Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Novembre 2022

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Formation spécifique à l’ostéopathie ou à la chiropraxie – Formation professionnelle soumise à agrément préalable de l’établissement – Communiqué de presse le rappelant – Acte ne faisant pas grief – Rejet.

Les organismes requérants demandaient l’annulation du communiqué de presse du 23 août 2021 du ministre des solidarités et de la santé en tant qu’il « rappelle que les établissements de formation en ostéopathie dont l'agrément n'est pas renouvelé ne sont plus autorisés, à compter du 1er septembre 2021, à dispenser des cours ou à délivrer un diplôme pour ce cursus pour l'année scolaire à venir ».

Le recours est rejeté d’abord parce que ce communiqué, en se bornant à citer les dispositions de l'article 75 modifié de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ne fait que rappeler le droit applicable et ne constitue ainsi pas, par lui-même, une décision ; il ne relève donc pas des prescriptions de l’art. L. 212-1 du code des relations du public avec l’administration. Ensuite, le recours est également rejeté car ce communiqué n’interdit point lui-même aux établissements non agréés de recevoir des étudiants en formation et ne contrevient ainsi pas à des dispositions législatives contrairement à ce qui est soutenu.

(3 novembre 2022, Institut d'ostéopathie de Bordeaux, institut supérieur d'ostéopathie du Grand Montpellier et collège d'ostéopathie du pays basque, n° 456586)

 

2 - Recrutement du Directeur de l’IEP de Paris et d’un administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) – Procédure suivie – Allégation d’irrégularités – Rejet.

Les postes de Directeur de l’IEP de Paris et d’administrateur de la FNSP étant vacants, les deux requérants se sont portés – en vain - candidats ; ils demandent l’annulation :

- du décret du président de la république du 19 novembre 2021 nommant M. Vicherat dans les fonctions de directeur de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, et de l'arrêté de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation du même jour nommant M. Vicherat aux fonctions d'administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP)

- de la délibération du 23 septembre 2021 par laquelle la commission de proposition mise en place par le conseil d'administration de la FNSP et le conseil de l'IEP de Paris en vue de la nomination, respectivement, de l'administrateur de la FNSP et du directeur de l'IEP de Paris, a décidé de ne pas retenir leur nom, de la délibération du 9 novembre 2021 par laquelle le conseil de l'IEP de Paris a proposé M. Mathias Vicherat à la nomination en qualité de directeur de l'IEP de Paris, ainsi que de la délibération du 10 novembre 2021 par laquelle le conseil de la FNSP a proposé M. Vicherat à la nomination en qualité d'administrateur de la FNSP.

Le Conseil d’État rejette les recours tous dirigés contre le déroulement de la procédure d’examen des candidatures.

Tout d’abord les travaux de la commission chargée de préparer la proposition en vue de la nomination aux fonctions de directeur de l'IEP de Paris et d'administrateur de la FNSP ne sont pas entachés d’irrégularité du fait que cette commission a disposé de l'appui administratif et juridique de trois agents présents lors des réunions de la commission dont ils n'étaient pas membres car il ne ressort pas des pièces dudossier qu'ils aient pris part aux débats sur les mérites des candidats ou aux votes, ni que leur présence ait été de nature à exercer une influence sur le sens des délibérations.

Ensuite, si la commission de proposition a eu recours à un prestataire de services afin de l'assister dans l'examen des candidatures reçues, cela n’a pas eu pour effet de limiter son pouvoir d'appréciation et de modifier l'économie générale de la procédure de recrutement fixée par les textes, ni a fortiori qu’elle se soit crue liée par les appréciations de ce prestataire sur les candidatures. Il s’ensuit l’absence d’atteinte, de ce chef aux principes d'impartialité et d'égalité de traitement des candidats.

La circonstance, à la supposer établie, que les candidats n'auraient pas consenti au traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données n’est pas de nature à affecter la légalité de la procédure suivie.

Le fait, à le supposer établi, que certains candidats n'auraient pas joint à leur dossier de candidature les pièces justifiant de leur situation administrative ou professionnelle n'a pas eu d'incidence sur l'appréciation portée par la commission sur les mérites de chaque candidature ni sur les sélections qu'elle a effectuées. 

Pour regrettable que soit la divulgation dans la presse de l'identité des candidats et de leurs projets cette circonstance, qui a concerné l'ensemble des candidatures, n’a pas eu une influence sur les délibérations de la commission, ni privé les intéressés d'une garantie.
Enfin, le seul fait que certains de ses membres aient auparavant entretenu des relations de nature professionnelle avec certains candidats n'est pas de nature à caractériser, par elle-même et pour ce seul motif, un défaut d'impartialité en faveur ou au détriment de ces candidats.

(7 novembre 2022, M. B., n° 458963 et n° 467599 ; M. E., n° 459235, jonction)

 

3 - Arrêté modificatif de l’arrêté du 13 septembre 2011 portant réglementation spéciale du contrôle médical du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières – Entrée en vigueur immédiate – Absence de mesures transitoires – Atteinte excessive aux intérêts en cause – Annulation partielle.

 L'arrêté attaqué, qui a modifié la réglementation applicable au contrôle médical relevant du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières, a été publié au Journal officiel du mercredi 29 décembre 2021 et il est entré en vigueur le lendemain sans que ne soient prévues de mesures transitoires.

Ainsi, la procédure de recours porté devant la commission médicale de recours amiable instituée par le 6° de l'article 1er de l'arrêté attaqué était applicable immédiatement. Or il est constant que cette commission n'était pas en mesure de traiter ces recours à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté et qu'elle ne le serait pas avant un délai de trois mois, faisant ainsi obstacle à ce que les salariés pour lesquels le médecin-conseil aurait considéré que leur arrêt de travail n'était pas justifié puissent former une contestation d'ordre médical contre la décision de l'employeur prise à la suite de cet avis.

La requérante est donc fondée à soutenir que l'absence de mesures transitoires jusqu'au 1er avril 2022 porte une atteinte excessive aux intérêts des salariés et que l'arrêté est, par suite, illégal dans cette mesure.

(7 novembre 2022, Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail (FNME - CGT), n° 461581)

 

4 - Communication des listes électorales – Instruction ministérielle limitant le droit d’accès à la seule dernière liste arrêtée pour un scrutin – Principe de la permanence des listes électorales – Illégalité – Annulation.

Cette décision est importante, d’où sa publication au Recueil Lebon, car elle se situe au confluent du droit à la communication des documents administratifs et des principes fondamentaux de la démocratie dont la publicité des listes électorales est un élément central.

Par le point 6.1 d’une instruction du 4 février 2021 portant « Addendum à l'instruction INTA1830120J relative à la tenue des listes électorales complémentaires du 21 novembre 2018 », dont le requérant demande l’annulation, le ministre de l’intérieur a décidé que « (…) la liste électorale communicable est la dernière liste arrêtée pour un scrutin ».

Sans surprise, le Conseil d’État, se fondant sur ce principe fondamental qu’est celui de la permanence de la liste électorale, annule la disposition litigieuse, rappelant au passage que « tout électeur inscrit sur une liste électorale peut, indépendamment de la publicité annuelle de la liste organisée par l'article L. 19-1 du code électoral, obtenir d'une commune, sur le fondement de l'article L. 37 du même code, la communication de sa liste électorale à jour à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande dont elle est saisie, comportant les seules informations mentionnées à l'article R. 20, sous réserve qu'il s'engage à ne pas en faire un usage commercial ».

Le juge indique également qu’un électeur peut obtenir des services de l'État dans le département l'ensemble des listes électorales, à jour à cette même date, des communes de ce département et cela dans le respect des mêmes conditions que celles fixées pour les demandes de communication des listes électorales municipales.

La question de la communication de ces listes, comme bien d’autres dispositions, qui peuvent sembler très techniques, du droit électoral (urnes, enveloppes, isoloirs, vérifications d’identité, etc.), est capitale car elle est au fondement même de l’effectivité du caractère démocratique du régime politique.

(9 novembre 2022, M. A., n° 449863)

 

5 - Actes entrant dans la compétence d’un ministre – Premier ministre exerçant les attributions de ce ministre, empêché par une situation de conflit d’intérêts – Délégation accordée par ce ministre en certaines matières valant aussi pour les actes du Premier ministre pris y relatifs – Annulation.

Le premier ministre a pris une décision de prolongation de mise à l’isolement d’un détenu non pas en qualité de premier ministre mais en lieu et place du ministre de la justice, empêché par une situation de conflit d’intérêts.

Saisi par l’intéressé, un tribunal administratif a suspendu l’exécution de cette décision au motif qu’elle avait été signée par un agent n’ayant pas reçu délégation à cet effet du premier ministre.

Le jugement est cassé pour erreur de droit car, par l’effet de la substitution du premier ministre à un ministre pour l’exercice d’une compétence déterminée, les délégations consenties par ce ministre sont conservées par les agents en bénéficiant lorsqu’ils sont momentanément placés sous l’autorité hiérarchique du premier ministre.

(9 novembre 2022, Premier ministre, n° 465784)

 

6 - Arrêté interministériel fixant les taux de remboursement forfaitaire des déplacements d’agents – Déplacements temporaires des personnels et agents du ministère de l’agriculture – Arrêté dérogatoire du ministre de l’agriculture - Compétence de ce dernier – Rejet.

Le Conseil d’État juge, dans un litige portant sur le régime de remboursement des frais de déplacements et d’hébergement d’agents du ministère de l’agriculture, qu’un ministre peut, sans incompétence, prendre, pour les personnes placées sous son autorité et dans l’intérêt du service tenant à des circonstances particulières, un arrêté dérogatoire à un arrêté interministériel, dont il n’est pas signataire, fixant les taux de remboursement forfaitaire des frais supplémentaires de repas et d'hébergement.

(10 novembre 2022, Syndicat national des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement (SNIAE-FO), n° 457619)

V. aussi le n° 123

 

7 - Demande de communication d'un document administratif - Refus pour inexistence matérielle du document - Insuffisance de la motivation  du jugement de rejet - Annulation avec renvoi.

Le syndicat requérant avait demandé au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord la communication d'un rapport « audit RPS » réalisé par une société prestataire. Cette communication a été refusée  car ce document était matériellement inexistant.

Saisi par ce syndicat, le tribunal administratif avait rejeté son recours compte tenu de l'affirmation d'inexistence matérielle. Le jugement est annulé pour insuffisance de motivation car la réalisation de ce document était prévue par le cahier des clauses administratives et techniques du marché conclu avec la société prestataire. Il incombait donc au tribunal d'indiquer comment il s'était convaincu que le SDIS ne détenait pas le rapport demandé.

(16 novembre 2022, Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et spécialisés du Nord (SNSPP-PATS 59), n° 456781)

 

8 - Exercice du droit de préemption urbain  par une régie immobilière municipale liée à la commune par une une convention d'utilité sociale - Délégation de ce droit à sa directrice générale - Subdélégation de ce droit par cette dernière  à la directrice générale adjointe - Absence de publication de cette délégation - Suspension de la préemption ainsi décidée.

L'exercice du droit de préemption urbain par un agent administratif titulaire d'une subdélégation non publiée et donc non opposable aux tiers, est irrégulier.

(17 novembre 2022, SAS Towa Développement, n° 457386)

 

9 - Sanction disciplinaire en milieu pénitentiaire - Compétence pour engager des poursuites disciplinaires - Délégation de signature - Composition de la commission de discipline - Communication d'éléments du dossier - Rejet.

Le requérant voulait voir annulée la décision infirmative d'une cour administrative d'appel  rejetant le recours dirigé contre la décision par laquelle un directeur interrégional des services pénitentiaires avait confirmé la sanction de confinement en cellule ordinaire pour une durée de cinq jours qui lui avait été infligée par la présidente de la commission de discipline d'un centre pénitentiaire.

Au soutien de sa requête, le demandeur invoquait plusieurs irrégularités qui auraient entaché la procédure disciplinaire suivie en l'espèce

Tous les moyens soulevés à cet effet sont rejetés.

D'abord, la publication au recueil des actes administratifs de la préfecture de la délégation de signature  au directeur adjoint du centre pénitentiaire par la directrice du centre pénitentiaire a constitué une mesure adéquate de publicité.

Ensuite, il est rappelé que la présence dans la commission de discipline d'un assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement, qui ne peut être ni l'auteur du compte rendu établi à la suite d'un incident, ni l'auteur du rapport établi à la suite de ce compte rendu, constitue une garantie reconnue au détenu, dont la privation est de nature à vicier la procédure, alors même que la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires, prise sur le recours administratif préalable obligatoire exercé par le détenu, se substitue à celle du président de la commission de discipline. A cet égard, le juge indique que si le requérant affirme n'avoir pas été mis en mesure de s'assurer du respect de cette garantie, au motif que le registre des sanctions ne mentionnait que les premières lettres du prénom et du nom de famille du premier assesseur, c'est sans erreur que la cour administrative d'appel a jugé que les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale autorisaient l'administration pénitentiaire à occulter l'identité du premier assesseur et que les mentions figurant dans le registre des sanctions permettaient de s'assurer que les garanties prévues par les articles R. 57-7-8, R. 57-7-13 et R. 57-7-14 de ce code avaient été respectées.

Également, si les dispositions de l'art. R. 57-6-9 du code de procédure pénale permettent à l'administration pénitentiaire de ne pas communiquer à la personne détenue certains éléments du dossier au cours de la phase préalable à l'intervention d'une décision administrative défavorable, ces dispositions, comme d'ailleurs dans le cas particulier où est envisagée l'infliction d'une sanction celles de l'article R. 57-7-16, ne sont pas applicables à l'information de la personne détenue quant à la composition même de la commission de discipline.  Au reste, sont applicables en ce cas les dispositions de l'art. L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, obligeant à communiquer à tout intéressé le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire une demande ou de traiter l'affaire qui le concerne, c'est sous réserve de la faculté d'opposer l'anonymat de l'agent dans un souci de sécutité publique ou de sécurité des personnes. Cependant, en l'espèce, la cour, pour la mise en oeuvre de cette anonymisation, s'est fondée, à tort, sur les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale, applicables seulement à la procédure contradictoire antérieure à la réunion de la commission de discipline et régissant notamment l'accès de la personne détenue ou de son avocat aux éléments de la procédure disciplinaire, alors qu'étaient seules applicables les dispositions de la seconde phrase de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Ceci demeure sans incidence du fait de la substitution de motif opérée par le juge de cassation.

Enfin, le demandeur ne saurait invoquer la violation de l'art. 6 de la CEDH ni, s'agissant des poursuites disciplinaires, lesquelles ne constituent pas une « accusation en matière pénale » au sens de ce texte ni, s'agissant d'une contestation portant sur des droits à caractère civil, en raison de la nature administrative de l'autorité infligeant les sanctions disciplinaires.

(23 novembre 2022, M. C., n° 457621)

 

10 - Documents administratifs de portée générale - Absence d'effets sur les personnes autres que celles chargées de leur mise en oeuvre - Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Une instruction ministérielle a été adressée aux préfets de région, les invitant à réaliser une cartographie non contraignante des zones favorables au développement de l'éolien, les informant de la prochaine mise en place d'une charte nationale de bonnes pratiques concertée avec la filière, leur demandant d'informer les collectivités de l'existence de cette charte ainsi que de la possibilité de la décliner localement et d'encourager les projets d'installation à gouvernance locale et citoyenne, etc.

Elle constitue un document de portée générale qui, destiné aux seuls préfets de région en vue de leur impartir des tâches dans le domaine de l'énergie éolienne, n'est pas susceptible d'avoir des effets notables en dehors de ces destinaires, elle ne peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(29 novembre 2022, Association Fédération Environnement Durable et autres, n° 453340)

 

11 - Décisions rendues en matière d'aide juridictionnelle - Actes d'administration de la justice - Absence de caractère de décision administrative - Inapplicabilité de l'art. L. 111-2 CRPA - Rejet.

Les  décisions prises en matière d'aide juridictionnelle ont le caractère de décisions d'administration judiciaire or les actes d'administration de la justice (sur cette notion : J.-C. Ricci, Contentieux administratif, Hachette Supérieur, 5ème édit. § 253) ne constituent pas des décisions administratives.

En conséquence, ne peuvent être utilement développées à leur encontre des conclusions reposant sur leur non respect des dispositions de l'art. L. 111-2 du CRPA.

(29 novembre 2022, M. B., n° 443735)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

12 - Suppression d'une chaîne de télévision - Retrait du droit d'usage des fréquences radioélectriques  accordé pour la diffusion de cette chaîne - Modification en ce sens du cahier des charges d'une société nationale de programme - Représentation de la diversité de la société française - Téléspectateurs placés en situation différente - Rejet.

La requête poursuivait l'annulation du 12° de l'article 2 et de l'art. 5 du décret du 14 août 2020 portant modification du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions, de la décision du 19 août 2020 du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) abrogeant la décision du 11 mai 2010 modifiée attribuant à la société nationale de programme France Télévisions une ressource radio-électrique pour la diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique du service de télévision dénommé France Ô ainsi que de plusieurs autres décisions.

Le recours est rejeté.

Tout d'abord, contrairement à ce qui est soutenu, le cahier des charges fixant les obligations des sociétés nationales de programme est établi par décret après avis du CSA, sans que ne s'impose, préalablement à l'intervention d'un tel décret, l'organisation d'une consultation publique. Seule est soumise à une telle consultation la décision du CSA qui accorde des autorisations relatives à l'usage de ressources radioélectriques.

Ensuite, cette suppression ne fait pas obstacle à la mission dévolue à France Télévisions d'assurer une représentation de la diversité de la société française notamment dans sa composante ultra-marine, et d'améliorer la représentation et la visibilité des outre-mer. Au reste, la modification litigieuse du cahier des charges impose à cette société des obligations de diffusion, sur les chaînes de télévision nationale qu'elle propose, de programmes télévisés ultra-marins plus précises en matière de fréquence et de contenu, et met également à sa charge une obligation d'investissement dans la production documentaire locale, enfin, elle confie également à la société France Télévisions le développement du portail numérique « outre-mer la 1ère » qui permet d'accéder à un ensemble de services régionaux généralistes de télévision et de radio diffusés en outre-mer. 

Enfin, il n'y a pas d'illégalité à traiter différemment des téléspectateurs placés dans des situations différentes au regard du service.

(17 novembre 2022, M. A., n° 447154)

 

13 - Décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) - Régime des offres composites - Contribution au développement de la production audiovisuelle et cinématographique - Absence de distorsion de concurrence ou d'atteinte aux principes d'égalité et de sécurité juridique - Rejet.

Rejet du recours en annulation dirigé contre le décret n° 2021-793 du 22 juin 2021  relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, notamment les articles 5, 10, 15, 21 et 22.

Tout d'abord la société requérante ne saurait soutenir l'illégalité de l'art. 5 de ce décret qui prévoit que lorsque l'éditeur concerné n'a pas conclu de convention avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), il lui appartient de faire connaître à cette autorité, à sa demande, les éléments permettant de déterminer les obligations qui lui incombent en matière de contribution au développement de la production audiovisuelle, sous peine de sanction pécuniaire. En effet, ces dispositions sont applicables à l'ensemble des éditeurs des SMAD qui ne sont pas établis en France ou qui ne relèvent pas de sa compétence mais qui entrent dans leur champ d'application. En particulier, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de cet article 5 seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation faute de prévoir les moyens propres à assurer leur application alors qu'elles définissent la procédure applicable lorsqu'il n'a pas été signé de convention entre l'éditeur et l'ARCOM, y compris dans le cas des éditeurs de services, dont l'utilisateur bénéficie, sans pouvoir y renoncer, de services complémentaires d'une autre nature ne requérant pas la souscription d'un abonnement.

Elle ne saurait davantage soutenir l'illégalité de l'art. 10 du décret en ce qu'il exonère les SMAD, autres que les services de télévision de rattrapage, qui n'atteignent pas un certain seuil d'audience et de chiffre d'affaires de toute contribution au développement de la production audiovisuelle et cinématographique, alors qu'il ne serait pas prévu d'exonération analogue pour les autres catégories de services soumis à cette contribution. En effet, cette différence de traitement découle directement du 6 de l'article 13 de la directive du 14 novembre 2018 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels. En outre, il résulte des pièces du dossier que, postérieurement au décret attaqué, un critère de seuil d'audience et de chiffre d'affaires a été introduit, s'agissant des services de télévision n'utilisant pas des fréquences assignées par l'ARCOM, par l'article 2 du décret du 30 décembre 2021 relatif à la contribution cinématographique et audiovisuelle des éditeurs de services de télévision distribués par les réseaux n'utilisant pas des fréquences assignées par l'ARCOM. 

Pas davantage il ne saurait être soutenu que les dispositions de l'art. 15 du décret litigieux portent une atteinte illégale au principe de concurrence ou créent une distorsion illégale de concurrence

Enfin, les art. 21 et 22 dudit décret ne portent atteinte ni au principe d'égalité ni à celui de sécurité juridique.

(23 novembre 2022, Société Métropole Télévision, n° 455791)

 

14 - Système national des données de santé (SNDS) - Groupement d'intérêt public  «Plateforme des données de santé » - Décret du 29 juin 2021 relatif au traitement des données de santé - Rejet.

La requérante demandait l'annulation du décret n° 2021-848 du 29 juin 2021 relatif au traitement de données à caractère personnel dénommé « Système national des données de santé ».

Le Conseil d'État rappelle tout d'abord les trois exigences fondamentales découlant du droit de l'Union en matière de traitement des données à caractère personnel telles que les énonce le § 1 de l'art. 5 du règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (dit RGPD) :

1° les données à caractère personnel doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités.

2° Ces données sont soumises au principe de «  minimisation des données » et doivent donc être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.

3° Ces données doivent être traitées de façon à garantir aux personnes concernées une sécurité appropriée.

C'est à l'aune de cette triple exigence qu'est examinée la juridicité de chacun des chefs de griefs développés par la requérante.

S'agissant du transfert de données en-dehors de l'Union européenne, la critique ne saurait prospérer car le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de confier à un prestataire déterminé, notamment à une société du groupe américain Microsoft, la réalisation de prestations nécessaires au fonctionnement du SNDS. Le décret n'est ainsi pas contraire au RGPD.

Par ailleurs, il se déduit de l'arrêt de la CJUE du 16 juillet 2020 (Data Protection Commissioner contre Facebook Ireland Ltd et Maximillian Schrems, aff. C-311/18), que, en l'absence, d'une part, de décision d'adéquation de la Commission européenne prise sur le fondement de l'article 45 du RGPD et, d'autre part, de garanties appropriées, de droits opposables et de voies de droit effectives satisfaisant aux exigences de l'article 46 du même règlement, un transfert de données à caractère personnel reste possible dans les situations particulières mentionnées à l'article 49, notamment pour des motifs importants d'intérêt public.

Sur le grief portant sur les opérations de pseudonymisation, le juge relève, d'une part, que le SNDS ne contient ni les noms et prénoms des personnes, ni leur numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques, ni leur adresse et, d'autre part, que ses données sont traitées pour prendre la forme de statistiques agrégées ou de données individuelles constituées de telle sorte que l'identification, directe ou indirecte, des personnes concernées y est impossible.

La mise à la disposition de la Plateforme des données de santé d'une copie de la base principale est critiquée en vain par la requérante, la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL) ayant retenu dans son avis sur ce sujet qu'il existait une « nécessité opérationnelle » en ce sens pour une réponse plus efficace et plus rapide de la plateforme aux demandes d'accès aux données en particulier pour la réalisation d'appariements à façon entre la base principale et le « catalogue » (qui est un ensemble de bases de données ne couvrant pas l'ensemble de la population).

Le moyen tiré de ce que la sécurité des données n'est pas non plus retenu tout comme celui relatif aux personnes et aux services autorisés à accéder aux données en l'état des dispositions que comporte à cet égard le code de la santé publique.

Enfin, il ne saurait sérieusement être soutenu que les droits des personnes concernées ne sont pas garantis en l'état des dispositions litigieuses et au regard des objectifs importants d'intérêt public énumérés au III de l'article L. 1461-1 du code de la santé publique ainsi que de la pseudonymisation  qui justifient, sans disproportion, le refus, sauf pour le « catalogue », du droit d'opposition.

(23 novembre 2022, Association InterHop, n° 456162)

 

15 - Mise en demeure du CSA (ARCOM) - Service de communication rendant accessibles aux mineurs des contenus pornographiques - Mise en demeure indissociable de la procédure susceptible d'être engagée devant le juge judiciaire - Incompétence de la juridiction administrtative - Irrecevabilité.

La société requérante, qui diffuse sur son service de communication au public «Pornhub» du contenu pornographique accessible aux mineurs s'est vue mettre en demeure par le président de l'ex-CSA devenu ARCOM de prendre toutes mesures de nature à assurer qu'elle se conforme aux dispositions de l'article 227-24 du code pénal. 

Elle saisit le Conseil d'État d'un recours en annulation de cette mise en demeure.

Le recours est rejeté pour irrecevabilité car la mise en demeure n'est pas détachable  de la procédure susceptible d'être engagée, faute pour son destinataire d'y déférer, par le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique devant le tribunal judiciaire. Constituant indivisément avec la saisine du juge judiciaire une procédure se déroulant devant ce dernier, la mise en demeure ne saurait relever du juge administratif.

(29 novembre 2022, Société MG Freesites Ltd, n° 463163)

(16) V. aussi, identique, à propos du site «Xvideos» : 29 novembre 2022, Société Webgroup Czech Republic, n° 459942.

(17) V. encore, identique, à propos du site «Xnxx» : 29 novembre 2022, Société NKL Associates s.r.o, n° 459941.

 

18 - Propos tenus à l'antenne d'une chaîne de télévision par un professeur de médecine - Propos scientifiquement controversés ou contredits en matière d'épidémie - Mise en demeure du CSA  rappelant l'obligation d'honnêteté et de rigueur dans le traitement de l'information - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de qualification des faits que le CSA (ARCOM) a adressé une mise en demeure à des chaînes de télévision de se conformer à leur obligation d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information ainsi qu'à leur obligation de veiller à l'expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse, obligations résultant de la convention qu'elles ont conclue avec le CSA et des termes mêmes de l'art. 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

En l'espèce s'était déroulée une émission au cours de laquelle, sans être contredit par un quelconque autre participant, un célèbre professeur de médecine avait énoncé un certaine nombre d'affirmations scientifiques très controversées voire inexactes. Les chaînes concernées étaient tenues d'assurer un meilleur équilibre des débats et cela d'autant plus que les collaborateurs de l'émission, s'ils ont occasionnellement mis en doute ses propos, ne leur ont pas apporté une contradiction suffisante et, à plusieurs occasions, se sont au contraire attachés à l'encourager à développer sur ces sujets de santé publique, dans un contexte de pandémie qui appelait pourtant de leur part une vigilance particulière, des thèses non conformes aux données de la science, dont il était connu comme l'un des principaux porte-parole.

(29 novembre 2022, Société Diversité TV, n° 452762 ; Société Radio Monte Carlo (RMC), n° 452763)

 

Biens et Culture

 

19 - Circulaire étendant la compétence des juridictions du littoral spécialisées aux infractions d'atteintes aux biens culturels maritimes – Contestation d’une fiche annexée à cette circulaire – Acte non réglementaire et dépourvu de portée juridique ou d’effets notables – Rappel de textes en vigueur – Absence d’illégalités – Rejet.

La requérante poursuivait l’annulation de la décision implicite du ministre de la justice refusant de faire droit à sa demande d'abrogation de la circulaire du 18 avril 2017 relative à l'extension de la compétence concurrente des juridictions du littoral spécialisées aux infractions d'atteintes aux biens culturels maritimes, notamment de la fiche intitulée « Le traitement judiciaire des atteintes au patrimoine culturel, archéologique et historique » qui lui est annexée.

Le recours est, à vrai dire sans surprise, rejeté.

D’abord, la fiche technique est sans caractère réglementaire et dépourvue, à raison des considérations générales qu’elle contient, de portée juridique ou d'effets notables.

Ensuite, cette fiche, en indiquant que « les trouvailles réalisées au moyen d'un détecteur de métaux et sans autorisation ne peuvent être reconnues comme des découvertes fortuites », n’est pas en contradiction avec la définition de la « découverte fortuite » par l'art. L. 510-1 du code du patrimoine.

Également, la fiche technique, en rappelant la réglementation de l'utilisation des détecteurs de métaux, n'interdit ni ne limite la commercialisation des détecteurs de métaux, mais soumet simplement à autorisation certains de leurs usages sans méconnaître les art. 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Enfin, si la circulaire rappelle qu'en vertu du code du patrimoin, l'État est propriétaire des biens archéologiques mobiliers mis au jour à la suite d'opérations de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites, un tel régime, qui s'applique à des biens sur lesquels aucun droit de propriété ne peut être invoqué par les utilisateurs de détecteurs de métaux et est motivé par la volonté de protéger le patrimoine archéologique, ne méconnaît ni l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH, ni l'article 14 de cette convention. 

(2 novembre 2022, Fédération française de détection de métaux, n° 446688)

 

20 - Contrat conclu entre un aménageur et un opérateur chargé de fouilles – Obligation d’exécution conformément aux prescriptions édictées par l’État – Absence de modification automatique du contrat de ce seul fait – Rejet.

(2 novembre 2022, Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), n°450930)

V. n° 26

 

21 - Association de lutte pour la restitution d'objets d'art volés ou mal acquis par des particuliers ou des personnes publiques - Demande de déclaration d'inexistence d'un inventaire - Absence d'intérêt donnant qualité pour agir contre l'inscription de tels biens - Rejet.

L'association requérante a pour objet « de favoriser et obtenir la restitution ou le retour à leurs légitimes propriétaires ou ayants droits, des biens culturels spoliés, acquis ou appropriés frauduleusement, irrégulièrement ou illégitimement, de manière directe ou indirecte, tant par des personnes privées que par des États ou personnes morales de droit public, notamment durant les différentes périodes de conflits armés ou de colonisation, en quelque lieu qu'ils se trouvent, y compris dans les musées nationaux ».

Elle demande que soit déclarée inexistante l'inscription à l'inventaire du musée chinois du château de Fontainebleau des objets issus du pillage par les troupes françaises, le 18 octobre 1860, du Palais d’Été de l'empereur de Chine.

Le Conseil d'État commence par indiquer que les inventaires des biens propriété de l'État dont les musées nationaux sont les affectataires, qui ont pour objet de les recenser en vue de les soumettre aux dispositions légales et réglementaires applicables aux collections permanentes des musées qui font partie du domaine public mobilier de l'État, ne constituent pas des actes réglementaires. En conséquence leur contestation ne relève pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'État.

Toutefois, il fait ici application des dispositions dérogatoires de l'art. R. 351-4 du CJA qui permettent à toute juridiction administrative de droit commun, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, de rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance.

