Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Octobre 2022 

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute – Droits annuels d’inscription à la préparation de ce diplôme – Décret renvoyant à un arrêté la fixation de ses conditions d’application – Absence de fixation – Erreur de droit – Annulation.

La fédération requérante demandait l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande tendant à ce qu'elle fixe par arrêté le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé.

Constatant qu’à la date à laquelle il statue (bien que le contentieux en cause relève de l’excès de pouvoir et non du plein contentieux) le renvoi opéré par l'arrêté du 22 août 1988 à l'arrêté fixant les frais d'inscription à l'université, ne permet pas de déterminer le montant des droits annuels d'inscription exigés des candidats au diplôme d'État de masseur-kinésithérapeute effectuant leurs études dans un institut de formation relevant d'un établissement public de santé et ce montant ne résultant pas davantage d'autres dispositions réglementaires, il s’ensuit que l'application des dispositions de l'article D. 4321-22 du code de la santé publique, qui prévoient le principe de tels frais d'inscription, est, dès lors, manifestement impossible.

En refusant de prendre un arrêté fixant le montant de ces droits d'inscription, la ministre a commis une erreur de droit.

Comme demandé par la requérante, injonction est faite à celle-ci de prendre sous deux mois l’arrêté nécessaire.

(7 octobre 2022, Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie, n° 438233)

 

2 - Diplôme d’université d’orthodontie – Refus de reconnaissance de ce diplôme par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes – Application d’une décision réglementaire de l’ordre – Diplôme ne constituant pas une qualification complémentaire utile à l’information des patients – Rejet.

La requérante, titulaire du diplôme d'université d'orthodontie, demande l’annulation de la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes refusant de reconnaître ce diplôme ; sa requête est rejetée.

Ce refus est fondé sur une décision à caractère réglementaire de ce Conseil fixant notamment les critères et la procédure selon lesquels ce conseil examine les demandes de reconnaissance des diplômes, titres et fonctions présentées par des chirurgiens-dentistes.

Cette décision ayant été publiée sur le site internet de l'ordre national des chirurgiens-dentistes, au sein d'un espace documentaire, avec la mention des dates de son édiction et de ses modifications, a ainsi fait l'objet de mesures de publication adéquates permettant son entrée en vigueur. La requérante n’est, en conséquence, pas fondée à soutenir que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ne pouvait pas légalement se fonder sur cette décision réglementaire pour prendre la décision attaquée.

Ensuite, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes s'est seulement fondé sur l'absence d'intérêt pour l'information du patient de la mention de la formation en cause par rapport à celle de la formation initiale des chirurgiens-dentistes en orthopédie dento-faciale. Par suite, le moyen tiré de ce qu’il aurait mentionné dans sa décision un volume annuel de vacations au cours des trois années de formation conduisant à l'obtention du diplôme litigieux qui serait inexact, revêt un caractère inopérant.

Enfin, ce Conseil n’a ni commis une erreur d’appréciation ni commis une erreur de fait en estimant que ce diplôme ne correspondait pas à une qualification complémentaire utile à l'information du patient, et par suite ne satisfaisait pas aux conditions posées par les dispositions des articles R. 4127-216 et R. 4127-218 du code de la santé publique ainsi que par la décision réglementaire de ce Conseil en date du 13 avril 2007.

(7 octobre 2022, Mme B., n° 456454)

 

3 - Recommandations par « Questions-réponses » du ministère de la fonction publique sur le déconfinement et ses conséquences – Réitération dans un courriel du secrétaire général du Conseil d’État – Exception d’illégalité à l’encontre des « Questions-réponses » - Absence de caractère discriminatoire – Rejet.

Un document, intitulé « Questions-réponses Covid-19 - Sortie du confinement dans la fonction publique », a été mis en ligne le 11 mai 2020 sur le site internet du ministère chargé de la fonction publique, sous la forme de douze questions et réponses. Puis, par un courrier électronique adressé aux présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et à la présidente de la Cour nationale du droit d'asile le 26 mai 2020, le secrétaire général du Conseil d'État – agissant sur délégation du vice-président de ce Conseil - a appelé l'attention des chefs de juridiction sur la situation des magistrats et des agents ayant atteint l'âge de 65 ans, en renvoyant expressément les chefs de juridiction au document mentionné au point précédent, tout en mettant en exergue certaines de ses recommandations. 

Le requérant demande l’annulation de ce courriel. Tous ses moyens sont rejetés.

Est tout d’abord écarté le moyen d’incompétence du signataire du courriel qui manque en droit comme en fait.

Pareillement n’est pas retenue l'exception d'illégalité des « questions-réponses » du 11 mai 2020 puisque le courriel litigieux n'a pas été pris sur leur fondement ou pour leur application, se bornant simplement à y faire référence.

Il n’est pas exact que les mesures auxquelles ce courriel renvoie seraient sans rapport avec l'aptitude au service, inspirées par des considérations étrangères à l'intérêt du service et présenteraient un caractère discriminatoire en se fondant sur un critère lié à l'âge, dès lors qu’il ne vise, dans un but de santé publique, que les personnes les plus vulnérables à la Covid-19, notamment les plus âgées, un âge supérieur à 65 ans étant, selon la Haute autorité de santé, un facteur de risque de gravité, compte tenu notamment des taux de mortalité particulièrement élevés alors constatés pour cette tranche d'âge à la suite d'une infection au virus.

(7 octobre 2022, M. B., n° 442043)

 

4 - Communication de documents administratifs – Documents détenus par une personne privée non chargée d’une mission de service public – Documents reçus par une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public – Comptes d’une fondation d’entreprise - Nature de documents administratifs communicables sous réserve de secrets protégés – Entité n’ayant reçu aucune subvention publique – Rejet.

La requérante avait demandé, en vain, au tribunal administratif la communication de comptes annuels de la fondation d'entreprise Louis Vuitton, ainsi que de leurs annexes. Elle se pourvoit contre le rejet de sa réclamation.

L’action est rejetée au terme du raisonnement suivant.

Le Conseil d’État décide, c’est sans doute là le plus important, « que les documents produits par une personne privée qui n'est pas investie d'une mission de service public acquièrent le caractère de documents administratifs, pour l'application du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'ils ont été reçus par une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public. De tels documents, sauf à ce qu'il soit possible d'occulter ou de disjoindre les mentions en cause, ne peuvent toutefois être communiqués qu'à la personne intéressée lorsque cette communication porterait atteinte à la protection de sa vie privée au sens et pour l'application de l'article L. 311-6 du même code ».

Il se déduit de ceci :

- d’abord, que ne sont pas communicables à des tiers, par l’autorité administrative détentrice, les documents relatifs notamment au fonctionnement interne et à la situation financière de cette personne morale privée car cette communication porterait atteinte à la vie privée de cette personne morale (que l’art. L. 311-6 du CRPA exclut du champ d’application du droit à communication),

- ensuite que, s’agissant des comptes des fondations d’entreprise ceux-ci ne sont pas communicables car, précisément, ils sont des documents relatifs notamment à leur fonctionnement interne et à leur situation financière et concerne leur vie privée à l’exception du cas où une fondation aurait reçu une subvention publique excédant un certain montant (cf. art. L. 612-4 du code de commerce).

C’est sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que, par le jugement querellé, le tribunal administratif a refusé à la requérante la communication des comptes de la fondation Louis Vuitton en tant que cette communication porterait atteinte à la protection de la vie privée.

(Section, 7 octobre 2022, Association Anticor, n° 443826)

 

5 - Candidature aux fonctions de président d’un tribunal administratif – Nomination d’un autre candidat – Procédure d’examen des candidatures – Circonstances postérieures à un avis émis au cours de cette procédure – Nécessité d’un vote formel – Absence – Rejet.

Des différents griefs, dont plusieurs de fait et importants, développés par le requérant au soutien de sa demande d’annulation du décret nommant une autre personne que lui-même à un poste de président de tribunal administratif, ne seront retenues que deux critiques tenant à la procédure suivie en l’espèce.

Tout d’abord, le demandeur mettait en cause la régularité de l'avis rendu sur sa candidature par Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTACAA) le 14 janvier 2020 en se fondant sur des circonstances postérieures à cette date. Ce moyen est classiquement rejeté.

Ensuite, alors même que le CSTACAA prend ses décisions et émet ses avis et ses propositions à la majorité des suffrages exprimés (cf. art. R. 232-24 CJA), cela n’implique pas et n’impose pas qu’il doit nécessairement se prononcer au moyen d’un vote formel dès lors que le procès-verbal de séance indique que ses membres se sont prononcés à l’unanimité sur l’inscription de l’un des candidats sur la liste d'aptitude pour l'accès aux 6ème et 7ème échelons du grade de président du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Le recours est rejeté également par rejet de tous les autres moyens soulevés.

(7 octobre 2022, M. B., n° 447249)

 

6 - Foire aux questions du ministère de l’éducation nationale – Questions relatives à la tenue de réunions syndicales et aux absences pour motif syndical – Existence éventuelle d’une situation imprévisible – Retrait d’autorisation – Légalité.

La fédération requérante demandait l’annulation de la précision apportée dans une foire aux questions publiée sur le site internet du ministère de l’éducation nationale selon laquelle, en cas de d’impossibilité tenant à la Covid-19 et créant une situation imprévisible empêchant le fonctionnement du service et donc la tenue de réunions syndicales ou celle d’une formation syndicale, les autorisations de telles réunions ou formations peuvent être retirées.

Elle invoquait au soutien de son action, les dispositions de l’art. L. 242-1 du CRPA prohibant l’abrogation de décisions créatrices de droit.

La requête est rejetée.

D’abord, les énonciations attaquées de la foire aux questions relative à la Covid-19 se bornent à rappeler que ces autorisations, qui ne produisent d'effet qu'au jour de l'absence effective de leurs bénéficiaires, peuvent être abrogées ou retirées si les nécessités du fonctionnement du service s'y opposent à cette date en cas de situation imprévisible. Par conséquent, elles ne formulent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, une règle qui méconnaît les dispositions de l'article L. 242-1 du CRPA.

Ensuite, si une décision d'autorisation d'absence pour motif syndical ne peut être abrogée qu’en raison des nécessités du fonctionnement du service, avec lesquelles doit être concilié l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, celle-ci peut être abrogée en cas de situation imprévisible qui empêche le bon fonctionnement du service. Ainsi il n’a pas été porté en l’espèce une atteinte illégale à la liberté syndicale.

(10 octobre 2022, Fédération Sud Éducation, n° 460776)

 

7 - Mandataires à la protection des mineurs – Arrêté relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de ces mandataires – Compétence de son auteur – Conformité à la loi – Enregistrement dans le répertoire national des certifications – Rejet.

Un arrêté du ministre chargé des affaires sociales, du 7 décembre 2021, a été pris en vue de modifier l'arrêté du 2 janvier 2009 relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs et de délégué aux prestations familiales.

Les requérantes en demandent l’annulation mais en vain, aucun des moyens soulevés n’ayant prospéré.

Tout d’abord, en prenant cet arrêté le ministre des solidarités et de la santé est resté dans le cadre et la limite de ses compétences tels qu’ils résultent  du code de l’action sociale et des familles (art. D. 471-4) en ce qui concerne la définition de l'agencement de la formation complémentaire mentionnée à l'article D. 471-3 de ce code, le contenu des enseignements théoriques et des stages éventuels ainsi que les dispenses et allègements de formation en fonction des qualifications et de l'expérience professionnelle des intéressés, les conditions et les modalités d'entrée en formation, de mise en œuvre et de validation de la formation ainsi que de délivrance du certificat national de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Par suite, le référentiel d’activités et le référentiel de compétences n’étant destinés qu’à préciser le contenu de la formation complémentaire de ces mandataires judiciaires, le ministre, en prenant l’arrêté querellé, a compétemment agi.

Ensuite, l’arrêté litigieux n’a pas méconnu de dispositions réglementaires ou législatives applicables aux mandataires judiciaires à la protection des mineurs dès lors qu’il n'a ni pour objet ni pour effet de définir les missions de ces mandataires, les conditions d'exercice de leur activité ou les conditions dans lesquelles cette activité pourrait être soumise à contrôle.

Enfin, compte tenu de l’objet limité de cet arrêté, il ne saurait être soutenu que le certificat en cause aurait été irrégulièrement enregistré dans le répertoire national des certifications prévu à l'art. L. 6113-1 du code du travail.

(14 octobre 2022, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs, Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et Mme A., n° 459810)

 

8 - Décret relatif au forfait post-stationnement - Recours contentieux contre une décision refusant d’abroger ce décret réglementaire – Moyens pouvant être soulevés devant le juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Saisi, notamment, d’une demande d’annulation du refus d’abroger le décret du 20 mai 2015 relatif à la redevance de stationnement, le juge précise que le forfait post-stationnement ne constitue pas une sanction et ne saurait donc relever des paragraphes 1 et 3 de l’art. 6 de la Convention EDH.

Surtout, il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, si le requérant en excès de pouvoir peut soulever dans le cadre d’une action dirigée contre le refus d’abroger une décision réglementaire la légalité des règles fixées par celle-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir, en revanche, il ne saurait critiquer les conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure que dans le cadre d’un recours dirigé non contre le refus d’abrogation mais directement contre l’acte réglementaire initial lui-même et cela dans le délai ordinaire du recours contentieux.

(10 octobre 2022, M. B., n° 443526)

 

9 - Question préjudicielle – Régime contentieux de la saisie-conservatoire d’aéronefs étrangers – Combinaison des dispositions de l’art. R. 123-9 du code l’aviation civile, d’une part, et des art. L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, L. 511-1 et L. 511-3 du code des procédures civiles d’exécution et L. 727-1 du code de commerce – Illégalité partielle de l’art. R. 123-9 du code de l’aviation civile.

Le Conseil d’État était saisi, sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation, de la question de la légalité des dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile (CAC) au regard des dispositions des articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire (COJ), L. 721-7, 3° du code de commerce, L. 511-2 et L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE).

L’art. R. 123-9 du CAC, issu de la loi du 31 mai 1924, permet à tout créancier de pratiquer la saisie conservatoire d’un aéronef avec l'autorisation du juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri lorsque le propriétaire de l'aéronef n'est pas domicilié en France ou que l'aéronef est de nationalité étrangère.

L’art. L. 213-6 du COJ dispose que : « Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre. »

Les art. L. 511-1 et L. 511-3 du CPCE prévoient que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut pratiquer une mesure conservatoire (par une sûreté judiciaire ou une saisie conservatoire) sur les biens de son débiteur, l’autorisation à cet effet est donnée par le juge de l’exécution ou, lorsqu’elle est demandée avant tout procès et tend à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale, par le président du tribunal de commerce.

Enfin, l’art. L. 727-1, 3°, du code de commerce prévoit que le président du tribunal de commerce, concurremment avec le juge de l’exécution, peut connaître des mesures conservatoires portant sur les aéronefs dans les cas et conditions prévus par le code de l'aviation civile, lorsque ces mesures tendent à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale et qu'elles sont demandées avant tout procès.

De la combinaison de ces textes complétée par l’examen des travaux préparatoires des lois du 9 juillet 1991 et du 22 décembre 2010, le Conseil d’État déduit :

- d’une part, que les dispositions de l’art. R. 123-9 du CAC - en tant qu'elles prévoient toujours une autorisation préalable du juge pour pratiquer une saisie conservatoire sur un aéronef étranger - ne sont pas incompatibles avec celles de l’art. L. 511-1 du CPCE selon lesquelles une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire, dans certaines circonstances, pour pratiquer une saisie conservatoire ;

- d’autre part, ces dispositions sont illégales en tant qu'elles désignent le juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri comme juge compétent pour autoriser la saisie conservatoire des aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France, alors que le législateur a conféré au juge de l'exécution une compétence exclusive en matière d'autorisation des saisies conservatoires, y compris s’agissant de la saisie des aéronefs étrangers, sous réserve de la compétence concurrente du président du tribunal de commerce dans les conditions qu'elles énoncent.

(14 octobre 2022, Société Green Go Aircraft et société Air Tourisme Instruction Service, n° 462518)

 

11 - Refus de délivrer des titres de séjours – Invocabilité d’une circulaire contenant des orientations générales – Conditions – Avis de droit.

Le préfet de la Côte d’Or, par plusieurs arrêtés du 21 décembre 2020, a refusé de délivrer à M. et Mme C. un titre de séjour, leur faisant également obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant trois ans à l'encontre de M. C. et pendant deux ans à l'encontre de Mme C.

Le tribunal administratif de Dijon, saisi par les époux C., ayant rejeté leurs demandes d’annulation des arrêtés litigieux, ceux-ci ont saisi la cour administrative d’appel de Lyon d’un appel tendant, d’une part, à l’annulation des jugements du tribunal de Dijon et, d’autre part, à ce que la cour enjoigne au préfet de réexaminer leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen.

Avant de se prononcer sur le litige, la cour a décidé, en application des dispositions de l'art. L. 113-1 du CJA, de transmettre les dossiers de ces demandes au Conseil d'État, en lui soumettant sept questions dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont loin d’avoir des réponses aisées. La raison en est l’incapacité des auteurs de notre droit contemporain à maîtriser les règles de production du droit, enfermés qu’ils sont, chacun, dans le domaine sur lequel ils sont présentement en train de travailler. Un tel saucissonnage finit par être mortel d’abord pour la cohérence des règles, ensuite pour leur intelligibilité (le mot « clarté » devenant ici une insulte).

D’une part, il y a trop, beaucoup trop, de règles et de règles en perpétuel changement, d’autre part, il n’existe plus de vision d’ensemble en raison de l’absolutisation de chaque chapitre du droit le rendant aussi étranger que possible à tous les autres chapitres dudit droit. Le résultat ne se fait pas attendre et se traduit par un carambolage des règles lorsque que, par malheur et donc très souvent, se rencontrent les règles de différents chapitres puisque c’est là une situation inévitable et logique.

Toute l’affaire tournait autour de l’invocabilité, ou non, d’une circulaire comportant des orientations générales.

Il faut noter ici, en préalable, que depuis l’abandon de la distinction entre circulaires interprétatives et circulaires réglementaires et leur nouvelle dichotomie en fonction de leur impérativité, laquelle est quasiment passée aux oubliettes depuis, et enfin l’irruption du droit souple (il serait plus exact de le dire « gluant » au sens qu’Heidegger donne au « réel gluant ») avec ses facétieuses combinatoires (lignes directrices, orientations générales, codes de bonnes pratiques, etc.), l’identification, comme la distinction, de l’acte administratif et de la décision administrative sont devenues un parcours du combattant agrémenté d’Indiana Jones à tous les coins de route.

Ajoutons à cela la subjectivisation croissante du droit administratif usque ad nauseam, centré sur le seul individu et, par accident ou hasard, quelquefois, sur l’intérêt collectif et on aura une idée du maëlstrom dans lequel est aujourd’hui emportée la notion même d’acte administratif.

Le Conseil d’État, dans sa réponse à la cour de Lyon, commence par rappeler qu’il se déduit de diverses dispositions du code des relations du public avec l’administration (art. L. 312-2, L. 312-3, L. 312-11, art. R. 312-3-1 à R. 312-9, R. 312-10 et art. D. 312-11) l’existence de deux systèmes de publication des instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles comportant une interprétation du droit positif ou des procédures administratives.

Le premier système, organisé autour de l’art. L. 312-2 du CRPA, crée une obligation de publication de ces actes dans les quatre mois à compter de leur signature, à peine de caducité. Le second système, organisé autour de l’art. L. 312-3 de ce code, permet à tout personne de de se prévaloir « de l’interprétation d'une règle, même erronée » contenue dans l'un des documents susmentionnés sous une double série de conditions, l’une positive, l’autre négative. Positivement, ces documents contenant l’interprétation doivent émaner des administrations centrales et déconcentrées de l'État et avoir fait l’objet d’une publication particulière sur des sites internet énumérés à l'article D. 312-11. Négativement, cette interprétation ne doit ni affecter la situation de tiers (on dit bien « situation » et non, par exemple « droits ») ni faire obstacle à la mise en oeuvre de celles des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. Ce qui signifie qu’en dehors de ces cas limitativement énumérés, l’interprétation peut avoir un effet paralysant sur l’application des dispositions législatives ou réglementaires, ce qui, déjà, ne manque pas d’interroger la démocratie.

Ensuite, répondant à l’une des questions dont il était saisi par la cour, le Conseil d’État indique que par l’expression « même erronée » il convient de comprendre aussi « même illégale ». Ainsi est, par-là, reconnue une garantie au profit de l’administré qui peut invoquer toute interprétation satisfaisant à ces conditions tant que celle-ci n’est pas modifiée, ce qui fait jouer un rôle central dans ce dispositif à la publication telle que prévue par les dispositions susrappelées.

Également, le juge rappelle que la jurisprudence a admis formellement que tout administré est fondé à se prévaloir d’un avantage – qui n’est qu’une faveur – dont l’attribution est organisée et encadrée, dans un souci de cohérence, par des lignes directrices, lorsque cet avantage a été prévu par un texte dont l’auteur n’a pas défini l’ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l’attribuer parmi ceux qui sont en droit d’y prétendre, et cela alors même que, par définition même, l’auteur de ces lignes directrices ne détient pas de pouvoir réglementaire (4 février 2015, ministre de l’intérieur, n° 383267, n° 383268). En ce cas, l’administré détient un véritable droit à obtenir cet avantage dès lors qu’il remplit les conditions requises à cet effet.

En revanche, et c’est encore là une réponse directe à l’une des questions posées par la cour de Lyon, Le Conseil d’État réitère ici que la solution ainsi décrite n’est pas applicable lorsque l'administration a défini des orientations générales (et non plus des lignes directrices) pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit. Il indique ainsi que cette même décision précitée de 2015 excluait en conséquence toute possibilité pour un étranger en situation irrégulière de se prévaloir d’orientations générales adressées par le ministre de l’intérieur aux préfets, destinées à les éclairer dans l’exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d’appréciation puisque seul le préfet peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, apprécier dans chaque cas particulier, compte tenu de l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle de l’étranger, l'opportunité de prendre une mesure de régularisation favorable à l’intéressé.

Le juge réitère donc sa doctrine antérieure en rappelant que, par le mécanisme de garantie de l'art. L. 312-3 du CRPA, le législateur n'a pas permis de se prévaloir d'orientations générales dès lors que celles-ci sont définies pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, alors même qu'elles ont été publiées sur l'un des sites mentionnés à l'article D. 312-11 précité.

En revanche, il rappelle que s'agissant des lignes directrices, le législateur n'a pas subordonné à leur publication sur l'un de ces sites la possibilité pour toute personne de s'en prévaloir, à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif.

La description de l’architecture juridique en la matière permet de comprendre que la cour a pu légitimement se poser des questions et les réponses apportées permettent de savourer une fois de plus les talents d’acrobates des locataires du 1, Place du Palais-Royal, illustrant à nouveau, s’il était besoin que : « Le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité. » (J. Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935).

(Avis, 14 octobre 2022, M. et Mme C., n° 462784)

 

12 - Commission de régulation de l’électricité – Délibération arrêtant des mesures de renforcement de la sécurisation financière du dispositif d’équilibre – Défaut de consultation des opérateurs intéressés préalablement à cette délibération – Non-respect d’une garantie offerte pour ces opérateurs et susceptible d’exercer une influence sur le sens de ladite délibération – Circonstances exceptionnelles ou urgence justifiant l’absence de consultation – Rejet.

Application d’une solution classique : en présence de circonstances exceptionnelles ou d’urgence le justifiant, si la délibération d’un organisme de régulation est irrégulière lorsqu’elle a été prise sans respect de la consultation préalable des intéressés alors qu’elle constitue pour eux une garantie et qu’elle était susceptible d’influer sur le sens de cette délibération, cette irrégularité n’est pas, en cette hypothèse, sanctionnable.

(17 octobre 2022, Société E-Pango, n° 461073)

 

13 - Covid-19 – Avis formulés par le comité des scientifiques – Avis sans effets notables sur les droits des individus et ne s’imposant pas à leurs destinataires – Irrecevabilité des recours dirigés contre eux – Rejet.

Réitération d’une solution classique et déjà appliquée s’agissant de la lutte contre la pandémie de Covid-19.

Sont irrecevables les recours dirigés contre les avis formulés par le comité de scientifiques car ils n'ont pour objet que d'éclairer les autorités qui en sont destinataires, sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, sans s'imposer à elles, et ils ne sont pas, non plus, susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes.

(19 octobre 2022, Association Patinage Artistique Briviste et autres, n° 450757)

 

14 - Ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Expiration du délai d’habilitation – Impossibilité pour le pouvoir réglementaire de différer l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance – Rejet.

Rappel d’une solution jurisprudentielle classique selon laquelle les dispositions d'une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution qui relèvent du domaine de la loi, ne peuvent plus, après l'expiration du délai de l'habilitation conférée au Gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement.

Il s’ensuit, au cas de l’espèce, que l'expiration du délai d'habilitation fait obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande tendant à ce que soit différée l'entrée en vigueur de celles des dispositions d'une ordonnance relevant du domaine de la loi, quand bien même ces conditions d'entrée en vigueur seraient illégales. 

On aura relevé que cette solution n’est applicable qu’à celles des dispositions d’une ordonnance qui sont de nature législative, tel est le cas de l’art. 4 de l’ordonnance n° 2019-361 du 24 avril 2019 relative à l'indépendance des activités de conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques en tant qu’il fixe la date d’entrée en vigueur de cette ordonnance.

(27 octobre 2022, Fédération du négoce agricole, n° 445132)

 

15 - Absence d’accusé de réception des courriers adressés à une entité publique – Irrégularité rendant inopposables les délais de recours – Circonstance n’affectant pas la légalité du contenu de ces courriers – Rejet.

Rappel de ce que la circonstance qu’une entité publique (ici l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ACPR) n'accuse pas réception des courriers qui lui sont adressés, si elle fait obstacle à ce que les délais de recours contentieux soient opposés à leur auteur, n'entache d'aucune irrégularité la ou les décisions révélées, le cas échéant, par ces courriers.

(27 octobre 2022, M. A., n° 455735)

 

16 - Réitération d’une demande antérieure adressée à l’administration – Absence de caractère de demande nouvelle – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation sans renvoi (règlement de l’affaire au fond).

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis, la cour administrative d’appel qui juge que le courrier du 26 décembre 2014 par lequel le requérant, ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts, a réitéré auprès de son administration d’origine une demande déjà formulée en juin 2011 contestant le montant de l’indemnité de départ volontaire qui lui a été attribué, constitue une demande nouvelle et qu’ainsi le ministre de l’agriculture était fondé à rejeter la demande d'indemnité de départ volontaire sollicitée par l’intéressé au motif qu'elle a été formée postérieurement à la création de son entreprise en 2013.

(27 octobre 2022, M. A., n° 456351)

 

17 - Commission administrative paritaire – Absence de parité au moment de sa réunion – Convocation régulière de tous les membres – Absence d’irrégularité – Rejet.

Des divers points de droit et de fait que comporte la présente affaire, relative à une sanction disciplinaire infligée à un commissaire de police reconnu coupable par une cour d’appel de trafic d'influence passif et condamné à une peine d'emprisonnement de trois mois avec sursis et à la privation de son droit d'éligibilité pour une durée de cinq ans, on retiendra celui-ci.

Lorsqu’un organisme est de composition paritaire (ici une commission administrative paritaire) et que ses membres ont été régulièrement convoqués à une réunion au cours de laquelle des décisions sont prises, la circonstance que la parité n’est pas réalisée du fait de la répartition catégorielle des membres présents n’entache pas d’irrégularité ses décisions.

(28 octobre 2022, M. B., n° 460700)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

18 - Mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique – Arrêté établissant le texte de ce message de mise en garde devant figurer sur certaines communications commerciales – Demande en référé d’adaptation du message – Défaut d’urgence – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation d’un arrêté ministériel définissant le contenu du message obligatoire de prévention contre le jeu excessif ou pathologique, notamment lorsque les communications commerciales sont diffusées par voie radiophonique et que son auteur soit enjoint d’adapter le texte de ce message selon la rédaction suivante : « Jouer avec excès comporte des risques. Appelez le 09 74 75 13 13, appel non surtaxé ».

Le syndicat faisait valoir à l’appui de sa requête son caractère urgent car le message de mise en garde litigieux, dont le contenu est prévu par l'article 1er de l’arrêté attaqué, cause aux membres dont il défend les intérêts, un préjudice économique grave et immédiat. Il fait valoir à ce titre qu'un tel message, faute d'avoir été pensé pour un énoncé « parlé », occupe, par sa longueur au regard du reste du message publicitaire ou promotionnel qu'il accompagne obligatoirement, une durée excessive de nature à décourager les opérateurs de jeux en ligne d'acheter, sur les radios, des espaces publicitaires ou promotionnels en faveur des jeux d'argent et de hasard et à les inciter à privilégier d'autres supports comme la communication en ligne qui capte déjà une part importante de ces ressources.

Le juge des référés rejette l’argument : le demandeur ne démontre pas, au regard du montant global d'investissements publicitaires à la radio, que la part des achats d'espaces à la radio en faveur des jeux d'argent et de hasard constituerait la part substantielle des recettes brutes des radios ni que la totalité des recettes actuelles liées à ces campagnes publicitaires sera, du seul fait de la mise en œuvre de l'arrêté contesté, réorientée vers d'autres médias. 

Faute d’urgence, le référé suspension est rejeté.

(ord. réf. 12 octobre 2022, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 467985)

 

19 - Institution d’un passe sanitaire comportant des données personnelles accessibles par lecture directe du code figurant sur le certificat de vaccination – Plainte à la CNIL clôturée par la suite – Motivation exclusive de ce procédé par la lutte contre une épidémie – Accès à la lecture du code lors du franchissement des frontières nationales réservé aux seules personnes habilitées – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision de la CNIL clôturant sa plainte contre l’instauration de certaines conditions de lecture du code présent sur son certificat de vaccination remis après injection du vaccin contre la COVID-19.

Le recours est rejeté par le double motif que les renseignements – au demeurant très limités – figurant sur ce passe n’ont pour seule finalité que de lutter contre la propagation d’un virus ayant dégénéré en pandémie et que seules des personnes à ce habilitées ont accès à la lecture de ce code lors du franchissement des frontières nationales.

(21 octobre 2022, M. C., n° 457788)

(20) V. aussi, précisant - dans le cadre d’un recours dirigé contre la clôture par la CNIL d’une procédure de plainte dirigée par une ancienne salariée qui exerçait la fonction de déléguée à la protection des données contre la société qui l’employait, du chef des conditions dans lesquelles elle a exercé ses fonctions de déléguée au sein de cette société et à l'exercice de son droit d'accès à ses données personnelles -, que doit être motivé le refus par la CNIL de donner suite à une plainte fondée sur la méconnaissance du droit d'accès qu'une personne concernée tient des dispositions de l'article 15 du RGPD au regard des décisions administratives individuelles défavorables qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, au sens et pour l'application du 6° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : 21 octobre 2022, Mme C., n° 459254.

 

21 - Mise en demeure de l’ARCEP envers une association syndicale libre – Mise en demeure de se conformer à ses obligations relatives à l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique – Référé suspension – Conditions remplies – Suspension décidée.

L’association requérante (ALDA) a demandé la suspension de l'exécution de la décision du 19 juillet 2022 par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) l'a mise en demeure de se conformer à ses obligations relatives à l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et de rendre compte de l'exécution de cette décision.

Le juge des référés constate la réunion des deux conditions exigées pour l’octroi d’une suspension de décision administrative en référé.

Tout d’abord, il existe un risque réel que l'exécution de la mise en demeure litigieuse implique soit la réalisation d'un nouveau réseau, soit une adaptation lourde de ce dernier, dont le coût pourrait selon le cas excéder ou avoisiner le budget annuel de l'association, alors que celle-ci, qui a pour objet de créer et de gérer l'ensemble des voies non communales, ouvrages et équipements communs du lotissement, vient de réaliser d'importants investissements pour le déploiement du réseau à très haut débit existant. Il n'est, en outre, pas sérieusement contesté par l'ARCEP que l'échéance impartie à l'ALDA par la mise en demeure attaquée implique que celle-ci engage au plus vite les études, consultations et travaux nécessaires. Dans ces conditions, l'exécution de la mise en demeure est susceptible d'affecter gravement et à brève échéance la situation financière de l'association. L'absence d'exécution de la mise en demeure dans le délai imparti expose quant à elle l'ALDA aux sanctions prévues au I de l’art. L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques.

Ensuite, outre qu’il n’est pas soutenu que la suspension d’exécution sollicitée de la mise en demeure attaquée porterait gravement atteinte à un intérêt public, le juge relève l’existence d’un moyen de nature à créer un doute sérieux ; il s’agit du  moyen tiré de ce qu'en imposant à l'ALDA de se conformer aux obligations résultant de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques et des décisions prises pour son application, en particulier à l'obligation de réaliser des points de mutualisation en-dehors de l'emprise des propriétés privées desservies, l'ARCEP a pris une décision qui n'est pas raisonnable et proportionnée au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, en particulier l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre opérateurs « au bénéfice des utilisateurs ».

(ord. réf. 24 octobre 2022, Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA), n° 467931)

 

Biens et Culture

 

22 - Langue française – Obligation d’emploi pour les personnes publiques et celles des personnes privées exerçant une mission de service public – Charte d’un parc naturel régional – Traduction de certains titres ou brefs passages en une autre langue – Absence de méconnaissance de l’art. 2 de la Constitution – Rejet.

Si certains éléments de la charte du parc naturel régional du Mont-Ventoux sont rédigés en langue provençale, outre qu’il ne s’agit que de quelques éléments (préambule, des titres et sous-titres, ainsi que les hauts et bas de pages), l'ensemble des orientations et des mesures qu'elle définit sont rédigées entièrement et exclusivement en français, d’où il résulte que ce document n’est pas contraire à l’art. 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, lequel,  en faisant du français la langue de la république, en impose l’usage aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et rend obligatoire la rédaction en langue française des documents administratifs. 

 

(31 octobre 2022, Association Collectif pour la défense des loisirs verts et M. A., n° 444948 ; M. C., n° 444988)

 

Collectivités territoriales

 

23 - Réalisation insuffisante de logements sociaux par une commune – Constat de carence – Infliction d’une sanction – Majoration du prélèvement annuel – Juridiction ayant omis de statuer sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction – Annulation.

