Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Décembre 2022 

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Compétences transférées par l'État à des collectivités territoriales - Arrêtés interministériels constatant le montant des dépenses devant être compensées par l'État - Décisions non réglementaires - Compétence du tribunal administratif en premier ressort - Transmission à ce tribunal.

L'arrêté interministériel du 2 décembre 2020 fixant le montant des accroissements de charge résultant pour les départements des revalorisations exceptionnelles du revenu de solidarité active (RSA) ne constitue pas un acte réglementaire et la requête tendant à son annulation doit être renvoyée au tribunal administratif compétent pour la juger en premier ressort.

(6 décembre 2022, Département de la Haute-Saône, n° 453142)

 

2 - Dépôt des brevets auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) - Forme du dépôt fixé par une convention internationale d'effet direct - Dépôt sous forme papier - Exigence d'un dépôt sous forme électronique et sous un format ne permettant pas la conversion du fichier adressé - Illégalités - Annulation.

Le requérant demande l'annulation d'une décision du directeur général de l'INPI qui a fixé les modalités de dépôt des demandes de brevets et des procédures et échanges subséquents. Selon celle-ci : « le dépôt d'une demande de brevet français, de certificat d'utilité, (...) ainsi que les procédures et échanges subséquents, s'effectuent sous forme électronique sur le site Internet de l'INPI via l'interface dédiée et conformément au traité sur le droit des brevets » (...). 

Le traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets dispose, d'une part, au d du 1) de son article 8, qu' « Une Partie contractante accepte le dépôt des communications sur papier aux fins du respect d'un délai », d'autre part, au 1) de son article 6, que « Sauf disposition contraire du présent traité, aucune Partie contractante ne peut exiger qu'une demande remplisse, quant à sa forme ou à son contenu, des conditions différentes : i) des conditions relatives à la forme ou au contenu qui sont prévues en ce qui concerne les demandes internationales déposées en vertu du Traité de coopération en matière de brevets ».

Le Conseil d'État commence par juger, ce qui était indispensable à la solution du litige, que les stipulations de ce traité sont d'effets directs à l'égard des particuliers car « Eu égard à l'intention exprimée par les parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à leur contenu et à leurs termes, ces stipulations n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. »

Passant ensuite à l'examen du fond de la requête dont il était saisi le Conseil d'État décide en premier lieu que la décision querellée du directeur général de l'INPI est contraire aux stipulations conventionnelles précitées en tant qu'elle impose un dépôt des demandes de brevets exclusivement sous forme électronique, non sur format papier,  et, en second lieu, que cette décision est également inconventionnelle en ce qu'elle impose que les demandes de brevets d'invention internationaux soient déposées sous forme électronique par le téléservice Epoline alors que ce téléservice permet leur dépôt au format PDF, sans possibilité de conversion ultérieure au format Open XML, car il s'agit d'un format différent pour les demandes de brevet français contrairement à l'exigence conventionnelle que les conditions de forme requises soient identiques pour le dépôt des demandes de brevet international et pour les demandes de brevet français.

(9 décembre 2022, M. A., n° 458276)

 

3 - Conditionnement de fruits et légumes frais non transformés sous emballage comportant de la matière plastique - Délégation du législateur au pouvoir réglementaire aux fins de fixer le régime de ce conditionnement - Décret excédant le champ de la dévolution de compétence - Annulation.

(9 décembre 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 458440 ; Syndicats POLYVIA et ELIPSO, n° 459332 ; Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop) et autres, n° 459387; Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 459398, jonction)

V. n° 100

 

4 - Silence d'une autorité administrative valant acceptation - Cas d'une demande de certificats d'économies d'énergie hors opérations spécifiques - Retrait impossible après expiration d'un délai de deux mois - Invitation à produire des pièces complémentaires - Décision faisant grief - Annulation.

Des dispositions combinées de l'art. L. 211-7 du code de l'énergie et du I de l'art. 21 de la loi du 22 avril 2000 ainsi que de l'art. 2 du décret du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de cette loi, il résulte que le silence gardé par le ministre chargé de l'énergie sur une demande de certificats d'économies d'énergie autre que celles relatives à des opérations spécifiques fait naître une décision implicite d'acceptation à l'issue d'un délai de deux mois suivant la date de réception par le ministre du dossier de demande.

Il suit de là que le courrier par lequel le ministre invite l'auteur de la demande à produire des pièces complémentaires et lui notifie qu'à défaut de leur production dans le délai fixé par ce courrier sa demande sera réputée rejetée constitue une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 

Est donc entaché d'erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge être en ce cas en présence d'une mesure préparatoire ne pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir alors qu'il incombait à la cour de répondre au moyen tiré de ce que cette invitation à produire de nouvelles pièces sous menace d'un rejet de la demande aurait illégalement retiré la décision implicite d'acceptation des demandes en litige dont elle avait admis qu'elles étaient antérieurement nées et, par suite, d'en tirer les conséquences quant à la légalité de la décision rejetant expressément ces mêmes demandes. 

(12 décembre 2022, « Association Réduisons le CO² », n° 447144)

 

5 - Délibération d'un conseil municipal approuvant le principe et les itinéraires d'un service privé de transports - Absence de caractère décisoire - Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - Annulation.

La communauté de communes du Pays de Gex est irrecevable à contester par la voie d'un recours pour excès de pouvoir la délibération par laquelle le conseil municipal de la commune de Saint-Genis-Pouilly a validé le principe et les itinéraires des véhicules navettes proposées par une société privée permettant de desservir un centre commercial, ceci ne constituant qu'un service de transport privé.

Doit ainsi être annulé l'arrêt confirmatif annulant cette délibération par le motif, erroné en droit et reposant sur une inexacte qualification des faits, que les navettes ne répondaient pas aux conditions d'un service de transport privé car elles étaient organisées par une société pour la clientèle des commerces du centre commercial qu'elle exploitait.

(16 décembre 2022, Commune de Saint-Genis-Pouilly, n° 447350)

 

6 - Dotation des policiers municipaux d'armes à feu - Refus implicite du premier ministre de soumettre un projet de loi en ce sens au parlement - Acte de gouvernement – Irrecevabilité - Rejet.

Le syndicat requérant s'est vu opposer une décision implicite de rejet de la part du premier ministre à sa demande de doter tous les policiers municipaux d'armes à feu. Cette demande, contraire aux dispositions de l'art. L. 511-5 du code de la sécurité intérieure, suppose, pour être satisfaite, le dépôt par le premier ministre d'un projet de loi accordant une telle autorisation de port d'arme.

Il est de jurisprudence constante (v. par ex., dans la jurisprudence récente : 20 janvier 2014, X., n° 372883) que le refus de soumettre un projet de loi au parlement concerne les relations entre les pouvoirs publics constitutionnels dont ce refus n'est pas détachable et, par suite, étant un acte de gouvernement, est insusceptible de tout contrôle juridictionnel.

(28 décembre 2022, Union syndicale professionnelle des policiers municipaux, n° 460928)

 

7 - Prétendue décision – Absence de caractère décisoire - Documents de portée générale émanés des autorités publiques – Absence – Irrecevabilité manifeste du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

L’information donnée à un médecin de nationalité tunisienne par le secrétaire général adjoint du Conseil national de l'ordre des médecins sur les conditions de dépôt des demandes d'inscription au tableau de l'ordre des médecins et les explications données par celui-ci des conditions prévues par le code de la santé publique pour une inscription au tableau de l'ordre de médecins ne constituent pas une décision.

Par ailleurs, destinées au seul requérant, ces précisions ne constituent point, non plus, des documents de portée générale émanant d'autorités publiques.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces indications est manifestement irrecevable, d’où son rejet.

(23 décembre 2022, M. B., n° 453205)

 

8 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice (art. R. 811-15 CJA) – Jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative – Jugement susceptible de faire l’objet d’une demande de sursis à l’exécution - Rejet.

(29 décembre 2022, Commune de Loos, n° 463598)

V. n° 45

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

9 - Attribution de fréquences radio-électriques à La Réunion et à Mayotte - Enchères principales en bande 700Mhz - Évaluation des conditions de concurrence - Caractère objectif - Attribution non discriminatoire - Rejet.

Le Conseil d'État rejette la demande de la société requérante tendant à l'annulation, d'une part, des décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) du 14 décembre 2021, révélées par son communiqué de presse du 15 décembre 2021 relatif aux résultats des enchères principales en bande 700 MHz pour l'attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte, par lesquelles elle a attribué à la société Orange et à la société Telco OI un total de 10 Mhz de fréquences en bande 700 MHz, chacune, et a refusé d'attribuer à la requérante plus de 5 Mhz de fréquences, et d'autre part, de ce communiqué de presse.

Au terme de la procédure prévue au et réglementée par le I de l'art. L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, le ministre chargé des communications électroniques, sur proposition de l'ARCEP, a fixé, par arrêté du 30 juillet 2021, les modalités et les conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans les bandes 700 MHz et 3,4 - 3,8 GHz à La Réunion pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public.

Tout d'abord, il est jugé que les décisions d'attribution par l'ARCEP, à l'issue des enchères principales, d'un total de 10 MHz de fréquences en bande 700 MHz à la société Orange et à la société Telco OI et refusant d'attribuer à la requérante plus de 5 MHz de fréquences dans cette même bande, ne constituent que des mesures préparatoires. Ainsi est irrecevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre elles tout comme celui dirigé contre le communiqué de presse qui se borne à rendre publiques ces mesures.

Ensuite sont rejetés les deux moyens principaux de fond soulevés par la société Zeop Mobile.

Il ne saurait être soutenu que l'ARCEP, pour faire sa proposition au ministre, n'aurait pas effectué une évaluation prospective objective des conditions de concurrence sur le marché car il ressort des pièces du dossier qu'elle a organisé à cet effet plusieurs consultations publiques sur les besoins en fréquences des opérateurs, qu'elle a apprécié la dynamique concurrentielle et que la proposition adressée au ministre reposait effectivement sur des analyses objectives.

Semblablement, ne saurait être soulevée par la voie de l'exception, l'illégalité de l'arrêté du 30 juillet 2021. Cet arrêté a prévu, d'abord, qu'un maximum de quatre opérateurs pourraient obtenir des blocs de fréquences de 5 MHz avec un prix de réserve nul en contrepartie d'engagements et, ensuite, que ces opérateurs pourraient obtenir des fréquences additionnelles au terme d'une enchère combinatoire à un tour sous pli fermé au second prix dont les modalités, qui prévoient que le lauréat emporte l'enchère au prix proposé par le deuxième plus offrant, conduisent à une modération structurelle des prix des blocs. Enfin, afin de prévenir le risque de déséquilibres trop importants dans les quantités de fréquences attribuées aux opérateurs mobiles qui pourraient freiner l'exercice d'une concurrence effective et loyale, l'arrêté a fixé des plafonds de détention de fréquences par opérateur. En édictant ces modalités, le ministre s'est fondé sur l'analyse de la situation concurrentielle sur le marché de La Réunion et a pris en considération les différences de situations entre les candidats potentiels, tenant en particulier aux autorisations dont ils disposaient déjà, sans que le principe de non-discrimination ait, en l'espèce, rendu nécessaire la mise en place par l'autorité administrative d'une procédure d'attribution comportant un traitement spécifique favorable à la société requérante.

(8 décembre 2022, Société Zeop Mobile, n° 460749 et n° 465105)

 

10 - Décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) - Refus d'engager à la demande d'une association une procédure de mise en demeure à l'encontre d'une société française Eutelsat SA - Diffusion par cette dernière de chaînes russes - Existence d'une urgence et d'un doute sérieux - Annulation.

L'association requérante, reconnue d'utilité publique, s'est vue opposer un refus de la part de l'ARCOM à sa demande tendant à l'engagement d'une procédure de mise en demeure à l'encontre de la société française Eutelsat SA afin qu'elle cesse la diffusion des chaînes russes « Rossiya 1 », « Perviy Kanal » et « NTV ».

L'association requérante, qui a pour but la défense de la lberté de la presse, a saisi l'ARCOM d'une demande tendant à ce qu'elle mette en demeure la société anonyme Eutelsat, opérateur de réseaux satellitaires établi en France, de cesser la diffusion des services de télévision russes Rossiya 1, Perviy Kanal et NTV, distribués par les plateformes NTV+ et Trikolor, au motif qu'ils comportent des programmes portant atteinte à la dignité humaine, incitant à la haine et à la violence à l'encontre de certaines populations et minorités, légitimant l'intervention illégale de l'armée russe en Ukraine et ne garantissant pas le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion.

Le juge des référés retient d'abord l'existence d'une urgence en raison de la réalité, de l'actualité et de l'ampleur des conséquences dommageables susceptibles de résulter de la diffusion des programmes litigieux auprès des publics qui les reçoivent ; à cet égard, la circonstance que le conflit armé ait débuté en février 2022 est sans incidence sur l'appréciation de cette urgence.

Il admet ensuite qu'existe un doute sérieux sur la juridicité du refus opposé par l'ARCOM à la demande de l'association requérante notamment en raison de ce qu'elle n'a pas recherché si sa compétence pouvait être fondée sur les dispositions de l'article 43-6 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations de l'article 5 de la convention européenne du 5 mai 1989 sur la télévision transfrontière, en tenant compte, d'une part, de ce que l'Ukraine est, à la différence de la Russie où sont établis les radiodiffuseurs responsables de ces services et de la Biélorussie, partie à cette convention, d'autre part, des conditions dans lesquelles les services de télévision litigieux sont distribués et diffusés dans les territoires ukrainiens annexés par la Russie en 2014 et en 2022 et, enfin, de la circonstance que la capacité satellitaire utilisée pour cette diffusion relève de la compétence de la France, qui est également partie à la même convention.

(ord. réf. 9 décembre 2022, Association Reporters sans frontières, n° 468969)

 

11 - Mise en demeure par le CSA (devenu ARCOM) d’une société éditrice de programme radiodiffusé - Demande de sanctions à l’encontre de cette société suite à des faits nouveaux – Refus du directeur général de l'ARCOM de transmettre cette demande au rapporteur de l’ARCOM – Décision non susceptible de recours pour excès de pouvoir – Rejet.

L’article 1er du décret du 9 novembre 1994 interdit à tout éditeur de programme radiodiffusé de diffuser, dans une zone où il ne diffuse pas au moins trois heures de programme d'intérêt local entre 6 heures et 22 heures, des messages de publicité locale au sens de l'article 3 de ce décret. A plusieurs reprises le CSA, spontanément ou sur saisine du syndicat requérant, a mis en demeure la société Vortex, éditrice du programme de radio diffusé par voie hertzienne « Skyrock » de se conformer à cette exigence qu’elle ne respectait pas.

Par trois requêtes successives, jointes ici, le SIRTI a réitéré ses demandes sur le fondement, chaque fois, de faits nouveaux. Les requêtes sont rejetées par le Conseil d’État soit que les manquements fussent limités et non réitérés, soit parce qu’en réalité le refus de sanction allégué n’était pas établi.

Le point le plus intéressant de cette décision concerne un autre aspect, celui du refus du directeur général de l’ARCOM de transmettre au rapporteur les faits signalés dans une plainte du SIRTI et de son traitement contentieux. En effet, il est jugé qu’un tel refus ne saurait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dès lors qu’il résulte de textes combinés entre eux (art. 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 et art. 2 et 3 du décret du 19 décembre 2013 relatif à la procédure de sanction mise en œuvre par le CSA/ARCOM) que le rapporteur peut se saisir de tout fait susceptible de justifier l'engagement d'une procédure de sanction, dès lors qu'il en a connaissance, sans que cette faculté soit limitée aux faits qui lui sont signalés par le directeur général de l'ARCOM. Il en résulte que l’abstention de saisir le rapporteur ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(20 décembre 2022, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 448516, n° 448523 et n° 451547, jonction)

 

Biens et Culture

Droit de l'Union et occupations domaniales, publicité et mises en concurence

 

Par deux décisions du même jour, les 7ème et 2ème chambres du Conseil d'État se prononcent sur le champ d'application et la portée des exigences de publicité et de concurrence en matière de contrats d'occupation domaniale respectivement sur une dépendance du domaine privé et sur une dépendance du domaine public. Les solutions retenues sont assez diamétralement opposées et elles reposent précisément sur la nature publique ou privée de la dépendance en cause.

Par là, le juge attache un intérêt certain à une dichotomie traditionnelle entre les natures juridiques des propriétés publiques, lui faisant produire d'importants effets alors qu'une large partie de la doctrine est, pour le moins, dubitative sur la pertinence du maintien de cette distinction.

 

12 - Baux commerciaux sur le domaine privé des personnes publiques - Conclusion d'un bail emphytéotique en vue de l'exploitation d'un hôtel - Inapplication de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Absence d'obligation de publicité et de mise en concurrence - Rejet.

Les requérants, conseillers municipaux de Biarritz, ont demandé l'annulation de la délibération du conseil municipal de Biarritz autorisant le maire de la commune à signer avec la société Socomix un bail emphytéotique d'une durée de soixante-quinze ans portant sur les murs et dépendances de l'hôtel du Palais. Par quatre autres délibérations, le conseil municipal a également approuvé : 1) le traité d'apport du fonds de commerce de l'hôtel du Palais à la société Socomix, 2) l'entrée au capital de cette société de la société DF collection, 3) le pacte d'actionnaires devant être conclu entre la société Socomix, la société DF collection et sa société mère, la société JC Decaux, et 4) la modification des statuts de la société Socomix.

Les requérants se pourvoient en cassation de l'arrêt confirmatif du rejet de leurs prétentions.

Ils font valoir à titre principal que l'État n'a pas pris les mesures de transposition nécessaires de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006  relative aux services dans le marché intérieur, dont le délai de transposition s'achevait le 28 décembre 2009. En effet, si l'art. L. 2122-1-1 du CGCT a transposé cet article s'agissant des obligations de publicité et de mise en concurrence préalablement à la délivrance d'autorisations d'occupation du domaine public permettant l'exercice d'une activité économique, il ne l'a pas fait pour ce qui regarde les baux portant sur des biens appartenant au domaine privé des personnes publiques.

Tout d'abord le Conseil d'État rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les justiciables peuvent toujours se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

Ensuite, et c'est là l'apport central de la décision, le juge interprète strictement la directive en jugeant que ni les termes de celle-ci ni la jurisprudence célèbre en résultant (CJUE 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14 et Mario Melis, aff. C-67/15), qui prend d'ailleurs le contrepied de la jurisprudence de Section Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin (3 décembre 2010, req. n° 338272, n° 338527, au Recueil Lebon), n'imposent l'application de cette exigence de publicité et de mise en concurrence à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant au domaine privé de personnes publiques, qui ne constituent pas une autorisation pour l'accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l'article 4 de cette même directive.

Il en résulte que doit être rejeté le moyen tiré de ce que c'est à tort que l'État n'a pas pris les mesures de transposition nécessaires de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Est donc inopérante l'invocation du caractère irrégulier du bail litigieux en ce qu'il ne serait pas conforme au droit de l'Union.

Le recours contre l'arrêt d'appel, qui n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits à lui soumis, est ainsi rejeté.

Il conviendra de connaître la position de la Cour de Luxembourg sur une solution jurisprudentielle qui n'est fondée que sur la distinction entre deux catégories de biens publics ignorée du droit de l'Union et de la plupart des droits nationaux des États membres ; il semble même que la solution pourrait apparaître comme frontalement opposée. Il est vrai que l'on peine à comprendre en quoi, pourquoi et comment le caractère de dépendance du domaine privé pourrait avoir une quelconque incidence sur le régime européen des attributions d'occupations domaniales

(2 décembre 2022, Mme A. et M. D., n° 460100)

 

13 - Convention d'occupation du domaine public - Exploitation de courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg, propriété du Sénat - Absence de procédure de mise en concurrence - Contrat comportant occupation du domaine public - Activité de service - Biens faiblement substituables - Résiliation d'office du contrat - Annulation.

Le Sénat, affectataire du jardin du Luxembourg, dépendance de son domaine public, a conclu avec la Ligue de Paris de Tennis un contrat d'occupation de cette dépendance domaniale en vue de l'exploitation de six courts de tennis.

La requérante reprochait l'absence de mise en concurrence du contrat d'occupation et recherchait l'annulation de ce contrat mais, par un arrêt confirmatif, la cour administrative d'appel a estimé que le vice tiré de l'absence de procédure de mise en concurrence avant la signature de la convention en litige invoqué par la société requérante, à le supposer établi, ne constituait pas un vice d'une particulière gravité que le juge devrait relever d'office et, rejetant les prétentions de la requérante, elle en a, en conséquence, déduit qu'il ne faisait pas obstacle à la poursuite de son exécution.

L'arrêt est cassé pour erreur de droit puisque la cour, comme le relève le juge de cassation, était saisie du recours d'un tiers contestant la validité du contrat et non d'un recours tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat : dès lors elle devait rechercher si le vice invoqué devant elle ne justifiait pas le prononcé de  la résiliation du contrat.

Examinant le fond ce l'affaire, le juge de cassation écarte une exception d'incompétence soulevée par le Sénat selon lequel loi du 1er août 2003 n'a explicitement mentionné, comme contrats relevant de la compétence du juge administratif, que les marchés publics. Il découle des travaux parlementaires que l'intention du législateur a été de rendre compatibles les dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires avec les exigences de publicité et de mise en concurrence découlant notamment du droit de l'Union européenne. Le juge administratif peut ainsi connaître de recours en contestation de la validité de tout contrat susceptible d'être soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. 

Concernant la qualification du contrat en cause, le juge réitère sa décision du 10 juillet 2020 (Société Paris Tennis, n° 434582 ; Voir cette Chronique, juillet-août 2020, n° 74) selon laquelle aucune clause de la convention ne permet de caractériser l'existence d'une mission de service public que le Sénat aurait entendu déléguer à cet organisme et le Sénat ne s'est réservé aucun droit de contrôle sur la gestion même de l'activité sportive de la Ligue de Paris de tennis : il ne peut donc pas s'agir d'une concession de service public. La convention attaquée est ainsi un contrat d'occupation du domaine public.

Enfin, il convient encore de relever trois points essentiels :

- l'objet de cette convention, à savoir l'exploitation de courts de tennis, constitue bien une activité de service au sens de la directive précitée de 2006, non un service d'intérêt général non économique ;

- en attribuant le contrat, le Sénat a agi en tant qu'autorité compétente au sens donné à cette expression par la directive et par suite le titre d'occupation qu'il a délivré constitue un acte formel relatif à l'accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d'une démarche auprès d'une autorité compétente au sens et pour l'application de la directive ;

- ces courts de tennis, situés en plein centre de la ville de Paris, constituent une ressource limitée en raison de la faible disponibilité d'équipements comparables en ces lieux et il ne peut être soutenu que la Ligue titulaire de la concession en était la seule attributaire possible.

C'est pourquoi il et jugé que faute d'avoir fait l'objet des procédures garantissant l'impartialité comme la transparence, en raison de l'absence de mise en concurrence, et parce que ne sont affectées par cette irrégularité ni le consentement de la personne publique ni la licéité du contenu de la convention, il n'est pas procédé à son annulation (donc rétroactive) mais à sa résiliation avec effet différé au 1er mars 2023.

(2 décembre 2022, Société Paris Tennis, n° 455033)

 

14 - Exercice du droit de préemption urbaine - Délibération municipale l'instituant - Absence d'accomplissement des formalités de publicité - Rejet de la demande de référé suspension - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante s'est vue refuser la suspension en référé de la décision par laquelle la directrice générale de l'Établissement public foncier de l'ouest Rhône-Alpes (EPORA) a exercé le droit de préemption urbain sur un bien lui appartenant.

Pour rejeter la demande de suspension, le juge des référés du tribunal administratif avait écarté comme n'étant pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision les moyens soulevés par la société requérante selon lesquels la délibération du conseil municipal instituant le droit de préemption n'aurait pas fait l'objet des formalités de publicité prévues par les dispositions précitées pour rendre ce droit opposable tant s'agissant de son affichage que de sa mention dans deux journaux diffusés dans le département.

Le Conseil d'État est à la cassation de cette ordonnance de rejet pour dénaturation des pièces du dossier car il ressort de celles-ci que seule était produite, pour justifier de l'accomplissement de ces formalités, outre la délibération elle-même, dont la mention selon laquelle elle ferait l'objet de ces formalités ne pouvait établir que tel avait été le cas, une facture acquittée pour une publication au sein d'un unique journal. 

Concernant la condition d'urgence, nécessaire à l'octroi d'une suspension d'exécution, le juge réitère sa jurisprudence habituelle selon laquelle eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, sauf circonstances particulières la condition d'urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque cet acquéreur  demande la suspension d'une telle décision. Ce qui est le cas en l'espèce.

La suspension de la décision de préemption est ordonnée.

(ord. réf. 8 décembre 2022, Société Pierre et Patrimoine, n° 466081)

(15) V. en revanche, annulant l'ordonnance suspendant l'utilisation par une commune du droit de préemption urbain en raison de ce que serait propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption en litige le moyen tiré de ce qu'un projet d'installation des services municipaux ne constitue pas une action ou une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. Au contraire, selon le Conseil d'État, le droit de préemption urbain peut s'exercer, comme en l'espèce, en vue de la rénovation ou de l'aménagement d'immeubles existants dans le but d'y installer des services administratifs et techniques municipaux car cet objet peut constituer une action ou une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code précité : 8 décembre 2022, Commune de Thiais, n° 464418.

 

16 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

V. n° 78

 

17 - Domanialité publique d’un bien – Conditions de reconnaissance de cette nature – Hypothèse où le bien est déjà occupé par un tiers en vertu d’un contrat – Existence d’un bail commercial - Annulation et rejet.

Cette décision veut mettre un terme à un feuilleton contentieux.

La commune requérante, par une délibération de son conseil municipal du 8 février 2019, a constaté la désaffectation de biens immobiliers jusqu'alors utilisés pour l'exploitation d'un service public municipal de camping et procédé au déclassement de ces biens du domaine public communal.

Le 1er septembre 2019, elle a conclu un bail commercial d'une durée de neuf ans avec une société en vue de l'exploitation de ce même terrain de camping. Puis, par une délibération du 22 septembre 2020, le conseil municipal a abrogé sa délibération du 8 février 2019 et, enfin, par une délibération du 17 décembre 2020, il a constaté l'extinction du bail commercial en conséquence de sa délibération du 22 septembre 2020 et autorisé l'exploitant à se maintenir dans les lieux jusqu'au 1er janvier 2021 seulement.

Par un courrier du 22 décembre 2020, reçu le 29 décembre, le maire de la commune a transmis cette dernière délibération à la société en lui demandant de se présenter le 2 ou le 4 janvier 2021 pour procéder à un état des lieux contradictoire du camping et à la remise des clés.

La société n'ayant pas déféré à cette invitation, la commune a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, d'ordonner son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique. Celui-ci a rejeté la demande de la commune, puis, après cassation de cette première ordonnance et renvoi du Conseil d’État, il a de nouveau rejeté la demande de la commune par une ordonnance du 11 mars 2022 contre laquelle se pourvoit la commune requérante.

Le juge de cassation rappelle tout d’abord que le juge des référés saisi dans une telle hypothèse a le double devoir de vérifier si la demande d’expulsion des occupants du bien présente un caractère d’urgence et si elle ne se heurte pas à une contestation sérieuse.

Ensuite, il relève qu’en l’espèce est satisfaite l’une des conditions alternatives dont la présence est nécessaire à la qualification du bien en cause comme constituant une dépendance du domaine public. En effet, il en est ainsi lorsque la personne publique propriétaire du bien a décidé d’affecter ce bien à un service public et réalisé l’aménagement nécessaire à l'exécution des missions de ce service public.

Jusque-là il n’y a rien que de très classique.

Toutefois, et c’est ce qui fait l’importance de la décision et, sans doute, explique le choix de la publier au Recueil Lebon, il ajoute les deux précisions suivantes.

En premier lieu, il est jugé que cet aménagement du bien en vue du service public peut être regardé « comme entrepris de façon certaine, eu égard à l'ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés ». L’aménagement ne doit donc pas s’entendre comme comportant exclusivement des éléments matériels car l’existence d’éléments immatériels peut concourir à cet aménagement et l’on peut même penser, ce qui n’était pas tout à fait le cas ici, que la seule existence d’éléments immatériels pourrait suffire à établir l’existence d’un aménagement : si ce n’est pas de la domanialité virtuelle cela y ressemble beaucoup.

En second lieu, le juge enfonce un peu plus le clou en ajoutant cette précision que la solution précédente s’applique aussi dans le cas où, à la date de la décision d'affectation, un tiers bénéficierait sur le bien en cause, par voie contractuelle, d’un droit d'occupation de ce bien. En effet, dès cette décision d’aménager et non dès l’aménagement, le bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public du fait de l’affectation à un service public.

Par suite, l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle a jugé que la société occupante était titulaire, ainsi qu'elle le soutenait, d'un bail commercial dont la nature et la portée n'avaient pas été modifiées par la délibération du 10 mai 2022 décidant d'affecter les terrains en cause à un service public de camping municipal. En effet, si le contrat de bail commercial, pouvait valoir, jusqu'à son éventuelle dénonciation, titre d'occupation du domaine public, il ne pouvait conserver, après l'inclusion dans le domaine public des biens sur lesquels il portait, son caractère de bail commercial en tant que celui-ci comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. 

Cette dernière formulation est critiquable car ce n’est pas tant sur la compatibilité du bail avec la domanialité publique qu’il convient de s’interroger (puisque cette domanialité publique  n‘existait pas au temps de la conclusion du bail) mais l’inverse : est-il légitime (on écrit bien « légitime » et non pas « légal » ou « régulier », ce qui est sans intérêt ici), après qu’a été accordé un bail commercial, c’est-à-dire l’un des actes les plus protégés et les mieux garantis du droit français, de l’occire en décidant, parfois capricieusement, à la faveur d’un changement politique ou d’intérêts personnels voire d’un classique détournement bien maquillé, de créer les conditions de la domanialité publique ?

L’on voit bien qu’ainsi l’on passe d’une compétence ou d’une politique publique à l’exercice d’un pouvoir sans foi ni loi, despotique et brutal.

Il ne reste plus à l’occupant, comme l’y invite au reste cette décision, qu’à rechercher l'indemnisation du préjudice en résultant.

Cette décision est affligeante par le recul qu’elle constitue au regard des évolutions ayant caractérisé, ces dernières années, le régime des occupations domaniales, spécialement celles reposant sur des baux commerciaux, cela à la fois dans un but de sécurité juridique et d’intérêt financier bien compris des personnes publiques propriétaires.

Ce raidissement ne nous semble plus de saison tant que le juge n’exercera pas un contrôle plus étendu, complet même, sur la pertinence des décisions des propriétaires domaniaux en forme de va-et-vient incontrôlés entre domanialité publique et domanialité privée affectant, chaque fois, gravement, les droits des occupants en place.

La présente affaire constitue sur ce point une illustration remarquable de ce qu’il convient de ne pas faire.

(30 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n° 464505)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Démission d'un membre du conseil municipal - Portée et date d'effet de la lettre de démission - Conditions et conséquences - Substitution d'un autre élu à la personne démissionnaire.

Dans le cadre de l'appel dirigé contre un jugement ordonnant le remplacement d'une élue municipale démissionnaire par un autre élu, le Conseil d'État précise trois points importants.

En premier lieu, le litige né du refus d'un maire de convoquer aux séances du conseil municipal l'élu venant immédiatement après celui démissionnaire est un litige en matière électorale (confirmation de 16 janvier 1998, Jean-Luc X. c/ Maire de Saint-Michel-sur-Orge, n° 188892).

En deuxième lieu, au sujet de la lettre de démission et de ses effets, il est jugé que la démission d'une conseillère municipale figurant dans une lettre adressée au maire le 1er octobre 2020 prend effet à cette date (réitération de 16 janvier 1998 précité) dès lors, d'une part, que les termes de cette lettre sont dénués de toute équivoque et d'autre part, qu'il n'est pas établi que des actes de harcèlement moral de la part d'une adjointe au maire ou des menaces d'administrés aient été de nature à révéler l'existence d'une contrainte dans l'écriture de ladite lettre.

En troisième lieu, le délai de recours ouvert contre le refus du maire (comme c'était le cas en l'espèce) de désigner le candidat devant succéder au démissionnaire court à compter soit de la notification de la réponse du maire ou d'une autre forme de publicité donnée à cette réponse, soit de la publication d'un nouveau tableau des membres du conseil municipal postérieurement à la demande de désignation d'un nouveau conseiller municipal, soit d'une réunion de ce conseil avec le maintien du conseiller ayant présenté sa démission. 

(9 décembre 2022, M. A., Commune de Paea et Mme D., n° 461901 et n° 462800)

 

19 - Suppression d'une régie municipale - Licenciement de deux agents de la régie - Absence de prise de position du conseil municipal sur le sort des agents - Licenciements irréguliers - Annulation.

La commune requérante ayant décidé de mettre un terme à une régie municipale gérant un service public administratif, il a été procédé au licenciement des agents affectés à cette régie. Ceux-ci ont demandé au juge administratif - et obtenu - l'annulation de la délibération du conseil municipal ayant voté la dissolution de la régie et de la décision administrative les licenciant. La commune se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du jugement d'annulation.

Son pourvoi est rejeté.

La circonstance que mention ait été faite du licenciement des deux agents dans l'exposé des motifs de la délibération municipale décidant de mettre un terme à la régie municipale ne permet pas d'établir que leur situation a été déterminée par cette délibération au sens de l'article R. 2221-62 du code général des collectivités territoriales car cette seule mention ne prouve pas que le conseil municipal a, en cette circonstance, effectivement pris position sur la question du licenciement des deux agents de la régie. La délibération est ainsi entachée d'illégalité.

Par ailleurs, il résulte du I de l'article 39-5 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique, ainsi que l'a jugé la cour, que le président du conseil d'administration de la régie, lorsqu'il notifie à l'agent sa décision de le licencier du fait de la suppression de son emploi à la suite de la décision de l'autorité territoriale de renoncer à poursuivre l'exploitation de la régie, de l'inviter à présenter une demande écrite de reclassement. Saisie d'une telle demande, l'autorité territoriale est tenue de chercher à reclasser l'agent au sein de ses services en lui proposant un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi. La décision de licenciement, prise sans le bénéfice d'une procédure antérieure de reclassement était illégale.

(14 décembre 2022, Commune de Grenoble, n° 450115)

 

20 - Directeur d'un office public de l'habitat (OPH) - Usage intempestif et démesuré d'instruments numériques de travail - Demande de remboursement - Emission de titres exécutoires et d'avis à tiers détenteurs - Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales - Annulation et rejet partiels.

Le requérant, auxquels est imputé l'établissement de connexions intervenues depuis son téléphone portable et sa tablette professionnels à partir de l'étranger, facturées ensuite à hauteur de 117 378,70 euros par l'opérateur à son employeur, a contesté des titres exécutoires et avis à tiers détenteur émis par le comptable du trésor à son encontre.

Il se pourvoit en cassation de l'arrêt d'appel infirmatif rejetant son recours.

Le juge de cassation rappelle qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales combinées à celles de l'art. L. 281 du livre des procédures fiscales qu'en matière  de contentieux des créances non fiscales des collectivités territoriales, les litiges portant sur le recouvrement de ces créances relèvent de la compétence du juge de l'exécution et que ceux portant sur leur bien-fondé relèvent du juge compétent pour en connaître sur le fond.

Il suit de là que les demandes du requérant au tribunal administratif, tendant à voir annuler  : 1° la décision par laquelle le comptable public a procédé à une compensation entre son indemnité de licenciement et un titre exécutoire valant avis de paiement de la somme de 117 378,70 euros, 2° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 24 mai 2016 par le comptable public pour un montant total de 137 140,69 euros, en vue du recouvrement de trois titres exécutoires, 3° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 11 mai 2017 pour un montant de 6 486,11 euros, en vue du recouvrement d'un nouveau titre exécutoire, 4° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 27 avril 2018 pour un montant de 89 736,69 euros, en vue du recouvrement du reliquat d'un précédent titre exécutoire, relevaient, contrairement à ce qui a été jugé, de la juridiction judiciaire et non du juge administratif.

(27 décembre 2022, M. B., n° 447378)

 

21 - Tri des biodéchets - Généralisation du tri à la source - Installations de tri mécano-biologiques - Atteinte au principe d'égalité entre collectivités territoriales - Principe de non-régression - Mesures d'exécution de la loi - Rejet.

Les requérantes, par des recours joints par le juge, demandaient, notamment, l'annulation du décret n° 2021-855 du 30 juin 2021 relatif à la justification de la généralisation du tri à la source des biodéchets et aux installations de tri mécano-biologiques et celle de l'arrêté interministériel (transition écologique et outre-mer) du 7 juillet 2021 pris en application de l'article R. 543-227-2 du code de l'environnement.

Les recours sont rejetés.

D'abord, les dispositions en cause ont été prises en exécution de dispositions législatives dont le Conseil constitutionnel a jugé (22 avril 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et autres, n° 2022-990 QPC) qu'elles ne méconnaissaient ni le principe d'égalité des collectivités territoriales devant la loi ni celui de non-régression dès lors qu'elles poursuivent l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement ; comme en outre, les requérantes n'invoquent pas de vices qui leur seraient propres, les moyens dirigés contre ces dispositions de ces chefs doivent être rejetés.