Il déduit des stipulations statutaires citées plus haut qu'elles ne sont pas de nature à conférer à l'association requérante un intérêt lui donnant qualité pour agir devant le juge de l'excès de pouvoir afin de contester l'inscription de biens acquis dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre à l'inventaire des biens propriétés de l'État dont un musée national est affectataire, seules les personnes qui estimeraient en être les légitimes propriétaires ayant intérêt, le cas échéant, à la restitution de ces biens. 

(23 novembre 2022, Association International Restitutions, n° 463108)

(22) V. aussi, avec même solution, à propos de l'inventaire du département des antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre concernant des objets issus de la mise à sac du musée de Kertch durant la guerre de Crimée (1853-1856) : 23 novembre 2022, Association International Restitutions, n° 465857.

 

Collectivités territoriales

 

23 - Polynésie française – « Loi du pays » - Dispositions n’entrant pas dans le champ des compétences dévolues à ce territoire par la loi organique du 27 février 2004 – Annulation partielle.

Les requérants demandaient tantôt l’annulation de certaines dispositions de la « loi du pays » de Polynésie française, n° 2022-20 du 10 mai 2022, portant mesures fiscales en faveur de certaines mutations tantôt son annulation intégrale.

Certaines des dispositions de ce texte, notamment celles visées par le haut-commissaire du territoire sont annulées, le surplus des demandes étant rejeté.

L'article 19 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, prise sur le fondement direct de l’art. 74 de la Constitution, permet à la Polynésie française de subordonner à déclaration certains transferts entre vifs de propriétés foncières situées sur son territoire ou de droits sociaux et, dans le but de préserver l'appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française et l'identité de celle-ci, et de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels, et d'exercer son droit de préemption sur les propriétés foncières ou les droits sociaux y afférents faisant l'objet de la déclaration de transfert.

Il est jugé en conséquence que, dans le domaine de la propriété foncière, la Polynésie française peut, dans la mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre du principe d'autonomie, déroger au principe constitutionnel d'égalité au bénéfice de personnes justifiant d'une durée suffisante de résidence en adoptant des mesures relevant des deux catégories prévues à l'article 19 de la loi organique.

S’agissant des D, F et I de son art. 1er et de l’art. 3 litigieux, il résulte de l’art. 19 précité qu’aucune mesure de nature fiscale n’y est prévue. Ainsi, faute de disposition de la loi organique l'y autorisant, la Polynésie française ne pouvait légalement prendre, en faveur de personnes justifiant d'une certaine durée de résidence, des mesures de nature fiscale qui auraient été justifiées par les nécessités locales en matière de protection du patrimoine foncier. 

(9 novembre 2022, Haut-commissaire de la République en Polynésie française, n° 464367 ; Mme C. et M. E., n° 464618 ; Société Isis Polynésie, n° 464699 ; Fédération polynésienne des agents immobiliers et autres, n° 464762 ; Société Les Jardins de Tetavake, société Te Aolani et société Harbour Side, n° 464802 ; M. et Mme O., n° 464804 ; Société Aito Immobilier, n° 464809 ; M. et Mme A., n° 464867 ; M. et Mme T., n° 464868 ; M. et Mme K., n° 464870 ; M. Y., n° 464871)

 

24 - Élection du président d'un  syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) - Risque de conflit d'intérêts entre cette qualité et d'autres qualités de l'élu - Rejet.

(17 novembre 2022, M. B, Élection du président du SIVOM de la vallée, n° 459554)

V. n° 107

 

Contrats

 

25 - Procédure d’accord-cadre – Candidature rejetée pour exclusion des marchés publics par jugement correctionnel – Condamnation faisant l’objet d’un appel – Impossibilité d’exclure une candidature en cet état de la procédure pénale – Obligation de reprendre la procédure contractuelle au stade de l'examen des candidatures – Rejet.

La ministre des armées a informé une société candidate à un accord-cadre de défense et de sécurité ayant pour objet l'acquisition d'heures de vol, sans équipage, sur hélicoptère civil H225, au profit des équipages de l'armée de l'air et de l'espace, que sa candidature était rejetée en raison de la peine d'exclusion des marchés publics prononcée à son encontre par un jugement correctionnel.

Saisi par l’intéressée le juge des référés a annulé cette décision et enjoint la ministre, si elle entendait poursuivre la passation du marché en litige, de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures.

La ministre se pourvoit et elle est déboutée.

Confirmant l’ordonnance du premier juge, le Conseil d’État constate que la société demanderesse a interjeté appel du jugement correctionnel et l’appel étant suspensif en matière pénale sauf dans le cas, qui n’est pas celui de l’espèce, où le jugement a prononcé l’exécution provisoire des peines non privatives de liberté, et qu’ainsi la ministre des armées ne pouvait légalement se fonder sur la condamnation prononcée à l'encontre de la société pour prendre la décision querellée.

(2 novembre 2022, ministre des armées, n° 464479)

 

26 - Contrat conclu entre un aménageur et un opérateur chargé de fouilles – Obligation d’exécution conformément aux prescriptions édictées par l’État – Absence de modification automatique du contrat de ce seul fait – Rejet.

Le préfet de la région Haute-Normandie ayant prescrit à la société Quai Sud la réalisation de fouilles archéologiques préventives préalablement à la construction d'un complexe immobilier, celle-ci a conclu avec l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) un contrat de fouilles archéologiques pour un prix fixé pour une tranche ferme. La découverte d’une pollution des sols a conduit les services de l’État à modifier les conditions de réalisation des fouilles en réduisant le périmètre de celles-ci.

En fin de chantier la société requérante a sollicité de l’INRAP une diminution de prix. Ce qui lui a été refusé, générant un contentieux.

En première instance, la société a été déboutée tandis qu’en appel la cour a diminué de moitié le montant des titres exécutoires que l’INRAP avait émis à son encontre.

L’INRAP se pourvoit.

Pour annuler l’arrêt d’appel le Conseil d’État se livre à une démonstration curieuse en deux temps.

En premier lieu, le juge relève, au visa de diverses dispositions du code du patrimoine (L. 522-1 et L. 523-9, et R. 523-42, 523-44, 523-47 et 523-60), que « le contrat conclu entre l'aménageur qui projette de réaliser des travaux et l'opérateur chargé de la réalisation des fouilles, qui a pour objet l'exécution des prescriptions édictées par l’État, doit être élaboré et exécuté conformément à ces dernières et sous le contrôle des services de l' État, y compris lorsque les prescriptions sont modifiées au cours de l'exécution du contrat. »

En second lieu, le juge indique « (…) il ne résulte pas de ces dispositions que la modification de ces prescriptions entraînerait, par elle-même et sans l'intervention des parties, la modification de leur contrat. »

D’où cette conclusion que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que les prescriptions de l’État réduisant le périmètre des fouilles avaient eu pour effet de modifier le contrat et donc les prestations qu’il prévoyait. Or, selon le juge de cassation, ces nouvelles prescriptions « ouvraient seulement la possibilité pour les parties de modifier les termes du contrat ».

Ainsi donc, la réduction unilatérale de prestations contractuelles ne constituerait pas une modification du contrat qui les contient et cela alors que l’INRAP était tenu d’exécuter ces prescriptions complémentaires.

La solution est confondante : qu’est-ce qu’un contrat en dehors des prestations qu’il comporte, c’est-à-dire des droits et obligations qu’il crée ? Certes le juge précise que les parties étaient libres de modifier le contrat mais, précisément, il n’y avait pour elles aucune obligation à le faire et la société demanderesse n’aurait pas pu imposer le maintien – et donc le respect – du contrat à l’INRAP puisqu, d'une part, celui-ci est obligé d’exécuter les exigences de l’État e, d'autre part, la société est obligée de s’y soumettre. Où est la possibilité de modifier, ou non, le contrat ? C’est du Pierre Dac… parce qu’à première lecture on a l’impression d’un jeu de mots façon Almanach Vermot.

Ne reste plus à la société qu’à introduire une action en enrichissement sans cause : voilà une bien grande complication pour réparer une injustice flagrante qui oblige une entreprise à payer une somme qu’elle ne doit pas, principe dont on enseigne qu’il est, selon le Conseil d’État et même pour les personnes privées (Section, 17 mars 1978, Société entreprise Renaudin, AJDA 1979, n° 4 p. 41, note F. Chevalier), un principe général du droit…

(2 novembre 2022, Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), n°450930)

 

27 - Transaction – Intervention au cours d’une procédure de mise en concurrence – Effets – Étendue du contrôle du juge de cassation – Examen de candidatures – Motivation d’une candidature non retenue – Rejet.

La société Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire dans laquelle sont associés les individus requérants a constitué, à parts égales avec le Groupe hospitalier du Havre, un groupement de coopération sanitaire, afin d'utiliser en commun des équipements de médecine nucléaire au sein des locaux du Groupe hospitalier du Havre et, en particulier, des gamma-caméras et un appareil de tomographie à émissions de positons couplé à un appareil de tomodensitométrie. En décembre 2012, le Groupe hospitalier du Havre a notifié au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire son retrait du groupement à effet du 1er janvier 2015, entraînant la dissolution de celui-ci et mettant fin à l'autorisation d'installation du tomographe à émission de positons détenue par le groupement.

Au cours du préavis, le Groupe hospitalier du Havre a formé, le 20 juin 2014, avec le centre régional de lutte contre le cancer Henri Becquerel, un nouveau groupement de coopération sanitaire, le groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre.

L'accord sur le transfert de l'autorisation d'installation accordée pour le tomographe à émission de positons ayant échoué, l'agence régionale de santé (ARS) de Haute-Normandie a ouvert en 2014 un appel à candidatures pour l'octroi d'une autorisation d'installation de cet équipement sur le territoire de santé du Havre. La société Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire et le groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre ont, chacun, déposé une demande d'autorisation. Le directeur général de l'ARS a accordé l'autorisation au groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre et l'a refusée au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire. Ces deux décisions ont été annulées par un jugement du tribunal administratif de Rouen du 19 juin 2017 dont les effets ont été reportés au 15 mars 2018. A la suite de quoi, après y avoir été invités, les deux candidats ont réitéré leurs candidatures.

Durant ce temps, le 30 novembre 2017, la société Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire et ses associés et le Groupe hospitalier du Havre ont signé un « protocole d'accord transactionnel », afin de mettre un terme aux différends les opposant sur trois points :  le retrait des médecins libéraux et du Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire du site du Groupe hospitalier du Havre leur permettant une délocalisation effective vers un autre site sans rupture de l'offre de soins, les autorisations d'exploiter les trois gamma-caméras installées dans les locaux du service de médecine nucléaire du Groupe hospitalier du Havre, et l'autorisation d'exploiter un appareil de tomographie à émission de positons sur le territoire de santé du Havre.

Cet accord comportait la renonciation irrévocable des parties à toutes réclamations, instances ou actions de quelque nature que ce soit, pendant cinq ans, portant sur ces trois points, en particulier contre l'autorisation d'exploiter un appareil de tomographie à émission de positons sur le territoire de santé du Havre qui serait accordée à l'une des parties ou à un groupement dont l'une des parties serait membre.

Par ses décisions du 31 janvier 2018, la directrice générale de l’ARS a, accordé l'autorisation d'installation du tomographe à émission de positons au groupement de coopération sanitaire précité et l'a refusée au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire.

La cour administrative d’appel ayant confirmé le jugement rejetant les demandes du Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire, de MM. C., E. et B., et de la société de fait « Sonnet-Patrois-Halley » tendant à l'annulation de ces décisions, ces derniers se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État rejette les griefs dirigés contre l’arrêt attaqué tant en ce qu'il porte sur l'autorisation accordée au groupement de coopération sanitaire Centre Henri Becquerel - Groupe hospitalier du Havre (I) qu’en ce qu’il concerne le refus d'autorisation opposé au Centre havrais d'imagerie médicale nucléaire (II).

 

I - Sur le premier point, le Conseil d’État, de manière très innovante, applique les conséquences tirées par le Code civil (art. 2044 et 2052) de la conclusion d’un contrat de transaction dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence.

Tout d’abord, l’administration dispose du pouvoir de transiger, à certaines conditions strictes, en vue de prévenir ou d’éteindre un litige (outre le Code civil, voir art. L. 423-1 du CRPA). Ensuite, une telle convention peut être conclue entre une ARS et une entité ayant sollicité de la part de cette dernière la délivrance d’une autorisation y compris lorsque cette agence elle-même est candidate à une autorisation en matière d'installation d'équipements matériels lourds et qu'une personne a formulé une demande concurrente. Enfin, cette transaction peut intervenir durant l'instruction par l’ARS des candidatures à cette autorisation en vue de prévenir toute contestation à naître entre les candidats sur la décision octroyant l'autorisation. Or, en l’espèce, c’est bien pendant qu’était en cours l’instruction par l’ARS des deux seules candidatures en vue de l’autorisation d'exploiter un appareil de tomographie à émission de positons sur le territoire de santé du Havre qu’est intervenue la transaction litigieuse : c’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que la clause de renonciation à recours pouvait être opposée aux demandeurs.

Par ailleurs, pour contester non plus la portée mais la validité du contrat de transaction, les requérants faisait valoir que celle-ci était irrégulière en l’absence de leur consentement à cet acte du fait de la contrainte économique qu’aurait exercée le groupe hospitalier du Havre ou l'agence régionale de santé. Le juge de cassation approuve la cour d’avoir rejeté ce moyen en l’absence dans le dossier de tout élément en ce sens et ce d’autant plus que les ultimes négociations avaient précisément porté sur le périmètre de la clause de renonciation à recours. Ce jugeant, il convient de relever que le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits en cas d’allégation d’un vice du consentement lors de la conclusion d’une transaction.

 

II. Sur le second point, le juge reconnaît à l’administration, à défaut de tout autre motif opposable, le pouvoir de jauger – au titre de son pouvoir général d’appréciation - les mérites respectifs des candidatures au regard des besoins de santé de la population identifiés par le schéma régional applicable.

Ici, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel  a relevé que ce schéma n’autorisait dans le périmètre concerné qu’un seul équipement de tomographe à émission de positons, que le groupement de coopération sanitaire satisfaisait aux conditions requises et qu’ainsi l’ARS avait pu fonder le refus d’autorisation opposé au Centre havrais en retenant que l'équipement était déjà implanté sur le site de l'hôpital Jacques Monod du Groupe hospitalier du Havre, que celui-ci en était le propriétaire, qu'il était exploité par les médecins du groupement de coopération sanitaire dans des conditions de fonctionnement répondant aux besoins de santé de la population et que le maintien de l'autorisation au groupement de coopération sanitaire éviterait toute rupture dans la prise en charge des patients et qu’elle en a in fine déduit que cette décision n'était pas discriminatoire et ne portait pas atteinte au principe de mise en concurrence.

(7 novembre 2022, MM. E., B. et C., société Centre havrais d'imagerie nucléaire et la société « Sonnet-Patrois-Halley », n° 454495)

 

28 - Marché public de nettoyage et de dégazage de soutes à hydrocarbures de bâtiments de la Marine nationale - Demande de communication de pièces - Demande intempestive - Pièces jugées non couvertes par le secret des affaires - Annulation.

Le tribunal administratif, sollicité en ce sens par une société évincée de l'attribution d'un marché public de nettoyage et de dégazage des soutes à hydrocarbures des bâtiments de la Marine nationale situés à Toulon, a annulé les décisions du directeur du service de soutien de la flotte de Toulon refusant la communication du diplôme de chimie et des qualifications dans l'expertise de la société attributaire du marché litigieux et a enjoint à la ministre des armées de communiquer à la société demanderesse ces documents, après occultation du nom du titulaire du diplôme.

La ministre s'est pourvue, avec succès, contre ce jugement.

Tout d'abord, le juge de cassation aperçoit une dénaturation des pièces du dossier dans la partie du jugement ordonnant la communication des titres d'études professionnelles de la société attributaire du marché, en partriculier le diplôme de chimie, alors que la ministre avait indiqué sans être contredite ne pas disposer d'un tel document et qu'aucune pièce du dossier n'en attestait l'existence et que, en particulier, l'avis d'appel public à la concurrence exigeait seulement la communication des titres d'études professionnelles permettant d'attester de la capacité technique et professionnelle du candidat dans le domaine du marché public, et non nécessairement d'un diplôme d'études supérieures de chimie.

Ensuite, le juge de cassation relève une erreur de droit dans la partie du jugement  ordonnant la communication des qualifications dans l'expertise de la société attributaire du marché au motif qu'il s'agissait de documents communicables n'entrant pas dans le champ du secret des affaires protégé par les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations du public avec l'administration, au motif qu'elles ne concernaient ni le secret des procédés techniques de fabrication, ni le secret des informations financières de l'entreprise, ni le secret des stratégies commerciales de l'entreprise. En efffet, l'avis d'appel à la concurrence n'exigeait pas des entreprises candidates au marché en cause la production d'une certification en particulier mais demandait seulement de fournir « des certificats établis par des instituts ou services officiels chargés du contrôle de la qualité et habilités à attester la conformité des fournitures par des références à certaines spécifications techniques, ou toutes autres preuves de mesures équivalentes de garantie de la qualité » et « les certificats de qualification professionnelle établis par des organismes indépendants ou tout moyen de preuve équivalent ». Il incombait donc au tribunal  de rechercher si les certificats produits par la société attributaire à l'appui de sa candidature ne comportaient pas des éléments relatifs aux moyens humains de l'entreprise de nature à révéler des choix stratégiques couverts par le secret des affaires.

Ce second motif de cassation nous semble beaucoup moins convaincant que le premier.

(22 novembre 2022, ministre des armées, n° 456554)

 

29 - Délégation de la gestion du service public de traitement des eaux usées d'une commune - Action en réparation du préjudice causé au candidat évincé - Délai de recours contentieux inopposable, délai raisonnable substitué par la règle de la prescription quadriennale - Indemnisation en cas d'offre irrégulière - Notion d'offre irrégulière - Détermination du montant de l'indemnité de réparation en l'absence de contestation de celui-ci par la défenderesse - Rejet.

C'est une très intéressante décision que rend ici la dixième chambre de la section du contentieux du Conseil d'État dans un litige en indemnisation du préjudice subi par une société évincée de l'attribution d'une délégation du service public municipal de traitement des eaux usées.

Deux ordres de questions étaient posés au juge.

En premier lieu, il fallait déterminer si la demande de réparation formée en première instance était entachée, ou non, de forclusion pour tardiveté. Réitérant une solution désormais bien établie, le juge de cassation rappelle que si, dans le cas de connaissance défectueuse d'une décision administrative le principe de sécurité juridique conduit à appliquer la règle dite du «délai raisonnable», dont la durée est généralement d'un an, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique et que doit lui être substituée celle de la prescription quadriennale (cf. loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, art. 1er) ou, en cas de dommages corporels, celle de l'art. L. 1142-28 du code de la santé publique. La requérante était donc, ainsi que jugé par le tribunal, dans les délais lorsqu'elle l'a saisi.

En second lieu, la commune défenderesse objectait le caractère irrégulier de l'offre présentée par la demanderesse pour s'opposer  à sa demande d'indemnisation ainsi que le défaut de caractère probant des extraits du compte prévisionnel d'exploitation figurant dans l'offre de la société.

Le raisonnement conduisant au rejet de ces deux moyens est également très intéressant.

Tout d'abord, le juge interprète les dispositions de l'art. L. 2152-2 du code de la commande publique définissant la notion d'« offre irrégulière » comme emportant cette conséquence que le candidat évincé de la procédure de passation d'un contrat de commande publique dont l'offre était irrégulière ne peut, de ce seul fait, être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'obtenir le contrat, y compris lorsque l'offre retenue était tout aussi irrégulière, et n'est pas fondé, par suite, à demander réparation du préjudice en résultant. Puis, examinant l'affaire en cause, il relève, pour juger l'absence de caractère irrégulier de l'offre du candidat évincé, que l'examen des moyens techniques et humains qu'un opérateur économique entend consacrer à l'exécution d'un contrat de la commande publique relève de l'appréciation de la valeur technique de l'offre et la circonstance invoquée ici  par la commune ne suffisait pas à caractériser une irrégularité de l'offre au sens des dispositions précitées du code de la commande publique.

Ensuite, la commune, pour rejeter le chiffrage de son préjudice par la société demanderesse, faisait valoir le défaut de caractère probant des extraits du compte prévisionnel d'exploitation figurant dans l'offre de cette société, produits par celle-ci pour justifier de son manque à gagner, au motif que ces documents avaient été établis par la société elle-même. Toutefois, contrairement aux principes élémentaires de procédure gouvernant la charge de la preuve, la commune défenderesse ne discutait aucun des montants ainsi produits, alors qu'il lui aurait été loisible de le faire, au regard notamment des taux de marge nette habituellement constatés dans ce secteur d'activité ou encore des résultats de l'ancien titulaire de la délégation. Par suite, la cour n'a pas dénaturé les pièces qui lui étaient soumises en considérant que les chiffres du tableau intitulé « Estimation du manque à gagner relatif à la perte du marché » produit par la société n'étaient pas sérieusement discutés par la commune et en retenant leur caractère probant.

(22 novembre 2022, Commune de Dumbéa, n° 454480)

 

30 - Appel d'offres - Présentation d'une offre améliorée - Régime et effets - Rejet.

Le III de l'article 58 de la loi du 10 août 2018 dite pour un État au service d'une société de confiance, a créé, lorsque les capacités de production ne répondent pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie, notamment ceux concernant les techniques de production et la localisation géographique des installations, une procédure de mise en concurrence particulière dite « d'offre améliorée »  se situant après les procédures de mise en concurrence et avant la signature du contrat. Cette procédure permet au candidat retenu d'améliorer son offre à l'invitation du pouvoir adjudicateur notamment en diminuant le montant du tarif d'achat, en modifiant les modalités de révision ou de versement de ce tarif ou en réduisant la puissance de l'installation, le cas échéant par dérogation à certaines dispositions du cahier des charges. L'acceptation de cette offre par l'autorité compétente impose la modification du cahier des charges en résultant et s'impose au contrat à conclure entre le candidat et EDF.

La requérante demandait l'annulation de la décision par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a accepté l'offre améliorée présentée par la société EMYN pour la réalisation d'un parc éolien au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier. Le recours est rejeté.

Par application du principe du parallélisme des formes et des compétences, il est d'abord jugé que le ministre compétent pour demander l'amélioratiopn de l'offre l'est aussi pour l'accepter.

Ensuite, l'obligation que soit rendu par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) un avis sur le cahier des charges afférent à la procédure d'appel d'offres prévue par le 1° de l'article R. 311-12 du code de l'énergie, et, le cas échéant, un autre avis sur toute modification substantielle de ce cahier des charges ne s'applique pas - contrairement à ce que soutient la demanderesse - à la procédure d'appel d'offre améliorée.

Également, la procédure d'amélioration de l'offre du candidat, qui intervient en aval de l'appel d'offres permettant de départager les candidats selon une procédure objective, transparente et non discriminatoire, et qui a permis au cas d'espèce de tenir compte de l'évolution des conditions économiques d'exploitation des parcs éoliens en mer pour diminuer le tarif d'achat de l'électricité ainsi produite, ne porte par elle-même aucune atteinte aux principes de transparence et d'égalité de traitement des candidats. Elle n'avait pas à être précédée d'une nouvelle mise en concurrence quand bien même elle devait entraîner une modification substantielle du cahier des charges. Elle ne contrevient donc pas aux principes énoncés à l'article 8 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et repris à l'article L. 311-10-1 du code de l'énergie.

Enfin, il ne saurait être soutenu que le ministre acceptant a commis une erreur manifeste d'appréciation en acceptant une offre dont l'amélioration se traduit par la diminution de 40 % du tarif d'achat d'électricité initialement fixé alors même que la requérante fait valoir que ce tarif reste supérieur à la moyenne européenne des tarifs de l'éolien en mer.

(23 novembre 2022, Association « Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu », n° 440628)

 

Droit du contentieux administratif

 

31 - Transaction – Intervention au cours d’une procédure de mise en concurrence – Effets – Étendue du contrôle du juge de cassation – Examen de candidatures – Motivation d’une candidature non retenue – Rejet.

(7 novembre 2022, MM. E., B. et C., société Centre havrais d'imagerie nucléaire et la société « Sonnet-Patrois-Halley », n° 454495)

V. n° 27

 

32 - Demande de permis de construire – Opposition d’un sursis à statuer pour deux motifs -  Premier motif rejeté par les premiers juges, second motif retenu – Juge d’appel annulant le jugement du chef du second motif sans examen du premier – Non-respect du principe d’effet dévolutif de l’appel – Annulation et renvoi.

Un maire ayant opposé un sursis à statuer, fondé sur deux motifs, à une demande de permis de construire un immeuble collectif de neuf logements, les pétitionnaires demandent l’annulation de cette décision. Le tribunal administratif annule le premier motif (le projet n'était pas, à lui seul, eu égard à sa faible ampleur, de nature à compromettre les objectifs du futur plan local d'urbanisme en matière de création de logements sociaux) qu’il juge non fondé mais retient le second (le projet était de nature à compromettre l'objectif de préservation des zones humides poursuivi par la révision du plan local d'urbanisme).

Saisie d’un appel des demandeurs, la cour administrative d’appel annule sur ce point le jugement et donc la décision de sursis. Toutefois, elle ne s’est pas prononcée sur le premier motif non retenu par le jugement.

L’arrêt est cassé en raison de ce qu’il ne respecte pas le principe de l’effet dévolutif de l’appel dans le cas où la décision querellée repose sur plusieurs motifs. De façon sinon totalement nouvelle du moins assez innovante et notablement explicite, le Conseil d’État indique qu’en cette hypothèse lorsqu’un jugement qui a rejeté des conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.

C’est le rappel strict et logique de l’effet dévolutif de l’appel qui impose à la juridiction d’appel, reprenant l’affaire à zéro, d’examiner tous les moyens présentés en première instance, ceux rejetés comme ceux retenus, ceux examinés comme ceux non examinés. En effet, en dépit du principe de procédure civile « Tantum devolutum quantum appellatum et judicatum » (cf., par exemple : Cass. Civ. 3ème, 9 décembre 1960, Société des transports automobiles Baldoni, au Bull. n° 762), en procédure administrative contentieuse, sauf restriction explicite par les parties, l’effet dévolutif est toujours réputé total.

(7 novembre 2022, Commune de Gometz-le-Châtel, n° 455195)

(33) V. aussi, censurant l’arrêt d’une cour d’appel qui, sur le fondement de l’effet dévolutif de l’appel, annule un jugement pour insuffisance de motivation puis, en vertu de son pouvoir d’évocation, annule notamment, dans le cadre de l’examen de la légalité d’un plan local d’urbanisme, une partie de la décision administrative attaquée qui est en réalité divisible du reste de la décision attaquée, en se fondant pour cela sur un moyen soulevé en première instance mais non repris en appel : 7 novembre 2022, Association Sepanso Landes, association Société des Amis de Navarrosse, M. C. et Mme A., n° 461418.

 

34 - Décision de mise à l’isolement d’un détenu – Contrôle réduit du juge administratif – Juge des référés ayant retenu l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de cette mesure – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (prononcé au fond).

Commet une erreur de droit le juge du référé qui ordonne la suspension d’une décision prolongeant la durée de mise à l’isolement d’un individu par l’administration pénitentiaire en retenant l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de cette mesure alors que le juge administratif ne peut exercer sur une telle décision qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation.

Statuant au fond (art. L. 821-1 CJA), le Conseil d’État, au vu des éléments circonstanciés du dossier, n’aperçoit pas en l’espèce d’erreur manifeste d’appréciation et rejette en conséquence le recours.

(ord. réf. 2 novembre 2022, M. A., n° 467601)

 

35 - Intéressée ayant saisi un organisme au nom de sa mère et en qualité de tutrice de celle-ci – Jugement prononcé le 15 juin 2021 – Pourvoi formé le 16 novembre 2021 postérieurement au décès de la mère – Absence de tardiveté en raison de la notification du jugement seulement à la mère – Rejet.

Le département défendeur oppose une fin de non-recevoir au pourvoi en cassation dirigé contre un jugement ayant refusé d’annuler sa décision de refus de prise en charge partielle des frais d'hébergement d’une personne par l'aide sociale départementale. Il estime que le pourvoi a été formé hors délai.

En apparence, il en est bien ainsi, le pourvoi ayant été formé le 16 novembre 2021 contre un jugement prononcé le 15 juin 2021 soit cinq mois après alors que le délai de recours contentieux est de deux mois.

Toutefois, le juge de cassation relève que Mme C., qui avait saisi la commission départementale d'aide sociale (par erreur mais la demande avait été transmise au tribunal administratif) tant en son nom propre qu'en sa qualité de tutrice de sa mère, avait la qualité de partie devant le tribunal administratif. Le jugement de ce tribunal ayant été notifié le 15 juin 2021 à la seule Mme D., pourtant décédée, sans être notifié à Mme C. en sa qualité de tutrice ou en son nom propre non plus qu'à M. C. et M. D., le pourvoi, présenté le 16 novembre 2021 par ces derniers en leur qualité d'héritiers de Mme D. et par Mme C., en sa qualité de partie en première instance, ne saurait être regardé comme tardif. 

(7 novembre 2022, Mme C. et autres, n° 455631)

 

36 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Erreur éventuelle portant sur un aspect du litige emportant annulation par voie de conséquence de l’incompétence de la juridiction saisie – Erreur sans effet sur la solution du litige – Rejet.

A la supposer existante, l’erreur matérielle relevée par la requérante ne portait que sur une annulation par voie de conséquence de l’incompétence de la juridiction saisie au regard du principal du litige. Le recours en rectification d’erreur matérielle ne peut qu’être rejeté.

(9 novembre 2022, Association En toute franchise région PACA, n° 465192)

 

37 - Juridiction recourant à l’avis technique d’un consultant (art. R. 625-2 CJA) – Question ne requérant pas d’investigations complexes – Respect du contradictoire – Erreur de droit – Annulation.

Saisie d’un litige portant sur l’estimation de la consommation supplémentaire d’électricité par la requérante par rapport au contrat la liant à EDF, une cour administrative d’appel, en l’absence de toute complexité dans les investigations à mener, a sollicité l’avis technique d’un consultant qu’elle a désigné conformément aux dispositions de l’art. R. 625-2 du CJA. Puis elle a statué au fond en utilisant l’avis rendu.

La requérante se pourvoit en cassation de cet arrêt motif pris de ce que le consultant n’a pas respecté le contradictoire entre les parties dans la mesure où, s’il a pris connaissances de pièces remises par EDF et entendu ses représentants, il n’a pas pris l’attache de l’association requérante.

Le comportement de la cour se comprend car l’article précité du CJA dispose « (…) Le consultant, à qui le dossier de l'instance n'est pas remis, n'a pas à opérer en respectant une procédure contradictoire à l'égard des parties. (...) ».