(28 octobre 2022, Commune d’Auvers-sur-Oise, n° 453414)

V. n° 55

 

Contrats

 

24 - Responsabilité contractuelle – Responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol – Point de départ et durée de la prescription de l’action en responsabilité – Intervention de la loi du 17 juin 2008 (art. 2224 et 2262 c. civ.) – Faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi – Prescription trentenaire – Annulation.

Si la loi du 17 juin 2008, modifiant notamment les art. 2224 et 2262 du code civil, a ramené de trente ans à cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer une action fondée sur la responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou à un dol, le délai applicable lorsque les faits sont survenus antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi demeurent soumis au régime de la prescription trentenaire.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui applique à des faits antérieurs à cette loi la prescription abrégée que celle-ci institue.

(10 octobre 2022, Société Eiffage Construction, n° 454446)

 

25 - Responsabilité du mandataire solidaire d’un groupement de maîtrise d’œuvre – Responsabilité recherchée après achèvement de la mission – Fin des relations contractuelles non des obligations découlant du marché – Annulation.

Il ne résulte ni des dispositions de l’art. 3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles ni de celles de l’art. 20 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d'œuvre que la responsabilité du mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre ne pourrait plus être recherchée à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d'œuvre s'est achevée.

En effet, si l’achèvement de la mission, tout comme la réception elle-même, marque la fin des relations contractuelles, il est en revanche sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l'engagement solidaire qu'il a contracté. Ainsi, la responsabilité de ce dernier peut encore être recherchée, en cette qualité, après la date à laquelle s’est achevée la mission du groupement dont il est mandataire.

Cette solution est assez nouvelle sur ce point précis même si elle se situe dans le droit fil de celle classiquement applicable à l’absence d’effets de la réception sur les obligations découlant du marché (Cf. par ex. : Section, 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer c/ sociétés Atelier PAC, Nord Constructions Nouvelles, SEET Cecoba et AIF Services, n° 264490).

(10 octobre 2022, Communauté d’agglomération du Grand Angoulême, n° 455188)

 

26 - Délégation de la gestion d’un service public – Offre contraire aux dispositions d’une convention collective – Irrégularité – Compétence du juge administratif pour se prononcer sur le champ d’application d’une convention collective en présence d’une jurisprudence établie du juge judiciaire - Candidat à une délégation de service public évincé en raison de l’irrégularité de son offre – Impossibilité de contester l’appréciation des offres des autres candidats – Rejet.

Suite à l’engagement par une commune d’une procédure de délégation de la gestion d’un service public en vue de l’exploitation de son centre aquatique, l’une des quatre sociétés admises à présenter une offre mais évincée a demandé, en vain, l’annulation du contrat de délégation conclu avec une autre candidate. Elle se pourvoit contre l’arrêt confirmatif rejetant sa demande.

Se posait la question de savoir quelle conséquence tirer de ce qu’une offre se réfère à une convention collective inapplicable ou méconnaît celle applicable.

Le Conseil d’État fournit une réponse en trois temps compte tenu des termes du litige.

En premier lieu, lorsque l’objet d’une délégation de service public ou d’une concession entre dans le champ d’application d’une convention collective rendue obligatoire par un arrêté ministériel, cette convention s’impose aux candidats à l’octroi de la délégation.

En deuxième lieu, lorsqu’est discuté devant lui le champ d’application de la convention collective en cause, le juge administratif est compétent pour trancher cette question en présence d’une jurisprudence établie du juge judiciaire.

Enfin, dès lors que sa candidature est irrégulière, ici pour non-respect d’une convention collective, le candidat ne saurait utilement soulever un moyen critiquant les appréciations portées par l’autorité attributaire sur les offres des autres candidats.

(10 octobre 2022, Société Action développement loisir, n° 455691)

 

27 - Marché public - Accord-cadre mono-attributaire – Utilisation d’une procédure négociée – Candidat évincé – Référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) - Moyen nouveau oralement indiqué à l’audience sans le support d’un mémoire – Ordonnance de référé irrégulière – Critères de sélection – Degré de précision des informations données à leur sujet – Rejet.

Le référé introduit par un candidat non retenu à un marché public en forme d’accord-cadre mono-attributaire avec recours à une procédure négociée donne l’occasion au juge de deux rappels.

Le premier n’est pas propre à la matière du référé précontractuel. L’ordonnance déférée est annulée car elle est fondée sur le moyen tiré de ce que l'accord-cadre en litige ne pouvait être passé dans le cadre d'une procédure négociée alors que ce moyen avait été soulevé à l’audience sans avoir été consigné dans un mémoire écrit ne permettant ainsi pas au défendeur d’en prendre connaissance et alors que ce juge disposait du pouvoir de différer la clôture de l’instruction à une autre date que celle de l’issue de l’audience.

Le second apport est relatif aux exigences s’imposant au pouvoir adjudicateur en matière d’information des candidats sur les critères de sélection qu’il entend mettre en œuvre.  Cette information doit être suffisamment complète, fournie dès l’engagement, dans l’avis d’appel public ou le cahier des charges à la disposition des candidats. Toutefois, hormis le cas où cette information aurait déterminé des personnes à se porter candidates ou à s’en abstenir, le pouvoir adjudicateur n’a pas à indiquer les conditions de mise en œuvre des critères de sélection des candidatures. Au reste, ici, il n’est ni établi que le motif retenu pour ne pas admettre la candidature, fondé d’abord sur le fait que le partenaire local du groupe des deux candidates qui a été évincé « ne présente aucun client atteignant 1000 utilisateurs », serait inexact ni, non plus, que celui reposant sur ce que le nombre de profils proposés par les membres du groupement pour exécuter les prestations du marché était insuffisant, serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

(ord. réf. 12 octobre 2022, Nantes Métropole, n° 464074)

 

Droit du contentieux administratif

 

28 - Appel contestant un grief déterminé – Argumentation développant la contestation d’autres griefs – Argumentation inopérante – Rejet.

La ministre du travail a annulé l’autorisation de licenciement d’une salariée protégée qu’avait accordée une inspectrice du travail au motif que ne pouvait être retenu le grief fondant cette autorisation à savoir que l’intéressée aurait méconnu son obligation de loyauté, en favorisant, dans l'exercice de ses fonctions, son projet de reprendre l'entreprise à bas coût avec l'aide de l'ancien directeur général, ni les autres griefs invoqués devant elle par la société requérante.

La cour administrative d’appel, constatant n’être saisie, à raison des moyens présentés, que de la légalité de la décision par laquelle la ministre du travail avait annulé la décision de l'inspectrice du travail retenant le grief sus-rappelé, a jugé inopérante l’argumentation de l’appelante contestant le bien-fondé des motifs de la décision de la ministre relatifs à d'autres griefs fondant la décision de refus d'autorisation du licenciement.

(7 octobre 2022, Société Wipelec, n° 454256)

V. aussi le n° 90

 

29 - Juridiction ordinale – Traitement des pièces produites après la clôture de l’instruction – Notes en délibéré – Obligation de les viser – Annulation.

Parce qu’elle est une juridiction administrative, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins est tenue de faire application des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction. Ainsi il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance des notes en délibéré et de les viser. 

Le défaut de visa d’une note en délibéré entraîne l’annulation de la décision de justice.

(7 octobre 2022, M. B., n° 456897)

 

30 - Juge du référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) - Demande d’injonction à adresser à un ministre – Demande tendant à la prise de mesures réglementaires et d’organisation du service public – Demande n’entrant pas dans le champ de compétence de ce juge de référé – Rejet.

Doit être rejetée la demande adressée au juge du référé « mesures utiles » tendant à ce qu’il enjoigne le ministre de la santé de prendre d’urgence les dispositions nécessaires afin qu’il soit décidé avant la fin de l’année 2022 sur les autorisations d’exercice pouvant être délivrées aux praticiens titulaires de diplômes de médecin obtenus en dehors de l’Union européenne.

La voie du référé de l’art. L. 521-3 CJA n’est pas appropriée pour une telle demande qui devait être formée soit par voie de référé suspension (art. L. 521-1 CJA) soit par voie de référé liberté (art. L. 521-2 CJA).

(ord. réf. 5 octobre 2022, Association SOS praticiens à diplôme hors Union européenne et autres, n° 467711)

 

31 - Permis de construire partiellement annulé par un jugement après cassation et invitation à solliciter un permis de régularisation - Octroi d’un permis de régularisation – Recours en annulation de ce second permis – Renvoi au Conseil d’État (art. L. 600-5-2) – Office du juge saisi d’un second pourvoi en la matière – Intérêt d’une bonne administration de la justice – Juge de cassation devant statuer dans les circonstances de l’espèce comme juge du premier degré – Rejet.

(10 octobre 2022, M. et Mme C., n° 452955)

V. n° 201, II

 

32 - Invitation faite à une partie, au cours d’une audience, à produire des éléments – Impossibilité de différer la clôture de l’instruction - Obligation de radier l’affaire du rôle et de rouvrir l’instruction – Annulation.

Doit être approuvée la solution selon laquelle, l’invitation faite à une partie, par le président de la formation de jugement, à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction, constitue une réouverture de l'instruction. En effet, en cette hypothèse, aucune disposition du CJA ne lui permettant de différer la clôture de l'instruction au-delà de l'appel de l'affaire à l'audience ou, le cas échéant, de la formulation par les parties ou leurs mandataires de leurs observations orales, et dès lors que la formation de jugement ne saurait sans irrégularité statuer tant que l'instruction est en cours, il lui revient de rayer l'affaire du rôle et d'informer les parties de la réouverture de l'instruction.

(10 octobre 2022, Société anonyme Firalis, n° 454460)

 

33 - Clôture de l’instruction – Parties avisées postérieurement du possible relèvement d’office d’un moyen susceptible de fonder la décision de justice – Absence de réouverture de l’instruction y compris après réception des observations éventuelles sur ledit moyen sauf fait ou moyen susceptible d’influence sur le jugement de l’affaire – Transposition de cette solution en droit de l’urbanisme (cf. art. L. 600-5-1 c. urb.) – Rejet.

Dans le cadre d’une action en annulation de permis de construire, il est rappelé que l’information donnée aux parties par le juge,  postérieurement à la clôture de l'instruction, en application de l'art. R. 611-7 CJA, que sa décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, n'a pas par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction et qu’il en va de même en cas de communication par le juge, à l'ensemble des parties, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office, y compris dans le cas où, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen.

Il n’y a d’exception à cette règle que si ces observations contiennent l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction. 

Par ailleurs, et ceci concerne directement le présent litige, le juge estime la solution précédente applicable quand, envisageant de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, il invite les parties à produire des observations car ni cette invitation ni la communication par le juge des observations reçues en réponse à cette invitation n'ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l'instruction si elle était close. 

Enfin, si, normalement, lors de la mise en œuvre de l’art. L. 600-5-1 précité le juge doit laisser un délai suffisant aux parties pour produire éventuellement leurs observations, le délai dans lequel il effectue la communication aux parties des observations produites est « sans incidence sur la régularité de la procédure ».

La solution est très sévère quelles qu’en soient les justifications et l’on peut s’interroger sur sa conformité à la jurisprudence de la Cour EDH. L’espèce fournit une illustration-choc des effets de cette jurisprudence.

La clôture de l’instruction a été communiquée aux parties trois jours francs avant la date de l’audience, fixée au lundi 17 mai 2021 à 9 heures 40. Par un courrier du 6 mai 2021, les parties ont été informées que le tribunal était susceptible de surseoir à statuer sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour permettre la régularisation du vice tiré de la méconnaissance par le projet de l'article UB 3 du règlement du plan local d'urbanisme et invitées à présenter leurs éventuelles observations dans un délai de six jours à compter de la notification de ce courrier.

Par un second courrier, du lundi 10 mai 2021, les parties ont été informées que le tribunal était susceptible de recourir aux mêmes dispositions pour la régularisation d'un autre vice, tiré de la méconnaissance par le projet de l'article UB 13 de ce règlement et les parties invitées à faire connaître leurs observations dans un délai de quatre jours à compter de la réception de ce courrier.

Par un mémoire enregistré le mercredi 12 mai 2021, la commune défenderesse a fait valoir ses observations en réponse à ces deux courriers et son mémoire a été communiqué à la société pétitionnaire et aux requérants par mise à disposition sur l'application Télérecours le lundi 17 mai 2021 à 8h37, l’audience se tenant une heure plus tard, en les invitant à y répondre, si elles l'estimaient utile, « aussi rapidement que possible ». Elles en ont pris connaissance, respectivement, le 17 mai 2021 à 16h11 et le 18 mai 2021.Il est pourtant jugé que « ni les invitations faites aux parties de faire connaître leurs observations sur le sursis à statuer envisagé en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, ni la communication aux autres parties des observations présentées par la commune en réponse à ces invitations n'ont eu pour effet de proroger au-delà du 14 mai 2021 la date de la clôture de l'instruction résultant de l'envoi de l'avis d'audience. »

(10 octobre 2022, Société Horizon et Mme A., n° 455573)

 

34 - Référé suspension – Refus de renouvellement de titre de séjour – Condition d’urgence remplie – Annulation.

Commet une erreur de droit le juge des référés qui ne décide pas, en présence d’un référé dirigé contre le refus de renouvellement d’un titre de séjour, que l’urgence est ipso facto établie, un tel refus emportant toujours urgence à statuer.

(ord. réf. 12 octobre 2022, Mme D., n° 463385)

 

35 - Demande de confirmation du maintien de conclusions (art. R. 612-5-1 CJA) – Donné acte d’un désistement pour non réponses – Réponses parvenues avant la date limite impartie par la demande de confirmation – Erreur de droit – Annulation.

Par une ordonnance d’un président de chambre d’une cour administrative d’appel il a été donné acte à un préfet de ce qu’il s’était désisté de deux actions qu’il avait introduites pour n’avoir pas répondu dans le délai qui lui avait été fixé par le juge (usant de la procédure de l’art. R. 612-5-1 CJA), pour indiquer s’il entendait confirmer le maintien de ses conclusions. En réalité, alors que les délais de confirmation de ses demandes expiraient le 19 et le 23 avril, celui-ci avait déposé un mémoire portant maintien des conclusions dans chacune des affaires en cause, qui ont été enregistrés devant la cour le 16 avril 2021, comme en attestent les accusés d'enregistrement dans Télérecours produits par le ministre demandeur à la cassation.

L’ordonnance de donné acte est annulée pour erreur de droit alors que nous aurions plutôt aperçu dans ce comportant une erreur sur l’exactitude des faits même s’agissant d’une procédure se déroulant devant le juge de cassation.

(14 octobre 2022, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 457080)

 

36 - Dispositions du code de procédure pénale (art. 707 CPP) – Demande d’abrogation de l’article mis en œuvre par elles – Article ayant cessé d’être en vigueur à la date à laquelle le juge statue – Rejet.

Doivent être écartées les conclusions tendant à voir annulé le refus implicite d’abroger les art. D. 49-27 et D. 119 du code de procédure pénale qui ont été pris pour l’application de l’art. 707 de ce code, lequel est contraire à la Constitution et à la Convention EDH. Entre la saisine du juge, le 2 novembre 2020 et le jour où il statue, le 14 octobre 2022, l’art. 707 a cessé d’être en vigueur par l’effet de la loi du 8 avril 2021 ; les moyens soulevés sont écartés. Il eût été peut-être mieux de les dire devenus sans objet.

(14 octobre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 445873)

(37) V. aussi, avec même requérante, la décision identique écartant les moyens qu’elle soulève à l’encontre du refus implicite du ministre de la justice de donner instruction aux représentants du ministère public de ne plus faire application des articles 728-10 à 728-22 du code de procédure pénale tant qu'une voie de recours n'aura pas été prévue par la loi contre les procédures de transfèrement international décidées sans l'accord de la personne détenue et contre les décisions de rejet des demandes de transfèrement présentées par une personne détenue ; en effet, ces articles ont été modifiés postérieurement à l’introduction de la requête (le 17 novembre 2020) et antérieurement à la présente décision, par la loi du 22 décembre 2021. Là encore, comme dans l’affaire précédente, on eût préféré un non-lieu à statuer pour disparition de l’objet du litige en cours d’instance plutôt que la mise à l’écart des moyens de la demanderesse : 14 octobre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n°446531.

 

38 - Compétence directe du Conseil d’État (art. R. 311-1 CJA) – Demande de modification des limites entre deux communes – Absence de caractère réglementaire – Attribution du litige au tribunal administratif.

La décision administrative refusant de faire droit à une demande de modification des limites territoriales de deux communes ne présente pas de caractère réglementaire et n'est pas au nombre des recours qui doivent être présentés directement devant le Conseil d'État en application de l'article R. 311-1 du CJA. Cette solution n’est pas affectée par la circonstance que cette modification aurait pour effet de porter atteinte aux limites cantonales, lesquelles sont définies par décret.

L’affaire est transmise au tribunal administratif de Paris.

(14 octobre 2022, Association Réunissons Polangis, n° 457980)

 

39 - Contentieux disciplinaire de l’enseignement supérieur – CNESER statuant en matière disciplinaire – Demande d’aide judiciaire – Conséquence – Motivation insuffisante au fond – Annulation avec renvoi.

Une décision du CNESER statuant par voie d’appel en matière disciplinaire est d’abord entachée d’irrégularité pour avoir été prononcée sans attendre que le bureau d’aide juridictionnelle du tribunal judiciaire ait statué sur la demande en ce sens dont l’avait saisi l’appelant.

Elle est également insuffisamment motivée en ce qu’elle se borne, pour confirmer le jugement de première instance ayant infligé à l’intéressé la sanction de l'exclusion d’un établissement universitaire pour une durée d'un an assortie de quatre mois de sursis, à juger que « M. A. a nié les faits qui lui [étaient] reprochés, qu'au vu des pièces du dossier et des explications fournies par [l'intéressé], les juges d'appel n'ont pas été convaincus [et que], en conséquence, il conv[enait] de sanctionner M. A. pour ses agissements ». Une telle « motivation » n’en est pas une en l’absence d’indication des faits reprochés, de toute analyse de leur matérialité ainsi que des manquements susceptibles d’être retenus à l’encontre de l’appelant.

La cassation est parfaitement justifiée.

(10 octobre 2022, M. A., n° 459138)

 

40 - Déroulement du procès – Obligation pour les juridictions de juger dans un délai raisonnable – Contentieux sociaux – Rejet et admission partiels de la demande d’indemnisation du préjudice résultant du retard à juger.

La requérante a formé le 30 juillet 2009 un recours administratif préalable obligatoire devant le président du conseil général (devenu départemental) contre une décision d’une caisse d’allocations familiales lui demandant de rembourser un trop-perçu d'allocation de revenu minimum d'insertion (RMI) et de revenu de solidarité active (RSA) pour une certaine période. Ce recours préalable a fait l’objet d’un rejet implicite le 30 septembre 2009, confirmé par deux décisions du 18 juin et du 31 juillet 2012. Mme A. a contesté le 10 septembre 2012 la décision de rejet du 31 juillet 2012, du président du conseil général, devant la commission départementale d'aide sociale (CDAS).

Cette dernière a, par jugement du 24 mars 2017, annulé les décisions querellées et enjoint le président de la collectivité de procéder à un nouveau calcul de l'indu, réduit à la période de mars 2004 à février 2009, afin de tenir compte de la part prescrite de la dette de Mme A.

Le conseil général s’est exécuté par une décision du 16 février 2018.

Par un arrêt du 25 septembre 2018, la commission centrale d'aide sociale (CCAS) a rejeté pour tardiveté l'appel formé le 26 février 2018 par Mme A. contre le jugement de la CDAS du 24 mars 2017 et, par une ordonnance du 27 décembre 2019, a été prononcée la non-admission du pourvoi en cassation dirigée contre cet arrêt.

La requérante a demandé la réparation du préjudice causé pour dépassement du délai raisonnable de jugement.

Le Conseil d’État estime tout d’abord que le retard résultant du délai de trois ans mis par l’intéressée à saisir la juridiction sociale d’un recours contre la décision du conseil général lui est exclusivement imputable tout comme lui est imputable la circonstance que n’ayant pas informé – comme elle en avait et en savait l’obligation – la CDAS de son changement d’adresse, s’est écoulé le délai entre le 21 août 2017 (soit deux mois après la date à laquelle est revenu à la CDAS le pli contenant sa décision du 24 mars 2017) et le 26 février 2018 (date où elle a interjeté appel devant la CCAS). Il juge ensuite qu’en revanche, a excédé le délai raisonnable et justifie l’octroi d’une indemnisation de trois mille euros, le délai de quatre ans, six mois et quatorze jours qu’a duré l’instance devant la commission départementale d'aide sociale.

(10 octobre 2022, Mme A., n° 461299)

 

41 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Injonction à une université d’inscrire provisoirement une étudiante dans une formation – Incompétence manifeste – Rejet.

Incompétence manifeste du Conseil d’État pour connaître en premier ressort d’une demande d’injonction à une université d’y inscrire une étudiante à titre provisoire en deuxième année de licence de psychologie. La requête en référé est rejetée selon la procédure de l’art. L. 522-3 du CJA.

(ord. réf. 10 octobre 2022, Mme A., n° 468103)

 

42 - Mesure d’organisation du service - Autorité ne disposant pas du pouvoir réglementaire – Recours contre cette mesure ne relevant pas de la compétence de premier ressort du Conseil d’État – Attribution de l’affaire à un tribunal administratif.

Le requérant demandait l'abrogation (en fait l’annulation) de l'instruction n° 2021-DG-01 du 12 avril 2021 relative à l'armement des agents de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Le recours est transmis au tribunal administratif car la décision critiquée constitue une mesure d’organisation du service prise par un directeur d’établissement public national ne disposant pas du pouvoir réglementaire, ce qui aurait justifié la compétence du Conseil d’État en premier ressort pour connaître de ce contentieux. Le dossier est transmis au tribunal administratif.

(14 octobre 2022, Syndicat national de l’environnement, n° 458240)

(43) V. aussi, identique, s’agissant du rejet d’un recours dirigé contre une instruction du 14 décembre 2021 relative aux modalités de déplacement des agents de l’OFB : 14 octobre 2022, Syndicat national de l’environnement, n° 461369.

 

44 - Question préjudicielle – Régime contentieux de la saisie-conservatoire d’aéronefs étrangers – Combinaison des dispositions de l’art. R. 123-9 du code l’aviation civile, d’une part, et des art. L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, L. 511-1 et L. 511-3 du code des procédures civiles d’exécution et L. 727-1 du code de commerce – Illégalité partielle de l’art. R. 123-9 du code de l’aviation civile.

(14 octobre 2022, Société Green Go Aircraft et société Air Tourisme Instruction Service, n° 462518)

V. n° 10

 

45 - Référé liberté – Arrêté municipal interdisant l’accès pour certains véhicules à une voie desservant une propriété agricole – Impossibilité de l’approvisionner par une autre voie ou par des véhicules plus petits – Absence d’imminence du danger – Voie dont l’entretien incombe à une commune – Atteinte à une liberté fondamentale – Suspension de l’arrêté.

Un arrêté municipal a interdit l’utilisation par les véhicules de plus de 3,5 tonnes d’une voie communale en raison de fissurations dans les murs de soutènement ainsi que dans le sol bétonné.

Une entreprise agricole disposant de deux voies d’accès dont l’une est impraticable par ces véhicules et l’autre est celle visée par l’arrêté municipal, son exploitante a obtenu du juge des référés du tribunal administratif la suspension dudit arrêté en raison de l’impossibilité d’être approvisionnée en fourrage pour les animaux de son élevage.

L’appel de la commune est rejeté, le juge d’appel confirmant en tous points l’ordonnance querellée.

Le juge des référés du Conseil d’État estime remplies les conditions nécessaires à la mise en œuvre du référé liberté.

Tout d’abord il est constaté que la décision suspendue est manifestement illégale car les motifs invoqués au soutien de l’arrêté municipal ne sont pas pertinents. Les fissures dans les murs de soutènement et sur la voie, dont il faut rappeler que leur charge d’entretien incombe à la commune elle-même, ne sont pas telles qu’elles présentent un danger imminent ainsi qu’il résulte d’ailleurs des expertises produites et discutées à l’audience d’autant que le besoin de l’exploitation est d’environ une livraison de fourrage par mois.

Ensuite, est établie l’atteinte à une liberté fondamentale dans la mesure où, pour d’évidentes raisons de coût, il n’est pas possible à l’exploitante de recourir à plusieurs livraisons effectuées chacune par des véhicules plus petits que ceux dont le tonnage est visé par l’arrêté. Est ainsi réalisée, avec l’impossibilité d’alimenter son bétail, une atteinte grave à la liberté d’entreprendre.

Enfin, le besoin d’alimenter à très brève échéance les animaux établit l’urgence.

(14 octobre 2022, Commune de Carlencas-et-Levas, n° 467956)

 

46 - Lutte contre la pollution atmosphérique – Condamnation de l’État à astreinte – Pouvoir du juge – Conditions d’application – Balance entre des aspects positifs et des aspects négatifs au regard de l’injonction d’exécution – Détermination du montant de l’astreinte et de sa répartition – Condamnation.

Le Conseil d’État a, par une première décision, du 12 juillet 2017 enjoint au premier ministre et au ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones qui sont énumérées dans ses motifs, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées, en exécution de l'art. 23 de la directive du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, par l'art. R. 221-1 du code de l'environnement, dans le délai le plus court possible et de transmettre les mesures prises  à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

Constatant que les mesures suffisantes à cet effet n’avaient pas été prises, par une deuxième décision, rendue le 10 juillet 2020, le Conseil d’État a prononcé une astreinte de dix millions d'euros par semestre de retard, à compter de l'expiration d'un délai de six mois suivant la notification de sa décision, si l'État ne justifiait pas avoir pris les mesures nécessaires permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible, d'une part, s'agissant des taux de concentration en dioxyde d'azote, dans les zones à risque - agglomération (ZAG) de Paris, Marseille-Aix, Grenoble, Lyon, Strasbourg et Toulouse et dans la zone à risques - hors agglomération (ZAR) de Reims, d'autre part, s'agissant des taux de concentration en particules fines PM 10, dans la ZAG Paris et la ZAR Fort-de-France, compte tenu des nouvelles terminologies et du nouveau zonage issu de l'arrêté de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de le mer, en charge des relations internationales sur le climat du 26 décembre 2016 relatif au découpage des régions en zones administratives de surveillance de la qualité de l'air ambiant. 

Puis, dans sa décision du 4 août 2021, le Conseil d’État, constatant l’absence d’exécution complète de celles antérieures, a condamné l’État à verser dix millions d’euros par liquidation de l’astreinte provisoire en répartissant ce montant entre divers organismes publics indépendants de l’État ainsi qu’à des associations de défense de l’environnement.

A nouveau saisie au terme des deux semestres suivants (12 juillet 2021 – 12 juillet 2022), la haute assemblée relève que si différentes mesures prises devraient permettre de poursuivre l'amélioration de la situation constatée à ce jour par rapport à 2019, les éléments produits ne permettent pas d'établir que les effets des différentes mesures adoptées permettront de ramener, dans le délai le plus court possible, les niveaux de concentration en dioxyde d'azote en deçà des valeurs limites fixées à l'article R. 221-1 du code de l'environnement pour les ZAG Aix-Marseille, Lyon, Paris et Toulouse. Par suite, l'État ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l'exécution complète des décisions précitées du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020.

D’où la décision de prononcer une nouvelle condamnation, de vingt millions d’euros, répartis entre divers organismes comme la fois précédente.

Par où l’on voit que la combinaison de la fixation à un niveau non négligeable du montant de l’astreinte et de la pugnacité des requérants appuyée sur celle du juge peuvent faire évoluer singulièrement les choses dans une matière où cela n’est pas évident.

(17 octobre 2022, Association Les amis de la Terre France et autres, n° 428409)

 

47 - Aide juridictionnelle et aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles – Respect du principe d’égalité – Cas où la procédure s’achève par un non-lieu à statuer – Rétribution de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours de la requérante tendant à l’annulation du rejet implicite par le ministre de la justice de sa demande d’abroger le dernier alinéa de l'article 111 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Ce décret régit notamment l'aide juridictionnelle et l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Le décret litigieux n’empiète pas sur les matières que l’art. 34 de la Constitution réserve à la compétence du législateur.

Il ne porte pas non plus atteinte au principe d’égalité en ce qu'il décide que la rétribution accordée en cas de non-lieu à statuer devant les juridictions administratives ne peut excéder la moitié de celle fixée par le barème applicable, sans qu'un tel plafonnement trouve à s'appliquer en cas d'extinction de l'instance résultant d'un jugement, d'une transaction ou d'un accord intervenu dans le cadre d'une procédure participative. En effet, ces causes d'extinction placent les avocats qui sont intervenus dans ces instances dans une situation différente de celle des avocats dont l'action a été éteinte par un non-lieu à statuer. La différence de traitement résultant des dispositions litigieuses, qui est en rapport direct avec l'objet du décret qui l'établit, n'est pas manifestement disproportionnée. Il en va d’autant plus ainsi que le juge peut, en fonction des circonstances invoquées, accorder à l’avocat, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

De plus, les dispositions contestées sont, par elles-mêmes, sans incidence sur le droit de tout justiciable éligible à bénéficier de manière effective de l'aide juridictionnelle et ne contreviennent ainsi ni aux stipulations du paragraphe 1 de l'art. 6 de la convention EDH ni à celles de l'art. 14 du pacte international relatif aux droits civiques et politiques. 

 In fine le juge rappelle une nouvelle fois que le moyen tiré de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), ici de son art. 10, ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors que ce texte ne figure pas au nombre des traités et accords qui ont été régulièrement ratifiés ou approuvés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution.

(17 octobre 2022, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers, n° 443289)

 

48 - Procédure contentieuse - Jeux olympiques et paralympiques de 2024 – Contentieux des opérations en relation avec ces jeux - Compétence de premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel de Paris (art. R. 311-2 CJA) - Aménagement du nord de l’Île-de-France – Projet de réseau de transports en commun du Grand Paris Express - Création de la ligne 17 Nord – Opération sans relation avec les Jeux de 2024 – Incompétence de la cour de Paris ne pouvant plus être mise en cause – Rejet.

(17 octobre 2022, Association France Nature Environnement Île-de-France et autres, n° 459219)

V. n° 110

 

49 - Pénurie de carburant – Difficultés de déplacements de certains membres du corps médical – Risque pour la santé des patients - Abstention d’agir de l’autorité administrative – Absence de carence – Rejet.

Il était demandé au juge du référé liberté d’enjoindre le premier ministre de prendre, face à la pénurie actuelle de carburant, des mesures appropriées pour assurer la fourniture de carburant en quantité suffisante au personnel soignant.

Rejetant cette requête, le juge retient d’une part qu’elle n’établit pas l'impact réel sur la santé publique des difficultés en cours qui aurait démontré ainsi une carence caractérisée de l’administration dans l’utilisation de son pouvoir de réquisition, d’autre part, que le moyen invoqué selon lequel l'autorité administrative aurait accordé un accès préférentiel au carburant aux soignants seulement dans certains départements ne peut être utilement invoqué dans la présente affaire car cette attitude ne révèle pas, par elle-même, une méconnaissance du principe d’égalité.

(ord. réf. 17 octobre 2022, Syndicat jeunes médecins, n° 468137)

 

50 - Circulaire rectorale interdisant aux parents de pénétrer dans les écoles maternelles de l'académie de Nice pour déposer ou chercher leurs enfants – Mesure existant depuis plusieurs années – Absence d’urgence – Caractère abusif de requêtes répétées – Amende justifiée – Rejet.

Les requérants contestaient l'interdiction faite, aux parents, par une circulaire rectorale, de pénétrer dans les écoles maternelles de l'académie de Nice pour déposer ou chercher leurs enfants aux heures d’accueil et de sortie des élèves.

Le tribunal administratif a jugé que n’était pas établie l’urgence spécifique au référé liberté dès lors qu’aucun document ne permet d’établir ni les allégations selon lesquelles cette mesure causerait des dommages psychologiques chez les jeunes enfants, ni celle de l’existence de risques en matière de sécurité résultant des attroupements des parents et des élèves aux heures d'entrée et de sortie des classes.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit ni d’appréciation erronée des faits que le tribunal administratif a rejeté la requête en référé liberté dont il était saisi et infligé aux requérants, qui l’avaient déjà saisi de requêtes identiques en substance, une amende pour requête abusive.

(ord. réf. 17 octobre 2022, Mme B. et M. C., n° 468155)

 

51 - Pension de retraite d’une enseignante – Recours en révision de la pension – Recours jugé manifestement irrecevable – Ordonnance s’étant méprise sur le sens et la portée de la demande – Annulation.

Doit être annulée l’ordonnance du premier juge qui, pour dire manifestement irrecevable la demande dont il est saisi, estime que celle-ci ne comportait pas de conclusions tendant à l'annulation d'une décision administrative ou de conclusions indemnitaires, ni aucun moyen présenté à l'appui de telles conclusions, mais seulement une demande d'avis dont il n'appartenait pas au juge administratif de connaître.

Au contraire, il ressort du dossier soumis à ce juge que l’intéressée, sans recourir au ministère d’un avocat, a adressé au tribunal une lettre accompagnée de plusieurs documents, notamment la copie de sa réclamation auprès du service des retraites de l'État, la réponse de ce dernier, sa demande de validation de services auxiliaires présentée le 14 octobre 1978 et un état de situation individuelle en date du 7 décembre 1981, annoté de sa main, auxquels elle se référait expressément, ce qui devait la faire considérer comme ayant saisi ce tribunal d'un recours en révision de sa pension de retraite, contestant la décision administrative de rejet qui y était jointe et fondée, ainsi qu'il résulte de l'argumentation et des pièces présentées, sur l'erreur entachant, selon elle, la date de titularisation et la durée de service prises en compte.

(20 octobre 2022, Mme A., n° 451983)

 

52 - Ultra petita – Octroi d’une décharge de contribution au remboursement de la dette sociale déjà accordée par l’administration – Décharge d’impositions octroyée sans avoir été demandée – Annulation.