Ensuite, ni le décret ni l'arrêté querellés ne comportent l'instauration de sanctions et tous deux se bornent à fixer, sans erreur manifeste d'appréciation, les conditions d'application de l'obligation de tri à la source résultant de la loi et interdisant aux installations de tri mécano-biologiques d'admettre des déchets provenant de collectivités qui n'auraient pas démontré avoir mis en place le tri à la source des biodéchets. Il s’ensuite qu’ils ne peuvent de ce fait être argués d’illégalité.

(27 décembre 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et association pour la méthanisation écologique des déchets, n° 456190 ; Association AMORCE, n° 456272 ; Fédération nationale des collectivités de compostage, Association pour la méthanisation écologique des déchets et association AMORCE, n° 456432, jonction)

 

Contrats

 

22 - Baux commerciaux sur le domaine privé des personnes publiques - Conclusion d'un bail emphytéotique en vue de l'exploitation d'un hôtel - Inapplication de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Absence d'obligation de publicité et de mise en concurrence - Rejet.

(2 décembre 2022, Mme A. et M. D., n° 460100)

V. n° 12

 

23 - Convention d'occupation du domaine public - Exploitation de courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg, propriété du Sénat - Absence de procédure de mise en concurrence - Contrat comportant occupation du domaine public - Activité de service - Biens faiblement substituables - Résiliation d'office du contrat - Annulation.

(2 décembre 2022, Société Paris Tennis, n° 455033)

V. n° 13

 

24 - Bail emphytéotique sur une dépendance domaniale communale - Résiliation anticipée - Résiliation amiable assortie d'une indemnité - Détermination de ce montant - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Une commune convient avec la société preneuse d'un bail emphytéotique sur un terrain communal, de le résilier amiablement avec allocation d'une indemnité d'un certain montant.

Sur recours d'habitants de la commune estimant excessive l'indemnité contractuellement établie et allouée, la cour administrative d'appel, par arrêt infirmatif, a annulé la délibération autorisant le maire à résilier ce bail de manière anticipée en contrepartie du versement litigieux. La cocontractante demande et obtient l'annulation de cet arrêt.

Le juge de cassation rappelle d'abord la ligne générale applicable aux conditions de résiliation amiable d'un contrat administratif. Lorsque cette résiliation comporte le versement d'une indemnité par la personne publique à son cocontractant celle-ci ne doit pas excéder le montant du préjudice subi résultant du gain dont ce dernier a été privé ainsi que des dépenses qu'il a normalement exposées et qui n'ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat.

Ensuite, faisant application au cas de l'espèce de cette ligne générale, le Conseil d'État juge que la cour a commis une erreur de droit en estimant qu'en raison de l'obligation faite aux preneurs d'aménager et d'exploiter un village de vacances sur le site, le manque à gagner résultant de la résiliation anticipée du contrat ne pouvait correspondre qu'à la perte du bénéfice qui pouvait être escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir. Ce jugeant, elle a donc refusé de tenir compte, pour déterminer si le montant de l'indemnité accordée par la commune au titre de la résiliation du contrat était excessif au regard du préjudice en résultant pour le cocontractant au titre du gain dont il a été privé, du prix qu'il pouvait tirer de la cession des droits qu'il tenait du bail, afin de retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail.

(16 décembre 2022, SNC Grasse-Vacances, n° 455186)

 

25 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

La célèbre plage de Pampelonne située sur le territoire de la commune de Ramatuelle est une nouvelle fois le théâtre d'un contentieux récurrent aussi prolifique que les grains de sable qui la composent.

La société Le Chalet des jumeaux a obtenu de la cour administrative d'appel plusieurs arrêts prononçant la résiliation des traités de sous-concession du service public balnéaire relatifs à plusieurs lots conclus entre la commune de Ramatuelle et divers attributaires.

La commune, seule ou avec un attributaire, a saisi le Conseil d'État de sursis à l'exécution de ces arrêts de résiliation.

Estimant satisfaites les deux conditions qui doivent être réunies pour prétendre obtenir un tel sursis, le Conseil d'État prononce dans chacune de ces espèces la suspension de l'arrêt litigieux.

Tout d'abord, il est jugé que l'exécution au 1er avril 2023 (début de la saison balnéaire) de l'arrêt querellé risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables compte tenu des incidences financières potentiellement très lourdes de cette résiliation au regard du budget de la commune.

Ensuite, deux moyens d'erreurs de droit invoqués par les demandeurs au sursis paraissent, en l'état, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de l'arrêt attaqué, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond. Il s'agit d'abord de ce que la cour a estimé que les irrégularités relevées devaient conduire à la résiliation du contrat sans rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le vice entachant la validité du contrat permettait, eu égard à son importance et à ses conséquences, ne permettait pas la poursuite de l'exécution du contrat. Il s'agit ensuite de ce que la cour a jugé que les lots auraient dû être répartis en fonction de leur « niveau de standing », la commune s'étant arrogée un pouvoir discrétionnaire d'attribution des lots, faute d'avoir procédé à cette répartition.

(6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

(26) V. aussi, identiques en tout point : 6 décembre 2022, Société le Byblos, n° 465723 et Commune de Ramatuelle, n° 468212 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

 

27 - École normale supérieure de Lyon (ENS) - Procédure de conclusion des contrats - Recours d'un tiers aux contrats de l'ENS - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de l'arrêt d'appel confirmatif, rejetant son recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de la délibération n° III-2-B adoptée le 14 décembre 2015 par le conseil d'administration de l'ENS de Lyon, approuvant une convention pour la souscription et la mise en œuvre d'un contrat de partenariat public-privé relatif au projet de réhabilitation, restructuration et mise aux normes du site Monod de l'ENS de Lyon.

Son pourvoi est rejeté au terme d'une analyse qui peut surprendre.

La procédure de conclusion des contrats conclus par cet établissement s'effectue en deux temps : signature du contrat par le président de l'ENS et soumission du contrat signé au conseil d'administration.

C'est ce schéma procédural qui entraîne, selon le juge, l'irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir du demandeur.

En effet, le recours dit « Tarn-et-Garonne » (cf. Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, Rec. Leb. p. 70) n'est ouvert au tiers à un contrat que s'il comporte des moyens dirigés contre l'acte d'approbation du contrat non lorsqu'il comporte des moyens dirigés contre le contrat lui-même.

Sans doute trompé par l'intervention subséquente du conseil d'administration de l'ENS, le requérant a cru y voir un acte d'approbation d'un contrat qui était déjà signé d'où son recours. Cependant, le Conseil d'État rejette cette analyse : l'intervention du conseil d'administration  participe « en réalité au processus de sa conclusion ».

Cette déduction opérée par le juge peut se discuter car les choses ne sont pas aussi nettes. L'art. L. 712-3 du code de l'éducation dispose que le conseil d'administration de l'ENS « (...) 3°/ ... approuve les accords et les conventions signés par le président de l'établissement (...) ». Le terme « approuve » semble permettre de qualifier l'intervention du conseil d'administration comme une « approbation » contrairement à ce qui est jugé ici, et, constituant une « approbation » il peut donner, nous semble-t-il, ouverture à un recours « Tarn-et-Garonne ».

Faut-il voir dans cette jurisprudence restrictive l'indice que ce dernier recours n'est vraiment qu'une exception et, comme telle, de droit étroit, voire, comme ici, particulièrement étroit (puisque exceptiones sunt strictissimae interprÉtationis comme l'on ne dit plus guère) ?

(2 décembre 2022, M. D., n° 454318)

(28) V. aussi, du même jour, jugeant sur recours des héritiers du requérant précédent reprenant l'instance qu'il avait introduite, que M. D. n'était pas recevable à contester le contrat de partenariat conclu le 18 avril 2018, dans le cadre du projet « Lyon campus » portant sur la réhabilitation des bâtiments abritant l'École normale supérieure de Lyon (ENS) sur le site Monod, entre l'Université de Lyon et la société Neolys, car en invoquant seulement sa qualité de membre du conseil d'administration de l'ENS de Lyon ou d'enseignant chercheur, il n'établit pas la possibilité d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation du contrat litigieux ou par ses clauses : 2 décembre 2022, M. D. et Mme D., héritiers de M. D., n° 454323.

 

29 - Exécution d’un marché – Survenue d’un différend – Obligation pour le titulaire de présenter un mémoire en réclamation avant toute saisine du juge (cf. art. 50.1.1 du CCAG Travaux) – Copie au maître d’œuvre du mémoire en réclamation adressé au maître d’ouvrage – Indemnité due – Rejet.

La société Can, chargée par le Grand port maritime de Marseille (GPMM), d’un marché de travaux de dragage d'entretien des postes d'attente fluviaux sur les bassins ouest de ce port, a demandé la résiliation de ce marché en raison de la tardiveté de la notification de l'ordre de service de la première tranche de ces travaux. Le GPMM a résilié le marché aux torts de la société. Celle-ci a obtenu du tribunal administratif l’indemnisation des frais engagés pour assurer l’exécution du marché.

Après cassation de l’arrêt d’appel confirmatif et renvoi devant elle, la cour administrative d’appel a confirmé le rejet qu’elle avait prononcé du recours du GPMM contre le jugement et maintenu le montant d’indemnisation fixé par le Conseil d’État.

Le GPMM saisit à nouveau le juge de cassation.

Son pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, s’il est exact que les art. 46.2.1 et 50.1.1. du CCAG Travaux imposent au titulaire du marché, en cas de différend survenu dans le cours de l’exécution du marché, à peine d’irrecevabilité du recours contentieux, de présenter au maître d’œuvre une réclamation par demande écrite dûment justifiée et si, en l’espèce, le titulaire n’a présenté qu’une demande écrite ne satisfaisant qu’aux seules conditions de l’art. 46.2.1 du CCAG, c’est sans dénaturation, dans le cadre de son appréciation souveraine, que la cour a jugé satisfaite l’exigence d’une réclamation conforme aux dispositions de l’art. 50.1.1. du CCAG dès lors qu’avait bien été présentée au maître d’ouvrage une réclamation conforme à ce dernier article et qu’il en avait été adressé copie au maître d’œuvre.

Ensuite, c'est sans erreur de droit que la cour a estimé que certaines des dépenses faites par le titulaire après le terme de la période de préparation lui ouvraient droit à indemnité sur le fondement de l’art. 46.2.1. du CCAG lequel n’interdit pas l’indemnisation des frais et investissements exposés après le terme de la période de préparation dès lors que ces dépenses ont été engagées pour le marché et sont nécessaires à son exécution.

Le pourvoi est rejeté.

(29 décembre 2022, Grand port maritime de Marseille, n° 458678)

 

Droit du contentieux administratif

 

30 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

 (6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

Et aussi : 6 décembre 2022, Société le Byblos, n° 465723 et Commune de Ramatuelle, n° 468212 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

V. n° 25

 

31 - Référé suspension - Radiation des cadres - Doute sérieux sur la date d'entrée en vigueur de la décision - Agent en congé de longue durée pour maladie - Circonstance indifférente - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui aperçoit une circonstance de nature à faire naître un doute sérieux sur la date de son entrée vigueur le fait de prononcer la sanction disciplinaire de la radiation des cadres à l'encontre d'un agent placé en congé pour maladie alors qu'une telle position ne fait obstacle ni à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni à l'entrée en vigueur de la décision de sanction en résultant.

(6 décembre 2022, M. B., n° 465627)

 

32 - Compétence matérielle du juge administratif - Refus par un service préfectoral d'accomplir une formalité obligatoire pour lui - Publicité de l'inclusion de voies privées dans la voirie publique - Rejet de la compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

L'ensemble immobilier « Super Antibes », représenté par son syndic, a demandé l'annulation de la décision par laquelle le chef du bureau des affaires foncières et de l'urbanisme de la préfecture des Alpes-Maritimes a refusé de procéder à la publication au service de la publicité foncière d'un arrêté préfectoral du 8 août 1957 fixant le classement d'office dans la voirie urbaine d'une commune des voies privées du groupe d'habitations « Super Antibes ».

Par une ordonnance confirmative, le président d'une chambre de la cour administrative d'appel a rejeté sa demande au motif que la juridiction administrative était incompétente pour en connaître.
Le demandeur se pourvoit en cassation.

Accueillant le pourvoi, le Conseil dÉtat aperçoit dans ces ordonnances d'incompétence une erreur de droit résultant d'une méprise sur la portée de l'acte attaqué ; en effet, dès lors qu'était en cause une décision émanant des services de la préfecture et se bornant à constater qu'un arrêté préfectoral de 1957 portant classement d'office de voies privées dans la voirie urbaine dont se prévaut l'ensemble immobilier requérant n'a pas fait l'objet de la publicité foncière pourtant obligatoire et à indiquer qu'un transfert d'office de ces voies ne résulte que d'une initiative de la commune, le contentieux en découlant relevait de la compétence de la juridiction administrative.

(9 décembre 2022, Ensemble immobilier « Super Antibes », n° 460574)

 

33 - Recours en révision - Cas d'ouverture - Notion de pièce fausse - Décision rendue sans respect des règles fondamentales de procédure - Absence - Rejet.

Les requérants ont formé un recours en révision d'une décision du Conseil d'État rejetant leur pourvoi. Ils invoquaient l'existence en l'espèce de deux des trois cas qui, selon l'art. R. 834-1 CJA, donnent ouverture à un recours en révision. Cette voie de droit étant extraordinaire chacun des cas est apprécié restrictivement.

Tout d'abord, ils soutenaient que le Conseil d'État aurait statué sur leur pourvoi en cassation au vu de documents, non précisément identifiés par eux, « obsolètes et parfaitement caduques», dont la partie adverse aurait fait une présentation et une utilisation fallacieuse dans le but d'égarer le juge. Pour autant, ces affirmations n'établissent pas que la décision dont la révision est demandée aurait été fondée sur des pièces fausses.

Ensuite, ils ne sauraient non plus alléguer le défaut de contradictoire dès lors qu'ils n'établissent pas que la décision attaquée serait intervenue sans qu'aient été observées les dispositions du CJA relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu'à la forme et au prononcé de la décision.

(9 décembre 2022, M. et Mme B., n° 463786)

 

34 - Réouverture de l'instruction - Circonstance de droit nouvelle - Jurisprudence nouvelle du Conseil d'État - Évolution prévisible du fait de la jurisprudence de la CJUE - Rejet.

N'est pas entaché d'irrégularité l'arrêt d'appel qui se borne à viser, sans l'examiner, un mémoire produit après la clôture de l'instruction et invoquant une circonstance de droit nouvelle tirée d'une jurisprudence nouvelle du Conseil d'État dès lors que cette dernière ne fait que reprendre une jurisprudence antérieure de la CJUE. En effet, il ne s'agissait pas en l'espèce d'une production contenant l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, ce qui aurait contraint le juge à en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

(12 décembre 2022, Société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (APBP), n° 441063)

 

35 - Silence d'une autorité administrative valant acceptation - Cas d'une demande de certificats d'économies d'énergie hors opérations spécifiques - Retrait impossible après expiration d'un délai de deux mois - Invitation à produire des pièces complémentaires - Décision faisant grief - Annulation.

(12 décembre 2022, Association « Réduisons le CO² », n° 447144)

V. n° 4

 

36 - Litiges en matière d'impôts locaux, dont la taxe sur le foncier bâti - Compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif - Conclusions portant à la fois sur cette taxe et sur la cotisation foncière des entreprises (CFE) - Compétence possible de la juridiction d'appel - Divisibilité de la compétence pour connaître du recours faute de connexité - Rejet.

Le tribunal administratif statue normalement en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux (cf. art. R. 811-1 CJA) et donc, notamment, sur les litiges relatifs à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Toutefois, par exception, les recours en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties dirigés contre les décisions statuant également sur des conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises, sont susceptibles d'appel à la double condition, d'une part, que l'examen du contentieux portant sur ces deux impositions ait lieu à la demande du même contribuable et que les deux impositions reposent en tout ou partie sur la valeur des mêmes biens, appréciée la même année.

S'il y a connexité, le recours en ses deux branches relève du Conseil d'État ; à défaut de connexité, la partie du recours portant sur le foncier bâti relève du Conseil d'État et celle relative à la CFE de la voie de l'appel.

(12 décembre 2022, Société EGM Wind, n° 459058)

 

37 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Erreur matérielle ayant eu une influence sur le sens de la décision - Rectification des visas, des motifs et du dispositif.

Le requérant avait demandé la rectification pour erreur matérielle d'une décision du Conseil d'État dont les visas et les motifs analysent le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrée sous le n° 443811 comme tendant à l'annulation du jugement attaqué, à laquelle procède, conformément à ses motifs, le dispositif de cette décision, alors que ce pourvoi ne tendait, ainsi qu'il ressort de ses termes mêmes, à l'annulation de ce jugement qu'en tant qu'il portait sur les années 2017 et 2018.

Le pourvoi est admis et les rectifications nécessaires sont opérées car ce n'est que du fait d'une erreur purement matérielle que le Conseil d'État, qui n'a pas porté sur ce point d'appréciation d'ordre juridique, s'est mépris sur la portée exacte des conclusions de ce pourvoi. Or cette erreur, qui ne peut être regardée comme étant imputable aux parties, a eu une influence sur le sens de la décision rendue le 12 mai 2022. 

(12 décembre 2022, Syndicat mixte d'élimination et de valorisation des déchets du Calaisis, n° 465668)

 

38 - Représentation de l'État en justice - Ministre représentant l'État dans une instance différent de celui le représentant dans une autre instance - Refus de reconnaître l'autorité de chose jugée par le précédent jugement - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (règlement du litige au fond).

Dans un litige en contestation du refus du ministre de l'intérieur d'octroyer à un gardien de la paix le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité est posée une question d'autorité de chose jugée du jugement rendu dans une instance où l'État était représenté par le ministre de l'intérieur.

Le tribunal, saisi d'un recours contre un nouveau refus opposé à l'intéressé à sa demande d'allocation temporaire d'invalidité, a estimé que ne pouvait pas être opposée l'autorité de chose jugée par le premier jugement car le ministre de l'action et des comptes publics n'avait pas été appelé dans l'instance.

Le jugement est cassé car la première procédure a bien revêtu un caractère contradictoire à l'égard de l'État dès lors que celui-ci y était représenté par un ministre, l'absence de mise en cause du ministre de l'action et des comptes publics étant sans incidence à cet égard.

Cette solution, qui peut s'autoriser des motifs de célérité et de caractère pratique, s'éloigne toutefois d'une attitude jurisprudentielle plus stricte car il convient de concilier le principe d'unité de l'État (et aussi de l'unité de sa caisse) et celui de la délimitation stricte des compétences propres à chaque ministre.

(13 décembre 2022, M. A., n° 443465)

 

39 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Classement de parcelles en espaces boisés - Demande d'annulation « en tant que ne pas » - Rejet.

(13 décembre 2022, M. A., n° 451577)

V. n° 204

 

40 - Demande de renvoi pour suspicion légitime - Éléments de fait invoqués impuissants à caractériser un doute légitime sur l'impartialité d'une juridiction - Rejet.

Le requérant demandait le dessaisissement de la cour administrative d'appel de Versailles, normalement compétente pour connaître de sa requête, et le renvoi de celle-ci à une autre cour administrative d'appel, au motif que l'affaire dont est saisie cette cour administrative concerne les fonctions d'adjoint administratif stagiaire qu'il a exercées au sein de la cour judiciaire d'appel de Versailles et de certaines juridictions judiciaires du ressort de celle-ci et que les deux cours, judiciaire et administrative, ont leur siège dans la même commune.

Sans surprise, il est jugé que cette circonstance n'établit pas, par elle-même, une suspicion légitime de partialité à son endroit de la part de cette cour administrative d'appel.

(27 décembre 2022, M. B., n° 463005)

 

41 - Principe du caractère contradictoire de l’instruction des affaires (art. L. 5 CJA) – Renvoi après cassation – Reprise d’instance - Obligation pour le juge du renvoi de mettre les parties en état de produire, le cas échéant, de nouveaux mémoires – Conséquences – Annulation.

Dans un litige portant sur la contestation de la notation d’un fonctionnaire et au visa de l’art. L. 5 du CJA, le Conseil d’État expose assez complètement les conséquences qu’implique, après cassation, la reprise d’instance devant la juridiction de renvoi.

La juridiction du fond à laquelle est opéré le renvoi d’une affaire après cassation doit, en vertu du principe de l’instruction contradictoire des dossiers, mettre les parties à même de produire de nouveaux mémoires pour adapter leurs prétentions et argumentations en fonction des motifs et du dispositif de la décision du Conseil d'État.

De là découle directement pour le juge de renvoi l’obligation de notifier la reprise de l'instance soit au mandataire qui représentait la partie dans l’instance cassée, soit, si la juridiction de renvoi a été préalablement informée du choix d’un autre mandataire par la partie concernée, au nouveau mandataire, ou, en cas d’impossibilité, d'effectuer la notification à la partie elle-même.

Dans tous les cas, outre la notification, toujours obligatoire à peine d’irrégularité, au mandataire, la juridiction de renvoi peut décider d'informer la partie elle-même.

Cette dernière solution nous semble la plus convenable.

(22 décembre 2022, M. A., n° 441300)

 

42 - Révocation d’un avocat ou rétractation de son mandat – Sort des obligations de l’avocat premier choisi – Régime du report d’audience – Rejet.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’un arrêté préfectoral ayant autorisé la création d’une association foncière pastorale autorisée, le Conseil d’État rappelle deux points de procédure.

En premier lieu, lorsque dans les litiges où le ministère d’avocat est obligatoire, soit la partie qui l’a désigné révoque le mandat de son avocat soit ce dernier met lui-même un terme à son mandat, l’avocat – en vertu d'une règle générale de procédure - est tenu d’assurer ses obligations professionnelles jusqu’à la constitution de l’avocat qui le remplace. Cet incident étant sans effet sur le déroulement de la procédure juridictionnelle il s’ensuit que le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie.

Il n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande.

(22 décembre 2022, M. B., n° 450762)

 

43 - Décision – Absence de caractère décisoire - Documents de portée générale émanés des autorités publiques – Absence d’un tel caractère – Irrecevabilité manifeste du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(23 décembre 2022, M. B., n° 453205)

V. n° 7

 

44 - Médiation en procédure administrative – Soumission au principe d’impartialité – Magistrat désigné médiateur exerçant ensuite la fonction de rapporteur public dans le même litige – Atteinte au principe d’impartialité – Rejet.

Le principe d’impartialité, lequel est évidemment applicable au médiateur désigné ou choisi dans le cadre d’un procès administratif, s’oppose à ce qu’une personne soit successivement appelée à assurer la fonction de médiateur puis celle de rapporteur public dans l’instruction du litige où elle a exercé la médiation.

(29 décembre 2022, Société GEMCO, n° 459673)

 

45 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice (art. R. 811-15 CJA) – Jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative – Jugement susceptible de faire l’objet d’une demande de sursis à l’exécution - Rejet.

Il est possible de demander au juge qu’il prononce le sursis à l’exécution d’un jugement frappé d’appel ou d’un jugement ou d’un arrêt faisant l’objet d’un pourvoi en cassation lorsque l’exécution de la décision de justice contestée entraînerait des conséquences difficilement réparables.

Pour la première fois, à notre connaissance, il est jugé possible d’utiliser la procédure du sursis à exécution à l’encontre d’un jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative (ici la délibération d’un conseil municipal et la décision subséquente de résiliation d’un contrat), un tel jugement devant être considéré comme prononçant l’annulation d’une décision administrative au sens des dispositions de l’art. R. 811-15 CJA.

(29 décembre 2022, Commune de Loos, n° 463598)

 

46 – Intervention – Intervention au soutien d’une QPC – Nécessité d’un mémoire distinct – Absence – Irrecevabilité – Rejet.

Le requérant a soulevé une QPC au soutien du recours dirigé contre la mise en œuvre à son encontre des dispositions de l’art. 32 de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France ; un tiers a formé une intervention en demande aux côtés du requérant mais sans respecter la forme exigée par l’art. R. 632-1 du CJA selon lequel l’intervention s’effectue par un mémoire distinct de celui du demandeur principal. Le non-respect de cette exigence est sanctionné par l’inéligibilité, d’où le rejet de l’intervention.

(22 décembre 2022, M. B., n° 466863)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

47 - Tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel - Mise à jour des paramètres départementaux - Contestation par voie d'exception d'illégalité impossible - Recours pour excès de pouvoir - Méthodologie du juge - Annulation partielle.

La société requérante poursuivait l'annulation de l'arrêt rejetant son recours contre la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis portant mise à jour des paramètres départementaux d'évaluation des locaux professionnels en ce qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France.

Il résulte des dispositions du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010, codifiées à l'article 1518 F du CGI, que les décisions fixant les tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel ou la fixation d'un coefficient de localisation ne peuvent pas être contestées par la voie de l'exception à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie. Toutefois, le juge considère que ces décisions peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

En l'espèce, en premier lieu, la requérante soutenait, sans être contredite par l'administration, que la section BI, située sur le territoire de la commune de Tremblay n° 6 auquel cette section appartient, comprenait, à la date à laquelle les loyers servant à la révision des valeurs locatives ont été observés, au sein de ce secteur d'évaluation, la totalité des biens des catégories de locaux professionnels, définies par l'article 310 Q de l'annexe II au code général des impôts, soit les hôtels, les magasins appartenant à un ensemble commercial et ceux de grande surface, la majorité des locaux assimilables à des bureaux ou à usage de bureaux, des parcs de stationnement à ciel ouvert ou couverts.

En second lieu, la requérante soutenait également que, compte tenu des règles de détermination des valeurs locatives, il résultait directement de cette situation que les tarifs moyens au mètre carré retenus pour les locaux situés dans les limites de l'ensemble du secteur d'évaluation n° 6 étaient déterminés, entièrement pour les quatre premières catégories et de manière prépondérante pour les quatre dernières, par les loyers moyens au mètre carré observés, pour ces mêmes catégories, au sein des parcelles de la section cadastrale en litige, ce qui excluait toute possibilité d'appliquer un coefficient de localisation à ces parcelles, sauf à majorer indûment, pour une grande part des locaux situés dans les limites de cette section, les tarifs moyens qui y étaient appliqués, en contrariété avec la logique de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels.

Or dans son arrêt confirmatif la cour a écarté le moyen ci-dessus par le motif que la société requérante ne produisait aucun élément à l'appui de ses affirmations ni aucune précision de nature à les étayer. L'arrêt est cassé pour erreur de droit en considérant, d'une part, que le motif retenu par la cour était démenti par les pièces versées au dossier et d'autre part  qu'en présence d'allégations sérieuses non contestées par l'administration, il revenait à la cour d'apprécier le bien-fondé de la contestation qui lui était soumise au vu des éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction et en sollicitant, le cas échéant, des éléments de l'administration fiscale en charge d'établir les valeurs locatives cadastrales.

(5 décembre 2022, Société anonyme Aéroports de Paris, n° 461428)

 

48 - Mise à disposition de salariés de mobil-homes - Qualification en véritables logements ou en hébergements professionnels à caractère temporaire - Mise à disposition constituant une rémunération occulte - Erreur de droit - Annulation partielle avec renvoi.

Une entreprise d'installation de systèmes thermiques et climatiques a fait l'objet de divers rehaussements de droits et taxes car l'administration fiscale a qualifié de rémunérations occultes versées à ses salariés des montants correspondant aux frais de location de plusieurs mobil-homes, enregistrés dans les comptes de l'entreprise sans avoir fait l'objet d'une inscription explicite en tant qu'avantage en nature. L'administration a donc refusé leur déductibilité au titre des charges des exercices en cause pour l'établissement de l'impôt sur le revenu.

Cependant le contribuable soutenait que ces logements, qui étaient partagés dans des conditions précaires et temporaires par plusieurs ouvriers, ne pouvaient être regardés comme destinés à l'usage personnel de ceux-ci.

Or la cour a refusé la déduction des sommes correspondantes faute de comptabilisation explicite de ces éléments en tant que tels, la location de mobil-homes pour les besoins des salariés constituant nécessairement selon elle des avantages en nature accordés à ceux-ci. L'arrêt est cassé pour l'erreur de droit ayant consisté à ne pas rechercher si ces salariés pouvaient en l'espèce être regardés comme bénéficiant de tels avantages du fait de l'occupation, en tout ou partie, de lieux présentant le caractère de véritables logements ou s'il s'agissait seulement d'hébergements professionnels à caractère temporaire.

(5 décembre 2022, M. A., n° 462577)

 

49 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination de la valeur locative d'immobilisations industrielles assujettissables à la taxe - Établissement de la valeur d'origine - Cas d'un bail à construction arrivé à terme assorti de la remise des biens sans indemnité au bailleur - Erreur de droit - Annulation.

La société contribuable a conclu avec la société MPO International plusieurs baux à construction pour une durée de trente ans sur des terrains lui appartenant. Au terme du dernier de ces contrats la société preneuse a remis à la requérante, sans indemnité, les bâtiments industriels construits et exploités jusque-là par elle sur ces terrains. L'administration a alors transféré de la société MPO international à la requérante la charge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties d'abord imputées à la première de ces sociétés. Pour l'établissement de la valeur locative qu'elle a retenue, l'administration s'est fondée sur le prix de revient pour la société MPO International des constructions qu'elle avait édifiées.

La contribuable requérante se pourvoit en cassation du jugement rejetant sa demande de décharge de ces impositions.

Accueillant le pourvoi, le Conseil d'État précise d'abord que les locaux industriels qui ont fait l'objet, au terme d'un bail à construction, d'une remise sans indemnité au bailleur, doivent être regardés comme ayant été acquis à titre onéreux par ce dernier, dès lors qu'une telle remise constitue la fraction en nature de la rémunération par le preneur de la prestation qui lui a été fournie par le bailleur en exécution du contrat.

Ensuite, s'agissant de déterminer la valeur d'origine de ces locaux, le juge estime qu'il peut être recouru soit à une méthode directe s'appuyant sur leur valeur vénale en fin de bail telle qu'elle aurait pu être estimée à la date de signature de celui-ci, soit à une méthode fondée sur la fraction, également appréciée à cette date, de la valeur de marché des loyers que le bailleur a renoncé à percevoir sous forme monétaire pendant la durée du bail.

Enfin, et quoi qu'il en soit de la méthode choisie, les premiers juges ont commis une erreur de droit en décidant que l'administration fiscale pouvait, après avoir écarté la valeur d'un euro à laquelle la société Domaine de Lorgerie avait comptabilisé à l'actif de son bilan les bâtiments industriels reçus sans indemnité de la société MPO International, déterminer la valeur locative de ces locaux en se fondant sur leur prix de revient pour la société MPO International, tel qu'il ressortait des documents comptables produits par cette société dans le cadre de la réclamation qu'elle avait formée en contestation des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle avait initialement été assujettie.

(5 décembre 2022, Société Domaine de Lorgerie, n° 463427)

(50) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit le jugement qui dit légale la décision de l'administration fiscale d'émettre, en matière de taxe sur le foncier bâti, un rôle particulier à l'encontre de la société requérante sur le fondement de l'article 1508 du CGI au motif que celle-ci n'avait pas rempli l'obligation déclarative qui lui incombait dans le cadre de la réévaluation foncière des locaux professionnels de 2011 en vertu de l'article 1502 du CGI alors que les redevables ne sont tenus de souscrire la déclaration prévue à l'article 1502 précité que dans la seule hypothèse d'une révision générale des évaluations : 12 décembre 2022, SCI Eguna, n° 453503.

(51) V. également, apercevant une erreur de droit, pour mauvaise interprétation du 12° de l'art. 1382 CGI, dans le jugement refusant à la société redevable, en matière de production d'énergie photovoltaïque, le bénéfice de l'exonération de taxe sur le foncier bâti pour des constructions qui sont le support nécessaire des équipements techniques permettant cette production d'électricité, tels les postes de transformation et de livraison et leurs terrassements : 12 décembre 2022, Société Le Betout Energies, n° 453995.

 

52 - Contestation par un redevable du bien-fondé des impositions mises à sa charge - Obligation de constituer des garanties - Offre de la société mère, société de droit allemand, de se porter caution - Juge devant seulement se prononcer sur le caractère suffisant de la garantie - Erreur de droit - Annulation.

Le redevable qui entend contester le montant des impositions mises à sa charge ou les refus de dégrèvements doit, si les sommes litigieuses excèdent un certain seuil, constituer une garantie auprès du comptable du trésor. La caution est au nombre des sûretés personnelles admises par l'art. R. 277-1 du livre des procédures fiscales.

La requérante se pourvoit contre l'arrêt d'appel confirmatif estimant que l'offre de sa société mère de se porter caution dans les formes voulues par l'administration ne constituait pas une garantie propre à assurer le recouvrement de sa créance par le trésor public, celui-ci est cassé pour n'avoir pas recherché seulement, alors que le cautionnement est au nombre des sûretés personnelles admises par la disposition précitée du LPF, si cette garantie présentait au cas de l'espèce un caractère suffisant.

(12 décembre 2022, Société Stauff, n° 453950)

 

53 - Réintégration de recettes dans l'assiette de l'impôt - Commission départementale des impôts ayant estimé réintégrée à tort une partie de cette somme - Administration fiscale s'étant rangée à cet avis - Somme déduite une seconde fois par la juridiction d'appel - Dénaturation des pièces du dossier - Arrêt statuant ultra petita - Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis et statue ultra petita la cour administrative d'appel jugeant que l'administration avait à tort inclus dans les revenus professionnels de M. C. au titre de l'année 2009 la somme de 181 170 euros, alors que cette somme avait, ainsi que le contribuable l'indiquait lui-même dans ses écritures, déjà été déduite des bases d'imposition pour tenir compte de l'avis de la commission départementale. 

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 463750 ; M. C. représentant l'hoirie C., n° 464613)

 

54 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

V. n° 78

 

55 - Impôt sur les sociétés et contributions additionnelles - Société mère absorbée par une société devenue mère d'un nouveau groupe fiscalement intégré - Régime des déficits reportables - Moyen relevé d'office - Annulation.

Il résulte des dispositions des art. 223 A, 223 I, 223 L et 223 S du CGI qu'en principe les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré lorsque celui-ci a cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe en vertu de l'article 223 S du CGI.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l'espèce,  la société mère est absorbée par une société qui se constitue mère d'un nouveau groupe fiscal intégré avec les sociétés membres de l'ancien groupe, les déficits reportables constitués par l'ancien groupe sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante, sous réserve de l'obtention de l'agrément prévu en ce cas. Ces déficits, sous la condition qui vient d'être indiquée peuvent également être imputés sur les bénéfices des sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe.

Ainsi commet une erreur de droit l'arrêt d'appel confirmatif jugeant que la société Poweo, renommée Direct Energie, après avoir absorbé la société Direct Energie, mère du groupe fiscalement intégré constitué avec les sociétés Direct Energie Distribution et Direct Energie Génération, avait pu légalement cumuler le bénéfice des mécanismes d'imputation des déficits antérieurs à la constitution du nouveau groupe prévus respectivement par les dispositions du a du 1 et par celles du 5 de l'art. 223 I du CGI. En effet, ce jugeant la cour a méconnu le champ d'application des dispositions législatives en cause car elle a permis, sur le fondement du 5 de l'art. 223 I précité, l'imputation sur les bénéfices de la société absorbante des déficits constitués par l'ancien groupe qui lui avaient été transférés en vertu du 6 de cet article, alors que ces dispositions ne permettent l'imputation des déficits constitués par l'ancien groupe que sur les résultats des sociétés membres de ce groupe et qui font partie du nouveau groupe.

Ce moyen n'avait pas été soulevé par le ministre en cassation mais, parce qu'il concerne le champ d'application de la loi, il doit être relevé d'office par le juge  « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi ».

Semblablement, méconnaît le champ d'application de la loi le jugement du tribunal administratif dans cette affaire en ce qu'il a estimé que le 5 de l'article 223 I du CGI autorisait la société absorbante Poweo, au titre des déficits, à opérer sur ses bénéfices propres une imputation supplémentaire, le tribunal a méconnu le champ d'application de ces dispositions dès lors que les déficits antérieurs effectivement imputés par la société Direct Energie sur ses bénéfices propres de l'exercice clos en 2013 lui ont permis d'obtenir une déduction égale au plafond mentionné ci-dessus, quand bien même n'auraient pas été pris en compte les déficits constitués par l'ancien groupe et transférés en vertu du 6 de l'article 223 I du code général des impôts. En effet, les déficits subis par la société absorbante Poweo, renommée Direct Energie, antérieurement à la constitution du nouveau groupe fiscalement intégré ainsi que les déficits de la société absorbée qui lui avaient été transférés en vertu des agréments délivrés par l'administration fiscale respectivement sur le fondement du II de l'article 209 du CGI et du 6 de l'article 223 I dudit code, pouvaient être imputés uniquement sur ses bénéfices propres ultérieurs en application du a du 1 de cet article 223 I, dans la limite du plafond prévu par le troisième alinéa du I de l'article 209.

