de déroger au principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage.

Sur ces bases, il est passé à l’examen du fond du litige.

La cour, en estimant que le juge administratif doit rejeter la demande tendant à l'exequatur de la sentence arbitrale s'il constate l'illégalité du recours à l'arbitrage, notamment du fait de la méconnaissance du principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, n’a pas méconnu les stipulations de l'article V de de la convention de New-York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères.

Pas avantage n’a été méconnue, par cet arrêt, l'art. 1er de la convention européenne sur l'arbitrage commercial international 1, qui est relatif au « champ d'application de la convention » car cette convention n'est applicable qu'aux conventions d'arbitrage conclues entre des parties ayant leur résidence ou leur siège dans des États parties à la convention européenne sur l'arbitrage commercial international différents or tel n’est pas le cas de l’Irlande, où ont leur siège les deux sociétés demanderesses en cassation, Ryanair et Airport marketing services. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que le SMAC ne tenait pas de ces stipulations le droit de déroger au principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage.

Dès lors que litige soumis à la cour internationale d’arbitrage de Londres n’était pas arbitrable, les deux sociétés requérantes n’étaient pas fondées à soutenir que la cour aurait méconnu leur droit, garanti par les stipulations de l'art. 6 de la Convention EDH, à l'exécution des sentences arbitrales. 

(17 octobre 2023, Sociétés Ryanair et Airport marketing services, n° 465761)

 

47 - Avis de droit – Contribution au service public de l’électricité (CSPE) – Demande de remboursement partiel – Refus du président de la Commission de régulation de l’énergie – Régime contentieux du recours contre cette décision.

La requérante a demandé l’annulation du refus opposé par le président de la Commission de régulation de l’énergie à sa demande de remboursement partiel de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) acquittée au titre des années 2011 à 2013. Le tribunal a, avant de statuer, saisi le Conseil d’État, sur le fondement de l’art. L. 113-1 du CJA, d’une demande d’avis de droit comportant trois questions.

Les réponses qui y sont données témoignent du remarquable effort de reconstruction du droit, ici singulièrement lacunaire et chaotique, par le juge administratif. Un juge qui gouverne ? Qui pourrait en douter ?

La première question portait sur la possibilité d’introduire un recours pour excès de pouvoir contre le refus de remboursement partiel de la CSPE.

Il convient de rappeler que cette possibilité de remboursement de la CSPE résulte de l’arrêt de la CJUE (25 juillet 2018, Messer France SAS (Praxair) c/ Premier ministre, aff. C-103/17) qui a partiellement invalidé la CSPE qu’avait créée l’art. 37 de la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie.

L’ordonnance du 26 février 2020 et le décret du 30 octobre 2020 ont prévu, sous le nom de règlement transactionnel, la possibilité pour le président de la Commission de régulation de l’énergie de procéder au remboursement du montant de taxe dû, sans aucune modulation possible, ainsi qu’au paiement des intérêts moratoires et, le cas échéant, au remboursement des frais exposés par le contribuable. Si le contribuable accepte le montant du remboursement qui lui est proposé, il renonce à tout recours ultérieur ayant le même objet et, s'il a déjà introduit un recours, s’engage à se désister de l'instance en cours. Parce que le refus du président de la Commission opposé à une demande de règlement transactionnel ne constitue pas un acte détachable de la procédure d'imposition, sa contestation relève exclusivement du recours de plein contentieux susceptible d'être formé devant le juge de l'impôt, quel que soit le motif de refus opposé au contribuable.

L’éventuelle formation par le contribuable d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision de rejet impose donc au juge de le requalifier comme tendant au remboursement partiel de la contribution et de le traiter ensuite comme tel. Dans l’hypothèse où le contribuable présente des conclusions d’excès de pouvoir alors qu'il a déjà introduit devant le juge de l'impôt un recours à la suite du rejet, exprès ou implicite, de sa réclamation initiale, ces nouvelles conclusions sont examinées dans le cadre de l'instance engagée devant le juge de l'impôt.
La deuxième question portait sur l'application de la prescription quadriennale aux créances afférentes aux impositions mentionnées au second alinéa de l'art. R. 772-1 du code de justice administrative.
La loi du 31 décembre 1968 sur la prescription quadriennale n'est applicable que sous réserve des dispositions définissant un régime légal de prescription spécial à une catégorie déterminée de créances susceptibles d'être invoquées à l'encontre d'une des personnes morales de droit public visées par cette loi. Ainsi, ces dispositions ne sont pas applicables aux réclamations qui sont présentées, instruites et jugées dans les formes prévues par le Livre des procédures fiscales.

En revanche, aucune disposition législative non plus qu'aucun principe général régissant le contentieux fiscal ne prévoit que les créances afférentes aux impositions mentionnées au second alinéa de l'art. R. 772-1 du CJA seraient, quant à elles, exclues du champ d'application de la loi du 31 décembre 1968.

Par suite, lorsqu'une réclamation portant sur une telle imposition, a été présentée dans le délai fixé à l'art. R. 772-2 précité, elle interrompt la prescription pour le délai de quatre ans, prévu par la loi du 31 décembre 1968 ; il appartient donc à l'autorité administrative compétente d'opposer la prescription dans l'hypothèse où le contribuable, en l'absence de recours juridictionnel devant le juge de l'impôt, n'aurait pas renouvelé sa réclamation avant l'expiration de ce délai.

La troisième question concernait l'application de la prescription quadriennale à la CSPE. 
Comme on vient de le lire, la prescription quadriennale peut en principe être opposée aux créances fiscales afférentes à la CSPE, dont le contentieux est régi par le code de justice administrative. Or ni la loi d’habilitation du 8 novembre 2019 (art. 57, III) relative à l'énergie et au climat, ni la loi du 10 mars 2023 (art. 104) relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, ratifiant l'ordonnance du 26 février 2020, ni les dispositions de cette même ordonnance n’ont institué de régime légal de prescription propre aux créances fiscales considérées. Ainsi, la circonstance que, dans le cadre de la procédure de règlement transactionnel, ne soit pas mentionné, au nombre des pièces à joindre à la demande du contribuable, le cas échéant, de document valant renouvellement de la réclamation initiale aux fins de prolonger l'interruption du délai de prescription ne saurait faire obstacle à l’application de la loi de 1968 aux créances issues de la CSPE. C’est donc au président de la Commission de régulation de l'énergie d'opposer la prescription quadriennale au contribuable qui, en l'absence de recours formé devant le juge de l'impôt, n'aurait pas renouvelé sa réclamation avant l'expiration du délai de quatre ans prévu à l'art. 2 de la loi du 31 décembre 1968, et cela alors même que sa demande  - présentée dans le cadre de la procédure de règlement transactionnel - a été assortie de l'ensemble des pièces exigées par les dispositions de l'ordonnance du 26 février 2020 et du décret du 30 octobre 2020.

(17 octobre 2023, Société Protexsur, n° 475983)

 

48 - Appel incident étant en réalité un appel principal – Litige distinct - Absence de formation dans le délai d’appel – Irrecevabilité pour forclusion - Rejet.

On sait que l’appel incident, c’est-à-dire qui se greffe sur un autre appel dit « principal » peut être formé sans condition de délai. Il faut, pour cela, que l’appel incident ne porte pas sur un litige distinct de celui qui fait l’objet de l’appel principal sinon il ne serait qu’un second appel principal parallèle au premier et devrait respecter toutes les conditions, notamment de délai, requises d’un appel principal.

En l’espèce, où le litige portait sur un refus d’hébergement d’urgence, une partie demandait l’annulation d’une ordonnance de référé en tant qu'elle avait rejeté ses conclusions tendant à ce que soit enjoint au président d’un conseil départemental de l'admettre au bénéfice de l'aide sociale à l'enfance à titre provisoire et de le prendre en charge à ce titre. Or ces conclusions, dirigées contre un département, avaient un objet différent et soulevaient donc un litige distinct de celles dirigées contre l'État, alors même que ces dernières l'étaient à titre subsidiaire. C’était donc un appel principal et non un appel incident, il devait être formé dans le délai d’appel, formé hors délai il était irrecevable.

(ord. réf. 17 octobre 2023, Me Roxane Vigneron, n° 488480 ; Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 488747)

V. aussi pour un autre aspect de cette décision, le n° 100

 

49 - Demande d’autorisation de poser une antenne de téléphonie mobile – Refus du maire – Annulation par les juges du fond – Conclusions manifestement irrecevables – Impossibilité de faire droit à des conclusions incidentes – Annulation et confirmation, au fond, du rejet prononcé en première instance comme en appel.

(24 octobre 2023, Commune de Sainghin-en-Mélantois, n° 465360)

V. n° 8

 

50 - Fermeture administrative de deux commerces pour un mois – Absence d’urgence au sens de l’art. L. 521-2 CJA – Rejet.

Est rejetée une requête en référé liberté dirigée contre les arrêtés préfectoraux ordonnant la fermeture administrative pour un mois de deux épiceries car les demandeurs n’établissent pas l’existence de l’urgence spécifique à l’art. L. 521-2 CJA, l'existence d'une perte de revenus ne suffisant pas à caractériser une situation d'urgence au sens de ce texte, d’autant que les requérants ne produisent aucun élément comptable et financier propre à démontrer les conséquences de la fermeture administrative temporaire de leurs établissements sur leur situation financière personnelle. 

(ord. réf. 30 octobre 2023, Mme B., n° 489011)

 

51 - Décision du Conseil d’État – Demande d’exécution – Classement de la demande – Litige distinct – Rejet.

L’intéressé demande au Conseil d’État de faire assurer l’exécution de sa décision du 19 février 2009 par laquelle, annulant une décision de refus de visa d’entrée en France, il a enjoint au ministre de l’immigration de faire délivrer à son fils un tel visa dans le délai d’un mois.

Le recours en exécution est rejeté car la décision du 19 février 2009 a bien été exécutée. En réalité, par le présent recours, le demandeur conteste le refus opposé par le consul général de France à Oran, par une décision du 18 juillet 2022, à la délivrance d’un visa d'entrée et de séjour à son fils, il soulève ainsi un litige distinct qui ne se rapporte pas à l'exécution de la décision du 19 février 2009 et dont il n'appartient pas au Conseil d'État de connaître dans le cadre de la présente instance.

(23 octobre 2023, M. A., n°468671)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

52 - Plus-values professionnelles – Cession d’éléments de l’actif immobilisé – Conditions – Absence – Rejet.

Des exploitants agricoles commercialisent l’électricité d’origine photovoltaïque produite par des panneaux couvrant les bâtiments agricoles. Lors de la cession de leur exploitation agricole l’administration a entendu imposer la plus-value dégagée par la vente d’électricité. Les contribuables invoquent les dispositions de l’art. 151 septiès du CGI qui prévoient une exonération des plus-values réalisées dans le cadre de certaines activités professionnelles à l'occasion de la cession d'éléments de l'actif immobilisé, à la condition, notamment, que l'activité ait été exercée depuis plus de cinq ans.

Le juge de cassation, saisi par les intéressés après que leur action a été rejetée en première instance et en appel, rejette le pourvoi.

Tout d’abord, il rappelle, s’agissant de la condition relative à la durée de l’activité, que lorsque le contribuable exerce plusieurs activités, le respect de cette condition s'apprécie activité par activité, dans le cadre de l’activité où a été réalisée la plus-value. En l’espèce, comme jugé par les juges du fond, la production et la vente d'électricité doivent être regardées, en principe, comme constituant une activité distincte des autres activités exercées par le contribuable.

Ensuite, il approuve la cour d’avoir jugé que la production et la vente d'électricité d'origine photovoltaïque ne pouvaient pas être assimilées, pour l'application des dispositions précitées, aux activités agricoles exercées par l'EARL contribuable, sans qu'aient d'incidence à cet égard la circonstance que sont réputées agricoles, notamment, les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation, alors même que les panneaux solaires utilisés pour produire l'électricité étaient installés sur des bâtiments de l'exploitation agricole.

Enfin, est jugée régulière l’application en l’espèce du taux marginal d’imposition.

(04 octobre 2023, M. et Mme B., n° 462030)

(53) V. aussi, largement comparable, sauf pour la majoration pour retard : 04 octobre 2023, M. et Mme A., n° 464969.

 

54 - Joueur de football professionnel – Prime pour résiliation du contrat de travail sans préavis – Prime jugée n’être pas un élément de la rémunération au sens du 1 du I de l’art. 155 B du CGI – Prime indemnisant la perte du contrat de travail et ne correspondant pas à un service ou à un travail fourni par le salarié – Prime jugée non imposable – Qualification inexacte des faits – Annulation.

(04 octobre 2023, M. Mohamed Sissoko, n° 466714)

V. n° 224

 

55 - Acte anormal de gestion – Déduction du bénéfice imposable d’une société de rémunérations versées à l’un des agents d’une autre société, dirigeant de la première – Absence d’acte anormal de gestion – Versements de rémunérations à titre rétroactif à une personne non rémunérée jusque-là – Absence d’acte anormal de gestion – Annulation avec renvoi partiel.

La société contribuable requérante a déduit de son bénéfice imposable les honoraires versés à la société Sonely à raison des prestations de management réalisées par un dirigeant commun, exerçant respectivement les fonctions de gérant de la société vérifiée et de co-gérant de la société prestataire. Par ailleurs, le gérant de la société contribuable, précédemment salarié de celle-ci, qui n’avait pas perçu de rémunération, s’est vu accorder une rémunération à titre rétroactif.

Approuvée par le juge d’appel, l’administration fiscale a vu dans ces deux situations des actes anormaux de gestion.

La société se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État juge qu’il n’y a pas eu en l’espèce d’acte anormal de gestion.

En premier lieu, la conclusion par une société d'une convention de prestations de services avec une autre société pour la réalisation, par le dirigeant de la première, de missions relevant des fonctions inhérentes à celles qui lui sont normalement dévolues ne relève pas d'une gestion commerciale anormale si cette société établit que ses organes sociaux compétents ont entendu en réalité, par le versement des honoraires correspondant à ces prestations, rémunérer indirectement le dirigeant et qu'ainsi ce versement n'est pas dépourvu pour elle de contrepartie, le choix d'un mode de rémunération indirect ne caractérisant pas en lui-même un appauvrissement à des fins étrangères à son intérêt.

En second lieu, l'absence de versement, par une société, d'une rémunération à son dirigeant au cours d'un exercice ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à la rémunération de ce même dirigeant, sur décision des organes sociaux compétents, au cours d'un exercice postérieur, le cas échéant à titre rétroactif, ou, au cours du même exercice, par l'intermédiaire d'une autre société. 

(04 octobre 2023, Société Collectivision, n° 466887)

 

56 - Fiscalité locale – Décret autorisant jusqu’à 60% de hausse de la taxe d'habitation sur les logements meublés non affectés à l'habitation principale – Autorisation ne valant pas décision d’augmentation – Absence de preuve d’une atteinte grave aux intérêts des requérants – Rejet.

Par cette décision, le Conseil d’État rejette la demande de référé suspension dirigée contre le décret du 25 août 2023 qui a modifié l'annexe au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants, notamment pour établir la liste des communes concernées par l'élargissement du périmètre d'application de cette taxe et, partant, de la majoration de taxe d'habitation sur les logements meublés non affectés à l'habitation principale qui peut désormais atteindre un plafond de 60%.

Le recours est rejeté, d’une part, car les requérants n’apportent pas de précisions suffisantes afin de permettre au juge d’apprécier les effets de cette mesure sur leur situation et, d’autre part, car les communes devant prendre des délibérations pour adopter un taux de la taxe, il s’ensuit que ce n’est pas le décret mais cette délibération qui aura des effets directs sur les intérêts des propriétaires. On pourrait tout aussi bien dire que les délibérations ne peuvent avoir de tels effets que parce que le décret litigieux les y autorise…

(ord. réf. 06 octobre 2023, Fédération des associations de résidents des stations de montagne et autres, n° 488602)

 

57 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Champ d’application – Ensembles modulaires de chantiers – Installations provisoires – Enlèvement en fin de chantier – Soumission à la taxe – Rejet.

En vue de la refonte d’une usine d’épuration a été installé un important chantier sur lequel ont été posées, notamment, des structures modulaires déplaçables posés sur le sol ou sur des parpaings (à usage de vestiaires, sanitaires, réfectoires, salles de réunions ou bureaux…), reliées à une pergola, pour constituer à titre provisoire, pendant la durée du chantier, un espace de vie pour les ouvriers y travaillant ainsi qu’un parking à cette même fin.

L’administration fiscale a estimé ces éléments comme devant être assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Sur saisine des entreprises concernées, le tribunal administratif a confirmé cette analyse au visa des dispositions, on ne peut plus compréhensives, des art. 1380 et 1381 du CGI. Le juge ne s’est pas arrêté au fait que ces ensembles modulaires sont seulement posés sur le sol ou sur des parpaings, qu’ils sont démontables et réutilisables car ils sont reliés à l'ensemble des réseaux et des scellements en béton, qu’ils ont été réalisés avec des marches en béton à l'avant des bungalows et des allées bétonnées entre chaque rangée d'ensembles modulaires et que ces éléments nécessitent, pour être déplacés, un semi-remorque et une grue de 35 tonnes. 

Sur pourvoi, le Conseil d’État confirme pleinement la motivation et la solution retenues par les premiers juges.

Ce fétichisme de l’imposition à tout prix n’aura pour seul résultat certain que l’augmentation du coût des marchés et autres contrats publics, les entreprises candidates ne manquant pas de les inclure dans leurs prévisions financières.

Encore une pierre dans le jardin de la compétitivité française…

(13 octobre 2023, Société Razel-Bec, n° 463325 ; Société Chantiers Modernes Construction, n° 464485 et n° 465193)

 

58 - Omissions ou inexactitudes des déclarations fiscales – Cas d’un manquement délibéré – Pénalité infligée – Conditions de légalité – Application à la déduction, de la base d’imposition, d’une pension alimentaire jugée très élevée – Annulation.

L’un des points du litige relatif à une minoration des revenus déclarés ou de leur assiette, portait sur le « manquement délibéré » qu’aurait commis le contribuable en majorant indûment le montant de la pension alimentaire versée à sa mère.

Le CGI majore de 40% les droits dus du fait d’omissions ou inexactitudes entachant une déclaration de revenus.

Le juge rappelle ce qu’il convient d’entendre par cette expression dont use le législateur sans autrement la définir : « la pénalité pour manquement délibéré a pour seul objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir ce manquement délibéré, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt. ».

L’administration, confirmée par les juges de première instance et d’appel, avait cru déceler un tel manquement dans l'importance des pensions alimentaires déclarées comme déductibles par le contribuable et l'insuffisance des justifications apportées par lui pour établir cette déductibilité.

À l’évidence ce n’est pas là la preuve du caractère délibéré du manquement car ni l'importance des sommes déduites à tort, ni le caractère insuffisant des justifications apportées par le contribuable ne suffisent, par elles-mêmes, à établir une telle intention.

(10 octobre 2023, M. A., n° 464351)

 

59 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Montant devant correspondre aux dépenses de fonctionnement réellement exposées pour le service public des ordures ménagères – Preuve devant être établie au moyen d’une comptabilité analytique – Invocation d’un tel moyen n’étant pas inopérant – Omission d’y répondre – Annulation.

Rappel, une nouvelle fois, qu’en omettant de statuer sur un moyen qui n’est pas inopérant, une juridiction statue irrégulièrement. Tel est le cas, dans le contentieux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, du moyen que le montant des dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères retenu pour apprécier le caractère proportionné du taux fixé pour l'année 2020 par une collectivité incluait une somme de 17 600 665 euros correspondant à une quote-part des charges d'administration générale de la commune dont il n'était pas justifié, au moyen d'une comptabilité analytique, qu'elles pouvaient être regardées comme ayant été directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés.

Le jugement est annulé.

(13 octobre 2023, SCI Ringmerit Alpha, n° 472774)

(60) V. aussi, identique : 13 octobre 2023, SCI Ringmerit Alpha, n° 472775.

 

61 - Impôt sur les sociétés – Exemption pour les sociétés de construction d’immeubles en vue de la vente – Condition devant être corroborée par l’objet social – Situation inverse – Rejet.

Le I de l'article 239 ter du CGI prévoit, à certaines conditions, une exemption d'impôt sur les sociétés au profit des seules sociétés civiles qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente et qui réalisent de telles opérations.

Le juge tire de là une double déduction.

En premier lieu, une société civile ne peut, en principe, utilement se prévaloir de ce que les seules opérations qu'elle a réalisées sont des opérations de construction d'immeubles en vue de la vente pour prétendre bénéficier du régime établi par les dispositions en cause dès lors que son objet social ne comportait pas la construction d'immeubles en vue de la vente. Il faut donc et la réalité d’une activité de construction pour revendre et la conformité de cette activité à l’objet statutaire de la société qui prétend au bénéfice de cette exonération.

En second lieu, le juge indique qu’une société qui remplirait les conditions pour bénéficier de ce régime ne saurait davantage se prévaloir, en l'absence de toute modification de son activité réelle, d'une modification de ses statuts qui aurait supprimé la mention de l'activité de construction d'immeubles en vue de la vente pour soutenir qu'elle devrait, à raison de cette seule modification, être assujettie à l'impôt sur les sociétés. Ceci s’analyserait sans doute, la décision ne le dit pas, à un abus de droit : le montage juridique consistant à supprimer de l’objet social une activité pourtant bien réelle ne serait destiné qu’à éluder ou réduire le paiement de l’impôt.

(13 octobre 2023, ministre de l’économie et des finances…, n° 446017)

 

62 - Détermination du résultat d’ensemble d’un groupe fiscalement intégré – Déduction de déficits antérieurs d’une société – Obligations de recherche s’imposant au juge – Annulation.

Commet une erreur de droit une cour administrative d’appel qui juge déductible du résultat d’ensemble d’un groupe fiscalement intégré qu’une société forme avec ses filiales, une somme correspondant à des déficits antérieurs de cette société sans rechercher ni si ces déficits n'avaient pas été subis antérieurement à la création du groupe fiscalement intégré ni s'ils n'avaient pas déjà été imputés sur les résultats de ce groupe au titre des exercices antérieurs.

(18 octobre 2023, Sarl SEJM, n° 469885)

 

63 - Impôt sur le revenu – Imposition des plus-values – Détermination du prix de revient des biens dont la cession est imposée – Confusion sur le sens des conclusions – Annulation.

Encourt annulation pour s’être méprise sur le sens des écritures dont elle était saisie, la cour administrative d’appel qui affirme que les contribuables ne lui demandaient la prise en compte que de travaux correspondant à des factures d'un certain montant alors qu’ils demandaient, pour calculer la plus-value réalisée à l'occasion de la cession des biens immobiliers en litige et imposée entre leurs mains, qu’il soit tenu compte, dans le prix de revient de ces biens, de travaux d'amélioration, pour lesquels ils fournissaient des factures, d'un certain montant.

(18 octobre 2023, M. et Mme B., n° 47602)

 

64 - Impôt sur les revenus fonciers – Réduction d’impôt pour acquisition d’un logement faisant partie d'une résidence de tourisme classée dans une zone de revitalisation rurale – Conditions et régime – Erreur de droit – Annulation.

Le litige portait sur l’applicabilité à l’espèce des dispositions de l'art. 199 decies E du CGI. Selon ce texte : « Tout contribuable qui (...) acquiert un logement neuf ou en l'état futur d'achèvement faisant partie d'une résidence de tourisme classée dans une zone de revitalisation rurale et qui le destine à une location dont le produit est imposé dans la catégorie des revenus fonciers bénéficie d'une réduction d'impôt sur le revenu. (...)

(...) (Cette réduction) est accordée au titre de l'année d'achèvement du logement ou de son acquisition si elle est postérieure (...).

Le propriétaire doit s'engager à louer le logement nu pendant au moins neuf ans à l'exploitant de la résidence de tourisme. Cette location doit prendre effet dans le mois qui suit la date d'achèvement de l'immeuble ou de son acquisition, si elle est postérieure (...) ".

Toute la question était de savoir ce qu’il convient d’entendre par « neuf » au sens et pour l’application de cette disposition.

La cour administrative d’appel avait jugé que les contribuables remplissaient les conditions pour prétendre au bénéfice de la réduction dès lors qu’ils ont acquis un appartement qui résultait d'une construction nouvelle achevée depuis moins de cinq années et sans qu'ait d'incidence la circonstance que le bien avait déjà été donné en location avant leur achat.

Le Conseil d’État annule cet arrêt entaché d’erreur de droit car doit « être regardé comme neuf, au sens et pour l'application de ces dispositions, un logement n'ayant fait l'objet au préalable d'aucune utilisation, occupation, location ou exploitation. »

(17 octobre 2023, ministre de l’économie et des finances…, n° 463003)

 

65 - Personne domiciliée en France –Exercice d’une activité salariée pour un employeur dans un autre État que la France et que celui où est établi cet employeur - Exonération d’impôt sur les salaires perçus – Conditions d’exonération – Refus – Erreur de droit – Annulation.

L’art. 81 A du CGI prévoit dans son I que peut bénéficier d’une exonération de l’impôt sur les revenus constitués par les salaires qu’il en a perçus le contribuable que son employeur envoie dans un autre État que la France et que celui du lieu d’établissement dudit employeur.

L’administration fiscale, confirmée par les juges du fond, a cru pouvoir soutenir qu’en l’espèce l’intéressé n’était pas éligible à cette exonération d’impôts.

Le Conseil d’État annule l’arrêt confirmatif du rejet de la requête de M. et Mme C. en retenant les éléments suivants.

Le travail de M. C., responsable de la maintenance à bord d'un navire de forage pétrolier en Angola et Namibie pendant les années 2015 et 2016, était organisé par une société établie à Athènes où se situaient ses responsables hiérarchiques, qui fixaient ses périodes de rotation sur le navire où il était affecté, arrêtaient ses ordres de mission, contrôlaient son activité, assuraient sa formation professionnelle et procédaient à ses évaluations annuelles.

Le juge de cassation considère que M. C. doit être regardé, pour l'application des dispositions de l'art. 81 A du CGI, comme ayant été employé, au cours des années en litige, par une société. établie en Grèce, État membre de l'Union européenne, en dépit de la circonstance qu'il ait été lié, pour l'exercice des missions que lui confiait cet employeur, par un contrat de travail conclu avec une autre société établie, elle, à Jersey, qui lui versait sa rémunération.

Au reste, il n’est pas discuté qu’au cours des années d'imposition en litige, M. C. a été envoyé par son employeur en Angola et en Namibie, c'est-à-dire dans des États qui, à la fois, sont autres que la France et que celui d'établissement de cet employeur, pour y exercer l'activité salariée de responsable de maintenance à bord d'un navire de forage pétrolier.

M. et Mme C. sont fondés à demander le bénéfice de l'exonération d’impôt sur les salaires perçus par M. C. à ce titre et ce d’autant plus que, par ailleurs, que l'administration n’a pas contesté le respect par les contribuables des autres conditions énoncées par les dispositions du I de l'art. 81 A précité pour prétendre à leur bénéfice.

(17 octobre 2023, M. et Mme C., n° 464551)

 

66 - Demande par une société d’un agrément au transfert des déficits reportables d’une autre société – Conditions d’application du II de l’art. 209 du CGI – Refus et rejet – Refus d’examiner des conclusions subsidiaires – Erreurs de droit – Annulation.

Le II de l'article 209 du CGI décidait, pour l’essentiel, au moment du litige, que : « En cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de l'article 210 A, les déficits antérieurs (...) non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse sont transférés, sous réserve d'un agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies, à la ou aux sociétés bénéficiaires des apports, et imputables sur ses ou leurs bénéfices ultérieurs dans les conditions prévues (...) au troisième alinéa du I (...).

(...)

L'agrément est délivré lorsque :

(...) b) L'activité à l'origine des déficits (...) dont le transfert est demandé n'a pas fait l'objet par la société absorbée ou apporteuse, pendant la période au titre de laquelle ces déficits (...) ont été constatés, de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d'activité ; (...) ».  
Ce texte suppose donc que l'activité transférée à la société absorbante n'ait pas fait l'objet de changement significatif pendant la période au titre de laquelle ont été constatés les déficits dont le transfert est demandé soit entre l'exercice de naissance des déficits jusqu'à l’exercice au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert.

Le juge ajoute cette précision, qui nous semble normale, qu’en fonction des conditions et des modalités d'exercice de l'activité transférée durant cette période, l'agrément peut être accordé pour une fraction seulement des déficits dont le transfert est demandé. D’où il suit que le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une argumentation en ce sens, peut annuler un refus d'agrément en tant seulement qu'il refuserait le transfert d'une fraction des déficits concernés. 

Dans le cas d’espèce, la société Metalic a demandé le 24 mars 2017 le transfert à son profit des déficits reportables constatés dans la comptabilité de la société Fonderie Rhône – dont elle avait acquis en 2013 la totalité du capital social - au terme des exercices clos les 31 décembre 2011, 2014 et 2015 et non encore déduits. L’administration ayant refusé de donner son agrément à ce transfert ainsi que, comme demandé à titre subsidiaire, le transfert des déficits constatés à la clôture des seuls exercices 2014 et 2015, la société Metalic a saisi en vain les juridictions du fond et se pourvoit en cassation de l’arrêt de rejet confirmatif.

Le Conseil d’État est à la cassation.

En premier lieu, la cour a commis une première erreur de droit en fondant son rejet sur ce que la production vendue par la société Fonderie Rhône avait chuté de 1,6 million d'euros au terme de l'exercice clos le 31 décembre 2011 à 288 000 euros au terme de l'exercice clos le 31 décembre 2016 et que les effectifs de la société, au nombre de 25 au 31 décembre 2011, s'établissaient à seulement 7 au 31 décembre 2016. Elle en a déduit que les baisses ainsi constatées étaient constitutives d'un changement significatif de l'activité de la société absorbée au sens des dispositions du b du II de l'article 209 précité du CGI sans prendre en compte l'ensemble des éléments caractérisant l'activité de la société au cours de la période et le contexte économique dans lequel ces évolutions en termes de chiffre d'affaires et d'effectifs s'inscrivaient.

En second lieu, la cour a commis une deuxième erreur de droit en refusant de se prononcer sur les conclusions subsidiaires présentées par la société, tendant à l'annulation du refus d'agrément pour les seuls exercices 2014 et 2015, au motif que la demande de transfert présentée par la société Metalic ne présentait pas un caractère divisible. 

(17 octobre 2023, Société Metalic et société AJ Partenaires, sa mandataire judiciaire, n° 464667)

 

67 - Impôt sur le bénéfice des sociétés - Bénéfices distribués à l’intérieur de sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré exclues du régime mère-fille – Exonération (art. 223 B, alinéa 3, du CGI) – Régime – Incompatibilité avec la liberté de circulation et la liberté d’établissement reconnues par le droit de l’Union européenne – Confirmation et annulation partielles.

La requérante est la société mère d'un groupe fiscalement intégré au sens de l'art. 223 A du CGI, dont font notamment partie les sociétés Généfinance et SG Financial Services Holding. En 2013 et en 2014, ces deux sociétés ont perçu des dividendes distribués par la société de droit britannique Société Générale Investments (SGI), dans laquelle elles détenaient des participations inférieures au seuil de 5 % prévu par les dispositions de l'art. 145 du CGI pour l'application du régime fiscal des sociétés mères.

La Société Générale a demandé la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de ces exercices, ainsi qu'à l'augmentation du stock de ses déficits reportables à la clôture de chaque exercice. Elle s’est fondée pour cela sur l'incompatibilité avec la liberté d'établissement protégée par le droit de l'Union européenne des dispositions du troisième alinéa de l'art. 223 B du CGI car elles ne permettent de soustraire du résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré les produits de participation qui n'ont pas ouvert droit à l'application du régime des sociétés mères que si ces produits proviennent d'une société membre du groupe, à l'exclusion de ceux de ces produits provenant d'une société établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France qui, si elle était établie en France, remplirait les conditions pour être membre de ce groupe.

La cour administrative d'appel a écarté ce moyen.

La Société Générale se pourvoit en cassation au motif que cet arrêt a commis une erreur de droit et méconnu les dispositions des art. 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la liberté d'établissement.

1 - En premier lieu, comme l'a d’ailleurs jugé la cour administrative d'appel, le juge de cassation estime que ces dispositions constituent une restriction à la liberté d'établissement protégée par les dispositions de l'art. 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors que leur application aux seuls produits de participation provenant d'une société membre d'un groupe fiscalement intégré au sens de l'art. 223 A du même code est de nature à dissuader une société mère de créer une filiale dans un autre État membre car cette dernière, faute que ses résultats soient soumis en France à l'impôt sur les sociétés, ne peut être membre d'un tel groupe.

Or cette atteinte à la liberté d’établissement concerne des sociétés-mères se trouvant dans des situations comparables (2) et n’est justifiée par aucun motif impérieux d’intérêt général réellement étayé (3).

2 - En deuxième lieu, s’agissant de la similitude des situations, il est jugé qu’au regard de dispositions prévoyant, par suite de la soustraction des produits de participation du résultat d'ensemble du groupe, une exonération fiscale totale de ces produits, la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscalement intégré est comparable à celle des sociétés n'appartenant pas à un tel groupe, qu'il s'agisse de la société mère ou d'une filiale de celle-ci. Dans les deux cas, la société mère supporte des frais et charges liés à sa participation dans sa filiale et les bénéfices réalisés par la filiale et dont sont issus les dividendes distribués sont, en principe, susceptibles de faire l'objet d'une double imposition économique ou d'une imposition en chaîne.

3 - En troisième lieu, le juge démontre l’incohérence du mécanisme ainsi institué.

À supposer qu'une différence de traitement constitutive d'une restriction à la liberté d'établissement puisse être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général telle que la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime de l'intégration fiscale, lequel repose sur l'assimilation du groupe constitué par la mère et ses filiales à une seule entreprise ayant plusieurs établissements, il n’en reste pas moins qu’un lien direct doit être établi entre l'avantage fiscal en cause et un désavantage fiscal résultant de la neutralisation des opérations internes au groupe. Or, constate avec pertinence le juge, si la neutralisation, dans le calcul du résultat d'ensemble du groupe, des produits de participation qui n'ont pas ouvert droit à l'application du régime des sociétés mères résulte de l'assimilation du groupe constitué par la société mère et ses filiales à une seule entreprise ayant plusieurs établissements, cette neutralisation ne procure aucun désavantage fiscal à la société mère tête du groupe fiscalement intégré, mais lui confère, au contraire, l'avantage fiscal contesté. D’où cette inévitable conclusion qu’en l'absence de lien direct entre cette exonération et un désavantage résultant de l'application du régime de l'intégration fiscale, la limitation de son champ d'application aux seuls produits de participations provenant de sociétés membres du groupe ne peut être justifiée par la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal.

L’arrêt est annulé pour avoir écarté le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions du troisième alinéa de l'art. 223 B du CGI avec le droit de l'Union européenne au motif que la restriction à la liberté d'établissement qui en résultait était justifiée par la raison impérieuse d'intérêt général tenant à la cohérence du système fiscal.

(17 octobre 2023, Société Générale, n° 464994)

 

68 - Article L. 77 du Livre des procédures fiscales (LPF) - Vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées et de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés – Impôt sur le revenu complémentaire assis en ce cas sur le montant du rehaussement soumis à l'impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt – Disposition inapplicable en l’espèce – Rejet.

Un contribuable a acquis de la société de marchand de biens dont il est l’associé unique et le gérant, un terrain dont le prix de cession est inférieur de 25% à sa valeur vénale déterminée par celle d’un terrain mitoyen. L’administration a entendu taxer en qualité d’avantage occulte cette différence.

Le contribuable a invoqué le bénéfice des dispositions de l’art. 77 du LPF selon lesquelles, notamment « Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent, dans la mesure où le bénéfice correspondant aux rectifications effectuées est considéré comme distribué, par application des articles 109 et suivants du code général des impôts, à des associés ou actionnaires dont le domicile ou le siège est situé en France, demander que l'impôt sur le revenu supplémentaire dû par les bénéficiaires en raison de cette distribution soit établi sur le montant du rehaussement soumis à l'impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt. »

Sur pourvoi de l’intéressé le juge de cassation approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé cette disposition inapplicable au cas de l’espèce car ne peuvent bénéficier de l’effet dit « de cascade » que les sommes, constitutives d'une libéralité, directement appréhendées par l'associé et taxées entre ses mains sur le fondement du c de l'article 111 du CGI.

(25 octobre 2023, M. A., n° 466532)

 

69 - Bénéfices non commerciaux – Imposition à ce titre d’un virement de 500 000 euros – Pièces consultées auprès du parquet national financier – Vente fictive de deux tableaux - Absence de description ou de qualification de la « prestation » litigieuse par le juge – Insuffisance de motivation et erreur de droit – Annulation.

L’administration a mis à la charge du contribuable une imposition supplémentaire portant sur un virement de 500 000,00 euros en se fondant sur diverses pièces qu'elle a consultées auprès du parquet national financier, lesquelles faisaient notamment état de la mise en examen de l'intéressé pour avoir participé « à la confection d'un ensemble de documents (promesse d'achat, lettre, facture) destinés à formaliser la vente fictive de deux tableaux du peintre X pour la somme de 500 000 euros et en faisant usage desdits faux ».

Alors que le tribunal administratif avait accordé décharge de l’imposition à l’intéressé, la cour administrative d'appel a estimé que l'administration fiscale devait être regardée comme établissant que la somme de 500 000 euros avait été versée, non pas en contrepartie de la vente de tableaux, mais de la réalisation d'une prestation.

Au requérant, qui faisait valoir que l'administration fiscale n'avait pas été en mesure d'identifier la nature de la prestation qui aurait été rémunérée par le versement de la somme de 500 000 euros, la cour a cru pouvoir se borner à juger qu'il était établi « que la somme de 500 000 euros est venue rémunérer une prestation susceptible de se renouveler, dont la rémunération doit donc être regardée (...) comme un revenu ».

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour, qui n’a ni décrit, ni qualifié la prestation en contrepartie de laquelle la somme de 500 000 euros aurait été versée, a jugé comme établie la possibilité de la répétition ou de la réitération de l'activité ou de l'action à la source du gain litigieux, elle a ainsi insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 92 du CGI (qui considère « comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. »).

(25 octobre 2023, M. B., n° 467538)

 

70 - Avantage fiscal attribué aux dirigeants de certaines sociétés – Abattement fixe et abattement supplémentaire sur les gains nets retirés de cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits sur ces actions ou parts – Interprétation stricte – Conditions non remplies – Rejet.

L'article 150-0 D ter du CGI instaure un avantage fiscal sur les gains nets retirés de la cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits portant sur ces actions ou parts consistant en un abattement fixe de 500 000 € et, pour le surplus éventuel, de l'abattement prévu au 1 quater dudit article 150-0 D à certaines conditions. Cette disposition, ainsi que celle de l’art. 885 O bis de ce code, sont d’interprétation très stricte car elles constituent une exception au principe universel d’imposition des gains et revenus (en vertu du principe exceptiones sunt strictissimae interpretationis) ; elles ne sauraient donc voir leur champ d’application étendu par un raisonnement a pari, a fortiori ou a contrario.

Le bénéfice de l'avantage fiscal précité ne peut concerner que les dirigeants justifiant avoir assuré de manière effective, personnelle et continue la gestion de la société dont ils cèdent les titres lors des cinq années précédant cette cession, et ayant perçu une rémunération normale à ce titre.

En l’espèce, le contribuable, qui a souscrit 499 parts de la société sur 500 en 1999, puis 39 370 parts en 2010, avant d'acquérir la dernière part en 2014, soutenait qu'il convenait de prendre pour point de départ de la durée de détention des 39 370 parts souscrites en 2010 la date d'acquisition des 499 parts souscrites en 1999, dès lors que cette souscription résultait de l'incorporation au capital social de son compte courant d'associé, laquelle aurait selon lui le même effet qu'une augmentation du nominal des titres qu'il détenait précédemment, peu important l'augmentation du nombre total des actions représentant sa participation dans la société, laquelle n'aurait revêtu qu'un caractère formel.

Il est jugé que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que cette opération n'était au contraire pas demeurée sans incidence sur la structure du bilan de la société, dès lors que l'incorporation du compte courant d'associé avait entraîné un désendettement et un accroissement de l'actif net de la société, et que les titres ainsi souscrits en 2010 par M. B. par transformation de sa créance sur la société en une participation au capital accru de celle-ci étaient détenus par lui depuis cette opération seulement, pour en déduire que la plus-value de cession de ces titres ne pouvait bénéficier de l'abattement pour durée de détention renforcé de 85 % prévu au 3° du A du 1 quater de l'article 150-0 D du CGI.

(25 octobre 2023, M. B., n° 470394)

 

71 - Contribuable – Obligation déclarative – Absence – Taxation d’office – Mariage entre Français à l’étranger - Imposition par foyer après mariage – Rejet.

Dans une affaire où des Français avaient contracté mariage aux États-Unis en 2010, ce dernier n’avait été transcrit sur les registres de l’état-civil qu’en 2015.

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a d’abord jugé que les époux n'étaient pas soumis à une imposition commune au titre des années 2013 et 2014, en litige, et que les déclarations souscrites par l'épouse de M. A. au titre de ces années en qualité de « divorcée / séparée » ne pouvaient être regardées comme l'ayant été au nom des deux époux.

C’est également sans erreur de droit qu’elle a ensuite jugé que M. A. ne s’étant pas acquitté de son obligation déclarative, l’administration fiscale était fondée à le soumettre à la procédure de taxation d’office, alors même que celle-ci aurait eu connaissance de la transcription du mariage à la date à laquelle elle lui a adressé une mise en demeure de souscrire des déclarations de revenu pour les années en litige.

Enfin, il ne saurait être reproché à la cour d’avoir, sans dénaturation, souverainement jugé que l'administration fiscale avait pu, sans méconnaître les dispositions de l'art. L. 76 B du livre des procédures fiscales, s'abstenir de communiquer au contribuable deux procès-verbaux de gendarmerie obtenus de l'autorité judiciaire par exercice du droit de communication, dès lors que les éléments contenus dans ces procès-verbaux n'avaient pas été utilisés pour établir les impositions.

(25 octobre 2023, M. A., n° 472191)

 

72 - Environnement – Fiscalité des centrales de production d’électricité photovoltaïque – Différence de traitement selon que les installations sont en un même lieu ou réparties entre plusieurs – Différence justifiée – Rejet.

Les requérantes demandent l’annulation du refus implicite du ministre de l’économie, des finances… d’abroger plusieurs paragraphes des commentaires administratifs publiés au BOFiP-Impôts relativement à l’art. 1519 F du CGI.

En bref, il est reproché aux pouvoirs publics d’avoir instauré un mécanisme d’imposition différent entre les installations produisant plus de 100 kilowatts selon qu’elles sont situées en un même lieu ou en plusieurs lieux.

La requête est rejetée.

En premier lieu, le juge rappelle opportunément que les demandeurs ne peuvent se prévaloir, pour déterminer l’intention du législateur, du contenu des travaux préparatoires que dans le cas où le texte légal n’est pas clair en lui-même or ce n’est pas le cas de l’art. 1519 F du CGI qui indique très explicitement soumettre à l'imposition qu'il institue les centrales de production d'énergie électrique d'origine photovoltaïque dont la puissance électrique installée est supérieure ou égale à 100 kilowatts, les établissements regroupant, en un même lieu, en vue d'une même exploitation, des installations de production d'énergie d'origine photovoltaïque dont la puissance installée cumulée, c'est-à-dire la puissance totale injectée sur les réseaux publics d'électricité, que ce soit en un ou plusieurs points de livraison, et, le cas échéant, autoconsommée, excède ce seuil. 

Par ailleurs, les commentaires contestés, en leur § n° 15 (comme en leurs autres §), contrairement à ce qui est soutenu, n’ajoutent pas à la loi dont ils éclairent la portée.

Enfin, la différence de traitement n’est pas contraire aux stipulations du 1er protocole additionnel à la Convention EDH car elle est ici justifiée par le fait que la situation de l'exploitant d'un établissement de production d'énergie électrique d'origine photovoltaïque regroupant dans un même lieu des installations de production dont la puissance installée cumulée excède 100 kilowatts ne peut être regardée comme analogue à celle de l'exploitant de plusieurs établissements de production d'énergie de même origine situés dans des lieux différents et dont la somme des puissances installées serait la même. 

(25 octobre 2023, Sociétés S.A.S.U. 2 Energie GAC et Vouillé photovoltaïque, n° 479417)

 

Droit public de l'économie

 

73 - Nomination du P-D.G. d’ÉDF – Décret du président de la république – Désignation soumise au régime de l’art. 19 de l’ordonnance du 20 août 2014 – Ordre chronologique des formalités préparatoires – Ordre sans effet juridique – Rejet.

Les deux recours joints contestent les conditions dans lesquelles s’est déroulée la procédure de désignation, par le président de la république (décret du 23 novembre 2022), du P-D.G. d’ÉDF.

Ils considèrent que n’a pas été respecté l’ordre des actes préparatoires prévu par les textes.

En effet, le chef de l’État, compétent en vertu de l’art. 13 de la Constitution pour effectuer cette désignation, à lire les dispositions du 1° du I de l’art. 19 de l’ordonnance du 20 août 2014, relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique,combinée à celles de la loi organique du 23 juillet 2010  relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, semble bien devoir prendre connaissance, d’abord, de la proposition  faite à cet égard par le conseil d’administration de l’entreprise, ensuite des avis de la commission compétente au sein de chacune des deux chambres du parlement. On aura bien noté que dans le premier cas, il s’agit d’une proposition, dans le second d’avis.

Les demandeurs soulevaient l’irrégularité résultant du non-respect de cet ordre séquentiel. En effet, si les commissions compétentes de chaque chambre ont rendu, chacune, un avis public le 26 octobre 2022, le conseil d’administration d’ÉDF n’a formulé sa proposition que trois semaines plus tard.

Le Conseil d’État rejette le moyen en relevant qu’aucun texte n’impose un tel ordre chronologique ou n’en sanctionne le non-respect. La solution n’a pas pour elle les vertus de l’évidence ou celles du bon sens : il existe bien une sérieuse différence juridique entre une proposition et des avis : que seraient ces derniers à défaut de proposition ou s’ils portaient sur des noms autres que celui figurant sur la proposition ?

Voilà une belle illustration de l’expression « cul par-dessus tête »...

(04 octobre 2023, M. H. et autre et parti l’Avenir français, n° 470792 ; M. X. et autres, n° 470833, jonction)

 

74 - Entreprises disposant de certaines flottes de véhicules - Obligation annuelle progressive d’acquisition de véhicules à faibles émissions – Principes d’égalité et de libre concurrence – Libertés du commerce et de l’industrie et d’entreprendre – Autres libertés – Rejet.

(11 octobre 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités, n° 454045)

V. n° 114

 

75 - Droit public de l’agriculture – Aménagement foncier – Procédure devant la commission départementale – Recours administratif préalable obligatoire – Effet en cas de saisine postérieure du juge – Erreur de droit – Annulation.

Le litige portait sur le classement de parcelles dans le cadre d’une opération d’aménagement foncier. Les requérants, après avoir saisi la commission départementale d’aménagement foncier, ont demandé au juge administratif l’annulation de sa décision subséquente.

Celui-ci a estimé leur recours irrecevable faute de réclamation préalable. La cour administrative d’appel, sur appel du département, a annulé ce jugement en tant qu'il avait donné partiellement satisfaction aux demandeurs, rejeté, dans la même mesure, leur demande relative à un certain compte de propriété ainsi que l'appel formé par M. B. et autres contre le surplus du jugement.

Ces derniers se pourvoient en cassation.

Pour annuler, comme entaché d’erreur de droit, cet arrêt, le juge de cassation rappelle que le requérant qui entend contester la décision d’une commission départementale devant le juge administratif, peut, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer tout moyen de droit nouveau, alors même qu'il n'aurait pas été invoqué à l'appui du recours administratif contre la décision initiale, dès lors que ces moyens sont relatifs au même litige que celui dont avait été saisie l'autorité administrative. 

Or, en l’espèce, les requérants ont mis en cause, en première instance comme en appel, le classement des parcelles litigieuses au regard de la qualité des sols, de l'humidité ou du dénivelé de plusieurs parcelles relevant de différents comptes, sur la circonstance que ce moyen n'avait pas été invoqué devant la commission départementale, alors que les requérants pouvaient présenter pour la première fois devant le juge tout moyen de droit nouveau dès lors qu'il était relatif au même litige que celui dont avait été saisie cette commission, d’où l’erreur de droit. 

(13 octobre 2023, M. B. et autres, n° 462366)

 

76 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Sanction d’une société de droit anglais –Infraction de manipulation des cours – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de décisions de sanction (amende de 5 millions d’euros, publication pendant cinq ans sur le site de l’AMF) prise par l’autorité des marchés financiers.

Auparavant se posait la question de savoir si le Conseil d’État était compétent pour se prononcer en la matière dans la mesure où était en cause une société de courtage de droit anglais. Le juge lève l’obstacle en se bornant à relever qu’à la date des faits en cause cette société était enregistrée en France pour intervenir en libre établissement.

La décision se prononce sur trois points.

En premier lieu, le motif de la sanction était le fait d’avoir commis un acte de manipulation des cours pour des opérations sur le FESX (ou EuroStoxx 50, indice des plus grandes entreprises de la zone Euro, il porte sur les cinquante actions les plus importantes des pays de l’Union européenne) réalisées entre le 26 mai et le 24 juillet 2015. Après analyse des faits, le juge constate que tel a bien été le cas en fonction des dispositions du b) du 1 de l'art. 12 du règlement (UE) l du 16 avril 2014, lequel dispose que constitue une manipulation de cours toute opération influençant ou étant susceptible d'influencer le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice.

En deuxième lieu, il convenait de déterminer si cette manipulation, dès lors qu’elle était certaine, était bien imputable à la requérante, ce que cette dernière contestait. Le juge retient cette imputabilité en relevant en particulier que si la société Tullett Prebon Ltd a fait valoir au cours de la procédure qu'elle avait mis en place des dispositifs pour identifier les risques, ceux-ci étaient insuffisants pour prévenir et détecter les manquements professionnels reprochés à l’unique courtier chargé de l’opération, le système de surveillance permettant de détecter de tels manquements et le renforcement des équipes dédiées au contrôle n'étant notamment intervenus que postérieurement aux faits en cause.

En troisième et dernier lieu, ne pouvait guère prospérer le moyen tiré du caractère disproportionné des sanctions infligées eu égard aux disponibilités de la contrevenante et à aux effets de cette sanction.

(13 octobre 2023, Société Tullett Prebon Ltd, n° 457232)

 

77 - Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) - Subventions aux investissement agricoles (vitivinicoles) – Retrait d’une décision d’octroi  - Régime général – Contrôle de proportionnalité – Annulation partielle.

Cette décision, qui porte sur la sanction du non-respect partiel par une entreprise vitivinicole des conditions d’octroi d’une subvention européenne, est intéressante à trois points de vue.

D’abord, elle rappelle le régime applicable aux subventions, ici à caractère économique. La formulation est classique mais mérite d’être rappelée : « Une décision qui a pour objet l'attribution d'une subvention constitue un acte unilatéral qui crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. Il en résulte que les conditions mises à l'octroi d'une subvention sont fixées par la personne publique au plus tard à la date à laquelle cette subvention est octroyée. Quand ces conditions ne sont pas respectées, en tout ou partie, le retrait ou la réduction de la subvention peuvent intervenir sans condition de délai. » (V. à ce sujet la thèse de Mme Clothilde Blanchon « Recherche sur la subvention. Contribution à l’étude du don public », Aix-en-Provence, LGDJ, 2019, Bibl. dr. pub.)

Ensuite, alors que la subvention en cause avait été attribuée par le FEOGA, organisme communautaire, le Conseil d’État estime, dans une formulation inédite et de principe, que lorsque l'autorité compétente constate la méconnaissance d'une condition à laquelle l'octroi d'une subvention a été subordonnée, il lui appartient, sans préjudice des mesures qui s'imposent en cas de constat d'une irrégularité au regard du droit de l'Union européenne, d'apprécier les conséquences à en tirer, de manière proportionnée eu égard à la teneur de cette méconnaissance, sur la réduction ou le retrait de la subvention en cause.

Ceci appelle deux remarques : d’abord est, par-là, manifestée une certaine indépendance des deux actions, européenne et interne française, en répression du non-respect de conditions de la subvention, ensuite, le principe de proportionnalité est applicable en matière de conséquences tirées de ce non-respect.

Enfin, précisément, illustrant ce contrôle de proportionnalité, alors que le Directeur général de FranceAgriMer avait retiré en totalité l'aide allouée à l’entreprise et lui avait infligé des pénalités assises sur la totalité du montant de cette aide, le juge estime disproportionnée cette décision. Compte tenu des éléments du dossier, le juge ordonne que le retrait rétroactif de la subvention soit limité au prorata des factures émises et que les pénalités soient assises sur cette part résiduelle.

En effet, il ressortait du dossier :

- D’une part, négativement, que l’entreprise avait transmis à FranceAgriMer sept factures datées postérieurement à la date limite de réalisation des travaux fixée au 24 septembre 2015, trois d'entre elles étant antérieures au 30 septembre 2015, trois d'entre elles antérieures au 15 décembre 2015, et la dernière datée du 21 avril 2016, que dix factures transmises par l'entreprise ont été réglées plus de deux mois après cette date limite de réalisation des travaux, trois d'entre elles avant le 2 décembre 2015, quatre d'entre elles avant le 5 janvier 2016, deux d'entre elles en février 2016 et la dernière le 2 mai 2016, que ces factures ainsi établies ou acquittées hors délai par la requérante représentaient un montant total de 185 572,26 euros hors taxes, soit près de 27 % des dépenses d'investissement initialement prévues.

- D’autre part, positivement, que les investissements initialement prévus et qui ont fait l'objet de l'aide en litige ont été entièrement réalisés, que, hormis la facture émise le 21 avril 2016, d'un montant représentant 0,9 % des dépenses éligibles, et les factures acquittées à compter de février 2016, d'un montant inférieur à 20 % des dépenses éligibles, les retards constatés pour l'émission des factures ou leur règlement ne dépassaient pas quelques jours ou quelques semaines, et enfin que le contrôle effectué en juillet 2016 n'a relevé aucune irrégularité concernant ces factures et a conclu que la société avait mené à terme son programme d'investissements conformément à la réglementation en vigueur.

Cette solution juste, raisonnable et équilibrée doit être approuvée.

(13 octobre 2023, FranceAgriMer, n° 462881)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

78 - Formation professionnelle continue – Cas des professionnels de santé (pharmaciens) – Retrait de formations programmées du site internet de l'Agence nationale du développement professionnel continu – Lignes directrices - Annulation sur motifs inopérants.

La société Union technique intersyndicale pharmaceutique (UTIP) Innovations, enregistrée auprès de l'Organisme gestionnaire du développement professionnel continu dans le cadre du remplacement de ce dernier par l'Agence nationale du développement professionnel continu, a déposé le 5 janvier 2017 sur le site internet de l'agence une action de développement professionnel continu à destination des pharmaciens intitulée « La vaccination antigrippale en pratique ». Par un courrier du 19 mai 2017, la directrice générale de l'agence a indiqué à la société que cette action était, à cette date, retirée du site au motif qu'elle ne s'inscrivait pas dans le cadre des orientations prioritaires de développement professionnel continu applicables.

Après que la société UTIP Innovations s’est vu refuser la prise en charge des sessions de formation assurées par elle avant la décision du 19 mai 2017, la société Égide, venue aux droits de cette dernière, a formé auprès de l'agence, le 23 novembre 2017, un recours gracieux contestant le caractère rétroactif de cette décision et qui a été rejeté le 5 décembre 2017. Le tribunal administratif, saisi de ce rejet, l’a annulé par jugement du 24 septembre 2021 et a condamné l'agence à verser à l’UTIP la somme de 151 135,30 euros, puis, par un arrêt du 9 juin 2022, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel de l'Agence nationale du développement professionnel continu en tant qu'elle contestait l'annulation de la décision du 5 décembre 2017 et y a fait droit en tant qu'elle contestait sa condamnation à indemniser la société Égide. L'Agence nationale du développement professionnel continu se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il lui fait grief.

Son pourvoi est rejeté après substitution de motifs.

Le juge de cassation relève d’abord qu’il résulte des textes applicables que l'Agence ne peut légalement contribuer au financement d'actions de développement professionnel continu que si ces actions s'inscrivent dans le cadre des orientations définies de façon pluriannuelle par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. L’Agence est donc compétente pour contrôler que les actions de développement professionnel continu déposées sur son site internet en vue d'être mises à la disposition des professionnels de santé s'inscrivent bien dans le cadre de ces orientations.

Le juge constate ensuite, que, pour l'année 2017, l'Agence a établi un document intitulé « Règles de gestion pour les organismes de développement professionnel continu », mis à disposition de ces organismes sur son site internet, prévoyant notamment, s'agissant des actions déposées antérieurement au 23 mars 2017, que « les services de l'Agence procèdent de façon rétroactive au contrôle des actions déposées avant le 23 mars 2017 sur le site de l'Agence sur la base des mêmes critères. Dans ce cas et lorsqu'une action est retirée, les sessions ayant eu lieu avant la notification de la décision de retrait par l'Agence donneront lieu à une prise en charge et à l'indemnisation des participants. Toute session postérieure à la notification de la décision par l'Agence ne pourra donner lieu ni à la prise en charge des frais pédagogiques ni à l'indemnisation du professionnel ». La décision du Conseil d’État considère que ces indications constituent des lignes directrices que l’Agence s’est donnée à elle-même, en ce qui concerne la conformité aux orientations pluriannuelles prioritaires des actions actions contrôlées au titre de l’année 2017.

L’action de formation déposée le 5 janvier 2017 relative à la vaccination antigrippale en application de la loi du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 qui a ouvert la possibilité pour les pharmaciens, à titre expérimental, de procéder à la vaccination antigrippale, ne figurait pas parmi les orientations pluriannuelles prioritaires de développement professionnel continu retenues par l'arrêté du 8 décembre 2015 fixant la liste des orientations pour les années 2016 à 2018. Par suite, cette action de formation, immédiatement mise à disposition des professionnels de santé et la décision de la retirer, prise le 19 mai 2017 par l'agence, l'ont été au titre du contrôle de la conformité de cette action aux orientations pluriannuelles prioritaires.

Dès lors, la société requérante était fondée, en l'absence d'invocation, devant les juges du fond, d'un motif d'intérêt général conduisant à y déroger ou de toute justification de l'appréciation particulière qu'aurait appelée l'espèce, à se prévaloir des « règles de gestion » de l'Agence rappelées plus haut.

Le juge de cassation substitue ainsi ce motif, qui repose sur des faits constants n'appelant pas d'appréciation, au motif retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif. Ceci entraîne donc le rejet du pourvoi introduit par l'Agence car les moyens qu’elle développe sont inopérants.

(02 octobre 2023, Société d'exercice libéral par actions simplifiée Égide, agissant en qualité de liquidatrice de la société par actions simplifiée à associé unique Union technique intersyndicale pharmaceutique (UTIP) Innovations, n° 466537)

 

79 - Revenu de solidarité active (RSA) – Obligations s’imposant au bénéficiaire de justifier de son droit à ce revenu – Communication au service gestionnaire des activités et ressources du foyer et de leur changement – Absence de satisfaction à ces exigences – Office du juge et pouvoirs de l’administration – Annulation.

La présente décision ajoute une pierre de plus à la construction d’un contentieux social de plus en plus dérogatoire au droit commun.

En principe, le bénéficiaire du RSA doit communiquer au service prestataire toute information ou tout changement concernant les activités et les ressources des membres du foyer aux fins de vérification qu’il remplit les conditions d'ouverture des droits et de déterminer le montant de l'allocation éventuellement due. À défaut, il est procédé aux contrôles prévus par le code de l'action sociale et des familles.

Si, à l’issue, les renseignements requis ne sont pas obtenus, le président du conseil départemental est en droit de procéder à la radiation de l'intéressé de la liste des bénéficiaires du RSA au terme de la durée de suspension qu'il a fixée et, faute de connaître le montant exact des ressources des personnes composant le foyer et donc de déterminer s'il pouvait ou non bénéficier de l'allocation pour la période précédant la suspension du versement du RSA, l'autorité administrative peut décider de récupérer les sommes qui ont été indûment versées à l'intéressé avant la période de suspension de ses droits. De là, s’ensuivent deux conséquences.

En premier lieu, en cas de recours juridictionnel contre une décision de radiation de la liste des bénéficiaires du RSA, le juge – et c’est là un rappel fréquemment fait par le Conseil d’État – ne doit pas se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée mais il lui incombe d’examiner les droits de l'intéressé sur lesquels l'administration s'est prononcée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et notamment des pièces justificatives le cas échéant produites en cours d'instance par le requérant, et de décider en conséquence, d’une part, la confirmation, l’annulation ou la réformation de la décision contestée, d’autre part, l’éventuelle fixation des droits de l'intéressé pour la période courant à compter de la date de suspension des droits et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement.

En second lieu, si a été décidée la récupération rétroactive des sommes indûment versées au demandeur, le juge saisi d’un recours contre cette décision, au vu des circonstances et moyens, doit, dans le cas où il décide d’annuler ou de réformer la décision de récupération, régler le litige en retenant à cet effet le motif qui lui paraît, compte tenu des éléments qui lui sont soumis, le mieux à même, dans l'exercice de son office, de régler le litige.

Il convient de se demander si l’on se trouve encore ici dans le cadre d’une procédure pleinement contentieuse – ce dont il faut douter – ou plutôt, comme il en est en d’autres matières (par ex. dans le cas d’édifices menaçant ruine) dans une procédure mi-administrative, mi-juridictionnelle (cf. J.-C. Ricci et Ch. Debbasch, Contentieux administratif, 8ème édit.)

(02 octobre 2023, M. B., n° 466599)

(80) V. aussi, assez voisin en substance, mutatis mutandis, à propos de la décision de récupérer des indus de RSA, d’aide personnalisée au logement, de prime exceptionnelle de fin d’année et de prime d’activité : 10 octobre 2023, Mme B. épouse C., n° 460751.

(81) V. également, voisine dans le souci de traiter spécifiquement les contentieux sociaux et appelant les mêmes remarques que la décision n° 466599, la décision qui annule le jugement estimant que n’était pas justifiée par un motif légitime l'absence d'établissement du contrat prévu à l’art. L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles énumérant les engagements réciproques du bénéficiaire du RSA et du département (ou, sur sa délégation, une autre collectivité publique) en matière d'insertion sociale ou professionnelle : 02 octobre 2023, M. B., n° 467834.

(82) V. encore, très illustratif d’une tendance lourde des contentieux sociaux, à propos de la mention, sur un avis d’audience, que « cette audience peut se dérouler sans conclusions du rapporteur public » et du renvoi du requérant au site SAGACE, l’annulation du jugement subséquent : 20 octobre 2023, M. A., n° 462823.

 

83 - Revenu de solidarité active (RSA) – Composition du foyer de l’allocataire – Notion de foyer – Récupération d’un indu d’allocation – Rejet.

Cette décision est intéressante par les précisions, classiques au demeurant, qu’elle apporte sur la notion de « foyer » au sens et pour l’application des textes régissant le RSA.

Une caisse d’allocations familiales, informée par la requérante, Mme B., de ce qu’elle vivait en couple, avec M. C., depuis le mois de janvier 2012, prenant en compte les revenus de ce couple, a réclamé le versement d’un indu de RSA, d’abord, pour sa totalité, à la requérante puis, pour moitié de la somme, à chacun des deux membres du couple.

La requérante se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté sa demande d’annulation de l’avis de sommes à payer émis à son encontre.

Le juge de cassation rappelle qu’un « foyer » (cf. art. L. 262-2 code de l’action sociale et des familles) comprend le demandeur, le cas échéant, son conjoint marié, partenaire ou concubin et les enfants ou personnes de moins de vingt-cinq ans à charge (cf. art. R. 262-3 du même code). La personne concubine est celle qui mène avec le demandeur une vie de couple stable et continue dont la preuve peut être établie par un faisceau d'indices concordants, notamment la circonstance que les intéressés mettent en commun leurs ressources et leurs charges.

Dans le cas de l’espèce, le juge relève que les deux personnes formaient bien un foyer. D’abord le rapport établi par un agent assermenté de la caisse d’allocations familiales avait constaté une communauté d'adresse administrative et affective des intéressés, ceux-ci étant parents d'un enfant né le 8 mars 2014 et que M. C., même s'il avait conservé une autre adresse que Mme B. auprès d'un fournisseur d'accès internet et de Pôle emploi, s'était en revanche déclaré domicilié à la même adresse qu'elle pour ses comptes bancaires, ainsi qu'auprès des services fiscaux et, pour l'activité d'autoentrepreneur qu'il avait exercée de juin 2012 à juin 2014, auprès du régime social des indépendants. Ensuite, la requérante, qui avait elle-même déclaré au cours de sa grossesse vivre en couple avec M. C. depuis 2012, se bornait, pour remettre en cause ces constatations, à des allégations très vagues. Le tribunal administratif a pu, sans commettre d'erreur de droit dans la valeur probante accordée aux différents éléments qu'il a relevés, juger que la réalité d'une vie de couple stable et continue entre Mme B. et M. C. devait, peu important qu'ils n'aient pas été liés par le mariage ou par un pacte civil de solidarité, être regardée comme établie au cours de la période considérée.

Par suite, le tribunal a pu, sans inverser la charge de la preuve, en déduire que Mme B. n'établissait pas que l'allocation aurait été perçue par M. C. uniquement et que les sommes indûment perçues pouvaient, en tout ou partie, être récupérées auprès de Mme B., alors même que la demande de revenu de solidarité active avait été présentée par le seul M. C.

(06 octobre 2023, Mme B., n° 465898)

 

84 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu de cette allocation – Bénéficiaire ayant créé une société et en étant gérant – Erreur de droit – Annulation.

Pôle emploi a prétendu récupérer sur le requérant une certaine somme constituant prétendument un indu d’allocation de solidarité spécifique motif pris de ce qu’il aurait, tout en continuant à percevoir celle-ci, créé une société dont il s’est déclaré gérant et qui a été immatriculée au registre du commerce.

Le juge de cassation reproche au jugement rejetant pour l’essentiel la réclamation de l’intéressé tendant au remboursement de « l’indu » qu’il a versé, d’avoir commis une erreur de droit. En effet, s’il résulte des documents produits par ce dernier que les statuts de la société qu'il avait créée et dont il était le gérant avaient été déposés au registre du commerce et des sociétés, cette société n'a eu aucune activité effective avant le 8 février 2018, date de fin de la période de l'indu que l'administration entend récupérer.

(13 octobre 2023, M. A., n° 460426)

 

85 - Observatoire départemental d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation – Désignation de membres par les organisations représentatives de salariés – Notion d’organisation « représentative » - Critère tiré de l’influence des syndicats dans les entreprises de moins de cinquante salariés – Illégalité – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Il résulte des dispositions de l’art. L. 2243-4 du code du travail qu’un « observatoire d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation est institué au niveau départemental par décision de l'autorité administrative compétente. Il favorise et encourage le développement du dialogue social et la négociation collective au sein des entreprises de moins de cinquante salariés du département ».

Cet observatoire est notamment composé de membres salariés – dans la limite de six - ayant leur activité dans la région, désignés par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département, chacune d’elles y disposant d'un siège.

Il incombe au directeur régional des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi, sur proposition du responsable de l'unité départementale, de publier tous les quatre ans la liste des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau départemental et interprofessionnel.

En l’espèce, brevitatis causa, une cour administrative d’appel avait annulé la décision du directeur régional autorisant l'UNSA à désigner un représentant au sein d’un observatoire départemental au motif que ce syndicat ne pouvait en l'espèce être regardé comme représentatif dans la mesure où il ne justifiait pas de l'influence qu'il exerçait dans le département auprès des entreprises de moins de cinquante salariés.

L'UNSA se pourvoit en cassation de cet arrêt qui, par ailleurs, statuait sur renvoi du Conseil d'État.

Ce dernier est à la cassation car la cour, ce jugeant, a commis une erreur de droit. En effet, il résulte des textes que seules les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département pouvant, dans la limite de six organisations par département, désigner un membre pour siéger au sein de l'observatoire départemental d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation, l'autorité administrative compétente doit prendre en considération à cette fin l'ensemble des critères de représentativité mentionnés à l'article L. 2121-1 du code du travail (respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté dans le champ professionnel et géographique concerné, audience, lnfluence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience, effectifs d'adhérents et cotisations).

Surtout, si le législateur a entendu que la représentativité des organisations syndicales de salariés s'apprécie au niveau départemental et interprofessionnel, il n’exige pas qu'elles justifient d'une influence particulière au sein des entreprises de moins de cinquante salariés.

(02 octobre 2023, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 467531)

 

86 - Procédures de redressement puis de liquidation judiciaires – Homologation postérieure du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Ordre de paiement des créanciers imposé au liquidateur judiciaire par l’art. L. 641-13 du code de commerce – Impossibilité d’invoquer le moyen tiré de la disponibilité d’une partie de l’actif de l’entreprise pour soutenir que le plan de sauvegarde est insuffisant – Rejet.

Cette décision est d’un grand classicisme en ce qu’elle rappelle, aussi complètement que possible et donc longuement, les différents contrôles et les diverses vérifications que doit opérer le juge administratif saisi d’un recours contre l’homologation par l’autorité administrative du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise.

Elle est aussi classique en ce que le PSE s’accompagne ici d’un plan de redressement judiciaire puis d’une liquidation judiciaire : un PSE est le signe certain d’une entreprise en difficulté et il n’est pas étonnant que, parfois, le PSE soit concomitant ou succède à une liquidation judiciaire.

Ici la décision comporte une importante précision qui n’eût pas détonné dans une décision de Section.

Le syndicat requérant faisait valoir l’insuffisance du PSE au regard de l’actif de l’entreprise restant encore disponible dans le cadre de la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire. Le moyen est rejeté car lorsque, comme en l’espèce, l’entreprise faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, demande l’homologation de son PSE, jouent, d’une part, les dispositions de l’art. L. 641-13 du code de commerce qui imposent au liquidateur judiciaire l'ordre de paiement des créanciers et d’autre part, celles du 4° de l'art. L. 3253-8 du code du travail selon lesquelles l'assurance de garantie des salaires couvre notamment les mesures d'accompagnement du plan de sauvegarde de l'emploi homologué d'une entreprise en liquidation judiciaire.

C’est pourquoi est rejeté le pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel, celle-ci n'ayant pas commis d'erreur de droit en jugeant que le requérant ne pouvait utilement se fonder sur la circonstance que l'actif de l’entreprise était pour partie disponible pour soutenir que le plan de sauvegarde de l'emploi n'était pas suffisant au regard des moyens de cette entreprise.

C’est l’occasion de relever que pareille situation met en présence d’une opposition, plus ou moins forte, entre deux séries de textes législatifs fondées, chacune, sur des logiques et des intérêts très différents, le droit social et le droit commercial.

(04 octobre 2023, Syndicat national du personnel navigant commercial, n° 447057)

(87) V. aussi, jugeant qu’eu égard aux effets différents attachés par le législateur à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation d'un plan de sauvegarde de l'emploi selon le motif pour lequel cette annulation est prononcée et à la limitation des moyens susceptibles d'être invoqués devant le juge administratif à l'appui d'un recours contre une nouvelle décision suffisamment motivée, lorsqu'une décision juridictionnelle fait droit à une requête tendant à l'annulation d'une telle décision en se fondant sur un moyen qui n'est pas, parmi ceux présentés par la requête, celui qui est susceptible d'avoir les effets les plus favorables pour le ou les requérants, ces derniers justifient d'un intérêt pour en demander l'annulation, alors même que la décision juridictionnelle a prononcé l'annulation de la décision attaquée. Par suite, les requérants justifient d'un intérêt pour demander l'annulation de l’arrêt d’appel, alors même qu'il a été fait droit à leurs conclusions aux fins d'annulation, dès lors que si la cour avait accueilli un autre des moyens qu'ils avaient présentés à l'appui de leur requête, une telle annulation aurait eu à leur égard des effets plus favorables : 04 octobre 2023, M. C. et autres c/ DIRECCTE de Centre-Val de Loire, n° 460949.

(88) V. également, assez proche par la récurrence de certaines des questions posées et annulant l’arrêt d’appel reprochant à la décision d’homologation d’un PSE le fait que l’employeur, pour déterminer l'ordre des licenciements, avait appliqué, lors de la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi, les critères d'ordre au niveau de chacune des agences concernées par une cession et non au niveau de la zone d'emploi alors que le juge administratif, saisi d'une demande tendant à l'annulation d'une décision homologuant un tel document, doit faire porter son contrôle sur le périmètre d'application des critères d'ordre arrêté par ce document, et non sur le périmètre utilisé par l'employeur lors de la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi : 31 octobre 2023, Société TUI France, n° 456332.

(89) V. encore, la décision qui, précisant la jurisprudence antérieure sur le critère de « qualification professionnelle » (1er février 2007, Me Cambon, liquidateur de la société Avinov, n° 387886),  rejette un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’une cour administrative d’appel jugeant que le liquidateur judiciaire d’une société, pour établir le document unilatéral prévoyant le plan de sauvegarde de l'emploi de cette dernière, ne pouvait pas, au titre du critère d'ordre permettant de prendre en compte les qualités professionnelles des salariés, prévu au 4° de l'art. L. 1233-5 du code du travail, des éléments d'appréciation communs à toutes les catégories professionnelles qu'il définissait par ailleurs, en particulier la détention d'un ou plusieurs certificats d'aptitude à la conduite en sécurité, dits « permis CACES », lesquels autorisent la conduite d'équipements de travail mobiles automoteurs et d'équipements servant au levage. En effet, un tel élément d'appréciation est sans rapport avec les fonctions afférentes à nombre des catégories professionnelles que le liquidateur avait définies, peu important à cet égard, au regard de l'objet des critères d'ordre, que la détention d'un tel permis paraisse correspondre aux besoins du repreneur de la société en liquidation judiciaire : 31 octobre 2023, Me Souchon, liquidateur de la société IOC Print et société IOC Print, n° 456091

 

90 - URSSAF – Inscription d’office au répertoire des entreprises, à une même adresse, de sociétés de droit étranger – Détermination de l’ordre juridictionnel compétent pour connaître du recours contre cette décision – Procédure irrégulière pour non-respect du délai d’appel – Cassation partielle avec renvoi à la cour.

 Le directeur de l'URSSAF Midi-Pyrénées a décidé d'inscrire au répertoire des entreprises plusieurs sociétés de droit étranger à l'adresse des bâtiments dont les requérants sont, chacun, propriétaires et qu'ils donnent en location par bail commercial à deux autres sociétés. Ils ont demandé, en vain, à son auteur, de retirer ses décisions. Saisi d’un recours dirigé contre ce refus, le tribunal administratif l’a rejeté à raison de l’incompétence de la juridiction administrative. La présidente d’une chambre de la cour administrative d’appel a, sur leur appel, par deux ordonnances, annulé le jugement d’incompétence et rejeté leurs demandes.

Saisi d’un pourvoi contre ces ordonnances, le Conseil d’État les annule partiellement.

Il confirme d’abord implicitement la compétence du juge administratif pour connaître du litige opposant les demandeurs à l’URSSAF.

Il annule ensuite l’une des ordonnances au fond en raison de l’irrégularité de la procédure suivie. En effet, l’art. R. 222-1 du CJA permet à certains des magistrats des cours administratives d'appel d’annuler une ordonnance prise en première instance en application des 1° à 5° et 7° de cet article et, réglant l'affaire au fond par application du même 7°, de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif qu'après l'expiration du délai d'appel contre l'ordonnance de première instance ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé devant la cour, après la production de ce mémoire. En l’espèce, les deux ordonnances du premier juge ont été notifiées aux requérants le 21 octobre 2021, le délai d’appel expirant le 21 décembre 2021. La magistrate de la cour ne pouvait pas, le 7 décembre 2021, tout à la fois annuler le jugement et rejeter au fond les deux demandes dont elle était saisie, faisant ainsi application du 7° du même article, alors qu’à cette date le délai d'appel contre les ordonnances de première instance n'était pas expiré. 

(04 octobre 2023, Société civile immobilière Immo Toulouse et M. B., n° 461138)

 

91 - Licenciement d’un salarié protégé – Refus d’autorisation de l’inspection du travail – Annulation de ce refus sur recours hiérarchique – Annulation pour illégalité externe de la décision – Ministre n’ayant pas à donner les motifs de sa décision contraire de celle de l’inspection du travail – Annulation.

L'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement d’un salarié protégé de la société JFM car, d’une part, les faits reprochés à ce salarié n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement et d’autre part, il existait un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats de représentant du personnel exercés par l’agent licencié.

Sur recours hiérarchique de l’entreprise, la ministre du travail a annulé la décision
de l'inspecteur du travail pour illégalité externe en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire. Puis, statuant sur la demande d'autorisation de licenciement, elle l’a accordée, les faits reprochés au salarié lui paraissant présenter une gravité suffisante pour justifier son licenciement et aucun indice de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice des mandats détenus par le salarié ne ressortant des pièces du dossier.

La cour administrative d'appel a jugé que la ministre avait insuffisamment motivé sa décision en se bornant à constater l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice des mandats détenus par le salarié sans indiquer les raisons pour lesquelles elle portait sur ce point une appréciation contraire de celle de l'inspecteur du travail.

Ce jugeant, la cour a commis une erreur de droit car la ministre n'était pas tenue d'indiquer les considérations la conduisant à retenir une appréciation contraire de celle de l'inspecteur du travail puisqu'elle avait prononcé l'annulation de sa décision en raison d'une illégalité externe l’entachant et qu'elle se prononçait à nouveau, après cette annulation, sur la demande d'autorisation de licenciement (réitération, par a contrario, de 8 décembre 2021, M. Chaillot, n° 428118 ; v. cette Chronique, décembre 2021 n° 110). 

(04 octobre 2023, Société JFM, n° 464094)

 

92 - Salariés – Décompte de la durée de travail – Non-respect des art. L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail – Sanctions indéfiniment cumulatives – Demande d’annulation ou de minoration – Rejet.

L’entreprise requérante demandait l’annulation ou la minoration des cent vingt et une amendes qui lui ont été infligées par un DIRECCTE pour non-respect de son obligation de mettre en place les modalités de décompte des heures de travail accomplies par chacun de ses salariés, quotidiennement et par semaine.

Le juge rappelle que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible. 

Faute d’apporter ces trois garanties l’entreprise en cause doit être réputée n’avoir pas satisfait aux exigences légales (art. L. 3171-2, c. trav.) et réglementaires (D. 3171-8, c. trav.).

La demande d’annulation de l’arrêt frappé de pourvoi est rejetée.

(06 octobre 2023, Société CGI France, n° 465781)

(93) V. aussi, avec même requérante, pour un autre établissement, la solution identique retenue : 06 octobre 2023, Société CGI France, n° 466291.

(94) V. encore, avec même requérante, pour un troisième autre établissement, la solution identique retenue : 06 octobre 2023, Société CGI France, n° 467551. Et également : avec même requérante, pour un autre établissement, la solution également identique retenue : 06 octobre 2023, Société CGI France, n° 466294.

 

95 - Personnels hospitaliers – Fonctionnaires et agents de droit privé - Bénéfice de la prime « Grand âge » - Pérennité du financement de ce dispositif – Rejet.

Le décret du 30 janvier 2020 a créé une prime « Grand âge » pour certains personnels correspondant aux corps des aides-soignants et auxiliaires de puériculture et des accompagnants éducatifs et sociaux de la fonction publique hospitalière, d'un montant mensuel de 118 euros brut, à compter du 1er janvier 2020, dont le bénéfice a été étendu par le décret du 29 septembre 2020 aux personnels des corps équivalents de la fonction publique territoriale à compter du 1er mai 2020.

La Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs a pris, le 25 octobre 2021, une recommandation patronale relative à l'attribution d'une prime mensuelle « Grand âge » d'un montant de 70 euros bruts à compter du 1er juin 2021, qui a été agréée par un arrêté du ministre de la santé du 10 décembre 2021. L’arrêté du 8 juin 2021 fixant pour l'année 2021 l'objectif de dépenses et le montant total annuel des dépenses pour les établissements et services relevant de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a fait l'objet de trois instructions budgétaires adressées aux agences régionales de santé.

La première de ces instructions, du 8 juin 2021, relative aux orientations budgétaires de l'exercice 2021 pour la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, complétée par une deuxième instruction du 16 novembre 2021, a prévu des délégations de crédits au bénéfice des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes privés non lucratifs incluant le financement de cette évolution de la masse salariale ainsi que les crédits alloués au titre de cette augmentation de la masse salariale pour 2021 afin de permettre le financerment de la part relevant de l'assurance maladie de la prime « Grand âge » créée par la recommandation patronale dans les établissements hospitaliers et sociaux et médico-sociaux privés non lucratifs à compter du 1er juin 2021.

La campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées pour l'exercice 2022 a fait l'objet d'une première instruction du 12 avril 2022, suivie d'une seconde instruction du 8 novembre 2022, adressées aux agences régionales de santé.

La fédération requérante demande l'annulation de cette seconde instruction en tant qu'elle ne prévoit pas de crédits supplémentaires par rapport à la première instruction pour financer la prime « Grand âge » versée par les établissements privés à but non lucratif à leurs personnels.

Le recours est rejeté.

 En premier lieu, le financement, pour les sept mois de son application en 2021, de la prime « Grand âge » créée comme indiqué plus haut, a été assuré dans le cadre des crédits alloués au titre de l'augmentation de la masse salariale, fixée à 1,2 % pour 2021, les crédits alloués au titre de cette augmentation de la masse salariale pour 2021 permettant de financer la part relevant de l'assurance maladie.  La recommandation patronale du 25 octobre 2021, agréée par l'arrêté ministériel du 10 décembre 2021, prévoyant l'attribution d'une prime « Grand âge » de 70 euros mensuels brut à compter du 1er juin 2021 aux salariés des établissements et services sociaux et médico-sociaux à but non lucratif, s'impose aux autorités compétentes en matière de tarification.

En second lieu, la première instruction budgétaire du 12 avril 2022 a prévu, pour compléter les crédits reconduits de l'année 2021, une délégation supplémentaire de crédits pérennes d'un montant de 13 millions d'euros pour financer l'extension en année pleine, correspondant à cinq mois supplémentaires d'attribution de la prime mensuelle « Grand âge » issue de la recommandation patronale précitée. 

Dès lors, la fédération requérante n’est fondée ni à soutenir que la seconde instruction budgétaire pour l'année 2022, qu'elle attaque, serait illégale faute d'avoir prévu de nouveaux crédits pour le financement de la même mesure, ni à tirer argument de ce que les crédits supplémentaires, à hauteur de 18 millions d'euros, pour le financement de la prime « Grand âge » au titre de la période allant de juin à décembre 2022 au seul bénéfice des agents de la fonction publique méconnaîtrait le principe d'égalité alors que les agents de la fonction publique ne sont pas, en matière de régime indemnitaire, placés dans la même situation que les salariés de droit privé.

Encore une fois, il faut regretter un raisonnement tronqué qui se borne – de manière purement incantatoire – à invoquer une différence de situation ou de textes pour justifier l’atteinte au principe d’égalité alors que celui-ci supposerait, pour la vérification de son respect, que soit apprécié le point de savoir si l’existence de ces différences est objectivement justifiée et, en conséquence, fonde valablement la différence des régimes en résultant.

En outre, il nous semble plus judicieux de comparer non pas les situations respectives des agents concernés mais celles des établissements employeurs au regard de l’ensemble des charges qu’ils supportent.

(06 octobre 2023, Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs, n° 470385)

 

96 - Hébergement d’urgence – Retard à exécuter une décision de la commission de médiation – Indemnisation – Notion – Maintien de l’urgence en dépit de la signature d’un bail – Annulation partielle.

La requérante demandait la réparation du préjudice que lui a causé le retard apporté par les services de l’État à la reloger ainsi que ses enfants dans un logement adapté, malgré la décision de la commission de médiation reconnaissant le caractère prioritaire de sa demande de relogement. Ce retard a tout de même duré de septembre 2008 à janvier 2015. Un jugement du tribunal administratif a condamné l’État à lui verser la somme de 500 euros tous intérêts compris. On a bien lu cinq cents…pour près de 80 mois de retard…

La demanderesse se pourvoit en cassation du jugement en ce qu’il ne lui a pas donné pleine satisfaction, ce qui se conçoit assez facilement.

Des divers aspects de la décision du Conseil d’État deux d’entre eux retiennent l’attention.

En premier lieu, pour rejeter en totalité la demande d'indemnisation formée au titre de la période septembre 2008 - janvier 2015, pour laquelle Mme A. était prioritaire du fait de la sur-occupation de son logement, le tribunal administratif a retenu que le logement de 28 m² qu'elle louait durant cette période aurait été sur-occupé, dès lors que l'adresse du père de ses cinq enfants, dont elle est divorcée, apparaissait sur les papiers d'identité de certains d'entre eux et que, selon les années, certains des enfants n'apparaissaient pas rattachés à son foyer fiscal ou étaient mentionnés être en résidence alternée. Cette partie du jugement est censurée d’abord parce qu’elle repose sur une dénaturation des pièces du dossier notamment car elle ignore la décision de la commission de médiation et se fonde principalement sur des pièces postérieures à la période concernée. Le juge a également manqué à son office en s’abstenant d’user de son pouvoir d'instruction pour demander la production de pièces contemporaines. Pour la petite histoire, en sus des 500 euros tous intérêts compris alloués en première instance, le juge accorde à la requérante celle de 11.000,00 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020.

En second lieu, le tribunal a relevé que, postérieurement à la décision de la commission de médiation, l'intéressée est parvenue à se procurer un logement par ses propres recherches ce qui établirait que l’urgence à être relogé avait, à cette date, disparu.

Le juge de cassation rejette cette analyse car cette circonstance ne saurait être regardée comme établissant ipso facto que l'urgence a disparu. En effet, compte tenu des caractéristiques de ce logement, le demandeur peut continuer de se trouver dans une situation lui permettant d'être reconnu comme prioritaire et comme devant être relogé en urgence en application des dispositions de l'art. R. 441-14-1 du code de la construction et de l'habitation. Il appartient donc au juge de déterminer si l'urgence perdure du fait que le logement obtenu ne répond manifestement pas aux besoins de l'intéressé, excède notablement ses capacités financières ou présente un caractère précaire. On saluera cette solution, réaliste, parfaitement adaptée à des personnes se trouvant dans des situations souvent très difficiles.

(10 octobre 2023, Mme A., n° 469178)

(97) V. aussi, parmi un grand nombre de décisions, le rejet du recours d’une personne accompagnée de ses quatre enfants mineurs, aucune carence de l'État ne pouvant être caractérisée en l'espèce : ord. réf. 11 octobre 2023, Mme C. épouse B., n° 488536.

(98) V. encore, rejetant le recours dirigé contre l’ordonnance estimant que les documents fournis au soutien de la demande d’hébergement ne démontraient pas que l’état de santé de l’un des demandeurs – invoqué pour justifier cette demande – présentait une gravité particulière : ord. réf. 12 octobre 2023, M. D. et Mme B., n° 488644.

(99) V. également, confirmant le rejet, en première instance, de la demande d’hébergement d’une ressortissante camerounaise pour elle-même et sa fille, adapté à un suivi médical à l'hôpital Bichat, à Paris, ainsi que l’octroi de l'allocation pour demandeur d'asile et d’un hébergement pérenne, refus fondé, d’une part, sur ce que la requérante a refusé la proposition d'hébergement qui lui avait été faite à Montpellier sans justifier de l'impossibilité de poursuivre, dans cette ville, son suivi médical et celui de sa fille et, d’autre part, sur ce que, malgré ce refus, la famille a pu, à plusieurs reprises et sur des périodes conséquentes, bénéficier d'hébergements d'urgence : ord. réf. 18 octobre 2023, Mme A., n° 488777.

(100) V., rejetant le recours d’un ressortissant guinéen de 14 ans contre le rejet, notamment, de sa demande d’admission au bénéfice de l'aide sociale à l'enfance à titre provisoire, et ce dans les deux heures de la notification de l’ordonnance à venir (!! Existe-t-il des juges TGV, à très grande vitesse ?) assortie d’une injonction au président du département de procéder à son hébergement et de prendre en charge ses besoins alimentaires, médicaux et vestimentaires et de saisir l'autorité judiciaire pour placement au-delà du délai de cinq jours, etc., motif pris de ce que « compte tenu du cadre temporel dans lequel il se prononce, (le juge du référé liberté ne peut) ordonner que des mesures utiles en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises. » Or le requérant ne soutient pas présenter d'autre cause de vulnérabilité que son isolement et sa minorité de 14 ans, ce qui ne révèle pas, à supposer même cette dernière établie, compte tenu de la présence de personnes et de familles encore plus vulnérables dans un contexte de saturation des hébergements d'urgence, une situation justifiant que soit ordonné, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence, de prendre les mesures pour mettre à l'abri l'intéressé : ord. réf. 17 octobre 2023, Me Roxane Vigneron, n° 488480 ; Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 488747.

V. aussi pour un autre aspect de cette décision, le n° 48

(101) V., dans un litige en hébergement d’urgence, le rejet de la demande d’application de l’art. L. 761-1 CJA formée par l’avocat et par ses clients, d’abord, s’agissant de ces derniers, car ayant été admis à l’aide juridictionnelle, ils sont sans qualité pour présenter des conclusions sur le fondement de cette disposition, leur requête étant manifestement irrecevable, ensuite, s’agissant de leur avocat, parce que si l’ordonnance imposait au préfet de fournir aux intéressés une place en hébergement d'urgence au plus tard le 5 octobre en début de matinée, elle n'est restée inexécutée qu'au cours de cette journée et a été mise en œuvre avant la nuit du 5 au 6 octobre. Eu égard aux difficultés matérielles auxquelles l'administration est confrontée dans la mise en œuvre du droit à l'hébergement d'urgence, la requête de l’avocat est manifestement infondée : ord. réf. 17 octobre 2023, M. et Mme E. et Me Bastien Demars, n° 488820.

(102) V. aussi, plus original, l’annulation d’une ordonnance confirmant le refus, par l’administration, de logement ou de relogement d’urgence d’une personne qui soutenait le caractère inadéquat du logement accordé. Le demandeur invoquait le fait qu'un accident provoqué par son fils avait entraîné le décès d'un enfant du voisinage proche et que le sentiment d'une hostilité du quartier à l'égard des membres de sa famille depuis cet accident était à l'origine, pour eux, de troubles psychologiques graves. Le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le demandeur ne pouvait utilement se prévaloir de telles circonstances, alors que l'existence de troubles médicaux, y compris d'ordre psychologique, est, lorsque ces troubles sont suffisamment caractérisés pour présenter un lien direct et certain avec le maintien de l'intéressé dans son logement, de nature à établir le caractère inadapté de celui-ci : ord. réf. 20 octobre 2023, M. A., n° 464585.

(103) V. également, plus spécifique, rejetant l’appel de personnes reconnues prioritaires par une commission départementale de médiation, qui n'ont pas exercé le recours spécial ouvert par les dispositions du II de l'art. L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation aux personnes déclarées prioritaires par la commission de médiation pour l'accueil dans une structure d'hébergement en vue de rendre effectif leur droit à l'hébergement, ce qui, par suite, les rendait irrecevables à agir à cette fin sur le fondement de l'art. L. 521-2 (référé liberté) du CJA : ord. réf. 25 octobre 2023, M. E. et Mme F., n° 488976.

(104) V., la décision qui, pour confirmer le rejet opposé en première instance à la demande d’une ressortissante guinéenne d’être hébergée ainsi que ses cinq enfants mineurs, retient les éléments suivants. Si l’intéressée, dont la demande d'asile a été définitivement rejetée en juillet 2016 ainsi que sa demande de réexamen en 2020, qui a fait l'objet de plusieurs refus de titre de séjour ainsi que d'une obligation de quitter le territoire en date du 2 mai 2023, est accompagnée de cinq enfants mineurs, âgés entre 15 ans et 3 ans, cette seule circonstance ne suffit pas à justifier d'une vulnérabilité telle que l'absence d'hébergement constitue, à elle seule, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. De plus, en se bornant à faire valoir le suivi psychiatrique dont elle fait l'objet ainsi que les difficultés psychologiques générées par l'absence d'hébergement depuis le 15 octobre 2023, la requérante n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'éléments justifiant d'un état de santé la rendant elle ou un de ses enfants particulièrement vulnérable. Par ailleurs, la famille a bénéficié d'un hébergement au titre de l'aide sociale à l'enfance entre janvier 2020 et le 15 octobre 2023, qui a pris fin au troisième anniversaire du dernier enfant. Or il n’est pas contesté par la requérante qu’elle conserve des liens avec le père de son dernier enfant. Ce ressortissant espagnol résidant en France l'a déjà hébergée avec ses cinq enfants sans que la requérante n'explique pourquoi elle a quitté son domicile. Elle ne saurait soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, et eu égard à son office, le juge des référés du tribunal administratif a jugé qu'aucune carence de l'État ne peut être caractérisée en l'espèce, ce qui entraîne le rejet de l’appel : ord. réf. 27 octobre 2023, Mme A., n° 489014.

 

105 - Licenciement d’une salariée protégée – Salariée déclarée médicalement inapte à tout poste au sein du groupe – Autorisation ministérielle de licenciement – Avis sur le licenciement donné par un organe du personnel irrégulièrement composé – Erreur de droit de l’arrêt annulant l’autorisation de licenciement – Annulation.

La société requérante a demandé l’autorisation de licencier une salariée protégée dont le médecin du travail avait constaté qu’elle était inapte à tout poste au sein du groupe Crédit agricole. L’autorisation de licencier a été accordée par l’inspection du travail puis, sur recours hiérarchique, par le ministre du travail.

Pour annuler cette autorisation, la cour administrative d’appel s’est fondée sur une irrégularité de procédure : le projet de licenciement avait été soumis à l'avis, non pas des délégués du personnel du seul collège des salariés de la classe 2 dont faisait partie l’intéressée, comme le prévoient les dispositions ici et alors applicables du premier alinéa de l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit Agricole mais de l'ensemble des délégués du personnel.

Le Conseil d’État, toujours circonspect sur l’emploi des moyens ou des motifs de forme, reproche à la cour de n’avoir pas poussé plus loin son analyse en vérifiant si cette irrégularité avait, en l'espèce, empêché les délégués du personnel d'émettre leur avis en toute connaissance de cause, dans des conditions susceptibles de fausser leur consultation.

En bref, l’annulation pour vice de forme doit plus seulement être justifiée mais se mériter.

(13 octobre 2023, Caisse régionale de crédit agricole mutuel Toulouse 31, n° 459314)

 

106 - Licenciement d’un salarié protégé – Convocation à l’entretien préalable au licenciement – Salarié unique représentant du personnel dans l’entreprise – Information sur la possible assistance d’un conseil donnée tardivement – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel annule, par arrêt confirmatif, le recours formé par la société requérante contre le refus d’autoriser le licenciement d’un salarié protégé qu’elle avait sollicité de l’inspection du travail. Il lui est reproché deux choses.

En premier lieu, dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le salarié convoqué à un entretien préalable à son licenciement est le seul représentant du personnel dans l'entreprise, la lettre de convocation à cet entretien adressée par l'employeur doit mentionner qu'il peut se faire assister par un conseiller du salarié. Ce n’a pas été fait ici.

En second lieu, l'intéressé n'a pas été informé en temps utile des modalités d'assistance auxquelles il avait droit, n'ayant obtenu l'information quant à la possibilité de se faire assister par un conseiller du salarié que la veille de son entretien. La procédure suivie a donc été irrégulière alors même que le salarié s'était présenté à l'entretien accompagné d'un conseiller.

Il nous semble qu’il eût été plus judicieux d’exiger que le juge établisse en quoi le manquement à cette garantie a pu porter atteinte aux droits du salarié.

(13 octobre 2023, Société Chaumeil Île-de-France, n° 467113)

 

107 - Licenciement d’un salarié protégé pour motif disciplinaire – Respect du caractère contradictoire de la procédure suivie – Absence prétendue – Dénaturation des pièces – Annulation.

Pour annuler le jugement rejetant le recours formé par le demandeur en annulation de l’autorisation donnée à son licenciement pour motif disciplinaire par l’inspection du travail, la cour administrative d’appel  a retenu que les pièces du dossier, notamment celles produites par l'administration, ne permettaient pas d'établir que le salarié avait été mis à même de prendre connaissance des témoignages susceptibles de constituer des éléments déterminants recueillis par l'inspecteur du travail et que, par suite, il avait été privé de la garantie que constitue pour le salarié protégé le caractère contradictoire de l'enquête préalable de l'inspecteur du travail.

Le Conseil d’État annule l’arrêt déféré à sa censure pour dénaturation des pièces du dossier car il résulte de celles-ci, d’une part, qu’en première instance l'inspecteur du travail, par un courriel du 23 juillet 2018, a informé ce salarié de ce qu'il avait recueilli les témoignages des personnes nommément citées dans le rapport d'enquête interne annexé à la demande de l'employeur et que ces pièces étaient tenues à sa disposition, et d’autre part, qu’en appel a été produit un autre courriel de l’inspecteur, du 2 août 2021, indiquant qu'un entretien a eu lieu entre l'inspecteur du travail et le salarié  le 1er août 2018, postérieurement aux derniers courriels que la société Axa Banque a adressés à l'inspecteur du travail, à la suite duquel le salarié a demandé communication des pièces qu'il souhaitait plus précisément consulter.

(26 octobre 2023, Société Axa Banque, n° 467616)

 

108 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Demande d’expertise par le comité social et économique – Honoraires prévisionnels – Taxation par l’administration – Contentieux – Procédure – Annulation.

La société Kookaï ayant présenté au comité social et économique un projet de réorganisation et un projet de plan de sauvegarde de l'emploi, ce comité a décidé de recourir à l'assistance d'un expert-comptable (cf. art. L. 1233-34 du code du travail) et a mandaté à cette fin un cabinet d'expertise. Puis, au vu du montant des honoraires prévisionnels établi par ce dernier, la société  a contesté ce chiffre devant le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités. Ce dernier a ramené de ce montant de 166 020,00 euros à 124 000,00 euros. Par ailleurs, il a, ensuite validé l'accord collectif majoritaire fixant le contenu du PSE signé le 27 octobre 2021.

La société a contesté cette décision ; son recours a été rejeté pour cause de tardiveté par ordonnance d’une présidente de section du tribunal administratif de Paris qu’a réformé par substitution de motif la cour administrative d’appel selon laquelle la demande d’annulation de la décision taxant les honoraires d’expertise-comptable ne pouvait pas faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la contestation de la décision de validation de l'accord collectif portant PSE de la société.

Sur pourvoi de la société Kookaï, l’arrêt est cassé, donnant l’occasion au Conseil d’État d’apporter trois précisions de procédure.

En premier lieu, l'employeur est recevable à contester devant le juge administratif la décision de l'administration se prononçant sur le montant des honoraires prévisionnels de l'expert mandaté par le comité social et économique sur le fondement des dispositions de l'art. L. 1233-34 du code du travail.

En deuxième lieu, l’employeur conserve cette faculté même en l'absence de litige relatif à la décision de validation de l'accord collectif ou d'homologation du document unilatéral portant PSE.

En troisième lieu, enfin, si le recours de l’employeur doit être introduit dans le délai de deux mois à compter de la notification qui lui est faite de la décision de validation ou d'homologation, en revanche, le tribunal administratif saisi n'est pas tenu de statuer sur cette contestation dans le délai de trois mois applicable au contentieux du PSE parce que cette contestation constitue une procédure autonome de celle portant sur le PSE.

(31 octobre 2023, Société Kookaï, n° 467870)

 

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

109 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – Société représentante d’intérêts - Exercice d’une influence sur les décisions publiques préparant un appel d’offres - Mise en demeure d’effectuer une déclaration – Obligation de motivation – Période de référence retenue – Rejet.

Dans un souci de transparence, de loyauté et de démocratie, la loi du 11 octobre 2013 a prévu, en ses art. 18-1 à 18-9, l’obligation pour les organismes représentants d’intérêts (donc de lobbying comme il ne faut pas dire) de déclarer à la HATVP leurs relations avec les pouvoirs publics lorsque son activité principale ou régulière est d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication avec « un certain nombre de personnes exerçant des fonctions publiques ». À cet effet sont communiquées à la HATVP un certain nombre d’informations relatives à l’organisme concerné. À défaut, la HATVP, spontanément ou sur signalement, adresse, après une procédure contradictoire, une mise en demeure d’avoir à le faire et rend publique cette dernière. Des sanctions pénales assortissent cette exigence.

La requérante poursuit l’annulation de la délibération par laquelle la HATVP l’a mise en demeure de se conformer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa délibération,  à l’obligation de déclaration prévue à l'article 18-3 de la loi du 11 octobre 2013 et décidé de publier cette mise en demeure sur son site internet. 

Le Conseil d’État rejette le recours.

Sur la légalité externe, le juge, décide d’abord, ce qui n’allait pas de soi, que la mise en demeure, alors même qu’elle n'entre dans aucune des catégories de décisions administratives qui doivent être motivées en application de l'art. L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, doit identifier le manquement aux obligations mentionnées aux articles 18-3 ou 18-5 auxquelles elle invite le représentant d'intérêt à se conformer à l'avenir.  Examinant les faits et pièces, il constate que la HATVP a satisfait en l’espèce à cette exigence de motivation ainsi qu’il résulte des motifs de sa décision.

Sur la légalité interne, c’est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la HATVP a qualifié la requérante de représentante d’intérêts, d’abord en relevant que son président avait bien accompli, à dix reprises, sur une période de douze mois, des démarches visant à entrer en communication avec des responsables publics qui avaient pour « objet de mettre en avant le savoir-faire de cette société en vue d'intégrer sa technologie de géolocalisation dans le cadre des évolutions de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), alors que le ministère de la justice avait annoncé le lancement prochain d'un appel d'offres », ensuite en retenant une période de référence de douze mois continus pour apprécier la fréquence des démarches sans que la HATVP fût tenue de prendre en compte les « douze derniers mois » qui précédaient sa décision ou le début de la procédure contradictoire qui la précédait et enfin en estimant, notamment sur la base des déclarations des cabinets d'affaires publiques qui accompagnaient la société requérante dans ses rencontres avec les responsables publics, que ces rencontres avaient pour objet d'influer sur les caractéristiques d'un appel d'offres à venir en vue de la passation d'un contrat de la commande publique, et ne constituaient pas des contacts organisés dans le cadre du déroulement de cet appel d'offres.

(04 octobre 2023, Société Deveryware, n° 454659)

 

110 - Recours contre la délibération d’un conseil municipal désignant ses représentants dans une métropole et dans un établissement public dont elle est membre – Recours en matière électorale – Délai de cinq jours pour la saisine du juge non respecté – Rejet.

Rappel d’une jurisprudence constante : le recours de membres d’un conseil municipal contre la délibération de celui-ci désignant les représentants de la commune, ici à une métropole et à un établissement public territorial dont est membre cette commune, a la nature d’un recours en matière électorale. Il est donc enfermé dans le bref délai de cinq jours fixé par le code électoral (art. R. 119) car cette délibération n’est pas détachable de l’élection du conseiller territorial.

Ici, la désignation a eu lieu le 15 décembre 2021 et la protestation a été enregistrée le 2 février 2022, elle était donc irrecevable ainsi que l’a jugé le tribunal administratif.

Cette solution se justifie par la nécessité, en démocratie, que le contentieux des élections et des autres désignations soit purgé dans des délais brefs.

(11 octobre 2023, M. D. et Mme A., n° 464987)

 

Environnement

 

111 - Demande d’installation et d’exploitation d’un parc éolien – Refus préfectoral – Atteintes au paysage – Prise en compte des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires caractérisant un  paysage – Paysages proustiens – Rejet.

La solution n’est pas banale en ce qu’elle retient que la notion de paysage peut résulter d’une dimension littéraire. L’affirmation peut surprendre car cela ouvre d’immenses perspectives ainsi de la mare au diable de Sand, du petit Liré de Du Bellay ou de la colline de Sion pour Barrès. Il est vrai que le paysage en question dans la présente décision sert en partie de toile de fond à l’une des plus somptueuses œuvres littéraires en langue française, La Recherche de Marcel Proust. Et la commune d’Illiers, sur le territoire de laquelle se trouve ce paysage, s’est d’ailleurs rebaptisée pour s’incorporer le nom de Combray que lui donne cet auteur dans son ouvrage. C’est là qu’enfant il a mangé chez tante Léonie ce délicieux gâteau « qui semble avoir été moulé dans la valve rainurée d'une coquille Saint-Jacques ». Ah ! La madeleine…

La malheureuse société Combray Énergie ne s’imaginait pas, lorsqu’elle eut l’idée, funeste selon le juge, d’implanter ses huit éoliennes, qu’elle allait réveiller la terrible « malédiction » non pas du pharaon mais des innombrables proustophiles et proustolâtres dont certains hantent les couloirs du Palais-Royal.

Au commencement ce fut un refus opposé par une préfète (« préfète aux champs » peut-être ?) à la demande de cette société d’être autorisée à installer et à exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Montigny-le-Chartif et de Vieuvicq.

La société saisit le juge d’un recours en annulation de cette décision mais en vain les membres de la cour administrative d’appel avaient lu La Recherche… La cour a fondé son rejet du recours principalement sur la protection des paysages (art. L. 181-3 du code de l’environnement qui renvoie sur de point à l’art. L. 511-1 dudit code en matière de paysage) car le projet avait une incidence sur celui-ci. En outre, ce projet était prévu dans l’espace de visibilité de monuments protégés.

Toutefois, un paysage c’est normalement quelque chose livré à la préhension visuelle de tout un chacun, c’est ce qu’il donne immédiatement à voir. Or ici ce n’est pas pour ce qu’il donne à voir que le paysage a été considéré comme « offensé » par les éoliennes mais en raison des éléments mémoriels et littéraires qui y font référence. Il faut citer ici ce passage de la décision où pointe quelque lyrisme admiratif : « (…) la réalisation du projet de parc éolien risquerait de porter une atteinte significative notamment à l'intérêt paysager et patrimonial du site remarquable, classé au titre de l'article L. 631-1 du code du patrimoine, du village d'Illiers-Combray et de ses abords. La cour a relevé que le classement de ce site, qui a le caractère d'une servitude d'utilité publique, trouve son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l'œuvre de Marcel Proust, dont un parcours pédestre favorise la découverte. Elle a également relevé que le clocher de l'église d'Illiers-Combray et le jardin du Pré Catelan, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, sont classés au titre des monuments historiques. En prenant ainsi en considération des éléments qui ont trait aux dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires du paysage, pour juger que le projet litigieux n'était pas compatible avec l'exigence de protection des paysages résultant des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. »

Bref, « touche pas à mon Proust »…

La solution est d’autant plus audacieuse qu’il faudra encore inclure dans ce périmètre de la notion métaphysique de paysage son versant musical (la plage de Sète poétisée par Paul Valéry et chantée par Pierre Brassens) comme sa version picturale (la Sainte Victoire portraiturée par le génial Paul Cézanne, etc.). Pourtant, elle ne saurait être sans limite d’autant qu’après tout, en défense, il pourrait être soutenu que le ballet des hélices d’éoliennes se compare, dans sa gracieuseté, à « un vol de gerfauts hors du charnier natal » comme dirait Hérédia à moins que Baudelaire ne juge que, tel l’albatros, pour l’éolienne « ses ailes de géant l’empêchent de marcher ».

Bien sûr, d’autres motifs fondent la solution du juge (voyez les points 7 et 8 de la décision) mais celui sur lequel l’on vient d’insister est assurément le plus beau et l’on pourra disputer à l’infini de sa pertinence mais après tout le pouvoir souverain d’appréciation du juge n’est-il pas comparable au privilège du poète, à celui de l’écrivain caractérisant un paysage ?

(sur cette liberté de l’écrivain, cf. la position de Proust dans son Contre Sainte-Beuve, Gallimard, 1954, 1ère édit.)

(04 octobre 2023, Société Combray Énergie, n° 464855)

(112) V. aussi, annulant pour erreur de droit et pour qualification inexacte des faits l’arrêt qui, pour dire régulière une autorisation préfectorale d’installer et d’exploiter des éoliennes, estime, d’une part, que le critère de covisibilité avec des monuments historiques ne peut être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l'art. R. 111-27 du code de l'urbanisme au motif que le projet en cause était implanté en dehors du périmètre de protection résultant des art. L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine, (c’est l’erreur de droit) et, d’autre part, que l’avis sur l’évaluation environnementale avait été rendu conformément aux exigences de la directive du 13 décembre 2011 alors que l'avis de l'autorité environnementale avait été émis au terme d'une procédure ne garantissant pas l'indépendance de cette autorité (c’est la qualification inexacte des faits) : 19 octobre 2023, Association Les Hauts de l'Auxois, n° 466286.

 

113 - Régime de l’évaluation environnementale (décret du 25 mars 2022) – Demande d’instauration d’une « clause filet » en droit interne – Absence alléguée d’exécution d’une injonction du juge administratif – Annulation partielle.

Par sa décision du 15 avril 2021 (Association France Nature Environnement (FNE) et association France Nature Environnement Allier (FNE Allier), n° 425424), le Conseil d'État a :

-  d'une part, annulé le décret du 4 juin 2018 modifiant les catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale en tant qu'il exclut certains projets de toute évaluation environnementale sur le seul critère de leur dimension, sans comporter de dispositions permettant qu'un projet, mentionné à l'annexe de l'art. R. 122-2 du code de l'environnement, susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine, en raison d'autres caractéristiques telles que leur localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale.

- d'autre part, enjoint au premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision, les dispositions permettant qu'un projet susceptible d'avoir une telle incidence en raison d'autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale. 

Les requérantes demandent l'annulation du décret du 25 mars 2022 relatif à l'évaluation environnementale des projets qui a modifié les dispositions du code de l'environnement, du code forestier, du code général de la propriété des personnes publiques et du code de l'urbanisme, notamment afin d'exécuter cette injonction.

Sauf sur un point, les moyens soulevés sont rejetés.

Rappelons en préambule que le mécanisme dit de la « clause filet » a pour objectif de permettre que des projets, qui ne relèvent ni d'une évaluation environnementale de façon systématique, ni d'un examen au cas par cas en vertu des dispositions des art. L. 122-1 et R. 122-2 du code de l'environnement et de l'annexe à ce dernier article, soient néanmoins soumis à un examen au cas par cas s'ils apparaissent susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

Le juge écarte ce qui était sans doute pour les requérantes l’argument le plus fort, à savoir la méconnaissance par le dispositif de « clause filet » tel que défini au I de l’art. R. 122-1 du code de l’environnement soit des dispositions des art. L. 122-1 et L. 122-1-1 de ce code, soit de la chose jugée par la décision précitée du Conseil d’État. Ce dernier estime que les requérantes n’apportent pas d'éléments de nature à établir que la liste des projets figurant en annexe de l'art. R. 122-2 du code de l'environnement omettrait certaines catégories de projets qui auraient dû y figurer, notamment s'agissant des ouvrages de production d'électricité à partir de l'énergie solaire (rubrique 30) ou des premiers boisements et déboisements en vue de la reconversion des sols (rubrique 47) et que, de plus, le préfet, dans son appréciation qu’un projet est susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'art. R. 122-3-1 dudit code, peut retenir un projet relevant d'une catégorie qui ne serait pas mentionnée à l'annexe de l'art. R. 122-2.

La circonstance que le III de l’art. R. 122-2-1 a prévu que le maître d’ouvrage puisse spontanément saisir l‘autorité chargée de l’examen au cas par cas ne dispense évidemment pas l’autorité compétente de s'interroger sur les éventuelles incidences notables d'un projet sur l'environnement ou la santé humaine et de le soumettre à l'autorité chargée de l'examen au cas par cas.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions du III de l’art. L. 122-1-1 du code précité n’ont pas pour effet de soustraire à l’application de la « clause filet » les projets qui, bien que ne relevant d'aucun régime particulier d'autorisation ou de déclaration en droit interne ont néanmoins fait l'objet d'une évaluation environnementale, en raison de leurs incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

Sont également écartés comme manquant, pour les deux premiers, en fait (les moyens tirés du non-respect du principe de clarté et d'intelligibilité de la norme et du principe d'impartialité et la prévention des situations donnant lieu à un conflit d'intérêts) et pour les deux autres  en droit (les moyens relatifs à la motivation de la décision de ne pas soumettre un projet à l'autorité chargée de l'examen au cas par cas et au principe de participation du public).

En revanche, est retenu le moyen selon lequel le décret attaqué doit être annulé en tant qu'il ne prévoit pas d'exception aux dispositions de l'art. R*. 424-1 du code de l'urbanisme dans l'hypothèse où une déclaration préalable a fait l'objet d'une évaluation environnementale, à la suite de la mise en œuvre de la « clause filet » prévue au I de l'art. R. 122-2-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret attaqué.

(04 octobre 2023, Association France nature environnement, n° 465921 ; Union sociale pour l'habitat, Fédération des promoteurs immobiliers, Fédération française du bâtiment (pôle habitat) et Union nationale des aménageurs, n° 467653, jonction)

 

114 - Entreprises disposant de certaines flottes de véhicules - Obligation annuelle progressive d’acquisition de véhicules à faibles émissions – Principes d’égalité et de libre concurrence – Libertés du commerce et de l’industrie et d’entreprendre – Autres libertés – Rejet.

Rejet, hautement prévisible, d’un recours tendant à voir annulé le décret du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat et d'utilisation par les entreprises de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions.

Ce décret a été pris en exécution de l’art. 77 de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qui a introduit, afin de contribuer à l'objectif de neutralité carbone en 2050, un nouvel art. L. 224-10 dans le code de l'environnement, mettant à la charge des entreprises disposant de flottes de plus de 100 véhicules l'obligation de consacrer une part croissante du renouvellement annuel de leur parc à des véhicules à faibles émissions.

Après avoir rejeté les moyens de légalité externe, au reste assez peu convaincants, le juge s’attache à l’examen des critiques relevant de la légalité interne du décret litigieux.

Le syndicat requérant faisait grief à ce dernier de porter atteinte à diverses libertés économiques d’une part (1), et de comporter plusieurs erreurs manifestes d’appréciation, d’autre part (2).

 

1 – Atteintes alléguées à diverses libertés économiques

Aucune des libertés prétendument bafouées n’est reconnue comme telle par le juge. Ce décret est jugé ne porter atteinte  ni aux principes d'égalité et de libre concurrence, ni à la liberté du commerce et de l'industrie, ni, non plus, à la liberté d'entreprendre du fait qu’il ne s’applique pas à d'autres opérateurs économiques comme les sociétés de financement automobile car cette distinction a été posée par la loi non par le décret attaqué et comme, dans cette affaire, le Conseil d’État a refusé le renvoi d’une QPC dirigé contre ce même grief fait à la loi (2 août 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD (location longue durée) et des mobilités (SESAM LLD), n° 454045, voir cette Chronique juillet-août 2023 n° 156), la boucle est bouclée. Pas davantage, ces principes ne sont-ils violés par ce décret du fait qu’il exclurait de son champ d’application les entreprises qui gèrent des parcs de véhicules automobiles pour le compte de tiers sans en être propriétaires ou locataires si elles gèrent un parc de plus de cent véhicules car le silence des dispositions de l’art. R. 224-15-12 A du code de l'environnement ne conduit pas, contrairement à ce qui est soutenu, à les exclure du champ d'application de l'article L. 224-10 du même code.

Par ailleurs, ne sauraient être invoqués les principes communautaires de libre établissement et de libre prestation de services car les obligations instituées par ce décret ne sont applicables aux entreprises ayant leur siège dans un autre État de l'Union européenne que pour la part de leur flotte qu'elles gèrent en France.

 

2 – Prétendues erreurs manifestes d’appréciation

Sont également rejetées les prétendues erreurs manifestes d’appréciation qui entacheraient le décret litigieux :

- du fait qu’il fait peser ces charges sur les seules entreprises de location automobile et non sur certains autres opérateurs économiques proposant d'autres formules d'accès à l'automobile comme les sociétés de financement d'acquisition de véhicules car cette distinction résulte de la loi elle-même ;

- en ce qu’il retiendrait la prise en compte de véhicules dont le nombre ne pourrait être déterminé à l'avance, en effet les sociétés de location de véhicules de longue durée auront la possibilité, chaque année, à l'occasion de la signature des contrats d'acquisition, de location ou de prises en gestion de véhicules, de s'assurer qu'elles respectent les obligations de renouvellement prévues à l'art. L. 224-10 du code de l'environnement, lesquelles sont fixées en considération du stock de véhicules gérés directement ou indirectement ;

- en ce qu’il fixe un seuil de cent véhicules dont la gestion incombe à l'entreprise sans que celle-ci n'en soit propriétaire ou utilisatrice car ce décidant, le décret attaqué se borne à expliciter les critères prévus par l'art. L. 224-10 précité. 

(11 octobre 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités, n° 454045)

 

115 - Pollution atmosphérique – Emploi de pesticides – Demande d’édiction d’une réglementation protectrice – Carence non établie par les écritures des demandeurs – Rejet.

Le collectif requérant demandait au ministre de l’écologie l’édiction d’une réglementation protectrice de la population contre la pollution de l’air et les pesticides. Il invoquait au soutien de sa démarche diverses documentations dont aucune ne concernait l’objet du litige, portant sur l’eau, le sol et le sous-sol, les usages professionnels, etc., ou des risques sur la santé humaine autres que ceux dénoncés dans sa requête.

De sorte que le juge estime, non sans quelque sévérité, que les requérants ne justifient pas de l'existence d'une carence illégale de l'État à prendre des mesures utiles pour réglementer et protéger la population contre la pollution de l'air par les pesticides. 

On a vu le juge être plus audacieux dans la « compréhension » des requêtes dont il est parfois saisi…

(13 octobre 2023, Collectif des maires antipesticides, n° 463247)

 

116 - Dérèglement climatique – Recul du trait de côte – Régime applicable aux immeubles exposés – Expropriation ou préemption – Libre administration des collectivités territoriales – Bail réel immobilier – Dérogations au droit de l’urbanisme engendrées par le recul du trait de côte – Refus de transmettre une QPC et rejet du surplus.

La décision que l’on présente est d’une grande importance : sa publication au Recueil Lebon et sa reddition sous forme d’une décision de Section eussent été bienvenues.

Parmi les inconvénients nés de l’évolution climatique, l’érosion et la montée des eaux en sont une des manifestations, ceci a pour effet de provoquer un recul de la côte, notamment maritime, la faisant se rétracter vers l’intérieur des terres. Cette situation a des retentissements divers : sort des immeubles côtiers régulièrement construits, devenir du domaine public maritime et de la bande des cent mètres, valeur des terres à l’existence temporaire, fiscalité, droit de succession sur des biens en voie de réduction constante, etc.

Le législateur s’est emparé de cette question par l'ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte.

De cette ordonnance, les associations requérantes demandaient l’annulation par la voie du recours pour excès de pouvoir (II) et invoquaient à son encontre une QPC (I).

Ces requêtes sont – comme cela était très prévisible – rejetées.

 

I/ Sur la QPC

 

Au soutien de leur action en QPC, les associations faisaient valoir, brevitatis causa, deux séries de moyens, les uns touchant au principe de libre administration locale (a), les autres de caractère plus ou moins directement financier (b).

 

a/ Le principe de libre administration des collectivités territoriales

 

Avant d’aller plus loin, il faut en finir avec un mythe, celui du caractère constitutionnel du principe de libre administration des collectivités locales. Cette nature juridique n’est que cosmétique, elle donne à voir une apparence non la réalité sous-jacente.

Ceci se comprend fort bien dans le cadre de la conception juridique française de l’État : en droit français seul l’État est premier car seul il est, juridiquement, un être « naturel » et donc doté d’une légitimité primaire. Au contraire, les collectivités n’existent - toujours en se situant sur le seul plan juridique qui contredit ici absolument la vérité historique, géographique, sociologique ou autre -, que parce que l’État en a ainsi décidé, elles pourraient ne pas exister, exister autrement, disposer de plus ou de moins de prérogatives et de charges, etc. Bref, elles ne se situent pas au même niveau, elles ne font jamais jeu égal avec l’État, le Conseil d’État n’ayant jamais fait mystère de sa conviction profonde sur ce sujet.

Il faut donc se résoudre à l’évidence : si le statut et la liberté de l’État sont de rang constitutionnel tel n’est pas le cas de la libre administration des collectivités. Ou, pour le dire moins brutalement et de façon politiquement correcte c’est-à-dire, comme toujours, sous forme de charabia, il faut créer une distinction hiérarchique entre un niveau constitutionnel de premier rang, celui de l’État, souverain et altier, et un niveau constitutionnel de second rang, celui des collectivités, humbles prestataires de services. Mais alors, bonjour la hiérarchie des normes s’il existe à l’intérieur d’une même norme des niveaux différents. Mais laissons ces tourments à Kelsen en son éternité.

Les requérants en QPC invoquaient le principe de libre administration à deux reprises.

En premier lieu, les associations requérantes soutenaient que l’institution d’un droit de préemption spécifique pour les biens concernés méconnaît le principe de libre administration des collectivités territoriales, le législateur n'ayant pas prévu de ressources particulières pour la mise en œuvre de ce droit. Le juge rejette le moyen car l'usage de ce droit constitue une simple possibilité pour les communes concernées, qu'elles pourront décider de mettre en œuvre en prenant en considération, notamment, les ressources dont elles disposent. On s’abstiendra de qualifier l’argument.

Il ne s’agit tout de même pas d’une simple extension du champ d’application du droit de préemption mais bien de l’institution d’une compétence entièrement nouvelle – la préemption de biens appelés à disparaître - nécessitant la prévision de ressources en rapport.

En second lieu, il était soutenu en demande que les dérogations aux dispositions du code de l'urbanisme propres au littoral en vue de permettre la relocalisation des constructions, ouvrages ou installations menacés par l'évolution du trait de côte que prévoient les art. L. 312-8 et L. 312-9 du code de l'urbanisme, en subordonnant (cf. art. L. 312-9) cette relocalisation à « l'accord de l'autorité administrative compétente de l'État » méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales en ce qu'elles instaureraient une tutelle de l'État en matière d'urbanisme. Le moyen, qui n’était pas sans valeur, est écarté en vertu du mantra selon lequel ces mesures « ne portent pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte qui excèderait la réalisation de l'objectif d'intérêt général poursuivi par les nécessités de protection de l'espace particulièrement sensible que constitue le littoral. » 

 

b/ Les autres arguments

 

En premier lieu, les requérantes critiquaient les dispositions du code de l’urbanisme (art. L. 219-7) et du code de l'expropriation (art. L. 322-2) insérées par l'ordonnance attaquée car le législateur y aurait méconnu l'étendue de sa compétence et porté atteinte au droit de propriété en omettant de prévoir qu'il serait tenu compte, dans la fixation de l'indemnité d'expropriation, de l'état des ouvrages de protection et des stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte. Le juge récuse cette argumentation en faisant observer que le législateur a, au contraire, garanti la prise en compte de la situation particulière de chaque bien d’abord en ce que l'évaluation des biens immobiliers concernés relève, à défaut d'accord amiable, du juge judiciaire, compétent en matière d'expropriation et ensuite en tenant compte de l'exposition du bien au recul du trait de côte

En second lieu, il était soutenu que les dispositions, notamment, des art. L. 321-18 et L. 321-25 du code de l'environnement, relatives au « bail réel d'adaptation à l'érosion côtière », en particulier concernant la renaturation des lieux, auraient pour effet de mettre à la charge de la seule collectivité publique locale le coût de la remise en état du terrain, méconnaissant ainsi les dispositions de l'art. 4 de la charte de l'environnement selon laquelle « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». Le moyen est prestement rejeté par le motif que l'opération de renaturation prévue par les dispositions précitées ne constitue pas, en tant que telle, la réparation d'un dommage à l'environnement, ce qui exclut l’invocation à cet égard de l’art. 4 de la charte précitée. Un peu moins de laconisme n’aurait pas été superflu.

 

II/ Sur le recours pour excès de pouvoir

 

Quatre moyens étaient avancés, tous rejetés

 

Tout d’abord, le grief tenant à la procédure de consultation n’est pas retenu car la consultation du public sur l'ordonnance attaquée est intervenue entre le 3 et le 24 mars 2022, alors que le Conseil national d'évaluation des normes, dont la consultation était obligatoire en application des dispositions de l'art. L. 1212-2 du CGCT, a examiné le projet d'ordonnance lors de sa séance du 25 mars 2022, soit à une date où ne pouvait lui être transmise la synthèse des observations et propositions du public. La motivation de ce rejet laisse dubitatif.

Ensuite, s’agissant des modalités d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, le juge réfute trois moyens.

1°/ Dès lors que les dispositions du 3° du I de l'article 248 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets autorisaient le Gouvernement à prendre par ordonnance de l’art. 38 toute mesure définissant les modalités d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, l’ordonnance litigieuse pouvait, sans méconnaître le champ de l'habilitation législative, prévoir que pour tous les biens situés dans une zone exposée au recul du trait de côte les modalités d'évaluation soient celles prévues à l'art. L. 219-7 du code de l'urbanisme issu de l'article 1er de cette même ordonnance, y compris pour ceux des biens entrant dans le champ des art. L. 561-1 et L. 561-3 du code de l'environnement relatifs à l'expropriation pour risques naturels majeurs.

2°/ Parce que le propriétaire d'un bien soumis à l'érosion côtière est placé dans une situation différente de celle des propriétaires de biens soumis à d'autres risques naturels majeurs, l'ordonnance a pu prévoir un mécanisme d'évaluation propre aux biens soumis au recul du trait de côte et cela sans méconnaître le principe d'égalité. Là encore l’« argumentation », s’il s’agit bien de cela, peine à  convaincre.

3°/ Il ne saurait être reproché à l’ordonnance attaquée le fait qu’elle ne prévoit pas de prendre en compte, au titre de la méthode d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, l'état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, ainsi que les mesures d'accompagnement car une telle exigence ne résulte pas des termes de la loi d'habilitation. Ainsi, en prévoyant que cette méthode se ferait « en tenant compte de l'exposition du bien au recul du trait de côte », l'art. L. 219-7 du code de l'urbanisme issu de l'article 1er de l'ordonnance attaquée, est resté dans les limites fixées par la loi d'habilitation. 

Également, pour ce qui est du bail réel immobilier, c’est à tort que les requérantes font soutenir que l'ordonnance attaquée, en instituant à son article 5 (devenu les art. L. 321-18 et L. 321-25 du code de l'environnement), le régime de ce type ce bail, aurait contrevenu aux termes de la loi d’habilitation (1° de l'art. 248 de la loi du 22 août 2021 précitée). En particulier en ce qu’ils reprochent à cette ordonnance de faire peser sur la collectivité publique le coût de la renaturation et de la dépollution en fin de bail, ce  qui serait également contraire, à la fois, à un principe général du droit selon lequel ce serait au preneur de remettre les lieux en l'état et au principe constitutionnel du pollueur-payeur ainsi qu’à la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. En effet, estime le juge, d’une part, la loi du 22 août 2021 précitée, en autorisant la création d’un nouveau bail réel immobilier, imposait nécessairement aux auteurs de l'ordonnance, d'en préciser le régime juridique, d'autre part, il n’existe aucun principe général du droit impliquant qu'il incomberait nécessairement au preneur à bail de remettre les lieux en l'état et, enfin, la directive précitée n’est pas applicable au bail réel immobilier institué par l'ordonnance attaquée. Au reste, il se déduit des dispositions de l'art. L. 321-25 et de l'article L. 321-21 du code de l'environnement, que le coût de la renaturation et de la dépollution du terrain pourra être pris en charge par le preneur à bail. 

Enfin, sur les possibilités de déroger aux dispositions du code de l'urbanisme propres au littoral, le juge n’y aperçoit nulle violation des termes de la loi d’habilitation et relève qu’elles sont limitées et encadrées aux seules dispositions relatives au littoral.

(13 octobre 2023, Association nationale des élus du littoral et association des maires de France, n° 464202)

 

État-civil et nationalité

 

117 - Décision rapportant un décret de naturalisation – Changement de situation familiale en cours d’instruction – Absence d’information de l’autorité administrative - Rejet.

Rappel, classique et récurrent, de ce que le candidat à la naturalisation française qui, durant l’instruction de sa demande, n’informe pas l’autorité administrative saisie de son dossier ou n’est pas en état de prouver qu’il l’a fait, de l’existence d’un changement dans sa situation familiale, ici le fait d’avoir contracté mariage avec une ressortissante étrangère résidant à l’étranger, s’expose à voir retirer le décret qui avait autorisé sa naturalisation.

(03 octobre 2023, M. E., n° 466617)

(118) V., la solution identique retenue envers une ressortissante tunisienne qui, antérieurement au décret de naturalisation, du 21 mars 2014, publié au J.O. du 23 mai 2014, avait, sans le déclarer, contracté mariage le 6 février 2014 avec un compatriote résidant habituellement à l’étranger : 23 octobre 2023, Mme C., n° 469769.

(119) V. aussi, très voisin, approuvant le retrait d’un décret de naturalisation accordé le 23 octobre 2015 à un ressortissant sénégalais qui a, ensuite, sollicité la transcription sur les registres de l'état-civil français des actes de naissance de ses deux enfants mineurs résidant à l'étranger, nés respectivement le 3 octobre 2012 et le 5 mai 2014, révélant ainsi avoir menti sur sa situation familiale lors de l’instruction de sa demande de naturalisation : 03 octobre 2023, M. B., n° 468147.

(120) V. encore, identique au précédent, le rejet d’une demande d’annulation du retrait d’un décret de naturalisation fondé sur ce qu’un ressortissant malien, naturalisé par décret du 20 septembre 2019, a sollicité la transcription sur les registres de l'état-civil français de son enfant, né le 18 octobre 2012 à Bamako (Mali), résidant habituellement au Mali, révélant le caractère mensonger de sa déclaration d’être célibataire et sans enfant lors de sa demande de naturalisation : 23 octobre 2023, M. B., n° 468925.

(121) V., dans le même sens, pour un ressortissant marocain qui a déclaré un mariage en 2007 avec une femme dont il a un enfant mais n’a pas informé le service instructeur de sa demande de naturalisation de l’existence d’un premier mariage, en 2001, et d’une épouse et de trois enfants reconnus par lui et auxquels il a régulièrement rendu visite et avec lesquels il a cohabité : 24 octobre 2023, M. C., n° 466708.

(122) V. également, rejetant une telle demande pour absence d’établissement d’une urgence propre à démontrer en l'état de l'instruction, que l'exécution du décret de retrait de naturalisation contesté serait, par elle-même, de nature à préjudicier gravement et immédiatement à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il invoque : ord. réf. 11 octobre 2023, M. B., n° 488703.

(123) V., plus originale, l’annulation, pour erreur de droit, d’une ordonnance de référé refusant à une ressortissante bangladaise la suspension d’exécution du retrait d’une carte pluriannuelle de séjour au motif qu’elle avait mis plus de deux mois pour saisir le juge des référés, une telle circonstance n’étant pas de nature, à elle seule, à renverser la présomption d’urgence applicable à un retrait de titre de séjour : ord. réf. 23 octobre 2023, Mme B., n° 468980.

 

124 - Demande de certificat de nationalité française – Rejet – Ordre de restituer la carte nationale d’identité et le passeport – Obligation de saisir le juge judiciaire – Compétence liée - A défaut, impossibilité de contester la légalité de la décision de restitution – Erreur de droit – Annulation.

Le directeur des services de greffe du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de certificat de nationalité française déposée par le requérant et, en conséquence, le préfet lui a demandé de restituer sa carte nationale d’identité et son passeport français.

Le juge des référés ayant rejeté sa requête en suspension de l’exécution de la décision préfectorale, M. D. se pourvoit en cassation de cette ordonnance de rejet.

Le Conseil d’État est à la cassation en raison de l’erreur de droit commise par le juge des référés en ce qu’il a fondé son ordonnance sur le fait que le demandeur ne justifiant pas avoir exercé devant la juridiction civile compétente un recours contre le refus de certificat de nationalité française qui lui a été opposé par le directeur des services de greffe du tribunal judiciaire de Paris, il ne pouvait utilement contester la légalité de la décision du préfet, et notamment faire valoir qu'il est français par filiation car le préfet se trouvait en situation de compétence liée. 

Inaugurant une jurisprudence nouvelle, le Conseil d’État estime que l’administration, en pareille situation, ne se trouve pas en situation de compétence liée la contraignant à exiger de l’intéressé la remise des documents d’identité. Il incombait au juge saisi, alors que le certificat de nationalité n'est que l'un des moyens de preuve de la nationalité française, d'apprécier si, au vu des justificatifs éventuellement présentés par l'intéressé, il existait un doute suffisant sur sa nationalité.

Statuant au fond, le juge estime que sont réunies les deux conditions nécessaires à l’octroi d’une suspension d’exécution de la décision préfectorale : doute sérieux sur la juridicité de la décision préfectorale, qui n’a pas été précédée d’une procédure contradictoire préalable, et urgence car l’intéressé, qui réside et travaille au Royaume-Uni, serait susceptible de s'exposer à une rupture de son contrat de travail. 

(ord. réf. 10 octobre 2023, M. D., n° 470174)

 

125 - Déclaration en vue d’acquérir la nationalité française – Mariage avec une ressortissante française – Opposition pour indignité – Rejet.

Le Gouvernement n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil en s’opposant à la déclaration d’un ressortissant tunisien marié à une française en vue d’acquérir la nationalité française, en se fondant sur ce que celui-ci, président de l'association gestionnaire d'une mosquée à Romainville, a eu une responsabilité particulière dans le recrutement et le maintien en fonction de l'un des prédicateurs, M. B., connu pour des propos d'une teneur radicale et violente, en particulier sur les réseaux sociaux, encourageant la propagation de thèses contraires ou hostiles aux valeurs essentielles de la société française. En outre, les prétendus changements de comportement de M. B. sont contredits en particulier par les positions prises lors de l'attentat de Nice en octobre 2020. Par suite, en prenant la décision querellée, le Gouvernement ne s’est pas fondé sur des faits matériellement inexacts et n’a pas entaché sa décision d'une erreur dans l'appréciation du comportement du requérant.

(24 octobre 2023, M. E., n° 469227)

 

Étrangers

 

126 - Avis de droit – Demandes de titre de séjour incomplètes – Régime – Demandes de titre de séjour par des demandeurs d’asile – Régime.

Répondant à plusieurs questions du tribunal administratif de Dijon, le Conseil d’État précise les régimes applicables aux demandes de titre de séjour incomplètes, d’une part, aux demandes de titre de séjour formulées par des demandeurs d’asile, d’autre part.

S’agissant des demandes de titre de séjour incomplètes, le juge indique d’abord que le caractère spécial des dispositions du CESEDA concernant le traitement des demandes de titres de séjour, notamment celles incomplètes, a pour effet d’écarter celles de l’art. L. 114-5 du CRPA, en vertu du principe que la loi spéciale déroge aux lois générales (lex specialis generalibus derogat). Il ajoute aussi que le refus d’enregistrer une demande incomplète ne peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir si elle est réellement incomplète. En revanche, lorsque la demande incomplète émane d’un demandeur d’asile dont la demande n’a pas été rejetée, le titre de séjour ne peut pas être refusé pour incomplétude des documents.

S’agissant des demandes de titre de séjour formulées par des demandeurs d’asile, lorsque la demande d'asile relève de la compétence de la France, l'étranger se voit remettre au moment de son enregistrement, une attestation de demande d'asile qui l'autorise à rester sur le territoire.

Si l’étranger demandeur d'asile a été dûment informé des conditions dans lesquelles il peut solliciter son admission au séjour sur un autre fondement et s’il formule une demande de titre de séjour après l'expiration du délai qui lui a été indiqué pour le faire, l'autorité administrative peut rejeter cette demande pour sa tardiveté sauf si l'étranger fait valoir un motif de délivrance d'un titre de séjour apparu postérieurement à l'expiration de ce délai. En ce cas, aucun nouveau délai ne lui est opposable pour formuler sa demande de titre. Cependant, l'étranger ne peut se prévaloir pour la première fois devant le juge d'une telle circonstance.

Enfin, la tardiveté de la demande de titre formulée par l'étranger ayant présenté une demande d'asile peut constituer l'un des motifs de la décision de refus de titre prise après le rejet définitif de sa demande d'asile ou fonder un refus d'enregistrement de la demande de titre, dont l'étranger sera recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir.

On mesure dans quels abîmes de perplexité peuvent parfois être plongées les administrations et les juridictions ayant à gérer ces situations diverses, enchevêtrées au possible et reposant sur l’impossible et instable et subjectif compromis entre une certaine rigueur nécessaire et une compassion qui peut être légitime.

(10 octobre 2023, M. I. M. E., n° 472831)

 

127 - Retrait d’un titre de séjour – Titre fondé sur une attestation frauduleuse d’hébergement – Caractère non déterminant de ce défaut – Erreur de droit – Annulation.

Le juge des référés a suspendu les décisions du préfet de Mayotte retirant à la demanderesse son titre de séjour et lui ordonnant de ne plus paraître durant trois ans sur le territoire français. Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation de son ordonnance.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance en relevant que l’attestation d’hébergement produite par la requérante à l’appui de sa demande de titre de séjour avait été établie par une personne qui a signé cent trente fausses attestations et a été, pour cela, condamnée pénalement, ce que le premier juge a admis mais celui-ci a cru devoir estimer qu'il n'était pas établi que cette attestation, reconnue comme apocryphe, aurait déterminé le préfet à délivrer ce titre.

Ce juge a ainsi commis une erreur de droit car une pièce justificative de domicile, qui est au nombre des pièces à fournir par le demandeur pour la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour (cf. annexe 10 du CESEDA), constitue l'un des éléments permettant au préfet d'apprécier la stabilité des liens du demandeur de titre avec la France et l’état de ses conditions d’existence (cf. art. L. 423-23 du CESEDA).

(13 octobre 2023, ministre de l’intérieur, n° 474868)

 

128 - Refus d’enregistrer une demande de titre de séjour – Irrecevabilité pour tardiveté – Préfet tenu de se prononcer sur le droit au séjour après annulation par le juge d’une OQTF – Erreur de droit – Annulation.

Un ressortissant géorgien, après que lui a été refusée, par l’OFPRA, sa demande d’asile, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral portant à son encontre obligation de quitter le territoire français (OQTF). Cet arrêté ayant été annulé par le tribunal et celui-ci ayant ordonné le réexamen de la situation de l’intéressé par le préfet, ce dernier, saisi d’une demande de titre de séjour, l’a rejetée en raison de sa tardiveté. Le tribunal a annulé ce refus et enjoint le préfet d’enregistrer la demande de titre de séjour. Sur appel du préfet, la cour administrative d’appel a annulé le jugement et rejeté la demande d’enregistrement.

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État annule l’arrêt comme étant entaché d’erreur de droit  car, juge-t-il, le préfet ne pouvait pas refuser l'enregistrement de la demande de titre de séjour au motif que cette demande était irrecevable car tardive, alors qu'il était tenu de se prononcer sur le droit au séjour de l'intéressé après l'intervention du jugement par lequel le tribunal administratif avait annulé l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de l'intéressé.

(17 octobre 2023, M. A., n° 468993)

 

129 - Demande de rétablissement rétroactif des conditions matérielles d’accueil – Absence de vulnérabilité particulière – Absence d’élément nouveau – Rejet.

Rejet du recours d’un ressortissant afghan dirigé contre le refus du premier juge des référés d’accéder à sa demande qu’il soit fait injonction à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de lui rétablir rétroactivement le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

Le Conseil d’État relève que l’ordonnance attaquée énumère ses motifs de rejet (entretien particulier accordé, examen médical, absence de vulnérabilité particulière) sans que, en appel (s’agissant d’un référé liberté), le demandeur n’apporte d’éléments nouveaux.

(ord. réf. 17 octobre 2023, M. B., n° 488839)

 

130 - Ressortissante italienne – Affirmation d’occuper une activité professionnelle en France – Demande de délivrance d’un titre de séjour – Refus – Absence de ressources suffisantes - OQTF – Erreur de droit – Annulation.

Pour rejeter la demande d’une ressortissante italienne, Mme B., d’annulation d’un arrêté préfectoral portant OQTF à son encontre, le président de chambre d’une cour administrative d’appel s’est fondé, au visa de l’art. L. 511-3-1, 1°, point 2, du CESEDA, sur ce que les missions d'intérim qu'elle avait accomplies et les revenus générés par l'activité de son mari ne permettaient pas de regarder le foyer comme disposant de ressources suffisantes pour assurer l'entretien de la famille. Le Conseil d’État annule cette ordonnance en ce qu’elle repose sur une erreur de droit dès lors que les conditions d'exercice professionnel et de ressources, mentionnées aux 1° et 2° de l'article L. 121-1 de ce code, sont alternatives et non pas cumulatives. Ainsi, la cour ne pouvait pas rejeter la demande de Mme B. en se prononçant sur la seule seconde condition sans vérifier si la première était satisfaite.

(23 octobre 2023, Mme B., n° 464466)

 

131 - Placement en zone d’attente – Refus d’entrée sur le territoire français – Absence de fourniture les documents légalement requis – Rejet.

Le requérant, ressortissant marocain, n’est pas fondé à se plaindre que le ministre de l’intérieur l’a placé en zone d’attente et lui a refusé l'entrée sur le territoire français dès lors qu’il n’a pas fourni les documents requis par l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour être autorisé à entrer sur le territoire français. Cette situation ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux droits et libertés.

(ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489050)

(132) V., même solution pour un ressortissant tunisien : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489052.

(133) V. aussi, identique, pour un autre ressortissant tunisien : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489053.

(134) V. encore, identique, pour un autre ressortissant marocain : ord. réf. 31 octobre 2023, M. B., n° 489054.

(135) V. également, identique, à nouveau pour un ressortissant marocain : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489055.

(136) V., pour un ressortissant ghanéen : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489049 ou, pour un ressortissant libanais : ord. réf. 31 octobre 2023, M. Fayez Al Sayad, n° 489051.

 

137 - Étranger – OQTF – Interdiction de retour et placement en rétention administrative – Éléments insuffisants ou non corroborés – Rejet.

Le juge des référés du Conseil d’État estime que c’est sans erreur de droit que le juge du référé liberté a rejeté, en première instance, le recours d’un ressortissant congolais tendant, d’une part,  à voir suspendue l’exécution de l’arrêté du préfet de Mayotte lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d'une interdiction de retour pendant un an avec placement en rétention administrative et, d’autre part, à ce qu’injonction soit faite à cette autorité de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ainsi que d'organiser aux frais de l'État son retour en cas de mise à exécution de la mesure d'éloignement. 

Aucun des moyens soulevés n’a convaincu les juges successifs.

L'ordonnance attaquée mentionne que ni le conseil de M. B., ni ce dernier n'étaient présents à l'audience publique des référés du tribunal administratif de Mayotte. Une telle mention faisant foi jusqu'à preuve contraire, en l’espèce cette preuve n'est pas apportée par le requérant qui se borne à alléguer que si son avocat était absent, la parole ne lui a pas été donnée alors qu'il était présent au tribunal.

L’attestation d'hébergement par une personne bénéficiaire de la reconnaissance d'une protection internationale produite par le requérant ne permet pas de préciser la nature de ses relations avec cette personne ; en outre, le requérant ne peut se prévaloir de la qualité de demandeur d'asile dès lors que la validité de l'attestation de demande d'asile produite au soutien de son recours avait expiré. 

Enfin, il n’est établi par aucun élément le caractère sérieux des affirmations selon lesquelles sa vie serait menacée en raison de ses idées politiques en cas de retour au Congo ou qu’il serait susceptible de trouver un emploi auprès d'entreprises du bâtiment ou encore qu’il serait en situation de mener une vie maritale et sociale paisible.

Faute de démontrer que la mesure d'éloignement dont il fait l'objet serait de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, l’appel contre l’ordonnance de rejet rendue en première instance est rejeté. 

(ord. réf. 31 octobre 2023, M. B., n° 489018)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

138 - Professeur dans un conservatoire municipal – Allégations de harcèlement moral – Irrégularité prétendue des comptes rendus d’entretien professionnel – Refus d’accorder la protection fonctionnelle - Rejet.

La requérante, professeur de danse dans un conservatoire municipal, a demandé l’annulation du refus de son administration de lui accorder la protection fonctionnelle dans un litige résultant de ses allégations d’être victime de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et de ses collègues ainsi que des irrégularités qui auraient entaché les comptes rendus de ses entretiens professionnels.

Le recours est rejeté en tous ses moyens.

Le juge de cassation estime que la cour administrative d’appel, en rejetant le recours dont elle était saisie s’agissant des faits de harcèlement, n’a ni insuffisamment motivé sa décision, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ni commis d'erreur de droit. Celle-ci a bien, conformément aux exigences qui lui étaient imparties dans un dossier de harcèlement, correctement analysé puis apprécié les faits dénoncés devant elle : relations conflictuelles entre l’intéressée avec sa hiérarchie s’étant poursuivies sous deux responsables de département et deux directeurs différents, caractère dégradé des locaux ne relevant pas de la responsabilité du conservatoire, absence d'animosité systématique et répétée à son égard de la part de ses supérieurs hiérarchiques ou de ses collègues. C’est donc à bon droit que la cour a conclu que les faits prétendus de harcèlement n’étaient pas établis.

Semblablement, la cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en jugeant que, contrairement à ce que soutenait la requérante, celle-ci n’établissait pas davantage le caractère irrégulier des comptes rendus d’entretiens professionnels notamment en relevant qu’en raison des relations conflictuelles entretenues par Mme A. avec sa supérieure hiérarchique directe, 
l'entretien professionnel de la requérante au titre de l'année 2014 s'est tenu en présence à la fois de cette dernière et du directeur du conservatoire, ce qui n’a pas entaché cet entretien d’irrégularité, et qu'en 2015 Mme A. a été placée sous la responsabilité directe du directeur du conservatoire, de sorte que l'entretien professionnel au titre de cette année n'a été mené que par ce dernier.

(04 octobre 2023, Mme A., n° 452910)

 

139 - Demande d’exécution intégrale d’un jugement annulant une décision d’admission d’un agent hospitalier à faire valoir ses droits à la retraite– Rejet de cette demande fondé sur la méprise d’une cour d’appel sur la portée de ce jugement – Annulation.

Se méprend sur la portée d’un jugement et encourt annulation, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui rejette une demande d’exécution intégrale de ce jugement au motif que l'indemnité accordée à la requérante  par celui-ci réparait une perte de revenus et conservait à ce titre le caractère d'un revenu imposable sous le régime des salaires et soumis aux retenues et prélèvements sociaux dont les cotisations à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) alors que la somme allouée par le tribunal avait pour objet de réparer le préjudice ayant résulté non pas de l'éviction illégale de Mme A., mais des manquements de son employeur dans la gestion de son dossier de retraite, qui ne lui ont pas permis de percevoir sa pension de retraite au plus tard en mars 2011 et, si cette somme pouvait bien être calculée à partir du décompte de pension établi en 2014, elle n'était en revanche pas assujettie à des cotisations de retraite.

(10 octobre 2023, Mme A., n° 460584)

 

140 - Agents des services hospitaliers – Comportements inappropriés envers des femmes, collègues ou patientes – Sanction – Absence de caractère disproportionné – Annulation – Rejet au fond.

Un agent hospitalier a fait l’objet d’une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans en raison de comportements déplacés envers les femmes, ses collègues ou des patientes. Sur sa saisine, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l’exécution de cette sanction ; l’intéressé se pourvoit.

Le juge de cassation annule l’ordonnance de suspension pour dénaturation des faits en ce qu’elle a estimé que le caractère disproportionné de la sanction était de nature à créer un doute sérieux sur sa juridicité. A cet effet, il est indiqué qu’il résulte du rapport de saisine du conseil de discipline, établi après neuf entretiens conduits par la direction des ressources humaines, des témoignages de plusieurs médecins et collègues de M. A. et du rapport de signalement établi par une cadre de santé, que ces documents attestent de manière circonstanciée que celui-ci a fait preuve de manière répétée d'un comportement inapproprié tant à l'égard de ses collègues femmes que de patientes. La sanction n’est pas disproportionnée d’autant que les écritures du requérant ne sont pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits.

(ord. réf. 10 octobre 2023, CHU de Poitiers, n° 472124)

 

141 - Fonctionnaires de police – Bonification spéciale ou bonification du 1/5ème – Absence de prise en compte en position de mise à disposition – Illégalité – Annulation sans injonction.

La loi du 8 avril 1957 institue un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police et l'art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite crée un avantage consistant en une bonification spéciale (dite BSFP) égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police sans que le plafond en résultant n’excède cinq années.

Une note du ministre de l'intérieur du 4 juillet 2016 a décidé que « le policier mis à disposition ne bénéficie pas du classement en catégorie active, ni de la BSFP, même s'il exerce des tâches analogues à celles exercées par un policier. Il s'agit de l'application de l'article L. 73 du code des pensions qui ne reconnaît le maintien des avantages spéciaux attachés à l'accomplissement de services actifs, seulement aux fonctionnaires détachés dans un emploi similaire ».

Les requérants demandent au Conseil d'État d'annuler cette disposition de la note de service du 4 juillet 2016 et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de rectifier en conséquence leur convention de mise à disposition, en tant qu'elle reproduit les dispositions contestées.

Le juge accède à ces demandes.

Il relève, en effet, d’abord, que la bonification litigieuse, qui consiste en un avantage d’ancienneté, est attachée à la nature des fonctions que ces agents exercent en position d'activité. Un fonctionnaire de police placé en position de mise à disposition a donc droit au bénéfice de la bonification d'ancienneté pour autant que les fonctions qu'il exerce soient analogues, par leur nature et les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'exercent les fonctionnaires actifs de police conformément aux dispositions du code de la sécurité intérieure (art. L. 411-2 et R. 411-2).

Le juge relève ensuite qu’en raison de l’objet de l’art. L. 24 du code des pensions précité, les fonctionnaires relevant des différents corps et grades des personnels actifs de la police nationale, qui sont, dans leur ensemble, classés dans la catégorie active par le tableau annexé au même code conformément à l'article R*. 34 de ce code, en bénéficient lorsqu'ils sont mis à disposition dès lors que l’art. 41 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État prévoit que le fonctionnaire mis à disposition est réputé occuper son emploi. À cet égard c’est en vain que le ministre de l'intérieur, défendeur, prétend dénier le bénéfice de cet avantage aux requérants en se prévalant des dispositions de l'art. L. 73 du code des pensions précité car celles-ci ne s'appliquent qu'à certains fonctionnaires détachés.

Le passage contesté de la note attaquée est entaché d’illégalité et annulé.

(11 octobre 2023, M. E., n° 454135 ; M. D., n° 454137 ; M. G., n° 454138 ; M. A., n° 454139, jonction)

 

142 - Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts – Fonction occupée ayant été supprimée – Radiation des cadres pour abandon de poste – Agent demeuré sans affectation régulière – Annulation.

Le requérant, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, a été affecté le 14 janvier 2015 à la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère chargé de l'agriculture. Cette fonction a été supprimée en mars 2019 par suite d’une réorganisation du service. L’intéressé n’a pas été affecté dans l'entité qui a repris les missions de cette structure. En dépit d’échanges avec sa hiérarchie, il a fait l’objet, le 6 décembre 2021, d’une décision le mettant en demeure de reprendre son service sous huit jours car il se trouvait en situation d'absence non justifiée depuis le 11 juin 2020. Cette mise en demeure a été réitérée par un courrier du 21 janvier 2022 du chef de service des ressources humaines.

Le requérant demande l’annulation du décret du 6 mai 2022 par lequel le président de la république l'a radié des cadres pour abandon de poste. 

Le Conseil d’État rappelle que, d’une part, la radiation des cadres ne peut intervenir qu’à l’issue d’une procédure contradictoire et d’information très encadrée dans un souci de protection des agents publics, et que, d’autre part, l’administration ne peut laisser un fonctionnaire sans affectation. Retenant ce double motif, l’absence d’information sur le risque encouru et sur la marche à suivre dans le cadre d’une action en abandon de poste et la circonstance que l’on ne peut guère reprocher à un agent de ne pas occuper son poste alors qu’il est laissé sans affectation donc sans poste…, le juge annule le décret litigieux, ce qui met fin à une situation si ubuesque que l’administration s’y est elle-même embourbée.

(10 octobre 2023, M. A., n° 464419)

 

143 - Assistante familiale – Contrat à durée indéterminée – Suspension temporaire puis restriction d’agrément avec avertissement – Licenciement disciplinaire sans préavis ni indemnité – Juge suspendant la mesure – Erreur de droit sur le régime de l’avertissement – Annulation mais rejet au fond.

Une assistante familiale a fait l’objet d’une suspension temporaire d’agrément suite à un signalement pour comportement violent du mari et le département employeur a engagé une procédure en vue d’un retrait d’agrément ainsi qu’une procédure disciplinaire. Sur avis en ce sens de la commission consultative paritaire départementale, le département a maintenu à l’intéressée son agrément avec restriction, assorti d’un avertissement. Puis, au terme de la procédure disciplinaire, a été prononcé son licenciement disciplinaire sans préavis ni indemnité de licenciement. Cette décision a fait l’objet, à la demande de l’agent, d’une ordonnance suspendant son exécution et ordonnant la réintégration de cette dernière.

Le département se pourvoit.

Si le juge de cassation, in fine, ordonne la suspension du licenciement sur un autre fondement juridique que le tribunal, il n’en a pas moins censuré le raisonnement du premier juge, ce qui fait l’un des intérêts de cette décision.

Le juge des référés avait jugé que le moyen tiré de ce que le prononcé de la sanction disciplinaire de licenciement sans préavis ni indemnité méconnaissait le principe non bis in idem au motif que la requérante avait déjà fait l'objet, à raison de l’avertissement qui lui avait été antérieurement donné, d'une sanction disciplinaire pour les mêmes faits, et il avait estimé que ce moyen était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. Le Conseil d’État aperçoit dans cette solution une erreur de droit car l'avertissement préalable à une décision de retrait d'agrément prévu par les dispositions de l'art. R. 421-6 du code de l'action sociale et des familles ne constitue pas, à la différence de l'avertissement prévu par les dispositions de l'art. R. 422-20 du même code, une sanction disciplinaire mais une mesure préalable à une mesure de police administrative. Dès lors qu’il n’y avait pas succession de deux sanctions disciplinaires à raison de mêmes faits, le principe non bis… ne pouvait pas être retenu.

On pourra trouver bien subtile la distinction entre deux formes d’avertissement aux régimes si différenciés.

(11 octobre 2023, département des Pyrénées-Atlantiques, n° 466950)

 

144 - Gendarme – Demande de pension d’invalidité pour accident partiellement imputable au service – Calcul du taux global d’invalidité – Détermination hypothétique – Méconnaissance des règles de charge de la preuve - Annulation.

Une gendarme a demandé, en vain, l’octroi d’une pension d’invalidité consécutivement à un accident de service. Le ministre des armées se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif rendu par la cour administrative d’appel au bénéfice de la demanderesse.

Le litige venait de ce que l’intéressée avait subi deux entorses, l'une en service le 6 avril 2009 lors d'une séance d'entraînement, dont était rapportée la preuve de l'imputabilité au service, l'autre en dehors du service en septembre 2009.

La cour, pour déterminer quelle part respective a pris chacune de ces deux entorses dans l’ensemble de l’infirmité, a estimé que la part causale étrangère au service n'était susceptible de remettre en cause l'imputabilité au service de l'ensemble de l'infirmité, d'un taux global de 10%, que si cette cause étrangère avait été déterminante dans l'apparition de la pathologie. Or, par un raisonnement hypothétique, elle a considéré que dès lors que le rapport d'expertise médicale ne permettait pas de déterminer l'imputabilité respective des séquelles à chacun des deux accidents, il fallait en déduire que la part imputable au second ne pouvait être regardée comme ayant eu un effet déterminant dans l'apparition de l'infirmité. Par suite, une pension militaire d'invalidité devait être attribuée à l’intéressée au taux de 10 %.

Le Conseil d’État rappelle opportunément que c’est à l'intéressée qu’il incombait d'apporter, par tous moyens, la preuve de l'imputabilité au seul service, la cour a donc méconnu les règles gouvernant la charge de la preuve.

(13 octobre 2023, ministre des armées, n° 465579)

 

145 - Professeur des universités – Praticien hospitalier – Suspension des fonctions dans l’intérêt du bon fonctionnement du service – Climat délétère dans un service hospitalier - Saisine de la juridiction disciplinaire – Praticien lanceur d’alerte – Rejet.

Le juge rejette le recours d’un professeur des universités et praticien hospitalier, suspendu de ses fonctions dans l’intérêt du bon fonctionnement d’un service hospitalier considéré comme affecté par l’existence d’un climat délétère, dirigé à la fois contre la mesure de suspension et l’engagement de poursuites disciplinaires par les autorités ministérielle et académique.

Il considère ces mesures fondées en droit et en fait car la dénonciation fréquente par le demandeur, qui s’estime lanceur d’alerte, des conditions de fonctionnement de ce service et des actes de chirurgie cardio-vasculaire qui y sont pratiqués, outre la création d’une mauvaise ambiance de ce fait en raison de la campagne de dénigrement du service, a été faite sans respect de l’obligation de prudence et du secret professionnel. Ainsi en va-t-il de la consultation illicite, par ce professionnel, du dossier de plusieurs centaines de patients de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. 

La demande de référé suspension est rejetée en l’absence de doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées.

(ord. réf. 05 octobre 2023, M. A., n° 488404)

 

146 - Professeur des universités – Président d’université – Suspicion de harcèlement moral – Suspension des fonctions à titre conservatoire – Condition d’urgence non satisfaite – Rejet.

Est rejetée la demande, en référé, tendant à  voir suspendue l’exécution de la suspension à titre conservatoire d’un professeur des universités, président d’université, en raison du défaut d’urgence : la continuité du service public est assurée par le premier vice-président du conseil d’administration, les allégations de difficultés financières résultant pour le requérant de la suspension ne sont pas telles qu’elles ne permettraient pas de suffire aux dépenses incompressibles, l’atteinte à la réputation professionnelle de l’intéressé est déjà réalisée et l’examen du litige au fond interviendra avant la fin du mois d’avril 2024.

(ord. réf. 30 octobre 2023, M. B., n° 489003)

 

147 - Professeur des universités – Recrutement – Composition du comité de sélection – Atteinte au principe d’impartialité – Annulation.

Pour annuler le décret présidentiel nommant un professeur d’université suite au défaut d’impartialité du comité de sélection, le juge retient « que le candidat placé par le comité de sélection en deuxième position et finalement nommé sur le poste (de professeur) était rattaché, au moment du dépôt de sa candidature, au laboratoire d'informatique de l'université d'Avignon, dont l'un des membres du comité de sélection est le directeur, que ce même membre a encadré les travaux de sa thèse, soutenue en 2010, et a participé au jury de son habilitation à diriger des recherches en décembre 2020, enfin, que (ce candidat) a publié, au cours des années qui ont précédé le recrutement litigieux, des travaux scientifiques en collaboration avec ce membre du comité de sélection. ».

Le juge précise que chaque fait pris isolément n’aurait pas suffi à justifier le prononcé de cette annulation mais que celle-ci résulte d’un cumul d’éléments, ajoutant encore que si les liens professionnels précédemment décrits ont amené le membre du comité de sélection en question à s'abstenir de prendre part aux interrogations et délibérations concernant le candidat retenu, il n'est pas contesté qu'il a, en revanche, pris part aux interrogations des autres candidats ainsi qu'aux délibérations les concernant.

Cela faisait, en effet, beaucoup…

(13 octobre 2023, Mme C., n° 459205)

 

148 - Professeur des universités – Recrutement – Composition du comité de sélection – Irrégularité – Absence irrégulière de motivation de la délibération du conseil académique - Annulations.

Les recrutements d’enseignants dans l’enseignement supérieur français sont souvent entachés d’irrégularités diverses, qu’elles soient le résultat de maladresses ou de turpitudes.

En l’espèce, l’université de La Réunion avait ouvert un concours en vue du recrutement d’un professeur en « Littérature et/ou Civilisation et/ou Espagne et/ou Amérique Latine ». Une candidate malheureuse saisit le juge d’un recours en annulation de la procédure ayant conduit in fine à la proposition de retenir et à classer deux candidats ; elle invoque deux griefs, l’un relatif à l’irrégularité dans le fonctionnement du comité de sélection, l’autre relatif à la décision arrêtée par le conseil académique.

Le juge constate, dans chacun des deux cas, la commission d’irrégularités.

En premier lieu, un membre du comité de sélection ayant participé à la délibération par laquelle ce comité avait dressé la liste des candidats qu'il souhaitait entendre, a été absent, sans motif légitime, de la suite de la procédure par laquelle le comité de sélection procède à l'audition des candidats et arrête la liste, classée par ordre de préférence, des candidats qu'il retient. La procédure suivie était entachée d'irrégularité (cf. en ce sens : 17 juin 1927, Bouvet et autres, n° 89357, Rec. Lebon p. 676, à propos de l’absence du secrétaire général de la préfecture de police à certaines épreuves d’un concours de recrutement d’inspecteur principal de la navigation commerciale et des ports) sans que puisse faire échec à cette irrégularité la circonstance que l’université soutenait que c'est en raison de cette irrégularité que le conseil académique a émis un avis défavorable à la liste de candidats proposée par le comité de sélection parce que cet avis lui-même est irrégulier.

En second lieu, en effet, le conseil académique siégeant en formation restreinte avait l’obligation de motiver son avis puisqu’il était défavorable, or le procès-verbal de délibération de ce conseil ne fournit aucun avis, se bornant seulement à décider qu’il émet un avis défavorable à la liste de candidats proposée par le comité de sélection, ce qui ne constitue pas précisément une « motivation ». 

La délibération est annulée.

(13 octobre 2023, Mme A., n° 461026)

 

149 - Professeur des universités – Avis défavorable à une mutation – Demande de suspension de diverses décisions en résultant – Absence d’urgence – Rejet.

Au moyen d’un référé suspension, l’intéressée, professeur des universités dont la candidature à une mutation de Paris à Montpellier a été refusée, demande la suspension d’exécution de l’avis défavorable donné à cette mutation, le classement d’autres candidats et la nomination de la candidate classée première à l’issue de la procédure de recrutement.

Sa requête est rejetée, le juge estimant que le refus de mutation à Montpellier où réside son conjoint qu'elle doit notamment accompagner chaque mois à l'hôpital pour des examens d'imagerie médicale, - alors même qu’elle prétend que ce refus porte atteinte à sa vie privée et familiale et à ses activités de recherche, et qu'un intérêt public s'attache à ce que la procédure d'examen de sa candidature soit reprise -, n’entraîne ni pour la requérante ni pour l’intérêt général, de conséquences de nature à caractériser une situation d'urgence comme l’exige l’art. L. 521-1 CJA.

(19 octobre 2023, Mme B., n° 488657)

 

150 - Professeur des universités – Mise en examen pour divers chefs d’infractions et placement sous contrôle judiciaire – Mesures diverses prises par l’Université – Pluralité d’illégalités – Annulation.

Le requérant, professeur des universités, a été mis en examen des chefs de détournement de fonds publics, de faux et d'usage de faux et d'abus de confiance en lien avec son activité professionnelle à l'université et au sein de l'Institut de prévention et de recherche sur l'ostéoporose et placé sous contrôle judiciaire par une ordonnance du 30 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire, qui lui a fait interdiction de se livrer à toute activité de gestion, de direction ou d'administration au sein de l'université. 

Il a été élu au conseil d’administration de l’université le 6 octobre 2020.

Le président de l'université, par arrêté du 22 octobre 2020, l'a suspendu à titre conservatoire et pendant une durée d'un an de ses fonctions d'enseignement et de recherche ainsi que de son mandat de membre du conseil d'administration de cette université et lui a interdit d'accéder aux locaux de l'université, sans privation de traitement. Puis, un an plus tard, il a reconduit ces décisions « tant que les mesures prises par l'autorité judiciaire ne permettent pas un rétablissement dans ses fonctions ».

Par deux requêtes, M. B. demande l'annulation des deux arrêtés précités.

Le Conseil d’État relève qu’une série d’irrégularités entache la juridicité des deux arrêtés.

Tout d’abord, l’arrêté par lequel le président de l’université a donné délégation au vice-président de l’université à l'effet de signer l'ensemble des actes relatifs à la direction de l'établissement pris sur le fondement de l'art. L. 712-2 du code de l'éducation ou au titre des pouvoirs délégués par le conseil d'administration conformément à l'art. L.712-3 du même code, n'autorisait pas le vice-président de l'université à signer, au nom du président de l'université, les actes par lesquels ce dernier agit au titre de la délégation de pouvoir reçue du ministre chargé de l'enseignement supérieur par l'arrêté du 10 février 2012. Il s’ensuit donc que l'arrêté du 22 octobre 2020 signé au nom du président de l'université l'a été par une autorité incompétente en tant qu'il prononce la suspension de M. B. de ses fonctions d'enseignement et de recherche sur le fondement de l'art. L. 951-4 du code de l'éducation. 

Ensuite, le président de l'université ne tenait d’aucune disposition législative ou réglementaire le pouvoir de suspendre le mandat de membre du conseil d'administration de l'université d'un enseignant-chercheur. 

Encore, si l'université  invoque l'existence de tensions dans le contexte des élections universitaires se déroulant au sein de l'établissement en octobre 2020, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existait à la date de l'arrêté litigieux une situation « de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l'article R. 712-1 », de nature à justifier l'interdiction faite à M. B. d'accéder aux locaux de l'université sur le fondement des dispositions de l'art. R. 712-8 du code de l'éducation. 

Enfin, s’agissant du second arrêté attaqué, il est annulé à la fois pour certains des motifs précédents et pour un motif propre tenant à ce que la suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur ne peut être prononcée, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 951-4 du code précité, pour un temps qui excède un an, quand bien même l'intéressé ferait encore, à cette date, l'objet de poursuites disciplinaires ou de poursuites pénales. 

(26 octobre 2023, M. B., n° 457493)

 

151 - Professeur des universités – Recrutement par promotion interne – Composition irrégulière du comité d’audition – Privation d’une garantie - Annulation.

La procédure de recrutement des professeurs d’université par la voie temporaire d'accès par promotion interne comporte, outre les avis rendus par le conseil académique et le collège restreint aux professeurs d’université, un examen des candidatures par le comité d’audition.

Le III de l'art. 4 du décret du 20 décembre 2021 créant une voie temporaire d'accès au corps des professeurs des universités et aux corps assimilés, dispose que le comité d’audition « est composé du chef de l'établissement ou de son représentant et de trois membres du corps des professeurs des universités ou d'un corps assimilé, désignés par le chef de l'établissement ou par son représentant, dont deux au moins choisis parmi les spécialistes de la discipline concernée (…) ».

Or il est constant que lors de l’audition de la requérante ce comité ne comprenait qu'un seul membre du corps des professeurs des universités, ou d'un corps assimilé désigné par le président de l'université, spécialiste de sa discipline. Ayant ainsi été privée d’une garantie prévue par le texte précité, Mme B. de C. est fondée à soutenir que la décision par laquelle le président de l'université a refusé de l'inscrire sur la liste des candidats dont la nomination est proposée, a été prise au terme d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

(26 octobre 2023, Mme B. de C., n° 471086)

 

152 - Professeur agrégé du second degré – Sanction pour manquement aux devoirs de réserve et de neutralité – Suspension des fonctions et du traitement – Invocation d’un préjudice moral – Rejet.

Un professeur de mathématiques, agrégé du second degré, a fait l’objet d’une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de six mois par un arrêté du ministre de l'éducation nationale pour avoir tenu devant ses élèves, le 27 novembre 2015, jour de l’hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, des propos contraires aux devoirs de réserve et de neutralité.

Le juge des référés a ordonné la réintégration de l’enseignant et, au fond, a annulé la sanction à raison de son caractère disproportionné. Cependant, la cour administrative d’appel a rejeté son appel contre ce jugement en ce qu’il a rejeté sa demande d’indemnisation des préjudices moral et financier qu’il estime avoir subis.

Le pourvoi dirigé contre cet arrêt est rejeté.

Le juge de cassation considère que la cour n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que, compte tenu de la gravité des faits reprochés au requérant, l'administration aurait pu légalement prendre une sanction emportant les mêmes effets sur sa rémunération, ce dont elle a déduit que le préjudice matériel allégué par M. B. du fait de la perte de revenus au cours de sa période d'éviction ne présentait pas un lien de causalité direct avec l'illégalité le suspendant temporairement de ses fonctions. 

Semblablement est rejeté le grief dirigé contre l’arrêt de la cour en tant qu’elle a refusé le versement d'une indemnité en réparation du préjudice moral prétendument subi du fait de la sanction qui lui a été infligée car le discrédit ou le stress que le demandeur alléguait ne présentaient pas de lien de causalité direct avec l'illégalité de l'arrêté portant suspension de ses fonctions.

(13 octobre 2023, M. B., n° 462580)

 

153 - Magistrat exerçant à titre temporaire – Impossibilité d’accomplir plus de deux mandats quelle que soit la durée réelle de l’un d’eux - Rejet.

Rappel de ce que les textes applicables (notamment l’ordonnance et la loi organiques, respectivement du 22 décembre 1958 modifiée et du 8 août 2016) qui ont prévu la possibilité de nommer certaines personnes en qualité de magistrats exerçant leurs fonctions à titre temporaire, limitent strictement à deux le nombre de mandats susceptibles d’être accordés à ces magistrats. Il en est ainsi, alors même que l’un des mandats n’aurait pas eu, pour quelque motif que ce soit, la durée initialement prévue.

(13 octobre 2023, Mme C., n° 463944 ; M. C., n° 464138)

 

154 - Magistrat administratif, juge non permanent à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Décision mettant fin à ses fonctions à la Cour – Demandes de récusation – Décision de faire cesser ses fonctions à la cour – Rejet de la requête en référé liberté.

Un magistrat administratif, qui exerce à titre non permanent les fonctions de président de chambre à la CNDA, a fait l’objet d’une décision de cessation de ses fonctions prise par le président de la Cour. Ce dernier s’est fondé, pour arrêter cette mesure, sur le fait que, par trois décisions rendues le 24 octobre 2023, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à trois demandes de récusation le concernant au motif que ses prises de position publiques et expressions sur les réseaux sociaux étaient de nature à créer un doute sérieux sur son impartialité pour juger les demandes d'asile en cause.

La requête du magistrat tendant à la suspension de cette décision est rejetée.

Le requérant soutenait l’urgence née de l’atteinte à son statut de magistrat, les craintes qu'il éprouve désormais pour sa sécurité et celle de sa famille du fait de l'écho public qui a été donné à la décision qu'il conteste, l’atteinte grave à des libertés fondamentales, à son statut de magistrat, son inamovibilité et son indépendance, et, enfin, l’absence d’intérêt public qui justifierait l'atteinte portée à ses intérêts personnels.

Le juge rejette la requête en relevant d’abord successivement l’absence de tout effet de la décision attaquée sur l'exercice par l'intéressé de ses fonctions au sein du tribunal administratif de Marseille en qualité de premier conseiller du corps des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel et sur sa situation statutaire, la protection qui lui a été accordée contre les atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages.

Ensuite, il rappelle que la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale serait avérée n'est, par elle-même, pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence et pas davantage, l’absence éventuelle d’un intérêt public qui justifierait l'atteinte portée à ses intérêts, n'est en soi de nature à établir qu'il serait porté à ses intérêts une atteinte suffisamment grave et immédiate justifiant l'intervention en urgence du juge des référés. 

(31 octobre 2023, Jean-Marie Argoud, n° 489058)

 

155 - Prime de fidélisation territoriale – Exclusion de son bénéfice pour les maîtres exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Existence de différences objectives – Rejet.

Devant les difficultés à assurer la stabilité des agents des services publics en poste dans le département de Seine-Saint-Denis, lequel est caractérisé par un « turn-over » permanent, a été décidée la création, par le décret du 24 octobre 2020, d’une prime de fidélisation territoriale pour ceux de ces agents comptant cinq années continues de services effectifs, calculées à compter de l'entrée en vigueur de ce décret. Ces dispositions s’appliquent notamment aux enseignants du service public de l’éducation ; toutefois en sont exclus ceux affectés dans un établissement d’enseignement privé du second degré.

Les syndicats requérants demandent, les uns, l’annulation de l’art. 2 du décret en tant qu’il exclut du bénéfice de la prime de fidélisation territoriale les maîtres exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré, les autres l’annulation de son art. 1er en tant qu’il a dressé une liste des établissements dont les enseignants sont éligibles à cette prime, ne comportant pas les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré. Les recours, joints, sont rejetés.

Après avoir rappelé que les règles générales notamment en matière de conditions de service, applicables aux maîtres titulaires de l'enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient, sont également applicables aux enseignants de l’enseignement privé sous contrat, le juge indique que cela n’exclut pas l’existence de différences de traitement dans la gestion de la situation respective de ces deux catégories d'enseignants.

Précisément, s’agissant de la stabilité du personnel enseignant en poste en Seine-Saint-Denis, le juge retient que la situation de ce département est la plus « déficitaire » de celles de tous les départements français. Au contraire, pour l’enseignement secondaire privé cette stabilité est plus grande que dans celle de dix autres départements. L’objet recherché par l’institution de la prime de fidélité litigieuse se présente donc très différemment dans l’un et l’autre type d’établissements ce qui justifie l’exclusion critiquée.

On relèvera qu’en revanche, pour l’enseignement primaire, la prime de fidélisation territoriale existe dans ces deux catégories d’établissements.

(13 octobre 2023, Syndicat professionnel de l'enseignement libre catholique (SPELC) Créteil, n° 464416 ; Syndicat de l'enseignement privé de l'académie de Créteil (CréSEP) et syndicat de l'enseignement privé de l'est francilien CFDT (SEPEF-CFDT), n° 464605, jonction)

 

156 - Gestion des bois, forêts et espaces naturels – Recrutement d’agents contractuels de droit privé - Compétence pour constater, sans les rechercher, « certaines infractions » - Ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l’ONF – Conformité à la loi d’habilitation – Rejet.

(13 octobre 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, n° 466224 et n° 466225)

V. n° 217

 

157 - Sapeurs-pompiers – Traitement différencié entre sapeur-pompier professionnel et sapeur-pompier volontaire – QPC – Situations dissemblables - Refus de transmission.

Les trois requêtes jointes, à l’appui d’un pourvoi en cassation, tendaient, par mémoire distinct, à voir transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité reposant sur la méconnaissance par plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure des principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques en ce que les sapeurs-pompiers professionnels et les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas traités de la même façon à plusieurs égards (organisation du temps de travail, indemnisation des astreintes, application de la législation du travail, repos et loisirs, etc.) en violation des droits et garanties de la Constitution et/ou de son Préambule (s’agissant des art. L. 723-5, L. 723-6, L. 723-15) ainsi que de la directive  européenne du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (pour l’art. L. 723-15).

Le recours, dont il est reconnu qu’il soulève une question nouvelle, est rejeté pour deux catégories de motifs.

En premier lieu, les situations des deux sortes de sapeurs-pompiers, bien qu’ils exercent le même métier, sont assez différentes du fait que les pompiers volontaires, à la différence de ceux opérant à titre professionnel, exercent leur activité dans le cadre d'un engagement volontaire dont ils déterminent eux-mêmes l'ampleur en fonction de leurs disponibilités, la loi ne prévoyant à cet égard aucune obligation minimale, et dont ils peuvent demander à tout moment la suspension ou la résiliation. Or le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que des situations objectivement différentes puissent recevoir, le cas échéant, des traitements juridiques différents : c’est bien le cas en l’espèce.

En second lieu, les griefs tirés de ce que la directive précitée n’aurait pas été transposée aux pompiers volontaires et de ce que l’art. L. 723-15 serait incompatible avec celle-ci ne concernent pas les droits et libertés que la Constitution garantit, au sens de son article 61-1 ; ils ne sauraient, par suite, être invoqués dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. 

(13 octobre 2023, M. E., n° 473321 ; M. F., n° 473322 ; M. C., n° 473323, jonction)

 

158 - Administrateur du Sénat – Arrestation et information judiciaire du chef d’intelligence avec une puissance étrangère – Ordonnance de non-lieu – Mise à la retraite d’office par mesure disciplinaire - Suspension ordonnée par le juge des référés – Annulation.

Un administrateur du Sénat, a fait l’objet d’une arrestation et de poursuites judiciaires pour intelligence avec la Corée du Nord susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Il a été placé sous contrôle judiciaire à compter du 29 novembre 2018 avec interdiction d'exercer son activité professionnelle d'administrateur du Sénat. Une ordonnance définitive de non-lieu a été rendue le 29 avril 2022 au motif que l’existence de liens et de relations réguliers avec ce pays n'avait pas permis de démontrer, en dépit de la mise en œuvre de moyens d'enquête significatifs, le recueil ou la livraison à la Corée du Nord, y compris de manière indirecte, d'informations susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

Durant ce temps, le Sénat avait suspendu l’intéressé de ses fonctions d’administrateur, puis, à la suite de l’ordonnance de non-lieu, l’a réintégré et a immédiatement engagé à son encontre une procédure disciplinaire. Celle-ci a débouché sur la sanction de mise à la retraite d’office.

L’intéressé a, par voie de référé, obtenu du juge de première instance la suspension de cette mesure.

Le président du Sénat se pourvoi en cassation de cette ordonnance de suspension.

Le Conseil d’État, se rendant aux moyens développés devant lui, annule l’ordonnance.

Il retient pour cela ainsi que le soutenait le président du Sénat, que l’absence de condamnation pénale du fait du non-lieu prononcé ne saurait masquer ou effacer la gravité des manquements déontologiques constatés notamment au regard de ses obligations de loyauté, de dignité et de réserve, la rupture définitive du lien de confiance en découlant et les risques pour le bon fonctionnement et la réputation du Sénat qui en résulteraient.

Il existait bien un intérêt public s'opposant à la suspension de l'exécution de la décision de mise à la retraite d’office. 

(13 octobre 2023, Président du Sénat, n° 474545)

 

159 - Agent unique affecté au service technique d’une commune – Demande d’attribution d’une décharge totale de service pour activité syndicale – Refus du maire – Rejet de l’action en référé liberté.

Un syndicat a désigné l’unique agent technique d’une commune de moins de mille habitants comme la personne bénéficiaire d’une décharge totale de service pour activité syndicale. Le maire a refusé au moins pour certains jours et a demandé au syndicat de porter son choix sur un autre agent, pour les jours pour lesquels il a refusé la décharge d'activité.

Le syndicat a vu son action en référé liberté, dirigée contre ce refus, rejetée par le juge du tribunal administratif et interjette appel de l’ordonnance de rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours faute de l’urgence spécifique à l’art. L. 521-2 CJA qui justifierait qu’intervienne une décision sous 48 heures dont on ne voit pas ce qu’elle pourrait être, la personne désignée étant le seul agent technique de la commune, ce qui contraindrait les élus municipaux à prendre en partie en charge l'entretien des équipements communaux et des espaces verts de la commune.

(ord. réf. 16 octobre 2023, M. B. et syndicat CFDT INTERCO du Doubs, n° 488646)

 

160 - Professeurs certifiés du second degré – Recrutement parmi les titulaires du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré ou du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique – Mode de recrutement constituant un concours – Bénéfice de la bonification pour stage professionnel – Rejet.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation d’une ordonnance rendue par une magistrate de tribunal administratif ayant jugé qu’un agent, qui a été nommé dans le corps des professeurs certifiés de l'enseignement technique après avoir été admis en 1998 au concours externe de recrutement du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique et qui a été recruté au terme d'un concours et non au choix, pouvait prétendre au bénéfice de la bonification d’ancienneté de vingt trimestres au maximum prévue au h) de l'art. L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite en faveur des personnes ayant accompli le stage prévu par le décret du 4 juillet 1972.

Son pourvoi est rejeté : le Conseil d’État relève que si les candidats ayant subi avec succès les épreuves du concours externe du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique, pour lequel sont exigées cinq années de pratique professionnelle antérieure, ne peuvent être nommés dans le corps des professeurs de l'enseignement technique qu'à la condition d'avoir obtenu, à l'issue du stage prévu à l'article 24 du décret précité, le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique, ce concours n'en constitue pas moins un concours de recrutement au sens des dispositions de l’art. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Cette durée donne donc droit au bénéfice de la majoration de l’ancienneté totale de service.

(17 octobre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 469691)

 

161 - Général de division de la gendarmerie nationale – Agent détaché du ministre des armées à celui de l’intérieur – Suspension de ses fonctions à titre conservatoire – Compétence et procédure pour prendre la mesure – Rejet.

Suite à une enquête préliminaire du Parquet national financier pour des faits de corruption, de prise illégale d'intérêt et de trafic d'influence, un général de division de la gendarmerie, détaché dans les fonctions de sous-directeur au sein du service de l'achat, de l'innovation et de la logistique du ministère de l'intérieur, a été suspendu de ses fonctions à titre provisoire par le ministre de l’intérieur.

Le requérant conteste le bien-fondé d’une part, de la décision, ce moyen étant rejeté, mais aussi, d’autre part, les conditions de procédure de la décision de sanction, moyen également rejeté.

Ce second aspect retient l’attention sur deux points.

Le juge, répondant à l’argumentation du demandeur, rappelle d’abord que le ministre de l'intérieur était, en qualité d'autorité de détachement, compétent pour prendre la mesure en litige et, ensuite, que pour la prendre, le ministre n’avait pas à suivre la procédure prévue pour les officiers généraux par l'art. R. 4137-46 du code de la défense car celle-ci n’est applicable qu’aux décisions de suspension prises par le ministre de la défense.

Ceci montre, une fois de plus, les effets statutaires d’un détachement dans la fonction publique.

(20 octobre 2023, M. B., n° 473706)

 

162 - Adjoint administratif territorial stagiaire – Allégation de harcèlement moral et sexuel – Mesure prise en conséquence – Éloignement de l’auteur des faits – Rejet.

Adjoint administratif territorial stagiaire affecté à la direction des personnes handicapées et personnes du bel âge dans une maison départementale des aidants, le requérant a demandé au juge du référé liberté du tribunal administratif d'ordonner toutes mesures de nature à faire cesser la situation de harcèlement moral et sexuel dont il estime être victime de la part d'un de ses collègues de travail. Il interjette appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande.

Le Conseil d’État rejette l’appel en relevant, d’abord, que dès le 20 septembre 2023, l'agent désigné par le requérant comme l'auteur des faits qu'il allègue a été muté sur un autre site où il n'est plus susceptible d'être en contact avec l'intéressé et, ensuite, que M. B. n'apporte aucun élément permettant de présumer que cette circonstance, qui est également de nature à ôter à sa demande le caractère d'urgence propre à justifier l'intervention à très bref délai du juge du référé liberté, serait erronée.

(ord. réf. 24 octobre 2023, M. B., n° 488871)

 

163 - Réforme de la haute fonction publique - Création du corps des administrateurs de l’État – Application au corps des conseillers des affaires étrangères et à celui des ministres plénipotentiaires – Demande d’annulation – Rejet.

Cette affaire n’est que l’une des nombreuses contestations liées aux conséquences de la réforme de l'encadrement supérieur de l'État issue de l'ordonnance du 2 juin 2021 qui a notamment débouché sur le décret du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps, à vocation interministérielle, des administrateurs de l'État. Ses membres exercent, dans l'ensemble des services de l'État et de ses établissements publics, des missions de conception, de mise en œuvre et d'évaluation des politiques publiques et sont chargés de fonctions supérieures de direction, d'encadrement, d'expertise et de contrôle.

Ceci a conduit à la mise en extinction corrélative de plusieurs corps de la haute fonction publique, dont le corps des conseillers des affaires étrangères et le corps des ministres plénipotentiaires pour lesquels est prévue, sur demande de leurs membres et sous conditions, leur intégration dans le corps des administrateurs de l'État, un droit d'option leur étant ouvert à ce titre. 

Les requérants demandent l’annulation du décret du 16 avril 2022 qui, pour l’application au ministère de l'Europe et des affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique, détermine les conditions de mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique au sein de ce ministère. 

Les divers moyens soulevés sont rejetés.

La mise en extinction des corps concernés résultant du décret précité du 1er décembre 2021 et non du décret attaqué, le moyen critiquant ce dernier est donc inopérant. Tout comme il ne saurait être excipé de l’illégalité du décret de 2021 à l’encontre du décret attaqué du 16 avril 2022 car ce dernier n’a pas été pris en exécution ou pour l’application du décret de 2021.

La circonstance que les fonctionnaires sont placés légalement dans une position statutaire et réglementaire a pour conséquence l’absence de droit acquis de ces agents au maintien de leur statut. 

Par ailleurs, demeure sauve, en tout état de cause, l’obligation pour le gouvernement de respecter le principe d'égal accès aux emplois publics résultant de l'article 6 la Déclaration de 1789.

Enfin, il est rappelé que le principe d’égalité ne s’applique qu’entre les agents appartenant à un même corps.

(31 octobre 2023, Syndicat CFTC Affaires Étrangères, syndicat ASAM-UNSA et organisation des secrétaires des affaires étrangères, n° 468058)

 

164 - Chef d’escadron de la gendarmerie nationale – Détournement des fonds d’une amicale professionnelle – Radiation des cadres – Absence de caractère disproportionné – Rejet.

Le requérant, chef d’escadron de la gendarmerie nationale, a, au cours de son affectation à l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), détourné à son profit personnel des fonds de l'amicale de cet Office, dont il exerçait les fonctions de trésorier.

Un décret du chef de l’État l’a radié des cadres par mesure disciplinaire. L’agent demande l’annulation de cette sanction, sa réintégration sous quinzaine et l’effacement de toute mention de la sanction.

Ses demandes sont, évidemment, rejetées : la sanction n’est ni imméritée ni disproportionnée. Le juge relève en particulier que si l’intéressé était confronté à des difficultés financières lorsqu’il a transféré des fonds de la caisse de l’amicale de l’OCLDI vers son compte personnel et s’il a entièrement remboursé ses « prélèvements », il est également constant qu'il n'a reconnu les faits que lorsque l'existence de ces différents prélèvements a été mise en évidence successivement par le nouveau trésorier de l'amicale de l'OCLDI puis par un rapport d'audit interne de cette amicale.

Au total, le caractère répété des faits, les qualités d’officier supérieur et de gendarme, le discrédit porté sur la gendarmerie nationale, et alors même que le requérant présente de bons états de service, justifient la sanction prise et son quantum.

(31 octobre 2023, M. A., n° 474850)

 

Libertés fondamentales

 

165 - Réfugié – Retrait de cette qualité par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Office du juge du plein contentieux – Inexacte qualification juridique des faits – Annulation.

L’OFPRA a, en application des dispositions combinées de l'art. L. 511-8 du CESEDA et du C de l'art. 1er de la convention de Genève sur les réfugiés, mis fin au statut de réfugié dont bénéficiait jusque-là un ressortissant russe d'origine tchétchène.

Sur recours de l’intéressé, la CNDA a jugé qu'il n'existait pas – contrairement à ce que soutenait l’OFPRA - de raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité pourrait lui être imputée personnellement dans des crimes ou agissements susceptibles d'entrer dans le champ de l'exclusion prévue au c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. 

Le juge de cassation relève d’abord, à titre de principe, qu’il incombe à la CNDA, saisie d’une décision par laquelle l'OFPRA a mis fin au statut de réfugié en se fondant sur les dispositions  combinées précitées,  qui juge infondé le motif ainsi allégué, de se prononcer sur le droit au maintien de la qualité de réfugié en examinant, au vu du dossier et des débats à l'audience, si l'intéressé relève d'une autre des clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'art. 1er de la convention de Genève ou de l'une des situations visées à l'art. L. 511-8 du CESEDA.

Le juge de cassation, examinant les faits, ne peut que constater, que la Cour a, en l’espèce, inexactement qualifié les faits au plan juridique dès lors qu’il résulte des pièces du dossier que l’intéressé « a  été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour des faits qualifiés d'association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme et financement d'une entreprise terroriste, pour avoir apporté un soutien logistique et financier à des candidats depuis la France au jihad et à des combattants jihadistes en Syrie entre 2012 et le 8 février 2014, et qu'étaient produits des courriers du parquet national antiterroriste et du service national des enquêtes administratives de sécurité étayant les faits reprochés à l'intéressé (…) » sans que puisse faire échec à cette annulation la circonstance que l'instruction par l'autorité judiciaire était encore en cours.

(03 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 466701)

(166) V. aussi, comparable en ce que la Cour se voit reprocher de n’avoir pas pris toute la mesure de la gravité des comportements violents de l’intéressé, bénéficiaire jusque-là de la protection subsidiaire, ainsi que du risque de reprise ou de persistance de ses actes criminels : 23 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 460596.

(167) V. encore, assez voisin s’agissant du refus de la CNDA de retirer la protection subsidiaire à un ressortissant sri-lankais qui, en réunion, lors d’un contrôle d’identité, et alors qu’il était en état d’ébriété, a participé à une scène de violence à l’encontre du policier chargé du contrôle et donc connu comme tel, au terme de laquelle un autre participant l’a tué au moyen de son arme de service. Ne peut faire échec à cette déchéance de la protection subsidiaire la circonstance que l’intéressé, après avoir purgé la peine de trois ans dont deux avec sursis à laquelle l’a condamné la cour d’assises d’appel, a cessé de consommer de l’alcool, son comportement doit néanmoins être qualifié de « crime grave » au sens et pour l’application de l’art. L. 512-2 du CESEDA. C’est pourquoi, en annulant la décision de déchéance de l’OFPRA, la CNDA a inexactement qualifié les faits de l’espèce. On peut se demander où la cour avait la tête ce jour-là : 23 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 467649.

 

168 - Refus d’octroi de la qualité de réfugié ou de droit à la protection subsidiaire – Appréciation incomplète des pièces de procédure – Omission de certificats médicaux – Insuffisance de motivation et erreur de droit – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile a refusé d’accorder à la requérante la qualité de réfugiée ou le bénéfice de la protection subsidiaire en raison de ce que « ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites à l'audience ne permettaient de tenir pour établis les faits allégués ni pour fondées les craintes énoncées. »

Le Conseil d’État est à la cassation de cette décision qui lui a été déférée car la Cour n’a pas fait mention dans son arrêt des certificats médicaux du 16 juin 2017 et du 19 avril 2021 qui faisaient état de façon circonstanciée de plusieurs traumatismes et blessures et de leurs séquelles, elle n’a donc pas cherché à évaluer les risques que ces pièces étaient susceptibles de révéler ni précisé les éléments qui la conduisaient à ne pas les regarder comme sérieux, entachant ainsi sa décision d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit.

(23 octobre 2023, Mme B., n° 469617)

 

169 - Demande d’octroi de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Refus de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en raison de l’impossibilité pour l’intéressé de se faire comprendre lors de l'entretien en raison d'un défaut d'interprétariat imputable à l'Office – Dénaturation des pièces du dossier et erreur de droit – Annulation avec renvoi à la Cour.

La CNDA a annulé le refus de l’OFPRA d’accorder à un ressortissant guinéen la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire au motif qu’il avait été dans l'impossibilité de se faire comprendre lors de l'entretien avec les services de l’Office en raison d'un défaut d'interprétariat imputable à l'Office.

Le Conseil d’État annule cette décision car elle dénature les pièces du dossier et commet une erreur de droit dans la mesure où il ressort des pièces du dossier que l’intéressé avait indiqué avoir une connaissance suffisante du « mikhiforé » à l'appui de la notice d'information enregistrée le 3 mai 2021 à la préfecture de Haute-Garonne et qu'il a été entendu par l'OFPRA le 20 octobre 2021 avec le concours d'un interprète en « soussou », langue qu'il comprend. Si le compte-rendu de cet entretien fait apparaître des difficultés de compréhension liées aux différences de ces langues, il ressort de ses énonciations que l'intéressé a pu présenter les éléments pertinents permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande d'asile.

(24 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 468385)

 

170 - Extradition – Garanties au titre du droit français – Garanties au titre du droit moldave – Rejet.

Décision très classique dans laquelle le juge réitère sa jurisprudence habituelle en la matière.

Le recours contre le décret d’extradition est rejeté.

Tout d’abord, ce décret est suffisamment motivé en fait et en droit ; l’extradition n’est pas prononcée pour des faits sur lesquels la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris ne se serait pas prononcée ; il n’est pas porté atteinte au principe selon lequel en matière pénale une personne condamnée par défaut doit bénéficier du droit d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître et à se défendre, ce qui est le cas en l’espèce où le demandeur a fui après avoir assisté à la première audience de son procès, d’où la demande d’extradition.

Ensuite, ne saurait être invoquée la convention de Genève sur le statut des réfugiés dès lors que la demande d’octroi de ce statut à l’intéressé a été rejetée par l’OFPRA et encore que la CNDA ne se soit pas encore prononcée sur le recours dont elle a été saisie. Pas davantage ne sauraient être invoqués l’état des prisons moldaves ou la méconnaissance de l’art. 8 de la Convention EDH relative au respect de la vie privée et familiale. (03 octobre 2023, M. A., n° 472635)

(171) V. aussi, la solution identique retenue à propos de l’extradition d’un ressortissant moldave vers la Moldavie invoquant plusieurs des moyens rapportés dans l’affaire précédente : 23 octobre 2023, M. A., n° 473621.

 

172 - Extradition d’un ressortissant sri-lankais vers la Suisse – Risque d’expulsion vers le pays d’origine et d’y être exposé à des traitements inhumains ou dégradants – Circonstance ne relevant que de l’appréciation de l’État requérant – Rejet.

Un ressortissant sri-lankais conteste la décision de l’extrader vers la Suisse où il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour tentative d’homicide volontaire. Il invoque la circonstance qu’ayant été condamné par la justice suisse à être renvoyé dans son pays d’origine à l’achèvement de sa peine, il y risque de mauvais traitements en raison de son orientation sexuelle.

Le juge rappelle que ce second volet du dossier ne relève que de l’appréciation de l’État requérant non de celle de l’État extradant. Toutefois il indique avoir obtenu des autorités suisses l’assurance qu’à l’issue de sa peine, son cas serait réexaminé à la lumière de ce que sera alors sa situation, l’octroi du bénéfice de l’asile n’étant pas exclu.

(10 octobre 2023, M. A., n° 471253)

 

173 - Extradition – Ressortissant de l’Union européenne – Extradition demandée par un État tiers – Obligations s’imposant à l’État requis – Rejet.

Un ressortissant luxembourgeois fait l’objet de la part des États-Unis d’une demande d’extradition adressée à la France pour des faits qualifiés de « complot en vue de commettre une fraude par voie électronique » et « complot en vue de commettre un blanchiment ».

Interprétant les art. 18 et 21 du traitgé sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi que la décision-cadre du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, la CJUE (6 septembre 2016, Petruhhin, aff. C-182/15) a jugé que, lorsqu'un État membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre État membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un État tiers avec lequel le premier État membre a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'État membre dont ce citoyen a la nationalité (sur la notion d’ « information », cf. CJUE, 17 décembre 2020, BY, aff. C-398/19) et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen.

En l’espèce, le requérant faisait valoir que les autorités françaises auraient manqué à leur obligation d'information à l'égard du Luxembourg dont il a la nationalité.

Se posait ainsi une question très délicate à laquelle le Conseil d’État répond de façon assez latitudinaire. L’importance de celle-ci aurait justifié que la décision fût publiée et pas seulement mentionnée aux tables du Recueil Lebon.

Pour rejeter le moyen ainsi soulevé, le Conseil d’État retient dans une formulation de principe « que l'État de nationalité peut être regardé comme ayant été mis à même de réclamer la personne recherchée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen alors même que la demande d'extradition n'a pas encore été formellement transmise à l'État membre requis. »

Cela se discute nous semble-t-il.

Le juge explique avec force détails que le Luxembourg a été informé par courriel de l'interpellation de M. B. au titre d'une demande d'arrestation provisoire émanée des États-Unis d'Amérique aux fins d'extradition et qu'il a été indiqué aux autorités luxembourgeoises que l'intéressé avait été placé sous écrou extraditionnel pour l'exercice de poursuites pénales à raison d'un mandat d'arrêt délivré le 24 septembre 2020 par une juge américaine pour des faits commis entre 2014 et 2019, qualifiés de fraude électronique et blanchiment en lien avec la vente d'une crypto-monnaie. Ce même courriel décrivait les faits reprochés à M. B. et invitait les autorités luxembourgeoises, « en application de la jurisprudence Petruhhin de la Cour de justice de l'Union européenne », à faire savoir si elles entendaient délivrer un mandat d'arrêt européen ; les autorités luxembourgeoises ont répondu négativement, sans demander d'informations complémentaires. Jugeant les informations fournies suffisamment précises quant aux poursuites pénales motivant la demande d’extradition, à son objet et aux éléments communiqués par les États-Unis pour justifier de leur demande et alors même que ces informations ont été transmises au stade de l'arrestation provisoire, avant la présentation formelle de la demande d'extradition, le Conseil d’État en conclut que « les autorités luxembourgeoises doivent être regardées comme ayant été mises à même de réclamer leur ressortissant dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen. »

Pour faire bonne mesure, est refusé le renvoi préjudiciel à la CJCE, demandé par le requérant, sur le point de savoir si les autorités françaises avaient manqué à leur obligation d'information à l'égard de l'État de nationalité de la personne réclamée.

Les autres moyens sont également rejetés.

(10 octobre 2023, M. B., n° 472301)

 

174 - Droit de propriété – Indivision privée du droit de jouir d’un bien immobilier du fait de son occupation irrégulière – Absence d’extinction du droit de propriété – Détermination de la juridiction compétente, des conditions de représentation de l’indivision et des modalités de la réparation – Annulation avec renvoi.

Le requérant, en son nom propre et en celui des autres membres d’une indivision, a obtenu du tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation de la commune de Faa’a au paiement d’une certaine somme à titre d’indemnisation du préjudice subi du fait de l’occupation irrégulière d’une terre leur appartenant. Ce jugement ayant été annulé en appel, l’intéressé se pourvoit en cassation.

Le litige est né de ce que la commune de Faa’a occupe irrégulièrement, comme site de décharge et d'enfouissement de déchets, la parcelle du lot n° 9 de la terre Mumuvai appartenant en indivision au demandeur, à son frère, à sa sœur et à son neveu, agissant en qualité d'ayants droit de sa mère.

Le juge de cassation décide d’abord que ce litige relève de la compétence du juge administratif par application de la jurisprudence du Tribunal des conflits (9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon c/ Cne de Saint-Palais-sur-Mer, n° 3931) dès lors que cette occupation irrégulière est réalisée sans extinction du droit de propriété, ce qui aurait pour effet, on le sait, de transférer la connaissance de ce litige au juge judiciaire.

Ensuite, il annule l’arrêt déféré à sa censure en tant qu’il a jugé irrecevable la demande de M. DKK. en tant qu’elle était présentée au nom de l’indivision. La cour s’était appuyée sur l’art. 815-3 du Code civil qui ne réserve le droit d’action au nom des co-indivisaires qu’à celui ou à ceux détenant au moins deux-tiers des droits indivis ce qui n’était pas le cas en l’espèce selon elle. En réalité, par là était commise une erreur de droit car cette proportion des deux tiers devait s’apprécier au sein de l'indivision HKK. - IKK., branche de l'indivision possédant le lot n° 9 de la terre Mumuvai, et non au sein seulement, comme l’a fait la cour, de cette dernière indivision.

Enfin, est annulée également la partie de l’arrêt jugeant que les préjudices subis par M. DKK. présentaient un caractère définitif, alors que ce dernier demandait à être indemnisé de la privation du droit de jouissance de la parcelle du fait de son occupation irrégulière par la commune. Or de tels préjudices présentent un caractère continu et évolutif, la cour a donc inexactement qualifié les faits de l'espèce.

Par suite, la prescription quadriennale ne pouvait être opposée à l’ensemble d’une créance elle-même de caractère continu et évolutif dont l’indemnisation doit, en conséquence, être rattachée à chacune des années au cours desquelles ces préjudices ont été subis.

On relèvera que la jurisprudence de la Cour de cassation est en sens contraire (Cass. civ. 3ème, 5 novembre 2007, SCI Carnot Défense 1 c/ Ville de Nanterre, n° 06-14.404, Bull. III, 2007 n° 225).

Au reste, il y aurait eu une erreur de droit à juger définitif un préjudice, ce qui en l’espèce aurait constitué une voie de fait par extinction du droit de propriété, dont le jugement eût appartenu à l’ordre judiciaire de juridiction alors qu’a été reconnue la compétence du juge administratif pour connaître de ce litige.

(06 octobre 2023, M. DKK., n° 466523)

 

175 - « Contrôles d’identité au faciès » – Demande d’injonction à faire cesser cette pratique – Suggestion de mesures à prendre et de contrôle de leur exécution – Rejet.

Les requérantes ont formé une action de groupe (cf. art. L. 77-10-1 CJA) tendant à voir le Conseil d’État ordonner à l'État de mettre fin au manquement résultant, selon les requérantes, de l'existence d'une pratique généralisée de contrôles d'identité discriminatoires par les forces de police et de gendarmerie ciblant les personnes présentant des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, dits « contrôles au faciès ».

En raison de la relative rareté des actions de groupe devant la justice administrative en dépit d’importantes évolutions législatives internes (loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle) ou mettant en œuvre le droit de l’Union (loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations), le Conseil d’État consacre la première partie de sa décision (nos 2 à 10 inclus) à un rappel circonstancié du régime applicable à ces formes d’action collective d’un type particulier (1). Il examine ensuite les conclusions de la requête (2).

 

1 - Une action de groupe peut être introduite, dans les domaines visés à l'art. L. 77-10-1 du CJA, par une association satisfaisant aux conditions prévues par loi, lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent chacune un dommage causé par une personne morale de droit public ou une personne morale de droit privé chargée de la gestion d'un service public et que les dommages ainsi subis trouvent leur cause commune dans un même manquement de cette personne morale à ses obligations légales ou contractuelles. Le dommage en question peut résulter de discriminations directes ou indirectes. 

L'action de groupe peut tendre soit à la cessation du manquement qui est la cause du dommage, soit à la réparation des préjudices subis, soit à ces deux objets à la fois. Dans le premier cas, l'engagement de la responsabilité de la personne auteur du dommage est soumis aux conditions de droit commun (préjudice certain, lien de causalité direct entre le manquement et le préjudice). Dans le second cas, il incombe au juge, dans les limites de sa compétence, de caractériser l'existence d'un tel manquement et, si le dommage n'a pas cessé à la date à laquelle il statue, d'enjoindre au défendeur de prendre toute mesure nécessaire pour y mettre fin. Ce pouvoir du juge trouve sa limite en ce qu’il ne peut, dans le cadre de cet office, se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou leur enjoindre de le faire. Cette restriction va, évidemment, jouer un rôle capital dans la solution du présent litige.

Concernant la notion de manquement, celle-ci s’apprécie en deux temps.

D’abord, la personne morale doit faire disparaître de l'ordonnancement juridique les dispositions qui y contreviennent et prendre les mesures administratives d'ordre juridique, financier, technique ou d’organisation qu'elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité.

Ensuite, le juge apprécie, sur la base de critères combinés, notamment, la portée de l'obligation qui pèse sur la personne morale concernée, les mesures qu’elle a déjà prises, les difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, les contraintes liées à l'exécution des missions dont elle a la charge et les moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l'obligation, dont elle devrait se doter.

Au terme de cette analyse, il y a manquement si le juge estime que la personne morale est tenue de mettre en œuvre des actions supplémentaires. 

Lorsque l’existence du manquement est établie il enjoint la personne morale concernée d'y mettre fin par toutes mesures utiles qu’elle prend normalement spontanément ou qui, le cas échéant, sont ordonnées par le juge car, à défaut, le manquement persisterait ; il peut aussi circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l'instruction a révélé l'existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées.

 

2 – Le juge procède à l’examen de la requête proprement dite en rappelant en premier lieu les principales normes applicables aux contrôles d’identité (art. 12 de la Déclaration de 1789, dispositions du code de procédure pénale, art. 78-1 et 78-2, celles du code de la sécurité intérieure, art. R. 434-16) dont il déduit in fine ce qu’est un contrôle au faciès et sa conséquence : « Un contrôle d'identité effectué selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, constitue une discrimination directe au sens des dispositions (…) de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 (…) et crée un dommage pour les personnes qui y sont exposées. » 

Puis, le Conseil d’État se prononce sur trois points : la compétence du juge administratif pour connaître du recours, la recevabilité de l’action de groupe dont il est saisi et l’existence d’un manquement de l’État dans le cas de l’espèce.

La compétence de principe reconnue au juge judiciaire en matière d’appréciation de la régularité des contrôles d’identité pouvait sembler un obstacle important à la compétence du juge administratif pour connaître du litige. Le Conseil d’État écarte l’objection en retenant qu’alors que le juge judiciaire connaît de cas individuels de contrôle, l’action dont il est présentement saisi est relative à une pratique qui serait « systémique » et « généralisée » contre laquelle il est reproché à l’État de n’avoir pas pris les mesures normatives et d’organisation du service public pour y obvier. D’où résulte la compétence du juge administratif. Cette solution doit être approuvée.

L’examen de la recevabilité de l’action de groupe est évidemment, comme dans tout procès, une condition majeure mais d’autant plus ici où la loi encadre fortement les actions de groupe ; en outre, le ministre de l’intérieur invoquait plusieurs moyens contre cette recevabilité. Ils sont tous écartés. 

- Ne sont pas en cause ici des comportements envers des individus déterminés mais la carence de la puissance publique à prendre des mesures en sa qualité d’organisatrice du service public judiciaire ayant conduit à la création desdits contrôles ;

- Les requérantes présentent plusieurs témoignages nominatifs et circonstanciés faisant état, postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle ayant instauré la procédure d'action de groupe, de contrôles d'identité que les personnes concernées ont perçus comme étant justifiés uniquement par leur origine ethnique réelle ou supposée ;

 Le manquement dénoncé par la présente action de groupe n'est pas, comme le soutient le ministre de l’intérieur, l'illégalité commise par les agents de l'État lors de contrôles d'identité donnés de sorte qu’il n’y aurait plus de manquement à faire cesser, mais celui, structurel et continu, qui résulterait d'une inaction de l'État, il y avait donc toujours lieu, à la date d'introduction de la requête, de se prononcer sur l'existence d'un tel manquement.

L’appréciation de l’existence d’un manquement est l’aboutissement logique de ce long déroulé contentieux. Elle pourrait sembler décevante mais ce serait une erreur. En aucun cas, le juge n’a voulu se défausser de ses responsabilités ou les esquiver car, tout simplement, ce ne sont pas les siennes.

Le long examen détaillé, circonstancié et minutieux des « preuves » rapportées par les deux parties à l’appui de leurs positions respectives atteste, si besoin était, du souci du juge de prendre à bras-le-corps le problème qui est au cœur de cette action de groupe. Il ne manque pas d’indiquer qu’à plusieurs des comportements ou situations dénoncés il existe déjà des remèdes.

Le constat, qu’annonçait déjà la remarque liminaire signalée plus haut dans cette notule, n’est guère discutable : le Conseil d’État est un juge et il n’est qu’un juge administratif, d’où découle une invincible logique, un peu amère mais très réaliste, exposée par le juge au point 26 de cette importante décision : « L'action en manquement dont le Conseil d'État a été saisi porte ainsi sur l'abstention des pouvoirs publics, soit, principalement, d'adopter des mesures dont il n'appartient pas au juge administratif de connaître, parce qu'elles touchent aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif ou à la conduite des relations internationales, soit de refondre les dispositifs existants. Ces mesures visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d'identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l'ordre public, impliquant notamment des modifications des relations entre les forces de police et l'autorité judiciaire, le cas échéant par l'intervention du législateur, ainsi que l'évolution des relations entre la police et la population. Elles relèvent donc de la détermination d'une politique publique et excèdent par suite, ainsi qu'il a été dit aux points 8 et 9, l'office du juge de l'action de groupe. »

(Assemblée, 11 octobre 2023, Associations et organisations Amnesty International France, Human Rights Watch, Maison communautaire pour un développement solidaire, Open Society Foundation London, Open Society Institute, Pazapas Belleville et Réseau Egalité, antidiscrimination, justice interdisciplinaire, n° 454836)

 

176 - Port de l’identifiant individuel par les membres des forces de l’ordre – Mesures tendant à assurer le respect de cette exigence – Office du juge et sa limite – Défaut certain de port de l’identifiant et de lisibilité de celui-ci - Annulation avec injonction.

Les requérants demandaient, d’une part l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté leur demande tendant à ce qu'il prenne toutes mesures utiles pour assurer le respect par les forces de l'ordre de l'obligation de port visible de l'identifiant individuel, d’autre part qu’injonction soit faite à ce ministre de prendre toutes mesures utiles de nature à garantir le respect de ces obligations, et notamment d'édicter une instruction prescrivant aux directions de la police nationale et de la gendarmerie nationale d'adapter leur réponse disciplinaire et de modifier les spécifications techniques du matricule pour le rendre plus visible, plus lisible, et plus facilement mémorisable.

Le Conseil d’État, dans cette importante décision rendue dans la plus solennelle de ses formations contentieuses, leur donne très largement raison.

En préambule, le juge donne une leçon de droit aux magistrats et aux avocats requérants, auteurs du second recours, en leur rappelant que l’intérêt pour agir d'un requérant s'apprécie au regard des conclusions qu'il présente et non des moyens invoqués à leur soutien. Ici étaient en cause les modalités d'identification individuelle des agents de police et de gendarmerie, éléments sans effet sur des magistrats de l’ordre judiciaire ou des avocats et qui ne portent aucune atteinte à leurs droits et prérogatives. Sans intérêt, ces juristes sont donc sans qualité pour saisir le juge.

Fixant ensuite le cadre du litige, cette décision rappelle d’abord que le droit positif, soucieux d’instaurer des rapports de confiance entre la police et la population, a prévu le port par les policiers et les gendarmes, de manière systématique et permanente, d’un identifiant sous la forme d’un brassard. Il incombe donc aux autorités hiérarchiques de ces corps de fonctionnaires de rappeler cette obligation et de veiller à son respect.

Cette décision rappelle ensuite qu’il revient au juge saisi en ce sens d’apprécier si le refus de l’administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité et, si tel est le cas, d'enjoindre l'administration de prendre la ou les mesure(s) nécessaire(s). Ceci, sous la réserve, déjà indiquée dans la décision n° 454836 du même jour (V. au n°), que le juge ne peut, dans le cadre de son office, se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou leur enjoindre de le faire. 

Par un raisonnement directement repris et exposé à partir de la décision n° 454836, le juge établit ce qu’il incombe respectivement à l’administration de faire et à lui de décider en cas de carence manifeste de l’administration.

S’agissant du moyen tiré des défauts de port effectif et apparent de l'identifiant individuel, il est jugé que ces défauts sont établis par les témoignages et constats circonstanciés produits par les demandeurs ainsi que par plusieurs rapports et avis du Défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ainsi que par les observations formulées par les corps d'inspection de la police et de la gendarmerie nationale. De là se déduit que les requérants sont fondés à demander l'annulation du refus que le ministre de l'intérieur a opposé à leur demande en tant qu'il porte sur la prise de toutes mesures utiles aux fins de rendre effectif le respect de cette exigence.

S’agissant des modalités techniques retenues pour assurer une lisibilité suffisante de l'identifiant individuel de ses agents par l’administration, le juge retient, là encore, le caractère insuffisant de la lisibilité du brassard notamment du fait de son étroitesse, ce qui fonde les requérants à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle refuse de modifier les modalités de l'identification individuelle pour en assurer une lisibilité suffisante pour le public dans l'ensemble des contextes opérationnels.

En revanche, sont rejetées les allégations de dissimulation du visage ou des plaques d'immatriculation des véhicules par les agents des forces de l’ordre car elles ne sont pas assorties de précisions suffisantes.

Il est ainsi ordonné au ministre de l’intérieur, sous douze mois, d’une part, d'assurer le respect par les agents de police et de gendarmerie, y compris lorsque l'emplacement habituel de leur matricule est recouvert par des équipements de protection individuelle, de l'obligation de port apparent du numéro d'identification, lorsque ceux-ci y sont soumis, d’autre part, de modifier les caractéristiques de l'identifiant individuel, et en particulier ses dimensions, afin d'en assurer une lisibilité suffisante pour le public dans l'ensemble des contextes opérationnels.

(Assemblée, 10 octobre 2023, Ligue des droits de l'homme (LDH) et association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), n° 467771 ; Syndicat de la magistrature et Syndicat des avocats de France, n° 467781)

 

177 - Dignité de la personne humaine – Expulsion d’un logement occupé sans droit ni titre – Suspension de l’expulsion ordonnée – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Commet une erreur de droit l’ordonnance d’un tribunal administratif estimant, dans le cadre de l’expulsion de l’occupant sans droit ni titre d’un logement, que l’exécution de la mesure d’expulsion constitue une erreur manifeste d'appréciation en raison de l'atteinte à la dignité de la personne humaine, eu égard notamment à l'état de santé dégradé de l’intéressé et à l'absence de solution de relogement. 

Le Conseil d’État relève que cette expulsion avait été ordonnée par un tribunal judiciaire et le concours de la force publique accordé par le préfet, il estime, eu égard à la force exécutoire attachée à toute décision de justice, que le juge du référé suspension a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si les circonstances sur lesquelles il se fondait pour estimer que l'exécution de la décision contestée serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, étaient, par la date à laquelle elles sont survenues ou ont été révélées, postérieures à la décision du juge de l'exécution qui avait refusé d'octroyer au requérant un délai pour quitter les lieux. 

Cette solution suppose examinée par le juge judiciaire cette question du respect de la dignité d’une personne au regard de son état de santé.

(11 octobre 2023, ministre de l’intérieur, n° 474491)

 

Police

 

178 - Police des immeubles en péril – Notion d’insalubrité irrémédiable – Détermination du coût de reconstruction d’un immeuble – Prise en compte du coût de démolition – Absence – Erreur de droit – Annulation.

Un arrêté préfectoral ayant déclaré l’état d’insalubrité irrémédiable d’un immeuble il en a été demandé l’annulation, en vain en première instance et en appel. L’un des copropriétaires de l’immeuble en cause se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle que l’art. L. 1331-26 du code de la santé publique dispose : « L'insalubrité d'un bâtiment doit être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin, ou lorsque les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction. » Il précise que dans le coût de reconstruction de l’immeuble il y a lieu d’inclure le coût de sa démolition.

La cour administrative d’appel a ainsi commis une erreur de droit en rejetant l’appel de M. A. au motif que ce dernier n'était pas fondé à soutenir que l'évaluation du coût de reconstruction devait prendre en compte le coût des travaux de démolition.

Est donc prononcée une inévitable cassation de cet arrêt.

(10 octobre 2023, M. A., n° 464403)

 

179 - Police des étrangers – Instruction ministérielle du 3 août 2022 – Éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l'ordre public - Circulaire ministérielle du 17 novembre 2022 - Exécution des obligations de quitter le territoire français - Renforcement des capacités de rétention – Rejet.

Les requêtes, jointes car présentant des questions similaires, demandent l’annulation, la première, de l'instruction du ministre de l'intérieur du 3 août 2022 relative aux mesures nécessaires pour améliorer la chaîne de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l'ordre public, les trois autres, de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention.

Les cinq chefs de moyens sont rejetés.

 

1/ La circonstance que la circulaire du 3 août 2022 fasse une simple référence à celle du 29 septembre 2020, abrogée pour n’avoir pas été publiée, n’a pas pour effet de l’entacher d’illégalité.

 

2/ Concernant les moyens relatifs aux décisions obligeant à quitter le territoire français, le juge les range en quatre rubriques.

Tout d’abord, est examinée l'édiction de telles obligations. Le juge relève que la circulaire du 17 novembre 2022, qui invite les préfets à prendre une mesure portant obligation de quitter le territoire français à l'égard de « tout étranger en situation irrégulière » lorsqu'est constatée « l'absence de droit au séjour, a donc pour seul objet et effet de leur demander de prendre une telle mesure une fois examinée et rejetée la demande de titre sollicité ou vérifiée l'absence de droit au séjour sans écarter toute possibilité de régularisation. Elle ne méconnaît donc ni les art. 3 et 8 de la Convention EDH ni les art. L. 611-1 et L. 611-3 du CESEDA. 

Ensuite, concernant l'octroi d'un délai de départ volontaire, la circulaire du 17 novembre 2022 ne saurait être interprétée comme visant la situation des étrangers en situation irrégulière ressortissants de l'Union européenne puisqu’elle ne s'appuie que sur les seuls art. L. 612-1 et suivants du CESEDA qui ne sont pas applicables aux ressortissants de l’Union. De plus, paraphrasant sur ce point les dispositions de l’art. L. 612-2 du CESEDA, la circulaire ne saurait la méconnaître sur ce point.

Encore, la recommandation aux préfets d'édicter des interdictions de retour « aussi souvent  que possible » ne saurait exclure les exceptions figurant aux art. L. 612-6 et L. 612-7 du CESEDA, tenant à l'existence de circonstances humanitaires, ou celle figurant à l’art. L. 612-9 du CESEDA, relative aux étrangers victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou engagés dans un parcours de sortie de la prostitution.

Également, l'inscription au fichier des personnes recherchées (FPR) et au système d'information Schengen (SIS) est, pour la première, conforme au décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées (FPR) et, pour la seconde, exclusive, contrairement à ce qui est soutenu, d’une inscription au traitement N-SIS II.

 

3/ Sur les moyens relatifs aux décisions d'assignation à résidence et aux visites domiciliaires le juge répond en deux temps.

S'agissant de l'assignation à résidence, la circulaire attaquée ne méconnaît ni les dispositions de l’art. L. 731-1 du CESEDA ni celles de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour la transposition desquelles cet article a été pris. De plus, en invitant, par sa circulaire du 17 novembre 2022, les préfets à assigner systématiquement à résidence les étrangers faisant l’objet d’une OQTF, le ministre n’a ni entaché celle-ci d’incompétence, ni méconnu l'art. L. 731-1 ou L. 731-3 du CESEDA, les art. 2 et 4 et la Déclaration de 1789, ni l'art. 27 de la directive du 16 décembre 2008 précitée ni, non plus, le droit à une bonne administration. 

S'agissant des visites domiciliaires, en prescrivant d'avoir recours aux visites domiciliaires « en sollicitant l'autorisation du juge judiciaire » « pour mener à bien l'expulsion des étrangers dont le comportement constitue une menace pour l'ordre public », la circulaire du 17 novembre 2022 se borne à rappeler la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention, seul compétent pour prescrire de telles visites et ne porte ainsi pas atteinte aux art. L. 733-6, L. 733-7 et L. 733-8 du CESEDA.

 

4/ Sur les moyens relatifs à la rétention administrative, la circulaire du 3 août 2022 recommande d’utiliser « prioritairement » la rétention « pour les étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles à l'ordre public, y compris lorsque l'éloignabilité (– quel mot affreux -) ne parait pas acquise ». Les deux circulaires ajoutent qu’il convient de développer « les locaux de rétention administrative ». Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces textes ne comportent point d’atteinte à la directive précitée du 16 décembre 2008, dont ils n’indiquent pas en quoi elle serait méconnue.

 

5/ Sur les moyens relatifs aux droits et prestations sociaux des personnes concernées, le ministre de l’intérieur n’était pas incompétent, au regard du décret fixant ses attributions, pour inviter les préfets à se rapprocher des organismes de protection sociale afin de « vérifier que la prise d'une OQTF s'accompagne d'une suspension des droits sociaux de la personne faisant l'objet d'une telle obligation. »

(10 octobre 2023, Cimade, Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s et Ligue des droits de l'Homme, n° 469328 ; Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, Ligue des droits de l'Homme, association Utopia 56, Association pour le droit des étrangers et syndicat des avocats de France, n° 470574 ;  Fédération des acteurs de la solidarité et fondation Abbé Pierre, n° 471464 ; Cimade service œcuménique d'entraide, n° 471949, jonction)

 

180 - Permis de conduire – Échange d’un permis étranger avec un permis français – Titre non authentique – Refus de l’échange – Annulation du refus – Erreur de droit – Annulation.

Commet, à l’évidence, une erreur de droit le tribunal qui annule le refus d’un préfet de procéder à un échange de permis de conduire ivoirien, reconnu comme n’étant pas authentique par le service spécialisé à cet effet, avec un permis de conduire français.

(13 octobre 2023, ministre de l’intérieur, n° 467975)

 

181 - Permis de conduire – Changement d’état-civil – Demande de délivrance d’un permis avec la nouvelle identité – Fausses indications d’identité – Annulation du refus de délivrance – Annulation.

Un couple de ressortissants arméniens et leurs enfants alors mineurs sont entrés en France en 2006 sous une fausse identité pour obtenir des titres de séjour. Les parents et un de leurs enfants ont obtenu dix ans plus tard la délivrance de permis de conduire sous cette identité usurpée, puis, en 2020, ayant révélé ce subterfuge, ils ont demandé l’établissement de permis sous leur véritable identité.

Le préfet ayant refusé de se prêter à cette combinaison, les intéressés ont obtenu du juge l’annulation des décisions préfectorales motif pris qu'en dépit de la manœuvre commise pour l'obtention de titres de séjour, chaque membre de la famille, après avoir décliné son identité d'emprunt, avait été physiquement présent lors de la passation des épreuves du permis de conduire.

Sur recours du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État casse ce jugement en rappelant que, passées sous une fausse identité, les épreuves en vue de l’obtention du permis de conduire étaient nulles ainsi qu’il résulte d’ailleurs de l’art. 5 de l'arrêté ministériel du 20 avril 2012 fixant les conditions d'établissement, de délivrance et de validité du permis de conduire. C’est l’application stricte du principe selon lequel « ce qui est nul ne produit pas d’effet » (Quod nullum est nullum producit effectum)

(13 octobre 2023, MM. et Mme E., n° 469505)

 

182 - Permis de conduire – Infractions au code de la route – Paiement d’amendes forfaitaires – Absence d’avis de contravention inexacts ou incomplets – Obligation d’information présumée respectée – Rejet.

Un automobiliste, qui s’est acquitté du paiement différé des amendes forfaitaires correspondant aux infractions relevées sans prétendre ou établir que les avis de contravention étaient inexacts ou incomplets, n’est pas fondé à prétendre qu’à l’occasion de la commission de contraventions au code de la route il n’aurait pas bénéficié, de la part de l’administration, de l'obligation d'information prévue par les art. L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route. 

(20 octobre 2023, M. A., n° 467690)

 

183 - Police des transports publics particuliers de personnes – Taxi – Retrait de la carte professionnelle de conducteur de taxi – Absence de fixation légale de la durée maximale du retrait temporaire de la carte – Refus de transmission d’une QPC.

Deux conducteurs de taxis qui ont fait, chacun, l’objet d’un retrait temporaire de huit ans de leurs cartes professionnelles d’exploitation de taxi soulèvent une QPC à l’appui de leurs pourvois en cassation dirigés contre les arrêts confirmatifs du rejet de leurs demandes opposé en première instance.

Ils font valoir que l'art. L. 3124-11 du code des transports, en ne prévoyant pas une durée maximale pour la peine de retrait temporaire de la carte professionnelle de conducteur de taxi, porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines (art. 8 Déclaration de 1789) et qu’il est entaché d'incompétence négative.

La transmission de cette question leur est refusée par une curieuse argumentation qu’il faut citer en entier : « (…) la peine de retrait temporaire de la carte professionnelle s'inscrit dans une échelle de sanctions, dont la peine la plus élevée est le retrait définitif de cette carte impliquant, pour la personne sanctionnée, l'interdiction définitive d'exercer. Dans ces conditions, le législateur pouvait, sans méconnaître sa compétence ni le principe de légalité des délits et des peines, ne pas fixer de limite à la durée de la peine de retrait temporaire de la carte professionnelle. » Que cela veut-il dire ? Que n’importe quelle durée est possible ? Quid alors du principe de proportionnalité ? Et surtout, comment et pourquoi inférer de ce qu’un retrait pouvant être définitif les autres retraits peuvent avoir n’importe quelle durée ?

Ni le juge pénal national, ni l’une des deux juridictions européennes ne laisserait passer une telle justification. La « mort civile » supprimée par la loi du 31 mai 1854 aurait-elle été remplacée par la mort économique ?

(18 octobre 2023, M. C., n° 475657 ; Mme A., n° 475660)

 

184 - Police des manifestations sur la voie publique – Manifestation de soutien à la cause palestinienne – Télégramme ministériel aux préfets – Risque de troubles à l’ordre public – Compétence exclusive des préfets au vu de circonstances locales – Rejet.

Le juge du référé-liberté du Conseil d’État a été saisi d’une demande de suspension de l’exécution de l'instruction du ministre de l'intérieur du 12 octobre 2023 portant interdiction de toute manifestation en soutien au peuple palestinien.

Le recours portait en réalité sur deux questions juridiques : la compétence de ce ministre en la matière, la proportionnalité de la mesure aux menaces pour l’ordre public.

 

1 - Sur la compétence du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État rappelle très clairement que c’est au préfet, dans chaque département, qu’il appartient (cf. art. L. 211-1 et, L. 211-4 et R. 211-1 du code de la sécurité intérieure) à titre exclusif « d'apprécier, à la date à laquelle (cette autorité) se prononce, la réalité et l'ampleur des risques de troubles à l'ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l'évènement. A ce titre, il revient au préfet compétent, sous le contrôle du juge administratif, de déterminer, au vu non seulement du contexte national (actuellement existant), mais aussi des circonstances locales, s'il y a lieu d'interdire une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit du reste la partie au conflit qu'elle entend soutenir, sans pouvoir légalement motiver une interdiction par la seule référence à l'instruction reçue du ministre ni la prononcer du seul fait qu'elle vise à soutenir la population palestinienne. » 

Ainsi se trouve interdite la solution d’une double automaticité qui consisterait à interdire une manifestation sur la base du télégramme ministériel et parce qu’il s’agit de soutenir la population palestinienne. C’est le rappel classique de la méthodologie d’exercice du pouvoir de police administrative. Toutefois, il fallait faire un sort juridique au télégramme litigieux : le juge se satisfait de l’explication de texte donnée au cours de l’audience selon laquelle l’auteur du télégramme aurait entendu seulement  rappeler aux préfets qu'il leur appartenait, dans l'exercice de leurs compétences, d'interdire les manifestations de soutien à la cause palestinienne justifiant publiquement ou valorisant, de façon directe ou indirecte, la commission d'actes terroristes, comme ceux qui ont été perpétrés le 7 octobre 2023 par des membres de l'organisation Hamas. Dès lors qu’elle laissait sauf le pouvoir d’appréciation et de décision des préfets, cette formulation n’encourt pas annulation.

 

2 - Sur la proportionnalité des mesures d’annulation de manifestations de soutien à la cause palestinienne, le juge décrit le fort climat de tension internationale au Proche-Orient, les risques de troubles pouvant résulter de manifestations, le caractère terroriste du Hamas, tous éléments entrant dans l’élaboration de la politique préfectorale de maintien de l’ordre.

Le recours est donc rejeté avec cette « pique » en direction du ministre qu’il en est ainsi « en dépit de (la) regrettable approximation rédactionnelle (du) télégramme contesté ».

(ord. réf. 18 octobre 2023, Comité Action Palestine, n° 488860)

(185) V. aussi, estimant que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Nice a estimé que le Préfet des Alpes-Maritimes n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation en se fondant, pour interdire une « Marche pacifique en soutien au peuple palestinien », sur l’existence d’un contexte international particulièrement sensible mais aussi sur un contexte particulier propre à la ville de Nice où il existait un risque sérieux de troubles graves à l'ordre public entre partisans de l'une ou l'autre des parties à ce conflit, alors que les forces de l'ordre, qui sont déjà très mobilisées, n'auraient pas la capacité, compte tenu de « l'élévation de la posture Vigipirate en urgence attentat », de prévenir ces risques ou de les contenir. Le préfet a, en outre, indiqué, dans son mémoire en défense devant le juge des référés, que depuis le 7 octobre ses services ont recensé à Nice de nombreux tags et graffiti qui alimentent un climat particulier de tensions, qu'un concert et un match de football Nice/Marseille, qui doivent avoir lieu le 21 octobre au soir, mobilisent les forces de l'ordre et que la venue de supporters marseillais à Nice a été interdite du fait de l'insuffisance des effectifs de forces de l'ordre disponibles : ord. réf. 22 octobre 2023, M. D. et M. E., n° 488973.

 

186 - Police des mines – Titres miniers – Refus de prolongation d’une concession minière – Atteinte à l’environnement – Erreur de droit – Annulation.

Une société s’est vu refuser sa demande de prolongation d’une concession minière, fondée sur l’art. L. 144-4 du code minier au motif d’atteintes à l’environnement. Les juridictions du fond ont annulé le refus opposé par le préfet.

Le ministre requérant se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour une double erreur de droit commise par la cour administrative d’appel, d’abord en ce qu’elle a affirmé qu'il n'y avait lieu de prendre en considération l'impact sur l'environnement des travaux d'exploitation projetés sur le périmètre de la concession que dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de travaux, distincte de l'autorisation de prolongation de la concession, ensuite parce qu’elle fait application d’une disposition législative (seconde phrase de l’art. L. 144-4 précité) déclarée contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel (déc. n° 2021-971 QPC, 18 février 2022, France nature environnement, prolongation de plein droit de certaines concessions minières).

(19 octobre 2023, ministre de l’économie et des finances…, n° 456736 et n° 456738)

 

187 - Police des eaux - Prescriptions techniques générales applicables aux plans d'eau – Moyens de légalité externe et de légalité interne – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté du 9 juin 2021 de la ministre de la transition écologique fixant les prescriptions techniques générales applicables aux plans d'eau, y compris en ce qui concerne les modalités de vidange, relevant de la rubrique 3.2.3.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement.

C’est l’occasion pour la sixième chambre du Conseil d’État d’une très longue décision dont il ne saurait être rendu compte dans le cadre de cette chronique sauf à la citer intégralement. On se permet d’inviter les lecteurs intéressés à se reporter au texte.

(19 octobre 2023, Syndicat des Étangs Poitou-Charentes Vendée, n° 457355 ; Association des Étangs de France Nivernais Morvan, n° 457451 ; Syndicat des Étangs de la Haute-Vienne, n° 457468 ; Union régionale du Centre des intérêts aquatiques et piscicoles, n° 457490 ; Syndicat des propriétaires et exploitants d'Étangs du Val-de-Loire, n° 457513 ; Syndicat des Étangs creusois, n° 457514 ; Société coopérative Unicoque et association nationale des producteurs de noisettes, n° 457580 ; Syndicat des Étangs corréziens, n° 457582 ; Syndicat des exploitants de plans d'eau, de cours d'eau de la Mayenne et de la Sarthe, n° 457603 ; Syndicat de défense et de promotion des étangs dauphinois, n° 457862 ; Association Étangs de France et association française des pisciculteurs professionnels d'étangs, n° 461540)

 

188 - Police de la circulation routière – Ralentisseurs – Demande de mise en conformité – Rejet – Insuffisance de motivation – Annulation avec renvoi.

Les personnes et organismes requérants ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'enjoindre au département du Var de supprimer ou de mettre en conformité les ralentisseurs non conformes implantés sur la voirie départementale. Leur recours a été rejeté et la cour administrative d’appel a confirmé ce rejet.

Ils se pourvoient en cassation.

Pour annuler l’arrêt d’appel le Conseil d’État retient qu’il est insuffisamment motivé et ne met donc pas le juge de cassation en état d’exercer son contrôle.

En effet, alors que les requérants soutenaient que la qualification par le département du Var comme « plateaux traversants » de la plupart des ouvrages visés par leurs demandes ne permettait pas de les exclure du champ d'application du décret du 27 mars 1994, dès lors que, quelle que soit la longueur du plateau du ralentisseur, leur profil présente la forme d'un trapèze, la cour a motivé son rejet en retenant qu'il résultait de ce décret pris dans son ensemble que ses auteurs n'avaient pas entendu désigner tous les ouvrages présentant cette forme comme étant de « type trapézoïdal », mais uniquement ceux caractérisés comme tels dans « la typologie technique propre à ces aménagements routiers », et en a déduit que les ouvrages caractérisés comme « plateaux traversants » selon la « typologie technique usuelle » ne pouvaient par définition être qualifiés de ralentisseurs de type trapézoïdal pour l'application de ce décret.

(24 octobre 2023, Association « Pour une mobilité sereine et durable » (PUMSD), fédération française des motards en colère, antenne du Var, Mme C. et autres, n° 464946)

 

189 - Police municipale des travaux sur les voies publiques – Installation de palissades pour un chantier de construction – Construction autorisée par un permis de construire – Refus – Rejet.

Bénéficiaire du permis de construire un immeuble d’habitat collectif, la société requérante a sollicité du maire de la commune une autorisation d'occuper le domaine public en vue de la réalisation, sur la voirie communale, d'une aire de livraison et de déchargement et de l'installation d'une palissade pour les besoins du chantier de construction de cet immeuble.

Cette demande a été refusée, d’abord implicitement puis explicitement.

La société ayant saisi en vain les juges du fond de recours en annulation de ces refus, elle se pourvoit en cassation.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État énonce d’abord que c’est à tort que la requérante invoque les dispositions de l’art. L. 115-1 du code de la voirie routière, celles-ci ne concernant que des travaux qui sont de nature à conduire à l'ouverture de tranchées ou à nécessiter la réfection des chaussées, trottoirs, accotements et autres ouvrages dépendant de la voie alors qu’en l’espèce les travaux se limitaient à la simple réalisation d'une aire de livraison et de déchargement de chantier et à l'installation d'une palissade ; au surplus, la société ne disposait pas, à la date des décisions attaquées, d'un titre l'autorisant à effectuer des travaux affectant la voirie.

Ensuite, le maire a pu légalement refuser l'autorisation sollicitée par la requérante car elle aurait été incompatible avec une autre autorisation déjà accordée de l'autre côté de la même rue ; il n’appartenait pas à la cour de rechercher si cette dernière autorisation avait été demandée antérieurement à celle sollicitée par la requérante.

Enfin, la cour a souverainement apprécié les faits en estimant que l'installation de palissades pour les besoins des deux chantiers de part et d'autre de la même voie publique aurait eu pour conséquence d'empêcher durablement toute circulation sur cette voie et que le déplacement de la palissade installée pour les besoins du chantier concurrent de celui de la société Villa Les Guilands aurait, de même, bloqué une autre rue.

C’est donc sans erreur de droit ni dénaturation que la cour a jugé que la décision de refus du maire trouvait sa justification dans des motifs d'intérêt général et de sécurité publique.

(25 octobre 2023, Société Villa Les Guillands, n° 471052)

 

Professions réglementées

 

190 - Vétérinaires – Juridiction disciplinaire – Suspension d’exercice assortie de sursis – Nouvelle sanction de suspension durant la durée d’épreuve – Office du juge – Annulation.

Au visa de l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel de la portée des dispositions de l’art. L. 242-7 du code rural (déc. n° 2022-1017, 21 octobre 2022, Lucas S. et autre), le Conseil d’État, dans cette importante décision, se prononce sur la situation juridique née d’une sanction infligée à un vétérinaire avec sursis lorsque survient postérieurement une autre décision de sanction elle aussi prononcée avec sursis.

Selon le juge, la suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire assortie d’un sursis partiel ou total prononcée par la juridiction disciplinaire constitue une mesure de suspension de l'exécution de la peine. Il s’ensuit que cette sanction, assortie en totalité d'un sursis ou la partie de la sanction de suspension assortie d'un tel sursis, devient automatiquement exécutoire lorsque la juridiction disciplinaire, au cours du délai d'épreuve, inflige une nouvelle sanction de suspension.

C’est pourquoi il est de l’office de cette dernière, lorsqu'elle fixe la durée de cette nouvelle sanction de suspension, d’une part, de prendre en compte la durée de la première sanction de suspension assortie d'un sursis, qui deviendra exécutoire du fait de cette nouvelle sanction de suspension et, d’autre part, de le faire apparaître dans sa décision, en faisant référence, dans ses visas ou ses motifs, à cette première sanction de suspension. 

En l’espèce, la juridiction disciplinaire nationale a jugé, rejetant la demande en ce sens du requérant, qu'il ne lui appartenait pas de prononcer la révocation d'un sursis. Si, en effet, la juridiction disciplinaire n’a pas ce pouvoir puisque cette révocation est automatique lorsque les conditions en sont réunies, il lui incombait cependant de prendre en compte la précédente sanction assortie du sursis, intervenue moins de cinq ans auparavant et devenue définitive, pour fixer la durée de la nouvelle sanction de suspension infligée à l’intéressé. En s’en abstenant elle a commis une erreur de droit.

(04 octobre 2023, M. Lemarignier, n° 461090)

(191) V. aussi, très largement comparable : 04 octobre 2023, M. B., n° 464975.

 

192 - Notaire – Refus de démission et refus de nomination – Prise en compte d’une infraction professionnelle ancienne – Rejet.

Le garde des sceaux a refusé d’accepter la démission du requérant en qualité de notaire titulaire d’un office à Paris, ainsi que sa demande de nomination en qualité de notaire associé de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique « B... Notaires », constituée afin de remplacer l'intéressé dans son office. 

Le tribunal administratif, saisi par l’intéressé, a annulé ce refus, estimant que le motif allégué par son auteur était entaché d’une erreur d’appréciation en ce qu’il était fondé sur une faute professionnelle commise et jugée en juin 2012. Sur appel du ministre, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la demande de l’intéressé.

Ce dernier se pourvoit, en vain, en cassation.

En effet, après avoir annulé cet arrêt en ce qu’il n’a pas examiné les autres moyens développés par le requérant à l’appui de son recours, le juge de cassation, se prononçant au fond par suite de l’effet dévolutif de l’appel, les rejette.

La question de procédure constitue un rappel classique. Le juge d'appel qui, saisi par le défendeur de première instance, censure le motif retenu par les premiers juges, doit, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, examiner l'ensemble des moyens que le demandeur avait présentés en première instance, alors même qu'ils n’auraient pas été repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant lui, à l'exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel. Or la cour, après censure du motif retenu par les premiers juges, n’a pas examiné les autres moyens qu’avait soulevé le demandeur en première instance alors que, du fait de l’annulation, elle se trouvait saisi par l’effet dévolutif de l’appel. Dès lors que le Conseil d’État casse pour ce motif l’arrêt, il statue comme juge d’appel et donc, à son tour, saisi par l’effet dévolutif.

Dans l’examen du fond, confirmant la cour, et c’est le point central de cette décision, le juge estime que lorsqu'une personne physique entend constituer une société d'exercice libéral à associé unique pour être titulaire d'un office notarial, y compris d'un office existant, elle doit remplir les conditions requises pour exercer la profession de notaire, notamment celle de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité. Il revient donc au ministre de la justice, tenu de vérifier le respect de cette condition, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté, ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

Examinant les faits constatés en 2011, il juge que la décision contestée du garde des sceaux n’est pas entachée d’une erreur d’appréciation, le requérant ayant manqué à ses obligations professionnelles en concluant des conventions de séquestre amiable avec la République de Côte-d'Ivoire pour trois comptes séquestres, à partir desquels il  a perçu une rémunération d'un montant total de 300 262 euros alors qu'il n'était pas fondé à accepter ces sommes dont le versement reposait sur des actes ne relevant pas de son office public. Le juge ne s’arrête, pour dire le refus du ministre justifié, ni à la circonstance que ces faits sont anciens, isolés, ni à la circonstance que le comportement du demandeur  dans l'exercice de son office n'a donné lieu à aucun reproche, postérieurement à ces faits et à la sanction disciplinaire d'interdiction d'exercice pendant deux ans qui lui a été infligée par jugement du 6 juin 2012 du tribunal de grande instance de Paris, statuant en matière disciplinaire. De tels agissements, qui constituent des faits contraires à l'honneur et à la probité, sont, compte tenu de leur nature et de leur particulière gravité, et alors même qu'ils sont relativement anciens et qu'ils n'auraient donné lieu à aucune sanction pénale, de nature à justifier le refus de sa nomination.

C’est donc à tort que le tribunal administratif a cru pouvoir estimer entaché d’une erreur d’appréciation le refus du ministre.

 (04 octobre 2023, M. B., n° 467121)

 

193 - Chirurgiens-dentistes - Société de participations financières de professions libérales (SPFPL) inscrite au tableau de l’ordre – Prise de participation majoritaire dans une société d'exercice libéral à actions simplifiée (SELAS) - Conditions – Impossibilité de déterminer si l’associé unique de la SPFPL détenteur majoritaire de cette dernière est une personne physique ou morale exerçant la profession de chirurgien-dentiste – Radiation de l’inscription au tableau de l’ordre – Condition devant être réputée satisfaite – Annulation avec renvoi au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes.

La société de participations financières de professions libérales (SPFPL) Eurodonti France, inscrite au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine, est devenue, par suite de modifications statutaires, actionnaire majoritaire, détenant désormais la majorité de ses actions, de la société d'exercice libéral à actions simplifiée (SELAS) Cabinet de la Grand Place, inscrite au même tableau de l'ordre.

Le conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des chirurgiens-dentistes a estimé cette situation contraire aux règles applicables aux sociétés d'exercice libéral de chirurgiens-dentistes, l'article R. 4113-11 du code de la santé publique faisant obstacle à ce que des sociétés de participations financières puissent détenir des participations dans plus de deux sociétés d'exercice libéral, elle a en conséquence décidé que la société devait être radiée du tableau de l'ordre.

Sur recours administratif préalable obligatoire de la société, le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre a, lui, estimé que la nouvelle répartition du capital de la SELAS Cabinet de la Grand Place porte atteinte à l'indépendance des chirurgiens-dentistes (cf. art. R. 4127-209, CSP) et en a déduit que la SELAS ne pouvait plus être inscrite au tableau de l'ordre.

Le Conseil national de l'ordre, par sa décision du 21 juillet 2022, a également retenu que ces modifications des statuts ne pouvaient être admises mais en se fondant sur un autre motif, tiré de ce que la SPFPL Eurodonti France ne répond pas à la condition d'être détenue majoritairement par une personne physique ou morale exerçant elle-même la profession de chirurgien-dentiste car les éléments recueillis ne lui permettent pas de déterminer si son associé unique, la société de droit grec « Orthodontiko Odontiatreio toy Hamagelou Monoprosopi Ike », exerce la profession de chirurgien-dentiste. Il a également prononcé le retrait de l'inscription de la SELAS Cabinet de la Grand Place au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine.

En exécution de ces décisions, le conseil départemental des Hauts-de-Seine a notifié aux praticiens de la SELAS Cabinet de la Grand Place l'exécution du retrait de son inscription au tableau de l'ordre à compter du 26 octobre 2022. Cette société demande, pour l’essentiel, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 juillet 2022.

Pour accueillir le pourvoi au fond, le juge de cassation retient en premier lieu qu'en application du IV de l'art. 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, le conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des chirurgiens-dentistes a inscrit la SPFPL Eurodonti France au tableau de l'ordre de ce département par une décision du 27 février 2020. Or une telle inscription était subordonnée à la condition, prévue par le II du même article, que plus de la moitié du capital et des droits de vote de cette société soit détenue par des personnes exerçant la profession de chirurgien-dentiste.

Il relève en deuxième lieu que l'inscription de la SPFPL Eurodonti France au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes n'avait été, à la date à laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a statué sur le recours de la SELAS Cabinet de la Grand Place, ni rapportée, ni abrogée, ni annulée par décision d'une juridiction administrative.

Il conclut donc que le Conseil national de l'ordre ne pouvait pas, dans le cadre de son examen de la conformité des modifications statutaires de la SELAS Cabinet de la Grand Place aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'exercice de la profession, remettre en cause le respect par la SPFPL Eurodonti France de la condition de détention majoritaire de son capital social et de ses droits de vote par des personnes exerçant la profession de chirurgien-dentiste à laquelle son inscription au tableau de l'ordre était subordonnée, la vérification d'une telle condition incombant au seul conseil départemental des Hauts-de-Seine au vu notamment de l'état de la composition du capital de la SPFPL qui lui est transmis chaque année en application du dernier alinéa du IV de l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 précitée. La décision du Conseil national du 21 juillet 2022 est entachée d'illégalité. L’affaire lui est donc renvoyée « non (pour) qu'il soit fait droit au recours formé par la société requérante auprès du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, mais qu'il soit réexaminé, en fonction des circonstances de fait et de droit applicables à la date de sa décision ».

Ce Conseil a deux mois pour opérer ce réexamen.

(04 octobre 2023, SELAS Cabinet de la Grand Place, n° 468239)

 

194 - Chirurgiens-dentistes – Signalisation apposée sur un centre de santé – Ouverture d’un tel centre non subordonnée à l’inscription au tableau de l’ordre – Annulation.

Pour annuler la sanction du blâme infligée par l’ordre des chirurgiens-dentistes à l’un de ses membres pour avoir apposé une signalisation sur la façade d’un centre de santé en violation des dispositions du code de déontologie de cet ordre, le Conseil d’État retient qu’il résulte des dispositions des art. R. 4127-201 et R. 4127-215 du code de déontologie des chirurgiens-dentistes qu'à la différence des sociétés d'exercice libéral et des sociétés civiles professionnelles ayant pour objet l'exercice en commun de la profession de chirurgien-dentiste, qui, en vertu respectivement des art. R. 4113-4 et R. 4113-28 du même code, ne sont constituées que sous la réserve de leur inscription, en tant que société, au tableau de l'ordre, l'ouverture d'un centre de santé n'est pas subordonnée à son inscription au tableau de l'ordre auxquel appartiennent les praticiens qui y exercent. Par suite, les centres de santé ne sont pas soumis aux obligations fixées par le code de déontologie élaboré, en application des dispositions de l'art. L. 4127-1 du code de la santé publique, pour la profession de chirurgien-dentiste. 

(26 octobre 2023, M. L., n° 461015)

(195) V. aussi, identique : 26 octobre 2023, M. O., n° 461017.

(196) V. encore, identique : 26 octobre 2023, M. K., n° 461019.

 

197 - Pharmacien – Sanction disciplinaire du blâme avec inscription au dossier pour publicité en faveur de son officine – Procédure suivie – Rejet.

Sanctionné d’un blâme pour usage de publicité en faveur de son officine, un pharmacien se pourvoit en cassation de la décision de rejet rendue par la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens. Il invoque au soutien de son action des moyens touchant à la procédure et un moyen de fond.

Sur la procédure, ses deux griefs sont rejetés : la juridiction a suffisamment répondu au grief que l'affaire ne pouvait sans méconnaissance du principe d'impartialité être jugée par la chambre de discipline de l'ordre des pharmaciens de la région Lorraine ; la circonstance que la juridiction a décidé de statuer à huis-clos sans objection de la part du requérant rend irrecevable la critique de cette décision de ce chef pour la première fois en cassation.

Sur le fond, il ne saurait être soutenu que la sanction infligée contreviendrait à la jurisprudence européenne (CJCE, 4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff. C-339/15) prohibant l’interdiction de manière générale et absolue de toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires puisque notamment les dispositions de l’art. L. 5125-31 du code de la santé publique ne soumettent pas cette publicité à un régime d’interdiction générale et absolue.

(10 octobre 2023, M. B., n° 456539)

 

198 - Pharmacienne d’officine – Interdiction temporaire d’exercer la pharmacie – Ouverture de la pharmacie – Pharmacie laissée sans remplacement de la praticienne suspendue -Rejet.

A la suite de contrôles inopinés, trois pour la première infraction et deux pour la seconde infraction, il a été constaté qu’une pharmacienne qui avait fait l’objet d’une interdiction d’exercer temporaire ses fonctions, d’une part, avait néanmoins laissé ouverte sa pharmacie en violation de cette interdiction, d’autre part, n’avait pas pourvu à son remplacement par un autre pharmacien.

L’intéressée se pourvoit en cassation de la décision de la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens qui a prononcé à son encontre la sanction d'interdiction d'exercer la pharmacie pour une durée de trois ans pour le double motif rappelé ci-dessus. 

Son pourvoi est évidemment rejeté.

Le juge estime qu’il y a là une faute méritant sanction alors même que la requérante invoquerait l’absence d’élément intentionnel de sa part, d’autant que celle-ci a été destinataire de plusieurs courriers et courriers électroniques de l'agence régionale de santé lui rappelant les obligations qui s'imposaient à elle.

Par ailleurs, dès lors qu’elle n’était pas tenue de laisser sa pharmacie ouverte durant la période d’interdiction, elle ne saurait invoquer la difficulté à se trouver un remplaçant.

(10 octobre 2023, Mme A., n° 467215)

 

199 - Expert-comptable – Blâme à titre disciplinaire – Détournement de clientèle et de salariés d’une société – Utilisation de courriels dont un seul est cité – Dénaturation des faits – Annulation.

Suite à un dépôt de plainte d’une société contre un expert-comptable, la chambre régionale de discipline près un conseil régional de l'ordre des experts-comptables a infligé à l’intéressé la sanction du blâme avec inscription au dossier pour atteinte à l'honneur et à la probité et non-respect des règles déontologiques. Sur appel, la chambre nationale de discipline a, à la fois, annulé la décision en estimant que les faits de détournement de clientèle et de salariés de la société plaignante n'étaient pas caractérisés et elle a confirmé la sanction du blâme avec inscription au dossier qu’avaient prononcée les premiers juges.

Toutefois, la chambre nationale a considéré les faits reprochés comme établis, en indiquant disposer d’une liste de vingt-et-une personnes ayant échangé des courriels avec cet expert-comptable, mais elle s’est appuyée sur un seul courriel, n’émanant d’ailleurs pas de la personne sanctionnée mais d’un tiers, pour maintenir la sanction litigieuse. Le Conseil d’État aperçoit dans ce jugement une dénaturation des pièces du dossier conduisant à sa cassation.

(19 octobre 2023, M. C., n° 456216)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

200 - Mandat de conseiller de la métropole de Lyon – Silence de l’art. L.O. 141 du code électoral sur l’incompatibilité de ce mandat avec celui de député – Question présentant un caractère sérieux – Transmission d’une QPC.

Les requérants ont soulevé une QPC au sujet de l’art. L.O. 141 du code électoral en ce qu’il est muet sur l’incompatibilité du mandat de conseiller métropolitain de Lyon avec celui de député. Certes, les lois organiques font l’objet d’un examen automatique de leur constitutionnalité après leur adoption et avant leur promulgation et l’art. L.O. 141 a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (déc. n° 85-205 DC du 28 décembre 1985 et n° 2000-427 DC du 30 mars 2000).

Toutefois, c’est postérieurement à ces décisions que la loi du 27 janvier 2014 a, par les articles L. 3611-3 et L. 3641-2 du CGCT, conféré à la métropole de Lyon les compétences d’un département et donc, aux conseillers de cette métropole, toutes les attributions des conseillers départementaux.

Il s’ensuit que constitue une question de caractère sérieux celle de savoir si l’art. L.O. 141 du code électoral est conforme à la Constitution en ce qu’il n’établit pas d’incompatibilité entre les qualités de conseiller métropolitain de Lyon et de député alors que pour tous les autres conseillers départementaux de France cette incompatibilité est établie par cet article.

(09 octobre 2023, M. F. et M. H., n° 475884)

 

201 - Produits métalliques résultant d’une crémation – Éléments ne faisant pas partie des restes du défunt – Art. L.2223-18-1-1 CGCT – Dignité de la personne humaine - Transmission d’une QPC.

Présente un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la QPC portant sur la conformité au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine découlant du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et au droit de propriété de la disposition de l’art. L. 2223-18-1-1 du CGCT selon laquelle, à l’issue d’une crémation, « Sans considération de leur origine, les métaux issus de la crémation ne sont pas assimilés aux cendres du défunt. ».

(11 octobre 2023, Société Europe Métal Concept, n° 472830)

 

202 - Cours de soutien scolaire – Cours donnés par des organismes à but lucratif – Absence d’exonération de la TVA – Cours donnés par des personnes physiques dispensés de TVA – Atteintes aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques – Rejet – Refus de transmission d’une QPC.

La requérante soulevait une QPC à l’encontre du paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts que le ministre des finances avait, malgré sa demande, refusé d’abroger.

Elle estimait qu’était contraire tant au principe d’égalité devant la loi qu’au principe d’égalité devant les charges publiques le fait que soient exonérés de TVA les cours et leçons dispensés par une personne physique et que n’en soient point exonérés ceux dispensés par un organisme à but lucratif. Cette différence de traitement lui paraissait ne se fonder sur aucune raison objective ni sur aucun motif d'intérêt général et elle ne lui apparaissait pas pouvant être regardée comme en rapport avec l'objet des dispositions mettant en place la taxe sur la valeur ajoutée.

Le recours est rejeté.

Le juge rappelle que l’art. 261, 7, 1°, a) du CGI qui institue cette dichotomie fiscale se borne en réalité à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la directive du 28 novembre 2006 relatives à l'obligation pour les États membres d'exonérer les leçons, portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire, données à titre personnel par des enseignants et à l'exercice par ces mêmes États membres de la faculté qui leur est ouverte de conditionner à l'une ou plusieurs des conditions que cette directive énumère l'exonération dont peuvent bénéficier les organismes de droit privé au titre, notamment, des prestations relevant de l'éducation de l'enfance ou de la jeunesse ou de l'enseignement scolaire ou universitaire qu'ils délivrent. De ce chef, la QPC ne peut prospérer et cela d’autant plus que, comme le relève le juge, cette directive, ce décidant, ne met en cause aucune règle, ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, ce qui aurait pu justifier que fût transmise une QPC. 

(18 octobre 2023, Sarl Forma-Cours, n° 457842)

 

203 - Urbanisme – Opération de restauration immobilière – Silence du propriétaire sur son acceptation ou son refus d’effectuer ou de faire effectuer les travaux prévus – Expropriation possible – Atteinte au droit de propriété – refus d’une transmission de QPC.

Étaient contestées les dispositions du code de l’urbanisme (art. L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 314-2) qui permettent l'expropriation d'un immeuble dont le propriétaire n'a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans une opération de restauration immobilière. Dans le cadre de ce litige est soulevée une QPC tirée de la contrariété de ces dispositions à l’art. 17 de la Déclaration de 1789 sanctuarisant le droit de propriété.

Pour refuser de la transmettre, le Conseil d’État retient les éléments suivants qui excluent toute atteinte au droit ainsi revendiqué.

Le législateur n'a autorisé l'expropriation, dans le cas des périmètres de restauration immobilière, que pour la réalisation d'opérations dont l'utilité publique est préalablement et formellement constatée par l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif auquel il appartient de vérifier que celle-ci répond à la finalité d'intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d'habitabilité d'immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.

De plus, le juge administratif, juge de la légalité de l'arrêté de cessibilité pris dans le cadre d'une opération de restauration immobilière, s’assure que l'inclusion d'un immeuble déterminé dans le périmètre d'expropriation est en rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique et de juger de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme de travaux qui lui a été notifié avant l'intervention de l'arrêté de cessibilité.

(30 octobre 2023, Mme B., n° 474408)

 

Responsabilité – Solidarité nationale         

 

204 - Catastrophe naturelle – Sécheresse – Demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle – Refus – Rejet.

Les trois communes requérantes se pourvoient en cassation d’arrêts d’une cour d’appel ayant rejeté leurs demandes d’annulation de l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 refusant de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur leurs territoires respectifs du fait de mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenus en 2016 ainsi que leurs demandes d'injonction à l'État de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur leurs territoires.

Elles saisissent également le juge de cassation d’une QPC dirigée contre les dispositions de l’art. L. 125-1 du code des assurances

Nous laissons de côté le rejet de cette QPC motivé par le fait que les communes requérantes soulèvent devant le juge de cassation, par les mêmes moyens, les mêmes questions que celles soumises à la cour.

Les trois pourvois sont également rejetés en leurs trois principaux chefs de griefs.

Tout d’abord, comme l’a jugé la cour, la seule présence, au sein de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles, qui est chargée de donner aux ministres compétents un avis sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dont ils sont saisis, de représentants de la Caisse centrale de réassurance, société détenue à 100 % par l'État et proposant, avec la garantie de ce dernier, la couverture assurantielle des catastrophes naturelles, n'était pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité sa composition au regard du principe d'impartialité, dès lors qu'il n'est pas établi qu’aurait, de ce fait, été entachée de partialité l'appréciation portée par elle.

Ensuite, contrairement à ce qui était soutenu, les ministres concernés peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'entourer des avis qu'ils estiment utiles de recueillir et s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune.

Enfin, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce ni commis une erreur d’appréciation en relevant que la sécheresse de 2016 ne présentait pas, pour les trois communes requérantes, les caractères d'intensité et d'anormalité retenus par l'article L. 125-1 du code des assurances car les critères de méthodologie « SIM », lesquels prennent en compte l'intensité et l'anormalité de l'évènement, n'étaient pas remplis.

Au reste, à l’appui de leur affirmation que les indices utilisés par l'administration pour se prononcer sur l'existence d'un état de catastrophe naturelle étaient supérieurs à ceux consultés sur le site Météo-France, les communes requérantes n'ont fourni aucun élément, notamment météorologique, de nature à remettre en cause l'évaluation de l'intensité du phénomène de sécheresse résultant de l'application de la méthodologie retenue.

(06 octobre 2023, Commune de Roumazières-Loubert devenue Commune de Terres de Haute-Charente, n°456129 ; Commune de Fléac, n° 456130 ; Commune de Magnac-sur-Touvre, n° 456158, jonction)      

 

205 - Loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis – Régime d’indemnisation des préjudices subis – Réparation forfaitaire – Avis de droit (art. L. 113-1 CJA).

Interrogé par une cour administrative d’appel sur divers points de droit soulevés par l’application du mécanisme de réparation des préjudices subis du fait des conditions d'accueil et de vie qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles, institué par l’article 3 de la loi du 23 février 2022, le Conseil d’État répond ceci.

Tout d’abord, cet article 3, en créant un mécanisme de réparation forfaitaire des préjudices résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie dans les lieux où ont été hébergés en France, entre 1962 et 1975, les harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie ainsi que les membres de leurs familles, fait obstacle, depuis son entrée en vigueur, à ce que la responsabilité de droit commun de l'État puisse être recherchée au titre des mêmes dommages. 

Ensuite, ce mécanisme n’est applicable, faute de dispositions transitoires, qu’aux seules instances engagées postérieurement à cette date. Pour les instances ouvertes antérieurement, le juge doit appliquer les règles et principes du droit commun de la responsabilité de la puissance publique, y compris les règles de prescription.

Enfin, les intéressés demeurent susceptibles de saisir la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis et autres, créée par l'article 4 de la loi du 23 février 2022, d'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de cette loi.

(06 octobre 2023, M. C., n° 475115)

 

206 - Nourrisson atteint de méningite bactérienne – Défaut d’orientation immédiate vers un hôpital – Erreur subséquente de diagnostic – Fautes portant en elles-mêmes la totalité du dommage subi – Régime de la réparation – Annulation.

Dans un contexte dramatique, le Conseil d’État rappelle aussi pédagogiquement et aussi complètement que possible le mécanisme de responsabilité et donc de réparation en cas de préjudice résultant de plusieurs fautes indépendantes. Il annule l’arrêt d’appel qui n’a pas appliqué cette véritable directive contentieuse.

Tout d’abord, lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux.

Lorsque l'un des auteurs du dommage a été condamné par le juge judiciaire à réparer tout ou partie de celui-ci, il peut former une action récursoire contre une personne publique co-responsable devant le juge administratif, auquel il appartient alors de fixer, d’une part, le partage de responsabilité entre les co-auteurs et d’autre part l'indemnisation due en conséquence par la personne publique à la personne privée, dans la limite des droits qu'aurait pu faire valoir la victime du dommage à l'égard de la collectivité publique.

Ensuite, en l’espèce, les recommandations médicales en vigueur au moment des faits préconisaient, devant la difficulté de diagnostiquer une méningite bactérienne chez un nourrisson, de toujours hospitaliser un enfant de moins de vingt-huit jours présentant une forte fièvre, afin de débuter une antibiothérapie systématique en attendant les résultats des prélèvements. Ainsi, la faute commise par le médecin régulateur du SAMU en n'orientant pas immédiatement, sur l'appel de la mère, l'enfant vers les urgences pédiatriques du centre hospitalier de Carcassonne portait en elle, tout comme le diagnostic erroné posé trente minutes plus tard par le médecin de la maison de garde, la totalité des conséquences dommageables du retard de diagnostic et de traitement de la méningite à pneumocoque.

La cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en jugeant que la faute commise par le médecin régulateur ne pouvait, du fait de l'erreur de diagnostic commise ensuite par le médecin de la maison de garde, être regardée comme une cause déterminante du préjudice subi et en rejetant pour ce motif l'action des requérants devant les juridictions administratives. 

(10 octobre 2023, Mme C. et Mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF), n° 461535)

 

207 - Responsabilité civile de l’État à raison des dommages résultant de crimes ou délits, commis à force ouverte, par des rassemblements ou attroupements (art. L. 211-10 code de la sécurité intérieure) – Notion – Absence – Annulation.

La société requérante a demandé réparation à l’État, sur le fondement de l’art. L. 211-10 du code de la sécurité, qui institue une responsabilité sans faute à prouver, des préjudices qu’elle a subis du fait des dégradations de portions de la ligne à grande vitesse dans le secteur de Calais-Frethun les 23 et 30 juin 2015, provoquées par des barricades de pneus et de palettes enflammés édifiées par des salariés de la société SeaFrance qui protestaient contre une décision de la société Eurotunnel au sujet de l'exploitation des navires opérant la liaison transmanche entre Calais et Douvres. 

La cour administrative d’appel a relevé le caractère prémédité des dégradations litigieuses et la circonstance que celles-ci avaient été commises dans le cadre d'un mouvement social. Elle en a déduit qu'elles ne pouvaient, dès lors, être regardées comme ayant été commises par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits. Considérant qu’il s’agissait d’un attroupement, la cour, appliquant l’art. L. 211-10 précité, a donné gain de cause à la requérante.

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, l’arrêt est cassé.

Le Conseil d’État estime que ces actes dommageables, commis certes dans le contexte d'un conflit social, ont été en réalité « le fait d'une partie seulement des salariés, qui, après avoir quitté le port de Calais où étaient rassemblés l'ensemble des participants au mouvement social, ont emprunté des véhicules pour se rendre dans l'enceinte d'installations ferroviaires dépendant de SNCF Réseau dans le but d'y commettre, de façon volontaire et préméditée, des dégradations provoquant la détérioration de voies et d'autres équipements annexes. »

Les actes délictuels en cause ne résultaient pas d'un attroupement, contrairement à ce qu’a jugé la cour, qui a ainsi inexactement qualifié les faits qui étaient imputables à un groupe de salariés structuré à la seule fin de les commettre.

On pourra trouver le distinguo bien subtil et le raisonnement quelque peu réversible mais ce régime de réparation étant exceptionnel, il est normal que son application soit de droit étroit.

(10 octobre 2023, Société SNCF Réseau, n° 465591)

 

208 - Responsabilité hospitalière – Fautes ayant compromis les chances d’éviter le dommage subi – Préjudice réparable – Perte de chance – Annulation.

Rappel, une nouvelle fois, qu’en cas de fautes commises dans la prise en charge d’un patient qui ont eu pour résultat de compromettre les chances d’éviter le dommage subi, le préjudice réparable n’est pas le préjudice corporel subi mais la proportion de perte de chance de le subir, proportion qui doit être appliquée sur l’évaluation du préjudice corporel.

(13 octobre 2023, Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP), n° 464464)

     

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

209 - Lutte contre les pratiques dangereuses en matière de prise de drogue – Institution de « haltes « soins addictions » (loi du 26 janvier 2016, art. 43) – Caractère expérimental – Arrêté approuvant le cahier des charges national relatif à ces « haltes » - Rejet de la demande d’annulation.

La loi du 26 janvier 2016, dans le souci d’inciter les drogués à adopter progressivement des solutions de moins en moins dangereuses pour leur santé, notamment par la prise de substituts, a imaginé, à titre expérimental, la création de « haltes » dites « soins addictions ». Naturellement, il était à prévoir que les habitants riverains de ces haltes n’allaient pas apprécier plus qu’il ne faut ces présences, d’autant que les lieux choisis ont pour effet, du moins aux yeux des contestataires, de stigmatiser davantage certains quartiers ou zones.

C’est ainsi que plusieurs requérants, principalement des personnes morales mais aussi des personnes physiques, ont demandé l’annulation de l'arrêté du 26 janvier 2022 portant approbation du cahier des charges national relatif aux « haltes « soins addictions ». Le litige se situe donc aux confins du droit de la santé et de l’exercice des pouvoirs de police.

Comme l’on pouvait s’y attendre, le Conseil d’État rejette le recours pour excès de pouvoir dont il était saisi. 

Les moyens sont tous rejetés, notamment ceux soulevés contre l’art. 1er (1) et celui dirigé contre les art. 2 et 3 dudit arrêté (2).

 

1 - À l’encontre de l’art. 1er trois griefs étaient formulés : la violation d’articles de la Convention EDH, l’accès aux soins et l’implantation des haltes.

Il est répondu tout d’abord que les dispositions législatives en cause, contrairement à ce qui est soutenu, ne sont pas incompatibles avec les articles 2 et 3 de la convention EDH, au motif qu'elles auraient pour effet, du fait du recours à la supervision et de l'absence de mesures qui seraient propres à permettre le sevrage, d'encourager l'addiction aux substances en cause au lieu de permettre d'en sortir. 

Ensuite, s’agissant de l’accès aux soins, la circonstance que le cahier des charges en cause prévoit divers dispositifs et actions (faire entrer les usagers de drogues ou de médicaments détournés de leur usage dans un parcours de santé,  adoption de pratiques de réduction des risques et des dommages,  atteindre les usagers actifs à haut risque et les faire entrer dans un parcours de réduction des risques et de soins ; institution de partenariats et de conventionnements avec des structures, notamment médico-sociales, sanitaires de proximité ou intervenant dans le cadre de prestations de soins somatiques, addictologiques et psychiatriques, etc.) ne le conduit pas à méconnaître les dispositions de la loi de 2016, notamment en ce qu’il ne les assortit pas d'obligations quant à l'entrée effective des usagers dans une démarche de soins et de traitement de leur addiction. Pareillement en va-t-il du moyen  que le ministre de la santé aurait illégalement été subdélégué sa compétence en laissant à chaque halte le soin de décider, lors des partenariats et conventionnements à conclure, lesquels doivent l'être en vue d'améliorer le parcours de soin des usagers ainsi que les modalités selon lesquelles seront renforcées l'orientation et la prise en charge médico-psycho-sociale.

Enfin, le ministre chargé de la santé a pu retenir que les haltes seraient plutôt implantées à proximité des lieux de consommation des drogues sans prévoir ni des lieux où l’implantation serait exclue ni une consultation du public ou du préfet de police avant toute décision d’implantation.

 

2 - À l’encontre des art. 2 et 3 de l’arrêté litigieux est rejeté le moyen tiré de ce que seraient illégales les décisions d’implanter une halte, un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue ou un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie sans les faire précéder des consultations préalables que ces dispositions prévoient s’agissant, d’une part, du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues Ithaque à Strasbourg, d’autre part, du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues Gaia à Paris, car cet arrêté ne désigne pas ces centres mais se borne à prolonger la durée de l'expérimentation mise en place par deux arrêtés du 25 mars 2016 les concernant.

(02 octobre 2023, Associations Union Parisienne, Villette Village, Vivre ! Bd de Strasbourg - Fg St-Denis St-Martin, Demain La Chapelle, Vivre Gares du Nord et Est, Pour la renaissance du quartier Arts et Métiers (ARCAM), Vivre le Marais!, Place Frenay, Gare de Lyon, Diderot BASTA COSI !, M. A. et Mme B., n° 463428)

 

210 - Membres suppléants du collège d’experts placé auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour l'indemnisation des victimes du valproate de sodium – Demande d’annulation du référentiel indicatif d’indemnisation de l’ONIAM en ce qui concerne le taux horaire d’indemnisation pour assistance tierce personne – Défaut d’intérêt donnant qualité pour agir – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Les requérants, qui sont membres suppléants du collège d’experts placé auprès de l’ONIAM pour l'indemnisation des victimes du valproate de sodium, demandent l’annulation du référentiel indicatif d'indemnisation de l’ONIAM pour les accidents médicaux et du référentiel indicatif d'indemnisation de l'ONIAM pour les dommages imputables à la contamination par le virus de l'hépatite C datés du 1er avril 2022, en tant qu'ils proposent un taux horaire d'assistance tierce personne de 13 euros pour une aide non spécialisée et de 18 euros pour une aide spécialisée et en tant qu'ils proposent une capitalisation des rentes et une indemnisation du déficit fonctionnel permanent différenciées selon le sexe.

Leur recours est rejeté car entaché d’irrecevabilité manifeste faute pour les demandeurs de disposer d’un intérêt leur donnant qualité pour agir.

En effet, comme le relève le juge, il ne résulte ni des dispositions législatives et réglementaires relatives au collège auquel appartiennent les requérants, ni d'aucune des pièces versées au dossier, que cette instance aurait pris part ou qu'elle aurait dû prendre part à l'élaboration et à l'adoption des dispositions contestées.

En outre, ils ne justifient pas, en leur seule qualité d'usagers du service public de la santé, et en l'absence de tout élément invoqué tendant à laisser penser qu'ils seraient particulièrement susceptibles de voir leurs intérêts propres lésés par l'application des référentiels qu'ils attaquent, d'un intérêt leur donnant qualité pour en demander l'annulation.

(10 octobre 2023, M. B. et autres, n° 464232)

 

211 - Diabète – Tarifs de responsabilité, de vente au public, de produits et de prestations remboursables – Inscription sur la liste des produits et prestations remboursables – Rejet.

Par le premier recours était demandée l’annulation de la décision du 30 juillet 2021 du Comité économique des produits de santé fixant le tarif de responsabilité, le prix limite de vente au public (PLV et le prix de cession du système de boucle semi-fermée DBLG1 dédié à la gestion automatisée du diabète de type 1) de la société DIABELOOP et des prestations associées pour son inscription sur la liste prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Par le second recours, était demandée l’annulation de l'arrêté du 15 septembre 2021 portant inscription du système de boucle semi-fermée DBLG1 de la société DIABELOOP au titre I de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale. 

Les deux affaires ont été jointes.

Les recours sont rejetés.

Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel et des prestations de services et d'adaptation associées est subordonné, par  l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale, à leur inscription, effectuée soit par la description générique, soit sous forme de marque ou de nom commercial, sur une liste, dite « liste des produits et prestations remboursables », établie après avis de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé de la Haute Autorité de santé. 

L’arrêté interministériel du 15 septembre 2021 a inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, les « Systèmes de boucle semi-fermée pour gestion automatisée/Société DIABELOOP » comprenant une description du système DBLG1, composé d'un capteur, d'un système de mesure en continu du glucose interstitiel, d'un transmetteur, d'une pompe à insuline avec tubulure externe et d'un terminal mobile hébergeant notamment le logiciel DBLG1 connectés entre eux par Bluetooth basse énergie, et huit dispositifs ou prestations concourant à la fourniture et au fonctionnement de ce système dans l'indication prise en charge correspondant aux patients diabétiques de type 1 adultes dont l'équilibre glycémique préalable est insuffisant en dépit d'une insulinothérapie intensive bien conduite par perfusion sous-cutanée continue d'insuline par pompe externe pendant plus de 6 mois et d'une auto-surveillance glycémique supérieure ou égale à quatre fois par jour. Le Comité économique des produits de santé a, en outre, par une décision du 30 juillet 2021, fixé les tarifs de responsabilité, les prix limites de vente au public et les prix de cession applicables à ces huit dispositifs ou prestations.

Les requérants demandent l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2021 et de la décision du 30 juillet 2021. 

S’agissant de l’arrêté interministériel du 15 septembre 2021, le recours est rejeté en premier lieu car le requérants n’établissent pas que les exigences prévues par la nomenclature au titre de la prise en charge du système DBLG1 en matière d'assistance, de formation et de qualification des intervenants et de réponse à une défaillance technique seraient manifestement erronées ou insuffisantes, au point qu’en résulterait une méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique ou d'un objectif de garantie de la qualité des soins dispensés aux assurés sociaux qui gouvernerait les rapports entre l'assurance maladie et les professions de santé et se déduirait des dispositions de l'art. L. 162-1-13 du code de la sécurité sociale régissant ces rapports. En deuxième lieu, manque en fait le moyen des requérants selon lequel l'arrêté n'aurait pas prévu de période d'observation du bon fonctionnement du système DBLG1 après sa mise en place chez le patient, cette affirmation étant contredite par la formation technique initiale du patient prévue par l’arrêté (prévoyant une période d’essai plus un rappel). Enfin,  dès lors que les pompes à insuline non connectées n'ont pas le même fonctionnement que le système DBLG1, il ne saurait être soutenu une atteinte au principe d’égalité.

S’agissant de la décision du 30 juillet 2021, il ressort des pièces du dossier que le système DBLG1 comprend, outre une pompe à insuline avec tubulure externe, un système de mesure en continu du glucose interstitiel composé d'un capteur et d'un transmetteur dexcom G6, connectés à un terminal mobile hébergeant un logiciel permettant d'assurer au patient une gestion automatisée de l'injection d'insuline. Par la décision attaquée, le Comité économique des produits de santé a fixé les prix de cession, tarifs et prix limites de vente de huit produits et des prestations associées, dont deux forfaits, servis une fois hors renouvellement, pour la prise en charge de la mise à disposition du terminal mobile et pour la formation technique initiale du patient, quatre forfaits journaliers correspondant à l'abonnement au logiciel, à la mise à disposition de la pompe et des consommables associés, à l'utilisation du transmetteur dexcom G6 et au suivi du patient, et deux forfaits applicables lorsqu'un déplacement à domicile est nécessaire pour la visite trimestrielle ou la livraison mensuelle des consommables. Il résulte de ce qui vient d’être dit que les requérants ne sauraient  demander l'annulation de la décision du Comité économique des produits de santé fixant les tarifs de responsabilité, les prix limites de vente au public et les prix de cession du système DBLG1 par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté portant inscription de ce système au titre I de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale, cette demande d’annulation n’ayant pas été retenue.

En deuxième lieu n’est pas retenue la contestation de certains des prix et tarifs des produits et prestations concourant au système DBLG1, fixés par la décision litigieuse car le niveau de ces prix et tarifs retenus, n’est ni manifestement insuffisant ni contraire au principe d'égalité, d’autant, d’abord, qu’ils résultent d'une convention entre le Comité économique des produits de santé et la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France ainsi que l'Union des syndicats des pharmaciens d'officine et, ensuite, que les prestations assurées ne sont en tout état de cause pas identiques à celles prévues pour les pompes à insuline non connectées.

Enfin, s'agissant des produits fournis et prestations assurées à la suite de la mise en place du système DBLG1, ces forfaits n’ont pas été fixés à un niveau inférieur au coût de revient de ces produits et prestations, de telle sorte qu'ils seraient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ou qu'ils méconnaîtraient les dispositions de l'art. L. 162-38 du code de la sécurité sociale qui prévoient que les prix fixés tiennent compte de l'évolution des charges des praticiens ou entreprises concernés.

(13 octobre 2023, Syndicat national des associations d'assistance à domicile et l'Union des prestataires de santé à domicile indépendants, n° 458423 ; Fédération des prestataires de santé à domicile, Syndicat national des associations d'assistance à domicile et Union des prestataires de santé à domicile indépendants, n° 458426)

 

212 - Médicament pour le traitement du diabète sucré de type 2 – Refus d’inscription sur la liste des médicaments remboursables et sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités et divers services publics – Non-application par la Haute autorité de ses recommandations de bonnes pratiques - Principe de sécurité juridique – Faiblesse du service médical rendu – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation de la décision du 22 avril 2022 par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé d'inscrire la spécialité Rybelsus sur la liste des médicaments remboursables prévue à l'art. L. 162-17 du code de la sécurité sociale et sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités et divers services publics prévue à l'art. L. 5123-2 du code de la santé publique.

Ces demandes sont rejetées.

L’inscription d’un médicament sur l’une de ces listes, ou sur les deux, repose sur l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication, cette appréciation prenant en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le cas échéant, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux, et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur l'une des listes.

La commission de la transparence a estimé que pour le Rybelsus le service médical rendu était insuffisant en l'absence de place du Rybelsus dans la stratégie thérapeutique en raison de l'absence de démonstration de la réduction, par cette spécialité, du risque cardio-vasculaire, les études disponibles, avec un niveau de preuve peu exigeant, montrent que cette spécialité n'accroissait pas ce risque par rapport au placebo, alors que d'autres molécules antidiabétiques ont fait la preuve de résultats positifs s'agissant de leur supériorité par rapport au placebo et que de nombreux comparateurs cliniquement pertinents disposent de données complémentaires sur la morbi-mortalité cardiovasculaire, de sorte que les études cliniques portant uniquement sur le taux d'HbA1C sont désormais considérées comme de moindre intérêt pour démontrer une amélioration de cette morbi-mortalité. La société n’est pas fondée à invoquer la violation du  principe de sécurité juridique, faute pour les ministres compétents d'avoir inscrit la spécialité Rybelsus sur les listes sus-mentionnées, fût-ce de façon transitoire dans l'attente des résultats de l'étude qu'elle avait engagée en 2019 pour disposer de données complémentaires sur la morbi-mortalité cardiovasculaire.

Pas davantage la requérante ne peut soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait les dispositions de l'art. 6 de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988 qui dispose : « Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations sur lesquels les décisions s'appuient (...) ». En effet, la commission de la transparence se fonde sur des critères objectifs et vérifiables au sens des dispositions précitées de la directive lorsqu'elle apprécie, par l'avis au vu duquel les ministres prennent leur décision et qu'ils s'approprient le cas échéant à cette occasion, le bien-fondé de l'inscription d'un médicament sur l'une des listes susmentionnées. La circonstance que les modalités d'appréciation de la place de ce médicament dans la stratégie thérapeutique évoluent au regard des données cliniques disponibles sans faire l'objet d'une communication préalable à la société qui l'exploite n'est pas de nature à priver ces critères de leur caractère vérifiable. 

Enfin, dès lors que la société requérante ne conteste pas que les études conduites démontrent seulement la non-infériorité de Rybelsus par rapport au placebo en termes de risque cardiovasculaire, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle s'approprie l'appréciation du service médical rendu portée par la commission de la transparence alors même que cette appréciation n'est pas principalement fondée sur un critère de réduction du taux d'HbA1c ou en ce qu'elle retient que le bénéfice cardiovasculaire de la spécialité n'est pas démontré. 

(13 octobre 2023, Société Novo Nordisk, n° 465007)

 

213 - Dispositif médical – Endoprothèse coronaire – Restriction des indications de prise en charge puis réduction à une seule indication – Modification des conditions d’inscription sur la liste des produits et prestations remboursables – Défaut d’urgence – Rejet.

La requérante exploite un dispositif médical « Titan Optimax », qui est une endoprothèse coronaire (" stent ") enrobée d'oxyniture de titane, et qui a été inscrit en 2015, pour plusieurs indications thérapeutiques, sur la liste des produits et prestations remboursables, prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Elle demande l’annulation et, en même temps, la suspension d’exécution de l'arrêté du 2 août 2023 portant modification des conditions d'inscription et radiation de certaines indications et références relatives au stent nu Titan Optimax jusque-là inscrit au titre III de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article précité.

Le juge rejette la requête en référé pour défaut d’urgence.

Deux motifs sont retenus au soutien de cette appréciation.

Si la requérante fait valoir que cette décision porte une atteinte grave et immédiate à sa situation financière dès lors que la radiation d'environ deux tiers des références des stents Titan Optimax inscrites jusqu'alors sur la liste des produits et prestations remboursables va entraîner une perte évaluée au minimum à 44 % de son chiffre d'affaires, il est constant que les ventes du dispositif Titan Optimax connaissent depuis plusieurs années un net fléchissement, le nombre d'unités remboursé par l'assurance maladie ayant été réduit de près de moitié entre 2019 et 2022 ; au reste, l’arrêté litigieux, par les restrictions qu’il comporte, ne fait que concrétiser ce que laissaient déjà prévoir le rapport d'évaluation de la Haute autorité de santé de mai 2018 et l'avis du 13 avril 2021 de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des produits de santé (CNEDiMTS).

Si la société requérante invoque également l'intérêt public qui s'attache à ce que les patients puissent avoir accès à une endoprothèse adaptée à leur pathologie, l'arrêté attaqué ne procède à la radiation que des seules références du stent Titan Optimax dont, conformément à l'avis de la CNEDiMTS, le service a été jugé insuffisant.

(ord. réf. 20 octobre 2023, Société Hexacath France, n° 488672)

 

214 - Objectif national de dépenses d'assurance maladie - Fixation de certains éléments tarifaires (cf. les I et IV de l'art. L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale) - Tarifs nationaux des prestations d'hospitalisation – Prise en compte de l’inflation – Rejet.

La fédération requérante demande au juge administratif :

- d’annuler, à titre principal, l'arrêté du 28 mars 2022 fixant pour l'année 2022 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale, ainsi que les décisions implicites de rejet de ses recours gracieux, l'annexe XIV de l'arrêté du 28 mars 2022 en tant qu'elle fixe à 1,59 % le coefficient de minoration tarifaire applicable aux établissements mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale et aux établissements privés à but non lucratif mentionnés au d du même article ;

- d’enjoindre aux ministres de la santé et de l'économie de prendre un nouvel arrêté tenant compte du montant réel de l'inflation et de fixer à 0 % le coefficient de minoration tarifaire pour les établissements mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale et pour les établissements privés à but non lucratif mentionnés au d du même article.

Le recours est rejeté à raison des moyens soulevés au soutien de ces demandes.

D’abord, ne sont pas retenus les trois moyens de forme avancés : la chef de service qui a signé l’arrêté attaqué au nom du ministre de la santé avait bien compétence à cet effet et ce depuis le jour de sa nomination ; la circonstance que l’arrêté querellé n’ait pas été pris dans le délai de quinze jours fixé par l’art. R. 162-33-4 du code de la sécurité sociale est sans incidence sur sa légalité ; cet arrêté ne saurait non plus être dit entaché de rétroactivité illégale car la date de son entrée en vigueur est fixée par la loi (art. L. 162-22-10, I, alinéa 5, code de la séc. soc.).

Au fond, il est jugé que la sous-estimation de la prévision du taux d’inflation pour l’année 2022 et, partant, la fixation d’un objectif national des dépenses d'assurance maladie sous-dimensionné ne révèlent pas une erreur manifeste d’appréciation ; il en va de même s’agissant du coefficient de minoration de -1,59 % des tarifs applicables aux établissements privés à but non lucratif, dont il est prétendu qu’eu égard à la baisse des tarifs qu'il entraîne comparée au bénéfice retiré de ces dispositifs, il révèlerait une erreur manifeste d'appréciation.

(13 octobre 2023, Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), n° 467863)

(215) V. aussi, relativement comparable, le rejet des recours tendant à voir annuler, d’une part, les trois arrêtés du 25 mars 2022 fixant pour l'année 2022 respectivement l'objectif des dépenses d'assurance maladie commun aux activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie mentionné à l'art. L. 162-22-9 du code de la sécurité sociale, l'objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux activités de psychiatrie et l'objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux soins de suite et de réadaptation et, d’autre part, l'arrêté du 28 mars 2022 fixant pour l'année 2022 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale, sauf s’agissant de l'arrêté du 28 mars 2022, en tant qu'il fixe les tarifs en unité de dialyse médicalisée : 13 octobre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée n° 467929 et n° 467930.

 

Service public

 

216 - Service public de la justice - Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – Nomination d’une personnalité qualifiée par le Président du Sénat – Qualité de magistrate honoraire – Champ d’application de l’art. 65 de la Constitution – Constitutionnalité de la décision de nomination – Rejet.

Le président du Sénat, après avis de la commission des lois du Sénat, a nommé Mme Dominique Lottin, magistrat en retraite honoraire, comme personnalité qualifiée au Conseil supérieur de la magistrature.

Le Syndicat de la magistrature demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

L’affaire n’était pas simple d’une part en raison de ce que cette personne avait, au moment de sa nomination, la qualité de magistrat honoraire, d’autre part du fait du libellé, sur ce point, de l’art. 65 de la Constitution.

Auparavant devaient réglées deux questions de droit du contentieux : celle de l’ordre juridictionnel compétent pour connaître de ce recours et, dans le cas où serait retenue la compétence de l’ordre administratif, quelle juridiction au sein de celui-ci serait compétente pour y statuer.

Sur le premier point, la réponse ne faisait aucun doute et c’est d’ailleurs bien le juge administratif que le syndicat requérant a saisi.

C’est en tant qu’il est un élément majeur de l’organisation du service public de la justice que le contentieux des nominations des membres du CSM relève de la compétence du juge administratif, d’abord en raison du partage des compétences entre les deux ordres de juridiction selon que le litige relève de l’organisation (compétence de l’ordre administratif) ou du fonctionnement du service public de la justice judiciaire (compétence de l’ordre judiciaire) en vertu d’une mémorable décision du Tribunal des conflits (27 novembre 1952, Officiers ministériels de Cayenne c/ préfet de la Guyane, n° 01420), ensuite en vertu d’une décision de principe concernant les décisions rendues par le CSM sur la discipline des magistrats du siège (C.E., Assemblée, 12 décembre 1969, Sieur Édouard L’Étang, n° 72480).

Naturellement, de là découle qu’au sein de l’ordre administratif de juridiction cette compétence ne peut appartenir, en premier et dernier ressort, qu’au Conseil d’État y compris s’agissant de statuer sur une décision du président du Sénat portant désignation de l’un de ses membres.

Sur le fond, le syndicat demandeur invoquait l’inconstitutionnalité de la décision attaquée au motif de sa contrariété aux dispositions de l’art. 65 de la Constitution. Ce texte dispose que ne peuvent être nommées en qualité de personnalités qualifiées que des personnes « qui n'appartiennent ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif ».

Selon le syndicat, cette disposition n’a pas été respectée au cas de l’espèce en raison de ce que l’intéressée, magistrate honoraire, d’une part, disposait de la faculté de continuer à jouir des honneurs et privilèges attachés à son état, d'assister aux cérémonies solennelles de la juridiction à laquelle elle appartenait et, d'autre part, d'exercer des fonctions juridictionnelles ou non juridictionnelles, conformément aux articles 41-25 à 41-32 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Enfin, elle continue, de ce fait, à être tenue au respect du devoir de réserve. 

Le Conseil d’État rejette ces arguments en retenant que si « les magistrats honoraires conservent en cette qualité un lien honorifique avec leur ancienne juridiction et s'ils peuvent être appelés à exercer certaines fonctions juridictionnelles ou non juridictionnelles, ils ne sauraient pour autant, en raison de la rupture avec le service qui caractérise l'admission à faire valoir ses droits à la retraite, être regardés comme appartenant à l'ordre judiciaire au sens de ces dispositions. »

Le recours est rejeté mais le raisonnement paraît un peu court car il demeure assez des « restes » de l’ancienne fonction de magistrat pour faire s’interroger sur la réalité de cette « distance » relevée par le juge avec son ancien métier.

On imagine qu’appliquant sa théorie des apparences, la cour EDH ne partagerait peut-être pas le point de vue du Palais-Royal.

(Assemblée, 10 octobre 2023, Syndicat de la magistrature, n° 472669)

 

217 - Gestion des bois, forêts et espaces naturels – Recrutement d’agents contractuels de droit privé - Compétence pour constater, sans les rechercher, « certaines infractions » - Ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts (ONF) – Conformité à la loi d’habilitation – Rejet.

Étaient attaqués l’ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, modifiant diverses dispositions du code forestier, du code de l'environnement et du code de la santé publique concernant les missions des agents de cet établissement ainsi que le décret du 1er juin 2022 relatif aux agents de l’ONF, qui tire les conséquences de cette ordonnance.

 

I/ Sur l’ordonnance du 1er juin 2022

 

N'ayant pas été ratifiée, cette ordonnance conserve sa nature réglementaire initiale et son contentieux relève de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État.

Le syndicat demandeur conteste plusieurs points de ces textes en ce qui concerne les agents contractuels de droit privé que l’ONF est désormais autorisé à recruter pour l’exercice de missions de l’Office.