Est annulé un arrêt d’appel statuant ultra petita en tant qu’il accorde aux deux époux requérants la décharge de la contribution au remboursement de la dette sociale au titre des années 2012, 2013 et 2014, et du prélèvement social au titre de l'année 2012, alors que la contribution au remboursement de la dette sociale et le prélèvement social auxquels ont été assujettis les revenus de l’époux au titre de ces années avaient été dégrevés par l'administration avant même la saisine du tribunal et n'étaient donc pas en litige devant le juge de l'impôt, et qu'aucune décharge des impositions nées des revenus de l’épouse n'était demandée…

(27 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances…, n° 448266)

 

53 - Requête en annulation de cotisations supplémentaires d’impôt – Requête présentée en appel par une société membre d’un groupe fiscalement intégré – Suppléments d’impôt mis à la charge de la société mère seule redevable de l’imposition – Défaut d’intérêt pour agir de la société intégrée en l’absence de mandat à l’effet de représenter la société mère – Rejet.

(20 octobre 2022, Société Airporc, n° 441459)

 V. n° 77

 

54 - Évaluation établie par un rapport d’expertise – Expert et sapiteur désignés par la cour – Reprise partielle des conclusions expertales – Dénaturation du rapport – Annulation.

Une cour administrative d’appel ordonne qu’il soit procédé à une expertise afin de déterminer si le prix de vente des marques vendues par la société Sacla correspondait à leur valeur, en prenant notamment en considération la dispense de versement de redevances pour une durée de cinq ans consentie par la société acheteuse, Involvex, à la société Sacla.

Après avoir envisagé quatre méthodes d’évaluation, le rapport n’en retient que deux dont il tire une moyenne pondérée.

La cour, rejetant l’une de celles retenues, se fonde uniquement sur la méthode d’actualisation des flux futurs sans opérer de pondération, les données de cette dernière lui paraissant plus précises. Toutefois, voulant appliquer à ce résultat la décote préconisée par l’expertise afin de tenir compte de la dispense de versement de redevances pour une durée de cinq ans consentie en l’espèce à la société Sacla, la cour a fixé ce montant à 2,4 millions d’euros hors taxes compte tenu d’un montant de 8.733.348 euros hors taxes retenu pour la valeur des marques cédées par Sacla ; or, si ce montant de décote est bien, en valeur absolue, celui préconisé par l’expertise, cette dernière l’établissait en appliquant un taux de 37% de décote sur une valeur des marques cédées de 6,5 millions d’euros.

La dénaturation est patente, entraînant une minoration de plus de 830 000,00 euros par rapport au calcul effectué par l’expertise, et conduit à l’annulation de l’arrêt.

(27 octobre 2022, Société Coverguards Sales venue aux droits de la société Sacla, n° 457695)

 

55 - Réalisation insuffisante de logements sociaux par une commune – Constat de carence – Infliction d’une sanction – Majoration du prélèvement annuel – Juridiction ayant omis de statuer sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction – Annulation.

Une commune, qui n’avait pas atteint son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, s’est vu infliger une augmentation de 300% du prélèvement annuel prévu à cet effet par l’art. L. 302-7 du code de la construction et de l’habitation.

Alors qu’elle soutenait devant la cour administrative d’appel, notamment, le caractère disproportionné de cette sanction, la cour n’a pas répondu à ce moyen, manquant ainsi à son office, d’où la cassation de son arrêt.

(28 octobre 2022, Commune d’Auvers-sur-Oise, n° 453414)

 

56 - Référé suspension – Condition d’urgence – Condition devant être établie en propre – Absence – Rejet.

Les requérants tentaient d’obtenir la suspension de l'exécution du décret n° 2022-1327 du 17 octobre 2022 portant injonction, au regard de la menace grave et actuelle contre la sécurité nationale, de conservation pour une durée d'un an de certaines catégories de données de connexion. Ils invoquaient l’urgence résultant de l'atteinte portée à des libertés fondamentales et de l'application générale des dispositions contestées à l'ensemble de la population.

Toutefois, l’urgence, qui est l’une des deux conditions nécessaires à l’obtention de la suspension d’exécution d’une décision de l’administration, constitue une condition autonome qui doit exister en tant que telle. Tel n’est pas le cas ici, d’où le rejet de la demande.

(ord. réf. 26 octobre 2022, M. C. et M. D., n° 468364)

(57) V. aussi, identique : ord. réf. 28 octobre 2022, Association VIA La Voie du Peuple, n° 468489.

(58) V. également, refusant d’apercevoir une urgence à statuer sur une demande de meilleure surveillance par le système de santé des cas de syndrome hémolytique et urémique typique ce qui permettrait de mieux appréhender l'incidence de cette maladie, alors que 167 cas ont été déclarés en France en 2020, que les caractéristiques de la maladie en cause sont très particulières et que sa létalité est de 1 à 5% : ord. réf. 26 octobre 2022, Association « Shu-Typique-Sortons du Silence », n° 468263

 

59 - Référé liberté – Litige portant sur la remise du formulaire de demande d’asile – Demande de transfert interrompue par un jugement – Attente des résultats de l’appel de ce jugement – Accord entre le ministre défendeur et le demandeur à l’audience – Non-lieu à statuer.

Cette ordonnance en référé liberté, rendue dans un litige en demande d’asile faite par un ressortissant ougandais, vaut surtout par le fait qu’elle constate l’accord entre le ministre de l’intérieur et le requérant du fait de l’acceptation du premier de fournir au second le formulaire de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides prévu par l'article R. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l’appel au Conseil d’État est devenu sans objet et il n’y a plus lieu d’y statuer.

(ord. réf. 28 octobre 2022, M. A., n° 468383)

 

60 - Référé liberté – Contestation de l’ensemble des lois de la cinquième république dont l’une plus spécialement – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est rejetée comme manifestement irrecevable l’originale et audacieuse requête en référé liberté tendant à voir le juge des référés du Conseil d’État examiner la contestation de l'ensemble des lois promulguées sous la cinquième république, en particulier la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020, à raison de ce que, par leurs contenus, elles méconnaissent les valeurs de la République française et les dispositions de la Constitution du 4 octobre 1958.

(ord. réf. 27 octobre 2022, M. A., n° 468429)

 

61 - Recours pour excès de pouvoir – Mémoire tendant au rejet de ce recours – Signataire du mémoire ne disposant pas, éventuellement, d’une délégation régulière de signature – Circonstance sans effet- Moyen inopérant – Rejet.

Rappel de ce que dans le cadre d’une action en recours pour excès de pouvoir, la circonstance que le mémoire en défense tendant au rejet de ce recours soit signé par une personne n’ayant pas reçu délégation régulière de signature à cet effet est dépourvue d’effet sur l’issue du litige et qu’en conséquence le moyen soulevant cette irrégularité est inopérant.

(28 octobre 2022, Syndicat jeunes médecins, n° 445031 ; Intersyndicale action praticiens hôpital, ° 446862 ; Mme F., n° 446939 ; M. V., n°447078 ; M. M. et autres, n° 450650, jonction)

V. aussi le n° 187

 

62 - Demande d’aide juridictionnelle – Effet interruptif – Irrecevabilité pour tardiveté – Dénaturation des pièces – Annulation.

Dans un litige en restitution d’indu de RSA, le juge rappelle qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux et qu'un nouveau délai de même durée recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle.

Il indique ensuite qu’il en va ainsi quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle, qu'elle en ait refusé le bénéfice, qu'elle ait prononcé une admission partielle ou qu'elle ait admis le demandeur au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, quand bien même dans ce dernier cas le ministère public ou le bâtonnier ont, en vertu de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, seuls vocation à contester une telle décision. 

En l’espèce, une présidente de chambre du tribunal administratif, considérant que la notification de la décision du bureau d’aide juridictionnelle avait été notifiée à la requérante le 31 décembre 2018, a estimé que le délai de deux mois du recours contentieux a commencé à courir 15 jours après soit à partir du 15 janvier 2019 et qu’il était donc expiré lorsque la demanderesse a introduit sa requête au greffe du tribunal le 7 juin 2019.

Cependant le Conseil d’État relève que la mention sur laquelle la magistrate s'est fondée pour déterminer la date de la décision d’admission à l’aide, apposée par le secrétariat du bureau d'aide juridictionnelle sur la copie de la décision d'admission totale destinée au bénéficiaire de l'aide, selon laquelle « l'original » de la décision aurait été « délivré le 31 décembre 2018 », n'est pas de nature à établir que la lettre simple portant notification a effectivement été reçue par sa destinataire à cette date, en l'absence d'autres éléments.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier qu’a été opposée la tardiveté du recours en l’espèce.

(14 octobre 2022, Mme B., n° 455420)

(63) V. aussi, assez semblable sur ce point et concernant la même aide sociale : 14 octobre 2022, Mme A., n° 460611.

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

64 - Transaction sans facture – Pénalité fixée à l’art. 1737 du CGI - Loi répressive plus douce (rétroactivité in mitius) – Loi nouvelle intervenue postérieurement à la décision frappée de pourvoi – Application immédiate aux faits non encore définitivement jugés –Annulation partielle.

On laissera de côté le rejet par le juge administratif du recours dirigé - sans sourciller - contre une décision du Conseil constitutionnel en tant qu’elle contrevient à l’art. 6§1 de la Convention EDH pour présenter le fond de cette affaire.

Le 3 du I de l'article 1737 du CGI alors applicable avait prévu l'infliction d'une amende non plafonnée égale à 50 % du montant de la transaction lorsque n'était pas délivrée une facture, et la réduction du taux de l'amende à 5 % de ce même montant lorsque le fournisseur apportait, dans les trente jours de la mise en demeure adressée par l'administration fiscale, la preuve que l'opération avait été régulièrement comptabilisée.

Le Conseil constitutionnel (décis. n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021) ayant déclaré cette disposition contraire à la Constitution, le 3 du I de cet article 1737, dans la version qui lui a été donnée par l'article 142 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 précise, d’une part, que le client professionnel est solidairement tenu au paiement de cette amende, qui ne peut excéder 375 000 euros par exercice et, d’autre part, que lorsque la transaction a été comptabilisée, l'amende est réduite à 5 % et ne peut excéder 37 500 euros par exercice. 

Cette nouvelle version constitue une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures. Or, en l’espèce, la cour administrative d’appel, dans son arrêt du 2 juillet 2020, a fait application de la version antérieure.

Le Conseil d’État, comme le laissait envisager une tendance jurisprudentielle longue, juge que les dispositions nouvelles « qui ont assoupli les conditions dans lesquelles le taux de 5 % peut être retenu au lieu du taux de 50 % et plafonné les montants de l'amende, constituent une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures dont la cour a fait application et font obstacle au maintien du dispositif de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le montant des amendes litigieuses. »

Ainsi, donc cette règle est applicable aussi bien aux sanctions administratives (Avis, Section, 5 avril 1996, Houdmond, n° 176611) qu’aux sanctions pénales (présente espèce). Tout juge doit, même d’office car le principe est d’ordre public (3 décembre 1999, Makarian, n° 162925), faire application de la loi nouvelle plus douce entrée en vigueur postérieurement aux faits mais antérieurement au jour où il statue (Assemblée, 16 février 2009, Société ATOM, n° 274000) et le juge de cassation, comme en l’espèce, a l’obligation d’effectuer cette application lorsque la loi plus douce intervient après la décision dont la cassation est demandée et avant qu’il ne statue (présente affaire ; Voir aussi : Cass. com. 21 mars 2000, M. de Noailles de Mouchy de Poix, 97-21.894 : non acquittement de la vignette automobile).

(Section, 7 octobre 2022, SAS KF3 Plus, n° 443476)

 

65 - Redevance pour création de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage en Île-de-France – Centre de traitement de données ou « data center » - Décharge partielle du paiement de la taxe – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits qu’un tribunal administratif statuant sur renvoi après cassation juge que n’a pas à être soumis à la redevance pour création de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage en Ile-de-France un centre de traitement des données, dit « data center ». En effet, les données numériques traitées dans les locaux en litige ne constituent ni des produits, ni des marchandises, ni des biens, au sens du 3° du III de l'article 231ter du CGI. De plus, contrairement à ce que soutient la ministre demanderesse, la circonstance, non contestée, que ces locaux abritent des matériels et infrastructures informatiques en fonctionnement ne saurait conduire à regarder ces locaux comme destinés à un entreposage au sens des mêmes dispositions : ils ne constituent donc pas

des locaux de stockage au sens et pour l'application de celles-ci.

(11 octobre 2022, ministre de la transition écologique, n° 463134)

 

66 - Cession de terrains à bâtir – Régime de TVA dérogatoire (art. 392, directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA et art. 268 CGI) – Terrain comportant déjà du bâti – Exclusion – Erreur de droit – Annulation.

Réitération d’une jurisprudence bien établie.

L’assiette de la TVA applicable aux cessions de terrains à bâtir connaît un régime dérogatoire dans le cas de livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition. En ce cas, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat.

En l’espèce, est annulé un arrêt d’appel qui avait déclarée éligible à ce mécanisme de faveur une société de marchand de biens lors de la cession par celle-ci de terrains déjà bâtis au moment de leur acquisition quand bien même la construction qu’ils supportaient a été démolie en vue de sa revente.

C’est le rappel d’une jurisprudence d’interprétation très stricte de la notion de terrain à bâtir (cf. 27 mars 2020, Sarl Promialp, n° 428234 ; voir cette Chronique, mars 2020 n° 55) car il n’est pas contestable qu’un terrain nu est à bâtir que cet état de fait soit d’origine ou constitué par suite de la démolition d’un bâti antérieur par l’acheteur-revendeur.

(11 octobre 2022, Société BH Concept, n° 464561)

 

67 - Déficits fonciers – Émission d’une imposition définitive – Présomption irréfragable absolue de résorption des déficits actuel et antérieurs - Impossibilité de report sur les années ultérieures – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que les déficits fonciers, en cas d’imposition définitive, ne peuvent pas être reportés sur l’année de cette imposition et sur les années antérieures, ils doivent l’être au cours des dix années ultérieures par application des dispositions de l’art. 156 du CGI et des art. R. 190-1, R. 196-1 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales.

(14 octobre 2022, M. et Mme B., n° 444458)

 

68 - Crédit d’impôt recherche – Société d’avocats – Emploi d’une doctorante pour effectuer des travaux en rapport avec son sujet de thèse – Absence d’ouverture au crédit impôt recherche – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni qualification erronée des faits qu’une cour d’appel juge que ne sont pas éligibles au crédit d’impôt recherche les dépenses de personnel d’un cabinet d’avocats pour une salariée doctorante en droit effectuant au sein de la société requérante des recherches de thèse sur les particularités de la procédure de divorce et cela alors même que les recherches menées dans le domaine du droit ne sauraient par principe être exclues de ce dispositif fiscal.

(14 octobre 2022, SELARL P. A. – M. A., n° 443869)

 

69 - TVA – Exonération au profit des œuvres sans but lucratif à caractère social ou philanthropique – Prix inférieurs à ceux du secteur commercial pour des activités comparables – Association liée à des organismes à but lucratif – Absence de gestion désintéressée – Rejet.

Le  b du 1° du 7 de l'art. 261 du CGI exonère de la taxe sur la valeur ajoutée « les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. (...) ».

L'association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy exerce une activité de halte-garderie pour les enfants de 18 mois à 3 ans et d'initiation au ski pour les enfants à partir de 3 ans. Pour l'exercice de cette dernière activité, qui représente environ 70 % de ses recettes et constitue donc la principale activité de l'association, celle-ci fait appel à des moniteurs de ski dont il n'est pas contesté qu'ils exercent une activité commerciale pour laquelle ils sont soumis, notamment, à la TVA, et qui sont membres de l'association.

Dès lors qu'ils retirent un avantage concurrentiel des activités de l'association, celle-ci doit être regardée comme entretenant des relations privilégiées avec ses membres, moniteurs de ski exerçant à titre commercial, alors même que les cours de ski dispensés aux enfants dans le cadre de cette association seraient moins rémunérateurs en moyenne pour les moniteurs que leurs cours particuliers.

L’activité de l’association ne revêt ainsi pas le caractère de « gestion désintéressée » exigé par le CGI pour être exonérée de TVA. C’est donc au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que son activité ne devait pas être soumise à la TVA.

(17 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 453019)

 

70 - TVA – Redevables soumis au régime réel d’imposition – Obligation d’une déclaration mensuelle de l’activité taxable - Seuil de 4000 euros de taxe exigible annuellement permettant une déclaration trimestrielle – Détermination – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt jugeant que le seuil de taxe exigible de 4 000 euros en dessous duquel un redevable est admis à déposer ses déclarations par trimestre civil et non par mois, doit s'apprécier par rapport au montant total de la taxe exigible au cours de l'année civile immédiatement antérieure à l'année civile au titre de laquelle les déclarations doivent être effectuées alors que ce seuil s'apprécie au début de chaque trimestre par rapport au montant total de la taxe exigible les quatre trimestres civils précédents.

(17 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 458767)

 

71 - Charges de propriété – Notion – Montant des travaux à réaliser par le vendeur sur un immeuble à rénover – Montant constituant un élément du prix d’acquisition de l’immeuble – Absence de caractère de charges de propriété – Impossibilité de déduire ce coût des revenus fonciers locatifs en vue de la détermination du revenu net – Rejet.

En principe, il résulte de l’art. 31 du CGI que le coût des travaux qui constituent des charges de propriété peut être déduit des revenus fonciers provenant de la location d’un bien immobilier afin de déterminer le montant du revenu net tel que défini à l'article 28 du CGI.

Toutefois, il n’en va pas ainsi lorsque, comme en l’espèce, des travaux sont effectués dans un immeuble récemment acquis alors qu’ils ont été menés dans le cadre d'un contrat de vente d'un immeuble à rénover dont le prix d'acquisition comprenait celui des travaux. En effet, constituant une dépense en capital, celle-ci ne peut être considérée comme une charge déductible des revenus fonciers des acquéreurs. 

(17 octobre 2022, M. et Mme A., n° 460113)

 

72 - Provision – Condition de déductibilité des résultats de l’exercice comptable – Obligation de constatation dans les écritures comptables à la clôture de l’exercice – Effet couperet de cette règle.

Rappel d’une règle appliquée aussi absolument et aveuglément que possible depuis au moins un demi-siècle : une provision ne peut être déduite des résultats d’un exercice comptable que si elle a fait l’objet d’une constatation dans les écritures comptables au plus tard à la clôture de l’exercice sans qu’il soit possible au redevable d’être relevé de cette déchéance au moyen d’une demande de correction par voie de réclamation ou, après l'expiration du délai de réclamation, par voie de compensation à l'occasion d'un rehaussement.

(18 octobre 2022, Sarl Dovre France, n° 461039)

 

73 - Clause de retour in bonis assortissant un abandon de créance – Société confondante succédant aux droits et obligations de la société bénéficiaire de l’abandon de créance – Effets sur le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en dépit de la loi de finances rectificative du 16 août 2012 – Rejet.

Il est jugé, de façon innovante (cette solution ne nous paraissant pas avoir de précédent), en premier lieu, qu’une société confondante vient aux droits et obligations de la société avec laquelle elle est confondue et qu’ainsi elle succède à cette dernière, à la fois, en tant que bénéficiaire d’un abandon de créance assorti d’une clause de retour à meilleure fortune (ou clause in bonis) et en tant que débitrice éventuelle du montant de cet abandon. Par suite, le versement par cette société à une autre société d’une certaine somme trouve sa cause dans la mise en œuvre de la clause de retour in bonis.

En second lieu, l’art. 17 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 a supprimé, pour les exercices clos à compter du 4 juillet 2012, la possibilité pour les entreprises de déduire de leur bénéfice imposable les abandons de créance à caractère financier et supprimé corrélativement leur prise en compte, pour celui qui les consent comme pour celui qui en bénéficie, pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Toutefois, le juge estime que, lorsque comme au cas de l’espèce, un abandon de créance à caractère financier consenti au cours d'un exercice clos avant le 4 juillet 2012 a eu pour effet de majorer le montant de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de la société ayant bénéficié de cet abandon, son remboursement en exécution d'une clause de retour à meilleure fortune par cette même société ou par une société qui se serait, le cas échéant, substituée à elle, a pour effet de minorer symétriquement l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due par cette société au titre de l'année au cours de laquelle le remboursement est intervenu. Il en va ainsi, en dépit des modifications résultant de l'article 17 de la loi de finances rectificative pour 2012, même lorsque le remboursement intervient au cours d'un exercice clos à compter du 4 juillet 2012, soit, ici, le 21 décembre 2012. 

(18 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 461355)

 

74 - Intérêts d’un emprunt participatif – Intérêts considérés comme fictifs - Requalification en remboursements en capital – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Les contribuables demandeurs avaient conclu avec une société de droit espagnol plusieurs contrats de prêt participatif. Au titre de la rémunération prévue par certains de ces contrats de prêts, ils ont perçu des intérêts qu'ils ont déclarés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. A la suite de l'ouverture d'une enquête pénale à l'encontre du gérant de cette société, portant sur une fraude consistant à utiliser les fonds prêtés par une partie des investisseurs afin de rémunérer et de rembourser les prêts consentis par d'autres, les contribuables ont saisi l'administration fiscale de réclamations tendant à la réduction des revenus de capitaux mobiliers qu'ils avaient déclarés ainsi que des contributions sociales y afférentes. 

Cette demande ayant été rejetée par l’administration et ce refus confirmé par les juges de première instance et d’appel, les intéressés se pourvoient.

Le Conseil d’État relève que ceux-ci avaient conclu, entre 2013 et 2017, plusieurs contrats de prêt participatif, authentifiés par un notaire établi à Barcelone, avec une société de droit espagnol, destinés à financer des campagnes publicitaires télévisuelles, et que chacun de ces contrats avait fait l'objet d'une police d'assurance souscrite avec une compagnie d'assurance et avait donné lieu à l'édition de plusieurs billets à ordre qui leur avaient été remis le jour de la signature du contrat, portant l'un sur le remboursement du capital emprunté et les autres sur le paiement des intérêts dus en rémunération du prêt, et comportant chacun la date de leur encaissement.

La cour administrative d’appel, constatant que les intérêts perçus par les contribuables demandeurs provenaient non des bénéfices de l'activité de la société mais de la souscription par celle-ci de nouveaux emprunts, les a regardés comme fictifs et requalifiés en remboursements en capital, à concurrence, pour chacune des années en litige, du montant n'excédant pas celui investi par les intéressés au cours de cette même année.

L’arrêt est cassé, à juste titre, pour inexacte qualification des faits de l’espèce dès lors que, d’une part,  la cour avait elle-même relevé que les prêts participatifs consentis entre 2013 et 2017 étaient indépendants les uns des autres et que, d’autre part, il était constant que les intérêts en litige avaient effectivement été payés aux contribuables en rémunération de prêts, échus avant la découverte de la dimension frauduleuse de l'activité de la société emprunteuse et dont le capital leur avait été également intégralement remboursé en 2015 et en 2016.

(18 octobre 2022, M. et Mme B., n° 461703)

 

75 – Société civile immobilière – Attribution des pertes à certains seulement des associés par l’assemblée générale extraordinaire – Imposition supplémentaire sur le revenu avec intérêts de retard et pénalités – Opposition de l’art. 1844-1 du Code civil – Absence de caractère non écrit des décisions de l’AG extraordinaire – Rejet.

Des assemblées extraordinaires d’une SCI constituée entre des parents et leurs cinq enfants ont attribué la charge des pertes de la société aux seuls parents.

L’administration a estimé que la fraction des déficits fonciers de la SCI attribuée à ces derniers pour les années d'imposition en litige devait être limitée à celle correspondant à leur part dans le capital social de la société, soit 1 %. Elle a en conséquence, se fondant sur les dispositions de l’art. 1844-1 du Code civil, rehaussé leurs revenus fonciers et les a imposés à cette hauteur avec intérêts de retard et pénalités. Cet article dispose :

« La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l'associé qui n'a apporté que son industrie est égale à celle de l'associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire.

Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites. »

La cour administrative d’appel, saisie d’un appel contre le jugement les ayant débouté de leur demande de décharge des impositions supplémentaires, a annulé ce jugement et jugé que les délibérations des AG extraordinaires qui ont attribué aux seuls parents, M. et Mme B., la totalité des pertes enregistrées par la SCI pour les exercices clos respectivement en 2014, 2015 et 2016 ne pouvaient être regardées comme des stipulations réputées non écrites par l'effet des dispositions précitées du second alinéa de l'article 1844-1 du code civil. Elle a considéré, suivant en cela la jurisprudence de la Cour de cassation, que ces délibérations, qui concernaient tant les bénéfices que les pertes, ne dérogeaient que de manière ponctuelle au pacte social. C’est sans erreur de droit qu’elle a refusé de réputer non écrites de telles décisions qui se bornaient à déroger aux règles statutaires pour ce qui concerne la répartition des seules pertes constatées à la clôture des exercices concernés, et alors même que ces décisions ont eu pour effet d'exonérer certains associés de toute participation à ces pertes.

(18 octobre 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n°462497)

 

76 - Société non résidente – Détermination de son résultat fiscal – Résultat nul ou négatif – Demande de restitution de la retenue ou du prélèvement à la source – Rejet.

Sont rejetées les demandes, par une société de droit luxembourgeois, d’annulation et celle de renvoi préjudiciel à la CJUE des commentaires administratifs publiés le 29 juin 2022 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-RPPM-RCM-30-30-10-90, en ce qu’ils subordonnent l'application du mécanisme de restitution de la retenue à la source supportée sur des dividendes de source française à la réalisation par une société non-résidente d'un résultat fiscal strictement inférieur à zéro. En effet, il résulte des dispositions du 2° du I de l'article 235 quater du CGI que, contrairement à ce qui est soutenu, la société non résidente dont le résultat est négatif ou nul est fondée à demander la restitution de la retenue ou du prélèvement à la source à concurrence des sommes retenues ou prélevées sur les revenus ou profits devant être réintégrés. 

(18 octobre, Société Brufinol S.A., n° 466329)

 

77 - Requête en annulation de cotisations supplémentaires d’impôt – Requête présentée en appel par une société membre d’un groupe fiscalement intégré – Suppléments d’impôt mis à la charge de la société mère seule redevable de l’imposition – Défaut d’intérêt pour agir de la société intégrée en l’absence de mandat à l’effet de représenter la société mère– Rejet.

C’est sans méconnaître le sens et la portée des écritures de première instance, ni entacher son ordonnance d'aucune erreur de droit ou de qualification juridique des faits qui lui étaient soumis, ni porter atteinte, en tout état de cause, au droit à un recours effectif garanti par l'art. 16 de la Déclaration de 1789 et par les stipulations des art. 6 § 1 et 13 de la convention EDH, qu’un magistrat d’une cour administrative d’appel rejette comme manifestement irrecevable l’appel d’une société contre un jugement alors qu’elle n’avait jamais prétendu, avant de saisir la cour administrative d'appel, agir au nom et pour le compte de la société tête de groupe.

En outre, et par application des dispositions combinées des art. R. 197-3 du livre des proc. fisc. et R. 612-1 du CJA, c’est de façon tout aussi régulière qu’il a jugé que l'irrecevabilité née de son absence d'intérêt à agir devait être soulevée d'office par les premiers juges sans que ces derniers aient à l'inviter préalablement à produire un mandat de la société mère. 

(20 octobre 2022, Société Airporc, n° 441459)

 

78 - Location de boxes à fin de stockage et vente de fournitures ad hoc – Assujettissement à la taxe sur les bureaux, les locaux commerciaux et de stockage et les surfaces de stationnement en Île-de-France – Notion de « parties communes » exclues de l’assiette de la taxe – Annulation et rejet.

La requérante exerce une activité de location de boxes de stockage en libre-service à des particuliers et à des professionnels et une activité de vente de fournitures diverses pour le stockage et le déménagement, dite activité de « self stockage ». L’administration fiscale l’a assujettie, pour les années 2012 et 2013, à des cotisations supplémentaires de taxe sur les bureaux, les locaux commerciaux et de stockage et les surfaces de stationnement en Île-de-France, à raison de ceux de ses établissements qui y sont situés.

Un litige s’est élevé à propos des parties communes desservant les boxes s’agissant d’interpréter les dispositions du IV de l’art. 231 ter du CGI, selon lesquelles : « Pour le calcul des surfaces (susceptibles d’être assujetties à la taxe), il est tenu compte de tous les locaux de même nature, hors parties communes, qu'une personne privée ou publique possède à une même adresse ou, en cas de pluralité d'adresses, dans un même groupement topographique. (...) ». 

Pour refuser aux surfaces litigieuses la qualité de parties communes, la cour administrative d’appel a retenu que ces espaces de circulation intérieure servaient exclusivement à la desserte des boxes de stockage, au bénéfice des clients comme des employés de la société Une Pièce en Plus et qu'ils constituaient donc une dépendance immédiate et indispensable de ces boxes. Ils ne pouvaient donc pas être qualifiés de parties communes au sens et pour l’application du IV de l'article 231 ter du CGI.

Cette analyse est désavouée par le Conseil d’État pour erreur de droit car la circonstance que les espaces en litige constitueraient une dépendance immédiate et indispensable de locaux imposables est sans incidence pour en déterminer le caractère de partie commune.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation, après avoir décidé que « (…) les parties communes des locaux imposables au nom de la personne propriétaire de ces locaux, ou de la personne titulaire de droits réels portant sur eux, doivent s'entendre comme les surfaces affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les occupants de ces locaux ou de plusieurs d'entre eux, alors même qu'elles seraient la propriété d'une seule et même personne », constate que les boxes de stockage en cause ne constituent que l'aménagement intérieur de l'unique local de stockage dont la société Une Pièce en Plus est propriétaire sur chaque site. Par suite, les espaces de circulation intérieure entre les boxes, qui sont situés au sein de chaque local unique de stockage, ne sauraient être qualifiés de parties communes.

Vainement la contribuable requérante s’appuie sur une interprétation différente de la notion de parties communes qui résulterait d’une prise de position formelle de l’administration concernant la loi fiscale (mécanisme de l’art. L. 80 A LPF). D’abord, elle ne saurait invoquer un courrier contenant une prise de position formelle de l'administration concernant un local distinct de ceux dont la taxation est en litige, ainsi qu'un autre contribuable. Ensuite, elle ne saurait, non plus, soutenir qu’il ressort des termes du paragraphe 540 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-IF-AUT-50-10-20131212 que l'administration aurait entendu accorder la qualification de partie commune aux espaces de circulation intérieure tels que ceux en litige.

Le pourvoi est rejeté.

(27 octobre 2022, Société Une Pièce en Plus, n°s 452766, 452771, 452772, 455703)

 

79 - Exercice d’une profession libérale – Sous-location d’immeubles nus – Absence d’un tel caractère – Impossibilité de déduire les déficits de cette activité, même exercée à titre professionnel, du revenu global – Rejet.

Confirmant l’arrêt d’appel qui lui était déféré, le juge de cassation, rejetant le pourvoi, rappelle que pour l’application du I, 2°de l’art. 156 du CGI, (conditions d’imputation du déficit sur le revenu global), « l'activité de sous-location d'immeubles nus ne constitue pas, par sa nature et les conditions de son exercice, une profession libérale. Cette activité ne requiert pas la mise en œuvre d'un art ou de savoir-faire particuliers de nature à la faire regarder comme l'exercice d'une profession libérale. Dès lors, les déficits tirés de cette activité non commerciale, quand bien même elle est exercée à titre professionnel, n'entrent pas au nombre des déficits catégoriels pouvant être imputés sur le revenu global en application des dispositions (…) de l'article 156 du CGI. »

(27 octobre 2022, M. B., n° 453264)

 

Droit public de l'économie

 

80 - Prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce à dominante alimentaire – Opération interdite par l’Autorité de la concurrence à raison de ses effets concurrentiels – Détermination des marchés pertinents – Prise en compte des seuls hyper marchés – Exclusion de l’un d’eux à raison de la part des produits non alimentaires – Appréciation des risques pour la concurrence – Rejet.

L'Autorité de la concurrence a, par une décision du 28 août 2020, interdit la prise de contrôle conjoint d'un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soditroy aux côtés de l'Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec) au nord de Troyes.

Cette décision est contestée devant le Conseil d’État par les requérantes.

Leurs recours sont rejetés.

Le Conseil juge d’abord que c’est sans erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence, au vu des pièces du dossier, a considéré que l’ACDLec exerçait une influence déterminante sur la société Soditroy, détenue majoritairement par M. B. adhérent à l’ACDLec, qui avait notifié à cette autorité le rachat du fonds de commerce d'un hypermarché exploité sous enseigne Géant Casino par la société Distribution Casino France, ainsi que du fonds de commerce de carburant de la société Floréal, situé sur le parking de l'hypermarché. C’est donc à bon droit qu’elle a pris en considération les situations des centres Casino et des centres Leclerc dans le périmètre en cause pour effectuer son contrôle conjoint ayant débouché sur une décision négative.

Le juge contrôle ensuite la légalité de la décision attaquée sous ses deux aspects majeurs, celui de la délimitation des marchés pertinents au regard de la demande formulée et celui de l’analyse concurrentielle.

 

I – Sur la délimitation des marchés pertinents

Le juge se livre ici à deux appréciations, l’une positive, l’autre négative.

Positivement, il constate qu’appliquant sa méthodologie habituelle, l’Autorité de la concurrence distingue classiquement, d’une part, l'existence d'un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire composé uniquement d'hypermarchés, d’autre part, l’existence d’un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard discount et magasins populaires). Sur cette base, il considère que c’est sans erreur de droit ni d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a conclu de cette analyse que le service de distribution offert par les hypermarchés ne présentait pas un degré de substituabilité suffisant par rapport au service offert par les supermarchés et les discompteurs et en a déduit qu'il existait, dans l'agglomération troyenne, un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés. 

Négativement, il s’agissait pour l’Autorité de la concurrence de répondre à l’argument des requérantes contestant l’exclusion par celle-ci dans son étude, de deux magasins Intermarché situés l’un au nord-est et l’autre au sud de l’agglomération troyenne, qui entrent dans la catégorie de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés. Une telle prise en compte aurait sans doute modifié les paramètres d’étude. Pour dire fondée cette exclusion, le juge retient un argument assez ténu semble-t-il tiré de ce que l'offre de produits non alimentaires de ces deux magasins est plus limitée que celle des hypermarchés et que ces produits représentent, à la différence des hypermarchés, une part négligeable de leurs chiffres d'affaires. La question est évidemment d’une grande importance car sa résolution sert d’élément central à l’appréciation du devenir concurrentiel de la zone en cette matière.