Là encore le moyen est relevé d'office.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 451553)

 

56 - Crédit d'impôt - Production d'électricité photovoltaïque - Biens amortissables dégressivement - Cas de travaux relatif à la mesure de l'électricité distribuée - Refus d'éligibilité au crédit d'impôt - Qualification inexacte des faits - Annulation de l'arrêt et rejet du recours.

Qualifie inexactement les faits de l'espèce la cour administrative d'appel qui juge que ne sont pas éligibles au crédit d'impôt prévu pour la réalisation d'installations productrices d'énergie au sens de l'article 22 de l'annexe II au CGI des travaux de raccordement au réseau public d'EDF relatifs à la mesure de l'électricité distribuée alors que le compteur situé au point de livraison et le dispositif d'échange d'informations d'exploitation installés à l'occasion de ces travaux de raccordement sont des installations indispensables et normalement utilisées pour la production d'électricité photovoltaïque exercée dans l'installation au titre de laquelle le crédit d'impôt était sollicité.

(14 décembre 2022, Société Cocli Energie, n° 447908)

 

57 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Inclusion dans l'assiette du calcul de cette cotisation de plus-values résultant de la cession d'immeubles - Condition d'activité normale et courante de l'entreprise (art. 1586 sexies CGI) - Cessions ne constituant pas l'activité normale de la contribuable - Erreur de qualification juridique et insuffisance de motivation - Annulation.

Il résulte des dispositions des art. 1585 quinquies et 1585 sexies du CGI que la CVAE est calculée sur le chiffre d'affaires réalisé et la valeur ajoutée produite notamment par les « plus-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante ».

La société requérante a pour objet social la location d'immeubles, mais aussi l'achat et la vente d'immeubles. Suite à une vérification menée par l'administration fiscale, elle conteste la réintégration dans sa base d'imposition à la CVAE du montant des plus-values qu'elle a réalisées lors de la cession d'immeubles.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d'appel a rejeté sa contestation car elle a estimé que les gains de cession d'immeubles perçus au cours des exercices vérifiés devaient être regardés comme résultant de l'activité normale et courante de la société. Elle s'est fondée à cet effet sur ce que l'objet social de la contribuable comprend non seulement la location, mais aussi l'achat et la vente d'immeubles et en a déduit que la vente d'immeubles fait partie de son activité normale et courante au sens et pour l'application de l'art. 1585 sexies CGI précité. Relevant ensuite qu'elle avait cédé neuf immeubles en 2011 et onze immeubles en 2012, pour un prix de vente de plus de 4 millions d'euros chaque année, et effectué des cessions pour un montant équivalent en 2009 et 2010, elle a jugé que ces cessions avaient un caractère régulier, que les plus-values en résultant, de l'ordre de deux millions d'euros en 2011 et trois millions d'euros en 2013, représentaient une part significative des profits de la société, dont le résultat d'exploitation s'élevait pour ces années à environ six millions d'euros, et enfin que la société n'apportait aucune précision sur les raisons pour lesquelles elle avait décidé de céder les biens en cause. En conséquence, elle en a conclu que la vente d'immeubles faisait partie intégrante de l'activité économique de la société et de son modèle économique.

Pour annuler cette motivation qui, en apparence, paraissait assez solide, le juge de cassation reproche à la cour d'avoir commis une erreur de qualification juridique en jugeant que les plus-values devaient être incluses dans l'assiette de la CVAE à laquelle la requérante a été assujettie au titre des années 2011 et 2012. En effet, le juge retient que la société faisait valoir, sans être sérieusement contredite par l'administration, que ces cessions, dont elle ne contestait pas le caractère régulier, ne portaient que sur une dizaine d'immeubles par an, quantité qui devait être rapportée à la détention d'un parc total d'environ deux cent quatre-vingts immeubles. Ainsi pouvait-elle soutenir que ces cessions n'étaient aucunement indispensables à la bonne santé financière de l'entreprise car les produits d'exploitation locatifs se montant à près de quatorze millions d'euros par an et le résultat d'exploitation étant largement bénéficiaire indépendamment des plus-values de cession, son modèle économique reposait sur la détention durable des immeubles qu'elle mettait en location, leur cession n'étant pas systématiquement dictée par une dépréciation de ces immeubles dans le temps, et ne procédant pas d'une stratégie pré-établie de cessions systématiques ou à bref délai, mais d'arbitrages ponctuels, en fonction de l'état de l'immeuble et de facteurs locaux de commercialité.

(16 décembre 2022, Sarl Soval, n° 448403)

 

58 - Société gérant des activités de direction de sociétés spécialisée dans l'intérim - Reprise du fonds de commerce de cette société - Sous-location de ses anciens locaux par ladite société - Cessation de l'assujettissement à la TVA - Erreur de droit - Annulation.

La requérante - dont l'objet est la direction de sociétés spécialisées dans l'intérim - a demandé en vain au juge administratif de prononcer la décharge des rappels de TVA dont elle a fait l'objet et des pénalités dont étaient assortis ces rappels ainsi que le remboursement d'un crédit de TVA.

La cour administrative d'appel avait jugé que la circonstance que la société Qualygest France avait procédé à la sous-location des locaux - dans lesquels elle avait exercé son activité - au repreneur de son fonds de commerce ne permettait pas de la regarder comme ayant conservé la qualité d'assujettie à la TVA après la cession du fonds dès lors qu'elle aurait pu résilier le bail et qu'elle s'était bornée à facturer des sous-loyers.

Le Conseil d'État est à la cassation car il résulte des dispositions de l'art. 256 A du CGI que la sous-location constitue une activité économique et qu'elle entre ainsi dans le champ d'application de la TVA contrairement à ce qu'a jugé l'arrêt d'appel.

(16 décembre 2022, Société Qualygest France, n° 452853 et n° 452855)

 

59 - Livraison de terrains à bâtir - Conditions d'exonération de TVA - Gestion d'un patrimoine privé et non commercialisation foncière - Rejet.

Le pourvoi était dirigé contre un arrêt d'appel en ce qu'il a jugé que les démarches entreprises en l'espèce par les propriétaires avant la cession des parcelles en cause n'étaient pas au nombre des démarches actives de commercialisation foncière et que, par suite, ils ne pouvaient être regardés comme ayant exercé une activité économique en procédant à cette cession.

Pour rejeter le pourvoi du ministre, le Conseil d'État rappelle que l'assujettissement à la TVA de la cession, par une personne physique, d'un terrain à bâtir, est possible dans deux grandes catégories de situations : soit cette cession procède, non de la simple gestion d'un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu'elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique, soit est, par là, réalisée une opération d'aménagement d'un terrain à bâtir, d'une ampleur telle qu'elle ne saurait relever de la simple gestion d'un patrimoine privé.

Cette catégorisation a sa logique étant toutefois observé que plus le terrain cédé par une personne physique est de grandes dimensions plus il y a de risque pour son propriétaire de relever de la seconde catégorie (ampleur de l'opération) ce qui introduit subtilement - et peut-être involontairement - une distinction fondée sur la surface au regard du champ d'application de laTVA, conséquence  sans doute inaperçue par le législateur.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

 

60 - Pourvoi incident portant sur une imposition distincte de celle sur laquelle porte le pourvoi principal - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d'une solution constante : est irrecevable le pourvoi incident portant sur une imposition (ici l'impôt sur le revenu) différente de celle sur laquelle porte le pourvoi principal (la TVA). La raison en est que tout recours incident voit sa recevabilité subordonnée à ce que son contenu soit en étroit rapport avec l'objet du litige principal faute quoi il saisit le juge d'un litige nouveau, ce qui est le cas lorsque l'incident porte sur l'impôt sur le revenu tandis le principal concerne la TVA.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

 

61 - Pénalités fiscales - Pénalité de 40% pour défaut de dépôt dans les délais d'une déclaration fiscale ou de production de pièces nécessaires à l'établissement de l'impôt - Principe de personnalité des peines et principe de responsabilité petsonnelle - Conditions d'application et d'exception - Annulation.

Le pourvoi du ministre tendait à l'annulation d'un arrêt d'appel ayant prononcé la décharge de la majoration de 40% mise à la charge d'une société pour retard dans la souscription d'une  déclaration en vue de l'imposition.

Dans une rédaction solennelle et soignée, le juge de cassation rappelle le double principe gouvernant l'infliction de pénalités fiscales.

En premier lieu, est posée la règle que le principe de responsabilité personnelle et le principe de personnalité des peines s'opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles répriment, puissent être prononcées à l'encontre de contribuables lorsque ceux-ci n'ont pas participé aux agissements que ces pénalités sanctionnent.

En second lieu cependant, il est indiqué que doit être regardé comme ayant pris personnellement part à un tel manquement la personne morale associée d'une société de personnes dont le gérant est aussi celui de cette société de personnes, ainsi que, le cas échéant, ce gérant s'il est lui-même associé de cette dernière société. 

En l'espèce, la cour a relevé que pour infliger la pénalité litigieuse l'administration n'établissait pas la participation de la société demanderesse (Sarl Fiorim) au retard déclaratif de son associée la SCI Les Terrasses du Prieuré. Pour annuler cet arrêt le Conseil d'État relève l'erreur de droit ayant consisté pour la cour à ne pas relever que la même personne était à la fois gérante des deux sociétés ce qui permettait que les pénalités en cause fussent mises à la charge de la société Fiorim.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 461887)

 

62 - Détermination du domicile du contribuable - Lieu d'adresse des actes de procédure administrative fiscale non contentieuse - Obligation pour l'administration fiscale d'établir où le redevable habite effectivement - Erreur de droit - Annulation.

Rappel de ce qu'il est toujours possible à l'administration de ne pas adresser les actes de procédure fiscale non contentieuse à l'adresse indiquée par le contribuable dès lors qu'elle établit le caractère fictif du domicile dont l'adresse lui a été indiquée. En ce cas, elle est fondée à retenir une autre adresse si elle prouve que c'est celle où le contribuable réside effectivement.

Par ailleurs, s'il est établi que le contribuable a eu connaissance de ces actes, il importe peu qu'ils aient été adressés à une adresse erronée ou qu'ils aient été retirés par des personnes qui n'y avaient pas été habilitées. 

En l'espèce, la cour avait jugé que, le contribuable ne résidant plus à l'adresse aux États-Unis dont l'administration fiscale avait connaissance ni dans une certaine rue sise à Aix-en-Provence comme il le soutenait, l'administration avait pu notifier ces actes de procédure à l'adresse de sa mère à Aix-en-Provence dans la mesure où, ressortant des relevés bancaires obtenus dans le cadre du droit de communication, cette adresse était la seule dont l'administration disposait.

En jugeant sur cette base que ces actes avaient été régulièrement notifiés au contribuable la cour a commis une erreur de droit car elle n'a pas recherché soit si le contribuable résidait effectivement à l'adresse de sa mère soit s'il avait eu connaissance des actes de procédure notifiés à cette adresse. 

Le pourvoi du redevable, fondé sur ce moyen, est admis au fond et l'arrêt annulé avec renvoi à son auteur.

(16 décembre 2022, M. A., n° 454528)

 

63 - Taxe professionnelle - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas d'exonération - Cotisation foncière des entreprises - Annulation pour l'essentiel.

Le groupement demandeur, opérateur de manutention portuaire du terminal dans le grand port maritime de Dunkerque, assure le déchargement des navires porteurs de grands vracs secs tels que charbon et minerais, le stockage de ces vracs sur des parcs à ciel ouvert et le rechargement, principalement sur navires et rail, en vue de l'alimentation en matières premières des industries lourdes françaises ou européennes.

Ce groupement a fait l'objet de cotisations supplémentaires de taxe professionnelle pour deux années et de cotisation foncière des entreprises pour une autre année. 

La demande de décharge de ces impositions supplémentaires a été partiellement accueillie par l'arrêt d'appel infirmatif contre lequel le ministre des finances se pourvoit.

Au visa des art. 1467 (taxe professionnelle), 1469 (détermination de la valeur locative), 1381 (taxe foncière sur les propriétés bâties) et 1382 (exonérations de la taxe foncière sur les propriétés bâties) du CGI, le juge de cassation estime que la cour administrative d'appel a à bon droit considéré  que, étant  spécifiquement adaptés à l'activité du GIE, le fossé filtrant et le parc à raclure ainsi que les installations relatives à l'éclairage du site et à la distribution électrique utilisées notamment pour le déchargement à quai de nuit, n'étaient pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 du CGI comme exceptés de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties qu'institue l'art. 1381 du CGI.

Puis, il juge, au contraire, que la cour a, à tort, considéré comme spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel, quand bien même elles concourent à celles-ci, les immobilisations relatives aux portails d'accès, tout comme les travaux liés à l'aménagement des terre-pleins de stockage et à leur desserte ainsi que les travaux d'enrochement du sol et de reprofilage, qui se rapportent directement aux installations de stockage des pondéreux, entrent dans le champ d'application du 1° de l'article 1381 du CGI, tandis que les travaux liés à la desserte ferroviaire entrent, en tant qu'accessoires de la voie, dans le champ d'application de son 2°. De même, les travaux relatifs à la lagune d'évacuation, qui s'apparentent à des travaux de terrassement, entrent dans le champ du 1° de l'article 1381 et ne constituent pas, au demeurant, des outillages, installations et moyens matériels d'exploitation au sens du 11° de l'article 1382 du même code. Il en va également ainsi des systèmes de collecte d'eau et d'assainissement qui, pour l'essentiel, s'apparentent au creusement de tranchées et ne peuvent être distingués des installations de stockage sur lesquelles ils sont réalisés.

Enfin, par suite de ce qui précède, la cour ne pouvait juger que la valeur locative des biens du GIE exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties étaient, de ce fait même, exonérés de taxe professionnelle. 

La complexité et l'enchevêtrement de textes - eux-mêmes très illustratifs d'une volonté de maximiser la ressource fiscale qui atteint ici un sommet - conduisent inévitablement à un échafaudage virevoltant et ébouriffant où les meilleurs juges y perdent leur latin.

(16 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 456646)

 

64 – Existence d’une rémunération occulte – Écritures comptables comportant un objet réel identifiable - Dénaturation de pièces et erreur de droit - Annulation sans renvoi.

C'est au prix d'une dénaturation des pièces du dossier et d'une erreur de droit qu'une cour administrative d'appel aperçoit l'existence d'un avantage ou d'une rémunération occulte en l'espèce.

La société requérante, à la suite d'un  protocole d'accord entre la société SHS, qu'elle avait acheté, et l'ensemble des plaignants dans le cadre d'une action collective (ou class action, celle-ci s'étant déroulée aux États-Unis), aux termes duquel les parties s'engageaient à mettre un terme définitif à leur action contre le paiement, par la société SHS, d'un montant de 75 millions de dollars pour les actionnaires jugés recevables par un tribunal de New-York (c'est-à-dire ceux ayant acquis les actions litigieuses à la bourse de New-Yok) et de 40 millions de dollars pour les actionnaires non recevables (c'est-à-dire ceux ayant acquis les actions litigieuses à la bourse de Zurich). La société Scor SE a versé à sa filiale SHS la somme de 30 585 390 euros en application d'un protocole transactionnel conclu le 30 juin 2008 entre les deux sociétés pour couvrir le coût de l'indemnisation versée par la société SHS aux actionnaires non recevables.  Elle a porté le montant de cette subvention au compte 91100112 « Contribution Switzerland AG », sous le libellé « contrib class action Switz ». Le document de référence de la société Scor SE pour l'année 2008, d'une part, présentait en détail les étapes du litige entre la société Converium devenue SHS et ses anciens actionnaires, notamment la conclusion du protocole susmentionné, pour lequel il était précisé qu'il couvrait également les actionnaires qui n'avaient pas été jugés recevables pour l'action de groupe, et d'autre part, précisait que l'issue de l'un ou plusieurs de ces litiges « pourrait avoir un impact défavorable significatif sur la situation financière ou les résultats des opérations du Groupe ». 

La cour a cru devoir juger que le libellé et l'enregistrement comptable ne permettaient pas d'identifier la somme versée à la filiale SHS de sorte que la société Scor SE n'était pas fondée à contester le caractère occulte de l'avantage consenti, d'autant que la charge en cause aurait dû être enregistrée en charge exceptionnelle et non en charge par nature.

Très logiquement, le juge de cassation relève que le versement litigieux ayant été présenté par la société dans sa comptabilité d'une façon permettant d'identifier l'objet réel de la dépense et son bénéficiaire, la cour a, par l'arrêt querellé et qui est pour ce double motif cassé, dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et commis une erreur de droit. 

(16 décembre 2022, Société Scor SE, n° 459047)

 

65 - Qualification comme avantage occulte - Loyer versé pour une partie de l'appartement occupé par un contribuable - Versement par ce dernier d'un loyer pour le même appartement - Libéralité consentie à la société propriétaire - Absence de preuve d'une libéralité consentie au locataire - Annulation.

Méconnaît les dispositions du c de l'art. 111 du CGI qui définit les rémunérations et avantages occultes, l'arrêt d'appel qui aperçoit une libéralité en faveur du requérant dans la circonstance qu'une société verse à la société propriétaire de l'appartement qu'il occupe un loyer couvrant 40% de la sperficie de l'appartement et alors que le requérant verse lui-même un loyer à raison de cet appartement à ladite société propriétaire.

Si ce mécanisme atteste de l'existence d'une libéralité de la société versant une part du montant du loyer à la société propriétaire, cela n'établit pas ipso facto que le demandeur aurait bénéficié d'une prise en charge par la société versant une fraction du loyer, de dépenses qui auraient normalement dû incomber au demandeur. 

(16 septembre 2022, M. B., n° 461118)

(66) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge qu'alors même que les requérants avaient présenté des facturations dissociées pour les parties - d'un immeuble classé à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques - déjà utilisées en logements et pour celles résultant d'un agrandissement de surface ou d'une nouvelle affectation, les travaux en cause, eu égard à leur nature et à leur ampleur, devaient être regardés dans leur ensemble comme des travaux d'agrandissement et de reconstruction alors qu'il incombait à la cour de rechercher si, au sein des travaux en cause, les dépenses de réparation et d'entretien pouvaient être dissociées des dépenses de reconstruction ou d'agrandissement, et en écartant comme inopérante la circonstance que des pièces avaient été produites en ce sens : 16 décembre 2022, M. et Mme B., n° 461335.

 

67 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFB) - Travaux entraînant la destruction d'un immeuble ou affectant son gros-oeuvre - Exonération de taxe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui estime que des travaux n'ayant pas porté atteinte de manière significative aux éléments porteurs des immeubles servant d'assiette à la TFB ne sauraient être considérés comme ayant porté  atteinte à leur gros œuvre alors que des travaux peuvent porter atteinte au gros œuvre d'un bâtiment sans nécessairement en affecter les éléments porteurs. 

C'est à bon droit que la société redevable soutenait que les immeubles en litige dont elle est propriétaire n'étaient pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

(16 décembre 2022, Sarl Pamier, n° 461939)

 

68 - Comptabilité publique - Responsabilité du comptable public - Prohibition de tout contrôle de légalité sur l'acte administratif à l'origine de la créance - Annulation avec renvoi à la Cour des comptes.

La Cour des comptes a mis en débet l'agent comptable d'une université puis, par arrêt définitif, l'a déclarée débitrice envers cette dernière du montant du versement, à dix de ses agents, d'un complément indemnitaire intitulé «compensation logement ». 

Il lui est reproché de n'avoir pas suspendu le paiement d'une indemnité qui ne pouvait pas trouver son fondement dans le texte législatif visé par la délibération du conseil d'administration de l'université l'ayant instituée en faveur des agents des catégories B et C.

Le Conseil d'État casse cet arrêt en rappelant à une Cour des comptes très rétive en cette matière que si les comptables doivent vérifier, y compris au moyen d'une appréciation juridique, le caractère complet, précis et cohérent des pièces justificatives de la dépense engagée au regard de la catégorie de la dépense et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité. 

Par suite, en fondant la décision contestée sur l'inexercice par la comptable d'un contrôle de légalité sur la délibération instituant la catégorie de dépense en cause, la Cour des comptes a commis une erreur de droit.

(27 décembre 2022, Mme A. c/ Cour des comptes, n° 453533)

 

69 - Comptabilité publique - Responsabilité du comptable public d'un établissement médico-social - Versement d'une indemnité de sujétion - Existence d'un préjudice financier pour l'établissement - Erreur de droit - Plan de contrôle incomplet établi par le comptable public - Refus de remise gracieuse - Annulation et renvoi partiels à la Cour des comptes.

Le comptable public d'un établissement médico-social est condamné par un arrêt partiellement infirmatif de la Cour des comptes pour le paiement irrégulier d'une indemnité de sujétion spéciale à divers personnels non médicaux titulaires de l'établissement à raison du préjudice financier ainsi causé à l'établissement ; cette juridiction lui a refusé le bénéfice d'une remise gracieuse totale des sommes mises à sa charge.

Sur pourvoi, le Conseil d'État estime que c'est par erreur de droit que la Cour a retenu l'existence d'un préjudice financier au détriment de l'établissement employeur résultant du paiement de cette indemnité. En effet, le paiement de l'indemnité de sujétion spéciale ne pouvait pas préjudicier à l'établissement car le versement de cette indemnité était de droit pour les agents de l'établissement répondant aux conditions réglementaires (art. 1er du décret du 1er août 1990 relatif à l'attribution d'une indemnité de sujétion spéciale aux personnels de la fonction publique hospitalière) et il n'était pas contesté que tous les bénéficiaires de l'indemnité en litige répondaient à ces conditions.

En revanche, en refusant à ce comptable le bénéfice de la remise gracieuse pour les sommes restant en litige, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit dès lors que celui-ci avait établi pour le second semestre 2015 un plan de contrôle sélectif de la paye, approuvé par la direction départementale des finances publiques de la Gironde le 8 juillet 2015, qui ne prévoyait pas les modalités de contrôle des trois indemnités constitutives des charges retenues à son encontre. Faute, du fait de cette omission, de s'être donné les moyens d'exercer un contrôle exhaustif sur ces indemnités, le comptable ne pouvait pas solliciter le bénéfice d'une remise gracieuse totale. 

(28 décembre 2022, M. A. c/ Cour des comptes, n° 441052)

 

70 - Société - Impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux - Proposition de rectification - Non réponse dans le délai réglementaire - Délai de reprise - Non respect - Rejet.

Le contribuable destinataire d'une proposition de rectification de sa déclaration d'impôt dispose, selon les cas, de trente ou de soixante jours, pour présenter ses observations sur cette proposition. La simple indication par le contribuable, dans ce délai, du refus des rectifications envisagées ne saurait tenir lieu des « observations » prévues à l'art. L. 57 du livre des procédures fiscales (LPF) et, par suite, ne saurait proroger le délai imparti pour les formuler de sorte qu'en l'espèce, reçues par l'administration fiscale le 6 mars, les observations du contribuable en réponse à une notification de la proposition de rectification notifié les 17 et 20 décembre précédent étaient tardives et ne pouvaient donc pas être retenues.

Par ailleurs, le bénéfice du délai spécial de reprise de deux ans prévu par le deuxième alinéa, alors en vigueur, de l'article L. 169 du LPF, était subordonné à la réception, par le service des impôts des entreprises, dans le délai de huit mois prévu aux art. 1649 quater E et 1649 quater H du CGI à compter de la réception par le centre de gestion agréé ou l'association agréée des déclarations de leur adhérent, de la copie du compte rendu de mission établi par ces centres ou associations au titre des exercices en cause, à la suite du contrôle de la concordance, de la cohérence et de la vraisemblance de ces déclarations. Faute qu'en l'espèce l'administration ait été rendue destinataire, dans le délai de huit mois suivant la date de réception des déclarations des résultats de la société des requérants par l'organisme agréé auquel elle avait adhéré, du compte rendu de mission établi par cet organisme au titre de l'exercice en cause, la circonstance que la société aurait remis ce compte rendu en main propre au vérificateur le jour de la première intervention de celui-ci n'était pas de nature à régulariser le défaut de transmission par l'organisme agréé au service des impôts des entreprises.

(21 décembre 2022, M. et Mme B., n° 461493)

(71) V. aussi, précisant que si le délai de trente jours prévu à l'art. L. 57 du LPF est un délai franc, l'octroi au contribuable d'un délai de soixante jours n'a pas pour effet de le faire bénéficier de deux délais francs de trente jours chacun mais d'un unique délai franc de trente jours augmenté de trente jours non francs : 21 décembre 2022, M. A., n° 462224.

 

72 - Dividendes - Date de mise à disposition du contribuable - Clause d'indisponibilité voulue par le contribuable - Acte de disposition de ce dernier - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit et doit être annulé l'arrêt jugeant que des dividendes préciputaires versés par une société aux requérants ne pouvaient être regardés comme ayant été mis à la disposition de ces époux, car ces sommes, ayant été inscrites sur un compte courant d'associés bloqué par l'effet des stipulations d'une convention de subordination conclue en 2007 entre, notamment, la société attributrice des dividendes, les requérants  et plusieurs banques, cette circonstance faisait juridiquement obstacle à leur retrait au cours de l'année de leur attribution. En effet, la cour devait relever que M. B. avait été à l'origine de cette convention de subordination d'où il résultait, en dépit de l'antériorité de celle-ci, que l'indisponibilité des dividendes en litige ne procédait que d'un acte de disposition de la part du contribuable.

(21 décembre 2022, M. et Mme B., n° 462533)

 

73 - Avantage fiscal - Abattement d'un tiers chaque année, après cinq ans de détention des titres, des gains nets réalisés dans les sarl (art. 150-0 D ter du CGI) - Règle d'interprétation stricte - Dérogation ne pouvant concerner que le gérant statutaire lui-même - Absence d'inconstitutionnalité - Rejet de la demande de transmission d'une QPC et rejet au fond.

Les dispositions de l'art. 150-0 D ter du CGI, qui accordent au gérant d'une sarl l'avantage fiscal d'un abattement d'un tiers chaque année - après cinq ans de détention des titres - des gains nets réalisés dans certaines sociétés, sont d'interprétation stricte ; elles ne s'appliquent qu'au seul gérant statutaire non au gérant de fait ni à celui agissant sur délégation de pouvoirs de la part du gérant statutaire.

Cette limitation au seul gérant statutaire ne contrevient pas au principe constitutionnel d'égalité de traitement de situations semblables dès lors, précisément, d'une part, que les gérants de fait de telles sociétés, qui n'ont pas été régulièrement nommés et ne peuvent dès lors être regardés comme porteurs des intérêts sociaux de la personne morale, peuvent seulement être tenus responsables des préjudices causés par leur immixtion autonome dans la conduite des affaires de ces sociétés et, d'autre part, que les personnes disposant de délégations les autorisant à agir au nom du gérant de la société ne bénéficient que d'une capacité limitée, compte tenu du caractère révocable de tels mandats, exercés sous le contrôle du gérant et ne pouvant jamais avoir pour effet de transférer l'intégralité de la responsabilité sociale attachée au dirigeant de droit. D'où résulte le refus de transmission de la QPC.

(21 décembre 2022, M. et Mme A., n° 465669)

 

74 - Société n’ayant pas pour objet social la cession de biens immobiliers – Cession de parcelles pour impossibilité d’y édifier la construction projetée – Soumission à la TVA – Rejet.

La requérante a pour objet social l'acquisition, la gestion et l'administration de biens immobiliers et se trouve assujettie à la TVA en raison de cette activité de location de terrains et d’immeubles.

Elle a acquis sept parcelles susceptibles d’être construites et a revendu cinq d’entre elles sur lesquelles elle ne pouvait édifier la construction qu’elle envisageait.

Se posait la question de savoir si cette revente devait être soumise à la TVA.

Pour la société requérante, il ne s’agissait que d’une activité de gestion de son patrimoine, la cession étant motivée par l’obtention d’informations selon lesquelles ne pouvait y être construite la maison d’habitation projetée qu’elle comptait donner en location.

Au contraire, l’administration, confirmée par les juges du fond et ces derniers par le juge de cassation dans la présente décision, soutenait au contraire que cette cession était soumise à la TVA.

Le Conseil d’État, confirmant cette analyse, juge qu’alors même que l'objet social de la société ne comprenait pas la cession de biens, la société Vin Rox, du fait de la cession en l’espèce des cinq parcelles en cause, lesquelles avaient le caractère de terrains à bâtir, devait être regardée comme s'étant livrée non à la gestion de son patrimoine comme elle le prétendait mais à l'activité économique pour laquelle elle était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, à savoir l'activité d'achat de terrains à bâtir en vue d'y construire des biens destinés à la location, quand bien même ces terrains constitueraient un actif immobilisé et non un stock, car cette activité comporte nécessairement le risque que certains d'entre eux se révèlent impropres à l'usage qu'elle entendait en faire et soient cédés afin d'assurer la pérennité de l'activité.

(21 décembre 2022, Société Vin Rox, n° 459476)

 

Droit public de l'économie

 

75 - Tarif des redevances aéroportuaires à l'aéroport de Toulouse-Blagnac - Homologation par l'Autorité de régulation des transports (ART) - Transposition correcte de la directive sur les redevances aéroportuaires - Complétude de l'information de la commission consultative économique - Institution d'une redevance par bagage enregistré - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision de l'ART homologant  les tarifs des redevances aéroportuaires de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, en tant qu'elle a homologué le tarif de la redevance par bagage et le tarif de la redevance par passager ou, subsidiairement, dans son ensemble.

Le recours est rejeté en ses divers moyens et tout d'abord en ce qu'il était prétendu par la voie de l'exception, l'imparfaite transposition, par les dispositions législatives et règlementaires (code des transports et code de l'aviation civile) en cause, du paragraphe 2 de l'article 6 de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires. Le Conseil d'État estime que si les dispositions de ce § 2 s'imposent aux États membres qui, comme la France, ont, en vertu du paragraphe 5 de l'article 6 de la même directive, retenu « une procédure obligatoire en vertu de laquelle les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal sont déterminés ou approuvés par l'autorité de supervision indépendante », elles doivent être entendues, dans ce cas, comme fixant pour objectif de prendre en compte, lors de la modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires, l'avis des usagers sans, toutefois, que puissent être mises à la charge de l'entité gestionnaire de l'aéroport des obligations relatives à la décision prise par l'autorité de supervision indépendante. 

Pour le reste, il est jugé :

- que la commission consultative économique, contrairement à ce qui est soutenu, a disposé de l'ensemble des informations requises par les dispositions réglementaires applicables pour lui permettre d'émettre valablement un avis sur les propositions de tarifs ;

- que c'est sans erreur de droit que l'ART a homologué les tarifs des redevances proposés par la société Aéroport de Toulouse-Blagnac en ce qu'ils ont prévu la création d'une redevance accessoire destinée à couvrir ces services complémentaires que constituent la mise à disposition des installations de tri des bagages ;

- que dans la mesure où la redevance par bagage porte sur chaque bagage enregistré et utilisant les installations de l'aérodrome destinées à traiter les bagages, elle est la contrepartie directe du service ainsi défini, c'est pourquoi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'assiette retenue pour la redevance, fixée par bagage, ne serait pas adaptée à son objet ou présenterait un caractère discriminatoire;

- qu'en proposant les tarifs litigieux l'ART, en isolant les coûts liés aux installations de tri, de traçabilité et de distribution des bagages et en appliquant un taux d'augmentation uniforme de 3,5 % à l'ensemble des redevances ainsi identifiées, n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les dispositions de l'article L. 6327-2 du code des transports ont pour objet de protéger les usagers d'une hausse excessive de ces tarifs.

Enfin, le système dit « système de réconciliation des bagages » déployé par l'Aéroport de Toulouse-Blagnac consiste en la mise à disposition des installations de traçabilité des bagages enregistrés au départ jusqu'aux points de livraison des bagages. La circonstance que la redevance pour bagages puisse inclure un tel système ne suffit pas à établir que ce système relèverait des services d'assistance en escale définis aux articles L. 6326-1 du code des transports et R. 216-1 du code de l'aviation civile et constituerait ainsi un service concurrent de celui déployé par certains usagers de l'aéroport ou leurs prestataires.

(8 décembre 2022, Syndicat des compagnies aériennes autonomes et chambre syndicale du transport aérien, n° 462429)

 

76 - Hausse importante du prix des carburants - Création d'une aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants - Exclusion de l'essence d'aviation - Différence objective de situation et caractère non disproportionné de la différence de traitement instituée - Rejet.

Les deux requêtes contestaient la juridicité des décrets des 25 mars, 22 août et 25 octobre 2022 relatifs à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants en tant qu'ils excluent du dispositif d'aide l'essence d'aviation. Les recours sont rejetés.

Le décret du 25 mars 2022 n'avait pas à être contresigné des ministres chargés de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, de la mer et de l'agriculture. Ce décret ne rompt pas l'égalité car l'exclusion du bénéfice de l'aide des consommateurs de l'essence d'aviation correspond à une différence de situation qui est en rapport direct avec l'objet du décret attaqué et ne traduit pas une différence de traitement qui serait manifestement disproportionnée. En effet, cette aide est destinée à réduire les prix des carburants qu'elle identifie au profit des ménages ainsi que des entreprises produisant et distribuant des biens et services de consommation courante.

Le décret du 22 août 2022 n'avait pas plus à être contresigné par les ministres susmentionnés que le décret du 25 mars et, pas davantage ne porte-t-il atteinte tant au principe d'égalité qu'à celui de libre concurrence au détriment du secteur aérien.

Enfin, le décret du 25 octobre 2022 ne souffre pas des vices susindiqués et, en outre, il ne méconnaît pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. (8 décembre 2022, Fédération française aéronautique, n° 464222 ; Groupement des industriels et professionnels de l'aviation générale, n° 464227, jonction)

(77) V. aussi, jugeant illégal, en premier lieu, le premier alinéa de l'article 17 du décret du 25 mars 2022 relatif à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants en tant qu'en prévoyant que cette aide n'entre pas dans la définition et le calcul des charges de carburants et en faisant ainsi obstacle à ce qu'elle soit intégrée dans les mécanismes de détermination des charges et du coût du carburant, il viole les dispositions des art. L. 3221-2 et L. 3222-1 du code des transports; et jugeant illégal, en second lieu, le second alinéa de l'art. 17 du décret du 25 mars 2022, qui a pour effet de modifier le mécanisme d'indexation des prix et charges des contrats concernés par ces dispositions en le fondant sur des données qui ne sont plus en rapport direct avec ceux effectivement constatés, méconnaissant ainsi l'objet des dispositions de cet art. L. 3222-2. Le juge prononce un différé au 1er janvier 2023 des effets de l'annulation qu'il prononce : 8 décembre 2022, Fédération des distributeurs alimentaires spécialisés, n° 464397.

 

78 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

La Société Les Sablières de l'Atlantique a été autorisée à procéder à l'extraction de granulats dans une zone située au large des côtes du département de la Loire-Atlantique, entre Saint-Nazaire et La Baule. A raison de cette autorisation, elle a été assujettie à la redevance d'archéologie préventive pour un montant de 1,2 millions d'euros environ.

Après qu'une première décision du Conseil d'État a cassé l'arrêt de la cour administrative d'appel déchargeant cette société du paiement de cette redevance, ce dernier est à nouveau saisi d'un pourvoi en cassation dirigé contre l'arrêt d'appel qui, à la suite de la cassation, a réitéré sa solution précédente fondée sur ce que cet impôt, en tant qu'il sert à alimenter le budget de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), présentait le caractère d'une aide d'État qui n'avait pas été notifiée à la Commission européenne etqui était donc, comme telle, illégale. En effet, selon la cour, il ne résultait pas de l'instruction qu'eu égard aux modalités de calcul de la redevance, la fraction de cette taxe reversée à l'INRAP ne dépassait pas ce qui était strictement nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des missions d'intérêt général assurées par l'établissement. Ainsi, compte tenu du non respect de  l'obligation de notification préalable de l'aide, la redevance ne pouvait pas être perçue ; par voie de conséquence, la cour a rejeté l'appel de la ministre de la culture dirigé contre le jugement du tribunal administratif prononçant la décharge de la redevance. 

Le Conseil d'État casse cet arrêt confirmant le précédent arrêt de cette même cour.

Pour cela, le juge rappelle d'abord que l'INRAP, d'une part, exerce une activité de diagnostics d'archéologie préventive et de recherche relevant d'une mission de service public non ouverte à la concurrence, d'autre part, assure une activité de fouilles archéologiques, devenue concurrentielle depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 modifiant la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive. A ce double titre, cet institut recevait, jusqu'au 31 décembre 2015, une fraction du produit de la redevance d'archéologie préventive, des subventions publiques et la rémunération des opérations de fouilles qu'il réalise. 

Ensuite, le Conseil d'État relève deux éléments en sens contraire du raisonnement de la cour. En premier lieu, il résultait des dispositions de l'art. L. 524-11 du code du patrimoine qu'une partie du produit de la redevance, d'un montant discrétionnairement fixé chaque année par les autorités compétentes, au-delà d'un seuil minimum de 30 %, était affectée au Fonds national pour l'archéologie préventive alors qu'une autre partie de ce produit était affectée aux collectivités territoriales ou à leurs groupements à raison des activités de diagnostic réalisées par leurs services d'archéologie. En second lieu, l'art. L. 524-1 du même code prévoyait que le budget de l'établissement était abondé par des subventions étatiques, systématiquement versées afin de pallier l'insuffisance de rendement de la redevance pour couvrir les seuls coûts des activités non ouvertes à la concurrence de l'INRAP.