L’essentiel de l’argumentation se concentre sur ce que l’ordonnance aurait, à plusieurs reprises, méconnu le champ de l’habilitation qui lui avait été donnée par le 1° du I de l'article 79 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

D’abord, même si cette loi habilitait l’ordonnance à n’apporter de modifications, à droit constant, qu’au seul code forestier, celle-ci n’a pas excédé le champ d’habilitation en effectuant, d’une part,  un renvoi aux autres dispositions législatives relatives aux agents en cause et à leurs compétences  et, d’autre part, en apportant, dans un souci de cohérence, les modifications nécessaires dans d’autres codes que le code forestier, tels le code de l’environnement et celui de la santé  publique.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, l’ordonnance n’habilite ces agents contractuels de droit privé, d’une part, qu’à constater « certaines infractions » au droit forestier non à procéder à la recherche de telles infractions, restant ainsi dans la limite de son champ d’application et, d’autre part, que celles des infractions définies au titre III du livre Ier du code forestier ainsi que par les actes réglementaires pris pour l’application de ce titre.

Enfin, il ne saurait être soutenu, ni que les dispositions ainsi modifiées dans les trois codes précités méconnaîtraient des droits ou libertés garantis par la Constitution dès lors que le Conseil constitutionnel a rejeté la QPC dont il a été saisi en ce sens par le syndicat requérant (déc. n° 2023-1042 QPC, 31 mars 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel), ni qu’elles ne respecteraient pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui s’impose également au gouvernement auteur d’une ordonnance de l’art. 38.

 

II/ Sur le décret du 1er juin 2022, d’application de l’ordonnance du même jour

 

S’agissant du décret du 1er juin 2022, également attaqué, il n’est contraire ni à l’ordonnance attaquée ni à la loi d’habilitation car, contrairement à ce qui est prétendu, ses dispositions (cf. art. L. 161-4 et R. 162-1, code forestier) ne peuvent être lues comme ouvrant la possibilité au directeur général de l’ONF de commissionner les agents contractuels de droit privé de l'Office en vue de rechercher des infractions. 

En outre, il se déduit de ce qui précède que le moyen tiré de ce que ce décret devrait être annulé par voie de conséquence de l’annulation des dispositions critiquées de l’ordonnance ne peut qu’être rejeté.

(13 octobre 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, n° 466224 et n° 466225)

 

218 - Contrat de crédit-bail immobilier entre une personne privée et une personne publique – Terrain objet du crédit-bail supportant un atelier-relais construit par une commune – Décision ordonnant à la personne privée de quitter les lieux – Appartenance de l’ensemble immobilier au domaine public – Absence d’affectation au service public - Erreur de droit – Incompétence du juge administratif - Annulation.

(13 octobre 2023, Société Guillet-Joguet, n° 466114 ; Société Guillet-Joguet et société civile professionnelle (SCP) MJuris, agissant en qualité de mandataire judiciaire, n° 468983, jonction)

V. n° 11

 

219 - Universités – Admission en master (ou deuxième cycle des études supérieures) – Incompétence négative du législateur pour indétermination des conditions d’appréciation des mérites des candidats – Rejet d’une QPC.

Le requérant faisait valoir que l'absence de détermination par le législateur, au deuxième alinéa de l'art. L. 612-6 du code de l'éducation, des modalités selon lesquelles les établissements d'enseignement supérieur qui subordonnent l'admission des étudiants dans les formations du deuxième cycle à un examen de leurs dossiers, les informent, avant la présentation de leur candidature et, le cas échéant, après une décision de refus d'admission, des éléments sur la base desquels leurs mérites sont appréciés, affecte, par elle-même, le principe d'égal accès à l'instruction consacré par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le droit d'accès aux documents administratifs garanti par l'article 15 de la Déclaration de 1789 ainsi que le droit un recours juridictionnel effectif, consacrés ou protégé respectivement par le Préambule de 1946, et les art. 15 et 16 de la Déclaration de 1789.

Le recours est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle d’abord que quelle que soit l’étendue du pouvoir de sélection des autorités universitaires celui-ci trouve une limite infrangible dans l’obligation que les procédés choisis à cet effet ne peuvent prendre en compte que les mérites des candidats, à l’exclusion de tous autres critères.

Le juge précise ensuite, qu’une fois arrêtées par l’établissement les modalités d’appréciation des mérites des candidats au regard de la formation en cause, il lui incombe d’assurer la publicité adéquate afin de les porter à la connaissance des étudiants.

La QPC est ainsi rejetée.

Enfin, parmi les moyens d’excès de pouvoir, il faut retenir que, confirmant la solution de l’arrêt de la cour d’appel qui lui était déféré, le Conseil d’État juge qu’aucune disposition législative ou réglementaire non plus qu’aucun principe, ne fait obligation au conseil d'administration d’une université, après avoir limité à un certain nombre d’étudiants la capacité d'accueil d’un master et subordonné l'admission en première année de ce master à l'examen du dossier des candidats, de préciser les éléments d'appréciation des mérites des candidats.

(13 octobre 2023, M. B., n° 467671)

 

220 - Universités – Recrutement en première année de master – Recours à une procédure dématérialisée – Critique de la sécurité des données introduites sur la plateforme « Mon Master » - Rejet.

Le requérant demande au juge d’annuler le décret du 20 février 2023 relatif à la procédure dématérialisée de candidature et de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme national de master et d’ordonner, avant dire droit, la désignation d'un expert aux fins de constater la réalité et l'étendue des malfaçons affectant la plateforme « Mon Master », en particulier l'existence ou non de violations critiques de sécurité exposant les usagers à des risques quant aux données qu'ils versent sur cette plateforme.

La demande est rejetée en tous ses griefs.

Tout d’abord, il est jugé que l’obligation d’utiliser un téléservice pour accomplir une démarche administrative, dont, notamment, la délivrance d'une autorisation, ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi. Elle pouvait donc être instituée par voie réglementaire.

Ensuite, les dispositions pertinentes invoquées du code des relations entre le public et l'administration, d’une part, créent en principe un droit, pour les usagers, de saisir l'administration par voie électronique, sans le leur imposer, et, d’autre part, ne font cependant pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une obligation d'accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice. Il incombe cependant à ce pouvoir, en ce cas, d’en rendre l’accès commode aux usagers du service public pour un exercice effectif de leurs droits en tenant compte des caractéristiques, à la fois, du public visé et de l’outil numérique en cause. Au reste, il ne ressort pas des pièces du dossier que le téléservice « Mon Master » aurait fait l'objet de dysfonctionnements tels que s’imposait une solution de substitution. C’est pourquoi, il ne saurait être prétendu que les modalités d'utilisation de la plateforme dématérialisée d'inscription en première année de master ne sont pas régulièrement portées à la connaissance des usagers alors qu’elles sont détaillées sur la plateforme elle-même.

Également, le décret litigieux n’a pas créé, avec cette plateforme, un traitement de données à caractère personnel pour les besoins de la procédure dématérialisée de candidature et d'inscription en première année de master, les règles relatives au traitement des données ainsi recueillies ont été fixées par un arrêté ministériel du 9 mars 2023 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Mon Master ». Le décret attaqué ne méconnaît ainsi pas, contrairement à ce que soutient le demandeur, les exigences de protection des données à caractère personnel résultant tant du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 que de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Enfin, c’est sans illégalité, d’une part, qu’a été dévolu au ministre compétent le pouvoir de fixer le nombre maximal de candidatures qu'un même candidat peut présenter, cette limitation ne portant pas, par elle-même, atteinte aux principes d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et d'égal accès à la formation professionnelle, d’autre part, que le décret règlemente la phase d'admission des candidats aux formations de première année de master proposées en alternance sans déroger au premier alinéa de l'art. L. 6222-12-1 du code du travail.

(31 octobre 2023, M. B., n° 471537)

 

221 - Centre pénitentiaire – Détenu réclamant des soins dentaires – Absence de carence des soins – Rejet.

Le demandeur, incarcéré à l’isolement, souffre d'une parodontite aggravée provoquant des déchaussements dentaires. Il a demandé au juge des référés, sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, le prononcé d'une mesure de sauvegarde lui permettant de bénéficier des soins appropriés à son état.

Il relève appel de l'ordonnance par laquelle ce juge a rejeté sa demande. 

Son appel est, à son tour, rejeté. Le juge retient que celui-ci avait pu bénéficier, depuis son arrivée au centre pénitentiaire, d'un suivi médical régulier par le médecin de l'unité sanitaire qui passe chaque semaine au sein du quartier d'isolement, sauf lorsqu'il a refusé de le voir, et qu'il avait accédé à une consultation et des soins dentaires les 15 juin et 18 août 2023. Si l'intéressé fait valoir que des rendez-vous avec le dentiste ont été annulés, ces annulations n’ont pas affecté sa prise en charge, des consultations dentaires ayant eu lieu quelques jours plus tard et le médecin de l'unité sanitaire attestant de l'absence d'entrave à l'accès aux soins dentaires et de ses échanges avec ses collègues chirurgiens-dentistes.

Par ailleurs, en se bornant à alléguer le caractère illusoire de leur obtention, il n'apporte pas d'élément de nature à remettre en cause le constat du juge des référés selon lequel il n'a pas sollicité de rendez-vous supplémentaires auprès de l'unité médicale dédiée pour ses soins dentaires. Enfin, il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal que si un bain de bouche lui a été prescrit le 15 juin 2023, il a lui-même refusé de prendre ce bain de bouche suite aux soins réalisés le 18 août 2023 et que, pour tenir compte de ses problèmes dentaires et de leur incidence sur sa capacité à s'alimenter normalement, il bénéficie d'un régime alimentaire mixé.

Il ne saurait donc être soutenu que les conditions de détention du requérant révèleraient une carence dans l'accès aux soins constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 23 octobre 2023, M. A., n° 488846)

 

222 - Service public de la justice - Longueur excessive d’une procédure juridictionnelle – Réparation en cas de préjudice en résultant – Nécessité de disposer de la qualité de justiciable – Comptable public - Absence en vertu des règles alors applicables – Rejet.

Le demandeur se plaint de la durée excessive de la procédure suite à la décision du trésorier-payeur général de la Martinique de saisir la chambre régionale des comptes (CRC) de l’ensemble de ses comptes en ses qualités de comptable d’un lycée professionnel au titre des exercices 1997 à 1998, et de comptable commis d'office chargé de la reddition des comptes financiers de ce même établissement au titre des exercices 1994, 1995 et 1996 à raison de la défaillance de son prédécesseur. Il demande réparation du préjudice résultant de cette durée.

On sait qu’en vertu d’un des principes généraux gouvernant le fonctionnement des juridictions administratives, telles les juridictions financières, les justiciables ont droit à ce que leur cause soit jugée dans un délai raisonnable.

Alors même que la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect et, lorsque cette longueur leur a causé de ce fait un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage résultant du fonctionnement défectueux du service public de la justice.

En l’espèce, la CRC, saisie le 13 janvier 1999, après contrôle des comptes de l’intéressé, lui en a donné quitus aux termes de trois jugements intervenus en novembre 2001, juin 2005 et octobre 2005, et, par une ordonnance du 28 juin 2012, le président de cette chambre a mis fin à la procédure de jugement des comptes, soit après treize ans et demi de procédure.

La requête est cependant rejetée car, sous l’empire des dispositions alors applicables (art. L. 111-1 du code des juridictions financières dans sa version antérieure à celle que lui a donnée l’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics), le comptable public dont la régularité des comptes est vérifiée par la CRC et qui n'a pas été appelé dans la procédure en qualité de mis en cause, n'est pas un « justiciable » au sens du principe général du droit susrappelé car ce processus n’est pas une « procédure juridictionnelle » au sens et pour l’application de la jurisprudence instituant la règle du délai raisonnable de jugement (Ass. 28 juin 2002, garde des sceaux c/ Magiéra, n° 239575).  

(31 octobre 2023, M. A., n° 464858)

 

223 - Réforme de la haute fonction publique - Création du corps des administrateurs de l’État – Application au corps des conseillers des affaires étrangères et à celui des ministres plénipotentiaires – Demande d’annulation – Rejet.

(31 octobre 2023, Syndicat CFTC Affaires Étrangères, syndicat ASAM-UNSA et organisation des secrétaires des affaires étrangères, n° 468058)

V. n° 163

 

Sport

 

224 - Joueur de football professionnel – Prime pour résiliation du contrat de travail sans préavis – Prime jugée n’être pas un élément de la rémunération au sens du 1 du I de l’art. 155 B du CGI – Prime indemnisant la perte du contrat de travail et ne correspondant pas à un service ou un travail fourni par le salarié – Prime jugée non imposable – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Le Conseil d’État interprète le 1 du I de l’art. 155 B du CGI comme signifiant que lorsque le contribuable opte pour l'évaluation forfaitaire de l'exonération dont peut bénéficier sa rémunération, l'exonération de 30 % qu'il prévoit s'applique à l'ensemble de sa rémunération imposable, telle qu'elle est définie notamment à l'article 80 duodecies du même code relatif aux indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que la prime en litige (de 2,3 millions d’euros en sus du solde de tout compte), versée en l’espèce à l'occasion de la rupture du contrat de travail d’un joueur du PSG, ne pouvait être regardée, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 155 B CGI, comme un élément de la rémunération de ce joueur  au motif qu'elle avait pour objet d'indemniser la perte du contrat de travail et ne correspondait pas à une somme perçue en contrepartie d'un travail ou d'un service fourni par le salarié. 

(04 octobre 2023, M. Mohamed Sissoko, n° 466714)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

225 - Documents de planification et d’urbanisme – Nomenclature de l’artificialisation des sols – Absence de définition par un décret en Conseil d’État – Violation de la loi – Annulation.

 Le dernier alinéa de l'art. L. 101-2-1 du code de l'urbanisme dispose « Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article. Il établit notamment une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme ».

Sur le fondement de ces dispositions est intervenu le décret du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l'artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d'urbanisme, dont les dispositions sont codifiées à l'art. R. 101-1 du code de l'urbanisme.

L'association des maires de France a demandé l'annulation de ce décret pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État donne raison à la requérante car ce décret se réfère à la simple notion de « polygone », et renvoie, pour la définition de la surface de ces derniers, à un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme et aux standards du Conseil national de l'information géographique, lesquels ne font pas l'objet d'une définition par décret en Conseil d'État.

De la sorte, les auteurs du décret attaqué ne peuvent être regardés comme ayant établi, comme il leur appartenait de le faire en application des dispositions législatives précitées, l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme.

Le 2ème alinéa du II de l'art. R. 101-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant du décret attaqué est donc annulé.

(04 octobre 2023, Association des maires de France, n° 465341)

(226) V. aussi, en revanche, le rejet du recours de la même association tendant à l’annulation du décret n° 2022-762 du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Celui-ci, en prévoyant que le fascicule du SRADDET comporte des règles territorialisées permettant d'assurer la déclinaison des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols entre les différentes parties du territoire régional avec une cible d'artificialisation nette des sols au moins par tranches de dix années, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les termes de la loi. Doit également être écarté le moyen tiré de ce que, faute de préciser ce que sont « les projets d'envergure régionale », le décret méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme et le principe d'égalité. Enfin, doit être écarté le moyen tiré par l'association requérante de l’illégalité de la liste dressée par l’art. R. 4251-3 du CGCT, au motif qu'elle ne mentionnerait pas les efforts déjà réalisés au titre des critères à prendre en compte car il résulte des termes de l'art. 194 de la loi du 22 août 2021 que ces efforts pourront être pris en compte lors de l'élaboration du document, notamment par le biais de l'association des établissements publics chargés de l'élaboration des schémas de cohérence territoriale à la fixation et à la déclinaison des objectifs du SRADDET en matière de maîtrise de l'artificialisation : 04 octobre 2023, Association des maires de France, n° 465343.

 

227 - Non opposition à déclaration préalable de travaux assortie d’une prescription – Pose de panneaux solaires dans la pente du toit - Portée de l’art. L. 111-16 du code de l’urbanisme – Effets sur les dispositions réglementaires d’un plan local d’urbanisme – Rejet.

Le maire d’une commune ne s’est pas opposé à une déclaration préalable de travaux en vue de régulariser la pose sur le toit des requérants de panneaux solaires thermiques, mais l'a néanmoins assortie d'une prescription relative à l'insertion de ces panneaux dans la pente du toit. 

Cette prescription est contestée par les demandeurs : les juges du fond ayant rejeté les recours de première instance et d’appel, ils se pourvoient, toujours en vain, en cassation.

Sera exposé ici seulement le premier, et le plus important, motif de rejet du pourvoi.

De l’art. L. 111-16 du code de l’urbanisme, qui est issu de l’art. 12 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, le juge donne l’interprétation selon laquelle cet article n’a ni pour objet, ni pour effet d'écarter l'application des dispositions réglementaires d'un plan local d'urbanisme relatives à l'aspect extérieur des constructions qui, sans interdire l'utilisation de matériaux ou procédés permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre ou l'installation de dispositifs destinés à la production d'énergie renouvelable ou favorisant la retenue des eaux pluviales, imposent la bonne intégration des projets dans le bâti existant et le milieu environnant. 

(04 octobre 2023, M. et Mme B., n° 467962)

 

228 - Permis de construire – Renvoi vers l’administration pour régularisation – Office du juge dans la direction de l’instruction – Contrôle du permis de construire – Office du juge – Rejets.

Dans un litige en contestation d’un jugement sursoyant à statuer sur une demande d’annulation de permis de construire dans l’attente d’un permis de régularisation, le juge rappelle sur deux points importants l’étendue de son office, office du juge en général sur le premier point, office spécifique du juge en matière de permis de construire sur le second point.

La solennité de la formulation retient l’attention du lecteur.

En premier lieu, le juge indique, à titre général, qu’il lui appartient « dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis et, notamment, de requérir des parties ainsi que, le cas échéant, de tiers, en particulier des administrations compétentes, la communication des documents qui lui permettent de vérifier les allégations des requérants et d'établir sa conviction. Il lui incombe, dans la mise en œuvre de ses pouvoirs d'instruction, de veiller au respect des droits des parties, d'assurer l'égalité des armes entre elles et de garantir, selon les modalités propres à chacun d'entre eux, les secrets protégés par la loi. Le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce que le juge se fonde sur des pièces produites au cours de l'instance qui n'auraient pas été préalablement communiquées à chacune des parties. »

En second lieu, dans le cas du contentieux du permis de construire, il est rappelé que « le permis de construire n'ayant d'autre objet que d'autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire, l'autorité administrative n'a à vérifier ni l'exactitude des déclarations du demandeur relatives à la consistance du projet à moins qu'elles ne soient contredites par les autres éléments du dossier joint à la demande tels que limitativement définis par les dispositions des articles R. 431-4 et suivants du code de l'urbanisme, ni l'intention du demandeur de les respecter, sauf en présence d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande d'autorisation. »

Rien de nouveau mais de salutaires et fermes rappels.

(06 octobre 2023, Société Villa Mitchou, n° 464692)

 

229 - Permis de construire – Recours en annulation – Moyens divers – Qualité pour présenter une demande de permis – Contenu du dossier de demande permis et légalité du permis subséquemment accordé – Rejet.

Dans le cadre d’une action en annulation d’un permis de construire une villa, une piscine et un garage, des divers moyens d’annulation présentés, deux seront retenus, classiques et importants.

Il est d’abord rappelé que, hormis l’existence d’une fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'art. R. 431-5 du code de l'urbanisme selon laquelle il remplit les conditions fixées à l'art. R. 423-1 du même code pour déposer une demande de permis de construire doit être regardé comme ayant qualité pour présenter cette demande. Ceci constitue une présomption en faveur du demandeur du permis.

Ensuite, il est également rappelé, que dans le cas où  le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, le permis accordé n'est susceptible d'être entaché d'illégalité que si ces omissions, inexactitudes ou insuffisances ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

Aucune de ces conditions n’est satisfaite en l’espèce.

(06 octobre 2023, M. B., n° 467073)

 

230 - Permis de construire – Obligation de communiquer à son bénéficiaire et à l’auteur de la décision la copie du recours contentieux – Condition d’opposabilité de l’irrecevabilité pour défaut de communication – Certificat de dépôt d’une lettre recommandée – Formalité suffisante – Annulation.

L’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme impose à l’auteur d’un recours en annulation de permis de construire, à peine d’irrecevabilité de son recours, de notifier une copie du recours tant à l'auteur de la décision attaquée qu'à son bénéficiaire.

Lorsque, invité par le juge, au besoin d’office, à produire la justification de l’accomplissement de cette formalité, le requérant s’en abstient, le recours doit être rejeté.

Lorsqu’il est prétendu que cette formalité n’a pas été accomplie mais que le requérant produit le certificat de dépôt de la lettre recommandée ceci suffit à justifier de cet accomplissement sauf s’il est soutenu devant le juge que cette lettre aurait eu un contenu insuffisant au regard de l'obligation d'information que l’art. R. 600-1 du code précité fait peser sur l'auteur du recours. 

En l’espèce, doit donc être annulée, comme entachée d’erreur de droit, l’ordonnance rejetant pour irrecevabilité un recours en annulation de permis car les requérants n'établissaient pas avoir satisfait à cette obligation en première instance du fait qu'ils ne justifiaient pas avoir joint à leur notification la copie de leurs recours, alors que, l'affaire n'ayant pas été instruite, rien de tel n'était soutenu devant le juge par l'auteur de la décision ou par le bénéficiaire du permis litigieux.

(06 octobre 2023, Consorts G., n° 469410)

 

231 - Permis de construire – Demande de suspension d’exécution de ce permis accordée – Pourvoi incident des demandeurs en vue de l’annulation de l’ordonnance de suspension à raison de ce que des moyens invoqués par eux n’auraient pas été retenus – Pourvoi dirigé contre les seuls motifs de l’ordonnance – Irrecevabilité – Rejet.

Est évidemment irrecevable le pourvoi incident formé par les demandeurs, dans le cadre d’un référé tendant à la suspension d’un permis de construire, et dirigé contre les seuls motifs d’une ordonnance dont le dispositif leur est favorable.

(06 octobre 2023, M. M. et autres, n° 471190)

 

232 - Arrêté de mise en demeure d’interruption de travaux (art. L. 480-2 c. urb.) – Demande de suspension de l’arrêté – Rejet.

Le juge de cassation rejette le pourvoi dirigé contre l’ordonnance d’un tribunal administratif refusant de suspendre l’exécution d’un arrêté municipal portant mise en demeure d’interrompre des travaux.

Le pourvoi est rejeté en ses trois moyens.

La circonstance que la procédure n’ait pas été communiquée à la préfète du département n’affecte pas, à l’égard du requérant, le respect du caractère contradictoire de la procédure.

La communication du mémoire produit par la commune la veille de l’audience n’a pas entaché le caractère contradictoire de l’instruction, l’intéressé ayant pu répondre, d’abord au cours des débats oraux tenus pendant l’audience, ensuite par le moyen d’un mémoire détaillé produit avant la clôture de l’instruction.

L’urgence n’est pas établie automatiquement du seul fait de la formation de la demande de référé tendant à la suspension d'une décision par laquelle une autorité administrative prescrit une interruption de travaux en application de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme, encore faut-il démontrer cette urgence.

(10 octobre 2023, M. A., n° 471611)

 

233 - Permis d’aménager un lotissement – Demande de suspension en référé – Conditions réunies pour ordonner la suspension mais refus de l’ordonner – Conditions de régularité – Absence – Erreur de droit – Annulation.

Rappel que le juge des référés a la faculté de rejeter, à titre exceptionnel, une demande de suspension, alors même qu'il constate que les conditions tenant à l'urgence et à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée sont réunies. 

Ici, cependant, cette faculté a été utilisée à tort.

Le juge s’est fondé en l’espèce sur ce que le vice de légalité interne dont était, selon lui, entaché le permis d'aménager et tenant à l'insuffisante largeur de la voie d'accès, « pourrait être aisément rectifié sur les plans d'exécution ou faire l'objet, le cas échéant, d'un permis modificatif auquel la commune de La Ciotat, représentée à l'audience, a précisé qu'elle ne s'opposerait pas », il a également indiqué ne pas ordonner la suspension « sous la seule réserve » qu'il soit remédié au vice retenu. Il lui est reproché, à juste titre, de suspendre l'exécution de la décision contestée dans l'attente de cette régularisation.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit. 

(10 octobre 2023, Mme B. et M. D., n° 471859)

 

234 - Permis de construire – Recours en annulation dirigé contre les motifs d’un jugement – Irrecevabilité – Rejet.

Rappel que les recours formés contre une décision de justice ne peuvent l’être que contre son seul dispositif et non contre ses motifs sauf dans le cas où les motifs constituent le soutien nécessaire du dispositif.

(12 octobre 2023, Société l’Augauria, n° 472302)

 

235 - Permis de construire – Contrariété à une disposition du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) – Refus d’annulation - Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, alors qu’une disposition du règlement du PLU impose que les constructions situées en deuxième rideau, soit au-delà d'une bande de 22 mètres par rapport aux voies, soient en principe édifiées en ordre discontinu et à une distance minimale de 4 mètres de toutes les limites séparatives, juge  qu’en l’espèce n’est pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire attaqué le moyen tiré de ce que le projet méconnaissait les exigences de cet article dans sa partie implantée à plus de 22 mètres de la voie, laquelle borde le terrain d'assiette.

(12 octobre 2023, Consorts E., n° 473422)

 

236 - Permis de construire des logements – Obligation de planter au moins un arbre par 200 mètres carrés de terrain non bâti – Confusion dans le calcul entre terrain non bâti et espaces de pleine terre - Erreur de droit – Annulation.

Appliquant la disposition d’un article de règlement de plan local d’urbanisme (PLU), selon lequel « Les espaces non bâtis devront comporter au moins un arbre de haute tige par 200 m2 de terrain non bâti. », les juges du fond ont retenu, au dénominateur, non pas la surface de terrain non bâtie mais la surface des espaces de pleine terre, alors qu’il résulte du lexique de ce PLU, d’une part, qu’il faut entendre par « terrain non bâti » « des surfaces hors emprise au sol des constructions (...) compren(a)nt les espaces aménagés autour des constructions, les espaces plantés (jardins, pelouses, haies, bosquets, etc.), les accès et les surfaces de stationnement ainsi que les terrasses imperméables d'une hauteur inférieure à 60 cm. » et d’autre part, qu’« Un espace non construit peut être qualifié de "pleine terre" si il n'est pas recouvert et qu'il reste perméable à l'eau et la laisse s'infiltrer jusqu'à la nappe phréatique. Cet espace peut être planté. »

Le jugement annulant le permis accordé à la société requérante est annulé car il repose sur une erreur de droit. Nous y aurions plutôt aperçu une erreur sur la qualification juridique des faits.

(13 octobre 2023, Société Airis Aquitaine, n° 466583)

 

237 - Exercice du droit de préemption urbain (art. L. 210-1 et L. 300-1 c. urb.) – Hébergement de personnes déplacées du fait de l’invasion russe de l’Ukraine – Motif pouvant être considéré comme s’inscrivant dans une politique locale de l’habitat ou une opération d’aménagement – Rejet.

Le Conseil d’État estime que c’est au prix d’une erreur de droit qu’un tribunal administratif suspend, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, un arrêté municipal portant mise en œuvre du droit de préemption urbain sur certains lots en vue d’héberger des personnes déclassées par suite de la guerre en Ukraine. Il considère qu’un tel motif s’inscrit dans une politique locale de l’habitat ou une opération d’aménagement telles que prévues par les art. L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme et cela alors même que, à la date d’exercice du droit de préemption, les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies ni, non plus, sa nature.

(13 octobre 2023, Commune de Cannes, n° 468694)

 

238 - Plan local d’urbanisme (PLU) – Article imposant un alignement à une certaine distance de la voie publique – Disposition ne pouvant atteindre pleinement son objectif – Erreur de droit – Annulation.

Les demandeurs contestaient la légalité d’une délibération municipale approuvant l’art. UB6 du PLU lequel définit une bande de constructibilité de 6 à 35 mètres pour assurer que les constructions neuves seront implantées en retrait des voies, en ce que cette disposition n'assurerait qu'imparfaitement les objectifs en vue desquels elle est édictée. De plus, il est prétendu qu’une telle mesure aurait pu être prise sur le fondement de l'article L. 151-18 du code de l’urbanisme.

La cour administrative d’appel a annulé cet article au double motif qu'il aurait pour seul effet de règlementer le front bâti continu le long de la voie publique et qu'il ne viserait en réalité qu'à garantir la qualité esthétique du paysage urbain.

La commune se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Le Conseil d’État annule ce dernier en relevant que cet article, en instaurant, une bande de constructibilité de 6 à 35 mètres cherche à s’assurer que les constructions neuves seront implantées en retrait des voies, et que, d’une part, si cette mesure n'est pas de nature à empêcher toute construction neuve en double rideau, elle fait néanmoins peser sur ce type de construction une contrainte susceptible d'en réduire l'occurrence et, d’autre part, elle assure la préservation, au fond des parcelles de plus de 35 mètres de profondeur, d'îlots inconstructibles.

Par conséquent, un tel article n'est illégal ni du seul fait qu'il n'assurerait qu'imparfaitement les objectifs en vue desquels il est édicté ni du fait que ses dispositions interdisant la construction dans les six premiers mètres de l'alignement des voies publiques, qui favorisent un alignement homogène des constructions sur la voirie, auraient également pu être prises, dans cette mesure, sur le fondement des dispositions de l'article L. 151-18 du code de l’urbanisme. 

(20 octobre 2023, Commune de Varennes-Jarcy, n° 463916)

 

239 - Construction d’une serre agricole – Permis de construire de régularisation – Prorogation d’un mois du délai d’instruction du permis – Refus de permis – Date d’acquisition d’un permis de construire tacite – Rejet.

 Par un courrier du 23 janvier 2018, le maire de la commune a informé le pétitionnaire d’un permis de régularisation en vue de l’édification d’une serre agricole que le délai d'instruction de sa demande était majoré d'un mois et qu'en l'absence de réponse avant le 29 avril 2018, il bénéficierait d'une autorisation tacite. Le 19 avril 2018, le maire a refusé d'accorder le permis sollicité.

M. B. a demandé au tribunal administratif l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision et d’enjoindre le maire, sous astreinte, de lui certifier, en application de l'art. R*424-13 du code de l'urbanisme, qu'il est titulaire d'un permis de construire tacite.

Son action ayant été rejetée tant par le tribunal que par la cour administrative d’appel, M. B. se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle qu’il résulte des art. R* 423-18, R*423-4, R.*423-5, R. 423-24 à R. 423-33 et R*423-42 du code de l’urbanisme qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite.

Une modification du délai d'instruction notifiée après l'expiration du délai d'un mois prévu à l'art. R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l'une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n'a pas pour effet de modifier le délai d'instruction de droit commun à l'issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable.

De plus, s'il appartient à l'autorité compétente, le cas échéant, d'établir qu'elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d'instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. 

Abandonnant une jurisprudence quarantenaire (22 octobre 1982, Société Sobeprim, n° 12522), le Conseil d’État décide que désormais la lettre majorant le délai d'instruction d’une demande de permis n'est plus une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

En outre, le refus d’accorder le permis sollicité ne trouve pas sa base légale dans la lettre informant le pétitionnaire de la majoration du délai d’instruction et, semblablement, cette lettre est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. 

(24 octobre 2023, M. B., n° 462511)

 

240 - Police municipale des travaux sur les voies publiques – Installation de palissades pour un chantier de construction – Construction autorisée par un permis de construire – Refus – Rejet.

(25 octobre 2023, Société Villa Les Guillands, n° 471052)

V. n° 189

 

241 - Urbanisme – Opération de restauration immobilière – Silence du propriétaire sur son acceptation ou son refus d’effectuer ou de faire effectuer les travaux prévus – Expropriation possible – Atteinte au droit de propriété – refus d’une transmission de QPC.

(30 octobre 2023, Mme B., n° 474408)

V. n° 203

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Septembre 2023

Septembre 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Acte réglementaire – Acte d’un ministre – Absence – Incompétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Renvoi au tribunal administratif.

Les requérantes contestaient devant le Conseil d’État, saisi en premier lieu, l’arrêté interministériel du 31 décembre 2022 établissant la liste des communes mentionnées à l'article 1609 H du CGI, qui, parce qu’elles sont situées à moins de soixante minutes par véhicule automobile d'une gare desservie par les futures lignes à grande vitesse Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, sont assujetties à une taxe spéciale d'équipement destinée à financer l'exercice des missions de l'établissement public créé par l'article 1er de l'ordonnance du 2 mars 2022 relative à la Société du Grand Projet du Sud-Ouest.

Aux termes du troisième alinéa de cet article 1609 H, les redevables de cette taxe sont les personnes, physiques ou morales, assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale et à la cotisation foncière des entreprises dans les rôles de ces communes.

Pour rejeter sans examen du fond cette requête, le juge relève que l’arrêté attaqué, en ce qu’il se borne à donner la liste des communes dans lesquelles s’applique la taxe prévue à l'article 1609 H, ne revêt pas un caractère réglementaire et, en outre, n’entre dans aucune des autres catégories de recours dont il appartient au Conseil d'État de connaître en premier et dernier ressort.

Le dossier est renvoyé, y compris la question prioritaire de constitutionnalité présentée à l'appui de celle-ci, au tribunal administratif de Paris. 

(18 septembre 2023, Commune de Saint-Simon-de-Bordes, communautés de communes de la Haute Saintonge et des 4B Sud-Charente, n° 472320)

 

2 - Détenu employé dans un centre pénitentiaire - Mutation d’un emploi à un autre –Qualification juridique des faits – Mesure d’ordre intérieur – Rejet.

(21 septembre 2023, M. B., n° 468441)

V. n° 46

 

3 - Textes relatifs aux services numériques d'assistance aux déplacements - Nécessité d’une consultation préalable du public – Absence – Annulation.

Le décret attaqué (n° 2022-1119 du 3 août 2022) a pour objet de définir les informations que les services numériques d'assistance aux déplacements doivent porter à la connaissance de leurs utilisateurs ou leur rendre accessibles, en particulier en ce qui concerne les différents modes de transport utilisables pour se rendre d'un point à un autre, les restrictions de circulation visant les poids lourds, les effets de l'utilisation d'un véhicule individuel et les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques pour chaque itinéraire proposé, et de leur imposer, lorsqu'ils proposent des itinéraires, de tenir compte de la qualification de voies comme secondaires au sens du 2° de l'art. L. 1115-8-1 du code des transports, afin d'en limiter l'utilisation, et de mettre en avant les itinéraires dont l'impact est le plus faible en termes d'émissions de gaz à effet de serre.

Le juge estime qu’eu égard à sa finalité et à sa portée, ce décret, en encadrant les informations et les propositions fournies aux utilisateurs de véhicules individuels et de services de transports par les services numériques d'assistance aux déplacements, qu'ils consultent massivement, contribue à modifier leurs comportements au regard, en particulier, des incidences environnementales du choix des modes de transport et des trajets qu'ils empruntent.

Le juge en déduit cette conséquence qu’il doit être regardé comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, au sens des dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement et que son adoption devait, par conséquent, être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation préalable du public conformément à ces dispositions.

La société requérante est ainsi fondée à soutenir que le décret attaqué a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors que ses dispositions n'ont pas fait l'objet d'une consultation du public préalablement à leur adoption. Le décret est annulé.

(27 septembre, Société Coyote System, n° 468050)

 

4 - Loi du 28 décembre 2015 – Absence de décret d’application – Dépassement du délai raisonnable – Injonction de le faire sous six mois avec astreinte.

Le juge constate qu’à la date de la présente décision il s'est écoulé plus de sept ans et demi depuis l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, sans qu’ait été pris le décret en Conseil d’État prévu par l’art. 477-1 du Code civil aux termes duquel « Le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial dont les modalités et l'accès sont réglés par décret en Conseil d'État ».

Le juge relève que si le ministre de la justice fait valoir que le changement de gouvernement intervenu en mai 2017 a remis en cause un projet de décret, qu'a été ensuite envisagé un plan de transformation numérique qui s'est heurté à des difficultés de divers ordres, et enfin qu'une proposition de loi « portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France » est actuellement en cours de discussion au Parlement, ces circonstances ne justifient pas une abstention qui s'est prolongée au-delà d'un délai raisonnable, alors qu'au demeurant il ressort des écritures du ministre que la disposition de la proposition de loi dont il se prévaut a pour objet d'adapter le contenu du mandat de protection future sans remettre en cause explicitement les dispositions de l'article 477-1 du Code civil. 

Les refus de prendre ce décret sont annulés et il est fait injonction de le faire sous six mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard jusqu'à la date à laquelle la présente décision aura reçu exécution.

(27 septembre 2023, Fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA), n° 471646 ; M. B. et Mme C., n° 471647)

 

Droit du contentieux administratif

 

5 - Épidémie de Covid-19 – Ordonnances du 25 mars et du 13 mai 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif – Refus de transmission de deux QPC.

Dans le cadre d’un litige principal en responsabilité contractuelle et subsidiaire en responsabilité extracontractuelle l’opposant  au Syndicat mixte des transports urbains du Grand Nouméa (SMTU), le groupement requérant soulevait deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux deux premiers alinéas de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dans la rédaction qui lui a été donnée par l'ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 la modifiant.

Le Conseil d’État se prononce d’abord sur la recevabilité de cette action en QPC en relevant en premier lieu que ces deux ordonnances, prises sur le fondement de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif n’ont pas été soumises à la ratification parlementaire à la date de la présente décision.

En second lieu, le juge rappelle que les dispositions régissant la procédure applicable devant les juridictions administratives relèvent en principe de la compétence réglementaire sauf lorsqu'elles mettent en cause des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle. 

En troisième lieu, ces dispositions figurant dans une ordonnance de l’art. 38 frappée de QPC, il est jugé, en conséquence, qu’il appartient au Conseil d'État de déterminer si les dispositions critiquées de l'ordonnance relèvent du domaine de la loi ou de la compétence réglementaire puisqu’en ce second cas elles ne sauraient faire l’objet d’une QPC.

Or, en l’espèce, il est considéré que les alinéas incriminés disposant, le premier que : « Sur décision du président de la formation de jugement insusceptible de recours, les audiences des juridictions de l'ordre administratif peuvent se tenir en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s'assurer de l'identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats » et le second que : « En cas d'impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut, par décision insusceptible de recours, décider d'entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s'assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges », ils fixent des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et relèvent ainsi du domaine de la loi.

La QPC est donc recevable.

Le Conseil d’État se prononce ensuite sur le bien-fondé des questions soulevées pour apprécier leur éventuelle transmissibilité. Sur ce point les requêtes sont rejetées pour défaut de caractère sérieux : l’objet des dispositions contestées, applicables du 12 mars au 13 mai 2020 en raison de l’état d’urgence sanitaire, était de permettre aux chefs de juridictions administratives, juges de cette opportunité, de certifier l'identité des personnes et d'assurer la qualité et la confidentialité des échanges, y compris, à défaut d’autres moyens, par voie téléphonique, elles n’étaient applicables que pour un temps limité, elles visaient à concilier l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice et le respect du droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable, en évitant le report du jugement de certaines affaires. En outre, ces dispositions ne faisaient pas obstacle à ce que, le cas échéant, des tiers assistent à l'audience publique afin d'informer le demandeur de son déroulement, ou à ce qu'un autre conseil le représente utilement à l'audience publique ou enfin, qu’ainsi informé le demandeur adresse une note en délibéré postérieurement à l'audience.

Ainsi, ces dispositions ne méconnaissaient pas les droits de la défense garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789. 

Enfin, sur le fond, le juge refuse d’admettre le pourvoi en cassation du groupement requérant.
(14 septembre 2023, Groupement d'intérêt économique Transport en Commun de Nouméa (GIE TCN), n° 472208 et n° 472220)

 

6 - Avertissement sanitaire sur divers conditionnements de produits tabagiques – Demande de suspension en référé – Conditions d’appréciation de l’urgence – Rejet.

Le juge des référés était saisi d’une demande de suspension de l’exécution de l'arrêté du 17 juillet 2023 modifiant l'arrêté du 19 mai 2016 relatif aux modalités d'inscription des avertissements sanitaires sur les unités de conditionnement des produits du tabac, des produits du vapotage, des produits à fumer à base de plantes autres que le tabac et du papier à rouler les cigarettes.

Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

A ce sujet le juge rappelle une constante de son contrôle souvent mal comprise par les requérants et aussi par les spécialistes.

En premier lieu, pour décider de l’existence d’une urgence à statuer, le juge du référé suspension peut, dans la balance des intérêts à laquelle il procède, tenir compte de ce que l'intérêt public commande que soient prises les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser immédiatement l'atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne.

En second lieu, toutefois, à supposer établie l'atteinte aux droits conférés par cet ordre juridique, contrairement à ce qui est soutenu, celle-ci ne constitue pas par elle-même et indépendamment de toute autre considération, une situation d’urgence.

Ainsi, en l'espèce, ni le coût devant être supporté par la société Philip Morris pour se conformer aux dispositions litigieuses, dont il n'est, en tout état de cause, pas soutenu qu'il représente une part importante de son chiffre d'affaires, ni l'éventualité de sanctions en cas de non-respect de la règlementation litigieuse, qui ne saurait constituer un préjudice, ne peuvent être regardés comme des considérations justificatives de l’urgence alléguée.

(ord. réf. 07 septembre 2023, Philip Morris France, n° 478518)

 

7 - Référé suspension et référé liberté – Distinction et effets – Rejet.

Nouveau rappel des différences caractérisant d’une part le référé suspension (L. 521-1 CJA) et d’autre part le référé liberté (art. L. 521-2 CJA).

Dans le cadre d’un contentieux né de la demande « de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée au droit de connaître ses origines, par le décret n° 2023-785 du 16 août 2023 fixant au 31 mars 2025 la date prévue à l'article 5 VII C et VII D de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique », le juge réitère qu’en distinguant les procédures prévues par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, le législateur a entendu répondre à des situations différentes. Les conditions auxquelles est subordonnée l'application de ces dispositions ne sont pas les mêmes, non plus que les pouvoirs dont dispose le juge des référés. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. »

Le rejet est ici commandé par le fait que l’association requérante ne fait état d'aucune circonstance de nature à caractériser l'urgence particulière à laquelle est subordonnée l'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA (référé liberté).

(ord. réf. 11 septembre 2023, Juristes pour l'enfance, n° 488062)

(8) V. aussi, adoptant la même solution à propos d’une demande de référé liberté dirigée contre une décision ministérielle abrogeant un visa d’entrée en France et prononçant une OQTF à l’encontre d’un ressortissant algérien époux d’une française : ord. réf. 12 septembre 2023, M. et Mme C., n° 487858.

 

9 - Appel d’une ordonnance de référé – Mesure municipale ayant cessé de produire effet avant l’introduction de l’appel – Non-lieu à statuer.

Est déclaré sans objet et ne pouvant donner lieu à y statuer l’appel formé contre une ordonnance de référé rejetant la demande tendant à voir annulée la disposition d’un arrêté municipal interdisant la circulation des piétons sur certaines voies de la commune en raison de la tenue d’un festival, dès lors que la décision querellée a cessé de produire ses effets avant l’introduction de l’appel.

(ord. réf. 15 septembre 2023, M. B., n° 487907)

 

10 - Décision de radiation d’un bénéficiaire du dispositif du RSA – Incompétence du juge des référés du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort – Rejet.

Rappel de ce que le juge administratif des référés ne peut être régulièrement saisi que pour autant que le litige principal auquel se rattache l’action en référé relève lui aussi de la compétence de ce juge.

(ord. réf. 15 septembre 2023, M. A, n° 488197)

(11) V., même solution, s’agissant d’un référé liberté dirigé contre un arrêté préfectoral interdisant l'accès au stade du Hainaut à Valenciennes aux supporters du Football Club des Girondins de Bordeaux, ou à toute personne se comportant comme tel, souhaitant assister à la rencontre sportive de football qui y est organisée le samedi 16 septembre 2023, un tel recours n'étant manifestement pas au nombre de ceux dont il appartient au Conseil d'État de connaître en premier et dernier ressort : ord. réf. 15 septembre 2023, M. B., n° 488316.

 

12 - Refus d’octroi d’un permis de construire puis, sur recours contentieux, retrait du refus et octroi du permis – Annulation contentieuse de la seconde décision puis de la première – Rejet de l’appel contre le second jugement – Autorité de chose jugée – Impossibilité d’obtenir l’annulation du refus initial du permis – Rejet.

(21 septembre 2023, Société A2C, n° 467076)

V. n° 68

 

13 - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Décisions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – Décision non prise au titre de la mission de contrôle et de régulation de la Haute Autorité – Rejet.

Les requérants ont saisi le Conseil d’État d’un recours direct contre la décision de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique renouvelant l'agrément accordé à l'association Anticor au titre de l'art. 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

Le recours est rejeté car, juge le Conseil d’État, sa compétence de premier et dernier ressort ne peut porter, en la matière, que sur les recours dirigés contre les décisions prises par la Haute Autorité au titre de sa mission de contrôle ou de régulation or tel n’est pas le cas de celles de ses décisions qui agréent une association se proposant, dans ses statuts, de lutter contre la corruption.

Il nous semble qu’est ici retenue une interprétation assez étroite de la notion de mission de contrôle ou de régulation.

(21 septembre 2023, M. B. et M. D., n° 469866)

 

14 - Établissements pénitentiaires – Droits fondamentaux des détenus – Office du juge du référé liberté – Rejet.

(ord. réf. 21 septembre 2023, Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), n° 488135)

V. n° 53

 

15 - Décisions du juge du référé, juge du provisoire - Caractère exécutoires de ces décisions mais décisions non dotées de l’autorité de chose jugée – Rejet d’une première demande n’empêchant pas la saisine à nouveau du juge des référés– Nouvelle ordonnance se croisant avec un pourvoi en cassation – Pourvoi sans objet – Rejet.

 Le maire de Saint-Gervais-les-Bains, par un arrêté du 3 mai 2021, a rendu une décision de non-opposition à la déclaration préalable effectuée le 22 décembre 2020 par M. B. en vue de travaux portant sur la réhabilitation d'une ancienne ferme, puis, agissant au nom de l'État, il a, par un arrêté du 31 août 2022, ordonné l'interruption des travaux sur le fondement de l'art. L. 480-2 du code de l'urbanisme. M. B. a saisi à trois reprises (29 septembre 2022, 23 novembre 2022 et 27 janvier 2023) le juge des référés du tribunal administratif d’un référé tendant à la suspension de l’arrêté portant interruption des travaux ; ce juge a, chaque fois, rejeté le recours pour défaut d’urgence (ordonnances des 14 octobre 2022, 10 janvier et 1er mars 2023).

M. B. s’est pourvu en cassation de la troisième ordonnance de rejet et, postérieurement à ce pourvoi, il a présenté une quatrième demande de suspension de l'arrêté litigieux qui a également été rejetée par une nouvelle ordonnance par le même juge des référés.

Pour rejeter ce pourvoi, le Conseil d’État, dans une formulation de principe qui donne toute sa portée à cette décision de la Section du contentieux, juge trois questions importantes même si la première constitue un rappel.

En premier lieu : « Si les ordonnances par lesquelles le juge des référés fait usage de ses pouvoirs de juge de l'urgence sont exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires, elles sont, compte tenu de leur caractère provisoire, dépourvues de l'autorité de chose jugée. »

En deuxième lieu, le juge tire de ce qui précède que « la circonstance que le juge des référés a rejeté une première demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne fait pas obstacle à ce que le même requérant saisisse ce juge d'une nouvelle demande ayant le même objet, notamment en soulevant des moyens ou en faisant valoir des éléments nouveaux, alors même qu'ils auraient pu lui être soumis dès sa première saisine. » C’est l’application directe d’une solution jurisprudentielle assez récente (29 juin 2020, SCI Eaux douces, n° 435502) qui se trouve ici clairement et nettement confirmée.

En troisième lieu enfin, quand le demandeur, après le rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, « fait usage de cette faculté en saisissant à nouveau le juge des référés de conclusions ayant le même objet et se pourvoit également en cassation contre la première ordonnance ayant rejeté sa demande, l'intervention, postérieurement à l'introduction de ce pourvoi, d'une nouvelle ordonnance rejetant la nouvelle demande rend, eu égard à la nature de la procédure de référé, sans objet les conclusions dirigées contre la première ordonnance, alors même que la seconde n'est pas devenue définitive. » Est ainsi renversée la jurisprudence antérieure (cf., par ex., 8 juillet 2015, Sarl Pompes funèbres lexoviennes, n° 385043) qui était exactement en sens contraire.

On avoue n’être pas pleinement convaincu par ce raisonnement nouveau.

De là résulte le rejet du pourvoi car le fait que le juge des référés a, par une ordonnance du 28 avril 2023, rejeté la nouvelle demande ayant le même objet, introduite par M. B. sur le même fondement, prive d'objet le pourvoi que ce dernier a formé contre l'ordonnance attaquée, prise le 1er mars 2023.

(Section, 22 septembre 2023, M. B., n° 472210)

 

16 - Référé « mesures utiles » (L. 521-3 CJA) – Demande au Conseil d’État d’intervenir pour voir le juge des référés d’un tribunal administratif statuer à bref délai sur une requête introductive d’instance – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Il n’entre pas dans l’office du juge du référé de l’art. L. 521-3 CJA de statuer sur une requête lui demandant d’intervenir pour inciter un juge à se prononcer dans les plus brefs délais sur une requête introductive d'instance, enregistrée le 24 juin 2023 au greffe d’un tribunal administratif.

(ord. réf. 22 septembre 2023, M. A., n° 488372)

 

17 - Mise en demeure de produire, dans un certain délai, le mémoire complémentaire expressément annoncé – Production non effectuée - Désistement d’office - Demande d’un délai supplémentaire durant le délai imparti – Absence d’effet sur le désistement d’office – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. R. 612-5 du CJA que dans le cas où un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel choisit d'adresser au demandeur une mise en demeure d’avoir à produire avant l’expiration d’un certain délai le mémoire dont il a annoncé la production, cette juridiction, à la quadruple condition que l'intéressé ait annoncé expressément la production d'un mémoire complémentaire, qu'il ait reçu la mise en demeure prévue, qu'elle lui laisse un délai suffisant pour y répondre et l'informe des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, peut constater le désistement d'office du requérant si celui-ci ne produit pas le mémoire complémentaire à l'expiration du délai fixé. 

La circonstance que celui-ci a demandé l’octroi d’un délai supplémentaire est sans effet sur le prononcé du désistement, acquis dès l’expiration du délai fixé.

Cette solution confirme celle, plus discutable car manquant à la loyauté procédurale, selon laquelle le désistement est acquis à la date d’expiration du délai fixé pour produire alors même que la juridiction a accordé, à la demande de l’intéressé, un délai supplémentaire pour effectuer cette production dès lors que cette demande a elle-même était formée après l’expiration du délai initialement fixé (9 mars 2018, Mme Eveno-Lapinard, n° 402378).

(29 septembre 2023, M. B., n° 460160)

 

18 - Litige au fond pendant devant un tribunal administratif – Demande au Conseil d’État de suspendre l’arrêté préfectoral en litige – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable – et doit être rejeté selon la procédure de l’art. L. 522-3 CJA - la requête saisissant le juge des référés du Conseil d'Etat d’une demande de suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral du 13 juin 2023, « au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative », dans l'attente du jugement au fond de sa requête pendante devant un tribunal administratif. 

(ord. réf. 28 septembre 2023, M. B., n° 488499)

 

19 - Rejet d’une demande de naturalisation – Saisine directe du Conseil d’État – Incompétence de cette juridiction – Renvoi à mieux se pourvoir – Rejet.

Le requérant demandait au juge du référé liberté du Conseil d’État d'annuler la décision par laquelle le préfet de Haute-Savoie a rejeté sa demande de naturalisation ainsi que celle du ministre de l'intérieur confirmant ce rejet.

Après avoir charitablement rappelé le texte de l’art. R. 312-18 du CJA qui confie la compétence pour connaître de ce litige au tribunal administratif de Nantes, le juge du Conseil d’État rejette la demande à raison de son incompétence à y statuer en premier et dernier ressort et il invite le requérant, s'il s'y croit fondé, à présenter une requête en ce sens auprès de la juridiction compétente pour en connaître.

(ord. réf. 28 septembre 2023, M. B., n° 488541)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

20 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Déchets non produits par des ménages mais par le public – Dépenses à ce titre prises en compte au titre des dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers – Annulation.

Dans un litige portant sur une demande de décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères, où le tribunal administratif avait donné gain de cause à l’association syndicale libre demanderesse, le Conseil d’État annule notamment le jugement pour l’erreur de droit qui a consisté pour ce tribunal à juger que la collectivité publique n'était pas fondée à prendre en compte, au titre des dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers, le coût de la collecte et du traitement des déchets et immondices jetés dans les corbeilles de rue ou sur la voie publique au motif que ces déchets étaient produits non par les ménages mais par les usagers de l'espace public, alors que ne sont exclus du champ des dépenses éligibles que les déchets qui n'ont pas la nature, soit de déchets habituellement produits par les ménages, soit de ceux, mentionnés à l'art. L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales, que les collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières.

(18 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466461)

 

21 - Impôt sur les sociétés – Abus de droit – Notion et régime – Abus de droit distincts de celui fondant la proposition de rectification – Annulation partielle.

La présente décision est surtout intéressante par son approche de la théorie fiscale de l’abus de droit.

On sait qu’aux termes de l'art. L. 64 du livre des procédures fiscales : « Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». 

En premier lieu, et c’était là l’essentiel du litige, le ministre soutenait que constituait un abus de droit l’opération suivante entre sociétés de droit luxembourgeois ayant des avoirs et des biens en France.

Une société immobilière, Lupa immobilière France, acquiert le 28 mars 2006 les titres de sociétés (anonymes et civiles immobilières) appartenant au même groupe qu’elle pour une valeur totale de 19 345 900 euros ; elle inscrit ensuite, après leur dissolution-confusion le 29 mars 2006, les parts des SCI directement à son actif à la même valeur, et enfin, après dissolution-confusion de ces dernières le 30 mars 2006, elle réalise une plus-value de confusion de 361 872 euros. Ce faisant, elle a appliqué ce que l’on appelle la « correction Quéméner », ainsi dénommée du chef d’une décision du Conseil d’Etat (16 février 2000, Société anonyme établissements Quéméner, n° 133296).

Selon cette décision, dans le cas où une société, une entreprise ou une personne soumise à l'impôt à raison des bénéfices qu'elle tire de son activité professionnelle, cède les parts inscrites à l'actif de son bilan qu'elle détient dans une société ou dans un groupement relevant ou ayant relevé du régime prévu aux art. 8, 8 ter, 239 quater B ou 239 quater C du CGI ou, lorsqu'elle ne dresse pas de bilan, les parts de même nature qu'elle a affectées à l'exercice de sa profession, le résultat de cette opération, imposable dans les conditions prévues à l'art. 39 duodecies et aux articles suivants du même code, doit être calculé, pour assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique des sociétés et groupements susmentionnés, en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d'acquisition, majorée en premier lieu, d'une part de la quote-part des bénéfices de cette société ou de ce groupement revenant à l'associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application du régime visé ci-dessus, et d'autre part des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société ou le groupement en France et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler, puis minorée en second lieu, d'une part, des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif, et, d'autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société ou le groupement et ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé ; qu'en outre, lorsque les parts de la société de personnes faisant l'objet de la cession ont été acquises ou souscrites à des dates différentes, le prix de revient des parts acquises ou souscrites à la même date est calculé distinctement suivant les modalités susmentionnées.

En l’espèce, l’application de la « correction Quéméner » permettait à la requérante de déduire un déficit extracomptable de 19 535 970 euros neutralisant l'imposition dont elle était redevable au titre de la réévaluation de l'actif des SCI et aboutit à ce qu'elle soit imposée à raison du seul enrichissement dont elle a bénéficié du chef de la détention des parts des SCI.

Le juge estime donc que l’application de cette correction n'était ainsi, par elle-même, pas contraire à l'objectif de neutralité d'application de la loi fiscale au niveau de la société Lupa Immobilière France et qu’elle ne constituait pas un abus de droit. Mais l’administration fiscale fait plaider qu’en réalité c’est l'ordre des actes litigieux qui, à lui seul, était de nature à caractériser un but exclusivement fiscal. Pour cela, l’administration relève d'une part, que si la réévaluation des immeubles inscrits à l'actif des SCI avait été réalisée avant la dissolution des sociétés anonymes qui les contrôlaient, le profit de réévaluation aurait été taxable en France. Elle soutient, d'autre part, que si la réévaluation des immeubles avait été affectée, après la dissolution des SCI, à l'actif de la requérante, celle-ci aurait également supporté l'impôt sur le profit de réévaluation ainsi dégagé.  Toutefois, pour rejeter cette argumentation, le juge retient qu’à supposer même que la charge fiscale de la requérante ait effectivement été allégée par l'ordre dans lequel ces actes ont été réalisés, cette seule circonstance ne saurait révéler l'existence d'un abus de droit, faute de pouvoir écarter un ou plusieurs actes qui auraient été pris pour rechercher, dans un but exclusivement fiscal, le bénéfice d'une application littérale des textes en cause contraire à l'intention de leurs auteurs. 

En second lieu, le ministre saisissant invoque, à titre de motifs devant être substitué à celui précédemment rejeté, la commission de trois autres abus de droit. Ils sont tous rejetés par le juge car ils sont distincts de celui, principal, décrit plus haut qui était le seul motif invoqué par l’administration à l’appui de sa proposition de rectification litigieuse et à laquelle la contribuable a répondu. Au reste, l’admission par le juge de pareilles substitutions de motifs aurait privé la contribuable de la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal, ce qui l’aurait privée d’une garantie prévue par la loi (cf. art. L. 64 du LPF précité).

(18 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466868)

(22) V. aussi, globalement identique : 18 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466871.

 

23 - Soulte inscrite en compte courant d’associé – Placement sous le régime du report d’imposition (art. 150-0 B ter du CGI) – Abus de droit – Absence – Rejet.

L’associé unique d’une Sarl, société holding HTTP,  apporte à cette société des actions d’une autre société et reçoit en contrepartie des actions de cette Sarl ainsi qu’une soulte ; il place les plus-values ainsi réalisées sous le régime du sursis d’imposition prévu par l'art. 150-0 B ter du CGI. L’administration fiscale requalifie en abus de droit cette opération.

Le ministre se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a accordé au contribuable décharge des impositions et pénalités mises de ce chef à sa charge.

Le juge de cassation rejette le pourvoi.

L’administration soutenait qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'art. 150-0 B ter du CGI à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées. Confirmant entièrement l’arrêt d’appel, le Conseil d’État retient d’abord que si, comme le soutient le ministre défendeur, des sommes inscrites au crédit du compte courant d'un associé dans les comptes d'une société doivent, en principe, être regardées comme mises à la disposition de cet associé et sont immédiatement taxables entre ses mains, en l’espèce la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'inscription de la soulte en litige au crédit du compte courant d'associé du contribuable dans les comptes de la société holding HTTP ne suffisait pas par elle-même, en présence d'une convention prévoyant le blocage de cette somme, à la faire regarder comme ayant été effectivement appréhendée par l'intéressé.

Il relève ensuite que la cour a pu, sans erreur de qualification juridique et dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, dès lors que le contribuable, qui avait souscrit un engagement contractuel de blocage de son compte courant d'associé à concurrence du montant de la soulte pendant une durée de cinq ans, que cette soulte ne lui avait été effectivement remboursée ni immédiatement, ni au 31 décembre 2018, ni au-delà, que ce blocage visait à ce que la somme correspondante puisse être proposée en garantie aux banques et à ce que les financements nécessaires au développement du groupe puissent être demandés avec de meilleures chances de succès et que ce nantissement avait été effectivement proposé, même s'il n'y avait pas été in fine recouru, à un établissement bancaire à l'occasion d'une opération de développement du groupe animé par la holding, déduire de là que la stipulation de la soulte poursuivait au moins en partie un objectif autre que fiscal, de sorte qu'elle ne pouvait être regardée comme constitutive d'un abus de droit.

Enfin, le juge de cassation rappelle que le juge peut, comme en l’espèce, à titre confortatif, s’appuyer sur des éléments postérieurs à la date de l’opération litigieuse pour éclairer l'intention animant les parties à l'opération.

(29 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471003)

(24) V. aussi, s’agissant d’un litige relatif à une éligibilité au régime du report d’imposition et aux conséquences à tirer d’un jugement de tribunal de commerce proclamant la nullité d’une décision d’assemblée générale prononçant la dissolution de la société holding bénéficiaire d’apports de titres d’une Sarl : 29 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471235.

 

25 - Non résident fiscal en France – Résident fiscal en Suisse – Détermination de cette qualité – Rejet.

Dans un litige en décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, le contribuable se prévalait de la qualité de résident fiscal suisse au sens et pour l’application de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966.

Pour rejeter cette qualification, le juge retient que si le requérant avait en Suisse son foyer du 1er juin 2005 au 15 novembre 2005, date de la cession des titres de la société Adonix, il résulte cependant de l'instruction qu'il a exercé jusqu'au 15 novembre 2005 la fonction de président-directeur général de la société Adonix dont le siège était situé en France, pour laquelle il a perçu une rémunération de 128 406,42 euros pour la période allant du 1er janvier au 15 novembre 2005. Il exerçait, en outre, la présidence du conseil d'administration de la société Meta 4 France, dont le capital social était intégralement détenu par la société Adonix et dont le siège social était également situé en France. Dans ces conditions, M. B., qui a perçu au cours de l'année 2005 la majorité de ses revenus, sous forme de salaires et de dividendes, de sociétés ayant leur siège social en France, doit être regardé comme ayant eu son domicile fiscal en France lors de l'année 2005 au sens des b) et c) du 1 de l'article 4 B du code général des impôts.

(18 septembre 2023, M. B., n° 469789)

 

26 - Zone franche urbaine – Exonération temporaire d’impôt – Modification postérieure rétroactive de la loi – Restriction du champ d’application de l’exonération – Annulation.

La prudence devrait commander à tout contribuable imposé en France de fuir comme la peste la plupart des faveurs fiscales. Octroyées par le législateur qui n’y comprend pas grand-chose, elles sont de facto puis de iure, pourchassées par l’administration fiscale au moyen soit d’interprétations anesthésiantes soit de lois modificatives et contraires que le parlement vote tout aussi aisément que la loi précédente dans une ignorance normative déconcertante. Si l’on ajoute qu’à ce principe de rapacité fiscale le juge prête volontiers la main en raison d’un vieux et tenace copinage intellectuel avec l’administration des finances, on aura une vision clinique complète de la présente affaire.

Une loi du 31 mars 2006 a institué (cf. art. 44 octies A du CGI), dans le but d'inciter les entreprises à créer ou exercer des activités dans des zones franches urbaines, une exonération d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices provenant de ces activités, totale pendant une première période de cinq années, puis partielle et dégressive pendant une seconde période de neuf années. Il s’agissait d’un mécanisme destiné à durer quatorze années avec une intensité progressivement déclinante.

En particulier, il était précisé au II de l’art. précité que si le contribuable n'exerçait pas l'ensemble de son activité dans une zone franche urbaine, le bénéfice exonéré était déterminé en affectant le montant résultant du calcul ainsi effectué du rapport entre, d'une part, la somme des éléments d'imposition à la cotisation foncière des entreprises définis à l'art. 1467 afférents à l'activité exercée dans les zones franches urbaines et relatifs à la période d'imposition des bénéfices et, d'autre part, la somme des éléments d'imposition à la cotisation foncière des entreprises du contribuable définis au même article pour ladite période.

La loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 est venue décider que la détermination du bénéfice exonéré lorsque le contribuable ne réalise pas l'ensemble de ses activités dans une zone franche urbaine, serait calculé non plus sur le prorata des bases de cotisation foncière des entreprises afférentes à l'activité exercée dans la zone franche urbaine, mais sur le prorata de chiffre d'affaires ou de recettes réalisé dans cette zone. Ce nouveau dispositif a été rendu applicable aux exercices clos à compter du 31 décembre 2013. Il s’appliquait donc rétroactivement pour toute l’année 2013.

Saisies par des contribuables goûtant peu cette palinodie, les juridictions du fond ont estimé, d’une part, que cette dernière loi avait porté atteinte à une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH car l'avantage fiscal consenti en contrepartie de l'implantation d'une activité dans une zone franche urbaine était garanti pour une période de temps limitée et non sans limite de durée, d’autre part, répondant à un argument du ministre défendeur, selon lequel existerait un motif d'intérêt général de nature à justifier la modification du régime fiscal en cause sans qu'il soit porté une atteinte excessive aux droits des contribuables, que le coût élevé d'un régime fiscal ne pouvait constituer, par lui-même, un tel motif d'intérêt général. Le Conseil d’État annule cet arrêt motif pris de ce que, sur le premier point, il contiendrait une erreur de droit et de ce que, sur le second point, il serait insuffisamment motivé.

On dira notre désaccord avec chacun des éléments de cette motivation.

Tout d’abord, pour refuser l’application de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la CEDH, les juges du Palais-Royal objectent qu’il ne saurait exister aucune espérance légitime pour le contribuable opposable à une loi qui ne dispose que pour l’avenir. En effet, la jurisprudence est fixée en ce sens que les situations fiscales sont établies au 31 décembre de l’année, de sorte que toute modification normative intervenue avant cette date est applicable à toutes les décisions et options ainsi qu’à tous les choix antérieurs à cette date alors même que le contribuable, dans l’ignorance de la modification législative postérieure (ici intervenue un 29 décembre…), a pris des décisions en se fondant sur l’état du droit à ce moment précis, donc antérieurement à la date d’adoption ou de publication de la loi. Nous avons à maintes reprises dit notre hostilité intellectuelle à une telle position qui, à notre connaissance, n’a pas d’équivalent en Europe, pour ne rien dire des autres Etats.

Ensuite, est jugé insuffisamment motivé l’argument tiré de ce qu’il ne suffit pas pour le ministre d’invoquer le coût élevé d'un régime fiscal pour que cela constitue un motif d'intérêt général. On ajoutera que de ce coût ledit ministre était conscient lors de l’adoption de la mesure, si celle-ci présentait alors un intérêt général aux yeux du parlement on ne saurait en dire autant du choix contraire.

Difficile dans ces conditions, pour les citoyens, du moins ceux contribuables, d’accorder crédit à un État qui se comporte ainsi et impunément.

(18 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471851)

(27) V. aussi, identiques : 18 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471927 ; 18 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471929.

(28) V. encore, partiellement identique seulement concernant l’invocation de la notion de « bien » au sens de l’art. 1er du premier protocole à la Convention EDH : 18 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471928.

 

29 - Cession de parts de capital – Imposition comme plus-values de cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière – Invocation d’un droit à exonération (a quinquies du I de l’art. 219 CGI) – Notion d’immeubles affectés par l'entreprise à sa propre exploitation – Rejet.

La société Bagest a cédé des participations qu'elle détenait dans le capital de trois sociétés en nom collectif. L’administration fiscale a imposé les plus-values à long terme réalisées à cette occasion selon le régime des plus-values de cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière, prévu au a sexies-0 bis) du I de l'article 219 du CGI. La société, estimant que cette plus-value était exonérée sur le fondement du a quinquies du I du même article, a demandé à l'administration la restitution de la cotisation correspondante.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif qui a rejeté sa demande de restitution.

Le pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État retient que l’exonération invoquée ne concerne que les « immeubles affectés par l'entreprise à sa propre exploitation ». Or par cette expression, le législateur n’a entendu exclusivement que les immeubles servant de moyens permanents d'exploitation, à l'exclusion des immeubles qui sont l'objet même de cette exploitation ou qui constituent des placements en capitaux car dans ces deux derniers cas les sociétés concernées sont à prépondérance immobilière. 

C’est sans erreur de droit ni dénaturation, que la cour administrative d’appel a, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, estimé que les trois sociétés en nom collectif (SNC) dans le capital desquelles la contribuable détenait des participations ayant pour seule activité de donner en location nue des locaux construits par elles et constituant les murs d'un centre commercial, il en résulte que les immeubles en cause constituent l'objet même de l'exploitation des SNC et donc que, par voie de conséquence, ces immeubles ne pouvaient être regardés comme affectés à cette exploitation : ils devaient donc être pris en compte pour déterminer si ces sociétés étaient à prépondérance immobilière.

C’est encore sans erreur de droit que la cour a jugé sans incidence sur cette qualification juridique les circonstances, à supposer même qu'elles soient susceptibles de conférer un caractère commercial à la location de ces locaux nus, que les loyers perçus comportaient une part variable indexée sur le chiffre d'affaires des preneurs, que les charges étaient refacturées aux preneurs, que les travaux réalisés par les preneurs dans le cours du contrat faisaient accession aux SNC en fin de bail et que les SNC auraient participé au financement du stationnement gratuit des clients, de certains travaux d'aménagement ainsi que d'opérations de promotion du centre commercial.

(29 septembre 2023, Société Bagest, n° 469788)

 

30 - Taxe sur les surfaces commerciales (loi du 13 juillet 1972) – Notion d’unité locale –Qualification inexacte des faits – Annulation.

Qualifie inexactement les faits le jugement qui pour décider qu’une société ne doit pas être assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales, retient que ses locaux ne constituent pas une seule unité locale et, par suite, un seul établissement au sens de la loi du 13 juillet 1972, aux motifs qu'ils sont assujettis séparément à la cotisation foncière des entreprises et que les différents sites commerciaux ne sont pas aménagés pour que leurs clientèles respectives puissent librement circuler de l'un à l'autre sans emprunter la voie publique. En effet, le juge de cassation estime, au contraire, que ces locaux, qui comprennent un hypermarché, une station-service, un commerce de vins au détail et un centre d'entretien automobile exploités par la société contribuable, sont situés au sein de la même zone commerciale sur un groupe de parcelles contiguës ou voisines formant un ensemble intégré d'établissements et doivent être regardés comme formant un ensemble géographiquement cohérent pour l'exercice de l'activité de l'entreprise.

(29 septembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470164)

 

31 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Précisions devant être données dans le budget – Taux inchangé – Absence de vote formel obligatoire – Annulation.

Le Conseil d’État apporte dans cette décision l’importante précision que si les dispositions du 1. de l'art. 1636 B undecies du CGI, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 dont elles sont issues, font obligation d’un vote formel de l’assemblée délibérante de la collectivité en cas d’augmentation ou de diminution du taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour l'année considérée, elles n'imposent cependant pas à la collectivité un vote formel annuel sur ce taux lorsque celui-ci est inchangé par rapport à l'année précédente. 

(29 septembre 2023, Société civile immobilière Immorente, n° 473571)

 

32 - Locaux meublés à usage d’habitation – Nature possible d’activité commerciale – Éligibilité au bénéfice de l’exonération des droits de mutation à titre gratuit (art. 787 B CGI) – Annulation.

Le requérant, qui exploite une entreprise individuelle exerçant une activité de loueur en meublé, demande l’annulation de la décision refusant d'abroger les commentaires administratifs publiés au BO des impôts selon lesquels l’activité qu’il exerce est exclue du bénéfice de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit instituée par l’art. 787 B du CGI, cette activité étant sans caractère commercial.

Pour accueillir cette demande, le juge rappelle tout d’abord que le fait de donner habituellement en location des locaux d'habitation garnis de meubles ne saurait être systématiquement regardé, pour l'application de la loi fiscale, comme une activité civile dépourvue de caractère commercial. Ensuite, et plus audacieusement, il indique que si le législateur a précisé que, pour l'application des dispositions relatives à l'impôt sur la fortune immobilière, comme du reste pour d'autres régimes fiscaux, une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier n'est pas considérée comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, aucune disposition de portée similaire ne permet, en revanche, de dénier de manière générale à la location de locaux meublés à usage d'habitation le caractère d'activité commerciale au sens des art. 787 B et 787 C du CGI.

(29 septembre 2023, M. B., n° 473972)

 

Droit public de l'économie - Énergie – Régulation

 

33 - Autorité de régulation des transports (ART) – Avis - Expression publique d’une opinion négative sur un avenant au cahier des charges d’une concession d’autoroutes – Absence d’effets notables – Rejet.

A la suite de la conclusion d’un nouvel avenant à la convention passée entre l'État et la société Autoroute du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé à cette convention, par son avis du 15 novembre 2022, l'Autorité de régulation des transports (ART) a, d'une part, estimé que cet avenant et le décret l'approuvant étaient illégaux faute qu'ait été recueilli au préalable son avis, en application de l'art. L. 122-8 du code de la voirie routière et, d'autre part, exprimé des doutes sur la légalité de certaines stipulations de cet avenant.

L'ART ayant publié cet avis sur son site internet, diffusé un communiqué de presse s'y rapportant, également publié sur son site internet, et l'ayant commenté sur plusieurs réseaux sociaux, la société ASF en demande l'annulation. 

Sa requête est rejetée en raison de l’absence d’effets notables de ces différentes formes de l’intervention de l’ART (sur la théorie des effets notables, cf. Section, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142).

Le juge relève d’abord que la position prise par l'ART sur la portée exacte de l'obligation, faite au Gouvernement, de la consulter, en vertu de l'article L. 122-8, ne peut être regardée comme ayant par elle-même un effet notable sur l'autorité chargée de mettre en œuvre les dispositions de cet article. Il relève ensuite que si la requérante soutient que l'avis rendu sur l’avenant litigieux en ce qu'il conclut à l'illégalité de cet avenant en raison de l'absence de consultation de l'ART et à l'existence de doutes sérieux sur la légalité de certaines de ses stipulations emporterait des effets notables, en particulier en ce qu'il affecterait sa situation ou celle d'autres sociétés concessionnaires d'autoroutes, elle ne produit à l'appui de ces allégations que des articles de presse faisant état de la position de l'ART, ne fournissant notamment aucun élément sur la dégradation actuelle ou probable de sa situation financière. La seule circonstance qu'un recours contentieux ait été introduit contre le décret et cet avenant est insusceptible à elle seule de constituer un effet notable.

Par suite, les conclusions de la requête tendant à l'annulation de cet avis sont irrecevables. 

(27 septembre 2023, Société Autoroute du Sud de la France (ASF), n° 470331)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

34 - Droit au logement opposable – Action des propriétaires dont le bien est occupé – Demande de mise en demeure de libération des lieux – Absence de convocation des propriétaires à l’audience – Rejet et invitation à former tierce opposition.

Les demandeurs qui, dans le cadre d’un litige relatif à la mise en demeure adressée aux occupants de lieux leur appartenant, de les quitter, n’ont été ni appelés ni présents à l'instance ayant abouti à l'ordonnance qu'ils attaquent, ne sont pas recevables à la contester par la voie de l'appel, n'ayant pas eu la qualité de partie au cours de l’instance.

Le juge d’appel les invite, s'ils s'y croient fondés, à saisir le juge des référés du tribunal administratif sur le fondement de l'art. L. 521-4 du CJA qui permet à toute personne intéressée de demander à tout moment au juge des référés de modifier les mesures qu’il a ordonnées ou d'y mettre fin ou en formant, sur le fondement de l'art. R. 832-1 de ce code, une tierce opposition, voie ouverte à toute personne qui n'a été ni présente ni représentée dans l'instance ayant abouti à une décision qui préjudicie à ses droits.

(ord. réf. 13 septembre 2023, M. et Mme H., n° 488090)

 

35 - Dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse – Demande d’attribution d’un logement d’urgence – Refus de signer le « contrat d’hébergement » - Demandeurs s’étant mis en état d’être dépourvus d’hébergement – Rejet.

Les demandeurs, la femme étant enceinte de quatre mois et le couple étant accompagné de deux enfants mineurs, recherchaient l’attribution d’un logement d’urgence et ont, à cet effet, saisi le juge des référés du Conseil d’État d’un appel dirigé contre l’ordonnance de rejet de leur demande.

Le juge constate tout d’abord que la situation actuelle des demandeurs n’est que la conséquence de leur refus de signer le « contrat d’hébergement » qui rappelle le règlement intérieur de l’hôtel les accueillant. Si les requérants font valoir en appel que ce document n'était pas rédigé dans une langue qu'ils pouvaient comprendre, il ressort des pièces du dossier qu’ils ont bénéficié des explications de personnes travaillant dans l'hôtel sur le sens et la portée de ce « contrat » ainsi que sur les conséquences de leur absence de signature de ce document. 

Il rappelle ensuite que, saisi d’un référé liberté, il ne peut, compte tenu du cadre temporel dans lequel il se prononce, ordonner que des mesures utiles en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises, par suite les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, et eu égard à son office, le juge des référés du tribunal administratif a jugé qu'aucune carence de l'État ne peut être caractérisée en l'espèce.

(ord. réf. 14 septembre 2023, Mme D. et M. C., n° 488118)

(36) V. aussi, dans le même domaine, la décision confirmant l’ordonnance du premier juge estimant que la difficulté invoquée par un département à gérer en un temps raisonnable les demandes d’hébergement dont il est saisi, mettant ainsi les demandeurs dans une situation de grave précarité, résulte notamment des procédures qu’il a mises en place et qui, simplifiées, accéléreraient le délai d’examen des demandes : ord. réf. 29 septembre 2023, département d’Ille-et-Vilaine, n° 488099.

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

37 - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Décisions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – Décision non prise au titre de la mission de contrôle et de régulation de la Haute Autorité – Rejet.

(21 septembre 2023, M. B. et M. D., n° 469866)

V. n° 13

 

38 - Circulaire du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances aux candidats aux élections sénatoriales de septembre 2023 – Incompétence du ministre de l’intérieur – Méconnaissance du principe d'égalité entre les candidats - Atteinte à la sincérité du scrutin - Rejet.

La formation politique requérante demandait en référé la suspension de la circulaire par laquelle le ministre de l’intérieur, pour la préparation et le déroulement des opérations électorales et en vue de la mise en œuvre des deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus » régis par les dispositions du décret du décret du 9 décembre 2014, a établi une grille des nuances politiques destinée à permettre l'agrégation des résultats des élections.

Sa demande est rejetée, aucun des griefs développés n’étant retenu par le juge.

Concernant l’incompétence alléguée du ministre de l’intérieur, le juge rappelle le pouvoir d’organisation des services dont celui-ci dispose en vertu de la jurisprudence Jamart (1936) et qui lui permet notamment de prévoir, à l’occasion des élections sénatoriales de septembre 2023, l'attribution de nuances politiques aux candidats à ces élections, sur la base de deux grilles, une grille de 21 nuances pour les candidats et une grille de 22 nuances pour les listes. Ces nuances sont regroupées en six blocs destinés à agréger les résultats des différentes nuances, dénommés « extrême gauche », « gauche », « autres », « centre », « droite », « extrême droite ». 

Concernant les griefs, adressés à cette circulaire, de méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et entre les candidats, d’atteinte à la sincérité du scrutin, de détournement de pouvoir et d'erreur manifeste d'appréciation en raison du rattachement de la nuance politique « Rassemblement National » au bloc « extrême droite », le juge les rejette car en l’état de l'instruction, aucun de ces moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée.

(ord. réf. 21 septembre 2023, Association Rassemblement national, n° 488379)

 

État-civil et nationalité

 

39 - Déclaration d’acquisition de la nationalité française à raison du mariage – Opposition à cette acquisition pour indignité – Absence d’urgence et de préjudice grave et immédiat – Rejet de la demande en référé suspension.

Le requérant, congolais époux d’une française et résidant lui-même en France, demande la suspension du décret primo-ministériel s’opposant, pour indignité, à ce qu’il acquière la nationalité française du fait de son mariage.

Pour justifier de l’urgence à suspendre ce décret, l’intéressé invoque d’une part, qu’il serait de ce fait en état d’apatridie et d’autre part qu’il serait empêché de se rendre en Angola, pour rendre visite à sa fille de 12 ans, orpheline de mère depuis 2015, qui se trouverait sans hébergement pérenne, en situation de détresse affective et matérielle et souffrirait de troubles respiratoires, et, également, de faire venir celle-ci en France dans les meilleurs délais.

La demande est rejetée car il n’est pas démontré que le requérant ne puisse pas se rendre en Angola, ni, non plus, qu’il ne possèderait plus la nationalité congolaise et enfin car il lui est toujours possible de faire venir sa fille en France au titre du regroupement familial.

(ord. réf. 18 septembre 2023, M. B., n° 487622)

 

40 - Déchéance de la nationalité française – Motifs – Indifférence du comportement de l’intéressé postérieurement au prononcé de cette déchéance – Rejet.

Est légalement justifiée en l’espèce la sanction de déchéance de la nationalité française, qui a notamment pour effet de priver l'intéressé de ses droits civils et politiques en France, eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale sans que le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits permette de remettre en cause cette appréciation.

(27 septembre 2023, M. B., n° 471515)

(41) V. aussi, adoptant la même motivation s’agissant d’un individu qui a été condamné à une peine de sept ans d'emprisonnement assortie d'une période de sûreté des deux tiers pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, notamment en participant au recrutement, à l'endoctrinement et au départ en Syrie de plusieurs personnes issues de l'agglomération orléanaise ayant rejoint les rangs de l'organisation terroriste Jaysh B. et en ayant eu en mars et avril 2014 plusieurs contacts téléphoniques avec ces individus où il a explicitement énoncé sa volonté de les rejoindre sur le théâtre d’opérations syrien, projet qu'il a plusieurs fois reconnu par la suite : 27 septembre 2023, M. A., n° 471588.

 

42 - Demande de rectifications d’identité - Incompétence du juge administratif – Rejet.

Est irrecevable comme portée devant une juridiction incompétente pour connaître la demande en rectification d’identité formée par la requérante pour elle-même et son frère, en France et au Congo, et pour ses père et mère en France. Les litiges d’état-civil relèvent, sauf exceptions très limitées, de la compétence exclusive du tribunal judiciaire.

(ord. réf. 26 septembre 2023, Mme B., n° 488382)

(43) V. aussi, la solution identique à la précédente et pour le même motif, à l’occasion d’une demande en référé liberté tendant à voir le requérant être « retiré de la catégorie des majeurs protégés » : ord. réf. 26 septembre 2023, M. A., n° 488415.

 

Étrangers

 

44 - Demande de carte de séjour temporaire – Fabrication du titre non effectuée par erreur – Invocation d’une atteinte à la liberté d’aller et venir – Absence de situation d’urgence née de l’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

La requérante, ressortissante russe, a obtenu le 28 juillet 2022 une attestation de décision favorable au renouvellement de sa carte de séjour temporaire mention « visiteur », pour la période du 29 juillet 2022 au 28 juillet 2023, indiquant qu’elle était alors en cours de fabrication.

Ayant appris que la fabrication de son titre de séjour n'avait pas été lancée, l’intéressée a saisi, en vain, le juge du référé liberté d'une demande d’injonction au préfet de police de Paris de lancer, dans un délai de quarante-huit heures, la fabrication de sa carte de séjour temporaire, mention « visiteur », valable du 29 juillet 2022 au 28 juillet 2023, afin notamment de lui permettre de demander un nouveau titre de séjour. Elle interjette appel de cette ordonnance de rejet, par les mêmes moyens que ceux soulevés en première instance, fondés sur ce qu'en l’absence de fabrication de sa carte de séjour temporaire, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir.

Relevant qu’en appel, la requérante n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause l'appréciation portée par le premier juge car elle « ne justifie pas d'une situation d'urgence particulière impliquant qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans un délai de quarante-huit heures », le juge rejette son appel.

Toutefois, le juge invite la demanderesse à saisir, si elle s'y croit fondée, le juge du référé « mesures utiles » (cf. art. L. 521-3 CJA) dont le champ de compétences et les pouvoirs sont, en effet, plus appropriés au contenu de cette requête.

(ord. réf. 05 septembre 2023, Mme B., n° 487617)

 

45 - Ressortissant marocain concubin d’une française et père de quatre enfants français – Menace grave pour l’ordre public – Expulsion – Atteinte grave à sa situation personnelle et familiale – Grave dangerosité de l’intéressé – Rejet.

Un ressortissant marocain, entré en France à l’âge de treize ans, époux d’une française, père de quatre enfants français, dont les parents et les frères et sœurs sont français, a fait l’objet d’une mesure d’expulsion en raison de multiples infractions et d’un comportement dangereux au point que sa présence en France constituait une menace grave pour l'ordre public, de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État ou liés à des activités à caractère terroriste..

Il interjette appel de l’ordonnance qui a rejeté son recours contre l’arrêté d’expulsion pris à son encontre par le ministre de l’intérieur.

Son recours soulève deux questions distinctes : la mesure d’expulsion est-elle justifiée ? à supposer cette mesure justifiée, ne porte-t-elle pas une atteinte excessive à la vie personnelle et familiale de l’intéressé au regard des éléments susindiqués ?

Le juge du Conseil d’État répond par la négative à chacune d’elles.

Sur le premier point, le juge retient, pour estimer justifiée et proportionnée la décision d’expulsion vers le Maroc, que l’intéressé a été condamné à de multiples reprises à compter de 2014 pour des faits d'usage de stupéfiants, de vol, de recel, de violences ou menaces sur personne dépositaire de l'autorité publique et d'escroquerie, qu’il a, au cours de son incarcération, entre 2019 et 2021, proféré à plusieurs reprises des menaces explicites de mort, en particulier par égorgement, à l'encontre du personnel pénitentiaire voire de membres de leur famille, au nom de l'islam, appelé au djihad et menacé de commettre des attentats terroristes, et qu'il a été condamné à ce titre, notamment pour apologie publique du terrorisme, à des peines de deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire de deux ans et de douze mois d'emprisonnement. Il a, par ailleurs, manifesté un comportement prosélyte en prison et des supports de propagande terroriste et des ouvrages de promotion du djihadisme et du salafisme ont respectivement été retrouvés à son domicile et dans sa cellule. C’est donc à bon droit que le premier juge a rejeté sa demande de référé tendant à la suspension de la mesure d’expulsion et à la restitution de son titre de séjour, cela alors même que le requérant n'apparaît pas engagé dans la conception effective d'une opération à caractère terroriste car un tel risque semble   sérieux compte tenu de la gravité et de la récurrence des menaces et violences dont il est l'auteur, en lien avec l'idéologie djihadiste, de la fragilité psychologique qu'il présente et de l'absence de garanties sérieuses de réinsertion professionnelle et sociale, en dépit de la promesse d'embauche qu'il évoque.

Sur le second point, le juge reconnaît que cette expulsion, d’une part, porte une atteinte particulièrement grave à la situation personnelle et familiale du requérant compte tenu de l'ancienneté et de la durée de son séjour en France ainsi que des liens effectifs et affectifs avec les personnes mentionnées plus haut, d’autre part, est susceptible d'affecter de façon suffisamment directe et certaine la situation de ses enfants mineurs.

Toutefois, comme le premier juge, le juge d’appel relève d’abord que ses enfants sont en réalité à la charge effective de leur mère depuis plusieurs années en raison de son incarcération et qu’ils ne sont pas empêchés de rendre visite à leur père au Maroc.

Ensuite et surtout, le juge retient que le requérant, qui a fait l'objet, entre 2014 et 2022, de douze condamnations pour plusieurs dizaines d'infractions, pour un quantum total des peines prononcées de sept ans, ainsi que de dix-sept procédures disciplinaires au sein des établissements pénitentiaires où il a purgé ses peines, eu égard à son comportement, à la gravité de la menace qu'il représente compte tenu de son profil radicalisé et de sa « dangerosité psychiatrique » décrite par un expert psychiatre ainsi qu'à ses faibles perspectives de réinsertion professionnelle en dépit des démarches qu'il a engagées, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a estimé que les arrêtés litigieux ne constituaient pas une ingérence manifestement illégale dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention EDH ni une violation manifeste du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990. 

(ord. réf. 13 septembre 2023, M. B., n° 488045)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

46 - Détenu employé dans un centre pénitentiaire- Mutation d’un emploi à un autre – Absence de « déclassement d’emploi » - Qualification juridique des faits – Mesure d’ordre intérieur – Rejet.

Le demandeur, qui exerçait en sa qualité de détenu les fonctions de bibliothécaire dans un bâtiment pénitentiaire, a été muté sur décision du directeur du centre pénitentiaire sur un emploi d'auxiliaire aux ateliers du service général dans son nouveau bâtiment de détention. Estimant avoir été l’objet d’un « déclassement d’emploi », il a, après avoir demandé en vain à être réaffecté dans son ancien emploi, saisi le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir dirigé à la fois contre la décision de mutation et contre le rejet de son recours gracieux à fin de réintégration dans son précédent emploi.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmant le jugement de rejet de ses demandes.

Fidèle à sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’État réitère en premier lieu que : « Le travail auquel les détenus peuvent prétendre constitue pour eux non seulement une source de revenus mais encore un mode de meilleure insertion dans la vie collective de l'établissement, tout en leur permettant de faire valoir des capacités de réinsertion. Ainsi, eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de « déclassement d'emploi » au sens des (art. D. 432, D. 432-2 et D. 432-3) du code de procédure pénale, c'est-à-dire mettant fin à l'affectation sur un emploi, constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. »

Il indique également, en second lieu, qu’il en va autrement des refus opposés à une demande d'affectation sur un emploi ainsi que des mesures portant affectation sur un emploi ou changement d'affectation d'un emploi sur un autre emploi, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus, celles-ci ne constituant que des mesures d’ordre intérieur. 

Concernant les faits de l’espèce, le Conseil d’État considère que la cour n’a pas commis d’erreur dans la qualification juridique des faits en jugeant, dans le cadre de son appréciation souveraine :

- d’une part, que du fait du transfert de l’intéressé d’un bâtiment pénitentiaire à un autre, sa réaffectation d’un emploi de bibliothécaire dans le premier bâtiment à un emploi d'auxiliaire aux ateliers du service général dans son nouveau bâtiment de détention, n’a pas constitué, au sens de l’art. D. 432-4 du de de procédure pénale, un « déclassement » de l’emploi occupé antérieurement mais simplement une décision d’affectation sur un emploi ;

- d’autre part, que dès lors que les différences de conditions de rémunération et de travail existant entre l'emploi de bibliothécaire dans un bâtiment et l'emploi d'auxiliaire aux ateliers du service général d’un autre bâtiment n'avaient pas aggravé les conditions de détention du requérant, la décision de reclassement prise par le directeur du centre pénitentiaire n'avait pas affecté les droits et libertés du requérant et qu'elle avait ainsi le caractère d'une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours. 

On peut trouver cette solution par trop latitudinaire envers l’administration pénitentiaire.

(21 septembre 2023, M. B., n° 468441)

 

Libertés fondamentales

 

47 - Enceintes d’établissements scolaires - Interdiction du port de certaines tenues vestimentaires – Insignes, habits ou comportements manifestant de manière ostentatoire l’appartenance à une religion – Atteinte à la laïcité – Rejet.

Statuant en référé en formation collégiale, le Conseil d’État rejette la très médiatisée demande de suspension d’exécution, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA, de la décision du 27 août 2023 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse portant interdiction du port de l'abaya, y compris le port du qamis, dans l'enceinte des écoles, collèges et lycées publics, telle que confirmée par la décision du 31 août 2023 et par une lettre aux parents d'élèves du même jour.

Selon une constante de sa jurisprudence, le juge rappelle que si l’exigence de laïcité dans les enceintes scolaires peut s’accommoder du port par l’ensemble des membres de la communauté éducative de signes discrets d’appartenance religieuse, il n’en va pas de même du port, comme en l’espèce, de vêtements ou de l’adoption de comportements constituant une manifestation ostensible de l'appartenance religieuse des élèves concernés.

Dès lors, il ne saurait être soutenu que la décision querellée porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l'éducation et au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ou au principe de non-discrimination. 

La requête est rejetée sans examen de la condition d’urgence.

(ord. réf. format. collégiale, 07 septembre 2023, Association Action droits des musulmans, n° 487891)

(48) V. aussi, identique et rendu par la même formation : ord. réf. format. collégiale, 25 septembre 2023, Associations La voix lycéenne et Le poing levé, n° 487891 ; Syndicat SUD Éducation, n° 487975, jonction.

 

49 - Demandeur d’asile – Conditions matérielles d’accueil – Refus d’étendre le bénéfice de ces conditions à une personne n’étant pas elle-même demandeur d’asile – Rejet.

Le CESEDA (art. L. 551-8) a prévu, en application d’une directive de l’Union, que soient prises des mesures prévues garantissant aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande.

Le juge rappelle que si la privation du bénéfice de ces mesures est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le juge des référés, saisi d’un référé liberté (art. L. 551-2 CJA)  ne peut faire usage de ses pouvoirs d’injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale.

En l’espèce, le premier juge a enjoint l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d’attribuer à la requérante et à ses deux filles âgées d’un mois un hébergement pour demandeurs d'asile mais il a refusé d'étendre ce bénéfice à M. E., requérant, père des deux filles de la requérante car il n'était pas lui-même demandeur d'asile.

Les requérants demandaient au Conseil d’État, ici juge d’appel, d’annuler l’ordonnance attaquée en faisant valoir que M. E. est le père des deux enfants de Mme C. et qu'il fait ainsi partie du foyer familial.

Il est jugé que l’intéressé, qui n’invoque aucune circonstance particulière propre à la situation personnelle et familiale de Mme C. et de ses filles de nature à établir la nécessité qu'il soit hébergé avec elles, n’est pas fondé à soutenir que l'absence de proposition d'un hébergement pour lui-même, dont il n'est pas contesté qu'il n'a pas formé de demande d'asile, porterait une atteinte manifestement illégale au droit d'asile de Mme C.

Par suite, l’appel dirigé contre l'ordonnance attaquée est rejeté.  

(ord. réf. 11 septembre 2023, Mme C. et M. E., n° 487930)

(50) V. aussi, estimant qu’il n’existe aucune urgence particulière à accorder un hébergement pérenne et un soutien matériel à une ressortissante étrangère dont la demande d’asile a été rejetée car si elle est accompagnée de trois enfants en bas âge, elle est actuellement accueillie en centre d'hébergement d'urgence et bénéficie d'une aide mensuelle pour l'achat de produits de première nécessité pour elle et ses enfants : ord. réf. 18 septembre 2023, Mme B., n° 488101.

 

51 - Demandeur d’asile – Allocation des conditions matérielles d’accueil (art. L. 551-8 CESEDA) – Versement à titre rétroactif de cette allocation – Impossibilité pour le juge du référé liberté – Rejet.

Dans une affaire un peu complexe relative à une demande de rétablissement rétroactif des conditions matérielles d’accueil, le juge du référé liberté rappelle que si, saisi afin de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile qui pourrait résulter d'une privation des conditions matérielles d'accueil d’un demandeur d’asile, il peut enjoindre à l'administration de les rétablir, et en particulier de reprendre le versement de l'allocation mentionnée à l'art. L. 551-8 du CESEDA, il ne lui appartient pas, en principe, d'enjoindre le versement de cette allocation à titre rétroactif pour une période écoulée.

Il tire de là cette conséquence procédurale que les requérants  ne sont pas fondés à soutenir que le fait pour l'Office français de  l’immigration et de l’intégration (OFII) de leur avoir versé l'allocation litigieuse à compter de la notification de l'ordonnance du 18 février 2023 par laquelle juge des référés du tribunal administratif de Paris de leur accorder cette allocation, et non à titre rétroactif pour la période écoulée entre le dépôt de la demande d'asile de leur fille et cette date, caractériserait une inexécution de l'injonction prononcée par ce juge et réformée par le juge des référés du Conseil d'État.

(ord. réf. 18 septembre 2023, Mme A. et M. C., n° 487814)

 

52 - Réfugié – Agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies – Comportements assimilables à de tels agissements – Perte du statut de réfugié – Annulation.

Un ressortissant turc d’origine kurde s’est vu privé de la qualité de réfugié par l’OFPRA suite à sa condamnation pénale, par arrêt irrévocable, pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste et de financement d'entreprise terroriste.

Sur recours de l’intéressé, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), jugeant qu'il n'existait aucune raison sérieuse de penser qu'une part de responsabilité dans des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies pouvait être imputée à celui-ci, tout en reconnaissant le soutien qu’il a apporté aux activités opérationnelles d'un groupe armé en Turquie, dont elle a reconnu la dimension internationale de l'action, a annulé la décision de l’OFPRA. Celui-ci se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi au motif que la Cour a inexactement qualifié les faits.

Pour cela le juge administratif suprême pose en principe que « Les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c du F de l'article 1er de la convention de Genève. Il en va ainsi des actions de soutien à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission de tels actes, notamment en participant de manière significative à son financement. » 

Cette solution, même si elle n’est pas sans précédent, est importante en ce qu’elle crée ainsi, en quelque sorte, une catégorie « d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies » par assimilation.

Le juge retient, pour fonder cette assimilation en l’espèce, que l’intéressé :

- a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste et financement d'entreprise terroriste résultant de ce qu’il a personnellement et sciemment participé à la collecte de fonds en France au profit du parti révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), organisation kurde d'inspiration marxiste-léniniste ayant commis de nombreux actes terroristes et figurant sur la liste officielle des organisations terroristes de l'Union européenne, participant ainsi de manière significative à son financement, dans le cadre de l'association culturelle de solidarité Anatolie Paris (ACSAP) qui en est une émanation, qu'il a fréquentée à compter de 2007, dont il ne s'est jamais désolidarisé et dont il a temporairement exercé les fonctions de trésorier, en lien étroit et permanent avec d'autres membres de l'ACSAP également condamnés pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste.

- que ses déclarations selon lesquelles il ignorait les liens entre l'ACSAP et le DHKP-C et la destination réelle des fonds collectés étaient, selon l’arrêt de condamnation, « dépourvues de toute vraisemblance eu égard à son parcours militant de longue date ».

C’est pourquoi la décision de la CNDA est cassée car elle ne pouvait juger, - après avoir relevé les éléments précités et alors qu' il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que lors d'une perquisition réalisée au cours de l'enquête pénale, des documents personnels appartenant aux dirigeants de l'ACSAP, en particulier à son président, ont été retrouvés au domicile de l’intéressé, attestant de sa proximité avec eux -, qu'il n'existait aucune raison sérieuse de penser qu'une part de responsabilité dans des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies pouvait être lui être imputée, tout en reconnaissant le soutien apporté par l'intéressé aux activités opérationnelles d'un groupe armé en Turquie, dont elle a reconnu la dimension internationale de l'action.

Nous aurions été davantage enclin à prononcer une annulation pour dénaturation des pièces du dossier.

(21 septembre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 463489)

 

53 - Établissements pénitentiaires – Droits fondamentaux des détenus – Office du juge du référé liberté – Rejet.

Les organisations requérantes ont demandé au juge du référé liberté d’ordonner un certain nombre de mesures pour obvier à la situation existant au centre pénitentiaire de Perpignan portant une atteinte grave et manifestement illégale aux droits garantis par les art. 2, 3 et 8 de la Convention EDH ainsi qu'à la dignité des détenus, spécialement s’agissant des conditions matérielles de détention dans les cellules du centre pénitentiaire, du maintien des liens personnels et familiaux des personnes détenues ainsi que des fouilles intégrales.

Elles se pourvoient en cassation de l’ordonnance du premier juge en ce qu’elle n’a que partiellement fait droit à leurs demandes.

Le recours est rejeté après un rappel de la jurisprudence fermement établie en la matière.

En premier lieu, il est indiqué, une nouvelle fois, d’une part, qu’eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les art. 2 et 3 de la Convention EDH et, d’autre part, qu’en cas de carence de l'autorité publique créant un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou risquant de les exposer à un traitement inhumain ou dégradant, le juge doit intervenir en prenant toute mesure appropriée, pour autant que la situation permette de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures.

En deuxième lieu, il est aussi rappelé que si ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Ces importants pouvoirs ainsi reconnus au juge du référé liberté ne sont pas sans limite, en particulier ce juge ne peut ordonner que celles des mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale.

En troisième lieu, et cet aspect de l’ordonnance est le plus original et assez innovant exprimé ainsi, le juge des référés peut, eu égard à son office, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre à condition que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

Rappelant enfin, que le juge des référés ne saurait ordonner des mesures d'ordre structurel insusceptibles d'être mises en œuvre à très bref délai, le juge du Conseil d’État confirme en tous points l’ordonnance attaquée.

(ord. réf. 21 septembre 2023, Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), n° 488135)

 

54 - Enfant né sans vie – Décision de crémation prise par le centre hospitalier – Non-respect de l’obligation d’informer les parents et de respecter un certain délai – Comportement fautif – Annulation sans renvoi.

L’affaire est dramatique et n’est pas loin du scandale.

La requérante a accouché d'un enfant sans vie dont la crémation a été organisée six jours plus tard par le centre hospitalier où a eu lieu l’accouchement. Elle a demandé la réparation du préjudice moral qu'elle estimait avoir subi du fait de la faute commise par le centre hospitalier d'une part, pour ne pas l'avoir informée du délai dont elle disposait pour réclamer le corps de son enfant afin de procéder elle-même à ses obsèques et, d'autre part, pour avoir procédé à sa crémation avant l'expiration de ce délai. Elle a attaqué le silence gardé par l'administration sur sa demande. Son recours a été rejeté en première instance et en appel, motif pris de ce que Mme B. et son conjoint avaient donné leur accord pour que le centre hospitalier prenne en charge le corps de l'enfant et, d'autre part, qu'aucun texte ne prévoyait l'obligation de leur délivrer une information sur la procédure.

Sur pourvoi de la mère le Conseil d’État est à la cassation.

Au visa du III de l’art. R. 1112-76 du code de la santé publique, le juge de cassation rappelle que les parents d'un enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil disposent d'un délai de dix jours, pour faire le choix de réclamer le corps de cet enfant.

De là il déduit, et c’est évidemment l’apport essentiel de la décision, que l'établissement de santé est tenu, d'une part, de conserver le corps de l'enfant pendant la totalité de cette durée, y compris lorsque le père et la mère ont exprimé avant son terme leur accord pour confier au centre hospitalier le soin de procéder aux opérations funéraires. Il lui appartient, d'autre part, de délivrer aux parents une information complète et appropriée leur permettant d'exercer dans le délai qui leur est imparti le choix qui leur appartient.

C’est pourquoi, il incombe à cet établissement de porter à leur connaissance l'existence de ce délai et les conditions dans lesquelles le corps sera pris en charge s'ils ne le réclament pas. 

En l’espèce, est jugé, bien évidemment, fautive la décision du centre hospitalier de procéder à la crémation avant l’expiration du délai de dix jours sans que puisse faire échec à cette responsabilité la circonstance que les parents ont signé, lors de leur sortie de la maternité le lendemain de l'accouchement, un formulaire qui ferait apparaître, selon le centre hospitalier, leur intention de lui confier le soin de procéder aux opérations funéraires. Ce délai ne saurait être modelé dans sa durée à la convenance de ceux chargés de l’appliquer et donc de le respecter.

Pour finir, comment peut-on penser que des parents qui viennent d’apprendre que leur enfant est venu au monde sans vie, ne soient pas traumatisés, déboussolés et portés à exprimer sous le coup de l’émotion et dans la douleur des avis peu réfléchis ? C’est à cela que tente de pallier l’instauration d’un délai de réflexion et de deuil de dix jours. Raison pour quoi il est impératif de le respecter.

(29 septembre 2023, Mme B., n° 468220)

 

Police

 

55 - Police des spectacles – Interdiction d’un spectacle – Résiliation antécédente du contrat de location de la salle prévue pour ce spectacle – Défaut de l’urgence particulière à l’art. L. 521-2 CJA – Rejet.

Le préfet de police de Paris a interdit le 6 septembre 2023 la tenue d’un spectacle de MM. Dieudonné et Lalanne devant se dérouler au Zénith de Paris-La Villette le 14 septembre. Les intéressés ont saisi le juge administratif d’un référé liberté qui a été rejeté en première instance ; ils interjettent appel de ce rejet.

On sait que le juge de ce référé a une conception étroite de la notion d’urgence qui n’est pas celle commune mais une exigence propre à ce référé puisqu’il s’agit de justifier qu’il faut avoir statué sous 48h en raison de la nécessité qu’interviennent des mesures effectives et efficaces dans ce même délai.

Pour rejeter la requête pour défaut de l’urgence propre au référé liberté, le juge relève que, par un courrier du 6 septembre 2023 adressé à la société productrice de ce spectacle, la société Zénith de Paris a résilié avec effet immédiat le contrat la liant à la société productrice du spectacle en vue de la location de la salle du Zénith de Paris - La Villette le 14 septembre 2023, au motif du non-respect de plusieurs obligations contractuelles, et a en conséquence publié sur son site internet la mention de l'annulation du spectacle.

Le litige en matière contractuelle, distinct de celui dont le juge administratif des référés était saisi en l’espèce, à savoir la contestation d’une décision de résiliation d’un contrat de droit privé, relève de la compétence du juge judiciaire, plus précisément du tribunal de commerce. Si les requérants prétendent avoir assigné la société productrice en référé d'heure à heure devant ce tribunal, il est constant qu’il n’a pas encore rendu de décision au moment où est rendue la présente ordonnance.  Dès lors, le spectacle ne peut pas se tenir du fait de la résiliation du contrat de location quelle que soit ou que puisse être la décision du juge à l’égard de l’arrêté préfectoral litigieux.

Dans ces circonstances très particulières, il est certain que le juge administratif est dans l’impossibilité d’intervenir dans le litige né de la résiliation contractuelle.

C’est à bon droit que le premier juge a estimé que la condition d'urgence particulière requise par l'art. L. 521-2 du code de justice administrative n'était pas remplie en l’espèce.

(ord. réf. 12 septembre 2023, M. Lalanne et M. Dieudonné, n° et M. Dieudonné, n° 488195)

 

56 - Pertes de points d’un permis de conduire – Solde nul – Reconstitution postérieure de points de points – Solde non négatif – Illégalité de la décision constatant l’invalidité du permis – Réattribution de points et du permis de conduire – Annulation du jugement contraire pour erreur de droit.

Rappel que le juge administratif, saisi d'une contestation portant sur un retrait de points du permis de conduire, lequel constitue une sanction que l'administration inflige à un administré, se prononce sur cette contestation comme juge de plein contentieux et qu’il en va de même lorsqu’il est saisi d'un recours contre une décision constatant la perte de validité d'un permis de conduire pour solde de points nul.

De là s’ensuit cette conséquence que dans le cas où il apparaît que le solde des points était nul à la date à laquelle intervient la décision constatant la perte de validité du permis, quelle que soit la date à laquelle elle a été portée à la connaissance de l'intéressé (sur ce point, voir : Section, Avis, 20 juin 1997, M. Fety et autres, n° 185323 et suivants), et faute pour l'administration de l'avoir rendue opposable en la notifiant à l'intéressé, celui-ci a pu ultérieurement remplir les conditions pour bénéficier d'une reconstitution totale ou partielle de son capital de points.

Il appartient en cette hypothèse au juge de prononcer l'annulation de la décision administrative et d’ordonner le rétablissement du permis. 

Les automobilistes doivent profiter de cette bonne nouvelle car elles sont rares en cette matière.

(29 septembre 2023, M. B., n° 461479)

(57) V. aussi, très voisin : 29 septembre 2023, M. A., n° 465756.

 

58 - Permis de conduire et handicap – Dispositions relatives à l’obtention, au renouvellement ou au maintien du permis de conduire pour les personnes porteuses de certains handicaps – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté du 28 mars 2022 fixant la liste des affections médicales incompatibles ou compatibles avec ou sans aménagements ou restrictions pour l'obtention, le renouvellement ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance du permis de conduire de durée de validité limitée.

Le recours est rejeté en tous ses chefs d’argumentation.

Cet arrêté est jugé n’être pas contraire aux stipulations du paragraphe 3 de l'art. 4 et de l'art. 20 de la convention de New York du 30 mars 2007 relative aux droits des personnes handicapées, ni à celles de l’art. 15 de la charte sociale européenne, révisée, du 3 mai 1996, l’une et l’autre étant ininvocables à l’encontre des dispositions litigieuses ni, non plus, méconnaître les objectifs de la directive n° 2006/126/CE et de l'article R. 226-1 du code de la route.

Les autres griefs articulés à l’encontre de cet arrêté ne sont pas, non plus, retenus.

L’un d’eux aurait mérité une plus grande attention, il s’agit de celui tiré de ce que le risque d’impossibilité de pouvoir continuer conduire est de nature à décourager les intéressés de se faire dépister alors que la précocité du diagnostic est pour ces maladies un facteur très important pour l’efficacité du traitement.

(29 septembre 2023, Union France Alzheimer, association France parkinson, APF France handicap et société française de neurologie, n° 464677)

 

59 - Police des origines canines – Inscription des portées de chiots au Livre des origines françaises des chiens – Subordination à l’identification génétique des reproducteurs – Absence d’atteinte grave et immédiate aux intérêts des requérants – Rejet.

Le Syndicat national des professions du chien et du chat et Mme B., éleveuse de chiens, ont demandé la suspension de l'exécution de la décision de la Société centrale canine, publiée le 14 septembre 2022 sur son site Internet, subordonnant l'inscription des portées de chiots au Livre des origines françaises à l'identification génétique de leurs reproducteurs. 

Leur action est rejetée en l’absence de démonstration d’une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts d’où se déduit qu’il n’y a nulle urgence à statuer sur celle-ci. Le juge du référé suspension retient pour cela que si les intéressés invoquent la charge financière supplémentaire résultant du coût des tests, d’abord ces derniers concernent non pas chaque chiot à sa naissance mais uniquement leurs reproducteurs et ne doit être effectué qu'une fois au cours de la vie de ces derniers ; ensuite, que le coût d’un test est aujourd'hui de 30 euros hors taxe ; enfin, qu’existe un intérêt public à assurer la fiabilité de l'identification des chiens de race français pour la protection tant des consommateurs que des éleveurs eux-mêmes.

(ord. réf. 29 septembre 2023, Syndicat national des professions du chien et du chat et Mme B., n° 488077)

 

Professions réglementées

 

60 - Infirmière – Rapports avec les organismes de protection sociale – Compétence juridictionnelle pour connaître des litiges nés de ces rapports – Décision de conventionnement - Exercice de prérogatives de puissance publique – Absence – Incompétence de la juridiction administrative.

Une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), faisant application des dispositions de l'avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et les caisses d'assurance maladie, a conditionné le conventionnement de la requérante comme infirmière à la déclaration préalable par Mme A. de sa cessation effective d'activité auprès du conseil départemental de l'ordre des infirmiers.

La requérante demande l'annulation de l'ordonnance par laquelle le juge des référés a rejeté sa requête tendant à la suspension de l'exécution, d'une part, de cette décision du directeur de la CPAM et, d'autre part, de la décision implicite de rejet qu'aurait opposé le conseil départemental de l'ordre des infirmiers au contrat de cession de patientèle que lui avait transmis Mme A.

Les litiges nés des décisions opposées par les organismes de protection sociale, qui sont des personnes morales de droit privé, et les infirmiers sont en principe des rapports de droit privé dont la connaissance relève des juridictions de l’ordre judiciaire. Ce n’est que dans le cas où ces litiges se rattachent à l'exercice des prérogatives de puissance publique dont ces organismes sont dotés en vue de l'accomplissement de leurs missions de service public, qu’ils relèvent de la compétence de la juridiction administrative.  

En l’espèce, par application de cette ligne de partage des compétences juridictionnelles, il est jugé que la décision, prise en application de l'avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et les caisses d'assurance maladie, par laquelle la CPAM a conditionné le conventionnement d'une infirmière à la cessation effective d'activité de Mme A., ne se rattache pas à l'exercice de prérogatives de puissance publique. Dès lors, la contestation de cette décision constitue un différend résultant de l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, au sens des dispositions des art. L. 142-1 et L. 162-12-12 du code de la sécurité sociale. Elle est, en conséquence, manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. L’ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier doit être annulée en tant qu'elle statue incompétemment sur ce litige.

(29 septembre 2023, Mme C., n° 470908)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

61 - Épidémie de Covid-19 – Ordonnances du 25 mars et du 13 mai 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif – Refus de transmission de deux QPC.

(14 septembre 2023, Groupement d'intérêt économique Transport en Commun de Nouméa (GIE TCN), n° 472208 et n° 472220)

V. n° 5

 

62 - Lutte contre le dérèglement climatique – Loi validant des décisions de préemption prises sur le fondement d’une disposition législative estimée inapplicable par le juge administratif – Absence de justification par un motif impérieux d’intérêt général – Question de caractère sérieux – Transmission d’une QPC.

Par un avis contentieux du 29 juillet 2020, le Conseil d’État a estimé que, depuis le 1er janvier 2016, le droit de préemption prévu aux art. L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme n'était plus applicable dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985, sauf à ce que le département les ait incluses depuis dans les zones de préemption qu'il a lui-même créées au titre des espaces naturels sensibles.

Or le II de l'art. 233 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dispose : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et l'entrée en vigueur du présent article, en tant que leur légalité est ou serait contestée par un moyen tiré de l'abrogation de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme par l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme ».

Les demandeurs soulèvent une QPC portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'art. 233 de la loi du 22 août 2021.

Pour juger transmissible cette QPC, le juge retient en premier lieu que ces dispositions, applicables au litige, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision rendue par le Conseil constitutionnel.

Il relève, en second lieu, qu'à la date d'entrée en vigueur de l'art. 233 de la loi précitée, un très petit nombre de décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et le 25 août 2021 portant sur des biens situés dans une zone de préemption créée avant le 1er juin 1987 n'étaient pas devenues définitives, dès lors le moyen tiré de ce que les dispositions de validation en litige portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en ce qu’elles méconnaissent l'article 16 de la Déclaration de 1789 faute d'être justifiées par un motif impérieux d'intérêt général, soulève une question présentant un caractère sérieux. 

(25 septembre 2023, Groupement foncier agricole (GFA) et autres, n° 464315)

 

63 - Pénalités infligées en qualité d’armateur d’une part, de capitaine de navire d’autre part - Méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, de la liberté d'entreprendre et de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi – Défaut de caractère sérieux – Refus de transmettre une QPC.

Les requérants soutenaient que l’art. L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, qui institue un pouvoir de suspension ou de retrait de titres, licences, autorisations ou permis dans les cas qu’il vise, méconnaît les principes de légalité des délits et des peines ainsi que de la liberté d'entreprendre et l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi en tant que les dispositions de son 2° ne prévoient pas de limitation de durée à la suspension ou au retrait qu'elles prévoient.

Inexplicablement, le juge n’y voit pas motif à transmission d’une QPC en relevant que : « Dès lors que les dispositions contestées, qui sont suffisamment claires et précises, prévoient, au rang des mesures permettant de sanctionner les manquements aux obligations instituées par les textes auxquels elles renvoient, non seulement la suspension de toute licence de pêche, autorisation de pêche, titre permettant l'exercice du commandement d'un navire ou permis de mise en exploitation d'un navire, mais aussi le retrait de ces actes, ce retrait constituant la peine la plus élevée des sanctions ainsi instituées, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, ne pas préciser la durée des sanctions moins élevées constituées par la suspension temporaire de ces actes. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de ce principe ne présente pas de caractère sérieux. » On avoue ne pas percevoir le bien-fondé de cette affirmation plus péremptoire qu’argumentative.

(29 septembre 2023, M. Comtesse, n° 475575 et n° 475577 ; Société Cap Fagnier, n° 475578)

 

64 - Principe de la responsabilité élargie du producteur de déchets – Principe de proportionnalité et d'individualisation des peines – Principe d'égalité devant la loi répressive – Incompétence négative du législateur – Refus de transmettre une QPC.

Les requérantes soutiennent que les dispositions de l'art. L. 541-10-11 du code de l'environnement, dans leur rédaction issues de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, méconnaissent les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'art. 8 de la Déclaration de 1789 et le principe d'égalité devant la loi répressive garanti par l'art. 6 de la même Déclaration et qu'elles sont entachées d'une incompétence négative du législateur affectant l'égalité devant la loi et les droits de la défense, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

En bref, le texte litigieux prévoit les modalités selon lesquelles est déterminée l'amende administrative qui peut être prononcée à l'encontre des producteurs, importateurs et distributeurs de produits relevant de la responsabilité élargie du producteur en raison, notamment, de l'inobservation des obligations qui leur sont applicables en matière de gestion de déchets. Ce texte dispose que ces personnes peuvent être soumises à une obligation de pourvoir ou de contribuer à la gestion de déchets :

- soit en mettant en place collectivement des éco-organismes agréés, dont elles assurent la gouvernance et auxquels elles transfèrent leur obligation en leur versant en contrepartie une contribution financière,

- soit en mettant en place des systèmes individuels de collecte et de traitement des déchets, en l'absence d'éco-organisme agréé.

En premier lieu, les demanderesses font grief à cette disposition de ne pas respecter les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines découlant de l'art. 8 de la Déclaration de 1789 qui imposent qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ce moyen est ainsi balayé par le juge : « Eu égard à l'intérêt public qui s'attache à la prévention des atteintes à l'environnement et à la limitation de leurs conséquences, ainsi qu'à la contribution à la réparation des dommages causés à l'environnement par leur auteur, le grief tiré de ce que ces dispositions auraient méconnu le principe de proportionnalité et d'individualisation des peines n'a pas de caractère sérieux. » Ceci n’est pas très convaincant d’autant que le juge commet un paralogisme à cet endroit en écrivant que l’autorité compétente tient compte « … des circonstances dans lesquelles les manquements sont intervenus, et notamment des volumes de déchets ayant fait l'objet du manquement constaté, lesquels sont en lien avec la gravité du manquement … ». En effet, le texte en litige ne fait nullement de la quantité ou du volume de déchets « irréguliers » une condition d’appréciation de la gravité des manquements, cette quantité pouvant résulter d’un seul manquement, malheureux ou accidentel, ou de plusieurs, évidemment peccamineux.

En deuxième lieu, le juge estime sans caractère sérieux le grief d’incompétence négative qui affecterait ici le principe de légalité des peines, l'égalité devant la loi et les droits de la défense ou méconnaîtrait l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi en ce que ces dispositions ne prévoient pas expressément la prise en compte du comportement des personnes concernées. Là aussi, le rejet méritait une véritable « argumentation ».

(29 septembre 2023, Sociétés PPG AC France et Cromology services, n° 475737)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

65 - Admission en soins psychiatriques – Demande de mainlevée de la mesure d’hospitalisation – incompétence de l’ordre juridictionnel administratif – Rejet.

Le juge administratif est incompétent pour connaître d’un recours qui ne tend en réalité qu’à obtenir la mainlevée de la mesure d'admission en soins psychiatriques prise à l’égard de la requérante, un tel litige ne relevant que de la compétence du juge judicaire par application de dispositions du code de la santé publique (cf. L. 3211-12, L. 3211-12-1, L. 3213-2 et L. 3216-1).

(ord. réf. 15 septembre 2023, Mme A., n° 488233)

 

Service public

 

66 - Handicap – Autisme – Bénéfice d’une aide humaine individuelle – Absence d’accompagnateur – Urgence non caractérisée – Rejet du référé liberté.

Le requérant, père d’un enfant de 13 ans, inscrit au sein du collège Albert Schweitzer de Créteil, a demandé au juge des référés d'enjoindre au recteur de l'académie de Créteil d'attribuer au plus tôt à l'enfant, qui souffre de troubles autistiques, un accompagnement d'élève en situation de handicap de 8h30 à 16h00 les lundi, mardi, jeudi et vendredi.

Par une ordonnance du 13 septembre 2023, dont M. Anas relève appel, la juge des référés de ce tribunal a rejeté sa demandé. L’appel est lui aussi rejeté.

Le juge constate qu’en dépit du droit reconnu à cet enfant, par la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, à bénéficier d'une aide humaine individuelle en sa qualité d’élève handicapé pour l'accompagner dans les activités de la vie scolaire, la circonstance que la personne devant y assurer à la rentrée scolaire l'accompagnement de l'enfant a quitté son poste au sein du collège Albert Schweitzer, ne crée pas la situation particulière d'urgence exigée par l'art. L. 521-2 du CJA, ou d'une carence susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale à laquelle il serait possible de porter remède dans les quarante-huit heures. 

(ord. réf. 26 septembre 2023, M. Zobert Anas, n° 4888304)

 

Travaux publics et expropriation

 

67 - Ouvrage public mal planté – Demande démolition – Méthodologie et principes applicables – Inopérance de la prescription trentenaire (art. 2227 Code civ.) – Annulation et rejet.

Des requérantes ont demandé au juge administratif l’annulation du refus de la société Énedis de procéder à la dépose du pylône implanté irrégulièrement sur leur terrain, de condamner cette société à leur verser la somme de 30 000 euros au titre de l'absence d'indemnisation de la présence du pylône sur leur parcelle et la somme de 30 000 euros au titre de l'implantation illégale de l'ouvrage litigieux et de lui enjoindre de procéder à la dépose de cet ouvrage et au déplacement de la ligne électrique dans un délai de trois mois suivant la notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard. 

La société Énedis se pourvoit en cassation et forme sursis à l’encontre de l’arrêt d’appel infirmatif qui a enjoint à cette société de procéder à la dépose du pylône irrégulièrement implanté sur leur propriété et au déplacement ou à l'enfouissement de la ligne électrique dans un délai de six mois à compter de la notification de son arrêt. 

Au préalable, il faut rappeler que le Conseil d’État écarte le moyen tiré de la prescription trentenaire prévue en matière immobilière par l’art. 2227 du Code civil car selon lui compte tenu des spécificités de l'action en démolition d'un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L'invocation de ces dispositions du Code civil au soutien de l'exception de prescription trentenaire opposée par la société Énedis était donc inopérante. L’argumentation est laconique et faible.

Pour annuler l’arrêt déféré à sa censure, le Conseil d’État commence par rappeler la méthodologie applicable aux actions en démolition d’ouvrages publics prétendus irrégulièrement implantés  : 1°/ en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle le juge statue, il convient qu’il vérifie si l'ouvrage est irrégulièrement implanté ; 2°/ si tel est le cas, le juge doit rechercher d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible ; 3°/  lorsque cette régularisation n’est pas possible le juge doit, en tenant compte de l'écoulement du temps, prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général. 

Ensuite, le juge vérifie in concreto les différents éléments susindiqués.

En l’espèce, il note en premier lieu que si la ligne électrique surplombe la voie d'accès à la maison d'habitation des requérantes et longe sa façade et son entrée à une distance inférieure à quatre mètres et si l'un des pylônes soutenant cette ligne est implanté sur leur propriété, cependant, en dépit de l'ancienneté de la présence de ces ouvrages, les intéressées n'ont pas sollicité de mesures tendant à leur déplacement avant que la commune ne décide de procéder à l'enfouissement de certaines lignes électriques sans intégrer la ligne litigieuse dans ce projet.

Le juge note ensuite que si le maire a refusé d’autoriser la construction d'une piscine sur leur propriété au motif des risques liés au surplomb par la ligne électrique, la demande de déclaration préalable de travaux n'a été présentée que postérieurement aux premières démarches entreprises afin d'obtenir le déplacement de la ligne électrique.

En outre, il juge que si l'intérêt public s'attache à la protection de l'église Saint-Martin, bâtiment inscrit au titre de la législation sur les monuments historiques, les ouvrages litigieux ne sont pas situés à proximité immédiate de cet édifice.

La cour a donc inexactement qualifié les faits de l’espèce en retenant chacun de ces trois moyens pour fonder sa décision d’annulation du jugement du tribunal administratif.

(27 septembre 2023, Société Énedis, n° 466321 et n° 468606)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

68 - Refus d’octroi d’un permis de construire puis, sur recours contentieux, retrait du refus et octroi du permis – Annulation contentieuse de la seconde décision puis de la première – Rejet de l’appel contre le second jugement – Autorité de chose jugée – Impossibilité d’obtenir l’annulation du refus initial du permis – Rejet.

L’attention du lecteur est attirée sur l’importance de la décision présentement rapportée en dépit de son apparente technicité car un tel enchevêtrement des décisions n’est pas rare en droit de l’urbanisme.

La requérante s’est d’abord vu refuser le permis de construire trois maisons individuelles par un arrêté municipal du 18 octobre 2016, puis, un recours contentieux ayant été formé contre ce refus, le maire, par un arrêté du 6 août 2018, a retiré son arrêté précédent et a accordé le permis de construire demandé.

Par la suite, le tribunal administratif, saisi par des voisins du projet, a, par un premier jugement, du 8 octobre 2020, annulé l'arrêté du 6 août 2018 et, ensuite, par un second jugement rendu le même jour, il a rejeté le premier recours, dirigé contre le refus initial d’accorder le permis Par un second jugement de la même date, il a rejeté le recours de la société A2C contre le refus de permis de construire opposé par l'arrêté du 18 octobre 2016.

De ce second jugement la société A2C ayant interjeté en vain appel, elle se pourvoit en cassation de cet arrêt d’appel confirmatif.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État pose, de façon particulièrement innovante, une ligne jurisprudentielle très intéressante.

Le juge énonce dans une formulation de principe que « l'autorité de chose jugée (qui s’attache) au dispositif d'un jugement, devenu définitif, annulant un permis de construire ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, le refus opposé antérieurement ou ultérieurement par l'autorité administrative à la demande d'un permis ayant le même objet soit annulé par le juge administratif dès lors que ce refus est fondé sur le même motif que celui ayant justifié l'annulation du permis de construire. »

Il y a cependant une difficulté dans la mesure où l’action en annulation du permis de construire est un recours pour excès de pouvoir et que la juridicité d’une telle décision s’apprécie au jour où elle a été prise.

Le juge ne s’arrête pas à cette objection, au reste il y a bien longtemps qu’il donne des coups de canif (ou d’épée) à la classique distinction de l’excès de pouvoir et de la pleine juridiction. Cependant, ici, l’argument invoqué est original et moins critiquable. En effet, il est jugé qu’il est dans l’obligation, alors même qu’il statue en tant que juge de l'excès de pouvoir, de prendre acte de l'autorité de la chose jugée s'attachant, d'une part, à l'annulation juridictionnelle devenue définitive du permis de construire ayant le même objet, délivré postérieurement à la décision de refus, et, d'autre part, aux motifs qui sont le support nécessaire de cette annulation. Pour cette raison, cette décision aurait pu prendre la forme d’un arrêt de Section, il est vrai qu’elle aura tout de même l’honneur d’une publication au Lebon.

Examinant les faits de l’espèce, le Conseil d’État relève tout d’abord que le refus initial du maire d’accorder en 2016 le permis sollicité était fondé sur les risques de glissement de terrain existant dans le secteur et que la cour, relevant l'absence de changement de circonstances de droit et de fait, a, sans erreur ce droit, retenu l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement du 8 octobre 2020 du tribunal administratif, devenu définitif, qui a annulé, pour le même motif que celui fondant le refus de permis contesté, le permis de construire ayant le même objet et délivré par le maire le 6 août 2018, soit postérieurement à ce refus de permis.

Le juge relève ensuite que si le tribunal avait retenu dans son jugement du 8 octobre 2020, outre le motif susénoncé, quatre autres moyens, celui relatif aux risques de glissement de terrain suffisait à lui seul à justifier la solution qu’il a retenue et peut donc être regardé comme un support nécessaire du dispositif de ce jugement, auquel s'attache l'autorité de la chose jugée.

(21 septembre 2023, Société A2C, n° 467076)

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juillet – Août 2023

Juillet – Août 2023

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Étrangers - Institution d’un dispositif d’hébergement en vue de la préparation au retour d’étrangers dans leurs pays (DPAR) - Absence de caractère d’établissements ou services sociaux ou médico-sociaux ou de lieux d’hébergement au sens du CESEDA - Conséquences - Rejet.

La requérante demandait l‘annulation de la circulaire du ministre de l'intérieur et du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)  intitulée «  information n° INTV2213078J du 9 mai 2022 relative à la gestion du parc de places d'hébergement en dispositif de préparation au retour (DPAR) » par laquelle sont données des instructions aux préfets de région et de département, ainsi qu'aux directeurs territoriaux de l'Office, concernant l'organisation et le fonctionnement des dispositifs de préparation au retour, qui reposent notamment sur l'hébergement et l'accompagnement d'étrangers sollicitant l'aide au retour volontaire prévue à l'art. L. 711-2 du CESEDA ou susceptibles de la solliciter.

Ce document contient les indications relatives à la conduite à tenir en vue du fonctionnement de ce dispositif : profil des publics hébergés, partenariat entre les préfectures et les directions territoriales de l'OFII, conditions d'accueil et de sortie du dispositif, mobilisation des places en dehors du droit commun de ce dispositif et prise en charge budgétaire.

Le juge rejette l’ensemble des griefs formulés par la requérante, tant ceux de légalité externe que ceux de légalité interne.

Sur la légalité externe, sont rejetés les deux moyens soulevés par la Cimade.

Dès lors que la circulaire attaquée prévoit que les DPAR ont vocation à accueillir, pour une durée n'excédant pas en principe 90 jours, des personnes éligibles à cette aide et présentant des perspectives raisonnables d'éloignement, en priorité des demandeurs d'asile déboutés et des familles avec enfants, contrairement à ce que soutient la Cimade, ces dispositifs, eu égard à leur objet et leurs caractéristiques, ne sauraient être regardés comme des établissements et services sociaux et médico-sociaux au sens de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ni, d'ailleurs, comme des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile au sens de l'art. L. 552-1 du CESEDA. Par suite doivent être rejetés les moyens tirés de l'incompétence du ministre de l'intérieur et du directeur général de l'OFII pour signer cette circulaire et du défaut de signature par le ministre chargé de la politique du logement et de l'hébergement d'urgence

Pas davantage, la Cimade ne saurait soutenir que la section sociale du Comité national d'organisation sanitaire et sociale aurait dû être consultée préalablement à l'édiction de la circulaire attaquée car les dispositions de l'art. L. 312-3 du code de l'action sociale et des familles ne sauraient être invoquées s’agissant des DPAR lesquels ne constituent pas des établissements et services relevant des catégories mentionnées au I de l'article L. 312-1 de ce code.
Sur la légalité interne, sont écartés les quatre moyens développés à ce titre.

La requérante ne saurait prétendre que les instructions des 18 janvier et 31 mars 2021 par lesquelles le ministre de l'intérieur et des outre-mer a défini, à destination des préfectures et directions territoriales de l'OFII, les actions à conduire en matière d'hébergement au sein des dispositifs de préparation au retour et les objectifs et règles d'organisation et de fonctionnement de ces dispositifs, - qui ne comportent pas de description des procédures administratives ni d'interprétation du droit positif au sens de ces dispositions - sont devenues caduques pour n’avoir pas été publiées sur l'un des supports requis dans un délai de quatre mois à compter de leur signature. Cette caducité ne pourrait concerner (cf. art. L. 312-2 code des relations entre le public et l’administration) que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Tel n’est pas donc pas le cas de l’instruction litigieuse.

La requérante ne peut, non plus, exciper des dispositions de l'art. R. 345-4 du code de l'action sociale et des familles et de l'art. L. 552-9 du CESEDA, qui donnent compétence au responsable du centre d'hébergement sur proposition du service intégré d'accueil et d'orientation et à l'OFI, pour prononcer les admissions respectivement dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale et dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile, dès lors que les places dans les DPAR ne sont pas au nombre des hébergements concernés par ces dispositions. Et, pour le même motif, il ne saurait être soutenu que la mobilisation provisoire de places vacantes au sein des DPAR dans le cadre d'opérations de mises à l'abri, méconnaîtrait ces mêmes dispositions.

Il suit encore de là que la circulaire contestée pouvait sans illégalité prévoir une durée de prise en charge dans les DPAR limitée en principe à 90 jours, dans l'attente d'un retour de l'étranger dans son pays d'origine et pour autant que cette perspective demeure réalisable à brève échéance.

Enfin, c’est sans illégalité que l’instruction attaquée a prévu que  les agents des préfectures compétents pour l'application de la réglementation relative aux étrangers individuellement désigné, et spécialement habilités par le préfet, peuvent être destinataires des données nominatives contenues dans le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Outil de statistique et de contrôle de l'aide au retour »  mis en œuvre par l'OFII car elle n'a pas pour objet et ne pourrait légalement avoir pour effet de dispenser du respect des dispositions régissant ce traitement ni de celles relatives à la protection des données personnelles.

(10 juillet 2023, Cimade, n° 468764)

 

2 - Dispositifs médicaux - Demande d’inscription sur la liste des produits et prestations remboursables - Refus implicite - Demande de révélation des motifs du refus - Annulation.

La requérante poursuit l’annulation implicite du rejet par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de sa demande d'inscription, du 20 mai 2021, des dispositifs médicaux « Alber Scalamobil S35 » et « Alber Scalamobil S38 » sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

Du fait du silence gardé par les destinataires de cette demande, est née une décision implicite de rejet.

La société requérante a demandé, par courrier du 4 mars 2022, la communication des motifs de cette décision aux ministres concernés sur le fondement de l'art. L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Les ministres s’étant abstenus de répondre à cette demande dans le délai d'un mois suivant sa formulation, il s’ensuit que la décision implicite de rejet litigieuse est entachée d'illégalité. 

(12 juillet 2023, Société Invacare Poirier, n° 464645)

 

3 - Refus d’instruction d’un enfant dans la famille - Recours à la commission présidée par le recteur de l’académie - Obligation de statuer dans le délai d’un mois - Délai non prescrit à peine de nullité - Application du droit commun de constitution des décisions implicite de rejet - Annulation.

Les requérants ont demandé l'autorisation d'instruire leur fils dans la famille, elle leur a été refusée par décision du 8 juillet 2022 de la directrice académique des services de l'éducation nationale de la Haute-Vienne. Ils ont alors saisi la commission présidée par la rectrice de l'académie de Limoges d’un recours contre cette décision sur lequel, en vertu d’une disposition réglementaire, cette commission devait statuer dans le délai d’un mois. A l’expiration de ce délai, la commission n’ayant pas statué, ils ont saisi le juge administratif d’un référé tendant à la suspension de l’exécution du refus explicite opposé par la directrice académique et du refus explicite résultant du silence gardé par la commission ad hoc ainsi que de la décision implicite de la commission présidée par la rectrice de l'académie de Limoges rejetant leur recours contre cette décision.

Le juge du référé suspension, par une ordonnance du 31 août 2022, a suspendu l'exécution de la décision implicite de la commission, a enjoint à cette dernière de délivrer aux requérants, dans un délai de huit jours, l'autorisation d'instruire leur fils dans la famille jusqu'à l'intervention du jugement se prononçant au fond sur la légalité de cette décision et a jugé, par voie de conséquence qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision initiale du 8 juillet 2022. 

Le ministre de l’éducation se pourvoit en cassation contre cette ordonnance et le Conseil d’État l’annule.

Le juge des référés avait estimé que, faute pour la commission d’avoir statué dans le délai d’un mois qui lui était imparti par l'art. D. 131-11-10 du code de l'éducation, la décision implicite de rejet née à l'expiration de ce délai d'un mois, avait, dès lors, été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.

Le Conseil d’État prend le contrepied de cette solution en relevant que ce délai d’un mois n’était pas prescrit à peine de nullité et que, sauf si un décret en Conseil d'État prévoit un délai différent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, une décision implicite de rejet d'un recours administratif préalable obligatoire naît du silence gardé pendant deux mois sur le recours.

Il note ensuite qu’il n’y a pas urgence à statuer au regard du calendrier de l’année scolaire 2022-2023.

La solution n’est pas satisfaisante à plusieurs égards.

D’abord, nombre de conventions internationales dont la France est signataire reconnaissent un droit prioritaire d’éducation dans la famille et si l’on doit admettre un contrôle (honnête) de la puissance publique sur l’existence et le contenu de la formation ainsi dispensée, soumettre l’exercice d’un tel droit à autorisation préalable est déjà discutable.

Ensuite, s’agissant de telles demandes, leur traitement doit être effectué dans un délai très contraint et donc très bref compte tenu des impératifs liés au déroulement de l’année scolaire afin de donner une portée effective au droit à recours c’est-à-dire, notamment, au droit à obtenir du juge des réponses intervenant de façon à conserver un caractère d’utilité aux recours introduits. Ici, le refus date du 8 juillet 2022 (et donc la demande des parents est antérieure) et la commission ad hoc est demeurée muette jusqu’au 19 août, la rentrée scolaire étant le 1er septembre 2022, si, dès le 31 août 2022, le juge des référés a donné sa pleine efficacité au droit à recours, ce n’est qu’un an plus tard que le Conseil d’État vient dire qu’il y a lieu à annulation et que, du fait de l’absence d’urgence, le référé doit être rejeté. On croit rêver tant le déroulement des faits est implacable. Plaisante justice dirait Pascal…D’autant que pour la rentrée 2023 le scenario est déjà tracé.

Enfin, il convient de s’interroger sur le motif qui a fait choisir un délai d’un mois et non de deux mois, conformément au droit commun, pour la prise d’une décision par la commission ad hoc. C’est bien évidemment la contrainte temporelle évoquée plus haut qui en est la cause, ce qui conduit, par construction logique mais aussi de bon sens, à voir dès le silence d’un mois une décision implicite de rejet.

Cela laisse la fâcheuse impression que tout est mis en œuvre, y compris un triste bricolage normatif, pour que, par principe, il ne soit pas donné satisfaction à des demandes dont la multiplication, assortie du pullulement d’initiatives scolaires privées, témoignent de la dégradation déplorable de notre enseignement public.

(17 juillet 2023, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 467600)

 

4 - Carte d’aléa « mouvements de terrain » - Demande de modification - Termes du porter à connaissance du préfet - Orientation significative du pouvoir municipal de décision - Influence sur la valeur vénale des terrains - Acte susceptible de recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Ne qualifie pas inexactement les faits de l’espèce la cour administrative d’appel qui juge recevable le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de modifier la carte d'aléa « mouvement de terrain » établie par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) en tant qu'elle classe la parcelle des requérants en zone d'aléa fort. La cour s’est, à bon droit, d’une part, fondée pour cela sur ce que cette cartographie et les termes dont le préfet a assorti le porter à connaissance qu'il en a fait étaient destinés à orienter de manière significative les autorités compétentes dans l'instruction des autorisations d'urbanisme, et d’autre part, sur ce que, compte tenu de la publicité qui lui a été donnée et des commentaires accompagnant sa publication sur le site internet de la préfecture, cette cartographie était, par elle-même, de nature à influer sur la valeur vénale des terrains concernés. De plus, en l'absence de mise en œuvre d'un processus de révision du plan de prévention des risques, ce document ne saurait être regardé comme un document préparatoire à un tel plan et, s'il est au nombre des études techniques qu'il incombait au préfet de transmettre à titre d'information aux communes ou à leurs groupements, dans le cadre de l'élaboration des plans locaux d'urbanisme, en application de l'art. L. 132-2 du code de l'urbanisme, cette circonstance ne permettait pas, eu égard à la publicité et à la portée qui lui ont été par ailleurs données, d'exclure qu'il présente le caractère d'un acte susceptible de recours. Ainsi, la cartographie du risque de mouvements de terrain ainsi que le refus opposé par le préfet de la modifier étaient susceptibles d'emporter des effets notables sur la situation et les intérêts des propriétaires des parcelles classées en zone d'aléa fort et pouvaient, par suite, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455800)

Voir, pour un autre aspect de cette décision le n° 246

(5) V. aussi, très semblable : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455801.

(6) V. également : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455803.

 

7 - Centrales nucléaires - Souhait du président de la république de voir prolonger la durée de fonctionnement de certaines centrales - Propos sans caractère décisoire car supposant l’intervention de nombreux autres actes - Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision du 10 février 2022 par laquelle le Président de la République a annoncé la prolongation de la durée de vie de tous les réacteurs nucléaires en activité et la création de six nouveaux réacteurs nucléaires, de type EPR nouvelle génération ou EPR2, ainsi que le lancement d'études sur la création de huit EPR2 additionnels.

Le recours est rejeté et ne pouvait que l’être car cette annonce politique du chef de l’État n’est qu’un souhait dont la réalisation concrète suppose l’intervention d’un processus de décision, d’où il suit que cet acte n’est pas susceptible d'être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir et que la requête tendant à son annulation est irrecevable.

(04 août 2023, Association Greenpeace France, n° 462777)

 

8 - Remarque figurant dans les commentaires d’un bulletin officiel - Explicitation de la portée de la loi fiscale - Absence de commentaires de la législation - Irrecevabilité partielle et rejet du surplus.

La requérante demande l’annulation du troisième alinéa du paragraphe n° 330 des commentaires administratifs publiés le 8 février 2023 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts portant sur le champ d’application de la TVA et les orthèses dentaires.

En premier lieu, est contestée une « remarque » figurant dans cet alinéa et faisant état de l’opinion du comité de la TVA portant sur l'exclusion des orthèses dentaires du champ d'application de l'exonération de TVA. Cette demande est jugée irrecevable car elle ne comporte que des énonciations qui se bornent à faire état, à titre d'information, de la position d'un comité consultatif dont les avis sont dépourvus de toute force contraignante et ne sont donc pas susceptibles d'avoir, par elles-mêmes, des effets notables sur les droits ou la situation de la requérante.

En second lieu, sont rejetés les autres moyens.  

D’abord, en énonçant, au troisième alinéa de leur paragraphe n° 330, que l'exonération prévue au 1° du 4 de l'article 261 du CGI en faveur des prothèses dentaires ne s'étend pas à « la fourniture d'orthèses dentaires tels que les appareils orthodontiques et les gouttières dentaires (aligneurs) », les commentaires attaqués se bornent à expliciter la portée de la loi fiscale, sans y ajouter, ils ne sauraient donc être entachés d'incompétence ou, d'un vice de procédure tenant à ce que leur « entrée en vigueur » n'aurait pas été précédée de mesures transitoires.

Ensuite, les énonciations attaquées n'ont pas pour objet de commenter le 1° du 4 de l'art. 261 du CGI en tant qu’il prévoit une exonération des « soins dispensés aux personnes » par certains professionnels de santé, et indique que cette exonération s'étend à la fourniture des biens qui en sont matériellement et économiquement indissociables. Par suite, leur paragraphe n° 330, selon lequel la fourniture d'orthèses dentaires n'est pas exonérée de TVA, ne saurait être prétendu donner une interprétation erronée de la loi fiscale.

Également, l'entreprise requérante n'est pas fondée à soutenir que les commentaires attaqués réitèreraient une règle législative méconnaissant la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA et le principe de neutralité de cette taxe qui en découle alors que les dispositions législatives commentées se bornent à assurer la transposition, dans les mêmes termes, de ladite directive.

(18 juillet 2023, EURL Smiledirectclub FR, n° 472881)

 

9 - Schéma régional de santé - Contenu - Arrêté portant schéma régional de santé non pris en exécution ou sur le fondement de l’arrêté portant adoption des zones du schéma régional de santé relatives aux activités de soins, aux équipements matériels lourds et aux laboratoires de biologie médicale - Impossibilité de soulever une illégalité par voie de conséquence - Annulation et rejet.

Le tribunal administratif a, à la demande de la société requérante, annulé  l'arrêté par lequel la directrice générale de l'agence régionale de santé d'Occitanie a adopté le schéma régional de santé en tant que celui-ci détermine les objectifs quantitatifs de l'offre de soins des activités interventionnelles sous imagerie médicale, par voie endovasculaire, en cardiologie, pour la pratique des actes portant sur les autres cardiopathies de l'adulte dans la zone d'activité de soins de la Haute-Garonne. La cour administrative d’appel ayant annulé ce jugement et rejeté le recours de la société, celle-ci se pourvoit en cassation et son pourvoi est rejeté.

On retient et présente deux des nombreux moyens soulevés par la demanderesse à la cassation.

Tout d’abord, elle faisait valoir que le schéma régional de santé devant être élaboré sur le fondement d'une évaluation des besoins de santé, sociaux et médico-sociaux reposant elle-même sur un diagnostic tenant compte, notamment, des éléments que mentionnent les dispositions de l’art. R. 1434-4 du code de la santé publique, les éléments de ce diagnostic devraient nécessairement figurer dans le schéma régional de santé. Le moyen est rejeté très logiquement car de ce que doivent être prises en considération certaines données pour l’élaboration du schéma régional en cause, il ne s’ensuit pas que ces données doivent nécessairement figurer dans ledit schéma.

Ensuite, la requérante excipait de l'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2018 de la directrice générale de l'agence régionale de santé d'Occitanie portant adoption des zones du schéma régional de santé relatives aux activités de soins, aux équipements matériels lourds et aux laboratoires de biologie médicale pour en déduire par voie de conséquence l’illégalité du schéma régional de santé attaqué. Le moyen est rejeté sans examen de la légalité de l’arrêté du 12 janvier 2018 car il résulte d’une jurisprudence constante que l’illégalité d’un acte second ne peut être prononcée par voie de conséquence de l’illégalité de l’acte premier que dans ceux cas : soit cet acte premier constitue la base légale de l’acte second soit l’acte second a été pris directement pour l’application de l’acte premier, or aucun de ces deux cas de figure ne se rencontrait en l’espèce.

Après avoir, au début de sa décision, annulé l’arrêt attaqué pour motivation insuffisante de la communication du sens des conclusions de la rapportrice publique, le Conseil d’État annule le jugement du tribunal administratif en ce qu’il a annulé l'arrêté du 3 août 2018 en tant qu'il détermine les objectifs quantitatifs de l'offre de soin des activités interventionnelles sous imagerie médicale, par voie endovasculaire, en cardiologie, pour les actes portant sur les « autres cardiopathies de l'adulte » dans la zone d'activités de soins de la Haute-Garonne, 

(20 juillet 2023, Société Clinique d'Occitanie, n° 467648)

 

10 - Communication de documents administratifs - Étendue de ce droit - Communication d’une méthodologie d’évaluation, de données statistiques, du fondement d’un traitement algorithmique - Annulation et rejet partiels.

Les requérants ont demandé l’annulation de la décision implicite par laquelle la directrice générale de l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) a refusé de leur communiquer la méthodologie utilisée pour sélectionner de manière aléatoire les organismes soumis au contrôle de la commission scientifique indépendante (CSI) des médecins et les données statistiques concernant les organismes de formation évalués.

Ils se pourvoient en cassation du jugement ayant prononcé le non-lieu à statuer sur leurs conclusions à fin d'annulation en tant qu'elles concernent le refus implicite de communication de la méthodologie utilisée pour sélectionner les actions soumises au contrôle de la CSI des médecins et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Le jugement est annulé en tant qu’il a jugé que la demande de communication des documents relatifs à la méthodologie utilisée par l'ANDPC pour sélectionner de manière aléatoire les actions des organismes soumises à évaluation avait été satisfaite, alors qu’il ressortait des pièces du dossier et, en particulier, des écritures produites par l'ANDPC elle-même, que l'agence détenait d'autres documents décrivant la méthodologie litigieuse et que les requérants soutenaient en réplique qu'aucun document présentant de manière précise les méthodes utilisées n'avait été produit et rappelaient que leur demande portait sur la communication d'autres documents que le compte rendu précédemment mentionné, notamment l'algorithme utilisé pour sélectionner aléatoirement les actions des organismes devant être évaluées et dont l'ANDPC elle-même faisait état dans ses écritures.

Le jugement est également annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions des requérants tendant à l'annulation du refus de l'ANDPC de communiquer les documents statistiques concernant les évaluations conduites par l'agence sur les actions des organismes de développement continu en se fondant pour cela sur ce qu'une telle communication aurait pour effet de révéler le volume d'actions de ces organismes ainsi que le type d'actions menées et porterait donc atteinte au secret des affaires, sans examiner si l'ANDPC était en mesure de communiquer un document comportant uniquement les données, divisibles de celles couvertes par le secret des affaires, relatives au nombre d'évaluations réalisées par l'agence pour chaque organisme, qui correspondait au document demandé.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation commence en premier lieu par estimer satisfaite, en cours d’instance, la demande des requérants à l'ANDPC de leur communiquer  les « données statistiques concernant les organismes de formation évalués » afin d'apprécier la fréquence moyenne à laquelle un organisme fait l'objet d'une évaluation d'une de ses actions par l'agence et de la comparer au nombre d'actions des associations Amiform et Formalliance qui ont été évaluées du fait de la production par l’ANDPC des tableaux qui retracent notamment, pour chaque organisme, dont le nom est occulté, et pour chaque année 2018 et 2019, le nombre d'actions réalisées et évaluées, et le pourcentage d'actions réalisées ayant fait l'objet d'une évaluation qui en découle.. Ainsi, de ce chef est prononcé un non-lieu à statuer.

En deuxième lieu, concernant le fondement du traitement algorithmique dont la communication a été refusée, le juge relève qu’il résulte de l’art. L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration que ses dispositions ne trouvent à s’appliquer que dans le cas où le traitement algorithmique a fondé, en tout ou partie, une décision individuelle ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

En troisième lieu, le juge estime en revanche que la communication des documents décrivant la méthode aléatoire employée pour diligenter des évaluations n'est pas de nature à révéler la stratégie d'évaluation de l'ANDPC dans des conditions qui pourraient porter atteinte à la recherche des manquements aux obligations pesant sur les organismes de développement professionnel continu relevant de son champ de compétence et que les requérants sont fondés, pour ce motif, à demander l'annulation du refus de l'ANDPC de communiquer ces documents mais non l'annulation du refus de l'ANDPC de communiquer des documents relatifs aux autres méthodes utilisées pour déterminer les organismes dont les actions sont évaluées, dès lors que leur demande initiale ne portait que sur la méthode dite de l'échantillonnage aléatoire. Injonction est faite à l’ANDPC d’effectuer cette communication dans le mois de la présente décision.

(24 juillet 2023, Association médicale indépendante de formation (Amiform), association de formation professionnelle Formalliance et M. B., n° 462778)

 

11 - Droit à communication des documents administratifs - Distinction entre documents dont tous les éléments sont définis par un texte et ceux dont ces éléments ne sont pas définis - Effets sur les pouvoirs du juge saisi - Annulation.

Dans un litige relatif au refus de communication de l’audit interne d’un service de voie publique effectué par la sous-direction des audits et du contrôle interne de la direction générale de la sécurité publique, communication autorisée par la CADA, le juge en avait, sans en prendre connaissance, ordonné la communication sous réserve d’occultation des éléments couverts par l’un des secrets protégés par l’art. L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

Le Conseil d’État fait application d’une distinction habituelle en la matière.

Lorsque le refus de communication est l’unique objet du litige porté devant le juge, il y a lieu de distinguer selon qu’un texte définit tous les éléments devant constituer le document dont la communication est demandée ou, au contraire, selon que ces éléments ne sont pas définis.

Dans le premier cas, le juge peut, sans être tenu d'en ordonner la production, décider si, eu égard au contenu des informations qui doivent y figurer, il est, en tout ou partie, communicable. Dans le second cas, cette communication ne peut être ordonnée sans que le juge n’ait, au préalable, demandé sa production, le cas échéant hors contradictoire, afin d'apprécier l'ampleur des éléments protégés et la possibilité de communiquer le document après leur occultation.

En l’espèce, le jugement querellé est annulé pour avoir - alors que ni l’objet ni le contenu des rapports d'audit adressés par la direction centrale de la sécurité publique aux directions départementales de la sécurité publique à l'issue de contrôles effectués dans leurs services déconcentrés ne sont définis par aucun texte -  sans s'être fait produire au préalable hors contradictoire le document dans une version intégrale, vérifié que la communication à M. B. par le ministre de l'intérieur d'une version occultée du rapport d'audit et de contrôle interne privait le litige de son objet, alors qu'il était soutenu devant lui que certaines des mentions occultées avaient un caractère communicable.

(26 juillet 2023, M. B., n° 461130)

 

12 - Assemblée nationale - Recours pour excès de pouvoir dirigé contre une sanction infligée à un député proposée par le bureau de cette Assemblée - Règlement de l’Assemblée, élément du statut du parlementaire - Séparation des pouvoirs - Incompétence de la juridiction administrative - Rejet.

Le requérant, député, a fait l’objet le 10 février 2023, pour « provocations envers l’Assemblée nationale », d’une censure avec exclusion temporaire sur proposition du bureau de l’Assemblée.

Il saisit la Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette décision disciplinaire Le recours est rejeté car le régime disciplinaire des députés, qui est fixé par le Règlement de l’Assemblée nationale, fait partie du statut du parlementaire et se rattache à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement. Ainsi, « en vertu de la tradition constitutionnelle française de séparation des pouvoirs, il n'appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d'une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci » sans que fasse obstacle à cette incompétence la circonstance qu'aucune juridiction ne puisse être saisie d'un tel litige.

Même si la nature a horreur du vide, il n’entre pas dans les pouvoirs du Conseil d’État de le combler.

On peut certes regretter que les textes imposent cette solution mais il faut reconnaître que, jaloux de leur indépendance statutaire, les parlementaires seraient les premiers à exciper de leur « souveraineté » contre un quelconque empiètement - réel ou supposé - du juge sur celle-ci.

(24 juillet 2023, M. Thomas Portes, n° 471482)

(13) V. aussi, la solution identique retenue à propos du recours de députés sanctionnés d’un « rappel à l’ordre » le 5 avril 2023 pour avoir été reconnus coupables d'avoir transgressé les règles de publicité des travaux de la commission mixte paritaire du 15 mars 2023 : 24 juillet 2023, M. B. et Mme A., n° 473588.

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

14 - Appel à candidatures pour l'édition de services de radio multiplexés diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique - Consultation publique préalable sur l'utilisation du spectre radioélectrique - Étude d'impact des décisions d'autorisation d'usage de la ressource radioélectrique - Absence des services de radio de catégorie A dans le volet économique de l'étude d'impact - Erreur de droit - Annulation.

La requérante a répondu à un appel candidatures du CSA/ARCOM pour l'édition de services de radio multiplexés diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique. Sa candidature n’ayant pas été retenue, elle a saisi, en vain, la cour administrative d’appel et se pourvoit en cassation de l’arrêt de rejet.

Elle fait valoir au soutien de ses prétentions que la procédure d'attribution des autorisations était entachée d'irrégularité au motif que les services de radio de catégorie A n'avaient pas été inclus dans le volet économique de l'étude d'impact qui a précédé l’appel à candidatures litigieux. Pour écarter ce moyen, la cour retient que ces services bénéficient dans leur grande majorité de subventions publiques du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale et que leurs ressources commerciales provenant de messages diffusés à l'antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage sont dès lors, en vertu de l'article 80 de la loi du 30 septembre 1986, inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires total. Elle a en outre indiqué que les parts d'audience des services de radio de catégorie A dans les allotissements concernés par l'étude d'impact étaient inférieures à 0,5 % alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis qu'elles sont comprises entre 0 et 5 %.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit ; nous y aurions plutôt vu une erreur de fait.

(19 juillet 2023, Association « Los Estuflaïres », n° 453010)

(15) V. aussi, identique : 19 juillet 2023, Association « Groupement des radios associatives libres », n° 453012.

 

16 - Demande d’autorisation d’édification d'une station relais de téléphonie mobile - Refus - Demande de suspension du refus rejetée - Erreur de droit - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation de l’ordonnance de référé rejetant sa demande de suspendre le refus d’autoriser l’édification d'une station relais de téléphonie mobile. Le juge du référé de l’art. L. 522-3 du CJA s’est fondé sur les dispositions du règlement local d’urbanisme alors que ni les dispositions de l'article A1, applicables aux constructions de la sous-destination « locaux techniques et industriels des administrations publiques assimilées », ni les règles de hauteur et d'implantation au regard des limites séparatives prescrites par les articles A5 et A7 du même règlement n'étaient opposables au projet, rejetant ainsi implicitement mais nécessairement le moyen tiré de ce que cette décision méconnaissait l'article 7 du règlement du plan local d'urbanisme. Ce juge a ainsi commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son ordonnance dès lors qu'eu égard à leur objet, ces dispositions s'appliquent aux antennes et aux pylônes installés par les opérateurs dans le cadre de l'exploitation d'un réseau de télécommunications.

(20 juillet 2023, Société Free Mobile, n° 468686)

 

17 - CSA (ARCOM) - Établissement d’une méthodologie pour vérifier le respect, par les éditeurs des services de radio, de leurs obligations relatives aux quotas de chansons francophones diffusées à la radio - Notions d’« heures d’écoute significative », de « nouveaux talents » - Possibilité de dérogation contre certains engagements - Rejet.

Pour apprécier si et dans quelle mesure sont respectées par les éditeurs de services de radio leurs obligations de diffuser des quotas minima de diffusion des chansons françaises, le CSA (ARCOM) a entrepris, suite aux observations d'une mission de l'Assemblée nationale relative aux quotas de chansons francophones à la radio, d’énoncer, dans sa délibération du 8 décembre 2021, les définitions qu'il entend retenir et la méthode qu'il prévoit de mettre en œuvre pour vérifier ce respect.

Le syndicat requérant invoque trois moyens, dirigés respectivement contre les art. 3, 5 et 9 de la délibération litigieuse, portant :

- sur la redéfinition des « heures d’écoute significative » dont le CSA/ARCOM a étendu les plages horaires au cours des différents jours de la semaine,

- sur la définition des « nouveaux talents » comme artistes ou groupes n’ayant pas dépassé un certain seuil de ventes par album ou pour deux albums distincts,

- sur la possibilité de dérogation à ces exigences moyennant la prise en contrepartie, par les éditeurs concernés, d’un certain nombre d’engagements.

Le juge n’ayant relevé aucune erreur manifeste d’appréciation (signe du large pouvoir de décision reconnu à l’organe régulateur de l’audiovisuel) dans les décisions contestées, rejette le recours.

(04 août 2023, Syndicat national de l'édition phonographique, n° 461514)

 

18 - Mise en demeure par l’ARCOM d’un éditeur de programmes de se conformer à ses obligations - Propos tenus à l’antenne par un professeur de médecine - Défaut de maîtrise de la part de l’éditeur - Sanction justifiée - Rejet.

Est justifiée la mise en demeure de respecter ses obligations conventionnelles adressée à un éditeur de programme d’information par l’ARCOM à la suite de la diffusion à l’antenne - dans le cadre d’une émission télévisée - de propos d’un professeur de médecine au sujet de la Covid-19, de sa diffusion et de sa mortalité liée à la vaccination et pas à la non-vaccination. En effet, l’éditeur a laissé se développer des propos controuvés par les données scientifiques alors disponibles sans y apporter ou y faire apporter de contradiction ou seulement une contradiction très insuffisante et en présentant au contraire l’invité comme «  un grand spécialiste des vaccins que l'on n'entend plus » et sa venue dans l’émission « pour que l'on parle des faits, que l'on cesse avec ces idéologies ou avec ces idées toutes faites »; il a manqué ainsi à son obligation de veiller à l'expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse et, partant, à son obligation d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information.

(04 août 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 465757)

(19) V. aussi, une solution voisine mutatis mutandis - et bien trop clémente - à propos d’un journaliste, chroniqueur régulier d’une émission de la chaîne, pour avoir comparé la situation des personnes non-vaccinées contre la Covid-19 à celle des Juifs face aux persécutions nazies, avançant comme un fait historique que la création du ghetto de Varsovie par les nazis en octobre 1940 avait notamment répondu à des préoccupations hygiénistes : 04 août 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 465759.

 

20 - Demande d’assistance à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en vue d’exercer un droit d’accès à des informations personnelles - Clôture de la réclamation par la CNIL - Demandes d’injonction et de sanction - Demandes excédant la compétence du uge des référés - Rejet.

Le requérant a saisi par voie électronique la commune de Castellet-en-Luberon de deux demandes tendant, pour l'une, au zonage en matière d'assainissement et, pour l'autre, à la désignation d'une personne responsable de l'accès à l'information relative à l'environnement. Puis il a demandé à cette commune la communication de l'ensemble des données personnelles le concernant dont celle-ci disposerait, ceci afin de prouver avoir ainsi saisi la commune de demandes d'accès à des informations environnementales.

Il a saisi la CNIL d’une réclamation tendant à ce que celle-ci l'assiste dans l'exercice de son droit d'accès aux informations personnelles auprès de la commune de Castellet-en-Luberon ; la CNIL ayant clôturé cette réclamation, le requérant saisit le juge du référé liberté du Conseil d'État d’enjoindre à la CNIL, d'une part, de l'assister dans l'exercice de son droit d'accès aux informations personnelles et, d'autre part, de prendre des mesures de sanction à l'encontre de cette commune.

Sans surprise, la requête est rejetée.

Le juge constate le défaut d’urgence à statuer en l’espèce.

Surtout, il rappelle - ce qu’ont parfois tendance à oublier les requérants et leurs conseils - que le juge des référés, juge du provisoire, ne peut qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Il ne peut donc, sans excéder sa compétence, ni prononcer l'annulation d'une décision administrative, ni ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant pour défaut de base légale une telle décision. Or tel serait le cas ici si le juge devait entrer en voie de satisfaire à la double demande dont il est saisi envers la décision de la CNIL de clôturer la réclamation du demandeur.

(ord. réf. 31 août 2023, M. B., n° 482656)

 

21 - Demande à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par un ancien salarié, de procéder à la communication de documents détenus par son ancien employeur - Rejet implicite de la plainte - Demande d’injonction tendant au déclenchement d’une procédure de sanction - Invocation d’un faux produit à la CNIL - Rejet.

Dans un litige né du licenciement d’un salarié de droit privé, celui-ci s’est adressé à la CNIL pour qu’elle lui communique certains documents détenus par son ancien employeur, la société X. Cette demande ayant été implicitement rejetée, l’intéressé saisit le Conseil d’État de deux requêtes qui sont jointes pour y être statué par une seule décision :

- d’une part, une requête en annulation de ce rejet et en demande d’injonctions par la CNIL de procéder à la communication desdites pièces ainsi qu’à l’ouverture d’une procédure à l’encontre de son ex-employeur,

- d’autre part, d’annuler la décision de la présidente de la CNIL de clôturer sa plainte et d’en reprendre l’instruction ainsi que de vérifier qu’un certain courrier lui a bien envoyé.

Le juge rejette ces deux séries de demandes en apportant d’importantes précisions notamment s’agissant des pouvoirs de la CNIL, des délais de recours contre ses décisions de rejet et de l’étendue du contrôle exercé sur elles par le juge administratif.

En premier lieu, le demandeur soutenait que la loi de 1978 disposant que le silence gardé pendant trois mois par la CNIL sur une réclamation valait décision implicite de rejet, il était précisément dans ce cas. En réalité, estime le juge, dont on peut discuter ici le raisonnement, M. D. a saisi la CNIL le 11 janvier 2022, la commission lui a adressé une réponse le 4 avril, donc avant l’expiration du délai de trois mois, l'informant de la saisine du délégué à la protection des données de la société X. et de ce qu'il serait tenu informé de la suite réservée à sa réclamation. En mai 2022, il lui a été indiqué verbalement que sa réclamation était toujours en cours d'instruction. Sa plainte a finalement été clôturée par une décision de la présidente de la CNIL du 1er septembre 2022. Comme cette décision répond à l'ensemble de ses demandes, il n'est pas fondé à soutenir qu'une décision implicite de rejet serait née du silence gardé par la CNIL sur ses trois demandes au-delà du délai de trois mois prescrit par les articles 78 du RGPD et 10 du décret du 29 mai 2019. Sont donc rejetées comme irrecevables ses conclusions tendant à l'annulation de décisions inexistantes.

En deuxième lieu, il est jugé qu’il résulte des dispositions de l’art. 8 de la loi du 6 janvier 1978 une importante distinction, selon les cas, entre les pouvoirs de contrôle dont dispose le juge lorsque la CNIL est saisie d'une plainte ou d'une réclamation tendant à la mise en œuvre de ses pouvoirs. Si celle-ci doit dans tous les cas procéder à l'examen des faits qui en sont à l'origine et décider des suites à leur donner, l’étendue des pouvoirs de contrôle du juge administratif n’est pas la même selon que le requérant conteste une décision de refus de la CNIL ou qu’il fonde sa plainte sur la méconnaissance par un responsable de traitement des droits garantis par la loi à l'égard des données à caractère personnel le concernant, notamment les droits d'accès, de rectification, d'effacement, de limitation et d'opposition mentionnés aux articles 49, 50, 51, 53 et 56 de la loi du 6 janvier 1978.

En effet, dans le premier cas la CNIL dispose d'un large pouvoir d'appréciation et, par suite, le juge de l'excès de pouvoir n’exerce sur le refus de la CNIL d'y donner suite qu’un contrôle portant sur un motif d'illégalité externe et, au titre du bien-fondé de la décision, sur une erreur de fait ou de droit, une erreur manifeste d'appréciation ou un détournement de pouvoir.

En revanche, lorsque l'auteur de la plainte se fonde sur la méconnaissance par un responsable de traitement des droits garantis par la loi à l'égard des données à caractère personnel le concernant (droits d'accès, de rectification, d'effacement, de limitation et d'opposition, cf. art. 49, 50, 51, 53 et 56 de la loi du 6 janvier 1978), le pouvoir de contrôle du juge de l’excès de pouvoir est plein et entier sur la décision de la CNIL relative aux suites à y donner eu égard à la nature du droit individuel en cause.

En troisième lieu, le requérant invoquait le caractère illicite, déloyal et non transparent du traitement dont auraient fait l'objet certaines de ses données personnelles afin de réaliser un faux courriel, daté du 12 septembre 2017, émanant du responsable de production sous l'autorité duquel il se trouvait lorsqu'il était employé par la société X. entre le 20 février et le 20 octobre 2017, afin de s'en servir dans le cadre de la contestation de son licenciement devant le juge prud'homal. Il est jugé que faute qu’il ait apporté un élément permettant d’émettre une suspicion de faux, la CNIL n’a pas commis d’erreur de droit en écartant cette demande

Enfin, en dernier lieu, s’agissant des moyens relatifs au droit d'accès aux données personnelles détenues par la société X., ils sont tous rejetés, spécialement celui tiré de ce que la société aurait conservé ces documents dans ses archives : ces dernières n’ont, en effet, été conservées que pour permettre la défense des droits de la société dans le contentieux prud'homal qui l'oppose à son ancien employé. Dès lors que l'accès à ces données est limité à cette seule finalité, le requérant ne peut se prévaloir d'un droit à une limitation supplémentaire du traitement des données personnelles.

(24 juillet 2023, M. D., n° 465229 ; 24 juillet 2023, M. D., n° 468923, jonction)

 

Biens et Culture

 

22 - Appartenance d’un bien au domaine public - Existence ou non d’un service public - Critères de la domanialité publique antérieurement à l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) - Annulation.

Des locaux appartenant à une commune sont loués à l'Association pour adultes et jeunes handicapés qui y gère un institut médico-éducatif comprenant notamment un internat pour enfants et jeunes handicapés de moins de 18 ans, une section d'éducation et d'enseignement spécialisée pour les enfants de 6 à 13 ans et une section d'initiation et de première formation professionnelle. Cet institut propose aux adolescents des enseignements, des formations professionnelles et des activités éducatives et sportives.

Un incendie d'origine indéterminée s'étant déclaré dans la nuit du 2 au 3 août 2015 dans les locaux de l'établissement, alors fermé pour congés, la société mutuelle d'assurances des collectivités locales (SMACL) a indemnisé la commune, puis, se fondant sur la présomption de responsabilité du locataire édictée par l'article 1733 du Code civil en cas d'incendie des lieux loués, elle a assigné la société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), assureur de l’Association, devant le tribunal de grande instance en vue d'obtenir le remboursement des sommes versées à la commune. La société MAIF ayant soutenu que les locaux en cause appartenaient au domaine public communal et que l'article 1733 n'était par suite pas applicable, les tribunaux de l'ordre judiciaire ont saisi le tribunal administratif d'une question préjudicielle portant sur l'appartenance des locaux sinistrés au domaine public ou au domaine privé de la commune.

La société MAIF se pourvoit en cassation contre le jugement du tribunal administratif, en tant qu'il a jugé que les locaux en cause n'appartenaient pas au domaine public communal.

Le Conseil d’État fait trois observations liminaires avant d’annuler le jugement querellé.

En premier lieu, si les actions médico-éducatives en faveur des enfants et des jeunes en situation de handicap, menées par des personnes privées constituent une mission d'intérêt général, il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par ces organismes revête, en tant que telle, le caractère d'une mission de service public.

En deuxième lieu, il incombe à l'État, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. Lorsque la scolarisation se déroule dans une unité d'enseignement créée au sein d'un institut médico-éducatif, elle participe du service public de l'éducation et les locaux qui, dans l'enceinte d'un tel institut, servent au fonctionnement de l'unité d'enseignement doivent être regardés comme affectés à ce service public.

En troisième lieu, si l’ordonnance du 1er juin 2006 portant CGPPP décide désormais qu’un bien appartient au domaine public à condition d'avoir fait à cette fin l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable, ce critère n’a pas eu pour effet de faire sortir du domaine public ceux des biens qui y appartenaient antérieurement en vertu des critères alors appliqués selon lesquels l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. 

C’est pourquoi le tribunal administratif a commis une erreur de droit en se fondant, pour dénier le caractère de dépendances du domaine public aux locaux incendiés, sur ce que le législateur, avait entendu exclure que l'activité de cet institut revête, en tant que telle, le caractère d'une mission de service public, alors  que de tels locaux étaient susceptibles d'être affectés au service public de l'éducation comme indiqué plus haut et, le cas échéant, de relever du domaine public à condition d'avoir fait à cette fin l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable.

Le dossier est renvoyé au tribunal administratif.

(18 juillet 2023, Société MAIF, n° 470151)

 

23 - Dépendance du domaine public - Mandat de vente sans exclusivité donné à un agent immobilier - Obligation de désaffectation préalable du bien ne faisant pas obstacle à l’exercice et à la validité du mandat - Annulation.

En vue de la cession d’un ensemble immobilier appartenant à son domaine public, une commune conclut avec l’agence immobilière requérante un « mandat de vente sans exclusivité ». Par la suite, le maire a informé cette société que la commune avait elle-même trouvé un acquéreur et qu'il était, en conséquence, conformément aux stipulations du mandat, mis fin à celui-ci.

La société Ykha Standing Home a demandé la condamnation de la commune à lui verser une indemnité de 98 000 euros en exécution de la clause pénale stipulée au contrat, ainsi qu'une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait du refus de la commune d'exécuter cette clause. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif par lequel la cour administrative d'appel a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté ses demandes.

Le Conseil d’État annule cet arrêt qu’il juge entaché de deux erreurs de droit.

En premier lieu, si, comme l’a jugé la cour, un bien relevant du domaine public ne saurait être aliéné sans avoir été préalablement déclassé après, le cas échéant, désaffectation, cette exigence - contrairement à ce qu’a jugé la cour -, ne faisait pas obstacle à ce qu'un tel bien fasse l'objet d'un mandat donné à un agent immobilier pourvu que ce mandat n'autorise pas le mandataire à engager son mandant. Or il résulte des art. 1er et 6 de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et de l'art. 72 de son décret d'application du 20 juillet 1972 que le mandat donné à un agent immobilier est un mandat d'entremise consistant en la recherche de clients et à la négociation de la vente de biens d'autrui, qui ne permet pas à ce dernier d'engager son mandant pour l'opération envisagée, à moins qu'une clause de ce mandat ne l'y autorise expressément ce qui n’était pas le cas ici.

En second lieu, la cour ne pouvait pas juger, comme elle l’a fait, qu’un « mandat de vente » portant sur un bien relevant du domaine public méconnaît, par son objet même, le principe d'inaliénabilité du domaine public, faisant ainsi obstacle à ce que le litige relatif à son exécution puisse être réglé sur le terrain de la responsabilité contractuelle. En effet, en statuant ainsi, la cour a entaché son arrêt de dénaturation car il ressortait des stipulations mêmes de ce contrat qu'il constituait un mandat de recherche d'acquéreurs au sens des dispositions précitées. Elle l'a en outre entaché d'erreur de droit en se fondant, pour juger qu'il y avait lieu d'écarter le contrat, sur le seul motif qu'il portait sur une dépendance du domaine public, sans rechercher s'il autorisait la société Ykha Standing Home à accomplir des actes de disposition pour le compte de la commune. 

(18 juillet 2023, Société Ykha Standing Home, n° 465200)

 

24 - Occupation irrégulière du domaine public maritime - Ordonnance de référé expulsant la requérante et enjoignant la remise des lieux en l’état - Démolition des ouvrages installés - Office du juge de l’art. L. 521-3 CJA - Méconnaissance - Annulation.

Le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, saisi à cet effet par le préfet sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA, a ordonné l’expulsion de la requérante du domaine public et la remise en état de celui-ci, à ses frais et risques, notamment la démolition des ouvrages installés sur ce domaine.

Le juge des référés est d’abord approuvé d’avoir justifié l’acceptation de la demande d’expulsion par le caractère d'utilité et d'urgence de la nécessité de rétablir le libre accès des piétons à la plage et l'égalité de traitement entre les occupants du domaine public, pour mettre fin à des troubles ainsi que pour préserver l'intégrité du domaine public,

Ensuite, son ordonnance est annulée car le juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA, s’il peut ordonner le déplacement ou le démontage d'un ouvrage immobilier, ne peut ordonner, comme en l’espèce, la destruction d'un tel ouvrage, manquant ainsi à son office.

L’ordonnance attaquée est donc annulée seulement en tant qu'elle a enjoint la société requérante de procéder à ses frais et risques à la démolition des ouvrages installés sur le domaine public.  

(24 juillet 2023, Société La Vedette, n° 467796 et n° 467801)

 

Collectivités territoriales

 

25 - Conseil municipal - Conseiller et maire condamné par le juge judiciaire - Déclaration de démission d’office - Rejet.

L’intéressé, maire et conseiller municipal en exercice, a été condamné le 3 mai 2022 par le tribunal judiciaire à l'interdiction de toute fonction ou tout emploi public pour une durée de cinq ans et à la privation de son droit d'éligibilité pour une durée de dix ans, ces peines complémentaires ayant été déclarées exécutoires par provision. Le préfet, par arrêté du lendemain, 4 mai, l’a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal et de ses fonctions de maire de la commune.

Il a demandé l’annulation de cette décision, son recours a été rejeté pour cause de tardiveté. Le juge d’appel confirme ce rejet ne retenant aucun des griefs articulés au soutien de l’appel.

(24 juillet 2023, M. A., n° 468202)

 

26 - Communes et établissements de coopération intercommunale - Agglomération d’assainissement - Délimitation des zones d’assainissement collectif et des zones d’assainissement non collectif - Large pouvoir d’appréciation des collectivités - Non réalisation de travaux - Rejet.

Le requérant a demandé et obtenu, en première instance, d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de la commune du Rouret sur sa demande de réalisation de travaux d'extension du réseau d'assainissement collectif jusqu'à son habitation et, d’autre part, qu’il lui soit fait injonction de procéder à ces travaux. 

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif du jugement qui lui avait donné gain de cause.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, le juge relève qu’il résulte des dispositions des art. L. 2224-10, L. 2224-8 et L. 2224-10 et R. 2224-7 et R. 2224-10 du code général des collectivités territoriales que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale disposent d'un large pouvoir d'appréciation s’agissant de délimiter les zones d'assainissement collectif et d'assainissement non collectif en tenant compte de la concentration de la population et des activités économiques productrices d'eaux usées sur leur territoire, de la charge brute de pollution organique présente dans les eaux usées, ainsi que des coûts respectifs des systèmes d'assainissement collectif et non collectif et de leurs effets sur l'environnement et la salubrité publique.

Ensuite, il découle des dispositions de l’art. R. 2224-10 précité que dans le cas où, comme en l’espèce, tout ou partie du territoire d'une commune est compris dans une agglomération d'assainissement dont les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour, la commune ou l'établissement public est en principe tenu d'équiper cette partie du territoire d'un système de collecte des eaux usées.

Enfin, cependant, les dispositions de l'art. R. 2224-7 précité permettent aux communes et établissements publics de coopération intercommunale de placer en zones d'assainissement non collectif les parties de leur territoire dans lesquelles l'installation d'un système de collecte des eaux usées ne se justifie pas, soit parce qu'elle ne présente pas d'intérêt pour l'environnement et la salubrité publique, soit parce que son coût serait excessif, y compris, par exception aux obligations résultant de l'article R. 2224-10, si ces parties de territoire sont comprises dans une agglomération d'assainissement au sein de laquelle les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour.

C’est donc sans erreur de droit que l’arrêt attaqué a jugé :

- d’une part, que les dispositions de l'art. R. 2224-7 du CGCT permettent de déroger à celles de l'art. R. 2224-10 de ce code, et en a déduit que, dès lors qu'à la date de la décision litigieuse, la propriété de M. B. était située dans une zone d'assainissement non collectif en vertu du plan de zonage adopté par la commune le 12 décembre 2005, cette dernière n'était pas tenue de réaliser le raccordement de cette propriété au réseau collectif d'assainissement communal, quand bien même cette commune aurait été incluse, à cette même date, dans une agglomération d'assainissement, au sens de l'art. R. 2224-6 de ce code, dont les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour ;

- d’autre part, que la propriété de M. B. étant située dans une zone d'assainissement non collectif, la commune n'était pas non plus tenue de prendre à sa charge la réalisation d'installations d'assainissement non collectif pour cette propriété.

(13 juillet 2023, M. B., n° 454945)

 

27 - Reversement des sommes du fonds de solidarité régional - Mécanisme de péréquation fondé sur les ressources des collectivités concernées, sans tenir compte des charges supportées (art. L. 4332-9, II, CGCT) - QPC - Refus de transmission.

La région Île-de-France, dans le cadre d’un recours en annulation du décret du 29 décembre 2022 portant diverses mesures relatives au reversement des sommes du fonds de solidarité régional et à la composition du comité des finances locales, soulève une QPC tirée de ce que le mécanisme de péréquation institué par les dispositions de ce décret est fondé sur les seules ressources des collectivités concernées, sans tenir compte des charges qu'elles supportent pour l'exercice des compétences obligatoires qui leur sont confiées par la loi et de leur évolution. En conséquence, il serait ainsi porté atteinte aux principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques et de libre administration des collectivités territoriales.

La demande de transmission d’une QPC est rejetée.

Le juge estime que le législateur, pour fixer les conditions du dispositif de péréquation, a retenu des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif d'intérêt général que ce dispositif poursuit et qu’il l’a fait, sans restreindre les ressources des collectivités contributrices au point d'entraver leur libre administration.

Par suite, la loi n’a méconnu ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni le principe de libre administration des collectivités territoriales. Principes qui, indique le juge en réponse à l’argumentation de la requérante, n'imposaient pas que le dispositif de péréquation en cause tienne compte, en sus des critères de ressources et de population ainsi retenus, des charges incombant aux collectivités concernées pour l'exercice des compétences obligatoires qui leur sont conférées par la loi. 

Examinant au fond les griefs articulés contre le décret litigieux, le juge les rejette.

Le mécanisme de péréquation entre les régions tenant compte des effets sur leurs ressources de la réforme résultant de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, n’est pas incompatible avec les stipulations des paragraphes 1 et 2 de l'article 9 de la Charte européenne de l'autonomie locale en ce qu'il ne prendrait pas en compte les charges supportées par les collectivités concernées,

La requérante ne saurait reprocher au décret attaqué de méconnaître le principe d'égalité devant la loi, faute de tenir compte lui-même des charges effectivement supportées par les collectivités concernées, alors que ces dispositions réglementaires se bornent à cet égard à mettre en œuvre les critères institués par la loi elle-même (cf. art. L. 4332-9 du CGCT), pour déterminer les prélèvements et versements du fonds de solidarité régional. 

(13 juillet 2023, région Île-de-France, n° 471743)

 

28 - Maire agissant comme représentant de l'État dans l'exercice de la police des établissements recevant du public - Substitution du préfet au maire - Conditions - Refus ou négligence du maire de prendre un acte prescrit par la loi - Mise en demeure restée sans effets - Annulation de l’ordonnance de référé - Injonction adressée au maire.

Saisi par la SARL Vaiti Traiteur à laquelle le maire de la commune du Tampon a refusé une autorisation de réouverture de son établissement fermé par arrêté municipal du 22 juin 2016, le juge du référé suspension a prononcé la suspension de l'exécution de la décision litigieuse et enjoint au préfet de La Réunion de procéder à l'examen de la demande de la SARL Vaiti Traiteur dans un délai de trois mois.

Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État, tout d’abord, annule cette ordonnance au motif qu’il résulte des dispositions des art. L. 122-5 et R. 122-5, R. 122-7 et R. 14-24 du code de la construction et de l’habitation et de celles de l’art. L. 2122-34 du CGCT que le préfet ne peut se substituer au maire agissant comme représentant de l'État dans l'exercice de la police des établissements recevant du public qu'à la double condition que le maire ait refusé ou négligé de prendre un acte prescrit par la loi et qu'une mise en demeure qu'il lui a adressée est restée sans résultat. L’ordonnance ne pouvait donc pas délivrer injonction au préfet.

Ensuite, le Conseil d’État, jugeant que l’art. 1er de cette ordonnance est devenu définitif en tant qu’il ordonne la suspension de la décision du maire du Tampon comme entachée d’un détournement de procédure, cette partie de l’ordonnance n’ayant pas été attaquée par le pourvoi du ministre, enjoint à ce dernier de procéder à un nouvel examen de la demande d'autorisation et de se prononcer sur la demande de la SARL Vaiti Traiteur en faisant usage de ses pouvoirs de police spéciale des établissements recevant du public et en tirant les conséquences de l'avis favorable à la réouverture de l'établissement émis par la commission consultative départementale de la sécurité et de l'accessibilité.

On peut regretter que le juge de cassation n’ait pas fixé le délai dans lequel devait intervenir la nouvelle décision du maire.

(26 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 473309)

 

Contrats

 

29 - Bail à usage professionnel – Redéploiement des services d’une commune – Résiliation du bail – Compétence de la jurdiction judiciaire.

Un bail à usage professionnel, excluant toute autre activité commerciale, industrielle ou artisanale a été conclu entre Mme B. et la commune de Baie-Mahault pour permettre, à titre temporaire, le redéploiement des services publics de la ville.

Un litige s’étant élevé suite à la résiliation du bail par la propriétaire assortie d’une demande d’expulsion de la commune et de demandes indemnitaires, s’est posée la question de l’ordre de juridiction compétent pour connaître de ce litige.

Le Tribunal des Conflits relève que ce contrat n’est pas un marché public, qu’il ne comporte pas de clauses le faisant relever du régime exorbitant des contrats administratifs et qu’il n’a pas pour objet de confier à la cocontractante l'exécution d'un service public dont la commune a la charge puisqu’il se borne à répondre aux besoins de fonctionnement des services de la ville. Par suite, n’étant pas un contrat administratif, le contentieux qu’il soulève relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

(TC, 03 juillet 2023, Mme B. c/ commune de Baie-Mahault, n° C4278)

 

30 - Marché public d’assurance - Application en principe du code des assurances - Exigence de compatibilité avec le droit des marchés publics - Imposition de la poursuite du contrat - Compétence du juge administratif - Annulation.

Le Grand port maritime de Marseille a conclu le 30 octobre 2019, avec un groupement conjoint, un marché public d'assurance de dommages aux biens, pour une durée initiale de trois ans à compter du 1er janvier 2020, susceptible de deux reconductions tacites d'un an dont le contrat prévoyait que l'assureur ne pouvait pas les refuser si le pouvoir adjudicateur décidait d'y procéder.

L’une des compagnies membre du groupement d’assureurs a informé le Grand port maritime de Marseille, les 30 mars et 19 juillet 2022, de sa décision de résilier ce marché à compter du 1er janvier 2023. Ce dernier, qui s’était opposé à la décision de résiliation et avait mis en demeure ses cocontractants de poursuivre l’exécution du contrat, a demandé au juge des référés de l'art. L. 521-3 du CJA, de leur enjoindre de maintenir, au moins jusqu'au 31 décembre 2023, la police d'assurances « dommages aux biens » et les garanties contractuelles qui en font l'objet dans les conditions prévues par le marché précité.

Le Grand port maritime de Marseille se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet de sa demande au motif qu'elle se heurtait à une contestation sérieuse.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance au terme d’un raisonnement qui confère une grande importance à cette décision. S’y rencontrent, en effet, deux aspects juridiques majeurs : celui des pouvoirs du juge administratif envers les cocontractants privés d’un contrat mixte en tant qu’il relève de deux systèmes juridiques distincts (I), celui de l’arbitrage à opérer en cas de conflit, au sein d’un même contrat, entre les exigences du droit de la commande publique et celles découlant du droit des assurances (II).

I - Le juge rappelle, au moyen d’une motivation traditionnelle, d’abord, qu’en principe il ne lui appartient pas d'intervenir dans l'exécution d'un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat, ensuite, qu’il en va autrement quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle.

De là est tirée une double conséquence dont les éléments sont étroitement liés.

En premier lieu, en ce dernier cas, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire.

En second lieu, en cas d'urgence, il appartient au juge des référés de l'art. L. 521-3 du CJA, d’ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. 

II - Il résulte des dispositions de l'art. L. 113-12 du code des assurances que l'assureur a la faculté de résilier unilatéralement le contrat à l'expiration d'un délai d'un an suivant sa conclusion, avec un préavis d'au moins deux mois. Le contrat peut prévoir une durée de préavis plus longue lorsque l'assuré est une personne morale.

Il n’est pas douteux que ces dispositions sont applicables aux marchés publics d'assurance.

Cependant, le juge fait ici appel aux principes généraux applicables aux contrats administratifs dont il convient de relever qu’ils ont une portée supra-législative compte tenu de la portée que le juge va leur assigner en l’espèce.

Selon lui, lorsque l'assureur entend faire application de la disposition précitée pour résilier unilatéralement le marché qui le lie à la personne publique assurée et que le contrat ne prévoit pas un préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché d'assurance, cette dernière peut, pour un motif d'intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge, s'y opposer et lui imposer de poursuivre l'exécution du contrat pendant la durée strictement nécessaire, au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché public d'assurance, sans que cette durée ne puisse en toute hypothèse excéder douze mois, y compris lorsque la procédure s'avère infructueuse.

L'assureur peut contester cette décision devant le juge afin d'obtenir la résiliation du contrat.

De façon prétorienne est construit un système palliatif qui nous semble équilibré en permettant de concilier les exigences propres à chacune des deux catégories d’intérêts en cause.

(12 juillet 2023, Grand port maritime de Marseille, n° 469319)

 

31 - Marché de rénovation du système informatique d’un hôpital - Référé provision en paiement des prestations livrées - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Encourt annulation pour dénaturation des pièces du dossier, l’arrêt d’appel infirmatif qui, pour ramener le montant de la provision tel que fixé en première instance, de 1 421 297,86 euros hors intérêts moratoires, à 760 485,89 euros, se fonde sur ce  que la société Maincare Solutions, demanderesse, ne produisait pas de relevés validés par le représentant de l’hôpital qui seuls étaient, en vertu de l'article 7.2.3 du cahier des clauses particulières du marché, de nature à attester la réalité et la conformité de la prestation et à donner lieu à paiement pour les prestations relevant des lots 1 à 3 du marché, alors qu'il ressortait des pièces du dossier produites par la société requérante à l'appui de sa demande, que ces relevés étaient bien signés par le directeur des systèmes d'information du CHU.

(13 juillet 2023, Société Maincare Solutions, n° 469619)

 

32 - Marché public de fourniture d’heures de vol - Offre d’une société candidate rejetée - Rejet du recours indemnitaire de cette candidate évincée - Délai de recours non opposable en raison du défaut de publicité - Application de la règle du délai raisonnable - Prorogation du délai de recours impossible - Rejet.

La société Seateam aviation, requérante, a fait une offre pour chacun des lots n°s 1 et 2 d’un marché négocié pour la fourniture d'heures de vol d'aéronef en vue d’assurer des essais de matériel et l'entraînement des forces de la marine nationale lancé par le ministère de la défense. Ces offres ayant été rejetées, la société Seateam aviation a saisi le tribunal administratif de conclusions tendant notamment à l'annulation de ce marché et à l’octroi d’une indemnité que celui-ci a rejetées. La cour administrative d'appel a, par un arrêt avant dire droit, notamment annulé ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Seateam aviation.

De ce fait, cet arrêt doit dès lors être regardé comme ayant rejeté ses conclusions dirigées contre le même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du contrat.

Sur pourvoi de la société requérante, le Conseil d'État a prononcé l'admission des conclusions de la société Seateam aviation dirigées contre cet arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur ses conclusions tendant à contester la validité du contrat en litige et à en demander l'annulation.

Le pourvoi est rejeté, la cour étant approuvée en tous les chefs de la motivation de son arrêt.

Auparavant, le Conseil d’État précise, d’une part, le régime du point de départ du délai de recours contentieux ouvert au tiers évincé, d’autre part la durée de ce délai en cas de défaut de publicité du contrat litigieux.

Tout d’abord, il est jugé que si un tiers évincé de la procédure d’un contrat administratif peut saisir le juge du plein contentieux d’un recours dirigé contre la validité du contrat conclu ou de certaines de ses clauses divisibles et comportant une demande indemnitaire, il doit le faire dans le délai du recours contentieux de deux mois, y compris lorsque ce contrat porte sur des travaux publics, pour autant qu’il ait été satisfait aux exigences de publicité de ce contrat puisque c’est à cette date que commence à courir ce délai. Dans le cas de défaut d’accomplissement des mesures de publicité appropriées, le délai de recours ne peut commencer à courir que si ces mesures indiquent au moins l'objet du contrat et l'identité des parties contractantes ainsi que les coordonnées, postales ou électroniques, du service auprès duquel le contrat peut être consulté.

Ensuite, le principe de sécurité juridique impose que la durée du délai de recours ne soit pas indéfiniment prorogée du fait de l’absence de mesures de publicité appropriées mais d’une durée raisonnable qui est en principe d’un an à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c'est-à-dire de son objet et de l’identité des parties contractantes.

En l’espèce, le Conseil d’État approuve la cour d’avoir jugé - sans erreur de droit - qu’en dépit du défaut de publicité le recours introduit devant le tribunal administratif était tardif pour avoir été formé plus d’un an à compter de la publication au bulletin officiel des annonces des marchés publics, le 9 octobre 2010, d'un avis d'attribution du contrat qui indiquait sa conclusion, c'est-à-dire son objet et l'identité des parties contractantes.

Le Conseil d’État approuve aussi la cour d’avoir jugé, au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le fait que la société Seateam aviation avait introduit un premier recours en contestation de la validité du même contrat devant le tribunal administratif sans avoir ni produit l'acte d'engagement signé par le ministre de la défense et l'attributaire du marché ni justifié d'une impossibilité d'obtenir ce document, ne constituait pas une circonstance particulière justifiant de proroger au-delà d'un an le délai raisonnable dans lequel elle pouvait exercer un recours juridictionnel. 

(19 juillet 2023, société Seateam aviation, n° 465308)

(33) V. aussi, identique, portant sur un marché négocié ayant pour objet la mise à disposition de plastrons de surface pour la réalisation de prestations d'entraînements au profit de la marine nationale : 19 juillet 2023, Société Prolarge, n° 465309.

 

34 - Marché public de travaux - Recours à la procédure adaptée - Obligation d’une information appropriée des candidats sur les critères d'attribution du marché - Présentation des critères, de leur pondération ou hiérarchisation - Obligation identique pour les sous-critères susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats - Communication aux candidats évincés du motif de rejet de leurs candidatures - Erreur de droit, qualification inexacte des faits et dénaturation - Annulation.

Après qu’une société candidate à la procédure de passation d’un marché public engagée pour des travaux de création de passerelles connexes à une « voie verte », a été évincée de la suite de la procédure, celle- ci a obtenu du juge du référé précontractuel l’annulation de cette dernière et l’injonction à la communauté de communes de la reprendre au stade de l'analyse des offres.

La communauté de communes s’est pourvue en Conseil d’État ; celui-ci annule l’ordonnance attaquée pour deux motifs.

En premier lieu, une qualification inexacte des faits résulte de l’ordonnance litigieuse en ce qu’elle a jugé que la communauté de communes avait méconnu le principe de transparence des procédures car elle n’a pas porté à la connaissance de la candidate les éléments d'appréciation associés à un barème de notation que le pouvoir adjudicateur a utilisé pour évaluer trois des onze sous-critères (sous-critère n° 1 « organisation du chantier », noté sur dix points, « la présentation des intervenants et du chantier », notée sur deux points, « la prise en compte des contraintes du site et leurs traitements », notée sur quatre points, « la préparation du chantier », notée sur deux points, et le phasage général, noté sur deux points ; sous-critère n° 6 « fiches techniques », les fiches techniques notées sur un point et l'adéquation de ces dernières avec le cahier des clauses techniques particulières, notée sur quatre points ; sous-critère n° 8 « planning » noté sur dix points, le respect des délais d'exécution et l'adéquation avec le calendrier, notés sur cinq points chacun). Elle ne pouvait regarder comme des critères de sélection ce qui n'était, eu égard à leur objet et à leur pondération, que des éléments d'appréciation de ces trois sous-critères, insusceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et relevant par conséquent de la méthode de notation des offres dont on sait que le pouvoir adjudicateur n’a pas à en tenir informés les candidats lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés.

En second lieu, l’ordonnance est annulée pour erreur de droit et dénaturation des pièces du dossier, pour s’être fondée sur un second motif tiré de ce que cet acheteur n'a pas communiqué au groupement évincé le motif du rejet de sa candidature, en violation des dispositions de l'art. R. 2181-2 du code de la commande publique, applicable aux marchés passés, comme en l'espèce, selon une procédure adaptée. Il résulte toutefois de deux courriers des 24 janvier et 2 février 2023, que la communauté de communes a informé le groupement évincé du nom de l'attributaire du marché, du classement de son offre et de celle de l'attributaire, des notes qui lui avaient été attribuées et de celles qu'avait reçues l'offre retenue, inférieure à la sienne pour le critère du prix mais supérieure pour le critère de la valeur technique au titre de laquelle la société attributaire a obtenu la note maximale, ce qui rendait au demeurant inutile de communiquer le détail de sa notation par sous-critères, et de ce que l'offre retenue était la mieux-disante au regard des critères du marché.

(02 août 2023, communauté de communes de Rahin et Chérimont, n° 472976)

 

35 Responsabilité décennale - Désordres affectant divers éléments d’un complexe aquatique municipal - Demande de condamnation solidaire par l’assureur - Refus - Méconnaissance de l’office du juge - Annulation.

(04 août 2023, SMABTP, n° 466468)

V. n° 297

 

36 - Garantie décennale - Conditions d’engagement - Régime - Rejet.

(04 août 2023, Département de la Drôme, n° 467667)

V. n° 298

 

Droit du contentieux administratif

 

37 - Ordre des vétérinaires - Juridiction d’appel statuant avant-dire droit sur une demande de récusation – Moyen de cassation tiré de l’irrégularité de la composition de la formation de jugement de première instance – Inopérance – Rejet.

Est inopérant le moyen de cassation tiré de ce que la juridiction d’appel aurait statué sur la régularité de la composition de la formation de jugement de première instance, moyen écarté en première instance, et alors que la juridiction d’appel, avant-dire droit, ne s’est prononcée que sur la demande de récusation.

(04 juillet 2023, Société Le loup blanc, n° 442947)

 

38 - Référé suspension – Voie contentieuse à caractère provisoire – Impossibilité pour le juge de ce référé d’annuler une décision administrative ou de prendre une mesure équivalente – Annulation.

Réitération solennelle d’une solution logique relative aux limites des pouvoirs du juge du référé suspension qui tient à la nature essentiellement provisoire de la juridiction des référés. Il s’ensuit que ce juge « ne peut, sans excéder sa compétence, ni prononcer l'annulation d'une décision administrative, ni ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision. »

Cette solution doit être approuvée dans toute sa rigueur à peine, autrement, de bouleverser la logique du procès en référé.

(07 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 470729)

(39) V. réitérant expressis verbis la décision précédente : 07 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 470728 ; ministre de l’intérieur, n° 470731 ; ministre de l’intérieur, n° 470732 ; ministre de l’intérieur, n° 470734.

 

40 - Refus d’instruction d’un enfant dans la famille - Recours à la commission présidée par le recteur de l’académie - Obligation de statuer dans le délai d’un mois - Délai non prescrit à peine de nullité - Application du droit commun de constitution des décisions implicite de rejet - Annulation.

(17 juillet 2023, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 467600)

V. n° 3

 

41 - Avis de droit – Exercice d’un référé provision – Effet interruptif ou non du délai de recours en cas d’exercice ultérieur d’une action à fin indemnitaire en dommages intérêts – Existence d’un effet interruptif.

Le Conseil d’État a été saisi d’une demande d’avis de droit sur le point de savoir si l'exercice d'un référé provision interrompt le délai de recours au bénéfice du requérant qui l'a introduit en vue de l'exercice ultérieur d'une requête indemnitaire en dommages et intérêts.

Il répond d’abord en rappelant que la recevabilité du référé provision est notamment subordonnée à l’existence d’une décision de rejet de l’administration qui est indispensable à la liaison du contentieux, faute d’une telle décision préalable au recours contentieux le délai pour former ce dernier ne court pas.

Ensuite, et très logiquement, il est jugé que la saisine du juge du référé provision interrompt le délai de recours contentieux contre la décision de l'administration ayant rejeté la demande d'indemnisation. Ce délai ne commence à courir à nouveau qu’à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés.

(07 juillet 2023, Mme A. et Chambre de commerce et d’industrie de région Paris Île-de-France, n° 471401)

 

42 - Délai raisonnable de jugement – Délai dépassé – Indemnisation du seul préjudice moral - Annulation.

La requérante, mandataire judiciaire à la protection des majeurs, a demandé l’annulation de l'arrêté préfectoral qui a procédé au retrait de l'agrément qui lui avait été délivré pour exercer les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des majeurs dans le département et l’octroi d'une réparation du préjudice résultant selon elle de l'illégalité de cet arrêté.

Le tribunal administratif a annulé l'arrêté en raison d'un vice affectant sa légalité externe et rejeté la demande indemnitaire.

Le Conseil d’État accueille la demande de réparation du préjudice résultant de la durée excessive de la procédure – qui ne présentait pas de difficulté particulière - mais limite son champ à la seule réparation du préjudice moral, peu généreusement fixé à mille euros.

(05 juillet 2023, Mme A., n° 464312)

 

43 - Règle du délai raisonnable pour saisir le juge – Saisine du juge judiciaire puis du juge administratif – Application concrète de la règle – Rejet.

Depuis l’arrêt d’Assemblée, Czabaj, n° 387763, le justiciable qui n’a pas été avisé, ou pas régulièrement, des voies et délais ouverts pour contester au contentieux une décision de l’administration doit cependant saisir le juge dans un délai raisonnable fixé normalement à un an mais qui peut, dans certains cas particuliers, être plus long.

Dans le cadre d’un litige l’opposant à Pôle emploi, le requérant avait d’abord saisi le juge judiciaire puis, celui-ci ayant décliné sa compétence, le juge administratif. Se posait la question de l’application pratique de la jurisprudence Czabaj.

Confirmant la solution retenue par la juridiction d’appel, le Conseil d’État retient que l’intéressé, pour conserver son droit de saisine, doit, tout d’abord, avoir saisi ler juge judiciaire dans le délai raisonnable d’un an puis le juge administratif dans le délai de droit commun de deux mois à compter du jugement, devenu irrévocable, d’incompétence rendu par le juge judiciaire.

C’est la transposition en la matière de la solution qui – en dehors de toute application de la règle du délai raisonnable de saisine - gouverne la saisine successive du juge judiciaire incompétent puis du juge administratif compétent.

(05 juillet 2023, M. B., n° 465478)

 

44 - Clôture de l’instruction - Production de pièces et mémoires in extremis - Maintien de la date de clôture - Production postérieure de mémoires par l’autre partie - Exigences tenant au contradictoire - Non-respect - Annulation.

Dans un litige en reconnaissance de l’imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif dont souffre la requérante, adjointe administrative principale de 2ème classe exerçant les fonctions de responsable du service comptabilité de la commune de Néoules, le Conseil d’État annule, pour un motif de procédure, l’arrêt de cour administrative d’appel infirmatif du jugement qui a enjoint au maire de la commune de reconnaître l’imputabilité au service de cette affection.

Alors que la cour administrative d'appel a informé les parties, le 23 juillet 2021, qu'une ordonnance de clôture de l'instruction serait susceptible d'intervenir à la date du 10 août 2021et que la commune de Néoules a produit le 6 août 2021 de nombreuses pièces nouvelles et, le 10 août 2021, un mémoire en réplique comportant des éléments de droit et de fait nouveaux, qui  ont été communiqués à Mme A. les 10 et 11 août 2021 avec l'indication que cette communication ne remettait pas en cause les échéances prévisionnelles d'audience ou de clôture d'instruction précédemment communiquées.

La clôture de l'instruction a été fixée, par une ordonnance du 23 août 2021, à cette même date du 23 août 2021. Mme A. ayant produit deux nouveaux mémoires, enregistrés les 13 septembre et 14 octobre suivants, qui n'ont été ni communiqués ni pris en compte, en l'absence de réouverture de l'instruction, il est jugé que l’arrêt annulant le jugement du tribunal administratif, qui se fonde sur les éléments du mémoire de la commune, enregistré le 10 août 2021, sans laisser à Mme A. un délai suffisant pour y répondre, méconnaît le principe du contradictoire et qu’ayant ainsi été rendu aux termes d'une procédure irrégulière il doit être annulé.

(17 juillet 2023, Mme A., n° 461224)

 

45 - Action en référé liberté – Demande d’annulation d’une ordonnance de président de chambre du Conseil d’État refusant d’admettre un pourvoi en cassation – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l’art. L. 522-3 une requête tendant à voir le juge du référé liberté du Conseil d’État annuler notamment « l'ordonnance (…) du 17 août 2020 du président de la 6ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État qui n'a pas admis le pourvoi (que la requérante) a introduit contre l'ordonnance (…) du 28 novembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Pau ».

(01 août 2023, Mme B., n° 476378)

 

46 - Absence de régularisation d’un pourvoi - Requêtes en révision et en rectification pour erreur matérielle - Non consultation de l’application « Télérecours citoyen » par la requérante - Rejet.

Doit être rejeté un recours tendant à la révision et, subsidiairement, à la rectification pour erreur matérielle de l'ordonnance par laquelle la requérante soutient qu'elle n'a pas été destinataire du courrier du 2 décembre 2021 l'invitant à régulariser son pourvoi afin qu'il soit présenté par le ministère d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et que, par conséquent, l'auteur de l'ordonnance attaquée ne pouvait refuser l'admission de son pourvoi en ce qu'il n'a pas été régularisé.

En effet, le courrier du 2 décembre 2021 invitant à régulariser le pourvoi a été adressé via l'application « Télérecours citoyen », à laquelle l'intéressée avait eu recours pour former son pourvoi. Faute pour elle d’avoir consulté ce courrier dans le délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition du courrier dans l'application, l'intéressée doit être réputée, par application de l'art. R. 611-8-6 du CJA, en avoir eu notification à l'issue de ce délai.

Il convient donc d’écarter le moyen - qui manque en fait - tiré de l'absence de notification du courrier l'invitant à régulariser son pourvoi, présenté à l'appui des conclusions principales en révision et subsidiaires en rectification pour erreur matérielle.

(11 juillet 2023, Mme A. ép. C., n° 463642)

 

47 - Avis de droit - Règle du délai raisonnable - Formation dans ce délai d'un recours administratif, gracieux ou hiérarchique - Effet interruptif du délai - Réponse explicite sans mention du délai de recours - Réponse implicite - Demande d’aide juridictionnelle formée durant le délai raisonnable - Effets - Réponses en ce sens.

Dans un litige portant sur le refus d’un maire d’accorder au requérant une autorisation d'occupation temporaire du domaine public, la juridiction saisie, avant de trancher au fond, pose au Conseil d’État, dans le cadre d’un avis de droit, les trois questions suivantes.

1°) Le délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel peut-il être prorogé par la formation d'un recours administratif, même facultatif ? En cas de réponse positive à cette question, l'absence de mention des voies et délais de recours dans la réponse à ce recours administratif a-t-elle pour effet d'ouvrir un nouveau délai raisonnable de recours de même nature à compter de la connaissance, par son destinataire, de cette seconde décision ?

2°) Le délai raisonnable peut-il être interrompu par une demande d'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par l'article 43 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ?
3°) Faut-il sinon considérer que le respect du délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel doit être apprécié par le juge de manière globale, en fonction de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment des diverses actions entreprises par le requérant depuis qu'il a eu connaissance de la décision attaquée ?

Ce sont là des questions délicates et importantes où se combinent la logique inhérente à la jurisprudence d’Assemblée Czabaj (13 juillet 2016, n° 387763), le souci de ne pas la ruiner en la prolongeant à l’extrême et le respect des droits légitimes du justiciable.

 

A la première question, le juge répond que la présentation, dans le délai imparti du recours contentieux, d'un recours administratif, gracieux ou hiérarchique a pour effet d'interrompre ce délai. Il en va notamment ainsi lorsque, faute de respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose le destinataire de la décision pour exercer le recours juridictionnel est le délai découlant de la règle jurisprudentielle dite du « délai raisonnable ».

Deux hypothèses doivent alors être distinguées.

En premier lieu, en cas de décision explicite de rejet, un nouveau délai de recours commence à courir à compter de la date de notification de cette décision et si la notification de la décision de rejet du recours administratif n'est pas elle-même assortie d'une information sur les voies et délais de recours, l'intéressé dispose de nouveau, à compter de cette notification, du délai raisonnable pour saisir le juge.

En second lieu, en cas de silence gardé par l'administration sur le recours administratif, deux situations sont susceptibles de se présenter.

Soit l'autorité administrative a accusé réception de ce dernier recours et l'accusé de réception comporte les indications prévues à l'art. R. 112-5 précité, dans ce cas le délai de recours contentieux de droit commun contre la décision administrative contestée recommence à courir dès la naissance d'une décision implicite de rejet du recours administratif.

Soit, à défaut d’accusé de réception, l'intéressé dispose, pour introduire son recours contentieux contre la décision administrative qu'il conteste, à compter du jour où il a eu connaissance de la décision implicite de rejet de son recours administratif, de la règle du délai raisonnable. 

 

A la deuxième question, le juge apporte les réponses suivantes.

Lorsque, faute de respect de l'obligation d'informer le destinataire d'une décision administrative sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose celui-ci pour exercer un recours juridictionnel contre cette décision est le délai dit « raisonnable », une demande d'aide juridictionnelle formée avant l'expiration de ce délai en vue de l'exercice de ce recours a pour effet de l'interrompre.

Le délai de recours contentieux recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle.

En cas d'admission à l'aide juridictionnelle, ce délai est celui, en principe de deux mois, imparti par le code de justice administrative pour contester la décision administrative. Lorsque, en revanche, le bénéfice de l'aide juridictionnelle a été refusé, l'intéressé dispose, pour introduire un recours contentieux contre la décision qu'il conteste, du délai dit « raisonnable ».

Les réponses données à ces deux questions rendent sans objet la troisième question posée au Conseil d’État.

(12 juillet 2023, M. G., n° 474865)

 

48 - Sursis à l’exécution des jugements et arrêts - Arrêt annulant un titre exécutoire - Risque de perte définitive d’une somme susceptible de ne pas rester à la charge de la personne publique condamnée - Octroi du sursis.

Le Conseil d’État ordonne le sursis à l’exécution de l’arrêt qui annule le titre exécutoire émis par le syndicat requérant, d’un montant de 1 225 769 euros, alors que la situation financière de la société débitrice est très dégradée et que son associé unique a décidé de réduire son capital à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social. L'exécution de l'arrêt attaqué, déchargeant la société de l'obligation de payer cette somme au syndicat mixte, expose ainsi ce dernier à la perte définitive de sommes qui ne devraient pas rester à sa charge au cas où ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt seraient reconnues fondées par le Conseil d'État.

Au reste, le juge aperçoit dans la demande du syndicat au moins un moyen sérieux et, en l'espèce, de nature à justifier, outre l'annulation de l'arrêt attaqué, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

(13 juillet 2023, Syndicat mixte de traitement des déchets Savoie Déchets, n° 473572)

(49) V. aussi, estimant, à l’inverse, n’y avoir lieu à surseoir à l’exécution d’un arrêt d’appel du fait du décès de la requérante en décembre 2021 dès lors que cette exécution n’est susceptible d'exposer la personne publique débitrice qu'aux conséquences financières qui s'attachent à une reconstitution de carrière jusqu'à la date du décès de l’intéressée, elle n'est par suite pas susceptible d'entraîner pour elle des conséquences difficilement réparables : 13 juillet 2023, Chambre de commerce et d'industrie de région (CCIR) Normandie, n° 474818.

 

50 - Autorité de la concurrence - Instruction sur des pratiques anticoncurrentielles - Demande d’écarter du dossier d’instruction deux procès-verbaux - Acte non détachable de la procédure juridictionnelle - Compétence du juge judiciaire - Rejet.

(18 juillet 2023, Société Alten et société Alten Sud-Ouest, n° 469032)

V. n° 110

 

51 - Procédure contentieuse - Rédaction des jugements et arrêts - Obligation d’indiquer les textes servant de fondement à la décision de justice - Absence - Annulation.

Encourt annulation le jugement qui ne mentionne ni dans ses visas ni dans son dispositif de quels textes il fait application pour juger le litige.

(18 juillet 2023, M. B., n° 461492)

 

52 - Irrecevabilité d’une requête tendant à l’allocation d’une somme d’argent - Régime procédural - Absence de décision préalable fournie dans la requête - Régularisation - Conditions - Annulation.

Le demandeur sollicitait la condamnation de l’État à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices résultant d'un retard de l'immatriculation définitive de son véhicule. Sa demande a été rejetée comme manifestement irrecevable par ordonnance du président de chambre d’un tribunal administratif. Sur pourvoi de l’intéressé l’ordonnance est annulée avec renvoi à la juridiction qui l’a prononcée.

Le litige concernait donc le régime applicable aux requêtes irrecevables.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État, dans une décision très pédagogique, de rappeler qu’il n’existe que trois cas d’irrecevabilité manifeste pouvant être opposés par ordonnance : 1°/ le cas où l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte, 2°/ le cas où la requête ne peut être régularisée que jusqu'à l'expiration du délai de recours, lorsque ce délai est expiré, 3°/ le cas où la requête a donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation comme l'exige l'art. R. 612-1 du CJA, est expiré. 

Il suit de là que l’irrecevabilité manifeste ne peut être opposée par ordonnance présidentielle ni lorsque, après que la requête a été mise à l'instruction, la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d'une irrecevabilité susceptible d'être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, ni lorsque la juridiction s'est bornée à informer les parties, sur le fondement de l'art. R. 611-7 du CJA, que la décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office et tiré d'une irrecevabilité susceptible d'être régularisée, sans mentionner la possibilité de régulariser la requête ni fixer un délai à cette fin.

Appliquant ces règles au cas de l’espèce, le juge administratif suprême rappelle qu’elles y trouvent à s'appliquer lorsque, ni dans la requête, ni dans les pièces qui l'accompagnent, il n'est fait état de l'existence d'une décision, expresse ou implicite, de l'administration statuant sur une demande formée devant elle tendant au versement d'une somme d'argent.

Dans un tel cas le Conseil d’État précise que le président de la juridiction ou l'un des magistrats mentionnés à l'art. R. 222-1 du CJA, peut rejeter cette requête comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de cet article, si, à la date de son ordonnance, le requérant, ayant été dûment invité, par la juridiction, selon les modalités prévues par le dernier alinéa de l'art. R. 612-1 du CJA, à régulariser sa requête, en produisant la décision mentionnée au deuxième alinéa de l'art. R. 421-1 du CJA, ou, à défaut, la pièce justifiant de la date du dépôt de la réclamation formée devant l'administration, en application de l'article R. 412-1 du même code, n'a pas, à l'expiration du délai ainsi imparti, satisfait à cette obligation. 

Précisément, dans cette affaire le juge, après avoir communiqué au demandeur le mémoire en défense par lequel le ministre de l'intérieur soulevait une fin de non-recevoir tirée de ce qu'il n'avait pas produit, à l'appui de sa requête, la pièce justifiant de la réception de sa réclamation préalable indemnitaire, puis, après avoir informé les parties, sur le fondement de l'art. R. 611-7 du CJA, de ce qu'était susceptible d'être relevé d'office le moyen tiré de ce que le requérant ne justifiait pas que sa requête avait été précédée d'une demande préalable, l'auteur de l'ordonnance attaquée l’a rejetée en application du 4° de l'art. R. 222-1.

Ainsi, en s'abstenant d'inviter le requérant à régulariser sa requête en justifiant de la date du dépôt de la réclamation préalable, l'auteur de l'ordonnance a entaché sa décision d'irrégularité. 

(19 juillet 2023, M. A., n° 463520)

 

53 - Référé suspension - Procédure à suivre - Irrégularité - Défaut d’établissement d’une urgence à juger - Annulation et rejet.

La société requérante a demandé l’annulation d’un arrêté municipal interdisant de façon permanente la circulation des véhicules de transit de plus de 3,5 tonnes sur l'ensemble des voiries de l'agglomération, à l'exception d’une route départementale et d’une route nationale, sauf pour les véhicules utilisés par les propriétaires et leurs ayants droit circulant à des fins privées sur leur propriété et qui auraient été préalablement autorisés par la commune.

Tout d’abord, le juge de cassation estime que le juge du référé suspension a entaché son ordonnance de deux irrégularités.

En premier lieu, après avoir tenu une audience le mardi 11 octobre 2022 à 15 heures, le juge des référés a décidé de fixer aux parties un délai jusqu'au jeudi 13 octobre à midi pour produire des pièces complémentaires, sans renvoyer l'affaire à une autre audience. En s'abstenant ainsi d'aviser les parties de la date à laquelle interviendrait la clôture de l'instruction ainsi différée il a entaché d'irrégularité la procédure suivie devant lui.

En second lieu, en ne communiquant pas à la société Transdev Boucle-des-Lys l'arrêté du maire du 18 avril 2005, produit le 12 octobre 2022 par la commune, sur lequel il a fondé sa décision bien que cette pièce n'ait pas été précédemment soumise au débat contradictoire. 

Ensuite, examinant l’affaire au fond afin de la régler lui-même, le Conseil d’État retient que l’urgence invoquée et alléguée n’est pas établie par la société en l'absence d'éléments objectifs et précis de nature à démontrer la gravité de l'atteinte portée à sa situation économique financière, et de toute incidence directe sur l'exécution du service public de transport de voyageurs dont elle est chargée.

L’ordonnance est annulée et la requête rejetée.

(19 juillet 2023, Société Transdev Boucle-des-Lys, n° 468565)

 

54 - Demande d’avis de droit - Demande formulée par une ordonnance d’un juge statuant seul - Irrecevabilité - Rejet.

L'art. R. 222-1 du CJA énumère limitativement les cas dans lesquels les magistrats qu'il désigne peuvent statuer seuls par ordonnance. Au nombre de ces cas ne figure pas la faculté de saisir le Conseil d'État d'une demande d'avis sur le fondement des dispositions de l'art. L. 113-1 du CJA. 

Il suit de là que formulée - comme en l’espèce - par une ordonnance d’un juge statuant seul, une demande d’avis de droit est irrecevable.

(19 juillet 2023, M. D., n° 472622)

 

55 - Recours en rectification d’erreur matérielle - Demande d’aide juridictionnelle postérieure à ce recours - Obligation de surseoir à statuer - Absence - Nouvel examen du recours.

Dès lors que, postérieurement à l'introduction de son pourvoi en cassation, Mme B. a formé une demande d'aide juridictionnelle enregistrée au secrétariat du bureau d'aide juridictionnelle du Conseil d'État, le juge saisi du pourvoi était tenu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision sur cette demande d'aide juridictionnelle en application des dispositions du décret du 28 décembre 2020 relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Par suite, l'ordonnance refusant l'admission du pourvoi en cassation avant qu'il ait été statué sur la demande d'aide juridictionnelle est entachée d'une erreur matérielle qui n'est pas imputable à la requérante et qui, par application des dispositions de l'article R. 833-1 du code de justice administrative, doit être rectifiée.

L'ordonnance est déclarée non avenue et il convient de statuer à nouveau sur le pourvoi. Celui-ci est rejeté, aucun des moyens soulevés n'étant de nature à permettre l'admission du pourvoi.

(20 juillet 2023, Mme B., n° 460458)

 

56 - Compétence juridictionnelle – Litiges en matière de visas d’entrée en France – Absence de compétence directe du Conseil d’État – Compétence du tribunal administratif de Nantes.

Le litige né du refus du consulat de France à Manille de délivrer un visa long séjour à l’épouse et à l’enfant mineur du requérant ne relève pas de la compétence de premier ressort du Conseil d’État mais, en vertu des dispositions de l’art. R. 312-18 CJA, de celle du tribunal administratif de Nantes.

La requête est manifestement irrecevable en tant que portée directement devant le Conseil d’État et il appartient au demandeur de saisir la juridiction compétente.

(ord. réf. 10 août 2023, M. B., n° 477358)

 

 57 - Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (SNATED) - Recueil d’informations préoccupantes portées à la connaissance du président du conseil départemental - Recours contre la transmission opérée par le SNATED - Compétence du juge administratif - Annulation et rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la transmission opérée par le Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (SNATED) au président du conseil départemental de l'Hérault de l'information recueillie sur la situation de leur fils mineur. Les juridictions de premier degré et d’appel ont décliné la compétence de l’ordre administratif de juridiction.

Ils se pourvoient en cassation. Le Conseil d’État leur donne raison sur la compétence mais rejette leur requête au fond.

Tout d’abord, le SNATED a l’obligation d’informer immédiatement le président du conseil général des informations préoccupantes recueillies au sujet d’un mineur et ce président doit aviser sans délai le procureur de la république, ensuite, s’il y a lieu, intervient le juge judiciaire. Le Conseil d’État considère que s’il n’est pas douteux que tout litige né à compter de et du fait de l’intervention du président du conseil départemental relève de la compétence du juge judiciaire, en revanche le litige opposant les requérants au service d'accueil téléphonique qui, en transmettant une information recueillie sur la situation d’un mineur, participe à la mission nationale de prévention des mauvais traitements en permettant au président du conseil départemental de recueillir, traiter et évaluer cette information, relève de la compétence du juge administratif.

L’ordonnance attaquée est annulée.

Ensuite, la requête est rejetée au fond car le juge estime qu’eu égard à l'objet et à la nature de la mission du SNATED, la transmission qu’il effectue au président du conseil départemental ne peut être regardée comme une décision faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Le pourvoi est, de ce chef, rejeté. Cependant, le juge prend soin de glisser discrètement qu’il pourrait en aller autrement si la contestation avait eu lieu dans le cadre d'une action en responsabilité dès lors que serait démontré le caractère dommageable découlant directement d’un comportement fautif du SNATED.

(20 juillet 2023, M. et Mme C., n° 463094)

(58) V. aussi, très semblable en substance : 20 juillet 2023, M. et Mme D., n° 463102.

 

59 - Pouvoirs du juge de l’exécution - Nécessité d’interpréter un jugement ou arrêt de contenu ou de portée incertain - Cas d’un recours en matière de pension militaire d’invalidité - Annulation.

Par un arrêt du 13 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que M. A., militaire blessé d’une balle en service, devait être regardé comme étant obligé de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne et était, par suite, fondé à demander le bénéfice de l'allocation pour tierce personne mentionnée au deuxième alinéa de l'art. L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Puis, sur saisine de l’intéressé, la cour statuant comme juge de l’exécution, a, sur le fondement de l’art. L. 911-4 du CJA, par un arrêt du 5 mai 2022, enjoint à la ministre des armées de lui octroyer, à titre définitif, l'allocation pour tierce personne et de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt, aux versements correspondants, et a assorti cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai.

Sur pourvoi de la ministre des armées, le Conseil d’État annule cet arrêt.

Il relève qu’il ne résulte pas des motifs de son arrêt que la cour aurait reconnu le caractère définitif de l'incapacité de M. A. à se mouvoir, à se conduire ou à accomplir les actes essentiels de la vie, lequel ne saurait, eu égard aux dispositions du second alinéa de l'art. R. 19-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, se déduire du caractère définitif de la pension militaire d'invalidité accordée à M. A.

Par suite, et alors qu’il n'appartient pas au juge saisi d'une demande tendant à l'exécution d'une décision juridictionnelle, sur le fondement de l'art. L. 911-4 du CJA, de l'interpréter, il lui revient cependant de l’interpréter dans la mesure nécessaire pour en définir les mesures d'exécution lorsque, comme en l’espèce, cette décision est entachée d'une obscurité ou d'une ambiguïté qui, en rendant impossible la détermination de l'étendue des obligations qui incombent aux parties du fait de cette décision, font obstacle à son exécution.

Le Conseil déduit de là que la cour doit être regardée comme ayant prescrit l'attribution à M. A. d'une allocation pour tierce personne à compter du 19 mars 2015, date à laquelle il a sollicité la révision de sa pension, révisable au terme d'un délai de trois ans dans les conditions fixées par l'art. R. 19-1.

Il suit donc de là que la ministre des armées est fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l'exécution de son arrêt du 13 juillet 2021 impliquait l'octroi à M. A., à titre définitif, de l'allocation pour tierce personne.

Encourt ainsi annulation l'arrêt du 5 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il lui a enjoint de verser à M. A. une allocation pour tierce personne pour la période postérieure au 18 mars 2018. 

C’est pourquoi est rejetée la demande de M. A. tendant au versement de cette allocation pour la période postérieure au 18 mars 2018, qui soulève un litige distinct de celui qui a fait l'objet de l'arrêt du 13 juillet 2021. 

(20 juillet 2023, ministre des armées, n° 465594)

 

60 - Caractère public des jugements - Indication des noms des magistrats ayant siégé - Omission du nom de l’un d’eux - Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. 10 du titre préliminaire du code de justice administrative qu’en raison de l’obligation de caractère public des jugements, doivent y être mentionnés les noms des juges qui les ont rendus.

Dans une affaire où un jugement a été rendu en formation collégiale de trois membres, l’absence d’indication du nom de l’un des trois juges ayant siégé à l’audience et au délibéré entache d’irrégularité ce jugement, conduisant à son annulation

(20 juillet 2023, M. B., n° 469580)

 

61 - Permis de construire - Suspension de l’exécution du refus du permis de construire - Injonction, par le juge des référés, de réexaminer la demande de permis - Injonction insusceptible de faire courir le délai d’octroi d’un permis de construire tacite.

(20 juillet 2023, Société Développement d'études foncières et immobilières, n° 467318)

V. n° 334

 

62 - Référé suspension - Mesure disciplinaire - Sanction d’exclusion temporaire - Condition d’urgence - Rejet.

Dans un litige en contestation d’une sanction disciplinaire d’exclusion de deux mois et dix-huit jours infligée par un syndicat intercommunal de transports à l’un de ses agents, ce syndicat s’est pourvu en cassation de l’ordonnance de référé qui en a suspendu l’exécution.

Après avoir relevé l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le juge de cassation pour dire constituée l’urgence en l’espèce, retient que l’agent fait valoir la perte intégrale de sa rémunération pendant la durée de sa suspension et ses charges financières fixes supportées par sa famille comprenant quatre enfants, ce que ne conteste pas le syndicat intercommunal. 

(25 juillet 2023, Syndicat intercommunal des transports collectifs de Montereau et de ses environs (SITCOME), n° 462581)

 

63 - Note en délibéré - Rappel de l’exigence d’en prendre connaissance et de la viser - Omission - Annulation du jugement.

Dans un litige en contestation de la délivrance d’un permis de construire où, à l’issue de l’audience, a été régulièrement présentée une note en délibéré, le juge est amené à rappeler pour la énième fois que la réception par le juge, en cette hypothèse, d'une note en délibéré, il lui appartient dans tous les cas d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l'analyser dès lors qu'il n'est pas amené à rouvrir l'instruction S’il estime que cette note comporte des éléments nouveaux, il doit, rouvrant la procédure, la soumettre au débat contradictoire.

(26 juillet 2023, M. A., n° 466779)

(64) V. aussi, adoptant la même solution dans un cas identique : 26 juillet 2023, Société Promobat, n° 468400 et n° 468402.

 

65 - Communication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office - Réponse de la requérante à cette communication - Arrêt ne faisant mention ni de l’un ni de l’autre - Irrégularité - Annulation.

Dans un litige en contestation de l’autorisation d’exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison, la cour a informé les parties d’un moyen susceptible d’être relevé d’office et la requérante y a répondu par un mémoire. L’arrêt est annulé pour irrégularité car il ne fait mention ni de la communication du moyen susceptible d'être relevé d'office, ni des observations présentées en réponse sans que puisse faire obstacle à l’annulation la circonstance que la cour ne s'est pas fondée sur ce moyen, pour statuer sur les conclusions dont elle était saisie. 

(28 juillet 2023, Association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, n° 458794)

 

66 - Juge du référé suspension - Obligation de statuer avec diligence - Date à laquelle l’ordonnance est rendue sans effet sur sa régularité - Rejet sur ce point.

Dans un litige en contestation d’un refus préfectoral d’autoriser la délivrance d’une carte de séjour et le renouvellement de la carte de résident de 10 ans, le juge est saisi d’un moyen tiré de la trop grande célérité du juge du référé. Alors que les refus litigieux ont été opposés le 25 août 2022 et que le délai de saisine du juge expirait le 25 octobre 2022, l’ordonnance de rejet a été rendue dès le 12 octobre 2022. Contrairement à ce qui est soutenu, il n’y a là aucune irrégularité. Au contraire, les dispositions des art. L. 511-1, L. 521-1 et L. 522-3 du CJA font obligation à ce juge de statuer avec diligence et elles n'ont ni pour objet ni pour effet de faire du délai dans lequel il statue une condition de la régularité de l'ordonnance rendue.

(02 août 2023, M. B., n° 468561)

 

67 - Compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif - Impôts locaux - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (4° de l’art. R. 811-1 du CJA) - Litige ne portant pas sur la décharge ou la réduction d’une imposition locale - Exclusion de l’exception - Rejet.

Il résulte du 4° de l’art. R. 811- 1 du CJA que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux. Si les litiges de plein contentieux tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition locale entrent dans le champ d’application de cette disposition dérogatoire, tel n’est pas le cas, comme en l’espèce, du recours dirigé par une communauté de communes contre le jugement rejetant sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation de la décision par laquelle le directeur régional des finances publiques de Mayotte a rejeté sa demande tendant, en application du II de l'art. 137 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, au versement par l'État d'une allocation pour compenser la perte de recettes de taxe d'enlèvement des ordures ménagères au titre de l'année 2018 résultant du mécanisme de minoration des valeurs locatives prévu par les dispositions du II bis de l'art. 1496 du CGI. 

Le dossier de l’affaire est renvoyé à la cour administrative d’appel.

(04 août 2023, Communauté de communes de Petite-Terre, n° 465169)

 

68 - Détermination du juge de l’exécution - Juridiction auteur de la décision à exécuter - Saisine du juge de cassation - Incompétence de la juridiction administrative - Recours devenu sans objet. Rejet.

La requérante, l’ANAST, a obtenu du tribunal administratif, le 10 févier 2022, des injonctions adressées au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) de lui communiquer les résultats de la ferme expérimentale de Grignon ainsi que plusieurs documents et rapports. Puis, le 11 août suivant, la requérante a saisi le tribunal administratif, sur le fondement de l'art. L. 911-4 du CJA, d'une demande tendant à l'exécution de ces injonctions, dans un délai d'un mois, sous astreinte. Par une ordonnance du 18 août 2022, le président du tribunal administratif a transmis cette demande au Conseil d'État, au motif que celui-ci était saisi en appel du jugement du 10 février 2022.

Le Conseil d’État relève tout d’abord que c’est à la juridiction qui a rendu le jugement dont est demandée l’exécution - ou, en cas d’appel, la juridiction d’appel - qu’il appartient de se prononcer sur la demande d’exécution, soit, ici, le tribunal administratif de Paris, non le Conseil d’État.

Ensuite, ce dernier rappelle que sur appel du GPSE, il a annulé le jugement du 10 février 2022 enjoignant la communication de documents et, statuant au fond, a rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions présentées par l'ANAST relatives à la communication de documents par le GPSE. Ainsi, est devenue sans objet la demande d’exécution du jugement du 10 février 2022.

(04 août 2023, Association nationale animaux sous tension (ANAST), n° 466936)

 

69 - Mutation d’un fonctionnaire territorial - Demande de transmission de son dossier administratif et d’annulation du refus de transmission - Litige n’étant pas relatif à la communication de documents administratifs - Compétence de la juridiction d’appel et non du juge de cassation - Renvoi à une cour administrative d’appel.

Le syndicat requérant a contesté devant le tribunal administratif le refus du maire de Montereau-Fault-Yonne de lui transmettre le dossier individuel de l’adjointe administrative mutée de cette commune à ce syndicat. Le juge saisi a prononcé un non-lieu que le syndicat a contesté devant la cour administrative d’appel. Celle-ci, se fondant sur les dispositions du 2° de l’art. R. 811-1 du CJA, selon lesquelles le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges en matière de consultation et de communication de documents administratifs, a transmis cette requête au Conseil d’État.

Celui-ci relève que le litige relatif à l’obligation, instituée par l’art. 51 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, de transmission du dossier individuel de l’agent muté par son administration d'origine à son administration d'accueil, n’est pas un litige en matière de communication de documents administratifs au sens de l'art. R. 811-1 du CJA. Ainsi la contestation des jugements rendus en cette matière relève non d’un pourvoi en cassation mais d’un appel formé dans les conditions du droit commun devant la cour administrative d’appel. Le litige est donc attribué à cette juridiction.

(04 août 2023, Syndicat de la région de Montereau-Fault-Yonne pour le traitement des ordures ménagères (SIRMOTOM), n° 468907)

 

70 - Police des installations classées - Demande d’implantation d’éoliennes - Moment d’appréciation de la légalité de l’autorisation en ce sens - Pouvoir du juge - Annulation.

(04 août 2023, Association Environnement et patrimoines en Pays du Serein et autres, n° 455196)

V. n° 263

 

71 - Juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA - Incompétence pour connaître d’un litige relatif à la communication d’un dossier détenu par le service de la protection des majeurs - Demande de régularisation de la procédure par sa transmission à un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation - Rejet.

Est rejetée comme manifestement irrecevable la requête portée devant le juge du référé (art. L. 521-3 CJA) du Conseil d’État tendant à ce que soit régularisée - par sa transmission à un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation - une procédure en vue de la communication au requérant, sous astreinte, d'une copie du dossier détenu par le service de la protection des majeurs relatif à la situation de sa mère.

(03juillet 2023, M. A., n° 475304)

(72) V. aussi, identiques : 03juillet 2023, M. A., n° 475305 ; 03juillet 2023, M. A., n° 475306.

(73) V. encore, semblable et relatif à une demande à la tutrice de la mère du requérant de communiquer des relevés des comptes courants de cette dernière, entre les 5 décembre 2022 et 31 mai 2023, des factures payées ou à payer durant cette période, l'inventaire de ses biens, et le budget prévisionnel qu'elle entend faire appliquer : 03juillet 2023, M. B., n° 475307.

 

74 - Délai d’appel – Durée de deux mois – Prorogation du délai pour cause de Covid-19 - Rejet de l’appel pour tardiveté – Erreur de droit – Annulation.

Est entaché d’erreur de droit et encourt annulation l’arrêt qui déclare tardif l’appel du garde des sceaux formé le 13 août 2020 contre un jugement rendu le 03 mars 2020, alors qu’il résultait de la prorogation de délai pour cause d’épidémie de Covid-19 (cf. art. 15 de l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif) que ce délai expirait le 24 août 2020.

(28 juillet 2023, Garde des sceaux, n° 459715)

 

 75 - Composition irrégulière de la formation de jugement – Magistrat d’une cour administrative d’appel ayant déjà conclu en qualité de rapporteur public sur des requêtes dirigées contre l’arrêté interministériel objet du présent litige – Annulation.

Les communes requérantes demandaient l’annulation du rejet, par les juridictions administratives de première instance et d’appel, de leur action tendant à l’annulation de décisions ministérielles, les unes explicites et les autres implicites, portant refus de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qu'elles avaient présentées à la suite des mouvements de terrains différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols du 1er juin au 10 septembre 2015.

Sans examiner le fond du litige, le juge de cassation annule l’arrêt d’appel auquel a participé un magistrat qui avait, deux ans auparavant, conclu en qualité de rapporteur public sur plusieurs requêtes d'appel formées par d'autres communes et portant sur des litiges relatifs au même arrêté interministériel.

La composition de cette formation de la cour administrative d'appel était irrégulière du fait de la participation de ce membre qui avait déjà publiquement exprimé, par le passé, son opinion sur le litige dont elle avait à connaître. Le Conseil d’État est donc à la cassation de l’arrêt attaqué.

(11 août 2023, Commune de Fraisnes-en-Santois, n° 456146 ; Commune de Haraucourt, n° 456149 ; Commune de Ville-en-Vermois, n° 456151 ; Commune de Saint-Nicolas-de-Port, n° 456155 ; Commune de Toul, n° 456159 ; Commune de Vandœuvre-lès-Nancy, n° 456163)

 

76 - Constatation de l’état de catastrophe naturelle – Éboulement de roches sur des cuves d’une cave viticole – Société ayant formé tierce opposition contre l’arrêt d’appel – Rejet sans respect du contradictoire – Annulation.

Rappel que la juridiction saisie d'un recours en opposition ou en tierce opposition, qu’elle estime recevable, doit, pour assurer le caractère contradictoire de l’instruction, communiquer au requérant les pièces de la procédure ayant donné lieu à la décision dont la rétractation est ainsi demandée, soit d'office lorsque le requérant n'avait pas été régulièrement mis en cause dans l'instance précédente, soit à sa demande, s'il l'avait été.

En l’espèce, faute que la cour ait donné suite aux demandes de communication des pièces de la procédure que lui avait adressées à plusieurs reprises la requérante, la cour administrative d'appel a statué au terme d'une procédure irrégulière, d’où l’annulation de l’arrêt avec renvoi.

(11 août 2023, Société Château Bel-Air, n° 465838)

 

77 - Procédure contentieuse – Minute des jugements et arrêts – Mention défectueuse – Impossibilité de déterminer l’identité du rapporteur qui a participé à l’audience et au délibéré – Irrégularité – Annulation.

Est entaché d’une irrégularité l’arrêt dont la minute indique que la cour a entendu : «  le rapport de M. A. », puis mentionne qu'ont siégé à l'audience : « Mme Michel, présidente, Mme Duguit-Larcher, première conseillère, Mme Corvellec, première conseillère » et que la minute de l'arrêt a notamment été signée par : « La présidente rapporteure, C. Michel ».

Il existe ainsi une contradiction entre ces mentions qui ne permet pas de déterminer l'identité du rapporteur ayant participé à l'audience et au délibéré de l'affaire. Par suite, l'arrêt ne fait pas lui-même la preuve de sa régularité d’où son annulation.

(11 août 2023, Mme B., n° 466925)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

78 - Déficit reportable – Pouvoir de contrôle et de rectification de l’administration – Inopposabilité de la prescription – Faculté de saisir le juge – Rejet.

Classiquement, le juge reconnaît à l’administration, quand elle procède au contrôle fiscal d'une entreprise au titre d'un exercice, la faculté d’exercer son pouvoir de contrôle et de rectification sur l'existence et le montant du déficit reportable, issu d'exercices antérieurs, dont cette entreprise déclare disposer à la clôture de l'exercice vérifié alors même que ces exercices seraient prescrits ou que ce déficit n'aurait pas été imputé sur les bénéfices de cet exercice, étant seulement susceptible d'affecter le résultat d'exercices ultérieurs par la voie du report déficitaire.

Il incombe au contribuable, s’il s’y croit fondé, de contester par voie de réclamation contentieuse, la réduction par l'administration du montant de son déficit reportable. 
C’est donc sans erreur de droit qu’en l’espèce la cour administrative d'appel de Paris a jugé que l'administration avait pu, sans méconnaître les règles de prescription, remettre en cause le montant des déficits déclarés par la société au titre des exercices clos entre 2003 et 2008, lesquels étaient prescrits, dès lors qu'ils avaient contribué au montant des déficits reportables non encore imputés dont elle avait déclaré disposer à la clôture de l'exercice clos en 2011. 

(05 juillet 2023, SA ST Dupont, n° 464928)

 

79 - Taxation d’office – Notification des bases de la taxation ou réponse aux observations du contribuable – Dispense d’informer le contribuable de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts – Rejet.

En cas de taxation d’office, réitération d’une jurisprudence inéquitable et passée de mode.

Lorsque le contribuable ne s’est pas acquitté de ses obligations déclaratives, ses revenus ou la partie d’entre eux dont la déclaration a été éludée sont fixés d’office par l’administration (art. L. 16 et L. 69 LPF).

L’administration notifie les redressements envisagés et invite le contribuable à présenter d’éventuelles observations. Au reçu de la réponse du contribuable, l’administration est tenue de lui répondre et de lui indiquer, le cas échéant, la persistance du désaccord. Cette mesure est destinée à lui permettre de solliciter la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. En revanche, le juge considère qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation à l'administration de faire mention, dans la proposition de rectification, dans la notification des bases taxées d'office ou dans la réponse aux observations du contribuable, de la possibilité qu'a celui-ci de saisir la commission départementale des impôts en cas de désaccord persistant. 

C’est confondant quand on compare le traitement dont bénéficient en matière de droits de l’intéressé, le criminel, le trafiquant international de drogue, le proxénète et autres joyeux drilles constituant notre corps social.

(05 juillet 2023, M. B., n° 467992)

 

80 - TVA déductible – Régime – Régularisation - Cas de la taxation des hébergements meublés avec services – Rejet.

Une société avait déduit la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ses dépenses de rénovation d'un bien immobilier, l'administration a remis en cause le bien-fondé de cette déduction au motif qu'eu égard aux conditions dans lesquelles elle avait été mise en œuvre, l'activité d'hébergement pour les besoins de laquelle ces travaux avaient été réalisés s'était avérée être exonérée sur le fondement de l'article 261 D du CGI. 

Le ministre des finances se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif qui a prononcé la décharge des rappels qu’avait rejetée le tribunal administratif. Son pourvoi est rejeté.

Il résulte du droit de l’Union (art. 167 de la directive 2006/112/CE dite « directive TVA ») et en particulier de la jurisprudence interprétative de la CJUE :

1°/ que le droit à déduction peut être exercé lorsque la taxe devient exigible chez le fournisseur, dès lors que l'assujetti s'est acquitté du prix des biens ou services et détient une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée, même lorsque l'activité économique envisagée ne donne pas lieu à des opérations ouvrant droit à déduction ou lorsque l'assujetti n'a pas utilisé les biens ou services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d'une opération taxable, comme il prévoyait de le faire, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et en l'absence de toute intention frauduleuse ou abusive (cf. en ce sens : CJUE, 29 février 1996, Intercommunale voor zeewaterontzilting (INZO), aff. C-110/94) ;

2°/ que le droit à déduction doit faire l'objet d'une régularisation si l'assujetti n'envisage plus d'utiliser les biens et les services en question pour réaliser des opérations taxées en aval, ou s'il les utilise pour effectuer des opérations exonérées (art. 186, directive précitée et CJUE, 9 juillet 2020, HF c/ Finanzamt Neuenahr-Ahrweiler, aff. C-374/19).

Concernant les modalités de cette régularisation, le droit national (art. 207, annexe II du CGI) dispose d’abord, s'agissant des biens et services ne relevant pas de la qualification de biens d'investissement, que la régularisation prend la forme d'une obligation de reversement de la taxe déduite lorsque les biens et services dont l'acquisition avait donné lieu à déduction sont utilisés pour une opération qui n'est pas effectivement soumise à la taxe.

Ensuite, s'agissant des biens d'investissement, la régularisation est prévue sur une période de 5 ans à compter de l'acquisition ou de la première utilisation du bien, si elle est postérieure (ou par dérogation sur une période de 20 ans pour les immeubles), et prend la forme d'une obligation de reversement partiel égal au cinquième (ou par dérogation au vingtième) du produit de la taxe initiale par la différence entre le coefficient de déduction de l'année et le coefficient de déduction, si cette différence est négative. 

En l’espèce, était en jeu la taxation des hébergements meublés avec services que régit en particulier le b. du 4° de l’art. 261 D du CGI.

Le juge de cassation approuve entièrement la solution qu’avait retenue la cour administrative d’appel. En premier lieu, celle-ci est approuvée pour avoir jugé que le moyen soulevé par la société devant la cour, tiré de ce qu'elle avait déclaré avoir l'intention d'utiliser ces travaux pour les besoins d'une activité taxable d'hébergement avec services et que, dès lors que l'administration ne contestait pas la sincérité de cette intention, la déduction de la taxe à laquelle elle avait procédé lui était définitivement acquise au titre de la période en cause n'était pas inopérant. Ce jugeant, la cour n'a pas méconnu son office en annulant le jugement attaqué pour n'avoir pas répondu audit moyen.

Sur le fond, la cour est également approuvée en ce que, après avoir relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que la société avait déclaré son intention de réaliser une activité économique taxable d'hébergement meublé avec services et que cette intention n'était ni frauduleuse ni abusive, elle n'avait pas à rechercher, contrairement à ce qui était soutenu devant elle, si l'activité effectivement exercée était exonérée sur le fondement du 4° de l'article 261 D du CGI, dès lors que cette circonstance était sans incidence sur le bien-fondé de la déduction initiale à laquelle la société avait procédé et qui avait été remise en cause par l'administration, mais était seulement susceptible d'entraîner, pour la contribuable, l'obligation de régulariser cette déduction. 

(05 juillet 2023, ministre de l'économie, des finances…, n° 469778)

 

81 - Comptabilité non probante – Reconstitution du chiffre d’affaires par l’administration – Sommes figurant au compte courant du gérant considérées comme des recettes jugées dissimulées – Principe de séparation des patrimoines d’une société et de son gérant – Inopposabilité – Conditions – Rejet.

Le principe de la séparation existant entre le patrimoine d'une société et celui de son gérant, fait normalement obstacle à la confusion des patrimoines.

Toutefois, l’administration fiscale est fondée à considérer que l'enrichissement du gérant révèle l'existence de recettes dissimulées de la société que si sont cumulativement réunies les trois conditions suivantes : la comptabilité de la société doit être dépourvue de valeur probante, le gérant doit être regardé comme le seul maître de l'affaire et doivent exister des circonstances précises et concordantes, tirées du fonctionnement même de la société, permettant d'établir l'existence d'une confusion de patrimoines entre la société et son gérant.

La cour administrative d’appel est confirmée dans son opinion que si sont bien présentes en l’espèce les deux premières conditions la troisième fait défaut. Par suite, la société doit être regardée comme apportant la preuve de l'exagération des bases des impositions contestées. 

(05 juillet 2023, ministre de l'économie, des finances…, n° 469947)

 

82 - Joueur de poker professionnel – Imposition sur des revenus évalués d’office au titre des bénéfices non commerciaux – Manquement à l’obligation de déclaration de revenus – Gains réalisés avant un changement de la jurisprudence et de la doctrine fiscales – Simple erreur – Erreur de droit – Annulation.

L’administration fiscale, incarnation moderne de l’oncle Picsou, a estimé qu’un joueur de poker qui tire l’essentiel de ses revenus de la pratique de ce jeu de cartes devait être assujetti, à raison des bénéfices tirés de cette activité, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu par suite de l'évaluation d'office de ses bénéfices non commerciaux, le tout agrémenté, pour faire bonne mesure, d’une majoration d'assiette de 25 % (cf. 2° du 7 de l'art. 158 du CGI), d’une majoration de 80 % (cf. le c) du 1 de l'article 1728 du CGI) pour découverte d'une activité occulte et deux amendes sur le fondement du IV de l'article 1736 du même code.

Par un arrêt infirmatif la cour administrative d’appel a déchargé l’intéressé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la majoration pour activité occulte correspondante. Le ministre de l'économie, des finances … se pourvoit en cassation de cet arrêt en tant qu'il a déchargé l’intéressé de cette dernière majoration. 

Le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit par une motivation discutable.

La cour s’était fondée, pour justifier son annulation du jugement de rejet de la demande de l’intéressé, sur ce que son manquement déclaratif est antérieur aux évolutions jurisprudentielle (cf. C.E. 21 juin 2018, M. A., n° 412124) et doctrinale, survenues postérieurement aux années 2013 à 2015 en litige, qui ont estimé que les gains réalisés au poker étaient, dans certaines conditions, imposables à l'impôt sur le revenu. La solution est logique et raisonnable, elle n’est pourtant pas retenue par le juge de cassation selon qui « l'existence de l'obligation déclarative ressortait, depuis fin 2012, tant de plusieurs décisions définitives des juges du fond que des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BNC-CHAMP-10-30-40 ». S’il suffit de quelques décisions de juges du fond et de l’habituelle rapacité de l’administration dans l’interprétation des textes fiscaux pour faire la jurisprudence administrative cela se saurait… Et se saurait d’autant plus que c’est le plus souvent l’inverse qui se produit.

Naturellement, une fois ce constat fait, il ne reste plus au juge qu’à relever que notre joueur ne s’est pas acquitté des obligations qui étaient les siennes à raison de son « statut » « professionnel » : défaut de dépôt dans le délai légal des déclarations à souscrire, révélation de son activité à un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. C’est alors un jeu de punching ball où tous les coups sont permis : de ce seul fait est faite la preuve par l’administration de l'exercice occulte d’une activité professionnelle dès lors que le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. Sauf qu’il ignorait même être « contribuable »…

Belle partie de « poker menteur » où le trompeur n’est pas celui que l’on croit.

(05 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470936)

 

83 - Avis de droit - Conditions d’assujettissement des locations occasionnelles à la TVA – Cas du b. du 4° de l'article 261 D du CGI – Distinction selon le critère retenu (fournitures de certaines prestations ou concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières) – Réponse en ce sens.

La double question suivante était posée aux juges du Palais-Royal :

« Les dispositions du b. du 4° de l'article 261 D du CGI, en ce qu'elles subordonnent l'absence d'application de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée aux locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation, s'agissant des prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni à usage d'hébergement effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, à la réalisation d'au moins trois des prestations définies à ces dispositions, sont-elles compatibles avec les dispositions de l'art. 135 de la directive du 28 novembre 2006 ?

En cas de réponse négative à cette question, la fourniture de seulement une ou deux des prestations définies au b. du 4° de l'article 261 D du CGI suffit-elle pour considérer que l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée ne s'applique pas aux prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni à usage d'hébergement effectuées à titre onéreux et de manière habituelle ? »

A questions complexes réponse incertaine.

Le juge répond tout d’abord que la disposition litigieuse est incompatible avec les objectifs de l'art. 135 de la directive du 28 novembre 2006 en tant qu'elle subordonne la soumission à la TVA des activités de mise à disposition d'un local meublé ou garni à la condition que soient proposées au moins trois des quatre prestations accessoires qu'elle énumère (fourniture du petit-déjeuner, nettoyage régulier des locaux, fourniture du linge de maison et réception de la clientèle), dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements hôteliers.

Il précise ensuite que cette disposition est compatible avec les objectifs de l’art. 135 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA en tant qu'elle exclut de l'exonération de TVA qu'elles prévoient les activités se trouvant dans une situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières.

D’où cette indication (si l’on peut dire) donnée à l’administration selon laquelle il lui appartient d'apprécier au cas par cas si un établissement proposant une location de logements meublés, eu égard aux conditions dans lesquelles cette prestation est offerte, notamment la durée minimale du séjour et les prestations fournies en sus de l'hébergement, se trouve en situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières. 

Il n’est pas certain que la lanterne des juges soit très bien éclairée.

(05 juillet 2023, M. L., n° 471877)

 

84 - Comptable public d’une université – Mise en débet – Créances non recouvrées – Versements indus d’indemnités de formation continue à certains agents – Obligations et limites s’imposant au comptable dans l’exercice de sa mission – Rejet et annulation partiels.

Le comptable public requérant contestait les condamnations prononcées contre lui par la Cour des comptes, d’une part du chef de défauts de diligences adéquates complètes et rapides pour le recouvrement de créances admises en non-valeur et l'absence de contrôle de l'imputation des règlements reçus aux créances correspondantes et d’autre part, pour versements indus d’indemnités de formation continue à certains agents de l’université.

Statuant en cassation le Conseil d’État rejette le recours contre le premier chef de mise en débet et l’admet contre le second chef.

S’agissant du premier chef, la Cour a constitué le requérant débiteur de la somme de 115 709,67 euros, correspondant à certaines des créances qui avaient été admises en non-valeur par le conseil d’administration de l’université car elle a estimé que le comptable avait manqué à ses obligations, en ne se livrant pas à des diligences adéquates, complètes et rapides pour le recouvrement de ces créances et en ne procédant pas à l'imputation des règlements reçus aux créances correspondantes pour plus de cinquante d'entre elles.

Le Conseil d’État juge que la Cour des comptes, sur ce premier point, n’a pas commis d’erreur de droit car les diligences pour le recouvrement de créances auxquelles est tenu le comptable public, et dont l'insuffisance ou l'inaccomplissement est susceptible de constituer un manquement de celui-ci, recouvrent l'exacte imputation des règlements perçus aux créances correspondantes, cette diligence étant un préalable nécessaire pour déterminer si une créance a ou non été recouvrée et si elle doit ou non faire l'objet de diligences spécifiques pour son recouvrement.

Dès lors il s’ensuit que l'inexacte imputation des règlements perçus aux créances correspondantes est susceptible de constituer un manquement du comptable public si elle est à l'origine du non-recouvrement des créances. La correcte imputation des règlements reçus des débiteurs aux créances qui leur correspondent fait donc intégralement partie des diligences de recouvrement.

S’agissant du second chef de grief, le Conseil d’État reproche à la Cour des comptes d’avoir commis une erreur de droit en ce que, pour constituer le comptable débiteur du paiement d’indemnités de formation continue au président de l'université, à la directrice générale des services et aux comptables publics successifs, relevé que si le comptable disposait, pour tous les bénéficiaires d'indemnités de formation continue, d'arrêtés d'attribution et de certificats administratifs, il n'était pas contestable qu'au simple énoncé de la fonction qu'ils occupaient, ces agents assuraient nécessairement, au titre de leur activité principale respective, l'organisation ou la gestion administrative, comptable et financière des actions de formation continue de l'université, de sorte qu'ils ne pouvaient pas bénéficier de ces indemnités. En effet, en statuant ainsi, le juge des comptes a exigé du comptable qu'il exerce un contrôle de légalité sur les pièces justificatives fournies par l'ordonnateur, alors que celles-ci ne révélaient pas, par elles-mêmes, d'incohérence au regard de la catégorie de la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense engagée. Or un tel contrôle de la part du comptable contrevient aux dispositions limitatives des art. 19 et 20 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

(10 juillet 2023, M. A., n° 451534)

 

85 - Crédit d’impôt recherche - Aides versées pour les activités de recherche - Réception d’une prétendue subvention publique déductible du montant du crédit impôt recherche - Erreur de droit - Annulation.

L'organisation interprofessionnelle France bois forêt, reconnue par arrêté du 22 février 2008, association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901, a perçu au titre des années 2013 à 2014, des aides pour le financement d'opérations de recherche qui ont été versées par cette association à l'institut requérant lequel est un centre technique industriel au sens de l'article L. 521-1 du code de la recherche.

Ce dernier a sollicité le bénéfice d'un crédit d'impôt en faveur de la recherche à raison des dépenses engagées en matière de recherche et de développement au titre des années 2013 à 2015. Il a attaqué, en vain, devant le juge administratif, le refus qui lui a été opposé. Après cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du rejet de son recours, la cour administrative d’appel, statuant sur renvoi du Conseil d’État, a, à nouveau, rejeté son recours au motif que devait être regardée comme constituant une « subvention publique » au sens de l'art. 244 quater B du CGI, toute aide versée en vue ou en contrepartie d'un projet de recherche, provenant de l'utilisation de ressources perçues à titre obligatoire et sans contrepartie, que ces aides soient versées par une autorité administrative ou un organisme privé investi d'une mission de service public.

Le juge de cassation annule cet arrêt motif pris de ce que les aides versées à la requérante ne constituent pas au sens et pour l’application de l'article précité, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige, une « subvention publique » laquelle ne peut résulter que d’aides versées à raison d'opérations ouvrant droit au crédit d'impôt par une personne morale de droit public. 

La cour a ainsi commis une erreur de droit car l'organisation interprofessionnelle France bois forêt est une association à but non lucratif non une personne morale de droit public. Par suite, les aides en litige n'avaient pas à être déduites, sur le fondement de ces dispositions, des bases de calcul du crédit d'impôt que l'institut a sollicité au titre des années 2013 et 2014. Dès lors, l'institut FCBA est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a refusé de lui accorder le bénéfice du crédit d'impôt en faveur de la recherche afférent à ces deux années correspondant à la prise en compte des sommes versées par France bois forêt dans l'assiette de ce crédit d'impôt.

(12 juillet 2023, Institut technologique FCBA (forêt, cellulose, bois-construction, ameublement), n° 463363)

(86) V. aussi, jugeant, en premier lieu, que lorsqu'une entreprise confie à un organisme mentionné au d ou au d bis du II de l'art. 244 quater B du CGI, l'exécution de prestations nécessaires à la réalisation d'opérations de recherche qu'elle mène, les dépenses correspondantes peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de son crédit d'impôt, quand bien même les prestations sous-traitées à cet organisme feraient l'objet d'un paiement direct à celui-ci par le cocontractant de l'entreprise donneuse d'ordre. En second lieu, il est jugé résulter des dispositions du I de l'art. 236 du CGI, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 9 juillet 1984 sur le développement de l'initiative économique, que le législateur a entendu aligner le traitement fiscal des dépenses de fonctionnement exposées au titre d'opérations de recherche scientifique ou technique sur la règle comptable. Ainsi, l'option prévue par le I de l'art. 236 précité est, conformément au principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l'art. L. 123-17 du code de commerce, irréversible sauf changement exceptionnel de situation du contribuable ou modification des règles comptables, et doit s'exercer pour l'ensemble des dépenses des projets de recherche de l'entreprise qui satisfont aux critères prévus à l'art. R. 123-186 du code de commerce. C’est donc au prix d’une erreur de droit que l’arrêt d’appel attaqué qui, après avoir relevé que la circonstance que la société Cap 2020 Consult avait inscrit en immobilisations les dépenses de développement exposées au titre de divers projets de recherche révélait une décision d'option en faveur de l'activation de ces dépenses, juge que cette circonstance faisait obstacle à ce que, pour ce dernier projet, elle inscrive par ailleurs en charges des dépenses de recherche dites de sous-traitance, sans rechercher si ce dernier projet satisfaisait aux critères d'immobilisation prévus par l'art. R. 123-186 précité du code de commerce. L’arrêt est cassé : 26 juillet 2023, Société Cap 2000 Consult, n° 466493.

 

87 - Vérification de comptabilité - Rehaussements d’imposition sur les sociétés et de TVA - Conclusion d’une transaction - Cessation de la procédure contradictoire - Défaut d’exécution sans effet - Rejet.

Accentuant et développant une jurisprudence inaugurée en matière de transaction portant sur des sanctions (10 août 2005, ministre de l'économie, des finances …, n° 269885), le juge décide que la conclusion d'une transaction avec l'administration fiscale, par laquelle le contribuable donne son accord aux rehaussements de base notifiés, met fin à la procédure contradictoire sans que celle-ci puisse être rouverte par le défaut d'exécution de la transaction par le fait du contribuable.

La solution est tout à fait conforme à la nature et à l’objet de la transaction.

(12 juillet 2023, Société New Asia, n° 463709)

 

88 - Procédure fiscale non contentieuse - Proposition de rectification des bases d’imposition - Notification à la dernière adresse connue de l’administration - Notification d’une nouvelle adresse avant la date d’envoi du pli et reçue par l’administration après cet envoi - Marche à suivre - Annulation.

L’administration doit notifier sa proposition de rectification des bases de l’impôt à la dernière adresse qui lui a été communiquée par le contribuable aux fins d'y recevoir ses courriers et connue par elle à la date d'envoi du pli contenant la proposition de rectification. 

Dans le cas où, comme en l’espèce, par un courrier envoyé avant la date de présentation du pli contenant la proposition de rectification à la dernière adresse connue et reçu par l'administration fiscale après la date d'envoi de ce pli, le contribuable informe l'administration fiscale de son changement d'adresse, la proposition de rectification doit être de nouveau notifiée à la nouvelle adresse communiquée par le contribuable, à moins que celui-ci ait eu connaissance, en temps utile, de la proposition notifiée à son ancienne adresse.

Cette nouvelle notification est sans incidence sur la date d'interruption de la prescription qui est celle de présentation du pli contenant la proposition de rectification à la dernière adresse connue à la date d'envoi de ce pli. 

Doit donc être annulé pour erreur de droit l’arrêt qui, pour déterminer la dernière adresse connue de l'administration fiscale et apprécier si l'exercice de son droit de reprise était prescrit, se place à la date de présentation du pli contenant la proposition de rectification et non pas à la date d'envoi de ce pli. 

(12 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465351)

 

89 - Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Organisme agissant en tant qu'autorité publique - Soumission à la taxe sur les salaires - Tarification administrée des prestations - Non assujettissement à la TVA - Rejet.

L’établissement requérant a demandé la restitution partielle de la taxe sur les salaires acquittée au titre de l'année 2018, et revendiqué l'assujettissement à la TVA de ses prestations d'hébergement et d'assistance aux personnes âgées dépendantes.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt par lequel, sur appel du ministre des finances, la cour administrative d’appel a annulé le jugement qui a prononcé la restitution de la taxe sur les salaires qu’il avait demandée.

Tout d’abord, c’est sans erreur de droit ni inexacte qualification juridique des faits que la cour a jugé que l'activité de l'établissement « Le Parc et l'Ostal de Garona » était exercée, en ce qui concerne l'ensemble des prestations d'hébergement, par un organisme agissant en tant qu'autorité publique conformément aux dispositions de l’art. 256 B du CGI dès lors que doit être regardée comme une activité effectuée en tant qu'autorité publique le service social d'hébergement des personnes âgées dans des structures publiques. Dans le cadre de ce service d'hébergement, les prestations étroitement liées à l'aide sociale, au sens de ces dispositions de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, s'entendent, contrairement à ce que soutient l'EHPAD requérant, outre de l'accueil hôtelier, des prestations d'administration, de restauration, de blanchissage et d'animation, lesquelles sont au nombre des prestations minimales d'hébergement définies par le décret auquel renvoie l'article L. 314-2 du code de l'action sociale et des familles.

Ensuite, eu égard à leur caractère social les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à caractère public qui sont habilités à accueillir entièrement ou principalement des personnes âgées à faibles ressources, sont soumis en principe à une tarification administrée de leurs prestations d'hébergement.

En outre, un opérateur privé exerçant cette activité à titre lucratif, libre de choisir sa clientèle et, par suite, de fixer ses tarifs en conséquence, ne saurait être empêché d'entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la TVA qui lui permet, à la différence d'un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d'obtenir le remboursement de l'excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes.

Cette même activité exercée sans but lucratif par un opérateur privé est exonérée de la TVA en vertu du b du 1° du 7 de l'art. 261 du CGI.

La cour administrative d’appel n'a ni commis une erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique en jugeant que le non-assujettissement à la TVA de l'établissement public requérant, dont il n'est pas contesté qu'il est habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement pour la totalité des places qu'il offre et qui présente ainsi un caractère social, n'était pas susceptible de conduire à des distorsions dans les conditions de la concurrence au sens et pour l'application de l'art. 256 B précité du CGI, lu à la lumière des dispositions de la directive du 28 novembre 2006 qu'il a pour objet de transposer.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, la cour n'avait pas à examiner si le non-assujettissement à la TVA de l'EHPAD était susceptible de le désavantager, ni à prendre en compte le nombre de ses résidents bénéficiant effectivement de l'aide sociale à l'hébergement.  

(12 juillet 2023, EHPAD « Le Parc et l'Ostal de Garona », n° 466171)

(90) V. aussi, identiques : 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466564 et 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466566.

(91) V. également, identique : 12 juillet 2023, EHPAD « Le Jardin d'Emilie », n°466809.

(92) V. encore, s’agissant du rejet de la demande d’annulation du jugement refusant à l’un des EHPAD ci-dessus, le remboursement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, dès lors qu'un établissement public n'est pas passible de l'impôt sur les sociétés si le service qu'il gère ne relève pas, eu égard à son objet ou, à défaut, aux conditions particulières dans lesquelles il est géré, d'une exploitation à caractère lucratif et qu’il en va ainsi en l’espèce où l’établissement demandeur est géré dans des conditions particulières de nature à faire regarder son exploitation comme non lucrative car ses services sont destinés à un public ne pouvant accéder aux prestations offertes par les entreprises commerciales et dont les tarifs sont, à cet effet, soit inférieurs à ceux du secteur concurrentiel, compte tenu de l'incidence des impôts commerciaux supportés par ce dernier, soit modulés en fonction de la situation des bénéficiaires sans qu'aient d'incidence les circonstances, qu'un cinquième seulement de ses résidents bénéficiaient effectivement de l'aide sociale et qu'il emploierait des méthodes de prospection comparables à celles des EHPAD du secteur privé lucratif : 12 juillet 2023, « Le Parc et l'Ostal de Garona », n° 467919.

 

93 - Plus-value réalisée par une personne physique - Apport à une société soumise à un régime réel d'imposition d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité - Report d'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables - Impôt acquitté par le bénéficiaire de la transmission lors de la  cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations - Refus de transmission d’une QPC.

Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus du ministre des finances d'abroger les paragraphes nos 110 à 170 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-BIC-PVMV-40-20-30-20, en ce qu’ils réitèrent les dispositions du premier alinéa du a du I de l'art 151 octies du CGI, la requérante soulève une QPC à l’encontre de cette disposition législative.

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question au juge constitutionnel.

Par cette disposition, issue de l'article 16 de la loi du 29 décembre 1989 de finances rectificative pour 1989, le législateur a voulu maintenir un mécanisme de report d'imposition visant à favoriser certaines restructurations d'entreprises en évitant que les contribuables ne soient contraints de vendre une partie des titres dont ils disposent à l'issue de ces opérations pour acquitter des impositions sur les plus-values qu'ils réalisent et ainsi de ne pas faire obstacle à la transmission des patrimoines professionnels. A donc été institué un système offrant la possibilité, en cas de transmission à titre gratuit de droits sociaux grevés de plus-values d'apport en société de biens non amortissables auparavant affectés à l'exercice d'une activité sous une forme individuelle placées en report d'imposition, d'un maintien du bénéfice de ce report subordonné à la condition que le bénéficiaire de la transmission prenne l'engagement d'acquitter l'impôt sur ces plus-values à la date à laquelle interviendra la cession, le rachat ou l'annulation de ses droits, ou la cession par la société bénéficiaire de l'apport des biens non amortissables apportés. 

La requérante soutient qu'en organisant l'imposition entre les mains du donataire de plus-values placées en report d'imposition à la suite d'une opération d'apport réalisée par le donateur, sans prévoir d'atténuation de cette imposition par l'effet de l'écoulement du temps, le législateur, par ce premier alinéa du a du I de l'art. 151 octies précité, aurait fait peser, sans limitation de durée, sur le donataire une imposition liée uniquement à l'enrichissement du donateur à raison de ces plus-values réalisées antérieurement au transfert de propriété des droits sociaux et par suite sans lien avec ses facultés contributives, méconnaissant ainsi les exigences de l’art. 13 de la Déclaration de 1789 selon lequel la contribution commune doit être répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Cette argumentation est rejetée car selon le juge le transfert de l'obligation d'acquitter l'imposition sur les plus-values en report prévu par les dispositions litigieuses est subordonné à l'accord du donataire ou de l'héritier, lequel dispose en outre, au moment où il exprime son accord, d'une connaissance exacte du montant et des modalités de paiement de l'imposition en report grevant les droits sociaux dont il accepte la transmission à titre gratuit. Un tel transfert ne saurait, dans ces conditions, être regardé comme faisant peser sur le donataire une charge fiscale excédant ses facultés contributives.

Le raisonnement repose sur un biais : suffit-il de l’accord du contribuable à celle-ci pour qu’une charge fiscale soit dite n’excédant pas les facultés contributives ? La réponse nous semble devoir être négative car la notion de « facultés contributives » est de nature purement objective alors que l’acceptation par un contribuable donné dans des circonstances données d’une certaine charge fiscale est purement subjective et peut d’ailleurs être, de ce fait, contrainte et non libre.

(12 juillet 2023, Mme A., n° 474529)

 

94 - Taxe foncière - Valeur locative des immobilisations corporelles en cas de cession, scission, apport entre deux sociétés interdépendantes ou dépendantes d’une même troisième - Volonté de prémunir les finances locales contre la réduction des bases d’imposition - Absence d’inconstitutionnalité - Notions de société contrôlée et de sociétés agissant de concert - Rejet.

Soucieux de prémunir les finances des collectivités territoriales contre la réduction des bases d'imposition permise par la transmission d'immobilisations corporelles, le législateur a prévu (11ème et 12ème alinéas de l’art. 1518 B du CGI, issu de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011), pour prévenir l'optimisation fiscale susceptible d'en découler, le maintien de la valeur locative des immobilisations transmises lorsque cette transmission est réalisée entre entreprises qui ne sont pas indépendantes entre elles à raison du contrôle exercé par l'une sur l'autre ou sur les deux par une tierce entreprise. Ainsi, pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2011, la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure à son montant avant l'opération lorsque, directement ou indirectement, l'entreprise cessionnaire ou bénéficiaire de l'apport contrôle l'entreprise cédante, apportée ou scindée, ou est contrôlée par elle, ou ces deux entreprises sont contrôlées par la même entreprise. 

En l’espèce, la société par actions simplifiée ArianeGroup, créée en 2015 par les sociétés Safran SA et Airbus SE, qui détiennent chacune 50 % des droits de vote attachés à ses actions, en vue de réorganiser la filière européenne des lanceurs spatiaux civils et militaires, exerce une activité de construction aéronautique et spatiale, notamment dans un établissement situé à Vernon dont la propriété lui a été transférée par la société Safran Aircraft Engines, contrôlée par Safran SA, le 30 juin 2016, à l'occasion d'une opération d'apport partiel d'actifs.

ArianeGroup a demandé en vain la réduction des cotisations de taxe foncière mises à sa charge pour l'année 2017, d'une part, et les années 2018 et 2019, d'autre part. Elle se pourvoit en cassation de deux jugements par lesquels le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes.

A l’appui de son pourvoi elle soulève, par voie de QPC, l’inconstitutionnalité des dispositions des deux alinéas précités de l’art. 1518 B du CGI au motif qu’ils portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en ne permettant pas au contribuable d'apporter la preuve que l'opération effectuée ne poursuit pas un but exclusivement fiscal.

Le pourvoi est rejeté au terme d’un raisonnement qui laisse à désirer dans la mesure où il comporte une extrapolation qui peut être discutée et, ensuite, une contradiction interne.

En effet, selon le juge du Palais-Royal, en premier lieu, bien que les dispositions litigieuses n’évoquent que deux cas de « gel » automatique du montant de la taxe foncière, celui où l’une des deux sociétés, cédante et cessionnaire ou apporteuse et bénéficiaire ou issues d’une scission exerce sur l’autre un contrôle exclusif, et celui où une même troisième société exerce un contrôle sur les deux autres, il y aurait lieu, par subordination au droit commercial (III de l’art. L 233-3 du code de commerce, selon lequel « deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ») du droit fiscal, il y a lieu d’étendre leur application au cas où existe un contrôle conjoint avec une autre entreprise. Cette extrapolation du champ d’application de la loi fiscale au moyen d’une disposition non fiscale ne poursuivant pas du tout le même but, peut surprendre.

En second lieu, le juge, après avoir énoncé que la règle en cause a été édictée « pour prévenir l'optimisation fiscale » nuisible aux finances des collectivités territoriales du fait de la réduction des bases d'imposition permise par la transmission d'immobilisations corporelles, refuse de considérer - comme soutenu par la requérante - que du fait de la présomption irréfragable ne permettant pas au contribuable d'apporter la preuve que l'opération effectuée ne poursuit pas un but exclusivement fiscal, il y a là une atteinte aux droits et libertés que garantit la Constitution. En effet, de deux choses l’une : ou bien l’optimisation fiscale contre laquelle lutte la disposition litigieuse peut être controuvée, et il n’y a alors pas de problème juridique, ou bien l’optimisation ne peut pas être discutée, par exemple en démontrant que l’opération ne poursuit pas un but fiscal mais un tout autre but, légitime, et, en ce cas, l’inconstitutionnalité résulte directement du caractère irréfragable de la règle. On ne saurait se contenter de l’affirmation ex abrupto que : « Enfin, compte tenu de leur objet, rappelé ci-dessus, ces dispositions ne peuvent être regardées comme instituant une présomption de fraude ou d'évasion fiscale » d’autant, que l’on sache, que l’optimisation fiscale n’a pas la gravité d’une fraude ou d’une évasion fiscale…

(13 juillet 2023, SAS ArianeGroup, n° 460743 et n° 460744)

 

95 - Salarié - Versement d’une indemnité transactionnelle - Caractère imposable - Rejet.

Le requérant conteste l’arrêt infirmatif par lequel une cour administrative d’appel a jugé imposable l’indemnité transactionnelle versée à un salarié par son employeur. Le pourvoi est rejeté, confirmant entièrement la solution de cette dernière.

La cour n’a pas commis d’erreur de droit en rappelant que l’imposition ayant été établie sur la base des déclarations du contribuable, il lui incombait d'établir le bien-fondé de ses prétentions en démontrant le caractère non-imposable de l'indemnité en litige (cf. art. R. 194-1 LPF).

C’est sans méconnaître les dispositions de l’art. 80 duodecies du CGI que la cour a jugé que la transaction conclue entre le salarié et son ancien employeur ne trouvant pas sa cause dans la rupture du contrat de travail de l'intéressé mais ayant pour objet de régler un litige relatif aux conditions d'exécution de son contrat, la somme versée en vertu de cette transaction n’avait pas pour objet de compenser un préjudice autre que celui résultant d'une perte de revenu, condition sine qua non du caractère non-imposable de l'indemnité en cause.

C’est pareillement sans erreur de droit ni dénaturation que la cour a estimé que le requérant ne pouvait être regardé comme justifiant que le versement de cette somme aurait, fût-ce pour partie, correspondu à la réparation d'un préjudice autre qu'une perte de revenus dès lors qu’il s’est borné à faire valoir que l'indemnité litigieuse lui aurait été versée par son ancien employeur à titre transactionnel en vue d'éviter qu'il n'introduise contre lui l'action contentieuse qu'auraient appelée les conditions, selon lui défectueuses, d'exécution de son contrat de travail. Ainsi, cette somme revêtait un caractère imposable.

Semblablement, c’est sans erreur de droit ou de qualification juridique des faits que la cour a jugé n’être pas invocable par le demandeur le quatrième alinéa de l'article 80 précité du CGI dont les dispositions ne sont relatives qu’aux conditions d'imposition des indemnités ayant pour objet de réparer un préjudice moral.

(18 juillet 2023, M. B., n° 468125)

(96) V. aussi, identique : 18 juillet 2023, M. B., n° 467512.

 

97 - Demande de réduction d’impôts et taxes - Disposition du CGI (art. 223 B) ne permettant pas la neutralisation de la quote-part des frais et charges réintégrés - Produits de participation provenant de filiales établies dans un autre État de l’Union européenne que la France - Disposition jugée contraire à l’art. 49 du TFUE par la CJUE - Rejet.

Dès lors qu’il résulte d’un arrêt de la CJUE (11 mai 2023, Manitou BF SA et Bricolage investissement France SA, aff. C-407/22 et C-408/22) que le I de l’art. 223 B du CGI est incompatible avec les stipulations de l’art. 49 du TFUE, c’est sans erreur de droit ni qualification erronée des faits qu’une cour administrative d’appel en écarte l’application.

En l’espèce la cour a donc jugé que la société Bricolage Investissement France, demanderesse, était fondée à soutenir, à l'appui de sa demande tendant à la réduction des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, que l'article 223 B du CGI méconnaissait la liberté d'établissement en tant qu'il ne prévoyait pas la possibilité de neutraliser la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des produits de participations en provenance de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France satisfaisant aux critères d'éligibilité au régime d'intégration fiscale, y compris dans l'hypothèse où cette société mère, en dépit de l'existence de liens capitalistiques avec d'autres sociétés françaises permettant la constitution d'un groupe fiscal intégré, n'appartenait pas à un tel groupe.

(18 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 458379)

(98) V. aussi, identique : 18 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 454107.

 

99 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères - Illégalité de la fixation du taux de la taxe au titre d’une année - Possibilité, sous condition, de retenir le taux de l’année précédente - Annulation.

Rappel de ce que lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l'année en litige, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher s'il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l'année précédente. Tel n'est pas le cas lorsque le taux de l'année précédente est manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimées au titre de l'année en litige.

Annulation, ici, du jugement qui estimant que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères fixé au titre de l'année 2016 s'élevait à 8,83 % et était ainsi plus élevé que celui fixé au titre de l'année 2017 qui s'élevait, d'après le tribunal, à 8,69 %, écarte la demande de substitution présentée par l'administration fiscale sur le fondement des dispositions du III de l'art. 1639 A du CGI, alors qu’il ressort des pièces du dossier que les taux votés pour les années 2016 et 2017 s'élevaient respectivement à 7,81 % et 7,88 %. 

(24 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 448161)

 

100 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cotisation foncière des entreprises - Exonération - Conditions - Erreur de droit - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté son recours contre la décision de l'administration qui a révisé la valeur locative des biens de l’entreprise et l’a assujettie à des cotisations supplémentaires de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2015, 2016 et 2017 et de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2016 et 2017.

La requérante prétendait au bénéfice des dispositions de l’exonération de ces impôts prévue au 11° de l'article 1382 du CGI.

Le Conseil d’État annule le jugement querellé en ce qu’il repose sur une erreur de droit. En effet, il résulte de la disposition précitée que sont exonérés de cette taxe ceux des biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'art. 1499 du CGI, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui, enfin, ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'art. 1381 de ce code. Or le tribunal, pour rejeter la requête dont il était saisi, s'est fondé sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction, ni n'était au demeurant soutenu que ces biens étaient dissociables des immeubles les accueillant alors qu'il lui appartenait seulement de rechercher s'ils étaient spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel au sens de l'art. 1499 précité, sans être au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'art. 1381 du même code.

(24 juillet 2023, Société D'Aucy Locminé, venant aux droits de la société Union Fermière Morbihannaise, n° 468906)

 

101 - Droit fiscal néo-calédonien - Taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers - Majoration pour manquement délibéré - QPC - Rejet.

La Société de Développement du Pacifique Sud (SDPS) a demandé au tribunal administratif de prononcer la décharge, en droits et majorations, des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers mis à sa charge au titre de l'année 2015 et de l'amende prévue au II de l'art. Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie qui lui a été infligée au titre des exercices 2015 à 2017, ainsi que le remboursement des sommes engagées pour l'obtention d'une garantie bancaire à l'appui du sursis du paiement. Cette demande a été rejetée tandis que la cour administrative d'appel de Paris a, d’une part, refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par cette société, d’autre part, déchargé la société SDPS de l'amende infligée au titre de l'année 2015 et ramené à 2 % le taux de l'amende infligée au titre de l'année 2016, déchargeant ainsi la société de l'amende lui ayant été infligée au titre de l'année 2016 à concurrence de la réduction prononcée. La cour a réformé le jugement en ce qu'il était contraire à cet arrêt et rejeté le surplus de la requête. 

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois dirigés contre cet arrêt : le gouvernement de Nouvelle-Calédonie conteste l’arrêt en tant qu'il a statué sur l'application de l'amende prévue au II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie ; les deux pourvois débattent de la QPC ainsi que de la partie de l’arrêt qui a prononcé, pour 2015, une décharge totale et, pour 2016, une décharge partielle de l’amende et, enfin, des conclusions de la SDPS relatives à la demande de décharge des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers au titre de l'année 2015.

 

I - Sur la QPC dirigée contre l'amende prévue au II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie


La société SDPS conteste sur ce point le refus de transmettre au Conseil d'État la QPC relative au II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie qu’elle avait soulevée en appel car elle soutient que ces dispositions méconnaissent les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789. La demande est rejetée en considération de ce que le but poursuivi par cette obligation de déclaration est de permettre à l'administration fiscale de procéder à des recoupements aux fins de contrôle du respect de leurs obligations fiscales par les intéressés poursuivant ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

La fixation du montant de l’amende en fonction des sommes versées est en lien avec la nature de l'infraction et proportionnée à la gravité des manquements réprimés, d’autant que les taux retenus, fixés à 2 % en cas de première infraction et à 10 % les années suivantes, qui tiennent compte de la réitération des manquements sanctionnés, ne sont pas manifestement disproportionnés.

Au reste, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge de l'impôt décide dans chaque cas soit de maintenir l'amende infligée, soit d'en prononcer la décharge ou d'en réduire le quantum. La transmission de la QPC est refusée.

 
II - Sur les conclusions des deux pourvois dirigées contre l'arrêt prononçant les décharges, totale pour 2015, partielle pour 2016, de l'amende susindiquée

 

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie demande, lui, l'annulation des décharges totale et partielle tandis que la société SPDS demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à la décharge totale de l'amende pour les années 2016 et 2017.
Il est jugé en premier lieu que la société SDPS n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait inexactement qualifié les faits de l'espèce en estimant que l'amende qui lui a été infligée n'était pas disproportionnée. Ses conclusions doivent, par suite, être rejetées.

Il est jugé, en second lieu, que la cour a commis deux erreurs de droit :

- d’abord en prononçant la décharge totale de l'amende due au titre de l'exercice clos en 2015 car elle n’a pas recherché si la règle d'application immédiate de la loi répressive nouvelle plus douce rendait applicable le II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, en appréciant la sévérité de cette sanction, pour l'exercice en cause, au regard de celle prévue par l'article 156 ;

- ensuite, en jugeant que le taux de l'amende dont était redevable la société SDPS devait être fixé à 2 % et non à 10 % pour l'exercice clos en 2016 et en accordant la décharge partielle à ce titre alors qu'elle avait relevé que la société avait déjà commis le même manquement en 2015.

III- Sur les conclusions du pourvoi de la société SDPS dirigées contre le rejet de sa demande de décharge des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers au titre de l'année 2015

 

Le Conseil d’État rejette l’argumentation de la société qui, alors que son établissement était classé trois étoiles, revendiquait qu’il le soit pour deux étoiles, le taux de la taxe provinciale étant assis sur le nombre d’étoiles, avait d’autorité appliqué elle-même ce « classement » alors qu’elle n’avait pas formé de recours en excès de pouvoir à l'encontre des refus réitérés opposés par la province Sud à ses demandes de déclassement et en dépit de ce que l'hôtel qu'elle exploitait continuait à relever de l'arrêté de classement en tant qu'hôtel de tourisme de catégorie trois étoiles, cet arrêté n'ayant pas été modifié et la société n'ayant fait l'objet d'aucune décision implicite de déclassement. La cour administrative d’appel n’a donc ni refusé à tort de prononcer la décharge des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers mis à sa charge au titre de l'année 2015, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce en considérant établi, pour l'application de la majoration de 40 % prévue au 2° de l'art. 1054 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, le caractère intentionnel du manquement de la société SDPS.

(24 juillet 2023, gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 465099 ; Société de Développement du Pacifique Sud (SDPS), n° 465771, jonction)

 

102 - Impôts sur les sociétés - Déductibilité du bénéfice net d’un abandon de créance consenti à une filiale - Abandon constituant une aide à caractère commercial - Abandon de créance prétendu n’être qu’à caractère financier - Absence de réalisation d’un chiffre d’affaires - Erreur de droit - Annulation.

La société RT2i prétendait déductible du résultat net imposable un abandon de créance qu’elle avait consenti au profit de sa filiale et qu’elle prétendait être de caractère commercial et donc déductible selon les termes du 13 de l’art.39 du CGI.

Elle a demandé en vain, au tribunal administratif puis à la cour administrative d’appel de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014 ainsi que des pénalités correspondantes.

Elle se pourvoit en cassation et le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel déféré à sa censure.

En effet, pour écarter l’argumentation de la requérante la cour a retenu que si la convention conclue avec la filiale prévoyait que les perfectionnements pouvant être apportés au savoir-faire demeureraient la propriété exclusive du concédant, il en ressortait également l'absence de rémunération en contrepartie du droit consenti à la filiale d'utiliser le procédé RT2i, ce qui, selon la cour, révélait l'absence de relation commerciale entre les deux sociétés. Elle a également retenu que si la société requérante avait vocation à se voir délivrer, par sa filiale, tous les perfectionnements apportés par cette dernière à la technologie RT2i, et à les réutiliser dans le cadre de sa propre activité « composite », cette activité n'avait généré aucun chiffre d'affaires au cours de la période 2011-2014 et n'avait connu de développement qu'au cours des années ultérieures, ce qui attestait également l'absence d'une relation commerciale entre les deux sociétés.

Le Conseil d’État est à la cassation car la circonstance qu'une aide soit motivée par le développement d'une activité qui, à la date d'octroi de cette aide, n'a permis la réalisation d'aucun chiffre d'affaires est néanmoins susceptible de conférer à l'aide un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité n'apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles.

Cette solution doit être approuvée pour son bon sens et son réalisme.

(26 juillet 2023, Société Lamaï venant aux droits de la société RT2i, n° 463846)

 

103 - Impôt sur les sociétés - Contribution sociale sur cet impôt - Notion de chiffre d’affaires (art. 235 ter ZC du CGI) - Détention de participations dans des sociétés à caractère immobilier - Rejet.

La société de droit néerlandais Mayapan, a détenu plusieurs sociétés exploitant des immeubles situés en France. Elle a demandé la décharge de la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés, assortie d'une majoration de 5 %, à laquelle elle a été soumise.

Elle se pourvoit en cassation du rejet de sa requête en première instance et en appel. Son pourvoi est rejeté.

L'art. 235 ter ZC du CGI dispose : « I.- Les redevables de l'impôt sur les sociétés sont assujettis à une contribution sociale égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés aux I et IV de l'art. 219 et diminué d'un abattement qui ne peut excéder 763 000 euros par période de douze mois. (...).

Sont exonérés les redevables ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 7 630 000 euros. Le chiffre d'affaires à prendre en compte s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d'un groupe mentionné à l'art. 223 A, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe. Le capital des sociétés, entièrement libéré, doit être détenu de manière continue, pour 75 % au moins, par des personnes physiques ou par une société répondant aux mêmes conditions dont le capital est détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques. (...) ».

Le Conseil d’État interprète largement ces dispositions en décidant - ce qui n’allait pas forcément de soi - que le chiffre d'affaires auquel elles font référence « s'entend du montant des recettes tirées de l'ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle normale et courante, y compris, le cas échéant, eu égard à son modèle économique, les produits financiers. »

Confirmant l’arrêt d’appel, le juge de cassation relève d’abord que, durant les années en cause, la société Mayapan avait eu pour seule activité la détention de participations dans des sociétés à objet immobilier situées en France, et l'octroi à celles-ci de prêts, lesquels produisaient des intérêts dont la perception constituait pour la société l'une des modalités courantes et normales de poursuite du profit, caractérisant son modèle économique. C’est donc sans erreur de droit, que les produits financiers résultant de ces prêts ont été jugés comme faisant partie de son chiffre d'affaires.

Il juge ensuite que les revenus d'intérêts versés à la société Mayapan, au titre des prêts mentionnés aux sociétés susindiquées s’étant élevés à respectivement 13 986 762 et 15 071 111 euros au titre des exercices clos en 2013 et 2015, la société Mayapan ne peut soutenir que, pour constater que la condition de chiffre d'affaires posée par les dispositions de l'art. 235 ter ZC du CGI n'était pas remplie, la cour aurait confondu ses propres résultats avec les revenus immobiliers des sociétés de personnes qu'elle détenait.

(26 juillet 2023, Société Mayapan, n° 466200)

 

104 - Crédit d’impôt au bénéfice de créateurs de jeux vidéo - Régime - Délai maximal de trente-six mois pour l’obtention d’un agrément définitif - Durée très difficile à respecter - Refus de transmission d’une QPC.

Le CGI a prévu au bénéfice des créateurs de jeux vidéo, à diverses conditions, un crédit d’impôt (cf. art. 220 terdecies du CGI) sous réserve, notamment, de l’obtention d’un agrément provisoire puis d’un agrément définitif dans les trente-six mois (ou soixante-douze mois lorsque le coût de développement est supérieur à dix millions d’euros) qui suivent, faute de quoi le bénéficiaire doit reverser ce crédit d’impôt (cf. art. 220 X CGI).

La requérante a demandé, d’une part, la suspension de la décision par laquelle le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) lui a refusé l'octroi de l'agrément définitif pour le jeu « Tau station » au titre du crédit d'impôt en faveur des créateurs de jeux vidéo et d’autre part, qu’il soit fait injonction au CNC de lui accorder cet agrément. Le juge des référés ayant rejeté ces demandes, la société s’est pourvue en cassation, puis, par mémoire distinct, a soulevé une QPC dirigée contre l’art. 220 X du CGI fixant un délai de trente-six mois maximum entre l’obtention de l’agrément provisoire et celle de l’agrément définitif pour pouvoir conserver le bénéfice du crédit d’impôt institué à l’art. 220 terdecies précité du CGI.

La transmission de cette QPC est refusée car il est jugé qu’il appartient au demandeur du crédit d’impôt de s’organiser en conséquence, même s’il estime extrêmement difficile - sans réellement le démontrer - le respect de ce délai, et à l’administration de prendre sa décision dans un délai raisonnable. Il eût été, nous semble-t-il, plus simple et plus normal de fixer un délai maximal pour saisir l’administration afin d’éviter d’artificielles complications infinies. Cependant, même si ces précisions seraient les bienvenues elles ne relèvent pas du domaine de la loi précise le juge. Enfin, en toute hypothèse, il est loisible à l’intéressée de saisir le juge administratif, y compris des référés, du refus d’agrément définitif.

(04 août 2023, SAS Makes Dreams Happen, n° 474456)

 

Droit public de l'économie - Énergie - Régulation

 

105 - Droit de la concurrence – Autorisation d’une concentration aval de la distribution de produits alimentaires – Délimitation des marchés pertinents – Analyse concurrentielle sur le marché aval de la distribution au détail de produits principalement alimentaires – Dépendance des distributeurs sur la partie amont de ce marché - Analyse de l’existence d’un marché de la distribution généraliste – Prise d’engagements sur les différentes formes de marchés aval (produits alimentaires, livres) – Risques de dépendance économique des fournisseurs et de verrouillage de la distribution en gros – Rejet.

Par trois décisions, n° 20-DCC-69 du 19 mai 2020 relative au rachat par les sociétés Aram Financial et Victor Bellier Participation de quatre magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, n° 20-DCC-72 du 26 mai 2020 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Vindémia Group par la société Groupe Bernard Hayot (GBH) et n° 20-DCC-74 du 26 mai 2020 relative à la prise de contrôle par la société Ah-Tak de deux magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, l'Autorité de la concurrence a autorisé ces rachats ou prises de contrôle, ce sont les décisions attaquées au principal. A titre subsidiaire, est demandée l’annulation de la décision précitée n° 20-DCC-72 du 26 mai 2020 en tant qu'elle ne comporterait pas d'engagements suffisants pour prévenir l'effet anticoncurrentiel de l'opération de concentration sur le marché aval de la distribution au détail de produits alimentaires et sur le marché local de l'approvisionnement en produits à dominante alimentaire.

Les requêtes sont rejetées au terme d’un examen particulièrement fin des analyses et vérifications auxquelles a procédé l’Autorité de la concurrence.

Au préalable, il est jugé que si les tiers ne peuvent utilement critiquer la régularité du choix de cette Autorité de prendre une décision d'autorisation assortie d'engagements pris par les parties, sans recourir à la procédure d'examen approfondi prévue aux art. L. 430-6 et suivants du code de commerce, ils peuvent, en revanche, s'ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir et s'ils estiment que cette décision porte atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte, en contester le bien-fondé.

Examinant ensuite les différents griefs, le juge les rejette en relevant que c’est sans erreur de droit et/ou de fait que l’Autorité de la concurrence a délimité les marchés pertinents et procédé à l’analyse des risques concurrentiels à Mayotte et à La Réunion.

En outre, les requérantes ne produisent aucun élément probant de nature à remettre en cause la délimitation des marchés de la distribution généraliste et d’éventuels effets congloméraux retenue par l'Autorité de la concurrence.

Pas davantage ne sauraient être critiqués ni la méthodologie appliquée ni les résultats obtenus par l’analyse concurrentielle que cette Autorité a menée sur le marché aval de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire.

Enfin, sont justifiées les analyses de l’Autorité et les conclusions en résultant relatives aux risques, respectivement, de dépendance économique des fournisseurs sur le marché amont de l'approvisionnement en produits à dominante alimentaire et de verrouillage par les intrants sur le marché de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires. Il en va de même de l’appréciation par l’Autorité des engagements pris la société GBH comme de l’agrément des repreneurs identifiés ainsi que des engagements sur le marché aval de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire comme sur le marché aval de la vente au détail de livres.

Enfin, d’une part, sont jugés pertinents, justifiés et fondés les constats opérés par l’Autorité de la concurrence tant du marché amont de l'approvisionnement en produits à dominante alimentaire et du risque de dépendance économique des fournisseurs.que du risque de verrouillage de clientèle sur le marché de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires, d’autre part sont jugées suffisamment motivées les décisions nos 20-DCC-69 et 20-DCC-74 portant sur les cessions de magasins consécutives aux engagements pris par GBH dans le cadre de sa prise de contrôle de Vindémia.