 

II – Sur l’analyse concurrentielle

L’Autorité de la concurrence a examiné, comme cela est accoutumé, le risque d’effets coordonnés et le risque d’effets unilatéraux.

Les premiers effets résultent des comportements d'opérateurs en situation oligopolistique sur un marché pertinent qui, en l'absence même de toute entente formelle, peuvent être implicitement coordonnés, lorsque ces opérateurs, notamment en raison de l'existence de facteurs de corrélation entre eux, ont le pouvoir d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché en vue de profiter d'une situation de puissance économique collective, en particulier pour vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans que les concurrents actuels ou potentiels ou encore les clients et les consommateurs ne puissent réagir de manière effective. C’est sans erreur de droit ni d’appréciation que l’Autorité a estimé que l'opération était de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la distribution au détail de produits alimentaires composé uniquement d'hypermarchés en raison du risque d’effets coordonnés. 

Les seconds effets sont liés à la circonstance que l’opération litigieuse pourrait vraisemblablement entraîner une hausse des prix dans l'hypermarché E. Leclerc situé à Saint-Parres-aux-Tertres. Pour parvenir à cette conclusion l’Autorité de la concurrence s'est notamment fondée sur l'indice dit « gross upward pricing pressure index », en faisant l'hypothèse que les personnes qui sont clientes de l'hypermarché E. Leclerc en dépit de leur proximité avec le Géant Casino se reporteraient, après l'opération, vers l'hypermarché-cible passé sous enseigne E. Leclerc. Elle a calculé cet indice à partir du ratio de diversion entre cet hypermarché E. Leclerc et l'hypermarché-cible situé à Barberey-Saint-Sulpice, c'est-à-dire en fonction de la part des ventes qui, en cas de hausse de prix dans le premier magasin sera effectuée dans l'autre magasin, rapportée à l'ensemble des ventes perdues par le magasin ayant augmenté ses prix, et l’a évalué à 6,1%, soit un taux supérieur au seuil de 5% au-delà duquel il est admis que la nouvelle entité sera incitée à augmenter ses prix du fait de l'internalisation au sein du nouvel ensemble de reports de la clientèle vers la cible en cas de hausse des prix par l'acquéreur. Là encore, c’est sans erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a pu estimer qu'il existait un risque d'effet unilatéral sur le marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés. 

On dira notre réticence à l’utilisation systématique et uniforme de méthodologies appliquées à des situations très variables dans leurs compositions comme dans leurs évolutions dans un monde de changements notamment technologiques, incessants et brutaux.

On dira aussi notre réserve envers un mode d’analyse reposant sur une supposition corrélée à une vraisemblance elle-même liée à des constats purement statistiques seulement valables pour le grand nombre.

Mais peut-être sont-ce là les faiblesses inhérentes à tout processus de contrôle de la concurrence, concurrence dont les vertus sont, au reste, le plus souvent présumées ?

(14 octobre 2022, Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec) et société Soditroy, n° 445680 ; Sociétés Distribution Casino et Floreal, n° 446974, jonction)

 

81 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Pouvoir de sanction – Étendue – Fourniture par un professionnel de services n’entrant pas dans ses missions contractuelle – Obligation de satisfaire des exigences professionnelles – Soumission au pouvoir de l’AMF – Rejet.

Dans le cadre du contentieux soulevé par la contestation par l’intéressée d’une sanction qui lui a été infligée par l’Autorité des marchés financiers, le juge est amené à trancher une question originale dans le sens d’un renforcement de la protection des consommateurs de produits financiers.

En bref, il s’agissait de savoir si un professionnel qui propose à ses clients un service n’entrant pas obligatoirement dans ses missions relève du pouvoir de sanction de l’AMF lorsque ce service entre dans le champ du contrôle de l’AMF. La réponse est positive et c’est heureux.

Il s’agissait, en l’espèce, de teneurs de compte-conservateurs lesquels sont tenus d'agir de telle manière qu'outre la bonne conservation des titres financiers qui leur sont confiés, ils facilitent l'exercice des droits qui sont attachés à ces titres. A ce dernier titre, ils peuvent proposer un service de transmission des instructions de vote, service qui ne relève pas obligatoirement de leurs missions. Cependant, le juge considère que, dès lors que ce service participe de l'exercice d'un droit attaché aux titres financiers qu'ils conservent, ils doivent respecter les obligations professionnelles qui s'imposent à eux et relèvent, pour cette mission, du contrôle de l'Autorité des marchés financiers. 

(17 octobre 2022, Société X., n° 449114)

(82) V. aussi, rejetant un recours relatif à la publicité nominative des sanctions infligées à une société par l’AMF : 20 octobre 2022, Société BD Multimedia, n° 449164.

 

83 - Commission de régulation de l’électricité – Délibération arrêtant des mesures de renforcement de la sécurisation financière du dispositif d’équilibre – Défaut de consultation des opérateurs intéressés préalablement à cette délibération – Non-respect d’une garantie offerte pour ces opérateurs et susceptible d’exercer une influence sur le sens de ladite délibération – Circonstances exceptionnelles ou urgence justifiant l’absence de consultation – Rejet.

(17 octobre 2022, Société E-Pango, n° 461073)

V. n° 12

 

84 - Agriculture – Arrêté portant extension d’un accord interprofessionnel en matière de betterave et de sucre – Difficultés à déterminer la proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés - Conséquences en matière d’appréciation de la représentativité d’une organisation professionnelle – Rejet.

Il était demandé au juge de prononcer l’annulation de l'arrêté du 8 avril 2020 portant extension d'un accord interprofessionnel conclu dans le cadre de la campagne 2019-2020 de la betterave et du sucre à en raison du défaut de représentativité de l’une des organisations signataires de l’accord, l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS).

Pour rejeter le recours, le juge retient que si l'art. 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles fixe des règles précises de détermination de la représentativité des organisations interprofessionnelles, il prévoit que lorsqu’elles ne sont pas en mesure de déterminer la proportion du volume de production de leurs adhérents avec une précision suffisante pour établir avec certitude qu'elle satisfait au critère de proportion du volume de la production prévu par cet article 164 et qu'il existe ainsi des difficultés pratiques justifiant, comme le prévoit ce même article, qu'il soit recouru aux règles nationales qu'il incombe aux États membres de fixer en ce cas, de fixer ce critère. En France, a été retenu le critère subsidiaire de représentativité prévu au troisième alinéa de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime et, le cas échéant, la présomption de représentativité prévue aux quatrième et cinquième alinéas de cet article. 

Contrairement à ce que soutenait le requérant, le ministre a pu, sur le fondement de ces deux alinéas, faire application de ce que l’un d’eux dispose que, dans le cadre de l’appréciation des conditions de représentativité, que celles-ci sont présumées remplies lorsque l'organisation interprofessionnelle démontre que l'accord dont l'extension est demandée n'a pas fait l'objet, dans le mois suivant sa publication par cette organisation, de l'opposition d'organisations professionnelles réunissant des opérateurs économiques de ce secteur d'activité représentant au total plus du tiers des volumes du secteur d'activité concerné.

Enfin, si ces difficultés empêchent de déterminer avec certitude que l'AIBS satisfait au critère de proportion du volume de la production, elles ne sauraient en l'espèce, en tout état de cause, empêcher d'établir avec certitude l'absence d'opposition d'organisations professionnelles représentant plus du tiers des volumes du secteur, dès lors que, comme l'indique le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sans être contredit, aucune organisation professionnelle n'a émis d'avis négatif à l'encontre de l'accord concerné avant le 24 février 2020, terme du délai d'un mois suivant sa publication.

C’est ainsi sans erreur de droit et de fait que le ministre a regardé l’AIBS comme représentative.

(27 octobre 2022, Syndicat Coordination rurale Union nationale, n° 441195)

 

85 - Délimitation de l’aire parcellaire d’un « climat » premier cru au sein de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) « Pouilly-Fuissé » – Critères d’inclusion dans l’aire arrêtés par le comité des appellations d’origine de l’Institut national des appellations d’origine (INAO) – Exclusion partielle de parcelles - Rejet.

Le requérant conteste la décision de l’INAO n’incluant qu’une partie seulement de ses parcelles dans le climat premier cru « Vers Cras » de l’AOC « Pouilly-Fuissé ».

Son recours est rejeté.

Le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des boissons spiritueuses de l'INAO a, pour la délimitation des climats en premier cru de l’AOC « Pouilly-Fuissé », retenu notamment des critères d'inclusion destinés à assurer le respect de la constitution d'une entité regroupant des parcelles présentant une unité géo-pédo-morphologique. Pour être incluse dans l'aire, une parcelle doit former avec les autres parcelles une unité tenant à un cumul de conditions portant sur la qualité de son sol, son altitude, son exposition et sa pente. 

C’est sans erreur qu’au vu de ces critères, l’INAO a refusé l’inclusion dans ce climat, d’une part, de la partie ouest de la parcelle du requérant au motif que si elle remplit la condition tenant à la qualité du sol, elle ne remplit pas les autres conditions nécessaires pour former une unité géo-pédo-morphologique avec les parcelles retenues et, d’autre part, à l’intérieur d’une autre parcelle comprenant deux parties appartenant à des unités topographiques et culturales distinctes, celle des deux qui, se situe dans la partie sommitale de cette parcelle et débute le versant de celle-ci regardant vers l'ouest, ce qui correspond à un changement de pente et d'orientation par rapport au reste de la parcelle, qui s'accompagne d'un changement dans la direction des rangs de vigne.

La circonstance que la délimitation de l'aire qui en résulte ne corresponde pas aux délimitations administratives et cadastrales est sans incidence au regard de la validité de cette délimitation. 

Le requérant pourra se consoler en se disant qu’il produit tout de même un Pouilly-Fuissé, l’un des plus grands vins blancs français.

(27 octobre 2022, M. C., n° 448393)

(86) V. aussi, assez voisin, rejetant le recours en annulation de l'arrêté du 5 novembre 2020 homologuant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée « Pouilly-Fuissé », en tant qu'il définit une aire géographique de production excluant les parcelles du Château des Rontets du climat « Les Rontés » en premier cru : 27 octobre 2022, Société civile d'exploitation viticole (SCEV) Gazeau-Montrasi, n° 448816.

(87) V. également, avec même solution s’agissant du climat « Aux Bouthières » : 27 octobre 2022, Exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Pascal Rollet, n°448955.

 

88 - Conducteurs de taxis et conducteurs de voitures de transports de personnes – Évaluation de l’aptitude professionnelle à l’exercice de ces fonctions – Contrôle effectué par les chambres de métiers et de l’artisanat – Risque d’atteinte à la liberté d’établissement – Rejet.

(31 octobre 2022, Fédération française du transport de personnes sur réservation, n° 451995)

V. n° 165

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

89 - Licenciement d’un salarié protégé pour propos déplacés envers des subordonnées hiérarchiques – Annulation par une cour administrative d’appel – Qualification inexacte des faits – Cassation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la juridiction qui, pour annuler l’autorisation administrative du licenciement d’un salarié protégé auteur envers ses subordonnées de propos qu’elle qualifie elle-même de « brutaux ou maladroits », « déplacés et sexistes », juge qu’ils ne revêtent pas le caractère une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier son licenciement, en prenant en compte l'existence de tensions entre l’intéressé et son employeur et l'absence d'antécédents disciplinaires de ce salarié protégé.

Le Conseil d’État juge que cette erreur de qualification ressort des pièces du dossier d’où il résulte que « les propos tenus par M. B. visaient systématiquement et de manière répétée des salariées ayant pour point commun d'être des femmes, supposément d'origine maghrébine et de confession musulmane, qui, au surplus, se trouvaient sous sa responsabilité, et ne pouvaient, dès lors qu'ils revêtent un caractère raciste pour certains, et sexiste pour d'autres, être réduits à des propos triviaux ».

La rédaction retenue est aussi sévère pour le salarié que pour les juges du fond.

(7 octobre 2022, Société Club Med, n° 450492)

 

90 - Décision de l’inspection du travail autorisant le licenciement d’un salarié protégé - Recours hiérarchique au ministre – Pouvoir et obligations du ministre - Rejet.

Rappel d’une solution constante selon laquelle le ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, peut soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. 

(7 octobre 2022, Société Wipelec, n° 454256)

V. aussi le n° 28

 

91 - Licenciement d'un salarié protégé - Modification du contrat de travail - Annulation du refus d'autoriser le licenciement - Dénaturation des pièces et erreur de droit - Annulation avec renvoi.

En principe, commet une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement le refus d'un salarié protégé d'accepter un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction. En cette hypothèse l'employeur doit solliciter de l'inspection du travail l'autorisation de licencier cet agent et, en cas de refus, peut saisir le juge administratif de l'illégalité éventuelle du refus ainsi opposé.

Toutefois, lorsque la mesure de licenciement trouve son origine dans le refus de l'agent d'accepter une modification de son contrat de travail, ce licenciement est irrégulier et il appartient à l'inspection du travail d'en refuser l'autorisation.

En l'espèce, une cour administrative d'appel avait annulé le refus d'autoriser le licenciement d'une salariée protégée motif pris de ce que son refus avait été opposé à un changement de ses conditions de travail et non à une modification de son contrat de travail.

Sur pourvoi de l'intéressée le Conseil d’État casse l'arrêt au double motif qu'il repose sur une dénaturation des pièces du dossier et sur une erreur de droit. La cour avait jugé que le poste de chargée d'études sur la transition numérique qui lui avait été proposé impliquait d'effectuer des recherches et de proposer une synthèse sur les enjeux du développement de l'informatique et des nouvelles technologies et que ce poste faisait appel à des compétences d'ordre général, de recherche, de rédaction et de conduite d'entretiens qui étaient celles devant être mobilisées dans le précédent poste occupé par la requérante. Au contraire, le Conseil d’État relève que la requérante exerçait, dans ses précédentes fonctions, au sein du service des ressources humaines, des missions de conseil et d'accompagnement en vue de l'optimisation de l'organisation des services de l'entreprise, et que la mission qui lui a été proposée, rattachée au service des systèmes d'information, portait sur la rédaction d'une étude sur l'identité et la confiance numériques et impliquait, nonobstant la possibilité de recourir à un cabinet externe pour les volets techniques de cette mission, des compétences techniques, en particulier informatiques, que la salariée ne détenait pas. Par suite, cette nouvelle mission ne correspondant ni à la nature des fonctions précédemment exercées par elle ni à sa qualification, constituait une modification de son contrat de travail et non un simple changement de ses conditions de travail comme l'avait erronément jugé la cour.

(10 octobre 2022, Mme B., n° 450849)

 

92 - Financement de l’assurance-chômage – Contribution des employeurs – Instauration d’un bonus-malus – Champ d’application – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de l'arrêté du 28 juin 2021 relatif aux secteurs d'activité et aux employeurs entrant dans le champ d'application du bonus-malus institué par l’art. L. 5422-9 du code du travail selon lequel l'assurance chômage est notamment financée par des contributions des employeurs dont le taux peut, en vertu de l'article L. 5422-12 du même code, être minoré ou majoré en fonction de divers paramètres.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, ne saurait être critiquée l'annexe 1 de l'arrêté attaqué en tant qu’il fixe la liste des secteurs d'activité auxquels s'applique la modulation, sous la forme d'un tableau mentionnant en face de chacun des secteurs d'activité retenu son taux de séparation moyen pour la période de référence, assorti de la mention de la source des données et de la méthodologie.

En effet, aucun texte ni aucun principe n'imposait que l'arrêté, qui revêt un caractère règlementaire et n'avait donc pas à être motivé, précise ces éléments, lesquels, au reste, sont précisés à l'art. 50-3 du règlement d'assurance chômage. De plus, la contestation par les requérantes des chiffres qui y sont retenus n’est assortie d’aucune démonstration pertinente de son bien-fondé.

Ensuite, l'art. 50-3 du règlement d'assurance chômage n’est pas entaché d’illégalité en ce qu’il décide que l'affectation d'un employeur dans l'un des secteurs d'activité soumis à bonus-malus « est effectuée en fonction de l'activité économique principale qu'il exerce ou, le cas échéant, de son objet social, et de la convention collective à laquelle il est rattaché, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l'emploi. », ce critère ne contrevenant ni à cet article du règlement d’assurance chômage, ni  aux dispositions de l'art. L. 5422-12 du code du travail.

En outre, si l'arrêté retient aussi le code APE à titre de critère supplémentaire lorsque l’entreprise ne relève d’aucune convention collective applicable c’est pour permettre le rattachement de l’employeur à l'activité principale qu’il exerce, il ne concerne que 1% des entreprises en cause. C’est donc sans erreur manifeste d'appréciation qu’a été prise cette disposition.

Enfin, la circonstance que l’arrêté litigieux s’impose de la même façon à l'ensemble des entreprises de onze salariés et plus, quelle que soit leur taille ou leur appartenance à un groupe de sociétés, pour les affecter dans un secteur d'activité, conformément à l'art. L. 5422-12 du code du travail qui prévoit que le taux de contribution est calculé pour chaque employeur, n’a pas pour effet de l’entacher d’illégalité en tant qu’il  méconnaîtrait le principe d'égalité selon la taille de l'entreprise ou son appartenance à un groupe de sociétés. 

(10 octobre 2022, Union des entreprises de transport et de logistique, Fédération nationale des transports routiers, Fédération nationale du bois, Syndicat français de l'industrie cimentière, Union nationale des industries de l'impression et de la communication, Union inter-secteurs papiers cartons pour le dialogue et l'ingénierie sociale, Union des transformateurs de polymères POLYVIA, Association nationale des industries alimentaires et Fédération organisation des transports routiers européens, n° 456102)

(93) V. aussi, rejetant divers recours dirigés contre le décret n° 2021-1251 du 29 septembre 2021 fixant au 1er octobre 2021 la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions du régime d'assurance chômage, motifs pris :

-  d’abord, de ce que cette date, après diverses péripéties contentieuses, n’a pas été prise en violation du caractère exécutoire de l’ordonnance de référé du 22 juin 2021 suspendant la date du 1er juillet 2021 initialement retenue par le Gouvernement ;

- ensuite de ce qu’en retenant cette date pour l’entrée en vigueur des modalités de calcul du salaire journalier de référence, il n’a pas adopté des dispositions incompatibles avec la trajectoire financière et les objectifs d'évolution des règles du régime d'assurance chômage qui avaient été fixés par le document de cadrage communiqué le 25 septembre 2021 ;

- enfin, de ce que le choix de cette date n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation  compte tenu de l’amélioration du marché du travail, de la réduction du nombre de défaillances d’entreprises et de la hausse des déclarations préalables d’embauche : 10 octobre 2022, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 457303 ; Confédération générale du travail (CGT), l'Union syndicale Solidaires et la Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 457309 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 457336 ; Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC), Syndicat professionnel des guides interprètes conférenciers (SPGIC), Association nationale des guides-conférenciers des villes et pays d'art et d'histoire (ANCOVART) et Syndicat national des guides conférenciers (SNGC), n° 457341 ; Confédération française démocratique du travail et Confédération française des travailleurs chrétiens, n° 457344.

 

94 - Déroulement du procès – Obligation pour les juridictions de juger dans un délai raisonnable – Contentieux sociaux – Rejet et admission partiels de la demande d’indemnisation du préjudice résultant du retard à juger.

(10 octobre 2022, Mme A., n° 461299)

V. n° 40

 

95 - Revenu de solidarité active – Radiation de la liste des bénéficiaires – Preuve de l’absence de séparation des conjoints intéressés - Portée probatoire des procès-verbaux de contrôle des agents des caisses d’allocations familiales – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui estime prouvée par le procès-verbal de contrôle dressé par des agents d’une caisse d’allocations familiales l’absence de séparation des deux membres d’un couple de concubins alors qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 114-10 du code de la sécurité sociale que la valeur probante de ces procès-verbaux s’attache aux seules constatations de fait qu'ils opèrent et non aux conclusions qu'ils en tirent. Le tribunal devait donc s’assurer par lui-même de la réalité ou non de l’existence d’un état concubinaire.

(14 octobre 2022, Mme E., n° 455042)

 

96 - Aide personnalisée au logement – Refus de l’accorder – Prise en compte dans l'appréciation des ressources de l'intéressé, de l'indemnité de résidence à l'étranger d’un fonctionnaire – Inclusion dans le revenu global – Dépassement du plafond d’éligibilité à cette aide – Erreur de droit – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif annule la décision de la directrice d’une caisse d’allocations familiales refusant à un fonctionnaire l’aide personnalisée au logement au motif que pour dire que ses revenus dépassent le plafond d’éligibilité à cette aide elle y a inclus l’indemnité de résidence que cet agent a perçu du ministère de la défense alors qu’il était en poste à Djibouti.

En effet, cette inclusion repose sur une erreur de droit car cette indemnité, lorsqu’elle est versée à un agent public servant à l’étranger, n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu, elle ne peut donc être incluse dans le total des revenus nets catégoriels retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, au sens du II de l'article R. 351-5 du code de la construction et de l'habitation, et donc ne peut entrer dans l’assiette du calcul du plafond de revenu au-delà duquel l’aide personnalisée au logement n’est plus versée. Pas davantage, cette indemnité ne peut être, pour l’application de la disposition précitée, considérée comme un revenu perçu hors de France dès lors que le requérant est imposé en France.

Si ce raisonnement est assez logique il est cependant nouveau en cette matière.

Le pourvoi est rejeté.

(28 octobre 2022, Directrice de la caisse d'allocations familiales d'Ille-et-Vilaine, n° 440125)

 

97 - Salarié protégé – Poste de travail situé dans un secteur d’activité transféré à une autre société – Contrat de travail de ce salarié suspendu par accord avec son employeur par suite de la conclusion d’un CDI avec un autre employeur – Cessation de ses fonctions dans l’entité transférée – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Une cour administrative d’appel relève qu’un salarié protégé appartient à une équipe de travail dont les membres ont été inclus dans le secteur d'activité transféré d’une entreprise à une autre et que son contrat de travail avait été suspendu, à la date du transfert, par accord entre ce salarié et son employeur, du fait de la conclusion d’un CDI avec un autre employeur. La cour estime donc qu’il ne pouvait plus être regardé comme exerçant effectivement ses fonctions dans l'entité transférée, de sorte que l'autorité administrative ne pouvait légalement autoriser son transfert.

Cette solution, qui semble tout à fait logique, est cassée sous la motivation suivante qui n’est guère claire, judicieuse ni convaincante : « Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation du transfert du contrat de travail d'un salarié protégé présentée en application (des dispositions des art. L. 1224-1, L. 2414-1 et L. 2414-9), il appartient à l'autorité administrative, en premier lieu, de vérifier que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables au transfert partiel d'entreprise ou d'établissement en cause, ce qui suppose qu'il concerne une entité économique autonome. Tel est le cas lorsqu'est transféré un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie par le nouvel employeur. Lorsque les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables, l'autorité administrative doit, en second lieu, contrôler que le salarié protégé susceptible d'être transféré ne fait pas l'objet à cette occasion d'une mesure discriminatoire. A ce titre, elle doit s'assurer, d'une part, que le contrat de travail du salarié protégé est en cours au jour de la modification intervenue dans la situation juridique de l'employeur, d'autre part, que ce salarié exerce ses fonctions dans l'entité transférée à la date du transfert de l'activité en cause, sans que la circonstance que son contrat du travail soit alors suspendu y fasse obstacle. »

(28 octobre 2022, Société Intel Corporation, venant aux droits de la société Intel Mobile Communications France, n° 454338)

(98) V. aussi, approuvant, à propos de cette même entreprise et de cette même cour administrative d’appel, la notion qu’elle a retenue de l’entité économique autonome comme étant constituée d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels poursuivant un objectif propre, susceptible de faire l'objet d'un transfert au sens des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail : 28 octobre 2022, M. A., n° 454355 ; M. C., n° 454356 ; Mme B., n° 454360.

 

99 - Conventions collectives – Fusion entre deux conventions collectives par rattachement de l’une à l’autre – Activités relevant d’un même secteur – Métiers largement comparables – Valeur identique du point d’indice de rémunération et régime complémentaire de santé mutualisé – Fusion répondant à un intérêt général – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (IDCC 783) à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413).

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État, appliquant une jurisprudence récente (cf. 22 mars 2021, Syndicat indépendant des artistes interprètes (SIA-UNSA) et autres, n° 430839 et n° 431750, Rec. p. 47 ; 1er juillet 2021, Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT, n° 430964 et n° 435510, Rec. p. 198 ; V. cette Chronique, juillet 2021, n° 88 et n° 89), retient un faisceau d’indices convergents pour en déduire la légalité de l’arrêté attaqué et débouter les requérantes.

Il relève l’identité des missions respectives assurées par les ressortissants de la convention collective des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) et par ceux relevant de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (dite " convention 66 "). Il note ensuite que nombre de salariés de ces deux branches exercent des métiers relevant de l'intervention sociale, même si ces métiers peuvent comporter certaines spécificités. Il constate également que la valeur du point servant à la détermination des salaires dans la branche des CHRS est fixée par référence à celle déterminée par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées et que les deux branches disposent d'un régime complémentaire de santé mutualisé commun pour leurs salariés.

En outre, eu égard à la faiblesse du nombre des thèmes de négociations couverts et du nombre d'accords collectifs signés au sein de la CHRS, soit six dans les cinq années ayant précédé l'arrêté attaqué, ainsi qu’à l’intérêt général qui s’attache  à la restructuration des branches en cause, laquelle, si elle est rejetée par les organisations syndicales requérantes notamment, est soutenue par une partie des organisations représentatives de ces deux branches, notamment par l'organisation patronale représentative dans ces deux champs. D’où il suit que l’arrêté querellé n’est pas entaché d’illégalité.

(28 octobre 2022, Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 457317 ; Fédération nationale de l'action sociale FO, n° 457324)

 

100 - Allocation de solidarité spécifique – Décision d’indu de perception de cette allocation - Opposition à contrainte – Rejet – Annulation sans renvoi (affaire réglée au fond).

La requérant, qui était bénéficiaire de l'allocation de solidarité spécifique depuis juillet 2017, a cessé le 16 juillet 2018 l'activité professionnelle qu'elle avait reprise le 23 janvier 2018. Elle a fait l’objet d’une contrainte en vue du remboursement d’un indu de cette allocation au motif qu’elle avait continué de percevoir cette allocation au cours de l'ensemble de cette période d'activité professionnelle, au-delà de la durée de trois mois civils pendant laquelle son cumul avec les revenus de son activité était possible, n'avait pu se voir rouvrir ses droits qu'à compter du 1er août 2018 et avait, en conséquence, indûment perçu l'allocation de solidarité spécifique du 1er avril au 31 juillet 2018, sans pouvoir en bénéficier pour la période allant du 16 juillet 2018 au 31 juillet 2018. Une contrainte ayant été délivrée à cette fin, la requérante y a fait opposition devant le tribunal administratif. Celui-ci, reprenant le raisonnement ci-dessus, a rejeté l’opposition.

Le jugement est cassé pour erreur de droit car il n'est pas contesté que l'intéressée remplissait, dès le 16 juillet 2018, l'ensemble des autres conditions légales et réglementaires pour la percevoir telles que posées par les dispositions combinées des art. L. 5423-1 et L. 5425-1, R. 5423-1, R. 5423-2, R. 5423-6, R. 5423-8, R. 5423-9, R. 5423-13 et R. 5425-2 du code du travail.

(14 octobre 2022, Mme A., n° 458405)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

101 - Champ d’application de la notion de dépenses d’affichage – Dépenses excédant le montant maximum de remboursement fixé à l’art. 39 du code électoral – Dépenses incluses dans le compte de campagne des candidats ou non en raison de leur nature de dépenses de la campagne officielle – Avis de droit.

Répondant à une demande d’avis adressée par le tribunal administratif de Paris, le Conseil d’État précise :

1°/ Il se déduit de la combinaison des art. L. 52-4, L. 52-11, L. 52-11-1 et L. 52-12 du code électoral, en premier lieu, que les dépenses de la campagne officielle constituent des dépenses engagées en vue de l'élection au sens de l'article L. 52-4 du code électoral et doivent, à ce titre, être réglées par le mandataire financier et, en second lieu, que celles de ces dépenses qui, par dérogation, ne doivent pas figurer dans le compte de campagne et ne peuvent faire l'objet du remboursement forfaitaire des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral, s'entendent des seules dépenses de cette nature ouvrant droit au remboursement prévu, de manière distincte, par les dispositions des art. L. 355 et R. 182 du code électoral, relatives à la campagne officielle. 

2°/ Celles des dépenses d'impression ou de reproduction et d'affichage qui ne peuvent donner lieu à remboursement au titre des articles L. 355 et R. 39 du code électoral parce qu'elles excèdent le plafond fixé en application de ces dispositions doivent être retracées dans le compte de campagne des candidats et peuvent faire l'objet du remboursement prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral. 

(Avis, 11 octobre 2022, Mme P., n° 465399)

 

102 - Élections départementales - Dépôt d’un compte de campagne non signé – Invitation à régulariser non respectée – Manquement caractérisé et délibéré – Inéligibilité pour six mois – Rejet.

Est rejeté l’appel contre le jugement ayant, d’une part, relevé que constituait un manquement caractérisé et délibéré à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales l’absence de signature de ce compte par le binôme de candidats alors qu’il avait été expressément invité à régulariser, d’autre part, prononcé l’inéligibilité pour six mois des intéressés à toute élection.

(11 octobre 2022, Mme B. et M. C., Élections départementales du canton de Sedan-3, n° 465708)

(103) V. aussi, pour un dépôt de compte de campagne non présenté par un expert-comptable, la confirmation de la sanction d’inéligibilité de six mois prononcée en première instance : 21 octobre 2022, Mme D. et M. A., Élections départementales du canton de Saintonge Estuaire, n° 464968 ou encore celle de douze mois infligée pour le même motif : 27 octobre 2022, Mme B., Élections départementales du canton de Vincelles, n° 463976.

 

104 - Élections départementales – Inéligibilité d’un candidat – Conséquences – Rejet.

Est inéligible le candidat qui occupe les fonctions de responsable du service « économie agricole » au sein de la direction départementale des territoires du département alors que ce service est notamment chargé de la mise en œuvre de la politique agricole commune et du développement durable dans le département. Eu égard au niveau des responsabilités qu'il exerce, l'intéressé ne peut, en tout état de cause, être regardé comme ne disposant, dans l'exercice de ses fonctions, d'aucun pouvoir de décision.

L’inéligibilité du remplaçant de l’un des deux éléments titulaires du binôme fait obstacle à l’enregistrement de la candidature du titulaire correspondant.

C’est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a annulé l’ensemble des opérations électorales s’étant déroulées dans ce canton.

(13 octobre 2022, Mme B. et autres, Élections départementales du canton de Verdun-1, n° 462139)

 

105 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne – Obligation pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de respecter la procédure contradictoire – Différences entre deux versions des comptes de campagne explicables – Annulation de la démission d’office des candidats élus prononcée par le tribunal administratif.

Le Conseil d’État annule le jugement frappé d’appel devant lui qui a rejeté le recours des demandeurs contre la décision de la CNCCFP et les a déclarés démissionnaires d’office.

La Commission n’a pas respecté le principe du contradictoire en rejetant le compte avant de procéder à son examen en raison des différences entre les deux versions de ces comptes, avant et après intervention d’un expert-comptable. En outre, ces différences consistaient en de simples erreurs d’écritures. C’est donc à tort que la Commission a rejeté le compte de campagne et que le tribunal n’a pas annulé ce rejet ainsi que, par voie de conséquence, déclaré démissionnaires d’office les candidats élus.

(14 octobre 2022, Mme B. et M. A., Élections départementales du canton de Modane, n° 462762)

(106) V. aussi, annulant le jugement déclarant un binôme inéligible pour douze mois et le jugeant démissionnaire d’office, alors qu’il a été fait toute diligence pour se mettre en règle, qu’aucune différence n’a été relevée entre le compte de campagne certifié par le mandataire et celui certifié par un membre de l’ordre des experts comptable et, enfin, que le montant en cause est faible tandis que le manquement n’est pas délibéré : 18 octobre 2022, Mme B. et M. A., Élections départementales du canton de Tarn-et-Causses, n° 463156.

(107) V., à l’inverse, estimant justifiés la sanction de l’inéligibilité pour douze mois et le prononcé de la démission d’office à l’encontre d’un binôme invoquant – pour justifier le dépôt hors délai du compte de campagne – un oubli lié à une surcharge de travail du fait de la charge de plusieurs mandats alors que, déjà élus pour exercer d’autres mandats, ses membres  ne peuvent se prévaloir d’une inexpérience : 21 octobre 2022, Mme D. et M. C., Élections départementales du canton de Sarralbe, n° 463156.

 

108 - Démission d’une adjointe au maire – Règle de parité – Absence d’exception prévue par la loi – Conciliation de la règle constitutionnelle de parité avec d’autres principes constitutionnels – Remplacement par un homme seul candidat – Illégalité –Atteinte à la continuité des services publics, à la libre administration des collectivités territoriales et au pluralisme des idées et opinions – Rejet.

A la suite de la démission de la deuxième adjointe à un maire, a été élu pour la remplacer un homme, par ailleurs seul candidat. Le préfet a saisi le tribunal administratif d’un déféré et ce dernier a annulé l’élection de cet adjoint.

L’intéressé, élu à l’unanimité, interjette appel de ce jugement, il est débouté.

Le Conseil d’État estime d’abord que l’application de la règle de parité pour pourvoir à une vacance d’un poste d’élu(e) est une exigence que la loi (ici l’art. L. 2122-7-2, al. 1 du CGCT) tire de l’art. 1er de la Constitution et qu’elle ne méconnaît pas le principe d’égalité.

Pas davantage cette règle n’oblige les conseils municipaux à élire un membre de l’opposition portant ainsi atteinte au pluralisme des idées et opinions ni non, plus, en cas d’absence de candidat du sexe en cause, à laisser vacant un poste d’élu, cette dernière hypothèse ne pouvant qu’être très rarement réalisée.

Le législateur n’a pas porté atteinte à des dispositions constitutionnelles en ne prévoyant pas d’exceptions à la règle qu’il a imaginée.

Il n’a pas non plus méconnu le droit d’éligibilité du requérant.