Pourtant le juge de cassation aperçoit dans la procédure suivie par la cour une erreur de droit car, écrit-il « Il résulte (des dispositions de l’art. R. 625-2 du CJA) que si le consultant désigné par le juge n'est pas tenu d'élaborer son avis dans le cadre d'une procédure contradictoire, il doit, dès lors qu'il est amené à entendre l'une des parties au procès ou à examiner des pièces produites par elle, associer en principe l'autre partie au procès à ces auditions ou examens, dans toute la mesure où le respect d'un secret, tel que le secret médical ou le secret des affaires, ne s'y oppose pas. (…) ».

Autant dire que, à lire la décision, cet art. R. 625-2 doit être considéré comme un facteur remarquable d’insécurité juridique ; contraire à un principe général de procédure, il est illégal en tant qu’il ne précise pas les limites de l’absence de contradictoire qu’il institue et méritait donc annulation.

A moins que le juge ne soit allé au-delà de l’intention du pouvoir réglementaire qui a tout de même bien précisé l’absence, dans cette procédure, de contradictoire « à l’égard des parties » ?

Si on ajoute à cela que le Conseil d’État est possiblement à l’origine de cette disposition, comme il en est de très nombreuses autres dispositions de ce code, on peut demeurer songeur.

(10 novembre 2022, Association syndicale autorisée (ASA) du canal de Ventavon-Saint-Tropez, n° 456661)

 

38 - Exécution de mesures déjà ordonnées par le juge des référés - Office du juge des référés statuant sur le fondement de l'art. L. 521-4 du CJA - Obligations incombant respectivement au demandeur et à l'administration défenderesse - Limitations strictes des pouvoirs du juge de l'art. L. 521-4 - Rejet.

On regrettera que dans cette décision il soit donné une interprétation aussi stricte de l'office du juge des référés saisi sur le fondement de l'art. L. 521-4 du CJA. Selon ce texte : « Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ».

En l'espèce, la requérant demandait au Conseil d'État d'annuler une ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'elle n'a pas entièrement fait droit à ses demandes tendant à le voir contraindre l'administration pénitentiaire d'exécuter pleinement les injonctions que lui a fait le même juge dans une ordonnance du 4 octobre 2021.

Après avoir indiqué qu'il eût été loisible à la demanderesse de le saisir en se fondant sur les dispositions des art. L. 911-4 et L. 911-5 du CJA tendant à l'exécution des décisions du juge administratif, le Conseil d'État admet qu'il puisse l'être également, comme en l'espèce, sur le fondement de l'art. L. 521-4 de ce code.

Toutefois, et ce sera là le motif du rejet de la requête, il convient, en ce cas, de respecter ce qu'impose l'office du juge saisi sur ce fondement.

Positivement,  il incombe au demandeur « de soumettre au juge des référés tout élément de nature à établir l'absence d'exécution, totale ou partielle, des mesures précédemment ordonnées » et à l'administration, si la demande lui est communiquée, « de produire tout élément en sens contraire, avant que le juge des référés se prononce au vu de cette instruction».

Négativement, et c'est ici que la décision est discutable : 1°/ le juge n'est pas tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction et d'enjoindre l'administration de produire des éléments relatifs à l'exécution des mesures initialement ordonnées en référé au seul motif que l'administration n'aurait pas répondu aux demandes d'information du requérant sur l'exécution de ces mesures ; 2°/ lorsqu'il a prononcé des injonctions à l'égard de l'administration, le juge des référés ne peut imposer à l'administration une obligation d'information du requérant quant à l'exécution de ces injonctions alors que la requérant prétendait voir le juge imposer à l'administration pénitentiaire une obligation d'information périodique de la requérante.

Pour le Conseil d'État, cette conception de l'office du juge ne contrevient pas aux dispositions des art. 3, 6 et 13 de la convention EDH. Cette précision nous semble attester d'un certain embarras du juge.

La solution n'eût pas été la même si le recours s'était fondé sur les dispositions des art. L. 911-4 et L. 911-5 du CJA.

(15 novembre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 466827)

 

39 - Police du camping et du caravaning - Règlement municipal portant interdiction du stationnement des caravanes et de l'implantation d'habitations légères de loisirs sur une partie du territoire communal - Autorisation du camping et du stationnement des caravanes seulement sur des terrains spécialement aménagés - Conclusions irrecevables - Refus d'abrogation - Erreur de droit - Estoppel - Rejet.

Il était demandé l'annulation du refus implicite du préfet des Pyrénées-Orientales d'abroger son arrêté du 2 août 1982 interdisant le stationnement de caravanes et l'implantation d'habitations légères de loisirs à Saint-André, ainsi que le refus implicite du maire de Saint-André d'abroger son arrêté du 28 juillet 2005 interdisant le camping et le stationnement des caravanes.

La commune de Saint-André se pourvoit contre l'arrêt infirmatif annulant le jugement de rejet et les décisions attaquées, et enjoignant le maire de Saint-André de modifier les arrêtés du 2 août 1982 (la compétence en cette matière ayant été, depuis cette date, transférée du préfet au maire) et du 28 juillet 2005 dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Accueillant le pourvoi, le Conseil d'État reproche en premier lieu à la cour administrative d'appel de n'avoir pas soulevé d'office l'irrecevabilité du recours en tant qu'il était dirigé contre l'arrêté préfectoral lequel a été abrogé implicitement mais nécessairement par l'arrêté municipal précité du 28 juillet 2005.

En second lieu, l'arrêté municipal ayant été pris sur le fondement de dispositions du code de l'urbanisme réglementant l'installation des résidences mobiles de loisirs et l'installation des caravanes, dispositions qui ne sont pas applicables aux résidences mobiles qui constituent l'habitat permanent de gens du voyage, la cour a commis une erreur de droit en jugeant illégal l'arrêté querellé interdisant de façon générale, sur l'ensemble du territoire communal, en dehors des zones spécialement aménagées à cet effet, l'installation des caravanes au sens des dispositions précitées du code de l'urbanisme alors que, comme indiqué plus haut, elles ne concernent pas l'installation, sur le territoire communal, des caravanes constituant l'habitat permanent de gens du voyage.

Surtout, nous semble-t-il, il faut relever que le juge, répondant à un moyen de défense des intéressés, indique que ces derniers "ne peuvent utilement se prévaloir en défense du principe de l'estoppel, selon lequel une partie ne saurait se prévaloir de prétentions contradictoires au détriment de ses adversaires".

Ceci semble présager la recevabilité de ce principe lorsqu'il est présenté non comme moyen de défense mais au soutien d'une demande saisissant le juge.

(17 novembre 2022, Commune de Saint-André, n° 453761)

 

40 - Demande urgente et prioritaire d'attribution d'un logement social - Instance pendante devant le tribunal administratif - Requérant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle et donc assisté d'un avocat - Demande de confirmation expresse du maintien des conclusions - Demande adressée non à l'avocat mais au requérant - Irrégularité - Annulation.

Est irrégulière la procédure suivie devant un tribunal  dans les circonstances suivantes.

Le demandeur a obtenu l'octroi de l'aide juridictionnelle aux fins d'introduire une action en annulation du refus d'une commission de médiation de reconnaître le caractère prioritaire et urgent de sa demande de logement social ; il a donc constitué avocat.

Le tribunal a demandé au requérant de confirmer expressément le maintien de ses conclusions dans un délai d'un mois (cf. art. R. 612-5-1 CJA). Constatant l'absence de réponse dans ce délai, il a donné acte au demandeur de son désistement.

L'ordonnance de donné acte est annulée car la demande de confirmation des conclusions prises n'a pas été adressée à l'avocat mais seulement au demandeur.

(17 novembre 2022, M. B. n° 457375)

 

41 - Recours gracieux - Formation postérieure d'un recours contentieux - Requête dirigée contre le recours gracieux - Requalification nécessaire de la requête - Annulation.

Cette décision rappelle une solution procédurale et contentieuse parfois méconnue.

On sait que le destinataire d'une décision administrative peut en principe, à son choix, soit la contester directement par un recours contentieux soit former contre elle un recours gracieux. En cette seconde hypothèse, le recours contentieux, qui devra être formé avant l'expiration du délai de deux mois suivant la réponse, supposée défavorable, au recours gracieux, ne peut pas être dirigé contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, mais doit être considéré comme tendant à l'annulation de la décision administrative initiale.

Il s'ensuit donc que dans le cas où, comme en l'espèce, le recours contentieux introduit contre le rejet du recours gracieux ne contient que des conclusions dirigées contre ce rejet, l'office du juge saisi doit le conduire à considérer que ces conclusions sont également dirigées contre la décision administrative initiale. 

C'est donc à tort qu'une cour administrative d'appel, dans une telle circonstance procédurale, se méprenant sur la portée des écritures du demandeur les a jugées irrecevables.

Cette solution bienveillante doit être approuvée.

(22 novembre 2022, M. B., n° 456178)

 

42 - Demande de délivrance de titre de séjour - Demande du bénéfice de l'aide juridictionnelle - Rejet - Rejet subséquent de la demande au titre de l'art. L. 761-1 CJA - Méprise du juge des référés - Annulation sans renvoi (affaire réglée au fond).

Se méprend sur la demande qui lui est présentée sur ce point l'ordonnance de référé qui, à la suite du rejet de la demande du bénéfice de l'aide juridictionnelle formée par le demandeur, a estimé devoir rejeter celle formée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens alors que le requérant avait expressément demandé qu'à défaut d'octroi de l'aide juridictionnelle, une somme lui soit allouée sur le fondement de l'article L. 761-1 du CJA.

L'ordonnance est annulée pour défaut d'admission des conclusions subsidiaires et le juge de cassation règle l'affaire au fond.

(23 novembre 2022, M. B., n° 462735)

 

43 - Juge de l'exécution (L. 911-5 CJA) - Affaire non encore enrôlée par un tribunal - Question n'entrant pas dans son office - Rejet.

Il n'entre pas dans l'office du juge de l'exécution de l'art. L. 911-5 du CJA, statuant sur l'exécution par l'État d'une condamnation au paiement d'une somme au requérant sur le fondement de l'art. L. 761-1 du CJA, de connaître, dans ce même litige, de ce que l'affaire n'a pas été mise au rôle d'une séance de jugement d'un tribunal administratif.

(23 novembre 2022, M. A., n° 461659)

 

44 - Droit au logement opposable - Délai imparti de six mois pour faire une offre de logement et délai de recours de quatre mois de l'intéressée - Prorogation pour cause de Covid-19 - Absence de forclusion - Annulation.

Lorsqu'une personne a été déclarée prioritaire par la commission de médiation pour obtenir un logement d'urgence, le préfet dispose d'un délai de six mois pour lui trouver un logement et l'intéressé dispose d'un délai de quatre mois à l'expiration de ce dernier pour saisir le juge administratif d'une demande d'injonction. Une ordonnance de président de tribunal administratif a estimé irrecevable l'action introduite à cet effet en l'espèce motif pris de ce que la demande était entachée de forclusion pour tardiveté.

Compte tenu des règles de prorogation des délais des recours contentieux fixées, pour cause d'épidémie de Covid-19, par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, l'ordonnance est annulée pour erreur de droit.

En effet, le délai de six mois initialement imparti au préfet pour faire une offre de logement à Mme A. a été suspendu le 12 mars 2020, alors qu'il courait depuis un mois et vingt jours, avant de reprendre, pour la durée restante, à compter du 24 juin 2020. Ainsi, le délai de recours de quatre mois dont disposait Mme A. (cf. art. R. 778-2 CJA), qui avait commencé à courir à l'expiration du délai de six mois imparti au préfet, n'était pas échu le 26 novembre 2020, date à laquelle elle a saisi le tribunal administratif. En jugeant que ce délai avait expiré le 24 novembre 2020, pour en déduire que sa requête devait être rejetée comme tardive, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a commis une erreur de droit. 

(23 novembre 2022, Mme A., n° 456623)

 

45 - Recours excès de pouvoir - Date d'appréciation de la légalité d'un arrêté refusant un titre de séjour - Circonstances postérieures ne devant pas être prises en compte pour cette appréciation - Rejet.

Pour rejeter le recours excès de pouvoir dirigé contre un arrêté préfectoral refusant à un ressortissant étranger la délivrance d'un titre de séjour, le juge de cassation rappelle que l'appréciation de la légalité d'un tel acte s'effectue à la date où il a été pris et non, comme ce fut trop souvent le cas dans un passé récent, plus tardivement.

Ainsi, il n'est pas tenu compte d'événements postérieurs à la date de l'arrêté attaqué, tels, ici, la conclusion d'un pacte civil de solidarité et la prolongation du contrat de travail à durée indéterminée du requérant.

(23 novembre 2022, M. A., n° 455619)

 

46 - Requête qualifiée d'abusive - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Qualifie inexactement d'abusive une requête par laquelle un ressortissant étranger, pour justifier sa demande de suspension de la décision attaquée et le rétablissement des conditions matérielles d'accueil, soutenait se trouver dans une situation particulière de vulnérabilité, alors que sa précédente requête tendait à ce qu'il soit enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui rétablir le bénéfice de ses conditions matérielles d'accueil et qu'elle n'avait été rejetée que pour défaut d'urgence.

(23 novembre 2022, M. B., n° 451270)

 

47 - Durée excessive d'une procédure - Préjudices allégués - Préjudice moral - Indisponibilité d'une somme - Préjudices subis par les dirigeants - Préjudices relevant, les uns, de la durée anormale de la procédure, les autres non - Admission partielle du droit à réparation.

(25 novembre 2022, Société Beauté, Nutrition et Succès (BNS), n° 443253)

V. n° 163

 

48 - Procédure contradictoire - Régime de la communication des mémoires produits devant le juge - Absence de communication d'un mémoire en reprise d'instance - Mémoire jugé n'être pas un élément nouveau - Erreur de droit - Annulation.

Dans un litige en contestation d'une autorisation administrative de licenciement, suite au décès du requérant, son épouse et sa fille ont spontanément saisi le tribunal administratif d'un mémoire en reprise d'instance.

La société défenderesse a demandé à la cour administrative d'appel l'annulation du jugement motif pris de la non communication de ce mémoire au mépris du contradictoire. Pour rejeter ce moyen, la cour a considéré que la seule information relative à la reprise d'instance ne constituait pas, par elle-même, un élément nouveau apporté au débat contentieux au sens et pour l'application des dispositions de l'art. R. 611-1 du CJA relatif à la communication des mémoires et des pièces qui y sont jointes.

Cassant la décision, après avoir rappelé les termes de cet article, le Conseil d'État relève que le conseil des ayants-droits du de cujus a pronon, en première instance, des observations à l'audience et qu'il résulte du dispositif de ce même jugement qu'une somme à verser à ces derniers a été mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du CJA, ce dont il s'infère que l'absence de communication du mémoire en reprise d'instance a pu, dans les circonstances de l'espèce, préjudicier aux droits des parties et, notamment de la société Trane, qui avait intérêt à contester la recevabilité de cette reprise d'instance.

(25 novembre 2022, Société Trane, n° 459127)

 

49 - Procédure contentieuse - Irrecevabilité opposée reposant sur une dénaturation des pièces - Arrêt visant le CGI sans indiquer la(les) disposition(s) dont il fait application - Cassation.

Encourt la cassation l'arrêt qui confirme l'irrecevabilité opposée par les premiers juges aux conclusions présentées en matière d'impôt sur les sociétés, motif pris de ce que la société requérante n'avait pas contesté un reliquat de rehaussement de 78 887 euros alors que la requérante avait contesté dans sa réclamation préalable l'intégralité des rectifications résultant de la remise en cause de l'inscription en stock de ses véhicules de démonstration.

Encourt pareillement la cassation l'arrêt faisant mention dans ses visas, sans autre précision, du code général des impôts et dont les motifs ayant trait à la contestation des rehaussements d'impôt sur les sociétés ne citent ni même ne mentionnent les dispositions dont la cour a fait application.

(22 novembre 2022, Société Maserati West Europe, n° 456405)

V. aussi, pour un autre aspect, le n° 70

 

50 - Refus d'autorisation unique d'exploitation d'éoliennes - Illégalité partielle divisible - Office du juge - Absence d'obligation de prononcer d'office une annulation partielle - Rejet.

Rappel de ce qu'il n'entre pas dans l'office du juge de plein contentieux, même en cas de divisibilité au sein de la décision contestée, de prononcer l'annulation partielle d'une autorisation unique d'exploiter un parc éolien, en l'absence de conclusions en ce sens.

(23 novembre 2022, Société Parc éolien de la Vallée du Paradis Embres, n° 442732)

(51) V. aussi, identique : 23 novembre 2022, Société Parc éolien de la Vallée du Paradis Villeneuve, n° 442734.

 

52 - Requête en référé liberté - Nécessité de satisfaire deux conditions - Irrecevabilité à défaut d'urgence démontrée - Rejet.

Un syndicat d'agents de l'administration pénitentiaire saisit le Conseil d'État d'un référé liberté en raison de la fraude électorale en train d'être organisée à l'occasion d'élections professionnelles se déroulant dans l'ensemble de la fonction publique du fait du changement de la question de validation du vote par une donnée inconnue des organisations syndicales ou de tout autre tiers.

Pour rejeter la requête le juge rappelle à nouveau que la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence qui justifierait l'intervention du juge des référés dans le très bref délai prévu par les dispositions de l'art. L. 521-2 du CJA. Or ici le délai écoulé depuis l'annonce de l'adoption du vote électronique ainsi que les précisions apportées aux électeurs ne permettent pas d'apercevoir une urgence particulière à statuer sur ce litige.

Faute que cette condition soit remplie, la requête en référé liberté est rejetée sans examen de l'autre condition.

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat national pénitentiaire des surveillants non gradés, n° 469093)

 

53 - Intervention dans l'instance d'une association en défense - Absence de qualité de partie - Impossibilité de mettre à sa charge une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens - Annulation.

Doit être cassé l'arrêt qui met à la charge d'une association intervenante en défense une partie des frais non compris dans les dépens alors que l'intervenant n'a pas la qualité de partie à l'instance, ce qui rend impossible l'application à son encontre des dispositioins de l'art. L. 761-1 du CJA.

(29 novembre 2022, Fédération française de spéléologie et autres, n° 456951)

 

54 - Référé suspension - Condition d'urgence - Note de service réitérant les  dispositions d'un décret - Défaut d'urgence - Rejet.

Ne satisfait pas à la condition d'urgence le recours d'un syndicat en suspension de l'exécution d'une note de service du ministre de l'agriculture relative à des élections professionnelles devant se dérouler du 1er au 5 décembre 2022 alors que la disposition attaquée se borne à réitérer celle contenue dans un des articles du décret du 20 novembre 2020 relatif aux comités sociaux d'administration dans les administrations et les établissements publics de l'État.

(ord. réf. 29 novembre 2022, Syndicat National de l'Enseignement Technique Agricole Public - Fédération Syndicale Unitaire et autre, n° 468975)

 

55 - Mise en demeure du CSA (ARCOM) - Service de communication rendant accessibles aux mineurs des contenus pornographiques - Mise en demeure indissociable de la procédure susceptible d'être engagée devant le juge judiciaire - Incompétence de la juridiction administrative - Irrecevabilité.

(29 novembre 2022, Société MG Freesites Ltd, n° 463163)

V. aussi : 29 novembre 2022, Société Webgroup Czech Republic, n° 459942.

V. encore : 29 novembre 2022, Société NKL Associates s.r.o, n° 459941.

V. n° 15

 

56 - Recours administratif préalable obligatoire (RAPO) - Décision nouvelle se substituant à la précédente - Possibilité pour le requérant de saisir le juge de tout moyen nouveau - Annulation.

La procédure de remembrement foncier prévoit que le recours contentieux dirigé contre les décisions de la commission communale ou intercommunale d'aménagement foncier ou contre la commission départementale doit être obligatoirement précédé d'un recours administratif préalable.

La question se posait de savoir si la juridiction administrative, saisie d'un recours dirigé contre une décision d'aménagement foncier, peut rejeter un moyen développé par le demandeur au motif qu'il n'a pas été soumis préalablement à la commission dans le cadre du recours préalable obligatoire. La réponse est évidemment négative puisque la décision prise à la suite de l'exercice du RAPO se substitue entièrement à la précédente décision et ainsi elle rebat les cartes si l'on peut dire, ouvrant au requérant la possibilité, en cas de saisine du juge, d'utiliser dans leur plénitude tous les moyens qu'il estime utiles à la défense comme au soutien de ses prétentions.

Cette décision précise, raffermit et étend une tendance jurisprudentielle déjà affirmée dans plusieurs décisions portant sur les moyens susceptibles d'être développés au soutien d'un recours contentieux formé contre une décision rendue sur RAPO.

(29 novembre 2022, Mme et MM. B., n° 451257)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

57 - Déduction d'un déficit du revenu imposable - Déficit portant sur l'année antérieure - Société devenue imposable au 1er janvier 2008 du fait d'un avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise - Impossibilité de déduire les déficits des années antérieures - Rejet.

Le Conseil d'État, confirmant la solution retenue par le tribunal administratif, considère qu'une société devenue imposable en France au 1er janvier 2008 par suite d'une modification de la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne peut pas bénéficier des dispositions du I de l'art. 209 du CGI qui permettent à un contribuable de déduire du revenu imposable au titre d'une année le déficit subi et constaté les années précédentes. En l'espèce, la société contribuable ne pouvait donc pas déduire du revenu imposable réalisé en 2008 le déficit constaté lors des exercices antérieurs à l'année 2008.

Cette solution est discutable car elle opère une dichotomie de régimes entre celui applicable à la détermination du revenu et celui applicable à la déduction du déficit alors qu'il s'agit là d'un ensemble indivisible : n'est imposable que le revenu net, c'est-à-dire sur lequel a été imputé l'éventuel déficit.

L'entrée en vigueur le 1er janvier 2008 de la convention fiscale emportait obligation d'acquitter l'impôt sur le revenu net réalisé à compter de cette date et donc, éventuellement amputé du déficit constaté reportable. Le juge a introduit une divisibilité qui n'a pas lieu d'être, oubliant le principe «Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus ».

(15 novembre 2022, Société Kimmolux, n° 444902)

 

58 - Cotisation foncière des entreprises - Valeur locative des biens utilisés - Pose de panneaux photovoltaïques - Absence de lien avec l'exercice de l'activité professionnelle.

La requérante, société spécialisée dans la pose de panneaux photovoltaïques, a conclu avec des exploitants agricoles des baux emphytéotiques ou des baux à construction pour la pose de panneaux photovoltaïques sur les toitures des bâtiments utilisés par ces exploitants.

L'administration fiscale - dont l'imagination est aussi débridée que sans limites - a prétendu imposer la contribuable à la cotisation foncière des entreprises ou à des rehaussements de cette contribution à raison de la valeur locative des bâtiments servant de support aux panneaux.

La requérante se pourvoit en cassation de l'arrêt d'appel décidant en premier lieu que la société devait être regardée comme utilisant matériellement les toitures de ces bâtiments pour la réalisation des opérations qu'elle effectuait et, en second lieu, après expertise, de réduire la valeur locative des toitures des bâtiments en cause.

La cassation est prononcée motif pris de ce que la société n'utilise matériellement que les panneaux photovoltaïques, et non les toitures qui ne sont utilisées matériellement que par l'exploitant agricole. L'art. 1467 CGI ne pouvait donc pas être opposé à une entreprise qui n'utilise pas les toits pour les besoins de son activité professionnelle.

Le bon sens a fini par l'emporter.

(15 novembre 2022, Société Énergie Verte del Sol venue aux droits de la société Solairwatt, n° 449273, n° 449278, n° 451510)

 

59 - Polynésie française - Octroi d'un crédit d'impôt - Retrait postérieur d'agrément - Sanction fiscale - Régime de sanction inapplicable - Paiement ne pouvant incomber à une personne non bénéfiiaire du crédit d'impôt - Rejet.

Une société a présenté une demande d'agrément pour la construction d'une résidence hôtelière de tourisme qui a donné lieu à la délivrance d'un agrément le 12 avril 2007; puis, cet agrément ayant été retiré par un arrêté du 25 août 2017, a été mise à la charge de cette société, sur le fondement des dispositions de l'article LP. 919-31 de la « loi du pays » du 1er avril 2009, dans leur rédaction antérieure à la « loi du pays » du 17 décembre 2014, une « sanction fiscale » correspondant à 150 % du montant de l'avantage fiscal dont elle avait bénéficié par le jeu de la rétrocession imposée aux investisseurs.

La Polynésie française se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel a accordé à la société une décharge totale.

Le pourvoi est rejeté.

En effet, dès lors que l'agrément du projet de résidence hôtelière de tourisme a été délivré sur la base d'une demande présentée, dans son dernier état, le 13 avril 2006 et que la modification de l'agrément intervenue en 2012 n'avait pas donné lieu à la délivrance d'un nouvel agrément mais à la modification de l'agrément existant, l'article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française, issu de la « loi du pays » du 1er avril 2009, sur lequel a été fondée la « sanction fiscale » litigieuse, n'était pas applicable à l'espèce ainsi que l'a jugé la cour.

C'est également sans erreur de droit que cette dernière a jugé que la société qui réalisait le projet n'ayant pas elle-même bénéficié du crédit d'impôt accordé aux seules personnes ayant investi dans le projet de résidence hôtelière, elle ne pouvait pas, en tout état de cause, voir mise à sa charge une somme correspondant au montant du crédit d'impôt lui-même.

(15 novembre 2022, Polynésie française, n° 454677)

 

60 - Appréciation de l'existence d'un établissement stable en France - Déduction tirée d'un précédent arrêt de la juridiction - Motivation par référence - Question non soumise au débat contradictoire - Annulation avec renvoi.

Pour juger que l'administration avait estimé à bon droit que les rémunérations versées par une société au requérant l'avaient été en contrepartie de prestations réalisées en France et n'ouvraient dès lors pas droit au bénéfice de crédits d'impôts attachés à des revenus de source étrangère, un cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que cette société dispose d'un établissement stable en France ainsi qu'elle l'avait jugé dans une autre instance. Est donc annulé l'arrêt motivé par référence à un précédent arrêt et portant sur un point non soumis au débat contradictoire entre les parties.

(16 novembre 2022, M. et Mme A., n° 461661)

 

61 - Arrêt statuant ultra petita -  Annulation intégrale de l'art. 1er du dispositif d'un jugement - Remise à la charge d'une partie de cotisations supplémentaires d'impôt par voie d'évocation - Annulation.

Encourt annulation l'arrêt qui, d'une part, annule l'art. 1er d'un jugement dans son intégralité alors que le ministre appelant n'en demandait qu'une annulation circonscrite aux rehaussements en matière de bénéfices industriels et commerciaux, et, d'autre part, remet à la charge des contribuables, par la voie de l'évocation, l'ensemble des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales réclamées aux requérants pour une certaine période.

(16 novembre 2022, M. et Mme B., n° 439148)

 

62 - Procédure fiscale non contentieuse - Proposition de rectification avant mise en recouvrement - Modification de la base légale de la rectification - Obligation de respecter un nouveau délai - Faculté pour le contribuable de saisir le supérieur hiérarchique ou l'interlocuteur départemental ou régional - Réponse n'ayant pas pour effet de modifier la base légale de la rectification annoncée - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Appliquant le principe d'exonération de TVA pour les livraisons à soi-même,  une société avait déduit le montant de TVA afférent à la construction d'un chalet ainsi que celui grevant les charges d'entretien et de fonctionnement dudit chalet.

L'administration a remis en cause la déductibilité de la TVA appliquée à ces différents postes. De là est né un litige portant sur le régime juridique des propositions de rectification.

Tout d'abord, il résulte des art. L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales que si l'administration, suite à une première proposition de rectification et avant mise en recouvrement,  modifie la base légale des rectifications qu'elle envisage, elle doit, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, en informer le contribuable par la notification d'une nouvelle proposition de rectification ou, si cette modification intervient dans la réponse à ses observations, en accordant au contribuable un nouveau délai de 30 jours pour lui permettre de formuler ses observations.

Ensuite, il se déduit des dispositions combinées, d'une part, des art. L. 10, L. 12 et L. 13 du livre des procédures fiscales, et d'autre part, de la Charte du contribuable vérifié, que le contribuable a la possibilité, en cas de difficultés, de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, à l'interlocuteur départemental ou régional. Cette faculté constitue pour lui une garantie substantielle à deux stades : d'abord à celui de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification ou la notification des bases d'imposition d'office pour ce qui a trait aux difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle ; ensuite, quand les contribuables font l'objet d'une procédure de rectification contradictoire, après la réponse faite par l'administration fiscale à leurs observations sur la proposition de rectification en cas de persistance d'un désaccord sur le bien-fondé des rectifications envisagées.

Or le Conseil d'État, cassant pour ce motif l'arrêt frappé de pourvoi, interprète cette garantie substantielle au second stade comme ouvrant la faculté au contribuable de pouvoir, avant la mise en recouvrement, saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur et, le cas échéant, l'interlocuteur départemental de divergences subsistant au sujet du bien-fondé des rectifications envisagées. En revanche, cette garantie n'est pas destinée à permettre au contribuable de poursuivre avec ces derniers un dialogue contradictoire de même nature que celui qui s'est achevé avec la notification de la réponse aux observations du contribuable.

Il suit de là que l'éventuelle réponse écrite du supérieur hiérarchique ou de l'interlocuteur n'a ni pour effet ni pour objet de modifier la base légale des rectifications envisagées par le vérificateur, telle qu'elle résulte des mentions figurant dans la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable.

Cette interprétation, constante mais par trop restrictive, ne nous semble pas conforme à l'intention du législateur.

C'est donc au prix d'une erreur de droit qu'en l'espèce la cour administrative d'appel a considéré que la procédure d'imposition avait été irrégulière faute pour la société d'avoir bénéficié de la garantie tenant à la notification d'une nouvelle proposition de rectification car elle s'est méprise en considérant les réponses du supérieur hiérarchique et de l'interlocuteur interrégional comme ayant modifié la base légale du redressement imposant l'envoi, absent en l'espèce, d'une nouvelle proposition de rectification assortie d'un délai pour la réponse du contribuable.

(16 novembre 2022, ministre de l'économie et des finances..., n° 462278)

 

63 - Société acquéreuse de la totalité des obligations convertibles en actions (OCA)  d'une filiale de droit anglais dont le capital est entièrement détenu par cette société - Taux d'intérêt inférieur au taux d'un marché concurrentiel et ne constituant pas un transfert indirect de bénéfices à l'étranger - Erreur de droit - Annulation.

La société par actions simplifiée Electricité de France international (EDFI) a souscrit en 2009 l'intégralité des obligations convertibles en actions (OCA) émises par la société EDF Energy Limited (EDFE), sa filiale de droit anglais dont elle détenait l'intégralité du capital. Le taux annuel de rémunération de ces OCA a été fixé à 1,085 %, ainsi qu'un rapport de conversion équivalent à l'obtention d'actions d'une valeur nominale de 1,367 euros. A l'expiration de la maturité des titres, la société EDFI a exercé son droit de conversion et a reçu en contrepartie des actions de sa filiale EDFE dont la valeur réelle unitaire s'établissait alors à 1,76 euros, réalisant ainsi une plus-value de 945 750 000 euros.