(03 juillet 2023, Société Excellence et autres, n° 440948, n° 44095, n° 440952 ; Confédération des petites et moyennes entreprises de Mayotte (CPME), n° 441200 ; Mme A. et autres, n° 442211 ; Association contre la domination économique et pour la défense des citoyens attachés aux libertés outre-mer (Adecalom), n° 442216 ; Association des maires de Mayotte, n° 442218 ; Société Bout'Iks, n° 443394, jonction)

 

106 - Politique agricole commune - Aides directes de la politique agricole commune - Indemnités compensatrices de handicaps naturels et des aides aux ovins et aux bovins – Contrôle sur place – Désignation d’un représentant par l’agriculteur contrôlé – Portée et limites des pouvoirs du représentant – Rejet.

Le requérant, qui exploite un élevage de bovins et d'ovins, a obtenu le bénéfice d'aides directes de la politique agricole commune, dont des indemnités compensatrices de handicaps naturels et des aides aux ovins et aux bovins, et a perçu, à ce titre, une avance de trésorerie versée par l'Agence de services et de paiement (ASP), remboursable au fur et à mesure de la perception des aides communautaires.

A la suite d’un contrôle sur place a été constaté un manquement sanctionné par l’absence de versement d’aide pour 2015 assorti d’une pénalité ainsi que d’un ordre de recouvrement.

Le demandeur se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement annulant l'ordre de recouvrement et rejetant le surplus de ses conclusions. 

Le pourvoi est rejeté.

Ce qui fait l’intérêt de cette affaire c’est l’appréciation par le juge du moyen tiré de l’irrégularité du contrôle dont l’exploitation avait fait l’objet. En effet, l’agriculteur, avisé de la date du contrôle et s’étant déclaré indisponible ce jour-là, a désigné un ouvrier agricole de l'exploitation pour accompagner les agents en charge des opérations de contrôle et pour préparer les documents nécessaires à ces opérations. Or il faisait valoir que cette désignation ayant été seulement verbale et cet employé ne résidant pas dans l’exploitation et ne s’en étant pas vu confier au moins une partie de sa gestion, ceci avait vicié la procédure de contrôle. Pour rejeter la critique de ce chef de l’arrêt d’appel, le Conseil d’État adopte entièrement le raisonnement développé par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 juin 2011, Marija Omejc (aff. C-536/09). Selon cette décision, la notion de représentant constitue une notion autonome du droit de l'Union et recouvre, lors des contrôles sur place, toute personne adulte présente, dotée de la capacité d'exercice, à laquelle l'agriculteur a clairement exprimé sa volonté de lui donner mandat aux fins de le représenter, l'agriculteur s'engageant ainsi à assumer tous les actes et toutes les omissions de cette personne.

Le Conseil d’État tire de là que « dès lors que le bénéficiaire d'une aide a clairement exprimé sa volonté de donner mandat à un tiers pour le représenter lors des opérations de contrôle sur place, cette volonté pouvant être exprimée oralement, d'une part la circonstance que le tiers ainsi désigné sans équivoque réside ou non dans l'exploitation agricole ou qu'il lui soit confié ou non une partie de la gestion de cette exploitation est sans incidence sur la validité du mandat qui lui a été confié, d'autre part, ce représentant doit être regardé comme ayant qualité à agir pour le compte du bénéficiaire pendant tout le déroulement des opérations de contrôle sur place, ce qui inclut la possibilité pour ce représentant de signer le rapport établi à l'issue du contrôle, pour attester de sa présence et le cas échéant formuler des observations, et pour recevoir au nom du bénéficiaire, si elle est établie et remise sur place, la copie du rapport de contrôle qui doit être adressée au bénéficiaire de l'aide lorsque des cas de non-conformité sont constatés ».

Naturellement, ce représentant n’a pouvoir pour représenter le bénéficiaire de l’aide qu’en ce qui concerne le déroulement des opérations de contrôle sur place non pour l'ensemble des actes de la procédure accomplis en dehors du contrôle sur place sauf à détenir un mandat explicite à cet effet.

(03 juillet 2023, M. C., n° 455918)

 

107 - Aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble – Mode de sélection des candidatures en fonction du nombre des dossiers présentés – Décision de FranceAgriMer – Application du droit de l’Union – Annulation.

Le tribunal administratif de Toulon, confirmé par la cour administrative d’appel de Marseille, a annulé la décision du 5 février 2016 par laquelle le directeur général de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a rejeté la demande de versement de l'aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble présentée par la société civile du Domaine du Carrubier.

Cette annulation était fondée sur ce que le point 5.1.1.2 de la décision du 30 décembre 2015, sur la base de laquelle a été pris le refus litigieux, prévoyait que la sélection des demandes déposées au titre du programme d'aide au secteur viti-vinicole à compter de 2016 s'opérait par ordre chronologique de réception, tant que le montant cumulé de l'ensemble des dossiers n'excédait pas le montant de l'enveloppe globale de l'année, les demandes suivantes étant rejetées sans être examinées. Les juges du fond y ont aperçu une violation des dispositions de l’art. 40 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles selon lesquelles : « (...). 2. Les États membres assument la responsabilité des programmes d'aide et veillent à ce qu'ils soient cohérents sur le plan interne et à ce que leur conception et leur mise en œuvre se fassent avec objectivité, en tenant compte de la situation économique des producteurs concernés et de la nécessité d'éviter des différences de traitement injustifiées entre producteurs (...) ".

Le Conseil d’État juge, de très surprenante façon, « que les dispositions de l'article 40 de ce règlement, qui se bornent à rappeler les principes gouvernant la mise en œuvre des programmes d'aide, ne prohibent pas l'instauration de règles d'examen des demandes telle que celle prévue au point 5.1.1.2 de la décision du 30 décembre 2015 dès lors que cette règle ne fait pas obstacle, une fois les demandes ainsi sélectionnées, à la prise en compte de la situation économique des producteurs ». 

Qui n’aperçoit pas ici le sophisme du raisonnement ? La question n’est pas de savoir si les candidatures retenues seront correctement examinées mais, bien évidemment, pour la société requérante, de savoir pourquoi et comment certaines ne seront pas retenues.

On peut sérieusement douter que le juge européen cautionne une règle destinée à obvier l’impéritie administrative dans l’organisation et l’attribution de moyens nécessaires à l’exercice correct de ses attributions, ici dans la répartition des fonds d’aide européens.

L’erreur de droit relevée à l’encontre de l’arrêt d’appel nous semble plutôt exister dans la décision de cassation.

(03 juillet 2023, FranceAgriMer, n° 459229)

 

108 - Prolongement d’autoroute - Aménagement foncier et agricole - Remembrement - Aggravation des conditions d’exploitation - Dénaturation et erreur de droit - Annulation.

Dans le cadre des travaux de prolongement de l'autoroute A 719 (section Gannat-Vichy), le département de l'Allier a mis en place une procédure d'aménagement foncier agricole et forestier sur le territoire de plusieurs communes. Les requérants ont demandé l’annulation des décisions par lesquelles la commission départementale d'aménagement foncier de l'Allier a statué sur leur réclamation. Ils se pourvoient en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de leur demande.

Le Conseil d’État est à la cassation, à titre principal, pour dénaturation des pièces du dossier et aussi pour erreurs de droit.

Tout d’abord, le juge relève que les intéressés disposaient de grandes parcelles contiguës formant deux grands îlots de parcelles d'un seul tenant, situés de part et d'autre d'une voie ferrée. Si le premier, maintenu en l'état après remembrement, comprend le siège d'exploitation et relève d'un premier compte de propriété de parcelles destinées à un élevage d'ovins, l'autre grand îlot, d'une superficie de 50 hectares de parcelles céréalières qui n'était traversé que par un chemin de terre, a été scindé et morcelé par le remembrement du fait de la réduction significative de la surface des parcelles de l'îlot initial, situées en deçà de la ligne de chemin de fer autour, du fait de l’attribution de deux îlots de parcelles éloignées, situées de l'autre côté de la voie ferrée, dont l'une présente en outre une forme en L, rendant ainsi plus difficile l'exploitation de cet ensemble.

Dès lors, la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le remembrement litigieux n'a pas eu pour conséquences d'aggraver les conditions d'exploitation des parcelles appartenant à M. et Mme A. aux motifs, d'une part, qu'il ressortait des pièces du dossier que le nombre total des parcelles de celles-ci avait été réduit de huit à six et, d'autre part, que la présence de la voie ferrée n'avait pas eu pour effet de scinder davantage l'ensemble de la propriété et qu'enfin, les parcelles avaient été majoritairement regroupées autour du siège de leur exploitation du même côté de la voie ferrée.

Par ailleurs sont aussi relevées deux erreurs de droit entachant l’arrêt attaqué. En premier lieu, pour apprécier le respect de la règle d'équivalence en valeur de productivité réelle entre les terres attribuées et celles apportées, posée par l'art. L. 123-4 du code rural, et retenir que le compte étant excédentaire de 1,25% en superficie et que le déficit en points de 0,65 % était faible, et juger qu’ainsi cette règle n'avait pas été méconnue, la cour a procédé à une confusion des deux comptes de propriété. En second lieu, la cour a estimé qu'il y avait lieu d'écarter l'expertise réalisée à la demande de M. et Mme A. alors qu’il est de jurisprudence constante qu'une expertise qui n'a pas été ordonnée par le juge administratif peut être utilisée à titre d'élément d'information, quand bien même elle n'aurait pas été rendue de manière contradictoire dans la procédure devant le juge administratif.

(12 juillet 2023, M. et Mme A., n° 458995)

 

109 - Organisation interprofessionnelle de la filière du chanvre - Extension d’un accord interprofessionnel - Publicité régulière - Représentativité des signataires de l’accord - Respect du principe d’égalité - Rejet.

Un accord interprofessionnel a été conclu le 20 janvier 2021, il est applicable aux campagnes 2020/21, 2021/22 et 2022/23 (récolte 2023) instaurant deux cotisations assises sur le tonnage de semences de chanvre certifiées et inscrites au catalogue européen et utilisées en France. L'association interprofessionnelle du chanvre dénommée InterChanvre, reconnue organisation interprofessionnelle au sens de l'article L. 632-1 du code rural pour le secteur du chanvre, a saisi le ministre de l'agriculture d'une demande d'extension de cet accord, ce qui a été fait par l'arrêté interministériel (agriculture et économie) du 19 avril 2021 portant extension de cet accord.

La société Terrachanvre demande l’annulation de cet arrêté du 19 avril 2021 ainsi que de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les ministres sur son recours gracieux en date du 24 juin 2021.

Le Conseil d’État rejette les trois moyens soulevés par la requérante.

D’abord, du fait de la publication d'un avis au Bulletin officiel du ministère de l'agriculture du 25 février 202 lançant la consultation des acteurs concernés par la demande d'extension de l'accord conclu dans le cadre de l'association interprofessionnelle du chanvre, ceux-ci ont eu la possibilité, pendant une durée de trois semaines, de formuler des observations sur cette demande. La circonstance que le document annexé à cet avis ne comportait que la partie I retraçant les actions prévues dans l'accord interprofessionnel et le budget qu'il était prévu d'y consacrer, mais pas sa partie II présentant les modalités de financement de ces actions par les contributions des acteurs concernés, n’est pas de nature à entacher d’illégalité la décision critiquée car il ressort toutefois des pièces du dossier que ces informations étaient disponibles sur le site Internet de l'association à compter du 3 février 2021 et pendant toute la période de la consultation officielle des acteurs concernés. Dans ces conditions, et alors que les acteurs concernés sont des professionnels avertis, en mesure de demander communication du texte de l'accord dont l'extension était envisagée ou de prendre connaissance sur le site Internet d'InterChanvre des informations relatives au montant des contributions destinées à financer les actions prévues par l'accord, l'absence de publication de la partie II du document annexé à l'avis de consultation n'a, dans les circonstances de l'espèce, ni exercé une influence sur le sens de la décision prise, ni porté atteinte à la garantie constituée par la consultation prévue à l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

Ensuite, l'interprofession du chanvre, composée d'un collège des producteurs et d'un collège des transformateurs, représente, à travers ses adhérents, plus de 90 % des volumes de graines et de paille de chanvre tant produites que transformées, soit au moins les deux tiers des volumes de production et de transformation des graines et de paille de chanvre. En outre, elle représente plus de 50% des producteurs concernés.

Elle satisfait donc aux conditions posées par l'art. 164 du règlement européen précité et reprises à l'art. L. 632-4 du code rural et doit, par suite, être regardée comme une organisation interprofessionnelle représentative.

Enfin, si la société requérante soutient que les modalités de prélèvement des cotisations interprofessionnelles prévues par l'accord interprofessionnel précité étendu par l'arrêté litigieux, en ce qu'elles diffèrent selon que le producteur est adhérent ou non à l'Union des Transformateurs de Chanvre, ce qui affecterait le principe d’égalité entre producteurs de chanvre, le moyen ne saurait être utilement invoqué. En effet, il résulte des stipulations contestées que si elles fixent deux modalités distinctes de versement à l'interprofession des sommes collectées auprès des producteurs, soit deux acomptes versés en janvier et septembre d'une année donnée pour les établissements multiplicateurs soit deux acomptes versés en novembre et février de l'année suivante pour les chanvrières, ces modalités de versement des cotisations sont identiques pour tous les producteurs et que les modalités de reversement des cotisations à l'interprofession par les établissements multiplicateurs ou les chanvrières sont sans incidence pour les producteurs.

La société requérante ne peut utilement soutenir que les stipulations contestées caractériseraient une rupture du principe d'égalité entre producteurs, ni, non plus, que, en tant que telles, elles conduiraient à procurer aux producteurs adhérents à l'Union des Transformateurs de Chanvre un avantage financier constitutif d'une discrimination prohibée par l'article 210 du règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 ou, en tout état de cause, d'une aide d'État prohibée par l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

(13 juillet 2023, Société Terrachanvre, n° 457724)

 

110 - Autorité de la concurrence - Instruction sur des pratiques anticoncurrentielles - Demande d’écarter du dossier d’instruction deux procès-verbaux - Acte non détachable de la procédure juridictionnelle - Compétence du juge judiciaire - Rejet.

Dans le cadre de l'instruction relative à des pratiques anticoncurrentielles diligentée par l’Autorité de la concurrence, les requérantes ont demandé que soient distraits des pièces du dossier deux procès-verbaux recueillant des déclarations de leurs salariés.

Elles demandent l’annulation du refus implicite qui leur a été opposé de ce chef par le rapporteur général de cette Autorité.

Le Conseil d’État juge d’abord que les dispositions du premier alinéa de l'art. L. 464-8 du code de commerce qui soumettent les recours en annulation ou en réformation dirigés contre les décisions de l’Autorité de la concurrence à la compétence de la cour d'appel de Paris s'appliquent aux décisions que prend l'Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles.

Il est jugé ensuite que le refus litigieux, qui n'est pas susceptible de faire grief par lui-même indépendamment de la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence dans laquelle il s'inscrit, ne peut être regardé comme un acte détachable de cette procédure susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il s'ensuit que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la requête ainsi portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

(18 juillet 2023, Société Alten et société Alten Sud-Ouest, n° 469032)

 

111 - Aménagement commercial - Avis défavorable de la Commission nationale d’aménagement commercial - Nouvelle demande - Exigences s’imposant à la commission d’aménagement commercial saisie de ce nouveau projet - Rejet.

La société requérante s’est pourvue en cassation de l’arrêt de la cour administrative d’appel refusant d’annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le maire de Trets (Bouches-du-Rhône) a délivré à la société 3B Invest un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la réalisation, sur le territoire de cette commune, d'un ensemble commercial d'une surface de vente de 4 990 m², comprenant un hypermarché, une galerie marchande et une moyenne surface, ainsi que d'un point de retrait permanent. 

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en apportant d’importantes précisions dans le cas où un pétitionnaire dont un projet a été rejeté en présente un nouveau pour avis d’une commission d’aménagement commercial.

Le juge déduit des dispositions de l’art. L. 752-21 du code de commerce que lorsqu'un projet soumis à permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale fait l'objet d'un avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial pour un motif de fond, une nouvelle demande d'autorisation de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à raison d'un nouveau projet sur le même terrain ne peut être soumise, pour avis, à une commission d'aménagement commercial que pour autant que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l'avis antérieur de la Commission nationale d'aménagement commercial.

La commission d'aménagement commercial saisie de ce nouveau projet doit dans ce cas procéder en deux temps. D’abord, il lui incombe de vérifier que la condition préalable de lien du nouveau projet avec les critiques faites au projet précédent est satisfaite. Ensuite, et uniquement en cas de réponse positive concernant le respect de cette condition, il revient à cette commission de procéder au contrôle du respect des autres exigences découlant du code de commerce, y compris, s'agissant des exigences de fond, de celles dont il avait été antérieurement estimé qu'elles avaient été méconnues ou dont il n'avait pas été fait mention dans l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial.

(21 juillet 2023, Société Distribution Casino France, n° 461753)

 

112 - Tarifs de vente de l’électricité aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale - Institution puis maintien d’un « bouclier tarifaire » - Arrêtés du 28 janvier 2022 et du 1er août 2022 - Rejet de propositions de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Annulation.

(26 juillet 2023, société EkWatteur, n° 462612)

V. n° 318

 

113 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Champ d’application du pouvoir de saction - Personnes, entités ou autres situées dans un autre État de l’Union ayant une succursale ou fournissant des services en France - Définition claire et précise des obligations à respecter - Respect du principe de responsabilité personnelle - Absence d’atteinte aux principes de prévisibilité de la loi répressive et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère - Refus de transmission d’une QPC.

Les requérants soulevaient une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de l’application qui leur a été faite de dispositions du code monétaire et financier (7° bis du II de l'article L. 621-9 et du b) du II de l'article L. 621-15) conférant à l’AMF le pouvoir de sanctionner les manquements à leurs obligations commis par  les sociétés de gestion établies dans un autre État membre de l'UE ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant une succursale ou fournissant des services en France, qui gèrent un ou plusieurs OPCVM agréés ainsi que les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 10° bis à 22° du II de l'article L. 621-9 définies par les règlements européens, les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur.

Ils font valoir trois moyens, tous rejetés.

Tout d’abord, sont satisfaites ici les exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines, lorsqu'il est appliqué à des sanctions qui n'ont pas le caractère de sanctions pénales, s’agissant du caractère suffisamment clair et précis de la définition des obligations auxquelles se trouvent soumises ces sociétés de gestion ainsi que des personnes physiques placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte qui sont, à ce titre, chargées de faire respecter les obligations ainsi fixées. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, il n’est pas, par les dispositions litigieuses, porté atteinte au principe de responsabilité personnelle (cf. art. 8 et 9, Déclaration de 1789) des personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte, notamment, des sociétés de gestion susmentionnées à raison des manquements à leurs obligations professionnelles telles que fixées par les textes.

Enfin, il ne saurait davantage être prétendu que la commission des sanctions de l'AMF n'aurait jamais, avant la décision attaquée, du 30 décembre 2022, sanctionné les dirigeants d'une société de gestion étrangère sur le fondement des art. L. 621-9 et L. 621-15 du code monétaire et financier car une telle allégation n'est pas de nature à démontrer la méconnaissance par ces dispositions des principes de prévisibilité de la loi répressive et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère. 

(02 août 2023, M. B. et M. D., n° 471744)

 

114 - Loi de programmation pluriannuelle de l’énergie - Modification du facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité - Modification du facteur d'émission de l'électricité pour le chauffage électrique - Non respect prétendu de directives de l’UE - Marge de manœuvre des États - Principes d’égalité et de libre concurrence - Rejet.

La requérante demande l'annulation du décret du 21 avril 2020 et de l’arrêté du 4 août 2021 relatifs à la programmation pluriannuelle de l'énergie en tant qu'ils précisent, d'une part, que le facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité sera fixé à 2,3 et, d'autre part, que le facteur d'émission de l'électricité pour le chauffage électrique sera déterminé par la méthode mensualisée par usage, qui conduit à une valeur de 79 gCO2/kWh.

Les recours sont, sans grande surprise, rejetés.

Sur le premier point, il est jugé que le facteur 2,3 a bien été déterminé selon une méthode transparente, conformément aux directives européennes du 19 mai 2010 et du 25 octobre 2012 et que la circonstance que le facteur de conversion arrêté diffèrerait de celui calculé sur la base d'une méthodologie proposée par la Commission européenne est sans incidence sur la légalité des dispositions en cause dès lors que cette méthodologie ne revêt pas un caractère contraignant et qu'il appartient, aux termes mêmes des deux directives précitées, aux seuls États membres de calculer ce facteur.

En outre, la double circonstance que l'arrêté attaqué n'ait pas uniquement tenu compte de l'énergie primaire consommée à la date à laquelle cet arrêté est intervenu et celle qu'il ait tenu compte d'objectifs postérieurs à 2030 ne sont pas de nature à caractériser une méconnaissance des dispositions des deux directives précitées imposant aux États membres de tenir compte de leurs bouquets énergétiques figurant dans leurs plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat prévus par le règlement du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, sans que puisse être objectée le fait que le plan national notifié à la Commission européenne par la France, conformément à ces dispositions, ne couvre à ce jour que la période 2021-2030.

Sur le second point, relatif au facteur d'émission de gaz à effet de serre de l'électricité pour le chauffage électrique, il est jugé que la substitution à la méthode « saisonnalisée par usage », utilisée jusqu’alors,  de celle  « mensualisée par usage » ne conduit pas, contrairement à ce qui est soutenu, à favoriser indûment les systèmes de chauffage électrique au détriment d'autres systèmes de chauffage, notamment de gaz naturel, et ne méconnaît ainsi pas les principes d'égalité et de libre concurrence ou, en tout état de cause, les dispositions de l'art. L. 111-1 du code de l'énergie, ni, non plus, celles de l’art. 100-1 de ce code qui assignent à la politique énergétique l'objectif de favoriser l'émergence d'une économie compétitive et riche en emplois grâce à la mobilisation de toutes les filières industrielles.

(04 août 2023, Association française du gaz, n° 441166 et, n° 457566)

 

115 - Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) - Notification d’un complément de prix - Mode de calcul - Absence de doute sérieux - Rejet du référé provision.

La société requérante demandait la suspension d’exécution de la notification, par la Commission de régulation de l’électricité (CRE), le 24 juillet 2023, d’un complément de prix ARENH sur l'année 2022 d'un montant de 3 356 816,30 euros ainsi que des deux délibérations de la CRE des 29 juin 2023 et 20 juillet 2023 portant décision sur le calcul du complément de prix ARENH sur l'année 2022. 

L’essentiel de la critique portait sur les modalités de calcul du terme « CP1 » du complément de prix ARENH au motif qu'elles n’auraient pas tenu compte du fait que la requérante avait exercé son activité de fournisseur d'électricité uniquement jusqu'au 7 février 2022. Ainsi, auraient été méconnus à la fois la lettre et l'esprit du mécanisme de complément de prix institué par l'article L. 336-5 du code de l'énergie.

Pour rejeter la demande de référé, le juge relève que la CRE a tenu compte du fait que la société avait été contrainte d'interrompre ses livraisons d'électricité aux consommateurs finals le 8 février 2022. Le montant de la part « CP1 » du complément de prix ARENH mis à la charge de la société E-Pango a été déterminé au prorata du nombre d'heures de livraison et en calculant la référence de prix à partir des heures hors période de cessation des livraisons. C’est ainsi que la CRE a fixé le complément de prix ARENH à la somme de 3 356 816,30 euros au lieu de la somme de 45 599 479,20 euros qui aurait résulté de l'application des dispositions réglementaires du code de l'énergie (cf. art. R. 336-33, R. 336-34 et R. 336-35).

Par suite, il n’existe aucun doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées. 

(ord. réf. 25 août 2023, Société E-Pango, n° 477334)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

116 - Salarié protégé – Licenciement – Harcèlement moral – Insuffisance de motivation de l’arrêt d’appel – Annulation.

Le juge de cassation estime insuffisamment motivé l’arrêt d’appel confirmatif du jugement ayant annulé l’autorisation administrative de licenciement d’un délégué du personnel au motif que l’inaptitude de l’intéressé était en lien direct avec les obstacles mis par l’employeur à l'exercice des fonctions représentatives de délégué du personnel qu'il a exercées à compter du 28 février 2014. En effet la cour administrative d’appel relève, d'une part, les actions pour la défense des salariés réalisées par M. A. ainsi que des difficultés que ce dernier alléguait avoir rencontrées sur certains points dans l'exercice de son mandat et le fait que ces difficultés n'étaient pas sérieusement contestées par son employeur, d'autre part, que si l'état de santé de M. A. avait commencé à se dégrader avant qu'il n'accède à des fonctions de délégué du personnel, les difficultés ainsi constatées dans l'exercice de ce mandat avaient pu conduire à une dégradation accrue de son état de santé.

Le Conseil d’État reproche à la cour de n’avoir point examiné l'argumentation par laquelle l’employeur faisait valoir qu'il avait été retenu, par l'assurance maladie, que la maladie de M. A. n'était pas d'origine professionnelle et que, par ailleurs, il résultait d'un jugement de départage du conseil de prud'hommes de Périgueux du 19 décembre 2016, alors non encore infirmé en appel, que, pour la période des faits dont cette juridiction était saisie, allant, pour certaines demandes, au-delà de la date à laquelle M. A. avait été élu délégué du personnel, les faits de harcèlement moral dénoncés par M. A. n'étaient pas établis.

(04 juillet 2023, M. A., n° 465922)

 

117 - Revenu de solidarité active (RSA) – Récupération d’indu de RSA – Calcul des droits à RSA - Détermination des revenus professionnels non salariés des travailleurs non salariés – Cas de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux – Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dans un litige opposant le président d’un conseil départemental à un ex-titulaire de RSA, le juge rappelle comment doit être déterminé le droit au bénéfice du RSA pour une personne exerçant son activité dans le cadre d'une société par actions simplifiée unipersonnelle sans qu'aucun revenu ne lui ait été distribué et alors qu’a été déclaré un certain montant de bénéfices industriels et commerciaux.

Il résulte de diverses dispositions du code de l'action sociale et des familles (notamment les art. L. 262-7 et L. 611-1, R. 262-19, R. 262-21, R. 262-18 à R. 262-22 et R. 262-24) que, pour arrêter les revenus professionnels non salariés nécessaires au calcul du revenu de solidarité active des travailleurs non salariés, lorsqu'il s'agit de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux, le président du conseil départemental doit, en cas de déclaration ou d'imposition, se référer aux bénéfices déterminés en fonction des régimes d'imposition applicables au titre de la pénultième année, ou ceux de la dernière année s'ils sont connus, pourvu qu'ils correspondent à une année complète d'activité, auxquels s'ajoutent les amortissements et les plus-values professionnels, et sans tenir compte des déficits catégoriels et des moins-values subis au cours de l'année de référence ainsi que des déficits constatés au cours des années antérieures. Il peut également tenir compte de tout autre élément relatif aux revenus professionnels de l'intéressé, dans le but notamment de mieux appréhender la grande variété des situations des travailleurs indépendants et de procéder à une meilleure approximation des revenus perçus par ceux-ci à la date à laquelle ils bénéficient du revenu de solidarité active.

En l’espèce, le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le président du conseil départemental avait commis une erreur de droit dans l'appréciation des droits au revenu de solidarité active du demandeur en tenant compte du bénéfice annuel de cette société au lieu de lui appliquer l'évaluation forfaitaire applicable aux capitaux non productifs de revenus. 

(06 juillet 2023, M. B., n° 465873)

 

118 - Prestation de compensation du handicap – Refus – Demande d’indemnisation – Compétence du juge judiciaire.

Le litige en réparation du préjudice causé par le rejet implicite, par le président d’un conseil départemental, d’accéder à la demande de l’intéressé tendant à obtenir le bénéfice de la prestation de compensation du handicap d'urgence relève de la compétence du juge judiciaire car l’art. L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, qui donne compétence au juge judiciaire pour connaître de tous les litiges relatifs aux décisions portant sur la prestation de compensation du handicap, doit s’entendre comme applicable également aux actions indemnitaires mettant en cause la responsabilité du département au titre d'un refus opposé à la demande d'une telle prestation.

(TC, 03 juillet 2023, M. B. c/ département du Nord, n° C4283)

(119) V. aussi, et à l’inverse, au sujet de ce même art. L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, jugeant que la décision d’un département mettant à la charge des parents d'un enfant mineur, confié aux services de l'aide sociale à l'enfance sur décision de l'autorité judiciaire en application de l'art. 375-3 du code civil, une somme à titre de contribution aux frais d'entretien et d'éducation de cet enfant, procède de la mise en œuvre de l'obligation légale qui incombe aux parents en vertu des art. 375-8 du code civil et L. 228-2 du code de l'action sociale et des familles de participer au financement des prestations du service public administratif de l'aide sociale à l'enfance dont bénéficie leur enfant. En conséquence, les contestations relatives à cette décision administrative relèvent de la compétence de la juridiction administrative, sans qu'y fassent obstacle les dispositions du 1° de l'art. L. 134-3 précité dès lors qu'une telle décision n'a nullement pour objet la récupération auprès des débiteurs d'aliments d'un bénéficiaire de l'aide sociale, au sens de l'art. L. 132-6 du même code, de sommes avancées par la collectivité à raison de son admission au bénéfice de cette aide : TC, 03 juillet 2023, M. C. c/ président du conseil départemental de la Seine-Maritime, n° C4281.

 

120 - Pension de réversion suite au décès de l’un des conjoints – Maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat - Institution d’une « procédure pré-contentieuse » par circulaires de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) – Absence d’atteinte au droit à recours effectif – Rejet.

Pour l’essentiel il était reproché à des circulaires de la CNAV d’avoir, en aménageant une « procédure pré-contentieuse » en matière de litiges avec cette caisse, méconnu le droit à recours effectif ou les dispositions des art. L. 142-1, L. 142-3 et L. 142-4 du code de la sécurité sociale. Le moyen est rejeté car cet aménagement, qui est destiné à réduire la charge de travail des commissions de recours ammiable et à améliorer les relations des caisses avec le public, ne saurait ni dispenser les caisses de respecter les formalités de notification de leurs décisions et d'information de leurs destinataires fixées par les dispositions sus-rappelées, ni remettre en cause le délai imparti à la commission de recours amiable pour statuer ou le délai de recours ouvert à l'intéressé, dont il est informé le cas échéant par l'accusé de réception qui lui a été notifié, pour saisir le juge dans l'hypothèse où la commission ne ferait pas droit à son recours préalable. 

Au passage le juge effectue deux rappels de principes bien connus.

Tout d’abord, est indiqué que, contrairement aux enseignants titulaires de l'enseignement public, les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat avec l'État n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite et relèvent du régime général d'assurance vieillesse régi par les dispositions du code de la sécurité sociale, et, par conséquent, de celles de son article L. 353-1 subordonnant l'ouverture d'un droit au versement d'une pension de réversion à une condition de ressources.

Ensuite, le refus du premier ministre de déposer un projet de loi dans les conditions prévues à l'article 39 de la Constitution, présentant le caractère d'un acte du pouvoir exécutif concernant ses rapports avec le Parlement, il est insusceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. Solution classique tirée de la nature d’acte de gouvernement de cette catégorie d’actes.

(06 juillet 2023, Consorts C., n° 465511)

 

121 - Convention collective nationale de la plasturgie – Extension d’un accord relatif à la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) – Rejet et annulation partiels.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de l’arrêté ministériel portant extension de l'accord du 5 juillet 2019 relatif à la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie (n° 292).

La plupart des moyens sont rejetés comme ne soulevant pas de question sérieuse y compris celui, étrange, qui reprochait à cet arrêté de n’avoir pas consulté la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) créée par cet arrêté…

Est seul retenu le moyen que l’arrêté attaqué prévoit dans son art. 1er que le « 3e alinéa du a) de l'article 3 est étendu sous réserve du respect de la jurisprudence de la Cour de cassation » car l’accord du 5 juillet 2019 qu’il vise ne comporte pas de paragraphe a) qui serait subdivisé en trois alinéas : aucun des deux éléments qu’il comporte, en dépit de ce que soutient le ministre défendeur, n'est compréhensible à la seule lecture de l'arrêté attaqué qui, par suite, méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme. 

(05 juillet 2023, Syndicat alliance plasturgie et composites du futur (Plastalliance), n° 448450)

 

122 - Modification dans la situation juridique de l’employeur – Reprise des contrats de travail en cause – Conditions – Annulation.

La cour administrative d’appel a relevé, en premier lieu, que le département de la Haute-Loire a recruté trois anciens employés de l'association HLMD en les affectant à la direction jeunesse, culture, développement durable et en précisant dans leurs contrats à durée indéterminée conclus le 17 mai 2016 « l'activité de l'association devient un SPA [service public administratif] ».

Elle a relevé, en second lieu, que le département a acquis les matériels musicaux et scéniques de l'association et repris ses locaux en les affectant au soutien d'activités et d'événements musicaux et chorégraphiques.

De ce double constat la cour a déduit l'existence d'un transfert de l'entité économique autonome constituée par l'association HLMD vers le département de la Haute-Loire en application des dispositions des art. L. 1224-1 et L. 1224-3 du code du travail. En conséquence, la cour juge que l'inspection du travail ne pouvait pas autoriser l'ancien employeur de l’un des salariés à le licencier pour motif économique.

Cette solution semble assez logique, elle est cependant annulée par le Conseil d’État qui reproche à la cour d’avoir entaché son arrêt d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit car elle n’a pas recherché si cette opération caractérisait le transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son identité et dont l'activité aurait été poursuivie par le département, alors même que, ainsi que le faisait valoir le département sans être contesté sur ce point, deux des principales missions de l'association HLMD que sont l'organisation du festival de musique Altilive d'une part, et la gestion d'un parc de matériel scénique en vue de sa mise à disposition à des organisateurs de spectacles d'autre part, avaient été reprises en tout ou partie, non par le département, mais par une autre association et une société coopérative. L’étonnement de l’annotateur n’en est que plus grand.

(05 juillet 2023, Département de la Haute-Loire, n° 448572)

 

123 - Réforme du régime de l’assurance chômage – Absence d’atteinte au principe de fraternité ou au droit au respect de la dignité de la personne humaine, ainsi qu’aux cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 – Absence de caractère nouveau – Refus de transmission d’une QPC.

(05 juillet 2023, Confédération générale du travail et autres, n° 472376 ; Union nationale des syndicats autonomes, n°472385 ; Confédération française démocratique du travail et Confédération française des travailleurs chrétiens, n° 472437 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 472491)

V. n° 278

 

124 - Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Organisme agissant en tant qu'autorité publique - Soumission à la taxe sur les salaires - Tarification administrée des prestations - Non assujettissement à la TVA - Rejet.

(12 juillet 2023, EHPAD « Le Parc et l'Ostal de Garona », n° 466171)

V. aussi, identiques : 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466564 et 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466566.

V. également, identique : 12 juillet 2023, EHPAD « Le Jardin d'Emilie », n°466809.

V. n° 89

 

125 - Allocation de retour à l’emploi - Application à l’espèce d’un règlement annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage - Moyen substitué d’office - Rejet.

 Il résulte des termes mêmes de l’article 14 de la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage que celle-ci ne s'applique qu'aux salariés involontairement privés d'emploi dont la fin de contrat de travail est intervenue à compter du 1er octobre 2017. En se fondant sur les dispositions de l'art. 4 du règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 pour juger que l’intéressée avait droit à l'allocation de retour à l'emploi, alors que la fin de son dernier contrat de travail était intervenue le 31 août 2017, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

Cependant, le juge relève en premier lieu que le règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l'indemnisation du chômage prise en application de l'art. L. 5422-20 du code du travail, prévoit, en son article 1er que : « Le régime d'assurance chômage assure un revenu de remplacement dénommé allocation d'aide au retour à l'emploi, pendant une durée déterminée, aux salariés involontairement privés d'emploi qui remplissent (certaines) conditions (…) ». Aux termes de l'article 2 de ce règlement : « Sont involontairement privés d'emploi ou assimilés, les salariés dont la cessation du contrat de travail résulte : (...) d'une fin de contrat de travail à durée déterminée (...) ». Aux termes de l'article 4 de ce règlement : « Les agents privés d'emploi justifiant d'une durée d'affiliation telle que définie aux articles 3 et 28 du même règlement doivent : (…) e) n'avoir pas quitté volontairement, (...) leur dernière activité professionnelle salariée, ou une activité professionnelle salariée autre que la dernière, dès lors que, depuis le départ volontaire, il ne peut être justifié d'une durée d'affiliation d'au moins 91 jours travaillés ou 455 heures travaillées ».

Le juge relève en second lieu que le règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 fixe les nouvelles modalités d'attribution par le régime d'assurance chômage d'un revenu de remplacement dénommé allocation d'aide au retour à l'emploi et prévoit aux termes de son article 4 que : « Les salariés privés d'emploi justifiant d'une période d'affiliation comme prévu aux articles 3 et 28 doivent : (...) e) n'avoir pas quitté volontairement, sauf cas prévus par un accord d'application, leur dernière activité professionnelle salariée, ou une activité professionnelle salariée autre que la dernière dès lors que, depuis le départ volontaire, il ne peut être justifié d'une période d'affiliation d'au moins 65 jours ou d'une période de travail d'au moins 455 heures ».

Le juge tire du rapprochement des art. 4 des règlements annexés aux conventions des 14 mai 2014 et 14 avril 2017 relatives à l'indemnisation du chômage que, lorsqu'un salarié, après avoir quitté volontairement un emploi, a retrouvé un autre emploi dont il a été involontairement privé, il est, dans l'un ou l'autre cas, attributaire de droits à indemnisation au titre de l'assurance-chômage dès lors qu'il a travaillé au moins quatre cent cinquante-cinq heures dans ce dernier emploi.

En l’espèce, la salariée a travaillé 676,68 heures pendant la période en litige, et remplissait ainsi la condition de durée prévue par les dispositions résultant de la convention du 14 mai 2014. Le juge de cassation substitue d'office ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait et qui justifie sur ce point le dispositif du jugement attaqué, au motif erroné retenu par le tribunal administratif fondé sur une disposition non applicable au litige.

(12 juillet 2023, CCAS de Rosporden., n° 467313)

 

126 - Aide sociale à l’enfance - Doutes persistants sur l’âge de la personne - Refus - Allocation de jeune majeur - Rejet.

Une ressortissante guinéenne, entrée illégalement en France le 11 mars 2022, accompagnée de sa fille alors âgée d'un an, a déposé une demande d'asile, déclarant être née le 13 février 2004.

Accueillie dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile, elle a saisi le juge des enfants afin d'être prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, déclarant alors être née le 13 mai 2005, et a produit au soutien de ses affirmations une photocopie d'acte de naissance et un jugement supplétif guinéens.

Par un jugement avant-dire droit, du 18 août 2022, le juge des enfants l'a confiée, pour une durée de six mois, au service d'aide sociale à l'enfance du département des Bouches-du-Rhône, dans l'attente du résultat d'expertises concernant son âge. Par un deuxième jugement ce juge a ordonné la poursuite de sa prise en charge et la réalisation d'une expertise osseuse permettant de déterminer l'âge de l’intéressée. Par un troisième jugement, du 12 mai 2023, eu égard aux doutes persistants sur l'âge de l’intéressée, il a ordonné une nouvelle expertise osseuse, et le maintien du placement provisoire jusqu'au dépôt de l'expertise ou à sa majorité.

Par une décision du 22 mai 2023, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a refusé la poursuite de la prise en charge de Mme B. au titre de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur, au motif que les différents éléments portés à sa connaissance établissaient qu'elle n'était pas mineure au moment de sa prise en charge initiale, de sorte qu'elle ne pouvait exciper d'un droit à sa prolongation en tant que jeune majeure au titre de l'art. L.222-5 du code de la famille et de l'action sociale.

Le département interjette appel de l’ordonnance par laquelle le juge des référés, sur le fondement de l'art. L.521-2 du CJA, lui a enjoint de poursuivre la prise en charge de Mme B. en tant que jeune majeure.

Pour confirmer cette ordonnance et donc rejeter l’appel du département, le juge des référés du Conseil d’État rappelle qu’une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions fixées par les dispositions des art. L. 111-2, L. 222-1 et L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, notamment dans les modalités de prise en charge des besoins du mineur ou du jeune majeur relevant de l'aide sociale à l'enfance, lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour l'intéressé, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

A cet effet, il est relevé que s’il y a incertitude sur l’âge de la requérante lors de son arrivée en France, le juge des enfants a ordonné la poursuite de la prise en charge de l'intéressée qui est sans ressources ni soutien en France, élève seule sa fille, âgée de deux ans, et suit notamment de façon régulière une formation qualifiante visant à lui permettre d'obtenir un CAP.

Dès lors qu’en l'état de l'instruction, elle doit être regardée comme remplissant les conditions posées par les dispositions du 5° de l'art. L.222-5 précité, qui imposaient la poursuite de sa prise en charge en qualité de jeune majeur, le refus de sa prise en charge à ce titre porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance du jeune majeur remplissant ces conditions.

Par ailleurs, l’urgence à décider est réalisée en l’espèce car il ne résulte pas de l'instruction que la poursuite de la prise en charge socio-éducative globale de Mme B., soit compatible avec la fin de la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur, ce qui aurait pour elle des conséquences graves.

La solution est plus empreinte d’une subjectivité généreuse que juridiquement convaincante.

(ord. réf. 10 juillet 2023, Département des Bouches-du-Rhône, n° 475130)

(127) V. aussi, voisin en tant qu’était mise en doute, par le département, la minorité du demandeur d’hébergement et d’autres aides, lequel a saisi le juge des enfants près le tribunal judiciaire, qui ne s'est pas encore prononcé à la date où est rendue la présente ordonnance sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA. Pour admettre l’appel de la Délégation interministérielle et annuler l’ordonnance du premier juge qui a enjoint au préfet de proposer à l'intéressé un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir, dans un délai de huit jours à compter de la notification de son ordonnance, le juge retient l’énormité des efforts faits et de ceux encore non satisfaits à cause de la saturation des hébergements d’urgence, laissant sans solution des personnes et des familles encore plus vulnérables que celle du requérant. Ainsi des chiffres suivants rappelés par le juge : durant la seule journée du 26 juillet 2023, pour le seul département en cause, le 115 a été sollicité par 160 personnes, dont 27 hommes seuls, 32 personnes ayant pu obtenir une réponse favorable dont 2 hommes seuls seulement. De même, il résulte des précisions apportées à l'occasion de la prolongation de l'instruction, que le taux d'occupation du parc d'hébergement des départements du Rhône, de la Loire, de la Savoie et de la Drôme est très proche de 100 % et que, en conséquence, le taux des demandes au 115 auxquelles il n'a pas été possible de faire droit a été compris entre 74 % et 97 % au cours du mois de juillet : ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476624.

(128) V. encore, identiques au précédent, concernant le même département : ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476625 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476626 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476630 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476633 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476638.

 

129 - Praticien contractuel dans un centre hospitalier - Fin du dernier contrat - Demandes du bénéfice de l'indemnité de fin de contrat et de l'indemnité compensatrice de congés payés - Praticien non inscrit sur la liste d'aptitude à la fonction de praticien hospitalier - Annulation et rejets partiels.

Un praticien contractuel exerçant dans le service de gériatrie d’un centre hospitalier a demandé, au terme de son dernier contrat, que lui soient versées l'indemnité de fin de contrat prévue par les dispositions de l'art. L. 1243-8 du code du travail et l'indemnité compensatrice de congés payés prévue par les dispositions de l'art. L. 1242-16 de ce code.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement qui a rejeté ses demandes.

Le pourvoi est admis en ce qu’il porte sur l’indemnité de fin de contrat et rejeté en tant qu’il porte sur l’indemnité compensatrice de congés payés.

En premier lieu, pour rejeter la demande de versement de l'indemnité de fin de contrat, la cour, commettant une erreur de droit, s’est fondée sur ce que le centre hospitalier ayant déclaré vacant un poste de praticien hospitalier titulaire dans sa spécialité afin de rendre possible son recrutement s'il se présentait et était reçu au concours de praticien hospitalier titulaire, le requérant s'est abstenu de présenter sa candidature à ce concours. En effet, une telle abstention ne saurait être assimilée au refus d'une proposition de contrat à durée indéterminée. En outre, le centre hospitalier défendeur ne saurait soutenir que l'indemnité de fin de contrat était en réalité  incluse dans la rémunération de M. A. dès lors que cette dernière dépassait le plafond de rémunération prévu par l'art. R. 6152-416 du code de la santé publique car la circonstance que le centre hospitalier ait consenti à M. A. une rémunération supérieure au maximum réglementaire est sans influence sur le droit de percevoir une indemnité de fin de contrat que l'intéressé tient des dispositions combinées de l’art. L. 6152-1 du code de la santé publique et de l’art. L. 1243-8 du code du travail.

En second lieu, est rejetée la demande d’attribution de l’indemnité compensatrice de congés payés dès lors que, comme l’a jugé la cour, M. A. ne pouvait prétendre au bénéfice de cette indemnité (cf. art. L. 1243-16 du code du travail) car il n'alléguait pas ne pas avoir été en mesure de prendre effectivement ses congés et il lui incombait de prouver que le régime des congés applicable au sein du centre hospitalier ne lui permettait pas de les prendre effectivement. 

(19 juillet 2023, M. A., n° 469875)

 

130 - Fixation des prix des prestations d'hébergement de certains établissements accueillant des personnes âgées - Arrêté du 23 décembre 2022 - Différence de traitement entre établissements soumis à un régime locatif et établissements relevant du mécanisme du « socle de prestations » et autres prestations d’hébergement - Refus de transmission d’une QPC.

Les requérants poursuivaient l’annulation de l'arrêté du 23 décembre 2022 relatif aux prix des prestations d'hébergement de certains établissements accueillant des personnes âgées.

Ilsont soulevé une QPC à l’encontre des dispositions de l'art. 12 de la loi du 16 août 2022 en ce qu’elles méconnaissent le principe d'égalité devant la loi car elles ne prévoient pas de plafonner, de la même manière que dans les hypothèses auxquelles elles s'appliquent, l'évolution du prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement dont doivent s'acquitter les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'article L. 342-1 du code de l'action sociale.

La QPC est rejetée.

La législation distingue à ce point de vue deux catégories d’établissements recevant des personnes âgées.

En premier lieu, en vertu du deuxième alinéa du I de l'art. 17-1 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, lorsque le contrat de location d'un logement régi par ces dispositions prévoit la révision du loyer, la variation qui en résulte ne peut, dans les cas où ces dispositions sont applicables, excéder, à la hausse, la variation d'un indice de référence des loyers publié par l'INSEE et cette limite de variation est également applicable à la révision des loyers dus par les locataires du parc social ainsi que de tout logement faisant l'objet d'une convention conclue au titre de l'aide personnalisée au logement.

L'art. 12 de la loi précitée du 16 août 2022 a prévu que, pour la fixation des indices de référence des loyers entre le troisième trimestre de l'année 2022 et le deuxième trimestre de l'année 2023, la variation en glissement annuel de l'indice de référence des loyers ne pourrait, dans ces différentes hypothèses, excéder 3,5 %. Cette échéance a été repoussée au premier trimestre de l'année 2024 par la loi du 7 juillet 2023 maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs.

En second lieu, en vertu de l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles, les établissements accueillant des personnes âgées qui ne sont pas habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale et qui ne sont pas non plus conventionnés au titre de l'aide personnalisée au logement ou, lorsqu'ils sont conventionnés, pour ce qui concerne les prestations qui ne sont pas prises en compte dans le calcul de la part de la redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables au titre de ces conventions, ainsi que les établissements qui n'accueillent pas à titre principal des bénéficiaires de l'aide sociale, pour la fraction de leur capacité au titre de laquelle ils ne sont pas habilités à cette fin, sont soumis à des dispositions spécifiques. Notamment, les prix des prestations d'hébergement, qu'il s'agisse du « socle de prestations » que doivent réglementairement proposer les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, qui fait l'objet d'un prix global constitué des prestations d'administration générale, d'accueil hôtelier, de fluides, de restauration, de blanchissage et d'animation de la vie sociale, ou des autres prestations d'hébergement, sont librement fixés lors de la signature du contrat qui doit être passé entre l'établissement et la personne âgée préalablement à son hébergement et ces prix « varient ensuite, dans des conditions fixées par décret, dans la limite d'un pourcentage fixé au 1er janvier de chaque année compte tenu de l'évolution des coûts de la construction et des loyers, des produits alimentaires et des services et du taux d'évolution des retraites de base prévu à l'article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale ». Pour les établissements conventionnés au titre de l'aide personnalisée au logement et non habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, le prix du socle de prestations pris en compte dans le calcul de la part de redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables évolue conformément à ce que prévoit la convention conclue au titre de l'aide personnalisée au logement, c'est-à-dire qu'il est révisé au 1er janvier de chaque année en fonction de l'indice de référence des loyers du deuxième trimestre de l'année précédente ; seules les autres prestations évoluent en fonction de l'arrêté interministériel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles.

Ainsi, l'annexe 2-3-3 du code de l'action sociale et des familles, fixe - conformément aux dispositions de l'article D. 342-5 de ce code - la formule permettant de déterminer le taux maximal d'évolution des prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement. Cette annexe prévoit que le pourcentage d'évolution maximale des prix est calculé en fonction de l'évolution des charges des établissements, évaluée à partir d'un panier pondéré d'indices de charges qui reflètent le taux d'évolution des charges des établissements liées à l'entretien et à l'amélioration des bâtiments, aux loyers - calculé à partir de l'indice des loyers des activités tertiaires - que les établissements versent au propriétaire des murs, aux services administratifs, aux services de nettoyage, à la consommation d'énergie et aux produits alimentaires et en fonction du taux d'évolution des retraites de base prévu à l'art. L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale. Pour 2023 le taux d’évolution maximale du prix de des prestations est de 5,14% par rapport à 2022. C’est de cet arrêté qu’est demandée l’annulation.

Au soutien de leur QPC les requérants estiment que l'art. 12 de la loi du 16 août 2022 méconnaît le principe d'égalité devant la loi en ne plafonnant pas de la même manière que dans les hypothèses auxquelles elles s'appliquent, l'évolution du prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement dont doivent s'acquitter les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'art. L. 342-1 susmentionné du code de l'action sociale.

En premier lieu, pour rejeter l’argumentation, le Conseil d’État retient que les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'art. L. 342-1 ne s'acquittent pas d'un loyer mais d'un prix global correspondant à un ensemble de prestations d'hébergement susrappelées comprenant des prestations « socle » ainsi que, le cas échéant, d'autres prestations d'hébergement. Elles ne sont ainsi pas, au regard de l'objet de l'art. 12 de la loi du 16 août 2022, qui est de plafonner provisoirement la variation de l'indice de référence des loyers à compter du troisième trimestre 2022 afin de limiter l'impact de la forte inflation sur les hausses de loyer, placés dans la même situation que les locataires du parc privé ou du parc social.

En second lieu, répétant partiellement la réfutation argumentative précédente, ce même juge relève que si les personnes âgées hébergées dans un établissement conventionné au titre de l'aide personnalisée au logement et non habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale bénéficient, pour les seules prestations qui sont prises en compte dans le calcul de la part de la redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables du plafonnement à 3,5 % de l'indice de référence des loyers, à l'évolution duquel elles sont habituellement soumises, prévu par l'art. 12 de la loi de 2022, elles ne sont pas non plus placées dans la même situation que les personnes âgées hébergées dans les autres catégories d'établissements visés à l'art. L. 342-1, ne s'acquittent pas d'un loyer mais d'un prix global correspondant à un ensemble de prestations.

(20 juillet 2023, Association nationale des familles de victimes du Covid-19 en EHPAD (FAVICOVID EHPAD) et autres, n° 471769)

 

131 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Document unilatéral - Demande d’homologation - Vérification du caractère régulier de la consultation du comité d’entreprise - Notion de « moyens du groupe » - Caractère suffisant du PSE au regard des moyens du groupe -  loyauté de la procédure de négociation de l’accord collectif - Rejet.

La société Flunch a informé, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France d'un projet de réorganisation impliquant la fermeture de ses restaurants, exploités en libre-service de Belfort, du Havre Grand Cap, de Nancy Saint-Sébastien et de Rouen centre-ville, entraînant la suppression de quatre-vingts emplois. Cette directrice a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi.

Le tribunal administratif, saisi par les requérants, a refusé d’annuler la décision du 10 décembre 2018 par laquelle la DIRECCTE des Hauts-de-France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Flunch. Les requérants demandaient l’annulation de deux arrêts de la cour administrative d’appel de Douai confirmant ces jugements. Les deux syndicats et des salariés se pourvoient en cassation de ces arrêts. Ces deux pourvois sont rejetés.

Le Conseil d’État groupe en trois volets les moyens de cassation.

En premier lieu, est rejeté le groupe de moyens critiquant l’exercice par l'administration du contrôle du caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens du groupe. Le juge indique à cet effet en quoi consiste la notion de « moyens du groupe » qui constitue l’un des critères d’appréciation de la légalité du PSE. Il convient d’entendre par là « des moyens, notamment financiers, dont dispose l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies aux art. L. 233-1, L. 233-3 (I et II) et L. 233-16 du code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d'implantation du siège de ces entreprises.

Il est jugé que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant :

- que l'autorité administrative a, pour contrôler le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi litigieux, pris en compte, comme périmètre du groupe, l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle de la société Surestag, entreprise dominante au sens des dispositions susindiquées du code de commerce dès lors qu'elle détient la totalité du capital de la société Restag, laquelle détient 99,35 % du capital de la société Soparagapes et 66,29 % de celui de la société Agapes, cette dernière détenant la totalité du capital de la société Flunch ;

- que n’avaient pas être incluses dans le périmètre du PSE les sociétés Acanthe, Valorest et Cimofat, d’une part car aucune d’elles ne détient plus de 50 % du capital de la société Surestag et n'atteint à elle seule, le seuil fixé par les dispositions des art L. 233-1 et L. 233-16 du code de commerce et d’autre part car il résulte des statuts de la société Surestag qu’aucun associé, quel que soit le nombre d'actions qu'il détient, ne pourra exercer plus de 39 % des droits de vote pour son compte propre à l'occasion d'une décision collective, ce qui implique que ni la société Acanthe, ni les deux autres sociétés, ne détiennent chacune plus de 39 % des droits de vote au sein de la société Surestag, et n'atteignent donc le seuil fixé par les dispositions précitées du code de commerce ;

 - qu'il n'est pas établi que les autres circonstances alléguées concernant les relations entre les sociétés Acanthe, Valorest et Cimofat, dont la cour a mentionné qu'elles constituent des personnes morales distinctes, permettent de retenir que l'une d'entre elles exerce le contrôle exclusif de la société Surestag au sens des dispositions du II de l'art. L. 233-16 du code de commerce. 

En deuxième lieu, la cour est encore approuvée pour avoir jugé régulière la procédure d'information et de consultation organisée en l’espèce.

Elle n’a, tout d’abord, pas commis d’erreur de droit en estimant que lorsque l'expert-comptable, désigné par le comité central d'entreprise, avait rendu son rapport le jour de la seconde réunion du comité central d'entreprise, il y avait exposé, de manière circonstanciée, son analyse du contenu des documents comptables relatifs aux sociétés Restag et Surestag et de la question du périmètre du groupe auquel la société Flunch appartenait, incluant ces deux sociétés, ce qui avait donné lieu à plusieurs interventions des membres du comité et qu’ainsi le comité central d'entreprise avait disposé des informations utiles lui permettant de formuler ses avis en toute connaissance de cause.

Elle n’a, ensuite, pas davantage commis d’erreur de droit, en jugeant que  si le comité d’établissement de Belfort ne disposait pas lors de sa réunion du 8 novembre 2018 du rapport de l'expert-comptable qui n'avait pas encore été remis, il avait connaissance des documents comptables relatifs aux sociétés Restag et Surestag qui avaient été communiqués aux cinq organisations syndicales, et n'avait pas, lors de cette réunion, fait état d'un quelconque défaut d'information, ainsi qu'en atteste le procès-verbal de cette séance, et qu’ainsi il disposait, en l'espèce, d'éléments propres à lui permettre d'émettre ses avis en connaissance de cause.

En troisième lieu, enfin, la cour est également approuvée pour avoir jugé que devait être écarté le moyen tiré du défaut de loyauté de la procédure dès lors que les conditions de cette négociation sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel.

(21 juillet 2023, Fédération Confédération générale du travail (CGT) des personnels du commerce, de la distribution et des services, n° 435896 ; Fédération Confédération française démocratique du travail (CFDT) des services, le comité d'établissement de la société Flunch de l'établissement Flunch Belfort et autres, n° 435899, jonction)

 

132 - Licenciement d’un salarié protégé - Inaptitude par suite de maladie professionnelle - Existence d’un emploi disponible - Emploi relevant d’une catégorie supérieure à celle d’appartenance du salarié - Emploi pouvant lui être proposé - Refus fautif d’autorisation de licenciement - Action en responsabilité - Rejet.

La requérante a demandé l’autorisation de licencier un agent de maîtrise, délégué du personnel, pour inaptitude suite à une maladie professionnelle. Cette autorisation ne lui a pas été accordée et ce refus a été annulé pour vice de procédure par un jugement, devenu définitif, du tribunal administratif. La requérante demande réparation du préjudice causé par cette illégalité.

Sa demande, rejetée par les juges du fond, l’est aussi par le juge de cassation.

La cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé l'absence de lien direct de causalité entre cette illégalité et le préjudice allégué, au motif que ces décisions de l’administration auraient pu être légalement prises si elles étaient intervenues à l'issue d'une procédure régulière. A ce titre, elle a jugé qu'elles étaient légalement fondées sur le non-respect par l'employeur de ses obligations en matière de reclassement.

En effet, et c’est là un élément original de cette affaire, si la société a proposé divers postes au salarié, il existait d'autres postes de travail équivalents aux fonctions exercées par le salarié qui ne lui avaient pas été proposés. La société faisait savoir qu’il s’agissait de postes de cadre, relevant donc d’une catégorie d’emplois supérieure à celle d’agent de maîtrise dont relevait l’agent.

L’argument pouvait paraître sérieux puisque la législation impose un reclassement de la personne licenciée sur un emploi « équivalent » à celui occupé, ce qui n’est pas le cas d’un emploi supérieur. Cependant, confirmant la solution de la cour, le Conseil d’État juge « que la circonstance que (les) fiches de postes mentionnaient un statut de cadre alors que (l’intéressé) avait un statut d'agent de maîtrise ne suffisait pas pour retenir que ces emplois n'étaient pas équivalents à celui de responsable de magasin qu'il occupait alors (…). »

La solution est discutable car, selon le code du travail, serait illégal le classement dans la même catégorie d’emplois hiérarchiquement distincts ou la proclamation du caractère « équivalent » de tels emplois distincts.

(21 juillet 2023, Société Lidl, n° 457196)

 

133 - Bénéficiaire de l’aide personnalisée au logement et de l’aide exceptionnelle de fin d’année - Trop-perçu du fait de sa vie en couple (concubinage) - Insuffisance de motivation - Annulation.

Bénéficiaire de diverses aides sociales en tant que personne seule ayant des enfants à charge, l’intéressée s’est vue notifier des trop-perçus à rembourser du fait qu’elle vivait depuis deux ans en concubinage.

Elle se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté son recours contre les décisions de récupération des trop-perçus notifiées par la caisse d'allocations familiales (CAF). Le pourvoi est reçu pour insuffisance de motivation du jugement en ce qu’il avait fondé son rejet sur ce que Mme A. habitait au même endroit que M. C. sans répondre à l'argumentation non inopérante par laquelle la requérante contestait l'existence d'une vie de couple stable et continue en invoquant les condamnations de M. C. pour violences à son endroit assorties de l'interdiction de la rencontrer et affirmant que, si M. C. et elle-même résidaient à la même adresse, leurs logements étaient distincts. 

(26 juillet 2023, Mme A., n° 466047)

 

134 - Dispositif d’hébergement d’urgence - Injonction au préfet d’accorder un tel hébergement - Solution retenue inadéquate et trop éloignée de l’établissement de prise en charge de l’enfant - Circonstances exceptionnelles de l’espèce - Rejet.

C’est à bon droit que le juge des référés de première instance a enjoint au préfet de l'Isère d’attribuer un hébergement d'urgence à la requérante et à sa fille âgée de deux ans car celui proposé, situé dans une zone industrielle éloignée de la gare ferroviaire, n'est en tout état de cause pas compatible, dans les circonstances particulières de l'espèce, avec les besoins de l'enfant, notamment en ce qu'il ne permet pas la continuité de sa prise en charge par l'établissement d'accueil pour jeunes enfants, situé à Grenoble, où elle est accueillie quotidiennement depuis septembre 2022, où elle trouve la stabilité qui lui est nécessaire eu égard à son très jeune âge, à la séparation avec son père et à la fragilité de son état physique et psychique après plus de six mois à la rue, et où elle est inscrite pour l'année 2023-2024.

L’appel est rejeté.

(ord. réf. 31 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 481062)

 

135 - Lutte contre le travail illégal - Travailleur agricole tunisien détenteur d’un faux titre de séjour - Prononcé d’une OQTF à son encontre et interdiction du territoire français pendant deux ans - Droit au contradictoire - Conditions d’application du droit de l’Union - Rejet.

M. C., ressortissant tunisien, a été interpelé au sein de l'EARL « Les Pépinières de la Haute Provence », dans le cadre d'une mission de lutte contre le travail illégal, en possession d'un faux titre de séjour. Il a fait l’objet, le même jour, d’un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français, sans que ne lui soit accordé de délai de départ volontaire, assorti d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

L’intéressé et son employeur l’EARL, se pourvoient en cassation contre l'ordonnance par laquelle le magistrat de la cour administrative d'appel de Marseille a ce délégué, a rejeté l'appel et la tierce opposition qu'ils ont, respectivement, formés contre le jugement qui a rejeté la demande de M. C. tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

L’affaire était sérieuse en ce qu’il apparaissait que n’avait pas été respecté le principe du contradictoire.

Le juge de cassation se livre à une certaine acrobatie pour « sauver » la décision contestée.

Tout d’abord est rejeté le moyen tiré de la méconnaissance du droit à être entendu dans le cadre de la procédure d'obligation de quitter le territoire français.

Le juge retient qu’il ne résulte pas des dispositions du I de l'art. L. 511-1 du CESEDA, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté, qui a été pris pour la transposition des objectifs de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, que serait prévu le droit pour un étranger à être entendu dans le cadre de la procédure de prise d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français. En particulier, il juge que si, en vertu de la jurisprudence de la CJUE (10 septembre 2013, M. A., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, aff. C-383/13), il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des États tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu, c’est-à-dire de faire connaître, de manière utile et effective, leur point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable leurs intérêts, « cela ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause ».

Ensuite, enfonçant encore un peu plus nettement le clou, les juges du Palais-Royal, se fondant sur deux décisions de la CJUE (5 novembre 2014, Sophie Mukarubega, aff. C-166/13 et 11 décembre 2014, Khaled Boudjlida, aff. C-249/13), rappellent que si, d’une part, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour, d’autre part, ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

Enfin, en l’espèce, le juge d’appel n’a pas commis d’erreur de droit quand, après avoir relevé  que M. C. n’avait pas été informé de l'intention du préfet de prendre à son encontre une décision portant OQTF, il a estimé qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les arguments qu’il aurait pu avancer, relatifs au métier d'arboriculteur qu'il exerce, aux difficultés de recrutement dans ce secteur et au handicap de sa sœur, auraient pu influer sur le contenu de cette décision et qu’ainsi il n’avait pas été privé de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.

Ensuite est rejeté le moyen selon lequel le président assesseur de la 4ème chambre de la cour aurait méconnu son office. Dès lors que les requérants se bornaient à invoquer les difficultés de recrutement dans l'arboriculture et la situation de dépendance de la sœur de M. C., ils n'étaient pas fondés à soutenir - comme jugé par ce magistrat - que la décision portant interdiction de retour était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de ce dernier. Ce n’est que dans le cas, qui n’était pas en jeu en l’espèce, où le juge doit se prononcer sur la légalité de la décision de l’autorité compétente ordonnant l’OQTF que celui-ci doit rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'art. 8 de la convention EDH une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

Dès lors, l’ordonnance attaquée n’est pas entachée d’une erreur de droit sur la portée du contrôle que devait exercer son auteur.

 (04 août 2023, M. C. et EARL Les pépinières de la Haute Provence, n° 455156)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

136 - Conseiller municipal démissionnaire - Remplacement par une autre personne - Point de départ du délai de recours contentieux contre ce remplacement - Jour de la première séance à laquelle a participé le nouveau conseiller - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge que la conseillère municipale remplaçant une autre, démissionnaire, ayant siégé pour la première fois en qualité de conseillère municipale lors de la séance du 9 novembre 2022, c’est à cette date que doit être fixé le point de départ du délai de cinq jours imparti par le code électoral pour contester sa désignation. Dès lors était irrecevable comme tardive la protestation du demandeur. 

(12 juillet 2023, M. A., n° 470639)

 

137 - Élections municipales partielles - Protestation tardive - Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 119 du code électoral qu’en l’absence de réclamation contre les opérations électorales consignée au procès-verbal, le dépôt de la réclamation d'un électeur doit se faire à la sous-préfecture ou à la préfecture au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection. 

En l’espèce, confirmant le tribunal administratif, le juge d’appel déclare la protestation entachée de tardiveté dans la mesure où l’élection contestée ayant eu lieu le 4 décembre 2022, sans consignation de la protestation au procès-verbal, et alors qu’elle devait avoir été déposée en préfecture ou sous-préfecture ou au greffe du tribunal administratif au plus tard le 9 décembre à dix-huit heures, ne l’a été que le 20 décembre.

Elle était donc, par suite, irrecevable.

(25 juillet 2023, M. A., élections municipales de Saint-Ours-les-Roches, n° 470912)

 

138 - Contrôle des comptes de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - Irrégularités justifiant le rejet d’un compte de campagne - Irrégularités justifiant, en cas d’approbation des comptes, une réduction éventuelle du remboursement forfaitaire - Rejet de la saisine du Conseil d’État par la CNCCFP.

Dans le cadre de l'élection des membres du conseil territorial de Saint-Barthélemy qui s’est tenue en mars 2022, la CNCCFP a rejeté le compte de campagne du requérant et a saisi le Conseil d'État, en application des dispositions de l'art. L. 52-15 du code électoral. Le requérant demande l’annulation de cette saisine.

C’est l’occasion pour le juge administratif de rappeler, avec pédagogie et de façon quelque peu novatrice la conduite à tenir par la Commission en cas d’irrégularités constatées.

Il lui incombe en premier lieu, rappelle le juge, d’apprécier si les irrégularités éventuellement commises par un candidat justifient le rejet de son compte de campagne.

En second lieu, si la Commission décide d'approuver ce compte, il lui revient d’apprécier si, eu égard au nombre et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu de réduire le montant du remboursement forfaitaire auquel a droit le candidat, le cas échéant, dans les conditions prévues par les deux premiers alinéas de l’art. L. 52-11-1 du code électoral. Le juge ajoute une précision innovante en ce qu’il décide que la circonstance que le candidat ne remplit pas les conditions pour bénéficier du remboursement forfaitaire est dépourvue d'incidence sur la décision d'approuver ou de rejeter le compte de campagne.

En l’espèce, il est jugé qu’ « eu égard à la nature et à la valeur modeste de l'avantage qui lui a été consenti par la société exploitant " Le News Saint-Barth " au regard du plafond des dépenses électorales autorisées pour cette élection, à la part limitée que cet avantage représente dans le total des dépenses exposées par le candidat, et, enfin, à la circonstance que les deux autres listes en présence ont bénéficié d'un avantage équivalent du même journal, la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 52-8 du code électoral commise par M. A. ne justifie pas (…) le rejet de son compte de campagne. » 

(13 juillet 2023, M. A., n° 469182)

(139) V. aussi, concernant la même élection et sur la base du même raisonnement que dans l’affaire précédente, le rejet de la demande de versement du remboursement forfaitaire car le total des dons reçus par M. A. excède celui des dépenses électorales qu'il a engagées et qu'aucune de ces dernières n'a donc été réglée sur son apport personnel : 13 juillet 2023, M. A., n° 469187.

(140) Voir encore, rappelant - et l’appliquant positivement à l’espèce - qu’« en dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré. » Application à un binôme ayant présenté un compte de campagne non revêtu de sa signature, ne comportant ni dépenses ni recettes alors qu’il y en avait, non certifié par un expert-comptable : 18 juillet 2023, Mme A. et M. C., élections départementales du canton de Mérignac-2, n° 465562.

 

Environnement

 

 

 

 

Du malheur d’être une éolienne

ou paradoxes d’un progrès écologique

 

Les éoliennes sont devenues pour le juge administratif une « mine » (!) inépuisable de contentieux où, malheureusement, pointe trop souvent l’argumentaire répétitif sur fond de paradoxe. En effet, nul ne niera la laideur de ces poteaux à ventilateurs bruyants et guère invisibles. Pourtant, ils se veulent respectueux de l’environnement en contribuant à substituer aux énergies fossiles, devenues désormais funestes, une énergie très peu chère – du moins tant que la voracité fiscale n’y aura pas fait son œuvre captatrice – et présumée indéfiniment renouvelable.

Et voilà que, paradoxalement, se dressent contre ces appareils les défenseurs de l’environnement visuel pour qui quand c’est laid ce n’est décidément pas beau !

Et voilà le Conseil d’État dans l’un de ses grands rôles : le funambulisme. Il sautille sur le fil (pas du rasoir tout de même…) entre trop et pas assez, entre préservation du futur de l’homme et préservation de son passé car le respect du visuel consiste à figer à l’instant T la vision de notre environnement.

Encore une fois est posée la question, urgente, redoutable et douloureuse de la place des préoccupations environnementales dans la hiérarchie des règles de droit : Ont-elles ou doivent-elles avoir une priorité absolue parce qu’il y va de la survie de l’espèce ? Ou bien ne faut-il rien changer à l’état actuel de notre normativité parce que celle-ci est, pour l’heure, adaptée ? Ou encore, convient-il, pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage d’Hannah Arendt (« Between past and future », 1961), d’instaurer un mix entre futur et passé ?

A cette difficulté s’en ajoute une autre, tirée de ce que la gravité des problèmes introduit ipso facto une urgence : Faut-il aller à marche forcée en délaissant les schémas, procédures et délais ordinaires lorsqu’ils sont gênants pour l’efficacité de la lutte en faveur de l’environnement ? Faut-il rester en l’état ? Ou bien convient-il, là aussi, de jouer les équilibristes si prisés au Palais-Royal ? These are the questions…

 

141 - Éoliennes - Décision de poursuivre un projet à l’issue du débat public - Nature et régime juridique et contentieux - Régularité du débat public - Rejet.

Les requérants demandent l’annulation de la décision du 10 mai 2021 des maîtres d'ouvrage société Éoliennes en mer de Dunkerque (EMD) et Réseau de Transport d'Électricité (RTE) de poursuivre le projet d'implantation d'un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque, qu’il soit fait injonction aux maîtres d'ouvrage de saisir de nouveau la commission nationale du débat public (CNDP) et les autorités compétentes en vue d'organiser une nouvelle procédure de participation du public, de prendre une nouvelle décision au titre de l'art. L. 121-13 du code de l'environnement.

Par une décision du 10 mai 2021, la société Réseau de Transport d'Électricité (RTE) et la société Éoliennes en Mer de Dunkerque (EMD) ont, à la suite du débat public organisé à ce sujet du 14 septembre au 20 décembre 2020 et du bilan publié à son issue le 15 février 2021 par la présidente de la commission nationale du débat public, décidé de poursuivre le développement du projet de parc éolien en mer au large de Dunkerque et son raccordement électrique. 

Il résulte des dispositions de l'art. L. 121-13 du code de l'environnement invoqué par les demandeurs qu’à l’issue du débat public organisé sur un projet, le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable du projet décide, par un acte qui est publié, du principe et des conditions de la poursuite du projet. Le Conseil d’État déduit de là que l’acte décidant du principe et des conditions de la poursuite du projet, a pour seul objet de tirer les conséquences de ce débat et que si cet acte a le caractère d'une décision car une fois devenu définitif, aucune méconnaissance des art. L. 121-8 à L. 121-12 de ce code ne peut plus être invoquée, il ne peut cependant, eu égard à son objet, être contesté que sur le fondement de moyens tirés de vices propres dont il serait entaché et de l'irrégularité du débat public au regard de ces mêmes dispositions, à l'exclusion, notamment, de toute contestation du bien-fondé de l'opération dont il est décidé de poursuivre les études, celui-ci ne pouvant être mis en cause qu'à l'occasion des actes qui, au titre des différentes législations applicables, en autorisent la réalisation. 

Ceci explique qu’ici le juge se prononce, d’une part, sur les vices propres allégués de cet acte et d’autre part, sur la régularité du débat public, rejetant d’ailleurs tous les moyens soulevés par les demandeurs (on se reportera au texte de la décision sur ce point).

La décision vaut aussi, et peut-être surtout, par ses aspects de contentieux et les solutions qui y sont apportées, lesquelles eussent mérité de figurer dans un arrêt de Section. Comme le Conseil d’État ne répond ici à aucune argumentation en ce sens, le moyen est donc relevé d’office et il s’agit donc de réponses implicites.

Tout d’abord, alors qu’il s’agit de recours dirigés contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage privé met en œuvre l’art. L. 121-13 précité du code de l’environnement, est affirmée la compétence ratione materiae du juge administratif pour en connaître.

Ensuite, le Conseil d’État statue sur renvoi du tribunal administratif de Lille primitivement saisi et donc en premier et dernier ressort. Si cette compétence directe est prévue par l’art. R. 311-1-1 du CJA pour un certain nombre de décisions qui y sont - apparemment - limitativement énumérées, relatives aux ouvrages de production et de transport d’énergie renouvelable en mer, force est de constater que n’y figure pas le recours dirigé contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage, à l’issue du débat public, décide du principe et des conditions de la poursuite d’un projet d’implantation d’un parc éolien en mer. Il s’agit d’une extension prétorienne de la compétence juridictionnelle du Conseil d’État.

(10 juillet 2023, Société Port d'Ostende, n° 457659 ; État belge, n° 457660 ; Commune de La Panne (Belgique), n°457661 ; Région flamande, n° 457663, jonction)

 

142 - Autorisation d’exploitation de parc éolien - Absence de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées - Mesure de régularisation ordonnée - Prise en compte des mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire - Absence - Annulation.

Cette affaire est une nouvelle illustration d’une situation juridique récurrente dont il conviendrait de venir à bout.

Le scénario est classique : l’autorisation d’exploiter un parc éolien est accordée par un préfet, le pétitionnaire, attentif au risque de recours, propose des mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées ou susceptibles de l’être aux espèces protégées et ensuite les juges du fond soit ne tiennent pas compte de ces mesures soit les estiment insuffisantes et prononcent l’annulation de l’autorisation faute qu’ait été sollicitée et/ou obtenue une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Enfin, le Conseil d’État annule l’annulation.

Une donnée supplémentaire peut fréquemment intervenir lorsque, en outre du problème des espèces protégées qui seraient menacées par le projet, est invoqué le moyen tiré de ce que l’art. 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement impose qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences.

Ce scénario est répété ad nauseam dans un très grand nombre de dossiers. C’est le cas ici ou, la cour administrative d’appel :

- d’une part, se voit reprocher l’erreur de droit ayant consisté à n’avoir pas apprécié si les mesures d’évitement et de réduction proposée par le pétitionnaire présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé,

- d’autre part est approuvée d’avoir jugé que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011 dès lors que le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, sans que soit intervenu, au sein de cette direction, le service mentionné à l'art. R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.

(20 juillet 2023, Société Engie Green Tilly, n° 466162)

 

143 - Éoliennes – Refus d’autorisation unique – Nécessité d’obtenir une dérogation « espèces protégées » - Exigence liée à un risque suffisamment caractérisé – Possibiulité de proposer des mesures de réduction ou d’évitement – Absence – Erreur de droit – Annulation.

La société pétitionnaire d’un parc éolien a demandé l’annulation du refus du préfet de lui accorder une autorisation unique en vue d'exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs d'une hauteur maximale de 125 mètres en bout de pâles et d'un poste de livraison, ce refus étant justifié par le fait que le projet nécessitait une dérogation au titre de l'art. L. 411-2 du code de l'environnement. La cour administrative d’appel a rejeté ce recours. Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi formé par la société contre cet arrêt, l’annule.

Il rappelle à nouveau que si la disposition précitée impose une dérogation c’est sous la réserve, d’abord, que le risque que le projet comporte pour les espèces protégées soit suffisamment caractérisé, ensuite, que le pétitionnaire n’ait pas déposé un projet contenant des mesures d'évitement et/ou de réduction qui présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé. Lorsque, en revanche, de telles mesures sont proposées, l’exigence d’une dérogation n’a plus lieu d’être.

En l’espèce, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que, pour apprécier le risque que le projet présente pour l'avifaune et pour les chiroptères, et, par voie de conséquence, pour apprécier la nécessité d'une dérogation au titre de l'art. L. 411-2 du code de l'environnement, les mesures de réduction ne devaient pas être prises en compte.

C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation et cela d’autant plus que cette ligne jurisprudentielle, constante, a été rappelée des dizaines de fois.

(11 août 2023, Société Ferme éolienne de Moux, n° 465751)

 

144 - Autorisation unique d'exploiter une installation éolienne - Contrariété prétendue aux dispositions du plan local d’urbanisme (PLU) - Erreur de droit - Annulation.

Encourt annulation pour motif d’erreur de droit, l’arrêt d’une cour administrative d’appel annulant l’arrêté préfectoral délivrant une autorisation unique d'exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie éolienne regroupant cinq aérogénérateurs et un poste de livraison motif pris de ce que le projet envisagé n'entrait pas dans la catégorie des activités admises en zone A du PLU telles que les installations nécessaires au fonctionnement des services publics ou d'intérêt collectif, notamment les installations nécessaires au fonctionnement des réseaux d'énergie, alors que le projet litigieux, d’installer des éoliennes, contribue à la satisfaction d'un besoin collectif par la production d'électricité destinée au public et participe ainsi au fonctionnement des réseaux d'énergie.

(20 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 467112 ; Société Ferme éolienne de Chaleins, n° 467133)

 

145 - Éoliennes – Refus d’autorisation unique – Nombre total et vue générale des aérogénérateurs – Absence de phénomène d’encerclement – Erreur de droit – Annulation.

Une cour administrative d’appel annule un refus préfectoral d’accorder une autorisation unique d’implantation d’aérogénérateurs en raison de ce que le nombre de leurs implantations, dans un rayon de vingt kilomètres, est de nature à créer un phénomène visuel d’encerclement. La cour considère cet argument comme guère tenable en raison de la variabilité des distances d'implantation et de la multiplicité des points d'observation lesquels font obstacle à ce que ces mâts puissent être perçus simultanément et en totalité avec la même profondeur de champ. 

Le Conseil d’État juge ce raisonnement de la cour entaché d’erreur de droit car, relève-t-il, « l'impact visuel du projet sur le paysage environnant pouvait être pris en compte et le projet refusé s'il était susceptible de générer un phénomène de saturation visuelle à partir d'un seul point d'observation pertinent, y compris si toutes les éoliennes existantes ou autorisées ne pouvaient être perçues à partir de ce point d'observation. » Il se comprend aisément que si la saturation est perceptible dès la vue d’une partie seulement des éoliennes cela peut suffire à justifier le rejet préfectoral mais alors à quoi cela sert-il d’évoquer un rayon de vingt kilomètres (lequel signifie tout de même, rappelons-le, une surface impactée de 1254 km2) ? Il suffit donc de rechercher si cette saturation est visible – ou non - de l’un quelconque des points pertinents où se place l’observateur.

(11 août 2023, ministre de la transition écologique…, n° 459062)

 

146 - Permis de construire des aérogénérateurs et des postes électriques - Insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur et méconnaissance de l'art. R. 423-72 c. urb. – Régularisation jugée possible – Délai octroyé à cet effet -

L'association requérante et diverses personnes physiques ont contesté un arrêté préfectoral délivrant à deux sociétés un permis de construire six aérogénérateurs et deux postes électriques sur le territoire de la commune de Saint-Beauzély.

Après annulation de cet arrêté en première instance par un jugement du 22 mars 2017, la cour administrative d’appel, saisie par les sociétés bénéficiaires des autorisations accordées, a jugé par un arrêt avant-dire droit, du 26 novembre 2019 :

- d’une part, que, sur l'ensemble des moyens invoqués par les requérants, tant en première instance qu'en appel, seuls les moyens tirés de l'insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur et de la méconnaissance des dispositions de l'art. R. 423-72 du code de l'urbanisme étaient de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté préfectoral du 13 juin 2014,

- d’autre part, que ces illégalités pouvaient être régularisées et elle a sursis à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, ou de six mois en cas d'enquête publique, à compter de la notification de cet arrêt, pour permettre de notifier le cas échéant à la cour une mesure de régularisation des illégalités susmentionnées,

- enfin, qu’il y avait lieu de réserver jusqu'en fin d'instance tous les droits et moyens des parties sur lesquels il n'était pas expressément statué par ledit arrêt. 

Puis, par un arrêt du 29 décembre 2020, la cour administrative d'appel a annulé le jugement précité et rejeté la demande de l'association Lévézou en péril et autres tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral précité.

Ces derniers se pourvoient en cassation des deux arrêts de la cour. Pour rejeter l’ensemble des moyens soulevés à cet effet, le juge de cassation examine successivement chacun des deux arrêts attaqués, l’avant-dire droit du 26 novembre 2019 et l’arrêt définitif du 29 décembre 2020.

 

I/ Sur l’arrêt avant-dire droit

 

Le juge est conduit ici à aborder deux questions distinctes, d’abord celle portant sur les moyens écartés dans cet arrêt (A), ensuite celle relative à la décision de cette juridiction de faire usage des pouvoirs que lui confèrent les dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme (B).

 

A/ Sur les moyens écartés

 

Les demandeurs avaient soulevé une dizaine de moyens, tous rejetés par la cour.
Il est d’abord jugé que les dispositions de l'art. R. 111-15 du code de l'urbanisme – contrairement à ce qui est soutenu -, ne permettent pas à l'autorité administrative de refuser un permis de construire, mais seulement de l'accorder sous réserve du respect de prescriptions spéciales relevant de la police de l'urbanisme, telles que celles relatives à l'implantation ou aux caractéristiques des bâtiments et de leurs abords, si le projet de construction est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement. La cour n’a ainsi pas commis d‘erreur de droit en retenant que les pétitionnaires avaient prévu un ensemble de mesures de protection des chiroptères communiquées au service instructeur et en considérant que ces engagements devaient être regardés comme étant pris en compte par l'arrêté préfectoral litigieux.

Également, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que les conditions de raccordement des bâtiments et ouvrages aux équipements publics existants, telles que prévues à l’art. R. 421-2 c. urb., n'avaient pas à figurer dans le dossier de demande de permis de construire du parc éolien projeté, car le raccordement, à partir de son poste de livraison, d'une installation de production d'électricité au réseau électrique se rattache à une opération distincte de la construction de cette installation et est sans rapport avec la procédure de délivrance du permis de construire l'autorisant.

Pareillement, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé :

- d’une part, que si les avis du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense, tous deux favorables mais assortis de prescriptions (cf. art. R. 425-9 c. urb. et R. 244-1 code aviation civile), n’ont pas été joints au dossier soumis à enquête publique, ce seul élément, en l'absence d'autres circonstances, n'était pas de nature à avoir privé le public d'une information sans laquelle il n'aurait pu participer effectivement, à l'enquête et n'a pas exercé une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur le sens de la décision en litige,

- d’autre part, que les dispositions (L. 122-1 du code de l'environnement), qui exigent que l’autorisation d’un projet soumis à étude d'impact soit portée à la connaissance du public par une information supplémentaire explicitant les motifs et les considérations qui ont fondé la décision, ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation de celle-ci qui serait une condition de sa légalité. La circonstance que les informations prévues par ces dispositions n'ont pas été jointes aux arrêtés contestés est sans incidence sur leur légalité.

C’est encore sans erreur de droit que la cour a, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’art. R. 111-2 c. urb. relatif à la salubrité ou à la sécurité publique de la construction projetée, relevé que l'art. 2 de l'arrêté litigieux imposait le respect d'un plan de gestion sonore ainsi que l'obligation de mise en place d'un contrôle in situ ayant pour objectif de le renforcer et de l'améliorer, et en a déduit que les prescriptions en cause étaient suffisantes.

Ensuite, rappelant une jurisprudence constante en cette matière, le Conseil d’État indique que la recherche par le juge de l’éventuelle existence d'une atteinte à un paysage naturel pouvant fonder le refus de permis de construire ou l’édiction de prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, lui impartit d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site sans que, à ce second stade, il puisse être procédé, pour apprécier la légalité des permis de construire, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-21 c. urb. précité. Or, en l’espèce, appliquant ce schéma d’analyse la cour, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. R. 111-21 c. urb., a – sans aucune erreur de droit - examiné tant la qualité du site naturel et urbain sur lequel l'exploitation de l'installation est projetée, marqué par la présence de monuments historiques, du mont Seigne et du Puech du Pal, de lieuxdits remarquables tels que Mauriac et de la Gineste, du parc régional des Grandes Causses, et par l'inscription au Patrimoine mondial de l'UNESCO des Causses des Cévennes, que l'impact de l'autorisation projetée sur ces paysages et ces sites. En outre, et spécifiquement sur ce dernier point, répondant à une objection tirée de l’art. L. 600-2 c. urb., le juge de cassation rappelle que, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. R. 111-21 précité, la cour a relevé que le classement des Causses des Cévennes au Patrimoine mondial de l'UNESCO n'avait, en tout état de cause, pas à être pris en compte pour apprécier la légalité de l'arrêté en litige, eu égard à l'effet de cristallisation des règles d'urbanisme à la date du refus illégal initialement opposé à la demande de permis de construire des sociétés requérantes.

Enfin, c’est sans erreur de droit que la cour, concernant le moyen de saturation visuelle résultant de ce que le projet en litige s’ajoute aux parcs existants à proximité, a rappelé l'autorité de chose jugée attachée aux motifs du jugement du 11 juin 2013, devenu définitif, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision implicite de rejet opposée par le préfet à la demande des pétitionnaires, en jugeant qu'en estimant que le projet en litige présentait un risque de saturation du paysage proche et lointain, le préfet avait commis une erreur d'appréciation.


B/ Sur l'application de l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme 


Le juge de cassation réitère ici une jurisprudence bien établie selon laquelle lorsqu’il a été décidé de recourir à l'art. L. 600-5-1 c. urb., le requérant de première instance peut contester le jugement avant-dire droit aussi bien en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme qu’en tant qu'il a fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1.

En revanche, à compter de la délivrance du permis régularisant le vice relevé dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant-dire droit, les conclusions présentées par le requérant de première instance et dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'art. L. 600-5-1 précité, sont privées d'objet.

En conséquence, dans la présente espèce, à compter de la régularisation des vices relevés par la cour administrative d'appel dans son arrêt avant-dire droit du 26 novembre 2019, les conclusions dirigées contre cet arrêt, en tant qu'il a mis en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'art. L. 600-5-1 précitées sont privées d'objet, d’où le rejet, pour irrecevabilité, du recours dirigé contre cette partie de l’arrêt. 


II/ Sur l’arrêt définitif du 29 décembre 2020

 

Le pourvoi dirigé contre ce second arrêt est rejeté en tous ses chefs de griefs.

D’abord, la cour est approuvée pour avoir jugé que devait être écarté le moyen que les conclusions du nouveau commissaire-enquêteur désigné après l'arrêt avant-dire droit auraient méconnu l'exigence de motivation en retenant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation :

- d'une part, que l'intéressé a analysé dans son rapport de manière synthétique et par thèmes les observations du public formulées devant lui, sans que la circonstance qu'il se soit fondé, pour répondre aux observations du public, sur les éléments produits par le maître de l'ouvrage ne soit de nature à révéler qu'il ne se serait pas personnellement approprié les éléments du dossier d'enquête,

- d'autre part qu'il a apprécié l'impact de l'exploitation projetée sur le paysage dans plusieurs parties de son rapport, notamment dans la partie 2.3 consacrée à la présentation du projet en y décrivant les caractéristiques du paysage, l'impact du projet et les perceptions visuelles ainsi que les co-visibilités depuis différents points de vue, avant d'assortir son avis de réserves et de recommandations.

Ensuite, le juge de cassation rappelle que dans le cadre d'une nouvelle enquête publique, les éléments d'une précédente procédure peuvent être réutilisés, malgré leur ancienneté, à la condition toutefois qu'aucun changement de fait ou de droit ne soit intervenu les rendant obsolètes. C’est pourquoi la cour a pu juger, dans le présent arrêt, sans erreur de droit, aux termes d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les éléments de la note technique produite par la Ligue de protection des oiseaux du Lot-et-Garonne, en date du 24 juin 2019, concluant à une adaptation faible des oiseaux aux éoliennes, ainsi que la note technique Eurobats, de novembre 2020, rappelant que la Grande Noctule est classée parmi les espèces grandement vulnérables, ne suffisent pas, à eux seuls, à établir que les données de l'étude d'impact initiale, au demeurant complétée par le pétitionnaire lors de la nouvelle instruction de sa demande faisant suite à l'injonction prononcé par le tribunal administratif, seraient devenus obsolètes. 

Enfin, lorsque le juge administratif estime par un premier jugement, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l'art. L. 600-5-1 c. urb., les motifs de ce premier jugement qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l'instance, si ce second jugement rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans le premier jugement a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation. Il suit de là que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé qu’était inopérant – car déjà écarté par la cour dans son arrêt avant-dire droit - le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. R. 111-26 c. urb. en raison de l'impact environnemental du projet sur le vautour Fauve et le busard cendré.

(13 juillet 2023, Association Lévézou en péril et autres, n° 450093)

 

147 - Ours brun des Pyrénées - Mesures d’effarouchement - Directive « Habitats » et art. L. 411-1 c. env. – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté interministériel du 20 juin 2022 (transition écologique et agriculture) relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux et la prise d’une injonction.

Après trois arrêtés pris à titre expérimental en 2019, 2020 et 2021, l'arrêté du 20 juin 2022 attaqué fixe désormais à titre permanent, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques.

En particulier, sont classiquement retenus deux moyens d'effarouchement, sous réserve de la mise en œuvre effective et proportionnée de moyens de protection du troupeau tels que définis par les plans de développement ruraux ou de mesures reconnues équivalentes, l'effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l'effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux.

La demande de dérogation doit être justifiée par la survenance d'au moins une attaque sur l'estive lors de l'année précédente, ou d'au moins quatre attaques cumulées au cours des deux années précédentes ou de plus de dix attaques par an en moyenne lors des trois saisons d'estive précédentes. Le déclenchement des opérations d'effarouchement n'est possible qu'en cas d'indices de la présence récente de l'ours brun à proximité du troupeau.

La mise en œuvre, d’une part, de l'effarouchement simple est, par ailleurs, conditionnée à une information préalable par les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) en direction des personnes en charge de cette mise en œuvre, d’autre part, de l'effarouchement renforcé, lequel est subordonné à la mise en place de l'effarouchement simple et à la survenance, malgré cela, d'une deuxième attaque en moins d'un mois ou, sur les estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années, dès la première attaque malgré la mise en œuvre effective de moyens d'effarouchement simple lors de l'estive en cours ou encore, sur les estives ayant subi en moyenne plus de dix attaques par an au cours des trois saisons d'estive précédentes, en cas de nouvelle attaque malgré la mise en œuvre effective de moyens d'effarouchement simple durant les douze mois précédents.

La dérogation est délivrée pour une durée maximale de huit mois ne pouvant s'étendre au-delà de la saison d'estive en cours, et peut être suspendue si le compte-rendu d'une opération d'effarouchement n'est pas adressé ou si les conditions de dérogation ne sont plus réunies.

Les opérations d'effarouchement renforcé sont mises en œuvre de nuit, avec une extension possible aux périodes crépusculaires ou matinales, autour d'un troupeau regroupé pour la nuit, lorsqu'il est exposé à la prédation d'un ours repéré à sa proximité immédiate. Elles sont subordonnées à un certain nombre de conditions restrictives.

Il convient de rappeler que la population ursine, proche de l’extinction dans les années 1980, est remontée à 70 spécimens en 2022, son aire de présence passant de 3 800 km2 en 2015 à 10 400 km2 en 2019 mais que les effectifs demeurent encore inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l'espèce, estimée à un peu plus d'une centaine d'individus matures.

Pour rejeter les recours dont il était saisi, le Conseil d’État relève, au plan procédural, que c’est sans irrégularité qu’a été organisée la participation du public sur la base d’une note de présentation elle aussi régulière, que n’a pas été retenu l'avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) qui n’est qu’un avis simple et que, en qualité d’acte réglementaire celui-ci n’était pas soumis à une obligation de motivation.

Sur le fond, le juge relève, d’abord, que n’a pas été méconnu l'objectif de prévenir des dommages importants à l'élevage dès lors que les dispositions attaquées ne permettent le recours à des mesures d'effarouchement que si le troupeau concerné a déjà subi des dommages caractérisés.

Il juge ensuite que n’a pas été méconnue la condition légale relative à l'absence d'autre solution satisfaisante car contrairement à ce qui est soutenu les mesures d’effarouchement ne sont pas inefficaces et les requérants n'apportent par ailleurs pas d'éléments de nature à démontrer que d'autres mesures auraient une efficacité supérieure à celles résultant de l'arrêté attaqué. 

Par ailleurs, si les associations requérantes soutiennent que la combinaison du gardiennage par les bergers, du regroupement nocturne des troupeaux et de la présence de chiens de protection, notamment préconisée par le CNPN, constitue une autre solution satisfaisante, il ne résulte pas des pièces du dossier, au vu des éléments produits, que la mise en œuvre de telles mesures présenterait des résultats équivalents à ceux de l'effarouchement. Étant ici rappelé que ce dernier, qui n’est qu’une solution subsidiaire, ne peut être mis en œuvre que pour autant qu’existent des mesures effectives et proportionnées de protection du troupeau par leurs propriétaires ou gardiens.

Pas davantage n’est méconnu l’exigence du maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l'espèce dans son aire de répartition naturelle compte tenu des éléments rapportés plus haut qu’ils soient olfactifs ou sonores, qu’ils concernent le calibre 12 des fusils chargés de cartouches à double détonation ou de cartouches à munition en caoutchouc. Au reste, aucune incidence des mesures prises sur l'évolution de l'espèce et de son aire de répartition naturelle, notamment à travers une perte d'habitats, n'a été relevée, de même qu’aucun effet négatif particulier n'a été mis en évidence, selon les éléments versés au dossier par le ministre et qui ne sont pas utilement contestés par les associations requérantes, que ce soit s'agissant d'éventuels dommages auditifs à la suite de la mise en œuvre de tirs d'effarouchement, ou de la situation des femelles en gestation ou suitées, le nombre de ces dernières ayant sensiblement augmenté en 2019 et 2020 et qu'aucune séparation entre une femelle et son ourson n'a été constatée à la suite de la mise en œuvre d'une opération d'effarouchement renforcé.

 Enfin, les mesures querellées ne contreviennent ni au principe de précaution ni à l’exigence d’une évaluation préalable des incidences Natura 2000 des autorisations de tirs car elles ne constituent pas des plans ou projets au sens du § 3 de l'art. 6 de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage et de l'art. L. 414-4 du code de l'environnement pris pour sa transposition.

(10 juillet 2023, Association One Voice, n° 465654 ; Association Sea Shepherd, n° 466825)

 

148 - Délibération portant révision du plan local d’urbanisme (PLU) - Délibération précédée d’une modification des orientations du projet d'aménagement et de développement durable de la commune - Obligation d'une évaluation environnementale préalable - Absence - Annulation.

Les associations requérantes demandaient la suspension de l’exécution de la délibération par laquelle par laquelle le conseil municipal de Septeuil (Yvelines) a approuvé la révision du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune. Elles se pourvoient en cassation de l’ordonnance rejetant leur demande.

Pour entrer en voie de cassation, le juge des référés du Conseil d’État relève qu’avant d’approuver la révision du PLU le conseil municipal avait, afin de permettre cette révision, modifié les orientations de son projet d'aménagement et de développement durable par une délibération de son conseil municipal.

Or il résulte tant des dispositions de l’art. 3 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement que de celles de l’art. 26 du décret du 13 octobre 2021 portant modification des dispositions relatives à l'évaluation environnementale des documents d'urbanisme et des unités touristiques nouvelles, que la révision dont s'agit devait être précédée d'une évaluation environnementale et qu'en jugeant que tel n'était pas le cas, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

L’ordonnance est annulée et la suspension ordonnée.

(12 juillet 2023, Association « Sauvons la Tournelle », n° 465248 ; Association « Sauvons les Yvelines », n° 465249 ; Association Septeuil Demain, n° 465250 ; Association Septeuil Demain, n° 462251)

 

149 - Pêche récréative à l’anguille jaune - Refus d’interdiction -Absence de doute sérieux sur la juridicité de ce refus - Rejet.

L’Association requérante a saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une demande de suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce qu'il adopte, sur le fondement de l'art. R. 436-8 du code de l'environnement, un arrêté interdisant la pêche récréative de l'anguille d'Europe au stade de l'anguille jaune, dans toutes les eaux douces du territoire métropolitain, et pour une durée de cinq ans ou, à tout le moins, pour une durée de deux ans.

 Pour rejeter ce recours, le juge se fonde sur l’absence d'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

D’abord, la requérante ne saurait utilement invoquer à l’encontre du refus contesté la méconnaissance ni des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement relatives à la participation du public à l'encontre du refus de prendre une mesure réglementaire ni du règlement (UE) du 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, qui ne s'applique pas à la pêche en eau douce ni, non plus, des dispositions de l'art. L. 436-11 du code de l'environnement lesquelles n'imposent pas que les catégories de pêcheurs auquel il est interdit de pratiquer la pêche de l'anguille soient définies de manière uniforme pour la pêche en eau douce et pour la pêche maritime. 

Ensuite et surtout, si le ministre de la transition écologique n'a pas contesté ne pas disposer de données postérieures à celles déclarées en 2018 à la Commission européenne sur le nombre de pêcheurs pratiquant la pêche récréative des anguilles en eau douce, ni sur le volume d'anguilles jaunes pêchées, alors évalué à 700 tonnes par an, et ne procéder à aucune estimation de ces données entre les échéances des rapports à la Commission européenne que la France doit présenter en application de l'art. 9 du règlement (CE) n° 1100/2007, il ne résulte pas de l'instruction que l'association requérante aurait demandé aux autorités compétentes de se conformer à leurs obligations sur ce point, ou de lui fournir des informations fiables de l'évolution du volume d'anguilles jaunes pêchés en eau douce par les pêcheurs de loisir.

Dès lors, l'absence de suivi de cette pêche, pour regrettable qu'elle soit au regard des exigences résultant des dispositions des art. 9 et 11 de ce règlement, l'ampleur des volumes pêchés selon la dernière estimation disponible, l'absence de limitation des volumes et de la taille des anguilles capturées et les effets sur la santé de leur consommation invoqués par le requérant ne suffisent pas, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité du refus opposé à la demande d'interdire la pêche récréative en eau douce au regard de l'exigence de gestion équilibrée des ressources piscicoles énoncée par l'art L. 430-1 du code de l'environnement.

(ord. réf. 12 juillet 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 475177)

 

150 - Autorisation de destruction d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts - Inscription sur une liste ad hoc de la martre des pins et de la belette dans certains départements - Risque, pour la première, d’atteinte au grand tétras - Rejet.

Le juge des référés joint deux requêtes en référé suspension d’un arrêté ministériel du 03 août 2023 fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2026, en ce qu'il inscrit sur cette liste la martre des pins dans les départements de l'Aude, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées-Orientales et la belette d'Europe dans le département du Pas-de-Calais.

La première requête est rejetée motif pris de ce que la martre des pins constitue un risque pour le grand tétras, ou grand coq de bruyère, espèce dont il n'est pas contesté que, subsistant pour l'essentiel dans le massif des Pyrénées, elle est en mauvais état de conservation et fait l'objet d'une stratégie nationale d'action. Aussi, eu égard à la gravité de la situation du grand tétras, à sa grande vulnérabilité et au périmètre de l'inscription de la martre, qui est restreint aux communes du massif dans lesquelles le grand tétras est susceptible de se trouver et de se reproduire, la condition d'urgence ne peut pas être regardée comme remplie.

La seconde requête est rejetée faute pour la requérante de soulever des moyens de nature à créer un doute sérieux dans l’esprit du juge quant à la juridicité de l’arrêté querellé au regard des dégâts que la belette est susceptible d’occasionner dans le département du Pas-de-Calais.

(ord. réf. 29 août 2023, Association One Voice, n° 480996 ; Ligue pour la protection des oiseaux, n° 482270, jonction)

 

151 - Produits phytopharmaceutiques -  Actions standardisées d'économie de produits phytopharmaceutiques - Appel à contribution national et  évaluation des actions standardisées d’économie transmises dans le cadre de cet appel - Politique de diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques imposée aux mise en vente, vente ou distribution à titre gratuit des produits phytopharmaceutiques - Conformité à des actions standardisées fixées par le ministre de l’agriculture - Incompatibilité entre actions de vente et de conseil - Rejet.

La société requérante demande, d’une part l’annulation de  l'arrêté du ministre de l'agriculture du 29 juin 2021 portant modification de l'arrêté du 9 mai 2017 définissant les actions standardisées d'économie de produits phytopharmaceutiques ainsi que la décision implicite de rejet de sa demande de publier, dans un délai de deux mois, les actions standardisées résultant des fiches action intitulées : « Diminuer l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en recourant à une certification environnementale des exploitations en grande culture de Champagne Crayeuse »  et « Raisonnement de la protection des céréales à paille contre les maladies fongiques du feuillage avec l'aide du service C-3PO », d’autre part qu’injonction soit faite à ce ministre de prendre un nouvel arrêté incluant les actions standardisées résultant des fiches actions en litige dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Le recours est rejeté par une décision d’une grande importance théorique et pratique.

Il convient tout d’abord d’indiquer que la réglementation européenne (directive 2009/128/CE du 21 octobre 2009) relayée par le droit national (notamment les art. L. 254-1, L. 254-6-2 et L. 254-10-1 du code rural), a instauré un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides qui soit compatible avec le développement durable en particulier en réduisant les risques et les effets des pesticides sur la santé humaine et sur l'environnement et en encourageant le recours à la lutte intégrée contre les ennemis des cultures et à des méthodes ou techniques de substitution, telles que les moyens non chimiques alternatifs aux pesticides.

C’est pourquoi, les dispositions législatives susindiquées instaurent deux séries d’exigences.

Positivement, elles décident, en premier lieu, que les entreprises assurant la mise en vente, la vente ou la distribution à titre gratuit des produits phytopharmaceutiques aux utilisateurs de ces produits, mentionnées au 1° du II de l'article L. 254-1 du code rural, sont soumises à des obligations de réalisation d'actions tendant à la réduction de l'utilisation de ces produits, notamment par des actions de conseil, et en second lieu (cf. art. R. 254-34 de ce code), que ces actions doivent être conformes à des actions standardisées arrêtées par le ministre chargé de l'agriculture.

Négativement, ces dispositions posent un principe d’incompatibilité entre l'exercice de ces activités de mise en vente, vente ou distribution à titre gratuit des produits phytopharmaceutiques et l'activité de conseil mentionnée au 3° du II de l’art. L. 254-1 précité, consistant en la fourniture, à titre professionnel, de conseils stratégiques ou de conseils spécifiques. On comprend que cette incompatibilité vise à garantir aux utilisateurs un conseil objectif de nature à permettre la réduction de l'utilisation et des impacts de ces produits.

Il résulte ainsi de la dernière phrase du VI de l'article L. 254-1 (selon laquelle : « Toutefois, cette incompatibilité ne fait pas obstacle à ce que les personnes exerçant les activités mentionnées au 1° du II délivrent les informations énumérées au premier alinéa de l'article L. 254-7, ni à ce qu'elles promeuvent, mettent en place ou facilitent la mise en œuvre des actions tendant à la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques prévues à l'article L. 254-10-1 ») qu’elle a pour unique objet d'autoriser les personnes assurant la vente ou la distribution de produits phytopharmaceutiques, tenues de mettre en place des actions visant à la réalisation d'économies de tels produits, d'une part, à délivrer des informations relatives à l'utilisation, aux risques et à la sécurité d'emploi des produits qu'elles commercialisent et, d'autre part, à promouvoir auprès des utilisateurs de ces produits la mise en œuvre des actions contribuant à la réduction de l'utilisation de tels produits, prévues à l'article L. 254-10-1, et à leur apporter une assistance à la mise en place de ces actions, pour autant que ces actions ou l'assistance à leur mise en place ne relèvent pas d'une activité de conseil stratégique ou spécifique telle que définie par les dispositions de l'art. L. 254-6-2 du code rural.

Il suit de là que l'incompatibilité entre les actions de vente et de conseil prévue par le VI de l'article L. 254-1 du code rural vise à garantir aux entreprises utilisatrices de produits phytopharmaceutiques un conseil objectif de nature à permettre la réduction de l'utilisation et des impacts des produits phytopharmaceutiques. C’est pourquoi une telle garantie n'est pas contraire aux objectifs de la directive précitée en instaurant une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable et elle n'empêche pas les personnes exerçant les activités mentionnées au 1° du II de l'article L. 254-1 du code rural de satisfaire à leurs obligations relevant de ces mêmes objectifs.

Doit donc être écarté le moyen tiré de ce que les dispositions de cet article seraient contraires aux objectifs de cette directive, au seul motif qu'elles s'opposeraient à la mise œuvre d'actions telles que celle en litige.

Enfin, en dernier lieu, la fiche action intitulée « Diminuer l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en recourant à une certification environnementale des exploitations en grande culture de Champagne Crayeuse », dont la SCARA demandait l'inclusion dans les actions standardisées arrêtées par le ministre chargé de l'agriculture et qui a vocation à être réalisée par elle-même en sa qualité d'obligé au sens des dispositions de l'article L.254-10-1 du code rural, porte sur un accompagnement des agriculteurs, utilisateurs de produits phytosanitaires en vue de l'obtention d'une certification, cette démarche reposant notamment sur la réalisation d'un diagnostic environnemental et la rédaction d'un plan de progrès, les exploitants étant à cet effet « accompagnés, formés et étroitement conseillés » par le pôle Agronomie, Innovation et Services de la SCARA et par ses techniciens, y compris « sur le terrain » et au travers notamment d' « interventions en bout de champ ».

Il est certain qu’une telle action qui comprend également, au-delà d'une formation générale à la démarche de certification, des conseils et un accompagnement adaptés à chaque exploitation, inclut des activités de conseil stratégique au sens de l'art. L. 254-6-2 du code rural. Or une telle action, quand bien même il n'est pas contesté que sa mise en œuvre permet la réduction de l'emploi de produits phytopharmaceutiques, ne saurait donc être mise en œuvre par des vendeurs de produits phytopharmaceutiques, dont il est constant que la SCARA fait partie, sans méconnaître l'incompatibilité entre actions de vente et actions de conseil prévue par le VI de l'article L. 254-1 précité.

C’est donc sans erreur de droit que le ministre de l'agriculture a pu refuser de retenir cette action parmi les actions standardisées qu'il a arrêtées. 

(13 juillet 2023, Société coopérative agricole de la région d'Arcis-sur-Aube (SCARA), n° 459774)

 

152 - Demande d’interdiction de la vénerie sous terre du blaireau - Demande d’abrogation sans effet d’un acte réglementaire en l’état de la législation - Demande d’abrogation de l’autorisation d’une période de chasse complémentaire par vénerie sous terre du blaireau - Rejet.

Les requérantes demandent l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la ministre de la transition écologique et solidaire :

- d’une part, sur leur demande tendant à l'interdiction de la vénerie sous terre du blaireau et d'enjoindre au ministre d'interdire la vénerie sous terre du blaireau et d'abroger l'art. R. 424-5 du code de l'environnement et les art. 1, 3, 4, 5 et 6 de l'arrêté du 18 mars 1982 relatif à l'exercice de la vénerie, afin d'en exclure le blaireau ;

- d’autre part, à titre subsidiaire, sur leur demande tendant à l'interdiction de la période complémentaire de vénerie sous terre du blaireau et d'enjoindre au ministre d'abroger le deuxième alinéa de l'art. R. 424-5 du code de l'environnement.

Les deux demandes sont rejetées.

En premier lieu, l’art. R. 424-5 précité se bornant à préciser les périodes d’ouverture de la pratique de la vénerie sous terre qui est autorisée par l'art. L. 424-4 du code précité, les conclusions y relatives ne peuvent être que rejetées.

En second lieu, sont rejetées les conclusions tendant  à l'abrogation du deuxième alinéa de l'art. R. 424-5 du code de l'environnement, en tant que ses dispositions autorisent une période de chasse complémentaire par vénerie sous terre du blaireau à compter du 15 mai car elles n'ont pas par elles-mêmes pour effet d'autoriser la destruction de petits blaireaux ou de nuire au maintien de l'espèce dans un état de conservation favorable, le préfet étant notamment tenu, pour autoriser cette période de chasse complémentaire, de s'assurer, en considération des avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage et des circonstances locales, qu'une telle prolongation n'est pas de nature à porter atteinte au bon état de la population des blaireaux ni à favoriser la méconnaissance, par les chasseurs, de l'interdiction légale de destruction des petits blaireaux.

(28 juillet 2023, Association AVES France, association pour la Protection des Animaux Sauvages et association One Voice, n° 445646)

 

153 - Sincérité des consultations publiques - Garantie - Demande d'abrogation de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement - Demande d’instauration de garanties supplémentaires - Rejet.

La fédération requérante demande l'annulation du refus implicite opposé par le premier ministre à sa demande d'abrogation de l'art. D. 123-46-2 du code de l'environnement et, subsidiairement, à sa demande d'édiction de dispositions réglementaires de nature à permettre d'assurer la sincérité des consultations organisées sur le fondement de l'art. L. 123-19-1 du même code.

On sait que l’une des exigences les plus difficiles à satisfaire ou à respecter lors des consultations publiques est la fiabilité de leurs résultats eu égard aux personnes intervenues (groupes sociaux, économiques, politiques idéologiques, etc.), aux plans, données et précisions fournis (complétude, objectivité, lisibilité, intelligibilité, etc.), aux époques de leur déroulement, au contexte local et plus général, etc. Cela fait beaucoup et, par suite, il est très difficile d’y voir une solution optimale d’où des interrogations à l’infini sur le respect, ou non, de l’art. 7 de la Charte de l’environnement sans parler, d’une part, d’innombrables conventions internationales dont aucune procédure non plus qu’aucun organe n’a explicitement la charge d’assurer juridiquement la cohérence les unes par rapport aux autres, d’autre part, du droit de l’Union applicable en ces matières. Cela fait probablement trop.

C’est dans cette optique que l’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement a pour ambition de définir les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public est applicable aux décisions à caractère collectif ayant une incidence sur l’environnement. C’est également dans ce cadre que se situe le présent litige.

Nul ne sera surpris du rejet des deux chefs de demandes de la fédération requérante.

En premier lieu est rejetée la demande d’annulation du refus d'abroger l'art. D. 123-46-2 du code de l'environnement d’abord parce que cette disposition réglementaire ne saurait être confrontée directement à l’art. 7 précité de la Charte de l’environnement, ensuite parce que le Conseil d’État a déjà refusé la transmission d’une QPC relative à la conformité de cet article législatif à ladite Charte, enfin parce que ne saurait, non plus, être opposée ici l’art. 8 de la convention d’Aarhus car ces stipulations créent seulement des obligations entre les États parties à la convention et ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne.

En second lieu, est rejetée la demande d’annulation du refus d'édicter des dispositions réglementaires supplémentaires de nature à garantir la fiabilité de la participation du public en particulier pour lutter contre les doublons, les usurpations d’identité, etc., dans les observations faites par le public, le juge estimant que les dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement permettent à l'autorité administrative de distinguer, parmi les observations du public, celles n'ayant aucun lien avec l'objet de la consultation ou exprimant des positions générales ou de principe, de celles se prononçant sur le projet objet de la consultation. Elles permettent également à cette même autorité d'écarter certaines observations en cas de doublons, ou en raison de leur caractère incomplet ou sans lien avec l'objet de la consultation, de nature à apporter ainsi une garantie sur la fiabilité des avis exprimés par le public, nonobstant les risques qui peuvent résulter à cet égard du recours à la voie électronique, comme d'ailleurs de la voie postale. L’argumentation ne répond pas vraiment au moyen car de ce que des mécanismes soient prévus ne résulte évidemment pas leur mise en œuvre réelle ou leur efficacité certaine.

(28 juillet 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

 

154 - Audit énergétique (art. L. 126-28-1 du code de la construction et de l'habitation) - Professionnels susceptibles d’effectuer cet audit - Compétence du pouvoir réglementaire - Appréciation de la capacité des professionnels pour accomplir cette fonction - Accès gratuit à la connaissance du contenu des normes applicables - Discrimination entre acteurs de la certification énergétique - Rejet.

La requérante, habituée des prétoires sur ce sujet, demande l’annulation du décret n° 2022-780 du 4 mai 2022 relatif à l'audit énergétique mentionné à l'art. L. 126-28-1 du code de la construction et de l'habitation. Ses griefs sont, une nouvelle fois, rejetés.

Il ne saurait être soutenu que le pouvoir réglementaire aurait été incompétent pour prévoir, par le décret attaqué, que les professionnels certifiés pour réaliser un diagnostic de performance énergétique et souhaitant réaliser des audits énergétiques devraient disposer d'une certification pour ce faire, attestant qu'ils justifient des compétences nécessaires, puisque ce pouvoir a été habilité par l’art. L. 126-28-1 du code de la construction et de l'habitation à déterminer le niveau de compétence et de qualification des auditeurs.

Il ne saurait non plus être soutenu que les textes applicables ici méconnaissent l'art 9 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur car ces textes précisent les qualifications dont les professionnels doivent justifier pour effectuer l'audit énergétique mais ne mettent pas en place, par eux-mêmes, un régime d'autorisation d'une activité de service au sens de cet article, qui précise seulement les conditions selon lesquelles les États membres peuvent subordonner l'accès à une activité de service et son exercice à un régime d'autorisation.

Semblablement, ne saurait être opposé au décret litigieux l'art. L. 6351-1 A du code du travail, selon lequel : « L'employeur est libre de choisir l'organisme de formation (...) auquel il confie la formation de ses salariés », qui se borne à préciser les conditions dans lesquelles est apprécié le niveau de compétence et de qualification des professionnels réalisant l'audit énergétique.

Pas davantage le décret attaqué ne saurait être jugé contraire au règlement européen du 9 juillet 2008 fixant les prescriptions relatives à l'accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits, dont les dispositions n'ont pas pour objet, contrairement à ce que soutient la société requérante, d'interdire l'application de normes autres que celles qui auraient fait l'objet d'une harmonisation au niveau de l'Union Européenne. 

Encore, la circonstance que la norme NF EN/ISO/CEI 17000 ne soit pas gratuitement accessible est sans incidence sur l'obligation de certification imposée par le décret attaqué dès lors qu’il s’agit d’une norme générale non obligatoire reprenant des définitions issues de normes elles-mêmes gratuitement accessibles. En outre, le fait, pour les professionnels intéressés, de devoir attester sur l'honneur qu'ils ont besoin d'accéder à la norme pour pouvoir la consulter gratuitement ne méconnaît pas les termes de l'article 17 du décret du 16 juin 2009, lesquels imposent seulement que la consultation se fasse gratuitement. 

Enfin, la différence établie entre les architectes et d’autres professionnels concernant la réalisation des audits énergétiques ne constitue pas une discrimination illégale dès lors que les architectes sont, en raison de leurs qualifications propres et des obligations professionnelles qui s'imposent à eux, placés dans une situation différente de celle des autres professionnels concernés.

(28 juillet 2023, Société Tekimmo, n° 465505)

 

155 - Demande de fermeture partielle de la pêche maritime du 1er au 15 août 2023 dans tous les sites Natura 2000 dédiées au grand dauphin et au marsouin commun du Golfe de Gascogne - Activité de diverses espèces de chalutiers - Réduction ou élimination des captures accidentelles d'espèces protégées imputables à la pêche - Directive « Habitats » et principe de précaution - Conditions de combinaison des prescriptions des art. L. 414-2 et L. 414-4, II bis, du code de l'environnement relatifs aux documents d'objectifs définissant, pour chaque site Natura 2000 les orientations de gestion et les mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration des habitats naturels de la faune ou de la flore - Absence d’urgence - Rejet.

L’association requérante a demandé que soit suspendue l'exécution de la décision implicite de refus du ministre de l'agriculture et du secrétaire d'État chargé de la mer de faire droit à sa demande tendant à la fermeture partielle de la pêche maritime du 1er au 15 août 2023 dans tous les sites Natura 2000 dédiées au grand dauphin et au marsouin commun du Golfe de Gascogne en ce qui concerne l'activité des chalutiers pélagiques en paire ciblant des espèces démersales, des chalutiers de fond ciblant des espèces pélagiques et démersales, des filets tramails ciblant des espèces pélagiques et démersales, des chalutiers pélagiques à panneaux ciblant des espèces démersales, des sennes ciblant les petites espèces pélagiques, des filets maillants ciblant les espèces pélagiques et démersales et des chalutiers pélagiques en paire ciblant les grandes espèces pélagiques.

La demande de référé suspension est rejetée au terme d’une très longue décision qui reprend sur bien des points l’analyse qu’avait effectuée la décision du Conseil d’État du 20 mars 2023, France nature Environnement et autres (req. n°s 449788, 449849, 453700, 459153) (V. cette Chronique, mars 2023, n° 125), laquelle enjoignait à l’État, sous six mois :

1°/ de prendre des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur suffisance pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées ;

2°/ de mettre en œuvre des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces.

De ce chef fait ici défaut la condition d’urgence compte tenu de l’imminence de l’expiration de ce délai de six mois.

On se permet de renvoyer le lecteur intéressé, pour le surplus de cette décision, au texte même de celle-ci.

(ord. réf. 31 juillet 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 476028)

 

156 - Obligation d’achat ou d’utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises - Atteinte à divers droits et libertés (principe d’égalité, liberté d’entreprendre, liberté du commerce et de l’industrie) - Absence - Rejet.

Le syndicat requérant soulève une QPC fondée sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'art. L. 224-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat ou d'utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises.

La transmission de cette question est refusée.

Tout d’abord, est rejeté le moyen reposant sur l’atteinte au principe d’égalité en raison de la distinction que les dispositions de l'art. L. 224-10 du code précité établissent entre les sociétés de financement auxquelles il peut être fait appel pour l'acquisition de véhicules automobiles et les entreprises ayant pour activité la location de véhicules en longue durée méconnaîtrait l'égalité de traitement entre ces deux catégories d'entreprises, dont les offres sont concurrentes. En effet, les sociétés de financement automobile, dès lors qu'elles ne gèrent pas de parcs de véhicules automobiles, et eu égard au fait qu'elles ne rendent pas à leurs clients des prestations de même nature que les sociétés de location de longue durée, se trouvent, au regard de la législation considérée, dans une situation différente.

Ensuite, est aussi rejeté le moyen reposant sur l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie ainsi qu’à la liberté d’entreprendre. En effet, le législateur a imposé aux entreprises gestionnaires d'un parc de plus de cent véhicules automobiles l'acquisition ou l'utilisation, à l'occasion du renouvellement de ce parc, d'une proportion croissante de véhicules à faibles niveaux d'émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, le législateur a entendu réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur des transports, notamment pour satisfaire aux engagements de la France contenus dans l'art. L. 220-1 du code de l'environnement le taux de remplacement devant passer de  10 à 50 % entre 2022 et 2030.

Il suit de là que les atteintes portées à ces libertés ne sont pas manifestement disproportionnées.

(02 août 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD (location longue durée) et des mobilités (SESAM LLD), n° 454045)

 

157 - Emballages des fruits et légumes - Interdiction d'exposer à la vente les fruits et légumes frais non transformés conditionnés sous emballages composés pour tout ou partie de matière plastique – Absence d’urgence – Rejet de la requête en référé suspension de cette mesure.

Le Conseil d’État rejette la demande de suspension d’exécution du décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, formée par l’une des habituées de son prétoire, en raison de la non satisfaction de la condition d’urgence.

Le juge estime que la seule production d'une attestation du président d'une entreprise, se bornant à faire état, sans l'étayer, des difficultés engendrées par l'entrée en vigueur du décret litigieux, et les quelques éléments chiffrés produits ne permettent pas d'apprécier l'impact pour les entreprises concernées de l'application du décret contesté, au-delà de ce qu'implique la loi elle-même, ni, en tout état de cause, la gravité des atteintes invoquées pour ce secteur d'activité. En outre, le décret comporte les exemptions prévues par la loi, d’une part, pour les fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme et autres, d’autre part, pour une trentaine de fruits et légumes, y compris de consommation courante, en plus des fruits mûrs à point et des graines germées, pour lesquels, en raison d'un risque de détérioration à la vente en vrac, une exemption est prévue. Enfin, les fruits et légumes qui ne sont pas exemptés peuvent être exposés à la vente avec un conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique jusqu'au 31 décembre 2023.

(ord. réf. 21 juillet 2023, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance), n° 476116)

(158) V. aussi, sur l’appréciation de la condition d’urgence par le juge du référé liberté cette fois, dans une hypothèse où le juge judiciaire a ordonné le placement d’une enfant hors du cadre familial en raison de la violence répétée de sa mère et, faute que le département ait pu prendre en charge cette enfant, l’a placée chez sa grand-mère. Le juge des référés du Conseil d’État, confirmant l’ordonnance rendue en première instance et tout en regrettant que le département n’ait pas obtempéré à la demande que lui a adressée le juge judiciaire, estime que, pour l’heure, il n’y a pas d’urgence particulière, au sens de l’art. L. 521-2 CJA, à statuer : ord. réf. 21 juillet 2023, Mme B., n° 476140.

(159) V. aussi, insistant sur le caractère particulier de l’urgence de l’art. L. 521-2 CJA qui n’est pas celle du référé suspension de l’art. L. 521-1, à propos d’une demande d'intervention rapide afin de remédier aux « intrusions informatiques permanentes en provenance de la gendarmerie nationale », ainsi qu'aux actes « intenables de cyber surveillance » dont il fait l'objet et qui n’est pas jugée revêtir l’urgence propre au référé liberté qui rendrait nécessaire la prise de mesures effectives et efficaces sous quarante-huit heures : ord. réf. 25 juillet 2023, M. A., n° 475774.

 

État-civil et nationalité

 

160 - Naturalisation - Retrait d’un décret de naturalisation - Mensonges sur l’adhésion aux principes et valeurs essentiels de la république française - Défaut d’assimilation - Prise en compte d’éléments postérieurs à la date de la décision - Rejet.

Est rejeté le recours formé contre le décret primo-ministériel du 24 décembre 2021 rapportant le décret du 3 juillet 2019 prononçant la naturalisation du requérant au motif que son bénéficiaire a menti sur son adhésion aux principes et valeurs de la république française alors même que les éléments de fait établissant la réalité de son défaut d’assimilation à la communauté nationale française n’ont été connus que postérieurement à la date d’édiction du décret de naturalisation.

(11 juillet 2023, M. C., n° 462174)

(161) V. aussi, rejetant la demande d’annulation du décret rapportant le décret de naturalisation accordé à un ressortissant algérien pour avoir menti sur sa situation matrimoniale, affirmant être célibataire à une époque où il était déjà marié à une ressortissante algérienne vivant à l’étranger : 11 juillet 2023, M. B., n° 467209.

(162) V. également, rejetant la demande d’annulation du décret rapportant le décret de naturalisation accordé à un ressortissant tunisien pour n’avoir pas porté à la connaissance de l’administration, alors qu’il est intervenu durant l'instruction de sa demande de naturalisation, son mariage avec une ressortissante tunisienne résidant dans son pays d’origine : 20 juillet 2023, M. D., n° 472998.

(163) V. encore, rejetant pour défaut d’urgence la demande de suspension du décret rapportant le décret de naturalisation de la requérante au motif qu'il avait été obtenu par fraude, en raison de la dissimulation volontaire par l'intéressée de son mariage avec un ressortissant marocain résidant à l'étranger, intervenu pendant l'instruction de sa demande. En effet, ce retrait n'implique pas, par lui-même, que Mme B. et sa fille seraient privées de tout droit au séjour sur le territoire français et que l'intéressée risquerait en conséquence de perdre l'emploi qu'elle occupe, alors au demeurant qu'il résulte de l'instruction qu'elle a rendez-vous le 31 juillet 2023 à la préfecture de Versailles pour déposer une demande de titre de séjour : ord. réf. 25 juillet 2023, Mme B., n° 475940.

(164) V., très comparable à la décision précédente, le rejet, pour défaut d’urgence, de la demande de suspension du retrait du décret de naturalisation d’un ressortissant sénégalais pour fraude en raison de la dissimulation de son mariage avec une ressortissante sénégalaise résidant à l'étranger, intervenu au Sénégal pendant l'instruction de sa demande : ord. réf. 25 juillet 2023, M. B., n° 475959.

(165) V. rejetant le recours dirigé contre le refus d’acquisition de la nationalité française opposé au demandeur au motif qu’il ne peut être regardé comme assimilé à la communauté française, notamment pour avoir été en relation avec plusieurs individus en lien direct avec une organisation à caractère terroriste et en avoir minimisé la gravité lors d'un entretien réalisé dans le cadre de sa demande de naturalisation en 2021 ainsi que pour avoir adopté un mode de vie caractérisé par une soumission des femmes qui ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment l'égalité entre les sexes. La circonstance que le requérant fasse valoir que les contacts qui lui sont prêtés sont anciens et sa pleine intégration à la société française ne saurait l’emporter sur le fait que l’intéressé ne conteste pas sérieusement et en tout état de cause, par de simples attestations signées de lui et de sa femme, les propos qu'il a tenus qui révèlent un défaut d'adhésion aux valeurs essentielles de la société française : 11 juillet 2023, M. A., n° 466865.

(166) V., très comparable à la décision précédente, rejetant un recours en annulation d’un rejet de déclaration d'acquisition de la nationalité française (art. 21-13-1 du code civil) formée par un ressortissant sénégalais ayant vécu pendant vingt-huit ans en état de bigamie soit jusqu’au décès de l’une des femmes : 11 juillet 2023, M. A., n° 467163.

 

167 - Étranger naturalisé français - Demande d’inscription du nom de son enfant sur l’acte de naturalisation - Enfant né avant la signature du décret de naturalisation - Refus (art. 22-1 du Code civil).

Il résulte des dispositions de l’art. 22-1 du Code civil qu'un enfant mineur ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents qu'à condition, d'une part, que ce parent ait porté son existence, sauf impossibilité ou force majeure, à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret et, d'autre part, qu'il ait, à la date du décret, résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

En l’espèce, pour justifier n’avoir point informé l’autorité administrative de la naissance de sa fille préalablement à la signature du décret lui accordant la nationalité française et que celle-ci ne résidait pas habituellement avec lui, le requérant soutient qu'il était dans l'impossibilité de produire l'acte de naissance de sa fille, née en Côte d'Ivoire en mars 2020, avant l'intervention du décret en raison du confinement et de la fermeture des frontières intervenus dans le cadre de la crise sanitaire et que ceux-ci justifiaient la résidence de l'enfant dans ce pays. Toutefois, il n'établit ni avoir été dans l'impossibilité de porter cette naissance à la connaissance de l'administration, ni l'existence de démarches en vue de faire venir l'enfant auprès de lui, entre la naissance et sa naturalisation. 

Est donc rejeté son recours tendant à voir annulé le refus qui a été opposé à sa demande de modification du décret de naturalisation pour y porter mention du nom de sa fille, afin de lui permettre de bénéficier de la nationalité française en vertu de l'effet collectif attaché à sa naturalisation.

(11 juillet 2023, M. A., n° 467016)

(168) V. aussi, très voisin, rejetant le recours dirigé contre le refus du ministre de l’intérieur de mentionner deux enfants, A et B, sur le décret de naturalisation. Or il résulte d’un jugement judiciaire que la résidence habituelle de l'enfant A a été fixée chez sa mère, M. D ne s'étant vu octroyer qu’un droit de visite et d'hébergement. Concernant l’enfant B, M. D n'a pas porté l'existence de cet enfant à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande de naturalisation préalablement à la signature du décret : 20 juillet 2023, M. D., n° 468613 et n° 469343.

(169) V. également, rejetant une demande de mentionner un enfant adopté, afin de le faire bénéficier de la nationalité française en vertu de l'effet collectif attaché à sa naturalisation car le procès-verbal de consentement à l'adoption du tribunal départemental hors classe de Dakar du 29 août 2012 a rompu de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant avec les parents de l'enfant. Ce procès-verbal ne peut ainsi être regardé comme ayant conduit à une adoption plénière de nature à permettre de faire bénéficier l'enfant de la nationalité française par l'effet de l'article 22-1 du code civil : 20 juillet 2023, M. A., n° 468113.

 

170 - Décret autorisant la perte de la qualité de Français - Demande de retrait ou d’abrogation - Demande de recouvrement de la nationalité française - Régime de la réintégration - Rejet.

La requérante conteste le refus du ministre de l’intérieur d’accéder à sa demande de retirer le décret du 25 juin 1980 la libérant de ses liens d'allégeance à l'égard de la France. 

Le Conseil d’État rejette sa requête au motif que cette décision a été prise sur la demande formulée le 1er août 1977 par le père de l'intéressée, alors mineure, et après avoir obtenu de sa part une confirmation sans équivoque de son souhait d'être libéré, avec sa femme et ses enfants, de ses liens d'allégeance à l'égard de la France.

L’intéressée ne peut donc recouvrer la nationalité française (cf. art. 24 du Code civil) qu’en sollicitant sa réintégration dans la nationalité française soit en obtenant un décret à cet effet qui est subordonné aux conditions et aux règles de la naturalisation soit en formulant une déclaration souscrite, en France ou à l'étranger, conformément aux articles 26 et suivants du Code civil, à condition d’avoir conservé ou acquis avec la France des liens manifestes, notamment d'ordre culturel, professionnel, économique ou familial.

(20 juillet 2023, Mme B., n° 468834)

 

Étrangers

 

 

171 - Certificat de nationalité française - Refus du juge judiciaire - Demande de restitution du passeport et de la carte d’identité - Incompétence du juge des référés du Conseil d’État - Rejet.

Le Conseil d’État ne peut être saisi directement d’un recours en référé que si le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'État. Tel n’est pas le cas de la demande par laquelle l’intéressée sollicite la suspension de la décision d’un sous-préfet lui ordonnant, suite au rejet de sa demande de délivrance de certificat de nationalité française par le tribunal judiciaire de Paris, de restituer son passeport et sa carte d'identité.

Le juge décline donc sa compétence au moyen, dérogatoire, prévu par l’art. R. 522-8-1 du CJA, d’une ordonnance.

(ord. réf. 28 août 2023, Mme B., n° 487229.)

(172) V. la solution identique retenue, envers la requête de la même requérante tendant à voir le juge des référés du Conseil d’État suspendre l'exécution de la décision du 30 mars 2023 par laquelle le ministre de la justice a confirmé le refus de délivrance d'un certificat de nationalité française opposé par le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Paris : ord. réf. 28 août 2023, Mme B., n° 487207.

 

173 - Ressortissants étrangers demandant l’asile seulement pour leur enfant mineure - Risque d’excision - Délivrance d’une carte de retrait ou de paiement - Obligation pour les parents ou l’un d’eux de détenir des pièces d’identité en original - Annulation et rejet.

Ce genre de litiges ne cesse de se développer (V., par ex., cette Chronique, juin 2023, n° 122, ord. réf. 02 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474282 ; ord. réf. 05 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474281).

Un couple de ressortissants ivoiriens non demandeurs d’asile a sollicité l’asile pour leur fille née en Côte d’Ivoire, âgée de dix ans environ, en raison du risque d’être exposée à une excision du clitoris et demandé, notamment, l’octroi d’une carte de retrait ou de paiement (cf. art. D. 553-18 CESEDA).

Le juge du référé liberté, sur recours de ces personnes, a enjoint l’OFII de verser à Mme et M. A. l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) allouée à leur fille en leur délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA, dans un délai de quarante-huit heures, le tout assorti d’une astteinte de 150 euros par jour de retard. 

L’Office interjette appel de cette ordonnance en tant qu’elle ordonne la délivrance d’une carte et que soit versée l’ADA. Il indique qu’une telle carte ne peut être délivrée qu’à des personnes majeures présentant à cet effet, en l’état de la législation bancaire française et pour un motif de prévention de fraude comme de blanchiment d’argent, des documents d’état civil originaux dont les intéressés ne disposent pas.

Estimant qu’il est loisible pour ces derniers de s’adresser à leur consulat ou à leur ambassade en France pour demander la délivrance desdites pièces originales et tenant compte des efforts faits par l’administration, le juge des référés du Conseil d’État décide, « dans les circonstances très particulières de l'espèce et en l'état de l'instruction » que le comportement de l’OFII ne révèle pas une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile.

L'ordonnance attaquée est annulée en ce qu’elle fait injonction à l’OFII de délivrer aux parents une carte de paiement.

(ord. réf. 04 juillet 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 475122 et n° 475165)

 

174 - Documents de caractère officiel - Pièces émanant de l’État italien - Documents jugés non probants par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dénature les pièces du dossier et encourt annulation la décision par laquelle la Cour nationale du droit d’asile relève, pour écarter la valeur probante de documents, sans en contester le caractère officiel, l'approximation des mentions y figurant, l'absence de production du relevé d'empreintes issu du fichier Eurodac, ainsi que le défaut de production d'éléments à la fois sur le déroulement précis de la procédure de demande d'asile en Italie et sur les motifs pour lesquels le requérant aurait obtenu cette protection, alors que répondant à une mesure d’instruction ordonnée par la Cour, le ministre de l'intérieur a produit deux documents émanant du ministère de l'intérieur italien indiquant que le requérant bénéficiait de la protection subsidiaire en Italie et s'était vu délivrer un titre de séjour valable jusqu'au 4 janvier 2023. 

(20 juillet 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 465691)

(175) V. aussi, jugeant que la CNDA a rendu une décision sur procédure irrégulière quand, après avoir relevé que le demandeur à la reconnaissance de la qualité de réfugié ou à l’octroi de la protection subsidiaire craignait avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques en cas de retour dans son pays d'origine, elle rejette néanmoins son recours au vu de la condamnation dont il avait fait l'objet et de la menace grave pour la société qu'il représentait ainsi, au sens du 2° de l'article L. 511-7 du CESEDA alors que cette clause permettant de refuser le statut de réfugié n’avait pas été invoquée lors de l'instruction de l'affaire, que les parties n’avaient pas été préalablement informées que la Cour entendait soulever d'office son application : 20 juillet 2023, M. B., n° 466241.

 

176 - Ressortissantes étrangères se trouvant au Soudan - Demandes d’attribution de visas au titre de la réunification familiale avec leur mère - Mère ayant en France la qualité de réfugiée - Demande d’évacuation des intéressées via l’Égypte - Pouvoirs du juge des référés - Relations internationales de la France - Rejets.

L’affaire est aussi complexe que dramatique.

Deux filles mineures, B. et D., se trouvant au Soudan, bloquées à la frontière avec l’Égypte, ont saisi le ministre de l’intérieur d’une demande de visa pour rejoindre en France leur mère, Mme I., qui y dispose de la qualité de réfugiée.

La juge des référés du tribunal administratif de Nantes, saisi d’un référé liberté par Mme I. agissant au nom de ses filles mineures, a, sur un premier recours, d’abord enjoint au ministre de l'intérieur, par ordonnance du 15 juin 2023, de délivrer un laissez-passer aux jeunes B. et D. en vue de leur entrée en France et de prendre toute mesure pour remettre de manière effective aux intéressées ces documents, dans un délai de 72 heures à compter de la notification de son ordonnance. Ensuite, cette même ordonnance a en revanche rejeté les demandes concernant les autres personnes accompagnant ces jeunes filles.

Le ministre de l'intérieur a interjeté appel de cette ordonnance en tant qu'elle a fait droit à certaines des demandes de Mme I.

Par ailleurs, Mme I. a à nouveau saisi ce même juge d’un référé liberté afin qu’elle ordonne des mesures immédiates permettant d’assurer l’exécution de l'ordonnance du 15 juin 2023, à titre principal par la remise à Mme I... d'un laissez-passer et d'un visa, dans un délai de 24 heures à compter de l'ordonnance à intervenir, à titre subsidiaire, par le déplacement d'un agent consulaire auprès des jeunes B. et D. pour leur remettre un laissez-passer et les accompagner lors de la traversée de la frontière avec l’Égypte. Ces demandes ont été rejetées par une ordonnance du 3 juillet 2023 dont Mme I. interjette appel. 

Les deux appels joints soulèvent deux questions de droit distinctes : celle du droit des intéressées à l’obtention des visas, celle du droit à obtenir une intervention du gouvernement français en vue d’une décision à prendre par un autre État.

Sur le premier point, il est jugé, comme cela était prévisible, qu’il appartient aux autorités françaises de prendre les mesures permettant aux ressortissants étrangers pouvant bénéficier d'une réunification familiale de faire valoir leur droit par la délivrance d'un visa ou de toute autre mesure équivalente. A défaut, le juge des référés est compétent pour leur enjoindre, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-2 du CJA, de prendre de telles mesures. 

Sur le second point, qui met en jeu les relations internationales de la France, le juge rappelle, là aussi très classiquement, que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des demandes tendant à ce que soit organisée l'évacuation de ressortissants étrangers du territoire de l'État dans lequel ils se trouvent, alors même qu'ils ont vocation à bénéficier des dispositions précitées. 

On ne voit guère quelles autres réponses auraient pu ou auraient du être faites par le juge en dépit du caractère dramatique de la situation actuelle des intéressées. C’est maintenant aux diplomates, dont c’est le métier, de trouver les voies et moyens de sortir de cette impasse.

(ord. réf. 13 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 475576 ; Mme I. agissant pour le compte de Mmes B. et D., n° 475629, jonction)

 

177 - Institution d’un dispositif d’hébergement en vue de la préparation au retour d’étrangers dans leurs pays (DPAR) - Absence de caractère d’établissements ou services sociaux ou médico-sociaux ou de lieux d’hébergement au sens du CESEDA - Conséquences - Rejet.

(10 juillet 2023, Cimade, n° 468764)

V. n° 1

 

178 - Allégation d’état de mineur isolé – Protection de l’enfance refusée en raison de la majorité du solliciteur – Absence d’acte d’état civil probant – Rejet.

Doit être rejetée la requête dirigée contre le rejet, par ordonnance de référé rendue en première instance, d’un ressortissant se disant de nationalité ivoirienne auquel le président d’un conseil départemental a refusé le bénéfice de la protection de l'enfance à raison de sa majorité révélée par l'évaluation éducative et sociale dont il avait fait l'objet.

Le juge d’appel retient également le caractère très vague du récit du requérant, dépourvu de toute indication permettant de déterminer les dates des évènements mentionnés, le fait que l'extrait d'acte de naissance et le certificat de nationalité fournis ne comportaient aucune photographie de telle sorte que ces documents ne permettaient pas d'identifier l'intéressé d’autant que le passeport déjà présenté en première instance, et établi à la demande de l'intéressé le 4 mai 2023, ne constitue pas, par lui-même, un acte d'état civil au sens de l'article 47 du code civil. Par ailleurs, le requérant ne fournit aucune pièce ou élément conduisant à remettre en cause les appréciations précises et circonstanciées sur lesquelles s'est fondé l'auteur de l’évaluation éducative et sociale. Enfin si le requérant invoque son état de santé, il n'apporte, en tout état de cause, aucun élément sur la gravité de cet état.

(ord. réf. 19 juillet 2023, M. A., n° 475855)

(179) V. aussi, infirmant l’ordonnance du premier juge, repoussant la présomption instituée par l’art. 47 du code civil en faveur des actes d’état-civil dressés à l’étranger, la décision refusant de reconnaître l’existence d’un prétendu état de minorité d’un demandeur guinéen et recevant l’appel d’un département en son refus de prise en charge de l’intéressé au titre de l'accueil provisoire d'urgence des mineurs non accompagnés. Il faut relever l’analyse minutieuse, circonstanciée et approfondie à laquelle se livre ici le juge des référés, rendant ainsi sa décision, au terme d’une implacable démonstration, rigoureusement incontestable : ord. réf. 21 août 2023, M. A., n° 478962.

 

180 - Demande d’hébergement d’urgence - Attribution d’un logement abandonné par la suite - Motif non fondé - Attribution de plusieurs logements successifs - Rejet.

Des ressortissants algériens, les consorts E., ainsi que leurstrois enfants âgés de 7, 8 et 11 ans, ont demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA, qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Île-de-France de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence et d'assurer leur accompagnement social. Ils interjettent appel devant le juge des référés du Conseil d’État. Celui-ci, s’appropriant entièrement le raisonnement des premiers juges, rejette l’appel.

Il relève que les intéressés avaient bénéficié d'un hébergement dans la Marne en mars 2023, qu'ils avaient quitté volontairement, faisant valoir que cet hébergement les éloignait des structures auprès desquelles ils avaient entamé un suivi psychologique, notamment pour assurer la prise en charge du traumatisme subi lors du naufrage survenu pendant la traversée de la mer Méditerranée, alors qu’il ne résultait pas de l'instruction que ce lieu d'hébergement ait fait obstacle à la poursuite de ce suivi.

De plus, la famille a depuis lors pu, à plusieurs reprises, à la suite de ses appels au 115, bénéficier d'hébergements d'urgence à Paris ou en région parisienne, sur des périodes de plusieurs jours, notamment du 26 avril au 2 mai, du 12 au 22 mai, puis du 1er au 21 juin 2023.

Ainsi et eu égard aux capacités limitées d'hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Île-de-France, c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a estimé qu'en l'état de l'instruction, la situation des consorts E. ne faisait pas apparaître une carence caractérisée des services de l'État dans la mise en œuvre du droit à l'hébergement d'urgence. (ord. réf. 13 juillet 2023, Consorts E., n° 475570)

(181) V. aussi, rejetant l’appel formé contre une ordonnance de référé refusant l’octroi d’un hébergement d’urgence à une mère et ses deux enfants, âgés de 14 et 17 ans, en raison du refus qu’elle a opposé, sans aucun élément sérieux, à la proposition de logement qui lui a été faite : ord. réf. 10 août 2023, Mme C., n° 477099.

(182) V. également, le rejet de l’appel dirigé contre l’ordonnance rejetant la demande de la requérante que soit continuée sa prise en charge dans le cadre du dispositif hôtelier d'hébergement d'urgence dont elle avait bénéficié jusqu’au rejet, par la Cour nationale du droit d’asile, de sa demande d’asile suivi de l’arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le juge relève en particulier qu’étant demeurée depuis en France elle n’a pas organisé son retour au Nigéria, ne fait état d’aucun risque particulier pour sa santé et sa sécurité ainsi que pour celles de ses deux enfants : 14 août 2023, Mme E., n° 478713.

(183) V. aussi, rejetant un recours tendant à la suspension de la décision d’une commune de fermer un centre d’hébergement en raison de problèmes d'hygiène et de sécurité au sein de locaux vétustes et inadaptés et des difficultés rencontrées par le centre communal d'action sociale pour assurer la gestion de ce service : 01 août 2023, M. E. et autres, n° 476412.

 

184 - Ressortissants étrangers, l’une nigériane, l’autre ghanéen – Parents d’un enfant – Mère en grossesse difficile – Demande d’asile rejetée – Décision préfectorale portant OQTF – Préfet ayant reconsidéré la situation – Octroi provisoire d’un hébergement d’urgence – Réponse à l’état de détresse d’une des familles les plus vulnérables – Demande au titre du référé liberté devenue sans objet – Rejet en tant que la situation actuelle de cette famille est assurée d’une certaine stabilité.

Le référé liberté au service de la détresse pourrait être le titre de cette dramatique affaire.

Deux ressortissants étrangers, une femme nigériane et un homme ghanéen se sont vus refuser l’asile et font l’objet d’une OQTF cependant, d’une part, qu’ils sont devenus parents d’un enfant né en France le 30 décembre 2020 et que la mère est enceinte d’un nouvel enfant, la grossesse se déroulant difficilement du fait de saignements (métrorrargies), situation difficilement compatible avec la condition de personnes sans domicile fixe.

Le préfet, tout en maintenant son arrêté d’OQTF, a permis une solution provisoire d’hébergement jusqu’à ce que soit stabilisée la situation médicale de la mère. Compte tenu d’une certaine pérennité de cette situation, le juge déclare sans objet le référé liberté formé en vue d’obtenir un hébergement.

On relèvera cependant que, s’adressant directement ainsi aux autorités de l’État, le juge des référés – tout en laissant sauf l’arrêté portant OQTF - qualifie cette famille comme étant « une des familles les plus vulnérables justifiant l'action de l'État à ce titre », ce qui devrait inciter les pouvoirs publics à la mansuétude d’autant que vont bientôt exister deux enfants français.

(ord. réf. 17 juillet 2023, Mme B. et M. C., n° 475754)

 

185 - Ressortissante marocaine - Demande de renouvellement de carte de séjour « salariée » - Situation d’urgence imputable à la seule intéressée - Demande de renouvellement devenue première demande - Absence de titre l’autorisant à travailler - Rejet.

Le juge du premier degré statuant en référé liberté est approuvé pour avoir jugé que l'absence de délivrance à Mme B., ressortissante marocaine, d'un récépissé de la demande de renouvellement de la carte de séjour portant la mention « salariée » dont elle disposait jusqu'au 29 novembre 2021, ne constituait pas en l'espèce une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ni n'était, par elle-même, de nature à caractériser l'urgence particulière exigée par l'art. L. 521-2 du CJA, la requérante s'étant elle-même placée en situation d'urgence car elle n'a sollicité le renouvellement de son titre de séjour qui expirait le 29 novembre 2021 que le 20 avril 2022, ce qui conduisait à regarder sa demande comme une première demande. En outre, ce juge a relevé que l’intéressée n'avait pas répondu à la demande de pièces complémentaires pour l'instruction de son dossier et n'avait saisi le juge des référés du tribunal administratif que le 1er mai 2023.

Le juge du référé liberté du Palais-Royal conclut logiquement que si Mme B. fait valoir que l'absence de délivrance d'un récépissé l'autorisant à travailler la prive de ressources pour vivre et se loger, ces circonstances, dont elle se prévalait déjà devant le premier juge, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation qu'il a portée, au regard des faits de l'espèce rappelés ci-dessus, sur l'absence tant d'une situation particulière d'urgence que d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, d’où le rejet de l’appel.

(ord. réf. 18 juillet 2023, Mme B., n° 475759)

 

186 - Ressortissant malgache faisant l’objet d’une OQTF – Situation irrégulière – Aucun motif sérieux ne pouvant fonder une décision de suspension d’exécution de l’OQTF – Rejet.

Est confirmée l’ordonnance de rejet, par le premier juge, d’une demande de suspension d’exécution de l’OQTF  faite par un ressortissant malgache se trouvant irrégulièrement à Mayotte, célibataire, n’y ayant aucune attache familiale, d’autant qu'il avait présenté une première demande d'asile le 11 octobre 2021 puis une demande de réexamen le 24 février 202, demande déclarée irrecevable par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 7 mars 2023 et que le recours exercé contre cette décision avait été rejeté le 2 mai 2023 par la Cour nationale du droit d'asile.

(ord. réf. 20 juillet 2023, M. A., n° 475836)

 

187 - Ressortissant marocain – Déchéance de la nationalité française - Expulsion – Allégation d’atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale – Rejet.

L’intéressé interjette appel de l’ordonnance de référé qui a rejeté sa demande de suspension des arrêtés du 15 juin 2023 du ministre de l'intérieur, l’un l'expulsant du territoire français et l’autre fixant le Maroc comme pays de renvoi. 

En réalité, c’est parce qu’il a été déchu de la nationalité française- pour des faits qu’il ne conteste pas – que le demandeur a fait l’objet, en conséquence, d’un arrêté d’expulsion.

L’on sait cependant, d’une part, que la légalité d’une telle décision suppose sauf le respect du droit à mener une vie familiale normale, d’autre part, que la condition d'illégalité manifeste de la décision contestée, au regard de ce droit, ne peut être regardée comme remplie que dans le cas où il est justifié d'une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise.

C’est sur ce point que portait le recours et, confirmant la solution retenue par le premier juge, le juge d’appel estime que quels que soient la force et le nombre des liens familiaux de l’intéressé avec sa famille résidant en France, la gravité des faits ayant justifié la déchéance de la nationalité française en font encore une menace pour la France. Par suite, l'arrêté d'expulsion litigieux ne porte pas en l'espèce atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale ou à en tout état de cause à l'intérêt supérieur de sa fille ou au droit à la vie garanti par l'article 3 de la Convention EDH.

(ord. réf. 27 juillet 2023, M. B., n° 476319)

 

188 - Ressortissant étranger – Décret lui refusant l’octroi de la nationalité française – Décision le mettant en état d’apatridie – Impossibilité de visiter sa fille, orpheline, vivant en Angola – Défaut d’urgence particulière – Rejet.

Le requérant fait valoir qu’il y a pour lui urgence à l’intervention du juge du référé liberté car le décret du 31 mai 2023, notifié le 1er août 2023, portant refus d'acquisition de la nationalité française dont il demande la suspension, a pour conséquences de le rendre apatride et de l'empêcher, d'une part, de se rendre en Angola sur le vol qu'il a réservé pour le 21 août prochain, pour rendre visite à sa fille de 12 ans, orpheline de mère depuis 2015, qui se trouverait en situation de détresse affective et matérielle et souffre de troubles respiratoires, et, d'autre part, de faire venir celle-ci en France dans les meilleurs délais.

Le juge rejette la demande, relevant qu’à supposer même que le requérant ait effectivement été déchu de sa nationalité congolaise en dépit du refus d'acquisition de la nationalité française et qu'il ne puisse pas se rendre en Angola le 21 août, sa fille, qu'il cherche à faire venir en France depuis plusieurs années, est matériellement prise en charge en Angola, même si c'est de façon précaire depuis le départ au Brésil, en avril 2023, de la personne qui l'hébergeait jusqu'alors.

Ainsi n’est pas satisfaite la condition d'urgence particulière à laquelle est subordonnée l'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. 14 août 2023, M. A., n° 481311)

(189) V. aussi, à propos du rejet – confirmé par le juge d’appel du référé liberté - fondé sur le défaut d’urgence particulière de la demande d’injonction au préfet de Mayotte d'organiser le retour du requérant à Mayotte où il est jugé  que n’est pas de nature à caractériser la condition d'urgence particulière au référé de l'art. L. 521-2 du CJA, l’invocation par le demandeur de ce qu’il ne lui est pas possible, à défaut, de solliciter la délivrance d'un visa de long séjour pour rejoindre en France ses quatre enfants et leur mère, également mère d'un autre enfant de nationalité française, alors que celle-ci se trouve seule et sans ressources pour subvenir aux besoins des cinq enfants en bas âge du foyer, qui ont, par ailleurs, besoin de sa présence : ord. réf. 17 août 2023, M. A., n° 481026.

 

190 - Expulsion – Ressortissant sénégalais – Participation à une entreprise terroriste – Absence d’atteinte au droit de mener une vie familiale normale – Rejet.

Le Conseil d’État rejette l’appel dirigé contre le refus du premier juge des référés de suspendre l’exécution de l'arrêté par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé l’expulsion du requérant du territoire français et fixé le Sénégal comme pays de destination.

En premier lieu, M. A. a fait l'objet d'une condamnation, prononcée le 23 mars 2016, à une peine de cinq ans d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme. La commission d'expulsion a émis un avis favorable à la mesure contestée, le comportement de M. A. démontrant un ancrage persistant dans la mouvance islamiste radicale corroborée par les notes des services de renseignements précises et circonstanciées rédigées en 2021, 2022 et 2023, portant notamment sur ses contacts réguliers avec des personnes pro-djihadistes condamnées pour terrorisme. Toutes indications que M. A. ne remet pas sérieusement en cause en appel.

En second lieu, l'intéressé ayant acquis la nationalité française à l'âge de 14 ans et en ayant été déchu par décret du 30 avril 2021, soutient se trouver dès lors en état d’apatridie, ce qui ferait obstacle à son expulsion. Or la seule circonstance qu'il ne disposerait pas de documents d'identité sénégalais et ne figurerait pas dans les registres de l'état civil du Sénégal ne saurait permettre de déduire qu'il ne possède plus la nationalité de ce pays à la suite de la déchéance de la nationalité française dont il a fait l'objet. Enfin, si M. A. est le père d'un enfant français mineur résidant en France, les éléments qu'il a produits ne permettent pas d'établir qu'il contribue effectivement à l'éducation et à l'entretien de cet enfant né en 2022 de sa relation avec une femme avec laquelle il ne vit pas.

Ainsi, il ne saurait être soutenu que la mesure d'expulsion porterait à son droit de mener une vie familiale normale avec sa fille et sa compagne une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

(14 août 2023, M. A., n° 478448)

 

191 - Ressortissante haïtienne - Époux et enfant de nationalité française - Refus de délivrance d’une carte de séjour - Absence d’urgence - Rejet.

Le juge d’appel confirme l’ordonnance de référé rejetant la demande d’une ressortissante haïtienne qu’il soit fait injonction au préfet de la Guyane de lui délivrer une carte de séjour d’un an ou provisoire, en raison de l’absence d’urgence, au sens spécifique de l’art. L. 521-2 du CJA, caractérisant sa situation en dépit de l’invocation de ce que son époux et sa fille sont français, de la longueur de la procédure dedélivrance des titres de séjour et, enfin, de ce que sa fille, née prématurément, soit actuellement hospitalisée en Martinique alors que l'enfant est déjà accompagnée de son père, qu'il ne résulte pas de l'instruction que sa présence serait médicalement indispensable à l'état de santé de l'enfant, ni d'ailleurs qu'elle aurait effectué une démarche en vue d'obtenir un éventuel laissez-passer.

(ord. réf. 22 août 2023, Mme C., n° 484241)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

192 - Agent en congé pour maladie – Exercice concomitant de l’action disciplinaire – Conséquence sur la rémunération – Suspension dès le prononcé de la sanction – Rejet.

Le requérant, professeur certifié, a fait l’objet d’une sanction disciplinaire d'exclusion de ses fonctions pour une durée de deux ans et d’une suspension concomitante de sa rémunération. 

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a jugé que la circonstance qu’il était en congé pour maladie ne faisait pas obstacle à l'entrée en vigueur de la décision par laquelle lui a été infligée la sanction disciplinaire d'exclusion de ses fonctions pour une durée de deux ans et donc à la suspension de sa rémunération. 

Le pourvoi est rejeté car la procédure disciplinaire et la procédure de mise en congé de maladie sont des procédures distinctes et indépendantes.

Il s’ensuit que la circonstance qu'un agent soit placé en congé de maladie ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l'entrée en vigueur d'une décision de sanction. 

Dès lors c’est sans erreur de droit qu’au terme de la procédure disciplinaire et alors que se poursuivait le congé pour maladie, la mesure de suspension a été traduite en une suspension corrélative et concomitante de traitement pour la durée de la suspension sans que puisse être invoquée l’existence du congé maladie au titre duquel aurait été due sa rémunération.

(03 juillet 2023, M. A., n° 459472)

 

193 - Assistant territorial d'enseignement artistique – Missions – Cadre et lieux d’exercice de ces missions – Enseignement dispensé sur temps périscolaire et à des élèves non inscrits à l’école de musique – Rejet.

Il résulte des dispositions des art. 3 du décret du 29 mars 2012 portant statut particulier du cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique, L. 216-1, L. 551-1 et L. 916-6 du code de l’éducation que les fonctionnaires appartenant au cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique sont placés sous l'autorité du fonctionnaire chargé de la direction de l'établissement où ils exercent leurs fonctions. Ils sont chargés, au sein de cet établissement, soit de tâches d'enseignement dans leur spécialité, soit d'apporter une assistance technique ou pédagogique aux professeurs de musique, de danse, d'arts plastiques ou d'art dramatique. Ils peuvent également être chargés d'apporter leur concours aux enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires des premier et second degrés, sous la responsabilité pédagogique de leurs personnels enseignants.

Le juge  en déduit que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les tâches d'enseignement confiées à ces assistants territoriaux dans l'un des établissements où ils sont susceptibles d'être affectés, qui incluent les écoles municipales de musique, soient le cas échéant organisées, par cet établissement et sous la responsabilité du fonctionnaire qui en assure la direction, hors des locaux de cet établissement, et notamment dans les locaux d'un établissement scolaire, sur du temps périscolaire, au bénéfice des élèves de cet établissement scolaire, quand bien même ceux-ci ne seraient pas inscrits à l'école de musique.

Dès lors la requérante ne saurait se plaindre de ce que la cour administrative d’appel l’a déboutée de sa prétention selon laquelle l’enseignement, qui lui a été confié, du chant choral, sur le temps périscolaire méridien, à des élèves des établissements scolaires du premier degré de la commune ne reléverait pas des missions susceptibles d'être confiées aux fonctionnaires appartenant au cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique.

(03 juillet 2023, Mme B., n° 461154)

 

194 - Assistance aux agents de l’État exerçant un recours administratif contre une décision individuelle défavorable à caractère professionnel – Droit exclusif réservé aux organisations syndicales représentatives – Inconstitutionnalité – Refus de modification subséquentes des textes – Annulation.

Le Conseil constitutionnel a jugé (déc. n° 2022-1007 QPC, 5 août 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie) que les dispositions de l'art. 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 (art. L. 216-1 du code général de la fonction publique), méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et sont, par suite, contraires à la Constitution, sans qu'il y ait lieu de différer dans le temps les effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité, en tant qu'elles réservent aux organisations syndicales représentatives la faculté de désigner un représentant aux fins d'assister un agent de l'État dans l'exercice d'un recours administratif contre une décision individuelle qui lui est défavorable en matière d'avancement de grade, de promotion interne ou de mutation car elles établissent une différence de traitement entre ces organisations et les organisations syndicales non représentatives sans rapport avec l'objet de la loi.

Le syndicat requérant a, en conséquence, demandé au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports de faire droit à sa demande tendant à la suppression du mot « représentative » ainsi que de deux paragraphes dans les lignes directrices de gestion ministérielles du 25 octobre 2021 relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et également les lignes directrices de gestion ministérielles du 25 octobre 2021 relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports dans la même mesure.

Il saisit le Conseil d’État du refus implicite opposé par le ministre.

Le juge lui donne raison et annule le refus qui lui a étéopposé par ce ministre.

(04 juillet 2023, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie (SNEAD), n° 460759)

 

195 - Enseignant-chercheur – Sanction disciplinaire – Révocation – Date de prise d’effet de la sanction – Annulation partielle.

Un universitaire a fait d’abord, le 11 juin 2015, l’objet de la sanction de l'interdiction d'exercer des fonctions de direction de laboratoire de recherche à l'université des Antilles pendant cinq ans, puis, le 8 juin 2016, d’une décision de révocation par le CNESER, décision qu’a annulée le Conseil d’État le 8 novembre 2017. Saisi à nouveau le CNESER a réitéré la sanction de la révocation le 18 septembre 2018, confirmée en cassation par le Conseil d’État le 25 novembre 2019.

Le président de la république a radié l’intéressé des cadres, à compter du 18 juin 2015, par son décret du 3 août 2020, publié au Journal officiel du 5 août.

Le requérant demande l’annulation de ce décret ; sa requête est partiellement rejetée.

Le juge constate en premier lieu que la décision de révocation prise par le CNESER le 8 juin 2016 n’a pas été, alors, suivie d’une décision de radiation des cadres et a été ensuite annulée par le Conseil d’État le 8 novembre 2017. Il constate, en second lieu, que le CNESER a, à nouveau, prononcé la révocation de l’intéressé le 18 septembre 2018, notifiée le 15 octobre 2018 sans en fixer la période d’exécution, d’où il suit que cette dernière décision était immédiatement exécutoire.

Le président de la république ne pouvait donc pas prononcer légalement la révocation du requérant avant le 15 octobre 2018 ; son décret est annulé en tant qu’il porte sur la période comprise entre le 18 juin 2015 et le 14 octobre 2018.

(05 juillet 2023, M. B., n° 445926)

 

196 - Agent de l’administration pénitentiaire - Faits de violence sur un détenu - Condamnation pénale assortie d’une peine complémentaire d’interdiction d’exercer - Compétence liée de l’autorité - Obligation de radiation des cadres - Rejet.

Un surveillant pénitentiaire a été condamné à une peine de prison pour des coups portés à un détenu. La juridiction pénale a assorti cette condamnation d'une peine complémentaire de deux ans d'interdiction d'exercer la fonction de surveillant pénitentiaire.

L’administration l’a, en conséquence, radié des cadres.

Sur recours de l’agent, le juge des référés a suspendu l’exécution de cette mesure au motif que l'interdiction qui lui avait été faite d'exercer la fonction de surveillant pénitentiaire pour une durée de deux ans, qui n'est pas une interdiction d'exercer tout emploi public, n'impliquait pas nécessairement sa radiation des cadres dès lors qu'en application des dispositions de l'art. 3 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, il aurait pu être affecté à l'administration centrale du ministère de la justice.

Sur pourvoi du garde des sceaux, l’ordonnance de référé est annulée.

Le juge rappelle en ces termes une solution constante et, au demeurant, inévitable.

« Lorsqu'un agent public a été condamné pénalement à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer, à titre définitif ou temporaire, les fonctions dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice desquelles l'infraction a été commise, il appartient à l'autorité administrative de tirer les conséquences nécessaires de cette condamnation. Cette autorité est tenue de prononcer sa radiation des cadres lorsque l'intéressé ne pourrait être affecté à un nouvel emploi correspondant à son grade, sans méconnaître l'étendue de l'interdiction d'exercice prononcée par le juge pénal. »

Ici, compte tenu de la peine complémentaire de deux ans d'interdiction d'exercer la fonction de surveillant pénitentiaire, l’intéressé ne pouvait être affecté dans aucun emploi correspondant à son grade et le garde des sceaux devait le radier des cadres.

(10 juillet 2023, Garde des sceaux, n° 470058)

 

197 - Magistrate - Substitut au parquet général - Comportement incompatible avec les fonctions - Dysfonctionnements sur plusieurs années - Sanction par mise à la retraite d’office - Rejet.

N’est ni irrégulière, ni entachée d’erreur de droit ni disproportionnée la sanction de mise à la retraite d’office infligée à une magistrate exerçant les fonctions de substitut au parquet général de Paris compte tenu de la gravité de son comportement, de l’atteinte qu’il porte à la réputation et à l’honneur de la magistrature et de sa persistance dans le temps.

Le juge décrit ainsi le comportement de l’intéressée ayant conduit à la sanction et l’ayant justifiée : « Mme A. a fait preuve, dans l'exercice de ses fonctions de substitute générale près la cour d'appel de Paris, et sur plusieurs années, de graves manquements professionnels, se manifestant notamment par l'absence de règlement d'un nombre important de dossiers qui lui avaient été affectés, par des retards ou absences imprévues à de nombreuses audiences lors desquelles elle devait requérir, nécessitant de manière récurrente des remplacements en urgence, par de fréquents endormissements lors d'audiences publiques, par l'accumulation de retards dans le traitement des dossiers qui lui étaient affectés, par des carences manifestes sur la forme et sur le fond de ses réquisitions et, plus largement, par une incapacité structurelle à assumer ses fonctions, alors même que sa hiérarchie, tenant compte des problèmes rencontrés, avait veillé à l'affecter successivement sur des postes de nature à atténuer tant sa charge de travail que la difficulté des missions qui lui étaient confiées. En outre, Mme A. a fait preuve de manière répétée d'un comportement particulièrement inapproprié au sein de la juridiction, notamment en se présentant à plusieurs audiences dans un état ne lui permettant pas d'exercer ses fonctions et en tenant lors d'audiences publiques des propos incohérents, déplacés ou agressifs à l'égard des justiciables, des avocats comme de ses collègues magistrats. Enfin, il n'est pas contesté que Mme A. a, du 3 au 8 août 2020, mis en ligne sur le réseau social à caractère professionnel LinkedIn, depuis son compte qui mentionnait son identité et sa qualité de magistrate, une série de messages extrêmement déplacés pour un magistrat en exercice, au contenu outrancier ou injurieux et, pour certains d'entre eux, présentant un caractère xénophobe. Ces messages, dont l'un a fait l'objet d'un article dans un journal satirique de la presse nationale, ont conduit à ce qu'un rappel à la loi soit prononcé à l'encontre de Mme A. pour injures publiques envers une personne ou un groupe de personnes à raison de l'origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée. » 

(10 juillet 2023, Mme A., n° 458534)

 

198 - Magistrate administrative - Indélicatesse - Sanction - Absence d’irrégularité dans la saisine, dans le déroulement de la procédure devant le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTACAA) ainsi que de disproportion dans la sanction qu’il a infligée - Rejet.

Une magistrate, première conseillère à la cour administrative d’appel de Paris, a subtilisé, puis détourné pour son usage personnel, la carte d'accès aux restaurants administratifs de la Ville de Paris appartenant à un élève-avocat, en stage à cette cour, utilisant cette carte à plusieurs reprises afin de bénéficier d'un tarif plus avantageux que celui auquel elle avait droit. En outre, afin de récupérer la somme qu'elle avait créditée sur cette carte lorsque son utilisation a été bloquée par les services de la Ville de Paris à la fin de la période de stage de son titulaire, elle a créé une adresse de messagerie électronique au nom de ce stagiaire, en utilisant frauduleusement l'identité de ce dernier.

L’intéressée, qui avait déjà antérieurement fait l'objet de poursuites disciplinaires, s’est vue infliger la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an, dont six mois avec sursis compte-tenu de difficultés d'ordre personnel dont elle faisait état, ladite sanction étant en outre assortie de la sanction complémentaire du déplacement d'office.

L’intéressée se pourvoit en cassation de ces décisions.

Au soutien de son pourvoi elle invoque d’abord des irrégularités de procédure (I), puis, ensuite, le caractère disproportionné des sanctions (II). Sera-t-on étonné d’apprendre que ce recours a été rejeté ?

 

I - Sur la procédure

 

Tout d’abord, Mme B. fait valoir qu'elle n'a pas eu accès à l'ensemble des pièces de son dossier individuel et des pièces de l'enquête préliminaire, en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 236-5 du CJA. En réalité, l’intéressée a pu consulter son dossier administratif et a été destinataire du rapport du président de la mission d'inspection des juridictions administratives ayant saisi le CSTACAA statuant en formation disciplinaire.

Si elle n'a pas été mise en mesure de prendre connaissance du courriel, en date du 
20 juillet 2021, par lequel le président de la cour administrative d'appel de Paris a informé le président de la mission d'inspection des faits litigieux et des échanges qu'il avait eus à leur propos avec l'intéressée, ce courriel, antérieur à l'engagement des poursuites disciplinaires et dont la teneur, relative aux faits litigieux, que Mme B. n'a jamais contesté avoir commis, est retracé dans le rapport du président de la mission d'inspection qui lui a été communiqué, ce fait n'est donc pas de nature, en l'espèce, à affecter la procédure d'irrégularité. Enfin, aucune enquête préliminaire n'ayant, en l'espèce, été conduite par le rapporteur en application des dispositions de l'art. L. 236-5 du CJA, Mme B. ne peut utilement se plaindre de ne pas avoir eu accès aux pièces afférentes à une telle enquête. Le moyen tiré de ce qu’elle 
n’aurait pas été mise en mesure d'exercer son droit à communication intégrale de son dossier et des documents annexes tel que prévu à l'article précité du CJA ne peut qu’être écarté. 

Ensuite, Mme B. ne peut soutenir qu'elle aurait dû avoir préalablement à l'audience communication du rapport du rapporteur car celui-ci n'est jamais l'auteur des poursuites disciplinaires, son rapport n'est remis ni aux parties ni à la juridiction, il est seulement présenté oralement à l'audience. En outre, le magistrat poursuivi peut, à tout moment de la procédure, demander au président du Conseil supérieur l'autorisation d'intervenir afin de présenter des observations orales et il est également invité à présenter d'ultimes observations avant que le Conseil supérieur ne commence à délibérer. En dernier lieu, le rapporteur n'assiste pas au délibéré. De cet ensemble de garanties il résulte que la procédure suivie en l'espèce n’est pas irrégulière du fait que la requérante n’a pas eu communication du rapport du rapporteur préconisant qu’une sanction disciplinaire du troisième groupe, d'exclusion temporaire de fonctions pendant un an, assortie d'un sursis à déterminer et une sanction complémentaire de déplacement d'office, lui soient infligées. 

Enfin, de ce que :

- le Conseil supérieur ne peut être saisi des faits motivant des poursuites disciplinaires que par le président de la juridiction à laquelle est affecté le magistrat ou par le président de la mission d'inspection des juridictions administratives ;

- le président de la mission d'inspection chargé de rapporter l'affaire devant le Conseil supérieur, sauf s'il est l'auteur de la saisine, auquel cas cette fonction est dévolue à celui des membres du CSTACAA appelé à le remplacer, désigné par le président de ce Conseil ;

- ni le rapporteur, ni l'autorité de saisine, n'assistent, après l'audience, au délibéré,

n’existe aucun motif pouvant permettre de caractériser un manque d'impartialité de la formation du CSTACAA qui a prononcé la décision attaquée.

Pas davantage ne saurait-il en être ainsi du fait que le rapporteur ait été, en l'espèce, le secrétaire général du Conseil d'État et qu'il ait demandé que soit prononcée à l'encontre de Mme B. la sanction disciplinaire assortie d'une sanction complémentaire qui lui a été infligée. Doit être aussi écarté le moyen tiré d’une prétendue violation des stipulations de l'art. 6, paragraphe 1, de la convention EDH.


II - Sur la sanction


Eu égard à la gravité des fautes commises - dont la matérialité n’a jamais été contestée par l’intéressée -, à leur caractère récidivant, à l’atteinte ainsi portée à la dignité et à la réputation d’un corps jouissant d’un statut particulier au sein de la nation, comportant des exigences singulières, l’infliction d’une exclusion temporaire des fonctions durant six mois ferme et six mois avec sursis assorti d’un déplacement d’office ne paraît pas disproportionnée.

(21 juillet 2023, Mme B., n° 460102)

 

199 - Poste de professeur des universités non pourvu - Imminence de la rentrée universitaire - Privation du bénéfice d’une rémunération plus élevée, d’un avancement plus rapide et de certaines perspectives de carrière - Absence d’atteinte suffisamment grave aux droits de l’intéressé - Rejet.

Un maître de conférences des universités ayant vu rejeter sa candidature à un emploi de professeur des universités, demande la suspension de cette décision au motif que la rentrée est imminente et que le rejet de sa candidature par le comité de sélection le prive de la possibilité de bénéficier d'une rémunération plus élevée, d'un avancement plus rapide et de perspectives de carrière plus avantageuses. Ces éléments ne suffisent cependant pas à caractériser une atteinte suffisamment grave à sa situation ou à un intérêt public justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, une mesure de suspension soit prononcée.

(ord. réf. 17 juillet 2023, M. B., n° 475526)

 

200 - Élections au comité social d'administration ministériel du ministère de l'agriculture - Note de service excluant du corps électoral des agents appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture exerçant dans un lycée professionnel maritime - Établissement placé sous la tutelle exclusive du ministre chargé de la mer - Note réitérant un arrêté illégal - Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation des énonciations de la note de service du ministre de l'agriculture du 5 octobre 2022, portant organisation des élections professionnelles du 1er au 8 décembre 2022, en tant qu'elles concernent les agents appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture exerçant leurs fonctions dans un lycée professionnel maritime.

L'art. 29 du décret du 20 novembre 2020, relatif aux comités sociaux d'administration dans les administrations et les établissements publics de l'État décide que :

« I - Sont électeurs pour la désignation des représentants du personnel au sein d'un comité social d'administration tous les agents exerçant leurs fonctions, dans le périmètre du ou des services au titre desquels le comité social compétent est institué (...).

II. - Par dérogation aux dispositions du premier alinéa du I (...) les agents affectés ou mis à disposition dans un service placé sous l'autorité d'un ministre autre que celui en charge de leur gestion sont électeurs au seul comité social d'administration ministériel du département ministériel assurant leur gestion ainsi qu'au comité social d'administration de proximité du service dans lequel ils exercent leurs fonctions. (...).

IV. - Lorsqu'un comité social d'administration ministériel reçoit compétence (…) pour examiner les questions communes à tout ou partie des établissements publics de l'État relevant du département ministériel ou, par arrêté conjoint des ministres intéressés, de plusieurs départements ministériels, ou conformément au 2° du même article pour examiner les questions propres à un ou plusieurs établissements publics de l'État en cas d'insuffisance des effectifs en leur sein, les agents affectés dans ces établissements sont électeurs à ce comité »

Tandis que l'art. 53 de ce décret dispose : « Les comités sociaux d'administration sont compétents pour examiner les questions intéressant les seuls services au titre desquels ils ont été créés.

Toutefois :

1° Le comité social d'administration ministériel peut recevoir compétence pour examiner des questions communes à tout ou partie des établissements publics administratifs relevant du département ministériel considéré, lorsqu'il n'existe pas de comité social d'administration de proximité commun à ces établissements créés à cet effet ou que l'intérêt du service le commande ; (...) ».

Or l'art. 1er de l’arrêté-cadre du 30 juin 2022 a décidé de faire application aux agents requérants des dispositions précitées du 1° de l'article 53 du décret du 20 novembre 2020 ce qui n’est pas possible car les établissements publics locaux d'enseignement eu égard aux conditions de leur fonctionnement et de leur participation à la mise en œuvre de la politique éducative du ministère auquel ils sont rattachés, doivent être regardés, au sens et pour l'application des dispositions du décret du 20 novembre 2020, comme des services déconcentrés de ce ministère. Pas davantage il ne pouvait, par voie de conséquence, être fait application aux agents affectés dans ces établissements des dispositions du IV de l'article 29 précité du même décret.

Il en résulte que les agents concernés, appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture et exerçant dans un lycée professionnel maritime, placé sous la tutelle exclusive du ministre chargé de la mer, sont, en application du II de l'article 29 de ce même décret, électeurs au seul comité social d'administration ministériel du ministère de l'agriculture.

Les requérants sont donc fondés à soutenir qu'en réitérant la règle, fixée par l'article 1er de l'arrêté-cadre du 30 juin 2022, d'attribution de compétence au comité social d'administration ministériel unique des ministères chargés de la transition écologique et de la cohésion des territoires, de la transition énergétique et de la mer pour connaître de questions communes concernant notamment les lycées professionnels maritimes et en en déduisant que les agents appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture et exerçant en lycée professionnel maritime ne sont pas électeurs au comité social d'administration ministériel dudit ministère, la note de service attaquée est entachée d'illégalité.

(12 juillet 2023, Syndicat National de l'Enseignement Technique Agricole Public - Fédération Syndicale Unitaire (SNETAP-FSU), n° 468974 ; 12 juillet 2023, Mme A. et autres, n° 469136, jonction). 

(198) V. aussi, largement identique : 12 juillet 2023, Syndicat National de l'Enseignement Technique Agricole Public - Fédération Syndicale Unitaire (SNETAP-FSU), n° 472796.

 

201 - Fonction publique territoriale - Centre de gestion de la fonction publique territoriale - Refus de décharge d'activité de service - Refus de rembourser des heures de décharge - Annulation.

Le syndicat CFDT Interco 67 a demandé au tribunal administratif, d'une part, d'annuler la décision par laquelle le président d’un centre de gestion de la fonction publique territoriale a refusé le bénéfice d'une décharge d'activité de service à un agent sur le contingent calculé par le centre de gestion et a refusé de procéder au remboursement des heures de décharge de l’intéressé et, d'autre part, d'annuler la décision par laquelle le président de ce centre de gestion de la fonction publique territoriale a rejeté son recours gracieux contre la décision refusant le bénéfice de la décharge.

Le syndicat requérant se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de son recours. Le Conseil d’État annule cet arrêt.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées des art. 15, 22 et 100-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de celles de l'art. 12 du décret du 3 avril 1985 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique territoriale, qu’il appartient au centre de gestion de calculer le contingent de décharges d'activité de service pour les syndicats mixtes qui lui sont affiliés, alors même que cette affiliation n'est pas obligatoire, et dont le comité technique est placé auprès de lui.

Ensuite, Il résulte également de ces mêmes dispositions que dès lors qu'un centre de gestion calcule le contingent de décharges d'activité de service pour les syndicats mixtes qui lui sont affiliés, il lui incombe de procéder au remboursement des charges salariales afférentes à l'utilisation de ce contingent.

La cour a ainsi commis une erreur de droit en jugeant que les centres départementaux de gestion calculent le contingent des décharges d'activité de service accordées aux responsables des organisations syndicales représentatives pour les seuls collectivités et établissements obligatoirement affiliés en vertu des dispositions de l'art. 15 de la loi du 26 janvier 1984, et non pour les collectivités et établissements affiliés à titre volontaire à un centre de gestion et dont le comité technique est placé auprès de lui.

(13 juillet 2023, Syndicat CFDT Interco 67, n° 452599)

 

202 - Ministère de l’agriculture - Agents de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) de ce ministère - Courriel relatif aux modalités d’organisation du télétravail au sein de cette direction - Compétence du ministre et délégation de celle-ci - Examen des circonstances particulières à chaque agent - Principe d’égalité de traitement entre agents publics - Rejet.

Le Conseil d’État rejette la requête par laquelle le syndicat demandeur poursuivait l’annulation du courrier électronique du 21 mars 2022 intitulé « Organisation du télétravail à compter du 28 mars 2022 » et adressé aux agents de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation par le chef de la mission affaires générales et ressources humaines de cette direction. 

Tout d’abord ce courrier pouvait être signé par le chef de la mission affaires générales et ressources humaines de la DGPE, sur délégation du ministre car ce ministre est compétent au titre de ses prérogatives d'organisation des services placés sous son autorité (ce qui est un rappel de la doctrine de l’arrêt de Section, JAMART, du 7 février 1936), d'établir, dans le respect des règles fixées par ce décret, le cadre applicable à la mise en œuvre du télétravail au sein de son administration. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, ce courrier ne contrevient pas aux dispositions du décret du 11 février 2016 dès lors qu’il prévoit que des dérogations aux orientations générales qu'il fixe seront accordées en fonction de la situation de chaque agent et, par exemple, de leur état de santé.

Enfin, le courrier électronique attaqué n’instaure pas un régime de télétravail moins favorable pour les agents de la DGPE du ministère de l'agriculture car il n'a ni pour objet, ni pour effet de restreindre les possibilités de télétravail prévues par le décret du 11 février 2016 puisqu'il se borne à fixer un plafond de quotité d'activité en télétravail de deux jours par semaine pour les assistants et les chargés de mission de la DGPE inférieur au maximum de trois jours par semaine fixé par l'article 3 de ce décret. Ce courrier ne porte ainsi pas atteinte au principe d'égalité de traitement des agents publics en instaurant un régime de télétravail moins favorable pour les agents de la DGPE du ministère de l'agriculture.

(18 juillet 2023, Syndicat national des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement (SNIAE-FO), n° 464175).

 

203 - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) - Infirmier de bloc opératoire - Décret ne prévoyant pas son attribution - Régime général applicable - Annulation.

Un infirmier de bloc opératoire s’est vu refuser l’attribution de la NBI au motif que le décret du 3 février 1992 relatif à la NBI attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière, dans sa version antérieure au 1er avril 2022, ne prévoyait pas le versement d'une NBI aux infirmiers de bloc opératoire. Si, saisi par l’intéressé, le tribunal administratif lui a accordé, pour l’essentiel, gain de cause, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement. M. A. se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Tout d’abord, se fondant sur les dispositions de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, du décret du 29 septembre 2010 portant statut particulier du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière, du décret du 3 février 1992 relatif à la nouvelle bonification indiciaire attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière ainsi que sur diverses dispositions du code de la santé publique, le Conseil d’État rappelle les principes gouvernant l’attribution de la NBI. Selon lui, « le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire est lié aux seules caractéristiques des emplois occupés, au regard des responsabilités qu'ils impliquent ou de la technicité qu'ils requièrent. Le bénéfice de cette bonification, exclusivement attaché à l'exercice effectif des fonctions, ne peut ainsi être limité par la prise en considération du corps, du cadre d'emploi ou du grade du fonctionnaire qui occupe un emploi dont les fonctions ouvrent droit à ce bénéfice. En outre, le principe d'égalité exige que l'ensemble des agents exerçant effectivement leurs fonctions dans les mêmes conditions, avec la même responsabilité ou la même technicité, bénéficient de la même bonification. » 

Ensuite, le Conseil d’État relève que les différences de technicité ou de responsabilité existant entre les fonctions exercées, dans le cas d'un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d'une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d'autre part, pour réelles qu'elles soient, ne sont pas de nature à justifier, au regard de l'objet de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l'article 1er du décret du 3 février 1992, qui est sur ce point illégal, la circonstance que certains actes seraient réservés ou destinés en priorité aux seconds ne caractérisant pas, au regard de cet objet, qui est de valoriser la technicité et la responsabilité des fonctions en cause, une différence de situation justifiant une différence de traitement à leur détriment. 

C’est pourquoi l’arrêt qui a jugé qu’il y avait là des différences appréciables justifiant la différence de traitement au regard de la NBI est entaché d’erreur de droit et encourt annulation.

(19 juillet 2023, M. A., n° 467049)

(204) V. aussi, identiques : 19 juillet 2023, M. A., n° 467051 ; 19 juillet 2023, Mme B., n° 467052 ; 19 juillet 2023, Mme A., n° 467053 ; 19 juillet 2023, Mme A., n° 467055 ; 19 juillet 2023, Mme B., n° 467056 ; 19 juillet 2023, Mme B., n° 467057.

(205) V. également, rejetant le recours dirigé contre le décret du 3 mars 2022 relatif à la nouvelle bonification indiciaire attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière, en tant qu'il fixe à 13 points majorés seulement le montant de la nouvelle bonification indiciaire - au lieu de 19 points dans la réglementation antérieure - accordée aux infirmiers de bloc opératoire régis par le décret du 30 novembre 1988 portant statuts particuliers des personnels infirmiers de la fonction publique hospitalière ou par le décret du 29 septembre 2010 portant statut particulier du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière. Le juge motive sa décision par le large pouvoir d'appréciation dont le pouvoir réglementaire dispose en la matière : 19 juillet 2023, Association Collectif inter blocs, n° 463687.

 

206 - Agent public en disponibilité - Demande de réintégration - Préjudice subi du fait du refus illégal de le réintégrer - Indemnisation - Erreur de droit - Annulation.

Dans une importante décision qui étend le champ d’application de la jurisprudence sur le sujet, le juge précise qu’en vertu des principes généraux du droit de la responsabilité des personnes publiques, l'agent public placé en position de disponibilité a droit à la réparation intégrale des préjudices de toute nature qu'il a effectivement subis du fait du refus illégal de faire droit à sa demande de réintégration lorsque ces préjudices présentent un lien direct de causalité avec l'illégalité commise, y compris au titre de la perte de la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre. Toutefois, cette indemnisation, d’une part, ne comprend pas les primes et indemnités seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions et d’autre part, est réduite tant, le cas échéant, du montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction que de la prise en compte des fautes commises par l’agent. 

Par ailleurs, lorsque les préjudices causés par cette décision illégale n'ont pas pris fin ou ne sont pas appelés à prendre fin à une date certaine, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, d’accorder une indemnité versée pour solde de tout compte. 

En l’espèce est reprochée à la cour administrative d’appel l’erreur de droit ayant consisté, le CNRS employeur ayant adressé à Mme A. une proposition de réintégration, avec effet au 1er juin 2017, sur un poste correspondant à son grade, à n’avoir pas tenu compte de ce que, du fait de cette réintégration, les illégalités résultant des refus antérieurs de réintégration ont cessé à cette date. Par suite la cour ne pouvait se fonder sur la circonstance que l’intéressée n'avait pas demandé l'annulation de ces décisions pour en déduire qu'il lui appartenait d'allouer à cette dernière une indemnisation forfaitaire versée pour solde de tout compte, alors qu'il lui appartenait de lui allouer une indemnisation réparant intégralement les préjudices qu'elle avait subis au cours de cette période, conformément aux principes généraux du droit rappelés plus haut.

(19 juillet 2023, Mme A., n° 462834)

 

207 - Autorisation de cumul entre une activité de fonction publique et une autre, accessoire, dans un conservatoire municipal de musique - Autorisation n’ayant pas de terme - Erreur de droit - Annulation.

Le demandeur, brigadier-chef de la police nationale, a sollicité l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis résultant de l'illégalité des décisions du ministre de l'intérieur, intervenues en 2013, 2014 et 2015, lui refusant l'autorisation de cumuler son activité principale avec des activités accessoires d'enseignement musical, annulées par un jugement du tribunal administratif de Versailles du 12 juin 2017, devenu définitif.

Le juge de cassation rappelle que sous réserve du cas où elles prévoient expressément que les activités sont exercées à titre accessoire pour une durée limitée, les dispositions  alors en vigueur du I de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du  décret du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'État, ne font pas obstacle à ce qu'une demande d'autorisation de cumul d'activités soit formée sans en préciser le terme.

Ceci n’empêche pas que l'autorité appelée à statuer sur une telle demande, d’une part, peut, sans y être tenue, lui fixer un terme, d’autre part, puisse s'opposer à tout moment, dans l'intérêt du service, à la poursuite de l'activité dont l'exercice a été autorisé et de l'obligation faite à l'intéressé de solliciter une nouvelle autorisation pour tout changement substantiel intervenant dans les conditions d'exercice ou de rémunération de l'activité qu'il exerce à titre accessoire.

Ainsi, a commis en l’espèce une erreur de droit la cour administrative d’appel qui a jugé qu'une autorisation de cumul d'activités ne peut être demandée et délivrée que pour une durée limitée et en a déduit que le requérant ne saurait valablement soutenir que sa demande d'indemnisation du préjudice financier résultant de l'illégalité de la décision de refus d'autorisation de cumul d'activités du 27 février 2014 pourrait se rapporter à une période postérieure à l'année scolaire 2014-2015.

(19 juillet 2023, M. A., n° 464504)

 

208 - Pouvoirs du juge de l’exécution - Nécessité d’interpréter un jugement ou arrêt de contenu ou de portée incertain - Cas d’un recours en matière de pension militaire d’invalidité - Annulation.

(20 juillet 2023, ministre des armées, n° 465594)

V. n° 59

 

209 - Création du corps des administrateurs de l’État - Décret du 1er décembre 2021 - Mise en extinction de corps d'inspection générale de l'État - Absence de vice de légalité externe - Indépendance des services d'inspection générale de l'État - Erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret du 1er décembre 2021 qui, en créant un corps des administrateurs d’État, met en extinction les corps d’inspection générale de l’État.

Les recours sont rejetés tant au regard de leurs moyens de légalité externe que pour ce qui concerne leurs moyens de légalité interne.

Au plan de la légalité externe, il est jugé d’abord que les dispositions attaquées n'ont pas pour effet de modifier les dispositions législatives particulières qui, en mentionnant les corps d'inspection et de contrôle mis en voie d'extinction par le décret attaqué et les missions d'inspection ou de contrôle auxquelles leurs agents peuvent être conduits à participer, n'imposent pas, par elles-mêmes, l'existence de ces corps. Ensuite, le pouvoir réglementaire pouvait  légalement mettre en extinction les corps d'inspection générale et de contrôle de l'État susmentionnés et cela alors même que l’art. 34 de la Constitution réserve à la loi les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires, le Gouvernement étant compétent pour déterminer la mission et l'organisation des corps de la fonction publique de l'État, les fonctionnaires étant par ailleurs dans une situation statutaire et réglementaire et n'ayant pas droit au maintien de leur statut. Également, les dispositions du II de l'art. 13 du décret du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l'État, n'avaient pas - contrairement à ce qui est soutenu - à être prises par un décret délibéré en conseil des ministres compte tenu de l'abrogation, par l'art. 31 de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, du deuxième alinéa de l'art. 8 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État selon lequel devaient être délibérés en conseil des ministres les décrets en Conseil d'État portant statut des corps de fonctionnaires comportant des emplois pourvus en conseil des ministres ainsi que des corps mentionnés au premier alinéa de l'art. 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique  concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'État. 

Au plan de la légalité interne, il est jugé :

- qu’il n’existe ni un principe constitutionnel ni un principe général du droit qui consacrerait l'indépendance des agents chargés des missions d'inspection générale et de contrôle de l'État,

- qu’aucune erreur manifeste d’appréciation n’entache les décisions concomitantes de mettre les corps en cause en voie d’extinction et de créer un nouveau corps, celui des administrateurs d’État,

- que les dispositions critiquées ne méconnaissent pas, faute de comporter l'ensemble des dispositions relatives à la réforme des services d'inspection générale, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme,

- et enfin, qu’aucune atteinte au principe d'égalité ne résulte du fait que tant des agents appartenant à des corps mis en voie d'extinction que des agents appartenant au corps des administrateurs de l'État pourront être conduits à accomplir des missions de même nature.

(21 juillet 2023, Association de promotion de l'exercice indépendant des fonctions d'inspection générale de l'État (APEIFIGE), n° 41032 ; Association de membres des inspections générales de l'administration, des affaires sociales et des finances (association A3I) et autres, n° 461057)

(210) V. aussi, très voisin mais non identique : 21 juillet 2023, Association de membres des inspections générales de l'administration, des affaires sociales et des finances (association A3I) et 36 requérants individuels, n° 463874.

 

211 - Fonctionnaire du Sénat - Mise à la retraite d’office par motif disciplinaire - Demande de suspension de la sanction et de réintégration provisoire - Refus - Annulation.

Le demandeur, fonctionnaire du Sénat, a fait l’objet d’une mise à la retraite d’office par motif disciplinaire. Cette sanction a été suspendue par le juge des référés qui a, en outre, ordonné la réintégration de l’intéressé dans ses fonctions.

Le Président du Sénat se pourvoit en cassation de cette ordonnance. Il invoque au soutien de sa demande plusieurs motifs : 1°/ cette réintégration risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables à raison des troubles au sein des services et pour le fonctionnement du Sénat et du discrédit jeté sur l'institution, 2°/ elle susciterait également des troubles compte tenu de la gravité des manquements déontologiques reprochés à cet agent et de la publicité donnée à ces manquements, de la résonance dans les médias et au sein du Sénat, y compris à l'initiative de l'intéressé, tant de la procédure judiciaire dont il a fait l'objet que de la procédure qu'il a engagée devant le juge administratif, 3°/ il y aurait aussi le risque que ces manquements et cette publicité se poursuivent en cas de réintégration provisoire, et de la rupture définitive qui en découle du lien de confiance fondant la relation entre les élus et un agent du Sénat.

Pour rejeter cette argumentation et confirmer l’ordonnance du premier juge, le juge de cassation relève, avec un luxe de précisions, que l'exécution de l'ordonnance contestée n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de nature à entraîner, pour le Sénat, des conséquences difficilement réparables.

En particulier, il est jugé : que la médiatisation invoquée ne s'est pas poursuivie et ne peut, en tout état de cause, être regardée comme jetant un discrédit difficilement réparable sur l'institution ; que la réintégration provisoire de l’agent n'est pas de nature à susciter, s'agissant de la gestion des services du Sénat, de difficulté significative, aucune difficulté de cette nature n'ayant ainsi été observée entre le 1er juin 2022, date de son retour au Sénat, et le 15 février 2023, date d'effet de la mise à la retraite d'office prononcée par la décision suspendue par le juge des référés ; qu’il n’est pas établi que l’intéressé aurait effectivement poursuivi, depuis son retour au Sénat et après sa mise à la retraite d'office, son engagement actif au sein de l'Association d'amitié franco-coréenne, dans laquelle il n'exerce plus de responsabilités ; qu’enfin,  le Sénat est en mesure d'affecter le demandeur, pour les besoins de sa réintégration provisoire, à des fonctions qui excluent tout risque de compromission d'informations confidentielles ou sensibles, qui limitent les contacts qu'il pourrait avoir directement avec les sénatrices et les sénateurs, et qui ne lui confèrent aucune responsabilité de représentation. 

(25 juillet 2023, Président du Sénat, n° 474547)

 

212 - Agent du ministère de la Défense - Note relative aux astreintes - Reprise des dispositions d’un décret - Inapplicabilité de dispositions du code du travail - Rejet.

Doit être rejeté le recours de l’intéressé contre une note de service relative aux modalités des astreintes pour le personnel civil titulaire, non titulaire et ouvrier de l'État du ministère des armées en tant qu'elle ne prévoit pas la possibilité d'appliquer ce régime aux personnels civils du ministère des armées embarqués à bord d'un navire de la marine nationale et demandant qu’injonction soit faite à ce ministre  de modifier cette note de service afin d'étendre le régime des astreintes à ces personnels.

D’une part, cette note se borne à rappeler les dispositions de l'art. 5 du décret du 25 août 2000 qui définissent la période d'astreinte à laquelle un agent de l'État peut être soumis et le requérant n’excipe pas de son illégalité au soutien de sa requête.

D’autre part, il ne saurait être soutenu que cette note serait contraire à l'art. L. 3121-9 du code du travail, dès lors que ces dispositions excluent que l'astreinte puisse être réalisée sur le lieu de travail du salarié.

Enfin, contrairement à ce qui est prétendu, les personnels civils de la défense embarqués à bord d'un bâtiment de la marine nationale ont droit à une majoration journalière pour service à la mer en application du décret du 16 octobre 1951 fixant le mode de calcul des majorations pour service à la mer et des majorations pour service en sous-marin.

(04 août 2023, M. A., n° 471223)

 

213 - Commission locale d’action sociale - Création par le préfet (ou équivalent) - Répartition des sièges devant être effectuée avant le 30 juin 2023 - Processus proche d’aboutir - Absence d’urgence - Rejet.

Les organisations requérantes demandent que soit suspendue l'exécution de la circulaire du ministère de l’intérieur du 22 mars 2023 relative à la recomposition des commissions locales d'action sociale (CLAS) à la suite des élections professionnelles du 1er au 8 décembre 2022.

Cette circulaire de la directrice des ressources humaines du ministère de l'intérieur a été prise sur le fondement de l'art. 1er de l'arrêté du 17 octobre 2022 relatif aux commissions locales d'action sociale et au réseau local d'action sociale du ministère de l'intérieur, lui-même mettant en œuvre l’art. L. 731-2 du code général de la fonction publique ainsi que l’art. 4 du décret du 6 janvier 2006 relatif à l'action sociale au bénéfice des personnels de l'État.

La suspension sollicitée concerne son I relatif au « mode opératoire de recomposition de la CLAS », au sein du « e) Répartition des sièges et représentation des personnels », à propos de l' « étape 1 » devant conduire à déterminer « l'ensemble des listes présentées à l'ensemble des CSA participant à la recomposition des CLAS ». Après avoir rappelé que « Les résultats obtenus par les listes sont agrégés dès lors qu'elles appartiennent aux mêmes fédérations ou unions », cette circulaire indique : « Il convient de souligner que, pour un certain nombre de CSA, la fédération des services publics CFE-CGC et UNSA-FASMI ont présenté des listes communes dont les compositions et les protocoles diffèrent selon les CSA. S'agissant au cas présent de deux blocs syndicaux distincts qui ont présentés des listes et des protocoles différents, il ne peut y avoir d'agrégation. C'est la raison pour laquelle les 10 listes présentées par CFE-CGC et UNSA-FASMI doivent être considérées et traitées indépendamment les unes des autres. »

Le calendrier fixé par la circulaire précisait que la mise en œuvre de ces dispositions devait donner lieu, pour chacune des commissions locales d'action sociale, au nombre de cent sept, à un arrêté préfectoral pris au plus tard le 30 juin 2023 et notifié sans délai aux organisations syndicales, précisant à chacune le nombre de sièges qui lui sont attribués et ouvrant à celle-ci un délai maximum d'un mois pour désigner ses représentants, la réunion d'installation de la commission locale d'action sociale devant avoir lieu au plus tard deux mois après cette notification et l'arrêté du 17 octobre 2022 prévoyant lui-même que la nouvelle composition de la commission locale d'action sociale est fixée dans les six mois suivant la publication des résultats aux scrutins des comités sociaux figurant à son annexe 2.

Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que l'ensemble des cent sept arrêtés préfectoraux de répartition des sièges, qui devaient être pris au plus tard le 30 juin 2023, ne l'auraient pas été au jour de la présente ordonnance, cent d'entre eux ayant d'ailleurs été communiqués au ministère, selon les indications, non contestées, données par celui-ci à l'audience. En outre, le processus de recomposition des cent sept commissions locales d'action sociale concernées est, au jour de la présente ordonnance, achevé ou proche de l'être pour une part substantielle d'entre elles, trente-neuf ayant d'ores et déjà été installées et vingt-cinq convoquées à cette fin, selon les indications, non contestées, données par les requérants eux-mêmes à l'audience.

Dès lors, compte tenu, d’une part, que les requérants, qui avaient connaissance de la circulaire qu'ils attaquent au moins depuis le courrier qu'ils ont adressé au ministre de l'intérieur le 5 avril 2023 pour se plaindre de ses dispositions en litige, n'ont saisi le juge des référés du Conseil d'État que trois semaines après que ces dispositions devaient avoir épuisé leurs effets par l'intervention des arrêtés préfectoraux de répartition des sièges et, à supposer même que les quelques arrêtés qui n'ont pas encore été communiqués au ministère n'aient pas encore été pris, et d’autre part, de l'intérêt qui s'attache à ce que le processus de recomposition en cours, proche d'aboutir, soit mené à son terme de la même façon pour toutes les commissions locales d'action sociale, la suspension des dispositions en litige ne revêt pas un caractère d'urgence au sens de l'art. L. 521-1 du CJA.

La demande de référé tendant à la suspension d’exécution de la circulaire litigieuse est rejetée.
Encore une bonne illustration du légendaire pragmatisme du juge administratif.

(ord. réf. 31 juillet 2023, Syndicat Alliance Police nationale (APN) et Fédération autonome des syndicats du ministère de l'intérieur (UNSA-FASMI), n° 470068)

 

214 - Sous-préfet - Suspension à titre provisoire de ses fonctions puis mise à la retraite d’office - Absence de vices affectant la légalité externe de ces décisions ainsi que leur légalité interne - Rejet.

Le requérant, sous-préfet, a demandé l’annulation de l'arrêté du 13 septembre 2022 du ministre de l'intérieur le suspendant à titre conservatoire de ses fonctions de sous-préfet pour une durée maximale de quatre mois puis du décret du président de la république du 26 décembre 2022 prononçant sa mise à la retraite d'office.

Les deux recours sont rejetés.

Concernant l’arrêté ministériel de suspension provisoire des fonctions, il est jugé, tout d’abord, que celui-ci n’est affecté d’aucun vice touchant à sa légalité externe, ni non plus sa légalité interne. Sur ce point, le juge relève que le requérant s’est rendu coupable d’insubordinations répétées et du refus de rendre compte de son activité, d’avoir effectué un séjour en Ukraine du 20 au 27 mai 2021 sur son temps de travail, sans information ni autorisation préalable de sa hiérarchie, d’avoir altéré un ordre de mission et supprimé plusieurs milliers de documents sur le serveur informatique de sa direction d'administration centrale ainsi que d’avoir communiqué en décembre 2021 des notes diplomatiques à une personne extérieure à l'administration, non habilitée à en connaître. 

Concernant le décret présidentiel de mise à la retraite d’office, aucun des griefs relatifs à sa légalité externe n’est retenu (application du régime disciplinaire des sous-préfets non de celui du droit commun de la fonction publique ; invocation d’une prétendue partialité des membres représentant l'administration dans le cadre de l'entretien contradictoire du 8 décembre 2022 qui a précédé la décision contestée ; délai d’un mois accordé pour consulter son dossier et présenter ses observations ; sanction infligée sur la base de faits clairs et précis). La légalité interne de ce décret n’est pas critiquable (invocation, erronée, d’un prétendu principe d’égalité entre les sous-préfets hors classe ; existence certaine de fautes disciplinaires et sanction proportionnée à leur gravité).

(09 août 2023, M. A., n° 467978)

 

215 - Agent public contractuel – Invocation de faits de harcèlement moral – Traitement normal du dossier – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits que le juge du référé liberté a rejeté la requête de l’intéressé, responsable du pôle juridique du service administratif et technique de la police nationale (SATPN) de Mayotte, fondée sur ce que celui-ci aurait fait l’objet d’actes de harcèlement répétés de la part de sa hiérarchie dans le cadre de son licenciement pour abandon de poste.

Confirmant le premier juge, il est constaté un déroulement normal de la procédure utilisée en l’espèce, sans animosité particulière qu’il s’agisse des demandes relatives aux faits qui lui ont été adressées pour expliquer et justifier ses absences répétées ou de l’attitude de sa hiérarchie.

(ord. réf. 19 juillet 2023, M. B., n° 475923)

 

216 - Pensions militaires d'invalidité – Diminution d’acuité auditive – Régime applicable à la perte de sélectivité – Erreur de droit – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit et encourt annulation la décision d’une cour administrative d’appel qui, à la fois, constate qu'il résulte du compte-rendu audiométrique subi par un militaire pensionné du fait de son hypoaccousie, que les nouveaux seuils d'audition sur la meilleure oreille ont été mesurés à 80 dB sur la fréquence 4 000 Hz et à 40 dB sur la fréquence 1 000 Hz, soit une différence inférieure à 50 dB, et juge que le demandeur a droit au maintien du bénéfice de la majoration de sa pension pour perte de sélectivité, alors que le guide barème des invalidités (cf. annexe 2 au code des pensions militaires d'invalidité) dispose, concernant les diminutions d'acuité auditive, que pour la détermination des pertes de sélectivité importantes qui peuvent être la conséquence d'une atteinte post-traumatique ou toxique, les taux applicables seront majorés de 10 lorsque, pour la meilleure oreille (celle dont la PA est la moins accentuée), la différence des seuils d'audition sur les fréquences 4 000 et 1 000 Hz (4 000 - 1 000) est égale ou supérieure à 50 dB, à la condition toutefois que la perte auditive moyenne en dB (PA) de la meilleure oreille soit inférieure à 60 dB, car la gêne fonctionnelle qui résulte d'une perte de sensibilité supérieure n'est que fort peu aggravée par la perte de sélectivité. Il s’ensuit donc que, contrairement à ce qu’a jugé la cour, lorsque les conditions ci-dessus sont réunies, la perte de sélectivité ne peut être retenue que sous la forme d'une majoration du taux de l'hypoacousie, et non sous celle d'une infirmité distincte.

(11 août 2023, ministre des armées, n° 451212)

 

217 - Auditeur de justice – Décision du jury la délarant inapte à l’exercice des fonctions judiciaires – Cessation des fonctions d’auditeur – Composition du jury de l’examen d’aptitude – Motivation de la décision – Absence – Exactitude matérielle des faits – Rejet.

Un auditeur de justice déclaré inapte à l’exercice des fonctions judiciaires à l’issue de sa scolarité à l’Ecole de la magistrature, demande l’annulation de la décision d’inaptitude rendue par le jury et, par voie de conséquence, de la décision du ministre de la justice mettant fin à ses fonctions d’auditeur.

Au soutien de ses prétentions, le requérant invoque plusieurs moyens, tous rejetés.

En premier lieu, la circonstance que la présidente du jury, s'étant aperçue que l'une des candidates avait été assistante de justice sous son autorité, s'est retirée du jury, et l'administration s'étant trouvée dans l'impossibilité matérielle de pourvoir en temps utile à son remplacement, n’a pas été remplacée et que le jury s'est réuni dans une formation ne comprenant que huit des neuf membres réglementairement prévus n‘est, dans les circonstances de l'espèce, ni de nature à entacher d'irrégularité la décision attaquée, ni davantage de nature à avoir entraîné une rupture d'égalité entre candidats dès lors que ce retrait de la présidente est intervenu avant le début des épreuves. Le moyen en ce sens est rejeté.

En deuxième lieu, et contrairement à ce qui est soutenu, aucune règle non plus qu’aucun principe n’exige que la décision par laquelle le jury de classement décide de ne pas inscrire un auditeur de justice sur la liste de classement à la sortie de l'ÉNM, en raison de son inaptitude aux fonctions judiciaires, soit motivée. Ce moyen est donc écarté.

En troisième lieu, enfin, ne sont pas fondés sur des faits matériellement inexacts les appréciations figurant sur les bilans de stage en juridiction, les rapports rédigés par les coordonnateurs régionaux de formation de l'École nationale de la magistrature qui reprennent les observations des maîtres de stage ainsi que le constat qu’il a été mis à même d'acquérir une expérience et de faire la preuve de ses capacités pour l'exercice des fonctions judiciaires.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que le jury de l’examen d’aptitude et de classement de la promotion 2020 des auditeurs de justice a décidé d’écarter le requérant de l'accès aux fonctions judiciaires après redoublement.

(11 août 2023, M. B., n° 464256)

 

Hiérarchie des normes

 

218 - Droit de l’Union et droit national - Dénominations de préparations comportant des protéines végétales - Transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires - Matière entièrement harmonisée par le droit de l’Union -  Renvoi de questions préjudicielles à la CJUE.

Les requérantes demandent au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, pris pour l'application de l'article L. 412-10 du code de la consommation issu de l'article 5 de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.

Selon cet art. L. 412-10 : « Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n'est pas possible. Ce décret définit également les modalités d'application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement ».

C’est là l’objet du décret attaqué.

Parmi les divers moyens développés par les requérantes, la plupart rejetés, deux retiennent l’attention du juge.

En premier lieu, les requérantes font valoir que le décret attaqué, en interdisant d'utiliser des dénominations de denrées alimentaires d'origine animale pour désigner des denrées alimentaires à base de protéines végétales, méconnaît le paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 en tant qu'il traite d'une question expressément harmonisée par les dispositions de ses articles 7 et 17 combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI. Le juge relève que cette interdiction s'applique non seulement dans l'hypothèse où des indications complémentaires ne seraient pas portées à proximité immédiate de ces dénominations pour informer les consommateurs de la substitution partielle ou totale des protéines végétales dans la composition de ces denrées mais également dans l'hypothèse où de telles indications seraient accolées à ces dénominations. 

En second lieu, les requérantes font valoir à titre subsidiaire que le décret attaqué méconnaît les articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, en interdisant aux producteurs de denrées alimentaires à base de protéines végétales, en l'absence de dénomination légale prescrite par les dispositions nationales ou européennes, de désigner leurs produits selon leur nom usuel, qu'il s'agisse d'un nom dont l'usage serait apparu antérieurement à la publication du décret ou apparaîtrait postérieurement, ou un nom descriptif. À l'appui de ce moyen, les requérantes, constatant qu'aucune dénomination légale des denrées alimentaires à base de protéines végétales n'est prévue par le droit national ou le droit de l'Union européenne, font valoir que les producteurs et distributeurs de telles denrées seraient ainsi empêchés d'utiliser des dénominations autorisées par le règlement pour la présentation et la commercialisation de leurs produits et rappellent que la Commission avait elle-même relevé, dans le cadre de ses réponses à la notification, le 1er octobre 2021, du projet de décret présentement attaqué, que certains des termes dont le projet de décret notifié interdirait l'utilisation avaient été largement utilisés ces dernières années sur le marché de l'Union pour la description de produits à base végétale et que les consommateurs s'étaient familiarisés avec ces types de produits et ces dénominations.

Dans ces conditions, sont renvoyées à la cour de Luxembourg deux questions préjudicielles :

- celle de savoir si les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prescrivent la délivrance aux consommateurs d'informations ne les induisant pas en erreur sur l'identité, la nature et les qualités des denrées alimentaires, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question de l'utilisation de dénominations de produits d'origine animale issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, susceptibles d'induire le consommateur en erreur, faisant ainsi obstacle à ce qu'un État membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations. 

- celle de savoir si les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prévoient que la dénomination par laquelle la denrée alimentaire est identifiée est, en l'absence de dénomination légale, son nom usuel ou un nom descriptif, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question du contenu et de l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, y compris dans l'hypothèse d'une substitution totale d'ingrédients d'origine végétale à la totalité des ingrédients d'origine animale composant une denrée, faisant ainsi obstacle à ce qu'un État membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations. 

(12 juillet 2023, Association Protéines France, n° 465835 ; Union végétarienne européenne et association végétarienne de France, n° 467116 ; Société Beyond Meat, n° 468384, jonction)

 

219 - Droit de l’Union et droit national - Réglementation nationale des fluides frigorigènes inflammables - Directives européennes du 17 mai 2006, du 26 février 2014 et du 15 mai 2014 - Interprétation par la CJUE - Méconnaissance des objectifs de ces directives - Annulation.

Le syndicat requérant demande l'annulation de l'arrêté du 10 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public qui a notamment pour objet de fixer l'emploi dans ces établissements d'équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables.

Le Conseil d’État, après avoir rejeté tous les moyens soulevés par le syndicat Uniclima autres que ceux tirés de la méconnaissance du droit de l'Union européenne, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur trois questions préjudicielles auxquelles cette dernière a répondu par son arrêt du 23 mars 2023, Syndicat Uniclima, aff. C-653/21.

L’arrêté litigieux prévoit, en bref, qu’est désormais autorisé dans les établissements recevant du public l'emploi de fluides frigorigènes inflammables, sous réserve du respect des normes de sécurité qu'il définit, ces normes ne s'appliquant toutefois pas à l'emploi de fluides frigorigènes inflammables dans les équipements qui disposent du « marquage CE », sous réserve toutefois que ces équipements soient « hermétiquement scellés ». C’est cette dernière exigence qui constitue l’essentiel du litige.

En effet, lorsqu’un domaine a fait l’objet, comme en l’espèce, d’une complète ou exhaustive harmonisation européenne, résultant ici des directives du 17 mai 2006 relative aux machines, du 26 février 2014 concernant la mise à disposition sur le marché du matériel électrique destiné à être employé dans certaines limites de tension et du 15 mai 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché des équipements sous pression, l’équipement relevant du champ d'application de l'une de ces directives, qui ne sont pas d'application cumulative, respecte les garanties essentielles de sécurité qu'elle prescrit, ce dont atteste l'apposition du « marquage CE », il peut circuler librement sur le marché de l'Union européenne. 

La CJUE a d’abord dit pour droit (14 décembre 2004, Radlberger Getränkegesellschaft mbH & Co. og S. Spitz KG mod Land Baden-Württemberg, aff. C-309/02, point 53, et 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft AB/Energimyndigheten, aff. C-573/12, point 57) qu’en cas d’harmonisation exhaustive au niveau communautaire toute mesure nationale qui y est relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d'harmonisation et non pas de celles du droit primaire.

Ensuite et surtout, répondant aux questions préjudicielles que le Conseil d’État lui avait transmises, la CJUE, dans son arrêt précité du 23 mars 2023, a dit pour droit en substance que les dispositions de la directive précitée du 15 mai 2014 (comme aussi mutatis mutandis celles des directives susmentionnées du 17 mai 2006 et du 26 février 2014) s'opposent à une réglementation nationale qui, y compris afin de protéger la santé et la sécurité des personnes à l'égard des risques d'incendie dans des locaux ouverts au public, impose aux équipements sous pression et aux ensembles utilisant des fluides frigorigènes inflammables des exigences qui ne figurent pas parmi les exigences essentielles de sécurité prévues par cette directive, aux fins de la mise à disposition sur le marché ou de la mise en service de ces équipements et ensembles, alors même que ceux-ci disposent du marquage CE.

Il suit de là que l’arrêté litigieux, en décidant que les normes de sécurité qu'il introduit ne s'appliquent pas aux équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables dès lors que, à la fois, ils disposent du « marquage CE » et sont « hermétiquement scellés », est incompatible avec les objectifs de ces trois directives. 

Il y a donc lieu d’annuler les dispositions de l'arrêté du 10 mai 2019 en tant que les dispositions du nouveau paragraphe 3, à l'exception de celles figurant au a) et au c) de ce paragraphe, qu'il insère à l'article CH 35 de l'arrêté du 25 juin 1980 s'appliquent aux équipements qui disposent du marquage CE dès lors qu'ils ne sont pas hermétiquement scellés. 

(19 juillet 2023, Syndicat Uniclima, n° 435581)

 

Libertés fondamentales

 

220 - Référé liberté – Campement de migrants – Accès à l’eau potable et à des modalités d’hygiène adaptées – Sauvegarde de la dignité de la personne humaine – Risque de traitement inhumain ou dégradant – Confirmation de l’ordonnance et rejet.

Est rejeté l’appel dirigé contre l’ordonnance par laquelle le juge des référés a, d'une part, enjoint au préfet du Calvados et à la commune de Ouistreham de créer, à proximité immédiate d’un campement de migrants, des points d'eau et des latrines, ainsi qu'un dispositif d'accès à des douches, en indiquant qu'il reviendrait à ces autorités d'organiser, en lien avec les associations requérantes, le nombre, la localisation précise de ces installations et leurs modalités d'accès et que ces prescriptions devraient connaître un début de réalisation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance.

Au visa du principe constitutionnel de la dignité de la personne humaine et du principe conventionnel de prohibition des traitements inhumains et dégradants le juge des référés du Conseil d’État confirme l’ordonnance du premier juge. Il relève en particulier que les migrants installés dans ce campement, qui se trouvent dans un état de dénuement et d'épuisement, n'ont accès à aucun point d'eau ou de douche ni à des toilettes à proximité du site. La présence de sanitaires publics, situés à près d'un kilomètre du campement, et dont le point d'eau ne permet pas le remplissage de cuves à eau, ainsi que de douches, à une distance de plus deux kilomètres et demi, ne peut être regardée comme suffisante pour répondre à leurs besoins élémentaires en matière d'alimentation en eau potable et d'hygiène. Ces personnes souffrent en conséquence de pathologies dermatologiques, digestives et infectieuses liées à une mauvaise hygiène. L'absence de dispositifs d'accès à l'eau à proximité de leur lieu de vie entraîne en outre de leur part le recours à des solutions alternatives présentant des risques pour leur santé et leur sécurité physique, telle que l'utilisation de l'eau du canal jouxtant le campement. Et le juge d’asséner : « De telles conditions de vie font apparaître que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants présents, en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable, demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains et dégradants, portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Ces circonstances, constitutives en outre d'un risque pour la santé publique, révèlent en elles-mêmes une situation d'urgence caractérisée, justifiant l'intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. »

On pourrait certes se féliciter de l’existence d’une voie de droit permettant l’octroi très rapide de solutions aussi élémentaires mais ne faut-il pas, d’abord et surtout, déplorer que des autorités publiques, dans un État de vieille démocratie, aient besoin d’être contraints successivement par deux juges et par deux procédures pour accorder de telles aumônes ?

(ord. réf. 03 juillet 2023, commune de Ouistreham, n° 475136 ; ministre de l’intérieur, n° 475262)

 

221 - Décision préfectorale de placement en unité pour malades difficiles (UMD) – Demande de mainlevée de cette décision – Compétence du juge judiciaire.

Dès lors qu’il résulte des dispositions des art. L. 3211-12 et L. 3211-12-1, L. 3216-1 et L. 3222-5-1 du code de la santé publique que toute action relative à la régularité et au bien-fondé d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement prononcée sous la forme d'une hospitalisation complète et aux conséquences qui peuvent en résulter ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire, il s’ensuit que cette dernière est également compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatriques sans son consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, ou refuse sa sortie d'une telle unité. 

(TC, 03 juillet 2023, M. A. c/ préfète de la Gironde, n° C4279)

 

222 - Extradition - Détournements de fonds publics - Actes qualifiés crimes par loi marocaine - Modalités d’exercice des poursuites - Élément sans importance au regard de la compétence de l’État requérant - Rejet.

Le requérant, ressortissant marocain dont l’extradition a été demandée par le Maroc à la France, ne saurait exciper des dispositions de l'art. 2-1 de la convention bilatérale d'extradition pour soutenir l’illégalité du décret primo-ministériel autorisant son extradition. En particulier, il ne peut invoquer la circonstance qu'un mandat d'arrêt international visant à engager une procédure d'extradition à l'encontre du requérant ait été émis en l'absence de ce dernier sur le territoire marocain, dès lors que les détournements reprochés ont eu lieu dans l’exercice de fonctions au sein d’un poste consulaire à l’étranger. En effet, d’une part, il résulte des dispositions du premier alinéa de l'art. 707 du code marocain de procédure pénale que les autorités judiciaires marocaines sont compétentes pour poursuivre et juger de tels faits, qualifiés crimes. L’objection soulevée par l’intéressé concerne seulement les modalités d'exercice des poursuites, dont il n'appartient pas au Conseil d'État statuant au contentieux d'apprécier la régularité, celle-ci étant sans effet sur celle du décret d’extradition.

(10 juillet 2023, M. B., n° 469860)

 

223 - Extradition - Motifs de la demande d’extradition - Absence de contrôle de la France sur le bien-fondé des charges retenues sauf erreur évidente - Absence - Rejet.

A un ressortissant kossovar contestant le décret l’extradant vers le Kossovo à la demande des autorités de cet État pour viol, menaces et agression sexuelle, il est rappelé que, sauf erreur évidente, inexistante en l’espèce, il résulte des principes généraux du droit applicable à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée.

(20 juillet 2023, M. A., n° 470530)

 

224 - Prévenu - Maintien en détention - Relevés signalétiques contraints - Erreur sur sa majorité ou sur sa minorité -Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation la circulaire du 28 mars 2022 du garde des sceaux présentant des dispositions résultant de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure permettant le recours à des relevés signalétiques contraints et le maintien en détention d'un prévenu en dépit d'une erreur sur sa majorité ou sa minorité, notamment par adjonction d’un quatrième alinéa à l'art. 55-1 du code de procédure pénale et par l’insertion d’un art. 397-2-1 dans ce code ainsi que des art. L. 413-16 et L. 413-17 dans le code de la justice pénale des mineurs.

Après avoir décidé que la circulaire contestée présente un caractère impératif et qu’elle est donc susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, le juge rappelle que le recours formé à son encontre ne peut être accueilli que si elle fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si l'interprétation du droit positif qu'elle comporte en méconnaît le sens ou la portée ou si elle est prise en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

Il est alors procédé à l’analyse du contenu de la circulaire en deux volets (I et II).

 

I/ En premier lieu, la circulaire attaquée est examinée en tant qu'elle porte sur l'application des dispositions du quatrième alinéa de l'art. 55-1 du code de procédure pénale et des art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, dans leur rédaction issue de l'article 30 de la loi du 24 janvier 2022.

De ce chef le recours est d’abord rejeté car le Conseil constitutionnel (déc. n° 2022-1034 QPC, 10 février 2023), d’une part, a déclaré les mots « 61-1 ou » figurant au quatrième alinéa de l'art. 55-1 du code de procédure pénale contraires à la Constitution, dans la mesure où ils permettent de recourir à des opérations de prise d'empreinte digitales ou palmaires ou de photographies à l'égard d'une personne entendue dans le cadre du régime de l'audition libre, alors que le respect des droits de la défense exige que la personne intéressée soit entendue sans contrainte et en droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue et, d’autre part, a déclaré conformes à la Constitution le reste des dispositions du quatrième alinéa de l'art. 55-1 du code de procédure pénale, ainsi que les art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, sous la réserve que les opérations de prise d'empreintes digitales ou palmaires ou de photographies sans le consentement de la personne, qu'elle soit mineure ou majeure, ne sauraient être effectuées hors la présence de son avocat, des représentants légaux ou de l'adulte approprié et, s'agissant de l'art. L. 413-17, que ces dispositions ne sauraient être interprétées comme s'appliquant aux mineurs entendus sous le régime de l'audition libre.

Surtout, le Conseil a précisé que les mesures prises avant la publication de sa décision ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. C’est pourquoi, les dispositions du paragraphe 1 de la partie A du I de la circulaire attaquée comportant les mots « de l'audition libre ou » qui se rapportent, en tant qu'ils concernent les personnes majeures, aux dispositions jugées contraires à la Constitution, doivent être réputés caduques. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête dirigées contre ces dispositions doivent être regardées comme ayant perdu leur objet.

Par ailleurs, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire attaquée serait privée de base légale à raison de l'inconstitutionnalité des dispositions des art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs alors que le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution, sa décision étant revêtue de l'autorité absolue de la chose jugée et liant tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation des dispositions en cause.

De ce chef, le recours est ensuite rejeté car, en raison des exigences de forme et de fond posées par les textes ainsi que des garanties dont elles sont assorties, en particulier s’agissant de l’enregistrement et de la conservation des données, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions en cause méconnaitraient le droit au respect de la vie privée garanti par les stipulations de l'art. 8 de la convention EDH, le droit à un procès équitable garanti par le § 1 de l'art. 6 de la même convention ainsi que le § 1 de l'art. 3 de la convention internationale des droits de l'enfant qui consacre la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. 

II/ En second lieu, la circulaire attaquée est examinée en tant qu'elle porte sur l'application des dispositions de l'art. 397-2-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi du 24 janvier 2022.

Tout d’abord, comme le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée, a déclaré les deuxième et troisième alinéas de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale conformes à la Constitution, sous la réserve qu'afin d'assurer le respect des exigences constitutionnelles résultant du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs tenant notamment à la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, il appartient à la juridiction saisie « de vérifier que, au regard des circonstances, de la situation personnelle du mineur et de la gravité des infractions qui lui sont reprochées, son placement ou son maintien en détention provisoire n'excède pas la rigueur nécessaire ». Cette réserve d'interprétation est revêtue de l'autorité absolue de la chose jugée et lie tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation des dispositions en cause. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire attaquée serait privée de base légale à raison de l'inconstitutionnalité des dispositions de cet article du code de procédure pénale.

Ensuite, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que les dispositions de l'art. 397-2-1 du code de procédure pénale, qui poursuivent un objectif de sauvegarde de l'ordre public, méconnaîtraient les stipulations du § 1 de l'art. 3 et de l'art. 37 de la convention relative aux droits de l'enfant, qui imposent, d'une part, d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants pour toutes les décisions qui les concernent et qui prévoient, d'autre part, que leur placement en détention ne doit constituer qu'une mesure de dernier ressort, ainsi que du § 3 de l'art. 5 de la convention EDH, qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté. Par suite, ne saurait, non plus, être invoquée une prétendue méconnaissance des stipulations combinées des art. 5 et 14 de la convention européenne EDH au motif que les dispositions de cet article 397-2-1 instaureraient une différence de traitement injustifiée entre les mineurs immédiatement renvoyés devant une juridiction pour mineurs et ceux d'abord renvoyés devant une juridiction pour majeurs en raison de l'ignorance de leur état de minorité, qui se trouvent au demeurant dans des situations différentes.

(10 juillet 2023, Syndicat de la magistrature, syndicat des avocats de France et association Groupe d'information et de soutien des immigrés, n° 464528)

 

225 - Droit de propriété - Aménagement foncier et agricole - Remembrement - Aggravation des conditions d’exploitation - Dénaturation et erreur de droit - Annulation.

 (12 juillet 2023, M. et Mme A., n° 458995)

V. n° 108

 

226 - Personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement - Refus de prendre des mesures utiles mettant fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense - Transmission d’une QPC.

(13 juillet 2023, Association des avocats pénalistes, n° 461605)

V. n° 285

 

227 - Rétention de deux passeports, d’une carte d’identité étrangère et d’un permis de conduire - Procédure en contestation d’un OQTF - Légalité des rétentions de documents Absence d’atteinte à une liberté fondamentale -Rejet.

(ord. réf. 06 juillet 2023, M. A., n° 475417)

V. n° 259

 

228 - Ressortissant afghan – Demande d’asile en France – Refus en raison d’une demande antérieure d’asile à la Suède, acceptée par ce pays – Rejet.

Est confirmée, faute d’éléménts nouveaux apportés postérieurement à cette décision, l’ordonnance de référé liberté estimant que ne résultait du refus d’accorder l’asile au requérant, aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile du fait de la décision de porter le délai de son transfert vers la Suède à dix-huit mois. En effet, suite à sa demande, le requérant, qui a obtenu l’asile politique en Suède, a, à l'occasion de la notification, le 9 juin 2023, des modalités de son acheminement vers la Suède organisé dans le cadre d'un départ contrôlé, explicitement exprimé son refus de se rendre dans ce pays et a refusé de signer le document portant à sa connaissance ces modalités. Par ailleurs, alors qu'il avait été informé du vol sur lequel une place lui avait été réservée, il ne s'est pas présenté à l'embarquement le 13 juin. S'il fait valoir que l'administration n'avait pas organisé un pré-acheminement de son lieu de résidence à l'aéroport de Roissy, il apparaît qu'il n'avait pas sollicité une telle mesure et qu'il avait clairement manifesté son intention de ne pas se conformer à la procédure de transfert vers la Suède.

Par suite, le premier juge a, à bon droit, estimé que M. B. devait être regardé comme se trouvant « en fuite » au sens de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 dit « de Dublin », et jugé, en conséquence, que l'autorité préfectorale avait régulièrement rejeté sa demande d’asile.

(ord. réf. 21 juillet 2023, M. B., n° 476091)

(229) V., en sens contraire, également à propos d’un ressortissant afghan demandeur d’asile en France après que les autorités suédoises ont donné leur accord pour sa prise en charge en Suède, annulant l’ordonnance du premier juge rejetant son recours contre l’arrêté préfectoral ordonnant son transfert vers la Suède au motif que contrairement à ce qui y a été jugé, l’intéressé ne pouvait être déclaré « en fuite » au sens et pour l’application des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) du 26 juin 2013 du seul fait qu'il ne s'était pas présenté à des convocations en vue de l'exécution de la décision de transfert à des dates auxquelles cette décision ne pouvait être mise à exécution en vertu des dispositions de l'art. L. 742-5 du CESEDA, soit parce que le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision n'était pas expiré, soit parce que le tribunal administratif, saisi dans les conditions du I de l'art. L. 742-4 du CESEDA, n'avait pas encore statué, ce qui était le cas de l’espèce : ord. réf. 17 août 2023, M. A., n° 478953

(230) V., également en ce sens, jugeant en premier lieu qu’en principe un demandeur d'asile faisant l'objet d'une procédure de réadmission dans le cadre de la procédure « Dublin III » peut être regardé comme « en fuite » si, informé précisément et dans une langue qu'il comprend des modalités exactes de son réacheminement, il s'est délibérément abstenu de se conformer aux indications données par l'administration pour son voyage. Le fait de ne pas se rendre en temps utile sur le lieu programmé du départ, compte tenu des aléas de déplacement sur le trajet et de la longueur des procédures d'embarquement, sans pouvoir faire valoir un motif valable de retard, doit être assimilé à une telle abstention délibérée. Mais, en second lieu, relevant qu’en l’espèce ne peut être déclarée en fuite une ressortissante angolaise qui, faisant l’objet d’une procédure de réadmission vers le Portugal, qui ne parle pas et ne comprend pas le français, a reçu notification d'un document d'information dénommé « routing », qui lui a été traduit par oral, mentionnant la compagnie aérienne, le numéro de vol et l'heure de départ de l'aéroport d'où elle devait, le 29 juin 2023, se rendre au Portugal, alors que ce document, qui ne lui permettait pas d'embarquer, indiquait qu'elle devait se présenter à la police aux frontières à 4h45, sans préciser la localisation de ce service au sein de l'aéroport, lequel comporte au demeurant plusieurs étages.

Il résulte d’ailleurs de l'instruction et notamment des échanges à l'audience que l'intéressée s'est effectivement rendue à l'aéroport à 4h45 et que, ne sachant pas où trouver la police aux frontières, elle s'est présentée à un agent de l'aéroport. Celui-ci, à qui elle a donné à lire sa « fiche de liaison » retraçant les instructions de la préfecture, lui a demandé d'attendre dans une salle, ce qu'elle a fait sans chercher à aucun moment à se dérober. Lorsque, après plus d'une heure et demi d'attente à la place qui lui avait été indiquée, elle a pu échanger avec des policiers, ceux-ci lui ont fait comprendre qu'il était trop tard pour embarquer et l'ont invitée à recontacter la préfecture. Au regard des circonstances de l'espèce, notamment de l'initiative qu'elle avait prise de faire traduire sa « fiche de liaison » en langue allemande pour le cas où elle en aurait besoin à l'aéroport de Francfort et d'avancer, en vue de son départ, la séance d'hémodialyse qu'elle subit trois fois par semaine, ainsi que du fait que, s'étant rendue à l'aéroport à l'heure prévue, elle s'est adressée à un agent dont elle pouvait raisonnablement penser qu'il pourrait l'aider à se conformer aux instructions reçues, à un moment de la journée où les guichets d'information étaient encore fermés, Mme A. ne peut être regardée comme s'étant délibérément soustraite à l'exécution de ses obligations. En regardant l'intéressée comme « en fuite », alors au surplus que ni avant cette date, ni depuis, elle n'a cherché à se soustraire à ses obligations, notamment dans le cadre de son assignation à résidence pendant plusieurs mois, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg et le ministère de l'intérieur ont inexactement qualifié les faits. C'est donc à tort que sa demande a été rejetée pour ce motif.

Statuant par la voie de l’effet dévolutif de l’appel, le juge des référés du Conseil d’État décide que la requérante est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui remettre une attestation de demande d'asile, ainsi que le dossier destiné à l'instruction de sa demande par l'OFPRA, dans les meilleurs délais : ord. réf. 11 août 2023, Mme A., n° 476377.

 

231 - Ressortissant kossovar – Demande d’asile en France – Transfert aux autorités suisses – Procédure « Dublin III » - Allégation d’un état de santé s’opposant à ce transfert – Rejet.

Un ressortissant kossovar demandeur d’asile en France, pour s’opposer à son transfert en Suisse selon la procédure dite « Dublin III », invoque un état de santé incompatble avec un tel transfert. La demande est rejetée par application de la jurisprudence de la CJUE (16 février 2017, C.K et autres c/ République de Slovénie, aff. C-578/16, PPU) selon laquelle le transfert d'un demandeur d'asile « Dublin III » ne peut être opéré que si l'intéressé, lorsqu’il présente une affection mentale ou physique particulièrement grave, n’encourrait pas, en cas de transfert, un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. A défaut, il incombe à l'État membre concerné de suspendre l'exécution du transfert de l'intéressé aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert. 

En l’espèce, s’agissant d’un individu paraplégique dont l’état de santé, notamment les escarres, la pathologie digestive, l'état de stress post-traumatique et la fragilité psychique dont il souffre, nécessite des soins infirmiers biquotidiens et un suivi médical et psychologique adapté mais qui bénéficie de l'assistance de sa mère, il est jugé que le transfert vers la Suisse, soit de Strasbourg à Bâle, ne serait pas incompatible avec un transport par ambulance de quelques heures et, en particulier, il n’apparaît pas que son transfert entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de sa santé.

Le référé liberté est rejeté.

(ord. réf. 01 août 2023, M. A., n° 476413)

 

232 - Ressortissant étranger demandeur d’asile en France et en Allemagne – Demande d’octroi du bénéfice des conditions matérielles d’accueil – Absence de vulnérabilité particulière – Rejet.

Est rejeté l’appel d’un ressortissant étranger dirigé contre l’ordonnance rejetant sa demande qu’il soit fait injonction à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de lui accorder les conditions matérielles d'accueil et d'indiquer un lieu d'hébergement à compter du 25 juillet 2023 sa situation ne révélant pas une vulnérabilité particulière qui rendrait sa demande prioritaire car il n'établit pas qu'il ne pourra pas bénéficier d'un autre hébergement d'urgence, ni que la pathologie qu'il invoque impose une prise en charge permanente.

(ord. réf. 03 août 2023, M. A., n° 476372)

(233) V. aussi, annulant l’ordonnance de référé par laquelle un tribunal administratif enjoint à un département de désigner à une ressortissante guinéenne demandant l’asile de lui désigner sous 24 heures un lieu d'hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir avec sa fille alors que l’intéressée étant prise en charge, comme demandeur d'asile, par l'Office français pour de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui doit lui assurer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil auxquelles elle a droit conformément aux dispositions de l’art. L. 551-8 du CESEDA. C’était donc à l’OFII que le juge - qui ainsi commis une erreur de droit - devait adresser son injonction ; injonction est donc faite à cet Office par la présente ordonnance : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 479508.

(234) V., identique, concernant une ressortissante ivoirienne et ce même département : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 479547, voir aussi, similaire, concernant une autre ressortissante ivoirienne : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 480584.

(235) V. également, en revanche, rejetant le recours de ce même département  fondé sur ce que la requérante, ressortissante congolaise, a elle-même contribué à sa situation de précarité en n'effectuant pas les démarches requises pour obtenir le renouvellement de son attestation de demandeur d'asile et en quittant sans motif valable le centre d'hébergement qui lui avait été assigné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, alors qu'elle aurait pu continuer à bénéficier des conditions matérielles d'accueil attachées à ce statut, et qu'elle n'a effectué aucune démarche auprès de ses services afin de bénéficier d'un hébergement d'urgence avant de saisir le juge des référés du tribunal administratif. Le juge d’appel des référés confirme l’ordonnance du premier juge en relevant que l'intéressée est mère célibataire et a trois enfants à sa charge, dont le dernier est âgé de moins de trois ans et que, sans l'intervention de l'ordonnance de première instance, elle ne disposait d'aucune solution d'hébergement pour elle-même et ses enfants. Elle remplit donc tant la condition d'urgence pour présenter une demande en référé sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA, que les conditions prévues au 4° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 478278.

(236) V., identique au précédent, relatif à ce même département et à une ressortissante sénégalaise mère célibataire d’un enfant de moins de trois ans, satisfaisant à la double condition rappelée dans la précédente décision : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 478585. Pour deux autres ressortissantes sénégalaises, mères célibataires d’un enfant de moins de trois ans, voir, identiques : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 481484 ; ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 481493. Voir aussi, pour une ressortissante géorgienne, célibataire avec trois enfants à charge tous âgés cde moins de trois ans : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 482508.

(237) V. encore, identique, concernant une ressortissante tunisienne mère célibataire d’un enfant de moins de trois ans : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 480572.

 

238 - Principe général du droit des réfugiés – Convention de Genève du 28 juillet 1951 – Obligation d’accorder le même statut aux membres d’une même unité familiale – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté les demandes d'asile présentées par un ressortissant nigérian, sa compagne et leur fille. La Cour nationale du droit d'asile a annulé les décisions de l'OFPRA portant sur les demandes de Mme B. et de sa fille et leur a reconnu la qualité de réfugiées mais, par la même décision, elle a refusé de reconnaître la qualité de réfugié à M. B. pour des motifs tenant aux craintes de persécution qu'il faisait valoir en propre.

Sur pourvoi de ce dernier, le Conseil d’État est à la cassation, retenant  qu’il résulte d’un principe général du droit applicable aux réfugiés, tiré de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967 et en vue d'assurer pleinement aux réfugiés la protection prévue par la convention, que l’État d’accueil a l’obligation de reconnaître la même qualité, à raison des risques de persécutions qu'ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille, ainsi qu'aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France.

Il incombait donc à la Cour nationale du droit d'asile d'accorder à la personne qui lui demandait protection, le bénéfice du statut de réfugié sur le fondement de ce principe dès lors qu'il ressortait des éléments qui lui étaient soumis que les conditions susrappelées étaient réunies. En l’espèce, la cour a commis une erreur de droit en s’abstenant d'examiner si le requérant pouvait se voir reconnaître la qualité de réfugié sur le fondement de ce principe, du fait des décisions prises sur les demandes de sa compagne et de sa fille mineure.

(26 juillet 2023, M. B., n° 469273)

 

239 - Détenu - Mesures de surveillance et de sécurité renforcées - Rédiviste de l’évasion avec violences - Profil dangereux - Mesure d’isolement justifiée - Rejet.

Est rejetée la requête en référé liberté d’un détenu tendant à ce qu’il soit mis fin au régime de surveillance particulièrement stricte auquel il est soumis. Le juge retient que l’intéressé s’est évadé à plusieurs reprises et chaque fois en commettant des violences, qu’il a été condamné à plusieurs reprises pour des crimes graves, qu’il appartient de longue date au grand banditisme, que son état de santé n’a pas été jugé médicalement incompatible avec ses conditions de détention et qu’enfin, il a bénéficié depuis son transfert au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe de plusieurs entretiens avec ses avocats au parloir et qu'il s'entretient régulièrement avec ceux-ci par téléphone, qu'il passe de très nombreux appels téléphoniques, reçoit des visites régulières, de sa famille notamment, dispose de deux heures de promenade par jour et de la possibilité de faire du sport.

Ainsi la requête en référé liberté est jugée mal fondée, aucune atteinte grave n’est portée à une liberté fondamentale dès lors que la rigueur du traitement accordé au requérant est exactement proportionnée à la dangerosité de l’individu, à la gravité et à la persistance de son comportement criminel.

(ord. réf. 24 août 2023, M. A., n° 476395)

 

240 - Centre de rétention administrative - Atteintes en matière de sécurité et de salubrité - Demande de fermeture provisoire et de prise de mesures diverses - Confirmation du rejet prononcé en première instance en l’absence de carence caractérisée et de l’urgence propre à l’art. L. 521-2 du CJA.

Saisi d’un recours tendant à voir fermer provisoirement un centre de rétention administrative dans l’attente que soient appliquées les mesures propres à obvier divers dysfonctionnements existants selon le requérant, le juge d’appel confirme le rejet opposé par l’ordonnance rendue en première instance. Il estime en effet, d’une part, qu’en dépit des éléments de fait rapportés, n’existe aucune atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale non plus que des traitements inhumains ou dégradants du fait de ceux-ci, d’autre part, qu’ainsi n’est pas établie l’urgence caractérisée qui permettrait au juge, sous quarante-huit heures, d’ordonner que des mesures soient prises et mises en œuvre effectivement dans ce même laps de temps.

(ord. réf. 24 août 2023, M. B., n° 482421)

(241) V. aussi, un rejet identique de demandes similaires à l’égard du même centre de rétention administrative : ord. réf. 24 août 2023, M. B., n° 481424.

 

Police

 

242 - Police des jeux et paris - Contrôle de l’État sur la Française des jeux (LFDJ) - Monopole d’exploitation des jeux et loteries - Atteinte à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services - Procédure de désignation de la Française des jeux - Monopole et droits exclusifs non nécessaires - Liberté d’entreprendre - Présence de l’État - Rejet.

On sait que l’art. 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société La Française des jeux (LFDJ) et lui a confié le monopole de l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution. Cet article a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance de l'art. 38 de la Constitution, les dispositions précisant le périmètre des droits exclusifs et les contreparties dues par la société LFDJ au titre de leur octroi, définissant les conditions d'exercice, d'organisation et d'exploitation de ces droits exclusifs ainsi que les modalités du contrôle étroit exercé par l'État sur leur titulaire et redéfinissant les modalités de régulation de l'ensemble du secteur des jeux d'argent et de hasard.

C’est sur ce fondement qu’a été prise l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard sur la base de laquelle a été édicté, pour son exécution, le décret du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur la société La Française des jeux. La requérante demande à titre principal l’annulation de ce décret et, à titre subsidiair, son abrogation. 

Cette action se situe dans une vaste offensive des entreprises de jeux contre le système français de régulation des jeux et paris et, naturellement, comme toutes les actions de ce type, elle est rejetée en tous ses chefs de griefs qu’il s’agisse de la régularité externe du décret litigieux ou de celle de son contenu normatif.

Il est jugé que ne peuvent être retenus ni le moyen tiré de ce que l'octroi des droits exclusifs porte atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services ni celui que le système mis en place viserait uniquement à favoriser la valorisation de la société LFDJ dans la perspective du transfert au secteur privé de la majorité de son capital et non un objectif d’intérêt général ni l'absence de procédure de publicité et de mise en concurrence préalable ni, non plus, celui selon lequel l’octroi de droits exclusifs ne serait pas nécessaire, pas proportionné au but visé et pas cohérent avec l’ensemble de ce dispositif ni, encore, qu’il serait, par là, porté atteinte à la liberté d’entreprendre au moyen d’un abus de position dominante et du non respect du principe d’égalité ainsi que de la présence de représentants de l’État au sein du collège de l'Autorité nationale des jeux.

En bref, si le monde des jeux et ses motifs ne sont pas jolis, jolis, leur existence est aussi inévitable que leurs gains sont appétissants, par suite l’État, qui n’est pas professeur de morale, se doit d’intervenir pour, à la fois, capter une part de la manne financière en légitimant cette captation sur le vice et la crédulité par un souci que les choses ne débordent pas trop. On le sait depuis le jurisconsulte Paul : « Non, tout ce qui est permis (par la loi) n’est pas (forcément) honnête » (Non omne quod licet honestum est, Digeste 50.17.144).

(12 juillet 2023, Société SPS Betting France limited, n° 436864)

 

243 - Forfait de post-stationnement - Procédure contentieuse - Rappels et précisions - Annulation.

Encore une fois la complexité du régime contentieux du stationnement payant a frappé, obligeant à nouveau le juge à une leçon de formation en direction de la commission compétente à cet effet.

L’hypothèse est ici celle dans laquelle la commission notifie à un requérant que sa requête ne peut, en l'état, qu'être rejetée comme irrecevable, faute de comporter une ou plusieurs des pièces mentionnées à l'art. R. 2333-120-31 du CGCT, il appartient à l'intéressé, s'il ne conteste pas qu'une régularisation est nécessaire, de produire les pièces requises dans le délai d'un mois qui lui est imparti. Deux cas se présentent alors selon que le requérant apporte ou n’apporte pas une réponse à cette notification dans le mois de sa réception.
Si le requérant apporte une réponse à la notification dans le délai d'un mois, il ne peut être réputé avoir renoncé à son action et la commission doit statuer sur sa requête aussi bien s’il conteste qu'une régularisation soit nécessaire que s’il adresse à la commission les pièces qui lui ont été demandées ou s'il ne produit qu’une partie seulement des pièces demandées par le greffe ou encore s'il fait valoir qu'il est dans l'impossibilité de les produire.
La commission ne peut donc pas, dans ces différents cas, statuer sur la requête avant l'expiration du délai d'un mois. Dans l’hypothèse où le requérant a fourni, dans ce délai d’un mois, les éléments justifiant qu'il est dans l'impossibilité de procéder à la régularisation demandée dans le délai imparti, la commission ne peut statuer qu'après avoir fixé un nouveau délai de régularisation.

Si le requérant n'apporte aucune réponse à la notification dans le délai d'un mois, l'expiration du délai met fin à l'instance, sans qu'une décision de la commission soit nécessaire. Cependant, si la commission reçoit, après l'expiration du délai d'un mois, une réponse du requérant comportant tout ou partie des pièces demandées ou contestant la nécessité d'une régularisation, l'intéressé doit être regardé comme contestant avoir renoncé à son action. Dans ce cas, l'instance est rouverte et la commission soit statue sur sa requête au fond si  l’intéressé fait état de circonstances de nature à justifier qu'il n'ait pas respecté ce délai, soit donne acte au requérant de sa renonciation dès lors que la réponse du requérant a été reçue après l'expiration du délai d'un mois.

Difficile de faire plus complexe et de désorienter davantage les intéressés…

(12 juillet 2023, Mme D., n° 462155)

 

244 - Forfait de post-stationnement - Cession du véhicule et débiteur du forfait - Cession du véhicule à un professionnel de l’automobile - Avis de droit.

Le requérant demandait l'annulation de deux titres exécutoires émis contre lui par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions, ayant donné lieu à deux avertissements en date du 2 avril 2020, en vue du recouvrement de deux forfaits de post-stationnement émis à son encontre le 3 août 2019 par une commune et de la majoration dont ils sont assortis. Avant de statuer sur ses demandes, le tribunal administratif recourt à la procédure de l’avis de droit (art. L. 2333-87-9 du code général des collectivités territoriales).

En bref, il s’agissait de répondre à des questions relatives à l’effet de la déclaration d’achat, ou de son absence, sur le forfait post-stationnement en cas de cession du véhicule à un professionnel de l’automobile avant l’émission de ce forfait ou si ce dernier intervient dans les 15 jours de la cession.

Le juge du rescrit administratif, au visa tant du VII de l'art. L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales que de l'art. L. 330-1 du code de la route, répond ceci.

En premier lieu, et c’est là le cas général, le juge pose le principe et l’exception.

En principe, il résulte des textes précités que le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est la personne titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule à la date d'émission de l'avis de paiement de ce forfait.

Par exception, lorsque le véhicule a été cédé, son acquéreur est le débiteur du forfait de post-stationnement, dès lors que le vendeur a cédé son véhicule avant l'émission de l'avis de paiement et a procédé à la déclaration au ministre de l'intérieur prévue par l'art. R. 322-4 du code de la route avant cette date ou, en tout état de cause, dans le délai de quinze jours prévu à cet article.

En deuxième lieu, lorsqu'un véhicule a été cédé à un professionnel de l'automobile, il incombe, d’une part, à l'ancien propriétaire du véhicule de s'acquitter des formalités déclaratives prévues par l'art. R. 322-4 précité, soit directement par voie électronique, soit en mandatant un professionnel de l'automobile habilité par le ministre de l'intérieur, et, d’autre part, au professionnel de l'automobile ayant fait l'acquisition du véhicule d’effectuer une déclaration d'achat au ministre de l'intérieur dans les quinze jours suivant l'achat du véhicule, soit directement par voie électronique, soit par l'intermédiaire d'un professionnel de l'automobile habilité par le ministre de l'intérieur, en application des dispositions du même article. 

En troisième lieu, par exception aux principes énoncés ci-dessus, lorsque le véhicule est cédé à un professionnel de l'automobile, ce dernier doit être regardé, qu'il ait procédé ou non à la déclaration d'achat prévue par les dispositions de l'art. R. 322-4 précité, comme seul redevable des forfaits de post-stationnement émis après la date de la cession, laquelle peut être établie par tout moyen. 

(19 juillet 2023, M. A., n° 473260)

 

245 - Fête du 14 juillet - Risques de troubles à l’ordre public - Engins pyrotechniques - Interdiction de les vendre ou de les utiliser - Annulation partielle en référé suspension.

Quatre-vingt sept entreprises ont saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une demande de suspension de l'exécution du décret n° 2023-576 du 8 juillet 2023 portant interdiction de la vente, du port et du transport d'engins pyrotechniques et d'artifices de divertissement.

Par ce décret, publié et entré en vigueur le lendemain, afin de prévenir les risques de troubles graves à l'ordre public au cours des festivités du 14 juillet, il a été interdit, jusqu'au 15 juillet 2023 inclus, la vente, le port, le transport et l'utilisation des articles pyrotechniques et des artifices de divertissement sur l'ensemble du territoire national, à l'exclusion des opérations réalisées par les professionnels disposant des agréments et habilitations requis et par les collectivités publiques.

S’agissant des articles pyrotechniques, l'art. 2 du décret attaqué soustrayant les professionnels disposant des agréments et habilitations requis à l'interdiction d'acquérir, de porter, de transporter et d'utiliser les articles pyrotechniques qui résulte de l'article 1er du même décret, ce dernier est dépourvu d'effet en ce qui concerne les articles pyrotechniques, réservés aux professionnels, relevant des catégories F4, T2 et P2. Il n'y a donc pas lieu de prononcer la suspension de son exécution dans cette mesure.

S’agissant des artifices de divertissement, le ministre de l'intérieur ne saurait soutenir ni  que ces produits ne sont pas dépourvus de danger, notamment pour les enfants, car de tels risques, inhérents à la manipulation de tout article pyrotechnique, sont étrangers aux troubles graves à l'ordre public que le décret a pour objet de prévenir, ni que les effets visuels et sonores modestes de ces produits seraient susceptibles d'occasionner de tels troubles et qu'ils peuvent accroître le sentiment d'anxiété des policiers et gendarmes mobilisés, ni que la matière première combustible contenue dans ces produits serait susceptible de permettre la confection par des particuliers d'articles pyrotechniques présentant un danger significatif pour des biens et des personnes qui seraient pris pour cibles, ni, non plus, enfin, qu’existerait un risque sérieux de confusion, à l'occasion des contrôles de police, entre ces produits et des artifices de divertissement des catégories F2 et F3 susceptibles d'être utilisés de façon détournée et malveillante comme projectiles contre les forces de l'ordre, d'autres personnes ou des biens. Par ailleurs, le paragraphe 1 de l'art. 4 de la directive 2013/29/UE du 12 juin 2013 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d'articles pyrotechniques interdit en principe aux États membres de prohiber, restreindre ou entraver la mise à disposition sur le marché d'articles pyrotechniques satisfaisant aux exigences de cette directive ne vise que les artifices de divertissement des catégories F2 et F3 et ne mentionne pas les artifices de divertissement de la catégorie F1, précisément en raison des très faibles risques qu'ils présentent.

Ainsi, les moyens tirés, d'une part, de ce que l'interdiction prévue par le décret litigieux en ce qui concerne les artifices de divertissement de la catégorie F1 ne serait, eu égard au très faible risque lié à la mise en œuvre de ces articles pyrotechniques, ni nécessaire, ni proportionnée, et, d'autre part, de ce qu'elle méconnaîtrait les objectifs de la directive du 12 juin 2013 paraissent, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret dans cette mesure. Il en va pareillement de ces mêmes moyens développés contre l’interdiction des articles pyrotechniques classés dans les catégories T1 et P1.
En revanche, en ce qui concerne en premier lieu les artifices de divertissement classés dans les catégories F2 et F3, énumérés par l’arrêté ministériel du 17 décembre 2021, tels que fusées, chandelles romaines, chandelles monocoup, pétards aériens et, lorsqu'ils relèvent de la catégorie F3, pétards à mèche, pétards à composition flash, batteries et combinaisons, et en raison de la proximité des festivités du 14 juillet comme de récentes émeutes urbaines, aucun des moyens de légalité interne soulevés n'apparaît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret dans cette mesure.

Au contraire, pour les autres artifices de divertissement classés dans ces catégories F2 et F3, les moyens tirés, d'une part, de ce que l'interdiction générale faite par le décret litigieux de vendre à des particuliers et, pour ces derniers, de porter, transporter et utiliser des artifices de divertissement relevant des catégories F2 et F3 et qui ne sont pas inscrits sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021 présenterait un caractère disproportionné et, d'autre part, de ce qu'elle méconnaîtrait les objectifs de la directive du 12 juin 2013 apparaissent, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret dans cette mesure.
Concernant l’urgence à décider, le juge des référés note :

1) que les festivités du 14 juillet constituent, avec le passage à la nouvelle année, la principale occasion de vente au public d'articles pyrotechniques et, en particulier, d'artifices de divertissement ; le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises du secteur à cette occasion représente une proportion très significative de leur chiffre d'affaires annuel. Ainsi, l'interdiction prononcée par le décret litigieux est susceptible d'occasionner un préjudice financier important, à tout le moins, pour les deux entreprises de commerce de gros requérantes qui sont tenues contractuellement de reprendre les produits non écoulés par les détaillants, et pour les détaillants, en particulier ceux qui ont acquis ces produits sans pouvoir contractuellement les restituer contre remboursement aux grossistes.

2) que l'équilibre financier de ce secteur a été sérieusement fragilisé par l'annulation des spectacles pyrotechniques pendant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et reste particulièrement précaire en raison des contraintes réglementaires et des restrictions liées notamment à la sécheresse et aux risques de départs de feux de forêts.

3) qu’un retour massif des produits en cause par des détaillants craignant de ne pouvoir les écouler après les festivités du 14 juillet pourrait soulever des difficultés de stockage pour les grossistes, astreints à des obligations particulières à cet égard, et, ce faisant, créer un risque pour la sécurité publique.

Le décret litigieux apparaît ainsi de nature à porter un préjudice suffisamment grave et immédiat à la situation de ces entreprises et à celle de tiers ce qui atteste de la satisfaction de la condition d'urgence. 

La suspension de ce décret est ordonnée dans la mesure qui vient d’être précisée.

(ord. réf. 13 juillet 2023, Société Pyragric Industrie et 86 autres, n° 475817)

 

246 - Police de la sécurité publique - Carte d’aléa « mouvements de terrain » - Demande de modification - Termes du porter à connaissance du préfet - Orientation significative du pouvoir municipal de décision - Influence sur la valeur vénale des terrains - Acte susceptible de recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de modifier la carte d'aléa « mouvement de terrain » établie par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) en tant qu'elle classe leur parcelle en zone d'aléa fort.

Le ministre se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a estimé qu’était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation le classement litigieux en « aléa fort ». Son pourvoi est rejeté.

Le juge de cassation considère que la cour administrative d’appel a exercé son pouvoir souverain d’appréciation sans dénaturation en jugeant ainsi et en se fondant pour cela :

- sur les conclusions de l'expertise géotechnique, réalisée pour la communauté d'agglomération d'Agen en janvier 2016, mettant en cause la méthodologie retenue par le CEREMA pour le classement de très grandes plages de zones d'aléa fort et, s'agissant plus particulièrement de la parcelle des requérants,

- sur le rapport d'expertise établi le 30 juin 2017 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, qui conclut à une probabilité d'occurrence du risque de glissement de terrain faible, éventuellement moyenne, mais non d'une probabilité d'occurrence forte, eu égard à la pente du terrain inférieure à 11° dans la zone dédiée à l'habitation et à l'absence de nappe d'eau généralisée dans le versant,

- que si une note du 5 mars 2018 sur les plans de prévention des risques de mouvements de terrain dans l'Agenais, établie à la demande de la direction départementale des territoires de Lot-et-Garonne, estime que le degré d'aléa faible proposé par l'expert est inapproprié, compte tenu notamment des éléments hydriques, il ne confirme pour autant pas l'aléa fort retenu par le CEREMA « en l'absence d'observation suffisante » sur le site.

(13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455800)

Voir, pour un autre aspect de cette décision le n° 4

(247) V. aussi, très semblable : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455801.

(248) V. également : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455803.

 

249 - Police des constructions illicites - Arrêté préfectoral portant évacuation et démolition de telles constructions - QPC dirigée contre l’art. L. 11-1 de la loi du 23 juin 2011 - Intérêt à agir d’une association à ressort national contre une mesure de police locale - Irrecevabilité - Rejet.

Il était demandé la suspension de l’exécution de l'arrêté préfectoral du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de Mayotte a ordonné l'évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, dans la commune de Mamoudzou.

Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de cette décision en tant qu'elle concerne les requérants personnes physiques, transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et rejeté les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'homme. 

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation de cette ordonnance, juge d’abord que l’introduction d’un tel pourvoi devient sans objet lorsqu’il est dirigé contre une ordonnance du juge du référé suspension, qu'elle ait ou non suspendu la décision litigieuse, dès lors que cette dernière a été entièrement exécutée comme c’est le cas en l’espèce où le recours pour excès de pouvoir a été introduit le 23 décembre 2022, l’ensemble des constructions abusives ont été démolies le 14 janvier 2023 et un nouveau mémoire a été enregistré le 13 juin 2023 dans la procédure de cassation.

Ensuite est rejeté le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir d’une association ayant un ressort national contre une mesure de police locale car le juge de cassation estime que la décision contestée soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

Également est rejetée la QPC dirigée contre l’art. 11-1 de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, issu de l'art. 197 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, sur la base duquel le préfet de Mayotte s’est fondé pour prendre l’arrêté querellé car, comme indiqué précédemment, le litige a perdu son objet.

Enfin, de ce que le recours n’était pas recevable, il se déduit que ne sont pas davantage recevables les conclusions de la requérante au titre de l’art. L. 761-1 du CJA.

(19 juillet 2023, Ligue des droits de l'homme et autres, n° 469986)

 

250 - Police des étrangers - Compagnies aériennes - Réacheminement obligatoire des passagers étrangers non admis sur le territoire français - Abstention - Sanction pécuniaire - Conditions d’infliction - Annulation.

Les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent, à cet effet, établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par le code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef.

Cependant, ces exigences n’instaurent pas - et seraient d’ailleurs impuissantes à le faire - une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.

Par ailleurs, pour sanctionner et fixer le montant de la sanction en cas d’inobservation de ces prescriptions, il incombe à l’administration de considérer en particulier le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. A cet égard constitue une circonstance exonératoire l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord car il n'incombe au transporteur ni de pourvoir à la surveillance de l'intéressé ni d'exercer sur lui une contrainte.

En l’espèce l’arrêt d’appel est censuré pour avoir aperçu l’existence d’une circonstance exonératoire dans la décision du commandant de bord de débarquer l'intéressé au motif de l'absence d'escorte, sans faire état d'éléments liés au comportement de celui-ci et aux exigences de sécurité à bord de nature à établir l'impossibilité de le réacheminer.

(20 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 469330)

(251) V. aussi et à l’inverse, jugeant que c’est sans erreur de droit, ni qualification inexacte des faits  qu’une cour administrative d’appel a estimé que constituait pour la compagnie Air France une circonstance exonératoire l’absence de réacheminent d’une passagère qui avait déjà fait l'objet de cinq tentatives de réacheminement, avait manifesté son refus d'être réacheminée et que la décision du commandant de bord de la débarquer avait été prise au regard du risque présentée par celle-ci pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants : 20 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 469754.

 

252 - Police du permis de conduire - Perte de points - Demande de restitution de points - Impossibilité - Rejet.

Commet une erreur de droit le jugement qui ordonne au préfet de police de restituer ses points au titulaire d’un permis de conduire étranger alors qu’il ne saurait, en ce cas, ni être retiré ni être restitué de points sur ce permis de conduire.

(26 juillet 2023, M. A., n° 463176)

(253) V. aussi, annulant pour non respect du contradictoire, l’ordonnance rejetant le recours d’un automobiliste contre la décision référencée « 48 SI » du ministre de l'intérieur portant invalidation de son permis de conduire : 26 juillet 2023, M. A., n° 466295.

(254) V. encore, rejetant des conclusions tendant à l'annulation de la décision de retrait de trois points consécutive à une infraction commise le 2 mai 2014 ainsi que de la décision référencée « 48 SI » du 23 avril 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur a constaté l'invalidité d’un permis de conduire pour solde de points nul, ainsi que les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui restituer trois points et le bénéfice de son permis de conduire, dès lors que l’intéressé,  qui a payé l'amende forfaitaire majorée correspondant à l'infraction du 2 mai 2014, n'allègue pas avoir reçu un avis d'amende forfaitaire majorée inexact ou incomplet et n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que cette amende a fait l'objet d'un recouvrement forcé. Le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas reçu l'information prévue par les art. L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route préalablement au règlement de l'amende ne peut dès lors qu'être rejeté : 26 juillet 2023, M. B., n° 470136.

(255) V. également, jugeant que commet une erreur de droit le magistrat désigné qui, pour annuler la décision « 48 SI » du 9 avril 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur a retiré six points du capital de points de M. A., a constaté que le solde de points de l'intéressé était nul, a prononcé la perte de validité du permis de M. A. et lui a enjoint de remettre son titre de conduite, s'est fondé sur la circonstance que le point retiré du capital de l'intéressé à la suite de l'infraction commise le 26 juin 2019 a été restitué le 8 janvier 2020, soit avant la fin du délai probatoire survenu le 22 novembre 2020, pour en déduire, d'une part, que l'intéressé bénéficiait à cette dernière date d'un capital de douze points sur son permis de conduire et, d'autre part, qu'à la suite du retrait de six points consécutif à la condamnation définitive de M. A., le 30 novembre 2021, pour l'infraction commise le 22 décembre 2019, le solde de points de l'intéressé n'était pas nul à la date de la décision litigieuse. S’agissant d’un nouveau conducteur, la restitution de points durant la période probatoire est sans effet sur le mécanisme de perte du permis : 26 juillet 2023, M. A., n° 470185.

 

256 - Police de la circulation sur les voies publiques et police de la sécurité publique - Interdiction de circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes - Interdiction générale et absolue - Atteinte grave et immédiate à la liberté du commerce et de l’industrie comme à la liberté d’entreprendre - Annulation.

Par un arrêté municipal du 18 avril 2023, la maire de la commune de Lille a interdit la circulation des véhicules dont le tonnage est supérieur à 3,5 tonnes (sauf véhicules de collecte d'ordure ménagères et de tri sélectif et les véhicules bénéficiant d'autorisations particulières délivrées par la mairie de Lille) dans le cadre de la desserte d’un certain nombre de voies de la commune. La société Exotec a demandé, d'une part, par voie de référé liberté, la suspension de l'exécution de cet arrêté et d’autre part qu’il soit enjoint à la maire de la ville de Lille de déposer les panneaux de signalisation correspondants sous astreinte. L’ordonnance de référé du 30 juin 2023 a suspendu l'exécution de l'arrêté litigieux en tant qu'il interdit la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes sur la rue César Franck, la rue Berthollet et la place Alexandre Dumas et rejeté le surplus des conclusions de la société requérante.

La commune de Lille interjette appel de cette ordonnance et son appel est rejeté.

Le juge d’appel commence par rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle si les mesures prises par le juge des référés lorsqu’il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale doivent en principe présenter un caractère provisoire, il en va différemment lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte car les mesures ordonnées doivent être de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte.

Le juge ne rejette ni les motifs avancés par la commune au soutien de la légalité de la décision litigieuse ni la circonstance que le site exploité par la société Exotec, classé depuis 1979 en zone économique UE dans le plan local d'urbanisme de la commune de Lille, comporte 18 quais de chargement dont la construction a donné lieu à une autorisation d'urbanisme délivrée par la mairie de Lille en 1998, et qui sont destinés à l'expédition des commandes de produits stockés sur place, ni, non plus, qu’eu égard à la nature de l'activité déployée sur ce site, l'expédition des commandes nécessite le recours à des véhicules de type semi-remorque de 44 tonnes, le flux journalier étant estimé à 6 véhicules par jour pour la seule société Exotec. 

Pour rejeter l’appel et confirmer l’ordonnance attaquée, le juge des référés du Conseil d’État retient en premier lieu l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'aller et de venir du fait que l’application de l’interdiction absolue édictée par l’arrêté municipal du 18 avril 2023 de toute sortie des véhicules de plus de 3,5 tonnes du site utilisé par la société Exotec constitue une interdiction générale et absolue de la circulation de ce type de véhicules sur les voies concernées et qu’elle apparaît disproportionnée eu égard à ses effets sur l'activité économique des entreprises présentes sur site, alors, d'une part, qu'il n'est pas contesté que ces activités sont exercées en conformité avec les règles en vigueur et, d'autre part, que des mesures moins contraignantes, telles que des restrictions de circulation à certaines heures, auraient pu être édictées en vue d'assurer la sécurité des personnes et des biens. 

Par ailleurs, l’urgence est ici avérée car les panneaux de signalisation correspondant aux interdictions de circulation contestées sont susceptibles d'être apposés incessamment par la Métropole européenne de Lille sur les voies concernées.

Bonne illustration de l‘aspect parfois « juge de paix » de la juridiction des référés.

(ord. réf. 25 juillet 2023, commune de Lille, n° 475982)

 

257 - Police des frontières - Captation et transmission d’images par caméras installées sur des drones - Lutte contre le franchissement irrégulier de la frontière hispano-française - Atteinte à une liberté fondamentale et situation d’urgence - Rejet.

Saisi par plusieurs personnes privées, morales et physiques, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a suspendu l’exécution de l'arrêté préfectoral du 26 juin 2023 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a autorisé la captation, l'enregistrement, et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des drones. Le ministre de l’intérieur a saisi le Conseil d’État d’un appel dirigé contre cette ordonnance.

Pour rejeter cet appel et confirmer l’ordonnance litigieuse, le juge saisi constate en premier lieu le caractère grave de l’atteinte portée par la décision suspendue à la liberté fondamentale que constitue le droit au respect de la vie privée.

L’arrêté préfectoral en cause a autorisé la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par la direction interdépartementale de la police aux frontières d'Hendaye au moyen de caméras installées sur des aéronefs au titre de la surveillance aux frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier, du 26 juin au 26 juillet 2023 et de 9 heures à 18 heures, sur un périmètre recouvrant une partie de la frontière hispano-française et du territoire des communes d'Hendaye, de Biriatou et d'Urrugne. 

Sur l’atteinte à une liberté fondamentale, le juge relève d’abord que si cet arrêté ne permet d'utiliser qu'un seul drone à la fois, son périmètre géographique, qui s'étend sur l'essentiel du territoire de la commune de Biriatou et sur une partie de celui des communes d'Hendaye et d'Urrugne, recouvre une superficie de près de 20 km2 et comprend un grand nombre de maisons d'habitation. 

Il note ensuite que si le motif de cette mesure est la hausse du nombre de franchissements illégaux de la frontière et l’absence de mesure efficace qui serait moins intrusive, les requérants contestent cette appréciation des faits et produisent des chiffres faisant apparaître une baisse des flux, l'absence d'effets saisonniers notables, ainsi que les chiffres en baisse en 2023 du centre d'accueil de migrants de la mairie de Bayonne. Au reste, les séries de données extraites du système PAFISA, relatives à l'activité de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Hendaye, tout comme les éléments de contexte partiels présentés par le ministre, font apparaître, entre le premier semestre 2022 et le premier semestre 2023, une baisse de 6 154 à 3 481 du nombre de non-admissions à la frontière, une hausse de 206 à 366 du nombre de réadmissions par les autorités espagnoles et une hausse de 539 à 817 du nombre d'étrangers en situation irrégulière interpellés L’ensemble ce ces éléments ne permet pas, en l'état de l'instruction, de confirmer l'existence de facteurs de hausse de l'activité surveillance des frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier.

Enfin, selon le juge des référés, en l'état de l'instruction, les données produites par l'administration sur les flux migratoires et les éléments fournis sur les caractéristiques géographiques de la zone concernée et sur les moyens qui y sont affectés à la lutte contre le franchissement irrégulier des frontières ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d'une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure, que le service ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée. C’est ainsi à bon droit que le premier juge a estimé que l'arrêté contesté portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée. 

Sur l’urgence, celle-ci est jugée remplie en raison d'une part, du nombre de personnes susceptibles de faire l'objet des mesures de surveillance litigieuses, d'autre part, des atteintes qu'elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'objectif de prévention des atteintes à l'ordre public ne pourrait être atteint en recourant à des mesures moins intrusives au regard du droit au respect de la vie privée, ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents.

(ord. réf. 25 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 476151)

 

258 - Rétention de passeport - Soupçon d’usurpation d’identité - Confiscation des titres présentés - Refus de restitution à l’issue d’une garde à vue non suivie d’une procédure judiciaire - Atteinte grave à une liberté fondamentale et urgence - Annulation - Injonction au préfet de police immédiatement exécutoire.

L'administration a soupçonné le requérant, titulaire d'un passeport français délivré en 2015, au vu d'un certificat de nationalité française qui lui a été délivré en 2012, dont il a produit l'original à l'audience, et qui en vertu de l'art. 30 du code civil fait foi jusqu'à preuve contraire, d'avoir usurpé cette identité à raison du constat qu'en 2018 une autre personne a présenté une demande de carte nationale d'identité en se prévalant de la même identité.

Aucune procédure judiciaire n'a été engagée à l'encontre de l’intéressé que ce soit par l'autre personne qui a revendiqué cette identité ou par l'administration, après le signalement qui lui a été fait de cette demande en 2018, ou à l'issue de la garde à vue du requérant, le 25 juin 2023.

Celui-ci est donc fondé à soutenir qu'en s'abstenant de lui restituer sa carte d'identité et son passeport, le préfet de police de Paris a porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté personnelle et à sa liberté d'aller et venir. 

Par ailleurs, l’ordonnance de référé est annulée pour avoir jugé qu’il n’y avait pas urgence à statuer au motif que le récépissé délivré au requérant, attestant de la confiscation de sa carte d'identité consulaire malienne, lui permettait de justifier de son identité. Toutefois, ce récépissé, d'une part, ne mentionne pas la confiscation des documents d'identité français de l’intéressé, et, d'autre part, précise qu'il a été délivré dans le cadre de la procédure d'obligation de quitter le territoire français sans délai dont M. A. fait l'objet.

La seule délivrance de ce récépissé ne suffit pas à permettre à l'intéressé de réaliser en France les actes de la vie courante et l'absence de toute perspective de restitution à celui-ci de ses documents d'identité français, si elle ne lui interdit pas de sortir du territoire, compromet la possibilité pour ce dernier de revenir en France pour y faire valoir ses droits, alors même que l'arrêté du 25 juin 2023 lui enjoint de quitter le territoire sans délai, l'exposant donc à une perspective d'éloignement imminente. C'est à tort que le juge des référés a rejeté sa demande pour défaut d'urgence.

En conséquence, il est fait injonction au ministre de l’intérieur de restituer à M. A., sans délai, sa carte d'identité et son passeport français, ainsi que son permis de conduire français, ou, si cette restitution s'avérait impossible, de lui délivrer sans délai des titres d'une durée de validité coïncidant avec celle des titres qui lui ont été confisqués. Compte tenu de l'urgence, le juge décide, sur le fondement de l'art. R. 522-13 du CJA, que la présente ordonnance est immédiatement exécutoire.

(ord. réf. 27 juillet 2023, M. A., n° 476198)

 

259 - Rétention de deux passeports, d’une carte d’identité étrangère et d’un permis de conduire - Procédure en contestation d’un OQTF - Légalité des rétentions de documents Absence d’atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

A la suite d’un arrêté préfectoral du 25 janvier 2023 portant OQTF, un ressortissant étranger s’est vu contraint de remettre aux autorités de police, du fait de son placement en rétention le 26 janvier 2023, ses passeports marocain et portugais, sa carte d'identité portugaise et son permis de conduire portugais. Il lui a été remis deux attestations du centre de rétention administrative, les 27 et 29 janvier 2023, indiquant les documents d'identité retenus et précisant que ces documents étaient conservés au greffe du centre de rétention administrative durant la durée de la rétention et qu'à la sortie du centre, ces documents seraient envoyés à la préfecture de l'Essonne.

L’intéressé n'étant désormais plus ni placé en rétention administrative ni assigné à résidence, il a donc sollicité à plusieurs reprises la restitution de ses documents d'identité et de voyage auprès de la préfecture de l'Essonne et formé, parallèlement, un recours en référé suspension de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français. Ce recours a été rejeté en raison de ce qu’il n’avait pas encore été statué sur sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté portant OQTF et de ce que la rétention par le préfet de l'Essonne de ses documents de voyage et d'identité ne le prive pas du droit de demeurer sur le territoire français jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'arrêté portant OQTF, ni d'y circuler, ni de faire la preuve de son identité par la production des documents qui lui ont été remis en échange de la rétention de ses documents de voyage et d'identité. Ainsi, l’intéressé ne peut soutenir, dans ces conditions, qu’il a été porté une atteinte manifestement illégale à ses droits et libertés.

Le juge des référés du Conseil d’État estime que le requérant n'apporte en appel aucun élément permettant de remettre en cause l'appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif.

On a vu le juge plus soucieux des libertés de l’individu…

(ord. réf. 06 juillet 2023, M. A., n° 475417)

 

260 - Police des déchets et divers - Dispositions réglementaires portant atteinte au secret des affaires et au principe de clarté et d’intelligibilité de la norme - Rejet.

La requérante demandait l’annulation du décret n° 2021-321 du 25 mars 2021 relatif à la traçabilité des déchets, des terres excavées et des sédiments.

En particulier elle reprochait tout d’abord à ce texte de porter atteinte au secret des affaires car il omet de garantir la protection de ce secret. Le moyen est rejeté : le décret attaqué - contrairement à ce qui est soutenu - n'a pas pour objet de préciser les conditions d'accès des tiers aux informations transmises et enregistrées en application de l'art. L. 541-7 du code de l'environnement ; ses dispositions ne sont donc pas illégales de ce chef.

Ensuite, il est également soutenu que le décret attaqué serait entaché d'une erreur de droit et méconnaîtrait le principe de clarté et d'intelligibilité de la norme en ce qu'il s'abstient d'indiquer l'autorité gestionnaire des bases de données et renvoie à des arrêtés pour la désignation des personnes ayant accès aux informations, ce moyen est rejeté dès lors qu’il résulte de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés que les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État qui intéressent notamment la sécurité publique sont autorisés par arrêtés des ministres compétents, qui précisent notamment le service gestionnaire compétent auprès duquel s'exerce le droit d'accès ainsi que les destinataires habilités à recevoir communication des données.

(28 juillet 2023, Fédération professionnelle des entreprises du recyclage, n° 452919)

 

261 - Police des taxis et de leurs emplacements - Demande d’indemnisation de préjudices nés d’une modification législative arguée d’inconstitutionnalité - Objectif d’intérêt général - Atteinte justifiée au principe d’égalité - Succession dans le temps de deux régimes législatifs - Absence d’atteinte à des situations légalement constituées - Absence d’atteinte excessive à la liberté d’entreprise - Refus de transmission d’une QPC - Rejet au fond.

Le requérant avait formé deux recours tendant, d’une part, à voir annuler le refus de la ministre chargée des transports de l’indemniser des préjudices qu'il aurait subis du fait de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ainsi qu’à voir condamner l'État à lui verser une somme, assortie des intérêts légaux à compter de la date de la demande préalable, en réparation des préjudices subis, d'autre part, d'annuler la décision implicite par laquelle la même ministre a rejeté sa demande du 15 février 2019 tendant à l'indemnisation des préjudices subis dans son activité de taxi du fait de la même loi et de condamner l'État à lui verser une autre somme, assortie du taux d'intérêt au taux légal à compter de la date de la réception de la demande préalable.

L’intéressé se pourvoit en cassation de l’ordonnance et de l’arrêt d’appel ayant, l’une, confirmé le rejet de sa demande de transmission d’une QPC, l’autre, rejeté au fond ses demandes indemnitaires.

Les prétentions du demandeur sont rejetées.

La source du litige résidait dans l'article L. 3121-2 du code des transports, dans sa rédaction issue de la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur. Ce texte décide que l'autorisation de stationnement délivrée postérieurement à la promulgation de la loi précitée est incessible et a une durée de validité de cinq ans, renouvelable dans des conditions fixées par décret. Toutefois, le titulaire d'une autorisation de stationnement délivrée avant la promulgation de la même loi a la faculté de présenter à titre onéreux un successeur à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation. Cette faculté est subordonnée à l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement pendant une durée de quinze ans à compter de sa date de délivrance ou de cinq ans à compter de la date de la première mutation.

A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, M. B. soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité et la liberté d'entreprendre garantis par les art. 4 et 6 de la Déclaration de 1789, et portent une atteinte non justifiée aux situations légalement acquises protégées par l'art. 16 de cette Déclaration.

Pour rejeter cette demande de transmission le juge invoque trois justifications.

Tout d’abord, contrairement à ce qui est soutenu, la différence de traitement alléguée entre les titulaires d'autorisations de stationnement selon leur date de délivrance est justifiée par un objectif d'intérêt général car ces dispositions s'appliquent indifféremment à tous les titulaires d'une autorisation de stationnement délivrée postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014, lesquels sont par ailleurs placés dans une situation différente de celle des titulaires d'une autorisation de stationnement délivrée avant cette date, dont le législateur a préservé les droits. Cette différence de traitement tient à la volonté du législateur de réformer progressivement le régime juridique des autorisations de stationnement nécessaires à l'exercice de la profession de taxi, afin de remédier aux inconvénients constatés dans le fonctionnement de la profession et tenant, notamment, aux modalités d'utilisation de cette autorisation, sans qu’il soit, pour autant, porté atteinte aux droits des personnes déjà titulaires d'une telle autorisation. La différence de traitement est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'a établie. Il suit de là que le grief tiré de l'atteinte portée au principe d'égalité ne présente pas un caractère sérieux.

Ensuite, le Conseil d’État aborde le grief, toujours épineux, tiré des immanquables difficultés liées aux successions de législations portant sur un même objet car pas plus que pour le poète, dans la vie des peuples, le temps ne saurait « suspendre (son) vol ». C’est pourquoi il est jugé qu’en l’espèce la modification, pour l'avenir, des règles applicables aux autorisations de stationnement ne porte par elle-même atteinte à aucune situation légalement acquise.

Si l’on peut admettre ce raisonnement, on sera plus réticent concernant un aspect particulier de la question qui est le suivant. Le requérant faisait valoir qu'en raison des délais d'attente importants observés pour la délivrance d'une autorisation de stationnement, certains chauffeurs de taxi se sont vu accorder une autorisation de stationnement postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014 alors qu'ils avaient présenté une demande d'autorisation plusieurs années auparavant, sous l'empire des anciennes dispositions applicables. Le moyen n’était pas sans valeur et il était même sérieux, l’administration étant seule l’auteur de ce dysfonctionnement. C’est pourquoi est critiquable la réponse selon laquelle cette situation « ne saurait conduire à estimer que les dispositions de l'art. L. 3121-2 du code des transports ont remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire des dispositions auxquelles elles se sont substituées ». 

Enfin, est rejeté le moyen tiré de ce que les dispositions contestées interdisent aux titulaires d'une autorisation de stationnement, délivrée postérieurement à la loi du 1er octobre 2014, de la céder car cette interdiction est notamment destinée à améliorer les conditions d'exploitation des taxis et à éviter des phénomènes spéculatifs entravant l'accès aux autorisations de stationnement. Fondées sur cet objectif d'intérêt général, les dispositions de l'art. L. 3121-2 précité, ne portent pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.

Au fond, le pourvoi en cassation est également rejeté.

(07 août 2023, M. B., n° 471411)

(262) V. aussi, identique : 07 août 2023, M. A., n° 474905.

 

263 - Police des installations classées - Demande d’implantation d’éoliennes - Moment d’appréciation de la légalité de l’autorisation en ce sens - Pouvoir du juge - Annulation.

Dans un litige en contestation de l’autorisation donnée à une société de construire et d’exploiter un parc éolien comprenant six aérogénérateurs et deux postes de livraison, le juge est amené à préciser les pouvoirs et l’office du juge des installations classées pour la protection de l'environnement.

Il lui incombe en premier lieu d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et à la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation.

Il lui incombe en second lieu d'appliquer les règles de fond applicables au projet en cause en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

Il en résulte que lorsque ce juge relève que l'autorisation environnementale contestée devant lui méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle il se prononce, il peut, dans le cadre de son office de plein contentieux, lorsque les conditions sont remplies, modifier ou compléter l'autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l'illégalité constatée, ou faire application des dispositions de l'art. L. 181-18 du code de l'environnement. 

L’arrêt d’appel est annulé pour n’avoir pas fait application des dispositions réglementaires applicables à l'installation dans leur rédaction en vigueur à la date à laquelle il s'est prononcé.

(04 août 2023, Association Environnement et patrimoines en Pays du Serein et autres, n° 455196)

 

264 - Police des stupéfiants - Classement de substances dans la classe des stupéfiants - Conséquences économiques irrémédiables - Risque pénal - Défaut d’urgence - Rejet du référé - suspension.

Le juge retient ici l’absence d’établissement de la condition d’urgence pour rejeter la demande des sociétés requérantes de suspendre une décision du 12 juin 2023 de la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé portant modification de la liste des substances classées comme stupéfiants pour y ajouter l'hexahydrocannabinol ou HHC, hexahydrocannabinol acétate ou HHC-acétate ou HHCO et enfin l'hexahydrocannabiphorol ou HHCP, ou, à défaut que soient prises des mesures transitoires aux fins d’adaptation à la nouvelle réglementation.

Les requérantes invoquaient les conséquences économiques irrémédiables et inéluctables que la décision litigieuse occasionnerait pour les opérateurs économiques, qui doivent gérer leurs stocks de produits, décider de l'exécution des contrats en cours, et dont la pérennité de l'activité peut dans certains cas être menacée, ainsi que les graves conséquences pénales qui découleraient de son application immédiate et sans régime transitoire et enfin la gravité des atteintes portées aux libertés fondamentales.

Le juge des référés objecte que les intéressées se bornent à produire un état des stocks au mois de juin 2023 en ce qui concerne les produits contenant du HHC et une attestation relative à la part du chiffre d'affaires représentée par ces produits entre février et juin 2023, dont il ressort au demeurant que leur commercialisation n'a débuté qu'en février 2023. Ces éléments partiels et peu étayés ne lui paraissent pas de nature, en l'état du dossier, à justifier la gravité de l'atteinte que les sociétés requérantes invoquent à leurs intérêts économiques particuliers. Par ailleurs, s'il est vrai que la méconnaissance de la décision litigieuse est susceptible de donner lieu à une action pénale, l'entrée en vigueur de cette décision n'a par elle-même aucune conséquence sur l'engagement d'une telle action. Enfin, le juge rappelle que, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que la décision litigieuse porterait atteinte à certaines libertés fondamentales ne saurait caractériser une situation d'urgence. 

(06 juillet 2023, Sociétés CMCMRS Distribution et MYBUD, n° 475368)

 

265 - Police de l’ordre public et de la tranquillité publique - – Établissement de restauration rapide – Nuisances sonores et bagarres – Non respect de certaines règles d’hygiène – Plaintes des riverains – Fermeture administrative temporaire – Absence d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale – Rejet.

Confirmant l’ordonnance rendue en première instance, le juge d’appel du référé liberté estime que ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la décision du maire, agissant sur délégation du préfet, d’ordonner la fermeture pour une durée de deux mois, d’un établissement de restauration rapide provoquant des nuisances sonores, au sein et aux alentours duquel ont lieu divers troubles à l’ordre public dont des bagarres, qui suscite les plaintes et protestations des riverains.

(ord. réf. 19 juillet 2023, Société PACA DELIVERY, n° 475820)

(266) V., très comparable, confirmant le rejet du recours en référé liberté dirigé contre un arrêté préfectoral ordonnant la fermeture pour un mois de deux établissements de nuit pour des faits comparables liés à une consommation excessive d’alcool, auquel s’ajoute une enquête pénale pour des faits de viol sur mineur : ord. réf. 27 juillet 2023, Société SCAN 89, n° 475960.

 

Professions réglementées

 

267 - Ordre des vétérinaires - Juridiction d’appel statuant avant-dire droit sur une demande de récusation – Moyen de cassation tiré de la régularité de la composition de la formation de jugement de première instance – Inopérance – Rejet.

(04 juillet 2023, Société Le loup blanc, n° 442947)

V. n° 37

 

268 - Ordre des vétérinaires – Radiations de clinique et hôpital vétérinaires du tableau de l’ordre – Prise de participations financières d’un établissement dans l’autre établissement – Conflit d’intérêts – Absence de contrôle effectif des associés vétérinaires sur les sociétés créées – Rejet.

La société AniCura AB, de droit suédois, a acquis des actions de la société anonyme Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, qui a elle-même fait l'acquisition d'actions de la société anonyme Clinique vétérinaire Saint-Roch. De là résulte, d’une part, que la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet est détenue à hauteur de 50,01% par cinq associés vétérinaires et à hauteur de 49,99% par la société AniCura AB, d’autre part, que la société Clinique vétérinaire Saint-Roch est détenue à hauteur de 99,95% par la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet et à hauteur de 0,05% par dix associés vétérinaires.

Le Conseil national de l'ordre des vétérinaires, saisi des décisions de radiation prise à l’encontre des deux sociétés françaises, respectivement par  le conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires et le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des vétérinaires, a prononcé la radiation des deux sociétés pour trois motifs communs aux deux décisions (absence de contrôle effectif de la société par les vétérinaires associés, existence de conflits d'intérêts prohibés tenant à ce que, d'une part, la société AniCura AB fournit des services en lien avec l'activité vétérinaire, d'autre part, « le groupe Mars » a une filiale qui exerce une activité de transformation des produits animaux et commercialise des produits alimentaires pour animaux domestiques). Il a, dans sa décision relative à la Clinique vétérinaire Saint-Roch, retenu en outre un motif propre s’ajoutant aux précédents et tiré de ce que, faute d'être une société de participations financières de professions libérales et de prendre des participations dans une société d'exercice libéral, elle ne pouvait légalement prendre des participations dans cette clinique.

Chacune de ces sociétés se pourvoit en cassation contre cette décision par des requêtes qui sont jointes par le juge.

 

On n’examinera que les griefs tenant à la légalité interne des décisions querellées.

 

Est tout d’abord écarté le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l’incompatibilité du 1° du II de l'art. L. 241-17 du code rural avec l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, en ce qu'il permet à l'instance ordinale compétente de vérifier si les garanties qui y sont prévues, alors même qu'elles sont formellement reprises dans les statuts d'une société vétérinaire, ne sont pas privées d'effet par d'autres stipulations des statuts et d'éventuels pactes d'associés. En effet, il se déduit de la jurisprudence de la CJUE (1er mars 2018, Colegiul Medicilor Veterinari din România (CMVRO), aff. C-297/16 ; 29 juillet 2019, Commission européenne contre République d'Autriche, aff. C-209/18) que les États membres peuvent décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique, qui est liée à la santé animale, dès lors que certaines maladies animales sont transmissibles à l'homme et que certains produits alimentaires d'origine animale sont susceptibles de mettre en danger la santé humaine lorsqu'ils proviennent d'animaux malades ou porteurs de bactéries résistantes aux traitements ou qu'ils contiennent des résidus de médicaments utilisés pour le traitement des animaux, et que la manière dont ce niveau doit être atteint peut varier d'un État membre à l'autre.

Concernant la requête de la société Nordvet, le juge examine les motifs développés par le conseil national de l’ordre des vétérinaires au soutien des décisions prises.

Pour ce qui regarde le motif tiré du défaut de contrôle effectif de la société par les associés vétérinaires, il est jugé que si les statuts et le pacte d'associés de la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet comportent des stipulations qui reprennent formellement les exigences fixées par le 1° du II de l'art. L. 241-17 du code rural, la conjonction des stipulations relatives aux engagements et promesses de la société (d’un vote favorable en AG à toute proposition d'affectation de sommes distribuables, condition de validité des délibérations impliquant  la présence d'un représentant de la société AniCura A, promesse unilatérale de vente, obligation que deux des trois membres du conseil d’administration soient proposés par la société AniCura AB) conduit à ce que les garanties prévues par ces dispositions législatives soient, en l'espèce, privées d'effet, dès lors qu'il en résulte que les associés vétérinaires, quoique détenant la majorité des droits de vote, ne sont pas en mesure de contrôler effectivement la société. La décision du conseil national de l’ordre ne saurait être critiquée de ce chef.

Pour ce qui est relatif aux motifs tenant à l'existence de conflits d'intérêts prohibés, le juge décide qu’elle ne pouvait pas être retenue en l’espèce mais que le conseil national aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur la méconnaissance des dispositions du 1° du II de l’art. précité, qui est, à elle seule, de nature à justifier la mesure prise.

Concernant la requête de la société Saint-Roch, il résulte de ce qui précède que de même que le Conseil national de l'ordre des vétérinaires a pu légalement radier du tableau de l'ordre la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet au motif qu'elle ne satisfait pas aux conditions posées par le 1° du II de l'art. L. 241-17 précité, tendant à garantir un contrôle effectif des vétérinaires associés sur la conduite de la société, de même en va-t-il pour la société Clinique vétérinaire Saint-Roch qui est détenue à 99,95% par la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet et qu’ainsi cette condition ne peut également être regardée que comme non satisfaite par cette dernière.

Le Conseil national de l'ordre des vétérinaires n'a donc pas fait une inexacte application de ces dispositions en prenant pour ce même motif la décision attaquée.

(10 juillet 2023, Société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, n° 442911 ; Société Clinique vétérinaire Saint-Roch, n° 442925)

 

269 - Vétérinaires – Exercice en commun de leur profession au sein d’une société d’exercice libéral – Possibilité d’avoir plusieurs domiciles d’exercice – Obligation de la présence d’au moins un des vétérinaires associés dans chacun de ces domiciles – Exigence permise par le droit de l’Union – Exigence justifiée et proportionnée - Rejet.

Annulant des décisions en sens contraire rendues par une chambre régionale de discipline de l’ordre des vétérinaires, le conseil national de cet ordre a déclaré régulières les poursuites engagées contre la société Mon Véto IDF Est et la société Mon Véto et a infligé notamment à chacune de ces deux sociétés la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de vétérinaire pour une durée de six mois.

De cette décision ainsi que de celles interdisant à quatre personnes d'exercer la profession de vétérinaire, il est demandé la cassation au Conseil d’État.

Le pourvoi est rejeté.

Il est possible à des vétérinaires de s’associer, pour l’exercice en commun de leur profession, dans des sociétés d’exercice libéral.

La réglementation française prévoit la possibilité qu’une telle société dispose d’autant de domiciles d’exercice professionnel qu’elle le veut. Elle pose cependant à cela une condition limitative à savoir que les vétérinaires associés, s’ils peuvent disposer de collaborateurs et de salariés, ne peuvent pas déléguer de façon permanente, en méconnaissance des dispositions de l'art. R. 242-66 du code rural, la gestion d'un domicile professionnel d'exercice à un vétérinaire salarié ou collaborateur libéral. Ceci impose qu’au moins un de ses associés exerce, au minimum à temps partiel, dans chacun de ses domiciles professionnels d'exercice.