Enfin, il conclut de là « qu'à supposer même que, compte tenu du cumul des financements publics dont l'établissement bénéficiait à la date du fait générateur de la taxe (sic)  en litige, des subventions croisées entre les activités non-concurrentielles et les activités concurrentielles de l'INRAP aient pu avoir lieu, lesquelles constitueraient alors une aide d'État au secteur concurrentiel, la redevance d'archéologie préventive ne saurait en tout état de cause être regardée comme nécessairement affectée au financement de cette aide d'État et comme étant de nature à influencer directement son importance

Non seulement la cour aurait commis une erreur de droit mais encore lui impartissait-il de relever même d'office que la redevance litigieuse n'entrait pas dans le champ d'application des stipulations des articles 107 et 108 du TFUE, relatives aux aides d'État, « faute de lien d'affectation contraignant entre cette taxe et les éventuelles aides d'État dont aurait bénéficié l'INRAP au titre de ses activités concurrentielles de fouilles archéologiques."

L'argumentation peine à convaincre car le versement de la redevance, quelle que fût sa part dans le financement global de l'INRAP, était indispensable à la viabilité financière de cet établissement public ; il nous semble qu'il relevait donc du régime des aides d'État dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la CJUE (grande chambre, 22 décembre 2008, Société Régie Networks contre Direction de contrôle fiscal Rhône-Alpes Bourgogne, aff. C-333/07) d'ailleurs citée dans la décision du Conseil d'État que pour apercevoir une absence d'aide d'État, il faut que « le produit de la taxe concernée n’influen(ce) pas directement l’importance de l’aide ». Cette condition négative posée par la CJUE (point 103) ne semble pas satisfaite ici.

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

 

79 - Activité d'émission et de gestion de monnaie électronique - Notion de monnaie électronique - Notion de collecte de fonds - Interdiction temporaire d'exercice de cette activité - Exercice de cette activité, à titre d'activité nouvelle, sous un régime dérogatoire (art. L. 525-1, code monétaire et financier) - Obligations s'imposant à l'émetteur de monnaie électronique - Rejet.

La société requérante, agréée en qualité d'établissement émetteur de monnaie électronique, a fait l'objet, de la part de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), d'une interdiction temporaire de poursuivre son activité d'émission et de gestion de monnaie électronique faute de bénéficier, depuis le 11 juillet 2021, de la garantie financière destinée à protéger les fonds qu'elle collecte, jusqu'à ce qu'elle justifie de nouveau d'un dispositif de protection des fonds conforme aux règles prudentielles applicables. L'ACPR a décidé de rendre publique cette décision à compter de sa date de prise d'effet.

La société demande l'annulation de ses décisions : son recours est rejeté.

Elle développe trois séries d'arguments : à l'encontre de l'interdiction temporaire d'exercice, contre la publication de celle-ci et contre le refus de l'autoriser à poursuivre son activité sous un régime dérogatoire.

A l'appui de sa contestation de la décision temporaire d'exercice, la société fait valoir trois moyens si l'on laisse de côté la simple allégation d'un détournement de pouvoir.

Tout d'abord, il est affirmé que son produit « Ticket Premium » ne constituerait pas une monnaie électronique au sens du code monétaire et financier (art. L. 315-1, I) ce que réfute le juge en relevant, d'abord, que cette société dispose bien, sur sa demande, d'un agrément en qualité d'établissement de monnaie électronique. En outre, elle propose à ses clients d'acquérir, par tout moyen habituel, dans un point de vente de son réseau, essentiellement composé de buralistes, un ticket qui comporte un code électronique PIN qu'elle émet et auquel est associée une ligne de valeur monétaire qui peut être soit consommée en ligne auprès des sites marchands, notamment de jeux et de paris en ligne, acceptant ce mode de paiement, soit remboursée sous conditions à hauteur de la créance détenue sur la société. Le produit « Ticket Premium » constitue donc, contrairement à ce que soutient la  demanderesse, une monnaie électronique.

Ensuite, si la société Wari Pay fait plaider qu'elle ne collecte aucun fonds du public au sens de l'article L. 526-32 du code monétaire et financier, en réalité, les fonds des clients sont collectés pour son compte et lui sont reversés par ses distributeurs dans le cadre d'un réseau de distribution mandaté à cet effet. De plus, il revient à la société requérante de rembourser aux sites marchands le montant des tickets consommés et aux utilisateurs celui des tickets non consommés. Il s'agit bien là d'une collecte des fonds au sens de l'art. L. 526-32 du code monétaire et financier.

Enfin, la société invoque la méconnaissance par l'ACPR de dispositions du code monétaire et financier en estimant que les intérêts de ses clients étaient susceptibles d'être compromis car l'encours à couvrir correspond aux seuls tickets non encore consommés, sans être périmés. Cependant, il est constant que la société Wari Pay ne justifiait plus, à compter du 11 juillet 2021, de la garantie des fonds qu'elle collectait, garantie qui est exigée par les dispositions de l'article L. 526-32 du code précité. Au surplus, il résulte d'un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 juin 2021 qui, tout en mettant fin à la procédure de redressement judiciaire de la société Wari Pay, a constaté que l'apport financier justifiant la clôture de cette procédure permettait à la société de financer seulement son activité pour les trois mois suivants et que la poursuite de celle-ci au-delà de cette période dépendait notamment de la mise en place d'une garantie financière après le 11 juillet 2021. La situation financière de la société était, à la date des décisions attaquées, fortement dégradée. Ainsi la mesure d'interdiction attaquée, de caractère temporaire dans l'attente de la justification de la mise en place d'un dispositif de protection des fonds des clients, était justifiée et ne revêtait pas un caractère disproportionné.

Concernant la décision de publication de l'interdiction temporaire, sont rejetés les moyens d'absence de base légale (cf. les dispositions de l'art. L. 612-1 du code précité) et de caractère disproportionné dès lors que cette publication vise l'information des clients actuels ou potentiels.

S'agissant du refus d'autoriser la continuation de l'activité sous le régime dérogatoire de l'art. L. 525-5 du code monétaire et financier,  celui-ci est fondé sur ce que la société requérante n'avait pas respecté l'obligation faite par l'art. L. 525-5 du même code, d'une notification préalable à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution afin que celle-ci puisse notamment s'assurer que les conditions d'exercice de cette nouvelle activité ne portent pas atteinte au respect par cet émetteur des obligations qui lui sont imposées par ailleurs pour l'exercice de l'activité d'émission et de gestion de monnaie électronique au titre de laquelle il a obtenu son agrément. Il en va notamment ainsi dans le cas où l'émetteur de monnaie électronique fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercer son activité au titre de laquelle il a obtenu son agrément et souhaite la poursuivre sous le régime dérogatoire de l'article L. 525-5 dudit code : il doit en faire la demande à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution afin que celle-ci apprécie si cette activité peut être exercée, durant la période d'interdiction temporaire, dans les conditions prévues par cet article. Il n'en va autrement que si l'émetteur renonce à l'agrément dont il bénéficie.

Par suite, le refus d'autoriser la poursuite de l'activité sous un régime dérogatoire est justifié.

(9 décembre 2022, Société Wari Pay, n° 456582)

 

80 - Épidémie de Covid-19 - Institution d'un fonds de solidarité pour certaines entreprises - Exclusion du bénéfice de l'aide pour les entreprises contrevenantes aux mesures sanitaires - Légalité - Rejet.

La requérante contestait certaines dispositions du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 en ce qu'elles excluent du bénéfice du fonds de solidarité celle des entreprises ayant fait l'objet d'un arrêté préfectoral de fermeture administrative sur le fondement du troisième alinéa de l'article 29 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

La requérante exploite un établissement accueillant la pratique du football en salle et a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de fermeture administrative pour manquement aux obligations prescrites, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour la lutte contre l'épidémie.

Rejetant les recours, le Conseil d'État juge que le décret excluant certaines entreprises du bénéfice de l'aide du fonds de solidarité n'est pas illégal dès lors qu'il s'agit d'entreprises dont la perte de chiffre d'affaires alléguée est en réalité imputable non à l'épidémie elle-même mais aux conséquences d'un tel manquement, ce refus ne saurait davantage être considéré comme présentant le caractère d'une sanction car il se borne à déterminer l'une des conditions d'attribution de cette aide, dont l'objectif, défini par les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020, est de venir en aide aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui ont été particulièrement touchées à la fois par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et par les mesures prises pour en limiter la propagation.

(16 décembre 2022, Société NT, n° 456434 et 456558)

(81) V. aussi, jugeant que ne sont pas illégales les dispositions du décret n° 2021-943 du 16 juillet 2021 instituant une aide visant à compenser les coûts fixes non couverts des entreprises dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19 et qui ont été créées après le 1er janvier 2019, en tant qu'elles ne bénéficient pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant son entrée en vigueur, celles-ci ne portant atteinte ni au principe d'égalité dans la mesure où elles ont seulement pour objet de soutenir les entreprises existantes dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19 et par les conséquences de la crise sanitaire, ni au droit de l'Union, les mesures litigieuses ayant été déclarées compatibles avec le marché intérieur par la Commission européenne : 16 décembre 2022, Société Compagnie Hôtelière de Nice,  société Couronne Arenas, société Hotelhop Nice Grand Arenas et société Balm Restaurant, n° 456746, n° 458350, n°  460048 et 460050.

 

Droit social et action sociale

 

82 - Licenciement d'une salariée protégée - Salariée italienne de l'ambassade du Brésil en France - Salariée de droit local - Acceptation de l'État étranger de voir ses salariés être soumis au droit français - Application du droit français et compétence des juridictions françaises - Annulation sans renvoi (affaire jugée au fond).

La Section du contentieux est amenée à trancher une très intéressante question de champ d'application du droit français et, conséquemment, de compétence des juridictions françaises en matière de droit social.

Une salariée protégée de nationalité italienne, recrutée par l'ambassade du Brésil en France, a fait l'objet d'un licenciement sans l'autorisation de l'inspection du travail, celle-ci ayant argué de son incompétence, position implicitement confirmée sur recours hiérarchique par ministre.

La salariée a saisi le juge administratif et elle se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa requête en première instance fondé sur ce que la représentation officielle d'un État étranger en France lorsqu'elle emploie des personnels de droit local dans les conditions prévues par le code du travail n'est pas susceptible de relever du champ d'application des dispositions de l'art. L. 2311-1 du code du travail, de sorte que l'autorité administrative avait pu légalement se déclarer incompétente pour se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement de Mme B., agente de droit local de l'ambassade du Brésil en France.

Le Conseil d'État annule cet arrêt au terme d'un raisonnement que l'on doit approuver.

Le juge affirme d'abord que le principe de souveraineté fait, en principe, obstacle à ce que les dispositions du code du travail relatives aux relations collectives de travail, telles celles concernant les délégués du personnel, s'appliquent aux personnels de droit local employés dans les conditions prévues par le code du travail par la représentation officielle d'un État étranger en France, alors même que ces dispositions ont vocation à s'appliquer à ces personnels.

Cependant, tout État étranger peut décider de faire volontairement application de ce code à ces personnels. 

Or en l'espèce, suite à l'élection de délégués du personnel, l'ambassadeur du Brésil en France a manifesté de manière claire et non équivoque sa volonté de rendre applicable aux agents de droit local de sa représentation diplomatique en France les dispositions relatives aux relations collectives de travail figurant au code du travail.

Examinant l'affaire au fond, le Conseil d'État juge que l'inspecteur du travail ne pouvait légalement se déclarer incompétent pour se prononcer sur la demande tendant à ce que son licenciement soit autorisé, ni la ministre du travail pour rejeter son recours hiérarchique.

(Section, 9 décembre 2022, Mme B., n° 433766)

 

83 - Prise en charge par un département d'un mineur étranger isolé jusqu'à sa majorité - Obligation de poursuivre l'aide en qualité de jeune majeur - Impossibilité d'une prise en charge partielle - Injonction de rétablir une aide globalisée.

Un département ayant pris en charge un mineur étranger isolé jusqu'à sa majorité, refuse de lui allouer, alors que son droit au séjour ne lui a pas été reconnu par la préfecture et qu'il fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire français (OQTF), l'aide globale en sa qualité de jeune majeur ne bénéficiant d'aucun soutien familial, d'aucune ressource et d'aucune solution d'hébergement. Ce mineur forme un pourvoi contre l'ordonnance de référé rejetant sa demande d'enjoindre le département de lui accorder cette aide.

Le juge d'appel estime, d'une part, que l'aide en qualité de jeune majeur est, dans les circonstances de l'espèce, une obligation pour le département, d'autre part, que cette aide doit être accordée dans sa globalité avec toutes ses composantes et qu'elle ne peut être fractionnée. Il est fait injonction au département, au visa de l'urgence et de l'atteinte grave à une liberté fondamentale, de proposer dans les plus brefs délais à l'intéressé un « contrat jeune majeur » afin d'assurer la prise en charge, outre ses besoins en matière d'hébergement ou de logement et de ressources, également ceux couvrant l'accès à un accompagnement dans les démarches administratives et la poursuite de sa formation en CAP maçonnerie.

Cette solution illustre jusqu'à la caricature et dans la perfection de son absurdité l'incohérence de notre système juridique en la matière : que devient l'OQTF dans ces conditions ? Comment peut-on imposer à une personne publique d'oeuvrer au maintien en France, avec un confort minimum, d'une personne, ressortissant guinéen, que l'autorité préfectorale, avec les garanties d'usage, a décidé de placer hors du territoire national ? Ou, inversement, qu'est-ce qu'un système juridique qui permet d'adresser à un étranger une OQTF qu'il sera fait injonction, de facto, de ne pas exécuter ?

Manifestement il y a là une incapacité crasse et persistante à construire une politique cohérente car nos gouvernants n'en ont pas l'idée claire. On le sait « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement...», visiblement, ici, on est très loin de cette « clarté ».

(ord. réf. 12 décembre 2022, M. A., n° 469133)

 

84 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Instances à consulter - Cas d'établissements relevant de plusieurs directions régionales du travail - Hypothèse où le projet de licenciement porte sur un seul établissement - Rejet.

Le recours des organisations demanderesses tendant à l'annulation de la décision par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Janssen-Cilag France, filiale du groupe Johnson et Johnson,  a été rejeté en première instance comme en appel.

Le point central de leur argumentation reposait sur l'incompétence de la DIRECCTE de Normandie pour prendre la décision contestée, il n'est pas retenu par le juge de cassation.

Celui-ci déduit des dispositions du code du travail opérantes en la matière (art. L. 1233-28, L. 1233-51, L. 1233-57-8, R. 1233-3-4 et R. 1233-3-5) trois conséquences, certaines bien connues, d'autres plus innovantes voire nouvelles.

En premier lieu, ceci ne faisant pas difficulté, lorsqu'un projet de licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours concerne plusieurs établissements distincts d'une même entreprise, l'employeur doit consulter le comité social économique central de l'entreprise ainsi que les comités sociaux et économiques des établissements concernés par le projet.

En deuxième lieu, ceci est plus nouveau mais la solution est logique, lorsque ces établissements relèvent de la compétence de plusieurs DIRECCTE, la DIRECCTE compétente pour prendre la décision d'homologation du document unilatéral portant PSE est celle dans le ressort de laquelle se situe le siège de l'entreprise.

En troisième lieu, enfin, si le projet de licenciement collectif ne concerne qu'un seul établissement, l'employeur n'est tenu de consulter le comité social économique central de l'entreprise, sous réserve d'en informer la DIRECCTE du siège de l'entreprise, que lorsque le projet excède le pouvoir du chef d'établissement. Ceci a pour conséquence que la DIRECCTE compétente pour prendre la décision d'homologation est alors celle dans le ressort de laquelle se situe l'établissement concerné par le projet de licenciement.

Le juge de cassation apporte encore cette précision que la consultation éventuelle du comité social et économique central et l'information de la DIRECTE du siège quant à cette consultation sont à cet égard sans incidence.

(13 décembre 2022, Comité social et économique central de la société Janssen-Cilag France et autres, n° 454491)

(85) V. aussi, jugeant que l’administration du travail saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, doit s'assurer que le plan de reclassement intégré au PSE est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. A cet effet, il incombe à l'employeur, en précisant leur nature et leur localisation, d’identifier dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise ou, lorsque celle-ci appartient à un groupe, de rechercher sérieusement l’existence de postes disponibles sur le territoire national pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Enfin, dans le cas d’une entreprise en liquidation judiciaire, si le liquidateur judiciaire, alors qu'il a utilement saisi les autres entreprises du groupe en vue d'une recherche des postes de reclassement disponibles sur le territoire national, n'a pas obtenu les réponses de tout ou partie de ces entreprises, le plan de reclassement doit cependant être regardé comme satisfaisant les exigences figurant aux dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-62 du code du travail et l'administration peut, le cas échéant, estimer, dans le cadre du contrôle global qui lui incombe, que le PSE est suffisant, eu égard aux moyens de l'entreprise : 27 décembre 2022, M. AL. et autres, n° 452898 (Cf. cette Chronique, avril 2021, n° 95 à propos de 16 avril 2021, Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et comité d’entreprise de la Société Bois Debout, n° 426287).

 

86 - Aide sociale - Frais d’hébergement en établissement social, médico-social ou de santé – Prise en charge au titre de l’aide sociale – Conditions – Erreur de droit – Annulation.

L’association requérante, tutrice d’une majeure protégée, a demandé, en vain, au tribunal administratif l’annulation de la décision d’un président de conseil départemental refusant le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées pour ladite majeure au titre d’une certaine période ; elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État déduit en premier lieu des dispositions des art. L. 113-1, L. 131-1, L. 131-4 et R. 131-2 du code de l’action sociale et des familles et de l’art. L. 114-5 du code des relations du public avec l’administration que les frais d'hébergement des personnes accueillies dans un établissement social ou médico-social habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale ou dans un établissement de santé dispensant des soins de longue durée ne sont pris en charge au titre de l'aide sociale qu'à compter du premier jour de la quinzaine suivant la date de la présentation de la demande tendant au bénéfice d'une telle aide.

Il en déduit, en second lieu, que ce n'est que lorsque la demande a été déposée, quel qu'en soit l'auteur, dans le délai de deux mois suivant le jour d'entrée dans l'établissement, éventuellement prolongé dans la limite de deux mois supplémentaires, que la prise en charge de ces frais peut prendre effet à compter du jour d'entrée dans l'établissement.

Il s’en déduit, selon le juge, que sont sans incidence sur l'application de ces dispositions aussi bien la circonstance qu'un dossier ne peut être regardé comme complet à la date de son dépôt au centre communal ou intercommunal d'action sociale ou, à défaut, à la mairie de résidence de l'intéressé que celle que le centre communal ou intercommunal d'action sociale ou la mairie de résidence de l'intéressé n'aurait pas respecté son obligation de transmission de la demande à l'autorité départementale.

Le jugement querellé, ayant rejeté le recours de l’association requérante, est annulé pour erreur de droit.

(22 décembre 2022, Association tutélaire du Pas-de-Calais, n° 459777)

 

87 - Intéressement des bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique à la reprise d'une activité professionnelle – Modification du régime applicable par le décret du 5 mai 2017 – Applicabilité – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal qui juge que l’intéressé devait remplir, à compter du 1er septembre 2017, les conditions prévues à l'article R. 5425-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant du décret du 5 mai 2017, pour bénéficier du versement de l'allocation de solidarité spécifique, sans rechercher si ce dernier avait, à cette date, des droits ouverts au dispositif d'intéressement et s'il pouvait en conséquence, en application du III de l'article 5 du même décret, continuer à percevoir cet intéressement dans les conditions antérieures à ce décret, jusqu'à l'expiration de ses droits.

(29 décembre 2022, M. B., n° 445137)

 

88 - Conseil d’orientation des conditions de travail – Composition – Adoption des délibérations – Rejet.

La CFE-CGC demandait l’annulation du décret du 23 décembre 2021 relatif à la composition et au fonctionnement du Conseil d'orientation des conditions de travail et des comités régionaux ainsi qu’injonction soit faite au premier ministre et à la ministre du travail d'adopter un nouveau décret fixant les modalités d'adoption des délibérations du comité national de la prévention et de la santé au travail (CNPST) en formation paritaire en retenant une répartition égalitaire du nombre de voix entre organisations syndicales.

Les demandes sont rejetées.

Tout d’abord, ni les dispositions du premier alinéa de l'article L. 4641-2-1 du code du travail sur la base desquelles et pour l’exécution desquelles a été pris le décret attaqué, relatives à la composition du comité, ni aucun autre texte ou principe n'imposent, contrairement à ce que soutient la requérante, que, pour l'adoption des délibérations du collège restreint du comité, les voix des représentants des organisations syndicales de salariés soient décomptées en donnant un poids égal à chacune de ces organisations. En prévoyant que ces délibérations doivent, de la même façon que les accords interprofessionnels en vertu de l'article L. 2232-2 du code du travail, recueillir le vote favorable d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentative ayant obtenu, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience au niveau national et interprofessionnel, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, sans faire l'objet d'une opposition majoritaire, le décret attaqué n'est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, en ne prévoyant pas que les mêmes règles s'appliquent, pour l'adoption de ces délibérations, au vote des organisations professionnelles d'employeurs, le décret attaqué ne peut être regardé comme créant une différence de traitement contraire au principe d'égalité.

(29 décembre 2022, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 461529)

 

Élections et financement de la vie politique

 

89 - Élections départementales - Irrégularités diverses - Irrecevabilité de conclusions à fin d'annulation partielle - Employés municipaux membres de bureaux de vote - Rejet.

Parmi les nombreuses questions de fait et de droit soulevées par la protestation électorale qui a donné lieu à la présente décision de rejet, on signalera seulement deux points.

En premier lieu, il est rappelé cette règle spécifique du contentieux électoral que sont irrecevables en cette matière les conclusions tendant seulement à l'annulation des résultats de certains bureaux de vote et non de l'ensemble des opérations électorales. 

En second lieu, la circonstance que des agents de la commune d'Avignon, qui étaient rémunérés par celle-ci pour assurer le bon fonctionnement matériel des bureaux de vote, aient été invités à compléter la composition de quatre bureaux de vote en y siégeant comme assesseurs, n'est pas contraire aux dispositions des art. R. 42 et R. 44 du code électoral dès lors qu'ils avaient la qualité d'électeur dans la commune et qu'il n'est pas soutenu que leur présence en qualité d'assesseur aurait, dans les circonstances de l'espèce, altéré la sincérité du scrutin.

(2 décembre 2022, Mme J. et M. G., Élections départementales du canton d'Avignon-3, n° 461276)

 

90 - Élections départementales - Envoi du compte de campagne en préfecture et non à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - Comptes non signés d'un expert-comptable - Rejet.

Le juge d'appel rejette le recours dirigé contre le jugement qui, confirmant le rejet par la CNCCFP du compte de campagne du binôme appelant pour irrégularité substantielle (défaut de signature par un expert-comptable), l'a condamné à dix-huit mois d'inéligibilité et a prononcé la démission d'office de ses membres.

En effet, les intéressés, d'une part, prétendaient avoir adressé ce compte à la préfecture au lieu de l'envoyer à la CNCCFP mais la trace de cet envoi n'a pas été retrouvée et, d'autre part, soutenaient, sur le fondement de l'art. L. 114-2 du CRPA, qu'il appartenait à la préfecture de transmettre cet envoi à la commission, alors que cette disposition législative n'est applicable qu'aux demandes des administrés adressées à l'administration.

(6 décembre 2022, M. A. et Mme D., Élections départementales du canton de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, n° 465262)

(91) V. aussi, confirmant le jugement prononçant une inéligibilité de six mois des membres d'un binôme et les déclarant en conséquence démissionnaires d'office, pour avoir déposé leur compte de campagne plus de six semaines après l'expiration du délai fixé par l'article 11 de la loi du 22 février 2021 et n'avoir régularisé ce compte qu'après mise en demeure: 9 décembre 2022, M. D. et Mme C., Élections départementales du canton de Lectoure-Lomagne, n° 464514.

(92) V. également, l'arrêt d'appel confirmant le rejet par le tribunal administratif d'une protestation invoquant diverses irrégularités commises par un binôme (diffusion de tracts ou messages notamment à la veille ou le jour du scrutin, distributions de tracts auxquels il a été répondu en temps utile, absence d'altérations à la sincérité du scrutin, etc.) : 13 décembre 2022, Mme A. et M. F., Élections départementales du canton deSaint-Jean-de-Monts, n° 462592.

 

93 - Élections départementales - Défaut de production du relevé bancaire attestant des opérations réalisées par le mandataire électoral - Défaut régularisable - Rejet de la saisine de la CNCCFP et annulation du jugement prononçant l'inéligibilité.

Avec beaucoup de bon sens, le Conseil d'État annule la saisine de la CNCCFP fondée sur ce qu'un binôme n'avait pas produit le relevé bancaire attestant des opérations réalisées par son mandataire électoral alors que ce relevé a été communiqué à la commission en cours d'instruction de son dossier et que, dès lors que le compte de campagne a été signé par un expert-comptable, le défaut d'un tel relevé est régularisable jusqu'à ce que la commission se prononce. Semblablement, il annule le jugement prononçant, subséquemment à ce rejet par la commission, et la confirmation de ce rejet et l'inéligibilité des membres du binôme.

(7 décembre 2022, M. E. et Mme C., Élections départementales du canton de Granville, n° 463524)

(94) V. aussi, jugeant que le dépôt du compte de campagne avec un mois de retard mais dès réception de la mise en demeure qui leur a été adressée par la CNCCFP et alors que les membres du binôme pouvaient légitimement penser que leur mandataire financière procèderait à ce dépôt dans le délai requis, dès lors qu'ils avaient signé ce compte plus d'un mois avant la date limite du dépôt et que l'un des membres du binôme avait échangé avec la mandataire pour lui rappeler la nécessité de déposer ce compte dans les délais ; ainsi manquement en cause ne revêt aucun caractère délibéré, d'autant que le compte ne présentait  ni dépense ni recette, il y a lieu, en conséquence d'annuler le jugement prononçant l'inéligibilité du binôme pour six mois : 16 décembre 2022, M. B. et Mme C., Élections départementales du canton de Segré-en-Anjou Bleu, n° 461747.

(95) V., en revanche, confirmant le rejet du prétendu compte de campagne déposé avec deux mois de retard et alors que les documents remis, qui ne permettaient pas de retracer l'ensemble des opérations financières réalisées au titre de la campagne électorale, ne constituaient pas le compte de campagne et que les opérations retracées faisaient apparaître un solde déficitaire : 7 décembre 2022, M. B., Élections départementales du canton de Bagnols-sur-Cèze, n° 463761.

 

96 - Élections départementales – Non dépôt du compte de campagne et non réponse à une mise en demeure de le faire - Inéligibilité pour douze mois – Invocation de la bonne foi de l’un des membres du binôme – Solidarité des deux membres du binôme – Rejet.

Pour contester l’inéligibilité infligée par le tribunal administratif en raison du non dépôt de son compte de campagne avant l’expiration du délai prescrit et de sa non réponse à la mise en demeure de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la requérante invoque sa bonne foi et la seule responsabilité de l’autre membre du binôme dans l’absence de dépôt du compte. Le moyen ne saurait prospérer en raison du principe de solidarité entre membres d’un binôme instauré par le législateur.

(30 décembre 2022, Mme C., Élections départementales du canton de Castelnau-le-Lez, n° 464814)

 

97 - Financement des partis ou groupements politiques - Recours à des prestataires de services de paiement (art. L. 521-1, code monétaire et financier) - Refus d'annuler la disposition relative au traitement des fonds reçus par le biais d'un tel prestataire - Disposition non nécessaire pour garantir la traçabilité des opérations financières - Annulation.

Le premier ministre a opposé un refus implicite à la demande de la formation politique requérante tendant à l'abrogation du 5° de l'article 11-3 du décret n° 90-606 du 9 juillet 1990 dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1397 du 17 novembre 2020 qui prévoit que le montant des fonds perçus par le biais d'un prestataire de service de paiement est versé intégralement et sans délai sur le compte de dépôt ouvert par le mandataire financier et que la perception éventuelle de frais par le prestataire ne peut intervenir qu'après ce versement.

Le refus est annulé car, observe le juge, cette dernière exigence, qui a pour effet d'empêcher concrètement le recours aux prestataires de service de paiement qui ne sont pas des établissements bancaires, compte tenu de ce que sont en pratique leurs propres conditions de fonctionnement, ne peut, par elle-même et eu égard aux autres dispositions de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990, en particulier celles figurant aux 2° et 3° de cet article, être regardée comme étant nécessaire pour garantir la traçabilité des opérations financières et assurer le respect des dispositions de l'article 11-4 de la loi du 11 mars 1988. Il est enjoint au premier ministre d'abroger cette disposition sous six mois.

(8 décembre 2022, Association de financement du parti Reconquête !, n° 463624)

 

98 – Assemblée des Français de l’étranger – Candidature subordonnée à l’élection comme conseiller des Français de l’étranger – Perte de ce mandat – Démission d’office de l’Assemblée – QPC - Rejet.

Rappel de ce que sont seuls éligibles à l'Assemblée des Français de l'étranger les conseillers des Français de l'étranger élus, la perte de ce mandat entraînant leur démission d'office de l'Assemblée des Français de l'étranger, sauf recours devant le Conseil d'Etat.

Cette solution législative (art. 16 et 23 de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France) n’est pas contraire au principe d’égalité, d’où le rejet de la QPC.

(22 décembre 2022, M. B., n° 466863)

 

Environnement

 

99 - Cars et autobus à très faibles émissions - Critères - Directive ayant pour objectif le recours à des véhicules utilitaires à émission nulle - Véhicules utilisant le biogaz - Véhicules n'étant pas à émission nulle - Absence d'atteinte à la libre administration des collectivités territoriales - Rejet.

L'association requérante recherchait l'annulation du décret du 17 novembre 2021 relatif aux critères définissant les autobus et autocars à faibles émissions. Sa requête est rejetée.

Pour lutter contre l'émission de gaz à effet de serre, le droit européen (directive du 23 avril 2009 telle que modifiée par celle du 20 juin 2019) a prévu une montée en puissance progressive de la proportion de véhicules de transports routiers répondant à la qualification de véhicules propres et économes en énergie. Ces textes ont défini, en bref, le véhicule propre comme un véhicule utilitaire lourd à émission nulle sans moteur à combustion interne, ou équipé d'un moteur à combustion interne dont les émissions de CO2 sont inférieures à 1 g/kWh. Transposant cette dernière directive, l'art. L. 224-8-2 du code de l'environnement (issu de l'ordonnance du 17 novembre 2021) dispose : : « La proportion minimale d'autobus ou d'autocars à faibles émissions qui sont acquis ou utilisés dans le cadre [de marchés publics et contrats de concession, tels que définis par les articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique, et relatifs au transport routier de voyageurs] s'établit, pour une année calendaire, pour l'État, pour les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que pour leurs établissements publics, lorsqu'ils gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars pour assurer des services de transport public de personnes réguliers ou à la demande, à :

1° 50 % jusqu'au 31 décembre 2024 ;

2° 100 % à compter du 1er janvier 2025.

Pour les autobus, la moitié au moins de ces proportions est constituée d'autobus à très faibles émissions. Cette obligation n'est applicable qu'à compter du 1er juillet 2022 pour les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics. Un décret peut prévoir des modulations pour tenir compte notamment de la situation des personnes assujetties à l'obligation et des zones concernées ».

Or le décret attaqué, du 19 novembre 2021, décide que, parmi les autobus, les véhicules à très faibles émissions ne comprennent que des véhicules dont la motorisation est électrique et des véhicules électriques-hybrides utilisant l'hydrogène comme source d'énergie complémentaire à l'électricité (cf. 5° de l'article D. 224-15-2 du code de l'environnement). 

La requérante soutient que cette disposition ne respecte pas les objectifs de la directive de 2019. Ce moyen ne saurait prospérer puisque la directive ne se fonde pas sur une appréciation des incidences énergétiques et environnementales de ces véhicules tout au long de leur cycle de vie, mais sur un type de motorisation, sans combustion interne, ou à défaut, dont les émissions de dioxyde de carbone, mesurées essentiellement à l'échappement, doivent être inférieures à 1 g/kWh. Dès lors, la requérante ne saurait reprocher au décret litigieux de ne pas retenir un classement des autobus en fonction de leurs incidences énergétiques et environnementales tout au long de leur cycle de vie.

Ensuite, si, comme le soutient la requérante, un autobus équipé d'un moteur à combustion utilisant du biogaz peut être un véhicule propre au sens du 4 de l'article 4 de la directive de 2009, il est constant que, compte tenu des caractéristiques de la combustion de ce gaz, et du niveau des émissions de dioxyde de carbone à l'échappement qui en résultent, il ne peut, contrairement à ce que soutient la requérante, être qualifié de véhicule utilitaire lourd à émission nulle en application du 5 de cet article 4. Ainsi l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'exclusion, par les dispositions attaquées du 5° de l'art. D. 224-15-2 du code de l'environnement, des autobus roulant au biogaz de la catégorie des véhicules à très faibles émissions, ou groupe 1, qui résulte directement des dispositions de la directive de 2009 dont elles assurent la transposition, méconnaîtrait l'objectif de promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de toutes les sources renouvelables de la directive transposée et de la directive du 11 décembre 2018. Une telle exclusion ne saurait davantage être considérée comme entachée d'erreur manifeste d'appréciation ni quant au choix des moyens pour atteindre les objectifs minimaux de recours à des autobus à émissions nulles fixés à la France par la directive de 2009 ni au regard des objectifs de la politique énergétique nationale tels que définis à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et déclinés par le décret du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Enfin, il ne saurait être prétendu que l'obligation pour les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices qui gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars de recourir, pour assurer des services de transport public de personnes réguliers en ville, à hauteur de 25 % du parc renouvelé jusqu'au 31 décembre 2024 puis de 50 % à compter du 1er janvier 2025, à des autobus à très faibles émissions qui résulte de l'art. L. 224-8-2 du code de l'environnement porterait une atteinte illégale à la libre administration des collectivités territoriales car l'obligation de n'utiliser que des autobus dont la motorisation est électrique ou électrique-hybride utilisant l'hydrogène à titre de source d'énergie complémentaire à l'électricité coûterait plus cher que de recourir à des autobus roulant au biogaz.

(8 décembre 2022, Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGN), n° 464035)

 

100 - Conditionnement de fruits et légumes frais non transformés sous emballage comportant de la matière plastique - Délégation du législateur au pouvoir réglementaire aux fins de fixer le régime de ce conditionnement - Décret excédant le champ de la dévolution de compétence - Annulation.

Se situant dans le cadre de la saga du régime juridique du conditionnement des fruits et légumes, les requêtes, jointes, tendaient à l'annulation du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique.

Le 16e alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, issu de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, décide d'abord, qu'à compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique et, ensuite, que cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. C'est de ce texte que fait application le décret attaqué.

Celui-ci est annulé pour un double motif d'illégalité.

En premier lieu, alors que le législateur confiait au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac afin de les exempter, le décret querellé incorpore dans la liste qu'il a dressée des fruits et légumes qui, bien que ne présentant pas nécessairement un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, ne bénéficiaient pas encore d'alternative au conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique à la date du 1er janvier 2022. Sur ce point il viole la lettre et, davantage encore, l'esprit du texte qu'il est censé appliquer.

En second lieu, alors que la loi ne prévoit pas de terme en cas d'exemption d'où il se déduit que ces exemptions ne sont pas temporaires, le décret ajoute à la loi en faisant de cette exemption une situation temporaire.

Il faut dire notre désaccord avec cette solution qui n'a pour elle qu'une apparence de logique.

Le pouvoir exécutif a voulu inclure dans la réglementation qu'il a instituée un cas manifestement non prévu par le législateur, celui des fruits et légumes qui, bien que ne présentant pas nécessairement un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, ne bénéficiaient pas encore d'alternative au conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Il s'agit bien là d'une situation temporaire ne pouvant persister que jusqu'à l'invention d'une autre solution que le plastique comme matière de conditionnement d'où le recours à une exemption temporaire pour ce cas.

Eût-il fallu, pour respecter l'intention du législateur, laisser persister un vide juridique et technique,  au risque, en ce cas, pour le pouvoir réglementaire, de se faire taper sur les doigts par le juge pour n'avoir pas comblé ce vide ? A solution bancale, celle initialement retenue par l'administration était moins mauvaise que celle issue de cette décision.

En outre, sans sourciller, alors que sa décision intervient un an après l'entrée en vigueur du décret critiqué, le juge, à raison de l'indivisibilité des dispositions du 16e alinéa du III de l'art. L. 541-15-10 du code de l'environnement, estime que les effets de cette annulation n'ont pas à être différés dans le temps car l'annulation n'emporte à elle seule « aucune conséquence manifestement excessive au regard de l'intérêt des opérateurs économiques concernés ». Pour les consommateurs, leurs poumons et autres conditions de vie, il faudra attendre une autre époque du feuilleton de cette saga.