L'administration fiscale a regardé la rémunération des obligations ainsi souscrites comme insuffisante et constitutive d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger, dès lors que la différence entre le taux du coupon annuel des OCA et le taux d'un emprunt obligataire de pleine concurrence, établi à 4,41%, n'était selon elle justifiée par aucune contrepartie au bénéfice de la société souscriptrice. Elle a, en conséquence, intégré le total de la différence de taux aux bénéfices imposables de la société EDFI et notifié des suppléments d'impôt sur les sociétés correspondants, ainsi qu'une retenue à la source au taux conventionnel de 15% au titre de la distribution de revenus par la SAS EDF à sa filiale britannique.

La cour administrative d'appel ayant fait droit par deux arrêts à la demande d'annulation du jugement rejetant le recours desdites sociétés tendant à la décharge de ces impositions, le ministre de l'économie et des finances se pourvoit en cassation contre eux. 

La cour avait estimé, d'abord, que le taux d'intérêt convenu entre la société EDFI et sa filiale était inférieur au taux rémunérant, en situation de pleine concurrence, un financement obligataire et ensuite que l'octroi à la société EDFI d'une option de conversion de ses titres en actions de la société financée pouvait être valorisée à l'identique de l'octroi d'une même option octroyée dans le cadre d'une transaction entre sociétés dépourvues de liens capitalistiques. En conséquence, elle avait jugé que le taux d'intérêt en litige, intégrant la valeur de cette option, n'était pas constitutif d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger. 

L'arrêt, très logiquement, est cassé pour erreur de droit car la situation de l'espèce, « née de l'octroi à l'actionnaire unique de la société financée d'une option de conversion des obligations qu'il a souscrites en actions de cette dernière est, par nature, insusceptible d'être comparée à une situation de pleine concurrence, dès lors que la valeur de cette option, consistant exclusivement dans l'ouverture d'une faculté d'acquérir une fraction du capital social en remboursement du prêt obligataire consenti, est nécessairement nulle lorsque l'option est attribuée à la personne possédant, à la date de l'émission, l'intégralité de ce capital. En effet, cet actionnaire unique dispose du pouvoir de décider, à tout moment, de l'émission de nouveaux titres et leur attribution à son profit en remboursement du prêt obligataire qu'il a consenti à la société et, au surplus, l'opération de conversion est nécessairement neutre pour lui d'un point de vue patrimonial, dès lors qu'il possède, avant comme après celle-ci, la totalité du capital d'une société dont la valeur se trouve augmentée du montant de la dette dont elle s'est libérée, à exacte concurrence du montant de la créance dont il disposait sur celle-ci. »

Et le Conseil d'État de conclure que l'opération litigieuse doit être regardée comme une opération de financement intragroupe rémunérée à un taux inférieur à la valeur vénale du service. Elle constituait bien un transfert indirect de bénéfices à l'étranger.

(16 novembre 2022, ministre de l'économie et des finances..., n° 462383 et n° 462388, jonction)

 

64 - Taxe sur les surfaces commerciales - Sas d'entrée dans un magasin permettant la circulation de la clientèle - Inclusion dans la surface commerciale taxable - Rejet.

C'est sans erreur de droit  ni inexactitude dans la qualification juridique des faits qu'un jugement considère que doit être inclus dans l'assiette de la taxe sur les surfaces commerciales le sas d'entrée d'un commerce affecté à la circulation de la clientèle en ce que, en dépit du fait qu'il n'accueillait aucune marchandise, il permet aux clients de l'établissement de bénéficier de ses prestations commerciales.

(16 novembre 2022, Société Poulbric, n° 462720)

 

65 - Dissolution de société par confusion de patrimoines - Transmission universelle de l'actif et du passif - Neutralité fiscale des fusions de sociétés - Déductibilité des charges postérieures à la fusion - Clause de retour in bonis - Rejet.

L'art. 210 A du CGI poursuivant un objectif de neutralité fiscale des opérations de fusion de sociétés qu'encourage le législateur, il s'ensuit qu'une opération de dissolution par confusion de patrimoines entraînant la transmission à la société confondante de l'actif et du passif de la société confondue ainsi que l'annulation des titres de cette société détenus par la société confondante n'est pas imposable.

Pour déterminer l'actif net de la société confondue transmis à la société confondante il convient d'établir la valeur comptable et l'éventuel boni de fusion correspondant à la différence positive entre la valeur comptable de l'actif net de la société confondue et la valeur comptable des titres annulés car cette différence n'est pas imposable.

En l'espèce, l'administration fiscale avait estimé imposable l'opération pour deux motifs : l'absence de déductibilité de charges correspondant en réalité à des passifs latents de la société confondue et la circonstance qu'à la date de l'acquisition des titres de la société confondue, il avait déjà était tenu compte de la valeur réelle de l'actif net de cette dernière, y compris de ses engagements hors bilan.

Approuvant la cour administrative d'appel le juge de cassation rejette ces moyens.

Tout d'abord, en l'absence de rémunération versée par la société confondante en contrepartie de la transmission de l'actif net de la société confondue et eu égard à l'objectif susrappelé de neutralité fiscale, les charges supportées par la société confondante postérieurement à la transmission universelle de patrimoine sont déductibles, quand bien même ces charges correspondraient à des passifs latents de la société confondue.

Ensuite, est jugé sans incidence le fait que les titres de la société confondue ont été acquis par la société confondante en tenant compte, à la date de cette acquisition, de la valeur réelle de l'actif net de la première, y compris, le cas échéant, de ses engagements hors bilan. 

Par ailleurs, la cour est également approuvée d'avoir jugé qu'à supposer qu'il y ait lieu de tenir compte du prix d'acquisition des titres de la société confondue détenus par la société confondante pour apprécier le caractère déductible chez celle-ci des dettes et charges en lien avec l'activité de la société confondue, la société confondante était en droit de déduire la charge résultant de la mise en œuvre de la clause de retour à meilleure fortune dès lors, d'une part, que cette charge n'était née que postérieurement à la transmission universelle du patrimoine et, d'autre part, qu'elle ne constituait pour sa filiale qui avait bénéficié de l'abandon de créance qu'un simple engagement hors bilan n'ayant donné lieu ni à l'inscription d'une dette, ni à la constitution d'une provision. 

Le pourvoi du ministre est rejeté.

(22 novembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 447097)

 

66 - Activité de commissionnaire - Société transférant à des organismes de financement des contrats de location de matériel industriel par elle conclus - Consommation de biens ou de services provenant de tiers - Caractère de charges financières - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (règlement de l'affaire au fond, art. L. 821-2 CJA).

L'activité de la société requérante consistait à conclure avec des clients finals un contrat de location prévoyant la mise à leur disposition de matériel industriel et la maintenance de celui-ci et, ensuite, à revendre à des sociétés de financement le matériel qu'elle avait préalablement acheté et leur transférait le contrat de location. C'est le système dit de la « location-mandatée». Financièrement, la requérante encaissait la totalité des loyers et reversait à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final. 

L'administration a refusé que les loyers reversés à la société de financement fussent déductibles au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

La requérante se pourvoit contre l'arrêt de la cour administrative d'appel confirmant le rejet par le tribunal administratif de son recours en annulation de la décision de l'administration fiscale.

Le Conseil d'État retient qu'il résulte des art. 1586 ter et 1586 sexies du CGI - lequel fixe la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être prises en compte dans le calcul de la valeur ajoutée des entreprises -, qu'il est nécessaire, pour les entreprises pour lesquelles son application est obligatoire, afin de déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une des catégories susindiquées, de s'en tenir aux dispositions du plan comptable général, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée. En revanche, il estime que ces dispositions excluent que soient utilisées les normes comptables applicables à l'établissement des comptes consolidés. 

Or, en l'espèce, la cour a déduit du montage décrit plus haut que les loyers versés par la requérante constituaient, en application des normes comptables en vigueur applicables aux comptes consolidés, une charge financière, et non des consommations de biens ou de services en provenance de tiers et qu'ainsi ils ne pouvaient être déduits au titre de la CVAE.

Ce jugeant était commise une erreur de droit.

En effet, il résulte des dispositions de l'art. 1586 sexies du CGI que ce n'est que dans le cas où les sommes perçues à titre de loyer sont afférentes à des biens pris en location par le redevable lui-même qu'elles ne sont pas déductibles. Dès lors que la requérante exerce une activité de commissionnaire (cf. L. 132-1, al. 1, code de commerce), « agissant en son propre nom pour le compte d'un commettant », les rétrocessions litigieuses ne sont pas afférentes à des biens pris en location et peuvent être déduites de la valeur ajoutée.

(22 novembre 2022, Socié Normandie Manutention, n° 451152)

(67) V. aussi, sur les notions de biens pris en location par le redevable lui-même et de commissionnaire évoquées dans la décision précédente que confirme la présente décision : 22 novembre 2022, Société Ricoh France, n° 458922 ; également, identique : 22 novembre 2022, Société Ricoh France, n° 458924.

 

68 - Bail à construction - Remise des immeubles sans indemnité au bailleur en fin de bail - Option concernant le revenu foncier constitué par cette remise - Faculté d'exercice au moment de la déclaration des revenus ou par voie de réclamation - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Il résulte des dispositions des art. 33 bis et 33 ter du CGI que lorsqu'à l'expiration d'un bail à construction la remise des immeubles a lieu sans indemnité au bailleur, par le preneur, le prix de revient constitue un revenu foncier. Il appartient au bailleur d'opter pour une répartition de ce revenu sur l'année ou l'exercice au cours duquel les immeubles ont été remis et soit sur les quatorze années ou exercices suivants, soit jusqu'à l'année ou l'exercice de cession de ces biens, lorsque celle-ci intervient avant la quatorzième année ou le quatorzième exercice.

En l'espèce, la cour administrative d'appel est, en premier lieu, approuvée pour avoir jugé qu'une société ne pouvait être regardée comme ayant exercé l'option en faveur de l'étalement prévue par les dispositions de l'article 33 ter du CGI faute d'une mention expresse indiquant qu'elle entendait faire application de ce dispositif lors du dépôt de sa déclaration souscrite au titre de l'année 2012.

En revanche, est annulée pour erreur de droit la partie de l'arrêt de cette cour jugeant que le défaut de mention expresse susrappelé faisait obstacle à ce que la société puisse demander le bénéfice de l'option par voie de réclamation dans les délais prévus aux articles R. 196-1 ou R. 196-3 du livre des procédures fiscales sans que puisse être opposée à cette dernière faculté  la circonstance que la société s'était abstenue de toute répartition du prix de revient des constructions conformément aux dispositions de l'article 33 ter du CGI.

(22 novembre 2022, Société Groupe Diffusion Plus, n° 453168)

 

69 - Provision - Déductibilité fiscale - Obligation d'avoir été constatée dans les écritures de l'exercice - Cas de la dépréciation d'un élément d'actif - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour admettre la déductibilité de provisions pour dépréciation de l'actif, retient la seule valeur vénale des parts sociales de la société, sans rechercher si, compte tenu des éléments qu'elle avait relevés par ailleurs qui tendaient à remettre en cause la diminution de la valeur d'usage du fonds de commerce, la constitution de ces provisions respectait, conformément aux dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du CGI et de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code, les prescriptions comptables relatives à la détermination de la valeur vénale actuelle ou si, le cas échéant, la société se prévalait de circonstances exceptionnelles justifiant, en application des dispositions de l'article L. 123-14 du code de commerce, d'y déroger.

(22 novembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 454766)

 

70 - Société de promotion et de développement d'une marque de véhicules automobiles - Achat de véhicules neufs en vue de leur démonstration puis revendus d'occasion - Éléments de l'actif immobilisé - Rejet.

Un véhicule de démonstration acquis par un prestataire de services qui exerce une activité de promotion d'une marque automobile, pour les besoins de cette activité, constitue non pas un élément de stock mais un élément de l'actif immobilisé, quand bien même ce véhicule serait revendu à l'issue de son utilisation et alors même que cette cession interviendrait moins de douze mois après l'acquisition. 

En l'espèce le juge rejette le moyen de la requérante selon lequel elle exerce une activité de négoce parallèlement à son activité de promotion de marque et qu'ainsi les véhicules de démonstration en cause ont vocation à être revendus dès leur acquisition au terme d'une courte période d'utilisation. Il considère qu'il n'est pas sérieusement contesté que les véhicules acquis par la société sont affectés à son activité de promotion de la marque Maserati dès leur acquisition. C'est pourquoi, les véhicules de démonstration en cause ne présentaient pas le caractère d'éléments de stock mais, ainsi que l'a retenu l'administration fiscale, celui d'éléments de l'actif immobilisé. 

L'argumentation nous semble discutable au regard du 4 de l'article 211-1 du règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du Comité de la réglementation comptable relatif au plan comptable général, dans sa version issue du règlement n° 2004-06 du 23 novembre 2004 relatif à la définition, la comptabilisation et l'évaluation des actifs. Selon ce texte " Un stock est un actif détenu pour être vendu dans le cours normal de l'activité (...)". Ici il n'est pas douteux : 1° que l'acquisition de véhicules par la requérante n'a pas pour objet principal la démonstration mais, grâce à cette démonstration, d'en assurer la vente ; 2° que l'objet principal est bien la vente des véhicules surtout qu'elle intervient dans les douze mois de l'acquisition, ce qui ne diffère pas de la situation courante des concessionnaires d'automobiles.

(22 novembre 2022, Société Maserati West Europe, n° 456405)

V. aussi, pour un autre aspect, le n° 49

 

Droit public de l'économie

 

71 - Gel des fonds et ressources d’une société – Suspicion d’aide à une entreprise terroriste – Mesures de dégel partiel – Absence d’urgence – Rejet.

Un ressortissant turc ainsi que deux sociétés dont il est le représentant légal ont fait l’objet de la part des ministres de l’économie et de l’intérieur d’une mesure de gel des fonds et des ressources économiques de cette personne et de ces sociétés pour financement du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré au sein de l'Union Européenne comme étant une organisation terroriste. 

La présente ordonnance rejette l’appel dirigé contre le refus du premier juge de suspendre cette décision de gel motif pris de l’absence d’urgence en dépit de difficultés à poursuivre l’activité de ces sociétés au-delà du 1er janvier 2023.

Le juge du référé liberté relève, pour parvenir à cette conclusion, que plusieurs mesures de dégel partiel ont été prises pour permettre le versement d'honoraires d'avocat, des salaires des salariés des deux sociétés, à l'exception de l'un d'entre eux soupçonné de participer aux infractions pour lesquelles la mesure litigieuse a été prise, ainsi que la disposition d'une somme mensuelle pour les dépenses de la famille de M. B. Dès lors, et à supposer même que l'exécution de cette mesure porte atteinte à l'image des sociétés, rende difficile le paiement comptant des fournisseurs et leur ait fait perdre leurs assurances de responsabilité décennale, ce qui fera obstacle à la poursuite de leurs activités à partir du 1er janvier prochain, n’est pas réalisée en l’espèce une situation que caractériserait l’urgence particulière au référé liberté, nécessitant qu'une ordonnance soit rendue sous quarante-huit heures.

(ord. réf. 3 novembre 2022, M. B., société Ezo-Bat et société B Art, n° 468380)

 

72 - Négoce en vins - Besoin d'extension de surfaces de stockage - Subvention agricole franco-européenne à cette fin - Contrôle - Action en récupération de la subvention pour non obtention du permis de construire nécessaire à la réalisation de l'extension - Régularisation antérieure au contrôle - Non respect du principe de proportionnalité - Annulation sans renvoi (règlement de l'affaire au fond).

Une entreprise de négoce en vin obtient, en vue de financer l'agrandissement de ses surfaces de stockage, une subvention du Fond européen agricole de garantie (FEAGA). Suite à un contrôle réalisé les 18 et 20 juin 2014 par la mission de contrôle des opérations dans le secteur agricole, un ordre de reversement de la totalité de cette subvention lui a été notifié le 19 novembre 2016 par le directeur de FranceAgriMer au motif que l'extension des surfaces de stockage avait été réalisée sans obtention préalable d'un permis de construire et sans modification de l'autorisation qu'elle détenait au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, qu'impliquait ce projet. 

La requérante se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa demande d'annulation du titre de recette et de décharge de la somme en litige.

Pour casser cet arrêt le Conseil d'État retient en premier lieu que l'intéressée a procédé à la régularisation des installations en cause en obtenant une nouvelle autorisation au titre des installations classées pour la protection de l'environnement le 27 juin 2012 ainsi qu'un permis de construire le 30 août 2013 soit antérieurement à la date du contrôle.

Il retient, en second lieu - et surtout -, que la cour a jugé à tort que le principe de proportionnalité, énoncé à l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, ne s'opposait pas, en dépit de la complète régularisation des installations avant le contrôle dont elles ont fait l'objet, à ce que la restitution de la totalité de l'aide versée soit réclamée à la société La Guyennoise à raison des irrégularités initialement commises.

(15 novembre 2022, Société Maison le star vignobles et châteaux venant aux droits de la société La Guyennoise, n° 451758)

 

73 - Subvention en vue de travaux de rénovation dans un appartement - Décision de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) retirant la subvention - Juridiction se méprenant sur les motifs de la décision attaquée - Annulation.

A la suite d'une inspection, l'ANAH décide de retirer la subvention qu'elle avait accordée au requérant en vue de la réalisation de travaux dans son appartement et demande le reversement de l'acompte déjà versé.

Le recours du propriétaire ayant été rejeté par arrêt confirmatif, celui-ci se pourvoit.

Le juge de cassation relève que la cour s'est méprise sur les motifs de la décision attaquée car, pour rejeter l'appel dont elle était saisie, elle a jugé que l'ANAH pouvait légalement prononcer le retrait de la subvention accordée à M. B. du fait que les factures produites par ce dernier dans le cadre de sa demande de paiement du solde de la subvention n'étaient pas suffisantes pour établir la conformité des travaux réalisés. Alors qu'en réalité la décision de retrait de l'ANAH n'était pas fondée sur ce motif mais sur ce que les travaux pour lesquels la subvention avait été accordée n'avaient pas été réalisés.

D'où la cassation prononcée et le renvoi de l'affaire à la cour.

(23 novembre 2022, M. B., n° 449968)

(74) V. aussi, identiques : 23 novembre 2022, M. B., n° 449966 ; M. et Mme B., n° 449964 ; M. et Mme C., n° 449962 ; M. B., n° 449960.

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

75 - Récupération d’aides sociales – Décision fondée non sur une enquête administrative mais sur une comparaison entre une déclaration et des informations fiscales – Inopposabilité de l’art. L. 114-10 du code de la sécurité sociale – Rejet.

Dans un litige en récupération, par une caisse de sécurité sociale, d’indus de revenu de solidarité active, de prime d'activité et d'aide exceptionnelle de fin d'année, perçus par la demanderesse, était invoquée la circonstance que n’avait pas été respectée en l’espèce l’exigence que les contrôles ayant débouché sur l’action en récupération d’indus fussent effectués par des agents assermentés et agréés.

Pour annuler le jugement qui avait accueilli ce moyen, le Conseil d’État relève que les dispositions de l'art. L. 114-10 du code de la sécurité sociale selon lesquelles les vérifications et enquêtes administratives diligentées pour les contrôles relatifs au revenu de solidarité active doivent être effectuées par des agents assermentés et agréés ne s’appliquent qu’en ces hypothèses.

En revanche, ces dispositions ne jouent pas lorsque, comme en l’espèce, la décision de récupération d’indus, n’a été prise qu’au seul vu d'une comparaison des déclarations faites par l'allocataire avec les informations transmises par l'administration des impôts, conformément aux dispositions de l'article L. 114-14 du code de la sécurité sociale.

(7 novembre 2022, Mme B., n° 452398)

 

76 - Règlement départemental d’aide sociale – Obligation de respecter le régime légal d’aides sociales – Cas des aides facultatives créées par le département - Force obligatoire du règlement départemental ad hoc – Revenus pouvant être pris en considération – Annulation.

La ville de Paris, qui est aussi un département, a institué au bénéfice des personnes âgées, sous condition de ressources, une prestation d'aide sociale facultative, dénommée Paris Solidarité. Une personne retraitée s'est vu refuser par le centre d’action sociale de Paris le renouvellement de cette aide au motif qu’elle a procédé au rachat total d'un contrat d'assurance-vie, dont le produit a été réinvesti dans un plan d'épargne en actions. Il est résulté de ce rachat un montant de revenus soumis à prélèvement libératoire de 11 230 euros au titre des dispositions du code général des impôts.

Le tribunal administratif, saisi par l’intéressé, a annulé ce refus en se fondant sur les dispositions de l'art. L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles selon lesquelles « Il est tenu compte, pour l'appréciation des ressources des postulants à l'aide sociale, des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenu, qui est évaluée dans les conditions fixées par voie réglementaire. ».

Sur pourvoi, le juge de cassation annule ce jugement pour deux erreurs de droit.

En premier lieu, le tribunal ne pouvait retenir la disposition citée qui concerne seulement les aides sociales légales et non celles, facultatives, instituées par un département.

En effet, à ce titre, à Paris, s’appliquent seules les dispositions du règlement municipal des prestations d'aide sociale facultative. Or celles-ci prévoient la prise en compte, pour l’octroi de Paris Solidarité, de toutes les ressources du demandeur « à l'exclusion de celles mentionnées dans les dispositions générales ». D’où il suit que ne figurant pas dans ladite liste, les revenus de placement sont pris en considération pour la détermination du plafond des ressources mensuelles. Dans le cas où, comme en l’espèce, il s’agit d’une assurance-vie, il convient de prendre en compte l'ensemble des revenus produits par ce placement au cours de l'année en cause, qu'il s'agisse d'intérêts ou de plus-values, sans qu'y fassent obstacle les dispositions du code des assurances définissant le régime des contrats d'assurance sur la vie ou celles du code général des impôts définissant leur régime fiscal, non plus que la circonstance que ces revenus soient encore latents ou temporairement indisponibles.

D’où il résulte la commission d’une seconde erreur de droit ayant consisté à retenir que la somme issue du rachat total de son assurance vie avait immédiatement été réinvestie par l’intéressé dans un autre placement et qu’ainsi cette somme ne pouvait être considérée comme une ressource, alors qu’il incombait seulement au juge de rechercher le rendement produit par ce placement pour l'année 2018.

(7 novembre 2022, Centre d'action sociale de la Ville de Paris, n° 458595)

 

77 - Allocation personnalisée d'autonomie en établissement – Revenu devant être pris en compte pour le calcul de la participation du bénéficiaire à cette allocation – Revenu net global déclaré à l’administration fiscale – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui, pour déterminer le montant de la participation du bénéficiaire à l’allocation personnalisée d’autonomie en établissement, retient le revenu net déclaré en vue de son imposition, c’est-à-dire après déduction des dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu alors qu’il résulte du code de l’action sociale et des familles (notamment des art. L. 232-8, L. 132-1 et L. 132-2) que le revenu devant être pris en compte est la somme arithmétique des revenus catégoriels tels qu'ils doivent être déclarés à l'administration fiscale pour le calcul de l'impôt sur le revenu, avant toute déduction ou tout abattement.

(7 novembre 2022, Ville de Paris, n° 460787)

(78) V. aussi, dans un litige en répétition d’un indu de RSA, la décision jugeant insuffisamment motivé un jugement et l’annulant pour n’avoir pas répondu au moyen, qui n’était pas inopérant, que seuls les biens non productifs de revenus pouvaient faire l'objet de l'évaluation forfaitaire prévue par les dispositions de l'art. R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles et que les intérêts des capitaux mobiliers des comptes bancaires dont disposait le requérant n'étaient que d'une trentaine d'euros mensuels sur la période en litige : 9 novembre 2022, M. A., n° 460260.

 

79 - Aide sociale à l'enfance - Doute sur l'état de minorité du demandeur - Compétence du juge administratif des référés - Limites de la force probante d'un acte d'état-civil étranger - Annulation.

Réitération d'une solution classique (cf. cette Chronique, octobre 2022, n° 129, avec même demandeur) : la production par l'étranger, candidat au bénéfice d'une prise en charge par un département, d'un extrait d'acte d'état-civil étranger établissant sa minorité ne prive pas ce département de la faculté de combattre par tout moyen, notamment au vu de données extérieures telle qu'une évaluation réfutant cet état de minorité, les indications portées sur cet acte d'état-civil. C'est à tort que le premier juge des référés a estimé le contraire en suspendant la décision départementale de cesser l'aide à l'hébergement et adressant une injonction en ce sens.

(ord. réf. 10 novembre 2022, Département des Bouches-du-Rhône, n° 468382)

(80) V., très comparable : 16 novembre 2022, M. B., n° 468568.

(81) V. aussi, à l'inverse et un peu surprenant, rejetant l'appel de ce département contre une ordonnance de référé lui enjoignant de poursuivre son accueil provisoire du requérant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance, en dépit de ce que le département invoquait certaines caractéristiques matérielles du jugement supplétif, dont l'authenticité n'était pas contestée ainsi que l'incohérence de l'apparence physique de l'intéressé et de son âge allégué et enfin certaines notations psychologiques relatives à son audition par le service spécialisé de la direction enfance famille du conseil départemental de l'aide sociale à l'enfance le 29 juin 2022, ces éléments n'étant pas de nature à réfuter les éléments produits l'intéressé pour établir son âge : ord. réf. 14 novembre 2022, M. B., n° 468359.

(82) V. également, assez voisin en substance, annulant une ordonnance du juge du référé liberté refusant en premier lieu de suspendre la décision d'un département cessant de renouveler la prise en charge d'une ressortissante ivoirienne, enceinte de cinq mois, au titre d'un contrat de jeune majeur et en second lieu de lui faire injonction de réexaminer sa demande de renouvellement de contrat de jeune majeur et de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé : ord. réf. 15 novembre 2022, Mme B., n° 468365.

(83) V. cependant, annulant le refus d'un département de continuer à prendre en charge comme jeune majeur une personne car le titre de séjour lui a été refusé par le préfet. Dès lors que le département a accordé cette prise en charge avant que l'intéressée ait atteint l'âge de vingt-et-un ans et qu'elle ne dispose d'aucun soutien familial, d'aucune ressource et d'aucune solution d'hébergement, il résulte des dispositions du 5° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles qu'il a l'obligation de poursuivre cette prise en charge : ord. réf. 28 novembre 2022, Mme B., n° 468184.

 

84 - Hébergement d'urgence - Ressortissants géorgiens - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Degré de vulnérabilité insuffisant - Rejet.

Confirmant le rejet de la demande en référé liberté présentée en première instance, le juge d'appel décide que - en l'état des capacités d'hébergement d'urgence dans le département des Bouches-du-Rhône - l'absence de proposition immédiate d'hébergement au bénéfice de M. C., de Mme D. et de leur enfant mineure souffrant de plusieurs pathologies, dont un diabète de type 2, ne revêt pas le caractère d'une carence de l'État telle qu'elle serait constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 10 novembre 2022, M. C. et Mme D., n° 468570)

(85) V. aussi, rejetant la demande, par une ressortissante congolaise, de relogement d'urgence en dépit d'une santé très dégradée pour laquelle elle est normalement soignée, qui n'empêche d'ailleurs pas son retour dans son pays et alors que l'État ne dispose pas des moyens de satisfaire sa demande : ord. réf. 29 novembre 2022, Mme B., n° 468854.

 

86 - Licenciement d'un salarié protégé pour motif économique - Refus d'accepter la modification de clauses de son contrat de travail - Prise en compte du motif allégué comme justificatif du licenciement - Office du juge - Annulation.

La juridiction saisie d'un recours dirigé contre l'annulation en première instance de la décision administrative autorisant le licenciement pour motif économique d'un salarié protégé ayant refusé la modification proposée de clauses de son contrat de travail, ne peut rechercher si cette modification est « strictement nécessaire » eu égard au motif économique du licenciement. Elle doit simplement vérifier si la modification était justifiée par le motif économique avancé.

En revanche, le Conseil d'État réitère (cf. 29 juin 2020, Société Papeteries du Léman, n° 417940 ; voir cette Chronique, juin 2020, n° 102 et n° 103) son exigence qu'il entre dans l'office de la juridiction saisie d'un tel moyen de se prononcer elle-même sur le bien-fondé de l'appréciation de l'autorité administrative sur le lien entre la modification du contrat et le motif économique du licenciement projeté, sans s'arrêter à une étape intermédiaire de son analyse sur ce point. 

(15 novembre 2022, Société Milleis Banque, n° 449317)

 

87 - Directive du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique  - Ordonnance de transposition du 12 mai 2021 - Organismes participant à la fixation des modalités de détermination et de versement de la rémunération due aux auteurs par mode d'exploitation - Transposition insuffisante de la directive - Rejet et annulation partiels.

Les organisations requérantes demandaient l'annulation des articles 4, 5, 9, 11 et 12 de l'ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 portant transposition du 6 de l'article 2 et des articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

Le Conseil d'État rejette une partie importante des moyens soulevés mais en admet cependant un.

Sont rejetés les moyens fondés sur l'atteinte à la liberté syndicale et au principe d'égalité. D'abord, les requérants ne sauraient soutenir que l'article 5 de l'ordonnance attaquée porterait atteinte à la liberté syndicale en conférant une compétence en matière de négociation collective aux organismes de gestion collective car les dispositions critiquées n'ont ni pour objet, ni pour effet de limiter la possibilité pour des auteurs de choisir d'adhérer à un syndicat de leur choix ou de constituer un syndicat, ni même de limiter la possibilité pour un tel syndicat de participer aux accords professionnels qu'elles prévoient. De plus, ni l'article 11 de la convention EDH, ni, en tout état de cause, l'article 6 de la charte sociale européenne, ni les conventions n° 87 et 135 de l'organisation internationale du travail ou la décision n° 123/2016 du 12 décembre 2018 du Comité européen des droits sociaux, l'existence d'un droit, pour les auteurs, à la « négociation collective » des conditions dans lesquelles sont gérés les droits d'exploitation qu'ils cèdent à des tiers, un tel droit ne concernant que les relations entre les travailleurs et les employeurs.

Ensuite, les dispositions critiquées ne portent pas une atteinte illégale au principe d'égalité car la différence de traitement, qui résulte de la spécificité du secteur du livre, lequel n'est pas structuré autour d'organismes de gestion collective, est fondée sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi.

En revanche, le juge retient que les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance en tant qu'elle ne prévoit pas que les auteurs cédant leurs droits exclusifs pour l'exploitation de leurs œuvres ont le droit de percevoir une rémunération appropriée. 