Ceci soulevait, dans ce dossier, deux questions liées : celle de la possibilité pour le droit interne d’établir une telle règle au regard de ce que dispose le droit de l’Union et celle de savoir si le contenu de cette réglementation nationale n’est pas excessif au regard de ce même droit.

Sans surprise, le Conseil d’État relève – comme il l’a fait dans la décision précédente rapportée ci-dessus - que l’art. 15 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur permet aux États-membres d’édicter une règle du type de celle attaquée sous condition de respecter les exigences de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité prévues au paragraphe 3 de cet article.

Le juge vérifie donc que cette réglementation, rendue possible par le droit de l’Union, satisfait en outre aux conditions de légalité susénoncées.

La réponse est positive.

D’abord, l’exigence s’applique à toutes les sociétés vétérinaires, françaises ou ressortissantes de l’Union ou d’un État partie à l’Espace économique européen.

Ensuite, l’existence de cette règle est nécessaire car elle garantit la qualité des soins prodigués aux animaux, et, ce faisant, d’une part, la protection de la santé publique, laquelle est liée à la santé animale dès lors que certaines maladies sont transmissibles à l'homme et que certains produits d'origine animale susceptibles de mettre en danger la santé humaine lorsqu'ils proviennent d'animaux malades ou porteurs de bactéries résistantes aux traitements ou qu'ils contiennent des résidus de médicaments utilisés pour le traitement des animaux, et d’autre part, la santé des animaux, la protection de l'environnement et des destinataires de service, ainsi que le respect par la société vétérinaire elle-même et l'ensemble des vétérinaires qui exercent en son sein, dans l'ensemble de ses domiciles déclarés, des règles déontologiques qui s'imposent à eux. Il n’est donc pas douteux que cette réglementation est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et répond, dès lors, à la condition de nécessité posée par le b) du 3 de l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006.

Enfin, la mesure en cause est proportionnée à l’objectif poursuivi tant par les exigences du droit de l’Union que par les règles du droit interne.

(10 juillet 2023, Société Mon Véto, société Mon Véto IDF Est et autres, n° 448133)

(270) V. aussi, jugeant que si la décision du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ne pouvait légalement se fonder sur la méconnaissance des dispositions du 2° du II de l'art. L. 241-17 du code rural pour procéder à la radiation de la société requérante, il résulte de l'instruction que le Conseil national aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur la méconnaissance des dispositions du 1° du II du même article, qui est, à elle seule, de nature à justifier la mesure prise. Il s'ensuit que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du Conseil national de l'ordre des vétérinaires qu'elle attaque. Ses conclusions tendant, par voie de conséquence, à l'annulation de la décision du conseil régional - à laquelle, au demeurant, la décision du Conseil national s'est substituée - ne peuvent qu'être également rejetées : 10 juillet 2023, Société par actions simplifiée Oncovet, n° 452448.

(271) V. encore, largement semblable aux trois décisions précédentes : 10 juillet 2023, Société UNIVETIS, n° 455961.

 

272 - Médecin spécialisé en psychiatrie – Commission d’un viol et condamnation pénale – Satisfaction de la condition de moralité - Autorisation d’inscription au tableau de l’ordre – Rejet.

Le conseil départemental requérant a demandé l’annulation de la décision par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a autorisé l'inscription de M. B. au tableau de l'ordre des médecins au motif que, bien que s’étant rendu coupable d’un viol et qu’il ait été condamné en cour d’assises pour cela, l’intéressé, compte tenu des circonstances, satisfaisait néanmoins aux conditions de moralité exigées des candidats à l’inscription à ce tableau.

Le Conseil d’État estime que, ce décidant, le Conseil national de l’ordre des médecins a fait une exacte application des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique.

On cite ici l’entier raisonnement du juge par lequel est explicitée une solution qui, sans cela, pourrait surprendre : « (…) par un arrêt du 15 mars 2019, la cour d'assises du département du Puy de Dôme a condamné M. B. à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont deux assortis du sursis pour des faits de viol commis en mars 2014 et que, par un arrêt du 5 mars 2021, la cour d'assises d'appel de l'Allier a confirmé la culpabilité de l'intéressé pour ces faits et l'a condamné à une peine de quatre années d'emprisonnement, la condamnation étant assortie du sursis pour la totalité de la peine et dispensée de l'inscription au bulletin n°3 du casier judiciaire. Il ressort des termes mêmes de son arrêt que, pour justifier le choix de la peine prononcée, la cour d'assises d'appel a pris en compte les circonstances particulières dans lesquelles les faits ont été commis, l'absence de dangerosité de M. B. attestée par les rapports d'expertise, qui n'ont relevé aucun trouble de la personnalité ni aucune pathologie, ainsi que son insertion socio-professionnelle. Il ressort également des pièces du dossier que, depuis la commission de ces faits en 2014 alors qu'il était interne au sein du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, M. B. a poursuivi ses études après avoir repassé les épreuves de l'internat dans une région différente et a obtenu le 19 avril 2021 le diplôme de docteur en médecine ainsi qu'un diplôme d'études spécialisées en psychiatrie et que, au cours des stages et des missions de remplacement qu'il a réalisés, ses compétences et qualités professionnelles ont été reconnues et que son comportement a donné toute satisfaction. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient le conseil départemental de Mayotte de l'ordre des médecins, que M. B. aurait cherché à induire en erreur les instances ordinales ou à leur dissimuler des informations. Ainsi, malgré la particulière gravité des faits pour lesquels M. B. a été condamné, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, qui pouvait, sans commettre d'erreur de droit, prendre en compte la circonstance que les faits en cause ont été commis en dehors de l'exercice de fonctions professionnelles, a, en estimant que l'intéressé remplissait, à la date à laquelle elle a statué, la condition de moralité requise pour l'exercice de la profession de médecin, fait, dans les circonstances de l'espèce et eu égard au comportement de M. B. depuis la commission, en 2014, des faits reprochés, une exacte application des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique. »

(05 juillet 2023, Conseil départemental de Mayotte de l'ordre des médecins, n° 462306)

 

273 - Médecin – Gérant de fait d’une société médicale – Médecin n’y exerçant pas – Sanction – Décision suffisamment motivée – Rejet.

Est suffisamment motivée la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qui, pour retenir l’existence d’une faute disciplinaire d’un médecin et la sanctionner, se fonde sur ce que l’intéressé prenait, sans justifier disposer d'un titre ou d'une délégation pour ce faire, de nombreuses décisions au nom de la société Unité de Radiothérapie République (U2R), en matière juridique, bancaire, comptable, administrative, matérielle ou encore de ressources humaines, qu'il était ainsi le gérant de fait de cette société et que, faute d'exercer sa profession au sein de cette société, il assurait de telles fonctions en méconnaissance des dispositions de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1990  relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, qui est applicable à la profession de médecin et que dès lors, il devait être regardé comme ayant méconnu les obligations de moralité et d'absence de déconsidération de sa profession, résultant des dispositions des art. R. 4127-3 et R. 4127-31du code de la santé publique. 

(05 juillet 2023, M. B., n° 465950)

 

274 - Médecin – Production devant la juridiction disciplinaire ordinale d’un dossier médical – Communication jugée non contraire au respect du secret médical – Juridiction disciplinaire ne s’étant pas prononcée sur le caractère strictement nécessaire de cette production – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins qui juge que ne méconnaît pas son obligation au secret médical le praticien qui, dans le cadre d’une instance disciplinaire, produit, pour sa défense, le bilan de la prise en charge d’un patient alors qu’il lui incombait d’établir non pas simplement le caractère nécessaire à sa défense de cette production mais son caractère strictement nécessaire.

(22 août 2023, M. B., n° 462636)

 

275 - Notaire - Nomination en qualité de notaire sur injonction du juge des référés - Demande du garde des sceaux tendant à ce qu’il soit mis fin à l’injonction prononcée (art. L. 521-4 du CJA) - Rejet pour défaut d’élément nouveau - Erreur de droit - Annulation.

Le garde des sceaux ayant refusé de nommer l’intéressée comme notaire, celle-ci a saisi le juge des référés qui a, notamment, fait injonction au garde des sceaux, par ordonnance du 17 novembre 2022, de procéder à sa nomination. Après cette nomination, ce dernier a, sur le fondement de l’art. L. 521-4 du CJA, saisi, le 8 décembre 2022, le juge des référés d’un recours tendant à ce qu'il soit mis fin à l'injonction précédemment prononcée ou à ce que celle-ci soit modifiée, faisant état de l'ouverture d'une enquête pénale sur des faits que Mme B. aurait commis dans l'exercice de ses fonctions, notamment l'utilisation de fonds de l'étude à des fins personnelles, la commission de faux en écriture publique et la perception indue de fonds publics, ainsi que d'une information du parquet sur le résultat d'actes d'enquêtes laissant penser que les faits reprochés à Mme B., s'ils étaient avérés, seraient d'une particulière gravité et incompatibles avec l'honorabilité attendue d'un officier public ministériel. 

Le juge des référés, pour rejeter la demande de cessation ou de modification de son ordonnance, a estimé que ces circonstances, en ce qu'elles n'établissaient par elles-mêmes aucun fait, ne constituaient manifestement pas des éléments nouveaux susceptibles d'entraîner la modification des mesures ordonnées.

Sur pourvoi du garde des sceaux, le Conseil d’État est à la cassation pour une erreur de droit assez évidente d’autant que, pour formuler sa requête, le garde des sceaux s’est fondé sur un courriel du 24 novembre 2022 dans lequel le procureur général près la cour d'appel d'Amiens fait état d'une perquisition réalisée la veille dans les bureaux de l'étude dont Mme B. avait été titulaire jusqu'au 1er octobre 2020, ayant révélé à tout le moins de graves négligences dans la gestion de son office, ainsi que des actes susceptibles d'être qualifiés pénalement, notamment de faux en écriture publique, d'abus de biens sociaux, de faux et usages de faux et d'escroquerie. Ces constatations ont d’ailleurs conduit le parquet d'Amiens à solliciter l'ouverture d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme B. auprès de la chambre départementale des notaires. 

(24 juillet 2023, Mme B., n° 470158)

 

276 - Masseur-kinésithérapeute – Sanction d’interdiction temporaire d’exercer la profession – Praticien radié, à sa demande, du tableau de l’ordre – Maintien de la compétence des juridictions ordinales – Intérêt du Conseil national de l’ordre à se pourvoir en cassation – Réglementation de l’exercice du toucher pelvien – Obligation d’une prescription médicale en ce sens – Erreur de droit – Annulation.

Un masseur-kinésithérapeute, titulaire du titre d’ostéopathe, était poursuivi disciplinairement pour avoir pratiqué un toucher pelvien, geste qui ne lui est autorisé que sur prescription médicale, sur une patiente pour laquelle sont résulté divers maux et qui a porté plainte devant la juridiction ordinale ainsi que le conseil départemental de l’ordre. La chambre disciplinaire de première instance n’a infligé à l’intéressé qu’un avertissement. Le Conseil national de l’ordre a interjeté appel devant la chambre disciplinaire nationale de l’ordre qui n’a sanctionné cette faute professionnelle que d’une interdiction temporaire d’exercice d’un mois avec sursis. Il se pourvoit en cassation de cette décision.

Avant d’aborder le fond du litige (comportement fautif ou non ?), le Conseil d’État tranche deux questions de procédure. En premier lieu, – répondant à un moyen du praticien –, il reconnaît au Conseil national de l'ordre un intérêt à se pourvoir en cassation contre une sanction qu'il estime insuffisante, quels que soient les termes de l'appel qu'il avait formé. En second lieu, la circonstance que le praticien, qui a commis les faits reprochés alors qu'il était inscrit au tableau de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, ait été à sa demande radié de ce tableau à compter du 1er octobre 2020, n'est pas de nature à retirer leurs compétences aux juridictions ordinales et ainsi à priver d'objet le pourvoi en cassation introduit en l’espèce. 

Sur le fond, le juge déduit des textes applicables (notamment les art. L. 4321-1 et R. 4321-1, 3 et 5 du code de la santé publique, l’art. 75 de la loi du 2 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé et l’art. 1er du décret du 25 mars 2007 relatif notamment aux conditions d’exercice de l’ostéopathie) que si ces dispositions ne soumettent l'exercice de son art par le masseur kinésithérapeute à une prescription médicale que lorsqu'il agit dans un but thérapeutique, elles renvoient à un décret en Conseil d'État la définition de l'ensemble des actes professionnels de masso-kinésithérapie, et non seulement des actes médicaux prescrits par un médecin. Or, il ne résulte d'aucune des dispositions du code de la santé publique énumérant les actes professionnels de masso-kinésithérapie citées ci-dessus qu'un masseur kinésithérapeute soit habilité à pratiquer sur ses patientes, hors prescription médicale, et quelle que soit la finalité qu'il lui assigne, un geste de toucher pelvien, qui ne constitue notamment ni une manœuvre externe constitutive d'un acte de massage ni un acte de gymnastique médicale.

Dès lors doit être annulée la décision de la chambre disciplinaire nationale qui, pour juger que le praticien avait pu pratiquer un acte de toucher pelvien en l’absence de prescription médicale, s’est fondée :

- d’abord, commettant ainsi une première erreur de droit, sur ce que l'acte en cause avait été réalisé en l'espèce dans le cadre d'un bilan ostéopathique, les actes d'ostéopathie pouvant être pratiqués par les personnes titulaires du titre d'ostéopathe sans prescription médicale, alors qu’il résulte des textes précités que quand bien même le geste pratiqué serait réalisé au titre de la pratique de l'ostéopathie, ceux-ci n'en autorisent la réalisation à un masseur-kinésithérapeute également ostéopathe que dans le cadre de l'exercice de la masso-kinésithérapie ;

- ensuite, commettant ainsi une seconde erreur de droit, sur la circonstance que l'acte en cause était autorisé dans l'exercice de la masso-kinésithérapie car il avait été réalisé en vue d'une mobilisation à caractère préventif et non thérapeutique, alors qu'une telle circonstance – comme indiqué plus haut - n'est pas de nature à autoriser un masseur-kinésithérapeute à pratiquer, en l'absence de prescription médicale, un acte de toucher pelvien. 

Le pourvoi du Conseil national de l’ordre est accueilli avec renvoi à la Chambre disciplinaire nationale.

(04 août 2023, Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, n° 467213)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

277 - Régime de la rente viagère pour maladie reconnue imputable au service – Date d’entrée en jouissance – Différence de traitement entre fonctionnaire retraité et fonctionnaire radié des cadres – Refus de transmettre une QPC – Rejet.

Le requérant contestait la constitutionnalité de la différence de traitement établie par les art. L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraites en matière de maladie professionnelle reconnue imputable au service. Alors que le fonctionnaire radié des cadres pour une telle maladie entre en jouissance de la rente viagère d’activité dès cette radiation, le fonctionnaire retraité dont la maladie professionnelle a été reconnue imputable au service postérieurement à sa radiation des cadres, ne jouit de la rente viagère d'activité qu'à compter de la date de dépôt de sa demande d'attribution de cette rente. Pour refuser de transmettre cette question le juge estime que « S'il en résulte une différence de traitement, celle-ci est justifiée par une différence objective de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. » Différence objective ? Vraiment ? On en doute.

(07 juillet 2023, M. B., n° 470588)

 

278 - Réforme du régime de l’assurance chômage – Absence d’atteinte au principe de fraternité ou au droit au respect de la dignité de la personne humaine, ainsi qu’aux cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 – Absence de caractère nouveau – Refus de transmission d’une QPC.

Les organisations requérantes soulevaient une QPC à l’encontre de l’art. L. 5422-2-2 du code du travail pour l’exécution duquel a été pris le décret du 26 janvier 2023 relatif au régime d’assurance chômage.

Le Conseil d’État refuse de la transmettre car la question posée n’est ni sérieuse ni nouvelle.

Elle n’est pas sérieuse car la prise en considération des indicateurs conjoncturels portant sur l'emploi et sur le fonctionnement du marché du travail qui permettent de décider de l’ouverture ou du rechargement des droits à l'allocation d'assurance des travailleurs privés d'emploi et pour la fixation de la durée de ces droits est autorisée par le législateur et qu’elle n'est pas de nature à porter atteinte, par elle-même, à l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi. Elle ne saurait donc méconnaître le principe de fraternité ou le droit au respect de la dignité de la personne humaine ainsi que les dispositions des cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

Semblablement, le législateur n’a pas commis une incompétence négative en ne déterminant pas la nature exacte et les modalités de prise en compte de ces indicateurs qui relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire tout comme le principe d’égalité ne saurait faire obstacle en la matière à son application différenciée à des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes.

La question n’est pas nouvelle en tant que, comme le soutiennent les demandeurs, la disposition en litige méconnaîtrait « le devoir de solidarité se dégageant du principe de fraternité ».

(05 juillet 2023, Confédération générale du travail et autres, n° 472376 ; Union nationale des syndicats autonomes, n°472385 ; Confédération française démocratique du travail et la Confédération française des travailleurs chrétiens, n° 472437 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 472491)

 

279 - QPC dirigée contre l’incompétence négative du législateur - Recevabilité subordonnée à l’existence de ce fait d’une atteinte à un droit ou une liberté garanti par la Constitution - Refus de transmission.

Rappel de ce que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

Tel n’était pas le cas de l’espèce où les dispositions - contestées - de l'art. L. 1115-8-1 du code des transports, qui, d’une part, ont pour objet d'encadrer le déploiement des services numériques d'assistance aux déplacements sur le territoire français, s'appliquent à tous les exploitants de systèmes utilisés sur ce territoire, que leur lieu d'établissement se situe en France ou à l'étranger et, d’autre part, si elles renvoient à un décret la définition des modalités de délivrance de ces informations, ces ne délèguent pas au pouvoir réglementaire la définition de leur champ d'application.

Le grief d'incompétence négative est écarté et cela d’autant plus que ces dispositions, n'affectent pas par elles-mêmes la liberté d'entreprendre des opérateurs proposant de tels services.

(11 juillet 2023, Société Coyotte System, n° 468050)

 

280 - QPC dirigée contre les dispositions du code de l’urbanisme permettant aux plans d’urbanisme le classement de parcelles en zone boisée sans compensation ni garantie procédurale - Absence de privation du droit de propriété - Restriction d’un droit justifiée par l’intérêt général - Absence d’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques - Refus de transmission de la QPC.

La requérante soulevait une QPC à l’encontre des art. L. 113-1 à L. 113-5 du code de l'urbanisme en tant qu’ils portent atteinte au droit de propriété et au principe d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 2 et 17 et l'article 13 de la Déclaration de 1789, en ce qu'ils restreignent l'affectation et le mode d'occupation de sa parcelle sans compensation ni garantie de fond et de procédure.

Le litige est né de ce qu’une modification du plan local d’urbanisme a classé en zone forestière des parcelles lui appartenant leur faisant perdre une importante partie de leur valeur marchande.

C’est une question classique du droit de l’urbanisme et du droit constitutionnel : Qu’est-ce que le droit de propriété ?

Un simple titre nominal ? Une « fonction sociale » selon l’expression pontificale (Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI, François) venue tout droit de la pensée aristotélo-thomiste ? L’appréhension physique des biens dans toutes leur(s) potentialité(s) originaire(s).

Ici le Conseil d’État joue sur la notion de « privation du droit de propriété » telle qu’utilisée à l’art. 17 de la Déclaration de 1789 ; il entend « privation » au sens de « dépossession » soit la perte de puissance sur la chose. De là s’ensuit que la perte, même drastique, de valeur d’un bien du fait d’une décision de la puissance publique ne constitue pas une dépossession et ne mérite donc ni indemnisation ni garantie procédurale particulière.

Il y faut seulement l’invocation de pur psittacisme de « l’intérêt général », façon Bridoison et sa « fôorme ».

Le juge retient quatre arguments pour rejeter l’argumentation de la requérante.

D’abord, elle s’est vue appliquer des dispositions législatives « qui n’emportent aucune privation du droit de propriété mais se bornent, sans interdire toute construction, à apporter des limites à son exercice, ne méconnaissent pas l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les restrictions apportées à l'exercice du droit de propriété, justifiées par l'intérêt général qui s'attache à la création ou à la préservation d'espaces boisés, ne concernent que les changements d'affectation ou les modes d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements. » On demeure songeur à la lecture des mots « aucune privation du droit de propriété ».

Ensuite, contrairement à ce qui est prétendu, « ces restrictions sont accompagnées des garanties de fond et de procédure prévues pour la procédure d'élaboration des plans locaux d'urbanisme, et dont le respect est contrôlé par le juge de l'excès de pouvoir et sont proportionnées à l'objectif poursuivi. » Le mot « restrictions » illustre à merveille la novlangue chère à G. Orwell car enfin il s’agit bien ici de défigurer la condition juridique du bien en cause et du pouvoir exercé sur lui existant antérieurement à la modification litigieuse du PLU.

Encore, « les art. L. 113-3 et L. 113-4 du code de l'urbanisme donnent la possibilité, dans certaines conditions, au propriétaire d'un terrain classé en espaces boisés d'obtenir un terrain à bâtir contre la cession gratuite de son terrain ou bien d'obtenir une autorisation pour changer l'affectation ou le mode d'occupation des sols de son terrain. » Cette possibilité est aveu du peu de légitimité du procédé législative puisque son auteur propose un subterfuge pour restituer au propriétaire un tantinet de sa propriété d’origine

Enfin, il est rappelé, refrain célèbre, que le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et qu'il ne fasse pas peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs capacités contributives. Ce mantra posé, il en résulte, aussi tautologiquement que possible, que les différences de traitement entre les propriétés foncières, selon qu'elles sont ou non classées en espaces boisés, répondent à la prise en compte de situations différentes et, partant, elles ne portent point atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.

En réalité, ceci illustre l’hypocrisie qui consiste à invoquer un prétendu droit constitutionnel de propriété en le vidant autant que faire se peut de sa substance de sorte qu’il n’apparaît plus que comme une superstructure, donc dépourvu de toute réalité substantielle. Il serait plus honnête et plus sain de reconnaître enfin que n’existe qu’un droit d’usage sur les biens, viager si l’on veut, mais à condition que disparaisse en même temps que la fiscalité assise sur eux.

(11 juillet 2023, Mme A., n° 470532)

 

281 - Plus-value réalisée par une personne physique - Apport à une société soumise à un régime réel d'imposition d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité - Report d'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables - Impôt acquitté par le bénéficiaire de la transmission lors de la  cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations - Refus de transmission d’une QPC.

(12 juillet 2023, Mme A., n° 474529)

V. n° 93

 

282 - Procédure régissant la question prioritaire de constitutionnalité - Griefs formulés en première instance - Présentation en appel après expiration du délai d’appel - Nouvelle QPC - Obligation d’y présenter des moyens nouveaux - Absence - Rejet.

Dans un litige où elle recherchait l’annulation de l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France fixant le montant de sa contribution au fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF), ainsi que de la décision du ministre de l'intérieur rejetant son recours hiérarchique, la commune de Nanterre a demandé au tribunal administratif de Paris de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

La présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Nanterre puis, par un jugement du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la commune. Sur appel de celle-ci, d’une part, un président de chambre de la cour administrative d’appel a refusé, par ordonnance, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ces mêmes dispositions, d’autre part, par un arrêt du 2 avril 2021, la cour a rejeté l'appel formé par la commune contre le jugement du 5 novembre 2019.

La commune se pourvoit, en vain, en cassation, le Conseil d’État décelant un vice dans la procédure suivie par la commune.

Le juge déduit des dispositions combinées de l'art. 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, des art. R. 771-12 et R. 771-15 du CJA que lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion de l'appel formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, aussi bien lorsque le refus de transmission précédemment opposé l'a été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, que lorsque le refus a été opposé directement par ce jugement.

Par ailleurs, l'art. 23-5 de l'ordonnance précitée, d’une part et négativement, n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à celui qui a déjà présenté une question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction statuant en première instance de s'affranchir des conditions selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté devant le juge d'appel puis, le cas échéant, devant le juge de cassation, d’autre part et positivement, il permet de former directement devant le juge d'appel ou, le cas échéant, le Conseil d'État une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mêmes dispositions, mais comportant des moyens nouveaux.

Or : 1°/ la requête de la commune, qui soutenait en première instance que les dispositions législatives contestées méconnaissaient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ainsi que les principes d'autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales a fait l’objet d’un rejet par jugement du tribunal administratif de Paris du 5 novembre 2019 qui lui a été régulièrement notifié par un courrier reçu le 6 novembre 2019, mentionnant les voies et délais de recours. 2°/  L'ordonnance de la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant le tribunal a été régulièrement notifiée à la commune de Nanterre par un courrier réceptionné le 8 mars 2019, qui mentionnait, conformément aux dispositions de l'art. R. 771-9 du CJA, que cette décision ne pourrait être contestée, par un mémoire distinct et motivé, qu'à l'occasion d'un recours formé contre la décision réglant tout ou partie du litige.

Il en résulte donc que le « mémoire QPC », enregistré au greffe de la cour le 29  septembre 2020 soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contre ce jugement, ne peut pas être regardé comme une contestation de ce refus de transmission mais comme posant une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité devant la cour administrative d'appel. Celle-ci était donc irrecevable en tant qu'elle portait sur la même question que celle soumise au tribunal administratif et qu'elle était fondée sur les mêmes moyens que ceux invoqués devant les premiers juges, tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du principe d'égalité devant les charges publiques. 

S’agissant, ensuite, du grief tiré de l’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, les dispositions contestées du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République n’ont pas pour effet, que ce soit directement, ou indirectement du fait, de leur application combinée avec les dispositions des art. L. 2531-13 et L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales, de restreindre les ressources des collectivités concernées au point de porter atteinte à ce principe.

(13 juillet 2023, Commune de Nanterre, n° 453229)

 

283 - Distinction entre les sociétés déficitaires établies en France ou à l’étranger dans l’Union européenne et hors UE - Bénéfices réputés distribués - Retenue à la source - Transmission d’une QPC.

Soulève une question présentant un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'art. 119 bis du CGI portent atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'art. 6 de la Déclaration de 1789 en ce que, d'une part, dès l'origine, elles ont instauré une différence de traitement injustifiée entre les sociétés déficitaires percevant des revenus de source française selon qu'elles sont établies en France ou à l'étranger, dès lors que les premières ne sont pas imposées en France au titre des revenus qu'elles perçoivent au cours de l'exercice concerné, et d'autre part, depuis leur mise en conformité par le juge de l'impôt avec le droit de l'Union européenne, elles instaurent une discrimination au détriment des seules sociétés déficitaires percevant des revenus distribués de source française qui sont établies en dehors de l'Union européenne lorsque les participations de la société distributrice ont le caractère d'un investissement direct, en vertu de la clause de gel prévue par l'article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 

(13 juillet 2023, Société Compagnie Gervais Danone, n° 455810)

 

284 - Taxe foncière - Valeur locative des immobilisations corporelles en cas de cession, scission, apport entre deux sociétés interdépendantes ou dépendantes d’une même troisième - Volonté de prémunir les finances locales contre la réduction des bases d’imposition - Absence d’inconstitutionnalité - Refus de transmission d’une QPC -Notions de société contrôlée et de sociétés agissant de concert - Rejet.

(13 juillet 2023, SAS ArianeGroup, n° 460743 et n° 460744)

V. n° 94

 

285 - Personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement - Refus de prendre des mesures utiles mettant fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense - Transmission d’une QPC.

L’association requérante demande l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux ont rejeté sa demande tendant à ce qu'ils prennent toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement et le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale. 

Après avoir relevé  que le Conseil constitutionnel (déc. n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) a déclaré conformes à la Constitution la première phrase du dernier alinéa du paragraphe II de l'article 63 du code de procédure pénale, en vertu de laquelle le procureur de la République peut subordonner son autorisation de prolonger la garde à vue à la présentation de la personne devant lui, puis, s’agissant de l'article 706-88 de ce code, d’abord ses six premiers alinéas (n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité) ensuite, par une autre décision, les autres alinéas du même article (déc. n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, M. Bulent A. et autres), le Conseil d’État note toutefois qu’est susceptible de constituer un changement de circonstances au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, l'intervention postérieure de deux décisions (n° 2020-858/859 QPC, 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d'incarcération des détenus], et n° 2021-898 QPC, 16 avril 2021, Section française de l'observatoire international des prisons [Conditions d'incarcération des détenus II]) par lesquelles il a déclaré non conformes à la Constitution des dispositions relatives à la détention provisoire et à l'aménagement des peines motif pris notamment de ce qu'elles ne permettaient pas à la personne détenue d'obtenir sa mise en liberté ou un aménagement de peine au seul motif qu'elle était détenue dans des conditions indignes.

Comme, par ailleurs, les autres dispositions du code de procédure pénale en litige n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et qu’elles soulèvent une question présentant un caractère sérieux en ce que les dispositions du code de procédure pénale susmentionnées, qui sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, portent atteinte au principe de sauvegarde de la dignité humaine et sont entachées d'incompétence négative affectant par elle-même ce principe, faute de subordonner le placement et le maintien en garde à vue à des capacités d'accueil et des conditions matérielles assurant le respect de la dignité des personnes. 

La transmission de la QPC est autorisée.

(13 juillet 2023, Association des avocats pénalistes, n° 461605)

 

286 - Statut des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel - Régime de compatibilité avec l’exercice de la profession d’avocat - QPC dirigée contre divers articles du code de justice administrative - Compatibilité sous réserve selon la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Décision en ce sens du vice-président du Conseil d’État - Absence d’atteinte au principe d’égalité de traitement comme au principe d’identité normative -  Absence d’atteinte aux principes d’indépendance et d’impartialité dans l’exercice des fonctions juridictionnelles - Refus de transmission d’une QPC.

Mme A. demande l'annulation, d'une part, de l'avis par lequel le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a émis un avis de compatibilité avec réserves sur son projet d'exercer, à titre libéral, la profession d'avocat ainsi que du rejet de son recours gracieux contre cet avis, d'autre part, de la décision par laquelle le vice-président du Conseil d'État l'a autorisée à exercer, à titre libéral, la profession d'avocat dans les conditions posées par l'avis du président de la HATVP ainsi que du rejet de son recours gracieux contre cette décision, enfin, de la décision par laquelle le premier ministre a implicitement rejeté son recours contre la décision du vice-président du Conseil d'État.

A l'appui de ses demande elle soulève une QPC contestant la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution 1°/ des dispositions de l'art. L. 231-1 du CJA, en tant qu'elles prévoient que le statut des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est régi par les dispositions statutaires de la fonction publique d'État, pour autant qu'elles ne sont pas contraires au deuxième livre du CJA, 2°/ des art. L. 124-5 et L. 124-12 du code général de la fonction publique, en tant qu'ils s'appliquent aux magistrats administratifs, et 3°/ de l'art. L. 124-14 du code général de la fonction publique, en tant qu'il s'applique aux magistrats administratifs souhaitant exercer la profession d'avocat.

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette QPC.

Dans un premier groupe de griefs organisés autour du principe d’égalité, le Conseil d’État juge n’être pas sérieuse la question résultant de ce que le législateur, en prévoyant, à l'art. L. 231-1 du CJA, que le statut des magistrats administratifs est régi par le deuxième livre de ce code et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État, aurait méconnu l'étendue de sa compétence et le principe de séparation des pouvoirs dans des conditions de nature à porter au principe d'égalité entre les magistrats administratifs et les autres agents régis par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État, les uns et les autres n’étant pas, à l’évidence, dans la même situation.

Ensuite, n’est pas davantage sérieuse la question fondée sur ce que serait contraire au principe d’égalité la différence de traitement qui résulterait des dispositions précitées du code général de la fonction publique, entre les magistrats administratifs en disponibilité ou à la retraite entendant exercer la profession d'avocat et ceux en position de détachement au sein d'une administration, qui peuvent signer des requêtes et mémoires dans des procédures contentieuses relevant de l'ordre administratif, en tant qu'elles impliquent que seuls les premiers doivent, préalablement à l'exercice de leur activité, faire l'objet d'un avis préalable de la HATVP. En réalité, une telle différence de traitement, est en rapport d’abord avec la différence de situation entre les magistrats administratifs selon qu'ils exercent ou non une activité privée lucrative, au regard notamment de ses conséquences sur leur exposition au risque de commettre le délit de prise illégale d'intérêts réprimé par l'art. 432-13 du code pénal, ensuite avec l'objet des dispositions contestées, tendant à prévenir de tels risques et à contribuer à asseoir la confiance des citoyens envers le service public de la justice, en ce qu'elles prévoient que la HATVP contrôle préalablement la compatibilité du projet d'activité lucrative, au regard de leur activité antérieure, des agents publics qui quittent de manière temporaire ou définitive le secteur public pour exercer une telle activité dans le secteur privé.

Enfin, si la différence de traitement relevée au point précédent conduit à interdire aux magistrats administratifs ayant cessé leurs fonctions, d'exercer la profession d'avocat devant leur ancienne juridiction, une telle exclusion ne résulte pas des dispositions contestées par la QPC mais des éventuelles réserves ou incompatibilités mentionnées par les avis émis par la HATVP sur leur situation individuelle qui, ainsi que le prévoit l'art. L. 124-15 du code général de la fonction publique lient l'administration et s'imposent à l'agent public.

Dans un second groupe de griefs organisés autour du niveau normatif des règles applicables et des principes d’indépendance et d’impartialité dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, le Conseil d’État juge que ne sont pas davantage sérieuses les questions tirées de ce que :

- les règles statutaires applicables aux magistrats de l’ordre judiciaire relèvent de la loi organique tandis que celles applicables aux magistrats administratifs relèvent de la loi ordinaire ce qui introduirait entre les deux catégories une atteinte au principe d’égalité de traitement ainsi qu’aux principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles alors que cette différence résulte directement de l’art. 64 de la Constitution.

Pas davantage n’est contraire à ces principes le fait que ne soient applicables aux magistrats administratifs les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État que pour autant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions du deuxième livre du CJA, qui énoncent notamment les règles spécifiques propres à garantir l'indépendance et l'impartialité de ces magistrats, en particulier, son titre III :  la requérante ne peut donc pas sérieusement soutenir que l'article L. 231-1 du CJA, en ne précisant pas les dispositions du statut général de la fonction publique de l'État applicables aux magistrats administratifs, ou, à défaut, celles qui ne leur sont pas applicables, seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité.

- le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) n’a pas été consulté sur les dispositions du statut général de la fonction publique de l'État car ceci ne résulte pas des dispositions contestées mais de celles de l'art. L. 242-1 du code général de la fonction publique, relatives à la consultation du Conseil commun de la fonction publique et de celles de l'art. L. 243-1 du même code et du neuvième alinéa du I de l'article 2 du décret du 16 février 2012, relatives à la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État, qui ne sont pas contestées dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors est inopérant le moyen que les dispositions de l'art. L. 231-1 du CJA, en ce qu'elles renvoient aux dispositions du statut général de la fonction publique de l'État, alors que ces dernières n'ont pas à être préalablement soumises à l'avis du CSTACAA et donc méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité.

- les dispositions de l'art. L. 124-5 du code général de la fonction publique seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité du fait qu’elles ne fixent pas la liste des emplois justifiant que soit soumise à l'avis préalable de la HATVP la demande d'exercice d'une activité privée lucrative présentée par un agent public ayant occupé un tel emploi au cours des trois dernières années alors que les dispositions du 3° de l'art. L. 124-26 du même code qui, au demeurant ne sont pas contestées dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité, renvoient à un décret en Conseil d'État le soin de dresser « la liste des emplois mentionnés à l'art. L. 124-5 dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions justifient que l'autorité hiérarchique soumette à l'avis préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la demande d'exercice d'une activité privée lucrative présenté par un agent public occupant ou ayant occupé au cours des trois dernières années un tel emploi », ce qui encadre suffisamment les critères de détermination, par le pouvoir réglementaire, de la liste de ces emplois, 

(19 juillet 2023, Mme A., n° 473461)

 

287 - Loi modifiant des contrats en cours conclus entrer les producteurs d'énergie de source renouvelable et Électricité de France, soit à la suite d'appels d'offres, soit sur demande - Contrats prévoyant le versement d'un complément de rémunération si le prix de vente par les producteurs devient inférieur au tarif de référence  -  Atteinte rétroactive aux contrats en cours - Droit au maintien des situations légalement acquises - Incompétence négative du législateur en renvoyant au pouvoir réglementaire, sans aucun encadrement, du prix « seuil » déclenchant le mécanisme de « déplafonnement » -  Transmission de la QPC au Conseil constitutionnel.

L'art. 38 de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, applicable dès le 1er janvier 2022, modifie les contrats en cours conclus entre les producteurs d'énergie de source renouvelable et Électricité de France, soit à la suite d'appels d'offres, soit sur demande, en application de l'article L. 314-18 du même code. Ces contrats prévoyaient le versement par EDF d'un complément de rémunération lorsque le prix du marché auquel les producteurs vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé, selon le cas, soit par le contrat soit par arrêté, et, à l'inverse, le reversement par les producteurs, lorsque le tarif de référence est inférieur au prix du marché, du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, dans la limite du montant total des aides perçues, depuis le début du contrat, au titre du complément de rémunération.

Du fait du changement apporté par l’art. 38 précité, le reversement dû par les producteurs à EDF à raison d'un prix de marché supérieur au tarif de référence n'est plus, dans certaines hypothèses, plafonné au montant total des aides perçues depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération, la mise en œuvre et le niveau de ce « déplafonnement » étant fonction d'un prix dit « seuil » déterminé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget pour chaque année, de l'année 2022 à l'année de fin des contrats en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi. 

Les requérants soulèvent une QPC à l’encontre de cet article 38 qui sert de fondement à l’arrêté interministériel attaqué du 28 décembre 2022.

Ils soutiennent d’abord qu’en procédant comme il l’a fait le législateur a, d’une part, porté, rétroactivement et jusqu'au terme des contrats en cours, atteinte au droit de propriété garanti par les art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ainsi qu'à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des situations légalement acquises qui découlent des art. 4 et 16 de cette Déclaration, d’autre part que cette atteinte n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général suffisant, quand bien la très forte augmentation des prix de l'électricité au cours de l'année 2022 aurait créé au profit des producteurs un effet d'aubaine excédant une rémunération raisonnable des capitaux investis et qu'elle serait disproportionnée, notamment en comparaison de la mesure décidée par le règlement du Conseil de l'Union européenne du 6 octobre 2022, plafonnant de façon obligatoire les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d'électricité de source renouvelable à un maximum de 180 euros par MWh pour la période comprise entre le 1er décembre 2022 et le 30 juin 2023 et mise en œuvre par les dispositions de l'article 54 de la loi de finances pour 2023 relatives à la contribution sur la rente infra-marginale de la production d'électricité.

Les requérants soutiennent ensuite que ce texte législatif est frappé d’incompétence négative car son auteur s’est borné, sans aucun encadrement, à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de déterminer, pour les années 2022 à 2042, le prix « seuil » annuel qui fixe les conditions de mise en œuvre du mécanisme de « déplafonnement » institué par les dispositions législatives contestées. Ils ajoutent que cette méconnaissance par le législateur de sa compétence a, par elle-même, concouru aux atteintes susmentionnées, en tant, notamment, qu'elle ne garantirait pas de façon effective le partage des recettes que le législateur aurait entendu, par les dispositions en cause, instituer entre les producteurs et l'État.

Jugeant que ces questions, nouvelles, présentent un caractère sérieux, le Conseil d’État les transmet au juge constitutionnel.

(26 juillet 2023, Association France Energie Eolienne, n° 471674 ; Société PSTW, n° 471713 ; Société TTR Energy et autres, n° 471778, jonction)

 

288 - Crédit d’impôt pour l’investissement en Corse - Exclusion du bénéfice de ce crédit d’impôt pour les investissements réalisés sur des surfaces commerciales ouvertes ne constituant pas un local - QPC - Refus de transmission.

L’art. 244 quater E du CGI a institué un crédit d'impôt au titre des investissements, autres que de remplacement, financés sans aide publique pour 25 % au moins de leur montant, réalisés jusqu'au 31 décembre 2020 et exploités en Corse pour les besoins d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole. Toutefois, le a du 3° du I de cet article exclut du bénéfice de ce crédit d'impôt certains biens meubles quand bien même ils seraient nécessaires à l'activité exploitée et, surtout, les investissements réalisés sur des surfaces commerciales ouvertes ne constituant pas un local.

La société requérante conteste donc au moyen d’une QPC la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mots « et des agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle créés ou acquis à l'état neuf » figurant au a du 3° du I de l'article 244 quater E du CGI.

Pour refuser la transmission de la QPC ainsi soulevée le Conseil d’État retient deux arguments.

D’abord le législateur a pu, sans atteinte au principe d’égalité, avoir le souci d’accorder le bénéfice du crédit d’impôt aux seuls investissements attestant de la pérennité de la localisation de l'activité sur le territoire, tels les agencements et installations des locaux commerciaux mentionnés au a du 3° du I de l'art. 244 quater E du CGI, lesquels ne peuvent concerner que des éléments destinés à mettre les locaux commerciaux en état d'utilisation et faisant corps avec eux, et en exclure les biens meubles autres que les biens d'équipements amortissables selon le mode dégressif. 

Ensuite, il est relevé, assez curieusement au regard de ce qui précède, que le législateur n’a pas entendu exclure du champ des « agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle » ouvrant droit au crédit d'impôt les investissements réalisés au titre de surfaces commerciales non couvertes, telles les terrasses de restaurant. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne peut qu'être écarté.

La transmission de la QPC est refusée.

Nous apercevons une certaine contradiction ou rupture entre les deux motifs de refus de la transmission.

(26 juillet 2023, Société Pefil, n° 471939)

 

289 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Champ d’application du pouvoir de sanction - Personnes, entités ou autres situées dans un autre État de l’Union ayant une succursale ou fournissant des services en France - Définition claire et précise des obligations à respecter - Respect du principe de responsabilité personnelle - Absence d’atteinte aux principes de prévisibilité de la loi répressive et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère - Refus de transmission d’une QPC.

(02 août 2023, M. B. et M. D., n° 471744)

V. n° 113

 

290 - Convention judiciaire d’intérêt public - Absence de voie de recours contre la décision de valider ou non une telle convention - Demande de prise de mesures réglementaires organisant un tel recours - Rejet - Transmission impossible d’une QPC.

L’art. 41-1-2 du code de procédure pénale prévoit, avant la mise en mouvement de l'action publique, que le procureur de la république puisse proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits d'atteinte à la probité (corruption, trafic d'influence ou fraude fiscale et leur blanchiment, ainsi que pour des infractions connexes), de conclure une convention judiciaire d'intérêt public. Cette convention institue une ou plusieurs obligations : versement d'une amende d'intérêt public au Trésor public, mise en œuvre d'un programme de mise en conformité, réparation du dommage causé par l'infraction. Si la personne morale donne son accord à la proposition de convention, le procureur saisit le président du tribunal judiciaire aux fins de validation. Or la décision de ce président de valider ou non la proposition de convention n'est pas susceptible de recours. La convention n'emporte pas déclaration de culpabilité et n'a ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation. Elle n'est pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire.

Les requérants soulèvent une QPC à l'appui de leur recours en excès de pouvoir formé contre deux courriers du 3 janvier 2023 par lesquels la première ministre a refusé de donner suite à leur demande d’adoption de mesures réglementaires prévoyant une voie de recours contre la décision du président du tribunal judiciaire de valider une proposition de convention judiciaire d'intérêt public motif pris de ce que ces dispositions du code de procédure pénale méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et le respect des droits de la défense ainsi que le principe d'égalité devant la justice, garantis par les art. 6 et 16 de la Déclaration de 1789 et, d'autre part, sont entachées d'incompétence négative. 

Cependant, du fait que c’est la loi qui fixe les règles de la procédure pénale et qui exclut toute voie de recours, y compris à l'initiative des victimes, contre la décision de valider ou non une convention judiciaire d'intérêt public, les demandes des intéressés tendant à voir édicter les mesures réglementaires pour organiser un tel recours ne pouvaient qu’être rejetées

Il suit de là que la question de la conformité de ces dispositions législatives aux droits et libertés garantis par la Constitution est insusceptible d'avoir une incidence sur l'appréciation de la légalité de la décision attaquée, les dispositions de la dernière phrase du deuxième alinéa du paragraphe II de l'art. 41-1-2 du code de procédure pénale ne sont pas applicables au litige, ce qui exclut tout renvoi au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité.

Il eût été plus judicieux que les plaideurs contestent directement la conformité de la disposition législative en cause à la Constitution en ses droits et libertés.

(07 août 2023, M. A. et Association Fakir, n° 471869)

 

291 - Crédit d’impôt au bénéfice de créateurs de jeux vidéo - Régime - Délai maximal de trente-six mois pour l’obtention d’un agrément définitif - Durée très difficile à respecter - Refus de transmission d’une QPC.

(04 août 2023, SAS Makes Dreams Happen, n° 474456)

V. n° 104

 

292 - QPC sur la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis de dispositions régissant le stockage par enfouissement de déchets radioactifs – Devenir des générations futures – Préservation d’un environnement sain – Principe de fraternité – Transmission d’une QPC.

L'article L. 542-10-1 du code de l'environnement régit le stockage de déchets hautement ou moyennement radioactifs en couche géologique profonde d’ailleurs qualifié par la loi d’installation nucléaire de base. Il aborde avec beaucoup d’imprécision la question de la réversibilité du stockage ou des éléments stockés.

Les requérants, personnes morales et personnes physiques  soutiennent que les dispositions de l'art. L. 542-10-1 du code de l'environnement méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution, en invoquant, à l'appui de leur question prioritaire de constitutionnalité, d'une part, un droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et un principe de solidarité entre les générations, qui résulteraient de la combinaison des articles 1er à 4 de la Charte de l'environnement avec les considérants 1er et 7 de son préambule, ainsi que, d'autre part, un principe de fraternité entre les générations, qui résulterait du Préambule et des articles 2 et 72-3 de la Constitution, également combinés avec le préambule de la Charte de l'environnement.

Jugeant que ce moyen soulève une question nouvelle le juge en ordonne la transmission.

(02 août 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres, n° 467370)

 

Responsabilité

 

293 - Condamnation d’un État étranger par la juridiction prudhomale - Principe d’immunité d’exécution des États - Responsabilité sans faute de l’État français - Non respect de dispositions du code de procédure civile - Annulation.

Un employé de l’ambassade du Sri Lanka à Paris en qualité de chauffeur a obtenu de la juridiction prudhomale la condamnation de cet État à lui verser une certaine somme au titre de rémunérations qui ne lui avaient pas été versées, à son indemnité de licenciement, à des dommages et intérêts pour travail dissimulé et pour perte de droits à la retraite complémentaire. Devant l’impossibilité d’obtenir exécution de ce jugement, celui-ci a saisi la juridiction administrative d’un recours tendant à ce que l'État lui verse une indemnité pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, au titre des condamnations prononcées contre l'État du Sri Lanka qui n'ont pu être recouvrées. Le jugement lui a donné satisfaction au visa de l'art. L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution, il a assorti la somme réclamée des intérêts moratoires avec capitalisation et a annulé le refus implicite du ministre de l'Europe et des affaires étrangères d’accéder à la demande de l’ancien chauffeur de l’ambassade.

Le ministre se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Tout d’abord, quant au fond, le Conseil d’État entérine la solution adoptée par les juges du fond par application d’une jurisprudence bien établie (Section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres, n°s 329788 et autres).  De ce que la responsabilité de l'État du fait des lois est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, il résulte - ainsi que jugé par la cour - que cette responsabilité était susceptible, en l’espèce, d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en raison de l'impossibilité, pour le demandeur de faire exécuter par l'État du Sri Lanka le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du fait de l’acceptation par la France de la règle coutumière du droit public international d’immunité d’exécution des États (sur ce point, J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey 2018, §§ 739-741, pp.387-390).

Ensuite, l’arrêt est cependant annulé en tant qu’il n’a pas fait une application correcte des dispositions de l’art. L. 111-1-1 du code précité selon lesquelles les mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un État étranger que sur autorisation préalable du juge de l'exécution, par une ordonnance rendue sur requête. Dès lors que la loi impose l'intervention préalable du juge de l'exécution, le préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir l'exécution d'un jugement par un État étranger ne peut revêtir un caractère certain si le juge de l'exécution forcée, n'est pas saisi. Tel est le cas de l’espèce où l’intéressé n'a pas saisi le juge de l'exécution pour obtenir le paiement de sa créance mais a directement demandé au ministre que l'État français lui verse une indemnisation correspondant au montant de cette créance.

La cour a donc commis une erreur de droit en jugeant qu'en dépit de l'absence de saisine préalable du juge de l'exécution, le préjudice invoqué revêtait un caractère certain.

 (10 juillet 2023, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, n° 454277)

(294) V. aussi, à l’inverse, rejetant le pourvoi du ministre de l’Europe et des affaires étrangères contre l’arrêt confirmatif du jugement qui a fait droit à la demande d’une employée de l’ambassade de la  république bolivarienne du Venezuela à Paris tendant à ce que l’État français soit condamné du fait de l’inexécution du jugement prud'homal condamnant le Venezuela à lui verser une indemnité d'un certain montant, en réparation des préjudices nés de son absence d'affiliation au régime obligatoire d'assurance-vieillesse. Le préjudice invoqué est bien certain, grave et spécial et l’intéressée avait épuisé toutes les voies de recours en ayant saisi le juge de l’exécution conformément aux dispositions du code des procédures civiles d’exécution citées dans la notule sur l’arrêt précédent, du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 13 décembre 2011 condamnant la république bolivarienne du Venezuela à lui verser une indemnité d'un tel montant, en réparation des préjudices nés de son absence d'affiliation au régime obligatoire d'assurance-vieillesse : 10 juillet 2023, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, n°454276.

(295) V. également, confirmant l’arrêt qui a condamné l’État à indemniser une secrétaire adjointe de l’ambassade de la république du Congo à l’égard de laquelle cette dernière n’a pas rempli ses obligations légales ; cette décision approuve aussi la cour d’avoir, successivement, jugé qu'il ne pouvait être exigé de la requérante qu'elle fasse entreprendre une recherche des éventuels biens détenus par la république démocratique du Congo susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée d’autant que le ministre défendeur n'apportait aucun élément dont il ressortirait que de tels biens existeraient, qu’en l’espèce n’existait aucune obligation de saisine préalable du juge de l'exécution dans les conditions prévues à l'art. L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution à la date des faits, une telle obligation n'ayant été posée que par la loi du 9 décembre 2016 et, enfin, qu’eu égard au faible nombre de victimes d'agissements analogues imputables à des ambassades d'États étrangers sur le territoire français, elle a pu estimer que le préjudice invoqué présentait un caractère spécial, et, qu’en raison du montant des sommes en cause et de la situation de Mme C., ce préjudice revêtait également un caractère de gravité, justifiant ainsi l’engagement de la responsabilité de l'État pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. : 10 juillet 2023, Mme C., n° 461669.

 

296 - Responsabilité hospitalière - Faute dans la prise en charge d’un patient - Appréciation de l’existence de la perte d’une chance d’éviter le dommage - Conditions de mise à l’écart d’une telle perte - Erreurs de droit - Annulation avec renvoi.

Rappel à nouveau que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d'une chance d'éviter ce dommage.

Par suite, la réparation doit être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

En outre, l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation ne peut être écartée - lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès - que s’il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences.

Ici, la cour administrative d’appel a commis une double erreur de droit.

D’abord, elle a retenu que les fautes commises par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise dans la prise en charge médicale de M. D. lors de son admission au service des urgences, ne pouvaient être regardées comme la cause directe et exclusive du décès de l'intéressé et n'avaient pu avoir pour effet que de priver M. D. d'une chance d'éviter, le lendemain, après son admission au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue, la réalisation d'une coronarographie à l'occasion de laquelle il est décédé après l'injection du produit de contraste nécessaire à cet examen.

Ensuite, la cour a, pour écarter, dans un second temps, également toute perte de chance, retenu, en premier lieu, que les conditions dans lesquelles M. D. a été pris en charge, la veille de son décès, au centre hospitalier René Dubos n'ont pas permis de faire le diagnostic du syndrome coronarien ST- dont le patient souffrait et qu'une prise en charge adaptée dans ce centre hospitalier aurait permis de soumettre M. D. à des investigations complémentaires et de réaliser une angioplastie à froid, en deuxième lieu, que, selon le rapport d'expertise, les chances de survie de M. D. ont été évaluées à cinq ans en tenant compte d'une revascularisation relevant d'une prise en charge conforme et, en troisième lieu, que la coronarographie effectuée au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue n'avait pas été fautive.

La cour a donc entaché son arrêt d'une première erreur de droit en déduisant de ce que les conditions non fautives dans lesquelles M. D. a été pris en charge par le centre médico-chirurgical Marie Lannelongue ne lui avaient pas fait perdre de chance d'échapper au décès dont il a été victime dans cet établissement, la conséquence que les conditions fautives dans lesquelles il a été pris en charge médicalement, la veille, par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise, ne lui avaient pas finalement fait perdre une chance d'éviter ce décès.

Elle a également commis une seconde erreur de droit car elle n'a pu affirmer de manière certaine, au vu de ses propres constatations, qu'une prise en charge adéquate par le centre hospitalier René Dubos n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences.

D’où la cassation, avec renvoi, de l’arrêt attaqué.

(12 juillet 2023, Mme D., n° 461819)

 

297 - Responsabilité décennale - Désordres affectant divers éléments d’un complexe aquatique municipal - Demande de condamnation solidaire par l’assureur - Refus - Méconnaissance de l’office du juge - Annulation.

Dans un litige résultant de désordres affectant l'édicule d'un toboggan, le bassin ludique extérieur et le sous-sol technique d’un complexe aquatique municipal, l’assureur (SMABTP) requérant avait sollicité du juge d’appel une condamnation solidaire avec plusieurs des entreprises ayant concouru à l’opération. Celui-ci l’avait refusée motif pris de ce que la SMABTP ne l’avait pas mis à même de distinguer parmi les parties visées celles devant être exclues de la condamnation solidaire recherchée et celles devant supporter la condamnation. Ce jugeant, la cour administrative d’appel, qui devait seulement rechercher si, pour chacune des entreprises visées, des désordres de nature à engager sa responsabilité décennale lui étaient imputables, a méconnu son office. L'annulation sollicitée est prononcée.

(04 août 2023, SMABTP, n° 466468)

 

298 - Garantie décennale - Conditions d’engagement - Régime - Rejet.

Rappel, en premier lieu, qu’au titre de la garantie décennale la responsabilité des constructeurs est engagée en cas de désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

Rappel, en deuxième lieu, que cette responsabilité peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination.

Rappel, enfin, que les désordres affectant un élément d'équipement, faisant obstacle au fonctionnement normal de cet élément, n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination. 

Application en l’espèce où était en cause, dans un collège, des désordres affectant les brise-soleil orientables, qui ont persisté en dépit de plusieurs interventions mais n’ont pas rendu l'ouvrage impropre à sa destination car grâce à l'aération des classes, les températures atteintes lors des jours ensoleillés ont permis l’utilisation continue des salles de classe.

(04 août 2023, Département de la Drôme, n° 467667)

 

Santé publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

299 - Hôpitaux privés - Réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) – Atteintes alléguées à certains droits et libertés, à la non-rétroactivité des décisions administratives, au principe de sécutité juridique – Illégalité prétendue de dispositions transitoires – Rejet.

La fédération demanderesse poursuivait l’annulation du décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) dans un souci d’économies budgétaires.

Si l’on laisse de côté, car de moins en moins intéressants par l’effet d’une jurisprudence dissolvante, les moyens de légalité externe, dont aucun n’est reconnu, les moyens de légalité interne, malgré leur nombre, ne prospèrent pas davantage.

Un premier lot de critiques tenait à l’argument selon lequel le décret attaqué n’était pas conforme à l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, au principe d'indépendance des législations, à la liberté du commerce et de l'industrie, à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et au principe d'égalité.

Est rejeté le moyen que le pouvoir réglementaire aurait - faute notamment de préciser les modalités de désignation ou la durée du mandat des représentants des associations d'usagers et des familles spécialisés dans le domaine d'activité, ainsi que le nombre exact et la répartition des représentants des fédérations hospitalières -, délégué illégalement sa compétence aux directeurs généraux des agences régionales de santé ou méconnu le principe d'égalité.

Pas davantage n’est retenu celui tiré de ce que en prévoyant que la répartition entre établissements de santé de la région de la dotation forfaitaire issue « du montant populationnel » (terme particulièrement laid et malheureux) est opérée « en tenant compte de l'offre hospitalière existante », méconnaîtrait l'art. L. 162-23-3 qui a pour objet, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 21 décembre 2015, de réduire les inégalités de répartition de ressources entre les établissements exerçant une activité de SSR, d’assurer une meilleure prévisibilité de leurs recettes et de garantir un égal accès à ces soins sur l'ensemble du territoire. 

Pareillement, le décret attaqué n’est pas entaché d’une rétroactivité illégale en tant que, publié au J.O. du 22 avril 2022, il prend effet au 1er mars car cette rétroactivité résulte non du décret mais de la loi elle-même dont il se borne à faire application.

L’institution, à titre temporaire, d’une compensation au moyen d’un système d’acomptes au titre de leurs activités de SSR, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie. Et semblablement, la requérante ne saurait se fonder sur l’existence de ce mécanisme pour soutenir que le pouvoir règlementaire n'aurait pas exercé sa compétence dans des conditions permettant la mise en œuvre du mécanisme d'acompte institué. 

Enfin, il n’est porté atteinte, contrairement à ce qui est soutenu, ni au principe de sécurité juridique, car la prévisibilité du système est suffisante, ni à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme en dépit d’une coquille dans le chiffre d’un renvoi à une disposition (indication d’un 5° au lieu du 6°).

(05 juillet 2023, Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), n° 465188)

(300) V. aussi, jugeant irrecevable la requête de la même requérante dirigée contre un cahier des charges intitulé « modalités d'application de la réforme du financement des SSR en vue de la facturation des séjours par les établissements » qui présente, dans une première partie, l'évolution du modèle de financement des activités de soins de suite et de réadaptation, telle que résultant des dispositions rappelées au point précédent, en particulier les composantes du financement mixte des établissements exerçant ces activités, le calendrier de mise en œuvre de la réforme de ce financement et « la répartition des différents compartiments de financement des établissements entre la valorisation par l'ATIH et la facturation directe à l'assurance maladie obligatoire », et, dans une seconde partie, les modalités de valorisation et de facturation de l'activité des établissements de soins de suite et de réadaptation faisant l'objet de cette facturation directe. Or ce document, en se bornant à rappeler et à décrire la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, ne constituant ni une décision, ni un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des établissements de santé exerçant ces activités : 05 juillet 2023, Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), n° 465270.

(301) V. encore, rejetant le recours de la même requérante, dirigé cette fois contre l'arrêté du 28 mars 2022 fixant pour l'année 2022 les éléments tarifaires mentionnés aux 1° à 3° du I de l'art. L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale et au 2° du E du III de l'art. 78 modifié de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, qui a pour objet de réguler (c’est-à-dire, en clair, de limiter voire de réduire) les dépenses d'assurance maladie afférentes aux activités de soins de suite et de réadaptation qui sont exercées par les différents établissements de santé : 05 juillet 2023, Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), n° 465422.

 

302 - Traitement de l’autisme - Décision du collège de la Haute Autorité de santé - Détermination d’un cadre et élaboration d’un référentiel méthodologique en matière de traitement de l’autisme - Caractère régulier de la procédure suivie - Rejet.

Le Conseil d’État avait été saisi d’un recours de l’association requérante alors dirigé contre une décision du 20 décembre 2018 par laquelle la présidente de la Haute Autorité de santé avait rejeté sa demande tendant au réexamen de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent », adoptée par cette autorité et par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux en mars 2012, en ce qui concerne la méthode des « 3i ». Tout en rejetant ce recours, la Haute Assemblée, par  une décision du 23 décembre 2020, a précisé qu'il appartenait cependant à la Haute Autorité de santé, eu égard à l'évolution des connaissances et des pratiques dans la prise en charge de l'autisme depuis sa recommandation de 2012 et aux enjeux que comporte cette prise en charge pour les enfants et pour leur famille, de déterminer un cadre et d'élaborer un référentiel méthodologique permettant d'assurer une évaluation indépendante des méthodes telles que celle des « 3i » pour préparer les travaux nécessaires au réexamen à bref délai de la recommandation de bonne pratique de mars 2012.

En conséquence, le collège de la Haute Autorité de santé a adopté par la décision du 28 avril 2022 un document intitulé « Troubles du spectre de l'autisme - Évaluation de la méthode 3i ».

La requérante demande l’annulation, outre, à nouveau, de la décision du 20 décembre 2018, de celle du 28 avril 2022.

Le Conseil d’État rejette ces demandes, essentiellement tournées vers le déroulement de la procédure administrative non contentieuse.

En procédant à l’élaboration d’un référentiel  méthodologique pour l’évaluation des méthodes de traitement de l’autisme qu’avait préconisée le Conseil d’État, la Haute autorité de santé n’a porté atteinte ni à l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du 23 décembre 2020 du Conseil d'État, statuant au contentieux, ni à l'article 6 de la convention EDH, au motif que l'évaluation ainsi menée n'aurait pas été précédée de la détermination d'un cadre et de l'élaboration d'un référentiel méthodologique permettant d'assurer une évaluation indépendante. 

La circonstance que l’une des membres du groupe de travail sur le projet de rapport d'évaluation, présidente d'une association d'usagers, aurait mis en garde une représentante d'une autre association d'usagers située à l'étranger à propos de la méthode des « 3i », n’a pas entaché d'irrégularité les travaux ayant abouti à l'adoption de ce document, l'intéressée n’ayant pas été mue par un intérêt personnel ou eu un intérêt aux questions soumises au groupe de travail.

L’association requérante ne saurait non plus se plaindre de ce que la place qui lui a été accordée lors de ces travaux est moins importante que ce qu’elle avait escompté, alors :

- qu’elle a été regardée comme une « partie prenante » au sens des dispositions de l’art. L. 1451-1 du code de la santé publique,

- qu’elle a été informée par la Haute Autorité de santé de l'engagement de l'évaluation de la méthode des « 3i », ainsi que de la procédure et du calendrier choisis,

- qu'elle a proposé deux des représentants de patients et d'usagers retenus comme membres du groupe de lecture,

- qu'elle a bénéficié d'une audition, ainsi qu'elle l'avait sollicité et selon les modalités qui avaient été convenues,

- enfin, que les pièces et documents transmis par l'association au cours de la procédure d'évaluation ont été adressés aux membres du groupe de travail, du comité de lecture et du collège et examinés.

La requérante ne saurait non plus exciper de l’existence d’erreurs de fait, d’une part, dans la description donnée de la méthode des « 3i , erreurs qu’elle n’établit pas en réalité et, d’autre part, concernant l'absence de fondements théoriques de cette méthode et de données sociologiques sur ses utilisateurs ou sur son coût, l'absence de prise en compte des intérêts particuliers des enfants et de l'insuffisance de la formation des bénévoles et des psychologues mobilisés, ou encore de ce qu'une information propice à une décision éclairée concernant cette méthode ne pourrait être donnée aux parents en l'absence d'éléments de preuve suffisant car tous ces éléments relèvent, pour l'essentiel, non de faits sur lesquels le rapport s'appuierait, mais des seuls avis émis par les membres du groupe de lecture et du groupe d'experts internationaux consultés, relatés dans ses annexes.

Enfin, ne saurait non plus être critiquée la conclusion de la Haute autorité de santé concernant la méthode « 3i » qui ne présente pas un caractère manifestement erroné au regard des données actuellement acquises de la science.

Peut-on dire cependant que nous trouvons un peu trop preste le rejet par le juge de tous ces éléments ?

(20 juillet 2023, Association Autisme Espoir vers l'école, n° 465382)

(303) V. aussi, annulant l’ordonnance par laquelle le juge des référés a, d’une part, enjoint à l’Agence régionale santé (ARS), de prévoir à brève échéance, et d'engager de manière effective, en lien avec un institut médico-éducatif (IME) et la rectrice de l’académie, la mise en place d'un dispositif provisoire de prise en charge des enfants atteints d'autisme sévère et qui sont en rupture de parcours scolaire, d'autre part, d'élaborer, en lien avec la Maison départementale des personnes handicapées de Seine-Maritime, un plan temporaire de résorption du manque de places destinées à ces enfants. Ces prescriptions n’entrent pas, en raison de leur caractère structurel et des délais nécessaires à leur exécution, dans l’office du juge du référé liberté qui est à la fois juge du provisoire et juge de l’immédiateté effective des mesures ordonnées. L’ordonnance attaquée est annulée.

Par ailleurs, la prise en charge de l’enfant dans l’IME dès la rentrée de septembre 2023 pendant six demi-journées par semaine et pendant les autres demi-journées de la semaine à l'hôpital de jour du centre hospitalier, sa restauration méridienne et ses déplacements entre ces établissements étant assurés par ces derniers, et, enfin, le fait que l'évolution vers sa prise en charge complète à l'IME, impossible à assurer en l'état actuel des places disponibles, sera recherchée en fonction de l'évolution de celles-ci ne révèlent pas une carence dans l'accomplissement des obligations mises à la charge de l'État qui caractériserait une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales : ord. réf. 27 juillet 2023, ministre de la santé, n° 476203. 

 

304 - Liste des maladies relevant de la procédure de signalement obligatoire - Absence d’inscription du syndrome hémolytique et urémique typique - Défaut de saisine du Haut conseil de la santé publique - Signalement obligatoire des toxi-infections alimentaires collectives - Instauration d’un dispositif de surveillance et de signalement, coordonné par Santé publique France et disposant de l'appui du centre national de référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella - Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande d'inscription du syndrome hémolytique et urémique typique sur la liste des maladies relevant de la procédure de signalement obligatoire.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État relève d’abord, quant à légalité externe, que, contrairement à ce qui est soutenu, le III de l’art. L. 3113-1 du code de la santé publique qui fixe la liste des maladies devant faire l'objet d'un signalement n’a pas prévu l’obligation de consulter à cet effet le Haut Conseil de la santé publique contrairement au II du même article qui prévoit, lui, cette consultation  s’agissant du signalement obligatoire de certaines maladies prévu au I de cet article pour les modalités de transmission des données à caractère personnel nécessaires à l'exercice de leurs compétences par les agences régionales de santé et l'Agence nationale de santé publique ainsi que les conditions dans lesquelles est garantie la confidentialité de ces données.

Ensuite, la liste des maladies devant faire l'objet d'un signalement aux autorités sanitaires, figurant à l'article D. 3113-6 du code de la santé publique, comporte les toxi-infections alimentaires collectives, parmi lesquelles celles révélées par la présence, chez plusieurs patients reliés entre eux, de syndromes hémolytiques et urémiques causés par l'ingestion de denrées alimentaires contaminées par des bactéries de type Escherichia coli producteurs de shiga-toxines (SHU typique). De plus, le dispositif de surveillance et de signalement, disposant de l'appui du centre national de référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella, de chaque cas diagnostiqué de ce syndrome chez les enfants de moins de quinze ans par trente-deux services hospitaliers de néphrologie pédiatrique et de pédiatrie, parmi lesquels tous ceux des centres hospitaliers universitaires, ces services accueillent l'immense majorité des enfants victimes de ce syndrome dont le taux de signalement serait de ce fait comparable à celui constaté pour des maladies à signalement obligatoire. Enfin, par ailleurs, tout cas sporadique de syndrome hémolytique et urémique entraîne, dans le cadre du dispositif précité, l'analyse par Santé publique France d'un questionnaire complété par les professionnels de santé avec les parents au moment de l'hospitalisation de l'enfant, permettant de recenser les principales expositions alimentaires ou environnementales à risque ainsi que l'analyse microbiologique des souches de STEC par le centre national de référence précité afin d'identifier d'éventuels cas groupés d'infection à des bactéries de type STEC et de syndrome hémolytique et urémique liés à des bactéries génétiquement similaires.

Il existe donc bien déjà des signalements de ce syndrome et il n’apparaît pas, eu égard à la multiplicité des sources de contamination et des modes de transmission des bactéries de type STEC comme du délai entre l'exposition et l'identification des bactéries, que la mise en œuvre, dans le cas de syndrome sporadique, d'investigations identiques à celles menées en cas de suspicion de toxi-infections alimentaires collectives permettrait d'identifier l'origine de la contamination ou de l'exposition.

Le recours est rejeté.

(20 juillet 2023, Association « SHU-T - Sortons du silence », n° 468245)

 

305 - Épidémie de Covid-19 - Gestion de la sortie de crise sanitaire - Décret du 1er juin 2021 - Institution d’un passe sanitaire - Port du masque - Rejet.

Les requérants contestaient le « cadre sanitaire pour le fonctionnement des écoles et établissements scolaires pour l'année scolaire 2021-2022 » ainsi que les art. 36 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans leur rédaction issue du décret du 29 septembre 2021, concernant notamment :

- l'obligation du port du masque pour les élèves des écoles élémentaires et des enfants de six à dix ans accueillis dans des structures collectives situées dans des zones à circulation élevée de l'épidémie,

- l'obligation de présenter un passe sanitaire étendue aux mineurs d'au moins douze ans et deux mois,

- la dispense de port du masque pour les personnes en situation de handicap munies d'un certificat médical justifiant de cette dérogation et qui mettent en œuvre les mesures sanitaires de nature à prévenir la propagation du virus.

Le recours est rejeté en tous ses chefs de griefs.

Concernant l’art. 36 du décret, il est jugé que les dispositions contestées, fondées sur le mode de circulation du virus et sur les conditions de sa transmission, rappelés par la note d'alerte du Conseil scientifique du 20 août 2021 ainsi que les risques présentés pour des enfants, en dépit de ce qu’elles peuvent avoir de contraignant pour les enfants souffrant de certaines pathologies, étaient  nécessaires, adaptées et proportionnées et ne portaient pas une atteinte illégale aux droits et libertés, tels que la liberté d'aller et venir, au droit à l'autodétermination, au droit à la vie privée et familiale, au droit à la santé, au principe de fraternité, à la liberté individuelle, au droit à l'éducation et à la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Concernant l’art. 47-1 du décret, qui impose en particulier l'obligation du « passe sanitaire » pour les activités sportives et extra-scolaires ainsi que dans le cadre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, il est jugé que, dans le contexte dans lequel ces mesures s’inscrivaient celles-ci n’étaient, contrairement à ce qui est soutenu, ni inutiles et inadéquates, ni contraires au droit à l'autodétermination, au droit à la vie privée et familiale, au droit à la santé, au principe de fraternité, à la liberté individuelle, au droit à l'éducation, à la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant ou aux principes d'égalité et de non-discrimination. 

En outre, la disposition attaquée prévoyait que les personnes autorisées à contrôler le « passe sanitaire » étaient limitativement énumérées et si elles avaient accès aux nom, prénom et date de naissance de la personne concernée ainsi qu'au résultat positif ou négatif de détention d'un justificatif conforme, elles ne pouvaient savoir si ce résultat résultait d'un examen de dépistage virologique, d'une vaccination ou d'une contamination par la Covid-19. Par suite, les requérants ne peuvent soutenir que l'obligation du « passe sanitaire » pour accéder à certains lieux, établissements, services ou évènements, notamment dans le cadre de services de restauration offerts au public ou d'activités sportives, aurait porté atteinte au secret médical. 

Concernant, enfin, le « cadre sanitaire pour le fonctionnement des écoles et établissements scolaires pour l'année scolaire 2021-2022 », le juge y voit un rassemblement de règles de bonne conduite non contraignantes dont l’édiction entrait pleinement dans les compétences du ministre qui en était l’auteur en vue d’assurer le bon fonctionnement des établissements scolaires placés sous son autorité.

Contrairement aux conclusions des demandeurs, les pouvoirs conférés aux médecins de l'éducation nationale ou à l'administration scolaire s’agissant des élèves présentant des pathologies les rendant vulnérables au risque de développer une forme grave d'infection à la Covid-19, ne les habilitent pas à remettre en cause les constatations ou indications à caractère médical portées dans un certificat médical.

Enfin, de telles mesures ne portent pas une atteinte injustifiée au principe d’égalité entre usagers du service public ni, non plus, au principe de fraternité. 

(26 juillet 2023, Mme C. épouse A. et autres, n° 457685)

(306) V. aussi, rejetant - sans surprise - le recours dirigé contre le même décret n° 2021-1215 du 22 septembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en ce qu’il subordonne à l'administration d'une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager le caractère complet du schéma vaccinal de personnes s'étant vu précédemment administrer un vaccin dont l'utilisation a été autorisée par l'Organisation mondiale de la santé, mais n'ayant pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne, ou dont la composition et le procédé de fabrication sont reconnus comme similaires à l'un de ces vaccins par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, en dépit des éléments avancés par le requérant (méconnaissance, pour les personnes à vacciner, du droit à un consentement éclairé, efficacité moindre de l'administration d'une dose de vaccin à acide ribonucléique (ARN) que celle d’une troisième dose de vaccin « Sinopharm : 26 juillet 2023, M. A., n° 460133..

(307) V. également, comparable, rejetant la critique du « passe sanitaire » et de son efficacité : 26 juillet 2023, M. A., n° 460383.

(308) V. encore, rejetant le recours contestant, à propos de ces mêmes textes, l’instauration et l’utilisation du « passe vaccinal » : 26 juillet 2023, Mme C. et M. D., n° 462483.

(309) V. toujours, identique aux précédentes décisions avec mêmes objets (passe, substance vaccinale, etc.) : 26 juillet 2023, M. A., n° 462549.

(310) V., avec même rejet, concernant la contestation de la suppression - décidée par le décret du 15 mars 2022, mis en œuvre par la circulaire du 25 mars 2022 - de l'obligation du port du masque et de respect des « gestes barrières » dans les lieux clos : 26 juillet 2023, M. A. et M. B., n° 462908.

(311) V., rejetant quatorze recours joints, dirigés, d’une part, contre les mêmes textes que ci-dessus ainsi que contre les instructions du directeur central du service de santé des armées, les « notes express » de la direction générale de la gendarmerie nationale, le document « Questions / Réponses à l'attention des échelons territoriaux de commandement et des personnels militaires de la gendarmerie » et le document dit « cadre sanitaire pour le fonctionnement des écoles et établissements scolaires / année scolaire 2021-2022 » édité par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et, d’autre part, à propos des mêmes mesures : 04 août 2023,  M. K. et M. T., n° 456154 ; Mme AK., n° 461049 ; M. AE. et autres, n° 461225 ; M. B., n° 461593 ; M. AW., n° 461596 ; M. AR., n° 462010 ; Mme N., n° 462275 ; Mme AM., n° 462461 ; M. T., n° 462463 ; M. AN., n° 462525 ; Mme S. épouse AF., n° 462557 ; Association « Enfance et libertés », n° 462565 ; M. K., n° 462568 ; Association de défense des libertés fondamentales, n° 462572.

(312) V., dans une intarissable série, rejetant un recours à nouveau dirigé contre le décret du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire : 04 août 2023, M. A., n° 457315 ou encore le rejet d’un recours dirigé contre ce décret du 7 août 2021 en tant qu'il insère un 7° au II de l'art. 47-1 du décret du 1er juin 2021 : 04 août 2023, Société Auchan Hypermarché, n° 457338 ou, également, le rejet d’un recours dirigé contre les dispositions insérées par le a) du 8° de l'art. 1er du décret n° 2021-1268 du 29 septembre 2021 à l'art. 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant qu’il s’applique aux enfants âgés d’au moins douze ans : 04 août 2023, M. A. agissant au nom de ses enfants mineurs B. et D., n° 457360.

(313) V., plus original, rejetant un recours tendant à voir annuler le refus de la première ministre de retirer les décrets des 7 août 2021 et 30 juillet 2022 en tant qu'ils sont relatifs aux sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, de « réintégrer » pour la lutte contre les feux de forêts de l'été 2022, des sapeurs-pompiers suspendus pour cause de non-vaccination, et la preuve de ce que les sapeurs-pompiers étrangers intervenant en France satisfont complètement à l'obligation vaccinale : 04 août 2023, Association de défense des libertés fondamentales, n° 466826.


Service public

 

314 - Enseignement supérieur – Création de l’Université de Lille et approbation des statuts – Établissement public expérimental – Conditions d’adoption des dispositions statutaires – Installation du nouvel établissement – Gestion individuelle des personnels – Rejet.

La création de l’établissement public expérimental Université de Lille est l’occasion de nombreux recours comme il en va ordinairement ainsi à toute création d’une structure universitaire de quelque ampleur.

Tous les moyens soulevés à l’encontre de cette création sont rejetés.

Il en va ainsi des conditions d’adoption des statuts de la nouvelle université qu’il s’agisse de celles entourant les votes du comité technique ou de celles qui ont caractérisé le vote du conseil d'administration de l'École nationale supérieure d'architecture et de paysage de Lille (ENSAPL).

Pareillement la légalité des conditions d’installation du nouvel établissement n’est pas discutable tant pour ce qui concerne l’absence de dispositions transitoires relatives à ces instances avant que les nouveaux conseils de l'établissement ne leur succèdent que pour ce qui regarde la décision du Président de l’université de Lille d’instituer, à titre transitoire, un comité électoral consultatif chargé de l'assister dans l'organisation des premières élections et pour en proposer la composition au conseil d'administration de l'université.

Enfin, concernant le grief dirigé contre l'exercice par les conseils des composantes de l'établissement public expérimental de compétences en matière de gestion individuelle des personnels, il est rejeté : d’abord les status pouvaient, sans illégalité, confier aux conseils des composantes des compétences de gestion indviduelle des personnels ; ensuite le conseil de composante en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et assimilés est, d’une part, soumis aux dispositions du décret du 6 juin 1984 en matière de détachements ou de mutations de certains enseignants, et d’autre part, compétent pour définir la composition des commissions de recrutement des attachés temporaires d'enseignement et de recherche ; enfin il n’est pas non plus porté atteinte au principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics du fait que les composantes exercent, par délégation des instances centrales de l'établissement public expérimental « Université de Lille », leurs compétences en matière de gestion individuelle des personnels qui leur sont affectés « dans le cadre de la politique de ressources humaines de l'établissement ». 

D’autres moyens, plus particuliers, sont également rejetés.

(05 juillet 2023, Syndicat national de l'enseignement supérieur - Fédération syndicale unitaire (SNESUP-FSU), n° 458109 ; Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN) - CFDT Nord-Pas-de-Calais et autre, n° 458617 ; Mme A. et autres, n° 458632, jonction)

(315) V. aussi, voisine mais non semblable, la décision rejetant le recours dirigé contre la création de Nantes Université et l’approbation de ses statuts : 05 juillet 2023, Fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale SGEN-CFDT, n° 459129.

 

316 - SNCF – Ouverture à la concurrence – Statut particulier des agents – Transfert de ceux-ci à des filiales du groupe ferroviaire – Différences de traitement possibles dans la limite du principe d’égalité – Rejet.

Saisi de demandes d’annulation de la délibération du 9 juin 2022 par laquelle le conseil d'administration de la SNCF a modifié certaines dispositions du « statut des relations collectives entre SNCF et son personnel », le Conseil d’État rappelle tout d’abord une évidence qu’il tempère cependant.

Tout d’abord, les dispositions des art. L. 2102-2, L. 2102-2-1 et L. 2102-2-2 du code des transports impliquent nécessairement que tous les salariés relevant des activités exercées au 31 décembre 2019 par le « groupe public ferroviaire » qui étaient régis par le statut particulier avant le 31 décembre 2019 et dont le contrat de travail est transféré à l'une des filiales créées dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des services publics de transport ferroviaire de voyageurs restent soumis à ce statut.

Ensuite, il est jugé que ces mêmes dispositions n'imposent pas au conseil d'administration de la SNCF de soumettre l'ensemble des salariés régis par ce statut aux mêmes règles statutaires, sous réserve de ne pas opérer entre eux de différence de traitement contraire au principe d'égalité. 

Il eût été plus judicieux de procéder de façon inverse : application du statut unique mais faculté d’adaptation en fonction d’exigences concrètes des fonctions, le tout limité par le principe d’égalité.

(05 juillet 2023, Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail, n° 465302 ; Union fédérale des cheminots et activités complémentaires (UFCAC CFDT), n° 465413)

 

317 - Appartenance d’un bien au domaine public - Existence ou non d’un service public - Critères de la domanialité publique antérieurs à l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) - Annulation.

 (18 juillet 2023, Société MAIF, n° 470151)

V. n° 22

 

318 - Tarifs de vente de l’électricité aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale - Institution puis maintien d’un « bouclier tarifaire » - Arrêtés du 28 janvier 2022 et du 1er août 2022 - Rejet de propositions de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Annulation.

La société EkWateur a demandé l'annulation de l'arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale, instituant un « bouclier tarifaire » à compter du 1er février 2022 au bénéfice de ces derniers dans certaines conditions.

Après avoir rejeté le grief d’incompétence des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pour prendre la décision litigieuse, le juge annule l'arrêté contesté pour avoir été pris en méconnaissance des dispositions de l'art. 5 de la directive du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, relatif aux prix de fourniture reposant sur le marché. En effet, l’arrêté litigieux a fixé les tarifs réglementés de vente d'électricité dits « bleus » applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale à un niveau significativement inférieur à celui résultant de la proposition tarifaire de la CRE, et qui ne permet pas d'assurer une concurrence tarifaire effective sur le marché de la fourniture d'électricité. Ainsi, il ne respecte pas les conditions prévues à l'article 5 de la directive du 5 juin 2019 auxquelles est subordonnée toute intervention publique d’un État-membre dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité.

(25 juillet 2023, société EkWatteur, n° 462612)

 

319 - Locaux des services publics - Soumission au principe de laïcité - Installation d’une crèche de la Nativité - Injonction de la retirer - Usage du référé de l’art. L. 521-3 CJA - Erreur de droit - Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance de référé rendue au visa de l’art. L. 521-3 qui ordonne le retrait sous 24 heures d’une crèche de la Nativité installée dans le local d’un service public alors que le caractère subsidiaire du référé régi par l'art. L. 521-3, interdit au juge saisi sur ce fondement de prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les art. L. 521-1 et L 521-2 du code de justice administrative.

(26 juillet 2023, Ligue des droits de l'homme, n° 470109)

 

320 - Enseignement supérieur – Réglementation du titre de psychologue – Exclusion des diplômes étrangers – Soumission à une procédure spécifique d’équivalence – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Rejet.

La société requérante conteste la légalité de la décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a rejeté sa demande tendant à la modification des dispositions du décret n° 90-255 du 22 mars 1990 fixant la liste des diplômes permettant de faire usage professionnel du titre de psychologue afin d'y inclure les diplômes qu'elle délivre.

Sa requête est rejetée sur le fondement du I de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985 - dont fait application le décret du 22 mars 1990 fixant la liste des diplômes permettant de faire usage professionnel du titre de psychologue – qui n'inclut pas les diplômes étrangers, ces diplômes devant faire l'objet d'une autre procédure, tendant à la reconnaissance de leur équivalence.

La requérante (SFU-Paris), succursale de la Sigmund Freud University (SFU), établissement d'enseignement supérieur privé autrichien, situé à Vienne, dispense des formations qui sont sanctionnées par des diplômes de droit national autrichien délivrés au nom de la SFU-Vienne. Il suit de là que la ministre défenderesse n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ni méconnu ces dispositions législatives en refusant d'inscrire les diplômes de psychologie délivrés par la requérante à l'annexe du décret du 22 mars 1990 au motif que ce sont des diplômes étrangers.

Elle ne saurait non plus exciper d’une prétendue violation du principe d’égalité du fait que les diplômes de psychologie délivrés par l'Institut catholique de Paris sont inscrits à cette annexe.

(22 août 2023, Société Sigmund Freud University Paris, n° 460196)

 

Sport

 

321 - Référé suspension - Sportif pratiquant les arts martiaux mixtes - Sanction pour dopage - Recours à un médicament contre l’asthme contenant un produit dopant - Dépassement des concentrations autorisées - Invocation de circonstances exceptionnelles - Demande d’autorisation rétroactive d’usage à des fins thérapeutiques - Rejet.

Un sportif pratiquant les arts martiaux mixtes, asthmatique chronique depuis son enfance, traite sa maladie par des prises de ventoline, médicament usuel dans le traitement de cette affection, qui contient du salbutamol, substance qui appartient à la classe S3 des bêta-2 agonistes et qui figure sur la liste des substances interdites en permanence, annexée au décret du 28 décembre 2020 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adopté à Paris le 15 novembre 2020, qui la répertorie parmi les substances dites « spécifiées ».

Contrôlé à deux reprises (octobre 2021 et mars 2022) positif à ce produit, il a fait l’objet de l'interdiction, pendant une durée de trois ans, de participer à une manifestation sportive et à diverses activités sportives et de l'annulation des résultats individuels obtenus depuis le 14 octobre 2021.

Il demande au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution, d’une part, de la décision du 2 mars 2023 par laquelle l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a refusé de lui accorder une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) rétroactive, et, d’autre part, de la décision du 27 avril 2023 par laquelle la commission des sanctions de l'AFLD lui a interdit, pendant une durée de trois ans, de participer à une compétition sportive et à toute activité autorisée ou organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle, une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de leurs membres et a demandé à la fédération française de boxe d'annuler les résultats individuels qu'il avait obtenus lors des manifestations sportives des 14 octobre 2021 et 10 mars 2022, ainsi qu'entre le 14 octobre 2021 et la notification de la décision.

Ces demandes sont rejetées sans examen de la condition d’urgence, les moyens soulevés n’étant pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ces différentes décisions, 

S’agissant de la demande de suspension du refus d’AUT, le juge retient pour la rejeter que le comité d'experts, composé de trois médecins, a estimé qu'il n'est pas possible d'exclure une amélioration de la performance sportive au-delà du retour à la normale lorsque la ventoline est utilisée à des doses largement supérieures aux doses prescrites habituellement à titre thérapeutique ; il a également indiqué qu'il n'y a pas d'indication thérapeutique à l'utilisation de la ventoline au-delà des doses habituellement prescrites : les recommandations de bonnes pratiques médicales précisent qu'en cas de crise d'asthme, le traitement inhalé par ventoline peut être répété mais qu'en cas d'inefficacité clinique au bout de huit bouffées dans un délai d'une heure, une crise sévère est à craindre et il est impératif de consulter un médecin pour examen et prise en charge adaptée, de façon urgente.

S’agissant de la demande de suspension de la sanction infligée, elle est également rejetée car cette sanction n’est pas disproportionnée en raison de la nature de la substance inhalée, des doses d’absorption et de la répétition des infractions.

(ord. réf. 7 juillet 2023, M. B., n° 475067)

 

Travaux publics et expropriation

 

322 - Travaux à proximité d’ouvrages existants – Déclaration de travaux du responsable du projet devant être adressé à chacun des exploitants d’ouvrages, services et réseaux – Obligation, en certains cas, d’une nouvelle déclaration de travaux – Annulation.

La société ENEDIS s’est vu infliger par deux arrêtés préfectoraux successifs, deux amendes de même montant, 1500,00 euros chacune, sur le fondement, respectivement, du 3° et du 4° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement. Le ministre se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a annulé le jugement en tant qu'il avait rejeté la demande d'annulation de l'arrêté préfectoral infligeant à la société ENEDIS une sanction administrative sur le fondement du 3° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement.

Le juge de cassation rappelle qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 554-1 et des art. R. 554-2, R. 554-6, R. 554-20, R. 554-22 et R. 554-24 du code de l’environnement que le responsable de projet qui envisage de réaliser des travaux à proximité d'ouvrages mentionnés à l'art. L. 554-1 du code de l'environnement doit, d'une part, adresser à chacun des exploitants d'ouvrages en service mentionnés à l'art. R. 554-20 du même code et dont la zone d'implantation est touchée par l'emprise des travaux, une déclaration de projet de travaux dans les conditions fixées par l'art. R. 554-21 de ce code et, d'autre part, procéder, sauf exceptions prévues au V de l'art. R. 554-22, à une nouvelle déclaration dans les mêmes conditions si le marché de travaux ou la commande des travaux ne sont pas signés dans les trois mois suivant la date de la consultation du guichet unique prévu à l'article R. 554-20. 

La cour administrative d’appel a ainsi commis une erreur de droit  en jugeant que le défaut de renouvellement de la déclaration devait être regardé comme un défaut de déclaration de projet au sens des dispositions du  3° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement. Le ministre est ainsi fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour en ce qu'il rejette la demande de la société ENEDIS tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 17 octobre 2016 lui infligeant une sanction administrative sur le fondement du 3° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement et, d'autre part, qu'il annule cet arrêté.

(10 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 452045)

 

323 - Communes et établissements de coopération intercommunale - Agglomération d’assainissement - Délimitation des zones d’assainissement collectif et des zones d’assainissement non collectif - Large pouvoir d’appréciation des collectivités - Non réalisation de travaux - Rejet.

(13 juillet 2023, M. B., n° 454945)

V. n° 26

 

324 - Travaux publics – Accaparement de parcelles privées – Injonction de cessation immédiate des travaux – Rejet.

Dans le cadre du réaménagement d’une voie publique, la collectivité requérante a procédé de telle sorte qu’en raison de la configuration des lieux il sera impossible aux propriétaires privés riverains de cette voie de recouvrer celles de leurs parcelles sur lesquelles cette collectivité a effectué ses travaux sans que la collectivité ait préalablement procédé à leur acquisition et à l'indemnisation des propriétaires ni même recueilli leur consentement. Le juge du référé liberté a fait injonction de cesser immédiatement les travaux en question puis, suite à un second référé, a refusé qu’il soiut mis fin à l’injonction ainsi prononcée.

Saisi d’un appel de la défenderesse, le juge d’appel le rejette faute que la collectivité appelante ait apporté des faits nouveaux.

(ord. réf. 10 août 2023, Grenoble-Alpes Métropole, n° 477304)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

325 - Exercice du droit de préemption urbain – Hypothèse d’autorisation légale d’une motivation par référence – Programme local de l’habitat – Rejet.

Le juge rappelle tout d’abord l’étendue de l’exigence de motivation d’une décision exerçant le droit de préemprion urbain par référence à un programme local de l'habitat. En ce cas, les exigences d’une telle motivation par référence, autorisée par la loi (cf. art. L. 210-1 c. urb.), doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme, et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption.

Pour ce faire, la collectivité peut, à sa convenance :

- soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe,

- soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.

En l’espèce, la cour administrative d’appel a, d’une part, - sans dénaturation des faits ni erreur de droit - relevé que la décision de préemption litigieuse ne satisfaisait pas à ces conditions, se bornant à des considérations générales et d’autre part, estimé – sans qualifier inexactement ou dénaturer les faits - qu’existait un lien de causalité direct entre le préjudice invoqué par la société demanderesse et l'illégalité de la préemption litigieuse.

(06 juillet 2023, Établissement public territorial Plaine Commune, n°464999)

 

326 - Plan local d’urbanisme - Zone classée AUs – Notion d’espaces libres dans une telle zone – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel jugeant illégales les dispositions du règlement d’un plan local d’urbanisme car entachées d’une contradiction rendant impossible leur application en ce qu’elles décident que dans une zone classée Aus doivent être regardés comme des espaces libres, au sens et pour l'application de la règle selon laquelle ceux-ci doivent représenter au moins 30 % du terrain d'assiette d'un projet situé dans cette zone, les espaces verts, y compris ceux aménagés sur dalle, en toiture ou en terrasse possédant un complexe naturel de 60 centimètres permettant à la végétation de se développer durablement en montagne. 

(06 juillet 2023, Société Lucema, n° 463503)

 

327 - Permis de construire, initial et modificatif – Notion de voie ouverte à la circulation générale – Construction devant être édifiée sur plusieurs parcelles classées en zones différentes dans le plan local d’urbanisme (PLU) – Rejet.

Rejetant la demande d’annulation d’un permis de construire un immeuble de trente-sept logements sur six niveaux et de l’arrêté portant permis de construire modificatif pour la réalisation du même projet, le Conseil d’État aborde plusieurs questions dont deux sont présentées ici.

Tout d’abord, la venelle qui jouxte le projet litigieux dans sa partie située à l'est constitue une voie privée ouverte à la circulation des cycles et piétons. Elle doit ainsi être regardée comme étant ouverte à la circulation générale au sens des dispositions du règlement du PLU qui régissent ainsi l'implantation de la partie du projet longeant cette venelle.

Ensuite, le terrain d'assiette du projet litigieux est composé de quatre parcelles se situant, pour les trois premières, en zone UA et, pour la dernière, en zone UD, le terrain d'assiette jouxtant une voie cadastrée relevant de la zone UD. C’est donc sans erreur de droit que le tribunal a jugé que la règle d'implantation par rapport aux voies publiques fixée par les dispositions applicables en zone UD ne s'appliquait pas à la construction litigieuse, dès lors que celle-ci s'implante intégralement sur les parcelles classées en zone UA du terrain d'assiette, alors même que ce terrain d'assiette est bordé par une voie située en zone UD.

(05 juillet 2023, Mme B., n° 463604)

 

328 - Permis de construire - Régularisation - Permis de construire modificatif - Annulations des deux permis – Annulation.

Les requérants demandent au juge de cassation l’annulation des deux jugements par lequel un tribunal administratif a annulé le permis de construire initial, par un jugement avant-dire droit du 29 mars 2021, puis, après la régularisation qu’il avait ordonnée, par un jugement du 11 mars 2022, le permis de construire subséquent.

Le juge aborde trois séries de questions : celles liées au jugement d’avant dire droit et aux illégalités affectant le permis initial (I, a et b), celles concernant les mesures de régularisation ordonnées (II) et celles, enfin, concernant le jugement d’annulation (III).

 

Ia - Concernant le jugement avant-dire droit du 29 mars 2021 ordonnant la régularisation du permis initial, suite au recours en annulation de ce permis formé par des tiers, le juge de cassation retient que c’est sans erreur de droit que le premier juge a estimé que n'était pas tardive la requête en annulation de ce permis car ses auteurs avaient formé un recours gracieux le 21 juillet 2018, reçu par le maire le 23 juillet, et que si ce recours gracieux n'avait pas été notifié à la bénéficiaire du permis, dans les formes prévues par l'art. R. 600-1 du code de l'urbanisme, il avait valablement prorogé le délai de recours contentieux faute pour cette exigence de leur être opposable en l'absence de démonstration de la mention de la formalité requise sur l'affichage à la date de sa notification. En outre, en estimant que la régularité de l'affichage du permis de construire n'était pas établie avant le 10 septembre 2018, date à laquelle un constat d'huissier en attestait, le tribunal a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Ainsi c’est à bon droit que le premier juge a considéré que l'art. R. 600-1 du code de l'urbanisme n'était pas opposable au recours gracieux formé avant cette date par les requérants.

En effet, le juge rappelle que l'exercice par un tiers d'un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire montre qu'il a connaissance de cette décision et a, en conséquence, pour effet de faire courir à son égard le délai de recours contentieux, alors même que la publicité concernant ce permis n'aurait pas satisfait aux exigences prévues par l'art. A. 424-17 du code de l'urbanisme ; en outre, si l'absence de mention, dans l'affichage, de l'obligation de notification du recours n'empêche pas le déclenchement du délai de recours contentieux mentionné à l'art. R. 600-2 du code de l'urbanisme, elle a pour effet de rendre inopposable l'irrecevabilité prévue à l'art. R. 600-1 du même code.


Ib - Concernant les illégalités affectant le permis de construire relevées par le jugement avant-dire droit, le juge de cassation estime qu’en les constatant, le tribunal administratif n’a pas dénaturé les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit.

Les saisissants ne sont donc pas fondés à contester le jugement avant-dire droit du 21 mars 2021 en tant qu'il a jugé que le permis de construire délivré le 9 juin 2018 est affecté d'illégalités tenant au non-respect des articles U1/6 et U1/7 du règlement du plan local d'urbanisme.

II - Concernant les mesures de régularisations au titre des art. L. 600-5-1 et L. 600-5 du code de l'urbanisme, il est jugé que les conclusions de la bénéficiaire du permis qui n'a contesté le jugement avant-dire droit du 29 mars 2021qu'après l'intervention du jugement du 11 mars 2022 mettant fin au litige, étaient privées d'objet dès l'origine du fait de la délivrance, le 18 octobre 2021, du permis de construire modificatif qu'elle avait sollicité aux fins de régularisation. En effet, il se déduit des dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme que lorsque le juge administratif décide de recourir à cet article, d’une part, le bénéficiaire de l'autorisation initiale d'urbanisme et l'autorité qui l'a délivrée peuvent contester le jugement avant-dire droit en tant qu'il a jugé que cette autorisation était affectée d'un vice entachant sa légalité, d’autre part, qu’ils peuvent également contester ce jugement en tant qu'il fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1, ces conclusions étant cependant privées d'objet à compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice et, enfin, que l'annulation du jugement en tant qu'il a fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1 peut cependant toujours être prononcée par voie de conséquence de son annulation en tant qu'il a jugé que l'autorisation initiale d'urbanisme était affectée d'un vice.

Il suit de là que Mme B. et la commune de Neauphle-le-Château ne sont pas fondées à demander l'annulation du jugement rendu par le tribunal administratif de Versailles le 29 mars 2021.

III- Concernant les pourvois dirigés contre le jugement du 11 mars 2022, le juge de cassation relève une erreur de droit commise par le tribunal en ce qu’il a estimé que le plan de masse du dossier de demande du permis de régularisation délivré le 18 octobre 2021 concernant le projet de Mme B. prévu sur le lot B du lotissement faisait apparaître une implantation de la maison prévue pour le lot A à une distance de 3,50 mètres de la limite séparative nord du lotissement et que ce vice, tiré de la méconnaissance des dispositions de l'art. U1/7 du règlement du PLU, ne pouvait être regardé comme régularisé au seul motif qu'aucun permis modificatif concernant le lot A ni aucune information relative à une demande en ce sens ne lui avaient été communiqués avant la clôture de l'instruction, alors que l'autorité administrative saisie d'une demande de permis de construire, et après elle le juge, n'a à vérifier l'exactitude des déclarations figurant dans un dossier de demande de permis que si elles sont contredites par d'autres éléments du dossier ou s'il y a matière à soupçonner une fraude et qu'aucun élément de cette nature n'a été relevé par le jugement attaqué.

Le jugement du 11 mars 2022 est annulé  et, statuant en application de l'art. L. 821-2 du CJA, qui lui permet de régler l'affaire au fond, le Conseil d’État juge d’abord que les dispositions de l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, si elles ont pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d'annulation d'un permis de construire lorsque le vice entraînant l'illégalité de ce permis est susceptible d'être régularisé, ne subordonnent pas, par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n'aient pas été achevés contrairement à ce que soutiennent les demandeurs de première instance.

Il juge ensuite que dès lors que le permis modificatif prévoit, d'une part, qu'eu égard à la modification de l'implantation de la construction du lot A, les constructions du lotissement, prises dans leur ensemble, seront implantées, pour l'une des deux limites latérales, avec un retrait d'au moins 3,50 mètres et, d'autre part, que la construction sur le terrain d'assiette de Mme B. est désormais située dans la bande constructible d'une profondeur de 20 mètres à partir de la voie publique, ce permis modificatif permet, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs de première instance, de régulariser les vices tirés de la méconnaissance par le permis de construire initial des articles U1/6 et U1/7.

Il juge enfin qu’à compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. A ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de l'acte de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'il n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant-dire droit. Elles ne peuvent en revanche soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article U1/8 du règlement du plan local d'urbanisme, d'ailleurs déjà écarté par le jugement avant-dire droit, ne peut pas être utilement invoqué. 

(10 juillet 2023, Mme B., n° 463914 ; Commune de Neauphle-le-Château, n° 463956 et 463957)

 

329 - Permis de construire - Existence d’une dent creuse - Notion - Annulation du permis - Annulation.

Pour annuler le permis de construire délivré à la société requérante la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que ne pouvait constituer une « dent creuse » l’immeuble flanqué d’un côté d’un autre immeuble le dépassant de trois mètres et de l’autre côté d’un immeuble d’une hauteur inférieure à la sienne.

Le juge de cassation annule pour erreur de droit cette solution en relevant qu’il résulte des dispositions du chapitre V du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris relatif à la terminologie qu’une unité foncière est considérée comme présentant une dent creuse lorsqu’elle se présente comme « ensemble d'une ou de plusieurs parcelles cadastrales, bâti ou non bâti, répondant aux caractéristiques suivantes :

- l'unité foncière est riveraine d'une voie publique ou privée ;

- la hauteur de construction sur rue, existante sur l'unité foncière considérée, doit être inférieure d'au moins trois mètres, à la hauteur de la construction existante, sur les parcelles riveraines à la même voie, mitoyennes de part ou d'autre de l'unité foncière considérée (...) ».

Le texte comporte bien la conjonction de coordination disjonctive « ou » et non la conjonction copulative « et ». Il en résulte, les atteintes à la liberté étant de droit étroit, que constitue une unité foncière en dent creuse une parcelle riveraine d'une voie publique ou privée qui est mitoyenne d'au moins une autre parcelle riveraine de la même voie sur laquelle est bâtie une construction dont la hauteur est supérieure d'au moins trois mètres à celle que supporte, le cas échéant, la première parcelle, et non, comme jugé en appel, qui comporte, de part et d’autre un bâti supérieur de plus de trois mètres.

(11 juillet 2023, Société La Tulipe, n° 467058)

 

330 - Permis de construire - Bande littorale des cent mètres - Conditions d’autorisation des constructions - Secteurs déjà urbanisés - Extension limitée de l’urbanisation - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dans un litige relatif à la délivrance d’un permis de construire dans la bande littorale des cent mètres à compter de la limite haute du rivage du lac de Lacanau le juge rappelle des solutions bien établies.

Il résulte des dispositions des art. L. 121-8 et L. 121-13 du code de l’urbanisme applicables aux rives des plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'art. L. 321-2 du code de l'environnement et sous réserve des exceptions qu'elles prévoient, que, dans les communes littorales, les constructions peuvent être autorisées soit en hameaux nouveaux, soit en continuité avec les secteurs déjà urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, aucune construction ne pouvant en revanche être autorisée, même en continuité avec d'autres constructions, dans les espaces d'urbanisation diffuse éloignés de ces agglomérations et villages et, s'agissant des espaces proches du rivage, à la condition qu'elles n'entraînent qu'une extension limitée de l'urbanisation spécialement justifiée et motivée et qu'elles soient situées en dehors de la bande littorale des cent mètres à compter de la limite haute du rivage.

Le juge rappelle aussi que seuls peuvent déroger à l'interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative de ces espaces.

En l’espèce, il est jugé que la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le projet litigieux n'était pas situé dans un espace urbanisé caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions, où les projets peuvent par dérogation être réalisés à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative. En effet, la cour a relevé que la zone en cause comporte une soixantaine d'habitations individuelles de type pavillonnaire situées le long des voies publiques ainsi que quelques restaurants, des équipements nautiques et un camping et que ce quartier d'urbanisation diffuse est éloigné des agglomérations de Lacanau Océan et du bourg de Lacanau et ne saurait ainsi être regardé comme un espace urbanisé au sens des dispositions du code de l'urbanisme. Or le quartier, présenté dans le document d'orientation générale du schéma de cohérence territoriale des lacs médocains comme urbanisé depuis 1922, « pensé et conçu comme une station lacustre à part entière », à l'inverse des autres espaces d'urbanisation qui se sont développés autour du lac, compte plus de deux cents habitations ainsi que treize commerces dont quatre ouverts à l'année, regroupés le long d’une avenue et d’une allée.

(12 juillet 2023, Commune de Lacanau, n° 461518 ; Consorts E., n° 461572)

 

331 - Transformation à usage principal d'habitation d'un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation - Possibilité de dérogations dans certaines communes - Économie générale du 3° de l'art. L. 152-6, c. urb. - Rejet.

Les requérants se pourvoient en cassation du jugement d’un tribunal administratif rejetant leur demande tendant à l'annulation du permis de construire délivré par la mairie de Paris pour un projet de construction d'un ensemble immobilier au motif qu’il l’aurait été en violation des dispositions du 3° de l’art. L. 152-6 du code de l’urbanisme applicables dans certaines communes dont celle de Paris.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État se fondant non sur ces dispositions prises en elles-mêmes mais sur leur « économie générale » dont il déduit qu'elles permettent, dans le cadre juridique de l’espèce (projet de transformation à usage principal d'habitation d'un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation), de déroger aux règles affectant la densité, c'est-à-dire à celles relatives à l'emprise au sol, à la hauteur ou au gabarit des bâtiments fixées par le règlement du plan local d'urbanisme, dans la limite d'une majoration de 30 % du gabarit de l'immeuble existant.

C’est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions car ces dernières autorisaient dans cette limite une dérogation aux règles de gabarit-enveloppe du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris.

Par ailleurs, la ville s’étant fondée sur les seules dispositions du plan d’urbanisme précitées pour accorder la dérogation sollicitée, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé et entaché d'erreur de droit en tant qu'il n'a pas recherché si la condition afférente à la dérogation aux règles de gabarit prévue par les 1° et 2° du même article était satisfaite.

(10 juillet 2023, M. et Mme D. et autres, n° 462717)

 

332 - Permis de construire un ensemble commercial - Permis accordé sur un terrain constituant un emplacement réservé - Réserve bénéficiant au pétitionnaire - Nécessité d’une modification du plan - Demande de permis non conforme à la destination de l’emplacement réservé - Erreur de droit - Annulation.

Cette décision comporte, pour l’essentiel, deux rappels.

Le rappel d’abord, que l'autorité chargée de délivrer le permis de construire est tenue de refuser toute demande, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l'objet ne serait pas conforme à la destination de l'emplacement réservé, tant qu'aucune modification du plan local d'urbanisme emportant changement de la destination n'est intervenue.

Le rappel ensuite, qu’un permis de construire portant à la fois sur l'opération en vue de laquelle l'emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que ce dernier projet est compatible avec la destination assignée à l'emplacement réservé.

L’arrêt d’appel est annulé pour avoir rejeté le moyen tiré de l'illégalité du permis de construire litigieux autorisant la construction de bâtiments sur cet emplacement réservé, sur la circonstance que la construction d'une voie de circulation restait possible sur un autre emplacement du terrain d'assiette du projet, sans rechercher si le permis de construire litigieux portait sur cette opération, en vue de laquelle l'emplacement a été réservé.

(19 juillet 2023, Association Les moulins de Vidauban, n° 456409)

 

333 - Permis de construire modificatif - Conclusions dirigées contre ce permis jugées irrecevables pour tardiveté - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dans un litige relatif à un permis de construire modificatif, pour rejeter comme irrecevables les conclusions de certaines des parties, le tribunal administratif a retenu que le moyen qu’elles avaient présenté - tiré de la méconnaissance des articles L. 111-11 et R. 423-50 du code de l’urbanisme - , avait été soulevé pour la première fois dans un mémoire enregistré le 12 février 2021, soit plus de deux mois après le 20 mai 2020, date de communication du premier mémoire en défense relatif à ces conclusions.

Or il ressort des pièces de la procédure que ce moyen avait été soulevé dès un mémoire du 10 juillet 2020 : le tribunal ayant dénaturé les pièces du dossier, son jugement est annulé et l’affaire lui est renvoyée. 

(20 juillet 2023, M. et Mme A., n° 465371)

 

334 - Permis de construire - Suspension de l’exécution du refus du permis de construire - Injonction, par le juge des référés, de réexaminer la demande de permis - Injonction insusceptible de faire courir le délai d’octroi d’un permis de construire tacite.

De ce dossier, où figurent de très intéressants développements en matière de refus d’accorder un permis de construire, de saisine du juge du référé suspension et de mise en œuvre de cette voie procédurale, on retiendra surtout la solution, très logique mais innovante qu’il apporte quant à la naissance, ou non, d’un permis de construire tacite.

Le pétitionnaire, qui avait obtenu du juge des référés la suspension de l’exécution d’un refus de permis de construire assortie d’une injonction de réexamen de cette demande de permis, prétendait que le temps passé durant cette procédure avait fait naître à son profit un permis de construire tacite. Le moyen est évidemment rejeté car les délais emportant décisions de l’administration ne se calculent jamais qu’à partir du jour de la demande adressée à celle-ci sans que puisse intervenir dans cette computation le temps passé à la résolution d’une procédure contentieuse.

(20 juillet 2023, Société Développement d'études foncières et immobilières, n° 467318)

(335) V. aussi, identique : 20 juillet 2023, Société Développement d'études foncières et immobilières, n° 467318.

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Benjamin Valette Benjamin Valette

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juin 2023

Juin 2023

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

1 - Retrait d’un permis de construire – Respect d’une procédure contradictoire – Garantie pour le titulaire du permis – Observations formulées par courrier – Demande de présentation d’observations orales – Absence – Rejet.

Un permis de construire valant permis de démolir a été délivré à la société requérante en vue de l’édification d’un hôtel, de commerces, d’une résidence intergénérationnelle et de logements collectifs. Ce permis, accordé le 11 mars 2020, a été retiré par le maire le 21 août 2020 et le permis a été refusé.

La société se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté de retrait.

Pour rejeter le recours le tribunal administratif s’était fondé sur ce que la pétitionnaire ayant été mise à même de présenter des observations écrites par un courrier qu'elle a adressé à la commune le 17 août 2020, elle ne pouvait pas soulever devant ce tribunal le moyen qu'elle n'avait pas pu présenter d'observations orales comme elle affirmait l'avoir pourtant demandé à la commune. Rappelant que la possibilité de formuler des observations orales constitue une garantie, le Conseil d’État annule le jugement pour l’erreur de droit résultant de ce qu’il a tenu pour suffisante la possibilité d’observations écrites seules.

Se posait une question de preuve de la réalité de la demande adressée à la commune en vue que la société soit entendue pour exposer des observations orales. Le juge rejette le recours car, d’une part, la société n’établit pas avoir demandé à être entendue afin de pouvoir présenter des observations orales sur le retrait envisagé, d’autre part, le premier permis accordé était en réalité irrégulier, la configuration des lieux ne permettant pas aux services de secours d'accéder aux quarante-six chambres donnant sur la rue et cette atteinte à la sécurité publique ne pouvait pas être évitée par des prescriptions dont l'observation incomberait au seul pétitionnaire mais nécessitait la réalisation d'aménagements de la voirie desservant le terrain d'assiette, dont le gestionnaire est un tiers, à savoir le conseil départemental. C’est donc sans erreur manifeste d’appréciation que le maire a retiré le permis de construire qu’il avait délivré.

(12 juin 2023, Société Bobigny Indépendance, n° 465241)

2 - Instruction ministérielle – Contrôle de l’obligation vaccinale des professionnels libéraux – Instruction à caractère impératif ou ayant le caractère de lignes directrices – Instruction entachée d’incompétence – Annulation très partielle.

Les requérants déféraient à la censure du juge de l’excès de pouvoir une instruction du ministre des solidarités et de la santé du 28 octobre 2021 relative au contrôle de l'obligation vaccinale des professionnels de santé libéraux. En bref, cette instruction a pour objet, sur le fondement de dispositions de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire née du Covid 19, de multiplier les sanctions encourues par ceux des professionnels de santé non vaccinés.

Si de nombreux griefs sont rejetés par le juge deux points retiennent cependant l’attention.
En premier lieu, le ministre défendeur avait prétendu opposer une fin de non-recevoir à cette requête. Elle est rejetée par le juge qui relève, à juste titre, que, eu égard à son contenu, cette instruction est susceptible de produire des effets notables sur la situation de ces professionnels en ce qu’elle revêt un caractère impératif ou présente le caractère de lignes directrices.

En second lieu, parmi les effets répressifs attachés par cette instruction à l’absence de vaccination des professionnels qu’elle vise, était prévue l’absence de remboursement par la sécurité sociale des médicaments délivrés par ces professionnels lorsqu’ils sont pharmaciens.

Estimant que l’auteur de cette instruction a, par cette disposition, ajouté à la loi qui n’avait rien prévu de tel, le juge annule pour incompétence de son auteur la partie de l’instruction qui prévoit la suspension des remboursements par l'assurance maladie des médicaments dispensés par un pharmacien n'ayant pas respecté l'obligation vaccinale contre la Covid 19, qui indique que les pharmaciens libéraux non vaccinés ne peuvent pas se faire remplacer et qui prescrit dans tous les cas la fermeture des officines dont le pharmacien principal est suspendu en raison de sa méconnaissance de l'obligation vaccinale. La solution adoptée est évidemment normale.

Toutefois, on ne peut manquer de trouver ahurissant qu’un ministre ait pu imaginer un seul instant de priver des assurés sociaux de leur droit à remboursement des médicaments qui leur sont prescrits alors qu’il n’est rien reproché ni au praticien prescripteur, ni à la composition ou autre du médicament ni, non plus, au patient. Il faut croire que cette crise sanitaire a parfois fait souffler un vent de déraison parmi nos pouvoirs publics.

(13 juin 2023, M. A. et société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie A., n° 459447)

3 - Demande de communication d’un document administratif – Saisines tardives de la CADA puis du juge – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une magistrate, pour accueillir la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la saisine de la commission d'accès aux documents administratifs et, par suite, du tribunal administratif, s’est fondée sur ce que la requérante avait saisi la commission d'accès aux documents administratifs plus de deux mois après la formation de la décision implicite de rejet, et sur ce que, en sa qualité d'agent public, l'absence d'accusé de réception de sa demande d'accès aux documents administratifs n'était pas de nature à rendre les délais de recours inopposables. 

(16 juin 2023, Mme A., n° 457613)

4 - Accord sur l’objet et sur le prix - Vente parfaite - Retrait de l’acte possible seulement pour illégalité et dans le délai de quatre mois - Rejet.

Rejetant le pourvoi dont l’avait saisi la commune, le Conseil d’État indique que dès lors qu’une commune et une SCI sont d’accord, la première pour acquérir et la seconde pour céder des biens à un prix convenu entre elles, la délibération entérinant cet accord - qui est créatrice de droits - ne peut plus être retirée, conformément aux dispositions de l’art. L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration, que dans le délai de quatre mois et à condition qu’elle soit illégale.

C’est là une application logique des dispositions des art. 1582 et 1583 du Code civil relatives à la vente.

(23 juin 2023, Commune de La Hague, n° 454888)

 

5 - Rappel d’obligations statutaires s’imposant à un fonctionnaire - Absence de caractère disciplinaire et d’inscription au dossier de l’agent - Mesure d’ordre intérieur ne pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Un professeur de mathématiques ayant contesté par des messages mis en ligne l'obligation d'utiliser du matériel informatique dans sa classe, a fait l’objet d’une lettre de la rectrice d’académie le mettant en garde sur des poursuites disciplinaires auxquelles pouvait l'exposer le non-respect des préconisations contenues dans cette lettre quant à son comportement et à attirer son attention sur le respect de ses obligations professionnelles et des instructions de ses supérieurs hiérarchiques.

L’enseignant se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif par lequel la cour administrative d’appel, mettant en œuvre les pouvoirs que le juge détient en vertu des dispositions de l’art. R. 611-8 du CJA, a décidé qu’il n’y avait pas lieu à instruction de ce litige sa solution étant d’ores et déjà certaine : la lettre attaquée ne constitue pas une décision susceptible de faire grief mais une simple mesure d’ordre intérieur. En effet, elle n'avait pas le caractère d'un avertissement disciplinaire et était dépourvue d'incidence sur la situation statutaire de l'intéressé, la rectrice n'ayant nullement mentionné dans sa lettre qu'elle serait versée au dossier de l'agent, quand bien même cette lettre aurait été versée, ultérieurement, dans ce dossier.

Le pourvoi est rejeté. 

(29 juin 2023, M. A., n° 467026)

 

6 - Association sans prérogative de puissance publique - Membres pouvant ne pas être chargés d’une mission de service public - Absence de contrôle par l’État  ou de fixation d’objectifs par celui-ci - Financement privé pour l’essentiel - Demande de communication de documents - Absence de caractère administratif - Incompétence de l’ordre administratif de juridiction - Rejet.

(06 juin 2023, Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, n° 462748)

V. n° 198

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

7 - Obligation de faire droit à une demande raisonnable d’accès au réseau FttH déployé sur un lotissement - Mise en demeure par l’ARCEP - Réseau entrant dans le champ d’application de l’art. L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques - Coût excessif de ce déploiement pour les membres du lotissement - Absence - Rejet - Modulation des effets du rejet d’une demande d’annulation d’une décision déjà suspendue par le juge - Office du juge.

L’association requérante (ALDA) demandait l’annulation de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) de la mettre en demeure de respecter, au plus tard le 19 juillet 2023, l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès au réseau FttH déployé sur le lotissement du domaine d'Avoriaz et de publier une offre d'accès conformément à l'art. L. 34-8-3 du code des postes et communications électroniques et aux articles 6, 8 et 10 de la décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, et d'en justifier auprès de la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction de l'Autorité, au plus tard le 19 septembre 2023.

L'ALDA a déployé à la fin des années 1960, pour l'acheminement des signaux des services de radio et de télévision, un réseau de câbles coaxiaux qui a été utilisé par la suite pour permettre à ses membres d'accéder à internet. A partir de 2015, elle a entrepris de remplacer ce réseau par un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ayant vocation à desservir, au bénéfice de ses membres, les 4967 locaux d'habitation et professionnels du lotissement,. Ce réseau est composé de trois segments interconnectés formant, ensemble, une boucle locale optique : une partie horizontale, dont l'ALDA est maître d'ouvrage, reliant la tête du réseau, qui héberge les équipements actifs, au point de raccordement technique (PRT) de chacun des immeubles du lotissement ; dans les immeubles collectifs, une partie verticale, également dénommée « colonne montante », sous maîtrise d'ouvrage du syndicat des copropriétaires de l'immeuble, qui permet de relier le PRT à un point de branchement optique situé à chaque étage, par un câble comportant un brin de fibre par local à desservir ; enfin la partie desservant les prises terminales optiques à l'intérieur de chacun des locaux. L'ALDA fournit à ses membres, sur ce réseau, un service de communications électroniques, dont le coût de fonctionnement est couvert par une cotisation annuelle par mètre carré acquittée par les membres de l'association au titre des charges générales, qu'ils l'utilisent ou non.

Deux sociétés intervenues comme prestataires pour la réalisation de travaux de fibrage d'immeubles en copropriété, après s'être vues proposer par l'ALDA une convention de mise à disposition de brins de fibre jusqu'au pied de certains immeubles collectifs du lotissement du domaine d'Avoriaz, ont demandé en vain à celle-ci de leur transmettre une convention d'accès à ce réseau au titre des dispositions de l'art. L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques. Ces sociétés ayant saisi l'ARCEP, la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI) de l'ARCEP, estimant que le réseau déployé par l'ALDA relevait du champ d'application des dispositions de l'art. L. 34-8-3 et des décisions prises pour son application, et que l’ALDA avait méconnu l'obligation de faire droit aux demandes d'accès raisonnables et de publier une offre d'accès a, par une décision du 19 juillet 2022, mis cette association en demeure de respecter cette obligation, conformément à ces dispositions et aux art. 6, 8 et 10 de sa décision n° 2010-1312 au plus tard le 19 juillet 2023. L'article 2 de la décision attaquée fait obligation à l'ALDA de justifier, au plus tard le 19 septembre 2023, du respect de cette échéance.

L'ALDA a demandé au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir cette décision. Sa requête est rejetée.

Tout d’abord, il est jugé que c’est sans erreur de droit ni appréciation inexacte de la matérialité des faits que l’ARCEP a considéré qu’entrait dans le champ d’application des dispositions de l’art. L. 38-8-3 du code précité, le déploiement par l’ALDA d’un réseau de télécommunication à haut débit par fibre optique décrit ci-dessus, qui dessert chacun des locaux de ses membres, et dont le déploiement a été supervisé par l’ALDA. Si la réalisation de la partie verticale du réseau, située dans les copropriétés membres de l'association, relève de leur compétence, il ressort des pièces du dossier que l'ALDA assure la réception des travaux de fibrage réalisés par le maître d'œuvre choisi par la copropriété et la connexion à la partie horizontale du réseau, au niveau des points de raccordement technique situés en pied d'immeuble, qui sont sa propriété. En outre, ce réseau est constitué de plusieurs chemins continus en fibre optique permettant de desservir des utilisateurs finals afin de leur fournir des services de communications électroniques.

Ensuite, ce lotissement est situé sur la commune savoyarde de Morzine qui se trouve en zone moins dense au sens des décisions de l’ARCEP. Le réseau de communications électroniques par fibres optiques déployé par l'ALDA, n'a pas été conçu selon l'architecture propre aux boucles locales optiques en zones moins denses, telle que précisée par la décision n° 2010-1312, s'agissant notamment, de la localisation des points de mutualisation potentiels et du nombre de locaux qu'ils desservent.

A l’argument de l'ALDA selon lequel la mise en conformité de son réseau avec cette architecture représenterait un coût avoisinant son budget annuel total, le juge répond qu’il ressort notamment des écritures de l'ARCEP, que l'exécution de la mise en demeure litigieuse implique seulement que l'ALDA fournisse aux opérateurs tiers qui le demandent un accès aux lignes déployées jusqu'à l'utilisateur final à partir de points de mutualisation, et de publier une offre précisant les modalités de cet accès sans imposer à l'ALDA aucune architecture de réseau déterminée. Dès lors doit être écarté le moyen tiré de ce que la décision litigieuse mettrait à la charge de l’ALDA des obligations qui ne sont ni raisonnables, ni proportionnées au regard des objectifs mentionnés à l'art. L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques et des exigences des dispositions de l'art. L. 34-8-3 de ce code et reposerait sur une erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, le juge aborde un point de procédure contentieuse auquel il apporte une solution aussi audacieuse que bien venue.

En l’espèce, est rejetée une requête tendant à l'annulation d'une décision dont l'exécution a été suspendue par le juge administratif statuant en référé. En principe un tel rejet a pour effet que la décision suspendue trouve ou retrouve application dès le prononcé de cette décision juridictionnelle de rejet. Toutefois, et c’est ici l’innovation intéressante, le Conseil d’État décide que s'il apparaît que cet effet est de nature à faire naître des difficultés de tous ordres, il appartient au juge administratif, le cas échéant d'office, de préciser les conditions dans lesquelles sa décision prendra effet. C’est ce qu’il fait ici en décidant que l'exécution de la décision attaquée ayant été suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'État du 24 octobre 2022, les délais de douze et quatorze mois impartis à l'ALDA par la décision du 19 juillet 2022 pour, d'une part, faire droit aux demandes raisonnables d'accès à son réseau FttH et publier une offre d'accès conformément à l'article L. 34-8-1 du code des postes et des communications électroniques et, d'autre part, en justifier auprès de l'ARCEP, courront à nouveau à compter de la notification de la présente décision.

Reste que l’on peut demeurer dubitatif, en matière de communications électroniques et autres, sur le degré d’intrusion des autorités publiques en cause dans les choix privés de personnes privées à l’intérieur de leur propriété privée comme sur l’énormité des pouvoirs de contrainte dont sont assorties ces intrusions.

(19 juin 2023, Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA), n° 467719)

 

8 - Obligation d’indiquer sa civilité sur un site de commande ou d’abonnement de la SNCF - Collecte illicite car proposant un genre binaire et portant atteinte au principe de minimisation des données - Renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’association requérante a saisi la CNIL d’une plainte contre le site de la SNCF collectant et enregistrant la civilité des clients lors de l'achat de billets de train, de cartes d'abonnement et de réduction sur le site internet ou les applications de la société au motif qu’il méconnaissait certaines dispositions du règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit RGPD.

La CNIL ayant fait savoir que cette plainte était clôturée, les faits reprochés ne constituant pas des manquements au RGPD.

L’association saisit d’un recours en annulation de cette décision de clôture en faisant valoir que les clients de la SNCF doivent indiquer obligatoirement leur civilité, en ayant ainsi le choix entre deux mentions, « Monsieur » ou « Madame », ce qui ne serait pas licite  au sens du a) du paragraphe 1 de l'art. 5 du RGPD, car elle ne repose sur aucun des fondements prévus par le paragraphe 1 de l'art. 6, et méconnaît les principes de minimisation de la collecte des données et d'exactitude également prévus par les c) et d) du paragraphe 1 de l'art. 5 et, enfin, la SNCF ne respecte pas les exigences en termes de transparence et d'information qu'impliquent le a) du paragraphe 1 de l'art. 5 et l'art. 13. Elle soutient que l'entreprise ne devrait pas recueillir de telles données ou devrait, à tout le moins, proposer une ou plusieurs possibilités supplémentaires, telles que « neutre » ou « autres ». 

Bottant en touche, les juges du Palais-Royal renvoient à la Cour de Luxembourg le soin de répondre deux questions préjudicielles :

1°/ d’abord la question de savoir s'il peut être tenu compte, pour apprécier le caractère adéquat, pertinent et limité à ce qui est nécessaire de la collecte de données au sens des dispositions du c) du paragraphe 1 de l'art. 5 du RGPD et la nécessité de leur traitement au sens des b) et f) du paragraphe 1 de l'art. 6 du RGPD, des usages couramment admis en matière de communications civiles, commerciales et administratives, de sorte que la collecte des données relatives aux civilités des clients, limitée aux mentions « Monsieur » ou « Madame », pourrait être regardée comme licite, sans qu'y fasse obstacle le principe de minimisation des données, car cette question soulève une difficulté d'interprétation du droit de l'Union européenne, déterminante pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'État.

2°/ la question de savoir si, pour apprécier la nécessité de la collecte obligatoire et du traitement des données relatives à la civilité des clients, et alors que certains clients estiment qu'ils ne relèvent d'aucune des deux civilités et que le recueil de cette donnée n'est pas pertinent en ce qui les concerne, il y a lieu de tenir compte de ce que ceux-ci pourraient, après avoir fourni cette donnée au responsable de traitement en vue de bénéficier du service proposé, exercer leur droit d'opposition à son utilisation et à sa conservation en faisant valoir leur situation particulière, en application de l'art. 21 du RGPD.

La cour de renvoi se serait sans doute passée de devoir trancher une question fort à la mode, fashion ou fashionista, dirons-nous et gentiment provocatrice sans doute propice aux débats profonds et aux invectives de tous ordres.

(21 juin 2023, Association MOUSSE, n° 452850)

9 - Traitement automatisé de données à caractère personnel - « Service de garantie de l'identité numérique » du ministère de l'intérieur et de l'Agence nationale des titres sécurisés - Identification et authentification auprès de divers organismes au moyen d’une carte d’identité à composant électronique - Ingérence disproportionnée dans les droits des personnes - Risque de profilage - Principe de limitation des finalités du traitement - Identification d’une personne à partir de sa photographie - Absence - Rejet.

L’association requérante invoquait plusieurs moyens, tous rejetés, au soutien de sa demande d’annulation du décret du 26 avril 2022 autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Service de garantie de l'identité numérique » et abrogeant le décret du 13 mai 2019 autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Authentification en ligne certifiée sur mobile ».

Dans ces sortes de litiges on a l’impression d’assister à un dialogue de sourds : le plaideur dénonce les risques inhérents à ces procédés et le juge exonère l’administration de toute turpitude, notamment parce que les dispositifs mis en place n’ont pas pour finalité d’attenter à la vie privée, ou autres, des usagers de ces systèmes. C’est encore heureux dans une démocratie ! En réalité la question n’est pas là : elle est de savoir si, techniquement et par l’effet d’une volonté humaine, fût-elle dévoyée, un tel mécanisme est susceptible de « déraper ». S’il y a le moindre risque de réponse positive à cette question cela modifie très profondément l’exigence de légalité. Ce mécanisme ne devrait pouvoir être dit conforme aux droits des personnes que s’il comporte en lui-même et indépendamment de la volonté de ses concepteurs et maîtres d’œuvre, le moyen de faire obstacle à ce qu’il puisse en être ainsi. L’angélisme ne saurait être un ressort de l’action politique car selon l’impérissable formule de Montesquieu « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » (De l’Esprit des lois, L. XI, chap. IV).

En bref, il convient de s’interroger sur le point de savoir si, en cette matière, il ne convient pas de recourir systématiquement au contrôle « en tant que ne pas » (cf. Assemblée, 16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646, concl. Y. Aguila, AJDA 2006 p. 320)

Cette affaire illustre parfaitement ce très grave malentendu.

Lorsque la requérante soutient que le 3° (« données relatives à l'historique des transactions réalisées par l'usager ») de l'article 2 du décret attaqué méconnaît les principes de limitation des finalités du traitement et de minimisation des données, prévus par l'article 5 du RGDP, et constituerait une ingérence disproportionnée dans les droits des personnes concernées, le juge lui répond que ces données « sont étrangères aux transactions financières que ce dernier peut être amené à réaliser en ligne (…) mais visent les opérations d'utilisation de ce moyen. Le traitement de ces données, dont le décret prévoit, conformément d'ailleurs à l'avis de la CNIL, qu'elles sont limitées à un nombre maximal de transactions fixé par les responsables de traitement, permet à l'utilisateur de conserver la trace de ces opérations et, le cas échéant, de vérifier qu'aucune d'elles n'a été réalisée à son insu ». On croit rêver : 1) comment ai-je le moyen de savoir et/ou de prouver cette réalisation à mon insu ? 2) comment puis-je savoir qu’enregistrée en toute transparence, telle donnée me concernant n’a pas été utilisée à d’autres fins et, naturellement, non pas réalisée mais utilisée à mon insu ?

Quand la demanderesse invoque le risque de profilage par le moyen d’un tel système est-il pertinent et réaliste de lui répondre que le décret litigieux « n'a ni pour objet, ni pour effet d'autoriser un tel profilage » ? C’est encore heureux qu’il en soit ainsi et cela n’a rien de glorieux dans une démocratie ! La question est toute autre : en quoi et comment le décret empêche-t-il qu’à partir des données dont il permet la collecte et la conservation un profilage de l’utilisateur ne pourra pas être établi ?

Quand, encore, il est soutenu que les dispositions relatives au droit d’accès des agents des services responsables de traitement peuvent rendre possible la communication des données à des tiers, est-il judicieux de répondre que ces dispositions « n'ont pas pour objet, et ne pourraient avoir légalement pour effet, d'autoriser ces agents à transmettre à un tiers, notamment à des personnes en litige avec un usager, les informations relatives à une opération d'utilisation du moyen d'identification électronique qu'il a réalisée, une telle transmission n'étant possible que sur le fondement d'une disposition dérogeant à l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration qui fait obstacle à la communication aux tiers des documents administratifs mettant en cause la protection de la vie privée des personnes. » ? Là encore, c’est le moins que l’on puisse attendre d’une démocratie !

La question est de savoir comment s’assurer que cette absence d’autorisation suffit à entraîner ipso facto son respect effectif, sa non-violation ? 

Enfin, dire que tout va bien parce que « le décret attaqué n'autorise pas les responsables de traitement à mettre en œuvre un traitement permettant d'identifier la personne physique à partir de sa photographie » est tout sauf rassurant : là encore, il ne s’agit pas de savoir ce que le décret permet ou autorise mais seulement si et jusqu’à quel point il empêche de survenir ce qu’il n’autorise pas.

C’est tout le problème de savoir si ce type de mécanisme dont on veut bien croire qu’il n’a pas été institué à des fins mauvaises ne fournit cependant pas nécessairement - par son existence même, ce qu’il contient, etc. - les moyens de la commission d’infractions diverses au moyen de données personnelles « récupérées ».

(26 juin 2023, Association DataRing, n° 465329)

 

10 - Ressortissant français autorisé à l’étranger à changer de sexe, de nom et de prénom - Demande d’effacement de ses anciennes données personnelles recueillies en 2019 à l’occasion d’une commande - Refus partiels de la CNIL - Rejet.

Cette question et cette personne ont déjà été évoquées dans cette Chronique. Suite à un changement de sexe, de nom et de prénom autorisé aux États-Unis, l’intéressée a demandé à la CNIL de traiter sa réclamation contre une société refusant de modifier ses données personnelles antérieures à sa transformation, recueillies à l’occasion d’une commande. La CNIL, après avoir ordonné la modification de l'adresse de messagerie électronique figurant dans son compte client, a clôturé la plainte dont elle avait été saisie. C’est de ces décisions qu’est demandée l’annulation.

La requête est rejetée.

D’abord, la société a mis à jour les informations du compte client de l'intéressée et lui a en outre proposé de masquer les éléments relatifs à la commande de 2019 dans la page d'accueil de son compte. Ensuite, le rapprochement du prénom masculin et du prénom mixte dans les données à caractère personnel détenues par la société concernant Mme D., ne fait pas apparaître, directement ou indirectement, une donnée relative à son identité de genre. En tout état de cause, à supposer que le responsable de traitement conserve d'autres mentions, comme la civilité de Mme D., permettant, par rapprochement avec les données relatives à son changement de patronyme, de révéler indirectement cette identité de genre, la conservation de ces données est légalement justifiée. Enfin, dès lors que la décision de clôture de plainte par la CNIL est exclusivement fondée sur ce que les données à caractère personnel en cause ne présentent pas un caractère inexact et n'avaient donc pas vocation à être rectifiées, et sur ce qu'elles sont par ailleurs conservées par la société dans le cadre des obligations légales auxquelles elle est soumise, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à se plaindre de ce que cette décision présenterait un caractère discriminatoire et méconnaîtrait ainsi le principe de non-discrimination garanti par l'art. 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les art. 225-1 et 432-7 du code pénal, ni qu'elle serait constitutive d'une violation de l'article 8 de la convention EDH.

(26 juin 2023, Mme D., n° 466856)

(11) V. aussi, rejetant (mais a-t-on jamais vu le Conseil d’État adopter une solution différente en cette hypothèse ?) un recours gracieux contre la décision du 12 juillet 2021 portant clôture de la plainte du requérant relative à la suppression de données personnelles le concernant figurant dans le rapport d'activité 2010 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) : 30 juin 2023, M. C., n° 460269.

 

12 - Obligations faites à certains opérateurs ou fournisseurs d’accès - Conservation des données permettant l'identification de tout créateur d'un contenu mis en ligne - Catégories de données devant être conservées par les opérateurs de communications électroniques - Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne, pris en application du II de l'art. 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et celle du décret du 20 octobre 2021 relatif aux catégories de données conservées par les opérateurs de communications électroniques, pris en application de l'art. L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques.

Tous les moyens soulevés sont rejetés, notamment ceux tirés de la conservation :

- des données relatives à l'identité civile de l'utilisateur (obligation qui n’est pas disproportionnée au regard des finalités poursuivies, qui ne soulève pas de difficulté d’interprétation et dont la conservation est nécessaire alors même que les opérateurs ne seraient pas tenus de certifier ou vérifier les adresses postales et électroniques),

- des données relatives aux autres informations fournies par l'utilisateur lors de la souscription du contrat ou de la création d'un compte car ces « données destinées à permettre à l'utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier », qui recouvrent les canaux de communication déclarés au préalable par l'utilisateur pour permettre la récupération de comptes, ne permettent nullement de conserver les mots de passe et des données d'authentification des utilisateurs,

- des données relatives au paiement car ce grief est dirigé contre un décret jugé contraire au droit de l’Union dont il n’est pas établi qu’il a été pris en exécution d’une loi qui serait elle-même contraire à ce droit ou dont cette loi constituerait sa base légale ; au surplus, contrairement à ce qui est soutenu, les données relatives au lieu d'une transaction physique ne sauraient être regardées comme des données de localisation, dont la conservation ne pourrait avoir pour finalité que la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et la sauvegarde de la sécurité nationale. Ces données sont, par suite, adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités poursuivies.

 - de celles relatives à la source de connexion et aux équipements terminaux utilisés car sont couvertes par cette obligation les seules adresses IP à l'origine de la communication, par opposition aux obligations de conservation prévues par le V de l'art. R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques, qui autorise également la conservation des données techniques permettant d'identifier le ou les destinataires de la communication,

- de celles concernant les données de trafic ou de localisation car les données en cause, qui constituent parfois les seuls éléments de preuve permettant de prévenir et de réprimer des agissements menaçant la sauvegarde de la sécurité nationale, sont nécessaires au regard des finalités poursuivies.

(30 juin 2023, Sociétés Free, Free mobile et Scaleway, n° 459724 ; Sociétés Free et Free mobile, n° 459726, jonction)

(13) V. aussi, rejetant le recours formé par une partie des requérantes précédentes et par des particuliers tendant à l’annulation du  décret du 17 octobre 2022 portant injonction, au regard de la menace grave et actuelle contre la sécurité nationale, de conservation pour une durée d'un an de certaines catégories de données de connexion, cette exigence ne portant pas une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales, et en particulier au droit au respect de la vie privée dès lors qu’il est justifié de l'existence d'une menace grave et actuelle ou prévisible contre la sécurité nationale (persistance d'un risque terroriste élevé, dont la menace islamiste sunnite demeure le principal vecteur, menace terroriste projetée depuis la zone syro-irakienne à laquelle s'ajoutent notamment les répercussions en France de l'instabilité géopolitique au Sahel ; caractère évolutif de cette menace avec l'émergence de profils terroristes dotés d'une autonomie croissante, sur les plans idéologique et opérationnel, par rapport aux acteurs établis sur le territoire d'États étrangers ; menace, sur le territoire national, résultant du nombre élevé de personnes condamnées ou détenues pour terrorisme, ainsi que de délinquants de droit commun radicalisés ; exposition particulière de la France au risque d'ingérence et d'espionnage dans le contexte de la guerre en Ukraine ; menaces graves pour la paix publique, liées à une augmentation de l'activité de groupes radicaux et extrémistes de l'ultra-droite et de l'ultra-gauche ; enfin, menace cybernétique élevée, avec des tentatives récentes d'attaques déjouées sur les systèmes financiers et les systèmes industriels, notamment sur les opérateurs d'importance vitale) : 30 juin 2023, M. C. et M. D., n° 468361 ; Sociétés Free et Free mobile, n°469712.

 

14 - Journal hebdomadaire - Demande de mise en œuvre de traitements automatisés en vue d’élaborer un palmarès des hôpitaux et cliniques – Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) - Consultation d’un organisme ad hoc (CESREES) – Invocation d’insuffisances méthodologiques – Existence d’un intérêt public à cette publication – Qualité de l’information donnée au public – Rejet.

Voilà une décision de justice qui n’est guère satisfaisante tout comme l’était la décision administrative négative à l’origine de ce contentieux.

L’hebdomadaire Le Point publie régulièrement un « Palmarès » des hôpitaux et cliniques au vu d’une batterie de critères eux-mêmes pondérés.

En vue de son palmarès portant sur les années 2022 à 2024 la société requérante a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en vue d’être autorisée à mettre en œuvre des traitements automatisés à des fins de recherche, d'étude ou d'évaluation nécessitant un accès aux données du programme de médicalisation des systèmes d'information, qui est l'une des composantes du système national des données de santé.

La SEBDO demande l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 20 octobre 2022 par laquelle la CNIL a rejeté sa demande d'autorisation.

De nombreux moyens sont soulevés à l’appui de ce recours, ils sont tous rejetés.

Tout d’abord c’est à bon droit et dans des conditions régulières qu’avant de répondre à la demande d’autorisation dont elle était saisie la CNIL a sollicité des avis du comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (CESREES). Ces avis furent négatifs au motif que le projet serait dépourvu d'intérêt public, dès lors que la publication envisagée serait susceptible d'induire en erreur le public en raison de ses insuffisances méthodologiques. Ces avis sont jugés n’être pas irréguliers ni quant à leur forme, notamment la complétude de leur motivation, ni quant à leur fond.

Ensuite, le juge reconnaît que ce palmarès ne constituant pas une publication scientifique émanant d'un organisme de recherche ou d'une autorité publique, mais un traitement à des fins journalistiques établi par un organisme de presse à destination des lecteurs de la revue qu'il diffuse, afin de les informer sur la qualité de la prise en charge par les établissements de santé et de les éclairer sur leurs mérites comparés, la circonstance que les choix méthodologiques de la SEBDO ne sont pas étayés par la littérature scientifique, ainsi que le relève la CNIL en se référant à l'avis du CESREES, ne saurait faire obstacle à la caractérisation de l'intérêt public d'une publication de cette nature.

Toutefois, le juge met une limite à ce droit d’informer  en retenant à la charge du responsable du traitement l’obligation d'apporter les garanties méthodologiques et de transparence propres à éviter que les lecteurs ne puissent être induits en erreur sur ce classement du fait du caractère sensible du choix d’un établissement de santé par le patient, et de l'influence qu'est susceptible d'exercer sur celui-ci ce palmarès.

Enfin, les atteintes ainsi portées à la liberté de la presse comme à celles d’expression et d’information sont jugées n’être point disproportionnées.

 

On dira notre désaccord sur le glissement opéré dans le raisonnement et qui résulte d’un faussement généralisé de l’analyse juridique : il n’appartient pas à l’organisme saisi d’une demande de communication de données de la nature de celles en cause, en violation totale du principe de bonne foi comme de celui de la présomption d’innocence, de présumer à tout coup et ici de façon irréfragable (à preuve cette décision), leur mésusage certain par le demandeur.

En cas de mauvaise utilisation éventuelle, donc ex-post, il appartient aux personnes ou entités concernées et se prévalant d’un préjudice direct et certain, de saisir la justice en vue de condamnation et/ou d’indemnisation. Faut-il rappeler ce principe cardinal du droit des libertés qui est d’être fondamentalement un régime répressif et non préventif car confiance est faite en la capacité du citoyen à se bien comporter dans l’utilisation des libertés dont il est, par nature, titulaire à titre originaire.

Au reste, le juge lui-même introduit un facteur de contradiction lorsqu’il relève que la publication par Le Point de son palmarès, depuis près d’un quart de siècle, se caractérise par son ancienneté, sa notoriété, sa large diffusion comme son utilisation par certains organismes d'assurance maladie complémentaire dans les conseils qu'ils délivrent à leurs assurés pour l'orientation de leur parcours de soins. Croit-on que s’il ne s’était agi, depuis l’origine, que d’indications peu sérieuses, ces caractères eussent été obtenus et eussent perduré ? Nous croyons voir là, réunis jusqu’à la caricature, tous les indices d’une erreur manifeste d’appréciation.

Cette façon de faire est fâcheuse car elle donne à une opinion publique peu encline à croire ce que lui disent les pouvoirs publics et les administrations les moyens d’apercevoir dans cette censure voire ce musèlement, l’indice qu’il y a des choses à cacher.

(30 juin 2023, Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO), n° 469964)

 

Biens et Culture

15 - Domaine public fluvial - Détermination - Convention d’occupation domaniale - Superposition d’affectations d’une même parcelle domaniale - Régime - Rejet.

La société requérante a conclu avec Voies navigables de France (VNF) une convention d’occupation   domaniale l’autorisant à installer des infrastructures permettant la mise en œuvre de son réseau de télécommunications dans le sous-sol d'un fossé adjacent à la route départementale n° 3 entre les villes de Spycker et Bierne (Nord). Estimant que cette convention d’occupation était illégale pour avoir été conclue incompétemment par VNF car la dépendance en cause relevait du domaine public routier du département, la société a, en conséquence, demandé la restitution des redevances versées entre janvier 2004 et mars 2015 y compris les intérêts capitalisés. Si le tribunal a fait droit à sa demande, sur appel de VNF, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement.

La société se pourvoit en cassation de cet arrêt ; elle est déboutée en ses deux griefs : l’appartenance des lieux à la fois au domaine public fluvial et au domaine routier départemental par superposition d’affectations et la compétence de gestion domaniale de VNF.

Tout d’abord, le juge rappelle l’existence et la juridicité du mécanisme de la superposition domaniale. Il confirme ainsi l’arrêt querellé en ce qu’il a souverainement jugé qu'il résultait d'un rapport de l'inspection générale des ponts et chaussées de 1859, d'une lettre du ministère des travaux publics de 1882 et d'un procès-verbal de récolement de 1912 que le canal de la Colme était bordé, sur tout son cours et ses deux rives, de digues artificielles permettant d'en assurer la sûreté. Elle a également relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, qu'il résultait de la configuration des lieux, dont témoignaient plusieurs photographies produites par les parties, que le talus sur lequel reposait la route départementale n° 3, d'une largeur au demeurant modeste, formait, en ce compris le fossé situé en contrebas de l'accotement de la route opposé au canal, un tout indissociable constitutif d'un ouvrage de défense des berges du canal. Elle a pu en déduire sans erreur de droit que, contrairement à ce que soutenait la société Lumen Technologies France, le fossé en cause constituait une dépendance du domaine public fluvial et avait pu légalement faire l'objet d'une convention d'occupation à ce titre. 

Ensuite, le juge de cassation confirme encore l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que l'affectation supplémentaire de la digue au domaine public routier était compatible avec son affectation initiale au domaine public fluvial, que la circonstance que le fossé en cause constitue également l'accessoire de la route départementale ne faisait pas par elle-même obstacle à son appartenance au domaine public fluvial et, partant, à la compétence de VNF pour en autoriser l'occupation. 

(05 juin 2023, Société Lumen Technologies France, n° 466548)

16 - Occupation domaniale sans droit ni titre - Exercice d’un référé « mesures utiles » - Compétence du préfet et, sur sa délégation, du sous-préfet pour introduire ce référé au nom de l’État  - Appréciation souveraine des faits - Rejet.

Passant outre le refus préfectoral opposé à sa demande, le requérant a installé un corps-mort sur le sol de la mer en baie de Capicciola à Zonza (Corse-du-Sud). Constatant l’infraction, le préfet a saisi le juge du référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) en vue qu’il ordonne l'expulsion de M. B., lui enjoigne de remettre les lieux dans leur état naturel sous astreinte et autorise l'État à y procéder, le cas échéant, d'office. C’est ce qu’a décidé l’ordonnance de référé.

Le contrevenant, dans le pourvoi formé contre cette ordonnance, contestait et la forme et le fond.

Sur la forme, il soutenait que le préfet ne pouvait pas représenter l’État  dans cette instance et qu’ainsi sa demande était irrecevable. Rejetant ce moyen, le Conseil d’État fonde cette compétence du préfet sur ce qu’en tant qu’autorité domaniale il doit veiller à l'utilisation normale et au maintien de l'intégrité du domaine public et exercer à cet effet les pouvoirs qu'il tient de la législation en vigueur notamment en saisissant le juge administratif des référés en vue qu’il prononce toute mesure utile, spécialement l'expulsion d'un occupant sans droit ni titre du domaine public maritime.

En outre, il était loisible au préfet de donner délégation au sous-préfet de Sartène à l’effet de signer les recours juridictionnels et les mémoires en l’absence simultanée du secrétaire général de la préfecture et du directeur de cabinet du préfet. Or ici il n’est pas démontré que ces deux fonctionnaires n'auraient été ni absents, ni empêchés. D’où il suit que le sous-préfet a pu saisir le juge d’un référé « mesures utiles ».

Sur le fond, le Conseil d’État  retient que c’est par une appréciation souveraine des faits et sans les dénaturer que le juge des référés a fondé l’existence de l'urgence à ordonner l'expulsion de M. B. de l'emplacement qu'il occupait, sur la sensibilité environnementale de la zone de Capicciola et sur la nécessité de respecter les zones de mouillages définies par les autorités compétentes.

(05 juin 2023, M. B., n° 467295)

17 - Occupation domaniale sans droit ni titre - Occupation d’un abattoir et d’une salle de découpe municipaux - Indemnisation - Prise en compte du comportement éventuellement fautif du gestionnaire du domaine - Annulation partielle.

La commune de Forges-les-Eaux a demandé au tribunal administratif la condamnation de la société Groupe Bigard à l'indemniser, d'une part, à raison du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'occupation sans titre, entre le 1er mars 2010 et le 19 novembre 2015, d'un abattoir et d'un atelier de découpe constituant des dépendances de son domaine public, d'autre part, à raison des frais exposés pour la remise en état de ces locaux. La société Groupe Bigard se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif du 12 avril 2022 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement par lequel la société requérant a été condamnée à verser à la commune une certaine somme assortie des intérêts moratoires.

Pour sa défense la société requérante faisait valoir, s’agissant de la période s’étendant du 1er mars 2010 au 15 novembre 2011 que sa responsabilité n’était pas engagée à raison de la faute commise par la commune du fait de son attitude ambiguë concernant la régularité de sa situation. Cette dernière, après avoir, par des délibérations des 7 novembre 2005, 30 mars 2006 et 2 juin 2008, autorisé la cession pour un euro symbolique, au profit de la société Arcadie Centre Est, aux droits de laquelle elle est venue, puis à son profit, de l'abattoir et de l'atelier de découpe, s’est abstenue de lui réclamer une redevance au titre de l'occupation de ces dépendances et cette situation s'était poursuivie sans changement jusqu'au 15 novembre 2011, date à laquelle le conseil municipal avait rapporté ces délibérations.

La cour avait rejeté cette argumentation en retenant que la société ne pouvait utilement se prévaloir d'actes pris par la commune avant le début de la période au titre de laquelle l'indemnité d'occupation était demandée. Ce raisonnement est annulée - et fort justement -, le  Conseil d’État  rappelant opportunément que dans l’hypothèse - qui est celle de l’espèce - où l'autorité gestionnaire du domaine public n'a pas mis l'occupant irrégulier en demeure de quitter les lieux, ne l'a pas invité à régulariser sa situation ou a entretenu à son égard une ambiguïté sur la régularité de sa situation, ces circonstances, sont de nature, le cas échéant, à constituer une cause exonératoire de la responsabilité de l'occupant, dans la mesure où ce comportement du gestionnaire serait constitutif d'une faute. Cette solution est logique, le droit de la responsabilité administrative reprenant, même en matière domaniale, tout son empire.

Ce point est donc renvoyé à l’examen de la cour.

Pour ce qui est de la période suivante en litige (15 novembre 2011-19 novembre 2015) l’évaluation du montant de l’indemnisation due à la commune par la requérante telle qu’appréciée par la cour est, pour sa majeure partie, approuvée par le juge de cassation notamment parce qu’elle tombe sous l’exercice, par le juge d’appel, de son pouvoir souverain non argué de dénaturation.

Au passage, on relèvera que, répondant à un moyen de la demanderesse selon lequel l’expertise effectuée à la demande de la commune par un expert qu’elle a désigné n’avait pas été contradictoire, le juge le rejette motif pris de ce que ce rapport avait bien été soumis au contradictoire des parties dans le cadre de l’instance.

(05 juin 2023, Société Groupe Bigard, n° 464879)

18 - Transfert du domaine colonial ultra-marin dans certains départements d’outre-mer - Parcelles originairement transférées au service des eaux et forêts - Délibérations d’un conseil général sans effet sur le transfert de propriété - Rejet.

La loi du 19 mars 1946 qui a érigé en départements les anciennes colonies (dites Quatre Vieilles) de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane française leur a transféré la propriété de l'ancien domaine colonial, public et privé, sous réserve des modifications apportées à sa consistance par l'application des lois alors en vigueur en France métropolitaine. Le décret d’application du 6 novembre 1947 relatif à l'attribution de l'ancien domaine colonial dans les mêmes départements a défini la procédure permettant de répartir l'affectation de ces biens entre l'État, les départements et les communes, en renvoyant à un arrêté interministériel le soin de déterminer, à l'issue de cette procédure, pour chaque département, la nouvelle affectation des biens de l'ancien domaine colonial.

L'arrêté interministériel du 30 juin 1948 procède à cette répartition selon des tableaux qui lui sont annexés. Le § 2 du I du tableau I, relatif aux immeubles du domaine privé attribués à l'État, mentionne au point 59-256 les : « bois, broussailles et forêts du domaine privé colonial comprenant le massif forestier central et quelques petites forêts isolées en Guadeloupe, Grande-Terre, Marie-Galante, d'environ 22 155 ha », lesquels sont remis en gestion au service des eaux et forêts du ministère de l'agriculture, devenu depuis l’Office national des forêts (ONF).

Le syndicat requérant, qui revendique la propriété de plusieurs parcelles sur le territoire de la Guadeloupe, dont l’une est située dans la commune de Goyave, recherche l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des finances a rejeté sa demande d'abroger, dans cette mesure, l'arrêté interministériel du 30 juin 1948 précité.

Le recours est rejeté car, contrairement à ce qui est soutenu, l’arrêté attaqué n’est pas entaché d’illégalité comme étant contraire à une délibération du 20 décembre 1909, confirmée par une délibération du 11 juin 1921, par laquelle le conseil général de la Guadeloupe aurait procédé, au profit de ce syndicat, à un transfert de propriété. En effet, par sa délibération du 20 décembre 1909, ce conseil général a bien émis un vote de principe selon lequel le syndicat des petits planteurs à Sainte-Rose devait être « déclaré propriétaire de la portion des terres du domaine dont les membres ont sollicité la concession et sur laquelle ils ont déjà des plantations » et cette prise de position a bien été confirmée lors de sa séance du 11 juin 1921. Toutefois, ces délibérations, alors même que le conseil général était compétent en matière d'aliénation des biens de la colonie, ne sauraient être regardées comme ayant eu pour effet, par elles-mêmes, de procéder à un tel transfert de propriété.

Le syndicat ne peut donc soutenir qu’est illégal le refus implicite d’abroger l’arrêté attaqué.

La solution est discutable car elle revient à opposer à une opération de transfert survenue en 1909 et 1921 les règles régissant ce transfert issues de textes postérieurs de près de quarante années.

(06 juin 2023, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet-Sainte-Rose, n° 459588)

19 - Entreprise de spectacles vivants - Demande d’agrément provisoire - Crédit d’impôt - Conditions (art. 220 quindecies CGI) - Rejet.

La société requérante, s’étant vu refuser l’agrément provisoire qu’elle avait sollicité afin de bénéficier du régime du crédit d’impôts institué par l’art. 220 quindecies du CGI pour les entreprises organisatrices de spectacles vivants saisit le juge de cassation d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel infirmatif du jugement qui lui avait donné gain de cause.

Le pourvoi est rejeté car le Conseil d’État  approuve l’interprétation donnée par la cour de l’activité d'entrepreneur de spectacles vivants, au sens de l'article L. 7122-2 du code du travail pour l’application des dispositions de l’art. 220 quindecies précité.

Il en résulte que, compte tenu de l’objectif législatif de soutien aux petites entreprises et de pérennisation des emplois artistiques, l'entrepreneur de spectacles vivants souhaitant obtenir l'agrément provisoire lui ouvrant le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 220 quindecies du CGI, s’il n’a pas l’obligation d’être l'employeur effectif de la totalité du plateau artistique, doit cependant, pour obtenir l’agrément, avoir la responsabilité du spectacle, c'est-à-dire, comme l'a jugé la cour, participer à sa création aux côtés des auteurs, compositeurs, chorégraphes et metteurs en scène, être ainsi responsable du choix, de la préparation et de la mise en œuvre de ce spectacle, ce qui implique nécessairement qu'il soit l'employeur de l'artiste principal ou des artistes principaux du spectacle. Cette condition n’est pas remplie en l’espèce et le pourvoi est rejeté sans qu’y puisse faire obstacle l’allégation, inexacte, que cette exigence d’être employeur de l'artiste principal ou des artistes principaux du spectacle porterait atteinte au principe de libre prestation de services.

(06 juin 2023, Société Bleu Citron Productions, n° 459024)

20 - Conservatoire du littoral et des rivages lacustres - Intégration de parcelles occupées et mises en valeur par un exploitant déjà en place en vertu d’un bail rural - Combinaison entre domanialité publique et régime du bail rural - Rejet.

La présente décision se signale à l’attention du lecteur par l’importance des questions théoriques qui y sont abordées mais aussi par ses incidences pratiques. Elle précise et prolonge une jurisprudence récente à propos d’un bail commercial dans une configuration un peu voisine (21 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n° 4645050 ; V. cette Chronique, décembre 2022, n° 17).

Le Conservatoire du littoral a acquis des parcelles dont l’une est occupée par un exploitant agricole titulaire d’un bail rural en cours d’exécution. Il a demandé au juge administratif de constater l'occupation et l'utilisation sans titre par ce dernier du domaine public, constitutives d’une contravention (cf. art. L. 322-10-4 du code de l'environnement), de le condamner au paiement d'une amende, de lui enjoindre d'évacuer et de remettre les lieux en état dans un délai de quinze jours sous astreinte, de l'autoriser en cas d'inexécution dans un délai d'un mois à procéder d'office aux remises en état aux frais du contrevenant, de lui permettre le cas échéant de recourir au concours de la force publique, et enfin de se réserver le droit de liquider les astreintes prononcées. Le Conservatoire se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a annulé le jugement condamnant l’occupant au paiement d'une amende, lui enjoignant d'évacuer les lieux dans un délai de neuf mois sous astreinte et de les remettre au Conservatoire dans l'état dans lequel ils se trouvaient au 1er janvier 2017, a autorisé le Conservatoire à recourir le cas échéant au concours de la force publique.

Le pourvoi est rejeté au terme d’une décision particulièrement constructive en l’état d’un droit positif assez lacunaire en la matière.

1 - Analyse théorique

En premier lieu est posé le cadre juridique de l’inclusion de parcelles sous bail rural en cours lors de leur acquisition par le Conservatoire du littoral et donc de leur inclusion dans le domaine public de cet établissement public administratif.

Positivement, le bail rural constitue, jusqu'à son éventuelle dénonciation, un titre d'occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d'une contravention de grande voirie pour s'être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public. Négativement, ce contrat de bail ne peut pas, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu'il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. 

En second lieu, est construit par le juge le modèle des deux catégories de solutions juridiques possibles à partir de ce double constat.

1°/ Après l'incorporation au domaine public de terres mises en valeur par un exploitant, le Conservatoire peut dénoncer le bail rural encore en cours, mettant ainsi fin à cette occupation et privant, par suite, l'exploitant du droit et du titre d'occupation procédant de ce bail. En ce cas, si le conservatoire juge compatible l'usage des biens relevant de son domaine propre et l’exploitation agricole, il peut proposer de conclure avec ce même exploitant, qui dispose pour la poursuite de son activité d'une priorité en vertu des dispositions de l'article L. 322-9 du code de l’environnement, ou, en l'absence d'accord avec celui-ci, avec un autre exploitant, une convention d'usage temporaire et spécifique permettant un usage des terres compatible avec les missions confiées à l'établissement public comme, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré en application de l'art. R. 322-13 du même code.

2°/ Si après l’incorporation au domaine public le bail conclu antérieurement à celle-ci n'est pas dénoncé et au plus tard jusqu'à sa prochaine échéance - date à laquelle, en tout état de cause, le régime de la domanialité publique fait obstacle à ce qu'il puisse être renouvelé -, il est loisible au conservatoire de laisser l'occupant, en vertu du titre dont il dispose et qui procède du bail initial, poursuivre à titre précaire cette occupation associée à une exploitation agricole, en se fondant sur les clauses de ce bail qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au conservatoire.

3°/ Dans tous les cas, une exploitation agricole des biens incorporés au domaine propre de l'établissement public qui porte atteinte à l'intégrité ou à la conservation de ce domaine constitue, en vertu de l'art. L. 322-10-4 du code de l'environnement, et sans préjudice des sanctions pénales encourues, une contravention de grande voirie qu'il appartient au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres de constater, réprimer et poursuivre par voie administrative. 

Le juge ne le dit pas mais il est évident que c’est là une obligation du Conservatoire qui commettrait une faute en n’assurant pas la prééminence domaniale sur le bien exploité.

2 - Application au cas de l’espèce

 La cour administrative d’appel a jugé que le bail rural, dont la validité a été reconnue jusqu'au 30 mars 2022 par un jugement du 15 mai 2019 du tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon, ne pouvait pas, en dépit d'une vaine invitation adressée par le Conservatoire à son titulaire de signer une convention d'usage temporaire et spécifique au cours de l'année 2014, être regardé comme dénoncé à la date d'établissement du procès-verbal d'infraction du 28 mars 2018. Elle en a déduit que l’exploitant présent sur les lieux à la date d'incorporation des parcelles dans le domaine public du Conservatoire, ne pouvait être regardé à la date de ce procès-verbal, faute de dénonciation par le Conservatoire du contrat de bail qui le liait au requérant comme un occupant sans droit ni titre de ce domaine. Ce jugeant, la cour n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant qu'à compter du 1er janvier 2017 et jusqu'à son expiration, ce bail a pu néanmoins, jusqu'à sa dénonciation ou son expiration, conférer à son titulaire un droit d'occupation et d'usage précaire sur cette partie du domaine public du Conservatoire.

(07 juin 2023, Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, n° 447797)

21 - Exercice du droit de préemption urbain sur un local commercial - Acquéreur évincé titulaire d’un bail commercial sur ce local -Absence de réalité du projet justifiant la préemption - Annulation sans renvoi.

La Métropole de Lyon a fait usage du droit de préemption sur un local commercial situé à Vénissieux dont le requérant s’était porté acquéreur étant titulaire d’un bail commercial sur ce local. Celui-ci a saisi le juge du référé suspension pour voir suspendre l’exécution de la décision métropolitaine de préemption.

Par ordonnance du 23 novembre 2022, la préemption a été suspendue au motif qu'elle permet à la collectivité de disposer ou d'user du bien litigieux dans des conditions qui rendraient cette décision difficilement réversible et que crée, en l’espèce, un doute sérieux quant à sa légalité la circonstance que la Métropole n'établissait pas la réalité du projet à la date de sa décision de préempter le bien.

Le juge d’appel annule l’ordonnance pour dénaturation des faits de l’espèce car il ressortait des pièces du dossier soumis au juge des référés que la Métropole avait établi, par une délibération, un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat en vue de redynamiser l'offre commerciale du centre-ville de Vénissieux, puis avait identifié, par une autre délibération, le bien préempté comme faisant partie de ce périmètre d'intervention prioritaire, circonstances qu'au demeurant la décision de préemption mentionne.

(08 juin 2023, Métropole de Lyon, n° 469523)

22 - Droit de préemption urbain – Espace en sous-sol – Création de places de stationnement pour des logements sociaux – Nature d’opération d’aménagement – Réalisation nécessaire – Rejet.

Le juge de cassation rejette le pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel qui a rejeté la demande d’annulation de l’exercice, par une commune, de son droit de préemption urbain et approuve la motivation de la cour.

Notamment, il est jugé que l’exercice en l’espèce du droit de préemption, quand bien même il ne porte que sur un lot de copropriété séparé du terrain d'assiette de la construction, participe cependant à la réalisation d'un programme de construction de sept logements sociaux sur un total de douze logements,  a pour objet, par nature, la mise en œuvre d'une politique locale de l'habitat et répond à ce titre aux objets définis à l'art. L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même qu'il ne concourait pas à la mise en œuvre d'un programme local de l'habitat ou d'un programme d'orientations et d'actions d'un plan local d'urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l'habitat. 

Également, ce projet peut être regardé, eu égard à son ampleur et à sa consistance, appréciées dans le contexte de la commune, marquée par une pression spéculative, une faible disponibilité de terrains et un nombre de logements sociaux insuffisant, et au regard de la taille de cette dernière, comme présentant par lui-même le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement. 

Enfin, répond à un intérêt général suffisant l'exercice du droit de préemption pour créer des places de stationnement dont la réalisation est légalement nécessaire à l'opération à laquelle elles participent, alors même que ces places auraient pu être créées dans un parc de stationnement public situé à 700 mètres du projet et que le caractère indispensable au montage financier de l'opération d'aménagement en cause de la construction de logements destinés à la vente ne serait pas établi. 

La solution peut sembler peu respectueuse du droit de propriété et de la liberté des transactions financières dans un souci d’intérêt général très élastique.

(30 juin 2023, M. et Mme D., M. et Mme C., n° 464324)

(23) V. aussi, assez voisin sur les conditions de mise en œuvre du droit de préemption urbain et sur le contrôle du juge : 30 juin 2023, Société MJ Développement - Immobilier et Investissement et Mme A., n° 468543.

24 - Domaine privé - Contestation par un tiers de la décision de renouvellement d’un bail emphytéotique sur une dépendance de ce domaine - Compétence juridictionnelle pour en connaître - Rejet.

Réitérant une solution jurisprudentielle relativement récente (T.C. 22 novembre 2010, Sarl Brasserie du théâtre, n° 3764) déjà entérinée par le juge administratif (7 mars 2019, Commune de Valbonne, n° 4147629), le juge rappelle ici que la contestation par une personne privée de l'acte par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, engage avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance relève normalement de la compétence du juge judiciaire. Il indique ensuite que seule la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l'annulation de la délibération d'un conseil municipal autorisant la conclusion d'une convention ayant pour objet la mise à disposition d'une dépendance du domaine privé communal et de la décision du maire de la signer. 

(28 juin 2023, Société Voltalia, n° 456291)

 

25 - Association syndicale autorisée (ASA) – Ordonnance du 1er juillet 2004 – Redevances syndicales – Objet – Titre exécutoire - Conditions de répartition entre les propriétés – Rejet.

Rappel et application à l’espèce que les redevances syndicales, qui ont pour objet d'assurer la répartition entre les propriétaires, membres de l'association, des dépenses que celle-ci assume conformément à ses missions, essentiellement constituées par des frais de réalisation de travaux ou d'ouvrages et d'entretien de ceux-ci, doivent être établies annuellement et réparties en prenant en considération l'intérêt de chaque propriété à l'exécution de ces missions. 

C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a pu décider qu'en l'absence d'incidence effective des aménagements effectués dans la propriété de la SCI Giboulo sur l'intérêt de cette dernière à l'exécution des missions de l'ASA, la répartition des dépenses résultant de la délibération du syndicat de l'association en date du 24 janvier 2019 avait méconnu l'intérêt de chaque propriété à l'exécution des missions de l'ASA, et juger que le titre exécutoire litigieux était fondé sur une base illégale au regard des dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires.

(30 juin 2023, Association syndicale autorisée des propriétaires du lotissement Le Logis Desmoulins, n° 463895)

 

26 - Occupation du domaine public – Refus d’autorisation - Plan de sauvegarde et de mise en valeur d’une commune – Absence de modification de l’état d’immeubles – Erreur de droit – Substitution de motif impossible en cassation car supposant l’appréciation de circonstances de fait - Annulation.

Est entaché d’erreur de droit l’arrêt d’appel qui estime régulier le refus d’une autorisation domaniale fondé sur les prescriptions du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune  alors que la demande refusée n'emportait pas de modification de l'état d'immeubles. 

Par ailleurs est refusée la demande de substitution de motif formée par la commune, celle-ci étant impossible dès lors qu’elle implique l'appréciation de circonstances de fait.

(30 juin 2023, Société Ice Thé, n° 465802)

Collectivités territoriales

27 - Polynésie française – Régime de navigation des navires autonomes et des drones maritimes – Répartition des compétences entre l’État et la collectivité de Polynésie française – Rejet.

Une ordonnance du 13 octobre 2021 relative aux conditions de navigation des navires autonomes et des drones maritimes a été prise, en vertu de l’art. 38 de la Constitution, sur le fondement de l’habilitation donnée au gouvernement par le III de l’art. 135 de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. La Polynésie française en demande l’annulation en tant qu’elle s’applique à cette collectivité par l’effet du 11° du texte précité.

La requête est rejetée.

Les griefs tirés de ce que l’ordonnance excéderait la portée de l’habilitation accordée au gouvernement par le parlement et serait contraire à  l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la règle de droit sont rejetés.

L’essentiel de la critique reposait sur le non-respect par l’ordonnance attaquée des règles de répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française telle que régie par les dispositions des art. 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Le moyen est rejeté.

En premier lieu, en étendant à la Polynésie française les dispositions des articles L. 5000-2, L. 5000-2-1 et L. 5000-2-2 du code des transports qui définissent les navires autonomes et les drones maritimes, le 1° de l’art. 17 de l’ordonnance litigieuse n'ont ni pour objet, ni pour effet de régir la sécurité de la circulation et la navigation dans les eaux intérieures du territoire et elles n'empiètent donc pas sur cette compétence réservée à la Polynésie française par les dispositions des art. 13 et 90 de la loi organique du 27 février 2004.

En deuxième lieu, dès lors que les dispositions du a) du 3° de l’art. 17 du texte attaqué ne régissent pas les conditions d'immatriculation des navires, lesquelles relèvent de la compétence de la Polynésie française mais seulement leur identification visuelle lorsqu’ils sont en circulation, à des fins de contrôle et de sécurité de la navigation dans les eaux territoriales françaises adjacentes à la Polynésie française, à l'exclusion des eaux intérieures, elles relèvent ainsi de la compétence de l'État au titre de la police et de la sécurité de la circulation maritime et n’empiètent donc pas sur la compétence de la Polynésie française en matière d'immatriculation des navires.

En troisième lieu, pas davantage le b) du 3° de ce même art. 17 de l’ordonnance querellée, qui étend en Polynésie française les règles, applicables aux navires, y compris aux drones maritimes, relatives à l'abordage, à l'assistance en mer et aux navires abandonnés, n’empiète pas sur  la compétence de la Polynésie française en tant qu’il porterait sur la procédure civile (sic).

En quatrième lieu, le 5° de l’art. 17 de l’ordonnance, par la rédaction qu’il donne des deux premiers alinéas de l'article L. 5772-1 du code des transports, n’empiète pas non plus sur la compétence de cette collectivité en ce qu’il édicte, d’une part, via l’art. L. 5241-2-1-A du code des transports, des règles générales d'entretien et d'exploitation destinées à assurer la sécurité et la sûreté de la navigation des drones maritimes ainsi que la prévention des risques professionnels et la prévention de la pollution, et permet à l'autorité investie du pouvoir de police en mer qui constate ou suspecte un manquement à ces exigences d'interdire la navigation du drone en cause et, d’autre part, via l’art. L. 5241-3-1 du même code, les conditions de refus ou de retrait d’autorisation à tout navire présentant un risque pour la sûreté et la sécurité des personnes et des biens ou la préservation de l'environnement. Enfin, la même disposition critiquée n’empiète pas plus sur cette compétence car elle ne s’applique pas dans les eaux intérieures de la Polynésie française.

En cinquième lieu enfin, ce même 5° de l’art. 17 de l’ordonnance n’empiète pas sur la compétence de la collectivité territoriale de Polynésie française en ce qu’il y rend applicable la subordination du droit de conduire un drone maritime à la détention d'un titre de conduite en mer et au suivi d'une formation spécifique à la conduite en mer, adaptée à la catégorie et à l'usage du drone en cause.

(16 juin 2023, Polynésie française, n° 460333)

 

28 - Contribution des collectivités territoriales à la réduction des déficits publics et à la maîtrise de la dépense publique - Obligation d’un contrat départemental de consolidation des capacités d'autofinancement des départements et de contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public - Notification unilatérale de ces objectifs en l’absence de signature d’un tel contrat - Rejet.

La collectivité requérante n’ayant pas conclu avec l’État avant le 1er juillet 2018 un contrat de consolidation des capacités d'autofinancement du département et de contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public, prévu par les art. 13 et 29 de la loi du 22 janvier 2018, le préfet lui a notifié un arrêté fixant le niveau maximal annuel de ses dépenses réelles de fonctionnement pour les années 2018 à 2020, en retenant un taux de croissance annuel, par rapport à ses dépenses réelles de fonctionnement en 2017, de 1,2 %.

Le département se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif qui a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté litigieux.

Le pourvoi est rejeté en raison de ce que la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, a défini un indice correspondant, pour les cinq années en cause, à un taux de croissance annuel de 1,2 % par référence aux dépenses réelles de fonctionnement de ces collectivités en 2017. Semblablement, le critère fixé au 3° du B du IV de l’art. 29 de cette loi permettant une majoration du taux de croissance annuel des dépenses réelles de fonctionnement défini à l'article 13 doit s'apprécier au regard de la moyenne de l'évolution constatée chaque année entre 2014 et 2016 des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités de la même catégorie.

Doit donc être rejeté l’argument du département requérant fondé sur ce que devrait être retenue l'évolution globale de ces dépenses calculées sur l'ensemble de cette période. La cour administrative d’appel a pu juger, sans erreur de droit, que l'évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités de la même catégorie à prendre en compte pour l'application de ce critère devait s'entendre comme la moyenne de l'évolution annuelle des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités de la même catégorie pour chaque année entre 2014 et 2016 et non comme l'évolution globale, sur cette période, de ces mêmes dépenses.

(28 juin 2023, Département des Côtes-d’Armor, n° 454054)

 

29 - Engagement de servir des policiers municipaux - Remboursement des frais de formation en cas de rupture de l’engagement - Inconstitutionnalité - Exercice incomplet du pouvoir réglementaire - Atteinte au principe d’égalité - Enrichissement injustifié des collectivités - Insécurité juridique - Rejet.

Les fédérations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1920 du 30 décembre 2021 pris pour l'application de l'art. L. 412-57 du code des communes relatif à l'engagement de servir des policiers municipaux en tant qu’il dispose que la somme correspondant au coût de la formation due par un fonctionnaire des cadres d'emploi de la police municipale rompant son engagement de service est fixée en fonction, d'une part, d'un montant dépendant du cadre d'emploi auquel il appartient et, d'autre part, de la date à laquelle intervient cette rupture d'engagement.

Les requêtes, jointes, sont rejetées.

Les dispositions législatives dont s’agit n’ayant pas été transmises au Conseil constitutionnel car le Conseil d’État a rejeté la QPC soulevée à leur encontre, le décret attaqué ne saurait être dit inconstitutionnel par voie de conséquence.

Le pouvoir réglementaire a exercé pleinement la compétence conférée par l’article précité.

Se bornant à exécuter les dispositions de ce dernier article, le décret litigieux ne saurait être argué d’atteinte au principe d’égalité et au droit de propriété en ce qu’il impose aux seuls fonctionnaires stagiaires de la police municipale, parmi les fonctionnaires territoriaux soumis à une formation initiale, une durée minimale d'engagement de servir et une obligation de remboursement en cas de rupture anticipée de cet engagement. Pas davantage ne saurait-il être considéré comme portant une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées garantis par les articles 8 et 14 de la convention EDH et par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention. 

Dès lors que les communes ou établissements publics ayant imposé un engagement de servir s'acquittent d'une cotisation obligatoire, la FAFPT n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir qu'il résulterait des dispositions du décret contesté un enrichissement injustifié au profit de ces communes ou établissements publics.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions attaquées du décret ne présentent aucune difficulté particulière d'interprétation, elles ne peuvent donc être regardées comme une source d'insécurité juridique ni ne méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

(30 juin 2023, Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics (FAFPT), n° 461888 ; Fédération Interco CFDT, n° 461953, jonction)

Contrats

30 - Marché de conception-réalisation d’un hôpital - Avance forfaitaire versée à un sous-traitant agréé - Résiliation du marché aux torts de ce sous-traitant - Émission d’un titre exécutoire en remboursement de l’avance forfaitaire versée - Annulation pour défaut de décompte général et définitif - Erreur de droit - Annulation et décision au fond.

Le litige concerne un marché conclu sous l’empire des dispositions, principalement, des art. 87 et 88 du code des marchés publics, désormais codifiés en substance sous les art. R. 2191-11 et R. 2191-12 du code de la commande publique.

En vue de la construction d’un nouvel hôpital a été conclu un marché de conception-réalisation entre le centre hospitalier de la commune de Capesterre Belle-Eau (Guadeloupe) et la société Alfa Bâtiment, mandataire d'un groupement d'entreprises. Le pouvoir adjudicateur a accepté la société Savima en qualité de sous-traitant pour l'exécution d'une partie d’un lot « Menuiserie extérieure brise soleil » et agréé ses conditions de paiement pour un certain montant. Cette société a obtenu une avance forfaitaire de 20 % du montant des travaux sous-traités. A la suite de la cession partielle, au profit de la société Saint Landry, des actifs de la société Alfa Bâtiment, placée en redressement judiciaire, le centre hospitalier a constaté l'absence de reprise du chantier, informé la société Savima de la résiliation du marché aux torts de la société Saint Landry et émis un titre exécutoire à l’encontre de la société Savima pour un montant correspondant au remboursement de l'avance forfaitaire sur travaux qui lui avait été versée.

Cette société a saisi le juge administratif et au terme de cette procédure l’arrêt d’appel a été annulé. Le Conseil d’État  statue en l’espèce pour la seconde fois, saisi, cette fois par le centre hospitalier, de l’arrêt de renvoi qui, annulant le jugement du tribunal administratif, annule le titre exécutoire et déboute le centre hospitalier en son appel.

Le Conseil d’État  est à la cassation et statue, par suite, comme juge d’appel.

Deux précisions sont apportées, la première concerne la récupération des avances accordées, la seconde est relative à la délicate question du décompte général et définitif dans les circonstances de l’espèce.

1 - En premier lieu, concernant le régime de récupération des avances accordées et versées au titulaire d'un marché, le juge déduit des dispositions précitées, d’une part, que le maître d'ouvrage a la faculté d'imputer le remboursement des avances par précompte sur les sommes dues au titulaire du marché à titre d'acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde et, d’autre part, que cette solution s'applique aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct (dit aussi « privilège de pluviôse »), tel étant le cas en l’espèce.

De là découle cette conséquence que la circonstance que le marché soit résilié avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant déduction faite des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.

S’agissant d’apprécier les prestations réalisées par le sous-traitant, le maître d'ouvrage doit consulter le titulaire du marché pour s'assurer que ces conditions remplies.

Naturellement, si la résiliation du marché est intervenue pour faute, le remboursement de l'avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l'exécution de prestations prévues initialement au marché.

2 - En second lieu, lorsque le contrat prévoit l'établissement d'un décompte général et définitif, la créance détenue par le maître de l'ouvrage sur le titulaire de celui-ci ne peut être dite avoir un caractère certain et exigible et donc faire l'objet d'un titre exécutoire à défaut d'un tel décompte, même dans l'hypothèse d'une résiliation du marché.

En revanche, il ne résulte d’aucun principe non plus que d’aucun texte et notamment pas des dispositions des art. 6 et 8 de la loi 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, ni de celles des art. précités du code de la commande publique, ni de celles des art. 115 et 116 du code des marchés publics alors en vigueur que l'exigibilité de la créance que détient le maître d'ouvrage sur le sous-traitant, notamment pour le remboursement des avances qu'il a versées à ce dernier, soit subordonnée à l'établissement préalable d'un décompte général et définitif. La cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que la créance du centre hospitalier sur la société Savima, au titre du remboursement des avances reçues en qualité de sous-traitante, n'était ni certaine ni exigible au motif qu'aucun décompte de résiliation du marché n'avait été établi au préalable. 

(01 juin 2023, Centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, n° 462211)

(31) V. aussi, dans cette affaire, avec identique solution : 01 juin 2023, Centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, n° 462213.

32 - Contrat de concession d’un aérodrome - Annulation par le Conseil d’État  - Attribution à une autre société - Contestation par un candidat évincé dont l’offre est irrégulière - Appréciation de l’intérêt à agir - Annulation.

A la suite de l’attribution de la concession de l’aérodrome de Tahiti-Faa’a à la société Vinci Airports, la société Egis Airport Operation, candidate évincée pour offre irrégulière, a saisi le juge du référé précontractuel sur le fondement de l'art. L. 551-24 du CJA, lui demandant d'enjoindre à l'État, à titre conservatoire, de différer la signature de cette concession, dans la limite de vingt jours et d'annuler l'ensemble des décisions qui se rapportent à l'attribution de cette concession.

Le juge saisi a annulé la procédure de passation de la convention.

La société attributaire se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

A cette occasion le juge rappelle que la circonstance que l'offre d'un concurrent évincé, auteur du référé précontractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, pour contester l'attribution du contrat, de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire. Il dispose en effet d’un intérêt lui donnant qualité pour agir.

En revanche, il est ajouté ici cette précision importante et logique que si le caractère irrégulier de l’offre du candidat évincé a été jugé par une décision juridictionnelle devenue définitive annulant la décision d’attribution du contrat, ce candidat n’ayant plus d’intérêt à conclure le contrat, n’est plus habilité à agir contre la nouvelle décision attribuant le contrat après reprise de la procédure.

Le juge du référé précontractuel de première instance a commis une erreur de droit en faisant droit à la demande de la société Egis Airport Operation alors qu’elle pas de qualité lui donnant intérêt à agir.

(01 juin 2023, Société Vinci Airports, n° 468930)

33 - Solde du paiement du lot d’un marché public - Référé provision (art. R. 541-1 CJA) - Levée des réserves antérieure à l’établissement du projet de décompte final - Créance ne pouvant être regardée comme non sérieusement contestable - Annulation et rejet.

La société de construction Floriot a demandé au juge du référé provision du tribunal administratif la condamnation du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision d’un certain montant, assortie des intérêts moratoires, en règlement du solde du lot A « structures clos et couvert - partitions - finitions » du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public - privé de Voiron. Elle s’est pour cela fondée sur un décompte général et définitif.

Déboutée en première instance elle a interjeté appel, le juge des référés de la cour administrative d’appel, annulant partiellement l’ordonnance de rejet, a accordé une provision.

Le centre hospitalier universitaire de Grenoble Alpes se pourvoit en cassation de cette dernière ordonnance.

Le Conseil d’État  accueille le pourvoi en estimant irrégulière en l’espèce la procédure suivie dans le cadre du marché et, en conséquence, en déniant à la créance de cette société un caractère « non sérieusement contestable ».

Tout d’abord, de la combinaison des art. 13.3.1, 13.3.2, 41.3 et 41.5 du CCAG applicable aux marchés publics de travaux, le juge déduit d’abord que, lorsque dans les trente jours suivant la date du procès-verbal des opérations préalables à la réception le maître de l'ouvrage ne notifie au titulaire aucune décision expresse de réception ou de refus de réception, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire. Il déduit ensuite de cela que le point de départ du délai de trente jours pendant lequel le titulaire doit (cf. art. 13.3.2 du CCAG), transmettre son projet de décompte final, est alors déterminé au regard de la proposition du maître d'œuvre relative à la réception. Spécialement, si le maître d'œuvre propose de réceptionner l'ouvrage au moins en partie sous réserves, le délai ouvert au titulaire pour transmettre son projet de décompte final court à compter du procès-verbal de levée de ces réserves, y compris, le cas échéant, pour les travaux qu'il propose de réceptionner sans réserves ou avec réserves.

Le juge des référés de la cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en estimant d’abord que si la proposition du maître d'œuvre de réceptionner les travaux sous réserves obligeait la société de construction Floriot à lever les réserves, elle ne faisait pas obstacle à ce que celle-ci notifie son projet de décompte final avant le procès-verbal de levée de ces réserves et, en suite, que cette notification faisait courir le délai imparti au maître d'ouvrage pour transmettre le décompte général.

En suite de l’annulation de l’ordonnance d’appel, le Conseil d’État  - dans le souci d’une bonne administration de la justice (cf. art. L. 821-2 CJA) - se prononce directement au fond sur la demande de référé provision rejetée par le tribunal administratif.

Le juge relève qu’il résulte de l'instruction que les opérations préalables à la réception des travaux se sont déroulées le 4 juin 2021 en présence du maître d'œuvre, du maître d'ouvrage et du titulaire, et que, le 7 juin 2021, le maître d'œuvre a proposé au centre hospitalier de réceptionner l'ouvrage, avec effet du 7 juin 2021, d'une part, sous réserve de plusieurs épreuves, dont l'obtention de l'avis favorable de la commission de sécurité, ainsi que de travaux et prestations, et, d'autre part, avec des réserves portant sur des imperfections et malfaçons.

Or le centre hospitalier n'a notifié aucune décision de réception à la société de construction Floriot dans le délai de quarante-cinq jours qui lui était imparti (cf. art. 9.2.3. du CCAP), par dérogation au délai de trente jours fixé par l'article 41.3 du CCAG. En outre, aucune pièce versée au dossier ne peut être regardée comme révélant que le centre hospitalier aurait manifesté clairement et publiquement sa décision de réceptionner ou de refuser de réceptionner l'ouvrage.

En conséquence de ce qui a été indiqué plus haut la proposition du maître d'œuvre de réceptionner l'ouvrage sous réserves s'est imposée au centre hospitalier et à la société de construction Floriot et elle a eu pour effet de reporter le déclenchement du délai ouvert à cette dernière pour transmettre son projet de décompte final au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre à la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux, objets de ces réserves.

Cependant, aucun procès-verbal constatant l'exécution de ces travaux n'avait été établi avant que la société de construction Floriot transmette son projet de décompte final au centre hospitalier et au maître d'œuvre par courriers du 19 août 2021, reçus le 23 août 2021. Par suite, cette transmission était prématurée et n'a pas pu faire courir le délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2 du CCAG, ni donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 de ce cahier.

C’est pourquoi, ne pouvant se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite, la société de construction Floriot, ne détient pas à l'encontre du centre hospitalier une créance non sérieusement contestable au sens de l'art. R. 541-1 du CJA.

C’est sans erreur de droit que, par son ordonnance attaquée, le premier juge a rejeté la demande de provision dont l’avait saisi la société demanderesse.

(01 juin 2023, Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, n° 469268)

34 - Marché à bons de commande - Société se portant candidate en s’inscrivant par erreur sur un casier numérique relatif à un autre marché - Marchés ayant même date limite de remise des offres et des candidatures - Candidature et offre non retenues pour le marché en litige - Absence de manquement aux obligations de l’acheteur - Rejet.

La société Routière de la Vallée de la Marne (RVM) a fait acte de candidature et déposé une offre dans le cadre d’un marché relatif à la réalisation de travaux de séparation de réseaux unitaires sur l'agglomération de Château-Thierry (par ailleurs, ville natale de Jean de La Fontaine).

Son offre et sa candidature n’ont pas été prises en considération car la société les a déposées par erreur dans un autre casier numérique que celui dédié à ce marché et qui concernait un autre marché dont la date limite de dépôt des offres et des candidatures était la même que celle du marché litigieux.

Sur le fondement des art. L. 551-1 et suivants du CJA, le juge du référé, saisi par cette société,
a annulé la procédure de passation du marché à compter du stade de l'examen des candidatures et des offres et enjoint à la communauté d'agglomération de la région de Château-Thierry, sauf si elle entendait renoncer à passer le marché, de reprendre la procédure de passation à compter de ce stade. 

Sur pourvoi de la communauté d’agglomération l’ordonnance est annulée au double motif que le pouvoir adjudicateur n’était pas tenu d'informer la candidate que son offre avait été déposée dans le cadre d'une autre consultation que celle à laquelle elle voulait postuler et qu’il ne pouvait pas rectifier de lui-même l'erreur de dépôt ainsi commise sauf dans le cas où l’erreur aurait résulté d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public. C’est là une curieuse conception de la loyauté contractuelle.

Quand l’exigence de forme tourne au fétichisme...

(01 juin 2023, Communauté d'agglomération de la région de Château Thierry, n° 469127)

35 - Marché public de travaux - Éléments d’équipements d’un ouvrage - Garantie décennale - Exclusion de la garantie pour les éléments ayant pour fonction exclusive l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage (art. 1792-7 Code civil) - Inapplicabilité aux marchés publics de travaux de l’exception tirée l’art. 1792-7 du Code civil - Rejet.

De la solution donnée par le Conseil d’État  à un litige né du fonctionnement défectueux d'une centrale à eau glacée et d'une centrale de traitement d'air on retiendra deux confirmations et une innovation.

Tout d’abord le juge confirme une solution traditionnelle en rappelant que les désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité du constructeur, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

Ensuite, est également confirmée, d’une part, la possibilité que soit recherchée  la responsabilité décennale du constructeur pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination, d’autre part, l’impossibilité d’engager la responsabilité décennale du constructeur lorsque les désordres affectent un élément d'équipement faisant obstacle au fonctionnement normal de cet élément si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

Ensuite et surtout, répondant à un moyen du demandeur à la cassation tiré de ce que l’art. 1792-7 du Code civil dispose que « Ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage », le juge énonce avec une certaine brutalité et sans s’expliquer que ces dispositions ne sont pas applicables à la garantie décennale à laquelle sont tenus les constructeurs au titre de marchés publics de travaux.

Il faut avouer n’être pas convaincu par la logique (s’il y en a une…) d’une telle exclusion. Quel(s) particularisme(s) revêt un marché public de travaux, dans sa conception, dans sa réalisation technique ou autre, permettant de justifier cette mise à l’écart de l’art. 1792-7 du Code civil ?

(05 juin 2023, Société Rousseau, n° 461341)

36 - Marché public - Cession de créance - Condition d’opposabilité - Notification au comptable public assignataire - Rejet.

En l’espèce, la société Iemants, d'une part, et les sociétés VCF TP Lyon, Vinci construction maritime et fluvial et Lyonnaise d'éclairage composant, avec la société Cordioli, le groupement d'entreprises avec lequel la communauté urbaine de Lyon a conclu un marché pour la réalisation des travaux de construction du pont Robert Schuman à Lyon, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la métropole de Lyon, venue aux droits de la communauté urbaine de Lyon, à leur verser le solde de la créance revenant au groupement au titre du règlement financier de ce marché, qui avait par ailleurs fait l'objet, à la demande de la société Iemants, d'un procès-verbal de saisie-attribution pour avoir paiement de la condamnation de la société Cordioli prononcée par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre. Le tribunal administratif de Lyon a condamné la métropole de Lyon à verser à la société Iemants la somme de 656 812,99 euros et a rejeté la demande des sociétés VCF TP Lyon, Vinci construction maritime et fluvial et Lyonnaise d'éclairage tendant au versement de cette même somme. Ces trois dernières sociétés ont interjeté, en vain, appel de ce jugement.

La société Campenon Bernard Centre-Est, venant aux droits de la société VCF TP Lyon, et les deux autres sociétés déboutées se pourvoient en cassation contre l'arrêt qui a rejeté leur appel.

La société Cordioli a conclu le 3 août 2015 avec la société VCF TP Lyon un protocole transactionnel stipulant que celle-ci lui verserait la somme forfaitaire de 1 203 267,99 euros et qu'en contrepartie, les sommes définitives auxquelles la société Cordioli pourrait prétendre au titre du décompte général et de la transaction à conclure avec la métropole de Lyon, seraient directement versées à la société VCF TP Lyon par la métropole, la société Cordioli s'engageant en outre à rembourser, le cas échéant, toutes les sommes qu'elle pourrait percevoir du maître d'ouvrage à compter de la signature de ce protocole transactionnel.

Il est tout d’abord jugé que la cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les stipulations de ce protocole quand, après avoir relevé dans les motifs de son arrêt que la société Cordioli avait transféré, par ce protocole transactionne, à la société VCF TP Lyon, l'ensemble des droits qu'elle détenait sur la métropole de Lyon au titre du solde du marché en litige ;  la cour a estimé qu'il devait être regardé comme une cession de créance.

Or il résulte des dispositions de l’art. 107 du code des marchés publics, qui était alors en vigueur, que « Le bénéficiaire d'une cession (...) de créance au titre d'un marché public notifie ou signifie cette cession (...) au comptable public assignataire. Ce bénéficiaire encaisse seul, à compter de cette notification ou signification au comptable, le montant de la créance ou de la part de créance qui lui a été cédée (...) ». La cour n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que la société VCF TP Lyon était tenue de notifier la cession de créance au comptable public assignataire pour la rendre opposable à la métropole de Lyon. Ce ne fut point le cas et c’est sans aucune faute contractuelle que la métropole, comme jugé par la cour, a refusé de verser à la société VCF TP Lyon les sommes correspondant à la créance initialement détenue par la société Cordioli. 

Enfin, dès lors que le protocole transactionnel du 3 août 2015, faute de notification régulière, n'était pas opposable à la métropole de Lyon, ne peut qu’être écarté le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la saisie-attribution pratiquée sur la même créance le 28 août 2015 par la société Iemants avait conféré à celle-ci la qualité de créancier de la métropole de Lyon.

(09 juin 2023, Sociétés Campenon Bernard Centre Est, Vinci Construction maritime et fluvial et Lyonnaise d'éclairage, n° 462649)

 

37 - Contrat de mise à disposition d’une commune de deux résidences mobiles – Résiliation anticipée du contrat – Demande d’indemnisation – Absence de préjudice – Rejet.

Le litige portait sur l’indemnisation réclamée par la requérante du chef du préjudice subi par le fait de la résiliation anticipée du contrat de mise, par elle, à disposition de la commune de deux résidences mobiles.

L’action est rejetée en première instance pour défaut de liaison du contentieux et en appel pour défaut de préjudice.

Deux points retiennent l’attention même s’ils sont d’évidence.

 

En premier lieu, est jugé irrecevable l’appel incident de la commune contre le jugement qui ne lui fait pas grief.

En second lieu, le titulaire d'un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé si et seulement s’il établit la réalité de ce préjudice. Ce n’est pas le cas dans le présent litige.

(30 juin 2023, Société Les halles foréziennes, n° 462498)

Droit du contentieux administratif

38 - Sursis à l’exécution d’un jugement - Moyen d’erreur de droit sérieux - Risque de perte définitive d’une somme - Sursis ordonné.

Dans un litige en recouvrement de la taxe d’habitation où le tribunal avait déchargé la contribuable de son paiement, il est sursis à l’exécution de ce jugement car sont réunies les deux conditions requises à cet effet : 1° le moyen tiré de l’erreur de droit commise par le tribunal paraît, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, l'infirmation de la solution qu’il a retenue ; 2° l'exécution immédiate de ce jugement exposerait l'administration à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans l'hypothèse où ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement seraient reconnues fondées par le Conseil d'État, et il est donc susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables. 

(01 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 467626)

39 - Requête entachée de forclusion - Impossibilité de régularisation - Requête manifestement irrecevable au vu des pièces du dossier - Production d’un mémoire complémentaire annoncée ou sollicitée - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une requête entachée de forclusion, laquelle n’est pas susceptible d'être régularisée, a été rejetée comme manifestement irrecevable (cf. 4° de l'art. R. 222-1 CJA), une telle tardiveté ressortant de façon certaine des pièces produites à l'appui de la requête. Par ailleurs, il ne résulte ni des dispositions des art. R. 222-1 et R. 612-1 du CJA, ni d'aucune autre disposition ou principe, que, pour rejeter l'appel de la requérante comme manifestement irrecevable, l'auteur de l'ordonnance attaquée ait été tenu d'attendre la production du mémoire complémentaire annoncé dans la requête ni de mettre en demeure la requérante de le produire en application de l'art. R. 612-5 du CJA.

(07 juin 2023, Mme B., n° 458264)

40 - Contestation d’un arrêté préfectoral - Saisine directe du juge du référé « mesures utiles » du Conseil d’État  - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable le recours porté directement devant le juge des référés du Conseil d’État statuant sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA en tant qu’il demande l’annulation de l’arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales interdisant la mise à disposition sur les pontons des ports d'une alimentation en eau potable pour les plaisanciers et que soient ordonnées toutes autres mesures utiles de nature à inciter les plaisanciers à restreindre les quantités d'eau utilisée pour nettoyer leurs bateaux. 

(07 juin 2023, M. A., n° 474712)

 

41 - Pourvoi en cassation - Délai de distance - Pourvoi en cassation d’un jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie - Tardiveté - Rejet.

Il résulte des dispositions combinées des articles R. 421-7, R. 751-8, R. 811-5 et R. 821-1 du CJA que le délai de pourvoi en cassation ouvert à un requérant ne résidant pas en Nouvelle-Calédonie et dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif de ce territoire est de deux mois augmenté du délai de distance de un mois à compter de la notification du jugement.

En l’espèce, qui concernait un litige en matière de titre de pension, le haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie a notifié au ministre défendeur le 9 septembre 2021 le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie annulant le titre de pension litigieux de sorte que le pourvoi introduit le 19 mai 2022 était inexorablement entaché de forclusion, d’où son irrecevabilité et son rejet.

(09 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 464180)

 

42 - Article L. 761-1 CJA - Somme attribuée excédant celle demandée - Annulation.

Encourt annulation l’arrêt d’une cour d’appel qui, alors qu’avait été demandée l’attribution d’une somme de 1500,00 euros au titre de l’art. L. 761-1 CJA (dépens ou somme mise à la charge de la partie perdante), a condamné l’autre partie à verser 2000,00 euros.

(09 juin 2023, Société Firalis, n° 465530)

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et cotisation foncière des entreprises - Détermination de la base d’imposition - Confusion entre le montant d’immobilisations et leur valeur locative - Contradiction entre motifs et dispositif d’un arrêt d’appel - Annulation.

Un arrêt statuant dans un litige en réduction du supplément de cotisation foncière des entreprises et de cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties mis à la charge de la contribuable, estime au point 17 des motifs que deux immobilisations inscrites à l'actif du bilan d’une société pour un prix de revient total de 92 200 euros devaient être exclues de la base d'imposition de la cotisation foncière des entreprises due par cette société au titre des années 2015, 2016 et 2017. Puis, à l’art. 2 du dispositif, l’arrêt prononce la réduction des bases d'imposition de la cotisation foncière des entreprises à laquelle la société avait été assujettie au titre de ces années à hauteur de cette somme.

Sur pourvoi du ministre, le Conseil d’État  relève une contradiction entre les motifs de l’arrêt et son dispositif dès lors que la réduction de la base d'imposition de la cotisation foncière des entreprises résultant de l'exclusion de ces immobilisations était égale, non à ce montant, mais à la valeur locative des immobilisations en cause, calculée après application des coefficients de revalorisation, des taux d'intérêt et des abattements mentionnés à l'article 1499 du CGI.

La cassation était ainsi inévitable.

(09 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466930)

 

44 - Délivrance d’un permis de construire par le maire d’une commune - Litige en matière de taxe d’aménagement - Imposition d’État  - Commune non partie à l’instance - Impossibilité de mettre les dépens à sa charge - Annulation.

A la suite de la délivrance d’un permis de construire ont été émis des titres de perception de la taxe d’aménagement, lesquels ont été annulés par jugement du tribunal administratif. Celui-ci a mis, en outre, à la charge de la commune, au titre de l’art. L. 761-1 du CJA, les frais irrépétibles.

Soulevant d’office ce moyen d’ordre public, le Conseil d’État  rappelle que cette taxe étant une imposition d’État, la commune ne pouvait être partie à l’instance ouverte à son sujet et qu’elle ne pouvait donc être condamnée sur le fondement de l’art. L. 761-1 précité.

(09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468940)

(45) V. aussi, identiques : 09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468941 ; 09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468943 ; 09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468944.

 

46 - Enseignement secondaire - Mutation d’un enseignant d’un lycée à un autre - Intérêt du service - Absence de nom du requérant sur la minute de l’ordonnance rendue à sa demande - Annulation.

Encourt annulation l’ordonnance de référé qui, en violation des dispositions de l’art. R. 742-2 du CJA, ne comporte pas sur sa minute « le nom des parties » et se borne à ne mentionner que les initiales du requérant.

(12 juin 2023, M. B., n° 468684)

 

47 - Jugement enjoignant, sous astreinte, de reloger les requérants – Liquidation provisoire d’une astreinte – Décision de ne pas procéder à une nouvelle liquidation de l’astreinte – Absence d’invitation préalable des parties à présenter leurs observations – Irrégularité – Annulation.

Un jugement du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région d'Île-de-France, d'assurer le relogement des requérants et celui de leurs trois enfants, sous astreinte à compter du 1er mars 2010. Puis, ce tribunal, constatant le défaut d'exécution de son jugement, a liquidé provisoirement l'astreinte pour la période comprise entre le 1er mars 2010 et le 30 juin 2011. Enfin, constatant l'absence de tout élément récent au dossier et l'ancienneté du jugement ayant ordonné, sous astreinte, le relogement des demandeurs, le tribunal a jugé, sur le fondement du deuxième alinéa de l'art. R. 778-8 du CJA, qu'il n'y avait pas lieu de procéder à une nouvelle liquidation de l'astreinte. 

L’ordonnance est annulée  car elle a été rendue au terme d’une procédure irrégulière, le juge
n’ayant pas, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations sur l'exécution de l'injonction prononcée (cf. l’art. précité du CJA).

(13 juin 2023, M. et Mme A., n° 468156)

 

48 - Droit de l’urbanisme - Procédure administrative contentieuse – Règle du double degré de juridiction – Décret étendant les cas d’inapplicabilité de la règle – Nature juridique de cette règle – Principe de non-régression – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation du décret n° 2022-929 du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme (parties réglementaires) en tant qu’il porte extension et prolongation de la dispense de l’appel dans certaines domaines du droit de l’urbanisme.

Les requêtes, jointes, sont rejetées.

On relèvera le rappel que la règle (et non pas le principe) du double degré de juridiction est de nature réglementaire et qu’elle ne relève donc que de la compétence des autorités titulaires du pouvoir réglementaire. 

Également, ne sauraient être invoquées ici ni les dispositions de l’art. 8 de la convention d’Aarhus qui, régissant exclusivement les rapports d’État à État, ne sont pas invocables sans l’intervention d’actes complémentaires, ni les dispositions des art. 6 et 16 de la Déclaration de 1789, ni les stipulations du paragraphe 1 des art. 6 et 13 de la convention EDH.

Enfin, et de façon plus originale, est rejeté le moyen tiré du principe de non-régression tiré de ce qu’en supprimant l’appel dans des matières environnementales le décret y porterait atteinte, le Conseil d’État le jugeant inutilement invocable en l’espèce.

(14 juin 2023, Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), n° 466933 ; Conseil national des barreaux et autres, n° 466947 ; Ordre des avocats au barreau de Nantes, n° 466955, jonction)

 

49 - Suspension du permis de construire  (art. L. 521-1 CJA) – Demande de levée de la suspension (art. L. 521-4 CJA) – Office du juge – Annulations des deux ordonnances.

(16 juin 2023, SCI Mésange, n° 470160)

V. n° 213

 

50 - Demande de retrait de fresques pornographiques dans les centres hospitaliers universitaires – Demande jugée devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

L’association requérante demandait que soit ordonné le retrait des fresques à caractère pornographique ornant (sic) les salles de garde. Elle saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation du refus implicite opposé à sa demande par le premier ministre et le ministre chargé de la santé.

Pour dire cette action devenue sans objet et prononcer un non-lieu à statuer le juge relève que par une instruction du 17 janvier 2023, le ministre de la santé a demandé aux directeurs des CHU d'organiser le retrait de l'ensemble des fresques à caractère pornographique et sexiste figurant dans leurs établissements. Si cette instruction indique que ce retrait doit se faire « selon un calendrier qui ménage la concertation avec les parties prenantes locales », l'objectif fixé qui, selon les indications figurant en tête de l'instruction, doit être atteint avant la fin de l'année 2023, n'en est pas moins ferme et précis, et les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) ont reçu pour ordre de décider eux-mêmes le retrait en cas d'inertie de la direction de l'établissement ou à défaut d'accord trouvé localement pour définir les modalités de retrait des fresques. Enfin, la dernière phrase de l'instruction, selon laquelle : « Tout aménagement relatif aux fresques carabines devra être inscrit dans le règlement intérieur et porté à la connaissance de l'ensemble des étudiants », doit être comprise comme signifiant que les étudiants en santé gardent la possibilité d'apposer ou de faire apposer des fresques dans les salles de garde des internats à la condition qu'elles ne présentent pas de caractère pornographique ou sexiste et que la possibilité en soit prévue par le règlement intérieur de l'établissement.

D’où se déduit la perte de son objet initial par l’action introduite et le prononcé subséquent du non-lieu à statuer.

Le lecteur pourra trouver passablement saugrenu le luxe de précautions prises par le juge et l’administration hospitalière pour ménager la susceptibilité d’auteurs de dégradations de bâtiments publics dans une intention picturale dont l’aspect d’intérêt général ne se laisse pas aisément deviner.

(16 juin 2023, Association " Osez le féminisme ! ", n° 462951)

 

51 - Refus d’admission au séjour à Mayotte d’une ressortissante malgache – Production d’un mémoire répondant à une note en délibéré – Mémoire non visé – Absence de conclusion(s) nouvelle(s) ou de faits nouveaux – Rejet.

Dans le cadre d’un recours en référé-liberté contestant le refus du préfet de Mayotte d’admettre au séjour une ressortissante malgache, était, entre autres, invoqué un moyen tiré de ce qu’un mémoire en réponse à une note en délibéré du préfet, déposé avant la clôture de l’instruction, n’avait pas été visé dans l’ordonnance de rejet. Le juge rappelle, ce qui est une solution classique, qu’une telle omission ne saurait entraîner l’annulation de l’ordonnance attaquée dès lors que ce mémoire ne comportait pas de conclusions nouvelles ni, d'ailleurs, d'élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu. 

(ord. réf. 12 juin 2023, Mme B., n° 474708)

 

52 - Frais de procès exposés et non compris dans les dépens - Art. L. 761-1 CJA - Attribution de la charge à la partie perdante - Exigence d’équité - Dispense.

Si, en principe, par application de l’art. L. 761-1 CJA, la charge des frais de procès non compris dans les dépens incombe à la partie perdante, il est jugé en l’espèce, dans un souci d’équité, que compte tenu de sa situation économique très précaire et de la faiblesse de ses revenus, la demanderesse doit être dispensée du paiement de la somme de mille euros réclamée par le centre hospitalier défendeur et qu’avait attribué à ce dernier l’ordonnance du premier juge. Celle-ci est donc, sur ce point, annulée.

(13 juin 2023, Mme B., n° 474766)

 

53 - Pouvoir des juridictions administratives à l’égard de leurs propres décisions - Rectification d’une ordonnance de référé - Compétence exclusive du président du tribunal administratif - Annulation.

Dans une affaire où un formateur et responsable sportif avait fait l’objet de sanctions du chef de son comportement à l’égard de sportifs mineures, le juge de première instance avait rectifié par une seconde ordonnance celle qu’il avait rendue en premier lieu.

Le juge rappelle le principe qu’il n'appartient à aucune juridiction administrative de statuer à nouveau sur une affaire sur laquelle elle a déjà rendu une décision en dehors de l'exercice des voies de rétractation organisées par les textes. C’est l’application du principe bien connu : « Lata sententia iudex desinit esse iudex ».

Au reste, en l’espèce, c’est au président du tribunal administratif qu’appartenait seul le pouvoir d’apprécier si la raison commandait de rectifier l’ordonnance première rendue.

(19 juin 2023, ministre des sports…, n° 465978)

 

54 - Mise en demeure de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Modulation des effets du rejet d’une demande d’annulation d’une décision déjà suspendue par le juge - Office du juge.

(19 juin 2023, Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA), n° 467719)

V. n° Audiov.

 

55 - Récusation d’un juge - Absence d’établissement d’une demande préalable à l’introduction de la requête - Irrecevabilité - Rejet.

Le demandeur sollicitait la récusation d’un membre du Conseil d’État ne siégeant pas dans la formation devant statuer sur sa requête. Cette demande de récusation est évidemment déclarée sans objet.

Ensuite, plus pittoresquement, l’intéressé poursuivait l’annulation de la décision implicite du garde des sceaux rejetant sa demande que soient opérées trois modifications au décret d'application de la loi relative à l'aide juridique, ordonné une enquête interne auprès des différentes juridictions ayant traité de ses requêtes, la mise en place d'un service permettant de centraliser les plaintes des justiciables et de les transmettre aux autorités compétentes en matière disciplinaire, la modification de la partie réglementaire du code de justice administrative, la mise en place d'un service permettant de centraliser les plaintes à l'encontre des bâtonniers et du président de l'ordre des avocats, la fin du monopole des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, la suppression des articles des codes qui imposent le ministère d'avocat, et enfin le versement de la somme de 500 000 euros, au titre des dommages et intérêts, et d'une somme complémentaire de 10 000 euros, pour lui permettre de s'assurer le concours d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation.

Las pour lui, le requérant n’avait pas lié le contentieux, comme l’exige l’art. R. 412-1 du CJA, au moyen d’une demande préalable en vue de se constituer une décision préalable, explicite ou implicite, dont la contestation eût constitué l’objet de son action.

L’action est jugée irrecevable.

(22 juin 2023, M. B., n° 448498)

 

56 - Recours dirigé contre le refus d’une autorisation - Annulation du refus et injonction de délivrer cette autorisation - Intérêt pour agir distinct du droit de former tierce opposition - Rejet du recours pour excès de pouvoir, une tierce opposition devant être introduite - Erreur de droit - Annulation.

Rappel d’un principe de procédure souvent oublié, comme c’est le cas ici.

A la suite du refus administratif de délivrer une autorisation (en l’espèce, d’exploiter un parc éolien), le tribunal administratif saisi a annulé ce refus et enjoint de le délivrer. Le Centre d’entraînement demandeur au pourvoi avait certes intérêt pour contester la décision préfectorale délivrant l’autorisation sur injonction du juge mais pas le pouvoir de former contre cette dernière décision une tierce opposition dès lors qu’elle pouvait être contestée par des tiers à cette autorisation sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement. Or la cour administrative d’appel a jugé irrecevable la requête en excès de pouvoir du Centre d’entraînement dirigée contre l’autorisation préfectorale au motif que ne lui était ouverte que la seule voie de la tierce opposition alors que les tiers ne peuvent pas utiliser la voie de la tierce opposition pour contester cette autorisation, mais doivent former un recours contre l'autorisation finalement délivrée. Il tombe au reste sous le sens que la tierce opposition ne peut être dirigée que contre un jugement non contre une décision de l’administration.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit.

(22 juin 2023, Centre d'entraînement régional de galop de l'Ouest et autres, n° 462251)

(57) V. aussi, rappelant que la tierce opposition à une décision juridictionnelle ne peut être formée que par un justiciable aux droits duquel cette décision préjudicie dès lors que ni lui ni ceux qu'il représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision (cf. art. R. 832-1 CJA). Or en l’espèce, la Fédération nationale des chasseurs ne justifie pas d'un droit auquel aurait préjudicié la décision juridictionnelle du 1er juin 2022 par laquelle le Conseil d’État a annulé pour excès de pouvoir le refus de la ministre de la transition écologique de prendre un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur l'ensemble du territoire métropolitain pour une durée de cinq ans et a enjoint au ministre chargé de la chasse de prendre un tel arrêté avant le 15 juillet 2022. Cette fédération n'est, par suite, pas recevable à former tierce opposition à l'encontre de cette décision : 22 juin 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 466275.

 

58 - Requête jugée manifestement irrecevable - Requête comportant un exposé des motifs dénué des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé - Annulation.

En court annulation l’ordonnance qui juge manifestement irrecevable la requête en appel de la ministre de la transition écologique, faute de satisfaire à l'exigence de motivation requise par les dispositions de l'art. R. 411-1 du CJA, alors que celle-ci, tout en annonçant la production ultérieure d'un mémoire complémentaire, soutenait, d'une part, que le tribunal administratif avait insuffisamment motivé son jugement, d'autre part, qu'il avait commis une erreur de droit et inexactement apprécié la portée d'un précédent jugement du 27 septembre 2017 par lequel il avait annulé un arrêté du 25 juillet 2014 ayant établi un programme d'actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, enfin, qu'il avait commis une erreur de droit en jugeant que l'arrêté modificatif du 4 avril 2019 attaqué ne pouvait se fonder sur un arrêté du 30 août 2018 ayant consacré le principe d'interdiction de retournement des prairies permanentes dans les aires d'alimentation de captage d'eau potable, dès lors qu'il était postérieur aux manquements relevés. Certes faisaient défaut les éléments d’appréciation de cette ligne de défense mais cela ne justifiait la mise en œuvre de la procédure d’irrecevabilité manifeste.

(22 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 466303)

(59) V. aussi, pour une solution très comparable : 22 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 465349.

 

60 - Détenu - Contestation de fouilles intégrales - Amende pour recours abusif - Annulation.

Doit être annulée la condamnation à une amende pour recours abusif fondée sur le motif que la requête présentait un caractère abusif car les pièces produites à l'appui de celle-ci n'établissaient pas l'existence des fouilles intégrales que le requérant indiquait avoir subies au mois de janvier 2021.

(22 juin 2023, M. A., n° 464051)

 

61 - Recours dirigé contre une décision révélant l’existence d’une décision antérieure - Office du juge - Recours devant être considéré comme dirigé contre la première des deux décisions - Annulation.

Manque à son office le juge qui, par son ordonnance, considère qu’un recours dirigé contre une décision de FranceAgriMer du 20 juillet 2017 révélant l’existence d’une décision faisant grief, du 2 juin 2016, n’est pas dirigé contre cette dernière décision alors que la société requérante a fait valoir, tant devant les premiers juges qu'en appel, que, par les moyens qu'elle soulevait, sa demande visait à obtenir l'annulation de la décision par laquelle sa candidature a été rejetée pour inéligibilité, portée à sa connaissance par le courrier de FranceAgriMer du 20 juillet 2017 et révélant que cette décision avait été prise le 2 juin 2016.

(23 juin 2023, Société Limoujoux Auvergne, n° 456690)

 

62 - Ordonnance de référé - Ordonnance faisant application d’une disposition du CJA - Disposition non mentionnée dans les visas ou les motifs de cette ordonnance - Annulation et rejet au fond (art. L. 821-2 CJ1A).

Dans une affaire où l’intéressée s’est vue refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle et a demandé la suspension de ce refus notamment pour incompétence de l’auteur du refus, le juge rejette la demande en se fondant implicitement mais nécessairement sur les dispositions de l’art. R. 3221-3 du CGCT. Or cet article n’est cité ni dans les visas ni dans les motifs de l’ordonnance querellée : celle-ci, irrégulière, est annulée.

(23 juin 2023, Mme A., n° 462285)

 

63 - Expertise - Demande d’extension de la mission expertale - Extension possible en cas d’utilité - Notion - Annulation.

Il est possible aux parties, seules ou ensemble, de demander au juge, après désignation d’un expert et définition de sa mission, d’étendre cette dernière à d’autres investigations ou à d’autres personnes.

En l’espèce, le juge des référés de la cour administrative d’appel a rejeté cette demande d’extension de la mission expertale car cette demande constituait un litige distinct de celui, de nature contractuelle, qui l'opposait au centre hospitalier, dans la mesure où l'extension du périmètre de l'expertise se rattachait à un litige extracontractuel destiné à contester le bien-fondé des études réalisées en amont des travaux de construction.

Annulant ce raisonnement et statuant au fond, le Conseil d’État juge qu’il incombait au juge du référé de l’art. R. 532-1 du CJA de rechercher si l'intervention, antérieurement à la conclusion du contrat, de la société chargée de l'étude géotechnique, et des autres sociétés, avait pu exercer une influence sur l'exécution du contrat, notamment sur la conception des fondations et l'exécution des travaux de fondation de l'immeuble.

(23 juin 2023, Société Demathieu Bard Construction, n° 468965)

 

 

 

 

L’appréciation de l’urgence dans le contentieux du référé (suspension ou liberté)

 

Plusieurs décisions de ce mois de juin mettant l’accent sur l’exigence d’une urgence nécessaire à l’octroi d’une décision de suspension d’exécution dans le cadre de l’exercice d’un référé suspension (L. 521-1 CJA) ou d’un référé liberté (L. 521-2 CJA)..

 

64 - Demande de suspension d’un arrêté ministériel - Définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu - Défaut d’établissement de l’urgence (art. L. 521-1 CJA) - Rejet.

Les sociétés requérantes ont demandé que soit suspendue l’exécution de l'arrêté du 22 mars 2023 du ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, modifiant la définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence.

En ce qui concerne la première des sociétés citées, celle-ci fait valoir que, placée en redressement judiciaire depuis le 2 mai 2023, et ses administrateurs et mandataires judiciaires soutenant que l'exécution de l'arrêté attaqué porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts de cette société, en ce qu'elle l'expose au risque que ses magasins dits « « open store », voués non seulement à la livraison à domicile mais aussi à l'accueil de sa clientèle, pour des achats au comptoir et le retrait de produits achetés en ligne, soient regardés comme des entrepôts, alors qu'une telle qualification la contraindrait à mettre fin à leur exploitation, à Paris comme dans les communes qui opteraient pour leur interdiction en pied d'immeuble. Le juge répond que le plan local d'urbanisme de la ville de Paris actuellement en vigueur assimile déjà aux entrepôts tous les locaux d'entreposage liés à une activité commerciale, dès lors que leur taille représente plus d'un tiers de la surface de plancher totale. 

Pour ce qui regarde à la fois cette société et les autres sociétés demanderesses, dans les communes autres que Paris, le juge relève que les requérants se bornent à faire état de craintes liées à l'adoption de nouvelles réglementations, sans apporter de précisions sur les effets propres de l'arrêté contesté, qui a pour seul objet de modifier la définition des sous-destinations de constructions susceptibles de faire l'objet de règles particulières dans les plans locaux d'urbanisme, sans édicter par lui-même de telles règles.

(08 juin 2023, Sociétés Getir France, Abitbol et Rousselet, El Baze-Charpentier, BTSG et MJA, n° 474448)

 

65 - Militaire radié des cadres par mesure disciplinaire - Existence de virements du compte bancaire d’une amicale professionnelle vers son compte personnel - Absence de doute sérieux sur la juridicité de la sanction - Condition d’urgence non examinée - Rejet.

Dès lors que n’est pas satisfaite, dans le cadre d’une procédure de référé suspension, la condition relative à l’existence d’un doute sérieux sur la mesure contestée il n’y a pas lieu à examiner l’éventuel remplissage de la condition d’urgence.

(ord. réf. 21 juin 2023, M. A., n° 474852)

 

66 - Arrêté portant extension de l’avenant à une convention collective - Demande de suspension de son exécution - Importance des surcoûts en résultant non établie - Absence d’atteinte grave et immédiate et donc d’urgence - Rejet.

Le syndicat requérant demandait que soit suspendue l’exécution de l’arrêté ministériel du 31 mars 2023 qui a rendu obligatoire, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d'application de la convention nationale de la plasturgie du 1er juillet 1960, les stipulations de l'avenant du 2 juillet 2020 à cette convention relatif aux indemnités de licenciement et de retraite. 

Le syndicat faisait en particulier valoir les surcoûts qui résulteraient pour les entreprises de plasturgie de la mise en œuvre de cet avenant étendu par rapport à l'application des règles issues du code du travail, en fournissant l'exemple de plusieurs entreprises petites et moyennes dans lesquelles sont prévus les départs de salaries disposant d'une ancienneté importante.

Pour rejeter la demande, le juge du référé suspension relève cependant que les éléments produits ne permettent pas d'établir l'ampleur de ces surcoûts au regard du chiffre d'affaires et des résultats des entreprises concernées ni l'impact potentiel de l'extension de l'avenant sur la situation financière de la branche dans des conditions caractérisant une atteinte grave et immédiate aux intérêts du secteur représenté.

Faute d’urgence, la mesure de suspension est refusée.

(ord. réf. 22 juin 2023, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur, n° 474610)

 

67 - Demande d’autorisation de travaux - Création d’un commerce temporaire - Refus d’autorisation - Suspension du refus - Absence d’établissement de l’urgence - Annulation.

Une société entendait aménager à titre temporaire un magasin de ventes de produits alimentaires à l'enseigne Aldi dans un bâtiment commercial destiné à être détruit. Elle a sollicité à cet effet une autorisation de travaux d'aménagement d'un établissement recevant du public. Celle-ci lui a été refusée par le maire de la commune demanderesse au pourvoi.

Le juge des référés a accordé la suspension de ce refus car le bâtiment faisait l'objet d'une convention d'occupation précaire, sous condition suspensive de l'obtention des autorisations de travaux nécessaires, en vue de l'exploitation d'un supermarché, et que ce projet ne serait viable que s'il était ouvert près d'un an soit, compte tenu de la date à laquelle la démolition était prévue, dans les semaines suivant sa décision.

Sur pourvoi, le juge annule cette ordonnance (plus d’un an après qu’elle a été rendue) motif pris de ce qu’il incombait à son auteur de rechercher si la décision attaquée était susceptible de porter atteinte de manière grave et immédiate à la situation financière de la société pétitionnaire, ce qu’il n’a pas fait, commettant ainsi une erreur de droit. Statuant au fond, le juge de cassation constate que si la société requérante fait valoir que le refus de l'autorisation demandée affecte la viabilité du projet de magasin temporaire, elle n'apporte aucune indication sur les effets de la décision litigieuse sur son activité et sur sa situation financière, et n'établit ainsi aucune atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers susceptible de justifier l'urgence qu'elle invoque. 

(ord. réf. 29 juin 2023, Commune de Thiais, n° 463872)

 

68 - Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSMPS) - Modification de la liste des substances classées comme stupéfiantes - Absence de mesures transitoires - Écoulement des stocks actuels - Menace grave sur l’entreprise - Urgence non établie (L. 521-2 CJA) - Rejet.

Les sociétés requérantes demandaient la suspension de l'exécution de la décision du 12 juin 2023 de la directrice générale de l'ANSMPS portant modification de la liste des substances classées comme stupéfiants en ce qu’elle a ajouté sur cette liste l'hexahydrocannabinol ou HHC, hexahydrocannabinol acétate ou HHC-acétate ou HHCO et enfin l'hexahydrocannabiphorol ou HHCP.

Les requérantes poursuivaient la suspension de cette décision en raison de ses conséquences économiques irrémédiables et inéluctables pour les opérateurs économiques qui doivent gérer leurs stocks de produits et décider de l'exécution des contrats en cours, ainsi que par la gravité des atteintes portée aux libertés fondamentales. Elles réclamaient aussi, à titre subsidiaire, l’application d’un régime transitoire en raison des graves conséquences pénales qui découleraient de son application immédiate et sans régime transitoire.

Le rejet de la demande est fondé sur ce que les sociétés requérantes ne font état d'aucun élément précis de nature à justifier de l'importance de l'atteinte qu'elles invoquent à leurs intérêts économiques particuliers, sur que si la méconnaissance de la décision litigieuse est susceptible de donner lieu à une action pénale, l'entrée en vigueur de cette décision n'a par elle-même aucune conséquence sur l'engagement d'une telle action et enfin sur ce que, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que la décision litigieuse porterait atteinte à certaines libertés fondamentales ne saurait caractériser une situation d'urgence. 

En effet, il s’agit ici de l’urgence particulière justifiant que le juge statue sous 48 heures.

(ord. réf. 20 juin 2023, Société CMCMRS Distribution, société Buddha Farm's, société K-lab, société Green exchange lab et société Au pays du thé, n° 475108)

 

69 - Invocation d’« intrusion informatique », de « cyberharcèlement » et de « torture psychologique » - Demande de prise de mesures pour faire cesser cette situation - Absence d’invocation de l’urgence à statuer - Rejet.

Est rejetée la requête en référé liberté fondée sur ce que le demandeur ferait l’objet d’« intrusion informatique », de « cyberharcèlement » et de « torture psychologique » mais qui ne fait état, au soutien de sa demande, ni de l'existence d'une urgence particulière ni de celle d'une mesure portant une atteinte manifestement illégale et grave à une liberté fondamentale. 

(ord. réf. 21 juin 2023, M. A., n° 475180)

 

70 - Clôture de l’instruction - Absence de mise en demeure de produire un mémoire en défense - Absence d’acquiescement aux faits invoqués dans leurs écritures par les demandeurs - Rejet.

Dans un litige en contestation d’une autorisation d’aménager un lotissement, les requérants saisissent le juge de cassation, entre autres, d’un moyen tiré de ce que la cour administrative d’appel, qui avait ordonné la clôture de l’instruction, devait constater que la commune défenderesse n’ayant pas produit de mémoire en défense, celle-ci devait être réputée avoir acquiescé aux faits tels que rapportés dans leurs propres écritures. Ne l’ayant pas fait, ils estimaient irrégulier sur ce point l’arrêt attaqué.

En réalité, il résulte des dispositions combinées des art. R. 611-11-1 et R. 612-6 du CJA qu’en cas de clôture de l’instruction sans que la défenderesse n’ait produit un mémoire, celle-ci doit être mise en demeure de le faire et ce n’est que si, en dépit de cette mise en demeure, elle ne produit pas qu’elle doit être réputée avoir acquiescé aux faits tels que rapportés dans les écritures des demandeurs. Tel n’était pas le cas en l’espèce où la commune défenderesse n’avait fait l’objet d’aucune mise en demeure.

C’est donc sans erreur de droit, ni dénaturation des pièces du dossier, que la cour a jugé que le chemin d'accès au projet de lotissement en litige, compte-tenu de ses accotements, permettait le croisement des véhicules ainsi que le passage des véhicules de secours et d'incendie, conformément aux exigences de l'article UC 3 du règlement du plan local d'urbanisme. 

(26 juin 2023, M. A. et autres, n° 467714)

(71) V. aussi, jugeant qu’une commune a été irrégulièrement réputée avoir acquiescé aux faits exposés par la demanderesse en ses écritures dès lors qu’il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la mise en demeure de produire un mémoire en défense que le tribunal aurait adressée à la commune de Volstroff aurait été reçue par cette dernière : 27 juin 2023, Commune de Volstroff, n° 465803

 

72 - Ordre des vétérinaires - Délai de procédure - Délai franc sauf disposition contraire - Computation - Pli mis en instance au bureau de poste - Date du retrait du pli valant point de départ du délai - Annulation.

Rappel d’abord de ce que, dans le silence des textes et en l’absence de disposition contraire, le délai pour interjeter appel d'une décision d'une chambre régionale de discipline de l'ordre des vétérinaires a le caractère d'un délai franc qui, dans les cas où il expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant. 

Rappel ensuite qu’en cas d’absence de son domicile du destinataire d’un courrier en recommandé et de mise en instance au bureau de poste, le délai se calcule à partir du retrait de ce courrier lorsque celui-ci a lieu avant l'expiration du délai au terme duquel un pli non réclamé est renvoyé à l'expéditeur.

(29 juin 2023, Mme Legrain, n° 459872)

 

73 - Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de la « vallée de la chimie » - Annulation du plan à la demande d’une commune - Rejet des conclusions à fin d’injonction - Appel sur ce point - Irrecevabilité devant être relevée d’office - Annulation.

Saisi de deux requêtes, par une société et par la commune de Solaize, respectivement, d’une demande d’annulation et d’une demande d’annulation assortie d’une injonction, dirigées contre l’arrêté préfectoral arrêtant le PPRT de la « vallée de la chimie », le tribunal a fait droit à la requête en annulation de la société et dit n’y avoir lieu à statuer sur les deux demandes de la commune de Solaize. Cette dernière se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a rejeté son appel en tant qu’il contestait le prononcé du non-lieu en première instance.

L’arrêt est cassé au motif que le jugement ayant fait droit aux conclusions de la commune de Solaize qui tendaient à l'annulation de cet arrêté et la commune de Solaize n’ayant pas contesté ce jugement en tant qu'il a également rejeté ses conclusions à fin d'injonction, ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour faire appel de ce jugement annulant l'arrêté du préfet approuvant le PPRT. Il incombait donc à la cour d’opposer, au besoin d’office, l’irrecevabilité de l’appel interjeté par la commune.

(30 juin 2023, Commune de Solaize, n° 449196)

 

74 - Police des carrières - Autorisation d’extraction de grès - Rejet du recours dirigé contre cette autorisation - Juge d’appel prononçant un arrêt d’avant-dire droit en attente de régularisation - Arrêt se prononçant au fond - Pourvoi en cassation contre le premier et non contre le second arrêt - Pourvoi devenu sans objet - Rejet.

(30 juin 2023, Association Tournai-Villedieu-Environnement et autres, n° 450481)

V. n° 174

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

75 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (art. 1499 CGI) - Établissement regardé comme industriel - Double dénaturation des faits - Annulation.

La contribuable requérante conteste la qualification comme établissement industriel au sens des dispositions de l’art. 1499 du CGI et donc leur assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, de locaux qu’elle loue à une société qui les sous-loue à la société TB Verger pour les besoins de son commerce de fruits et légumes.

Elle se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté sa demande d’annulation de la requalification desdits locaux.

Le Conseil d’État  donne raison à la demanderesse en relevant une double dénaturation dans le jugement ayant confirmé la qualification d’établissement industriel, et en la déchargeant des impositions supplémentaires mises à sa charge.

En premier lieu, le tribunal a regardé comme « importants », au sens de l’article précité du CGI, les moyens techniques et outillages utilisés par la société TB Verger dans les locaux donnés à bail par la société requérante, au motif que cet établissement comprenait trois chambres froides d'une surface de 66 m² chacune et un bâtiment frigorifique d'une surface de 562 m², deux chaînes de conditionnement, trois quais de chargement, ainsi que des chariots à pinces frontales et des transpalettes, alors que ces équipements étaient de dimensions relativement modestes, peu sophistiqués, et représentaient une valeur d'environ 200 000 euros seulement. D’où la dénaturation critiquée.

En second lieu, les premiers juges ont encore dénaturé les pièces du dossier en retenant que ces moyens techniques revêtaient un rôle prépondérant dans l'activité exercée dans cet établissement, ce que contredisent les éléments du dossier d’abord en ce que les deux chaînes de conditionnement, au-delà des mécanismes permettant de vider les caisses de fruits et légumes à conditionner et de mettre ceux-ci en barquettes filmées et étiquetées, ne comportaient aucun dispositif de tri automatisé et mobilisaient dix salariés pour leur fonctionnement, ensuite en ce que ces chaînes traitaient moins de la moitié des fruits et légumes commercialisés par l'établissement, et enfin en ce que les installations de stockage ne comprenaient, au-delà des installations de régulation de température, aucun autre outillage ni dispositif automatisé ou informatisé, et que les opérations de chargement et déchargement se faisaient à l'aide de chariots à pinces ou transpalettes opérés individuellement par les employés de la société. Cela d’autant plus que l’administration ne contestait pas l’importance des moyens humains mobilisés à cet effet.

(01 juin 2023, Société Bail Actea Immobilier, n° 448931)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et cotisation foncière des entreprises - Détermination de la base d’imposition - Confusion entre le montant d’immobilisations et leur valeur locative - Contradiction entre motifs et dispositif d’un arrêt d’appel - Annulation.

(09 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466930)

V. n° 43

 

77 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) - Imposition fondée sur des éléments déclaratifs - Respect des droits de la défense en cas d’écart par rapport à la déclaration - Limite - Rejet.

Approuvant la solution retenue par le premier juge, le Conseil d’État rappelle à propos de la TFPB, ainsi qu’il en va de tous les impôts assis sur une base déclarative, que l’administration fiscale qui entend mettre à la charge du redevable de l’imposition des droits excédant ceux résultant de l’application des seuls éléments déclarés par ce dernier, est tenue en vertu du principe du respect des droits de la défense, de le mettre à même de présenter ses observations avant d’arrêter unilatéralement ce montant.

Toutefois, on n’approuvera pas cette restriction ajoutée dans la présente décision selon laquelle le respect de ce principe « n'emporte pas l'obligation, pour l'administration, d'informer expressément le contribuable de sa faculté de présenter ses observations avant d'établir ces droits ». Qu’est-ce que c’est que cette ratiocination ? Le rapprochement des deux formules « obligation de mettre le redevable à même de présenter ses observations » et « dispense d’informer le redevable de sa faculté de présenter ces observations » produit un effet ubuesque dont l’absurdité suffit à le juger.

C’est oublier aussi que les règles et procédures administratives ne sont jamais instituées pour le confort ou la tranquillité ou le bien-être des administrations et de leurs agents mais exclusivement pour l’intérêt propre de leurs destinataires qui ont en commun le droit d’être bien traité, ce qui constitue l’intérêt général.

(20 juin 2023, Société Beltoise Évolution, n° 465114)

 

78 - Participation pour le financement de l'assainissement collectif (loi du 14 mars 2012) - Champ d’application - Exclusion de cette participation en cas de versement de la participation pour raccordement à l'égout - Rejet.

Le juge rappelle qu’il résulte de la combinaison des art. L. 1331-7 du code de la santé publique et L. 332-6-1 et L. 332-28 du code de l’urbanisme que la participation pour le financement de l'assainissement collectif, instituée par le I de l'article 30 de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012, n'est pas applicable aux immeubles pour lesquels leurs propriétaires ont été astreints, par une prescription figurant dans un document d'urbanisme délivré à la suite d'une demande déposée avant le 1er juillet 2012, à verser la participation pour raccordement à l'égout. 

C’est donc irrégulièrement que la communauté de communes, demanderesse au pourvoi, a cru pouvoir exiger des contribuables le paiement de la participation pour le financement de l'assainissement collectif alors qu’ils avaient déjà réglé, via le lotisseur lors de la demande de permis d’aménager, la participation pour raccordement à l'égout. 

(01 juin 2023, Communauté de communes Rhône-Crussol, n° 454066)

(79) V. aussi, avec même autrice du pourvoi, pareillement rejeté : 01 juin 2023, Communauté de communes Rhône-Crussol, n° 4540667.

(80) V. encore, identique au précédent : 01 juin 2023, Communauté de communes Rhône-Crussol, n° 454068.

 

81 - Remboursements de cotisations d’impôts par suite de dégrèvements - Intérêts moratoires en résultant - Régime - Erreur de droit - Annulation.

L'art. L. 208 du livre des procédures fiscales (LPF) dispose qu’en cas de condamnation de l’État  à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 CGI. En outre, précise ce texte, les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés.

Une société, qui a bénéficié d’une réduction de sa cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) avec intérêts moratoires, par suite de l’abrogation par le Conseil constitutionnel du premier alinéa du I bis de l'art. 1586 quater du CGI relatives au calcul du taux de la CVAE pour les sociétés membres d'un groupe fiscal intégré, dans leur rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, a obtenu d’une cour administrative d’appel le versement de compléments d’intérêts moratoires qu’elle avait réclamés.

Sur pourvoi du ministre des finances, le Conseil d’État  annule cet arrêt.

Selon lui, les dispositions précitées du LPF ne concernent que les remboursements effectués à un contribuable en conséquence d'un dégrèvement prononcé par le juge de l'impôt ou par l'administration chargée d'établir l'impôt, et consécutif à la présentation par ce contribuable d'une réclamation contentieuse entrant dans les prévisions de l'article L. 190 du LPF.

De la sorte, les intérêts moratoires qu'elles prévoient ne sauraient en outre courir au titre d'une période antérieure à l'établissement de l'impôt correspondant, indépendamment de l'éventuel versement d'acomptes effectué en application des règles relatives au recouvrement de cet impôt.

On avoue peiner à être convaincu par cette déduction qui ne s’impose pas d’évidence à la lecture des deux articles précités du LPF. La solution qu’avait adoptée la cour de Versailles dans ce dossier nous paraît plus judicieuse.

(05 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465559)

 

82 - Acquisition d’options d’achat ou de vente d’actions - Prix préférentiel - Écart, lors de la levée de l’option, entre le prix de vente des actions et leur valeur réelle - Rémunération occulte et non plus-value de cession - Régime fiscal - Annulation.

Le contribuable, directeur financier d’une société ayant fait l’objet d’un rachat par le groupe Alpha, s’est vu consentir par ce dernier, le 1er avril 2008, moyennant le versement immédiat par celui-ci d'une prime de 15 735,31 euros, une promesse d'achat d’actions de la société Oslau lui garantissant un prix de rachat minimum de 10,18 euros, assorti de clauses mécaniques d'ajustement, pour 43 243 des 231 273 actions qu'il détenait.

Cette option de vente était exerçable dans certains cas de cessation de ses fonctions, ainsi qu'en cas de défaut dans le remboursement de l'emprunt bancaire qu'il avait contracté pour le financement de l'acquisition de ses actions de la société Oslau, de perte de contrôle de cette société par le groupe Alpha ou d'opérations permettant à ce groupe de percevoir un montant correspondant à une fois et demi son investissement initial.

À la revente de la société Oslau le 4 octobre 2011, le contribuable a cédé l’ensemble de ses actions à un certain prix, à l'exception des 43 243 titres couverts par la promesse d'achat du 1er avril 2008, qui ont été rachetés par le groupe Alpha au prix unitaire de 11,63 euros, résultant de l'application de cette promesse.

L’administration fiscale a considéré que les sommes ainsi acquittées par le groupe Alpha à hauteur de 427 049 euros devaient être regardées comme une rémunération occulte taxable entre les mains de M. B. sur le fondement du c de l'art. 111 du CGI, et non, comme déclaré par celui-ci, comme une plus-value de cession imposable selon les règles définies à l'art. 150-0 A du même code et en l'occurrence exonérées sur le fondement des dispositions du 5° bis de l'art. 157 du même code applicables aux plans d'épargne en actions.

Le contribuable n’ayant pas obtenu du tribunal administratif gain de cause en son action tendant à l’annulation des suppléments d’imposition et de contributions sociales mises à sa charge, se pourvoit en cassation de ce jugement de rejet.

Faisant application des art. 79 (détermination du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu) et 82 (détermination des bases d'imposition) du CGI, le juge rappelle, prolongeant et confirmant une tendance jurisprudentielle récente (par ex. Plénière fiscale, 13 juillet 2021, M. et Mme Rousselet, n° 437498, Rec. Lebon p. 258), que la circonstance que des options d'achat ou de vente d'actions ont été acquises à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition peut être de nature à révéler l'existence d'un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur mais qu’il convient de distinguer deux hypothèses. D’abord se rencontre le cas où cet avantage trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié : il a alors le caractère d'un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l'année d'acquisition des options dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI. Ensuite, en dehors de ce cette hypothèse, le caractère préférentiel de ce prix est sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le contribuable lors de l'exercice de ces options.

Donc, au moment de l’exercice par le contribuable de l’option de ventes d’actions qui lui a été consentie, l’écart entre prix d’acquisition et prix de cession, corrigés l’un et l’autre du montant des frais, est imposable suivant le régime des plus-values de cessions de valeurs mobilières institué par l'art. 150-0 A du CGI.

Cependant, ce même gain, lorsqu’il a pour cause l'exercice par l'intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié, constitue un avantage en argent, au sens de l'art. 82 du CGI, imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des art. 79 et 82 précités. 

Examinant le cas de l’espèce, le juge de cassation relève que par sa nature même, la promesse d'achat accordée le 1er avril 2008 à M. B., constitutive d'une option de vente, ne conduisait à aucun effet d'alignement entre l'investissement professionnel de M. B. et le gain éventuel pouvant être tiré ultérieurement de l'exercice de cette promesse. Elle ne contribuait pas davantage, par elle-même, à inciter M. B. à demeurer dans sa société d’origine dès lors que cette option pouvait être exercée même s'il avait entretemps quitté ses fonctions.

En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les conditions dans lesquelles cette promesse lui a été accordée aient eu pour objet ou pour effet de lui garantir dès l'origine, notamment eu égard au prix minimal qu'elle fixait, un gain d'exercice quasi-certain.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que la cour a considéré que le gain résultant du complément de prix versé en application de cette promesse d'achat constituait une contrepartie de ses fonctions de dirigeant salarié, imposable en conséquence à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires.

(05 juin 2023, M. B., n° 467546)

 

83 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères - Appréciation du caractère excessif ou non du niveau de taxation retenu - Dépenses directement en rapport avec le service pouvant être seules retenues - Erreur de droit - Annulation.

Rappel, à nouveau, que pour apprécier le bien-fondé budgétaire du taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères il ne suffit pas de se fonder sur un montant estimé de dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères y compris la somme représentative du taux des charges d'administration générale des frais de structure imputée forfaitairement au budget « collecte et valorisation des déchets ».

Encore faut-il rechercher si les sommes concernées, surtout s’agissant de la dernière, sont justifiées par des éléments de comptabilité analytique comme étant des dépenses pouvant, à concurrence de ce taux, être regardées comme ayant été directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets.

Tel ne fut point le cas en l’espèce d’où la cassation pour erreur de droit.

(09 juin 2023, Société Immorente, n° 469422)

 

84 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères - Taux disproportionné - Substitution du taux adopté par la délibération applicable à l’année précédente sauf si ce taux substitué est lui-même disproportionné - Rejet.

Réitérant une jurisprudence relativement récente (24 octobre 2018, SAS L’immobilière Groupe Casino, n° 413895), qui se trouve ainsi désormais bien établie, le Conseil d’État juge que lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l'année en litige, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher s'il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l'année précédente sauf si ce taux est lui aussi manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimé au titre de l'année en litige.

(30 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 448159)

(85) V. aussi, identique : 30 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 456574.

 

86 - Impôts sur le revenu – Déduction des frais professionnels – Frais de scolarité d’enfants rattachés au foyer fiscal – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que ne sont pas déductibles au titre des frais professionnels les frais engagés par un contribuable pour la scolarité de ses filles rattachées au foyer fiscal. Seuls sont déductibles les revenus – normalement imposables – que des étudiants perçoivent à raison d'une activité professionnelle ou d'un stage ainsi que les frais inhérents à cet emploi ou à ce stage. N’entrent pas dans cette catégorie ceux des frais acquittés à raison de la scolarité, par exemple – comme en l’espèce - en cas de poursuite d’études dans une université étrangère.

(16 juin 2023, M. B., n° 454452)

 

87 - Contribuables procédant à des acquisitions et cessions successives de biens constituant sa résidence principale – Qualification en marchands de biens – Imposition en conséquence – Absence de démonstration de cette qualité -  Erreur de droit – Annulation.

Rappel que les bénéfices et le chiffre d'affaires réalisés à l'occasion de la cession d'immeubles sont en principe imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et taxables à la TVA, lorsque ces cessions sont faites par un contribuable qui se livre habituellement à l'activité de marchand de biens.

Toutefois, il n’en va pas ainsi dans le cas où  le contribuable établit soit que les immeubles qu'il a vendus avaient été acquis pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux et, de ce fait, que leur vente relevait de la simple gestion de son patrimoine personnel, soit que les immeubles en cause constituaient sa résidence principale. 

En l’espèce est censuré l’arrêt d’une cour d’appel qui a jugé que c’était à bon droit que l’administration fiscale avait qualifié d’activité de marchand de biens, d’une part, le fait pour les contribuables d’avoir réalisé un certain nombre d'opérations sur la période, du court délai qui séparait l'achèvement des travaux de construction des maisons de leur vente, et de la circonstance qu'avant même d'avoir réalisé les ventes, les contribuables avaient déjà acquis de nouveaux terrains, que ces opérations immobilières avaient procédé d'une intention spéculative et, d'autre part, qu'ils n'apportaient aucun élément de nature à établir que ces habitations étaient, à la date de cession, leur résidence principale. En effet, le juge rappelle que la seule circonstance qu'un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d'immeubles qu'il affecte à sa résidence principale, sans que l'administration fiscale n'établisse ni qu'il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d'un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l'exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l'art. 150-U du CGI, caractériser une activité de marchand de biens.

(14 juin 2023, M. et Mme B., n° 461960)

 

88 - Droit à déduction de la TVA payée en amont – Exigence de preuve par facture comportant certaines mentions – Exigence purement formelle – Possibilité pour l’assujetti de produire toute justification du paiement de la TVA et de son montant – Rejet.

Le litige portait sur l’exercice du droit à déduction de la TVA payée en amont.

La requérante soutenait avoir droit au bénéfice de cette déduction en raison de la TVA qu’elle avait acquittée sur les redevances d'exploitation de la marque « Gaffer » que lui avait facturées l'entreprise titulaire de celle-ci.

Le juge de cassation applique assez fidèlement la solution retenue en cette matière par la Cour de justice de l’Union européenne s’écartant passablement des dispositions législatives françaises applicables (notamment l’art. 271 du CGI et le 8° de l'art. 242 nonies A de l'annexe II de ce code). En effet, alors que le CGI subordonne l’établissement du paiement de la TVA dont la déduction est demandée à la production de factures satisfaisant à un fétichisme administratif strict et imposant, le Conseil d’État retient de la jurisprudence de la CJUE (15 septembre 2016, Barlis 06 - Investimentos Imobiliários e Turísticos SA c/ Autoridade Tributária e Aduaneira, aff. C-516/14) que ces exigences ne sont que formelles, n’empêchant pas l’assujetti, selon la Cour, de produire une facture ou tout document en tenant lieu faisant figurer les informations permettant de déterminer l'étendue de son droit à déduction. 

Ici cependant le demandeur succombe pour n’avoir pas répliqué à l’argumentation de l’administration selon laquelle il était impossible de déterminer, au vu des éléments figurant au dossier, la fraction des montants forfaitaires en cause correspondant à la concession de la marque.

(15 juin 2023, Société Groupe TSF, n° 460576)

 

89 - Erreurs ou omissions entachant les écritures retracées au bilan de clôture d’un exercice ou d’une année fiscale – Irrégularités affectant l’estimation de l’actif net de l’entreprise – Réparation – Conditions – Établissement de l’absence de caractère délibéré – Annulation.

La contribuable, suite à un redressement fiscal résultant du rejet de l’inscription de certaines sommes au passif du bilan de clôture d’un exercice, a tenté en vain de faire valoir devant le juge qu’elle avait droit au bénéfice de l'exception au principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit prévue par les dispositions du 4 bis de l'article 38 du CGI selon lesquelles : « (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) 

bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci.

Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit (...) ».

La société se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande.

Dans une décision importante en ce qu’elle accentue et précise une certaine tendance jurisprudentielle, le Conseil d’État juge que les erreurs ou omissions aboutissant à une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net de l'entreprise peuvent, à l'initiative du contribuable qui les a involontairement commises ou à celle de l'administration exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan. Si ces mêmes erreurs ou omissions se retrouvent dans les écritures de bilan des exercices antérieurs, elles doivent y être symétriquement corrigées, pour autant que l'administration n'établisse pas qu'elles revêtent, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré. Ces corrections ne peuvent toutefois affecter le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, à moins que le contribuable n'apporte la preuve que les écritures correspondantes procèdent d'erreurs ou omissions commises au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit, dont l'administration n'établit pas qu'elles auraient revêtu un caractère délibéré.

En l’espèce, il s’agissait donc pour la contribuable d’établir et la durée au moins septennale de la commission des erreurs ou omissions et l’absence de caractère délibéré de celles-ci. En réalité, cette seconde exigence conduit normalement à un renversement de la charge de la preuve puisque celle-ci ne peut guère être rapportée qu’en ce qui concerne le caractère délibéré, ce qui revient à faire porter le fardeau de la preuve par l’administration fiscale.

La cour avait écarté la demande de la société contribuable tendant au bénéfice de l’exception à la règle d’intangibilité du bilan motif pris de ce qu’elle ne justifiait pas de la réalité, de l'ancienneté et du montant des dettes dont elle se prévalait. En réalité, l’ancienneté de l’erreur n’était pas contestée. La cour ne devait donc se prononcer que sur le point de savoir si l’erreur revêtait, ou non, un caractère délibéré. Pour ne l’avoir pas fait son arrêt encourt la cassation.

(15 juin 2023, SCI « Les Hameaux de Mucchiatana », n° 464997)

 

90 - TVA – Condition de redevabilité – Existence d’un établissement stable en France – Rejet.

Le litige portait sur le refus de décharger la requérante des rappels de TVA auxquels elle avait été assujettie au titre d’une certaine période.

C’est sans erreur de droit que l’auteur de l’ordonnance attaquée s’est fondé, pour juger que la société Worldwide Euro Protection était redevable de la taxe sur la valeur ajoutée sur les prestations en litige, sur le seul constat de leur réalisation par l'intermédiaire d'un établissement stable en France, sans rechercher par ailleurs si le siège de l'activité économique de la société Worldwide Euro Protection était situé en France. Par suite sont inopérants les moyens tirés de ce qu'il aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et insuffisamment motivé son ordonnance en estimant que le siège de l'activité économique de cette société n'était pas situé au Luxembourg.

(15 juin 2023, Société anonyme Worldwide Euro Protection, n° 465719)

 

91 - Taxe d’habitation – Établissement d’après les faits existants au 1er janvier de l’année d’imposition – Cas d’un logement meublé faisant l’objet de locations saisonnières ou de courtes durées – Situation au 1er janvier – Rejet.

En principe, selon l’art. 1407 du CGI, le redevable de la taxe d’habitation est le locataire au 1er janvier de l’année d’imposition. Cependant, lorsqu’un logement fait l’objet de locations saisonnières ou de courte durée c’est le propriétaire du bien qui est redevable de cette taxe dès lors qu'au 1er janvier de l'année de l'imposition, il peut être regardé comme entendant en conserver la disposition ou la jouissance une partie de l'année.

Cette solution jurisprudentielle inédite institue donc une présomption de jouissance ou de disposition par le propriétaire dès lors que le cumul des durées de location ne couvre qu’une partie de l’année

(15 juin 2023, M. et Mme B., n° 468195)

 

92 - Infliction de l’amende prévue au 1 du I de l’art. 1737 du CGI – Paiement de prestations à un tiers – Absence de travestissement ou de dissimulation de l'identité du client ou du fournisseur du contribuable – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’appel confirmatif jugeant que l'administration était fondée à infliger à la société requérante l'amende prévue au 1 du I de l'article 1737 (factures de complaisance) du CGI sans remettre en cause la réalité des prestations réalisées et facturées par la société SPEC, en raison de ce que leur paiement par la société requérante avait été effectué au bénéfice de tiers. En effet, l'article 1737 sanctionne le travestissement ou la dissimulation de l'identité du client ou du fournisseur du contribuable, mais non le paiement effectué au profit de tiers, bénéficiaires effectifs des sommes mentionnées sur les factures concernées.

(16 juin 2023, Société Finrec, n° 454258)

 

93 - Régime fiscal des sociétés mères (art. 145 CGI) - Société non-résidente ayant une succursale établie en France - Versement à cette dernière de produits de participations - Niveau d’appréciation du respect des conditions légales pour l’application de ce texte - Rejet.

Une société d'assurance de droit britannique, QBE Insurance Europe Limited (QIEL), alloue les dividendes tirés de ses diverses participations à ses succursales en fonction de leur nature et de l'importance de leur activité respective, selon une clé de répartition déterminée sur la base de leur quote-part dans le montant total des provisions techniques. Dans ce cadre, elle a attribué à sa succursale française, au titre de l'exercice clos en 2011, les dividendes tirés de sa participation dans les sociétés QIAL (QBE Insurance Australia Limited) et ITMS (Iron Trades Management Services Limited) qu'elle a comptabilisés dans le résultat taxable déclaré à l'administration fiscale française.

La cour administrative d’appel, saisie d’un recours du ministre contre le jugement  déchargeant la société QIEL  des impositions auxquelles ce dernier estimait devoir l’assujettir, a considéré, après avoir relevé que les titres de participation en cause respectaient les conditions posées au 1 de l'art. 145 du CGI au niveau de la société QIEL, que les dividendes alloués à la succursale française pouvaient bénéficier du régime des sociétés mères quand bien même les titres de participation correspondants n'avaient pas été inscrits au bilan fiscal de cette succursale ni mentionnés dans la rubrique prévue à cet effet de la déclaration de résultats déposée par la société QIEL auprès de l'administration fiscale française.

Le Conseil d’État, rejetant le pourvoi, approuve cette solution qui n’est entachée ni d’erreur de droit ni d’inexacte qualification des faits. Selon lui, en effet, lorsqu'une société non-résidente alloue à une succursale établie en France des produits de participations, le respect des conditions relatives aux titres correspondants prévues aux a à c du 1 de l’art. 145 précité est apprécié au niveau de la société et non pas uniquement au niveau de la succursale. La seule circonstance que les titres ne soient pas inscrits à l'actif fiscal de la succursale française ne saurait faire obstacle à l'application du régime des sociétés mères.

(20 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 456719)

 

94 - Revenus de source togolaise - Crédit d’impôt calculé selon un barème figurant sur une notice de l’administration fiscale - Valeur de doctrine administrative opposable à l’administration - Conditions - Erreur de droit - Annulation.

L’administration a remis en cause le bénéfice d’un crédit d’impôt - prévu par les stipulations de la convention fiscale franco-togolaise du 24 novembre 1971 - dont se prévalaient les contribuables dans leur déclaration de revenus togolais sur la foi d’indications contenues dans le formulaire correspondant établi par l’administration fiscale.

Les contribuables se pourvoient en cassation de l’arrêt confirmatif rejetant leur recours par le motif qu’ils ne pouvaient utilement se prévaloir d’une notice sur le fondement de l'art. L. 80 A du livre des procédures fiscales car ce document, d'une part, ne constituait qu'une notice explicative qui, ainsi qu'elle le rappelait en première page, n'avait qu'une valeur indicative et ne se substituait pas à la documentation officielle de l'administration, et d'autre part, n'était pas au nombre des instructions ou circulaires publiées par lesquelles l'administration fiscale fait connaître son interprétation des textes fiscaux. 

Pour annuler ce raisonnement en raison du vice d’erreur de droit, le juge de cassation retient que « la documentation officielle ne comportait aucune mention explicite du retrait, à compter de 1996, des dividendes de source togolaise du champ du crédit d'impôt dit « décote africaine » institué par la doctrine administrative, mais se bornait à ne plus mentionner le Togo dans la liste des pays concernés, le formulaire déclaratif en cause, au moins jusqu'à la déclaration des revenus perçus en 2010, mentionnait, sans réserve ou précision particulière, le Togo au titre des pays concernés par cette mesure de faveur et se bornait à renvoyer, pour les dividendes de source togolaise, à la disposition n° 12, relative à la formule de calcul du taux, de sa notice explicative, et (…) en outre, cette notice, en dépit de sa formule préliminaire selon laquelle elle ne se substituait pas à la documentation officielle de l'administration, indiquait immédiatement ensuite que le contribuable y trouverait « toutes les explications nécessaires », de sorte que, dans ces circonstances, l'imprimé déclaratif et sa notice explicative devaient être regardés comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables pouvaient se prévaloir sur le fondement du second alinéa de l'art. L. 80 A du livre des procédures fiscales ». 

Cette solution a le mérite de simplifier un droit fiscal devenu un terrain de jeu de piste qui, en raison de sa très faible accessibilité au commun des contribuables, de son instabilité folle et de ses pièges, volontaires ou non, constitue un défi pour la démocratie sans que les ressources qu’il procure à des services étonnamment dépensiers, à raison même de son inintelligibilité chronique, puissent constituer, dans un État de droit, le moindre commencement de justification.

(20 juin 2023, M. et Mme B., n° 462501)

 

95 - Plus-value de cession d’un bien immobilier - Comparaison entre l’impôt payé par un étranger et celui acquitté par un ressortissant français pour une identique opération - État étranger et État français considérés non comparables au regard de l’impôt français - Atteinte à la libre circulation des capitaux - Annulation.

La SCI Faucon, requérante, détenue à 99,99% par l’État du Koweït, a sollicité, et obtenu, du tribunal puis de la cour administratifs, la restitution totale du prélèvement dont elle avait fait l’objet du fait de la plus-value réalisée lors de la cession d’un immeuble de rapport situé à Nice. Après cassation de l’arrêt d’appel, la cour a, sur renvoi, adopté la même solution.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation de cet arrêt et l’obtient.

Le Conseil d’État adopte une argumentation dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’emporte pas la conviction. En effet, le tribunal et la cour avaient retenu, pour décider la restitution des sommes litigieuses, sur le fondement de l’art. 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, selon lequel : « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites », que la plus-value de cession d'un bien immobilier réalisée par une société relevant de l'article 8 du CGI dont le siège social est situé en France ne serait pas imposée au prorata des parts détenues par l'État français alors que le prélèvement prévu par l'art. 244 bis A dudit code serait dû à proportion des parts détenues par un État étranger. D’où les juges du fond déduisaient, à bon droit, que le prélèvement litigieux constituait une restriction directe non justifiée à la liberté de circulation des capitaux, d’où la restitution intégrale de celui-ci qu’ils ont ordonnée. 

Pour rejeter ce système argumentatif, le Conseil d’État énonce, non pas un postulat, qui aurait au moins les mérites de son efficacité logique, mais une opinion selon laquelle : « Un État étranger et l'État français ne sont pas, à raison de l'application de la loi fiscale française, placés dans une situation comparable. Par suite, un État étranger qui conteste la charge fiscale qu'il supporte à raison d'opérations qu'il effectue en France, ne peut se prévaloir d'une restriction à la libre circulation des capitaux au seul motif qu'il serait traité de manière moins favorable que l'État français qui effectuerait la même opération ». C’est bien dit mais d’où cela sort-il ? On imagine mal que soit reconnu au droit français, sous prétexte que des biens se trouvent sur son territoire, une application unilatérale de règles relatives aux relations fiscales internationales, une sorte de monisme avec primauté du droit interne, c’est-à-dire le retour à Triepel et Anzilotti, autant dire à la préhistoire du droit international.

Fort de cette auto-proclamation du coq gaulois, les juges du Palais-Royal en concluent « qu'en comparant la situation d'une société civile immobilière établie en France selon qu'elle est détenue par un État étranger ou par l'État français, pour en déduire que l'application du prélèvement prévu par l'article 244 bis A du (CGI), au prorata des droits sociaux détenus par l'État étranger, constituait une restriction directe à la liberté de circulation des capitaux, la cour (…) a donné aux faits soumis à son appréciation une qualification juridique inexacte. » 

On permettra à l’annotateur de penser le contraire.

(20 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 463599)

 

96 - Procédure fiscale non contentieuse - Impôts directs et taxes sur le chiffre d’affaires - Désaccord sur les rectifications notifiées par l’administration - Demande de saisine de la commission départementale desdits impôts ou taxes - Délai de trente jours - Délai dépassé - Promesse de saisine de la commission - Non-respect de cet engagement sans effet - Rejet.

Le juge rappelle en premier lieu que n’est pas applicable le délai maximum de soixante jours ouvert à l’administration fiscale par l’art. L. 57 A du livre des procédures fiscales, à compter de la réception des observations du contribuable faisant suite à la proposition de rectification de l’administration, pour répondre à celles-ci lorsque l’entreprise ou le contribuable a réalisé sur tout ou partie de la période vérifiée un chiffre d’affaires excédant les seuils fixés par ce même article.

Surtout, en second lieu, lorsque le contribuable entend user du droit de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du différend l’opposant à l’administration sur les rectifications qu’elle lui a notifiées, il doit le faire dans les trente jours de la réception de cette notification. Il est jugé que passé ce délai, et alors même que l’administration lui a indiqué accepter la saisine de cette commission hors délai, celle-ci peut toujours rétracter son accord et opposer à tout moment l’expiration du délai légal. Bonjour confiance, loyauté procédurale, résilience et autres billevesées de communication. Ce n’est pas très moral surtout si l’on convient que le refus de saisine de la commission après l’avoir acceptée en dit long sur l’opinion qu’a l’administration des chances de succès de l’action du contribuable car s’il en allait autrement l’administration n’aurait guère de crainte que la commission soit saisie hors délai.

Là encore, ce jeu du chat et de la souris n’a rien de très glorieux.

(20 juin 2023, Société Limat, n°467042)

 

97 - Société mère d’un groupement fiscalement intégré - Notification de proposition de rectification - Imposition supplémentaire assortie de pénalités - Récapitulation des rehaussements à partir des résultats des procédures de contrôle menées dans chacune des sociétés membres du groupe - Absence de précisions diverses dans la notification à la société mère - Rejet.

Lorsque des procédures de rectification ont été menées avec les sociétés membres d’un groupe et qu’un tableau chiffré en récapitule les conséquences sur le résultat d'ensemble, l'information qui doit être donnée à la société mère avant la mise en recouvrement peut être réduite à une référence à ces éléments sans qu'il soit nécessaire à ce stade de reprendre l'exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de rectification concernés.

Si cette notification à la société mère doit également comporter, s’agissant des pénalités, l'indication de leur montant ainsi que l’exposé des modalités de détermination mises en œuvre par l'administration car ces éléments constituent une garantie permettant à la société mère de contester utilement les sommes mises à sa charge, l'information relative aux pénalités adressée à la société mère ne constitue pas une décision au sens et pour l'application des dispositions des art. L. 80 D et L. 80 E du livre des procédures fiscales. 

(30 juin 2023, Société Camus Développement, n° 459831)

 

Droit public de l'économie

 

98 - Construction d’un hôpital - Pratiques anticoncurrentielles portant sur les produits de revêtement des sols - Action en réparation du préjudice subi par la personne publique - Prescription alléguée - Modification du régime de la prescription - Extension de la demande de réparation à d’autres entreprises du fait de leur implication au concert anticoncurrentiel - Rejet.

Des diverses questions de droit nées de pratiques anticoncurrentielles concernant le lot « revêtement des sols » du marché public de construction du nouvel hôpital de Metz, on retiendra seulement celle relative à l’invocation de la prescription en raison de la modification de sa durée entre le moment de la commission des actes délictueux et la présente instance.

Le juge de cassation réitère sa toute récente jurisprudence selon laquelle, en premier lieu, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivent selon les dispositions de l'art. 2224 du code civil et s'appliquent également, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 9 mars 2017 relatives aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, les dispositions de l'art. L. 482-1 du code de commerce.

Le juge précise, en second lieu, que ces dernières dispositions s'appliquent aux actions indemnitaires introduites à compter de leur entrée en vigueur, y compris lorsqu'elles portent sur des pratiques anticoncurrentielles qui ont pris fin avant leur entrée en vigueur, dans la mesure où ces actions n'étaient pas déjà prescrites en vertu des règles antérieurement applicables (cf. art. 12 de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles transposant la directive du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne ; CJUE, 22 juin 2022,  Volvo AB et DAF Trucks NV c. RM, aff. C-267/20).

On se permet pour le surplus de renvoyer aux développements consacrés à ces aspects dans notre précédente Chronique à propos d’un litige très semblable mutatis mutandis (Chronique, mai 2023, n° 9, sous Section, 9 mai 2023, Société Gespace France, n° 451710 ; Sociétés Spie Batignolles et Spie Opérations et Mme C., n° 451839 ; Société Nord France Boutonnat, n° 451862, jonction ; V. aussi, eod. loc., Section, 09 mai 2023, Société Eiffage Construction et Société Fougerolle, n° 451817 ; Société de participations et de gestions immobilières (SPGI), n° 451836 ; M. F., n° 451899).

(01 juin 2023, Société Forbo Sarlino, n° 468098 ; Société Gerflor, n° 468177 ; Société Tarkett France, n° 468183)

99 - Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) - Publication d’un guide de lecture de règlements européens relatifs au chauffage des serres -  Production biologique de fruits et légumes frais - Demande d’abrogation de certaines énonciations du guide - Méconnaissance de la portée des dispositions prétendument explicitées - Annulation.

L’INAO a mis en ligne sur son site internet un guide de lecture des règlements CE n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et CE n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 portant modalités d'application du règlement précédent.

Ce guide, modifié en 2019, comporte un point 17 ainsi conçu : « Le chauffage des serres est possible uniquement dans le respect des cycles naturels. Dans ce cadre la commercialisation au stade de la production avec la qualité biologique pour les légumes : tomates, courgettes, poivrons, aubergines et concombres est interdite entre le 21 décembre et le 30 avril sur le territoire métropolitain ». C’est le point contesté par le recours.

Seul était applicable à cette date le règlement (UE) 2018/848 du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques qui abroge le règlement (CE) n° 834/2007. Or si l'INAO a mis en ligne un nouveau Guide de lecture de la réglementation biologique, applicable à compter du 1er janvier 2022, ce dernier reprend à l'identique, à son point 17, les énonciations contestées par les requérantes.

Les requérantes demandaient au juge l’annulation du refus d’abroger ce passage. Elles reçoivent satisfaction.

Le Conseil d’État relève d’abord que le règlement de 2018 a défini de manière exhaustive, sans renvoyer à l'adoption de textes d'application par les États membres et sans que de tels textes soient rendus nécessaires pour sa pleine efficacité, les règles relatives à la production biologique de végétaux et à la commercialisation de tels produits. Dès lors, les autorités nationales ne sont pas compétentes pour édicter des dispositions nationales réitérant, précisant ou complétant cette réglementation. 

Par ailleurs, aucune disposition du règlement de 2018 n'assortit ces principes et objectifs généraux d'une prohibition ou d'un encadrement, pour la production agricole biologique, de la culture sous serre chauffée. Dans ces conditions, et en tout état de cause, les énonciations critiquées méconnaissent la portée des dispositions que leur auteur entendait expliciter. 

Dès lors c’est illégalement qu’a été opposé aux fédérations requérantes un refus d’abroger ce point 17.

(28 juin 2023, Fédération professionnelle représentative des entreprises coopératives et SICA de fruits et légumes frais et transformés, horticulture et pommes de terre (Felcoop) et Fédération des producteurs de légumes de France, n° 452089)

 

100 - Certificats d’économies d’énergie - Évolution du marché de ces certificats - Opérateurs concernés - Rejet.

La requérante recherchait l'annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation des dispositions des 5° et 7° de l'art. R. 221-3 du code de l'énergie dans leur rédaction issue du II de l'art. 1er du décret du 3 juin 2021 relatif à la cinquième période du dispositif des certificats d'économies d'énergie, qui réduisent les seuils de volumes annuels d'électricité et de gaz naturel vendus sur le territoire national aux ménages et aux entreprises du secteur tertiaire, au-delà desquels les fournisseurs sont soumis aux obligations d'économies d'énergie.

La société requérante demande également l'annulation de ces dispositions ou, à titre subsidiaire, leur abrogation. Sa requête est rejetée.

En particulier, le juge relève qu’il résulte de l'économie générale de la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, ayant institué le dispositif des certificats d'économies d'énergie, que le législateur a souhaité la contribution des principaux opérateurs de chacun des secteurs concernés à la réalisation de l'objectif national d'économies d'énergie. Cependant, et contrairement à ce qui est soutenu, le fait que le législateur ait renvoyé purement et simplement à un décret la fixation des seuils de ventes annuelles à partir desquels les fournisseurs d'énergies sont soumis aux obligations d'économies d'énergie, ne signifie nullement qu'il ait entendu exclure que le Gouvernement puisse, progressivement, eu égard à la taille et à la structure de chacun des secteurs d'énergie concernés et compte tenu du développement du marché des certificats d'économies d'énergie, attraire dans le champ du dispositif un plus grand nombre d'opérateurs aux fins qu'ils participent aussi aux objectifs d'économies d'énergie énoncés à l'art. L. 100-4 du code de l'énergie et renforcés notamment par la loi du 17 août 2015 de transition énergétique pour la croissance verte et par la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

(30 juin 2023, Société Plüm Énergie, n° 457884)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

101 - Contrat d’engagement jeune – Ajout d’une condition de régularité du séjour – Contrat visant une insertion durable dans l’emploi de jeunes en difficulté – Circulaire s’inscrivant dans le contenu implicite de la loi – Rejet.

« Tirée par les cheveux » tel pourrait l’intitulé de cette décision.

Les requérantes demandaient l’annulation d’une circulaire ministérielle relative à la mise en œuvre du contrat d'engagement jeune, en tant qu'elle aurait ajouté à la loi - donc incompétemment -, pour pouvoir en bénéficier, une condition tenant à la régularité du séjour.

Pour sauver ce texte de l’annulation, en le tirant proprement par les cheveux, le Conseil d’État se livre à une belle acrobatie.

Le Conseil d’État part du présupposé que la finalité du contrat d'engagement jeune ainsi que d’autres dispositions de la partie du code du travail au sein de laquelle s'insèrent les dispositions qui l'instaurent, vise à permettre une insertion durable dans l'emploi des jeunes en difficulté et confrontés à un risque d'exclusion professionnelle. Il en déduit que, par là, le législateur a implicitement mais nécessairement entendu limiter le bénéfice de ce contrat, s'agissant des jeunes étrangers qui en remplissent les conditions d'âge, aux mineurs de plus de seize ans ainsi qu'aux majeurs en situation régulière sur le territoire.

Dès lors, la circulaire attaquée, en disant explicitement ce que la loi recherche implicitement, n’aurait pas créé une exigence nouvelle, contrairement à ce qui est soutenu par les demanderesses mais s’est bornée à donner une interprétation que le ministre pouvait donner s’agissant de dispositions qu’il doit mettre en œuvre. C’est prendre quelque liberté avec la sagesse juridique bi-millénaire, rappelée par Justinien, selon laquelle le pouvoir d’interpréter appartient à l’auteur de la règle (« Eius est interpretari legem cujus est condere »). 

(12 juin 2023, Associations Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), Informations sur les mineurs isolés étrangers (InfoMIE) et Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (AADJAM), n° 463398)

 

102 - Prestation compensatrice du handicap – Fixation des montants maxima attribuables – Prise en compte du coût réel des aides humaines – Reste à charge – Absence de caractère rétroactif de l’arrêté querellé – Convention internationale dépourvue d’application directe – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation de l’arrêté du 28 mars 2022 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2005 fixant les tarifs de l'élément de la prestation de compensation mentionné au 1° de l'art. L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles et de l'arrêté du 28 décembre 2005 fixant les montants maxima attribuables au titre des éléments de la prestation de compensation.

Le recours est rejeté en tous ses chefs de griefs.

D’abord, la demanderesse n’est pas fondée à soutenir que le salaire brut minimum conventionnel prévu par la convention collective des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile étant un salaire brut avant déduction des seules contributions et cotisations salariales, il n'intègre pas l'ensemble des charges pouvant peser sur le particulier employeur, d’où il résulterait que la fixation d'un tarif consistant en une majoration du salaire brut minimum conventionnel par application d'un taux fixe, dont l'arrêté attaqué s'est au demeurant borné à rehausser le niveau de 130 % à 140 %, serait par elle-même impropre à assurer le respect des dispositions des art. L. 114-1-1, L. 245-1, L. 245-3, 245-4 et 245-6 du code de l’action sociale et des familles.

Ensuite, contrairement à ce qui est prétendu, l’arrêté attaqué ne conduit pas à laisser systématiquement aux bénéficiaires particuliers employeurs un reste à charge, ni, quand ce reste existe, à lui faire atteindre un niveau tel que les exigences des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 seraient susceptibles d'être méconnues.

Enfin, l’arrêté n’a pas de caractère rétroactif.

La requérante ne peut exciper de  la convention relative aux droits des personnes handicapées signée à New York le 30 mars 2007 pour critiquer les arrêtés litigieux car celle-ci est dépourvue d’effets directs à l’égard des particuliers puisqu’elle suppose l’intervention d’actes complémentaires pour être pleinement applicable, d’où il suit que sa méconnaissance ne peut pas être invoquée à l’encontre des arrêtés précités.

(12 juin 2023, Association Coordination Handicap et Autonomie - Vie autonome France, n° 464470)

 

103 - Demande de fixation, par le ministre chargé du travail, de la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans un champ donné (art. L. 2122-11 c. travail – Fixation  de la liste des organisations syndicales représentatives et de leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir même ne correspondant pas à une branche professionnelle – Notion de « branche professionnelle » - Notion d’utilité du périmètre – Contrôle du juge de cassation - Rejet.

La requérante poursuivait l’annulation de la décision implicite de rejet par le ministre du travail de sa demande de fixation de la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le champ des travaux publics et du bâtiment. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement rejetant sa demande.

A cette occasion le juge de cassation rappelle tout d’abord qu’en vertu des dispositions de l'art. L. 2122-11 du code du travail, il appartient au ministre chargé du travail d'arrêter périodiquement, à l'issue de chaque cycle électoral de quatre ans, la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans les branches professionnelles visées par ces dispositions, au vu, notamment, des résultats des élections professionnelles s'y étant tenues. Il rappelle ensuite qu’en vertu de plusieurs dispositions de ce code combinées (art. L. 2121-1, 2121-2, 2122-5 et R. 2121-1, 2121-2, 2122-3), ce ministre est aussi compétent, sans préjudice de l'application des règles d'appréciation de la représentativité des organisations syndicales propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches, pour, s'il y a lieu, fixer, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une « branche professionnelle » au sens de l'article L. 2122-11 du code du travail.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État confirmant en tous points l’analyse de la cour administrative d’appel notamment en ce qu’elle a, d’une part, estimé que le « secteur » du bâtiment et des travaux publics ne pouvait, contrairement à ce que soutenait devant elle la Fédération FO Construction, être qualifié de « branche professionnelle » au sens des dispositions de l'art. L. 2122-11 du code du travail et d’autre part, jugé que la détermination préalable, par un arrêté du ministre chargé du travail, de la représentativité des organisations syndicales appelées à négocier un accord interbranches conclu entre les différentes branches couvertes par les conventions collectives du bâtiment et des travaux publics n'était pas, au cas d'espèce, utile, alors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis qu'une telle négociation était engagée, ni même envisagée à court terme, et qu'au demeurant, l'absence d'un tel arrêté ne faisait pas obstacle à la négociation d'accords interbranches dans un tel périmètre, compte tenu des règles d'appréciation de la représentativité des organisations syndicales et professionnelles propres aux accords interbranches.

Cette vérification du raisonnement de la cour montre que le juge de cassation entend exercer un contrôle de qualification juridique sur la notion de « branche professionnelle » et un contrôle de qualification des faits sur la notion d’utilité de la détermination de la représentatitivité syndicale.

(14 juin 2023, Fédération Force ouvrière Construction (FO Construction), n° 451724)

 

104 - Demandeurs d’asile – Demande d’octroi de conditions matérielles d’accueil – Enfant né après l’enregistrement de la demande d’asile – Demande s’analysant comme une demande de réexamen – Rejet.

Est confirmé en appel le rejet en première instance d’une demande, en référé liberté, d’annulation de la décision administrative refusant d’accorder un hébergement d’urgence pour un couple de demandeurs d’asile ainsi pour leurs deux filles.

D’abord la demande d’asile a été refusée aux parents et à la première enfant, d’où il suit que la demande d’asile formée après la naissance de la seconde fille s’analyse en une demande de réexamen. Ensuite, en ce cas, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être refusé à la famille tant qu’une décision positive n’est pas prise, ce qui, en l’espèce, n’est pas assuré.

Enfin, en dépit de ce que l'une des enfants est en très bas-âge et que ses parents font état de la difficulté à trouver un hébergement ou un logement, ne disposant d'aucune offre dans le cadre du 115, la famille étant ainsi contrainte de vivre dans la rue et si une telle situation peut donner lieu à une prise en charge au titre de l'hébergement d'urgence, elle ne révèle cependant pas, s'agissant des droits octroyés aux personnes sollicitant l'asile, une situation telle qu'elle justifie une mesure à prendre dans un délai de quarante-huit heures.

Une nouvelle fois, l’urgence spécifique de l’art. L. 521-2 CJA joue l’effet d’un couperet.

(12 juin 2023, Mme D. et M. A., n° 474732)

(105) V. aussi, annulant une ordonnance de référé refusant d’accorder au préfet l’expulsion d’une famille de deux parents et de leurs trois enfants occupant un hébergement pour demandeurs d’asile après qu’a été refusée leur demande d’asile. En effet, saisi par le préfet d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile d'un demandeur d'asile dont la demande a été définitivement rejetée, le juge des référés du tribunal administratif y fait droit dès lors que la demande d'expulsion ne se heurte à aucune contestation sérieuse et que la libération des lieux présente un caractère d'urgence et d'utilité. Commet donc une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance refusant l’expulsion en retenant que constitue une contestation sérieuse la circonstance que l’un des membres du couple est en mauvaise santé et que l’un des trois enfants est en bas âge : ord. réf. 29 juin 2023, ministre de l’intérieur…, n° 470217.

 

106 - Droit prioritaire au logement ou au relogement - Refus d’une solution de logement proposée - Motif impérieux - Erreur de droit - Annulation.

Dans un litige relatif à l’exercice du droit au logement opposable et à l’appréciation de l’exécution de décisions de la commission de médiation, le juge se prononce sur le refus de l’intéressée d’accepter un logement proposé. Alors que le tribunal avait vu dans ce refus un motif faisant perdre à la requérante son droit à indemnisation, ce logement disposant d'un ascenseur et étant adapté aux besoins et capacités de l’intéressée, le Conseil d’État aperçoit dans ce jugement une erreur de droit. Selon lui, il ressortait des pièces produites en première instance, et notamment du courrier explicatif adressé au secrétariat de la commission de médiation, que Mme A., âgée alors de soixante-six ans et disant souffrir de douleurs articulaires handicapantes, a refusé le logement qui lui était proposé en avril 2017 aux motifs qu'il se situait au neuvième étage, que l'ascenseur était en panne lors de la visite et que ce problème lui avait été décrit comme récurrent par le gardien de l'immeuble. Il incombait donc aux premiers juges de rechercher si, eu égard aux circonstances non démenties dont elle faisait état, la demanderesse avait justifié d'un motif impérieux pour en refuser l'attribution, de sorte que ce refus n'était pas de nature à lui faire perdre son droit à indemnisation. 

(20 juin 2023, Mme A., n° 457925)

 

107 - Revenu de solidarité active (RSA) - Condition pour en bénéficier - Suppression des droits en raison de la qualité d’étudiant - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant s’est vu retirer le bénéfice du RSA et réclamer le paiement d’un indu de ce chef ainsi que du fait du versement de l’allocation de logement sociale au motif qu’étant étudiant, il n’était pas éligible au RSA. Son action en justice ayant été rejetée par le tribunal administratif, l’intéressé se pourvoit en cassation et bien lui en a pris.

Le Conseil d’État relève que M. Fuhro, inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi, suivait la formation d'architecte en technologies numériques dispensée par l'établissement « Le 101 » pour une période de trois ans ayant débuté le 6 novembre 2017.

Il estime que le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le requérant ne relevait pas du dispositif de la formation professionnelle tout au long de la vie et que le président de la métropole de Lyon avait pu à bon droit mettre fin à ses droits au RSA au motif qu'il était étudiant, et en se fondant sur l'absence de contrat de formation professionnelle conclu entre celui-ci et l'établissement d'enseignement en application des dispositions des art. L. 6353-3 et L. 6353 4 du code du travail.

En effet, il incombait à ce tribunal de tenir compte de la convention de formation professionnelle établie avec Pôle emploi et « Le 101 » et de rechercher si ce dernier était un organisme de formation dont la déclaration d'activité avait été enregistrée.

(30 juin 2023, M. Fuhro, n° 461116)

(108) V. aussi, assez voisin, annulant pour dénaturation des pièces du dossier un jugement estimant que l’intéressée ne pouvait revendiquer la qualité de stagiaire de la formation professionnelle la rendant éligible au revenu de solidarité active car si l’intéressée s'était inscrite à l'université sous le statut de stagiaire de la formation professionnelle pour suivre une licence 1 de psychologie, si cette formation faisait l'objet d'un contrat de formation professionnelle entre l’intéressée et le service de la formation continue et de l'apprentissage de l'université et si ce contrat indiquait que l'action de formation organisée entrait dans la catégorie des actions prévues par l'art. L. 6313-1 du code du travail, cette formation ne comportait pas de volet relatif aux modalités de la concrétisation du cursus universitaire envisagé en vue de sa réinsertion dans le milieu du travail. En effet, la formation en cause était nécessairement, eu égard aux éléments que le tribunal avait relevés, suivie dans le cadre de la formation professionnelle tout au long de la vie : 30 juin 2023, Mme B., n° 464587.

 

109 - Décompte des heures de travail accomplies – Horaire collectif devant être affiché - Absence d’horaire collectif de travail – Obligation de décompte individuel selon un système objectif et fiable – Rejet.

Condamnée à 53 amendes administratives (autant que de salariés) pour absence de décompte de la durée de travail, la société demanderesse obtient en appel une réduction du montant total des amendes mais se pourvoit contre le rejet par la cour du surplus de sa demande d’appel.

Le Conseil d’État réitère sa jurisprudence sur le sujet.

Normalement, les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif de travail lequel est affiché.

Cependant, dans le cas où les salariés ne travaillent pas selon un même horaire collectif, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible. 

Tel n’était pas le cas dans la présente affaire d’où le rejet du pourvoi.

(30 juin 2023, SAS CGI France, n° 466290)

(110) V. aussi, avec même requérant et adoptant la même solution : 30 juin 2023, SAS CGI France, n° 467553          

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

111 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)  - Qualification d’une organisation comme « représentante d’intérêts » - Obligation d’inscription sur un répertoire à cet effet - Rejet de la demande de suspension d’exécution.

Le think tank requérant demandait la suspension de l’exécution des décisions des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023 par laquelle la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) lui a demandé de procéder à son inscription sur le répertoire des représentants d'intérêts ou, à défaut, de faire état de ses entrées en communication avec des responsables publics français.

Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

L'institut requérant soutenait qu’une atteinte grave et immédiate à sa situation était portée par les décisions litigieuses car elles l'exposent à des sanctions pénales si elle ne s'y conforme pas, l'incitant ainsi à les exécuter avant que son recours au fond ne soit jugé et par suite à préjudicier à sa liberté d'expression, au droit au respect de sa vie privée et, plus généralement, à l'intérêt public s'attachant à la liberté du débat démocratique.

Relevant cependant que les courriers en litige interviennent en amont de la mise en demeure (cf. art. 8 du décret du 9 mai 2017), mise en demeure qui doit elle-même être précédée d'une notification par la HATVP au représentant d'intérêts du ou des manquements aux obligations lui incombant, la mise en demeure étant seule susceptible, d'une part, d'être rendue publique, d'autre part, de conduire à l'application des sanctions pénales. En outre, la HATVP, ainsi qu'elle l'a indiqué lors de l'audience, n'entend pas adresser à l'Institut Montaigne de mise en demeure, à la suite de son courrier du 19 avril 2023 dont au demeurant l'Institut Montaigne ne demande pas la suspension de l'exécution par la présente requête, jusqu'à ce que le Conseil d'État ait statué sur la requête de l'Institut Montaigne tendant à l'annulation des courriers des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023.

Faute de satisfaire à la condition d’urgence le référé est rejeté.

(o rd. réf. 14 juin 2023, Institut Montaigne, n° 474353)

 

112 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)  - Avis d’incompatibilité entre des fonctions exercées par un ancien secrétaire d’État et des fonctions privées futures postulées - Risque pénal avéré - Rejet.

Le juge confirme la juridicité de la décision par laquelle la HATVP a estimé ne pas pouvoir délivrer un avis de compatibilité entre les fonctions ministérielles de M. Cédric O en qualité de secrétaire d’État chargé du numérique et son projet de devenir membre du conseil d'administration de la société Atos qui a bénéficié de plusieurs plans de soutien sectoriels comportant le versement de subventions de la part de l'État : en janvier 2021, dans le cadre de la stratégie nationale sur les technologies quantiques, en juillet 2021, dans le cadre de l'appel à projet relatif à la « stratégie d'accélération 5G et réseaux du futur » et en novembre 2021, dans le cadre du plan industriel de soutien à la filière « cloud » française. 

C’est sans erreur de droit que la Haute autorité a estimé que le projet de M. O consistant à devenir administrateur de la société Atos l'exposait au risque de commettre le délit de prise illégale d'intérêts sans qu'aucune réserve n'apparaisse propre à le prévenir.

Enfin, c’est en vain que le demandeur invoque le sort différent fait par cette autorité à des demandes comparables d’autres anciens membres de gouvernements, les situations respectives étant différentes.

(20 juin 2023, M. Cédric O, n° 472366)

 

Environnement

113 - Déchets issus de chantiers de construction - Charge de leur élimination incombant à leur producteur ou à leur détenteur - Notion - Collecte et transport de déchets pour le compte de tiers ne conférant pas la qualité de producteur ou détenteur desdits déchets - Rejet.

La société initialement chargée d’exploiter, au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, un centre de tri et de transit de déchets issus de chantiers de construction ou de démolition s’est vue suspendue de son activité par le préfet pour n’avoir pas déféré à une mise en demeure de celui-ci pour non-respect des prescriptions relatives à l'exploitation du site. Cette société ayant été mise en liquidation judiciaire, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a été chargée d'intervenir, pour sécuriser le site et évacuer les déchets, aux frais des personnes physiques ou morales responsables, cette dernière ayant engagé, à ce titre, des dépenses à hauteur d'un montant de 19 500 000 euros.  Le préfet a informé la société Métalarc, chargée de la collecte et du transport de déchets issus de chantiers pour le compte d'entreprises tierces, qu'elle devait être regardée comme responsable, au sens de l'art. L. 541-2 du code de l'environnement, d'une partie des déchets abandonnés sur le site en question et qu'il lui appartenait, à ce titre, d'en financer l'élimination. L'ADEME, après versement par cette société d'une somme de 1 235 000 euros au titre de sa contribution aux travaux d'élimination des déchets, lui a adressé le titre de recettes correspondant.

La société Métalarc, aux droits de laquelle est venue la société Paprec Île-de-France, a, par la suite, demandé que l'État lui verse cette somme en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de sa désignation comme responsable d'une partie des déchets abandonnés sur le site et exigé de l'ADEME la restitution de cette même somme qu'elle estimait avoir versé à tort.

Le tribunal administratif de Melun, ayant joint les demandes, a mis respectivement en cause la responsabilité de l'ADEME et celle de l'État, condamné l'ADEME à verser à la société Paprec Île-de-France la somme litigieuse avec intérêts au taux légal et rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.

Le ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation de l’arrêt par lequel la cour administrative d'appel a, sur appel principal de l'ADEME et appel incident de la société Paprec Île-de-France, annulé ce jugement, rejeté les conclusions des demandes de la société Paprec Île-de-France tendant à la condamnation de l'ADEME et, enfin, condamné l'État à lui verser la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et capitalisation des intérêts.

Le pourvoi est rejeté.

Le juge, se fondant sur les dispositions idoines du code de l’environnement (art. L. 541-1-1, L. 541-2, L. 541-3 et L. 541-8 et R. 541-50 et R. 541-51), indique très nettement que - ainsi que l’a jugé la cour sans erreur de droit - ne peut être regardée comme producteur ou détenteur de déchets au sens de l'art. L. 541-1-1 c. env., la société dont l’activité a uniquement consisté à collecter et transporter des déchets pour le compte de tiers jusqu'à un centre de tri autorisé par l'administration conformément aux dispositions particulières de ce code régissant cette activité, tâche dans l’accomplissement de laquelle elle n'avait, au surplus, commis aucune négligence. 

(02 juin 2023, ministre de la transition écologique, n° 450086)

 

114 - Installation d’éoliennes - Directive « habitats » et art. L. 411-1 c. env. - Méthodologie de l’appréciation par le juge de la nécessité d’une dérogation - Obligation de prise en compte des mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire - Erreur de droit - Annulation.

Sur pourvoi des requérants, le Conseil d’État casse un arrêt d’appel qui a annulé un arrêté préfectoral délivrant à la société requérante une autorisation de construction et d’exploitation d’un parc éolien en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'art. L. 411-2 du code de l'environnement et suspendu, en application de l'art. L. 181-18 du même code, l'exécution des parties non viciées de l'arrêté préfectoral jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation. 

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans le fait que, pour apprécier si la société pétitionnaire était dans l'obligation de solliciter une dérogation « espèces protégées », la cour, a considéré, s'agissant tant de l'avifaune que des chiroptères, que les mesures de réduction des impacts sur les espèces protégées n'avaient pas à être prises en compte alors qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que tant les mesures d'évitement que les mesures de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par la société pétitionnaire doivent être prises en compte afin d'apprécier si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour qu’une dérogation soit estimée nécessaire.

(22 juin 2023, Société Ferme éolienne de Saint-Fraigne, n° 461394 ; ministre de la transition écologique…, n° 461517)

(115) V. aussi, quasi identique et concernant la même cour administrative d’appel : 22 juin 2023, Société Centrale éolienne La plaine des fiefs, n° 465839.

 

116 - Autorisation d’installation d’éoliennes - Installations classées pour l’environnement - Intérêt à agir d’une entreprise commerciale contre cette autorisation - Régime - Appréciation - Absence - Rejet.

La requérante poursuivait l’annulation de l’arrêt rejetant sa demande d’annulation de l'arrêté préfectoral ayant délivré à une autre société une autorisation unique pour la construction et l'exploitation de dix aérogénérateurs et trois postes de livraison sur le territoire de la commune de Macquigny.

Le pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle opportunément qu’un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement délivrée à une entreprise, fût-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l'installation classée présente pour les intérêts visés à l'art. L. 511-1 du code de l’environnement sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement commercial.

Le juge doit donc s’assurer que l'établissement justifie d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l'installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux. 

Aucun de ces éléments ne se retrouvant positivement dans cette affaire c’est sans qualifier juridiquement les faits de manière inexacte que la cour a dénié à la requérante un quelconque intérêt pour agir, y compris en tenant compte de ce que l’éolienne du nouveau site d’implantation la plus proche d’une éolienne de la demanderesse est située à 482 mètres.

(22 juin 2023, Société Parc éolien de la Mutte, n° 456192)

 

117 - Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de la « vallée de la chimie » - Annulation du plan à la demande d’une commune - Rejet des conclusions à fin d’injonction - Appel sur ce point - Irrecevabilité devant être relevée d’office - Annulation.

(30 juin 2023, Commune de Solaize, n° 449196)

V. n° 73

 

118 - Règle de tri ou d’apport de déchets issus d’un produit - Signalétique pouvant induire une confusion - « Règle technique » au sens du droit de l’Union - Contrariété à ce dernier - Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté ministériel du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit ainsi que, pour une partie d’entre eux, l’annulation de l’arrêté ministériel du 25 décembre 2020 portant modification de l'arrêté du 29 novembre 2016 relatif à la procédure d'agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des emballages ménagers et son annexe, notamment le point II.4°.