Enfin, il est rappelé que la France n’ayant pas ratifié le protocole n° 12 à la Convention EDH, le requérant ne peut l’invoquer ni seul ni en combinaison avec d’autres stipulations de cette convention.

Reste que cette question de parité semble devoir devenir obsolescente tant ont évolué les distinctions de sexe qui ne se réduisent plus à une alternative mais font partie de combinatoires diverses, l’opinion commune sur les allers-retours dans l’état sexuel, l’émergence d’une gradation très progressive d’un sexe A « pur » vers un sexe B « pur », au reste toujours révocable depuis que la Cour EDH a considéré que le sexe a cessé d’être une réalité biologique pour n’être qu’une affaire d’état d’esprit et de sentiment de l’intéressé(e), « e cosa mentale » comme diraient les Italiens. Par ex. : Quid du changement de sexe post-électoral d’un élu en binôme ? Quid des effets sur la règle de parité d’une intervention chirurgicale ou par laser ayant le même objet ?

Enfin, last but not least, comment appliquer aux ressortissants de l’Union candidats et/ou élus à des élections locales françaises, la règle de parité lorsqu’elle est inconnue dans leur pays ou en l’état d’une transition sexuelle permise par leur législation nationale et non en France ou inversement ?

(11 octobre 2022, M. B., n° 465799)

 

Environnement

 

109 - Installations classées pour la protection de l'environnement – Obligation de remise en état du site – Charge de l’obligation – Cession du site à un tiers - Existence d’un certain degré de pollution – Appréciation souveraine des juges du fond – Rejet.

En cas de cessation d’activité d’une installation classée pour la protection de l’environnement – ici de collecte et de tri de métaux et de déchets métalliques – une obligation de remise en état s’impose à l'ancien exploitant ou, si celui-ci a disparu, à son ayant droit. Lorsque l'exploitant ou son ayant droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l'exonère de ses obligations que si le cessionnaire s'est substitué à lui en qualité d'exploitant. En revanche si le cessionnaire n’exerce pas sur ce site une activité entrant dans la catégorie de la précédente activité, cette obligation ne lui est pas transmise.

En l’espèce, le recours de la ministre est rejeté car si la cour a relevé que la société repreneuse avait, sur le même site, exploité une activité similaire à celle de la société cédante, et cela postérieurement à la cessation d'activité de cette dernière, en revanche, elle a souverainement regardé comme faible la teneur en trichloréthylène constatée en 2013, dont elle a relevé qu'elle n'était anormalement élevée que par rapport à une norme d'air ambiant ne concernant pas les locaux industriels, et en jugeant qu'il ne résultait pas de l'instruction que la présence de polluants sur le site de l'usine avait pour origine l'exploitation de solvants chlorés par la société cédante.

(17 octobre 2022, ministre de la transition écologique, n° 444388)

 

110 - Jeux olympiques et paralympiques de 2024 – Contentieux des opérations en relation avec ces jeux - Compétence de premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel de Paris (art. R. 311-2 CJA) - Aménagement du nord de l’Île-de-France – Projet de réseau de transports en commun du Grand Paris Express - Création de la ligne 17 Nord – Opération sans relation avec les Jeux de 2024 – Incompétence de la cour de Paris ne pouvant plus être mise en cause – Rejet.

Divers organismes ont saisi le tribunal administratif de Montreuil en vue d’en obtenir l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté des préfets de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val-d'Oise du 24 octobre 2018 autorisant la création et l'exploitation de la ligne 17 Nord du réseau de transports du Grand Paris Express entre le Bourget et le Mesnil-Amelot. Le tribunal a sursis à statuer  pour une durée de douze mois dans l’attente de la régularisation de l’arrêté interpréfectoral attaqué et suspendu partiellement l'exécution de cet arrêté, en tant qu'il autorise les travaux menés à proximité du périmètre de la ZAC du Triangle de Gonesse et ceux relatifs aux ouvrages 3503P et 3505P à Gonesse, à l'emprise extérieure autour de la gare du parc des expositions de Villepinte, à l'ouvrage 3701P à Tremblay-en-France, à l'emprise extérieure à Tremblay-en-France et à la gare du Mesnil-Amelot.

Sur appel de la Société du Grand Paris, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé le jugement contesté et transmis le dossier de l’affaire à la cour de Paris. Celle-ci a rejeté le recours des demanderesses.

Ces dernières se pourvoient en cassation contre l’arrêt d’appel en ce qu’il a refusé d’annuler l’arrêté querellé ainsi que celui du 4 mars 2021 qui a pour objet de le compléter.

Si le pourvoi est rejeté au fond, c’est cependant non ce fond mais une question de compétence et de procédure juridictionnelle tranchée par le Conseil d’État avant de statuer sur le fond qui fait l’importance de cette décision.

L’art. R. 311-2, 5°, du CJA donne compétence à la cour de Paris pour connaître en premier et dernier ressort « des litiges, y compris pécuniaires, relatifs à l'ensemble des actes, autres que ceux prévus aux 1°, 2° et 6° de l'article R. 311-1, afférents :

- aux opérations d'urbanisme et d'aménagement, aux opérations foncières et immobilières, aux infrastructures et équipements ainsi qu'aux voiries dès lors qu'ils sont, même pour partie seulement, nécessaires à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;

- aux documents de toute nature, notamment les documents d'urbanisme et d'aménagement, en tant qu'ils conditionnent la réalisation des opérations, infrastructures, équipements et voiries mentionnés à l'alinéa précédent ;

- aux constructions et opérations d'aménagement figurant sur la liste fixée par le décret prévu au dernier alinéa de l'article 12 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ». 

C’est ce texte qui a motivé l’arrêt de la cour de Versailles annulant le jugement de première instance et transmettant cette affaire à la cour de Paris.

En réalité, tant l’arrêt de transmission que l’arrêt statuant au fond reposent sur une erreur de droit car le litige en cause n’entre pas dans les prévisions de l’art. R. 311-2 précité. En effet, l’objet du litige porte sur la création de la ligne 17 Nord qui ne fait pas partie des opérations en liaison directe avec les Jeux de 2024. Celle-ci a été envisagée en 2009 puis déclarée d’utilité publique par un décret du 14 février 2017 soit entre la présentation, le 23 juin 2015, de la candidature officielle de Paris aux Jeux de 2024 et la décision du Comité international olympique du 13 septembre 2017 retenant cette candidature. Alors même que le projet de cette ligne figurait dans le dossier de candidature de Paris à titre d’élément de contexte, il n’en reste pas moins qu’il n’a été conçu qu’afin de contribuer à l'aménagement du Nord de l'Île-France, d'améliorer la couverture de territoires insuffisamment desservis, de permettre aux populations concernées d'accéder plus aisément aux bassins d'emploi et de réduire la circulation automobile dans la région, non en relation avec le projet de Jeux de 2024, d’autant que les travaux de réalisation de la ligne 17 Nord ne seront pas achevés au moment où se dérouleront ces Jeux.

Ainsi donc, le litige n’entrait pas dans le champ de compétence dérogatoire prévu au bénéfice de la cour administrative d’appel de Paris par les dispositions précitées du 5° de l’art. R. 311-2 du CJA. Cette cour n’était donc pas compétente pour connaître de ce litige en premier et dernier ressort.

Toutefois, il résulte des dispositions de l’art. R. 351-9 du CJA que la compétence de la juridiction à laquelle une affaire a été transmise en application de l'article R. 351-3, dès lors que cette juridiction n'a pas mis en œuvre les dispositions de l'article R. 351-6 en renvoyant l'affaire, au motif de son incompétence, au président de la section du contentieux du Conseil d'État dans un délai de trois mois, ne peut plus être remise en cause, sauf à opposer l'incompétence de l’ensemble de la juridiction administrative. 

Or, il résulte de la chronologie de la procédure suivie en l’espèce que la cour de Versailles a transmis l’affaire à la cour de Paris le 19 novembre 2020, conformément aux dispositions de l’art. R. 351-3 du CJA, et que la cour de Paris a statué au fond comme juge de premier ressort sur la demande dont avait été saisi le tribunal administratif de Montreuil sans user des dispositions de l’art. R. 351-6, 2ème alinéa, d’où il suit que son incompétence, ainsi que le soutient le ministre défendeur, ne peut plus être discutée.

(17 octobre 2022, Association France Nature Environnement Île-de-France et autres, n° 459219)

 

111 - Contrôle technique obligatoire des véhicules à deux ou trois roues et quadricycles – Mise en place initialement prévue en 2022 puis retardée et échelonnée – Transposition d’une directive de l’Union – Non-respect – Annulation sans modulation de la date d’effet de la décision.

Le Conseil d’État persiste et signe… et c’est tant mieux.

Par ses décisions du 27 juillet 2022 n° 457398 (Voir cette Chronique, juillet-août 2022 n° 167) et n° 456131, il avait, sur recours des mêmes associations, d’une part, annulé les art. 6, 8 et 9 du décret du 9 août 2021 en tant qu’il fixait au 1er janvier 2023 l’entrée en vigueur du contrôle technique des véhicules de catégorie L et en tant qu’il prévoyait un dispositif d’application par paliers courant jusqu’en 2026.

Par ailleurs, il avait, le 1er août 2022, rejeté la demande de suspension par référé du décret n° 2022-1044 du 25 juillet 2022 abrogeant le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 au motif qu’il allait être statué au fond sur cette question dans les prochaines semaines ce qui ne créait pas une situation d’urgence (1er août 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 466190 ; voir cette Chronique, juillet-août 2022 n° 168).

La présente décision est donc celle annoncée en août.

Sans surprise, le juge réitère en propres termes le raisonnement et la solution adoptés dans les précédentes requêtes au fond : le décret du 25 juillet 2022 est annulé. Et, semblablement, s’agissant de l’application directe du droit européen et en l’absence de toute situation exceptionnelle ou de toute nécessité impérieuse, il n’y a pas lieu à modulation dans le temps de cette annulation.

Peut-être le gouvernement va-t-il, enfin, faire ami-ami avec l’État de droit et respecter l’autorité de la chose jugée ?

(31 octobre 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 466125)

 

112 - Police de l’eau – Restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques – Déclaration des travaux nécessaires à cet effet – Régime des étangs piscicoles – Dangers présentés par certains de ces travaux – Annulation partielle avec modulation.

Les requêtes jointes tendaient, en premier lieu, à l’annulation – partielle ou totale – du n° 2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau et, en second lieu, à l’annulation de l'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 30 juin 2020 définissant les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques relevant, selon les requêtes, de la rubrique 3.2.3.0. ou 3.3.5.0. de la rubrique de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement.

Les recours sont rejetés en ce qui concerne les griefs de légalité externe, ils sont partiellement admis concernant la critique de la légalité interne.

En premier lieu, est rejetée la demande d’annulation de la rubrique 3.2.3.0 de la nomenclature.

La circonstance qu’y ont été inclus les étangs piscicoles ne constitue pas une irrégularité car si, comme le relève une des requérantes, ces étangs sont susceptibles d'avoir certains des effets bénéfiques invoqués, ils présentent également des risques d'altération de la quantité et de la qualité des eaux qui justifient qu'ils soient intégrés à la nomenclature relative aux plans d'eau. Pas davantage ne peut être dite contraire aux art. 641 et 642 du Code civil (selon lesquels tout propriétaire a le droit d'user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds et peut disposer librement des sources existant dans ce fonds) la disposition du f) de l’art. 3 du décret litigieux qui n’a pour seul objet que de modifier la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités relevant de la police de l'eau en raison des risques pouvant résulter pour l'environnement de la vidange des plans d'eau et non de porter atteinte aux droits reconnus par les articles précités de ce code.

En second lieu, en revanche, il est jugé, s’agissant de la rubrique 3.3.5.0 de la nomenclature, qu’en soumettant à déclaration tous les travaux ayant pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, indépendamment des risques et dangers qu’ils sont susceptibles de présenter, en particulier notamment quand ils portent sur l'arasement des digues et des barrages, les dispositions du h) de l'article 3 du décret attaqué méconnaissent l'article L. 214-3 du code de l'environnement. 

Est prononcée l’annulation de cette disposition mais avec effet reporté au 1er mars 2023 en raison des conséquences manifestement excessives qu’aurait son annulation rétroactive ainsi que de l'arrêté du 30 juin 2020, en raison notamment de l'intérêt général qui s'attache au maintien des travaux qui ont fait l'objet d'une déclaration en application de ces dispositions ou dont la demande de déclaration est en cours d'instruction.

(31 octobre 2022, Syndicat France Hydro-Electricité, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, Fédération des moulins de France et association des riverains de France, n° 443683 ; Association Hydrauxois, n°443684 ; Association Union des étangs de France, n°448250, jonction)

 

113 - Ours brun des Pyrénées – Mesures d’effarouchement renforcé – Protection des troupeaux – Mesures expérimentales – Encadrement insuffisant – Annulation dans cette mesure.

Nouvel épisode de la saga de l’ours brun des Pyrénées en passe de rivaliser avec celle du célèbre « Petit ours brun » des éditions Bayard…

Les divers requérants poursuivaient l’annulation de l'arrêté du 31 mai 2021 de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.

De nombreux arguments étaient développés au soutien de ces prétentions, un seul est retenu, qui conduit, dans cette mesure, à l’annulation du texte attaqué.

Après avoir rejeté les moyens de légalité externe, le juge examine ceux de légalité interne et considère comme devant être rejetés ceux tirés de la méconnaissance de la condition relative à l'existence de dommages importants à l'élevage, de la méconnaissance de la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante que l’effarouchement et, enfin, de la méconnaissance du principe de précaution dès lors que n’existe pas ici d’incertitude scientifique.

En revanche, est annulé l’art. 4 de l’arrêté querellé « en tant qu'il ne prévoit pas de mécanisme encadrant la mise en œuvre du dispositif d'effarouchement renforcé auprès des femelles en gestation et suitées » (cf. art. 1er du dispositif) car cela ne permet pas de s'assurer, eu égard aux effets d'un tel effarouchement sur l'espèce, et en l'absence de données scientifiques nouvelles témoignant d'une amélioration de son état de conservation, que les dérogations susceptibles d'être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l'amélioration de l'état de l'espèce. En effet, alors que sont répertoriés, dans le massif des Pyrénées, seul lieu où ils subsistent en France, environ 68 ours, il faudrait atteindre le seuil de 100 qui est la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l'espèce.

(31 octobre 2022, Association One Voice, n° 454633 ; Association Ferus - Ours, Loup, Lynx, association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel, association Pays de l'Ours - Adet, comité écologique ariégeois, association Nature en Occitanie, fonds d'intervention écopastoral, société nationale de protection de la nature et d'acclimatation de France, association Animal Cross, association Nature Comminges et association France Nature Environnement 65, n° 455273, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

114 - Autorités consulaires – Délivrance d’un certificat de nationalité – Vérification de documents relatifs à la nationalité des parents et grands-parents du demandeur – Incompétence manifeste de l’ordre administratif de juridiction – Rejet.

En raison du bloc de compétence réservé au juge judiciaire en cette matière, doit être rejeté comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître, le recours tendant à voir annulé le refus des autorités consulaires de France à Alger de délivrer au demandeur un certificat de nationalité française et à voir accordée par le juge des référés la vérification des documents relatifs à la nationalité de ses parents et grands-parents. 

(ord. réf. 10 octobre 2022, M. A., n° 468031)

(115) V. aussi, dans le même sens : 17 octobre 2022, Association Collectif pour le Triangle de Gonesse, Val d'Oise environnement et autres, n° 464620.

 

 

 

116 à 124 - Retrait de la nationalité française acquise par naturalisation

ou par réintégration dans cette nationalité

 

Le mois d’octobre 2022 est fécond en décisions portant sur le contentieux du retrait de la nationalité française pour fraude consistant le plus souvent à avoir caché pendant la procédure de demande de naturalisation des éléments de la vie privée du demandeur tels l’existence d’une union conjugale et/ou l’existence d’enfants. Ces décisions sont toutes de rejet.

 

Justifient ainsi le retrait de décrets accordant la naturalisation française ou y réintégrant une personne :

 

116 - Le fait pour un ressortissant marocain de s’être déclaré divorcé sans enfant en mars 2017 et de n’avoir pas signalé le mariage contracté en octobre 2018 au Maroc contrairement à l’engagement pris sans que la circonstance alléguée qu'il était très occupé par ses activités professionnelles et bénévoles puisse justifier une impossibilité d'exposer sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant sa naturalisation (19 octobre 2022, M. A., n° 460469) ;

117 - Le fait pour un ressortissant nigérien de n’avoir pas signalé avoir contracté mariage avec une ressortissante nigérienne résidant habituellement à l'étranger, le 28 juillet 2018, alors que le décret de naturalisation a été pris le 26 décembre 2018 (19 octobre 2022, M. D., n° 459356) ;

118 - Le fait pour un ressortissant comorien d’avoir déclaré être célibataire et sans enfant en avril 2015 puis de tenter de faire enregistrer à l’état-civil français les actes de naissance de ses trois enfants nés aux Comores en 2014 et 2016 antérieurement à la date du décret de naturalisation (19 octobre 2022, M. B., n° 459509) ;

119 - Le fait pour un ressortissant camerounais de n’avoir pas signalé le mariage contracté avec une ressortissante camerounaise résidant régulièrement en Belgique, à l'ambassade du Cameroun à Bruxelles, le 22 décembre 2012, alors que sa naturalisation a été accordée le 28 septembre 2015. Il ne saurait, de bonne foi, soutenir qu’il s’est déclaré célibataire au cours de la procédure de naturalisation au motif qu'on lui aurait indiqué que son mariage n'ayant pas été transcrit sur les registres de l'état civil français, il n'était pas reconnu en France et qu'il n'était donc pas nécessaire de le mentionner dans le cadre de sa procédure de naturalisation car il n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation et ne fait état, par ailleurs, d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française (19 octobre 2022, M. A., n° 458359) ;

120 - Le fait pour un ressortissant comorien d’avoir, lors de sa demande de réintégration dans la nationalité française, déclaré être divorcé et sans enfant alors qu’il avait épousé aux Comores une ressortissant comorienne le 7 décembre 2007, près de cinq ans avant la publication du décret de réintégration. La circonstance qu'il était séparé de fait de cette personne lors de l'instruction de sa demande et qu'il s'est uni avec cette dernière devant les autorités françaises, postérieurement à sa réintégration, n'est pas de nature à remettre en cause l'appréciation du caractère frauduleux de ses déclarations au vu desquelles il a été réintégré dans la nationalité française (19 octobre 2022, M.C., n° 455499) ;

121 - Le fait pour une ressortissante congolaise d’avoir, au moment de sa demande de naturalisation en 2018, déclaré être mère de trois enfants de nationalité française, dont F., né français du fait de la reconnaissance de paternité effectuée par M. C., lui-même français, à la naissance de l'enfant, le 19 juin 2009 à Villepinte (Seine-Saint-Denis) alors qu’un jugement du 10 octobre 2014 du tribunal de grande instance de Meaux a annulé comme frauduleuse la reconnaissance de paternité de M. C. envers l'enfant F. (18 octobre 2022, Mme A., n° 462017) ;

122 - Le fait pour un ressortissant mauritanien, se déclarant célibataire et sans enfant, d’avoir contracté mariage avec une ressortissante mauritanienne vivant habituellement à l’étranger le 23 janvier 2016 alors que le décret de naturalisation a été pris le 6 octobre 2016, sa bonne foi ne pouvant être retenue eu égard à l’engagement souscrit envers les services compétents et à sa pleine maîtrise de la langue française (18 octobre 2022, M. A., n° 461277) ;

12 - Le fait pour un ressortissant tunisien d’avoir déclaré en avril 2016 être divorcé et père d’un enfant né en France en 2017 alors que, naturalisé par décret du 28 mai 2017, il avait épousé en 2016 en Tunisie une ressortissante tunisienne dont sont nés deux enfants en 2016 et 2018 résidant habituellement en Tunisie avec leur mère (18 octobre 2022, M. B., n° 460879) ;

124 - Le fait pour une ressortissante sénégalaise d’avoir déclaré en juin 2012, lors de la constitution de son dossier, être célibataire alors qu’elle avait épousé au Sénégal le 2 août 2012 un ressortissant sénégalais résidant irrégulièrement en France. Le retrait du décret de naturalisation est légal sans que puisse y faire obstacle la circonstance que l’intéressée soutient que cette union ne constitue pas un mariage qui devait être porté à la connaissance des autorités françaises car elle ne pourrait pas être qualifiée de mariage en vertu de la loi qui lui est applicable. En effet, l'autorité compétente pouvait prendre en compte son existence pour apprécier la condition de résidence posée par l'article 21-16 du code civil. (18 octobre 2022, Mme B., n° 454685).

 

 

Étrangers

 

125 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Contestation d’une OQTF soumise à un régime contentieux dérogatoire au code de justice administrative - Écoulement du temps depuis la décision portant OQTF – Circonstance sans effet par elle-même sur la légalité de la décision – Rejet.

Saisi d’un recours en référé liberté dirigé contre l’ordonnance rejetant sa demande d’annulation d’une décision préfectorale portant OQTF à l’encontre d’un ressortissant algérien, le Conseil d’État rappelle à nouveau que si la procédure de contestation d’une OQTF, fixée par le CESEDA est entièrement dérogatoire à celles prévues au livre V du CJA, elle présente cependant pour le justiciable des garanties au moins équivalentes.

Toutefois, il en va différemment lorsque les conditions d’exécution d’une telle mesure d’éloignement lui confèrent des effets excédant ceux résultant normalement d’une OQTF.

Le premier juge a, dans son ordonnance de rejet, constaté que la continuité et la stabilité de la relation de concubinage avec une ressortissante française alléguées par le requérant et existant antérieurement à l’arrêté portant OQTF n'étaient pas établies ni non plus l’existence d’un projet de mariage en particulier compte tenu des déclarations faites par sa concubine à l’occasion d’une garde à vue du requérant en février 2022. Ainsi, en l’absence de changement significatif de circonstance, l’arrêté querellé gardait toute sa valeur et sa mise à exécution ne constituait pas de ce fait une nouvelle mesure d’éloignement.

Le Conseil d’État entérine ce raisonnement.

Il ajoute encore cette précision importante que le seul écoulement du temps depuis l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français ne suffit pas à caractériser un changement de circonstance qui établirait, par lui-même, que les modalités selon lesquelles il est procédé à l'exécution de cette mesure emportent des effets qui excèdent ceux qui s'attachent normalement à sa mise à exécution.

Le référé est rejeté.

(ord. réf. 11 octobre 2022, M. A., n° 467888)

 

126 - Étranger en situation irrégulière en France – Étranger non citoyen de l’Union – Conjoint d’un ressortissant de l’Union ou assimilé – Droit au séjour – Annulation.

Il faut déduire des dispositions combinées des art. L. 200-3, L. 200-4, L. 233-1, L. 233-2 et R. 221-1 du CESEDA qu'un étranger, conjoint d'un ressortissant de l'Union européenne ou d'un ressortissant qui lui est assimilé (ici une norvégienne par naturalisation), n'ayant pas lui-même la qualité de citoyen de l'Union européenne, ne peut se voir refuser un titre de séjour au seul motif de son entrée irrégulière ou de son séjour irrégulier sur le territoire français. 

(21 octobre 2022, M. B., n° 462587)

 

127 - Refus ou retrait d’un titre de séjour à un étranger – Décision assortie d’une « invitation à quitter le territoire français » – Décision non susceptible de recours.

Répondant à une demande d’avis formée par un tribunal administratif sur le statut contentieux d’une « invitation à quitter le territoire français », le Conseil d’État apporte ces importantes précisions que cette invitation accompagne normalement une décision de refus ou de retrait d’un titre de séjour à un étranger dont elle est la conséquence nécessaire et liée. Il s’ensuit que, par elle-même, elle ne fait pas grief et ne constitue ainsi pas une décision susceptible de recours.

Cette conséquence n’est pas modifiée par le fait que cette invitation est assortie d'un délai et de l'indication qu'au-delà de ce délai, à défaut d'avoir volontairement quitté le territoire français, l'étranger concerné s'expose à l'édiction, à son encontre, d'une obligation de quitter le territoire français, prise sur le fondement de l'article L. 611-1 du CESEDA.

(Avis, 27 octobre 2022, Mme K., n° 462766)

 

128 - Étranger père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France – Obligation de contribuer effectivement à son entretien et à son éducation pour l’obtention d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » - Existence d’une décision de justice en ce sens – Condition devant être considérée comme remplie en toute hypothèse.

Il est fait réponse ici à une demande d’avis portant sur une question assez particulière.

En principe, l’étranger parent d’un enfant français mineur résidant en France ne peut se voir délivrer un titre de séjour temporaire qu’à la double condition d’établir, d’une part, qu’il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation de cet enfant, d’autre part, que l’autre parent, de nationalité française, s’acquitte lui aussi de cette obligation, du moins lorsque la filiation à l'égard de celui-ci a été établie par reconnaissance en application de l'article 316 du Code civil.

Qu’en est-il lorsque l’étranger se prévaut d’une décision de justice relative à la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant par le parent français lorsque cette décision, par ses prescriptions, tire les conséquences du constat de la défaillance éducative ou de l'impécuniosité de ce parent français ?

Selon le Conseil d’État cette condition de contribution de l'autre parent doit être regardée comme remplie dès lors qu'est rapportée la preuve de sa contribution effective ou qu'est produite une décision de justice relative à celle-ci. Dans ce dernier cas, il appartient seulement au demandeur de produire la décision de justice intervenue, quelles que soient les mentions de celle-ci, peu important notamment qu'elles constatent l'impécuniosité ou la défaillance du parent français auteur de la reconnaissance. La circonstance que cette décision de justice ne serait pas exécutée est également sans incidence. 

Cette interprétation des dispositions idoines du CESEDA peut surprendre.

(Avis, 27 octobre 2022, Mme R., n° 464655)

 

129 - Étranger se prétendant mineur – Doutes sur sa minorité – Refus d’hébergement opposé par le département – Injonction au département de reprendre l’accueil provisoire de l’étranger – Annulation de l’ordonnance.

Un ressortissant ivoirien, se prévalant de sa minorité, a demandé au département des Bouches-du-Rhône de procéder à son accueil provisoire en l’hébergeant au titre de l’aide sociale à l’enfance. Le département a refusé et saisi le juge judiciaire sur le fondement de l’art. 375 du code civil.

L’intéressé a formé devant le juge administratif un référé liberté et fourni en cours d’instance un acte d’état-civil ivoirien attestant qu’il était né en décembre 2006 : le juge des référés a suspendu le refus du département et enjoint celui-ci, faute qu’il ait contesté la validité de ce document, de reprendre l’accueil provisoire du requérant sous 24 heures et ce jusqu’à ce que l’autorité judiciaire ait statué.

Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la compétence exclusive du juge judiciaire en cette matière d’état-civil n’exclut pas la compétence du juge administratif pour juger si l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et, si ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, pour enjoindre le département de poursuivre son accueil provisoire.

En l’espèce, si donc le tribunal s’est fondé sur un acte d’état-civil non contesté pour prendre l’ordonnance attaquée, il résulte de l'instruction que lors de son entrée sur le territoire européen par l'Espagne, M. B. a déclaré aux autorités de ce pays être né en 1996, non en 20006. Par ailleurs, à l'instar de l'évaluation faite par le département des Bouches-du-Rhône, les investigations menées par le département des Pyrénées-Atlantiques où l'intéressé s'est d'abord présenté, puis au moins par le département de l'Aude, ne permettent pas de corroborer la minorité alléguée. En particulier, le rapport d'évaluation réalisée en mai 2022 pour le département des Pyrénées-Atlantiques indique que le demandeur semble beaucoup plus âgé qu'un adolescent de quinze ans dans son comportement et sa manière de s'exprimer, que son développement physique pourrait davantage correspondre à une personne née en 1996 comme déclaré en Espagne et qu'au vu de ces éléments et déclarations, il ne semblait pas être mineur. La synthèse de l'évaluation menée à l'été 2022 dans le département de l'Aude concluait que les différentes observations faites ne plaidaient pas en faveur de sa minorité et le substitut du procureur du tribunal judiciaire de l'Aude a procédé à un classement sans suite de sa demande de placement provisoire. Si M. B. fait valoir que l'extrait d'acte de naissance qu'il a produit directement devant le juge des enfants du tribunal judiciaire de Marseille, postérieurement à ces évaluations, atteste de sa minorité en application des dispositions de l'article 47 du code civil, il résulte de ces mêmes dispositions que la force probante d'actes d'état-civil étrangers peut être combattue par tout moyen, notamment au vu de données extérieures, le juge formant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Si l'intéressé conteste par ailleurs la réalité de l'évaluation menée par le département de l'Aude, il n'apporte pas d'élément pour étayer son argumentation. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction et eu égard à l'office du juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA, le département des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a estimé que sa décision de mettre fin à la prise en charge de M. B. reposait sur une appréciation manifestement erronée de l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé.

(ord. réf. 28 octobre 2022, M. B., n° 468258)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

130 - Professeur des universités – Procédure de mutation – Priorité reconnue aux personnes porteuses d’un handicap – Dispense d’examen de la candidature par le comité de sélection – Obligation pour le conseil d’administration de se prononcer – Erreur de droit – Annulation.

En cas de demande de mutation d’un professeur des universités vers une autre université, la procédure comporte trois étapes : un examen par le comité de sélection qui se prononce sur les candidatures en vue de pourvoir les emplois déclarés vacants, intervention pour avis du conseil académique et décision prise par le conseil d’administration en formation restreinte aux enseignants-chercheurs d’un rang au moins égal. Toutefois, l’art. 9-3 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences dispose que les demandes de mutation d’agents en situation de handicap relevant de certaines situations prévues au code du travail sont, en principe, prioritaires et que leur candidature n’est pas soumise à l’examen par le comité de sélection. 

En l’espèce, où le requérant, candidat à la mutation sur un poste de professeur, est porteur d’un handicap, le comité de sélection ne s’est pas prononcé, comme cela est normal, et le conseil académique a émis un avis défavorable.

Le conseil d’administration, réuni en formation restreinte, s'est estimé incompétent pour étudier cette candidature faute d'examen de celle-ci par le comité de sélection. L’erreur de droit évidente ainsi commise conduit à l’annulation - qui était demandée par le requérant – de la décision du conseil d’administration.

C’est là une application classique de cette règle de la procédure administrative non contentieuse selon laquelle l’administrateur est obligé d’exercer sa compétence et d’en épuiser tous les effets car, selon la formule de Laferrière, « il n’y a pas d’exception d’incompétence devant l’administration active ».

(7 octobre 2022, M. A., n° 463625)

 

131 - Professeurs des universités – Recrutement – Intérêt pour agir en contestation de recrutements de professeurs – Procédure irrégulière affectant des garanties pour les agents – Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation de décrets du président de la république nommant des personnes en qualité de professeurs des universités et les affectant à l’Université des Antilles.

La décision est intéressante sous deux aspects distincts.

En premier lieu, était objectée par l’Université l’absence d’intérêt pour agir de ces requérants en qualité de membres du conseil académique de l’université des Antilles. Une réponse positive ne faisait guère de doute en l’état d’une jurisprudence sexagénaire (cf. la célèbre affaire de la contestation par l’architecte Charles Lemaresquier de la nomination du peintre Balthus à la tête de la Villa Médicis à Rome : Section, 25 janvier 1963, Lemaresquier, Rec. Leb. p. 48).

En second lieu, était visée les irrégularités procédurales ayant entaché le processus de recrutement et, partant, la nomination, de ces deux professeurs. Deux d’entre elles sont retenues par le juge car elles portent atteintes à des règles qui constituent des garanties. Tout d’abord, c’est irrégulièrement que le conseil académique a été privé de prendre connaissance des avis rendus par le comité de sélection sur les candidatures en présence. Ceux-ci devaient être remis sous forme écrite aux membres du conseil et non lus, encore que ce point de fait soit, ici, lui-même discuté. Ensuite, le conseil académique s’est prononcé en un seul vote et une seule délibération, donnant ainsi un avis global sur les candidats ou les listes de candidats proposés en vue de pourvoir les quatre postes de professeurs des universités pour lesquels il avait à se prononcer, ce qui est contraire tant aux règles écrites qu’aux principes gouvernant la matière.

Les décrets litigieux, rendus au terme d’une procédure irrégulière, sont annulés.

(28 octobre 2022, Mme D., n° 450362 ; M. F., n° 450369 ; M. I, n° 450370, jonction)

 

132 - Prime exceptionnelle versée à certains fonctionnaires d’État et territoriaux pour sujétions exceptionnelles en période d’urgence sanitaire – Non cumul de deux primes – Illégalité prétendue du décret instituant ce non cumul – Question préjudicielle renvoyée par le juge judiciaire – Légalité de l’art. 6 du décret du 14 mai 2020 – Réponse en ce sens.

S’étant vu refuser par l’URSSAF la possibilité de cumuler des primes établies respectivement par l'article 7 de la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 et par l'article 11 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, au titre des sujétions exceptionnelles imposées aux fonctionnaires d’État et territoriaux, l’organisme requérant a saisi du litige le juge judiciaire. Celui-ci a estimé que devait être résolue la question préjudicielle de savoir si l’art. 6 du décret du 14 mai 2020, qui instaure cette interdiction de cumul de primes, était illégal, comme soutenu par le requérant, d'une part, en ce qu'il est contraire à la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 ainsi qu'à l'objectif défini par le législateur et, d'autre part, en ce qu'il est contraire au principe de libre fixation des salaires.

Le Conseil d’État rejette la prétention d’illégalité.

Tout d’abord, il est relevé que le législateur, après avoir prévu que la prime exceptionnelle destinée à tenir compte d'un surcroît de travail significatif durant la période de l'épidémie de Covid-19 serait exonérée d'impôt sur le revenu ainsi que des cotisations et contributions sociales et des participations, taxes et contributions prévues par le code général des impôts et le code du travail, n'a pas encadré les modalités et les conditions d'octroi de cette prime mais a renvoyé entièrement au pouvoir réglementaire leur détermination. Il s'est borné à cet égard à exclure que, dans l'hypothèse où ces modalités conduiraient à ce que des agents bénéficient de cette prime ainsi que de celle instituée par l'article 7 de la loi du 24 décembre 2019, les exonérations d'impôts et de cotisations sociales prévues pour ces primes puissent se cumuler lorsque la prime versée en application de cet article 7 tient compte des conditions de travail particulières liées à l'épidémie de Covid-19. En posant un principe de non cumul l’art. 6 du décret litigieux n’a pas méconnu les dispositions législatives en cause non plus que l’intention manifeste du législateur.