(9 décembre 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 458440 ; Syndicats POLYVIA et ELIPSO, n° 459332 ; Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop) et autres, n° 459387; Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 459398, jonction)

 

101 - Autorisation d'implantation d'éoliennes - Existence d'espèces protégées - Risque d'atteintes - Degré de ce risque devant être pris en considération - Prise en compte des mesures d'évitement/réduction/compensation proposées par le pétitionnaire - Avis de droit en ce sens.

Le Conseil d'État était saisi de deux demandes d'avis de droit par la cour administrative d'ppel de Douai.

Par la première, la cour demandait si l'autorité administrative saisie d'une demande environnementale portant sur un projet comportant un risque de mutilation, destruction ou de perturbation intentionnelle pour l'une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, ou de destruction, altération ou dégradation d'habitats de ces espèces, devait exiger du pétitionnaire qu'il sollicite l'octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dès que l'atteinte est portée à un seul spécimen ou habitat ou seulement en cas d'atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats.

Par la seconde question, la cour demandait si, dans chacune de ces hypothèses, l'autorité administrative doit tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d'atteinte à ces espèces ou seulement des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet.

Le Conseil d'État, au visa de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, des art. L. 411-1, L. 411-2 et R. 411-6, 411-7, 411-8 et 411-12 du code de l'environnement, apporte une réponse en quatre points.

Tout d'abord, en principe la destruction ou perturbation des espèces protégées et de leurs habitats est interdite sauf dérogation que l'autorité administrative peut accorder lorsque sont réunies trois conditions : absence de solution alternative satisfaisante ;  absence de nuisance au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés notamment celui que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

Ensuite, l'autorité administrative doit examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. 

Également, le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé compte tenu de la prise en compte des mesures proposées par le pétitionnaire. Lorsque ces dernières sont telles qu'elles offrent la garantie d'une diminution du risque de sorte que ce dernier n'apparaisse plus comme caractérisé il n'est pas nécessaire de solliciter l'octroi de la dérogation.

Enfin, l'octroi d'une dérogation sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement n'est possible qu'au vu d'une appréciation prenant en compte l'ensemble des éléments énumérés au point précédent (risques d'atteintes inhérentes au projet, mesures préconisées par le pétitionnaire, état de conservation des espèces concernées).

(Section, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l'environnement et autres, n° 463563)

 

102 - Demande d'implantation d'éoliennes - Refus de l'autorisation environnementale - Effet d'écrasement sur le paysage et le bâti - Effet de saturation - Perspective - Rejet.

Le recours de la société demanderesse contre l'arrêté du préfet du Morbihan lui refusant l'autorisation environnementale afin d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Brignac, déjà rejeté par la cour administrative d'appel, l'est également en cassation aux termes d'une décision confirmant en tous points la motivation de l'arrêt d'appel.

Le projet litigieux est estimé produire - comme déjà jugé -  un effet d'écrasement sur un site ne présentant aucune particularité remarquable, constitué de vastes plaines cultivées à ragosses, doucement vallonnées et ponctuellement boisées, entouré de quelques fermes et bourgs mais offrant des vues dégagées sur l'horizon, ponctuellement contraintes par la présence de bosquets et de haies. 

Ce projet présente ainsi des inconvénients excessifs pour la protection des paysages et la commodité du voisinage ne pouvant être prévenus par des prescriptions spéciales alors qu'il altèrerait par trop les paysages du périmètre rapproché du fait que la construction projetée dominerait nettement la végétation avoisinante et créerait, outre un important effet d'écrasement depuis certains hameaux, un effet de saturation du fait de la proximité des éoliennes avec ces hameaux, de leur implantation désordonnée et de leur prégnance dans le paysage.

Enfin, le faible relief rendrait les éoliennes fréquemment visibles depuis les points de vue lointains, le parc projeté serait en situation de covisibilité avec certaines des quatre-vingt-sept éoliennes des onze parcs déjà construits dans un rayon de 20 km autour du site d'implantation et viendrait ainsi s'ajouter à un paysage éolien déjà chargé, contribuant ainsi à la saturation visuelle du paysage nonobstant l'atténuation de la fréquence et de l'étendue de la covisibilité avec les parcs existants du fait de la distance les séparant, du léger relief et de la présence d'espaces boisés. 

(27 décembre 2022, Société parc éolien des Landes de Jugevent, n° 444453)

(103) V. aussi, annulant l'arrêt infirmatif prononçant l'annulation d'un rejet préfectoral  d'une demande d'autorisation unique pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien dans une zone grevée d’une servitude de dégagement à l'approche d'un aérodrome, en raison de la confusion entre l'altitude minimale de secteur, ou MSA, qui garantit aux pilotes qu'ils peuvent, dans le cadre des procédures de vol aux instruments, évoluer sans rencontrer d'obstacle dans un périmètre de 25 miles nautiques (soit 46,3 km) autour d'un aérodrome, en disposant d'une marge de franchissement suffisante, et  l'altitude minimale de sécurité radar (AMSR), délimitée à une distance de 14 miles nautiques (soit 25,928 km) d'un aérodrome, qui permet pour sa part aux aéronefs d'être détectés et guidés dans le cadre du guidage radar par les services de contrôle aérien dans des conditions de sécurité suffisantes : 27 décembre 2022, ministre de la transition écologique, n° 453442.

(104) V. encore, rejetant - au visa des art. L. 181-18, L. 411-1 et L. 411-2 c. env. - le pourvoi de la ministre de la transition écologique et de la pétitionnaire d'autorisation d'implantation d'un parc éolien, et confirmant l'arrêt d'appel, motif pris du risque de destruction intentionnelle de la cicogne noire, espèce courant un risque majeur d'extinction en France, et de l'impossibilité de mesures de régularisation compte tenu du lieu d'implantation choisi pour le parc éolien : 27 décembre 2022, ministre de la transition écologique et société Ferme éolienne du Bois Bodin, n° 456293.

(105) V., très importante par son caractère innovant, la riche et très longue décision rendue au sujet d’une autorisation d’exploitation d’éoliennes en mer au large de Dieppe et du Tréport en ce que, d’une part, elle passe en revue un très grand nombre de griefs généralement développés dans cette sorte de contentieux et, d’autre part, précise les conditions de mise en œuvre du 2° du I de l’art. L. 181-18 du code de l’environnement relatif à la régularisation de vices entachant une autorisation environnementale. Il y est notamment jugé que : « Les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 permettent au juge, lorsqu'il constate un vice qui entache la légalité de la décision mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation. Ces dispositions peuvent trouver à s'appliquer, que le vice constaté entache d'illégalité l'ensemble de l'autorisation environnementale, y compris s'agissant d'un vice d'incompétence, ou une partie divisible de celle-ci.

Lorsque les juges du fond, après avoir écarté comme non fondés des moyens de la requête, ont cependant retenu l'existence d'un ou de plusieurs vices entachant la légalité d'une autorisation environnementale dont l'annulation leur était demandée et ont alors décidé de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article L. 181-18 du code de l'environnement pour inviter l'administration à régulariser ce ou ces vices, l'auteur du recours formé contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit peut contester ce jugement ou cet arrêt en tant qu'il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l'autorisation environnementale initiale et également en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 181-18. Toutefois, à compter de la délivrance de l'autorisation modificative en vue de régulariser le ou les vices relevés, les conclusions dirigées contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit, en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sont privées d'objet. »

C’est pourquoi, par suite de la prise d’un arrêté modificatif, du 29 décembre 2020, se substituant aux arrêtés précédents, un non-lieu à statuer est opposé en l’espèce aux conclusions du pourvoi des associations requérantes dirigées contre l'arrêt avant dire droit en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : 28 décembre 2022, Association « Sans offshore à l’horizon » et autres, n° 447229 et n° 453855.

 

106 - Permis de construire un centre commercial et de loisirs - Atteinte à des espèces végétales et animales protégées - Dérogation subordonnée à l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur - Annulation de l'arrêté préfectoral accordant le permis - Rejet.

Le juge rappelle à nouveau qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées par ces dispositions, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites.

S'il est possible de déroger à cette interdiction de principe c'est sous réserve que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives, chacune restrictivement interprétée :

- absence de solution alternative satisfaisante,

- absence d'atteinte au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle,

- justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés dont celui que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du 4° de l'article L. 411-2 précité.

En l'espèce, le Conseil d'État décide que la cour administrative d'appel, dans son arrêt confirmatif, n'a ni commis une erreur de droit ni qualifié erronément les faits en jugeant, d'une part, que le territoire de l'ouest toulousain est déjà desservi suffisamment pourvu en pôles commerciaux, qu'il n'est pas confronté, en la matière, à des difficultés ou des déséquilibres particuliers et qu'il résulte du SCOT de la grande agglomération toulousaine que l'offre en grands centres commerciaux est satisfaisante pour les prochaines années et, d'autre part, qu'il n'était pas démontré que les 1 938 emplois pérennes annoncés, représenteraient des créations nettes d'emploi résultant de l'implantation du projet. Elle a donc a bon droit conclu que le projet litigieux ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur.

(27 décembre 2022, Société PCE et société Foncière Toulouse Ouest, n° 449624)

(107) V. aussi, soulevant, dans le cadre d’une autorisation préfectorale de réouverture d’une carrière, des questions assez largement identiques, et jugeant notamment (dans la lignée de CJUE, 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola Pohjois-Savo – Kainuu ry, aff. C-674/17) que : « Pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci. » : 28 décembre 2022, Société La Provençale, n° 449658.

 

108 - Création d’une installation nucléaire de base – Prolongation du délai de mise en service de cette installation – Respect du droit de l’Union et de l’art. 7 de la Charte de l’environnement – Respect des capacités techniques et financières de réalisation du projet – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours des organisations requérantes dirigé contre les refus implicites du premier ministre d’abroger le décret du 10 avril 2007 autorisant la création de l'installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville et de retirer le décret du 25 mars 2020 modifiant le décret précédent.

S’agissant du décret du 25 mars 2020, le juge considère que contrairement à ce qui est soutenu, ce décret ne méconnaît pas les art. 4 et 8 bis de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, modifiée par la directive du 16 avril 2014, en ce que son édiction aurait dû être précédée d'une actualisation de l'étude d'impact ou, à tout le moins, d'une saisine de l'autorité environnementale aux fins qu'elle détermine si l'installation nucléaire de base Flamanville 3 devait faire l'objet d'une actualisation de son évaluation environnementale, voire d'une nouvelle évaluation. En effet, l’objet de ce décret, l'allongement de quatre ans du délai de mise en service de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 a pour objet de permettre la réparation des soudures des circuits secondaires principaux et la réalisation d'autres travaux de finition du chantier. Ces travaux ne devant pas modifier la réalité physique du site de l'installation, ils ne modifieront pas les éléments essentiels pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement, ainsi que cela ressort de l'avis rendu le 11 février 2020 par l'Autorité de sûreté nucléaire, qui relève que le report demandé ne modifie pas les conclusions de l'analyse ayant conduit à l'octroi de l'autorisation de création de l'installation et qu'EDF, qui a mis en place des dispositions pour assurer la bonne conservation des équipements déjà installés et le maintien des compétences des équipes chargées de l'exploitation de l'installation, est toujours en mesure de mener à bien le chantier. Le maître d'ouvrage n'était dès lors pas tenu, ni au titre du IV de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, ni au titre du III de l'article L. 122-1-1 du même code, de procéder à l'actualisation de l'étude d'impact qu'il avait réalisée préalablement à l'autorisation de création de l'installation, ni de saisir l'autorité environnementale pour qu'elle détermine si la prorogation du délai de mise en service devait être soumise à évaluation environnementale. 

Le juge relève également qu’a été respecté l’art. 7 de la Charte de l’environnement puisque l'autorisation de création de l'installation Flamanville 3 a fait l'objet d'un débat public, organisé par la Commission nationale du débat public du 19 octobre 2005 au 18 février 2006 ainsi que d'une enquête publique, qui s'est déroulée du 15 juin au 31 juillet 2006. Or les éléments fondamentaux n’ayant pas changé et n’étant pas modifiés, la participation du public à ces décisions demeure toujours valable, ne nécessitant pas d’actualisation.

Pas davantage ne sont retenus, notamment, les moyens tirés de la situation financière gravement déficitaire d’EDF qui ne remet pas en cause sa capacité technique à mener à bien le projet, le respect d’un niveau satisfaisant de sécurité, d’ailleurs déjà jugé par le Conseil d’État en 2019 (décision n° 416140 et 425780 du 24 juillet 2019 rendue sur recours des mêmes requérants), etc.

S’agissant du décret du 10 avril 2007, le recours est rejeté au double motif que, contrairement aux moyens qui le soutiennent, la mise à jour de l'évaluation environnementale n’est pas une condition du maintien de l'autorisation de création de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 résultant du décret du 10 avril 2007 et il ne ressort pas de l'instruction que la société EDF ne disposerait pas des capacités techniques et financières pour conduire le projet de création de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement.

(28 décembre 2022, Association Réseau « Sortir du nucléaire » et autres, n° 444845 et n° 444846)

(109) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre la décision du 8 octobre 2020 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant la mise en service partielle de l'installation nucléaire de base (INB) n° 167 (Flamanville 3) pour l'arrivée du combustible nucléaire dans le périmètre du réacteur et la réalisation d'essais particuliers de fonctionnement de l'installation nécessitant l'introduction de substances radioactives dans celle-ci : 28 décembre 2022, Association Réseau « Sortir du nucléaire » et autres, n°447330.

 

110 - Mise en œuvre de mesures réglementaires ordonnées par des décisions du Conseil d’État – Non-respect du délai imparti à cet effet - Demande d’astreinte au juge de l’exécution – Absence de mesures propres à assurer cette exécution – Condamnation de l’État à astreinte.

Les recours tendaient à l’exécution de mesures ordonnées par le Conseil d’État dans plusieurs décisions rendues le 26 juillet 2021donnant , d’une part, deux mois aux ministres concernés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, pour édicter les actes réglementaires afin de prévoir des distances de sécurité supérieures à dix mètres pour l'ensemble des produits classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sans distinction des catégories de danger prévues par le règlement du 16 décembre 2008 et, d’autre part, six mois pour prendre les mesures réglementaires énoncées au point 61 de sa décision.

Après instruction du dossier par la Section du rapport et des études, le juge constate que si des engagements ont été pris, notamment pour que soit accéléré le traitement des demandes de modification des conditions d’emploi de près des trois cents produits concernés, ces mesures « ne sauraient être regardées comme justifiant, à la date de la présente décision, avoir pris les mesures propres à assurer l'exécution de la décision du 26 juillet 2021 en ce qu'elle annule l'article 8 de l'arrêté du 27 décembre 2019 en tant qu'il prévoit des distances de sécurité insuffisantes pour les produits classés CMR 2 dont l'autorisation de mise sur le marché ne prévoit aucune distance de sécurité spécifique. » 

Au visa de l’art. L. 911-5 du CJA et compte tenu qu’il s’agit là d’un manquement grave à une exigence du droit de l’Union, le juge porte, après expiration d’un délai d’exécution de deux mois, à cinq cents euros par jour de retard le montant de l’astreinte.

(22 décembre 2022, Association Générations futures, association France Nature Environnement, Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir), association Collectif vigilance OGM et pesticides 16, Union syndicale Solidaires, association Eau et rivières de Bretagne, association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP) et association Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'ouest, n° 462352 ; Association Collectif des maires anti-pesticides, n° 462362)

 

État-civil et nationalité

 

111 - Décret conférant la nationalité française - Extension de plein droit au seul enfant mineur sous conditions de résidence stable et durable et de déclaration de l'enfant avant la signature du décret de naturalisation - Enfant devenue majeure avant cette date - Impossibilité d'extension des effets du décret de naturalisation - Rejet.

Rappel de ce qu'un enfant ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents que si sont cumulativement réunies les trois conditions suivantes : 1° être mineur, 2° son existence  ayant été portée à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret, 3°  ayant résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

La condition d'âge s'apprécie à la date de signature du décret de naturalisation nonobstant les circonstances que ce décret est intervenu après une longue procédure d'instruction et que la fermeture de la préfecture du fait des circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire.

En l'espèce, l'intéressée est devenue majeure le 15 août 2021 alors que le décret de naturalisation de son père a été signé le 7 octobre 2021.

(9 décembre 2022, M. C., n° 463264)

 

112 - Carte nationale d'identité - Demande de renouvellement - Refus - Carte encore valide - Détention d'un passeport - Annulation.

Ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que c'est illégalement qu'un préfet, saisi d'une demande de renouvellement d'une carte d'identité délivrée en 2007, y oppose un refus fondé d'une part sur ce que cette carte est encore en cours de validité à la date du 1er janvier 2014 d'autant que la durée de validité d'une telle carte a été portée de dix à quinze ans, et d'autre part, sur ce que le demandeur est également détenteur d'un passeport en cours de validité.

Ce double motif ne peut justifier le refus préfectoral.

(2 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 459599)

 

113 - Opposition à changement de nom - Recherche de l'intérêt légitime à changer de nom - Rejet.

Les requérantes entendaient s'opposer au décret du 17 juin 2022 en tant qu'il autorise Mme J. Saint Guily et M. A. G. à changer leur nom respectivement en « Saint Guily Sonier de Lubac » et « G. Sonier de Lubac ».

Pour rejeter le recours, le Conseil d'État relève que Mme Saint Guily et M. G. ont été autorisés à ajouter, par le décret attaqué, à leur nom de famille le nom « Sonier de Lubac » qui

 est celui porté respectivement par leur arrière-grand-mère maternelle et arrière-arrière-grand-mère maternelle, et qu'à la date de ce décret, le nom revendiqué était en voie d'extinction dans la famille Sonier de Lubac faute de porteurs susceptibles de le transmettre.

Si les requérantes font valoir que la fille majeure de Mme D... Sonier de Lubac porte désormais ce nom, par adjonction à son propre nom, à la suite de la demande qu'elle avait présentée sur le fondement des dispositions de l'article 61-3-1 du code civil, entrées en vigueur le 1er juillet 2022, et que l'autre enfant majeur de cette requérante a entrepris des démarches aux mêmes fins, de telles circonstances, postérieures à l'édiction du décret contre lequel il est formé opposition, ne peuvent être utilement invoquées.

Par suite, Mme Saint Guily et M. G. justifiaient d'un intérêt légitime à demander le changement de leur nom.

(27 décembre 2022, Mmes D., H. et E. Sonier de Lubac, n° 466270)

 

Étrangers

 

114 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Soustraction à une précédente OQTF - Refus d'octroi d'un délai de départ volontaire - Motivation suffisante - Rejet.

Parmi les divers moyens, d'ailleurs tous rejetés, soulevés par un ressortissant égyptien pour s'opposer à son obligation de quitter sans délai le territoire français, le juge de cassation relève qu'est suffisamment motivé l'arrêt qui, pour rejeter la demande d'octroi d'un délai de départ volontaire, se fonde sur ce que l'intéressé s'est soustrait à une précédente obligation de quitter le territoire prononcée à son encontre.

(9 décembre 2022, M. B., n° 458803)

 

115 - Procédure d'extradition - Existence d'un régime spécifique du contradictoire - Conditions de placement sous écrou extraditionnel sans effets sur la légalité du décret d'extradition - Assurances données par l'État requérant à l'État requis non communiquées à l'intéressé - Rejet.

Examinant, pour le rejeter, le recours d'un  ressortissant brésilien contre le décret l'extradant pour remise à ses autorités nationales, le Conseil d'État se prononce sur plusieurs aspects procéduraux.

L'obligation d'une procédure contradictoire avant la prise de décisions devant être motivées (art. L. 121-1 CRPA) ne s'applique pas, en l'absence de précisions en ce sens dans la convention d'extradition, dans les cas où existe un procédure particulière prévue par les textes comme, ici, les art. 696-8 et suivants du code de procédure pénale.

Les conditions dans lesquelles l'intéressé a été placé sous écrou extraditionnel à la suite de la demande d'arrestation provisoire émanant de ses autorités nationales n'affectent pas, par elles-mêmes, la légalité du décret accordant son extradition à ces autorités. 

Enfin, le fait que les assurances données par le gouvernement brésilien le 27 octobre 2021, visées par le décret attaqué, n'aient pas été communiquées au requérant n'est pas de nature à établir que ce décret serait intervenu en méconnaissance des droits de la défense. 

(8 décembre 2022, M. A., n° 465421)

 

116 - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile – Confusion dans la communication d’une décision de justice – Fin de non-recevoir pour tardiveté – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

La Cour nationale du droit d'asile a adressé par erreur à la requérante un premier pli contenant une décision dont les motifs concernaient la situation d'un autre demandeur d'asile.

L'OFPRA ne lui a notifié la décision la concernant que le 30 décembre 2020.

La requérante est, dès lors, fondée à soutenir qu'en retenant que la décision attaquée lui avait été notifiée à la date de réception du premier pli pour juger que sa demande, formée le 28 janvier 2021, était tardive, la présidente de la Cour nationale du droit d'asile a dénaturé les pièces du dossier.

Par suite, l'ordonnance attaquée est annulée.

(29 décembre 2022, Mme A., n° 456784)

(1147 V. aussi, annulant une décision de la CNDA ne visant pas une note en délibéré pourtant produite après l’audience et avant la lecture de la décision : 29 décembre 2022, M. A., n° 461055. V. aussi, identique en substance : 29 décembre 2022, Mme et M. B., n° 461425.

 

118 - Convention de Genève sur les réfugiés – Clause d’exclusion – Notion d’« agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies » - Participation ou soutien à des actes terroristes – Qualification inexacte des faits comme ne relevant pas de l’exclusion – Annulation.

Le c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 prévoit que les dispositions protectrices qu’elle institue au bénéfice des réfugiés « ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».

Le Conseil d’État considère que « Les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Il en va de même des actions de soutien d'une gravité suffisante à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission de tels actes ».

En conséquence elle juge que l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) est fondé à demander l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) jugeant que les faits pour lesquels le requérant avait été condamné par le juge pénal ne relevaient pas de la clause d'exclusion prévue au c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Certes, elle a retenu pour cela les circonstances, à les supposer établies, que l'intéressé n'aurait pas appartenu au cercle décisionnel d’une entreprise terroriste et que l'aide logistique apportée au projet d'attentat n'aurait été ni essentielle, ni décisive, ainsi que les regrets qu'il avait exprimés à l'audience. Cependant, et à bon droit, le Conseil d’État relève que le juge pénal a établi que ce dernier avait participé à une association terroriste en toute connaissance de cause, après avoir relevé qu'il avait entretenu des liens avec l'organisation « Émirat du Caucase », affiliée à l'organisation al-Qaïda, classée comme organisation terroriste par l'Organisation des Nations Unies, et apporté un soutien logistique à l'ensemble de ses membres, en créant ou en aidant à la diffusion de trois sites internet, sur l'un desquels il avait publié un appel au djihad global, et un soutien financier, en acceptant de servir d'intermédiaire pour financer un voyage d'un membre de cette organisation, qui était destiné à commettre un attentat à Moscou.

La décision de la CNDA est annulée pour inexactitude dans la qualification juridique des faits. C’est le moins que l’on pouvait attendre du juge de cassation.

(29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 456891)

(119) V. aussi, jugeant que si les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié, il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'examiner la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération. La seule circonstance qu'un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, du moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu. En l’espèce, il est jugé qu’un individu qui a été condamné le 6 octobre 2006 à trois mois d'emprisonnement pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique, sans assurance et refus de se soumettre aux contrôles de la force publique, le 3 mai 2007 à quatre mois de prison pour faits de violence aggravée, commis sous l'empire d'un état alcoolique, ayant entraîné pour la victime une interruption temporaire de travail supérieure à huit jours et, le 26 septembre 2014, à quinze ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son voisin, commis sous l'empire d'un état alcoolique, dans des circonstances dont la Cour relève le caractère particulièrement violent, doit être considéré comme constituant une menace grave pour la société française en dépit des formations suivies et des qualifications obtenues par l'intéressé en vue de sa réinsertion, et du suivi médical dont il fait l'objet concernant son addiction à l'alcool : 29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 456943.

(120) V. également, largement comparable au précédent mais où l’usage de stupéfiants remplace celui de l’alcool assorti de multiples infractions : 29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 458957.

 

121 - Ressortissante arménienne bénéficiaire d'un titre de séjour non permanent délivré en Ukraine - Entrée en France lors de l'invasion de l'Ukraine - Décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 - Refus de la protection temporaire (art. L. 581-3 du CESEDA) - Suspension du refus ordonnée et obligation de réexamen de la demande de titre de séjour - Annulation.

Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation de l'ordonnance prononçant la suspension du refus d'octroyer à une ressortissante arménienne bénéficiaire d'un titre de séjour non permanent délivré par les autorités ukrainiennes et venue en France lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Pour annuler l'ordonnance querellée par le ministre, le Conseil d'État retient que c'est à tort que le premier juge a estimé entaché d'un doute sérieux quant à sa juridicité le refus opposé à la demanderesse par l'autorité préfectorale  au motif qu'elle aurait commis une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée pour rejeter la demande de protection temporaire de la requérante faute pour celle-ci de disposer d'un titre de séjour permanent délivré par les autorités ukrainiennes. En effet, le juge des référés a relevé qu'il résultait des dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 2 de la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 que, sous réserve d'autres conditions à remplir, les autorités des États membres doivent accorder le bénéfice de la protection temporaire aux ressortissants étrangers pouvant établir qu'ils étaient en séjour régulier sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité conformément au droit ukrainien mais qu'elles peuvent également l'accorder à d'autres personnes qui étaient en séjour régulier en Ukraine.

Selon le Conseil d'État, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 à laquelle les articles L. 581-2 et L. 581-3 du CESEDA se réfèrent pour définir le champ d'application de la protection temporaire, ainsi que par voie de conséquence l'instruction interministérielle relative à la mise en œuvre de cette décision, qui en rappelle les termes, ne méconnaît pas le principe d'égalité de traitement garanti par le droit de l'Union européenne, et le principe de non-discrimination, en tant qu'elle ne prévoit pas le bénéfice de cette protection pour les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine non titulaires d'un titre de séjour permanent.

Au reste, la protection temporaire est un dispositif exceptionnel permettant d'assurer, dans toute l'Union, une protection minimale immédiate et de caractère temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées ne pouvant rentrer dans leur pays d'origine. Il en résulte que la différence de traitement entre les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, selon qu'ils sont titulaires d'un titre de séjour permanent ou non délivré par les autorités de ce pays, n'est en tout état de cause pas susceptible de caractériser une méconnaissance des principes invoqués de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus litigieuse.

(ord. réf. 27 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 465363)

 

Fonction publique et agents publics

 

122 - Inspecteurs du travail issus du troisième concours de recrutement - Absence de prise en compte des années de scolarité pour le calcul de l'ancienneté de services - Différence de traitement avec ceux issus des deux autres concours - Différence de traitement entre inspecteurs issus du troisième concours déjà fonctionnaires et les autres - Rejet.

Selon les dispositions du décret du 20 août 2003 (art. 12bis) les inspecteurs du travail recrutés à l'issue du troisième concours, filière à caractère social, sont classés, lors de leur titularisation dans le grade d'inspecteur du travail, au troisième échelon, avec une reprise d'ancienneté d'un an, sauf si l'application des articles 11 et 12 leur est plus favorable tandis que ceux recrutés à l'issue d'un autre concours sont titularisés au 1er échelon du grade d'inspecteur du travail, la durée effective de la scolarité, à l'exception de la période de redoublement éventuel, étant prise en compte pour l'avancement d'échelon.

Le requérant, issu du troisième concours, conteste la décision qui ne l'a titularisé au troisième échelon du grade d'inspecteur du travail qu'avec une reprise d'ancienneté d'un an.

Le juge rappelle qu'il est possible, sans illégalité, de faire une application différenciée du principe d'égalité en fonction de situations différentes sous les deux conditions d'être en rapport avec l'objet de la norme qui l'institue et de ne pas entraîner des effets manifestement disproportionnés par rapport à sa justification.

Les inspecteurs-élèves accédant à la fonction publique pour la première fois voient leur scolarité prise en compte au titre de l'ancienneté. Ceux issus du troisième concours se rangent en deux catégories : ceux qui étaient déjà fonctionnaires avant l'admission en tant qu'inspecteurs bénéficient de la reprise d'une fraction de leur ancienneté et n'ont pas droit à une telle reprise au titre de la scolarité ; ceux qui n'étaient pas antérieurement fonctionnaires  sont classés, lors de leur titularisation dans le grade d'inspecteur du travail, au troisième échelon, avec une reprise d'ancienneté d'un an.

Pour le Conseil d'État, il n'apparaît pas que ces différences de traitement ne sont pas en rapport avec les différences objectives de situations au moment du recrutement comme inspecteurs du travail  ni, non plus que les conséquences en sont manifestement excessives à cet égard.

(2 décembre 2002, M. B., n° 456277)

 

123 - ÉNA - Classement des élèves d'une promotion - Affectation aux carrières - Titularisation d'administrateurs civils - Demandes d'annulation - Rejet.

Le Conseil d'État rejette l'ensemble des griefs dirigés par le requérant contre la décision du 30 août 2021 par laquelle le directeur de l'ÉNA a arrêté le classement des élèves de la promotion 2020-2021, contre l'arrêté ministériel du 7 octobre 2021 portant affectation aux carrières de cette promotion et contre le décret du 11 octobre 2021 portant nomination et titularisation (administrateurs civils).

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, s'il résulte des dispositions de l'article 39 du décret du 9 novembre 2015 relatif aux conditions d'accès et aux formations à l'École nationale d'administration qu'aucune personne ayant dispensé des enseignements auprès de la promotion à laquelle appartiennent les élèves ne peut être membre d'un jury ou examinateur, ces dispositions ne sont applicables qu'aux études régies par cet article et non aux stages, lesquels sont réglementés par les dispositions de l'article 38 du même décret. Le requérant ne saurait donc  soutenir que sa note de stage serait entachée d'irrégularité au motif qu'un des membres du jury était préalablement intervenu devant les élèves de sa promotion.

Ensuite, les pièces du dossier ne confirment pas les allégations du requérant selon lesquelles ses notes de stages auraient été fondées essentiellement sur ses rapports de stage sans prendre en compte, ainsi que le prévoient les dispositions du III de l'article 38 du décret du 9 novembre 2015, les appréciations établies par ses maîtres de stage. 

Également, si la note évaluant les acquis et les compétences professionnelles des élèves doit être distincte des notes attribuées pour chacun des stages, elle doit, contrairement à ce que soutient le requérant, être attribuée par un jury composé des mêmes personnes sauf empêchement de l'une d'entre elles. 

Enfin, il ressort des pièces du dossier que la direction des stages de l'ÉNA s'est bornée en l'espèce à demander aux maîtres de stage d'apprécier la capacité des élèves, après avoir développé des contacts pendant leur stage, à s'en servir pour accomplir leurs missions. Cette appréciation étant fondée sur les seules capacités professionnelles des élèves, le requérant  n'est pas fondé à soutenir qu'en lui attribuant des notes sur le fondement notamment des appréciations portées par ses maîtres de stage sur ses capacités en la matière, serait constitutive d'une discrimination et serait contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

(2 décembre 2022, M. A., n° 458123)

 

124 - Fonctionnaire en détachement - Liquidation des droits à pension - Indice devant être retenu - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant, officier de sapeurs-pompiers professionnels au grade de capitaine, a été détaché à partir de 1994 en qualité d'ATER puis, à partir de 1995, en qualité de maître de conférences au sein de l'UFR de pharmacie de l'université de Picardie. Il a été maintenu dans cette position jusqu'à sa radiation des cadres en 2014 pour motif de retraite.

Il conteste l'indice de rémunération retenu pour le calcul de sa pension, soit l'indice 750 détenu dans son corps d'origine, au lieu de l'indice 920 correspondant à son emploi de détachement, ainsi que le refus qui a été opposé à sa demande de révision.

Le tribunal administratif a rejeté son action en se bornant à juger que le requérant ne pouvait invoquer utilement, à l'appui de ce moyen, les dispositions des articles 64 et 65 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 5 du décret du 26 décembre 2003, qui régissent seulement le régime de cotisation des agents territoriaux détachés et qui ne sont pas relatives aux modalités de liquidation de leur pension. 

Le jugement est très logiquement cassé en ce qu'il repose sur une erreur de droit car les juges  du fond devaient rechercher si les retenues pour pension versées par l'intéressé, calculées, en sa qualité d'agent détaché sur un emploi ouvrant droit à une pension de retraite relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite, sur le traitement afférent à son emploi de détachement, ouvraient droit pour l'intéressé à la liquidation de sa pension sur le fondement de l'indice qu'il détenait dans cet emploi.

(5 décembre 2022, M. C., n° 459329)

(125) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit l'arrêt estimant qu'un congé de longue durée pour maladie devait également être pris en compte en tant que « services militaires effectifs » pour l'application du II de l'art. L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa version alors applicable selon lequel « Lorsque la durée de services militaires effectifs est inférieure à la durée nécessaire pour pouvoir bénéficier d'une liquidation de la pension, définie au II de l'article L. 24, augmentée d'une durée de services effectifs de dix trimestres, un coefficient de minoration de 1,25 % s'applique au montant de la pension militaire liquidée en application des articles L. 13 et L. 15 dans la limite de dix trimestres ». En effet, seule la durée des services militaires effectifs est prise en compte pour la détermination de l'éventuel coefficient de minoration de la pension militaire de retraite et cette durée n'inclut par assimilation que les congés limitativement énumérés par ces dispositions, au nombre desquels ne figurait pas le congé de longue durée pour maladie avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 24 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 : 5 décembre 2022, Mme C., n° 462035.

 

126 - Corps de fonctionnaires en voie d'extinction - Corps paramédicaux de la fonction publique hospitalière - Échelonnement indiciaire - Protocole d'accord sans effet juridique - Principe d'égalité - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du décret n° 2021-1406 du 29 octobre 2021 modifiant divers décrets portant statuts particuliers de corps paramédicaux de la catégorie A de la fonction publique hospitalière placés en voie d'extinction et le décret n° 2021-1408 du 29 octobre 2021 fixant l'échelonnement indiciaire applicable à divers corps de catégorie A de la fonction publique hospitalière placés en voie d'extinction.

Les deux moyens invoqués au soutien de ce recours sont rejetés.

En premier lieu, il ne saurait être reproché au décret de 1998,  applicable aux infirmiers spécialisés et à celui de 2001 relatif aux cadres de santé, de méconnaître les stipulations du protocole d'accord du 13 juillet 2020 prévoyant une revalorisation des grilles indiciaires de ces corps mis en extinction, à due proportion de celle appliquée aux corps de catégorie A comparables. En effet, un tel protocole, qui « s'analyse comme un exposé des intentions et des orientations arrêtées par le Gouvernement en concertation avec les syndicats signataires, est dépourvu de valeur juridique et de force contraignante » ne saurait servir à une telle action contentieuse.

En second lieu, les requérants ne peuvent invoquer le fait que les modifications apportées aux grilles indiciaires par les décrets attaqués seraient moins favorables que celles apportées, pour la mise en œuvre de ce même protocole, aux grilles des corps comparables  car le principe d'égalité de traitement n'est susceptible de s'appliquer, s'agissant de fonctionnaires, qu'entre agents d'un même corps. 

(5 décembre 2022, Mme L. et autres, n° 459756)

(127) V. aussi avec même solution : 5 décembre 2022, M. AJ. et autres, n° 459784.

 

128 - Référé suspension - Radiation des cadres - Doute sérieux quant à la date d'entrée en vigueur de la décision - Agent en congé de longue durée pour maladie - Circonstance indifférente - Erreur de droit - Annulation.

(6 décembre 2022, M. B., n° 465627)

V. n° 31

 

129 - Régime disciplinaire de la fonction publique - Révocation d'un fonctionnaire territorial - Annulation avec injonction de réintégration - Arrêt d'appel infirmatif - Retrait de la décision de réintégration pendant la procédure de pourvoi en cassation - Suspension ordonnée - Rejet.

Suite à sa révocation, le fonctionnaire départemental concerné a saisi le juge du référé suspension qui, d'abord, a suspendu la mesure de révocation et ordonné sa réintégration, ce que le confirmé l'ordre de réintégration. Sur l'appel du département, la cour administrative d'appel a annulé le jugement et, alors qu'un pourvoi en cassation avait été formé par le fonctionnaire contre l'arrêt d'appel, le département a retiré la décision de réintégration provisoire.

Saisi par l'intéressé, le juge du référé-suspension a suspendu l'exécution de cette décision de retrait. Le département s'est pourvu en cassation de cette ordonnance.

Son pourvoi est rejeté car relève le Conseil d'État, de façon inédite en cette matière même s'il existe des précédents plus timides (23 mai 2018, ministre de l'intérieur, n° 416313), l'administration disposait en ce cas d'un délai « raisonnable » de quatre mois pour retirer la mesure de réintégration provisoire à compter de la notification de l'arrêt d'appel  prononçant l'annulation de la décision portant révocation de cet agent public. Semblablement, passé ce délai et dans le cas où un pourvoi en cassation a été introduit contre l'arrêt ayant confirmé la révocation de l'agent, l'autorité compétente dispose à nouveau de la faculté de retirer la décision de réintégration, dans un délai raisonnable de quatre mois à compter de la réception de la décision qui rejette le pourvoi ou de la notification de la décision juridictionnelle qui, après cassation, confirme en appel l'annulation du premier jugement. 