Dans le souci de lutter contre le gaspillage et de favoriser le développement de l'économie circulaire, l’art. L. 541-10-3 du code de l’environnement, dans la version issue de l’art. 62 de la loi du 10 février 2020, pénalise financièrement les producteurs qui utilisent des emballages sur lesquels est apposée une signalétique susceptible d'induire en erreur les consommateurs en leur laissant croire qu'elle vaudrait consigne de tri. En définissant les signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit comme étant les « figures graphiques représentant deux ou plusieurs flèches enroulées et inscrites dans un cercle », l'arrêté querellé du 30 novembre 2020 vise de façon indirecte mais non équivoque la signalétique « Point Vert », laquelle est couramment utilisée dans de nombreux pays en Europe. Il en va de même du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 prévoyant les conditions d'application dans le temps de la pénalité. 

Or en désignant la signalétique « Point Vert » comme étant de nature à induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu des produits sur lesquels elle est apposée et comme devant, à ce titre, être affectée d'une pénalité, les dispositions réglementaires attaquées introduisent une exigence, imposée pour des motifs de protection de l'environnement, qui porte sur le cycle de vie des produits concernés et qui est de nature à influencer de manière significative leur commercialisation. Elles doivent, par suite, être regardées comme entrant dans le champ des « règles techniques » au sens de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015.  

En principe, n’ont pas, en application du 1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE précitée, à être communiquées à la Commission européenne les dispositions réglementaires d'application relatives à une règle technique lorsque, d'une part, le texte législatif détermine la règle technique en cause d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne et les États membres de l'Union européenne, d'autre part, que la disposition législative a été communiquée conformément à la directive et, enfin, que les dispositions réglementaires d'application n'ajoutent pas d'autre règle technique relevant de cette obligation de communication.

Dans le présent litige, les autorités françaises ont bien notifié à la Commission européenne le 20 juillet 2020 les dispositions de l'art. L. 541-10-3 précité, issues de la loi du 10 février 2020, en application desquelles les dispositions attaquées de l'arrêté du 30 novembre 2020 et du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 ont été prises. Cependant, le juge estime que la communication de ces dispositions législatives, qui se bornent à définir un régime général de pénalité affectant les signalétiques et marquages pouvant induire en erreur sur les règles de tri ou d'apport du déchet, n'a, en tout état de cause, pas pu permettre, à elle seule, à la Commission d'évaluer pleinement les effets de la règle technique introduite, qui s'applique exclusivement à une signalétique donnée, dénommée « Point Vert », et n'a, par suite, pas suffi à satisfaire à l'obligation de notification résultant de l'art. 5 de la directive (UE) 2015/1535.  
Pour ce motif, les requérants sont jugés fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 30 novembre 2020 et du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020. 

(30 juin 2023, Société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland GmbH (DSD) et société PRO Europe Sprl, n° 449872 ; Association française des industries de la détergence et autres, n° 450134 et n° 450158)

 

119 - Stockage de déchets et affouillements du sol sans autorisation - Mise en demeure de « l’intéressé » - Notion d’intéressé - Cas du contrevenant - Rejet.

L’art. L. 171-7 du code de l’environnement dispose que : « Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application des dispositions du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. »

La requérante, mise en demeure de régulariser sa situation du fait de l’exercice - sans enregistrement - de son activité de stockage de déchets inertes sur un espace supérieur ou égal à 5 000 m2, soumis à enregistrement en application de la rubrique 2760 de la nomenclature des installations classées annexée à l'art. R. 511-9 du code de l'environnement, faisait valoir qu’elle n’avait pas la qualité d’« intéressé » au sens et pour l’application de l’art. L. 171-7 précité. En particulier, elle faisait valoir avoir signé avec le propriétaire de la parcelle et une société, une convention aux termes de laquelle elle était autorisée à entreposer ces déchets sur une hauteur d'1 mètre 20, à concurrence de 70 000 tonnes, la société co-contractante étant chargée de la mise en forme des remblais. A la suite de la mise en liquidation judiciaire de cette société, la requérante a passé le 5 janvier 2015 une nouvelle convention avec le propriétaire, autorisant cette société à poursuivre l'entreposage des déchets, le propriétaire assurant la mise en forme des remblais. 

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif par lequel la cour administrative d’appel a relevé que cette société réalisait sur la parcelle une activité de dépôt et de stockage de déchets inertes soumise à enregistrement sans avoir enregistré cette activité alors qu’elle pouvait être regardée comme une personne « intéressée » au sens de l'art. L. 171-7 précité, nonobstant la circonstance que le propriétaire de la parcelle, avec qui elle avait signé un contrat pour le stockage et le traitement des déchets inertes en cause, était titulaire d'une autorisation de procéder à des travaux de remblaiement et bénéficierait à ce titre de l'activité exercée par la société sur sa parcelle.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État estimant que la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.

C’est l’application du principe de la personnalité et de l’incessibilité des autorisations de police sauf texte exprès. 

(30 juin 2023, Société RE.VA.LY, n° 452669)

Étrangers

120 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Dépôt d’un recours - Exécution immédiate de l’OQTF - Atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale - Rejet.

Un ressortissant marocain, à l’expiration de la peine correctionnelle qu’il purgeait, s’est vu notifier le 23 février 2023 une OQTF contre laquelle il a formé le jour même de cette notification une requête au greffe de la maison d’arrêt où il était incarcéré et qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2023. Le 4 mars 2023, jour de la levée de son écrou, il a été éloigné vers le Maroc.

Le juge du référé liberté, par ordonnance du 13 mars 2023, a enjoint à la préfète du département d'organiser dans les meilleurs délais, aux frais de l'État, le retour de M. B. en France, au motif qu'il avait été porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours.

Le Conseil d’État  rejette l’appel formé par le ministre de l’intérieur contre cette ordonnance.

Il juge d’abord que c’est en violation des dispositions de l’art. L. 722-7 du CESEDA que M. B. a été éloigné vers le Maroc alors qu'il avait régulièrement saisi le tribunal administratif de Nîmes d'une requête dirigée contre l’OQTF.

Il rejette ensuite l’argumentation du ministre défendeur appelant selon laquelle, d’une part, l’éloignement de l’intéressé ne prive pas de son objet sa requête contre l’OQTF et ne fait pas non plus obstacle à ce qu'il soit représenté par son avocat à l'audience afférente, d’autre part, M. B. n'est pas en risque de subir, dans le pays vers lequel il a été éloigné, des traitements inhumains ou dégradants et a commis de graves délits pour lesquels il a été condamné à de la prison ferme. Le juge considère, en effet, que l'éloignement du requérant, en dépit de l'effet suspensif qui s'attache à son recours, porte à son droit à un recours effectif, qui implique notamment le droit à ne pas être éloigné jusqu'au prononcé du jugement statuant sur son recours, une atteinte grave et immédiate à laquelle il doit être mis fin de manière urgente.

Enfin, le juge ne s’arrête pas à l’objection tirée de ce que c'est sans avoir connaissance de l'existence de la requête de M. B. que le préfet du Gard a procédé à son éloignement.

Est ainsi confirmée l’ordonnance du premier juge enjoignant au préfet d'organiser aux frais de l'État le retour en France de M. B.

(ord. réf. 02 juin 2023, ministre de l’intérieur, n° 474063)

121 - Ressortissants étrangers demandant l’asile seulement pour leur enfant mineure - Risque d’excision - Délivrance d’une carte de retrait ou de paiement - Obligation pour les parents ou l’un d’eux de détenir des pièces d’identité en original - Annulation et rejet.

Un couple de ressortissants ivoiriens non demandeurs d’asile a sollicité l’asile pour leur fille née en Italie, âgée d’un mois, en raison du risque d’être exposée à une excision du clitoris et demandé, notamment, l’octroi d’une carte de retrait ou de paiement (cf. art. D. 553-18 CESEDA).

Le juge du référé liberté, sur recours de ces personnes, a enjoint l’OFII de verser à Mme et M. A. l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) allouée à leur fille en leur délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA, dans un délai de cinq jours. 

L’Office interjette appel de cette ordonnance en tant qu’elle ordonne la délivrance d’une carte. Il indique qu’une telle carte ne peut être délivrée qu’à des personnes majeures présentant à cet effet, en l’état de la législation bancaire française et pour un motif de prévention de fraude, des documents d’état civil originaux. Or en l’espèce ne sont détenues par les intéressés que des photocopies.

Estimant qu’il est loisible pour ces derniers de s’adresser à leur consulat ou à leur ambassade en France pour demander la délivrance desdites pièces originales et tenant compte des efforts faits par l’administration, le juge des référés du Conseil d’État  décide, « dans les circonstances très particulières de l'espèce et en l'état de l'instruction » que le comportement de l’OFII ne révèle pas une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile.

L'ordonnance attaquée est annulée en ce qu’elle fait injonction à l’OFII de délivrer aux parents une carte de paiement.

(ord. réf. 02 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474282)

(122) V. aussi, très largement semblable : ord. réf. 05 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474281.

123 - Étudiant ukrainien bénéficiaire d’une carte de séjour pluriannuelle et de la protection subsidiaire - Refus de délivrance d’un titre d’identité et de voyage - Défaut d’urgence - Rejet de la demande en référé liberté.

Le requérant, ressortissant ukrainien, titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « étudiant », s'étant vu octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire et la délivrance d'un titre de voyage pour étranger bénéficiaire de la protection internationale compte tenu de l'absence de possession, à cette date, de la carte de séjour prévue à l'art. L. 424-9 du CESEDA, a demandé au juge des référés qu’il fasse injonction au préfet de police de lui délivrer un titre d'identité et de voyage.

Il lui est rappelé qu’il lui incombe de « justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai » de la mesure qu’il sollicite. Or le juge saisi relève que si le requérant soutient qu'en l'absence de ce titre de voyage, il ne peut rendre visite aux familles de sa sœur et de sa compagne, qui résident respectivement en Espagne et en Grèce, et qu'il ne peut ni participer aux programmes de mobilité internationale, ni présenter sa candidature en vue d'effectuer un stage à l'étranger, le requérant ne justifie pas de circonstances particulières, concrètes et précises nécessitant à très bref délai le prononcé de l'injonction sollicitée. 

Encore une fois se vérifie la nécessité de ne pas prendre le référé (suspension ou, surtout, liberté) pour une panacée, il demeure une voie contentieuse dérogatoire ; en particulier pour se placer sur le terrain de l’art. L. 521-2 il faut être capable de démontrer l’urgence qu’il y a à ce que le juge statue sous quarante-huit heures.

(06 juin 2023, M. B., n° 473754)

124 - Droit d’asile - Requêtes distinctes de membres d’une même famille - Faculté de joindre plusieurs affaires - Conditions - Rejet.

Le juge précise, en innovant, la procédure contentieuse pouvant être suivie en matière de jonction de requêtes tendant à l’octroi du droit d’asile.

La Cour nationale du droit d'asile a la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires, y compris lorsque celles-ci sont jugées en audience non publique, notamment pour statuer, au vu du dossier mais aussi des débats à l'audience, sur les droits à protection des membres d'une même famille faisant état d'éléments communs ou semblables ou d'une communauté de risques.

Comme la jonction de requêtes est, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue, elle ne peut être contestée en tant que telle devant le juge de cassation.

Toutefois, le huis clos étant de droit devant la Cour nationale du droit d'asile, celle-ci est tenue, même en cas de jonction, de procéder à des auditions séparées des requérants si l'un d'entre eux en fait la demande.

(19 juin 2023, M. A. et autre, n° 462584)

 

125 - Titre de séjour - Retrait ou refus de renouvellement - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Annulation et rejet.

Le juge de cassation, saisi d’un pourvoi contre une ordonnance de référé rejetant la demande de suspension de l’arrêté préfectoral refusant de faire droit à la demande de renouvellement du titre de séjour du requérant, rappelle comment doit s’apprécier l’urgence en ce cas.

Tout d’abord, lorsqu’il est saisi d'une demande de suspension d'une décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, le juge administratif des référés doit apprécier et motiver l'urgence compte tenu de l'incidence immédiate du retrait de titre de séjour sur la situation concrète de l'intéressé.

Ensuite, et cette précision est d’importance, cette condition d'urgence sera en principe constatée dans le cas d'un refus de renouvellement du titre de séjour, comme d'ailleurs d'un retrait de celui-ci. 

Enfin, dans les autres cas, il appartient au requérant de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure provisoire dans l'attente d'une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de la décision litigieuse.

En l’espèce, le premier juge a fondé sa décision de rejet sur ce que le requérant n'établissait pas qu'il serait privé de ressources liées à une activité professionnelle du fait du refus de renouvellement de son titre de séjour dès lors que ses ressources sont principalement constituées par l'allocation pour adulte handicapé dont il n'établit pas être privé par la décision en litige. Ce raisonnement est cassé car, comme indiqué ci-dessus, la condition d’urgence doit toujours être considérée comme satisfaite en cas de refus de renouvellement d’un titre de séjour ou de retrait de celui-ci.

Statuant au fond, le juge du Conseil d’État rejette le pourvoi car fait défaut la seconde condition nécessaire à l’octroi d’un sursis à exécution, à savoir l’existence d’au moins un moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la juridicité de la décision contestée.

(ord. réf. 23 juin 2023, M. B., n° 472013)

 

126 - Demande d’asile - Refus - Participation à des crimes de guerre - Insuffisante motivation - Annulation.

Motive insuffisamment son arrêt, lequel est annulé, la Cour nationale du droit d’asile qui, pour confirmer le refus de protection asilaire par l’OFPRA, en raison de ce que le demandeur se serait rendu coupable de crimes de guerre commis en 2011 lors des affrontements ayant eu lieu à la suite des élections présidentielles en Côte d'Ivoire, retenant pour cela, d'une part, l'existence de tels crimes et, d'autre part, le fait que l'intéressé, lieutenant de police, exerçait alors des fonctions de commandement au sein du groupement de sécurité du président de la République et assurait la sécurité de la résidence présidentielle, sous l'autorité du colonel major B., regardé comme responsable de violations des droits de l'homme lors de ces événements.

Cependant, la cour ne précise pas en quoi le requérant aurait pris part à titre personnel à des crimes de guerre.

(26 juin 2023, M. A., n° 463971)

 

127 - Étranger reconnu comme réfugié - Condamné pour infraction pénale - Expulsion - Possibilité de reconstitution de la cellule familiale - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dénature les pièces du dossier la juridiction qui, pour rejeter le recours contre un arrêté d’expulsion, retient que cette dernière ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé dans la mesure où celui-ci n’établit pas que sa cellule familiale ne pourrait pas désormais se reconstituer dans son pays d'origine, alors que le dossier de la procédure indique que celui-ci a le statut de réfugié, ainsi d'ailleurs que sa mère, hébergée au domicile familial et qu’il est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 7 septembre 2024.

(27 juin 2023, M. A., n° 465754)

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

128 - Adjointe territoriale - Déclaration d’aptitude à l’exercice de ses fonctions après un congé maladie - Placement en disponibilité - Illégalité - Annulation.

Dénature l’appréciation portée sur les faits de l’espèce, le jugement estimant que l'administration n'avait commis aucune faute à l'occasion de l'affectation de Mme A. sur un poste d'archiviste le 1er novembre 2018, dès lors que cette dernière avait accepté cette affectation, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la commune avait omis de lui proposer deux postes également vacants, à pourvoir au 1er septembre 2018, le tribunal administratif a porté sur les faits de l'espèce une appréciation entachée de dénaturation.

Par ailleurs ce jugement se méprend sur la portée des écritures de la requérante qui soutenait qu’elle ne pouvait être mise en disponibilité lors de son retour de congé maladie alors qu’elle avait été reconnue médicalement apte à reprendre son poste qui était alors vacant.

(01 juin 2023, Mme A., n° 452206)

 

129 - Attaché territorial - Évolution prétendument prévisible de son poste - Dénaturation des pièces du dossier - Qualification juridique erronée des faits - Annulation.

Le requérant attaché territorial, a été recruté en 2016, par mutation, pour occuper un poste de « responsable carrière, paie et pilotage de la masse salariale » au sein de la direction des ressources humaines de la communauté d'agglomération de Metz Métropole, devenue l'Eurométropole de Metz. L’avis de recrutement mentionnait que ce poste devrait évoluer à compter de 2018 afin de devenir un poste de « pilotage de la masse salariale permettant une aide à la décision », à raison de la fusion des services des ressources humaines de la collectivité avec ceux de la ville de Metz à compter du 1er janvier 2018.

Constatant que son affectation sur ce dernier poste se traduisait par une perte totale des responsabilités d'encadrement qui étaient les siennes dans le poste sur lequel il avait été recruté en octobre 2016, une réduction du périmètre de ses missions et une réduction de sa rémunération à raison d'une perte de la nouvelle bonification indiciaire et d'un régime indemnitaire moins favorable, l’intéressé a demandé l’annulation de la décision d’affectation sur ce poste.

Sur son recours, la cour administrative d’appel a estimé que M. B. ne pouvait ignorer, lorsqu'il s'était porté candidat au poste offert à la mutation en 2016, qu'à raison de l'évolution envisagée de l'emploi proposé, le périmètre de ses attributions s'en trouverait réduit à la seule gestion de la masse salariale dans des conditions permettant seulement l'aide à la décision ; la cour en a déduit que la décision contestée l'affectait sur un emploi conforme à sa demande et a jugé que, par suite, il n'était pas recevable à en demander l'annulation.

Pour annuler cet arrêt le juge de cassation se fonde sur ce que la cour aurait tout à la fois dénaturé les pièces du dossier et erronément qualifié les faits au plan juridique. La dénaturation résulte de ce que l’avis de recrutement, s’il mentionnait bien l’évolution future du poste à pourvoir, ne donnait aucune précision sur l'incidence éventuelle de cette évolution, le moment venu, sur les caractéristiques essentielles de l'emploi à pourvoir (périmètre, responsabilités d'encadrement ou rémunération). L’erreur de qualification juridique des faits résulte, elle, de ce que la cour a jugé que le demandeur, lors de son recrutement en 2016, ayant accepté d'être nommé sur le poste auquel il a été affecté en 2018, cette affectation était donc conforme à sa demande et qu’il n’était par conséquent pas recevable à demander l'annulation de la seconde décision d'affectation.

(01 juin 2023, M. B., n° 461312)

 

130 - Fonctionnaire d’État  affectée dans une direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) - Candidature à l'examen professionnel de secrétaire administratif de classe normale relevant des ministres chargés des affaires sociales - Interdiction de présentation aux épreuves orales faute d’être gérée ou payée par les ministères sociaux - Annulation.

Adjointe administrative principale des administrations de l'État alors affectée à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de la Corrèze, la requérante a été déclarée admissible à l'examen professionnel de secrétaire administratif de classe normale relevant des ministres chargés des affaires sociales.  Par une décision du 28 septembre 2018, il lui a été indiqué que, « n'étant ni gérée ni payée par les ministère sociaux », elle ne remplissait pas les conditions pour se présenter à cet examen professionnel et lui a été refusé l’autorisation de se présenter aux épreuves orales.

L’intéressée se pourvoit en cassation de l’arrêt qui, sur appel du ministre de la santé, a annulé le jugement annulant ce refus et faisant injonction d'autoriser Mme B. à se présenter aux épreuves orales de l'examen.

Le Conseil d’État  est à la cassation en raison de ce que la cour administrative d’appel, pour recevoir l’action du ministre, a commis une erreur de droit en se fondant sur ce que la rémunération et la gestion de carrière de Mme B., agent du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, étaient assurées par ce ministère et ensuite sur ce que les directions départementales interministérielles relevaient du Premier ministre. Par suite,  l'intéressée ne pouvant être regardée comme « affectée dans un service relevant des ministres chargés des affaires sociales » au sens et pour l'application du 2° de l'article 2 du décret du 13 avril 2012, la cour en a déduit que la ministre des solidarités et de la santé avait pu légalement considérer qu'elle ne remplissait pas les conditions pour se présenter aux épreuves orales d'admission de l'examen professionnel ouvert pour l'accès au grade de secrétaire administratif de classe normale relevant des ministres chargés des affaires sociales. 

Le Conseil d’État  juge, au contraire, que les missions du service dans lequel l’intéressée exerce ses activités - la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Corrèze -, mettent en œuvre les politiques de cohésion sociale et relèvent fonctionnellement de celles assurées par le ministre des affaires sociales. Elle doit dès lors être regardée comme affectée dans un service relevant des ministres chargés des affaires sociales au sens et pour l'application des dispositions du 2° de l'article 2 du décret du 13 avril 2012.

(07 juin 2023, Mme B., n° 442679)

 

131 - Fonctionnaire hospitalière - Arrêt maladie et congé pathologique prénatal - Refus de versement de la prime de service - Discrimination entre agents en congé maladie pour grossesse ou non - Rejet.

La demanderesse, cadre de santé dans un centre hospitalier, a demandé que lui soit versée une somme qu’elle estime avoir été retenue indûment sur sa prime de service au titre de l'année 2013 pendant la période de congé correspondant à son arrêt maladie dès lors que cet arrêt maladie avait été mentionné par le médecin traitant comme étant en lien avec sa grossesse. Elle a saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à ce que lui soit allouée une somme de 656,13 euros ; une somme de 49,50 euros lui ayant été allouée par le jugement, elle saisit le Conseil d’État, son pourvoi est rejeté en ses deux moyens principaux.

Tout d’abord, il était soutenu que les dispositions de l'article 3 de l'arrêté interministériel du 24 mars 1967 devraient être interprétées comme prévoyant le maintien de la prime de service durant les périodes d'absence pour congé de maladie lié à la grossesse. En réalité, la notion de congé de maternité au sens des dispositions applicables aux agents hospitaliers, est celle retenue, y compris pour sa durée, par le code de la sécurité sociale et la faculté d'augmenter la période du congé maternité en particulier dans la limite d'une durée maximale de deux semaines avant la date présumée de l'accouchement lorsqu'un état pathologique est attesté par un certificat médical comme résultant de la grossesse ou de l'accouchement, ne constitue pas pour autant une définition autonome du congé de maternité.

Or en application de l'art. 3 de l'arrêté précité du 24 mars 1967, si les agents qui, au titre d'une année considérée, bénéficient de la prime de service instituée par cet arrêté interministériel, ne sont pas privés du versement de la totalité de la prime de service alors même qu'ils sont placés en congé maladie, compte tenu des modalités d'abattement d'un cent quarantième de la prime de service ainsi prévues, d'une part, tout agent placé en congé maladie se voit appliquer le même abattement et, d'autre part, parmi les absences liées à des congés n'entraînant pas l'abattement, l'arrêté permet de prendre en compte, au titre du congé de maternité, les états pathologiques liés à la grossesse dans la limite légale de deux semaines avant la date présumée de l'accouchement, mais pas les congés de maladie liés à l'état de grossesse. 

Ensuite, c’est vainement que la requérante soutient que l'absence de distinction faite entre les personnes placées en congé de maladie selon qu'elles sont, ou non, en état de grossesse, alors pourtant, selon elle, que cette différence de situation est pertinente pour l'appréciation de l'existence d'une discrimination liée au sexe et qu’elle devrait s'analyser, au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, comme une discrimination.

Il résulte en effet de cette jurisprudence (8 septembre 2005, North Western Health Board c/ Margaret MacKenna, aff.  C-191/03) que : « (…) 2) L'article 141 CE et la directive 75/117 (du 10 février 1975) doivent être interprétés en ce sens que ne constituent pas des discriminations fondées sur le sexe : une règle d'un régime de congé maladie qui prévoit, à l'égard des travailleurs féminins absents antérieurement à un congé de maternité en raison d'une maladie liée à leur état de grossesse, comme à l'égard des travailleurs masculins absents par suite de toute autre maladie, une réduction de la rémunération, lorsque l'absence excède une certaine durée, à condition que, d'une part, le travailleur féminin soit traité de la même façon qu'un travailleur masculin absent pour cause de maladie et que, d'autre part, le montant des prestations versées ne soit pas minime au point de mettre en cause l'objectif de protection des travailleuses enceintes ». 

(07 juin 2023, Mme B., n° 460540)

 

132 - Litige en matière de pension - Notion - Régime contentieux - Rejet.

La demande d'un fonctionnaire ou d'un agent public tendant seulement au versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés, sans chercher la réparation d'un préjudice distinct du préjudice matériel objet de cette demande pécuniaire, ne revêt pas le caractère d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'art. R. 811-1 du CJA. Par suite, une telle demande n'entre pas, quelle que soit l'étendue des obligations qui pèseraient sur l'administration au cas où il y serait fait droit, dans le champ de l'exception, prévue à ce 8°, en vertu de laquelle le tribunal administratif statue en dernier ressort. 

Par ailleurs, une action indemnitaire engagée par un agent public à raison du défaut d'information ou de renseignements erronés délivrés par le service en charge de ses droits à pension de retraite ne relève pas des litiges en matière de pension au sens des dispositions précitées.

(09 juin 2023, Mme B., n° 466551)

 

133 - Conseils médicaux dans la fonction publique d’État  - Décret du 11 mars 2022 - Qualité de fonctionnaires des agents qui y sont élus - Régime des décisions individuelles d’aptitude au service - Rejet.

La requérante demandait l’annulation des art. 2 et 38 du décret n° 2022-353 du 11 mars 2022 relatif aux conseils médicaux dans la fonction publique de l'État . Elle soulevait, au fond, deux moyens qui sont rejetés par le juge.

Tout d’abord, il était soutenu qu’en raison de la circonstance que le corps électoral des comités sociaux d'administration est constitué de l'ensemble des fonctionnaires, titulaires et stagiaires, des agents contractuels de droit public et de droit privé et des personnes à statut ouvrier qui siègent en qualité de titulaires au sein du comité compétent, seraient méconnues les dispositions de l’art. L. 112-1 du code général de la fonction publique ou le principe allégué selon lequel les fonctionnaires titulaires devraient être représentés par des personnels eux-mêmes titulaires. Le moyen est rejeté car, précisément, les agents élus pour siéger au sein de la formation plénière du conseil médical ont nécessairement la qualité de fonctionnaire.

Ensuite, il était prétendu qu’en prévoyant un collège électoral chargé de désigner les représentants des fonctionnaires titulaires au sein des conseils médicaux composé de l'ensemble des membres titulaires du comité social d'administration compétent, le décret aurait ainsi attribué aux comités sociaux d'administration une compétence en matière d'examen des décisions individuelles d'aptitude médicale au service. Le moyen ne saurait prospérer puisque le décret n'a ni pour objet, ni pour effet de confier cet examen aux comités sociaux d’administration.

(09 juin 2023, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 467289)

 

134 - Élève officier de la gendarmerie nationale - Refus d’engagement pour inaptitude médicale à servir - Rejet.

La requérante conteste la juridicité de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé, pour inaptitude médicale, de l'autoriser à souscrire un contrat d'engagement en tant qu'élève officier de carrière de l'École des officiers de la gendarmerie nationale, ainsi que les décisions rejetant ses recours hiérarchique et gracieux.

L’intéressée, qui est atteinte d’une légère hypoacousie de l’oreille gauche, conteste cette décision en se prévalant de ce que cette situation n'a pas été détectée au cours des stages qu'elle a effectués au sein de la gendarmerie nationale et de ce que cela ne lui occasionnerait aucune gêne dans la vie quotidienne. Cependant, elle ne saurait tirer argument de cet état de fait pour soutenir, sans en faire la démonstration, que la norme d'aptitude médicale relative à l'ouïe fixée à un coefficient maximum de 2 par l'arrêté du 12 septembre 2016, fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie, ne serait pas en adéquation avec les exigences inhérentes aux missions confiées aux officiers de gendarmerie, alors d'ailleurs que, selon l'annexe II de l'arrêté du 20 décembre 2012, l'attribution d'un coefficient numérique 4 au sigle O du profil médical peut traduire l'existence d'une lésion auriculaire grave par son évolution possible et se manifestant seulement, à la date de l'expertise médicale, par une hypoacousie légère.

Ensuite, est rejeté le moyen selon lequel un tel état physique n’aurait pas constitué un obstacle si la requérante avait été recrutée parmi les lauréats du concours de l'École des officiers de la gendarmerie nationale, d’où il s’ensuivrait selon elle que la fixation de normes d'aptitude médicale différentes pour les officiers en cours de carrière méconnaitrait le principe d'égalité et qu’il en va de même de la possibilité qui leur est réservée de continuer à servir par dérogation à ces conditions d'aptitude sur autorisation de l'autorité militaire. Le juge estime, d’une part, cette différence dans l’appréciation des conditions physiques et médicales de l’aptitude à servir justifiée, s’agissant des élèves lauréats précités, eu égard à l'éventuelle incidence de leurs années de service sur leurs capacités physiques, à leur expérience professionnelle antérieure et à la circonstance qu'ils occupent déjà, au moment de l'évaluation de leur aptitude médicale, un emploi au sein de la gendarmerie nationale dont les exigences opérationnelles sont connues, d’autre part, il considère qu’il n’existe pas de droit à l’obtention de la dérogation médicale prévue à l’art. 11 de l’arrêté du 12 septembre 2016 précité.

Encore une fois, il nous semble que le recours quasi totémique au principe d’égalité appliqué à des situations différentes ne peut, à lui seul, justifier - sans démonstration au cas par cas - des traitements aussi fortement différenciés dans leurs effets.

(09 juin 2023, Mme B., n° 468241)

 

135 - Officier de gendarmerie - Déplacements lors de ses permanences - Sanction non disproportionnée - Rejet.

Le requérant, officier de gendarmerie affecté au groupement de gendarmerie départementale de Seine-et-Marne, a été désigné officier de permanence pour la période du 6 au 13 mai 2022. Il s'est rendu à Paris à deux reprises dans la soirée et la nuit du 11 au 12 mai pour des motifs d'ordre personnel, en méconnaissance de l'ordre qu'il avait reçu de ne pas quitter le département. Il a fait l’objet d’une sanction de quinze jours d'arrêt avec dispense d'exécution. 

Sa requête en annulation est rejetée car, en dépit du fait allégué par le requérant qu'il ne serait pas établi que, ainsi que cela ressort de la motivation de la décision attaquée, « son organisation personnelle ne lui permet pas de gérer sereinement les situations dont (sic) il a à faire face » et que la distance entre Melun et Paris n'est pas plus grande que celle qu'il pourrait effectuer dans le département, ces circonstances sont sans incidence sur le caractère fautif de sa désobéissance aux ordres reçus. 

Par ailleurs, eu égard à ses responsabilités et vu la nature des manquements réprimés, la sanction infligée n’est pas jugée disproportionnée.

(27 juin 2023, M. A., n° 466866)

 

136 - Professeur des écoles - Prise en compte de services antérieurs accomplis dans un institut médico-éducatif privé - Institut doté d’une unité d’enseignement - Institut constituant un établissement d’enseignement privé - Annulation.

Une personne recrutée comme professeur des écoles a demandé la prise en compte de services accomplis antérieurement pour son classement dans le corps des professeurs des écoles ; cela lui est refusé. Ayant saisi en vain les juridictions du fond, l’intéressée se pourvoit en cassation.

Le juge relève que la requérante a occupé pendant quinze ans en qualité de salariée titulaire d'un contrat de travail, un emploi d'enseignant des activités physiques et sportives, en dernier lieu au sein d’un institut médico-éducatif (IME) géré par l'association des pupilles de l'enseignement public de l'Ain. C’est de ces fonctions qu’elle a demandé la prise en compte à la suite de sa réussite au concours externe de professeur des écoles au titre de l'année 2018, en vue de son classement dans le corps des professeurs des écoles. L’arrêt querellé est annulé car le juge de cassation estime, d’une part, que les instituts médico-éducatifs sont des établissements ou services d'enseignement au sens du 2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, assurant une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés qui y sont accueillis, et d’autre part que, lorsqu'ils sont dotés d'une unité d'enseignement définie aux art. D. 351-17 et D. 351-18 du code de l'éducation, ils y assurent la scolarisation de ces enfants et adolescents, dans des conditions définies, conformément aux dispositions de l'art. L. 112-1 du code de l'éducation, par convention entre l'État et l'établissement.

Dès lors qu’un institut médico-éducatif privé constitue un établissement d'enseignement privé au sens de l'article 7 bis du décret du 5 décembre 1951 portant règlement d'administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l'ancienneté du personnel nommé dans l'un des des corps de fonctionnaires de l'enseignement relevant du ministère de l'éducation nationale, il s’ensuit que les services effectifs d'enseignement et de direction qui y sont accomplis doivent être pris en compte pour le classement opéré lors de la nomination de l’agent en qualité de stagiaire.

En ne jugeant pas illégal le refus de prise en compte opposé à la demanderesse la cour a commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son arrêt.

(28 juin 2023, Mme B., 456900)

 

137 - Principe d’égalité de traitement entre fonctionnaires d’un même corps - Indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise attribuée aux inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable – Inégalité par rapport aux ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts – Rejet.

Dès lors que le bénéfice de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise est déterminé pour chaque corps de fonctionnaires par les décisions règlementaires prises sur le fondement des dispositions de l’art. 2 du décret du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État, le syndicat requérant ne peut soutenir utilement qu’est irrégulière et doit être annulée la note de gestion du 4 novembre 2021 relative à l'évolution des modalités de gestion de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable au motif que cette indemnité est inférieure à celle dont bénéficient les membres du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, alors même que les uns et les autres peuvent se voir confier des fonctions similaires au sein du conseil général de l'environnement et du développement durable, devenu l'inspection générale de l'environnement et du développement durable. 

L’exercice de fonctions parfois comparables par deux corps distincts de fonctionnaires est sans effet sur la fixation par corps, et non par fonctions ou tâches, de l’indemnité litigieuse.

(30 juin 2023, Syndicat des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable, n° 468336)

 

138 - Enseignement secondaire - Mutation d’un enseignant d’un lycée à un autre - Intérêt du service - Absence de nom du requérant sur la minute de l’ordonnance rendue à sa demande - Annulation.

(12 juin 2023, M. B., n° 468684)

V. n° 46

 

139 - Enseignement public agricole – Agents sur emplois « gagés » - Affectation des agents prétendument en dehors de leur périmètre d’affectation - Placement en position normale d’activité par une note de service – Violation du décret applicable – Annulation.

Le requérant demandait l’annulation du II de la note de service du ministre de l'agriculture et de l'alimentation portant sur les principes et règles de gestion applicables aux emplois dits « gagés » sur ressources propres des établissements d'enseignement agricole et aux agents qui les occupent. Des agents publics peuvent occuper des emplois dits « gagés » c’est-à-dire qui ne sont pas des emplois créés sur crédits d’État mais sur ressources propres des établissements publics, tels les établissements d'enseignement agricole.

Par cette note le ministre avait décidé que les agents concernés seraient placés à compter du 1er janvier 2021 en position normale d'activité au sein des établissements d'enseignement agricole, dans les conditions définies par le décret du 18 avril 2008 organisant les conditions d'exercice des fonctions, en position d'activité, dans les administrations de l'État et que la position normale d'activité est prononcée pour une durée de trois ans renouvelables selon les souhaits de l'agent et aussi longtemps que les besoins de l'établissement le justifient. 

Ces agents, à l’origine contractuels, ont été titularisés en tant que fonctionnaires d’État tout en continuant à occuper des emplois gagés puisque financés non sur crédits d’État mais sur les fonds propres des établissements. Il s’ensuit donc que ces agents ne peuvent être regardés, lorsqu'ils sont affectés dans les établissements publics d'enseignement agricole, comme étant affectés dans un établissement public en dehors du périmètre d'affectation défini par le statut particulier dont ils relèvent.

Or dans le II de sa note de service attaquée, le ministre a précisé que les agents sur emplois dit « gagés » des établissements publics d'enseignement agricole y seraient néanmoins placés en position normale d'activité dans les conditions prévues par le décret du 18 avril 2008, et par suite soumis à la durée de trois années applicable à l'affectation d'un fonctionnaire en dehors du périmètre défini par son statut particulier, dont le renouvellement dépend de la décision de l'administration d'accueil, alors que ces agents ne peuvent être regardés, pour l'application de l'article 36 bis de la loi du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, comme étant affectés soit dans une administration, soit dans un établissement public qui ne relèverait pas du périmètre d'affectation défini par leur statut particulier. Le ministre a ainsi méconnu le sens et la portée des dispositions statutaires applicables à ces agents ainsi que les dispositions de ce décret. 

(14 juin 2023, Syndicat de l'enseignement agricole - union nationale des syndicats autonomes, n° 448605)

 

140 - Professeur certifié – Détachement auprès d’une institution européenne – Obligation de notation annuelle – Conditions – Annulation et rejet partiels.

Dans un litige en refus de notation annuelle d’une fonctionnaire détachée auprès du parlement européen, le Conseil d’État rappelle les exigences et limites attachées à l’obligation de notation.

Il doit être attribué chaque année à tout fonctionnaire en activité une note chiffrée accompagnée d'une appréciation écrite exprimant sa valeur professionnelle y compris lorsque le fonctionnaire est mis à disposition auprès d'organismes d'intérêt général, d'organisations internationales intergouvernementales ou d'une institution de l'Union européenne.

Toutefois, cette exigence est subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d'apprécier sa valeur professionnelle.

Lorsque le fonctionnaire détaché est un enseignant qui, dans son emploi de détachement, ne remplit pas une fonction d'enseignement, le ministre chargé de l'éducation doit arrêter chaque année une note de 0 à 100 sur proposition de l'autorité auprès de laquelle l’enseignant exerce ses fonctions. En l'absence de transmission d'une telle proposition par l'administration d'accueil de l’agent détaché mis à disposition, le ministre ne peut s'abstenir de procéder à sa notation qu'après avoir vainement sollicité la transmission de cette proposition ou, à défaut, d'un rapport sur la manière de servir et qu'il ne dispose par ailleurs d'aucun élément permettant d'apprécier sa valeur professionnelle.

En l’espèce, en premier lieu, la cour est jugée n’avoir pas commis d’erreur de droit ni de dénaturation en estimant que l’intéressée n’avait pas, à raison de son congé maladie, exercé ses fonctions pendant une durée suffisante pour pouvoir être correctement appréciée sur sa manière de servir et sur ses compétences professionnelles durant les deux années 2017 et 2018.

Au contraire, en second lieu, la cour a commis une erreur droit s’agissant de l’absence de notation pour la période du 3 décembre 2001 au 31 août 2004 pour avoir jugé que la circonstance que le ministre chargé de l'éducation nationale n'ait jamais demandé au Parlement européen de lui transmettre un rapport sur la manière de servir de l’agent était sans incidence sur la légalité de la décision par laquelle ce ministre a refusé de procéder à sa notation, et que par ailleurs le ministre ne disposait pas d'éléments pour apprécier sa valeur professionnelle au titre de cette période. En effet, le ministre ne pouvait légalement s'abstenir de procéder à la notation de Mme A. qu'après avoir vainement sollicité la transmission d'une proposition de notation ou, à défaut, d'un rapport sur la manière de servir de l'intéressée. Ce n’était pas le cas en l’espèce.

(14 juin 2023, Mme A. et ministre de l’éducation nationale, n° 455784)

 

141 - Fonctionnaire affecté à Mayotte pour un « séjour réglementé » de deux ans – Condition de versement de l’indemnité d’éloignement dégressive -  Régime transitoire – Agents affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 – Annulation.

Les agents publics affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 dans le cadre du séjour dit « réglementé » de deux ans alors prévu par le décret du 26 novembre 1996 et qui, à l'issue de ce séjour, ont été de nouveau affectés à Mayotte postérieurement à l'abrogation de ce décret, et donc sans condition de durée de séjour, entrent dans le champ des dispositions transitoires du II de l'article 8 du décret du 28 octobre 2013 et avaient ainsi droit à l'indemnité dégressive que ces dispositions prévoient, pour une durée de quatre ans à compter de leur nouvelle affectation.

Il s’ensuit donc que le requérant, ingénieur de l'agriculture et de l'environnement à la DEAL, affecté à Mayotte à compter du 1er septembre 2013 pour un séjour dit « réglementé » de deux ans et dont l’affectation à Mayotte a été réitérée à compter du 1er septembre 2015 n’avait pas épuisé ses droits au versement de l'indemnité à l'issue de ses quatre premières années de séjour, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Mayotte, commettant ainsi une erreur de droit. L'ordonnance attaquée est annulée.

(16 juin 2023, M. B., n° 451985)

 

142 - Professeur d’université – Suspension temporaire des fonctions -  Décision sans caractère disciplinaire – Maintien du traitement – Mesure destinée à permettre le bon fonctionnement de l’université – Absence d’urgence – Rejet de la demande de suspension.

Droit être rejetée la demande d’une professeur d’université tendant à voir suspendue la mesure la suspendant pendant quatre mois de ses fonctions en attendant que soit parvenu le terme de la procédure disciplinaire engagée contre elle. En effet, cette décision n’a pas de caractère disciplinaire, maintient intégralement son traitement et n’a été prise que pour assurer le bon fonctionnement de l’université. Ainsi, la situation créée par cette décision ne revêtant aucun caractère d’urgence, cette dernière ne saurait faire l’objet d’une suspension.

(ord. réf. 12 juin 2023, Mme B., n° 474618)

 

143 - Magistrat administratif - Non nomination en qualité de président de tribunal administratif - QPC - Qualités pour exercer la fonction - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de décisions de nommer d’autres personnes que lui aux fonctions de président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et de président du tribunal administratif de Melun.

Il développe d’abord une QPC à l’encontre de dispositions du CJA (d’une part, les art. L. 232-1, L. 232-4 et L. 232-6, d’autre part les art. L. 232-1 et L. 234-1) estimées, les premières, entachées d’incompétence négative en ce qu’elles n'aménagent pas les conditions des recours présentés par les magistrats administratifs de façon à en garantir l'effectivité ainsi que le respect des principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration de 1789, et, par suite, le droit à un recours juridictionnel effectif, qui résulte également de cet article et les secondes en ce qu’elles porteraient atteinte au principe d’égalité devant la justice.

Dans le cadre de l’examen du litige par le juge administratif sont rejetés les moyens de légalité externe.

S’agissant de l’examen de la légalité interne, le Conseil d’État rejette le défaut d’objectivité qui aurait présidé à l’examen de la candidature du requérant, l’appréciation de l’aptitude du demandeur à exercer les fonctions postulées, laquelle n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation, enfin le détournement de pouvoir allégué et non établi.

(14 juin 2023, A. Mendras, n° 468104)

(144) V. aussi, rejetant la requête tendant à l’annulation de la désignation d’un magistrat en qualité de président du tribunal administratif de Paris : 14 juin 2023, M. B., n° 464355.

 

145 - Avis de droit - Statut général des militaires - Officiers généraux - Admission en deuxième section - Âge limite ou durée limite des fonctions - Notion de radiation des cadres - Réponses en conséquence.

Saisi d’une demande d’avis de droit (art. L. 113-1 CJA) relative à plusieurs questions touchant au régime applicable aux officiers généraux atteints par la limite d’âge ou la limite de durée de service, le Conseil d’État apporte les précisions suivantes.

Tout d’abord, il se déduit des dispositions de l’art. L. 125-4 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre ainsi que de celles des art. L. 4141-1 et L. 4142-2 du code de la défense : 1°/ que l'admission d’un tel officier dans la deuxième section du corps des officiers généraux peut résulter d'une promotion ; 2°/ que certaines des dispositions relatives aux droits, obligations et sanctions figurant dans le statut général des militaires sont applicables aux officiers qui y sont admis.

Ensuite, la radiation des cadres d'un officier général en deuxième section ne peut résulter que d'une sanction disciplinaire ou intervenir, sur sa demande, au terme d'un replacement en première section. Il suit de là que, pour l'application des dispositions de l'art. L. 125-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre relatives au calcul d'une pension militaire d'invalidité, le placement dans la deuxième section des officiers généraux ne peut pas être regardé comme une radiation des cadres, y compris pour un officier promu à ce titre.

Enfin, en l'absence de radiation des cadres, la pension militaire d'invalidité d'un officier promu au titre de la deuxième section doit être calculée sur la base du grade atteint à la fin de la période d'activité précédant sa promotion.

(19 juin 2023, Mme C., n° 472318)

 

146 - Auditrice de justice stagiaire - Agent déclarée inapte à l’exercice des fonctions de magistrat par le jury - Rejet.

L’intéressée, qui a bénéficié d’une intégration directe en qualité d'auditrice de justice à l'Ecole nationale de la magistrature, s’est vue imposer par le jury, à l’issue de son année de stage, le renouvellement d'une année de formation. Au terme de cette seconde année, le jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice l’a déclarée inapte à l’exercice des fonctions postulées.

Sa demande d’annulation de cette décision est rejetée par le Conseil d’État qui n’y aperçoit aucune erreur manifeste d’appréciation. La candidate n’a pas fait l’objet de discrimination ni d’un a priori défavorable, son dossier a été traité comme ceux de tous les autres candidats, la synthèse sur laquelle s’est fondé le jury reflétait exactement et fidèlement les opinions et jugements des différents magistrats l’ayant suivie dans son parcours.

Par suite, elle n’est pas davantage fondée à demander l’annulation de l'arrêté du 20 juillet 2021 par lequel le garde des sceaux a mis fin à ses fonctions d'auditrice de justice par voie de conséquence de la décision du jury.

(22 juin 2023, Mme B., n° 454003)

(147) V. aussi, rejetant le recours formé contre les avis défavorables donnés par la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature aux demandes de la requérante d’être nommée en qualité d’auditeur de justice, aucune erreur manifeste d’appréciation n’y étant relevée : 22 juin 2023, Mme D., n° 462684.

 

148 - Bonification d’ancienneté exceptionnelle - Mesure destinée à revaloriser les traitements de fonctionnaires de catégorie C - Demande d’application de la mesure à certains personnels de l’administration pénitentiaire - Corps distinct - refus non contraire à l’égalité de traitement entre fonctionnaires - Rejet.

L'article 4 du décret du 24 décembre 2021 modifiant l'organisation des carrières des fonctionnaires de catégorie C de la fonction publique de l'État et portant attribution d'une bonification d'ancienneté exceptionnelle, est intervenu pour accélérer les règles d'avancement propres aux corps régis par le décret du 11 mai 2016 relatif à l'organisation des carrières des fonctionnaires de catégorie C de la fonction publique de l'Eta, et auxquels s'appliquent les dispositions du décret en cause.

Cette bonification était notamment destinée à permettre une revalorisation des traitements des fonctionnaires de catégorie C appartenant aux dix échelons des premier et second grades dont l'indice se trouvait à un niveau inférieur à l'indice minimum de traitement des fonctionnaires depuis que ce dernier avait été revalorisé à compter du 1er octobre 2021.

Or les fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire appartiennent à un corps distinct de ceux pour lesquels a été prévu le bénéfice de cette bonification d'ancienneté exceptionnelle. Ainsi le syndicat requérant ne peut utilement se prévaloir de ce qu'en refusant d'instituer, au profit des fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, une bonification d'ancienneté exceptionnelle similaire au titre de l'année 2022, la décision attaquée aurait méconnu le principe de l'égalité de traitement entre les fonctionnaires.

Que mystérieuses sont les voies de circulation du principe d’égalité !

(22 juin 2023, Syndicat national Force Ouvrière Justice, n° 468119)

 

149 - Agent recrutée en CDD par un employeur public - Demande d’aide au retour à l’emploi (ARE) - Refus d’une offre d’emploi par l’intéressée - Agent ne pouvant pas être considérée comme n'ayant pas été involontairement privé d'emploi - Annulation.

Le juge déduit en premier lieu des dispositions combinées des art. L. 5422-1, L. 5422-20, L. 5424-1, L. 5422-2, L. 5422-3 et R. 5424-2 du code de travail que la personne qui, après avoir été employée par contrat à durée déterminée par un employeur public qui n'est pas affilié au régime d'assurance, a travaillé pour un employeur qui y est affilié, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée venu à échéance, cet employeur public est redevable du versement de l'aide au retour à l'emploi lorsqu'il a employé l'intéressé sur une plus longue période.

Il déduit de ces mêmes dispositions, en second lieu, que l'employeur public ne peut soutenir, dans une telle situation - ce qui est le cas de l’espèce -, que l'intéressé ne peut être regardé comme n'ayant pas été involontairement privé d'emploi au motif qu'il aurait refusé son offre d'un nouvel emploi en contrepartie du non versement de l'aide au retour à l'emploi. 

L’ordonnance attaquée est annulée.

(ord. réf. 20 juin 2023, Mme B., n° 468720)

(150) V. aussi, jugeant que c’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif décide que doivent être assimilés à des salariés involontairement privés d'emplois les agents publics ayant quitté volontairement leur emploi en vue de reprendre une activité salariée à durée indéterminée, concrétisée par une embauche effective, à laquelle l'employeur met fin avant l'expiration d'un délai de 65 jours travaillés : 30 juin 2023, Syndicat mixte des ordures ménagères d'Is-sur-Tille, n° 463867.

 

151 - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) des fonctionnaires territoriaux - Agents non titulaires exclus de son bénéfice - Discrimination défavorable aux agents contractuels - Rejet.

Il était demandé au juge d’annuler le refus implicite du premier ministre opposé au requérant d’abroger diverses dispositions réglementaires portant attribution d'une nouvelle bonification indiciaire aux fonctionnaires occupant certains emplois administratifs de direction de collectivités territoriales ou d'établissements publics locaux assimilés, en tant qu'ils excluent du bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire les agents non titulaires de la fonction publique territoriale.

Contrairement à ce qui est soutenu, le juge n’aperçoit pas dans cette situation de traitement inégalitaire de deux catégories d’agents. En effet, alors que la responsabilité ou la technicité particulières des fonctions exercées par les agents contractuels de la fonction publique territoriale ont vocation à être prises en compte par l'autorité territoriale pour la fixation de la rémunération de chaque agent, cette solution ne peut pas être retenue pour les fonctionnaires territoriaux, ceux-ci étant soumis au régime du traitement indiciaire. C’est donc sans inégalité que la NBI a été instituée pour ces derniers afin de tenir compte de la responsabilité ou de la technicité particulières des fonctions qu'ils exercent.

Ceci manifeste que ce mécanisme ne porte pas atteinte à clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 telle que l’interprète la Cour de justice de l'Union européenne, car il s'oppose aux inégalités de traitement dans les conditions d'emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sauf si elles sont justifiées par des raisons objectives.

Précisément, pour l’application de la NBI la ligne de partage ne passe pas entre CDD et CDI mais entre contractuels et titulaires, ce qui n’est pas du tout la même chose.

(26 juin 2023, Syndicat Force Ouvrière des personnels de la collectivité européenne d'Alsace, n°458775)

 

152 - Procédure disciplinaire - Erreur dans le calcul d’une majorité pour la prise d’une décision - Reprise de la procédure - Composition différente du conseil de discipline - Réexamen d’une sanction déjà écartée - Rejet et annulation partiels.

Le juge rappelle opportunément plusieurs points de procédure en matière disciplinaire s’agissant des agents publics.

Tout d’abord, lorsqu'un conseil de discipline, appelé à se prononcer sur les poursuites dirigées contre un agent, a régulièrement procédé à un vote sur une ou des propositions qui n'ont pas recueilli l'accord de la majorité des membres présents, mais qu'une erreur entachant le décompte de ces votes a conduit dans un premier temps à considérer, à tort, que le conseil de discipline avait donné un avis favorable, il appartient à l'administration de reprendre la procédure afin de la poursuivre conformément aux textes.

Lors de la nouvelle réunion il n’est pas nécessaire que la composition du conseil de discipline soit identique à ce qu’elle était lors de la réunion précédente.

Enfin, reprenant la procédure, l’administration ne peut soumettre au vote du conseil de discipline une proposition de sanction déjà écartée par une majorité des membres présents lors de la précédente réunion du conseil de discipline. C’est le principe bien connu du vote acquis qui en interdit le recommencement.

(26 juin 2023, ministre de l’intérieur, n° 464361)

 

153 - Pension militaire d’invalidité - Conditions d’octroi - Existence d’une présomption légale d’imputabilité au service ou preuve d’une affection ayant son origine dans le service - Absence - Rejet.

Rappel d’une solution constante imposée par l’art. L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dans sa version alors applicable.

Celui qui sollicite l’octroi d’une pension militaire d’invalidité doit se trouver dans l’un des deux cas suivants. Ou bien il bénéficie d’une présomption légale d’imputabilité au service de l’affection qu’il invoque, ou bien, à défaut, il rapporte la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. 

Concernant ce second cas, le Conseil d’État réitère à nouveau que cette preuve ne saurait être considérée comme établie par la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ou par une hypothèse médicale, ou par l’existence d’une vraisemblance, ni même par une probabilité, aussi forte soit-elle. C’est la conséquence de la très nette distinction entre ces deux cas, l’un relevant d’une présomption, l’autre d’une preuve.

(29 juin 2023, M. A., n° 465924)

 

154 - Personnel de la Banque de France – Applicabilité de plein droit de dispositions du code du travail sous réserve de compatibilité avec les missions de service public exercées par cet organisme – Demande de mise en place d’une disposition déjà existante dans le code du travail – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation du rejet implicite de sa demande de mise en place de la garantie d'évolution de rémunération pour les femmes de retour de congé maternité prévue par l'art. L. 1225-26 du code du travail.

On sait que nombre de dispositions du code du travail sont applicables au personnel de la Banque de France si elles ne sont pas incompatibles avec les missions de service public dont est chargée la Banque. Tel est le cas de la mesure en cause. La demande du syndicat était donc autant redondante que superfétatoire et son rejet, très logique, ne saurait être critiqué au contentieux.

Le recours est donc rejeté.

(30 juin 2023, Syndicat national CGT de la Banque de France, n° 468815)

 

Libertés fondamentales

 

155 - Étrangers - Réfugiés - Droit d’asile - Mesures d’éloignement ou de refoulement - Saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour avis - Absence de recours contentieux - Rejet.

Dans une importante décision qui se prononce sur une question largement inédite, le Conseil d’État  indique que la faculté reconnue par le CESEDA (art. L. 532-4 et R. 532-69 et s.) aux personnes bénéficiaires d'une protection au titre de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés, de saisir la CNDA des mesures d’éloignement ou de refoulement dont elles sont l’objet a pour effet de faire obstacle à l’exécution de ces mesures jusqu’à ce que cette juridiction se soit prononcée sur leur légalité. Toutefois, la CNDA se bornant à rendre un avis motivé sur le maintien ou l’annulation de celles-ci, il s’ensuit qu’à la différence de ces mesures qui sont, elles susceptibles d’un recours contentieux, l’avis de la Cour, lui, n’est pas susceptible d’un tel recours.

Le Conseil d’État  rejette la requête dont il est saisi en usant de la procédure de l’art. R. 351-4 du CJA qui permet à toute juridiction administrative, nonobstant la répartition des compétences à l’intérieur de l’ordre juridictionnel administratif, de rejeter des conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance.

(01 juin 2023, M. B., n° 468549)

 

156 - Extradition - Règle de la confusion des peines - Absence de caractère d’ordre public - Règle ne s’imposant pas en droit extraditionnel - Rejet.

Rejetant un recours en annulation du décret autorisant l’extradition du requérant vers les États-Unis, le juge se prononce notamment sur deux moyens intéressants.

En premier lieu, il était soutenu que le requérant était exposé à être condamné dans l'État  requérant, à raison des trois infractions qui lui sont reprochées, à exécuter plusieurs peines sans que celles-ci ne soient confondues. Le juge fonde le rejet de ce moyen sur ce que la confusion des peines, qui est une faculté prévue par l'article 132-3 du code pénal pour les juridictions répressives françaises, ne constitue toutefois pas une règle d'ordre public applicable au droit de l'extradition. 

En second lieu, il était soutenu que la procédure de « plaider coupable », aux États-Unis, n'assurerait pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense et serait ainsi contraire à l'ordre public français. Pour rejeter le moyen, le juge retient qu’il résulte notamment du complément d'information en date du 4 septembre 2019 apporté aux autorités françaises par les autorités américaines, que l'accusé, lorsqu'il conclut dans l'État  requérant un accord dans le cadre d'une procédure de « plaider coupable », peut disposer de l'assistance d'un avocat et doit, sous le contrôle du juge, donner son accord de manière volontaire, libre et en parfaite connaissance des effets juridiques qui s'y attachent.

(01 juin 2023, M. A., n° 469484)

 

157 - Demandeur d’asile - Dispositif électronique de notification des décisions de l’OFPRA et de convocation à l’entretien requis par les textes - Exigences pratiques - Rejet.

L’OFPRA a rejeté la demande d’un ressortissant malien tendant à ce que lui soit reconnu le statut de réfugié ou, à défaut, accordé le bénéfice de la protection subsidiaire. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a annulé cette décision et a renvoyé à l'Office l'examen de cette demande. L’OFPRA se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Il est constant qu'à la suite du dépôt d'une demande d'asile par l’intéressé l'OFPRA a mis à sa disposition, le 11 mai 2021, dans l'espace personnel numérique sécurisé auquel l'intéressé s'était préalablement connecté, la convocation, le 8 juin suivant, à l'entretien prévu par les dispositions, de l'art. L. 531-12 du CESEDA. L'office a ensuite reçu un accusé de réception l'informant que cette convocation n'avait pas été consultée par l’intéressé dans le délai imparti de 15 jours à compter de sa mise à disposition et que ce document était réputé avoir été notifié. 

En effet, Il résulte des dispositions combinées des art. R. 531-17 et R. 531-11 du CESEDA, qu'un procédé électronique a été mis en place pour la notification aux demandeurs d'asile non seulement de la décision de l'OFPRA statuant sur leur demande d'asile mais aussi pour la notification de leur convocation à l'entretien exigé par les dispositions, susrappelées, de l'art. L. 531-12 du même code. En particulier, elles prévoient que l'absence de consultation par le demandeur d'asile de la convocation mise à sa disposition par l'OFPRA par l'intermédiaire de l'espace numérique personnel sécurisé, cette dernière est réputée avoir été notifiée à l'issue d'un délai de quinze jours à compter de sa mise à disposition.

Eu égard à l'ensemble des garanties dont est entourée l'utilisation de cet espace numérique personnel sécurisé, et contrairement à ce que soutient l’intéressé, ce procédé électronique ne méconnaît pas le principe de la réception personnelle par le demandeur d'asile de sa convocation posé par les dispositions de l'art. L.531-12 du CESEDA. 

La CNDA a donc commis une erreur de droit en jugeant, pour annuler la décision de l’OFPRA, qu'aucune disposition ne prévoyait qu'à défaut de consultation de la convocation sur l'espace numérique personnel sécurisé, cette dernière était réputée avoir été régulièrement notifiée.

(06 juin 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 464768)

 

158 - Extradition - Risques liés à une grave pathologie découverte après la prise du décret autorisant l’extradition - Circonstance sans incidence sur l’appréciation de la juridicité du décret -  Application différée du décret d’extradition - Rejet.

Les divers moyens soulevés par un ressortissant turc contre le décret autorisant son extradition vers la Turquie sont rejetés par le juge. L’un d’eux retient plus précisément l’attention. Il consiste pour le requérant à soutenir, d’une part, qu'après l'intervention du décret litigieux, une grave pathologie lui a été diagnostiquée et que, depuis décembre 2022, il fait l'objet d'un traitement reposant sur une prise en charge chirurgicale et une chimiothérapie post-opératoire devant se prolonger sur plusieurs mois et, d’autre part, que l'exécution du décret d'extradition l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa santé ainsi qu'au risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l'art. 3 de la convention EDH dès lors qu'en cas de détention en Turquie, il ne pourrait pas bénéficier du traitement nécessaire à sa survie. 

L’argument est rejeté après que la chambre chargée de l’instruction de ce dossier s’est efforcée, par une mesure d’instruction, d’obtenir des autorités turques des garanties permettant d'assurer que l'intéressé ne serait pas exposé à des risques exceptionnels eu égard à son état de santé. Or en réponse aux demandes formulées par les autorités françaises, les autorités turques se sont bornées à fournir des informations générales sur le suivi médical des détenus en Turquie. De la sorte le juge décide que les éléments ainsi apportés ne sont pas assez précis pour donner l'assurance que M. A. serait traité, en détention, de manière compatible avec son grave état de santé. Dans ces conditions, le décret d'extradition ne peut pas être mis à exécution et donner lieu à la remise de l'intéressé aux autorités turques. 

Il convient de bien comprendre que le décret n’est en rien jugé irrégulier d’autant que sa juridicité a été appréciée à la date à laquelle il a été pris et donc antérieurement à la découverte de la maladie du requérant. Il est simplement en attente d’exécution matérielle jusqu’à ce que la Turquie fournisse les garanties qui lui sont demandées.

Par ailleurs, il faut rappeler que l’extradition, à la différence de l’expulsion par laquelle l’État expulsant reproche des faits ou comportements imputables à l’étranger expulsé, est une situation où l’État requis, sans rien reprocher à l’extradé, se borne à satisfaire une demande de l’État requérant.

(19 juin 2023, M. A., n° 469722)

 

159 - Demande du bénéfice de la réunification familiale - Prise en compte de l’âge de l’enfant - Compatibilité sur ce point du droit français avec le droit de l’Union - Âge à retenir en cas de demandes successives de réunification - Avis de droit.

Le tribunal administratif de Nantes a sollicité du Conseil d’État un avis de droit - soulevant de délicates questions même si elles sont assez techniques - relatif au régime de la réunification familiale de réfugiés, à la date à laquelle il convient de se placer pour la prise en considération à cet effet de l’âge de l’enfant et à la combinaison/compatibilité des dispositions du droit interne (CESEDA) et du droit de l’Union (directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial) en ce domaine.

Statuant au regard des dispositions européennes, il est, en bref, répondu tout d’abord que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur, au sens du § 1 de l’art. 4 de la directive précitée, est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. 

Ensuite, le juge précise qu’il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales notamment lorsque l'enfant, mineur au moment de la demande d'asile, est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent demandant le bénéfice du droit au regroupement familial. Dans cette situation, l'âge de l'enfant doit être apprécié à la date de la demande d'asile, sous réserve que la demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection et peu important que l'État membre concerné ait fait usage ou non de la faculté ouverte par l'article 12 de la même directive de fixer un délai pour introduire une demande de regroupement familial dont le non-respect permet d'opposer les conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du droit au regroupement familial de droit commun des étrangers.

Statuant au regard des dispositions nationales, le juge précise encore que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'art. L. 561-2 du CESEDA doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard.

Par ailleurs, lorsqu'une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l'âge de l'enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande. 

Enfin, dans le cas où l'enfant a atteint l'âge de dix-neuf ans entre la demande d'asile de son parent et l'octroi à celui-ci du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire il ne peut être fait application des dispositions précédentes, l’âge devant être apprécié à la date de la demande d’asile sous réserve que la demande de réunification ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection.

(29 juin 2023, M. et Mme C. et leur enfant C., n° 472495)

 

160 - Associations et fondations  bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’État– Contrat d’engagement républicain – Atteintes à divers droits et libertés – Rejet.

Les nombreuses organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et approuvant le contrat d'engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d'un agrément de l'État.

Elles sont déboutées en tous leurs chefs de demandes.

Tout d’abord est rejeté le grief d’atteinte aux libertés d’association, de réunion ou d’expression car si les dispositions de la loi du 24 août 2021 dont le décret attaqué fait application constituent une ingérence dans la liberté d'exercice des associations, les obligations qu’elles comportent poursuivraient, selon le juge, un but légitime défini avec suffisamment de précision par le texte, à savoir le respect des principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que du caractère laïque de la République, de l'ordre public et des symboles de la République au sens de l'article 2 de la Constitution.

Le régime de retrait des subventions après le et à partir du manquement à l’ordre républicain est placé sous le contrôle du juge.

Il assez hypocrite cependant d’indiquer que « les mesures de refus ou de retrait d'agrément ou de subventions ne limitent pas la liberté d'expression des associations, ni la liberté de recevoir ou de communiquer des informations » alors que, le système français étant ce qu’il est, ces aides sont vitales pour l’existence et le fonctionnement des organisations concernées. 

Ensuite, sont aussi rejetées les critiques contre les obligations nées du contrat d'engagement républicain en ce que le pouvoir réglementaire n’avait pas compétence pour les édicter et qu’elles reposent sur des notions imprécises et floues.

Enfin, est semblablement balayé le moyen qu’affecterait le principe de liberté personnelle le fait qu’une personne morale soit condamnée à raison d’agissements de ses dirigeants ou de ses salariés « dès lors que les mesures d'abrogation d'un agrément ou de retrait d'une subvention qui peuvent être prises à l'encontre d'une association n'ont pas le caractère d'une sanction ». Ici aussi le bon sens s’égare car, en ce cas, ce n’est peut-être pas une « sanction » mais c’est bel et bien une mise à mort. Le sophisme n’est pas loin.

En revanche on sera d’accord avec le juge pour reconnaître que le refus ou le retrait d’agrément ne méconnaît pas le droit à un recours effectif et d'accès à un tribunal compte tenu de notre organisation juridictionnelle et des garanties offertes par les pouvoirs du juge.

 

Tout ceci masque mal une approximation juridique confuse à souhait et qui résulte d’une vieille habitude française en cette matière « républicaine ».

En effet, il serait temps de prendre conscience tout d’abord que si la démocratie est un système politique et juridique, la république est un système idéologique d’où il suit que mettre les instruments du droit comme la loi, l’agrément ou la subvention au service de cette vision patisane et donc inobjective des choses est un exercice autant périlleux que discutable.

Ensuite, imaginer un « contrat d’engagement républicain » est une salade juridique : où est le contrat dont toutes les clauses sont imposées et se trouvent dans la loi ou le décret ? Qu’est-ce qu’un engagement « républicain » ? Le refus de l’empire ou de la monarchie ? Mais on est où là ? Ou alors veut-on prétendre que la démocratie est très différente de la république ? Qu’est-ce à dire ? Que la démocratie exclut la solidarité ou ne l’implique pas inéluctablement ? Que la république est nécessairement fraternelle ?

Enfin, faire tourner tout un système de subventions, qui ne sont pas de droit, ou de refus ou retrait de subventions, autour de palinodies entre des inconsistances conceptuelles nous semble hautement dangereux et nécessairement critiquable.

(30 juin 2023, Union syndicale solidaires et autres, n° 461962 ; Ligue des droiots de l’homme et autres, n° 462013 ; Association Greenpeace France et autres, n° 462015, jonction)

 

161 - Droit de propriété – Décision de justice ordonnant l’expulsion d’occupants et la démolition de l’habitation occupée par eux – Exécution forcée – Absence de voie de fait – Compétence du juge administratif.

Les requérants ont fait l’objet d’une expulsion ordonnée par un jugement d’un tribunal judiciaire faisant suite à un arrêt devenu définitif de cour d'appel ordonnant la démolition de l'habitation édifiée sur la parcelle, jugement dont une ordonnance de ce même tribunal a ordonné l'exécution provisoire.

La démolition à laquelle il a été procédé ne portait pas sur une construction différente qui aurait été le siège de l'exploitation agricole. Si elle a été exécutée de manière forcée et a abouti à l'extinction d'un droit de propriété, ces opérations, décidées en exécution de décisions de justice, ne sont pas intervenues dans des conditions irrégulières et ne sont pas non plus manifestement insusceptibles d'être rattachées à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

Elles ne peuvent, par suite, être qualifiées de voie de fait.

Le litige qu’elles soulèvent relève donc de la seule compétence des juridictions administratives et alors, d’autant plus, que ne peut être relevée en l’espèce, de la part des agents publics mis en cause, aucune faute personnelle détachable du service.  

(TC, 12 juin 2023, M. et Mme C. c/ préfète de l’Ain et autres, n° C4276)

 

162 - Occupation temporaire de la cour d’un immeuble – Occupation autorisée par le juge judiciaire – Réalisation de travaux publics - Demande d’indemnisation – Compétence du juge administratif.

La demande présentée devant le juge du fond pour obtenir la réparation des conséquences dommageables de l'occupation de la cour de leur immeuble, qui, comme les autres préjudices invoqués par Mme B. et M. A., résultent de l'exécution de travaux publics, relève de la compétence du juge administratif, bien que cette occupation temporaire de leur cour ait été autorisée par le juge judiciaire, statuant en référé.

(TC, 12 juin 2023, Mme. B. et M. A. c/ métropole Aix-Marseille-Provence et commune de Miramas, n° C4274)

 

Police

 

163 - Cyno-détection des explosifs - Délivrance d’une certification technique - Évaluation de l’équipe cynotechnique - Absence d’urgence - Rejet.

Le syndicat requérant demande la suspension de l’exécution de l'article 7 de l'arrêté du 31 mars 2023 portant organisation de la certification technique des équipes cynotechniques privées en recherche des explosifs en tant que l'appréciation par le seul examinateur de l'opportunité d'un report de l'évaluation de l'équipe cynotechnique à raison de l'état de santé du chien est susceptible de porter atteinte à la vie et au bien-être de l'animal et à l'égalité entre les candidats.

Pour rejeter la requête en raison du défaut d’urgence, le juge du référé suspension relève tout d’abord que dans l'hypothèse où, en dépit de l'état de santé dégradé du chien avant le début des épreuves ou d'une blessure de l'animal en cours d'examen, l'examinateur n'accepterait pas le report de l'évaluation, le candidat pourrait, s'il estimait que le bien-être du chien était menacé ou que l'état de santé de l'animal amoindrirait ses chances de réussite aux épreuves, renoncer à être évalué et se présenter à une session ultérieure de certification.

En outre, si, dans cette hypothèse, le candidat devrait acquitter, de nouveau, des frais d'inscription, cette circonstance ne saurait, à elle seule, justifier de l'urgence qu'il y aurait pour le juge des référés à faire usage des pouvoirs qu'il détient sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA. 

(02 juin 2023, Syndicat autonome des agents cynophiles, n° 474556)

 

164 - Police des mines - Prolongation des concessions minières - Suppression des concessions à durée illimitée - Constitutionnalité de l’art. L. 144-4 du code minier - Refus de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité.

La Compagnie défenderesse en cassation avait obtenu une concession minière à durée illimitée à laquelle a mis fin la loi du 15 juillet 1994 qui a décidé que les concessions de mines à durée illimitée accordées antérieurement au 17 juin 1977 expireraient le 31 décembre 2018, mais que leur prolongation, par périodes successives d'une durée inférieure ou égale à vingt-cinq ans, serait de droit si les gisements étaient exploités à cette dernière date. Le ministre de l’économie et des finances, par une décision implicite, a refusé d’accorder à cette société la prolongation des concessions minières dont elle est détentrice.

Les juridictions de première instance et d’appel ayant annulé ce refus, le ministre s’est pourvu en cassation.

En défense à ce pourvoi, la compagnie a soulevé une QPC à l’encontre de la première phrase de l’art. L. 144-4 du code minier dans la version qui lui a été donnée par l’ordonnance du 20 janvier 2011 qui a codifié la partie législative du code minier.

La demande est rejetée.

Il est d’abord relevé que le Conseil constitutionnel (18 février 2022, France nature environnement, décis. n° 2021-971 QPC) a décidé que la seconde phrase de l'art. L. 144-4, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 20 janvier 2011, était contraire à la Constitution avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. La déclaration d'inconstitutionnalité a pris effet à compter de sa publication, soit le 19 février 2022, et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. 

Il est relevé ensuite, s’agissant de la première phrase de cet article, seule en litige en l’espèce, d’une part, qu’elle se borne à énoncer que les concessions de mines instituées pour une durée illimitée expirent le 31 décembre 2018 sans prévoir ni la possibilité ou les modalités d'une prolongation de ces concessions ni non plus leur interdiction de prolongation et, d’autre part, que la déclaration d’inconstitutionnalité du C.C. dans sa décision précitée n’a pour effet que de permettre aux parties aux instances juridictionnelles non jugées définitivement le 18 février 2022 de se prévaloir de l'inconstitutionnalité du régime de prolongation qui leur a été appliqué. 

Il suit de là que la QPC n’a pas un caractère sérieux.

(09 juin 2023, Société Compagnie minière Montagne d'Or, 456736 et n° 456738)

 

165 - Police du contrôle technique des véhicules – Véhicules motorisés à deux et trois roues – Injonction de transposer une directive de l’UE – Suspension d’un  rejet implicite.

Nouvel épisode de l’obstination du gouvernement (que F. Mauriac aurait qualifié de « gouvernement à tête de boeuf » comme il le fit pour celui de J. Laniel) à ne pas transposer, s’agissant des deux roues et des trois roues, la directive européenne relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques et cela en dépit de la décision du Conseil d’État du 31 octobre 2022 (Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 466125 ; v. cette Chronique, octobre 2022 n° 111) laquelle réitérait celles du 27 juillet 2022 (n° 457398 et n° 456131 ; v. cette Chronique juillet-août 2022 n° 167).

Sans surprise, le juge du référé suspension relève que si le ministre chargé de l’écologie invoque, pour justifier son inqualifiable retard, « les concertations et les travaux nécessaires à l'adoption de l'arrêté d'application du décret du 9 août 2021 qui définira les modalités selon lesquelles le contrôle technique des véhicules motorisés concernés sera réalisé », ceci, en l'absence de mise en œuvre effective à la date de la présente ordonnance des mesures envisagées et, à défaut d'indications quant à la date à laquelle cet arrêté sera publié, n’est pas de nature à justifier de la transposition de cette directive. D’où le doute sérieux existant quant à la légalité de la décision contestée et l’injonction d’agir dans les deux mois.

Devant la persistance d’un comportement aussi déplorable, le lecteur a envie de s’écrier avec Cicéron : « Qousque tandem (Borne(a)) abutere patientia nostra ? ».

(ord. réf. 01 juin 2023, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 473930)

 

166 - Fermeture provisoire d’un établissement commercial en infraction – Détention frauduleuse en vue de la vente de tabacs fabriqués et vente, même à distance, de ces tabacs – Absence de caratère disproportionné portant une atteinte grave à certaines libertés – Rejet.

Doit être rejetée la demande en référé liberté tendant à l’annulation de la décision préfectorale ordonnant la fermeture pour un mois d’un commerce où est commise l’infraction, prévue et réprimée par les art. 1810, 1817 et 1825 du CGI, de « détention frauduleuse en vue de la vente de tabacs fabriqués » et de « vente, y compris à distance, de tabacs fabriqués ». En effet, eu égard au caractère répété de l’infraction et au plafond de trois mois de fermeture prévu par ces dispositions, la sanction retenue ne revêt pas un caractère disproportionné qui serait constitutif d'une atteinte grave et manifestement illégale portée à sa liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté contractuelle ou à une autre liberté fondamentale. Par ailleurs, la demanderesse n’apportant pas d’éléments ou arguments nouveaux en appel elle n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement attaqué.

(ord. réf. 12 juin 2023, Société Alimentation Miyanna market, n° 474672)

 

167 - Permis de conduire - Retrait de points - Commission de plusieurs infractions simultanées - Régime applicable - Erreur de droit.

Commet une erreur de droit l’auteur d’une ordonnance jugeant qu’en cas d’infractions simultanées il résulte de dispositions du code de la route que la « limite des deux tiers du nombre maximal de points pouvant être retirés » doit s'entendre du nombre maximal de points dont le retrait est encouru par le conducteur du fait des infractions en cause alors qu’il se déduit d’évidence des articles ad hoc de ce code (L. 223-1 et L. 223-8, R. 223-1 et R. 223-2) que, dans le cas où plusieurs infractions sont commises simultanément, les retraits de points afférents à ces infractions se cumulent dans la limite des deux tiers du nombre maximal de points affecté au permis de conduire, soit dans la limite de huit points, compte tenu du nombre de douze points affecté, en principe, au permis de conduire à l'issue de la période probatoire. 

(20 juin 2023, M. A. n° 460902)

 

168 - Adoptions internationales - Suspension temporaire des adoptions d’enfants malgaches - Mesure nécessaire et proportionnée - Rejet.

Les requérants poursuivaient l’annulation de l’arrêté ministériel portant suspension temporaire des procédures d'adoption internationale concernant les enfants résidant à Madagascar.

Le recours est rejeté au motif que « les fragilités de l'Autorité centrale pour l'adoption à Madagascar, révélées notamment par le rapport du comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations Unies du 9 mars 2022, ne (permettent) plus de disposer des garanties nécessaires en termes de sécurité et d'éthique des procédures d'adoption concernant ce pays, ainsi que de validité de certains documents d'état civil. »

La suspension litigieuse, intervenue en raison de cette situation et à titre temporaire, est destinée à donner le temps aux autorités malgaches de renforcer les garanties entourant ces procédures, y compris par la consolidation du cadre réglementaire. Par suite, cette mesure qui est provisoire, est adaptée, nécessaire et proportionnée.

La requête est rejetée.

(20 juin 2023, Confédération française pour l'adoption comité de Brive et autres, n° 471428)

 

169 - Police des jeux - Pouvoirs de l’Autorité nationale des jeux - Encadrement de la communication commerciale des jeux - Affichage préventif en matière de prévention du jeu excessif et de la protection des mineurs - Rejet et annulation partiels.

Le territoire de Polynésie françaises demandait l’annulation de deux séries de dispositions du code de la sécurité intérieure relatives aux jeux, paris et loteries.

En raison du régime de large autonomie normative dévolue à ce territoire se posait, en matière de jeux, la question des compétences respectives de l’État et du territoire en cette matière. D’un côté, l'art. 43 de la loi du 29 décembre 1989 de finances pour 1990 a autorisé sur le territoire de la Polynésie française l'exploitation par la société France Loto de jeux faisant appel au hasard. D’un autre côté, diverses dispositions de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ont conféré compétence à l’Assemblée de Polynésie à l’effet de déterminer les règles applicables aux casinos et cercles de jeux, aux loteries, tombolas et paris, dans le respect des règles de contrôle et des pénalités définies par l'État. Elles ont aussi reconnu au conseil des ministres de ce territoire la compétence pour autoriser l'ouverture des cercles et des casinos. 

De là, le juge administratif tire une ligne générale de combinaison de ces textes en décidant que la fixation des règles applicables aux jeux d'argent et de hasard en Polynésie française ressortit à la compétence de l'assemblée de la Polynésie française, sous réserve de la compétence dévolue à l'État pour fixer - pour des motifs de sécurité et d'ordre public -  les règles de contrôle et les pénalités applicables à ces jeux, notamment aux jeux exploités, sur le fondement des dispositions de l'art. 43 de la loi du 29 décembre 1989, qui n'ont été ni abrogées ni modifiées, par la société La Française des jeux, venue aux droits de France Loto, dans le cadre de la convention conclue entre cette société et la Polynésie française.

En premier lieu, est rejeté le recours dirigé contre l'extension des articles D. 320-1 à D. 320-10, D. 322-18-5 et D. 322-22-9 du code de la sécurité intérieure. Selon ces dispositions, est organisé l'affichage, dans les postes d'enregistrement des jeux de loteries et des paris sportifs ou hippiques, des dispositions législatives interdisant le jeu aux mineurs et aux personnes interdites de jeu. Toute communication commerciale en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard est assortie d'un message de mise en garde contre les risques liés à la pratique du jeu ainsi que l'adaptation de ce message aux différents supports de diffusion, y compris les articles de sports commercialisés ou offerts par les associations et fédérations sportives. Enfin, sont interdites, d’une part, toute communication commerciale valorisant le jeu d'argent et de hasard comme source de revenus ou facteur de réussite sociale et, d’autre part, toute communication commerciale valorisant le jeu d'argent et de hasard destinée aux mineurs. Rejetant sur ces points le recours, le juge que ces restrictions, qui tendent à prévenir les risques d'atteinte à l'ordre public et à l'ordre social qui seraient susceptibles de résulter d'une pratique non réglementée des jeux, ainsi que la protection de la santé publique, constituent des règles de contrôle des jeux dont la fixation relève de la compétence de l'État.

 

En second lieu, est admis le recours dirigé contre l'extension des articles D. 322-9 à D. 322-22 du code de la sécurité intérieure qui encadrent l'affectation aux gagnants du montant total des mises de ces jeux, définissent la nature de leurs gains ou lots, prévoient leur nombre maximum, organisent leur mise à disposition des joueurs ainsi que la manière dont l'intervention du hasard peut y être intégrée et représentée et, enfin, déterminent le cadre dans lequel la société la Française des jeux peut autoriser des personnes privées à exploiter des postes d'enregistrement de ces jeux. En effet, ces dispositions constituent des « règles applicables aux casinos et cercles de jeux, aux loteries, tombolas et paris », sans pouvoir être regardées comme des règles de contrôle ou des pénalités, au sens et pour l'application de l'article 24 de la loi organique du 27 février 2004. Leur fixation relève ainsi, par application du même article, de la compétence de l'assemblée de la Polynésie française.

(26 juin 2023, Polynésie française, n° 449339 ; Polynésie française, n° 451243, jonction)

 

170 - Police spéciale des déchets - Objets laissés à l’abandon sur une propriété privée - Qualification comme « dépôt sauvage de déchets » - Absence d’erreur de qualification juridique - Rejet.

Le maire d’une commune a mis en demeure, sous astreinte journalière, le propriétaire d’un terrain d’en éliminer les déchets qui y sont présents. L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa requête en annulation de la décision municipale.

Pour contester cette décision, le demandeur fait valoir qu’il n’a pas abandonné les objets hétéroclites se trouvant sur son terrain.

Confirmant pleinement la solution - assez innovante - retenue par les juges du fond, le Conseil d’État indique que peuvent être regardés comme des déchets au sens des dispositions des art. L. 541-1-1, L. 541-2 et L. 541-3 du code de l’environnement, les très nombreux objets hétéroclites et usagés se trouvant sur le terrain et dont il n’est pas établi qu'ils pourraient faire l'objet, sans transformation préalable, d'une utilisation ultérieure. La cour est ainsi approuvée d’avoir caractérisé la situation d'abandon de biens dont, eu égard à leur état matériel, à leur perte d'usage et aux modalités de leur dépôt, le détenteur, quoiqu'il les ait laissés entreposés sur un terrain lui appartenant, peut être regardé comme s'en étant effectivement défait, en leur donnant ainsi le caractère de déchets, après avoir pris en compte la circonstance que leur réutilisation sans opération de transformation préalable n'était pas suffisamment certaine.

Par suite, l’astreinte infligée n’était pas non plus illégale.

(26 juin 2023, M. B., n°457040)

 

171 - Police de l’agriculture - Maladie de la vigne - Flavescence dorée - Moyen de lutte - Absence d’erreur d’appréciation - Rejet.

La requérante a demandé l’annulation de l'arrêté du 27 avril 2021 relatif à la lutte contre la flavescence dorée de la vigne et contre son agent vecteur en tant qu'il n'impose pas une obligation générale de traitement à l'eau chaude des boutures issues des vignes mères et des plants issus des pépinières viticoles ainsi qu’une injonction soit faite
au ministre de l'agriculture de procéder à la modification de cet arrêté et de l'instruction technique du 13 août 2021 précisant les modalités de surveillance et de lutte contre la flavescence dorée de la vigne afin d’y prévoir cette obligation.

Le recours est rejeté.

Le juge estime que ne sont pas entachées d’erreur d’appréciation les mesures décidées pour chacune des trois catégories de zones concernées : 1°/ obligation de traitement à l’eau chaude  de tous les plants plantés en zone exempte lorsqu'ils sont issus de pépinières situées en zone délimitée, ou constitués de porte-greffes et greffons issus de vignes-mères situées en zone délimitée et non traités à l'eau chaude, ce qui revient à rendre obligatoire un tel traitement, dans les pépinières et vignes mères situées en zone délimitée, lorsqu'elles entendent vendre leurs plants à destination de zones exemptes ; 2°/ pour les pépinières et vignes mères situées en zone délimitée et où l'insecte vecteur est présent, si le traitement à l'eau chaude permet d'éliminer le phytoplasme, agent de la flavescence dorée de la vigne, de plants ou de boutures déjà contaminés, il n'empêche pas les plants traités de développer la maladie en cas d'infection ultérieure ; de plus, ce traitement n'est pas efficace à lui seul contre l'insecte vecteur du phytoplasme, dont il élimine les œufs mais pas les larves et les insectes adultes, porteurs de la maladie, et enfin, dans les zones où la maladie est déjà présente, son développement est très rapide sous l'effet du vecteur ; 3°/ pour les pépinières et vignes mères situées en zone exempte et où l'insecte vecteur est absent, la requérante ne fait pas apparaître en quoi, alors que le phytoplasme est lui-même absent de telles zones, un traitement à l'eau chaude contribuerait à lutter contre la flavescence dorée de la vigne, ni en quoi les mesures de surveillance et de prévention de la maladie décrites dans l’arrêté attaqué, dont elle ne soutient pas qu'elles sont inefficaces, seraient insuffisantes pour prévenir cette maladie. 

(28 juin 2023, Confédération paysanne, n° 457727)

(172) V. aussi, à propos d’un recours tendant à l’annulation de l'instruction technique du 13 août 2021 relative aux modalités de surveillance et de lutte contre la flavescence dorée de la vigne et ses annexes, notamment les points « 2-Financement des prospections », « Plantations en zone exempte » et « Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières » de son annexe I, le rejet de la plupart des moyens sauf celui, admis, tiré de ce qu’il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté par le ministre de l'agriculture que l'obligation de traitement à l'eau chaude prévue par l'arrêté du 27 avril 2021 et reprise par l'instruction technique contestée, oblige à traiter à l'eau chaude des plants issus de pépinières et vignes-mères utilisés pour la multiplication de la vigne alors même que ceux-ci remplissent les conditions prévues au b du point 19 de l'annexe VIII du règlement (UE) 2019/2072. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que les points « Plantations en zone exempte » et « Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières » de l'instruction technique et les articles 13 et 16 de l'arrêté du 27 avril 2021 méconnaissent les règlements (UE) 2016/2031 et (UE) 2019/2072 en tant qu'ils ne permettent pas la circulation de végétaux destinés à la plantation répondant aux conditions prévues au b du point 19 de l'annexe VIII de ce dernier : 28 juin 2023, Fédération française de la pépinière viticole , n° 461202.

 

173 - Retour en France d’une ressortissante française accompagnée d’une enfant née au Mexique d’une gestation pour autrui - Délivrance d’un laissez-passer consulaire pour l’enfant - Intérêt supérieur de l’enfant - Injonction de délivrer à titre provisoire un document lui permettant l’accès en France.

Une ressortissante française partie au Mexique pour bénéficier du fruit de la gestation d’une autre personne, entend y revenir avec l’enfant issue de ce procédé la validité de son visa de séjour mexicain arrivant à expiration. Le ministère des affaires étrangères tardant à délivrer un document de voyage à l’enfant dans l’attente d’avoir statué sur son sort juridique, la justice administrative a été saisie, en vain au premier degré. Le Conseil d’État est saisi par voie d’appel dans le cadre d’un référé liberté.

Le juge des référés considère qu’il y a urgence car l’expiration du visa mexicain contraint la demanderesse à rentrer en France en laissant l’enfant abandonnée à Mexico car cette dernière ne peut entrer en France.

Le juge estime que l’intérêt supérieur de l’enfant joint à la présomption de validité des actes de l’état-civil étrangers posée par le Code civil (art. 47) qui fait de la requérante sa mère, imposent à l’administration de délivrer sans délai un document quelconque permettant l’entrée de l’enfant en France en compagnie de celle qui est désormais sa mère. Cette injonction ne préjuge nullement du sort que la France réservera in fine à la détermination de la nationalité de l’enfant laquelle est, au demeurant, déjà détentrice de la nationalité mexicaine.

Ce scénario, digne d’alimenter les causeries dans les chaumières en faisant pleurer Margot, est le résultat de choix libres de la mère dont elle impose les conséquences, de façon unilatérale, à l’État français dont le droit interne n’admet pourtant pas le recours au procédé qui le contraint néanmoins à renoncer, cas par cas, à sa souveraineté. Quid de la démocratie ?

(28 juin 2023, Mme B., n° 475257)

 

174 - Police des carrières - Autorisation d’extraction de grès - Rejet du recours dirigé contre cette autorisation - Juge d’appel prononçant un arrêt d’avant-dire droit en attente de régularisation - Arrêt se prononçant au fond - Pourvoi en cassation contre le premier et non contre le second arrêt - Pourvoi devenu sans objet - Rejet.

Après le rejet, par le tribunal administratif, de leur requête tendant à voir annuler l'arrêté par lequel le préfet de l'Orne a autorisé l’exploitation d’une carrière et ses installations connexes sur le territoire de deux communes, les demandeurs ont saisi la juridiction d’appel. Celle-ci a rendu d’abord un arrêt d’avant-dire droit accordant au préfet un délai de six mois pour la régularisation de l'autorisation par la réalisation d'un nouvel état de pollution des sols. 

Les demandeurs se sont pourvus en cassation de cet arrêt.

Puis, au vu des mesures prises par le préfet, la cour ayant constaté la régularisation du vice de procédure qu’elle avait relevé, a, par un second arrêt, rejeté l’ensemble des conclusions dont l’avait saisie l’association.

Or si le pourvoi en cassation était dirigé contre l’arrêt rendu avant-dire droit, aucun pourvoi n’a été dirigé contre le second arrêt ce qui a pour effet de rendre sans objet le pourvoi.

(30 juin 2023, Association Tournai-Villedieu-Environnement et autres, n° 450481)

 

175 - Police des enseignes lumineuses – Extinction de ces enseignes à partir d’une certaine heure en cas de forte tension du système électrique – Sort des enseignes à LED – Rejet.

Était demandée l’annulation du décret du 17 octobre 2022 portant obligation d'extinction des publicités lumineuses en cas de situation de forte tension du système électrique en tant qu'il impose cette obligation aux publicités lumineuses reposant sur la technologie des diodes électroluminescentes (LED).

Le recours est rejeté.

Contrairement à ce qui est allégué, ce décret n’a ni pour objet ni pour effet de conférer à la société RTE, personne privée, un pouvoir de police qui n’appartient en cette matère qu’au premier miniustre.

Ces restrictions, qui sont commandées en cas de menace grave et imminente sur la sécurité d'approvisionnement en électricité et d'insuffisance des mécanismes à disposition du gestionnaire pour assurer l'équilibre des flux d'électricité sur le réseau, sont bien nécessaires, adaptées et proportionnées.

Reposant sur une obligation d'extinction faite à toutes les publicités lumineuses raccordées au réseau, cette mesure ne saurait être considérée comme portant atteinte aux règles de la concurrence.

Enfin, le décret attaqué n’a pas pour objet – contrairement à ce qui est soutenu - de traiter plus favorablement les dispositifs qui ne recourent pas à la technologie des diodes électroluminescentes mais de permettre, conformément au principe de sécurité juridique et dans un délai dont la durée n'est pas manifestement excessive, l'adaptation des dispositifs qui ne sont ni programmables ni pilotables à distance.

(30 juin 2023, Société Cocktail Développement, n° 469553)

 

Professions réglementées

176 -- Chirurgien-dentiste - Régime disciplinaire - Infliction d’une sanction - Méconnaissance d’une obligation n’entrant pas dans le champ disciplinaire - Erreur de droit - Cassation de l’entière décision.

Sur plainte du médecin-conseil régional, chef de service du service médical d'Île-de-France, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance d'Île-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes  a infligé au requérant la sanction de l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant une durée de trois ans et lui a ordonné de reverser des sommes aux caisses primaires d'assurance maladie de Paris, de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et des Yvelines. La section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a, d'une part, rejeté l'appel formé par M. B. contre cette décision et, d'autre part, décidé que la sanction serait exécutée du 15 février 2022 au 14 février 2025.

M. B. se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule la décision déférée.

Il relève que, parmi les fautes justifiant la sanction prononcée, la juridiction d’appel  a retenu que M. B. n'avait pas fourni, à de nombreuses reprises, les documents demandés par le service du contrôle médical de l'assurance-maladie de Paris dans le cadre de l'analyse de son activité, notamment 260 radiographies, et a jugé que l'intéressé avait, ce faisant, méconnu l'obligation qui découle des dispositions de l'art. R. 315-1-1 du code de la sécurité sociale de communiquer au service du contrôle médical l'ensemble des documents lui permettant de procéder à l'analyse prévue à l'art. L. 315-1 du code de la sécurité sociale.

Pour fonder la sanction infligée, cette juridiction s’est appuyée sur les dispositions de l'art. L. 145-1 du code de la sécurité sociale or ce texte ne réprime que les fautes, abus, fraudes et faits intéressant l'exercice d'une profession de santé qui sont relevés à l'encontre d'un praticien à l'occasion des soins qu'il dispense aux assurés sociaux. Tel n’est pas le cas de l’espèce : la juridiction d’appel a ainsi commis une erreur de droit.

Comme le juge d’appel a pris en compte ces faits avec d'autres agissements pour déterminer la sanction infligée à M. B., l’erreur de droit entraîne la cassation de la décision attaquée dans son ensemble.

(29 juin 2023, M. B., n° 462323)

 

177 - Expert-comptable - Procédure disciplinaire - Désistement de l’appelant principal - Sort des appels incidents - Application du droit commun processuel - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la chambre nationale de discipline auprès du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables qui, saisie à la fois d’un appel principal et d’appels incidents et en présence d’un désistement de l’appelant principal, juge que ce désistement a éteint l’instance d’appel alors que les requérants avaient expressément refusé d'accepter ce désistement.

En cette occurrence, il appartient à cette juridiction comme à toute juridiction administrative de droit commun, de décider soit de donner acte du désistement de l’appel incident lorsque l’appelant incident a accepté le désistement de l’appelant principal, soit que l’appel incident est irrecevable, en particulier s’il est formé après enregistrement du désistement de l’appelant principal, soit statuer au fond sur les conclusions incidentes dans la mesure de leur recevabilité.

(30 juin 2023, Société Ethix et M. B., n° 451040)

Question prioritaire de constitutionnalité

178 - Enseignement supérieur - Diplôme national de master - Procédure de recrutement en première année de ce diplôme - Principe d’égal accès à l’instruction - Incompétence négative du législateur - Règle de capacité d’accueil des établissements - Sécurité juridique - Refus de transmission de la QPC.

Le saisissant contestait la constitutionnalité des dispositions des deuxième et sixième alinéas de l'art. L. 612-6 du code de l'éducation portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat.

Les différents moyens soulevés au soutien de la question sont rejetés.

Cet article n’est pas entaché d’incompétence négative en ce qu’il prévoit que les capacités d'accueil pour l'accès à la première année du cycle de master sont fixées par les établissements dans le cadre d'un dialogue avec l'État, sans préciser les modalités particulières de détermination de ces capacités d'accueil dès lors que de telles précisions ne relèvent pas des principes fondamentaux de l'enseignement, ni d'aucun autre principe ou règle dont la détermination incombe à la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution. 

Le législateur pouvant déroger au principe du libre accès aux études universitaires en fonction de critères tirés exclusivement des mérites des candidats, il lui a été loisible de décider qu’en cas de limitation des capacités d’accueil en master l’accès y serait subordonné au succès à un concours ou à une sélection sur dossier, dès lors que les seuls critères applicables sont ceux tenant aux mérites des candidats.

Enfin ne saurait être invoqué le principe de sécurité juridique dès lors que n’est pas en cause une atteinte à des situations légalement acquises ou à des effets qui peuvent légitimement en être attendus s’agissant de la détermination des modalités de sélection pour l'accès en première année des formations de deuxième cycle lorsque les capacités d'accueil y sont limitées.

(07 juin 2023, M. B., n° 471537)

179 - Police des mines - Prolongation des concessions minières - Suppression des concessions à durée illimitée - Constitutionnalité de l’art. L. 144-4 du code minier - Refus de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité.

(09 juin 2023, Société Compagnie minière Montagne d'Or, 456736 et n° 456738)

V. n° 184

 

180 - Magistrat du siège - Procédure disciplinaire - Question nouvelle mais restreinte à la matière pénale - Exclusion du droit disciplinaire - Refus de transmission d’une QPC.

Le demandeur opposait une QPC aux art. 52 et 56 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature fondée sur le motif que ces dispositions, en ce qu’elles prévoient l'audition du magistrat poursuivi par le rapporteur désigné par le Conseil supérieur de la magistrature et par le conseil de discipline sans que ne lui soit notifié son droit au silence, méconnaissent le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, résultant des art. 9 et 16 de la Déclaration de 1789.

Si le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion (déc. n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2001-445 DC du 19 juin 2001), de déclarer conformes à la Constitution ces articles dans leur rédaction applicable au présent litige, sa jurisprudence a cependant été précisée par la suite s’agissant du principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser en matière pénale, dont découle le droit de se taire (déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, n° 2021-894 QPC et n° 2021-895/901/902/903 QPC du 9 avril 2021). Cependant, si ces décisions constituent une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel tel n’est pas le cas en l’espèce qui concerne la matière disciplinaire, non la matière pénale, alors qu’il résulte de ces dernières jurisprudences qu’elles ont vocation à s'appliquer dans le cadre d'une procédure pénale.

Il en va ainsi alors même que les informations recueillies dans le cadre de cette procédure disciplinaire pourraient être ultérieurement transmises au juge pénal. Cette solution peut se discuter dès lors que le droit de se taire n’est pas reconnu en procédure disciplinaire.

(23 juin 2023, M. B., n° 473249)

 

181 - Entreprises de presse - Régime des aides à la presse - Péréquation du coût de la distribution des quotidiens en France – Rejet.

Des divers moyens soulevés par les requérantes - tous rejetés -  à l’encontre de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) en date du 21 septembre 2022 fixant le montant de la péréquation entre entreprises de presse prise en application du 3° de l'art. 18 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 modifiée relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, on retiendra seulement celui  soulevant une question prioritaire de constitutionnalité.

Les requérantes arguaient de ce que les dispositions précitées, ne prévoient pas la prise en compte, pour le calcul de la péréquation du montant des coûts spécifiques et ne pouvant être évités induits par la distribution des quotidiens en France, des aides pour la distribution de quotidiens en France prévues par le décret du 25 avril 2002 relatif à l'aide à la distribution de la presse.

Le juge rejette - pour la première fois nous semble-t-il avec cette netteté et à juste titre - une telle question au motif que lorsque pour l'adoption d'une disposition, le législateur a ou non pris en considération l'existence ou le contenu d'un acte règlementaire, ne saurait constituer par elle-même une violation, par cette disposition, d'un droit ou d'une liberté garanti par la Constitution et ne peut par suite être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

(29 juin 2023, Société Messageries Lyonnaises de Presse et société MLP, n° 469035)

Responsabilité

182 - Responsabilité hospitalière - Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) agissant par subrogation aux droits de la victime - Action de l’ONIAM contre un établissement devant être regardée comme une action de la victime - Transaction conclue par l’ONIAM - Évaluation des préjudices - Responsabilité de plusieurs établissements - Régime - Annulation.

L'ONIAM, subrogé dans les droits des victimes sur le fondement de l'art. L. 1142-15 du code de la santé publique du fait des indemnités transactionnelles qu’il leur a versées en réparation des préjudices subis par leur enfant à la suite de la prise en charge de Mme B. par ces établissements hospitaliers et le centre de protection maternelle et infantile des Yvelines, a demandé au tribunal administratif de condamner le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, le département des Yvelines et le centre hospitalier de Cornouaille à lui rembourser celles-ci, et à lui verser une pénalité de 15 % sur le fondement de même article du code précité.

Le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Cornouaille à verser à l'ONIAM les sommes de 501 582,76 euros et 75 237,41 euros ; sur appel de l’ONIAM, la cour administrative d’appel a ramené ces sommes respectivement à 76 232,52 et 3 811,63 euros et rejeté le surplus de ses demandes.

L’ONIAM se pourvoit en cassation de cet arrêt en tant qu’il a rejeté celles de ses conclusions tendant au remboursement des sommes versées en exécution des protocoles d'indemnisation transactionnelle conclus le 24 novembre 2017.

Le juge rappelle tout d’abord, l’applicabilité à l’espèce du principe constant du droit de la sécurité sociale selon lequel lorsque l’organisme subrogé dans les droits de la victime qu’il a indemnisée exerce son action subrogatoire, celle-ci constitue « une action de la victime » ce qui impose au juge administratif d’appeler en la cause les caisses de sécurité sociale (cf. art. L. 376-1 code séc. soc.). L’arrêt attaqué est irrégulier pour avoir omis cet appel en la cause.

Surtout, il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis, afin de fixer le montant des indemnités dues à l'Office.

Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.

Dans le cas particulier où, alors que la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation avait estimé que la responsabilité de plusieurs établissements était engagée, le juge, saisi d'un recours subrogatoire de l'ONIAM, estime que la réparation du dommage incombe à un seul établissement, il doit, pour déterminer le montant de l'indemnité due à l'Office, tenir compte de l'ensemble des préjudices indemnisés par l'ONIAM, qu'ils l'aient été en substitution de l'assureur de l'établissement jugé seul responsable ou de ceux d'autres établissements. 

L’arrêt est entaché d’erreur de droit  pour avoir limité l'indemnité accordée à l'ONIAM au remboursement des sommes versées en exécution du protocole complémentaire d'indemnisation conclu en novembre 2017 en substitution de l'assureur du centre hospitalier de Cornouaille, alors qu'elle a jugé que ce centre hospitalier était seul responsable du dommage et que l'ONIAM avait demandé que ce centre hospitalier soit condamné à lui rembourser l'intégralité des sommes versées au titre de ces nouveaux protocoles, indemnisant des préjudices nouveaux ou s'étant aggravés.

(07 juin 2023, Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 448871)

(183) V. aussi, jugeant et rappelant :

1°/ que le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire formé par un organisme de sécurité sociale en application des dispositions de l'art. L. 376-1 du code de la sécurité sociale ou par un autre tiers payeur sur le fondement des articles 28 et 29 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations versées par l'organisme de sécurité sociale ou l'autre tiers-payeur et celle qui est demeurée à la charge de la victime.

2°/ qu’il appartient ensuite à ce juge de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime, le juge devant allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ou à l'autre tiers payeur.

3°/ que le recours subrogatoire ouvert par ces dispositions n'étant susceptible de s'exercer que dans la limite de l'évaluation, poste par poste, du préjudice subi par la victime, la cour administrative d'appel, qui a procédé à une nouvelle évaluation des préjudices de la victime au titre de ses dépenses de santé et de ses pertes de gains professionnels, n'a pas commis d'erreur de droit en réduisant par voie de conséquence, au-delà des conclusions dont elle était saisie par les parties, les sommes accordées aux tiers payeurs au titre de leurs débours s'imputant sur ces postes. Elle n'a par ailleurs pas entaché son arrêt d'irrégularité en s'abstenant d'inviter les tiers payeurs, auxquels la procédure avait été communiquée, à présenter leurs observations sur ce point. 

4°/ Enfin, que la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident : les pertes de revenus professionnels et l’incidence professionnelle de son incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale ou un autre tiers payeur au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice : 07 juin 2023, Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF) et Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Seine-Saint-Denis, n° 452790.

 

184 - Responsabilité hospitalière - Demande indemnitaire - Saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation - Avis favorable - Refus d’accepter l’offre amiable - Saisine de la commission valant demande préalable à l’établissement de santé - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

La requérante a demandé l’indemnisation de dommages qu’elle estime avoir subis du fait d'une opération chirurgicale réalisée au centre hospitalier d’Arpajon le 24 février 2016. Sa requête a été rejetée en première instance et en appel au motif qu’elle n’a pas produit la justification de la date de dépôt de sa demande indemnitaire préalable auprès de l'administration ni de l'impossibilité de la produire, contrairement aux dispositions de l’art. R. 412-1 du CJA. Sur pourvoi de l’intéressée, le Conseil d’État  annule l’arrêt et le jugement.

Il décide que la production, comme ce fut le cas en l’espèce, de l'avis rendu par la commission de conciliation et d'indemnisation, qui établit sa saisine par une réclamation préalable, dans les conditions prévues aux art. R. 421-1 et R. 421-2 du CJA et aux art. L. 1142-7, R. 1142-13 et R. 1142-19 et suivants du code de la santé publique, suffit à satisfaire aux exigences de l'article R. 412-1 du CJA sans qu'il soit besoin au requérant d'apporter en outre la preuve de la date de dépôt de sa réclamation. 

C’est là la réitération d’un avis contentieux reconnaissant à la saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation le caractère d’une « demande préalable » au sens et pour l’application du deuxième alinéa de l’art. R. 421-1 du CJA (Avis, 29 mai 2019, M. et Mme Blard, n° 426519 V ; cette Chronique, mai 2019, n° 96).

(07 juin 2023, Mme A., n° 464883)

 

185 - Responsabilité hospitalière - Infection nosocomiale - Déficit fonctionnel définitif de 65% - Appréciation de la possibilité, ou non, d’exercer une activité salariée - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation sur ce point.

Par suite d’une infection nosocomiale contractée en milieu hospitalier à sa naissance, la victime conserve d'importantes séquelles neurocognitives, se traduisant notamment par des troubles moteurs, des crises épileptiques, des céphalées chroniques, une fatigabilité accrue et une très grande lenteur d'action et de réflexion, sans capacité à mémoriser des consignes ni des séquences de gestes et à anticiper des actions qui ont conduit la cour administrative d’appel à lui reconnaître un déficit fonctionnel définitif de 65 % et à lui accorder une assistance par tierce personne de douze heures par jour. Toutefois, il est jugé que la cour, nonobstant ce constat, n’a pu décider que l’intéressée n’est pas dans l'impossibilité d'exercer une activité salariée, sous réserve d'un aménagement de son poste de travail, que par suite d’une dénaturation des pièces du dossier conduisant à la cassation de l’arrêt sur ce point.

(26 juin 2023, Mme B. représentante de sa fille Mme E., n° 459272)

 

186 - Responsabilité à raison des ouvrages publics - Dégâts causés par des débordements du réseau d’assainissement - Réparation allouée pour une partie du préjudice supérieure à celle demandée - Absence d’ultra petita en l’espèce - Responsabilité sans faute - Notion de risque aléatoire - Annulation partielle.

Une classique banale affaire de demande de réparation des dommages causés par les débordements successifs d’un réseau d’assainissement suite à de violents orages conduit le juge, entre autres, à se prononcer sur deux questions très intéressantes.

En premier lieu, il décide que si la cour a fait du préjudice de jouissance une évaluation supérieure à celle qu'avaient indiquée les victimes, elle n'a accordé à celles-ci, au regard du total des chefs d'indemnisation, qu'une indemnité globale inférieure à celle qu'ils réclamaient. Ainsi, la cour n'a pas statué au-delà des conclusions indemnitaires dont elle était saisie. 

La solution est assez logique car l’on ne se trouve pas en présence de dommages corporels où l’évaluation du préjudice devant s’effectuer poste par poste (nomenclature Dintilhac), l’ultra petita devrait y être apprécié lui aussi poste par poste de préjudice.

En second lieu, le contrat d’assurances liant la collectivité publique condamnée à réparation et son assureur stipulait exclus du champ du contrat « les dommages causés par les infiltrations, refoulements, débordements de canalisations et installations servant à l'écoulement des eaux pluviales et usées, s'il est établi que le risque n'a pas de caractère aléatoire du fait d'un vice de conception de l'ouvrage, d'un défaut d'entretien ou d'une insuffisance de capacité du réseau ». Cette exclusion découle de ce que le Code civil définit toujours le contrat d’assurances comme un contrat aléatoire au sens de son nouvel art. 1108.

Ici l’assureur demandeur au pourvoi  soutenait tout d’abord que l’arrêt d’appel était entaché d’erreur de droit et de contradiction de motifs pour avoir tout à la fois jugé que la responsabilité sans faute de la communauté de communes était engagée à l'égard des victimes en sa qualité de maître d'ouvrage du réseau d'assainissement et que, cependant, la capacité et les dimensions de réseau étaient conformes aux prescriptions techniques, de sorte que les sinistres en litige ne provenaient pas, au sens des stipulations du contrat précitées qu'elle a souverainement appréciées, d'un risque n'ayant pas de caractère aléatoire du fait d'un vice de conception de l'ouvrage, d'un défaut d'entretien ou d'une insuffisance de capacité du réseau. Le moyen est, évidemment, rejeté, l’aléa ne pouvait, précisément, exister que si le réseau, par ses caractéristiques, ne pouvait être en lui-même la cause des débordements mais seulement l’élément transmetteur.

L’assureur soutenait également l’absence d’aléa en ce que de précédents sinistres étaient survenus dans les mêmes conditions antérieurement au renouvellement du contrat d’assurances, le 22 avril 2008, liant la communauté de communes et la société Axa Iard. Le juge réplique qu’il ne résultait pas de l’instruction que la communauté de communes avait eu connaissance de ces événements. Le dommage présentait bien un caractère aléatoire.

Ceci montre combien, en droit des obligations, le juge administratif est fréquemment appelé, d’une part, à se prononcer sur des actes et catégories juridiques de droit privé, enrichissant ainsi leur régime juridique, et combien il est, à son tour, dépendant de ces mêmes actes et catégories tels que les régit le droit privé, spécialement les droits civil et commercial.

La cassation partielle ne porte que sur l’estimation du coût de la remise en état d’un mur séparatif de la propriété des victimes et d’un terrain communal.

(09 juin 2023, Société Axa France Iard, Mme E. et MM. E., n° 464218)

 

187 - Responsabilité du fait de décisions illégales - Responsabilité du fait de la non-réalisation de travaux d’extension de réseaux d’eau et d’électricité – Acte inexistant – Annulation.

Le maire d’une commune a rejeté le 10 septembre 2013 la demande de permis de construire présentée par le groupement requérant en vue de l'édification d'un atelier de découpe de viande, notamment du fait de l'absence de desserte du terrain d'assiette par les réseaux électrique et d'eau potable (cf. art. L. 111-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur).

Le 21 novembre 2013, le conseil municipal de la commune a, d'une part, décidé que les travaux d'extension de ces réseaux seraient pris en charge par la communauté d'agglomération et un syndicat des énergies et du numérique (SYADEN) et, d'autre part, entendu dispenser le GAEC du versement de la participation financière pour équipement public exceptionnel prévue à l'art. L. 332-8 du code de l'urbanisme.

Puis, par un arrêté du 6 décembre 2013, le maire de la commune a retiré sa décision du 10 septembre 2013 et délivré le permis de construire sollicité, sans exiger du GAEC le versement d'une participation.

Enfin, par une délibération du 1er mars 2016, le conseil municipal a abrogé la délibération du 21 novembre 2013, pour avoir été adoptée dans des conditions frauduleuses. 

La cour administrative d’appel, par un arrêt infirmatif, a rejeté les prétentions indemnitaires du GAEC qui se pourvoit en cassation. Il succède en son pourvoi.

Relevant que le GAEC requérant s'est borné à mettre en cause les agissements de la commune à partir du mois de mai 2015, à la suite de la demande présentée par le SYADEN en avril 2015, et à se plaindre des préjudices subis du fait de l'absence de raccordement au réseau électrique de l'atelier édifié en 2016, le juge de cassation décide que les dispositions de l'art. 49 du décret du 29 juillet 1927 relatives à la procédure d'opposition, comme du reste celles de l'art. 2 du décret du 1er décembre 2011, en matière d’ouvrages des réseaux publics d'électricité, dans leur rédaction antérieure au décret du 26 mai 2014, lesquelles au demeurant ne permettaient pas au maire concerné de faire échec à la réalisation des travaux d'extension du réseau électrique mais obligeaient seulement le maître d'ouvrage à mettre en œuvre la procédure d'approbation en cas d'opposition du maire, sont inapplicables au présent litige.

Il en résulte qu’en se fondant sur ces dispositions, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit.

Au surplus, et contrairement à ce que soutient la commune, aucune disposition ne permettait au maire - en se fondant sur la charge financière pouvant en résulter pour la commune -  de faire obstacle à la réalisation de ces travaux ou de refuser le raccordement à ce réseau d'un bâtiment pour lequel il avait délivré un permis de construire. 

(06 juin 2023, GAEC des Garrigues arquettoises, n° 464325)

 

188 - Responsabilité pour faute – Responsabilité hospitalière  définitivement jugée – Expertise – Éléments de la mission expertale sans utilité – Réformation.

Dans un litige où était en cause la responsabilité d’un centre hospitalier du fait du préjudice subi par les demandeurs au moment de leurs naissances, le tribunal administratif, par un jugement devenu définitif sur ce point, a mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et la cour administrative d'appel a jugé, par un arrêt également devenu définitif, que les manquements fautifs du centre hospitalier lors de la naissance de MM. D. étaient à l'origine d'une perte de chance de 70%, pour ces enfants, d'éviter de contracter la leucomalacie périventriculaire à l'origine des importantes séquelles motrices dont ils souffrent.

Il résulte de ceci que la justice administrative s'est ainsi définitivement prononcée sur les responsabilités encourues et sur l'étendue de l'obligation de réparation qui pèse sur le centre hospitalier.

C’est pourquoi, les points de la mission d'expertise visés aux 4°, 5°, 7°, 8° et 9° de l'article 1er du dispositif de l'ordonnance du 7 novembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif, qui prescrivent à l'expert de recueillir et exposer tous éléments qui pourraient être utiles au juge pour déterminer l'existence de fautes ou d'un aléa thérapeutique et apprécier l'ampleur des responsabilités, ne présentent pas d'utilité au sens des dispositions précitées de l'art. R. 532-1 du CJA.

En conséquence, le juge de cassation réforme la mission définie par l'article 1er de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif en annulant ces dispositions, ainsi que la mention, au 6° du même article, d'une personne étrangère au litige. 

(13 juin 2023, MM. D., n° 470654)

 

189 - Responsabilité pour faute - Dommage imputable au service - Chefs de préjudice détaillés en appel - Demande d’appel restant dans l’épure de la demande de première instance - Aggravation connue postérieurement à l’enregistrement de l’appel - Office du juge - Absence de faute de la victime - Annulation.

Cette affaire constitue une excellente illustration des règles et principes gouvernant le contentieux de la responsabilité à raison de préjudices corporels.

Le juge rappelle à nouveau que la victime qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, sous deux limites et une exception.

1ère limite : les chefs de préjudice détaillés en appel doivent se rattacher au même fait générateur que celui invoqué en première instance.

2ème limite : les prétentions de la victime en appel doivent demeurer dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance.

L’exception réside dans la faculté reconnue au demandeur d’augmenter, le cas échéant, ses prétentions initiales du chef d’éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, mais, là aussi, sous une double limite : 1) ces éléments nouveaux dans le chiffrage du préjudice ne doivent pas relever d’une cause juridique nouvelle ; 2)  la majoration des prétentions en appel n’est possible que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

Lorsque sont satisfaites ces conditions, l’office du juge lui impose d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges.

En l’espèce, le requérant, gardien d’une déchetterie, a été victime d'une chute, le 17 décembre 2015, alors qu'il manipulait une caissette dans le couloir de passage permettant le déplacement à l'intérieur du conteneur des déchets ménagers spéciaux, qui a provoqué une fracture de son pilon tibial droit et a été reconnue, le 28 décembre 2015, comme constitutive d'un accident imputable au service.

Le tribunal administratif a condamné son employeur, la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse, à lui verser la somme de 3 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2016 et a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la condamnation de cette collectivité à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation des préjudices qu'il alléguait. M. D. se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif de ce jugement.

Le Conseil d’État est à la cassation.

Tout d’abord, la victime demandait, en première instance comme dans ses premières écritures en appel, la condamnation de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à hauteur de 60 000 euros pour différents chefs de préjudice ayant tous pour fait générateur l'accident de service du 17 décembre 2015 et incluant le chef du préjudice patrimonial causé par les conséquences de cet accident sur le déroulement de sa carrière professionnelle. Dans le dernier état de ses écritures en appel, il a demandé la même condamnation de la collectivité, en y ajoutant une demande d'indemnisation pour une somme correspondant à l'allocation temporaire d'activité dont il soutient qu'il aurait dû bénéficier, compte tenu de la fixation de son taux d'invalidité à 15 % par un rapport médical établi le 16 octobre 2019, donc postérieurement à l’enregistrement de son appel.  Il incombait donc à la juridiction d’appel, dès lors que les conclusions de première instance et d’appel étaient, l’une et l’autre fondées sur la responsabilité pour faute et invoquaient le même fait générateur, d’une part, de se prononcer sur ces conclusions, dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance et d'autre part, d'apprécier, dans la mesure où l'intéressé soutenait que ces conclusions correspondaient à la révélation du préjudice dans toute son ampleur, conformément à la fixation de son taux d'invalidité à 15 % par le rapport médical établi le 16 octobre 2019, soit postérieurement à l'enregistrement de son appel, si ces conclusions justifiaient de mettre à la charge de la communauté de communes une indemnité excédant le montant total demandé en première instance par M. D. En jugeant ces conclusions irrecevables la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Ensuite, la cour a estimé que la victime avait commis une faute car bien que le passage étroit du conteneur, dans lequel M. D. circulait au moment de l'accident de service, fût dans un état dégradé, encombré par des sangles exposant notamment ses utilisateurs à de forts risques de chutes, pourvu d'un sol irrégulier et doté d'un éclairage insuffisant, M. D. avait lui-même signalé à la communauté de communes l'état dégradé du conteneur et la présence de sangles révélant ainsi qu’en s'y déplaçant la victime avait fait preuve d'un manque de prudence fautif.

Le juge de cassation décide que constitue une qualification juridique erronée l’affirmation de l’existence d’une faute de la victime.

(30 juin 2023, M. D., n° 453834)

 

190 - Fourniture de sang contaminé - Action de tiers payeurs contre l’Établissement français du sang (EFS) - Régime - Incertitude sur celui de deux établissements identifiés ayant fourni du sang contaminé - Régime - Rejet.

(20 juin 2023, Établissement français du sang (EFS), n° 455696)

V. n° 196

 

191 - Dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles - Indemnisation financière de ces dégâts mise par la loi à la charge des fédérations de chasseurs - Inconstitutionnalité et inconventionnalité prétendues de ce régime - Rejet.

Les recours des différentes fédérations, joints en tant qu’ils présentent à juger des questions sinon identiques du moins communes, sont dirigés contre les décisions implicites du premier ministre rejetant leur demande d'abrogation des art. R. 421-34, R. 421-35, R. 421-37, R. 421-39 et R. 426-1 à R. 426-19 du code de l'environnement, celles, implicites, du même et des ministres de l’écologie et de l’agriculture rejetant la demande de modification des dispositions de la loi du 26 juillet 2000 et des art. L. 421-5, L. 421-8, L. 421-10, L. 421-11-1, L. 426-1 à L. 426-5 du code de l'environnement ainsi que celle d'abrogation des art. R. 426-1 à R. 426-29 de ce code.

Brevitatis causa, il est reproché aux dispositions litigieuses, qui font reposer sur les fédérations de chasseurs la charge financière de l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles, d’une part, d’être inconstitutionnelles pour méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789, d’autre part, d’être contraires à la Convention EDH, spécialement l’art. 1er de son premier protocole additionnel en tant qu’elles portent atteinte au droit de propriété.

Sur le premier point, le rejet s’imposait puisque le Conseil constitutionnel a jugé que les art. L. 421-5, L. 426-3 et L. 426-5 du code de l'environnement étaient conformes au principe d'égalité devant les charges publiques et au droit de propriété (20 janvier 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 2021-963 QPC).

Sur le second point, le juge répond en deux temps compte tenu de l’argumentation présentée devant lui.

D’abord, les fédérations départementales des chasseurs, qui sont des associations de droit privé, régies par un statut législatif particulier et investies de missions de service public (cf. art. L. 421-5 c. env.), qui perçoivent des ressources provenant des cotisations obligatoires versées par les adhérents et des taxes instituées dans le cadre des plans de chasse ne sont donc pas placées dans une situation analogue à celle des autres individus. Elles ne sauraient donc utilement soutenir que les dispositions litigieuses, en tant qu'elles leur imposent, au titre de leurs dépenses obligatoires, l'obligation d'indemniser les propriétaires des dégâts causés par le gibier, auraient pour effet de créer une discrimination injustifiée. 

Ensuite, l’exception d’inconventionnalité est rejetée en considération, d’une part, de ce que le régime exorbitant d'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles poursuit un objectif d'intérêt général et, d’autre part, de ce que seuls certains dégâts et non tous doivent être réparés sous la double condition d’excéder un certain seuil de gravité et de ne pas résulter d’une faute du propriétaire victime de dégâts. Enfin, les fédérations ont toujours la faculté, conformément aux principes généraux du droit de la réparation, de se retourner, par subrogation, contre le responsable éventuel.

Ainsi, est constatée l’existence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de l’institution de ce régime de responsabilité.

(22 juin 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 4745722 ; Fédération départementale des chasseurs des Landes, n° 455054 ; Fédération départementale des chasseurs du Gers, n° 455246 ; Fédération départementale des chasseurs de la Vienne, n° 458199 ; Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, n° 458229 ; Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques, n° 458644, jonction)

(192) V. aussi, très voisin, rejetant par des motifs comparables une demande d’annulation du refus implicite du président de la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier de retirer ou, à défaut, d'abroger la grille nationale de réduction de l'indemnisation arrêtée par cette commission le 10 mars 2015 en application des art. L. 426-3 et R. 426-5 du code de l'environnement : 22 juin 2023, Fédération départementale des chasseurs du Gard, n° 457751.

 

193 - Responsabilité pour faute résultant du non-respect d’un engagement - Promesse jugée non créatrice de droits - Absence de lien direct de causalité entre la faute et le dommage - Erreur de droit - Annulation.

Une cour administrative d’appel, après avoir jugé qu’une commune avait commis une faute envers une société en ne réalisant pas le raccordement ferroviaire à une plateforme logistique gérée par cette société qu’elle avait promis de réaliser ou de faire réaliser, a rejeté le recours en indemnisation formé par la société contre la commune au motif qu'une promesse de l'administration n'est pas une décision créatrice de droits, son destinataire ne disposant pas d'un droit à ce qu'elle soit réalisée, de la sorte le préjudice invoqué par la société Combronde Logistique résultant de son manque à gagner sur les opérations de brouettage ne présentait pas un lien de causalité direct et certain avec la faute commise tenant au non-respect de cette promesse.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour l’erreur de droit ayant consisté à juger non créatrice de droit une promesse de l’administration, du moins lorsque cette promesse est claire, certaine et non équivoque ou conditionnelle.

(23 juin 2023, Société Combronde Logistique, n° 454844)

 

194 - Responsabilité hospitalière - Réparation au titre de la solidarité nationale - Distinction des cas selon que des dommages multiples résultent d’un unique accident médical ou de plusieurs - Erreur de droit - Annulation sur ce point.

On sait qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique l’ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède un certain seuil réglementairement défini.

En l’espèce, se posait la question de l’office du juge administratif saisi de la demande de réparation de plusieurs dommages selon qu’ils résultent d’un même et unique accident médical ou de plusieurs.

Dans cette importante décision qu’annonçaient déjà, au moins en filigrane, plusieurs décisions antérieures (par ex. 20 avril 2013, M. Tonnelier, n° 369473 ; 30 novembre 2021, M. Rivière, n° 443922), le juge pratique une distinction.

Lorsqu’est demandée la réparation de plusieurs dommages résultant d'un même accident médical, d'une même affection iatrogène ou d'une même infection nosocomiale, il est de l’office du juge d’apprécier globalement les conditions, d'une part, d'anormalité et, d'autre part, de gravité de l'ensemble de ces dommages.

Lorsqu’est demandée la réparation de plusieurs dommages résultant de plusieurs accidents médicaux, affections iatrogènes ou infections nosocomiales, l’office du juge le conduit à apprécier de façon distincte les conditions d'anormalité et de gravité de chacun d'entre eux.

(26 juin 2023, Mme A., n° 465640)

 

195 - Délivrance d’un permis de construire - Habitation inondée à plusieurs reprises - Plan de prévention du risque d'inondation - Erreurs figurant dans la carte des aléas de la zone d’implantation du terrain d’assiette - Engagement de la responsabilité des services de l'État - Absence de lien direct et certain entre les erreurs et les préjudices subis - Rejet.

(30 juin 2023, M. et Mme D., n° 459025)

V. n° 219

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

196 - Fourniture de sang contaminé - Action de tiers payeurs contre l’Établissement français du sang (EFS) - Régime - Incertitude sur celui de deux établissements identifiés ayant fourni du sang contaminé - Régime - Rejet.

A la suite de l’hospitalisation d’une personne victime d’un accident de la circulation a été diagnostiquée une infection par le virus de l'hépatite C.

Le tribunal administratif a rejeté la demande de la caisse primaire d'assurance maladie tendant à voir condamner l’EFS à lui verser une certaine somme en remboursement des débours exposés par elle en raison de la contamination d’un patient par le virus de l'hépatite C. Puis la cour administrative d’appel a condamné l’EFS à verser à la CPAM cette même somme au titre des débours exposés par cette dernière au bénéfice de la victime. L’établissement se pourvoit en cassation, en vain.

Le Conseil d’État apporte ici trois réponses, dont certaines nouvelles, d’importance.

Tout d’abord, il est jugé que la présomption d’imputabilité d’une contamination à l’hépatite C par une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang, instituée par l’art. 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé est susceptible d'être invoquée aussi bien par les tiers payeurs subrogés dans les droits de la victime de la contamination que par la victime elle-même. 

Ensuite, il découle des dispositions de l’art. L. 1221-14 du code de la santé publique que les tiers payeurs ne peuvent être fondés à exercer une action subrogatoire contre l’EFS que si la condition relative à l'assurance du ou des établissements de transfusion sanguine qu’elles prévoient est satisfaite car ce n’est que dans cette hypothèse que l’EFS peut solliciter la garantie de l'assureur de l'établissement de transfusion sanguine à l'origine de la contamination. 

Enfin, lorsque, comme en l’espèce, il n'est pas possible de déterminer, entre deux établissements de transfusion sanguine identifiés comme ayant fourni des produits sanguins à la victime et pour lesquels la condition de couverture assurantielle est remplie, lequel a fourni ceux des produits qui ont été à l'origine de la contamination, l'EFS peut appeler l'un ou l'autre des assureurs de ces établissements, ou les deux solidairement, à le garantir de l'ensemble des sommes qu'il a versées aux tiers payeurs au titre des dommages subis par la victime, sauf à ce qu'ils établissent l'innocuité des produits fournis par leur assuré.  

La cour administrative d’appel n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant qu'alors même qu'il était impossible de déterminer lequel des deux établissements concernés avait fourni les produits sanguins directement à l'origine de la contamination, la CPAM était fondée à demander à l'EFS le remboursement de ses débours.

La solution vaut surtout par sa simplicité de mise en œuvre.

(20 juin 2023, Établissement français du sang (EFS), n° 455696)

(197) V. aussi, confirmant un arrêt de cour d’appel rejetant un appel de l’ONIAM ayant jugé :

- en premier lieu, que la convention conclue le 29 décembre 1999 entre l'Assistance Publique -Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l' Établissement français du sang (EFS) prévoyant, notamment, la prise en charge par l'EFS de l'ensemble des contentieux transfusionnels et des demandes transactionnelles nées ou susceptibles de naître après sa date de création, était opposable à l' Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), et que l'ONIAM n'était donc pas fondé à exercer un recours subrogatoire contre l'AP-HP en qualité de personne responsable du dommage ;

- en second lieu, que s’il résulte des dispositions de l’art. L. 1221-14 du code de la santé publique que l'ONIAM, lorsqu'il a indemnisé une victime de contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C, peut exercer soit directement une action en garantie auprès des assureurs des établissements de transfusion sanguine repris par l'EFS, soit l'action subrogatoire contre l'EFS prévue par l'avant-dernier alinéa du même article et subordonnée à une condition de couverture assurantielle de l'établissement de transfusion aux droits duquel est venu l'EFS, l'AP-HP, bénéficiant d'une dérogation à l'obligation de souscrire un contrat d'assurance, ne peut être regardée comme un assureur pour l'application des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : : 20 juin 2023, Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), n° 460868.

Service public

198 - Association sans prérogative de puissance publique - Membres pouvant ne pas être chargés d’une mission de service public - Absence de contrôle par l’État  ou de fixation d’objectifs par celui-ci - Financement privé pour l’essentiel - Demande de communication de documents - Absence de caractère administratif - Incompétence de l’ordre administratif de juridiction - Rejet.

L’Association nationale animaux sous tension (ANAST) a demandé, notamment à l’association Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, la communication de documents relatifs à son champ d’activités. Le refus implicite opposé à cette demande de communication a été annulé par le tribunal administratif. Le Groupe se pourvoit en cassation.

Pour infirmer le jugement querellé le Conseil d’État  recherche si le défendeur est bien détenteur de documents administratifs du fait de son organisation et de ses activités. Il est ainsi conduit à déterminer si l’on est ici en présence d’un service public ou de missions de service public.

Pour répondre par la négative, le juge de cassation retient que cette association, dont l'existence n'est ni prévue ni impliquée nécessairement par la loi, est dépourvue de prérogatives de puissance publique, qu’elle est ouverte à de nouveaux membres, indépendamment de l'exercice par ces derniers d'une mission de service public, chaque membre, à l'exclusion de l'État  qui en est dépourvu, disposant des mêmes droits de vote en assemblée générale et aucune règle ne garantissant aux trois membres fondateurs le contrôle de l'association.

De plus, le conseil d'administration de cette dernière, qui doit comprendre entre trois et onze membres, en sus des représentants de l'État qui n'y ont que voix consultative, comptait, à la date du jugement attaqué, sept membres, dont les trois représentants des membres fondateurs. Le conseil d'administration, dont les décisions sont prises à la majorité simple en vertu du règlement intérieur, désigne le président et le délégué général de l'association, qui en assurent la gestion, et définit la politique et les orientations générales de l'association dont il établit le budget, sans que l'État  ou les membres fondateurs aient assigné à celle-ci des objectifs dont ils contrôleraient la réalisation. Enfin, le financement de l'association, notamment des expertises qu'elle réalise, est pour l'essentiel assuré par ses membres, sans qu'une part prépondérante provienne de subventions versées par les ministères concernés, un fonds partenarial abondé par les membres ayant été créé en 2019 pour financer les expertises lorsque l'opérateur électrique concerné décide de refuser de les prendre en charge. Dans ces conditions, s'ils en ont été à l'initiative, ni les membres fondateurs, au titre de leur mission de service public, ni l'État  n'exercent un contrôle sur l'association Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole et ne peuvent être regardés comme ayant entendu lui confier une mission de service public.

Il s’ensuit que les documents détenus par cette association ne constituent pas des documents administratifs et que le litige relatif à leur communication ne relève pas de la compétence l’ordre administratif de juridiction. Le jugement est annulé pour n’avoir pas relevé d’office son incompétence.

(06 juin 2023, Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, n° 462748)

199 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Charge de ses interventions - Intervention inutile - Régime de prise en charge - Rejet et annulation partiels.

Une intervention du SDIS s’étant finalement révélée inutile, une alarme n’ayant été déclenchée que par inadvertance, se posait la question de sa facturation.

Le Conseil d’État juge que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’en l’espèce, au moment de lancer cette intervention, le SDIS avait agi au titre de la mission de service public de secours aux personnes, au sens de l'art. L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales et que la circonstance que cette intervention s'était finalement révélée inutile ne permettait pas de la regarder, a posteriori, comme ne relevant pas de cette mission et par suite facturable à la personne secourue.

En revanche, la cour a commis une erreur de droit, dans l'hypothèse où une société de téléassistance avait sollicité l'intervention du SDIS sans avoir accompli les diligences qui lui incombent pour éviter une intervention inutile, en jugeant que la société ne pourrait alors être regardée comme bénéficiaire de l'intervention, au sens de l'art. précité car cette intervention devrait être regardée comme ayant été sollicitée par cette société à son profit.

(28 juin 2023, Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du Loiret, n° 463457)

Sport

 

200 - Fédération française de football (FFF) - Manifestations ou compétitions organisées par elle - Statuts interdisant le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse - Principe de neutralité du service public - Mesure adaptée et proportionnée - Rejet.

Les requérantes recherchaient l’annulation du refus opposé par le président de la FFF à leur demande tendant à l'abrogation ou la modification de l'article 1er des statuts de la Fédération en tant qu'il interdit le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse à l'occasion de compétitions ou de manifestations organisées par la Fédération française de football.

La requête est rejetée sur conclusions contraires du rapporteur public.

Le juge estime d’abord s’agissant des  agents de la FFF ou des personnes sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, que ces dernières en tant que participantes à l’exécution du service public confié à la FFF, doivent s’abstenir de toute manifestation de leurs convictions et opinions afin de garantir la neutralité du service public ; ainsi en va-t-il des personnes sélectionnées en équipes de France mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent à ce titre.

Pour ce qui est des autres licenciés de la FFF, cette dernière peut édicter des règles de participation aux compétitions et manifestations qu'elle organise ou autorise, parmi lesquelles celles qui permettent, pendant les matchs, d'assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu, comme ce peut être le cas de la réglementation des équipements et tenues.

Surtout, le juge considère que ces règles peuvent légalement avoir pour objet et pour effet de limiter la liberté de ceux des licenciés qui ne sont pas légalement tenus au respect du principe de neutralité du service public dont les joueurs ne sont qu’usagers, d'exprimer leurs opinions et convictions si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d'autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs.

On dira notre désaccord sur l’idée que les joueurs ne sont pas tenus au respect du principe de neutralité alors qu’ils constituent l’« instrument » indispensable par lequel la FFF assure sa mission de service public. Cette distinction entre deux catégories de personnes au regard du principe susénoncé n’est ni justifiée ni pertinente et introduit une source de complications infinies.

La prohibition litigieuse, au reste limitée aux temps et lieux de matchs, est adaptée et proportionnée.

(29 juin 2023, Associations Alliance citoyenne et Contre-Attaque et autres, n° 45808 ; Ligue des droits de l’homme, n° 459547 et n° 463408)

 

Travaux publics et expropriation

 

201 - Création d’une ligne électrique souterraine de 225 000 volts - Raccordement électrique à un projet éolien en mer - Institution de servitudes légales sur les parcelles concernées - Degré de précision du plan parcellaire - Présomption de caractère de chemin rural - Protection du cheptel - Absence d’émission de champ électrique par la liaison souterraine - Rejet.

En vertu de la maxime bien connue que le juge « filtre le moustique et laisse passer le chameau » il n’y avait aucun doute sur l’issue négative du recours objet de la présente affaire.

Au soutien de leur demande d’annulation de l'arrêté du 9 novembre 2021 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a institué des servitudes légales au bénéfice de la société Réseau de transport d'électricité (RTE), gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, sur le chemin des Moineries, situé sur le territoire de la commune d'Erquy, pour l'établissement d'une ligne souterraine électrique à deux circuits de 225 000 volts, destinée au raccordement électrique du projet de parc éolien en mer de la baie de Saint-Brieuc, les requérants soulevaient divers moyens, tous rejetés.

L'état parcellaire sur lequel s’appuie la procédure d'enquête en vue de l'établissement des servitudes administratives nécessaires à la réalisation des ouvrages de transport et de distribution d'électricité n’a pas à faire apparaître les constructions existant sur les propriétés concernées.

De plus, si les requérants soutiennent que l'arrêté préfectoral qu'ils attaquent mentionne par erreur que le chemin des Moineries appartient à la commune d'Erquy, alors qu'il existerait une incertitude sur son véritable propriétaire, cependant, faute d’élément contraire en ce sens, ce chemin doit être présumé constituer un chemin rural.  

Enfin, l'étude d'impact réalisée en vue de l'adoption de l'arrêté du 28 mars 2017 portant déclaration d'utilité publique de l’établissement de la ligne électrique souterraine, affirme que « la liaison souterraine n'émet pas de champ électrique » en raison des précautions prises, que le tracé retenu suit le « fuseau de moindre impact », notamment le tracé des routes départementales et communales existantes, et que RTE devra mettre en place un dispositif pertinent de surveillance et de mesure des ondes électromagnétiques, dans le cadre d'un plan de contrôle et de surveillance, conformément aux dispositions de l'art. L. 323-13 du code de l'énergie.  Faute pour les requérants d'apporter des éléments nouveaux permettant de remettre en cause les constatations réalisées en l'état des connaissances scientifiques, sur l'absence d'émission de champ électrique par la liaison souterraine en projet, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur d'appréciation, au regard de l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'art. 515-14 du code civil et de l'art. L. 214-1 du code rural, quant à l'impact de l'installation de câbles électriques dans le sol sur le bien-être des vaches laitières appartenant à M. A. 

Malgré ce flux d’électricité, circulez car il n’y a rien à voir.

(22 juin 2023, M. A. et association Gardez les Caps, n° 459290)

 

202 - Occupation temporaire de la cour d’un immeuble – Occupation autorisée par le juge judiciaire – Réalisation de travaux publics - Demande d’indemnisation – Compétence du juge administratif.

(TC, 12 juin 2023, Mme. B. et M. A. c/ métropole Aix-Marseille-Provence et commune de Miramas, n° C4274)

V. n° 162

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

203 - Permis de construire - Saisine du juge de cassation après rejet d’un référé suspension - Retrait du permis - Pourvoi devenu sans objet - Non-lieu à statuer.

L’intervention au cours de l’instance en cassation dirigée contre le rejet d’un référé tendant à la suspension d’un permis de construire du retrait du permis litigieux prive cette instance d’objet et il n’y a donc plus lieu à y statuer.

(01 juin 2023, « Collectif pour la défense des jardins et des espaces naturels du Val-de-Marne », n° 466213)

 

204 - Permis de construire - Requérant se prévalant d’une vicinalité d’une centaine de mètres et invoquant des atteintes diverses à son droit de propriété - Absence d’affectation directe des conditions d’occupation et autres du bien - Absence d’intérêt à agir - Rejet.

On sait que dans le souci d’un resserrement drastique des possibilités de contester un permis de construire, d’aménagement ou de démolir ou tout autre acte d’autorisation d’occupation du sol, le législateur a recouru à un subterfuge de procédure en réduisant l’intérêt pour agir des potentiels candidats à un recours contre ces sortes de décisions.

Accentuant, sans doute à l’excès, la subjectivisation du droit de l’urbanisme dont les effets sur et pour la collectivité sont pourtant très sensibles et délaissant fortement les préoccupations d’intérêt commun, la loi ne permet plus d’agir aux voisins d’une parcelle bénéficiaire d’un tel permis ou acte d’autorisation que s’ils établissent que celui-ci affecte directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leurs biens.

En l’espèce, une ordonnance rendue en première instance a jugé irrecevable la demande d’un requérant tendant à l’annulation d’un permis de construire relatif à un terrain situé à une centaine de mètres de sa propre habitation.

Le Conseil d’État  rejette le recours et confirme la solution retenue en première instance. Il relève pour cela « que si le projet est visible depuis la maison de M. B., celle-ci est séparée de ce projet par le chemin des Pralets et trois parcelles de terrain plantées d'arbres dont deux sont construites, limitant ainsi très fortement les incidences du projet sur la vue depuis la propriété de M. B. comme sur les vues du projet sur celle-ci et, d'autre part, que l'accès au projet depuis la route du 8 août 1945 a vocation à emprunter la rue de la République sans passer devant la propriété de M. B., qui ne sera donc pas affectée par un accroissement significatif de la circulation sur la partie du chemin des Pralets la longeant, ainsi que l'ordonnance attaquée l'a relevé sans dénaturation. Enfin, la circonstance que l'accès à l'arrêt de bus scolaire par la courte portion piétonne du chemin des Pralets desservant le projet serait rendu plus dangereux compte tenu du fait que celui-ci n'a à cet endroit que 3,8 mètres de largeur et qu'il ne dispose pas de trottoir, si elle était avérée, ne suffirait pas à établir que les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien de M. B. en seraient directement affectées. »

On perçoit par cet exemple combien le droit de l’urbanisme n’est devenu couramment qu’un régulateur des conflits d’intérêts subjectifs, un arbitre des querelles de voisinage, et l’on peut se demander si cette mission est bien de l’essence du droit public qu’est celui de l’urbanisme et, surtout, du recours pour excès de pouvoir.

(08 juin 2023, M. B., n° 468889)

 

205 - Demande de suspension d’un arrêté ministériel - Définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu - Défaut d’établissement de l’urgence (art. L. 521-1 CJA) - Rejet.

(08 juin 2023, Sociétés Getir France, Abitbol et Rousselet, El Baze-Charpentier, BTSG et MJA, n° 474448)

V. n° 64

 

206 - Modification de droit commun d’un plan local d’urbanisme (cf. art. L. 153-25 c. urb.) - Suspension par le préfet - Arrêté suspendu par le juge - Erreur de droit - Annulation.

Le préfet des Alpes-Maritimes a suspendu l'effet exécutoire de la délibération du conseil municipal de la commune de Biot approuvant la modification de droit commun n° 9 de son plan local d'urbanisme, dans l'attente de la modification qu’il a demandée. Cette décision a été suspendue par le juge des référés.

La ministre de la transition écologique se pourvoi en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État  rappelle que la condition d’urgence  de l'art. L. 521-1 du CJA est, en principe, remplie lorsque la mise en œuvre des modifications demandées par le préfet sur le fondement de l'art. L. 153-25 du code de l'urbanisme est de nature à retarder l'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme d'une commune ou d'un groupement de communes qui en était jusque-là dépourvu.

Tel n'est cependant pas le cas lorsque la décision du préfet a pour seul effet de retarder l'entrée en vigueur d'une modification d'un plan local d'urbanisme auparavant approuvé par la commune ou le groupement de communes. 

Or c’était là le cas de l’espèce où le préfet avait demandé à la commune de Biot de modifier sur un certain nombre de points la modification de droit commun n° 9 du plan local d'urbanisme que son conseil municipal avait adoptée par une délibération du 22 septembre 2022. Ceci n’avait donc pas, contrairement à ce qu’a jugé le premier juge au prix d’une erreur de droit, pour effet de retarder l’entrée en vigueur du PLU mais seulement de cette modification.

(09 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 470006)

 

207 - Urbanisme et aménagement commercial – Projet urbain partenarial - Autorisation d’extension d’un ensemble commercial - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Absence d’erreur de droit ou de dénaturation des pièces du dossier - Pouvoir souverain d’appréciation du juge saisi - Rejet.

La présente décision rejette le recours de la demanderesse contre l’arrêt de cour administrative d’appel qui a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté par lequel le maire de Roquefort-les-Pins - après avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial saisie par la requérante - a accordé à une société, par arrêté du 21 août 2020, un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'extension d'un ensemble commercial sur le territoire de la commune.

Tout d’abord, c’est à bon droit que la cour a jugé qu’était suffisamment certaine la réalisation des aménagements à l'ouverture du projet litigieux dès lors que les aménagements nécessaires à la desserte du projet sont prévus par un contrat de concession d'aménagement et que ceux-ci sont financés par le porteur du projet dans le cadre d'une convention de projet urbain partenarial.

Ensuite, l’arrêt querellé n’est pas davantage critiquable en tant qu’il a jugé, d'une part, que le dossier accompagnant la demande d'autorisation d'exploitation commerciale du projet litigieux n'était pas tenu de comporter indication de la surface de vente et le secteur d'activité des onze magasins le composant et, d'autre part, que la circonstance que le projet litigieux ne permettait pas de s'assurer de la variété de l'offre proposée faute pour le dossier accompagnant la demande de comporter la surface de vente et le secteur d'activité de chacun de ces magasins ne suffisait pas à elle seule à faire regarder ce projet comme méconnaissant l'objectif de protection des consommateurs.

Enfin, la cour n’a pas erronément jugé en estimant que la Commission nationale d'aménagement commercial n'a pas limité son examen à l'extension qui lui était soumise, mais a examiné le projet dans sa globalité tout comme l’a fait la cour elle-même et pris en compte le projet dans sa globalité pour apprécier ses effets au regard du critère de la consommation économe de l'espace.

(12 juin 2023, Société Distribution Casino France, n° 459184)

 

208 - Permis de construire des logements dont une partie comme logements sociaux - Commune littorale de la mer - Condition de l’extension d’urbanisation - Création d’un lotissement - Opération pouvant constituer par elle-même une agglomération - Erreur de droit - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif jugeant que le projet litigieux consistant à construire sur un lotissement quarante-six logements dont la moitié de logements sociaux ne pouvait être regardé comme s'inscrivant en continuité avec les agglomérations et villages existants, notamment du fait qu'un lotissement ne pourrait caractériser une agglomération ou un village existant au sens de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme. Le Conseil d’État décide au contraire qu’ « Un projet de construction situé en continuité avec un secteur urbanisé issu d'une opération de lotissement peut, ainsi, être autorisé si le nombre et la densité des constructions de ce lotissement sont suffisamment significatifs pour qu'il caractérise une agglomération ou un village existant au sens de l'article L. 121-8. ». Ce qui importe ce n’est pas la nature de l’opération foncière à l’origine du secteur mais seulement l’appréciation du nombre et de la densité des constructions en cause.

Ce jugeant, le Conseil d’État s’éloigne d’une jurisprudence presque trentenaire (03 juillet 1996, SCI Mandelieu Maure-Vieil, n° 137623) où il avait jugé que « quand bien même l'urbanisation autorisée par le plan d'aménagement de zone pourrait être regardée comme se situant en continuité avec le lotissement dit "des hameaux du basilic et du romarin", ce lotissement ne constitue, contrairement à ce que soutient la société requérante, ni une agglomération ni un village au sens des dispositions précitées de l'article L. 146-4 (du code de l’urbanisme) ».

(12 juin 2023, Société Bouygues Immobilier, n° 459918)

 

209 - Retrait d’un permis de construire – Respect d’une procédure contradictoire – Garantie pour le titulaire du permis – Observations formulées par courrier – Demande de présentation d’observations orales – Absence – Rejet.

(12 juin 2023, Société Bobigny Indépendance, n° 465241)

V. n° 1

 

210 - Permis de construire en zone de montagne – Obligation de construction en continuité du bâti existant – Exceptions – Cas de l’espèce – Annulation.

Le préfet a refusé de délivrer à une SCI un permis de construire pour l'extension et la construction d'un abri pour voiture, d'un garage et d'une piscine sur un terrain lui appartenant. La cour administrative d’appel, par un arrêt partiellement infirmatif, a enjoint au préfet de la Drôme de délivrer le permis de construire modificatif sollicité dans un délai de deux mois. Le ministre de l’écologie se pourvoit en cassation.

Le principe posé par la loi en zone de montagne est que l’urbanisation doit en principe être réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, sauf le bénéfice de l’un des trois motifs de dérogation à cette prohibition (1/ l'adaptation, le changement de destination, la réfection ou l'extension limitée des constructions existantes, 2/ la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, 3/ la construction d'annexes, de taille limitée, aux constructions existantes).

La cour a estimé, s’agissant de ce troisième cas dérogatoire, que le caractère limité de la taille des annexes dont la construction était envisagée ne saurait s'apprécier par rapport aux dimensions de la construction principale, pourvu que chaque annexe ait en elle-même une taille limitée. Ce jugeant, elle a commis une erreur de droit car elle ne pouvait pas se borner à apprécier la taille limitée de chacune des annexes mais devait rechercher si l'ensemble des constructions secondaires, existantes et envisagées, pouvaient, eu égard, d'une part, à leur implantation par rapport aux constructions principales existantes et à leur ampleur limitée en proportion de ces dernières et, d'autre part, à leur taille elle-même limitée, être regardées comme constituant des annexes de taille limitée au sens de l'art. L. 122-5 du code de l'urbanisme. 

(12 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 466725)

 

211 - Permis de construire un ensemble immobilier unique – Notion – Cas de deux constructions – Exclusion de la catégorie d’ensemble immobilier unique – Rejet.

Un arrêté municipal  autorise la construction, après démolition d’une maison existante, de deux villas et de deux piscines.

La société requérante a demandé en vain au juge des référés de première instance la suspension de l'exécution de ces deux décisions ; elle se pourvoit.

Le Conseil d’État rejette la demande.

Après avoir rappelé qu'une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique doit en principe faire l'objet d'une seule autorisation, sauf à ce que l'ampleur et la complexité du projet justifient que des éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l'objet de permis distincts, sous réserve que l'autorité administrative vérifie, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés.

Il juge, en revanche, que lorsque deux constructions sont distinctes, la seule circonstance que l'une ne pourrait fonctionner ou être exploitée sans l'autre, au regard de considérations d'ordre technique ou économique et non au regard des règles d'urbanisme, ne suffit pas à caractériser un ensemble immobilier unique. Dans ce cas, elles peuvent faire l'objet aussi bien de demandes d'autorisation distinctes que d'une demande d'autorisation unique, laquelle présente alors un caractère divisible. Dans ces deux hypothèses, la conformité aux règles d'urbanisme est appréciée par l'autorité administrative pour chaque construction prise indépendamment.

En l’espèce, les villas et les piscines n'ayant en commun qu'un accès à la voie publique et aux réseaux, elles ne constituent pas un ensemble immobilier unique, mais des constructions distinctes, alors même qu'elles ont fait l'objet d'une demande unique de permis de construire, de sorte que la conformité aux règles d'urbanisme doit être appréciée par l'autorité administrative pour chaque construction prise indépendamment. 

C’est donc par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et d’erreur de droit que le juge des référés a considéré que le moyen tiré de ce que le maire devait prendre en compte les deux villas pour apprécier le respect d’une règle prévue au règlement du plan local d'urbanisme n’était  pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées.

 Pour les autres aspects juridiques de cette affaire voir la décision complète.

(12 juin 2023, Société Mas-Cosy, n° 468343)

 

212 - Demande de suspension d’un permis de construire initial – Suspension du permis modificatif – Suspension non demandée – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement suspendant par voie de conséquence un permis modificatif et un arrêté de prorogation survenus ultérieurement au permis initial suspendu ou annulé alors que, saisi d’une demande de suspension du permis de construire initial il n’a pas été saisi de conclusions concernant les actes postérieurs. En effet, si l'annulation ou la suspension d'un permis de construire interdit la mise en œuvre des éventuels permis modificatifs, mesures de régularisation ou décisions de prorogation intervenues ultérieurement, leur annulation ou suspension par voie de conséquence ne peut être prononcée par le juge que s'il est saisi de conclusions en ce sens.

(16 juin 2023, M. A., n° 468841 ; commune de Mamoudzou, n° 468846, jonction)

 

213 - Suspension du permis de construire  (art. L. 521-1 CJA) – Demande de levée de la suspension (art. L. 521-4 CJA) – Office du juge – Annulation des deux ordonnances.

Le Conseil d’État délivre ici au juge du référé de l’art. L. 521-4 CJA un mode d’emploi assez complet et particulièrement innovant de son office.

Tout d’abord, cela suppose qu’une première ordonnance, prise au titre de l’art. L. 521-1 CJA, ait suspendu l’exécution d’un permis de construire (ici de démolition et de reconstruction d’un hôtel) en raison de l'existence d'un ou plusieurs vices propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire litigieux.

Ensuite, lorsque le juge est saisi d’une demande de levée de la suspension antérieurement ordonnée (art. L. 521-4 CJA) au motif que le permis litigieux a fait l’objet de régularisation(s) ou d’un permis modificatif, il doit en premier lieu vérifier s'il est possible de lever la suspension du permis ainsi modifié, après avoir mis en cause le requérant ayant initialement saisi le juge du référé suspension, la portée du permis modificatif ou de la mesure de régularisation sur les vices précédemment relevés. Il doit en second lieu, le cas échéant, relever les vices allégués ou d'ordre public dont le permis modificatif ou la mesure de régularisation serait entaché et qui seraient de nature à y faire obstacle. 

Les deux ordonnances sont annulées.

(16 juin 2023, SCI Mésange, n° 470160)

 

214 - Permis de construire un ensemble immobilier - Atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique - Atteinte grave aux conditions d’éclairement - Rejet.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi dirigé contre un jugement de tribunal administratif ayant rejeté la demande d’annulation du permis de construire délivré par le maire de Paris à l'office public de l'habitat (OPH) Paris Habitat en vue de la construction d’ensemble immobilier d'une surface de plancher totale de 2 533 m², composé d'un immeuble d'habitation de vingt-cinq logements sociaux et d'une crèche de cinquante-cinq berceaux, comportant quatre étages sur un niveau de stationnement souterrain.

Dans sa décision de rejet il est amené à trancher deux questions récurrentes dans le contentieux du permis de construire des immeubles collectifs.

En premier lieu, le juge rappelle, s’agissant de l’application de l’art. R. 111-2 c. urb., que pour apprécier si les risques d'atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, l’autorité compétente pour délivrer le permis doit tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent. Surtout, il est indiqué que les risques d'atteinte à la sécurité publique qui, en application de cet article, peuvent justifier le refus d'un permis de construire ou son octroi sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales sont aussi bien les risques auxquels peuvent être exposés les occupants de la construction pour laquelle le permis est sollicité que ceux que l'opération projetée peut engendrer pour des tiers.

En second lieu, relativement à la notion d’ « atteinte grave aux conditions d'éclairement d'un immeuble voisin »,  le juge décide tout d’abord que « l'atteinte grave aux conditions d'éclairement suppose une obstruction significative de la lumière, qui ne saurait se réduire à une simple perte d'ensoleillement. ». Ensuite, il précise qu’en cas d’ « obstruction significative résult(ant) de la perte totale d'éclairement d'une pièce d'au moins un des appartements de l'immeuble voisin, la gravité de l'atteinte doit s'apprécier en prenant en compte les caractéristiques propres de cette pièce, notamment sa destination, ainsi que son rôle dans le niveau d'éclairement d'ensemble du ou des appartements concernés. ».

Ces exigences peuvent être jugées très restrictives, elles sont raisonnables au regard des conditions de fait résultant de la surdensification des constructions urbaines. Elles sont d’autant plus importantes à une époque où l’habitat collectif concentré est considéré plus respectueux de l’environnement que l’habitat individuel dispersé type lotissement.

(22 juin 2023, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis 146-146 bis quai Louis Blériot, n° 455652)

 

215 - Plan local d’urbanisme (PLU) - Règlement de zone - Recherche de critères non prévus au règlement - Erreur de droit - Annulation.

Saisie d’un recours tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le maire d’une commune ne s'est pas opposé à la déclaration préalable relative aux travaux de surélévation d'un immeuble, la cour administrative d’appel l’avait rejeté au motif que les modifications de forme de la toiture prévues par le projet litigieux ne méconnaissent pas les dispositions du règlement du PLU car en l'absence de toute particularité architecturale de la toiture, le projet n'implique que des modifications de forme de la toiture d'une ampleur limitée.

L’arrêt est cependant cassé pour erreur de droit car, d’une part, il se fonde sur des critères qui ne sont pas prévus par la disposition litigieuse du règlement du PLU, et d’autre part, et surtout, il n’a pas recherché si avaient été respectés en l’espèce les critères limitativement énoncés par cette disposition.

(26 juin 2023, M. A., n° 455734)

 

216 - Décret du 11 juin 2021 - Location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme - Régime applicable - Champ d’application - Absence d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Le requérant recherchait l’annulation du décret n° 2021-757 du 11 juin 2021 relatif à la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme et la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur son recours gracieux, reçu le 9 août 2021.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, il convient de retenir que les art. L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l'habitation prévoient, dans certaines communes, une procédure d'autorisation préalable de changement d'usage des locaux à usage d'habitation qui vise à y assurer le maintien d'un nombre suffisant de logements. Une de leurs dispositions précise que « Le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article ».

Ensuite sont rejetés les trois griefs développés à l’encontre du décret attaqué.

Celui-ci, contrairement à ce qui est critiqué, ni ne s'applique aux locaux meublés destinés à l'habitation qui ont fait l'objet d'une procédure d'autorisation préalable de changement d'usage, quelle que soit la destination des immeubles dans lesquels ils sont inclus, ni ne méconnaît le principe de sécurité juridique et, en tout état de cause, le principe de confiance légitime en ce qu'il permettrait de soumettre à autorisation la location en qualité de meublé de tourisme d'un local dont la location à ce titre a déjà fait l'objet d'une procédure d'autorisation préalable de changement d'usage. 

Enfin, pas davantage n’est retenu le grief d’atteinte à la sécurité juridique que comporterait ce décret alors qu’il se borne à préciser les modalités de la procédure d'autorisation susceptible d'être mise en œuvre par les communes (cf. IV bis de l'art. L. 324-1-1 du code du tourisme).

(26 juin 2023, Syndicat des professionnels de la location meublée, n° 458799)

 

217 - Permis d’aménager - Réalisation d’un lotissement - Obligation préalable d’autorisation de défrichement – Prétendue absence de massif boisé de plus de quatre hectares - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour dire que n’est pas soumis à l’obtention préalable d’une autorisation de défrichement un permis d’aménager en vue de la réalisation d’un lotissement dès lors que l’ensemble boisé sur lequel ce dernier sera réalisé a une superficie de moins d’un hectare, inférieure donc au seuil de quatre hectares fixé par la législation forestière, alors que ce terrain ne présente pas de discontinuité significative (chemin de passage, quelques habitations) avec un vaste secteur boisé d’une superficie de plus de 28 hectares.

(26 juin 2023, Association Bien vivre aux Pendances et autres, n° 461946)

 

218 - Autorisation d’aménager un lotissement - Clôture de l’instruction - Absence de mise en demeure de produire un mémoire en défense - Absence d’acquiescement aux faits invoqués dans leurs écritures par les demandeurs - Rejet.

(26 juin 2023, M. A. et autres, n° 467714)

V. n° 70

 

219 - Délivrance d’un permis de construire - Habitation inondée à plusieurs reprises - Plan de prévention du risque d'inondation - Erreurs figurant dans la carte des aléas de la zone d’implantation du terrain d’assiette - Engagement de la responsabilité des services de l'État - Absence de lien direct et certain entre les erreurs et les préjudices subis - Rejet.

Le juge rappelle en premier lieu que les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), élaboré par l’État, s'imposent directement aux autorisations de construire car elles sont destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valent servitude d'utilité publique.

Ensuite, dans une rédaction un peu brouillonne, le juge indique que l'autorité administrative n’est pas tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire mais que, toutefois, si les particularités de la situation l'exigent, Il appartient à l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme de préciser dans l'autorisation, le cas échéant, les conditions d'application d'une prescription générale contenue dans le plan ou de subordonner, en application des dispositions de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d'autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles qui résultent du plan de prévention des risques naturels prévisibles.

Il est encore précisé que l'autorité compétente peut aussi, si elle estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation d'espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée, y compris d'éléments déjà connus lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, que les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique le justifient, refuser de délivrer un permis de construire, sur le fondement de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme, alors même que le plan n'aurait pas classé le terrain d'assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables. Tout ceci n’est pas d’une fulgurante clarté.

Puis le juge, indique, en second lieu, à titre de principe, que la responsabilité de l’autorité de délivrance du permis de construire peut être engagée lorsque, en application des dispositions de l'art. R. 111-2 précité, il lui appartenait, soit de refuser l'autorisation, soit de l'assortir de prescriptions spéciales nécessaires à la préservation de la salubrité ou de la sécurité publique.

Cependant, conformément au droit commun de la responsabilité, celle-ci ne peut être engagée qu’à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises pour délivrer cette autorisation et le préjudice subi par la victime.

Et le juge de préciser que la compétence de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l'État puisse être recherchée ou à ce que ce dernier soit appelé à garantir cette autorité, en raison du contenu du plan de prévention des risques approuvé ou des informations figurant dans les documents graphiques, comme la carte des aléas, portés à la connaissance de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme. Sous réserve, naturellement, de l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre la faute ainsi imputable à l'État et le préjudice subi par la victime. 

(30 juin 2023, M. et Mme D., n° 459025)

 

220 - Autorisation d’urbanisme délivrée par une autorité incompétente – Régularisation possible – Annulation.

La régularisation est devenue, on le sait, le maître-mot des irrégularités d’urbanisme au point que peut se poser la question : une autorisation d’urbanisme peut-elle être annulée ? La présente affaire enfonce encore un peu plus le clou en admettant pour la seconde fois semble-t-il (cf. 04 mai 2023, Société Octogone, n° 464702 ; v. cette Chronique, mai 2023, n° 121 et aussi, plus indirectement : 03 juin 2020, Société Alexandra, n° 420736 ; v. cette Chronique, juin 2020, n° 169), et en généralisant cette solution, la régularisation d’une autorisation d’urbanisme délivrée par une autorité incompétente qui est pourtant le vice le plus grave pouvant affecter une décision administrative. Ceci soulève une interrogation : l’urbanisme est-il à ce point singulier et vital qu’il puisse justifier la régularisation de toutes les illégalités susceptibles d’entacher une décision administrative ?

Le juge indique – et l’exercice doit être salué - les trois formes de régularisations possibles en cette occurrence :

- délivrance d'une autorisation modificative compétemment accordée pour le projet en cause ;

- octroi d’une autorisation modificative si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce ;

- notification en temps utile au juge, par le bénéficiaire de l'autorisation initiale, d’une décision individuelle de l'autorité administrative compétente valant mesure de régularisation à la suite d'un jugement décidant de surseoir à statuer sur une demande tendant à l'annulation de l'autorisation initiale.

(30 juin 2023, Société AFC Promotion, n° 463320)

 

221 - Permis de construire assorti de prescriptions – Permis délivré dans une zone de tension – Régime contentieux – Portée d’un « cahier de recommandations architecturales » visé par un plan local d’urbanisme (PLU) – Effets juridiques – Annulation partielle.

Une commune a assorti le permis de construire délivré à la pétitionnaire de douze prescriptions qui y sont applicables. La SCI a demandé l’annulation de certaines d’entre elles, deux ont été annulées en première instance. Elle se pourvoit en cassation pour le surplus rejeté des demandes d’annulations.

Se posait tout d’abord une question de procédure : le tribunal avait-il statué en premier et dernier ressort et, par conséquent, le Conseil d’État avait-il été saisi régulièrement d’un pourvoi contre le jugement ?

L’art. R. 811-1-1 du CJA dispose que dans les zones en tension entre offre et demande de logements le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Parce que de nature dérogatoire cette disposition est d’interprétation stricte conformément au principe bien connu qu’exprime l’adage « exceptio est strictissimae interprÉtationis ». Au cas de l’espèce il est jugé que le permis portant sur des travaux à usage d’habitation, l’exception joue.

Par ailleurs, le juge précise qu’un recours qui n’est pas dirigé contre un permis de construire mais seulement contre des prescriptions l’assortissant doit être considéré comme dirigé contre un permis de construire : la solution est logique.

Le Conseil d’État était donc bien compétent pour connaître du litige par la voie du pourvoi en cassation.

Concernant les prescriptions accompagnant le permis de construire, elles figuraient dans un « cahier de recommandations architecturales » auquel renvoie le règlement du PLU ce qui est parfaitement possible sous la triple condition que ce cahier ait été adopté selon les mêmes modalités procédurales que le PLU, qu’il y soit fait expressément référence dans le règlement et, enfin et surtout, qu’il se borne à expliciter ou préciser, sans les contredire ni les méconnaître, des règles figurant déjà dans le règlement. C’est pour ce dernier motif qu’outre les deux prescriptions déjà annulées en première instance sont aussi annulées celles visées, mais non retenues alors, aux points 17, 18 et 19 du jugement.

(02 juin 2023, SCI  du 90-94 avenue de la République à Montgeron, n° 461645) 

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Mai 2023

Mai 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décision faisant grief - Courrier d’un maire à une préfète - Demande de communication d’analyses sanitaires - Refus - Annulation.

Par un courrier du 16 novembre 2017 le maire de Maincy a interrogé la préfète de Seine-et-Marne sur les actions engagées par la préfecture pour évaluer la pollution persistante liée à la présence de poussières de dioxine sur le territoire de sa commune due à l'ancien incinérateur. Puis, par un second courrier, du 11 décembre 2017, le maire a demandé à la préfète de lui transmettre le résultat d'analyses ainsi que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales relatives à son pouvoir de police, pour solliciter son assistance afin de prendre toutes mesures nécessaires à la protection de la population.

Contrairement à ce qu’avaient jugé les juridictions du fond, le Conseil d’État considère que, eu égard au contexte dans lequel il s'inscrivait, ce courrier du maire doit être regardé comme sollicitant la préfète, qui avait compétence pour ce faire dans le cadre de ses pouvoirs de police résultant des art. L. 2212-1 et L. 2215-8 du CGCT, pour que des analyses complémentaires du risque sanitaire soient menées et que des mesures de protection de la population soient le cas échéant prises, de sorte que la réponse qui lui a été adressée par la préfète le 6 février 2018, faisant état des analyses déjà effectuées, révélait un refus de faire droit à la demande de la commune, susceptible d'être contesté devant le juge administratif.

C’est donc par une qualification inexacte des faits que la cour administrative d’appel a rejeté le recours de la commune motif pris de ce que, contenant une simple information à l'attention du maire, le courrier en réponse de la préfète de Seine-et-Marne du 6 février 2018 n'avait pas le caractère d'une décision faisant grief susceptible de recours.

(10 mai 2023, Commune de Maincy, n° 456488)

 

2 - Lettre de la Caisse des dépôts et consignations - Suspension du paiement des frais pédagogiques d’un organisme de formation - Acte faisant grief - Qualification inexacte des faits - Annulation de l’arrêt d’appel.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce et encourt l’annulation l’arrêt jugeant que ne fait pas grief la lettre par laquelle la Caisse des dépôts et consignations informe la requérante « que, compte tenu des pratiques frauduleuses récurrentes que les investigations conduites sur ses demandes de paiements au titre de ce droit à la formation avaient mises en évidence, ayant donné lieu à un signalement au procureur de la République, elle suspendait le paiement des frais pédagogiques que son organisme avait présentés ou présenterait au titre de ces formations et qu'en conséquence, elle ne pourrait davantage donner une suite favorable aux demandes de prises en charge de financement pour les formations assurées par celui-ci. »

(12 mai 2023, Sarl Formaeco, n° 462789)

 

3 - Prix des médicaments - Refus d’accorder la hausse demandée du prix de médicaments - Baisse unilatérale de leur prix - Décisions du Comité économique des produits de santé - Obligation de motivation - Rejet.

(12 mai 2023, Société Teofarma, n° 461115 et n° 461176)

V. n° 115

 

4 - Désignation d’un membre du gouvernement en qualité de garde des sceaux - Demande d’annulation - Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative - Rejet.

Saisi d’une demande d’annulation du décret nommant, parmi les membres du gouvernement, M. Éric Dupont-Moretti en qualité de garde des sceaux, le Conseil d’État la rejette car la juridiction administrative ne saurait connaître de la légalité des actes relatifs aux rapports d'ordre constitutionnel institués entre le président de la république, le premier ministre et le gouvernement, au nombre desquels figure le décret relatif à la composition du Gouvernement. C’est le rappel d’une solution classique en matière d’acte de gouvernement.

(24 mai 2023, M. B., n° 465976)

(5) V. aussi, rejetant pour défaut d’intérêt pour agir de son auteur, le recours en annulation du décret du 2 juin 2022 pris en application de l'article 2-1 du décret du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, qui établit une liste des actes relevant des attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, dont celui-ci ne connaît pas et qui sont exercées par le premier ministre : 24 mai 2023, M. A., n° 466446.

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

6 - Antenne de téléphonie mobile - Couverture du territoire national - Intérêt public - Justificatif de l’urgence - Suspension ordonnée.

Rappel, dans le cadre d’un référé suspension dirigé contre un arrêté municipal refusant l’installation d’une antenne de téléphonie mobile, que eu égard à l'intérêt public qui s'attache à la couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile tant 3G que 4G et à la finalité de l'infrastructure projetée, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

(11 mai 2023, Société ATC France, n° 464106)

 

Biens et Culture

 

7 - Vente d’une parcelle du domaine privé communal - Appel à candidatures - Promesse unilatérale de vente sous réserve d’obtention d’un permis de construire - Caducité - Cession à un tiers - Caractère parfait de la vente antérieure - Erreur de droit - Annulation.

Une commune lance un appel d’offres en vue de la cession d’une parcelle de son domaine privé et retient, par une délibération du 1er octobre 2015, l’offre de M. C. avec lequel elle conclut, le 30 décembre 2015, une promesse unilatérale de vente courant jusqu'au 30 septembre 2016 pour un prix de 668 000 euros, sous réserve de l'obtention par celui-ci, dans ce délai, d'un permis de construire un ou plusieurs bâtiments à usage d'habitation individuelle ou collective. Faute pour ce dernier de justifier dans ce délai avoir obtenu un permis de construire, la commune, par délibération du 31 janvier 2017, a cédé la parcelle à M. A. au prix de 467 000 euros.

M. C. se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a confirmé le rejet de sa demande d’annulation de la délibération du 31 janvier 2017.

Le requérant soutient que cette délibération n'a pas pu légalement procéder à la vente à M. A. de la parcelle litigieuse en raison du caractère créateur de droits à son profit de la délibération du 1er octobre 2015. Pour rejeter cette argumentation la cour avait relevé que la promesse unilatérale de vente consentie à l'intéressé le 30 décembre 2015 était devenue caduque, faute d'obtention d'un permis de construire dans le délai imparti.

Le Conseil d’État est à la cassation au visa des art. 1582 (« La vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer ») et 1583 (« (la vente) est parfaite entre les parties, et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ») du Code civil. Il tire de là que la cour a commis une erreur de droit pour n’avoir pas recherché si la délibération du 1er octobre 2015 retenant l'offre de M. C. parmi celles formées par les différents candidats à l'acquisition, dont elle a relevé qu'elle « avait autorisé cette vente à M. C. », traduisait, eu égard à ses termes, l'existence d'un accord entre la commune et ce dernier sur la chose et le prix de nature à caractériser une vente parfaite.

En l’espèce, la vente pourrait sembler être une obligation conditionnelle (cf. art. 1304 C. civ.) puisque dépendant de la réalisation d’un événement futur - le permis de construire n’existe pas au moment de la vente - et incertain - on ne sait pas si le permis de construire sera ou non accordé. Cette condition serait donc ici suspensive puisque l’accomplissement de la condition rend l’obligation pure et simple, à la différence de l’obligation résolutoire où l’accomplissement de la condition entraîne l’anéantissement de l’obligation (cf. art. 1304, 1304-3 à 1304-7 C. civ.). Toutefois, il est de principe que les conditions liées à une autorisation administrative, tel, comme en l’espèce, l’octroi d’un permis de construire, ne sont suspensives de l’obligation que dans le cas où l’autorisation est une condition de la validité du contrat car elle lui donne alors son plein effet (ainsi d’un arrêté de lotir qui exerce un effet rétroactif sur le contrat), tel n’est pas le cas ici où l’obtention d’un permis de construire n’est point une condition de la validité de l’acte de vente ainsi qu’il résulte des dispositions précitées du Code civil (Sur ces points, voir : J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey, LMD, 2018, p. 424 et s., spécialt § 840).

(12 mai 2023, M. C., n° 465482)

 

8 - Expulsion d’occupants sans titre du domaine public - Procédure de l’art. L. 521-3 du CJA - Dispense de la tenue d’une audience publique - Gravité de la mesure - Obligation de permettre des observations orales - Annulation.

Dans une instance en expulsion d’occupants sans titre du domaine public fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-3 du CJA, le Conseil d’État rappelle à nouveau que si ce texte institue un référé pour lequel n’est pas prévue la tenue d’une audience publique, toutefois, s’agissant d’une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, le juge doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu'il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d'une audience publique, des observations orales à l'appui de leurs observations écrites.

Faute que cela ait eu lieu en l’espèce, l’ordonnance est frappée de cassation.

Pour la bonne cause certes, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une réécriture partielle de la loi par le juge.

(12 mai 2023, Société Gaumar et M. B., n° 467034)

 

 

Contrats

 

9 - Contrats publics - Pratiques anticoncurrentielles - Action en réparation du préjudice subi par la personne publique - Modification du régime de la prescription - Participation à l’action anti-concurrentielle d’organes de la collectivité - Point de départ du délai de la prescription - Rejet.

La région d'Île-de-France a lancé un programme de rénovation et de reconstruction des lycées dont elle a la charge et conclu, entre 1988 et 1997, 241 marchés publics, dont 101 marchés d'entreprises de travaux publics (les célèbres et vilipendés METP), pour un coût global de 23,3 milliards de francs, soit plus de 3,5 milliards d'euros.

D’une part, par un arrêt du 27 février 2007, devenu définitif, la cour d'appel de Paris a confirmé la condamnation de plusieurs préposés d'entreprises attributaires de ces marchés ainsi que d'élus et autres personnes, dont le président du conseil régional d'Île-de-France, tous reconnus coupables notamment de participation personnelle et déterminante à une entente anticoncurrentielle en vue de l'attribution de ces marchés et condamné les intéressés à verser à la région d'Ile-de-France, partie civile, la somme de 100 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral.

D’autre part, parallèlement à la procédure pénale, le Conseil de la concurrence, qui s'était saisi d'office de faits portant sur 90 de ces marchés, a sanctionné, par une décision confirmée par un arrêt devenu définitif, de la cour d'appel de Paris, l'entente anticoncurrentielle mise en place par les entreprises attributaires des marchés en cause, retenant l'implication de plusieurs sociétés de travaux publics et infligé à la plupart d'entre elles des sanctions pécuniaires.

La région d'Île-de-France a ensuite engagé une action en responsabilité à l'encontre de ces entreprises devant le tribunal de grande instance de Paris en vue d’obtenir réparation de son préjudice matériel résultant de ces pratiques. Le Tribunal des conflits a jugé, par une décision du 16 novembre 2015, que cette action relevait de la compétence de la juridiction administrative.

Le tribunal administratif a estimé prescrite l’action à fins indemnitaires de la région mais la cour administrative d’appel a jugé le contraire, retenu la responsabilité de certaines entreprises pour les deux tiers du préjudice subi et celle de la région pour un tiers et ordonné une expertise en vue que soit évalué le préjudice.

Le Conseil d’État était saisi de deux pourvois, celui, principal, des entreprises condamnées et celui, incident, de la région contestant l’admission de sa responsabilité partielle.

C’est la modification des règles de la prescription en matière civile par la loi du 17 juin 2008, spécialement des art. 2224 et 2270-1 du Code civil, combinées à celles gouvernant l’action en dommages et intérêts du fait de pratiques anticoncurrentielles, régies par notamment par les art. L. 481-1 et L. 482-1 du code de commerce, issus d’une ordonnance du 9 mars 2017, qui sont au cœur du débat puisque, comme l’indique la narration ci-dessus, les faits se sont étendus sur une période commençant avant la loi de 2008 et s’achevant après. Ensuite, devait être réglée la question des responsabilités et de leur partage.

Le juge de cassation approuve entièrement la solution retenue par la cour administrative d’appel.

 

I - Tout d’abord, concernant la prescription.

Le juge rappelle que la réforme du Code civil introduite par la loi précitée de 2008 a eu pour effet de ramener de dix ans à cinq ans la prescription des actions personnelles ou mobilières, à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance du 9 mars 2017, relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, s’appliquent les dispositions de l'art. L. 482-1 du code de commerce selon lesquelles le délai de prescription de cinq ans « commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative :

1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'art. L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ;

2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ;

3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique.

Toutefois, la prescription ne court pas tant que la pratique anticoncurrentielle n'a pas cessé.

(...) ».

Le Conseil d’État déduit de cet ensemble législatif que le délai de prescription « ne peut commencer à courir avant la date à laquelle la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés. Dans l'hypothèse où le préjudice de la personne publique résulte de pratiques auxquelles ses organes dirigeants ont participé, de sorte qu'en raison de leur implication elle n'a pu faire valoir ses droits à réparation, la prescription ne peut courir qu'à la date à laquelle, après le remplacement de ses organes dirigeants, les nouveaux organes dirigeants, étrangers à la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles, acquièrent une connaissance suffisamment certaine de l'étendue de ces pratiques. »

En effet, l’un des éléments-clés de ce dossier vient de ce qu’une partie des membres des organes dirigeants de la région étaient complices, sinon même instigateurs, des pratiques anti-concurrentielle dommageables pour la collectivité.

Appliquant ces éléments au cas de l’espèce, le Conseil d’État approuve tout d’abord la cour d’avoir jugé, sans erreur de droit, ni dénaturation des pièces du dossier, que si la région a soutenu, dans son assignation formée devant le tribunal de grande instance en février 2010, que le point de départ du délai de prescription était le 9 octobre 1996, elle ne saurait se voir opposer les termes de cette assignation dans l’instance dont la cour administrative d’appel a été saisie.

Il l’approuve également d’avoir considéré, sans erreur de droit, que l'autorité de la chose jugée au pénal, qui ne s'impose, en principe, aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, devait être écartée en l’espèce car n’était pas revêtue de l’autorité de chose jugée au pénal la date retenue par l'arrêt du 27 février 2007 de la cour d'appel de Paris comme point de départ du délai de prescription de l'action publique du fait qu’elle ne constitue pas une constatation de fait.

Enfin, c’est encore sans erreur de droit ou contradiction des motifs et en vertu de son pouvoir d’appréciation souveraine non entaché de dénaturation, que la cour a jugé qu'aucune des circonstances qu'elles a énumérées, antérieures à la décision du 9 mai 2007 du Conseil de la concurrence, et notamment pas celle tenant à l'implication d'élus et agents de la région dans la mise en œuvre de l'entente, ne permettait d'établir que la région aurait eu connaissance de manière suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, pour en déduire que la prescription décennale de l'action en responsabilité contre les titulaires des marchés en cause n'a commencé à courir qu'à compter de cette date et qu'ainsi l'action de la région n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi la juridiction judiciaire en février 2010, ce qui a eu pour effet d'interrompre la prescription, puis a estimé que certains élus et agents de la région, en favorisant les pratiques anticoncurrentielles, avaient commis des fautes non détachables du service, engageant la responsabilité de la région et donc susceptibles d'exonérer partiellement de leur responsabilité les requérantes.

 

II - Ensuite, concernant la question des responsabilités.

La cour est approuvée d’avoir jugé :

- sans erreur de qualification juridique, que les requérantes avaient participé à la constitution et au fonctionnement de l'entente anticoncurrentielle et que les fautes qu'elles avaient commises présentaient un lien direct avec l'éventuel surcoût supporté par la région ;

- sans avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce, que les fautes commises par les personnels de la région n’étaient pas détachables du service, et, sans dénaturation des faits dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que ces fautes étaient de nature à exonérer les requérantes d'un tiers de leur responsabilité à l'égard de la région.

(Section, 9 mai 2023, Société Gespace France, n° 451710 ; Sociétés Spie Batignolles et Spie Opérations et Mme C., n° 451839 ; Société Nord France Boutonnat, n° 451862, jonction)

(10) V. aussi très voisine de l’espèce précédente avec des protagonistes différents en sus de la région d’Île-de-France : Section, 09 mai 2023, Société Eiffage Construction et Société Fougerolle, n° 451817 ; Société de participations et de gestions immobilières (SPGI), n° 451836 ; M. F., n° 451899

 

Droit du contentieux administratif

 

11 - Exécution des décisions du juge administratif - Notion - Exécution tardive ne justifiant pas la liquidation d’une astreinte - Rejet.

Par une décision du 15 avril 2022 (n° 452905, cf. cette Chronique, avril 2022, n° 11), le Conseil d'État, après voir annulé la décision implicite par laquelle le premier ministre a refusé de prendre le décret d'application du cinquième alinéa de l'art. 75 de la loi du 4 mars 2002, en tant qu'il est relatif à la profession de chiropracteur, a enjoint à celui-ci de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision et a prononcé à l'encontre de l'Tat une astreinte de 500 euros par jour de retard.

Constatant, sur avis de la section du rapport et des études du Conseil d’État, que le décret du 30 décembre 2022 relatif à la formation continue des chiropracteurs, a été publié au Journal officiel de la république française le 31 décembre 2022, soit soixante-dix-huit jours après l’expiration du terme qu’il avait fixé, le juge considère cependant que sa décision a été exécutée et qu’il n’y a pas lieu, dans ces circonstances, eu égard aux diligences accomplies, de procéder à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de l'État. 

Regrettons que ces 78 jours s’ajoutent aux 19 années s’étant écoulées entre la date de la loi et celle de la demande adressée par l’association requérante au premier ministre par sa lettre du 2 février 2021…

(04 mai 2023, Association française de chiropraxie, n° 452905)

 

12 - Notion de décision faisant grief - Courrier d’un maire à une préfète - Demande de communication d’analyses sanitaires - Refus - Décision faisant grief - Annulation.

(10 mai 2023, Commune de Maincy, n° 456488)

V. n° 1

 

13 - Recours en révision - Recours ouvert contre les décisions de refus d’admission des pourvois en cassation - Recours non ouvert contre certaines décisions juridictionnelles - Rejet.

Dès lors que le recours en révision peut être formé contre les décisions de refus d'admission des pourvois en cassation (art. R. 822-3 CJA), ainsi de la présente affaire, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de ce que l'art.R. 834-1 du CJA, fixant les cas d’ouverture du recours en révision, méconnaîtrait les art. 6, paragraphe 1, et 13 de la convention EDH, en n'ouvrant pas la voie du recours en révision aux décisions des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et aux décisions non-contradictoires du Conseil d'État. 

(11 mai 2023, Société Armos, n° 462226)

 

14 - Octroi de la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de révision par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Annulation.

(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462259)

V. n° 85

 

15 - Productions postérieures à la clôture de l’instruction - Obligation de viser une note en délibéré - Règle générale applicable devant toutes les juridictions administratives - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Omission - Annulation.

Rappel, à nouveau, de l’obligation, pour tout juge administratif - donc aussi pour la CNDA - saisi de productions, telle une note en délibéré, parvenues après la clôture de l’instruction et avant la lecture de la décision, d’en prendre connaissance et de les viser.

L’arrêt de la Cour est ici cassé pour n’avoir pas visé une note en délibéré remplissant les conditions de procédure requises pour l’être.

(11 mai 2023, M. A., n° 462237)

 

16 - Litige en réparation d’un préjudice imputable au service - Recours gracieux - Décision implicite de rejet - Décision explicite purement confirmative - Forclusion - Rejet.

Dans un litige en imputabilité au service d’une maladie, une fonctionnaire territoriale, après avoir formé, le 12 janvier 2016, un recours gracieux contre la décision du président du conseil départemental de reconnaître cette imputabilité et que ce recours a été rejeté par une décision implicite, a saisi la commission départementale de réforme. Après avis négatif de cette dernière, le président du conseil départemental a, par un second arrêté, réitéré son refus.

L’intéressée se pourvoit contre l’arrêt par lequel la cour administrative d'appel a rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal administratif rejetant sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie au motif que sa demande de première instance était tardive et par conséquent irrecevable. 

La cour avait jugé que le silence gardé par le président du conseil départemental sur le recours gracieux de la requérante formé le 12 janvier 2016 avait fait naître une décision implicite de rejet le 14 mars 2016, laquelle ne pouvait être contestée que jusqu'au 17 mai 2016. Elle a relevé que le second arrêté, du 26 octobre 2016, du président du conseil départemental rejetant explicitement le recours gracieux de la requérante n'avait pas, en l'absence de demande ou circonstances de fait ou de droit nouvelles, rouvert un délai de recours contre la décision implicite de rejet du 14 mars 2016 qui était devenue définitive à cette date. Elle en a déduit que le recours contentieux formé par Mme A. le 3 mai 2017 devant le tribunal administratif de Nancy était tardif. 

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en l’absence d’erreur de droit de la cour : d’une part, en sa qualité d’agent titulaire de la fonction publique en activité, la requérante ne saurait se prévaloir de l'absence d'accusé de réception de son recours gracieux du 12 janvier 2016 par l'administration, et d’autre part, la seconde décision, du 26 octobre 2016, du président du conseil départemental était purement confirmative de sa décision implicite de rejet du 14 mars 2016, elle ne pouvait donc pas rouvrir le délai de recours contentieux.

(15 mai 2023, Mme A., n° 463055)

 

17 - Expulsion d’occupants sans titre du domaine public - Procédure de l’art. L. 521-3 du CJA - Dispense de la tenue d’une audience publique - Gravité de la mesure - Obligation de permettre des observations orales - Annulation.

(12 mai 2023, Société Gaumar et M. B., n° 467034)

V. n° 8

 

18 - Référé suspension - Appréciation de l’urgence - Requérant ayant tardé à saisir le juge - Aggravation brusque d’une situation non établie - Rejet.

Dans le cadre d’un litige portant sur le refus de reconnaître l’imputabilité au service de la pathologie affectant le requérant à la suite d’une chute sur son lieu de travail, ce dernier a saisi le juge des référés d’une demande de suspension d’exécution des arrêtés refusant de reconnaître cette imputabilité.

Il se pourvoit en cassation de l’ordonnance rejetant sa requête et son pourvoi est rejeté pour défaut d’urgence : il n’a saisi le juge des référés de trois arrêtés du 11 août 2021 et de quatre arrêtés du 15 novembre 2021 que le 9 novembre 2022 et s’il allègue une dégradation subite de sa situation financière, celle-ci ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés.

(12 mai 2023, M. D., n° 469276)

 

19 - Référé liberté - Appréciation de l’urgence particulière à ce référé - Demande d’injonction en vue de la modification d’un décret - Régime de l’aide juridictionnelle devant le tribunal de police - Défaut d’urgence - Rejet.

Parce qu’est proche l’échéance de son jugement devant le tribunal de police, le requérant demande au Conseil d’État, par voie de référé liberté, d'enjoindre au ministre de la justice, au ministre de l'économie, ainsi qu'à la première ministre, de modifier et/ou de compléter, par toutes voies de droit, le décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, afin d'octroyer un droit à l'aide juridictionnelle au bénéfice des administrés faisant l'objet d'une contravention de la 1ère à la 4ème classe devant les tribunaux de police, et au bénéfice des administrés en phase précontentieuse, en vue de l'introduction d'un recours administratif préalable obligatoire avant saisine d'une juridiction administrative.

Pour justifier de l’urgence à statuer, le demandeur invoque, outre la proximité de l’audience devant le tribunal de police, sans d’ailleurs en préciser la date, qu’à défaut il serait porté atteinte au droit à un recours effectif. Ces éléments n’établissent en rien en quoi ses intérêts seraient gravement compromis faute pour le juge saisi d’avoir statué dans les quarante-huit heures.

L’urgence au sens de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas n’importe quelle urgence.

(15 mai 2023, M. B., n° 473638)

 

20 - Référé liberté - Demande de suspension de la décision de limitation des soins et de communication du dossier médical de la patiente - Défaut d’urgence particulière - Recours partiellement sans objet - Rejet.

La requérante a saisi le juge du référé liberté du tribunal administratif d’une requête en vue, d’une part, que soit suspendue la décision d’un centre hospitalier de limiter les soins qui y sont donnés à sa mère, d’autre part, que lui soit communiqué le dossier médical de sa mère.

Elle interjette appel de l’ordonnance de rejet de ces deux demandes. Le Conseil d’État rejette à son tour ces demandes.

D’abord, s’agissant des soins, la requête, introduite devant le Conseil d’État le 09 mai 2023, était déjà sans objet puisque la mère de la requérante est décédée le 17 avril 2023. Ensuite, s’agissant de la communication du dossier médical, manque en tout état de cause l’établissement de l’urgence particulière qui contraindrait le juge administratif du référé liberté à statuer en quarante-huit heures.

(15 mai 2023, Mme C., n° 473669)

 

21 - Sursis à exécution des décisions juridictionnelles - Condition de conséquences difficilement réparables - Absence - Rejet.

La cour administrative d'appel de Marseille a, sur requête de la société Cathédrale d’images, par son arrêt du 28 novembre 2022, mis fin à compter du 1er novembre 2023 à l'exécution de la convention de délégation du service public relative à la gestion des carrières de Bringasses et de Grands Fonds conclue le 23 avril 2010 entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces.

Arguant de ce que la conclusion d'une nouvelle convention ou la reprise en régie du service représente pour son budget une charge importante, la commune a saisi le Conseil d’Tat d’un sursis à l’exécution de cet arrêt. Il est rejeté motif pris de ce que ces circonstances ne sont pas de nature à établir que l'exécution de l'arrêt est susceptible d'entraîner pour la commune des conséquences difficilement réparables malgré le différé d'exécution qu'il prononce. 

On signale que par une décision du même jour (n° 470156 et n° 471042) le Conseil d’État a refusé l’admission du pourvoi de la commune des Baux-de-Provence contre l’arrêt du 28 novembre 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a annulé, à compter du 1er novembre 2023, la convention de délégation de service public signée le 19 janvier 2018 entre la commune et la société Culturespaces, relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence.

(12 mai 2023, Commune des Baux-de-Provence, n° 471041)

 

22 - Action en réparation du préjudice résultant de l’exécution tardive d’un jugement - Jugement rétablissant une personne dans son droit au versement du revenu de solidarité active (RSA) - Contentieux ne concernant pas des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi à cette cour.

Une action en responsabilité tendant à l'indemnisation du préjudice résultant du retard de l'administration à exécuter un jugement statuant sur un litige relatif à des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale au sens du 1° de l'art. R. 811-1 du CJA ne constitue pas elle-même un litige portant sur de telles prestations. Elle n'est donc pas au nombre des litiges visés au 1° de cet article pour lesquels le tribunal administratif statue, par exception, en dernier ressort.

C’est à tort que le requérant a cru devoir se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. Il y a donc lieu de le renvoyer à la cour administrative d’appel, seule compétente pour recevoir son appel.

(12 mai 2023, M. B., n° 469019)

 

23 - Demande de renvoi « automatique » au Conseil constitutionnel d’une QPC dont le renvoi au Conseil constitutionnel a été refusé par la Cour de cassation - Décision ne relevant pas de l’organisation du service public de la justice - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Cette affaire ressemble à ces sottisiers délirants ou loufoques parfois donnés à nos étudiants dans un souci pédagogique ou de vérification des connaissances.

Le demandeur s’est vu refuser par la Cour de cassation - le 21 juin 2021 - la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’il lui avait posée et qu’elle a jugée irrecevable. Il porte ce refus devant le juge des référés du Conseil d’État aux fins qu’il décide le renvoi « automatique » de cette question au Conseil constitutionnel.

Au lieu de rejeter ce recours pour incompétence manifeste avec, à la clé, une amende pour avoir abusé du prétoire, ou encore pour forclusion, le juge du référé liberté du Palais-Royal, s’appuyant sur la distinction célèbre entre organisation et fonctionnement du service public de la justice, estime n’être pas dans le premier, cas seule hypothèse où il serait compétent.

Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.

(10 mai 2023, M. A., n° 473483)

 

24 - Référé « mesures utiles » - Contrats souscrits à la Caisse d’épargne - Demande d’exécution et de paiement de ces contrats - Incompétence manifeste de la juridiction administrative - Rejet.

Ne relève manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative la requête en référé introduite sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA (référé « mesures utiles ») tendant à ce que le juge des référés du Conseil d’État fasse procéder à l’exécution et au paiement de deux contrats souscrits à la Caisse d’épargne.

(10 mai 2023, Mme B., n° 473563)

 

25 - Récusation des juges - Récusation de l’un des présidents-adjoint de la section du contentieux du Conseil d’État - Mutation d’un magistrat en qualité de président d’un tribunal administratif - Absence d’impartialité - Rejet.

Le requérant demande l’annulation de l'arrêt du 24 mars 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 9 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 30 janvier 2019 par lequel le vice-président du Conseil d’État a muté M. E. en qualité de président du tribunal administratif de Paris, ainsi que la décision du 15 mai 2019 par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre cette décision. 

Au soutien de sa demande, M. C. fait d’abord valoir que M. D., président-adjoint de la section du contentieux, se trouve dans une situation de subordination hiérarchique vis-à-vis du vice-président du Conseil d’État, cette circonstance n'est pas de nature à mettre en doute son impartialité dès lors que, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d’État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard.

Ensuite, le requérant ne fait état d'aucun élément permettant d'établir que M. D. entretiendrait des liens personnels avec le vice-président du Conseil d’État de nature à mettre en cause son impartialité.

Enfin, le rejet de précédentes requêtes de M. C. et par des motifs que celui-ci critique, par des décisions rendues par le Conseil d’État, statuant au contentieux sous la présidence de M. D., est insusceptible d'établir un manque d'impartialité de ce dernier. 

D’où le rejet de la requête en récusation.

(23 mai 2023, M. C., n° 474384)

(26) V. aussi, rejetant la requête tendant à l’annulation, d'une part, du décret du président de la république du 21 avril 2022 portant nomination de M. D. en qualité de président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ensemble la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre ce décret, et, d'autre part, le décret du président de la république portant nomination de Mme G. en qualité de présidente du tribunal administratif de Melun, ensemble la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre ce décret. L’argumentation au soutien de ces demandes est la même que celle décrite au point précédent et elle est, identiquement, rejetée : 23 mai 2023, M. E., n° 474385.

 

27 - Recours en interprétation - Article R. 113-5 du code des relations entre le public et les administrations - Application au régime de la délivrance d’un passeport - Rejet.

Le recours par lequel il est demandé directement au Conseil d’État d'interpréter un acte administratif est subordonné à l'existence d'un différend né et actuel, susceptible de relever de la compétence du juge administratif, dont la résolution est subordonnée à l'interprétation demandée.

Or les dispositions de l'art. R. 113-5 du code des relations entre le public et les administrations, qui ne sont au demeurant pas applicables à la délivrance d'un passeport, ne régissent pas les conditions dans lesquelles l'autorité administrative est habilitée à demander à un citoyen français ayant la qualité de binational de justifier de sa seconde nationalité.

Il suit de là que la requête en vue de l’interprétation par le juge d’un acte réglementaire sans rapport avec le différend dont se prévaut le demandeur doit être rejetée.

(24 mai 2023, M. B., n° 457958)

(28) V. aussi, rappelant qu’un recours en interprétation d'une décision juridictionnelle n'est recevable que s'il émane d'une partie à l'instance ayant abouti au prononcé de la décision dont l'interprétation est sollicitée et dans la seule mesure où il peut être valablement argué que cette décision est obscure ou ambiguë. Tel n’est pas le cas d’une décision du Conseil d’État (23 novembre 2022, Mme D., M. et Mme A. c/ commune de Neuilly-sur-Seine, n° 441184) énonçant « que la hauteur majorée d'une construction, dont le volume constructible a lui-même été majoré, ne saurait être supérieure à la hauteur maximale fixée en valeur absolue dans le règlement du plan local d'urbanisme » car elle n’est ni obscure ni ambiguë. La requête est rejetée pour irrecevabilité : 24 mai 2023, Commune de Neuilly-sur-Seine, n° 469950.

 

29 - Recours en annulation d’un décret portant attributions d’un ministre - Requérant sans intérêt pour agir contre cette décision - Rejet.

(24 mai 2023, M. A., n° 466446)

V. n° 5

 

30 - Permis de construire accordé dans une zone de tension entre offre et demande de logements - Régime contentieux temporaire dérogatoire (art. R. 811-1-1 CJA) - Interprétation stricte - Condition non remplie - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi en conséquence.

(24 mai 2023, Société Ilana El, n° 466755)

V. n° 124

 

31 - Règlement de la compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction (art. R. 351-3 CJA) - Litige opposant une collectivité territoriale ultra-marine à un centre hospitalier en matière de financement du service public hospitalier - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège l’autorité publique auteur de la décision contestée - Renvoi au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le centre hospitalier requérant a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon l’annulation des délibérations de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon relatives au financement, pour les années 2017 à 2020, de l'EHPAD et de l'unité de soins de longue durée dont ce centre assure la gestion, de l’arrêté du président de la même collectivité fixant le montant du forfait dépendance de l'EHPAD pour l'année 2021 ainsi  que de celui fixant le montant de la dotation dépendance de l'unité de soins de longue durée pour l'année 2021, du refus du président de la collectivité territoriale d'initier la démarche de contractualisation du centre hospitalier et de l'arrêté du président de la collectivité territoriale du 7 octobre 2021 ordonnant la réalisation d'une mission de contrôle administratif sur le fonctionnement du centre hospitalier.

Par deux ordonnances, la présidente de ce tribunal a, par application de la procédure prévue à l’art. R.351-3 du CJA, renvoyé au président de la section du contentieux du Conseil d’État, ou au magistrat à ce délégué, la question de la détermination de la juridiction administrative compétente pour connaître de ce litige.

Le juge relève d’abord que si l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles prévoit que les litiges relatifs au financement des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux relèvent en premier ressort de la compétence des tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale, il résulte cependant de l'art. L. 531-1 du même code que ces dispositions ne sont pas applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il constate ensuite que si l'art. R. 351 du même code, relatif aux sièges et au ressort des tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale, prévoit que celui de Nantes a dans son ressort Saint-Pierre-et-Miquelon, ces dispositions ne sont justifiées que par la compétence qu'exerce le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale pour trancher les désaccords éventuels entre l’État et le département en cas de compétence conjointe, sur le fondement de l'art. L. 314-1 du même code, lui-même applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s’ensuit que ces dispositions réglementaires n'ont donc pas pour effet, et ne sauraient d'ailleurs avoir légalement pour objet, de donner compétence au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Nantes pour connaître des présents litiges.

La connaissance du litige est donc renvoyée au tribunal de Saint-Pierre-et-Miquelon dès lors que l’art. L. 311-1 du CJA fait des tribunaux administratifs, en premier ressort, les juges de droit commun du contentieux administratif.

(24 mai 2023, Centre hospitalier François Dunan, n° 468457)

 

32 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.

Le tribunal administratif de Versailles a, sur recours de l’intéressée, annulé la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le directeur de la plateforme industrielle courrier de la Poste de Paris-Sud-Wissous a indiqué à cette dernière qu'il allait opérer des retenues sur ses traitements pour absence de service fait à la suite de l'exercice de son droit de retrait et lui a enjoint de rembourser à Mme H. les sommes qui avaient été retenues. Saisie d’un appel de la société anonyme (SA) La Poste dirigé contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Versailles, avant d’y statuer, a décidé de soumettre au Conseil d’État les deux questions suivantes : 

1°) Un recours en annulation contre une lettre par laquelle l'administration informe un agent public que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur ses traitements en raison de l'exercice injustifié de son droit de retrait et tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui rembourser la somme prélevée, relève-t-il par nature, en totalité, du plein contentieux ou constitue-t-il, en totalité, un recours pour excès de pouvoir ou relève-t-il à la fois de l'excès de pouvoir et du plein contentieux ?

2°) Dans l'hypothèse où le tribunal a méconnu tout ou partie de son office quant à la nature du recours porté devant lui, cette question doit-elle être soulevée d'office par la cour au titre de la régularité de la décision juridictionnelle contestée et communiquée aux parties en application de l'art. R. 611-7 du CJA ?

Exerçant sa fonction de régulateur suprême de la justice administrative, le Conseil d’État répond en trois étapes à la première question posée dans une formulation qui est de principe même si elle confirme une jurisprudence bien établie se situant dans une ligne très orthodoxe envers la doctrine de Laferrière sur ce sujet, que : «  La nature d'un recours exercé contre une décision à objet pécuniaire est fonction, hormis les cas où il revêt par nature le caractère d'un recours de plein contentieux, tant des conclusions de la demande soumise à la juridiction que de la nature des moyens présentés à l'appui de ces conclusions. »

Ensuite, il est précisé qu’en dépit de ce que le recours dirigé contre un titre de perception relève par nature du plein contentieux, la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement ne peut à cet égard être assimilée à une telle décision lorsqu'elle ne comporte pas l'indication du montant de la créance ou qu'elle émane d'un organisme employeur qui n'est pas doté d'un comptable public. En ce cas, les conclusions tendant à l'annulation de cette décision et du rejet du recours gracieux formé contre celle-ci doivent être regardées comme présentées en excès de pouvoir. Ainsi, la nature du contentieux peut subir l’effet du non-respect d’une règle relative à la forme ou au contenu de la décision attaquée ou encore du fait de l’existence ou non dans la structure de décision d’un comptable public. Si la solution est assez logique elle comporte cependant une dose regrettable de complexité.

Également, il est indiqué - et l’on ne regrettera pas cette simplification - que les conclusions à fin d’injonction de remboursement, lesquelles relèvent du plein contentieux, accompagnant le recours en annulation n'ont pas pour effet de donner à l'ensemble des conclusions le caractère d'une demande de plein contentieux.

Enfin, répondant à la seconde question posée, le juge du Palais-Royal rappelle qu’est d'ordre public la méconnaissance par le juge de tout ou partie de son office en raison d'une erreur quant à la nature du recours concernant la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement.

Il faut saluer ce bel effort de clarification et redire combien la procédure d’avis de droit de l’art. L. 113 du CJA est précieuse.

(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)

 

33 - Suspension d’exécution d’un refus de recrutement dans la police nationale - Condition d’âge - Moment de son appréciation - Erreur de droit - Annulation de la suspension.

M. A. a subi avec succès les épreuves de sélection pour être recruté en qualité d'adjoint de sécurité de la police nationale au titre des « cadets de la République ». Il a été informé que son recrutement ne pourrait intervenir car il avait dépassé l'âge limite de 30 ans. Il a formé un recours en annulation de cette décision assorti d’un référé suspension, auquel le juge des référés du tribunal administratif a fait droit par une ordonnance contre laquelle le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation.

Le juge des référés s’est fondé, pour ordonner la suspension du refus, sur ce que l'art. R. 411-8 2° du code de la sécurité intérieure ne précisant pas à quelle date s'apprécie la condition d'âge maximal, celle-ci pouvait être appréciée à la date du dépôt de candidature à un recrutement en qualité de cadet de la République. Le juge de cassation juge qu’une erreur de droit est à la base de ce jugement. Selon lui il convient d’abord de relever que l’art. R. 411-8 du code précité dispose que « Nul ne peut être recruté en qualité d'adjoint de sécurité : (...) 2° S'il est âgé de moins de dix-huit ans ou de plus de trente ans ; (...) » et que l’art. R. 411-9 dudit code précise que : « Les adjoints de sécurité sont recrutés par contrat écrit, pour une durée de trois ans renouvelable une fois par reconduction expresse, conclu, au nom de l’État (...) ». D’où il conclut que les conditions d'âge posées par l'article R. 411-8 doivent être appréciées à la date de prise d'effet du contrat de recrutement conclu en application de l'article R. 411-9. L’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit.

Statuant au fond pour régler le litige et cette fois en qualité de juge des référés, le Conseil d’État estime que l’urgence alléguée n’étant pas établie du fait que le demandeur, qui a indiqué travailler comme « assistant moniteur de tennis » puis est présentement bénéficiaire du RSA, la requête est rejetée sans qu’il y ait lieu d’examiner l’existence de la seconde des deux conditions nécessaires à l’octroi d’une suspension d’exécution d’acte en référé.

(26 mai 2023, ministre de l’intérieur, n° 467838)

 

34 - Visa d’entrée sur le territoire français - Recours en injonction de délivrance de visa pour une enfant mineure - Incompétence du Conseil d’État en première instance - Rejet.

(ord. réf. 23 mai 2023, M. A., n° 473659)

V. n° 66

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

35 - Convention fiscale franco-allemande - Territorialité de l’imposition - Biens et revenus immobiliers - Revenus n’ayant pas ce caractère - Gestion prétendue anormale - Abus de droit - Annulation et rejet partiels.

La convention franco-allemande du 21 juillet 1959, comme la plupart des conventions de cette nature conclues par la France, stipule en son art. 3 que sont imposables dans l’État contractant où ces biens sont situés les revenus provenant des biens immobiliers et que la notion de bien immobilier se détermine d'après les lois de l’État contractant où est situé le bien considéré. Sont des biens immobiliers au sens de cet article les droits auxquels s'appliquent les dispositions du droit privé concernant la propriété foncière, les droits d'usufruit sur les biens immobiliers, etc.

En revanche, l'art. 10 de cette convention dispose que les intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances, assortis ou non de garanties hypothécaires, ne sont imposables que dans l’État contractant dont le bénéficiaire est le résident.

En l’espèce, la société Parilease, spécialisée dans les opérations de crédit-bail et appartenant au groupe fiscalement intégré dont la société-mère est la société BNP Paribas, a conclu des contrats de cession-bail avec deux sociétés de droit allemand, Bayer et Heidelberger.

L'administration fiscale a considéré n’être pas en présence de revenus immobiliers soumis aux dispositions de l’art. 3 de la convention précitée ce qui les aurait fait relever du système d’imposition allemand. Elle a, en conséquence, soumis à l'impôt sur les sociétés les revenus tirés de ces contrats, qu'elle a qualifiés de financiers et donc assujettis au régime fiscal tel que régi par l’art. 10 de la convention fiscale. Elle a, en outre, qualifié d'acte anormal de gestion la stipulation d'intérêts calculés à des taux inférieurs aux taux du marché au profit des sociétés Bayer et Heidelberg et a imposé les libéralités correspondantes comme des revenus distribués à ces sociétés. Enfin, elle a soumis les flux correspondants à retenue à la source, sur le fondement de l'article 119 bis du CGI. Les sociétés requérantes se pourvoient en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant leurs prétentions.

Tout d’abord, le juge de cassation annule l’arrêt déféré à sa censure pour avoir jugé que le ministre devait être regardé comme ayant apporté la preuve que les opérations en cause, d'apparence immobilière, dissimulaient en réalité une activité de financement dépourvue de lien avec un immeuble, et que le montage, qui avait pour but de bénéficier d'une double exonération découlant de l'application des articles 3 et 10 de la convention franco-allemande, était constitutif d'un abus de droit au sens de l'art. L. 64 du livre des procédures fiscales. En effet, pour qu’il y ait « abus de droit » et donc pour que soient déclarés inopposables à l’administration fiscale les actes constitutifs d’un tel abus, il faut, selon une formule jurisprudentielle classique et constante, que ces actes aient un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

L’annulation de l’arrêt est fondée sur l’erreur de droit résultant de l’absence de recherche par la cour du point de savoir si les auteurs des contrats en cause avaient recherché le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ni s'ils avaient pu être inspirés par un autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

Au passage, il faut relever, ce qui n’est pas d’une orthodoxie totale au regard des règles du droit international des traités et conventions, que le Conseil d’État estime possible, et le cas échéant, nécessaire cette recherche de l’intention du contribuable même dans l’hypothèse où, comme ici, la norme dont le contribuable recherche le bénéfice procède d'une convention fiscale bilatérale ayant pour objet la répartition du pouvoir d'imposer en vue d'éliminer les doubles impositions et que cette convention ne prévoit pas explicitement l'hypothèse de fraude à la loi.

 

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État juge que l’administration fiscale a eu raison d’écarter la nature immobilière des revenus litigieux (1) mais qu’elle a eu tort de qualifier comme constituant un abus de droit (2) et comme un acte anormal de gestion (3) le montage financier en cause.

Il faut ici rappeler que bien que rejetant l’existence d’un abus de droit, le juge est tenu par le principe que, l'administration ne pouvant renoncer à appliquer la loi fiscale, elle est en droit à tout moment de justifier l'impôt sur un nouveau fondement légal qu'elle a compétence liée pour appliquer. Or en l’espèce, il est demandé au juge, dans l'hypothèse d'un règlement au fond de l'affaire et si l'existence d'un abus de droit par fraude à la loi n'était pas retenue, de requalifier les contrats litigieux en contrats de financements avec intérêts.

 

1 - Pour dire que les revenus litigieux n’étaient pas de caractère immobilier le juge retient que cela résulte du montage financier retenu par les parties contractantes.

Les contrats litigieux, qui consistaient en des contrats de cession d'usufruit et de crédit-bail conclus par la société Parilease, l'un avec la société Bayer, l'autre avec la société Heidelberger, avaient pour objet, pour la première, d'accorder aux secondes des financements s'élevant respectivement à 184 800 000 euros et 75 105 000 euros, garantis par le transfert temporaire de l'usufruit d'immeubles.

Si le code civil allemand ne subordonne pas la cession de l'exercice de l'usufruit, par l'usufruitier, au consentement préalable du propriétaire, la section 7 de la partie 2 de la convention de cession-bail conclue entre la société Parilease et la société Heidelberger stipule que « l'usufruitier n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit à un quelconque tiers sans le consentement écrit préalable du propriétaire », sauf si le contrat de crédit-bail est résilié et si le preneur « n'a pas payé la valeur de résiliation en temps voulu ». Le préambule du contrat de crédit-bail adossé à cette convention énonce, par ailleurs, qu'il « n'y aura aucune cession réelle de l'utilisation des biens au bailleur et que l'usage économique reste au preneur ». Si l'option d'achat n'est pas exercée par la société Heidelberger, celle-ci peut prolonger la durée de location jusqu'à l'expiration des droits d'usufruit. 

De plus, la clause B7 du contrat conclu entre les sociétés Parilease et Bayer, prévoit que le bailleur n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit sans l'accord préalable du preneur. Le bailleur n'est, par ailleurs, pas autorisé à transformer ou à modifier la propriété, sauf si la durée du crédit-bail a expiré. La clause C5 stipule quant à elle que le preneur « a le droit de faire toute modification y compris la destruction de certains immeubles » sans le consentement du bailleur si les coûts de ces « modifications sont inférieurs à 25% du paiement de l'usufruit et/ou (...) ne diminuent pas la valeur de la propriété » et « si le preneur souhaite abandonner les parties de la propriété pendant la durée, le bailleur devra abandonner l'usufruit concernant lesdites parties : à condition, toutefois, que (i) le preneur propose au bailleur d'étendre le présent contrat à une propriété alternative se trouvant en Allemagne raisonnablement similaire à et de valeur équivalente ou supérieure à la partie de la propriété devant être abandonnée ou (ii) le preneur paie la valeur normale de résiliation basée sur la valeur au prorata de la partie de la propriété devant être abandonnée ». En vertu de la clause C15.2, si le preneur n'exerce pas son option d'achat au terme de la durée du crédit-bail, il bénéficie d'un droit de préférence en cas de cession à un tiers.

Enfin, d'une part, en vertu de l'article 3.3 du contrat de crédit-bail conclu avec la société Heidelberger, la détermination des loyers est calculée selon un taux d'intérêt de 45 points de base en dessous du taux d'intérêt de référence, correspondant à la moyenne des cours des titres échangés sur les taux d'intérêt divulgués sur l'écran Icapeuro de Reuters pour les taux de 1 à 10 ans. D'autre part, la clause A1 du contrat conclu avec la société Bayer définit le « taux d'intérêt du crédit bail » comme « i) le taux swap en euro amortissable chaque semestre applicable pendant dix ans avec une durée de vie moyenne de 5,5 ans ... tiré de la courbe du taux d'intérêt indiquée sur la page ICAE de Bloomberg ou sur la page ICAPEUR de Reuters moins (...) (ii) la marge », cette marge étant égale à 50 points de base. Par ailleurs, les contrats prévoient, en cas de remise en cause de la double exonération des revenus versés par les sociétés allemandes à la société Parilease, soit une majoration des taux d'intérêt, soit leur résiliation.

On voit bien que, par l’ensemble des stipulations qui y sont contenues, les contrats en cause s’éloignent complètement du régime allemand de l’usufruit et c’est bien parce que les restrictions apportées à l'exercice du droit d'usufruit de la société Parilease sont telles que les contrats doivent être regardés comme ayant une substance essentiellement financière et non immobilière. Les revenus tirés de ces contrats par la société Parilease, à hauteur des intérêts et à l'exclusion des loyers et amortissements comptabilisés, ne constituaient donc pas des « revenus de biens immobiliers » au sens de l'article 3 de la convention fiscale franco-allemande, ce qui les aurait fait relever du droit allemand mais des « intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances » au sens de l'article 10 de la même convention, qui les fait relever du régime fiscal français.

 

2 - Pour rejeter l’existence d’un abus de droit, le juge retient que les contrats litigieux, ci-dessus décrits, eu égard à leur objet, qui a été effectivement mis en œuvre et que l'administration n'a d'ailleurs pas écartés pour procéder au redressement contesté, ne peuvent être regardés comme ne répondant à aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, compte tenu de sa situation ou de ses activités réelles. Ils ne constituaient pas un montage artificiel dépourvu de toute substance économique et ne pouvaient pas conduire à regarder les opérations litigieuses comme contraires aux objectifs poursuivis par les États signataires de la convention fiscale franco-allemande. Il en résulte que ces actes n'étaient pas constitutifs d'un abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

 

3 - L’administration ne peut qualifier d’« acte anormal de gestion » que celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, à charge pour elle  d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal. En l’espèce, le ministre soutient que les taux d'intérêt prévus par les contrats conclus par la société Parilease sont insuffisants au regard de taux de référence calculés, soit en les majorant de 100 points de base comme le prévoient les stipulations contractuelles en cas de modification des hypothèses fiscales, soit en fonction du niveau de solvabilité des sociétés Heidelberger et Bayer et qu’ainsi cette société aurait décidé de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Le juge estime, au contraire, qu’en prévoyant, compte tenu des hypothèses fiscales qu'elle avait retenues, les taux d'intérêts stipulés aux contrats, la société Parilease ne peut être regardée comme ayant décidé, à la date de la signature des actes en cause, de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Faute pour le ministre d’avoir établi que les contreparties que la société Parilease a retirées des opérations de cession-bail seraient inexistantes ou insuffisantes au regard de l'avantage consenti aux sociétés allemandes, de sorte que la société aurait, en concluant ces contrats, commis un acte anormal de gestion, l’imposition à ce titre est, contrairement à ce qu’il soutient, illégale. 

(03 mai 2023, Société BNP Paribas et société Parilease, n° 434441)

 

36 - Casinos - Établissements thermaux et hôteliers - Abattement supplémentaire pour dépenses à caractère immobilier - Agrément préfectoral et décision du directeur régional des finances publiques - Régimes contentieux - Contrôle par le juge de cassation de la qualification juridique des faits comme constituant une dépense à caractère immobilier - Annulation partielle.

 L'article 34 de la loi du 30 décembre 1995 dans la version que lui a donnée la loi du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 permet aux casinos de bénéficier d'un abattement supplémentaire de 5 p. 100 sur le produit brut des jeux correspondant aux dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier qu'ils réalisent dans les établissements thermaux et hôteliers leur appartenant ou appartenant à une collectivité territoriale et dont ils assurent la gestion.

Le bénéfice de cet abattement est subordonné à un agrément préfectoral et il est accordé par le directeur (départemental ou régional) des finances publiques. L’éventuel recours contre la décision préfectorale relève du contentieux de l’excès de pouvoir tandis que celui formé contre la décision fiscale relève du contentieux de la pleine juridiction, ou plein contentieux. Il suit de là que la partie de l’arrêt frappé de cassation portant sur le recours dirigé contre la décision fiscale est entachée d’erreur de droit pour avoir traité ce recours comme étant un recours pour excès de pouvoir.

Sur le fond, le juge rejette le recours en tant qu’il est dirigé contre la partie de l’arrêt ayant jugé que les dépenses d'installation de chantier, de nettoyage, de démolition, de prestations intellectuelles, de travaux préparatoires de dépose et repose de sanitaires, d'autres déposes et de curage ne constituaient pas, au sens et pour l’application de l’art. 34 de la loi de 1995 précitée, « des dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier ». En revanche, il accueille le recours en tant qu’il conteste la partie de l’arrêt d’appel qui a exclu de cette dernière catégorie la dépense de refixation d'une volige car elle porte sur un accessoire ou un complément de travaux de gros œuvre.

Il convient de relever cet important aspect de la décision qui confère au juge de cassation le pouvoir de contrôler la qualification juridique des faits s’agissant de l’appréciation portée par les juges du fond sur le caractère de dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier ouvrant droit au bénéfice de l’abattement supplémentaire maximum de 5% au titre des sommes exposées par les établissements et dans les conditions visés par l'article 34 de la loi du 30 décembre 1995

(03 mai 2023, Société des Hôtels et Casino de Deauville, n° 452696)

 

37 - Taxe sur la valeur ajoutée - Professeur de théâtre - Attestation de l’administration fiscale - Prise de position formelle (art. L. 80B, LPF) - Erreur de droit - Annulation.

A l’appui de son recours en décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels il a été assujetti au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, le contribuable, directeur d'un cours de théâtre privé dans lequel il enseigne, fait valoir une attestation en date du 16 décembre 2013 par laquelle le contrôleur des finances publiques compétent certifie qu'il n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée du fait de son activité de professeur de théâtre.

Sa demande est partiellement rejetée en première instance et en appel au motif que ce document n'était pas susceptible de constituer une prise de position formelle au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

Sur pourvoi du contribuable le juge de cassation - réitérant une jurisprudence rendue sur la version précédente de ce texte législatif (8 septembre 1999, Sarl société d'exploitation des établissements Madej, n° 161330) - annule l’ordonnance d’appel pour erreur de droit en estimant « que cette attestation avait été délivrée au requérant, à sa demande, pour les besoins de son activité professionnelle à laquelle il était fait expressément référence » et qu’elle constituait bien ainsi une « prise de position formelle » au sens de l’art. L. 80B du LPF.

(04 mai 2023, M. B., n° 453366)

 

38 - Contentieux fiscal - Contestation d’assiette de la taxe d’aménagement - Exigence d’une réclamation préalable à l’administration fiscale - Absence - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d’une exigence du contentieux fiscal prévue à l’art. R.190-1 du livre des procédures fiscales : le contribuable désirant contester devant le juge administratif l'assiette de la taxe d'aménagement doit, à peine d'irrecevabilité, former une réclamation préalable auprès du service territorial de la direction générale des finances publiques avant le 31 décembre de la deuxième année suivant l'émission du premier titre de perception ou du titre unique.

(12 mai 2023, ministre des finances, de l’économie…, n° 464199)

 

39 - Déficits fonciers - Déductibilité des frais de travaux de reconstruction - Notion de reconstruction - Accessoire indissociable de tels travaux - Absence de recherche de ce caractère - Annulation.

Le I de l’art. 31 du CGI permet de déduire certaines charges de la propriété pour la détermination du revenu net.

En l’espèce, la cour administrative d’appel a considéré qu’en 2011 et 2012 les contribuables avaient effectué des travaux portant sur le gros œuvre et que s’agissant des travaux de réfection de l'installation électrique, du chauffage, des menuiseries, des peintures, des sols et de l'isolation, réalisés en 2013 et 2014, ils étaient indissociables des travaux sur le gros œuvre effectués en 2011 et 2012 de sorte que l'ensemble ainsi formé sur ces quatre années, présentant comme caractéristiques à la fois d'être « important » et d'affecter dans certains cas le gros œuvre de l'immeuble dont cette société était propriétaire, devait être regardé comme procédant d'une unique opération de reconstruction.

Pour annuler ce raisonnement, le Conseil d’État reproche à la cour de s’être fondée sur ce que les travaux de gros œuvre entrepris en 2011 et 2012 avaient rendu possibles des travaux de second œuvre réalisés en 2013 et 2014, sans rechercher si les premiers de ces travaux avaient eux-mêmes la nature de travaux de reconstruction dont les seconds auraient été l'accessoire indissociable au sens et pour l’application des dispositions précitées du CGI selon lesquelles : « Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent :

1° Pour les propriétés urbaines :

a) Les dépenses de réparation et d'entretien (...)

b) Les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement (...) ».

Or le Conseil d’État considère que sont des travaux de reconstruction ceux qui comportent la création de nouveaux locaux d'habitation ou qui ont pour effet d'apporter une modification importante au gros œuvre, ainsi que les travaux d'aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à des travaux de reconstruction. Pour ces derniers, le juge estime que des travaux d'aménagement interne, quelle que soit leur importance, ne peuvent être regardés comme des travaux de reconstruction que s'ils affectent le gros œuvre ou s'il en résulte une augmentation du volume ou de la surface habitable.

(12 mai 2023, M. et Mme A., n° 464489)

 

40 - Prix de cessions immobilières nettement inférieurs à la valeur vénale des logements cédés - Fonctions d’un contribuable lui permettant de connaître cette minoration - Erreur sur ces fonctions - Dénaturation - Annulation.

Une cour administrative d’appel juge fondée l’affirmation par l’administration fiscale qu’une société a eu l’intention d’octroyer et un contribuable de recevoir une libéralité résultant de cessions d’appartements à un prix nettement inférieur à leur valeur vénale. Elle s’appuie pour cela sur les fonctions salariales exercées par ce dernier au sein de la société en charge de la gestion du programme immobilier qu’elle réalise, donc directement impliqué dans la gestion de ce programme et qui ne pouvait de ce fait ignorer que le prix de cession des logements qu'il avait acquis était significativement inférieur à leur valeur vénale.

Sur pourvoi, Conseil d’État est à la cassation de cet arrêt qui repose sur une dénaturation des pièces du dossier en ce que le contribuable était seulement agent de service et non , comme l’a qualifié la cour, chargé de la gestion du programme immobilier.

(12 mai 2023, MM. Christian et Stéphane A., n° 465663)

 

41 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères et de traitement des déchets - Prélèvement destiné à couvrir les dépenses engendrées par ce service public - Inclusion dans les dépenses de fonctionnement à ce titre du coût des services centraux celles directement liées aux besoins dudit service - Erreur de droit et insuffisance de motivation - Annulation.

Dans un litige relatif à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, le Conseil d’État, réitérant une solution constante, reproche à un tribunal administratif d’avoir inclus dans le montant des dépenses directement générées par les besoins de ce service public une certaine somme parce qu’elle correspondait à « des coûts de structure » sans rechercher si elle constituait une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la métropole, établie sur la base d'une comptabilité analytique produite au dossier et correspondant à la fraction de ces dépenses directement exposée pour les besoins du service de collecte et de traitement des déchets.

(12 mai 2023, Société Les Chandons, n° 466775)

 

42 - Plus-values professionnelles - Régime d’exonération (art. 238 quindecies du CGI) - Cession partielle de droits sociaux - Condition non satisfaite - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour dire des contribuables fondés à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles ils ont été assujettis à raison de la plus-value réalisée lors de la cession, de droits sociaux d’une société, retient que cette plus-value était, contrairement à ce que soutenait l'administration, imposable selon le régime des plus-values professionnelles et sur ce qu'elle bénéficiait de l'exonération prévue à l'art. 238 quindecies du CGI. En effet, les contribuables n'ayant cédé qu'une partie des droits sociaux qu'ils détenaient dans la société, les conditions de mise en œuvre des dispositions de l'art. 238 quindecies précité n'étaient pas satisfaites dès lors que le III de cet article concerne la cession de « l’intégralité des droits ou parts détenus par le contribuable (…) ».

(12 mai 2023, M. et Mme A., n° 467294)

 

Droit public de l'économie

 

43 - Autorité des marchés financiers - Recours contre une décision de la commission des sanctions de cette autorité - Société ayant agi dans son intérêt propre au détriment de celui des porteurs - Défaut de mention du taux de rotation élevé des portefeuilles gérés par une société - Obligation pour la commission des sanctions d’aggraver la sanction prononcée.

Le président de l'Autorité des marchés financiers demandait l’annulation de l’avertissement prononcé par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers à l’encontre de la société Skylar France en ce qu'elle a écarté les griefs tirés de la méconnaissance par celle-ci des intérêts des investisseurs.

Le Conseil d’État juge d’une part, que, contrairement à ce qu'a retenu la commission des sanctions, il était suffisamment établi que la société Sylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui des porteurs, par suite, elle ne pouvait, sans méconnaître les art. L. 533-10 du code monétaire et financier et 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ni entacher sa décision d'erreur d'appréciation, écarter le grief tiré de ce que Skylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui de ses clients, et d’autre part, que cette commission a écarté à tort le grief tiré du défaut de mention de l'application d'un taux de rotation élevé des portefeuilles dans les prospectus des fonds gérés par Skylar France. En revanche, est rejeté le moyen du requérant tiré de ce que la commission n’a pas retenu le grief tiré du défaut de fourniture d'un commentaire personnalisé sur la gestion mise en œuvre et d'absence de détail des performances dans les rapports de gestion sous mandat.

En conséquence, le juge décide que la sanction prononcée à l'encontre de la société Skylar France et de M. B., son président et unique actionnaire, doit être aggravée par une publication de manière non anonyme, pendant trois ans à compter de cette décision, de la décision de la commission des sanctions et de la présente décision, sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers.

Le pouvoir ainsi exercé de réformation de la décision contestée atteste l’ampleur des pouvoirs détenus par le juge de la pleine juridiction.

(24 mai 2023, président de l'Autorité des marchés financiers, n° 449983)

 

44 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.

(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)

V. n° 32

 

45 - Demande en référé suspension - Pourvoi en cassation - Décision attaquée entièrement exécutée - Pourvoi devenu sans objet - Rejet.

La requérante a demandé, en vain, la suspension de la décision préfectorale accordant le concours de la force publique en vue de l'exécution du jugement d’un tribunal judiciaire ordonnant son expulsion du logement qu'elle occupe. Elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet. L’expulsion a lieu avant que ne se prononce le juge de cassation : le pourvoi est donc devenu sans objet et il n’y a plus lieu d’y statuer.

(25 mai 2023, Mme A., n° 471269)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

46 - Récupération d’indu de RSA - Rétablissement personnel - Amende - Indu d’origine frauduleuse - Absence de caractère de « dette ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale » - Annulation.

Aux termes de l'article L. 711-4 du code de la consommation, dans sa version applicable aux faits de l’espèce : « Sauf accord du créancier, sont exclues de toute remise, de tout rééchelonnement ou effacement :

(...) 3° Les dettes ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale énumérés à l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale.

(...) L'origine frauduleuse de la dette est établie soit par une décision de justice, soit par une sanction prononcée par un organisme de sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles L. 114-17 et L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale ». L le juge déduit des travaux préparatoires à l’adoption de l’art. 116 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 dont est issue la réserve édictée au 3° de l’art. 711-4 du code de la consommation précité, combinés avec les dispositions des art. L. 262-13, L. 262-16, L. 262-24 et L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles, avec celles de l’art. L. 741-1 du code de la consommation et, enfin, avec celles des art. L. 114-12, L. 114-17 et L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale, que méconnaît le champ d’application de la loi (en l’occurrence le 3° précité de l’art. L. 711-4), le jugement estimant que le demandeur ne pouvait pas se prévaloir, pour s’opposer aux indus de revenu de solidarité active mis à sa charge, de l'ordonnance du juge du tribunal d'instance de Chartres ayant conféré force exécutoire au plan de rétablissement personnel recommandé par la commission de surendettement, au motif que les indus en cause trouvaient leur origine dans l'absence de déclaration injustifiée de ses salaires par le requérant, ayant donné lieu à une sanction prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale.

En jugeant ainsi, le tribunal administratif a méconnu le champ d'application du 3° de l'article L. 711-4 du code de la consommation.

En effet,  les dettes tenant à un versement indu de revenu de solidarité active ne peuvent être regardées, quelle que puisse être leur éventuelle origine frauduleuse, comme relevant de la catégorie des « dettes ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale énumérés à l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale » au sens du 3° de l'article L. 711-4 du code de la consommation et, à ce titre, exclues de l'effacement qu'entraîne le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire rendu exécutoire par le juge de l'exécution sur toutes les dettes non professionnelles du débiteur, arrêtées à la date de l'ordonnance conférant force exécutoire à la recommandation de la commission de surendettement des particuliers. 

Rappelons que le moyen tiré de la méconnaissance du champ d’application de la loi est d’ordre public.

(12 mai 2023, M. B., n° 461606)

 

47 - Hébergement d’urgence - Limite des capacités de mise à l’abri - Annulation.

Voilà encore un énième épisode de l’interminable et dramatique saga de l’hébergement des personnes, la plupart étrangères, en situation d’urgence.

Il faut encore une fois rappeler que les procédures de référé, spécialement le référé suspension et le référé liberté, ne sont pas les bonnes à tout faire du contentieux administratif. Séduisantes pour les requérants par leur célérité, ceux-ci, et leurs avocats, en usent et en abusent à leurs risques et périls. Ces voies de droit ne peuvent servir que pour ce à quoi elles sont destinées. Toute situation dramatique, inhumaine, glaciale par son caractère tragique, ne relève pas ipso facto d’un traitement par le référé et, disons-le, même d’un traitement contentieux tout court car, au vrai, il ne s’agit pas d’une question proprement juridique même si l’on prend soin d’y plaquer un habillage juridique. Les capacités d’accueil de la France ne sont pas infinies et indéfiniment extensibles. Cette affaire en témoigne.

M. D., ressortissant bangladais, a obtenu le statut de réfugié en septembre 2020 et il dispose d'une carte de résident ; il a été rejoint en France, en février 2023, par Mme A. et leur enfant de six ans au titre de la réunification familiale. Ils ont obtenu du juge des référés de première instance qu’injonction soit faite au préfet de leur proposer un hébergement d'urgence. Sur appel, le juge des référés du Conseil d’État annule cette ordonnance en dépit de la gravité de la situation des demandeurs. Ainsi, relève-t-il que « Le 115 a (…) reçu, dans la seule journée du 20 avril 2023, 2 079 appels, mais seuls 687 ont obtenu une réponse et 971 personnes, dont 711 correspondant à des familles avec des enfants, ces derniers étant au nombre de 332 mineurs, n'ont pu se voir proposer de solution d'hébergement. De même, il résulte des précisions apportées à l'audience que du 1er au 7 mai 2023, sur les 493 enfants de moins de 6 ans concernés par une demande de prise en charge, 252 se sont trouvés sans solution. »

En l’espèce, où les intéressés disposent de moyens de subsistance, ceux-ci ne se trouvent donc pas dans la situation la plus grave et il est normal que soit d’abord assuré l’hébergement des personnes et des familles constituant des cas plus désespérés.

Enfin, cette solution demeure alors même que, comme indiqué pour la première fois en appel et pour regrettable que soit cette circonstance, le demandeur reconnu prioritaire depuis novembre 2021 dans le cadre de la procédure distincte du droit au logement opposable, ne s'est pas vu proposer à ce jour de solution à ce titre.

(ord. réf. 15 mai 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logementn° 473605)

(48) V. aussi, décidant que c’est à bon droit que le juge du référé liberté a, notamment, enjoint au département du Loiret d'attribuer à Mme M’mah A. un hébergement, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de son ordonnance, au titre de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles qui dispose : « Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général : (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. ».

Le département appelant faisait valoir que l’intéressée ne remplissait ni la condition d'urgence prévue par l'art. L.521-2 du CJA, ni les conditions prévues au 4° de l'art. L.222-5 du code de l'action sociale et de la famille, car elle ne justifiait ni son besoin de soutien psychologique ni son absence de ressources, et qu’elle avait contribué à la situation qu'elle dénonce, d'une part, en regagnant illégalement le territoire français après avoir été reconduite en Italie en application de la procédure « Dublin », d'autre part, en refusant, à une reprise au moins, une solution d'hébergement d'urgence, après avoir recouru dans un premier temps à des solutions d'hébergement alternatives chez des personnes privées. Le juge des référés du Conseil d’État fonde son rejet de l’appel sur ce que Mme A. est enceinte et accompagnée de ses deux enfants dont l'un a moins de trois ans, qui se sont vu reconnaître le statut de réfugié par deux décisions du 8 février 2023 et sur ce qu'elle ne dispose d'aucune autre ressource que les 180 euros mensuels qui lui sont versés par le département pour l'accès aux produits de première nécessité, enfin, qu'elle se trouvait, jusqu'à ce qu'un hébergement lui soit proposé en exécution de l'ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, sans domicile ni solution d'hébergement pour elle-même et pour ses enfants.

Il est donc jugé que sont remplies en l’espèce, les conditions prévues au 4° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ainsi que la condition d'urgence requise par l'art. L.521-2 du CJA : ord. réf. 30 mai 2023, Département du Loiret, n° 473995.

 

49 - Ressortissante tunisienne - Contrat « jeune majeur » - Nouvelle prise en charge refusée par le département - Annulation - Rejet.

 Une ressortissante tunisienne née en 2005, entrée en France en juillet 2020, a fait l'objet d'un placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance, puis, d’un jugement en assistance éducative rendu en 2020, le juge des enfants l'ayant confiée à la direction de la protection de l'enfance et de la jeunesse (DPEJ) du conseil départemental pour une durée de quatre mois, prolongée par une nouvelle ordonnance du 6 janvier 2021. Enfin, une procédure de tutelle d'Tat a été ouverte le 12 avril 2021 par le juge des tutelles des mineurs, l'assistance éducative étant en conséquence déclarée sans objet, la tutelle de Mme B. a fait l'objet d'une mainlevée le 25 octobre 2022. Par un nouveau jugement en assistance éducative du 3 janvier 2023, le juge des enfants du tribunal judicaire a placé à nouveau Mme B. sous la responsabilité de la DPEJ du conseil départemental. Le 22 février 2023, Mme B. a demandé au président du conseil départemental la conclusion d'un « contrat jeune majeur » pour terminer ses études d'esthétique dans un lycée. Par une décision du 10 mars 2023, le président du conseil départemental a refusé de faire droit à sa demande et l'a informée de la fin de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance à compter du 27 mars 2023. 

Le juge du référé liberté, saisi par l’intéressée, a suspendu cette décision et a enjoint cette autorité de réexaminer sa situation notamment en lui proposant un accompagnement comportant l'accès à une solution de logement adaptée, la prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires ainsi qu'un suivi éducatif pour lui permettre de poursuivre sa scolarité au moins jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours. 

L’appel dirigé contre cette ordonnance est rejeté.

Le juge estime d’abord que le département n'apporte en appel aucun élément de nature à remettre en cause le constat du juge des référés selon lequel l’intéressée ne bénéficie d'aucun soutien familial réel, d'aucune ressource, ni d'aucune solution d'hébergement stable à compter du 27 mars 2023. Ensuite, il considère que c'est à bon droit que le juge des référés a estimé que les réserves pouvant être exprimées concernant le comportement de Mme B. lorsqu'elle était mineure ainsi que son manque d'investissement dans ses études ne pouvaient suffire, pour l'application des dispositions du 5° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, à justifier qu'il soit mis fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance.

Statuant sur un cas limite - ce que révèle l’incise « eu égard à l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce » -, la décision conclut que, par son argumentation, le requérant ne justifie pas la remise en cause de l'appréciation du juge des référés aussi bien sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale résultant du refus de prolonger la prise en charge de Mme B., en sa qualité de jeune majeure, que sur l'urgence de cette prise en charge.

(ord. réf. 09 mai 2023, Président du conseil départemental du Val-de-Marne, n° 473601)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

50 - Élections municipales - Format anormal des bulletins de vote - Atteinte à la sincérité du scrutin - Annulation.

Altère la sincérité du scrutin la manœuvre consistant à imprimer des bulletins de vote sur des feuilles de papier dont les côtés mesuraient 148 mm x 210 mm, soit au format A5, et non, comme l'exigent les dispositions de l'art. R. 30 du code électoral, sur des feuilles de 105 mm x 148 mm, soit de format A6.

Cette irrégularité, en provoquant un gonflement des enveloppes électorales, a été de nature à permettre l'identification du sens du vote des électeurs au moment où ils introduisaient leur enveloppe dans l'urne. Elle conduit à l’annulation des opérations électorales.

(04 mai 2023, M. I., élections municipales complémentaires d’Ercourt, n° 469492)

 

51 - Élections départementales - Appel d’un jugement en contestation des résultats électoraux - Qualité pour agir en cas de rejet de la protestation en première instance - Intervention tardive à cette instance - Rejet.

Selon un principe constant du contentieux électoral tout électeur est recevable à contester les résultats d’une élection et, en cas d’annulation de celle-ci, à interjeter appel, tel n’est pas le cas lorsque les premiers juges ont rejeté la protestation : dans cette hypothèse seuls les protestataires de première instance ont qualité pour former appel. Toutefois, celui qui, en première instance, était intervenu à l’instance tardivement n’a pas qualité pour interjeter appel.

(15 mai 2023, M. C., élections départementales du canton de Noisy-le-Grand, n° 462074)

 

52 - Élections à l’assemblée de la Polynésie française - Référé « mesures utiles » - Demande d’injonction tendant à la proclamation des résultats de cette élections - Requête sans objet - Rejet.

Par une étrange requête le demandeur a saisi le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA (référé « mesures utiles ») aux fins qu’il appelle à la cause le haut-commissaire de la république en Polynésie française et qu’il enjoigne notamment au président de l'assemblée de la Polynésie française, de proclamer les résultats de l'élection des représentants à cette assemblée du 30 avril 2023, sous astreinte d'un million de francs Pacifique par heure de retard à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir.

Les demandes sont rejetées, le juge relevant que la « commission de recensement des votes a proclamé publiquement, le 1er mai 2023, les résultats définitifs du second tour pour (cette élection) (…). Les résultats de cette élection ont ensuite été publiés, par arrêté du président de l'assemblée de la Polynésie française (…) du 3 mai 2023 prenant acte de l'élection des représentants à l'assemblée de la Polynésie française, au Journal officiel de la Polynésie française le 4 mai 2023. »

Il suit de là, avec évidence, que cette requête, introduite le 15 mai 2023, était déjà dépourvue d’objet lors de son dépôt au Conseil d’État et que les conclusions qu’elle contient sont irrémédiablement irrecevables.

L’infliction d’une amende pour abus du prétoire n’aurait pas été malvenue en la circonstance.

(16 mai 2023, M. B., n° 474130)

 

53 - Élections professionnelles dans la fonction publique - Arrêté d’organisation d’opérations électorales - Élections s’étant déroulées - Recours devenu sans objet - Non-lieu à statuer - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de l’arrêté du 9 mars 2022 portant dérogation à l'utilisation du vote électronique en vue du prochain renouvellement général des instances de dialogue social dans la fonction publique de l’État et de l'instruction du 2 décembre 2022 relative à l'organisation des scrutins de comités sociaux d'administration de proximité des directions départementales interministérielles.

Le recours est rejeté car il est devenu sans objet du fait que les élections se sont déjà déroulées.

En effet, s’il est possible de contester au moyen d'un recours tendant à l'annulation des opérations électorales concernées la légalité des actes attaqués qui sont relatifs à l'organisation du scrutin, en revanche, le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de ces actes est, après la tenue du scrutin, devenu sans objet. Il n’y a donc pas lieu d’y statuer.

(12 mai 2023, Union fédérale des syndicats de l’État CGT (UFSE-CGT), l'Union syndicale Solidaires Fonction publique et la Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 469412)

 

Environnement

 

54 - Betteraves sucrières - Traitement par produits interdits sauf conditions particulières - Absence - Annulation.

Cette affaire est un nouvel épisode de la « guerre de la betterave sucrière » suscitée par l’emploi de substances chimiques destinées à assurer la protection sanitaire de ces plantes mais toxique pour les abeilles en particulier.

Les requérantes demandaient l’annulation, d’une part, de l'arrêté interministériel (agriculture et transition écologique) du 5 février 2021 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame et, d’autre part, pour certaines d’entre elles, l’annulation de l'arrêté interministériel du 31 janvier 2022 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame et précisant les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivantes.

L’art. 53 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dispose dans son 1. qu’un État membre peut autoriser, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d'un usage limité et contrôlé, lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables. Toutefois, la CJUE a dit pour droit que ces dispositions ne permettent pas à un État membre d'autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces produits ont été expressément interdites par un règlement d'exécution (19 janvier 2023, Pesticide Action Network Europe e.a., aff. C-162/21).

Deux règlements d’exécution (2018/783 et 2018/785 du 29 mai 2018) ont interdit la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide des deux substances actives imidaclopride et thiamétoxame, sauf aux fins de culture dans des serres permanentes, tout au long de leur cycle de vie, de sorte que la culture obtenue ne soit pas replantée à l'extérieur. 

Dès lors que les ministres défendeurs ne soutiennent pas que des cultures de betteraves sucrières seraient pratiquées sous serre tout au long de leur cycle de vie, il s’ensuit qu’ils ne pouvaient pas, sans illégalité, par les arrêtés attaqués, se fonder sur les dispositions de l'article 53 du règlement de l’Union n° 1107/2009 pour autoriser l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits contenant de l'imidaclopride ou du thiaméthoxame.

Les arrêtés contestés sont annulés.

(03 mai 2023, Association Agir pour l'environnement et autres, n° 450155 et n° 461199 ; Association CRIIGEN et autres, n° 450287 ; Association Générations futures et autres, n ° 450932, n° 451271 et n° 451380 ; Union nationale de l’apiculture française, n° 450933 et n° 451272)

 

55 - Action pour le climat - Gaz à effet de serre - Objectif de réduction d’émissions fixé par la loi et le droit de l’Union - Stratégie bas carbone - Procédure d’examen de l’exécution effective d’une décision du Conseil d’Tat - Complément d’injonction ordonné.

Nouvel épisode de l’« affaire du siècle », inépuisable saga contentieuse.

Avec grande constance dans la fermeté, sûreté et sérénité d’analyse et beaucoup de pédagogie, le Conseil d’État persiste et signe, forçant l’effort toujours un peu vacillant du politique, sensible qu’il est à d’autres sirènes.

On se souvient que dans une décision très remarquée du (1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe et M. A., n° 427301) le Conseil d’État avait annulé le refus implicite opposé par le président de la république, le premier ministre et la ministre de la transition écologique à la demande de la commune de Grande-Synthe de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'art. L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I du règlement communautaire du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris. Le juge avait également enjoint au premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022.

La commune de Grande-Synthe, le premier ministre ayant opposé un refus implicite de prendre les mesures supplémentaires qu’elle préconise pour permettre d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction de ces émissions, a saisi le Conseil d’État, sur le fondement des art. L. 911-5 et R. 931-2 du CJA, de trois demandes tendant à l’annulation de ce refus et au prononcé d'une astreinte.

Après que la section du rapport et des études, ayant exécuté les diligences lui incombant, a transmis ces demandes d'exécution au président de la section du contentieux, celui-ci a ouvert une procédure juridictionnelle d'exécution. 

Ainsi, outre le fond, soit la lutte contre le réchauffement climatique, cette décision est très importante par la description minutieuse et complète des voies et moyens du juge pour assurer l’exécution effective de ses décisions, spécialement ses injonctions. Nous pensons que jamais le juge n’était allé aussi loin dans l’investigation et dans l’analyse.

 

A)           Le dispositif théorique

 

1 - Tout d’abord, à travers la description de l’office du juge de l’exécution, le Conseil d’État fournit un modèle théorique et méthodologique pour permettre cette investigation et pour effectuer cette analyse, décrivant d’abord ainsi l’objet de son office « Au cas d'espèce, le Gouvernement doit, pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1er juillet 2021, justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs précédemment mentionnés, fixés à l'échéance 2030 (…). »

 

2 - Puis, le juge expose comment il va procéder pour apprécier l’état et le degré d’exécution : « (…) le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. »

 

3 - Enfin, le juge indique les quatre étapes de cette appréciation ; il lui revient « (…) en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des événements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, (…) de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, (de) prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat (…), pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en œuvre, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. »

Au terme de ce bilan, deux situations peuvent se présenter : soit  « le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision » ; soit, à l’inverse, le juge  estime que, la trajectoire d'atteinte de ces objectifs n’a pas été respectée  et, en ce cas, « il lui appartient d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l'administration pour procéder à l'exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être. »

 

B)            L’examen de la situation concrète

 

Le juge applique strictement le canevas de contrôle qui vient d’être rappelé.

 

1 - En premier lieu, sont appréciés les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre relevés jusqu'à la date de la présente décision, le juge constatant que « Sous réserve de la confirmation de (…) données provisoires pour l'année 2021 puis pour l'année 2022, ces éléments mettent en évidence que les parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour le 2e budget carbone pour les années 2019, 2020 et 2021, (…)  ont été respectées et que celle prévue pour l'année 2022 pourrait l'être également. Sur la période 2019-2021, il en résulte un rythme de diminution annuel moyen des émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de - 1,9 %. »

 

2 - En deuxième lieu, sont étudiées les mesures adoptées ou annoncées, mises en avant par le Gouvernement pour justifier de l'exécution de la décision dans les secteurs des transports (30% des émissions en 2021), du bâtiment, résidentiel comme tertiaire (18% des émissions), de l’activité agricole (19% des émissions), de l’activité industrielle (19% des émissions), des déchets (3% des émissions), ainsi que les financements alloués à l’ensemble de ces mesures et à la transition écologique.

 

3 - En troisième lieu, et c’est un point évidemment très important, est appréciée la compatibilité de ces mesures et du pilotage des politiques publiques mis en place avec la trajectoire de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Le juge met en balance les efforts faits, les critiques qui y sont adressées, le constat du Haut conseil pour le climat et le rehaussement des exigences de l’Union européenne en cette matière.

 

De tout ceci, découle la conclusion tirée par le juge en ces termes : « Cependant, si (le Gouvernement)  fait valoir que ces mesures permettront d'atteindre ces objectifs de réduction des émissions, d'une part, l'évaluation prospective qu'il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés, d'autre part, les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels de la stratégie nationale bas carbone menée par le Haut conseil pour le climat, laquelle n'a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties.

Dans ces conditions, et compte tenu notamment du renforcement de l'ampleur des réductions de gaz à effet de serre attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu'ici, il demeure des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en œuvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de gaz à effet de serre cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'Union européenne pertinents.

Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, la décision du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. Dans ces circonstances, et compte tenu notamment des diligences déjà accomplies par le Gouvernement ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être, il y a lieu, en l'état, de compléter l'injonction prononcée par cette décision en édictant, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 911-32 du code de justice administrative, les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l'exécution complète, sans qu'il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. »

Cette décision est assortie de l’obligation pour le premier ministre de prendre ces mesures complémentaires avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Cette décision constitue une véritable mise en tutelle du pouvoir exécutif dans son action climatique.

(10 mai 2023, Commune de Grande-Synthe et autres, n° 467982)

 

56 - Permis d’implantation d’éoliennes - Dégradation de la qualité d’un paysage remarquable - Préservation d’espaces caractéristiques du patrimoine montagnard - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation et renvoi.

L’arrêt confirmatif par lequel une cour administrative d’appel a rejeté le recours formé par les demanderesses contre trois décisions par lesquelles le préfet de la Loire a accordé trois permis de construire à la SAS Monts du Forez Énergie pour la construction d'un poste de livraison, d'un local technique et d'un mât de mesure, pour la construction d'une éolienne, et enfin pour la construction de quatre autres éoliennes est annulé pour double dénaturation des pièces du dossier soumis au juge.

D’une part, pour écarter le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché d'erreur manifeste son appréciation sur le respect par les permis de construire litigieux de l'art. R. 111-27 du code de l’urbanisme, la cour a jugé que le projet prévoit une implantation des ouvrages dans l'alignement de la crête du Grand Caire, selon un espacement régulier, créant ainsi une ligne de fuite propre à en atténuer l'impact visuel sur les paysages environnants et que les reliefs boisés et dômes environnants participent à éviter des ruptures d'échelle, de sorte qu'il n'en résulterait pas d'effet d'écrasement. Or le juge de cassation considère qu’eu égard à l'implantation des éoliennes projetées et à la dégradation de la qualité du paysage remarquable du site en résultant en dépit des éléments mis en avant pour justifier l'atténuation de leur impact visuel, la cour ne pouvait, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui étaient soumises, estimer que la décision du préfet de la Loire était exempte d'erreur manifeste d'appréciation.

D’autre part, la cour ne pouvait pas davantage, sans dénaturer les pièces du dossier, au regard de ce qui vient d’être dit, écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. L. 122-9 du code de l'urbanisme par les arrêtés attaqués alors que ce dernier dispose que : « Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ».

(24 mai 2023, Association Vent du Haut-Forez, communes de Chalmazel-Jeansagnière, de la Chamba, de La Côte-en-Couzan et de Saint-Didier-sur-Rochefort, n° 455072)

 

57 - Arrêté relatif à l’emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants - Arrêté relatif à l’emploi de pantes pour la capture de l'alouette des champs - Arrêté relatif à l’emploi de la tenderie aux vanneaux et de la tenderie aux grives - Arrêté relatif à l’emploi de matelotes pour la capture de l'alouette des champs - Non-lieu ou annulation selon les cas.

Les requérantes demandaient l’annulation du refus du premier ministre d’abroger les arrêtés du 17 août 1989 qui autorisent divers modes de capture d’oiseaux estimés contraires au droit de l’Union.

Sont tout d’abord déclarés sans objet les recours dirigés contre ces arrêtés en tant qu’ils sont relatifs à la capture de l'alouette des champs respectivement au moyen de pantes et de matoles puisqu’ils ont été abrogés par l'art. 9 de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de l'alouette des champs à l'aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et par l'art. 9 de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de cet oiseau à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne. En effet, si ces arrêtés ont le même objet que les arrêtés querellés du 17 août 1989 qu'ils abrogent, ils procèdent à des modifications substantielles des conditions dans lesquelles les procédés de chasse traditionnelle sur lesquels ils portent sont autorisés. Par suite, sont devenus sans objet en tant que dirigés contre le refus d’abroger les arrêtés de 1989, les recours n° 459403, n° 460530 et n° 460152. 

Ensuite, s’agissant des autres recours, concernant la tenderie aux vanneaux et la tenderie aux grives, les refus d’abroger les arrêtés de 1989 sont annulés pour contrariété aux dispositions de l’art. 9 de la directive du 30 novembre 2009 tel qu’interprété par la CJUE (17 mars 2021, One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux, aff. C-900/19).

Les chasseurs dépités se consoleront en visionnant à nouveau, désopilant, « Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques ».

(24 mai 2023, Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459400 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459403 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459405 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459409 ; Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 460452 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 460530)

 

58 - Ours brun dans les Pyrénées - Régime d’effarouchement - Condition d’urgence non satisfaite - Rejet.

Était demandée la suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 mai 2023 des ministres de l'agriculture et de la transition écologique relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, à l'exception de son article 7 abrogeant l'arrêté du 20 juin 2022.

La requête est rejetée pour défaut de satisfaction de la condition d’urgence car le juge estime que l'arrêté litigieux, qui fixe les conditions d'octroi des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns et les modalités de leur mise en œuvre, n'a ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d'autoriser les mesures d'effarouchement des ours, une telle autorisation ne pouvant résulter que de la décision prise par le préfet en application des dispositions de l'art. R. 411-6 du code de l'environnement. 

(30 mai 2023, Association One Voice, n° 474050)

 

État-civil et nationalité

 

59 - Retrait d’un décret de naturalisation - Motifs - Rejet.

C’est sans illégalité que le premier ministre retire le décret de naturalisation d’un ressortissant camerounais pour avoir menti au cours de la procédure sur le nombre de ses enfants, en déclarant quatre alors qu’il était le père de trois autres.

(11 mai 2023, M. E., n° 464406)

(60) V. aussi, admettant la légalité du retrait du décret de naturalisation d’une ressortissante ivoirienne pour dissimulation de sa situation maritale dès lors qu’elle n’a pas déclaré, au cours de la procédure de naturalisation, son mariage avec un ressortissant ivoirien demeurant à l’étranger, ne le faisant qu’après intervention du décret de naturalisation : 11 mai 2023, Mme A., n° 467149.

 

61 - Refus d’acquisition de la nationalité française - Infractions diverses - Rejet.

Est légal le refus d’autoriser la naturalisation d’un ressortissant tunisien fondé sur ce que l’intéressé, en 2017, 2018 et 2020, respectivement :

1° a été reconnu coupable, par ordonnance pénale du tribunal de grande instance de Chambéry, de faits de conduite d'un véhicule à moteur sous l'empire d'un état alcoolique et de port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, faits pour lesquels, il a été condamné à 300 euros d'amende, à la suspension de son permis de conduire pendant trois mois et à la confiscation d'armes ;

2° a dû s'acquitter d'une amende de 450 euros sur composition pénale pour des faits de conduite d'un véhicule malgré la suspension administrative de son permis de conduire ;

3°enfin, a été reconnu coupable par le tribunal correctionnel de Chambéry de récidive de port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, ainsi que de violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité et de transport sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, entraînant sa condamnation à un an d'emprisonnement avec sursis, à une interdiction de détenir une arme soumise à autorisation pendant cinq ans et à la confiscation des biens ou instruments ayant servi à commettre l'infraction.

Eu égard à la gravité des faits ainsi qu'à leur caractère répété et récent, et alors même que l'intéressé aurait eu un comportement ultérieur satisfaisant, le premier ministre, par son décret du 18 mars 2022 portant refus d’acquisition de la nationalité française, n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du Code civil en estimant que ces faits rendaient l’intéressé indigne d'acquérir la nationalité française :

(11 mai 2023, M. B., n° 465165).

 

Étrangers

 

62 - Obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction temporaire de retour en France - Absence d’attaches sérieuses en France - Maintien de liens avec le pays d’origine - Rejet.

Le représentant de l’État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, par un arrêté du 17 mars 2023, a obligé le requérant à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le requérant demande, par voie de référé liberté, outre la suspension de l’exécution de ces décisions, qu’injonction soit faite à leur auteur de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à intervenir, en troisième lieu, d'ordonner la restitution de son passeport et, en dernier lieu, d'enjoindre au représentant de l’État, en cas d'éloignement effectif, de mettre en œuvre son retour à Saint-Martin.

Le requérant interjette appel de l’ordonnance qui a rejeté l’ensemble de ses demandes.

Le juge des référés du Conseil d’État rejette l’appel.

Si M. B. soutient vivre depuis 2013 en concubinage avec Mme C., ressortissante française née en 1949, qui est handicapée et requiert sa présence au quotidien, ces affirmations ne sont pas corroborées par les pièces du dossier : hébergé de façon épisodique chez cette personne, il n’établit pas l’état concubinaire et l’existence d’une relation de couple si ce n’est pas des témoignages de complaisance de son entourage ; de plus, il a déclaré être célibataire, lors de son audition par les services de la police aux frontières le 25 juillet 2016 et aux termes de la fiche de renseignements qu'il a remplie le 8 novembre 2019 à l'occasion de sa demande de titre de séjour. Enfin, M. B., âgé de 54 ans, a vécu l'essentiel de sa vie dans son pays d'origine et ne prouve pas y être dépourvu d'attache, alors qu'il résulte de l'instruction qu'il a effectué à destination de celui-ci, pendant plusieurs années et encore en 2019, plusieurs virements au bénéfice de son frère. Dans ces conditions, l'arrêté litigieux  - contrairement à ce qui est soutenu - ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée et familiale.

(ord. réf. 08 mai 2023, M. B., n° 473705)

 

63 - Obligation de quitter le territoire français et interdiction temporaire de retour - Personne pouvant recevoir des soins médicaux appropriés dans son pays - Conjointe y résidant - Absence d’atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale - Rejet.

Confirmant l’arrêt frappé de cassation, le Conseil d’État rejette le recours formé par un ressortissant bangladais, signalé au fichier Système d’information Schengen (SIS), contre deux arrêtés du préfet de police de Paris lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai avec interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Tout d’abord, il est établi que le requérant pourrait recevoir des soins médicaux appropriés dans son pays d’origine. Ensuite, quand bien même il prétend avoir tissé des liens en France du fait de son insertion professionnelle, il reste que son épouse vit au Bangladesh.

Ni son état de santé ni le respect de sa vie privée et familiale ne peuvent donc être invoqués à l’encontre des arrêtés préfectoraux qu’il attaque.

(25 mai 2023, M. B., n° 461647)

 

64 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Effet dès la lecture de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Prétendue méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire - QPC - Rejet de la demande de transmission.

La requérante soutient que les dispositions de l’art. L. 542-1 du CESEDA portent atteinte à des droits ou libertés reconnus par la Constitution en ce qu'elles prévoient que le droit du demandeur d'asile de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de lecture en audience publique de la décision de la CNDA statuant sur le recours formé contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, méconnaissant ainsi les droits de la défense et le principe du contradictoire garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789, la convention EDH, le 2 de l'art. 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les principes généraux du droit communautaire. 

La demande de transmission est rejetée pour deux motifs.

En premier lieu, l’OQTF est une mesure de police non une sanction à caractère punitif, par suite est inopérant le moyen tiré de ce que les dispositions querellées méconnaîtraient les droits de la défense et le principe du contradictoire garantis par la Constitution, en ce qu'elles privent l'étranger dont la demande d'asile a été rejetée de la possibilité de présenter des observations et de faire valoir des éléments nouveaux avant l'adoption d'une telle mesure.

En second lieu, ne sauraient être invoquées les dispositions la convention EDH, la charte des droits fondamentaux de l'Union et les principes généraux du droit communautaire car ces engagements internationaux et ces principes « ne sont pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution » et ne peuvent donc pas être invoqués au soutien d’une QPC. Cette seconde partie de la décision est discutable dans tous les cas où les droits et principes qui y sont visés constituent en même temps des droits et principes figurant dans la Constitution ou déduits de celle-ci par la jurisprudence interne.

Elle entre d’ailleurs sur ce point directement en contradiction avec le principe d’équivalence des protections et/ou des garanties issu notamment de la décision d’Assemblée Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres (8 février 2007, n° 287110).

(25 mai 2023, Mme A., n° 471735)

 

65 - Avis de droit - Étranger - Demande de titre de séjour - Notion d’avis « émis à l’issue d’une délibération » - Délibération du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) - Procédure applicable - Réponse en ce sens.

Interrogé par deux tribunaux administratifs sur des questions voisines relatives au mode de statuer du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et au statut des décisions en résultant, le Conseil d’État indique ceci.

La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France et ses textes d'application ont prévu une procédure particulière aux termes de laquelle le préfet statue sur la demande de titre de séjour présentée par l'étranger malade.

Selon cette procédure, en premier lieu, un médecin de l’OFII autre que ceux composant le collège de trois médecins devant rendre leur avis au préfet, établit un rapport médical relatif à l'état de santé du demandeur, après avoir, le cas échéant, convoqué l’intéressé pour examen et fait procéder aux examens estimés nécessaires.

En deuxième lieu, au vu de ce rapport, est rendu un avis par trois médecins du service médical de l'Office, qui se prononcent en répondant par l'affirmative ou par la négative aux questions figurant à l'article 6 précité de l'arrêté du 27 décembre 2016, notamment sur les points de savoir si l'état de santé du demandeur nécessite ou non une prise en charge médicale, si le défaut de prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, enfin la durée prévisible du traitement. 

En troisième lieu, compte tenu de ce qui précède cet avis commun constitue une garantie pour l’étranger malade.

Enfin, les médecins signataires de l'avis ne sont pas tenus, pour répondre aux questions posées, de procéder à des échanges entre eux en dépit de l’emploi par les textes de l’expression « avis émis à l’issue d’une délibération » car l'avis résulte de la réponse apportée par chacun à des questions auxquelles la réponse ne peut être qu'affirmative ou négative. Il suit de là que la circonstance que, dans certains cas, ces réponses n'aient pas fait l'objet de tels échanges, oraux ou écrits, est sans incidence sur la légalité de la décision prise par le préfet au vu de cet avis.

(25 mai 2023, M. C., n° 471239 ; M. B., n° 471465)

 

66 - Visa d’entrée sur le territoire français - Recours en injonction de délivrance pour une enfant mineure - Incompétence du Conseil d’État en première instance - Rejet.

Le juge du référé liberté du Conseil d’État n’est manifestement pas compétent pour connaître directement d’un référé tendant à ce qu’il enjoigne à l'administration compétente de délivrer un visa d'entrée sur le territoire de la république française à la fille mineure du requérant afin qu'elle vienne du Cameroun en France pour vivre avec lui.

Il résulte en effet des dispositions de l’art. R. 312-18 du CJA que : « Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises en matière d'autorisations de voyage et de visas d'entrée sur le territoire de la république française relevant des autorités consulaires ressortissent à la compétence du tribunal administratif de Nantes. (...) ».

(ord. réf. 23 mai 2023, M. A., n° 473659)

 

67 - Médecin algérienne - Accueil en France en qualité de stagiaire par un centre hospitalier - Demande de titre de séjour en préfecture - Nécessité d’un visa de travail temporaire - Délivrance par les autorités consulaires françaises en Algérie - Confirmation de l’ordonnance de rejet.

La requérante, médecin de nationalité algérienne souhaitant exercer en France, a conclu une convention en vue de son accueil en qualité de stagiaire associé pour une durée de six mois renouvelable à compter du 1er novembre 2022. Cette convention a fait l'objet d'un avis favorable du ministère de l'intérieur. Elle est arrivée en France, accompagnée de ses trois enfants, à l'été 2022, sous couvert d'un visa de court séjour dit « visa touristique de type C » et elle a, le 25 novembre 2022, sollicité par courriel un rendez-vous en sous-préfecture en vue de l'obtention d'un titre de séjour.

Informée par cette dernière de la nécessité, avant de pouvoir commencer son stage, d’obtenir un visa de travail temporaire auprès d'une autorité consulaire française en Algérie, l’intéressée a saisi le tribunal administratif d’un référé aux fins d’injonction au préfet de lui délivrer un formulaire de demande de titre de séjour et un récépissé du dépôt de cette demande une fois celle-ci effectuée.

Elle relève appel de l'ordonnance par laquelle ce juge a rejeté sa demande. L’appel est rejeté.

Comme jugé en première instance, il résulte des dispositions de l’art. L. 312-2 du CESEDA que le visa de long séjour à des fins de travail temporaire que doit détenir la requérante pour effectuer régulièrement son stage auprès d’un centre hospitalier ne peut pas être délivré par les services préfectoraux et doit faire l'objet d'une demande auprès d'autorités consulaires françaises en Algérie, ainsi d’ailleurs que les services de la sous-préfecture l’ont indiqué à l’intéressée trois jours après avoir été saisis et qu’ils l'ont expliqué aux services administratifs du centre hospitalier.

C’est à bon droit que, jugeant qu’il n’était pas porté en l’espèce une atteinte grave à une liberté fondamentale, le juge des référés, a rejeté la demande dont il était saisi.

(ord. réf. 25 mai 2023, Mme A., n° 474333)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

68 - Fonction publique territoriale - Sanction disciplinaire - Possibilité de retenir des faits antérieurs à la nomination de l’agent - Conditions - Motivation insuffisante - Annulation.

Réitérant un certain courant jurisprudentiel ancien (Section, 5 décembre 1930, Sarrail, n° 3130, D. 1931.3.58, concl. Rivet) mais pas isolé (6 juillet 2016, Mme Maurice et autres, n° 392728), le juge administratif pose en principe : « Lorsque l'administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d'un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l'intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire. »

Toutefois, cette possibilité n’est pas sans garde-fou et, en l’espèce, est annulé un arrêt de cour d’appel infirmant le jugement ayant annulé la révocation d’un fonctionnaire pour des faits antérieurs à sa nomination dans la fonction publique et assorti cette annulation d’une injonction de réintégration.

Le juge a estimé en premier lieu que ne pouvait être retenue contre l’intéressé la consultation du dossier d'un bénéficiaire par fraude d'une allocation versée par le département et à l’égard duquel aucune charge n'a été retenue à l'issue de l'enquête judiciaire qui avait été diligentée après la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département.

Il a considéré en second lieu, que ne pouvaient pas davantage fonder légalement la décision de révocation  les faits que cet agent, né en 1989 : 1°/ a été condamné en 2008, par un tribunal correctionnel à raison d'un vol avec violence n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, commis au préjudice d'un magasin pour un montant de 485 euros, à une peine de deux ans de prison dont un an avec sursis, puis 2°/ a été condamné par un autre tribunal correctionnel, en 2012, pour avoir tenté de pénétrer sans autorisation dans un établissement pénitentiaire en s'y présentant avec une pièce d'identité qui n'était pas la sienne, à une peine de trente jours-amende.

Le juge considère, avec mansuétude, que ces condamnations - dont l'administration a pris connaissance en 2014, qui ont donné lieu, pour la seconde, à une dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé et, pour la première, à un effacement de ces mentions par jugement du 15 mai 2012 -, eu égard à l'ancienneté des faits ayant justifié la première condamnation et à leur nature, ayant d'ailleurs conduit l'autorité judiciaire à retenir en 2012 que leur gravité ne justifiait pas ou plus de mention des condamnations correspondantes au bulletin n° 2 du casier judiciaire, n'affectaient pas à elles seules le bon fonctionnement ou la réputation du service dans des conditions justifiant la révocation de l'intéressé par l'arrêté attaqué du 26 avril 2017. 

(03 mai 2023, M. A., n° 438248)

 

69 - Corps des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux - Création d’un échelon spécial au sein de la hors classe de ce corps - Rétroactivité illégale - Demande irrecevable.

L’intéressé, inspecteur hors classe de l'éducation nationale, a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er octobre 2015. Un arrêté du 19 février 2016 a inscrit 54 agents au tableau d'avancement à l'échelon spécial du grade d'inspecteur de l'éducation nationale hors classe au titre de l'année 2015.

Constatant ne pas figurer dans cette liste, il a contesté en vain la légalité de cette omission et se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de ce rejet.

Pour dire ce recours irrecevable, le Conseil d’État relève que le décret du 30 décembre 2015 a créé, au sein de la hors classe du corps des inspecteurs de l'éducation nationale, un échelon supplémentaire dit « échelon spécial », l’art. 7 de ce décret dispose que « des tableaux d'avancement à l'échelon spécial sont établis, l'un au titre de l'année 2015, l'autre au titre de l'année 2016, à compter de la date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 16 du décret du 18 juillet 1990 dans leur rédaction issue du présent décret ». Or aucune disposition de nature législative n’a donné à ce décret un effet rétroactif : le tableau d’avancement de l’année 2015 pour la promotion à l'échelon spécial du grade d'inspecteur de l'éducation nationale hors classe était donc illégal et le demandeur ne pouvait pas s’en prévaloir, d’autant qu’il a été admis à la retraite au cours de cette même année et qu’ainsi le tableau d’avancement attaqué ne lui cause aucun préjudice de carrière. Son recours est rejeté pour irrecevabilité.

(03 mai 2023, M. B., n° 451350)

 

70 - Conseil de discipline - Avis sur un licenciement - Partage des voix - Sens de l’avis - Rejet de la proposition de licenciement - Annulation.

L’administration ayant envisagé le licenciement d’un agent pour insuffisance professionnelle, a saisi le conseil de discipline. Quatre de ses membres ont voté en faveur du licenciement et quatre autres se sont abstenus.

L’intéressé a obtenu la suspension en référé de la mesure de licenciement et le ministre de la justice se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

C’est l’occasion pour le juge de cassation de rappeler, à titre préliminaire, que, d’une part, si en matière disciplinaire il existe une échelle de sanctions entre lesquelles l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut choisir, en revanche, en cas d'insuffisance professionnelle, la seule mesure qui peut intervenir est l'éviction de l'intéressé, d’autre part, dans la circonstance qu’un conseil de discipline ne se prononce pas en faveur du licenciement, l’autorité administrative peut néanmoins y procéder.

En l’espèce, en l’état du partage des voix, le conseil de discipline doit être regardé comme ayant été consulté et comme ne s'étant pas prononcé en faveur de la proposition de licenciement qui lui était soumise. Il n’y a là nulle ambiguïté sur le sens de son avis contrairement à ce qu’a jugé la juridiction des référés pour ordonner la suspension.

Par ailleurs, n’est pas retenue l’existence d’un doute sérieux qui serait tiré d’une irrégularité de la procédure suivie devant le conseil de discipline.

(03 mai 2023, garde des sceaux, n° 466103)

 

71 - Agent public territorial - Enseignant au conservatoire de musique - Révocation - Comportement inapproprié avec ses élèves - Annulation et rejet.

Une collectivité publique se pourvoit en cassation d’une ordonnance de référé suspendant l’exécution de l’arrêté portant évocation d’un enseignant d’un conservatoire de musique pris par le président de cette collectivité.

Le juge de cassation annule l’ordonnance de suspension et rejette, au fond, la demande qu’avait présentée en première instance l’intéressé.

Il est d’abord reproché au premier juge d’avoir - au prix d’une erreur de droit - estimé remplie la condition d’urgence en se fondant seulement sur ce que l'arrêté litigieux privait l’enseignant de l'emploi d'assistant spécialisé d'enseignement artistique titulaire qu'il exerce au conservatoire de Pau depuis 27 ans et de près de 30 % de ses ressources financières et qu'il a des dépenses incompressibles mensuelles, alors qu’il lui incombait de rechercher si, compte tenu de l'argumentation présentée en défense par la communauté d'agglomération Pau Béarn Pyrénées, relative aux troubles que la réintégration de l'intéressé occasionnerait, la suspension demandée était susceptible de porter à des intérêts publics une atteinte de nature à faire regarder la condition d'urgence comme n'étant pas remplie.

Par ailleurs sont rejetés, comme non établis, les griefs tirés, l’un, de ce que le président de la communauté d’agglomération se serait cru en situation de compétence liée envers l’avis du conseil de discipline, l’autre de ce que la décision de révocation était insuffisamment motivée. En effet, celle-ci mentionne bien qu'il est reproché à cet enseignant un comportement inapproprié à l'égard de plusieurs de ses élèves se caractérisant notamment par des gestes déplacés et des contacts physiques répétés sans lien avec l'enseignement du piano.

Sur ces deux points, l’ordonnance de référé est jugée entachée de dénaturation des faits de l’espèce.

(05 mai 2023, Communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées, n° 462141)

(72) V. aussi, et à l’inverse, annulant une ordonnance de référé rejetant le recours d’un technicien de laboratoire tendant à la suspension de sa révocation de la fonction publique. Cette annulation procède du double motif, d’une part, qu’existe une urgence en l’espèce du fait que la décision de révocation prive l’agent, demandeur d’emploi non indemnisé depuis janvier 2023, et de son emploi d'agent titulaire de la fonction publique et de son traitement, portant ainsi à sa situation une atteinte grave et immédiate, alors que son employeur ne soutient pas que sa réintégration porterait atteinte au bon fonctionnement du service et, d’autre part, qu’existe un doute sérieux sur la légalité de cette décision en ce qu’elle est fondée sur une faute unique - les violences commises par le requérant le 16 décembre 2021 à l'encontre d'un collègue, qui ont entrainé pour celui-ci cinq jours d'arrêt de travail -, alors que durant cette altercation les violences ont été réciproques, et que les états de service du requérant sont bons depuis près de douze ans, la sanction paraissant, en l’état du dossier, disproportionnée : 04 mai 2023, M. B. c/ groupe  hospitalo-universitaire Hôpitaux universitaires Henri Mondor, n° 470035.

 

73 - Fonctionnaire - Accident de trajet - Appréciation du taux d’incapacité permanente partielle (IPP) - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Est jugé entaché de dénaturation des pièces du dossier le jugement qui, pour rejeter un recours contre un refus d’indemnisation d’un accident de trajet relève « qu’il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis de la commission de réforme du 19 novembre 2019, que le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) lié aux séquelles de la fracture malléole interne qui a affecté la cheville droite de M. A. doit être évalué à 10 % dont 5 % imputables à un état antérieur » alors que cette commission, dans ses avis du 19 novembre 2019 et du 30 juin 2020, a constaté la consolidation au 19 juin 2019 de l'état du requérant résultant de son accident du 26 avril 2017 avec taux d'incapacité permanente partielle évalué à 10%, relevé l'existence d'un état antérieur prédominant évalué à 5% non imputable, qu'elle a distingué du taux de 10 % imputable à l'accident de service, et conclu à l'éligibilité du requérant à l'allocation temporaire d'invalidité.

(12 mai 2023, M. A., n° 463753)

 

74 - Relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique - Principe général du droit à un salaire minimum - Augmentation de traitement pour avancement d’échelon - Rejet.

Rappel de ce qu’en vertu d’un principe général du droit, applicable à tout salarié et dont s'inspire l'art. L. 3231-2 du code du travail, les agents publics ont droit à un minimum de rémunération qui, en l'absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l'intéressé appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance défini à l'art. L. 3231-2 de ce code.

Il suit de là que, contrairement à ce que soutient le requérant, ne comportant aucune disposition de caractère statutaire, le décret attaqué, qui porte relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique, n’avait pas à être soumis à la consultation préalable du Conseil commun de la fonction publique et qu’il ne méconnaît pas davantage, par lui-même, la règle instituée par le dernier alinéa de l'art. L. 522-2 du code général de la fonction publique, selon laquelle tout avancement d'échelon se traduit par une augmentation de traitement. 

(12 mai 2023, Syndicat CGT Finances publiques, n° 465173)

 

75 - Agent public cessant ses fonctions pour une activité privée lucrative - Directeur général des services d’une commune - Appréciation de la compatibilité - Avis négatif de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Rejet.

Le demandeur, directeur général des services d’une commune chef-lieu de département après avoir été celui d’une commune voisine, a souhaité opérer une reconversion professionnelle pour devenir directeur de la société Pierre et Finance. La HATVP a émis un avis négatif sur cette demande du fait du risque pénal en résultant au regard des art. 432-12 et 432-13 du code pénal.

La Haute autorité a notamment fondé son avis sur ce que M. D. avait visé le projet de délibération soumis à l'approbation du conseil municipal d'Ensisheim au cours de sa séance du 14 janvier 2021, autorisant le maire de cette commune à céder à la société MDB plusieurs parcelles appartenant à la commune en vue d'y construire un pôle santé et sur ce que cette société était détenue par un unique actionnaire qui possédait également, par l'intermédiaire d'une société holding, la société Pierre et Finance que M. D... entendait rejoindre.

Le requérant demande l’annulation de cet avis ; sa requête est rejetée.

D’abord, c’est par une exacte application de l’art. L. 124-12 du code général de la fonction publique que la Haute autorité a estimé que l'interposition d'une société holding entre l'actionnaire détenant la société Pierre et Finance et la société MDB ne faisait pas obstacle à l'application des dispositions de l'art. 432-13 du code pénal.

Ensuite, la circonstance, invoquée par le requérant, qu'il n'aurait rendu qu'un avis de nature technique sur le projet de création d'une maison médicale, et que la décision de céder des parcelles de la commune à la société MDB, prise sur le fondement, notamment, de considérations d'opportunité, relevait de la seule compétence du conseil municipal, n’empêche pas que la Haute Autorité a fait une inexacte application de l'art. L. 124-12 du code général de la fonction publique en estimant qu'un tel avis était de nature à entrer dans le champ des dispositions de l'art. 432-13 du code pénal.

Enfin, c’est sans inexactitude dans sa qualification des faits que la Haute autorité a estimé qu’existait un risque pénal du fait que l’intéressé a rendu un avis en tant que directeur général des services, sur le projet de délibération autorisant le maire d'Ensisheim à conclure un contrat avec la société MDB alors même que le demandeur fait valoir que la création d'une maison médicale a été envisagée avant sa prise de fonction et que l'opération a été instruite par le service des domaines et sous la responsabilité d'une personne chargée de l'urbanisme au sein de la commune. 

(12 mai 2023, M. D., n° 468470)

 

76 - Enseignant-formateur d’un centre de formation d’apprentis - Agent chargé de fonctions représentatives - Licenciement pour claque sur le thorax d’un élève récalcitrant - Faits qualifiés exactement - Confirmation de l’annulation du licenciement - Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation de l’arrêt confirmant le jugement d’un tribunal administratif annulant le licenciement d’un enseignant dans un centre d’apprentissage pour avoir giflé le thorax d’un élève âgé de près de dix-huit ans. Le pourvoi est rejeté car le juge de cassation estime que la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que les faits incriminés n’avaient pas une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En effet, l’enseignant avait, lors d'un cours dispensé à une classe de terminale dans un centre de formation d’apprentis, donné une claque sur le thorax d'un élève-apprenti qui avait fait usage à plusieurs reprises de son téléphone portable pendant le cours et avait persisté dans ce comportement en dépit du rappel à l'ordre qu'il lui avait adressé, en accompagnant ce geste de l'avertissement qu'il allait le « dépouiller ». La cour en a déduit que le caractère fautif du manquement de l’enseignant à ses obligations professionnelles étant établi, cette faute n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé dès lors, notamment, que ces faits avaient été commis en réaction à l'attitude provocatrice et insolente de l'élève-apprenti et s'inscrivaient dans un contexte de tensions constaté au sein de l'établissement entre les formateurs et les élèves-apprentis, que la demande formulée lors de deux entretiens d'évaluation en 2014 et 2016 par l’enseignant de suivre une formation à la gestion des rapports conflictuels était demeurée sans réponse de la part de son employeur à la date à laquelle les faits litigieux étaient survenus, que l’enseignant n'avait fait l'objet d'aucune sanction durant les vingt-cinq ans passés au sein du Centre de formation pour adultes (CFA) et qu'il ne s'était jusqu'alors jamais vu reprocher, dans l'exercice de ses fonctions, des faits de même nature que ceux en litige.

(16 mai 2023, Association PROMETA, n° 460677)

 

77 - Nomination directe dans la magistrature - Condition de diplôme - Absence - Rejet.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que pour refuser à la requérante l’accès direct à la magistrature, la commission d’avancement a retenu qu’en dépit du fait qu’en sa qualité d’adjointe administrative de 2ème classe ayant exercé successivement, entre 2009 et 2016, au conseil général du Val de Marne, à la cour administrative d'appel de Paris et à la Cour des comptes, celle-ci ne pouvait faire valoir qu’un succès en première année de droit et un DUT en « techniques de commercialisation » au lieu de l'accomplissement d'une formation d'une durée au moins égale à quatre années d'études après le baccalauréat dans un domaine juridique.

En outre, l’intéressée ne satisfaisait plus, au moment de sa demande, à la condition d’âge.

(24 mai 2023, Mme A., n° 461066)

(78) V. aussi, jugeant que c’est sans erreur manifeste d’appréciation - compte tenu de l'avis défavorable rendu par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence - que le Conseil supérieur de la magistrature - qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation - a rendu un avis non conforme sur la candidature de la requérante présentée par le garde des sceaux en vue de sa nomination à titre temporaire au tribunal judiciaire de Nice alors même qu’elle est titulaire d'une maîtrise de droit, d'un DEA de droit privé et du doctorat en droit de l'université de Nice, qu’elle fait valoir qu'elle a enseigné entre 1995 et 1999 et qu'elle a exercé comme avocate pendant neuf ans, puis comme juriste-consultant au sein du même cabinet pendant quatre ans, de sorte que ses compétences juridiques seraient établies et qu’elle produit aussi des témoignages attestant de ses qualités dans l’exercice de ses fonctions : 24 mai 2023, Mme A., n° 462246.

On a vu des décisions rendues au terme d’un raisonnement plus convaincant étant donnés les faits ici rapportés.

 

79 - Fonction publique hospitalière - Fixation du temps de travail et organisation du temps de travail - Absence d’atteinte au droit au repos et à la protection de la santé, au respect de la vie privée et familiale - Rejet.

Contrairement à ce qui est soutenu par la requérante  les articles 1er à 3 du décret du 30 novembre 2021 relatif au temps de travail et à l'organisation du temps de travail dans la fonction publique hospitalière, ne portent pas atteinte au droit au repos et à la protection de la santé ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale aussi bien car, d’une part, ils ne conduisent pas, par eux-mêmes, à généraliser le recours à une amplitude maximale de journée de travail de 12 heures autorisé à titre dérogatoire, lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence et, d’autre part, l’annualisation du temps de travail, qui a pour objet d’assurer la continuité du fonctionnement du service public de santé, ne déroge ni aux dispositions relatives aux temps de repos quotidien et hebdomadaire, ni à la durée maximale hebdomadaire de travail, fixées par les art. 6 et 9 du décret du 4 janvier 2002.

Par ailleurs ne peut être retenu le moyen selon lequel les art. 1er et 2 de ce décret du 30 novembre 2021 ne respecteraient pas les dispositions de l'art. 36 du décret du 3 décembre 2021 relatif aux comités sociaux d'établissement des établissements publics de santé, des établissements sociaux, des établissements médico-sociaux et des groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public dès lors que ces dernières ont été édictées postérieurement au décret attaqué.

(25 mai 2023, Fédération SUD Santé Sociaux, n° 460965)

 

80 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.

(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)

V. n° 32

 

81 - Enseignement supérieur - Professeur des universités - Faits de harcèlement - Suspensions temporaires des fonctions - Illégalité de la première, légalité de la seconde - Annulation et rejet partiels.

Le requérant, professeur des universités, dirige l'unité de formation et de recherche en sciences et techniques des activités physiques et sportives de l'université Caen Normandie. Il a fait l'objet, le 18 novembre 2020, de la part du président de son université, d'une mesure de suspension d'une durée maximale d'une année, avec maintien de son traitement. Puis, à la suite de son placement en congé de maladie ordinaire, pour la période du 5 au 30 juillet 2021, le président de l'université a pris un nouvel arrêté de suspension pour une durée de deux mois, sans privation de traitement, à compter du 23 août 2021.

L’enseignant demande l'annulation de ces deux décisions ainsi que de la décision rejetant le recours gracieux qu'il avait formé contre le premier arrêté.

Le Conseil d’État rappelle qu’eu égard à la nature de l'acte de suspension des fonctions et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision et non pas au jour où statue ce juge.

De là s’ensuit que les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte. 

Faisant application de cette règle contentieuse à la première des deux décisions attaquées, soit la suspension ordonnée par l’arrêté du 18 novembre 2020, le juge en prononce l’annulation motif pris de ce que, pour la prendre, le président de l’université ne s’est fondé que sur un signalement transmis, le 13 novembre 2020, par une enseignante rapportant les déclarations que lui aurait faites, début octobre 2020, Mme B., selon lesquelles M. Davenne, chargé de superviser ses travaux de thèse, aurait commis à son encontre des agissements susceptibles d'être regardés comme constitutifs d'une situation de harcèlement sexuel et moral à son encontre. En outre, ce seul signalement, d’ailleurs non produit au dossier, relate des propos tenus par Mme B. à raison de faits, dont l'autrice du signalement n'a pas été témoin et qui n'étaient, à la date de l'arrêté litigieux, corroborés par aucun autre élément porté à la connaissance du président de l'université à la date de son arrêté.

En revanche, concernant le second arrêté de suspension, celui du 23 août 2021, le juge constate « que lors de son audition, le 9 mars 2021, en présence de la directrice par intérim des ressources humaines, de la responsable de la direction des affaires juridiques, de la vice-présidente en charge des ressources humaines et du médecin du travail, Mme B. a dénoncé des faits de " harcèlement moral et sexuel " qui auraient été commis à son encontre par M. Davenne. (que) Mme B. a réitéré ses propos dans un témoignage circonstancié qu'elle a rédigé, le 16 mars 2021, faisant état de comportements déplacés et ambigus de M. Davenne à son égard, ayant eu lieu à plusieurs reprises. Par suite, et même si la matérialité de certains des faits est contestée par M. Davenne, le président de l'université de Caen Normandie a pu, en l'état des éléments alors portés à sa connaissance, estimer que les faits imputés à M. Davenne revêtaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Eu égard à ce caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et compte tenu du retentissement de ces allégations au sein de l'université, il n'a, par suite, pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L.951-4 du code de l'éducation en prenant, le 23 août 2021, la mesure attaquée. »

Ceci montre combien est délicate dans les affaires de cette nature l’appréciation du juge comme au reste la détermination de la conduite à tenir pour l’autorité hiérarchique.

(26 mai 2023, M. Davenne, n° 468850 et n° 468851, jonction)

 

82 - Militaire - Général de division de la gendarmerie nationale - Suspension de ses fonctions - Contestation de la mesure de suspension fondée sur la privation d’une partie de sa rémunération - Absence de situation d’urgence - Rejet.

Un général de division de la gendarmerie nationale, qui a fait l’objet d’une mesure de suspension de ses fonctions pour une durée maximale de quatre mois, a demandé au juge des référés du Conseil d’État que soit ordonnée la suspension de l’exécution de cette mesure au motif qu’elle le prive d’une partie de sa rémunération, soit son indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise. Pour rejeter la demande, le juge relève que le requérant n'apporte aucun élément tenant tant à ses revenus qu'à ses charges personnelles et familiales, non plus qu'à son épargne et sa trésorerie, permettant de considérer qu'il se trouverait, de ce fait, placé dans une situation financière telle qu'en résulterait pour lui une situation d'urgence au sens des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA.

Par suite, la condition relative à l’existence d’un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée n’est donc pas examinée.

(09 mai 2023, M. B., n° 473707)

 

Libertés fondamentales

 

83 - Droit de propriété - Énonciations portées au cadastre - Régime foncier de la Polynésie française - Rejet.

Saisi d’un litige en responsabilité du fait de mentions portées au cadastre de la Polynésie française s’agissant de certaines parcelles, le juge rappelle un principe constant du droit français selon lequel « Les énonciations cadastrales, par elles-mêmes et quelle que soit leur ancienneté, ne constituent pas un titre de propriété. »

Ensuite, dans le cas spécial de la Polynésie française, le juge estime en premier lieu que dans le cadre des opérations de rénovation du cadastre, les énonciations cadastrales peuvent être rectifiées à la diligence de l'administration lorsqu'elles sont entachées d'inexactitude, sans que soit ainsi tranchée une question relative au droit de propriété. Lorsqu'une contestation sérieuse portant sur la propriété d'une parcelle est portée à la connaissance de l'administration dans le cadre de telles opérations, cette dernière peut légalement se borner à faire état du litige et à mentionner les personnes concernées par ce dernier et susceptibles de se voir reconnaître la qualité de propriétaire.

Il considère, en second lieu, que dans l’hypothèse où l'administration est saisie, postérieurement à l'achèvement des opérations de rénovation du cadastre, d'une demande tendant à la rectification des énonciations portées sur les documents cadastraux relatives à la situation juridique d'une parcelle et qu'un litige s'élève sur le droit de propriété de cette parcelle, elle est tenue de se conformer à la situation de propriété telle qu'elle a été constatée pour l'élaboration des documents cadastraux et ne peut que refuser la rectification demandée tant qu'une décision judiciaire ou un accord entre les intéressés n'est pas intervenu.

(04 mai 2023, SCI Pora-Pora et Mme A., n° 462404)

 

84 - Droit d’asile - Ressortissante ivoirienne invoquant des mutilations sexuelles - Certificats médicaux contradictoires - Octroi de l’asile - Pouvoir souverain d’appréciation de la Cour nationale du droit d’asile exempt d’erreurs - Rejet.

Une ressortissante ivoirienne, représentée par sa mère, s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) du fait de son exposition à la pratique de l'excision en cas de retour en Côte d'Ivoire. L’OFPRA demande l’annulation de l’arrêt de la Cour pour dénaturation des pièces du dossier, erreur de droit concernant la charge de la preuve, méconnaissance des règles gouvernant l’office de la CNDA. 

Le pourvoi est rejeté dans un contexte très particulier.

Un certificat médical, produit par l’intéressée, établi le 15 octobre 2020 par deux médecins du Centre Hospitalier Sud Francilien, a constaté que l'intéressée présentait des stigmates de mutilation sexuelle. Puis, le certificat médical établi le 22 avril 2021, par un médecin légiste de l'Hôtel Dieu à Paris, a conclu à l'absence de mutilation sexuelle.

La Cour a estimé que ce second certificat contredisait les conclusions du précédent certificat et ne permettaient pas d'exclure la possibilité d'une erreur lors de l'élaboration de ce dernier, elle a considéré que l'absence de mutilation sexuelle de l'intéressée devait être tenue pour établie, et que ses craintes d'être exposée à une excision tenues pour fondées compte tenu de son environnement familial et du contexte qui prévaut en Côte d'Ivoire.

Approuvant la solution retenue par la Cour, le Conseil d’Tat juge que si le certificat médical du 22 avril 2021  concluant à l’absence de mutilation sexuelle de l'intéressée devait être regardé, eu égard aux garanties attachées aux conditions de son élaboration, comme revêtu d'une valeur probante particulière, la Cour s'est bornée, pour faire néanmoins prévaloir les certificats médicaux produits par l'intéressée, à évaluer, au terme d'une appréciation souveraine, la réalité des risques invoqués par la demanderesse en prenant en compte l'ensemble des pièces produites à l'appui de ses prétentions. Ce faisant, et contrairement à ce que soutient l'Office, la Cour, qui n'était pas tenue d'ordonner une mesure supplémentaire d'instruction ou d'expertise, a rendu un arrêt exempt de tout vice tel que rappelé plus haut.

(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 458952)

 

85 - Octroi de la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de révision par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Annulation.

L’OFPRA a formé devant la CNDA un recours en révision de sa décision annulant le rejet par l’Office de la demande d'asile présentée par Mme B. et reconnaissant à celle-ci la qualité de réfugiée. Ce recours ayant été rejeté, l’Office se pourvoit.

Pour annuler le rejet du recours en révision, le Conseil d’État retient que la Cour a insuffisamment motivé sa décision de rejet. En effet, d’un côté l’OFPRA faisait valoir que compte tenu de l'obligation de se présenter en personne lors d'une demande de visa et du prélèvement nécessaire des empreintes dactyloscopiques, Mme B. n'avait pas pu simultanément se trouver le 6 janvier 2016 à Luanda pour solliciter un visa de la part des autorités consulaires portugaises et être détenue en République démocratique du Congo. De l’autre côté, la Cour avait répondu que les dispositions du règlement (CE) n° 810/2009 n'imposaient pas une prise de rendez-vous « dans tous les cas », et qu'il pouvait « être dérogé à l'exigence de se présenter en personne pour demander un visa », tout en relevant que l'OFPRA n'avait pas produit un relevé des empreintes digitales de l'intéressé contemporain de sa demande de visa. Elle en avait conclu que les faits relevés par sa décision du 27 juin 2018 n'étaient pas « nécessairement incompatibles avec le fait que le père de l'intéressé lui ait obtenu un visa portugais à Luanda alors qu'elle était en détention en République démocratique du Congo ». 

Cependant, à juste raison, le Conseil d’État relève que la Cour ne motive pas suffisamment sa décision dès lors que Mme B. ne contestait pas que ses empreintes figuraient bien dans le système d'information sur les visas, ni n'affirmait que leur recueil avait eu lieu antérieurement au 6 janvier 2016 et que l'Office soutenait pour sa part que l'affirmation selon laquelle le père de l'intéressée avait confié à un tiers le soin de présenter une demande de visa, affirmation peu crédible, n'était pas étayée.