Ensuite, ne saurait être invoqué à l’encontre de ce décret le principe de libre fixation des salaires s’agissant d’un texte pris en application de dispositions législatives relatives à un complément de rémunération versé par les administrations publiques.

(13 octobre 2020, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, n° 462642)

 

133 - Maîtres contractuels de l’enseignement agricole privé – Exclusion du dispositif de rupture conventionnelle (art. 72, loi du 6 août 2019) – Absence de différence de traitement entre deux catégories d’enseignants de l’enseignement privé – Rejet.

Les requérantes demandaient, la première, d’une part, l’annulation du refus implicite du ministre de l'agriculture et de l'alimentation de reconnaître aux enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé le bénéfice du dispositif de rupture conventionnelle prévu par l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et ses décrets d'application et, d'autre part, subsidiairement, le refus implicite d'adopter un décret étendant le bénéfice de ce dispositif à cette catégorie d'enseignants ; la seconde, l’annulation de la note de service du 4 novembre 2020 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, relative à la mise en œuvre de la procédure de rupture conventionnelle, prévue par l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, à l'initiative des agents du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en tant qu'elle énonce que les enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé ne bénéficient pas de ce dispositif, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux dirigé, dans la même mesure, contre cette note.

Les recours sont rejetés en tous leurs chefs de griefs.

Il résulte de la loi du 6 août 2019 elle-même que les dispositions relatives à la rupture conventionnelle ne sont applicables, en ce qui concerne les agents contractuels de l'État, qu'aux seuls agents visés par les dispositions de l'article 1er du décret du 17 janvier 1986, au nombre desquels ne figurent pas les enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé recrutés par l'État sur la base de contrats à durée indéterminée de droit public.

Ensuite, il résulte de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation que les dispositions de son article 28, codifiées à l'article L. 810-1 du code rural ne rendent applicables aux enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé, dans le respect des dispositions propres à l'enseignement et à la formation professionnelle agricole, que les dispositions issues de la loi du 10 juillet 1989 et non l'ensemble des dispositions du code de l'éducation. Il s'ensuit qu'aucune disposition ne rend applicables aux enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé les dispositions de l'article L. 914-1 du code de l'éducation qui consacrent un principe de parité, notamment en ce qui concerne les conditions de cessation d'activité, entre les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privés sous contrat d'association et les maîtres titulaires de l'enseignement public. Avouons que cette partie du raisonnement du juge n’a pas pour elle les vertus de l’évidence.

Enfin, il n’est pas exact, selon le juge, de soutenir qu’en cette matière existerait une différence de traitement entre les maîtres contractuels de l’enseignement privé selon qu’ils exercent ou non dans l’enseignement agricole puisque l'art. 1er du décret 17 janvier 1986 exclut les enseignants contractuels de l'enseignement agricole privé comme les autres maîtres contractuels de l'enseignement privé du champ d'application du dispositif de rupture conventionnelle, prévu au III de l'article 72 de la loi du 6 août 2019.

Sans doute eût-il été plus tactique pour les requérantes de se fonder soit sur l’inconventionnalité de cette exclusion au regard des conventions de l’OIT, soit sur son inconstitutionnalité au moyen d’une QPC ?

(14 octobre 2022, Fédération nationale des syndicats professionnels de l'enseignement libre catholique, n° 451535 ; Fédération de la formation et de l'enseignement privés CFDT, n° 451592, jonction)

(134) V. aussi, sur le même sujet, ajoutons – heureusement –, ces précisions que les maîtres contractuels de l’enseignement privé exerçant dans des établissements fonctionnant sous contrat simple bénéficient du dispositif de rupture conventionnelle prévu par les dispositions de l'art. L. 1237-11 du code du travail en leur qualité de salariés ayant conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec des organismes de gestion des établissements d'enseignement privés. Ce dispositif de rupture conventionnelle étant comparable à celui institué pour la fonction publique, la fédération requérante n'est pas fondée à invoquer les dispositions de l'article L. 914-1 du code de l'éducation, qui n'imposent pas une stricte égalité de traitement entre les maîtres agréés de l'enseignement privé et les maîtres titulaires de l'enseignement public, pour soutenir que les maîtres agréés devraient bénéficier, comme les enseignants titulaires de l'enseignement public, du dispositif de rupture conventionnelle issu de l'article 72 de la loi du 6 août 2019.

Quant aux enseignants exerçant dans des établissements fonctionnant sous contrat d’association, en leur qualité de maîtres délégués, il convient de distinguer entre ceux recrutés par contrat à durée indéterminée qui bénéficient du dispositif prévu au III de l’art. 72 de la loi précitée de 2019  et ceux disposant de contrats à durée déterminée qui n’en bénéficient pas tout comme ceux de l’enseignement public d’ailleurs : 14 octobre 2022, Fédération de la formation et de l'enseignement privés CFDT, n° 451581.

 

135 - Pensions civiles et militaires de retraite – Pensionné ayant élevé pendant neuf ans au moins trois enfants de son conjoint issus d’une précédente union – Cas des enfants recueillis – Preuve d’en avoir assumé la charge effective et permanente – Rejet.

Le II de l’art. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit une majoration de la pension de retraite pour les titulaires ayant élevé au moins trois enfants pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire dans deux cas distincts.

En premier lieu, s’agissant des enfants du conjoint issus d'un mariage précédent, la satisfaction de cette double condition de durée et de terme suffit pour bénéficier de la majoration quelle que soit la date à laquelle le pensionné a épousé ce conjoint.

En second lieu, s’agissant des enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, le pensionné doit, pour prétendre au bénéfice de la majoration de pension, justifier qu’il en a assumé la charge effective et permanente « par la production de tout document administratif établissant qu'ils ont été retenus pour l'octroi des prestations familiales ou du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l'impôt sur le revenu ».

Pour la preuve de la prise en charge effective et permanente, la circonstance que le pensionné a contribué au paiement de la pension alimentaire au parent ayant la garde de l'enfant ne suffit pas à établir une telle prise en charge. Par ailleurs, et alors que les enfants de son conjoint issus d'un précédent mariage avaient pour résidence principale le domicile de leur mère, la production par la requérante des bulletins de paye de son mari attestant du versement à ce dernier du supplément familial de traitement pour quatre enfants entre février 1994 et mars 2002 n’établit  pas qu'elle a eu la charge effective et permanente de ces deux enfants pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l'âge où ils ont cessé d'être à charge au sens des articles L. 512-3 et R. 512-2 et R. 512-3 du code de la sécurité sociale.

La requérante n’est pas fondée à contester le refus de majoration de pension qui lui a été opposé.

(10 octobre 2022, Mme D., n° 442058)

 

136 - Agent public hospitalier – Victime d’un accident de trajet – Mise en arrêt de travail – Cessation, à partir d’une certaine date, de l’imputabilité de symptômes à l’accident – Placement en congé de longue maladie – Erreurs de droit – Annulation.

L’arrêt d’une cour administrative d’appel rendu en matière d’accident de trajet et de ses séquelles est annulé pour deux erreurs de droit.

En premier lieu, la cour ne pouvait pas, comme elle l’a fait par son arrêt du 23 juin 2020 relatif à des demandes dirigées contre des décisions de rejet du 3 mai 2017 et du 11 janvier 2018, appliquer au cas de l’espèce les dispositions de l'article 21bis de la loi du 13 juillet 1983 issues de l'ordonnance du 19 janvier 2017, alors que ces dispositions ne sont entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique hospitalière, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 16 mai 2020, du décret du 13 mai 2020 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique hospitalière, décret par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique.

En second lieu, la cour ne pouvait pas juger qu’était inopérant le moyen tiré par la requérante de l'imputabilité de l'affection dont elle souffrait à l'accident de service qu'elle avait subi et dirigé contre les décisions attaquées la plaçant en congé de longue maladie, alors que ces décisions avaient eu pour effet non seulement de placer la requérante en congé maladie mais aussi de rejeter sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'affection dont elle souffrait.

(10 octobre 2022, Mme B., n° 442274)

 

137 - Régime disciplinaire des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale – Saisine de la juridiction disciplinaire par les ministres compétents – Formulation de griefs - Infliction d’un blâme – Obligation pour l’instance disciplinaire de se prononcer sur l’ensemble des griefs formulés devant elle - Étendue de l’office de cet organisme – Annulation.

Manque à son office et motive insuffisamment sa décision de sanction, la juridiction disciplinaire spécialisée compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale qui, saisie de plusieurs griefs dirigés à l’encontre d’un praticien hospitalo-universitaire, ne répond pas à l’ensemble des griefs soulevés par les ministres requérants au soutien de leur demande de sanction et tirés d’un rapport de la mission d'inspection de la direction de l'inspection et de l'audit de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Est relevée la circonstance que cette juridiction n’a pas répondu aux griefs tirés notamment de la méconnaissance par le praticien poursuivi :

- en premier lieu, des dispositions de l'article L. 1131-3 du code de la santé publique, imposant aux praticiens souhaitant procéder à des examens des caractéristiques d'une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales d'en obtenir l'agrément préalable auprès de l'agence de biomédecine,

- en deuxième lieu, de l'article L. 5223-1 dudit code interdisant le recours à la publicité pour les dispositifs médicaux in vitro,

- et, en troisième lieu, de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique qui prévoit que la durée de l'activité libérale d'un praticien hospitalier ne doit pas excéder 20% de la durée de son service hospitalier hebdomadaire et que cette activité est organisée de manière à garantir l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique.  

L’annulation de la décision de blâme avec renvoi à la juridiction disciplinaire rend sans objet la requête de M. B., fondée sur l’annulation du blâme qui lui avait été infligé.

(10 octobre 2022, ministre des solidarités et de la santé, n° 447976 ; ministre de l’enseignement supérieur, n° 448016 ; M. B., n°449042, jonction)

 

138 - Agent contractuel du ministère de la culture – Licenciement avant l’expiration de la période d’essai – Contrôle plein et entier du juge et non de la seule erreur manifeste d’appréciation – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, saisie d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une mesure de licenciement prise à l’encontre d’un agent contractuel du ministère de la culture avant l’expiration de sa période d’essai, le rejette au motif que la ministre de la culture, ce faisant, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

En effet, dès lors que le licenciement intervenait avant l’expiration de la période d’essai il incombait au juge d’exercer non un contrôle réduit (à l’erreur manifeste d’appréciation) mais un contrôle plein et entier (ou contrôle normal).

L’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour.

(14 octobre 2022, M. D., n° 455958)

 

139 - Décret mettant fin aux fonctions de sous-préfet – Mesure prise au terme d’une enquête administrative – Obligation de communication du dossier – Liste des témoignages mais témoignages non produits – Abstention de l’intéressé à en demander communication – Absence d’irrégularité de la procédure – Rejet.

Un sous-préfet aux fonctions duquel un décret du président de la république a mis fin conteste la régularité de la procédure suivie en l’espèce.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État de réitérer sa jurisprudence récente (5 février 2020, M. Richard Decottignies, n° 433130 ; v. cette Chronique, février 2020, n° 101) en la précisant.

Tout d’abord il est rappelé que l’ensemble des pièces que comporte une enquête administrative diligentée sur le comportement d’un agent public portant sur des faits susceptibles de donner lieu à une sanction disciplinaire ou à la prise d’une mesure en considération de la personne doit être communiqué à l’agent concerné sur sa demande. Il n’est fait exception à ce principe de communication intégrale que pour ceux des documents « de nature à porter gravement préjudice aux personnes » dont les propos ou témoignages y sont contenus.

Ensuite, il est ici précisé que si le dossier consulté ne comprenait pas les cinquante-huit procès-verbaux des auditions d'agents et personnalités réalisées dans le cadre de la mission d'évaluation menée par le conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation, le requérant, qui avait connaissance de cette liste figurant en annexe du rapport qui lui avait été communiqué et qui était au dossier consulté, n'a pas demandé la communication de ces pièces. Il ne peut donc soutenir que la décision querellée a été prise au terme d’une procédure irrégulière au motif qu'il n'aurait pas été mis à même d'obtenir communication de l'intégralité de son dossier. 

(21 octobre 2022, M. Pierre Clavreuil, n° 456254)

 

140 - Militaire - Sanction professionnelle – Faits constatés par le juge pénal – Décision de classement sans suite – Portée sur le pouvoir de sanction disciplinaire – Absence – Rejet.

Sanctionné pour n’avoir pas pris toutes les dispositions réglementaires afin d’éviter un abordage en vol entre deux avions, accident qui a causé cinq morts, le requérant invoque le fait que le Parquet, la juridiction pénale ayant été saisie de ce dossier, l’a classé sans suite.

Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence en matière d’autorité attachée aux jugements répressifs. Si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux décisions de classement sans suite prises par le ministère public. Par suite, la circonstance que l'enquête judiciaire a abouti à un classement sans suite n'est pas de nature à démontrer que l'autorité militaire se serait fondée sur des faits matériellement inexacts pour infliger la sanction, ni à la priver de son pouvoir de sanction.

(27 octobre 2022, M. B., n° 459574)

(141) V. aussi, identique mais concernant un autre agent : 27 octobre 2022, M. B., n° 459576.

(142) Idem pour un autre agent : 27 octobre 2022, M. B., n° 462919.

 

143 - Agent hospitalier – Fautes professionnelles – Révocation – Sanction disproportionnée – Suspension de la décision de révocation.

Le directeur du CHU de Nice a prononcé la révocation d’un agent hospitalier pour avoir, d'une part, insulté et brutalisé dans la nuit du 20 au 21 septembre 2021 un patient de l'unité de psychiatrie, d'autre part, exprimé son animosité à l'encontre de deux collègues ayant refusé d'attester en sa faveur à la suite de cet incident. 

Confirmant en substance, après l’avoir annulée pour un motif de procédure, l’ordonnance du premier juge, le juge des référés du Conseil d’État retient tout d’abord que l’urgence à statuer et à suspendre est établie par le fait que l’intéressé est privé de son emploi et de son traitement ce qui porte ainsi atteinte de manière grave et immédiate à sa situation financière ; il estime, ensuite, qu’existe un doute sérieux sur la légalité de la sanction à raison de son caractère disproportionné dans la mesure où l'incident, qui a été violent mais bref s'est conclu par un échange d'excuses réciproques et compte tenu du comportement professionnel de l'agent, tel qu'il est attesté par ses notations professionnelles et par les témoignages d'anciens collègues, et à la circonstance que la dernière sanction invoquée par le CHU de Nice pour justifier sa révocation présentait à cette date une ancienneté de vingt-trois ans.

(ord. réf. 28 octobre 2022, CHU de Nice, n° 462601 et n° 463013)

 

144 - Enseignement et formation professionnelle agricoles – Institution de commissions d’hygiène et de sécurité – Absence d’illégalité – Rejet.

Par cette décision, le Conseil d’État rejette les demandes des syndicats requérants tendant à l’annulation du décret n° 2021-1316 du 8 octobre 2021 relatif aux commissions d'hygiène et de sécurité des établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricoles et à leur formation restreinte.

Le juge considère tout d’abord que le pouvoir réglementaire tirait des dispositions de l’art. L. 421-25 du code de l’éducation et de l’art. L. 811-9-2 du code rural et de la pêche maritime la compétence pour conférer aux commissions d’hygiène et de sécurité les attributions qu’elles doivent exercer.

Ensuite, la circonstance que les représentants des personnels soient en minorité dans les formations plénière et restreinte de ces commissions ne porte pas atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail consacré par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Enfin, la fixation à un an de la durée du mandat des membres élus de ces commissions ne méconnaît pas l'exigence constitutionnelle de protection de la santé des travailleurs.

(28 octobre 2022, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire, Syndicat CGT Agri et Syndicat national de l'enseignement et de la recherche du ministère chargé de l'agriculture - Force ouvrière, n° 459354)

 

145 - Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) – Statut particulier du corps des professeurs du CNAM (décret du 31 octobre 2019) – Recrutement des professeurs d’université – Formation restreinte de l’assemblée des chaires – Étendue des compétences de cette assemblée – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation, d’une part, de la délibération de l'assemblée des chaires du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) en date du 8 décembre 2021, proposant de ne retenir aucun candidat en vue de pourvoir la chaire « éducation artistique et culturelle », d’autre part, de la décision du conseil d'administration du CNAM de ne pas rendre d'avis à la suite de la délibération de l'assemblée des chaires et, enfin, de  la « décision » de l'administrateur général du CNAM, en date du 17 décembre 2021, interrompant le processus de recrutement relatif à la chaire « éducation artistique et culturelle ».

Le recours est rejeté principalement au double motif que : 1°/ contrairement à ce qui est soutenu, l'assemblée des chaires, sans aucunement méconnaître les dispositions de l’art. 9 du décret précité du 31 octobre 2019, s'est prononcée sur la candidature de M. A. et non sur la pertinence de l'existence de la chaire « éducation artistique et culturelle » qui n'est pas remise en cause et 2°/ l’assemblée des chaires n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la candidature du requérant n'était pas en adéquation avec la stratégie du CNAM dans la mesure où, d'une part, ses compétences dans le domaine culturel étaient déjà présentes au sein de l'équipe pédagogique nationale concernée, deux professeurs venant d'être recrutés sur de nouvelles chaires dans le domaine culturel, et sa nomination serait par suite de nature à créer des difficultés de coordination au sein de l'établissement sur les thématiques culturelles et où, d'autre part, M. A., bien que chargé de fonctions rectorales, était déjà professeur au CNAM, de sorte qu'en l'espèce, sa candidature n'était pas susceptible d'apporter à l'établissement les compétences supplémentaires qu'il recherche. Ce décidant, l’assemblée des chaires, dont la décision est, par ailleurs, suffisamment motivée, n’a pas remis en cause l'appréciation des mérites scientifiques de M. A. par le comité de sélection.

Enfin, l’assemblée des chaires ayant ainsi interrompu le processus de recrutement, le conseil d’administration n’a pas eu, contrairement à ce que prétend le requérant, à prendre une quelconque décision et la lettre du directeur général des services du CNAM du 17 décembre 2021, se bornant à informer l’intéressé de l’interruption de la procédure de recrutement, ne contient aucune décision.

(28 octobre 2022, M. A., n° 461633)

 

146 - Foire aux questions du ministère de l’éducation nationale – Questions relatives à la tenue de réunions syndicales et aux absences pour motif syndical – Existence éventuelle d’une situation imprévisible – Retrait d’autorisation – Légalité.

(10 octobre 2022, Fédération Sud Éducation, n° 460776)

V. n° 6

 

Hiérarchie des normes

 

147 - Édiction en droit interne d’une règle technique – Obligation de communication à la Commission européenne (1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE) – Règle technique résultant à la fois de dispositions législatives et de dispositions réglementaires – Étendue de l’obligation de communication – Régime – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de l’art. 5 du décret n° 2020-1724 du 28 décembre 2020 relatif à l'interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage, en tant qu'il crée l'article D. 541-342 du code de l'environnement.

Parmi les nombreux moyens soulevés, tous rejetés, l’un retient particulièrement l’attention car il concerne l’articulation des normes européennes et nationales.

Le 1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE du 9 septembre 2015 qui prévoit une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, dispose que les États membres doivent « communiquer immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet (…) ».

Les demanderesses faisaient grief à la France de n’avoir communiqué à la Commission que la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, créant l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, mais non son décret d’application du 28 décembre 2020.

Répondant à cette argumentation assez nouvelle, le juge estime que dans le cas où, comme en l’espèce, une règle technique résulte, en droit interne, de la combinaison de dispositions de nature législative et de dispositions d'application de nature réglementaire, il n'y a pas lieu de communiquer à la Commission européenne les dispositions réglementaires d'application relatives à cette règle technique lorsque sont cumulativement réunies les trois conditions suivantes : 1) le texte législatif en cause doit déterminer la règle technique d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne, 2) la disposition législative doit avoir été communiquée conformément à la directive, 3)  les dispositions réglementaires d'application ne doivent pas ajouter d'autre règle technique relevant de cette obligation de communication.

Ici, la loi précitée a imposé aux établissements de restauration, à compter du 1er janvier 2023, l'obligation de servir les repas et boissons consommés dans l'enceinte de leur établissement dans des gobelets, des assiettes et des récipients réemployables ainsi qu'avec des couverts réemployables, ne laissant à un décret que le soin de préciser les modalités de mise en œuvre de cette obligation.

Dès lors que les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne le 11 février 2020 la loi du 10 février 2020 qui définit en termes suffisamment précis l'obligation pesant sur les établissements de restauration et que les dispositions contestées du décret attaqué se bornent à préciser que cette nouvelle obligation pèse sur les personnes ayant une activité professionnelle de restauration sur place, qu'elle soit leur activité principale ou non, qu'elle soit en intérieur ou en extérieur, lorsqu’elle permet de nourrir simultanément au moins 20 personnes, la communication de la seule loi du 10 février 2020 précitée satisfait à l’exigence de communication imposée par le 1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE.

(17 octobre 2022, Société par actions simplifiée Compagnie Européenne des Emballages Robert Schisler, société Huhtamaki, société SEDA International Packaging Group SPA, et association EPPA (European Paper Packaging Alliance), n° 450228)

 

148 - Protection des animaux utilisés à des fins scientifiques – Adoption par les États membres de dispositions plus favorables au bien-être animal que celles prévues par une directive européenne – Application de l’art. 7 de la Charte de l’environnement – Rejet.

La requérante recherchait l’annulation du décret n° 2020-274 du 17 mars 2020 modifiant certaines dispositions relatives à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques et, au subsidiaire, elle demandait le renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE.

Des différentes questions abordées, l’une intéresse directement la hiérarchie des normes. La requérante s’interrogeait sur le point de savoir si les dispositions du paragraphe 1 de l'article 2 de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques font obstacle à ce que les États membres adoptent des mesures plus favorables au bien-être animal.

Plus précisément, la requérante soutenait qu'en permettant de déroger au principe selon lequel les animaux utilisés à des fins scientifiques sont élevés à cette fin et proviennent d'éleveurs ou fournisseurs agréés, sans que ces dérogations ne soient nécessaires ni encadrées par aucune condition, ainsi qu'au principe selon lequel toute procédure d'expérimentation doit être menée dans un établissement agréé, les dispositions du décret attaqué - modifiant les articles R. 214-90 et R. 214-99 du code rural et de la pêche maritime - ont une incidence directe sur la protection des animaux et, partant, sur l'environnement et auraient donc dû faire l'objet d'une consultation du public en application de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement. 

Selon le Conseil d’État et c’est là l’apport le plus significatif de cette décision, si le ministre chargé de l'agriculture fait valoir que le premier ministre n’avait pas à soumettre le projet de décret à une procédure de participation du public dès lors qu'il était tenu de procéder à la transposition des dispositions précises et inconditionnelles de la directive précitée, cette seule circonstance ne pouvait conduire à rendre inopérante l'obligation prévue par l'article 7 de la Charte de l'environnement de soumettre les décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l'environnement à la participation du public. Cette précision est d’une grande importance pratique même si, en l’espèce, elle n’empêche pas le rejet de la requête dès lors que les dispositions contestées du décret attaqué, parce qu’elles n’ont pas d'effets directs et significatifs sur l'environnement, ne méconnaissent pas le principe de non-régression de la protection de l'environnement. 

(31 octobre 2022, Association One Voice, n° 443191)

 

Libertés fondamentales

 

149 - Procédure civile – Cas dans lesquels la demande en justice doit être obligatoirement précédée d’un recours à l’un des modes alternatifs de règlement – Droit d’accès au juge et droit à recours juridictionnel – Absence d’atteinte – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’annulation du 2° de l'article 2 du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d'injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d'avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile.

L’on sait que l’art. 750-1 du code de procédure civile prévoit désormais que la demande en justice présentée devant le tribunal judiciaire doit en principe, à peine d'irrecevabilité, être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux art. R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire.

La disposition contestée a introduit à l’art. 820 du code précité un premier alinéa ainsi conçu : « La demande en justice peut être formée aux fins de tentative préalable de conciliation hors les cas dans lesquels le premier alinéa de l'article 750-1 s'applique ». Par ailleurs, les alinéas un et deux de ce même article existant antérieurement à cet ajout et devenus de ce fait les alinéas 2 et 3 de l’art. 820, disposent : « La demande aux fins de tentative préalable de conciliation est formée par requête faite, remise ou adressée au greffe.

La prescription et les délais pour agir sont interrompus par l'enregistrement de la demande ».

De la combinaison de ces textes, le Conseil d’État déduit assez logiquement que dans les hypothèses où l'introduction de la demande en justice devant le tribunal judiciaire est soumise à une obligation de recours préalable à l'un des modes alternatifs de règlement des différends qu'ils mentionnent (cf. art. 750-1 CPP précité), cette demande ne peut être présentée aux fins de tentative préalable de conciliation mais doit l'être aux fins de jugement. 

De cette déduction il tire que le requérant n’est pas fondé à soutenir que les dispositions attaquées méconnaîtraient le droit d'accès à un juge et le droit à un recours juridictionnel effectif au sens et pour l’application des art. 6 et 13 de la convention EDH puisqu’elles n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet de restreindre les hypothèses dans lesquelles les demandeurs peuvent saisir directement le tribunal judiciaire aux fins de jugement mais seulement d’empêcher la saisine du juge aux fins de tentative préalable de conciliation.

(14 octobre 2022, M. A., n° 458142)

 

150 - Réfugié – Décision mettant fin au bénéfice de la protection subsidiaire – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Erreur de qualification juridique des faits – Annulation.

Commet une erreur de qualification juridique des faits qui lui étaient soumis l’arrêt de la CNDA qui annule une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides mettant fin au bénéfice de la protection subsidiaire qui avait été accordée à un ressortissant afghan celui-ci ayant été condamné par un tribunal correctionnel à une peine de trois ans d'emprisonnement pour des faits d'aide à l'entrée et à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger en France, commis en bande organisée, l'intéressé y ayant été jugé avoir un rôle prépondérant dans l'organisation d'une filière de passages de migrants à destination de l'Angleterre, contre rémunération, selon un mode opératoire bien établi et impliquant de nombreuses personnes. Si la CNDA n’est pas liée dans son appréciation par la qualification donnée aux faits par le droit français, celle-ci ne pouvait, alors qu'elle relevait, dans les motifs de sa décision, la gravité des faits commis, juger qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que l’intéressé se serait rendu coupable d'un crime grave de droit commun au sens du 2° de l'article L. 512-2 du CESEDA.

Au reste, le juge pénal, pour éviter tout renouvellement des faits, a estimé devoir assortir sa condamnation d'une peine complémentaire d'interdiction définitive du territoire français. 

(18 octobre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 461273)

 

151 - Étranger – Demande d’asile « en procédure normale » sollicitée par un étranger faisant l’objet d’un transfert dans l’État de l’Union responsable de sa demande - Refus – Décision susceptible de recours sauf si elle est purement confirmative.

Le Conseil d’État répond ici à une demande d’avis relative au sort qu’il convient de réserver au demandeur d’asile ayant fait l’objet d’une décision de transfert à l’État membre de l’Union compétent pour connaître de sa demande lorsque, considéré comme en fuite, le délai de transfert a été prolongé et qui, postérieurement à la décision de transfert, demande que sa demande d'asile soit instruite « en procédure normale ». En ce cas, il doit être regardé comme demandant à cette autorité de reconnaître la compétence de la France pour examiner sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de dépôt de cette demande lui permettant de suivre la procédure devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Si le refus opposé à une telle demande constitue une décision susceptible de recours, celui-ci est irrecevable s'il apparaît, en l'absence de circonstances de fait ou de considérations de droit nouvelles, pertinentes et postérieures à la décision de transfert, que ce refus se borne à confirmer purement et simplement celui de faire application des dispositions mentionnées du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en particulier de la clause dite « discrétionnaire » de l'article 17 de ce règlement, implicitement mais nécessairement inclus dans la décision de transfert.

Cette irrecevabilité doit, en particulier, être opposée lorsque le demandeur soutient, sans l'établir, qu'ayant été considéré, à tort, comme étant en fuite pour l'application du paragraphe 2 de l'article 29 de ce règlement, le délai de transfert de six mois prévu au paragraphe 1 de cet article n'a pas été prolongé et que la décision de transfert ne peut plus, dès lors, être exécutée. 

(Avis, 27 octobre 2022, M. C., n° 465885)

 

152 - Droit de propriété – Demande d’expulsion d’occupants d’un logement – Recours en indemnité du chef du retard à apporter le concours de la force publique – Amende pour recours abusif – Qualification inexacte des faits – Annulation.

La requérante a recherché la responsabilité de la puissance publique en raison du retard apporté à lui accorder le concours de la force publique. Le magistrat à ce délégué a rejeté sa demande et lui a infligé une amende de 500 euros pour recours abusif car le logement en cause avait été réalisé en méconnaissance des règles d'urbanisme et en violation des décisions de refus de la commune de La Courneuve, la requérante s'étant ainsi placée dans une situation irrégulière, elle ne pouvait se prévaloir d'aucun préjudice indemnisable.

Ce jugeant, les faits ont été inexactement qualifiés par le juge en l’état de la demande dont il était saisi et des moyens développés à son soutien.

(28 octobre 2022, Société Behanzin, n° 447335)

(153) V. aussi, identique : 28 octobre 2022, Société Behanzin, n° 447337.

(154) V. encore, pour une solution identique mutatis mutandis alors que l’irrégularité de la division d’un local en appartements - cause de la demande d’expulsion de son occupant - avait été sanctionnée par le juge judiciaire : 28 octobre 2022, SCI A., n° 447389.

 

Police

 

155 - Police de la navigation fluviale - Police du préfet - Interdiction de la pratique du canoë-kayak sur un cours d'eau - Étendue des pouvoirs du préfet - Rejet.

Les requérants ont demandé au juge administratif l'annulation d'un arrêté préfectoral portant règlement particulier de police de la navigation de plaisance et des activités sportives et touristiques sur la rivière Chalaux entre le barrage de Chaumeçon et la limite amont du barrage réservoir de Crescent, interdisant la navigation entre le 1er décembre et le 15 mars.

Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt confirmatif du rejet de leur recours.

Le  Conseil d’État confirme en tout point l'arrêt d'appel et rejette en conséquence le pourvoi.

Le préfet n'a pas commis d'illégalité en adaptant, par son arrêté litigieux, le règlement général de la police de la navigation intérieure aux circonstances locales propres à la rivière en cause sans avoir besoin de motiver plus outre sa décision réglementaire.

Ensuite, c'est par une appréciation souveraine des faits et exempte de dénaturation que la cour a jugé que des lâchers d'eau énergétiques garantissant une hauteur d'eau proche de 50 cm étant opérés toute l'année sur la rivière Chalaux depuis la retenue de Chaumeçon de 5 heures à 9 heures et de 17 heures à 19 heures, il en résulte que le niveau d'eau de la rivière ne permettait pas, en dehors de ces lâchers, la pratique de la navigation sans risque de raclage ou de contact avec la partie sommitale du dôme des frayères de la truite Fario, espèce protégée.

Enfin, c'est sans erreur de droit que la cour a retenu que l'objectif de conciliation des usages résultant des dispositions du II de l'article L. 211-1 du code de l'environnement pouvait, eu égard à l'affluence des pêcheurs pendant les périodes en cause, justifier l'interdiction de navigation pendant les week-ends d'ouverture et de fermeture de la pêche.

(10 octobre 2022,  Entreprise Angie « Le feu de l'eau », le Syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et la Fédération française de canoë-kayak, n° 451555)

 

156 - Police de la sécurité publique – Accès à un centre nucléaire de production d’électricité – Refus d’autorisation opposé à une personne pour son profil incompatible à cet accès – Annulation et rejet.

Doit être annulé pour erreur d’appréciation de la décision administrative attaquée le jugement qui annule le refus administratif d’autoriser l’accès à un centre nucléaire de production d’électricité à une personne revendiquant son appartenance à la mouvance salafiste, dont l’épouse a fait l'objet d'un signalement pour radicalisation et qui est lui-même en relation avec plusieurs personnes signalées pour radicalisation.

(17 octobre 2022, M. A., n° 444826)

 

157 - Police des débits de boissons – Déclaration d’ouverture d’un débit de boissons – Pouvoirs limités du maire – Constatation du caractère incomplet du dossier de déclaration d’ouverture du débit de boissons – Rejet.

En principe, les pouvoirs du maire, agissant en ce cas comme agent de l’État, saisi d'une déclaration d'ouverture d'un débit de boissons, se bornent à constater l'accomplissement de la formalité de déclaration et à en délivrer récépissé, sans examiner la régularité de l'opération envisagée. Toutefois, en l'espèce, la société requérante n'ayant pas été en mesure de produire un titre l'autorisant à occuper la dépendance du domaine public communal sur laquelle elle entend exploiter son restaurant, son dossier de déclaration ne pouvait être regardé comme complet.

Il suit de là qu’alors même que les requérantes considèrent de bonne foi disposer d'un droit d'occupation du domaine public cela ne saurait suffire – au regard des dispositions de l’art. L. 521-2 CJA - à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie du fait des refus du maire et du préfet de leur délivrer récépissé de leur déclaration d’ouverture.

(ord. réf. 21 octobre 2022, Société Brasserie Esprit XV et Mme A., n° 468143)

 

158 - Police de la chasse – Moyens de capture de l’alouette des champs – Urgence à statuer – Illégalité – Suspension ordonnée d’arrêtés préfectoraux autorisant certaines formes de chasse.

Le juge ordonne la suspension d’arrêtés préfectoraux autorisant dans certains départements la chasse à l’alouette des champs tantôt à l’aide de matoles tantôt à l’aide de pantes tantôt avec les deux procédés.

Il estime que – hormis pour les requêtes 498151 et 468153 de l’Association One Voice - est remplie la condition d’urgence d’autant que la ministre défenderesse n'invoque aucun motif de nature à faire obstacle au prononcé de la suspension de l'exécution des arrêtés attaqués.

Il considère également qu’existe au moins un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité des arrêtés déférés en ce qu’ils méconnaissent les objectifs de l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive oiseaux, ainsi que les dispositions de l'article L. 424-4 du code de l'environnement.