(15 novembre 2022, Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et des artistes-autrices (CAAP) et Ligue des auteurs professionnels, n° 454477)

 

88 - Récupération d'indu d'allocation de logement social par une caisse d'allocations familiales (CAF) - Évaluation des ressources de l'intéressée sur le fondement d'un texte déclaré illégal par le Conseil d'État - Prise en compte de cette circonstance - Réexamen de la situation par la caisse - Rejet par le tribunal - Méconnaissance de son office - Annulation avec renvoi.

Une CAF réclame le paiement d'un indu d'allocation de logement social en se fondant sur des dispositions réglementaires du code de la sécurité sociale déclarées illégales par une décision du Conseil d'État. La juridiction saisie par la bénéficiaire annule cette décision de récupération.

Le Conseil d'État est à la cassation car, relève-t-il, avant que le tribunal administratif ne se prononce, la CAF l'a informé, d'une part, qu'afin de tirer les conséquences de la déclaration d'illégalité de ces dispositions par la décision du Conseil d'État, elle avait procédé au réexamen de la situation de Mme B. sur la base des revenus de référence de l'année N-2 réellement perçus et déclarés par celle-ci en 2015, 2016 et 2017, de telle sorte qu'elle avait ramené le montant de l'indu à la somme de 2 313 euros et, d'autre part, que l'intéressée restait néanmoins redevable de la somme totale de 5 203,13 euros en raison d'autres régularisations effectuées par erreur par la CAF. Il incombait donc au juge, en vertu de son office, de tenir compte de l'ensemble de ces éléments, qui étaient, à la date de son jugement, suffisamment précis et non sérieusement contestés par Mme B., pour apprécier le bien-fondé de la décision de récupération d'indu attaquée.

(17 novembre 2022, Mme B., n° 456315)

 

89 - Récupération d'aide personnalisée au logement - Aide versée au bailleur - Délai de prescription de l'action en recouvrement - Délai spécial et non délai de droit commun - Rejet.

C'est sans erreur de droit que la présidente d'un tribunal administratif juge que la prescription applicable à une action en récupération d'un indu d'aide personnalisée au logement est celle biennale prévue par l'art. L. 553-1 du code de la sécurité sociale et non celle quinquennale, de droit commun, que fixe l'art. 2224 du Code civil.

(29 novembre 2022, Caisse d'allocations familiales de la Somme, n° 450275)

 

90 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Étendue des obligations s'imposant à l'administration chargée de son contrôle - Appréciation de l'information suffisante de l'instance représentative du personnel - Etendue de l'exigence d'information incombant à l'employeur - Rejet.

Cette décison comporte un rappel particulièrement net et complet de la procédure à suivre et du contrôle à exercer dans le cadre d'un PSE afin de s'assurer de la pleine et correcte information de l'instance représentative du personnel chargée de donner deux avis.

Dans la présente espèce la réorganisation de la société Auchan e-commerce France a conduit à un projet de licenciement pour motif économique lié à la fermeture de son établissement situé à Marseille. Le document unilatéral portant PSE a été homologué par l'administration.  Le comité social et économique central d'entreprise de la société Auchan e-commerce France ainsi que d'autres requérants ont saisi le Conseil d'État d'un pourvoi contre l'arrêt confirmatif de la cour administrative d'appel de Marseille rejetant leur demande tendant à l'annulation de la décision administrative homologuant le PSE.

Il convient de retenir du présent arrêt, tout d'abord, que le litige en contestation de la régularité de la décision homologuant un PSE relève exclusivement de l'excès de pouvoir, ce qui commande, bien évidemment, l'étendue du contrôle et du pouvoir exercé par le juge.

Ensuite, l'administration saisie d'une demande d'homologation d'un PSE doit s'assurer, positivement, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, a été régulière et, négativement, que cette procédure a été menée à son terme sans qu'aucune mesure de mise en œuvre de la réorganisation projetée n'ait été prise par anticipation.

Également, il incombe à cette autorité de vérifier que le comité a été mis à même d'émettre régulièrement deux avis, l'un sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, l'autre, sur le projet de licenciement collectif et le PSE.

Cette même exigence de complétude de l'information du comité emporte pour conséquence l'obligation pour l'administration d'envoyer copie au comité d'entreprise des observations qu'elle adresse à l'employeur et de s'assurer que l'employeur a envoyé copie de ses réponses aux représentants du personnel.

Enfin, dans le cas où, comme en l'espèce, l'entreprise appartient à un groupe et que l'employeur est, par suite, amené à justifier son projet au regard de la situation économique du secteur d'activité dont relève l'entreprise au sein de ce groupe, les éléments d'information adressés par l'employeur aux instances représentatives du personnel doivent porter non seulement sur la situation économique du secteur d'activité qu'il a lui-même pris en considération, mais aussi sur les raisons qui l'ont conduit à faire reposer son analyse sur ce secteur d'activité sans cependant être tenu d'adresser des éléments d'information relatifs à la situation économique d'un autre secteur d'activité que celui qu'il a retenu. 

Le recours est rejeté, la cour n'ayant pas commis d'erreur de droit dans la motivation de son arrêt et ayant exercé son pouvoir souverain d'appréciation sans dénaturation.

(15 novembre 2022, Comité social et économique central d'entreprise de la société Auchan e-commerce France, venant aux droits du Comité central d'entreprise de la société Auchan e-commerce France et autres, n° 444480)

 

91 - Droit au logement opposable - Conditions à satisfaire - Épouse et enfants ne résidant pas sur le territoire français - Rejet.

 La résidence permanente en France des membres du foyer au titre duquel une personne présente une demande d'attribution de logement étant au nombre des conditions réglementaires d'accès au logement social qu'il appartient à la commission de médiation d'appliquer, commet une erreur de droit la magistrate qui annule la décision de la commission de médiation refusant l'octroi d'un tel logement dès lors que l'épouse et les enfants du requérant, pour lesquels il envisageait un regroupement familial, ne séjournaient pas sur le territoire français.

(29 novembre 2022, M. B., n° 460679)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

92 - Élections départementales – Compte de campagne non visé par un expert-comptable – Inéligibilité prononcée pour douze mois – Sanction excessive – Réduction – Annulation partielle.

Si c’est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que devait être rejeté le compte de campagne d'un binôme pour n’avoir pas été présenté par un expert-comptable et que cette irrégularité devait être sanctionnée par l’inéligibilité, en revanche, eu égard au faible montant des dépenses engagées, à la complétude des pièces fournies et à l’absence de toute autre irrégularité, la durée de douze mois décidée pour cette inéligibilité est excessive et elle est ramenée à six mois par le juge d’appel.

(9 novembre 2022, Élections départementales du canton de Meximieux, n° 463037)

(93) Voir aussi, pour des solutions identiques mutatis mutandis : 16 novembre 2022, M. C. et Mme D., Élections départementales du canton de Vouziers, n° 463258 ; 23 novembre 2022, M. A. et Mme B., Élections départementales du canton de Lourdes-2, n° 462776 : faibles montants en cause et dépôt tardif seulement de quelques jours ; 23 novembre 2022, Mme A. et M. E., Élections départementales du canton de Condé-sur-Vire, n° 464908 : compte de campagne établi par un expert-comptable, production d'un relevé bancaire à l'appui du mémoire en défense devant le tribunal administratif; document permettant de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, absence d'anomalie, etc. ; ou encore, identique au précédent : 23 novembre 2022, Mme E. et M. B., Élections départementales du canton de Cherbourg-en-Cotentin-5, n° 464903)

(94) V., en revanche, confirmant une inéligibilité de douze mois pour le même motif de non présentation du compte de campagne du binôme et sans certification par un expert-comptable : 9 novembre 2022, M. C. et Mme B., Élections départementales du canton d’Athis-Mons, n° 463972.

(95) V., une même solution confirmative de l’inéligibilité et de sa durée en cas de non dépôt du compte de campagne : 9 novembre 2022, Mme B. et M. B., Élections départementales du canton de Flers-1, n° 465076, ou du fait d'avoir méconnu pendant plusieurs mois les dispositions du code électoral relatives au compte de campagne en dépit de la modicité des sommes en jeu et de l'inexpérience alléguée des membres du binôme :  25 novembre 2022, Mme F. et M. E., Élections départementales du canton de Saint-Paul-1 de La Réunion, n° 465367.

(96) V. encore, sur le rejet justifié d'un compte de campagne : 16 novembre 2022, M. C. et Mme D., Élections départementales du canton de Saint-Martin-d'Hères, n° 465589.

(97) V. aussi, particulièrement suggestif, confirmant le rejet du compte et l'inéligibilité du binôme pour dix-huit mois en raison de ce que constitue un « manquement délibéré (d')une particulière gravité » la présentation d'un compte de campagne dont les données ne sont pas confirmées, voire sont contredites, par les éléments justificatifs fournis et cela en dépit de la modestie des montants ressortant des pièces produites, ainsi que le refus persistant et sans justification des candidats de fournir les documents permettant de s'assurer de la sincérité du compte de campagne : 22 novembre 2022, Mme B. et M. D., Élections départementales du canton de Saint-Lyé, n° 465729.

 

98 - Élections départementales – Ouverture tardive des bureaux de vote - Absence d'effet sur la participation au scrutin - Irrégularités de la propagande - Annulation.

Est annulé le jugement du tribunal administratif qui annule les opérations électorales tenues dans un canton au motif que trois bureaux de vote ont ouvert avec un retard d'un quart d'heure à vingt minutes environ (bureaux n°1345, 1367 et 1369), qu'un bureau de vote a ouvert avec un retard de cinquante minutes (bureau n°1370) tandis que l'ouverture des huit autres bureaux de vote est intervenue avec un retard allant de deux heures et quinze minutes à trois heures et quinze minutes. Ainsi, le bureau de vote n°1340 a ouvert à 10h15, cinq bureaux de vote ont ouvert à 10h30 (bureaux n°1332, 1336, 1349, 1373 et 1365), le bureau de vote n°1371 a ouvert à 11 heures et le bureau de vote n°1374 a ouvert à 11h15.

Le juge d'appel considère que « Pour regrettable que soit cette circonstance et nonobstant la durée de fermeture d'un nombre important de bureaux à une heure de potentielle affluence des électeurs »,  il résulte de l'instruction que le retard important dans l'ouverture de ces bureaux est dû à l'absence des présidents et du matériel de vote, quarante présidents désignés par la ville de Marseille ne s'étant pas présentés la veille du scrutin pour récupérer le matériel de vote en mairie. Mais, pour autant, il n'est pas établi qu'un nombre important d'électeurs ont été empêchés de prendre part au vote de ce fait, les électeurs ayant eu la possibilité de venir voter jusqu'à la fermeture des bureaux de vote intervenue à 20 heures.

Ainsi, malgré les faibles écarts de voix entre les listes en concurrence, cette irrégularité - contrairement à ce qu'a jugé le tribunal  -  n'a pas été de nature à altérer les résultats du premier tour de scrutin et à porter atteinte à l'universalité du scrutin. 

Par ailleurs, bien que les affichages réalisés par le binôme formé par Mme D. et M. F. l'aient été en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 51 du code électoral, mais sont restés isolés et que la circulation d'un camion avec un dispositif d'affichage numérique en faveur de ce binôme aient revêtu une certaine ampleur, ces éléments ne sont pas de nature à altérer la sincérité du scrutin : le jugement est annulé.

La solution peut se discuter car cela fait beaucoup d'absolutions au total.

(15 novembre 2022, Mme d'Angio et M. Dudieuzère, Élections départementales du canton de Marseille-6, n° 461959)

 

99 - Élections départementales - Électeurs non passés par l'isoloir - Électeur n'ayant pas émargé - Votes irréguliers - Retranchement des votes irréguliers du total des voix - Annulation de l'ensemble des opérations électorales - Rejet.

Est confirmé le jugement annulant les opérations électorales dans un canton au motif que doivent être annulés deux suffrages d'électeurs n'étant pas passés par l'isoloir et un suffrage d'un électeur n'ayant pas émargé et alors que le nombre total des voix devant être retranchées est supérieur à l'écart séparant le binôme élu du suivant.

(17 novembre 2022, Mme I. et M. C., Élections départementales du canton du Moyen-Adour, n° 461929)

 

100 - Élections municipales partielles complémentaires – Nombre égal des voix obtenues par  deux candidats - Application de la règle de séniorité – Distribution de tracts électoraux la veille du scrutin – Faible écart des voix – Annulation du scrutin confirmée en appel.

Le protestataire, élu au bénéfice de l’âge à l’issue d’un scrutin destiné à compléter un conseil municipal à la suite de la démission de cinq conseillers municipaux, est débouté de sa demande d’annulation du jugement – rendu sur déféré préfectoral - qui a annulé les opérations électorales pour altération de la sincérité du scrutin.

Il résulte de quatre attestations concordantes portées à la connaissance du préfet que la veille du scrutin le protestataire a été vu distribuant des tracts de propagande électorale, dont, d’ailleurs, il ne conteste pas réellement l’authenticité. Eu égard au faible écart des voix, l’annulation du scrutin est confirmée par le juge d’appel.

(9 novembre 2022, M. E., Él. mun. de Saint-Béat-Lez, n° 463842)

(101) V. aussi, confirmant l'annulation de l'élection de trois conseillers municipaux lors d'élections partielles, aucun d'eux n'ayant obtenu un nombre de suffrages au moins égal au quart des électeurs inscrits : 16 novembre 2002, Mme E., Él. mun. de La Houssoye, n° 463842

 

102 - Élections des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna - Attribution d'un siège à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne - Suffrages irréguliers - Retranchement de ces suffrages du nombre de voix obtenues par chaque liste - Conséquence - Annulation de l'entier scrutin.

Quatre votes ayant été irrégulièrement exprimés, ils sont, hypothétiquement, déduits de chacune des listes en présence. Compte tenu des écarts de voix entre ces listes, les irrégularités constatées ne sont pas de nature à avoir affecté l'attribution des deux premiers sièges, mais seulement du troisième et dernier siège.

Eu égard à l'impossibilité de déterminer le sens des votes irrégulièrement exprimés, le juge de l'élection ne saurait attribuer ce dernier siège à la liste du requérant. Il ne peut en l'espèce davantage annuler l'élection de ce seul dernier siège et constater sa vacance, dès lors qu'une telle annulation aurait pour conséquence de modifier les équilibres politiques tels qu'ils résultent du scrutin dans la circonscription de Sigave.

Par suite, sans qu'il soit besoin d'apprécier en outre si une telle annulation d'un seul siège conduirait à modifier les équilibres politiques au sein de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna, il y a lieu, conformément à la demande du requérant et de sa liste,  Kile laga o lou fenua, d'annuler l'ensemble des opérations électorales pour cette circonscription.

(15 novembre 2022, M. D., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Sigave, n° 462885)

(103) V. aussi, rejetant un recours en annulation de ces mêmes élections à l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna dès lors que la déduction hypothétique des votes irréguliers du total des suffrages obtenus par chaque liste ne modifie pas  la moyenne de liste et donc les résultats du scrutin : 15 novembre 2022, Mme I., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Mua, n° 462890.

(104) V. encore, rejetant tous les griefs de la protestation tendant à voir annulées les opérations électorales dans une des circonscriptions de Wallis et Futuna et rappelant auparavant, comme dans la décision précédente, qu'il n'appartient pas au juge de l'élection, en l'absence de manœuvre ou d'irrégularité de la procédure suivie pour dresser les listes électorales susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin, d'apprécier la régularité de l'inscription ou de la radiation d'un électeur sur les listes électorales : 15 novembre 2022, Mme F., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Hahake, n° 463419.

(105) V., identique sur l'incompétence du juge administratif pour statuer sur la régularité des inscriptions ou radiations opérées sur les listes électorales ou pour vérifier si des électeurs inscrits remplissent les conditions fixées par l'article L. 11 ou l'article L. 12 du code électoral, sauf s'agissant d'apprécier tous les faits révélant des manœuvres ou des irrégularités susceptibles d'avoir altéré la sincérité du scrutin : 16 novembre 2022, M. F., Élections départementales du canton de Pau 1, n° 462049.

(106) V. également, constituant un florilège des moyens susceptibles d'être developpés - ici en vain - au soutien de la demande d'annulation d'un scrutin : 15 novembre 2022, M. Atoloto G., Élections pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, circonscription de Hihifo, n° 463420.

 

107 - Élection du président d'un  syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) - Risque de conflit d'intérêts entre cette qualité et d'autres qualités de l'élu - Rejet.

En l'absence de texte en disposant autrement ou d'élément de fait le donnant à penser, la circonstance qu'un président de SIVOM détienne également les mandats de premier adjoint d'une des communes membres et de vice-président de la communauté de communes en charge de l'eau et de l'assainissement n'a pas pour effet de le placer en situation de conflit d'intérêts ni non plus d'interdiction de cumuls, d'inéligibilité ou d'incompatibilité.

(17 novembre 2022, M. B, Élection du président du SIVOM de la vallée, n° 459554)

 

Environnement

 

108 - Nuisances sonores – Survol de propriétés par des hélicoptères – Autorisation d’emplacements d’hélisurfaces – Demande d’annulation – Rejet.

Est rejeté le recours dirigé contre le refus implicite d’abroger l'arrêté ministériel du 6 mai 1995 en tant qu'il concerne les hélisurfaces.

Les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté contesté ne prendrait pas en compte la proximité entre les hélisurfaces pour fixer le nombre maximal de mouvements et serait pour ce motif entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'objectif de limitation des nuisances sonores qui justifie l'édiction de prescriptions générales en cette matière.

Cet arrêté n’est pas, non plus, entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en tant qu’il autorise le préfet à réglementer l'utilisation des hélisurfaces, en particulier en limitant le nombre de mouvements qui peuvent y être effectués, en mettant en place un dispositif de suivi de ces mouvements et en restreignant l'utilisation lorsqu'il en résulte des nuisances phoniques ayant porté une atteinte grave à la tranquillité du voisinage.

Enfin, l'ampleur des nuisances sonores mesurées en 2021 sur la propriété de M. B. ne saurait en elle-même être de nature à établir l'insuffisance des dispositions prises au regard de l'objectif de lutte contre les nuisances sonores énoncé par les dispositions de l'article L. 571-1-A du code de l'environnement, dans la mesure notamment où les arrêtés préfectoraux pris en application de l'article R. 132-1-6 du code de l'aviation civile pour réglementer l'utilisation des hélisurfaces concourent à cet objectif.

(7 novembre 2022, Association « Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs » et M. B., n° 461152)

 

109 - Grands cormorans - Interdiction de destruction - Absence de fixation de quotas pour la dérogation à l'interdiction - Rejet.

Le juge rejette le recours formé par la fédération requérante tendant à voir suspendue l'exécution de l'arrêté du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025, en tant qu'il ne prévoit pas de quotas ou plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025.

Le rejet est ainsi motivé : « Si l'article 4 de l'arrêté du 26 novembre 2010 prévoit qu'un arrêté ministériel fixe des quotas départementaux d'oiseaux qui peuvent être détruits pour chaque campagne de prélèvement, déterminés par type de territoire au regard de la protection des piscicultures et des populations menacées, c'est sous réserve que la nécessité de ces prélèvements soit justifiée au regard des critères - fixés à l'article L. 411-2 du code de l'environnement - de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées posée par le 1° de l'article L. 411-1 du même code. Il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi que des éléments recueillis à l'audience, que la prédation des grands cormorans sur les plans et cours d'eau libres porte sur des espèces aquatiques protégées ou menacées une atteinte telle qu'elle imposait, à la date de l'arrêté litigieux, une telle dérogation. Par suite, au regard des éléments soumis au juge des référés à la date de la présente décision, les moyens présentés (...) ne sont pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué. »

 (ord. réf. 10 novembre 2022, Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques, n° 468608)

 

110 - Assimilation, à raison de leur mode d'action, des substances actives flupyradifurone et sulfoxaflor à la famille des néonicotinoïdes - Adoption de mesures urgentes - Communication à la commission européenne d'un projet de décret fondé sur des éléments scientifiques anciens ou peu probants - Annulation.

Lorsqu'un État membre de l'Union entend interdire en urgence l'usage de certaines substances actives relevant de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535, il a l'obligation de communiquer ce projet, sous forme d'une information officielle, à la Commission européenne.

La CJUE  (8 octobre 2020, Union des industries de la protection des plantes, aff. C-514/19) a dit pour droit que la communication d'une telle mesure nationale constitue une information officielle de la nécessité de prendre des mesures d'urgence, au sens de l'article 71, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1107/2009, lorsque cette communication comporte une présentation claire des éléments attestant, d'une part, que ces substances actives sont susceptibles de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement et, d'autre part, que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante sans l'adoption, en urgence, des mesures prises par l'État membre concerné.

Dans ce cadre, la France a notifié le 3 août 2018 à la Commission européenne un projet de décret comportant la liste des substances actives contenues dans les produits phytopharmaceutiques et présentant des modes d'action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes, visant les substances actives flupyradifurone et sulfoxaflor. Pour justifier cette mesure, les autorités françaises indiquaient s'être fondées sur « de nombreuses publications scientifiques et d'organismes reconnus (...) (qui) vont dans le sens d'un impact majeur des néonicotinoïdes sur de nombreuses composantes de l'environnement sur des organismes non cibles telles que les abeilles, les macro-invertébrés ou bien encore les oiseaux » et sur une étude de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui « identifie un risque pour la santé humaine (incidence sur le développement du système nerveux) ».

Les requérantes contestent la légalité du décret n° 2019-1519 du 30 décembre 2019.

Leur donnant raison, le Conseil d'État juge d'abord que ces études se rapportent aux néonicotinoïdes et non aux substances flupyradifurone et sulfoxaflor qui n'appartiennent pas à cette famille de substances même si elles présentent un mode d'action identique à celles-ci en agissant sur le récepteur nicotinique de l'acétylcholine. Il estime ensuite que les trois études produites au soutien du bien-fondé du décret litigieux sont anciennes, qu'aucune d'elles n'atteste des risques liés à l'usage de la flupyradifurone et que celle portant sur la sulfoxaflor est antérieure au règlement d'exécution (UE) 2015/1295 du 27 juillet 2015 portant approbation du sulfoxaflor par la Commission européenne.

Il se déduit de là que le décret attaqué ne comporte pas « une présentation claire des éléments attestant que les substances en cause sont susceptibles de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante sans l'adoption, en urgence, des mesures d'interdiction envisagées » et qu'ainsi il ne saurait tenir valablement lieu de l'information officielle donnée à la Commission européenne tendant à établir la nécessité de prendre des mesures de sauvegarde au titre de l'article 71, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1107/2009.

Le décret litigieux ne pouvait comporter une mesure générale d'interdiction d'utilisation des substances flupyradifurone et sulfoxaflor, d'où son annulation.

(15 novembre 2022, Société Bayer SAS, n° 439133 ; Union des industries de la protection des plantes, n° 439210, jonction)

(111) V. aussi, identique : 15 novembre 2022, Union des industries de la protection des plantes, n° 449776 ; Société Bayer SAS, n° 449786.

 

112 - Installation classée pour l'environnement - Criblage, concassage de béton et d'enrobés routiers et transit de produits minéraux - Mise en demeure de régulariser par une procédure d'enregistrement - Refus pour incompatibilité avec l'affectation du terrain en zone naturelle de loisirs par le PLU - Rejet.

La modification ou l'extension d'installations existantes, lorsqu'elle nécessite de procéder à un nouvel enregistrement, constitue une ouverture d'une installation au sens de l'article L. 152-1 du code de l'urbanisme, qui doit alors être conforme aux documents d'urbanisme en vigueur. Il en est a fortiori de même lorsque la demande d'enregistrement est présentée afin de régulariser une exploitation irrégulière. 

La demande de suspension est rejetée tant en raison de l'intérêt général qui s'attache à la préservation de la ressource en eau dans une zone de protection des champs captants d'eau potable, particulièrement vulnérable aux risques qu'en raison de ce que les pertes financières consécutives à la mise en oeuvre de la décision querellée ne sont que la conséquence du caractère irrégulier de l'exploitation en cause.

(ord. réf. 15 novembre 2022, Société Vitse, n° 463114)

 

113 - Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement - Autorisation de défrichement - Avis de l'autorité environnementale - Autonomie effective - Autonomie mesurée uniquement sur le contenu de l'avis - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Les requérantes demandaient l'annulation d'un arrêté préfectoral ayant délivré une autorisation de défrichement en vue de l'implantation d'un parc de cinq aérogénérateurs après avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Aquitaine. Elles invoquaient l'absence d'autonomie effective de cet organisme garantissant son impartialité et son objectivité à l'égard du préfet de la région Aquitaine, préfet de la Gironde, auteur de l'autorisation de défrichement litigieuse.

Pour rejeter cet argument, la cour administrative d'appel, tout en relevant l'absence d'autonomie effective de cette direction régionale, a cru pouvoir juger que cette seule circonstance ne suffisait pas à entacher cette autorisation d'illégalité car l'autorité environnementale avait mis en lumière, dans son avis, les lacunes et les insuffisances qui entachaient selon elle l'étude d'impact, contribuant ainsi à l'information du public et mettant l'autorité compétente à même de se prononcer sur la demande d'autorisation en connaissance de cause.

Pour annuler pour erreur de droit cet arrêt le juge de cassation relève qu'il ne pouvait pas se fonder sur le seul contenu de l'avis « pour juger que le défaut d'autonomie de l'autorité environnementale n'avait pas été de nature, en l'espèce, à vicier la procédure en nuisant à l'information complète du public ou en exerçant une influence sur la décision de l'autorité administrative et, par suite, à entacher d'illégalité l'autorisation de défrichement litigieuse ».

Il faut s'interroger : qu'eût-il fallu faire ? Décider par principe que l'avis était nécessairement irrégulier et la procédure viciée ? Le Conseil d'État eût-il admis un raisonnement aussi rigide ? On peut en douter. Alors quid ?

(23 novembre 2022, Association Maransin Éole et autres, n° 443497)

 

114 - Articulation du régime de protection des espèces protégées et avec celui des des planifications et autorisations de travaux propres aux activités touristiques en montagne - Art. L. 411-1 c. environnement et L. 425-15  c. urb. - Remontées mécaniques et aménagements de domaine skiable - Unités touristiques nouvelles (UTN) - Rejet.

Les requérantes poursuivaient l'annulation de  la décision implicite de rejet par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur leur demande tendant à ce que soient prises les mesures utiles nécessaires à assurer l'articulation entre le régime de protection des espèces protégées et de leurs habitats et celui des planifications et autorisations de travaux propres aux activités touristiques en montagne aux fins d'application des dispositions des art. L. 425-15 du code de l'urbanisme et L. 411-1 du code de l'environnement ainsi que la correcte transposition, d'une part, de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages et, d'autre part, de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.

Le recours est rejeté en ses deux chefs principaux de demandes.

Concernant les remontées mécaniques et les aménagements de domaine skiable, les requérantes soutiennent que les dispositions du code de l'urbanisme applicables aux projets de remontées mécaniques ou d'aménagements de domaine skiable méconnaissent les objectifs et exigences de la directive du 21 mai 1992 précitée, ainsi que les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, en ce qu'elles ne prévoient ni que ces autorisations de travaux en zone de montagne ne peuvent être délivrées et mises en œuvre avant l'éventuelle délivrance d'une dérogation au titre du 4° du I de cet article L. 411-2, ni que le dossier de demande doit préciser, s'il y a lieu, que les travaux doivent faire l'objet d'une telle dérogation. 

Le moyen n'est pas retenu car :

1° les dispositions des art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement assurent une correcte transposition de la directive du 21 mai 1992 précitée, en particulier de son article 16 qui encadre les modalités selon lesquelles il peut le cas échéant être dérogé au principe général d'interdiction des destructions et perturbations des espèces protégées et de leurs habitats que la directive pose par ailleurs ;

2° aucune des dispositions du code de l'urbanisme applicable aux projets de remontées mécaniques ou d'aménagements de domaine skiable n'a pour objet ou pour effet de dispenser un projet relevant de ces dispositions de l'obligation d'obtenir le cas échéant une dérogation au titre du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement en cas d'incidences sur des espèces protégées ou leurs habitats;

3° aucune méconnaissance des exigences de la directive ne saurait être tirée de l'absence d'articulation explicite entre ces deux législations indépendantes.

Concernant les unités touristiques nouvelles (UTN), le recours n'est pas davantage accueilli.

En premier lieu, les UTN structurantes prévues par un schéma de cohérence territoriale et les UTN locales prévues par un plan local d'urbanisme font systématiquement l'objet d'une évaluation de leurs incidences sur l'environnement, notamment, le cas échéant, sur les espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées et leurs habitats, à travers l'évaluation à laquelle sont soumis ces documents d'urbanisme. En outre, les autres UTN soumises à autorisation font l'objet soit systématiquement d'une telle évaluation environnementale préalable, soit d'un examen au cas par cas destiné à déterminer si elles sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, au regard des critères de l'annexe II de la directive du 27 juin 2001 précitée.

En second lieu, en tant que dispositif d'aménagement conciliant développement de l'économie montagnarde et protection des milieux naturels, les UTN n'ont ni pour objet, ni pour effet d'autoriser directement la réalisation de projets ou d'équipements susceptibles de porter atteinte à la conservation des espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées, projets qui devront être ultérieurement autorisés et mis en œuvre conformément aux dispositions des différentes législations potentiellement concernées, parmi lesquelles, le cas échéant, les dispositions du 4° du I de l'art. L. 411-2 du code de l'environnement. 

(23 novembre 2022, Association France nature environnement et association France nature environnement Auvergne-Rhône-Alpes, n° 452173)

 

115 - Protection des oiseaux - Méthodes de capture - Vanneaux huppés et pluviers dorés - Caractère traditionnel d'une technique chasse - Méconnaissance du droit de l'Union - Annulation.

L'arrêté du 12 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à la capture des vanneaux huppés et des pluviers dorés au moyen de tenderies dans le département des Ardennes pour la campagne 2021-2022 est annulé car sa nature de méthode de chasse traditionnelle ne constitue pas, selon la jurisprudence de la CJUE interprétant la directive "oiseaux" (23 avril 2020, Commission c/ Finlande, aff. C-217/19 ; 17 mars 2021, One Voice, Ligue pour la protection des oiseaux c/ ministre de la transition écologique, aff. C-900/19) un motif suffisant ou pertinent de dérogation à l'interdiction de chasser des espèces vulnérables et donc protégées. L'arrêté attaqué porte ainsi atteinte aux objectifs de l'art. 9 de la directive du 30 novembre 2009 ainsi qu'aux dispositions de l'art. L. 424-4 du code de l'environnement. 

(23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457516 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457579)

(116) V. aussi, la solution identique retenue pour la chasse par tenderie aux grives et aux merles noirs dans le département des Ardennes : 23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457517 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457583.

(117) V. également, la solution identique retenue pour la capture de l'alouette des champs (Alauda arvensis) au moyen de matoles dans les départements des Landes, du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne : 23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457518 et n° 457521 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457539 et n° 457541).