Dans tous les cas, l'exercice du pouvoir de retrait est subordonné à une invitation préalable faite à l'agent de présenter ses observations.

La décision apporte une autre précision d'importance concernant le sort de la rémunération de l'agent en pareille circonstance.

Lorsque la réintégration d'un agent public révoqué a été prise en exécution d'une décision de justice, l'intéressé a droit de percevoir la rémunération correspondant à ses fonctions sauf en cas d'absence de service fait soit par suite du refus de l'agent d'effectuer ses missions soit en conséquence d'une mesure ordonnée par l'autorité judiciaire faisant obstacle à l'exercice par l'intéressé de toute fonction au sein des services de son administration. Dans tout autre cas la rémunération est due.

(Section, 9 décembre 2022, département de la Seine-Saint-Denis, n° 451500)

 

130 - Régime disciplinaire de la fonction publique - Faits reprochés s'étant produits dans l'intimité et donc en dehors du service - Condamnation pénale par une cour d'appel - Rejet.

Un militaire radié des cadres du fait de sa condamnation par une cour d'appel pour faits de violences volontaires et d'agression sexuelle sur ses enfants mineurs, demande l'annulation de la mesure.

Le Conseil d'État rappelle le principe selon lequel le comportement d'un fonctionnaire ou d'un militaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration.

Ensuite, au cas d'espèce, il est jugé que l'autorité administrative disciplinaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, inexactement qualifié les faits en retenant leur caractère fautif.

Enfin, eu égard au motif de la condamnation pénale, la sanction de la radiation des cadres n'est pas disproportionné en dépit de la manière de servir de cet agent, jusqu'alors sans reproche.

(12 décembre 2022, M. A., n° 463974)

 

131 - Régime disciplinaire de la fonction publique – Professeur de l’enseignement supérieur – Sanction jugée insuffisante – Illégalité – Annulation.

L’affaire n’est pas banale car les décisions de ce genre sont rares dans la fonction publique.

Un enseignant, ayant sévi à la tête d’un commando pour « libérer » une enceinte facultaire de ses occupants, a fait l’objet de la part du CNESER de la sanction de l'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pour une durée de quatre ans avec privation de la totalité de son traitement.

Sur pourvoi du ministre de l’enseignement supérieur, cette décision est cassée parce que hors de proportion, entendons par là « insuffisante », avec les faits reprochés.

Classiquement, l’annulation des sanctions comme étant « hors de proportion avec les faits reprochés » ne concerne que les sanctions jugées excessives. La situation inverse est très rare ne serait-ce que parce que, dans l’immense majorité des cas, le requérant est l’agent sanctionné lui-même et qu’il est de principe qu’en matière disciplinaire l’appel ou le pourvoi formé par la personne sanctionnée ne peut aboutir à aggraver la sanction qui lui a été infligée. Ici, c’est le ministre qui a saisi le juge de cassation, la situation est donc différente de ce qu’elle est d’ordinaire.

Pour juger insuffisante la sanction, le Conseil d’État retient la matérialité des faits qu’il décrit et le jugement rendu par le tribunal correctionnel dans cette affaire.

Lui reprochant le choix de la sanction susrappelée, il ordonne au CNESER de prononcer non la sanction prévue au 5° de l'art. L. 952-8 du code de l'éducation mais l’une des sanctions prévues par les alinéas suivants de cet article, c’est-à-dire une sanction plus sévère.

(30 décembre 2022, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, n° 465304)

 

132 - Régime disciplinaire de la fonction publique – Professeur des universités – Mesure de suspension à titre conservatoire – Durée maximale ne pouvant excéder un an même en présence de poursuites disciplinaires – Annulation.

Le requérant, professeur des universités poursuivi disciplinairement, a fait l’objet d’une mesure de suspension avec maintien du traitement, pour six mois, renouvelée deux fois. Il a demandé sa réintégration à l’expiration d’une année de suspension, l’université a refusé.

Le Conseil d’État annule cette décision, rappelant ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 951-4 du code de l’éducation que la durée totale de la suspension susceptible d'être infligée à un enseignant-chercheur ne peut excéder une année quand bien même l'intéressé fait l'objet de poursuites disciplinaires. C’est donc à tort que l’université, pour refuser la demande de levée de la suspension, s’est fondée sur l’existence d’une procédure disciplinaire en cours.

(26 décembre 2022, M. B., n° 468102)

 

133 - Désignation de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'Institut national du service public (INSP) - « Lettre-circulaire » ne demandant de faire des propositions en vue de cette désignation qu'à certaines seulement des fédérations syndicales siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique - Illégalité - Annulation.

Est entachée d'illégalité et doit donc être annulée la « lettre-circulaire » du directeur adjoint à la directrice générale de la fonction publique, relative à la nomination de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'INSP, qui ne demande de faire des propositions en vue de la désignation de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'INSP, qu'à certaines seulement des fédérations syndicales siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique en violation des dispositions de l'art. 7 du décret du 1er décembre 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Par voie de conséquence est également annulé l'arrêté ministériel procédant à la nomination des agents ainsi irrégulièrement présentés.

(13 décembre 2022, Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, n° 463701)

 

134 - Notation d'un officier de police judiciaire - Compétence de plein droit du substitut d'un procureur général près une cour d'appel - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, au regard des art. 19-1 et 34 du code de procédure pénale et de l'art. L. 122-4 du code de l'organisation judiciaire, la juridiction administrative décidant que la décision d'établir la notation d'un officier de police judiciaire ne pouvait, sans texte lui attribuant spécifiquement cette compétence, être prise par le substitut général du parquet de la cour d'appel sans délégation de signature à cet effet.

(14 décembre 2022, ministre de la justice, n° 443208)

 

135 - Agent public en CDD placée en congé de mobilité - Démission avant le terme du contrat de directrice d'un établissement public de coopération culturelle - Agent placée, en l'absence de poste vacant à son niveau de traitement, en position de congé sans rémunération - Demande d'octroi d'une aide de retour à l'emploi refusée - Annulation.

Une agent public du ministère de la culture recrutée en CDD, devenue directrice d'un établissement public de coopération culturelle, a démissionné de cet emploi avant le terme du contrat et a été placée, faute de poste vacant, en position de congé sans rémunération. Elle a demandé l'octroi d'une aide de retour à l'emploi qui lui a été refusée et le recours contentieux contre ce refus  a été rejeté par arrêt d'appel confirmatif au motif que les démarches qu'elle avait effectuées demeuraient peu nombreuses et que sa participation à des ateliers afin de retrouver un emploi n'était pas établie.

 Elle se pourvoit ; l'arrêt est annulé.

L'aide au retour à l'emploi suppose que le travailleur qui la sollicite ait été involontairement privé de son emploi (cf. art. L. 5421-1 c. trav.). Il résulte donc des énonciations de la cour que la requérante, faute de recherches sérieuses, ne pouvait relever de cette qualification et que c'était à bon droit que l'aide sollicitée lui avait été refusée.

Pour répondre à la requête dont il était saisi le juge de cassation franchit le pas en se reconnaissant le pouvoir de contrôler la qualification juridique des faits allégués ou déniés en vue de déterminer si la requérante relève ou non de la catégorie juridique « travailleur involontairement privé d'emploi ». Opérant une analyse circonstanciée des faits tels qu'ils ressortent des pièces du dossier, le Conseil d'État juge que la cour a inexactement qualifié les faits (nous pensons plutôt qu'elle les a dénaturés). L'intéressée remplit bien les conditions pour bénéficier de l'aide qu'elle a sollicitée et le juge ordonne son versement à la requérante.

(14 décembre 2022, Mme B., n° 450694)

 

136 - Fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux - Condition d'inscription  de plein droit au tableau d'avancement - Règle de l'échelon spécial - Avancement au grade d'attaché hors classe - Prise en compte, au titre de l'expérience professionnelle, d'exercice de fonctions à un niveau élevé de responsabilité - Éléments permettant d'apprécier les compétences acquises dans l'exercice des fonctions syndicales - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

L'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires a prévu que les fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux sont inscrits de plein droit au tableau d'avancement à un échelon spécial, au vu de l'ancienneté acquise dans l'échelon immédiatement inférieur et de celle dont justifient en moyenne les fonctionnaires détenant le même échelon, relevant de la même autorité de gestion et ayant accédé, au titre du précédent tableau d'avancement et selon la même voie, à l'échelon spécial, sous réserve de remplir les conditions fixées par le statut particulier de leur corps ou cadre d'emplois pour bénéficier d'un avancement d'échelon spécial.

S'agissant d'apprécier les conditions d'avancement au grade d'attaché hors classe, lesquelles sont régies notamment par l'art. 21 du décret du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux, les fonctionnaires concernés peuvent demander à ce que l'exercice des mandats syndicaux pour lesquels ils bénéficient d'une décharge totale de service soit pris en compte, au titre des acquis de l'expérience professionnelle, pour le calcul de la durée d'exercice de fonctions correspondant à un niveau élevé de responsabilité requise par ces dispositions, lorsqu'ils ont préalablement occupé des fonctions correspondant à celles énumérées par ces dispositions et que les responsabilités ensuite exercées dans le cadre de leurs mandats syndicaux peuvent être regardées comme d'un niveau comparable à celles correspondant aux fonctions ainsi énumérées.

En l'espèce, c'est à bon droit que la cour administrative d'appel a recherché si les fonctions syndicales exercées par le requérant pouvaient être regardées comme des fonctions de direction, d'encadrement, de conduite de projet, ou d'expertise, correspondant à un niveau élevé de responsabilité, susceptibles d'être prises en compte en complément des sept ans et quatre mois d'exercice de ses responsabilités à la tête des services financiers de la commune de Saint-Pierre.

En revanche, elle a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que cet agent n'avait pas apporté d'éléments significatifs permettant d'apprécier les compétences acquises dans l'exercice de ses fonctions syndicales alors qu'il résulte de ces pièces même que l'intéressé préside depuis 2008, après avoir été membre de son bureau puis vice-président, le syndicat autonome de la fonction publique territoriale de La Réunion, principal syndicat de la fonction publique territoriale de La Réunion et qu'il est, depuis 2010, secrétaire général de la Fédération générale autonome des fonctionnaires de La Réunion. Pour le juge de cassation, de telles responsabilités « peuvent être regardées comme d'un niveau comparable à celles correspondant aux fonctions énumérées par l'article 21 du décret du 30 décembre 1987 ».

On peut comprendre les hésitations de la cour à aller jusqu'à une telle conclusion.

(16 décembre 2022, M. A., n° 449708)

 

137 - Magistrate du siège - Avertissement - Propos et comportements visant une greffière - Manquements justifiant la mesure - Rejet.

Ne fait pas une inexacte application des art. 43 et 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à la magistrature, la décision d'une première présidente de cour d'appel d'adresser un blâme (qui n'est pas une sanction mais une mesure prise en considération de la personne) à une conseillère de la cour  qui, lors d'une audience publique, a tenu de manière répétée des propos désobligeants à l'égard d'une greffière,  qui entretient avec cette dernière des relations structurellement dégradées et lui adresse des reproches réguliers mettant en cause son comportement professionnel.

Le recours est rejeté.

(27 décembre 2022, Mme B., n° 454743)

 

138 - Magistrate - Demande d'intégration directe dans la magistrature - Fourniture d'un relevé de notes non traduit en français - Condition de diplôme non remplie - Rejet.

Solution très sévère, dont on peut se demander si elle est en phase avec l'évolution du monde contemporain, de la technologie, des échanges et des affaires.

Il y est jugé que c'est à bon droit que la commission d'avancement du Conseil supérieur de la magistrature a estimé que la requérante, candidate à une entrée directe dans la magistrature, ne remplissait pas la condition de diplôme requise, faute d'avoir produit, comme l'exigent les dispositions de l'article 17-1 du décret du 4 mai 1972, une traduction en français, établie par un traducteur assermenté, de son diplôme italien.

Un relevé de notes qui comporte ainsi pour l'essentiel des chiffres indo-arabes, donc universels, ne semble pas exiger un effort insurmontable pour sa lecture.

(27 décembre 2022, Mme A., n° 460017)

 

139 - Militaire – Refus de la vaccination anti-Covid-19 – Régime de vaccination fixé par le ministre de la défense – Rejet.

Le requérant, lieutenant-colonel de l’armée de terre, a fait l’objet d’une sanction de huit jours d’arrêts pour refus de se soumettre à la vaccination contre le virus Covid-19.

Entre autres griefs, il conteste la compétence du ministre de la défense pour fixer le régime de vaccination des militaires. Le moyen est rejeté en l’état des dispositions, qui ne sont pas illégales, de l’art. D. 4122-13 du code de la défense qui confère expressément compétence à ce ministre en la matière.

(29 décembre 2022, M. B., n° 460213)

 

140 - Jury de recrutement de professeur des universités – Impartialité – Existence en dépit de conflits personnels entre le vice-président du jury et la requérante – Rejet.

Candidate malheureuse au recrutement en qualité de professeur des universités près l’Université de La Rochelle, la requérante invoquait le défaut d’impartialité du jury à son endroit.

Si le Conseil d’État rappelle solennellement le beau principe d’impartialité il en fait ici une application bien désolante.

Le juge rappelle : « Le respect du principe d'impartialité fait obstacle à ce qu'un comité de sélection constitué pour le recrutement d'un enseignant-chercheur puisse régulièrement siéger, en qualité de jury de concours, si l'un de ses membres a, avec l'un des candidats, des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles dont l'intensité est de nature à influer sur son appréciation. »

Il juge que n’est pas établi en l’espèce le défaut d’impartialité au terme de la description suivante : « Il ressort des pièces du dossier que si Mme B. a entretenu entre 2014 et 2018 des relations difficiles avec plusieurs membres de l'équipe de recherche alors placée sous sa responsabilité et notamment avec M. Bustamante, vice-président du comité de sélection dans le cadre du concours contesté par la présente requête, auquel elle reproche d'avoir été le « détracteur récurrent » de ses décisions, l'obligeant à porter ce différend à la connaissance de la direction de l'université et à en informer la conseillère de prévention, il ne peut être retenu, à la lecture des éléments du dossier et notamment des courriels produits qu'ils seraient l'expression ou la conséquence d'un conflit personnel qui l'opposerait plus particulièrement à M. C. et il n'est, en outre, pas établi que cette hostilité, à la supposer avérée, aurait perduré après 2015. Par suite, le moyen tiré de ce que la composition du comité de sélection était irrégulière, en raison de ce que M. C. ne pouvait y siéger sans méconnaître le principe d'impartialité, ne peut qu'être écarté. »

Le lecteur sera-t-il surpris de notre total désaccord avec une solution déraisonnable ?

En réalité, le défaut du mécanisme jurisprudentiel de contrôle tient ici à ce qu’il exige la réunion de deux conditions : d’une part, la preuve de circonstances de nature à faire s’interroger sur l’impartialité, d’autre part, l’influence de faits avérés sur la décision critiquée. Outre que cette seconde condition est de nature métaphysique (« Moi l’Éternel, j’éprouve le cœur, je sonde les reins », cf. Jér. 17, 10), ce qui devrait suffire à en tenir le juge éloigné, elle est superfétatoire. Constatant l’existence d’une situation en apparence conflictuelle, il convient que l’autorité administrative comme le juge, en reste là et pourvoit immédiatement, chacun dans son ordre, à donner plus d’apparence de réalité au principe d’impartialité.

Enfin, pour faire un peu de psycho-sociologie administrative des univers clos comme l’Université, croire qu’un conflit (ou plusieurs) entre A et B ne métastase pas sur C, D et E, relève d’une naïveté qui ne peut, à ce niveau, être admise ou même être sérieusement supposée.

(26 décembre 2022, Mme B., n° 463807)

 

141 - Procédure de recrutement d’un professeur des universités – Qualification aux fonctions de professeur des universités – Date d’appréciation – Existence indifférente d’un recours contentieux contre le refus de qualification – Principe d’égalité – Inopérance de critiques dirigées contre la composition d’un comité de sélection qui n’a pas eu à connaître de la candidature du requérant – Rejet.

Contestant la décision d’une université déclarant sa candidature irrecevable et, subséquemment, la décision du comité de sélection ne la retenant pas, le requérant, candidat à un emploi de professeur des universités, soulève plusieurs moyens d’illégalité, tous rejetés.

Est tout d’abord rappelé ce grand classique du droit du contentieux administratif selon lequel, à l’expiration du délai de recours, le requérant ne peut plus, sauf s’il est d’ordre public, soulever un moyen relevant d’une cause juridique distincte de celle à laquelle appartien(ne)nt le(s) moyen(s) soulevé(s) dans le délai de recours.

Ensuite, est également rappelé ce classique du droit des concours de recrutement dans la fonction publique que le candidat doit détenir les qualifications requises pour s’y présenter au plus tard le jour de la clôture des inscriptions. Il est constant qu’en l’espèce le requérant ne détenait pas, à cette date, la qualification aux fonctions de professeur des universités, établie par le Conseil national des universités (CNU), nécessaire pour se présenter à l’emploi sur lequel il postulait. La circonstance qu’il ait introduit un recours, toujours pendant, contre le refus de qualification par le CNU est sans effet sur l’impossibilité de se porter candidat à cette date, les recours contentieux n’ayant pas d’effet suspensif, sauf texte exprès, en procédure administrative contentieuse.

Également, contrairement à ce qui est soutenu, le régime du recrutement des professeurs de l’enseignement supérieur ne résulte pas des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 mais de celles du décret du 6 juin 1984 portant statut particulier du corps des professeurs d’universités.

Enfin, le requérant ne saurait exciper de ce que le comité de sélection de l’université aurait statué dans une composition irrégulière au regard des principes d’impartialité et d’égalité alors que, en raison de l’irrecevabilité opposée à sa candidature par l’université, ce comité n’a pas eu à en connaître.

(30 décembre 2022, M. B., n° 443369)

(142) V. aussi, un peu voisin, le rejet du recours d’un candidat malheureux sur un emploi de professeur des universités ainsi profilé « Littérature latine et humanisme rhénan », contre la délibération du conseil d’administration d’une université donnant un avis favorable à la liste de candidats établie par le comité de sélection en vue du recrutement sur cet emploi, liste sur laquelle il ne figure, bien évidemment, pas : 30 décembre 2022, M. C., n° 457103.

 

143 - Enseignement supérieur – Prime d’encadrement doctoral et de recherche – Prime individuelle de qualité des activités et d’engagement professionnel – Différence de traitement – Absence d’espérance légitime d’obtenir la prime individuelle – Rejet.

Les professeurs d’université requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de la deuxième phrase du II de l'article 7 du décret du 29 décembre 2021 portant création du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, en ce que, d'une part, elle prévoit que les attributaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, dont la période d'attribution arrive à son terme après le 1er janvier 2022, ne peuvent présenter une demande de prime individuelle avant un délai de carence d'un an après ce terme, quel que soit le motif invoqué à l'appui de cette demande, et en ce que, d'autre part, elle applique ce délai de carence d'un an à la présentation d'une demande au titre de la prime individuelle.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, les requérants soutenaient que la disposition litigieuse, qui prive pendant un an les enseignants-chercheurs bénéficiant de la prime d'encadrement doctoral et de recherche dont la période d'attribution expire après le 1er janvier 2022 de la possibilité d'obtenir une nouvelle prime individuelle, y compris pour un motif différent de celui ayant conduit à l'attribution de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, alors que les bénéficiaires de la prime individuelle pourront demander à bénéficier à nouveau de cette prime sans délai de carence s'ils fondent leur demande sur un motif différent de celui ayant conduit à l'attribution de la première prime, introduit une différence de traitement entre les membres d'un même corps qui ne correspond à aucune différence de situation et n'est pas justifiée par un intérêt général. Le Conseil d’État rejette le moyen compte tenu de l’institution d’un régime transitoire de compensation pouvant durer jusqu’en 2025 et de ce que les bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche au titre d'une activité scientifique jugée d'un niveau élevé peuvent bénéficier à nouveau de cette prime, sans délai de carence, s'ils apportent une contribution exceptionnelle à la recherche ou s'ils sont lauréats d'une distinction scientifique de niveau international ou national.  

En second lieu, est jugé inopérant le moyen tiré d'une espérance légitime des requérants d'obtenir la prime individuelle, celle-ci ne pouvant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH ; en effet cela résulte de ce que, d’une part, l'objet de la prime individuelle et les conditions d'attribution de celle-ci, qui diffèrent au demeurant de celles de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, et, d’autre part, cette disposition elle-même ne leur confèrent aucun droit particulier à se voir attribuer cette prime en tant que bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche.

(27 décembre 2022, Mme D. et autres, n° 461967)

 

144 - Attaché territorial – Radiation des cadres pour abandon de poste – Absence de réponse à mise en demeure – Absence d’indication sur son état de santé – Rejet.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la cour administrative d’appel qui, pour annuler la décision radiant des cadres pour abandon de poste un attaché territorial affecté au service départemental et métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône, retient que si l’intéressé s’est soustrait sans justification à trois contre-visites, il s’est néanmoins rendu sur son lieu de travail le vendredi 11 mars 2016 manifestant ainsi une réelle intention de reprendre son service. Par suite, il devait être regardé comme ayant repris son service à l'échéance fixée par sa hiérarchie et comme s'étant conformé à la mise en demeure qui lui a été adressée. 

Annulant cette décision, le juge de cassation retient que le demandeur, mis en demeure de reprendre son service, s'est certes rendu le vendredi 11 mars 2016 au SDMIS accompagné par trois représentants syndicaux mais il n'a, à cette occasion, exprimé aucune intention de reprendre son service et n'a d'ailleurs repris son activité au SDMIS ni le jour même, ni les jours suivants.

La circonstance qu'il a fait parvenir par la suite un certificat médical daté du 11 mars 2016 mentionnant une contre-indication à la reprise du travail, celui-ci n'a été produit qu'après le délai fixé par la mise en demeure et n'apporte aucune précision sur son état de santé par rapport aux certificats médicaux antérieurement produits. Comme, en outre, le requérant s'était antérieurement soustrait sans justification à toutes les contre-visites médicales organisées par son employeur, compte tenu de son abstention, l'autorité compétente était en droit d'estimer que le lien avec le service avait été rompu du fait de l'intéressé.

Cette solution, qu’il faut approuver, tranche avec une évolution jurisprudentielle jusque-là très réticente pour apercevoir l’existence d’un abandon de poste tant étaient multipliées par le juge les exigences de forme requises pour qu’un comportement puisse être qualifié d’abandon de poste. Dès lors se comprend très bien l’attitude de la cour ici, quelque peu commandée par des précédents jurisprudentiels très restrictifs.

(22 décembre 2022, M. A., n° 448005)

 

Hiérarchie des normes

 

145 - Traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets - Convention internationale d'effet direct - Décision d'application du directeur de l'INPI - Annulation.

Le requérant demandait l'annulation d'une décision du directeur général de l'INPI qui a fixé les modalités de dépôt des demandes de brevets et des procédures et échanges subséquents en ce qu'elle violerait certaines dispositions du traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets.

Pour apprécier le bien-fondé de la demande  le Conseil d'État devait se prononcer sur le point de savoir si les stipulations de ce traité sont d'effets directs à l'égard des particuliers.

La réponse est positive : « Eu égard à l'intention exprimée par les parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à leur contenu et à leurs termes, ces stipulations n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. »

(9 décembre 2022, M. A., n° 458276)

V. aussi sur cette affaire le n° 2

 

146 - Affectation d'enseignants dans les établissements d'enseignement public français en Andorre - Régime résultant d'une convention internationale bilatérale et des textes d'application de droit interne - Convention d'effet direct - Note de service indiquant les critères et barème de classement des demandes de mutation - Non respect des dispositions législatives - Annulation.

Une convention bilatérale franco-andorrane du 11 juillet 2013 a prévu l'affectation d'enseignants dans les établissements d'enseignement public français et fixé un régime que mettent en oeuvre des textes de droit interne français soit pris pour l'application des dispositions de cette convention (ainsi les art. D. 911-53 et D. 911-54 du code de l'éducation) soit gouvernant le régime général des mutations de fonctionnaires (cf. art. 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État).

Une note, attaquée ici pour illégalité, a attribué un certain nombre de points par critère de priorité satisfait par les candidats à une affectation en Andorre. Cependant, si cette note a repris les critères fixés par la convention bilatérale, qui est d'ailleurs d'effet direct dans le chef des particuliers, elle n'a pas repris les cinq critères figurant aux 1° à 5° du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 précitée, ne retenant que celui des demandes de mutation pour rapprochement familial et délaissant les quatre autres critères auxquels elle n'affecte, par conséquent, aucun point.

La note, entachée d'illégalité et dont les dispositions litigieuses sont indivisibles, est annulée en son entier.

(13 décembre 2022, M. B., n° 461501)

 

147 - Article 27 du règlement n° 1223/2009 relatif aux produits cosmétiques – Mesure provisoire d’une autorité nationale prise sur le fondement du 3. de cette disposition - Mesure provisoire générale s'appliquant à une catégorie de produits contenant une même substance – Non-conformité à l’art. au 2. de l’art. 27 précité – Annulation.

La fédération requérante avait demandé l’annulation de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 13 mars 2019 fixant des conditions particulières d'utilisation des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol et imposant l’indication sur leur étiquetage qu'ils ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins. Le Conseil d’État avait renvoyé à la CJUE la question préjudicielle de savoir si cette mesure, qui n’est pas illégitime et qui est conservatoire dans l’attente d’une décision de la Commission européenne saisie à cette fin, est contraire aux prescriptions du règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques (voir cette Chronique, décembre 2020 n° 203).

Muni de cette réponse (cf. CJUE, 15 septembre 2022, Fédération des entreprises de la beauté, aff. C-4/21), le Conseil d’État la fait sienne.

Comme il résulte de cette décision que le 2. de l’art. 27 du règlement précité sur les produits cosmétiques ne saurait être interprété comme permettant à une autorité nationale l’adoption d’une mesure provisoire générale s'appliquant à une catégorie de produits contenant une même substance, il en résulte que la décision querellée de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est dépourvue de base légale : elle est donc annulée.

(29 décembre 2022, Fédération des entreprises de la beauté, n° 429578)

 

Libertés fondamentales

 

148 - Extradition - Délai excessif de détention provisoire - Durée excessive de la procédure d'extradition - Règles inapplicables en droit extraditionnel - Rejet.

Examinant et rejetant un recours formé par un ressortissant croate contre un décret ordonnant son extradition vers la Croatie à la demande de cet État, le Conseil d'État est amené à préciser la portée de la règle du délai raisonnable en cette matière.

L'intéressé invoquait la durée excessive de sa détention provisoire et la durée également excessive de la procédure d'extradition elle-même, lesquelles contreviendraient aux stipulations du § 1 de l'art. 6 de la Convention EDH.

Pour rejeter toute application de la règle dite du délai raisonnable, le juge se fonde, sans s'expliquer, sur ce que le « droit d'être jugé dans un délai raisonnable, ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours en annulation du décret prononçant son extradition » et sur ce qu'il n'existe pas de stipulations ou de dispositions imposant aux autorités de l'État requis un délai pour se prononcer sur une demande d'extradition. Les deux arguments nous semblent faiblement convaincants...

(9 décembre 2022, M. A., n° 464716)

 

149 - Extradition vers le Maroc - Invocation de l'art. 3 (traitements inhumains ou dégradants) de la convention EDH - Rejet.

Est rejeté le recours fondé sur ce que le décret autorisant l'extradition du requérant vers le Maroc serait contraire aux stipulations de l'art. 3 de la convention EDH interdisant la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le juge relève que les autorités marocaines ont apporté, à l'appui de leur demande d'extradition, des assurances détaillées portant, d'une part sur l'application des droits et garanties résultant des conventions internationales auxquelles le Royaume du Maroc est partie, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, d'autre part sur les droits procéduraux qui seront respectés, en particulier le contrôle judiciaire des actes qui seront accomplis, le droit à l'assistance d'un avocat avec lequel le requérant pourra correspondre et s'entretenir librement et confidentiellement, le droit à un contrôle régulier de la légalité de sa détention par un tribunal, le droit d'être détenu dans des conditions décentes, de pratiquer sa religion, de communiquer avec sa famille et toute personne de son choix sous réserve d'exceptions prévues par la loi et justifiées, ainsi que le droit d'être jugé publiquement, contradictoirement, dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial.

Il note ensuite que ces autorités se sont également engagées à ce que les membres du conseil national des droits de l'homme puissent communiquer avec l'intéressé et lui rendre visite ainsi qu'à fournir au Gouvernement français toute information qu'il pourrait solliciter relativement à sa situation.

Enfin, le juge rappelle que le décret attaqué indique que l'extradition n'est accordée que sous réserve du respect des conditions reprenant les garanties apportées par les autorités marocaines.

Il suit de cet ensemble d'éléments que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention EDH doit être écarté.

Toutefois, il convient d'observer que la rédaction retenue et l'ensemble des garde-fous mis par le juge à l'acceptation de considérer cette extradition comme régulière manifestent de sa part une certaine réticence suspicieuse assez peu respectueuse de la présomption de bonne foi de l’État en cause.

(27 décembre 2022, M. A., n° 463101)

 

150 - Scolarisation d'enfants dans le cercle familial - Délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille - Mode dérogatoire d'instruction - Régime - Absence d'irrégularité - Rejet.

Les divers requérants poursuivaient l'annulation de dispositions relatives au régime d'exception applicable à l'enseignement dispensé au sein de la famille. Étaient notamment visés : le décret n° 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille, le décret n° 2022-183 du 15 février 2022 relatif à la commission devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d'autorisation d'instruction dans la famille, le décret n° 2022-849 du 2 juin 2022 modifiant l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation.

Tous les chefs de critiques sont rejetés qu'il s'agisse de la consultation du Conseil d'État, de la période fixée pour la présentation des demandes d'autorisation ou du délai fixé pour la réception des pièces et informations manquantes, de l'exigence de justificatifs du domicile et des identités, des demandes d'autorisation motivées par l'état de santé de l'enfant ou sa situation de handicap ou par la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ou par l'itinérance en France ou du fait de l'éloignement géographique d'un établissement scolaire public ou par la situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ou encore en cas de harcèlement, de l'inscription des élèves auprès d'un organisme délivrant un enseignement à distance, etc.

En réalité, cette interminable guerre de tranchées aurait besoin d'une réelle volonté de pacification. Sans verser dans un angélisme qui pourrait être préjudiciable aux enfants concernés, il nous semble nécessaire de sortir d'une logique d'affrontement issue de la position selon laquelle ce mode de scolarisation serait une exception ou une dérogation à un principe de scolarisation normalement effectuée en dehors du cercle familial. Il serait plus respectueux des personnes d'accepter un principe inverse où la scolarisation familiale aurait sa légitimité de plein droit et serait assortie des contrôles et exigences de vérification induits par le fait qu'elle ne se déroule pas en public, qu'elle peut être l'occasion de dérapages ou d'insuffisances, de dérives sectaires ou communautaristes, etc.

(13 décembre 2022, M. B., n° 462274 ; Association Liberté éducation, n° 463175 et n° 463177 ; Association "Les Enfants d'abord", n° 463210, n° 463212 et n° 466467 ; Mme F. et autres, n° 463320 ; Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 468228, jonction)

(151) V. aussi, confirmant la suspension de l'exécution de la décision de refus opposée par une inspectrice d'académie à une demande d'autorisation d'instruction dans la famille au titre de l'année scolaire 2022-2023, ce refus fondé sur l'état de santé de l'enfant alors qu'il est soutenu que cet état de santé fait obstacle à toute scolarisation, est de nature de créer un doute sérieux sur sa légalité : 13 déc. 2022, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 466623.

(152) V. également, annulant une ordonnance de référé suspendant l'exécution du refus d'une inspectrice d'académie d'autoriser la scolarisation à domicile  en raison de « l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif » (cf. art. L. 131-5 c. éducation)  car la demande de dérogation n'expose pas de manière étayée la situation propre à l'enfant motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille : 13 décembre 2022, M. et Mme D., n° 467550.

(153) V. encore sur ce sujet irritant et inépuisable, confirmant l’ordonnance de référé rejetant le recours des intéressés contre la décision de l'inspecteur d'académie refusant une demande d'autorisation d'instruction dans la famille et contre sa confirmation par la commission académique : 26 décembre 2022, Mme C. et M. E., n° 466760.

 

154 - Étranger prétendument en situation d'apatridie - Absence - Rejet.

Ne peut se prétendre en état d'apatridie que celui dont l'État susceptible de le regarder comme son ressortissant par application de sa législation ne le considère pas comme tel. Cette condition n'est pas satisfaite en l'espèce, où l'intéressé ne conteste pas l'exactitude de la mention de la nationalité marocaine sur l'extrait de son acte de naissance dont il se prévaut ni, non plus, le fait de s'être prévalu de sa nationalité marocaine à l'appui de ses démarches antérieures et infructueuses pour obtenir l'asile.

En outre, le requérant n'invoque aucune norme de droit international de nature à faire échec à l'application de la convention de New York du 28 septembre 1954, qui conduit à donner un plein effet à la reconnaissance par un État de ses ressortissants.

Enfin, le requérant ne saurait se prévaloir ni de ce qu'il aurait renoncé à cette nationalité, cette renonciation unilatérale ne lui ouvrant pas, par elle-même, le droit à se voir reconnaître la qualité d'apatride, ni de ce que le Sahara occidental, où il est né, est un territoire inscrit sur la liste des territoires non autonomes au sens de l'article 73 de la Charte des Nations Unies car cette situation ne suffit pas à faire regarder comme apatrides au sens de l'article 1er de la convention précitée de New York, les personnes d'origine sahraouie qui ont reçu la nationalité marocaine.

(27 décembre 2022, M. El Hasnaoui, n° 457625)

 

155 - Liberté de religion – Liberté d’association – Liberté de conscience – Liberté de pensée - Exercice public du culte - Exigence de déclaration préalable – Étendue du contrôle de l’État – Rejet –

Les organisations requérantes demandaient, ensemble ou séparément, l’annulation du décret n° 2021-1789 du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes et du décret n° 2021-1844 du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905.

L’ensemble des requêtes et des moyens sont rejetés.

S’agissant du recours contre le décret du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, deux moyens principaux étaient soulevés.

D’abord concernant le moyen tiré de l’imprécision de la notion, retenue par ce texte, « d'activités en relation avec l'exercice public d'un culte » qui entacherait celui-ci d’incompétence négative et le rendrait sans base légale, son rejet est fondé sur ce que cette notion d’activités recouvre, par exemple, selon le juge qui les cite expressément, l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte, ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte. Il convient d’observer l’incomplétude de l’énumération et l’imprécision des éléments donnés à titre d’exemples : quid des cérémonies, des meubles meublants, des célébrations hors d’édifices cultuels, etc. ? Quid des hypothèses, propres au culte catholique, d’absence d’associations cultuelles, les associations diocésaines ne pouvant jouer ce rôle ?

Ensuite, est rejeté le moyen d’atteintes portées par ces dispositions à la liberté d'association, à la liberté de pensée, à la liberté de conscience et à la liberté de religion au regard des exigences résultant de la convention EDH. Le Conseil d’État estime que ces atteintes satisfont aux exigences conventionnelles car elles sont justifiées car elles sont prévues par la loi, poursuivent un but légitime, sont nécessaires dans une société démocratique comme l’est la société française et leur degré de contrainte est proportionné au but poursuivi. On demeure cependant consterné par l’affligeante motivation donnée à cet effet et selon laquelle si ces dispositions constituent une ingérence dans la liberté de constitution et d'exercice de ces associations et dans le libre exercice des cultes, elles poursuivent un but légitime dès lors que les nouvelles obligations qu'elles imposent visent à assurer la transparence financière des activités cultuelles de ces associations, dans un objectif de préservation de l'ordre public. On avoue ne pas bien comprendre en quoi la transparence financière préserverait l’ordre public. L’on voit cependant clairement que n’est visé en réalité par ces dispositions qu’un culte bien déterminé et que pour camoufler l’hypocrite silence de n’oser pas nommer on a cru bon de plonger dans le même bain répressif tous les autres cultes. Au point de vue de la dignité morale attendue des gouvernants dans une démocratie la solution retenue est bien navrante.

S’agissant du recours contre le décret du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905, là aussi sont rejetés les deux moyens présentés.

D’abord, il est jugé que la notion « d'avantages propres à la catégorie des associations cultuelles » renvoie à l'ensemble des avantages à caractère patrimonial et fiscal dont bénéficient ces associations et qu’ainsi il ne saurait être soutenu que le décret serait entaché d'incompétence négative et dépourvu de base légale. Là encore, ce point ne saurait concerner les religions dépourvues d’associations cultuelles, soit, par exemple, le catholicisme.

Ensuite, est rejeté le moyen tiré de l’illégale discrimination des associations cultuelles par rapport aux autres associations, notamment celles reconnues d’utilité publique, en ce qu’est institué pour les premières un plafonnement des ressources provenant d’immeubles leur appartenant et que ce plafonnement n’existe pas pour les autres catégories d’associations. Là encore la légalité de cette dichotomie statutaire s’appuie sur un « argument » ainsi libellé « (…) cette différence de traitement est justifiée par la différence de situation tenant à leur objet exclusivement cultuel » l’adverbe est de trop car il faut y faire entrer le logement, l’alimentation, les pensions de retraite, le traitement, les charges sociales des desservants, etc.