(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462259)

 

86 - Bâtiments pénitentiaires - Mesures de sécurité, d’hygiène et de respect de la dignité des personnes dans un centre pénitentiaire - Injonctions diverses.

Les organisations requérantes interjettent appel d’une ordonnance par laquelle le juge du référé liberté, saisi de plusieurs dizaines de demandes d’injonctions envers le ministre de la justice concernant des mesures urgentes à prendre au centre pénitentiaire de Saint-Etienne - La Talaudière, s’il a fait droit à certaines de leurs demandes, ne les a pas toutes admises.

Le juge des référés du Conseil d’État rend une ordonnance d’une exceptionnelle longueur en raison du nombre et de la diversité des demandes dont il était saisi s’agissant :

- des mesures de sécurité (fonctionnement des trappes de désenfumage, mesures provisoires destinées à prévenir les risques d'incendie, mesures provisoires destinées à prévenir les risques d'inondation et d'électrocution, organisation d'une nouvelle visite par la commission de sécurité de l'arrondissement de Saint-Etienne),

- des mesures relatives aux conditions de détention en cellules (équipement des cellules, travaux de réfection des cellules du quartier disciplinaire, travaux de cloisonnement des sanitaires dans les cellules du bâtiment A et dans deux cellules du quartier des femmes, mesures relatives à l'hygiène personnelle, à l'accès aux douches collectives et à leur entretien),

- des mesures relatives à certaines cours de promenade (travaux de nettoyage de ces cours, mesures relatives aux points d'eau, aux urinoirs et à l'installation de divers équipements dans les cours promenades utilisées dans le quartier des hommes, cours promenades du quartier disciplinaire),

- des mesures relatives aux dispositifs téléphoniques, mesures relatives à l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP),

- des conditions de travail des personnes détenues dans la zone des ateliers,

- de la gestion des parloirs « avocat ».

(ord. réf. 15 mai 2023, Section française de l'observatoire international des prisons (OIP-SF) et Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), n° 472994)

 

87 - Détenue - Fouille intégrale systématique de sa personne - Conditions de détention - Rejet.

Il est ici interjeté appel de l’ordonnance de référé par laquelle le premier juge a rejeté les prétentions de la demanderesse tendant à voir revues les conditions de fouille intégrale auxquelles elle est soumise ainsi que diverses modalités de sa détention.

L’appel est rejeté d’abord concernant le régime de fouille corporelle en raison de la circonstance que ce régime a été imposé à l’intéressée, qui avait rejoint les rangs de l'Tat islamique en Syrie en 2014 et a été successivement mariée à deux hommes impliqués dans des actes terroristes, n'est rentrée en France que le 20 octobre 2022, où elle a été mise en examen pour participation à une entente ou à un groupement formé en vue de la préparation d'un ou plusieurs attentats terroristes et incarcérée, afin de l'empêcher de se procurer, lors de ses contacts avec des personnes extérieures à l'établissement pénitentiaire, des objets qu'elle pourrait utiliser pour commettre des actes violents à l'encontre du personnel pénitentiaire. L’amélioration apparente de son comportement a conduit à maintenir, pendant une durée limitée, jusqu'à la fin du mois de juin 2023, un régime de fouilles intégrales qui a donné lieu à une dizaine de fouilles depuis le début du mois d'avril, la plupart au retour de parloirs. Ceci n'apparaît pas, compte tenu de son comportement dans un passé encore récent et à condition, comme l'a relevé l'auteur de l'ordonnance attaquée, que le rythme des fouilles de sa cellule demeure mesuré, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de Mme B. de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants.

L’appel est rejeté ensuite concernant les conditions de détention, d’une part, la détenue en reconnaissant elle-même l’amélioration, d’autre part, elle est, pour l’essentiel, assujettie au même régime de détention que les autres détenus.

(ord. réf. 30 mai 2023, Mme B., n° 474090)

 

88 - Droit d’asile - Régime du traitement des demandes d’asile à Mayotte - Application de l’art. 73 de la Constitution - Rejet.

Rejetant, en ses divers moyens, un recours dirigé contre le décret n° 2022-211 du 18 février 2022 portant adaptation de certaines dispositions relatives aux modalités de traitement des demandes d'asile à Mayotte et rectifiant les dispositions applicables en Guadeloupe, en Guyane et à la Martinique, le Conseil d’État souligne que l'art. 73 de la Constitution permet l’adaptation dans les départements et les régions d'outre-mer, des lois et des règlements du fait des caractéristiques et des contraintes particulières de ces collectivités. 

En raison de la multiplication par neuf, entre 2015 et 2021, du nombre de demandes d'asile à Mayotte motivées par des considérations purement économiques qui ne relèvent donc pas du droit d'asile, il a fallu prévoir une accélération du traitement des demandes d'asile sur ce territoire notamment en réduisant les délais impartis aux demandeurs pour saisir l'OFPRA et lui transmettre les éléments complémentaires nécessaires à l'instruction de leur demande. Ce faisant, le décret attaqué n'est entaché ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation au regard de l'article 73 de la Constitution.

(24 mai 2023, Cimade service œcuménique d'entraide et autre, n° 463397)

 

Police

 

89 - Permis de conduire - Perte de validité - Demande de suspension du retrait du permis - Appréciation de l’urgence à suspendre - Annulation.

Cette décision du juge des référés se signale à l’attention en ce qu’elle annule le rejet d’une demande de suspension du retrait d’un permis de conduire, ce qui est assez inhabituel au Palais-Royal.

Classiquement, un automobiliste s’est vu notifier une décision référencée « 48 SI » par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé l'invalidité d'un permis de conduire et une injonction tendant à ce qu'il soit restitué.

L’intéressé a saisi, en vain, le juge du référé suspension du tribunal administratif, celui-ci estimant non remplie cette demande tant en raison des exigences de la sécurité routière qu’en raison du caractère répété des infractions commises.

Le juge de cassation reproche à cette ordonnance de n’avoir pas recherché si ces infractions présentaient un caractère suffisant de gravité commettant ainsi une erreur de droit.

Dans une formulation assez solennelle sinon de principe, le juge énonce que, dans le cadre d’un référé suspension à fin de restitution du permis, « la condition d'urgence, qui doit s'apprécier objectivement et globalement, tient compte, d'une part, de l'atteinte grave et immédiate portée notamment à l'exercice de la profession du conducteur et, d'autre part, de la gravité et du caractère répété des infractions au code de la route commises par l'intéressé sur une brève période, ainsi que des exigences de protection et de sécurité routière. »

En l’espèce, il est jugé que la décision attaquée porte une atteinte grave et immédiate à la situation professionnelle de l’intéressé, qui exerce la profession de menuisier et gérant unique d'une société à responsabilité limitée et qui utilise quotidiennement, sans alternative, son véhicule professionnel pour se rendre sur les chantiers dans le cadre de son activité.

Dans les circonstances de l'espèce, les infractions d'excès de vitesse inférieurs à 20 km/heure par rapport à la vitesse maximale autorisée reprochées à l'intéressé, constatées pour la plupart au même endroit sur une route en ligne droite dont la vitesse maximale autorisée est ultérieurement passée de 90 km/heure à 80 km/heure, et ayant conduit à chaque fois à des retraits d'un point du capital de points de l'intéressé, si elles étaient répétées, ne présentaient pas, dans les circonstances de l'espèce, un caractère de gravité qui justifierait de ne pas regarder comme remplie la condition d'urgence. 

C’est là un glissement important dans la manière d’apprécier les motifs et les conditions du retrait de permis de conduire pour les juger justifiées dans le cas où le comportement infractif manifesterait une dangerosité du conducteur : l’accumulation d’infractions dont aucune ne revêt un grand caractère de gravité ne fait pas naître, au total, une gravité plus grande.

(04 mai 2023, M. A., n° 461895)

 

90 - Permis de conduire délivré à l’étranger - Demande d’échange avec un permis français - Preuve de sa validité et de son authenticité - Régime applicable - Annulation.

Est annulée l’ordonnance rejetant la demande d’un ressortissant tunisien d’échanger son permis de conduire tunisien contre un permis français au motif qu’elle repose sur une dénaturation des pièces du dossier en ce qu’elle juge que les documents fournis par le requérant « ne présentaient pas par eux-mêmes des garanties suffisantes de validité et d'authenticité du titre ». C’est l’occasion de rappeler « qu'en cas de doute sur la validité et l'authenticité du titre dont l'échange est demandé, le préfet compétent fait procéder à son analyse avec l'aide d'un service spécialisé en fraude documentaire et peut la compléter en consultant par la voie diplomatique l'autorité étrangère qui a délivré le titre. L'intéressé peut, lors de l'instruction de sa demande par l'administration comme à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision refusant l'échange, apporter la preuve de la validité et de l'authenticité de son titre par tout moyen présentant des garanties suffisantes. Cette possibilité lui est ouverte, même dans le cas où l'autorité étrangère, consultée par le préfet, n'a pas répondu. »

(25 mai 2023, M. B., n° 462968)

 

91 - Police de la protection des animaux de compagnie - Lutte contre la maltraitance animale - Cas des associations sans refuge - Refus de transmission d’une QPC.

Le décret du 18 juillet 2022, relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale, pris notamment pour l’application de l’art. L. 214-6-6 du code rural, dans la version que lui a donnée l'art. 10 de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes, définit notamment les informations essentielles devant figurer dans le contrat d'accueil de l'animal de compagnie et précise les modalités de délivrance du certificat vétérinaire prévu par ces dispositions.

En particulier, l’art. L. 214-6-6 du code rural, pour les associations avec refuge, ainsi que l’art. L. 214-6-5 du même code pour les associations sans refuge, établissent les obligations leur incombant dans le recours au placement d'animaux de compagnie auprès d’accueillants.

Dans un litige en annulation du décret du 18 juillet 2022 en tant qu'il s'applique aux associations sans refuge mentionnées à l'art. L. 214-6-5 précité, l’association requérante, qui est une association sans refuge, soulève l’inconstitutionnalité de cette dernière disposition en ce qu’elle méconnaîtrait l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et en ce qu’elle porterait atteinte à la liberté d’entreprendre.

Le Conseil d’État refuse de transmettre la QPC car, d’une part, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions contestées ont entouré la faculté donnée aux associations sans refuge d'avoir recours au placement d'animaux domestiques de garanties de nature à assurer la protection de la santé humaine, dans des conditions qui sont adaptées au fait que ces associations n'ont vocation à accueillir et à prendre en charge de tels animaux qu'en petit nombre et de manière temporaire exclusivement en vue de leur placement, et, d’autre part, car les dispositions qui se bornent à permettre à des associations sans refuge de procéder au placement d'animaux de compagnie et à définir les conditions d'exercice de cette activité ne portent pas atteinte à la liberté d’entreprendre de ces associations.

(05 mai 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, n° 469131)

(92) V. aussi, à propos du refus de restitution à sa propriétaire d’un chien jugé dangereux de 2ème classe et classé comme tel l’arrêté municipal autorisant sa détention ayant été abrogé : 25 mai 2023, Mme A. c/ commune d’Aulnay-sous-Bois, n° 461191.

(93) V. encore et a fortiori s’agissant d’un chien dangereux de 1ère catégorie pour lequel aucune autorisation de détention n’a été accordée : 25 mai 2023, Mme A. c/ commune d’Aulnay-sous-Bois, n° 461196.

 

94 - Police des installations classées pour la protection de l'environnement - Création de compost à partir de boues de stations d’épuration - Mise en demeure de respecter la réglementation - Nuisances olfactives - Suspension de l’activité d’une entreprise de traitement - Absence de disproportion de la mesure - Rejet.

La société requérante, qui exploite une activité d'élaboration de compost à partir de boues de stations d'épuration et qui est, comme telle, soumise à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, a fait l’objet d’une mise en demeure par arrêté préfectoral du 20 août 2015 pour non-respect de certaines dispositions de l'arrêté ministériel du 12 juillet 2011 autorisant son fonctionnement, lui prescrivant de produire une étude de faisabilité technique des travaux à réaliser pour canaliser les odeurs qu'elle émet dans un délai d'un mois et de réaliser ces travaux dans un délai de quatre mois.

Par un second arrêté, du 19 octobre 2015, faute de cette étude et de ces travaux, le préfet a suspendu l'activité de la Socété Lombricorse.

Celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de sa demande d’annulation de ces deux arrêtés.

Le pourvoi est rejeté car c’est sans erreur de droit que, d’une part, la cour a jugé - au regard des dispositions de l’art. L. 171-8 du code de l'environnement - que la mesure de suspension n’était pas disproportionnée en raison du non-respect des mises en garde adressées à la société par les inspecteurs de l'environnement, particulièrement entre 2014 et 2015, puis de celle adressée à l'exploitant par le préfet le 20 août 2015 en vue que soit rétabli le fonctionnement régulier de l'exploitation et que, d’autre part, elle a également jugé, sans erreur de droit, non disproportionnée cette suspension du chef des nuisances olfactives significatives pour le voisinage portant atteinte à l'environnement et à la santé publique. 

(10 mai 2023, Société Lombricorse, n° 447189)

 

95 - Police des manifestations - Survol photographique d’une manifestation par drones - Défaut d’urgence - Rejet.

Les organisations requérantes ont interjeté appel, le 1er mai 2023, de l’ordonnance en référé liberté (L. 521-2 CJA) par laquelle le premier juge a rejeté leur recours tendant à la suspension d’exécution de l'arrêté du préfet de la Gironde du 28 avril 2023 autorisant la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs le 1er mai 2023 à Bordeaux.

L’appel est rejeté car les demandeurs n’établissent pas en quoi, à la date du 6 mai 2023, existerait encore une urgence à statuer sur la conservation, dans les conditions déterminées par les dispositions de l'art. L. 242-4 du code de la sécurité intérieure, des données enregistrées le 1er mai à Bordeaux sur le fondement de l’arrêté préfectoral querellé.

Encore une fois, c’est d’une urgence de caractère particulier que traite l’art. L. 521-2 du CJA et même d’une double urgence : à saisir le juge et, ce juge saisi, à ce qu’il statue très rapidement avec quelque efficacité en vue de la solution de cette partie du litige.

Le référé liberté est, et doit demeurer, une procédure d’exception dont les conditions strictes de déclenchement doivent être respectées.

(ord. réf. 06 mai 2023, Association de la défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et Syndicat des avocats de France (SAF), n° 473714)

(96) V. aussi, avec même solution concernant une manifestation du 1er mai au Havre en ce que l’ordonnance de référé ne suspend que partiellement un arrêté préfectoral dont le contenu est similaire à celui du préfet de Gironde mentionné ci-dessus : ord. réf. 06 mai 2023, M. C., Mme A., Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et Syndicat des avocats de France (SAF), n° 473716.

(97) V. également, rejetant, en l’absence de doute sérieux sur sa légalité, malgré la nature et le nombre de moyens soulevés, et sans avoir à examiner la condition d’urgence, une demande de suspension de l’exécution du décret n° 2023-283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre des traitements d'images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative : ord. réf. 24 mai 2023, M. B. et Association de la défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 473547.

(98) V. encore la décision ci-dessous.

 

99 - Police des manifestations - Interdiction de toute manifestation ou de tout rassemblement aux abords du 76ème Festival de Cannes - Absence d’atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester - Rejet.

Il était demandé au juge du référé liberté du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance rendue en première instance rejetant le recours tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 mai 2023 du préfet des Alpes-Maritimes portant interdiction de manifester ou de se rassembler dans un périmètre donné au sein de la commune de Cannes, pendant le 76ème festival international du film.

L’appel est rejeté.

Le juge opère un double rappel particulièrement bien venu.

D’abord, le respect de la liberté de manifestation, qui a le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'art L. 521-2 du CJA, doit être concilié avec la sauvegarde de l'ordre public et il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police, lorsqu'elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l'art. L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d'informations relatives à un ou des appels à manifester, d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public et de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l'interdiction de la manifestation, si une telle mesure est seule de nature à préserver l'ordre public. 

Ensuite, il indique - ce qui est souvent perdu de vue - que « La seule circonstance qu'un évènement annoncé soit susceptible d'être l'occasion de troubles majeurs à l'ordre public, y compris en présence d'une menace terroriste, n'est pas de nature à justifier en toute circonstance une interdiction générale de manifester dans ses abords, dès lors que l'autorité administrative dispose des moyens humains, matériels et juridiques de prévenir autrement les troubles en cause que par une telle interdiction. »

En l’espèce, le préfet a interdit, du 16 mai 2023 à minuit au dimanche 28 mai 2023 à 6 heures, par un arrêté du 15 mai 2023, pris sur le fondement de l'art. L. 211-4 du code la sécurité intérieure, toute manifestation ou tout rassemblement sur le territoire de la commune de Cannes, dans une zone comprenant les abords du Palais des Festivals et une partie du Boulevard de la Croisette où se concentrent les établissements accueillant les différents événements.

Sur ce, le juge relève en premier lieu que ce Festival a le caractère d'un évènement international, pendant lequel viennent à Cannes, en provenance du monde entier, des centaines de personnalités de la culture, de l'économie et de la politique, et qui rassemble dans un périmètre restreint les 40 000 festivaliers et les journalistes accrédités, les 230 000 spectateurs attendus sur la durée du festival. En outre, pendant le festival, le boulevard de la Croisette et les rue attenantes font l'objet d'une concentration humaine exceptionnelle, le jour comme la nuit. Il n’est pas contesté qu’existe donc un « haut risque en termes de terrorisme » et une résurgence de la délinquance de droit commun.

Le juge relève aussi qu’en vue d’assurer la sécurité du Festival l’État mobilise chaque jour une centaine de policiers de la sécurité publique, quatre compagnies républicaines de sécurité, une quinzaine de motards CRS pour piloter les cortèges, une quarantaine de gendarmes chargés de la lutte anti-drone, de la surveillance et de la gestion des axes d'accès et de la surveillance maritime, une équipe de déminage présente 24h/24, une équipe d'intervention du RAID et de tireurs postés sur des points hauts, des moyens dédiés du Service départemental d’incendie et de secours et du SAMU pour assurer la prise en charge de victimes, des agents des services de renseignement, une quinzaine de militaires de la force Sentinelle, cinq équipes cynophiles avec des chiens détecteurs d'explosifs.

Enfin, le préfet, en ayant aussi instauré pour la durée du festival deux périmètres de protection au sein desquels l'accès et la circulation des personnes sont réglementés, autorisé le recours à une caméra installée sur un aéronef et la première ministre ayant soumis par décret toute personne accédant, à un autre titre que celui de spectateur ou de participant, à une liste d'établissements et d'installations situés dans la commune de Cannes, à un avis préalable de l'autorité administrative, n’ont pas porté à la liberté de manifester une atteinte qui est manifestement illégale.

Cela d’autant plus que ce périmètre interdit est très restreint : il n'interdit pas de manifester plus loin sur la Croisette.

(ord. réf. 24 mai 2023, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature et Mme A., n° 474297)

 

100 - Police des loyers - Encadrement des loyers - Loi du 23 novembre 2018 - Loi n’emportant pas décision d’encadrement des loyers - Rejet.

Dans le cadre d’un recours en annulation du décret du 2 septembre 2021 fixant le périmètre du territoire de la métropole Bordeaux Métropole sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, l’organisation requérante, entre autres moyens, soulève celui tiré de la violation par cette loi de la convention EDH, spécialement son art. 140 s’agissant du droit de propriété (art. 14 de la Convention).

Pour rejeter ce grief le Conseil d’État retient que l'art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 a entendu doter les établissements publics de coopération intercommunale, au titre de la compétence en matière d'habitat qu'elles exercent librement, d'un outil supplémentaire pour exercer cette compétence. Cette dernière compétence n’appartient donc qu’à eux et il ne saurait être soutenu que dès lors que la mise en œuvre de ces dispositions législatives peut avoir pour conséquence qu'un encadrement des loyers soit mis en place dans un territoire présentant des caractéristiques identiques à celles d'un autre territoire dans lequel aucun encadrement ne sera appliqué, faute de demande de la collectivité concernée, l’article précité introduirait une discrimination incompatible avec les stipulations combinées de l'art. 14 de la convention EDH et de l'art. 1er de son premier protocole additionnel. En effet, cette différence ne résulterait que du choix fait par chaque collectivité de mettre en œuvre une politique d'encadrement des loyers ou de ne pas le faire, et non pas des dispositions de l'art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 elles-mêmes.

(25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 33, n° 458153)

(101) V. aussi, pour une solution identique sur ce point : 25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 69, n° 458155.

(102) V. encore, identique aux précédents : 25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 34, n° 458156.

 

103 - Police des débits de boissons - Infraction de détention par une discothèque de bonbonnes de protoxyde d’azote - Absence de répétition de l’infraction - Fermeture de l’établissement - Suspension ordonnée - Confirmation et rejet.

A la suite de la découverte dans une discothèque, le 30 avril 2022, d’environ trois cents bonbonnes de protoxyde d'azote, substance dont la vente ou la mise à disposition à titre gratuit sont interdites par l'art. L. 3611-3 du code de la santé publique, et la gérante de l'établissement ayant indiqué avoir développé une pratique commerciale consistant à offrir une bonbonne à tout client achetant une bouteille d'alcool, un arrêté préfectoral a ordonné le 23 novembre 2022 la fermeture de cet établissement pour une durée de six mois.

Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation de l’ordonnance suspendant, sur le fondement de l’art. L. 521-1 du CJA, la décision de fermeture.

Son recours est rejeté, le Conseil d’État adoptant le raisonnement du juge des référés de première instance.

En premier lieu, l’ordonnance est suffisamment motivée en ce qu’elle juge de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté litigieux le moyen tiré de l'absence de possibles troubles à l'ordre public à la date de cet arrêté.

En second lieu, le juge n’a pas dénaturé les pièces du dossier en se fondant, pour dire qu’existait un doute sérieux sur la légalité de la décision de fermeture, sur ce qu'aucune nouvelle infraction aux lois et règlements relatifs aux débits de boissons et aux restaurants, en particulier aux règles relatives à la vente et à la distribution de protoxyde d'azote, n'a plus été relevée à l'encontre de l'établissement depuis le mois de mai 2022, également sur ce que, selon les constats d'huissier effectués les 25 et 29 octobre 2022, la présence d'aucune bonbonne de protoxyde d'azote ni d'aucun matériel permettant la consommation de cette substance n'a été relevée dans l'établissement, y compris pendant une période d'ouverture et, enfin, sur ce que, dans le cadre de la procédure contradictoire préalable suivie en application de l'art. L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, la société Alebenaxe a souscrit auprès de l'administration l'engagement de mener des actions de prévention consistant à informer, selon diverses modalités, les clients de l'établissement des risques attachés à la consommation de cette substance.

 Au reste, il convient de rappeler qu'une mesure de fermeture d’un tel commerce ne peut avoir pour objet que de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, non de sanctionner un état de fait antérieur et depuis disparu.

(25 mai 2023, Société Alebenaxe, n° 470301)

 

104 - Police des armes et munitions - Refus de classer un lanceur de balles de défense et ses munitions dans une certaine catégorie - Urgence et existence d’un doute sérieux - Suspension ordonnée.

La société requérante demandait que soit suspendue l’exécution de la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de classer le lanceur de balles de défense (LBD) « POK 44 » en catégorie C, 3° et sa munition « KOT 44 » en catégorie C, 8°, en application de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure.

Pour ordonner la suspension sollicitée, le juge des référés du Conseil d’État retient tout d’abord l’existence d’une urgence à statuer en raison des éléments suivants.

La société requérante a investi de manière significative en recherche et développement pour mettre au point une première arme, qui a finalement été classée en catégorie A2, ce qui n'a pas permis une commercialisation suffisante pour couvrir les dépenses opérées. Elle a, en conséquence, été placée en redressement judiciaire le 22 avril 2022. Pour éviter une liquidation judiciaire, elle a souhaité modifier cette arme pour obtenir un classement en catégorie C3 de nature à en permettre une plus large commercialisation ce qui apparaît essentiel à l'équilibre financier de la société et à sa survie éventuelle. D’où sa demande de classement litigieuse sur laquelle, six mois après, elle n’a reçu aucune réponse alors que la prolongation de la période d'observation octroyée par le tribunal de commerce doit s'achever cet été, une audience étant prévue le 25 août prochain. Cette société ne dispose, à ce jour, d'aucune perspective d'examen de ses demandes, le ministre de l'intérieur se bornant à indiquer, à la suite de sa sollicitation lors de l'audience publique, que le plan de charge du centre de recherches et d'expertise de la logistique (CREL) est particulièrement lourd - alors même que seules trois demandes de classement de LBD, dont celle de la société Redcore, sont en attente - et ne lui permet pas d'opérer l'expertise technique que le ministre considère être nécessaire. Si le ministre propose d'avoir recours à un prestataire extérieur pour effectuer les tests sous le contrôle du CREL, une décision de classement n'est envisagée qu'entre la mi-septembre et fin novembre 2023, soit près d'un an après la première demande de la société requérante et en outre postérieurement à l'échéance connue de la procédure de redressement judiciaire. En outre, comme le ministre ne peut  sérieusement soutenir que la suspension de l'exécution des décisions en litige porterait atteinte à l'impératif de sauvegarde de l'ordre public, aucune expertise préalable n'ayant pu encore évaluer la dangerosité de l'arme, la décision que la société sollicite ayant précisément pour objet de conduire l'administration à procéder, dans des délais raisonnables, à l'instruction de ses demandes et à statuer, au regard des critères fixés par les dispositions y relatives du code de la sécurité intérieure, sur les classements sollicités en recueillant le cas échéant l'avis, lequel n'est au demeurant pas obligatoire, des experts techniques mentionnés à l'art. R. 311-3 du code de la sécurité intérieure. 

Ensuite, le juge estime que sont propres à créer un doute sérieux les moyens tirés de ce que les refus implicites des demandes de classement sont entachés d'erreur d'appréciation et méconnaissent le principe d'égalité et les règles de la concurrence, dès lors que, d'une part, le lanceur « POK 44 » dont elle demande l'inscription présente un canon lisse et un calibre 44/83 BE similaires à l'arme de force intermédiaire de calibre 44/83 à canon lisse fabriquée et commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation flash-Ball modèle compact, classé au 3 de la catégorie C par l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions, et que, d'autre part, la munition dont elle demande l'inscription respecte la norme CIP pour le calibre 44/83 comme la munition à projet non métallique de calibre 44/83 commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation « 44/83 BE », classée au 8° de la catégorie C par le même arrêté de 2001. 

D’où la suspension ordonnée de la décision de refus, un délai d’un mois étant laissé au susdit ministre pour classer l’arme en question en catégorie C3 et ses munitions en catégorie C8.

(ord. réf. 30 mai 2023, SAS Redcore, n° 473632)

 

Professions réglementées

 

105 - Médecin - Suspension en raison d’une pathologie rendant dangereux l’exercice de ses fonctions - Formation du Conseil de l’ordre statuant au titre de ses pouvoirs de police - Rejet.

Dans un litige où, sur demande d’un directeur général d’une agence régionale de santé en vue qu’un médecin soit suspendu du droit d'exercer la médecine en raison d'un état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, le Conseil d’État rappelle la nature du pouvoir exercé en ce domaine par la formation restreinte d’un conseil régional ou interrégional ou du Conseil national de l'ordre des médecins.

C’est une fonction de police ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. R. 4124-3 du code de la santé publique, d’où il suit que l’intéressé ne peut utilement soutenir que les droits de la défense tels que garantis par les stipulations de l’art. 6 § 1 de la Convention EDH, auraient été méconnus lors de la procédure en cause.

(26 mai 2023, M. A., n° 469062)

(106) V. aussi, rejetant le pourvoi d’un médecin anesthésiste-réanimateur dirigé contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins le suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et subordonnant la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une nouvelle expertise en raison d'une suspicion d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession du fait de son addiction à l’alcool : 26 mai 2023, M. A., n° 467020.

(107) V. également, rejetant le pourvoi d’un médecin ophtalmologiste dirigé contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins qui a prolongé la mesure de suspension prise à son encontre sur le fondement de l'art. R. 4124-3 du code de la santé publique pour une durée de trois ans et qui a subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une nouvelle expertise car en dépit de son hospitalisation d’office en 2004 et de l’amélioration de son état de santé, il résulte de l'expertise réalisée le 17 mai 2022, qui mentionne « un trouble grave de la personnalité non pris en charge », que ce praticien présente un état pathologique persistant rendant dangereux l'exercice de sa profession : 26 mai 2023, M. A., n° 469542

(108) V. encore, rejetant le pourvoi d’une praticienne contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins la suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et subordonnant la reprise de son activité au suivi d'une formation théorique et pratique en raison de ce que du fait de son abstention de suivre toute formation continue depuis de nombreuses années, elle présente des insuffisances professionnelles rendant dangereuse la pratique de la médecine générale et nécessitant une remise à niveau : 26 mai 2023, Mme B., n° 465253.

 

109 - Vétérinaire - Soins gratuits aux animaux dont les propriétaires sont sans ressources suffisantes - Manquement déontologique non visé par une plainte - Sanction - Rejet.

La chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires n’a pas entaché d’irrégularité  sa décision de sanctionner une vétérinaire pour manquement déontologique à la règle édictée par l’art. R. 242-50 du code rural, selon laquelle les vétérinaires exerçant au sein des associations dont l'objet est la protection des animaux et habilitées à gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes, doivent s'assurer du respect de la gratuité des soins qu'ils dispensent et cela alors même que la plainte dont cette chambre a été saisie n'invoquait qu'un grief de refus de soins.   

(26 mai 2023, Mme B., n° 459342)

 

110 - Professionnels du chien et du chat - Institution d’un certificat d’engagement et de connaissance - Délai entre la délivrance du certificat et la cession de l’animal - Coûts supplémentaires - Charge administrative - Rejet.

Le V de l'art. L. 214-8 du code rural a créé un certificat d'engagement et de connaissance délivré avant acquisition d'un animal de compagnie ainsi que ses modalités de délivrance et d'utilisation. Les requérants demandent la suspension d’exécution de l'instruction technique du 14 novembre 2022 afin de préciser le contenu de ce certificat.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence sans examen de l’autre condition donnant ouverture à référé suspension et selon la procédure de l’art. L. 522-3 du CJA. Si les professionnels invoquent, au soutien de la demande de suspension, un surcroît de charge administrative, des coûts supplémentaires pour eux, les résultats d’un « sondage » auprès des adhérents, etc., le juge relève cependant que ces éléments ne sont pas de nature à justifier d'une situation d'urgence au sens des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA.

En outre, si le syndicat requérant soutiennent qu’est prévue une amende pour les contraventions de 4ème classe méconnaissant certaines dispositions dont l'instruction précise les conditions de mise en œuvre, ces sanctions ne trouvent leur source que dans la violation des textes législatifs et réglementaires applicables.  

(ord. réf. 25 mai 2023, Syndicat national des professions du chien et du chat, n° 474194)

 

Responsabilité

 

111 - Responsabilité hospitalière - Prise en charge d’un accouchement - Rejet d’une demande d’expertise - Notification à une adresse indiquée - Délai ayant couru à la demande des requérants - Rejet.

Les demandeurs, un fils et sa mère, ont sollicité du juge des référés que soit ordonnée une expertise médicale sur le fondement des dispositions de l'art. R. 532-1 du CJA, aux fins de déterminer l'ampleur des préjudices en lien avec la faute commise selon eux par le centre hospitalier d'Avignon en ne procédant pas à une césarienne lors de la naissance de M. C., le 15 décembre 1997 dans cet établissement.

Cette demande a été rejetée faute d'utilité, dès lors qu'aucune demande indemnitaire ne pourrait être utilement présentée au juge administratif par les requérants, qui n'avaient pas contesté en temps utile le rejet de leur demande préalable du 25 septembre 2020.

Les demandeurs se pourvoient en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de cette ordonnance de rejet.

Pour confirmer l’arrêt attaqué, le juge de cassation relève d’abord que le courrier par lequel l'avocat de M. C. et de Mme C. avait demandé au centre hospitalier d'Avignon de saisir son assureur, « d'assumer sa responsabilité » et « de reconnaitre le lien direct entre le défaut de réalisation d'une césarienne » lors de la naissance de M. C. le 15 décembre 1997 et le préjudice invoqué, présentait, ainsi que jugé par la cour, alors même que les préjudices subis n'étaient ni détaillés ni chiffrés, le caractère d'une demande indemnitaire préalable au sens des dispositions de l'art. R. 421-1 du CJA.

Le juge rappelle ensuite qu’il incombe au destinataire d'une décision administrative qui soutient que l'avis de réception d'un pli recommandé portant notification de cette décision à l'adresse qu'il avait lui-même indiquée à l'administration n'a pas été signé par lui, d'établir que le signataire de l'avis n'avait pas qualité pour recevoir le pli en cause. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le rejet de leur demande par le centre hospitalier a été notifié au bureau de leur avocat à Avignon alors que la demande portait la mention « toutes les correspondances doivent être adressées à Arles ». Le juge confirme cependant que cette notification qui, d’une part, a été notifiée à l’adresse figurant sur la demande préalable du 25 septembre 2020 et d’autre part a fait l’objet d’un accusé de réception dont la qualité du signataire n’est pas discutée, a valablement fait courir le délai de deux mois dont les requérants disposaient pour contester le refus d’indemnisation opposé par la lettre recommandée du 19 janvier 2021, reçue le 22 janvier 2021.

Au surplus, c’est sans erreur de droit que le juge des référés et la cour ont rejeté le moyen tiré de ce que le délai de recours ne leur aurait pas été opposable en l'absence de connaissance de la nature et de l'étendue de leurs préjudices, alors qu'ils avaient eux-mêmes, par leur demande, fait courir ce délai de recours.

Par suite, c’est à bon droit qu’a été jugée inutile l’expertise sollicitée.

(04 mai 2023, M. C. et Mme C., n° 461655)

 

112 - Responsabilité - Préjudice subi par un fonctionnaire territorial - Imputabilité au service - Appréciation méconnaissant les termes du litige - Annulation.

Méconnaît les termes du litige dont la cour est saisie et encourt l’annulation, l’arrêt qui se prononce sur l’imputabilité au service d’une pathologie alors qu’était seule en discussion l’imputabilité d’un accident survenu à une date déterminée.

(15 mai 2023, Commune de Chécy, n° 455610)

 

113 - Réquisition de véhicules par l’administration - Indemnisations du chef de la réquisition et du chef des préjudices subis - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Plusieurs de ses véhicules ayant fait l’objet d’une réquisition par les services de l’État, la société requérante a demandé réparation, d’une part, du chef de la réquisition des véhicules, d’autre part du chef des dommages survenus à ces véhicules.

La cour administrative d’appel a estimé, pour rejeter une partie des réclamations indemnitaires de la requérante, que celle-ci n'avait apporté aucun élément permettant de distinguer, parmi les préjudices dont elle avait demandé à être indemnisée, ceux qui ne l'auraient pas déjà été par la somme de 229 190 euros qui lui avait été versée par l’État le 21 décembre 2017.

Le juge de cassation annule cet arrêt pour dénaturation des pièces du dossier en relevant :

1° que dans le mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur devant la cour administrative d'appel, celui-ci distinguait, parmi les demandes de paiement adressées par la société à la préfète de Saint-Martin et Saint-Barthélemy le 21 novembre 2017, celles présentées au titre de la rétribution de la réquisition des véhicules de celles tendant à l'indemnisation des dommages subis par les véhicules concernés au cours de la période de réquisition, en précisant que ces dernières étaient distinctes des sommes qui lui étaient dues par l'Tat au titre de la réquisition des biens lui appartenant.

2° qu’il ressort également des mêmes pièces du dossier que dans son mémoire en défense produit devant le tribunal administratif, la préfète de Saint-Martin et Saint-Barthélemy avait précisé « qu'aucun paiement n'avait eu lieu concernant les dommages causés aux véhicules ». 

(12 mai 2023, Société Grand Case Equipement Entreprise, n° 463880)

 

114 - Préjudice locatif causé à un bien à usage de bureaux - Proximité de dépôts de déchets - Carence du pouvoir de police - Absence de lien direct de causalité - Rejet.

La SCI demanderesse louait à la société La Poste Immo et à la société GDF Suez des locaux professionnels lui appartenant situés à Avignon sur un terrain voisin d'une déchetterie et d'une aire d'accueil des gens du voyage. Ayant dû consentir en 2014 une baisse de loyer à la société GDF Suez et, en mars 2016, la société La Poste Immo ayant résilié son bail et quitté les lieux, la SCI, estimant ces événements liés notamment à la présence récurrente de dépôts sauvages de déchets, dégradant l'environnement des locaux commerciaux de ces entreprises, ainsi qu’aux actes de vandalisme commis dans ces locaux, a demandé au tribunal administratif la condamnation de la commune d'Avignon à lui payer une certaine somme du chef des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence du maire à faire usage de son pouvoir de police pour faire cesser ces atteintes à la tranquillité publique, à la salubrité publique et à la commodité du passage sur la voie publique.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif qui, tout en jugeant que le maire a fait preuve de carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière de salubrité publique et de commodité du passage sur la voie publique, en raison de l'insuffisance tant de la surveillance des abords de la déchetterie que des diligences effectuées auprès de la communauté d'agglomération du grand Avignon, responsable de la collecte des déchets, cette carence ne présente pas de lien de causalité avec les préjudices invoqués.

Le pourvoi est rejeté car le Conseil d’État considère que la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en constatant l’absence de lien direct de causalité entre la carence du maire et de la communauté d’agglomération et le préjudice subi alors que « la dégradation des lieux à l'origine de cette baisse résulte, selon les affirmations mêmes de la société, de l'existence de la déchetterie et d'un camp destiné aux gens du voyage ».

Le raison paraît quelque peu sophistique en ce que la cause du préjudice résulterait non de la carence du pouvoir de police mais de ce que le terrain est implanté à cet endroit, comme si devait être appliquée ici la théorie ou exception de « risque accepté » (cf. J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey 2018, p. 323 § 583).

Reste que, sans cette carence manifeste, la déchetterie, mieux organisée et contrôlée et le camp, encadré et surveillé, n’auraient pas contribué à la grave dégradation de la capacité locative des biens en cause. Par application de la théorie de la cause adéquate, habituellement utilisée par le juge administratif, c’est cette seconde façon de voir qui est exacte non celle retenue ici qui ressemble davantage à la théorie de l’équivalence des conditions que rejette en principe toujours la jurisprudence administrative.

(25 mai 2023, SCI Marquette Famille, n° 454472)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

115 - Prix des médicaments - Refus d’accorder la hausse demandée du prix de médicaments - Baisse unilatérale de leur prix - Décisions du Comité économique des produits de santé - Obligation de motivation - Rejet.

Les litiges portaient sur deux décisions du Comité économique des produits de santé, la première, du 7 décembre 2021, refusant de faire droit à la demande de la société requérante d'augmentation du prix de vente de ses spécialités « Coumadine 2 mg, comprimés sécables (B/20) » et « Coumadine 5 mg, comprimés sécables (B/30) », la seconde, du 17 décembre 2021, diminuant de 10 % à compter du 1er février 2022 le prix de vente de ces mêmes spécialités.

La société Teofarma demande l’annulation assortie d’astreinte, ou le réexamen de ces deux décisions.

Les deux recours sont joints. Ils sont rejetés, aucun des moyens de forme ou de fond n’ayant réussi à convaincre le juge.

Ce qui retient l’attention, c’est l’affirmation par le Conseil d’État - qui conclut qu’il en a bien été ainsi en l’espèce - que l'art. R. 163-14 du code de la sécurité sociale prévoit que les décisions portant refus de modification du prix d'un médicament sont communiquées à l'entreprise avec la mention de leurs motifs. Il en va de même des décisions par lesquelles le Comité économique des produits de santé revoit à la baisse le prix de vente d'un médicament en application du II de l'article L. 162-16-4 du même code.

Cette interprétation, qui doit être approuvée, n’allait cependant pas de soi. En effet, l’obligation de motivation n’est expressément prévue qu’à l’art. R. 163-14 de ce code, cette disposition ne concernant pas le Comité économique. Par ailleurs, le II de l’art. L. 162-14-6 de ce code s’il énumère les sept critères sur lesquels ce Comité peut se fonder pour fixer le prix de vente au public des médicaments à un niveau inférieur ou baissé, par convention ou à défaut, n’impose pas une obligation de motivation. Reste que le législateur en opérant une énumération limitative de ces critères a, par là même, dressé la liste des motifs possibles des décisions prises en cette matière par le Comité économique et donc a décisivement délimité lesdits motifs. L’obligation de motivation se situe ainsi dans une logique peu discutable.

(12 mai 2023, Société Teofarma, n° 461115 et n° 461176)

 

Service public

 

116 - Association syndicale autorisée (ASA) - Régime des taxes syndicales - Inclusion de parcelles dans le périmètre syndical - Accomplissement incomplet ou défectueux des missions syndicales - Absence d’effet sur l’obligation au paiement des taxes - Rejet.

Le litige portait sur le paiement de taxes syndicales mises à la charge des propriétés incluses dans son périmètre par une association syndicale autorisée, laquelle constitue un établissement public administratif (cf. la célébrissime décision du Tribunal des conflits, du 9 décembre 1899, Consorts Ducornot c/ Association syndicale du canal de Gignac, n° 515, Rec. Lebon, p. 731 ; Sir. 1900.3.49, note M. Hauriou).

En préliminaire à l’examen du fond du litige le Conseil d’État rappelle qu’est irrecevable un moyen nouveau en cassation et qui n’est pas d’ordre public.

Tout d’abord, ces taxes visant non les propriétaires mais les propriétés incluses dans le périmètre syndical, elles sont dues tant que la propriété n’est pas distraite du périmètre.

Ensuite, si le défaut d'accomplissement par une ASA de ses missions peut être de nature à entraîner la décharge de taxes syndicales, la circonstance qu'une telle association n'accomplirait qu'incomplètement ses missions ou les accomplirait de manière défectueuse, ne saurait, en principe, conduire à accorder la décharge des taxes syndicales réclamées à un membre de l'association. 

Il incombe au propriétaire, le cas échéant, de rechercher seulement la responsabilité du syndicat.

(05 mai 2023, M. C., n° 456227)

 

117 - Éducation nationale - Instance départementale chargée de la prévention de l'évitement scolaire - Composition - Traitement de données à caractère personnel - Rejet.

L’association requérante conteste sur deux points la juridicité du décret n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l'instance départementale chargée de la prévention de l'évitement scolaire. Sa demande est rejetée.

En premier lieu, il est reproché à ce décret de ne pas prévoir, au sein de cette instance départementale, de représentants d'associations d'instruction en famille ou des parents d'élèves. Toutefois, cette composition étant directement fixée par la loi (cf. art. L. 131-5-2 du code de l’éducation), le moyen ne peut être utilement soulevé.

En second lieu, il est également soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait l'art. 8 de la convention EDH, le règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. L’objet de ce décret est de favoriser l'échange et le croisement d'informations entre les services municipaux, les services du conseil départemental, les organismes débiteurs de prestations familiales et les services de l’État, afin de repérer les enfants soumis à l'obligation scolaire qui ne sont pas inscrits dans un établissement d'enseignement public ou privé et qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation d'instruction dans la famille. Ainsi, les dispositions attaquées n'ont pour objet ni de créer de traitement de données à caractère personnel, ni de modifier les conditions d'utilisation de traitements existants. 

Ce moyen ne peut pas davantage que le précédent être utilement soulevé.

(09 mai 2023, Association Les enfants d’abord, n° 463213)

 

118 - Éducation nationale - Collèges - Organisation des enseignements - Modifications - Rejet.

Les requérants contestaient la juridicité d’une part, de l'arrêté du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège, d’autre part, de l'arrêté du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 21 octobre 2015 relatif aux classes des sections d'enseignement général et professionnel adapté.

Ils en demandaient également la suspension d’exécution par voie de référé.

Ces deux recours sont joints et rejetés, aucun des moyens soulevés n’étant retenu par le juge.

Tout d’abord, alors que le syndicat requérant est membre du Conseil supérieur de l'éducation, il ne saurait soutenir qu’« il reviendra au ministère de l'éducation et de la jeunesse de produire l'avis visé du Conseil supérieur de l'éducation du 24 mars 2023 », tout en ne soutenant pas devant le juge que cet organisme n'aurait pas été consulté préalablement à leur édiction ou en ne contestant pas la régularité de cette consultation.

Ensuite, aucune disposition ne fait obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, à ce qu'une matière ne soit enseignée qu'au cours de certaines années de scolarité du collège seulement et, notamment, qu'elle ne le soit qu'au cycle 4 correspondant aux classes de cinquième, quatrième et troisième, ni à ce qu'une heure d'enseignement qui relevait de l'enseignement commun soit supprimée et que soit concomitamment ajoutée une heure d'enseignement relevant des enseignements complémentaires. 

Semblablement, les dispositions de l’art. L. 332-5 du code de l’éducation qui prévoient que la formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation technologique, qu’elles soient appliquées seules ou en combinaison avec celles des art. L. 122-1-1 et L. 332-3 dudit code, n'imposent pas que l'initiation technologique soit dispensée au cours de chaque année composant la scolarité au collège.

Enfin, si l’art. L. 211-1 du code précité impose que les programmes ne peuvent entrer en vigueur que douze mois au moins après leur publication, sauf dérogation expresse du ministre chargé de l'éducation, après avis du Conseil supérieur de l'éducation, cette règle ne s’applique pas en l’espèce où ne sont en cause que la modification de l'organisation des formations, et en particulier, le volume horaire des enseignements, mais non les programmes au sens des dispositions de l’art. L. 211-1.

Aucun des moyens n’étant de nature à faire naître un doute sérieux sur la juridicité des textes attaqués, il y a lieu de rejeter le référé suspension sans examen de la condition d’urgence.

(ord. réf. 22 mai 2023, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie et Association PAGESTEC, n° 474147 et n° 474149, jonction)

 

119 - Éducation nationale - École primaire - Harcèlement scolaire - Demande de changement d’établissement - Rejet.

Les requérants ont demandé au juge du référé liberté du tribunal administratif, d'une part, d'annuler les décisions en date des 21 et 27 mars 2023 par lesquelles le maire de Montmorency a refusé de faire droit à leur demande de dérogation à la carte scolaire pour leurs enfants D., E. et C., respectivement âgés de dix, huit et cinq ans, et, d'autre part, d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Versailles d'affecter leurs enfants dans tout autre établissement que l'école élémentaire Jean de La Fontaine, qu'il plairait à la commune de Montmorency de déterminer.

Ils forment appel de l’ordonnance de rejet de ces demandes.

Ils essuient à nouveau un refus, cette fois de la part du juge des référés du Conseil d’État.

Le premier juge avait fondé son rejet de la requête pour défaut d’urgence car 

- les violences, physiques ou verbales, survenues pendant le temps scolaire ou périscolaire, dont D. et E. auraient été victimes ou témoins et dont les requérants se prévalent, apparaissaient isolées, pour certaines relativement anciennes, sans avoir nécessité la mise en place d'un suivi médical ou psychologique particulier ni avoir eu de répercussion sur les résultats scolaires des enfants,

- une attention soutenue avait été portée aux sollicitations de la famille, tant par l'équipe pédagogique et éducative de l'école que par les services de l'éducation nationale et de la commune,

- un dispositif de vigilance rassemblant équipe enseignante et équipe périscolaire avec un bilan hebdomadaire ayant en particulier été mis en place après un incident ayant affecté D. en octobre 2021,

- l’enfant E. ayant, en dernier lieu, été changée de classe le 11 avril 2023 ainsi que ses parents en avaient fait la demande.

Le juge d’appel relève qu’à défaut de tout autre élément apporté par les parents pour démontrer le contraire, il ne peut que confirmer l’appréciation du premier juge sur le défaut d’urgence.

(ord. réf. 23 mai 2023, M. et Mme B., n° 478379)

 

Sport

 

120 - Infliction d’un point de malus à une équipe - Non-conformité du diplôme de son éducateur principal - Sursis à exécution ordonné - Décision entièrement exécutée - Erreur de droit - Annulation.

L’association requérante a demandé au juge des référés du tribunal administratif la suspension de l'exécution de la décision du 12 juillet 2022 par laquelle la commission d'appel du District du Var de football a confirmé la décision de sa commission de structuration des clubs d'infliger à l'équipe « moins de 14 ans » (U 14) de ce club un point de malus pour non-conformité du diplôme de son éducateur principal ainsi que la décision du 1er septembre 2022 par laquelle le District du Var de football a refusé de suivre la proposition du comité national olympique et sportif français de rapporter cette décision.

Le juge des référés a suspendu l'exécution des décisions des 12 juillet 2022 et 1er septembre 2022 et a enjoint d'inclure l'équipe « moins de 15 ans » (U15) du Racing FC Toulon au sein du championnat régional après lui avoir restitué le point retiré à l'issue de la saison 2021/2022.

Le District du Var de football se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Pour accueillir le pourvoi le juge de cassation retient une classique erreur de droit : le juge des référés ne pouvait statuer sur les litiges dont il était saisi, qui portaient sur la détermination des clubs appelés à participer au championnat régional organisé par la Ligue Méditerranée de football pour la saison 2022-2023, alors que toute décision relative à la détermination des clubs appelés à participer à ce championnat devait être regardée comme étant entièrement exécutée dès lors qu'il avait commencé, ce qui ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis et qu'il a d'ailleurs constaté.

Il n’y a jamais lieu à suspendre une décision entièrement exécutée puisque cela serait sans aucun effet utile.

(11 mai 2023, District du Var de football, n° 471249)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

121 - Autorisation d’urbanisme délivrée en méconnaissance des dispositions applicables - Sursis à statuer en vue de sa régularisation - Conditions et régime de régularisation - Violation d’une règle devenue inapplicable lors de la nouvelle décision du juge - Régularisation impossible - Rejet.

La présente décision est d’une certaine importance.

L’on sait que l’illégalité, de fond ou de forme, d'une autorisation d'urbanisme peut être régularisée soit par la délivrance d'une autorisation modificative qui remplit certaines conditions ou si la règle méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce ou encore si intervient une décision administrative individuelle valant mesure de régularisation à la suite d'un jugement décidant de surseoir à statuer sur une demande tendant à l'annulation de l'autorisation initiale (Cf. art. L. 600-5-1 c. urb.). 

Ici, le juge se trouvait dans un autre cas de figure, celui dans lequel le vice affectant l'autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer, résulte de la méconnaissance d'une règle d'urbanisme qui n'est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d'annulation, après l'expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation. En ce cas, il est jugé que cette circonstance est insusceptible, par elle-même, d'entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande (cf. 03 juin 2020, Société Alexandra, n° 420736 ; v. cette Chronique, juin 2020, n° 169).

(04 mai 2023, Société Octogone, n° 464702)

 

122 - Certificat d’urbanisme négatif prétendu illégal - Action en responsabilité - Certificat négatif jugé régulier - Rejet.

Les requérants ont recherché la responsabilité d’une commune à raison du préjudice que leur aurait causé l’illégalité d’un certificat d’urbanisme négatif délivré par le maire de la commune. Ils se pourvoient contre l’arrêt jugeant régulier ce certificat négatif. Le pourvoi est rejeté.

La cour administrative d’appel avait jugé que le certificat d’urbanisme négatif ne méconnaissait pas les dispositions de l’art. UD I du règlement du plan local d'urbanisme de la commune car ces dispositions, éclairées par le rapport de présentation, si elles ne proscrivaient pas toute construction de logements dans ce secteur, elles y faisaient obstacle à une densification excessive de l'habitat et donc au projet litigieux, de construction de six maisons d'habitation sur une parcelle de 1 330 m2, qui en comportait déjà une.

Le Conseil d’Tat approuve ce raisonnement par un double motif.

D’abord, la cour, ce jugeant, n'a pas donné une portée normative aux éléments du rapport de présentation qu'elle a mentionnés et n’a pas estimé que la construction de logements était interdite, mais elle s’est bornée à prendre en considération les indications qu'il comportait en l'absence en particulier de précisions dans le règlement sur le caractère de la zone.

Ensuite, la cour - après avoir porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation sur les faits et les pièces du dossier - a pu légalement déduire des dispositions du règlement ainsi éclairées par ces indications que si toute construction de logement n'était pas interdite dans cette zone, un projet tel que celui des époux B., eu égard à la densité de logements qu'il prévoyait, ne pouvait y être envisagé, sans que cette appréciation puisse être remise en cause par la circonstance que le règlement ait prévu, pour cette zone comme pour d'autres qu'un pourcentage des logements doit être affecté à des catégories de logements locatifs sociaux. 

(11 mai 2023, M. et Mme B., n° 462554)

 

123 - Permis de construire des logements - Exception d’illégalité du classement d’une parcelle par le plan local d’urbanisme - Absence de moyen dirigé contre la partie du PLU remise en vigueur du fait de l’illégalité - Erreur de droit - Annulation.

Pour annuler le permis de construire des logements délivré par le maire de la commune requérante, le tribunal administratif s’était fondé sur l’exception d’illégalité soulevée par les demandeurs, tirée de ce qu’était illégal le classement, par le PLU, en zone UHb de la parcelle concernée par le projet.

Rappelant sa jurisprudence en matière d’exception d’illégalité dirigée contre une partie divisible d’un PLU, le Conseil d’État indique que l’annulation ou la déclaration d’illégalité - pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause - d’un tel document a pour effet de remettre en vigueur les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique et que c'est au regard de ces règles que doit être appréciée la légalité de l'autorisation. D’où cette conséquence, appliquée ici dans toute sa rigueur, que le moyen tiré de l'exception d'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours en annulation d'une autorisation d'urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.

Ce n’était pas le cas en l’espèce. C’est pourquoi le jugement litigieux est annulé.

(24 mai 2023, Commune de Jouars-Pontchartrain, n° 461192)

 

124 - Permis de construire accordé dans une zone de tension entre offre et demande de logements - Régime contentieux temporaire dérogatoire (art. R. 811-1-1 CJA) - Interprétation stricte - Condition non remplie - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi en conséquence.

L’art. R.811-1-1 du CJA a prévu que les recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes situées en zone de tension entre offre et demande de logements sont jugés par le tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort, seul un pourvoi en cassation étant alors possible.

Cette disposition déroge au droit commun qui ouvre à tout justiciable la voie de l’appel. Il en résulte qu’elle doit être interprétée restrictivement.

En l’espèce était contesté le jugement ayant annulé le permis de construire délivré à une société en vue de la surélévation d'un immeuble existant qui comportait avant travaux une surface de 1029 m2 dédiée à l'habitation et une surface de 1408 m2 dédiée aux bureaux et au commerce. Ainsi, ce permis de construire devant aboutir à la création d'une surface nouvelle de 511 m2 de bureaux, n’a pas pour objet la réalisation de logements supplémentaires. Son régime contentieux ne relève donc pas du mécanisme dérogatoire institué par l’art. R. 811-1-1 précité, l’action en cause constitue donc un appel qui doit être porté, conformément au régime de droit commun, devant la cour administrative d’appel à laquelle renvoie la présente décision.

(24 mai 2023, Société Ilana El, n° 466755)

 

125 - Demande d’annulation du permis de construire des logements et des places de stationnement - Prétendu défaut d’intérêt à agir - Motivation insuffisante et erreur de droit - Annulation.

La société ESCOTA, exploitante d’autoroute, avait demandé l’annulation d’un permis de construire trois logements et quatre places de stationnement délivré par la commune de Menton et son recours a été rejeté pour défaut d’intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette décision.

Le jugement est cassé à bon droit.

Le tribunal s’était fondé, pour rejeter le recours de la société ESCOTA, sur ce que le chemin d’accès commun au terrain de la pétitionnaire et à celui d’ESCOTA appartenait au domaine public communal et que cette route était ouverte à la circulation publique d’où résultait l’absence de trouble de jouissance pour cette société.

Le Conseil d’État, pour annuler ce jugement, reproche aux premiers juges, alors que le terrain d'assiette du projet se situe en face d'un talus occupé au moins en partie par la société ESCOTA, dans le cadre d'une concession d'autoroute au titre de laquelle elle exploite l'échangeur autoroutier ainsi que la portion d'autoroute situés en contrebas et dans la continuité du talus, de n’avoir pas recherché si cette société ne justifiait pas d'un intérêt pour agir, d'une part, en ce que compte-tenu de l'occupation de ces terrains, la société ESCOTA pouvait être regardée comme un voisin immédiat et, d'autre part, du fait des éléments dont la société ESCOTA faisait état, relatifs notamment aux risques qu'un usage plus intensif du chemin ferait peser sur l'exploitation de l'ouvrage autoroutier situé en contrebas.

(25 mai 2023, Société ESCOTA, n° 463482)

 

126 - Convention de projet urbain partenarial (PUP) - Contrat de nature administrative - Contestation possible par un recours « Département de Tarn-et-Garonne » - Rejet.

La requérante demandait l’annulation ou la résiliation de la convention de projet urbain partenarial conclue le 3 octobre 2018 entre la communauté de communes du pays de Gex, aux droits de laquelle est venue la communauté d'agglomération du pays de Gex, et la société en nom collectif Eurocommercial Properties Taverny. Le tribunal administratif a annulé cette convention en tant qu'elle porte sur les travaux de dévoiement du réseau d'eau potable et prévoit à ce titre une contribution de la société d'un certain montant, ainsi que l'obligation pour la communauté de communes de réaliser le réseau correspondant.

Sur pourvoi, le Conseil d’État considère qu’il se déduit des dispositions de l’art. L. 332-11-3 du code de l’urbanisme qu’une telle convention de PUP a la nature d’un contrat administratif et que, par suite, sa validité peut être contestée par un tiers dans les conditions prévues par la décision d’Assemblée du 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne (n° 358994).

La solution est très innovante, très logique et doit donc être approuvée.

(01 juin 2023, Société Massonex, n° 464062)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Avril 2023

Avril 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Droit polynésien – Recours dirigé contre le refus de mettre à l’ordre du jour du conseil des ministres de Polynésie française un projet d’acte d’abrogation d’une loi du pays – Compétence en premier ressort du tribunal administratif de Polynésie française – Attribution du litige à ce tribunal.

La société requérante a demandé, en vain, au président de la Polynésie française d’abroger la loi du pays relative au cadre réglementaire des délégations de service public de la Polynésie en ce qu’elle prévoit que les règles de publicité et de mise en concurrence des délégations de service public, ne s'appliquent pas lorsqu'un établissement public confie la gestion d'un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce, c'est-à-dire une société dont il possède plus de la moitié du capital. Elle demande au Conseil d’État l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de la Polynésie française a refusé de faire droit à sa demande.

La demande est transmise au tribunal administratif de Polynésie française, compétent en premier ressort pour juger les recours formés contre une disposition d’une loi de pays, qui est un acte administratif, et donc contre le refus de l’abroger. La compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État n’existe que pour les requêtes portant sur la conformité d’une « loi du pays » avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux de la France ou les principes généraux du droit qui lui paraissent sérieuses. Ce n’est donc que dans ce cas que le tribunal pourra, le cas échéant, transmettre au Conseil d’État tout ou partie du litige.

(07 avril 2023, Société Pacific Mobile Télécom, n° 468496)

 

2 - Caractère contradictoire de la procédure administrative non contentieuse (L. 121-1 et s. CRPA) – Retrait d’une décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux (art. L. 424-5 c. urb.) – Application de cette exigence – Erreur de droit – Annulation.

Le principe du respect du caractère contradictoire de la procédure administrative non contentieuse (cf. art. L. 121-1 et s. du CRPA) constitue une garantie pour le titulaire de la décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux que l'autorité administrative entend retirer. Le délai de trois mois prévu par l'art. L. 424-5 du code de l'urbanisme oblige l'autorité administrative à mettre en œuvre cette décision de manière à éviter que le bénéficiaire de la décision de non-opposition à déclaration préalable ne soit privé de cette garantie.

Commet donc une erreur de droit le juge des référés du tribunal administratif qui juge qu’en l’état de l’instruction n’était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté retirant la décision de non opposition à déclaration préalable de travaux le moyen tiré de ce que le caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu, alors que le maire, qui n'était pas en situation de compétence liée contrairement à ce que soutient la commune, n'avait pas attendu l'expiration du délai de trois mois, à compter de la réception de son courrier du 16 août 2022, délai qu'il avait lui-même imparti à la société Hera pour présenter ses observations, sans en outre que celle-ci l'ait encore fait, et que la société n'avait pas négligé de venir retirer cette lettre au cours du délai prévu par le code des postes et communications électroniques.

(13 avril 2023, Société Hera, n° 468416)

 

3 - Demande de communication de dossiers – Dossier inexistant matériellement – Impossibilité d’exercer le droit à communication – Rejet.

La demande de communication des requérants portait non seulement sur leur dossier médical détenu par l'Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dans le cadre de leur demande de titre de séjour mais aussi sur le dossier administratif de M. A. et ceux de ses enfants. Or l’OFII ne dispose d'aucun autre dossier que celui constitué par les différents éléments médicaux relatifs aux requérants et qui leur ont été communiqués.

L'inexistence du dossier demandé fait ainsi obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande de communication.

(14 avril 2023, M. et Mme A., n° 463009)

 

4 - Obligation de prendre dans un délai raisonnable les décisions réglementaires d’exécution des lois - Mise en œuvre de l’art. L. 421-4 du code de l’urbanisme (travaux soumis à déclaration préalable et non à permis de construire) - Loi du 8 août 2016 non exécutée plus de six ans après - Injonction de prendre les mesures d’exécution.

Rappel que l'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle. 

Ici, le décret d’application n’est toujours pas intervenu six ans et huit mois après que la loi du 8 août 2016 a prévu à son article 81 qu’« Un décret en Conseil d'État arrête la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui, en raison de leurs dimensions, de leur nature ou de leur localisation, ne justifient pas l'exigence d'un permis et font l'objet d'une déclaration préalable.

(...)

Ce décret arrête également la liste des cas dans lesquels il est fait exception à l'obligation de déclaration préalable à laquelle sont soumises les coupes et abattages d'arbres dans les bois, forêts ou parcs situés sur le territoire de communes où l'établissement d'un plan local d'urbanisme a été prescrit ainsi que dans tout espace boisé identifié en application des articles L. 113-1, L. 151-19 ou L. 151-23 ou classé en application de l'article L. 113-1 ». 

Le juge estime dépassé le délai raisonnable d’exécution de la loi, annule le refus du premier ministre d’y procéder et fait injonction à cette autorité de prendre dans un délai de six mois les mesures réglementaires qui s’imposent.

Sept ans, deux mois et vingt jours pour exécuter une loi visant la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages !... A l’ère du numérique fulgurant de vitesse, cela devient un exploit à inscrire au Guinness World Records.

(28 avril 2023, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 460553)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

5 - Individu ayant obtenu, de la justice des États-Unis, les changements de nom et de sexe – Demande de rectification en conséquence à ses anciens employeurs français – Refus – Dépôt d’une plainte à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Plainte clôturée – Rejet.

Paul Longfield a obtenu d'un tribunal de l'État de Virginie, aux tats-Unis, qu'il ordonne de remplacer ce prénom et ce nom par ceux de Camille D. A la suite, Mme D. a sollicité auprès de ses anciens employeurs la rectification de ses nom, prénom et sexe sur l'ensemble des documents la concernant en possession de ces derniers, ainsi que la communication de ces documents rectifiés. Ayant essuyé un refus, elle a saisi la CNIL de plaintes tendant à ce que cette dernière mette en demeure ces sociétés de procéder à la rectification demandée et de lui fournir les documents ainsi rectifiés.

La CNIL ayant informé Mme D. de la clôture de ses plaintes, cette dernière demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision et du rejet du recours gracieux qu'elle a présentée contre celle-ci, en date du 19 août 2021. 

Le recours est rejeté.

Le Conseil d’État  estime que les anciens nom et sexe n’étaient pas inexacts au moment de leur recueil, la décision américaine n’étant pas rétroactive, que le maintien de données originairement exactes et n’ayant pas vocation à être rectifiées ne revêt pas un caractère discriminatoire et ne méconnaît pas les stipulations de l'art. 14 de la convention EDH, le principe de non-discrimination garanti par l'art. 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union et par les art. 225-1, 225-2, 226-19 et 432-7 du code pénal. Pas davantage il n’est ici porté atteinte au respect de la vie privée protégé par l'art. 8 de la convention EDH. Enfin, le juge rappelle que les décisions de clôture de plaintes litigieuses ne font nullement obstacle à la reconnaissance juridique des personnes ayant changé de sexe.

(14 avril 2023, Mme D., n° 462479 et n° 462543)

(6) V. aussi, identique et avec même requérante mais concernant deux demandes de rectification, l’une adressée au service des impôts des particuliers et l’autre en préfecture concernant un titre de séjour : 14 avril 2023, Mme D., n° 464869.

(7) V. encore, avec même requérante au sujet de la mention de sa civilité figurant sur une facture : 14 avril 2023, Mme D., n° 465011.

 

8 - CSA puis ARCOM - Demande d’engager une procédure de mise en demeure - Refus - Saisine du juge - Défaut d’intérêt pour agir - Rejet.

Le requérant défère au juge de l’excès de pouvoir, pour annulation, les décisions implicites du CSA/ARCOM rejetant ses demandes de mettre en demeure plusieurs sociétés éditrices de programmes d'interroger les professionnels de santé invités sur leurs antennes sur leurs liens d'intérêt, notamment avec l'industrie pharmaceutique.

Les recours sont rejetés faute que leur auteur justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour attaquer ces décisions devant le Conseil d'État.

(07 avril 2023, M. F., n°s 460468, 462378, 463033, 463399, 463400)

(9) V. aussi, identique sur le défaut d’intérêt pour agir mais tiré ici du caractère vague des missions statutaires d’une association : 07 avril 2023, Association des parents en colère, n° 463685.

 

10 - Protection des consommateurs - Obligation de mentionner le prix d’une prestation dans sa globalité - Société indiquant distinctement le prix de la prestation et celui du dispositif indispensable à sa réalisation - Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

(07 avril 2023, Société Orange, n° 461082)

V. n° 73

 

11 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Autorisation d’utilisation de fréquences radioélectriques sur certaines bandes - Accès à internet fixe par satellite - Liaisons entre les systèmes à satellites non-géostationnaires - Rejet.

Le Conseil d’État était saisi de deux recours en annulation :

- l’un dirigé contre la décision du 25 mai 2022 par laquelle l’ARCEP a autorisé la société Starlink Internet Services Limited à utiliser les fréquences radioélectriques des bandes 10,95-12,70 GHz (sens espace vers Terre) et 14-14,5 GHz (sens Terre vers espace), sur l'ensemble du territoire pour lequel l'ARCEP est affectataire de ces fréquences, pour un réseau ouvert au public lui permettant de fournir un accès à internet fixe par satellite ;

- l’autre dirigé contre les trois décisions du 2 juin 2022 par lesquelles l'ARCEP a autorisé la société Starlink France SARL à utiliser les fréquences radioélectriques des bandes 17,7-19,3 GHz (sens espace vers Terre) et 29,5-30 GHz (sens Terre vers espace) afin d'établir des liaisons entre les systèmes à satellites non-géostationnaires enregistrés au registre international des fréquences respectivement sous les noms de Steam 2-B, Steam 2 et USASAT-NGSO-3D et la station terrienne Starlink GSN7914 située à Carros, dans les Alpes-Maritimes, pour la fourniture au public d'un accès à internet fixe par satellite.

Le litige, très technique, donne lieu à une décision, très longue, de rejet.

 

1 - Sur la décision de l’ARCEP du 25 mai 2022

 

S’agissant de la légalité externe de cette décision.

Le juge considère qu’il appartient à l'ARCEP d'attribuer les autorisations d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences radioélectriques qui lui ont été assignées par le Premier ministre. ; la décision n’avait donc pas à être signée conjointement avec les ministres chargés de la santé et de l'environnement. De plus, la formation plénière de l’ARCEP était en nombre pour délibérer au terme d’une consultation publique dont la sincérité n’a été en rien altérée. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, l'autorisation a été accordée dans des conditions objectives et transparentes.

 

S’agissant de la légalité interne de cette décision.

Tout d’abord, ne sont pas retenus les moyens tirés, d'une part, de ce que l'ARCEP n'aurait pas épuisé sa compétence et aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de prescrire, au titre des 1°, 4°, 6° et 9° du II de l'art. L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, des conditions d'utilisation des fréquences de nature à garantir que leur utilisation ne causera pas de brouillages préjudiciables aux autres systèmes satellitaires, d'autre part, de ce qu'elle aurait ainsi méconnu l'objectif de gestion équitable des fréquences énoncé au 7° du I de l'art. L. 32-1 du même code. En effet, le juge indique qu’il en est ainsi en raison des conditions et garanties dont l’autorisation litigieuse est assortie : enregistrement du système à satellites non-géostationnaires avec lequel les stations terriennes fixes installées chez les clients de la société Starlink Internet Services Limited résidant en France pourront établir des liaisons, sous le nom de Steam-1 au registre international des fréquences tenu par l'UIT, qui consigne ses caractéristiques et les fréquences qui lui sont assignées ; la société attributaire ne bénéficie pas d'une garantie de non brouillage et est soumise à une obligation de non interférence vis-à-vis des autres utilisateurs des mêmes bandes de fréquences ; elle est tenue de respecter les règles définies pour l'utilisation des fréquences par la convention de l'UIT et par le règlement des radiocommunications ; l'utilisation des fréquences par les terminaux des utilisateurs est soumise aux conditions techniques décrites à l'annexe 1 à la décision ECC/DEC/(17)04 de la conférence européenne des administrations des postes et des télécommunications, conditions de nature à prévenir le risque d'interférences préjudiciables à d'autres services autorisés ; obligation est faite à l’attributaire d'interrompre immédiatement toute activité liée à l'utilisation de ces fréquences si des brouillages étaient constatés. 

Ensuite, sont également rejetés comme dirigées contre des décisions n’étant pas entachées d’erreur manifeste d’appréciation la fixation à dix ans de la durée de l’autorisation ou la circonstance que l'autorisation attaquée ne comporte pas de conditions supplémentaires pour assurer la promotion d'une concurrence effective. 

Pas davantage ne saurait être retenu le moyen qu’une autorisation d’utilisation de fréquences radioélectriques méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée protégé par les art. 8 de la convention EDH et 9 du Code civil.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, compte tenu de l'état des connaissances scientifiques, ni les objectifs d'un niveau élevé de protection de l'environnement et de la santé et de sobriété de l'exposition de la population aux champs électromagnétiques énoncés au 8° et au 9° du II de l'art. L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques ni le principe de précaution n'impliquaient d'assortir l'autorisation contestée, outre le respect des valeurs limites d'exposition aux champs électromagnétiques fixées réglementairement, de prescriptions particulières et de mesures de prévention ou de protection.

 

2 - Sur les décisions de l’ARCEP du 2 juin 2022

 

S’agissant de la légalité externe de ces décisions

Sont rejetés les deux moyens principaux tirés, d’abord, comme ci-dessus, du défaut de signatures conjointes des décisions attaquées par les ministres chargés de l'environnement et de la santé et, ensuite, de l’irrégularité de la procédure suivie au regard de l’art. L. 123-19-2 du code de l’environnement et de la non consultation du public concernant l’autorisation donnée à l’attributaire d’utiliser des fréquences radioélectriques pour transmettre des signaux entre trois systèmes satellitaires enregistrés au registre international des fréquences et une unique station terrestre fixe, située à Carros (Alpes-Maritimes) car si ces autorisations participent de la fourniture de services fixes d'accès à internet à haut débit par satellite, elles sont pas par elles-mêmes susceptibles d'avoir une incidence importante sur le marché de la fourniture d'accès à internet à haut débit ou d'affecter les intérêts des utilisateurs finals.

 

S’agissant de la légalité interne de ces décisions

D’abord, les conditions mises à l'utilisation des fréquences dont s'agit pour établir des liaisons avec la station terrienne de Carros ne sont pas insuffisantes pour prévenir les risques de brouillage avec les autres systèmes satellitaires.

Ensuite, les décisions attaquées n'ayant pas pour objet d'autoriser l'utilisation d'une position orbitale par un système satellitaire mais, seulement, l'utilisation des fréquences qui lui sont assignées sur le territoire français, pour permettre la liaison entre les satellites et une station terrestre fixe, il s’ensuit que doivent être écartés les moyens tirés de la méconnaissance de l'objectif de garantir un niveau élevé de protection de l'environnement et du principe de précaution. 

Enfin, pas davantage que pour l’autre décret ne saurait être retenue une atteinte à la vie privée du chef direct de cette autorisation.

(17 avril 2023, Sociétés Viasat Inc et Skylogic France, n° 466294 ; Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 469188, 469313, 469314, 469315, jonction)

 

12 - Demande de déréférencement - Contenu d’une information - Contenu n’étant plus strictement nécessaire à l’information du public - Annulation du refus par la CNIL de mettre en demeure un journal.

Le requérant demandait l’annulation du refus de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de mettre en demeure le journal La Montagne de procéder au déréférencement d’un article contenant une information le concernant.

Pour annuler ce refus le Conseil d’État retient que l'article de presse litigieux, qui se rapporte à une condamnation de l’intéressé pour des faits d'escroquerie, de banqueroute, de faux et usage de faux, d'abus de confiance et d’exécution de travail dissimulé, et qui a été publié dans le quotidien régional La Montagne « porte sur des faits antérieurs à 2014, qu’il se borne à relater de façon factuelle le procès et la condamnation dont » le requérant  « et la gérante de droit de la société au sein de laquelle il intervenait ont fait l'objet, sans comporter d'analyses ou de commentaires de nature à nourrir un débat d'intérêt public sur les enjeux liés à cette procédure.

En outre, il relève que l’intéressé, âgé de 68 ans, dont la société, en cause dans l'affaire pénale relatée par l'article, a été liquidée en 2013 et qui ne peut légalement plus avoir la qualité de dirigeant d'entreprise jusqu'à ce que la peine d'interdiction de gérer pendant 15 ans à compter de janvier 2017 à laquelle il a été condamné soit entièrement purgée, « ne jouit pas d'une notoriété particulière, le dossier ne faisant à cet égard ressortir ni que l'affaire dans laquelle il a été condamné aurait fait l'objet d'autres commentaires publics, ni que la décision d'appel aurait elle-même donné lieu à un article de presse référencé par le même moteur de recherche à partir de son nom. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué par la CNIL, que l'article de presse litigieux ne serait pas accessible en ligne à partir d'autres informations que le nom de M. A. Enfin, l'article de presse dont le déréférencement est demandé ne peut être regardé comme reflétant la situation judiciaire actuelle de l'intéressé dès lors que, par un arrêt du 14 mars 2018, la cour d'appel de Riom a réduit la peine infligée au requérant par le tribunal correctionnel à deux ans d'emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve de deux ans et à une interdiction de gérer de dix ans et a confirmé la peine complémentaire de première instance de publication de la décision en la limitant toutefois au dispositif de son arrêt et à une seule publication. Dans ces conditions, et eu égard aux répercussions que le référencement de cet article est susceptible d'avoir sur la situation personnelle du requérant, l'accès à ce contenu en ligne à partir du nom de ce dernier ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme strictement nécessaire à l'information du public, justifiant de maintenir le lien litigieux par exception au principe selon lequel la personne concernée a le droit au déréférencement des contenus la concernant. »

(20 avril 2023, M. A., n° 463487)

 

13 - Engagement librement consenti par un opérateur en déploiement du réseau de fibre jusqu’à l’habitant en zone moins dense - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Force contraignante de l’engagement (art. L. 33-13, code des postes et télécommunications) - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Absence de nature contractuelle - Rejet.

(21 avril 2023, Société Orange, n° 464349)

V. n° 25

 

14 - Modifications des caractéristiques techniques d’émission par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) - Modifications intervenues après délivrance de l’autorisation d’usage des fréquences - Objectif d’intérêt général - Absence d’illégalité - Rejet.

Les collectivités requérantes poursuivaient l’annulation du la décision du 4 novembre 2020 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA devenu ARCOM) a autorisé la société d'exploitation du multiplexe R6-SMR6 à modifier son site de diffusion ainsi que la décision du 19 février 2021 rejetant leur recours gracieux.

Après avoir indiqué - étrangement - que les décisions contestées n’avaient pas à être motivées ni, non plus, à donner le sens et la date de l’avis de l'Agence nationale des fréquences concernant les décisions d'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature, lequel n’avait pas, non plus, à être publié ou communiqué dans le cadre de l’instance, le juge rejette le recours au fond. Il se fonde à titre principal sur ce qu’il résulte des dispositions des articles 22, 25 et 30-2 de la loi du 30 septembre 1986 que le CSA (devenu ARCOM), détient la possibilité de modifier, postérieurement à la délivrance des autorisations d'usage de fréquence, dans un objectif de bonne gestion du domaine public hertzien et de prise en compte de l'intérêt du public, les spécifications techniques dont est assorti cet usage et notamment, parmi celles-ci, le lieu d'émission à partir duquel s'effectue la diffusion, dans la mesure où de telles modifications ne remettent pas en cause les choix opérés entre les différents candidats lors de l'attribution initiale des fréquences, l'existence même de l'autorisation délivrée ni les conditions essentielles de sa mise en oeuvre. 

(25 avril 2023, Commune de Vesoul, communauté d'agglomération de Vesoul et autres, n° 461678)

 

15 - Demande d’engagement par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) d’une procédure de sanction - Invocation de la mauvaise qualité d’un réseau de communications électroniques en fibre optique - Préjudices graves allégués - Absence d’un droit à bénéficier de l'accès à un réseau en fibre optique- Engagements pris par l’exploitant du réseau - Défaut d’urgence - Rejet.

La communauté d’agglomération requérante a demandé en vain à l’ARCEP la prise de sanction à l’encontre des opérateurs responsables de la mauvaise qualité, sur son territoire, du réseau de communications électroniques en fibre optique. Elle soutient que cette situation préjudicie de manière grave et immédiate aux intérêts matériels et moraux de ses administrés, faisant valoir que les dysfonctionnements persistants de l'accès à ce réseau compromettent la continuité des services publics, des activités économiques et du télétravail sur son territoire. Elle invoque en outre la directive du 11 décembre 2018 portant code des communications électroniques européen, dont l'art. 84 dispose que « (...) les États membres veillent à ce que tous les consommateurs sur leur territoire aient accès, à un tarif abordable, compte tenu des circonstances nationales spécifiques, à un service d'accès adéquat à l'internet à haut débit disponible (...) ».

Elle saisit le Conseil d’État d’un référé suspension contre le refus de l’ARCEP d’engager une procédure de sanction. Sa demande est rejetée.

Au plan théorique, le juge des référés répond qu’il ne résulte pas des dispositions de cette directive que les usagers puissent se prévaloir d'un droit à bénéficier de l'accès à un réseau en fibre optique. Au plan pratique, le juge relève que l'ARCEP fait état, dans sa décision litigieuse du 20 février 2023, des engagements pris auprès d'elle par l'exploitant du réseau, notamment sur la remise en état des infrastructures dégradées, avec une échéance au mois de mai 2023 pour 17 points de mutualisation.

C’est pourquoi, à défaut d’urgence, la demande en référé suspension est rejetée.

(ord. réf. 04 avril 2023, Communauté d'agglomération Paris-Saclay, n° 472306)

 

Biens et Culture

 

16 - Occupation domaniale - Domaine public maritime - Tarif de la redevance applicable aux bateaux dans le Port-Vieux de La Ciotat - Redevance domaniale et non pour service rendu - Justification par la rareté des emplacements disponibles - Prise en considération de la taille des bateaux - Rejet.

La commission permanente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a adopté la tarification 2018 pour l'occupation du domaine public maritime applicable au Port-Vieux de la commune de La Ciotat, telle que détaillée dans le rapport et ses annexes et décidé d'augmenter de 200 euros le montant de la redevance des bateaux de plaisance au port à sec et des bateaux de plaisance des catégories A à D amarrés au port à flot, à l'exclusion des bateaux dits de tradition et des bateaux des catégories E à P du port à flot.

Sur recours des requérants le tribunal administratif a annulé cette délibération mais sur appel de la société publique locale (SPL) La Ciotat Shipyards et du département des Bouches-du-Rhône la cour administrative d’appel a infirmé ce jugement.

Le Conseil d’État rejet le pourvoi des demandeurs contre cet arrêt.

La cour est approuvée d’abord pour avoir jugé que si la redevance acquittée en contrepartie de l'autorisation d'occupation du port de plaisance ouvrait droit à titre accessoire au bénéfice d'un service de manutention au moyen d'un chariot élévateur pour la mise en eau et hors d'eau des navires en cas de passage du port à sec au port à flot et inversement, cette redevance était calculée de façon globale et forfaitaire, avec pour seuls critères de détermination de son tarif la longueur des bateaux, leurs caractéristiques et l'emplacement de leur stationnement, indépendamment de l'utilisation effective de l'engin de levage et d’en avoir déduit que cette redevance revêtait le caractère d'une redevance domaniale et non, fût-ce pour partie, d'une redevance pour service rendu, de sorte que sa modification avait légalement pu intervenir sans être précédée de l'affichage prévu par les dispositions précitées de l'art. R. 5314-9 du code des transports. 

Semblablement, c’est sans illégalité que la Cour s’est fondée, pour apprécier la légalité des tarifs fixés par la délibération litigieuse, sur la rareté des emplacements disponibles et sur les avantages procurés aux bénéficiaires par leur occupation. 

Enfin, c’est sans erreur de droit qu’elle a estimé que le principe d’égalité n’avait pas été méconnu en l’espèce par la délibération litigieuse prévoyant, pour les occupants du port à flot, des tarifs différents selon la taille des navires pour tenir compte de la rareté relative des emplacements de différente taille et exempter de la hausse de la redevance les navires dits de tradition, qui se trouvent placés dans une situation différente de celle des autres navires.

(14 avril 2023, Association des plaisanciers du Port-Vieux de La Ciotat et autres, n° 462797)

 

17 - Occupation irrégulière du domaine public maritime - Demande préfectorale d’ordonner une démolition - Étendue des pouvoirs du juge du référé de l’art. L. 521-3 CJA - Rejet.

De ce que le juge des référés ne peut ordonner sur le fondement de l'art. L. 521-3 du CJA que des mesures qui ont nécessairement un caractère provisoire ou conservatoire, il s’ensuit qu’invité par un préfet à ordonner la démolition d’une extension de bâtiment empiétant sur le domaine public maritime, ce juge ne peut que rejeter cette demande car, de ce chef, sa compétence ne peut s’exercer qu’en vue d’ordonner le démontage ou le déplacement de l’ouvrage litigieux.

En jugeant qu'aucun principe ne faisait obstacle à ce qu’il soit ordonné à l'occupant irrégulier du domaine public de démolir les ouvrages implantés sans droit ni titre sur le domaine public dans le cas où cette destruction découle directement et nécessairement de la mesure d'expulsion, le juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance d'erreur de droit. 

(14 avril 2023, Société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne, n° 466993)

 

18 - Exposition d’œuvres picturales – Tableau très suggestif présenté par une société chargée d’une mission de service public – Demande de retrait du tableau ou son interdiction d’accès aux mineurs – Rejet.

Les requérantes demandaient le retrait d’un tableau exposé au Palais de Tokyo, société dont l’État est l’unique actionnaire et qui est chargée d’une mission de service public, ou l’interdiction d’accès de mineurs à cette exposition consacrée à l’œuvre d’une artiste.

Le tableau, dénommé « Fuck abstraction ! », représente, selon la description donnée par le juge « la silhouette d'un homme au corps très puissant, nu, sans visage, qui impose une fellation à une victime mince et de très petite taille, nue, à genoux et aux mains liées dans le dos ».  La question posée est classique dans l’histoire de la culture : la dénonciation d’actes ignobles peut-elle être faite au moyen de leur représentation ou de leur mise en scène ? Comment faire le départ entre le voyeurisme complice et la catharsis ?

L’autrice du tableau envisage son œuvre « comme un site de résistance individuelle et de dissidence, dénonçant l'humiliation et la violence (…) la caisse de résonance des conflits contemporains et de leur médiatisation, de la guerre du Golfe à celle des Balkans dans les années 1990 et des changements géopolitiques qui suivent le " Printemps arabe " aussi bien que des conflits qui, depuis le début des années 2000, ont poussé des centaines de milliers de personnes du Moyen-Orient et d'Afrique à migrer. »

Ici, pour rejeter les demandes dont il était saisi, le juge des référés, statuant en appel, retient l’interdiction d’accès aux mineurs visitant seuls l’exposition ainsi que les précautions prises par la société organisatrice sur fond de liberté de création et de liberté de diffusion artistiques. Reste que manque, dans ce qui demeure, un acte de communication, donc entre deux parties, le sentiment et les mobiles de l’autre partie, le visiteur, dont on ne peut trop présumer l’innocence du regard. Comme le dit Paul Valéry à propos de ses écrits : « Mes vers ont le sens qu'on leur prête. Celui que je leur donne ne s'ajuste qu'à moi, et n'est opposable à personne. C'est une erreur contraire à la nature de la poésie, et qui lui serait même mortelle, que de prétendre qu'à tout poème correspond un sens véritable, unique et conforme à quelque pensée de l'auteur. »  (Variété III (1936), Commentaires de Charmes (1929), p. 1509, éd. Pléiade).

(ord. réf. 14 avril 2023, Association Juristes pour l'enfance, n° 472611 ; Association Pornostop, n° 472612 ; Association Innocence en danger, n° 472646 ; Association Face à l’inceste, n° 472702)

 

19 - Décret portant classement de sites – Procédure d’enquête – Absence d’erreur d’appréciation – Rejet.

Il était demandé l’annulation du décret du 25 septembre 2020 portant classement, parmi les sites du département du Rhône, des vallons de l'ouest lyonnais, comprenant les communes de Charbonnières-les-Bains, Dardilly, Ecully, Marcy-l'Etoile, La-Tour-de-Salvagny. La demande est annulée aucun des moyens invoqués n’étant retenu par le juge.

En premier lieu, la circonstance que l’art. L. 121-16 du code de l'environnement, prévoyant la faculté pour l'autorité compétente d'organiser une concertation préalable à l'enquête publique associant le public pendant l'élaboration du projet, ne faisait pas obstacle à ce que le directeur régional de l'aménagement et du logement décidât d'organiser à un stade préparatoire une consultation restreinte à certains acteurs, qui différait, tant par sa nature que par son déroulement, de la concertation préalable mentionnée à l'art. L. 121-16. Le décret attaqué n’a, ainsi, pas été pris au terme d'une procédure irrégulière.

Les requérants ne sont pas fondés à soutenir que dossier d'enquête publique accessible en ligne était incomplet, en ce qu'il ne comportait ni le bilan des échanges ni le rapport de présentation incluant l'analyse paysagère, historique et géomorphologique du site. Toutefois, d'une part, le bilan de ces échanges, distincts de la concertation préalable définie à l'art. L. 121-16 du code de l'environnement et mentionnée au 5° de l'art. R. 123-8 du même code, n'avait pas à figurer au dossier soumis à l'enquête publique. Tout comme ces requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir ni qu’aurait nui à l'information complète du public ni qu’aurait été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête l'absence du rapport de présentation dans le dossier mis en ligne dès lors qu’il a pu être consulté dans la version papier du dossier d'enquête publique mise à la disposition du public dans les locaux des mairies concernées.

Pas davantage ne peut être invoquée l’erreur figurant tant dans le rapport du commissaire enquêteur que dans l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ayant consisté à attribuer à une délibération communale un sens favorable

 alors que c’est l’inverse qui s’est produit car, selon le juge « cette inexactitude n'a pas été susceptible de nuire à la bonne information du public ni de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête ». Ce rejet pêche par le défaut de toute explication à son soutien.

Il est aussi jugé que l'autorité publique n'étant pas tenue de donner suite à la réserve dont le commissaire enquêteur avait assorti son avis favorable et portant sur l'absence de création d'un comité de gestion préalablement à son adoption, le moyen est inopérant. Là aussi un peu moins d’hermétisme n’aurait pas nui.

Enfin, au fond, le classement est justifié en ce qu’il est fondé, d’une part, sur le caractère pittoresque du site pour justifier son classement au regard de son homogénéité, de la qualité de son bâti et de la richesse de son milieu naturel ainsi que de sa proximité avec une zone fortement urbanisée et d’autre part que le site en cause se caractérise par la qualité et la diversité de ses paysages de fond de vallée dans un contexte péri-urbain qui constitue l'une de ses spécificités et présente, comme autre trait remarquable, le fait d'être traversé par de nombreux ruisseaux, tout en offrant de belles perspectives lointaines sur les monts du Lyonnais et les monts d'Or, ainsi qu'une structure paysagère qui constitue un exemple unique de relief de ce type à proximité de la ville de Lyon.

(19 avril 2023, Mme O., n° 446831 ; Association de défense des vallons de l'ouest lyonnais et autres, n° 446869)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) – Calcul de la contribution incendie – Détermination des contributions de chaque commune et établissement public de coopération intercommunale – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel ne prend pas en compte la part départementale des contributions au budget du service départemental d'incendie et de secours puisque depuis 2004 la contribution du département est arrêtée par le conseil départemental dans un compte distinct.

(12 avril 2023, Commune de Pignan, n°s 452386, 452388, 452389, 452392, 452393, 452395, 452396 et 452399)

 

Contrats

 

21 - Marché de maîtrise d’œuvre en vue d’une opération de construction hospitalière – Résiliation pour faute aux frais et risques – Demande de reprise des relations contractuelles ou, à défaut, de paiement du solde du décompte de résiliation et d’indemnisation du préjudice subi – Marché de substitution - Annulation partielle.

Un marché de maîtrise d'œuvre d’une opération de construction d'un pôle et d'un nouveau bâtiment médicotechnique a été confié par les Hôpitaux civils de Colmar à un groupement momentané d'entreprises solidaires composé de la société Art et Build Architectes, mandataire du groupement, et des sociétés B+B, OTE et Gamba. Ce marché a été résilié le 6 juillet 2015 à l'égard de la seule société Art et Build pour faute, à ses frais et risques.

En conséquence, le maître d’ouvrage a conclu le 27 juillet 2015 un avenant au marché confiant, d'une part, à la société B+B, la mission de mandataire et, d'autre part, aux sociétés B+B et OTE les éléments de mission de base et optionnels inachevés par la société Art et Build. Cette dernière devait donc supporter leur coût dans le cadre de ce marché de substitution.

La société requérante a contesté cette résiliation et a demandé, à titre subsidiaire, la réparation des préjudices subis puis elle a introduit devant le tribunal administratif un recours en contestation de validité de la résiliation. La société a mis en demeure la personne publique de lui notifier le décompte de résiliation du marché à la suite du rejet de sa réclamation. Cette mise en demeure étant restée sans réponse, elle a demandé le 6 novembre 2015 aux Hôpitaux civils de Colmar de lui verser le solde de son contrat résilié. Devant le refus opposé à cette dernière réclamation, la société en a saisi le tribunal administratif qui a rejeté ses demandes.

Elle se pourvoit en cassation de l'arrêt du 28 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté sa demande tendant au paiement du solde du décompte de résiliation du marché conclu avec les Hôpitaux civils de Colmar, puis rejeté cette demande et le surplus de ses conclusions. 

Si la décision est classique concernant la résiliation du marché pour faute et la conclusion subséquente d’un marché de substitution en ce que, d’une part, la faute est établie et la résiliation jugée proportionnée à la gravité de la faute commise, et d’autre part, est jugé légal le recours à un marché de substitution en l’état d’un refus d’exécuter une mise en demeure, il est assez innovant en matière de pénalités de retard.

Le juge rappelle le caractère purement forfaitaire des pénalités contractuelles qui sont liées au fait matériel de l’inexécution des obligations contractuelles et sont dues alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi. Elles sont donc applicables de plein droit et ce n’est qu’à titre exceptionnel que le juge, saisi de conclusions en ce sens, peut modérer ou augmenter ces pénalités lorsqu’elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l'autorité concédante, et compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée. C’est évidemment à la partie concernée qu’incombe la démonstration du caractère excessif, dans un sens ou dans l’autre, des pénalités contractuellement prévues.

Dans le cas où – et c’est là l’apport principal de cette décision –, la convention litigieuse  fixe la part qui revient à chaque membre d'un groupement solidaire dans l'exécution d'une prestation, le juge saisi par l'un de ces membres de conclusions tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge en raison des retards dans l'exécution de la part des prestations dont il avait la charge, doit, pour apprécier leur caractère manifestement excessif eu égard au montant du marché, prendre en compte la seule part de ce marché qui lui est attribuée en application de cette convention.

En l’espèce, il est jugé qu’en prenant en compte la totalité du montant du marché pour calculer la part de ce marché que représentaient les pénalités infligées à la société Art et Build Architectes et non la seule part de ce marché attribuée à cette dernière, la cour administrative d'appel, qui n'était saisie que des conclusions présentées par cette dernière société et tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge par les Hôpitaux civils de Colmar, a commis une erreur de droit. 

(12 avril 2023, Société Art et Build Architectes, n° 461576)

 

22 - Travaux de construction d’un collège – Désordres – Transaction entre le maître d’ouvrage et l’assureur d’un des participants à la construction – Action subrogatoire de l’assureur – Régime applicable – Erreur de droit – Annulation.

A la suite de désordres apparus après la réception des travaux de construction d’un collège, le département maître d'ouvrage et son assureur, la société SMA, ont conclu une transaction par laquelle le département s’est désisté de son action engagée contre cette société et, réciproquement, cette dernière a accepté de l'indemniser notamment de la somme de 791 226 euros au titre des désordres affectant l'étanchéité de la toiture.

Subrogée dans les droits du département en vertu de la quittance subrogative, la société SMA, a saisi le tribunal administratif de Grenoble qui a notamment condamné M. E. et la société Patriarche et Co, maître d'œuvre, ainsi que la société Les fils d'Eugène D., entrepreneur, à lui verser la somme de 785 824,91 euros hors taxes au titre des désordres identifiés susindiqués, augmentée de la TVA et des intérêts au taux légal, et condamné la société Les fils d'Eugène D. à garantir M. E. et la société Patriarche et Co à hauteur de 90 % des condamnations mises à leur charge.

Sur l'appel formé par la société Les fils d'Eugène D., la cour administrative d'appel a ramené le montant de la condamnation à la somme de 395 613 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

La société SMA se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il limite l'indemnité qui lui a été allouée à cette dernière somme.

Le juge rappelle qu’en vertu des dispositions de l’art. 1346-4 du Code civil et de l’art. L. 121-12 du code des assurances la subrogation a lieu dans la mesure de ce qui a été payé et dans la limite de la créance détenue par l'assuré contre le responsable. Le juge, saisi d’un recours subrogatoire exercé par l'assureur contre le tiers débiteur, doit, si les conditions d'engagement de la responsabilité du tiers débiteur sont remplies, déterminer le droit à réparation de l'assuré, puis celui de l'assureur subrogé. Le droit de ce dernier ne peut, naturellement, excéder le montant de l'indemnité d'assurance qu'il a versée à son assuré.

Revenant au cas de l’espèce – et ceci est l’apport principal de la décision -, le juge examine l’hypothèse où est retenu un partage de responsabilité en raison d'une faute commise par l'assuré ; en ce cas il est jugé que ce partage doit être appliqué à l'assiette constituée par l'évaluation du préjudice subi par l'assuré et non au montant de l'indemnité versée par l'assureur à son assuré. C’est pourquoi la cour administrative d’appel a commis ici une erreur de droit en appliquant le partage de responsabilité qu'elle a retenu en raison d'une faute commise par le département maître d’ouvrage, au montant de l'indemnité d'assurance versée par la société SMA au département au titre de la transaction, alors qu'il lui appartenait d'appliquer ce partage au seul montant de l'évaluation du préjudice subi par le département.

L’arrêt querellé est annulé en tant qu'il limite l'indemnité allouée à la société SMA à la somme de 395 613 euros.

(12 avril 2023, Société SMA, n° 463881)

 

23 - Marché public de service – Exécution de missions de travail aérien et de transport public sur l'ensemble du territoire de la Guyane – Clause d’exclusion des candidats ayant certains liens avec des entités exploitant le sol ou le sous-sol – Demande d’écarter cette clause – Rejet.

L'Office national des forêts (ONF), en vue de la passation du marché public de service relatif à l'exécution de missions de travail aérien et de transport public sur l'ensemble du territoire de la Guyane, a inséré une clause prévoyant l'exclusion des candidats ayant un lien organique ou capitalistique avec toute entité physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle soit d'exploitation du sol ou du sous-sol, soit étroitement liée à celles-ci.

Cette clause a été retenue car le marché en cause concerne la fourniture de moyens en vue de la mission de surveillance des activités minières légales et illégales dont la bonne exécution impose des exigences de confidentialité et d'indépendance des pilotes vis-à-vis notamment des personnes susceptibles de faire l'objet de cette surveillance.

La société requérante a demandé au juge du référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA), d'ordonner à l'Office national des forêts (ONF), à titre principal, de reprendre l'analyse des offres en vue de la passation de ce marché public de service en écartant la clause d'exclusion de certains candidats ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel appel d'offres, après avoir écarté le motif d'exclusion litigieux, si la reprise de l'analyse des offres est impossible. 

Le juge des référés a enjoint à l'ONF de supprimer cette clause des documents contractuels du marché, d'informer les opérateurs économiques intéressés de cette modification des documents contractuels et d'ouvrir, à compter de cette information, un nouveau délai de réception des offres au moins égal à cinquante jours.

Le pourvoi de l’ONF contre cette ordonnance est accueilli et le Conseil d’État statue au fond.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit car la clause litigieuse, qui vise à assurer l'indépendance de l'attributaire du marché et de ses pilotes vis-à-vis des entités ou activités susceptibles d'être contrôlées dans le cadre de l'exécution de ce marché, doit ainsi être regardée comme une condition de participation à la procédure de passation propre à garantir les capacités professionnelles des candidats nécessaires à l'exécution du marché, au sens des dispositions de l'art. L. 2142-1 du code de la commande publique et elle ne porte donc pas, contrairement à ce qu’a jugé le juge des référés, sur les conditions d'exécution du marché lui-même, qui sont soumises, elles, aux dispositions de l'art. L. 2112-2 du même code.

Ensuite, réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État rejette le recours en ses trois moyens. D’abord, l'ONF n’a pas méconnu, dans les circonstances de l’espèce, les dispositions de l'art. L. 2141-10 du code de la commande publique, qui visent la prévention d'une situation de conflit d'intérêts susceptible d'intervenir dans la procédure de sélection des offres et d'attribution du marché. Ensuite, si le juge du référé précontractuel peut annuler la procédure de passation d'un marché pour manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de fixer des niveaux minima de capacité liés et proportionnés à l'objet du marché résultant de l'art. L. 2142-1 du code de la commande publique, il ne peut le faire que si l'exigence de capacité imposée aux candidats est manifestement dépourvue de lien avec l'objet du marché ou manifestement disproportionnée. Tel n’est pas le cas en l’espèce car aucune des autres modalités que la société Héli-Cojyp présente comme alternatives à la clause litigieuse n'aurait permis à l'ONF de garantir que les candidats disposent des capacités professionnelles nécessaires à l'exécution du marché compte tenu des exigences de confidentialité et d'indépendance précitées.  Enfin, alors même que les liens commerciaux que pourrait entretenir un candidat avec une personne physique ou morale exerçant une activité professionnelle liée à l'exploitation du sol ou du sous-sol ne sont pas de même nature que des liens organiques ou capitalistiques avec une telle personne, la requérante ne peut soutenir que la clause en litige aurait été rédigée de telle manière à n'exclure que la société Héli-Cojyp et qu'ainsi elle revêtirait un caractère discriminatoire. La motivation du rejet de ce dernier moyen laisse à désirer.

(12 avril 2023, Société Héli-Cojyp, n° 466740)

 

24 - Marché de fourniture d’un produit larvicide contre les moustiques – Candidat retenu proposant un produit sans autorisation de mise sur le marché (AMM) – Illicéité du contrat conclu – Rejet.

La commune de Hyères, suite à un appel d’offres, dans le cadre d’un marché de fourniture, en vue de la fourniture d’un produit larvicide destiné à éradiquer les moustiques, a retenu la candidature de la société CERA et conclu avec elle un contrat. La société Sumitomo Chemical Agro Europe – qui fournissait le produit présenté par une société évincée du contrat, la société Bergon - a demandé au tribunal administratif, à titre principal, d'annuler ce contrat et, à titre subsidiaire, d’en prononcer la résiliation. Sa demande a été rejetée en première instance puis accueillie en appel d’où le pourvoi en cassation des intimées.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État retient, comme la cour, la circonstance que le produit proposé par la société n’avait pas reçu d’autorisation de mise sur le marché et que ce produit ne pouvait prétendre bénéficier des dérogations prévues par le droit de l’Union européenne.

Comme, d’une part, l’offre de la société Bergon n’était pas irrégulière, incomplète ou inacceptable, et d’autre part, le produit « Aquabat XT » présenté par la société CERA comportait une substance active dont la demande d’autorisation de mise sur le marché n’avait pas été autorisée à la date de la conclusion du contrat, il s’ensuit que le contrat litigieux est entaché d’illicéité à raison de ce que son objet même est irrégulier. C’est donc sans erreur de droit ni inexactitude dans la qualification des faits que la cour a jugé que le défaut d'autorisation de mise sur le marché d'un produit dont la fourniture constituait l'objet même du contrat litigieux entachait d'illicéité le contenu de ce contrat et qu'un tel vice était de nature à justifier son annulation.

(05 avril 2023, Commune de Hyères, n° 459834 ; Société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires (CERA), n° 459865)

 

25 - Engagement librement consenti par un opérateur en déploiement du réseau de fibre jusqu’à l’habitant en zone moins dense - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Force contraignante de l’engagement (art. L. 33-13, code des postes et télécommunications) - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Absence de nature contractuelle - Rejet.

Le litige opposait la société Orange et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) du fait de la mise en demeure de cette société par la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI) de l’ARCEP, d’avoir à respecter sa proposition d'engagements relatifs au déploiement de réseaux de fibre jusqu'à l'habitant en zone moins dense.

Parmi les nombreux moyens développés au soutien de son recours par la société Orange, un seul retiendra l’attention, le lecteur étant renvoyé au texte de la décision pour ses aspects propres au droit des communications électroniques.

La requérante soutenait que les engagements qu’il lui était reproché de ne pas exécuter correctement avaient la nature d’un contrat. Le Conseil d’État rejette cette argumentation.

Tout d’abord, l’art. L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques dispose notamment : « Le ministre chargé des communications électroniques peut accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux.

L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 (...) ».

Ensuite, la société requérante soutient que les engagements souscrits au titre de l'article L. 33-13 précités devraient être regardés comme de nature contractuelle.

Pour rejeter cette analyse juridique, le Conseil d’État juge que, par ces dispositions, « le législateur a entendu donner une force contraignante aux engagements librement consentis par les opérateurs en matière de déploiement du réseau de fibre jusqu'à l'habitant en permettant au ministre chargé des communications électroniques de les accepter. Il en résulte que les engagements librement souscrits sur ce fondement et acceptés par cette autorité ne peuvent être qualifiés de contrat entre l'opérateur et l'État. Par conséquent, la requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que les dispositions attaquées conduiraient à méconnaître la liberté contractuelle. »

Ce raisonnement appelle plusieurs observations.

D’abord, le juge administratif exclut la force obligatoire de l’engagement unilatéral, ce qui s’écarte fort de la solution retenue en droit civil et en droit commercial.

Ensuite, il fait dépendre la force obligatoire de cet engagement de son acceptation par le ministre compétent.

Enfin, et ceci paraît contradictoire avec ce qui précède. En décidant que la force obligatoire de l’engagement unilatéral résulte de son acceptation par l’autorité administrative, le juge décrit ni plus ni moins que le mécanisme central du contrat, la rencontre d’une offre et d’une acceptation concordantes, des volontés elles-mêmes concordantes du solvens et de l’accipiens. Il est difficile, dès lors, de ne pas apercevoir un contrat dans cette situation. D’autant qu’il a déjà été jugé que deux actes unilatéraux concordants constituent un contrat (ainsi de deux délibérations de conseils municipaux, chacune constituant pourtant une décision unilatérale : C.E. 20 mars 1996, Commune de Saint-Céré, Rec. Lebon p. 87 ; CAA Paris, 20 novembre 2007, Commune de Bry-sur-Marne, 05PA02535 ; en ce sens, voir : J.C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey Universités, 2018 p. 47 § 56).

De plus, la confusion s’accroît à la lecture du deuxième alinéa de l’art. L. 33-13 précité où il est indiqué que l’ARCEP contrôle le respect de l’engagement et sanctionne les manquements à cet engagement. Tout ceci plonge entièrement dans l’univers contractuel et la position du juge semble d’autant moins judicieuse.

(21 avril 2023, Société Orange, n° 464349)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Recours en révision – Notion de « pièces fausses » - Rejet.

Les requérants soutiennent, dans le cadre d’un recours en révision, lequel ne peut être formé que si le juge n’a été déterminé à la solution qu’il a retenue qu’en raison de ce qu’elle repose sur des pièces fausses, que tel est le cas en l’espèce.

Dans le cadre de la contestation de la délivrance d’un permis de construire, il est soutenu que la décision du Conseil d'État du 27 juillet 2022 dont ils demandent la révision a été rendue sur pièces fausses.

Les demandeurs font d’abord valoir que les deux pièces fournies à l'appui de la demande du permis de construire modificatif n° 4, intitulées « synthèse surface taxable PCM 4 » et « synthèse surface de plancher PCM 4 », comportent des omissions volontaires de la part de la société pétitionnaire, en ce qu'elles ne mentionnent pas, dans le tableau de synthèse du calcul de la surface taxable et de la surface de plancher du projet, le local de stockage de matériel de piscine de 28 m2, dont la prise en compte porte la surface de plancher au-delà de 2 000 m2.

Les demandeurs font ensuite valoir que cette omission aurait une incidence sur la conformité du projet aux dispositions des articles UH 2 et UH 15 du règlement du plan local d'urbanisme, dans sa version alors applicable, lequel doit, lorsque la surface de plancher du projet dépasse 2 000 m2, comporter 25% de logements à coûts abordables, prévoir un dispositif de production d'énergie renouvelable et au moins un dispositif destiné à économiser l'eau. 

Définissant la notion de pièces fausses, le juge rappelle qu’il ne suffit pas qu'une décision du juge administratif ait été rendue au vu de pièces dont les énonciations sont contredites par d'autres pièces du dossier pour regarder cette décision comme ayant été rendue sur pièces fausses. Ici, les deux pièces litigieuses ne sont pas constitutives d’un faux n’ayant pas été délibérément falsifiées par la pétitionnaire.

Cette décision montre l’étroitesse des cas d’ouverture du recours en révision que renforce l’interprétation restrictive qu’en donne le juge ce qui n’est pas anormal pour une voie de recours qualifiée d’« extraordinaire ».

(07 avril 2023, M. et Mme A., n° 467857)

 

27 - Référé suspension d’une décision administrative – Absence de moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision - Motivation insuffisante de l’ordonnance de rejet – Annulation.

L’une des deux conditions exigées par l’art. L. 521-1 CJA pour former un référé suspension est de faire état « d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Dans une affaire où était contestée la décision administrative de fermeture d’un EHPAD, le juge a rejeté la demande au motif qu'il n'était pas fait état dans la requête d'un moyen propre à créer un doute sérieux.

Pour annuler le rejet de cette dernière, le Conseil d’État reproche au juge des référés de n’avoir pas analysé soit dans les visas de son ordonnance, soit dans les motifs de celle-ci, les moyens développés au soutien de la demande de suspension, afin, notamment, de mettre le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle. En effet, le juge du référé suspension s’était borné, d’abord dans les visas, à relever que la demanderesse soutenait que la décision attaquée était entachée « d'erreurs de faits », qu'elle avait « méconnu l'art. L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles » et qu'elle était « entachée d'une erreur manifeste d'appréciation » et était « disproportionnée », puis dans les motifs qu’« aucun des moyens analysés ci-dessus, dans les visas n'apparaissait propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ». C’est là une « maigre motivation ».

(13 avril 2023, Société par actions simplifiée EHPAD Flore, n° 470481)

 

28 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Demande d’intervention au litige – Condition remplie – Admission.

(14 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465403)

V. n° 52

 

29 - Question préjudicielle – Office du juge administratif saisi – Impossibilité de soulever d’autres questions que celle(s) posée(s) même d’ordre public – Annulation.

Une cour d’appel a renvoyé au juge administratif une question préjudicielle car elle estime que si un cautionnement consenti par une commune à des personnes privées a le caractère d'un contrat de droit privé, elle n'est pas compétente pour dire si les conditions dans lesquelles l'organe investi du pouvoir délibérant a donné son adhésion au cautionnement souscrit en faveur d’une société sont conformes aux dispositions de la loi n°88-13 du 5 janvier 1988 et du décret d'application de l'art. L. 2252-1 du CGCT, invoqués par la commune.

Il suit de là que la cour, en mentionnant ce seul moyen, qui est relatif aux conditions de fond dans lesquelles une commune peut accorder à une personne de droit privé une garantie d'emprunt ou son cautionnement, a défini et limité l'étendue de la question qu'elle entendait soumettre à la juridiction administrative.

C’est pourquoi, le tribunal administratif saisi de cette question a méconnu son office de juge de la question préjudicielle, en statuant sur le point de savoir si le conseil municipal avait disposé, avant d'adopter la délibération litigieuse, d'éléments d'information suffisants pour lui permettre de vérifier que les règles prudentielles prévues par les dispositions de l'art. L. 2252-1 du CGCT et ses décrets d'application étaient respectées.

La société requérante est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué.

(04 avril 2023, MM. B. et A., n° 458592)

 

30 - CSA puis ARCOM - Demande d’engager une procédure de mise en demeure - Refus - Saisine du juge - Défaut d’intérêt pour agir - Rejet.

(07 avril 2023, M. F., n°s 460468, 462378, 463033, 463399, 463400)

V. n° 8

 

31 - Caractère contradictoire de la procédure contentieuse - Décision fondée sur une déclaration à la police - Document ne figurant pas dans les pièces de la procédure - Méconnaissance du contradictoire - Annulation.

Dans un litige relatif à une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et fixant le pays de destination était invoquée une déclaration de l’époux de la requérante faite à la police. Ce document ne figurait pas dans les pièces de la procédure. Le tribunal administratif a annulé les décisions attaquées mais la cour administrative d’appel a retenu cette déclaration pour annuler le jugement.

Sur pourvoi de l’intéressée, l’ordonnance est annulée. Ce qui frappe c’est la solennité du ton adopté par le juge. Celui-ci écrit : « 1. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ".

2. Il résulte de ces dispositions qu'au nombre des règles générales de procédure qui s'imposent, même en l'absence d'un texte exprès, à toutes les juridictions, figure celle d'après laquelle aucun document ne saurait être régulièrement soumis au juge sans que les parties aient été mises à même d'en prendre connaissance. »

Comme indiqué ci-dessus ces exigences n’ont pas été respectées en appel.

(07 avril 2023, Mme A., n° 462428)

 

32 - Communication du sens des conclusions du rapporteur public - Communication très tardive et ambiguë - Annulation du jugement subséquent.

Le Conseil d’État annule un jugement rendu dans des conditions irrégulières.

L'audience devant se tenir au tribunal, à 9h30, le rapporteur public a, à 9 heures, porté à la connaissance des parties le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer dans les termes suivants : « Satisfaction totale ou partielle ».

La procédure est irrégulière d’abord car le demandeur ne peut pas être regardé comme ayant été mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, le sens des conclusions du rapporteur public.

La procédure suivie est également irrégulière car leur « sens » ne permettait pas de connaître la position du rapporteur public sur le montant de l'indemnisation qu'il proposait de mettre à la charge de l'État, et ne satisfaisait dès lors pas aux prescriptions de l'art. R. 711-3 du CJA.

L’annulation ne pouvait pas être évitée.

(07 avril 2023, M. B., n° 463412)

 

33 - Opposition d’une irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance - Pièces du dossier en sens contraire - Obligation de surseoir à statuer - Irrégularité - Annulation.

Est entachée d’irrégularité conduisant à sa censure l’ordonnance du juge d’appel qui rejette une requête comme entachée d'une irrecevabilité manifeste faute qu’elle ait été présentée par le ministère d'un avocat et qu’ait été formée une demande d'aide juridictionnelle, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que le requérant avait, dans sa requête d'appel, expressément indiqué avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle,  et qu’il incombait donc au juge d’appel de surseoir à statuer.

(07 avril 2023, M. A., n° 464100)

 

34 - Marché de construction d’un groupe scolaire - Litige portant sur le décompte d’un macro-lot - Opposition de fins de non-recevoir - Pouvoirs d’évocation du juge d’appel et effet dévolutif - Annulation.

Dans un litige où était en cause « le destin de fins de non-recevoir » (pour reprendre l’intitulé du célèbre article de R. Odent aux Mélanges M. Waline, LGDJ 1974, p. 653) présentées devant la juridiction d’appel, le Conseil d’État rappelle l’état général de la jurisprudence avant d’en faire application au cas de l’espèce.

Tout d’abord, le juge indique les solutions classiques en la matière : « 1. (…) lorsque le juge d'appel statue par la voie de l'évocation, il est tenu d'examiner l'ensemble des moyens soulevés en première instance même lorsqu'ils n'ont pas été repris devant lui, à la seule exception des moyens qui ont été expressément abandonnés. 

2. (…) saisi par l'effet dévolutif de l'appel, le juge d'appel, auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui, ne peut faire droit à ces conclusions qu'après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel. »

Ensuite, le juge de cassation annule l’arrêt déféré à sa censure pour manquement à l’office du juge d’appel en ce qu’il a fait partiellement droit aux conclusions présentées devant elle par la société demanderesse appelante tant par la voie de l'évocation que par celle de l'effet de dévolutif de l'appel, sans avoir expressément statué sur les fins de non-recevoir qui n'étaient pas inopérantes et que la commune de Brétigny-sur-Orge n'avait pas expressément abandonnées.

En effet, la commune de Bretigny-sur-Orge avait opposé en première instance trois fins de non-recevoir aux demandes présentées par la société demanderesse, tirées de l'absence de signature du mémoire en réclamation présenté par cette société, de l'absence d'envoi de ce mémoire au maître d'œuvre et de sa tardiveté eu égard à la date de notification du décompte général. La circonstance que la commune de Brétigny-sur-Orge n'a pas respecté le délai fixé par le tribunal administratif pour la production du mémoire récapitulatif que ce tribunal l'avait invitée à produire (cf. premier alinéa de l'art. R. 611-8-1 du CJA), alors qu'elle avait expressément repris, dans ce mémoire récapitulatif enregistré avant la clôture de l'instruction, ces trois fins de non-recevoir ne pouvait conduire à les regarder comme ayant été abandonnées par la commune, contrairement à ce que soutient la société demanderesse.

(07 avril 2023, Commune de Brétigny-sur-Orge, n° 464339)

 

35 - Sursis à l’exécution d’un arrêt d’appel - Conséquences difficilement réparables - Affirmation non établie - Rejet.

La cour administrative d’appel a enjoint au maire de la commune demanderesse à la cassation, de prendre, dans le délai d'un mois à compter de la notification de son arrêt, des décisions de non-opposition aux déclarations préalables litigieuses, déposées en vue de la création de lots sur une parcelle.

Le pourvoi, fondé sur ce que « dans les circonstances particulières de l'espèce » l’exécution de l'arrêt litigieux risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables, est rejeté.

Le Conseil d’État relève que les déclarations préalables en cause, qui ne font pas état de la réalisation de travaux d'aménagement, ont pour seul objet de permettre la division foncière d'un terrain appartenant aux pétitionnaires. La commune n’indique pas en quoi consistent  « les circonstances particulières de l'espèce » qu'elle invoque et ne saurait soutenir que la non opposition demandée rendrait possible l'engagement des travaux projetés par les pétitionnaires, travaux dont la consistance n'est pas précisée et dont elle n'indique pas s'ils ont donné lieu au dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme et, le cas échéant, à la délivrance d'une telle autorisation. 

(14 avril 2023, Commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, n° 468578)

 

36 - Tierce opposition - Conditions de formation d’un tel recours (art. R. 832-1 CJA) - Organisme représenté par un autre - Irrecevabilité de la tierce opposition.

Un litige a opposé le Conseil national des barreaux français (CNBF) à l’association Ouvre-boîte concernant la demande, par cette dernière, de publication en ligne de l'annuaire national des avocats établi par le Conseil national des barreaux qui avait été rejetée par le CNBF. Le Conseil d’État a annulé la décision du Conseil national des barreaux refusant de publier en ligne l'annuaire national des avocats comportant le nom et le prénom de chacun des avocats, le numéro d'identifiant CNBF, le barreau d'appartenance, l'adresse, le nom et le numéro de SIREN de la structure d'exercice, la ou les mentions de spécialisation, la date de prestation de serment, les bureaux secondaires et les langues parlées, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, et a enjoint au Conseil national des barreaux de mettre en ligne dans ce même standard l'annuaire national des avocats comportant les informations énumérées dans un délai d'un mois à compter de sa décision (V. sur cette affaire, la présente Chronique, septembre 2022, n° 4 et n° 5 ).

La Caisse nationale des barreaux français forme un recours en tierce opposition contre cette décision. Pour rejeter ce recours le Conseil d’État que le numéro d'identification CNBF est une donnée à caractère personnel créée par la Caisse nationale des barreaux français et fournie à l'avocat lors de son affiliation aux régimes de retraite et de prévoyance qu'elle gère, qui permet d'identifier l'avocat de manière unique et elle est utilisée par ce dernier pour l'authentification de l'accès à son espace personnel en ligne sur le site de la CNBF, comprenant l'ensemble des données à caractère personnel relatifs à cette affiliation. Ce numéro, partagé par la CNBF avec d'autres institutions intervenant dans la gestion de la profession d'avocat, dont le Conseil national des barreaux, demandeur en tierce opposition, sert notamment d'identifiant de connexion pour l'ensemble des outils numériques de ce dernier, dont le portail e-Barreau. Il en résulte que la Caisse nationale des barreaux français avait, s'agissant de la préservation de la confidentialité de cette donnée pour la sécurité de l'authentification des avocats à des services en ligne, des intérêts concordant avec ceux du Conseil national des barreaux dans le litige opposant ce dernier à l'association Ouvre-boîte. Elle doit, par suite, être regardée comme ayant été représentée par ce Conseil dans l'instance ayant statué sur ce litige. Sa tierce opposition est irrecevable puisque selon l’art. R. 832-1 CJA l’action en tierce opposition n’est ouverte que contre une décision juridictionnelle préjudiciant aux droits du demandeur, dès lors que ni lui ni ceux qu'il représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. Ce n’était pas le cas en l’espèce.

(20 avril 2023, Caisse nationale des barreaux français, n° 470972)

 

37 - Conseiller du commerce extérieur de la France – Radiation de la liste de ces conseillers - Défaut d’urgence – Rejet de la demande en référé suspension.

Le Conseil d’État rejette la demande de suspension d’exécution du décret du 2 février 2023 en ce qu'il l'a radié de la fonction de conseiller du commerce extérieur de la France en raison du défaut d’urgence, condition indispensable à l’admission d’une action à fin de référé suspension et à son éventuel succès. Le juge rejette pour deux motifs l’argument selon lequel il y aurait urgence à suspendre la décision de radiation attaquée car elle porterait une atteinte grave à sa réputation professionnelle et à son activité, eu égard au fait que ses clients potentiels seraient conduits, lors des diligences auxquelles ils procèdent avant d'avoir recours aux services de son entreprise, à en prendre connaissance, notamment par la consultation des informations le concernant sur internet. 

En premier lieu, la qualité de conseiller du commerce extérieur de la France n'est pas destinée à l'usage personnel ni au soutien de l'activité professionnelle de ceux qui se la voient reconnaître, mais à organiser le concours qu'ils apportent au ministre chargé de l'économie afin de soutenir le développement des échanges internationaux de la France. 

En second lieu, les difficultés des entreprises dirigées par le requérant, qui ont résulté notamment des sanctions prises après l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, sont antérieures à la publication de décret attaqué, sans que la radiation litigieuse soit à l'origine de difficultés spécifiques.

(ord. réf. 18 avril 2023, M. A., n° 472647)

 

38 - Acte à dispositions indivisibles - Demande d’annulation partielle - Irrecevabilité - Rejet.

Réitération d’une solution contentieuse classique et bien connue : sont radicalement irrecevables les conclusions à fin d’annulation partielle d’un acte indivisible. Ici était demandée l’annulation des articles 1er et 4 du décret du 8 avril 2022 relatif aux aides exceptionnelles attribuées aux entreprises de transport public routier et aux entreprises de négoce d'animaux vivants alors que ces articles sont indivisibles des autres dispositions de ce texte.

(21 avril 2023, Fédération des distributeurs alimentaires spécialisés (FEDALIS), n° 464846)

 

39 - Régime contentieux spécifique aux décisions concernant le projet de terminal méthanier flottant du Havre - Régime des délais et nature du double degré de juridiction - Inopérance de certains moyens - Rejet.

Était contesté ici le décret du 29 septembre 2022 relatif au régime contentieux des décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant dans la circonscription du grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (site du Havre).

Le recours est rejeté en dépit des caractéristiques très dérogatoires au droit commun de ce contentieux si particulier.

Rappel de ce que tant la règle du double degré de juridiction que le régime juridique des délais de recours devant le juge administratif relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire. C’est donc sans illégalité qu’en cette matière le décret litigieux confie au tribunal administratif de Rouen une compétence en premier et dernier ressort, fixe à un mois le délai de recours contentieux et décide que ce dernier n’est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif préalable. Enfin, la circonstance que le non-respect du délai de dix mois imparti au tribunal pour statuer n’est pas sanctionné, n’étant pas prescrit à peine de nullité du jugement tardif ou de dessaisissement de la juridiction, n’affecte pas la sécurité juridique.

Par ailleurs, est inopérante en l’espèce l’invocation de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (n° 2022-843 DC, du 12 août 2022, Loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat) car le décret attaqué, qui relève du « pouvoir réglementaire autonome » (noter l’expression…)  pour fixer la procédure applicable devant la juridiction administrative, n'a pas été pris en application des articles 29 et 30 de la loi du 16 août 2022 précitée. 

On peut cependant trouver que ce cumul de dérogations, allant toutes dans le même sens de resserrement des possibilités des candidats au recours, commence à faire beaucoup.

(28 avril 2023, Association Ecologie pour Le Havre et autres, n° 469305)

 

40 - Demande de pension militaire d’ayant-cause - Demanderesse illettrée - Lenteur aléatoire du courrier entre la France et le Mali - Circonstances particulières - Annulation.

La requérante, résidente malienne, a demandé le 8 février 2018 le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité en sa qualité d'ayant-cause de son époux, décédé en 2007. Elle a saisi, par suite du refus opposé par la ministre des armées, le tribunal administratif par un recours du 16 septembre 2020, enregistré le 7 octobre 2020 au greffe du tribunal, tendant à l'annulation de ce refus. Par lettre du 19 novembre 2020, le greffe du tribunal a demandé à l’intéressée de régulariser le défaut de signature de sa demande dans le délai d'un mois. Celle-ci a accusé réception de cette lettre le 16 décembre 2020 et y a répondu par un courrier revêtu de son empreinte digitale en date du 29 décembre 2020, enregistré au greffe du tribunal le 12 février 2021, postérieurement à l'ordonnance du 8 février 2021 du président de la 2ème chambre de ce tribunal qui a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable, faute de réception de la régularisation requise dans le délai prescrit.

Sur pourvoi de la requérante, l’ordonnance est annulée en raison de la lenteur et de l'imprévisibilité des délais d'acheminement du courrier postal entre la France et le Mali, que le tribunal administratif ne pouvait ignorer compte tenu du délai d'acheminement des différents courriers figurant au dossier et de ce que Mme A. avait expressément indiqué dans sa demande qu'elle était illettrée. C’est pourquoi le tribunal, en rejetant cette demande comme manifestement irrecevable, moins de deux mois après que l'intéressée avait reçu notification de la demande de régularisation, a rendu sa décision, dans les circonstances très particulières de l'espèce, au terme d'une procédure irrégulière conduisant à son annulation.

(28 avril 2023, Mme A., n° 459801)

(41) V. aussi, même solution : 28 avril 2023, Mme C., n° 459806.

 

42 - Compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction - Approbation de la procédure de vol aux instruments d'un aérodrome - Compétence de premier ressort du tribunal administratif d’emprise de l’aérodrome - Transmission au tribunal administratif compétent.

Le recours formé contre le refus implicite de la ministre de la transition écologique d’abroger la décision de la directrice interrégionale de la sécurité de l'aviation civile du Nord relative à l'approbation des procédures de vol aux instruments de l'aérodrome de Lille-Lesquin, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État mais, en vertu des dispositions de l’art. R. 312-10 du CJA, du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve l'emprise de cet aérodrome, c’est-à-dire le tribunal administratif de Lille.

(21 avril 2023, Association de défense contre les nuisances aériennes et commune de Fretin, n° 465989)

 

43 - Aménagement commercial - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l’État en justice par le président de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Effet d’un désistement plus de deux mois après la saisine de la CNAC - Rejet.

(28 avril 2023, Commission nationale d'aménagement commercial, n° 469710)

V. n° 199

 

44 - Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Construction d’un ensemble commercial – Principe de la cristallisation des moyens – Application en cette matière – Rejet.

(04 avril 2023, Société Distribution Casino France, n° 460754)

V. n° 194

 

45 - Permis initial et modificatif de construire un stade nautique - Absence d’étude d’impact jointe au dossier - Jugement avant-dire droit prononçant un sursis à l’exécution de l’autorisation - Règle de la cristallisation des moyens - Forclusion.

(17 avril 2023, Commune de Mérignac, n° 468789 ; SAS Stade nautique Mérignac, n° 468801)

V. n° 195 et n° 196

 

46 - Permis de construire – Connaissance acquise par une entrevue en mairie – Absence d’affichage – Exception de forclusion opposée à tort –Annulation.

(20 avril 2023, Mme H. et autres, n° 464606)

V. n° 197

 

47 - Demande d’injonction au président du conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation de désigner un avocat - Procédure se déroulant devant le juge judiciaire - Incompétence manifeste du juge administratif - Rejet.

Rappel que le juge des référés du Conseil d'État ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en œuvre de l'une des procédures d’urgence que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'État. En l’espèce, la demande tendait à voir ce juge enjoindre au président de l'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation de lui désigner un avocat afin de former un pourvoi en cassation à l'encontre du jugement d’une juridiction de l’ordre judiciaire.

La juridiction administrative du référé est évidemment incompétence pour accueillir une telle requête, d’où son rejet selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 du CJA.

(11 avril 2023, M. B., n° 472576)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

48 - Cession de titres non cotés entre filiales d’un même groupe – Prix considéré comme minoré – Libéralité réintégrée dans les résultats de la société vérifiée – Rejet.

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société Crédit Agricole Leasing et Factoring (CALF), membre du groupe fiscalement intégré Crédit agricole, l’administration a considéré que la cession à une autre filiale du groupe de l'intégralité des titres non cotés de la société Slibail Longue Durée (SLD) avait été réalisée à un prix minoré et estimé que la libéralité ainsi consentie devait être réintégrée dans les résultats de la société vérifiée.

Elle a infligé à la société Crédit Agricole, société intégrante du groupe, l'amende de 5 % prévue au c du I de l'article 1763 du CGI pour défaut de déclaration de cette libéralité, regardée comme une subvention intragroupe.

Le tribunal administratif, saisi par le ministre des finances, ayant prononcé la décharge de l'amende fiscale en litige, le ministre a saisi la cour administrative qui a rejeté son appel et il se pourvoit en cassation.

L’arrêt est annulé par le motif que le tribunal administratif a fait droit à la requête du Crédit Agricole en se fondant sur un moyen inopérant, à savoir l’application d'une règle de droit inapplicable, et le ministre appelant n'a pas invoqué le caractère inopérant du moyen retenu par les premiers juges, il incombait au juge d'appel de relever d'office cette inopérance, compte tenu de sa nature, pour censurer le motif retenu par le tribunal, sous réserve du respect du contradictoire.

En l’espèce, le tribunal administratif a prononcé la décharge de l'amende qui a été infligée à la société Crédit Agricole au motif que, dans la procédure ayant conduit à la rectification du résultat de l'exercice clos en 2010 de la société CALF à raison de la réintégration de cet avantage et par suite du résultat d'ensemble du groupe au titre de ce même exercice, la cour administrative d'appel de Versailles avait, par un arrêt du 25 octobre 2018, qui était frappé d'un pourvoi, jugé que l'administration fiscale n'établissait pas l'existence d'une telle libéralité. Et la cour, rejetant l’appel du ministre, a jugé qu'en se bornant à soutenir que le tribunal administratif de Montreuil s'était, à tort, approprié les motifs de l'arrêt du 25 octobre 2018 sans critiquer le motif de décharge retenu par ce tribunal, le ministre ne critiquait pas utilement ce jugement.

Cependant, et c’est là un apport essentiel de cette décision, le Conseil d’État décide qu'en raison du principe d'indépendance des procédures menées à l'encontre, d'une part, de la société CALF ayant conduit à la rectification de son résultat de l'exercice clos en 2010 et, d'autre part, de la société Crédit Agricole en qualité de société mère du groupe ayant conduit à ce que lui soit infligée l'amende pour non-respect de son obligation déclarative, il appartenait à la cour de relever l'inopérance du motif retenu par le tribunal tiré de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 25 octobre 2018 rendu dans le cadre de la première de ces deux procédures distinctes. La cour a ainsi commis une erreur de droit ce qui conduit à l’annulation de son arrêt.

(07 avril 2023, Société Crédit Agricole, n° 466244)

(49) V. aussi, portant sur un autre aspect du litige précédent, à savoir le rétablissement des déficits reportables du groupe fiscalement intégré dont elle est la société mère au titre de l'exercice clos en 2010, la décision annulant l’arrêt pour contradiction des motifs entre, d’une part, la constatation que la société dont les titres étaient cédés était en cessation d'activité progressive et que son actif net était essentiellement constitué d'un portefeuille de placements de trésorerie pour valider, eu égard à cette situation particulière, le recours à la seule méthode d'évaluation dite patrimoniale ou mathématique pour déterminer la valeur vénale de ces titres et, d'autre part, l’affirmation que ces mêmes circonstances particulières à l'espèce étaient également susceptibles d'avoir une influence sur le caractère significatif de l'écart de prix : 07 avril 2023, Société Crédit Agricole, n° 466247.

 

50 - Taxe d’aménagement - Immeuble figurant dans les stocks d’une entreprise – Traitement fiscal à l’entrée et à la sortie du stock – Rejet.

Le juge rappelle le traitement fiscal de la taxe d’aménagement grevant un immeuble qu’une société détient en stock.

Lorsqu'un immeuble figure dans les stocks d'une entreprise, il résulte tout d’abord du II de l'art. 302 septies B du CGI, que la taxe d'aménagement mise à sa charge à raison de cet immeuble vient en augmentation de son prix de revient, qui constitue en principe la valeur pour laquelle il est inscrit à l'actif.

En revanche, lorsque la taxe d'aménagement est établie après que l'immeuble est sorti de ses stocks, cette taxe doit être déduite en charge de son bénéfice imposable, pourvu que cette déduction intervienne, ainsi que l'exigent les dispositions du 4° du 1 de l'art. 39 du CGI, au titre de l'exercice au cours duquel elle a été mise en recouvrement.

La requérante n’ayant pas satisfait à ces conditions voit son pourvoi rejeté par suite d’une substitution des motifs à ceux sur lesquels reposait l’arrêt attaqué.

(14 avril 2023, Société R2L Constructions venant aux droits de la société LSA 57, n° 459464)

 

51 - Cession de créance de restitution d’un impôt non déductible – Sort fiscal du produit ainsi réalisé – Caractère imposable ou non imposable selon qu’a été ou non constatée une créance – Annulation.

La société Engie, société mère du groupe fiscalement intégré Engie, a demandé au tribunal administratif de prononcer :

- le rétablissement des déficits de l'ancien groupe Suez existant à la clôture de l'exercice 2007 pour un montant de 1 641 952 237 euros tel qu'il lui a été transféré au 1er janvier 2008,

- le rétablissement des résultats d'ensemble du groupe fiscalement intégré Engie au titre des exercices clos entre 2011 et 2014 tels qu'ils avaient été initialement calculés,

- la décharge des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions assimilées au titre des exercices clos en 2012 et 2013 mises à la charge du groupe pour un montant de 89 559 040 euros.

Si le tribunal administratif a fait droit à sa demande, la cour administrative d'appel, sur appel du ministre de l'économie, des finances…, a annulé ce jugement, remis à la charge de la société Engie les suppléments d'impôt sur les sociétés en litige et ramené les déficits de l'ancien groupe Suez existant à la clôture de l'exercice clos en 2007 au montant de 931 548 845 euros.  

La société Engie se pourvoit.

Le juge de cassation opère une distinction dans le cas où une société cède, dans les conditions prévues aux art. L. 313-23 et L. 313-24 du code monétaire et financier, une créance de restitution d'un impôt non déductible, selon que la créance a été enregistrée en comptabilité dans le respect des prescriptions des règles comptables ou qu’elle n’a pas été constatée en comptabilité.

Dans le premier cas, il est jugé que le produit que la société reçoit du cessionnaire doit être regardé comme procédant au remboursement anticipé d'un impôt non déductible et par suite n'est pas imposable. Dans l'hypothèse où cette cession est assortie d'une garantie au bénéfice du cessionnaire en cas de non-restitution de l'impôt en cause, les sommes versées le cas échéant ultérieurement à ce titre par la société cédante ne sont pas déductibles. 

Dans le second cas, il est jugé que le produit que la société reçoit du cessionnaire correspond, jusqu'à la constatation du caractère certain et liquide de la créance de restitution de l'impôt en cause, à un emprunt, ne donnant pas lieu à une augmentation de l'actif net de la société et, par suite, n'est pas imposable au titre de l'exercice au cours duquel il a été perçu. Après que le montant d'impôt non déductible remboursable par l'État a été déterminé, éventuellement à l'issue d'une procédure contentieuse, la part du produit de cession reçu par la société cédante, net des sommes versées le cas échéant au cessionnaire au titre de la garantie solidaire, n'est pas imposable à hauteur de ce montant. La part du produit net excédant, le cas échéant, ce même montant constitue en revanche une recette entrant dans la détermination du bénéfice imposable de la société cédante. 

C’est pourquoi, en l’espèce, l’arrêt d’appel est cassé pour erreur de droit en ce qu’en refusant de regarder le prix de cession fixé en application de la convention de cession du 2 septembre 2015 par laquelle la société Suez a cédé, en application de l'art. L. 313-23 du code monétaire et financier, les créances correspondant à la restitution du précompte mobilier qu'elle avait acquitté au titre des années 1999 à 2003, comme le remboursement anticipé d'un impôt non déductible faute pour le cessionnaire d'avoir été autorisé par l'État à procéder à un tel remboursement et compte tenu du caractère seulement partiel de ce remboursement, il n’a pas relevé que ces circonstances n'étaient pas de nature à faire obstacle à une telle qualification.

(14 avril 2013, Société Engie, n° 461811)

 

52 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Demande d’intervention au litige – Condition remplie – Admission.

Une société a demandé au tribunal administratif de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2019 et 2020. Elle a obtenu gain de cause. Le ministre des finances s’est pourvu en cassation.

L'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest a formé une demande d’intervention dans cette instance ouverte par le ministre.

Se posait la question de la recevabilité de cette demande.

Le Conseil d’État rappelle d’abord que toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation. En conséquence, il juge recevable la demande d’intervention de l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest car celui-ci justifie d'un intérêt de nature à le rendre recevable à intervenir devant le juge de l'impôt compte tenu de la particularité des litiges en matière de taxe d'enlèvement des ordures ménagères.

(14 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465403)

 

53 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Non concordance entre le taux de taxe adopté par délibération d’une communauté d’agglomération et taux figurant sur les avis d’imposition - Annulation pour les années en litige.

Le Conseil d’État annule le jugement d’un tribunal administratif pour dénaturation des pièces du dossier qui lui était soumis car, pour rejeter le moyen selon lequel, en l'absence de notification par une communauté d'agglomération aux services fiscaux des décisions relatives au taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, en méconnaissance des dispositions de l'art. 1639 A bis du CGI, les impositions litigieuses ne pouvaient pas être recouvrées, il retient qu'il résultait de l'instruction que la délibération du conseil communautaire de la communauté d'agglomération avait été transmise aux services fiscaux, lesquels s'étaient fondés sur cette délibération et sur le taux qu'elle instituait pour asseoir les cotisations de taxe en litige. Alors qu’il ressortait directement de la délibération figurant au dossier qui lui était soumis, que le taux de taxe de 9,7 % qu'elle mentionne diffère de celui de 12,07 % figurant sur les avis d'imposition des années 2015 à 2019, également au dossier, adressés aux sociétés requérantes et que, par suite, cette délibération ne pouvait fonder les impositions en litige.

(05 avril 2023, Société Stezal et société Lannutti France Transport, n° 461947)

 

54 - Taxe sur les surfaces commerciales – Détermination de la surface à retenir – Chapiteaux temporaires – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que, pour l'établissement de la taxe sur les surfaces commerciales, la surface de vente à retenir pour le calcul de l'assiette est celle dont dispose l'établissement à raison duquel la taxe est établie à la date du fait générateur de l'imposition, soit le 1er janvier de l'année au titre de laquelle la taxe est due. Doit être prise en compte, à cet égard, la surface de la totalité des espaces de l'établissement affectés, à la date du fait générateur, à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, à l'exposition des marchandises proposées à la vente ou à leur paiement et à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente qui présentent un caractère clos et couvert, sans qu'il y ait lieu d'exclure les surfaces des espaces ne revêtant pas un caractère permanent. Pour la détermination du taux de la taxe, il y a lieu, pour calculer le chiffre d'affaires au mètre carré, de tenir compte des surfaces de vente créées ou modifiées en cours d'exercice, y compris celles qui revêtent un caractère temporaire, au prorata du temps d'ouverture de ces surfaces.

Le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que  la requérante ne pouvait inclure la surface de chapiteaux adjoints à titre temporaire aux locaux permanents des établissements litigieux dans la surface de vente retenue pour le calcul de la taxe sur les surfaces commerciales au motif que seules les installations closes et couvertes destinées à être exploitées de manière permanente étaient imposables à cette taxe.

(04 avril 2023, Société Castorama France, n° 443007)

 

55 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Activité de producteur-grainetier – Activité ne s'inscrivant pas dans un cycle biologique de production agricole ou dans son prolongement nécessaire – Bâtiment relevant du régime d’exonération – Qualification inexacte des faits - Annulation.

La requérante qui exerce l’activité de production et de négoce de semences a demandé, à raison du bâtiment qu’elle exploite à cette fin, l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue au 6° a. de l’art. 1382 du CGI. Cela lui ayant été refusé, elle a saisi, en vain, le tribunal administratif. Celui-ci a jugé que son activité ne s'inscrit pas dans un cycle biologique de production agricole ou dans son prolongement nécessaire, la société n'étant pas propriétaire des semences, confie des graines, préalablement obtenues auprès de producteurs, à des agriculteurs chargés d'en assurer la multiplication dans le cadre d'une prestation de service et n'intervient pas dans leur culture qui est essentiellement assurée par les agriculteurs chargés de la multiplication des semences. 

La société se pourvoit et le jugement est annulé pour qualification inexacte des faits car, relève à juste titre le juge de cassation, l'activité de producteur-grainier s'insére bien dans le cycle biologique de la production végétale dès lors qu'elle confie à des agriculteurs-multiplicateurs le soin de multiplier des semences-mères dont, même si elle n'en est pas propriétaire, elle détient les droits, qu'elle assure la direction et la surveillance du processus de multiplication et qu'elle partage avec l'agriculteur-multiplicateur les risques de l'opération.

En conséquence, la demanderesse est fondée à soutenir que le bâtiment litigieux, dans lequel elle procède aux opérations de séchage, triage, calibrage, égrenage et conditionnement des semences vendues à ses clients, entre dans le champ de l'exonération prévue au 6° a. de l'art. 1382 du CGI, et à demander, pour ce motif, la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie.

(04 avril 2023, Société Alliance Seeds, n° 451364)

(56) V. aussi, jugeant qu’il résulte des dispositions du 12° de l’art. 1382 du CGI qu’entrent dans le champ de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties qu’il institue non seulement les équipements techniques permettant la production d'électricité d'origine photovoltaïque mais également les constructions qui en sont le support nécessaire, tels les postes de transformation et de livraison et leurs terrassements, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance : 28 avril 2023, Société Le Betout Énergies, n° 467433.

 

57 - Vérification de comptabilité - Proposition de rectification - Litige sur l’adresse d’envoi de cette proposition - Annulation.

La notification d'une proposition de rectification à une société doit être effectuée à la dernière adresse qu'elle a officiellement communiquée à l'administration fiscale aux fins d'y recevoir ses courriers.

En l’espèce, la proposition de rectification avait été adressée avenue du Château à Vincennes, dernière adresse connue de l'administration qui en avait eu connaissance par le comptable de la société VB Blois. La cour administrative d'appel a jugé que l'administration était en droit de tenir pour exacte l'information qui lui avait été ainsi communiquée. 

Le Conseil d’État est à la cassation de cet arrêt car la cour a commis une erreur de droit en s’abstenant de rechercher si l'adresse communiquée par le chef comptable au vérificateur à la suite d'échanges tendant à l'organisation d'une dernière réunion de synthèse, pouvait être regardée comme l'adresse à laquelle la société VB Blois dont le siège social était établi rue de Tolbiac à Paris entendait désormais recevoir les courriers émanant de l'administration fiscale. 

(05 avril 2023, Société VB Blois, n° 463112)

 

58 - Vérification de comptabilité - Proposition de rectification - Étendue de l’exigence de motivation - Contenu du document - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Une cour administrative d’appel avait jugé irrégulière la notification d’une proposition de rectification d’une déclaration fiscale car cette proposition ne comportait aucune indication des motifs du rejet de la comptabilité de l’entreprise et la proposition de rectification adressée à l’entreprise, qui était jointe, n'était pas accompagnée des cinq annexes donnant le détail des achats et des ventes retenus pour reconstituer le chiffre d'affaires de l'entreprise. 

Le Conseil d’État est à la cassation dès lors que la cour s’est abstenue de rechercher si les mentions des feuillets principaux de la proposition de rectification et jointe à celle notifiée au contribuable à titre personnel, tant en ce qui concerne les motifs du rejet de la comptabilité de la société que les éléments pris en compte pour la reconstitution de son chiffre d'affaires, auraient permis à M. C. de formuler des observations utiles pour contester le rehaussement en cause. Cela d’autant plus que la proposition de rectification notifiée à M. C. à titre personnel afin de tirer à son égard les conséquences en matière d'impôt sur le revenu des omissions de recettes constatées à l'occasion de la vérification de la comptabilité de l’entreprise, mentionne le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal, la catégorie d'imposition retenue ainsi que les années d'imposition concernées et que, d'autre part, était annexée à ce document une copie de la proposition de rectification adressée à l’entreprise.

(05 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 464623)

 

59 - Taxe sur les véhicules de société - Entreprise en liquidation judiciaire - Notification de l’avis de mise en recouvrement - Mandataire liquidateur seul habilité à représenter l’entreprise - Champ d’application de la loi - Moyen d’ordre public - Annulation.

Dans un litige en recouvrement de la taxe sur les véhicules de société étaient discutées les conditions de la notification de l’avis de mise en recouvrement adressé à une société en cours de liquidation judiciaire.

Alors que la cour administrative d’appel a jugé, sur le fondement de l’art. 1844-8 du Code civil,  que l'avis de mise en recouvrement de la taxe sur les véhicules avait été valablement notifié à la société requérante le 16 janvier 2001, de sorte qu'il avait pu faire courir le délai de recours et que sa réclamation préalable obligatoire formée le 23 juin 2016 était tardive, au motif que cet avis lui avait été notifié avant la publication au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales du jugement du 10 janvier 2001 du tribunal de commerce arrêtant le plan de redressement organisant la cession de l'entreprise, le juge de cassation soulève d’office le moyen tiré de la méconnaissance du champ d’application de la loi. Selon ce dernier, il convenait d’appliquer les dispositions de l’art. L. 622-9 du code de commerce, à supposer même que la société ne se fût trouvée en liquidation que par l’effet de ce jugement. En effet, le Conseil d’État interprète ces dispositions comme signifiant que les droits et actions du débiteur qu'elles visent incluent ceux qui se rapportent, le cas échéant, aux dettes fiscales de celui-ci, et, par suite, aux actes de la procédure d'imposition le concernant, tels que les avis de mise en recouvrement, qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur son patrimoine (dans le même sens, voir, s’agissant de redressements relatifs à une entreprise individuelle mise en liquidation judiciaire, la décision de principe : Section, 14 mars 2008, Me Moyrand, n° 290591). Dès lors, c'est au liquidateur que doit être adressé, dès la date du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, un avis de mise en recouvrement des impositions dues par la société en liquidation. Par suite, si jusqu'à la date à laquelle l'administration a été informée de cette liquidation judiciaire, et au plus tard à la date de publication du jugement prononçant la mise en liquidation, la notification d'un avis de mise en recouvrement faite non au liquidateur mais à la seule société a pour effet d'interrompre (cf. art. L. 189 du livre des procédures fiscales), la prescription prévue aux art. L. 169 et suivants de ce livre, elle ne saurait être regardée comme régulière au regard des dispositions de l'art. L. 256 du livre des procédures fiscales. 

L’arrêt attaqué est annulé avec renvoi.

(07 avril 2023, M. C. agissant en qualité de mandataire liquidateur amiable de la société générale de textile Balsan, n° 456830)

 

60 - Convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989 - Pouvoir d’interprétation du juge - Prévention des doubles impositions - Annulation.

L’Italie, comme de nombreux autres États, a conclu une convention fiscale, le 5 octobre 1989, avec la France en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales.

L’art. 10 de cette convention stipule que : « 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un État à un résident de l'autre État sont imposables dans cet autre État.

2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'État dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État (...) ».

L’art. 24 stipule pour sa part : « La double imposition est évitée de la manière suivante :

1. Dans le cas de la France :

a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d'Italie et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la Convention, sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France. L'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. Ce crédit d'impôt est égal :

- pour les revenus visés aux articles 10, 11, 12, 16 et 17 (...) au montant de l'impôt payé en Italie, conformément aux dispositions de ces articles. Il ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus (...) ». 

Par ailleurs, le Conseil d’État juge que compte tenu du caractère forfaitaire de la quote-part des produits de participations qu'une société mère doit réintégrer à son bénéfice en application du I de l'art. 216 du CGI (applicable aux suppléments d’impôt sur les sociétés en litige au titre des années 2010, 2011 et 2012), sans possibilité pour cette dernière de limiter cette réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d'imposition en vue de l'acquisition ou de la conservation des revenus correspondants, les dispositions de cet article doivent être regardées non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d'impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères.

C’est pourquoi, dans l'hypothèse où il est établi que le montant des frais réellement exposés pour l'acquisition ou la conservation des produits de participations est inférieur à la quote-part forfaitaire, l'impôt français dans la limite duquel est imputé le crédit d'impôt correspondant à l'impôt retenu à l'étranger sur la totalité des produits de participations distribués est égal au produit du taux de l'impôt français et de la différence entre la quote-part forfaitaire et le montant des frais réellement exposés.

En l’espèce, la cour a jugé que la soumission à l'impôt sur les sociétés de la fraction des dividendes reçus par la société A. Raymond et Cie, société requérante, de sa filiale italienne correspondant à la quote-part de frais et charges fixée forfaitairement à 5 % de ces dividendes devait être analysée comme une modalité d'imposition de l'ensemble de ces revenus, ce dont elle a déduit que la société était fondée à demander, en application de l'article 24 de la convention fiscale franco-italienne, l'imputation de crédits d'impôt sur les cotisations d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012.

Le Conseil d’État reproche à la cour l’erreur de droit qui a consisté à ne pas avoir recherché si le montant de la quote-part était supérieur aux frais et charges réellement exposés par la société A. Raymond et Cie pour l'acquisition ou la conservation des dividendes reçus de sa filiale italienne.

(07 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 462709)

 

61 - Cotisations de taxe sur les salaires - Conditions d’exonération d’un établissement pour personnes âgées - Exonération de TVA - Satisfaction des conditions du droit de l’Union - Rejet.

 Le 1 de l'article 231 du CGI, dans sa rédaction applicable aux années en litige, dispose : « Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés (...) sont soumises à une taxe égale à 4,25 % de leur montant évalué selon les règles prévues à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale (...). Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés, (...), qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. (...) ». 

L’art. 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose : « 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. (...)

2. Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu'elles sont exonérées en vertu des articles 132 (...) ».

Enfin, selon le g du 1 de l'article 132 de cette même directive, les États membres exonèrent de la taxe sur la valeur ajoutée « les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'aide et à la sécurité sociales, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'État membre concerné (...) ».

De la combinaison de ces textes s’impose une double recherche : celle de déterminer si l'activité est exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et celle de s’assurer que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

Sur le premier point, la CJUE considère que la condition selon laquelle l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique est remplie lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Les dispositions de droit européen et de droit interne (art. 13 précité de la directive 2006/112/CE ; jurisprudence de la CJUE ; art. 256 précité du CGI et L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles) comme l’observation de la réalité de terrain conduisent à décider que les EHPAD agissent bien, en tant qu’autorité publique au sens et pour l’application de ces dispositions européennes comme nationales.

Sur le second point, eu égard au caractère social des EHPAD publics, qui sont habilités à accueillir entièrement ou principalement des personnes âgées à faibles ressources et qui, par suite, sont soumis en principe à une tarification administrée de leurs prestations relatives à l'hébergement de celles-ci, un opérateur privé exerçant cette activité à titre lucratif, libre de choisir sa clientèle et, par suite, de fixer ses tarifs en conséquence, ne saurait être empêché d'entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la TVA qui lui permet, à la différence d'un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d'obtenir le remboursement de l'excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Au reste, cette même activité exercée sans but lucratif par un opérateur privé est exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du b du 1° du 7 de l'art. 261 du CGI.

Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le non-assujettissement à la TVA de l'EHPAD Résidence des Prés, dont il n'est pas contesté qu'il est habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement pour la totalité des places qu'il offre, n'était pas susceptible de générer de distorsion dans les conditions de la concurrence au sens et pour l'application de l'article 256 B du CGI et des dispositions de la directive précitée du 28 novembre 2006. 

(07 avril 2023, Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Résidence des Prés, n° 463222)

(62) V. identique : 07 avril 2023, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise (CHAM), n° 463237.

(63) V. aussi, très voisin : 07 avril 2023, Centre hospitalier de Vire, n° 463241.

 

64 - Échange obligatoire et automatique d’informations - Dispositifs transfrontières soumis à déclaration - Secret professionnel de l’avocat - Question préjudicielle - Conformité ou non de l’art. 8bis ter § 5 de la directive 2011/16 du 15 février 2011 modifiée à la Charte des droits fondamentaux de l’Union - Rejet et admission partiels.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de commentaires administratifs relatif à l’application de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 modifiée, relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration, au regard des articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Elles soutenaient notamment que, portant atteinte au secret de l’avocat, les dispositions de cet article violaient les articles précités de la Charte.

Le Conseil d’État a posé deux questions préjudicielles à la CJUE qu’il a ensuite retirées, cette Cour ayant entre-temps répondu à des questions identiques posées par la Cour constitutionnelle de Belgique. Étaient en cause les dispositions de l’art. 1649AD et de l’art. 1649 AE du CGI.

Le juge part du principe que si l’avocat est tenu au secret professionnel et si la violation de ce secret est pénalement réprimée, c’est sous réserve des limitations à cette exigence posées par la loi et répondant à des objectifs d’intérêt général tels, en l’espèce, la lutte contre la planification fiscale agressive et la prévention du risque d'évasion et de fraude fiscales.

Appliquant la jurisprudence bruxelloise (CJUE, 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a, aff. C-694/20), le juge décide :

- d’une  part, que les requérants sont fondés à soutenir que les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 réitèrent des dispositions de l'article 1649 AE du CGI qui sont elles-mêmes identiques à des dispositions de l'art. 8 bis ter de la directive du 15 février 2011 modifiée contraires aux stipulations de l'art. 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Ils sont, pour les mêmes motifs, fondés à demander l'annulation des mots « ou de notification » et « , à l'article 1649 AE du CGI » et du paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20, qui réitèrent les dispositions de l'art. 1729 C ter du CGI elles aussi contraires aux stipulations de l'art. 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- d’autre part, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des paragraphes n°s 150 et 165 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20, qui exposent les dispositions du premier alinéa du 4° du I de l'art. 1649 quater AE du CGI, de leur paragraphe n° 160, lequel se borne à énumérer les professions astreintes à une obligation de secret professionnel dont la violation est réprimée par l'art. 226-13 du code pénal, de leur paragraphe n° 170, qui traite de la détermination des débiteurs de l'obligation déclarative sans comporter aucun commentaire relatif à l'obligation de notification et de leur paragraphe n° 190, relatif à la notification par l'intermédiaire au contribuable lui-même.  

(14 avril 2023, Conseil national des barreaux, Conférence des bâtonniers et Ordre des avocats du barreau de Paris, n° 448486)

 

65 - Propositions de rectification d’impositions - Domicile indiqué jugé fictif - Attribution d’un autre domicile - Absence de recherche de la réalité des faits - Annulation.

L’administration fiscale, bien qu’invitée par un couple de contribuables vérifiés à adresser ses correspondances à l’adresse d’un appartement appartenant à l’époux, situé à Saint-Martin, a envoyé une proposition de rectification d’impositions à Caluire-et-Cuire (Rhône) dont elle estimait que c’était là l’adresse de résidence effective des contribuables.

La cour administrative d’appel a considéré que l’administration avait correctement établi que l’adresse à Saint-Martin était fictive et que l’envoi de la notification à Caluire-et-Cuire était régulier.  La cour a, en effet, estimé que les contribuables n’avaient communiqué une adresse à Saint-Martin que pour pouvoir ensuite bénéficier des avantages fiscaux attachés à une telle domiciliation.

L’arrêt est cassé faute d’avoir recherché si l’adresse à Saint-Martin était inexistante ou n’avait été communiquée à l'administration fiscale que dans le but d'égarer celle-ci dans la conduite de la procédure de contrôle et de rectification de l'impôt.

Il existe bien une présomption d’innocence et il n’existe pas de présomption de véracité des supputations administratives.

(14 avril 2023, M. et Mme C., n° 467129)

 

66 - Contrôle fiscal - Opposition à ce contrôle - Régularité de la procédure d’imposition - Évaluation d’office - Régularité de la reconstitution du chiffre d’affaires - Rejet.

Une société avait demandé que soit prononcée la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2012 à 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2014, ainsi que des pénalités correspondantes, et de l'amende qui lui a été infligée en application de l'art. 1759 du CGI. La cour administrative d’appel a, par arrêt confirmatif, rejeté l’appel formé par la contribuable contre le jugement du tribunal administratif prononçant un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement accordé en cours d'instance et rejetant le surplus de sa demande.

Le pourvoi en cassation contre cet arrêt est rejeté.

Tout d’abord la procédure d’imposition suivie en l’espèce a été régulière dans la mesure où, en réponse à la demande du vérificateur de lui communiquer les éléments nécessaires à l’exercice de son contrôle (traitements informatiques en vue de s'assurer de la cohérence et de l'exhaustivité des ventes et règlements enregistrés, contrôle des taux de TVA appliqués aux ventes, suivi du flux matières, contrôle des procédures de correction et d'annulation utilisées par les systèmes de caisse ainsi que des traitements permettant de vérifier la cohérence et l'exhaustivité des données requises pour ces différentes analyses), et alors que la contribuable avait choisi de mettre à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements lui permettant de réaliser les traitements informatiques souhaités sur son propre matériel, cette dernière s’est bornée à communiquer des fichiers portant non sur la période contrôlée mais sur celle postérieure en arguant de ce que l’établissement avait subi un incendie le détruisant partiellement.

La cour est donc approuvée d’avoir jugé, dans la mesure où la caisse enregistreuse n’avait pas été détruite et où le représentant de la société avait indiqué que lui avait été prêté une caisse enregistreuse en attendant la livraison d’une nouvelle, que l'absence de production des fichiers informatiques permettant la mise en œuvre des traitements informatiques que l’administration souhaitait entreprendre revêtait un caractère délibéré, de sorte qu'était caractérisée une situation d'opposition à contrôle fiscal et que l'administration pouvait légalement faire usage de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'art. L. 74 du livre des procédures fiscales.

Ensuite, la cour n’a pas, non plus, donné aux faits de l’espèce une qualification juridique inexacte en adoptant les motifs du tribunal administratif, selon lequel la seule circonstance que la méthode de reconstitution retenue par l'administration conduisait à un chiffre d'affaires pour l'exercice clos le 31 mars 2013 supérieur à celui de l'exercice clos le 31 mars 2012 n'était pas de nature à établir, alors qu'en application de l'art. L. 193 du livre des procédures fiscales la charge de la preuve incombait à la société, qui avait régulièrement fait l'objet d'une procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal, que cette méthode était radicalement viciée dans son principe et n'aurait pas tenu compte de la circonstance qu'un incendie avait partiellement détruit les bâtiments de la société en juin 2012.

(14 avril 2023, Sarl La Siesta, n° 463329)

 

67 - Omission de réponse à moyen - Date de règlement spontané de la TVA omise - Irrégularité - Annulation.

Est entachée d’irrégularité l’ordonnance d’appel qui ne répond pas au moyen invoqué par la contribuable, qui n’était pas inopérant, selon lequel elle avait spontanément réglé au cours du mois d'août 2018 la TVA omise, de sorte que le décompte des intérêts de retard qui lui ont été appliqués devait être arrêté au 31 août 2018, moyen qui différait de celui soulevé en première instance, tiré de ce que le décompte de ces mêmes intérêts devait être arrêté au 31 juillet 2018, que le tribunal administratif avait écarté au motif qu'il était constant que la société requérante n'avait pas procédé au paiement de cette taxe au cours du mois de juillet 2018.

(14 avril 2023, Société Cofagest Conseils, n° 467622)

(68) V. aussi, annulant, en matière de RSA, un jugement omettant de répondre au moyen de la requérante comportant une demande d’annulation du rejet d’un recours administratif préalable obligatoire et de condamnation subséquente du département à lui restituer les sommes récupérées comme indûment perçues : 20 avril 2023, Mme A., n° 466185.

 

69 - Cession de biens immobiliers - Soumission à une taxation à la TVA sur la marge - Biens acquis de vendeurs non assujettis à la TVA - Absence d’établissement du paiement de la taxe par les vendeurs initiaux - Moyen d’ordre public - Méconnaissance du champ d’application de la loi - Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. 268 du CGI telles qu’interprétées pat la jurisprudence de la CJUE que le régime de taxation sur la marge ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée. 

Méconnaît le champ d’application de la loi la juridiction jugeant que des cessions de biens immobiliers pouvaient être soumises au régime de taxation à la TVA sur la marge, alors qu'elle avait par ailleurs relevé que l'acquisition des terrains en litige, qui avait été effectuée auprès de vendeurs particuliers n'ayant pas la qualité d'assujettis, n'avait pas été soumise à la TVA, sans qu'il soit justifié que le prix d'acquisition aurait incorporé un montant de taxe acquittée en amont par les vendeurs initiaux.

On relèvera qu’est considérée ici comme un moyen d’ordre public la méconnaissance du champ d’application de la loi alors qu’il s’agit en réalité d’un texte législatif tel que son interprétation et son champ d’application résultent d’une décision de la CJUE ce qui n’est pas sans poser de problèmes au regard de la hiérarchie des normes.

(18 avril 2023, Société Dekal, n° 468094)

 

70 - Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) - Caisse des dépôts et consignations (SAS CDC Entreprises) - Plan d’attribution gratuite d’actions à certains salariés - Infliction d’amendes - Contradiction de motifs et erreurs de droit - Annulation.

La CDBF a condamné à amendes les requérants pour faute de gestion constitutive de l'infraction prévue à l'art. L. 313-4 du code des juridictions financières, à raison de décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011.

La Caisse des dépôts et consignations a instauré, le 1er octobre 2007, un mécanisme d'intéressement pour motiver et fidéliser les salariés de CDC Entreprises, dont la Caisse des dépôts est l'associée unique, en mettant en œuvre un plan d'attributions gratuites au bénéfice des salariés d'actions à dividende prioritaire représentant 20 % du bénéfice distribuable, sans droit de vote, le montant global de ces actions ne pouvant excéder 10 % du capital de la société. Dans ce cadre, par quatre décisions, des 21 décembre 2007, 19 décembre 2008, 21 décembre 2009 et 26 novembre 2010, M. A., en sa qualité de président de CDC Entreprises, a décidé l'attribution gratuite d'un total de 29 308 actions de préférence d'un montant nominal de 10 euros, réparties entre 70 salariés, lui-même étant bénéficiaire de l'attribution de 2 290 actions et M. D., directeur général de la société, recevant 1 623 actions. Par une décision collective écrite des associés de CDC Entreprises du 11 juin 2010, il a été décidé de procéder au versement de 3 268 412 euros de dividendes prioritaires aux salariés détenteurs d'actions de préférence, une somme de 10 573 320 euros étant versée à la Caisse des dépôts et consignations. Par une nouvelle décision collective écrite des associés de CDC Entreprises du 31 mars 2011, il a été décidé de procéder au versement de 1 954 201 euros de dividendes prioritaires aux salariés détenteurs d'actions de préférence, tandis qu'une somme de 7 814 560 euros était versée à la Caisse des dépôts et consignations.

La CDBF a jugé que si les différents faits relatifs à la mise en œuvre, au fonctionnement et au dénouement du plan d'attributions gratuites d'actions présentaient un lien entre eux, ils ne pouvaient pas pour autant être regardés comme formant un tout indissociable. Elle a donc jugé que seuls les faits intervenus postérieurement au 29 janvier 2010 pouvaient être valablement poursuivis et sanctionnés et que ne pouvaient pas non plus être pris en compte ceux intervenus à partir de 2012, les personnes poursuivies ayant respectivement quitté leurs fonctions en 2011 et 2012. Elle n’a donc retenu que trois décisions pour examen : celle portant attribution d'actions intervenue le 26 novembre 2010, qu’elle a jugé régulière, et les deux décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011.

Ces deux dernières décisions ont été jugées constituer une faute de gestion de la part de MM. D. (directeur général de la même société CDC Entreprises), A. ( président de la société) et F. (directeur général de la Caisse des dépôts et consignations), la Cour de discipline budgétaire et financière estimant que ces deux décisions, l’une de ne pas procéder à des reports à nouveau, à la différence des années précédentes, et l’autre, de verser 20% du bénéfice distribuable aux salariés détenteurs des actions de préférence attribuées gratuitement, avaient conduit à attribuer des dividendes excessifs à ces salariés, pour des montants sans rapport avec l'objectif de fidélisation de ces salariés poursuivi par le plan d'attributions gratuites d'actions, et étaient en conséquence intervenues au détriment des intérêts matériels et patrimoniaux de la Caisse des dépôts et consignations, actionnaire public principal de CDC Entreprises. 

Sur pourvoi des trois intéressés, le Conseil d’État est à la cassation.

D’abord, il juge que la CDBF a entaché son arrêt de contradiction de motifs et d’erreur de droit en tant qu’après avoir jugé, par une partie de son arrêt qui est devenue définitive, que tous les actes et décisions afférents à l'adoption et à la mise en œuvre initiale du plan d'attributions gratuites d'actions, y compris les décisions d'attributions gratuites d'actions aux salariés intervenues en 2007, 2008 et 2009, étaient couverts par la prescription et que la décision d'attributions d'actions intervenue le 26 novembre 2010 était régulière, elle a jugé aussi que les décisions litigieuses intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011 conduisant en pratique à ne pas procéder à des reports à nouveau, ou très marginalement en 2011, avaient eu pour conséquence de léser la Caisse des dépôts et consignation du fait d'une remontée de dividendes moindre que celle à laquelle elle pouvait prétendre, alors que des décisions de report à nouveau total ou partiel auraient privé la Caisse des dépôts et consignations de toute remontée de dividendes ou en auraient réduit le montant par rapport aux sommes qui lui ont effectivement été distribuées sur la période de référence des années 2010 et 2011.

Ensuite, le juge de cassation relève une autre erreur de droit de la CDBF pour avoir jugé qu'en attribuant 20 % du bénéfice distribuable des exercices en cause aux salariés détenteurs des actions de préférence, les décisions litigieuses avaient conduit à leur attribuer un montant excessif de dividendes constitutif d'une faute de gestion, alors que, sauf à méconnaître tant les statuts modifiés de la société CDC Entreprises que le règlement général relatif aux attributions gratuites d'actions et les conventions d'actionnaires conclues avec les salariés bénéficiaires de cette attribution gratuite, toute décision de distribution de dividendes devait conduire au versement prioritaire d'un dividende correspondant à 20 % du bénéfice distribuable aux salariés titulaires de ces actions, en raison de leur caractère d'actions de préférence.

Il y a tout de même lieu de s’interroger sur la légitimité démocratique et morale de l’institution, au sein d’un groupe public, d’un tel mécanisme financier.

(21 avril 2023, M. D., n° 452310 ; M. F., n° 452412 ; M. A., n° 452420)

 

71 - Écoulement du délai de reprise de l’administration fiscale - Insuffisances ou omissions révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse (art. L. 188 C du livre des proc. fisc.) - Réouverture du délai de reprise - Conditions - Absence - Annulation.

Si l’art. L. 188 C du livre des procédures fiscales permet à l’administration fiscale, lorsque sont écoulés les délais de reprise, de réparer cependant les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, c’est sous une double condition.

D’abord, seul l'engagement de poursuites peut être regardé comme ouvrant l'instance, non l'ouverture d'une enquête préliminaire, ni l'examen des poursuites par le ministère public, qui n’ont pas, eux-mêmes, un tel effet.

Ensuite, des insuffisances ou omissions d'imposition ne peuvent pas être regardées comme révélées par une instance devant les tribunaux au sens de ces mêmes dispositions lorsque l'administration fiscale dispose d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise.

Enfin, lorsque, à la date à laquelle l'administration fiscale dispose de ces informations, le délai normal de reprise est expiré et qu'elle n'est plus en mesure, sur ce seul fondement, de réparer les insuffisances et omissions d'imposition, elle ne saurait prétendre au bénéfice des dispositions de l’art. L. 188 C précité. A cet égard, la circonstance que ces informations seraient ultérieurement mentionnées dans une procédure judiciaire n'ouvre pas non plus à l'administration le droit de se prévaloir de cet article dès lors qu'en pareille hypothèse, ces informations ne peuvent être regardées comme ayant été révélées par cette instance.

Tel était le cas en l’espèce, où l'administration fiscale disposait, à la suite de l'exercice de son droit de communication en 2012, postérieurement à l'expiration du délai normal de reprise le 31 décembre 2011 et avant l'ouverture de l'instance pénale en 2013, des informations permettant d'établir l'appréhension des sommes en cause par M. A. en 2008 et, par suite, l'insuffisance d'imposition de M. et Mme A. à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de cette année. Ces informations ne pouvant être regardées comme lui ayant été révélées par l'instance ouverte ultérieurement, l'administration fiscale ne pouvait, par suite, après l'ouverture de l'instruction pénale, procéder à la rectification des revenus des requérants au titre de l'année 2008 sur le fondement de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que le tribunal administratif a rejeté les conclusions en décharge des impositions supplémentaires en litige au titre de l'année 2008 ainsi que des pénalités correspondantes.

Il convient de souligner qu’il est peu fréquent de voir le juge administratif donner, dans l’intérêt du contribuable, une interprétation aussi stricte de la loi fiscale.

(28 avril 2023, M. et Mme A., n° 465858)

 

Droit public de l'économie

 

72 - Débits de tabacs - Implantation et déplacement - Maire agissant au nom de l’État - Soumission aux décisions du préfet prises pour le département - Absence de précisions - Application de la règle édictée pour les débits de boissons - Rejet.

Le litige portait sur un arrêté municipal autorisant le déplacement d’un débit de tabacs au sein d’une même commune, dans les locaux d’un débit de boissons. Sur recours d’un autre exploitant, voisin, de débit de tabacs, le tribunal administratif a annulé l’arrêté d’autorisation. Le ministre des finances se pourvoit en cassation de ce jugement.

Il convient de rappeler que le maire, intervenant en matière de débits de tabacs comme d’ailleurs aussi en matière de débits de boissons, agit au nom de l’État. Il est donc soumis à la réglementation de ces mêmes matières prise, pour le département, par le préfet.
Or en l’espèce, si le préfet a bien pris une réglementation pour les débits de boissons en décidant qu’ils ne pouvaient pas être situé à moins de 150 mètres d’établissements d'instruction publique et d’établissements scolaires privés ainsi que de tous établissements de formation ou de loisirs de la jeunesse, il n’a pas pris de réglementation relative aux débits de tabacs.

La cour administrative d’appel a jugé qu’en l’état de ce silence de la réglementation préfectorale, il convenait de faire application aux débits de tabacs des prescriptions édictées pour les débits de boissons. Elle est approuvée par le juge de cassation qui rejette le pourvoi du ministre.

Le droit n’est-il pas « la plus puissante des écoles de l’imagination » ? (J. Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935)

(05 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 453434)

 

73 - Protection des consommateurs - Obligation de mentionner le prix d’une prestation dans sa globalité - Société indiquant distinctement le prix de la prestation et celui du dispositif indispensable à sa réalisation - Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

La société Orange a été sanctionnée à la suite de contrôles diligentés par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans six boutiques et sur le site internet de la société, à l'issue desquels l'administration a estimé que sept supports commerciaux présents en boutique et quatorze pages internet ne permettaient pas au consommateur de prendre connaissance d'emblée du prix dont il devrait s'acquitter pour un abonnement internet ligne fixe. La société a été, en conséquence, sanctionnée. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de sa demande d’annulation du fait des sanctions infligées.

Son recours est rejeté.

Le juge déduit des dispositions du droit européen (en particulier le 1 de l’art. 102 de la directive du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen et son règlement d'exécution (UE) 2019/2243 de la Commission du 17 décembre 2019 ainsi que les art. 5 et 6 de la directive 2011/83/UE) et de celles du droit interne (notamment l’art. L. 112-1 du code de la consommation) que constitue une infraction à leur égard la circonstance que les publicités, communication et annonces tarifaires en boutique et sur le site internet de la société requérante concernant les offres internet haut-débit en ADSL et fibre présentaient de façon séparée le prix de l'abonnement et le prix de location d'une box, sans faire apparaître la somme totale toutes taxes comprises devant être effectivement payée par le consommateur pour l'offre souscrite. Contrairement à ce qu’elle soutient, la société requérante n’était pas dispensée d'afficher un prix total incluant le prix de l'abonnement et celui de la location de la box, qui ne constituaient pas des prestations séparées. 

(07 avril 2023, Société Orange, n° 461082)

 

74 - Produits biocides – Pratiques commerciales prohibées – Publicité commerciale de ces produits – Contrariété partielle au droit de l’Union – Annulation dans cette mesure.

Les requérants avaient contesté la légalité du décret du 26 juin 2019 relatif aux pratiques commerciales prohibées pour certaines catégories de produits biocides et celle du décret du 26 juin 2019 relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides. Le Conseil d’État avait estimé nécessaire de poser la question préjudicielle suivante à la CJUE : « Le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides s'oppose-t-il à ce qu'un État membre adopte, dans l'intérêt de la santé publique et de l'environnement, des règles restrictives en matière de pratiques commerciales et de publicité telles que celles que prévoient les art. L. 522-18 et L. 522-5-3 du code de l'environnement ?

Le cas échéant, sous quelles conditions un État membre peut-il adopter de telles mesures ? »

La présente décision tire les conséquences de la réponse donnée à cette demande par la CJUE dans sa décision n° C-147/21 du 19 janvier 2023.

Il est d’abord jugé que le II de l'art. R. 522-16-2 du code de l'environnement, qui impose des mentions supplémentaires à celle prévue par l'article 72 du règlement du 22 mai 2012 pour la publicité à destination des professionnels méconnaît le règlement précité et doit par suite être annulé. La cour a en effet dit pour droit que ce dernier s'oppose à une réglementation nationale qui exige l'apposition d'une mention supplémentaire à celle prévue à l'article 72 de ce règlement sur la publicité à destination des professionnels en faveur des produits biocides.

Ensuite, la cour ayant dit que ce même règlement ne s'oppose pas à une réglementation nationale interdisant la publicité à destination du grand public en faveur des produits biocides, ni à une réglementation nationale interdisant certaines pratiques commerciales sous réserve, d’une part, de ne pas méconnaître les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, d’autre part, de ne pas affecter l'accès au marché à ceux des produits biocides concernés qui sont originaires d'autres États membres que celui de tels produits provenant de France ou, si c'était le cas, qu'elles soient justifiées par des objectifs de protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que de l'environnement et qu'elles soient propres à garantir la réalisation de ces objectifs sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre, le Conseil d’État juge qu’en l’espèce les mesures en cause ne peuvent être considérées, pour cette seule raison, comme affectant davantage les produits provenant d'autres États membres que les produits nationaux, alors qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que de telles pratiques étaient indispensables pour accéder au marché français. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions ne peuvent être regardées comme étant de nature à affecter davantage l'accès au marché des produits biocides concernés originaires d'autres États membres que celui de tels produits provenant de France et que, par voie de conséquence, elles ne sont pas contraires aux articles 34 à 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

(21 avril 2023, Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et autres, n° 433889)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

75 - Salarié protégé – Refus d’un changement de ses conditions de travail – Faute – Erreur de droit – Annulation.

Si le refus d’un salarié protégé d’accepter un changement de ses conditions de travail constitue une faute pouvant permettre son licenciement c’est sous le respect de plusieurs critères rappelés ici par le juge (absence de modification du contrat de travail de l'intéressé, obligation pour l'autorité administrative d’apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée, modalités de mise en œuvre et effets de la modification envisagée sur la situation personnelle du salarié et sur les conditions d'exercice de son mandat). En particulier, il est rappelé que le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

Un refus d’autorisation de licenciement lui ayant été opposé en l’espèce, la société Orange se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de son recours en première instance.

La cour avait motivé son arrêt de rejet par de nombreux éléments : le fait que le salarié protégé bénéficiait, en vertu de son contrat de travail, d'une rémunération fixe assortie d'une part variable dont les modalités de mise en œuvre relevaient de décisions de son employeur ; la circonstance que le segment de clientèle qui lui était attribué n'était pas prévu par son contrat ; le fait aussi que, dans le cadre d'une réorganisation des services de vente mise en œuvre à compter du 31 décembre 2015, il avait été chargé du secteur des clients « moyen de marché », alors que celui des clients « haut de marché » lui était antérieurement confié et que le « pay plan » permettant de déterminer la part variable de sa rémunération avait été modifié, se traduisant notamment par une diminution des coefficients et des marges produits. La cour en a conclu que cette évolution des modalités de détermination de la part variable de la rémunération de l’intéressé, résultant de la modification du « pay plan » et du changement du segment de clientèle, emportait, par elle-même, une modification de ses conditions de travail et, partant, de son contrat, qu'il pouvait refuser sans commettre de faute.

Malgré cette riche motivation, le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit car la cour n’a pas recherché s'il résulterait de ces changements une baisse de la rémunération du salarié. L’annulation méritait une critique un peu plus « substantielle ».

(12 avril 2023, Société Orange, n° 449229)

 

76 - Salarié protégé – Licenciement pour inaptitude physique – Efforts de reclassement de l’employeur – Période d’appréciation de ces efforts – Rejet.

Rappel par le juge, d’abord, qu’en cas de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique à intégrer l’emploi précédemment occupé, il incombe à l’administration du travail de rechercher si l'inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé et si, dans l'affirmative, l'employeur a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise ou au sein du groupe, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. 

Rappel ensuite que l'inspecteur du travail doit apprécier les possibilités de reclassement du salarié à compter du moment où le licenciement est envisagé et jusqu'à la date à laquelle il statue sur la demande de l'employeur tandis que le ministre chargé du travail doit, lorsqu'il statue sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail, apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu'à la date de cette décision. Si le ministre annule la décision de l'inspecteur du travail et se prononce de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, il doit alors, en principe, apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu'à la date à laquelle il statue lui-même.

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour, pour rejeter le recours du demandeur, a relevé  d’abord que par son avis du 19 avril 2016, le médecin du travail a déclaré M. B. définitivement inapte à ses fonctions mais toutefois apte à occuper un poste « sans contact direct avec la clientèle, sans objectif commercial et situé dans un rayon de 10 kilomètres de son domicile », elle a relevé ensuite que l’employeur a sollicité le médecin du travail, par lettre du 23 mai 2016, afin d'obtenir son avis sur un poste de reclassement, créé spécialement pour M. B. dans une agence située à 11 kilomètres de son domicile, ayant pour caractéristique d'être sans contact direct avec la clientèle et sans objectif commercial, et qu'en l'absence de réponse de sa part, elle l'a de nouveau sollicité, par lettre du 8 juin 2016, après le refus de M. B., par lettre du 7 juin 2016, d'être reclassé sur ce poste, au motif qu'il n'était pas compatible avec son état de santé, a, enfin, estimé que, dans ces conditions, l'employeur n'était pas tenu de saisir à nouveau le médecin du travail pour qu'il formule un avis sur l'offre de reclassement faite à M. B. 

(12 avril 2023, M. B., n° 453831)

(77) V. voisin, mais non semblable, la décision annulant un arrêt de cour administrative d’appel qui, pour confirmer le jugement de première instance annulant l’autorisation administrative de licenciement d’une salariée protégée pour faute grave, retient que ce motif ne pouvait être retenu par l’inspecteur du travail d’abord saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour inaptitude physique, après avis du médecin travail en ce sens. Le juge de cassation relève que l’employeur soutenait que la salariée avait refusé de se rendre aux convocations qu'elle lui avait adressées en vue de son reclassement. La cour a commis une erreur de droit en omettant de rechercher si, par un tel comportement, la salariée n'avait pas mis son employeur dans l'impossibilité de s'acquitter de son obligation de reclassement, de sorte que, dans ces circonstances particulières, il avait pu légalement envisager de licencier la salariée pour un autre motif que l'inaptitude tel un motif disciplinaire : 12 avril 2023, Société L’Anneau, n° 458974.

 

78 - Salarié protégé – Rupture conventionnelle – Contrôle de l’autorité administrative – Étendue – Rejet.

Le litige portait sur une demande d’annulation de la décision du 27 novembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail de la Côte d'Or a autorisé la rupture conventionnelle du contrat de travail liant le requérant à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or ainsi que de la décision du 20 mai 2018 par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique contre cette décision.

La question était assez nouvelle.

Le Conseil d’État, attentif à la  sauvegarde du statut protecteur dont bénéficient certains salariés chargés de représenter leurs collègues, rappelle fermement qu’en cas de demande d'autorisation d'une rupture conventionnelle conclue par un salarié protégé et son employeur, il incombe à l’inspection du travail de s'assurer, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, que la rupture n'est pas au nombre de celles mentionnées à l'art. L. 1237-16 du code du travail, qu'elle n'a été imposée à aucune des parties et que la procédure et les garanties prévues par les dispositions du code du travail (à savoir les art. L. 1237-11 et suivants, L. 2242-20 et L. 2242-21), ont été respectées. A ce titre, il leur incombe notamment de vérifier qu'aucune circonstance, en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par le salarié ou à son appartenance syndicale, n'a été de nature à vicier son consentement. Le contrôle est très étendu et très exigeant pour l’administration : vérifier l’absence de vice du consentement suppose une investigation poussée sans grand rapport avec la recherche de l’existence d’un tel vice. Ceci place la rupture conventionnelle du salarié protégé sous une tutelle étroitement comparable à celle dominant son licenciement.

En l’espèce le pourvoi est rejeté car la cour administrative d’appel, contrairement à ce qui était soutenu, n’avait pas à examiner d’office si la rupture conventionnelle avait un lien avec l’exercice d’un mandat syndical ce moyen n’étant pas d’ordre public. Pareillement, l'existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale n'est pas de nature, par elle-même, à faire obstacle à ce que l'inspection du travail autorise une rupture conventionnelle, sauf à ce que ces faits aient, en l'espèce, vicié le consentement du salarié. Enfin, c’est sans qualifier inexactement les faits ni commettre d’erreur de droit que la cour, pour se prononcer sur le moyen tiré de ce que le consentement de M. A. à la rupture conventionnelle avait été vicié, a relevé, d’une part :

 - que le requérant n'avait pas exercé son droit de rétractation après la signature de la convention, dont il avait d'ailleurs été à l'origine,

- que, sur sa requête, son employeur avait été condamné par la cour d'appel de Reims pour harcèlement moral et discrimination syndicale, par un arrêt du 30 septembre 2020, pour des faits datant au plus tard de 2015,

- que M. A. avait demandé, dans le cadre de cette instance judiciaire, la résiliation judiciaire de son contrat de travail, qu'il n'avait pas obtenue,

- que des discussions sur un protocole transactionnel portant sur des indemnités à verser à M. A. n'avaient pas abouti et que l'employeur avait antérieurement à la rupture conventionnelle demandé à l'inspection du travail l'autorisation de le licencier.,

Et, d’autre part, jugé que ces circonstances n'étaient pas de nature à établir que M. A. n'avait pas librement consenti à la rupture conventionnelle. 

(13 avril 2023, M. A., n° 459213)

 

79 - Salariés protégés - Licenciements pour motif économique - Pouvoir de contrôle de l’autorité administrative - Annulation.

La société requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de l’annulation de l’autorisation de licenciement de neuf salariés de celle-ci donnée par la ministre du travail en suite de son annulation des refus opposés à ces licenciements par l’inspection du travail.

C’est l’occasion pour le juge de cassation d’apporter d’importantes précisions sur le contrôle administratif pouvant être exercé sur la licéité du licenciement pour motif économique de salariés protégés.

Naturellement, négativement, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

Positivement, lorsque la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’autorité administrative de vérifier si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié.

En ce cas, lorsque la demande d'autorisation est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, l'autorité administrative, si elle ne peut contrôler si cette cessation d'activité est justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise, doit contrôler que la cessation d'activité de l'entreprise est réellement totale et définitive sans que fasse obstacle au caractère total et définitif de la cessation d’activité la circonstance que l'entreprise appartienne à un groupe au sein duquel une autre entreprise du groupe a poursuivi une activité de même nature.

A l’inverse, le licenciement ne saurait être autorisé s'il apparaît que le contrat de travail du salarié doit être regardé comme transféré à un nouvel employeur ou s'il est établi qu'une autre entreprise est, en réalité, le véritable employeur du salarié.

La cour a commis une erreur de droit en se fondant, pour annuler l’autorisation de licenciement accordée par la ministre, sur ce qu’il existait en l’espèce une situation de « co-emploi » entre la société OEC et le groupe dont elle relève alors que ce moyen était inopérant, seul pouvant être éventuellement retenu, ainsi qu’il vient d’être dit, le moyen tiré de ce qu'une autre entreprise était, en réalité, le véritable employeur des salariés protégés qu'il était projeté de licencier en raison de la cessation d'activité de l'entreprise OEC.

(28 avril 2023, Société Orion Engineered Carbons (OEC), n°s 453087, 453088, 453089, 453090, 453091, 453092, 453094, 453095 et 453096, jonction)

 

80 - Hébergement d’urgence – Attribution de chambres d’hôtel – Existence d’inconvénients – Rejet.

Les requérants et leurs trois enfants sont logés, depuis le 24 mars 2023, dans deux chambres d’un hôtel qui est un hébergement de long séjour. Le Conseil d’État considère qu’eu égard à la saturation du dispositif d'hébergement d'urgence dans la région d'Île-de-France, leur demande de se voir attribuer un logement pérenne ne peut être satisfaite même si l’hébergement actuel ne comporte l'accès qu'à un four pour réchauffer les aliments et non à une véritable cuisine, s'il est éloigné de l'école dans laquelle deux des enfants du couple sont scolarisés et en dépit de ce que leur fille de cinq ans est atteinte d'une maladie nécessitant un suivi médical régulier. En outre, il a été justifié à l'audience que les requérants allaient bénéficier d'un accompagnement social par la plateforme d'accompagnement social à l'hôtel du département, la première visite d'une assistante sociale étant fixée au lundi 3 avril 2023 à 11 heures. Il s'ensuit que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif a été entièrement exécutée :  les requérants ne sont donc pas fondés à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a rejeté leur demande d'exécution.

(03 avril 2023, M. et Mme F., n° 472276)

 

81 - Arrêté portant extension d’une convention collective – Ministre refusant de faire application des dispositions réglementaires applicables à la date de l’arrêté d’extension – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 21 mai 2021 de la ministre du travail portant extension d'un avenant à la convention collective nationale des salariés en portage salarial (n° 3219).

Le juge annule cet arrêté dont l’illégalité était évidente.

La ministre auteur de l’arrêté d’extension a indiqué dans son rapport d'observations relatif à l'extension de l'avenant litigieux, soumis, le 20 mai 2021, à la sous-commission des conventions et accords, qu'alors même que les dispositions de l'art. L. 2261-23-1 du code du travail étaient applicables aux conventions et accords conclus après le 23 septembre 2017, il n'y avait pas lieu de faire application de ces dispositions, afin « d'une part, de permettre aux organisations représentatives de s'approprier ces dispositions, et, d'autre part, de ne pas refuser d'étendre un très grand nombre de conventions, accords et avenants » qui ne les auraient pas prises en compte, en raison, notamment, de ce que les négociations ayant conduit à ces conventions, accords, avenants, avaient commencé avant l'entrée en vigueur de ces dispositions. En refusant d’appliquer les dispositions réglementaires en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, la ministre chargée du travail a commis une erreur de droit et a entaché sa décision d'illégalité. 

(12 avril 2023, Fédération des entreprises de portage salarial, société Plug et Pay, société Portify et société Régie de portage salarial, n° 455941 ; Confédération générale du travail, n° 456007)

(82) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre l'arrêté de la ministre du travail portant extension aux journalistes professionnels de la convention collective nationale de la télédiffusion du 2 juillet 2021 et de son avenant n°2 notamment en ce que ses stipulations, contrairement à ce qui était soutenu, n’ont clairement ni pour objet, ni pour effet de rendre applicable la convention collective nationale de la télédiffusion aux journalistes professionnels et aux pigistes régis par la convention collective nationale des journalistes et qu’ainsi elle n’est, sur ce point entachée entaché ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation ni d’atteinte au principe de sécurité juridique : 28 avril 2023, Syndicat national des journalistes et Union syndicale Solidaires, n° 463882.

 

83 - Établissements publics de santé ou médico-sociaux – Comité social d’établissement – Absence de personnalité morale – Création de formations spécialisées – Règles de fonctionnement – Principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail – Rejet.

Le Conseil d’État rejette les divers moyens soulevés par les fédérations requérantes à l’appui de leur demande d’annulation du décret n° 2021-1570 du 3 décembre 2021 relatif aux comités sociaux d'établissement des établissements publics de santé, des établissements sociaux, des établissements médico-sociaux et des groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public.

Le décret attaqué ne porte pas atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en ne précisant pas que les comités sociaux d’établissement et leurs éventuelles formations spécialisées internes sont dotés de la personnalité morale. 

L’art. 2 du décret n’affecte pas, par lui-même, la liberté syndicale en décidant que le rattachement d'un groupement de coopération sanitaire de moyens de droit public au comité social de l'un des établissements publics de santé membre du groupement doit intervenir au moins huit mois avant l'élection du comité social d'établissement, afin de faciliter l'organisation de l'élection des représentants du personnel au sein du comité social d'établissement en permettant d'assurer que l'effectif retenu pour cette élection, dont dépend le nombre de sièges à pourvoir, soit déterminé à une date à laquelle le rattachement est déjà intervenu.

L’art. 3, en fixant un seuil de 200 agents pour la création d’une formation spécialisée au sein d’un comité social d’établissement, n’a ni privé d'effectivité le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ni porté atteinte à la liberté syndicale garantie par le sixième alinéa du préambule de 1946 et par l'article 11 de la convention EDH, alors au demeurant, d’une part, que les représentants du personnel participent, au sein de ce comité, à la protection de la santé et de la sécurité des agents et d’autre part, qu'il résulte des dispositions de l'article 4 de la loi du 6 août 2019 qu'une formation spécialisée peut être créée, dès lors que des risques professionnels particuliers le justifient, même dans les établissements ou groupements de coopération dont les effectifs sont inférieurs à ce seuil. 

L’art. 48 ne méconnaît pas, par lui-même, les dispositions de l'art. L. 136-1 du code général de la fonction publique, en vertu desquelles « des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail » en disposant que les membres de la formation spécialisée procèdent à intervalles réguliers à la visite des services relevant de la compétence de la formation et alors que doivent obligatoirement être inscrits à l'ordre du jour des réunions de la formation spécialisée les points dont l'examen a été demandé par la moitié au moins des représentants titulaires du personnel au sein de cette instance et qui entrent dans sa compétence, parmi lesquels, le cas échéant, une délibération mandatant une délégation de la formation spécialisée pour procéder à une visite des services et fixant l'objectif, le secteur géographique et la composition de cette délégation, la circonstance que l'exercice du droit de visite des membres de la formation spécialisée soit conditionné à l'adoption d'une telle délibération. Ne peut non plus être soutenu à cet égard le moyen que les dispositions contestées de cet art. 48 porteraient atteinte au principe d'égalité en ce qu'elles ne prévoient pas les mêmes conditions de visite que celles prévues par le code du travail s'agissant du comité social et économique des entreprises.

L’art. 51 ne méconnaît pas le droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 en prévoyant que le président de la formation spécialisée ne peut faire appel à un expert certifié que dans les cas où cette dernière ne dispose pas déjà des éléments nécessaires à l'évaluation des risques professionnels, des conditions de santé et de sécurité ou des conditions de travail.  Semblablement, ces dispositions ne méconnaissent pas davantage le droit à la protection de la santé en décidant qu’en ce cas les projets de réorganisation de service sont examinés, en vertu de l’art. L. 253-10 du code général de la fonction publique, non par la formation spécialisée mais par le comité social d'établissement.

De la même manière, la faculté reconnue par cet article au président de la formation spécialisée de refuser de faire appel à un expert malgré le vote majoritaire favorable des membres de la formation, est subordonnée à une obligation de motivation substantielle du refus et, en cas de désaccord sérieux et persistant, à l’intervention de l'agent de contrôle de l'inspection du travail. Il s’ensuit que, par elle-même, cette disposition ne porte atteinte, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, ni au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ni au droit à la protection de la santé garanti, sans qu'ait à cet égard d'incidence la circonstance que le comité social d'établissement et la formation spécialisée ne seraient pas dotés de l'autonomie financière.

Enfin, il ne saurait être prétendu que ces dispositions porteraient atteinte au principe d'égalité en ce qu'elles ne prévoient pas les mêmes conditions de recours à une expertise que celles prévues par le code du travail s'agissant du comité social et économique des entreprises. 

Enfin, l’art. 67 n’a pas porté atteinte à l'effectivité du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail en décidant que l'ordre du jour des réunions du comité social d'établissement ou de la formation spécialisée instituée, le cas échéant, en son sein, est fixé par leur président, celui-ci étant tenu de consulter au préalable le secrétaire du comité ou de la formation spécialisée, lequel peut proposer l'inscription de points à l'ordre du jour. Il en va de même des points entrant dans la compétence de ces instances dont l'examen a été demandé par la moitié au moins des représentants titulaires du personnel en leur sein ou de ceux pour lesquels une disposition légale ou réglementaire a rendu obligatoire la consultation de ces organes.

(12 avril 2023, Fédération SUD santé sociaux, n° 461194 ; Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 461221, jonction)

(84) V., jugeant entaché d’erreur de droit l’arrêt admettant qu’en raison du déroulement d’élections professionnelles l’employeur, normalement tenu de saisir le comité d’entreprise du projet de licenciement d’un salarié protégé pour faute disciplinaire dans les dix jours de la date de mise à pied (art. R. 2421-14 c. trav.), a attendu 29 jours pour ce faire : 13 avril 2023, Société Eiffage Route Grand Sud, n° 451832.

 

85 - Salariée protégée handicapée – Licenciement pour motif économique – Diligences et contrôles de l’autorité administrative – Rejet.

Le juge avait à connaître du cas difficile du licenciement pour motif économique d’une salariée protégée handicapée. Avec beaucoup de précisions et de fermeté le juge rappelle les exigences que doit respecter l’autorité administrative à laquelle est demandée l’autorisation de licencier.

Outre le fait que le licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé, lorsque la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié. Enfin, si ledit salarié est porteur d’un handicap, il incombe à l'autorité administrative de vérifier que l'employeur a pris toutes les mesures appropriées pour permettre à ce travailleur de conserver un emploi correspondant à sa qualification, qu’il a, le cas échéant à la lumière des préconisations du médecin du travail, procédé à une recherche sérieuse de postes de reclassement appropriés à la situation du salarié, au besoin par la mise en œuvre de mesures d'adaptation. 

En l’espèce, pour apprécier le respect par l’employeur  de son obligation de recherche sérieuse de postes de reclassement, la cour administrative d’appel a pu, sans dénaturation ni erreur de droit, relever, d'une part, que des propositions écrites et précises de postes de reclassement ont été faites à la requérante  parmi lesquelles figuraient des postes d'opérateur de production, identiques à celui qu'elle occupait précédemment, pour lequel le médecin du travail l'avait déclarée apte à plusieurs reprises, d'autre part, qu'il n'était pas allégué que ce poste aurait fait l'objet d'adaptations particulières liées à sa qualité de travailleur handicapé, ni que les postes proposés auraient nécessité des adaptations liées à cette qualité.

La cour a rendu un  arrêt exempt de tout reproche en jugeant que l’employeur avait pris en compte, dans sa recherche des possibilités de reclassement de la salariée, la qualité de travailleur handicapé de celle-ci, malgré l'absence de sollicitation préalablement à sa recherche, de l'avis du médecin du travail, et que, par suite, celui-ci n'avait pas méconnu son obligation de procéder à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement.

(04 avril 2023, Mme A., n° 449276)

 

86 - Allocations de logement (allocation de logement sociale et allocation de logement familiale) - Contentieux - Juridiction compétente (ordonnance du 17 juillet 2019) - Litige antérieur au 1er janvier 2020 - Compétence du juge judiciaire - Annulation.

Le demandeur a saisi la juridiction administrative d’un recours en annulation des décisions des 5 et 13 septembre 2019 par lesquelles la caisse d'allocations familiales lui a demandé le remboursement d'indus d'allocation de logement sociale.

L’ordonnance du 17 juillet 2019 relative à la partie législative du livre VIII du code de la construction et de l'habitation a substitué en cette matière la compétence des juridictions administratives à celle des juridictions judiciaires à compter du 1er janvier 2020.

Soulevant d’office ce moyen car il est d’ordre public, le Conseil d’État décide qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 835-4 du code de la sécurité sociale et de celles de l’ordonnance du 17 juillet 2019 précitée, ces décisions, qui sont intervenues avant le 1er janvier 2020, demeurent soumises aux dispositions applicables en matière de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole prévues aux art. L. 142-1 et suivants du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire aux juridictions judiciaires.

Si, en l’espèce, la directrice de la caisse d'allocations familiales s'est à nouveau prononcée, après la date du 1er janvier 2020, sur une demande de remise de dette et sur un recours gracieux concernant les mêmes décisions initiales, ces décisions n'ont pu, en tout état de cause, se substituer aux décisions initiales dès lors que les dispositions relatives à l'entrée en vigueur du recours administratif préalable obligatoire institué par l'article L. 825-2 du code de la construction et de l'habitation et celles relatives à ses modalités d'applications prévues aux articles R. 825-1 à R. 825-3 du même code n'étaient pas applicables aux décisions prises avant le 1er janvier 2020, faute d'être entrées en vigueur avant cette date.

Par suite, les conclusions présentées par M. A. continuent de relever de la compétence du juge judiciaire et doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. 

(07 avril 2023, M. A., n° 457507)

 

87 - Aide personnalisée au logement - Action en répétition de l’indu de cette allocation - Prescription biennale - Opposabilité tant au bailleur qu’au locataire - Rejet.

Rappel que si l'allocation de logement familiale est en principe versée au bailleur, auquel il incombe de la déduire du montant du loyer et des dépenses accessoires de logement, l'action en recouvrement d'un indu d'aide personnalisée au logement se prescrit dans le délai de deux ans fixé par l'art. L. 553-1 du code de la sécurité sociale, que l'aide ait été versée au bailleur ou directement à l'allocataire. 

C’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé ici que la créance de la caisse était prescrite.

(25 avril 2023, Caisse d’allocations familiales du Nord, n° 460784)

(88) V. aussi, rappelant d’abord que lorsqu'un ménage n'a pas perçu de ressources prises en considération pour le calcul de l'aide personnalisée au logement au cours de l'année civile de référence mais qu'il apparaît, au mois de novembre de l'année suivante, qu'un de ses membres exerce désormais une activité professionnelle rémunérée, la caisse d’allocations familiales procède à une évaluation forfaitaire des ressources pour déterminer si les conditions d'un renouvellement pour une année civile sont remplies et fixer, le cas échéant, le montant de l'aide qui sera versée à compter du 1er janvier suivant. Rappelant ensuite qu’une activité professionnelle rémunérée au sens de ces dispositions est une activité qui permet à la personne qui l'exerce de disposer de revenus professionnels réguliers, le juge estime que ne peuvent être regardés comme des revenus professionnels réguliers des revenus faibles et épisodiques. Tel est le cas de l’espèce où Mme A. n'a exercé que quelques mois l’emploi de garde à domicile pour un revenu de moins de deux cents euros par mois et n’a été employée dans un lycée que moins d’un mois : 27 avril 2023, Mme A., n° 463640.

 

89 - Demande de logement de caractère prioritaire et urgent - Carence de l’État - Indemnisation - Annulation.

Constatant la carence fautive de services préfectoraux et de la commission de médiation dans l’attribution d’un logement social au requérant, ce qui l’a contraint à vivre dans des conditions précaires et notamment d'habiter dans son véhicule automobile du mois de mars 2018 à la fin janvier 2020, le juge alloue une indemnité de trois mille euros couvrant la période du 30 juin 2018 au 24 janvier 2020 déduction faite de trois mois (septembre à novembre 2019) où il a été pris en charge par une association.

(27 avril 2023, M. A., n° 464630)

 

90 - Conventions collectives nationales - Fusion de champs conventionnels - Nécessité de présenter des conditions sociales et économiques analogues - Rejet.

La fédération requérante demandait l’annulation de l'arrêté de la ministre du travail portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés (IDCC 1947) à la convention collective nationale des salariés du négoce des matériaux de construction (IDCC 3216).

Cette fusion était motivée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociation couverts au sein de la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés.

Le Conseil d’État rejette le recours.

Il rappelle à titre liminaire qu’une fusion de champs conventionnels suppose que les branches fusionnées présentent des conditions sociales et économiques analogues.

Puis, il constate que :

- la branche du négoce du bois d'œuvre et de produits dérivés et celle du négoce des matériaux de construction recouvrent des activités présentant des caractéristiques similaires consistant à distribuer, stocker et transporter des matériaux de construction,

- les champs d'application professionnels des deux branches ont en commun une même activité économique regroupée sous le code APE 46.73A à savoir celle de « commerce de gros (commerce interentreprises) de bois et de matériaux de construction »,

- les salariés des deux branches exercent des métiers qui présentent, en dépit de certaines spécificités, une grande proximité,

 - les deux branches relèvent du même opérateur de compétences en matière de formation professionnelle.

Le juge en conclut qu’alors même que les deux branches conservent des différences (modalités de calcul de certaines rémunérations et primes), la Fédération nationale du bois, requérante, n'est pas fondée à soutenir que la ministre chargée du travail a fait une inexacte application des dispositions de l'art. L. 2261-32 du code du travail en retenant que la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés présente des conditions sociales et économiques analogues à celles de la branche des salariés du négoce des matériaux de construction, sans qu’ait, à cet égard, d’incidence sur cette décision la circonstance que la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés présenterait des conditions sociales et économiques également analogues à celles d'autres branches s'agissant notamment des grilles de classification des emplois prévues par les conventions collectives.

(12 avril 2023, Fédération nationale du bois, n° 457280)

 

91 - Services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) - Pandémie de Covid 19 - Pertes d’activités - Dotation du conseil général au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap - Réclamation financière - Compétence juridictionnelle - Renvoi aux juridictions compétentes.

La requérante a demandé la condamnation du département du Nord à lui verser, d'une part, une certaine somme assortie des intérêts au taux légal, ou, à titre subsidiaire, une certaine somme moins importante, assortie des intérêts au taux légal, au titre de la créance qu'elle estime détenir sur le département ou, à défaut, de son préjudice, du fait de l'absence de fixation de tarifs au titre des exercices 2017 à 2021 et, d'autre part, une somme au titre de l'absence de reprise de ses déficits des exercices 2013 et 2014. Elle a demandé, par une deuxième requête, l'annulation de la délibération 22 novembre 2021 par laquelle la commission permanente du conseil départemental du Nord a décidé d'accorder aux services d'aide et d'accompagnement à domicile une « dotation », « relative à la compensation des pertes d'activité » dans le cadre de la pandémie de Covid-19, d'un certain montant, au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie et au titre de la prestation de compensation du handicap, et a autorisé le président du conseil départemental à signer une convention avec chacun de ces services pour le versement de cette compensation financière. Par une troisième requête, l'association a demandé la condamnation du département du Nord à lui verser une certaine somme, assortie des intérêts au taux légal, au titre de la créance qu'elle estime détenir sur le département, ou, à défaut, de son préjudice, du fait des modalités, selon elle illégales, de compensation financière de la perte d'activité des services d'aide et d'accompagnement à domicile définies par la délibération précitée de la commission permanente du conseil départemental du Nord. Le président de la 6ème chambre du tribunal administratif, sur le fondement du premier alinéa de l'art. R. 351-3 du CJA, a transmis les dossiers de ces demandes au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Nancy. Par une ordonnance du 9 septembre 2022, la présidente de ce tribunal a, à son tour, transmis ces dossiers au président de la section du contentieux du Conseil d'État, en application du troisième alinéa de l'art. R. 351-6 du CJA, aux fins de règlement de la question de compétence et d'attribution du jugement de tout ou partie de ces affaires à la juridiction déclarée compétente.

Ces trois affaires étant jointes, le Conseil d’État décide :

- En tant que l’association demande la condamnation du département à lui verser la somme correspondant à la différence entre le financement qu'elle aurait, selon elle, dû recevoir de la part de cette collectivité si, d'une part, le tarif fixé par le président du conseil départemental au titre de l'exercice 2016 avait été maintenu pour les exercices 2017 à 2021 et si, d'autre part, le déficit de ses exercices 2013 et 2014 avait été repris, et la somme qu'elle a effectivement perçue pour la même période en application de la délibération du 12 décembre 2016, ses conclusions, qui sont exclusivement relatives à la créance que l'association requérante prétend tirer de la méconnaissance de son droit à la fixation d'un tarif conforme aux textes en vigueur, en sa qualité d'association habilitée à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, relèvent, en vertu des dispositions de l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles, de la compétence du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale. 

- En tant que l’association demande l'annulation de la délibération du 22 novembre 2021 de la commission permanente du conseil départemental du Nord, prise sur le fondement des dispositions des ordonnances des 25 mars et 9 décembre 2020 et des décrets des 29 juin 2020 et 2 avril 2021, ses conclusions relèvent de la compétence du tribunal administratif et non de celle du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale.

- En tant que l'association requérante demande le versement de la somme correspondant, selon elle, à la différence entre la somme qu'elle aurait dû recevoir de la part du département du Nord, si le montant de la compensation financière de la perte d'activité subie dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 sur la période du 1er juillet 2020 au 31 mai 2021 avait été fixé conformément aux dispositions des ordonnances des 25 mars et 9 décembre 2020 et des décrets des 29 juin 2020 et 2 avril 2021, et la somme qu'elle a effectivement perçue pour la même période, ses conclusions, qui s’analysent en une demande d’indemnisation des conséquences de l'illégalité qu'elle allègue de la délibération du 22 novembre 2021, relèvent également de la compétence du tribunal administratif et non de celle du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale.

(14 avril 2023, Association Aide à domicile en activités regroupées en Sambre-Avesnois (ADAR Sambre-Avesnois), nos 469698, 469716 et 469718, jonction)

 

92 - Délégation d’actes par le médecin du travail à un infirmier en santé au travail - Cas des visites de préreprise et de reprise et de la visite médicale de mi-carrière - Rejet.

Le Conseil national de l'ordre des médecins demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail, en tant qu'il n'exclut pas, à son article 1er, les visites de préreprise et de reprise et la visite médicale de mi-carrière du champ des visites et examens pouvant être délégués par le médecin du travail à un infirmier en santé au travail.

La requête est rejetée en tous ses chefs de grief.

En ce qui concerne les visites de préreprise et de reprise, leur délégation à des infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail n’est pas entachée d’illégalité alors même que ces dispositions ne mentionnent pas expressément la possibilité que le médecin du travail délègue à un infirmier en santé au travail la réalisation des visites de préreprise et de reprise. Pas davantage, le décret attaqué n’a été pris en méconnaissance des dispositions législatives du code de la santé publique qui réservent à un médecin la réalisation de certains actes, ni n’est entaché entaché d'erreur manifeste d'appréciation et de méconnaissance du droit à la protection de la santé qui résulte du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et des dispositions de l'article 7 de la directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, en ce qu'elles prévoient que les personnes ou services extérieurs à l'entreprise chargés des activités de protection et des activités de prévention des risques professionnels de l'entreprise doivent avoir les aptitudes nécessaires et disposer des moyens personnels et professionnels requis. 

En ce qui concerne les visites médicales de mi-carrière qui peuvent être réalisées par les infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que l'article 1er du décret attaqué a été édicté en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 4624-2-2 du code du travail qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne réservent pas la réalisation de cette visite soit au médecin du travail, soit à l'infirmier en pratique avancée. 

(28 avril 2023, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 465318)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

93 - Élection d’un adjoint au maire - Élection acquise - Recommencement du vote après proclamation des résultats - Empiètement du conseil municipal sur la compétence du juge de l’élection - Annulation de la seconde délibération.

Le maire d’une commune, tenant compte d'objections formulées à l'encontre des opérations électorales tenues en vue de l'élection de sa huitième adjointe, a soumis au conseil municipal un projet de délibération tendant à ce qu'il soit procédé de nouveau à cette élection. Toutefois, la délibération par laquelle le conseil municipal a procédé à cette élection, a été transmise au préfet et les résultats de cette première élection ont été proclamés dès l'issue de ce scrutin.

Le demandeur est évidemment fondé à soutenir qu'en adoptant la délibération abrogeant la précédente et en procédant de nouveau à l'élection, le conseil municipal est intervenu dans une matière réservée par la loi au juge de l'élection.

La délibération litigieuse est annulée.

(18 avril 2023, M. D., n° 469594)

 

94 - Élections départementales - Rejet du compte de campagne d’un binôme de candidats - Inéligibilité - Annulation dans les circonstances de l’espèce.

Le juge d’appel annule un jugement prononçant une inéligibilité d’un an à l’encontre d’un binôme de candidats pour défaut de présentation d’un compte de campagne visé par un expert-comptable. D’abord parce qu’a été présenté en appel un compte dûment visé, ensuite à cause de la faiblesse des sommes en jeu et, enfin, car cette défaillance n’a pas un caractère délibéré.

(24 avril 2023, M. D. et Mme B., élections départementales du canton de Gourin, n° 465002)

(95) V. aussi, jugeant injustifié le prononcé d’une inéligibilité de six mois à l’encontre d’un binôme ayant déposé son compte de campagne onze jours après expiration du délai imparti et alors que ce retard, d’une part, ne résulte pas d’un manquement délibéré, et d’autre part est uniquement dû au manque de célérité de l'imprimeur de la propagande qui n’a pas transmis en temps utile les pièces comptables requises : 24 avril 2023, Mme D. et M. B., élections départementales du canton de Souillac, n° 465021.

 

96 - Inscription sur une liste électorale - Vérification de la satisfaction de la condition de domicile - Compétence du juge judiciaire - Juge administratif compétent pour apprécier l’existence éventuelle de manœuvres dans l’établissement de la liste - Rejet.

Invité, d’une part, à annuler l'élection d’un candidat au conseil municipal de Menton et à le déclarer inéligible pour une durée de trois ans, d'autre part, à annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 30 janvier et le 6 février 2022 en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires de la commune, le Conseil d’État confirme le rejet de la protestation prononcé en première instance.

La décision rappelle que s'il n'appartient pas au juge de l'élection d'apprécier si un électeur inscrit sur les listes électorales remplit effectivement la condition de domicile exigée par l'art. L. 11 du code électoral, il lui incombe cependant de rechercher si des manœuvres dans l'établissement de la liste électorale ont altéré la sincérité du scrutin. Tel n’est pas le cas en l’espèce où le tribunal de proximité de Menton a rejeté la demande tendant à la radiation de ce candidat de la liste électorale de la commune et où le tribunal administratif a jugé que son inscription sur la liste électorale de la commune de Menton n'avait pas constitué, dans les circonstances de l'espèce, une manœuvre ayant altéré la sincérité du scrutin.  

(24 avril 2023, M. G., élections départementales du canton de Menton, n° 466236)

 

97 - Arrêté fixant la liste des candidats pour le second tour de l’élection des représentants à l’Assemblée de Polynésie française - Demande de rédaction en langue française de leur intitulé - Acte non détachable des opérations électorales - Rejet.

N’est pas détachable des opérations électorales l’arrêté par lequel le haut-commissaire de la république en Polynésie française fixe les listes de candidats en application des dispositions de l'article R. 243 du code électoral. Par suite la requête tendant à ce que le juge ordonne, sur le fondement de l’art. R. 521-3 du CJA, la rectification de l’intitulé de cette liste afin qu’il soit rédigé en langue française, est irrecevable : il appartient au demandeur de forme r un recours dirigé contre ces opérations elles-mêmes.

(26 avril 2023, M. B., n° 473582)

(98) V., identique : 13 avril 2023, M. B., n° 472900.

 

Environnement

 

99 - Pêche à l’anguille européenne - Fixation des dates de pêche – Unités de gestion de l’anguille (UGA) – Diminution de 90% de la population d’anguilles européennes depuis 1960 – Urgence et atteinte grave à la conservation de l’espèce anguille jaune – Suspension partielle.

La requérante demande la suspension (L. 521-1 CJA) d’exécution de l’arrêté du 9 mars 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de 12 centimètres, d'anguille jaune et d'anguille argentée en domaine maritime.

Le juge des référés, rejetant les autres moyens soulevés, retient que cet arrêté – dont il s’étonne qu’il ait été pris par le seul secrétaire d'État auprès de la première ministre chargé de la mer - en tant qu'il concerne respectivement les anguilles de moins de 12 centimètres, et les anguilles argentées, n'a pas été pris conjointement avec le ministre de la transition écologique, chargé de la pêche en eau douce créant ainsi un doute sérieux sur sa légalité.

Ensuite, il estime qu’en l'absence de quotas, la fixation des périodes de pêche est, dans les zones où elle est autorisée, la seule mesure de régulation de la pêche de l'anguille jaune et de l'anguille argentée. Or l’art. 1er de l’arrêté attaqué, qui fixe les dates de la pêche de l'anguille jaune, est susceptible de porter à sa conservation une atteinte grave et immédiate.

Sont donc ordonnées la suspension d’exécution de l’art. 1er de l’arrêté attaqué en tant qu'il concerne les unités de gestion de l'anguille (UGA) Artois-Picardie, Seine-Normandie, Bretagne, Garonne-Dordogne-Charente-Gironde et Adour-cours d'eau côtiers et celle de l’art. 3 de cet arrêté en tant qu'il concerne les UGA Artois-Picardie, Seine-Normandie, Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise et Garonne-Dordogne-Charente-Gironde.

(ord. réf. 07 avril 2023, Défense des milieux aquatiques (DMA), n° 472401)

(100) V. aussi, semblable mais limitant la suspension d’exécution dans les autres UGA où l’art. 1er est applicable, c'est-à-dire les UGA Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise, Corse et Rhône-Méditerranée puisque pour les autres UGA est intervenue l’ordonnance de référé ci-dessus ce même jour : ord. réf. 07 avril 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 472213.

 

101 - Élevage industriel – Notion – Indétermination et pluralité d’interprétations nationales – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’affaire n’est pas banale : les textes de l’Union européenne et, avant eux, de la Communauté, emploient fréquemment les mots « élevage industriel » sans que soit le moins du monde définie cette expression dont, pourtant, les effets juridiques sont certains et importants. Ceci conduit les États de l’Union à donner des sens et des portées différents à cette catégorie juridique.

Saisi par une association d’une demande d’annulation de la décision du 4 février 2020 par laquelle l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a rejeté sa demande de modification du Guide de lecture des règlements (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 et (CE) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 en tant qu'il définit la notion d'élevage industriel au sens de l'annexe I du règlement (CE) n° 889/2008. En particulier, la requérante demande que soit mis en évidence que l'interprétation nouvelle relative à la définition d'effluents d'élevage industriel n'est plus applicable ni en vigueur.

Le Conseil d’État décrit longuement – peut-être avec une certaine délectation – l’imbroglio juridique et conceptuel dans lequel les organes compétents de l’Union ont plongé un secteur en raison de leur incapacité à pouvoir dire de quoi ils parlent.

Il décide de poser deux questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg : la notion d'« élevage industriel » doit-elle être interprétée comme équivalente à celle d'élevage hors sol ? s'il est répondu à la question précédente que la notion d'« élevage industriel » est distincte de celle d'élevage hors sol, quels sont les critères à prendre en compte pour déterminer si un élevage doit être qualifié d'industriel au sens de l'annexe II du règlement (UE) 2021/1165 prohibant l'emploi en agriculture biologique d'engrais et amendements en provenance d'élevages industriels ?

(12 avril 2023, Association AFAÏA, n° 445611)

 

102 - Travaux de création d’une autoroute – Coupe d’arbres en alignement -  Dérogation – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande en référé liberté tendant à voir suspendues les opérations d'abattage sur les alignements d'arbres au droit du tracé de la future autoroute A 69, à titre principal, celles qui sont sur le point de débuter sur le territoire de la commune de Vendine, et ce dans l'attente de la délivrance éventuelle de la dérogation au titre de l'art. L. 350-3 du code de l'environnement. 

Le référé liberté n’est pas accueilli.

Si le juge considère que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'art. L. 521-2 du CJA, il rappelle cependant que son intervention est subordonnée, d’une part, au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires, d’autre part, à l’appréciation, en vue d’ordonner d’éventuelles mesures, des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

En l’espèce, c’est sans erreur que le juge des référés du tribunal administratif a, par son ordonnance attaquée, rejeté la requête tendant, sur le fondement l'art. L. 521-2 du CJA, à la suspension des opérations d'abattage d'alignements d'arbres au droit du tracé de la future autoroute A 69 entre Castres et Verfeil. En effet, la condition d’urgence n’est pas remplie : si une partie des arbres formant des alignements le long des voies situées sur le parcours de la future autoroute ont été abattus dans le cadre de la phase préparatoire des travaux, les opérations d'abattage ont été suspendues le 31 mars 2023 et ne reprendront pas avant le mois de septembre 2023. Cette interruption fait application de la mesure de réduction MR 03, annexée à l'arrêté interdépartemental d'autorisation environnementale du 1er mars 2023, relative à l' « adaptation du calendrier de travaux vis-à-vis des enjeux écologiques (flore, faune et zones humides) », qui limite la période de déboisements, d'une part, entre le 1er septembre et la mi-novembre, et, d'autre part, entre le 15 février et le 31 mars « dans les secteurs à moindres enjeux avec validation de la DREAL/DE », n'autorisant toute l'année que les interventions ponctuelles de coupe d'arbre sans cavité en l'absence de gîtes potentiels pour les chauve-souris et les oiseaux. Au reste les entreprises chargées des travaux de construction, ont confirmé à l’audience qu'elles respecteraient la période d'interdiction d'abattage des alignements d'arbres qui ne sauraient entrer dans le champ de cette dérogation et que le programme des travaux ne comportait aucun abattage d'arbres entrant dans le champ de la protection de l'art. L. 350-3 du code de l'environnement avant le mois de septembre prochain. Enfin, contrairement à ce que soutient l'association requérante, ni le communiqué de presse publié le 31 mars 2023, qui se borne à faire le point sur les travaux réalisés et ne mentionne, au titre des prochains travaux forestiers, que la seule coupe d'arbres isolés entrant dans le champ de la dérogation à la période d'interdiction des déboisements, ni l'arrêté du préfet du Tarn du 31 mars 2023 qui réglemente la circulation entre les communes du Saïx et de Cambounet-le-So dans le cadre des travaux de déboisement et dont il a été indiqué à l'audience qu'il s'agissait de faciliter le ramassage des arbres déjà abattus, ne permettent de mettre en doute la réalité de l'interruption de l'abattage des alignements d'arbres qui sont seuls en cause dans la présente instance.

(ord. réf. 19 avril 2023, Association France Nature Environnement Midi-Pyrénées, n° 472633)

 

103 - Plans simples de gestion et documents d’aménagement forestier - Applicabilité de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement - Absence - Conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages (Natura 2000) - Dispositions critiquées conformes à ces exigences - Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation du rejet implicite de sa demande tendant à ce que le ministre de l’agriculture prenne toutes mesures utiles pour assurer la transposition effective des directives du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, s'agissant des plans simples de gestion et des documents d'aménagement forestier.

Pour rejeter le recours, le juge retient en premier lieu que les exigences de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement ne concernent ni les plans simples de gestion (cf. art. L. 312-1 du code forestier) ni les documents d’aménagement forestier (cf. art. L. 212-1 du code forestier). En effet, il résulte de la jurisprudence de la CJUE (par ex. : 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a, aff. C-290/15 ; 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a., aff. C-671/16, 12 juin 2019, Terre Wallonne, aff. C-321/18) ; 25 juin 2020, Éoliennes à Aalter et à Nevele, aff. C-24/19), que la notion de « plans et programmes » soumis à évaluation environnementale en application du § 2 de l'art. 3 de la directive précitée se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la directive du 13 décembre 2011, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés au § 4 de l'art. 3, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Or ni les plans simples de gestion ni les documents d’aménagement forestier, bien qu'exigés par des dispositions législatives, ne constituent un document élaboré ou adopté par l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les établissements publics en dépendant. En outre, ils n’ont   ni pour objet, ni pour effet de définir un ensemble significatif de critères et de modalités devant être mis en œuvre par les autorités compétentes pour autoriser des projets, au sens de la directive du 13 décembre 2011, affectant les bois et forêts concernés, mais autorisent, pour les premiers, directement le propriétaire à réaliser, sans formalité supplémentaire, les coupes et travaux qu'il prévoit et, pour les seconds, la réalisation des coupes prévues, sans autorisation préalable.

Le juge rejette en second lieu le moyen tiré de la méconnaissance, par les dispositions forestières en cause, des exigences de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (législation Natura 2000). D’abord, il résulte directement des dispositions du IV bis et du VI de l'art. L. 414-4 du code de l'environnement, l’obligation pour l'autorité administrative chargée de l'approbation ou de l'agrément de ces documents de gestion forestière de les soumettre d'office à une évaluation des incidences Natura 2000 s'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, indépendamment du fait qu'ils portent ou non sur des forêts situées dans un site Natura 2000.

Ensuite, il résulte également de là  que lorsqu'un propriétaire ou un gestionnaire demande à bénéficier des procédures spéciales d'approbation ou d'agrément d'un document de gestion prévues à l'article L. 122-7 du code forestier qui porte sur des forêts situées dans un site Natura 2000 ou susceptible d'affecter un tel site de manière significative, il appartient à l'autorité compétente (1° de l'art. L. 121-7 et de l'art. R. 122-21 du code forestier), avant d'approuver ou d'agréer ce document, de vérifier sa conformité aux dispositions spécifiques arrêtées conjointement par l'autorité administrative chargée des forêts et l'autorité administrative compétente au titre de la législation Natura 2000 qui sont portées en annexes des directives ou schémas régionaux mentionnés à l'art. L. 122-2 du code forestier. En outre, ces annexes, en vertu de l'art. D. 122-15 de ce code, qui donnent lieu préalablement à leur approbation à une évaluation des incidences Natura 2000, fixent des prescriptions et des règles de gestion précises et spécifiques aux différentes zones qu'elles identifient et en fonction des habitats d'espèces recensés annuellement en vertu de l'article D. 122-13 du code forestier, qui ont pour objet de garantir que les exigences de la législation Natura 2000 sont respectées.

(21 avril 2023, Association France Nature Environnement, n° 453009)

 

104 - Tri des déchets issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie - Objectif de protection de l’environnement - Signalétique d’information des consommateurs - Charge financière en résultant - Absence de caractère disproportionné - Calendrier de mise en place ne comportant pas d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret du 29 juin 2021 relatif à l'information des consommateurs sur la règle de tri des déchets issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur.

Leurs recours est rejeté en tous ses moyens, de forme comme de fond.

En premier lieu, sur la forme, contrairement à ce qui est soutenu la consultation du Conseil d’État (section des travaux publics) sur ce projet de texte a bien eu lieu et le décret litigieux ne contient pas de dispositions qui diffèreraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section des travaux publics. Ensuite, le projet de ce décret a bien été notifié à la Commission européenne et les modifications apportées après cette notification, qui n'ont pas pour effet de modifier le champ d'application des mesures prévues, d'en raccourcir le calendrier de mise en œuvre ou de prévoir des spécifications ou exigences supplémentaires à l'égard des produits ou emballages concernés, n'ont pas affecté de manière significative le projet initialement transmis. Il n'avait donc pas à être soumis à nouveau à la Commission.

En second lieu, sur le fond, est tout d’abord rejeté le moyen tiré de ce que les dispositions de l'art. R. 541-12-21 du code de l’environnement méconnaîtraient les exigences de l’art. 21 § 1 de la directive du 6 septembre 2006 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu'aux déchets de piles et accumulateurs et celles de l’art. 14 de la directive du 4 juillet 2012 relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques, en ce que celles-ci auraient pour effet de contraindre les producteurs concernés à ne pas respecter les dispositions des art. R. 543-127 ou R. 543-177 du code de l'environnement. Il résulte, en effet, de ces dernières dispositions que, si elles autorisent les producteurs à recourir à un support dématérialisé, par dérogation à l'obligation posée au deuxième alinéa de l'art. L. 541-9-3 du code de l'environnement de faire figurer la signalétique et l'information prévues par cet article « sur le produit, son emballage ou, à défaut, dans les autres documents fournis », pour tout ou partie de la signalétique et de l'information devant figurer sur les produits de petites dimensions ou de très petites dimensions, elles n'ont ni pour objet, ni pour effet d'exonérer les producteurs de leurs éventuelles obligations spécifiques en vertu de la filière de responsabilité élargie du producteur dont ils relèvent et en particulier, s'agissant des filières piles et accumulateurs et équipements électriques et électroniques, des obligations découlant, respectivement des art. R. 543-127 et R. 543-177 du code de l'environnement, adoptés pour la transposition des directives du 6 septembre 2006 et du 4 juillet 2012 précitées.

Ensuite, est rejeté le moyen tiré de ce que les dispositions de l'art. L. 541-9-3 du code de l'environnement institueraient une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors qu’elles imposent aux producteurs relevant d'une filière de responsabilité élargie du producteur, telle que définie à l'art. L. 541-10 du même code, d'apposer sur le produit, son emballage ou dans les documents fournis avec le produit, d'une part, une signalétique indiquant au consommateur que ce produit relève d'un geste de tri, d'autre part, une information quant aux modalités de ce geste de tri, le cas échéant, élément par élément, conduisent, de fait, à interdire sur le marché français la commercialisation de produits ne comportant pas la signalétique et l'information précisées par les dispositions du décret attaqué, alors même qu'ils peuvent être légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres États membres. Le juge, s’il reconnaît ce risque, rappelle cependant qu'en adoptant la mesure contestée, le législateur a poursuivi un objectif d'amélioration de la gestion des déchets issus des produits dans une perspective de renforcement de la protection de l'environnement, notamment en imposant de façon systématique l'information du consommateur sur les modalités de tri ou d'apport de ces déchets, en évitant le risque de confusion susceptible d'être induit par l'apposition de différents symboles ou marquages ayant une signification environnementale et, de façon générale, les erreurs de tri, afin d'améliorer la proportion de déchets valorisés. Cette exigence est d’autant plus justifiée qu’il résulte du supplément d’instruction ordonné par le juge, d’une part, qu'aucune des quatre principales filières de responsabilité élargie du producteur, portant sur les emballages ménagers, les équipements électriques et électroniques, le textile et l'ameublement, n'avait atteint ses objectifs de collecte séparée en 2020 et d’autre part qu'une étude menée par un éco-organisme de la filière emballages ménagers a mis en évidence en 2019 que près des trois quarts des consommateurs avaient des doutes quant au geste de tri approprié, s'agissant de certains produits.

Enfin, concernant la signalétique imposée, sont rejetés les moyens que sa mise en œuvre entraînerait des coûts disproportionnés ou qu’il existerait des dispositifs moins contraignant et aussi efficaces, que les dérogations prévues pour les petits ou très petits emballages afin de ne pas en augmenter le volume seraient inadaptées, que les obligations ainsi imposées aux producteurs par l'art. L. 541-10-3 du code de l'environnement, qui sont justifiées par l'objectif de protection de l'environnement poursuivi, iraient au-delà des contraintes strictement nécessaires à l'atteinte de cet objectif, que ces mesures ne respecteraient pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui en sont à l'origine, que le décret attaqué serait entaché d'erreurs manifestes d'appréciation faute de prendre en compte le calendrier de mise en place du dispositif harmonisé de règles de tri sur les emballages ménagers prévu à l'art. L. 541-10-18 du code de l'environnement, et eu égard aux modalités d'entrée en vigueur des obligations prévues à l'art. L. 541-9-3 du code de l'environnement qu'il retient.

(21 avril 2023, Fédération des industries électriques, électroniques et de communication et la Fédération française des industries jouet - puériculture, n° 456081)

 

105 - Police des animaux non indigènes susceptibles de causer des dégâts - Décret portant dérogation à la durée d’application initiale de la période d’autorisation de destruction - Exception d’illégalité impossible - Circonstances exceptionnelles - Rejet.

(21 avril 2023, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 465683)

V. n° 156

 

106 - Préservation de la ressource en eau destinée à la consommation humaine - Objectif constitutionnel de protection de l’environnement - Refus de transmission d’une QPC.

Au soutien de la demande d’annulation du décret du 10 septembre 2022 relatif au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine, la requérante a soulevé une QPC portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des art. L. 218-1 à L. 218-14 du code de l'urbanisme. 

Ces dispositions, issues des lois du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et la proximité de l'action publique et du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, instituent en faveur des communes, groupements de communes ou syndicats mixtes compétents pour contribuer à la préservation de la ressource en eau un droit de préemption des surfaces agricoles sur un territoire délimité en tout ou partie dans l'aire d'alimentation de captages utilisés pour l'alimentation en eau destinée à la consommation humaine.

La demande de transmission de la QPC est rejetée dès lors qu’en cherchant à préserver la qualité de la ressource en eau destinée à la consommation humaine, le législateur, par les dispositions contestées, a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement.

Il s’ensuit que ne peuvent être utilement critiqués ni l’institution même d’un droit de préemption à cette fin, ni les modalités de mise en œuvre de ce droit alors même que, peut-être, le même résultat pourrait être obtenu au moyen des dispositifs légaux déjà existants, ni le régime juridique applicable aux biens ainsi préemptés.

(27 avril 2023, Union de syndicats Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Ile-de-France (FRSEA IDF), n° 468822)

 

107 - Autorisation de construction et d’exploitation d’un parc éolien - Arrêté d’autorisation ne comportant pas la dérogation prévue à l'art. L. 411-2 du code de l'environnement - Suspension de l'exécution des parties non viciées de l'arrêté jusqu'à délivrance éventuelle de cette dérogation - Annulation.

Une cour administrative d’appel a annulé un arrêté préfectoral autorisant la construction et l’exploitation d’un parc éolien motif pris de qu’il ne comportait pas la dérogation prévue à l’art. L. 411-2 du code de l’environnement transposant l'article 12 de la directive du Conseil du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats ».

Pour annuler cet arrêt le juge de cassation relève que la dérogation « espèces protégées » n’est pas nécessaire si le pétitionnaire justifie avoir pris des mesures d'évitement et de réduction présentant, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé pour que soit exigée une dérogation « espèces protégées ». Or, en l’espèce, la cour, pour estimer nécessaire l’exigence d’une telle dérogation, n’a retenu que les seules mesures d’évitement prises par le pétitionnaire et a estimé qu'il ne pouvait être tenu compte des mesures de réduction telles que le système de bridage prévu, alors qu'il lui appartenait d'apprécier si, en prenant en compte les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire, leune telle dérogation n’était pas nécessaire. 

La cour, en s’abstenant de procéder ainsi, a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt avec renvoi.

(28 avril 2023, ministre de la transition écologique, n° 460062 ; Société Énergie Charente, n° 460088, jonction)

(108) V. aussi, à l’inverse, l’annulation, pour erreur de droit, d’un arrêt d’appel qui, pour juger que le projet de construction et d’exploitation d’éoliennes n'emportait aucune destruction d'espèce, ni altération ou dégradation de leurs habitats au sens des dispositions des art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, a notamment pris en compte la mise en place de mesures de compensation, dont il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'étude d'impact versée au dossier de demande de la société pétitionnaire et de l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale, qu'elles sont en partie destinées à remédier à des destructions partielles ou totales d'habitats d'espèces protégées, alors que la cour ne pouvait prendre en compte que les seules mesures d'évitement et de réduction, et non les mesures de compensation, pour déterminer si les risques résiduels induits par le projet sur les espèces protégées ou leurs habitats étaient suffisamment caractérisés : 28 avril 2023, M. B. et Association la Prairie Libre, n° 460471.

 

État-civil et nationalité

 

109 - Mention « mort pour la France » - Demandes de prime de captivité et de démobilisation – Exception de prescription quadriennale – Régime de la loi du 29 janvier 1831 modifiée – Rejet.

Étaient demandés en l’espèce l’attribution au père du requérant de la mention « Mort pour la France », ainsi que le versement du solde de la prime de captivité et de la prime de démobilisation dues à son père, assorties des intérêts au taux légal.

Le tribunal administratif a rejeté le refus implicite de la ministre des armées d’accéder à ces demandes sur le fondement de l’exception de prescription quadriennale que régissait alors la loi du 29 janvier 1831 modifiée en 1945. L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif.

Le pourvoi est rejeté à titre principal parce que ce régime de prescription quadriennale, antérieur au régime actuel issu de la loi du 31 décembre 1968, ne prévoyait pas que la prescription ne courrait pas contre le créancier qui pouvait être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. 

Ainsi, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les faits en jugeant que les créances correspondant au solde de la prime de captivité et à la prime de démobilisation du défunt étaient prescrites à la date à laquelle ses ayants-droit ont saisi le juge administratif, en 2018, sans qu'ait d'incidence sur le cours de la prescription la circonstance que son épouse aurait été dans l'incapacité de connaître les conditions exactes du décès de son époux, la prescription ayant commencé à courir au plus tard à compter de l'année 1953 au cours de laquelle elle a eu connaissance de sa qualité d'ayant-droit, le décès de son époux ne lui ayant été notifié que le 8 août de cette année.

Pas davantage la cour ne s’est méprise sur les conclusions dont elle était saisie en déduisant de la circonstance que le requérant indiquait avoir ignoré jusqu'en 2013 l'existence de la circulaire du ministre des armées du 4 décembre 1944, affirmant à tort que l'ensemble des primes de captivité dues aux anciens combattants sénégalais leur avaient été régulièrement versées, en jugeant que cette circulaire ne pouvait être regardée comme un fait de l'administration au sens de l'art. 10 de la loi du 29 janvier 1831 de nature à modifier le cours des délais de prescription. 

Enfin, sont inopérants les moyens tirés de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en refusant de regarder sa créance comme devant être rattachée à l'exercice 2014, au cours duquel le président de la république a prononcé, lors d'un déplacement au Sénégal, un discours portant sur les événements survenus en 1944 au camp de Thiaroye et de ce que les demandes indemnitaires du 1er décembre 1944 formées par le défunt auraient interrompu le cours de la prescription de ses créances et prorogé le délai de recours contentieux car ils sont nouveaux en cassation.

Il en va de même de l’invocation de la méconnaissance des stipulations des art. 2 et 6 de la convention EDH et du moyen tiré de ce que les déclarations du président de la république en 2014 auraient fait naître une obligation naturelle, transformée en obligation civile.

(05 avril 2023, M. A., n° 459652)

 

110 - Décret de naturalisation - Décret rapporté pour mensonge par omission - Rejet.

C’est sans illégalité que le premier ministre a rapporté le décret portant naturalisation du requérant, ressortissant algérien, en se fondant sur ce qu’il n’a pas indiqué, pendant l’instruction de sa demande de naturalisation, avoir contracté une union avec une ressortissante algérienne vivant en Algérie, sans qu’ait d’effet sur la légalité du retrait la circonstance qu'il s'est, postérieurement au décret attaqué, séparé de son épouse.

(26 avril 2023, M. C., n° 464573)

(111) V. aussi, même solution envers un ressortissant guinéen n’ayant pas indiqué au cours de la procédure de naturalisation avoir épousé une ressortissante américaine vivant aux États-Unis : 26 avril 2023, M. A., n° 464683.

(112) V. encore, même solution - pour défaut d’urgence - à propos d’une demande de suspension du décret retirant la décision de naturalisation par le motif que son bénéficiaire n’a pas déclaré durant la procédure de naturalisation l’union contractée avec une ressortissante tunisienne vivant en Tunisie, en dépit de ce que le contrevenant allègue que le décret rapportant sa naturalisation  ferait obstacle à ce qu'il puisse se maintenir en qualité de fonctionnaire stagiaire dans l'emploi d'adjoint technique qu'il occupe depuis le 1er octobre 2022, sur le fondement d'un arrêté du garde des sceaux, du 13 septembre 2022, en vue d'être titularisé à l'issue de son stage au 1er octobre 2023, le Conseil d’État devant statuer avant le mois d’octobre sur la légalité de ce décret : 25 avril 2023, M. B., n° 472996.

 

Étrangers

 

113 - Ressortissant marocain - Refus de délivrance d’un titre de séjour et ordre de quitter le territoire français (OQTF) - Convention franco-marocaine en matière de séjour et d’emploi - Renvoi à la législation nationale sur les points non traités par la convention - Rejet.

Le requérant, à qui a été refusée la délivrance d’un titre de séjour et adressé un OQTF, invoque à l’encontre de ces décisions qu’il attaque, les dispositions de la convention franco-marocaine du 9 octobre 1987 en matière de séjour et d’emploi.

Il se pourvoit en cassation contre l’ordonnance d’appel confirmative du rejet de sa demande.

Son pourvoi est rejeté.

Les stipulations des art. 3 et 9 de l'accord franco-marocain précisent qu’il est renvoyé sur tous les points que cet accord ne traite pas, à la législation nationale. Il en est ainsi des dispositions pertinentes du CESEDA, pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord.

Or, les stipulations de l'art. 3 de cet accord ne régissent que la délivrance d'un titre de séjour pour exercer une activité salariée et cet accord ne comporte par ailleurs aucune stipulation relative aux conditions d'entrée des ressortissants marocains sur le territoire français.

L’ordonnance litigieuse n’est pas entachée d'erreur de droit en ce qu’elle juge que les dispositions de l'art. L. 412-1 du CESEDA, qui subordonnent de manière générale la délivrance de toute carte de séjour à la production par l'étranger d'un visa de long séjour, ne sont pas incompatibles avec les stipulations de cet accord et qu'en conséquence le préfet avait pu légalement refuser au requérant la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié au motif qu'il ne justifiait pas d'un visa de long séjour. 

(05 avril 2023, M. B., n° 462770)

 

114 - Avis de droit - Demande de naturalisation - Instruction de la demande - Enquête administrative - Régime de la consultation des données à caractère personnel ou du fichier « TAJ » - Conséquences - Avis en ce sens.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’avis de droit portant sur une importante question : il s’agissait de savoir si dans le cours de l’enquête administrative organisée à l’occasion d’une demande de naturalisation, il était possible à l’autorité compétente de consulter des données à caractère personnel relatives à la pétitionnaire lorsque la procédure a fait l'objet d'une décision de non-lieu ou de classement sans suite ou de consulter le fichier des antécédents judiciaires (dit fichier TAJ) compte tenu des dispositions des art. 230-8 et R. 40-29 du code pénal.

La réponse est claire et nette.

Dans le cadre d'une enquête administrative menée pour l'instruction d'une demande d'acquisition de la nationalité française, les données à caractère personnel concernant le demabdeur à la naturalisation qui figurent le cas échéant dans le traitement des antécédents judiciaires ne peuvent être consultées lorsqu'elles ont fait l'objet d'une mention, notamment à la suite d'une décision de non-lieu ou de classement sans suite. Aucun texte ne permet de déroger à cette interdiction.

En revanche, lorsque les données à caractère personnel ne sont pas assorties d'une telle mention elles peuvent être consultées par les personnels de la police et de la gendarmerie habilités et par les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'État.

En conséquence, l'autorité compétente ne peut légalement fonder le rejet ou l'ajournement de la demande de naturalisation sur des informations qui seraient uniquement issues d'une consultation des données personnelles figurant dans le traitement des antécédents judiciaires à laquelle elle aurait procédé en méconnaissance de l'interdiction susmentionnée. 

(17 avril 2023, Mme B., n° 468859)

 

115 - Avis de droit - Demandes de visa - Décisions des autorités consulaires en la matière - Commission de recours contre les refus de visas - Régime.

Le Conseil d’État répond à diverses questions posées par le tribunal administratif de Nantes relatives aux refus de visas opposés par les autorités consulaires françaises, à leur motivation ainsi qu’à leur traitement par la commission de recours contre les refus de visas. Les réponses apportées revêtent une grande importance tant qualitative qu’au plan quantitatif.

Tout d’abord, le juge rappelle l’obligation pour les décisions de refus de visa (cf. art. L. 211-2 CRPA) comme pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) formés contre ces décisions de refus, d’être motivées. A défaut, l’intéressé peut demander communication des motifs du rejet implicite du RAPO (6 décembre 2002, Lukundu, n° 200991).

Ensuite, dans le cas où le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale.

Il en va de même, dans le cadre d’une procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa introduite avant l'entrée en vigueur des dispositions de l’art. D. 512-3 du CESEDA dans la version que lui a donnée le décret du 29 juin 2022, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande. 

Également, lorsque la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'art. L. 232-4 du CRPA, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'art. L. 211-2 du même code.

Lorsque la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, toutefois, dans cette hypothèse, une telle demande a été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.

Enfin, le mécanisme d'appropriation des motifs ne fait pas obstacle à ce que l'administration puisse faire valoir devant le juge un ou plusieurs autres motifs et que le juge fasse droit, dans les conditions de droit commun, à cette demande de substitution de motifs dès lors que celle-ci ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué (cf. la bien connue décision de Section du 6 février 2004, Hallal, n° 240560).

A cet égard, la circonstance que l'administration puisse faire valoir un ou plusieurs autres motifs ne peut être regardée comme privant l'intéressé de la garantie que constituerait l'examen de son recours administratif préalable obligatoire. 

(21 avril 2023, Mme Q. et M. A., n° 468836)

 

116 - Conjoint étranger d’un national français - Étranger victime de violences familiales ou conjugales - Rupture de la vie commune - Maintien ou renouvellement du titre de séjour - Erreur ce droit - Annulation et injonction de délivrer une carte de séjour temporaire.

L’art. L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile CESEDA), après avoir disposé que le renouvellement de la carte de séjour délivrée à l’étranger conjoint d’un Français est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf deux exceptions : en cas de décès du conjoint français ou si l'étranger a subi des violences familiales ou conjugales et que la communauté de vie a été rompue. Dans ces deux cas, l'autorité administrative ne peut pas procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et doit en accorder le renouvellement.

Il appartient donc au juge d’apprécier l'existence de violences conjugales ayant conduit à la rupture de la vie commune du demandeur avec son conjoint de nationalité française.

Une ressortissante tunisienne s’est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour pour rupture de la vie commune avec son ex-mari alors même qu’elle invoquait avoir subi des violences conjugales.

Pour rejeter le recours de celle-ci contre ce refus préfectoral, la cour administrative d’appel a retenu qu'aucune suite judiciaire n'avait été donnée à la plainte déposée par la requérante pour des faits de violences physiques et psychologiques commis par son conjoint et relevé que la procédure de divorce avait été initiée par son époux, qui a quitté le domicile conjugal après qu'elle s'est réfugiée auprès de sa famille.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit, ainsi que le soutenait la requérante en indiquant que les faits dénoncés étaient corroborés par d'autres éléments au dossier qui était soumis à la cour et en rapportant la preuve notamment par des éléments mentionnés dans un certificat médical ainsi que par des attestations de voisins, qu’elle a subi des violences conjugales ayant conduit à la rupture de la communauté de vie avec son conjoint de nationalité française.

Injonction est faite de lui délivrer dans un délai d'un mois une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».

(19 avril 2023, Mme A., n° 454072)

 

117- Étranger en cours d’expulsion - Obligation de présentation à l’hôtel de police trois fois par jour - Atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir - Annulation partielle.

Un étranger en cours d’expulsion a été astreint à résider dans le département de l'Isère, dans les limites de la commune de Grenoble, à se présenter trois fois par jour à l'hôtel de police de Grenoble, y compris les dimanches et jours fériés, à demeurer à son domicile tous les jours de 21 heures à 7 heures, et a subordonné ses déplacements en dehors de la commune de Grenoble à une autorisation écrite. Il conteste à la fois l’arrêté instaurant cette mesure et l’arrêté d’expulsion. Son recours contre ce dernier est rejeté.

Concernant le premier arrêté, il est jugé qu’en l'absence de tout élément avancé par l'administration pour justifier la nécessité d'une fréquence de présentation à l’hôtel de police trois fois par jour, cette assignation à résidence porte une atteinte excessive à la liberté d'aller et de venir de l'intéressé en tant qu'elle lui fait obligation de s'y présenter plus de deux fois par jour. 

Est donc ordonnée la suspension d’exécution de l’arrêté querellé tant que celui-ci n’a pas été remplacé par un autre arrêté imposant, au maximum, une fréquence de présentation de deux fois par jour.

(26 avril 2023, M. A., n° 465768) 

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

118 - Médecin chef du service de santé des armées – Demande d’attribution du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière – Refus – Injonction de réexamen de la demande – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation.

Le requérant, médecin en chef du service de santé des armées, a sollicité le 6 décembre 2010 l'attribution du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière prévue par l'art. 149 de la loi du 28 décembre 2008 de finances pour 2009.

L’intéressé a demandé, en vain en première instance, l’annulation du refus opposé le 10 février 2011 à sa demande. La cour administrative d’appel, qu’il a saisie, a annulé le jugement, la décision de refus de la ministre et enjoint à cette dernière de réexaminer cette demande. Par une nouvelle décision, du 29 mai 2017, la ministre a rejeté la seconde demande de l’intéressé. Saisie à nouveau, la cour,  par un arrêt du 2 novembre 2021, a annulé cette décision ainsi que la décision implicite du 13 novembre 2017 née du silence gardé sur son recours formé devant la Commission des recours des militaires contre cette décision et elle a enjoint à la ministre des armées de procéder au réexamen de la demande et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois en tenant compte des circonstances de droit et de fait en vigueur à la date de cette nouvelle décision. Contre cet arrêt, la ministre se pourvoit en cassation.

Relevant d’office le moyen d’ordre public tiré du champ d’application de la loi de finances du 28 décembre 2008 et de la loi de programmation militaire 2014-2019 du 18 décembre 2013 et sans examiner le moyen développé au soutien du pourvoi, le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit. La cour, compte tenu des dispositions de l’art. 149 de la loi de finances de 2008 selon lesquelles le pécule modulable d'incitation à une seconde carrière qu'il avait institué n'était susceptible d'être versé qu'au titre des demandes présentées entre 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2014, ne pouvait motiver son annulation de la seconde décision du refus de la ministre, prise le 29 mai 2017, sur ce que celle-ci aurait dû être fondée sur les dispositions de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 qui n’étaient pas applicables aux demandes de pécule présentées à la date de cette nouvelle décision de refus. La cour ne pouvait donc pas décider que la situation de l’intéressé aurait dû faire l'objet d'une nouvelle appréciation à cette même date, et non à celle de sa demande initiale.

(12 avril 2023, ministre des armées, n° 459988)

 

119 - Agent du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) - Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) – Combinaison entre l’indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE), la prime de « fonctions informatiques » (PFI) et la prime de participation à la recherche scientifique (PPRS) – Rejet.

Le Président du CNRS, par une décision du 1er septembre 2017, a fixé le montant mensuel brut de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) versée à une ingénieur de recherche de 1ère classe dans le cadre de la mise en place du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) au sein de l'établissement. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif a annulé les articles 2 et 3 de cette décision et enjoint au CNRS, d'une part, de réintégrer dans l'assiette de l'IFSE due à celle-ci  la somme correspondant à la différence entre ce qui lui a été alloué et ce qui lui était dû, à compter du 1er janvier 2018 et jusqu'à la date de son prochain changement de fonctions et, d'autre part, de procéder à la liquidation des sommes dues dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Le CNRS se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif de la cour administrative d'appel.

Le pourvoi est rejeté.

Le juge déduit des termes de l’art. 6 du décret du 20 mai 2014 portant création du RIFSEEP dans la fonction publique de l'État que ses dispositions qui garantissent à l'agent concerné, jusqu'à son prochain changement de fonctions, un montant d'IFSE au moins égal au montant des primes et indemnités qu'il percevait antérieurement à la mise en place de cette nouvelle indemnité, à l'exception des versements à caractère exceptionnel, d'une part, que la seule circonstance qu'une fraction du régime indemnitaire antérieurement servi était liée à l'appréciation de ses résultats et de sa manière de servir n'a pas pour effet d'exclure cette part variable du calcul du montant minimal garanti de l'IFSE et, d'autre part, que sont en revanche exclus de ce calcul les versements qui, par leur nature ou par leur montant au regard de la moyenne des versements antérieurs, présentent un caractère exceptionnel.

Selon le juge, il résulte notamment des motifs de la décision du 16 janvier 2018 rejetant le recours gracieux de l’intéressée, que, par la décision en litige du 1er septembre 2017, le président du CNRS a exclu les versements, dénommés « compléments » ou « suppléments », effectués au titre de la part variable de la PPRS et de la PFI servies antérieurement à cette date, du calcul du montant de l'IFSE versée à l’intéressée en application des dispositions de l'art. 6 du décret du 20 mai 2014, au motif que, liés à son engagement professionnel et à sa manière de servir, ces versements revêtiraient un caractère exceptionnel au sens de ces dispositions et qu'ils auraient, dès lors, vocation à lui être servis au titre du complément indemnitaire annuel lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir, et non au titre de l'IFSE.

Le Conseil d’État décide que la cour administrative d’appel :

1°/ n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les versements de la part variable de la PPRS et de la PFI ne peuvent être regardés comme revêtant un caractère exceptionnel au sens de l'article 6 du décret du 20 mai 2014 car la seule circonstance qu'une part de la PPRS et de la PFI est attribuée en fonction des résultats et de la manière de servir des agents qui en bénéficient ne saurait suffire à conférer à cette part un caractère exceptionnel au sens de l'article 6 du décret du 20 mai 2014 et à les exclure, par suite, du calcul du montant minimal de l'IFSE garanti par ces dispositions, sans qu'ait d'incidence la création, par ce décret, d'un complément indemnitaire annuel lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir.

2°/  n’a pas, non plus, dénaturé les faits et pièces du dossier en jugeant que les versements, dénommés « compléments » ou « suppléments », effectués au titre de la part variable de la PPRS et de la PFI servies à cet agent antérieurement au 1er septembre 2017 ne revêtaient pas un caractère exceptionnel, au sens de l'article 6 du décret du 20 mai 2014, eu égard à leur nature et à leur montant au regard de la moyenne des versements antérieurs, et en en déduisant qu'ils devaient être pris en compte dans leur intégralité pour le calcul du montant de l'IFSE versée à l’intéressée en application de ces mêmes dispositions.

(12 avril 2023, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), n° 464456)

 

120 - Professeurs des écoles stagiaires – Note de service - Modalités d’accomplissement de l’année de stage – Prise en considération d’éléments non prévus par le décret relatif au statut particulier des professeurs des écoles – Méconnaissance d’un décret par une note de service prise au nom d’un ministre – Incompétence – Annulation.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la note de service du 20 mai 2022, révélée par ses échanges avec la direction générale des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, par laquelle la sous-directrice de la gestion prévisionnelle, de la formation et des affaires statutaires et règlementaires au sein de cette direction a précisé les modalités d'accomplissement de l'année de stage des professeurs des écoles stagiaires à compter de la rentrée scolaire de 2022 et d'affectation des lauréats des concours de recrutement des professeurs des écoles.

Le Conseil d’État relève l’illégalité de cette note en raison de l’incompétence de son auteur du fait qu’elle méconnaît les dispositions du décret du 1er août 1990 portant statut particulier des professeurs des écoles et il en prononce l’annulation intégrale ses dispositions étant indivisibles du reste du texte.

En effet, selon l’art. 10 du décret statutaire, une fois déterminé par les rectorats le nombre de postes ouverts aux professeurs des écoles stagiaires dans chaque département, l'affectation de ces derniers par département ne doit être établie qu’en fonction des seuls vœux et rangs de classement des lauréats.

Or la mise en œuvre de la note de service attaquée à la rentrée 2022 conduit, d'une part, à ce que les capacités d'accueil de professeurs des écoles stagiaires ouvertes dans chaque département soient définies en termes de postes à temps plein et de postes à mi-temps, d'autre part, qu'il soit tenu compte de cette quotité de service pour l'affectation, par département, des lauréats - lesquels, selon leur formation ou leur expérience, ont vocation à réaliser un stage soit à mi-temps, soit à temps plein. Cette méthodologie retenue par la note contredit le décret précité qui ne subordonne une telle affectation qu'aux vœux et ordre de classement des lauréats.

Si le ministre de l'éducation nationale fait valoir que les possibilités d'affectation par département des professeurs des écoles stagiaires sont, en pratique, tributaires de l'identification, au regard des besoins d'enseignants constatés dans chaque département et des capacités d'accueil correspondantes, des viviers de postes vacants adaptés aux quotités de service, il n’en demeure pas moins que les dispositions combinées des art. 10 et 12 du décret du 1er août 1990, selon lesquelles les professeurs des écoles sont, en principe, titularisés dans le département où se déroule leur stage, font obstacle à ce que les services compétents puissent tenir compte, dans les procédures d'affectation, d'éléments non prévus par ces dispositions.

(12 avril 2023, Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes, n° 465510)

 

121 - Fonctionnaire - Détermination de l’imputabilité directe au service d’une maladie ou de son aggravation – Conditions – Rejet.

Rappel de ce qu’une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

C’est donc sans erreur de droit ni de qualification juridique qu’une cour administrative d’appel, pour juger que la maladie dont souffre le demandeur n’est pas imputable au service, retient, d’une part, que si l'intéressé verse au dossier deux certificats médicaux indiquant qu'il souffre d'un syndrome dépressif réactionnel à des problèmes professionnels, ces documents sont dénués de toute précision et ne permettent pas d'établir un lien entre la pathologie de l'intéressé et ses conditions de travail et qu’il ressort des conclusions de l'expertise produite par l'administration que l'existence d'un tel lien n'est pas établie, et d'autre part, l'absence de M. C. au sein du service depuis plus de trois ans à la date de la constatation de sa maladie.

(04 avril 2023, M. C., n° 451896)

 

122 - Enseignement – Agents contractuels - Accompagnants des élèves en situation de handicap – Classement de ces agents – Atteinte au principe d’égalité – Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait, d’une part, l’annulation du deuxième alinéa de l'art. 2 du décret du 23 août 2021 modifiant l'art. 11 du décret du 27 juin 2014 relatif aux conditions de recrutement et d'emploi des accompagnants des élèves en situation de handicap, ainsi que le dernier alinéa de l'art. 4 de ce même décret , d’autre part, l’annulation de la note de service du 11 octobre 2021 de la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture et de l'alimentation relative « aux accompagnants des élèves en situation de handicap - points d'attention à suivre pour leur recrutement et leurs conditions de rémunération ».

Le Conseil d’État rejette les trois moyens soulevés.

En premier lieu, il résulte des dispositions de l'art. L. 917-1 du code de l'éducation que les dispositions réglementaires générales applicables aux agents contractuels de l'État (cf. art. 7 de la loi du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'État ; décret du 17 janvier 1986 concernant les agents contractuels de l’État), sont applicables aux accompagnants des élèves en situation de handicap. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, par les dispositions attaquées du décret du 23 août 2021, le pouvoir réglementaire a pu prévoir que les accompagnants des élèves en situation de handicap sont classés au premier échelon de la grille indiciaire qui leur est applicable, sans qu'il soit tenu compte de la qualification détenue par ces agents et de leur expérience professionnelle.

En deuxième lieu, ce décret ne méconnaît pas le principe d'égalité entre les accompagnants des élèves en situation de handicap et l'ensemble des autres agents contractuels de l'État relevant du décret du 17 janvier 1986, pour lesquels il est tenu compte, dans la fixation de leur rémunération, de la qualification détenue et de leur expérience professionnelle. Ne peut, non plus, être invoquée une rupture de l'égalité entre les accompagnants des élèves en situation de handicap et les agents contractuels d'enseignement ou d'éducation des lycées agricoles, recrutés en application du décret du 22 octobre 1968 pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation ou d'orientation car ces derniers sont placés, eu égard à leurs missions et aux conditions d'exercice de celles-ci, dans une situation différente justifiant une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient. 

En troisième lieu, la circonstance que les dispositions du dernier alinéa de l'art. 4 du décret du 23 août 2021 prévoient que les accompagnants d'enfants en situation de handicap reclassés à un échelon doté d'un indice brut inférieur à celui sur la base duquel ils étaient rémunérés avant leur reclassement conservent à titre personnel le bénéfice de cet indice brut antérieur jusqu'au jour où ils bénéficient dans la grille prévue à l'art. 11 du décret du 27 juin 2014 modifié d'un indice brut au moins égal, ont pour effet de bloquer la progression de carrière des agents concernés jusqu'à ce que leur ancienneté corresponde au niveau de rémunération auquel ils ont été recrutés n’a qu’un caractère transitoire lié à la mise en place des nouvelles modalités de rémunération des accompagnants d'enfants en situation de handicap, celle-ci est désormais déterminée en fonction d'un échelonnement indiciaire. Ces dispositions visent d’ailleurs à préserver, à l'avantage des agents concernés, le niveau de rémunération auquel ils pouvaient prétendre avant leur reclassement dans cet échelonnement. Il n’est donc pas porté atteinte au principe d'égalité.

(04 avril 2023, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 457825)

 

123 - Accès à l’auditorat au Conseil d’État et à la Cour des comptes – Corps et cadres d’emplois concernés - Méconnaissance prétendue de la loi du 6 août 2019 et de l’ordonnance du 2 juin 2021 – Rejet.

Les deux requêtes jointes tendaient à l’annulation du décret n° 2021-1216 du 22 septembre 2021 fixant la liste des corps et cadres d'emplois dont les membres peuvent être nommés auditeurs au Conseil d'État et à la Cour des comptes.

Elles sont rejetées.

Le Conseil d’État estime que ce décret ne porte pas atteinte à la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, notamment son art. 59, en tant qu’il ne mentionne pas dans la liste des corps et cadres d'emplois dont les membres peuvent être nommés auditeurs au Conseil d'État et à la Cour des comptes, le corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et celui des magistrats des chambres régionales des comptes.

Ce décret ne méconnaît pas davantage l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de l'État, prise sur le fondement de l'art. 59 de la loi du 6 août 2019 précitée dans la mesure où le législateur a laissé au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les corps - autres que le corps des administrateurs de l'État - et les cadres d'emplois, pour autant qu'ils soient d'un niveau comparable au corps des administrateurs de l'État, dont les membres peuvent présenter leur candidature en vue d'exercer les fonctions d'auditeur au Conseil d'État ou à la Cour des comptes.

Enfin, s’agissant de l’absence de mention des corps de magistrats précités, il est jugé que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, que les membres de ces corps de magistrats ont déjà accès aux emplois d’auditeurs selon des modalités qui leur sont spécifiques et que cela ne méconnaît point les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles.

(04 avril 2023, Syndicat de la juridiction administrative, n° 458653 ; Syndicat des juridictions financières, n° 462391)

 

124 -Agent de Pôle Emploi - Mesure disciplinaire - Poursuites reposant sur des témoignages anonymisés - Condition de compatibilité avec le principe du contradictoire - Rejet.

Cette décision aborde une question difficile.

Dans le cadre d’une procédure disciplinaire, il est loisible à l’employeur public de recourir à des témoignages et, dans le cas où la connaissance de l’identité serait de nature à porter préjudice aux témoins, de les anonymiser. Toutefois, comment concilier ce premier souci avec l’exigence de respecter le caractère contradictoire de la procédure afin de permettre à la personne poursuivie de se défendre ?

De façon embarrassée, et on le comprend, le juge préconise à l’autorité disciplinaire, si l’intéressé conteste l’authenticité des témoignages ou la véracité de leur contenu, « de produire tous éléments permettant de démontrer que la qualité des témoins correspond à celle qu'elle allègue et tous éléments de nature à corroborer les faits relatés dans les témoignages. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. » Tout cela est bien vague mais comment dire ou faire autrement ?

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a relevé que Pôle Emploi s'est exclusivement fondé sur des témoignages qui émaneraient d'agents qui auraient participé à une session de formation, rapportant des propos qui y auraient alors été tenus, ces témoignages ayant été anonymisés et ne permettant ainsi pas d'identifier leurs auteurs, ainsi que sur une synthèse, également anonymisée, dont l'auteur reste ainsi inconnu, rapportant des propos qui auraient été tenus à l'occasion d'une enquête téléphonique avec des agents dont l'identité n'est pas davantage précisée et qui ont refusé de confirmer leurs propos par écrit, et qu’elle a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les éléments anonymisés produits ne suffisaient pas à apporter la preuve de la réalité des faits contestée par l'intéressée

(05 avril 2023, Pôle Emploi, n° 463028)

 

125 - Fonctionnaire civil de l’État - Réserviste - Mission militaire en Bosnie-Herzégovine - Demande de bonification de campagne simple - Rejet.

Un fonctionnaire civil faisant partie de la réserve opérationnelle a été détaché en qualité de chef de bataillon pour une mission en Bosnie-Herzégovine. Il a demandé l’annulation de son titre de pension en tant que la bonification de campagne simple, prévue par le décret du 15 février 1994 portant attribution de celle-ci aux militaires en service sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, ne lui a pas été accordée au titre de cette période de détachement.

Il a saisi le tribunal administratif du refus opposé à sa demande par le ministre des finances.
Ce dernier se pourvoit en cassation du jugement annulant sa décision de refus.

Le pourvoi est rejeté.

En effet, si, comme le soutient le ministre, l'art. L. 513-4 du code général de la fonction publique dispose que le fonctionnaire détaché reste affilié à son régime de retraite et ne peut être affilié au régime de retraite dont relève la fonction de détachement ni acquérir, à ce titre, des droits quelconques à pensions ou allocations, il résulte toutefois de dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite (art. L.1, L.2, L.5 et L.12) que les pensions versées aux fonctionnaires civils et aux militaires relèvent du même régime de retraite. Le ministre n'est ainsi pas fondé à soutenir que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'art. 46 de la loi du 11 janvier 1984 (codifié sous l'art. L. 513-4 du code général de la fonction publique) ne font pas obstacle à la prise en compte des services militaires accomplis par l’intéressé en position de détachement pour la liquidation de sa pension.

De plus, en vertu des dispositions précitées, les réservistes exerçant une activité dans le cadre de leur engagement à servir dans la réserve opérationnelle ayant la qualité de militaires, c’est sans erreur de droit que le tribunal a jugé que les services accomplis par le requérant lui ouvrent droit au bénéfice de la bonification de campagne prévue par les dispositions du c) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite et du décret du 15 février 1994. 

(05 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465606)

 

126 - Praticien hospitalier - Affection prétendue imputable au service - Notion d’imputabilité - Absence - Rejet.

Dans un litige portant sur l’éventuelle imputabilité au service hospitalier de l’affection dont est atteint un praticien hospitalier, le juge rappelle qu’« Une maladie contractée par un praticien hospitalier, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. »

En l’espèce, la cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé, par une exacte qualification des faits, que l'affection dont souffrait le demandeur n'était pas imputable au service, car, en premier lieu, si la période au cours de laquelle l'intéressé a été affecté au centre hospitalier de Thann, a été marquée par un contexte professionnel tendu, le dossier ne met en évidence aucun élément propre à sa situation qui permettrait d'établir l'existence d'un lien direct entre le syndrome dépressif dont il a souffert et ce contexte professionnel ; en second lieu, durant la période au cours de laquelle il a été affecté au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, à compter de 2006, le requérant a été placé sur un poste adapté à son état dépressif, reconnu comme maladie professionnelle.

(07 avril 2023, M. B., n° 450231)

 

127 - Praticiens hospitaliers - Contractuels en CDD puis titularisés - Retrait de la titularisation - Indemnité de précarité - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Des praticiens sont recrutés par un centre hospitalier par contrats à durée déterminée renouvelés chaque année jusqu’à ce que, reçus au concours national des praticiens hospitaliers, ils soient titularisés. Peu après ces arrêtés de titularisation sont retirés à leur demande et ils sollicitent l’octroi de l’indemnité de précarité. Ils saisissent du refus de leur allouer cette indemnité le tribunal administratif qui rejette leurs demandes. La cour administrative d’appel, infirmant ces jugements, condamne le centre hospitalier à leur verser cette indemnité.

Le centre hospitalier saisit le juge de cassation qui lui donne satisfaction.

Le juge commence par indiquer que pour un praticien contractuel, employé dans le cadre de contrats à durée déterminée qui est recruté comme praticien hospitalier dans le cadre du statut prévu au 1° de l'art. L. 6152-1 du code de la santé publique, la relation de travail se poursuit dans des conditions qui doivent être assimilées, pour l'application de l'art. L. 1243-8 du code du travail, à celles qui résulteraient de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée. En cas de vacance d’un emploi de praticien hospitalier relevant de la spécialité du praticien contractuel, un refus de ce dernier d’y présenter sa candidature, alors qu'il a été déclaré admis au concours national de praticien des établissements publics de santé, doit être assimilé au refus d'une proposition de contrat à durée indéterminée au sens du 3° de l'art. L. 1243-10 du code du travail.

Il suit de là, naturellement, sous réserve qu'eu égard aux responsabilités et aux conditions de travail qu'il comporte l'emploi vacant puisse être regardé comme identique ou similaire à celui précédemment occupé en qualité de contractuel et qu'il soit assorti d'une rémunération au moins équivalente, l'indemnité de fin de contrat n'est pas due en pareille hypothèse.
Ensuite, abordant le fond, le juge relève que les requérants soutenaient que leur refus d'être titularisés sur les postes qui leur étaient proposés tenait à ce qu'ils ne disposaient pas d'information quant aux responsabilités, aux conditions de travail et à la rémunération de ces emplois, qui leur auraient permis de les regarder comme équivalents à ceux qu'ils occupaient antérieurement. Et, constatant que le centre hospitalier disposait de ces éléments d'information, la cour annule le refus d’octroyer la prime de précarité.

Le Conseil d’État annule à bon droit l’arrêt pour n’avoir pas recherché si le refus par les requérants des postes proposés avait effectivement pour fondement l'insuffisance de leur information sur les responsabilités, les conditions de travail et la rémunération de ces emplois, alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les intéressés n'avaient nullement cherché à obtenir ces informations du centre hospitalier.

L’arrêt est ainsi entaché d'une erreur de droit et le centre hospitalier fondé à demander l'annulation de l'arrêt.

(07 avril 2023, Centre hospitalier de Privas Ardèche, venu aux droits du centre hospitalier des Vals d'Ardèche, n° 460107)

 

128 - Professeur des universités-praticiens hospitaliers - Candidature à un poste ouvert dans un CHU - Refus suite à une enquête interne - Rejet.

Recruté par contrat par le CHU de Rouen en qualité de praticien hospitalier, le requérant a été admis au concours de professeurs des universités-praticiens hospitaliers dans la spécialité génécologie obstétrique, gynécologie médicale et il a présenté sa candidature au poste de professeur dans cette spécialité ouvert au recrutement dans ce CHU.

Il demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du président de la république du 
6 septembre 2021 fixant la liste des candidats nommés et titularisés en cette qualité en tant que son nom n'y figure pas. 

Pour rejeter le recours, le juge retient qu’il « ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport de la commission de déontologie de l'UFR santé de Rouen et des conclusions de l'enquête interne, que le requérant a adopté dans l'exercice de ses fonctions un comportement inapproprié à l'égard d'internes et d'étudiantes stagiaires en maïeutique, prenant en particulier la forme, à l'égard de ces dernières, de questions insistantes, personnelles et déplacées de nature à faire naître chez elles un sentiment de malaise et d'une tentative de séduction inappropriée à l'égard d'une étudiante stagiaire vécue par elle comme une agression, qu'il a également montré à plusieurs reprises au sein du service des images et vidéos à connotation sexuelle et que, au regard de ce comportement, le président de l'université de Rouen a adressé un courrier de signalement au procureur de la République sur le fondement des dispositions de l'art. 40 du code de procédure pénale ».

Le refus de le proposer à la nomination par le président de la république, en dépit de plusieurs témoignages en sa faveur, refus qui ne constitue pas une sanction disciplinaire mais une mesure prise en considération de la personne, ne repose ni sur des considérations matériellement erronées, ni sur une erreur d'appréciation.

(28 avril 2023, M. A., n° 458275)

 

129 - Administratrice civile - Absence d’affectation - Harcèlement moral - Arrêt insuffisamment motivé - Annulation.

La requérante, administratrice civile hors classe, se plaint de qu’elle soit souvent laissée sans affectation et que, pendant neuf années, elle ne se soit vu confier que des missions ponctuelles ce dont elle déduit que cette attitude vexatoire adoptée par l'administration à son égard, reposait sur des motifs discriminatoires à raison de ses origines, de son âge ou de son sexe, et était de nature à faire naître une présomption de harcèlement moral. 

Le Conseil d’État rappelle que tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade.

Puis, il annule l’arrêt attaqué en relevant que pour juger que l’intéressée n’avait pas été laissée sans affectation effective au-delà d'un délai raisonnable et pour écarter en conséquence l'existence d'un comportement discriminatoire de l'administration à son égard et toute présomption de harcèlement moral, la cour administrative d'appel ne s'est prononcée sur l'absence d'affectation effective de la requérante que pour les périodes de mai 2012 à début 2013 et de mars-avril 2018, alors que Mme B. faisait également valoir qu'elle n'avait reçu aucune affectation effective entre les mois de janvier 2010 et mars 2011.

Dès lors, en faisant droit aux conclusions d'appel incident de la ministre de la culture sans répondre à son argumentation sur ce point au titre de cette période, alors que celle-ci devait nécessairement être prise en compte pour l'appréciation du bien-fondé du jugement attaqué et de ses conclusions indemnitaires au titre de l'ensemble des faits générateurs de responsabilité qu'elle invoquait, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et dénaturé les pièces du dossier ce qui conduit à l’annulation de l’arrêt querellé.

(07 avril 2023, Mme B., n° 461782)

 

130 - Agents des services pénitentiaires - Mouvement social important - Grève interdite par la loi - Retenues sur traitement opérées à l’encontre d’agents en congé pour maladie - Annulation.

L’exercice du droit de grève est légalement interdit aux agents des services pénitentiaires. Pour contourner cette prohibition, des agents, à l’occasion d’un important mouvement social, se sont placés en congés pour maladie menaçant ainsi le fonctionnement même de ces services. Un directeur interrégional des services pénitentiaires a opéré sur les traitements des agents concernés une retenue d’1/30ème par jour d’arrêt maladie. Ces agents ont obtenu du tribunal administratif l’annulation de ces retenues dès lors qu’ils ont produit des certificats médicaux et n’ont pas refusé de se soumettre à une contre-visite médicale.

Saisies par le garde des sceaux, les 6è et 5è chambres réunies de la section du contentieux réitèrent à cette occasion une jurisprudence inaugurée le 6 novembre 2019 (garde des sceaux c/ Faroux, n° 428820).

En principe, le droit de grève est interdit par la loi aux agents des services pénitentiaires. Lorsque ceux-ci se prévalent de congés pour maladie sur la base de certificats médicaux, l’administration n’est pas fondée à opérer des saisies sur traitement de ce seul fait ; elle peut seulement organiser des contre-visites médicales par un médecin agréé.

Toutefois, dans les circonstances, comme celles de l’espèce, « marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, et la réception d'un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur une courte période la mettant dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'art. 25 du décret du 14 mars 1986 (relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime des congés de maladie des fonctionnaire), l'administration est fondée, dès lors qu'elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d'accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période. » Naturellement, il est toujours loisible à ces agents, le cas échéant, d’établir par tout moyen la réalité du motif médical ayant justifié leur absence pendant la période considérée. Ils peuvent également saisir le conseil médical, qui rendra un avis motivé dans le respect du secret médical.

Le jugement déféré est annulé pour erreur de droit.

La solution doit être approuvée dans la mesure où elle instaure un certain équilibre dans une situation née de l’emploi d’un détournement de procédure pour contourner une interdiction édictée par la loi.

(21 avril 2023, garde des sceaux, n° 450533, n° 450535, n° 450536 et n° 450437, jonction)

 

131 - Ambulancier hospitalier - Radiation des cadres pour abandon de poste - Obligation de réintégration après annulation de la radiation - Mise à la retraite - Impossibilité d’exécuter le jugement ordonnant la réintégration - Annulation.

Un jugement a annulé la décision par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe a prononcé la radiation des cadres d’un ambulancier pour abandon de poste ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux et a enjoint au CHU de le réintégrer et de reconstituer sa carrière. 

Le CHU se pourvoit en cassation de l’ordonnance rejetant son appel contre ce jugement.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit et méconnaissance de l’office du juge l’ordonnance litigieuse, motif pris de ce que si l’annulation de la décision ayant illégalement mis fin aux fonctions d'un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date à laquelle il avait été mis fin à ses fonctions, il est cependant dérogé à cette obligation dans les hypothèses où la réintégration est impossible, notamment lorsqu'il n'a plus la qualité d'agent public, ce qui est le cas de l’espèce où la personne a été admise à la retraite, quelles que soient les circonstances dans lesquelles cette décision de mise à la retraite est intervenue. En ce cas il est fait obstacle à ce que l'exécution de la décision juridictionnelle implique la réintégration effective de l'intéressé dans son emploi ou dans un emploi équivalent.

(25 avril 2023, CHU de la Guadeloupe, n° 464090)

 

132 - Personnels du corps d'encadrement et d'application et les agents spécialisés et techniciens de la police technique et scientifique - Instruction fixant le régime d’indemnisation des heures accomplies au-delà de la 160ème heure - Indemnisation des agents du service de la production quatre fois supérieure à celle des autres agents - Absence d’atteinte au principe d’égalité entre agents du même corps - Rejet.

Une instruction du directeur général de la police nationale a prévu l'indemnisation des heures supplémentaires effectuées entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2021 pour les personnels du corps d'encadrement et d'application et les agents spécialisés et techniciens de la police technique et scientifique. L'instruction prévoit pour les agents autres que ceux du service de la protection, d’une part, à titre obligatoire, l'indemnisation des heures excédant la cent-soixantième heure, dans la limite d'un montant de 5 358 euros brut, correspondant au plafond de l'exonération annuelle d'impôt sur le revenu et, à titre optionnel, une indemnisation complémentaire. Pour les agents du service de la protection l’instruction prévoit qu’ils seront indemnisés à titre obligatoire des heures effectuées et acquises au cours de la même période, au-delà du plancher de cent soixante heures, dans la limite de quatre fois le plafond d'exonération d'impôt sur le revenu de 5 358 euros.

Les requérants demandent en fait l'annulation de l'instruction en tant qu'elle a prévu des modalités dérogatoires plus favorables pour les seuls agents du service de la protection.

Le Conseil d’État rejette le grief d’atteinte au principe d’égalité de traitement entre agents publics appartenant à un même corps. Pour cela il retient que pour résorber le stock d'heures supplémentaires des agents du service de la protection, particulièrement important en comparaison de celui accumulé par des agents d'autres services, l’instruction attaquée a organisé des modalités distinctes d'indemnisation du stock d'heures supplémentaires de ces agents, avec notamment une indemnisation obligatoire quatre fois supérieure à celle prévue pour les autres agents, cette différence de traitement est justifiée par la différence de situation entre ces agents au regard du nombre d'heures supplémentaires qu'ils ont à effectuer et qu'ils ont effectivement effectuées sans qu'elles soient indemnisées ou récupérées.

Les autres moyens développés au soutien de la demande d’annulation sont également rejetés.

(27 avril 2023, Mme BG. et autres, n° 459668)

 

133 - Inspecteur d’académie détaché dans les fonctions de directeur académique des services déconcentrés de l'éducation nationale - Agent remis dans son corps d’origine - Mesure prise en considération de la personne - Entretiens et témoignages figurant au dossier sous forme anonyme - Absence de communication intégrale directe ou indirecte des pièces du dossier - Annulation.

Rappel de ce que, à l’issue d’une enquête administrative diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport qui a été établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

Dans ce cas, l'administration doit informer l'agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu'il puisse se défendre utilement. 

En l’espèce, le requérant n’a eu connaissance que de certains des 44 comptes rendus d’audition alors qu'il n'est pas allégué que cette communication parcellaire avait pour objet de protéger les personnes qui avaient témoigné sur la situation en cause. L’irrégularité de la procédure suivie entraîne par voie de conséquence l’annulation du décret attaqué (cf. cette Chronique, février 2020, n°101, à propos de la décision du 5 février 2020, M. Richard Decottignies, n° 433130 ; novembre 2022, n° 129, à propos de la décision du 18 novembre 2022, M. Jean-Pierre de Vincenzi, n° 457565).

(28 avril 2023, M. B., n° 443749)

 

134 - Loi du 12 mars 2012 - Agents contractuels recrutés à temps incomplet - Dispositif dérogatoire d’accès aux corps de fonctionnaires d’État - Conditions - Annulation et renvoi.

La loi du 12 mars 2012 a créé un dispositif dérogatoire d'accès, sauf pour les corps de catégorie C, par examens professionnalisés réservés ou par concours réservés, aux corps de fonctionnaires de l'État pour les agents contractuels à temps incomplet recrutés sur le fondement de l'article 6 de la loi du 11 janvier 1984.

La requérante, Mme B., qui bénéficiait simultanément, à la date du 31 mars 2013, de deux contrats à durée déterminée à temps incomplet auprès de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA), d'une part, et de l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville (ENSA-PB), d'autre part, afin de dispenser des enseignements en anglais, a été informée par deux décisions, respectivement des 5 et 12 septembre 2017, qu'elle n'était pas éligible à l'accès à la fonction publique de l'État prévu par l'article 1er de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, au motif qu'elle ne remplissait pas, pour chacun de ses deux contrats, les conditions de quotité de travail requises par cette loi. Si le tribunal administratif a rejeté ses deux demandes tendant à l'annulation de ces décisions, la cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que les décisions des 5 et 12 septembre 2017 et a enjoint de réexaminer l'éligibilité de Mme B. à l'accès à l'emploi titulaire par les concours réservés.

La ministre de la culture se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État juge d’abord, confirmant l’arrêt attaqué, que la circonstance que l'article 41 de la loi du 20 avril 2016 a limité la période d'ouverture des examens professionnalisés réservés et des concours réservés jusqu'au 12 mars 2018, date au-delà de laquelle les agents concernés n'étaient plus éligibles à ce dispositif dérogatoire, ne rendait pas sans objet les demandes d'annulation de Mme B. car  l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir des décisions contestées lui refusant l'accès à ce dispositif conduirait l'administration à réexaminer si l'intéressée remplissait les conditions pour un tel accès dérogatoire à la fonction publique sur le fondement des dispositions en vigueur à la date de ces décisions.

Le Conseil d’État juge ensuite que le bénéfice de ce dispositif dérogatoire est réservé aux agents effectuant, à la date du 31 mars 2013, une quotité de travail au moins égal à 70 % d'un emploi permanent et que cette quotité est calculée pour chaque emploi lorsque l'agent intéressé a conclu plusieurs contrats auprès d'employeurs différents. Or il ressort des pièces du dossier que les fonctions occupées par Mme B. à la date du 31 mars 2013 relevaient de deux contrats distincts auprès de deux employeurs, l'ENSBA et l'ENSA-PB, et qu'elles doivent ainsi être regardées comme relatives à deux emplois distincts pour l'application de l'article 2 de la loi du 12 mars 2012. Par suite, en jugeant que les quotités de travail correspondant à ces deux contrats de travail devaient être additionnées pour apprécier si la condition posée au 2° de l'article 2 de la loi du 12 mars 2012 était remplie, la cour a commis une erreur de droit.

(28 avril 2023, ministre de la culture, n° 454797)

 

135 - Magistrature judiciaire - Procédure d’intégration directe - Refus en dépit d’éléments positifs du dossier - Absence d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature a émis un avis défavorable à la candidature de l’intéressée à l’intégration directe dans la magistrature en dépit « d'attestations favorables émanant de divers professionnels du droit ainsi que de l'avis favorable émis le 8 novembre 2017 par les chefs de juridiction du tribunal de grande instance de Nîmes, (de ce) que Mme B. justifie, d'une part, d'un parcours académique substantiel, en tant que titulaire d'une maîtrise en droit de l'urbanisme et de l'environnement, d'un master en droit et gestion de l'environnement et d'un doctorat en droit public, ainsi, d'autre part, que d'une riche expérience professionnelle dans le domaine du conseil et de l'expertise juridiques et d'une pratique de la médiation judiciaire. »

En effet, il résulte des termes de l'avis attaqué et n'est pas sérieusement contesté que celle-ci a, lors de son audition du 31 mai 2021, laissé apparaître des lacunes dans la connaissance de l'institution judiciaire et la maîtrise de notions juridiques élémentaires ainsi qu'un manque d'esprit de synthèse et de clarté dans l'expression de sa pensée. De plus, les chefs de juridiction de la cour d'appel Nîmes s'étaient déjà bornés, dans leur rapport du 19 décembre 2017 relatif à la candidature de Mme B., à émettre un avis « seulement plutôt favorable » en relevant que l'intéressée avait fait montre d'un manque d'esprit de synthèse dans l'exposé de ses motivations.

Le recours est rejeté.

La solution peut sembler quelque peu « limite ».

(28 avril 2023, Mme B., n° 455390)

(136) V. aussi, à l’inverse, ordonnant à la commission d'avancement du Conseil supérieur de la magistrature de procéder au réexamen de la candidature du requérant motif pris de l’erreur manifeste qu’elle a commise en rendant un avis défavorable sur sa candidature, en se bornant à le fonder sur ce que le quota statutaire mentionné à l'avant-dernier alinéa de l'article 18-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 s'impose à la commission d'avancement lorsqu'elle procède à l'examen comparatif des dossiers des candidats et sur ce que cette dernière a publié la liste des qualités attendues des candidats à un recrutement dans le corps judiciaire malgré la qualité de son dossier de candidature. En effet, le candidat est titulaire d'une licence en droit de l'université de Beyrouth, d'un diplôme d'études approfondies (DEA) en droit de l'informatique et des nouvelles technologies délivré en 2004 par l'université de Montpellier, docteur en droit en 2008 dans cette même université, titulaire depuis 2010 du certificat d'aptitude à la profession d'avocat. Après avoir prêté serment devant la cour d'appel de Paris en 2011, M. B. a exercé les fonctions d'avocat collaborateur dans un cabinet spécialisé dans le droit des nouvelles technologies entre 2011 et 2016 et d'avocat associé spécialiste du droit de la propriété intellectuelle à compter de 2018. Après avoir suivi en 2018 une formation de défense pénale organisée par le barreau de Paris, M. B. a assuré diverses permanences de comparutions immédiates, de comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, d'interrogatoires de premières comparutions et de gardes en vue ainsi, à compter de 2020, que des consultations juridiques dans des mairies et points d'accès au droit. Sa candidature à la procédure de nomination sur le fondement de l'article 18-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 a reçu les avis unanimement favorables de la procureure générale près la cour d'appel de Paris, du premier président de la cour d'appel de Paris, du président du tribunal judiciaire de Paris et du procureur de la république près le tribunal judiciaire de Paris, lesquels ont notamment relevé le sérieux et le caractère posé et réfléchi de M. B. ainsi que son expérience et ses compétences de nature à lui permettre d'intégrer sans difficulté l'École nationale de la magistrature et de devenir auditeur de justice. Ce dernier bénéficie également d'attestations élogieuses de deux avocats honoraires, au vu des aptitudes professionnelles et personnelles qu'il a démontrées dans ses fonctions d'avocat : 28 avril 2023, M. B., n° 461997.

Il est légitime de se demander comment une commission (« d’avancement » paraît-il) peut laisser passer une « pointure » pareille…

(137) V. également, annulant le refus opposé par cette commission à un maître de conférences en droit de l'université de Strasbourg, en qualité de substitut du procureur auprès du Tribunal spécial pour le Liban, concernant sa candidature à un détachement judiciaire en ce qu’il est ainsi motivé : « malgré ses compétences professionnelles avérées, celui-ci ne présente pas les aptitudes professionnelles requises pour exercer immédiatement des fonctions judiciaires opérationnelles dans le cadre d'un détachement au premier grade de la hiérarchie judiciaire » ce qui ne constitue guère une motivation d’autant que, aggravant le cas des services de la place Vendôme, le garde des sceaux se réfère au rapport d'activité de la commission d'avancement (sic), lequel comporte notamment une énumération des qualités attendues des candidats à un recrutement dans le corps judiciaire. Tout ceci ne satisfait guère l’exigence de motivation des décisions défavorables de la Commission posée à l’art. 41-2 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature : 28 avril 2023, M. A., n° 467115.

 

138 - Magistrature judiciaire - Révocation d’un magistrat par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Demande d’annulation - Incompétence manifeste de la juridiction du référé - Rejet.

On ne sera pas surpris d’apprendre que le juge du référé, ici le référé liberté mais cela vaut pour toute juridiction de référé, n’a pas compétence pour prononcer l’annulation d’une décision de révocation d’un magistrat rendue par le CSM, au surplus le 5 mai 1982.

(11 avril 2023, M. A., n° 472563)

 

Libertés fondamentales

 

139 - Demandes d’asile - Rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Demande d’aide juridictionnelle - Forclusion opposée - Erreur de droit - Annulation.

 Après s’être vus refuser leurs demandes d’asile par l’OFPRA, par deux décisions du 14 juin 2021 reçues le 17 juin, les requérants ont formulé une demande d’aide juridictionnelle le 22 juin 202, en vue de pouvoir saisir la Cour nationale du droit d'asile dans le délai de quinze jours qui leur était imparti.

La présidente de la Cour nationale du droit d'asile a rejeté leurs requêtes comme tardives car alors que les décisions du bureau d'aide juridictionnelle leur avaient été notifiées le 20 juillet 2021, ils n’ont formé les deux recours que le 20 août 2021 contre les décisions de l'OFPRA.

Le Conseil d’État est à la cassation car, d’une part, le 20 juillet 2021 correspond à la date à laquelle les deux avis postaux ont été déposés à leur adresse par le facteur en leur absence et, d’autre part, ils ont retiré au bureau de poste les plis contenant les notifications le 26 juillet. Ils n’étaient donc pas forclos à la date du 20 août 2021 lorsqu’ils ont saisi la cour, contrairement à ce que celle-ci a jugé.

La décision de la cour est annulée pour erreur de droit.

(07 avril 2023, Mme A. et M. C., n° 462906)

 

140 - Procréation médicalement assistée -Loi nouvelle ouvrant le droit d’accéder à l’identité du tiers donneur – Rétroactivité – Transmission d’une QPC.

(07 avril 2023, M. B., n° 467467)

(141) V. aussi 07 avril 2023, M. B., n° 467776.

V. n° 166

 

142 - Services de presse en ligne – Définition et conditions légales de reconnaissance – Absence d’incompétence négative – Refus de transmission d’une QPC.

(07 avril 2023, Sociétés RL Mags Limited et Shopper Union France, n° 469186 et n° 470660, jonction)

V. n° 167

 

143 - Extradition - Notification du décret d’extradition - Langue dans laquelle est communiqué le décret d’extradition - Non nécessité d’une langue comprise par le destinataire - Rejet.

Réitérant une vieille jurisprudence le Conseil d’État juge qu’il ne résulte ni des stipulations de la convention d’extradition en cause, ni de celles des art. 5 § 2 et 6 § 3 de la Convention EDH, ni de l’art. 696-10 du code de procédure pénale, ni du code des relations entre le public et l’administration que la notification d’un décret d’extradition à son destinataire ait lieu dans une langue qu'il comprend. La solution est surprenante et ne brille ni par sa modernité ni par sa bienveillante humanité.

(17 avril 2023, M. B., n° 468994)

 

144 - Autorisations de voyage et visas d’entrée et de séjour en France - Décrets du 29 juin 2022 - Avis du Conseil d’État - Régime des recours administratifs préalables obligatoires - Absence de délai de distance - Double degré de juridiction - Rejet.

Il était demandé l’annulation des deux décrets du 29 juin 2022 relatifs aux modalités de contestation des refus d'autorisation de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France. Les requêtes sont rejetées en tous leurs griefs.

Il ne ressort d’aucune disposition ou d’aucun principe qu’un décret modifiant les conditions d'exercice et d'examen des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) formés contre les refus d'autorisation de voyage et les refus de visas d'entrée et de séjour devrait être soumis pour avis à l'une des sections consultatives du Conseil d'État.

La circonstance que le RAPO doive être formé dans les trente jours du refus, donc dans un délai d’une durée inférieure à celle du recours contentieux, ne méconnaît pas le droit à un recours effectif garanti par l'art. 16 de la Déclaration de 1789 et par l'art. 13 de la convention EDH, et n’est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, alors même que ce recours doit être rédigé en français. 

Enfin, ne sont pas davantage critiquables au regard des exigences précitées l’absence de délai de distance s’ajoutant au délai de droit commun, ce qui ne porte pas atteinte au principe d’égalité (sic), l’absence de possibilité d’appel des jugements rendus en cette matière par le tribunal administratif de Nantes, etc.

(21 avril 2023, Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), Association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et le syndicat des avocats de France, n° 467208 et n°467211)

 

145 - Article L. 561-2 du CESEDA - Exclusion du droit du réfugié mineur à être rejoint par ceux des frères et sœurs non accompagnés par un ascendant direct - Principe d’égalité - Respect de la vie privée - Intérêt supérieur de l’enfant - Droit à mener une vie familiale normale - Refus de transmission d’une QPC.

Les demandeurs ont soulevé une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. L. 561-2 du CESEDA en tant qu'elles excluent la possibilité pour un réfugié mineur de bénéficier de son droit à être rejoint par ceux de ses frères et sœurs non accompagnés par un ascendant direct, méconnaissant ainsi le principe d'égalité devant la loi garanti notamment par l'art. 6 de la Déclaration de 1789, le droit de mener une vie familiale normale garanti par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant découlant des mêmes dispositions.

La demande de transmission est rejetée.

En premier lieu, n’est pas retenu le moyen par lequel les requérants soutiennent que la différence de traitement opérée par les dispositions litigieuses de l'art. L. 561-2 du CESEDA, entre les mineurs bénéficiant de la qualité de réfugié selon que leurs parents résident ou non sur le territoire français et selon que leurs frères et sœurs mineurs demeurés à l'étranger accompagnent ou non leurs parents porterait atteinte au principe d'égalité. Une telle différence de traitement est justifiée par la différence de situation entre les mineurs réfugiés en France selon qu'ils sont ou non accompagnés de leurs parents, au regard de l'objet des dispositions contestées, qui est de leur permettre d'être rejoints par leurs parents demeurés à l'étranger tout en évitant que la mise en œuvre de ce droit n'implique que des enfants qui seraient dans l'impossibilité d'accompagner leurs parents sur le territoire national soient séparés de leur famille.
En second lieu, parce qu’elles visent à permettre aux réfugiés d'être rejoints par certains membres de leur famille dans des conditions plus favorables que celles qui permettent aux étrangers séjournant régulièrement en France de solliciter le regroupement familial, les dispositions contestées ne portent aucune atteinte au droit à une vie familiale normale ni, en tout état de cause, à l'intérêt supérieur de l'enfant. 