(118) V. encore, la solution identique pour la capture de l'alouette des champs (Alauda arvensis) au moyen de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques : 23 novembre 2022, Association One Voice, n° 457526, n° 457532, n°457533 et n°457534 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 457544, n° 457548, n° 457552 et n° 457555).

 

119 - Évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement - Évaluation environnementale des documents d'urbanisme et des unités touristiques nouvelles - Champ d'application de cette évaluation - Création de deux procédures distinctes d'examen en cas d'évaluation environnementale - Rejet.

La requérante contestait la juridicité des art. 2 à 8, et 13 du décret n° 2021-1345 du 13 octobre 2021 portant modification des dispositions relatives à l'évaluation environnementale des documents d'urbanisme et des unités touristiques nouvelles qui modifie diverses dispositions du code de l'urbanisme et demandait le renvoi à titre préjudiciel à la CJUE pour interprétation de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, si les dispositions des art. 2 à 8 du décret attaqué (devenues art. R. 104-3 à R. 104-17-2 c. urb.) ne mentionnent expressément que les procédures d'élaboration, de révision et de modification des plans et programmes, elles doivent cependant être interprétées, au regard de la jurisprudence de la CJUE (22 mars 2012, Inter-Environnement Bruxelles ASBL, aff. C-567/10), comme étant en principe applicables aux procédures d'abrogation totale ou partielle des documents d'urbanisme qu'elles mentionnent. Dès lors doit être rejeté le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient illégales faute, d'une part, de soumettre à évaluation environnementale les procédures d'abrogation des actes qu'elles visent et, d'autre part, de préciser les modalités de cette évaluation environnementale.

En deuxième lieu, la circonstance que la transposition de la directive est faite en l'espèce par renvoi aux critères de l'annexe II de celle-ci ne l'entache pas d'irrégularité dès lors que, comme c'est le cas ici, elle respecte les conditions rappelées par le juge (V. plus loin le n° 133).

Enfin, il est rappelé que l'art. 13 du décret attaqué - querellé par la demanderesse - a modifié ou procédé à la réécriture des articles R. 104-28 à R. 104-37 du code de l'urbanisme afin de prévoir deux procédures distinctes d'examen au cas par cas de la nécessité de soumettre l'élaboration ou l'évolution d'un plan ou programme régi par le code de l'urbanisme à évaluation environnementale.

D'une part, les art. R. 104-28 à R. 104-32 précisent le champ d'application et les modalités de l'examen au cas par cas, lorsqu'il est réalisé par l'autorité environnementale.

D'autre part, les art. R. 104-33 à R. 104-37 précisent le champ d'application et les modalités de l'examen au cas par cas, lorsqu'il est réalisé par la personne publique responsable de la procédure d'élaboration ou en cas d'évolution du plan ou programme concerné.

Les moyens soulevés à l'encontre de cette disposition sont tous écartés.

Il est inexact, au vu de ce qui précède, de soutenir que la procédure d'examen au cas par cas réalisée par une autorité distincte de l'autorité environnementale serait dépourvue de base légale.

Pas davantage l'instauration de cet examen au cas par cas et ses conditions d'organisation ne méconnaît le principe de clarté et d'intelligibilité de la norme

Pareillement, la circonstance de possibles contentieux pouvant survenir à l'encontre d'une procédure au cas par cas n'affecte pas le principe de sécurité juridique.

Enfin, eu égard aux garanties entourant les conditions dans lesquelles une personne publique responsable est susceptible de retenir qu'il n'y a pas lieu de soumettre l'élaboration ou l'évolution d'un document d'urbanisme à la réalisation d'une évaluation environnementale, les dispositions du décret attaqué ne sauraient être regardées comme méconnaissant les exigences de la directive du 27 juin 2001 précitée, ni le principe d'impartialité.

(23 novembre 2022, Association France nature environnement, n° 458455)

V. aussi pour un autre aspect de cette décision le n° 133

 

Étrangers

 

120 - Demande de visa de long séjour – Obligation d’en démontrer la nécessité – Silence des textes sur les motifs de refus d’un tel visa – Pouvoir discrétionnaire de l’administration – Rejet.

Le requérant demandait la cassation de l’arrêt d’appel confirmatif rejetant le recours qu’il avait formé contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirmant la décision des autorités consulaires à Alger lui refusant un visa de long séjour. 

Revenant totalement sur une décision antérieure pourtant récente (4 février 2021, M. Bouhmaz, n° 434302 ; voir cette Chronique, n° 107), le juge de cassation indique qu’en l’absence dans les textes de l’indication des motifs de refus d’octroi à un ressortissant étranger d’un visa de long séjour (plus de trois mois) en France, l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire (« large pouvoir d’appréciation » écrit le juge) à cet égard. Elle peut se fonder « non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, tel que le détournement de l'objet du visa, mais aussi sur toute considération d'intérêt général. »

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que n’était pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, en l’espèce, un refus de visa motivé par l’absence de preuve de la nécessité pour le demandeur d’obtenir un visa de longue durée.

(7 novembre 2022, M. A., n° 449990)

 

121 - Personnes secourues en mer - Placées en zones d'attente temporaire à Toulon et à Hyères - Circonstances exceptionnelles - Prise en charge à titre humanitaire - Rejet.

L'association requérante critiquait l'institution de zones d'attente temporaire dans la base navale de Toulon et dans un centre de vacances à Hyères demandant la suspension de l'arrêté préfectoral les créant ainsi que la prise de plusieurs injonctions aux préfets et au ministre de l'intérieur.

Les requêtes sont rejetées.

Les conditions de création de la zone d'attente ne sauraient être critiquées en raison des circonstances exceptionnelles et du motif de droit humanitaire qui ont présidé à la réception par la France de personnes recueillies à bord d'un navire errant en Méditerranée. Pas davantage ne saurait prospérer le moyen critiquant les conditions d'exercice des droits de ces personnes au sein de la zone d'attente.

Ainsi, il n'a pas été porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant l'usage par le juge du référé liberté des pouvoirs qu'il détient.

(ord. réf. 19 novembre 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), n° 468917)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

122 - Contrat de travail à durée déterminée – Refus de renouvellement – Décret du 16 juin 2020 – Conditions d’assimilation à une privation involontaire d’emploi – Qualification inexacte des faits – Annulation sans renvoi (règlement de l’affaire au fond).

Une personne employée dans un CHU par contrats successifs à durée déterminée a indiqué ne pas souhaiter voir son contrat renouvelé au-delà du 11 octobre 2015 puis elle a posé sa candidature à un tel contrat pour la période du 7 décembre 2015 au 3 janvier 2016.

L’établissement lui a refusé l’octroi, qu’elle sollicitait, de l'allocation d'aide au retour à l'emploi au motif qu'elle avait refusé la proposition de renouvellement de son contrat à durée déterminée au-delà du 11 octobre 2015 et ce refus a été réitéré en juillet et août 2016 au motif, cette fois, que les conditions de délai ou de durée d'activité requises par la convention d'assurance chômage n'étaient, depuis sa dernière perte volontaire d'emploi, pas remplies.

Saisi par l’intéressée le tribunal administratif a annulé ces refus, octroyé la réparation du préjudice moral en résultant ainsi qu’une somme correspondant au montant de l’aide au retour à l’emploi à compter du 3 janvier 2016. Le CHU de Poitiers se pourvoit en cassation.

Le décret du 16 juin 2020 relatif au régime particulier d'assurance chômage applicable à certains agents publics et salariés du secteur public, dispose que l'agent qui refuse le renouvellement de son contrat de travail ne peut être regardé comme involontairement privé d'emploi, à moins que ce refus ne soit fondé sur un motif légitime.

Selon le juge, ce motif légitime peut être lié notamment à des considérations d'ordre personnel ou au fait que le contrat a été modifié de façon substantielle par l'employeur sans justification.

Le tribunal avait considéré comme légitime le motif avancé par l’intéressée pour refuser le renouvellement de son contrat de travail et en avait déduit le caractère involontaire de la perte d’emploi d’où les condamnations prononcées contre le CHU.

Le Conseil d’État estime que le tribunal administratif, en jugeant ainsi, a inexactement qualifié les faits de l’espèce à savoir l’invocation par la demanderesse de considérations personnelles d’abord tirées, le 7 octobre 2015, de la volonté de s'investir dans un projet associatif, puis tirées, le 14 novembre 2015, de ce qu’elle avait des difficultés psychologiques à poursuivre une activité dans son service d'affectation en raison de sa situation familiale.

En l’absence de perte involontaire d’emploi et de satisfaction des conditions de délai ou de durée d’activité, le CHU ne pouvait que refuser l’octroi de l’allocation sollicitée, d’où résulte le rejet de la demande de l’intéressée.

(9 novembre 2022, Mme A., n° 453076)

 

123 - Déplacements temporaires des personnels et agents du ministère de l’agriculture – Règlement des frais occasionnés par ces déplacements – Principe du forfait – Prise en compte de circonstances justifiant un remboursement des frais réels de dépenses – Illégalité – Annulation.

Dès lors qu’il résulte des dispositions des articles 3, 7 et 7-1 du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'État, que les frais de mission occasionnés par ces déplacements ne peuvent donner lieu qu'à un remboursement forfaitaire, est illégal et encourt annulation l’arrêté ministériel prévoyant la possibilité, dans certaines circonstances, de procéder au remboursement aux frais réels desdits dépenses  et frais.

(10 novembre 2022, Syndicat national des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement (SNIAE-FO), n° 457619)

 

124 - Professeur d’éducation physique déclaré inapte à l’exercice de ses fonctions – Reclassement dans le corps des conseillers principaux d’éducation – Refus d’octroi de l’indemnité forfaitaire d’éducation – Annulation.

Une professeur d’éducation physique est déclarée inapte à l’exercice de ses fonctions après avoir subi trois accidents de travail ; elle est reclassée dans les fonctions de conseiller principal d’éducation à partir de 2011 et jusqu’à son départ à la retraite en 2017.

Sa demande d’octroi de l’indemnité forfaitaire d’éducation, normalement versée aux conseillers d’éducation, ayant été rejetée d’abord par l’administration puis par les juridictions du fond qu’elle avait saisies, elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État juge que la cour a commis une erreur de droit en estimant que la requérante ne remplissait pas les conditions fixées par le décret du 14 mai 1991 pour l’octroi de cette indemnité. En effet, l’art. 1er de ce texte institue cette indemnité forfaitaire en faveur des conseillers principaux et des conseillers d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation, et des personnels non titulaires exerçant les mêmes fonctions sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la titularisation ou non de l’intéressé dans ce corps, seul étant retenu l’exercice effectif desdites fonctions, ce qui était le cas de Mme D.

(10 novembre 2022, Mme D., n° 458629)

 

125 - Université - Maître de conférences - Sanction disciplinaire - Retard à l'avancement d'échelon de trois mois - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Encourt annulation pour qualification inexacte des faits, la décision du CNESER statuant en matière disciplinaire infligeant à un maître de conférences des universités un retard d'avancement d'échelon de trois mois en raison de ce que n'ayant pas contribué à apaiser le climat de tension lors d'une manifestation étudiante le 18 mai 2018 au cours de laquelle, alors qu'étaient organisées des sessions d'examens, des manifestants avaient poursuivi et invectivé plusieurs membres du personnel administratif en charge de l'organisation des examens, il avait manqué à son obligation de neutralité.

En effet, ne s'aperçoit en l'espèce aucunement un manquement d'une telle sorte.

(15 novembre 2022, M. B., n° 451523)

 

126 - Fonctionnaires et agents publics affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 dans le cadre d'un séjour « réglementé » - Réaffectation à Mayotte à l'issue de ce séjour - Droit à l'indemnité dégressive d'éloignement - Mise en oeuvre erronée du 6° de l'art. R. 222-1 CJA - Annulation.

La requérante avait saisi le tribunal administratif de Mayotte d'une demande d'annulation de la décision du recteur de l'académie de Paris lui refusant le bénéfice de la fraction d'indemnité d'éloignement dégressive à laquelle elle estimait avoir droit au titre de l'année 2018 et l'octroi d'une certaine somme en réparation des préjudices subis du fait de la promesse fautive de l'administration.

Le président de la 2ème chambre du tribunal administratif a, par voie d'ordonnance, rejeté sa demande par application du 6° de l'art. R. 222-1 du CJA. 

Le pourvoi dont la requérante a saisi le Conseil d'État permet à ce dernier d'apporter deux intéressantes précisions.

En premier lieu, quant à la procédure suivie, l'ordonnance est cassée car son auteur a estimé que la demande dont il était saisi présentait à juger des questions identiques à celles déjà tranchées par un jugement du tribunal administratif du 12 mars 2020 devenu irrévocable.

Or les dispositions du 6° de l'art. R. 222-1 CJA ne permettent au juge de statuer par ordonnance sur les requêtes relevant d'une série que si les contestations dont il est saisi ne présentent à juger que des questions qui ont déjà été tranchées par un jugement devenu irrévocable et si les données de fait susceptibles de varier d'une affaire à l'autre sont sans incidence sur le sens de la solution à donner aux litiges. Elles ne peuvent, en revanche, être mises en œuvre si le jugement du litige dépend, comme c'était le cas en l'espèce, d'une appréciation ou qualification des faits propres à chaque affaire. 

En second lieu, concernant le fond du litige, il est jugé que les agents affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 dans le cadre du séjour dit " réglementé " de deux ans alors prévu par le décret du 26 novembre 1996 et qui, à l'issue de ce séjour, ont été de nouveau affectés à Mayotte postérieurement à l'abrogation de ce décret, et donc sans condition de durée de séjour, entraient dans le champ des dispositions transitoires du II de l'article 8 du décret du 28 octobre 2013 et avaient ainsi droit à l'indemnité dégressive que ces dispositions prévoient, pour une durée de quatre ans à compter de leur nouvelle affectation.

Le jugement est annulé.

(15 novembre 2022, Mme B., n° 456035)

 

127 - Militaires - Procédure disciplinaire - Invocation de la Convention EDH - Impossibilité - Rejet.

Les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention EDH et l'article préliminaire du code de procédure pénale ne peuvent pas être invoqués pour contester des dispositions définissant la procédure disciplinaire applicable aux militaires (cf. art. R. 4137-41, R. 4137-96 et R. 4137-106 du code de la défense).

(16 novembre 2022, M. B. et M. C, n° 457478)

 

128 - Fonctionnaire hospitalier placé en disponibilité pour trois ans - Demande anticipée de réintégration - Réintégration de droit à première vacance - Emploi occupé par un contractuel constituant un « emploi vacant » - Erreur de droit - Annulation

Un infirmier hospitalier a obtenu une mise en disponibilité pour une durée n'excédant pas trois ans et sollicite sa réintégration avant l'expiration de la période triennale, à compter du 1er novembre 2015. Le centre hospitalier employeur ne l'a réintégré qu'à compter du 11 janvier 2016. L'intéressé demande réparation du préjudice causé par la tardiveté à le réintégrer dès la première vacance.

Son recours est rejeté en première instance motif pris de ce que les deux postes d'infirmiers étaient alors occupés par des agents contractuels et que c'est donc sans illégalité qu'il n'a pu être réintégré dans l'un d'entre-eux.

Le Conseil d'État est à la cassation de ce jugement car les postes de fonctionnaires occupés par des agents contractuels doivent être considérés comme vacants, ce qui, en l'espèce, impliquait une réintégratiuon, comme demandée par le requérant, au 1er novembre 2015 et non au 11 janvier 2016.

(17 novembre 2022, M. B., n° 451700)

 

129 - Inspecteur général de la jeunesse et des sports - Directeur général de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) - Comportement indélicat - Mise à la retraite d'office - Impartialité - Conflit d'intérêts - Rejet.

Le requérant, inspecteur général de la jeunesse et des ports, directeur général de l'INSAP avait été sanctionné par mise à la retraite d'office pour avoir fait profiter des proches de facilités de séjour à Rio de Janeiro à l'occasion de Jeux olympiques. Le décret du président de la république ayant été annulé pour vice de procédure, l'intéressé avait été réintégré dans ses fonctions puis a fait l'objet à nouveau d'une sanction par mise à le retraite d'office.

Saisi à nouveau, le Conseil d'État rejette l'entier recours et, en particulier, deux moyens qui pouvaient faire hésiter.

En premier lieu, le requérant faisait valoir que les circonstances que la chef de l'inspection générale ait signé le rapport de saisine de la commission administrative paritaire, qui concluait que les faits reprochés à M. de Vincenzi justifiaient l'engagement d'une procédure disciplinaire et qu'elle ait décidé de limiter l'indemnisation du préjudice résultant pour le requérant de l'illégalité du décret du 22 septembre 2019 à ce qui résultait du vice de procédure dont il était entaché, faisaient obstacle à ce qu'elle pût régulièrement présider la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline. L'argument est rejeté car « il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait, dans la conduite des débats, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé. »

 Au regard de la théorie des apparences, la motivation est un peu courte.

En second lieu,  le requérant faisait valoir que les faits qui lui étaient reprochés avaient été constatés dans le rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports dont l'un des auteurs se trouvait en situation de conflit d'intérêts et qu'ainsi était discutable ce qui lui était reproché. Le Conseil d'État indique que cette situation de conflit d'intérêts n'avait opas d'incidence en l'espèce dès lors que la matérialité des faits décrits dans ce rapport était établie. Par suite, il ne saurait être soutenu que la sanction repose sur des faits matériellement inexacts.

Comme, par ailleurs, la sanction n'apparaît point disproportionnée compte tenu des faits, le recours est rejeté.

(18 novembre 2022, M. Jean-Pierre de Vincenzi, n° 457565)

 

130 - Fonction publique hospitalière - Infirmière titulaire - Fixation de la limite d'âge en vue de la retraite - Silence des textes - Emploi dit « actif » - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Dans le silence des textes concernant la limite d'âge du départ à le retraite d'une infirmière titulaire, il convient de lui appliquer celle en vigueur pour les agents de la fonction publique hospitalière occupant les emplois classés dans la même catégorie que l'emploi qu'elle occupe, soit, en l'espèce, la catégorie B (dite « active »).

Or, d'une part, les fonctionnaires de la catégorie « active » sont régis par les dispositions de l'art. 31 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, applicable aux fonctionnaires dont la limite d'âge est inférieure à soixante-cinq ans en application des dispositions législatives et réglementaires antérieures à l'entrée en vigueur de cette loi et, d'autre part, il  résulte des travaux préparatoires de la loi du 9 novembre 2010 que, s'agissant des agents de la fonction publique hospitalière, le législateur a entendu élever la limite d'âge maximale applicable aux agents occupant un emploi de catégorie B, dite « active », de soixante à soixante-deux ans, tout en prévoyant des dispositions transitoires pour les fonctionnaires atteignant avant le 1er janvier 2015 l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite qui leur était applicable antérieurement à la loi du 9 novembre 2010.

Il s'ensuit que commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour déterminer la limite d'âge applicable à la requérante, se fonde sur les dispositions de l'article 28 de la loi du 9 novembre 2010, alors qu'il lui appartenait, dès lors qu'elle retenait que l'intéressée occupait un emploi relevant de la catégorie B dite « active », de faire application des seules dispositions de l'article 31 de cette même loi, qui a relevé de 60 à 62 ans la plus haute limite d'âge applicable aux agents de la fonction publique hospitalière occupant un emploi de cette catégorie.

(23 novembre 2022, M. B., n° 451974)

 

131 - Accès à la magistrature - Demande d'admission en qualité d'auditrice de justice - Diplôme estimé ne pas satisfaire aux conditions légales - Commission d'examen des candidatures dotée d'un très large pouvoir d'appréciation - Contrôle restreint - Rejet.

La requérante demandait l'annulation de la décision de la commission d'avancement refusant de l'admettre directement en qualité d'auditrice de justice car elle ne remplissait pas la condition requise de diplôme.

Celle-ci arguait de ce qu'elle détenait une maîtrise de sciences de gestion et un diplôme universitaires « Études et pratiques judiciaires » ; toutefois la loi organique relative à la magistrature exige pour la recevabilité d'une demande d'admission directe comme auditeur de justice l'accomplissement d'une formation d'une durée au moins égale à quatre années d'études après le baccalauréat dans un domaine juridique ou la possession d'une qualification reconnue au moins équivalente. Compte tenu du pouvoir discrétionnaire dont dispose la commission d'avancement en cette matière, le juge se borne à constater qu'elle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation et rejette le recours.

(29 novembre 2022, Mme B., n° 450073)

 

Hiérarchie des normes

 

132 - Polynésie française – « Loi du pays » - Dispositions n’entrant pas dans le champ des compétences dévolues à ce territoire par la loi organique du 27 février 2004 – Annulation partielle.

(9 novembre 2022, Haut-commissaire de la République en Polynésie française, n° 464367 ; Mme C. et M. E., n° 464618 ; Société Isis Polynésie, n° 464699 ; Fédération polynésienne des agents immobiliers et autres, n° 464762 ; Société Les Jardins de Tetavake, société Te Aolani et société Harbour Side, n° 464802 ; M. et Mme O., n° 464804 ; Société Aito Immobilier, n° 464809 ; M. et Mme A., n° 464867 ; M. et Mme T., n° 464868 ; M. et Mme K., n° 464870 ; M. Y., n° 464871)

V. n° 23

 

133 - Droit de l'Union - Transposition d'une directive - Transposition par référence à certaines de ses dispositions - Condition de régularité - Rejet.

Le droit de l'Union fait obligation aux États membres de transposer dans leur ordre interne les directives de l'Union d'une façon suffisamment claire et précise pour en permettre leur pleine application. Toutefois, aucune disposition de la directive en cause ou du droit de l'Union européenne, ne s'oppose par principe à ce qu'un acte de droit interne procède à la transposition des dispositions d'une directive « par référence » à certaines dispositions de celle-ci, sous réserve que, ce faisant, l'acte renvoie, de façon claire et intelligible, à des dispositions ciblées et précises de la directive ne laissant pas de marge d'appréciation aux État membres, et, le cas échéant, ne comporte aucune ambiguïté sur la version de la directive à laquelle il est ainsi renvoyé.

La transposition de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement opérée en l'espèce satisfait à ces conditions en ce qu'elle renvoie, de façon claire et intelligible, à des dispositions ciblées et précises de la directive,  ne laisse pas de marge d'appréciation à la France et ne comporte aucune ambiguïté sur la version de la directive à laquelle il est ainsi renvoyé. Dès lors, il ne saurait être soutenu ni que le procédé retenu par le pouvoir réglementaire conduit à une incorrecte transposition de la directive ni qu'elle méconnaîtrait soit les dispositions des articles L. 104-1 à L. 104-3 du code de l'urbanisme soit les principes de clarté, d'accessibilité ou d'intelligibilité de la norme. 

(23 novembre 2022, Association France nature environnement, n° 458455)

V. aussi pour un autre aspect de cette décision le n° 119

 

Libertés fondamentales

 

134 - Liberté de l’enseignement – Liberté d’entreprendre – Intérêt supérieur de l’enfant – Établissements d’enseignement hors contrat – Degré de liberté de choix des méthodes et des supports pédagogiques – Obligation de respecter un socle commun de connaissances – Absence – Rejet.

Suite à deux contrôles dont l’un consécutif à une mise en demeure, sur proposition rectorale, un préfet ordonne la fermeture administrative d’une école hors contrat au motif que, par son organisation et ses méthodes, elle ne met pas ses élèves en capacité d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, tel que celui-ci est défini à l'article D. 122-1 du code de l'éducation, cette carence caractérisant le premier domaine de formation intitulé les « langages pour penser et communiquer » et le deuxième domaine dénommé « méthodes et outils pour apprendre ». 

Le juge du référé liberté rejette le recours formé à l’encontre de la décision de fermeture en dépit de la production d’attestations des parents et des enseignants « décrivant l'épanouissement des enfants accueillis et la prise en compte des besoins particuliers de ceux-ci » car la requérante n’apporte pas d’éléments de nature à remettre en cause tant l’appréciation des premiers juges que l’absence de caractère manifeste des illégalités qu’elle invoque.

Cette affaire montre une fois de plus qu’existe un réel problème français de l’enseignement hors contrat ainsi que la fragilité de la base sur laquelle se fondent les décisions administratives, très souvent négatives, à son endroit.

Ceci soulève la double question : 1°/ de la preuve du bien-fondé, en termes de capacité et de compétence technique, mais aussi de l’objectivité, de la réglementation nationale actuelle des programmes comme des finalités de l’école, surtout au regard des réformes incessantes – de caractère brownien – dont est affligé notre système éducatif et 2°/ de la marge de liberté, purement contingente, de l’État en matière de contenu et de rythmes scolaires face à celle, de droit naturel, des familles.

(ord. réf. 2 novembre 2022, Association de l'école démocratique Ma Voie, n° 468458)

 

135 - Détenus - Conditions matérielles de détention - Hygiène - Demande d'injonction de diverses mesures - Rejet.

Le juge du référé liberté, saisi par plusieurs organisations, de demandes tendant à ce que soient adoptées diverses mesures d'amélioration des conditions de vie de détenus ou afin que cessent les atteintes portées à leur dignité du fait de ces conditions, les rejette toutes.

Les unes étant des demandes d'injonction de nature structurelles sont, classiquement, rejetées n'étant pas de la nature de celles pouvant être ordonnées par le juge du référé liberté. Les autres le sont soit parce que ne sont pas apportés d'éléments nouveaux de nature à remettre en cause les appréciations portées par le premier juge soit parce que la difficulté invoquée (chauffage) est en voie de résolution très prochaine soit, enfin, parce qu'il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une des libertés fondamentales invoquées par les requérants.

(10 novembre 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et autres, n° 468490)

 

136 - Détenu à mobilité réduite - Personne âgée - Traitement inhumain et dégradant - Rejet.

Est rejetée la requête en référé liberté d'un détenu âgé et à mobilité réduite ou « PMR » (fauteuil roulant) demandant à disposer d'une cellule « PMR » et de pouvoir participer aux activités collectives.

Le rejet de la première demande est fondé sur ce qu'en l'état actuel le premier juge des référés a constaté que la perte d'autonomie dont M. A. souffre, du fait de son âge et de son état de santé, si elle implique l'usage d'un fauteuil roulant et recommande l'attribution d'une cellule dite « PMR », ne l'empêche ni de se lever, ni d'effectuer de courts déplacements, notamment au sein de sa cellule qui est une cellule individuelle qui, si elle ne répond pas aux normes d'une cellule dite « PMR », se trouve au rez-de-chaussée de la maison centrale, dans un quartier où l'accès des cellules est de plain-pied et dépourvu de marches, et d'où l'intéressé peut accéder à l'unité de soins située à proximité, dans laquelle il a pu bénéficier de plusieurs rendez-vous par semaine depuis son arrivée et sur ce que le requérant ne fait état, en appel, d'aucun élément nouveau de nature à faire apparaître que le défaut de placement dans une cellule spécialement aménagée l'exposerait à un risque immédiat d'aggravation de son état et serait de nature à justifier l'intervention à bref délai du juge des référés.

Le rejet de la seconde demande est lui aussi fondé sur ce que l'intéressé n'apporte pas d'éléments qui mettraient le juge d'appel à même d'apprécier les erreurs qu'aurait pu commettre le juge des référés du tribunal administratif en rejetant ces conclusions.

(ord. réf. 10 novembre 2022, M. A., n° 468491)

 

137 - Suspension de licence de pêche européenne - Atteintes à la liberté d'entreprendre et au droit au recours - Rejet.

Le préfet de la région Normandie a, par une lettre en date du 6 octobre 2022, ayant fait l'objet d'une signification par huissier le 11 octobre suivant, suspendu pour une durée de deux mois la licence de pêche européenne du navire de pêche IZ MY, dont le requérant est l'armateur. Cette décision était motivée par le cumul de vingt-cinq points de pénalité résultant des sanctions administratives dont il a fait l'objet à la suite des procès-verbaux d'infraction qui ont été dressés à son encontre les 18 et 29 septembre 2021 ainsi que les 3 et 25 novembre 2021.

Le juge des référés du tribunal administratif de Caen ayant rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cette mesure, l'intéressé se pourvoit. Son recours est rejeté.

Le requérant fait valoir que la dernière sanction administrative dont il a fait l'objet, qui a ajouté douze points de pénalité aux treize points déjà infligés par trois précédentes sanctions, ne lui avait pas encore été notifiée à la date à laquelle le préfet l'a informé de la mesure de suspension de la licence de pêche européenne de son bateau. Toutefois, il résulte des dispositions des art. 42 et 92 du règlement (CE) n° 1005/2008 du 29 septembre 2008, 91 du règlement n° 1224/2009 du 20 novembre 2009 et 129 du règlement n° 404/2011 du 8 avril 2011 que les États membres doivent prendre des mesures immédiates afin d'empêcher les capitaines de navire de pêche, qui ont cumulé au moins dix-huit points de pénalité pour des infractions graves, de poursuivre leur activité.

Il suit de là que, la suspension de la licence de pêche européenne étant automatique dès l'accumulation de dix-huit points de pénalité par son titulaire et que la dernière sanction conduisant au dépassement du seuil de dix-huit points de pénalité lui a été signifiée par huissier le 14 octobre 2022,  le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a rejeté sa demande tant en l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre qu'en l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours, l'intéressé ayant la possibilité de contester devant le juge administratif les sanctions dont il a fait l'objet.

(ord. réf. 10 novembre 2022, M. B., n° 468683)

 

138 - Droit d'asile ou bénéfice de la protection subsidaire - Ressortissant afghan - Refus pour motif de culture et de vente d'opium - Crime grave - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Qualifie inexactement les faits, la Cour nationale du droit d'asile qui, pour refuser à un ressortissant afghan le bénéfice de la protection subsidiaire, estime qu'il a commis un crime grave pour s'être livré avec son père en Afghanistan, entre 2006 et 2011 alors qu'il était âgé de 16 à 21 ans, à la culture du cannabis ou du pavot sur une surface d'environ 1 000 m² louée par son père, pavot dont était tiré de l'opium que ce dernier vendait à des tiers, à raison d'environ 500 euros par an, afin de subvenir aux besoins de la famille et alors même qu'elle a aussi relevé que l'Afghanistan était redevenu la principale source de l'héroïne consommée dans le monde, que le trafic de tels produits stupéfiants était particulièrement dommageable pour la santé publique et les intérêts fondamentaux de toute société et qu'il est pénalement incriminé et lourdement sanctionné en France.

Le juge de cassation retient, en effet, que la gravité du crime susceptible d'exclure une personne du bénéfice de la protection subsidiaire ne peut être appréciée qu'à la lumière des principes du droit pénal français, au terme d'un examen concret et approfondi de l'ensemble des circonstances propres au cas individuel concerné, en tenant compte notamment de la nature des faits en cause, des conditions dans lesquelles ils ont été commis et de la gravité des dommages causés aux victimes, sans qu'il y ait lieu d'examiner si la personne concernée représente un danger actuel pour l'ordre public ou la sûreté de l'État.