Il est assez incroyable que ce pays ne parvienne pas à trouver un mode juridique pacifié des relations entre l’État et la religion, le droit se constituant ici constamment en termes de domination et de souveraineté comme si le premier détenait un quelconque monopole des vertus et intelligences publiques.

(22 décembre 2022, Union des associations diocésaines de France, Conférence des évêques de France, Fédération protestante de France, Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800, et n° 461803, jonction)

 

156 - Séparation des Églises et de l’État – Loi du 9 décembre 1905 – Exercice du droit de préemption urbain renforcé en vue de la réalisation d’un équipement collectif à vocation cultuelle exclusive – Absence de caractère d’aide prohibée à un culte – Annulation.

Réitérant une jurisprudence se voulant conciliatrice entre liberté de religion et principe de laïcité de l’État (Assemblée, 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et Picquier, n° 308817, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161, Commune de Montpellier, n° 313518,  et Mme V., n° 320796, cinq espèces), le Conseil d’État annule ici un arrêt d’appel qui avait jugé illégal, dans les circonstances de  l’espèce, l’exercice  par une commune de son droit de préemption urbain renforcé en vue de l'extension d’un centre socio-cultuel implanté sur le terrain communal mitoyen de la parcelle préemptée, qui a fait l'objet d'un bail emphytéotique administratif passé entre la ville et la fédération cultuelle des associations musulmanes de cette commune afin, d'une part, d'augmenter la capacité d'accueil de la mosquée existante pour répondre aux besoins de la communauté musulmane locale ainsi que celle du parc de stationnement assurant l'accueil des fidèles et, d'autre part, de créer des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l'enseignement religieux. Les juges du fond y avaient vu, d’une part, une aide à l'exercice d'un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 et d’autre part, un projet d'une ampleur insuffisante pour pouvoir être regardé comme un équipement collectif répondant à un intérêt général suffisant au sens des dispositions des art. L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État prend l’exact contrepied de ce raisonnement en jugeant en premier lieu que si le principe de laïcité interdit aux collectivités publiques d’apporter aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels, il ne fait point obstacle, en revanche, à l’exercice du droit de préemption qui, s’il est pris dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, en vue de permettre la réalisation d'un équipement collectif à vocation cultuelle, n’est pas par lui-même constitutif d'une aide à l'exercice d'un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. En second lieu, les juges du Palais-Royal estiment être en l’espèce en présence d’un projet qui, eu égard à son objet et à son ampleur, présente bien le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement au sens des dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme qui régissent l’exercice du droit de préemption urbain. 

Il faut avouer que collectivités publiques et juges administratifs munis de ce faible viatique dont la subtilité le dispute au flou se préparent de beaux jours contentieux et pour une cure d’insécurité juridique engendrés par cette jurisprudence.

(22 décembre 2022, Mmes A., n° 447100)

 

157 - Suicide assisté – Demande d’abrogation de dispositions contraires – Refus implicite – Absence de violation de la Convention EDH – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger les articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique qui prohibent la provocation délibérée de la mort par les médecins. Elle soutient que ce refus méconnaîtrait les stipulations de la Convention EDH.

Cette argumentation est rejetée car les articles 2, 8 et 9 de cette convention, relatifs respectivement au droit à la vie, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de pensée, de conscience et de religion, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment par les arrêts qu'elle a rendus le 29 juillet 2002 (Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02), et le 20 janvier 2011 (Haas c. Suisse, n° 31322/07), n'impliquent pas par eux-mêmes de prévoir l'intervention médicale réclamée par l'association pour l'exercice du droit qu'elle revendique.

(29 décembre 2022, Association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement » n° 465977)

 

158 - Droit au respect de la vie – Limitation ou arrêt de traitement et de soins – Absence de mort cérébrale et évolution favorable sur l’échelle de Glasgow – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de rejet et renvoi à la juridiction.

Une équipe médicale ayant décidé de limiter le traitement d’une patiente pour « défaillance neurologique majeure » avec « une absence d'activité corticale et des noyaux gris centraux », seul le tronc cérébral restant « actif », ainsi qu’en raison de l'absence de « facteur corrigeable qui pourrait permettre d'améliorer l'état neurologique et d'espérer une amélioration », ses proches ont saisi le juge du référé en vue qu’il ordonne la suspension de cette décision.

Ils se pourvoient contre l’ordonnance de rejet de leur requête.

Pour annuler cette ordonnance le Conseil d’État retient que les demandeurs « faisaient toutefois valoir en première instance que l'équipe médicale avait indiqué que Mme I. n'était pas en état de mort cérébrale et ils soutenaient que son état clinique avait évolué de façon favorable sur l'échelle, dite de Glasgow, selon laquelle est évalué l'état de conscience, qu'elle conservait de la motricité, des réflexes, en accompagnant ces mouvements d'une respiration spontanée, ainsi qu'une sensibilité à la douleur. Ils produisaient également les derniers éléments médicaux dont ils disposaient, émanant du service de radiologie de l'hôpital, résultant d'un angioscanner cérébral et d'un scanner thoracique réalisés le 4 mars 2022 et prescrits au titre d'une recherche d'un signe de mort encéphalique et d'un foyer infectieux au niveau thoracique, concluant, d'une part, au niveau cérébral, à une absence d'arrêt circulatoire et, comparativement au scanner qui avait été réalisé le 5 janvier 2022, à la présence d'hypodensités parenchymateuses diffuses sous- et sus-tentorielles plus étendues faisant évoquer des zones d'ischémie constituée, mais aussi à une meilleure visibilité des sillons et du système ventriculaire faisant évoquer une diminution de l'œdème cérébral et, d'autre part, au niveau thoracique, à l'absence d'épanchement pleuropéricardique, d'adénomégalie médiastino-hilaire et de foyer parenchymateux. »

Or le juge relève, d’une part, que le centre hospitalier n’a apporté aucune précision à l'appui de son affirmation selon laquelle les éléments susénoncés ne témoignaient pas d'une amélioration de l'état neurologique de Mme I. et, d’autre part, que le premier juge, en rendant son ordonnance de rejet, a, eu égard à son office si particulier en pareil dossier, commis une erreur de droit en se bornant, dans ces circonstances, alors qu'il était sérieusement soutenu devant lui que la décision prise pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, à juger, sans s'assurer davantage qu'il n'en résultait pas que l'exécution de la décision attaquée devait être suspendue à titre conservatoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête en annulation dont elle faisait l'objet, qu'au regard des informations données à l'audience, aucun des moyens invoqués n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

Cette décision doit être saluée en ce qu’elle exige du juge l’exercice plein et entier de son office sans se croire asservi aux opinions du corps médical et de ce dernier un comportement plus respectueux des propres données médicales à sa disposition, le tout sous la vigilance des proches et des familles

Elle doit être présente à l’esprit au moment où se déroule un gravissime débat sur la légalisation de la mort volontaire des patients.

(21 décembre 2022, M. I. représentant unique des requérants, n° 463391)

 

Police

 

159 - Police du permis de conduire - Permis de conduire probatoire - Commission d'une infraction privative d'un point durant la période probatoire - Empêchement à la constitution d'un capital de douze points à l'issue de cette période - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui estime que le titulaire d'un permis probatoire qui, durant la période de probation, est l'auteur d'une infraction entraînant la perte d'un point, dispose au terme des trois ans de probation d'un total de douze point diminué d'un seul alors qu'il résulte des dispositions de l'art. R. 223-1 du code de la route que la commission d'une infraction durant cette période fait obstacle à l'attribution des douze points à son terme.

(13 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 462711)

(160) V. aussi, jugeant qu'est entaché d'erreur de droit le jugement qui estime que la commission d'une infraction d'excès de vitesse inférieur à 20 km/h n'interrompt pas le délai de deux ans consécutif à une précédente infraction nécessaire à la reconstitution des points de permis alors qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 223-6 et de l'art. R. 413-214 du code de la route qu'en ce cas le délai de reconstitution est porté à trois ans : 13 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 463185.

 

161 - Plan de prévention des risques naturels d'inondation (PPRNi) d’une rivière - Objet – Annulation de la totalité du plan à raison de l’illégalité de certains zonages – Divisibilité des zonages par rapport au plan – Annulation totale de l’arrêt d’appel et partielle du jugement – Rejet.

La requérante avait demandé en première instance, et obtenu, l’annulation d’un arrêté préfectoral approuvant le plan de prévention des risques d'inondation (PPRi) de la basse vallée de la Durance sur le territoire de la commune de Châteaurenard. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel infirmatif.

Ce dernier est cassé par le double motif qu’il a statué ultra petita en annulant l’entier jugement alors qu’il n’était pas saisi de conclusions en ce sens dès lors que la ministre appelante ne contestait pas l'illégalité des zones « RH MIN » et « R1 MIN » que ce jugement a constaté et qu’il a rejeté les conclusions de l’association requérante pour défaut d’intérêt pour agir alors que ses statuts lui donnaient intérêt à l’action.

Le jugement est, lui aussi, annulé motif pris de ce qu’il annule en totalité le PPRNi alors que la partie illégale (soit les zonages RH MIN et R1 MIN) était divisible de ce plan.

Examinant, par évocation, ce qui reste à juger au fond, le Conseil d’État considère que doit être écarté le moyen tiré de ce que le plan litigieux serait illégal pour ne pas prendre  suffisamment en considération le risque de crue de l'Anguillon et le risque de ruissellement alors que ce plan, relatif aux risques naturels d'inondation de la basse vallée de la Durance, a pour seul objet d’apprécier le risque d'inondation par débordement de la Durance, ce qui impose de tenir compte du débit des affluents de la Durance tels que l'Anguillon, comme cela a été fait, mais non, comme cela est reproché, de traiter des risques de débordement de ces affluents, ni des risques d'inondation liés au ruissellement.

Ce distinguo ne nous paraît pas très réaliste car, en définitive, c’est bien un diagnostic global qui est attendu.

(28 décembre 2022, Association « Châteaurenard défiguré - Association de protection du patrimoine rural et environnemental », n° 449412)

 

162 - Police des stupéfiants ou des substances prétendues telles – Cannabinoïdes – Interdiction de commercialisation de fleurs et feuilles brutes de certaines variétés de cannabis n’excédant pas un certain taux de delta-9-tetrahydrocannabinol – Annulation.

Saisi par les organisations requérantes de recours dirigés, pour l’essentiel, contre le refus d’abroger les dispositions du code de la santé publique interdisant l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de cannabidiol obtenu à partir de la plante de chanvre entière, la commercialisation des produits issus des parties de la plante de cannabis autres que ses fibres et graines, la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes de cannabis de la variété cannabis sativa L sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d'autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation.

Le juge relève d’abord que si le cannabidiol et le delta-9-tétrahydrocannabinol sont deux des principaux cannabinoïdes végétaux essentiellement concentrés dans les fleurs et les feuilles de la plante de cannabis sativa L, également appelée cannabis ou chanvre, leur teneur respective varie fortement selon les variétés de cette plante. En outre, en l'état des données de la science, si le cannabidiol a des propriétés décontractantes et relaxantes ainsi que des effets anticonvulsivants, il ne présente pas de propriétés psychotropes et il ne comporte pas les mêmes effets indésirables que le delta-9-tétrahydrocannabinol, identifié comme le principal composant psychoactif du cannabis susceptible notamment de faire naître un effet de dépendance.

Il en résulte que des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes peuvent être distinguées en raison de leur faible teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol.

Le juge constate ensuite que les risques pour la santé dépendent des quantités de delta-9-tétrahydrocannabinol effectivement ingérées en fonction des produits consommés et des modes de consommation. En l'état des données de la science, les autres molécules présentes dans les fleurs et feuilles de cannabis, notamment le cannabidiol, ne peuvent pas être regardées comme revêtant une nocivité particulière. Si le taux de 0,30 % de delta-9-tétrahydrocannabinol n'est pas un seuil d'innocuité, il ne ressort d'aucune pièce versée aux dossiers que les fleurs et feuilles de variétés de cannabis ayant une teneur en delta-9-tetrahydrocannabinol inférieure à 0,30 % présenteraient des risques pour la santé publique justifiant une mesure d'interdiction générale et absolue de leur commercialisation et la restriction de leur récolte, importation et commercialisation à des fins de production industrielle d'extraits de chanvre.

Le juge considère enfin que le motif, invoqué par les ministres défendeurs, tenant à la protection de l'ordre public et aux risques pour la santé publique que présentent d'autres variétés de cannabis d'aspect similaire ne peut, en tout état de cause, justifier la restriction de l'utilisation des fleurs et feuilles des variétés présentant une teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol inférieure à 0,30 % à la seule production industrielle d'extraits de chanvre. 

C’est pourquoi il est jugé, sans qu’il besoin de saisir préalablement la CJUE, que « les requérants sont fondés à soutenir que l'interdiction de la commercialisation des fleurs et feuilles brutes des variétés de cannabis sativa L. présentant un taux de delta-9-tetrahydrocannabinol inférieur à 0,30 % n'est pas proportionnée et à demander, pour ce motif, l'annulation du premier alinéa du II de l’article 1er (de l’arrêté querellé du 22 février 1990) ainsi, en conséquence, que celle du second alinéa de ce II. »

(29 décembre 2022, Confédération des buralistes, n° 444887 ; Association française des producteurs de cannabinoïdes, n° 455024) ; SAS Slow et autres, n° 460291 ; SAS Mister Flower Avenue Niel et autres, n° 460297 ; SAS unipersonnelle Weedstock et autres, n° 460298 ; SAS Green Leaf Company, n° 460324 ; SAS Shyw, n° 460352 ; Union des professionnels du CBD, n° 460374 ; Syndicat professionnel du chanvre, n° 460379 ; Association française des producteurs de cannabinoïdes, n° 461908 ; SAS Green Carpathes Corp, n° 461910 ; SAS Ioda, n° 461911 ; Sarl TDAMD et autres, n° 461912 ;  SAS Dream flower CBD shop, n° 461957 ; SAS Santino et autres, n° 461975)

(163) Voir, en revanche, rejetant la demande d’annulation du décret n° 2022-194 du 17 février 2022 relatif au cannabis à usage médical : 29 décembre 2022, Union des professionnels du CBD et SAS CBD'EAU, n° 463256.

 

Professions réglementées

 

164 - Médecin - Conclusion d'une convention entre une personne physique médecin et une personne morale en vue de la constitution d'une société en participation - Mise à disposition du médecin des moyens d'exercice de sa profession - Pouvoirs de l'ordre des médecins - Recours contre l'avis rendu par ce dernier - Rejet.

De cette riche décision seront retirés plusieurs enseignements.

En premier lieu, s'il résulte de diverses dispositions du code de la santé publique que les personnes physiques exerçant la profession de médecin peuvent constituer ensemble une société en participation régie par l'article 22 de la loi du 31 décembre 1990 pour l'exercice même de cette profession, celles-ci ne font pas obstacle à ce qu'une personne physique exerçant la profession de médecin puisse également conclure avec une personne morale une convention constitutive d'une société en participation soumise aux dispositions des articles 1871 à 1872-1 du Code civil visant notamment à permettre au professionnel de disposer de moyens nécessaires à l'exercice de sa profession.

Il revient ensuite au conseil départemental de l'ordre des médecins auquel la convention est obligatoirement transmise, de donner un avis sur la compatibilité du contrat qui lui est ainsi communiqué avec les règles applicables à la profession, en particulier celles qui prévoient l'indépendance professionnelle des médecins.

En second lieu, concernant le statut contentieux de l'avis ainsi donné par le conseil départemental de l'ordre, le Conseil d'État indique qu'en dépit de son caractère d'avis ne pouvant déboucher ni sur une homologation ni sur un refus d'homologation de la convention qu'il a examinée il constitue néanmoins une décision faisant grief et, partant, susceptible de recours.

Toutefois, il convient de distinguer selon la personne qui forme un recours contre cet avis décisoire : si c'est le médecin lui-même, il a intérêt et qualité pour introduire de ce chef un recours pour excès de pouvoir ; en revanche, ce même recours est irrecevable s'il est formé par la personne morale qui n'exerce pas la profession de médecin et n'est donc pas inscrite au tableau de l'ordre.

En l'espèce, la médecin s'étant désistée, le recours ne subsistait plus que de la part de la personne morale, il était donc irrecevable.

(13 décembre 2022, Mme A. et société ONO Holding France, n° 445683)

 

165 - Masseur-kinésithérapeute ressortissant algérien - Demande du bénéfice d'exercer par dérogation cette profession - Absence de titre ou diplôme permettant d'exercer sur le territoire national - Refus - Rejet.

Fait une exacte application des dispositions en cause le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes qui, relevant que le pétitionnaire ne justifie d'aucun titre de formation ou autorisation lui permettant d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute sur le territoire national, refuse son inscription au tableau de l'ordre. En effet, l'intéressé se prévalait, pour prétendre au bénéfice des dispositions dérogatoires du 3° de l'art. L. 4321-2 du code de la santé publique, du diplôme d'État algérien de technicien supérieur de santé option «kinésithérapie » qui lui aurait été délivré par la République Algérienne démocratique et populaire le 9 septembre 1987, un certificat de formation professionnelle qui lui aurait été délivré le 18 décembre 1987 par le ministère algérien du travail et des affaires sociales, et une «dispense de scolarité relative aux études préparatoires au diplôme d'État de masseur-kinésithérapeute » qui lui aurait été délivrée le 14 octobre 1999 par la préfecture de Paris. Ces éléments ne permettent pas d’attester de son aptitude à exercer cette profession en France.

(28 décembre 2022, M. A., n° 460631)

 

166 - Médecin ressortissant franco-allemand – Diplôme de médecin délivré par un État tiers à l’Union européenne mais reconnu automatiquement par un État de l’Union – Effet de cette reconnaissance dans les autres États de l’Union – Renvoi préjudiciel à la CJUE – Sursis à statuer.

Le Conseil d’État renvoie à la CJUE, car sa réponse est indispensable à la solution de l’affaire dont il est saisi, la question de savoir si un médecin, ressortissant d'un des États membres de l'Union européenne, qui est titulaire d'un titre de formation de médecin spécialiste délivré dans un État membre, visé au point 5.1.2 de l'annexe V de la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, peut, avec ce seul titre, se prévaloir, dans un autre État membre, du régime de reconnaissance automatique des titres de formation défini à l'article 21 de cette directive, alors même qu'il est titulaire d'un titre de formation médicale de base délivré par un État tiers qui a seulement été reconnu par l'État membre dans lequel il a obtenu son diplôme de médecin spécialiste et ne figure pas parmi ceux visés au point 5.1.1 de l'annexe V de cette directive et que le point 4 de l'article 25 de la directive subordonne la délivrance d'un titre de formation de médecin spécialiste à la possession d'un des titres de formation de médecin avec formation de base ainsi visés.

(27 décembre 2022, M. B., n° 459585)

 

167 - Chirurgien-dentiste inscrit simultanément en France et dans un État non membre de l’Union ou de l’Espace économique européen – Irrégularité – Radiation – Possibilité d’une sanction à raison même de cette irrégularité – Annulation.

La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes commet une erreur de droit en jugeant que doit être relaxé des poursuites diligentées à son encontre le chirurgien-dentiste qui, inscrit au tableau de l'ordre en France tout en étant également inscrit ou enregistré en cette qualité dans un État ne faisant pas partie de l'Union européenne ou n'étant pas partie à l'accord sur l'Espace économique européen, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique, ne régularise pas sa situation en mettant fin à cette double inscription malgré une demande en ce sens du conseil départemental de l'ordre.

Au contraire, comme jugé en première instance, s'il appartient au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes, siégeant dans sa formation administrative, de tenir à jour le tableau relevant de son ressort et de radier de celui-ci le praticien qui, par suite de l'intervention de circonstances avérées, postérieures à son inscription, a cessé de remplir les conditions requises pour y figurer, cette prérogative ne fait pas par elle-même obstacle à ce qu'une action disciplinaire soit engagée en raison des mêmes circonstances lorsque celles-ci permettent de caractériser un manquement de ce praticien à ses devoirs professionnels.

(27 décembre 2022, Conseil départemental de la Réunion de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 459874)

(168) V. aussi, identique : 27 décembre 2022, Conseil départemental de la Réunion de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 459876.

 

169 - Praticien en relation intime avec une patiente et en même temps médecin traitant du conjoint de celle-ci – Manquement aux obligations déontologiques – Cessation de la vie commune entre les conjoints – Maintien d’un PACS – Erreur de droit – Annulation.

Il est jugé que commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins infligeant au requérant la sanction de l'avertissement pour être demeuré le médecin traitant d’un patient dont la conjointe était sa maîtresse ainsi que de ses deux filles et en dépit de ce qu’un PACS liait les deux conjoints durant la période 2016-2018 après laquelle ce pacte a été rompu.

Il faut relever la plasticité de la notion de déontologie retenue dans cette décision : mais au fait, existe-t-il encore une déontologie ?

(26 décembre 2022, M. C., n° 453753)

 

170 - Vétérinaire – Poursuites disciplinaires – Principe de l’égalité des armes et droit à un procès équitable – Non-respect du fait des dispositions réglementaires régissant la procédure disciplinaire – Praticien ayant pu disposer d’un temps suffisant pour organiser sa défense – Absence de violation de la Convention EDH - Rejet.

Il résulte des dispositions de l'art. R. 242-99 du code rural que le vétérinaire qui fait l'objet de poursuites disciplinaires n'a la possibilité, tant en première instance qu'en appel, de consulter le rapport du rapporteur qu'à compter de l'envoi de l'avis d'audience qui, si est pris en compte le délai le plus court, peut n'intervenir que quinze jours avant l'audience, soit, dans tous les cas, postérieurement à sa communication au président de l'instance ordinale, alors que ce dernier a la faculté de demander le prononcé d'une sanction à l'encontre du professionnel lors de l'audience et qu'en outre, il peut être à l'origine des poursuites disciplinaires engagées. Ces dispositions ne permettent pas de garantir dans tous les cas le respect du principe de l'égalité des armes, tel que garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la convention EDH.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, l’intéressé a, de fait, disposé du temps nécessaire (un mois) à la préparation de sa défense et n'a fait état d'aucune difficulté dans celle-ci, celui-ci a disposé « d'une possibilité raisonnable de se défendre dans des conditions ne le plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport au président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ». Par suite, il ne saurait exciper de la violation du principe de l'égalité des armes et du droit à un procès équitable tels que fixés par l’art. 6 § 1 de la Convention EDH.

(27 décembre 2022, M. D., n° 452531)

 

171 - Infirmiers – Honoraires qualifiés d’abusifs – Erreur de droit – Annulation.

La section des assurances sociales de l’ordre national des infirmiers a qualifié d’abusifs les honoraires facturés grâce à la carte de professionnel de santé de M. B. alors que les actes auxquels ils correspondaient avaient été réalisés par les infirmiers qui avaient été présentés irrégulièrement comme assurant son remplacement.

Toutefois, le Conseil d’État annule cette sanction pour erreur de droit motifs pris de ce que ces infirmiers étaient en cours d'intégration dans son cabinet de soins, qu'il est constant que les actes dont la section a exigé le reversement des honoraires correspondants, ont été effectivement pratiqués et qu’ils n’ont pas été surcotés ou réalisés dans des conditions équivalentes à une absence de soins.

(28 décembre 2022, M. B., n° 454329 et n° 457279)

 

172 - Chirurgien-dentiste – Refus d’inscription au tableau de l’ordre – Décision suffisamment motivée et exempte d’illégalité – Rejet.

Est suffisamment motivée et exempte d’illégalité la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui, pour refuser l’inscription du requérant au tableau de l’ordre, a retenu  d'une part, qu’il ne respectait pas dans ses cabinets successifs les règles d'hygiène propres à l'exercice de sa profession, d'autre part, qu'il avait confié à certaines de ses employées des tâches de stérilisation ou de radiographie ne relevant pas de leurs prérogatives, enfin qu'il avait eu une attitude irrespectueuse vis-à-vis de ses salariés et non-confraternelle vis-à-vis d'une consœur. Est donc régulière la décision estimant que l’intéressé ne remplissait pas les conditions de moralité et de compétence auxquelles est subordonnée l'inscription d'un chirurgien-dentiste au tableau de l'ordre. 

(30 décembre 2022, M. A, n° 445119)

 

173 - Chirurgien-dentiste de nationalité hongroise – Demande de qualification en orthopédie dentofaciale – Refus de l’Ordre – Composition irrégulière d’une commission – Erreurs de droit – Annulation.

Le conseil requérant demandait la censure de l’arrêt par lequel une cour administrative d’appel a annulé la décision qu’il avait prise rejetant la demande de qualification en orthopédie dentofaciale d’une chirurgienne-dentiste hongroise.

L’arrêt querellé est annulé pour erreurs de droit au double motif qu’il a retenu pour rendre son arrêt, en premier lieu, une irrégularité dans la désignation d'un membre d'une commission consultative alors qu’un tel grief ne peut plus être invoqué, à l'appui d'un recours dirigé contre une décision prise après avis de cette commission, une fois que cette désignation est devenue définitive comme c’était le cas en l’espèce et, en second lieu, qu’il a jugé qu’un membre d'un conseil départemental et non du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, ne pouvait régulièrement siéger au sein de cette même commission nationale d'appel pour la qualification des chirurgiens-dentistes en qualité de représentant du Conseil national, alors que les dispositions du 3° de l'article 2 de l'arrêté du 24 novembre 2011 relatif aux règles de qualification des chirurgiens-dentistes prévoient seulement que l'arrêté du ministre chargé de la santé doit désigner « un représentant du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ».

(30 décembre 2022, Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 460966)

(174) V. aussi, rejetant le recours d’un praticien contre la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui l'a suspendu du droit d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée de trois ans et a subordonné la reprise de son activité à la justification du respect d'obligations de formation : 30 décembre 2022, M. B., n° 462279.

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

175 - Loi du 25 janvier 2011 portant suppression des avoués - Avoués faisant valoir leurs droits à la retraite dans l'année de la promulgation de la loi - Loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 portant exonération d'impôt sur les plus-values de cession d'études d'avoués pour ceux ayant fait valoir leurs droits à la retraite avant le 31 décembre 2012 - Exception d'inconstitutionnalité - Refus de transmission d'une QPC.

L'article 54 de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, dans sa rédaction applicable du 1er janvier 2010 au 30 décembre 2011 dispose dans son IV : « IV. Les avoués qui font valoir leurs droits à la retraite dans l'année qui suit la promulgation de la loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel bénéficient des dispositions de l'article 151 septies A du CGI ». Cet art. 151 septies A exonère, à certaines conditions, Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies du CGI lorsqu'elles sont réalisées dans le cadre d'une activité libérale.

Ensuite, ce même article 54 a reçu la rédaction suivante par le II de l'article 35 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 : « IV. Les avoués qui font valoir leurs droits à la retraite avant le 31 décembre 2012 bénéficient des dispositions de l'article 151 septies A du CGI ».

Les contribuables requérants estiment que les dispositions du IV de l'article 54 de la loi du 30 décembre 2009, dans leur rédaction issue de la loi du 28 décembre 2011, sont illégales en tant qu'elles sont interprétées comme manifestant la volonté du législateur de réserver aux seuls avoués ayant fait valoir leurs droits à la retraite entre la date de promulgation de cette loi et le 31 décembre 2012, le bénéfice de l'exonération prévue d'imposition de l'indemnité perçue en réparation de la perte du droit de présentation de leur successeur du fait de la suppression de leur profession à compter du 1er janvier 2012. Ils considèrent qu'ainsi interprétées ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi fiscale garantie par l'article 6 de la Déclaration de 1789.

Rejetant cette analyse, le Conseil d'État juge que s'il résulte de ce choix législatif une différence de traitement avec les avoués qui, à la date du 25 janvier 2011, poursuivaient leur activité tout en ayant déjà fait valoir leurs droits à la retraite, celle-ci répond à une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi, dès lors que les intéressés ne peuvent être regardés comme ayant fait valoir leurs droits à la retraite en conséquence de la suppression de leur profession par la loi du 25 janvier 2011. Il refuse de transmettre la QPC.

L'argument est aussi traditionnel que spécieux car on n'aperçoit pas et le juge n'offre pas davantage d'éclairer notre lanterne sur ce point, où est la différence objective de situation justifiant directement et à elle seule une telle différence de traitement : l'existence d'une différence de fait liée à la chronologie ne suffit pas à la rendre ipso facto « objective ».

(5 décembre 2022, M. et Mme A., n° 463454)

 

176 - Cotisation foncière des entreprises - Exonération de cette cotisation pour certains artistes - Absence d'exonération pour les tatoueurs - Personnes se trouvant dans une situation objectivement différente - Refus de transmission d'une QPC.

Le SNAT soutenait que les dispositions du 2° de l'article 1460 du CGI, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'État, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en tant qu'elles excluent les artistes tatoueurs du bénéfice de l'exonération de cotisation foncière des entreprises qu'elles prévoient pour les peintres, graveurs, sculpteurs et dessinateurs.

Pour rejeter cette prétention et refuser la transmission de la QPC, le juge relève, d'une part, que le législateur a entendu favoriser ces personnes pour tenir compte des particularités du marché de l'art et, d'autre part, qu'à cet effet il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en réservant le bénéfice de cet avantage à ceux de ces artistes qui sont considérés comme tels et ne vendent que le produit de leur art. Or les tatoueurs se trouvent dans une situation objectivement différente. En effet, ils réalisent non des objets cessibles, eu égard au principe de non-patrimonialité du corps humain, mais une prestation de service, laquelle ne saurait être regardée comme la vente du produit de leur art au sens et pour l'application des dispositions contestées de l'art. 1460 du CGI. 

La QPC soulevée n'est pas transmise.

(5 décembre 2022, Syndicat national des artistes tatoueurs et des professionnels du tatouage (SNAT), n° 467864)

 

177 - Zone de revitalisation rurale - Création ou reprise d'entreprises - Exonération conditionnelle de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés - Différences alléguées ou non différences critiquées - Refus de transmission d'une QPC.

Les dispositions du b) du III de l'article 44 quindecies du CGI, dans leur rédaction issue de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, établissent une différence de traitement entre les entreprises individuelles reprises dans les zones de revitalisation rurale, suivant que le repreneur est ou non le conjoint de l'entrepreneur individuel cédant, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs ascendants et descendants ou leurs frères et sœurs. Le requérant estime que ces dispositions méconnaissent ainsi les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Ces mêmes dispositions traitant de manière identique le rachat de la totalité des parts d'un associé de SCP et la reprise d'une entreprise individuelle, le requérant estime que, de ce fait, elles méconnaissent les mêmes principes que ci-dessus dès lors qu'elles aboutissent à ne pas opérer de différence parmi les reprises de la totalité des parts d'un associé d'une SCP selon que le repreneur acquiert plus ou moins de la moitié des droits de vote et de participation aux bénéfices de la société.

Le Conseil d'État rejette la demande de transmission d'une QPC dans chacun des deux cas susvisés.

D'abord, le souci du législateur en instituant le mécanisme fiscal d'exonération de la création ou de la reprise d'entreprises inviduelles situées dans une zone  de revitalisation rurale a été de favoriser le maintien d'activités économiques dans les zones rurales concernées en facilitant les reprises d'entreprises, aux repreneurs d'entreprises individuelles qui ne sont pas membres de la famille de l'entrepreneur cédant. Une telle distinction est bien en rapport avec l'objet de la loi qui établit cette différence de traitement, ainsi elle ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant la loi. Par ailleurs, le caractère objectif et rationnel des critères retenus n'instaure pas, non plus, de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Ensuite, étant rappelé que le principe d'égalité n'impose pas de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes, la loi ne méconnaît en l'espèce ni le principe d'égalité devant la loi ni celui d'égalité devant les charges publiques en excluant de la même façon les rachats de la totalité des parts d'un associé de SCP et les reprises d'entreprises individuelles du bénéfice de l'exonération des impôts lorsque le repreneur fait partie de la famille du cédant, et en n'opérant pas de distinction, parmi ces opérations de rachat de la totalité des parts d'un associé de SCP exclues du bénéfice de l'exonération, en fonction de la proportion des droits qu'il détient dans la société.

(6 décembre 2022, M. A., n° 465688)

 

178 - Avantage fiscal - Abattement d'un tiers chaque année après cinq ans de détention des titres des gains nets réalisés dans les sarl (art. 150-0 D ter du CGI) - Règle d'interprétation stricte - Dérogation ne pouvant concerner que le gérant statutaire lui-même - Absence d'inconstitutionnalité - Rejet de la demande de transmission d'une QPC et rejet au fond.

(21 décembre 2022, M. et Mme A., n° 465669)

V. n° 73

 

179 - Régime législatif de responsabilité pour faute – Réparation des préjudices subis par les harkis et leurs familles – Exclusion de la mise en cause de la responsabilité de l’État – Droit au recours – Respect du droit de propriété – QPC – Refus de transmission – Rejet.

(22 décembre 2022, M. E. et association Génération Harkis, n° 464247 ; M. I. et Comité Harkis et Vérité, n° 464249 ; Mme I., n° 464250 ; M. I., n° 464252 ; M. F., n° 468852, jonction)

V. n° 184

 

180 - Demande de déclaration de non-conformité d’une décision du Conseil constitutionnel au droit de l’Union – Demandes diverses – Incompétence manifeste du juge administratif – Rejet.

La requérante demandait au juge du référé liberté : 1°) de déclarer non conforme au droit de l'Union européenne la décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018 du conseil constitutionnel qui a supprimé « par ricochet » le statut fiscal des locations meublées non professionnelles (LMNP) ;  2°) de laisser « inappliqué à son encontre » l'article 155, IV, 2° du code général des impôts ; 3°) de déclarer non conforme au droit de l'Union européenne la prescription au 31 décembre 2022 de l'exercice 2020 pour les contribuables LMP et LMNP, et de laisser inappliquée cette prescription à leur encontre pour que, lors de la campagne déclarative en avril 2023, ces contribuables puissent modifier leurs liasses fiscales et leurs déclarations des revenus 2020 ; 4°) de transmettre au Conseil constitutionnel le message cité en page 37 de sa requête.

Si on ne sera pas surpris de voir ces pittoresques demandes ne pas être transmises au Conseil constitutionnel pour cause d’irrecevabilité manifeste en tant qu’elles sont formées devant le juge administratif, de référé de surcroît, on le sera davantage par l’absence d’amende pour abus du recours assortissant ce rejet… Il y a des amendes qui se perdent.

(28 décembre 2022, Mme B., n° 469889)

 

Responsabilité

 

181 - Défectuosités affectant le réseau d'eau chaude sanitaire d'un centre hospitalier - Souscription d'un contrat d'assurances - Notion de déclaration de sinistres - Expertise ordonnée par le juge du référé provision - Existence ou non d'une prescription biennale - Défectuosité rendant l'ouvrage impropre à sa destination - Montant de la provision - Rejet.

Un centre hospitalier a demandé au juge des référés de condamner la requérante à lui verser une somme correspondant au montant des travaux de reprise nécessaires à la réparation des désordres affectant le réseau d'eau chaude sanitaire de ses bâtiments. Tandis que le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande, celui de la cour administrative d'appel a ordonné à la requérante de verser à titre de provision une certaine somme, avec intérêts.

La société requérante se pourvoit contre cette ordonnance.

Le juge de cassation, se prononçant sur le bien-fondé de l'ordonnance de référé provision, examine quatre griefs articulés contre celle-ci par la demanderesse.

En premier lieu, il rejette l'argument fondé sur ce que le centre hospitalier n'aurait pas déclaré régulièrement le sinistre à la société d'assurances. Comme l'a relevé le juge d'appel le centre hospitalier n'était pas tenu de souscrire une assurance dommages-ouvrage pour la réalisation de l'ouvrage en litige, et donc, par suite, il n'était pas soumis aux dispositions règlementaires du code des assurances imposant notamment la forme de la déclaration de sinistre préalable. Il suit de là que, saisissant dans le cadre d'un litige relatif à la responsabilité des constructeurs, le juge des référés sur le fondement de l'article R. 532-1 du CJA, il lui demande - et obtienne - la prescription d'une expertise. Dès lors la requérante,  en l'absence d'une méconnaissance d'aucune stipulation du contrat lui-même relative au caractère préalable à toute demande d'expertise d'une telle déclaration, ne peut soutenir que son obligation d'assurance serait, en l'espèce, sérieusement contestable.

En deuxième lieu, ne saurait être opposée ici la prescription biennale car le courrier du 11 septembre 2020 par lequel le centre hospitalier a demandé à son assureur le remboursement ou l'avance de divers frais, doit être regardé comme la déclaration de sinistre.  Surtout, au reçu de ce qui doit être considéré comme constituant la déclaration de sinistre préalable au sens et pour l'application des dispositions de l'art. L. 242-1 du code des assurances, la société requérante disposait de soixante jours  pour répondre à celle-ci et lui indiquer sa position faute de quoi elle était déchue du droit d'opposer la prescription biennale sauf dans le cas où cette prescription aurait été acquise à la date d'expiration de ce délai de soixante jours.