(21 avril 2023, M. B. et Mme C., n° 471018)

 

146 - Liberté de manifestation - Contestation de la réforme des retraites - Circulaire du garde des sceaux relative au traitement judiciaire des infractions commises à cette occasion - Rejet.

La requérante demandait que soit ordonnée la suspension de l’exécution de la circulaire du 18 mars 2023 du garde des sceaux relative au traitement judiciaire des infractions commises à l'occasion des manifestations ou des groupements en lien avec les contestations contre la réforme des retraites. 

Après avoir relevé que la requête ne portait que sur la seule suspension du point 1 de la circulaire (« Un dispositif judiciaire adapté à la prévention et à la prise en compte d'éventuelles procédures en nombre »), le juge la rejette.

La demande soutenait que cette circulaire porterait une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté de manifester et serait de nature à dissuader les personnes opposées à la réforme des retraites d'exercer cette liberté. Notamment, elle donnerait instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à des interpellations et à des placements en garde à vue préventifs, dans le seul but d'empêcher les personnes concernées de manifester ainsi que le montrerait le fait que ces placements en garde à vue ne débouchent pas, dans la grande majorité des cas, sur l'exercice de poursuites pénales.

Le juge des référés relève en premier lieu que ce texte se borne, à inviter les procureurs de la république, d’une part, à se tenir informés des évènements et des moyens mis en œuvre pour garantir le maintien de l'ordre public en rappelant leur pouvoir de délivrer des réquisitions aux fins de contrôle d'identité, de visite des véhicules et d'inspection visuelle et de fouille des bagages dans des lieux et pour une période de temps qu'ils déterminent et d’autre part, à veiller à ce que des moyens humains et matériels suffisants soient consacrés aux missions de police judiciaire, enfin, à adapter l'organisation des parquets en vue de les mettre en capacité de traiter dans de bonnes conditions les procédures relatives aux infractions commises en marge des manifestations.

Le juge des référés estime, contrairement aux allégations de la requête, qu’il ne ressort de la circulaire contestée ni que son auteur aurait donné instruction aux procureurs de systématiquement délivrer des réquisitions aux fins de contrôle d'identité, de visite des véhicules et d'inspection visuelle et de fouille des bagages sur les lieux ou à proximité des manifestations, l'opportunité d'y procéder étant explicitement laissée à leur appréciation, au cas par cas, ni, non plus, qu’il aurait incité les procureurs à donner instruction aux officiers de police judiciaire de procéder au placement systématique de manifestants en garde à vue.

(ord. réf. 21 avril 2023, Mme A., n° 472924)

 

147 - Permis de visite à un détenu - Refus - Permis sollicité par la prostituée du proxénète interné - Emprise sur l’intéressée - Rejet.

Les mesures tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite à un détenu, parce qu’elles affectent directement le maintien des liens des détenus avec leurs proches, sont susceptibles de porter atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale protégé par l'art. 8 de la convention EDH ; elles doivent donc être nécessaires, adaptées et proportionnées à assurer le maintien du bon ordre et de la sécurité de l'établissement pénitentiaire ou, le cas échéant, la prévention des infractions sans porter d'atteinte excessive au droit des détenus.

En l’espèce n’est pas jugée porter une telle atteinte la décision de la directrice de la maison d'arrêt de Draguignan refusant de délivrer un permis de visite à Mme B. car le détenu, condamné à cinq ans de prison pour proxénétisme aggravé, a joué un rôle très actif dans la prostitution de Mme B., continue d'avoir une emprise sur Mme B. et n’établit pas être le père de l'enfant de Mme B.

Aucun élément ne permet ainsi de remettre en cause l’ordonnance rendue par le juge du référé liberté du tribunal administratif de Toulon.

(27 avril 2023, M. D., n° 472995)

 

Police

 

148 - Police vétérinaire – Médicament vétérinaire – Traitement local externe des mouches des bovins – Suspension de mise sur le marché – Rejet.

La société Armosa France se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif qui a rejeté sa demande d’annulation de la décision du directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire suspendant la mise sur le marché du produit « Tectonik Pour-On ».

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État relève que pour qualifier ce produit de médicament vétérinaire la cour ne s'est pas fondée sur la seule circonstance que sa composition comportait un principe actif, la perméthrine, substance ayant des effets anti-parasitaires, mais a procédé à l'analyse de la capacité de ce produit à corriger ou modifier des fonctions physiologiques des animaux traités en exerçant une action pharmacologique, ainsi qu'à l'analyse de sa composition, de ses modalités d'emploi, et des risques que peut entraîner son utilisation.

Semblablement, pour qualifier ce produit de médicament vétérinaire, la cour a, sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique, apprécié la capacité du « Tecktonik Pour-On », dans des conditions d'emploi normales, à restaurer de manière significative les fonctions physiologiques des sujets traités.

(12 avril 2023, Société Armosa France venant aux droits de la société Protecta, n° 453174)

 

149 - Police des jeux d’argent et des paris – Française des jeux – Monopole sous étroit contrôle d’État – Intérêt général poursuivi – Nécessité d’octroi de droits exclusifs – Adéquation du dispositif légal – Aide d’État – Droit de la concurrence – Rejet partiel, non-lieu partiel à statuer et renvoi préjudiciel à la CJUE.

La société requérante demande, par trois requêtes, l’annulation de l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, du décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur La Française des jeux et du décret n° 2019-1061 du 17 octobre 2019 relatif à l'encadrement de l'offre de jeux de La Française des jeux et du Pari mutuel urbain.

Au terme d’une très longue décision le Conseil d’État rejette une partie des demandes, prononce un non-lieu partiel et opère un renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’affaire se situe dans le contexte très sensible et passablement nébuleux de l’interdiction les jeux d'argent et de hasard sauf dérogations, notamment pour les jeux de loterie et les paris sportifs en réseau physique de distribution (cf. art. L. 320-1 du code de la sécurité intérieure).

L'article 2 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 attaquée, prohibe les jeux d'argent et de hasard. C’est dans ces conditions que l'art. 15 de l'ordonnance confie à La Française des jeux (LFDJ) le monopole d'exploitation de ces jeux pour une durée de 25 ans, en contrepartie du versement par celle-ci d'une indemnité à l'État.

L'article L. 320-4 du CSI prévoit que l'offre de jeu de la société LFDJ, comme celle de tout opérateur de jeux autorisé, doit contribuer « à canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique et à prévenir le développement d'une offre illégale de jeux d'argent » et concourir aux objectifs de la politique de l'État en matière de jeux d'argent et de hasard : prévention du jeu excessif ou pathologique et protection des mineurs, assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu et prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

L'art. 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société LFDJ et lui a confié le monopole de l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution.

Le IV de cet art. 137 a autorisé le Gouvernement, dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, à prendre par ordonnance de l'article 38 de la Constitution les mesures relevant du domaine de la loi afin, d'une part, de préciser le périmètre des droits exclusifs et les contreparties dues par la société LFDJ au titre de leur octroi, de définir les conditions d'exercice, d'organisation et d'exploitation de ces droits exclusifs ainsi que les modalités du contrôle étroit exercé par l'État sur leur titulaire, et, d'autre part, de redéfinir les modalités de régulation de l'ensemble du secteur des jeux d'argent et de hasard.

Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a adopté l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard.

Le juge groupe en cinq points, d’inégales longueur et importance les moyens soulevés par la demanderesse.

1 - En premier lieu, sont développés des moyens tirés de ce que l'octroi des droits exclusifs porte atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services.

Le juge commence par relever que les dispositions querellées qui réservent à la société LFDJ l'exploitation des jeux de loterie et des jeux de pronostics sportifs sur le territoire national par l'intermédiaire d'un réseau physique de détaillants, si elles n'instaurent pas d'inégalité de traitement susceptible de défavoriser les entreprises ayant leur siège dans d'autres États membres de l'Union européenne, dès lors qu'elles s'appliquent indistinctement à tous les opérateurs susceptibles de proposer des jeux de loterie, quelle que soit leur nationalité, peuvent cependant être de nature à limiter, pour les prestataires de service ressortissants d'un des États membres de l'Union européenne ou installés à l'intérieur de celle-ci, la libre prestation de services que constitue l'exploitation des jeux de hasard et faire obstacle à leur liberté d'établissement. 

La jurisprudence de la CJUE (30 juin 2011, Zeturf Ltd, n° C-212/08 ; 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International Ltd contre Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericórdia de Lisboa, aff. C-42/07 ; 30 juin 2011, Zeturf Ltd contre Premier ministre, aff. C-212/08) subordonnant à la réalisation de quatre conditions la possibilité pour les États membres de prendre des mesures dérogatoires en la matière, le Conseil d’État examine leur éventuelle satisfaction en l’espèce.

Les dispositions querellées satisfont, à l’évidence, un impérieux objectif d’intérêt général en ce qu’elles ont pour objet la protection de la santé et de l'ordre public en raison des risques avérés de jeu excessif, de fraude et d'exploitation des jeux de loterie à des fins criminelles, par la limitation des jeux et leur organisation par une société privée étroitement contrôlée par l'État.

Pareillement, l'absence de procédure de publicité et de mise en concurrence préalable résultant de l’octroi du monopole ne contrevient pas au droit de l’Union tel qu’interprété par la jurisprudence (CJUE, 3 juin 2010, Sporting Exchange Limited, aff. C-203/08).

Egalement, l’octroi de droits exclusifs répond à une nécessité car il permet d’assurer une meilleure maîtrise des risques liés aux jeux de hasard et à poursuivre l'objectif de lutte contre la dépendance au jeu de manière plus efficace qu'un régime d'ouverture à la concurrence d'opérateurs privés, fussent-ils assujettis à un système d'autorisation et soumis à un régime de contrôle et de sanctions. Ainsi d’ailleurs que l’a jugé en ces termes la CJUE (30 avril 2014, Robert Pfleger e.a., aff. C-390/12) « à la différence de l'instauration d'une concurrence libre et non faussée au sein d'un marché traditionnel, l'application d'une telle concurrence dans le marché très spécifique des jeux de hasard, c'est-à-dire entre plusieurs opérateurs qui seraient autorisés à exploiter les mêmes jeux de hasard, est susceptible d'entraîner un effet préjudiciable, lié au fait que ces opérateurs seraient enclins à rivaliser d'inventivité pour rendre leur offre plus attrayante que celle de leurs concurrents et, de cette manière, à augmenter les dépenses des consommateurs liées au jeu ainsi que les risques de dépendance de ces derniers ».

Enfin, les dispositions litigieuses ne sont pas contraires aux art. 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’UE en tant qu’elles instituent un dispositif d’ensemble à la fois proportionné et cohérent.

2 - En deuxième lieu, est rejeté le moyen qu’il serait, par ce mécanisme, porté atteinte à la liberté constitutionnelle d'entreprendre car le monopole a été institué par l’art. 137 de la loi du 22 mai 2019 non par les dispositions critiquées. Au reste, même si le Conseil d’État est muet sur ce point, il est constant que la demanderesse n’invoque pas une inconventionnalité de ce texte et n’a pas formé à son encontre une QPC.

3 - En troisième lieu, il serait, par-là, créé un abus de position dominante sur le marché des paris en ligne. Le moyen ne saurait être retenu car à « supposer que l'art. 137 précité ait contribué, en raison des droits exclusifs qu'il prévoit, à assurer à la société LFDJ une position dominante sur le marché des paris en ligne et soit susceptible d'affecter les échanges entre les États-membres de l'Union européenne,  cette disposition ne serait  incompatible avec l'article 102 du traité que si l'entreprise était amenée, par l'exercice du droit exclusif dans les conditions dans lesquelles il lui a été conféré, à exploiter sa position dominante de façon abusive or tel n’est pas le cas de l’espèce.

4 - En quatrième lieu, sont examinés les moyens autres que ceux relatifs à l'existence d'une aide d'État illégale, ils sont rejetés car les dispositions critiquées ne font pas obstacle à ce que l'art. 16 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 soumette la société LFDJ non seulement à un cahier des charges mais également à une convention, ni à ce qu'il renvoie au décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 le soin de préciser le contenu de ces actes. Ces dispositions, par ailleurs, n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire que le montant du versement mis à la charge de la société LFDJ en contrepartie des droits exclusifs qui lui ont été confiés soit fixé dans le cahier des charges de cette société.

Pareillement, c’est sans illégalité que l'ordonnance attaquée, d’une part, a pu, sans méconnaître la liberté d'entreprendre, arrêter le principe du versement par la société LFDJ d'une indemnité en contrepartie des droits exclusifs qui lui ont été octroyés, sans en préciser les modalités de calcul et d’autre part, après avoir posé les principes et les modalités du contrôle étroit de l'État sur la société LFDJ, renvoyer au pouvoir réglementaire la fixation des modalités d'application de ce contrôle.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, les textes ont défini les caractéristiques des jeux, les différentes gammes et catégories de jeux de loterie sous droits exclusifs, ainsi que celles de l'offre de paris sportifs en réseau physique de distribution.

5 - En cinquième lieu, le juge se prononce sur les moyens relatifs à l'existence d'une aide d'État illégale. Il relève que, « par une décision SA.56399 et SA.56634 du 26 juillet 2021, publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 3 décembre 2021, la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (…)  " en ce qui concerne la rémunération due à l'État par La Française des jeux en échange des droits exclusifs qui lui ont été attribués ", en raison de l'octroi supposé de ce qu'elle a qualifié être une aide d'État illégale. Dans ces conditions, il résulte des stipulations de l'article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,  (…) telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa AG, C-284/12 et au point 29 de son arrêt (grande chambre) du 21 décembre 2016, Commission européenne contre Hansestadt Lübeck, C-524/14P, qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur la requête n° 436441, au soutien de laquelle est utilement soulevé le moyen (…) tiré de ce que l'octroi de droits exclusifs à la société LFDJ constituerait une aide d'État illégale au motif que la contrepartie de cet octroi aurait été fixée à un montant sous-estimé, en suivant une méthode biaisée et non transparente, jusqu'à la décision finale de la Commission. »

(14 avril 2023, Société The betting and gaming council, n° 436439, n° 436441 et n° 436449, jonction)

(150) V. identique, confirmant le renvoi préjudiciel et jugeant qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 436439 dirigées contre l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 en tant qu'elle ne prévoit pas que le deuxième alinéa du II de l'art. L. 320-9-1 du code de la sécurité intérieure s'applique au 5° du I du même article : 14 avril 2023, Société The betting and gaming council, n° 436439.

(151) V. aussi, dans le même litige que ci-dessus mais rejetant la demande pour défaut d’intérêt pour agir de la société requérante : 14 avril 2023, Société Betclic enterprises limited, n° 437248 et n° 439237, deux espèces.

(152) V. cependant, examinant au fond, sur le même sujet, une requête de la même société et la rejetant en tous ses chefs de demande : 14 avril 2023, Société Betclic enterprises limited, n° 441561.

(153) V. également, sur le même sujet et assez identiques, avec rejet : 14 avril 2023, Société Betclic enterprises limited n° 448445 et société SPS betting France limited, n° 452182.

 

154 - Police du maintien de l’ordre - Non-respect de l’obligation du port du numéro d'identification réglementaire - Difficultés d’engagements de poursuites - Rejet.

Les organisations requérantes, demandent au juge du référé liberté qu’il ordonne au ministre de l'intérieur de prendre des mesures correctives car les agents des forces de police et de gendarmerie, de façon massive, ne respectent pas l'obligation qui leur est faite de porter sur leur uniforme leur numéro d'identification réglementaire, avec pour conséquence de rendre difficile ou impossible l'identification de ceux de ces agents qui auraient un comportement répréhensible ou feraient un usage disproportionné de la force dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre et de faire par suite échec aux enquêtes et poursuites susceptibles d'être diligentées à raison de tels actes.

La requête est rejetée au terme d’une argumentation peu assurée.

Si le juge admet que l'obligation de port du numéro d'identification n'a pas été respectée en différentes occasions par des agents de la police nationale pendant l'exécution de leurs missions, en particulier lors d'opérations de maintien de l'ordre, ce qui traduit des manquements aux dispositions réglementaires applicables, il estime cependant que des instructions régulières étant données par l'autorité hiérarchique quant à l'obligation pour les agents de porter sur leur uniforme leur numéro d'identification et les indications données dans le cours de l'instruction de référé ne permettent pas de caractériser, pour l'ensemble des unités de police et de gendarmerie, l'ampleur des manquements qui peuvent subsister en dépit des instructions données.

En outre, il rappelle  que le port du numéro d'identification sur l'uniforme n'est pas le seul élément permettant d'identifier les agents de la police et de la gendarmerie intervenant dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre, les dispositifs visuels qui figurent très visiblement sur l'équipement des agents indiquent de façon suffisamment fine l'unité à laquelle ils appartiennent, de telle sorte que le défaut éventuel de port du numéro d'identification ne fait pas échec aux enquêtes et poursuites devant être engagées dans le cas de faits de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales qui peuvent être invoquées par les requêtes.

Il en conclut que les manquements constatés au port du numéro d'identification ne traduisent pas une carence suffisamment caractérisée à faire respecter l'obligation en cause, de nature à porter par elle-même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant le prononcé d’une injonction par le juge des référés du Conseil d'État. 

(05 avril 2023, Ligue des droits de l'homme (LDH) et Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), n° 472509 ; Syndicat de la magistrature et Syndicat des avocats de France, n° 472516)

 

155 - Parti politique - Dissolution - Demande d’abrogation du décret portant dissolution - Irrecevabilité d’une demande d’abrogation de ce décret - Rejet.

L’association requérante demandait l'annulation de la décision implicite de rejet par le président de la république de sa demande tendant à l'abrogation du décret du 5 novembre 1963 portant dissolution du parti dit Rassemblement démocratique des populations tahitiennes (R.D.P.T.).

Le recours est rejeté car ne peut être appliqué ici le principe selon lequel l'autorité administrative peut abroger un acte non réglementaire qui n'a pas créé de droits mais continue de produire effet, lorsqu'un tel acte est devenu illégal en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction.

Selon le juge, en effet, « un décret prononçant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait, pris sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936 ou, aujourd'hui, de l'art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, produit tous ses effets directs dès son entrée en vigueur, de telle sorte qu'une demande tendant à son abrogation ultérieure est sans objet alors même que, ainsi que le prévoit l'art. 431-15 du code pénal, la participation au maintien ou à la reconstitution d'une association ou d'un groupement de fait dissous constitue un délit. »

La solution retenue laisse dubitatif par son caractère excessif : la dissolution aurait une durée perpétuelle ? Aucun changement, de fait ou de droit, ne pourrait en ce cas être retenu ? Tout ceci ne semble plus de saison et l’on serait curieux de connaître à ce sujet l’opinion de la cour EDH.

(20 avril 2023, Association Pupu Here Ai'Ia Te Nunaa Ia'Ora, n° 458602)

 

156 - Police des animaux non indigènes susceptibles de causer des dégâts - Décret portant dérogation à la durée d’application initiale de la période d’autorisation de destruction - Exception d’illégalité impossible - Circonstances exceptionnelles - Rejet.

Par un décret du 21 juin 2022, la ministre de la transition écologique et de la cohésion du territoire a prolongé la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019 modifié, pris pour l'application de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts.

L’association requérante demande l’annulation de ce décret en se fondant sur deux moyens, l’un et l’autre rejetés par le juge.

En premier lieu, est opéré le rappel, classique, que l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. Or le décret attaqué ne constitue pas une mesure d'application de l’arrêté 3 juillet 2019 dont il prolonge la durée d’application et il ne trouve pas sa base légale dans cet arrêté. Le moyen est rejeté.

En second lieu, si l'association requérante soutient sans erreur de droit que la prolongation jusqu'au 30 juin 2023 de la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019, par dérogation aux dispositions de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement d'après lesquelles elle est de trois ans, n'est pas justifiée par l'insuffisance des données disponibles et méconnaît le principe d'action préventive énoncé par l'art. L. 110-1 du code de l'environnement, il résulte des circonstances exceptionnelles ayant prévalu pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, que l'autorité administrative n'a pas été en mesure de recueillir, en temps utile pour la préparation d'un nouvel arrêté triennal, des données suffisamment fiables et précises sur les dégâts occasionnés par les espèces, nonobstant la poursuite de prélèvements pendant cette période, alors que de telles données sont nécessaires au classement d'une espèce en tant qu'espèce susceptible d'occasionner des dégâts sur certains territoires, notamment pour respecter le principe de prévention des atteintes à l'environnement. Dans ces circonstances, c'est sans erreur manifeste d'appréciation que le décret attaqué a prolongé pour un an la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019. 

(21 avril 2023, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 465683)

 

157 - Police des carrières - Mesures diverses ordonnées par le préfet - Suspension ordonnée pour risque de mise en péril de l’exploitation de la carrière - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge qui ordonne la suspension d’exécution d’un arrêté préfectoral en ce qu’elle est susceptible de mettre en péril la poursuite de l'exploitation d’une carrière alors qu’il lui incombait de prendre en considération également l'intérêt général qui s'attache à l'exécution de prescriptions visant notamment à garantir la sécurité des personnes travaillant dans la carrière et à contrôler les incidences de l'exploitation sur les aquifères voisins.

(24 avril 2023, Société Bermont et fils, n° 462780)

 

158 - Police des débits de boissons - Interdiction de servir de l’alcool à des personnes ivres - Accident mortel survenu après la sortie d’un établissement - Contradiction entre des images vidéosurveillance et l’autorité absolue attachée aux constatations de fait du juge pénal - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande d’annulation de l’arrêté sub-préfectoral prononçant la fermeture administrative de son établissement pour avoir servi de l’alcool à des personnes manifestement ivres qui ont, après la sortie de cet établissement, provoqué un accident de la route mortel. La sous-préfète se fondait sur la circonstance que « le visionnage des images de vidéosurveillance de l'établissement établit que l'exploitante a servi de l'alcool au conducteur alors que celui-ci était ivre ».

Le Conseil d’État rappelle que l'autorité de la chose jugée des décisions des juges répressifs devenues définitives, qui s'impose aux juridictions et à toutes les autorités administratives, s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. Le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, qui présente un caractère absolu, est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de cassation, en produisant, en tant que de besoin pour la première fois dans l'instance de cassation, les pièces propres à justifier de son bien-fondé.

Or un jugement de la juridiction de proximité rendu sur opposition à ordonnance pénale le 11 mars 2021, a relaxé Mme A. des fins des poursuites engagées à son encontre sur le fondement de l'art. R. 3353-2 du code de la santé publique, au motif que les intéressés ne présentaient aucun signe d'ébriété manifeste au moment où de l'alcool leur a été servi dans le débit de boissons. 

Statuant au fond, le juge de cassation, après annulation de l’arrêt d’appel, annule le jugement du tribunal administratif.

(25 avril 2023, Mme A., n° 462997)

 

159 - Police du stationnement - Stationnement payant - Preuve du paiement - Erreur de droit -Annulation.

Est annulée pour erreur de droit l’ordonnance de la commission du contentieux du stationnement payant qui se borne à constater la seule absence de production du justificatif de paiement de la redevance de stationnement, sans rechercher si Mme C. ne produisait pas d'autres éléments de preuve qu'elle s'était acquittée de la redevance due pour le stationnement de son véhicule, notamment le relevé de sa carte bancaire comportant le jour, l’heure et le destinataire du paiement.

(27 avril 2023, Mme C., n° 465822)

 

Professions réglementées

 

160 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Pièce de la procédure comportant des contradictions entre les mentions et les motifs – Irrégularité – Annulation.

Le Conseil d’État annule pour irrégularité une décision de la chambre disciplinaire du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes qui comporte tout à la fois des mentions selon lesquelles le requérant a présenté des observations lors de l'audience publique et repris la parole en dernier et des motifs, énonçant qu'il était absent et non représenté à l'audience, de sorte qu'il ne s'est pas expliqué lors de la séance de jugement sur les faits reprochés.

Une telle contradiction entre les mentions et les motifs de la décision ne peut que conduire inexorablement à son annulation.

(13 avril 2023, M. B. et société « Cabinet du docteur B. », n° 452082)

(161) V. aussi, jugeant, concernant une formation disciplinaire régionale de l’ordre des vétérinaires, qu’un moyen relatif à l'irrégularité de la composition d'une formation de jugement, quel qu'en soit le fondement, peut être invoqué à toute étape de la procédure, y compris devant le juge de cassation, la circonstance que l'intéressé s'est abstenu de demander la récusation d'un membre de la formation de jugement ayant rendu la décision attaquée étant sans incidence sur la recevabilité du moyen : 13 avril 2023, Société Socavet et autres, n° 458478.

 

162 - Vétérinaires salariés – Obligations déontologique de gratuité des soins donnés aux animaux de personnes dans le besoin – Perception d’émoluments interdite - Non opposition à cette perception – Rejet.

Les requérants étaient à l’époque des faits vétérinaires salariés de la Fondation Assistance Aux Animaux, habilitée à dispenser des soins gratuits aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes. Ils exerçaient dans des centres où des participations financières étaient demandées aux clients, tant à leur arrivée qu'à l'issue de la consultation, une grille de tarification des actes étant à cet égard affichée dans la salle d'attente.

La chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires a relevé que les demandeurs
étaient informés de ces pratiques, auxquelles ils ne s'étaient pas opposés et que l’un d’eux y contribuait en recourant à des gestes codés pour informer les personnels administratifs des actes qu'il avait pratiqués, en vue de leur tarification.

 La juridiction disciplinaire n'a ni entaché sa décision d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant que ces praticiens avaient méconnu leurs obligations déontologiques découlant des dispositions des art. L. 214-6 et R. 242-50 du code rural, sans que la circonstance qu'ils aient le statut de salariés soit, compte tenu des termes mêmes de l'art. R. 242-50 du code rural, susceptible de les exonérer du respect de ces obligations. 

(04 avril 2023, M. F. et M. C., n° 453598)

 

163 - Infirmière - Procédure disciplinaire - Juridiction retenant un motif non soumis au débat contradictoire - Annulation.

Statue irrégulièrement par méconnaissance du principe du respect des droits de la défense, la juridiction disciplinaire de l’ordre des infirmiers qui se fonde, pour infliger une sanction, sur un grief qui ne figurait pas dans la plainte initiale, n’avait pas été retenu par la juridiction disciplinaire de première instance et ne faisait l’objet que d’une mention incidente dans l’un des mémoires produits en appel. Ainsi, l’intéressée n’a pas été mise à même de s'expliquer, dans le cadre de la procédure écrite, sur le grief que la juridiction d’appel envisageait de retenir à son encontre.

La décision est annulée.

(07 avril 2023, Mme E., n° 450059)

 

164 - Ordre des chirurgiens-dentistes - Responsabilité pour illégalités fautives liées à la teneur de courriers - Courriers ne contenant pas de décisions faisant grief - Erreur de droit - Fonctionnement défectueux du service public de la justice - Responsabilité de l’État - Même solution pour la justice ordinale et pour une demande indemnitaire émanée de tiers - Annulations et rejet.

(28 avril 2023, Mme B. et société de Keating, n° 451211)

V. n° 180

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

165 - Procréation médicalement assistée - Loi nouvelle ouvrant le droit d’accéder à l’identité du tiers donneur – Rétroactivité – Transmission d’une QPC.

La loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique sur le fondement de laquelle a été pris le décret du 25 août 2021 relatif à l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur a prévu que la commission d’accès aux données non identifiantes, saisie par l’enfant né d’un don, d’une demande d’accès à ses origines, peut contacter les tiers donneurs ayant réalisé un don avant l'entrée en vigueur de la loi, à une époque où leur anonymat était garanti vis-à-vis de l'enfant né du don, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité. Le Conseil d’État juge que ce changement législatif pose une question nouvelle et sérieuse au regard notamment du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale, d’où sa décision de transmission de la QPC.

Ceci dit, la loi nouvelle ne fait pas obligation au donneur de répondre positivement à l’interrogation éventuelle de la commission et elle ne sanctionne pas le refus d’autorisation.

(07 avril 2023, M. B., n° 467467)

(166) V. aussi, voisine, la décision de transmettre la QPC fondée sur ce que les dispositions de l’art. 342-9 du Code civil, issues de la loi du 2 août 2021, en interdisant l’établissement de tout lien de filiation entre le tiers donneur intervenu dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et l’enfant issu de ce don porteraient atteinte au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, en ce qu'elles excluraient la possibilité, pour le tiers donneur, d'établir un lien de filiation avec l'enfant né du don par la voie de l'adoption : 07 avril 2023, M. B., n° 467776.

 

167 - Services de presse en ligne – Définition et conditions légales de reconnaissance – Absence d’incompétence négative – Refus de transmission d’une QPC.

Les demanderesses soulevaient une QPC dirigée contre le troisième alinéa de l'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 modifiée portant réforme du régime juridique de la presse en ce que, en renvoyant à un décret le soin de préciser les conditions de reconnaissance d'un service de presse en ligne, le législateur aurait méconnu sa propre compétence et affecté plusieurs libertés (de communication, d'expression, de pluralisme de la presse, d'entreprendre, le principe d'égalité ainsi que la garantie des droits et la séparation des pouvoirs). En effet, selon les requérantes, il en va ainsi dès lors que pour bénéficier du régime d'aide à la presse, un service de presse en ligne doit être reconnu par la commission paritaire des publications et agences de presse régie par le décret du 20 novembre 1997 relatif à la commission paritaire des publications et agences de presse.

Pour rejeter la demande de transmission, le Conseil d’État relève qu’en définissant les services de presse en ligne, le législateur a énoncé les critères conduisant à reconnaître un tel service, notamment celui tenant au contenu d'intérêt général mis à disposition du public, qui repose, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur une appréciation des caractéristiques objectives de la publication telles que le contenu informatif du service, la nature des sujets et la manière dont ils sont traités. Ayant ainsi défini les conditions de reconnaissance d'un service de presse en ligne, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence en renvoyant à un décret, notamment, la désignation de l'autorité compétente pour prendre cette décision. 

On peut trouver un peu sommaire le raisonnement du juge s’agissant du régime des libertés fondamentales.

(07 avril 2023, Sociétés RL Mags Limited et Shopper Union France, n° 469186 et n° 470660, jonction)

 

168 - Droit fiscal – Déductibilité de charges – Refus - Amendes – QPC présentant un caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

Présente un caractère sérieux la question de la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis, du II de l'art. 1737 du CGI, applicable au litige et non déjà déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, en ce qu'il porte atteinte au principe de proportionnalité des peines résultant de l'art. 8 de la Déclaration de 1789.

(14 avril 2023, Société Angellini Filliat, n° 470761)

 

169 - Création de salles de « shoot » - Art. 83 de la loi du 23 décembre 2021 - Atteintes au principe d’égalité, au droit à la sauvegarde de la dignité humaine, à la protection de la santé, à la participation aux décisions à effets environnementaux, à la sécurité… - Refus de transmission de la QPC.

Les requérants, diverses associations et des particuliers, dans le cadre d’une demande d’annulation de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 26 janvier 2022 portant approbation du cahier des charges national relatif aux haltes « soins addictions », autrement dit « salles de shoot », soulève une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre  l'art. 43 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dans sa rédaction issue de l'art. 83 de la loi n° 2021 1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

La demande de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel est rejetée en tous ses chefs.

L'art. 43 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, avait prévu la création à titre expérimental, pour une durée maximale de six ans à compter de la date d'ouverture du premier espace, de salles de consommation à moindre risque au sein des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogues, dans des locaux distincts de ceux habituellement utilisés dans le cadre de leurs autres missions. Ce texte autorisait les personnes majeures consommant des drogues souhaitant bénéficier de conseils en réduction de risques, à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer sans que le professionnel intervenant dans ces espaces puisse être poursuivi pour complicité d'usage illicite de stupéfiants et pour facilitation de l'usage illicite de stupéfiants. Enfin, les dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'autorisation par le département des établissements sociaux et médico-sociaux n’étaient pas applicables aux projets de mise en place des salles de consommation à moindre risque.

Cette expérimentation avait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, déc. n° 2015-727 DC, considérants 35 et suivants).

L’art. 83 de la loi du 23 décembre 2021, objet de la présente QPC, a étendu la durée de l’expérimentation, élargi les types de lieu d’installation de ces salles et décidé que ces lieux ne seraient plus seulement « un espace de réduction des risques par usage supervisé », mais également un espace « d'accès aux soins (…)  dans le respect d'un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé ».

En fixant un nouveau terme à la durée de l’expérimentation, il n’a pas été porté atteinte au principe d’égalité. De même est inopérant le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient, eu égard à ce nouveau terme, d'autres principes ou droits de valeur constitutionnelle, en particulier le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le droit à la protection de la santé, le droit de participation à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement, le « droit à la sécurité » et celui de vivre dans un environnement sain.

Pareillement, les requérants sont jugés n’être pas fondés à soutenir que les dispositions qu'ils contestent, par lesquelles le législateur a mis en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution, porteraient atteinte, au motif qu'elles permettraient la supervision de l'administration de stupéfiants sans être assorties de dispositifs permettant le traitement de l'addiction à ces substances, à cet objectif et au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. 

Enfin, les décisions relatives à l'ouverture d'une halte « soins addictions » ne constituent pas des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement, d’où il suit que les requérants ne peuvent utilement soutenir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elles-mêmes les droits et libertés résultant de cet article en s'abstenant de prévoir des modalités de participation du public avant toute désignation du centre devant accueillir une halte « soins addictions », en ne fixant aucun critère pour leur implantation ou en s'abstenant de préciser les mesures permettant aux usagers de drogue de traiter leur addiction. Ce dernier aspect était, évidemment, le plus important pour les requérants.

(14 avril 2023, Association Union parisienne et autres, n° 463428)

 

170 - Arrêté fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital - Interventions thérapeutiques sans nécessité médicale - Absence - Participation d’associations de patients participant au diagnostic et aux propositions thérapeutiques en ce cas - Refus - Principe d’égalité - Refus de transmettre une QPC.

Le Conseil d’État refuse de transmettre la QPC soulevée par l'association requérante à l’appui de sa demande d'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital (ou enfants intersexes) en application de l'art. L. 2131-6 du code de la santé publique.

La demande est rejetée d’abord car les dispositions de cet article n'ont ni pour objet, ni pour effet, contrairement à ce que soutient l'association requérante, de poser un principe d'intervention thérapeutique sur ces enfants ou d'autoriser des interventions qui ne répondraient pas à une nécessité médicale ; ensuite parce que les dispositions litigieuses, jointes à d’autres du même code et aux art. 16-1 et 16-3 du Code civil sont de nature à garantir le respect des principes d'inviolabilité et d'intégrité du corps humain et tendent ainsi à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, lequel n'implique pas que des associations de patients participent à la concertation des équipes pluridisciplinaires établissant le diagnostic et le cas échéant les propositions thérapeutiques prévue par l'article législatif en litige ; enfin parce que les enfants présentant des variations du développement génital sont dans une situation différente de ceux qui ne présentent pas de telles variations, le législateur a pu instituer une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

(14 avril 2023, Association Alter Corpus, n° 470546)

 

171 - Taxe d'apprentissage - Taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue - Défaut de paiement ou paiement tardif - Majoration de 100% du montant de l’insuffisance - QPC - Refus de transmission.

En l’espèce se posait la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK qu’une cour administrative d’appel a refusé de transmettre au Conseil d’État.

La transmission de la QPC est refusée.

La majoration de 100% des taxes susmentionnées pour défaut de paiement ou pour paiement tardif institue une sanction financière dont la nature est directement liée à celle de l'infraction et dont les montants, égaux aux insuffisances constatées, correspondent à la part inexécutée des obligations fiscales, elle ne méconnaît donc ni le principe d'individualisation des peines ni la présomption d'innocence.

Elle ne revêt pas un caractère manifestement disproportionné quand bien même le manquement constaté ne serait pas intentionnel.

Il n’est pas impossible que la Cour EDH, éventuellement saisie, soit d’un avis contraire.

(18 avril 2023, Société Regus Business Centers, n° 464508)

(172) V. aussi, identique : 18 avril 2023, Société Atéac, n° 464512.

 

173 - Tenue des audiences devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Absence de procès-verbal ou d’enregistrement des audiences - Incompétence négative - Atteinte au droit à recours effectif - Nature administrative de cette juridiction - Refus de transmettre une QPC.

La demanderesse soulevait une QPC tirée de ce qu'en ne prévoyant pas l'établissement d'un procès-verbal ou l'enregistrement de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, sauf lorsque cette audience se tient dans les conditions prévues à l'art. L. 532-13 du même code (audience par communication audiovisuelle), ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative et privent de garanties légales le droit au recours effectif.

La demande de transmission de cette QPC est rejetée motif pris de ce qu’une telle exigence est relative à la procédure contentieuse administrative et ne met pas en cause par elle-même l'exercice, par les justiciables devant cette Cour, de leur droit d'agir en justice et d'exercer un recours effectif. 

(21 avril 2023, Mme B., n° 468444)

 

174 - Articles L. 712-1 et L. 712-2 du code de l’énergie - Classement en réseau de chaleur et de froid - Atteintes alléguées à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle, au principe d'égalité devant la loi et au principe de libre administration des collectivités territoriales - Refus de transmission d’une QPC.

L’association demanderesse a soulevé une QPC dirigée contre les articles L. 712-1 et L. 712-2 du code de l’énergie issus de la loi 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, à l’appui d’un recours en annulation du décret du 26 avril 2022 et de l'arrêté de la ministre de la transition écologique du 26 avril 2022 relatifs au classement des réseaux de chaleur et de froid, qui constituent un service public à caractère industriel et commercial par détermination légale.

La transmission est refusée car, contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions ne portant pas, au regard de l'objectif qu'elles poursuivent, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle.

Pas davantage ne portent-elles atteinte au principe d'égalité (art. 6, Déclaration de 1789) car les exploitants de ces réseaux de distribution de chaleur et de froid, qui sont alimentés en moyenne à plus de 50 % par des énergies renouvelables ou de récupération, ne sont pas placés dans la même situation que les exploitants des réseaux de distribution de gaz ou les fournisseurs de systèmes de chauffage individuel au gaz qui sont très majoritairement alimentés par du gaz fossile, le biométhane ne représentant que 1,6 % du gaz méthane consommé en France.

Enfin, il n’est pas non plus porté atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales celles-ci n’étant pas privées par ces dispositions de la compétence de gestion du service public local de distribution public de gaz qu'elles tiennent de l'art. L. 2224-31 du CGCT.

(26 avril 2023, Association Coénove, n° 465266)

 

175 - Interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et lutte contre le gaspillage - Économie circulaire - Art. 80, loi du 10 février 2020 - Transmission d’une QPC.

Le moyen selon lequel l’art. 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire méconnaîtrait le principe d'égalité et la liberté d'entreprendre garantis par les art. 4 et 6 de la Déclaration de 1789, le principe de légalité des délits et des peines garantis par l'art. 8 de la même déclaration, l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi, et qu'elles sont entachées d'incompétence négative en ce qu’il met fin au plus tard le 1er janvier 2022, à l'apposition d'étiquettes directement sur les fruits ou légumes, à l'exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées est jugé soulever une question de caractère sérieux  justifiant une transmission de la QPC.

(26 avril 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 466929)

 

176 - Compétence d’une cour d’appel spécialement désignée à cet effet pour connaître des recours contre les décisions individuelles prises par le Conseil national des barreaux (CNB) - Absence d’atteinte à la compétence du juge administratif en matière d’exercice de prérogatives de puissance publique - Refus de transmettre une QPC.

Un élève-avocat inscrit à une école d’avocats a sollicité, en vain, l’octroi d’une bourse sur critères sociaux. Au soutien de son recours en annulation de ce refus opposé par le Conseil national des barreaux, il soulève une QPC tirée de ce que l’art. L. 311-4, 2°, du code de l’organisation judiciaire, en ce qu’il confie à une  cour d’appel à ce désignée la compétence pour connaître des recours contre les décisions individuelles prises par le Conseil national des barreaux, méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par les lois de la république selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la république ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle. 

La transmission est évidemment refusée dès lors que le CNB, personne morale de droit privé, n’exerce aucune prérogative de puissance publique lorsqu’il statue sur les questions de la nature de celle en litige, lesquelles ne sauraient relever de la compétence du juge administratif.

(26 avril 2023, M. B., n° 471403)

 

Responsabilité

 

177 - Avis de droit - Responsabilité hospitalière – Préjudice résultant d’une vaccination anti-amarile – Fondement de l’indemnisation – Application du II de l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique.

Dans le cadre d’une action en recherche de responsabilité éventuelle de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) suite aux préjudices résultant pour le demandeur d’une vaccination contre la fièvre jaune (vaccin anti-amarile), était posée la question suivante au Conseil d’État : une affection iatrogène directement imputable à une vaccination qui ne relève pas des art. L. 3111-9 et L. 3131-1 du code de la santé publique peut-elle faire l'objet d'une indemnisation sur le fondement du II de l'art. L. 1142-1 du code de la santé publique par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale lorsque les conditions posées par cet article sont remplies ?

L’art. L. 3111-9 du CSP concerne le régime de réparation des préjudices consécutifs à une vaccination obligatoire, ce que n’est pas le vaccin anti-amarile, tandis que l’art. L. 3131-1 du CSP concerne la réparation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en certaines circonstances :  campagnes de vaccinations dans le cadre de mesures d'urgence en cas de menace sanitaire grave ou lorsqu'il est fait appel à la réserve sanitaire pour renforcer l'offre de soins sur le territoire d'une région ou d'une zone de défense et de sécurité en cas de situation sanitaire exceptionnelle. Cette hypothèse ne concerne pas, non plus, la vaccination contre la fièvre jaune.

Le Conseil d’État répond qu’en ce cas les conséquences dommageables qui ont résulté d’une telle vaccination peuvent être réparées sur le fondement du II de l'art. L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors, d’une part, que les conditions posées par cet article sont remplies et, d’autre part, l’on se trouve dans l’un des trois cas suivants : 1° lorsque la responsabilité du service public hospitalier ne peut pas être recherchée pour faute ou 2°, sans faute, au titre des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits qu'il utilise, ou 3° que la responsabilité du producteur ou du fournisseur du vaccin ne peut être recherchée au titre des produits défectueux devant le juge judiciaire,. 

Il faut regretter l’emploi du verbe « pouvoir » ici car il est équivoque : cette solution est-elle pour le juge une obligation (et en ce cas le verbe « devoir » s’imposait) ou une faculté (et en ce cas quelles sont les autres possibilités offertes au juge ?).

(12 avril 2023, M. A., n° 469086)

 

178 - Responsabilité du fait des lois – Régime - Responsabilité sans faute – Conséquences – Annulation.

Dans un litige né de la suppression de l’impôt sur les spectacles par l'art. 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, une commune recherche la réparation du préjudice subi de ce fait et met donc en jeu la responsabilité de l’État du fait des lois.

Les conditions d’engagement de cette responsabilité font difficulté. Si deux d’entre elles sont sans équivoque, existence d’un préjudice grave et spécial et absence d’exclusion par la loi de toute réparation, une incertitude demeure sur une troisième condition.

Faut-il que la loi ait prévu la réparation ou cette réparation est-elle possible même dans le silence de la loi ? En bref, comment faire en cas de silence de la loi sur la possibilité de réparer ? La question se pose, en premier lieu, d’autant plus qu’elle concerne une situation très fréquente car le parlement ne songe jamais que puisse être dommageable l’expression de la volonté générale. A ce point de vue, Rousseau et ses sophismes ne sont pas morts… De plus, imaginer la prévision de dommages législatifs supposerait chez nos hommes politiques une humilité et une hauteur de vues assez peu communes dans ce milieu…

La question, en second lieu, est également importante parce que la jurisprudence a fluctué. Le silence de la loi sur la possibilité de réparer a d’abord été interprété comme excluant la réparation. Puis, cette solution bien peu logique a été clairement abandonnée avant que le Conseil d’État, à l’époque récente, ne la remette en selle. A nouveau, il est ensuite retourné à l’orthodoxie jurisprudentielle et cette décision le confirme.

En l’espèce, l’arrêt de la cour est annulé pour avoir fondé la solution retenue sur ce que le législateur était demeuré silencieux.

(04 avril 2023, Commune de Décines-Charpieu, n° 466854)

 

179 - Gens du voyage - Intervention ophtalmologique - Indemnisation - Rejet concernant les frais d’aménagement du logement et la perte du mode de vie itinérant - Annulation.

Opérée pour un décollement rétinien la demanderesse demande réparation des divers préjudices subis du fait de cette intervention qui a entraîné la perte définitive de la vision de l'œil droit et l’apparition, de ce fait, d'un strabisme avec déviation externe de l'œil droit et d'une réduction de la fente palpébrale droite.

Elle s’est pourvue en cassation contre un arrêt de cour administrative d’appel et son pourvoi n’a été admis qu’en ce qui concerne la détermination du préjudice lié aux frais d'aménagement du logement et du « préjudice identitaire ». Elle obtient gain de cause sur ces deux points.

D’abord, alors que Mme D., qui se présentait comme appartenant, à la communauté des gens du voyage, se plaignait d'avoir été contrainte de renoncer à son mode de vie antérieur, la cour, commettant ainsi une erreur de droit, s’est fondée, pour rejeter la demande présentée au titre des frais d'aménagement du logement, sur la seule circonstance que la perte de vision d'un œil n'interdit pas nécessairement, sous certaines conditions, la conduite d'un camping-car ou d'une caravane de moins de 3,5 tonnes, alors qu’elle devait rechercher si le logement dans un tel véhicule était de nature, eu égard tant à ses caractéristiques qu'à la composition du foyer, à répondre aux besoins de l'intéressée.

Ensuite, en jugeant que la perte pour la victime de la possibilité de conserver le mode de vie itinérant en caravane qui était le sien n'était pas de nature à ouvrir droit à indemnisation, alors que le fait de devoir renoncer à son mode de vie spécifique, le déracinement qui en découle et ses incidences sur les conditions de vie matérielles et morales de l'intéressé est par lui-même constitutif d'un préjudice qui doit être réparé, la cour administrative a commis une seconde erreur de droit.

(07 avril 2023, Mme D. et ses enfants mineurs, n° 452931)

 

180 - Ordre des chirurgiens-dentistes - Responsabilité pour illégalités fautives liées à la teneur de courriers - Courriers ne contenant pas de décisions faisant grief - Erreur de droit - Fonctionnement défectueux du service public de la justice - Responsabilité de l’État - Même solution pour la justice ordinale et pour une demande indemnitaire émanée de tiers - Annulations et rejet.

Le litige portait sur des réclamations indemnitaires dirigées contre le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes à raison d’illégalités fautives qu’auraient contenu un courrier et un courriel de ce Conseil.

Tout d’abord, la cour administrative d’appel ayant confirmé le rejet de cette action à fins indemnitaires par le tribunal administratif au motif qu’elle était irrecevable car dirigée contre les contenus d’un courriel et d’un courrier qui, en réalité, ne comportaient aucune décision faisant grief, le Conseil d’État est à la cassation. Ce qui se comprend fort bien car il n’était point nécessaire pour les demanderesses de former un recours pour excès de pouvoir en vue d’exercer leur action indemnitaire puisque le juge du plein contentieux peut, par lui-même, relever l’illégalité d’un acte, son caractère fautif et ses effets dommageables. La cour a commis une erreur de droit en subordonnant la recevabilité d’un recours de plein contentieux à la formation d’un recours pour excès de pouvoir alors qu’une action indemnitaire peut être exercée à l’encontre d’illégalités fautives contenues dans une simple recommandation (Section, 31 mars 2003, Société anonyme Laboratoires pharmaceutiques Bergadem, n° 188833) ou une mesure d’ordre intérieur (Section, 9 juin 1978, Spire, n° 8397).

Ensuite, réitérant une décision de principe (Section, 27 février 2004, Mme Popin, n° 217257), le juge rappelle que « la décision par laquelle une autorité ordinale décide de traduire un praticien devant l'instance disciplinaire compétente n'est pas détachable de la procédure juridictionnelle ainsi engagée », par suite, « les conclusions à fin de dommages et intérêts, y compris si elles sont présentées par des tiers, à raison de l'illégalité fautive reprochée aux poursuites disciplinaires à l'origine de cette procédure doivent être regardées comme tendant à la réparation d'un dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. » Or la justice étant rendue de façon indivisible au nom de l'État, il n'appartient qu'à celui-ci de répondre, à l'égard des justiciables, des dommages pouvant résulter pour eux de l'exercice de la fonction juridictionnelle assurée, sous le contrôle du Conseil d'État, par les juridictions administratives.

La requête est cependant rejetée au fond.

(28 avril 2023, Mme B. et société de Keating, n° 451211)

 

181 - Vaccination obligatoire contre l’hépatite B - Infirmière - Apparition d’un syndrome de myofasciite à macrophages - Indemnisation refusée en l’absence d’établissement d’un lien de causalité - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La requérante, infirmière de son état, a été vaccinée contre l’hépatite B, vaccination obligatoire à raison de sa profession, et a réclamé réparation du préjudice résultant pour elle de l'apparition d'un syndrome de myofasciite à macrophages qu’elle impute à cette vaccination.

La cour administrative d’appel a rejeté la demande d’indemnisation au motif qu’il résulte des travaux scientifiques sur les liens possible entre cette vaccination contenant des adjuvants aluminiques et le développement de différents symptômes constitués de lésions histologiques de myofasciite à macrophages, de fatigue chronique, de douleurs articulaires et musculaires et de troubles cognitifs, qu'aucun lien de causalité n'était scientifiquement établi à la date de son arrêt.

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit car la cour, saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, ne pouvait pas écarter toute responsabilité de la puissance publique en recherchant si le lien de causalité entre l'administration d'adjuvants aluminiques et les différents symptômes attribués à la myofasciite à macrophages était ou non établi. Il lui incombait de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, qu'il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe.

Et le juge de cassation de délivrer aux juridictions un véritable mode d’emploi ainsi conçu : « Il appartenait ensuite à la cour, après avoir procédé à la recherche mentionnée au point précédent, soit, s'il en était ressorti, en l'état des connaissances scientifiques en débat devant elle, qu'il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter l'appel de Mme A., soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressée et les symptômes qu'elle avait ressentis que si ceux-ci étaient apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations ».

(25 avril 2023, Mme A., n° 443248)

 

182 - Personne atteinte d’une malformation de naissance - Intervention chirurgicale - Séquelles - Réparation - Indemnisation de la perte de gains professionnels - Refus de réparer cette perte - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Mme B., atteinte d’une malformation de naissance du membre inférieur droit, a subi de ce fait deux interventions chirurgicales à l'issue desquelles elle conserve des séquelles. Elle demande l'annulation de l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel a réduit le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) par un jugement du tribunal administratif. Le Conseil d'État a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de Mme B. dirigées contre cet arrêt en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des pertes de gains professionnels qu'elle a subis du fait de sa prise en charge.

La cour avait fondé son refus d’indemniser le préjudice de perte de gains professionnels dont la réparation était demandée par Mme B., sur le fait que ce préjudice n’était pas établi dès lors que ses capacités professionnelles et ses diplômes lui permettent d'exercer des professions sédentaires de bureau de haut niveau pour lesquelles la disgrâce physique dont elle se plaint ne constitue pas un handicap.

Le Conseil d’État annule l’arrêt sur ce point pour dénaturation des pièces du dossier puisqu’il résulte de ces dernières que la demanderesse établissait de manière circonstanciée, d'une part, notamment au moyen de plusieurs certificats médicaux, qu'elle éprouvait une fatigabilité accrue qui ne lui permettait plus d'exercer que des activités à temps partiel moins qualifiées par rapport à son occupation professionnelle antérieure, ainsi que des difficultés de concentration engendrées par la prise régulière d'antalgiques et d'autre part, qu'elle avait dû effectuer plusieurs séjours dans des établissements spécialisés pour soigner les répercussions psychologiques importantes de son handicap qui avaient rendu difficile sa recherche d'emploi.

(27 avril 2023, Mme B., n° 449642)

 

183 - Naissance prématurée d’une enfant - Alimentation au lait artificiel - Retard à vérifier l’état du lait maternel - Enfant handicapée à 80% avec séquelles neurologiques graves - Annulation.

Une enfant née prématurément le 16 mai 2009 à trente-et-une semaines d'aménorrhée a été hospitalisée en néonatologie, placée sous antibiothérapie probabiliste en raison du caractère inexpliqué de sa prématurité et de la Ranitidine lui a été administrée du 17 au 29 mai. Le 1er juin 2009, l'enfant, en état de choc sévère, a été transférée en réanimation et placée sous ventilation mécanique, en raison d'une entérocolite ulcéro-nécrosante de grade IV. L'enfant, handicapée à 80 %, reste atteinte de séquelle neurologiques graves. Ses parents se pourvoient en cassation de l'arrêt de rejet confirmatif rendu par la cour administrative.

L’arrêt est annulé par suite d’une série de critiques adressées par le Conseil d’État.

La cour a insuffisamment motivé son arrêt en jugeant que le délai de treize jours mis pour tester l’absence de cytomégalovirus dans le lait maternel s'expliquait par l'absence, non-fautive, de lactarium au sein du CHU de Pointe-à-Pitre, alors que les requérants soutenaient que le centre hospitalier avait commis une faute en attendant treize jours après la naissance de l'enfant, qui souffrait de troubles digestifs importants, pour faire procéder à l'analyse du lait maternel, et qu'il ressortait des deux rapports d'expertise que le lait maternel a un effet protecteur supérieur contre l'entérocolite.

La cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que la prescription de Ranitidine ne constituait pas une faute susceptible d'engager la responsabilité du CHU de Pointe-à-Pitre, au motif que la nocivité de ce médicament était mal connue à l'époque des faits, sans tenir compte par ailleurs de l'absence d'indication à cette prescription au moment des faits alors qu’il résultait du second rapport d'expertise que l'administration de Ranitidine n'était en tout état de cause pas indiquée, même au regard des connaissances de l'époque, la seule présence de sang rouge dans les résidus gastriques et les selles dans les deux jours suivants la naissance, après un accouchement hémorragique, justifiant une analyse de l'hémoglobine et non la prescription de ce médicament. 

La cour a commis une première erreur de droit en retenant qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'entérocolite ulcéro-nécrosante dont a été victime le nourrisson puisse être regardée comme directement imputable à la prescription de Ranitidine, alors qu'il ressortait de la seconde expertise médicale que le recours à ce médicament est un facteur favorisant de l'entérocolite et de l'émergence d'un germe pathogène type colibacille et que la mortalité est six fois supérieure chez les nouveau-nés prématurés exposés à la Ranitidine. 

La cour a commis une seconde erreur de droit en écartant toute indemnisation par la solidarité nationale au titre de la perte de chance de se soustraire au dommage alors qu’elle avait retenu l'absence de faute du centre hospitalier dans la prescription de Ranitidine et constaté que l'administration au nouveau-né de ce médicament avait sensiblement majoré le risque pour celui-ci de développer une entérocolite ulcéro-nécrosante.

(27 avril 2023, M. D. et Mme C., n° 460136)

 

Service public

 

184 - Enseignement supérieur – Diplôme de capacité en droit – Autonomie des établissements de délivrance – Normes nouvelles sans caractère rétroactif – Organisation des et durée des études – Rejet.

Les recours demandaient l’annulation de l'arrêté interministériel du 25 septembre 2021 relatif au certificat de capacité en droit. Ils sont rejetés.

Le Conseil d’État estime que le principe d’autonomie des établissements leur permet, pour délivrer un diplôme national, de définir des modalités de formation différentes alors même que le caractère national du diplôme a pour objet et pour effet de conférer les mêmes droits à tous ses titulaires, quel que soit l'établissement accrédité qui l'a délivré.

Il juge ensuite que le texte n’a pas une portée rétroactive car il ne porte pas atteinte à des situations déjà constituées et ne dispose que pour l’avenir et qu’il n’est pas démontré que, d’une durée d’un ou de deux ans selon le choix de l’établissement, il n’était pas possible de mettre en place la nouvelle version de ce diplôme dès l’année universitaire 2021-2022.

Enfin, la nouvelle maquette, dans le contenu des enseignements, le nombre d’heures d’enseignement, le choix d’un cursus en un ou deux ans, l’organisation de projets individuels ou collectifs, les enseignements complémentaires, etc., n’est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'objet de la capacité en droit, qui est d'assurer une formation correspondant aux besoins des milieux professionnels tout en permettant à des étudiants d'accéder à des études supérieures.

Voilà une motivation bien trop  légère et laxiste pour le détricotage d’un diplôme national qui est loin d’avoir démérité.

(04 avril 2023, Syndicat Force ouvrière de l'enseignement supérieur et de la recherche (FO ESR), n° 458802 ; Association Cap-Assas, Mme D. et M. A., n°458884, jonction)

 

185 - Enseignement supérieur – Chaires de professeur junior – Principe d’égal accès aux emplois publics – Recours au contrat – Principe d’indépendance des enseignants chercheurs – Existence d’un agent référent – Engagement de servir – Rejet.

L’art. L. 952-6-2 du code de l’éducation, issu de l’art. 4 de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur, crée les professeurs juniors, agents contractuels de droit public. Ceci est un élément de plus dans le processus de démantèlement (systématique ?) du statut des professeurs d’université.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1710 du 17 décembre 2021 relatif au contrat de chaire de professeur junior prévu par l'art. L. 952-6-2 précité et par l'art. L. 422-3 du code de la recherche, ainsi que l'ensemble des actes règlementaires pris en application de ce décret, dont l'arrêté du 17 décembre 2021 de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation fixant le nombre de contrats de chaires de professeurs juniors susceptibles d'être pourvus pour l'année 2021 et le montant du financement par l'Agence nationale de la recherche.

Le recours est rejeté en tous ses griefs.

Un établissement public d'enseignement supérieur ou de recherche peut créer un contrat de chaire de professeur junior en cas d'existence d'un besoin spécifique lié à sa stratégie scientifique ou à son attractivité internationale, dans des domaines de recherche pour lesquels il justifie de cette nécessité. Pour bénéficier de cette voie de recrutement, l'établissement doit justifier de ses besoins en fonction des projets nécessaires à la mise en œuvre de sa stratégie scientifique, prévue notamment dans son contrat d'établissement, ou au renforcement de son attractivité internationale.

Ce contrat ne porte ainsi pas atteinte au principe d'égal accès aux emplois publics contrairement à ce que soutiennent les organisations requérantes, lesquelles ne pas davantage fondées à critiquer la pertinence du recours à ce type de contrat pour pourvoir des emplois permanents car cette possibilité a été instituée par le législateur.

En deuxième lieu, l'établissement, pour pourvoir une chaire de professeur junior, doit conclure avec la personne recrutée un contrat qui a pour objet de lui permettre d'acquérir une qualification en rapport avec les missions du corps dans lequel elle a vocation à être titularisée et stipule les engagements des parties concernant les objectifs à atteindre par le professeur junior ainsi que les moyens qui lui sont apportés par son employeur pour l'exercice de ses fonctions. Si ce contrat doit définir notamment l'intitulé précis du projet de recherche et d'enseignement retenu qui fait l'objet d'une convention de recherche et d'enseignement annexée au contrat, les moyens garantis par l'autorité de recrutement pour la réalisation de ce projet de recherche et d'enseignement ainsi que les obligations de service d'enseignement et les objectifs à atteindre en matière de recherche, il ne porte pour autant pas atteinte au principe d'indépendance des enseignants-chercheurs et à leurs libertés académiques.

En troisième lieu, le pouvoir règlementaire pouvait légalement confier à un référent scientifique, désigné parmi les membres du corps dans lequel le bénéficiaire du contrat a vocation à être titularisé, assisté de deux enseignants-chercheurs ou chercheurs de rang égal à celui de l'emploi susceptible d'être occupé après titularisation, la responsabilité de suivre le déroulement du contrat et d'apporter son soutien à l'agent dans la réalisation du parcours devant le conduire à la titularisation. De plus, en chargeant ce référent scientifique d'établir un document de suivi du parcours de titularisation au plus tard trois mois avant le terme du contrat, transmis à l'intéressé qui peut y apporter ses observations dans un délai de quinze jours, et de produire un avis sur l'aptitude de l'agent, également communiqué à ce dernier pour observations, le pouvoir règlementaire n'a ni méconnu les dispositions législatives dont le décret attaqué fait application,ni porté atteinte au principe d'indépendance des enseignants-chercheurs et au principe d'égal accès aux emplois publics. 

En quatrième lieu, en rendant applicables au contrat de chaire de professeur junior les dispositions du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État, en cas de licenciement du professeur junior pour manquement à ses obligations contractuelles, pour faute disciplinaire ou pour insuffisance professionnelle après la période d'essai et compte tenu des garanties entourant la procédure conduisant à cette mesure, le décret contient des procédures strictement équivalentes à celles prévues en matière de licenciement des enseignants-chercheurs titulaires. L’allégation de méconnaissance du principe d'indépendance des enseignants-chercheurs doit être écartée.

Tout ceci est encore un bel exemple d’usine à gaz qui n’a pour seul effet que d’accroître encore davantage les pouvoirs des présidents d’université - mais non leur responsabilité personnelle - sans guère de profit ni pour la recherche ni pour les étudiants ni pour les établissements.

(04 avril 2023, Union fédérale des syndicats de l'État CGT, Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture CGT et Fédération syndicale unitaire, n° 461603)

 

186 - Organisation judiciaire - Désignation de tribunaux judiciaires à compétence départementale - Juridictions à compétences techniques - Contentieux résiduel - Absence d’ambiguïté et de complexité dans la désignation des juridictions - Rejet.

La requérante demandait l’annulation du décret du 20 août 2021 désignant les tribunaux judiciaires à compétence départementale en application de l'art. L. 211-9-3 du code de l'organisation judiciaire et celui du 27 décembre 2021 modifiant la liste de ces tribunaux.

Les requêtes sont rejetées car les matières retenues pour fixer la spécialisation des tribunaux judiciaires revêtent un caractère technique certain et leur volume est résiduel. L’attribution de cette spécialisation à certains tribunaux, contrairement à ce qui est soutenu, n’est pas empreinte de complexité et de formalisme excessifs (cf. art. R. 211-4 code de l’organisation judiciaire).

Par ailleurs, si les dispositions critiquées conduisent à la désignation, selon les cas, d'un ou deux tribunaux judiciaires spécialisés par département et pour des matières qui ne sont pas toujours identiques, les juridictions ainsi désignées sont clairement identifiées et leur compétence matérielle, s'agissant des matières identifiées par l'art. R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire, est définie sans ambiguïté, sans qu'il en découle de difficultés particulières d'accès à la justice pour les citoyens. Cette dernière affirmation est très discutable.

Enfin, la désignation des tribunaux judiciaires à compétence départementale ainsi que la définition du champ matériel de leur spécialisation ont été arrêtées au vu des propositions formulées par les premiers présidents de certaines cours d'appel et procureurs généraux près ces cours, conformément aux dispositions du II de l'art. L. 211-9-3 du code de l'organisation judiciaire, en prenant en compte les spécificités territoriales propres à chaque ressort. Au surplus, les décrets attaqués, s'agissant d'actes réglementaires, n’avaient pas à être motivés.

(19 avril 2023, Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, n° 457674 et n° 461941)

 

187 - Services pénitentiaires – Conditions d’incarcération – Demande de transfert d’une détenue à raison de son état de santé – Défaut d’atteinte grave à une liberté fondamentale – Rejet.

La requérante, détenue qui a demandé son transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire à raison de son état de santé, sa pathologie lui imposant d’être équipée de poches de colostomie et d'urostomie qui nécessitent des soins quotidiens, voit sa requête rejetée par le juge du référé liberté.

Celui-ci considère tout d’abord qu’il ne résulte pas de l’instruction, à  la date à laquelle il statue,  que l’état de santé de la requérante serait incompatible avec un régime de détention en maison d'arrêt et que cet état nécessiterait une hospitalisation. 

Il retient ensuite qu’elle a été incarcérée au quartier de semi-liberté des femmes de la maison d'arrêt, dans une cellule équipée d'une douche en accès libre qui, conformément au certificat de la médecin chargée de l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire de cette maison d'arrêt, permet à l'intéressée d'assurer son hygiène quotidienne. Il résulte, d'autre part, de l'instruction qu'une infirmière de cette unité, présente au sein de l'établissement pénitentiaire chaque jour entre 8 heures et 17h30, jours fériés compris, est en situation de pouvoir l'assister à sa demande, notamment au moment de ses soins quotidiens. 

Enfin, il n’y a pas lieu pour le juge du référé de l’art. L. 521-2 CJA d’ordonner un transfèrement administratif dans un établissement pénitentiaire mieux approprié d’autant, d’une part, que la demande formée par la requérante en ce sens auprès de la juge d'application des peines du tribunal judiciaire, au titre de l'art. 803-8 du code de procédure pénale, a été rejetée comme non fondée par une ordonnance du 9 mars 2023 frappée d'appel, et, d'autre part, que le dossier administratif d'orientation et de transfert est actuellement en phase finale d'étude auprès de l'administration centrale : ainsi n’est apporté aucun élément attestant d'un besoin supérieur d'assistance médicale à très bref délai.

(ord. réf. 20 avril 2023, Mme A., n° 472455)

 

Sport

 

188 - Police de l’ordre public – Interdiction de déplacement de supporteurs d’un club de football – Préservation et conciliation de l’ordre public et des libertés fondamentales – Rejet dans les circonstances de l’espèce.

Les requérantes demandaient que soit suspendue l’exécution d’un arrêté préfectoral publié le 18 avril 2023,  interdisant à toute personne se prévalant de la qualité de supporteur du FC Bâle ou se comportant comme tel, d'une part, de circuler ou stationner sur la voie publique au sein d'un périmètre délimité par l'art. 1er, du mercredi 19 avril 2023 à 10 heures au vendredi 21 avril suivant à 20 heures, et, d'autre part, d'accéder au stade dans un secteur délimité à l'article 2 le jeudi 20 avril 2023 entre 18 heures et minuit - et d’un arrêté ministériel publié le 19 avril  2023 interdisant à toute personne se prévalant de la qualité de supporteur du FC Bâle ou se comportant comme tel de se déplacer, individuellement ou collectivement, entre les points frontières français et la commune de Nice, ce jeudi 20 avril 2023, jour du match, à partir de 0 heure. Ces mesures ont été prises à l’occasion des quarts de finale de la compétition Ligue Europa Conférence de la saison 2022-2023 organisée le jeudi 20 avril 2023 à 21 heures au stade Allianz Riviera de Nice, s’agissant du match retour entre les clubs de football de l'Olympique Gymnaste Club de Nice (OGC Nice) et du Fussball-Club Basel 1893 (FC Bâle).

Si le juge rejette les recours c’est au prix d’un certain embarras.

D’abord, est relevée la triple circonstance, avancée par les requérantes, qu'il n'existe ni animosité particulière entre les supporteurs des deux clubs en cause, ni rivalité historique entre ces clubs, lesquels ne s'étaient jamais rencontrés en compétition officielle avant le match aller du 13 avril 2023, et, d'autre part, qu'aucun incident grave n'a été déploré en marge de ce dernier match, seules quelques bagarres entre de petits groupes isolés de supporteurs ayant été recensées grâce à des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Enfin, si l'arrêté ministériel litigieux fait état, outre de faits anciens et peu pertinents relatifs à des matchs du FC Bâle de 2014 et 2015, d'une « idéologie politique opposée » entre les supporteurs bâlois, qui se revendiqueraient de l'extrême gauche, et niçois, qui appartiendraient à l'ultra-droite, cette assertion, contestée par les requérantes, n'est assortie d'aucune précision et n'est pas sérieusement étayée par les pièces du dossier soumis au juge des référés. 

Ensuite, le juge constate avec sévérité que « la publication exceptionnellement tardive de ces arrêtés, en décalage avec le dispositif prévu dans le cadre de la concertation organisée depuis deux semaines entre les parties prenantes et alors qu'aucune circonstance de fait déterminante n'est intervenue depuis la seconde réunion de préparation, le 14 avril 2023, apparaît extrêmement regrettable, les supporteurs helvétiques ayant déjà pris leurs dispositions pour se rendre à Nice ».

Toutefois, les demandes sont finalement rejetées en raison du cumul :

- de l’existence d’un certain nombre de supporteurs radicaux du FC Bâle,

- de débordements violents en 2019 et 2022 imputables à la présence de nombreux supporteurs radicaux de l'OGC Nice et occasionnant des blessés à l’occasion de plusieurs rencontres organisées à l'Allianz Arena de Nice,

- de l’information des renseignements généraux sur l’organisation d’un projet d’affrontements physiques en prévision du match aller du 13 avril, projet finalement abandonné,

de l’importance de l’enjeu constitué, pour les deux équipes, s’agissant d’une qualification en demi-finale de cette compétition européenne et de l'indécision particulière qui résulte du match nul enregistré au match aller, justifiant le classement du match retour au quatrième niveau, sur cinq, dans l'échelle des confrontations sportives à risque par la direction nationale de lutte contre le hooliganisme de la police nationale, enfin de la très forte sollicitation au même moment des forces de l’ordre dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites,

- de ce que les supporteurs du FC Bâle conservent en tout état de cause la possibilité de venir à Nice pour assister à la rencontre sportive, sous réserve de ne pas se prévaloir de cette qualité ni de se comporter comme tels.

Enfin, et la chose est très rare, le juge, au soutien de son argumentation de rejet, indique que la tardiveté de publication des arrêtés querellés peut être à l'origine de préjudices, notamment matériels, qui sont susceptibles d'être réparés dans le cadre d'une action en responsabilité contre l'État, si ces mesures étaient regardées comme illégales ou excédant les sujétions pouvant peser normalement sur ces personnes.

Il faut souligner l’excellente réactivité du juge des référés qui, saisi le 19 avril et un mémoire en réplique ayant été encore déposé le 20 avril, a pu statuer dans cette même journée du 20 tout en organisant une procédure orale complète et pleinement contradictoire suivie d’une ordonnance richement motivée.

(ord. réf. 20 avril 2023, Association nationale des supporters (ANS), n° 473418 ; Association Football supporters Europe (FSE), n°473419 ; Société FC Basel 1893, n° 473421 ; Associations FCB Fanclub Orgesiss et autres, n°473425, jonction)

 

Travaux publics et expropriation

 

189 - Déclaration d’utilité publique - Création d’une ligne de métro automatique de grande capacité - Opération entrant dans le projet du Grand Paris - Rejet.

Les demandes tendaient à l’annulation du décret n° 2022-457 du 30 mars 2022 modifiant le décret du 21 novembre 2016 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation du tronçon de métro automatique du réseau de transport public du Grand Paris reliant les gares de Pont-de-Sèvres et de Saint-Denis Pleyel, gares non incluses (tronçon inclus dans la ligne dite " rouge " et correspondant à la ligne 15 Ouest), dans les départements des Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis et emportant mise en compatibilité des documents d'urbanisme de diverses communes de Bois-Colombes, Courbevoie, Gennevilliers, Nanterre, Rueil-Malmaison, Saint-Cloud et d’un établissement public territorial.

Le recours portait donc, par suite de modifications apportées au projet initial, contre le décret modificatif d’un précédent admettant l’utilité publique du projet et contre la nouvelle déclaration d’utilité publique.

Le Conseil d’État examine les nombreux moyens, de légalité externe comme de légalité interne, soulevés pour les rejeter entièrement.

Concernant la légalité externe, il est jugé que l’enquête publique, rendue à nouveau nécessaire en raison de modifications substantielles apportées au projet sans que celles-ci ne le transforment en un projet nouveau, elle ne souffre pas d’irrégularités.

Semblablement, l’appréciation sommaire des dépenses, sur laquelle le juge administratif ne se montre jamais très exigeant (litote), consiste à vérifier qu’elle est raisonnablement chiffrée au moment de l’enquête. Étant rappelé que ne peut être soulevée par voie d’exception l’illégalité qui aurait entachée, du fait de sa sous-estimation, l’appréciation sommaire des dépenses dans le cadre de l’enquête initiale. Le juge considère ici comme régulière cette appréciation en dépit de ce qu’aucune évaluation n’ait été faite ou présentée concernant la dépollution d’un site, le coût de l’expulsion de locataires ou de ce qu’auraient été sous-évaluées les dépenses d’acquisitions foncières.

L’étude d’impact ne souffre pas d’insuffisances car y figurent bien les mesures destinées à éviter, réduire ou compenser les impacts du projet ainsi que l'évaluation des incidences du projet sur le climat et sa vulnérabilité au changement climatique, lesquelles y sont suffisamment décrites, tout comme les interconnexions et le cumul de ses incidences avec les projets connexes concernant notamment le secteur de la gare de Nanterre - La Folie, le secteur de la gare de La Défense et le secteur de la gare de Bécon-les-Bruyères. De même, s'agissant du déport de l'emprise chantier de la gare de Bécon-les-Bruyères, l’étude comporte des développements suffisants concernant ses incidences sur le cadre de vie des habitants du « Village Delage » et le milieu naturel du site ainsi que sur les mesures d'évitement, de réduction ou de compensation destinées à réduire l'impact sonore des travaux, minimiser les nuisances des circulations et traiter les déblais du chantier.

Enfin, l’évaluation socio-économique a été suffisamment actualisée.

Concernant la légalité interne, deux questions sont abordées. D’abord, classiquement, se posait celle de l’utilité publique du projet. On ne sera guère surpris que le juge se refuse à apprécier la pertinence du choix fait plutôt que d’un autre moins invasif et moins cher et qu’il estime, au total, que le bilan coûts-avantages lié aux modifications apportées au projet est positif eu égard, en dépit d’un surcoût considérable, aux avantages supplémentaires qu’il contient. Ensuite, répondant à l’argumentation des requérantes, le juge considère que le décret modificatif n’est pas incompatible avec l'orientation d'aménagement et de programmation « Village Delage ». En effet, l’une des requérantes, la commune de Courbevoie, faisait valoir que ce décret est de nature à compromettre l'orientation d'aménagement et de programmation « Village Delage » qu’elle a retenue dans son plan local d'urbanisme. Le moyen est rejeté du fait que la surface de l'emprise chantier est limitée et que cette emprise revêt un caractère temporaire.

On demeure toujours étonné qu’existent des requérants pour croire en la possibilité d’une annulation contentieuse d’un projet de cette importance. C’est bien connu, Jean Rivero l’a excellemment rappelé : la jurisprudence, administrative comme constitutionnelle, « filtre le moustique et laisse passer le chameau ». Au fond, plus c’est gros et plus cela passe n’en déplaisent aux tenants du mythique « État de droit » car plus c’est gros plus une annulation, quel que soit son bien-fondé, constitue un acte politique par ses effets, chose qu’en démocratie on peut difficilement pardonner à un juge.

(17 avril 2023, Société Hublot Défense, n° 464389 ; Société Réseau de transport d’électricité (RTE), n° 464529 ; Sociétés Interconstruction et BNP Paribas Immobilier Promotion, n° 467840 ; Commune de Courbevoie, n° 467862)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

190 - Permis de construire – Implantation d’une construction en limite séparative –Interdiction en ce cas de porter atteinte aux conditions d’éclairement de l’immeuble voisin – Notion et degré d’atteinte – Exigence distincte de la perte d’ensoleillement – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit le jugement qui, en présence de la disposition d’un plan local d’urbanisme décidant que « l'implantation d'une construction en limite séparative peut être refusée si elle a pour effet de porter gravement atteinte aux conditions d'éclairement d'un immeuble voisin (... ) », estime que cette notion ne doit pas être confondue avec celle de perte d’ensoleillement et qu’il n’était pas porté une atteinte grave aux conditions d’éclairement en l’espèce où l’obscurcissement concernait des pièces à usage de salles de bain déjà seulement éclairées par des jours de souffrance.

(12 avril 2023, Syndicat des copropriétaires des 1-3 square Alice et 123 rue Didot et M. B., n° 451794)

 

191 - Permis d’aménager – Terrain d’assiette situé en zone agricole – Terrain également situé dans le prolongement d’une zone d’activités – Terrain pollué impropre à une activité agricole – Dénaturation des pièces – Annulation.

Une commune a délivré à la société Saint Christophe un permis d'aménager quatre lots à bâtir sur un terrain. Cette décision est annulée par le tribunal administratif ; le pétitionnaire se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État considère que le tribunal administratif ne commet pas d’erreur de droit en se fondant sur la continuité du secteur à vocation agricole dans lequel s'inscrirait la parcelle en cause et la cohérence de la zone agricole à laquelle son classement porterait atteinte, et dont une part importante est actuellement exploitée pour l'agriculture, sans rechercher si cette parcelle présente elle-même un caractère de terres agricoles.

En revanche, ce tribunal dénature les pièces du dossier qui lui est soumis en jugeant, malgré le large pouvoir d'appréciation dont disposaient les auteurs du plan local d'urbanisme, que le classement du terrain d'assiette du permis litigieux en zone constructible était entaché d'une erreur manifeste d’appréciation, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la parcelle en cause, qui n'a jamais été classée en zone agricole et dont le sol, pollué, est impropre à l'exercice d'une activité agricole, se situe dans la continuité, non seulement d'un secteur à vocation agricole, mais également d'une zone d'activités commerciales et en bordure d'une avenue très passante.

(12 avril 2023, Société Saint Christophe, n° 455306)

 

192 - Permis de construire – Arrêté constatant sa caducité – Obligation de notification de l’appel au pétitionnaire (art. R. 600-1 c. urb.) – Absence d’indication de l’accomplissement de cette formalité – Irrégularité – Annulation.

La société requérante a demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté par lequel le maire de Villiers-le-Bel a constaté la caducité du permis de construire qui lui avait été accordé pour la construction d'un ensemble immobilier et d'un parc de stationnement automobile. Le tribunal administratif a annulé cet arrêté car invitée à régulariser sa requête en produisant une copie du certificat de dépôt de la lettre recommandée adressée au titulaire du permis de construire en litige et informée qu'à défaut, sa requête serait rejetée comme irrecevable, la commune de Villiers-le-Bel n'a pas fourni les pièces justifiant de l'accomplissement de la notification de sa requête d'appel au titulaire du permis de construire, requise par les dispositions de l'article R. 600-1 du code l'urbanisme.

La commune a interjeté appel devant la cour administrative d’appel qui a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par la société Cystaim V3 devant le tribunal administratif.  

Cette société se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule l’arrêt en raison de l’irrégularité qui l’entache car la cour devait soulever d’office le moyen tiré de l’irrecevabilité, pour non-justification de la formalité de la notification, de l’appel que la commune a formé devant elle.

(12 avril 2023, Société Cystaim V3, n° 456141)

 

193 - Retrait d’une décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux (art. L. 424-5 c. urb.) – Caractère contradictoire de la procédure administrative non contentieuse (L. 121-1 et s. CRPA) – Non-respect de cette exigence – Erreur de droit – Annulation.

(13 avril 2023, Société Hera, n° 468416)

Voir n° 2

 

194 - Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Construction d’un ensemble commercial – Principe de la cristallisation des moyens – Application en cette matière – Rejet.

La requérante a demandé l’annulation d’un arrêté municipal qui a délivré à la société JPM Alimentation un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la construction d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 2 284 m².

Elle se pourvoit en cassation d’un arrêt qui a écarté comme irrecevable l'un des moyens qu'elle avait soulevé, en faisant application des dispositions de l'art. R. 600-5 du code de l'urbanisme relatif à la cristallisation des moyens. Elle soutenait que l’opposition de cette irrecevabilité n’était pas possible puisque le recours dont elle l'avait saisie ne tendait à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Le pourvoi est rejeté car, c’est l’apport principal de cette décision et un apport important, le Conseil d’État considère, pour la première fois semble-t-il sur le fondement de l’art. R. 600-5, que la cristallisation des moyens prévue par les dispositions cet article s'applique au recours formé par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce contre un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

(04 avril 2023, Société Distribution Casino France, n° 460754)

 

195 - Permis initial et modificatif de construire un stade nautique - Absence d’étude d’impact jointe au dossier - Jugement avant-dire droit prononçant un sursis à l’exécution de l’autorisation - Règle de la cristallisation des moyens - Forclusion.

Le maire de Mérignac a accordé à la société Stade nautique Mérignac un permis de construire par arrêté du 5 octobre 2020, puis un permis de construire modificatif par arrêté du 7 juin 2021, pour la réalisation de ce stade.

Saisi en ce sens par plusieurs requérants sur le fondement des art. L. 122-2 et L. 123-16 du code de l'environnement, le tribunal administratif, avant dire droit, a sursis à statuer, par ordonnance du 24 octobre 2022, sur la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de vingt mois à compter de la notification de son jugement pour permettre à la société Stade nautique Mérignac de justifier de la régularisation des vices tirés de la méconnaissance de l'art. R. 431-16 du code de l'urbanisme, faute d'étude d'impact jointe au dossier de demande de permis de construire, et de l'illégalité de la décision de l'autorité environnementale dispensant le projet d'une telle étude.

C’est de cette ordonnance qu’il est demandé annulation.

La réponse n’allait pas de soi car il fallait, pour cela, combiner des textes d’inspirations différentes : l’art. L. 521-1 du CJA, relatif au référé suspension, l’art. L. 122-2 du code de l’environnement, sur le régime de l’absence d’étude d’impact, et l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme, relatif à la cristallisation des moyens. C’est d’ailleurs l’occasion de se demander, en l’état actuel de certaines urgences et gravités environnementales, s’il ne faudrait pas hiérarchiser les textes applicables même quand ils ont une identique nature juridique et décider, par exemple, dans un contexte donné, que telle disposition législative du code de l’environnement l’emporte nécessairement sur une disposition législative du code de l’urbanisme ou de justice administrative sans s’arrêter aux principes classiques selon lesquels la loi spéciale déroge à la loi générale ou la loi postérieure déroge à la loi antérieure.

Le juge de cassation annule l’ordonnance litigieuse au terme du raisonnement suivant qui contredit partiellement notre remarque précédente.

A titre de principe, il tire de la combinaison de ces trois dispositions que le juge auquel est adressée  une demande de suspension d'une des décisions mentionnées à l'art. L. 600-3 du code de l'urbanisme fondée sur l'absence d'étude d'impact et qui constate l'absence d'une telle étude, doit faire droit à la demande, alors même que le requérant ne se prévaut pas des dispositions de l'art. L. 122-2 du code de l'environnement, sans avoir à s'interroger sur l'existence ou non d'une urgence à suspendre l'exécution de la décision.

Cependant, une telle demande de suspension n'est recevable, quel qu'en soit le fondement, que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort sans qu’ait à cet égard un quelconque effet la circonstance que, par un jugement avant dire droit, le juge ait constaté l'absence d'étude d'impact et accordé aux parties un délai pour régulariser ce vice.

En l’espèce, le juge des référés de première instance a commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son ordonnance pour avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de suspension de l'exécution des permis de construire litigieux par le motif que cette demande n'était pas soumise aux dispositions de l'art. L. 600-3 du code de l'urbanisme alors que toute demande tendant à la suspension de l'exécution d'un permis de construire doit être présentée avant l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens. 

(17 avril 2023, Commune de Mérignac, n° 468789 ; SAS Stade nautique Mérignac, n° 468801)

(196) V. aussi, précisant que le juge du référé suspension saisi d’une demande de suspension d’exécution de l’un des actes visés à l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme doit vérifier, au besoin même d’office, que le délai au terme duquel se réalise la cristallisation des moyens soulevés devant le juge de l’excès de pouvoir saisi en première instance n’est pas expiré et cela alors même que cette circonstance ne ressortirait pas des pièces du dossier de la procédure de référé : 14 avril 2023, Mme A., n° 460040.

 

197 - Permis de construire – Connaissance acquise par une entrevue en mairie – Absence d’affichage – Exception de forclusion opposée à tort –Annulation.

Pour déclarer entaché de forclusion un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire, le premier juge avait retenu que les requérants ayant été reçus en mairie le 13 juillet 2021 pour discuter de certaines illégalités dont aurait été entaché ce permis, ils devaient être regardés comme ayant eu connaissance de cet arrêté au plus tard à cette date. Elle en a déduit que le délai de recours de deux mois avait couru et qu'alors même que le bénéficiaire du permis de construire n'avait pas encore procédé à son affichage, leurs recours gracieux présentés les 6 et 12 novembre suivants étaient tardifs.

Le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit car en l'absence de tout affichage, seul l'exercice par un tiers d'un recours administratif ou contentieux contre le permis de construire litigieux, révélant qu'il a connaissance de cette décision, peut être de nature à faire courir à son égard le délai de recours contentieux. 

(20 avril 2023, Mme H. et autres, n° 464606)

 

198 - Permis d’aménager un lotissement - Nécessité de tenir compte des dispositions particulières au littoral - Notion de « village » - Notion définie par le schéma de cohérence territoriale (SCoT) - Erreur de droit - Annulation.

Les requérants avaient demandé, et obtenu en appel, l’annulation de l’arrêté municipal délivrant à la défenderesse, auteur du pourvoi en cassation, un permis d'aménager un lotissement en vue de la création d'une vingtaine de lots destinés à l'habitat individuel et collectif.

Auparavant, au plan procédural, il convient d’indiquer que le juge reconnaît à un syndicat mixte pour le SCoT ainsi qu’à une commune et une communauté d’agglomération dont les territoires sont couverts par ce schéma, un intérêt à intervenir au soutien des pourvois en cassation tendant à l'annulation de l’arrêt d’appel.

Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel en rappelant, d’une part, que l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol doit s'assurer de la conformité du projet avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, notamment celles de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme qui prévoient que l'extension de l'urbanisation ne peut se réaliser qu'en continuité avec les agglomérations et villages existants et, d’autre part, que l'autorité administrative apprécie la conformité d'une autorisation d'urbanisme avec l'art. L. 121-8 précité en tenant compte des dispositions du SCoT applicable (Cf. 9 juillet 2021, Commune de Landéda, n° 445118 ; v. cette Chronique, juillet-août 2021, n° 244) notamment celles qui déterminent les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et définissent leur localisation, dès lors qu'elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral. 

En l’espèce, le Conseil d’État reproche à la cour d’avoir écarté les dispositions du SCoT et d’en avoir déduit que le maire de Ploemeur avait lui-même fait une application inexacte des dispositions de l'art. L. 121-13 du code de l'urbanisme (principe d’urbanisation limitée) en délivrant le permis d'aménager contesté en tenant compte de ce schéma. La cour, ce jugeant, a cru pouvoir se limiter à relever qu'il intégrait le lieu-dit « Kerpape », d’implantation du lotissement, et le centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle à la centralité urbaine et à la zone déjà urbanisée de Kerroc'h et de Lomener. Elle a ainsi commis une erreur de droit en s’abstenant, pour déterminer s'il convenait de tenir compte des dispositions du SCoT, d'apprécier si les conditions d'utilisation du sol permises dans le secteur en cause pouvaient être regardées comme permettant une extension de l'urbanisation limitée au sens de l'art. L. 121-13 précité.

(21 avril 2023, Mme E., n°456788 ; Commune de Ploemeur, n° 456808)

 

199 - Aménagement commercial - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l’État en justice par le président de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Effet d’un désistement plus de deux mois après la saisine de la CNAC - Rejet.

La CNAC se pourvoit en cassation d’un arrêt annulant l’arrêté municipal refusant de délivrer à une société un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 3 953 m² et enjoignant à celui-ci de se prononcer sur cette demande de permis de construire dans un délai de deux mois à compter de la notification de son arrêt.

A cette occasion le juge est amené à trancher deux points intéressants de procédure.

En premier lieu, répondant à une fin de non-recevoir, le Conseil d’État juge que l'État a la qualité de partie au litige devant une cour administrative d'appel, saisie en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir, formé par l'une des personnes mentionnées à l'art. L. 752-17 du code de commerce, tendant à l'annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire en tant qu'elle concerne l'autorisation d'exploitation commerciale. Si le secrétariat de la CNAC est assuré par les services du ministre chargé du commerce, la Commission n'est pas soumise au pouvoir hiérarchique des ministres, qui n'ont pas le pouvoir de réformer ses avis et décisions. Le président de la CNAC a qualité pour représenter l'État devant les juridictions administratives dans ces litiges et peut signer, par dérogation aux dispositions du second alinéa de l'art. R. 432-4 du code de justice administrative, les recours et mémoires présentés devant le Conseil d'État au nom de l'État, lesquels sont dispensés du ministère d'avocat au Conseil d'État conformément à ce que prévoit le premier alinéa du même article.

En second lieu, répondant à une objection de la société demanderesse, le juge indique qu’en cas de désistement du requérant de son recours contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial postérieurement au délai de deux mois suivant sa réception par le président de la CNAC, celle-ci conserve la faculté de se prononcer sur le projet qui lui a été soumis. Dès lors que ces dispositions, qui ne relèvent pas du domaine de la loi et n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer une possibilité d'autosaisine de la CNAC, s'ajoutant à celle prévue par les dispositions du V de l'art. L. 752-17 du code de commerce, elles ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire qui a ainsi pu légalement prévoir que, dans certaines conditions, le désistement d'un requérant est susceptible de ne pas entraîner le dessaisissement de la CNAC.

(28 avril 2023, Commission nationale d'aménagement commercial, n° 469710)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Mars 2023

Mars 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Lignes directrices non publiées – Décision de refus d’implantation d’éoliennes fondée sur des critères repris de ou identiques à ceux figurant dans ces lignes directrices – Critères figurant dans un avis ministériel - Absence d’illégalité de la décision – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du rejet implicite de sa demande de permis de construire huit éoliennes et du refus explicite d’autoriser leur exploitation.

Elle se fondait pour cela sur ce que les motifs avancés par le ministre des armées, constants depuis 2010, à savoir des éléments d'appréciation comportant notamment les critères litigieux d'appréciation des perturbations générées par les éoliennes sur le fonctionnement des équipements militaires, alors que ces critères sont repris de lignes directrices qui n’ont pas fait l'objet d'une publication préalable.

Le recours est rejeté car ces critères étaient repris de manière explicite dans l'avis du ministre des armées du 30 janvier 2015 et dans ses annexes.

(1er mars 2023, Société Éolienne des Cosmos, n° 446826)

 

2 - Demande adressée à l’ARCOM d’intervenir auprès d’une société éditrice de programme – Absence de demande de mise en œuvre de l’un des pouvoirs détenus par l’ARCOM – Refus opposé à cette demande ne constituant pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux – Rejet.

La requérante avait demandé l'annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande, adressée le 20 avril 2020 au Conseil supérieur de l'audiovisuel, devenu Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), tendant à le voir « intervenir auprès de la société France Télévisions » afin qu'elle cesse de faire usage à l'antenne ou sur tout support de la marque verbale « Vrai ou fake », en particulier en tant que titre d'une rubrique du journal télévisé ou d'une émission. Le CSA a adressé le 7 décembre 2020 à la société France Télévision un courrier se bornant à l’inviter « dans la mesure du possible à traduire le terme anglais " fake " dans l'ensemble des titres de programme ».

La demande de l'association requérante au CSA ne tendant à la mise en œuvre d'aucun des pouvoirs reconnus à cette autorité par la loi du 30 septembre 1986, le refus opposé à cette demande ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. 

La requête est rejetée pour irrecevabilité.

(10 mars 2023, Association Francophonie Avenir, n° 460929)

 

3 - Communication de documents administratifs - Dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles nucléaires usés par EDF – Communication avec des informations occultées – Invocation du secret des affaires – Occultation de certains éléments d’implantation des systèmes de refroidissement – Annulation partielle.

L’association requérante demandait l’infirmation du jugement par lequel le tribunal administratif  a rejeté sa requête en annulation de la décision par laquelle EDF a refusé de lui communiquer le dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles usés dans une version occultée à bon escient ainsi que sa demande d’injonction à ce que cette société lui communique cette version dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Le Conseil d’État opère une distinction au sein de la demande rejetée.

Tout d’abord, il juge que c’est sans insuffisance de motivation que les premiers juges ont considéré que la communication des passages du document demandé relatifs à la teneur des outils de surveillance utilisés dans la piscine d'entreposage et à la température de l'eau porterait atteinte au secret des affaires, de sorte que la société EDF était fondée à la refuser d’autant que l’invocation, ici, de la convention d’Aarhus comme de l'avant-dernier alinéa du paragraphe 2 de l'article 4 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement (tel qu’interprété par la CJUE : 23 novembre 2016, Bayer CropScience SA-NV et autre, aff. C-442/14), est inopérante puisque ces textes ne concernent que l’information qui « a trait à des émissions dans l'environnement » lesquelles ne s’entendent donc pas des émissions purement hypothétiques, seules concernées en l’espèce. En outre, parce que la teneur des outils de surveillance développés par EDF dans le cadre de son activité de recherche et développement et la température de l'eau de la piscine d'entreposage relèvent du secret des procédés, le tribunal administratif n’a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le secret des affaires faisait obstacle à la divulgation des passages du document traitant de ces deux points. 

Ensuite, en revanche, le Conseil d’État estime qu’est entachée d’insuffisance de motivation la partie du jugement attaqué rejetant, sans en donner les raisons, celles des conclusions relatives à l'occultation des passages du document concernant l'implantation des systèmes de refroidissement et du mécanisme de maintien du niveau d'eau. Le jugement est donc annulé dans cette mesure.

(15 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 456871)

 

4 - Communication de documents concernant les biens et impôts d’une représentation diplomatique en France – Distinction entre documents communicables et non communicables – Rejet et non-lieu partiels.

Le litige portait sur le refus opposé par le ministre des affaires étrangères à la demande de la société requérante de lui communiquer la « liste diplomatique et consulaire » ou ses pages concernant la République du Congo, des documents concernant les demandes d'exonération de taxe foncière ou de droits de mutation présentées par cet État, ainsi que tout autre document émis ou reçu par le ministère faisant état de l'utilisation de tout bien, mobilier ou immobilier, appartenant à ce même État et utilisé pour les besoins de sa mission diplomatique.

Ce refus a été annulé par le tribunal administratif et ce jugement est frappé d’un pourvoi par le ministre.

Le Conseil d’État juge d’abord que la simple désignation des biens d'un État étranger reconnus par la France, État accréditaire, comme étant affectés à la mission diplomatique de celui-ci, justifiant ainsi qu'il bénéficie des immunités et privilèges, notamment fiscaux, s'y attachant en vertu des engagements internationaux de la France et des dispositions législatives et réglementaires applicables, n'est pas une information dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France. C’est pourquoi, une liste des locaux ainsi reconnus, ou un bordereau ou un autre document par lequel le ministère chargé des affaires étrangères se borne à notifier à l'administration fiscale qu'un local fait l'objet d'une telle reconnaissance, sont, lorsqu'ils existent et sous réserve des autres exceptions prévues à l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration, communicables à toute personne qui en fait la demande.

Il juge ensuite, au contraire, qu’il en va différemment des demandes de reconnaissance et d'exonération fiscale formulées par l'État accréditant et des pièces qui leur sont annexées, des documents relatifs à l'instruction de ces demandes, des actes accomplis par l'administration fiscale à l'endroit de l'ambassade ou de ses diplomates, des pièces concernant ou mentionnant les réclamations et litiges s'y rapportant, des « notes verbales » échangées entre l'ambassade et le ministère, ainsi que de l'ensemble des documents relatifs aux biens pour lesquels la reconnaissance de l'affectation à la mission diplomatique a été refusée, leur divulgation étant de nature à porter atteinte aux relations diplomatiques entre la France et l'État étranger.  

S’agissant en l’espèce d’une demande de communication portant sur les biens utilisés par la République du Congo, il résulte des diligences effectuées par la 10ème chambre de la section du contentieux que le dossier relatif à ces biens qu’elle s’est fait communiquer sans le soumettre au débat contradictoire, ne contient que des documents de la nature de ceux dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France et qui présentent un caractère indivisible, et ne comporte ni bordereau de notification de reconnaissance de biens affectés à la mission diplomatique de la République du Congo, ni de liste ou de registre des biens bénéficiant d'une telle reconnaissance, qu'aucune disposition ne fait d'ailleurs obligation à l'administration de tenir. 

D’où le rejet et le non-lieu partiels prononcés.

(15 mars 2023, Société Commissions Import Export, n° 463834)

 

5 - Communication des documents administratifs – Exception des secrets protégés – Secret des affaires – Motivation insuffisante d’un jugement – Annulation et rejet.

Même si, se prononçant au fond, le juge de cassation réaffirme la solution qu’avaient retenue les premiers juges, le jugement n’en est pas moins cassé pour insuffisance de motivation.

On sait que l’une des exceptions au droit à la communication des documents administratifs est constituée par la protection du secret des affaires.

Dans un litige où était demandée la communication de l'estimation prévisionnelle du coût de travaux de construction ou de réhabilitation de logements devant figurer au dossier d'agrément en vertu du b) du 10° de l'article R. 365-5 du code de la construction et de l'habitation, le tribunal administratif s’était borné à juger régulier le refus de communication car un tel document pouvait contenir des informations financières sur les travaux en cours ou à venir et ainsi sa communication était susceptible de porter atteinte au secret des affaires. C’était une motivation un peu mince, d’où l’annulation du jugement mais sa confirmation sur le fond.

(27 mars 2023, M. A., n° 453633)

 

6 - Décret portant aide à certains acteurs de santé dont l'activité a été affectée par l'épidémie de Covid-19 – Disposition de ce décret interprétée par la Caisse nationale de l’assurance maladie – Interprétation retenue par souci de cohérence mais non conforme au texte – Annulation.

Les organisations requérantes poursuivaient l’annulation de la décision implicite de la Caisse nationale de l'assurance maladie rejetant leur demande tendant au retrait de la formule de calcul, différente de celle prévue au VI de l'article 2 du décret n° 2020-1807 du 30 décembre 2020 relatif à la mise en œuvre de l'aide aux acteurs de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19, adoptée pour calculer le montant de l'indemnisation de la perte d'activité des exploitants de taxi conventionnés, ainsi que cette formule de calcul.

La Caisse ne conteste pas avoir donné de cette disposition une interprétation différente de celle qu’appelait la lettre du texte mais fait valoir qu'elle s'est bornée, ce faisant, à l’interpréter en lui restituant sa juste portée, compte tenu de l'incohérence manifeste de la formule de calcul énoncée par les dispositions du décret, ce qui, selon elle, serait corroboré par la modification apportée ultérieurement en ce sens par le décret du 15 avril 2022.

Cependant, le juge relève qu’ainsi la Caisse n’a pas respecté le texte qu’elle devait appliquer et exécuter, méconnaissant ainsi son caractère clair et dépourvu d’ambiguïté.

La décision de la Caisse est annulée.

(30 mars 2023, Fédération nationale du taxi (FNDT) et autres, n° 464059)

 

7 - Propos tenus par un ministre – Propos relayés sur son compte « Twitter » - Propos ne constituant pas une instruction donnée à ses subordonnés et n’attentant point à une liberté fondamentale – Rejet du recours en référé liberté.

Le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer, au cours d'une rencontre avec la presse ayant trait à diverses questions relatives en particulier au maintien de l'ordre, dans une vidéo relayée sur son compte « Twitter », propos selon lesquels, notamment, « être dans une manifestation non déclarée est un délit » et que ce fait « mérite une interpellation ». 

Les requérants demandent au juge du référé liberté l’annulation de ces énonciations du ministre de l'intérieur exprimées le 21 mars 2023.

Le recours est rejeté car, relève, avec une certaine sévérité, l’auteur de l’ordonnance de référé, « D'une part, ces propos ne révèlent pas l'existence d'une instruction aux policiers et aux gendarmes d'interpeller toute personne se trouvant sur les lieux d'une manifestation au seul motif que celle-ci n'aurait pas été déclarée. D'autre part, ces déclarations faites le 21 mars dernier et alors même qu'elles ont été relayées sur un réseau social, pour regrettables qu'elles soient en raison de leur caractère erroné, ne sont pas susceptibles d'avoir par elles-mêmes des effets notables sur l'exercice de la liberté de manifester et de se réunir. Il s'ensuit que les requérants ne sont manifestement pas fondés à soutenir que les déclarations ministérielles caractérisent une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés justifiant l'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». 

(29 mars 2023, Association « Lanceur d’alerte », n° 472440 ; MM. B., n° 472447 ; M. E., n° 472469, jonction)

 

 

Contention, isolement, psychiatrie et communication des documents administratifs

 

On assiste depuis plusieurs mois à une offensive tous azimuts d’associations afin d’obtenir des établissements psychiatriques qu’ils leur communiquent le registre de contention et d’isolement ainsi que le rapport annuel décrivant le recours à ces méthodes médicales. Devant cette prolifération, à la fois pour l’accompagner et pour la contenir, le juge a développé une jurisprudence désormais très nettement établie comme on le voit par les exemples ci-après.

 

8 - Communication des documents administratifs – Registre de contention et d’isolement d’un établissement psychiatrique – Rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans l’établissement – Conditions de compatibilité entre droit d’accès aux documents administratifs et protection de la vie privée – Refus de transmission d’une QPC.

Un jugement de tribunal administratif a annulé la décision d’un centre hospitalier refusant la communication à une association d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement ainsi que du rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans l’établissement. Il a ordonné cette communication, sous injonction, sans occultation de l'identifiant anonymisé du patient pour ce qui concerne le registre de contention et d'isolement.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation de ce jugement.

Le Conseil d’État opère une confrontation entre les dispositions du code des relations du public avec l’administration (art. L. 311-1, L. 311-6 et L. 311-7) et celles du code de la santé publique (art. L. 3222-5-1) d’où il résulte, assez évidemment, que si le droit à la communication des documents administratifs que sont ceux demandés ici trouve son fondement dans l’art. 15 de la Déclaration de 1789, l’art. 2 de ce texte impose le respect de la vie privée « qui requiert que soit observée une particulière vigilance dans la communication des données à caractère personnel de nature médicale ». Il suit de là que si le registre et le rapport prévus à l'art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique constituent des documents administratifs communicables aux tiers c’est sous la réserve que soient occultées ou disjointes les mentions dont la communication porterait atteinte à la vie privée ou au secret médical des patients. Il en va ainsi, en particulier, s'agissant du registre qui retrace les mesures d'isolement ou de contention, des mentions permettant d'identifier ceux-ci, directement ou indirectement.

Observant en outre que ce registre est accessible à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires, le juge estime que les limitations ainsi apportées au droit d'accès aux documents administratifs, ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Le jugement est annulé.

(16 mars 2023, Centre hospitalier Nord Deux-Sèvres, n° 460617)

(9) V. aussi, très voisin du précédent et peut-être plus explicite : 16 mars 2023, CHU de Saint- Étienne, n° 460681.

(10) V. encore, identique au précédent 16 mars 2023, Centre hospitalier de Roanne, n° 461003.

(11) V. également, identique : 16 mars 2023, Centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay, n° 462537.

(12) V. : 16 mars 2023, Établissement public de santé Barthélémy Durand, n° 463219 et n° 464192, n° 465652 et n° 465975 ; 16 mars 2023, CHU Sud Francilien de Corbeil-Essonnes, n° 463231 et n° 463987 ; 16 mars 2023, CHU du Forez, n° 467045 et n° 467861 ; 16 mars 2023, Centre hospitalier Le Vinatier, n° 467062 et n° 467689.

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

13 - Société éditrice de programmes radiophoniques – Autorisation d’exploitation sous plafond d’une certaine puissance apparente rayonnée – Dépassement de cette puissance – Sanction infligée par l’ARCOM – Absence d’irrégularités – Rejet.

Le CSA (devenu ARCOM) a infligé à la société éditrice requérante une sanction pécuniaire de quinze mille euros pour avoir dépassé la puissance apparente rayonnée maximale autorisée à 1000 watts qui lui a été accordée.

La société demande l’annulation de cette décision ; sa requête est rejetée.

Tout d’abord, la société requérante ne peut utilement soutenir que la procédure de sanction serait entachée d’irrégularité du fait qu'il n'a pas été donné suite à sa demande faite en réponse à la notification des griefs par le rapporteur, que lui soient communiqués le cahier des charges, la description des procédures et l'évaluation des marges d'erreur applicables aux mesures réalisées par l'Agence nationale des fréquences qui lui étaient opposées car les éléments relatifs à la méthodologie des contrôles ne constituent ni une pièce du dossier de sanction ni une pièce sur laquelle le rapporteur se serait fondé pour proposer la sanction. Au reste, la société requérante ne conteste d'ailleurs pas l'exactitude matérielle des mesures de la puissance apparente rayonnée qui ont été effectuées ; en outre, elle a contesté la méthode dans les observations qu'elle a adressées au rapporteur, en se fondant sur le procès-verbal de constat établi par le technicien du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui mentionne les principales spécificités techniques de l'équipement utilisé pour effectuer ces mesures et comporte des indications relatives au déroulement de la campagne de mesures.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, la décision de sanction est suffisamment motivée en ce qu’elle indique les motifs pour lesquels le CSA retient l'existence d'un manquement ainsi que la sanction qu'il inflige.

Enfin, les circonstances, d’une part, que le dépassement de la puissance maximale autorisée n'a pas altéré, notamment par des brouillages, les conditions de diffusion des opérateurs autorisés à émettre depuis les sites voisins, et d’autre part, que la sanction prononcée à l'encontre d'autres services de radiodiffusion pour des manquements de même nature aurait été moindre, sont, la première, sans incidence sur la matérialité du manquement et la seconde sans incidence sur le caractère proportionné de la sanction retenue.

(09 mars 2023, Société Quinto Avenir, n° 459859)

 

14 - Plainte ou réclamation adressée à la CNIL (ou ARCOM) – Pouvoirs de cette autorité – Refus de mettre en œuvre l’un de ses pouvoirs – Régime de droit et régime contentieux applicables – Rejet.

Il est possible à toute personne concernée de saisir la CNIL, devenue ARCOM, d’une plainte en vue de son instruction par son président en cas de manquement aux dispositions de la loi de 1978 sur l’informatique et les libertés.

En cas de refus du président de la CNIL d'engager une procédure sur le fondement de l'article 20 de la loi du 6 janvier 1978 et, notamment, de saisir la formation restreinte sur le fondement du III de cet article, y compris lorsque la commission a procédé à des mesures d'instruction, constaté l'existence d'un manquement aux dispositions de cette loi et pris l'une des mesures prévues aux I et II de ce même article, l'auteur de la plainte peut le déférer au juge de l'excès de pouvoir.

En ce cas, il appartient au juge de censurer cette décision de refus soit pour un motif d'illégalité externe soit, au titre du bien-fondé de la décision, en cas d'erreur de fait ou de droit, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir. C’est donc un contrôle contentieux « restreint ».

En revanche, lorsque le président de la CNIL a saisi la formation restreinte sur le fondement du III de cet article 20, l'auteur de la plainte n'a pas d’intérêt à contester la décision prise à l'issue de cette procédure, quel qu'en soit le dispositif.

Il en va cependant différemment lorsque l'auteur de la plainte se fonde sur la méconnaissance par un responsable de traitement des droits garantis par la loi à la personne concernée à l'égard des données à caractère personnel la concernant, notamment les droits d'accès, de rectification, d'effacement, de limitation et d'opposition mentionnés aux articles 49, 50, 51, 53 et 56 de la loi du 6 janvier 1978. En effet, en ce cas, l’intéressé, s'il ne peut contester devant le juge l'absence ou l'insuffisance de sanction une fois que la formation restreinte a été saisie, est néanmoins toujours recevable à demander l'annulation du refus du président de la CNIL de mettre en demeure le responsable de traitement de satisfaire à la demande dont il a été saisi par cette personne ou du refus de la formation restreinte de lui enjoindre d'y procéder.

Le pouvoir d'appréciation de la CNIL s'exerce alors, eu égard à la nature du droit individuel en cause, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir.

(27 mars 2023, Mme E., n° 467774)

 

Biens et Culture

 

15 - Passerelle surplombant les voies ferrées aux abords d’une gare – Arrêté municipal mettant à la charge de SNCF Réseau la mise en sécurité de la passerelle – Bien faisant partie du domaine public ferroviaire – Dénaturation des pièces – Annulation.

Le maire d’une commune met la SNCF en demeure de prendre des mesures conservatoires de mise en sécurité de la passerelle piétonne surplombant les voies ferrées aux abords de la gare. Sur recours de la SNCF, le juge des référés a suspendu l’arrêté municipal au motif qu’existe en l’espèce un doute sérieux car la passerelle en cause ne pouvait appartenir à cette société dès lors qu'elle assurait la jonction entre une voie communale et une voie départementale.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance en raison de ce que les biens immobiliers appartenant à une personne publique et affectés au service public du transport ferroviaire ont le caractère de dépendances du domaine public dont la SNCF assume toutes les obligations du propriétaire (cf. art. L. 2111-1 et L. 2111-20 du code des transports), ce qui conduit à la considérer comme la propriétaire de ces biens pour l'exercice des pouvoirs de police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations.

L’argument tiré par le premier juge de la mise en communication entre deux voies publiques non étatiques assurée par la passerelle est rejeté car le procès-verbal du 2 octobre 1933 de récolement et de remise des travaux conduits par la Compagnie du Chemin de fer du Nord établissait que cet ouvrage avait été édifié, dans l'intérêt du service public du chemin de fer, par cette entreprise en sa qualité de concessionnaire de ce service public et appartenait ainsi au domaine public ferroviaire, dont il n’est plus sorti depuis lors.

Que se passerait-il dans le cas où n’existerait pas un tel document aussi explicite ? Le juge ne donne pas la réponse directement mais la suggère car ce motif n’est précédé d’aucune des mentions telles « Au surplus », « En outre », « Au reste », etc., signe que l’argument lui a paru décisif. Est-ce à dire que si un quelconque document avait fait état de ce que la passerelle n’a été installée qu’à fin de circulation entre ces deux voies la solution eût été différente ? Ce n’est pas certain, un intérêt public n’étant pas forcément exclusif d’un autre intérêt public et, de plus, le survol des voies ferrées n’est pas une compétence matérielle locale.

(1er mars 2023, commune de Tergnier, n° 466574)

 

16 - Exercice du droit de préemption – Déclaration d’intention d’aliéner affectée d’irrégularité – Vente parfaite avant exercice de ce droit – Doute sérieux et urgence – Suspension ordonnée.

Le Conseil d’État, infirmant l’ordonnance du premier juge rejetant la demande de référé suspension, ordonne la suspension de la délibération d’un conseil général exerçant son droit de préemption sur une parcelle dont un jugement judiciaire a proclamé que sa vente – entre le demandeur et le conseil général – était parfaite, ledit conseil ayant expressément renoncé à exercer son droit de préemption et alors que la seconde déclaration d’intention d’aliéner portant sur la même parcelle a été faite par une personne n’ayant pas qualité à cet effet.

Rappel de ce que l’art. 480 du code de procédure civile décide que bénéficie dès son prononcé de l’autorité de chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident (…) ». 

(1er mars 2023, M. B., n° 462877)

 

17 - Autorisation d’occupation privative du domaine public – Compatibilité avec l’affectation et la conservation du domaine – Autorisation de durée limitée – Rejet.

L’association requérante contestait la juridicité de la décision autorisant une association à occuper l'esplanade des Feuillants du jardin des Tuileries du 16 novembre 2018 au 11 janvier 2019 et à ouvrir ses installations au public de 11h à 23h45 les dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi, du 24 novembre 2018 au 6 janvier 2019.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa requête.

Le pourvoi est rejeté.

En premier lieu, ne peut être retenu le moyen tiré de l’absence d'une procédure de sélection préalable régulière, en méconnaissance des dispositions des art. L. 2122-1-1 et L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques dès lors qu’une telle irrégularité n'est pas en rapport avec les intérêts lésés dont l’association requérante se prévaut.

Ensuite, il est constant que l’autorisation accordée, limitée à une durée de deux mois, ne porte que sur une petite partie du jardin des Tuileries (4% environ), et qu’elle concerne des activités ludiques et de spectacles (fêtes foraines) compatibles avec l’affectation comme avec la conservation de cette dépendance domaniale.

Ainsi, le pourvoi ne peut qu’être rejeté.

(08 mars 2023, Association Les Amis des Tuileries, n° 462550)

 

18 - Contravention de grande voirie – Demande de constatation formulée par un tiers - Obligations imparties à l’autorité administrative – Régime contentieux – Avis de droit.

Saisi d’une demande d’avis de droit concernant la date à laquelle doit se placer le juge de l’excès de pouvoir pour apprécier la légalité du refus du préfet de poursuivre la répression d’une contravention de grande voirie alléguée par un tiers, le Conseil d’État saisit cette occasion pour un large tour d’horizon du régime de droit et du régime contentieux applicables.

En bref, il est répondu que dans l’hypothèse concernée par la question posée le juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions d’un tiers tendant à l'annulation du refus de l'autorité compétente de déférer au tribunal administratif des faits de contravention de grande voirie, doit se placer à la date de ce refus pour en apprécier la légalité.

Le juge apporte encore quelques intéressants rappels ou précisions qui justifient la publication de cette décision au Recueil Lebon.

D’abord, est important le rappel qu’en principe, la légalité d'un acte administratif doit être appréciée à la date de son édiction. Il ne peut en aller autrement, c’est-à-dire se placer à la date à laquelle le juge statue, que dans l’hypothèse où la mise en œuvre de cette exception permet de conférer un effet pleinement utile à son intervention, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait. 

Ensuite, et c’est un rappel également important, les autorités compétentes, en cas de manquement aux textes ayant pour objet la protection de l'intégrité ou de l'utilisation du domaine public, ont l’obligation de dresser un procès-verbal constatant les faits, de notifier au contrevenant la copie de ce procès-verbal puis d'adresser l'acte de notification au juge des contraventions de grande voirie auquel il appartient de décider de la poursuite et de la répression de l'infraction, tant au titre de l'action publique que de l'action domaniale. Si la jurisprudence a admis que cette obligation trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont ces autorités ont la charge, notamment dans les nécessités de l'ordre public, celles-ci ne sauraient légalement s'y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative. Cette dernière précision est très utile face à certains comportements laxistes.

Également, cette obligation à la charge de l’autorité de protection du domaine public n'est pas susceptible de s'éteindre par l'effet de l'écoulement du temps. Et sur ce point, le juge enfonce le clou : « Si la disparition de l'atteinte à l'intégrité du domaine ou la fin de son occupation irrégulière peuvent être de nature à priver d'objet l'action domaniale, un tel changement de circonstances ne saurait priver d'objet l'action publique ».

Le juge précise encore s’agissant des effets du temps sur le régime de la contravention de grande voirie, que si une atteinte à l'intégrité du domaine public ou une situation d'occupation irrégulière apparaît postérieurement au refus de l'autorité compétente de mettre en œuvre les pouvoirs dont elle est investie, cette autorité est tenue de tirer les conséquences d'un tel changement de circonstances en dressant constat de l'atteinte au domaine et en saisissant le juge des contraventions de grande voirie. Il résulte de là, par application du principe de l’effet utile des décisions du juge - ici de l’annulation du refus de l'autorité compétente de procéder, à la demande d'un tiers, à la constatation d'une contravention de grande voirie et à la transmission du procès-verbal au tribunal administratif -, impose que le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une demande d'annulation de ce refus, en apprécie la légalité au regard de la situation de droit et de fait à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, et non au regard de la situation de droit et de fait à la date de sa propre décision. 

(31 mars 2023, Association de protection de la plage de Boisvinet et son environnement, n° 470216)

 

19 - Contrat comportant autorisation d’occupation du domaine public – Absence de clause relative à son renouvellement – Proposition d’avenant tendant à la poursuite de l’occupation – Rejet – Décision entièrement exécutée – Demande de suspension de cette décision devenue sans objet – Rejet.

La requérante, titulaire d'une convention d'occupation temporaire du site des haras de Rodez, lequel constitue une dépendance du domaine public, a demandé au département de l’Aveyron que soit conclu un avenant en vue de l'autoriser à poursuivre son occupation, dans les mêmes conditions, au-delà du terme de la convention en cours qui courait jusqu’au 31 mai 2022. Cette convention ne comportait aucune stipulation relative à son renouvellement.

Le président du conseil départemental de l'Aveyron a informé l’occupante qu'il n'y avait pas lieu de maintenir au-delà de cette date l'autorisation d'occupation des lieux dans les conditions convenues par cette convention et lui a enjoint de quitter les lieux et de procéder à leur remise en état primitif avant le 30 juin 2022.

La requérante a saisi le tribunal administratif d’un référé suspension qui a été rejeté le 14 juin 2022 car cette demande est devenue sans objet du fait que le refus opposé par le département de l’Aveyron s’est trouvé entièrement exécuté à la date d’échéance de la convention soit le 31 mai 2022.

Le Conseil d’État confirme sur ce point l’ordonnance de référé : à la date d’expiration de la convention, la demande tendant à ce que soit suspendue par le juge l'exécution de la décision refusant de la prolonger se trouve alors privée d'objet. 

(31 mars 2023, Société Station A, n° 465385)

 

20 - Domaine privé – Renonciation à acquérir un fonds de commerce – Décision ne constituant pas un acte de gestion du domaine privé – Compétence de la juridiction administrative.

On signale au lecteur cette intéressante décision du Tribunal des Conflits relative à l’étendue des compétences juridictionnelles respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de domaine privé des personnes publiques.

Après avoir décidé, par une délibération municipale du 10 octobre 2016, d’approuver le principe et le prix d'acquisition d’un fonds de commerce de boucherie et d’autoriser le maire à signer tous les actes nécessaires à cette opération, la commune de Cannes a informé la demanderesse, le 9 avril 2018, de son intention de ne pas acquérir le fonds de commerce dans les conditions prévues par la délibération du 10 octobre 2016.

La Sarl propriétaire du fonds a recherché la responsabilité de la ville en vue d’être indemnisée du préjudice résultant pour cette société de la volte-face de la ville. Le juge administratif, d’abord saisi, a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de trancher la question de la compétence juridictionnelle pour connaître de ce litige.

Pour rejeter la compétence judiciaire et renvoyer l’affaire au juge administratif, le Tribunal décide que « L'acte d'une personne publique, qu'il s'agisse d'une délibération ou d'une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif. Il en va de même du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherchée la responsabilité de cette personne publique à raison d'un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait. »

Cette très claire décision a le grand mérite d’opérer une circonscription stricte de la compétence du juge judiciaire organisée exclusivement autour de la gestion du domaine privé.

(T. C. 13 mars 2023, Sarl Boucherie cannoise, n° C4620)

 

Collectivités territoriales

 

21 - Exercice du droit de préemption – Compétence déléguée au maire – Impossibilité pour le conseil municipal de se ressaisir de cette compétence sans abrogation préalable expresse de la délégation consentie – Annulation sur ce point.

Un conseil municipal qui a délégué au maire de la commune, pour la durée de son mandat, l’exercice du droit de préemption de la commune ne peut se ressaisir de cette compétence pour l’exercer lui-même que sous la condition d’une délibération préalable expresse abrogeant la délibération antérieure portant délégation.

(1er mars 2023, M. A. et Cabinet A. Assurance, n° 462648)

 

22 - Correspondant défense de la commune – Silence des textes sur les modalités de sa désignation – Compétence du maire – Rejet.

Une instruction ministérielle du 8 janvier 2009 invite les communes à désigner un correspondant défense, interlocuteur privilégié des autorités civiles et militaires pour ce qui concerne les questions de défense.

Les textes étant muets sur les modalités de désignation de ce correspondant défense, le Conseil d’État juge, judicieusement, qu’elle revient au maire, seul chargé de l'administration communale (cf. art. L. 2122-18 du CGCT) ; il lui est loisible de recueillir à cet effet l'avis du conseil municipal. Il en résulte que la délibération par laquelle le conseil municipal se prononce, le cas échéant, sur la désignation du correspondant défense d'une commune celle-ci se bornant à donner un avis, elle ne saurait faire grief. En outre, la contestation de cette désignation ne constitue pas une protestation électorale.

(30 mars 2023, Mme G., n° 468012)

(23) V., réitérant en substance mutatis mutandis la solution précédente à propos de la désignation d’une conseillère municipale comme déléguée de sa commune au sein du syndicat départemental d'énergie, d’un syndicat intercommunal des transports publics et d’un syndicat environnement et comme correspondante défense de la commune. La protestation contre ces désignations doit être formée dans les conditions, formes et délais prescrits par le code électoral pour les réclamations contre les élections du conseil municipal. Il s'ensuit qu'une commune n'a pas la qualité de partie devant le juge de l'élection saisi d'une contestation relative à l'élection de représentants d'une commune au conseil d'un établissement public de coopération intercommunale ou d'un syndicat mixte ; elle a, en revanche, la qualité de partie au litige pour ce qui concerne la contestation de la délibération relative à la désignation du correspondant défense de la commune. L’arrêt apporte aussi cette précision que l'élection des membres du conseil municipal au conseil d'un syndicat de communes ou d'un syndicat mixte se fait, à moins que le conseil municipal ne décide du contraire à l'unanimité, au scrutin secret : 31 mars 2023, Mme G., n° 468012.

 

Contrats

 

24 - Contrats de la commande publique – Offre anormalement basse – Notion et régime – Rejet.

La communauté demanderesse a lancé une consultation en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande, d'une durée de cinq ans, comportant trois lots, pour la réalisation de travaux d'extension, de réhabilitation et de réparation des réseaux d'assainissement ainsi que des travaux de branchements et de réparations ponctuelles sur ce même réseau. Ayant estimé anormalement basse l’offre de la société Chassaing TP, elle l’a écartée de la suite de la procédure de passation du contrat. Saisi par cette dernière société, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a enjoint à la communauté d’agglomération, d'une part d'interrompre sans délai l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché en litige et, d'autre part, si elle entendait poursuivre la réalisation du programme de travaux publics en litige, de reprendre la procédure de passation dans son ensemble au stade de la définition des lots susceptibles d'y figurer.

La communauté d’agglomération s’est pourvue en cassation de cette ordonnance.

Au visa des art. L. 2152-5 et L. 2152-6 du code de la commande publique, l’ordonnance est annulée.

Le juge rappelle tout d’abord la marche à suivre en cas d’offre apparaissant anormalement basse, notion qui est généralement d’un maniement délicat : « (…)  il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. »

Ensuite, appliquant cette ligne générale d’appréciation au cas de l’espèce, le juge de cassation estime entachée d’erreur de droit et de dénaturation l’ordonnance attaquée alors qu’il résultait des pièces du dossier que la communauté d'agglomération avait demandé à la société Chassaing TP de justifier les prix proposés, lesquels étaient en deçà de l'estimation et de la moyenne des autres offres avec des écarts importants et d’apporter tous éléments justificatifs au sujet d’une liste non exhaustive de prestations dont les coûts et les prix apparaissaient incohérents. C’est au vu de la réponse de la société que le président de la communauté d'agglomération a rejeté son offre comme anormalement basse.

Celui-ci a, en effet, constaté d’abord l’absence d'explication générale sur les tarifs appliqués, lesquels apparaissaient particulièrement bas en comparaison de l'estimation du pouvoir adjudicateur et des prix résultants des offres concurrentes, ensuite que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations n'apparaissaient pas en adéquation avec le descriptif du chantier-exemple produit dans le mémoire technique de l'entreprise, également, que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations comportaient toujours des imprécisions et carences et, enfin, que les réponses apportées par la société Chassaing TP comportaient des incohérences dans les justifications apportées, ces deux dernières considérations étant assorties d'exemples précis. 

(ord. réf. 14 mars 2023, Communauté d'agglomération du Grand Cahors, n° 465456)

 

25 - Contrat de concession de lots de plage – Sous-concession du service public balnéaire – Définition des besoins à satisfaire – Vice de nature à permettre ou non la poursuite cde l’exécution du contrat – Annulation avec renvoi.

Retour sur la plage de Pampelonne et sur le feuilleton de la chaotique attribution de lots de sous-concession de plage en ce haut-lieu du contentieux administratif.

Le Conseil d’État annule par un double motif l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a prononcé la résiliation, à compter du 1er avril 2023, de la sous-concession d’un lot sur la plage de Pampelonne dans le cadre de l’exécution du service public balnéaire.

En premier lieu, il est jugé que la cour, pour prononcer la résiliation du contrat litigieux, ne pouvait pas, sans erreur de droit se borner à considérer que la commune avait entaché la procédure de passation de celui-ci d'un vice tenant à l'insuffisante définition de ses besoins, faute pour elle d'avoir précisé le « niveau de standing » des établissements qui était attendu pour chaque lot, alors que l'autorité concédante avait informé les candidats sur les principales caractéristiques du service public concédé, et qu'elle n'était pas tenue de définir cet élément de la stratégie commerciale des établissements exploités sur chacun des lots.

En second lieu, alors qu’elle était saisie du recours d’un tiers contre l’attribution d’un lot, la cour devait respecter les exigences contentieuses attachées par la jurisprudence à la recevabilité et aux effets d’un tel recours. C’est pourquoi elle a entaché son arrêt d’une erreur de droit en jugeant que la procédure de passation du contrat en cause était entachée d'un vice qui découlait de divers manquements de la commune de Ramatuelle à ses obligations de mise en concurrence et qu’ainsi ces irrégularités devaient conduire à la résiliation du contrat de sous-concession, alors qu'il lui appartenait de rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le vice dont elle estimait qu'était entachée la procédure de passation du contrat permettait, eu égard à son importance et à ses conséquences, la poursuite de l'exécution du contrat. 

(10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464816)

(26) V., identique mais pour un autre lot : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464817 ; Société foncière PLM, n° 465657.

(27) V., pour un autre lot : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464818 et Société Le Byblos, n° 465687.

(28) V., toujours identiques : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464819 et Société La Serena, n° 465469 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464820 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464821 et Société l’O, n° 465665 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464822 et Société Loisirs Soleil, n° 465236 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464823 et Société Rama, n° 465694 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464824 et Société Tropicana, n° 465080 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464825 et Société L’Esquinade, n° 465676 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464830.

 

29 - Modification unilatérale du contrat – Existence d’une irrégularité divisible du reste du contrat – Purge possible par modification unilatérale – Faculté ouverte à la personne publique en dehors de tout recours au juge – Annulation.

Le Conseil d’État précise dans cette décision – ce qui n’allait pas de soi – que la personne publique contractante peut user de son pouvoir de modification unilatérale du contrat en vue de le purger d’une disposition illicite si celle-ci est divisible du reste du contrat.

Dans le cas où cette illicéité ne serait pas divisible du reste du contrat et serait d'une gravité telle que, s'il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique contractante peut, sous réserve de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans avoir besoin de saisir le juge à cette fin.

En l’espèce, saisi par le préfet, sur le fondement de l’art. L. 554-1 du CJA, d’une demande référé de suspension de délibérations entérinant une modification unilatérale de trois conventions concédant la distribution d'électricité à la société Enedis dans le périmètre de la requérante, le juge des référés avait fait droit à cette demande de suspension par le motif  que la modification unilatérale d'un contrat concédant un service public ne saurait être mise en œuvre au seul motif de purger le contrat de stipulations illicites.

La décision rapportée annule cette ordonnance.

(08 mars 2023, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (SIPPEREC), n° 464619)

 

30 - Candidat évincé de l’attribution d’une concession de services – Concession de mobilier urbain – Demande de communication de pièces ou de mentions qui y sont portées – Rejet et admission partiels.

La requérante  a demandé au tribunal administratif de Paris – et a obtenu - l'annulation de la décision par laquelle la Ville de Paris a refusé : 1° de lui communiquer le rapport d'analyse des offres présentées pour l'attribution d'une concession de services relative à la conception, la fabrication, la pose, l'entretien, la maintenance et l'exploitation de mobiliers urbains publicitaires, 2° a occulté des mentions portant atteinte au secret des affaires, 3° les courriers échangés entre la Ville de Paris et la société Clear Channel France au cours de la phase de négociation des offres et 4° les documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris au cours de la séance du conseil de Paris du 1er avril 2019.

La ville demande l’annulation de ce jugement et, dans l’attente, que soit prononcé le sursis à son exécution.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que le tribunal a relevé que la SOMUPI avait pu légitimement estimer, au vu des déclarations de cet adjoint, qu'il existait d'autres documents relatifs à la garantie bancaire de la société attributaire que la seule note des services municipaux déjà produite par la collectivité, qui ne faisait ressortir aucun élément propre à éclairer la réalité du montant de cette garantie bancaire. 

Ensuite, s’agissant des échanges entre la Ville de Paris et la société attributaire pendant la phase de négociation, il est jugé que c’est au prix d'une erreur de qualification juridique que le tribunal a considéré que les pièces et courriers échangés entre la Ville de Paris et la société attributaire pendant la phase de négociation devaient être regardés comme, en principe, communicables à la SOMUPI, alors même qu'il mentionne la réserve du respect du secret des affaires car il lui revenait d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions de l'article L. 311-6 du même code. Les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables.

Enfin, concernant la communication d'une version moins occultée du rapport d'analyse des offres, le juge note que parmi les mentions occultées par la Ville de Paris dans le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI, figurent des éléments relatifs aux engagements pris par la société attributaire à l'égard du pouvoir adjudicateur en termes de quantité et de qualité des prestations ; toutefois, dès lors que, comme l'a relevé le tribunal administratif, ils ne mentionnent ni les prix unitaires, ni les caractéristiques précises de ces prestations, ils ne révèlent pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l'entreprise et sont, par suite, communicables,  ainsi des éléments relatifs aux modèles de mobilier envisagés, à leur dimensionnement, à leur qualité, incluant la nature des équipements numériques proposés, à leur esthétique, à leur évolutivité ainsi qu'à leur nombre et au calendrier de leur déploiement. C’est à bon droit que le tribunal a jugé que le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI avait fait l'objet d'occultations excessives.

(15 mars 2023, Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information (SOMUPI), n° 465171)

 

31 - Responsabilité contractuelle – Endommagement de données informatiques – Défaut d’établissement de la réalité du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

A la suite de l’erreur de manipulation commise par l’agent d’une société informatique intervenant sur l’infrastructure de la demanderesse, cette dernière a été contrainte de mobiliser plusieurs de ses agents pour réaliser des opérations de ressaisie des données perdues à la suite de cette erreur et elle a produit une estimation chiffrée du montant de ce préjudice sur la base d'une liste des agents concernés, de la fraction de leur temps de travail consacré à ces opérations et du montant de leur rémunération. Le tribunal administratif n’a admis que partiellement sa demande indemnitaire et la cour administrative d’appel a dénié toute réparation.

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt en relevant que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les éléments ci-dessus fournis par la collectivité ne permettaient pas d'établir la réalité du préjudice subi par la communauté d'agglomération en termes de charges de personnel, aux seuls motifs que celle-ci ne justifiait pas avoir dû recruter du personnel supplémentaire, ni avoir versé des compléments de rémunération pour accomplir le travail de ressaisie, ni avoir renoncé à l'exercice de missions de service public.

Nous aurions plutôt aperçu ici une dénaturation des pièces du dossier.

(17 mars 2023, Communauté d'agglomération de l'Étampois-Sud-Essonne, n° 459518)

 

32 - Marché public de travaux – Appel d’offres restreint en vue de la sélection de trois candidats autorisés à soumissionner – Sélection ensuite, après négociation, de l’offre économiquement la plus avantageuse - Candidature écartée au profit d’une autre – Candidature retenue ne justifiant pas de l’une des compétences exigées – Irrégularité – Annulation et reprise de la procédure à partir de l’examen des candidatures.

Dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché de travaux portant sur la construction de huit classes et d’un réfectoire pour une école élémentaire, la candidature de la demanderesse a été écartée au profit d’un autre groupement.

Or il résulte du rapport d'analyse des candidatures, que ce groupement ne justifiait pas de la compétence « restauration collective » pourtant exigée par les documents de la consultation. Sa candidature ne pouvait être régulièrement retenue et ce manquement est susceptible d'avoir lésé la société Pro services, demanderesse, dont la candidature a été écartée au profit de celle du groupement.

Ce vice entraîne l’annulation de la procédure de passation du marché public en litige à compter de l'analyse des candidatures, ainsi que, par voie de conséquence, l’annulation de la décision portant rejet de la candidature de la société Pro services.

Si la commune entend poursuivre la procédure de passation du marché public en litige, elle devra la reprendre à ce stade.

(31 mars 2023, Société Pro services, n° 468242

 

Droit du contentieux administratif

 

33 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Champ d’application – Absence d’erreur matérielle – Rejet.

Dans un litige en attribution de la charge des frais au titre de l’art. L. 761-1 du CJA, la chambre requérante a formé un recours en rectification d’erreur matérielle de l’ordonnance portant répartition des sommes allouées sur le fondement de cette disposition.

Le recours est rejeté après que le juge a rappelé qu’aux termes de l’art. R. 833-1 du CJA, le recours en rectification d'erreur matérielle n'est ouvert qu'en vue de corriger des erreurs de caractère matériel de la juridiction qui ne sont pas imputables aux parties et qui ont pu avoir une influence sur le sens de la décision.

Tel n’était pas le cas en l’espèce, d’où le rejet prononcé.

(10 mars 2023, Chambre de commerce et d’industrie de Grenoble, n° 465409)

 

34 - Office du juge de cassation - Moyen de cassation retenu – Moyen le plus approprié selon le juge, non tenu par la hiérarchie des moyens établie par l’auteur du pourvoi – Annulation avec renvoi.

Dans un litige en contestation de la décision mettant fin au détachement de la requérante auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, à Bruxelles, et aux conséquences financières en résultant, le Conseil d’État décrit ce qu’est l’office du juge de cassation lorsqu’il prononce l’annulation d’une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort.

Il lui appartient de fonder l'annulation sur le moyen relatif à la régularité ou au bien-fondé de la décision juridictionnelle contestée, soulevé devant lui ou d'ordre public, « qui lui paraît, eu égard à son office de juge de cassation, le plus approprié pour statuer sur le pourvoi. Il n'est pas tenu, pour faire droit aux conclusions d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui ou ceux qu'il retient explicitement comme étant fondés, ni de se conformer à la hiérarchie de ses prétentions éventuellement faite par l'auteur du pourvoi en fonction de la cause juridique sur laquelle elles reposent. » 

Cette décision réitère mutatis mutandis la solution retenue par l’arrêt de Section, Société Eden dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir appuyé sur une pluralité de moyens d’annulation (21 décembre 2018, n° 409678, Rec. Lebon p. 468).

En l’espèce, est retenu le moyen que l’arrêt a été rendu sans que ses visas ne portent mention d’une note en délibéré reçue antérieurement.

(15 mars 2023, Mme J., n° 452953)

 

35 - Référé liberté – Demande d’annulation d’un décret et de suspension de tout jugement en découlant – Irrecevabilité - Rejet.

Rappel qu’il n’entre pas dans l’office du juge des référés, juge du provisoire, de prononcer l’annulation d’une décision administrative, une telle demande est donc manifestement irrecevable. Est pareillement manifestement irrecevable la demande, sans autre précision, de suspension de « tout jugement qui découle (du) décret (du 4 mai 2022 portant incorporation au CGI de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code) et celui à venir du 2 mars 2023 ».

(ord. réf. 07 mars 2023, Mme B., n° 471765)

 

36 - Exécution d’une décision de justice – Rapport négatif de la section du rapport et des études du Conseil d’État – Ouverture d’une procédure juridictionnelle d’astreinte d’office – Condamnation à astreinte.

Par une décision du 25 novembre 2020 (Conseil national de l’ordre des médecins, n° 428451), le Conseil d'État a annulé le décret du 26 décembre 2018 relatif aux départements d'information médicale en tant qu'il ne prévoit pas, lors de l'accès des commissaires aux comptes aux données personnelles de santé recueillies au cours de l'analyse de l'activité, de mesures de protection techniques et organisationnelles propres à garantir l'absence de traitement de données identifiantes et, en cas d’accès des prestataires extérieurs à ces données, de mesures techniques et organisationnelles propres à assurer que seules sont traitées, avec des garanties suffisantes, les données identifiantes nécessaires au regard des finalités du traitement et de dispositions destinées à garantir qu'ils accomplissent effectivement leurs activités sous l'autorité du praticien responsable de l'information médicale. Le Conseil d’État a encore précisé dans cette même décision que cette annulation impliquait nécessairement l'édiction d'une réglementation complémentaire.

Il résulte des diligences effectuées par la section du rapport et des études du Conseil d’État que cette dernière partie de la décision n’a pas été exécutée et c’est pourquoi le président de la section du contentieux a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle d'astreinte d'office.

Est donc prononcée contre l’État, à défaut pour lui de justifier de cette exécution dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de trois cents euros par jour jusqu'à la date à laquelle la décision du 25 novembre 2020 aura reçu exécution.

(09 mars 2023, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 468007)

(37) V. aussi, pour un autre exemple de prononcé d’une astreinte d’office dans un litige où le haut-commissaire de la République en Polynésie française a refusé d'édicter les mesures qu'implique nécessairement l'application des art. L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles en Polynésie française : 17 mars 2023, M. B., n° 463548.

 

38 - Référé liberté – Hausse massive du prix de l’électricité – Mise en place d’un « bouclier tarifaire » et d’un « amortisseur électrique » - Demande d’extension du « bouclier tarifaire » aux bénéficiaires de l’« amortisseur électrique » - Défaut d’extrême urgence – Rejet.

Devant la hausse considérable des tarifs de l’électricité ont été mis en place deux dispositifs d’atténuation des effets économiques de cette hausse : le « bouclier tarifaire », qui concerne les consommateurs non domestiques employant moins de dix personnes, dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excèdent pas 2 millions d'euros, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères et « l’amortisseur électrique », pour les consommateurs finals dont le nombre d'employés, le chiffre d'affaires ou la consommation électrique sont supérieurs aux seuils fixés pour bénéficier du « bouclier tarifaire » et qui remplissent les conditions prévues à l'art. 3 du décret du 31 décembre 2022 dans la version que lui a donné le décret du  03 février 2023 pris pour l’exécution des VIII et IX de l'art. 181 de la loi de finances pour 2023. Les deux mécanismes, on l’aura compris, sont exclusifs l’un de l’autre.

Les entreprises de boulangerie requérantes demandaient au juge saisi au moyen d’un référé liberté « d'enjoindre au gouvernement d'étendre à toute personne concernée par l'amortisseur électrique, dont ils font partie, le bouclier tarifaire électrique instauré par le décret n° 2022-1774 du 31 décembre 2022 ».

La requête est rejetée faute d’urgence extrême.

Il faut à nouveau insister sur ce que l’urgence de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas celle des autres référés, notamment du référé suspension. Cela se comprend du fait du délai de 48 heures en principe imparti au juge pour statuer. Ceci implique, d’une part, la possibilité pour l’administration de prendre dans ce bref délai des mesures propres à obvier efficacement à la situation présente et, d’autre part, que ces mesures soient elles-mêmes efficaces dans ce même délai.

Ici, le juge des référés décide que « ni les mesures sollicitées, qui sont des mesures réglementaires ne présentant pas le caractère de mesures de sauvegarde provisoires à très bref délai, ni la situation des entreprises requérantes, qui n'établissent pas que faute de remplir les conditions posées par l'art. 1er du décret du 31 décembre 2022 pour bénéficier du « bouclier tarifaire », elles se trouveraient exposées à bref délai à une cessation de paiement, ne permettent de regarder comme remplie la condition d'extrême urgence justifiant l'intervention rapide du juge des référés saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. »  

(ord. réf. 09 mars 2023, Association L'Union des artisans boulangers indépendants et autres, n° 471795)

 

39 - Référé suspension – Prise postérieure d’une décision remédiant au vice retenu pour ordonner la suspension – Pourvoi contre la décision de suspension devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

La commune de Toulon se pourvoit en cassation d’une ordonnance ordonnant la suspension de l’arrêté municipal prononçant la fermeture au public d’un établissement au double motif de l’existence d’une urgence à statuer et du défaut de caractère contradictoire de la procédure suivie par la commune.

Entretemps, cette dernière a recueilli les observations de l’intéressé et prononcé à nouveau la fermeture de la salle. Du fait de cette nouvelle décision, le pourvoi contre l'ordonnance suspendant la première décision doit être regardé comme privé d'objet. Il n’y a donc pas lieu pour le Conseil d’État d’y statuer.

(10 mars 2023, Commune de Toulon, n° 466752)

 

40 - Marché public – Mise en cause de la responsabilité des membres d’un groupement de maîtrise d'œuvre – Conclusions subsidiaires d’appel – Invocation d’un manquement à l’obligation de conseil – Absence de présentation d’un moyen à cet effet avant l’expiration du délai d’appel – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel, saisie de conclusions subsidiaires d’appel tendant à la mise en cause de la responsabilité contractuelle des membres d’un groupement de maîtrise d'œuvre pour manquement à leur obligation de conseil, les rejette, au visa des dispositions combinées des art. R. 411-1, R. 811-2 et R. 811-13 du CJA, comme manifestement irrecevables dès lors que le demandeur n'a présenté devant le juge d'appel, dans le délai d'appel, aucun moyen spécifique au soutien de ses conclusions contestant le jugement du tribunal administratif sur ce point.

(17 mars 2023, Groupement de coopération sanitaire de moyens de Mangot-Vulcin, n° 462460)

 

41 - Délai d’appel – Délai franc expirant un dimanche – Report au premier jour ouvrable suivant – Erreur de droit – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance qui juge manifestement irrecevable pour cause de tardiveté l’appel formé le lundi 27 décembre 2021 contre un jugement notifié le 25 octobre 2021 alors que le délai d’appel, délai franc, expirait le dimanche 26 décembre 2021 à minuit. L’appel était donc encore recevable le lundi 27 décembre.

(17 mars 2023, Mme D., n° 462765)

 

42 - Police de l’audience – Infraction d’audience – Pouvoirs du président de la formation de jugement – Conséquences différentes selon que le fauteur de trouble est ou non partie à l’affaire examinée lors de l’incident – Conciliation de la dignité des débats et de l’impartialité du juge.

L’affaire n’est – heureusement – pas banale.

Au cours d’une audience se tenant dans le cadre d’un litige en licenciement d’un salarié protégé ainsi qu’après que l’affaire a été mise en délibéré, l’intéressé a perturbé les débats et eu une attitude qui n'était ni digne ni respectueuse de la justice, de ses magistrats et de ses greffiers. Le président de la formation de jugement a alors usé des pouvoirs qui lui sont conférés par l’art. R. 731-1 du CJA au titre de la police des audiences.

Le Conseil d’État rappelle que le président de la formation de jugement doit, en ce cas, ordonner au perturbateur qu'il mette fin immédiatement à ses agissements, sous peine d'être expulsé de la salle d'audience. Si les agissements en cause peuvent recevoir une qualification pénale, tel l’outrage à magistrat, le président en informe le chef de juridiction pour signalement au procureur de la république tout comme il est loisible à tout magistrat directement visé de porter plainte ou d’actionner l’action publique ou l’action civile. Pour autant, la circonstance que le président d'une formation de jugement fasse, en présence de tels agissements, usage de ses pouvoirs de police n'est pas, en elle-même, de nature à affecter la régularité de la décision juridictionnelle rendue à l'issue de cette audience. 

En revanche, lorsque le perturbateur est partie au litige soumis à la juridiction au cours de l’audience perturbée et afin de ne pas créer dans le chef de cette partie un doute sur son impartialité à juger son affaire, il appartient au président de la formation de jugement de rayer l'affaire du rôle de l'audience, de façon à ce qu'elle puisse être examinée à une autre audience, devant une formation de jugement à laquelle il ne participe pas ainsi, éventuellement, que les magistrats directement visés. A fortiori en va-t-il ainsi lorsque, comme au cas de l’espèce, le président de la même formation de jugement a immédiatement après la fin de l'audience porté plainte contre le perturbateur à raison de son comportement à l'audience et que l'arrêt qu'il attaque a été rendu postérieurement à ce dépôt de plainte, après qu'il a été délibéré sur le litige par une formation de jugement présidée par le même magistrat administratif.

(21 mars 2023, M. C., n° 456347)

 

43 - Recours formé par une personne morale – Demande de communication de ses statuts et, le cas échéant, de communication d’une délibération – Qualité de représentant de la personne morale non contestée par l’autre partie – Irrecevabilité – Annulation et renvoi au tribunal administratif – Annulation et rejet.

Rappel de ce que, saisi de la requête d'une personne morale, le juge peut s'assurer, chaque fois qu'il l'estime nécessaire, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette qualité ne serait pas contestée sérieusement par l'autre partie.

Commet par suite une erreur de droit et encourt cassation l’arrêt d’appel fondé sur ce que le premier examen du dossier de première instance ne faisait pas apparaître que le représentant de la fédération requérante n'aurait pas eu qualité pour agir au nom de cette dernière.

Cette solution doit être approuvée car la vérification de la qualité pour agir, élément fondamental de tout procès, appartient au seul juge et ne saurait être abandonnée aux parties.

(24 mars 2023, Société des forces hydrauliques du Nées, n° 448722)

 

44 - Dénaturation des pièces – Appelant affublé de la nationalité monténégrine – Titulaire d’un passeport croate – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis la cour administrative d’appel qui attribue à un appelant la nationalité monténégrine alors qu’il est titulaire d’un passeport croate et de la nationalité croate.

(24 mars 2023, M. A., n° 448841)

 

45 - Nouvelle-Calédonie - Condamnation de l’État (administration pénitentiaire) à astreinte – Inexécution partielle – Pouvoirs du juge de l’exécution (art. L. 911-7 CJA) – Attribution du produit de l’astreinte.

L’état, notamment sanitaire, du centre pénitentiaire de Nouméa est déplorable et la requérante, ainsi que d’autres organisations d’ailleurs, s’en est souvent plainte au juge administratif.

La présente affaire illustre une nouvelle fois cette situation et la difficulté d’en obtenir l’amélioration à défaut de cessation complète de l’état très dégradé.

Par une décision du 11 février 2022, le Conseil d'État a prononcé une astreinte à l'encontre de l'État s'il n'était pas justifié, dans le délai d'un mois suivant la notification de cette décision, de l'exécution, d'une part, des injonctions prononcées par l'ordonnance du 19 février 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Nouméa tendant à ce que soit facilité l'accès des personnes détenues aux téléphones mis à leur disposition, que soit résorbée l'insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, que le suivi des personnes détenues par un médecin addictologue soit assuré, que des produits répulsifs soient distribués, à titre gratuit, aux personnes détenues dans les cellules infestées et que soient installées des moustiquaires dans les salles d'enseignement et les cellules infestées et, d'autre part, de l'injonction prononcée par la décision n° 439372, 439444 du 19 octobre 2020 du Conseil d'État tendant à ce qu'il soit procédé au remplacement des fenêtres cassées ou défectueuses.

Par la même décision, le taux de cette astreinte a été fixé à 1 000 euros par jour de retard.

Au plan de la procédure, le Conseil d’État rappelle que si  le juge de l'exécution saisi, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 911-7 du CJA, aux fins de liquidation d'une astreinte précédemment prononcée peut la modérer ou la supprimer, même en cas d'inexécution constatée, compte tenu notamment des diligences accomplies par l'administration en vue de procéder à l'exécution de la chose jugée, il n'a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution est demandée.

Usant de souplesse et de réalisme, le juge admet cependant que l'administration puisse justifier avoir adopté, en lieu et place des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés, des mesures au moins équivalentes à celles qu'il lui a été enjoint de prendre, et qu’en ce cas le juge de l'exécution peut constater que l'ordonnance du juge des référés a été exécutée. 

Au fond, le Conseil d’État constate que si la plupart des prescriptions contenues dans les injonctions antérieures (accès facilité des détenus aux téléphones mis à leur disposition, résorption de l'insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, organisation du suivi des personnes détenues par un médecin addictologue, remplacement des fenêtres cassées) ont été exécutées ou sont en cours d’exécution, l’une d’elles ne l’est toujours pas. Il s’agit de l’injonction relative à l’installation de moustiquaires dans les salles d'enseignement, à laquelle l'administration n'a pas procédé à ce jour. Même si le ministre de la justice fait valoir, d’une part, que les salles d'enseignement ont été équipées d'une climatisation mise en marche un quart d'heure avant le début des cours et fonctionnant durant toute la durée de la classe, d’autre part, l'efficacité d'une telle mesure pour limiter l'impact des moustiques durant les cours, il n'apporte pas d'éléments établissant que celle-ci a des effets au moins équivalents aux mesures que l'ordonnance du 19 février 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nouméa lui a enjoint de mettre en œuvre.

Ainsi, le ministre ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant en l'espèce pleinement exécuté cette ordonnance. 

Suite à sa modération, le produit de l’astreinte allouée à la demanderesse est fixé à dix mille euros.

On approuvera cette solution autant par sa haute valeur symbolique que par ses effets concrets même si l’on peut regretter que le juge ait fait preuve d’une patience infinie dans l’attente d’un comportement de l’administration pénitentiaire qui serait un tantinet plus respectueux de l’autorité de la chose jugée.

(27 mars 2023, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 452354)

 

46 - Procédure contentieuse – Régularité des jugements – Absence de mention des juges ayant rendu un jugement ou arrêt – Annulation.

Est annulé l’arrêt dont la minute ne comporte pas les noms des juges l’ayant rendu.

(29 mars 2023, M. B., n° 464527)

 

47 - Procédure contentieuse – Requête manifestement irrecevable – Champ d’application et régime contentieux – Annulation.

La présente décision se caractérise par deux rappels et une importante précision qui aurait pu en justifier la publication au Recueil Lebon.

Rappel en premier lieu de ce que la catégorie des « requêtes manifestement irrecevables » recouvre trois hypothèses :

1° les requêtes dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte,

2° les requêtes qui ne peuvent être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours, lorsque ce délai est expiré,

3° les requêtes ayant fait l’objet d’une invitation à régulariser, lorsque vient à expiration le délai imparti au requérant à cette fin.

Rappel en second lieu, que ces requêtes peuvent être rejetées par ordonnance (art. R. 222-1 CJA).

Par ailleurs, cette décision apporte cette précision/innovation que dans le cas où la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d'une irrecevabilité susceptible d'être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, alors même qu'elle aurait fixé une date de clôture d'instruction, la requête ne peut pas être rejetée par ordonnance mais seulement par une décision prise après audience publique. 

Ainsi, commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance, prise sur le fondement du 4° de l’art. R. 222-1 CJA précité, rejetant comme manifestement irrecevable une demande tendant à l'annulation d’un permis d'aménager en retenant, postérieurement à la clôture de l'instruction, la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de ce que le demandeur ne justifiait pas d'un intérêt pour agir.

En ce cas, le juge devait préalablement inviter le requérant à régulariser sa requête en apportant les précisions permettant d'en apprécier la recevabilité au regard des exigences de l'art. L. 600-1-2 du code de l'urbanisme et l’informer, comme l'exige l'art. R. 612-1 du CJA, des conséquences qu'emporterait un défaut de régularisation dans le délai imparti.

(30 mars 2023, M. B., n° 453389)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

48 - Impôt sur les sociétés – Société mère d’un groupe fiscalement intégré - Distribution de dividendes et autres profits – Institution de la règle du précompte (art. 223 sexies CGI) – Contrariété en certains cas à une directive – Limites – Rejet.

Si cette affaire est importante son exposition n’en demeure pas moins d’une certaine complexité, tournant autour de la question du précompte.

Le code général des impôts (art. 158 bis) dispose que les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises bénéficient à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société distributrice et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt, égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que : « Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ». Surtout, selon le premier alinéa du 1 de l'art. 223 sexies de ce code, dans sa version issue de la loi de finances pour 2000 du 30 décembre 1999 : « (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ». Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code, avant son abrogation par l'article 93 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 : « Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ».

En l’espèce, la société L'Air liquide, société mère d'un groupe fiscalement intégré, a demandé à l'administration fiscale de lui accorder la restitution de l'intégralité du précompte dont elle s'est acquittée entre 2000 et 2004 à raison de la redistribution à ses actionnaires, notamment, de produits des participations qu'elle détient dans ses filiales établies dans des États membres de l'Union européenne autres que la France. Après rejet de sa réclamation, la société L'Air liquide a saisi le juge administratif qui a prononcé la restitution du précompte dont s'était acquittée la société au titre des distributions de dividendes intervenues en 2002 et 2003 à hauteur de respectivement 18 315 969 euros et de 11 994 059 euros et rejeté le surplus de sa demande. Par deux pourvois, ici joints, le ministre de l'économie, des finances...  et la société L'Air liquide se pourvoient en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel, statuant sur appel de la société L'Air liquide, a porté le montant de cette restitution à 42 443 780 euros et 19 725 565 euros au titre des distributions intervenues en 2002 et en 2003 et rejeté le surplus des conclusions de l'appel de la société.

Se posait à ce stade une intéressante question d’applicabilité et de portée de l’art. 4 d’une directive de l’Union tel qu’interprété par la CJUE dans son arrêt du 12 mai 2022 (Schneider Electric et autres, aff. C-556/20). Selon la Cour, le paragraphe 1 de l'art. 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, doit être interprété comme s'opposant à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. La Cour a également jugé qu'une telle réglementation, alors même qu'elle ne s'appliquerait que lorsque la redistribution ouvre droit à un avoir fiscal, ne relevait pas des stipulations du paragraphe 2 de l'art. 7 de cette même directive.

Le Conseil d’État donne une interprétation assez restrictive de cette solution jurisprudentielle.

Il juge, en effet, positivement, qu’une société mère est fondée à obtenir la restitution du précompte qu'elle a acquitté à raison de la redistribution de dividendes reçus de ses filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors que l'art. 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 fait obstacle à ce qu'elle soit soumise à une imposition sur de tels dividendes.

Il juge aussi, négativement cette fois, que lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de telles filiales, l'obligation dans laquelle elle se trouve, le cas échéant, d'acquitter à ce titre le précompte n’est pas incompatible avec la directive du 23 juillet 1990. Ce point eût mérité, assurément, un renvoi préjudiciel à la CJUE.

En conséquence, le pourvoi est rejeté en ses deux chefs principaux de griefs.

Tout d’abord, il est jugé qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les dispositions relatives au précompte et la convention EDH, spécialement l’art. 1er du premier protocole additionnel à cette convention et l’art. 14 de celle-ci. Or, pour exciper, comme le fait ici la société, d’une situation discriminatoire, il convient de démontrer qu’elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire qu’elle ne poursuit pas un but légitime ou qu'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

De ce chef, la société requérante fait soutenir que les dispositions de l'art. 223 sexies du CGI, telles qu'interprétées en conséquence de l'arrêt du 12 mai 2022 de la CJUE, en ce qu'elles ont pour effet de soumettre au précompte mobilier une société mère établie en France à raison de la redistribution de dividendes en provenance de filiales établies dans un État tiers à l'Union européenne tandis que n'en est pas redevable une société mère qui redistribue des dividendes en provenance de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France, instituent entre les sociétés mères un traitement discriminatoire au regard du droit au respect de leurs biens, selon le lieu d'établissement de leurs filiales. 

Selon le Conseil d’État, par l’institution du précompte, le législateur a entendu assurer la cohérence du dispositif d'élimination de la double imposition économique des dividendes qu'il créait, en faisant en sorte que l'avoir fiscal dont les sommes distribuées étaient assorties, constitue la contrepartie de la soumission à l'impôt, en amont, des bénéfices sur lesquels ces sommes étaient prélevées. Or il résulte de la jurisprudence de la CJUE précitée, telle qu’interprétée par le Conseil d’État, que le champ de la directive est limité, en vertu de son article 1er, aux distributions en provenance ou à destination d'un autre État membre, lorsqu'elle procède à la redistribution, également assortie de l'avoir fiscal, de dividendes en provenance de filiales établies dans des États tiers à l'Union européenne et qu’une telle société mère demeure redevable du précompte. Il découle ainsi des dispositions contestées, telles qu'elles doivent être mises en œuvre pour se conformer aux exigences du droit de l'Union européenne, une différence de traitement entre sociétés mères, au regard de la soumission au précompte, selon que celles-ci redistribuent des dividendes en provenance d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France ou des dividendes en provenance d'une filiale établie dans un État tiers à l'Union européenne. 

Ce raisonnement se discute : si la compétence des actes et jugements des organes de l’Union se limitent au territoire globalisé des États qui la composent, il n’en reste pas moins que doivent être respectées les conditions d’une concurrence et d’une égalité desdits États envers les États tiers d’une part, et au regard des charges mises sur les contribuables des différents États de l’Union du fait d’activités et de relations économiques qu’ils entretiennent en dehors de l’Union. Par ailleurs, reconnaissant implicitement le bien-fondé de cette objection (d’où cette affirmation que « le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles »), le Conseil d’État recherche si du fait du régime fiscal critiqué par le pourvoi en résulte une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Et celui-ci de conclure que la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable.

Ensuite, est rejeté le second grief tiré de ce que la déclaration de précompte ne serait pas opposable au contribuable dès lors qu’il n’a pas à la souscrire. Le juge estime que la circonstance que le droit de l'Union fasse obstacle au prélèvement d'un précompte à raison de la redistribution de produits de filiales établies dans un État membre de l'Union autre que la France ne remet pas, par elle-même, en cause la possibilité de recourir aux éléments portés dans cette déclaration pour déterminer le montant du précompte dont une société demeure redevable à raison de la distribution d'autres bénéfices ainsi que celui dont elle est fondée à obtenir la restitution.

Enfin, sur pourvoi du ministre des finances, le Conseil d’État donne raison à ce dernier s’agissant du grief d’erreur de droit articulé à l’encontre de l’arrêt d’appel frappé de pourvoi pour n’avoir pas précisé le montant effectivement versé aux bénéficiaires des distributions alors qu'il résulte des dispositions du II de l'art. 46 quater-0 E de l'annexe III au CGI que les montants mentionnés dans la déclaration de précompte comme imputés sur les différents postes de résultats disponibles s'entendent du total des revenus effectivement distribués et du précompte y afférent.

(1er mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 443678 ; Société l’Air liquide, n° 443800)

(49) V. dans le même sens, annulant l’arrêt d’appel ayant jugé que la société demanderesse (SA Mersen) était fondée à obtenir la restitution de l'intégralité du précompte qu'elle avait acquitté en 2002 et 2003 : 27 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 438187.

(50) V. aussi, largement comparable en son principe à la décision n° 443678, rejetant une QPC à l’encontre de l’art. 223 sexies du CGI, ainsi que les arguments d’inopposabilité du précompte et d’incompatibilité du précompte avec la directive de 1990 lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de filiales établies dans un État à l’extérieur de l’Union : 1er mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 441657 ; Société Schneider Electric, n°442192.

(51) V. également, prononçant, après renvoi préjudiciel à la CJUE, l’annulation des commentaires administratifs attaqués (documentation de base publiée le 1er novembre 1995 sous les références 4 J 1321 et 4 J 1322  - Instruction 4 J-1-01 du 21 mars 2001, publiée au BOI du 30 mars) au motif qu'ils réitèrent les dispositions de l'article 223 sexies du CGI relatives au précompte mobilier lesquelles sont incompatibles avec le droit de l’Union : 1er mars 2023, Société européenne Schneider Electric et sociétés anonymes (SA) Axa, BNP Paribas, Engie et Orange, n° 442224 ; Société anonyme L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude, n° 442248.

(52) V. voisin dans l’esprit mais portant sur une autre imposition, l’application positive faite à la société demanderesse de la jurisprudence de la CJUE (2 septembre 2015, Groupe Steria SCA, aff. C-386/14) selon laquelle l'art. 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option, en vertu des dispositions de l'art. 223 A du CGI : 1er mars 2023, Société AXA, n° 464552.

(53) V., dans le sens des décisions précédentes mais annulant les imprécisions dans le calcul du précompte par une cour administrative d’appel : 27 mars 2023, S.A. Chargeurs, n° 442866. Et aussi, très comparables en substance : 27 mars 2023, SA Engie venue aux droits de la SA GDF Suez, n° 443285 ; 27 mars 2023, SAS Rio Tinto France venue aux droits de la SA Péchiney, n° 443294 ; 27 mars 2023, SAS Rio Tinto France venue aux droits de la SAS Alcan France, n° 443296 ; 27 mars 2023, SA Orange venue aux droits de la SA France Télécom, n° 443413 ; 27 mars 2023, SA Accor, n° 443425 ; 27 mars 2023, SA Axa, n° 443457 ; 27 mars 2023, SA Imerys, n° 443483.

 

54 - Impôt sur les sociétés – Conventions internationales d’évitement de doubles impositions – Interprétation – Cas d’une situation déficitaire – Impossibilité d’imputation d’un crédit d’impôt conventionnel au titre d’un exercice ultérieur – Rejet.

La société Natixis ainsi que les filiales appartenant au groupe fiscal intégré dont elle est la société mère ont perçu, au titre de chacune des années 2008 à 2011, divers revenus de source étrangère, en particulier des dividendes, auxquels étaient attachés des crédits d'impôt correspondant à l'impôt prélevé à la source dans les États dont provenaient ces revenus, en application des stipulations des conventions fiscales bilatérales conclues entre la France et ces États en vue d'éliminer les doubles impositions.

La société requérante n'ayant pu les imputer sur l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos au cours des mêmes années compte-tenu de sa situation déficitaire, elle a demandé à l'administration fiscale le remboursement des cotisations d'impôts sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 au titre duquel elle était redevenue bénéficiaire, à concurrence d'une somme correspondant au montant de ces crédits d'impôt.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté sa demande de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012.

Son pourvoi est rejeté aux termes d’une décision complexe et discutable.

Dans un premier temps, le juge commence par relever que les stipulations des articles relatifs à l'élimination des doubles impositions des quinze conventions fiscales bilatérales conclues par la France et invoquées par la requérante prévoient que, lorsqu'un résident de France perçoit des revenus en provenance de ces États revêtant la nature, notamment, d'intérêts, de redevances et de dividendes et que ces revenus y ont supporté l'impôt, ils sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français, leur bénéficiaire disposant d’un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, égal au montant de l'impôt payé ou supporté dans l'État d'origine, qui ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. Il relève ensuite que ces conventions ne comportent, en revanche, aucune stipulation prévoyant qu'une société résidente de France puisse imputer sur l'impôt dû au titre d'un exercice ultérieur le crédit d'impôt conventionnel correspondant à l'impôt acquitté à l'étranger qu'elle ne peut, en raison de sa situation déficitaire, imputer au titre de l'exercice au cours duquel elle perçoit les revenus y ouvrant droit. On peut déjà s’interroger sur la pertinence intellectuelle d’une telle exclusion de la symétrie fiscale.

Dans un deuxième temps, le juge recourt à la notion, obscure, de « double imposition juridique » pour en tirer « que l'absence de possibilité de report d'un crédit d'impôt conventionnel non utilisé du fait d'une situation déficitaire ne saurait conduire à priver un contribuable résident de France du bénéfice de l'élimination d'une double imposition » et pour réfuter la thèse de la société requérante selon laquelle les stipulations des conventions fiscales bilatérales en cause devraient être lues, dans leur silence, comme prévoyant nécessairement le report des crédits d'impôt conventionnels non utilisés. Une telle déduction ne nous semble pouvoir être admise que si elle est commune à tous les signataires desdites conventions sans que puisse être invoquée une prétendue souveraineté fiscale comme on le voit ci-après.

Dans un troisième temps, le juge croit pouvoir s’abriter derrière la circonstance que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne selon laquelle, en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation adoptées par l'Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation et la préservation de cette répartition est un objectif légitime reconnu par la Cour. Il juge en conséquence que : « En particulier, le droit de l'Union, dans son état actuel, ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les États membres s'agissant de l'élimination de la double imposition à l'intérieur de l'Union ». Ceci ne saurait faire échec aux exigences d’égalité concurrentielle et d’interdiction de dumping fiscal qui, par elles-mêmes, prohibent nécessairement des attitudes nationales portant directement atteinte à la libre circulations des capitaux (on nous fera grâce du caractère d’alibi de l’invocation de la différence de situation entre deux sortes de sociétés), à la libre détermination des actes juridiques et de leurs motifs, sans entraves nationales.

La solution est d’autant plus regrettable qu’elle s’accompagne d’un refus de renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg sur ce sujet.

(08 mars 2023, Société anonyme Natixis, n° 456349)

 

55 - Investissements productifs en outre-mer – Agrément fiscal en vue de l’admission au crédit d’impôt existant pour de tels investissements – Entreprise d’achat de bateaux de plaisance en vue de leur location – Contrôle de l’administration fiscale et portée – Erreur de droit – Annulation.

Une entreprise d’achat de bateaux de plaisance en vue de leur location à des bases nautiques dans les départements d'outre-mer ou directement à des particuliers s’est vu refuser l’agrément fiscal nécessaire à l’obtention du bénéfice du crédit d’impôt afférent à de tels investissements en vertu des art. 244 quater W et 217 undecies (premier alinéa du I) du CGI. Elle a saisi le juge administratif ; la cour administrative d’appel a annulé le refus d’agrément.

Sur pourvoi du ministre le Conseil d’État annule pour erreur de droit l’arrêt qui avait jugé que les dispositions du III de l'art. 217 undecies du CGI ne permettent ni de fonder un refus d'agrément, ni de limiter le montant des investissements productifs pour lesquels il est délivré, en se fondant sur d'autres conditions que celles qu'elles prévoient, alors même que l'investissement ne répondrait pas aux conditions fixées par les dispositions de l'art. 244 quater W du CGI.

Il tombe en effet sous le sens que le crédit d'impôt institué par cet article ne peut s'appliquer que sous réserve que soient satisfaites les conditions de fond fixées à cet article, relatives notamment à la nature, à la localisation et à la réalisation des investissements et dont la vérification incombe à la seule administration fiscale. En outre, le VII de cet article  soumet certains de ces investissements à l'agrément préalable prévu au III de l'article 217 undecies précité. La délivrance de l’agrément est ainsi subordonnée au respect des conditions posées à l'article 244 quater W ainsi que, le cas échéant, à celles fixées au III de l'article 217 undecies.

(02 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 452492)

 

56 - Décision de dégrèvement fiscal produite en cours d’instance – Dégrèvement n’ayant été ni notifié ni exécuté envers le contribuable – Litige devenu sans objet – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance d’appel qui, pour décider que le litige n'était pas privé d'objet par la simple intervention d’une décision de dégrèvement car celle-ci n'avait été ni notifiée à la société contribuable, ni exécutée, alors que la production en cours d'instance d'une décision de dégrèvement d'une imposition dont un contribuable a demandé la décharge au juge de l'impôt suffit à priver d'objet le litige.

(02 mars 2023, gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 454923)

 

57 - Avantages occultes – Notion – Retrait de sommes d’un compte courant d’associé – Absence de caractère de prêt – Libéralité – Imposition en tant que telle - Rejet.

Ne commet ni erreur de droit ni inexacte qualification des faits l’arrêt d’appel, par ailleurs suffisamment motivé, qui aperçoit non un prêt remboursable mais une libéralité dans le fait pour un contribuable d’avoir prélevé des sommes dans un compte courant d’associé au sein de la société PA Finances, à hauteur de la quasi-totalité de la trésorerie de cette dernière, alors que la convention de placement de ces sommes conclue le 10 juillet 2012 entre M. D. et la société PA Finances était dépourvue de date certaine, qu’elle ne précisait pas le nom de ses signataires, ne mentionnait ni le montant des sommes confiées à M. D., ni les placements envisagés et que si elle prévoyait, au demeurant, sans autre précision, que le rendement escompté devait être « du double du taux de rémunération versé par notre nouvelle banque » et que les sommes devaient être restituées « à première demande », elle n'organisait aucun mécanisme de garantie.

En outre, la cour a constaté que si les procès-verbaux d'assemblée générale du 20 juillet 2013 et du 27 juin 2014 faisaient mention de cette convention, ils n'apportaient pas davantage de précisions sur les modalités de l'opération. Enfin, elle a également retenu le fait qu'aucun produit financier résultant de ces placements n'avait été enregistré par la société au cours des exercices vérifiés et que les sommes en cause n'avaient été restituées à la société que le 5 décembre 2014, soit postérieurement à la notification de la proposition de rectification en date du 20 novembre 2014.

Pas davantage n’a été commise une erreur de droit en ce que la cour a jugé que l'administration avait pu imposer les sommes en litige en qualité d'« avantages occultes » au sens des dispositions du c) de l'article 111 du CGI.

(06 mars 2023, M. et Mme D., n° 458553)

 

58 - Société n’ayant qu’un siège social apparent au Luxembourg – Réintégration dans le revenu imposable de dividendes et tantièmes perçus sans imputation de la retenue à la source pratiquée au Luxembourg – Conditions d’application de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 – Rejet et annulation partiels.

L’administration fiscale a exigé des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales du fait de la perception de dividendes et de tantièmes par un contribuable en qualité d’administrateur et d’actionnaire de la société CA Animation dont le siège social est au Luxembourg. Ce dernier invoquait le bénéfice de l’application de la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune.

Une double question se posait.

En premier lieu, l’application de cette convention supposait l’examen de la réalité de l’implantation de la société au Luxembourg. Sur ce point la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir répondu par la négative en retenant que la société ne disposait au Luxembourg que d'un local de 13 m² mis à sa disposition par une société luxembourgeoise de domiciliation, qu’elle n'y employait qu'un salarié de la même société exerçant pour elle une activité de comptable quelques heures par semaine tandis que, dans le même temps, ses contrats ont continué à être signés et les décisions à être prises depuis le siège parisien d'autres sociétés du groupe par M. d'Espous et son co-associé, tous deux domiciliés en France.

C’est donc sans erreur de droit, ni de qualification juridique des faits que la cour a jugé que le centre effectif de direction de cette société se situait en France alors même que la société CA Animation tenait ses assemblées générales et ses conseils d'administration au Luxembourg.

En conséquence, le contribuable ne saurait se prévaloir du bénéfice du crédit d'impôt prévu par les stipulations de l'article 19 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, à hauteur du montant de la retenue à la source subie au Luxembourg par les revenus tirés des dividendes et tantièmes. 

En second lieu, en revanche, l’arrêt est annulé pour erreur de droit en tant qu’il a refusé au demandeur le bénéfice de l’application des dispositions de l’art. 122 du CGI lui permettant de déduire des dividendes en litige l'imposition supportée au Luxembourg dès lors que la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne comporte aucune stipulation excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet État d'un revenu imposable en France et dès lors que M. d'Espous, bénéficiaire de la distribution des dividendes, a supporté la charge fiscale ayant pesé sur ces derniers.

(15 mars 2023, M. A. d’Espous, n° 449723)

 

59 - Demande de restitution d’un crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'œuvres cinématographiques – Demande rejetée pour dépassement du plafond d'aides publiques (VII de l’art. 220 sexies CGI) – Production d’un film « difficile » - Erreur de droit dans l’appréciation de la nature d’aide publique prohibée et sur les effets du plafonnement de l’aide – Annulation avec renvoi.

La requérante a demandé le remboursement d'un crédit d'impôt à raison du film « Vent du Nord » qu'elle a coproduit. L'administration fiscale ayant rejeté sa demande notamment à raison du dépassement du plafond d'aides publiques institué par le VII de l'art. 220 sexies du CGI, sa position a été confirmée, sur recours de la société Barney Production, par les juges du fond, d’où le pourvoi en cassation de cette dernière.

L’art. 220 sexies du CGI a pour objet d’assurer la compatibilité du régime français d'aide au cinéma et à l'audiovisuel avec les règles européennes relatives aux aides d'État, ce régime a été déclaré compatible avec les traités européens par une décision de la Commission européenne.

Par ailleurs, il résulte de l’art. 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que sont considérées comme des aides d'État les interventions de l'État ou au moyen de ressources d'État qui sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres, en accordant un avantage à son bénéficiaire ayant pour conséquence de fausser ou de menacer de fausser la concurrence. En bref, sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l'entreprise bénéficiaire n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché.

Examinant le cas d’espèce, le Conseil d’État relève en premier lieu que le film « Vent du Nord », parce qu’il entre dans la qualification de film dit « difficile », peut bénéficier du crédit d'impôt prévu à l'art. 220 sexies du CGI à condition que le montant total des aides publiques accordées n’excède pas, du fait du crédit d’impôt, plus de 60 % du budget de production. Le juge de cassation relève en second lieu qu’en application de la convention de financement conclue avec l'association Pictanovo, organisme institué par la région des Hauts-de-France pour promouvoir la création cinématographique sur son territoire, cette association a versé à la société Barney Production une somme de 150 000 euros pour participer au financement du film. Ce contrat organise un partage des recettes nettes du film permettant à l'association de percevoir 8,42 % des recettes nettes mondiales jusqu'au remboursement de la somme versée, puis 6 % de ces recettes. En revanche, cette convention ne lui donne pas la qualité de coproducteur, la société Barney Production demeurant seule propriétaire des éléments corporels et incorporels de l'œuvre.

De là se déduit que la cour a commis deux erreurs de droit : d’abord, en jugeant que la somme versée par l'association Pictanovo pour le financement du film avait le caractère d'une aide publique sans rechercher si et dans quelle mesure cette somme constituait un avantage que la société Barney Production n'aurait pu obtenir dans les conditions normales du marché ; ensuite, en jugeant qu’en cas de franchissement du seuil (de 50% ou de 60%) du coût définitif de production de l'œuvre par le montant total des aides publiques accordées pour la production d'un film, le crédit d’impôt devait être remis en cause dans sa totalité, et non pas seulement pour la fraction excédant ce plafond.

(15 mars 2023, Société Barney Production, n° 452317)

 

60 - Impôt sur les sociétés – Créances irrécouvrables – Réintégration de leur montant dans le résultat taxable – Double imposition partielle au détriment de la contribuable – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce qu’il résulte des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du CGI qu'une provision ne saurait être déduite du résultat de l'exercice si elle n'a pas été effectivement constatée dans les écritures comptables à la clôture de l'exercice. Le défaut de constitution d'une provision n'est ainsi pas susceptible de faire l'objet d'une correction demandée par voie de réclamation ou, après l'expiration du délai de réclamation, par voie de compensation à l'occasion d'un rehaussement.

Dès lors que les provisions qui avaient été constituées par la STPCL au titre des exercices clos entre 2006 et 2009 avaient été reprises au cours de l'exercice clos en 2010 et ne figuraient plus au bilan de clôture de cet exercice, l'absence de déduction du montant de ces provisions pour le calcul du résultat passible de l'impôt sur les sociétés au titre de cet exercice ne pouvait être regardée – contrairement à ce qu’a jugé la cour - comme caractérisant une surtaxe commise au détriment de la société ou une double imposition de nature à ouvrir droit à une demande de compensation à l'occasion de la réintégration par l'administration de la perte sur créances irrécouvrables, d’où la censure de l’arrêt pour erreur de droit.

(13 mars 2023, Société de travaux publics et de construction du Littoral (STPCL), n° 465369)

 

61 - Impôt sur le revenu – Non déclaration de revenus – Prétendue irrégularité de procédure – Dénaturation – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis et encourt la cassation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que le défaut de communication d’une lettre de l’administration fiscale du 13 août 2015 avait entaché d'irrégularité la procédure d'imposition, alors que les renseignements contenus dans cette lettre ne pouvaient être regardés comme ayant été effectivement utilisés pour fonder tout ou partie des impositions supplémentaires mises en recouvrement puisque après un entretien postérieur avec le contribuable, l’administration a informé ce dernier par lettre du 24 octobre 2016 qu'elle abandonnait le chef de redressement  qui y était contenu.

(13 mars 2023, M. et Mme C., n° 466024)

 

62 - Activité de soutien scolaire – Régime de la TVA – Exonération pour les organismes privés sans but lucratif, soumission pour ceux à fins lucratives – Absence d’atteinte au respect du principe d'égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

La société requérante, qui assure des prestations de soutien scolaire dans un but lucratif a fait l’objet d’un rappel de TVA à raison de celles-ci. Elle soutient qu’est contraire à la Constitution, en ce qu’il porterait atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, le a du 1° du paragraphe 7 de l'art. 261 du CGI, pris pour la transposition des dispositions du i du 1 de l'art. 132 et de l'art. 133 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en tant qu’il exonère de la taxe sur la valeur ajoutée, par son premier alinéa, « les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée ». 

Le recours est bien évidemment rejeté tant en raison de l’objectif de favoriser l'accès à des prestations d'intérêt général aux prix les plus faibles poursuivi par cette disposition qu’en raison de ce que l’argument selon lequel cela aurait pour effet de faire supporter aux consommateurs de ces services une charge plus lourde que celle supportée par ceux qui acquièrent ces services auprès d'organismes privés sans but lucratif dont la gestion est désintéressée, est, en lui-même, sans incidence sur le respect du principe d'égalité devant les charges publiques entre les redevables légaux de la TVA que sont les prestataires.

(13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467225)

(63) V. aussi, identique : 13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467226.

 

64 - Compte bancaire ouvert à l’étranger – Obligation de déclaration – Obligation déclarative s’imposant à une personne physique, une association ou une société n'ayant pas la forme commerciale, domiciliée ou établie en France - Omission de déclaration – Caractère imposable des fonds transitant par ce compte – Rejet.

L’art. 1649 A du CGI fait obligation à tout contribuable domicilié en France, de déclarer à l'administration les références de tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger, à défaut de quoi les fonds ayant transité par ce compte constituent des revenus imposables, sauf preuve que les sommes en question étaient hors champ d'application de l'impôt ou en étaient exonérées, ou constituaient des revenus ayant déjà été soumis à l'impôt.

Le Conseil d’État considère, par une interprétation large de ce texte, que l'obligation déclarative ainsi posée est applicable à tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger par une personne physique, une association ou une société n'ayant pas la forme commerciale, domiciliée ou établie en France, quel que soit le titulaire de ce compte, y compris notamment si ce titulaire est une société commerciale.

En l’espèce, l’administration fiscale a imposé comme un revenu imposable entre les mains de M. C., les sommes ayant transité sur le compte bancaire letton d’une société chypriote dont le contribuable requérant était actionnaire à 50 % et avait tout pouvoir sur le compte bancaire letton.

C’est donc sans erreur de droit que l’arrêt d’appel juge qu’étaient imposables et soumises à déclaration les sommes débitées sur l’ordre de M. C. pour le paiement des fournisseurs sans qu'aient d'incidence à cet égard les circonstances que la société chypriote était une société commerciale non établie en France et que M. C. avait agi en qualité de mandataire social de cette société.

(08 mars 2023, M. et Mme C., n° 463267)

 

65 - Droit fiscal de l’urbanisme – Convention de projet urbain partenarial – Liaison avec la durée d’exonération de la taxe locale d’équipement – Silence de la convention sur la durée d’exonération de la taxe d’aménagement – Conséquences – Rejet.

La société RG Patrimoine a obtenu le permis de construire une maison individuelle sur un terrain appartenant à M. A., puis la commune a conclu avec M. A., le 29 juin 2017, une convention de projet urbain partenarial par laquelle l'intéressé s'engageait à verser à la commune une participation correspondant à 50 % du coût des équipements publics à réaliser à raison de la construction projetée. Les 6 juillet 2018 et 9 juillet 2019, deux titres de perception ont été adressés à la société RG Patrimoine en vue du recouvrement de la taxe d'aménagement due à raison de l'opération de construction.

La société RG Patrimoine a saisi le tribunal administratif de l’annulation du refus qui a été opposé à sa demande de restitution de la fraction de ces sommes correspondant à la part communale de la taxe d'aménagement. Ce recours ayant été rejeté par le tribunal, la société se pourvoit en cassation. 

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État retient tout d’abord qu’il résulte des art. L. 332-11-3 et L. 332-11-4 du code de l’urbanisme que la durée de l'exonération de taxe locale d'équipement est l'une des composantes nécessaires d'une convention de projet urbain partenarial. Il indique ensuite qu'à défaut de mention, dans une convention de projet urbain partenarial, de la durée d'exonération de la taxe d'aménagement, les parties à cette convention ne peuvent être regardées comme ayant entendu se référer à la durée maximale de dix ans mentionnée à l'art. L. 332-11-4 du même code. C’est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que la convention de projet urbain partenarial conclue entre la commune et M. A. n'avait pu avoir pour effet d'exonérer la société requérante de la taxe d'aménagement faute de fixer la durée durant laquelle les constructions édifiées dans son périmètre seraient exclues du champ d'application de la taxe d'aménagement. Au reste, ainsi que l’a d'ailleurs relevé le tribunal, cette convention mentionnait que la société RG Patrimoine serait assujettie à cette taxe au taux de 8 %.

Enfin, contrairement à ce que soutenait la requérante, celle-ci n’a pas fait l’objet d’une double imposition faute d’avoir été assujettie, à la fois, à une participation d’urbanisme et à la taxe d’aménagement.

(10 mars 2023, Société RG Patrimoine, n° 459895)

(66) V. aussi, jugeant qu’une commune, qui n’a pas la qualité de partie dans l’instance par laquelle un tribunal administratif se prononce sur un litige relatif à la taxe d’aménagement, laquelle constitue une imposition établie, liquidée et recouvrée par l'État au profit de la personne morale de droit public qui en est le bénéficiaire légal, n'est pas recevable à se pourvoir en cassation contre certains articles du dispositif dudit jugement : 10 mars 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468940.

(67) V., identiques, avec même demanderesse : 10 mars 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468941 ; n° 468943 ; n° 468944.

 

68 - TVA – Demande de remboursement d’un crédit de TVA – Nature juridique de « réclamation » (art. L. 190 du LPF) – Décision de rejet – Absence d’effets des irrégularités affectant la procédure conduisant à cette décision – Rejet.

La contribuable, importatrice de tabac, a fait l’objet d’un rappel de TVA et a demandé, en vain, aux juges du fond le remboursement du crédit de TVA dont elle s’estimait titulaire. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du rejet prononcé en première instance.

Le Conseil d’État rappelle qu’une demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée constitue une réclamation au sens de l’art. L. 190 du LPF dont le rejet, partiel ou total, par l'administration, n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de rectification.

Or la contribuable se prévalait d’irrégularités dans la procédure d’instruction de la réclamation notamment le fait qu’était dépourvue de signature la proposition de rectification établie à l'issue du contrôle diligenté par l'administration afin d'instruire la demande de remboursement présentée par la société, au point qu’elle a saisi le doyen des juges d'instruction près le tribunal judiciaire de Fort-de-France d’une plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux et escroquerie au jugement.

Ce nonobstant, il est jugé que les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction de cette réclamation, y compris celles qui affecteraient les opérations de vérification ou de contrôle effectuées, le cas échéant, à cette occasion, sont sans incidence sur le bien-fondé de cette décision. Les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif sont inopérants.

(10 mars 2023, Société Import Négoce International, n° 460695)

 

69 - Taxe d’habitation – Locaux non assujettis à cette taxe les deux années précédentes – Irrecevabilité du recours en décharge de l’imposition – Motif d’ordre public – Rejet.

Sont irrecevables, et ce motif est d’ordre public, des conclusions en décharge de la taxe d’habitation qui aurait grevé certains locaux alors que, pour les deux années antérieures, la taxe a fait l’objet d’un dégrèvement total, pour la première année, et n’a pas été réclamée pour la seconde année.

(10 mars 2023, Société Montpellier Rugby Club, n° 460959)

 

70 - Taxe sur les véhicules de société – Conditions d’assujettissement – Interprétation de l’art. 1010 du CGI – Charte des droits et obligations du contribuable vérifié – Interprétation jurisprudentielle – Annulation de l’arrêt et confirmation du jugement.

La société requérante, spécialisée dans la conception et la commercialisation de circuits touristiques en France auprès d'une clientèle anglophone, s’est vue notifier des rappels de taxe sur les véhicules de société. Sur son recours, le tribunal administratif a prononcé la décharge de ces impositions. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt infirmatif de la cour administrative d'appel.

Le juge de cassation décide in fine que c’est à bon droit que le tribunal administratif que les véhicules de neuf places à raison desquels la société Butterfield et Robinson France a été assujettie aux rappels de taxe sur les véhicules de société en litige étant pris en location par la société canadienne Butterfield et Robinson Inc., seule cette dernière pouvait être assujettie à la taxe sur les véhicules de société à raison de ces véhicules. 

Mais la décision vaut surtout par les deux interprétations jurisprudentielles assez innovantes qu’elle contient et qui pouvaient ne pas aller de soi.

En premier lieu, l'art. 1010 du CGI disposait, à l’époque des faits : « I. - Les sociétés sont soumises à une taxe annuelle à raison des véhicules de tourisme qu'elles utilisent en France, quel que soit l'État dans lequel ils sont immatriculés, ou qu'elles possèdent et qui sont immatriculés en France. (...).

II. (...)

Lorsqu'elle est exigible en raison des véhicules pris en location, la taxe est à la charge de la société locataire. (...) ».

Le Conseil d’État interprète ces dispositions comme signifiant que l'administration est tenue d'assujettir à la taxe tous les redevables qui remplissent l'un des critères alternatifs d'assujettissement ainsi définis sauf pour ce qui concerne la taxe exigible en raison de véhicules pris en location qui n'est due que par la seule société locataire. 

En second lieu, la charte des droits et obligations du contribuable vérifié dispose que le contribuable peut saisir l'inspecteur divisionnaire ou principal pour obtenir des éclaircissements supplémentaires sur les rectifications envisagées au terme de la vérification. Si des divergences importantes subsistent, le contribuable peut faire appel à un interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur.

Le Conseil d’État en déduit cette interprétation que ces dispositions n'imposent pas que le supérieur hiérarchique du vérificateur prenne expressément position après son entretien avec le contribuable. En l'absence de prise de position écrite du supérieur hiérarchique, les divergences avec l'administration fiscale doivent être regardées comme persistant. Par suite, tant que n’est pas intervenu un document écrit par lequel l'administration fiscale fait savoir au contribuable qu'il n'y a plus de désaccord, le contribuable peut faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné. Dans l'hypothèse où une position écrite du supérieur hiérarchique faisant état de la disparition des divergences entre l'administration fiscale et le contribuable intervient après que celui-ci a demandé à rencontrer l'interlocuteur, cette demande devient sans objet. 

(10 mars 2023, Société Butterfield et Robinson France, n° 464123)

 

71 - Droit fiscal international – Convention fiscale bilatérale en vue d’éviter les doubles impositions – Régime juridique au regard de la hiérarchie des normes – Rejet et annulation partiels.

Rappel, cette fois à propos de la convention fiscale bilatérale du 19 juillet 1989 entre la France et les Émirats arabes unis, que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition.

Il incombe donc en premier lieu au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification.

Il incombe également, en second lieu, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

En l’espèce, il est jugé que si l’administration fiscale a pu à bon droit refuser au contribuable le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 81 A du CGI, en revanche, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu en litige.

(20 mars 2023, M. A., n° 452718)

 

72 - Entreprise soumise à une obligation déclarative – Obligation, sous peine d’amende, d’utiliser un formulaire fourni par l’administration fiscale– Formulaire ne permettant pas l’inscription d’une mention – Annulation de l’amende.

Le I de l'article 54 septies du CGI, dispose que les entreprises assujetties aux obligations déclaratives qu'il énonce doivent utiliser un état conforme au modèle fourni par l'administration et dont le contenu est précisé par décret. Les déclarations n’utilisant pas ou ne respectant pas ce modèle pour y porter les informations légalement requises, sont passibles d’une amende prévue par les dispositions du e du I de l'article 1763 du CGI.

La société demanderesse a fait l’objet d’une amende pour ne pas s’être soumise à cette exigence de forme.

Elle a fait valoir devant les juges du fond que devant porter le montant des mali résultant d’une opération de fusion, elle n’a trouvé dans ce formulaire aucun espace pour ce faire. La cour administrative d’appel a cependant confirmé la sanction motif pris de ce qu’il existait sur ce formulaire une ligne vierge qui permettait d’y inscrire le montant des mali.

Sur pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt en rappelant d’abord que les dispositions régissant l’infliction d’amendes, lesquelles constituent des sanctions, sont d'interprétation stricte. Ensuite, le juge relève que la ligne prétendue vierge par les juges du fond, correspondait à diverses rubriques (valeur fiscale, valeur comptable, montant de la soulte éventuellement reçue, montant de la soulte imposée et valeur d'échange ou d'apport des biens) dont aucune ne concernait le cas de l’espèce qui relevait du 3° du I de l'art. 38 quindecies de l'annexe 3 au CGI.

L’amende infligée était donc évidemment l’illégale.

(22 mars 2023, Société Grenoble Logistique Distribution, n° 455621)

 

73 - Associé d’une société civile professionnelle (SCP) de notaires – Maintien de la qualité d’associé d’un notaire n’exerçant plus d’activité professionnelle – Situation abusive emportant versement d’indemnités aux autres associés – Déductibilité des sommes dues à ce titre – Erreur de droit – Annulation.

Un notaire, membre d’une SCP de notaires, qui a cessé d’exercer, continue néanmoins à percevoir une quote-part des résultats de la SCP. Puis, à raison de l’irrégularité de cette perception de revenus, il a été tenu de verser des indemnités à ses ex-associés.

Il a prétendu déduire ces indemnités du montant des revenus tirés de sa quote-part à raison de son maintien abusif dans ladite SCP.

Le Conseil d’État annule, sur pourvoi du ministre des finances, l’arrêt d’appel qui a jugé déductibles les indemnités versées à ses confrères. En effet, les dépenses mentionnées à l'art. 13 du CGI, sous réserve des dépenses reconnues déductibles du revenu global par l'art. 156 du même code, sont uniquement celles qui ont été nécessaires pour acquérir ou conserver les produits bruts retenus pour le calcul du revenu de la catégorie envisagée, ainsi des frais engagés pour acquérir ou conserver des éléments d'actif qui sont affectés aux entreprises ou aux professions exercées par le contribuable. En revanche, et sauf disposition contraire expresse, les frais engagés pour maintenir ou accroître le patrimoine privé du contribuable ne sont pas déductibles, alors même que des revenus sont ou pourront être retirés de certains éléments de ce patrimoine. 

(22 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 464167)

 

74 - Taxe sur les surfaces commerciales – Prise en compte des surfaces de vente temporaires (chapiteaux) – Calcul de ces surfaces – Solution prévue par la loi écartée en raison d’une prise de position formelle de l’administration – Annulation partielle.

Un litige s’est élevé en matière de taxe sur les surfaces commerciales concernant le mode de calcul de l’inclusion dans la superficie taxable des surfaces temporaires de vente, généralement sous chapiteaux.

Le Conseil d’État juge qu’il résulte de la loi (art. 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés) que pour la détermination du taux de la taxe, il y a lieu, pour calculer le chiffre d'affaires au mètre carré, de tenir compte des surfaces de vente créées ou modifiées en cours d'exercice, y compris celles qui revêtent un caractère temporaire, au prorata du temps d'ouverture de ces surfaces. Toutefois, les paragraphes 58 à 60 de l'instruction fiscale 6 F-2-12 du 23 avril 2012, publiée au Bulletin officiel des impôts du 3 mai 2012, donnent une interprétation de la loi différente de celle jugée seule régulière par le Conseil d’État en ce que ces dispositions prévoient une règle de fractionnement de l'exercice en plusieurs périodes correspondant à des surfaces de vente différentes, le montant de la taxe dû au titre de l'année étant égal à la somme des montants de taxe calculés pour chaque période concernée, l'assiette, le taux et les éventuelles majorations étant calculés distinctement pour chaque période, en fonction de la surface de vente de la période et du chiffre d'affaire proratisé et par application du barème prévu par l'art. 3 de la loi du 13 juillet 1972.

Comme cette interprétation est formelle, le contribuable est fondé, en vertu de l’art. L. 80A du livre des procédures fiscales, à s’en prévaloir et à exiger son application plutôt que celle du texte législatif.

C’est donc par erreur de droit que le tribunal administratif a refusé de faire application de cette interprétation. Le jugement est annulé.

(27 mars 2023, Société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Castorama France, n° 460777)

 

75 - Taxe d’aménagement au titre d’un permis de construire – Abattement pour locaux artisanaux – Locaux en partie vacants – Absence de remise en cause – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge que la circonstance que des locaux artisanaux sont demeurés en partie vacants ne permet pas de remettre en cause l’abattement de la taxe d’aménagement dont a bénéficié le pétitionnaire du permis de construire ces locaux.

(27 mars 2023, Société Color, n° 463961)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Locaux à usage d’hypermarché – Comparaison avec un local de référence – Local occupé par son propriétaire – Absence de « location à des conditions normales » - Annulation.

Est entaché d’erreur de droit le jugement qui rejette la contestation par une contribuable du montant de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie à raison de locaux à usage d’hypermarché, contestation fondée sur ce que pour évaluer par voie de comparaison ces locaux a été retenu un local-type n° 27 bis de la catégorie « Maisons exceptionnelles » du procès-verbal d'évaluation de Montpellier, le tribunal administratif s'est borné à relever que, contrairement à ce qui était soutenu, ce local était déjà construit à la date du 1er janvier 1970. Or la société demanderesse soutenait que l'administration n'établissait pas avoir évalué son immeuble au moyen d'un local de référence loué à des conditions de prix normales au 1er janvier 1970 et que la déclaration « modèle P » du local-type n°1 du procès-verbal de la commune de Pérols, invoquée en défense par l'administration pour justifier de la valeur locative du local-type, portait la mention « occupé par son propriétaire », de sorte qu'il ne pouvait en être déduit que ce local-type était loué à des conditions normales au 1er janvier 1970.

(27 mars 2023, SAS Immobilière Carrefour, n° 464693)

 

77 - Impôts sur le revenu - Conjoints – Principe de l’imposition par foyer - Solidarité – Séparation ou divorce – Conséquences – Annulation partielle.

Une cour administrative a accordé à la demanderesse décharge de la solidarité entre conjoints au paiement de l’impôt sur la totalité de l’imposition mise à la charge du foyer fiscal alors que cette dernière avait perçu des revenus au cours de l’année en litige. La cour a commis une erreur de droit car il lui incombait de limiter la décharge à la différence entre, d'une part, le montant de la totalité de l’imposition et, d'autre part, la fraction de la cotisation correspondant à ses revenus personnels et à la moitié des revenus communs.

(27 mars 2023, Mme A., n° 466281)

 

78 - Époux placés sous le régime de la communauté universelle – Mise en commun des valeurs mobilières appartenant à l’un des époux – Cession à titre gratuit de titres dont la plus-value est en report d’imposition - Absence de caractère de cession à titre gratuit – Inapplicabilité du II de l’art. 92 B du CGI – Rejet.

Le II de l’art. 92 B du CGI dispose que les cessions de titres à titre onéreux mettent fin au report d’imposition des plus-values ainsi dégagées et que lors de la cession à titre gratuit des titres dont la plus-value a bénéficié du report d'imposition, cette dernière est définitivement exonérée d'imposition. 

En l’espèce, les époux avaient choisi le régime de la communauté universelle ce qui a entraîné la mise en communauté de valeurs mobilières appartenant à l'un des époux, à laquelle a été adossée leur attribution au conjoint survivant, résultant de l'application d'une clause en ce sens figurant dans le contrat de mariage. Il résulte donc des dispositions des art. 1525 et 1526 et du premier alinéa de l’art. 1527 du Code civil que cette mise en communauté avec attribution au dernier survivant constitue un avantage matrimonial non une donation et, par suite, ne saurait constituer ni une cession à titre gratuit ni une cession à titre onéreux pour l’application du II de l’art. 92 B du CGI. Il suit de là qu’au décès de son mari sa veuve était la redevable de l'imposition de la plus-value résultant de l'opération d'échange de titres réalisée par son mari en octobre 1999 et que cette cession à titre onéreux a mis fin au report d'imposition de cette plus-value sous le régime duquel elle avait été placée. 

(27 mars 2023, Mme B., n° 456550)

 

79 - Taxe sur les salaires – Conditions d’exonération – Application a contrario du 1 de l’art. 231 du CGI – Annulation.

Fait une fausse application du 1 de l’art. 231 du CGI la cour administrative d’appel qui juge qu’une entreprise doit être déchargée d’un rappel de taxe sur les salaires alors que, par a contrario de ces dispositions, pour ne pas être redevable de la taxe sur les salaires au titre des rémunérations payées au cours d'une année civile, le contribuable doit, non seulement être assujetti cette année-là à la taxe sur la valeur ajoutée sur une partie au moins de son chiffre d'affaires, mais aussi l'avoir été l'année précédente à hauteur d'au moins 90 % de son chiffre d'affaires.

Ce n’était pas le cas en l’espèce, d’où l’annulation de l’arrêt avec renvoi.

(31 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 460383)

 

80 - Plus-value de cession d’un bien immobilier – Taxation – Calcul de la plus-value – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Les contribuables demandeurs ont acquis en 2002 un ensemble immobilier d’une surface totale de 3 553 m2, sur laquelle étaient bâtis une maison principale et plusieurs dépendances pour un prix hors mobilier de 557 964 euros. L’une de ces dépendances a fait l'objet de travaux en vue d'y aménager cinq gîtes et des parties communes. Les différents lots de cette parcelle ont été progressivement inscrits à l'actif de l’entreprise individuelle de loueur de locaux meublés exercée par M. C., pour une valeur totale de 430 000 euros. Le bâtiment abritant cette dépendance a été vendu en 2013, avec son terrain d'assiette d'une surface de 281 m2. Le bien cédé étant inscrit à l'actif de l'entreprise individuelle exploitée par M. C., les contribuables ont estimé que la plus-value réalisée à l'occasion de cette vente était de nature professionnelle et qu'elle était exonérée en application des dispositions de l'article 151 septies du CGI. Ils n’ont donc procédé à aucune déclaration à ce titre. L’administration fiscale, suite à une vérification de comptabilité et à un contrôle sur pièces a remis partiellement en cause cette exonération.

Selon celle-ci la part de la plus-value de cession correspondant à la différence entre le montant pour lequel le bien avait été inscrit à l'actif de l'entreprise individuelle de M. C., soit 430 000 euros, et son prix de revient, qu'elle a évalué à 44 128 euros, devait être regardée non comme une plus-value professionnelle, mais comme une plus-value imposable entre les mains de M. et Mme C. selon le régime des plus-values de particuliers en application de l'article 151 sexies du CGI.

Des suppléments d’impôt, de contributions sociales, des intérêts de retard et une majoration de 10% ont été infligés.

Le juge de cassation annule pour erreur de droit l’arrêt d’appel rejetant la demande des contribuables.

En effet, pour retenir un prix de revient de 44 128 euros de la parcelle détachée de l'ensemble immobilier acquis en 2002, en vue de la détermination de la fraction de la plus-value de cession de ce bien correspondant à la période, comprise entre son acquisition et son inscription à l'actif professionnel de M. C., pendant laquelle il est demeuré dans le patrimoine privé de ce dernier, l'administration s'est bornée à appliquer au prix total d'acquisition de ce bien, soit 557 964 euros, le rapport entre la superficie de cette parcelle, soit 281 m², et les 3 553 m² de surface totale du terrain d'assiette de l'ensemble immobilier initial. Or la cour administrative d’appel, rejetant l’appel des contribuables, a jugé que la méthode ainsi mise en œuvre par l'administration permettait de traduire fidèlement le prix de revient de la parcelle cédée et tenait suffisamment compte de la part prépondérante du bâti dans le prix d'acquisition.

Le Conseil d’État reproche à cet arrêt de n’avoir pas recherché si, à la date d'acquisition, le rapport entre la valeur des constructions édifiées sur la parcelle détachée et la valeur totale des constructions était identique au rapport des surfaces des terrains d'assiette.

(31 mars 2023, M. et Mme C., n° 467715)

 

81 - EDF - Impôt sur les sociétés – Démantèlement de centrales nucléaires ou de certains de leurs réacteurs – Provision constituée à titre de passif - Actif résultant d’un amortissement linéaire rétroactif – Remise en cause par l’administration fiscale – Rejet.

Le lecteur intéressé est invité à se reporter au texte même de cette décision, importante mais assez technique.

La société EDF, demanderesse, a, à compter de l'exercice clos en 2002, constaté à son passif une provision visant à couvrir l'ensemble des charges futures actualisées de démantèlement des centrales nucléaires qu'elle exploite et, en contrepartie, un actif d'un montant équivalent, qu'elle a amorti suivant le mode linéaire de manière rétroactive depuis la date de mise en service de chaque centrale.

Au sein de ce passif, elle a notamment comptabilisé une provision dite de « dernier cœur » correspondant à la totalité des charges liées à l'arrêt du dernier cœur du ou des réacteurs des centrales à démanteler, et comprenant une part « amont », correspondant à la mise au rebut du combustible nucléaire qui n'aura pas été totalement irradié au moment de l'arrêt des réacteurs, ainsi qu'une part « aval », correspondant aux coûts de retraitement, d'évacuation et de stockage de ce combustible.

Cependant, à la suite de vérifications de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause, au titre des exercices clos en 2008 et 2010, la déduction des charges correspondant à l'amortissement de l'actif constaté en contrepartie de la « part amont » de la provision de « dernier cœur ». Elle a en effet estimé que cette part ne se rattachait pas aux coûts de démantèlement visés par l'art. 39 ter C du CGI.

La cour administrative d'appel, statuant sur renvoi du Conseil d'État en ce qui concerne le premier des deux exercices en litige et sur appel en ce qui concerne le second, a, d'une part, annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif du 5 octobre 2017 et l'article 2 du jugement de ce même tribunal du 14 février 2019 faisant droit, respectivement pour l'exercice clos en 2008 et celui clos en 2010, aux demandes de la société EDF de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt qui en sont résultées et, d'autre part, remis à la charge de la société EDF ces impositions supplémentaires.

La société EDF s’est pourvue en cassation contre l'arrêt du 17 juin 2021. Son pourvoi est rejeté.

(31 mars 2023, Société EDF, n° 455199)

 

Droit public de l'économie

 

82 - Demande de reconnaissance d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) – Demande jugée irrecevable – Conditions de recevabilité – Ajout d’une condition – Annulation avec injonction de réexamen de la candidature à l’AOC.

La candidature de la société requérante tendant à la reconnaissance en appellation d'origine contrôlée de la dénomination « Le Puy » a été rejetée par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des eaux de vie de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO).

Son recours ayant été rejeté par l’arrêt d’appel confirmatif, la société se pourvoit en cassation. Après cassation de l’arrêt d’appel pour s’être mépris sur la portée des conclusions dont la cour était saisie, le Conseil d’État est à la cassation en raison de l’erreur de droit commise par l’INAO en déclarant irrecevable la demande d’AOC.

En effet, l'art. 2 du règlement n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 dispose qu'un producteur de vin isolé ne peut présenter de demande de reconnaissance d'une appellation d'origine que s'il est établi d’une part qu'il est le seul producteur dans la zone géographique considérée et d’autre part que soit cette zone possède des caractéristiques sensiblement différentes de celles des zones d'appellation délimitées environnantes, soit les principales caractéristiques du vin qu'il produit diffèrent de celles des vins obtenus dans les zones délimitées environnantes. L’INAO ne devait donc se prononcer sur la recevabilité de la demande qu’au regard des deux conditions susénoncées, la première étant univoque et la seconde de caractère alternatif. Or, pour dire irrecevable la demande d’AOC dont les requérants l’avaient saisie, la commission de l’INAO a retenu que s'il existait des différences de caractéristiques entre le vin produit par la société et les produits obtenus dans les zones à proximité, cependant la seconde condition posée par l'art. 2 du règlement n° 607/2009 n'était pas remplie car ces différences de caractéristiques étaient uniquement liées à « l'itinéraire technique » du producteur. L’INAO a ainsi commis une erreur de droit car l’examen des différences de caractéristiques résultant, au-delà de certaines particularités des pratiques culturales ou de vinification, de facteurs naturels ou humains spécifiques au milieu géographique propre au produit en question, ne relève que de l'appréciation à porter, une fois la demande de protection regardée comme recevable, sur le bien-fondé de la reconnaissance de cette demande au profit d'un producteur isolé.

L’INAO a deux mois pour réexaminer la demande qu’il avait estimée irrecevable.

(08 mars 2023, Société JP et P Amoreau, n° 446183)

 

83 - Référé liberté – Hausse massive du prix de l’électricité – Mise en place d’un « bouclier tarifaire » et d’un « amortisseur électrique » - Demande d’extension du « bouclier tarifaire » aux bénéficiaires de l’« amortisseur électrique » - Défaut d’extrême urgence – Rejet.

(ord. réf. 09 mars 2023, Association L'Union des artisans boulangers indépendants et autres, n° 471795)

V. n° 38

 

84 - Décision non ou irrégulièrement notifiée – Décision implicite – Application de la règle du délai raisonnable – Point de départ du délai – Absence de forclusion – Rejet.

Dans le cadre d’une procédure de licenciement d’une salariée protégée l’employeur a saisi d’une demande d’autorisation préalable l’inspection du travail puis, cette demande ayant été rejetée le 8 août 2016, sur recours hiérarchique, le ministre compétent l’a également rejetée sans que celui-ci n’accuse réception de cette démarche contrairement aux exigences de l’art. L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration.

D’une part, il suit de cette carence que les délais de recours fixés par le code de justice administrative ne sont pas opposables à l’employeur en ce qui concerne la décision implicite de rejet du 8 février 2017. D'autre part, à supposer que la société KDI doive être regardée comme ayant eu connaissance de la décision implicite de rejet opposée à sa demande à compter du 8 mars 2017, date à laquelle elle a sollicité la communication des motifs de ce rejet, elle  disposait en tout état de cause, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable d'un an à compter de cette date. Par suite, Mme A. n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait dû retenir que la demande de l’employeur, enregistrée le 19 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif était irrecevable en raison de sa tardiveté. 

En effet, le demandeur, lorsqu'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes, dispose, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, si l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, de la date de naissance de la décision implicite et, si la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision. 

(10 mars 2023, Mme A., n° 450808)

(85) V. aussi, identique avec même requérante : 10 mars 2023, Mme A., n° 450809.

V. aussi, sur un autre aspect de cette affaire, le n° 96

 

86 - Patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel – Définition – Absence d’ambiguïté – Règle d’insaisissabilité de la partie d’un bien non occupé par l’activité professionnelle – Rejet.

Doivent être rejetés les deux griefs principaux du recours tendant à l’annulation du décret du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel.

D’abord, l’art. R. 526-26 du code de commerce, issu de ce décret, en définissant les biens, droits, obligations et sûretés utiles à l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel comme ceux « qui par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité », et en énumérant différentes catégories de biens répondant à cette définition, sans que cette liste présente un caractère exhaustif, est suffisamment précis et n’est pas équivoque : il ne contrevient donc pas à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme. 

Ensuite, l’art. R. 526-26, 3°, du code de commerce, en incluant dans les biens immeubles entrant dans un patrimoine professionnel seulement la partie de la résidence principale de l'entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel et susceptibles, par suite, d'être saisis par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de l'intéressé, n'a fait que tirer les conséquences qui découlent des termes mêmes de l’art. L. 526-1 du code de commerce :  il ne saurait donc être soutenu que le décret attaqué méconnaît le principe d'insaisissabilité de la résidence principale posé par l'article L. 526-1 précité. 

(10 mars 2023, Association Solidarité Paysans, n° 465332)

 

87 - Entreprises d’assurance ou de réassurances – Contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Taux de couverture du capital de solvabilité insuffisant – Exigence d’un plan de rétablissement – Dispositions du code des assurances et du code monétaire et financier – Pouvoirs de l’ACPR – Rejet.

La société requérante, société d'assurance mutuelle chargée notamment de la gestion de régimes de retraite complémentaire facultatifs, a fait l’objet d’un contrôle au terme duquel le collège de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a, d’une part, constaté une dégradation du taux de couverture du capital de solvabilité requis de la société Capma et Capmi et, d’autre part,  relevé que si le capital de solvabilité requis déclaré au titre des risques actions avait diminué de 35 % au cours de la même période sans que cette variation ne soit clairement justifiée et malgré le redressement des marchés actions constaté depuis la fin du mois de mars 2020, la situation prudentielle de la société demeurait fragile.

L’ACPR, par une décision du 4 novembre 2020, a exigé de la société Capma et Capmi, sur le fondement de l'art. L. 612-32 du code monétaire et financier, qu'elle soumette à son approbation, dans le délai d'un mois, un programme de rétablissement visant à renforcer sa situation financière. La société a saisi le Conseil d’État, se désistant cependant par la suite de certaines de ses demandes.

Une première question d’importance est tranchée par le juge au moyen d’une interprétation très constructive des textes en jeu. En effet, celui-ci estime qu’il résulte de l’art. L. 352-7 du code des assurances que les entreprises d'assurance ou de réassurance sont tenues de soumettre un plan de rétablissement à l'approbation de l'autorité de contrôle tandis qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 612-1 du code monétaire et financier que l'ACPR, qui doit veiller à ce que ces entreprises soient en mesure de tenir à tout moment les engagements qu'elles ont pris envers leurs assurés, peut exiger de celles-ci l'établissement d'un programme de rétablissement comprenant les mesures appropriées permettant de restaurer ou de renforcer leur situation financière, et notamment leur solvabilité, d'améliorer leurs méthodes de gestion ou d'assurer l'adéquation de leur organisation à leurs activités ou à leurs objectifs de développement. Le Conseil d’État juge qu’il est loisible à l’ACPR, selon les cas, d’user des ou de se fonder sur l’une ou l’autre de ces deux procédures qui n’ont pas un objet identique, le plan de rétablissement prévu par le code des assurances intervenant à l'initiative de l'organisme d'assurance, en cas de non-couverture du capital de solvabilité requis ou s'il risque de ne plus être couvert à court terme alors que le programme de rétablissement prévu par le code monétaire et financier ne vise pas spécifiquement la couverture du capital de solvabilité requis et les règles prévues par l'article L. 352-1 du code des assurances, mais, plus largement, à restaurer ou renforcer la situation financière ou de liquidité, améliorer les méthodes de gestion ou assurer l'adéquation de l'organisation aux activités ou aux objectifs de développement d'une personne soumise au contrôle de l'ACPR.

Ensuite, il est jugé, ce qui est tout à fait logique, que la décision attaquée constitue une mesure de police au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et qu’elle doit donc être motivée, cette exigence de motivation étant satisfaite en l’espèce.

Pour le reste, il est jugé que l’ACPR, dans les circonstances de l’espèces et au vu des éléments portés à sa connaissance, n’a pas pris une mesure disproportionnée et donc illégale en imposant à la société requérante d'établir un programme de rétablissement dont celle-ci est libre de fixer le contenu, sous réserve que ce programme comprenne toutes les mesures appropriées pour restaurer ou améliorer la situation qui l'a rendu nécessaire.

(22 mars 2023, Société Capma et Capmi, n° 449010)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

88 - Aide sociale – Prise en charge des frais relatifs à l'hébergement d’une personne en EHPAD – Contribution de 90% - Assiette et calcul – Erreur de droit partielle – Annulation dans cette mesure.

Les personnes âgées hébergées en EHPAD doivent contribuer à hauteur de 90% de leurs ressources aux dépenses engagées pour elles par les départements.

Le président du conseil départemental doit appliquer ce pourcentage au montant des ressources de l'intéressé diminué des dépenses qui sont mises à sa charge par la loi et qui sont exclusives de tout choix de gestion. 

Lorsque ces ressources proviennent en tout ou en partie de loyers perçus par la personne hébergée, ceux-ci sont pris en compte pour apprécier le montant de ses ressources pour leur montant net des charges supportées par le propriétaire pour leur perception. En revanche ne peuvent venir en déduction celles des dépenses qui contribuent directement à la conservation ou à l'augmentation du patrimoine, telles que, le cas échéant, les remboursements du capital de l'emprunt ayant permis son acquisition. 

En l’espèce, où la gestion du bien immobilier de l’intéressée est confiée à une agence immobilière moyennant une commission de 7% perçue par elle sur les loyers, le montant de la commission doit être déduit de l'assiette des ressources à prendre en compte pour le calcul de sa contribution à ses frais d'hébergement et d'entretien. Le tribunal administratif a ici commis une erreur de droit en déduisant ces honoraires, non des loyers perçus par l'intéressée pris en compte pour apprécier le montant de ses ressources, mais du montant même de la contribution mise à sa charge. 

(1er mars 2023, Mme A. tutrice de Mme C., n° 451981)

 

89 - Décision de Pôle emploi refusant l’inscription d’une personne étrangère titulaire d’un titre de séjour « étudiant » - Contentieux social – Régime spécifique – Étendue de l’office du juge – Obligation pour lui de se prononcer sur les droits du requérant – Annulation.

Manque à son office dans un litige de plein contentieux et portant sur un contentieux social, le tribunal administratif qui, après avoir jugé illégal le motif de refus d'inscription opposé par Pôle emploi à la requérante, s'est borné à annuler cette décision et à enjoindre à Pôle emploi de réexaminer la demande d'inscription de l'intéressée, alors qu'il lui revenait de fixer lui-même les droits de l’intéressée pour la période en litige ou de la renvoyer devant Pôle emploi pour qu'il procède à cette fixation sur la base des motifs de son jugement.

(1er mars 2023, Pôle emploi, n° 455880)

 

90 - Ressortissant étranger titulaire d’une carte de séjour « étudiant » - Limitation du droit à exercer une activité salariée – Absence de discrimination contraire au droit international – Rejet.

Le demandeur se pourvoit contre le rejet par un tribunal administratif de sa demande d’annulation de la décision par laquelle Pôle emploi a refusé de l'inscrire sur la liste des demandeurs d'emploi. Il argue en particulier de ce que la stricte limitation de son droit à exercer une activité salariée du fait qu’il est titulaire d’une carte de séjour « étudiant » constituerait une atteinte au principe d’égalité, aux stipulations de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH et à son art. 14, ainsi qu’à l’art. 11 de la convention internationale du travail n° 97.

Le pourvoi est rejeté car c’est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que le tribunal administratif a jugé que sa situation était très différente de celle d’un demandeur d’emploi et que n’étaient pas invocables les stipulations de la convention OIT qui ne concernent que les travailleurs migrants.

(1er mars 2023, M. A., n° 456329)

(91) V., très semblable, pour une ressortissante étrangère titulaire de la carte de séjour temporaire ou pluriannuelle « entrepreneur / profession libérale », autorisée à séjourner sur le territoire pour y exercer une activité non salariée, économiquement viable et dont elle tire des moyens d'existence suffisants, qui n’est donc pas autorisée à exercer en France une activité professionnelle salariée : 1er mars 2023, Mme B., n° 459364.

 

92 - Bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) – Cumul possible avec certains aides ou secours – Versements récurrents – Absence d’exclusion de leur prise en considération – Répétition de l’indu - Rejet.

C’est sans erreur de droit ou de qualification juridique ou dénaturation qu’un tribunal administratif juge que les sommes en cause n’ont pas des montants et des périodicités irréguliers pouvant les faire qualifier d’aides ou de secours cumulables avec le bénéfice du RSA des versements récurrents de montants non négligeables.

(1er mars 2023, M. A., n° 458009)

 

93 - Salariés de la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs – Conséquences d’un changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs – Conservation de la garantie d'emploi et du régime spécial de sécurité sociale au titre des pensions et prestations de retraite – Rejet.

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a inséré dans le code des transports des dispositions régissant le changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Outre le transfert de plein de droit au nouvel employeur des contrats de travail en cours depuis au moins six mois, le maintien des conventions et accords collectifs qui leur sont applicables, le bénéfice de la garantie du niveau de leur rémunération, ces dispositions prévoient que les intéressés continuent de relever du régime spécial de sécurité sociale dont ils bénéficiaient au titre des pensions et prestations de retraite.

Pour l'application de ces dispositions, le premier ministre a pris le décret du 31 décembre 2021 ayant pour objet de préciser, en cas de changement d'employeur, les règles applicables en matière de retraite pour les salariés ayant été employés par le groupe public unifié et régis par le statut. C’est de ce décret que la fédération requérante demande l’annulation.

Sont rejetés d’abord les moyens de légalité externe dont un retient particulièrement l’attention, le juge indiquant logiquement que si le décret attaqué modifie, notamment, le décret du 30 juin 2008 qui avait été pris après avis du Conseil d'État, des modifications peuvent être apportées par décret simple à un décret pris après avis en Conseil d'État lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, cet avis n'est requis par aucun texte ni aucun principe.

Sont également rejetés tous les moyens de légalité interne dont la plupart tournent autour des dispositions du décret censées affecter le régime de sécurité sociale applicables à ces agents. En réalité, c’est la loi elle-même qui a instauré une dichotomie : les cheminots continueront à relever d’un régime spécial de sécurité sociale qui leur est propre s’agissant des pensions et prestations de retraite, en revanche, pour le reste ils relèveront du régime général de sécurité sociale (cf. les points 7 à 14 de la décision).

(16 mars 2023, Fédération CGT des Cheminots, n° 461974)

 

94 - Formation professionnelle – Fonds indûment perçus à ce titre – Ordre de reversement et sanctions pécuniaires – Décisions fondées sur des renseignements obtenus de tiers – Refus d’en révéler l’identité – Refus justifié en l’espèce – Rejet.

L’administration, après contrôle, a estimé que la requérante avait perçu indûment des fonds pour l’organisation de la formation professionnelle et qu’elle s’était livrée à des manœuvres frauduleuses pour les obtenir ; elle a ordonné le reversement des sommes allouées et infligé une sanction pécuniaire au titre de la fraude. Elle s’est fondée pour cela sur des témoignages dont elle a refusé de communiquer l’identité à la requérante.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d’appel, sur le recours de la société Sapiens, a annulé ces décisions au motif qu’elles avaient été prises au terme d'une procédure irrégulière car l'administration n'établissait ni même n'alléguait en défense que l'accès à ces renseignements aurait été de nature à porter gravement préjudice aux auteurs de ces témoignages.

L’arrêt est annulé pour dénaturation des pièces du dossier dès lors que pour apprécier l'exécution effective des actions de formation, parmi un ensemble d'indices concordants, les décisions litigieuses s’appuient sur des témoignages obtenus auprès de tiers, dont la teneur a été communiquée, de façon circonstanciée, à la société requérante et que l'administration a décidé de ne pas communiquer à cette dernière l'identité des témoins « en considérant que la révélation de cet élément était de nature à porter préjudice à leurs auteurs et notamment à leur avenir professionnel dans la société ou la branche d'activité dans laquelle ils évoluent ».

(16 mars 2023, Société Sapiens, n° 462603)

 

95 - Allocation de solidarité spécifique – Cumul avec des revenus de reprise d’activité – Conditions et durée du cumul – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement estimant que l’intéressée ayant commencé son activité professionnelle le 17 mars 2014, elle ne pouvait plus cumuler à compter d'août 2014 les revenus qu'elle tirait de cette activité professionnelle avec l'allocation de solidarité spécifique au motif qu'elle avait, à cette date, postérieure à ses trois premiers mois d'activité professionnelle, atteint le plafond de sept cent cinquante heures d'activité professionnelle, alors même qu'elle n'avait pas encore atteint son douzième mois d'activité professionnelle. En effet, il résulte des dispositions des art. L. 5423-1 et L. 5425-1, R. 5425-2 à R. 5425-4 et R. 5425-5 du code du travail que le bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique peut être cumulé avec les revenus tirés de la reprise d'une activité professionnelle, totalement pendant une durée de trois mois, puis partiellement, au moins jusqu'au douzième mois d'activité professionnelle et, le cas échéant, au-delà de ce douzième mois si le nombre total des heures d'activité professionnelle n'atteint pas alors sept cent cinquante heures, en ce cas jusqu'à ce que ce plafond soit atteint.  

(09 mars 2023, M. B., n° 464346)

 

96 - Salariée protégée – Procédure – Obligation de rechercher et de proposer des emplois de reclassement – Respect – Rejet.

Une entreprise n’ayant pas obtenu de l’inspection du travail puis du ministre concerné l’autorisation de licencier l’une de ses salariées investie des fonctions de représentation du personnel, a saisi le juge administratif d’un recours en annulation de ces refus.

La salariée se pourvoit contre l’arrêt rejetant sa demande d’annulation du jugement ayant jugé légal le licenciement litigieux.

Le juge de cassation approuve la solution retenue par les juges du fond en relevant que pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de recherche sérieuse de reclassement, la cour a constaté, d'une part, que plus de vingt postes répondant aux exigences de l'art. L. 1233-4 du code du travail ont été proposés à Mme A. sur le territoire national, sans que la salariée ne donne suite à aucune de ces propositions, d'autre part, que, si Mme A. avait indiqué, en début de procédure, être intéressée par des postes situés à l'étranger, elle ne maîtrisait pas la langue des pays concernés ni à tout le moins l'anglais, ce qui constituait une compétence indispensable à l'exercice des fonctions commerciales auxquelles elle pouvait prétendre, de sorte que la recherche de tels postes de reclassement n'avait pas abouti, enfin que l’employeur établissait qu'aucun poste n'était disponible dans les sociétés du groupe situées en Belgique et en Suisse.

(10 mars 2023, Mme A., n° 450808)

V. aussi, sur un autre aspect de cette affaire, le n° 85

 

97 - Salariée protégée déclarée physiquement inapte – Licenciement – Vérification de la recherche effective d’emplois de remplacement – Recours hiérarchique au ministre – Licenciement avant décision du ministre – Exigences – Annulation.

Le litige portait sur le licenciement d’une salariée protégée déclarée physiquement inapte à occuper le poste de travail qui était jusque-là le sien et plus particulièrement sur le régime procédural applicable compte tenu des données de l’espèce.

Au vu du certificat d’inaptitude de son employée, la société employeuse a sollicité de l’inspection du travail, et obtenu, l’autorisation de la licencier. Sur recours hiérarchique, le ministre a annulé l’autorisation de licenciement et refusé de l’accorder. Saisi par l’entreprise, le tribunal administratif a rejeté le recours dirigé contre le refus ministériel d’autoriser le licenciement, puis, sur appel de l’entreprise, la cour administrative a annulé le jugement ainsi que le refus d’autorisation opposé par le ministre.

L’intéressée se pourvoit en cassation.

Le juge rappelle que, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement dans un tel cas de figure, l'inspecteur du travail doit s'assurer que l'employeur, conformément aux dispositions du code du travail relatives au reclassement des salariés inaptes, a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutation ou transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail.

Lorsque, comme au cas de l’espèce, le ministre du travail est saisi d'un recours hiérarchique contre la décision de l’inspecteur du travail, il se prononce également au regard des dispositions du code du travail, relatives au reclassement des salariés inaptes, en vigueur à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, soit qu'il confirme cette décision, soit, si celle-ci est illégale, qu'il l'annule et se prononce de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement.

Enfin, dans le cas où le salarié a entretemps été licencié, le ministre ne doit apprécier les efforts de recherche de reclassement du salarié par l'employeur que jusqu'à la date de son licenciement.

(21 mars 2023, Mme B., n° 453558)

 

98 - Entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire – Homologation ou validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Annulation – Effets différents selon les cas – Rejet.

Le juge rappelle ici le régime légal applicable aux effets de l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation du plan de sauvegarde de l'emploi d’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire.

Ces effets diffèrent selon que l’annulation est fondée sur l'insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen.

C’est pourquoi, le juge saisi d'une requête dirigée contre une décision administrative d'homologation ou de validation du PSE d'une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, qui soulève plusieurs moyens, doit d’abord se prononcer sur les moyens autres que celui tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative, en réservant, à ce stade, un tel moyen. Ce n’est que si aucun de ces moyens n'est fondé, que le juge doit ensuite se prononcer, le cas échéant, sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision administrative.

Ensuite, lorsque l'autorité administrative prend la « nouvelle décision suffisamment motivée » prévue à l'art. L. 1233-58 du code du travail, après l'annulation d'une première décision de validation ou d'homologation d'un PSE pour insuffisance de motivation, il convient d’observer, en premier lieu, que cette nouvelle décision intervient nécessairement sans que l'administration procède à une nouvelle instruction de la demande, au vu des circonstances de fait et de droit existant à la date d'édiction de la première décision, et, en second lieu, qu’elle n’a pour seul objet que de régulariser le vice d'insuffisance de motivation entachant la précédente décision.

Il en résulte donc qu’en cas de recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette seconde décision seuls sont susceptibles d'être invoqués devant le juge ceux critiquant ses vices propres.

En l’espèce, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en écartant le moyen tiré de ce que la décision attaquée était entachée d'insuffisance de motivation faute de se prononcer sur le caractère suffisant du PSE et en constatant que la décision d'homologation litigieuse faisait mention, notamment, d'une part, des démarches effectuées par le liquidateur judiciaire pour rechercher des postes de reclassement, des possibilités de reclassement, des mesures d'accompagnement du PSE concernant en particulier des aides à la création d'entreprise, à la formation et à la validation des acquis par l'expérience ainsi que le budget global alloué à ce titre, et de la proposition d'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle et, d'autre part, comportait l'appréciation de l'administration selon laquelle le plan est proportionné aux moyens de l'entreprise conformément au II de l'art. L. 1233-58 du code du travail.

(21 mars 2023, Syndicat national du personnel navigant commercial, n° 453029)

(99) V. aussi, jugeant que c’est au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation, sans dénaturation ni méprise ni erreur de droit, qu’une cour administrative d’appel :

- a relevé que la cessation d'activité d’une société se traduirait par la suppression de la totalité de ses emplois et que cette situation était de nature à avoir des incidences sur la santé physique et mentale de ses salariés, ainsi que l'avait d'ailleurs constaté le cabinet Qualisocial, mandaté à cet effet.

- n'a pas jugé que les risques pour la santé des salariés qu'elle a relevés devaient être présumés. - constaté que le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société soumis à l'autorité administrative en vue de son homologation ne comportait aucune mesure propre à protéger les salariés des conséquences sur leur santé physique ou mentale de la cessation de l'activité de l'entreprise.

- a déduit de ce qui précède que l'administration n'avait pu légalement homologuer ce document unilatéral, peu important que deux des mesures prévues pour les salariés de la société L'Équipe, dans le cadre d'une autre procédure, eussent été susceptibles de bénéficier aux salariés de la société. En statuant ainsi, la cour ne s'est pas méprise sur la portée du contrôle qu'il incombe à l'administration, sous le contrôle du juge administratif, d'opérer sur la présence de telles mesures dans le document unilatéral qui lui est soumis en vue de son homologation et n'a ainsi pas commis d'erreur de droit.

- ne s'est pas prononcée sur le contrôle par l'administration du caractère approprié des actions figurant à ce titre dans le document unilatéral, dès lors qu'elle a relevé qu'il n'en comportait pas, sans commettre les erreurs de droit alléguées quant au contrôle qu'il appartient à l'administration de faire sur ce point : 21 mars 2023, Société L'Equipe et société Presse Sports Investissement, n° 460660 ; ministre du travail, n° 460924.

 

100 - Plan pour la sauvegarde de l’emploi (PSE) – Obligations de contrôle et de vérification s’imposant à l’administration chargée d’homologuer ce plan – Mesures prises pour la sécurité et la santé des salariés – Absence d’examen du document unique sur ce point – Rejet.

Dans une décision de principe, remarquable par sa qualité rédactionnelle et son souci pédagogique comme par sa complétude, le juge de cassation rejette ici un pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles en ce que, saisie par des syndicats et des salariés, elle a confirmé l’annulation prononcée par le tribunal administratif de la décision d’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'unité économique et sociale de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

La décision, sur pourvoi du ministre, se présente – et sans doute aussi, se veut – un véritable mode d’emploi pour l’administration chargée du contrôle des PSE.

Le juge y rappelle le contrôle que doit exercer l'autorité administrative sur le respect par l'employeur de ses obligations en matière de prévention des risques pour, durant la réorganisation de l'entreprise, assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs à l'occasion de l'établissement d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi.

S'agissant de l'obligation pour l'administration de procéder à un tel contrôle, le juge rappelle ses fondements législatifs (art. L. 1233-61 et L. 1233-57-3 du code du travail) ainsi que son étendue, particulièrement en ce qui concerne la procédure d'information et de consultation du comité social et économique. Il déduit de l’ensemble des textes applicables que l'autorité administrative, saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral portant PSE, de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en contrôlant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'art. L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable du contrôle auquel elle est tenue en application des articles du même code précités.

Au passage, il est précisé que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative, le juge judiciaire étant pour sa part compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige est liée à la mise en œuvre du document ou de l'opération de réorganisation.
S'agissant des modalités du contrôle de l'administration, le juge opère une distinction chronologique au sein de ces modalités entre celles existant au stade de l'élaboration du PSE et celles liées à l'homologation du document unilatéral portant PSE.

Pour l’élaboration, l'autorité administrative peut adresser des observations et des propositions à l'employeur concernant son déroulement ou les mesures sociales prévues, elle peut aussi enjoindre à l'employeur de fournir des informations, telles celles relatives aux conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail des travailleurs et, en présence de telles conséquences, aux actions arrêtées pour les prévenir et en protéger les travailleurs. 

Pour ce qui est de l’homologation, l'autorité administrative doit s'assurer que la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel a été régulière et que ce document et le plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu sont conformes aux exigences résultant des dispositions législatives et des stipulations conventionnelles qui le régissent. En particulier, l'administration ne peut légalement accorder l'homologation que si le comité d'entreprise (comité social et économique) a été mis à même d'émettre régulièrement un avis sur l'opération projetée et ses modalités d'application ainsi que sur le projet de licenciement collectif et le PSE, et si le document et le plan de sauvegarde qu'il comporte contiennent tous les éléments ainsi exigés et qu'il appartient à l'administration de contrôler. 

A cet égard, et c’est là le point central de la décision, concernant le contrôle du respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, le juge impose deux séries d’obligations à l’administration chargée du contrôle.

Tout d’abord, il incombe à l'administration, dans le cadre de son contrôle global de la régularité de la procédure d'information et de consultation, de vérifier que l'employeur a adressé au comité d'entreprise (comité social et économique), avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité ou à des observations ou des injonctions formulées par l'administration, parmi tous les éléments utiles qu'il doit lui transmettre pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, des éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou sur la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et à protéger leur santé physique et mentale.

Ensuite, dans le cadre du contrôle du contenu du document unilatéral soumis en vue de son homologation, l’administration doit vérifier, au vu de ces éléments d'identification et d'évaluation des risques, des débats qui se sont déroulés au sein du comité d'entreprise (comité social et économique), des échanges d'informations et des observations et injonctions éventuelles formulées lors de l'élaboration du PSE, dès lors qu'ils conduisent à retenir que la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs, si l'employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes, au nombre de celles prévues aux art. L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs. 

Illustrant l’ampleur du contrôle qu’il est imparti à l’administration d’effectuer comme l’immensité des exigences s’imposant à l’employeur, la décision approuve la cour administrative d'appel de Versailles d’avoir jugé que si l'autorité administrative avait vérifié si les institutions représentatives du personnel, dont elle a relevé qu'elles avaient notamment disposé d'éléments sur les conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des salariés de l'AFPA, avaient pu rendre leur avis en toute connaissance de cause, celle-ci n'avait en revanche pas procédé au contrôle du contenu du document unilatéral qui lui incombait afin de vérifier le respect, par l'AFPA, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

C’est ainsi qu’au terme d’une motivation suffisante et sans erreur de droit, la cour a pu juger que la décision d'homologation du 13 décembre 2019 était entachée d'illégalité. 

Nul doute, ce qui peut poser problème au plan des principes régissant une société capitaliste mais se justifie dès lors que sont en jeu des êtres humains, que tout ceci a transformé l’administration du travail, en cette matière en supérieur hiérarchique pur et simple des entreprises privées devant recourir à un PSE. Sans doute conviendrait-il d’en tirer des conséquences notamment en termes d’engagement de sa responsabilité.

(21 mars 2023, ministre du travail, n° 450012)

 

101 - Accord collectif portant rupture conventionnelle – Validation administrative – Décision de fermeture d’un site prise antérieurement à la signature de cet accord collectif – Irrégularité – Rejet.

Une union syndicale a demandé en vain au tribunal administratif l’annulation de la décision de l’administration du travail validant l'accord collectif du 15 décembre 2020 portant rupture conventionnelle collective au sein de la société Paragon Transaction. Elle a obtenu gain de cause en appel ; la société se pourvoit en cassation de cet arrêt infirmatif.

Le code du travail dispose (art. L. 1233-3, L. 1237-17 et suivants, surtout L. 1237-19-3), que l'autorité administrative ne peut valider un accord collectif portant rupture conventionnelle collective que s'il satisfait cumulativement à quatre conditions :

1°/ être conforme à l'article L. 1237-19,

2°/ comporter les clauses prévues à l'article L. 1237-19-1,

3°/ contenir des mesures, prévues au 7° du même article L. 1237-19-1, précises et concrètes,

4°/ faire suite, le cas échéant, à une procédure d'information du comité social et économique régulière.

En outre, l’administration ne peut valider un tel accord s'il est entaché de nullité, notamment en raison de ce que des vices, propres à entacher l'accord de nullité, ont affecté les conditions de sa négociation. 

En l’espèce, la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir tout d’abord relevé, sans dénaturation, qu'il résultait de la note d'information transmise par la société Paragon Transaction à son comité social et économique le 23 octobre 2020 qu'elle projetait de réorganiser ses activités d'imprimerie en France et à ce titre de fermer le site de production de Romorantin, le site devant être vendu après sa « désindustrialisation », ses activités et ses personnels devant être transférés à d'autres établissements de l'entreprise.

Elle a ensuite, à juste titre, relevé que cette même note mentionnait que, dans le cas où plus de dix salariés refuseraient la modification de leur contrat de travail nécessitée par ce transfert, la société envisageait de soumettre aux institutions représentatives du personnel un projet de plan de sauvegarde de l'emploi.

Elle a, enfin, relevé que l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective précisait qu'il s'inscrivait dans le cadre de ce même projet de transfert de l'ensemble des personnels de Romorantin.

C’est donc sans irrégularité que la cour a déduit de ces éléments que la société Paragon Transaction avait décidé la fermeture du site de Romorantin avant la signature de l'accord portant rupture conventionnelle collective validé par l'autorité administrative et que les salariés de ce site, dont il ne ressort pas des pièces du dossier que le contrat de travail contenait une clause de mobilité susceptible d'être mise en œuvre en vue de leur transfert vers d'autres établissements de l'entreprise, n'étaient pas en mesure d'espérer un maintien dans leur emploi à l'issue de la période d'application de l'accord.

Le pourvoi est rejeté.

(21 mars 2023, Société Paragon Transaction, n° 459626)

(102) V. aussi, assez comparable, à propos des agents, de droit public et de droit privé, de la Caisse des dépôts et consignations, relevant notamment que la circonstance que les membres du comité unique de l’établissement public (CUEP) se sont prononcés avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 73 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ne les a pas privés de la possibilité d'exercer utilement leur pouvoir d'appréciation et n'a pas fait obstacle à ce qu'ils soient mis à même de se prononcer en toute connaissance de cause sur l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective, dès lors que l'amendement parlementaire introduisant ces dispositions avait été porté à leur connaissance lors de la consultation du 11 juin 2019, de même que la circonstance que l'accord ne serait signé que si ces dispositions, qui, d'ailleurs, n'ont pas été modifiées lors des débats parlementaires, étaient adoptées, le projet d'accord n'ayant au demeurant lui-même pas été modifié après l'avis émis par le CUEP le 11 juin 2019 : 21 mars 2023, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n°446492)

 

103 - Salarié protégé – Refus d’autorisation de le licencier – Confirmation du refus par la ministre du travail avec substitution de motif – Irrégularité – Décision faisant à nouveau courir le délai de deux mois permettant l’engagement d’une nouvelle procédure de licenciement – Annulation.

Par une décision du 23 avril 2018, l'inspectrice du travail a refusé de délivrer l'autorisation, sollicitée par la société Transavia, de licencier pour faute un salarié protégé, en raison de l'insuffisante gravité des fautes qui lui étaient reprochées et de ce qu'un lien entre cette procédure et les mandats qu'il exerce ne pouvait être exclu.

Sur recours hiérarchique de la société Transavia France, la ministre du travail a, par une décision du 25 octobre 2018, déclaré confirmer la décision de l'inspectrice du travail, tout en retenant un autre motif de refus, tiré de ce que la procédure suivie était irrégulière par  méconnaissance du délai de convocation de l’intéressé à l'entretien préalable au licenciement fixé par des dispositions du code du travail ; elle a en outre précisé que sa décision se substituait à la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique.

Cependant la ministre du travail ne pouvait pas légalement, sans annuler la décision de l'inspectrice du travail, y substituer un autre motif de refus de l'autorisation de licenciement sollicitée, or cette décision illégale est devenue définitive.

Toutefois, le délai de prescription ayant été interrompu par l'introduction de ce recours hiérarchique et la ministre du travail ayant refusé de délivrer l'autorisation sollicitée pour un motif de procédure, différent de celui retenu par l'inspectrice du travail, sa décision a fait courir en l'espèce un nouveau délai de deux mois, en application des dispositions de l'art. L. 1332-4 du code du travail, ce qui permettait à la société Transavia France d'engager une nouvelle procédure de licenciement pour les mêmes faits, en régularisant les vices entachant la première.

La cour administrative d’appel a jugé, implicitement mais nécessairement, que le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées du code du travail concernant les faits reprochés au salarié, qui avait été régulièrement interrompu avant que l'employeur ne formule sa demande d'autorisation initiale, avait recommencé à courir à compter de la décision de l'inspectrice du travail du 23 avril 2018. Elle en a déduit que ces faits ne pouvaient faire l'objet de la seconde procédure de licenciement engagée le 8 novembre 2018, dès lors qu'ils étaient prescrits à cette date, entachant son arrêt d’erreur de droit.

(21 mars 2023, Société Transavia France, n° 455890)

 

104 - Arrêté portant extension d’un avenant à une convention collective – Convention collective de l’édition phonographique – Signature par des syndicats représentatifs – Accord pouvant porter sur l'exercice et la rémunération des droits exclusifs des artistes-interprètes salariés – Absence de violation du code de la propriété intellectuelle – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’une requête en annulation de l'arrêté du 2 juillet 2021 de la ministre du travail portant extension d'un accord portant avenant à la convention collective nationale de l'édition phonographique (IDCC n°2770).

Le recours est rejeté en tous ses chefs de grief.

L'arrêté d'extension n'avait pas à mentionner que la condition de représentativité des organisations syndicales signataires de l'accord était remplie ; au reste, cette condition était remplie en l’espèce.

Ensuite, ne saurait être retenu le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait omis de faire application de l'art. L. 2261-23-1 du code du travail dès lors que l'arrêté attaqué prévoit, en son article 6, que la nature de cet accord ne rend pas nécessaire l'élaboration de stipulations spécifiques à destination des entreprises de moins de cinquante salariés.

Également, il ne saurait être soutenu que l'arrêté attaqué serait illégal en ce qu'il étend l'accord du 25 septembre 2020 en méconnaissance de l'art. L. 2131-1 du code du travail faute pour les organisations syndicales signataires de l'accord d'être compétentes pour organiser les conditions de cession des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes alors qu’il résulte directement de dispositions législatives (L. 2131-1 et L. 2231-1 du code du travail, art. L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa version alors en vigueur) que la négociation et la conclusion d'accords collectifs peut porter sur l'exercice et la rémunération des droits exclusifs des artistes-interprètes salariés.

Encore, contrairement à ce qui est soutenu, l'avenant du 25 septembre 2020 étendu par l'arrêté attaqué pouvait légalement prévoir que le montant du « cachet de base » des artistes-interprètes repose sur trois éléments de rémunération, relatifs respectivement à la prestation de l'artiste-interprète, à l'autorisation d'enregistrement et à l'autorisation d'exploiter, qui peut varier selon les modes d'exploitation. Il pouvait aussi prévoir que le montant des deux derniers éléments de rémunération est fonction du premier élément de rémunération et détermine à cet égard des montants minima.

Au reste, l'accord, qui ne détermine que des montants minima de « cachets de base », prévoit que les stipulations du contrat de travail déterminent par écrit avec précision l'étendue des autorisations données et les modalités et conditions de la rémunération due à l'artiste-interprète au titre de chaque mode d'exploitation. En outre, la situation des artistes-interprètes couverts par le titre III de l'annexe III de la convention collective nationale de l'édition phonographique telle qu'elle est modifiée par l'avenant étendu par l'arrêté attaqué entre dans le champ des situations pour lesquelles l'art. L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, notamment le 4° de son II, permet une rémunération forfaitaire. 

(21 mars 2023, Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (SPEDIDAM), n° 456775)

 

105 - Donneur d’ordre – Vérification du respect par son cocontractant de son obligation de déclaration et de paiement auprès des URSSAF – Portée – Vérification de l’authenticité de l’attestation de paiement - Conséquence en cas de non-respect de l’exigence de vérification – Dénaturation – Annulation.

L’art. L. 8222-1 du code du travail dispose que « Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte :

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

(...) Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret ».

Pour faire bonne mesure, en accompagnement de cette obligation de dénonciation non rémunérée ni indemnisable, l’art. L. 8222-2 de ce code précise que le donneur d'ordre qui n'a pas procédé à l'ensemble des vérifications prévues à l'art. L. 8222-1 précité et précisées par décret, notamment la vérification de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, est tenu solidairement au paiement des sommes dues au Trésor public et aux organismes de protection sociale par le cocontractant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.

Le donneur d'ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l'article L. 8222-1 précité, y compris celle de l'authenticité de l'attestation remise par son cocontractant, lorsqu'il s'est fait remettre par ce cocontractant les documents qu'énumère l'article D. 8222-5 du code du travail, à moins d'une discordance entre les déclarations mentionnées sur ces documents et les informations dont le donneur d'ordre pouvait avoir connaissance, telles que l'identité de son cocontractant ou le volume d'heures de travail nécessaire à l'exécution de la prestation ou que, s'agissant de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, l'administration établisse que celle-ci n'émane pas de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions dues par le cocontractant.

En l’espèce, une cour administrative d’appel a jugé que la société requérante pouvait être tenue au paiement solidaire des impositions supplémentaires auxquelles sa cocontractante, la société Asfi, a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 au motif qu’elle n’avait pas vérifié si les attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale que lui a remises la société Asfi émanaient réellement de l'Urssaf. Cette solution est d’autant plus blâmable qu’elle applique inconsidérément un texte lui-même passablement discutable en ce qu’il repose sur un principe de non-confiance assez unique en Europe.

Le Conseil d’État annule, sans grande hésitation, pour dénaturation des pièces du dossier, l’arrêt déféré à sa censure alors que l'administration ne soutenait pas que ces attestations étaient frauduleuses et qu'aucune pièce du dossier ne permettait d'émettre un doute sur leur authenticité.

(22 mars 2023, Société Bovendis, n° 456631)

 

106 - Salarié protégé – Accusations de harcèlement moral sur des salariés – Mise à pied et procédure de licenciement – Rejet de la demande de licenciement – Recours hiérarchique au ministre – Demande au juge du référé liberté de maintenir à titre conservatoire la mesure de mise à pied – Rejet compte tenu des mesures prises par la société requérante.

Cinq salariés d’une entreprise ayant menacé d’user de leur droit de retrait en l'absence de mesures prises afin de faire cesser les faits de harcèlement moral qu'aurait commis à leur endroit un salarié protégé, l’employeur de ce dernier a engagé une procédure de licenciement et, dans l’immédiat, a prononcé sa mise à pied conservatoire assortie de l’obligation de travailler à distance.

L’inspection du travail ayant rejeté la demande d’autorisation de licenciement, la mesure de mise à pied cessait ipso facto. La société a saisi le ministre chargé du travail d’un recours hiérarchique.

Elle a formé devant le tribunal administratif une demande tendant à la suspension en référé liberté du refus d’autoriser le licenciement. Sa requête ayant été rejetée, elle interjette appel en Conseil d’État.

Ce dernier, manifestant un certain embarras devant ce conflit entre protection d’un délégué du personnel et protection de la dignité des personnes à laquelle il aurait porté atteinte, relève cependant que, d’une part, la décision d’imposer à ce délégué de travailler à distance et de s’abstenir de se rendre sur le site de l’entreprise et d’autre part, l’absence de contestation par l’intéressé de ces mesures, empêchent le refus d’autoriser le licenciement de porter une atteinte manifestement illégale à aucune des libertés fondamentales invoquées tant par son employeur que par certains salariés. D’où le rejet de la requête.

(24 mars 2023, Société Elior Services Propreté et Santé, n° 471970)

 

107 - Allocation de retour à l’emploi – Octroi de l’allocation subordonné à une perte involontaire d’emploi – Agent territorial admis sur sa demande à une retraite anticipée pour invalidité – Absence de privation involontaire d’emploi – Rejet.

L’allocation de retour à l’emploi est attribuée aux personnes involontairement privées d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi. Tel n’est pas le cas d’un agent territorial qui a sollicité et obtenu la mise en retraire anticipée pour invalidité car il n’est pas « involontairement privé d’emploi ».

(30 mars 2023, Mme A., n° 460907)

 

108 - Arrêté ministériel fixant le nombre de sièges aux syndicats dans chaque section de conseils de prudhommes – Absence de fixation globale pour l’ensemble des sections de conseils de prudhommes du département – Rejet.

C’est conformément aux dispositions de l’art. R.1441-3 du code du travail et sans méconnaître celles de l’art. L. 1441-4 de ce code qu’un arrêté ministériel fixe le nombre de sièges à attribuer aux organisations syndicales dans chaque section de chacun des conseils de prudhommes du département et non globalement pour l'ensemble des sections du ou des conseils de prudhommes du département.

(30 mars 2023, Union syndicale Solidaires, n° 462949)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

109 - Listes électorales – Demande de communication de la liste électorale et du tableau des inscriptions et radiations actualisées au jour de sa demande – Maire agissant en défense au nom de l’État – Appel irrecevable en Conseil d’État – Écritures de la commune écartées du débat.

Dans un litige en demande de communication de la liste électorale, un maire ne peut agir en défense devant le Conseil d’État au nom de l’État, celui-ci ne pouvant y être représenté – sauf dispositions dérogatoires expresses – que par un ministre (art. R. 432-34 du CJA).

(27 mars 2023, M. A., n° 465736)

 

110 - Délibération des collectivités territoriales - Désignation des membres de la commission de délégation de service public, de ceux de la commission d'appel d'offres, ainsi que des conseillers territoriaux représentant cette collectivité au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial – Actes ayant la nature d’opérations électorales – Réclamation devant respecter les délais fixés au code électoral – Annulation et rejet.

Confirmant une jurisprudence bien établie semble-t-il même si elle ne nous semble pas avoir la vertu d’évidence, le Conseil d’État réaffirme que les désignations, par l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, des membres de la commission de délégation de service public, de ceux de la commission d'appel d'offres, ainsi que des conseillers territoriaux représentant cette collectivité au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial, constituent des opérations électorales dont la contestation relève des dispositions des art. R. 119 à R. 123 du code électoral.

Il suit de là que dans le cas où une réclamation n'a pas été consignée au procès-verbal de la séance au cours de laquelle l'élection a lieu ou si le procès-verbal n'a pas été établi immédiatement, la réclamation doit être formée au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la proclamation des résultats de l'élection lors de cette séance, dans les conditions définies à l'art. R. 119 du code électoral. 

(30 mars 2023, M. R., n° 465716)

 

Environnement

 

111 - Lignes directrices non publiées – Décision de refus d’implantation d’éoliennes fondée sur des motifs repris de ou identiques à ceux figurant dans ces lignes directrices – Absence d’illégalité de la décision – Rejet.

(1er mars 2023, Société Éolienne des Cosmos, n° 446826)

V. n° 1

 

112 - Projet de parc éolien en mer – Modifications du projet – Préfet en prenant acte – Régularité de la procédure suivie – Modifications ne portant pas une atteinte substantielle au projet initial – Rejet.

Le recours recherchait l’annulation de la décision préfectorale prenant acte des modifications au projet de parc éolien en mer au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier portées à sa connaissance par la société Éoliennes en mer îles d'Yeu et de Noirmoutier.

Le recours est rejeté en premier lieu pour défaut d’irrégularité de la procédure suivie. Il n’était pas obligatoire en l’espèce pour le préfet « de consulter l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement ou les professionnels de la pêche exerçant leur activité professionnelle aux abords immédiats de la zone d'implantation du parc éolien » avant qu’il ne prenne acte des modifications communiquées par la défenderesse ; pas davantage il n’était tenu de solliciter l’avis du comité de gestion et de suivi scientifique institué par arrêté préfectoral, ni, non plus, d’exiger de la pétitionnaire la description de chacune des modifications apportées et lui-même de motiver sa décision prenant acte en distinguant chacune des modifications apportées au projet et leurs impacts.

Le recours est rejeté en second lieu car les modifications, importantes quantitativement, sont soit compensées par des effets moindres de la part d’autres aspects, ainsi, par exemple, si l’emprise sur les fonds marins passe de 943 m2 à 2739 m2 en revanche l’emprise totale des câbles inter-éoliennes sur les fonds marins se réduira de 689 473 m2 à 62 790 m2, soit de faible portée, telles les nuisances sonores en mer et leurs effets sur la faune.

(1er mars 2023, Associations « Non aux Éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » et « Société pour la protection du paysage et de l'esthétique de la France » (SPPEF), n° 455415)

(113) V. également, jugeant entaché d’erreurs de droit l’arrêt qui, pour rejeter le recours de la société requérante contre l’arrêté préfectoral refusant de délivrer quatre permis de construire quatre éoliennes, d’une part, s’est fondé sur ce que le projet litigieux était de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme en raison des inconvénients importants qu'il présenterait pour les conditions et le cadre de vie des riverains alors que de telles considérations relatives à la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique au sens de ces dispositions, et d'autre part, n'a explicité ni la teneur, ni la gravité des atteintes à la salubrité publique qui seraient induites par le projet : 01 mars 2023, Société Énergie Ménétréols, n° 455629.

(114) V. aussi, jugeant entaché d’erreurs de droit l’arrêt d’appel qui suspend l’exécution de l’arrêté préfectoral délivrant à la demanderesse au pourvoi une autorisation environnementale pour l'implantation et l'exploitation d’un parc de six éoliennes en tant que cet arrêté ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l'art. L. 411-2 du code de l'environnement, jusqu'à la délivrance de cette dérogation, et sursoit à statuer sur le surplus des conclusions de la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt, pour permettre à la société titulaire de l'autorisation de notifier le cas échéant à la cour une mesure de régularisation du vice tenant aux insuffisances du volet écologique de l'étude d'impact sur les chiroptères. Le juge de cassation relève une première erreur de droit en ce que la cour ne pouvait pas ordonner une mesure de régularisation sans s’être mise à même de déterminer si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise. Une seconde erreur de droit a consisté en ce que, expressément invitée par la société pétitionnaire à faire usage des dispositions du 2° du I de l'art. L. 181-18 du code de l'environnement (octroi d’une possibilité de régularisation), la cour ne pouvait substituer à cette mesure – comme elle l’a fait en l’espèce -, l’annulation partielle prévue au 1° du I du même article : 1er mars 2023, Société Ferme Éolienne de Saint-Maurice, n° 458933.

(115) V. encore, jugeant que la lutte contre la « saturation visuelle » produite sur trois villages riverains par un projet d’implantation d’éoliennes est au nombre des intérêts qui, aux termes des art. L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement, doivent être pris en compte pour apprécier les inconvénients d’un projet pour la commodité du voisinage (cf. art. L. 511-1 précité) alors qu’en l’espèce sont déjà construits ou autorisés deux parcs éoliens comportant un total de dix-huit éoliennes à un kilomètre, sept parcs éoliens comportant un total de soixante-huit éoliennes à cinq kilomètres et quatorze parcs éoliens comportant cent-vingt-six éoliennes à dix kilomètres : 1er mars 2023, Société EDPR France Holding, n° 459716.

(116) V., rejetant le pourvoi dirigé contre un arrêt d’appel en ce qu’il estime qu’un projet d’exploitation d’éoliennes et d’un poste de livraison nécessite l'obtention d'une dérogation dans les conditions prévues par l'article L. 411-2 du code de l'environnement : 27 mars 2023, Société Parc éolien des Écoulottes, n° 451112.

(117) V., jugeant entaché de dénaturation l’arrêt estimant que des ouvrages et éoliennes d’une certaine hauteur n'étaient pas susceptibles de constituer des obstacles pour la navigation aérienne au motif que, d'une part, la partie du secteur dédié de façon permanente à l'entraînement au vol à très basse altitude (ou SETBA) concernée ne serait utilisée que pour entrer dans l'espace d'entraînement et que, d'autre part, l'implantation des éoliennes litigieuses dans la stricte continuité du projet TVR n° 3 conduirait à faire obstacle, du fait de l'application des dispositions de l'arrêté interministériel du 10 octobre 1957, au survol à basse altitude de ces installations : 27 mars 2023, ministre de la transition écologique, n° 451633, n° 451634 et n° 451635.

 

118 - Implantation d’éoliennes - Conservation d’espèces animales non domestiques – Exigence ou non d’une dérogation - Portée de l’art. L. 411-1 du code de l’environnement et obligations en découlant pour l’exercice du pouvoir de contrôle du juge – Appréciation de la réalité de la diminution du risque pour l’espèce – Annulation.

C’est une décision discutable qu’a rendu le Conseil d’État en annulant un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un litige opposant une association de défense de la nature à un préfet refusant de d’imposer à une société d’implantation d’éoliennes de demander une dérogation « espèces protégées » avant toute autorisation d’installation.

La cour avait estimé que le pétitionnaire était tenu de présenter, pour la réalisation de son projet de parc éolien, la demande de dérogation prévue à l'art. L. 411-1 du code de l'environnement du fait que le site d'implantation du projet constituait une réserve importante de biodiversité, riche en espèces protégées dont le projet était susceptible d'affecter la conservation et que les mesures visant à atténuer l'impact du projet sur la biodiversité ne permettaient pas d'écarter tout risque pour les espèces concernées, notamment en ce qu'elles constituent de simples mesures de réduction et non d'évitement.

Le Conseil d’État impose, en effet, aux juges du fond, en cette hypothèse, de vérifier si les mesures envisagées présentent des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

En outre, il est posé en postulat que l’art. L. 411-1 précité institue un régime de protection qui ne dépend ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes mais qui résulte seulement de la constatation que le projet comporte pour les espèces protégées un risque suffisamment caractérisé. Il est ainsi posé une double condition : existence d’un risque et risque caractérisé. Il convient donc pour le juge d’apprécier dans chaque cas si les mesures d’évitement et de réduction sont telles que, par leur effectivité, elles retirent au risque l’aspect « caractérisé » sans que pour autant ne disparaisse l’aspect « risque » ce qui suffit toutefois pour que ne soit plus exigible l’obtention d’une dérogation « espèces protégées ».

Ainsi, l’arrêt est annulé pour n’avoir pas recherché si les mesures prises présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

C’est là exiger un contrôle contentieux trop subtil, trop « saucissonné » et, pour tout dire, un peu hypocrite en réduisant au strict minimum l’exigence légale, sans oublier l’introduction d’une forte dose de subjectivité.

(27 septembre 2023, Société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, n° 452445)

(119) V. aussi, très comparable quant à l’application de l’art. L. 411-1 du code de l’environnement : 27 mars 2023, Association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 455753.

(120) V. également, rejetant le pourvoi du ministre de l’écologie dirigé contre l’arrêt d’appel ayant annulé le refus du préfet d’autoriser une société à exploiter une installation de production d'électricité composée de neuf aérogénérateurs et deux postes de livraison, la cour ayant estimé sans inexactitude dans l’appréciation des faits ni dénaturation de pièces et dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, qu’étaient suffisantes les mesures prises relatives à la protection de l’avifaune et des chiroptères situés dans une zone Natura 2000 : 27 mars 2023, ministre de la transition écologique, n° 459846.

 

121 - Classement du renard roux parmi les espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges – Arrêté en ce sens du ministre de la transition écologique – Absence d’erreur de droit ou d’erreur d’appréciation – Rejet.

L’association requérante contestait la juridicité de l’arrêté ministériel qui, pris sur le fondement de l’art. R. 427-6 du code de l'environnement, fixe la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts, en tant qu'il classe le renard roux parmi les espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges.

Pour rejeter le recours le Conseil d’État relève tout d’abord qu’un tel classement est susceptible d’être appliqué soit lorsque cette espèce est répandue de façon significative dans un département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par ces dispositions, soit – et alors même que l’espèce en cause ne serait pas répandue de façon significative – lorsqu'il est établi que cette espèce est à l'origine d'atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions.

Ensuite, il est établi que le renard roux, qui apporte une contribution positive à l'écosystème forestier dans un département où la couverture forestière est particulièrement importante, est néanmoins susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par le II de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement dans les communes du département des Vosges mentionnées par l'arrêté litigieux ; en particulier en raison de  la présence de volailles et d'élevage de léporidés et de petit gibier, la réalisation d'au moins un lâcher de repeuplement de petit gibier et les déclarations de dégâts dus au renard.

On peut s’interroger sur l’admission, implicite mais certaine en l’espèce, de l’intérêt pour agir d’une association de défense d’oiseaux à propos de la protection du renard roux, espérons que ces oiseaux-là ne tiennent pas en leur bec un fromage…

(1er mars 2023, Association Oiseaux-Nature, n° 464089)

 

122 - Plate-forme de recyclage de déchets inertes du BTP – Arrêté préfectoral de mise en demeure pris postérieurement à l’introduction du pourvoi – Conclusions à fin de suspension d’une précédente décision devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

La requérante a demandé au tribunal administratif, en référé, la suspension de l'exécution de la décision du 22 février 2021 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône s'est opposé à sa télédéclaration effectuée pour l'exploitation d'une plate-forme de recyclage de déchets inertes et de production de granulats et sables recyclés. Le juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande.  

Par un arrêté du 11 mai 2021, ce préfet a mis en demeure la société requérante de régulariser sa situation soit en cessant ses activités irrégulières et en remettant le site en état, soit en déposant un dossier de demande d'enregistrement pour l'exploitation d'une station de transit, regroupement ou tri de produits ou de déchets non dangereux.

Cet arrêté a été pris après introduction du pourvoi formé contre l’ordonnance de référé du premier juge. Ainsi, en dépit de ce qu’il a été contesté devant le tribunal administratif, ce second arrêté prive d'objet les conclusions à fin de suspension de la décision du 22 février 2021 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône s'est opposé à la déclaration de la société relative à cette exploitation et lui a ordonné de cesser immédiatement toute activité. 

Il n’y a donc plus lieu à statuer sur ce pourvoi.

C’est là une illustration de ce classique motif de non-lieu à statuer que constitue un changement dans les circonstances de droit ou de fait affectant l’objet du litige.

(15 mars 2023, Société Espace Recyclage Méditerranée (ERM), n° 452196)

 

123 - Communication de documents administratifs - Dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles nucléaires usés par EDF – Communication avec des informations occultées – Invocation du secret des affaires – Occultation de certains éléments d’implantation des systèmes de refroidissement – Annulation partielle.

(15 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 456871)

V. n° 3

 

124 - Chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne – Obligation d’équipement de dispositifs acoustiques – Mesure étendue à l’année entière – Rejet.

Un arrêté de la ministre de la mer du 27 novembre 2020 modificatif d’un arrêté du 26 décembre 2019, a étendu à toute l'année l’obligation (jusque-là quadrimestrielle) d'équipement de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques et les chalutiers démersaux en paire dans le golfe de Gascogne, quelle que soit leur longueur, afin de limiter l'entrée accidentelle des cétacés, particulièrement les petits cétacés, dans les chaluts et chalutiers.

L'association Sea Shepherd France demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté modificatif du 27 novembre 2020.

Sa requête est rejetée, aucun des moyens soulevés n’étant retenu par le juge.

D’abord, ce texte étant un acte réglementaire, il n’est pas soumis à l’obligation de motivation.

Ensuite, il n’est pas entaché d’incompétence du fait qu’il a été signé par la ministre de la mer, dans la compétence de laquelle entrait la matière qu’il régit.

Encore, ne sauraient être invoquées à l’encontre de l’arrêté litigieux les dispositions combinées du règlement (UE) 2019/1241 du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques ainsi que son règlement d'exécution (UE) 2020/967 du 3 juillet 2020 établissant les règles détaillées relatives aux caractéristiques concernant le signal et la mise en œuvre des dispositifs de dissuasion acoustique visés à son annexe XIII, partie A, au motif que cet arrêté s'abstient de prévoir des prescriptions techniques encadrant les niveaux à la source des dispositifs de dissuasion acoustique dans la fourchette comprise entre 130 et 150 dB mentionnée par ce règlement d'exécution. En effet, d’abord ce règlement ne s’applique qu’à certaines zones de pêche seulement dont le golfe de Gascogne ne fait pas partie et ensuite la limitation qu’il institue ne concerne que les filets maillants de fond ou les filets emmêlants et non les chaluts pélagiques visés par l'arrêté attaqué.

Enfin, ne saurait être opposée à l’encontre de la pertinence du dispositif retenu par l’arrêté querellé une étude concernant la mer Baltique car celle-ci présente des caractéristiques, d’ouverture et de profondeur, très différentes de celles du golfe de Gascogne et, en outre, cette étude se prononce uniquement sur l'usage de dispositifs de dissuasion acoustique associés à des filets fixes alors qu'il n'est pas établi que l'effet d'exclusion de tels dispositifs associés aux chaluts visés par l'arrêté attaqué serait équivalent. Au reste, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), dans des avis rendus en 2020 et 2023, a recommandé, pour réduire les captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, l'utilisation de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques et démersaux, combinée avec des mesures de fermeture spatiale et temporelle des pêcheries concernées.

En l’état des connaissances scientifiques, la requête ne peut qu’être rejetée.

(20 mars 2023, Association Sea Shepherd France, n° 447253)

(125) V. aussi, portant sur plusieurs questions voisines mais assorties de demandes différentes, notamment la contestation du caractère suffisant des mesures de protection de certaines espèces, la décision, importante et innovante (justifiant sa publication au Recueil Lebon), jugeant que l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande de prise de mesures adéquates pour la protection des espèces de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, réside dans l'obligation, pour l'autorité compétente, que le juge peut d’ailleurs prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du CJA, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. L'arrêté attaqué et les décisions de refus de prendre des mesures suffisantes de protection sont annulés en tant, respectivement, que le premier ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire les incidences de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne sur les petits cétacés et que les secondes refusent de prendre de telles mesures.

Injonction est ainsi faite à l'État, dans un délai de six mois :

- d'adopter en premier lieu lesdites mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur caractère suffisant pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées. 

- de mettre en œuvre des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces : 20 mars 2023, Associations France Nature Environnement, n° 449788 et n° 459153; Association Défense des milieux aquatiques, n° 449849 ; Association Sea Shepherd France, n° 453700.

(126) V. également, rejetant un recours dirigé contre une prétendue inexécution ou mésexécution de la décision du Conseil d’État du 28 juillet 2020 (n° 429018) annulant d’une part une disposition réglementaire relative au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a et b) et le même arrêté, en tant qu'il ne comporte pas d'autres mesures de protection plus rigoureuses des bars juvéniles que celles qui résultent du droit de l'Union ou des délibérations du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins rendues obligatoires et, d'autre part, enjoignant au ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'adopter des mesures réglementaires de protection complémentaires de nature à réduire l'incidence sur l'écosystème de la pêche au bar européen dans le golfe de Gascogne, en particulier s'agissant de la protection du dauphin commun. Le juge a relevé dans sa décision que le ministre a pris en cours d’instance un arrêté fixant une nouvelle taille minimale de capture du bar à 40 cm et estimé, à la date à laquelle elle a été rendue, au vu en particulier d'un avis du CIEM du 30 juin 2020, que la biomasse de bar dans le golfe de Gascogne était stabilisée à un niveau légèrement supérieur à celui permettant d'atteindre le rendement maximal durable : 20 mars 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 454842.

 

127 - Déchets – Obligation d’élimination – Charge de cette élimination – Dénaturation des faits de l’espèce – Annulation.

Le Conseil d’État décide qu’une carence de l’administration, non établie en l’espèce mais cet élément n’importe pas ici, dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière d’élimination de déchets ne saurait faire, par elle-même, échec à la mise en cause du détenteur des déchets ou du propriétaire du terrain quant à leur obligation de les éliminer. Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui se fonde sur cette carence prétendue pour juger illégal l'arrêté préfectoral attaqué mettant en demeure les propriétaires du terrain de procéder à leur enlèvement.

Dénature les pièces du dossier cette même cour administrative d’appel en ce qu’elle estime non négligents les propriétaires des terrains d’assiette de ces déchets  alors, d'une part, qu'elle constate que la pollution du site était établie depuis au moins vingt ans, à la suite d'un rapport d'expertise de 1999, confirmé ensuite par un bureau d'études en 2009, et que les propriétaires des terrains, qui habitent pourtant sur place, n'avaient attiré l'attention de l'administration sur les risques qu'en 2015, et, d'autre part, qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les propriétaires ne pouvaient ignorer la présence sur le site de très nombreux déchets, que plusieurs membres de l'indivision D., requérante, avaient eux-mêmes exploité une installation classée pour la protection de l'environnement sur le même site et connaissaient les risques liés au stockage des déchets et, enfin, qu'ils n'avaient procédé à aucuns travaux avant 2020.

(27 mars 2023, Indivision D., n° 462947)

 

128 - Déchets faiblement radioactifs – Valorisation – Absence d’atteinte aux principes de participation du public, aux principes de justification, d'optimisation et de limitation ainsi qu’au principe de non-régression – Rejet.

La requérante demandait, par deux recours distincts mais joints par le juge, l’annulation du décret n° 2022-175 du 14 février 2022 relatif aux substances radioactives éligibles aux opérations de valorisation mentionnées à l'art. R. 1333-6-1 du code de la santé publique (recours n° 463186) et celle du décret n° 2022-174 du 14 février 2022 relatif à la mise en œuvre d'opérations de valorisation de substances faiblement radioactives (recours n° 463187).

Les recours sont rejetés.

En premier lieu, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir, pour soutenir que le principe de participation aurait été méconnu lors de l'adoption du décret attaqué, d'un moyen fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'art. 7 de la Charte de l'environnement car l’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement est intervenu afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'art. 7 de la Charte de l'environnement est applicable notamment aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics. 

En deuxième lieu, si les principes de justification, d'optimisation et de limitation sont applicables aux activités de valorisation de substances métalliques ayant précédemment été utilisées pour l'exercice d'une activité nucléaire réalisée dans une installation contrôlée pour la protection de l'environnement ou une installation nucléaire de base, ils ne sont pas applicables à la commercialisation et à l'utilisation des produits résultant d'une opération de valorisation, qui ne sont plus des substances radioactives telles que définies à l'art. L. 542-1-1 du code de l'environnement.

Il suit de là, compte tenu de l’intérêt général qui s'attache au développement de la valorisation des substances métalliques très faiblement radioactives issues d'installations dans lesquelles est exercée une activité nucléaire, que les décrets attaqués ne méconnaissent pas le principe de justification (cf. art. L. 1333-2 code santé pub.).

Semblablement, compte tenu des valeurs limites fixées qui sont nettement inférieures à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires, lesdits décrets ne méconnaissent pas davantage les principes d’optimisation et de limitation (cf. art. L. 1333-2 code santé pub.).

Enfin, et c’est sans doute là le principal apport de cette décision, si le principe de non-régression s'impose au pouvoir réglementaire lorsqu'il détermine des règles relatives à l'environnement, il n’est cependant pas invocable lorsque le législateur a entendu en écarter l'application dans un domaine particulier ou lorsqu'il a institué un régime protecteur de l'environnement et confié au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions de mise en œuvre de dérogations qu'il a lui-même prévues à ce régime. Tel n’est pas le cas ici où le législateur n'a pas entendu écarter l'application du principe de non-régression ou confier au pouvoir réglementaire compétence pour déterminer les conditions de mise en œuvre de dérogations à un régime protecteur de l'environnement. Cependant, les décrets attaqués comportent des garanties destinées à prévenir les risques pour la santé et l'environnement notamment du fait de la très faible radioactivité des substances dont la valorisation est susceptible d'être autorisée sur le fondement des décrets attaqués et aux garanties qu'ils prévoient. Ainsi ces décrets ne conduisent pas à une régression de la protection de l'environnement. 

(27 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 463186)

 

129 - Centrale devant fonctionner en bonne part au bois comme combustible – Ressources forestières locales limitées et soumises à une protection particulière – Insuffisance de l’étude d’impact à cet égard – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à son annulation l’arrêt d’appel qui juge qu’une étude d’impact n'avait pas à analyser les effets sur l'environnement du plan d'approvisionnement en bois d’une centrale dont cette matière devenait le principal combustible alors que cette étude devait analyser non seulement les incidences directes sur l'environnement de l'ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d'être provoquées par son utilisation et son exploitation. Or, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'exploitation de la centrale de Provence repose sur la consommation de très grandes quantités de bois provenant de ressources forestières locales, ressources naturelles faisant l'objet d'une protection particulière. Il s'ensuit que les principaux impacts de la centrale sur l'environnement, par son approvisionnement en bois, et notamment les effets sur les massifs forestiers locaux, devaient nécessairement être analysés dans l'étude d'impact contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel. 

(27 mars 2023, Association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône et autres, n° 450135)

 

État-civil et nationalité

 

130 - Déchéance de la nationalité française – Commission d’actes de terrorisme – Rejet.

Le requérant, qui a acquis la qualité de Français en 2002, a été déchu de cette nationalité par un décret du 17 novembre 2021 pris sur le fondement des art. 25 et 25-1 du Code civil suite à une condamnation par le tribunal correctionnel à huit années d’emprisonnement, assorties d’une période de sûreté des deux tiers, pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits que l'art. 421-2-1 du code pénal qualifie d’actes de terrorisme.

Il demande l’annulation de ce décret, sa requête est rejetée.

Tout d’abord, la décision querellée est correctement motivée. Elle ne contrevient pas au principe non bis in idem énoncé par l'art. 4 du protocole n° 7 à la CEDH car cette déchéance ne constitue pas une poursuite en matière pénale mais une sanction administrative. Cette dernière n’est pas excessive au regard de la gravité des infractions commises consistant à rejoindre un groupe terroriste, à participer à des entraînements et aux opérations armées de ce groupe.

Le comportement de l’intéressé postérieurement à ces faits, eu égard à leur nature comme à leur gravité, ne permet pas de remettre en cause l’appréciation portée par le décret attaqué qui a notamment pour effet de le priver de ses droits civils et politiques en France.

(15 mars 2023, M. A., n° 460443)

(131) V. aussi, assez largement comparable et allant dans le même sens : 22 mars 2023, M. B., n° 471511.

(132) V. également, rejetant le recours dirigé contre le décret rapportant le décret accordant la nationalité française à un ressortissant malgache pour dissimulation de sa situation familiale (marié et père d’une enfant) : 20 mars 2023, M. C., n° 463682.

 

133 - Refus d’autoriser l’acquisition de la nationalité française par mariage – Indignité – Fraude au revenu de solidarité active – Rejet.

Le premier ministre n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil en s’opposant à l’acquisition de la nationalité française par un ressortissant algérien du fait d’avoir perçu, avec sa femme, le revenu de solidarité active, alors qu'en 2018, 2019 et 2020, il a séjourné en Algérie plus de deux cents jours par an et a été présent sur le territoire français durant seulement deux mois civils complets. En ne respectant pas l'obligation qui lui incombait de faire connaître à l'organisme payeur cette information relative à sa résidence et en percevant indûment d'importants montants au titre du revenu de solidarité active, faute de satisfaire à la condition de résidence stable et effective en France, l’intéressé s’est rendu indigne d’acquérir la nationalité française.

(20 mars 2023, M. A., n° 460239)

(134) V. la même solution retenue à l’égard d’une ressortissante israélo-américaine ne pouvant être regardée comme assimilée à la communauté française pour avoir adopté un mode de vie caractérisé par une méconnaissance et une ignorance des valeurs et principes essentiels de la société française : 20 mars 2023, Mme A., n° 461575.

(135) V. l’approbation par le juge du refus identique opposé à la demande d’un ressortissant congolais s’étant rendu coupable de fraude aux allocations versées par Pôle emploi, de conduite d’un véhicule sans permis et de blessures involontaires commise au volant d’un véhicule : 29 mars 2023, M. B., n° 463785.

 

136 - Libération des liens d’allégeance avec la France demandée et obtenue par le père – Demande, par la fille, de l’annulation de cet acte – Délai raisonnable de trois ans pour contester – Recevabilité de la requête – Annulation.

Le père de la requérante a demandé et obtenu le 19 octobre 1976 l'autorisation de perdre la qualité de Français pour lui-même et ses enfants mineurs et majeurs.

S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, faute de notification régulière, le délai raisonnable de saisine du juge ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

La requérante, qui était mineure à cette époque, et à qui cette autorisation n’a pas été notifiée, n’a été informée de son existence qu'à la suite d'un courrier du ministère de l'intérieur en date du 8 février 2022. Comme l'intéressée, qui vit en France, s'est vu délivrer, à plusieurs reprises, des pièces d'identité françaises ainsi qu'un certificat de nationalité française et qu'elle n'a jamais cessé d'être regardée comme Française, en particulier dans ses relations avec les administrations de l'État et des collectivités territoriales, sa requête, dans les circonstances particulières dont se prévaut Mme B., contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, est recevable.

La requérante étant mineure lors de la demande de cessation des liens d’allégeance avec la France, celle-ci devait émaner de ses deux parents or seul le père a sollicité cette mesure. Il s’ensuit qu’elle est fondée, pour ce qui la concerne, à demander l'annulation du décret du 19 octobre 1976 en ce qu'il porte libération de ses liens d'allégeance avec la France.

(20 mars 2023, Mme B., n° 467580)

 

137 - Naturalisation – Retrait du décret l’autorisant - Dissimulation d’un mariage – Adulte handicapé – Absence d’urgence – Rejet de la demande de suspension.

Un décret de naturalisation a été retiré pour dissimulation par l’intéressé de son mariage contracté avec une ressortissante étrangère en cours d’instruction de sa demande de naturalisation. Elle sollicite en référé la suspension de l’exécution de ce retrait en invoquant notamment l’urgence du fait de la perte d’aides financières qu’elle perçoit et du risque de ne pas obtenir de titre de séjour.

Le référé est rejeté car si le requérant soutient que ce décret fait obstacle à ce qu'il se maintienne régulièrement sur le territoire français et qu'il risque en conséquence d'être privé des aides financières dont il bénéficie du fait de son handicap, notamment l'allocation aux adultes handicapés, celles-ci étant conditionnées à la régularité du séjour en France pour les personnes de nationalité étrangère, le décret contesté n'implique pas, par lui-même, qu’il serait privé de tout droit au séjour sur le territoire français et, par suite, des aides dont il bénéficie. En outre, la seule circonstance invoquée par le requérant et tirée de ce que la préfecture de police de Paris lui a enjoint de restituer son passeport et sa carte nationale d'identité n'est pas de nature à établir que l'administration entendrait lui refuser un titre de séjour s'il dépose une demande en ce sens, alors au demeurant qu’il réside sur le territoire français depuis 2002 et y a été admis au séjour en 2011. 

(20 mars 2023, M. A., n° 471634)

(138) V. aussi, pour une solution identique à l’endroit d’une ressortissante camerounaise : 29 mars 2023, Mme D., n° 464242.

 

Étrangers

 

139 - Ressortissants turcs d’origine kurde – Demande d’admission au séjour pour motif de santé – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) prononcée à leur encontre – Arrêt infirmatif de l’annulation prononcée en première instance – Cassation et rejet de la demande d’annulation du jugement.

L’affaire est exemplaire de certains entêtements administratifs.

Les demandeurs, résidant en France depuis plus de dix ans et parents de quatre enfants français, ont fait l’objet d’une OQTF sous trente jours à raison du refus de leur délivrer un titre de séjour avec interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Ils ont obtenu du tribunal administratif l’annulation de ces décisions préfectorales pour erreur manifeste d’appréciation ; la cour administrative d’appel a, sur appel de leur auteur, annulé ce jugement.

Sur pourvoi des intéressés, le Conseil d’État est à la cassation après avoir relevé : « que M. et Mme A. résident en France de manière continue depuis plus de dix ans, qu'ils s'y sont mariés, et que leurs enfants, nés en France en 2013, 2015 et 2017, un quatrième enfant étant né en 2021, postérieurement aux décisions litigieuses, y ont toujours vécu, y sont scolarisés et parfaitement intégrés. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'excellente insertion de la famille est attestée par le maire de leur commune et par plusieurs dizaines de parents d'élèves, enseignants, voisins et amis, ce qui avait conduit la commission du titre de séjour des étrangers à émettre, le 11 mars 2020, un avis favorable à la délivrance d'un titre de séjour ; que M. A. disposait, à la date à laquelle ont été pris les arrêtés litigieux, d'une promesse d'embauche, transformée depuis en un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, conclu le 5 janvier 2021, dans une entreprise du secteur du bâtiment ; enfin que la famille entretient des relations très étroites avec les frères de M. A. qui bénéficient en France du statut de réfugié. » Dès lors, a inexactement qualifié ces faits l’arrêt estimant que les arrêtés litigieux ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de M. et Mme A. au respect de leur vie privée et familiale. Le jugement de première instance est confirmé et en particulier l’injonction qu’il fait de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».

(24 mars 2023, M. et Mme A., n° 453493)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

140 – Fonctionnaire - Abandon de poste – Notion - Régime applicable – Rejet.

La chose est assez rare pour être signalée : le Conseil d’État approuve une cour administrative d’appel d’avoir jugé qu’en l’espèce un fonctionnaire était bien en état d’abandon de poste. En général, le juge administratif suprême répugne à apercevoir une telle situation, recherchant tous les moyens susceptibles de venir contredire ou contrecarrer l’état d’abandon.

Ici, un inspecteur des finances publiques a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de déplacement d'office à la suite de laquelle il a été affecté à une direction régionale des finances publiques à compter du 1er novembre 2018. Il ne s'est pas présenté dans son nouveau service le 5 novembre 2018, date à laquelle il était attendu, ni le 6 novembre 2018, sans en informer son administration. Il a ensuite fourni à son administration un arrêt maladie pour la période du 7 novembre au 7 décembre 2018.

Par un courrier du 21 novembre 2018 signifié par acte d'huissier, il a été invité à se présenter à son poste le 10 décembre 2018. Comme il ne s'est pas présenté dans son nouveau service le 10 décembre ni les jours suivants, un courrier du 14 décembre 2018 signifié par acte d'huissier, l’a mis en demeure de se présenter dans son nouveau service au plus tard le 19 décembre 2018, sous peine de s'exposer à être radié des cadres pour abandon de poste, sans le bénéfice des garanties de la procédure disciplinaire. Faute de s’être présenté le 19 décembre, il a été radié des cadres pour abandon de poste à compter du 20 décembre 2018.

Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont rejeté le recours formé contre cette décision. L’intéressé se pourvoit en cassation.

Pour constater l’abandon de poste le juge exige la réunion de deux séries de conditions.

En premier lieu, il incombe au service auquel appartient l’agent de le mettre en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié fixé par l'administration. Cette mise en demeure doit être écrite, notifiée à l'intéressé et l'informer du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable.

En second lieu, si l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

Tel était le cas en l’espèce où le requérant avait été mis en demeure, par un courrier du 14 décembre 2018 du directeur régional des finances publiques, de rejoindre son poste, au plus tard le 19 décembre 2018 et alors que ce courrier de mise en demeure lui a été signifié à son domicile, seule adresse connue de l'administration, par acte d'huissier de justice, le 17 décembre 2018 et que, en son absence, l'huissier de justice, conformément à l'article 656 du code de procédure civile, a laissé à son domicile un avis de passage, mentionnant que lui était signifié un courrier de mise en demeure de reprendre ses fonctions et que ce courrier devait être retiré dans le plus bref délai à son étude. 

(15 mars 2023, M. B., n° 456789 et n° 456844)

 

141 - Fonctionnaire d’État – Affectation d’office – Décision considérée comme une mesure d’ordre intérieur insusceptible de faire l’objet d’un recours – Allégation de faits de harcèlement moral – Obligation d’apprécier l’allégation – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

En principe, les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.

En l’espèce la cour administrative d’appel a considéré, comme le tribunal, que le recours dont l’avait saisie la requérante du fait de son affectation d’office au secrétariat général de la préfecture en qualité de chef de la mission de pilotage des politiques partenariales et de l'appui territorial par une décision du préfet, tendait à contester une mesure d’ordre intérieur et que comme tel il était irrecevable.

Le Conseil d’État annule cet arrêt au motif que l’intéressée faisait valoir que cette affectation d'office, alors qu'elle n'était pas candidate à ce poste, avait été retenue, parmi des agissements répétés et excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique qui ont eu pour effet d'altérer sa santé, comme faisant partie des éléments caractérisant un harcèlement moral à son encontre par un jugement du tribunal administratif de Bastia devenu définitif du 25 juin 2020. Il incombait donc à la cour, à peine d’erreur de droit, de rechercher, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours.

(08 mars 2023, Mme B., n° 451970)

(142) V. aussi, dans cette même affaire, la décision cassant pour erreur de droit l’arrêt d’appel qui avait annulé le jugement du tribunal administratif reconnaissant l'imputabilité au service d'un accident survenu le 11 janvier 2017 et de la pathologie anxio-dépressive dont souffrait la requérante, au motif que la cour ne pouvait exiger, pour une reconnaissance de l’imputabilité au service, un lien non seulement direct mais également certain et déterminant entre l'état de santé de la requérante et ses conditions de travail : 08 mars 2023, Mme B., n° 451972.

 

143 - Fonctionnaire territorial – Exclusion temporaire de fonctions – Procédure disciplinaire irrégulière – Annulation de l’ordonnance rejetant la demande de suspension de la sanction.

Si dans le cadre d’une procédure disciplinaire, l'administration n’est pas tenue d'informer le fonctionnaire poursuivi, préalablement à la séance du conseil de discipline, de son intention de faire entendre des témoins ou de l'identité de ceux-ci, le conseil de discipline, ayant décidé de procéder à l'audition de témoins, ne peut pas, sans méconnaître les droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure, entendre les témoins le jour même de la séance sans avoir mis en mesure le fonctionnaire poursuivi d'assister à leur audition. En l'absence du fonctionnaire, le conseil de discipline ne peut auditionner de témoin que si l'agent a été préalablement avisé de cette audition et a renoncé de lui-même à assister à la séance du conseil de discipline ou n'a justifié d'aucun motif légitime imposant le report de celle-ci.

L’ordonnance du premier juge est cassée pour erreur de droit en ce qu’elle a jugé que le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure n'était pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension était demandée.

Statuant au fond, le juge de cassation retient l’urgence à décider dès lors que l’agent est privé de son traitement depuis le 8 avril 2022 et estime qu’est fondé le moyen d’irrégularité de la procédure disciplinaire ; il ordonne en conséquence la suspension de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans.

(ord. réf. 08 mars 2023, M. B., n° 463478)

 

144 - Fonctionnaire hospitalier – Demande de départ anticipé à la retraite – Validation de services en qualité de services actifs – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Rappel de ce que si la validation de services effectués en qualité d'agent non titulaire, en application des dispositions de l'art. 8 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locale, permet que les services correspondants soient pris en compte pour le calcul de la durée de services effectifs ouvrant droit à l'admission à la retraite, une telle validation n'a pas pour effet de les assimiler à des services accomplis dans des emplois de catégorie active pour l'application des dispositions du I de l'art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Commet donc une erreur de droit le tribunal administratif qui juge comme étant des services accomplis dans la catégorie active les services validés accomplis en qualité d'aide-soignante, et qu’ainsi est illégale la décision du 26 janvier 2014 lui refusant le bénéfice de l'admission à la retraite au motif que l'intéressée justifiait, compte tenu de ces services, d'une durée de quinze ans de services dans la catégorie active.

(10 mars 2023, Centre hospitalier de Lourdes, n° 447964)

 

145 - Chargé de travaux dirigés dans une université – Poursuites disciplinaires devant le CNESER - Refus de qualifier ses agissements comme constitutifs de harcèlement sexuel – Qualification inexacte des faits et sanction par trop infra-proportionnelle – Annulation.

Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) a infligé à un chargé de travaux dirigés la sanction du blâme à raison de son comportement envers des étudiantes en estimant que celui-ci n’était pas constitutif de harcèlement sexuel.

Le Conseil d’État casse à bon droit ce jugement d’abord en ce qu’il a inexactement qualifié les faits de l’espèce (nous aurions plutôt aperçu ici une dénaturation des pièces), faits répétés à l'encontre de certaines étudiantes, qui ont créé une situation intimidante et offensante pour elles, et ensuite en ce qu’il a infligé une sanction trop faible car hors de proportion avec les fautes commises compte tenu de la nature de ces faits et de la relation d'autorité qui est celle d'un enseignant-chercheur avec ses étudiants ainsi qu'à l'exemplarité et l'irréprochabilité qui, par suite, lui incombent.

Pour motiver sa cassation le juge écrit ceci qui se passe de commentaire : « M. A. a proposé à plusieurs étudiantes de son groupe de travaux dirigés, qui avaient sollicité un entretien avec lui pour échanger sur la notation de leurs copies, de se rendre au restaurant ou de lui rendre visite à son domicile, en fin de semaine ou le soir, d'autre part, (…) il a proposé, lors d'un entretien en tête-à-tête, à une étudiante qui était souffrante de lui faire un massage, enfin, (…) il a assorti l'un de ses messages d'invitation à une soirée privée à l'une de ses étudiantes d'un commentaire sur son apparence physique et sur celui d'une de ses amies à qui était également destinée son invitation. »

(10 mars 2023, Établissement Sorbonne Université, n° 456602)

 

146 - Gendarmes – Recours formé par un syndicat – Recours en excès de pouvoir contre le refus de versement de sommes à des agents publics – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation du refus du ministre de l'intérieur de faire bénéficier les agents du commandement des écoles de la gendarmerie nationale et du commandement des réserves de la gendarmerie nationale du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel.

Cette requête est jugée irrecevable par application du principe que nul en France ne plaide par procureur hormis le roi. En effet, c’est un principe constant que les syndicats de fonctionnaires et d’agents publics ne sont pas recevables à introduire eux-mêmes, en lieu et place des agents, un recours en excès de pouvoir contre une décision refusant le versement à des agents publics de sommes qui leur seraient dues. 

(10 mars 2023, Syndicat Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés - Union nationale des syndicats autonomes (UATS-UNSA), n° 462076)

 

147 - Arrêté prononçant la mutation d’un magistrat administratif en qualité de président d’un tribunal administratif – Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA) – Composition et fonctions – Atteinte à l’impartialité et à l’indépendance de ses membres – Refus de transmission d’une QPC.

Contestant la décision du vice-président du Conseil d'État prononçant la mutation de 
M. C. en qualité de président du tribunal administratif de Paris et celle par laquelle il a rejeté son recours gracieux contre cette décision, le requérant sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des art. L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative.

Sans surprise, le recours est rejeté.

Ces dispositions sont relatives aux compétences et à la composition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Tout d’abord, le fait que, parmi ses treize membres, le CSTACAA comprend le vice-président du Conseil d'État, en qualité de président, le conseiller d'État, président de la mission d'inspection des juridictions administratives et le secrétaire général du Conseil d'État, alors qu'ils disposent de prérogatives sur la gestion du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, n'est pas de nature à porter atteinte à l'indépendance des membres du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Au reste, ceci est confirmé par le Conseil constitutionnel (n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017), selon lequel quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance, en particulier à son égard.

Ainsi, doit être rejeté le moyen tiré de la méconnaissance par ces dispositions des principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 qui ne soulève pas une question sérieuse.

En outre, le requérant ne saurait faire valoir que les dispositions de l'art. L. 232-1, relatives aux attributions du CSTACAA, seraient, faute de préciser les modalités selon lesquelles il les exerce, entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte à ces mêmes principes, alors que le fonctionnement du CSTACAA est régi par l'art. L. 232-6 du même code, article qui n'est pas contesté dans le cadre de la QPC. 

Pas davantage les dispositions contestées ne sauraient être arguées de porter atteinte au droit à recours effectif devant une juridiction indépendante et impartiale alors qu’elles ne concernent pas les voies de recours contentieux contre les nominations des magistrats administratifs.

(10 mars 2023, M. B., n° 464355)

(148) V. identique, rejetant le recours – assorti d’une QPC et d’une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime - dirigé contre les nominations du président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et de la présidente du tribunal administratif de Melun : 10 mars 2023, M. D., n° 468104.

 

149 - Concours de recrutement de fonctionnaires et agents publics - Concours interne d'entrée dans les écoles de formations spécialisées dans la spécialité « Maintenance des matériels aéronautiques (MMA) » - Irrégularités – Absence – Rejet.

Le recours d’un candidat malheureux au concours interne d'entrée dans les écoles de formations spécialisées dans la spécialité « Maintenance des matériels aéronautiques (MMA) » donne l’occasion de rappels du droit des concours. On en signale deux.

En premier lieu, la circonstance que l’arrêté ministériel désignant les membres d’un jury de concours d'admission n'ait pas été publié est sans influence sur la légalité de la délibération du jury.

En second lieu, alors que quatre postes étaient à pourvoir, le jury a pu n’en pourvoir que trois en l’absence de fixation par les textes d’un seuil d’admission.

(17 mars 2023, M. D., n° 464646) 

 

150 - Fixation de la liste des emplois de conseiller d'administration de la défense – Absence d’inclusion dans cette liste de l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon – Erreur manifeste d’appréciation – Annulation.