(ord. réf. 21 octobre 2022, Association One Voice, n°s 468151, 498152, 468153, 468154 ; Association Ligue pour la protection des oiseaux n°s 468170, 468172)

 

159 - Régime spécial de réparation des dommages résultant d’attroupements ou rassemblements – Notion d’attroupement ou rassemblement – Actions concertées et préméditées – Inapplicabilité du régime spécial et retour au droit commun – Rejet.

La société Sanef, concessionnaire de l'autoroute A1, a obtenu d’une cour administrative d’appel la condamnation de l’État, sur le fondement du régime spécial de réparation des dommages causés par des attroupements ou rassemblements, à lui réparer les dommages qu’elle a subis du fait d'une interruption de la circulation sur cette autoroute dans la nuit du 28 au 29 août 2015, provoquée par une barricade de pneus enflammés et autres objets volés mise en place par des personnes qui cherchaient à obtenir l'extraction temporaire de détention pénitentiaire d'un de leurs proches afin qu'il puisse assister à une cérémonie d'obsèques. 

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État annule cet arrêt pour qualification inexacte des faits, ceux-ci résultant d’actions concertées et préméditées par un groupe structuré à seule fin de les commettre et non d’actions spontanées comme le sont, par définition légale (cf. art. L. 211-10 du code de la sécurité intérieure) et jurisprudentielle, les attroupements et rassemblements.

Il appartient désormais à la société Sanef, si elle s’y croit fondée, d’user du droit commun de la responsabilité des services publics, donc en prouvant une faute, ce qui est assurément moins confortable que le régime de réparation sans faute à prouver qui est celui applicable aux dommages résultant d’attroupements ou rassemblements.

(28 octobre 2022, ministre de l’intérieur, n° 451659)

 

160 - Police de l’eau – Restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques – Déclaration des travaux nécessaires à cet effet – Régime des étangs piscicoles – Dangers présentés par certains de ces travaux – Annulation partielle avec modulation.

(31 octobre 2022, Syndicat France Hydro-Electricité, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, Fédération des moulins de France et association des riverains de France, n° 443683 ; Association Hydrauxois, n°443684 ; Association Union des étangs de France, n°448250, jonction)

V. n° 112

 

161 - Conducteurs de taxis et conducteurs de voitures de transports de personnes – Évaluation de l’aptitude professionnelle à l’exercice de ces fonctions – Contrôle effectué par les chambres de métiers et de l’artisanat – Risque d’atteinte à la liberté d’établissement – Rejet.

(31 octobre 2022, Fédération française du transport de personnes sur réservation, n° 451995)

V. n° 165

 

Professions réglementées

 

162 - Diplôme d’université d’orthodontie – Refus de reconnaissance de ce diplôme par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes – Application d’une décision réglementaire de l’ordre – Diplôme ne constituant pas une qualification complémentaire utile à l’information des patients – Rejet.

(7 octobre 2022, Mme B., n° 456454)

V. n° 2

 

163 - Avenant à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie - Téléconsultation – Télé-expertise – « Intéressement » à la prescription de médicaments biosimilaires – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours de l’ordre des médecins contre l’arrêté ministériel approuvant l’avenant n° 9  à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie en tant que celui-ci supprime l'exigence que le médecin effectuant un acte de téléconsultation connaisse préalablement le patient, qu'il permet à un professionnel de santé non médecin de solliciter une téléexpertise et qu'il instaure un dispositif d' « intéressement » à la prescription de médicaments biosimilaires.

En premier lieu, n’est pas retenu le moyen que la téléconsultation qui permet la consultation d’un patient à distance même jusque-là inconnu du médecin serait illégale et cela au regard des précautions prises par l’auteur de l’arrêté. Les stipulations de la convention telles que modifiées par l’art. 2-1 de l’avenant litigieux prévoient que le recours à la téléconsultation est subordonné au respect du parcours de soins, à l’obligation que le médecin traitant et le médecin correspondant aient apprécié l'opportunité du recours à cette modalité de consultation, à l’exigence que le patient, informé des conditions de réalisation de l'acte, ait donné son consentement préalable à celui-ci et que son suivi régulier s'effectue à la fois par des consultations « en présentiel » et par des téléconsultations. En outre, cette technique ne déroge en rien aux obligations déontologiques s’imposant aux médecins.

En deuxième lieu, il est reproché à tort, selon le juge, à la télé-expertise de pouvoir être sollicitée désormais non plus par un « médecin requérant » mais, plus largement, par un « professionnel de santé requérant » alors qu’en réalité l’at. L. 6316-1 du code de la santé publique ne prévoit pas que la télémédecine ne pourrait être réalisée qu'à la demande du seul professionnel médical. En outre, les dispositions critiquées ne permettent pas à un professionnel de santé non médecin de se substituer au médecin généraliste de premier recours dans sa mission de coordination des soins et d'orientation des patients dans un système de soins. 

En troisième lieu, n’est pas contraire à la déontologie médicale, ainsi qu’il est soutenu par l’ordre requérant, la création, par l’avenant attaqué, d’un art. 27 bis dans la convention nationale, organisant un mécanisme d’intéressement afin de valoriser l'augmentation par un médecin libéral du nombre de ses patients auxquels des médicaments biosimilaires sont prescrits, s'agissant de molécules répondant à des critères qu'il définit et conformément aux recommandations de bonnes pratiques. Outre qu’il est sans effet sur le respect des règles déontologiques, ce mécanisme - qui ne concerne que les seuls rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie -   n'a pas de caractère obligatoire, car les médecins qui ne souhaitent pas en bénéficier se bornent à faire connaître leur choix à l'assurance maladie et il doit respecter, dans tous les cas, le libre choix du patient. 

(14 octobre 2022, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 461412)

 

164 - Société d’exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) de chirurgiens-dentistes inscrite au tableau de l’ordre – Modifications statutaires ultérieures – Contrôle du conseil départemental de l’ordre – Non-respect de la condition de détention de la majorité du capital ou des parts d’une SELAS par une société de participations financières de professions libérales (SPFPL) de chirurgiens-dentistes - Radiation du tableau – Existence d’une urgence et de moyens propres à créer un doute sérieux – Suspension ordonnée de la décision du conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes.

La société requérante demandait au juge des référés du Conseil d’État qu’il ordonne la suspension, d’une part, de l'exécution de la décision du 21 juillet 2022 du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes refusant d'enregistrer la nouvelle répartition de son capital social intervenue à la suite de cessions d'actions et la radiant de l'ordre du tableau et, d’autre part, de l'exécution de la décision du 5 octobre 2022 du conseil départemental des Hauts-de-Seine, en conséquence de la décision du 21 juillet 2022, informant la société requérante qu'elle serait radiée du tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine à la date du 26 octobre 2022.

On relèvera une nouvelle fois l’efficacité de la procédure de référé qui permet au justiciable, sous la menace très grave d’une interdiction d’exercer dès le 26 octobre 2022, qui a saisi le juge d’une demande en référé suspension les 13 et 20 octobre, d’obtenir une décision dès le 24 octobre dans un litige d’une certaine complexité.

En bref, par suite de modifications statutaires, la société de participations financières de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France, inscrite au tableau de l’ordre des chirurgiens-dentistes, est devenue actionnaire majoritaire de la société d'exercice libéral à actions simplifiée (SELAS) « Cabinet de la Grand Place », elle-même inscrite au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine depuis 2017.

Le conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine a, le 30 mars 2022, refusé d'entériner cette nouvelle répartition du capital social. Puis, sur recours préalable obligatoire, le conseil régional d'Île-de-France de l’ordre des chirurgiens-dentistes a, le 10 mai 2022, confirmé ce refus, estimant comme le conseil départemental que cette modification méconnaissait l'article R. 4113-11 du code de la santé publique limitant à deux les participations des sociétés de participations financières dans des sociétés d'exercice libéral.

Le conseil national de l’ordre, saisi d’un recours contre cette dernière décision, a confirmé, par une décision du 21 juillet 2022 qui s'est substituée aux précédentes décisions, le refus d'entériner les modifications des statuts en se fondant sur un autre motif, tiré de ce que la SPFPL Eurodonti France ne répond pas à la condition d'être détenue majoritairement par une personne physique ou morale exerçant la profession de chirurgien-dentiste, les éléments recueillis ne lui permettant pas de déterminer si son associé unique, la société Orthodontiko Odontiatreio toy Hamagelou Monoprosopi Ike, exerce la profession de chirurgien-dentiste.

En conséquence, par une décision du 5 octobre 2022, le conseil départemental de l’ordre des Hauts-de-Seine a notifié à la SELAS « Cabinet de la Grand Place » l'exécution du retrait de son inscription au tableau de l'ordre à compter du 26 octobre 2022.

Cette société demande en référé (art. L. 521-1 CJA) la suspension de l'exécution de ces décisions des 21 juillet et 5 octobre 2022.

Le juge relève sans difficulté l’existence d’une situation d’urgence dès lors que la radiation litigieuse entraînera, à la date du 26 octobre 2022, la cessation de l’exercice de son activité ; ainsi, les huit personnes en contrat en durée indéterminée et les neuf praticiens qui exercent en son sein perdront à cette date leurs revenus professionnels et la société, qui selon les pièces du dossier suit régulièrement 7 068 patients et dont l'unique objet social est l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste, devra cesser son activité. Il relève en outre l’absence de toute invocation par l’Ordre d’un motif d’intérêt général au soutien de la décision de radiation.

La seconde condition à satisfaire, soit l’existence d’un moyen de nature à créer un doute sérieux, était plus complexe à apprécier.

Comme indiqué plus haut, le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes s’est fondé sur ce que la SPFPL Eurodonti France ne satisfaisait pas à la condition d'être détenue majoritairement par une personne physique ou morale exerçant la profession de chirurgien-dentiste car les éléments du dossier ne lui permettaient pas de déterminer si son associé unique exerce, comme cela est obligatoire, la profession de chirurgien-dentiste.

Toutefois, le juge relève qu’est sérieux l’argument en réplique de la requérante fondé sur le fait que cette SPFPL a été inscrite au tableau de l’ordre des chirurgiens-dentistes en 2020 et que la composition de son capital social, qui n'a pas évolué depuis lors, a été contrôlée à cette occasion.

En outre est également de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des deux décisions attaquées le moyen qu’est entachée d'erreur de fait l'appréciation du conseil national selon laquelle il ne serait pas établi que la société actionnaire unique de la SPFPL exerce la profession de chirurgien-dentiste.

La suspension des décisions est ordonnée.

(ord. réf. 24 octobre 2022, Société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) « Cabinet de la Grand Place », n° 468243)

 

165 - Conducteurs de taxis et conducteurs de voitures de transports de personnes – Évaluation de l’aptitude professionnelle à l’exercice de ces fonctions – Contrôle effectué par les chambres de métiers et de l’artisanat – Risque d’atteinte à la liberté d’établissement – Rejet.

Le Conseil d'État, par une décision n° 413040 du 5 juillet 2019 (Fédération française du transport de personnes sur réservation ; Voir cette Chronique, juillet-août 2019, n° 37), a annulé le décret du 6 avril 2017 relatif aux activités de transport public particulier de personnes, en tant qu'il n'édictait pas les dispositions nécessaires pour garantir que l'évaluation des conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de taxi et de voiture de transport avec chauffeur par les chambres des métiers et de l'artisanat de région respectait la liberté d'établissement.

Suite à cette annulation, est intervenu le décret du 23 février 2021 qui modifie les conditions d'organisation des examens d'accès aux professions de conducteur de taxi et de conducteur de voitures de transport avec chauffeur (VTC).

La fédération requérante en demande l’annulation car en confiant aux chambres des métiers et de l'artisanat de région, qui comprennent des représentants des conducteurs de taxi, concurrents des conducteurs de VTC, la mission d'évaluer les conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de VTC, l'article 23 du code de l'artisanat et le décret attaqué portent atteinte à la liberté d'établissement. En effet, l’intervention de ces chambres dans la délivrance de la carte professionnelle nécessaire à l'exercice des professions de conducteur de taxi et de conducteur de « voiture de transport avec chauffeur » (VTC) peut conduire à porter une atteinte illégale à cette liberté dans la mesure où peuvent siéger des membres exerçant les professions en cause, susceptibles d'avoir intérêt, ainsi que l'a souligné l'Autorité de la concurrence (avis n° 17-A-04 du 20 mars 2017), à restreindre l'accès à ces professions, en particulier celle de conducteur de VTC, et d'agir dans ce but en pesant sur la fréquence et l'organisation des examens, la teneur des sujets ou l'évaluation des capacités des candidats.

L’argument n’est pas sans valeur juridique. Pourtant le recours est rejeté.

Pour rejeter l’exception d’inconventionnalité soulevé à l’encontre du décret attaqué, le juge développe un raisonnement assez discutable. Il estime que la substitution au système antérieur dans lequel les examens d'accès à la profession de conducteur de taxi étaient organisés par les préfectures et les examens d'accès à la profession de conducteur de VTC étaient confiés aux centres de formation agréés de ces conducteurs, d’un système conférant aux seules chambres des métiers et de l'artisanat existant dans chaque région l'évaluation des conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs de taxi et de VTC répond « à la raison impérieuse d'intérêt général d'unifier sur tout le territoire les modalités de leur évaluation afin de garantir la sécurité des clients de ces taxis et VTC, ainsi que celle de l'ensemble des usagers de la route. » (sic) On ne sache pas que le système précédent ait contribué à causer des hécatombes sur les routes françaises. Par ailleurs, pour uniformiser il suffit de disposer de règles nationales uniformes. De plus soutenir que la participation de concurrents professionnels à un jury ne suffit pas, à elle seule, à établir un risque d’atteinte à la liberté d’établissement est d’un angélisme plus touchant que réaliste.

Quant à dire que tout va bien en ce domaine car le « décret attaqué prévoit l'organisation d'au moins une session trimestrielle d'épreuves écrites d'admissibilité et fixe de façon précise les conditions de désignation des membres des jurys des épreuves écrites et de l'épreuve pratique de l'examen d'accès aux professions de conducteur de taxi et de conducteur de VTC en veillant à garantir leur impartialité ; son article 10 fixe par ailleurs les critères devant guider le choix des sujets des épreuves écrites. », c’est oublier qu’un jury ce sont des êtres humains appliquant avec souveraineté les règles qui sont applicables. Or, la théorie strasbourgeoise des apparences aurait beau jeu de s’appliquer ici.

En revanche, on peut admettre comme le juge le Conseil d’État, que l’art. 23 du code l’artisanat, en confiant la mission d’intérêt général d’organiser les examens d’aptitude professionnelle pour ces conducteurs ne contrevient pas aux dispositions de l’art. 106N du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et donc aux règles gouvernant la commande publique.

(31 octobre 2022, Fédération française du transport de personnes sur réservation, n° 451995)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

166 - Juridiction statuant en dernier ressort – Refus de transmission d’une QPC au Conseil d’État – Saisine du Conseil d’État – Exigences de procédure – Examen partiel de la QPC et refus de transmission.

Dans un litige en matière de pension civile de retraite, le Conseil d’État rappelle les exigences procédurales s’imposant au demandeur de première instance et alors que la juridiction saisie statue en dernier ressort, lorsqu’il se pourvoit en cassation contre ce jugement.

Le requérant qui a déjà présenté une QPC devant une juridiction statuant en dernier ressort doit se conformer aux conditions posées par la loi organique et le code de justice administrative lorsqu’il conteste devant le juge de cassation le refus de transmission d’une telle question.

Il suit de là que, dans l’hypothèse sus-rappelée, le demandeur en QPC auquel le premier juge a refusé la transmission de sa question au Conseil d’État, doit, pour contester ce refus, par un mémoire distinct et motivé, saisir le juge de cassation dans les conditions habituelles du procès en QPC et cela aussi bien lorsque le refus de transmission précédemment l’a été par une décision distincte, dont il joint alors une copie, que lorsqu’il l’a été directement par cette décision même.

En revanche, il lui est possible de former directement devant le Conseil d’État une QPC portant sur les mêmes dispositions, mais comportant des moyens nouveaux.

(4 octobre 2022, M. D., n° 466254)

 

167 - Revendication d’un droit au suicide – Incompétence négative de la loi – Absence de changement de circonstances postérieurement à une décision QPC du Conseil constitutionnel – Finalité d’une QPC – Refus de transmission de cette question.

La requérante soulève l’inconstitutionnalité des art. L. 1110-5 à L. 1110-5-3 du code de la santé publique. Ils reprochent à ces dispositions de s’abstenir d'instituer des garanties légales de nature à permettre à chacun, au moment de son choix et en dehors de toute situation d'obstination déraisonnable ou de fin de vie, de pouvoir mettre fin à ses jours « consciemment, librement et dans la dignité ». Ainsi, elles porteraient atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au droit au respect de la vie privée, au « droit à l'autonomie personnelle » et au « droit de mourir dans la dignité » ainsi qu'au principe de fraternité et à la « liberté d'aider autrui dans un but humanitaire » qui découlerait de ce principe et le législateur, en adoptant les dispositions de ces articles sans organiser l'exercice d'une telle faculté, aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elle-même les droits et libertés invoqués.

La demande de transmission de la QPC est rejetée.

D’abord, le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur la conformité constitutionnelle de dispositions des art. L. 1110-5-1 et L. 1110-5-2 du code de la santé publique (n° 2017-632 QPC, 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés) sans que des circonstances postérieures à cette décision justifient une nouvelle saisine de celui-ci de ce chef.

Ensuite, l’incompétence négative ne peut être soulevée qu’à l’encontre de dispositifs établis par la loi non pour contraindre le législateur à légiférer sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée.

(10 octobre 2022, Association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement », n° 465977)

 

168 - Articles 56-1 et 56-1-2 du code de procédure pénale – Régime des perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile – Inopposabilité du secret professionnel de l’avocat aux mesures d’enquête ou d’instruction dans le cadre de certaines infractions – Transmission d’une QPC.

Est jugée sérieuse et transmise en conséquence au Conseil constitutionnel la QPC portant sur le point de savoir si les dispositions des art. 56-1 (régime des perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile) et 56-1-2 (inopposabilité du secret professionnel de l’avocat aux mesures d’enquête ou d’instruction dans le cadre de certaines infractions) du code de procédure pénale portent atteinte aux droits de la défense protégés par l'art. 16 de la Déclaration de 1789.

(18 octobre 2022, Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 463588 ; Ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, n° 463683)

 

169 - Expulsion de locataires – Trêve hivernale – Prolongation par l’ordonnance du 25 mars 2020 puis par la loi du 11 mai 2020 – État d’urgence sanitaire – Atteinte à l’égalité devant la loi, à l’égalité devant les charges publiques et au droit de propriété – Refus de transmission d’une QPC.

La requérante soulève une QPC fondée sur ce que l'ordonnance du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale et l'article 10 de la loi du 11 mai 2020 prolongeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, le principe d'égalité devant la loi et l'article 16 de la Déclaration de 1789.

La transmission est refusée.

Tout d’abord la prolongation de la trêve hivernale est fondée sur un motif d’ordre public et d’humanité né de la crise sanitaire apparue dans l’hiver 2019-2020, elle n’a pas pour effet d’étendre le nombre de ses bénéficiaires et ne prive pas les propriétaires du droit de se prévaloir de leurs créances sur les locataires concernés.

Ensuite, la circonstance que l’ordonnance du 10 février 2021 qui a à nouveau prolongé la trêve hivernale, a prévu un dispositif d’indemnisation du refus du concours de la force publique pour procéder à des expulsions n’établit l’atteinte qui aurait été portée au principe d’égalité par le mécanisme jusque-là existant et frappé de QPC.

Enfin, la survenance de faits postérieurs à une décision judiciaire d’expulsion est toujours prise en considération au moment de son exécution et cette prise en compte ne méconnaît pas l’art. 16 de la Déclaration de 1789 en ce qu'elle remettrait en cause de manière rétroactive le droit des bailleurs ayant obtenu, avant l’entrée en vigueur des textes litigieux, une décision accordant le concours de la force publique pour exécuter un jugement d'expulsion. 

Cette conception d’un droit qui, entré dans le patrimoine d’une personne (droit à percevoir des loyers d’un nouveau locataire), peut en sortir en fonction d’éléments de fait sujets à appréciation nous semble discutable et assez peu conforme à la jurisprudence de la Cour EDH même s’il ne convient pas d’absolutiser cette dernière.

(28 octobre 2022, Société Multihabitation 6, n° 466443)

 

170 - Revendication de la qualité de parent d’enfant français – Demande de renouvellement d’un titre de séjour – Refus – Invocation d’une QPC à l’encontre des dispositions du 6° de l’art. L. 313-1 du CESEDA – Rejet.

La requérante a soulevé une QPC à l’encontre du second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du CESEDA sur le fondement duquel a été pris l’arrêté du 18 janvier 2021 par lequel la préfète de l'Ariège a refusé à Mme A., ressortissante nigériane, le renouvellement du titre de séjour qui lui avait été délivré en qualité de parent d'enfant français.

L’intéressée se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif refusant la transmission de cette QPC.

Selon le texte litigieux, « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit :

(...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France (...).

Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ; (...) ».

Par ailleurs, aux termes de l'article 316 du code civil : « Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. (...) ».

Tout d’abord, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions litigieuses n'opèrent par elles-mêmes aucune distinction entre la situation des pères ou mères d'enfants français qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent étranger d'enfant français lorsque la filiation a été établie, conformément aux dispositions de l'article 316 du code civil, par une reconnaissance de paternité ou de maternité de l'autre parent. 

Ensuite, si le législateur a prévu que la preuve de la contribution effective du parent auteur de la reconnaissance à l'entretien et à l'éducation de l'enfant peut être apportée dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, il a également permis qu'elle le soit par la production d'une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Ce faisant, au regard de l'objectif recherché de prévention des reconnaissances frauduleuses, le législateur, qui n'a pas fait peser une charge déraisonnable sur le parent étranger demandeur de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », n'a pas porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale et à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. 

Enfin, les dispositions litigieuses, qui ne régissent pas l'éloignement du parent étranger, ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, la liberté d'aller et venir.

D’où est prononcé, et donc confirmé, le refus de transmettre cette QPC.

(27 octobre 2022, Mme A., n° 464832)

 

171 - Contribution économique territoriale – QPC à l’encontre de l’art. 1586 sexies du CGI – Atteinte au principe d’égalité devant la loi – Disposition déjà examinée par le Conseil constitutionnel – Refus de transmission.

La requérante estimait que porte atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques que garantissent respectivement les art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789, la disposition du b) du 4. du I de l’art. 1586 sexies du CGI qui organise un traitement fiscal différencié parmi les sociétés ayant la qualité de locataire intermédiaire selon qu'elles parviennent ou non à donner en sous-location pour une durée supérieure à six mois les biens dont elles sont locataires.

Pour rejeter la demande de transmission de cette QPC, le Conseil d’État retient que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur cet article et qu’il n’y a relevé aucune inconstitutionnalité hormis deux membres de phrase qui ne concernent pas la présente requête (cf.  n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010). Comme depuis cette date aucun changement des circonstances n’est intervenu, il n’y a pas lieu à transmission de la question.

(31 octobre 2022, SAS Appart’City, n° 464417)

 

Responsabilité

 

172 - Praticien exerçant à titre libéral et intervenant dans un centre hospitalier – Prise en charge d’un patient – Indication thérapeutique erronée et manquement à l’obligation d’informer le patient – Mise en jeu de la responsabilité du centre hospitalier - Possibilité d’une action récursoire contre le médecin – Rejet.

Un patient a subi des préjudices résultant de son hospitalisation et engagé une action en réparation de ce chef. Suite à son décès, son action est reprise par les requérantes dont son épouse. Le tribunal administratif, dont la solution est sur ces points confirmée en appel, a condamné le centre hospitalier à verser aux requérantes une certaine somme, ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie au titre du remboursement des dépenses de santé et de l'indemnité forfaitaire de gestion et il a rejeté le surplus des demandes.

Saisie par le centre hospitalier défendeur, la cour administrative d’appel a confirmé le jugement à l’exception du quantum de l’indemnisation dont elle a augmenté le montant.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation, en vain.

Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle le cadre juridique de cette affaire qui permet de comprendre l’importance de la présente décision.

Une personne est soignée par son médecin traitant qui, à la fois, une activité libérale (dite « de ville ») et comme praticien statutaire à plein temps au sein du centre hospitalier. Cette personne, suite à la détection d’une possible tumeur osseuse est opérée par ce médecin. Estimant avoir été victime de fautes liées au retard de diagnostic de sa maladie osseuse, au choix de l'indication thérapeutique dont la mise en œuvre était de nature à favoriser l'essaimage de cellules cancéreuses dans les tissus mous et à un manquement quant à l'obligation d'information préalable à cette intervention, il saisit le juge administratif d’une action à fins indemnitaire ; après son décès, son action sera reprise par des membres de sa famille dont son épouse.

Le centre hospitalier fait grief à la cour administrative d’appel d’avoir, dans son arrêt confirmatif, retenu sa responsabilité au titre d’une faute procédant d'une indication thérapeutique erronée et un manquement à l'obligation d'information du patient. 

L’élément central du litige reposait sur le point de savoir comment devait se régler la question de la réparation des préjudices dans la mesure, d’une part, où les rapports qui s'établissent entre les praticiens hospitaliers exerçant une activité libérale (cf. art. L. 6154-1 et L. 6154-2, R. 6154-6 et R. 6154-7 du code de la santé) et leurs patients traités à ce titre relèvent du droit privé et d’autre part, où l’intervention a eu lieu dans le cadre du service public hospitalier.

Pour résoudre la difficulté, le juge rappelle d’abord, et très logiquement, qu’en toute hypothèse la responsabilité du centre hospitalier est engagée soit lorsque les dommages invoqués sont imputables à un mauvais fonctionnement du service public résultant d'une mauvaise installation des locaux ou d'un matériel défectueux, soit d'une faute commise par un agent de l'établissement mis à disposition du praticien exerçant à titre libéral. 

Tel n’était cependant pas le cas de l’espèce, d’où cette autre solution du juge lorsque le préjudice allégué résulte d’une intervention chirurgicale à laquelle a procédé, à l’hôpital public, un médecin y exerçant à titre libéral. En ce cas, à titre de principe, la faute commise dans le choix de l’indication thérapeutique par le médecin est de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, alors même que l'exécution de l'opération n'a pas été par elle-même fautive et il en va de même dans le cas où, comme en l’espèce, le praticien a omis de donner une information ou n’a donné qu’une information insuffisante au patient sur les risques attachés à cette intervention. A cet égard, il importe peu que l’indication thérapeutique erronée tout comme la mauvaise information aient été données au cours de la consultation donnée au patient dans le cadre de la seule activité libérale du médecin.

Toutefois, l’hôpital dispose d’une action récursoire contre le médecin.

Le système peut sembler juste et simple : la victime n’a affaire qu’à l’hôpital et ce dernier peut rentrer dans ses fonds en se retournant contre le praticien défaillant. En réalité, ce n’est là, dans bien des cas, qu’une apparence car rien n’oblige l’hôpital à se retourner contre l’auteur des fautes ; tout sera fonction des relations entre l’un et l’autre, des réseaux et des influences d’où des inégalités détestables entre praticiens en situations identiques ou comparables.

(6 octobre 2022, Mme A. épouse C. et autres, n° 446764)

 

173 - Responsabilité contractuelle – Responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol – Point de départ et durée de la prescription de l’action en responsabilité – Intervention de la loi du 17 juin 2008 (art. 2224 et 2262 c. civ.) – Faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi – Prescription trentenaire – Annulation.

(10 octobre 2022, Société Eiffage Construction, n° 454446)

V. n° 24

 

174 - Responsabilité hospitalière – Décès à raison d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale – Personnes pouvant prétendre à indemnisation - Personnes subissant un préjudice du fait de liens étroits entretenus avec la victime.

Rappel de ce que les dispositions de l’art. L. 1142-1du code de la santé publique dans la version que leur a données la loi du 9 août 2004, en instituant, au titre de la solidarité nationale des ayants droit d'une personne décédée en raison d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale, ont ouvert un droit à réparation aux proches de la victime, qu'ils aient ou non la qualité d'héritiers, qui entretenaient avec elle des liens étroits, dès lors qu'ils subissent du fait de son décès un préjudice direct et certain.

En outre, il est également rappelé conformément aux principes constants du droit de la responsabilité combinés à ceux du droit successoral civil, que les droits à réparation que détenait la victime d’un tel dommage avant son décès et dont elle n’a pu bénéficier, se transmettent ipso facto à ses héritiers (par application de Section, 29 mars 2000, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Rec. p. 147, concl. D. Chauvaux).

(Réitération d’une solution récente, Section, 3 juin 2019, Mme Fougère-Derouet et M. Miez, n° 414098 ; v. cette Chronique, juin 2019, n° 94)

(28 octobre 2022, Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 434968)

(175) V. aussi, réitérant et jugeant que le droit à réparation d'un dommage se transmettant aux héritiers, chaque héritier a dès lors qualité, le cas échéant sans le concours des autres indivisaires, pour exercer l'action indemnitaire tendant à obtenir, au bénéfice de la succession, la réparation du préjudice subi : 28 octobre 2022, Mme E. et autres, n° 453605.

 

176 - Étranger - Refus de séjour et retard dans la délivrance d’un titre de séjour – Illégalités – Droit à réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance sérieuse d’occuper un travail – Annulation sans renvoi (litige réglé au fond).

Un ressortissant malien demande réparation du préjudice résultant pour lui du fait, d’abord, du refus de séjour qui lui a été opposé, ensuite du délai excessif mis à lui délivrer un titre de séjour, ces illégalités l’ayant privé d’une chance sérieuse d’occuper un emploi.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du jugement de première instance qui a limité à un an son droit à indemnisation.

Le Conseil d’État annule l’arrêt sur ce point et lui octroie une indemnité à compter du premier refus de délivrer un titre de séjour, soit le 30 avril 2015. Cependant, en raison du caractère provisoire des contrats de mission temporaire auxquels le demandeur aurait pu prétendre dans un premier temps et de la qualification dont il justifiait durant la période considérée, il lui est alloué une somme de 8 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017, les intérêts échus à la date du 21 avril 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date devant être capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. 

(27 octobre 2022, M. A., n° 456761)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

177 - Dépôt de gamètes dans un centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) – Demande d’autorisation d’exportation de ces gamètes – Refus de l’Agence de biomédecine en raison de l’âge de l’intéressée – Rejet.

La requérante interjette appel d’une ordonnance de référé rejetant sa demande d’annulation de la décision de l'Agence de la biomédecine a rejeté la demande, présentée par un CECOS, d'autorisation de l'exportation de ces gamètes vers un établissement situé en Espagne au motif qu’elle avait dépassé la limite d'âge de quarante-cinq ans fixée par les dispositions de l'article R. 2141-38 du code de la santé publique.

L’appel, s’agissant d’un référé liberté, est rejeté en formation collégiale.

Il est d’abord rappelé que le juge du référé liberté, en sa qualité de juge de la sauvegarde des libertés fondamentales, peut non seulement, en cette qualité, prendre toute mesure en cas d’atteinte grave portée à une telle liberté par une autorité administrative mais encore lorsque l’atteinte résulte de l’application de dispositions législatives dont le contenu ou la mise en œuvre serait manifestement contraire à un engagement européen ou international de la France ou incompatible avec celui-ci ou encore entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagement.

Ensuite, est rejeté le moyen invoqué par la requérante, qui souhaitait un transfert des gamètes vers l’Espagne, tiré de l’incompatibilité des dispositions de l’art. L. 2141-11-1 du code de la santé publique avec la directive 2011/24 UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, dont l'objet est d'améliorer en cette matière la libre circulation des marchandises et des personnes et la libre prestation de services. Il tombe sous le sens que les mesures relatives à la possibilité de déplacer des gamètes prélevés et conservés sur le territoire d'un État membre vers un établissement situé sur le territoire d'un autre État membre n’entrent pas dans le champ d'application des règles définies par cette directive ou du principe de libre prestation de services.

Semblablement n’est pas retenu l’argument d’incompatibilité de ce texte avec les stipulations de la convention EDH, spécialement celles de son art. 8. D’abord car l'article L. 2141-2 du code de la santé publique subordonne le bénéfice d'une assistance médicale à la procréation à des conditions d'âge fixées par décret en Conseil d'État, pris après avis de l'Agence de la biomédecine, en prenant en compte les risques médicaux de la procréation liés à l'âge ainsi que l'intérêt de l'enfant à naître. Or il est acquis que le risque médical pour l'enfant et pour la mère s'accroît avec l'âge de celle-ci au moment de la grossesse, en particulier à partir de quarante ans. La condition d'âge retenue pour recourir à l'assistance médicale à la procréation, qui relève de la marge d'appréciation dont chaque État dispose, dans sa juridiction, pour l'application de la CEDH, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de cette convention. Ensuite, les dispositions de l'article L. 2141-11-1 précité, qui interdisent que les gamètes déposés en France puissent faire l'objet d'un transfert, s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national et visent ainsi à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l'article L. 2141-2, ne méconnaissent pas davantage les exigences nées de l'article 8 de cette convention. Enfin, en fixant la limite d'âge au quarante-cinquième anniversaire pour la femme qui a vocation à porter l'enfant, le premier ministre n'a pas fixé, par les dispositions de l'article R. 2141-38 du code de la santé publique, une règle manifestement illégale. 

Enfin, examinant si, toutefois, en dépit de sa conformité à l’ensemble de ces normes, la disposition critiquée ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par la convention EDH, le juge constate que l’intéressée demande le transfert des gamètes vers l’Espagne, pays avec lequel elle n’a pas de lien et qu’elle n’a choisi qu’afin d'y bénéficier d'une assistance médicale à la procréation au-delà de la limite d'âge fixée par le droit français.

Le rejet de sa demande transfert est ainsi justifié et cela alors même que les médecins qui la traitent aient émis un avis favorable à son projet d'assistance médicale à la procréation, cette circonstance ne suffisant pas à établir que la décision contestée porterait une atteinte manifestement excessive au droit au respect de la vie privée et familiale. 

(ord. réf., form. coll., 27 octobre 2022, Mme A., n° 467726)

(178) V. aussi, identique : ord. réf., form. coll., 27 octobre 2022, Mme B., n° 467727.