Faute d'avoir opéré ainsi la Cour a erronément qualifié de crime grave le comportement du demandeur.

(15 novembre 2022, M. A., n° 457799)

 

139 - Demandeur d'asile handicapé - Possibilité de mesures d'aménagement - Pouvoirs et devoirs de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Impossibilité de soulever d'office un moyen tiré de cet état - Annulation.

Un demandeur d'asile de nationalité turque étant atteint de bégaiement, la CNDA estimant que l'examen de sa demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) justifiait un aménagement - absent en l'espèce - des conditions de déroulement de l'entretien, a annulé le refus opposé par l'OFPRA et renvoyé l'intéressé devant ce dernier pour nouvel examen de sa demande.

La décision est cassée car la CNDA a soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public.

Le Conseil d'État, s'il admet un aménagement pour tenir compte d'un handicap, subordonne cet aménagement à une demande en ce sens de l'intéressé.

(18 novembre 2022, OFPRA, n° 459513)

 

140 - Demande d'extradition d'un ressortissant marocain pour deux séries d'infractions - Décret accordant l'extradition - Illégalité partielle de l'extradition contrevenant à l'art. 3 de la convention EDH - Annulation dans cette mesure.

L'extradition d'un ressortissant marocain a été demandée pour deux chefs d'incrimination : complicité de corruption, de détention, transport, trafic, exportation, tentative d'exportation, possession illicite et facilitation d'usage de produits stupéfiants, d'une part, et  faits qualifiés de tentative d'homicide volontaire, d'autre part.

Le requérant demande l'annulation du décret accordant cette extradition.

Le Conseil d'État rejette le recours en tant qu'il concerne le premier chef de la demande d'extradition et donc le décret l'accordant.

En revanche, il estime illégale l'extradition accordée pour le second motif car le requérant courrait le risque d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité incompressible sans possibilité de réexamen, ce qui méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention EDH prohibant les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le décret est annulé en tant qu'il porte sur le second chef d'incrimination.

(18 novembre 2022, M. A., n° 461381)

 

141 - Relations conventionnelles entre caisses de sécurité sociale et organisations représentatives de praticiens et futurs praticiens de santé - Détermination de la représentativité d'une organisation n'imposant pas à ses membres une cotisation - Absence d'irrégularité de ce chef - Recours à un faisceau d'indices - Annulation.

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 468885)

V. n° 164

 

142 - Procédure civile -  Procédure sans audience devant le tribunal judiciaire - Décision procédant de la seule volonté des parties - Absence d'atteinte au droit à un procès équitable ou aux droits de la défense - Rejet.

L'article 1er décret du 27 novembre 2020 institue, dans ses 16°, 17° et 18°, la possibilité pour les parties de demander à tout moment du procès qu'il soit fait usage de la procédure sans audience soit au moyen d'une mention expresse dans l'acte de saisine de la juridiction ou dans l'acte de constitution en défense, soit par une déclaration ayant le même objet. Cette faculté concerne trois cas : pour les ordonnances de référé prévues aux articles 834 à 838 du code de procédure civile (16°), pour la procédure accélérée au fond prévue à l'article 839 du même code (17°) ainsi que pour la procédure à jour fixe prévue à ses articles 840 à 844 (18°).

Les organisations requérantes soutenaient d'abord la contrariété de ces dispositions à celles de l'art. L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire (selon lesquelles : « Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l'initiative des parties lorsqu'elles en sont expressément d'accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. / Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande. »). Ce moyen ne saurait prospérer car les dispositions litigieuses n'ont ni pour objet, ni pour effet de donner l'initiative de la mise en œuvre de la procédure sans audience au juge.

Les requérantes soutenaient ensuite qu'en permettant le recours à la procédure sans audience pour des procédures accélérées, dans le cadre desquelles les débats lors de l'audience ont un rôle important, et le cas échéant, dans des instances pour lesquelles la représentation par avocat n'est pas obligatoire, les dispositions des 16°, 17° et 18° de l'article 1er du décret attaqué méconnaîtraient le droit à un procès équitable ainsi que les droits de la défense découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de 1789. Leur argumentation ne pouvait qu'être rejetée car le Conseil constitutionnel a expressément déclaré les dispositions de l'article L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019.

Au reste, les dispositions litigieuses n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre que la procédure se déroule sans audience en l'absence d'un accord des parties pour que cette procédure soit mise en œuvre. En outre, le tribunal ou le juge saisi peut, dans tous les cas, décider d'organiser une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites dont il dispose. Enfin, le recours à une procédure sans audience implique que le tribunal ou le juge saisi organise les échanges dans le respect du caractère contradictoire de la procédure.

Il suit de là que la requête est rejetée dans son ensemble.

(29 novembre 2022, Syndicat des avocats de France et autres, n° 449154)

 

Police

 

143 - Police sanitaire - Abattage des volailles - Application de rituels religieux - Dérogation à l'obligation d'étourdissement préalable - Instruction technique plus favorable au bien-être animal que la règle communautaire - Rejet.

Est rejeté le recours de la requérante dirigé contre l'instruction technique du directeur général de l'alimentation du ministère de l'agriculture et de l'alimentation détaillant les contrôles officiels relatifs à la protection animale en établissement d'abattage de volailles pour les différentes modalités de leur mise à mort, notamment pour les types d'abattage qui, relevant de méthodes particulières prescrites par des rites religieux, sont autorisés à déroger à l'obligation d'étourdissement préalable.

En effet, alors que le règlement communautaire du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort permet, pour les abattages rituels de volailles, leur immobilisation par suspension à un crochet sans étourdissement préalablement ou postérieurement à cette immobilisation, le code rural et de la pêche maritime (cf. paragraphe II de l'article R. 214-69), sur la base duquel a été prise l'instruction technique attaquée, institue une obligation d'étourdissement après immobilisation qui, quand bien même il ne serait pas conforme aux exigences de l'annexe I du règlement précité, fixe cependant des modalités d'abattage des volailles plus protectrices du bien-être animal que celles fixées par le règlement. 

La solution nous semble assez limite.

(15 novembre 2022, Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), n° 449077)

 

144 - Police du camping et du caravaning - Règlement municipal portant interdiction du stationnement des caravanes et de l'implantation d'habitations légères de loisirs sur une partie du territoire communal - Interdiction du camping et du stationnement des caravanes sur l'ensemble du territoire communal, en dehors des terrains spécialement aménagés à cet effet - Conclusions irrecevables - Refus d'abrogation - Erreur de droit - Estoppel - Rejet.

(17 novembre 2022, Commune de Saint-André, n° 453761)

V. n° 40

 

145 - Police spéciale du maire - Respect des règles d'utilisation des sols - Refus de raccordement définitif d'une installation de gens du voyage à un réseau d'électricité - Notion de raccordement définitif - Utilisation intermittente sans conséquence sur cette notion - Annulation.

Des gens du voyage, propriétaires d'un terrain sur lequel ils séjournent par intermittence plusieurs mois par an, demandent au maire de la commune l'autorisation d'un raccordement de la caravane située sur ce terrain au réseau d'électricité.

Le maire tenant de ses pouvoirs de police spéciale la compétence pour assurer le respect des règles d'utilisation des sols, il peut s'opposer à une demande d'autorisation de raccordement au réseau public d'électricité d'une caravane de gens du voyage irrégulièrement implantée sur un terrain leur appartenant. Il est indifférent à cet égard que la caravane ne soit pas occupée en permanence, le caractère de raccordement définitif résultant directement de ce que le raccordement sollicité n'a pas vocation à prendre fin à un terme défini ou prévisible.

Est en conséquence annulé l'arrêt confirmatif de l'annulation du refus du maire d'autoriser le raccordement sollicité au motif qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un raccordement définitif.

(23 novembre 2022, Commune d'Esbly, n° 459043)

 

146 - Police de l'ordre public - Exécution des expulsions ordonnées par le juge judiciaire - Obligation de recourir à une notification d'huissier par voie électronique - Absence - Formalité papier ne pouvant se substituer à l'exigence légale - Rejet.

Les requérants recherchaient la responsabilité de l'État pour refus du préfet de leur accorder le concours de la force publique en vue de l'exécution d'une ordonnance d'expulsion d'occupants sans titre d'un immeuble leur appartenant.

En réalité l'huissier à ce commis avait, le 29 janvier 2018, remis à la préfecture, sur document papier, la demande de concours de la force publique alors qu'il résultait des dispositions de l'art. L. 431-2 du code des procédures civiles d'exécution qu'une telle demande devait, après le 31 décembre 2017, revêtir une forme électronique. Le préfet ne peut être considéré comme ayant refusé de prêter le concours de la force publique dès lors qu'il n'avait pas été saisi en la forme régulière.

C'est sans erreur de droit ni dénaturation des faits ou inversion de la charge de la preuve que le tribunal administratif a rejeté la requête après avoir relevé que le système d'information électronique nécessaire à l'accomplissement de cette formalité était opérationnel à la date à laquelle l'huissier a notifié par papier sa demande.

En réalité, les intéressés devaient saisir le juge judiciaire d'une action en responsabilité contre le professionnel libéral.

(29 novembre 2022, MM. Jacques et Gabriel A., n° 443396)

 

147 - Police de la protection des majeurs - Guide à destination des mandataires judiciaires à la protection des majeurs - Recommandations impératives relatives à l'exercice de leur mission en période d'épidémie - Rejet.

La direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé a publié le 20 novembre 2020 un « Guide ministériel », destiné à l'ensemble des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et comportant un certain nombre de recommandations relatives à l'exercice de leur activité dans le cadre de la crise sanitaire.

Les requérantes demandent l'annulation de ce texte, le Conseil d'État interprétant cette requête comme seulement dirigée contre certains points divisibles de ce guide.

Tout d'abord, bien qu'il s'agisse d'un document de portée générale comportant de nombreuses recommandations le recours est recevable à l'encontre de ceux de ces éléments comportant un caractère impératif ou constituant purement et simplement des lignes directrices.

Ensuite, appliquant sa jurisprudence traditionnelle, le juge considère que bien que ce guide ait été abrogé postérieurement à l'introduction de la requête, il n'apparaît pas qu'il n'ait pas fait l'objet d'une application avant son abrogation ; le recours dirigé contre ses dispositions est donc recevable.

Sur le fond, les requérantes contestent nombre de dispositions de ce guide, toutes leurs demandes sont rejetées qu'il s'agisse de l'obligation de maintenir durant la crise des contacts indispensables entre mandataires et personnes protégées notamment afin de permettre à celles-ci le maintien de certaines activités, la proposition de mise en place de prestations de nettoyage, de vérifier l'état du logement ou bien de l'obligation pour les mandataires, en pareille circonstance, d'assurer leurs missions sous le contrôle de l'autorité administrative ou de l'obligation les engageant à effectuer des déplacements pour accomplir leurs fonctions en dépit des restrictions de déplacements, ou celles de paiement des charges et de versement des prestations sociales des personnes placées en curatelle simple, de la protection de la santé et de la sécurité de la personne protégée, son suivi médical et l'obligation d'alerter son médecin traitant, enfin, de l'obligation pour les mandataires judiciaires d'informer le juge des contentieux de la protection.

Toutes ces préconisations sont strictement proportionnées à la situation économique et aux exigences des missions confiées aux organisations requérantes.

(29 novembre 2022, Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme A., n° 448176)

 

148 - Police de l'ordre public - Nuisances sonores causées par un établissement de ball-trap permanent - Compétence du préfet ou du maire - Prise en considération de la localisation de l'activité non de ses effets - Rejet.

Pour confirmer l'annulation d'un arrêté préfectoral suspendant à titre conservatoire l'activité d'un établissement de « ball-trap », une cour administrative d'appel retient qu'il convient, pour l'application du 3° de l'art. L. 2215-1 du CGCT, de prendre en compte l'objet de la mesure, en fonction de la localisation de l'établissement dont l'activité est à l'origine du litige, et non les effets de la mesure, en fonction de la portée des troubles à l'ordre public auquel elle entend remédier.

Or en l'espèce une seule commune était concernée et le préfet ne pouvait donc user de pouvoirs qui ne trouvent à s'appliquer que si sont en cause les territoires d'au moins deux communes limitrophes.

(29 novembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 449749)

 

Professions réglementées

 

149 - Médecin - Addiction à l'alcool - Suspension temporaire de l'exercice de la médecine - Rejet.

Est rejetée la demande de suspension de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins de suspendre la requérante pendant une année du droit d'exercer la médecine.

Le juge relève que compte tenu des difficultés importantes que la requérante semble éprouver pour maîtriser son addiction, à laquelle la suspension de six mois dont elle a fait l'objet en septembre 2020 n'a pas permis de remédier, et de la nécessité, relevée par le rapport d'expertise, d'une psychothérapie de fond permettant de prévenir les situations dans lesquelles elle éprouverait le besoin de consommer de l'alcool, doit être rejeté le moyen tiré de ce que la fixation de la durée de la suspension à un an, serait entachée d'une erreur d'appréciation.

(ord. réf. 14 novembre 2022, ,Mme B. n° 468448)

 

150 - Médecin - Procédure disciplinaire conduite en violation du secret médical - Annulation.

Le requérant contestait la régularité de la procédure disciplinaire suivie à son encontre du fait qu'une médecin avait, en cette qualité, dans le cadre d'une instance judiciaire en réparation d'un préjudice corporel, utilisé le rapport du médecin-conseil de la compagnie d'assurances du demandeur que cette dernière lui avait communiqué.

Le demandeur se pourvoit en cassation contre la décision infirmative de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins relaxant la praticienne et rejetant sa plainte.

Le Conseil d'État est à la cassation en application de l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique. En effet, il résulte tant de ce texte que de l'ordonnance judiciaire de référé en désignation d'expert que « la communication de toute pièce médicale à un tiers était subordonnée à l'accord de la personne concernée ».

Or la chambre disciplinaire nationale, pour rejeter la plainte contre la médecin, après avoir constaté que la communication à l'expert judiciaire du rapport d'expertise réalisé au cours  de la procédure amiable par le médecin-conseil de la compagnie d'assutrances avait eu lieu sans que le requérant n'ait donné son accord préalablement à cette communication, a jugé que ce comportement n'était pas constitutif d'une méconnaissance des dispositions précitées, dès lors que l'obligation de respecter le secret médical s'appliquait aux deux médecins et que l'échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice. En statuant ainsi, la chambre disciplinaire a commis une erreur de droit car il résulte des dispositions de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique précité que le partage d'informations couvertes par le secret médical et nécessaires à la prise en charge d'une personne, entre professionnels de santé ne faisant pas partie de la même équipe de soins, requiert le consentement préalable de cette personne, d'autant que  l'article 275 du code de procédure civile (selon lequel : « Les parties doivent remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission. En cas de carence des parties, l'expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s'il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l'autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l'état. La juridiction de jugement peut tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l'expert ») ne permet pas, en tout état de cause, de déroger à cette exigence.

(15 novembre 2022, M. B., n° 441387)

 

151 - Vétérinaire - Absence de déclaration de domicile d'exercice professionnel - Radiation du tableau de l'ordre - Motif impuissant à justifier cette radiation - Annulation.

Si le défaut de déclaration préalable au conseil régional de l'ordre des vétérinaires territorialement compétent d'un domicile professionnel d'exercice, prévue par l'art. R. 242-53 du code rural et de la pêche maritime, est susceptible de fonder des poursuites disciplinaires contre le vétérinaire en cause, il ne peut en revanche servir de fondement à une décision de radiation du tableau de l'ordre prise en application des dispositions du III de l'article L. 242-4 du même code car il n'est pas au nombre des conditions requises pour l'inscription au tableau de l'ordre par le titre IV du livre II du même code et précisées à son article R. 242-85, lesquelles n'exigent, en matière de domiciliation, qu'un justificatif de domicile professionnel administratif.

(15 novembre 2022, M. A., n° 455932)

 

152 - Ostéopathes - Détermination des organisations représentatives - Critères - Limitation à deux des organisations retenues - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation de la décision du 21 décembre 2021 du ministre des solidarités et de la santé relative à la liste des organisations syndicales représentatives de la formation en ostéopathie.

Elles faisaient valoir des moyens de légalité externe et des moyens de légalité interne, tous rejetés.

Tout d'abord, s'agissant de la légalité externe, l'appréciation de cette représentativité ayant uniquement pour objet, sur la base des critères qu'elle retient, de fixer la liste des organisations professionnelles appelées à proposer au ministre chargé de la santé les membres, désignés ou nommés par celui-ci, représentant spécifiquement la profession d'ostéopathe au sein de la section de la commission nationale d'agrément des établissements de formation en chiropraxie et en ostéopathie devant donner au même ministre, auprès duquel elle est placée, un avis sur les demandes d'agrément des établissements de formation en ostéopathie, il s'en déduit que, contrairement à ce qui est soutenu, une telle décision ne met pas en oeuvre des critères qui relèveraient des principes fondamentaux du droit syndical.

En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les critères retenus par le ministre seraient devenus obsolètes.

Contrairement à ce qui est soutenu, ni les dispositions du premier alinéa de l'art. L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu desquelles toute décision prise par une administration doit comporter la signature de son auteur, ni aucun autre texte ou principe n'imposent que, lorsqu'une telle décision fait l'objet d'une publication, cette signature figure sur le document publié.

Ensuite, s'agissant de la légalité interne, en premier lieu, il ressort des pièces des dossiers que la représentativité des organisations professionnelles d'ostéopathes a été appréciée par le ministre en fonction de leurs effectifs d'adhérents à jour de leur cotisation, de leur ancienneté, au minimum de deux ans dans le champ de la profession à compter de la date de dépôt légal des statuts, de l'activité et de l'expérience de ces organisations. L'Association française des ostéopathes ne saurait prétendre que ces critères seraient inadéquats ou trop imprécis et que les modalités selon lesquelles ils seraient appliqués auraient dû en conséquence, notamment s'agissant des effectifs d'adhérents à jour de leur cotisation, être détaillés dans l'avis d'enquête. Le moyen manque en droit comme en fait alors que, au surplus, il s'agit là de critères qui sont usuellement utilisés et analogues à ceux fixés par le code du travail pour les organisations professionnelles d'employeurs et par le code de la sécurité sociale pour les organisations syndicales appelées à participer aux négociations conventionnelles nationales.

Par ailleurs, en retenant, parmi les organisations professionnelles représentatives des ostéopathes, deux organisations représentatives des masseurs-kinésithérapeutes, la décision attaquée s'est bornée à faire application des dispositions règlementaires qui prévoient la nomination de deux membres sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives des ostéopathes masseurs-kinésithérapeutes. Or il ressort des pièces des dossiers que les deux organisations professionnelles retenues comptent parmi leurs membres 68 % de l'ensemble des masseurs-kinésithérapeutes exerçant par ailleurs la profession d'ostéopathe et qu'elles comportent en leur sein des instances spécialisées dans le domaine de l'ostéopathie, dont leurs statuts les habilitent à défendre les intérêts. Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les deux organisations désignées ne seraient pas représentatives au sens de ces dispositions réglementaires.

Également, si les dispositions applicables prévoient la désignation de quatre ostéopathes exerçant à titre exclusif sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives au niveau national, elles n'imposent pas par elles-mêmes, non plus qu'aucun autre texte ou principe, que ces organisations professionnelles soient elles-mêmes au nombre de quatre. En l'espèce, si la décision attaquée retient seulement deux organisations professionnelles comme représentatives des ostéopathes exerçant à titre exclusif, il ressort des pièces des dossiers que ces organisations comptent respectivement 1 209 et 1 164 adhérents, quand les deux requérantes n'en comptent que 637 et 208.

(23 novembre 2022, Chambre nationale des ostéopathes, n° 460493 ; Association française d'ostéopathie, n° 461736, jonction)

 

153 - Profession d'infirmier - Demande de reconnaissance d'un diplôme d'infirmier délivré par un État tiers à l'Union européenne - Diplôme admis par un État membre en équivalence du diplôme délivré par cet État - Absence de validité de plein droit - Possibilité d'exiger une mesure de compensation - Rejet.

Une ressortissante tunisienne se prévalant du diplôme tunisien d'infirmière reconnu par l'État belge comme équivalent au titre belge de "Bachelier en soins infirmiers" a demandé qu'il soit pris en compte en France pour la délivrance d'une autorisation d'exercice sur le fondement de l'article L. 4311-3 du code de la santé publique, dès lors qu'il avait été reconnu en Belgique. Le préfet a rejeté sa demande en se fondant sur les dispositions de l'art. L. 4311-4 de ce code.

Après que son recours a été rejeté par le tribunal administratif la cour a annulé ce jugement et ordonné au préfet de réexaminer la demande de la requérante.

Celle-ci se pourvoit contre cet arrêt dont elle demande la cassation partielle.

Le juge décide en premier lieu que, titulaire d'une carte de résident d'une durée de dix ans et d'un diplôme reconnu équivalent au diplôme délivré par un État de l'Union, la requérante relevait du régime institué à l'art. L. 4311-4 du code de la santé publique. Le diplôme dont elle se prévalait ne pouvait donc pas d'être pris en compte pour la délivrance d'une autorisation d'exercice sur le fondement de l'article L. 4311-3 du code de la santé publique car il n'avait pas été délivré par un État membre ou partie, il suit de là que la demande de la requérante devait être examinée au regard des seules dispositions de l'article L. 4311-4, comme l'avait d'ailleurs fait, à bon droit, l'administration. 

Le juge décide en second lieu que, dès lors, la cour pouvait, comme elle l'a jugé, estimer régulière la décision du préfet de subordonner l'autorisation d'exercice à une mesure de compensation consistant, au choix de la demanderesse, en une épreuve d'aptitude ou en un stage d'adaptation.

(29 novembre 2022, Mme B., n° 444734)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

154 - Réintégration d’un militaire détaché – Régime différent de celui de la réintégration d’un fonctionnaire civil détaché – Inconstitutionnalité alléguée – Refus de transmission de la QPC.

Le requérant soulevait une QPC à l’encontre des dispositions des art. L. 4138-8 et L. 4138-9 du code de la défense et de celles de l'article 5 de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, pour méconnaissance du principe d’égalité garanti par l’art. 5 de la Déclaration de 1789 en ce que, à la différence de ce qui est prévu pour un fonctionnaire civil, lors de la réintégration du militaire détaché, il n’est pas tenu compte du grade et de l'échelon atteints dans le corps ou cadre d'emplois de détachement, sous réserve qu'ils lui soient plus favorables.

Le juge refuse de transmettre cette question qui, selon lui, n’est pas de caractère sérieux en ce qu’elle n’établit ni que le législateur a méconnu sa compétence ni que la différence de traitement ne correspond pas à des différences objectives de situation des civils et des militaires.

(2 novembre 2022, M. B., n° 463950)

 

155 - Travailleur handicapé - Bénéfice d’un départ anticipé à la retraite - Preuve de la qualité de travailleur handicapé pour la période antérieure au 31 décembre 2015 – Interprétation jurisprudentielle du principe constitutionnel d’égalité – Refus de transmission d’une QPC.

Dans le cadre d’un pourvoi en cassation contre un jugement de tribunal administratif rejetant sa demande d’annulation du refus que lui a opposé le ministre de l’action et des comptes publics de le faire bénéficier d'un départ anticipé à la retraite en qualité de fonctionnaire handicapé, le requérant soulève une QPC. Celle-ci est fondée sur ce qu’il résulterait des dispositions du III de l'article 36 de la loi du 20 janvier 2014 et de celles de l'article L. 5213-2 du code du travail, prises ensemble, la méconnaissance -  en raison de l'interprétation qu'en a donnée le Conseil d'État dans sa jurisprudence récente - du principe d’égalité reconnu par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'elles ne permettent pas à un travailleur handicapé d'apporter, pour la période antérieure au 31 décembre 2015, la preuve de cette qualité par tout moyen en vue de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite.

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question pour deux motifs. D’abord, la procédure retenue par le législateur pour la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, à savoir une décision de reconnaissance par la commission ad hoc, assure une égalité de traitement de tous les candidats à cette reconnaissance et ainsi a pu être écartée la preuve par tout moyen sans qu’il ait été porté atteinte aux dispositions de l’art. 6 de la Déclaration de 1789. Ensuite, loin d’avoir ignoré le onzième alinéa du Préambule précité, les dispositions litigieuses ne sont pas de nature à priver de garanties légales les exigences constitutionnelles en résultant.

Comme les moyens propres du pourvoi ne sont pas, non plus, accueillis, le pourvoi est rejeté dans son ensemble.

(9 novembre 2022, M. B., n° 464460)

 

156 - Agents publics - Absence d'exonération d'impôt sur le revenu  des indemnités de licenciement (6° du 1 de l'art. 80 duodecies du CGI) - Question de caractère sérieux renvoyée au Conseil constitutionnel.

Est nouvelle et de caractère sérieux, justifiant ainsi son renvoi au Conseil constitutionnel, la QPC relative à l'atteinte portée par le dernier alinéa du 6° du 1 de l'article 80 duodecies du CGI aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en tant qu'il limite, pour ce qui concerne les agents publics, le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu qu'il prévoit aux seules indemnités de rupture conventionnelle à l'exclusion des indemnités de licenciement.

(16 novembre 2022, M. B., n° 467518)

 

157 - Services de renseignement - Communication de données médicales de patients hospitalisés - Atteinte au respect de la vie privée - Absence de dérogation au secret médical - Refus de transmission d'une QPC.

Le Conseil national de l'ordre des médecins, à l'appui de sa demande d'annulation d'une circulaire primo-ministérielle relative aux dispositions de l'article L. 863-2 modifié du code de la sécurité intérieure, soulève une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que ces dispositions, en ce qu'elles permettent aux services de renseignement de solliciter et d'obtenir la communication de données médicales concernant des patients hospitalisés dans un établissement public de santé, sont contraires au droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et qu'en les adoptant, le législateur a méconnu l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, faute d'avoir expressément prévu une dérogation au secret médical pour les professionnels de santé.

Le Conseil d'État refuse la transmission sollicitée pour deux motifs principaux.

En premier lieu, le juge rappelle que si le droit au respect de la vie privée requiert que soit observée une particulière vigilance dans la communication des données à caractère personnel de nature médicale, en l'espèce la disposition litigieuse met en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et a limité la transmission de données couvertes par les secrets protégés par la loi, y compris le secret médical qui est au nombre de ces derniers et auquel les dispositions contestées dérogent expressément, à l'existence d'une demande préalable des seuls services de renseignement, pour des besoins strictement nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.

Ainsi, le législateur a exclu la transmission spontanée, à l'initiative d'une autorité administrative, des données qu'elle détient à ces services et il n'a pas instauré d'obligation de transmission à la charge de ces autorités, mais s'est borné à définir les conditions dans lesquelles celles-ci sont autorisées à procéder à une telle communication.

De plus, les demandes formulées par les services de renseignement doivent pour leur part respecter les prescriptions fixées à l'article L. 801-1 du code de la sécurité intérieure, selon lesquelles ceux-ci ne peuvent porter atteinte au respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment la protection des données à caractère personnel, que « dans le respect du principe de proportionnalité ».

Enfin, le législateur a aussi exclu la possibilité pour les autorités administratives de transmettre dans ce cadre les données génétiques couvertes par un secret protégé par la loi qu'elles détiennent.

En second lieu, le législateur a organisé un système complet de traçabilité concernant la transmission des données à caractère personnel demandées, laquelle doit respecter la loi Informatique et libertés. Cette traçabilité s'étend encore à la réception, à la conservation et à l'exploitation des données par les services de renseignement. Chaque service de renseignement est tenu de se doter d'un agent chargé d'assurer complètement et continûment cette traçabilité.

Il résulte donc de l'ensemble des garanties accompagnant l'exercice par les services de renseignement des pouvoirs que leur confère la disposition législative litigieuse que celle-ci ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, d'où il suit que la question posée ne saurait être transmise.

(23 novembre 2022, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 464480)

 

158 - Relations conventionnelles entre caisses de sécurité sociale et organisations représentatives de praticiens et futurs praticiens de santé - Détermination de la représentativité d'une organisation n'imposant pas à ses membres une cotisation - Absence d'irrégularité de ce chef - Recours à un faisceau d'indices - Annulation.

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 468885)

V. n° 164

 

159 - Audiences juridictionnelles - Interdiction de leur enregistrement, de fixation de leur image, etc. - Conditions de dérogation à cette interdiction - Refus de transmission d'une QPC au Conseil constitutionnel.

A l'occasion de la demande d'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l'application de l'article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, les requérantes soulèvent à l'encontre de cette dernière une question prioritaire de constitutionnalité.

Sa transmission au Conseil constitutionnel est refusée.

L'art. 38 ter de la loi de 1881 sur sur la liberté de la presse ajouté par l'art. 1er de la loi du 22 décembre 2021 fixe le régime de dérogation à l'interdiction de l'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience, pour un motif d'intérêt public d'ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, en vue de sa diffusion.

La demande d'autorisation d'enregistrement et de diffusion est adressée au ministre de la justice. L'autorisation est délivrée, après avis du ministre de la justice, par le président du Tribunal des conflits, le vice-président du Conseil d'État, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes, concernant leurs juridictions respectives. 

Elle est délivrée, après avis du ministre de la justice, par le président de la juridiction concernant les juridictions administratives et les juridictions comprenant un magistrat du siège membre de la Cour de cassation, et par le premier président de la cour d'appel concernant les cours d'appel et les juridictions de l'ordre judiciaire de leur ressort.

Les requérants soutenaient : 1° que le motif permettant d'autoriser l'enregistrement d'une audience juridictionnelle en vue de sa diffusion est défini de manière trop imprécise par la loi, compte tenu des risques d'atteinte à la présomption d'innocence, aux droits de la défense et à l'indépendance des magistrats que comporterait un tel enregistrement et qu'il en va de même s'agissant de la condition tenant à ce que l'affaire soit définitivement jugée, à laquelle la loi subordonne toute diffusion de l'enregistrement d'une audience ; 2° que cette faculté faisait courir des risques sur la sérénité et la sincérité des débats, qui participent tant de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice que du droit à un procès équitable ; 3°  que le législateur n'aurait pas prévu les garanties nécessaires à la préservation du secret des propos échangés à l'audience entre les avocats et leurs clients, qui participe du droit à un procès équitable; 4° que la protection des témoins participant à une audience n'était pas suffisamment assurée et pourrait affecter la sincérité de leurs déclarations comme des débats se déroulant à l'audience ; 5° que le délai de rétraction de l'accord pour l'enregistrement dont dispose les parties et les témoins est insuffisant.