L’arrêté du 26 avril 2017, modifié en 2021, pris pour l’application du décret du 12 décembre 2008 relatif à l'emploi de conseiller d'administration de la défense, ne  comporte pas dans la liste qu’il établit l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon alors que cet emploi, de l’aveu de la ministre autrice de cet arrêté, implique l'exercice de responsabilités comparables à celles qui sont confiées aux titulaires d'autres emplois mentionnés dans l'arrêté du 26 avril 2017.

Faute d’y avoir inclus cet emploi, la ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation conduisant à l’annulation assortie d’une injonction de modifier l'arrêté du 20 décembre 2021 pour y inclure l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon.

(17 mars 2023, M. C., n° 464985)

 

151 - Lieutenant de l’armée de terre – Dissimulation d’une coupure du réseau Intradef – Caractère fautif en dépit des effets positifs de cette action – Sanction non disproportionnée – Rejet.

La requérante a fait l’objet d’une sanction de dix jours d’arrêts pour avoir sciemment dissimulé à sa hiérarchie, dans le cadre de l’opération « Barkhane », qu'une coupure du réseau Intradef, qui permet l'échange d'informations opérationnelles au sein du ministère des armées, avait été effectuée par ses subordonnés en méconnaissance des consignes données sur la date et les conditions dans lesquelles cette action devait avoir lieu. 

L’intéressée faisait valoir pour sa défense, ce qui ne semble d’ailleurs pas contesté, que ses subordonnés auraient agi avec de bonnes intentions, que la procédure de maintenance mise en œuvre se serait déroulée dans des conditions plus favorables que celles qui auraient résulté de l'application des consignes données par la hiérarchie et que la dissimulation des dates auxquelles cette opération s'est déroulée s'expliquerait par ses relations dégradées avec le commandant d'unité. Le Conseil d’État n’en aperçoit pas moins en l’espèce un comportement fautif justifiant la sanction, non disproportionnée, qui lui a été infligée.

Il est bien connu que « La discipline fait la force principale des armées… ».

(17 mars 2023, Mme C., n° 465454)

 

152 - Personnel de la Caisse des dépôts et consignations – Accord collectif portant rupture conventionnelle – Disjonction d’un accord collectif global – Rejet.

(21 mars 2023, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n°446492)

V. n° 102

 

153 - Conseil général de l’environnement et du développement durable – Membres associés de la formation d’autorité environnementale ainsi que des missions régionales d'autorité environnementale – Membres ayant la qualité de fonctionnaires ou de contractuels – Indemnité réduite de moitié – Méconnaissance du principe d’égalité – Annulation.

Méconnaît le principe d’égalité l’art. 3 du décret n° 2022-466 du 31 mars 2022 portant attribution d'une indemnité pour l'exercice des fonctions de membre associé de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable en ce qu’il prévoit que cette indemnité forfaitaire est réduite de moitié pour ceux de ces membres qui sont fonctionnaires et agents contractuels en activité.

En effet, ces personnes, qui siègent dans ces instances en sus de leurs activités professionnelles, ne sont pas moins qualifiées que les autres membres associés et n’y consacrent pas moins de temps qu’eux. Or le ministre n’a pas été capable de justifier cette différence devant le juge.

(27 mars 2023, M. B. et autres, n° 463421)

 

Libertés fondamentales

 

154 - Liberté de réunion – Interdiction d’une réunion au contenu susceptible de heurter de front les principes fondamentaux de la république – Rejet.

La requérante demandait, au moyen d’un référé liberté, l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande de suspension de l’arrêté municipal interdisant la conférence organisée par l'association « Les Profs Sudio » prévue le 5 mars 2023 sur le territoire de la commune, au regard du contenu très prévisible des interventions portant atteinte aux principes et valeurs de la république, à la cohésion nationale et à la dignité des femmes, pouvant constituer dans certains cas des infractions pénales et des risques d'atteintes graves compte tenu du nombre important de participants prévus et de la montée en puissance de vives réactions sur les réseaux sociaux, qu'il serait difficile aux forces de police de maîtriser.

L’appel est rejeté par les motifs de la nature récurrente et grave des propos déjà tenus par l’intervenant principal à cette réunion publique ainsi que par d’autres intervenants, l’absence de sincérité d’un prétendu repentir formulé le jour même de l’audience de référé, le soutien donné à cette manifestation par des personnes ou entités salafistes, diffusant des ouvrages d’une organisation dissoute par décret notamment pour agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée.

(ord. réf. 04 mars 2023, Mme C., n° 471871)

 

155 - Demande d’asile – Refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Confirmation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Rejet.

L’intérêt de cette décision, par-delà son rejet d’un pourvoi tendant à voir le Conseil d’État annuler la confirmation par la CNDA du refus, déjà opposé par l’OFPRA, de répondre favorablement à une demande d’asile, est signalé ici pour son contenu et sa rédaction.

Il faut d’abord retenir le caractère méticuleux et précis de l’examen des faits, actes, propos ou circonstances, par le juge de cassation. Sera noté ensuite le grand souci de retenir tout ce qui pourrait venir au soutien de la demande d’asile.

Même si, en l’espèce, cela se conclut sur un rejet, il est bon de savoir avec quel souci d’humanité et de bienveillance le juge s’assure qu’aucun élément n’est, en l’état, susceptible d’appuyer la thèse du requérant.

(06 mars 2023, M. A., n° 461466)

 

156 - Retrait du statut de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation de ce retrait par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Personne constituant « une menace grave pour la sûreté de l'État » même en l’absence de poursuite pénale - Annulation.

L’OFPRA se pourvoit en cassation d’un jugement de la CNDA annulant sa décision du 22 octobre 2019 de retirer à un ressortissant russe d'origine tchétchène, M. C., la qualité de réfugié qu’il lui avait reconnue le 20 décembre 2012.

Pour casser ce jugement, le Conseil d’État retient que l’intéressé « est connu des services de renseignements depuis 2010 en raison de liens actifs et réguliers dans la mouvance islamiste radicale et avec des membres de l'organisation terroriste " Émirat du Caucase ". Ces services ont notamment relevé qu'il avait entretenu des liens étroits avec M. B., qui a rejoint la zone irako-syrienne à l'été 2015, a intégré les rangs de l'État islamique et est présumé mort en 2016 et qu'il appartenait à un groupe de ressortissants tchétchènes liés à la mouvance djihadiste se réunissant régulièrement dans un local à Strasbourg. Il ressort des énonciations mêmes de la décision attaquée qu'il a été contrôlé à plusieurs reprises à bord de véhicules en compagnie de personnes liées à l' Émirat du Caucase, dont le frère de M. B. Enfin, il ressort du compte rendu de son entretien devant l'OFPRA que M. C. s'est borné à nier l'existence d'un groupe et d'un local dans lequel il se réunirait et a tenu des propos évasifs, confus et contradictoires sur la réalité et l'intensité de ses liens avec les personnes mentionnées dans la note blanche des services de renseignement, témoignant manifestement d'une volonté de dissimulation. Dans ces conditions, et alors même que M. C. n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale et que les documents produits par l'OFPRA ne font pas apparaître d'agissements à caractère terroriste qu'il aurait lui-même commis ». Ainsi, la Cour nationale du droit d'asile a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que M. C. représentait une menace grave pour la sûreté de l'État au sens et pour l’application de l’art. L. 511-7 (ex-art. L. 711-6) du CESEDA. 

(02 mars 2023, OFPRA, n° 458126)

 

157 - Demande de réexamen d’une demande d’asile – Rejet pour irrecevabilité - Éléments nouveaux apportés postérieurement – Office du juge – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile manque à son office en ce que, après avoir confirmé l’irrecevabilité d’une demande d’asile prononcée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au motif que les risques de persécutions allégués n'étaient pas établis et que le demandeur à l’asile ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la protection subsidiaire, constate dans sa décision la présentation postérieure par le demandeur d’éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu'il justifie des conditions requises pour prétendre à une protection internationale, sans pour autant lui octroyer une telle protection. La cour devait d’abord annuler la décision d'irrecevabilité de l'Office et lui renvoyer la demande de réexamen afin que le demandeur soit mis à même de bénéficier de la garantie que constitue son entretien personnel.

(02 mars 2023, M. B., n° 461056)

 

158 - Droit d’asile – Demande d’asile jugée irrecevable par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et renvoi devant l’OFPRA – Dénaturation des pièces – Annulation.

La CNDA dénature les pièces du dossier à elle soumis  en ce que, pour écarter la valeur probante de documents produits par l’OFPRA à l’appui de sa décision d’irrecevabilité d’une demande d’asile, documents émanés du ministère italien des affaires étrangères et dont le caractère officiel n’est pas contesté par la CNDA, se borne à relever l'approximation des mentions y figurant, l'absence de production du relevé d'empreintes issu du fichier Eurodac, ainsi que le défaut de production d'éléments à la fois sur le déroulement précis de la procédure de demande d'asile en Italie et sur les motifs pour lesquels M. A. aurait obtenu cette protection en 2008.

(03 mars 2023, M. A., n° 462843)

 

159 - Demande d’asile au nom d’une enfant mineure – Demande d’hébergement de ses parents et d’attribution de l’allocation pour demandeur d’asile - Impossibilité technique avancée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) – Réformation partielle d’une ordonnance.

Des parents ont déposé une demande d'asile au nom de leur fille mineure puis saisi le juge du référé liberté d’une demande d’injonction au directeur général de l’OFII de respecter les conditions matérielles d’accueil dont bénéficie leur fille, de leur attribuer un hébergement ainsi que l'allocation pour demandeur d'asile avec délivrance de la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

L'OFII relève appel de l’ordonnance de référé en tant seulement qu’elle lui fait injonction, en vue du versement aux parents de l'allocation pour demandeur d'asile au nom de leur fille mineure, de leur délivrer la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA. 

En effet, l’office fait valoir l'impossibilité technique, en l’espèce, de verser l'allocation sur une telle carte puisque la demande d'asile n’a été présentée qu’au nom d'un enfant mineur dont les représentants légaux n'ont jamais été demandeurs d'asile or, notamment pour des motifs de sécurité liés à la lutte contre la fraude, le système d'information lui permettant d'attribuer à un demandeur d'asile la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA est alimenté par les données relatives à l'identité du demandeur enregistrées par le ministère de l'intérieur lors du dépôt de la demande dans son propre système d'information et que l'attribution d'une telle carte implique qu'un demandeur d'asile majeur soit référencé dans le logiciel et qu'il soit actuellement ou ait précédemment été demandeur d'asile, ce qui n'est pas le cas des parents de l’enfant mineure en cause.

L’OFII propose donc le recours à la dérogation prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA en procédant au versement de l'allocation par virement sur le compte bancaire de l’un des parents. Outre que cette solution est équivalente à l’attribution de la carte – qui n’est qu’une carte de paiement, non de retrait -, l'OFII indique qu'il a conclu depuis 2019 un accord avec la Banque Postale pour faciliter les ouvertures de compte des demandeurs d'asile dans 360 bureaux référents, cette ouverture de compte étant facilitée par des mesures d’accompagnement des demandeurs d'asile.

C’est cette solution que retient le juge d’appel, réformant l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a de contraire à cette dernière.

(ord. réf. 14 mars 2023, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 471676)

(160) Voir, identiques en substance : 23 mars 2023, M. C. et Mme A., n° 471873 ; 24 mars 2023, Mme A. et M. B., n° 471953.

(161) V. aussi, un peu comparable mais avec demande d’hébergement, en l’état de parents d’une enfant ayant moins d’un an et qui a obtenu la qualité de réfugiée, la décision annulant le rejet par le tribunal administratif de leur demande tendant à voir ordonner à l’OFII et à l’État la fourniture d’un hébergement d’urgence : ord. réf. 07 mars 2023, Mme B. et M. E., n° 471728.

(162) V., voisin : 22 mars 2023, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 471820.

(163) V., à l’inverse, confirmant le rejet par le premier juge d’une demande d’annulation du refus d’attribuer un hébergement d’urgence à un couple accompagné d’enfants de 10 et 13 ans et alors même que la mère ferait l’objet d’une intervention chirurgicale en ambulatoire, car il existe des situations d’urgence plus graves :  ord. réf. 09 mars 2023, Mme et M. C., n° 471727.

(164) V. dans le même sens, la confirmation de l’ordonnance de rejet d’une demande d’hébergement d’une mère de 62 ans et de son fils de 27 ans, en situation de handicap moteur et cognitif, hébergés provisoirement et à titre précaire, le soir, à l’hôpital Tenon à Paris : 24 mars 2023, Mme A. et M. B., n° 472223.

(165) V. encore, constatant que le litige est devenu sans objet du fait que postérieurement à l’ordonnance attaquée, la vice-présidente du tribunal pour enfants a confié l’enfant mineure aux services de l'aide sociale à l'enfance pour une durée de six mois, l'allocation pour demandeur d'asile étant versée aux services de l'aide sociale à l'enfance : 10 mars 2023, Mme F. et M. C., n° 471729.

 

166 - Constructions illicites – Ordre préfectoral d’évacuation et de destruction – Recours en suspension assorti d’une QPC – Risques allégués d’atteinte à divers libertés et droits – Refus de transmission de la QPC.

L'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, issu de l'article 197 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique a entendu doter l’autorité administrative à Mayotte et en Guyane, en raison du caractère alarmant des constructions illicites, des moyens de riposte eu égard aux atteintes à la propriété, aux risques de troubles à l'ordre public et pour la santé et la salubrité publiques qui en découlent. 

Contestant la juridicité des décisions préfectorales ordonnant l’évacuation et la destruction de ces constructions, les requérants y ont joint une QPC en tant que les dispositions législatives précitées, qui fondent les décisions préfectorales, méconnaissent la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques alors qu’il est porté atteinte au respect de la vie privée, aux principes de fraternité et de sauvegarde de la dignité humaine et au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif (ce dernier moyen, nouveau en cassation, ne peut être retenu). 

La demande de transmission de la QPC est rejetée.

D’abord, tant en raison de l’objectif poursuivi par la loi que des garanties mises par celle-ci à l’exercice des pouvoirs conférés à cette fin aux préfets, il ne saurait être soutenu qu’elle n'assure pas, de ce fait, une conciliation équilibrée entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine ainsi qu’au principe de fraternité. 

Ensuite, en prévoyant que la mise en œuvre de ces pouvoirs est subordonnée à une « proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant », la loi a entendu prendre en compte la situation personnelle et familiale des personnes concernées, et notamment leurs facteurs de vulnérabilité. Elle a ainsi institué des garanties légales suffisantes de nature à respecter le droit au respect de la vie privée.

(10 mars 2023, Mme A., M. B. et Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, n° 469663)

 

167 - Demande d’asile – Risque de persécutions du fait d’une conversion au christianisme – Preuve de cette conversion – Preuve rapportée après la clôture de l’instruction – Nécessité, dans les circonstances de l’espèce, de rouvrir l’instruction – Annulation.

Le requérant, de nationalité iranienne, a formé une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en faisant notamment valoir qu'il craignait d'être exposé, en cas de retour dans son pays d'origine, à des persécutions de la part des autorités en raison de sa conversion au christianisme.

Le directeur général de l’OFPRA a rejeté sa demande, au motif notamment que son cheminement vers le christianisme, avant son départ d'Iran, n'était pas avéré. Puis, au dossier de l’instruction de l’affaire devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), a été versé, le 10 juin 2021, veille de la clôture de l'instruction écrite, intervenue cinq jours francs avant la date de l'audience, un mémoire contenant une note de sa division de l'information, de la documentation et des recherches relative aux conversions d'Iraniens au christianisme, dans laquelle l'OFPRA contestait, pour la première fois, la sincérité de la conversion au christianisme de l'intéressé, depuis son arrivée en France, et en concluait qu'il ne serait pas exposé à des risques de persécution en cas de retour en Iran. Dans un mémoire en défense qu’il a produit après la clôture de l’instruction, le requérant a produit un certificat de baptême. La Cour a expressément refusé de le prendre en compte.

Le juge de cassation commence par relever qu’en principe la seule circonstance qu'un mémoire en défense soit communiqué la veille de la clôture de l'instruction écrite devant intervenir cinq ou trois jours francs avant la date de l'audience n'implique, par elle-même, ni le report de l'audience, ni la réouverture de l'instruction écrite, eu égard à la possibilité pour la Cour de tenir compte des observations orales de l'autre partie sur cette nouvelle production et, le cas échéant, de diligenter un supplément d'instruction à l'issue de l'audience. 

Cependant, il estime, à juste titre, qu’en l’espèce, compte tenu de ce que le document produit par ce dernier contredisait tout à fait une pièce du dossier, la CNDA a irrégulièrement statué en ne communiquant pas ce certificat en rouvrant l’instruction pour satisfaire le principe du contradictoire ou en ordonnant un supplément d’instruction à l’issue de l’audience.

(15 mars 2023, M. B., n° 460953)

 

168 - Spectacle – Interdiction dans le cadre d’un festival – Spectacle comportant des passages nazis et antisémites – Répertoire ayant évolué – Absence de trouble avéré à l’ordre public – Atteinte à la liberté fondamentale de réunion - Confirmation de la suspension de l’arrêté municipal d’interdiction.

Au soutien de sa décision d’interdiction d’un spectacle du rappeur Freeze Corléone devant se tenir dans sa commune au sein du festival « Boumin Fest », la mairesse de Rennes invoque d’une part, les textes de celui-ci qui constitueraient « de véritables provocations et incitations à la haine, voire à la violence (...) remettant en cause les valeurs républicaines et la cohésion nationale », d’autre part, la circonstance que de tels propos seraient « de nature à très fortement exacerber les tensions déjà vives entre différents groupuscules politiques extrêmes présents à Rennes ».

La ville de Rennes interjette appel de l’ordonnance de suspension de l’arrêté d’interdiction. Le Conseil d’État, confirmant l’ordonnance du premier juge, rejette chacun de ces deux motifs.

En premier lieu, s’il est exact que l’intéressé a écrit et chanté des textes, dont le contenu n'est pas contesté, comportant des passages faisant référence de manière positive au nazisme et revêtant clairement un caractère antisémite, celui-ci soutient que ces textes ne sont plus ceux qui composent aujourd'hui ses concerts. Cette affirmation est confirmée par la communication des textes actuels de ses chansons, notamment celles devant être jouées à Rennes, et par la consultation sur Youtube des spectacles récents ou actuels du requérant.

En second lieu, l’allégation de troubles possibles à l’ordre public n’est pas assortie de la preuve de risques avérés, elle est donc insuffisante à justifier qu’il soit porté atteinte de manière évidente à une liberté aussi fondamentale que la liberté de réunion.

(ord. réf. 17 mars 2023, M. F. Corléone, n° 472161)

 

169 - Extradition – Contrôle du juge – Irrégularités de la procédure suivie par l’État requérant – Absence de contrôle sur la qualification des actes retenue par les juridictions de l’État requérant – Absence d’infraction politique eu égard à sa gravité – Rejet.

Rejetant la demande d’annulation du décret autorisant l’extradition du requérant vers la Russie, le Conseil d’État rappelle un certain nombre de points gouvernant le droit extraditionnel

Tout d’abord, il n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l'exécution desquels l'extradition a été sollicitée.

Ensuite, il résulte des principes généraux du droit applicables à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d'erreur évidente, absente en l’espèce, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée.

Enfin, le décret attaqué accorde l'extradition de M. A. pour des faits qualifiés de double meurtre commis en réunion avec préméditation par contrat, détention, transport et port illégaux d'armes à feu et de munitions. Une telle infraction n'est pas une infraction politique par sa nature et ne peut être regardée, compte tenu de sa gravité, comme ayant un caractère politique. En outre, il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités russes dans un but autre que la répression, par les juridictions russes, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé.

(29 mars 2023, M. A., n° 461399)

(170) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le décret d’extradition d’un ressortissant tunisien et rappelant que le moyen tiré de ce que le demandeur aurait subi une durée de détention préventive excessive, en violation de l'article 5 de la convention EDH relatif au droit pour la personne arrêtée d'être traduite devant un juge, ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours en annulation du décret prononçant son extradition : 29 mars 2023, M. B., n° 468706.

 

171 - Asile accordée sur la base de documents frauduleux – Demande de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) de révision de sa décision d’octroyer l’asile – Requête tardive – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

L’OFPRA a saisi la CNDA d’un recours en révision de sa décision accordant l’asile à un ressortissant russe d’origine tchétchène en raison de ce qu’elle résultait d’une fraude et ce recours a été rejeté pour cause de tardiveté.

Annulant ce refus, le Conseil d’État juge qu’en estimant que la computation du délai dans lequel devait être introduit un recours en révision avait commencé à courir à la date à laquelle les premiers éléments transmis par le ministère de l'intérieur avaient été reçus, sans rechercher s'ils étaient suffisants pour permettre de caractériser l'existence d'une fraude, la Cour a entaché sa décision d'erreur de droit. 

(29 mars 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 461951)

 

172 - Réfugié – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) d’une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) mettant fin au statut de réfugié – Insuffisance de motivation – Annulation.

La CNDA motive insuffisamment son jugement et manque à son office quand, saisie par l’intéressé d’une décision de l’OFPRA mettant fin à son statut de réfugié au motif que sa présence sur le territoire français constitue une menace grave pour la société au sens du 2° de l'art. L. 511-7 du CESEDA, elle annule cette décision en jugeant que tel n’est pas le cas et que la situation de l'intéressé ne relève d'aucune autre clause de cessation permettant de mettre fin au statut de réfugié alors que l’OFPRA s’était fondé sur le 3° de l'art. L. 711-4 de ce code devenu l'art. L. 511-8, portant fin de la qualité de réfugié, et que l'OFPRA demandait à titre principal à la Cour de faire application de la clause d'exclusion prévue par le c) du F de l'art. 1er de la convention de Genève.

(29 mars 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462644)

 

Police

 

173 - Incendie d’un campement occupé par des roms – Action en référé en vue d’un recensement et d’un relogement des personnes, notamment mineures – Rejet.

Est rejeté l’appel dirigé contre l’ordonnance rejetant la demande de première instance tendant à ce que soient ordonnées - dans un délai de 48 heures et sous astreinte - aux autorités préfectorales et communales concernées diverses mesures de recensement des personnes en détresse et des mineurs isolés ainsi que des mesures de mise à l'abri ou de relogement des personnes dispersées à la suite de l’évacuation forcée d’un campement de roms à moitié détruit par un incendie né dans la nuit du 24 au 25 janvier 2023 ayant provoqué la mort d’une personne, qui occupait irrégulièrement un terrain correspondant à une ancienne bretelle de sortie d'autoroute.

Le juge d’appel relève, comme le premier juge, l'absence de carences caractérisées de la part des personnes publiques concernées dans l'accomplissement de leur mission d’hébergement d’urgence de certaines catégories de personnes (cf. art. L. 345-2 à L. 5-2-5 code de l’action sociale et des familles) d’abord parce que la commune de Fresnes et la préfecture du Val-de-Marne ont constaté qu'aucune des personnes évacuées après l'incendie n'avait sollicité le bénéfice d'une mise à l'abri d'urgence dans le gymnase situé à proximité du campement et réquisitionné à cette fin le temps nécessaire à la recherche d'un hébergement pérenne, ou n'avait demandé à bénéficier des places en hôtel proposées aux familles qui en auraient formulé la demande, ensuite en raison de l'échec du diagnostic sanitaire et social lancé en août 2022 par l'État, en raison d'une opposition qui s'est manifestée sur place et, enfin, du fait que les personnes, évacuées du campement, qui se sont « repliées » sur un parking de Vitry-sur-Seine ou à Rungis, n'ont pas fait état d'une demande particulière au titre de l'hébergement d'urgence notamment auprès du Samu social par des appels au " 115 " ou d'une absence de prise en compte de situations signalées du fait de vulnérabilités particulières de certaines personnes.

(ord. réf. 06 mars 2023, Mme et M. BE et autres, n° 471862)

 

174 - Infraction au stationnement payant – Signalisation prétendue insuffisante – Erreur de droit – Annulation.

Un automobiliste a demandé à la commission du contentieux du stationnement payant d'annuler la décision du maire de Versailles rejetant son recours administratif dirigé contre l'avis de paiement du forfait de post-stationnement de 33 euros mis à sa charge par la commune de Versailles. Le magistrat à ce désigné a prononcé la décharge demandée et enjoint à la commune d'émettre un ordre de reversement sous deux mois.

La commune se pourvoit.

Pour annuler cette décision, le Conseil d’État relève l’erreur de droit commise en première instance du fait qu’il a été constaté qu'un panneau de type B6b4 était installé au niveau du 27 rue des Réservoirs, constituant l'entrée de cette voie dans le sens de la circulation vers le numéro 1 de la rue des Réservoirs et que la signalisation du stationnement payant cessait de produire effet après le n° 19 de cette rue, en raison de son intersection avec une autre rue, et qu'ainsi la signalisation du stationnement payant méconnaissait, dans cette portion de la voie, les prescriptions de l'article 55 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière. Le juge de cassation observe, à l’inverse, que le maire a, par un arrêté du 19 juillet 2019 réglementant le stationnement payant sur la voirie communale par zones en application des dispositions de l'article 55-1 de l'instruction interministérielle sur la sécurité routière, institué une zone dite « orange » dans le secteur Notre-Dame, zone agglomérée où 1300 places de stationnement payant sont délimitées sur différentes voies, dont la rue des Réservoirs devant le numéro 1 de laquelle il est constant que le contrevenant avait stationné son véhicule.

(10 mars 2023, Commune de Versailles, n° 466040)

 

175 - Amende forfaitaire délictuelle – Notification par envoi en courrier simple – Régime – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 relatif à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle, ainsi que le refus de l’abroger, notamment en ce qu’il substitue, après constatation d’un délit, à l’envoi au domicile d’une notice de paiement et d’un formulaire de requête en exonération par lettre recommandée, une lettre simple désormais.

Le recours est rejeté, outre en ses moyens de légalité externe, en ses deux moyens de légalité interne.

En premier lieu, ces nouvelles dispositions se bornent à affecter les modalités d'envoi de l'avis d'infraction et sont seulement de nature, au cas où l'envoi par lettre simple n'aurait pas de date certaine, à rendre inopposable le délai applicable à la contestation de l'avis. Ainsi, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de priver les intéressés du droit à un recours juridictionnel effectif (art. 6 et 13 de la convention EDH). 

En second lieu, ces dispositions sont applicables à l'ensemble des délits relevant de la procédure d'amende forfaitaire. Elles n'ont par elles-mêmes ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte au mode de vie itinérant des gens du voyage, elles ne méconnaissent ainsi pas le droit des gens du voyage au respect de leur vie privée et familiale, ni n’instituent à leur encontre une discrimination incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention EDH. 

(17 mars 2023, Association sociale nationale internationale tzigane (ASNIT), association Action Grand Passage (AGP) et association protestante des amis des Tziganes (APATZI), n° 457736 ; Associations Union de défense active des forains (UDAF) et France liberté voyage, n° 462145)

 

176 - Chasse – Associations communales de chasse agréées (ACCA) – Création postérieure d’associations de chasse – Distinction chronologique ne constituant pas une discrimination prohibée au sens de l’art. 14 de la Convention EDH – Rejet.

Dans l’interminable contentieux né de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations de chasseurs et renforçant la police de l'environnement, contentieux opposant, dans les milieux de la chasse, les ACCA et les associations de chasseurs constituées postérieurement à la création d’une ACCA, est intervenu un avis de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (avis n° 16-2021-002 du 13 juillet 2022) sollicité par le Conseil d’État (15 avril 2021, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 439036) sur la compatibilité de la dichotomie entre associations de chasse instituée par cette loi au regard de l’art. 14 de la Convention EDH. C’était d’ailleurs là la première demande d’avis du Conseil à la Cour EDH.

Au reçu de cet avis, le Conseil d’État rend une décision de compatibilité qui est un peu limite mais bien dans l’air du temps.

En bref, il est jugé que la distinction légale ne constitue pas une discrimination contraire aux art. 14 de la convention EDH et 1er du premier protocole additionnel à cette convention en tant qu'elle prive du droit de se retirer d'une ACCA existante les associations de propriétaires créées après la constitution de l'ACCA car, estiment les juges du Palais-Royal, « si les propriétaires regroupés en association postérieurement à la création d'une ACCA ne peuvent jouir d'un exercice exclusif du droit de chasse sur les terrains leur appartenant, ils disposent toutefois, en leur qualité de membres de droit de l'association communale, de l'autorisation de chasser sur l'espace constitué par l'ensemble des terrains réunis par cette association, la distinction temporelle qu'opèrent les dispositions du troisième alinéa de l'art. L. 422-18 du code de l'environnement entre ces associations et celles existant à la date de création de l'ACCA constitue une mesure proportionnée au but légitime poursuivi ». On peut être quelque peu surpris de ce qu’une interdiction d’être en paix chez soi n’est pas inconventionnelle puisqu’elle est (assortie du ? compensée par le ?) droit d’enquiquiner les autres chez eux.

(23 mars 2023, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 439036)

 

177 - Police de l’ordre public et de la sécurité publique – Chien dangereux – Chien retiré à son ropriétaire – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni de fait ni dénaturation que le juge des référés a rejeté la demande de suspension de l’arrêté par lequel le maire de Juvignac a prononcé le retrait définitif au requérant de son chien ainsi que le placement de l'animal au refuge.

Il est établi que cet animal présente « un danger grave et immédiat » justifiant son placement en lieu de dépôt et qu’un vétérinaire l’a déclaré dangereux pour tout autre chien et toute personne de son entourage avec un niveau de risque de 3 sur 4.

Aucun doute sérieux sur la juridicité de l’arrêté querellé ne peut justifier la suspension de son exécution.

(24 mars 2023, M. B., n° 466442)

 

178 - Police des placements financiers - Entreprises d’assurance ou de réassurances – Contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Taux de couverture du capital de solvabilité insuffisant – Exigence d’un plan de rétablissement – Dispositions du code des assurances et du code monétaire et financier – Pouvoirs de l’ACPR – Rejet.

(22 mars 2023, Société Capma et Capmi, n° 449010)

V. n° 87

 

Professions réglementées

 

179 - Monopole des pharmaciens – Produits de médecine nucléaire – Distinction entre médicaments radio-pharmaceutiques « A » et « B » - Rejet.

Les organisations requérantes demandent l’annulation du décret n° 2022-114 du 1er février 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l'activité de médecine nucléaire.

L'art. L. 6122-1 du code de la santé publique, prévoit qu’un décret fixe la liste des activités de soins et des équipements lourds soumis à autorisation de l'agence régionale de santé. Sur ce fondement, le décret du 30 décembre 2021 relatif aux conditions d'implantation de l'activité de médecine nucléaire décide qu'à compter du 1er juin 2023, l'activité de médecine nucléaire est soumise à une autorisation qui est accordée par site géographique et comporte l'une des deux mentions suivantes : « Mention A » lorsque l'activité concernée comprend les actes diagnostiques ou thérapeutiques hors thérapie des pathologies cancéreuses, réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique prêt à l'emploi ou préparé conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptisé en système clos et « Mention B », lorsque l'activité concernée comprend en outre les actes diagnostiques ou thérapeutiques réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique préparé selon un procédé aseptisé en système ouvert, les actes diagnostiques réalisés dans le cadre d'exploration de marquage cellulaire des éléments figurés du sang par un ou des radionucléides, les actes thérapeutiques réalisés par l'administration de dispositif médical implantable actif ou les actes thérapeutiques pour les pathologies cancéreuses réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique.

L'art. L. 4211-1 du code de la santé publique réserve aux pharmaciens, sauf dérogations, « 1° La préparation des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine » (...) . Aux termes de l'art. L. 5121-1 de ce code, on entend par « 7° Médicament radio-pharmaceutique, tout médicament qui, lorsqu'il est prêt à l'emploi, contient un ou plusieurs isotopes radioactifs, dénommés radionucléides, incorporés à des fins médicales ». Enfin, aux termes du I de l'art. R. 5126-9 : « Pour assurer une ou plusieurs des activités prévues aux 1° à 10° suivants, la pharmacie à usage intérieur est tenue de disposer d'une autorisation mentionnant expressément cette ou ces activités ou délivrée tacitement à la suite d'une demande mentionnant expressément cette ou ces activités : (...) 6° La préparation des médicaments radio-pharmaceutiques (...) ». 

En premier lieu, si la préparation préalable d'un médicament radio-pharmaceutique, qui relève de l'autorisation portant la mention « B », ressortit à la compétence du pharmacien, en revanche, la manipulation d'un médicament radio-pharmaceutique prêt à l'emploi ou sa préparation conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptique en système clos, seule activité autorisée au titre de la mention « A », ne saurait être assimilée à une préparation médicamenteuse relevant du monopole des pharmaciens. Il ne saurait donc être soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions des art. L. 4211-1, L. 4232-1 et R. 5126-9 du code de la santé publique en se bornant, pour les activités autorisées avec la mention « A » sur un site ne disposant pas d'une pharmacie à usage intérieur, à prévoir le simple « concours » d'un radiopharmacien régulièrement inscrit à la section compétente de l'ordre national des pharmaciens, sans imposer, comme il le fait pour l'autorisation portant la mention « B », que les médicaments radio-pharmaceutiques soient préparés sous le contrôle d'une pharmacie à usage intérieur et sous la responsabilité d'un radiopharmacien inscrit à la section H (pharmaciens exerçant dans les établissements de santé) de l'ordre national des pharmaciens.

En deuxième lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que les mots concours et participation utilisés à l’art. D. 6124-190 du code de la santé publique, faute de définition, manqueraient à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité.

Enfin, il ne saurait davantage être soutenu que les dispositions du décret attaqué, en  imposant que la préparation préalable des médicaments radio-pharmaceutiques, qui relève d'une autorisation « mention B » pour laquelle le titulaire de l'autorisation doit disposer d'une pharmacie à usage intérieur autorisée à assurer l'activité prévue au 6° de l'art. R. 5126-9 précité du code de la santé publique, soit effectuée sous le contrôle de la pharmacie à usage intérieur et que l'équipe comprenne au moins un radiopharmacien présent sur le site pendant les activités relevant de sa responsabilité, n'aurait pas prévu de règles et garanties suffisamment précises, de nature à assurer la sécurité de l'usage des médicaments radio-pharmaceutiques et à protéger la santé publique, qu'il méconnaîtrait le droit de toute personne, garanti notamment par l'art. L. 1110-5 du code de la santé publique, de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées et des bonnes pratiques de préparation des médicaments radio-pharmaceutiques prévues à l'art. L. 5121-5 de ce code.

Les recours sont rejetés.

(16 mars 2023, Syndicat national des radio-pharmaciens, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires, Conseil national professionnel de la pharmacie d'officine et de la pharmacie hospitalière et syndicat national des pharmaciens gérants et hospitaliers publics et privés, n° 462809 ; Conseil national de l'ordre des pharmaciens et Conseil central de la section H de l'ordre des pharmaciens, n° 462891, jonction)

 

180 - Entraîneur et driver de chevaux de course – Commission d’infractions diverses - Retrait d’autorisations – Rejet.

Sur injonction du ministre de l’intérieur, l'association France Galop, chargée de missions de service public en ce domaine, a retiré à l’intéressé l'autorisation de faire courir, d'entraîner, de monter et de driver des chevaux de course. Ce dernier a saisi le juge du référé suspension qui a accordé la suspension de la décision de France Galop.

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, l’ordonnance du premier juge est cassée, le juge de cassation relevant que la décision querellée a été prononcée en raison de ce que le requérant a commis, en 2014, des faits de violence par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, de violence avec usage ou menace d'une arme et de menace de mort réitérée, qu'il a commis, en 2015, des faits de détention non autorisée de stupéfiants et de conduite de véhicule en ayant fait usage de stupéfiants, qu’il a été mis en examen en 2021 du chef d'escroquerie commise en bande organisée pour avoir, en sa qualité d'entraîneur, administré de façon répétée sur une période de plusieurs mois des produits dopants à des chevaux de course, ces faits ayant entraîné le placement sous contrôle judiciaire de l'intéressé le 9 septembre 2021.

Il est assez clair qu’en jugeant que le moyen tiré de ce que ces faits ne sont pas de nature à justifier le retrait de ses autorisations de faire courir, d'entraîner, de monter et de driver des chevaux de course est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures de police litigieuses, alors que ces faits n'étaient pas sérieusement contestés par l'intéressé et que la poursuite de son activité était susceptible de porter atteinte au bon déroulement des courses hippiques et des paris dont elles sont le support et, ainsi, de créer des troubles à l'ordre public, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

(ord. réf. 17 mars 2023, M. B., n° 459720)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

181 - Activité de soutien scolaire – Régime de la TVA – Exonération pour les organismes privés sans but lucratif, soumission pour ceux à fins lucratives – Absence d’atteinte au respect du principe d'égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

(13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467225)

V. n° 62

 

182 - Usage de stupéfiants par le conducteur d’un véhicule – Sanction pénale de cette infraction – Dépistage de l’état d’imprégnation stupéfiante – Absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait – Refus de transmission d’une QPC.

Le Conseil d’État refuse la transmission au Conseil constitutionnel d’une QPC tendant à voir déclarer contraire à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit les art. L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route en tant qu’ils prévoient la possibilité de recourir à une analyse salivaire pour établir le délit d'usage illicite de conduite sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants, d'autre part l'évolution du cadre réglementaire fixant les modalités de dépistage des stupéfiants et de classement des plantes et substances classées comme stupéfiants, et que cette disposition a entraîné l'augmentation du nombre de condamnations judiciaires prononcées sur le fondement de l'art. L. 235-1 du code de la route.

Le Conseil d’État considère que ces éléments ne remettent en cause ni la portée du dispositif de la décision du Conseil constitutionnel (n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011) jugeant que les dispositions du I de l'art. L. 235-1 du code de la route qui définissent le délit de conduite d'un véhicule sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants et les sanctions encourues, dans leur rédaction issue de la loi n° 2007-292 du 5 mars 2007, étaient conformes à la Constitution, ni son champ d'application et qu’elles ne constituent pas un changement des circonstances de droit ou de fait.

(24 mars 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France, n° 470132)

(183) V. aussi, rejetant le recours en QPC de la même requérante fondé sur l’inconstitutionnalité des dispositions combinées du troisième alinéa de l'art. L. 3421-1 du code de la santé publique et du deuxième alinéa de l'art. 495-17 du code pénal : 24 mars 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France, n° 470350.

 

184 - Élèves mineurs ou majeurs en situation de handicap – Actions médico-éducatives en leur faveur – Actions constituant une mission d’intérêt général mais non une mission de service public – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission d’une QPC.

(31 mars 2023, Société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), n° 470151)

V. n° 211

 

Responsabilité

 

185 - Accident de la circulation dont a été reconnue l’imputabilité au service – Rupture d’anévrisme jugée non imputable à l’accident de service – Qualification erronée des faits – Annulation.

La requérante a été victime le 2 octobre 2012 d’un accident de la circulation jugé imputable au service. Le 21 mars 2013 elle est victime d’une rupture d’anévrisme qu’elle prétend imputable à l’accident de la circulation et donc au service.

La cour administrative d’appel a rejeté la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de la décision refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident vasculaire cérébral au motif que les conclusions du rapport de l'expert ne reposaient que sur des probabilités et que ni ce rapport ni les autres pièces médicales versées au dossier ne permettaient d'établir avec certitude un lien direct entre la rupture d'anévrisme et l'accident de service dont la requérante a été victime.

Sur le pourvoi de la victime, pour annuler cet arrêt, le Conseil d’État relève que la requérante, qui n'avait pas d'antécédents neurologiques ou vasculaires, a développé, après l'accident de la circulation dont elle a été victime le 2 octobre 2012 et dont l'imputabilité au service a été reconnue, une hypertension artérielle, un syndrome de stress post-traumatique et des céphalées importantes et que le traumatisme crânien subi à l'occasion de cet accident, associé à l'élévation anormale de la tension artérielle, exposait l'intéressée à un risque élevé de rupture d'anévrisme dans les mois suivant. Le juge de cassation en déduit hypothétiquement qu’en refusant d’apercevoir le lien entre l’accident de la circulation et la rupture d’anévrisme la cour a donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée.

(08 mars 2023, Mme B., n° 456390)

 

186 - Déplacement d’une sonde à ballonnet – Nécessité d’une coloscopie – Perforation colique – Lien de causalité – Engagement de la responsabilité de l’hôpital – Rejet.

L’hôpital demandeur contestait l’engagement de sa responsabilité par une cour administrative d’appel et a formé un pourvoi en cassation contre son arrêt.

Au cours de l’hospitalisation d’un patient a été constatée la migration vers le côlon gauche d’une sonde à ballonnet placée en novembre 2015 afin d’assurer son alimentation entérale. L’aggravation de l’état du patient a d’abord provoqué l’échec de la coloscopie en vue d’extraire la sonde puis conduit à l’opération chirurgicale d'une péritonite stercorale provoquée par une perforation colique, à l'occasion de laquelle la sonde a finalement pu être retirée.

Une action en responsabilité a été dirigée par le patient contre le centre hospitalier demandeur à la cassation, son action ayant été reprise par son épouse au décès de ce dernier. Le centre hospitalier conteste la motivation de l’arrêt d’appel en ce qu’elle retient que la migration de la sonde à ballonnet vers le côlon gauche résultait d'un défaut de surveillance fautif du centre hospitalier entre le 11 et le 25 décembre 2015 et que la coloscopie du 4 février 2016, rendue nécessaire par la migration de la sonde, était à l'origine de la perforation colique subie par le patient. Elle a estimé qu’une faute a été commise par le centre hospitalier et que cette faute était à l'origine des complications médicales présentées par le patient du fait de la perforation colique. 

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État considère d’abord que si le centre hospitalier soutient que la migration de la sonde à ballonnet vers le côlon gauche a pu intervenir durant la seule journée du 24 décembre 2015, alors que le patient était rentré à son domicile, il résulte du rapport d’expertise que la migration de la sonde a nécessairement pris plusieurs jours, entre le 11 et le 25 décembre 2015, période durant laquelle il était hospitalisé. La cour n'a ainsi pas commis d'erreur de droit, ni de dénaturation des pièces en retenant que le défaut de surveillance du centre hospitalier de Chartres était fautif. 

Il considère ensuite que la cour n’a ni commis une erreur de droit, ni entaché son arrêt de dénaturation en retenant l'existence d'un lien de causalité entre la faute du centre hospitalier de Chartres et les préjudices subis par le patient du fait de la perforation colique dès lors que l'expert estimait que la coloscopie pouvait avoir favorisé la perforation colique.

(10 mars 2023, Centre hospitalier de Chartres, n° 460084)

 

187 - Retard de diagnostic – Prise en charge pour assistance par une tierce personne – Principes et régime applicables – Annulation.

Lorsqu’à été allouée à la victime d'un dommage corporel une indemnisation au titre des frais d'assistance par une tierce personne il y a lieu d’en déduire le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais.

D’une part, cette solution doit être appliquée même dans le cas où les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage.

D’autre part, cette déduction n’est pas possible lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

Ces solutions ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime.

Dans le cas où la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

Ainsi, dans la présente espèce, la cour administrative d’appel a manqué à son office et commis une erreur de droit en jugeant qu'il y avait lieu de déduire de l'indemnité ou de la rente allouée au titre de l'assistance par une tierce personne le montant perçu de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, son complément éventuel et la prestation de compensation du handicap, sans rechercher si le montant cumulé de ces prestations et de l'indemnisation mise à la charge du centre hospitalier excédait le montant total des frais d'assistance. 

(17 mars 2023, Mme et M. D., Centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 453647)

(188) V. aussi, identique sur la question de l’assistance d’une tierce personne : 21 mars 2023, Mme B. et Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Savoie, n° 435632.

(189) V. également, approuvant le juge des référés d’une cour administrative d’appel de s’être fondé sur les circonstances que la victime conservait l'usage de ses membres supérieurs et bénéficiait de la prise en charge de soins infirmiers deux fois par jour et de deux visites quotidiennes de l'association ADMR (services à la personne), pour juger que l'obligation d'indemniser Mme D. au titre de ses besoins futurs d'assistance par une tierce personne ne pouvait être regardée comme non sérieusement contestable que dans la limite de dix heures par jour : 21 mars 2023, Mme D., n° 455899.

 

190 - Responsabilité contractuelle – Endommagement de données informatiques – Défaut d’établissement de la réalité du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

(17 mars 2023, Communauté d'agglomération de l'Étampois-Sud-Essonne, n° 459518)

V. n° 31

 

191 - Responsabilité hospitalière - Chute d’un toit – Admission dans un état très grave à l’hôpital – Faute dans le diagnostic et dans la prise en charge médicale – Indemnisation à des titres divers – Rejets et annulations partiels.

A la suite du décès de leur mari et père, hospitalisé à la suite de la chute d’un toit l’ayant laissé dans un état grave, et en leur nom propre les requérants ont sollicité la réparation de divers préjudices subis du fait de fautes qui auraient été commises par le centre hospitalier dans le diagnostic et dans la prise en charge médicale de la victime.

L’arrêt d’appel a été cassé par le Conseil d’État en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique, des droits de succession, des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E. et aux pensions d'orphelins des enfants du foyer et du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM).

S’agissant de l'indemnisation des frais de soutien psychologique l’arrêt est annulé pour dénaturation en ce qu’il a refusé d’indemniser les frais futurs de soutien psychologique motif pris de ce que les demandeurs n'avaient pas produit d'éléments permettant de « chiffrer précisément » ce poste de préjudice alors qu’ils avaient fourni un certificat médical évaluant le besoin en cause à deux séances mensuelles de 60 euros chacune.

S’agissant de l’indemnisation des frais de succession est approuvé le refus par la cour d’une telle indemnisation car de tels frais, classiquement, ne peuvent être regardés comme un élément du préjudice résultant directement de la prise en charge fautive de la victime.

S’agissant de l'indemnisation des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E. et sur les revenus de substitution perçus par ses enfants, la cour a doublement dénaturé les pièces du dossier. D’abord en jugeant qu’il ne pouvait être tenu pour certain que la victime, à défaut de faute de l’hôpital, aurait pu exercer à nouveau ses fonctions de gestionnaire d'entreprise alors qu’une telle déduction ne résultait pas des pièces du dossier et notamment du rapport d’expertise. Ensuite, en jugeant que les deux enfants avaient perçu 37 621,80 euros chacun de pension d’orphelins jusqu’à l’âge de 21 ans alors qu’il résultait des pièces du dossier qu’ils n’avaient reçu, chacun, que 1767,60 euros.

Enfin, s’agissant de l'indemnisation du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la SHAM, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que cet élément de préjudice ne se distinguait pas des préjudices moraux que le centre hospitalier et la SHAM ont été condamnés à indemniser alors qu'il s'agissait d'un préjudice distinct, dont la réparation incombait d'ailleurs au seul assureur du centre hospitalier.

(20 mars 2023, Mme E. et autres, n° 452939)

 

192 - Étudiante en architecture affectée d’un lourd handicap à la suite d’une intervention chirurgicale – Réparation des préjudices nés des frais d'aménagement de son appartement et des frais d'aménagement des domiciles de ses parents – Erreurs de droit – Annulation.

Le pourvoi de l’intéressée avait été admis contre un arrêt de cour administrative d’appel en tant qu’il se prononce sur les préjudices nés des frais d'aménagement de l'appartement de Mme A. ainsi que des frais d'aménagement des domiciles de ses parents. L’arrêt est cassé en raison de deux erreurs de droit.

Tout d’abord, après avoir reconnu la nécessité d’aménager l’appartement de l’intéressée à raison de son état et que la charge en incombait à l’ONIAM au titre de la solidarité nationale, la cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la désignation d'un expert pour évaluer le coût des travaux d'aménagement du domicile, dès lors que l'intéressée avait la possibilité de faire établir elle-même directement des devis. Il incombait à la cour de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour que soit précisée l'étendue de ce préjudice.

Ensuite, pour juger que les frais d'adaptation du domicile familial ainsi que, après la séparation de ses parents, de l'appartement occupé par sa mère, n'étaient pas des préjudices personnels de la requérante, la cour s'est bornée à retenir que leur coût avait été exposé par ses parents. Ce jugeant était commise une erreur de droit.

En effet, lorsque le préjudice à réparer consiste dans l'aménagement du domicile de la victime, il ouvre droit à son indemnisation alors même que la victime n'a pas avancé les frais d'aménagement. En outre, si l'indemnisation des frais d'aménagement du logement doit porter en principe sur le domicile principal de la victime, cependant lorsque celle-ci justifie, eu égard aux contraintes imposées par la nature et la gravité de son état de santé, partager son temps entre son domicile principal et un domicile familial ou celui d'un proche, elle est fondée, au titre de ce préjudice, à demander l'indemnisation des frais strictement nécessaires à son accueil dans cet autre domicile. Il incombait donc à la cour de tenir compte du fait, qui ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, que, s'agissant de la période immédiatement postérieure à son hospitalisation, le domicile familial constituait le domicile principal de Mme A. et, ensuite, de rechercher, s'agissant de la période postérieure à la consolidation de son état de santé et à l'installation dans un domicile principal situé à proximité du lieu de ses études, si les deux logements parentaux qui avaient été aménagés en raison de son handicap ne constituaient pas des lieux entre lesquels elle justifiait, en raison des contraintes imposées par la nature et la gravité de son état de santé, partager son temps.

(21 mars 2023, Mme A., n° 454374)

 

193 - Conséquences dommageables d’un accouchement en centre hospitalier – Abstention de statuer sur une partie des conclusions – Arrêt statuant ultra petita – Annulation.

Encourt cassation à un double titre l’arrêt d’appel qui, d’une part, omet de statuer sur des conclusions en indemnisation de troubles dans les conditions d'existence subis par des parents ainsi que des troubles dans les conditions d'existence de leur fille aîné et, d’autre part, statue définitivement sur le préjudice moral des parents et de leur fille aînée alors qu’était demandée seulement une indemnisation à titre provisionnel dans l’attente de consolidation.

(21 mars 2023, Mme A. et M. E., n° 454817)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

194 - Test de dépistage du Covid-19 – Tarification en cas de réalisation en officine pharmaceutique – Tarification inférieure à celle des tests pratiqués par d’autres professionnels libéraux – Opération de dépistage collectif – Absence de disproportion manifeste contraire au principe d’égalité – Rejet.

Le ministre de la santé a fixé à 19 euros par acte, à compter du 1er juillet 2021, le tarif du prélèvement et de l'analyse réalisés dans le cadre d'un examen de détection des antigènes du Covid-19 ou SARS-CoV-2, par un dispositif médical de diagnostic in vitro lorsqu'ils sont effectués respectivement par les pharmaciens libéraux, ainsi que par les infirmiers diplômés d'État, médecins, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes et chirurgiens-dentistes, libéraux ou exerçant en centre de santé et à 15 euros lorsque cette opération est réalisée dans le cadre d'un dépistage collectif en établissement médico-social ou en centre ambulatoire dédié. Puis, par un arrêté du 11 février 2022, modificatif du précédent, entré en vigueur le 15 février 2022, le tarif a été ramené à 15 euros pour les seuls pharmaciens libéraux.

L’union requérante conteste une mesure qu’elle estime contraire au principe d’égalité et de nature à dissuader les personnes de s’adresser à eux.

Le recours est rejeté d’abord parce qu’en réalité lorsqu’ils effectuent ces tests ces derniers le font dans des conditions comparables à celles d'un dépistage collectif, ce qui a d’ailleurs conduit à ce que les pharmaciens libéraux aient effectués 85 % des 62 millions de tests réalisés en 2021, et en cela il n’y a pas de disproportion manifeste entre les deux tarifs, l’un, attaqué, applicable aux pharmaciens d’officine et l’autre appliqué aux autres professionnels libéraux ; ensuite, l’argument de fait est controuvé en ce que ne se constate pas l’effet désincitatif allégué sur les neuf premiers mois de l’année 2022.

(01 mars 2023, Union des syndicats de pharmaciens d'officine, n° 463994)

 

 

Reprendre encore un peu de Covid…, sur un contentieux intarissable…

 

Une série de décisions rendues notamment (mais pas que) par la dixième chambre de la section du contentieux mettent en lumière une certaine persistance du contentieux né du Covid et de son traitement administratif. L’obstination des requérants se heurte au mur des rejets du Palais-Royal sans pour autant que son élan soit brisé. L’échec semble même fouetter l’énergie des demandeurs : « Je t’aime moi non plus ».

 

195 - Ainsi, du rejet du recours en annulation du décret n° 2021-724 du 7 juin 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en tant qu'il permet de bénéficier du « passe sanitaire » sur la présentation d'un justificatif de statut vaccinal, sans avoir à produire dans ce cas le résultat négatif d'un examen de dépistage RT-PCR ou d'un test antigénique car la différence de traitement instaurée par le décret attaqué entre, d'une part, les personnes vaccinées, qui pouvaient bénéficier du « passe sanitaire » en présentant un simple justificatif de statut vaccinal et, d'autre part, les personnes non vaccinées, qui devaient pour en bénéficier présenter le résultat négatif d'un examen de dépistage RT-PCR ou un test antigénique, est fondée sur une différence de situation des personnes concernées au regard du risque de transmission du virus. Cette différence de traitement, qui est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de cette différence de situation et du motif d'intérêt général tiré de la nécessité de limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19.

(03 mars 2023, Association Victimes coronavirus Covid-19 France et M. B., n° 454869)

 

196 - Il en va semblablement de la demande d'annuler le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la crise sanitaire, du moins en ce qu'il s'applique dans des lieux de plein air ainsi que dans les transports publics et en ce qu'il permet de supprimer les obligations de présentation du résultat négatif d'un test RT-PCR et de port du masque dans les lieux dont l'accès est soumis à présentation du « passe sanitaire ». Le rejet est fondé, outre l’argumentation développée au point précédent, sur l’absence de contrariété à l'objectif de santé publique poursuivi par la loi ainsi que sur l’absence de disproportion manifeste dans la situation qu’elle instaure.

(03 mars 2023, Association Victimes coronavirus covid-19 France et autres, n° 455485)

 

197 - Pareillement, encourt le rejet la demande qui, outre l’annulation du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, tend à voir le premier ministre être enjoint de compléter la liste des cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19, dans un délai qui ne pourra excéder quinze jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, par la mention : « Antécédents de réaction d'hyper-immunité à une vaccination antérieure constatée par un certificat médical ». Outre plusieurs des motifs précédents, il est rappelé, la chose a été abondamment discutée en temps de Covid, que « l'administration d'un vaccin sur le fondement d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne constitue pas, eu égard à sa nature et à ses finalités, un " essai clinique " au sens de la définition qu'en donne l'article 2 du règlement n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. ». Ce vaccin n’a donc pas à être soumis au régime d’un tel essai.

(03 mars 2023, M. B., n° 457318)

 

198 - De la même manière, ne saurait prospérer le recours tendant à voir annulée l'instruction du 9 septembre 2021 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relative à l'obligation vaccinale des personnels des services et établissements de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en tant qu'elle inclut dans le champ de l'obligation vaccinale contre la Covid-19 les psychologues de l'éducation nationale et les personnels administratifs travaillant dans les mêmes locaux que ces derniers. Le ministre pouvait édicter une obligation vaccinale s’imposant à des personnels alors même qu’ils ne font pas partie des professions médicales ou des professions relevant du champ sanitaire et médico-social et qu'ils n'exercent aucune de leurs missions dans des établissements de santé ou des établissements à caractère médico-social.

(03 mars 2023, Syndicat Action et Démocratie, n° 457370) 

 

199 - Dans la même lignée se situe le rejet de divers recours joints tendant plus ou moins à l’annulation de plusieurs dispositions du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié en tant, d'une part, qu'elles subordonnent, pour les personnes ne pouvant justifier ni d'un schéma vaccinal complet ni d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la Covid-19, l'accès à certains établissements, lieux, services et événements à la présentation du résultat négatif d'un test ou d'un examen de dépistage et, d'autre part, qu'elles réduisent la durée du certificat de rétablissement de six à quatre mois. 

Il en va encore ainsi des demandes dirigées contre le « passe sanitaire » et le « passe vaccinal » ainsi que contre le « certificat de rétablissement ».

(03 mars 2023, M. A., n° 461280 ; Mme E., n° 462042 ; M. F., n° 462046 ; M. H., n° 462070)

 

200 - Est encore rejetée la demande d’annulation des deuxièmes alinéas du b) et du c) du 1° de l'art. 1er du décret n° 2022-176 du 14 février 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire avec injonction à l'État de modifier les dispositions contestées afin de prendre en compte les différences immunitaires entre les personnes eu égard à leur situation vaccinale, et ce dans un délai de 7 jours à compter de la notification de la décision du Conseil d’État.

(03 mars 2023, Association Organe national indépendant de contrôle de l'exécutif (ONICE) et autres, n° 461485)

 

201 - N’avait pas davantage de chance de prospérer la demande d’annulation de l'art. 1er du décret du 14 février 2022 en ce qu'il réduit de six à quatre mois la durée de validité des certificats de rétablissement prévus par le 1° du A du II de l'art. 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Celles-ci ont parfaitement pu, au vu des circonstances, prévoir leur entrée en vigueur immédiate sans phase transitoire, d’autant que le principe du droit de l’Union dit de confiance légitime est inopérant en dehors de l’application directe ou de la mise en œuvre de ce droit.

(03 mars 2023, M. B., n° 461546)

 

202 - Voir aussi, rejetant ce même grief, en ce que cette réduction de validité de six à quatre mois ne reposerait pas sur un fondement scientifique et qu’elle porterait atteinte au principe de non-rétroactivité.

(03 mars 2023, Association BonSens.org, n° 461777) et aussi (03 mars 2023, M. B., n° 462149)

 

203 - Est encore rejeté le recours tendant à l'annulation des dispositions du 2° du V de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans la version que lui a donnée le décret modificatif du 17 septembre 2021 en tant qu'elles subordonnent les déplacements vers la Nouvelle-Calédonie des personnes de plus de dix-sept ans et ne présentant pas de contre-indication médicale à la vaccination anti-Covid-19 à l'obligation de présenter un justificatif de statut vaccinal. Le premier ministre était compétent pour décider cette mesure, l’urgence ne permettait pas de consulter, dans le délai organique requis, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et, enfin, la mesure prise n'a pas porté une atteinte injustifiée, inadéquate ou disproportionnée à la liberté d'aller et de venir ni, en tout état de cause, à la liberté de conscience (15 mars 2023, Mme R. et autres, n° 458526)

 

204 - Demande d’abrogation de dispositions réglementaires relatives à l’interdiction faite au médecin « de provoquer délibérément la mort » - Refus – Absence d’inconventionnalité – Rejet.

Les demandeurs recherchaient l’annulation des décisions implicites par lesquelles le premier ministre et le ministre de la santé et des solidarités ont rejeté leur demande tendant à l'abrogation du deuxième alinéa de l'art. R. 4127-38 du code de la santé publique selon lesquelles le médecin « n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Le recours est rejeté.

Le juge relève que cette prohibition est instituée par des dispositions législatives (code pénal et code de la santé publique) et que, contrairement à ce qui est allégué, la disposition réglementaire attaquée n’y ajoute pas une interdiction qui n’y figurerait pas.

Ensuite, cette interdiction ne contrevient nullement aux art. 2, 3 et 8 de la Convention EDH relatifs respectivement au droit à la vie, à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants et au droit au respect de la vie privée et familiale, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme (29 juillet 2002, Pretty c. Royaume-Uni ; 20 janvier 2011, Haas c. Suisse), ni non plus à l’art. 14 de cette Convention.

Enfin, en l’état des dispositions pénales, ces dispositions ne méconnaissent pas davantage l’art. 7 de la Convention EDH en ce qu'elles exposeraient les médecins à être condamnés pour une infraction qui ne résulterait pas clairement de la loi. 

(09 mars 2023, Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et autres, n° 453481)

 

205 - Accompagnement par un psychologue – Convention type de l’assurance maladie – Conditions de prise en charge des séances – Rejet.

Le recours tendait à l’annulation de l'arrêté ministériel du 2 mars 2022 fixant la convention type entre l'assurance maladie et les professionnels s'engageant dans le cadre du dispositif de prise en charge de séances d'accompagnement par un psychologue en tant que l'article 6.1 de cette convention-type prévoit que, pour que la séquence de soins bénéficie d'une prise en charge des séances dans le cadre du dispositif « MonPsy », « l'entretien d'évaluation doit nécessairement être réalisé en présentiel » et qu'au maximum 20 % du volume de l'activité conventionnée d'un psychologue peut être effectuée à distance.

Le recours est rejeté d’une part car en indiquant que l'entretien d'évaluation doit nécessairement être réalisé « en présentiel », l'article 6.1 du modèle de convention type critiqué se borne à rappeler ce qui résulte des dispositions mêmes de l'art. R. 162-68 du code de la sécurité sociale et d’autre part car elles ne portent atteinte ni au principe d’égalité ni à celui de non-discrimination pour ce qui regarde les psychologues ou les patients handicapés.

(09 mars 2023, M. A., n° 463798)

 

206 - Décision de limiter les soins thérapeutiques – Médecin revenant sur cette décision – Décision devant être considérée comme abrogée – Demande en référé liberté devenue sans objet.

Le requérant a demandé au juge du référé liberté d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 2 mars 2023 prise par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), portée à sa connaissance le 3 mars 2023, portant limitation des soins thérapeutiques dispensés à sa mère, Mme C.

Après rejet de sa requête et sur son appel, la cour a renvoyé le dossier au Conseil d’État.

Celui-ci rejette l’appel car il est devenu sans objet dès lors que, constatant l’amélioration de l’état de santé de la patiente qui lui permettait d’exprimer sa volonté, l’administration hospitalière était revenue sur sa décision du 2 mars qui doit être considérée comme abrogée.

(27 mars 2023, M. C., n° 472046)

 

207 - Fixation du prix de cession de médicaments aux établissements de santé – Modification intervenue par avenant à une convention antérieure - Appréciation de l’amélioration du service médical rendu – Rejet.

Les laboratoires requérants demandaient l’annulation des décisions par lesquelles le Comité économique des produits de santé a fixé le prix de cession hors taxe aux établissements de santé des spécialités Neofordex 40 mg, comprimé, et Dexliq 4mg/ml et invoquait au soutien de celle-ci divers moyens, tous rejetés.

En premier lieu, ne pouvait être invoquée au cas de l’espèce l’art. 17, relatif à la prévisibilité et à la stabilité des prix, de l'accord-cadre du 5 mars 2021, dès lors que celui-ci réserve expressément le cas où existe un accord conventionnel particulier entre les parties ce qui était le cas dans la présente affaire où les décisions litigieuses sont des avenants à des conventions antérieurement conclues.

Ensuite, n’est relevée aucune erreur de la part du Comité économique des produits de santé, dans son appréciation de l'amélioration du service médical rendu apportée par les spécialités en cause en vue d'en fixer le prix

(30 mars 2023, Société Les Laboratoires CT.RS, n° 463747)

 

208 - Autorisation d’exercice de certains professionnels de santé – Autorisation temporaire – Incompétence du ministre – Méconnaissance du principe d’égalité devant la loi – Annulation.

Le ministre de la santé a pris le 1er juin 2021 un arrêté prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dont l’art. 17 est ainsi conçu : « Les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens titulaires d'un diplôme, certificat ou autre titre obtenu dans un État non membre de l'Union européenne ou non partie à l'accord sur l'Espace économique européen et permettant l'exercice de la profession dans le pays d'obtention de ce diplôme, certificat ou titre, présents dans un établissement de santé, un établissement social ou un établissement médico-social entre le 1er octobre 2018 et le 30 juin 2019 et ayant exercé des fonctions rémunérées, en tant que professionnel de santé, pendant au moins deux ans en équivalent temps plein depuis le 1er janvier 2015 se voient délivrer une attestation permettant un exercice temporaire, sous réserve du dépôt d'une demande d'autorisation d'exercice avant le 30 octobre 2021. »

S’agissant des demandes d'autorisation d'exercice déposées avant 30 juin 2021, le Conseil d’État retient le moyen d’annulation soulevé par les requérants tiré de ce que le ministre, en réservant cette possibilité dans les conditions susénoncées, a fixé une condition que ne prévoient ni le premier alinéa du B du IV et le premier alinéa du V de l'art. 83 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 ni le décret du 7 août 2020 pris pour son application. Comme, contrairement à ce que soutient le ministre défendeur, cette disposition ne saurait être tenue pour avoir été prise sur le fondement de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique aux fins de limiter les conséquences de la menace d'épidémie de Covid-19 sur la santé de la population, il s’ensuit qu’elle est entachée d'incompétence.

S’agissant des demandes d'autorisation d'exercice déposées entre le 30 juin 2021 et le 30 octobre 2021, en premier lieu, la prolongation de la date limite de dépôt d’une demande d’autorisation d’exercice peut être considérée, compte tenu des mesures d'urgence qu'appelait, alors, l'épidémie de Covid-19, ce que les requérants ne contestent d'ailleurs pas, comme ayant été prise sur le fondement de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique aux fins de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population. En second lieu toutefois, en réservant la possibilité ainsi prolongée d'accès au dispositif dérogatoire aux seuls praticiens à diplôme étranger ayant exercé des fonctions de professionnel de santé au sein d'un établissement de santé, d'un établissement social ou un établissement médico-social, ces dispositions ne permettent pas de rendre compte de la diversité des situations au regard de l'objet de la loi concernant les praticiens exerçant dans d’autres environnements, notamment les libéraux. Il en résulte que la différence de traitement que les dispositions contestées ont instituée, qui n'est pas non plus justifiée par un motif d'intérêt général, méconnaît le principe d'égalité devant la loi. 

(31 mars 2023, M. S. et autres, n° 461396)

 

Service public

 

209 - Redevance d’assainissement – Rapport entre son montant et le service rendu – Éléments de coût pouvant être pris en compte en vue de la détermination de son montant – Cas des dépenses de personnel – Erreur de droit – Annulation avec renvoi sur ce point.

Une association a obtenu d’une cour administrative d’appel l’annulation de délibérations du conseil communautaire d’une communauté de communes arrêtant les règlements du service public d'assainissement non collectif géré en régie laquelle s’assure les services d'un prestataire titulaire d'un marché public afin d’exercer la mission obligatoire de diagnostic et de contrôle des installations d'assainissement non collectif et décidant de ne pas prendre en charge les prestations d'entretien des installations.

Pour annuler ces délibérations en tant qu'elles fixent le montant et les modalités d'appel de la redevance relative aux contrôles périodiques de fonctionnement des installations existantes, l’arrêt d’appel infirmatif a retenu que le montant annuel de la redevance collectée auprès des usagers avait fortement progressé à partir de 2016, que la communauté de communes ne justifiait pas de cette augmentation, dès lors qu'elle ne faisait état d'aucun déficit au titre des années antérieures, qu'elle n'apportait pas d'explication justifiant les sommes importantes imputées à compter de 2016 au budget du service au titre de salaires du personnel, alors que les prestations de communication, d'information, de contrôle d'établissement d'un fichier informatique, de rédaction de rapports de synthèse et, jusqu'en juin 2017, de facturation, avaient été confiées au titulaire du marché public conclu pour l'exécution du service d'assainissement non collectif, et que ce montant était largement supérieur, chaque année à partir de 2016, aux frais acquittés par la collectivité en paiement des prestations fournies aux usagers. Elle en a déduit que les tarifs fixés par les délibérations attaquées ne trouvaient pas leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers et méconnaissaient les dispositions des art. R. 2224-19-5 et R. 2224-19-10 du code général des collectivités territoriales.

Pour annuler cet arrêt, le juge de cassation rappelle d’abord comment il convient d’appliquer la règle d’équivalence entre montant de la redevance et service rendu, jugeant que si « l'objet du paiement que l'administration peut réclamer à ce titre est en principe de couvrir les charges du service public, il n'en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie. Il s'ensuit que le respect de la règle d'équivalence entre le tarif d'une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. » Puis, examinant les faits de l’espèce, le juge reproche à la cour de n’avoir pas pris en compte que la communauté de communes soutenait que le personnel qu'elle avait mis à disposition du service à partir de 2016 avait notamment pour tâche, non seulement de concevoir le marché public de prestation de service et d'organiser sa passation, mais aussi d'assurer le suivi de son exécution, d'identifier les installations d'assainissement, d'assurer une veille de la réglementation applicable aux diagnostics des installations, d'assurer une partie de la facturation, à tout le moins à compter de juin 2017, et d'assurer une partie de la gestion des relations avec les usagers. Or la cour n’a pas recherché si, compte tenu des dépenses de personnel restant ainsi à la charge de la communauté de communes, le montant des redevances demandées aux usagers était proportionné au regard de l'ensemble des charges du service et de la valeur économique de la prestation pour ses bénéficiaires.

La cassation est prononcée dans cette mesure.

(08 mars 2023, Communauté de communes Randon-Margeride, n° 451725)

 

210 - Fédérations sportives délégataires de missions de service public – Nature de leurs actes – Rattachement ou non à leurs prérogatives de puissance publique – Absence en l’espèce – Rejet.

Si les décisions prises par les fédérations sportives, qui sont des personnes morales de droit privé, sont, en principe, des actes de droit privé, cependant, lorsqu’elles ont reçu à titre exclusif délégation à l’effet d’exercer les missions prévues aux art. L. 131-15 et L. 131-16 du code des sports, le législateur les a chargées de l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif. Celles de leurs décisions qui procèdent de l'usage des prérogatives de puissance publique qui leur ont été attribuées pour l'accomplissement de cette mission présentent le caractère d'actes administratifs même lorsque ces décisions sont édictées par leurs statuts.  

Tel est le cas de la Fédération française de billard qui a reçu délégation du ministre chargé des sports, la juridiction administrative est donc compétente pour connaître des règles édictées par ses statuts si elles manifestent l'usage de prérogatives de puissance publique dans l'exercice de sa mission de service public. 

En l’espèce, le recours tendait à l'annulation de l'article 1.2.1, qui fixe les règles relatives aux associations et autres personnes composant la fédération, de l'article 1.3 permettant à la fédération de créer des organes déconcentrés au niveau régional et territorial et déterminant les devoirs de ces organes et le contrôle exercé par la fédération sur leur gestion et leur fonctionnement, de l'article 2.3.3 relatif aux incompatibilités avec le mandat de président de la fédération, de l'article 2.3.5 relatif aux conditions d'élection du bureau fédéral de la fédération, de l'article 2.4.1 relatif aux commissions obligatoires de la fédération et de l'article 3.1 relatif aux rétributions perçues par la fédération pour services rendus.

Ces dispositions ont trait à l'organisation et au fonctionnement interne de la fédération et ne manifestent pas l'usage par celle-ci de prérogatives de puissance publique dans l'exercice de sa mission de service public.

La requête est rejetée car portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

(15 mars 2023, Ligue de billard d'Ile-de France, Ligue de billard du Centre-Val de Loire et Ligue de billard Grand Est, n° 466632)

 

211 - Élèves mineurs ou majeurs en situation de handicap – Actions médico-éducatives en leur faveur – Actions constituant une mission d’intérêt général mais non une mission de service public – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission d’une QPC.

La société requérante a soulevé une QPC à propos des dispositions combinées de l’art. L. 311-1 et du 2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles – relatives aux actions éducatives pour les élèves, mineurs ou majeurs, atteints de handicap - telles que les interprète le Conseil d’État.

Celui-ci déduit en effet des dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que si les actions médico-éducatives en faveur des enfants et des jeunes en situation de handicap constituent une mission d'intérêt général, le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires des établissements et services (cf.  2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles), dont font partie les instituts médico-éducatifs, revête le caractère d'une mission de service public.

La requérante fonde son action en QPC sur ce que sont ainsi méconnus les principes d'égal accès à l'instruction et d'égalité devant la loi, en tant que ces dispositions ainsi interprétées excluent que la mission assurée par les instituts médico-éducatifs revête le caractère d'une mission de service public, y compris au titre du service public de l'éducation. 

Le Conseil d’État rejette la demande de transmission au terme d’un raisonnement confus où se manifeste à plein l’indigence conceptuelle affectant les notions d’intérêt général et de service public. Le raisonnement vaut d’être cité en son entier : « Il résulte de ces dispositions (i. e. notamment les art. L. 111-1, L. 112-1 à L. 112-5 et L. 351-1 à L. 351-5 du code cde l’éducation) qu'il incombe à l'État, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. Lorsqu'elle s'effectue en tout ou en partie dans une unité d'enseignement créée au sein d'un institut médico-éducatif, cette scolarisation participe du service public de l'éducation. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que les dispositions qu'elle conteste ne confèrent pas à la mission de ces instituts le caractère d'un service public ne saurait en tout état de cause, par elle-même, avoir d'incidence sur l'égal accès à l'instruction des élèves en situation de handicap. » Comprenne qui pourra…

Enfin, pour couronner le tout est ainsi balayé l’argument de différence de traitement : « A supposer que puisse être regardée comme constitutive d'une différence de traitement l'orientation (…) des élèves en situation de handicap vers des structures particulières adaptées à leurs besoins alors que celles-ci ne sont pas, contrairement aux établissement scolaires, chargés d'une mission de service public, (…) une telle différence serait en rapport direct avec l'objet des dispositions contestées, qui visent précisément à assurer la scolarisation de l'ensemble des enfants au moyen, pour ceux d'entre eux présentant un handicap, d'un régime particulier de scolarisation, par l'éducation nationale elle-même, dans l'enceinte d'établissements adaptés. »

(31 mars 2023, Société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), n° 470151)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

212 - Exercice du droit de préemption – Compétence déléguée au maire – Impossibilité pour le conseil municipal de se ressaisir de cette compétence sans délibération préalable abrogeant expressément la délégation consentie – Annulation sur ce point.

(1er mars 2023, M. A. et Cabinet A. Assurance, n° 462648)

V. n° 21

 

213 - Permis de construire – Sursis à statuer – Préservation d’un site médiéval – Instauration d’un espace naturel intermédiaire entre celui-ci et le village actuel – Absence de compromission du futur plan d’urbanisme – Dénaturation des pièces – Annulation.

Est annulé pour dénaturation des pièces du dossier l’arrêt d’appel qui, pour annuler le sursis à l’exécution d’une demande de permis de construire un bâtiment d'habitation comportant trois logements au motif que le projet litigieux n'était pas de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d’urbanisme contrairement à ce que soutenait la commune.

Le Conseil d’État relève que les orientations du projet d'aménagement et de développement durable, soumises au débat du conseil municipal de Zellenberg lors de sa réunion du 28 novembre 2016, ont entendu préserver l'unité historique, architecturale et paysagère existante du village médiéval, installé sur un promontoire, en prévoyant le classement en espace naturel à vocation paysagère de la zone intermédiaire avec le front bâti du village. Or il résulte des pièces du dossier que le projet de construction litigieux, d'une surface de 339 m² sur trois niveaux, se situe sur l'une des quelques parcelles naturelles qui font partie de la zone dépourvue de construction autour de l'ensemble médiéval du village, et notamment de sa tour. Il suit nécessairement de là que ce projet était de nature à rompre le détachement visuel de la silhouette historique du village situé sur le promontoire que les orientations du projet d'aménagement et de développement durable ont entendu préserver. C’est donc au prix d’une dénaturation de ce dossier que la cour a prononcé l’annulation du sursis à statuer sur la demande de permis.

(06 mars 2023, Commune de Zellenberg, n° 460214)

 

214 - Permis de construire – Permis de construire modificatif en vue de régularisation – Refus d’accorder ce permis – Demande de pièces complémentaires parvenue hors délai – Absence d’interruption du délai de constitution d’un permis tacite – Arrêté de suspension dudit permis valant retrait – Retrait illégal du permis pour défaut de contradictoire – Annulation.

Le requérant s’est vu délivrer le permis de construire une maison à usage d'habitation et une piscine par arrêté municipal du 16 mars 2018. Le tribunal administratif, saisi à cet effet par une association syndicale autorisée de propriétaires, a, d’abord, sursis à statuer afin de permettre au pétitionnaire d'obtenir un permis modificatif régularisant les vices tirés, d'une part, du caractère incomplet du dossier de demande de permis s'agissant de la rampe d'accès à la maison projetée et, d'autre part, de l'atteinte portée à la sécurité publique par la pose d'une buse dans un vallon en l'absence de prescription spéciale édictée par le maire.

Ce dernier a, par arrêté du 23 mars 2022, refusé de délivrer le permis modificatif de régularisation déposé le 20 décembre 2021.

Le juge des référés du tribunal administratif ayant rejeté sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022, l’intéressé se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le juge des référés du Conseil d’État est à la cassation.

Tout d’abord, il est relevé que, saisis de la demande de permis modificatif le 20 décembre 2021, les services municipaux ont adressé au pétitionnaire une demande de pièces complémentaires le 19 janvier 2022, qui a été reçue le 21 janvier 2022, soit après l'expiration du délai d'un mois mentionné à l'art. R. 423-38 du code de l'urbanisme. Le juge rappelle à cet égard que, contrairement à ce que soutenait la commune, ce délai n’est pas un délai franc.

Il suit de là, d’une part, que la demande de pièces complémentaires n’a pas pu interrompre le délai d'instruction de la demande fixé par l'art. R. 423-23 du même code et que ce délai était expiré lorsque l'arrêté litigieux a été pris, le 23 mars 2022 et, d’autre part, que le permis modificatif sollicité par le requérant doit être regardé comme ayant été tacitement accordé. Ainsi, l'arrêté litigieux dont la suspension d'exécution était demandée au tribunal administratif doit s’analyser comme constituant un retrait de ce permis tacite.

Des dispositions de l’art. L.  211-2 du code des relations entre le public et l'administration il résulte qu’un tel retrait est soumis à une procédure contradictoire préalable, laquelle n’a pas eu lieu en l’espèce. Le retrait du permis est donc illégal sans que puisse faire échec à cette conséquence la circonstance, relevée par le juge des référés du tribunal, que des échanges ont eu lieu entre le pétitionnaire et le service instructeur car ces échanges n'ont pu constituer la procédure préalable requise par le code précité, dès lors que M. A. n'a pas été mis à même de produire des observations sur les motifs mêmes qui ont conduit le maire à retirer le permis de construire tacite dont il bénéficiait.

L’ordonnance de référé critiquée est entachée d’erreur de droit et encourt cassation pour avoir jugé que le moyen tiré de ce que la décision attaquée retirait illégalement une autorisation tacitement acquise n'était pas propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Statuant au fond, le juge de cassation rejette en premier lieu le moyen invoqué par la commune, selon lequel l'annulation par le tribunal administratif de l'arrêté du 16 mars 2018, en l'absence de notification de la mesure de régularisation refusée à M. A., l’aurait privé de son intérêt pour contester le refus opposé par le maire le 23 mars 2022 de lui délivrer le permis modificatif qu'il sollicitait en vue de la régularisation de son projet. En réalité, le recours de M. A. doit être regardé comme dirigé contre le refus du maire d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter. En second lieu, le juge décide que l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022 doit être suspendue car sont réunies les deux conditions requises pour l’octroi d’une telle suspension : 1°/ il existe bien un moyen sérieux comme indiqué ci-dessus ; 2°/ il y a bien urgence à statuer car l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022 porte atteinte, de façon grave et immédiate, à sa situation dès lors que la réalisation du projet est motivée par sa perte d'autonomie, nécessitant l'aménagement d'un accès à sa propriété mieux adapté à sa mobilité désormais réduite, et qu'il a engagé sur ses fonds propres des frais à hauteur de 200 000 euros et contracté un prêt bancaire à hauteur de 300 000 euros pour la réalisation des travaux autorisés par le permis de construire délivré le 16 mars 2018, laissés inachevés en raison de l'annulation de ce permis de construire.

Enfin, cette suspension ayant pour effet de rétablir provisoirement le permis de construire modificatif tacitement obtenu par M. A., il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant aux fins qu'un tel permis de construire lui soit délivré ou que sa demande soit réexaminée.

(09 mars 2023, M. A., n° 466405)

 

215 - Droit fiscal de l’urbanisme – Convention de projet urbain partenarial – Liaison avec la durée d’exonération de la taxe locale d’équipement – Silence de la convention sur la durée d’exonération de la taxe d’aménagement – Conséquences – Rejet.

(10 mars 2023, Société RG Patrimoine, n° 459895)

V. n° 65

 

216 - Permis de construire un bâtiment à usage d’habitation – Demande d’annulation – Dossier du permis incomplet ou inexact – Condition d’annulation – Rejet.

Rappel d’une constante du contentieux du permis de construire et application positive à l’espèce.

« (…) la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. »

(17 mars 2023, Mme B. et M. C., n° 450074)

 

217 - Commerces transformés en « dark stores » - Détermination de leur catégorie d’appartenance – Entrepôts - Changement irrégulier de destination pour défaut de déclaration préalable – Impossibilité de régularisation – Rejet.

Un phénomène de mode urbanistique consiste, notamment à Paris, à transformer des commerces situés en rez-de-chaussée en locaux de réception et de stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs circulant à bicyclette : ce sont les « dark stores ».

La Ville de Paris, dans le souci de lutter contre le développement de cette fâcheuse occupation urbaine, a mis en demeure les sociétés requérantes de restituer lesdits locaux dans leur état d’origine. Deux des sociétés concernées ont obtenu du juge des référés la suspension de ces arrêtés, d’où le pourvoi formé par la ville.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance de suspension.

D’abord, le remplacement de commerces, c’est-à-dire des espaces de vente destinés à la présentation et à la vente de bien directement à la clientèle, par des entrepôts, s’agissant de lieux destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs supposait une déclaration préalable qui, en l’espèce, n’a pas été faite.

Ensuite, se posait la question de savoir si une telle déclaration aurait pu déboucher sur une décision de non-opposition à déclaration préalable. Les parties s’opposaient sur ce point, les sociétés en cause soutenant que cela était possible et la ville soutenant le contraire. C’est ce dernier point de vue que retient le juge en se fondant sur les art. R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme et sur l'arrêté ministériel du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu. En effet, il résulte de ces dispositions ainsi que de celles du 1° de l’art. UG 2.2.2 du plan local d'urbanisme que : « (...) La transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée est interdite ». 

(23 mars 2023, Ville de Paris c/ Sociétés Frichti et Gorillas Technologies France, n° 468360)

 

218 - Plan local d’urbanisme – Illégalité prétendue entachant son élaboration ou sa révision – Régularisation (art. L. 600-9 c. urb.) – Sort des autres moyens – Rejet.

Le Conseil d’État rappelle notamment, dans cette très longue décision, que le juge saisi de conclusions dirigées contre un plan local d’urbanisme est dans l’obligation, avant d’éventuellement mettre en œuvre l’art. L. 600-9 en vue de la régularisation de ce document d’urbanisme et de surseoir à statuer à cette fin, de constater qu'aucun des autres moyens soulevés n'est fondé et d'indiquer, dans la décision avant-dire droit par laquelle il surseoit à statuer sur le recours dont il est saisi, pour quels motifs ces moyens doivent être écartés.

Si l'auteur du recours peut contester cette décision avant-dire droit en tant qu'elle écarte comme non fondés certains de ses moyens et en tant qu'elle fait application des dispositions de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, en revanche, il ne peut plus, à compter de la délibération régularisant le vice relevé, maintenir celles de ses conclusions qui sont dirigées contre la décision avant-dire droit en tant qu'elle met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, celles-ci devenant, par le fait même de la délibération de régularisation, sans objet.

(24 mars 2023, M. B. et Mme E., n° 448282 et n° 452908)

 

219 - Autorisation unique valant permis de construire et d’exploiter sept éoliennes – Refus – Annulation – Erreur de droit – Annulation et rejet.

Le juge rappelle à nouveau le sens et la portée de l’art. R. 111-27 du code de l’urbanisme lorsqu’il est appliqué à une demande d’autorisation de construire et d’exploiter des éoliennes.

Si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou encore à la conservation des perspectives monumentales, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Cette autorité doit d’abord apprécier la qualité du site sur lequel la construction est projetée. Elle doit ensuite évaluer l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

Négativement, ce texte, ne permet pas qu'il soit procédé au cours de cette seconde phase à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux qu’il mentionne et, le cas échéant, qui figurent au plan local d'urbanisme.

Positivement, l’autorité administrative doit apprécier aussi bien la qualité du site que l'impact de la construction projetée sur ce site, en prenant en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d'autres législations. 

Ainsi, en jugeant que le critère de covisibilité avec des monuments historiques ne pouvait être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l'art. R. 111-27 du code de l'urbanisme en raison de l'implantation du projet en dehors du périmètre de protection institué par les dispositions du code du patrimoine, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

(24 mars 2023, Association Paysages et Forêts de l'Armançon, n° 460474 ; ministre de la transition écologique, n° 460637)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2023

Février 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Décision refusant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire – Agent en droit de la percevoir – Obligation de motivation (art. L. 211-2 CRPA) – Annulation.

Dès lors qu’est opposé à un agent public le refus de lui attribuer la nouvelle bonification indiciaire alors qu’il remplit les conditions pour en bénéficier, cette décision doit être regardée comme « refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir », au sens des dispositions de l'art. L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. 

En jugeant le contraire, le juge du tribunal administratif a entaché son ordonnance d’une erreur de droit, d’où l’annulation de cette ordonnance.

(03 février 2023, M. B., n° 459224)

 

2 - Communication de documents administratifs - Notes de frais et reçus des déplacements, notes de frais de restauration et reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet – Éléments ayant la nature de documents administratifs communicables – Injonction de communiquer.

Le Conseil d’État juge, très logiquement et même sous le sceau de l’évidence, que constituent des documents communicables les notes de frais et les reçus des déplacements, les notes de frais de restauration, les reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet sans que puissent y faire obstacle le prétendu respect de la vie privée des personnes invitées ou accompagnatrices.

La solution doit être non pas seulement approuvée mais applaudie.

Tout d’abord, il est de l’essence même de la vie démocratique où l’impôt repose sur tous que tous puissent connaître l’usage et la destination des fonds prélevés de force sur leur patrimoine personnel et sur leur travail, à défaut de quoi les contributions fiscales et autres redevances perdraient toute légitimité.

Ensuite, il ne saurait exister aucun obstacle à cette communication et surtout pas l’invocation de la vie privée des personnes car s’il en était ainsi c’est que les frais en cause n’auraient pas dû relever d’un décaissement public mais d’un financement sur les propres et privés deniers des intéressés directs. Au reste, si l’on devait admettre une telle exception, même encadrée, disparaîtrait dans un gouffre malséant toute dépense faite avec ou au profit d’un quidam quelconque.

Il faut ici rappeler que le Conseil d’État avait jugé communicables les pièces comptables relatives aux gerbes florales que le Président Mitterrand faisait déposer le 11 novembre sur la tombe de Philippe Pétain à l’île d’Yeu (27 novembre 2000, Association Comité tous frères, n° 188431, au Recueil Lebon).

(08 février 2023, Ville de Paris, n° 452521)

 

3 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.

Dans un litige né du refus d’un centre hospitalier de communiquer à une association son registre de contention et d'isolement, le juge rappelle la communicabilité de principe de ce document sans que puisse y faire obstacle le fait que l’art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique a prévu que le registre de contention et d'isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement. Ces dispositions, ainsi que jugé à bon droit par le tribunal administratif, n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles fixées par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration relatives au droit d'accès aux documents administratifs.

Ensuite, les éléments permettant d'identifier les patients doivent, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, être occultés préalablement à la communication du registre de contention et d'isolement, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, afin d'éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice. 

Enfin, et c’est la nouveauté principale de cette décision, quand bien même l'identité des patients a fait l'objet d'une pseudonymisation, laquelle ne permet l'identification des personnes en cause qu'après recoupement d'informations, il est de l’office du  juge administratif d'apprécier si, eu égard à la sensibilité des informations en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical.

Appliquant ces préconisations à l’espèce, le juge considère que la conjonction de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l'objet d'une mesure de contention et d'isolement, rend de fait leur identification facilitée, d’autant que les autorités énumérées à l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique peuvent accéder à l'ensemble des informations figurant sur les registres et contrôler l'activité des établissements concernés. C’est pourquoi l'identifiant dit « anonymisé » figurant dans les registres de contention et d’isolement, sous la forme de « l'identifiant permanent du patient » (IPP) ou sous celle d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication, parce qu’elle est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical, n'est communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

Le jugement est censuré en tant qu’il a enjoint au centre hospitalier requérant au pourvoi de communiquer à l'association demanderesse le registre de contention et d'isolement sans occultation préalable de l'identifiant « anonymisé » du patient. 

(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)

 

4 - Réponse à une demande d’information - Décision administrative – Absence - Document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation – Absence – Rejet.

Par un courrier relatif à l'intéressement et à la participation dans les enquêtes du bureau des enquêtes de coût, le délégué général pour l'armement a, en réponse à une demande du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), indiqué que l'intéressement et la participation des salariés ne seraient pas pris en compte dans le coût de revient des enquêtes réalisées par le bureau des enquêtes de coût du service des achats d'armement et que ces éléments n'avaient pas non plus vocation à être intégrés dans les éléments comptables de valorisation des devis.

Le CIDEF, sa demande d’abrogation de cette prise de position ayant été rejetée implicitement, saisit le Conseil d’État d’un recours dirigé contre ce silence assorti d’une demande d’ordonner l’abrogation de ce refus.

Le recours est rejeté au terme d’un raisonnement discutable.

Se fondant sur la notion de documents à portée générale susceptibles d’effets notables, notamment ceux à caractère impératif ou constituant des lignes directrices, les juges du Palais-Royal estiment que le refus d’abroger n’est pas susceptible, ici, d’un recours pour excès de pouvoir. Il est soutenu que la lettre litigieuse répondait à une demande de la requérante et lui faisait part de l’interprétation de son auteur quant à la notion de coût de revient des prestations dans le cadre des marchés de défense, ainsi elle ne révèlerait « par elle-même aucune décision ». Peu sûr de lui, mais cherchant à convaincre par emploi d’un psittacisme argumentatif, le juge ajoute aussitôt « Dès lors que cette lettre se borne à répondre à une demande d'information particulière, elle ne saurait être regardée comme constituant un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des entreprises du secteur industriel de la défense », ce qui répète la phrase précédente.

Faut-il comprendre qu’une réponse à une demande particulière d’information n’entre dans la catégorie des « mesures à portée générale d’effets notables » que si elle est elle aussi à portée générale ? Mais il n’en est que rarement ainsi dès lors que la demande est « particulière ». Ou bien faut-il entendre ici que c’est parce qu’elle n’est pas susceptible d’effets notables sur les membres du CIDEF que cette solution est retenue ? Ou bien encore, l’obscurité des critères et du propos autorisant bien des suppositions pour sortir du « noir », faut-il considérer qu’ici c’est la conjonction d’une réponse à une question particulière et de l’absence d’effets notables qui fonde la réponse du juge ?

Voilà une solution qui, comme l’on dit, « interpelle »…

Mais, comme un malheur n’arrive jamais tout seul, voilà qu’en l’espèce, contrairement à ce que dit la décision, d’une part, la réponse litigieuse a bien des effets notables sur les intéressées puisqu’elles apprennent par elle, et par elle seule, la réduction de leurs marges bénéficiaires du fait de l’interdiction de déduire certaines charges, et d’autre part, que pour être « particulière » la question concerne toutes les entreprises du secteur…

Alors quid ? Marc de café ? Boule de cristal ? Tirage des cartes ? Prières à Sainte Rita ?

(10 février 2023, Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), n° 460448)

 

5 - « Lignes directrices en matière de criblage » - Politique de versement des subventions à vocation humanitaire - Aide humanitaire et lutte contre le terrorisme et le blanchiment – Acte comportant des mesures réglementaires – Incompétence du ministre signataire – Annulation.

Les associations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir d’un document intitulé « Lignes directrices en matière de criblage », émané des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, relatif à la politique de « criblage » aux fins de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en matière d'actions humanitaires et de stabilisation.

Ce document définit le « criblage » comme un processus destiné à vérifier, préalablement à la réalisation d'un projet de développement ou d'un projet à vocation humanitaire, qu'une personne physique ou morale devant bénéficier du versement de fonds dans le cadre de tels projets ne figure pas sur les listes de personnes faisant l'objet de mesures restrictives en termes d'avoirs décidées par les autorités européennes ou nationales. 

La requête en excès de pouvoir reposait sur le fait que cette obligation de « criblage », visant les bénéficiaires finaux ainsi que les partenaires de mise en œuvre récipiendaires de subventions, est applicable aux organismes de la société civile et ne ménage qu'une exemption restrictive pour les seuls projets à vocation humanitaire.

Pour annuler ce document, le juge retient l’incompétence du ministre signataire car, sous couleur de « lignes directrices » il impose des conditions nouvelles, tant à l'octroi de subventions, par les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ou du groupe Agence française de développement (AFD), aux organismes de la société civile qui demandent le financement de projets incluant une mise à disposition de fonds ou de ressources économiques à des personnes physiques ou morales, qu’en prévoyant une dérogation pour les projets qui répondent directement aux besoins essentiels des populations en situation de risque humanitaire. Ces dispositions revêtent ainsi un caractère réglementaire et, à leur égard, les agents des services instructeurs ne disposent d'aucun pouvoir d'appréciation permettant d'y déroger. Or, aucun texte ne donnait compétence au ministre pour édicter de telles règles d’autant que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, l'obligation de « criblage » ne peut pas être regardée comme la conséquence nécessaire de l'application de dispositions du code monétaire et financier,  lesquelles ne posent qu'une interdiction de mise à disposition de fonds ou de ressources économiques au profit des personnes qui font l'objet d'une mesure de gel, sans préciser les moyens par lesquels cette interdiction doit être respectée. 

On voit combien cette décision, par sa clarté et sa netteté, contraste avec l’incertaine décision précédente.

(10 février 2023, Associations Coordination Sud, Médecins du Monde, Action Contre la Faim, Fédération Handicap International, CCFD - Terre solidaire, Centre de Recherche et d'Information pour le Développement, Coordination Humanitaire et Développement et Secours catholique, n° 461486)

 

6 - Rapport annuel d’activités de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) – Demande d’annulation de passages concernant les requérants – Absence de caractère réglementaire ou de nature de document à effets notables – Rejet.

Il était demandé au juge, en premier lieu, d’annuler pour excès de pouvoir les rapports annuels d'activité 2003, 2016-2017 et 2018-2020 de la Miviludes, à tout le moins en tant qu'ils comportent des développements négatifs à l'égard des mouvements pratiquant le yoga et la méditation dont les personnes requérantes font partie ou portant atteinte à leur réputation et plus largement à l'activité de yoga qu'elles pratiquent.

Il lui était également demandé, en second lieu, d'enjoindre à la Miviludes et au ministre de l'intérieur de retirer de tout support ou documentation les références aux passages du rapport comportant des éléments négatifs à l'égard des mouvements pratiquant le yoga et la méditation dont elles font partie.

Les recours, joints, sont rejetés pour irrecevabilité manifeste, le juge relevant que ces rapports ne revêtent pas un caractère réglementaire ni ne constituent des documents à portée générale susceptibles d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s'adressent et que leur irrégularité est insusceptible d’être couverte en cours d’instance.

Détaillant son raisonnement pour chacun des trois rapports visés, le Conseil d’État juge que s’agissant de celui de 2003, où il était reproché au groupe Shri Ram Chandra Mission, « en des termes affirmatifs », d'exercer une emprise psychologique sur ses membres par un contrôle pesant de leur comportement privé et par un conditionnement de leurs enfants, il ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme susceptible d'influer de manière significative sur les comportements ou comme produisant des effets notables, eu égard à son ancienneté. D’ailleurs son contenu n’a pas été repris tel quel dans les rapports plus récents.

Ensuite, concernant le rapport 2016-2017, le juge n’y aperçoit que des informations destinées au public sur des risques que présentent des propositions émanant d'individus isolés ou de petites structures gravitant autour d'organisations internationales comme la Shri Ram Chandra Mission, sans exprimer de mise en garde ou prise de position concernant les associations requérantes elles-mêmes. De plus, le simple rappel, dans une note de bas de page, de ce que la Shri Ram Chandra Mission a fait l'objet de « plusieurs signalements défavorables » auprès de la Miviludes, sans porter d'appréciation sur le bien-fondé de ces signalements, ne traduit pas davantage de prise de position de nature à avoir une influence notable sur le public.

Enfin, le rapport 2018-2020, selon les juges du Palais-Royal, s’il fait figurer les associations requérantes parmi les « mouvements ou techniques qui ont suscité le plus d’interrogations sur les trois dernières années », se borne cependant à indiquer que ces derniers « présentent à des titres et des degrés divers des risques pour les adeptes », dont une typologie globale est dressée, sans que ces risques soient spécifiquement associés aux associations requérantes ni que des faits précis leur soient imputés ou qu'une mise en garde soit explicitement formulée. Par suite fait ici encore défaut, dans ces conseils de vigilance, le caractère de mesure susceptible d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles s'adressent les requérants et ne sont pas de nature à produire des effets notables à leur égard justifiant qu'elles puissent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(10 février 2023, Associations Shri Ram Chandra Mission France et Institut Heartfulness, n° 456954 et n° 461330, jonction)

 

7 - Demande de retrait d’une déclaration conjointe sur la modification du tunnel routier du Fréjus – Déclaration prise en application d’une convention internationale – Acte non détachable de la conduite des relations internationales de la France – Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

Échappe à la compétence de la juridiction administrative la connaissance de la requête tendant au retrait de la déclaration conjointe « sur la modification du tunnel routier du Fréjus » du 3 décembre 2012 car cette déclaration prise en application de la convention franco-italienne du 23 février 1972 concernant le tunnel routier du Fréjus et cette convention elle-même ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France.

(24 février 2023, M. Daniel B. et autres, n° 463543)

 

Collectivités territoriales

 

8 - Introduction d’une action en justice par un maire au nom de la commune – Nécessité d’une décision du conseil municipal - Absence – Irrecevabilité du pourvoi.

Le maire requérant a demandé en vain l’annulation de la décision préfectorale ayant donné récépissé à une société de sa déclaration au titre de la loi sur l'eau, en vue de procéder à l'épandage de boues issues du traitement des eaux usées sur des parcelles agricoles d'une superficie totale de 115 hectares, situées sur le territoire de plusieurs communes.

Il se pourvoit et son pourvoi est jugé irrecevable faute d’avoir obtenu, antérieurement à son action en justice, une délibération ou une délégation du conseil municipal en ce sens, conformément aux prescriptions des art. L. 2122-21 et L. 2122-22 du CGCT.

(03 février 2023, Maire d’Aubenas-les-Alpes, n° 460101)

 

9 - Publication d’un document de bilan de l’action municipale – Absence d’espace réservé à l’opposition municipale – Action en référé liberté - Irrégularité ne constituant pas une situation d’urgence – Engagements pris par la municipalité – Rejet.

Le juge du référé liberté du tribunal administratif a enjoint la maire de la commune requérante de suspendre la diffusion d’un document intitulé « Engagements tenus 2022 - Bilan de l'action municipale », de procéder à sa réédition en intégrant dès la première page les observations des conseillers municipaux d'opposition sur les propos tenus dans ce document sur la gestion et la réalisation de la majorité municipale, puis de lui assurer la même diffusion que le document initial dans la première quinzaine du mois de février 2023.

La commune interjette appel de cette ordonnance du 11 janvier 2023.

L’appel est accueilli au double motif, d’une part, que si n’ont pas été respectées en l’espèce les prescriptions de l’art. L. 2121-27-1 du CGCT obligeant à réserver dans les bulletins municipaux un espace « à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale », cela ne constitue pas pour autant, dans ce cas précis, une situation d’urgence imposant de statuer dans les 48 heures, et d’autre part, que la commune défenderesse appelante s’est engagée par deux fois, dans ses conclusions écrites et à l’audience, à publier dans le bulletin d'information municipale de février 2023 deux tribunes pour chacun des deux groupes d'opposition, une habituellement prévue dans chaque bulletin, conformément aux dispositions de l'art. L. 2121-27-1 du CGCT, et une autre compte tenu de l'absence d'espace réservé à l'expression des groupes d'opposition dans le document « Engagements tenus 2022 - Bilan de l'action municipale ». 

L’ordonnance querellée est annulée.

(08 février 2023, Commune de Plaisir, n° 470804)

 

Contrats

 

10 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu entre personnes publiques – Contrat comportant une mission de service public administratif – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge, à l’occasion d’un litige né de ce qu’une commune a mis fin de manière anticipée au détachement auprès d’elle du demandeur, salarié de droit privé de la Caisse des dépôts et consignations, que ce détachement résulte d’un contrat administratif du fait de sa conclusion entre deux personnes publiques pour l'accomplissement d'une mission de service public administratif - à savoir la préfiguration du pôle municipal gérontologique et de l'autonomie - et que son contentieux relève du juge administratif.

(10 février 2023, M. B., n° 448745)

 

11 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu par une personne privée avec une personne publique en agissant au nom et pour le compte de cette dernière – Compétence de la juridiction administrative – Action en responsabilité dirigée à bon droit contre la personne publique – Litige relevant de l’appel devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

Un fonctionnaire territorial recherche la responsabilité du comité des œuvres sociales d’une commune ainsi que celle de cette commune du fait du préjudice qu’il estime avoir subi  en raison des conditions de gestion puis de la résiliation du contrat collectif de prévoyance et d'assurance maladie souscrit par le comité des œuvres sociales de Meylan auprès de la société d'assurance Adrea Mutex, puis de la résiliation d'un contrat de complément de retraite qu'il pensait avoir été souscrit par le comité des œuvres sociales.

Le tribunal administratif ayant rejeté son action en condamnation solidaire du comité et de la commune, le demandeur a saisi la cour administrative d’appel, laquelle a renvoyé le litige au Conseil d’État. Trois questions étaient posées, la solution de la dernière n’étant que la conséquence des réponses données aux deux autres.

Tout d’abord, le litige relevait-il de la compétence du juge administratif alors que le contrat en cause a été conclu entre une personne privée et une personne publique ?

La réponse du juge est, très logiquement, positive car « les organismes à but non lucratif ou les associations nationales ou locales régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association à qui l'État, les collectivités locales et leur établissements publics choisissent de confier à titre exclusif la gestion de tout ou partie des prestations d'action sociale individuelles ou collectives dont bénéficient les agents qu'elles emploient agissent au nom et pour le compte de l'employeur public qui a fait ce choix. »

Ensuite, l’action en responsabilité fautive pouvait-elle être dirigée contre la commune ?

La réponse est, ici aussi, positive du fait que la personne privée agit au nom et pour le compte de la commune en sa qualité d’employeur de ses salariés dont le demandeur. C’est d’ailleurs cette responsabilité qui doit être recherchée puisque c’est à titre exclusif que la commune a confié la gestion des prestations en cause, à charge pour elle, en cas de condamnation et dans la proportion de cette dernière, de se retourner, le cas échéant, contre la personne privée.

Enfin, parce qu’il s’agit en l’espèce d’une action en responsabilité introduite par un agent contre la collectivité publique qui l'emploie à raison de fautes dans la gestion des prestations d'action sociale facultative instituées en application de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, celle-ci ne constitue pas un litige relatif à des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale au sens de l'article R. 811-1 du CJA, l’on ne se trouve donc pas dans un cas où le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, comme l’a sans doute pensé la cour administrative d’appel, mais dans la situation classique de droit commun où les jugements relèvent de l’appel devant cette cour, à laquelle il est donc renvoyé. 

(17 février 2023, M. A., n° 460846)

(12) V. aussi, identique : 17 février 2023, Mme B., n° 460850.

 

13 - Marché de fourniture et de pose d’abribus – Offre irrégulière – Obligation de poser des scellements de mobiliers neufs – Offre prévoyant une réutilisation de certains scellements de mobiliers déposés – Offre irrégulière – Annulation de la procédure du marché – Reprise éventuelle au stade de l’analyse des offres – Annulation de l’ordonnance.

La métropole requérante demandait l’annulation de l’ordonnance qui, rendue sur le fondement de l’art. L. 551-1 du CJA, a annulé la procédure d'appel d'offres dans un marché de fourniture et de pose d’abribus au stade de l'analyse des offres.

L’ordonnance est annulée pour avoir été rendue à l’issue d’une procédure irrégulière puis le juge de cassation se prononce au fond.

Il relève qu’alors que le cahier des charges prévoyait que les scellements des mobiliers doivent être neufs, l’offre retenue indiquait prévoir une réutilisation de certains scellements des mobiliers déposés. C'est, dès lors, en méconnaissance de la prescription imposée par le règlement de consultation de construire des scellements neufs que son offre a été jugée régulière par le pouvoir adjudicateur. 

Comme la société requérante était la seule autre candidate elle a été nécessairement lésée par cela. La procédure est annulée au stade de l’analyse des offres et si la métropole désire la reprendre c’est sous obligation de déclarer irrégulière l’autre offre.

(7 février 2023, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, n° 461935)

 

14 - Contrat de partenariat – Réalisation d’une ligne à grande vitesse Bretagne - Pays de la Loire - Dommages de travaux publics – Personnes responsables et chargées de leur réparation – Erreur de droit – Méprise sur la portée des écritures – Annulation.

Les requérants, les époux E., et leur entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) ont demandé la réparation des dommages résultant pour eux des travaux de construction de la ligne à grande vitesse Bretagne - Pays de la Loire, travaux réalisés sur la base d’un contrat de partenariat.

Le tribunal administratif a condamné la société Eiffage Rail Express à indemniser respectivement les époux E. et l’EARL.

Sur appel des demandeurs et appel incident d’Eiffage, la cour administrative d’appel a annulé le jugement en tant qu’il accordait une indemnité aux époux E. et réduit le montant de l’indemnité que ce jugement avait alloué à l’EARL.

Les demandeurs se pourvoient. Le Conseil d’État annule l’arrêt soumis à sa censure sur deux points importants, soit l’essentiel.

Auparavant, le juge rappelle que s’agissant d’un contrat de partenariat conclu sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 17 juin 2004, ici entre ce qui est aujourd’hui SNCF Réseau et Eiffage Rail Express, un tel contrat a pour double et automatique effet, d’abord, de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser au titulaire de ce contrat, ensuite, de déterminer le partage des risques liés à cette opération entre ce titulaire et la personne publique. 

De là s’ensuit une première annulation de l’arrêt. En effet, la cour a jugé, sur erreur de droit, que la société SNCF Réseau devait être regardée comme seul maître de l'ouvrage dès la date d'achèvement des travaux de construction des ouvrages et équipements que le titulaire du contrat était chargé de réaliser ; elle en a, par suite, déduit, pour ce seul motif, que les époux E. n'étaient pas fondés à rechercher la responsabilité de la société Eiffage Rail Express pour les dommages résultant de la présence de l'ouvrage. Ce jugeant, elle a omis de tenir compte de la règle fondamentale du partage de risque entre les cocontractants qui est inhérente au contrat de partenariat.

Le juge de cassation prononce une seconde annulation fondée sur ce que la cour s’est méprise sur les écritures de l’EARL E. Il résulte de dispositions du code rural (cf. L. 123-1, L. 123-24 et L. 123-26) que, lorsqu'un remembrement est effectué – comme en l’espèce -  en vue de la réalisation d'un grand ouvrage public et qu'il apparaît inévitable de déroger aux dispositions de l'art. L. 123-1 du code rural, les propriétaires pour lesquels, du fait de ces dérogations, des préjudices subsistent au terme des opérations de remembrement, sont fondés à demander au maître de l'ouvrage réparation des dommages résultant de ces opérations, constatés à l'issue de celles-ci, à titre de dommages de travaux publics. Si la cour a rejeté les demandes indemnitaires de l’EARL E. par le motif que celle-ci n'a pas la qualité de propriétaire des terrains en cause et qu'elle ne peut dès lors pas prétendre à la réparation des préjudices invoqués sur le fondement de l'art. L. 123-26 du code rural, il résulte des pièces de la procédure devant la cour que l'EARL E. a expressément demandé la réparation de son préjudice au titre des dommages résultant de la présence de l'ouvrage public, sur le fondement de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage, responsabilité qui est au demeurant d'ordre public, et non sur le fondement de l'art. L. 123-26 du code rural.

(14 février 2023, M. et Mme E. et EARL E., n° 459046)

 

15 - Procédure de dialogue compétitif en vue de l’attribution d’un marché à bons de commande de fournitures et de services – Marché conclu entre une société publique locale pour l'aménagement numérique et une société privée – Recours d’un candidat évincé - Marché constituant un contrat de droit privé – Incompétence du juge administratif – Annulation et rejet.

La société publique locale pour l'aménagement numérique de la Guyane (SPLANG) a engagé une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande de fournitures et de services de continuité opérationnelle des installations satellitaires et hertziennes dont elle a la charge. Elle a conclu ce marché avec une société ; une autre société, évincée, a demandé, en vain, aux juges du fond, l’annulation ou la résiliation de ce marché. Elle se pourvoit.

Soulevant un moyen d’ordre public, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel pour n’avoir pas relevé d’office l’incompétence de l’ordre administratif de juridiction pour connaître du litige alors que le contrat litigieux a été conclu d’une part par le SPLANG, société anonyme régie par le code de commerce, qui ne saurait être considérée comme transparente par rapport aux personnes publiques qui l’ont créée et la contrôlent, agissant en son nom et pour son propre compte et d’autre part une autre société de droit privé.

La demande de la requérante, au fond, est rejeté par voie d’évocation du fait de l’annulation de l’arrêt d’appel.

(14 février 2023, Société Guyacom, n° 460527)

 

16 - Convention d’occupation et d’utilisation temporaire du domaine public maritime – Respect des critères par l’offre formulée dans le dossier de candidature – Doute sérieux sur la légalité de la convention – Erreur de droit – Annulation.

Le juge des référés a, à la demande de la société Antibes Bateaux Services (ABYS), suspendu une convention portant autorisation d'occupation et d'utilisation temporaire du domaine public conclue entre la société Vauban 21 et la société Organisation Nautique d'Antibes (ONA).

Il s’est, pour cela, appuyé sur le doute sérieux existant sur la légalité de cette convention au motif que, faute pour les capacités et aptitudes de la société ABYS, partenaire de la société Organisation Nautique d'Antibes, d'avoir été présentées dans le dossier de candidature de cette dernière, la société Vauban 21 n'avait pas été mise en mesure de contrôler l'exactitude de l'offre de la société Organisation Nautique d'Antibes au regard de sa capacité financière à assurer l'activité économique de location de bateaux et, ainsi, de vérifier le respect par cette offre du critère de cohérence, de fiabilité et de pertinence des équilibres financiers.

Le juge de cassation annule l’ordonnance attaquée pour erreur de droit car il résulte du cahier des charges que les éléments propres à permettre d'opérer cette vérification, tenant à l'analyse des offres, devaient être produits dans l'offre elle-même et non dans le dossier de candidature, qui devait seulement comporter un engagement écrit du partenaire du candidat.

(23 février 2023, Société Vauban 21, n° 461077 ; Société Antibes Bateaux Services, n° 461081)

 

17 - Marché public de fournitures – Obligations de publicité et de mise en concurrence – Principe d’impartialité faisant partie de ces obligations – Annulation avec injonction d’exclure, en cas de reprise de la procédure du marché, une certaine entreprise.

La requérante se pourvoit en cassation d’une ordonnance du juge du référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la procédure de passation d’un marché public ayant pour objet l'extension et la maintenance du système de vidéo-protection urbaine de la commune de Caudry, et d'enjoindre à la commune de reprendre l'intégralité de cette procédure.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance au visa, notamment, de l’art. L. 2141-10 du code de la commande publique qui permet à l’acheteur d’exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes pouvant compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché.

En effet, le principe d’impartialité de l’administration active s’impose à tout pouvoir adjudicateur afin que soit garanti le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence, inhérent à la commande publique.

Le juge constate que ce principe général du droit n’a pas été respecté en l’espèce puisque, d’une part, l’assistance à maîtrise d’ouvrage de la commune était assurée par la société AV Protec dont le dirigeant est également celui de la société éditrice du logiciel que l'offre du groupement attributaire désignait comme son fournisseur, et d’autre part, la société AV Protec a, au titre de sa mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, participé à l'analyse des offres et à leur notation et a été ainsi susceptible d'influencer l'issue de la procédure.

La cassation de l’ordonnance querellée est prononcée pour qualification inexacte des faits. Nous y aurions plutôt vu une dénaturation. Le juge enjoint en outre, en cas reprise de la procédure au stade de l’analyse des offres, d’en exclure la participation de la société AV Protec.

(28 février 2023, Société Sofratel, n° 467455)

 

Droit du contentieux administratif

 

18 - Exécution des décisions de justice – Absence d’exécution dans le délai fixé par l’injonction – Ouverture d’une procédure d’astreinte sur rapport de la section du rapport et des études du Conseil d’État – Condamnation à astreinte.

 Le Conseil d'État, par une décision du 10 juin 2020 (n° 429957), a annulé le refus du ministre de la santé de proposer à la signature du premier ministre le décret en Conseil d'État relatif à la salubrité des habitations prévu à l'art. L. 1311-1 du code de la santé publique, et il a enjoint au premier ministre de prendre ce décret dans le délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision.

Après que la section du rapport et des études du Conseil d’État a constaté l’inexécution de cette décision à l’expiration du délai imparti et demandé l’ouverture d’une procédure d’astreinte d’office, le Conseil d’État fixe, faute d’exécution dans le mois de la présente décision, à trois cents euros par jours le montant de l’astreinte jusqu’à complète exécution de la chose jugée.

Le montant est raisonnable compte tenu d’un retard de près de 24 mois à la date du présent arrêt.

Il va bien falloir un jour se décider à mettre en jeu la responsabilité personnelle des ministres qui se fichent de la chose jugée. La crainte de la sanction sur le portefeuille personnel constituerait là aussi le commencement de la sagesse.

(02 février 2023, M. A. C. et M. B. C., n° 463549)

(19) V. même solution, au terme d’une procédure identique et avec identique montant d’astreinte, à propos de l’inexécution d’une décision du 8 novembre 2019 (n° 424954), aux termes de laquelle le Conseil d’État a annulé le refus de la ministre de la santé d'abroger, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée, les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 et  précisé que cette annulation avait nécessairement pour conséquence que les autorités compétentes étaient tenues, dans un délai raisonnable, non seulement d'abroger le 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 en tant qu'il porte sur l'épilation au laser et à la lumière pulsée, mais aussi d'encadrer ces pratiques d'épilation par des mesures de nature à garantir, dans le respect des règles du droit de l'Union européenne relatives au libre établissement et à la libre prestation de services, la protection de la santé publique : 02 février 2023, M. A., premier requérant dénommé, n° 468009.

(20) V. aussi, jugeant sans objet la demande d’exécution sous astreinte d’une décision du Conseil d’État (Section, 5 octobre 2018, Association Saint-Hubert, n° 407715, au Recueil Lebon) qui :

1° annule le refus du premier ministre d'abroger les dispositions de l'art. R. 422-53 du code de l'environnement qui excluent toute possibilité pour des propriétaires de terrains ou les détenteurs de droit de chasse de se regrouper après la constitution d'une association communale de chasse agréée (ACCA) afin d'exiger le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette ACCA, alors que l'art. L. 422-18 du même code permet pourtant un tel regroupement en vue d'un retrait d'une ACCA déjà constituée,

2° enjoint le premier ministre de prendre, dans le délai de neuf mois à compter de la notification de cette décision, les dispositions nécessaires pour modifier l'art. R. 422-53 du code de l'environnement afin de remédier à cette illégalité.

En effet, l'art. 13 de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement, a prévu à l'art. L. 422-18 modifié du code de l'environnement un droit d'opposition des propriétaires et des associations de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création de l'association. Il en résulte que le législateur, en excluant que les propriétaires de terrains ou les détenteurs de droit de chasse puissent se regrouper après la constitution d'une ACCA pour obtenir le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette association, met fin, pour l'avenir, à l'obligation légale de modifier l'art. R. 422-53 du code de l'environnement. 

D’où il suit que le recours en exécution d’une décision de justice est, depuis, devenu sans objet : 10 février 2023, Association Saint-Hubert, n° 438153.

 

21 - Demande en référé suspension – Affaire devant être appelée à une prochaine audience – Urgence non démontrée – Rejet.

Rejet d’une demande en référé suspension alors que l’examen du fond du dossier est prévu pour une audience devant se tenir dans les prochaines semaines et qu’aucune urgence n’est démontrée qui justifierait que soit rendue une décision immédiate par le juge de ce référé.

(02 février 2023, M. A., n° 470854)

 

22 - Introduction d’une action en justice par un maire au nom de la commune – Nécessité d’une décision du conseil municipal - Absence – Irrecevabilité du pourvoi.

(03 février 2023, Maire d’Aubenas-les-Alpes, n° 460101)

V. n° 8

 

23 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Demande de suspension de la nomination du PDG d’EDF – Absence d’urgence – Rejet.

Pour demander la suspension de la désignation de M. Luc Rémont en qualité de PDG d’EDF, les requérants invoquent le caractère illégal de celle-ci car elle intervenue en méconnaissance des droits du Parlement, ce qui porterait nécessairement atteinte à un intérêt public.

Ceci n’établit aucunement l’urgence à statuer.

Faute d’urgence, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde des conditions donnant ouverture à un référé suspension.

La requête est rejetée.

(03 février 2023, M. U. et autres, M. H. et autres, n° 470891)

 

24 - Greffe pulmonaire – Refus d’inscrire un patient sur la liste nationale des malades en attente de greffe – Comportement rétif du patient envers les indications thérapeutiques – Appréciation nationale de l’intérêt et de la priorité à la greffe – Pouvoirs du juge du référé liberté – Refus du juge de prescrire à une équipe médicale une démarche thérapeutique autre que celle qu’elle a choisie – Rejet.

(08 février 2023, M. A., n° 470823)

V. n° 134

 

25 - Clôture de l’instruction – Réception postérieure par le juge d’un mémoire d’une des parties – Obligation d’en prendre connaissance et de le viser sans l’analyser sauf décision de réouverture de l’instruction – Annulation.

Nouveau rappel que la réception par le juge, postérieurement à la clôture de l'instruction, d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, lui fait obligation d’en prendre connaissance avant de rendre sa décision et soit de le viser sans l'analyser et sans rouvrir l’instruction soit de rouvrir l'instruction.

(09 février 2023, Association des habitants et amis du Chesnay, n° 461404)

 

26 - Référé – Impossibilité pour le juge des référés d’être saisi de conclusions à caractère indemnitaire – Rejet.

Rappel de ce que le juge des référés ne saurait se prononcer sur des conclusions à fin d'indemnité, qui ne peuvent être utilement soumises qu'au juge du fond. Rejet du pourvoi contre le rejet, par le premier juge, pour ce motif, de la demande en ce sens.

(ord. réf. 08 février 2023, M. A., n° 470978)

 

27 - Forme et contenu des requêtes – Existence obligatoire de conclusions à peine d’irrecevabilité – Appréciation de cette existence – Méprise sur la portée des écritures – Annulation.

Pour rejeter le recours formé par une société viti-vinicole contre la décision de l’établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui ordonnant le reversement d’une aide qui lui avait été attribuée pour le financement d’un projet d’investissement, les juges du fond s’était fondés sur ce que le mémoire produit par la demanderesse ne comportait pas de conclusions, cette absence constituant un motif d’irrecevabilité d’ordre public.

Le Conseil d’État est à la cassation de ce jugement et de cet arrêt car, expose-t-il, « aux termes de sa requête (…), intitulée " recours contentieux contre le titre de recette n° 2017-1799 du 29 juin 2017 ", la société La goutte d'or, qui n'était pas assistée d'un conseil, demandait que la somme mise à sa charge par ce titre de recette " soit dans son ensemble reconsidérée et fortement diminuée " et invoquait, par une motivation renvoyant précisément à des documents joints à la requête, plusieurs moyens tendant à contester le bien-fondé de la demande de reversement de l'aide dont elle avait bénéficié. »

Il s’agissait bien, contrairement à ce qui a été jugé en première instance et en appel, de « conclusions » tendant à la décharge, totale ou partielle, de la somme en litige.

(14 février 2023, Société La goutte d’or, n° 456666)

 

28 - Référé suspension – Demande d’attribution de l’aide au retour à l’emploi (ARE) – Refus – Situation jugée ni être urgente ni porter une atteinte suffisamment grave - Rejet de la demande de suspension du refus – Annulation et injonction.

Un refus ayant été opposé par le maire de la commune à sa demande de versement de l'allocation de retour à l'emploi (ARE), le requérant a, outre l’annulation de ce refus, demandé la suspension de son exécution, au moins à titre provisoire, dans l’attente du jugement sur le fond.

Le juge des référés a rejeté sa demande, l’urgence à suspendre le refus de l’ARE ne lui paraissant pas établie et ce refus ne préjudiciant pas de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation car ce refus n'avait pas eu pour effet d'aggraver la situation financière préexistante du requérant.

Le juge de cassation annule cette ordonnance car le juge des référés ne pouvait s’arrêter à ce seul constat pour conclure à l'absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation financière de M. B., alors que l'intéressé se prévalait de la précarité de sa situation financière, à laquelle le refus opposé ne permettait pas de remédier : le juge des référés a ainsi entaché son ordonnance d'une erreur de droit.

Après annulation de l’ordonnance, statuant au fond, le juge donne raison au requérant et fait injonction au maire de la commune d’accorder cette allocation sous deux mois.

(ord. réf. 07 février 2023, M. B., n° 460105)

 

29 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Recours dirigé contre un refus de délivrance de visa d’entrée sur le territoire français – Sauf circonstances particulières, décision non constitutive d’une situation d’urgence – Rejet.

Rappel d’une jurisprudence constante selon laquelle, sous réserve de circonstances particulières, le refus de délivrance d'un visa d'entrée sur le territoire français ne fait pas apparaître une situation d'urgence qui justifie l'intervention à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA.

En l’espèce de telles circonstances ne sont pas établies à la date à laquelle le juge statue. La demande de visa d’un ressortissant congolais résidant en république du Congo afin de rencontrer une ressortissante angolaise, bénéficiant du statut de réfugiée, résidant au Havre avec laquelle il aurait une relation, et qui serait le père de son enfant à naître, ne caractérise pas une situation d’urgence, d’autant qu’il est déclaré par Mme D. dans son attestation d’accueil comme étant un « ami ».

(ord. réf. 15 février 2023, M. C. et Mme D., n° 471244)

 

30 - Demande d’abaissement d’éoliennes – Action d’associations et de particuliers – Intérêt pour agir dénié – Motivation insuffisante ou erreur de qualification juridique – Annulation.

Les requérants ont demandé que soit abaissée la hauteur d’éoliennes défigurant le paysage, se trouvant en co-visibilité avec un château et causant des nuisances visuelles aux occupants de chambres d’un hôtel. Les juges, de première instance et d’appel, ont rejeté ce recours motif pris du défaut d’intérêt pour agir de chacun d’eux.

Le juge de cassation annule l’arrêt litigieux.

S’agissant de l’action introduite par les deux associations, il est jugé qu’elles ont bien intérêt à agir en raison de leur objet social respectif tel qu’il est présenté dans leurs statuts (d’une part, « empêcher que les sites naturels ou urbains qui font la beauté du visage de la France ne soient dégradés ou détruits par des spéculations des industries, des constructions des travaux publics conçus, installés, exécutés sans aucun souci de l'aspect de la région et des intérêts même matériels qui sont attachés à cet aspect » pour l’une  et, d’autre part,  « lutter, dans son périmètre d'action, contre tout ce qui porte atteinte, notamment du fait de l'implantation de centrales éoliennes, à l'environnement, à l'agriculture, aux activités forestières, pastorales, viticoles, touristiques, de villégiatures ou de loisirs, aux paysages, à la faune et à la flore, aux ressources naturelles en air et en eau, aux monuments historiques, protégés ou non, au petit patrimoine et aux bâtiments typiques (...) » et « ester en justice contre toutes décisions publiques ou privées, notamment tous permis de construire et autorisation d'exploitation, toute autorisation unique, toutes zones, tous schémas, tous projets susceptibles de porter atteinte à l'objet de l'association », pour l’autre), alors, d’une part, qu’elles indiquaient que les quatre éoliennes faisant l'objet de la décision attaquée étaient distantes de quatre kilomètres d’un château protégé au titre des monuments historiques, et que la situation de covisibilité de ces éoliennes avait un impact significatif sur les vues disponibles depuis le château, le domaine et le practice de golf, et d’autre part, que les associations requérantes faisaient valoir que leur objet social leur conférait un intérêt de nature à leur donner qualité pour agir contre la décision litigieuse, notamment contre l'atteinte portée par les éoliennes litigieuses à plusieurs autres monuments protégés et à des éléments caractéristiques du paysage situés à proximité du parc éolien. L’arrêt est censuré pour son insuffisance de motivation.

S’agissant de l’action des particuliers, le rejet était fondé sur la seule distance entre le domaine de B. et les éoliennes litigieuses et la covisibilité réduite pour dénier à M. et Mme C. un intérêt suffisamment direct pour contester la décision litigieuse. Pour relever l’erreur de qualification juridique contenue dans l’arrêt déféré, le juge de cassation retient la lettre, produite par M. et Mme C., du directeur de l'hôtel-restaurant et du golf exploités sur le domaine de B., faisant état du mécontentement de clients à l'égard des éoliennes visibles depuis le château et, en particulier, de la gêne occasionnée à la nuit tombée par les lumières émises par ces appareils visibles depuis leurs chambres, ainsi que la visibilité de ces éoliennes de nature à porter atteinte aux conditions d'exploitation de l'hôtel-restaurant et du golf installés sur le domaine.

(17 février 2023, M. et Mme C., association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et association de défense de l'environnement et du patrimoine de la région Bourgogne Franche-Comté, n° 450111)

 

31 - Responsabilité – Rejet d’une indemnisation pour incompatibilité entre deux textes – Motivation insuffisante – Annulation.

Un agent de la société Orange, blessé au cours de travaux de remplacement de modules redresseurs de type géode qu’il effectuait pour cette société a réclamé la réparation du préjudice résultant de douleurs résiduelles consécutives à son accident et invoquait à cet effet une faute de la société Orange dans la mise en œuvre de la clause de sauvegarde prévue par l'accord intergénérationnel conclu entre cette société et les organisations syndicales représentatives relatives au temps partiel sénior. Pour rejeter ce chef de demande la cour administrative d’appel s’est bornée à juger que les stipulations de cet accord étaient contraires au statut général de la fonction publique de l'État auquel demeurent soumis les fonctionnaires de la société Orange. Cependant, elle ne s’est pas expliquée sur cette contrariété ni sur l'absence d'application de cet accord aux fonctionnaires de la société Orange qui en résulterait ce qui entraîne la cassation de son arrêt pour insuffisance de motivation.

(17 février 2023, M. A., n° 450296)

 

32 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu par une personne privée avec une personne publique en agissant au nom et pour le compte de cette dernière – Compétence de la juridiction administrative – Action en responsabilité dirigée à bon droit cintre la personne publique – Litige relevant de l’appel devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

(17 février 2023, M. A., n° 460846)

V. n° 11

 

33 - Clôture de l’instruction - Désistement pur et simple postérieur à cette clôture en cours d’instance devant la cour administrative d’appel – Juridiction statuant en l’état du dossier sans donner acte du désistement – Régularité – Rejet.

C’est sans irrégularité qu’une cour administrative d'appel, qui aurait pu rouvrir l'instruction au reçu d’une lettre de désistement, postérieurement à la clôture de l’instruction, afin de communiquer cette lettre et donner acte du désistement, statue en l'état du dossier à la date de la clôture de l'instruction et se prononce sur les conclusions de la demande car elle n’a pas, en ce cas, l'obligation de faire usage des pouvoirs qu'elle détient au titre des dispositions de l’art. R. 613-4 du CJA.

Cette solution est la réitération d’une jurisprudence bien établie depuis trois décennies au moins (cf. 22 mai 1991, Consorts Guillou, Recueil Lebon p. 199 ; 5 avril 1996, Nouveau syndicat intercommunal pour l'aménagement de la vallée de l'Orge, n° 141684, Recueil Lebon p. 121)

(17 février 2023, Commune de Pléneuf-Val-André, n° 450707)

 

34 - Permis de construire - Clôture de l’instruction – Indication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office – Absence de réouverture automatique de l’instruction – Mise en œuvre des pouvoirs de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Absence de réouverture de l’instruction – Rejet.

(17 février 2023, M. U. et autres, n° 452560)

V. n° 146

 

35 - Demande d’aide juridictionnelle antérieurement à l’audience – Obligation pour la juridiction saisie de surseoir à statuer jusqu’à la décision du bureau d’aide juridictionnelle – Absence – Annulation.

Statue irrégulièrement sur une affaire la cour administrative d’appel qui, informée de l’existence d’une demande de bénéficier de l’aide juridictionnelle, ne sursoit pas afin d’attendre la décision du bureau d’aide juridictionnelle.

(17 février 2023, M. A., n° 454112)

 

36 - Ordonnance de référé – Respect, adapté à l’urgence, du contradictoire – Méconnaissance – Dénaturation des pièces par confusion entre le référé de l’art. L. 521-2 (objet de la saisine du juge) et le référé de l’art. L. 521-1 – Annulation.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’un appel dirigé contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte statuant sur plusieurs requêtes dirigées contre un arrêté préfectoral du 19 septembre 2022 ordonnant l'évacuation et la destruction de constructions illicites sur le territoire de la commune de Mamoudzou, arrêté exécuté le 14 janvier 2023.

Pour l’essentiel ces demandes sont devenues sans objet au jour où le juge statuait.

L’ordonnance est intéressante concernant deux vices procéduraux qui entraînent nécessairement l’annulation de la décision du premier juge.

En premier lieu,  le ministre appelant soutenait que, s'il a reçu communication des requêtes de première instance sur lesquelles il n'y a pas eu lieu de statuer, il n'a, en revanche, reçu communication des trois requêtes auxquelles il a été fait droit par l’ordonnance attaquée qu'après l'audience, à laquelle le préfet de Mayotte ne s'est pas rendu, puisqu'il tenait pour certain le non-lieu sur les quatre requêtes qu'il avait reçues, aux conclusions desquelles une autre ordonnance avait déjà fait droit.

Ainsi, il était manifeste que le principe du caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu mais l’on sait que ce principe doit être adapté à l'urgence en référé. Se posait donc la question de savoir jusqu’où pouvait être admise en l’espèce une entorse à ce principe fondamental de procédure. Le juge relève qu’ici il a été non pas aménagé mais entièrement méconnu, d’où l'irrégularité de l'ordonnance attaquée.

En second lieu, le premier juge était saisi sur le fondement d’un référé liberté, donc de l’art. L. 521-2 du CJA, or il statue, dans l’ordonnance querellée, sur la base du référé suspension, donc de l’art. L. 521-1 du CJA, puisqu’il retient, pour en prononcer l’annulation, non une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale mais un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué. Solution d’autant plus inexplicable que, d’une part, le juge a bien visé expressément l’art. L. 521-2, et d’autre part, n’a pu que constater qu’il n’était saisi d’aucune demande d’annulation au fond.

(ord. réf. 16 février 2023, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 470970)

 

37 - Dispense ou non de conclusions du rapporteur public – Information devant être donnée avant l’audience dans un délai raisonnable – Absence – Annulation.

Le Conseil d’État annule le jugement d’un tribunal administratif rejetant le recours formé par le requérant contre la décision par laquelle, sur son recours préalable, une commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a confirmé sa décision l'orientant vers le milieu ordinaire du travail pour la période du 27 octobre 2020 au 11 mars 2023. 

En effet, s’agissant d’un litige entrant dans la catégorie des contentieux qui, en vertu des dispositions de l’art. R. 732-1-1, sont susceptibles d'être dispensés de conclusions du rapporteur public, il importait que le demandeur fût informé de l’existence, ou non, de cette dispense dans son affaire. Or l'absence, au dossier, de l’avis d'audience, ne permet pas au juge de cassation de s'assurer qu'il comportait les informations relatives aux conclusions du rapporteur public et pas davantage n’est établie l’existence d’une mise en demeure informant le requérant de prendre connaissance de la dispense de conclusions du rapporteur public sur l’application « Sagace ».

(17 février 2023, M. B., n° 462051)

 

38 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)

V. n° 149

 

39 - Aide juridictionnelle – Situation d’urgence – Demande d’admission provisoire à l’aide – Rejet – Irrecevabilité de la demande d’annulation de ce rejet – Rejet.

En cas d’urgence, la juridiction saisie peut décider d’admettre provisoirement le demandeur au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Il résulte des dispositions combinées de l’art. 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de celles de l’art. 62 du décret du 28 décembre 2020 prises pour l’application des précédentes qu’en cas de refus d’accorder le bénéfice de cette aide, la décision de refus n’est pas susceptible de recours. Il en résulte que les conclusions tendant à la réformation d’une ordonnance de rejet d’une demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle sont irrecevables.

(15 février 2023, Mme A., n° 470765)

 

40 - Sommes exposées par un requérant et non comprises dans les dépens – Possibilité de les mettre à la charge d’une partie en cas de non-lieu – Simple faculté – Rejet.

Le juge administratif a la faculté de mettre à la charge d'une partie des sommes exposées par le requérant et non comprises dans les dépens dans le cas où il constate qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions principales de la requête. Ce n’est là cependant qu’une faculté non une obligation.  C'est ainsi à bon droit que, dans les circonstances de l'espèce, nonobstant les démarches qui avaient été entreprises en vain auprès de la préfecture par l'avocat de la requérante, avant l'enregistrement de sa demande en référé, le juge des référés a rejeté les conclusions présentées par la requérante au titre des dispositions de l’art. L. 761-1 du CJA.

(15 février 2023, Mme A., n° 470765)

 

41 - Décision d’instruire une demande d’asile en « procédure accélérée » et non en « procédure normale » - Saisine du juge du référé liberté – Rejet.

(ord. réf. 22 février 2023, M. A., n° 470820)

V. n° 90

 

42 - Référé liberté - Demande de suspension de l’exécution d’un acte administratif devenu définitif – Impossibilité sauf changement dans les circonstances de fait ou de droit – Rejet.

En l'absence de changement de circonstances de fait ou de droit, il ne saurait être utilement recouru à la procédure du référé liberté pour obtenir la suspension de l'exécution d'un acte administratif devenu définitif, ici l'article 1er du décret du 23 février 2022 relatif au cumul entre la pension d'invalidité et les revenus professionnels et modifiant diverses dispositions relatives aux pensions d'invalidité. 

(ord. réf. 21 février 2023, M. A. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471450)

(43) V. aussi, identique : ord. réf. 21 février 2023, Mme A. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471390

(44) V. encore, identique : ord. réf. 21 février 2023, M. C. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471352

 

45 - Désistement d’office (art. R. 612-5-1 CJA) – Appel de l’ordonnance de donné acte du désistement – Obligations s’imposant au juge d’appel – Erreur de droit – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. R. 612-5-1 du CJA - permettant à la juridiction saisie d’interroger le demandeur sur le point de savoir s’il confirme expressément le maintien des conclusions dont il l’a saisie à peine de désistement d’office faute de réponse dans le délai imparti – que le juge d’appel a, en cette hypothèse, cinq obligations à satisfaire.

Il doit vérifier que l'intéressé a reçu la demande de maintien des conclusions, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre, qu’elle l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et, enfin, d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1.

Faute d’avoir satisfait à cette dernière exigence, l’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit. Nous dirions plutôt que, faute que cette exigence figure dans le code de justice administrative, étant une invention jurisprudentielle, le juge d’appel, en cette occurrence, a manqué à son office.

(23 février 2023, M. et Mme B., n° 460562)

 

46 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recrutement et discipline des agents publics nommés par décret du président de la république (art. 13 de la Constitution) – Suspension d’activité dans l’intérêt du service – Rejet.

Ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort sur le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du président de la république en vertu des dispositions de l'article 13 de la Constitution et des art. 1er et 2 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique sur les nominations aux emplois civils et militaires de l'État, une requête dirigée contre la suspension du requérant, à titre conservatoire, de ses fonctions hospitalières et universitaires, mesure sans caractère disciplinaire seulement fondée sur l’intérêt du service.

(ord. réf. 24 février 2023, M. A., n° 471366)

 

47 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)

V. n° 149

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

48 - Distribution de revenus (art. 109 CGI) – Notion – Imputation à un établissement stable situé en France de bénéfices réalisés par une société étrangère – Preuve à la charge de l’administration – Preuve non rapportée – Annulation.

Rappel en premier lieu, que la rectification par l’administration fiscale, au titre de l'impôt sur les sociétés, résultant de l'imputation à un établissement stable situé en France, par l'intermédiaire duquel elle est regardée comme y exerçant son activité, de bénéfices réalisés par une société étrangère (la société Garovito Construções), n’a pas pour effet d’établir ipso facto l'existence d'une distribution de revenus par cette société, au sens de l'article 109 du CGI. La circonstance que le contribuable ainsi imposé soit le maître de l'affaire n’établit pas davantage cette existence. 

Rappel en second lieu, dès lors que le contribuable s’est opposé à la rectification proposée, qu’il incombait à l’administration fiscale d'établir l'existence d'une distribution de la fraction des bénéfices de la société imputés à son établissement stable et réputée correspondre à des montants de taxe sur la valeur ajoutée prétendument éludés.

(03 février 2023, M. B., n° 456210)

(49) V. aussi, et à l’inverse, le rejet du recours de cette même société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2009 à 2011du fait de l’irrégularité de l’envoi d’un avis de vérification de comptabilité à une société étrangère ayant son siège hors de France et dans un autre État de l’Union européenne : 03 février 2023, Société Garovito Construções, n° 456212.

 

50 - Contribuable placé en liquidation – Monopole du liquidateur pour présenter ou poursuivre une réclamation à l’administration fiscale – Cas où la réclamation est présentée par une société ultérieurement dissoute – Rejet.

Le juge applique au cas de l’espèce la jurisprudence portant à un an en principe le délai de saisine du juge en cas d’absence de notification ou de notification irrégulière des voies et délais de recours.

Surtout, il décide que les règles posées par le code de commerce organisant le dessaisissement du débiteur placé en liquidation au profit d'un liquidateur n’ayant été édictées que dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur peut s'en prévaloir pour exciper de l'irrecevabilité du dirigeant d'une société placée en liquidation à présenter une réclamation à l'administration fiscale, à se pourvoir en justice ou à poursuivre une instance en cours.

Il précise ensuite que, dans le cas d’une réclamation présentée ou d’un litige engagé devant la juridiction administrative par une société ultérieurement dissoute, l'instruction de la réclamation ou la procédure contentieuse se poursuit dans les mêmes conditions que si la société n'avait pas été dissoute sauf si le liquidateur est intervenu pour contester la poursuite de l'action par les dirigeants de la société et demander à leur être substitué.

En l’espèce, la société requérante soutenait que l'introduction des réclamations, présentées par le commissaire à l'exécution du plan pour obtenir la décharge des impositions en litige, n'aurait pu être valablement faite que par le liquidateur de la société. Toutefois, il résulte des dispositions des art. R. 421-5 du CJA et R. 190-1, R. 196-1 et R. 196-2 du livre des procédures fiscales que ces réclamations, qui ont été valablement introduites en vertu du mandat donné par le dirigeant de la société, étaient de nature à faire courir les délais mentionnés par ces dispositions.

Il en résulte que la nouvelle réclamation présentée le 23 juin 2016 était tardive, ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel, ce qui entraîne le rejet du pourvoi.

(10 février 2023, M. C., mandataire liquidateur amiable de la Société générale de textile Balsan, n° 456829)

 

51 - Acquisition d’actions par une société – Paiement d’intérêts à cette occasion – Déduction de ces intérêts pour le calcul de l’impôt sur les sociétés – Date d’appréciation du montant de ces intérêts - Imposition supplémentaire par l’administration fiscale – Rejet.

Le 27 janvier 2009, la société Siemens a annoncé son intention d'exercer son option de vente des actions qu'elle détenait, à hauteur de 34 %, dans le capital de la société Areva NP, conformément aux stipulations du pacte du 30 janvier 2001 conclu avec son co-actionnaire, la société Areva.

Par ailleurs, au mois de mars 2009, les sociétés Siemens et Areva ont procédé à une augmentation de capital de la société Areva NP. Les deux actionnaires ont convenu, par un accord du 3 mars 2009, que l'apport effectué par la société allemande du fait de l’exercice de l’option de vente ci-dessus, serait remboursé à la date de rachat de sa participation et, au plus tard, le 31 janvier 2012. La société Areva a procédé le 18 mars 2011 au règlement du prix d'acquisition des titres à la société Siemens. Ces titres ont été inscrits à l'actif du bilan de la société Areva à la clôture de l'exercice 2011.

Par application des clauses combinées de l'art. 4.7.2 du pacte précité du 30 janvier 2001 et du « Schedule 4.7.2 » figurant en annexe de ce pacte, le prix d'acquisition des actions de la société Areva NP a été déterminé à partir de leur valeur à la date d'exercice, par la société Siemens, de son option de vente, majorée d'intérêts courant entre cette date et la date de paiement du prix, alors que la clause 4.7.1.1 du même pacte prévoyait un transfert de propriété des titres à la date de paiement du prix.

Ensuite, du fait des actions issues de l'augmentation de capital, les stipulations de l'accord du 3 mars 2009 renvoyaient, s'agissant de la date de transfert de propriété et du prix de cession, lequel prévoyait également le versement d'intérêts, aux stipulations du pacte du 30 janvier 2001.

Les intérêts versés par la société Areva à ce double titre (acquisition des actions rachetées par Siemens et augmentation du capital) ont été déduits du résultat imposable de l'exercice clos en 2011 après avoir été provisionnés sur une base estimative depuis 2009. 

Contrairement à ce qui est soutenu par la contribuable requérante, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que compte tenu de la date de transfert de propriété des titres, effective seulement à la date du paiement du prix en vertu des stipulations contractuelles susrappelées, les intérêts en litige devaient être regardés comme un élément du prix d'acquisition des titres et, par suite, être immobilisés en application des dispositions de l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI.  La circonstance que le montant des intérêts litigieux ne correspondrait pas à l'évolution de la valeur des actions en cause entre 2009 et 2011 et celle que la société Areva aurait exercé, de fait, un contrôle exclusif de la société Areva NP à compter de l'exercice, par la société Siemens, de son option de vente et qu'elle aurait procédé à une consolidation à 100 % de la société Areva NP dans ses comptes consolidés dès 2009 sont à cet égard sans effet sur la solution retenue.

Le pourvoi est rejeté

(10 février 2023, Société Areva, n° 462729)

 

52 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères – Zone non desservie par un service d’enlèvement d’ordures ménagères - Demande de décharge ou de réduction de son montant – Détermination de la distance entre le lieu de production de ces ordures et celui de leur enlèvement – Rejet.

Ne commet pas d’erreur le tribunal administratif qui, pour rejeter la demande de la région Hauts-de-France tendant à voir annulée ou réduite sa contribution à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères au titre du port de Calais motif pris de l’absence de point d’enlèvement des déchets à moins de 200 mètres de ceux-ci, juge que pour mesurer cette distance il convient de retenir non l’éloignement de chaque parcelle du port par rapport au lieu d’enlèvement mais celui décompté à partir des entrées de cette propriété qui est d’un seul tenant. La solution peut surprendre car ce qui compte en définitive c’est l’ampleur du déplacement des déchets d’un point à un autre c’est-à-dire très exactement la charge de déplacement pesant sur le seul assujetti. Il ne faut pas oublier qu’un grand port peut comporter plusieurs milliers de mètres.

Ce mode de calcul, au reste, ne saurait s’autoriser de dispositions en ce sens, en particulier des art. 1520 et 1521 du CGI qui sont muets sur ce point.

(07 février 2023, région Hauts-de-France, n° 449553)

 

53 - Comptable public déclaré débiteur – Versement d’indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés et d’indemnités horaires pour travail de nuit – Absence de décision en ce sens de l’ordonnateur – Absence de préjudice pour l’établissement employeur – Annulation et rejets partiels.

Le ministre requérant demandait l’annulation d’un arrêt de la Cour des comptes constituant le comptable alors en fonctions, au titre de l'exercice 2016, débiteur envers un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), d’une certaine somme pour versement à une infirmière et à deux aides-soignantes d’indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés, et d’une autre somme pour versement à ces deux mêmes aides-soignantes d’indemnités horaires au titre du travail de nuit intensif. 

Le Conseil d’État, appliquant strictement les règles et principes régissant l’ordonnancement des dépenses, considère, rejetant sur ce point le pourvoi, que le comptable public doit, lorsqu'il procède au paiement des indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés et des indemnités horaires pour travail de nuit intensif, exiger, au titre des pièces justificatives, la production d'une décision individuelle d'attribution prise par le directeur de l'établissement et que ne sauraient tenir lieu de cette décision les tableaux mensuels de service, indiquant nominativement les journées de présence effectivement réalisées par les agents concernés, établis et signés par l'ordonnateur dans le cadre des astreintes.

En revanche, le pourvoi est reçu en ce que la Cour des comptes a commis une erreur de droit  en retenant un préjudice financier qu’aurait subi l’EHPAD du fait de l’irrégularité des paiements,  alors que le versement des deux indemnités en litige était de droit pour les agents de l'établissement concernés dès lors qu'ils ont réalisé les services en cause (cf. décrets du 2 janvier 1992 pour le travail effectué les dimanches et jours fériés, et du 30 novembre 1988 pour le travail de nuit) et qu’il est constant, au regard des tableaux de service établis et signés par l'ordonnateur attestant des journées et nuitées de présence, que ces indemnités avaient été versées aux agents de l'établissement ayant effectivement réalisé les services en cause et que le service avait été fait.

Est-il permis d’écrire que l’on voit dans tout cela des chinoiseries sans autre intérêt que de sanctionner des préjudices imaginaires commis par un agent de bonne foi sur la base de documents prétendument inadéquats mais dont les attestations sont exactes et irréfutables ? C’est Feydeau dans « De la rue Cambon au Palais-Royal ».

(17 février 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 446136)

 

54 - Comptabilité publique – Demande de remise gracieuse – Éléments devant être pris en compte par le comptable – Distinction entre les demandes de remise gracieuse selon leur antériorité ou leur postériorité au décret du 18 septembre 2018 modifiant l’art. 120 du décret du 7 novembre 2012 – Application inexacte de la loi – Annulation sans renvoi.

Rappel qu’il résulte des dispositions de l’art. 120 du décret du 7 novembre 2012 dans la version que lui a donnée le décret du 18 septembre 2018 que le régime applicable aux demandes de remise gracieuse dont sont saisis les comptables publics diffère selon que la créance dont il est demandé remise est née antérieurement ou postérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018.

Lorsque les comptables sont saisis d’une demande de remise gracieuse portant sur les majorations, les frais de poursuite ou les intérêts nés avant l’entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018, ils doivent prendre en considération tous les éléments pertinents relatifs à la situation du demandeur en vue de déterminer la décision à prendre en vue d’accorder ou de refuser la remise sollicitée. 

Lorsque les comptables sont saisis d’une demande de remise gracieuse portant sur la somme en principal d'une créance, formée après l'entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018, ils ne peuvent prendre en compte que les capacités financières du demandeur.

(17 février 2023, M. B., n° 460599)

 

55 - Taxe annuelle sur les surfaces de stationnement – Champ d’application – Contribution à l’activité exercée dans les locaux annexes – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que pour l’application combinée des dispositions des art. 1599 quater C (taxe annuelle sur les surfaces de stationnement) et 231 ter du CGI (taxe annuelle sur les surfaces de bureaux), applicables au titre de l'année 2017, le législateur avait alors entendu inclure dans le champ d'application de la taxe annuelle sur les surfaces de stationnement, les surfaces annexées à des locaux à usage de bureaux, à des locaux commerciaux ou à des locaux de stockage, sous réserve qu'elles ne soient pas topographiquement intégrées à un établissement de production. Pour déterminer si les surfaces de stationnement doivent être regardées comme annexées à l'une des catégories de locaux ainsi énumérées, il y a lieu de déterminer si leur utilisation contribue directement à l'activité qui y est déployée. En ne recherchant pas la réalisation de cette dernière condition, le jugement querellé est entaché d’erreur de droit.

(23 février 2023, Société Gaîté Parkings, n° 463892)

 

Droit public de l'économie et des finances

 

56 - Conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19 – Institution d’un fonds de solidarité – Exclusion, dans une « Foire aux questions » mise en ligne, des loueurs en meublés non professionnels du bénéfice de l’aide de ce fonds – Annulation.

Dans une « Foire aux questions » publiée sur le site du ministère de l’économie et des finances et consacrée au fonds de solidarité destiné à venir en aide aux activités touchées par les effets de l’épidémie de Covid-19, à la rubrique « Puis-je en bénéficier ? », il était indiqué en réponse à la question « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? », sans autre précision : « Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ».

La requérante demandait l’annulation de cette réponse.

Rejetant la fin de non-recevoir du ministre opposée à la recevabilité de cette demande, le juge rappelle que peuvent lui être déférés par la voie du recours pour excès de pouvoir tous actes, documents ou autres susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Tel est le cas des éléments ci-dessus.

Ensuite, la réponse est annulée car elle méconnaît la définition du champ des personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité tel qu’il résulte des dispositions de l’art. 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, de l’art. 1er de l’ordonnance du 25 mars 2020 instituant un fonds de solidarité pour les « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation » ainsi que de celles de l’art. 1er du décret du 30 mars 2020 pris pour l’application de l’art. 3 de l’ordonnance précitée.. 

(03 février 2023, Mme A., n° 451052)

 

57 - Droit de l’énergie – Énergie électrique – Octroi d’un volume additionnel d’électricité au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) – Fixation du prix de cession de ce volume – Rejet.

Les requérants contestaient, pour l’essentiel, la légalité du décret du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et des deux arrêtés du 11 mars 2022 fixant, l’un, le volume global maximal d'électricité devant être cédé par la société Électricité de France (EDF) au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et l’autre le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret précité, en tant qu'il ne fixe pas à un prix unique de 46,20 euros/MWh le prix de la totalité du volume d'électricité nucléaire historique cédé par EDF au titre de l'année 2022.

Les recours, après avoir été joints bien qu’ils ne présentent pas à juger d’identiques questions car celles-ci sont tout de même très proches, sont, sans grande surprise, tous rejetés.

Le juge organise en deux temps son appréciation de la légalité des décisions attaquées, d’abord par rapport aux exigences du droit interne, ensuite par rapport à celles du droit de l’Union.

Au regard du droit interne.

Le décret du 11 mars 2022, au plan de sa légalité interne, n’est pas entaché d’illégalité. Il convient de rappeler que l'obligation imposée à EDF d'offrir à la vente un volume d'électricité d'origine nucléaire à un prix déterminé a pour objet d'assurer la liberté de choix du fournisseur en faisant bénéficier l'ensemble des fournisseurs et leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français et de contribuer à la stabilité des prix.

En portant ce volume de 100 à 120 TWh, l’auteur du décret et de l’arrêté corrélatif n’a pas créé illégalement un dispositif nouveau distinct de celui de l’ARENH mais, restant strictement dans ce cadre, d’augmenter le volume global d’électricité pouvant être cédé par EDF.

Ce volume a été fixé en fonction du volume total d’électricité produite par les centrales nucléaires déclaré par EDF, il ne contrevient pas aux dispositions de l’art. L. 336-1 du code de l’énergie. C’est pourquoi d’ailleurs, contrairement à ce qui est allégué, les pouvoirs publics n’avaient pas à suspendre l’ARENH dès lors que le volume global susceptible d’être cédé représentait 40% de la production prévue pour l’année 2022.

Si dans sa décision du 9 juin 2022, Société Oui Energy, n° 454294, le Conseil d’État a jugé, en se fondant sur la liberté de choix du fournisseur d’électricité, d’accès transparent, équitable et non discriminatoire à l’électricité produite par les centrales nucléaires et le développement de la concurrence, que la Commission de régulation de l’énergie ne pouvait pas modifier, pour les remettre en cause, les volumes d’ARENH déjà notifiés et suivis d’engagements fermes d’achat, il n’en va pas de même ici où existaient des tensions exceptionnelles sur les marchés de l'énergie ainsi que des hausses massives des prix au détail supportés par les consommateurs finals d'énergie, notamment ceux bénéficiant des tarifs réglementés, pouvant aller jusqu’à 130%, ce qui a obligé les pouvoirs publics à prendre des mesures urgentes et dérogatoires.

Au regard de ces caractéristiques imprévisibles, le caractère transitoire de l’augmentation du volume d’ARENH décidé en 2022 ne porte pas une atteinte excessive ou disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF qui détient le monopole d'exploitation du parc électronucléaire français.

L’arrêté du 11 mars 2022 fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret précité n’est pas, lui non plus irrégulier, les art. L. 337-14 et L. 337-16 du code de l’énergie prévoyant eux-mêmes que le prix de cession de l’électricité peut être révisé au vu de l'évolution du volume global maximal d'énergie cédé.

Le décret est sans portée rétroactive contrairement à ce qui est soutenu.

Au regard du droit de l’Union.

Le rehaussement du volume global alloué n’avait pas à faire l’objet d’une notification préalable à la Commission. Au contraire, « en imposant à EDF de céder une part de l'électricité produite par le parc nucléaire français et en offrant ainsi aux fournisseurs alternatifs la possibilité de réduire leurs coûts d'approvisionnement en électricité, favorisant de ce fait le développement de la concurrence sur le marché de l'électricité, l'ARENH doit être regardé comme un mécanisme opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs sur le marché français de l'électricité aux fins de favoriser la concurrence, et ne saurait par suite caractériser l'existence d'une aide au sens du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

En outre, en rehaussant, pour l'année 2022, eu égard aux tensions exceptionnelles sur le marché de l'électricité, à 120 TWh le volume global maximal d'électricité pouvant être cédé dans le cadre de l'ARENH, les actes attaqués répondent aux objectifs mentionnés à l'article 1er de la directive du 5 juin 2019 et, contrairement à ce qui est soutenu, ne méconnaissent pas ceux du paragraphe 4 de son article 3.

Par ailleurs, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'appui de leurs recours, des termes du g du 7 de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 qui concerne la fixation des prix de l'électricité fournie aux clients finals alors que les actes attaqués n'ont pas pour objet de fixer les prix de détail de l'électricité fournie aux clients finals mais instituent un droit d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique produite par l'opérateur historique au profit des fournisseurs alternatifs d'électricité selon des conditions, notamment tarifaires, définies par la loi et les règlements.

(03 février 2023, Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, n° 462840 ; Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF et autres, n° 463188 ; société d'importation Leclerc (SIPLEC), n° 463405 ; syndicat CFE-CGC Énergies Tricastin Provence et autres, n° 463530 ; Conseil de surveillance du FCPE Actions EDF et autres, n° 465735 ; société EDF, n° 466558, jonction)

 

58 - Fonds européen pour la pêche (FEP) – Aide financière aux investissements productifs en aquaculture – Contrôle administratif de l’utilisation de l’aide - Solde de l’aide non versé par l’État – Cassation et rejet.

Par convention conclue avec l’État, la société Medithau, requérante, a obtenu une aide financière dans le cadre du programme opérationnel du fonds européen pour la pêche (FEP) 2007-2013 relatif aux investissements productifs en aquaculture, pour la réalisation d'un projet de modernisation de structures d'élevage ostréicole et d'acquisition de matériel productif. Cette aide comportait, pour une part, des fonds communautaires du FEP et, pour une autre part, une aide de l'État au titre du contrat de plan État/région (CPER).

Suite à une demande de liquidation de l’aide, la société a reçu un avis de paiement en date du 29 décembre 2015 de l'Agence de services et de paiement. Puis, elle a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation du rejet implicite par le préfet de son recours gracieux contre cette décision de paiement. Ce dernier a rejeté toutes les demandes de la société ; celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Après avoir annulé cet arrêt pour insuffisance de motivation ainsi que le jugement dont les motifs avaient, sur ce point, été repris par la cour administrative d’appel, le Conseil d’État statue au fond sans renvoyer en vertu des dispositions de l’art. L. 821-2 CJA.

La demande d’annulation de la décision attaquée est rejetée.

D’abord il est jugé que la procédure suivie en l’espèce n’était pas irrégulière car la décision refusant, après examen du service fait, de verser à la société Medithau une partie de l'aide prévue était consécutive au dépôt par la requérante du dossier de liquidation de l'aide. En effet, faisant suite à une demande de la société tendant au versement de l'aide octroyée, cette décision n'était pas au nombre de celles soumises à procédure contradictoire en vertu des dispositions, alors applicables, de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. En outre, l'administration a informé la société requérante de l'organisation d'un contrôle sur place, puis, lors de deux réunions tenues avec elle, elle l’a informée des anomalies constatées lors de ce contrôle, la mettant ainsi en mesure de présenter ses observations. L'administration n'était donc tenue ni d'associer la société à ce contrôle, ni d'accéder à sa demande tendant à ce que ce contrôle se tienne au cours de la semaine du 3 août 2015, ni de lui adresser un procès-verbal de ce contrôle, ni de l'inviter formellement à présenter ses observations.

Ensuite, il résultait des stipulations de la convention que l'administration pouvait demander au bénéficiaire d'une aide au titre du fonds européen pour la pêche, lorsque l'exécution de son projet n'était pas terminée au 31 décembre 2014, d'établir un dossier qui devait permettre de liquider la subvention au prorata des dépenses éligibles effectivement réalisées à cette date, dans la limite des factures acquittées jusqu'au 28 février 2015, et réduire, le cas échéant, à due proportion, le montant de la subvention. Le Conseil d’État fait ici une déduction très logique de la sémantique en indiquant, d’une part, que l’expression « travaux réalisés » mentionnés par la convention impliquaient non seulement que le matériel acheté ait été acquis et livré mais également qu'il ait été installé sur l'exploitation au 31 décembre 2014 tandis que l’expression « facture acquittée » implique que le règlement correspondant devait avoir été encaissé par l'émetteur de la facture au plus tard le 28 février 2015. 

(07 février 2023, Société Medithau, n° 443980)

 

59 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Compétence et pouvoirs de sa commission des sanctions – Société de gestion de portefeuilles - Sanction de faits commis par le dirigeant d’une société antérieurement au retrait d’agrément de cette société – Rejet.

Pour la première fois, le juge déduit des dispositions combinées – alors en vigueur - des articles du code monétaires et financier relatives au pouvoir de sanction de la commission des sanctions de l’AMF (art. L. 621-15, L. 621-9 et L. 543-1) avec celles de l’article de L. 532-10 de ce code relatives au retrait d’agrément des sociétés de gestion de portefeuilles, que si les dispositions de l'art. L. 532-10 précité, qui prévoient qu'une société privée d'agrément peut être sanctionnée, elles n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le dirigeant d'une société ayant fait l'objet d'un retrait d'agrément soit sanctionné pour des faits antérieurs à ce retrait.

(17 février 2023, Société de gestion des fonds d'investissement de Bretagne et M. de Kersauson, n° 445507)

 

60 - Exercice par une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de son droit de préemption - Question préjudicielle – Absence d’indication dans le décret autorisant l’exercice par une SAFER de son droit de préemption des zones des départements concernées et de la superficie minimale des terrains pouvant être préemptés – Absence d’illégalité – Réponse en ce sens.

Interrogé par une juridiction judiciaire sur la légalité, au regard de l'art. L. 143-7 du code rural, du II de l'art. R. 143-1 de ce code et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH, du décret du 24 juin 2019 autorisant une SAFER à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire en ce que l'article 1er de ce décret ne précise ni les zones, au sein des départements qu'il vise, dans lesquelles le droit de préemption peut s'exercer, ni la superficie minimale des terrains pouvant être préemptés.

Prenant une grande liberté par rapport au texte du II de l’art. R. 143-1 du code rural, lequel dispose : « Le décret qui confère à une société d'aménagement foncier et d'établissement rural le droit de préemption mentionné par l'article L. 143-1 est pris sur proposition du ministre chargé de l'agriculture.

Il détermine les zones au sein desquelles le droit de préemption peut s'exercer et les circonscriptions administratives au sein desquelles elles se situent. Le cas échéant, il fixe pour tout ou partie de ces zones, la superficie minimale des terrains auxquels il peut s'appliquer.», le juge en donne une interprétation très assouplie. En effet, il considère que, sous réserve du double respect de la nature des biens concernés et des conditions requises, une décision de préemption peut porter sur des terrains se trouvant dans plusieurs départements sans être obligée d’indiquer celles des zones de ces départements qui sont concernées par l’exercice – qui reste tout de même exorbitant – du droit de préemption ni, non plus, la superficie minimale des terrains où la préemption est susceptible de s'appliquer.

Il n’est pas certain que la Cour EDH aurait une perception identique de la correction juridique de cette interprétation au regard des droits fondamentaux de propriété, de libre exercice d’une profession et autres.

(17 février 2023, MM. D. et autres et Sarl C., n° 467360)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

61 - Demande d’octroi par une caisse d’allocations familiales (CAF) d’une aide financière d’urgence – Compétence des juridictions judicaires pour connaître des litiges relatifs à l'application du droit de la sécurité sociale – Compétence s’étendant aux litiges individuels – Annulation du jugement critiqué et rejet des conclusions portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

La caisse requérante demande l’annulation d’un jugement qui a fait droit aux conclusions d’une demanderesse tendant à l’annulation du refus, par cette caisse, de lui allouer l’aide financière d’urgence qu’elle avait sollicitée auprès d’elle.

Le juge de cassation, suivant en cela la jurisprudence du Tribunal des conflits, estime que les conclusions de la demanderesse se rapportent à un litige qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative car il résulte des dispositions des art. L. 142-8 du code de la sécurité sociale que les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour connaître des litiges relatifs à l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole  et il en déduit qu’elles le sont aussi pour les litiges individuels portant sur des prestations que les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole servent à leurs assurés ou allocataires dans le cadre de l'action sanitaire et sociale que ces organismes exercent. 

Le jugement déféré à sa censure est annulé pour incompétence de l’ordre administratif de juridiction.

(1er février 2023, Caisse d’allocations familiales de l’Isère, n° 451989)

 

62 - Salariés travaillant selon des horaires non collectifs – Obligations de l’employeur – Sanction en cas de non-respect – Personnels employés sur deux sites mais selon un même horaire collectif – Sanction illégale – Annulation.

Il résulte notamment des dispositions des art. L. 3171-3, alinéa 1, et L. 3171-4 du code du travail que lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, ce dernier doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail.

En dehors de ce cas, il incombe à l’employeur d’établir quotidiennement et chaque semaine un décompte des heures accomplies par chaque salarié.

Suite à un contrôle, il a été infligé à la société La Poste une amende pour non-respect des obligations s’imposant en cas d’emploi de salariés ne travaillant pas selon le même horaire collectif. Sur recours de cette dernière la sanction a été annulée par le tribunal administratif ; la ministre requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de cette annulation.

Le Conseil d’État confirme la position des juges du fond en relevant que l'autorité administrative ne pouvait légalement infliger cette sanction à la société La Poste, s'agissant de salariés employés sur deux sites sur lesquels un même horaire collectif de travail, négocié par un accord collectif, avait été rendu opposable par voie de règlement affiché et adressé à l'inspection du travail. 

(1er février 2023, ministre du travail, de l’emploi et de la réinsertion, n° 457116)

 

63 - Hébergement d’urgence – Refus d’une proposition d’hébergement en dehors de Paris – Refus non justifié en l’espèce – Défaut d’urgence – Rejet.

Confirmation de l’ordonnance rejetant la requête d’une femme accompagnée de ses trois enfants mineurs dont l’une souffre d'une névralgie cervico-brachiale ainsi que de douleurs de son épaule et de son coude gauche, actuellement abrités dans un gymnase, tendant à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence et d’un accompagnement social. Cette personne a refusé au moins une proposition d’hébergement pérenne au motif que ce logement est situé en dehors de Paris où elle occupe un emploi, étant animatrice à la ville de Paris. Le juge estime ce motif non valable pour justifier son refus car cet emploi, d’une part, estl imité à six mois et, d’autre part, n’est pas suffisant pour permettre de subvenir aux besoins de quatre personnes alors qu’était offerte une solution pérenne dans une ville hors de la région Île-de-France où les enfants pourraient être scolarisée et l’enfant malade pourrait bénéficier d’un suivi médical approprié.

En l’absence d’urgence, l’action en référé liberté est rejetée.

(ord. réf. 1er février 2023, Mme C., n° 470648)

(64) V. aussi, confirmant le rejet en première instance d’une demande d’hébergement d’urgence pour un couple de ressortissants ivoiriens dont la femme est enceinte et qui est accompagnée d’une enfant de huit ans, se trouvant sans abri à la rue et ne disposant pas de moyens de subsistance propres, cela du fait de la saturation des services d’hébergement en Île-de-France en dépit d’une augmentation constante des lieux et des formes d’hébergement en raison d’une demande sans cesse croissante : ord. réf. 14 février 2023, Mme A. et M. C., n° 470897.

(65) V. en revanche, annulant le rejet opposé en première instance à des parents et à leurs deux enfants mineurs de trois ans et demi et de quinze mois, dont la fille a obtenu le statut de réfugiée en mars 2022, de la mise en œuvre à leur égard du dispositif d’hébergement d’urgence et l’application des mesures au titre du mécanisme « Grand froid » : ord. réf. 14 février 2023, Mme B. et M. C., n° 470852.

(66) V., dans le même sens que ci-dessus, confirmant l’ordonnance du premier juge, le rejet du recours de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) contre l’injonction faite au préfet d’accorder un hébergement d’urgence à un couple de ressortissants ivoiriens et à leurs deux enfants, de 3 et 8 ans, sans abri par grand froid, ce qui place cette famille « sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables » en dépit des difficultés, que le juge reconnaît, rencontrées par les services préfectoraux pour assurer cet hébergement et des efforts croissants faits en ce sens : ord. réf. 16 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471232.

(67) V. la solution semblable à la précédente, confirmant la décision du premier juge ordonnant l’hébergement d’urgence d’un homme sans abri depuis le 4 novembre 2022 et souffrant de graves pathologies de longue durée susceptibles, selon un certificat médical, d’entraîner, faute d’hébergement, des « complications mortelles » : ord. réf. 23 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471466.

(68) V. aussi, comme la précédente décision, confirmant l’ordonnance enjoignant d’offrir un hébergement à un couple d’ivoiriens sans abri depuis le mois de mai 2022 avec une enfant d’un peu plus de trois ans : ord. réf. 23 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471131.

 

69 - Service public du culte en Alsace et en Moselle - Pasteur de l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine – Destitution par son Église de rattachement – Absence de caractère de décision administrative – Refus de transmission d’une QPC.

La contestation par le requérant, pasteur de son état, de la destitution prononcée à son encontre par son Église de rattachement, l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL), soulevait deux questions distinctes, celle de la compétence du juge administratif pour connaître de ce recours et la QPC adossée à cette contestation.

En premier lieu, en Alsace et en Moselle le culte est un service public par l’effet du Concordat de 1801 : la loi du 9 décembre 1905 n’étant pas applicable dans cette région qui n’était plus française à cette date par suite des stipulations du traité de Francfort de 1871. Les pasteurs, comme les autres ministres du culte, y sont rémunérés sur fonds publics. Se posait donc la question de savoir si les sanctions adoptées par une Église à l’encontre d’un de ses ministres devaient être considérées comme prises dans et pour l’organisation dudit service public et si, constituant une décision administrative, leur contentieux relevait de la compétence du juge administratif. La réponse est, classiquement, négative (Section, 17 octobre 1980, sieur Pont, n° 13567, au Recueil Lebon, à propos d’un aumônier d’hôpital protestant ; 17 octobre 2012, Raymond B. c/ Évêque de Metz, n° 352742, au Recueil Lebon) : les décisions prises par les différentes Églises en matière d’organisation de leurs cultes respectifs ne constituent pas des décisions administratives.

En second lieu, le requérant soulevait une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur ce que les articles organiques, pour les cultes protestants, de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, en particulier les articles 25, 33, 34 et 44, tels qu'interprétés par le juge administratif de manière constante, seraient entachés d'incompétence négative et porteraient atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif en ce qu'ils ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions de destitution prononcées par le directoire de l'EPCAAL à l'encontre des pasteurs et contre les décisions refusant de les réintégrer et de leur verser leur rémunération. Ce moyen incident est rejeté. D’abord, une QPC ne peut être dirigée contre des dispositions de nature réglementaire or tel est le cas des articles organiques ajoutés à la loi du 18 germinal an X, ce qui suppose, selon le Conseil d’État, existante dès 1801 la distinction de la loi et du règlement puisqu’est ici expressément invoqué l’art. 37 de la Constitution sur la base duquel n’a été pris aucun article organique depuis 1801…La QPC est donc rejeté de ce chef. Ensuite, une telle question ne peut concerner que l’atteinte à un droit ou une liberté garanti par la Constitution de 1958 non par une législation antérieure à cette dernière, ainsi desdits articles organiques. Enfin, le droit à recours effectif invoqué par le requérant n’implique pas ipso facto la compétence du juge administratif pour connaître des mesures prises en matière d’organisation interne des cultes.

(06 février 2023, M. C., n° 468425)

(70) V. aussi, identique : 06 février 2023, Mme D., n° 468426.

 

71 - Organismes chargés du recouvrement des cotisations et contributions sociales (art. L. 243-7 du code de la sécurité sociale) – Régime des contrôles effectués par eux – « Charte du cotisant contrôlé » - Dispositions relatives aux investigations sur support dématérialisé – Annulation.

Dans le cadre du droit de contrôle dont disposent les organismes chargés du recouvrement des cotisations et contributions sociales en application de l'art. L. 243-7 du code de la sécurité sociale, est prévue une information des personnes contrôlées sur l’existence d’une « Charte du cotisant contrôlée ».  Un arrêté du ministre de la santé a fixé le modèle de la « Charte du cotisant contrôlé » dans lequel figure un paragraphe intitulé « Les investigations sur support dématérialisé ». Celui-ci comporte notamment les indications suivantes : « Lorsque les documents et documents nécessaires à l'agent chargé du contrôle sont dématérialisés, les opérations de contrôle peuvent être réalisées par la mise en œuvre de traitements automatisés sur son matériel professionnel », des copies, faites au format informatique demandé par l'agent chargé du contrôle, des documents, données et traitements nécessaires à l'exercice de contrôle devant alors être mises à la disposition de celui-ci. Il indique également qu' « En cas de refus écrit ou d'impossibilité avérée », les traitements automatisés devront être réalisés sur le propre matériel du cotisant contrôlé, soit que ce dernier les réalise lui-même, en en produisant les résultats au format et dans les délais indiqués par l'agent, soit qu'il autorise l'agent chargé du contrôle à les faire, lui-même ou par l'intermédiaire d'un utilisateur désigné par le cotisant contrôlé. 

Or, relève le Conseil d’État, « La présentation ainsi faite, en mettant en avant la possibilité que les investigations sur support dématérialisé soient réalisées sur le matériel professionnel de l'agent de contrôle à partir de copies fournies à ce dernier par le cotisant contrôlé et en ne faisant pas état de la possibilité que les traitements automatisés soient réalisés sur le propre matériel du cotisant contrôlé que dans l'hypothèse d'un refus écrit par celui-ci ou d'impossibilité avérée de mise en œuvre d'un traitement sur le matériel de l'agent de contrôle, sans rappeler la procédure, prévue par les dispositions de l'art. R. 243-59-1 du code de la sécurité sociale, selon laquelle il peut être recouru au matériel informatique utilisé par la personne contrôlée ni le droit pour cette dernière, également prévu par ces dispositions sous certaines conditions, de s'y opposer, méconnaît le sens et la portée des dispositions de l'art. R. 243-59-1 du code de la sécurité sociale. »

Ce paragraphe est annulé.

(17 février 2023, Association Le Cercle Lafay, n° 464155)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

72 - Élections départementales – Présentation irrégulière d’un compte de campagne – Production postérieure d’un relevé bancaire – Rejet du compte et inéligibilité annulés.

Les membres d’un binôme voient leur compte de campagne rejeté assorti de l’inéligibilité prononcée à leur encontre au motif  qu’ils n'avaient pas joint le relevé des opérations effectuées sur le compte bancaire ouvert par leur mandataire financier au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai légal, et n'ont pas davantage fourni ce document dans le cadre de l'instruction menée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ni répondu à sa demande concernant la justification de leurs frais de transport.

Toutefois, le Conseil d’État annule le jugement prononçant ces deux sanctions, en retenant, comme il l’a déjà fait à plusieurs reprises, que le compte de campagne a été établi par un expert-comptable et que les intéressés ont produit ce relevé bancaire à l'appui de leur mémoire en défense devant le tribunal administratif, permettant ainsi de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec les opérations qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaît.

(06 février 2023, M. A. et M. D., Élections départementales du canton de Plestin-les-Grèves, n° 465379)

 

Environnement

 

73 - Implantation d’éoliennes en zone urbaine – Refus d’y apercevoir une zone urbanisée – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les faits de l’espèce et les pièces du dossier qui lui sont soumis et encourt annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour annuler un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes sur le territoire d’une commune s’est fondé sur l’art. L. 121-8 du code de l’urbanisme car cette zone ne constituait pas une zone déjà urbanisée, caractérisée par un nombre et une densité significatifs de construction alors que, relève le juge de cassation, le terrain d'assiette du projet litigieux est situé en continuité avec une vaste zone industrielle de plus de cent hectares, dont 50 hectares sont occupés par une usine de conversion et de purification du minerai d'uranium, avec 24 hectares de surface bâtie comportant plusieurs bâtiments, et une dizaine de bassins de décantation et d'évaporation. Cette usine est elle-même en continuité avec le hameau des Amarats, où sont implantés une station d'épuration, un parc photovoltaïque et un poste électrique.

(17 février 2023, Société le Soleil participatif, n° 452346 ; ministre de la transition écologique, n° 452499)

 

74 - Détention d’animaux d’espèces non domestiques – Absence de prise en compte des animaux nés dans l'élevage demeurant au stade juvénile – Méconnaissance de l’art. L. 412-1 c. env. – Annulation.

Méconnaît les exigences découlant de l’art. L. 412-1 du code de l’environnement l’arrêté exceptant de la formalité de la déclaration ou de la soumission à autorisation « les animaux nés dans l'élevage (…)  tant qu'ils sont au stade juvénile » car le législateur impose au pouvoir réglementaire de soumettre à déclaration préalable ou à autorisation préalable en raison de la gravité de leurs effets la capture, la détention, la cession, l'importation et l'exportation des animaux d'espèces non domestiques sur l'état de conservation de ces espèces et des risques qu'ils présentent pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques.

(17 février 2023, Association One Voice, n° 453843)

 

75 - Enseignes de publicité lumineuses et enseignes lumineuses – Obligation d’extinction nocturne – Absence d’exception et absence de mesures transitoires – Rejet pour l’essentiel.

Le syndicat demandeur poursuivait l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du code de l'environnement relatives, notamment celles de l’art. R. 581-35 du code de l’environnement, aux règles d'extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses, spécialement ses articles 1er et 4.

La critique de l’art. 1er de ce décret portait sur ce qu’il rend applicable à l'ensemble du territoire français l'obligation d'extinction nocturne, entre 1 heure et 6 heures, des publicités lumineuses avec une exception pour celles installées sur l'emprise des aéroports sans étendre cette dernière aux dispositifs implantés dans l'emprise du marché d'intérêt national de Rungis. Le moyen est rejeté en raison des différences de destination, de nature d'activité et de fréquentation entre ces deux types d'installations et alors même que toutes deux ont en commun d'avoir une activité nocturne. 

Concernant l’art. 4, il était reproché au décret attaqué que l’art. R. 581-35 du code de l’environnement méconnait le principe de sécurité juridique en ce qu'il est immédiatement applicable et ne ménage pas de régime transitoire pour permettre aux professionnels d'intervenir sur les dispositifs d'éclairage des publicités lumineuses dont le fonctionnement n'est pas pilotable à distance car ils ne sont pas équipés d'un système permettant de programmer leur extinction entre 1 heure et 6 heures alors que les opérateurs les exploitant sont exposés à des amendes jusqu'à ce qu'ils aient été dotés d'un tel système. Observant que les professionnels étaient informés depuis le printemps 2021 de l’évolution future de la réglementation en la matière pour avoir été consultés sur le projet de décret au mois de mai 2021, le juge admet que cet art. 4 est cependant illégal en tant qu'il n'a pas différé d'un mois l'application de l'obligation d'extinction nocturne aux publicités lumineuses autres que celles supportées par du mobilier urbain dont le fonctionnement ou l'éclairage n’est pas pilotable à distance.

(24 février 2023, Syndicat national de la publicité extérieure (SNPE), n° 468221)

 

État-civil et nationalité

 

76 - Opposition à l’acquisition de la nationalité française – Défaut d’assimilation à la communauté française – Application régulière de l’art. 21-4 du Code civil – Rejet.

C’est par une exacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil que pour s’opposer à l’acquisition de la nationalité française par la requérante, le premier ministre a retenu son défaut d’assimilation à la communauté française résultant notamment des propos qu'elle a tenus au cours des entretiens menés par les fonctionnaires de la préfecture de l'Oise chargés de l'instruction de son dossier et de ce qu’elle adopte un mode de vie et des positions incompatibles avec les valeurs essentielles de la République française, notamment l'égalité entre les hommes et les femmes.

(06 février 2023, Mme B., n° 459152)

 

77 - Naturalisation – Décret la rapportant – Fraude – Rejet.

Le premier ministre n’a pas fait une inexacte application de l’art. 27-2 du Code civil en rapportant, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude par son service, le décret de naturalisation de la requérante, ressortissante sénégalaise, par le motif que celle-ci avait menti sur sa situation familiale en ne signalant pas le changement de cette situation du fait de son mariage avec un ressortissant sénégalais résidant habituellement à l’étranger.

Eu égard, au surplus, au fait qu’elle est titulaire d'un master de droit, sciences, économie, gestion et qu’elle exerce la profession de juriste, cette dissimulation ne peut être que volontaire.

(06 février 2023, Mme C., n° 463006)

 

78 - Déchéance de la nationalité française – Acte de terrorisme – Décision soumise à l’obligation de motivation – Gravité des faits – Rejet.

Le Conseil d’État rejette un recours dirigé contre un décret portant déchéance de la nationalité française pour faits de terrorisme.

Ce motif de déchéance, légal et légitime, est attesté par les faits relatés dans un jugement de TGI ayant condamné le requérant pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme du fait d’avoir assisté ses fils lors de leur départ en zone syro-irakienne pour rejoindre les rangs de l'organisation terroriste « État islamique », de leur avoir apporté un soutien logistique et financier pendant leur engagement sur place et d’avoir facilité le départ de France de deux jeunes femmes afin qu'elles rejoignent ses fils. 

Par ailleurs le décret attaqué satisfait aux exigences de motivation requises.

Enfin, il ne porte pas d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée du fait de la gravité du comportement du requérant.

(10 février 2023, M. B., n° 458130)

 

79 - Opposition à changement de nom – Autorisation de changement de nom donnée par le garde des sceaux en exécution d’une décision de justice définitive – Absence d’effet sur le droit de faire opposition à ce changement (art. 61-1 C. civ.) – Rejet.

Le garde des sceaux a opposé un refus à une personne ayant demandé à changer son nom patronymique en celui d’Arbellot de Rouffignac. Ce refus ayant été annulé par un arrêt définitif de cour administrative d’appel, le garde des sceaux a été contraint, en exécution de cet arrêt, d’accorder le changement de nom sollicité. Le requérant a formé opposition à ce changement de nom. Le Conseil d’État juge recevable (mais non fondée en l’espèce) une telle opposition, formée sur le fondement de l’art. 61-1 du Code civil, tous moyens pouvant être invoqués à l’appui de cette opposition en dépit de l’existence d’un tel arrêt.

(24 février 2023, M. X. Arbellot de Rouffignac, n° 465061)

 

Étrangers

 

 

La CNDA fâchée avec les règles de procédure contentieuse ?

 

Plusieurs décisions de ce mois de février attirent l’attention sur des irrégularités de procédure survenant avec une certaine fréquence devant la Cour nationale du droit d’asile. Il est vrai que celle-ci statue souvent dans des conditions et sur des cas difficiles ainsi que sur la base de textes enchevêtrés et pas toujours cohérents tantôt entre eux tantôt par rapport au droit commun processuel.

 

Ainsi, sont annulées pour ce motif plusieurs décision rendues par la Cour :

 

80 - L’abstention de la Cour de viser une note en délibéré pourtant adressée à elle, au moyen de l'application CNDém@, après l’audience et avant la lecture de sa décision : 06 février 2023, M. A., n° 461644.

 

81 - L’ordonnance d’un magistrat de la Cour, rendue quatre jours après notification à l’intéressé de son admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale, rejetant sa requête car celle-ci ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision du directeur général de l'OFPRA, alors que l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle n'avait pas encore produit de mémoire et sans l'avoir mis en demeure de le faire en lui impartissant un délai à cette fin : 06 février 2023, M. B., n° 461765.

 

82 - L’appel d’une affaire à l’audience après l’octroi d’une aide juridictionnelle totale au demandeur sans qu’en soit avisé l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation désigné pour le représenter à l’audience et sans que ce dernier ait été mis à même de produire en défense : 06 février 2023, M. B., n° 467793.

 

83 - Le rejet par la Cour d’une même demande une seconde fois alors qu’elle ne pouvait statuer à nouveau sur le litige dont elle était saisie par la demande susvisée, lequel avait le même objet, la même cause et émanait de la même requérante que celui qu’elle avait déjà définitivement jugé : 06 février 2023, Mme A., n° 463862.

 

84 - L’ordonnance rejetant la demande du requérant le 22 septembre 2021 alors qu’il avait été informé que son affaire était inscrite à l'audience publique du 28 septembre 2021 et que la date de clôture de l'instruction avait été fixée au 23 septembre 2021, méconnaissant ainsi le principe du contradictoire : 10 février 2023, M. A., n° 458588.

 

85 - Rétablissement d’un individu dans la qualité de réfugié – Invocation de l’ancienneté des faits reprochés – Rejet de la qualification pénale retenue pour ces faits – Qualification inexacte des faits – Annulation.

L’OFPRA reproche à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) d’avoir annulé sa délibération rejetant la demande de réexamen de la demande d'asile présentée par un étranger encourant une peine d’emprisonnement pour trafic d’être humain, et de l’avoir rétabli dans la qualité de réfugié.

La CNDA avait retenu l’ancienneté des faits reprochés, la modestie des sommes récoltées par ce trafic, l’absence de dimension internationale du trafic et elle rejetait la qualification donnée à l’infraction par une chambre de l’instruction.

Le Conseil d’État est bien évidemment à la cassation, apercevant dans cette décision une inexacte qualification des faits, car l’ancienneté des faits n’efface pas la nature juridique du comportement litigieux comme « crime grave de droit commun et surtout la CNDA, en vertu du principe que le criminel tient le civil en état, ne saurait remettre en cause la qualification à laquelle la chambre de l'instruction procède lorsqu'elle statue, par une décision juridictionnelle sur le fondement des dispositions de l'art. 695-31 du code de procédure pénale, sur une demande d'exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires d'un autre État membre de l'Union, la Hongrie en l’espèce, en vue de l'exécution d'une condamnation définitive prononcée par ces dernières, après avoir vérifié que ces faits constituent une infraction au regard de la loi française ou relèvent de l'une des catégories énumérées à l'art. 694-32 du code de procédure pénale.

(08 février 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 463014)

 

86 - Circulaire relative à l’exécution des obligations de quitter le territoire (OQTF) – Inscription des personnes concernées dans deux fichiers (FPR et N-SIS II) – Conséquences devant être tirées de l’inscription à ces fichiers – Rejet.

Statuant en formation collégiale en état de référé, le Conseil d’État rejette ici le recours tendant à la suspension de l’exécution de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention.

Le premier moyen d’illégalité était tiré de ce que cette circulaire ordonnerait l'inscription des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans le fichier des personnes recherchées (FPR) et le système national d'information Schengen (N-SIS II).

Ce moyen est rejeté en deux temps.

D’abord, il résulte des dispositions du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées qu’elles autorisent l'autorité administrative à inscrire à ce fichier les étrangers faisant l'objet d'une OQTF exécutoire, que cette obligation soit ou non assortie d'un délai de départ volontaire, et que ce dernier soit expiré ou non. Ainsi c’est sans violer ces dispositions que l’auteur de la circulaire attaquée a invité les préfets à procéder à l'inscription au FPR des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.

Ensuite, il résulte des dispositions de l’art. R. 231-6 du code de la sécurité intérieure que l'étranger obligé de quitter le territoire ne peut être inscrit au N-SIS II s'il ne fait en outre l'objet d'une interdiction de retour. Or le point 5 de la circulaire litigieuse dispose que si les OQTF et les interdictions de retour doivent être inscrites au FPR, seules ces dernières doivent faire l'objet d'un versement au N-SIS II. Ainsi c’est sans violer ces dispositions réglementaires que l’auteur de la circulaire attaquée a invité les préfets à procéder à l'inscription au N-SIS II des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français mais pas d'une interdiction de retour.

Le second moyen d’illégalité portait sur les conséquences que la circulaire invite les préfets à tirer de l’irrégularité du séjour d’un étranger. En particulier, il est invoqué que la circulaire, en prescrivant aux préfets « de prendre systématiquement des OQTF à l'égard de tout étranger en situation irrégulière, de rejeter toute demande de délai de départ volontaire, de systématiquement assigner à résidence ceux des intéressés qui ne seraient pas déjà placés en rétention administrative et de veiller à ce que soient tirées les conséquences de l'irrégularité de leur séjour sur les droits sociaux et prestations dont ils bénéficient », porterait une atteinte grave et illégale à la situation des personnes concernées, notamment en les privant de leur liberté d'aller et venir, en rendant impossible la poursuite de leur activité professionnelle et en les privant de moyens de subsistance. Pour rejeter l’argument et dans une rédaction quelque peu embarrassée, les juges – qui reconnaissent que « les prescriptions adressées aux préfets par la circulaire contestée pourraient les conduire, si elles étaient lues sans discernement, à prendre des mesures individuelles méconnaissant certaines dispositions du (CESEDA) » -  estiment qu’il n’y a pas urgence à suspendre l’exécution de ce texte sur ce point en dépit de ce qui précède, et retiennent, d’une part, qu’il n’a pas été constaté une modification significative des pratiques des préfectures en cette matière depuis l’édiction de cette circulaire (sic) et qu’en toute hypothèse la menace prétendue se réaliserait au moyen de décisions individuelles prises pour son application que les intéressés peuvent attaquer devant les juridictions administratives y compris en assortissant leurs requêtes d’une demande de suspension en urgence.

(ord. réf., form. coll., 10 février 2023, Association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), association Ligue des droits de l'homme, association Utopia 56, association Avocats pour la défense des droits des étrangers et Syndicat des avocats de France, n° 470573)

 

87 - Expulsion d’un ressortissant kosovar – Retrait de la carte de résident – Menace grave pour l’ordre public – Rejet.

Pour rejeter le recours en référé liberté formé par un ressortissant kosovar à l’encontre de l’arrêté préfectoral ordonnant son expulsion vers le Kosovo ainsi que le retrait de sa carte de résident, le Conseil d’État, après avoir relevé que celui-ci ne saurait se prévaloir d’une résidence régulière en France de dix ans compte tenu de la déduction d’un cumul de neuf années d’incarcération, expose en ces termes la justification que la décision contestée ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ni une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de ses enfants. 

« M. A. a fait l'objet de dix-sept condamnations par les juridictions pénales, notamment pour des faits de violence commis à l'encontre de sa compagne ou de son ancienne compagne, de conduite de véhicule sans permis, de menace de mort et de port sans motif légitime d'une arme blanche de catégorie D. L'intéressé n'exerce aucune activité professionnelle, et a indiqué devant le juge des libertés et de la détention qu'il était divorcé de Mme B. Il ne résulte pas de l'instruction (…) qu'il contribuerait à l'éducation et à l'entretien effectif de ses deux enfants mineurs ni qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. »

La réponse circonstanciée du juge se passe de commentaires.

(15 février 2023, M. A., n° 470830)

 

88 - Demande de titre de séjour – Absence de qualité de parent d’un mineur français – Nécessité de contribuer à son entretien et à son éducation – Insuffisance – Rejet.

Commet une erreur de droit quant à l’interprétation de l’art. L. 313-11, 6° du CESEDA, l’arrêt qui annule le refus préfectoral d’accorder un titre de séjour « vie privée et familiale » à une personne établissant qu’elle contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation d’un enfant mineur français alors qu’il convenait d’établir également si tel était le cas de l’homme auteur de la reconnaissance de paternité de cet enfant et qui n’était pas demandeur du titre de séjour.

(17 février 2023, ministre de l’intérieur, n° 450924)

 

89 - Avis de droit – Refus de la reconnaissance qualité de réfugié et de la protection subsidiaire suivi d’OQTF (4° de l’art. L. 611-1 du CESEDA) – Demande postérieure d’un titre de séjour – Refus pouvant être assorti à nouveau d’une OQTF – Décisions réputées rendues concomitamment – Régime contentieux de l’OQTF.

Répondant à une demande d’avis de droit (cf. art. L. 113-1 CJA) portant sur les conditions et effets d’application de l'art. L. 611-1 du CESEDA, le Conseil d’État indique que dans l’hypothèse où un étranger, à qui a été refusée la reconnaissance de la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire et qui a fait l'objet d'une ou, le cas échéant, de plusieurs obligations de quitter le territoire français fondées sur le 4° de cet article, et qui a ensuite présenté une demande tendant à la délivrance ou au renouvellement d'un titre de séjour, l’administration peut assortir le refus qu'elle est susceptible d'opposer à cette demande d'une obligation de quitter le territoire français fondée sur le 4° de cet article. 

Les deux décisions, celle relative au séjour et celle comportant obligation de quitter le territoire français dont elle est assortie doivent être regardées comme intervenues concomitamment au sens du dernier alinéa de l'art. L. 614-5 du CESEDA. Il en résulte que le contentieux de la décision relative au séjour soulevé à l'occasion d'un recours contre l'obligation de quitter le territoire français suit le régime contentieux applicable à cette dernière tel que prévu par cet article et cela alors même que cette dernière décision a pu être prise également sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du même code.

(21 février 2023, M. A., n° 468799)

 

90 - Décision d’instruire une demande d’asile en « procédure accélérée » et non en « procédure normale » - Saisine du juge du référé liberté – Rejet.

Un requérant ne saurait saisir le juge du référé liberté d’une demande tendant à contester le classement d'une demande d'asile en procédure « accélérée » et non en « procédure normale » ainsi qu’il résulte tant des dispositions du CESEDA que des effets propres d’une telle décision de classement.

(ord. réf. 22 février 2023, M. A., n° 470820)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

91 - Agent public territorial – Candidature à un emploi sur mutation dans une autre commune – Absence d’information donnée à cette commune sur l’existence d’une procédure pénale visant la candidate pour infractions commises dans l’exercice de fonctions analogues – Silence sans caractère frauduleux – Annulation.

Le Conseil d’État juge que commet une erreur de droit une cour administrative d’appel qui estime légal le retrait par une commune de sa décision d’accepter la mutation d’un agent public territorial vers cette commune motif pris de ce que cette dernière aurait commis une faute en manquant à son devoir de probité pour avoir dissimulé à la commune qu'elle faisait l'objet d'une enquête pénale pour abus de confiance portant sur des faits commis dans l'exercice de fonctions analogues à celles qu’elle allait exercer par l’effet de sa mutation.

Le Conseil d’État juge qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne faisant obligation à un fonctionnaire d'informer la collectivité publique auprès de laquelle il postule dans le cadre d'une procédure de mutation de l'existence d'une enquête pénale le mettant en cause, celui-ci ne peut être regardé comme ayant commis une fraude en n'en faisant pas état. Cette solution est d’autant plus surprenante qu’implicitement il est également jugé que n’existe aucun principe général du droit non plus qu’aucun principe déontologique imposeant à un agent public une loyauté minimale envers un futur employeur.

Il est à remarquer, en outre, que la décision de retrait prise par le maire de la commune l’a été après que l’agent a été condamnée par le tribunal correctionnel à emprisonnement avec sursis pour abus de confiance.

(03 février 2023, Mme A., n° 441867)

 

92 - Recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire – Nécessité de sept ans au moins d’activités professionnelles idoines à l’exercice des fonctions judiciaires – Conseiller prud’homme – Condition non remplie – Rejet.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que le ministre de la justice estime que les activités de conseiller prud'homme dont se prévaut le requérant ne permettaient pas, à elles seules, de regarder comme remplie la condition, posée par les textes en vue d’un recrutement comme magistrat exerçant à titre temporaire, de justifier de sept années au moins d'exercice professionnel qualifiant particulièrement le candidat pour exercer des fonctions judiciaires, ce qui implique nécessairement qu'une partie substantielle de cette expérience relève du domaine juridique.

(03 février 2023, M. D., n° 458549)

 

93 - Décision refusant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire – Agent en droit de la percevoir – Obligation de motivation (art. L. 211-2 CRPA) – Annulation.

(03 février 2023, M. B., n° 459224)

V. n° 1

 

94 - Magistrat de la Cour des comptes – Poursuites et condamnation pénale – Agent en congé maladie – Régime de la mesure de suspension – Rejet.

Rappel tout d’abord de ce que la mesure conservatoire de suspension d’un agent public intervenue durant que celui-ci était en congé maladie ne peut entrer en vigueur qu’à l’issue dudit congé. Rappel ensuite que met fin à la mesure de suspension l’intervention postérieure d’un congé maladie sans que l’auteur de cette mesure soit privé du droit de la reprendre à nouveau au terme de ce congé.

La circonstance que l’employeur public, ici la Cour des compte, ne s’oppose pas au retour dans ses fonctions de l’intéressé après condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis, ne prive pas l’autorité compétente (ici le président de la république) du droit de le suspendre à nouveau.

(06 février 2023, M. B., n° 470618)

 

95 - Fonctionnaire détaché comme commandant de port auprès du port autonome (devenu grand port maritime) de Guadeloupe – Nommé ensuite commandant du port de Mayotte – Invocation de harcèlement moral – Étendue du contrôle du juge – Rejet.

Un officier de port, capitaine de port de 1ère classe, détaché pour une durée de cinq ans, auprès du port autonome de la Guadeloupe, devenu Grand port maritime de la Guadeloupe (GPMG) pour y exercer les fonctions de commandant de port, demande notamment l’annulation de l’arrêté ministériel mettant fin à ce détachement avant son terme. Il invoque à cet effet l’existence de faits de harcèlement moral, par ailleurs reconnus, mais entre des parties différentes, par jugement rendu en matière civile par la cour d’appel de Basse-Terre.

Le juge de cassation, qui statue ici après deux cassations, exerce en réalité le contrôle ordinaire d’un juge d’appel.

Il rejette en définitive le pourvoi en relevant que l’arrêt d’appel invoqué, de caractère non pénal, n’a pas autorité de chose jugée à l’égard du juge administratif, que la cause de la mesure prise et des difficultés rencontrées par l’intéressé était étrangère à tout harcèlement moral et, enfin, que certains dysfonctionnements résultent du comportement général du requérant.

(07 février 2023, M. B., n° 452441)

 

96 - Agent d’une chambre des métiers – Sanction – Indication devant la commission disciplinaire de l’exercice par l’intéressé de fonctions syndicales – Référence ne pouvant à elle seule être considérée comme viciant la sanction – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour annuler la sanction infligée à l’agent d’une chambre de métiers et de l’artisanat, retient qu’il a été fait mention devant la commission disciplinaire de ses fonctions syndicales alors qu’il incombait à la cour de rechercher si cette mention, qui était de caractère objectif, avait eu une influence sur l'avis émis par le conseil de discipline ou sur la décision prise par le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Bourgogne-Franche-Comté.

(07 février 2023, Chambre de métiers et de l'artisanat de région Bourgogne-Franche-Comté, n° 453183)

 

97 - Fonctionnaires et agents publics – Allocation temporaire d’invalidité – Nature d’une rente allouée aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles – Prise en compte en tant que ressources du foyer – Rejet.

Confirmant le jugement querellé devant lui, le Conseil d’État rappelle à nouveau quelle est la nature de l'allocation temporaire d'invalidité pour les fonctionnaires et agents publics.

Il constate, à juste titre, que cette allocation a pour objet de réparer, en cas de maintien en activité, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle de l’agent.

Il en déduit donc, que cette allocation doit être regardée comme une rente allouée aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles au sens du 7° de l'article R. 844-2 du code de la sécurité sociale et du 4° du I de l'article L. 842-8 de ce code.

En conséquence, et contrairement à ce que soutient la demanderesse, cette allocation est au nombre des ressources du foyer dont l'article L. 842-3 du code de la sécurité sociale prévoit qu'elles sont prises en compte pour l'appréciation du droit à la prime d'activité, soit en tant que revenu professionnel lorsque les conditions mentionnées à l'article L. 842-8 de ce code sont satisfaites, soit, à défaut, en tant que revenu de remplacement en application du 7° de l'article R. 844-2 du même code.

(15 février 2023, Mme A., n° 459030)

 

98 - Concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects – Épidémie de Covid-19 – Adaptation des épreuves – Demande d’annulation – Rejet.

En raison de l’épidémie de Covid-19, les ministres des finances et de la fonction publique ont adapté les épreuves du concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects organisé au titre de l'année 2020. En particulier, a été supprimée l'épreuve orale d'admission et l'épreuve écrite d'admissibilité est devenue l’unique épreuve d'admission.

La requérante, candidate malheureuse, demande l’annulation de cet arrêté interministériel.

Sa requête est rejetée.

Concernant la critique de l’absence de motivation de certains actes, le juge rappelle que n’avaient à être motivées ni l'arrêté adaptant les épreuves de ce concours, ni la décision du jury fixant la note minimale pour prononcer l'admission des candidats, ni non plus la délibération arrêtant la liste des candidats admis.

Ensuite, il était possible pour les ministres de procéder aux adaptations querellées alors que le déroulement des épreuves du concours avait déjà débuté car la pandémie est survenue précisément au cours de ce déroulement, le 12 mars 2020, et alors que celui-ci n’était pas achevé.

En ne prévoyant pas le recours à la visioconférence pour l’organisation de l’épreuve orale et en supprimant purement et simplement celle-ci, les ministres défendeurs n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation alors même que cette solution par visioconférence a été retenue pour l’organisation d’épreuves orales dans le cadre d’autres concours administratifs.

Enfin, le juge précise un élément important du droit des concours et qui est souvent ignoré tant par les administrations organisatrices que par les jurys et les candidats.

L'institution de notes éliminatoires pour chaque épreuve fait partie de la réglementation du concours et doit être arrêtée par l'autorité investie du pouvoir réglementaire, en revanche, la fixation d'une note minimale pour prononcer l'admission des candidats relève de l'appréciation souveraine du jury sur la valeur des candidats.

En l’espèce, le jury du concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects était donc compétent pour fixer le nombre de points que devaient obtenir les candidats pour être admis.

(14 février 2023, Mme A., n° 452995)

 

99 - Ouvrier de l’État - Exposition à l’amiante – Préjudice d’anxiété – Point de départ de la prescription du droit à réparation – Annulation et rejet.

Le demandeur, ouvrier d'État employé au sein du service des parcs combustibles de la direction du commissariat de la marine nationale de la base navale de Fort-de-France, est éligible, à raison de son exposition aux poussières d’amiante, à une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) dont le régime est fixé par le décret du 21 décembre 2001.

Il a demandé la réparation de son préjudice d’anxiété du fait de son éligibilité à l’ASCAA et a saisi le tribunal administratif après le rejet de sa demande préalable par la ministre des armées. Cette dernière se pourvoit contre le jugement ayant accordé au demandeur l’indemnisation du préjudice d’anxiété.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi en raison de la prescription de la créance de l’intéressé sur l’État.

Suivant un schéma de raisonnement désormais bien établi en cette matière, le juge rappelle que le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un ouvrier d'État éligible à l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, « naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ». Le juge estime donc que c’est la publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel qui est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante.

En l’espèce, c’est un arrêté du 21 avril 2006, publié le 10 mai, qui a fixé la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une ASCAA à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense. Il s’ensuit que c’est à cette date que le demandeur doit être réputé avoir pris conscience du risque générateur de son préjudice d’anxiété. Par application de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale, la prescription était acquise le 31 décembre 2010 soit antérieurement à sa demande d’indemnisation formée le 10 juin 2020.

C’est ainsi par suite d’une erreur de droit que le tribunal administratif a écarté l’exception de prescription quadriennale soulevée devant lui par la ministre des armées.

(14 février 2023, ministre des armées, n° 461094)

 

100 - Création de l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie - Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay – Règles de représentation du personnel – Rejet.

(14 février 2023, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles (CGT-Culture), n° 461976)

V. n° 138

 

101 - Fonctionnaire territorial – Sanction disciplinaire réduite par le conseil de discipline de recours – Employeur public demandant la suspension d’exécution de cette réduction de sanction – Rejet pour défaut d’urgence – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

La collectivité requérante avait demandé la suspension de la décision du conseil de discipline de recours ayant commué la révocation d’un agent public territorial en exclusion temporaire des fonctions pour deux ans. Sa demande a été rejetée pour défaut d’urgence.

Sur pourvoi de la collectivité, le Conseil d’État annule ce rejet.

Pour dire fondée la demande de la communauté d’agglomération de suspendre la nouvelle sanction disciplinaire, le Conseil d’État retient d’abord que comme l’affirme celle-ci, l'exécution de l'avis du conseil de discipline de recours aurait pour effet d'obliger la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne à réintégrer l’intéressé dans ses effectifs puisque, d'une part, elle ne peut prononcer une sanction plus sévère que celle résultant de l'avis du conseil de discipline de recours et que, d'autre part, l'intéressé n'exerce plus ses fonctions depuis plus de deux ans. Compte tenu, outre des restrictions médicales qui limitent ses possibilités d'affectation, de la gravité des faits d'agression physique et verbale reprochés à l'intéressé à l'encontre de son supérieur hiérarchique, chef du service mécanique, et du comportement violent dont il a déjà fait preuve à l'égard de ses supérieurs ou de ses collègues de travail, ayant donné lieu précédemment à sanction disciplinaire, la communauté d'agglomération est fondée à soutenir qu'en jugeant que la réintégration de l’intéressé dans ses effectifs n'était pas susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de ses services, pour en déduire que cette réintégration ne créait pas une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du CJA de nature à justifier la suspension de la décision contestée, le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis.

Est donc prononcée l’annulation du refus d’ordonner la suspension sollicitée, décision du conseil de discipline de recours est ainsi suspendue. Enfin le juge estime qu’existe un doute sérieux sur la légalité de la décision de la commission de discipline de recours ramenant à une suspension temporaire de deux ans une sanction de révocation définitive.

(14 février 2023, Communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne, n° 468821)

 

102 - Fonctionnaire territorial détaché auprès d’une collectivité ou d’un établissement – Fin, anticipée ou non du détachement – Droit à réintégration dans la collectivité d’origine – Impossibilité de réintégration – Faculté de demander un congé spécial ou une indemnité de licenciement à la collectivité d’exercice du détachement – Substitution de motif – Confirmation.

Un litige opposait un centre de gestion de la fonction publique territoriale à une communauté d’agglomération sur la charge finale du versement à un fonctionnaire communal détaché des rémunérations lui étant dues du fait de sa décision de mettre fin avant le terme prévu à son détachement auprès d’elle.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler que « (…) les personnes morales de droit public ne peuvent être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas, cette interdiction étant d'ordre public et devant être soulevée d'office par la juridiction à laquelle une telle condamnation est demandée. »

Ce qui fait cependant le principal intérêt de la décision concerne le régime de reclassement et de prise en charge des fonctionnaires territoriaux dont le détachement sur un emploi fonctionnel a pris fin. C’est là, en pratique, une question récurrente et d’une très grande portée concrète en raison du nombre de situations de ce type se rencontrant au sein des collectivités et établissements territoriaux.

La réponse ici donnée l’est en termes de principe faisant ainsi ressortir son caractère nouveau.

L’hypothèse est celle de la fin du détachement d’un fonctionnaire territorial (ici municipal) sur un emploi fonctionnel mentionné à l'art. 53 de la loi du 26 janvier 1984, lorsque cet achèvement a lieu à l'initiative de la collectivité ou de l'établissement (ici une communauté d’agglomération) au sein de laquelle ou duquel il est détaché sur un tel emploi.

La question est celle de savoir à qui incombe in fine la charge des rémunérations versées au fonctionnaire détaché à partir de l’achèvement du détachement tant que celui-ci n’est pas réintégré dans son cadre d’emploi : à la collectivité d’origine ou à la collectivité de détachement ?

Avant de donner sa réponse le juge précise que celle-ci n’a pas à tenir compte de ce que cette fin de fonctions est intervenue avant le terme normal du détachement ou résulte du non-renouvellement de celui-ci. Ceci est normal car la réintégration doit intervenir à l’issue de la période, pleine ou interrompue, du détachement.

Le principe, au demeurant très logique, posé par l’art. 53 précité est que ce fonctionnaire est réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine en application de l'article 67 de la même loi.

Cependant, dans l’hypothèse ou sa collectivité ou établissement d'origine n'est pas en mesure à cette date de le réaffecter sur un tel emploi, le fonctionnaire est en droit, dans les conditions prévues par l'article 53 précité, de demander à l’entité auprès de laquelle il occupait l'emploi fonctionnel par l’effet du détachement de bénéficier, à son choix, d'un reclassement, d'un congé spécial ou d'une indemnité de licenciement.

Le juge estime que le choix par l’agent de s’adresser à l’entité d’exercice du détachement sur le fondement de l’art. 53 exclut que puisse ensuite lui être appliquées les dispositions de l'article 67 de la loi du 26 janvier 1984.

Par ailleurs, il décide que pour l’application de cette solution il n’y a pas lieu de vérifier si la collectivité employeur, ici la commune, était en mesure de réintégrer l’agent dans ses effectifs au moment où il a formulé cette demande de congé spécial. C’est donc à bon droit que le centre de gestion requérant a réclamé auprès de la communauté d’agglomération.

Ceci nous semble laisser entière la faculté pour l’entité de détachement de se retourner ensuite, après remboursement au centre de gestion, contre la collectivité d’emploi d’origine pour l’inanité du motif qu’elle a avancé pour affirmer ne pas disposer d’emploi de réintégration ad hoc.

(10 février 2023, Centre interdépartemental de gestion de la grande couronne de la région Ile-de-France, n° 443616)

(103) V. aussi, jugeant que relève du juge administratif le litige né de ce qu’une commune a mis fin de manière anticipée au détachement auprès d’elle du demandeur, salarié de droit privé de la Caisse des dépôts et consignations, ce détachement résultant d’un contrat de droit public du fait de sa conclusion entre deux personnes publiques pour l'accomplissement d'une mission de service public administratif, à savoir la préfiguration du pôle municipal gérontologique et de l'autonomie : 10 février 2023, M. B., n° 448745.

 

104 - Agent contractuel à temps indéterminé d’un établissement public administratif (AEFE) - Demande de protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral allégués – Refus – Qualification des faits comme harcèlement – Annulation sans renvoi et rejet.

La demanderesse, responsable audiovisuelle, responsable iconographique et des productions audiovisuelles au sein du service communication et événements de l'agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), a saisi la directrice de cet établissement public administratif d’une demande de protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral de la part de son chef de service. Ceci lui a été refusé et, en vain, elle a saisi le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel d’une demande d’annulation de ce refus assortie de demandes d’indemnité en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de ce comportement.

Elle se pourvoit en cassation ; son pourvoi est rejeté.

Le juge de cassation rappelle la ligne jurisprudentielle qu’il a fixée en matière de litiges fondés sur un motif de harcèlement après que chaque partie a, pour la victime prétendue, fait état de faits en ce sens et, pour l’administration, montré que ces faits sont étrangers à des actes de harcèlement : « La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. (…) Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ».

Ensuite, il considère que la cour a, sans dénaturation, estimé que la circonstance qu’a finalement été octroyée à l’intéressée le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l’existence d’un traitement inégalitaire subi par elle, ne constituaient pas des faits de harcèlement.

En revanche, il annule l’arrêt d’appel en tant que, à propos des autres faits soulevés par la requérante, il a également rejeté cette qualification alors qu’ils étaient susceptibles de faire présumer l'existence de ce harcèlement moral et devaient être analysés sous cet angle.

Jugeant au fond, le Conseil d’État rejette finalement cette qualification, d’une part en raison de ce que le comportement managérial du chef de service, non exempt de reproches, était largement commandé par le comportement professionnel de la requérante et, d’autre part, en raison des efforts faits par l’AEFE pour une pacification de ces relations (autorisations d’absence sans incidence sur le traitement, propositions d’un congé de formation puis de différents poste au sein de l’AEFE, appui à sa candidature au sein de l'Institut français).

(14 février 2023, Mme C., n° 461247)

 

105 - Harcèlement grossier à connotation sexuelle – Actes répétés – Révocation – Invocation d’un état mental antérieur ayant conduit à ne pas exécuter une précédente décision de révocation – Absence d’irresponsabilité établie lors du nouveau harcèlement – Rejet.

Un agent territorial qui s’est rendu coupable tant à l’oral que par écrits de plusieurs propos ou documents « extrêmement déplacés, agressifs et dégradants, dont plusieurs ayant un caractère sexuel et comportant des menaces physiques, à l'une de ses collègues de la maison de la région à Béziers, à l'une de ses supérieures hiérarchiques et à une élue de la région, lesquelles ont porté plainte pour harcèlement moral », a été révoqué de ses fonctions par la présidente de la région Occitanie. L’agent requérant conteste la régularité et la juridicité de cette décision sans succès en première instance, avec succès en appel.

La région se pourvoit en cassation.

Délaissant diverses questions de procédure et de forme qui n’apportent pas au fond du litige au principal, il convient d’indiquer qu’une première fois, en 2008, pour des motifs semblables, l’intéressé avait fait l’objet d’une décision de révocation qui n’avait pas été exécutée compte tenu d’appréciations médicales d’ordre psychiatrique ayant conclu à son irresponsabilité au moment des faits qui lui étaient alors reprochés.

Se prévalant d’un état physique identique, l’intéressé demandait que soit annulée la décision de révocation : c’est cette argumentation qu’a retenue la cour administrative d’appel. Il est de jurisprudence classique que l’état mental puisse être retenu pour dégager l’agent de sa responsabilité ou pour que soit adoucie la sanction dont il a fait l’objet (pour une révocation jugée disproportionnée au regard de l’état de l’agent, v. 15 octobre 2020, M. Brunel, n° 438488 ; V. cette Chronique, octobre 2020 n° 97).

Toutefois, ici, le juge relève que durant la période de commission des faits reprochés ayant justifié la révocation, soit d’avril à septembre 2016, l'état de santé mentale de l’agent n'était pas de nature à altérer son discernement d’où s’ensuit le caractère non disproportionné de la sanction par la révocation.

(17 février 2023, région Occitanie, n° 450852)

 

Hiérarchie des normes

 

106 - Allocation gratuite de quotas d’émission de gaz à effet de serre - Référentiels de produits - Référentiels n'incluant plus la production de ciment d'aluminates de calcium - Directives de l’Union européenne – Règlement délégué d’exécution – Obligation de soumission de l’autorité nationale – Rejet.

Une entreprise produisant certaines variétés de ciments a demandé l’allocation à titre gratuit de quotas d’émission de gaz à effet de serre et a présenté à cet effet à la ministre défenderesse une demande d’inclure dans les référentiels d’éligibilité à cette allocation de quotas, le ciment d’aluminates de calcium. Elle attaque la décision de refus opposée par cette dernière et résultant du silence gardé sur la demande dont elle a été saisie.

Le recours est rejeté en raison de la compétence liée de la France en cette matière du fait que la Commission européenne a, par le règlement d'exécution 2021/447 du 12 mars 2021 déterminant les valeurs révisées des référentiels, pris en compte pour les valeurs des référentiels de « clinker » de ciment gris et blanc des données qui n'incluent plus la production de ciment d'aluminates de calcium, et en a tiré la conséquence que ce type de ciment ne pourrait plus entrer dans ces référentiels et se voir octroyer des quotas gratuits à ce titre. En conséquence, pour l’application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 10 bis de la directive 2003/87 du 13 octobre 2003 relatif à la détermination de référentiels pour l'allocation des quotas à titre gratuit, le règlement délégué (UE) 2019/331 de la Commission du 19 décembre 2018 prévoit 54 référentiels de produits, avec les valeurs de ces référentiels et les taux d'actualisation de ces valeurs pour la période courant de 2021 à 2030, de façon à garantir que les modalités d'allocation des quotas encouragent l'utilisation de techniques efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce règlement délégué a été complété par le règlement d'exécution (UE) 2021/447 de la Commission du 12 mars 2021 déterminant les valeurs révisées des référentiels. Il résulte de son article 4. et de l’art. 11 de la directive 2003/87 du 13 octobre 2003 que l'autorité nationale est tenue de mettre en œuvre le règlement d'exécution arrêté par la Commission déterminant les référentiels.

Ainsi, la ministre défenderesse ne pouvait que refuser la demande adressée par la société Imerys Aluminates et tendant à ce que la production de ciment d'aluminates de calcium soit maintenue dans les référentiels de « clinker » de ciments gris et blanc.

(17 février 2023, Société Imerys Aluminate, n° 452452)

 

Libertés fondamentales

 

107 - Établissements pénitentiaires de Guyane – Demandes de prise de mesures d’hygiène, de salubrité et de respect de la vie privée – Rejet.

Retour sur l’interminable et désolant feuilleton sur l’état des prisons guyanaises.

La requérante, tout aussi connue que les problèmes qu’inlassablement elle dénonce, demandait l’annulation d’une ordonnance rendue sur référé liberté rejetant diverses demandes qu’elle a formulées afin d’améliorer les conditions de vie des détenus dans un centre pénitentiaire.

Le Conseil d’État, statuant comme juge d’appel, rejette la requête.

Tantôt les demandes sont jugées sans objet car satisfaction leur a été ou est sur le point d’être donnée, tantôt elles le sont en considération des efforts faits par l’administration pour corriger ce qui peut l’être (cas de la création d’une nouvelle cuisine ou des des douches, extérieures comme intérieures, de la dératisation, de la lutte contre les insectes rampants tels que les cafards, de la distribution d’insecticides, de la protection de la vie privée, etc.).

(ord. réf. 06 février 2023, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 470228)

 

108 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.

(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)

V. n° 3

 

109 - Police des cultes – Police de l’ordre public – Dissolution d’associations d’exercice du culte et d’enseignement – Menaces pour l’ordre public – Notion d’agissements imputables à une association – Gravité et réitération de propos justifiant la décision contestée – Rejet.

(08 février 2023, Association Al Qalam et association allonnaise pour le Juste Milieu, n° 462120)

V. n° 112

 

110 - Ressortissant albanais conjoint d’une personne bénéficiant en France de la protection subsidiaire – Extradition – Personne condamnée par défaut – Exigence de sa présence devant la cour d’appel – Rejet.

Un ressortissant albanais, faisant l’objet depuis 2016 d’un mandat d’arrêt délivré par un tribunal de son pays et qui a été condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement pour meurtre avec préméditation et détention non autorisée ou fabrication d'armes militaires et munitions, demande l’annulation du décret du premier ministre autorisant son extradition à la demande des autorités albanaises pour être jugé en appel.

Tous les moyens soulevés au soutien de sa requête sont rejetés.

Tout d’abord, a été donnée l’assurance par l’Albanie que, conformément aux principes de l'ordre public français et aux conventions internationales signées par la France, qui imposent qu'en matière pénale, une personne condamnée par défaut puisse obtenir d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître, et à se défendre, l’intéressé pourra être rejugé en sa présence devant la cour d’appel de Tirana, la première sentence n’étant, en l’état, pas exécutoire. L’argument, invoqué par le requérant et tiré de l’absence de double degré de juridiction en matière criminelle, selon lequel seraient par-là violées des dispositions de la Convention EDH (art. 6) et de son protocole additionnel n° 7 (art. 2) est rejeté.

Ensuite, la circonstance que l’épouse du demandeur s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire sur le fondement de la Convention de Genève du 18 juillet 1951 et de la directive de l’Union du 13 décembre 2011, ne saurait faire par elle-même obstacle à l'exécution du décret attaqué.

Également, s’il est invoqué que la mise en œuvre de l’extradition porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, prévu et garanti par l’art. 8 de la Convention EDH, c’est là l’objet même d’une telle procédure qui a pour objet la remise aux États de ceux de leurs ressortissants auteurs d’infractions afin qu’ils y soient jugés et leur condamnation exécutée. Au surplus, sa femme pourra le rejoindre en Albanie où se trouvent les familles des deux membres du couple.

Enfin, ne sauraient être retenus – car de caractère trop général et non étayé - les moyens tirés de l’état des prisons albanaises, du risque de vengeance de la famille d’un policier, victime d'un autre meurtre commis en Albanie pour lequel il a été jugé et condamné en 1999, sans que les autorités albanaises soient en mesure de le protéger. En l’état, il n’est pas porté atteinte aux stipulations de l’art. 3 (traitements inhumains ou dégradants) de la Convention EDH.

(10 février 2023, M. B., n° 463793)

(111) V. aussi, le rejet d’une demande d’annulation du décret autorisant l’extradition d’un ressortissant espagnol à la demande du Royaume d’Espagne pour participation à des actes de terrorisme, assassinats et tentatives d'assassinats, à raison d'un attentat à la voiture piégée devant la caserne de la garde civile de Saragosse le 11 décembre 1987. En effet, contrairement à ce qui était soutenu, le décret d’extradition a bien été pris en connaissance des éléments que l'État requérant devait présenter aux autorités françaises en vertu des stipulations de l'art. 12 de la convention européenne d'extradition ; la demande ne concernait pas des actes politiques ni ne poursuivait un but politique. Enfin, ne saurait entacher ce décret d’irrégularité la durée excessive de l’instruction menée en Espagne ou le défaut d’impartialité du rapport du service d'information de la garde civile espagnole communiqué au ministère public français, sauf pour l’intéressé à démontrer « qu'il en résulterait une erreur évidente quant aux faits (qui lui sont) reprochés », ce qui n’est même pas allégué par lui : 10 février 2023, M. C., n° 465653.

 

Police

 

112 - Police des cultes – Police de l’ordre public – Dissolution d’associations d’exercice du culte et d’enseignement – Menaces pour l’ordre public – Notion d’agissements imputables à une association – Gravité et réitération de propos justifiant la décision contestée – Rejet.

Les associations requérantes, qui assuraient la gestion du lieu de culte « mosquée d'Allonnes » et de l'école qu'il abritait, demandaient l’annulation du décret prononçant leur dissolution.

Le juge rappelle d’abord que, en application des dispositions de l’art. L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure, « sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements (mentionnés aux 6° et 7° de l’article L. 212-1 dudit code) commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ». C’est pourquoi, ici, le Conseil d’État s’attache, d’une part, à relever l’existence de comportements ou propos de la nature de ceux que les dispositions précitées répriment et, d’autre part, à constater l’inertie à leur égard des responsables associatifs.

Le juge relève ainsi, avec un grand souci de précision, les éléments tirés des notes blanches des services de renseignement, « qu'était régulièrement propagée au sein de la mosquée d'Allonnes, par le président et le vice-président ainsi que par l'imam de la mosquée et des prédicateurs, une conception de l'islam reposant sur la distinction entre les musulmans salafistes et les " mécréants français ", considérés comme " pires que des animaux " et ayant vocation à " aller en enfer ". Y était défendue l'idée que la France est " islamophobe " et qu'elle " fait la guerre à l'islam ", justifiant, au titre du djihad, d'" unir les forces de l'islam pour se préparer à combattre les islamophobes " et demandant à Allah de " donner la victoire aux musulmans ". Les notes blanches font également état de relations étroites entre certains membres des associations requérantes, officiant au sein de la mosquée, et des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale, ainsi que de la diffusion sur les réseaux sociaux de publications propageant les mêmes théories et de projets de départ en Syrie en vue de se livrer au djihad armé, témoignant d'une radicalisation de fidèles fréquentant la mosquée. Enfin, des propos violents à caractère antisémite et homophobe ont été tenus à plusieurs reprises par une personne qui exerçait des fonctions d'enseignant au sein de l'école abritée par la mosquée, de même que, par l'imam de celle-ci, des propos discriminatoires à l'égard des femmes, justifiant les violences conjugales par le fait que l'époux peut " disposer de sa femme à sa guise ", qualifiant le viol conjugal d'" invention de l'Occident " et appelant à l'instauration de la charia. »

Au terme de cette analyse des comportements et propos répréhensibles, le juge constate ensuite qu’« il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les dirigeants de l'association auraient condamné les propos litigieux tenus par des membres de l'association ou auraient entrepris de les exclure. » 

C’est donc à bon droit que, dans le respect du 6° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, ces attitudes ont été imputées aux associations en cause.

Ensuite, il est relevé que tombent sous le coup du 7° de l’art. précité (associations ou groupements de fait « qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ») divers propos ou attitudes des principaux dirigeants des associations dissoutes : justification  des assassinats de Samuel Paty en 2020 et de Stéphanie Monfermé en 2021, affirmation, en écho à la nouvelle publication de caricatures du prophète Mahomet dans le journal Charlie Hebdo, que toute personne qui se moque du prophète doit mourir, multiples propos encourageant au djihad armé et valorisant la participation à une telle lutte et la mort en « martyr », propos et publications multiples de fidèles ayant fréquenté la mosquée d'Allonnes relevant de l'apologie du terrorisme, se réjouissant de l'attaque dans les locaux de Charlie Hebdo et des attentats du Bataclan, ou appelant à prendre les armes « pour faire couler le sang ». Tout ceci atteste le caractère incitatif à la commission d'actes de terrorisme des agissements constatés au sein de la mosquée. 

Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation du décret attaqué qui, eu égard, à la gravité et à la constance des propos et attitudes en cause, ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’association ou à celle de religion ni ne saurait être jugé discriminatoire envers le culte musulman.

(08 février 2023, Association Al Qalam et association allonnaise pour le Juste Milieu, n° 462120)

 

113 - Infraction au code de la route – Amende forfaitaire – Paiement immédiat – Information préalable concernant le retrait de points - Charge de la preuve de la délivrance de cette information incombant à l’administration – Rejet sur ce point.

Rappel de ce que, en cas d’infraction routière, le paiement immédiat de l'amende forfaitaire entre les mains de l'agent verbalisateur suite à l’interception du véhicule oblige l'administration à apporter la preuve, par la production de la souche de la quittance prévue à l'article R. 49-2 du code de procédure pénale dépourvue de réserve sur la délivrance de l'information requise, que celle-ci est bien intervenue préalablement au paiement. 

Rejet du pourvoi sur ce point.

(09 février 2023, ministre de l’intérieur, n° 459672)

 

114 - Arrêté portant interdiction de circulation des camions de plus de cinq tonnes sur une portion de route départementale – Contestation de l’interdiction en dehors des zones urbanisées – Moyen laissé sans réponse – Route affirmée être l’unique voie d’accès à une entreprise – Dénaturation – Annulation.

Une entreprise conteste l’interdiction de circuler faite aux véhicules de plus de cinq tonnes sur une portion de route départementale au double motif que cette interdiction n’est pas justifiée dans la partie non urbanisée de cette route et que celle-ci est la seule voie d’accès permettant à ses camions d’accéder à son centre de tri.

La cour administrative d’appel ne se prononce pas sur le premier moyen et juge le second non étayé par les plans qui lui ont été remis.

Le Conseil d’État annule doublement cet arrêt : en tant qu’il ne répond pas à l’un des moyens et en tant qu’il dénature les pièces du dossier pour avoir jugé – contre l’évidence – que la seule production des plans de situation n’établissait pas l’unicité d’accès alléguée alors que l'exactitude de cette affirmation ressortait sans équivoque de ces plans, étayés par la production d'extraits de carte routière et d'attestations des chauffeurs de l'entreprise.

(09 février 2023, Société Val’Horizon, n° 461627)

 

115 - Police des manifestations sportives – Match de football entre l’OGC Nice et l’AC Ajaccio – Niveau élevé de risque d’atteinte à l’ordre public – Interdiction de stationnement aux abords du stade et interdiction de déplacement des supporters corses à Nice – Absence d’illégalité manifeste – Rejet.

L’interdiction, par des arrêtés du ministre de l’intérieur et du préfet des Alpes-Maritimes, de stationner aux abords du stade Allianz Riviera à Nice et de déplacements de supporters corses à l’occasion d’un match de football entre l’OGC Nice et l’AC Ajaccio, le 10 février 2023, n’a pas constitué, dans les circonstances de l’espèce, une atteinte grave et manifeste à la liberté de déplacement.

En effet, d’une part les rencontres entre ces deux clubs donnent classiquement lieu à des affrontements sérieux, d’autre part, la situation de l’ordre public était alors fragilisée car ainsi que le relève le juge des référés, les forces de l’ordre : « doivent tout particulièrement sécuriser la manifestation sportive à laquelle sont attendus environ 23 000 spectateurs dans un contexte de menace terroriste toujours présente, ainsi que, dès le lendemain matin, une manifestation contre la réforme des retraites où environ 7 000 personnes doivent défiler entre 10 h et 15 h à Nice, puis à partir de 14h30, l'ouverture du carnaval de Nice et un spectacle nocturne regroupant environ 20 000 spectateurs, toujours le même jour le déplacement à Nice de supporters du Paris Saint-Germain qui se rendent à Monaco pour assister à un match de la ligue et, dimanche, l'ouverture de la fête du citron à Menton ainsi qu'un nouveau défilé du carnaval de Nice, où 20 000 spectateurs sont attendus à chaque fois. Il est en outre constant que les équipes de supporters venant des communes de Corse ne pourront pas repartir le soir même faute d'avion ou de bateaux mais devront attendre au plus tôt le lendemain. »

Il est vrai qu’il y avait là une configuration de « panique à bord » justifiant les interdictions édictées.

(ord réf. 09 février 2023, Association nationale des supporters, n° 471184)

 

116 - Police de la sécurité publique – Interdiction d’accès à une cité marchande – Risques d’incendie et d’écroulement – Absence d’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie – Rejet.

Le demandeur en référé liberté sollicitait l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande de suspension de l’arrêté municipal interdisant l’accès à une cité marchande composée de plusieurs modules, il invoquait à cet effet, notamment, l’atteinte portée à la liberté du commerce et de l’industrie.

Pour rejeter le recours et confirmer la solution retenue en première instance, le juge d’appel relève que l’espace en cause, composé de lots modulaires vétustes et dangereux du fait d’écroulements de plusieurs d’entre eux, la plupart inoccupés ou squattés, était également un foyer d’incendies, l’un d’eux ayant causé la mort d’une personne en janvier 2023. C’est pourquoi, et alors même que le demandeur, qui y tient un commerce de vente de viande au détail, invoque le fait que son local ne présenterait pas les mêmes risques d’incendie et d’effondrement que les autres, la mesure de police prise par le maire, ainsi que jugé en première instance, ne porte pas une atteinte manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie. 

(ord. réf. 13 février 2023, M. B., n° 471068)

 

117 - Police de l’ordre public et des manifestations – Dissolution d’un groupement de fait – Continuité et identité des dirigeants, membres et méthodes avec ceux d’une association déjà dissoute – Faits avérés – Rejet.

C’est en vain que les requérants ont demandé au moyen d’un référé liberté l’annulation du décret de dissolution du groupement de fait qu’ils dirigent.

Le décret justifie cette mesure par deux motifs.

Tout d’abord, est invoquée la continuité entre l'association « Ferveur Parisienne » et le groupement de fait : représentation du groupement par M. A., ancien président de l'association « Ferveur Parisienne », les anciens membres ou sympathisants de l'association au profil de supporters « ultras » classés à risques dont une douzaine particulièrement actifs se retrouvent dans le groupement de fait qui s'identifie toujours au travers de symboles communs, le drapeau représentant un homme cagoulé montrant ses dents constitue l'un des symboles de l'association « Ferveur Parisienne », et ce symbole continue d'être utilisé par les membres du groupement de fait, sans que les dénégations de l’un des demandeurs parviennent à établir que les circonstances ainsi relevées seraient entachées d'erreur matérielle. 

Ensuite, la dissolution veut réprimer les actes de dégradation commis contre des biens dans des enceintes sportives ou à leurs abords, les messages injurieux ou tags sur des véhicules ou des immeubles imputés à plusieurs membres de « Ferveur parisienne », d’autant que ces comportements ne sont pas sérieusement contestés. Il en va ainsi d’actes de violence répétés décrits et établis dans une note circonstanciée du ministre de l’intérieur versée au contradictoire et longuement citée par le juge des référés, tous actes soit non contestés ou non démentis soit non sérieusement contestés.

Ainsi, « eu égard au caractère répété des faits et à la gravité des actes de violences contre les personnes en cause, commis en réunion, la mesure de dissolution, qui est indépendante des poursuites pénales, et n'est pas incompatible avec l'interdiction administrative de stade, n'est pas manifestement disproportionnée à l'objectif de protection de l'ordre public en vue duquel elle a été édictée ». C’est pourquoi la demande de référé est rejetée en l'absence, dans cette décision de dissolution, d'atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 21 février 2023, M. A. et M. M’Veng Essama, n° 470989)

 

118 - Police de établissements recevant du public – Étage d’un immeuble divisé en logements pour handicapés moteurs cérébraux – Niveau relevant de la catégorie des établissements recevant du public de type J et de cinquième catégorie – Arrêté municipal ordonnant la réalisation de travaux de mise en conformité – Décision de fermeture au public – Rejet.

La commune requérante interjette appel de l’ordonnance rendue en référé liberté par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l’exécution de l’arrêté municipal ordonnant la fermeture au public d’un niveau d’immeuble occupé par des appartements destinés à des handicapés cérébraux moteurs car il a considéré que la réglementation applicable aux établissements recevant du public ne s'appliquant pas en l'espèce l'arrêté du maire du Mans portait à la liberté de la société, demanderesse en première instance, de disposer de ses biens une atteinte grave et manifestement illégale.

Le Conseil d’État est à la cassation de cette ordonnance car, d’une part,  il ne fait aucun doute que la réglementation concernant les établissements recevant du public s'applique aux locaux habités par des personnes handicapées de l'immeuble en litige et, d’autre part, ces locaux ne sont pas conformes aux normes régissant de tels établissements en particulier s’agissant de la réunion en un lieu unique de personnes dont l'aptitude à se soustraire aux effets d'un incendie est nécessairement diminuée, alors que cette aptitude est au nombre des paramètres à retenir pour l'appréciation des mesures en vue d'assurer la sécurité des personnes contre l'incendie en vertu de l'art. R. 143-3 du code de la construction et de l'habitation.

L’arrêté municipal querellé n’est pas illégal.

Ne sauraient faire obstacle à cet état de fait et de droit les moyens que la demanderesse n’est pas l’exploitante desdits locaux au sens et pour l’application de la réglementation en cause, que n’ont pas été indiqués de façon claire la nature et l'échéancier des mesures à prendre pour que ceux-ci lui soient rendus conformes, que la commune ne s’est pas assurée concrètement de l'existence de possibilités de relogement des personnes handicapées dans des conditions adaptées à leur situation.

L’ordonnance attaquée est annulée.

(ord. réf. 20 février 2023, Commune du Mans, n° 470899)

 

Professions réglementées

 

119 - Géomètre-expert – Radiation de l’ordre – Abstention persistante de remise des documents et archives à l’ordre des géomètres-experts – Injonction sur astreinte de remise des pièces sous trente jours – Annulation.

Suite à sa radiation de l’ordre des géomètres-experts l’intéressé s’est vu réclamer par un conseil régional de l’ordre la remise de l'intégralité des documents et archives de son cabinet de géomètre-expert relatifs aux travaux exécutés en application du 1° de l'article 1er de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946. Devant la mauvaise volonté de ce dernier, le conseil régional a saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une demande tendant à le voir ordonner cette remise. Cette demande ayant été rejetée, le conseil demandeur se pourvoit en cassation.

Pour rejeter la requête dont il avait été saisi, le juge des référés avait retenu que ni l'urgence ni le caractère utile de la mesure sollicitée prévus par l'art L. 521-3 du CJA n'étaient démontrés par le requérant, faute de la production de l'accusé de réception du courrier du 2 juin 2020 attestant du refus du géomètre radié de communiquer les documents demandés.

Cassant ce raisonnement pour dénaturation des pièces du dossier, le juge relève, d’une part, les missions de service public confiées par la loi à la personne privée qu’est le conseil régional de l’ordre des géomètres-experts (contrôle de l'exercice de la profession de géomètre-expert détentrice d’un monopole pour fixer les limites des biens fonciers, procéder à toutes opérations techniques ou études sur l'évaluation, le partage, la mutation ou la gestion de ces biens lorsque ces opérations ont pour but l'établissement de procès-verbaux, plans de bornage et autres plans destinés à être annexés à des actes authentiques, judiciaires ou administratifs pour constats, états de lieux ou division des biens dont il s'agit…) et d’autre part, les éléments du dossier faisant ressortir l’absence d’effets des demandes réitérées du conseil régional auprès de l’intéressé afin qu’il satisfasse à son obligation de remise des documents en cause, empêchant par-là l’exercice par ledit conseil de ses missions de service public.

Est ordonnée à l’individu récalcitrant, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, la production des pièces dans un délai de trente jours.

Ceci ne préjuge évidemment pas d’éventuelles actions en responsabilité susceptibles d’être engagées du fait de préjudices résultant de cette inertie comportementale.

(ord. réf. 10 février 2023, Conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Île-de-France, n° 449633)

 

120 - Pharmacien – Condition de moralité – Refus de réinscription au tableau de l’ordre des pharmaciens – Exercice illégal de la pharmacie – Circonstances particulières – Annulation du refus de réinscription – Rejet.

A la suite du rachat d’une officine, M. A. a été autorisé à la transférer à une autre adresse, dans la même commune, par un arrêté du directeur de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France. Le tribunal administratif, saisi par cinq pharmaciens concurrents, a annulé cet arrêté car les conditions du rachat de l'officine avaient rendu caduque la licence qui lui était attachée. En conséquence, le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des pharmaciens a prononcé la radiation de M. A. du tableau de l'ordre.

Les inspecteurs de l'ARS d'Île-de-France ont constaté que M. A., postérieurement à cette radiation, a délivré des médicaments notamment en se les procurant auprès d'une autre officine. Toutefois, la cour administrative d'appel de Versailles, sur appel de M. A., a annulé le jugement du tribunal et rejeté la demande d'annulation de l'arrêté du directeur de l'ARS d'Île-de-France, en retenant, notamment, que la licence attachée à l'officine n'était pas caduque.

Par la suite, le conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Île-de-France, a rejeté la demande de réinscription au tableau A de l'ordre présentée par M. A. au motif qu'il ne présentait pas les garanties de moralité professionnelle exigées par le code de la santé publique, en se fondant notamment sur les constatations du rapport d'inspection.

Sur recours hiérarchique, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a annulé ce refus et prononcé l'inscription de l'intéressé au tableau de la section A de l'ordre.

Le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des pharmaciens demande au Conseil d'État d'annuler la décision prononçant l'inscription de M. A.

Le pourvoi est rejeté, le juge relevant que le Conseil national n’avait pas commis d’erreur de droit, d’une part en jugeant que les faits reprochés n’ayant donné lieu à aucune condamnation pénale, ne revêtait pas un caractère de gravité suffisant et, d’autre part, en tenant compte de ce que le comportement reproché, commis sans publicité et de manière transitoire, l’avait été au cours d'une période durant laquelle M. A. avait été indument privé de sa licence et radié du tableau de l'ordre à la suite d'un jugement du tribunal administratif annulé par la suite avec effet rétroactif. Ainsi c’est à bon droit qu’il a estimé que dans les circonstances particulières de l’espèce l’intéressé n’avait pas fait preuve d’un défaut de moralité professionnelle.

(09 février 2023, Conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Île-de-France, n° 464973)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

121 - Locataires de logements gérés par la régie immobilière de la Ville de Paris – Maintien de l’économie des conventions – Respect du droit à la propriété privée – Supplément de loyer de solidarité – Application différenciée en fonction de la signature ou non d’une convention réglementée – Refus de transmission d’une QPC.

A l’appui d’un pourvoi en cassation dirigé contre le rejet de leurs demandes de mettre fin aux conventions conclues entre le Conseil de Paris, agissant au nom de l’État, et la Régie immobilière de Paris, les requérants ont soulevé une QPC fondée sur l’atteinte portée à l’économie des conventions, au droit de propriété et au principe d’égalité par diverses dispositions du code de la construction et de l’habitation qui instituent, pour certains locataires, un surloyer dit loyer de solidarité.

Le Conseil d’État, rejetant tous les moyens présentés, refuse de transmettre cette question.

Tantôt ce refus est fondé sur des motifs de procédure : telle disposition législative n’est pas applicable à l’espèce, ou bien les moyens soulevés à l’encontre d’une autre sont dépourvus de précisions.

Tantôt ce refus porte sur le fond de l’argumentation.

D’une part, l’institution d’un loyer de solidarité destiné à favoriser la mobilité sociale au profit des personnes aux ressources modestes et les plus défavorisées obéit à un objectif d’intérêt général dont l’application est proportionnée audit objectif, ce qui justifie l’atteinte ainsi portée aux contrats de location en cours d’exécution nonobstant le principe de liberté contractuelle et celui de la foi due aux contrats.

D’autre part, si les locataires ne sont pas traités de la même façon selon que leur bailleur a signé ou n’a pas signé une convention en application de l'article L. 351-2 du code de la construction et de l'habitation (qui fixe le champ d’application de l’aide personnalisée au logement), c’est parce que de ce fait ils se trouvent placés dans des situations différentes au regard des dispositions régissant le surloyer.

Encore une fois, le juge piétine allègrement le contrat et donc les libertés qu’il engendre. En outre, s’agissant d’un motif de solidarité il ne s’aperçoit point pourquoi cette solidarité devrait être mise à la charge de certains seulement des locataires et non de tous : c’est d’une solidarité qu’il s’agit ou non ? L’universalité est à la base de la solidarité non la sélectivité opérée entre des bienfaiteurs forcés.

(1er février 2023, Association Amicale Mouffetard-Calvin-Mirbel, M. B., M. E. et M. C., n° 466335)

(122) V., identique : 1er février 2023, Association Amicale Mouffetard-Calvin-Mirbel, Mme D. Mme H., M. A. et M. B., n° 466338

 

123 - Contribuables non-résidents dont la totalité des revenus est de source française – Régime de prise en compte des pensions alimentaires versées par ces contribuables – Calcul de l’impôt sur le revenu – Application de taux minima – Inégalité entre non-résidents – Absence – Refus de transmission d’une QPC.

Selon les dispositions combinées des art. 164 A et 197 A du CGI les contribuables non-résidents disposant de revenus de source français sont assujettis à l’impôt sur le revenu dont le montant ne peut être inférieur à celui qui résulterait de l'application de taux d'imposition minima prévus au a de l'article 197 A du CGI. Toutefois, lorsque ces contribuables établissent que le taux moyen d'imposition résultant de l'application du barème progressif sur l'ensemble de leurs revenus de sources française et étrangère, pensions alimentaires déduites, est inférieur à ces taux minima, il est fait application de ces taux sur les revenus de source française imposables.

Le demandeur soutenait que ces dispositions méconnaissent les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en tant qu’elles s’appliquent aux non-résidents dont la totalité des revenus est de source française. De plus, alors que ces dispositions auraient été prises, selon le demandeur, pour rapprocher les situations fiscales respectives des non-résidents et des résidents elles ne bénéficient qu'aux non-résidents dont le taux moyen d'imposition est inférieur aux taux minima. 

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question au double motif que le dispositif litigieux « vise à favoriser les contribuables les moins fortunés » (sic) en accentuant ainsi la progressivité du barème en leur faveur et que « compte tenu de leur faible incidence sur le montant de l'impôt dû, les dispositions contestées ne sont pas de nature à créer une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre les contribuables non-résidents, même lorsqu'ils perçoivent exclusivement des revenus de source française, et par suite ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques ». 

Ce « raisonnement » pèche par son invisibilité.

(03 février 2023, M. A., n° 468904)

 

124 - Art. L. 111-3 du CESEDA – Exclusion de Mayotte de la liste des territoires comme étant « en France » - Application aux étrangers voulant se prévaloir d’une résidence de dix ans en France – QPC – Refus de transmission.

Le requérant soulevait une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. L. 111-3 du CESEDA en tant qu’en excluant Mayotte de la liste des territoires devant s'entendre comme « en France », elles feraient obstacle à ce qu'un étranger ayant résidé à Mayotte jusqu'en 2014, et sollicitant un titre de séjour sur la période de 2020 à 2024, puisse se prévaloir de la durée de résidence de dix ans en France requise par les dispositions des articles L. 313-14 et L. 511-4 du CESEDA alors applicables, ce qui porterait  atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit en créant une différence de traitement injustifiée entre les étrangers ayant séjourné à Mayotte et ceux ayant séjourné sur d'autres parties du territoire national.

La demande de transmission de la QPC est rejetée en ce que la disposition en cause a été prise en raison de la situation particulière tenant à l'éloignement et à l'insularité de la collectivité de Mayotte, ainsi qu'à l'importance des flux migratoires dont elle est spécifiquement l'objet et aux contraintes d'ordre public qui en découlent. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de régir l'éloignement du demandeur de titre de séjour et ne fait par elle-même pas obstacle à ce qu'un enfant français né de père ou de mère qui ne possède pas la nationalité française puisse voyager vers l'étranger pour suivre son parent, d’où s’ensuit l’absence d’atteinte à la liberté d’aller et de venir.

(10 février 2023, M. A., n° 468884)

 

125 - Art. L. 426-4 du CESEDA – Demande de deuxième renouvellement d’une carte de séjour – Soumission à l’absence de menace pour l’ordre public – Transmission d’une QPC.

Dans la rédaction qui leur a été donnée par l’ordonnance du 16 décembre 2020, non ratifiée à la date de la présente décision, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du CESEDA qui subordonnent à l'absence de menace pour l'ordre public la délivrance de plein droit d'une carte de résident permanent dès le deuxième renouvellement d'une carte de résident, soulèvent une question présentant un caractère sérieux au regard des droits et libertés garantis notamment par les dispositions du dixième alinéa du Préambule à la Constitution du 27 octobre 1946.

(28 février 2023, M. D., n° 468561)

 

126 - Taxation des cessions de terrains nus constructibles (art. 1605 nonies CGI) - Atteintes à l’égalité devant la loi et à l’égalité devant les charges publiques – Refus de transmission de la QPC

L'article 1605 nonies du CGI prévoit depuis le 1er janvier 2016 la perception d’une taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement, postérieurement au 13 janvier 2010, par un plan local d'urbanisme ou par un autre document d'urbanisme en tenant lieu, en zone urbaine ou à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone où les constructions sont autorisées ou par application de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme. 

La requérante soulève à l’encontre de ce texte une QPC fondée sur ce que ses dispositions porteraient atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques.

Le Conseil d’État rejette la demande de transmission de cette question au Conseil constitutionnel.

Le moyen tiré de l’atteinte au principe d’égalité est rejeté car cette taxe s’applique à tous les propriétaires de terrains comportant les caractéristiques prévues à l’article précité du CGI lorsqu’ils en font cession.

Le moyen tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques appelait un raisonnement plus sophistiqué car la requérante soutenait qu'en ne prévoyant, pour la définition du champ d'application de la taxe et de celle de son assiette, ni la prise en compte des frais d'acquisition du terrain, ni celle des frais d'aménagement et de viabilisation exposés par le vendeur avant sa cession, le législateur ne se serait pas fondé sur des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi et qu'il aurait conféré à cette taxe un caractère confiscatoire, alors, de surcroît, que les dispositions de l'article 1529 du CGI prévoient la possibilité d'instituer une taxe communale reposant sur la même assiette. Pour rejeter une argumentation d’une certaine force apparente, le Conseil d’État retient un double motif.

Tout d’abord, il retient la finalité de la disposition critiquée. L’objectif du législateur a été, comme en témoignent les travaux préparatoires de la loi du 27 juillet 2010, dite, et c’est important ici, « de modernisation de l’agriculture… », dont est issue l’art. 1605 nonies, de lutter contre la disparition des terres agricoles, en freinant notamment leur transformation en terrains à bâtir à des fins spéculatives, d’où une assiette assez large de la taxe et le refus de la déduction de certains frais et charges.

Ensuite, sont relevés les différents dispositifs destinés à alléger partiellement le poids de la taxation : la taxe n’est applicable que si le rapport entre prix de cession et prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10, l'assiette est diminuée d'un abattement de 10 % par année de détention au-delà de la huitième année suivant la date à laquelle le terrain a été rendu constructible,  le taux de la taxe n'excède pas 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10 et inférieur à 30, et 10 % au-delà de cette limite pour la part d'assiette restant à taxer.

Cette taxe n’a donc pas un caractère confiscatoire, contrairement à ce qui est soutenu.

Enfin, en renvoyant aux règles régissant le contrôle, le contentieux, les garanties et les sanctions, applicables à l'impôt sur le revenu, le VI de l’article litigieux démontre que le législateur n’a pas méconnu, comme soutenu à tort, sa propre compétence.

(10 février 2023, Société Lionheart, n° 469715)

 

127 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – Méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence au titre des art. 1586 ter, 1586 quater et 1586 quinquies du CGI – Utilisation d’un chiffre d’affaires antérieur au fait générateur de l’imposition – Atteinte portée à une situation acquise – Refus de transmettre une QPC.

La requérante a soulevé une QPC tirée de ce qu'en adoptant les dispositions des articles 1586 ter, 1586 quater et 1586 quinquies du CGI, le législateur aurait méconnu l'étendue de ses compétences d'une manière affectant par elle-même la garantie des droits assurée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques en ce que, faute d'avoir prévu un mécanisme de nature à garantir qu'un contribuable ne soit pas imposé à la CVAE sur la base d'un chiffre d'affaires antérieur au fait générateur de l'imposition et à la promulgation de la loi qui l'a instituée, il a, dans le cas d'une société dont l'exercice social ne coïncide pas avec l'année civile, porté atteinte à une situation légalement acquise et institué une différence de traitement injustifiée entre les sociétés selon la date de clôture de leur exercice social.

La transmission est refusée motif pris de ce qu’en adoptant les dispositions querellées le législateur « a pleinement exercé sa compétence et n'a disposé que pour l'avenir, sans porter atteinte à des situations juridiquement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de telles situations. » C’est là une « argumentation » qui relève davantage de l’argument d’autorité que du raisonnement juridique.

En revanche, le raisonnement du juge est davantage convaincant s’agissant de rejeter le grief d’atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

(20 février 2023, Société RMG, n° 467178)

(128) V. aussi, refusant de renvoyer une QPC dirigée contre le I bis de l'art. 1586 quater du CGI, en tant que en réservant un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du CGI pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et aux sociétés qui ne remplissent pas ces conditions, porterait atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789. 

On regrettera la faible rigueur de l’analyse par le juge des moyens soulevés à l’appui de cette question : 23 février 2023, SAS Transports Georges et Schmitt Vrac, n° 464765.

 

129 - Ordre des experts-comptables – Composition de la chambre nationale de discipline – Présence de deux fonctionnaires désignés par le ministre de l’économie et des finances – Refus de transmission d’une QPC.

Le recours tendait à voir jugée par le Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 50 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 dans la version qui lui a été donnée par l'article 14 de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante en tant qu’il prévoit désormais la présence, parmi les cinq membres composant la chambre nationale de discipline de l’ordre des experts-comptables, de deux fonctionnaires nommés par le ministre chargé de l’économie et des finances.

Le juge refuse la transmission de la question au double motif qu’il ne serait pas, par-là, porté atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions, dès lors qu’il résulte de l'ordonnance que ces fonctionnaires n'y représentent pas le ministre (sic) et que la fixation de garanties permettant de faire obstacle à que les fonctionnaires puissent siéger lorsque la chambre nationale de discipline connaît des questions relevant des services à l'activité desquels ils ont participé, et dont le requérant critique l'absence à l'article 50 contesté, relèverait, en tout état de cause, de la compétence du pouvoir réglementaire (re-sic). 

(23 février 2023, M. A., n° 467516)

 

Responsabilité

 

130 - Responsabilité à raison de dommages de travaux publics – Point de départ et régime de la prescription – Annulation.

Au cours du mois de juin 2002, M. et Mme B. ont constaté l'apparition de nombreux désordres dans leur propriété à la suite d'importantes fuites d'eau dues à la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression de la borne d'incendie située contre la façade de leur maison, désordres qui conduiront ensuite à rendre leur maison inhabitable et, ensuite, à ce qu’elle soit frappée d’un arrêté de démolition.

Après dépôt du rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif, les intéressés ont demandé à ce tribunal, le 17 novembre 2009, la condamnation solidaire de la commune et de la Société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP) à réparer les préjudices qu'ils ont subis. Une ordonnance du 11 mai 2012 a désigné un nouvel expert dont le rapport, déposé le 21 juillet 2015, a retenu la responsabilité de la SNTPP et de la commune ainsi que de la communauté de communes et de la société Lyonnaise des eaux, devenue ensuite Suez Eau France. M. et Mme B. ont alors demandé au tribunal administratif la condamnation solidaire de l'ensemble des parties mises en cause par cet expert. Par un jugement du 30 décembre 2016, la société Lyonnaise des eaux/Suez  a été condamnée à verser une certaine somme à M. et Mme B. et une autre à la société MAIF, leur assureur.

Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel de la société Suez Eau France contre ce jugement, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B., et mis les frais des deux expertises à la charge de cette société.

Puis, par une décision du 20 novembre 2020, le Conseil d'État, sur  pourvoi de la société Suez Eau France, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions et mis à sa charge définitive les frais d'expertise et il a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative. Celle-ci, par arrêt du 30 avril 2021, contre lequel M. et Mme B. et la société MAIF se pourvoient en cassation, la cour a annulé le jugement en tant qu'il a condamné la société Suez Eau France à verser des indemnités à M. et Mme B. et à la société MAIF, mis à sa charge les frais des deux expertises et rejeté les conclusions présentées par M. et Mme B. et la société MAIF devant le tribunal administratif.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État se fonde sur le régime de la prescription (I) appliqué à l’espèce (II).

 

I - Il est d’abord jugé que le point de départ du délai de prescription tel qu’il résulte de l’art. 2224 du Code civil est la date à laquelle la victime a eu une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage mais ajoute cette précision, discutable en son énoncé flou, que les « conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres apparus ne constituent pas une aggravation du dommage de nature à reporter le point de départ du délai de prescription », ce qui constituait le nœud du litige.

Ensuite, concernant la durée du délai de prescription, l’art. 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile fixe à dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation le délai dans lequel doivent être intentées les actions en responsabilité civile extracontractuelle tandis que l’art. 2224 précité fixe cette prescription à cinq ans s’agissant des actions personnelles ou mobilières.

Enfin, pour ce qui est de l’interruption et de la suspension du délai de prescription, il est fait application des art. 2241 du Code civil dans sa version née de la loi du 17 juin 2008 et 2244 dans la version antérieure à cette loi : la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance. Étant observé que les dispositions de l'article 2239 du code civil, issues de cette loi, selon lesquelles le délai de prescription est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge, ne sont quant à elles applicables qu'aux expertises ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 qui a institué cette nouvelle cause de suspension du délai de prescription.

 

II – Le Conseil d’État estime que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que dans cette affaire le point de départ du délai de prescription ne pouvait pas être fixé à la date de l'aggravation des dommages subis par le bâtiment appartenant à M. et Mme B. car une telle aggravation était la conséquence de l'abstention de ces derniers de prendre des mesures pour remédier aux désordres initialement constatés. En effet, la cour devait seulement rechercher si les nouveaux dommages invoqués par les victimes constituaient des conséquences raisonnablement prévisibles des désordres survenus, insusceptibles de reporter le point de départ du délai de prescription.

S’agissant d’une seconde cassation dans une même affaire le Conseil d’État statue comme juge d’appel et définitivement.

Il fixe au mois de juin 2002 la date de la connaissance certaine par les demandeurs de l’étendue des dommages et décide en conséquence que, sauf interruption ou suspension, la prescription était théoriquement acquise à compter du 30 juin 2012. Toutefois, du fait de l’instance en désignation d’expert qui s’est close par l’ordonnance du 6 janvier 2003 portant désignation d’expert, la prescription n’a été acquise que le 6 janvier 2013. En revanche, il n’y a pas eu suspension du cours de la prescription pendant la durée de la procédure car – comme déjà indiqué plus haut - la suspension du fait des opérations d’expertise introduite par la loi du 17 juin 2008 à l’art. 2239 du Code civil ne s’applique qu’aux expertises ordonnées postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, ce qui n'est pas le cas ici.

En outre, si les demandeurs ont bien saisi le juge administratif d’une demande indemnitaire et d’une demande d’expertise les 17 et 27 novembre 2009, celles-ci étaient dirigées contre la commune et contre la SNTPP non contre Suez Eau France envers laquelle la prescription continuait de courir. Et il n’existe pas d’autres causes d’interruption de la prescription dans ce dossier.

L’action des demandeurs était prescrite lorsque, le 12 juillet 2016, ils ont formé devant le tribunal administratif une demande indemnitaire dirigée contre Suez Eau France.

On voit par là qu’est capitale la position jurisprudentielle selon laquelle alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes « signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire », d’une part, ces termes n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, d’autre part, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.

On regrettera cependant ce jeu incessant du juge dans l’application des textes, selon les points examinés, tantôt dans leur version antérieure à la loi de 2008 et tantôt dans leur version postérieure à cette même loi.

(07 février 2023, M. et Mme B., société MAIF, n° 454109)

 

131 - Action en réparation de nuisances sonores causés par une usine d’embouteillage – Calcul du niveau de ces nuisances – Invocation des seuils limites fixées par un arrêté préfectoral – Arrêté inapplicable en dehors de l’établissement – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

Encourt l’annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour rejeter la demande indemnitaire des requérants en vue de la réparation des préjudices subis du chef des nuisances sonores causées par l’activité d’une usine d’embouteillage, se fonde sur le non dépassement de seuils fixés par un arrêté préfectoral concernant le bruit à l’intérieur de cet établissement, alors que la demande de réparation concernait des nuisances causées par les mouvements de camions vers l'installation, trouvant ainsi leur source à l'extérieur de l'établissement mais étaient en lien direct avec l'exploitation et mesurées au voisinage immédiat de l'installation.

(17 février 2025, M. et Mme B., n° 443710)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

132 - Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé – Guide de la Haute autorité de santé préparé en son sein par cette Commission - Guide portant « Évaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS » - Recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre ce guide – Rejet et annulation partiels.

Les requérantes contestaient la légalité de certains points des chapitres 5 et 6 d’un guide intitulé « Évaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS » rédigé, au sein de la HAS, par sa commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS).

Tout d’abord, rejetant la fin de non-recevoir opposée par la HAS, le juge déclare le recours recevable en ce que les dispositions du guide litigieux doivent être regardées, dans leur ensemble, comme faisant grief, eu égard aux effets notables qu'elles sont susceptibles d'avoir tant à l'égard des industriels fabricants de dispositifs médicaux implantables que des professionnels de santé.

Ensuite, sur le fond, le Conseil d’État rejette l’une des deux demandes et admet l’autre.

En premier lieu, était contesté, au sein du chapitre 5 du guide, intitulé « Modalités de réalisation d'un examen IRM recommandées par la CNEDiMTS », le point 5.4 qui dispose que « pour tout dispositif ou système implanté MR Unsafe (non IRM compatible) ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de son IRM compatibilité (notice, fabricant...), la réalisation d'une IRM devrait être formellement proscrite ». Le juge rejette le recours sur ce point car il relève qu’en réalité la formulation abrupte de ce point est très nuancée par le paragraphe introductif de ce chapitre ; ainsi, la Commission de la HAS n’a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en recommandant aux prescripteurs, de façon générale, sans préjudice de leur recherche de la prise en charge la plus appropriée à chaque patient, de ne pas réaliser d'examen d'imagerie par résonance magnétique chez des patients porteurs d'un dispositif ou système implanté non compatible avec cet examen ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de sa compatibilité. 

En second lieu, les requérants contestaient également, au sein du chapitre 6 intitulé « principes d'évaluation de la CNEDiMTS », le point 6.2 qui recommande que, pour tout dispositif médical implantable actif compatible sous condition avec un examen d'imagerie par résonance magnétique inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, l'ensemble des éléments implantés soient, dans le cas d'une primo-implantation, compatibles avec un tel examen. Or, au vu des pièces du dossier, cette précision est jugée illégale en ce qu’elle ne réserve pas le cas des dispositifs cardiaques implantables actifs, car elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

L’annulation est prononcée dans cette limite.

(1er février 2023, Société par actions simplifiée Microport CRM France et société par actions simplifiée Sorin CRM, n° 460587)

 

133 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.

(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)

V. n° 3

 

134 - Greffe pulmonaire – Refus d’inscrire un patient sur la liste nationale des malades en attente de greffe – Comportement rétif du patient envers les indications thérapeutiques – Appréciation nationale de l’intérêt et de la priorité à la greffe – Pouvoirs du juge du référé liberté – Refus du juge de prescrire à une équipe médicale une démarche thérapeutique autre que celle choisie – Rejet.

Le requérant, atteint de mucoviscidose, s’est vu refuser l’inscription sur la liste nationale des malades en attente d’une transplantation pulmonaire, il interjette appel du rejet de sa demande par ordonnance du juge du référé liberté du tribunal administratif.

Pour rejeter la demande faite en appel, le Conseil d’État retient que, outre le fait de n’avoir pas voulu être vacciné contre le Covid-19, le patient, diabétique, a refusé de suivre certains des traitements qui lui ont été prescrits, tels qu'un régime diabétique, alors même qu'il a été informé des risques importants de complications à la suite d'une transplantation pulmonaire en cas de diabète mal équilibré.

Après consultation de l'instance nationale de concertation pluridisciplinaire regroupant à l'échelon national des représentants des équipes spécialisées dans ce type d'interventions, laquelle a confirmé le bien-fondé de la décision de refus d'inscription envisagée par l'équipe soignante, celle-ci a estimé, dans un contexte de rareté des greffons disponibles, à privilégier le choix d'un patient pour lequel les chances de succès de l'opération paraissent les plus élevées, compte tenu de son état de santé, mais également d'autres éléments tels que son degré d'observance des prescriptions thérapeutiques.

Dès lors il n’appartient pas au juge des référés de prescrire à l'équipe médicale d'engager les démarches en vue d'une prise en charge thérapeutique autre que celle qu'elle a choisie de pratiquer à l'issue du bilan qu’elle a réalisé et qu’elle était seule à pouvoir effectuer.

(08 février 2023, M. A., n° 470823)

 

135 - Prescription d’un médicament contre l’ostéoporose – Conditions d’intervention de la commission de la transparence – Risque de mésusage – Obligation de recourir à un médecin spécialiste pour la première prescription – Absence de disproportion manifeste des conditions de remboursement – Rejet.

La société requérante poursuivait l’annulation de deux arrêtés ministériels du 17 janvier 2022, l’un subordonnant la prise en charge et le remboursement de la spécialité Prolia à une prescription initiale par un médecin spécialiste dans la prise en charge de l'ostéoporose (notamment rhumatologue, gynécologue, gériatre et interniste) et l’autre modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics prévue à l'art. L. 5123-2 du code de la santé publique s’agissant de la spécialité Prolia.

Les différents moyens soulevés, de légalité externe et de légalité interne, sont rejetés.

Sur la légalité externe.

En premier lieu, il est jugé, et l’on peut regretter cette solution même dans le silence des textes, que la commission de la transparence n’est pas tenue d’informer l'entreprise qui exploite un médicament de son intention de procéder à sa réévaluation.

En deuxième lieu, ne se constate aucune irrégularité dans la circonstance que la commission ne s’est pas prononcée à nouveau en dépit du délai qui s’est écoulé entre la date de son avis et celui des arrêtés litigieux alors, d’une part, que les ministres avaient informé la requérante dès le 20 octobre 2021 de leur intention de suivre l’avis de la commission et, d’autre part, qu'aucun changement de circonstance de fait ou de droit n'est invoqué à l’appui de cette demande de nouvel avis de la commission.

En troisième lieu, ne sauraient être invoqué à l’encontre d’arrêtés qui ont un caractère réglementaire le non-respect d’une procédure contradictoire, laquelle ne peut concerner que des décisions individuelles défavorables.

Sur la légalité interne.

La commission de la transparence pouvait parfaitement, pour rendre son avis, se fonder sur les résultats de l'étude post-inscription réalisée par la société requérante, qui ont mis en évidence une non-conformité importante de la prescription au périmètre de remboursement établi par la commission de la transparence lors de son évaluation initiale, alors que le service médical rendu par la spécialité est insuffisant en dehors de ce périmètre. 

Semblablement, c’est sans erreur manifeste d’appréciation que les ministres auteurs des arrêtés attaqués pouvaient s’approprier les recommandations formulées par cette commission au terme dudit examen, notamment en ce qui concerne tant le risque de mésusage identifié que les spécificités intrinsèques de la spécialité Prolia, pour décider, d’une part, que la primo-prescription de cette spécialité devait être faite par un médecin spécialiste et, d’autre part, que l’inscription de ce produit sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge ou donnant lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie serait subordonnée, à la fois, à la qualification ou à la compétence des médecins prescripteurs et à la soumission de cette spécialité au régime du médicament d'exception. 

Enfin, sont encore rejetés : 1° le moyen qu’il serait porté atteinte au droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et par l'art. L. 1110-1 du code de la santé publique du fait que la prescription du Prolia est réservée à certains spécialistes et alors même que le nombre de médecins rhumatologues libéraux serait faible dans certains territoires, dès lors qu’ils ne sont pas les seuls prescripteurs autorisés ; 2° le moyen que le Prolia serait soumis à des conditions de remboursement manifestement disproportionnées au regard des conditions de remboursement retenues pour ceux de ses comparateurs pertinents dont les spécificités intrinsèques et la position dans la stratégie thérapeutique sont comparables.

(17 février 2023, Société Amgen, n° 462425)

 

Service public

 

136 - Service public du culte en Alsace et en Moselle - Pasteur de l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL) – Destitution par son Église de rattachement – Absence de caractère de décision administrative – Refus de transmission d’une QPC.

(06 février 2023, M. C., n° 468425)

V. n° 69

 

137 - Société de courses agréée en qualité de société mère des courses au galop (loi du 2 juin 1891) – Société chargée d’une mission de service public – Compétence du juge administratif – Respect du principe d’égalité – Annulation partielle.

Les requérants recherchaient l’annulation des conditions générales arrêtées par l'association France Galop s'appliquant aux courses plates et aux courses à obstacles pour l'année 2019 en ce qu'elles suppriment la prime aux éleveurs de chevaux de six ans et au-dessus en plat et de chevaux de dix ans et au-dessus en obstacle sauf pour certaines courses. Ils soulevaient le défaut de respect du principe d’égalité entre éleveurs par les décisions de l’association France Galop.

En premier lieu, le Conseil d’État tranche implicitement une question de compétence puisque celle-ci n’était pas discutée devant lui. Il résulte des dispositions de la loi du 2 juin 1891 (art. 2) modifiée et de celles des décrets du 5 mai 1997 (art. 12) et du 2 novembre 2010 (art.1er), que l'association France Galop est, en qualité de société mère des courses au galop, chargée d'une mission de service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage. Les décisions prises dans le cadre ou pour l’exercice de ces compétences relèvent donc, au contentieux, de la compétence du juge administratif.

En deuxième lieu, Il s’ensuit que cette association est, à ce titre, compétente pour verser des primes, dans un but de soutien au secteur de l'élevage, aux éleveurs de chevaux placés, selon des modalités qu'elle définit, dans les conditions prévues à l'art. 12 du décret du 5 mai 1997.

A cette fin, l’association a arrêté des « conditions générales s'appliquant aux courses plates et aux courses à obstacles » pour définir notamment les conditions d'attribution et de répartition des primes aux éleveurs de chevaux placés lors des courses plates et d'obstacles. Pour l'année 2019 elle a décidé de supprimer la prime aux éleveurs de chevaux de six ans et au-dessus en plat et de chevaux de dix ans et au-dessus en obstacle sauf pour certaines courses. Cette prime n’est donc allouée que pour le placement en course de chevaux de moins de six ans ou de moins de dix ans selon la nature des courses, plates ou d’obstacles. C’est la double décision attaquée.

S’agissant de l’attribution de primes sous condition d’âge le recours est rejeté car l'instauration d'un critère portant sur l'âge du cheval pour l'attribution de la prime aux éleveurs tient compte de l'évolution des performances des chevaux en fonction de leur âge, la sélection aux fins de reproduction intervenant le plus souvent avant six ans pour les courses plates et avant dix ans pour les courses d'obstacles. Dès lors la différence de traitement ainsi instituée est fondée sur un critère objectif en rapport direct avec les missions de service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage confiées à l'association France Galop : il n’est donc pas porté atteinte au principe d'égalité. 

S’agissant, en revanche, de l’octroi d’une prime sans considération de l’âge des chevaux pour certaines courses, la mesure porte atteinte de manière injustifiée au principe d’égalité car elle ne repose pas sur une différence de situation objective en rapport avec l'objet de la mesure ou n’est pas justifiée par des raisons d'intérêt général. Cette partie de la décision est annulée.

Le recours est donc reçu dans cette mesure.

(10 février 2023, MM. G., C. et E. et SCP Amauger-Texier, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Écurie Jarla, n° 468238)

 

138 - Création de l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie - Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay – Règles de représentation du personnel – Rejet.

Le décret du 29 décembre 2021 a créé l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie-Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay. Le syndicat requérant demande son annulation pour des griefs de légalité externe et de légalité interne, à ce dernier titre on signalera l’un de ces moyens, tous étant rejetés, il s’agit de celui relatif à la représentation du personnel au sein du conseil d’administration de cet établissement public.

Deux critiques principales étaient adressées au décret.

En premier lieu, la fixation à cinq ans de la durée des mandats des représentants du personnel, en ce qu'elle accroîtrait la période séparant les élections, serait inadaptée à l'accroissement de la mobilité des travailleurs et dissuaderait les candidatures en raison de l'engagement demandé sur une longue durée. L’argument est rejeté : outre que c’est la solution retenue pour un grand nombre d’établissements publics, le juge relève que cette durée ne conduit par elle-même en aucune façon à méconnaître le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail prévu par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et qu’elle n'est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

En second lieu, était également critiquée la disposition de l’art. 25 du décret selon laquelle le conseil d'administration siège valablement sans membres représentant le personnel de l'établissement « jusqu'à la première élection des représentants du personnel au conseil d'administration, qui doit avoir lieu dans les six mois qui suivent l'entrée en vigueur du présent décret ». Le moyen est rejeté en raison du caractère de durée brève de l’application de cette disposition, du maintien du conseil d’administration dans toutes ses compétences et de ce qu’en définitive elles ne méconnaissent pas le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, tout ceci en dépit de l’absence de maintien en fonction, à titre provisoire, des actuels représentants. Ce second rejet est plus leste que bien construit.

(14 février 2023, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles (CGT-Culture), n° 461976)

 

Sport

 

139 - Dopage – Sanctions – Application de la loi nouvelle plus douce – Erreur de droit – Annulation.

Alors que le 1° de l'art. L. 232-9 du code du sport, dans sa rédaction applicable à la date de la commission des faits, interdisait «  à tout sportif de détenir ou tenter de détenir, sans raison médicale dûment justifiée, une ou des substances ou méthodes interdites » figurant sur la liste des substances et méthodes interdites, depuis l'ordonnance du 19 décembre 2018 cet art. L. 232-9 distingue désormais, en son II, d'une part, l'interdiction « de posséder en compétition, sans justification acceptable, une ou plusieurs des substances ou méthodes interdites en compétition » figurant sur la liste des substances et méthodes interdites élaborée en application de la convention internationale contre le dopage dans le sport et, d'autre part, celle « de posséder hors compétition, sans justification valable, une ou plusieurs des substances ou méthodes interdites hors compétition » figurant sur cette liste. 

Cette législation nouvelle est moins contraignante que la précédente et plus favorable aux sportifs, c’est donc par erreur de droit que la cour administrative d’appel a refusé d’en faire application en l’espèce, d’où la cassation de son arrêt avec renvoi à cette cour..

(10 février 2023, M. A., n° 462656)

 

Travaux publics et expropriation

 

140 - Procédure d’expropriation – Annulation de l’arrêté de cessibilité pour illégalité de la déclaration d’utilité publique de l’opération – Paiement de l’indemnité de dépossession déjà effectué – Recours au juge judiciaire en restitution de l’ensemble immobilier – Sursis à statuer – Annulation de l’arrêt annulant l’arrêté de cessibilité – Continuation des travaux – Demande de suspension – Rejet – Confirmation.

Dans le cadre d’une très importante opération d’urbanisme, réalisée à Marseille par l’établissement public administratif Euroméditerranée, il a été procédé à la mise en œuvre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique. Celle-ci va provoquer un contentieux d’une relative complexité.

En vue de l’acquisition de parcelles entrant dans le périmètre de cette opération d’aménagement (« Euromed 2 »), le préfet a déclaré d'utilité publique les travaux de réalisation de celle-ci et déclaré cessible, au bénéfice de l'EPA Euroméditerranée, l'ensemble immobilier situé sur les parcelles en cause qui ont fait l’objet d'une ordonnance d'expropriation. Après que le juge judiciaire a fixé le montant les indemnités de dépossession, celles-ci ont été payées.

Saisi par les intéressées, la cour administrative d'appel a annulé l'arrêté de cessibilité par voie de conséquence de ce que l'arrêté déclarant les travaux d'utilité publique était lui-même illégal.

En conséquence, la SCI requérante a saisi le juge de l'expropriation d’une demande aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation et de restitution de cet ensemble immobilier.

L'établissement public avait notifié quelques jours avant que ne soit rendu l’arrêt d’appel, l'ordre de service du démarrage de l'exécution des travaux de démolition des bâtiments concernés.

Le juge des référés du tribunal administratif, saisi par la SCI, a enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause.

Cette ordonnance a été confirmée par le juge des référés du Conseil d'État concernant l'injonction avec cette précision que l’injonction prendrait fin notamment si l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille était annulé : ce fut le cas par une décision du 25 juillet 2022 (Établissement public d'aménagement Euroméditerranée, n° 462681, demande d’annulation, et n° 462773, sursis à l’exécution ; Voir cette Chronique, juillet-août 2022 n° 72).

Le juge des référés du tribunal administratif, sur demande de la SCI, a à nouveau enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause mais cette ordonnance a été annulée par le juge des référés du Conseil d'État (cf. 25 août 2022, même requérante, n° 466421 ; voir cette Chronique juillet-août 2022, n° 73).

En cet état de la procédure le juge de l'expropriation, saisi par la SCI d’une demande en restitution des biens, a sursis à statuer jusqu’à ce que le juge administratif se soit définitivement prononcé sur la légalité de l'arrêté de cessibilité.

La SCI, au moyen d’un référé liberté, s’est alors tournée vers le juge des référés du tribunal administratif qui a rejeté sa demande de le voir enjoindre à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre les travaux.

Elle interjette appel de cette ordonnance. Sa requête est rejetée.

L’argument principal de la SCI est que, par la poursuite des travaux de démolition, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété dès lors que la démolition des biens litigieux la prive de toute possibilité d'obtenir leur restitution du fait qu’elle ne peut exercer son droit à recours effectif, prévu et garanti par la Constitution et par les art. 6 et 13 de la Convention EDH.

C’est tout d’abord l’occasion pour le juge de rappeler que le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction constitue une liberté fondamentale cependant « l'effectivité d'un recours ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution des mesures (…) dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l'atteinte aux biens. »

C’est ensuite l’explication du motif du rejet de l’appel en référé liberté. En l’état, la cour de Marseille demeure toujours saisie, par l’effet du renvoi opéré par le Conseil d’État, de la question de la légalité de l’arrêté de cessibilité et tant qu’elle ne s’est pas prononcée la requérante n’est manifestement pas en présence d’une « annulation par une décision définitive du juge administratif » selon la formule dont use le législateur (cf. art. L. 223-2 code expropriation), situation qui seule permettrait au juge de l’expropriation de constater l’absence de base légale du transfert de propriété. C’est donc sans erreur de droit que le juge des référés du tribunal administratif, dont l’ordonnance est ici attaquée, a considéré que si la reprise des travaux est de nature, dans l'hypothèse d'une annulation devenue irrévocable de l'arrêté de cessibilité, à faire obstacle à ce que les biens en cause soient restitués à la société, qui serait alors indemnisée, cette reprise ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif et au droit de propriété, alors que l'absence d'annulation définitive de l'arrêté de cessibilité fait en tout état de cause obstacle en l'état à l'action en restitution devant le juge de l'expropriation, qui a sursis à statuer dans l'attente que le juge administratif se soit définitivement prononcé sur la légalité de cet arrêté.

La solution n’est pas sans logique mais il reste tout de même qu’en pareille occurrence il y a grande chance que la SCI ne recouvrera jamais son bien et que l’allocation d’une somme d’argent en réparation n’équivaudra pas à la restitution de son bien. L’équivalent monétaire d’une chose ne constitue jamais cette chose elle-même.

Il serait plus judicieux, surtout dans ces opérations de grande ampleur et de longue durée, que préalablement à l’engagement des travaux, ceux-ci fussent purgés de tout recours.

(13 février 2023, SCI Les Marchés Méditerranéens, n° 471038)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

141 - Permis de construire, démolir ou aménager – Recours contre cette décision – Requérants recevables à contester tout modificatif ou toute régularisation d’un tel permis dans le cadre de la première instance ou non – Annulation.

Accentuant et élargissant une tendance jurisprudentielle très récente, la présente décision pose comme règle procédurale que les parties à une instance en contestation d’un permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue sont recevables à contester la légalité d'un permis modificatif, d'une décision modificative ou d'une mesure de régularisation intervenue au cours de cette instance, lorsqu'elle leur a été communiquée, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de forme ni de délai.

Si cette contestation prend la forme d'un recours pour excès de pouvoir présenté devant la juridiction saisie de la décision initiale, elle doit être regardée comme un mémoire produit dans l'instance en cours. La circonstance qu'elle ait été enregistrée comme une requête distincte est toutefois sans incidence sur la régularité du jugement ou de l'arrêt attaqué, dès lors qu'elle a été jointe à l'instance en cours pour y statuer par une même décision.

En l’espèce, est annulé le jugement ayant déclaré les requérants irrecevables en leur action contre le permis modificatif motif pris de ce qu’était expiré le délai de recours contentieux lorsqu’ils ont ajouté à leurs conclusions dirigées contre le permis initial, des conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif.

(1er février 2023, M. et Mme B., M. F., n° 459243)

 

142 - Retrait d’un permis de construire à la demande de tiers – Tiers et pétitionnaires jugés destinataires du retrait – Absence de notification du retrait aux tiers – Absence de déclenchement du délai de recours contentieux – Demande de permis entachée non d’erreur matérielle mais de fraude – Rejet.

Après qu’il a accordé à M. A., le 28 octobre 2003, le permis de construire une habitation, un maire, alerté par les voisins du terrain d’assiette du permis, M. et Mme D., a , par arrêté du 6 août 2007, retiré ce permis pour fraude, puis, par un arrêté du 10 juillet 2015, il a retiré l’arrêté de 2007 portant lui-même retrait du permis litigieux.

Le tribunal administratif a rejeté une requête tendant à voir annuler l’arrêté du 10 juillet 2015 ; sur appel des demandeurs déboutés, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté de 2015.

Les héritiers de M. A. se pourvoient contre cet arrêt. Leur recours est rejeté.

En premier lieu, en effet, le retrait, à la demande d’un tiers, d’une décision retirant une décision délivrant un permis de construire, crée des droits pour ce tiers qui doit, dès lors, être regardé, de même que le bénéficiaire du permis ainsi rétabli, comme le destinataire de la décision retirant le retrait du permis de construire. Dès lors, cette décision ne peut être opposée à ce tiers que si elle lui a été régulièrement notifiée. Il suit de là que le délai de recours contentieux ne peut commencer à courir à son égard qu'à la même condition. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé qu'en l'absence de notification de l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le maire a retiré l'arrêté du 6 août 2007 qui avait retiré le permis de construire du 28 octobre 2003, le délai de recours contentieux n'avait pas commencé à courir à l'encontre de l'arrêté du 10 juillet 2015 à l'égard de M. et Mme D.

En second lieu, le permis primitivement accordé reposait sur une fraude car le juge de cassation, confirmant sur ce point aussi l’arrêt d’appel, estime que la déclaration dans le formulaire de demande de permis de construire d'une surface hors œuvre nette de 8 % inférieure à celle que M. A. projetait de construire devait être regardée non comme une simple erreur matérielle mais comme une manœuvre frauduleuse destinée à tromper l'autorité administrative.

(1er février 2023, M. et Mme H. venus aux droits de M. A., n° 461478)

 

143 - Demande d’autorisation de changement de destination de locaux d’habitation en bureaux – Absence de demande de changement d’usage – Rejet de cette dernière – Indépendance des législations – Rejet.

Illustrant la parfaite complexité de notre système juridique, l’art. R. 421-l7 du code de l’urbanisme institue une déclaration préalable en cas de changement de destination de locaux jusque-là d’habitation tandis que l’art. L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation instaure, lui, dans certaines communes, une autorisation préalable du changement d’usage. Dans le premier cas, le but de la déclaration préalable serait de contrôler le respect des règles d'urbanisme, lesquelles peuvent dépendre de la destination de la construction, tandis que l’autorisation préalable de l’art. L. 631-7 aurait pour but d’assurer le maintien, dans certaines communes, d'un nombre suffisant de logements.

On avouera ne pas bien comprendre ce distinguo par trop subtil car, en définitive, remplacer une habitation par un ou des bureaux paraît, du moins pour le bon sens commun, constituer à la fois un changement de destination et un changement d’usage.

En l’espèce, la SCI Agcy Immo a adressé – sur le fondement de l’art. R. 421-17 précité - une déclaration préalable à la ville de Marseille en vue de la transformation en bureaux de locaux d’habitation, d’où est née une décision tacite de non opposition à déclaration préalable. Puis, lors de la location de ces locaux à la Société Eurotrade Fish par bail commercial, la ville a accordé à cette dernière une attestation de changement de destination, accompagnée d'une mention selon laquelle il lui appartenait, pour utiliser ces locaux comme bureaux, de demander en outre une autorisation de changement d'usage, sur le fondement de l'art. L. 631-7 précité.

La demande de changement d’usage ayant été rejetée par arrêté municipal, cette entreprise et la société bailleresse ont saisi, en vain, le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ce dernier arrêté, assorti d’une demande de suspension de l’exécution de celui-ci.

Elles se pourvoient en cassation du rejet de cette demande de suspension.

Pour rejeter leur pourvoi le Conseil d’État s’appuie sur le bien connu principe d’indépendance des législations (v., pour une critique raisonnée et justifiée de cette notion jurisprudentielle, I. Mboup, La notion instrumentale d'indépendance des législations, RDP 2013, p. 589) qu’on a sommairement rappelé au début de cette notule.

Il relève en particulier que si selon « les dispositions de l'article L. 631-8 du code de la construction et de l'habitation (…), dans les cas qu'elles prévoient, la demande faite au titre du permis de construire ou de la déclaration préalable de travaux vaut demande de changement d'usage, lorsque le permis de construire est délivré ou que le maire ne s'oppose pas à la déclaration de travaux, ces autorisations, lorsqu'elles valent changement de destination, ne lient pas l'autorité administrative chargée de se prononcer de manière distincte sur la demande d'autorisation de changement d'usage pour les mêmes locaux. » L’argumentation peine à convaincre ;

Ainsi c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a successivement jugé, tout d’abord, que le changement de destination du local en cause résultant de la non opposition à déclaration de travaux ne rendait pas inutile la délivrance d'une autorisation de changement d'usage de ce même local et, ensuite, que les dispositions de l'article L. 631-8 du code de la construction et de l'habitation ne jouent que dans le cas changements d'usage qui font l'objet de travaux entrant dans le champ d'application du permis de construire.

(09 février 2023, Société Eurotrade Fish et SCI Agcy Immo, n° 462409)

 

144 - Division d’un terrain en plusieurs lots dont un à bâtir – Absence d’opposition à la déclaration préalable de division – Formalité de notification du recours – Absence de justification en première instance – Irrecevabilité manifeste – Invocation d’un moyen nouveau en appel – Rejet.

Les requérants, qui contestent l’absence d’opposition du maire d’une commune à la déclaration de division d’un terrain en lots dont l’un est à bâtir, ont vu leur action déclarée manifestement irrecevable pour n’avoir pas répondu à la demande de justification de la notification de leur recours à l’auteur et au bénéficiaire de l’acte attaqué (art. R. 600-1 c. urb.).

Ils ne sauraient être recevables à invoquer pour la première fois en cassation ni que l'obligation de notification prévue par ces dispositions n'était pas applicable en l'espèce faute d'information en ce sens sur le terrain d'assiette du projet ou dans l'arrêté litigieux ni qu'il appartenait au juge de s'assurer d'office de l'existence d'une information sur le terrain d'assiette ni qu'une telle obligation de notification porterait atteinte au droit d'exercer un recours effectif.

(10 février 2023, M. de Saint-Trivier et autres, n° 460156)

 

145 - Permis de construire – Demande d’annulation – Intérêt pour agir – Existence – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Pour rejeter par ordonnance la demande d’annulation de deux permis de construire formée par le requérant, le juge du fond a considéré qu’il n’avait pas d’intérêt pour agir au sens et pour l’application de l’art. L. 600-1-2 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État est, très justement, à la cassation  car le requérant faisait valoir, au soutien de ses prétentions, qu’il est voisin immédiat du terrain d’assiette du projet litigieux, sa propriété étant contiguë à celui-ci et que l'une des constructions envisagées, située à 4 mètres de la limite séparative entre les deux terrains et d'une hauteur de 6,70 mètres, était susceptible, en raison de son ampleur et de son implantation, d'entraîner une perte d'ensoleillement et des nuisances sonores.

Parce que les dispositions légales emportent en cette matière une forte atteinte au droit d’action de justiciables potentiels, il nous paraît inutile et même nocif d’y rajouter une interprétation par trop restrictive d’un texte déjà très « verrouillé ».

(15 février 2023, M. C., n° 466005)

 

146 - Permis de construire - Clôture de l’instruction – Indication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office – Absence de réouverture automatique de l’instruction – Mise en œuvre des pouvoirs de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Absence de réouverture de l’instruction – Rejet.

Cette décision se signale à l’attention surtout par les deux rappels qu’elle contient.

Rappel, tout d’abord, que l’information donnée aux parties, après clôture de l’instruction, qu’un moyen est susceptible d’être relevé d’office, n’a pas pour effet de rouvrir ipso facto l’instruction y compris en cas de communication aux parties, par le juge, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office et alors même que, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen.

Il n’en irait autrement que dans le seul cas, bien connu, où le mémoire reçu postérieurement à la clôture de l'instruction contiendrait l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction.

Rappel, ensuite, dans le même ordre d’idées, qu’en cas de clôture préalable de l’instruction, l’invitation à produire des observations, adressée par le juge aux parties, en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, ni cette invitation ni la communication par le juge des observations reçues en réponse à cette invitation n'ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l'instruction déjà close.

Naturellement, parce que le juge administratif dirige souverainement l’instruction, dans tous les cas où il n’est pas tenu de rouvrir l’instruction il détient cependant la faculté de le faire, à charge pour lui de respecter l’ensemble des règles gouvernant cette réouverture.

(17 février 2023, M. U. et autres, n° 452560)

 

147 - Permis primitif devenu définitif - Permis modificatif – Appréciation de l’intérêt du demandeur à agir – Cas du voisin immédiat - Présomption d’existence d’un intérêt à agir – Annulation partielle.

Cette décision est intéressante à un double titre qui concerne l’hypothèse d’un recours en annulation dirigé contre un permis modificatif alors que le permis initial est devenu définitif ; elle constitue un prolongement d’une décision du 17 mars 2017, M. et Mme D., n° 396362.

Lorsque le permis initial est devenu définitif soit qu’il n’ait pas été contesté soit que, attaqué au contentieux, le recours ait été définitivement rejeté et que survient un permis modificatif de ce dernier, l’appréciation de l’intérêt à agir ne peut plus se faire que par la confrontation de la situation du requérant par rapport aux seules modifications apportées par le permis modificatif au permis initial.

Toutefois, lorsque le recours contre le permis modificatif est formé par les voisins immédiats du projet, ceux-ci bénéficient d’une présomption d’intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation des modifications apportées au projet.

(17 février 2023, Mme D. et autres, n° 454284)

 

148 - Urbanisme opérationnel – Prescription de la révision d’un plan d’occupation des sols (POS) – Adoption du plan d’urbanisme postérieurement à la cessation des effets du POS – Application du régime de l’art. L. 122-2 du code de l’urbanisme – Opposition de la règle de constructibilité limitée – Erreur de droit - Annulation.

Une commune décide la révision de son POS en vue de lui substituer un plan local d’urbanisme (PLU). En approuvant le PLU, le conseil municipal a classé en zone 1 AU un secteur précédemment classé en zone 3 Nac. La cour administrative d’appel, par arrêt infirmatif, a annulé cette délibération au motif qu’elle avait été prise en méconnaissance des règles de constructibilité limitée résultant de l'art. L. 142-5 du code de l'urbanisme car le plan local d'urbanisme avait procédé sur ces parcelles à une ouverture à l'urbanisation, sans que la dérogation prévue en ce cas par l'art. L. 142-4 ait été obtenue par la commune.

La commune se pourvoit et le Conseil d’État est à la cassation.

Selon le juge de cassation il résulte des dispositions de l’art. L. 122-2 c. urb., antérieurement à la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, que la règle de constructibilité limitée ne s'appliquait qu'aux procédures de modification et de révision du plan local d'urbanisme, et non aux procédures d'élaboration du plan local d'urbanisme.

Par ailleurs, des dispositions de la loi précitée de 2014, il découle que si la révision d'un POS en vue qu’il soit mis en forme d'un PLU doit être regardée comme une évolution d'un document d'urbanisme, il en va différemment lorsque, par l'effet de l'art. L. 174-3 du c. urb., le POS cesse d'être applicable sur le territoire concerné : en ce cas il ne peut s’agir que d’une procédure d’élaboration d'un PLU. 

C’est pourquoi l’arrêt attaqué repose sur une erreur de droit en ce qu’il juge que la délibération litigieuse était régie par les dispositions des art. L. 142-4 et L. 142-5 du code précité, d’où son annulation.

Ainsi, parce que l'art. L. 122-2 de ce code ne visait que la procédure de modification ou de révision du PLU, et non la procédure d'élaboration d'un tel document, la commune de Roussillon ne pouvait pas être soumise aux dispositions prévoyant, pour les communes non couvertes par un schéma de cohérence territoriale, l'interdiction de l'ouverture à l'urbanisation d'une zone à urbaniser délimitée après le 1er juillet 2002 ou d'une zone naturelle.

La cour ne pouvait donc pas annuler la délibération attaquée par le motif que le classement opéré par elle en zone 1 AU le secteur antérieurement classé en zone 3 NAc, aurait dû être précédé de la dérogation préfectorale prévue à l'art. L. 142-5 du code de l'urbanisme.

(17 février 2023, Commune de Roussillon, n° 460508)

 

149 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

Les demandeurs se sont pourvus en cassation d’un jugement qui, rendu sur leur saisine en annulation d’un permis de construire, a sursis à statuer sur ce recours en vue d’en permettre la régularisation. Par un second jugement, le permis a été annulé et les requérants ont formé un pourvoi contre ce second jugement. Ce pourvoi a fait l’objet d’une décision de non-admission par le Conseil d’État. Il est donc jugé que le premier pourvoi est devenu sans objet, le premier jugement étant devenu définitif.

(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)

 

150 - Permis de construire – Allégation de fraude dans la demande de permis – Concomitance d’un acte de vente et d’un compromis de vente contraire – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

Le tribunal administratif avait été saisi d’un recours en annulation d’un arrêté portant permis de construire au motif que la demande de ce permis était entachée de fraude.

Le tribunal a rejeté cette demande  en se fondant d’abord sur ce que les époux pétitionnaires étaient propriétaires de la totalité d’une parcelle de 370 m² à la date de dépôt de leur demande de permis de construire, ensuite, sur ce que le compromis de vente portant sur la bande de 100 m² était assorti d'une condition suspensive, à savoir l'achèvement de la construction envisagée, laquelle n'était intervenue que le 19 mai 2020, soit postérieurement au refus du maire de retirer le permis de construire, enfin il n'était pas établi qu'à la date de son jugement l'acte de vente définitif ait été passé.

Le juge de cassation censure ce raisonnement motif pris que le tribunal n’a pas recherché, comme le soutenait la requérante, si la concomitance de l'acte de vente et du compromis de vente contraire conclus le même jour et la combinaison de leurs stipulations ne révélaient pas, en l'espèce, une manœuvre destinée, aux seules fins d'obtenir un permis de construire indu, à présenter à l'administration une demande pour un terrain d'assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction.

(17 février 2023, Mme E., n° 461212)

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