 

Service public

 

179 - Éducation nationale – Covid-19 - Organisation des épreuves terminales de spécialité du baccalauréat pour la session 2021 – Cas des établissements d’enseignement privés hors contrat – Maintien de ces épreuves pour ces seuls établissements – Rejet.

Une nouvelle fois le Conseil d’État est saisi d’un recours relatif au régime propre aux établissements d’enseignement privés hors contrat qui a été fixé pour les épreuves du baccalauréat subies par les élèves issus de ces établissements.

Le sujet est délicat car, d’un côté, il touche à la liberté d’enseigner et au libre choix par les parents de la façon dont seront éduqués leurs enfants et d’un autre côté il faut bien s’assurer que le baccalauréat – qui demeure encore un diplôme national – est bien délivré à des candidats satisfaisant à un certain niveau de connaissances. Il n’en reste pas moins qu’en décidant par les textes attaqués (décret du 25 février 2021 et l'arrêté du même jour du ministre de l'éducation nationale relatifs à l'organisation de l'examen du baccalauréat général et technologique de la session 2021 pour l'année scolaire 2020-2021 et, d'autre part, note de service du 23 février 2021 relative au calendrier 2021 du baccalauréat dans le contexte de l'épidémie de Covid-19) que, pour ces seuls établissements, seraient maintenues les épreuves terminales de spécialité, leurs auteurs ont institué à tout le moins une présomption simple négative à leur endroit, ce qui, à soi seul, pourrait faire difficulté devant la Cour EDH.

En bref, comme il fallait s’y attendre, le recours est rejeté en ses différents moyens déclinant le principe d’égalité. On regrettera, sans ignorer la difficulté de trouver une solution équitable, certaines analyses du juge passablement discutables.

Comment comprendre, par exemple, ces deux passages de la décision ?

D’abord, au point 7, on lit : « (…) si les conditions sanitaires du printemps 2020 avaient conduit le Gouvernement à supprimer les épreuves terminales de la session 2020 du baccalauréat pour l'ensemble des élèves, le Premier ministre et le ministre chargé de l'éducation nationale ont pu, compte tenu du niveau de circulation de l'épidémie de covid-19 au printemps 2021 et de l'impossibilité de déployer à grande échelle un protocole sanitaire garantissant des conditions sanitaires d'examen satisfaisantes, décider de supprimer les épreuves terminales de spécialité pour les candidats de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat et de maintenir ces épreuves pour les seuls élèves des établissements hors contrat, sans porter atteinte au principe d'égalité entre les candidats au baccalauréat. » Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ensuite, au point 8, on lit : « (…) dès lors que les dispositions que les requérants contestent n'ont pas adapté les modalités des épreuves terminales de spécialité subies par les candidats des établissements privés hors contrat, les requérants ne peuvent utilement soutenir que les décisions contestées, en ce qu'elles n'étaient pas nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19, ont été prises en méconnaissance des dispositions de l'ordonnance du 24 décembre 2020. » En quoi cela justifie-t-il l’atteinte au principe d’égalité ?

(10 octobre 2022, Association Créer son école et autres, n° 450721)

 

180 - Compagnie aérienne – Obligation de réacheminer les passagers ayant fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire national – Infliction d’une amende – Invocation par la compagnie de la non disposition des pouvoirs de contrainte nécessaires – Circonstance exonératoire – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante a demandé à être déchargée de l’amende de quinze mille euros qui lui a été infligée pour ne pas avoir réacheminé un passager ayant fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire national. Elle se pourvoit contre le jugement et l’arrêt rejetant sa requête au motif qu’elle ne pouvait utilement faire valoir qu'elle ne dispose pas des pouvoirs de contrainte nécessaires pour satisfaire à son obligation de réacheminement.

L’arrêt est cassé pour erreur de droit car il tombe sous le sens qu'en l'absence de détention de tels pouvoirs le comportement de l'intéressé est susceptible de constituer une circonstance exonératoire pour la société requérante.

(19 octobre 2022, Société Air France, n° 456247)

(181) V. aussi, identiques : 19 octobre 2022, Société Air France, n° 456247 ; Société Air France, n° 458736 ; Société Air France, n° 458748 ; n° 459226 ; n° 459227 ; n° 459228 ; n° 459230 ; n° 459232 ; n° 459234.

(182) V. également, déclarant sans objet des recours identiques à la suite du retrait par le ministre de l’intérieur de sa décision infligeant l’amende : 19 octobre 2022, Société Air France, n° 458731 ; également : Société Air France, n° 458739 ; Société Air France, n° 458745 ; n° 459233.

 

183 - Service public autoroutier - Organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé – Décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et arrêté d’application du 15 février 2021 – Demande d’annulation – Rejet.

Les sociétés requérantes demandaient l’annulation :

- d’une part, soit (req. n° 455516) du 2° de l'article 2 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 relatif aux obligations s'appliquant aux conventions de délégation autoroutières en matière de transition écologique ainsi que les b) et d) du 1 du III de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 portant modification de l'arrêté du 8 août 2016 fixant les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé ; soit (req. n° 455517) des art. 2 et 3 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021, ainsi que le a) du I, les 1 et 3 du III, les a) à d) du IV et le V de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021.

 - d’autre part, soit (req. n° 455516) de la décision implicite du 14 juin 2021 par laquelle le premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire chargé des transports ont rejeté leur demande en date du 14 avril 2021 tendant au retrait du 2° de l'article 2 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et des b) et d) du 1 du III de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 ; soit (req. n° 455517) de la décision implicite du 13 juin 2021 par laquelle le premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire chargé des transports ont rejeté leur demande en date du 7 avril 2021 tendant au retrait des articles 2 et 3 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et du a) du I, des paragraphes 1 et 3 du III, des a) à d) du IV et du V de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021.

Tous les moyens invoqués sont rejetés.

Est sans effet la circonstance qu’un décret ait été pris pour l’application de dispositions législatives au lieu de l’arrêté prévu dès lors que ce décret a été contresigné par la ministre de la transition écologique, chargée de la voirie routière nationale.

Ne saurait être invoquée la non consultation du Conseil supérieur de l’énergie car le décret du 12 février 2021 et l'arrêté du 15 février 2021, qui ont pour objet de fixer les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, ne sauraient être regardés comme des actes réglementaires intéressant le secteur de l'électricité ou du gaz qui auraient seules rendues obligatoire cette consultation.

Il ne saurait être reproché à ces textes de ne pas respecter les dispositions de l'art. L. 122-4 du code de la voirie routière issues de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qu’ils n'ont pas pour objet de mettre en œuvre.

La circonstance que les obligations fixées par ces textes soient déterminées en fonction du nombre minimal de véhicules utilisant chaque source d'énergie et non des effets de celles-ci sur les émissions de gaz à effet de serre ne caractérise pas une méconnaissance des objectifs de la politique énergétique.

Les dispositions de l'art. L. 122-29 du code de la voirie routière doivent être interprétées, eu égard aux motifs d'intérêt général liés à l'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, comme ayant implicitement autorisé l'application des dispositions prises pour son application aux relations contractuelles en cours ; le grief tiré de cette solution ne saurait prospérer selon le juge mais l’argumentation nous semble assez faible au regard d’une liberté contractuelle reconnue au niveau international.

Les requérantes ne sont pas fondées non plus à soutenir que l'incertitude affectant la date d'entrée en vigueur et le périmètre des obligations établies par les dispositions attaquées porterait atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme, ni que ces obligations seraient entachées d'une rétroactivité illégale car les données relatives aux immatriculations de poids lourds par catégorie de source d'énergie ne sont disponibles qu'à compter de 2020, année au cours de laquelle le seuil a été dépassé pour les véhicules utilisant du gaz naturel, l'obligation de distribution de gaz naturel pour les poids lourds n'est pas susceptible de s'appliquer avant le 1er janvier 2024.

Les requérantes n’établissent pas, en particulier concernant l'état du déploiement et l'avancement des projets d'installation de recharge de véhicules électriques dans les aires de service concernées par cette nouvelle obligation, en quoi son application à compter du 1er janvier 2024 entraînerait une atteinte excessive à leurs intérêts, et porterait par suite atteinte au principe de sécurité juridique. 

Les sociétés requérantes ne sauraient utilement se prévaloir du principe d'égalité pour contester la différence de traitement entre, d'une part, les concessionnaires et sous-concessionnaires du réseau autoroutier concédé et, d'autre part, les gestionnaires du réseau autoroutier non concédé et les exploitants des aires de service situées sur ce réseau, qui résulte directement des dispositions de l'art. L. 122-29 du code de la voirie routière non de celles contenues dans le décret et l’arrêté attaqués. 

Enfin, le juge n’aperçoit aucune erreur manifeste d’appréciation dans les dispositions querellées, au regard des besoins des usagers du service public autoroutier, d'une part dans la mise en œuvre du principe d'une définition des obligations de distribution de chaque source d'énergie en fonction de la proportion de véhicules qui l'utilisent, sans différenciation entre les sources d'énergie, d'autre part dans la fixation des seuils au-delà desquels ces obligations s'appliquent, enfin dans la détermination du niveau des obligations qui en résultent en ce qui concerne le déploiement d'installations de recharge de véhicules électriques et de fourniture de gaz naturel pour les véhicules. 

(21 octobre 2022, Sociétés SANEF et SAPN, n° 455516 ; Sociétés ASF, Cofiroute et Escota, n° 455517, jonction)

 

184 - Aide exceptionnelle aux personnes d’au moins seize ans particulièrement vulnérables à la hausse du coût de la vie – Cas des étudiants sans revenus ni aide résidant chez leurs parents – Application différenciée du principe d’égalité par le pouvoir réglementaire – Rejet.

Le décret du 11 décembre 2021 relatif aux modalités de versement de l'aide exceptionnelle prévue à l'article 13 de la loi n° 2021-1549 du 1er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021 détermine les conditions et modalités de versement de cette aide exceptionnelle. 

Le requérant en demande l’annulation en tant qu'il ne prévoit pas le versement de cette aide aux étudiants sans revenus résidant chez leurs parents et ne percevant aucune aide d'aucun organisme, y compris les bourses d’études. Il y voit une atteinte au principe d’égalité.

Le juge fait ici application de sa jurisprudence traditionnelle permettant une application différenciée de ce principe lorsque des personnes se trouvent, au regard du service public, dans des situations objectivement différentes, que cette différenciation répond à des raisons d’intérêt général et n’est pas manifestement disproportionnée compte tenu des situations en cause.

Ici cette aide, de caractère exceptionnel, pouvait être réservée aux étudiants les plus vulnérables : en l’accordant à ces étudiants y compris ceux qui, vivant ou non chez leurs parents, bénéficient d'aides ou de prestations particulières déjà soumises à conditions de ressources comme les bourses sur critères sociaux  et en la refusant à ceux qui, comme le requérant, vivent chez leurs parents en ne bénéficiant d’aucune aide ni d’aucune rémunération, le pouvoir réglementaire n’a pas manifestement porté atteinte au principe d’égalité.

Nouvelle illustration du jeu d’équilibre subtil et sans cesse contestable du bien-fondé comme des limites d’une application d’un principe d’égalité à géométrie variable comportant une part incompressible de subjectivité.

(27 octobre 2022, M. A., n° 461383)

 

185 - Associations foncières de remembrement (devenues associations foncières d'aménagement foncier agricole et forestier, art. L. 131-1 code rural et de la pêche maritime) – Règles de calcul de la majorité régissant la prise de décisions au sein des assemblées de propriétaires – Régimes différents pour l’adoption de statuts lors d’une création d’association et pour l’approbation d’une fusion entre de telles associations – Rejet.

Si l'art. 13 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires (rendu applicable aux associations foncières de remembrement désormais dénommées associations foncières d'aménagement foncier agricole et forestier), impose de compter comme étant favorables au projet de création d'une association les propriétaires qui, dûment avertis des conséquences de leur abstention, ne s'opposent pas expressément au projet, cette règle n’est prévue que pour la consultation des propriétaires dans le cadre de l'enquête publique qui porte sur le projet de statuts d'une association syndicale en voie de création et elle n’est pas applicable, comme c’est le cas en l’espèce, à la fusion d'associations, seule s’appliquant en ce cas (par l’effet de l’art. 48 de l’ordonnance) l’exigence de majorité qualifiée fixée à l’art. 14 de la même ordonnance.

C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé, pour rejeter l’appel du ministre contre le jugement du tribunal administratif, que la règle établie à l’art. 13 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 n’était pas applicable au cas de fusion d’associations syndicales ou d’associations foncières de remembrement.

(28 octobre 2022, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 448620)

 

186 - Service public hospitalier – Praticiens hospitaliers - Indemnité d'engagement de service public exclusif – Exclusion des praticiens contractuels du bénéfice de cette indemnité – Solution justifiée – Rejet.

Le syndicat requérant demandait d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre des solidarités et de la santé sur sa demande tendant à l'abrogation du décret n° 2006-1222 du 5 octobre 2006 relatif aux personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques hospitaliers en tant qu'il exclut les praticiens contractuels du bénéfice de l'indemnité d'engagement de service public exclusif et, d’autre part, qu’injonction soit faite au premier ministre d’abroger ce décret et d’en prendre un autre rendant tout praticien éligible à cette indemnité.

A l’appui de sa requête le syndicat invoquait les dispositions de la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 mais ces dispositions, qui ne concernent que la lutte contre les inégalités d’emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sont ici irrelevantes puisque les deux catégories de praticiens ne sont pas dans des conditions de droit et de fait identiques.

La disposition litigieuse n’est pas discriminatoire envers les praticiens contractuels car elle vise seulement, d’abord, à rendre attractif l'exercice des fonctions de praticien hospitalier dans le cadre d'emplois publics permanents de praticiens titulaires, et ensuite à assurer la qualité du recrutement nécessaire aux soins.

Le recours est rejeté.

(28 octobre 2022, Syndicat des jeunes médecins, n° 453369)

(187) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le décret du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel en ce qu’il a fusionné les quatre premiers échelons de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel, en précisant les conditions du reclassement des membres présents dans le corps  28 octobre 2022, Syndicat jeunes médecins, n° 445031 ; Intersyndicale action praticiens hôpital, ° 446862 ; Mme F., n° 446939 ; M. V., n°447078 ; M. M. et autres, n° 450650, jonction.

V. aussi le n° 61

 

188 - Affectation d’un élève dans un lycée – Satisfaction à l’un de ses vœux et dans sa zone de desserte – Invocation postérieure d’éléments non établis – Rejet.

Un élève ayant été affecté dans une classe de seconde générale et technologique, conformément à son quatrième vœu et dans un lycée situé dans sa zone de desserte, c’est vainement que sa mère poursuit l’annulation de l’ordonnance ayant rejeté son recours contre l’administration de l’éducation nationale pour avoir refusé sa demande d’affectation dans un autre établissement, laquelle se fondait sur le double motif de l’éloignement du domicile par suite d’un déménagement de la famille et de problèmes de santé, lesquels ne sont pas circonstanciés. Ces éléments ne sont pas de ceux justifiant l’intervention du juge du référé liberté.

L’utilisation d’un référé suspension aurait pu, à l’extrême rigueur, avoir plus d’efficacité.

(ord. réf. 31 octobre 2022, Mme B., n° 468356)

(189) V. aussi, jugeant devenu sans objet le recours tendant à voir enjoindre l’administration d’affecter la fille de la requérante dans un certain lycée, qui obtient finalement gain de cause et vient retirer le formulaire concrétisant son accord : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468328.

(190) V. également, rejetant le recours formé contre l’affectation d’un élève dans un autre établissement que ceux demandés dans ses vœux mais correspondant à son choix d’orientation (« technique de réalisation en produits mécaniques ») et situé dans sa zone de desserte même si son environnement ne lui convient pas : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468335.

(191) V. encore, rejetant une demande d’injonction aux services de l’éducation nationale d’affecter un élève dans un autre lycée que celui d’affectation alors que ce dernier correspond au vœu n° 3 de l’élève, qu’il y est scolarisé depuis la rentrée des classes, qu’il se trouve dans sa zone de desserte et qu’il correspond à l’orientation demandée en filière professionnelle générale et technologique sans que puisse faire obstacle à cette décision l’éloignement de cet établissement du domicile et la crainte de l’intéressé d’utiliser des transports en commun à la suite d’une agression : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468341.

(192) V., comparable au précédent et rejetant le recours fondé sur ce l’état de santé de l’élève serait incompatible avec les transports nécessaires pour se rendre dans l'établissement d'affectation qui correspond à son vœu d’orientation, se situe dans sa zone de desserte académique et où il est scolarisé depuis la rentrée : ord. réf. 31 octobre, M. B., n° 468351.

(193) V., jugeant que n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'égal accès à l'instruction justifiant l'intervention du juge du référé liberté, la décision affectant une élève, conformément à son orientation et à son cinquième vœu, dans un établissement et cela alors même que l’élève a abandonné cette formation qu'elle jugeait inadaptée de sorte qu'elle n'est plus scolarisée : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme C., n° 468344.

(194) V., comparable à la précédente, la décision jugeant que ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'égal accès à l'instruction justifiant l'intervention du juge du référé liberté, la décision de l’administration qui, en cours d’audience et postérieurement à celle-ci, affecte un élève en classe de seconde professionnelle, lui évitant ainsi un redoublement, dans un établissement situé dans sa zone de desserte et dans une orientation conforme à ses vœux alors même que l'administration n'a pas accompli toutes les diligences nécessaires pour trouver dans un délai compatible avec un déroulé de scolarité normal une affectation à cet élève : ord. réf. 31 octobre 2022, Mme B., n° 468362.

 

Sport

 

195 - Football - Compétitions nationales – Exclusion des clubs ultra-marins – Conformité aux règlements de certains championnats – Libre accès aux activités sportives pour tous – Situation particulière de l’outre-mer – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours pour excès de pouvoir dirigé par la requérante contre la décision implicite par laquelle la Fédération française de football a refusé de modifier les règlements des compétitions nationales qu'elle organise aux fins d'en ouvrir l'accès à l'ensemble des clubs qui lui sont affiliés, y compris ceux établis sur le territoire des départements d'outre-mer, tel que la Guadeloupe.

Tout d’abord, est rejeté le grief que l’exclusion des clubs d’outre-mer des championnats de National 3 et de jeunes et de la Coupe Gambardella résulterait de dérogations aux règlements de ces compétitions alors qu’elle procède directement de ces règlements.

Ensuite, c’est sans porter une atteinte excessive au principe de libre accès aux activités sportives, ni non plus au principe d'égalité que la Fédération française de football a pu se fonder, pour exclure la participation des équipes ultramarines aux compétitions nationales, sur la situation particulière de ces équipes, en particulier leur éloignement géographique, le décalage horaire pouvant en résulter, et les contraintes matérielles et économiques liées aux déplacements d'équipes amateures de ou vers la métropole ainsi qu'à leur séjour sur place.

(21 octobre 2022, Association Unité Sainte-Rose Football Club, n° 452020)

 

196 - Contrôle antidopage – Régime applicable – Conditions de régularité procédurale et de régularité des contrôles – Appréciation de l’existence d’une infraction – Sanction non disproportionnée – Rejet.

A l’occasion d’un contrôle anti-dopage réalisé à l’issue de l’épreuve de relais 4x400 aux Mondiaux de Londres, un athlète français est convaincu de dopage au salbutamol. Il a été relaxé des poursuites engagées à son encontre par l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de la fédération française d'athlétisme. Puis, la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a annulé la décision de relaxe et prononcé diverses sanctions.

L’intéressé se pourvoit contre cette dernière décision.

C’est l’objet du présent arrêt qui apporte d’utiles précisions tant de nature procédurale que de fond et auquel le lecteur voudra bien se reporter pour de plus amples précisions.

(21 octobre 2022, M. Teddy Atine-Venel, n° 457973)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

197 - Urbanisme ou aménagement commercial – Rejet par la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), pour un motif de fond, d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Nouvelle demande d’autorisation – Régime applicable devant la commission d’aménagement commercial – Erreur de droit – Annulation.

L'art. L. 752-21 du code de commerce imposait au pétitionnaire dont le projet précédent avait été rejeté pour un motif de fond par la CNAC, de ne déposer une nouvelle demande d'autorisation sur un même terrain qu’à condition d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la commission nationale.

Le Conseil d’État déduit de ce texte que la commission d’aménagement commercial saisie par ce pétitionnaire d’une nouvelle demande d'autorisation de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à raison d'un nouveau projet sur le même terrain doit, préalablement à son avis, s’assurer que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l'avis antérieur de la CNAC. Ce n’est qu’après vérification de la satisfaction de cette condition que cette commission peut procéder au contrôle du respect des autres exigences découlant du code de commerce, y compris, s'agissant des exigences de fond, de celles dont il avait été antérieurement estimé qu'elles avaient été méconnues ou dont il n'avait pas été fait mention dans l'avis de la CNAC.

En l’espèce est annulé pour erreur de droit l’arrêt d’appel jugeant que les modifications et mesures complémentaires présentées par la société pétitionnaire à l'appui de sa nouvelle demande ne présentaient pas un caractère suffisant pour être regardées comme ayant pris en compte ces motivations, eu égard aux objections initiales de la CNAC alors qu’il lui incombait seulement, pour l’application de l’art. L. 752-21 précité, de rechercher si les ajustements et précisions qui avaient été apportés par la société requérante à sa demande étaient en lien avec les motifs ayant fondé l'avis défavorable de la CNAC, ce qui suffisait à la rendre recevable.

(7 octobre 2022, Société Entrepôt Nîmes, n° 450615 ; Commune d’Arles, n°450636, jonction)

(198) V. aussi l’annulation pour erreur de droit de l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que le critère de la contribution d'un projet d'aménagement commercial à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de sa commune d'implantation (cf. art. L. 752-6 du code de commerce), est applicable à la demande d'autorisation d'exploitation commerciale litigieuse, qui a été déposée le 7 juin 2019, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que les dispositions réglementaires fixant le contenu de l'analyse d'impact prévues au III du même article n'ont été rendues applicables qu'aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale déposées à compter du 1er janvier 2020. Ainsi, la cour a jugé à tort au point 16 de son arrêt que la CNAC ne pouvait, dans l'appréciation de la compatibilité du projet litigieux avec l'objectif d'aménagement du territoire, tenir compte du respect de ce critère : 7 octobre 2022, ministre de l’économie, des finances… et Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 451688.

(199) V. également, rappelant judicieusement :

- d’une part, que l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), a le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ;

- d’autre part, que le recours formé auprès de la CNAC à l'encontre de l'avis émis par la CDAC constitue un préalable obligatoire à l'introduction d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision de l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation commerciale. Toutefois, un tel recours préalable obligatoire ne peut être regardé, dès lors qu'il est dirigé contre l'avis préalable de la CDAC, et non contre la décision de l'autorité administrative, seule décision susceptible de recours contentieux, comme ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle à ce qu'un recours gracieux formé contre cette décision devant l'autorité administrative qui l'a prise interrompe le cours du délai délai contentieux dès lors qu'il est intenté dans le délai imparti pour l'introduction du recours contentieux : 7 octobre 2022, Association En toute franchise département de l'Hérault, n° 452959.

 

200 - Convention publique d’aménagement – Création d’un parc d’activités - Permis d’aménager puis permis modificatif – Annulation – Erreur de droit et dénaturation des faits – Annulation de l’arrêt d’appel.

Des requérants obtiennent l’annulation d’un permis d’aménager et de son modificatif délivrés par un préfet dans le cadre d’une convention publique d'aménagement en vue de la création d’un parc d’activités.

Les requérantes se pourvoient en cassation contre l’arrêt d’appel annulant les arrêtés préfectoraux.

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit et dénaturation des pièces.

En premier lieu, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la méconnaissance par le projet des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ne devait s'apprécier qu'au regard des circonstances prévalant à la date du permis d'aménager initial accordé le 29 août 2011, sans qu'ait d'incidence la délivrance d'un permis modificatif par l'arrêté du 2 juillet 2018. Alors que saisie de la contestation de la légalité d'une autorisation d'urbanisme initiale ayant fait l'objet d'une autorisation modificative, la cour devait rechercher si, à la date de la délivrance de l'autorisation modificative, les constructions projetées se trouvent en continuité avec des zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions.

En second lieu, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis car le projet litigieux, qui consiste à aménager des parcelles localisées sur une friche industrielle, se trouve aux abords immédiats d'une usine, en continuité de la zone d'aménagement concerté du Domaine du Chemins des Près, elle-même en continuité d'une zone déjà urbanisée située à l'est du territoire de la commune d'Étaples-sur-Mer. En jugeant que, même à la date du permis modificatif, la densité des constructions de la zone d'aménagement concerté n'était pas significative et que le projet ne se trouvait pas en continuité d'une agglomération existante, la cour a dénaturé les faits de l'espèce.

(10 octobre 2022, Société Territoires Soixante-Deux, n° 451530 ; Commune d'Étaples-sur-Mer, n° 451531)

 

201 - Permis de construire partiellement annulé par un jugement après cassation et invitation à solliciter un permis de régularisation - Octroi d’un permis de régularisation – Recours en annulation de ce second permis – Renvoi au Conseil d’État (art. L. 600-5-2) – Office du juge saisi d’un second pourvoi en la matière – Intérêt d’une bonne administration de la justice – Juge de cassation devant statuer dans les circonstances de l’espèce comme juge du premier degré – Rejet.

La présente affaire, qui porte sur une intéressante question de droit de l’urbanisme, se signale également et surtout à l’attention du lecteur par l’audacieuse solution de droit du contentieux qu’elle comporte s’agissant, en l’espèce, de l’office du juge de cassation statuant pour la seconde fois sur un litige.

Les requérants, voisins de la construction projetée, demandent et obtiennent du tribunal administratif, par jugement du 29 novembre 2018, l’annulation du permis, délivré le 25 juillet 2017, de construire un immeuble collectif de trente-neuf logements, des locaux commerciaux et autorisant la création de trente-quatre aires de stationnement. Le Conseil d’État, par décision du 13 mars 2020, annule ce jugement et, sur renvoi, le tribunal, par jugement du 23 mars 2021, annule partiellement le permis litigieux invitant les défendeurs à le régulariser par la demande d’un permis modificatif, celui-ci est accordé par la commune le 9 novembre 2021.

Les demandeurs se pourvoient en cassation contre le jugement du 23 mars 2021 et, devant le tribunal, demandent l’annulation du permis modificatif du 9 novembre 2021.

Se fondant  sur les dispositions de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme (selon lesquelles « Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d'une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »), la présidente du tribunal a, par ordonnance, transmis au Conseil d’État la requête en annulation du permis modificatif.

Le juge était en réalité saisi de deux questions distinctes. La première portait sur l’examen du pourvoi dirigé contre le jugement du 23 mars 2021, donc sur l’appréciation de la légalité du permis de construire délivré le 25 juillet 2017 et de celle du permis modificatif de régularisation du 9 novembre 2021. La seconde portait sur la compétence directe du Conseil d'État pour statuer sur la demande d'annulation de ce permis modificatif.

 

I – Sur les permis de construire initial et modificatif

Tout d’abord, examinant le pourvoi dirigé contre le jugement du 23 mars 2021, le Conseil d’État estime que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que pour calculer la surface admissible du couronnement du dernier niveau de l’immeuble, il convenait de tenir compte de l’ensemble du couronnement alors que cet immeuble, quoique se présentant en un seul ensemble, comportait deux parties donnant sur deux rues différentes et qu’il y avait donc lieu de décompter séparément chacun des deux couronnements distincts.

Ensuite, par l’effet de l’annulation prononcée le Conseil d’État se trouvait saisi de la régularité du permis primitivement accordé le 25 juillet 2017 qu’avait annulé le tribunal administratif. Le juge rejette tous les moyens développés et donc ceux retenus en première instance, sauf un tiré de ce que le permis méconnaît une disposition du règlement du PLU en ce qu’il autorise les deux couronnements dont la superficie cumulée excède le tiers de la surface moyenne des autres étages. On remarquera parmi les moyens soulevés l’un bien dans l’air du temps, si l’on peut dire, qui n’est pas retenu. Les demandeurs soutenaient que le projet litigieux compromettrait l'exécution des dispositions du futur plan local d'urbanisme métropolitain, en cours d'élaboration à la date de délivrance du permis attaqué, relatives à la protection des éléments de bâti patrimonial remarquables, dès lors qu'il a été envisagé de faire figurer leur habitation au nombre de ces éléments remarquables. Le juge répond assez sèchement que « ni la circonstance que le projet litigieux serait susceptible d'affecter le fonctionnement bioclimatique de leur habitation, ni celle que, de par sa hauteur et son style architectural, (l’immeuble litigieux) contrasterait de façon nette avec cette habitation ne permettent de regarder la réalisation de ce projet comme étant de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme, lequel, au demeurant, n'a en définitive, lors de son adoption, pas retenu l'habitation des requérants parmi les éléments de bâti patrimonial remarquables. »

Enfin, après avoir estimé devoir être compétent pour en connaître, le juge de cassation se prononce sur la légalité du permis de construire modificatif délivré le 9 novembre 2021 ; il constate sa conformité aux textes et sa correcte fonction de régularisation de l’illégalité que contenait le permis antérieur.

 

II – Sur la compétence directe du Conseil d'État pour statuer sur la demande d'annulation du permis modificatif

La présidente du tribunal administratif, constatant que le Conseil d’État était déjà saisi d’un pourvoi en cassation contre un jugement du tribunal annulant partiellement un permis de construire lui-même rendu après une première cassation et que ce tribunal était saisi d’un recours en annulation du permis de régularisation, a transmis le dossier au Palais-Royal par application des dispositions de l’art. L. 600-5-2 précitées.

Le Conseil d’État lui donne raison et justifie ainsi sa compétence « Dans les circonstances de l'espèce, alors qu'il règle l'affaire au fond après cassation, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, et statue ainsi définitivement sur le litige portant sur la légalité du permis de construire initial du 25 juillet 2017, il y a lieu pour le Conseil d'État, sur le fondement de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de statuer, en qualité de juge de premier et dernier ressort, sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif qui a été délivré le 9 novembre 2021 à la société pétitionnaire en vue de régulariser le permis de construire initial, en statuant sur les moyens propres présentés contre ce permis modificatif par M. et Mme C. et en appréciant si ce permis modificatif permet la régularisation du vice, entachant le permis initial, retenu (par) la présente décision. »

Si la solution doit être approuvée en son principe, il nous semble qu’elle eût pu, plus simplement, être fondée sur les principes qui régissent la résolution des cas de connexité à l’intérieur de l’ordre juridictionnel administratif.

(10 octobre 2022, M. et Mme C., n° 452955)

 

202 - Demande de permis de construire assortie d’une convention de transfert de droit à construire – Fixation du coefficient d’occupation du sol non par le POS mais par son règlement – Opposition erronée du caractère inopérant du moyen soulevé – Annulation.

Doit être annulé pour erreur de droit l’arrêt qui juge inopérant le moyen tiré de ce qu'en ce qu'il fixe un coefficient d'occupation minimal du sol, l'article NDr 15 du plan d'occupation des sols de la commune de La Clusaz est contraire aux art. L. 123-4 et R. 123-10 du code de l'urbanisme alors en vigueur motif pris de ce que le refus litigieux de permis de construire est fondé sur les dispositions de l'art. NDr 15 du règlement du POS imposant un transfert des possibilités de construction résultant du coefficient d'occupation des sols dans le secteur NDr et qu’ainsi le refus en litige est fondé sur des dispositions du règlement du POS fixant illégalement un coefficient d'occupation des sols minimal, alors que l'obligation de transfert énoncée à l'art. NDr 15 du règlement du POS résulte directement des dispositions du même article imposant de porter le coefficient d'occupation du sol du terrain récepteur à une valeur supérieure à 0,22.

(19 octobre 2022, M. B. c/ Commune de La Clusaz, n° 455581)

 

203 - Clôture de l’instruction – Parties avisées postérieurement du possible relèvement d’office d’un moyen susceptible de fonder la décision de justice – Absence de réouverture de l’instruction y compris après réception des observations éventuelles sur ledit moyen sauf fait ou moyen susceptible d’influence sur le jugement de l’affaire – Transposition de cette solution en droit de l’urbanisme (cf. art. L. 600-5-1 c. urb.) – Rejet.

(10 octobre 2022, Société Horizon et Mme A., n° 455573)

V. n° 33

 

204 - Permis de construire – Permis délivré à la vue et en l’état des éléments fournis par le pétitionnaire – Limitation des pouvoirs de l’autorité de délivrance du permis sauf fraude ou contradiction – Annulation.

Rappel du cadre strict dans lequel se situe l’étendue du pouvoir détenu par l’autorité administrative compétente pour délivrer un permis de construire.

« Le permis de construire n'ayant d'autre objet que d'autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire, l'autorité administrative saisie d'une demande de permis de construire n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations du demandeur relatives à la consistance du projet à moins qu'elles ne soient contredites par les autres éléments du dossier joint à la demande tels que limitativement définis par les dispositions des articles R. 431-4 et suivants du code de l'urbanisme. La circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être respectés ou que les immeubles risqueraient d'être ultérieurement transformés ou affectés à un usage non conforme aux documents et aux règles générales d'urbanisme n'est pas, par elle-même, sauf en présence d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande, de nature à affecter la légalité de celui-ci.

En l’espèce, c’est donc au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel, « après avoir relevé que les demandes de permis de construire contestés faisaient mention de deux bâtiments dont l'un était qualifié d'annexe, à usage de garage et comportant des combles, a jugé que cette « annexe » devait être regardée comme un autre bâtiment à usage d'habitation. A cet effet, elle s'est fondée sur la superficie de ce bâtiment, proche de celle de la construction principale, et sur ses caractéristiques, consistant en une vaste pièce en L, surmontée de combles aménageables, ainsi que sur la circonstance qu'après sa construction, il avait subi des transformations et connu de fait un changement d'affectation, différentes de celles figurant dans les plans annexés aux demandes de permis de construire, ainsi que sur la division juridique en cours du terrain d'assiette pour séparer la construction principale de son « annexe » ». En effet, « il n'appartenait pas à l'autorité administrative, en dehors de l'hypothèse de la fraude, de vérifier l'intention du demandeur de respecter les plans et indications qu'il a fournis ».

(27 octobre 2022, Mme B., n° 450700)

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