Le Conseil d'État estime non sérieuses ces diverses questions car le législateur a défini avec suffisamment de précision le motif permettant d'autoriser l'enregistrement, sans, ce faisant, porter atteinte à la présomption d'innocence, aux droits de la défense, à l'indépendance des magistrats et au droit au respect de la vie privée des parties ; il a, semblalement, entouré le régime d'autorisation d'enregistrement des audiences qu'il a instauré des garanties propres à assurer la sauvegarde de la sérénité et de la sincérité des débats ; il a également fixé des garanties suffisantes pour sauvegarder le droit au respect de la vie privée des magistrats et des avocats qui y participent comme pour préserver le secret des propos échangés à l'audience entre les avocats et leurs clients et, par voie de conséquence, le droit à un procès équitable ; de la même manière, il a suffisamment garanti la protection des témoins déposant à l'audience et, par voie de conséquence, de la sincérité des débats tenus à l'audience, tout comme il a assuré la protection des personnes mineures et des personnes majeures protégées sans méconnaître les exigences découlant du droit au respect de leur vie privée.

Le délai de rétraction d'une autorisation d'enregistrement est suffisant.

Enfin, il ne saurait être sérieusement soutenu que la possibilité ouverte par les dispositions en cause d'enregistrer des audiences et certains actes d'instruction intervenant dans le cours d'une enquête pénale ou d'une information judiciaire porterait atteinte à la présomption d'innocence.

(29 novembre 2022, Conseil national des barreaux, n° 464593 ; Syndicat des avocats de France, n° 464164)

 

160 - Placement en détention provisoire de personnes mineures hors les cas prévus par le code de la justice pénale des mineurs (art. 397-2-1 du code de procédure pénale) - Réalisation sous la contrainte de relevés d'empreintes digitales et palmaires et de photographies de personnes non encore déclarées coupables (art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs) - Questions de caractère sérieux - Transmission au juge constitutionnel.

Le Conseil d'État transmet au Conseil constitutionnel deux QPC soulevées par les requérants à l'occasion d'un recours dirigé contre la circulaire du 28 mars 2022 de présentation des dispositions résultant de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure et dirigées contre deux dispositions de cette loi.

En premier lieu, il est jugé que l'art. 397-2-1 du code de procédure pénale, inséré par l'article 25 de la loi du 24 janvier 2022, soulève une question de caractère sérieux d'une part, en tant qu'il autorise, le cas échéant, le placement en détention provisoire de personnes mineures hors les cas prévus par le code de la justice pénale des mineurs, y compris lorsque sont en cause des infractions qui ne seraient pas d'une gravité suffisante, méconnaissant ainsi l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule à la Constitution de 1946 et les dispositions de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, en tant qu'il ne prévoie pas l'intervention d'une juridiction spécialisée entourée de garanties suffisantes, méconnaissant ainsi le principe fondamental reconnu par les lois de la République de la spécificité de la justice pénale des mineurs.

En second lieu, il est jugé que les dispositions des art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, insérés dans ce code par l'article 30 de la loi du 24 janvier 2022, soulèvent une question de caractère sérieux d'une part, en permettant de réaliser sous la contrainte des relevés d'empreintes digitales et palmaires et des photographies de personnes qui n'ont pas encore été déclarées coupables alors que ces opérations ne sont pas nécessaires à la manifestation de la vérité et indépendamment de la gravité et de la complexité des infractions en cause, méconnaissant ainsi le droit au respect de la présomption d'innocence, le principe de dignité de la personne humaine et la liberté individuelle ainsi que le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, en ne prévoyant pas l'assistance d'un avocat s'agissant des personnes majeures et en ne prévoyant que la seule information préalable de l'avocat avant la mise en œuvre de relevés sous la contrainte s'agissant des personnes mineures, ces dispositions méconnaissent le droit à un procès équitable et le droit au respect des droits de la défense tout comme elles méconnaissent l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant en ce qu'elles permettent de recourir à des relevés sous la contrainte à l'encontre de mineurs qui apparaissent manifestement âgés d'au moins treize ans et sans assortir ces opérations de garanties suffisantes.

(29 novembre 2022, Syndicat de la magistrature et autres, n° 464528)

 

Responsabilité

 

161 - Fautes commises lors de la prise en charge d'un patient - Préjudices en résultant - Évaluation des frais liés à un handicap - Déduction des sommes perçues au titre de la prestation de compensation du handicap -  Régime applicable - Erreur de droit - Annulation.

Rappel en premier lieu qu'en principe, pour éviter une double indemnisation de la victime, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais liés au handicap le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. En revanche, la déduction n'est pas possible lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

Rappel, toutefois, en second lieu, que dans l'hypothèse où la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

En l'espèce, où cette condition n'était pas remplie, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant que devait être déduite du montant de l'indemnité allouée au titre des frais divers liés au handicap la somme perçue par la victime au titre de la prestation de compensation du handicap.

Il faut reconnaître que la complexité résultant de l'enchevêtrement de ces solutions permet de comprendre les hésitations des juges du fond.

(17 novembre 2022, M. F. et autres, n° 454095)

 

162 - Concours de la force publique - Expulsion tardive d'occupants sans droit ni titre - Calcul du montant de l'indemnisation - Fixation de la date de libération des lieux - Erreur de droit - Annulation.

Un tribunal administratif est saisi d'une demande d'indemnisation du préjudice causé à un propriétaire pour le retard apporté par le préfet à mettre à sa disposition le concours de la force publique pour l'expulsion d'occupants sans droit ni titre. Pour fixer la date à laquelle les lieux ont été libérés le juge retient la date à laquelle les occupants irréguliers disposaient d'une nouvelle adresse.

Le jugement est cassé pour erreur de droit car cette date et cet événement n'établissaient pas la reprise réelle de son bien par le propriétaire et cela d'autant plus qu'il constatait lui-même que les occupants avaient posé un verrou dont ils n'avaient pas remis les clés à ce dernier.

(17 novembre 2022, M. A., n° 455109)

 

163 - Durée excessive d'une procédure - Préjudices allégués - Préjudice moral - Indisponibilité d'une somme - Préjudices subis par les dirigeants - Préjudices relevant, les uns, de la durée anormale de la procédure, les autres non - Admission partielle du droit à réparation.

La requérante demandait réparation du préjudice subi du fait de la durée excessive des procédures engagées devant la juridiction administrative, tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de taxes sur le chiffre d'affaires mis à sa charge au titre des exercices 1992 et 1993.

Sur le principe, le juge relève que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure « doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement

Examinant le fond du litige, le juge admet tout d'abord qu'est excessive la durée totale de onze ans et cinq mois pour un litige ne présentant pas de difficulté particulière, alors même qu'elle concerne une procédure qui recouvre quatre instances et que s'agissant de la première, la requérante, en tardant à répondre au mémoire en défense, a contribué à l'allongement du délai de jugement de sa demande.

Puis, il est passé à l'étude de chacun des chefs de préjudices allégués par la demanderesse :

- celle-ci ne saurait soutenir que l'administration fiscale n'a expressément rejeté sa réclamation du 30 septembre 1998 que par une décision du 24 mai 2002, qu'elle a contestée devant le tribunal administratif de Paris le 24 juillet 2002, et qu'il doit par suite être tenu compte de la durée excessive de ce recours administratif préalable obligatoire dans l'appréciation du caractère raisonnable de la durée globale de la procédure. En effet, la requérante pouvait, à l'expiration du délai de six mois suivant la réception de sa réclamation du 30 septembre 1998, saisir le tribunal administratif. Le caractère excessif de la durée de la procédure précontentieuse lui est ainsi entièrement imputable.

- celle-ci ne saurait alléguer les préjudices qui trouvent leur origine directe dans le comportement de l'administration s'agissant de l'exécution de la décision juridictionnelle, comportement qui ne relève pas du régime juridique  propre à la réparation liée aux durées excessives des procédures juridictionnelles.

- elle ne saurait non plus demander à l'État d'indemniser les éventuels préjudices de ses dirigeants et associés résultant de la durée excessive de la procédure juridictionnelle, qui ne sont pas parties à l'instance.

- pareillement, n'est pas indemnisable le préjudice qui serait résulté de l'indisponibilité d'une somme ayant fait l'objet d'un dégrèvement car par une décision du 14 juin 2016, l'administration fiscale a liquidé des intérêts moratoires pour un montant de 1 148 863 euros, assis sur un dégrèvement de 1 065 099 euros et calculés sur une période allant du 20 avril 1993 au 14 juin 2016, et que ce faisant, elle a compensé les effets de l'indisponibilité de la somme ayant fait l'objet d'un dégrèvement en tenant compte de la durée pendant laquelle la société BNS en a été privée.

- semblablement, la société ne saurait se prévaloir de ce qu'elle a supporté des frais pour assurer sa défense devant le juge, qu'elle a vu limiter son accès à des sources de financement bancaire et entraver son développement, ce qui s'est en outre traduit par une baisse importante de son chiffre d'affaires, ainsi que par une dépréciation de ses actifs d'un montant de 1,96 million d'euros et d'une perte de valeur de la société d'un montant de 15 millions d'euros dès lors, d'une part, que ni l'expertise produite par la requérante ni l'instruction de ce dossier n'ont établi l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le préjudice allégué et la durée excessive de la procédure.

- enfin, ne sont pas réparables à ce même titre tous ceux des comportements éventuellement fautifs de l'administration non liés à cette durée.

- en revanche, le préjudice moral est réparable à ce titre en raison des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès.

Au total, la société BNS obtient une réparation de 6000 euros sur les 30 millions qu'elle avait réclamé.

(25 novembre 2022, Société Beauté, Nutrition et Succès (BNS), n° 443253)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

164 - Relations conventionnelles entre caisses de sécurité sociale et organisations représentatives de praticiens et futurs praticiens de santé - Détermination de la représentativité d'une organisation n'imposant pas à ses membres une cotisation - Absence d'irrégularité de ce chef - Recours à un faisceau d'indices - Annulation.

Le syndicat requérant n'a pas été admis en qualité d'observateur aux négociations conventionnelles relatives aux rapports entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives pour l'ensemble du territoire. Pour être dite représentative l'organisation doit satisfaire à quatre critères (indépendance notamment financière, niveau des effectifs, ancienneté minimale d'existence de deux ans et niveau d'activités).

En l'espèce la requérante s'est vu refuser le statut d'observateur car elle n'exige pas de ses membres le versement d'une cotisation ce qui empêcherait d'apprécier sa représentativité; elle a saisi en vain le tribunal administratif d'un référé liberté. Le juge d'appel se montre - et on le comprend - quelque peu embarrassé par une situation assez inédite.

Toutefois, la liberté d'association comme la liberté syndicale ne permettent pas de considérer comme irrégulière l'absence de cotisation imposée. Cependant, la mesure de l'indépendance financière de l'entité candidate à la représentativité est sérieusement gênée par cette circonstance tout comme la mesure des effectifs et le caractère effectif de l'adhésion.

En l'espèce, le juge relève, contredisant le premier juge des référés, qu'il « résulte de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience que le syndicat requérant, dont les effectifs ont été estimés à 4 210 adhérents au 31 décembre 2021 par la mission nationale de contrôle, a produit des documents, dont la valeur probante n'a pas été contestée, qui révèlent l'existence d'un contrôle réel de l'adhésion initiale, laquelle est acceptée conformément aux statuts, l'existence au fil du temps d'une vérification de la condition d'ancienneté dite des " dix ans ", - même si, sur ce point, la mission nationale de contrôle a pu signaler, dans un document de synthèse, des dépassements en nombre limité de cette condition d'adhésion -, la prise en compte des demandes de résiliation, lesquelles peuvent statutairement intervenir à tout moment, enfin l'envoi d'un message d'information sur la messagerie de l'adhérent, à chaque date anniversaire de son adhésion, qui, le mettant à même de modifier les éléments de son " statut ", peut être regardé comme lui permettant également de confirmer tacitement son adhésion ou d'y renoncer explicitement. Au regard de l'ensemble de ces éléments et en l'état de l'instruction, le caractère volontaire de l'adhésion et la fiabilité des listes d'effectifs peuvent être regardés comme suffisamment établis. Au demeurant, le contrôle du critère des effectifs n'a pas, dans le passé, fait obstacle à ce que ce syndicat soit reconnu comme représentatif et puisse en particulier présenter des candidats aux élections professionnelles comme l'élection nationale des unions régionales des professionnels de santé (URPS) .

Au reste, l'indépendance financière du syndicat requérant est jugée assurée.

L'ordonnance déférée est cassée avec injonction aux ministres concernés de reconnaître au syndicat requérant, à titre conservatoire, la qualité d'observateur pour lui permettre d'être provisoirement associé aux négociations conventionnelles en cours entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) et les représentants des médecins libéraux en vue de parvenir à une nouvelle convention médicale pour la période 2023-2027. 

(ord. réf. 28 novembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 468885)

 

165 - Patient en état irréversible - Existence de directives anticipées - Non respect en l'absence de toute perspective thérapeutique - Rejet.

Dans un référé jugé en formation collégiale est approuvée la décision médicale de cesser les soins jusque-là dispensés en raison de l'absence de toute perspective thérapeutique étant donné l'état actuel du patient et cela en dépit de directives anticipées qu'il a données d'être maintenu en vie même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.

Le juge décrit ainsi la méthodologie de son appréciation des circonstances d'un arrêt de soin : « Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. »

Au cas de l'espèce, confirmant le rejet prononcé en première instance, est rejeté le recours dirigé contre la décision médicale constatant l'inutilité totale de toute poursuite des soins.

C'est là encore une de ces situations douloureuses dont un paradoxe veut qu'elles résultent des « progrès » de la médecine à laquelle celle-ci, ensuite, doit mettre un terme au vu de l'imbroglio moral et sanitaire créé uniquement par les possibilités médicales.

(ord. réf., form. coll., 29 novembre 2022, Mme D. et autres, n° 466082)

 

Service public

 

166 - Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – Note prescrivant les conditions d’organisation et de fonctionnement du service en période d’urgence sanitaire – Rejet.

Par une note du 7 avril 2020 relative à la continuité des missions de la protection judiciaire de la jeunesse face à l'épidémie de Covid-19 et aux modalités d'organisation de l'injonction, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a rappelé, d’une part, l'obligation d'assurer un fonctionnement minimum du service public qu'elle administre dans l'intérêt des publics qui lui sont confiés et d’autre part, que, à ce titre, les activités relatives à la mission éducative auprès du tribunal, les activités en hébergement ainsi que celles qui s'exercent auprès des détenus sont obligatoirement maintenues.

La note prévoit également que la continuité d'activité peut nécessiter le concours d'agents pour assurer les missions essentielles dans d'autres services ou établissements que ceux auxquels ils sont affectés. Les tâches à réaliser peuvent ne pas correspondre à leurs fonctions habituelles sans que, pour autant, elles excèdent la qualification des agents concernés. Il est, à cet effet, recouru aux agents, fonctionnaires et contractuels, qui se portent volontaires puis, si la situation l'exige, à des agents auxquels il est adressé une injonction valant ordre de mission.

L’union requérante demande l’annulation de cette note et soulève plusieurs moyens à l’appui de sa requête, tous rejetés.

Il entrait bien dans la compétence de cet agent d’édicter de telles mesures sans que la circonstance que certaines des injonctions prévues soient similaires à celles prévues en cas de grève ne constitue un détournement de procédure.

Semblablement, en édictant des mesures de protection sanitaire et réservé le cas des personnels vulnérables, la note attaquée ne méconnaît pas l'objectif à valeur constitutionnelle du droit à la protection de la santé et les règles du droit du travail en matière d'hygiène et de sécurité.

En énonçant les différents principes devant guider le choix des agents appelés à assurer les missions essentielles de certains services de la PJJ durant la période de l'état d'urgence sanitaire et en les combinant avec celles des autres mesures et recommandations énoncées par le Gouvernement pour faire face à l'épidémie de Covid-19, au regard de l'ensemble des éléments d'appréciation à sa disposition, l’auteur de la note litigieuse ne saurait se voir reprocher, contrairement à ce qui est soutenu, de n’avoir pas précisément déterminé l'ensemble des critères à prendre en compte et défini, pour chaque cas, un ordre de priorité.

La note incriminée n’est pas irrégulière du fait qu’elle dispose que l'injonction doit être notifiée directement à l'agent par tous moyens permettant de justifier de la preuve de la remise mais sans préciser ces moyens alors qu’elle n'était pas tenue de les préciser.

Enfin, en disposant que le non-respect d'une injonction par un agent de la protection judiciaire de la jeunesse est susceptible de donner lieu à une retenue sur traitement et à l'engagement d'une procédure disciplinaire sur le fondement de dispositions législatives (loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et loi du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961), la note attaquée se borne à rappeler ces dispositions sans que les mesures en cause puissent être considérées comme disproportionnées dans le contexte de l'épidémie de Covid-19.

(2 novembre 2022, Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse, n° 441058)

 

167 - Demande d'octroi d'un droit de visite en prison - Demande formulée par une personne victime de violences conjugales de la part du détenu visité - Refus du garde des sceaux - Rejet.

Une personne victime de violences conjugales d'une extrême gravité, restée plusieurs années sans demander à rencontrer l'auteur, incarcéré, de ces violences, a demandé la suspension de la décision du chef du centre pénitentaire lui retirant son permis de visite.

Elle se pourvoit contre l'ordonnance de rejet de sa demande. Celle-ci est rejetée pour défaut d'urgence sans examen de la condition de doute sérieux.

Le juge fait sienne l'argumentation du garde des sceaux selon laquelle la décision de retrait du permis de visite est justifiée par les craintes pour les risques auxquels Mme D. pourrait être exposée en cas de visite à M. A., dès lors que ce dernier a commis, de façon répétée, sur une période de plusieurs années, des actes de violences conjugales d'une extrême gravité et que le centre pénitentiaire ne serait pas en mesure de mettre en place des mesures de sécurité telles que les visites pourraient se dérouler sans risques pour la requérante.

En outre, la requérante n'a pas souhaité rendre visite à son mari pendant ses premières années d'incarcération, entre 2016 et 2021, et ne fournit pas les raisons particulières qui la conduisent à souhaiter désormais lui rendre visite.

Enfin, si elle met en avant l'intérêt pour ses enfants de pouvoir rendre visite à leur père, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que ces enfants ont pu continuer à rendre visite à leur père en dépit de l'absence de permis de visite de leur mère, en étant accompagnés par un autre membre de la famille, et que la requérante pourrait par ailleurs solliciter le concours d'une association à cette fin. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'établit pas que l'exécution de décision dont elle demande la suspension serait constitutive d'une urgence justifiant la suspension de la décision de retrait du permis de visite. 

(ord. réf. 15 novembre 2022, Mme D., n° 461131)

 

Sport

 

168 - Agrément ministériel de fédérations sportives -  Agrément ne pouvant être accordé qu'à une fédération organisant des compétitions - Activité de tourisme équestre n'entrant pas dans ce champ - Annulation.

Doit être annulé pour erreur de droit l'arrêté ministériel accordant à la Fédération française d'équitation la délégation prévue à l'article L. 131-14 du code du sport pour la pratique du « tourisme équestre »  car une telle délégation ne peut être consentie que pour l'organisation de compétitions or l'activité de « tourisme équestre » ne donne pas lieu à des compétitions.

(18 novembre 2022, Fédération Équiliberté, n° 464269)

 

Travaux publics et expropriation

 

169 - Dommages causés par des travaux ou ouvrages publics – Responsabilité du maître d’ouvrage envers les tiers – Conditions d’engagement – Exonération – Caractère accidentel – Effets – Rejet.

Les requérants, agriculteurs, recherchaient la responsabilité de la commune en raison des inondations récurrentes qui affectent leur parcelle où se trouve un élevage de brebis.

Leur action ayant été rejetée en première instance et en appel, ils se pourvoient en cassation, en vain.

En réalité, le juge observe que ne sont point réunies les conditions permettant d’actionner la commune en responsabilité. C’est l’occasion pour le juge de rappeler le régime de responsabilité à raison des dommages causés aux tiers par les travaux ou ouvrages publics.

La responsabilité du maître de l'ouvrage à raison des dommages causés par les ouvrages publics dont il a la garde est engagée sans faute envers les tiers lorsque ces dommages résultent de leur existence et/ou de leur fonctionnement.

En ce cas, ne peuvent être invoqués que deux causes d’exonération : la faute de la victime ou l’existence d'un cas de force majeure.

Dans l’hypothèse où le dommage causé aux tiers n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et revêt, par suite, un caractère accidentel, ces derniers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice subi.

Sur le fond, est confirmé le rejet de la requête pour défaut de preuve du caractère spécial et anormal du préjudice subi

(10 novembre 2022, M. et Mme B., n° 455802)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

170 - Permis de construire délivré par le préfet – Plan local d’urbanisme prescrivant de construire en retrait d'un cours d’eau et s’annexant la cartographie du réseau hydrographique communal – Règle de retrait s’appliquant aussi par rapport à des fossés – Erreur de droit – Annulation.

Le plan local d’urbanisme d’une commune oblige à implanter les constructions en retrait de cinq mètres « à partir du haut de la berge de part et d'autre du cours d'eau (en annexe du PLU - annexe réseau hydrographique). (...) ».

En outre, l'additif au rapport de présentation de ce plan indique : « Le réseau hydrographique constitue une annexe au dossier de modification du PLU (...).

Le règlement écrit est ajusté afin de préciser la distance et le point de départ du retrait par rapport au réseau hydrographique ».

Le préfet délivre un permis de construire et un permis modificatif valant permis de démolir pour la réalisation d'une opération d'ensemble comportant la construction de quatorze logements collectifs, douze maisons individuelles et annexes et la démolition d'une maison individuelle.

La commune conteste la légalité de ces autorisations en raison du non-respect du retrait de cinq mètres précité qu’elle estime s’appliquer non seulement au cours d’eau mais aussi aux ruisseaux et aux fossés.

Déboutée en première instance, elle se pourvoit en cassation.

Le jugement est annulé pour erreur de droit en ce qu’il s’est fondé pour rejeter la requête dont l’avait saisi la commune, sur ce que le retrait n’était imposé par le PLU que par rapport au seul cours d’eau. Le juge de cassation considère qu’il résulte de l’annexion explicite de la carte du réseau hydrographique au PLU comme de l’additif au rapport de présentation du PLU que la règle de retrait de cinq mètres s’applique à l’ensemble du réseau, y compris les ruisseaux et les fossés.

(7 novembre 2022, Commune de La SalvÉtat-Saint-Gilles, n° 457388)

 

171 - Permis de construire en surélévation d’un bâtiment existant et permis modificatif - Moyen nouveau contestant le rejet d’un moyen comme inopérant – Moyen relevant de la même cause juridique que le moyen soulevé dans le délai du pourvoi – Rejet de la fin de non-recevoir.

Dans le cadre de l’examen d’un pourvoi dirigé contre la délivrance du permis de construire deux logements en surélévation d'un immeuble après démolition partielle et contre le permis modificatif prévoyant notamment la création d'un local de stockage des conteneurs d'ordures ménagères au rez-de-chaussée du bâtiment existant, le juge de cassation est amené à rappeler une solution classique du contentieux en matière de cause juridique.

Le demandeur, débouté de sa demande d’annulation de ces permis, a saisi la cour administrative d’appel d’un appel dirigé contre ce jugement de rejet. Il a, à cette occasion,  outre le moyen d’annulation développé en première instance et fondé sur ce que le permis de construire litigieux méconnaîtrait des dispositions du plan local d'urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l'habitat (PLUiH) en ce qui concerne la distance entre la partie arrière de la construction surélevée et la limite séparative de fond de parcelle, ajouté un second moyen tiré de ce que  la construction projetée ne prévoyait pas d'aire de présentation des conteneurs d'ordures ménagères. La cour ayant transmis ce recours au Conseil d’État, les défendeurs plaidaient que le requérant n'ayant pas soulevé dans son pourvoi, enregistré dans le délai de recours contentieux au greffe de la cour administrative d'appel et transmis au Conseil d'État, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le tribunal pour avoir écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que la construction projetée ne prévoyait pas d'aire de présentation des conteneurs d'ordures ménagères, le requérant était irrecevable à le présenter postérieurement dans le cadre d’un mémoire complémentaire, après expiration du délai de pourvoi.

Le moyen est rejeté par application des jurisprudences bien connues, Société Intercopie (Section, 1953) et Société des forges et aciéries de Saint-François (Assemblée, 1954) : dès lors qu’un moyen relève de la même cause juridique qu’un précédent moyen soulevé dans le délai du recours contentieux il est recevable alors même qu’il a été présenté après expiration dudit délai.

(9 novembre 2022, M. A., n° 459938)

 

172 - Permis de construire - Voie ouverte à la circulation publique - Existence d'une servitude de passage - Largeur de la voie ressortant des pièces du dossier et d'un site internet accessible à tous - Rejet.

Dans un litige en annulation d'un permis de construire sur une parcelle enclavée sur laquelle existe une servitude de passage, le juge apporte deux précisions utiles.

Tout d'abord, alors même que le permis de construire est délivré sous réserve des droits des tiers il n'appartient ni à l'autorité administrative qui le délivre ni, le cas échéant, au juge administratif saisi, de vérifier la validité de cette servitude ni l'existence d'un titre permettant l'utilisation de la voie qu'elle dessert, si elle est privée, dès lors que celle-ci est ouverte à la circulation publique.

Ensuite, si en principe  le juge administratif ne peut se fonder, de sa propre initiative, sur des informations n'ayant pas été soumises au contradictoire, il n'en va pas de même lorsqu'il ressort des pièces du dossier qui lui est soumis ainsi que d'un site internet accessible à tous, que ceuxs-ci permettaient, par eux-mêmes, au tribunal administratif d'en déduire que la largeur de la voie de desserte du terrain litigieux était supérieure à 3,50 mètres. 

(16 novembre 2022, M. L. et autres, n° 452025)

 

173 - Péremption d'un permis de construire - Compétence dérogatoire du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Rejet.

Il résulte des dispositions de l'art. R. 811-1-1 du CJA, applicables à la ville de Paris, que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours, introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022, dirigés contre « les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du CGI et son décret d'application ».

Jugeant que ce texte a pour objectif, dans les zones où la tension entre l'offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d'opérations de construction de logements ayant bénéficié d'un droit à construire, le Conseil d'État décide que ces dispositions dérogatoires sont applicables non seulement aux recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées, aux recours dirigés contre les décisions refusant de constater leur péremption. D'où il suit qu'en l'espèce le Conseil d'État était bien compétent pour statuer sur le jugement rendu par le tribunal administratif dans cette espèce.

Le pourvoi n'est cependant pas admis.

(22 novembre 2022, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 153 rue de Saussure, n° 461869)

 

174 - Permis de construire comportant des aménagements privés situés sur le domaine public - Absence de déclassement et de transfert de la propriété publique - Défaut de qualité des pétitionnaires pour déposer une demande de permis de construire - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Un tribunal administratif - après qu'il a ordonné et obtenu sa régularisation - annule un permis de construire au motif que les pétitionnaires étaient sans qualité pour demander un tel permis dès lors qu'une partie des aménagements inclus dans la demande de permis (places de stationnement et conteneurs) sont situés sur le domaine public communal et qu'il n'existe sur cette parcelle ni un déclassement ni un transfert de propriété vers les pétitionnaires.

Le Conseil d'État est à la cassation car il incombait seulement au tribunal « de rechercher si, à défaut de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle, le dossier joint à la demande comportait une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public ». La solution, quelque souplesse qu'elle manifeste, est critiquable - en dépit de ce que peut en dire l'art. R. 431-13 du code de l'urbanisme - quand on sait combien est stricte l'exigence de formalisme entourant le déclassement et aussi en raison du fait que même avec une promesse il n'existe aucune certitude sur la réalité future du déclassement. Enfin, faire reposer un permis de construire sur une simple autorisation d'occupation temporaire ignore superbement l'indivisibilité du permis dont l'un des éléments de légalité est l'existence de places de stationnement : que se passe-t-il si ces dernières sont précaires et révocables ?

(23 novembre 2022, Sociétés Les Jardins de Flore et Mont-Blanc, n° 449443 et n° 455632 ; Commune de Juvigny, n° 455895)

(175) V. aussi, identique sur le point jugé dans la décision ci-dessus : 23 novembre 2022, M. A., n° 450008.

 

176 - Permis de construire modificatif valant autorisation de démolir - Projet de construction comportant un tiers de logements sociaux - Bénéfice d'une majoration du volume constructible - Application - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

L'art. L. 151-28 du code de l'urbanisme autorise le règlement des plans locaux d'urbanisme (PLU) à « délimiter des secteurs à l'intérieur desquels la réalisation de programmes de logements comportant des logements locatifs sociaux au sens de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation bénéficie d'une majoration du volume constructible tel qu'il résulte des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l'emprise au sol. Cette majoration, fixée pour chaque secteur, ne peut excéder 50 % (...) ».

Le PLU de Neuilly-sur-Seine a fixé à 30% la majoration de volume constructible pour la construction de logements sociaux dans certains secteurs de la commune. Cette majoration est applicable à chacune des règles concernées de hauteur, d'emprise et de gabarit. Ainsi, lorsqu'est en cause la règle de gabarit (soit la distance des constructions par rapport, notamment, aux limites séparatives), cette disposition a pour effet soit d'augmenter d'un coefficient de 1,3 la hauteur du bâtiment autorisée par la règle de distance aux limites séparatives pour une distance à la limite séparative donnée, soit, pour une hauteur donnée, de réduire la distance aux limites séparatives exigée par l'article UD 7 du PLU d'un coefficient de 1,3.

Cependant, le Conseil d'État estime que cette hauteur ou cette distance ainsi majorée du coefficient 1,3 ne peut excéder la limite fixée en valeur absolue par le règlement du PLU, ce qui réduit l'intérêt de la dérogation est n'est peut-être pas strictement conforme à l'intention du législateur lorsqu'il a posé cette règle de majoration pour l'édification de logements sociaux.

En conséquence, est annulé pour erreur de droit le jugement qui retient, pour définir la distance d'implantation minimale de la construction projetée par rapport aux limites séparatives, non pas sa hauteur effective mais la hauteur maximale théorique autorisée par le règlement  du PLU. Il n'est pas certain que le jugement méritait annulation pour ce motif.

(23 novembre 2022, Mme D. et M. et Mme A., n° 441184)

 

177 - Demande de permis de construire – Opposition d’un sursis à statuer pour deux motifs -  Premier motif rejeté par les premiers juges, second motif retenu – Juge d’appel annulant le jugement du chef du second motif sans examen du premier – Non-respect du principe d’effet dévolutif de l’appel – Annulation et renvoi.

(7 novembre 2022, Commune de Gometz-le-Châtel, n° 455195)

V. n° 32

 

178 - Installation classée pour l'environnement - Criblage, concassage de béton et d'enrobés routiers et transit de produits minéraux - Mise en demeure de régulariser par une procédure d'enregistrement - Refus pour incompatibilité avec l'affectation du terrain en zone naturelle de loisirs par le PLU - Rejet.

(ord. réf. 15 novembre 2022, Société Vitse, n° 463114) É

V. n° 112

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