En troisième lieu, la nature des désordres en cause les fait relever de la prescription biennale en ce que l'existence d'un risque grave et patent de présence de légionnelles, s'agissant d'un hôpital, rend l'ouvrage impropre à sa destination alors même que, en l'espèce, des mesures de désinfection palliatives avaient permis transitoirement à l'établissement de fonctionner sans que cette présence ne soit effectivement détectée.

Enfin, relativement au montant de la provision allouée par le juge, il est rappelé d'une part qu'il n'existe pas à ce montant d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état et d'autre part que si tombe sous le contrôle du juge de cassation la qualification juridique opérée par le juge des référés du caractère non sérieusement contestable de l'obligation invoquée devant lui, en revanche, relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du référé provision l'évaluation du montant de la provision. En l'espèce, ce montant - contrairement à ce que soutient la société d'assurances - n'est pas excessif puisqu'il a été calculé sur le seul coût de prestations justifiées par l'expert pour remédier aux désordres et effectivement engagées par le centre hospitalier.

(6 décembre 2022, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 465221)

 

182 - Action en indemnité - Invocation possible en appel de chefs de préjudices non réclamés en première instance - Conditions d'unicité du fait générateur et de maintien du chiffrage de première instance - Annulation.

Rappel d'une solution jurisprudentielle désormais bien établie : le requérant qui, en première instance, demandait la réparation des conséquences dommageables d'un fait ou d'une abstention d'une personne publique est recevable, d'une part, à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, d'autre part à invoquer des chefs de préjudice non indiqués devant les premiers juges.

Ceci appelle trois ordres de précisions.

Dans tous les cas cette primo-invocation en appel est subordonnée à la réunion de deux conditions: les chefs de préjudice dont est saisi le juge d'appel doivent impérativement se rattacher au même fait générateur que celui en cause en première instance et le montant total des prétentions de l'appelant ne peut excéder le montant total de l'indemnité chiffrée en première instance.

Ensuite, d'une part, reste sauve la possibilité de se prévaloir en appel, le cas échéant, d'éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement-  ou s'étant aggravés ou révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement attaqué -, et ayant une incidence sur le montant de réparation réclamé, et d'autre part, s'appliquent les règles gouvernant la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.

Enfin, si le tribunal administratif a été saisi de conclusions tendant à la réparation des préjudices de la victime et des préjudices subis par des ayants-droit, il y a lieu, en appel, de distinguer le montant demandé par chacun des ayants-droit à titre personnel et le montant demandé au nom de la victime.

(13 décembre 2022, Mme D. et M. G., n° 458396)

 

183 - Société d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation - Préjudice résultant de manquements à ses obligations - Demande de réparation - Rejet.

Le Conseil d'État était saisi d'une action en réparation du préjudice prétendument subi par un justiciable du fait de manquements à ses obligations qui auraient été commis par une société d'avocats aux Conseils.

Il est d'abord rappelé, ce qui est parfois perdu de vue par les requérants surtout en une époque où toute personne croit tout savoir sur tout et être capable de juger tous ses semblables dans leurs faits et propos, qu'un avocat est libre de choisir, dans l'intérêt de son client, les éléments et moyens à présenter au soutien de ses conclusions et qu'il n'est pas tenu de subordonner la production de ses écritures à l'accord de son client.

Ensuite, concernant le cas de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que si avaient été soulevés les moyens que le demandeur reproche à la société d'avocats de n'avoir pas soulevé, ils eussent été jugés présenter un caractère sérieux de nature à justifier l'admission de ses pourvois en cassation.

Faute de préjudice, il ne saurait y avoir de réparation.

(27 décembre 2022, M. A, n° 455147)

 

184 - Régime législatif de responsabilité pour faute – Réparation des préjudices subis par les harkis et leurs familles – Exclusion de la mise en cause de la responsabilité de l’État – Droit au recours – Respect du droit de propriété – QPC – Refus de transmission – Rejet.

Les recours, joints, étaient dirigés contre le décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 relatif aux mesures d'indemnisation des préjudices et aux mesures d'aide sociale en faveur des harkis, des autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et de leurs familles et contre le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles. Au soutien de leurs recours pour excès de pouvoir les exposants soutenaient l’inconstitutionnalité de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français sur la base de laquelle et pour l’exécution de laquelle ont été pris les deux décrets attaqués.

Ils soutenaient que ce texte portait atteinte aux droits et libertés qu’ils tiennent de la Constitution du fait qu’il exclut toute mise en cause de la responsabilité de l'État à raison de l'abandon des harkis à leur propre sort en Algérie, méconnaissant ainsi la faculté d'agir en responsabilité protégée par l'article 4 de la Déclaration de 26 août 1789 et le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par son article 16, et portant atteinte au droit de propriété protégé par ses articles 2 et 17 ainsi qu'au principe d'égalité protégé par son article 6. 

La transmission de la QPC est refusée.

Tout d’abord est rejetée l’argumentation tendant à voir juger que la loi méconnaît les art. 4 et 16 de la Déclaration de 1789 qui institue un régime légal de responsabilité pour faute de l'État afin de permettre l'indemnisation du préjudice lié à la très grande précarité matérielle dans laquelle ont vécu ces personnes et leurs familles, parfois pendant plusieurs années, et aux atteintes qui ont été portées à leurs libertés individuelles ainsi qu'aux privations diverses qu'elles ont subies dans le cadre de leur séjour dans les structures où elles ont été accueillies. De caractère forfaitaire, ce régime de réparation n’est pas subordonné à la preuve de l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute de l'administration et il n’est pas soumis à la prescription quadriennale. En effet, les requérants reprochent à ce mécanisme législatif l'atteinte disproportionnée qu’il porterait au droit à un recours juridictionnel effectif (art. 16 Déclaration 1789) ainsi qu’à la faculté d'agir en responsabilité (art. 4 Déclaration préc.), au motif qu'il ne prévoit pas de mécanisme de réparation pour les préjudices liés aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962, et à leur absence de rapatriement en France. Toutefois, estime le Conseil d’État, « un grief tiré de ce que des dispositions législatives seraient entachées d'incompétence négative ne peut être utilement présenté qu'à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu'elles instaurent et non pour revendiquer la création d'un régime dédié. Or, le grief tiré de ce que les dispositions législatives en cause porteraient une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel, en ce qu'elles ne créent pas un dispositif de réparation de préjudices qui, tant par leur cause que leur nature, ne sauraient être assimilés à ceux qu'elles régissent, doit être analysé comme reprochant à ces dispositions d'être, à cet égard, entachées d'incompétence négative faute d'avoir créé un régime de responsabilité dédié à la réparation de ces préjudices distincts. Ce grief est, par suite, inopérant. »

Ensuite, est également rejeté le moyen tiré de la violation des art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789 car l'institution d'un tel dispositif d'indemnisation pour des créances qui seraient prescrites en application du droit commun ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme portant atteinte au droit de propriété garanti par ces dispositions.

Enfin, il ne saurait être soutenu que ce système de réparation porterait atteinte au principe d’égalité en ce qu’il ne ferait pas application au cas des harkis des dispositions de l'art. 149 du code de procédure pénale, lequel ne concerne que les personnes qui ont fait l'objet d'une détention provisoire avant d'être relaxées ou acquittées, ce qui est une situation dissemblable de celle évoquée par les demandeurs.

(22 décembre 2022, M. E. et association Génération Harkis, n° 464247 ; M. I. et Comité Harkis et Vérité, n° 464249 ; Mme I., n° 464250 ; M. I., n° 464252 ; M. F., n° 468852, jonction)

(185) V. aussi, rejetant le recours tendant à l’annulation du décret du 22 mars 2022 portant nomination du président de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles et du décret du 8 avril 2022 portant nomination à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles : 22 décembre 2022, M. C. et association Génération Harkis, n° 464328.

 

Santé  publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

186 - Fixation du prix de journée d'hospitalisation - Tarifs des autres prestations de soins délivrées à des personnes ne relevant pas de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française - Tarifs surévalués et sans rapport avec le service rendu - Conditions de juridicité d'une tarification différente pour un même service rendu - Non respect du principe d'égalité des usagers devant le service public - Rejet.

 (9 décembre 2022, Polynésie française, n° 462393 et n° 462394 ; Centre hospitalier de la Polynésie française, n° 462466 ; Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, n° 463025, jonction)

V. n° 189

 

187 - Covid-19…Le retour…du contentieux

 

Si, depuis près de trois ans, le contentieux lié aux mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19 n’a, en réalité, jamais cessé, il a connu une certaine recrudescence, au moins quantitative, en ce 29 décembre 2022.

Toutes les décisions sont de rejet et l’imagination des requérants connaît un certain tarissement, d’où le bégaiement des moyens de fait et/ou de droit censés emporter la conviction du juge.

Il n’est pas utile de dire à nouveau, ce qui l’a été à maintes reprises dans cette Chronique depuis près de trente-six mois, et qui ne présente plus guère d’originalité désormais.

On se borne à recenser les vingt-six décisions (jointes ou non) que les lecteurs intéressés pourront directement consulter. Seuls sont indiqués les noms des parties et les numéros des requêtes, toutes ces décisions ayant été rendue le 29 décembre.

M. A., 451388

M. C. et autres, 453692

M. C., 455259

M. P. et autres, 455384

Cercle Droit et Liberté et autres, 455530 et Association Victimes Coronavirus Covid-19 France et autres, 455558, et recours joints 455770, 456063, 456160, 456193, 456195, 456533, 457236, 457266, 457340, 458244

Mme A., 455614

M. B., 455786

Syndicat Action et Démocratie, 457293

Association VIA - La voie du peuple, 457561 et aussi, 457657, 457689, 459074, 459093, 459270

M. A., 461271

 

 

Service public

 

188 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

 (6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

Et aussi : 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

V. n° 25

 

189 - Fixation du prix de journée d'hospitalisation - Tarifs des autres prestations de soins délivrées à des personnes ne relevant pas de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française - Tarifs surévalués et sans rapport avec le service rendu - Conditions de juridicité d'une tarification différente pour un même service rendu - Non respect du principe d'égalité des usagers devant le service public - Rejet.

La victime de la chute d'un portail a demandé réparation du préjudice en résultant à l'auteur du dommage et à son assureur qui ont opposé l'illégalité d'un arrêté du 17 avril 2014, rendant exécutoire une délibération du 20 février 2014 du Centre hospitalier de la Polynésie française fixant les nouveaux tarifs applicables pour l'année 2014, sur la base duquel ils étaient susceptibles de devoir réparer les préjudices subis par la victime. Le tribunal judiciaire a renvoyé l'examen de cette question, qu'il a estimée préjudicielle, au juge administratif.

Les requérants demandent, pour deux d'entre eux, l'annulation du jugement et pour un troisième, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement par lequel le tribunal administratif a jugé illégaux les tarifs car étant manifestement surévalués et sans rapport avec le service rendu, ils méconnaissent le principe d'égalité des usagers devant le service public.

Le Conseil d'État rejette les recours joints.

Préalablement à l'examen du fond il note que les tarifs litigieux « s'appliquent ainsi, pour l'année 2014, aux patients non ressortissants de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, correspondant essentiellement aux personnes affiliées à la sécurité sociale métropolitaine. »

En premier lieu, le juge de cassation décide que c'est sans erreur de droit et dans le cadre de l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le tribunal administratif a jugé que, même en faisant la part de certaines charges supplémentaires auxquelles était confronté le Centre hospitalier, cette augmentation tarifaire continue n'était pas justifiée par une hausse des coûts de revient, ni calculée dans les conditions prévues par l'article 61 de l'arrêté du conseil des ministres de Polynésie française du 12 septembre 1988 relatif à l'organisation, au fonctionnement et aux règles financières, budgétaires et comptables du Centre hospitalier territorial de la Polynésie française et qu'elle aboutissait à des tarifs devant être regardés comme manifestement surévalués et déconnectés du service rendu.

En deuxième lieu, le juge de cassation rejette l'argument tiré de ce que le juge judiciaire aurait reconnu « fiable » l'outil « programme de médicalisation des systèmes d'information » (PMSI) pour le calcul des tarifs d'hospitalisation des seuls résidents polynésiens ressortissant de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française. En effet, d'une part, ce juge n'a pas remis en cause le constat de la surévaluation de la tarification applicable aux non-ressortissants et d'autre part, le tribunal administratif a seulement entendu rappeler que ces tarifs, utilisés notamment pour le calcul du préjudice subi dans le cadre d'actions subrogatoires, étaient très largement inférieurs aux tarifs appliqués aux non-ressortissants.

Enfin, est rappelé le double principe constant et classique : 1° que la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure; 2° qu'en ces cas la différence de tarifs ainsi instituée ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des circonstances ou des objectifs qui la motivent. Ainsi est caractérisée ici l'atteinte illégale au principe d'égalité devant le service public.

 (9 décembre 2022, Polynésie française, n° 462393 et n° 462394 ; Centre hospitalier de la Polynésie française, n° 462466 ; Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, n° 463025, jonction)

(190) V. aussi, rejetant la requête en référé de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO) tendant à la suspension de l'exécution de la délibération du 20 octobre 2022 de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) refusant de l'autoriser à mettre en œuvre des traitements automatisés à des fins de recherche, d'étude ou d'évaluation nécessitant un accès aux données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), cette société invoquant l'urgence à suspendre cette décision en raison des conséquences négatives du refus de la CNIL sur sa situation financière dès lors que ce refus fait obstacle à la publication du numéro spécial de son hebdomadaire relatif au palmarès des hôpitaux de France, qui constitue habituellement une des meilleures ventes de l'année de l'hebdomadaire du Point et, d'autre part, de la nécessité de proposer une information complète et actualisée au public sur l'activité hospitalière, à bref délai : 29 décembre 2022, Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO), n° 469969.

 

191 - Encadrement des prix de certains produits et services en Polynésie française - Atteinte à la liberté d'entreprendre - Existence d'un motif d'intérêt général - Souci de modération des prix en cas de crise ou de calamité - Rejet pour l'essentiel.

La fédération requérante demandait que soit déclarée contraire au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la « loi du pays » du 7 juillet 2022 relative aux conditions d'encadrement des prix de certains produits ou services et portant modification de la partie législative du livre Ier du code de la concurrence publiée.

Des nombreuses dispositions contestées seules deux dispositions partielles d'entre elles sont censurées.

En premier lieu, sont jugées illégales : 1°, pour incompétence négative, les dispositions du deuxième alinéa de l'art. LP. 110-1 du code de la concurrence de la « loi du pays » en ce qu'elles permettent au conseil des ministres de réglementer de manière pérenne, après avis de l'autorité polynésienne de la concurrence, les prix « notamment dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison de situations de monopole ou d'oligopole, de difficultés durables d'approvisionnement ou de sous-équipement commercial ». L'emploi de l'adverbe notamment créant une situation d'indétermination juridique. 2°, pour atteinte à la liberté d'entreprendre et incompétence négative, les dispositions de l'art. LP. 111-5 du code de la concurrence qui permettent au conseil des ministres d'encadrer les prix des fabricants et producteurs locaux en cas d'augmentations non justifiées de ces prix, sans préciser davantage car ainsi leur champ d'application n'est pas suffisamment précis. 

En second lieu, toutes les autres dispositions sont jugées n'être pas irrégulières en raison, selon les cas, de ce qu'elles sont fondées sur l'objectif de protection des consommateurs et de développement économique et social lesquels constituent un motif d'intérêt général, ou motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou encore par une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ou fixent le prix maximal des produits et services de première nécessité et des produits et services de grande consommation. Semblablement, les dispositions relatives aux amendes administratives sanctionnant le non respect des prescriptions de la « loi du pays » ne sont pas entachées d'illégalité en dépit de ce qu'elles sont cumulables.

(9 décembre 2022, Fédération générale du commerce de la Polynésie française, n° 466687)

 

192 - Service public de la justice - Aide juridique et aide juridictionnelle - Détermination du caractère insuffisant des ressources justifiant l'octroi de l'aide - Effet de seuil - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation des articles 5 et 101 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Il invoquait tout d'abord leur illégalité du fait de la création par elles d'un effet de seuil en raison des règles de plafond retenues instaurant une différence de traitement entre justiciables suivant la répartition de leurs ressources entre revenu, patrimoine mobilier ou financier et patrimoine immobilier. Le moyen est rejeté en ce que cette différence n'est ni manifestement disproportionnée en regard de l'objet de la loi du 10 juillet 1991 que ce décret applique,  ni contraire à l'art. 6 de la convention EDH.

Contrairement à ce que soutient le demandeur le pouvoir réglementaire  n'a pas excédé la marge d'appréciation laissée par la loi en décidant de tenir compte de manière séparée du patrimoine mobilier et du patrimoine immobilier pour apprécier l'éligibilité du demandeur à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat.

Enfin, les dispositions litigieuses, en décidant que la résidence principale du demandeur d'aide juridictionnelle ou juridique n'est pas prise en compte dans l'estimation du patrimoine immobilier auquel s'applique le plafond prévu par le décret attaqué, n'ont pas entendu, ce faisant, exclure que l'autorité compétente pour statuer sur la demande puisse tenir compte, au titre de ces mêmes dispositions et dans le cadre d'un examen au cas par cas, de l'existence d'autres biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour leur propriétaire, n'ont pas méconnu la loi. 

(27 décembre 2022, M. B., n° 448990)

(193) V. aussi, identique : 27 décembre 2022, M. B., n° 450220.

 

194 - Enseignement supérieur – Approbation des statuts de la communauté d'universités et établissements (COMUE) « Université de Lyon » - Rejet.

Les accouchements sont souvent douloureux, ainsi en va-t-il à peu près toujours de celui d’une nouvelle université.

La création de la COMUE « Université de Lyon » donne lieu à un feuilleton contentieux qui trouve peut-être son épilogue dans la présente décision.

Le recours était fondé sur un très grand nombre de moyens, de légalité externe comme de légalité interne, de fait comme de droit.

Ils sont tous rejetés au terme d’une très longue décision qui ne saurait être analysée ici en tous ses éléments, pour l’essentiel tirés d’allégations de vices qui auraient affecté les procédures de délibérations et de votes divers tout au long du processus de formation de cette nouvelle université.

On se permet de renvoyer le lecteur au texte même de l’arrêt.

(20 décembre 2022, M. H., association Démocratie et Transparence à l'Université de Lyon, association Idexit et autres, n° 450286)

 

195 - Entreprises publiques – Participation des salariés aux résultats de leur entreprise – Différence de traitement justifiée – Rejet.

Les requérants demandaient qu’il leur soit fait application des dispositions de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés. Ils invoquent en particulier l’identité de leurs situations respectives avec celle d’Aéroports de Paris où cette ordonnance est appliquée via le décret du 26 novembre 1987 déterminant les établissements publics et entreprises publiques soumis à ce régime.

Le recours est rejeté car si les sociétés requérantes sont incluses dans le périmètre de l'Agence des participations de l'État et si l'État est représenté au sein de leur conseil de surveillance, il n’en demeure pas moins des différences appréciables entre leurs situation et celle d’Aéroports de Paris car ces trois sociétés perçoivent des financements publics dans le cadre de leurs programmes d'investissement, contrairement à la société Aéroports de Paris, sont soumises à des règles de détermination des tarifs de leurs redevances moins incitatives au développement des activités commerciales que celles applicables à la société Aéroports de Paris et, enfin,  se trouvent dans un environnement moins concurrentiel que celle-ci.

Ces différences objectives quant à la réalisation de bénéfices susceptibles de donner lieu à la participation des salariés à leurs résultats justifient leur exclusion du champ d’application de l’ordonnance et du décret précités sans qu’il y ait méconnaissance du principe d’égalité.

(22 décembre 2022, Comités sociaux et économiques de la société anonyme Guadeloupe Pôle Caraïbes, de la société anonyme Aéroport Réunion Roland-Garros et de la société Aéroport Martinique Aimé-Césaire, n° 460585)

 

196 - Service public hospitalier – Établissements publics de santé - Praticiens hospitaliers – Régime des émoluments, rémunérations ou indemnités – Grille des émoluments – Rejet.

Cette question ayant déjà fait l’objet récemment de notules, le lecteur est renvoyé aux n°s 61, 186 et 187 de la Chronique de novembre 2022.

(28 décembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 446916 ; Syndicat des médecins réanimateurs, n° 449344 et n° 452101)

(197) V. aussi, dans un domaine voisin, rejetant le recours en annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le décret n° 2018-639 du 19 juillet 2018 relatif au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé, en tant qu'il prévoit que les personnels enseignants et hospitaliers titulaires et non titulaires sont représentés au sein de collèges statutaires distincts, ce qui porterait atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail garantis respectivement par les alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu’au principe d’égalité : 28 décembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 461595.

 

Sport

 

198 - Dopage - Procédure devant la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Publicité des audiences - Publicité sur demande des intéressés - Absence de contrariété à l'art. 6 § 1 de la convention EDH - Rejet.

Un sportif convaincu de dopage fait l'objet d'une sanction. Outre la classique et, ici, vaine contestation de la disproportion de la sanction infligée portant interdiction d'une durée de quatre ans de participer aux compétitions dans la discipline du pancrace, il soulève l'irrégularité résultant de l'absence de caractère public des audiences se tenant devant la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Pour rejeter ce moyen d'irrégularité, le Conseil d'État relève que l'art. R.232-95 du code du sport, en disposant que devant cette commission : " Les débats ne sont pas publics sauf demande contraire formulée, avant l'ouverture de la séance, par l'intéressé, ou son conseil (...) ", ne fait nullement obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, au droit de l'intéressé ou de son défenseur, dès lors qu'il en fait la demande, à ce que sa cause soit entendue publiquement. 

(27 décembre 2022, M. A., n° 462122)

(199). V. aussi, à propos d'une sanction infligée à la suite d'un contrôle antidopage positif pratiqué à l'occasion d'une compétition de football, la décision jugeant que les dispositions du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 21 avril 2021, qui sont indivisibles de celles du II de l'article L. 232-23-3-3 de ce code, prévoient des sanctions moins sévères que celles en vigueur à la date de la commission du manquement et qu'elles sont donc applicables au litige en vertu du principe d'application immédiate de la loi répressive plus douce et réduisant en conséquence de un an à trois mois l'interdiction primitivement prononcée : 27 décembre 2022, M. B., n° 465059.

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

200 - Permis de construire modificatif - Intérêt pour agir contre ce permis - Recours d'un propriétaire voisin - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Saisi d'un recours en suspension d'un permis de construire modificatif, un tribunal administratif rejette cette demande motif pris de ce que son auteur ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre ce permis.

L'ordonnance rejetant la requête en référé est annulée pour qualification inexacte des faits dès lors que la demanderesse : 1° avait établi être propriétaire d'une maison à usage d'habitation située à proximité immédiate de la parcelle d'assiette du projet, 2° avait fait valoir que la décision attaquée apportait à l'implantation de la maison en limite séparative une modification de nature à compromettre l'accès à sa propriété, 3° qu'elle créait du côté de sa propriété une aire de stationnement et agrandissait une piscine, susceptibles d'engendrer des nuisances sonores, 4° qu'elle créait sur le bâtiment principal une ouverture donnant directement sur sa propriété.

La requérante avait ainsi fait état d'éléments relatifs à la nature, à l'importance et à localisation des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction, de nature à établir l'atteinte susceptible d'être portée par le permis de construire modificatif en litige aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

(8 décembre 2022, Mme D., n° 465790)

 

201 - Permis de construire - Demande d'annulation pour contrariété du permis à une disposition du POS - Refus - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante demandait l'annulation du permis de construire délivré à Mme A. comme contraire aux dispositions de l'art. 11UC du règlement du POS de la commune selon lesquelles : « (...) 2. Les clôtures sur limites séparatives sont limitées à deux mètres de haut mesurés à compter du fond voisin » en ce qui concerne la clôture située en limite séparative nord entre le terrain de Mme A. de celui de la requérante.

Le tribunal a rejeté cette requête au motif que ce moyen ne ressortait d'aucune pièce du dossier. Le jugement est annulé pour dénaturation des pièces du dossier car il apparaissait manifestement sur le plan de coupe longitudinale joint au dossier que la hauteur de ce mur excédait la limite de deux mètres prévue à l'article 11 UC précité.

(9 décembre 2022, Mme B., n° 456164)

 

202 - Instruction des déclarations préalables de travaux, demandes de permis, etc. - Expiration du délai d'instruction - Naissance d'une décision de non-opposition à déclaration préalable ou d'un permis tacite - Demande de complément de pièce - Pièce non exigée par la réglementation - Demande sans effet sur la constitution d'une décision de non-opposition ou de permis tacite dès l'expiration du délai d'instruction - Rejet.

Abandonnant une jurisprudence d'apparition récente (9 décembre 2015, Commune d'Asnière-sur-Nouère, n° 390273, point 6), la section du contentieux juge désormais que la demande, au cours de l'instruction d'une déclaration préalable, d'un permis de construire ou d'aménagement, de pièce(s) complémentaire(s) ne pouvant être requises, n'a pas pour effet d'empêcher la constitution, au terme du délai d'instruction, d'une décision de non-opposition ou d'un permis de construire tacite. Cette solution jurisprudentielle est bien meilleure que la précédente.

(Section, 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain, n° 454521)

 

203 - Livraison de terrains à bâtir - Conditions d'exonération de TVA - Gestion d'un patrimoine privé et non commercialisation foncière - Rejet.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

V. n° 59

 

204 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Classement de parcelles en espaces boisés - Demande d'annulation « en tant que ne pas » - Rejet.

Est rejeté le pourvoi fondé sur ce que serait illégale la délibération d'un conseil municipal classant les parcelles du requérant en zone boisée du PLU en tant qu'elle ne classe pas d'autres parcelles ne lui appartenant pas dans cette même catégorie.

Le rejet est fondé sur ce que les parcelles litigieuses, d'abord, ne font pas partie du site classé du Ru du Rebaix, à l'inverse de celles appartenant au requérant, ensuite qu'elles font partie d'un ensemble construit, ce qui n'est pas le cas des parcelles qui lui appartiennent. Enfin, le rapport du commissaire enquêteur relève que la zone dont le requérant considère qu'elle devrait être traitée de manière homogène est en réalité très hétérogène, comprenant en son centre un vaste secteur à caractère naturel dont les parcelles non construites ne constituent qu'une partie, séparant deux secteurs urbains constitués classés en zone UA ou UB.

La délibération ne repose ainsi sur aucune erreur manifeste d'appréciation.

(13 décembre 2022, M. A., n° 451577)

 

205 - Permis de construire - Immeuble collectif de logements - Date d'appréciation de la réglementation applicable - Refus implicite d'autoriser une régularisation - Annulation du permis - Rejet.

La société demanderesse a demandé un permis de construire un immeuble collectif de douze logements, cette demande a été rejetée. Le tribunal administratif, sur le recours de cette dernière, a annulé le refus et enjoint le maire de prendre une nouvelle décision. Le maire a interjeté appel aux fins d'annulation de ce jugement. Durant ce temps, la société a confirmé sa demande de permis qui fut à nouveau rejetée mais un protocole étant intervenu entre cette société et la commune, cette dernière s'est désistée de son appel et a délivré le permis de construire sollicité le 20 avril 2018.

Deux associations ont demandé au tribunal administratif l'annulation de ce permis, ce qui leur a été refusé, et elles ont interjeté appel. La cour administrative d'appel a annulé le jugement ainsi que l'arrêté accordant le permis de construire.

La pétitionnaire se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Trois questions de droit se posaient, d'où l'importance de cette décision.

En premier lieu, en principe, selon l'art. L. 600-2 du code de l'urbanisme, après annulation juridictionnelle d'un refus de permis de construire la confirmation par l'intéressé de la demande de permis (comme d'ailleurs de l'autorisation de travaux) ne peut pas faire l'objet d'un refus ou être accordée avec des prescriptions spéciales sur le fondement de règles d'urbanisme postérieures à la date du refus annulé. Ce texte constitue bien évidemment une disposition dérogatoire, il est donc d'interprétation stricte. Or, en l'espèce la cour a jugé souverainement et sans dénaturation que le projet présenté et ayant obtenu le permis délivré le 20 avril 2018 constituait en réalité une modification du projet initial dépassant de simples ajustements ponctuels. Il revêtait donc la nature d'une demande portant sur un nouveau projet et sa juridicité devait donc être appréciée non au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire (9 mai 2017), mais au regard des règles du plan local d'urbanisme (PLU) adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande.

En deuxième lieu, effectuant cette comparaison entre le permis remanié et le PLU, la cour a jugé que plusieurs balcons excédaient la largeur maximale fixée par l'article UC 1 du PLU, que l'emprise de la construction méconnaissait la règle d'implantation par rapport aux voies publiques prévue par l'article UC 5, que la construction ne respectait pas les règles de prospect prévues par l'article UC 6, que l'emprise au sol était deux fois supérieure au coefficient maximal d'emprise au sol de 40 % fixé par l'article UC 8, que la hauteur était supérieure à la hauteur maximale prévue par l'article UC 9, que le projet ne comportait pas de local ou abri extérieur réservé au stationnement des cycles non motorisés, contrairement à ce que prévoit l'article UC 11, et comportait un nombre insuffisant de places de stationnement eu égard au nombre de logements et à la surface de plancher globale, et enfin que par sa situation, ses dimensions et son volume, le projet était de nature à porter significativement atteinte au caractère et à l'intérêt du site classé des Roches Blanches en méconnaissance des articles UC 2 et UC 10 du PLU. Elle a annulé le permis contesté.

En troisième lieu, ce jugeant, la cour n'a pas fait usage de l'obligation qui pèse sur elle de surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés. Ce qui pouvait susciter deux interrogations. D'abord, la cour, en s'abstenant de se prononcer sur ce point n'a-t-elle pas commis une erreur de droit ? La réponse est négative car la cour a implicitement mais nécessairement estimé que l'un au moins des vices affectant la légalité du permis de construire était insusceptible d'être régularisé.  Ensuite, ce refus de demander à l'intéressée de solliciter la régularisation du permis ne devait-il pas être motivé ? La réponse est encore négative car la cour n'était pas saisie en l'espèce d'une demande de régularisation.

(14 décembre 2022, Société Eolarmor, n° 448103)

 

206 - Permis de construire un centre commercial et de loisirs - Atteinte à des espèces végétales et animales protégées - Dérogation subordonnée à l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur - Annulation de l'arrêté préfectoral accordant le permis - Rejet.

(27 décembre 2022, Société PCE et société Foncière Toulouse Ouest, n° 449624)

V. n° 106

 

207 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Critiques globale du plan et du classement de parcelles d'un secteur - Rejet.

La société requérante poursuivait l'annulation de la décision de la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois approuvant le PLU du Touquet Paris-Plage, à titre principal dans son intégralité et, à titre subsidiaire, en tant qu'elle approuve le classement de l'ensemble du secteur du Polo en zone NH, des parcelles BC17 et BC18 en zone NL et des parcelles de ce secteur correspondant à des dents creuses en zone NL.

Elle se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du jugement de rejet de ses prétentions.

Le juge de cassation rejette le pourvoi, estimant que c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que la cour a jugé que le classement en zone N des parcelles appartenant à la société La Morinie n'était pas entaché d'illégalité par le quadruple motif que ces parcelles présentaient le caractère de dents creuses non bâties, que le secteur du Polo était, de manière générale, peu densifié, que la forêt existante y avait été conservée, cet espace boisé relevant en outre d'une zone d'intérêt écologique, faunistique et floristique, et qu'enfin il présentait un intérêt écologique certain.

(27 décembre 20225, Société La Morinie, n° 450222)

 

208 - Permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale – Contestation par une association – Examen de la condition d’intérêt à agir – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Les dispositions des art. L. 425-4, L. 600-1-2 et L. 600-1-4 du code l’urbanisme ne font pas obstacle à ce qu'une association puisse contester un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale à la fois en tant qu'il vaut autorisation de construire et en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, pour autant qu'elle justifie d'un intérêt pour agir contre chacune de ces autorisations. 

Il appartient donc à la juridiction saisie de telles conclusions, pour déterminer leur recevabilité, de rechercher si cette association justifie, au regard de l'objet défini par ses statuts et son champ d'action géographique, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre chacune de ces autorisations.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que pour déclarer une association irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, une cour administrative d’appel relève qu’elle a pour objet la défense des intérêts collectifs des commerçants, indépendants et artisans dans le département et en a déduit que, les autorisations de construire ne portant pas atteinte, par elles-mêmes, au commerce, ses statuts ne lui donnaient intérêt pour agir contre un permis de construire qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale. En effet, en jugeant ainsi il n’est pas tenu compte des autres finalités poursuivies par l'association retracées à l'article 2 de ses statuts et figurant dans les pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment « la défense et la préservation du cadre de vie contre toute atteinte qui y serait portée par la planification ou l'autorisation de surfaces destinées au commerce ».

(26 décembre 2022, Association En toute franchise département du Var, n° 442811)

() V. aussi, assez comparable, avec même demanderesse : 30 décembre 2022, Association En toute franchise département du Var, n° 456413.

 

209 - Autorisation de division foncière en lotissement – Autorisation d’occupation du sol délivrée sur l’un des lots – Autorisation d’urbanisme ne trouvant pas sa base légale dans le permis de lotir – Inopérance de l’invocation par voie d’exception de l’illégalité de l’autorisation de lotir – Rejet.

Sans être totalement nouvelle ou imprévisible, la solution retenue dans la présente décision est, dans sa logique, assez innovante. Le Conseil d’État y juge qu’une décision d’autorisation de lotir ne saurait être tenue pour la base légale d’une autorisation d'occupation des sols délivrée sur l'un des lots issus de cette division foncière ni cette dernière comme ayant été prise pour l'application de la décision d’autorisation de lotir. Il en résulte qu’est inopérant le moyen, soulevé par voie d’exception à l'appui de conclusions dirigées contre l'autorisation d'occupation des sols, tiré de l'illégalité de la décision d'autorisation de lotir. 

(22 décembre 2022, SCI Generatio et autres, n° 458524)

 

210 - Travaux de construction – Réalisation irrégulière – Application de l’art. L. 480-1 du code de l’urbanisme – Démolition partielle ordonnée – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’ordonnance de référé suspension qui juge créer un doute sérieux la circonstance qu’appliquant l’art. L. 480-1 c. urb., le maire d’une commune ordonne la démolition partielle du mur de clôture d’un poulailler.

Cette décision n’allait pas de soi car la déclaration de travaux portait sur un mur maçonné enduit de 25 centimètres de hauteur, percé en partie basse de passages pour laisser la libre circulation des animaux sauvages et surmonté d'un grillage à larges mailles de 1,55 mètre de haut et qu’il a été constaté qu’en réalité avait été construit sur cette base un mur plein de de deux mètres de haut. Le maire, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 481-1 précité, a ordonné la démolition partielle du mur. Pour juger cela possible, le juge de cassation recourt à la méthode de l’analyse des travaux préparatoires à l'adoption de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique dont sont issues les dispositions litigieuses. Il nous paraît que qui peut le plus pouvant le moins, la décision ordonnant la réduction à une hauteur de 25 centimètres d’un mur de deux mètres est possible dès lors qu’en aurait pu être ordonnée la démolition totale.

(22 décembre 2022, Commune de Villeneuve-lès-Maguelone, n° 463331)

 

211 - Permis de construire tacite – Retrait à la suite du recours administratif gracieux de tiers – Annulation contentieuse de la décision de retrait – Second recours administratif gracieux contre le permis initial – Absence de conservation du délai de recours contentieux – Annulation.

Le juge fait application, en matière de permis de construire, de la règle « recours administratif sur recours administratif ne vaut » selon laquelle la formation d’un second recours administratif gracieux contre la même décision ne conserve pas le délai du recours pour excès de pouvoir (Pour la décision de principe, voir : 27 février 1935, Séguéla et autres, n° 28348 et n° 28557, Recueil Lebon p. 249 ; voir aussi :  3 février 1975, Caron, n° 92308, Recueil Lebon p. 83 ; 11 mars 2009, A., n° 294765, Recueil Lebon aux Tables, p. 635, 881).

Toutefois le cas de l’espèce pouvait faire hésiter quant à la solution à retenir.

Un pétitionnaire se voit accorder un permis de construire tacite le 3 juin 2017 que conteste le recours administratif gracieux de tiers, ceci entraînant le retrait par le maire, le 4 septembre 2017, du permis tacite litigieux. Sur recours du bénéficiaire du permis ce retrait est annulé par le juge le 19 juin 2020. Les tiers forment le 7 septembre 2020 un nouveau recours gracieux contre le permis, puis saisissent le juge des référés le 5 novembre 2020, qui suspend l’exécution du permis de construire.

Le Conseil d’État est très logiquement à la cassation de l’ordonnance.

L’annulation, le 19 juin 2020, du retrait du permis de construire tacite, a eu pour effet de le faire revivre à compter de cette date. Si les intéressés disposaient alors de deux mois pour saisir le juge d’un recours contentieux, en revanche ils ne disposaient plus de la faculté de former un second recours gracieux le 7 septembre de sorte que le juge des référés, en écartant la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête enregistrée le 5 novembre 2020, a commis une erreur de droit.

(28 décembre 2022, M. C., n° 447875)

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